Jacques Derrida - La Verité en Peinture

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LA VÉRITÉ

EN PEINTURE

\
OU M~ME AUTEVR
OANS LA M~ME COLLECTION
Jacques Derrida

De quoi demain ... (avec Élisabeth Roudinesco)


Éperons. Les styles de Nietzsche
Heidegger et Ia question

LA VÉRITÉ
EN PEINTURE

Champs essais
AVERTISSEMENT

Disons que, pour m'en tenir au cadre, à Ia limite,


j'écris ici quatre fois autour de Ia peinture.
1. Pour soUiciter Ia philosophie (Platon, Kant,
Hegel, Heidegger) qui domine encore Ie discours sur
Ia peinture. Tout ce que Kant aura entrevu sous le
nom de parergon (par exemple le cadre) n'est ni dans
I'eeuvre (ergon) ni hors d'elle. Dês qu'il a lieu, il
démonte les oppositions conceptuelles les plus ras-
surantes.
2. Pour décrypter le singulier contrat qui lie le
trait phonique, avant même le mot (Gl, Tr, + R), au
trait dit graphique. 11 y va aussi de Ia lettre et du
nom propre, de l'autobiographie et de la narration
politique en peinture. La chance est ici donnée par
Le ooyage du dessin (Adami).
3. Pour analyser le ductus (idiome du trait comme
signature du dessinateur) et le systeme de Ia duction
(production, reproduction, réduetion, ete.). Il y va de
l'initial et du paradigme, de Ia série, de Ia généalogie,
du deuil et des restes en peinture. Cartouches (nom
propre et commun, masculin ou féminin) intitule ici
Ia chance donnée par The Pocket Size Tlingit Colfin
© Flammarion, 1978. (Titus-Carmel).
ISBN: 978-2-0812-4829-8 4. Assistant, non sans y prendre part, à un duel
entre Heidegger et Schapiro pour savoir à qui
reviennent en uéritê les souliers délacés de Van Gogh,
4 LA V~RIT~ EN PEINTURE

je demande ce qu'il en est du désir de restitution


quand il a trait à Ia vérité en peinture.
Quatre fois, dira-t-on, autour de Ia peinture, donc
dans
.... les parages qu'on s'autorise ' c'est toute I'histoire ,
a conterur comme les entours ou les abords de
I'oeuvre : cadre, passe-partout titre signature musée
are h·ive, d'lscours~ ~arché, bref"" partout ou on légifêre
en marquant Ia limite, celle de Ia couleur même. Du
~roit .à Ia peinture, voilà le titre ambitieux auquel PASSE-PARTOUT
J aurals. voulu accorder ce livre, son traiet autant que
son obiet, leur trait commun, qui n'est autre ni un -1-
ni indivisible, que le trair lui-même. '
Quelqu'un oient, ce n'est pas moi, et prononce : « Je m'in-
I.D. téresse à l'idiome en peinture. »
Comprenez-uous : celui qui parle est impassible, il est
resté immobile pendam le déroulement de sa phrase, atten-
ti! à s'abstenir d'aucun geste. Lã ou peut-être oous l'auen-
diez, prês de Ia tête et autour de tels ou tels mots, par
exemple « en peinture », il n' aura pas mimé Ia double come
des guillemets, il n'aura pas dépeint une écriture les doigts
en l'air. II tnent seulement et uous annonce : « Je m'inté-
resse à l'idiome en peinture. »
Comme il oient, et qu'il oient de uenir, le cadre manque,
les bords d'un contexte s'éoasent, Vous ne comprenes pas
rien mais que oeut-il dire au jus te ?
Qu'il s'intéresse à l'idiome « en peinture », à l'idiome
lui-mêm«, pour lui-même, « en peinture » (expression elle-
même Jort idioma tique, mais quest-ce qu'un idiome?)?
Qu'il s'intéresse à l'expression idiomatique elle-même, aux
mots « en peinture » ? aux mots en peinture ou aux mots
« en peinture » ? ou aux mots « "en peinture" » ?
Qu'il s'intéresse à l'idiome en peinture, traduisez : à ce
qu'il en est de I'idiome, du trait ou du style idiomatique
(singulier, propre, inimitable ) dans le domaine de Ia
peinture, ou bien encore, autre traduction possible, à Ia
singularité ou à Ia spécificité irréductible de l'art pictural,
de ce « langage » que serait Ia peinture, etc. ?
Ce qui Jait au moins, si uous comptez bien, quatre hypo-
thêses, mais chacune se divise, par greffe et contamination
de toutes les autres, et oous n'en aurez jamais fini de traduire.
6

l
LA VÉRITÉ EN PEINTURE PASSE-PARTOUT 7
Moi non plus. il écrit plutôt, c'est une lettre et ce « bon mot » s' écritplus
Et. si uous. vouliez patienter un peu en ces lieux , oous facilement qu'il ne se dito li écrit, d'un langage qui ne
sa,urnz. qf4!je ne peux dotniner Ia situation, ni Ia traduire montre rien. li ne donne rien à ooir, ne décrit rien, repré-
m Ia dêcrire. Je ~ p'eux pas rapporter ce qui s'y passe, le sente encore moins. La phrase n'opere en rien sur le mode
raconter ou le dépeindre, le prononcer ou le mimer le du constar, elle ne dit rien qui existe hors de I'événement
donner ~ lire ou à formaliser sans reste. Je devrais touj/mrs qu'elle constitue mais elle engage le signataire d'un énoncé
reconduire, reproduire, laisser se réintroduire dans l' éco- que les théoriciens des speech acts nommeraient ici « per-
nomie formalisatric,e de ma ,~ela!i~, chaquefois surchargée [ormatif », plus précisément de cette sorte de performatif
~ ~/que supplément, I indécision que je ooudrais y qu'ils appellent « promesse », Je ne leur emprunte pour
redu're. To~t se passera, au bout du compte, comme si je l'instant que des commodités approximatiues, des titres de
oenass de dire : « Je m'intéresse à l'idiome en peinture. » problêmes, sans savoir s'il y en a, des « constatifs » et des
Et que je l' écrioe.maintenant plutieurs fois, en surchar- « performatifs » purs.
g~,!nt.le texte de guillemets, de guillemets entre guillemets, Que fait Cézanne? Il écrit ce qu'il pourrait dire, mais
d.italiques, de crochets, de gestes pictographiés, queje mul- d'un dire qui ne constate rien. Le « je vaus dois » lui-même,
tiplie les raffinements de ponctuation dans tous les codes qui pourrait comporter une référence descriptioe (fe dis,
je parie qu'à Ia fin l'initial résidu reviendra. li aura mi; je sais,je vois queje oous dois) se lie à une reconnaissance
en marche un Premier Moteur divisé. de dette qui engage au moins autant qu'elle décrit : elle
Et je oous laisse maintenant aoec quelqu'un qui vient et souscrit.
prononce, ce n'est pas moi: « Je m'intéresse à l'idiome en La premesse de Cézanne, de celui dont on lie Ia signature
pemture. » à un certain type d' événement dans l' histoire de Ia peinture
et qui en engage plus d'un à sa suite, cette promesse est
singuliere. Sa performance ne promet pas, à Ia leure, de
-2- dire au sens constatif, mais encore de « faire ». Elle
promet un autre « performatif », et le contenu de Ia pro-
La vérité en peinture, c'est signé Cézanne. C'est un messe est déterminé, eomme sa forme, par Ia possibilité de
mot de Cézanne. cet autre. La supplémentarité performatioe est a/ors
Résonnant dans le titre d'un livre, ça sonne alors comme ouuerte à l'infini. Sans référence descriptioe ou « consta-
un da. tive », Ia promessefait événement (elle «[ait : en énonçant )
Pour le rendre, dane, à Cézanne, et d' abord à Damisch pourvu qu'un eertain encad~ement ~onventionnel,. auere~
qui le cite aoant moi I, je reconnais Ia dette. Je le dois. ment dit un contexte marque de fiction performatioe, lu,
Pour que le trait revienne à qui de droit. en assure Ia possibilité. La promesse des lors ne [ait pas
Mais Ia vérité en peinture déjà se deuait. éoénement comme tout « acte de langage » : en supplément
Cézanne aoait promis de s'acquitter: «JE VOUS DOIS de I'acte qu'elle est ou qu'elle constitue, elle « produit »
LA VÉR/TÉ EN PEINTURE, ET JE VOUS LA ot. un éoénement singulier qui tient à Ia structure performative
RAI» (à Emile Bemard, 23 octobre 1905). de l'énoncé - il s'agit d'une promesse. Mais, autre supplé-
Etrange énoncé. Celui qui parle est un peintre. li parle, ment, I'objet de cette promesse, le promis de Ia promesse,
c'est un autre performatif, un « dire » qui pourrait bien,
I. Huit thislS.pour. (ou contre une sm,iologie de Ia peinture, in Macula,
ê )
naus ne le savons pas encore, être un « peindre » qui ne
~, 1977·A D~I1I1ICh,re pren~s même le mot de« mot • (... «suivant le mot, dise ni ne dêcrioe, etc.
1 ~nonc~ délibérémenr ambigu de Cézanne...• ) quand même [e ne le
p~endral' P,:s au mot, eu une reserve toujours demeure quant IUX limites Une des eonditions pour Ia performance d'un tel événe-
leI de Ia déhbératlon. ment, pour le déchalnement de sa chatne, ce seroit, selon
8 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PASSE-PARTOUT 9
les ,théor~ciens classiques des speech acts, que Cézanne pourrait s'agir de l'idiome de Ia vérité en peinture, de ce
ueuille dire quelque chose et qu'on puisse l'entendre. Ceue à quoi cette étrange locution semble pouvoir se référer et
condition ferait partie de Ia fiction, autrement dit de l'en- qui s'entend déjà de multiples [açons. Intraduisible, cette
semble des protocoles conuentionnels, au moment ou un Emile locution ne l'est pas absolument, Dans une autre langue,
Bemard s'apprête à dêcacheter une lettre. aoec de Ia place, du temps et de l'endurance, de longs
Supposons que j' aie écrit ee livre pour savoir si cette diseours pourraient en proposer de laborieux approchants.
condition pouuait jamais étre remplie, s'il y aoait même Mais intraduisible elle le reste dans sa performance écono-
un sens à Ia définir - ce qui reste alors à savoir. mique, dans I' ellipse de son trait, le mot à moi, le mot
La théorie des speech acts a-t-el/e son correspondant pour mot ou le trait pour trait oU el/e se contracte : autant
en peinture ? Est-ce qu' el/e s'entend en peinture ? de mots, de signes, de lettres, Ia même quantité ou Ia
Comme el/e en appelle toujours, et nécessairement, aux même dépense pour le même contenu sémantique, aoec le
ualeurs d',inrenti~~, de, vérit~ et de sincérité, un protocole même reoenu de plus-oalue. Voilà ce qui m'intéresse, cet
absolu ~oZl aussuot !O:t~eplt de cette premiêre question : « intérêt », quand je dis : « Je m'intéresse à l'idiome de Ia
que doit étre 10; vente pour être due, voire pour être vérité en peinture. )1

rendue? En peinture i Et si el/e consistait, en peinture On peut toujours essayer de traduire.


à rendre, que ueut-on dire quand on promet de Ia rendr; Quant au sem, de quels traits pertinents deorait-on
elle-même eomme un da ou un rendu ? rendre compte en une traduction qui ne regarderait plus à
Qu' est-ce à dire, rendre? Ia dêpense pédagogique? lls sont au moins quatre, à
Quoi de Ia restitution ? Et en peinture ? supposer, concesso non dato, que l'unité de chacun
Ouurons Ia lettre, aprês Emile Bemard, «La vérité en demeure inentamable.
peinture» serait done un trair de Cézanne. 1. Ce qui a trait à Ia chose même. En ,raison du p~v~ir
Ill'aurait signé comme on signe un trait d'esprit. A quoi qu'on a prêté à Ia peinture (reproduction ou rest'tut,,?,,
cela se reconnatt-il ? immidiate, adéquation et transparence, etc.), (( Ia vmté
A ceei d'abord que l'éoénement, le double éoénement en peinture », dans Ia langue française qui n'est pas une
doublement incertain se contracte, et ne contracte auec peinture, cela peut vouloir dire et s'entendr~ :,Ia vérité
lui-même qu'à l'instant ou Ia singularité du trait se divise restituée elle-même, en personne, sans médiation, fard,
pour se lier au jeu, à Ia chance et à I' éeonomie d'une masque ni ooile. Autrement dit Ia vrai~ vérité ~ Ia, vérité
langue. S'il y aoait, en toute puretê, de l'idiome ou du de Ia oérité, restituêe dans son pouootr de restuutum, Ia
dialeete, on deorait les reconnattre, à l'ceuore dans ce vérité se ressemblan: asses pour échapper à toute méprise,
trait de Cézanne. Ils seraient seuls eapables d' a:surer une à toute illusion; et même à toute représentation - mais
for;na.1isati~n économique aussi puissante dans l'épargne asses dioisée déjà pour se ressembler, produire ou engendrer
elliptique d une langue naturel/e, et de dire tant de choses deux fois, selon les deux génitifs : vérité de Ia vérité et vérité
en ,si peu de mots, tant qu'il en reste toujours, des restes de Ia oérité.
(lelpso~ena), paur déborder l'e/lipse en sa réserue, faire
jouer 1 economie en l'exposaru à sa chance,
2. Ce qui a trait, de ce [ait, à Ia rep~ésentation 0#-
quate, dans l'ordre de Ia fiction ou le relief de son effigte.
Supposons que j'aie tenté ee livre, en ses quatre temps, Dans Ia langue française, s'il y en a qui soit une et si ce
pour l'intérêt - ou Ia grâce - de ces restes. n'est pas une peinture, (( Ia vérité en peinture », cela peut
Reste - I'intraduisible. vouloir dire et s'entendre : Ia oérité fidêlemen: représentêe,
Non que l'idiome « de Ia vérité en peinture » soit simple- trait pour trait, dans son portrait. Et cela peut aller du
ment intraduisible, je oeux dire l'idiome de Ia locution reflet à l' al/égorie. La vérité alors n' est plus elle-même
car les gui/lemets ne suffisent pas à nous en assurer : il dans ce qui Ia représente en peinture, seulement son double,
11
10 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PASSE-PARTOUT

si ressemblant soit-il et précisément autre en raison de Ia soit une et si ce n'est pas une peinture, « Ia vérité ~ pein-
ressemblance. Vérité de Ia vérité encere, auec les deux ture » cela peut oouloir dire et s'entendre : Ia vénté, teIle
génitifs, mais cette fois Ia oaleur d' adéquation a écarté qu'eIl; s'espose, se prêsente ou se repré~entedans le champ
celle de dêooilement, La peinture de Ia vérité peut être proprement pictural, sur le mode .fJJctural, propr~t
adéquate à son modele, en le représentant, elle ne le pictural même si ce mode est troptque par rapport a Ia
manifeste pas lui-même, en le présentant, Mais comme le vérité eize-même. Pour entendre ainsi l'expression « vérité
modele est ici Ia oérité, c'est-ã-dire cette oaleur de présen- en peinture )),il [aut sans doute s'éca~ter u.npeu de la.~lus
tation ou de représentation, de déuoilementou d' adéquation, grande force d'usage (à supposer qu ~ dispose de cnter:e~
le trait de Césanne ouore l'abime. (Heidegger, dans rigoureux pour l'éoaluer), tout ~ ma'?"tena~tIa ~tte
I'Origine de I'eeuvre d'art, nomme le « trait )) (Riss) qui grammaticale et syntaxique, ootre sémanuque. Mazs un
n'ouvre pas seulement au-dessus du goulfre mais tient idiome, c'est cela, s'il y en a. li ne fixe pas seule1ne!'~!a.
ensembleles rioes adoerses.) A entendre le mot de Cézanne, propriété économique d'un, « ~oyer )),il rêgle Ia ~SStbil,.te
Ia oérité (présentation ou représentation, déuoilement ou des jeux, des écarts, des equ,voque.s, toute u.ne econotme,
adéquaiion) doit être rendue « en peinture ll, soit par précisément, du trais. Cette économteseparasue elle-méme.
présentation, soit par représentation, selon les deux modeles 4. Ce qui a trait à Ia vérité dans l'ordre de Ia petnture~
de Ia oérité. La vérité, le modele du peintre, doit être dane, et au sujet de Ia peinture',non s~/e1ne!'t pour ce qu,
rendue en peinture selon les deux modeles de Ia oéritê. est de Ia présentation ou .re.presentat,on.fJJcturale de I~
Dês lors, l'expression abyssale « vérité de Ia vérité )),celle vérité. Le parasitage de l'idiome « en pemture }).fJ?r lui-
qui aura fait dire que Ia oérité est Ia non-oérité, peut se mime permet d' héberger un nouveau s~ : Ia vente. quant
croiser aoec elle-même selon toutes sortes de chiasmes, selon à Ia peinture, dans le d011U!'ine ou aI! sUJ.etde Ia petn!ur~,
qu'on déterminera le modele comme présentation ou comme le vrai sur l'art qu'on dit ptctural. S. maintenant on défintt
représentation. Prêsentation de Ia représentation, présen- cet art par Ia valeur de vérité, en ~n sens ou dans I'autre,
tation de Ia présentation, représentation de Ia representa- on entendra iei le vrai sur le vra t, Dans Ia langue fran-
tion, représentation de Ia prêsentation. Ai-je bien comptê ? çaise s'il y en a qui sait une et ne soit pas Ia peinture, ~t
Cela Jait au moins quatre possibilités. si ~rtant elle peut ouorir son systeme.à s~npropre parast-
]. Ce qui a trait à Ia picturalité, au sens « propre )),de Ia tage « Ia vérité en peinture ))peut oouloir dire et s'entendre :
présentation ou de Ia représentation. La vérité pourrait se Ia .tférité dans le domaine de Ia peinture et à son suJet,
présenter OU représenter tout autrement, selon d'autres en peínture, commeon dit s'y conr.uzttreen pei!"tu.re.Je oous
medes. lei elle le Jait en peinture : et non en discours dois Ia vérité sur Ia peinture et Je oous Ia dirai et comme
(comme c'est communément le cas) , en littérature, poêsie, Ia peinture doit ItreJa,vérité,je.vous dois I~ vérité sur Ia
théâtre ; elle ne le fait pas non plus dans le temps de Ia vérité etje vaus Ia dira r, En se laiisan: parasuer, le systême
musique ou dans d'autres espaces (architecture ou sculp- de Ia langue comme systême de l'idi~ ~~ra pe1ft-être
ture). On retient donc ici le propre d'un art, et c'est celui parasité le systeme de Ia peinture; plus preCJs~t,.1 aw:a
du signataire, de Céeanne le peintre. Le propre d'un art laissé paraitre, analogiquement, le par~~age, eS~e1ft.el
et d'un art entendu au sens propre cette [ois, dans l'ex- qui ouore tout systême à son dehors ~t. d.Vlse I unue du
pression ((en peinture ». Nous ne l'avions pas [ai: dans les trait qui prétend le border. Cette parntum de Ia bordure,
deux cas précédents : ( peinture ))venait figurer Ia présen- voilà peut-être ce qui s'écri,t et, se J?llsse.pa.rtout dans ce
tation ou Ia représentation d'un modele, qui se trouoait livre; et le cadre protocolaire sy démulnplJe sans fin, de
être Ia oérité, Mais cette figuration tropique oalait pour lemmes en parerga, d'exergues en cartouches- A ~om-
Ia logique de tout autre art de Ia présentation ou de /a mencerpar l'idiome du passe-partout. On se lalSseCOUJOUTS
représentation. Dans Ia langue française, s'il y en a qui tenter par cette croyance en l'idiome : il ne dirait propre-
12 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PASSE-PARTOUT 13
ment qu'une chose et ne Ia dirait qu'en liant trop strictemem lettre? Venant d'un Cézanne, « je oous Ia dirai I) peut
le sens et Ia forme pour se priter à Ia traduction. Mais si s'entendre par figure: il a pu promettre de dire en peinture
l'idiome êtait cela, ce qu'on croit qu'il doit étre il ne le Ia oérité, de dire à sa maniêre, selon Ia métaphore picturale
serait pas, il perdrait toute force et ne ferait' pas une du discours ou comme un discours traoaillant silencieuse-
langue: li s~ait privé de ce qui joue en lui avec des efJets ment l'espace de Ia peinture, ces quatre uérités. EI comme
de oérité, SI Ia locution ((Ia vérité en peinture ))a force de il promet de les dire « en peinture ll, on n' a mime pas
« vérité )1 e,t s'ouvr,e, de son jeu, à l'abime, c'est peut-itre besoin, pour cette hypothêse, de savoir du signataire,
que, en pemture, il y va de Ia vérité, et dans Ia vérité d'autre pari, qu'il est peintre.
il y va (cet idiome ) de l' abtme. ' Ce trait entre Ia lettre, le discours, Ia peinture, ooilà
Le trair de Cézanne se libere facilement d'un contexte peut-étre tout ce qui se passe ou se faufile dans La vérité
itnt,nédiat. Est-il ~ nécessaire de le saooir signé d'un en peinture.
peintre ? -S.aforce ~zent mime à cette capacitê de jouer Le signataire promet, semõle-t-il, de «( dire li en peinture,
avec les déterminatums du contexte sans s'indéterminer. en peignant, Ia oérité et même, si l' on ueut, Ia oérité en
Sans doute le trait fait-il passe-partout, li circule três peinture. « Je uous dois Ia 'Vérilé en peinture ll, cela peut
f!ite. entre ses possibles. Aoec une agilité déconcertante, s'entendre sans peine : ((je dois oous rendre Ia oérité en
il déplace ses accents ou sa ponctuation cachée, potentialise peinture li, sous forme de peinture et agissant moi-mime en
formalise, économise d' énormes discours, multiplie entre ~ peintre. Nous ne sommes pas au bout de ce speech act
les tractations, les transactions, Ia contrebande, Ia grefJe prometiam peut-être un painting act. Par Ia promesse
le parasitage. Mais il fait seulement passe-partout, c'est IJ oerbale, par ce performati/ qui ne décrit rien, Cézanne
une apparence : il ne oeut pas tout dire et n'importe quoi. fait quelque chose, autant et plus qu'il ne dito Mais ce
Et d' ailleurs, comme tout passe-partout (au sens le plus faisant, il promet qu'il dira Ia oérité en peinture. Ce qu'il
strict! ), il doit formellement, je oeux dire de ses formes [ait, c'est s'engager à dire. Mais ce dire-là pourra bien
répondre à un systême fini de contraintes. ' être aussi un faire, soit un faire discussif, un autre dire
Que fait un passe-partout ? Que laisse-t-il faire ou que performatif produisant une vérité qui n' était pas déjà lã,
laisse-t-il ooir ? soit un faire pictural qui en raison de quelque habitation
de Ia parole dans Ia peinture, aura oaleur de dire. Dans
Ia performance de ce performatif prome~tanl, un ~utr~
-3- performatif et parlant en somme pour ne nen dire quI soz.t
lã, I' a/légorie de Ia vérité en peinture est loin de s' offrir
Ces quatre vérilés en peinture, le peintre ne promet pas, toute nue sur un tableau.
pour rendre son dü; de les peindre. A Ia lettre du moins, On rêoe alors d'une peinture sans oérité, ce qui, sans
il s' engage à les dire : « Je vaus duis Ia vérité en peinture, dette, courant le risque de ne plus rien dire à personne,
et je oous Ia,dirai. II Si on l' entend à Ia lettre, ilfait serment ne laisserait pas de peindre. Et ce « sans lI, par exemple
u n
tfe parler; ne parle pas, seulement, promet de le faire, dans Ia locution « sans dette II ou « sans vm'té lI, forme
il s ~a~e à pa~/er. I/ fait serment de dire, par Ia parole, I'une des portêes légêres de ce livre.
Ia vente en pemture, et les quatre oérités en peinture. Que se passe-t-il partout oU ces suppléments de perfor-
L' ~te de parole - Ia premesse - se donne déjà comme matifs déchainés entrelacent leurs simulacres et le p~us
vraz, en tout cas oêrace et sincêre, et il promet oéritable- sérieux de leur liuéralité i Que se passe-t-il en un jeu
ment de dire oraimen: Ia oérité. En peinture, n'oublions aussi peroers mais aussi nécessaire? On se demande ce
pas. qu'il en reste quand l'efJet d'idiome est de Ia partie, le trait
Mais faut-il, dês qu'il parle, prendre un peintre à Ia laissant à peine l'initiatioe au soi-disant signataire de Ia
14 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PASSE-PARTOUT 15
premesse. Césanne a-t-il promis, vraiment promis, promis ductus,j'explore en sa conséquencele systême de Ia duction
de dire, de dire Ia vérité, de dire en peinture Ia vérité (production, repr~duction, induction, .rêduction, ,etc.).
en peinture ? Cela reoient à trauer autrement le trau, son umte et sa
Et moi? divisibilité, et il y va sans dire de l'initial, comme des
initiales, de Ia répétition et du nombre, du modele ou du
paradigme, de Ia série, de Ia date, de l' événement (Ia fois,
Ia chance, le coup, le tour), de Ia généalogie et des restes
J'écris ia' quatre fois, autour de Ia peinture. surtout, dans le travail du deuil : en peinture. Cartouches
La premiêrefois occupé à plier Ia grande questum philo- prête son nom - propre et commun, masculin. et f~ni~
sophique de Ia tradition [« Qu' est-ce que I'art? )), « le - à Ia chance ia' donnée par The Pocket Síze Tlingit
beau? )) « Ia représentation? )) « l'origine de l' aMJre Coffin, de Gérard Titus-Carmel.
d' art ? ))et~.) à l'atopique insistante du parergon : ni aMJre Une quatriême fois j' entrelace tous cesfils à travers un
(ergon), m .hors d'aMJre, ni dedans ni dehors, m' dessus polylogue à n + I ooix, qui se ~ouve être. de femme.
m dessous, ti déconcerte toute opposition mais ne reste pas Qu' est-ce qui se passe (et de qum? de qUI?) partout
indéterminé et donne lieu à I'aMJre. Il n' est plus seulement oU des lacets de souliers se présentent? Se présentent et
autour d'elle. Ce qu'il met en p/ace - les instances du disparaissent (dajfort), ~sant .dessus et dessou;, dedan~
c~re, du titre, de Ia signature, de Ia légende, etc. - ne et dehors, de gauche à droite et vice versa? Et qu est-ce quI
laisse plus de déranger I' ordre interne du discours sur Ia se passe (avec) des I'!'ets .quand ils ~ont plus ~u moins
peinture, ses ceuores, son commerce, ses évaluations, ses défaits? Qu'est-ce quI a Ileu quand ils sont délacés ~
plus-oalues, sa spéculation, son droit et ses hiérarchies. peinture? On cherche le revenu ou le revenant, ce 9Ul
A quelles conditions, si du moins c'est possible, excéder vient de revenir, dans ces pas sans pas, en ces souliers
démo;'ter o~ dép/~er r héritage des grandes philosophie; dont rien n'assure, dit-elle, qu'ils font Ia paire. La question
de I art qut dominen: encore toute cette problématique, de l'entrelacs et du disparat résonne alors. A qui et à
celle de Kant surtout, celle de Hegel et, à un autre titre quoi reoiennent les « chaussures de Van, qogh ))da~ I~r
celle de Heidegger? Ces prolégomênes de La véríté ~ vérité de peinture? Qu'est-ce qu'un dêsir de restltutl~D:
peínture, eux-mémes parergon de ce livre, un cere/e les s'il a trait à Ia vérité en peinture? La chanc« fut ICl
conceme. donnée par une sorte de duel entre Heidegger et Schapiro.
Une deuxiême fois, plus attentij au ceme lui-mime, je Un tiers (plus d'un tiers, rien moins que des témoins)
tente de décrypter ou de décacheter un singulier contrai, faisait alors le mort pendant que l'un et l'autre .s'escri-
celui qui peut lier le trait phonique, auant mime le mot maient, à rendre proprement ces chaussures, droitement,
(pa~ ~xemple~L, ou TR, ou + R),au trait ditgraphique. et à qui de droit, au orai destinataire.. .
Imnsible et inoui, ce contrai suit d' autres vaies, par Quatre [ois, dane, autour de Ia petnture, a toumer
d' aut~es aiguil/ages " il y va de Ia lettre et du nom propre seulement autour, dans les parages qu'on s'autorise, c'est
en I!~mture? de Ia narration, de Ia reproduction technique, toute I'histoire, à reconnaltre et à contenir comme les
~ I idêologie, du phonême, du biographême et de Ia poli- entours de l' auore d' art, ses abords tout au plus " cadre,
tique, entre autres choseset toujours en peinture. La chance titre, signature, musée, archiv~, repro~uction, disf"!l"s,
aura été donnée par Le voyage du dessin de Valeria marchê, bref partout oU du droit à Ia pemture on legifere
Adami. en marquant Ia limite, d'un trait d'opposition qu'on oeut
Une troisiêmefois, remetiam à /'épreuve le trait comme indivisible. Quatre fois autour ~ Ia ~Dtfleur,aussi, ~'on
signature, qu'~?le.passe par le nom propre dit patrony- croit étrangere au trait, comme si la dijJerencechromattque
tmque ou par I idiome du dessinateur qu'on appel/e parfois ne comptait pas. Or un parergon et des cartouches ne
16 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PASSE-PARTOUT 17
laissent plus d'assurance au droit d'un tel abordo 11 faut bâteau mouille », Entre le dehors et le dedans, entre Ia
aborde r autrement. bordure exteme et Ia bordure interne, I' encadrant et
Le trait commun de ces quatre fois, c'est peut-être le I' encadré, Ia figure et le [ond, Ia forme et le contenu, ~e
trait. En tant qu'il n'est jamais commun, ni mime un signifiant et le signijié, et ainsi .d~ suite po'fr to~t~ 0pp<!sr-
aoec et sans lui-même. Sa divisibilité fait texte, et tr~ tion biface. Le trau alors se dioise en ce lieu ou il a lieu.
et reste. L' emblbne de ce topos paraít introuoable, je l'emprunte
Les discours sur Ia peinture se destinem peut-être à à Ia nomenclature de l' encadrement : c' est le passe-partout.
reproduire Ia limite qui les constitue, et quoi qu'ils Jassent Celui qui fait ici éoénement ne doit pas passer pour
et quoi qu'ils disent : il y a pour eux un dedans et un une clé unioerselle. On ne pourra pas se le passer de main
dehors de 1'0000000edês lors qu'il y a de l'ceuore. Une série en main comme un instrument commode, un court traité,
d'oppositions oient en suite de celle-ci qui n'est d'ailleurs un oiatique, ooire un organon ou un canon de poche, bref
pas forcément premiêre (elle appartient à un systême un passe transcendantal, un mot de passe pour ouorir
dont Ia bordure elle-même reconduit le problême ), Et le toutes les portes, déchiffrer teus les textes et surueiller
trair y. est toujours dét~né en trait d' opposition. leurs chames. Si on s'empressait de l'entendre en ce sens,
Mat~ que se passe-t-il avant ou sans que Ia difJérence je deorais aoertir : cet auertissement n' est pas un passe-
ne deoienne opposuum dans le trait? Et s'il n'y aoait partout,
pas même là un devenir? Car le devenir a peut-être J' écris à même le passe-partout bien connu cJes ~a-
totqours ~.paur concept cette détermination de Ia difJérence dreurs. Et pour l'entamer, à même cette surface dite tnerge,
en oppositum. généralement dêcoupée dans un carré de carton et ouuerte
La questionone serait p~us alors: « Qu' est-ce qu'un trair? », en son « milieu » pour y laisser paraitre l'ceuore. Celle-ci
ou « Que deoient un trau ? », ou « Qu' est-ce qui a trait à peut d'ailleurs, à l'occasion, y être remplacée par une
un tel trait? ». Mais « Comment le trait se traite-t-il ? autre qui glisse ainsi dans le passe-partout comme un
J?t se. c~trac~e-t-i? en son retrait? », Un trait n'apparait « exemple », Dans cette mesure, le passe-partout reste une
jamau, jamass luz-mime, puzsqu'zl marque Ia difJérence structure à fond mobile ; mais pour laisser paraitre, il ne
entre les formes ou les contenus de I'apparaitre. Un trait forme pourtant pas stricto sensu un cadre, plutõt un cadre
n''fpparait jamais, jamais lui-même, jamais une premiêre dans le cadre. Ne laissant pas, cela va sans dire, de s'espacer,
fou. li co~~e par ~e.retirer. Je suis ici Ia conséquence il joue sa carte ou son carton entre le cadre, en sa bordure
de ce que J avazs appele ti y a longtemps, auant d'en oenir interne proprement dite, et Ia bordure externe de ce 9u'il
au tour de Ia peinture, l'entame de l'origine : ce qui donne à ooir, laisse ou fait paraitre en son cerne oide :
s'ouore, d'une trace, sans initier. l'image, le tableau, Ia figure, Ia forme, le systême de traits
Un espace reste à entamer pour donner lieu à Ia oêrité et de couleurs.
en peinture. Ni dedans ni dehors, il s'espace sans se laisser Ce qui paralt alors, et généralement sous cerre, paraft
~adrer "'!lis il nI! se tient pas hors cadre. li traoaille, seulement se passer du passe-partout sur lequel il fait fonds.
fait trauailler, laisse traoailler le cadre, lui donne à Ce serait à peu prês le lieu d'une préface ou d'un aver-
traoailler (laisser, Jaire et donner seront les mots les plus tissement, entre Ia couuerture portam les noms (auteur
,ncl!"'pri~ de moi. en ,ce li",!,e). Le trait sy attire et sy et êditeur ) et les titres (ouorage et collection ou champ ) ,
retire luz-mime, ri sy ature et s'y passe, de /ui-mlme. le copyright, Ia page de garde et, d' autre part, le premier
li se situe. li situe entre Ia bordure oisible et le fantõme mot du livre, Ia premiêre ligne ici des Lemmes, par oU
central depuis lequel naus fascinons. Je propose d'user de il faudrait « commencer »,
ce mot intransitivement, comme on dirait « naus halluci- Passe-partout, le mot et Ia chose, a d' autres usages,
nons », « je salive », « tu expires », « elle bonde » ou « le mais à quoi bon les recenser? lls se trouoent tout seuls.

I
,~
18 LA VÉRITÉ EN PEINTURE

Et si je vou/ais /es mettre en tableau, i/ y en aurait tou- PARERGON


jours un pour jouer entre /es autres, extrair de /a série
pour l'entourer, d'un tour de plus.
Passe-partour néanmoins ne s' êcritpas au pluriel, force
de foi grammatica/e. Cela tient à sa composition idoma-
tique et à l'invariabilité de l'aduerbe. Mais Ü peut s'en-
tendre au pluriel : « Curiosités de toutes sortes, plâtres,
mou/ages, esquisses, copies, passe-partout remplis de gra-
oures (Théophi/e Gautier). En un mot i/ s' écritsinguliere-
I)

ment mais /a foi de ses accords peut exiger /e pluriel.


Les bords internes d'un passe-partout souoent sont
biseautés.
II I

I. LEMMES

c'est assez
dire : abíme et satire de l'abime

commencer et finir par un


« ça suffit )) qui n'ait rien à uoir auec le suffire ou se-
suffire de Ia suffísance, rien à [aire avec Ia satisfaction.
Reconsídérer, plus loin, toute Ia syntaxe de ces locutíons
intraduisibles, l' aoec du rien à voir et l'aoec du rien à
faire. Ecrire, si possible, finalement, sans avec, non pas
without mais sans avec, finalement, pas même soi.
Ouverture par le satis, l'assez (au-dedans et au-dehors,
au-dessus et au-dessous, à droite et à gauche), Ia satire,
Ia farce au bord du trop
m!~a~~c~!~~é::~~~lr~~scncadrésl d'une cxpositionen cours. Ou autre-
intYt::~:'~emmierc version, plus brev~ - três abrégée dans les protoccles
, mes -, parut dans Digraph« (3 t ) L '
Sectíon, Le colossal est inédíte e ' e 4, 1974, "quatneme
L ,', n son enner.
trati~ep:.e:r~~~avf~s~~~r~~!ai: ~~mdPagnée d'au~ne exhibinon • illus-
livre I" "n, alI ans ce preDllerchapitre ou quart de
I I vant~o~l'~~~i~afchmleblne
. !i
~aPI'racs
rléa
•.,m!me destination que dans Ies trois sui-
lÇrenceau « tableau • lei un . dé
I ~~ft:~~!/~Iu:tratif, sans r~férence, sans titre ~i légitimÍté, ~~~I~n!;
OUautrem~nt~ifl:t~'~:t lpoomSsl~bml enlt,Ie topos instable de I'ornementalité.
, e, e parergon.

II
22
LA VÉRITÉ EN PEINTURE PARERGON

.
v1l1e.II ( «
déplacement de Ia « che-
avec n, « cum n, « ama n, « simul n, etc.) depuis
O,JSt~ et gramme. Chercher comme toujours serrure et
L comment une question de ce type - l'art -
s'inscrit à un programme. Il ne faut pas seulement se
« pente clé », Leurre de l'écriture avec soi. « Avec des
toumer vers l'histoire de Ia philosophie, par exemple
ress0l;lrces q~i conduiraient à l'intérieur du systême de vers Ia grande Logique ou l'Encyc1opédie de Hegel, vers
Ia peinture, important dans Ia théorie de Ia peinture ses Leçons sur l'Esthétique qui dessinent just~ment ~e
toutes les questions et tous les codes de questions qui partie de l'encyc1opédie, systême d~ Ia formation ens.el-
se développent ici, autour des effets de « nom propre n gnante et cyc1edu savoir. 11 faut temr compte d~ certams
et de « signature n, dérobant au cours de cette effraction relais spécifiques, par exemple ceux ~~ l'~ns~lgnement
tous les critêres rigoureux d'un cadrage - entre le dit de Ia phi1osophie en France, dans 1 msntunon de ses
ded~n.s et Ie dehors - emportant Ie cadre (ou plutõt programmes, de ses formes d'~amens e~ de concours,
ses Jomtures, ses angles d'assemblage) non moins que de ses scênes et de ses rhétoriques, Qwconque entre-
Ie de~~s oU,le dehors, !e tableau ou Ia chose (imaginez prendrait systématiquement une telle enquête - dont
Ies dégâts d un vol qui vous priverait seulemenr des re ne fais ici que repérer l'enjeu et Ia né~s~té - d~~ait
cadres, ou plutôt de s~s jointures, et de toute possibilité sans doute s'orienter, à travers une histoíre politique
de recadrer vos objets de valeur ou vos objets três surdéterminée, vers le réseau qui s'indique du nom
d'art). » (Glas)
propre de Victor Cousin, homme politiq~e et phi1oso-
phique três français qui se crut fort hégélien et ne cessa
de vouloir transplanter, c'est à peu prês son mot, Hegel
en France aprês lui avoir demand~ par é~rit au moins
et avec insistance de le féconder, IUl Cousin, et à travers
lui Ia philosophie française [lettres citées dans Glas,
'. qu'est-ce qu'un p. 207 sq.]. Fort, entre ~utr~ choses, de cette ~rossesse
ntre ? Et SI parergon étaít le titre ?
plus ou moins nerveuse, il pnt une par~ déte~~te,.l~
lei le faux titre, c'est l'art. Un séminaire traiterait de représenta du moin~, d~s ~acons~ruCt1o~de 1umversite
l'art. De l'art et des beaux-arrs. II répondrait ainsi à un française et de son msntunon philosophique, de toutes
programme et à l'une de ses grandes questions. Celles-ci les structures de l'enseignement que nous habitons
sont ch~q~e ~ois prélevées dans un ensemble dérerminé. encore. Je ne fais ici que nommer, d'un nom propre
Selon I histoire et selon Ie systême. L'histoire serait comme l'un des fils conducteurs, Ia nécessité d'une
~~e ~e Ia philo~ophie. dans ,laquelle se découperait déconstruction. Selon Ia conséquence de sa logique, e~e
1hi~toIre de l~ ~htl~sophi~ de 1art en tant qu'elle traite s'attaque non seulement à l'édifi:cation interne, ãla fois
de 1art et de 1histoire de 1art : Ies modeles Ies concepts sémantique et formelle, des philosophêmes, mais à ce
1es p~oblêemes n ,en sont pas tombés du cieI, " ils se sont
qu'on lui assignerait à tort comme son logement externe,
constitués selon des modes et à des moments déterminés. ses conditions d'exercice extrinseques : les formes
Cet ensemble forme un systeme, une grande Iogique et historiques de S3 l?~dagogie, les s.tru~r~ sociales,
~e ,ency~Iopédie à l'intérieur desquels les beaux-arts économiques ou politiques de cette msntunon pédago-
s enlev~raIent comme une région. L'agrégation de phi- gique. C'est parce qu'elle touche à des structures
Iosophie forme aussí une histoire et un systême solides, à des institutions « matériales n, et non seule-
"
24 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PARERGON 25
ment à des discours ou à des représentations signifiantes, Ce qu'elle commence par impliquer, c'est. q.ue l'a~ -
que Ia déconstruction se distingue toujours d'une le mot, le concept, Ia chose - a une umte er mieux,
analyse ou d'une « critique », Et pour être pertinente, un sens originaire, un etymon, une vérité une et nue
elle travaille, le plus strictement possible, en ce lieu ou qu'il suffirait de dévoiler à traoers l'hist~ire. ~t d'abord
l'agenceme~lt dit.« interne » du philosophique s'articule que « art » se laisse atteindre selon les trOISvotes du mot,
de façon necessaire (interne et externe) avec les condi- du concept et de Ia chose, voire du signifiant, du signifié
tions et les formes institutionnelles de I'enseignement. et du référent, voire encore de quelque opposition entre
Jusqu'au point ou le concept d'institution lui-même présence et représentation. .
serait soumis au même traitement déconstructeur. Mais A traoers l'histoire : Ia traversée dans ce cas peut aUSSl
i'introduis déjà au séminaire de l'an prochain [I974- bien dénoter l'historicisme, le caractêre déterminant
1975] de l'historicité du sens, que l'anhistoricité, l'hístoire
traversée, transie en direction du sens, dans le sens
d'un sens en lui-même anhistorique. Le syntagme « à
travers l'hístoire » pourrait intituler toutes nos questions
sans les contraindre d'avance. En présupposant 1'ety-
déli- mon - un et nu -, présupposition sans laquelle peut-
miter mai,nt~ant une .entrée plus étroite dans ee que, être on n'ouvrirait jamais Ia bouehe, en commençant
cette annee, Je tenteraí d'exposer en cours. Tradition- parméditer Ia polysémie apparen~e de t~~hnepour~e~e à
nellemen~, un cours commence par l'analyse sémantique nu le noyau simple qui se cacheraít dernere I~multiplicité,
de son ntre, du mot ou du eoneept qui I'intitule et on se donne à penser que art a un senso Mieux, que son
ne peut légitimer le discours qu'en recevant de Iui sa histoire n'en est pas une ou qu'elle n'en est u~ 9ue
propre Iégitimation. On commencerait aIors par se pour être gouvernée par ee sens un et nu, sous le regime
demander : l'art, qu'est-ce que e'est? Puis : d'oü ça de son sens interne, eomme histoire du sens de l'art.
vient? Quelle est I'origine de l'art? Cela suppose qu'on Si l'on tenait l'opposition physis/tekhne pour irréduc-
s'entende sur ce. qu'on entend sous le mot art. Done : tible si l'on aecréditait aussi précipitamment sa traduc-
quelle est l'origine d~ sem de « art » ? Pour ees questions, tion 'par naturelart ou technique, on s'engagerait .fa~e-
le fil conducteur (mais c'est vers Ia pensée du fil et de ment à penser que I'art, n'étant plus n~ture, est .histOlre.
I' entrelacement que de três loin je voudrais vous L'opposition nature/histoire prendrait le r~3.1sa~o-
conduire), cela aura toujours été I'exístence des gique de physis/tekhne. On peut .done le dire ~éJ~ :
« eeuvres n, des « eeuvres d'art », Hegel le dit au début quant à 1'histoire, nous aurons affaire .à Ia contradiction
des Leçons sur l' Esthétique : nous n'avons devant nous ou à l'oscíllation entre deux motifs apparemment
qu'une seule représentation, à savoir qu'il y a des ineompatibles. Ils ~elevent fin~ement .d'une .seule ~t
oeuvres d'art, Cerre représentation peut nous fournir même formalité logique : à savoir que SI ~ p~o~opl?ie
un point de départ approprié. La question devient de l'art a toujours le plus grand mal à dominer I histoire
alors : quelle est « l'origine de I'oeuvre d'art n? Et il n'est de I'art, un certain concept de I'historicité de 1'~,
pas insignifiant que cette question donne son titre à c'est paradoxalement, parce qu'elle pense trop facile-
l'un des derniers grands discours sur l'art, celui de men~ l'art comme historique. Ce que j'avance là sup-
Heidegger. pose évidemment Ia transformation, d'un énoncé à
Cette procédure de Ia question installe dans une l'autre, du concept d'histoire. Ce sera le travail de ce
présupposition fondamentale. Elle prédétermine massi- séminaire
vement Ie systême et Ia combinatoire des réponses.
I1 1I 26 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 27

Si done
1'0n entamait des leçons sur l'art ou sur l'esthétique par
une question de ee type «( Qu'est-ce que l'art? », si bien
« Quelle est l'origine de l'art ou des eeuvres d'art? », <I.u'enaeeélérant un peu le rythme on irait à eette collu-
ee Quel est le sens de l'art ? », « Que veut dire l'art? », 810n : entre Ia question (« qu'est-ce que l'art ? », « quelle
etc.), Ia forme de Ia question y ferait déjã réponse. L'art est l'origine de I'eeuvre d'art? », « quel est le ,sens. de
y serait prédéterminé ou pré-eompris. Une opposition I'art ou de l'histoire de l'art? ») et Ia classification
conceptuelle y serait déjà, toujours, à l'eeuvre, qui a hiérarchique des arts. Quand un philoso~he ~épete eette
traditionnellement servi à comprendre l'art : par exemple question sans Ia transformer, sans Ia detrwre dans sa
eelle du sens, comme contenu interne, et de Ia forme. forme, dans sa forme de question, dans sa structure
Sous Ia diversité apparente des formes historiques de onto-interrogative, il a déjà soumis tout l' espa;~ aux
I'art, ,des eoneepts de l'art ou des mots qui semblent arts discursifs, à Ia voix et au logos. On peut le venfier :
traduire « art » en grec, latin, germain, etc. (mais Ia Ia téléologie et Ia hiérarchie sont preserites dans l'enve-
clõture de eette liste est déjà problématique), on cher- loppe de Ia question -
eherait un sens un et nu. 11 informerait du dedans,
~omme un eontenu, en se distinguant des formes qu'il
Informe. Pour penser l'art en général, on accrédite
~nsi une série d'oppositions (sens/forme, intérieur/exté-
neur, contenu/contenant, signifíé/sígnífíanr, représenté/
re~résent~t? ete.) qui structure précisément I'interpré-
tanon traditionnelle des eeuvres d'art. On fait de l'art le philosophique en-
en général un objet dans lequel on prétend distinguer ferme l'art dans son cercle mais e'est aussitõt laisser
un sens intérieur, l'invariant, et une multiplicité de prendre son discours sur l'art dans un cercle. "
variations externes à trauers lesquelles, eomme autant Comme eelle du tiers, Ia figure du eerc1e s impose à
de voiles, on tenterait de voir, ou de restaurer, le sens I'ouverture des Leçons sur l'esthétique et de L'origine
vrai, plein, originaire : un, nu. Ou encore, geste ana- de l'muvre d'art. Três différents dans leur visée, leur
logue, en se demandant ee que oeut dire « art », on démarehe, leur style, ees deux discours ont peut-être en
soumet Ia marque « art » à un régime d'interprétation eommuo, eomme un intérêt commun, d'exclure - ee
três déterminé, survenu dans I'histoire : il consiste, en qui vient alors, du dedans eomme du dehors, les former,
sa tautologie sans réserve, à interroger le vouloir-dire
de t,oute ceuvre dite d'at:t, ~ême si sa forme n'est pas
le dire. On se demande amsi ce que veut dire une eeuvre
fermer, border.
Et si e'était un cadre I
~lastique ~u mu~i~e en soumettant toutes les produc-
nons à I autonte de Ia parole et des arts « dis-
cursifs»
I'un, eelui de Hegel,
donne son plus grand déploiement à Ia téléologie
II 28 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PARERGON 29
c1assique. II achêve, comme on dit un peu trop facile- interne? dans un par-dessus-bord remarqué et réappli-
ment, l'onto-théologie. L'autre, celui de Heidegger quê, par invagination, au-dedans, entre le centre pré-
tente, d'un pas. ~n arriêre, de remonter en deçà d~ umé et Ia circonférence? ou entre l'encadré et l'enca-
toutes les opposmons qui ont commandé l'histoire de drant du cadre? Est-ce que le topos du titre, comme
l'esthétique. Par exemple, au passage, celle de Ia forme d'un cartouche, commande I' « ceuvre » depuis I'instance
et de Ia matiêre, avec tous ses dérivés. Deux discours discursive et judicative d'un hors-d'eeuvre, depuis
d?nc, ~ussi différent.s qu~ possible, de part et d'autr~ l'exergue d'un énoncé plus ou moins directement défí-
d une ligne dont on imagme le tracé simple et indécom- nitíonnel, er même si Ia définition opere à Ia maniêre
posable. Comment se fait-il pourtant qu'ils aient ceei en d'un performatif? Ou bien le titre joue-t-il à l'intérieur
commun : Ia subordination de tous les arts à Ia parole de l'espace de l' « eeuvre », inscrivant Ia légende à préten-
et, sinon à Ia poésie, du moins au poême, au dír, à Ia tion définitionnelle dans un ensemble qu'elle ne com-
langue, à Ia parole, à Ia nomination (Sage, Diduung, mande plus et qui le constitue, lui, le titre, en effet
Sprache, Nennen) ? (Relire ici Ia troisiême et derniêre localisé? Si je dis par exemple que le cerc1e et l'abime
partie de L'origine ..., La oérité et I'art.) seront le titre de Ia píêce que je joue aujourd'hui, en
introduction, qu'est-ce que je fais et qu'est-ce qui se
passe? Le cerc1e et l'abime seront-ils I'obiet de mon
discours et par lui définis? Ou bico décrivent-ils Ia
forme qui eontraint mon discours, sa scêne plutõt que
son obiet, et encore, une scêne dérobée par l'abime à Ia
représentation présente? Comme si un discours sur le
pas alIer plus loin pour l'instant, dans cercle devait aussi décrire un cercle, et peut-être celui-là
Ia .lecture de ces deux discours .. M'en tenant provi- même qu'il décrit, décrlre un mouvement circulaire au
~olrement à leur introduction, je remarque cecí : moment même ou il décrit un mouvement circu1aire, le
ils partent tous deux d'une figure du cerc1e. Et ils y décrire se déplaçant lui-même dans son sens; ou bico
restent. Ils s'y tiennent même si leur résidence dans le comme si un discours sur I'abíme devait connaítre
cerc1e n'a pas en apparence le même statut. Je ne me l'abime, au sens ou 1'0n eonnait ce qui arrive, ce qui
dem~de pas pour l'instant : qu'est-ce qu'un cercle P affecte, comme on eonnait un échec ou un succes plutõt
Je laisse de cõté Ia figure du cercle, sa place, son privilêge qu'un objeto Le cerc1e et l'abíme, donc, le cercle en
ou sa décadence dans l'histoire de l'art. Le traitement abyme
du cercle faisant partie de l'histoire de l'art et s'y délimi-
tant autant 9u'il ~a délimíre. il n'est peut-être pas
neutre de IUl appliquer ce qui n'est, aussi, que l'une
de ses figures. C'est encore un cerc1e, ce qui redouble
remarque et abyme Ia singularité de cette figure. Cercl~
de cercles, cercle dans le cercle encerclé. Comment un
cercle s'abymerait-il ? début
Le cercle et l' abyme, tel serait le titre. Sans doute des Leçons sur l' Esthétique. Dês les premiêres pages de
rencontrerons-nous, chemin faisant, Ia question du titre. l'Introduction, Hegel pose, comme touiours, Ia question
Que se passe-t-il quand on intitule une« eeuvre d'art » ? du point de départ. Comment eommencer un discours
Quel est le topos du titre? A-t-il lieu et ou quant à philosophique sur l'esthétique? Hegel avait déjà lié
l'reuvre? Sur le bord? hors bord? sur Ia bordure I'essence du beau à l'essence de I'art. Se10n l'oppositíon
3° LA VÉRITÉ EN PEINTURE I'AKEKGON 31
I t rminée de Ia nature et de l'esprit, et dane de Ia
n ture et de l'art, il avait déjà posé qu'un ouvrage phi-
10 phique consacré à l'esthétique, philosophie ou
ience du beau, devait exc1ure Ia beauté naturelle.
C' t dans Ia vie courante qu'on parle d'un beau ciel.
Mai il n'y a pas de beauté naturelle. Plus précisément,
1 beauté artistique est supérieure à Ia beauté naturelle,
omme l'esprit qui Ia produit est supérieur à Ia nature.
On doit donc dire que Ia beauté absolue, le telos ou
I' sence finale du beau apparaít dans l'art et non dans
1 nature en tant que telle. Or le problême de l'intro-
duction ne fait pas de difficulté dans le cas des sciences
naturelles ou mathématiques : l'objet y est d'avance
donné ou déterminé, et avec lui Ia méthode qu'il
requiert. Quand au contraíre les sciences portent sur
des produits de l'esprit, le ((besoin d'une introduction
ou d'une préface se fait sentir ». L'objet de telles sciences
étant produit par l'esprit, par ce qui connait, celui-ci
aura dü s'engager dans une connaissance de soi, dans
Ia connaissance de ce qu'il produit, du produit de sa
propre production. Cette auto-détermination pose de
singuliers problêmes d'initialité. L'esprit doit s'intro-
duire dans son propre produit, produire un discours sur
ce qu'il produit, s'introduire de lui-même en lui-même.
Cette duction circulaire, cette intro-réduction à soi
appelle ce que Hegel nomme une (( présupposition »
(Voraussetzung). Dans Ia science du beau, l'esprit
se présuppose, anticipe, précipite. La ute Ia premiêre.
Tout ce par quoi i! commence est déjà un résul-
tat, une ceuore, un effet du ressaut de l'esprit, un
resultare. Tout fondement, toute justification (Begriin-
dung) aura été un résultat, voilà, on le sair, le ressort de
Ia dialectique spéculative. Les présuppositions doivent
procéder d'une « nécessité prouvée et démontrée )),
précise Hegel. (( En philosophie, rien ne doit être
accepté qui ne possêde le caractêre de nécessité, ce qui
veut dire que tout doit y avoir valeur de résultat. »
Nous sommes, dês l'introduction, encerc1és.
Sans doute l'art figure-t-i! une de ces productions de
l'esprit grãce auxquelles celui-ci revient à lui-même,
reprend connaissance et vient en son lieu propre en y
32 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PARERGON 33
reoenant, circulairement. Ce qui s'appelle l'esprit, c'est tie, l'indécision des structures d'inclusion qui précipite
ce qw se dit « viens » pour s'entendre déjà dire en abyme. L'énoncé lui-même peut faire partie
« ~evien,s», L'esprit n'est ce qu'il est, ne dit ce qu'il veut du tout
dire qu en reoenant, Sur ses pas, et en cerc1e. Mais l'art
ne for~e que l'un de ces cercles dans le grand cercle
du Geist ou du revenant (ce visiteur peut s'appeler
Gast, ou ghost, guest ou Gespenst). La fin de l'art, et sa
vérité, c'est Ia religion, autre cercle dont Ia fin, Ia vérité
aura été Ia philosophie, etc. Et on sair, nous aurons à ~
tirer parti plus tard, Ia fonction du rythme ternaire méta-
dans cette circu1ation. 11 reste qu'ici on étudie 1'art phore du cercle des cercles, de Ia formation (Bildung)
depuis sa finoSon être-passé est sa vérité. La philosophie comme encyclopédie philosophique. Métaphore orga-
de l'art est donc un cercle dans un cercle de cercles : nique, finalisée comme un tout dont les parties cons-
un « anneau )),dit Hegel, dans le tout de Ia philosophie. pirent. Métaphore biologique aussi. Or elle est aussi
11 tourne sur lui-même et s'annulant s'enchaine à métaphore, si c'en est une, pour 1'art et pour l'ceuvre
d'autres anneaux. Cette concaténation annulaire forme d'art. Le tout de Ia philosophie, le corpus encyclopé-
le cercle des cercles de l' encyclopédie philosophique. dique est décrit comme un organisme vivant ou comme
L'art y découpe une circonscription ou y enleve une une ceuvre d'art. 11 est représenté sur le modele de
circonvolution. 11s'encercle l'une de ses parties qui devient ainsi plus grande que le
tout dont elle fait partie, dont elle fait (une) partie.
Comme toujours, et Kant l'a formalisé de maniêre
essentielle, Ia communication est intérieure entre le

L 1'inscription d'un cercle


dans le cercle ne donne pas nécessairement l'abime, sur
problême du jugement esthétique et celui de Ia finalité
organique. Au moment de décrire Ia précipitation lem-
matique, Ia nécessité de traiter le concept de philosophie
l'abíme, en abyme. Pour qu'elle soit abyssale, le plus de l'art de façon anticipative, Hegel doit recourir,
petit c~rcle doit inserire en lui Ia figure du plus grand. certes, à Ia métaphore du cercle et du cercle de cercles
Y a-t-tZ de l'abíme dans Ia circulation hégélienne? A dont il dit d'ailleurs qu'elle n'est qu'une représentation.
Ia question posée ~ou~ cette forme, il n'est pas de réponse Mais aussi à Ia métaphore du tout organique. Seule
décidable. Que signifie le « il y a » dans ces énoncés ? Ia philosophie dans son ensemble (gesammte Philosophie )
En quoi le « il y a )) se distingue-t-il d'un « i1 existe )) nous donne Ia connaissance de l'univers comme d'une
ou « X est )), « X se présente )), « X est présent )),etc. ? unique totalité organique en soi, qui se développe « à
Contoumant ici un protocole nécessaire (il passerait partir de son propre concept », Sans rien perdre de ce
par le don ou Ia donation de I'abíme, sur I'abíme, en qui en fait un tout « qui revient à lui-même », ce « seul
abyme, par Ia problématique du es gibt, il y a, ça donne, monde de vérité » se contient, retient et rassemble en
et du es gibt Sein, ouverte par Heidegger), je remarque lui-même. Dans Ia « couronne » de cette nécessité
seulement ceei : Ia réponse arrête l'abíme à moins scientifique, chaque partie représente un « cercle reve-
qu'elle n'y soit d'avance entrainée. Et elle peut y être nant en lui-même )) et gardant avec les autres un lien
sans le savoir, au moment même ou une proposition de solidarité, un entrelacement nécessaire et simultané.
du type « ceei est un abíme ou une mise en abyme » 11 est animé d'un « mouvement rétrograde )) (ein
parait détruire l'instabilité des rapports de tout à par- Rückwarts) et d'un « mouvement progressif» (Vor-
34 LA VÉRITÉ EN PEINTURE PARERGON 35
toãrts ) par lequel il se développe et se reproduit en un
autre de façon féconde (fruchtbar ), C'est ainsi que,
pour nous, le concept du beau et de l'art est « une
présupposition donnée par le systême de Ia philoso-
phie », La question « Qu'est-ce que le beau? )),seule
Ia philosophie peut Ia poser et y répondre : le beau est
une production de l'art, c'est-à-dire de l'esprit. L'idée certainement pas insi-
de Ia beauté nous est donnée par l'art, eereIe à l'intérieur gnifiant que plus d'un siêcle aprês, une méditation sur
du. cercle de l'esprit et de l'encyeIopédie philoso- l'art commence par tourner dans un cercle analogue
phique, ete. lors qu'elle prétend faire un pas au-delã ou en deçà
Avant de commeneer à parler du beau et des beaux- du tout de Ia métaphysique ou de l'onto-théologie
arts, il faudrait donc, en droit, développer le tout de oceidentale. L' origine de l' auore d' art aura pris appeI
l'EncyeIopédie et de Ia grande Logique. Mais comme pour un saut ineommensurable. Certes, et en voiei
il faut bien commencer, en faít, « de façon lemmatique sechement quelques índices, dans l'attente d'une Iecture
en quelque sorte )) {sozusagen lemmatisch ) par anticipa- plus patiente.
tion ou .précipitation de couronne, HegeI reconnait que I. Toutes Ies oppositions qui soutiennent Ia méta-
son point de départ est vulgaire, et sa justification physique de l'art s'y trouvent questionnées, en particu-
philosophique insuffisante. 11 aura commencé par Ia lier celle de Ia forme et de Ia matiêre, avec tous ses
« représentation II (Vorstellung ) de l'art er du beau pour dérivés. Cela se fait au cours d'un questionnement sur
« Ia conscience courante II (im gewohnlichen Betousstsein ), I'être-eeuvre de I'eeuvre et l'être-chose d'une chose dans
Le prix à payer peut paraitre três lourd : on dira par toutes les déterminations de Ia chose qui soutiennent
exemple que toute l'esthétique développe, explicite, plus ou moins implieitement toute philosophie de l'art
étale les représentations de Ia conseience naíve. Mais ce (hypokeimenon, aistheton, hyl«),
négatif ne s'annule-t-il pas aussitôt? Dês Ia page sui- 2. Comme l'indique Ia Postface, c'est depuis Ia possi-
vante, Hegel préeise qu'on est justifié, sur un cercle de bilité de sa mort que l'art se laisse iei interroger. 11 est
cercle, à partir de n'importe ou. « Pas de commencement possible que l'art agonise, mais à sa mort et à son deuil
absoIu dans Ia scienee. II (Heidegger ne parIe pas du deuíl), « il faudra bien
Point de départ choisi, dans Ia reprêsentation courante : quelques siêcles ». L' origine est située dans Ia résonance
il y a des eeuvres d'art, nous les avons deuant naus dans des Leçons de Hegel sur l'Esthétique en tant qu'elles
Ia représentation (V orstellung ). Mais à quoi les recon- pensent l'art comme un « passé » : « Dans Ia méditation
nait-on ? Ce n'est pas une question juridique et abstraite. Ia plus compréhensive (umfassendsten), parce que
Achaque pas, à chaque exemple, sans d'énormes pro- pensée à partir de Ia métaphysique, que possêde l'Ocei-
tocoles théoriques, juridiques, politiques, etc., Ia limite dent sur l'essenee de l'art, dans Ies Leçons de Hege1 sur
tremble entre le « il y a II et le « il n'y a pas I) « ceuvre l' Esthétique, se tient cette proposition : « Mais nous
d'art )),entre une « chose » et une « eeuvre )),une « ceuvre » n'avons plus un besoin absolu de porter un contenu à
en général et une « ceuvre d'art », Laissons. Que veut présentation {zur Darstellung ) sous Ia forme de l'art.
dire « laisser )) (voir, faire, voir faire, faire voir, faire L'art, du cõté de sa plus haute desti,natio~, est pour no~.s
faire, laisser comme un reste, laisser en testament), un passé (ein Vergangenes ), )) Apres avorr rappelé qu il
que fait « laisser »? etc. serait dérisoire d'éluder cette proposition sous prétexte
que des eeuvres d'art ont survécu à ce verdict, possi~ilité
qui n'a pas échappé, on s'en doute, à son auteur, Heideg-
LA VÉRITÉ EN PEINTURE PARERGON 37
ger enchaine : « Seulement Ia question demeure : l'art dans les Leçons sur I'Esthétique. II travaille à délier ce
est-il encore, ou n'est-il plus un mode (Weise) essentiel qui retient encore l'esthétique hégélienne au sol inaperçu
et ~écessaire s.elon lequel Ia vérité décisive [décidante] de Ia métaphysique. Et pourtant, si cette « répétition li
advient (geschieht ) pour notre être-là historial (geschicht- ne faisait qu'expliciter, en Ia « répétant )) plus profon-
liches)? Mais s'il ne l'est plus, alors demeure Ia dément, Ia « répétition li hégélienne ? (Je ne définis qu'un
question de savoir pourquoi. La décision au sujet de Ia risque, et je ne dis pas encore que Heidegger le court,
proposition de Hegel n'a pas encore eu lieu. ))Heidegger simplement, ni surtout qu'il ne faille en aucun cas le
interroge donc l'art et plus précisément l'ceuvre d'art courir : à vouloir l' éviter à tout prix, on peut aussi se
comme avênement ou comme histoire de Ia vérité précipiter vers Ia fausse sortie, le bavardage empirique,
mais d'une vérité qu'il propose de penser au-delà o~ l'avant-gardisme printanier ou primesautier. Puis qui a
en deçà de Ia métaphysique, au-delà ou en deçà de dit qu'il fallait éviter tous ces risques? et le risque en
Hegel. Laissons pour l'instant. général?) Et pourtant, si Heidegger en restait lui aussi,
3· Troisiême indice, encore rappelé dans Ia Post- sous Ia contrainte lemmatique une fois de plus, à Ia
face: le beau n'est pas relatif au plaisir ou au « plaire II « représentation courante li de l'art qu'il accepterait
(Gefallen) comme on l'aurait toujours présupposé, comme le fi} conducteur (par exemple en disant aussi
notamment avec Kant. Ne nous hâtons pas de traduire : « des eeuvres d'art sont devant nous )),celle-ci, celle-Ià,
le beau au-delà du principe du plaisir. II y faudra des les chaussures bien connues de Van Gogh, etc.) de sa
médiations, mais elles ne manqueront pas. puissante médítation
4· Le beau au-delà du plaisir, certes, mais aussi I'art
au-delà du beau, de I'esthétique comme de Ia callistique
(à ce dernier mot, Hegel dit préférer le « mot courant II
d'esthétique). Comme Hegel qui y voyait Ia destination
de l'art universel, c'est l'art occidental que Heidegger dépose ici le « célebre
place au centre de sa méditation. Mais pour répéter tableau de Van Gogh qui a souvent peint de telles
autrement l.'histoire de son essence en rapport avec Ia chaussures li. je les laisse. Elles sont d'ailleurs, délais-
transformatíon d'une essence de Ia vérité : l'histoire sées, délacées, à prendre ou à laisser. Beaucoup plus
de l'es~ence de l'art occidental « est aussi peu à concevoír tard, entrelaçant ce discours avec un autre, j'y revien-
à partir de Ia beauté prise pour elle-même qu'à partir drai, comme à tout ce que je laisse ici, de façon appa-
y .r
de exl?ér.ienc~ vécue Erlebnis) li. A supposer même remment aussi déconcertée. Et je reviendrai sur ce qui
~u il soit Jam31Squ<;stlon pour un « concept métaphy- revient à laisser, lacer, entrelacer. Par exemple plus
sl9ue )), conclut Heidegger, d'accéder à cette essence. d'une chaussure. Et plus loin encore, beaucoup plus
Rien n'exclut donc qu'il soit même construit pour ne tard à ce que dit Heidegger du trait de « l'entrelacement li
pas y accéder, pour ne pas en venir à ce qui advient ( Geflecht ), du « lien qui délie li (ou délivre) (entbindende
sou~ .I~ nom. de l'art. Et que Heidegger appelle déjà Band) et du « chemin li dans Der Weg zur Sprache.
« vente lI, quitte à chercher cette vérité sous ou en deçã Accepter ici, s'agissant de Ia ~érité ~n pe~ture O? e!l
de Ia détermination métaphysique de Ia vérité. Je laisse effigie, que l'entrelacement laisse disparaítre périodi-
pour l'instant ce « dessous li ou cet « en deçà li suspendus quement un lacet : dessus dessous, dedans dehors,
à Ia verticale. gauche droite, etc. Effigie et fiction
A s'en tenir à ces indices préliminaires, on reçoit le
texte heideggerien comme Ia « répétition li non-iden-
tique, décalée, décrochée, de Ia « répétition li hégélienne

111
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 39
pensée, étant admis que penser soit un métier (Hand-
werk). )) L' engagement sur le chemin circulaire en
ppelle d'une part à une valeur artisanale, quasi
I:--. et d ans cette repennon
' ,.. déecroc h ée,
manuelle, du métier de penseur, d'autre part à une
xpérience de Ia fête comme expérience de Ia limite,
il est moms étonnant de voir cette méditation, close de Ia clõture, de Ia résístance, de l'humilité. Le « il faut ))
s~ un~ référence à Hegel, s'ouvrir par une révolution de cet engagement est en chemin vers ce qui, dans
circulaire dont Ia rhétorique, au moins, ressemble beau- Unterwegs zur Sprache, rassemble, entre propriatio~ et
coup à celle que nous avions suivie dans l'Introduction dé-propriation (Ereignis IEnteignis), le pas, Ie chemm à
aux Leçons sur l'Esthétique. frayer (einen Weg bahnen, be-uegen ), le trait de frayage
, p.o~qu~i un cercle ? ~chéma de l'argument : chercher (Aufriss) et le langage (la langue-parole : Sprache), etc,
1ongme d une chose, c est chercher ce à partir de quoi Ce qui, plus loin dans le texte, aiointe tout le jeu d~
et par ou eIle est ce qu'elle est, c'est chercher sa prove- trait (Riss, Grundriss, Umriss, Auf,!~s, Gez~ge) à cel~
nance essentielle, qui n'est pas son origine empirique, de Ia stêle, de Ia stature ou de I'installation (thesis,
L'eeuvre d'art provient de l'artiste, dit-on. Mais Setzen, Besetzen, Gesets, Einrichten, Gestalt, Ge-stell,
q?'est-c:= qu'un artiste? CeIui qui produit des oeuvres autant de mots que ie renonce ici à traduire) appartient
d art. L ongme de l'artiste, c'est I'ceuvre d'art, l'origine l cette loi du pas qui enjoint le cercle à l'ouverture l~-
de I'eeuvre d'art, c'est l'artiste, « aucun n'est sans matique de L' origine : « ••• étant a~s que penser ~Olt
I'autre », Dês lors, « artiste et ceuvre sont en eux-mêmes un métier. Non seulement le pas capital (Hauptschritt )
et dans leur réciprocité (Wechselbezug) en vertu d'un de I'oeuvre vers l'art, en tant que pas de l'eeuvre
tiers (durch ein Drittes) qui est bien le premier, à savoir vers l'art, est un cercIe, mais chacun ~es .pas. que
ce dont artiste et ceuvre d'art tiennent aussi leur nom nous essayons circule dans ce cercle (kreist m diesem
l'art », Qu'est-ce que }'art? Tant qu'on se refuse à s~ Kreise) )). .
donner d'avance une réponse à cette question, « art ))
n'est qu'un moto Et si on veut ioterroger l'art, on est
bien ~bligé de ,se d~nner le fi! C<?nducteurd'une repré-
sentatron. Et c est Ieeuvre, le faít qu'il y a des eeuvres
d'art. Répétition du geste hégélien en Ia nécessité de
son lemme : il y a des ceuvres que l'opinion courante
I Fête de
; le corps, de pied en cap, engagé dans ce pas de
désigne comme reuvr~ d'art et c'est elles qu'il faut cerc1e (Hauptschriu, Handwerk, Denken). Ce que vous
mterroger pour y déchiffrer l'essence de l'art. Mais à voulez - contre Ia fête - c'est ne pas mélanger les
quoi reconnaít-on, couramment, que ce sont des ceuvres genres mais filer les métaphores, Vous pouvez toujours
d'art SI. l' on n ,a pas d' avance une sorte de pré-com-
préhension de l'essence de l'art? Ce cercle herméneu-
essayer : question de style. --I
tique n'a que l'apparence logique, formelle et dérivée
d'un cerc!e vicie';X. 11 ne s'agit pas d'y échapper mais
au contraire de s y engager et de le parcourir : « Nous
devons donc accomplir le cercle (den Kreügang '0011-
ziehen ), Ce n'est ni un pis-aller (Notbehelf) ni un
L ne pas rompre violemment
le cercle (qui se vengerait alors),.l'as.sume.r rés?lum~t,
manque (Mangel). S'engager sur un tel chemin, c'est authentiquement (Entschl~ssen~t, Etgentltchkei~). L ex-
Ia force, et demeurer sur ce chemin, c'est Ia fête de Ia périence de Ia clõture circulaire ne ferme nen, elle
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

ne so~re ni le manqu~ ni Ia négativité. Expérience t milieu, veille à l'entrée dans le cereIe herméneutique
affirmative sans volontarísme, sans compulsion trans- u dans Ie cercIe de Ia dialectique spéculative. L'art
gressive : ne pas transgresser Ia 10i du cercle er du pas íoue ce rõle. Chaque fois que Ia philosophie détermine
de cercle mais sy fier. En cette fidélité consisterait Ia I'art, le maitrise et l'enclõt dans l'histoire du sens ou
~n~~e: Le ~ésir n'est pas a?sent d'accéder, par cette s l'encyc1opédie ontologique, elle lui assigne une
repeuuon fídêle du cercle, à 1encore infranchi. Le désir onction de médium.
~'un n~u.veau pas,. fút-il rétrocédant {Schritt zurück), Or celle-ci n'est pas ambiguê, elle est plus ou moins
lie et de/te cette demarche. Lien sans lien, franchir le qu'ambiguê. Entre deux opposés, le tie~ p;ut p~"ci'per,
cereIe sans s'atfranchir de sa 10i. Pas sans pas i1 peut toucher aux deux bords. MaIS I ambiguíté de
participation ne l'épuise pas. Ce qui laisse croire -Ies
croyants - à sa médiateté, cela même peut aussi ne se
rendre à aucun des deux termes, voire à Ia structure de
I'opposition, et peut-être à Ia dialectique en tant qu'elle
urait besoin d'une médiation.
Indice d'un écart : par rapport à toute Ia machinerie
de Ia pose (position/opposi~on, S~tzungIEntge~ense~-
I-
.,. t donc
J m erromps onc ICI, provisouemenr, Ia lec-
í • ••
.ung). Alui donner le nom philosophique art, on.1 aurait
domestiqué dans l' économie onto-encyeIopédique et
ture de L'origine. dans l'histoire de Ia vérité
L'encereIement du cereIe entrainait à l'abime. Mais
comme toute production, celle de l'abime venait saturer
!
ce qu'elle creuse.
I
'I C'est assez dire : abíme et satire de l'abime.
La fête, Ia « fête de Ia pensée » (Fest des Denkens)
qui s'e!1~ag~ dans le Kreisgang, dans le pas de cercle,
de quoi jouit-elle ? D'ouvrir et de combler l'abime à Ia
fois. I?'accomplir : den Kreisgang vollziehen.
. ~n lpter~oger.ref!et comique ..On ~e le manque jamais et Ia place que L' origine
SI I abíme jamais n est assez, s'il dou rester - indécis de l' auore d' art reconnait aux Leçons sur l' esthétique
- entre .le sans-fond et le fond du fond. L'opêration (<< Ia méditation Ia plus compréhensive de 1'0ccident sur
~e Ia « ~IS~ en a~YI?e» s'occupe toujours (activité, posí- l'essence de l'art ») ne peut être déterminée, dans un~
non ~tfaIree., maIt~lse du suiet) à faire, quelque part, certaine topographie historique, qu'à partir de Ia Crt-
le plein, piem d'abíme, le plein de l'abime _ tique de Ia [aculté de juger. Heidegger ne Ia nomme pas
I ici mais il Ia défend ailleurs contre Ia lecture de
Nietzsche. Ce qui vaut de Ia dialectique spéculative en
général se précise rigoureusement dans les ~çons :
une affinité essentielle avec Ia Critique, te seul livre -
livre troisiême - qu'elle puisse réfíéchir et se réappro-
prier presque auss~tÔt. ~es deux p~emieres ~ritiques de
« un tiers » (ein Drittes) assure Ia circula- Ia raison pure (spéculative et pratique) avaient ouvert
tion, il rêgle l'encerclement. La Mitte, tiers, élément un goutfre apparemment infini. La troisiême pouvait,
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 43

devait, aurait da, aurait pu le penser : c'est-à-dire n soit possible de 1'un à l'autre (donc au moyen de
saturer, accomplir dans Ia réconciliation infinie. « Déjà I'usage théorique de Ia raison), comm~ entre dC?S mondes
Ia philosophie kantienne a non seulement éprouvé le i différents que le premier ne pwss~ ~v01r. aucune
besoin de ce point de jonction (V ereinigungspunkt) mais influence (Einfluss) sur le second, celui-ci dou cepen-
l'a reconnu de façon précise, en a foumi Ia représenta- nt (s01l doch) avoir une infiuc;nce sur ~~lui-là. [...]
tion. )) La troisiême Critique a su identifier dans l'art 11 faut bien (muss es) par consequent qu il y ait un
(en général) l'un des moyens termes (Mitten) pour fondement de l'unité (Grund der Einheit) ... ))Plus bas,
résoudre (auflosen) I' « opposition ))entre l'esprit et Ia métaphores ou analogies voisines : il est encore question
nature, les phénomênes internes et les phénomênes d l'immense « abíme ))qui sépare les deux mondes et de
externes, le dedans et le dehors, etc. Mais elle souffri- I'impossibilité apparente de jeterun ~nt ,CBrücke)d'une
rait encore d'une lacune, d'un « manque » (Mangel), rive à 1'autre. Appeler cela analogie, ~ est encore ne
elle demeurerait une théorie de Ia subjectivité et du rien dire. Le pont n'est pas une analogíe. Le recours à
jugement (réserve de principe analogue dans L'origine). I'analogie, le concept et l'effet d'analogie sont ou font
Confinée, unilatérale, Ia réconciliation n'est pas encore I,pont lui-même - et dans Ia Critique et dans toute Ia
effective. Les Leçons doivent suppléer ce manque dont puissante tradition à laquelle celle-ci appartient encore.
Ia structure a comme toujours Ia forme d'une anticipa- L'analogie de l'abime et du pont par-dessus l'abime,
tion représentative. La réconciliation s'annonce seule- c'est une analogie pour dire qu'il doit bien y avoir une
ment, se représente dans Ia troisiême Critique en l'espêce nalogie entre deux mondes absolument hétérogenes,
d'un devoir, d'un Sollen projeté à l'infini. un tiers pour passer l'abime, cicatriser Ia béance et
Et c'est bien l'apparence. P.CIlserl'écart. Bref un symbole. Le pont est un symbole,
D'une part, Kant déclare « ne vouloir ni pouvoir )) il passe d'une rive à l'autre, et le symbole est un ponto
(§ 22) examiner si le « sens commun ))(ici réinterprété L'abime appelle l'analogie - recours actif de toute
comme norme indéterminée, non conceptuelle et non Ia Critique - mais l'~ogie s'abime s~s fin d~ lors
intellectuelle) existe comme principe constitutif de Ia qu'il faut bien un certam art pour décrire analogique-
possibilité de l'expérience esthétique ou bien si, à titre ment le jeu de l'analogie
régulateur, Ia raison nous commande de le produire
(hervorbringen) à des fins plus élevées. Ce sens commun
est sans cesse présupposé par Ia Critique qui en réserve
néanmoins l'analyse. On pourrait montrer que ce sus-
pens assure Ia complicité d'un discours moral et d'un
culturallsme empirique. Nécessité permanente.
D'autre part, rappelant Ia division de Ia philosophie
et toutes les oppositions irréductibles qu'avaient déter-
minées les deux premiêres Critiques, Kant projene bien
le plan d'une eeuvre qui viendrait réduire l' « énigme ))
du jugement esthétique et combler une fente, un clivage,
un abíme (Kluft) : « Si donc un abime à perte de vue
(unübersehbare Kluft ) est établi entre le domaine du
concept de Ia nature, c'est-ã-dire le sensible, et le
domaine du concept de Ia liberté, c'est-à-dire le supra-
sensible, de telle sorte qu'aucun passage (Uebergang)

J
PARERGON 45
régulateurs à l'égard de Ia faculté de connaitre, sont
constitutifs par rapport à Ia faculté de désirer. La cri-
tique de Ia raison pure théorique exclut donc Ia raison
t le désir, Ia raison du désir et le désir de Ia raison.
De quoi s'agit-il au fond? Du fond.
L'entendement et Ia raison ne sont pas deux facultés
disiointes, elles s'articulent dans un certain travail et
dans un certain nombre d'opérations qui engagent pré-
isément l'articulation, c'est-à-dire le discours. Entre les
lI. LE PARERGON deux facultés, en effet, un membre articulé, une troi-
iême faculté entre en jeu. Ce membre intermédiaire
que Kant nomme justement Mittelglied, articulation
moyenne, c'est le jugement (Urteil ). Mais de quelle
, • faire l' économie de nature seront les principes a priori de l'articulation
I abime : non seulement s'épargner Ia chute dans le moyenne? Seront-ils constitutifs ou régulateurs?
sans-fond en tissant et repliant à 1'infini le tissu art Donnent-ils a priori des rêgles au plaisir et au déplai-
t~xtuel de Ia reprise, multiplication des piêces à l'inté- ir? L'enjeu de cette question se mesure à ceci : des
neur ~e~ piêces, m~s aussi établir les lois de Ia réap- principes régulateurs ne permettraient pas de découper
pro.pr1atlOn" f~rma1iser les rêgles qui contraignent Ia un domaine propre (eigenes Gebiet ),
log1~ue,de I ab.1meet font ~anavette entre l'économique Le Mittelglied formant aussi l'articulation du théo-
et I aneCOn?m1que, Ia releve et Ia chute, l'opération rique et du pratique (au sens kantien), nous nous
abyssale qU1ne peut que travail1er à Ia releve et ce qui enfonçons dans un lieu qui n'est ni pratique ni théo-
en elle reproduit réguliêrement l'etfondrement rique ou bien à Ia fois pratique et théorique. L'art (en
général) ou plutôt le beau, s'il a lieu, s'inscrit ici. Mais
cet ici, ce lieu s'annonce comme lieu privé de lieu.
11risque, ayant lieu, de n'avoir pas de domaine propre.
Cela ne le prive pas pour autant de jurídiction et de
fondation: ce qui n'a pas de domaine (Gebiet ) ou de
champ (Feld) propre, de « champ d'objets » définissant
'-- .. quel est donc l'objet de Ia troisiême Critique? son « domaine », peut avoir un « territoire » et un « sol II
l;a cnnque d~ Ia raison pure théorique suppose l'exclu- ( Boden) pourvu d'une « légalité propre » (lntroduction,
S10n (Ausschltessung) de tout ce qui n'est pas connais- 111).
sance théorique : l'affect (Gefiihl ) dans ses deux Le Mittelglied, membre intermédiaire, doit être en
grandes valeurs (plaisir/déplaisir) et le pouvoir de effet traité comme une partie séparable, une partie
désirer (Begehrungsvermogen) . Elle ne découpe son particuliêre (ais ein besonderer Theil ), Mais aussi comme
champ qu'en se coupant des intérêts du désir en se une partie non particuliêre, non détachable, puisqu'el1e
désintéressant du désir. Dês lors que seull'entendement forme l'articulation entre deux autres, on peut même
peut donner des principes constitutifs à Ia connaissance dire, avant Hegel, comme partie originaire (Ur-teil ),
l'exclusion ~or!e simultanément .sur Ia raison qui trans~ 11 s'agit en effet du jugement. Le même paragraphe
gresse les limites de Ia connaissance possible de Ia rappelle qu'une critique de Ia raison pure, c'est-à-dire
nature. Or les principes a priori de Ia raison, s'ils sont de notre faculté de juger d'aprês les principes a priori,
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 47
serait « incomplête » (unvo/lstiindig) si une théorie du le concept n'apparaissent comme reis dans Ia Critique)
;ug~~~, du Mi~telglie~, n'en ~ormait pas une « partie qui va elle-même se spécifier, démembrer ou remem-
parttculiere », Mais aU!Sltõt apres, à Ia phrase suivante, brer : détachement - séparation d'un membre -, déta-
que dans une philosophie pure les principes du juge- chement - délégation d'un représentant, signe ou sym-
ment ne formeraient pas une partie dêtachée, entre bole chargé de mission (le beau symbole de Ia moralité,
Ia partie théorique et Ia partie pratique mais pour-
raient être rattachés, annexês (angleschlossen) à chacune f. roblêmes de l'hypotypose, de Ia trace ( Spur ), de
, « écriture chiffrée » (Chiffreschrift), du signe clignant
des deux. Kant semble donc vouloir dire deux choses (Wink),. cf. par exemple les §§ 42 et 59), dêtachement,
contradictoires à Ia fois : qu'il faut dégager Ie membre ttitude désintéressée comme essence de l'expérience
11 moyen comme partie détachable, opérer Ia partition thétique.
de Ia partie mais aussi qu'il faut remembrer le tout en Pour dire le rapport des deux possibles (le possible
reformant le nexus, Ia connexion, Ia réannexion de Ia cruel de Ia critique et le possible à venir de Ia méta-
partie aux deux grandes colonnes du corpus. N'ou- physique), Kant propose une autre métaphore. li l'em-
blions I?as qu'il s'agit ici de jugement (Urteil ), de prunte déjà à l'art, dont il n'a pas encore été question,
Ia fonction de Ia copule dont on se demande si elle lIa technique de l'architecture, à l'architectonique : le
joue un rôle séparable, si elle joue sa propre partition philosophe pur, le métaphysicien devra opérer comme
ou si elle travaille à l'orchestre de Ia raison, au concert un bon architecte, comme un bon technites de l'édífi-
du pratique et du théorique. cation. Ce sera une espêce d'artiste. Or que fait un bon
Regardons le paragraphe de plus prês, dans Ia préface architecte, selon Kant? li doit d'abord s'assurer du
de Ia troisiême Critique. 11ne comporte aucune contra- fond, de Ia fondation ou du fondement. « Une critique
diction. Ce n'est pas du même point de vue que Ia de Ia raison pure, c'est-ã-díre de notre faculté de juger
section de Ia partie est prescrite et interdite. A l'intérieur elon des principes a priori, serait incomplête si celle
d'une critique de Ia raison pure, de notre faculté de de Ia faculté de juger qui y prétend aussi pour elle-même
juger d'aprês des príncipes a priori, Ia partie doit être comme faculté de connaítre n'y étaít pas traitée comme
détachée et examinée à parto Mais dans une philosophie partie détachée; dans un systême de philosophie pure,
pure, dans un « systême de Ia philosophie pure », tout cependant, ses príncipes n~ eonstitueraient p~ une p~-
doit être recousu. La critique détache parce qu'elle tie détaehée entre Ia theonque et Ia pratique mais
n'est elle-même qu'un moment et une partie du systême. pourraient en cas de besoin (im Nothfalle), à l'occasion
C'est dans Ia critique que se produit justement le sus- (gelegentlich) être annexés (angeschlossen) par les deux.
I pens cntique, le krinein, l'entre-deux, Ia question de Car si un tel systême, sous le nom général de méta-
savoir si Ia théorie du jugement est théorique ou pra- hYSique, doit un [our se dresser (zu Stande kommen)
11 tique, puis référée à une instance régulatrice ou constitu- Y...], il faut d'abord que Ia critique ait d'avance sondé
II tive. Mais le systême de Ia philosophie pure aura dú le terrain pour cet ~difi.ce, à Ia profondeur ou s~ tient
comprendre en lui-même le critique et construire un Ia premíêre fondation (Grundlage) du pouvorr des
discours général qui aura et rendra raison du détachable, príncipes indépendants de l'expérience, afio qu'il ne
Ce systême de philosophie pure, c'est ce que Kant sombre [s'effondre, sinke] pas en queIque partie (an
appelle Ia métaphysique. Elle n'est pas encore possible, irgend einem Theile), ce qui entrainerait inévitablement
Seule Ia critique peut avoir un programme actue1lement avec soi Ia ruine (Einsturz) du tout. »
possible. Instance propre de Ia critique: l'architecte de Ia raison
La question du désir, du plaisir et du déplaisir est fouille, sonde, prépare le terrain. A Ia recherche du fond
done aussi Ia question d'un détachement (Di le mot Di pierreux, du Grund ultime sur leque! édifier le tout de
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 49
Ia métaphysique. Mais aussi des racines, de Ia racine raison, rendre raison de toute autre métaphore. Elle
commune qui se partage ensuite à Ia lumiêre phéno- figurerait l'être-désir du désir, le désir de Ia raison
~énale, et qui ne se livre j~~s elle-même à l'expé- mme désir de Ia structure fondée. Le désir édifiant
nence. En tant que telle, Ia cntique, sans savoir s'il y produirait comme art de philosopher, commandant
en a, veut descendre au buthos, au fond del'abíme. tous les autres et rendant raison de toute rhétorique.
11 est encore trop tÕt pour interroger le fonctionne- De « grandes difficultés » s'annoncent. 11 faut cons-
ment général de Ia métaphore et de l'analogie dans Ia truire une théorie du jugement comme Mittelglied.
troísiême Critique. Ce fonctionnement n'est peut-être Mais il y aura de « gr~des difficuItés )~(g:osse ScJz:W:rig:
pas simplement réfíéchi par Ia théorie qui, dans le livre, luiten) à trouver au jugement des príncipes a pnor» qw
le comprend et s'y abime, lui soient propres et qui gardent Ia théorie de l'empi-
Nous venons de rencontrer Ia premiêre « métaphore » : risme. On ne peut trouver de concepts a priori que dans
début de Ia Préface (V orrede ). Or à Ia fin de l'Introduc- I'entendement. La faculté de juger s'en sert, elle les
tion qui suit ( Einleitung ), et comme pour encadrer applique, mais elle ne dispose pas de concepts qui lui
tout le prolégomêne, ce sera Ia métaphore de l'ouvrage appartiennent ou lui soient spécifiquement réservés.
artificiel assurant le passage au-dessus du gouffre Le seul concept qu'elle puisse produire, c'est un concept
naturel, le pont (Brücke) projeté sur le grand abíme vide, en queIque sorte, et qui ne donne rien à connaitre.
(grosse Kluft ), La philosophie, qui doit dans ce livre Par lui, « aucune chose n'est proprement connue »,
penser l'art -l'art en général et le beI art - comme 11fournit une « rêgle » d'usage qui ne comporte aucune
une partie de son champ ou de son édifice, Ia voici qui objectivité, aucun rapport à l'objet, aucune connaissance.
se représente elle-même comme une partie de sa partie : La regle est subjective, Ia faculté de juger se norme
c'est un art de l'architecture. Elle se représente, elle se elle-même, et elle doit le faire, faute de quoi il faudrait
détache, détache d'elle-même un mandataire, une partie convoquer, à l'infini, une autre faculté d'arbitrage. Et
d'elle-même auprês d'elle-même pour penser le tout, pourtant cette rêgle subjective s'applique à des juge-
saturer ou cicatriser le tout qui souffre de détachement. ments, à des énoncés qui prétendent structurellement
La philosophie de l'art suppose un art de philosopher, • l'objectivité universelle.
art majeur, art de mineur aussi en son préalable critique, Telle serait Ia diffi.culté, Ia contrainte, Ia confusion, Ia
art d'architecte en son érection édificatrice. Et si, comme Verlegenheit. Elle semble confirmer un certain verdict
il sera dit plus loin, le bel art est toujours un art du génie, hégélien, puis heideggerien : ce discours sur le beau et
l' Anthropologie du point de oue pragmatique déléguerait sur l'art, pour en rester à une théorie du [ugement,
plutõt un Allemand au poste de Ia critique : le génie s'embarrasse dans l'opposition - dérivée - du sujet
allemand se manifeste plutõt du cõté de Ia racine, et de l'objet.
l'italien de Ia couronne des feuilles, le français de Ia Du beau et de l'art, il n'a pas encore été questiono
fíeur et l'anglais du fruit. Enfin si elle se propose ici, Rien, jusqu'iei, dans Ia Préface, n'annonçait qu'il düt
entre autres choses, de rendre compte du désir, du en être questiono Or voiei que cette « grande diffículté »
plaisir et du déplaisir, cerre philosophie pure ou méta- de principe (subjectif ou objectif), Kant déclare qu'elle
physique fondamentale s'expose d'abord et se repré- « se trouve » (findet sich ), qu'elle se rencontre « prinei-
sente dans son propre désir. Le désir de Ia raison serait palement » (hauptsãchlich ) dans les jugements « qu'on
un désir fondamental, désir du fondamental, et d'aller appelle esthétiques I). Ceux-ci auraient pu constituer
au buthos. Non pas un désir empirique puisqu'il conduit un exemple, si important soit-il, une grande occur-
vers l'inconditionné, et ce qui se livre sous les espêces rence de Ia « difficulté I). 11s'agit en vérité de I'exemple
d'une métaphore déterminée devrait, métaphore de Ia principal, de l'exemplaire unique qui donne le sens

1II1
50 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 51
et oriente Ia multiplicité. L' examen de cet exemple, mpliqué, emmêlé (verwickelt) les problêmes. Les
à savoir du domaine esthétique, forme le morceau de cuses de l'auteur se limitent à Ia premiêre partie de
ch~ix, Ia « piece. l.a plus importante » (die wichtigste I'ouvrage, à Ia critique du [ugement esthétique, et non
St~k) ,de Ia cntl9ue de Ia facu1té de juger. Bien Ia critique du jugement téIéologique. C'est seulement
qu ils .n apport~t nen à Ia connaissance, les jugements s Ia premiêre partie que Ia déduction n'aura pas Ia
esthétíques relevent, en tant que jugements, de Ia larté et Ia distinction (Deutlichkeit ) qu'on serait pour-
seule fa~t~ de connai~e~ qu'ils mettent en rapport t en droit d'attendre d'une connaissance par concepts.
avec le plaísir ou le déplaisir selon un principe a priori. prês avoir déploré que Ia nature ait mêlé les fíls, au
Ce rapport de Ia connaissance au plaisir se révêle ici moment ou il acheve son ceuvre critique (Hiemit endige
dans sa pureté puisqu'il n'y a rien à connaitre, mais ICh also mein ganzes kritisches Geschãft ), en reconnais-
telle est justement l'énigme, l'énigmatique (das Rãt- ant des lacunes et en projetant un pont par-dessus
selhafte) au ~reur du jugement. C'est pourquoi une I'abime des deux autres critiques, Kant' parle de son
«s~o~ spéciale» (besondere Abteilung), un découpage ge. 11 doit gagner du temps, ne pas accumuler le
particulíer, un secteur découpé, une partie détachée retard, se presser vers Ia doctrine
forment l'objet de Ia troísiême Critique.
II ~e fa~t pas ,attendre d'elle ce qu'en principe, dans
s?n intennon declarée, elle ne promet pas. Cette cri-
nque du goüt ne concerne pas Ia production, elle n'a
en vue ni Ia « formation » ni Ia « culture », qui s'en
passent fort. bien. Et c:omme Ia Critique montrera qu'on
1__
plaisir pur,
il s'agit du plaisir. De penser le
l'être-plaisir du plaisir. Partie du plaisir,
ne peut assigner de regles conceptuelles au beau, il ne c'est pour lui que Ia troisiême Critique fut écrite, pour
s'agira pas de constituer une esthétique, füt-elle générale, lui qu'elle doit être lue. Plaisir un peu aride - sans
mais bien d'ana1yser les conditions de possibilité for- concept et sans jouissance -, plaisir un peu strict mais
melles d'un jugement esthétique en général, donc d'une on y apprend encore une fois qu'il n'est pas de plaisir
objectivité esthétique en général. uns stricture. A me laisser conduire par le plaisir [e
Sur cette visée transcendantale, Kant demande reconnais et dévoie du même coup une injonction. Je
qu'on le lise sans indulgence. Mais pour le reste, il Ia suis : l' énigme du plaisir met tout le livre en mouve-
r~~t les manqu~, le c:uactere Iacunaire (Mangelhaf- ment. Je Ia séduis : en traitant Ia troisiême Critique
ugkeit) de son ttavail. e est le mot dont se sert aussi comme une ceuvre d'art ou un bel objet, ce qu'elle
Hegel. n'était pas simplement destinée à être, je fais comme si
A q~o,i ti~t le manq';le? De quel manque s'agit-il? Yexistence du livre m'était indi1férente (ce qui, nous
Et SI~ était Ie cadre. SIIe ~que formait le cadre de explique Kant, est requis par toute expérience esthé-
Ia théone. Non pas son accident mais son cadre. Plus tique) et pouvait être considérée avec un imperturbable
ou moins encore : et si le manque était non seu1ement détachement.
Ie manque d'une théorie du cadre mais Ia pIace du Mais qu'est-ce que l'existence d'un livre?
manque dans une théorie du cadre. I. Je Ia suis. La possibilité du plaisir est Ia questiono
Démonstration : les deux premiers paragraphes du Pre-
Arête/manque mier moment du jugement de gout considéré au point de oue
de Ia qualité, Livre premier (Analytique du beau] de Ia
Le « caractêre lacunaire » de son travail selon Kant premiêre Section (Analytique du jugement esthétique )
du moins, tiendrait au fait que Ia nature ; embrouillé, de Ia premiêre Partie (Critique du jugement esthétique ).
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 53
Pourquoi appeler esthêtique un jugement de goüt ê
rtaines conditions formelles, l'affection pure du plaísir.
C'est 9ue, pour distinguer si une chose peut être dite On eonnait l'exemple. Je suis devant un palaís. On
belle, re ne consulte pas le rapport de Ia représentation e demande si je le trouve beau, ou plutõt si je puis
à l'objet, en vu~ d'une connaiss~ce (le jugement de goüt ire « ceei est beau ». Il s'agit de jugement, de jugement
ne nous en livre aucune) mais son rapport au sujet e valeur universelle et tout doit done pouvoir se pro-
et à son affect (plaisir ou déplaisir), Le jugement de uire sous forme d'énoncés, de questions et de réponses.
goüt .n'est pas ';ID jug~~nt de connaissance, il n'est pas ien que l'affect esthétique ne se laisse pas .rédui~e,
« l?gtque » ~alS ~ubJectlf et donc esthétique : rapport l'instance du jugement eommande que Je pwsse dire
à I affect (aisthesis ), Tout rapport de Ia représentation « ceei est beau II ou « ceei n'est pas beau ».
peut. éveI?-tuellement être objectif, même un rapport Le palais dont je parle est-il beau? Tout~ sorte. ~e
sensible; J~a!s le plaisir ou le déplaísir, Des représen- réponses peuvent tomber à côté. de Ia quesnon. SI re
tanons esthétiques peuvent certes donner lieu à des is : je n'aime pas les choses faltes pour les badauds
!ugements 10fiq~es lor~qu'elles sont rapportées par le u bien, eomme le sachem iroquois, je préfêre les gar-
rugement à I obiet, mais quand le jugement lui-même ortes, ou bien, à Ia Rousseau, il y a là un signe de .Ia
se rapporte au sujet, à l'affect subjectif - c'est ici le cas vanité des grands qui exploitent le peuple pour produire
- il est et ne peut être qu'esthétique. des choses frivoles, ou bien si j'étais dans une lle déserte
Ce qu'on traduit en général par satisfaction subjective, t si j'en avais les moyens, [e ne me donnerais tout de
le Wohlgefallen, le plaire qui détermine le jugement même pas Ia peine de l'r faíre ~porter, ~tc.,. a~cune
esthétique, doit être, on le sait, désintéressé. L'intérêt de ces réponses ne constitue un Jugemen~ mtnnseq1;le-
(Interesse) nous rapporte toujours à l'existence d'un ment esthétique. J'évalue en effet ce palais en fonCt1o~
objeto Ie suis intéressé par un objet quand son existence de motifs extrinsêques, en termes de psychologle empi-
(Existenz) m'importe d'une maniêre ou d'une autre. rique, de rapports de production économique, de struc-
Or Ia question de savoir si je puis dire d'une chose rores politiques, de causalité technique, ete. .
qu'elle est belle n'aurait, intrinsêquement, rien à faíre Or il faut savoir de quoi l'on parle, ee qui coneerne
av~c l'intérêt que je. porte ou ne porte pas à son j"trinsequement Ia valeur de beauté et ee qui reste exté-
CXl.stence.Et mon plaisir (Lust ), certe espêce de plaire rieur à son sens immanent de beauté. Cette requête
qui se nomme plaisir et que j'éprouve devant ce que je permanente - distinguer entre le sens interne ou
juge beau, requiert une indífférence ou plus rigoureuse- propre et Ia cireonstanee de l'obiet dont on parle -
ment un manque d'intérêt absolu pour l'existence de Ia organise tous les discours philosophiques sur l'art, le
chose. sens de l'art et le sens tout court, de Platon à Hege1,
Ce plaisir pur et désintéressé (non pas indifférent : Husserl et Heidegger. Elle présuppose u;t ~sco~rs s~
H~idegger reproche ici ~ ~ietzsche de n'avoir pas com- Ia limite entre le dedans et le dehors de I obiet d art, IC1
pns l~ .strue.ture non indifférente de ce laisser-être), un discours sur le cadre. Ou le trouve-t-on ?
ee plaisir qui me tend vers une non-existence ou du Ce qu'on veut ~avoir, se~on ~~t, en me ~~andant
moins vers une chose (mais qu'est-ce qu'une chose? ije trouve ee palais beau, c est SI je tro.uve qu ~ es~beau,
néeessité de greffer ici Ia question heideggerienne) dont autrement dit si Ia seule représentation de I obiet -
l'existence m'est indifférente, un tel plaisir détermine en elle-même, dans elle-même - me plait, si elle
le jugerD:ent de go.ut et l'énigme du rapport endeuillé produit en moi un plaisir, quelque indiffére~t (gleich-
- travail du deuil d'avance entamé - à Ia beauté. gUltig) que je reste à l'~xistenee d~ eet objet .. « O~
Comme une sorte de réduetion transeendantale, l' époche voit facilement que ee qui compre, c est ce que ie fais
d'une thêse d'existence dont le suspens libere, dans en moi-même de cette représentation, non pas ce en
S4 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 55
qu?i je ~épen~~ de l'exístence de cet obiet, pour que je tectif : dans le jugement esthétique il ne désigne
p1l!sse dire qu il ~t beau et .pour démontrer que j'ai du (beseichnet ) rien de l' objeto Mais sa subjectivité n' est
gout, ,Chacun doit reconnartre que le jugement sur Ia une existence, ni même un rapport à I'existence.
beauté ou se mêle, si peu que ce soit, l'intérêt est três 'est une subjectivité in- ou anexistante s'élevant sur Ia
p~al et nullement un jugement de goüt pu:. On ne crypte d~ sujet ~piriq~e e~ d~ tout son m?nd~.
~Ol~pas être le moins du monde prévenu en faveur de Et qui, elle, neanmoms jouit. Non, ne jouit pas :
I exIsten~e de Ia chose (Existenz der Sache ) mais être t distingue Ie plaisir (Wohlgefallen, Lust ) de Ia
de ce pomt de vue tout à fait indifférent pour jouer le touissance (Genuss). Prend du pIaisir. Non, car elle Ie
rô~e du ,ug~ eI?-matiêre de goft~..Mais nous ne pouvons çoit aussi bien. Si Ia traduction de Wohlgefallen par
mIe.ux éc1~cIr cerre proposinon d'une importance plaisir n'est pas tout à fait rigoureuse, celle par satisfac-
capl~e q~ en opposant Ie plaire pur et désintéressé lion encore moins, le plaire risque d'incliner vers
(umn~eres~rten. ~ohlgefallen) dans le jugement de goüt I'~éable et de laisser croire que tout vient de l'objet
à celui qui est lie [uerbunden ) à l'intérêt : surtout quand qw plait. En vérité, dans Ie Wohlgefallen, [e me plais,
nous pouvons être en même temps certains qu'il n'y a mais sans complaisance, ie ne m'intéresse pas, surtout
paa d'autres espêces d'intérêt que celles que nous allons pu à moi en tant que j'existe, je-me-plais-à. Non pas à
mamtenant nommer. » Il s'agit de l'intérêt pour l'exis- quelque chose qui existe, non pas à faire quoi que ce soit.
tence de l'agréable et pour l'existence du bon Je-me-plais-à-me-plaire-à - ce qui est beau. En tant
qu'il n'existe pas.
Comme cet affect du se-plaire-ã reste de part en part
ubjectif, on pourrait parler ici d'une auto-affection.
te rõle de l'imagination et donc du temps dans tout ce
un plaisir désintéressé : Ia formule est trop discours le confirmerait. Rien d'existant, en tant que teI,
connue, trop reçue, comme Ia fin de non-recevoir rien qui soit dans le .temps et dans I'~pa~ ne p~t
qu'elle n'a cessé de provoquer. Colêre de Nietzsche et produire cet affect qui s'affecte donc lui-même de lui-
d' Artaud : le désintérêt ou le désintéressement sont de même. Et pourtant le se-plaire-à, le à du se-plaire
n:op~ ~urmure. médítant de Heidegger, à Ia fio de indique aussi que cette auto-affection sort immédiate-
L ongme : Ie plaisír est superftu ou insuffisant. ment de son dedans : c' est une hétéro-affection pure.
.N~ pas s~ hâter .de conclure quand il s'agit du plaisir. L'affect purement subjectif est provoqué par ce qu'on
lei ~ un plaísir qw serait, donc, pur et désintéressé, qui ppelle le beau, ce qu'on dit qui est beau : dehors, dans
se livre.ratt. aInSI dans Ia pureté de son essence, sans l'objet et indépendamment de son existence. D'oü le
con~~anon 'par I~ dehors. n ne dépend plus d'aucune csractêre critique et indispensable de ce recours au
empírícné phenomenale, d'aucune existence détermi- iugement : Ia structure de I'auto-affection est telle qu'elle
née, ni celle de l'o~j~t ni celle d~ sujet, mon empiricité 'affecte d'une objectivité pure dont on doit dire « elle
me rapportant précísément à I'existence de l'objet beau eu belle » et « cet énoncé a valeur universelle », Il n'y
ou à l'existence de ma motivation sensibIe. En tant qu~ urait pas de problême - ni de discours sur l'art -
tel, et considéré intrinsêquemenr (mais comment déli- autrement. Le tout-autre m'affecte de plaisir pur en me
~t~r I'intrinsêque, c~ .qui court le long, secus, de Ia privant à Ia [ois de concept et de jouissance. Sans ce tout-
limite illt~me ?), Ie.pIaISlrsuPP?se ~on pas Ia disparition autre, pas d'universalité, de requête d'universalité,
pure et símple mais Ia. neutralísation, non pas simple- mais pour Ia même raison, quant à lui, pas de jouissance
m~t Ia mise à mort mais Ia mue en crypte de tout ce qui (sínguliêre, empirique, existante, intéressée) ni de
existe en tant qu'il existe. Ce pIaisir est purement sub- concept déterminant ou de connaissance. Rien encore
56 LA VÉRITÉ EN PEINTURE AlERGON 57
~e pratique ni de théorique. L 'hétéro-affection Ia plus hénoménalement, empiriquement, dans I'espace et
l~éductible habite --:- intrinsequement - I'auto-affec- le temps de mon existence intéressée ou intéres-
non .Ia plus elose, voilà Ia « grosse Schwierigkeit » : elle te. Plaisir dont l' expérience est impossible. Je ne le
ne. tlent. pas à Ia confortable installation d'un couple rends, ne le reçois, ne le rends, ne le donne, ne me le
su}etjobJet fort dérívé, dans un espace judicatif survenu. nne jamais parce que je (moi, sujet e,xi:s~t). n'ai
Ni à quelque engrenage huilé de mimesis homoiosis ais accês au beau en tant que tel. Je n 3.1Jam3.1Sde
adaequatio. On sait qu'au premier abord' du moins' laisir pur en tant que j'existe.
Kant reiette Ia valeur d'imitation. Quant à l'homoiosi; Et pourtant il y en a, du plaisir, il en reste encere;
ou à I'adaequatio Ia chose est au moins compliquée dês ., y a, es gibt, ça donne, le plaisir est ce que f~ donne;
lo~ qu'on n'a plus affaire à un jugement déterminant ur personne mais il en reste et c'est le meilleur, le
.~alS ~ ~ jugemeat réfíéchissanr et que Ia res en ques- lus puro Et c'est ce reste qui fait parler, puisq,':le c:es~,
non n existe pas, en tout cas n'est pas prise en compre core une fois, du discours sur le beau qu il s agit
dans son existence de chose. C'est au terme d'un tout 'bord de Ia discursivité dans Ia structure du beau
autre itinéraire que nous vérifierons l'efficace de ces non 'seulernent d'un discours qui surviendrait au
val~ (mimesis, homoiosis, adaequatio ) dans le discours u.
kantien 1
2. Je Ia séduis : en traitant Ia troisiême Critique .comme
une eeuvre d'art, je neutralise ou encrypte son existence.
Mais je ne pourrai savoir si je dois, pour le faire, m'au-
oriser de Ia Critique tant que je ne saurai pas ee qu'est
I- '. . ne (me)
l'existenee d'une ehose, et done I'intérêt pour l'existenee
'une ehose. Qu'est-ce qu'exister, pour Kant? Etre
r~te pres<;luenen : ~ l~ chose, 01 son existence, ni Ia présent selon I'espace et le temps, comme chose
mienne, 01 le pur obiet 01 le pur sujet, aucun intérêt de individ~elle : selon Ies conditions de l'esthétique trans-
~en qui soít à rien qui soit. Et pourtant j'aime : non, c:endantale. Rien de moins esthétique en ce sens que
c est encore trop, c'est encore prendre intérêt à l'exís-
tence, s~s dou,~e. Je n'aime pas mais ie prends laisir
à ce qui ne m mtéresse pas, à ce du moins qu il est
e l'objet beau qui ne doit I?as ~ous intéres~e! en t~t
qu' aistheton. Mais cette mexIstence. e.sthetlq~e ~o~t
m'affecter et c'est pourquoi le mot esthétique est justifié,
indiffére~t que j'aime ou n'aime pas. Ce plaisir que je dês le départ, dans son mainti~n., ..
prends, je ne .Ie prends pas, je .Ie rendrais plus tÕt, ie Quand I'obiet (beau) est un livre, <;luest-ce qui existe
rends ce que je prends, Je reçois ce que je rends, je ne et qu'est-ce qui n'existe pIus? Le livre ne se conf<;md
pr~n~s p~s ce q~e je reçois. Et pourtant je me le donne. pas avee Ia multiplicité sensibIe de ses exemplaires
Puis-je dire que re me le donne ? 11 est si universellement exístants. L'objet livre se présente donc comme tel,
obiectíf - dans Ia prétention de mon jugement et du dans sa structure intrinsêque, eo~e indépen~t ~~
sens ~~un - qu'~ ~e peut venir que d'un pur dehors. copies. Mais ce qu'on appellerait alors son idéalité
Inassirnilabíe, ~ Ia limite, ce pIaisir que je me donne ou n'est pas pur, une analyse três différenciée doit la
auq~;t plutõt J~ me do~e, par lequel je me donne, je distinguer de I'idéalité en général, ~~ .ce~~ d:autres
ne I eprouve meme pas, SIéprouver veut dire ressentir : types d'objet, et quant à I'art, de l'idéalité d autres
classes de livres (roman, poésie, ete.) ou d'objets d'art
I. Economimen's, in Mim,sis (en collaboration avec S. Agacinski, S. Kof-
non discursifs ou non livresques (peinture, sculpture,
man,. Ph. Lacouc-Lab.arthe, J.-L. Nancy, B. Pautrat). Coll .• La philo- musique, théâtre, etc.), Dans c~aque cas Ia. s~rueture
sophíe en eft'et., AubJer-Flammarion, 1975. d'exemplarité (unique ou multiple) est originale et
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON S9
prescrit donc un affect différent, Et dans chaque cas u falte. Et il faut distinguer ici entre Ia perception,
reste à savoir le cas qu'on fait du cas, si on le laisse l'analyse, Ia pénétrati?n, l'uti1is~tion, ,:oire Ia d.estruc-
tomber ou si on le retient, comme un excrément extrin- n. Mais lit-on un livre de philosophie pure SI on ne
seque ou une idéalíté intrinsêque, ence pas par les fondements et si 1'on ne suit pas
Un exemple, mais en abime : Ia troisiême Critique. l'ordre juridique de son écríture. Qu'est-ce. alors que
Comment traiter ce livre. Est-ce un livre. Qu'est-ce re de Ia philosophie et doit-on seulement Ia lire. ~rt.es,
qui en ferait un livre. Qu'est-ce que lire ce livre. Com- l'ordre juridique soutenu par les fondements ne comede
ment le prendre. Ai-je le droit de dire qu'il est beau. avec l'ordre du fait : par exemple, Kant a écrit son
Et d'abord de me le demander --I troduction aprês le livre et c' est I'effort le plus puis-
t pour rassembler tout I~ systême d.e sa philos'?I?hie,
nder en droit tout son discours, articuler Ia cnnque
ur Ia philosophie. L'introduction suít, le fondement
vient aprês avoir prévenu. Mais. même s'il était acquis
1_-
l'ordre.
par exemple Ia question de
Un objet d'art spatial, dit plastique, ne prescrit
u'en droit, dans Ia métaphysique au sens kantíen,
faut commencer par le fondement, Ia critique n'est pas
pas nécessairement un ordre de lecture. Je peux me métaphysique : elle est, d' abord, à Ia recherche du
déplacer devant lui, commencer par le haut ou par le ndement (aussi vient-il en fait apres), suspendue
bas, parfois tourner autour. Cette possibilité a sans mme une grue ou une drague au-dessus de Ia fosse,
doute une limite idéale. Disons pour l'instant que Ia ravaillant à gratter, fouiller, déblayer, dégager un ter-
structure de cette limite laísse un jeu plus grand que rain sür. Dans que! ordre lire une critique. L'ordre de
dans le cas des objets d'art temporels (discursifs ou 't ou 1'ordre de droit, L'ordo inveniendi ou l'ordo
non), sauf si un certain morcellement, une mise en ponendi. Toutes ces questions diffêrent, se subor-
scêne spatiale précisément (une partition effective ou onnent les unes aux autres et quelle qu'en soit l'am-
virtuelle) permet de commencer en plusieurs lieux, de leur interminable, elles valent en général pour tout
faire varier le sens ou Ia vitesse. texte critique
Mais un livre. Et un livre de philosophie. S'il s'agít
d'un livre de métaphysique au sens kantien, donc de
philosophie pure, on peut en droit y accéder de n'im-
porte ou: c'est une espêce d'architecture. Dans Ia troi-
siême Critique, il y a de Ia philosophie pure, il en est une complí-
tion supplémentaire nous contraint à reeonsidérer
question et le plan en est tracé, Dans Ia mesure de l'ana-
logie (mais comment Ia mesurer) on devrait pouvoir
commencer partout et suivre n'importe quel ordre,
I'agencement de tout~ =
tique n'est pas une cnnque p~
questio~s., La troisiême C~-
d autres. ~on obiet
encore que Ia quantité et Ia qualité, Ia force de lecture pécifique a Ia forme d'.un cerram type de lugement
puisse dépendre, comme pour une architecture, du le jugement réfíéchissant - qUI travaille (sur)
point de vue et d'un certain rapport à Ia limite idéale I'exemple d'une façon três singuliêre. La dis~ction
- qui fait cadre. Mais il n'y a jamais que des points de entre jugement réfléchissaat et jugement détermínant,
vue : Ia solidité, l'existence, Ia structure de l'édifice n'en distinction familiêre et obscure, surveille tous les par-
dépendent pas. Peut-on le dire, par analogie, d'un livre. tages intérieurs du livre. Je Ia rappe11edans sa généralité
On n'accêde pas forcément à une architecture en suivant la plus pauvre. La facu1té de juger en général permet de
l'ordre de sa production, des fondations pour en arriver penser le particulier comme contenu sous le général
60 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 61
(rêgle, príncipe, loi). Lorsque Ia généralíté se donne lMils). J e ne vais même pas en retenir tous les exemples,
d'abord, l'opération du jugement subsume et détermine seulement quelques-uns et je laisse provisoirement de
le particu1ier. Elle est déterminante (bestimmend) elle té Ia três retorse théorie des couleurs et des sons, du
précíse, rétrécit, comprend, resserre. Dans l'hypothese essin et de Ia composition qui se déploie entre les deux
contraíre, le jugement réfléchissant (refiectirend) ne dis- ragments que je traduis ici. A moins qu'elle ne s'en
pose que du particu1ier et doit remonter, faire retour rouve du même coup entamée. J'en suppose en tout
y~rs Ia générali~é : l'exempl~ (c'est ce qui nous importe Ia lecture.
IC1) y est donne avant Ia 101 et permet de Ia découvrir « Les jugements esthétiques peuvent, tout comme les
dans son unicíté même d'exemple. Le discours scienti- jugements théoriques (logiques) être classés en juge-
fique ou logique courant procede par jugements déter- ments empiriques et jugements purs. Les premiers
minants, les exemples suivent pour déterminer ou, dans énoncent l'agréable ou le désagréable d'un objet ou de
un dessein pédagogique, pour illustrer. Dans l'art et n mode de représentation, les seconds énoncent Ia
dans I,a vie, partout ou ,l'on doit, selon Kant, procéder beauté de cet objet ou de son mode de représentation :
à des iugements réfíéchíssants et supposer (par analogie eeux-là sont des jugements des sens (jugements esthé-
avec l'art : nous viendrons plus loin à cette rêgle) une iques matériels), ceux-ci (en tant que formels) sont
finalité dont nous n'avons pas le concept, l'exemple euls à proprement parler des jugements de goüt
précêde. S'ensuit.une historicité singuliêre et (temps de (allein eigentliche Geschmacksurtheile),
simulacre compris) une certame ficture (réglée, relative) « Un jugement de goüt n'est donc pur que dans Ia
du théorique mesure ou aucun plaisir (Wohlgefallen) simplement
empirique n'est mêlé à sa détermination fondamentale
(Bestimmungsgrunde). Cela survient néanrnoins chaque
fois que l'attrait (Reiz ) ou l'émotion (Rührung) ont
part au jugement (einen Antheil an dem Urtheile haben)
par lequel quelque chose doit être déclarée belle.
...
[ ]
« Toute forme des objets des sens (des sens externes
u aussi bien, médíatement, des sens internes) est ou
enm'autori- bien figure (Gestatt ) ou bien jeu (Spiel); dans ce der-
sant de cette brisure réfíéchíssante, je commence ma nier cas ou bien jeu des figures (dans l'espace, c'est Ia
lecture de Ia troisiême Critique par des exemples. mimique et Ia danse) ou bien simple jeu des sensations
Cette docilité est-elle perverse. Rien ne permet encore (dans le temps). L'attrait (Reis) des couleurs ou des
d'en décider. ons agréables de l'instrument peut s'y ajouter (hinzu-
]e commence donc par des exemples : non par I'In- kommen), mais le dessin (Zeichnung) dans le premier cas
troduction, qui donne les lois, ni par le début du livre r Ia composition (Composition) dans I'autre constituent
(I'analytique du beau). Ni par le milieu ni par Ia fin, I'objet propre du pur jugement de goüt; et que Ia pureté
mais quelque part vers Ia conclusion de l'analytique du des couleurs aussi bien que des sons, ou encore leur
beau, au paragraphe 14. 11 s'intitule Eclaircissement multiplicité variée et leur contraste paraissent contribuer
par des exemples (Erlaüterung durch Beispiele). (beizutragen) à Ia beauté, cela ne veut pas dire pour
Son intention Ia plus évidente est d'éclairer Ia struc- utant que, parce qu'ils sont agréables pour eux-mêmes,
ture de « l'obiet propre du pur jugement de goüt )) 11 fournissent au plaisir de Ia forme (Wohlgefallen an
(den eigentlichen Gegenstanâ des reinen Geschmacksur- der Form) un supplément de même nature (einen
62 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

gleichartigen Zusate}, mais bien plutõt qu'ils donnent Kant s'explique ailleurs sur Ia nécessité de recourir
à voir (anschau/ich machen) cette forme de maniere ux langues mortes et savantes. Le grec confere ici
seulement plus exacte, précise et complete (nur genauer, ne dignité quasi conceptuel1e à Ia notion de ce hors-
bestimmter und vollstiindiger) et, de surcroít, animent 'oeuvre qui ne se tient pourtant pas simplement hors
Ia représentation par leur attrait en éveillant et mainte- 'oeuvre, agissant aussi à cõté, tout contre l'ceuvre
nant l'attention sur l'objet lui-même. ( ergon ) . Les dictionnaires donnent te plus souvent
« Et même ce que 1'0n nomme omements [Zierathen: hors-d'oeuvre )),c'est Ia traduction Ia plus stricte, mais
décoration, agrément, enjolivement] (Parerga ), c'est-ã- ussi « objet accessoire, étranger, secondaire », « supplé-
dire ce qui n'appartient pas intrinsêquement à toute ent », « à-cõté )), « reste », C'est ce que ne doit pas
Ia représentation de I'objet comme sa partie intégrante evenír, en s'écartant de Iui-même, le sujet principal :
mais seulement comme additif extérieur (was nicht in l'éducation des enfants dans Ia Iégislation (Lois, 766 a)
die ganze Vorstellung des Gegenstandes ais Bestandstück u Ia définition de Ia science (Thêétêt», 184 a) ne doioen:
innerlich, sondem nur õusserlich. ais Zutha: gehõrt ) et pas être traitées en parergon. Dans Ia recherche de Ia
augmente le plaisir du goüt, ne te fait toutefois que par use ou Ia connaissance des principes, ilfaut éoiter que
sa forme: comme les cadres (Einfassungen) des tableaux 1 parerga l'emportent sur l'essentiel (Ethique à Nico-
ou les vêtements des statues, ou les colonnes autour des maque, 1098 a 30). Le discours philosophique aura
édifices somptueux. Mais si l'omement ne consiste pas touiours été contre le parergon. Mais qu'en aura-t-il été
lui-même en une belle forme, s'il est comme le cadre du contre.
doré (goldene Rahmen) simplement appliqué (ange- Un parergon vient contre, à cõté et en plus de I' ergon,
I bracht ) pour recommander le tableau à notre assenti- du travail fait, du fait, de l'eeuvre mais il ne tombe pas
I1
ment par son attrait, on le nomme alors parure
( Schmuck) et il fait tort à Ia beauté authentique I cõté, il touche et coopere, depuis un certain dehors,
u-dedans de l'opération. Ni simplement dehors ni
implement dedans. Comme un accessoire qu'on est
I
bligé d'accueillir au bord, i bordo 11est d'abord l'à-bord.
L'à-bord, si nous voulions jouer un peu - pour Ia
poétique - à l'étymologie, nous renverrait au haut
théorie qui marcherait comme sur des rou- allemand bort, (table, planehe, bord d'un vaisseau).
lettes u Le bord est done proprement une planehe; et l'étymo-
logie permet de saisir l'enchainement des significations.
La premiêre est cel1ede bord d'un vaisseau, c'est-à-dire
ouvrage fait en planches; puis, par métonymie, ce qui
borde, ce qui renferme, ce qui limite, ce qui est à
l'extrémité. II Dit Littré,
Mais I' etymon aura toujours eu, pour qui sait lire, ses
effets de bordo
Le bateau n'est jamais loin quand on manie des
figures de rhétorique. Bordel a Ia même étymologie,
c'est facile, d'abord une petite cabane en bois.
les Le bord est de bois, en apparence indifférent comme
vêtements des statues - par exemple - seraient donc le cadre d'une peinture. Avee Ia píerre, mieux que Ia
des omements : parerga. pierre, te bois nomme Ia matiêre (hyle veut dire bois).
LA VBRITI! BN PBINTUlUI 3
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

Ces questions du bois, de Ia matíere, du cadre, de Ia ercent une pression à Ia frontiêre]. La raison,
limite entre le dedans et le dehors doivent, quelque part nsciente de son impuissance (Umiermõgens} à satis-
en marge, se constituer ensemble. aíre son besoin moral [le seul qui devrait, aurait dü
Le parergon, ce supplément hors d'oeuvre, s'il a le nder Ia religion dans les limites de Ia simple raison]
statut d'un quasi-concept philosophique, doit désigner 'étend iusqu'à ces idées transcendantes, susceptibles
une structure prédicative forme1le, générale, qu'on peut e combler ce manque (die jenen Mangel ergãnsen},
transporter intacte ou réguliêrement déformée, reformée, aos toutefois se les approprier (sich zuzueignen) comme
dans d'autres champs, pour lui soumettre de nouveaux un accroissement de son domaine (Besitz, possession).
contenus. ar Kant se sert ailleurs du mot parergon : e ne conteste ni Ia possibilité ni Ia réalité des objets
Ie contexte en est três différent mais Ia structure analogue e ces ídées mais elle ne peut les admettre dans ses
et aussi problématique. On le trouve dans une três maximes pour penser et agir. Elle compte même que si,
longue note ajoutée lors de Ia seconde édition de La dans l'insondab1e champ du surnaturel, il y a quelque
Religion dans les limites de Ia simpie raison. Ce lieu, Ia hose de plus (noch euoas mehr) que ce qu'elle peut.se
forme de ce lieu importe beaucoup. rendre inte1ligible et qui serait cependant nécessaíre
A quoi Ia Note est-e11e ajoutée? A une Remarque pour suppléer [trad. Gibelin pour Erganzung] à son
générale qui clõt Ia deuxiême Partie. insuftisance morale, cette chose, même inconnue, vien-
ar qu'est-ce que le parergon? c'est le concept de Ia dra secourir (zu statten kommen) sa bonne volonté,
remarque, de cette Remarque générale, en tant qu'elle arAce à une foi que I'on pourrait appeler (quant à s~
définit ce qui vient s'aiouter à La religion dans les limites possibilité) réfléehissante (refteetirenden) parce que Ia foi
de Ia simpie raison sans en faire partie et sans pourtant y dogmatique qui se proclame savoir lui parait peu
être absolument extrinsêque. Chaque Partie du livre incêre et téméraire; car lever 1es difficultés par rapport
comporte une Remarque générale (AIIgemeine Anmer- ce qui est en soi (pratiquement) bienétablin'est qu'une
kung), parergon qui conceme un parergon. Comme il y a besogne secondaire (parergon) quand elles concement
quatre Parties dans La Religion, ce1le-ci se trouve en des questions transcendantes. ))
quelque sorte eadrée, mais aussi quadrillée par ces Ce que traduit ee besogne secondaire », c'est Neben-
quatre Remarques sur des parerga, des hors-d'eeuvre, geseM/te : affaire ou affairement accessoire, activité ou
des ee adjuvants » qui ne sont ni dehors ni dedans. opération qui vient à cõté ou tout contre. Le parergon
Le début de Ia Note surajoutée, dans Ia deuxíême inserit quelque chose qui vient en plus, extérieur au
édition, à Ia premiêre des Remarques générales, définit 1e champ propre (ici de Ia raison pure et de La religion.da.ns
statut de Ia Remarque comme parergon : ee Cette les limites de Ia simpie raison) mais dont I'extériorité
Remarque générale est Ia premíêre des quatre qui ont transcendante ne vient jouer, jouxter, frôler, frotter,
été ajoutées [angeMngt : appendues, comme des appen- presser Ia limite e1le-même et intervenir dans le dedans
dices] à chaque morceau de cet écrit (jedem Stück que dans Ia mesure ou le dedans manque. 11 manque de
dieser Sehrift) et qui pourraient avoir pour titre : I. Des quelque chose et se manque à ~ui-~ême. Parce quela
effets de Ia grâce, 2. des miracles, 3. des mystêres, 4. des raison est ee consciente de son unpuissance à satisfaire
moyens de Ia grâce, Ce sont en quelque sorte des on besoin moral )),elle recourt au parergon, à Ia grãce,
parerga de Ia religion dans les limites de Ia raison pure; au mystere, au miracle. Elle a besoin de Ia besogne
e1les n'en sont pas des parties intégrantes (sie gehOren adjuvante. L'adjuvant, certes, menace. Son usage est
nieht innerhalb dieselben) mais e1les y confinent Caber critique. 11 comporte un risque et se paie d'un J?rix
stossen doeh an sie an : elles Ia touchent, Ia poussent, dont Ia théorie s'élabore. Achaque parergon de La rasson
Ia pressent, se pressent contre elle, cherchent le contact, correspond un dommage, un préjudice (Nachieil) et
66 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

les quatre classes de dangers répondront aux quatre I peinture. Par exemple, telle Lucrêce de Cranach ne
~pes de parergon : I. pour Ia prétendue expérience lent qu'une légêre bande de voile transparent devant son
interne (effets de Ia grâce), le fanatisme, 2. pour Ia e : ou se trouve le parergon? Doit-on considérer
prétendue expérienee externe (mirac1es), Ia superstition, mme un parergon Ie poignard qui ne fait pas partie
3· pour les prétendues lumiêres de l'entendement dans son corps nu et naturel et dont elle tient Ia pointe
l'ordre sumaturel, l'illuminisme, 4. pour les actions ournée contre elle, au contact de sa peau (Ia pointe
prétendues .sur le sumaru;el (moyens de Ia grâce), Ia u parergon, seule, toucherait alors son corps, au milieu
thaumaturgie. Ces quatre egarements ou séductions de 'un trlangle formé par ses deux seins et son nombril) ?
Ia raison ont eux aussi en vue, néanrnoins, un certain n parergon le eollier qu'elle porte à son eou ? Question
plaire, le plaíre-à-Dieu (gottgefalliger Absicht ), l'essence représentative et objectivante, de son
ehors et de son dedans, des critêres engagés dans cette
élimitatíon, de Ia valeur de naturalité qui s'y présup-
e et, aceessoirement ou principalement, de Ia place
u corps humain ou de son prívílege dans toute cette
Done, exemple parmi les exemples, Ies vête- roblématique. Si tout parergon ne s'ajoute, on l'a vérifié
ment~ des statues (Gewiinder an Statuen ) auraient s La Religion, qu'à Ia faveur d'un manque intérieur
fonction de parergon et d'ornement, Cela veut dire u systême auquel il s'ajoute, qu'est-ce qui fait défaut
I I

r~ h.ejsst), ~t -il ~récisé, ee qui n' est pas intérieur ou


mtnnseque (innerlich}, comme une partie intégrante
Ia représentation du eorps pour que le vêtement y
vienne suppléer? Et qu'est-ce que l'art aurait à voir
('!Is I!estandstück), à Ia représentation totale de l'obiet vec ça? Qu'est-ce qu'il donnerait à voir? ferait voir?
(tn die ganze Vorstellung des Gegenstandes) mais qui lui laisserait voir? laisserait faire voir? ou se faire voir?
appartient seulement de façon extrinsêque (nur ãusser- Nous ne sommes qu'au commeneement de nos éton-
lich ) comme un surplus, une addition, une adjonction nements devant ee paragraphe. (Parergon signifie aussi
(ais Zuthat }, un supplément. l'exceptionne1, I'insolíte, l'extraordinaire.) ]'ai, un peu
Hors-d'oeuvre les vêtements des statues, qui viennent trop vite, arraché le « vêtement » au milieu d'une série
à Ia fois omer et voiler leur nudité. Hors-d'eeuvre collés de trois exemples, de trois parerga qui ne sont pas
à Ia ,bordure de l'eeuvre néanmoins, comme du corps moins étranges. Chacun en luí-même d'abord, dans leur
representé dans Ia mesure ou - tel est l'argument - ils sociation ensuite. L'exemple qui vient aussitõt aprês,
n'appartiendraient pas au tout de Ia représentation. Le e'est celui des colonnes autour des édifiees somptueux
représenté de Ia représentation serait le corps nu et (Siiulengiinge um Prachtbãude}, Ces colonnes seraient
naturel; l'essence représentative de Ia statue s'y rappor- ussi des parerga supplémentaires. Aprês le vêtement,
terart ~t, en elle, seule cette représentation serait belle, Ia colonne? Pourquoi Ia colonne serait-elle extérieure à
essentíellement, purement et íntrinsêquement belle, I'édifice? D'oü vient ici le critêre, l'organe critique,
« objet propre d'un pur jugement de goüt li. I'organon du discemement? 11 n'est pas moins obscur
Cette délimitation du centre et de I'intégrité de Ia que dans le cas précédent. 11 présente même une diffi-
rel?résen~tion~ de .son dedans et de son dehors, peut culté de plus : le parergon s'aioute cette fois à une ceuvre
déJà parartre msolite. On se demande de surcroít ou qui ne ~eprése1!terien ~t qui déjà s'ajoute ~ Ia nature.
faire commeneer le vêtement. Ou eommence et ou On croit savoir ce qui revient ou ne revient pas en
finit un parergon. Tout vêtement serait-il un parergon. propre au corps humain, ce qui se détache ou ne se
Les cache-sexe et les autres. Que faire des voiles absolu- détache pas de lui - encore que le parergon soit précísé-
ment transparents. Et comment transposer l'énoncé dans ment un détachement mal détachable. Mais dans un
1 68 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

ouvrage d'architecture, Ia Vorstellung, Ia représentation


'est pas structurellement représentative ou bien l'est à
r vers des détours dont Ia complication déconcerterait
doute celui qui voudrait discemer, de maniêre
itique, le dedans du dehors, Ia partie intégrante et
partie détachable, Pour ne pas rajouter à cette compli-
tion, je laisse de cõté, provisoirement, le cas des
lonnes en forme de corps humain, celles qui sou-
ennent ou représentent le soutien d'une fenêtre (et
ne fenêtre faít-elle ou non partie du dedans de l'édifice ?
t une fenêtre d'édifice dans une peinture?) et qui
vent être nues ou vêtues, représenter un homme
u une femme, distinction à laquelle Kant ne fait pas
usion.
Avec cet exemple des colonnes s'annonce toute Ia
roblématique de I'inscription dans un milieu, du décou-
age de l'eeuvre dans un champ dont il est toujours diffi-
. e de décider s'il est naturel ou artificiel et, dans ce
ernier cas, s'il est parergon ou ergon. Car tout milieu,
même s'il est contigu à l'eeuvre, ne constitue pas un
parergon au sens kantien. Le site naturel choisi pour
l'érection d'un temple n'est évidemment pas un parer-
on. Un lieu artificiel non plus : ni Ie carrefour, ni
'église, ni le musée, ni les autres eeuvres autour de
l'une ou l'autre. Mais le vêtement ou Ia colonne, si.
ourquoi ? Ce n'est pas parce qu'ils se détachent mais
u contraíre parce qu'ils se détachent plus diffici1ement
t surtout parce que sans eux, sans leur quasi-détache-
ment, le manque au-dedans de l'eeuvre apparaitrait; ou
e qui revient au même pour un manque, n'apparaitrait
pas. Ce qui les constitue en parerga, ce n'est pas simple-
ment leur extériorité de surplus, c'est le lien structurel
mterne qui les rive au manque à l'intérieur de l' ergon.
Et ce manque serait constitutif de l'unité même de l' ergon.
ans ce manque, l'ergon n'aurait pas besoin de parergon.
Le manque de l' ergon est le manque de parergon, du
vêtement ou de Ia colonne qui pourtant lui restent exté-
rieurs. Comment faire Ia part de l' energeia ?
A cette série d'exemples, à Ia question qu'ils posent,
peut-on rattacher le troisiême exemple? C'est en fait le
premier et j'ai procédé à l'envers.En apparence, il est
7° LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 11
difficile de l'associer aux deux autres. 11s'agit des cadres
pour tableaux de peinture (Einfassungen der Gemãlde),
Le cadre : parergon comme Ies autres. La série peut
urprendre. Comment assimiler Ia fonction d'un cadre
celle d'un vêtement sur (dans, autour ou contre) une
t rue, et à celle des coIonnes autour d'un édifice? Et
ue dirait-on d'un cadre encadrant une peinture repré-
entant un édifice entouré de colonnes à forme humaine
v tue? L'incompréhensible du bord, de l'à-bord, n'ap-
parait pas seulement à Ia limite intérieure, celle qui passe
ntre le cadre et le tableau, le vêtement et le corps, Ia
olonne et l'édifice. Aussi 1 Ia limite extérieure, Les
purerga ont une épaisseur, une surface qui les séparent
n n seu1ement, comme le voudrait Kant, du dedans
Intégral, du corps propre de l' ergon mais aussi du dehors,
lu mur sur leque!le tableau est accroché, de l'espace
li ns leque! Ia statue ou Ia colonne sont érigées, puis,
te proche en proche, de tout le champ d'inscription
hl torique, économique, politique dans leque! se pro-
duit Ia pulsion de signature (problême analogue, on le
vérifiera plus loin). Aucune « théorie », aucune « pra-
tique», aucune « pratique-théorique » ne peut intervenir
ffectivement dans ce champ' si elle ne pese (sur) le
dre, structure décisive de 1enjeu, 1 Ia limite invisibIe
(entre) l'intériorité du seus (mise 1 l'abri par toute Ia
t radition herméneutiste, sémiotiste, phénoménologiste
t formaliste) et (1) tous Ies empirismes de I'extrinsêque
qui, ne sachant ni voir ni lire, passent à côté de Ia
questiono
Le parergon se détache 1 Ia fois de l'ergon (de l'reuvre)
t du milieu, il se détache d'abord comme une figure sur
un fond. Mais il ne s'en détache pas comme l'reuvre.
Elle se détache aussi sur un fond. Le cadre parergonal
e détache, lui, sur deux fonds, mais par rapport 1
hacun de ces deux fonds, il se fond dans l'autre, Par
r pport 1 l'reuvre qui peut lui servir de fond, il se fond
dans le mur, puis, de proche en proche, dans le texte
énéral. Par rapport au fond qu'est le texte général, il
e fond dans l'ceuvre qui se détache sur le fond général.
Toujours une forme sur un fond mais le parergon est
une forme qui a pour détermination traditionnelle non
72 LA VÉRITÉ EN PEINTURE GON 73
de se détacher mais de disparaítre, de s'enfoncer,
'effacer, de se fondre au moment ou il déploie sa
grande énergie. Le cadre n'est en aucun cas un
d comme peuvent l'être le milieu ou l'ceuvre mais
épaisseur de marge n'est pas non plus une figure.
u moins est-ce une figure qui s'enlêve d'elle-même,
Qu'est-ce que Kant aurait dit d'un cadre encadrant
peinture représentant un édifice entouré de colonnes
exemples en sont nombreux), de colonnes à forme
umaine vêtue (les fresques de Ia voüte de Ia chapelle
tine - quel est son cadre? - sont des peintures dont
bjet représenté, peint, est un volume sculpté repré-
tant lui-même, par exemple à Ia droite de Ionas,
enfants nus formant une colonne qui soutient un
lafond, etc, Même implication autour de Ia sybille
ique ou autour de Zacharie tenant un livre à Ia
. , ou de Jérémie, ou de Ia sibylle libyque; il est
cile de dire si les enfants-colonnes sont vêtus ou
êtus : ils portem des vêtements), le cadre tout entier
t posé sur le chevalet d'un peintre Iui-même repré-
té par un autre tableau.
On pourrait penser que j'abuse en m'acharnant sur
eux ou trois exemples, peut-être fortuits, dans un
us-chapitre secondaire; et qu'il vaut mieux se rendre
des lieux moins marginaux de I'eeuvre, plus prês du
tre et du fond. Certes. L'objection suppose qu'on
uche déjà que1 est le centre ou le fond de Ia troisiême
ritique, qu'on ait déjà pris en vue son cadre et Ia limite
son champ. Or rien ne parait plus difficile à détermi-
. La Critique se donne comme une eeuvre (ergon)
plusieurs cõtés, elle devrait comme telle se laisser
eentrer et cadrer, délimiter son fond en le découpant,
d'un cadre, sur un fond général. Or ce cadre est problé-
matique. J e ne sais pas ce qui est essentie1 et accessoire
dans une ceuvre. Et surtout je ne sais pas ce qu'est cette
chose, Di essentielle Di accessoire, Di propre Di impropre,
que Kant appelle parergon, par exemple le cadre. OU le
cadre a-t-il lieu. A-t-il lieu. OU commence-t-il. Ou
ânít-il, Quelle est sa limite interne. Exteme. Et sa
urface entre les deux limites. Ie ne sais pas si le lieu
de Ia Critique ou se définit le parergon est lui-même un
14 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RGON 15
parergon. Avant de décider de ce qui est parergonal
dans un texte posant Ia question du parergon, il faut
savoir ce qu'est un parergtm - si, du moins, il y en a.
A l'obiecteur impatient, s'il insiste pour voir enfin Ia
chose même : toute l'analytique du jugement esthétique
suppose en permanence qu'on puisse rigoureusement
distinguer entre l'intrinsêque et l'extrinsêque. Le [uge-
ment esthétique doit porter proprement sur Ia beauté
intrinsêque, non sur les atours et les abords. 11 faut
done savoir - présupposé fondamental, du fondamen-
tal- eomment déterminer I'intrinsêque -l'encadré-
et savoir ee qu'on exclut comme cadre et comme hors-
cadre. Nous sommes done déjà au centre introuvable
du problême. Et lorsque Kant, à qui on demande
« qu'est-ce qu'un cadre? », répond : c'est un parergon,
un mixte de dehors et de dedans, mais un mixte qui
n'est pas un mélange ou une demi-mesure, un dehors
qui est appelé au-dedans du dedans pour le constituer
en dedans; et quand il donne comme exemple de
parergon, à côté du cadre, le vêtement et Ia eolonne, on
demande à voir, on se dit qu'il y a lã « de grandes
difficultés » et que le choix des exemples, leur association
aussi, ne va pas de soi.
D'autant plus que, selon Ia logique du supplément,
le parergon se divise en deux. A Ia limite entre l'reuvre
et l'absence d'ceuvre, il se divise en deux. Et cette
division donne lieu à une sorte de pathoIogie du parer-
gon, dont les formes doivent être nommées et classées,
tout comme La religion reconnaissait quatre types de
méfaits ou de préjudices parergonaux. Kant est en effet
en train de déterminer « l'objet propre du jugement pur
de goüt I). Or il n'en exclut pas simplement le parergon
en tant que tel et en général. Seulement dans certaines
conditions. Le critêre d'exclusion est ici une formalité,
Que faut-il entendre par formalité ?
Le parergon (cadre, vêtement, eolonne) peut augmen-
ter le plaisir du goüt (Wohlgefallen des Geschmacks),
contribuer à Ia représentation propre et intrinsêquement
esthétique s'il intervient par saforme (durch seine Form)
et seulement par sa forme. S'il a une « belle forme »,
il fait partie du jugement de goüt proprement dit ou en
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 77
tout cas y intervient essentiellement. C'est, si 1'0n peut
re, le parergon normal. Mais si en revanche i1 n'est
beau, purement beau, c'est-à-dire d'une beauté
rmelle, i1 déchoit en parure (Schmuck) et nuit à Ia
uté de I'eeuvre, i11ui fait tort et lui porte préjudice
(Abbruch). C'est l'analogue du préjudice ou du dom-
Ige [Nachteil ) de La Religion.
Or l'exemple de cette dégradation du simple parergon
parure séduisante, c'est encore un cadre, le cadre
ré cette fois (goldene Rahmen ), Ia dorure du cadre
'te pour recommander le tableau à notre attention par
n attrait (Reis ), Ce qui est mauvais, extérieur à l'obiet
ur du goüt, c'est donc ce qui séduit par un attrait;
l'exemple de ce qui dévoie par sa force attrayante,
, t une couleur, Ia dorure, en tant que non-forme,
ntenu ou rnatiêre sensible. La détérioration du parer-
on, Ia perversion, Ia parure, c'est l'attrait du contenu
nsible. En tant que dessin, agencement de lignes, for-
tion d'angles, le cadre n'a rien d'une parure et on ne
ut s'en passer. Mais dans sa pureté, i1 devrait rester
t colore, dépourvu de toute matérialité sensible empi-
rque,
Cette opposition forme/matíêre commande, on le sait,
I ute Ia Critique et l'inscrit à l'intérieur d'une puissante
Ir dition. Ce serait, seIon L'origine de I'CEuvre d'art,
I'une des trois déterminations (hypokeimenonlsumbebekos,
mscheton/noeton,eidos-morphé/hy/e) qui tombent violem-
ment sur Ia chose. Elle procure un « schéma conceptuel »
(Begriffschema) pour toute théorie de l'art. Il suffit
'associer le rationnel au formeI, l'irrationnel à Ia
atiêre, celui-ci à l'illogique, celuí-lã au logique, d'ac-
oupler l'ensemble à Ia paire suiet/cbiet pour disposer
d'une Begriffsmechanik à Iaquelle rien ne résiste. Mais
I quelle région vient cette détermination de Ia chose
n matiêre informée? L'usage massif qu'en fait l'esthé-
tique laisserait penser à une déportation depuis le
lomaine de l'art, En tous cas le créationnisme chrétien
urait apporté une « incitation particuliêre li, une moti-
v tion supplémentaire à considérer le complexe forme-
matiêre comme Ia structure de tout étant, I' ens creatum
mme unité de forma et meteria. La foi disparue, les
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 79
schêmes de Ia philosophie chrétienne restent efficaces. moment ou Kant vient de distinguer entre jugements
« C'est ainsi que l'interprétation de Ia chose selon Ia matériels et jugements formels, ces derniers seuls consti-
matiêre et Ia forme, qu' elle reste médiévale ou devienne tuant des jugements de goüt au sens propre. 11 ne
transcendantale au sens kantien, est devenue courante I git pas, cela va de soi, d'une esthétique formaliste
et allant de soi. Mais pour autant e11en'en est pas moins (nous pourrions montrer d'un autre point de vue que
que Ies autres interprétations de Ia choséité de Ia chose 'est le contraire) mais de Ia formalité comme espace de
une surimposition tombée (Ueberfall) sur l'être-chose I' thétique en général, d'un « formalisme» qui, au lieu
de Ia chose. Cette situation se révêle déjã dans Ie fait de représenter un systême déterminé, se confond avec
que nous nommions les choses proprement dites I'histoire de l'art et l'esthétique elle-même. Et l'effet de
(e?gentlichen Dingen) des choses pures et simples [bloss formalité se lie touiours à Ia possibilité d'un systême de
Dinge, des choses nues]. Ce « nu » (bloss) veut dire drage à Ia fois imposé et effacé.
toutefois le dépouillement {Entblõssung ) du caractêre La question du cadre est dé;à cadrée quand e11e
d'utilité (Dienlichkeit) et de fabrication. La chose nue pparaít à tel détour de Ia Critique.
(blosse Ding ) est une espêce de produit (Zeug) mais Pourquoi cadrée ?
un produit dévêtu (entkleidete) de son être-de-produit. L' Eclaircissement par des exemples (§ 14) appartient à
L'être-chose consiste alors en ce qui reste encore (was I'Analytique du beau, Livre Premier de l' Analytique du
noch übrigbleibt). Mais ce reste (Rest ) n' est pas propre- , ement esthétique. Or cetteana1ytiquedu beaucomporte
ment (eigens) déterminé en lui-même ... » luatre parties, quatre cõtés, quatre moments. Le juge-
ment de goüt y est examiné sous quatre faces : 1. seIon
I qualué, 2. selon Ia quantité, 3. selon Ia relation des
fins (le parergon trouve ici son logement), 4. selon Ia
modalité. La définition du beau selon Ia qualité, c'est
et si l' Ueberfall avait Ia structure du l'objet d'un Wohlgefallen désintéressé; selon Ia quan-
parergon? La surimposition violente qui tombe agres- títé : ce qui plait universellement sans concept; selon
sivement sur Ia chose, l' « insulte », dit étrangement I relation à des fins : Ia forme de fínalité sans Ia repré-
mais non sans pertinence le traducteur français de entation d'une fin (finalité sans fin); selon Ia modalité : ce
Ueberfall, I'asservit et Ia conjugue, littéralement, sous qui est reconnu sans concept comme l'obiet d'un
matiêre/forme, est-ce Ia contingence d'un cas, Ia chute Wohlgefallen nécessaire.
d'un. accident ou une nécessité qui reste à interroger ? T el est le cadre catégorial de cette analytique du
Et SI, comme Ie parergon, ce n'était Di l'un Di l'autre? au. Or d'oü vient ce cadre? qui le fournit? qui le
Et si le reste ne pouvait jamais, dans sa structure de nstruit? d'oü l'ímporte-t-on ?

même plus attendre ou questionner dans cet horizon I


reste, se laisser déterminer « proprement », s'i1 ne fallait De I'analytique des concepts dans Ia Critique de Ia
raison pure spéculative. Bref rappel : cette analytique
I concepts est I'une des deux parties de l'ana1ytique
Ir nscendantale (analytique et dialectique transcendan-
rale, division reproduite dans Ia troisiême Critique :
nalytique et dialectique du iugement esthétique).
I.'analytique transcendantale comporte une analytique
I concepts et une analytique des principes. La
le premiêre décompose le pouvoir de l'entendement pour
mot parergon intervient justement (§§ 13 et 24) au y reconnaitre Ia possibilité des concepts a priori dans
80 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 81

1eur « pays de naissanee lI, à savoir l'entendement ou logique, à une structure qui ne coneeme plus essentiel-
ils sont en germe et en réserve. Comme seule l'intuition I ment un rapport à l'objet eomme objet de eonnais-
(réeeptive) se rapporte immédiatement à l'objet, l'en- ce. Le jugement esthétique, Kant y insiste, n'est pas
tendement 1e fait par l'intermédiaire, précisément, de n jugement de connaissance.
jugements. Le jugement est Ia eonnaissanee médiate Le cadre s'ajuste mal. La difficu1té est sensible dês le
d'un objeto Et nous pouvons {(ramener tous 1es acres r mier paragraphe du livre, dês le Premier moment ,du
de l'entendement à des jugements, de telle sorte que I ement de gout considéré au point de vue de Ia qualité,
l'entendement en général peut être représenté comme " e jugement de goüt est esthétique » : en ee cas
un pouvoir de juger (Urteilskraft) », Pouvoir de penser unique, non prévu par l'analytique des eoncepts et des
eomme pouvoir de juger. On trouvera done les fonetions lu ements dans l'autre Critique, le jugement n'est pas un
de l'entendement en déterminant les fonetions de ugement de connaissance », 11ne releve done pas de
l'unité dans le jugement. Les eoneepts se rapportent, I logique transcendantale dont on a fait veflÍ:1'I~ board.
comme prédicats de jugements possibles, à Ia représen- La violence de l'encadrement se multiplie. Elle
tation d'un objeto Dês lors, à eonsidérer Ia simple forme nferme d'abord Ia théorie de l'esthétique dans une
de l'entendement, en faisant abstraetion du eontenu des théorie du beau, celle-ci dans une théorie du goüt et Ia
jugements, on peut établir Ia liste des formes de juge- rhéorie du goüt dans une thé?rie. du jugement. Ce, ~o~t
ments sous quatre titres et douze moments (quatre fois 1 des décisions qu'on pourrait dire extemes : Ia délimi-
trois : le quatre-fois-trois construit aussi le tableau t tion y a des conséquenees massives mais une eertaine
(Tafel) des facu1tés supérieures à Ia fin de I'Introduc- hérenee intérieure peut à ce prix être sauvée. 11 n'en
tion de Ia troisiême Critique. Kant répond, en note, à v plus de même pour un autre geste d'encadrement
ceux qui objeetent à ses divisions « tripartites » (drei- ui, en introduisant le bord, fait violence à l'intérieur du
teilig) et à son goüt pour Ia « triehotomie »; et le y teme et distord ses articu1ations propres. C'est done
trois+ un informe le rapport des facu1tés requises par lui qui doit nous intéresser en premier lieu si nous
les beaux-arts - imagination, entendement, âme - au eherehons une prise rigoureusement etfeetive.
goüt : « les trois premiêres facu1tés ne s'unissent que Au eours de Ia derniêre délimitation (théorie du goüt
grâce à Ia 4e », précise Ia note du paragraphe 50): quan- mme théorie du jugement), Kant applique done une
tité des jugements (universels, particuliers, singuliers), nalytique des jugements logiques à ~e analrt;iq~e ~es
qualité (affirmatifs, négatifs, indéfinis), relation (catégo- lugements esthétiques au moment meme ou il .msl~te
riques, hypothétiques, disjonctifs), modalité (problé- ur l'irréductibilité des uns aux autres. 11 ne justifie
matiques, assertoriques, apodictiques). Table de douze. [amais eet encadrement, ni Ia contention qu'il impose
Or il y a autant de coneepts purs de l'entendement, de rtificiellement à un diseours sans cesse menaeé de
coneepts originaires et indérivables que de fonetions débordement. Dans Ia premiêre Note de Ia premiêre
logiques dans les jugements. D'oü Ia déduetion de Ia page, Kant dit que les fonetions logiques du jugement lui
table des catégories (eontre le prétendu empirisme gram- ont servi de guide (Anleitung). Cette note touehe à une
matica1 d'Aristote) à partir de Ia table des jugements. difficu1té si décisive qu'on ne voit pas pourquoi elle ne
Cette table, ce tableau ( T'afel) , ce board, ce bord, nstituerait pas le texte principal dont elle forme Ia
Kant I'importe done dans l'ana1ytique du jugement basse fondamentale, à savoir l'espaee non écrit ou sous-
esthétique. Opération légitime puisqu'il s'agit de juge- écrit, Ia portée supposée des harmoniques. La voici :
ments. Mais transport qui ne va pas sans problême et u La définition du goüt qui sert ici de fondement est Ia
sans violence artificieuse : on transpose et fait entrer de uivante : le goüt est Ia facu1té de juger du beau. M~s
force un cadre logique pour l'imposer à une structure non qui est requis alors pour appeler un obiet beau doit
82 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

être découvert (entdecken ) par l'analyse des jugements Comme une ancienne liaison difficile à rompre ou un
de goüt, 1'ai [intervention de Ia premiêre personne en dre d'occasion qu'on a du mal à vendre er qu'on veut
note] recherché les moments (Momente) que releve ce lacer à tout prix.
jugement dans sa réflexion en prenant pour guide les Le cadre de cette analytique du beau, avec ses quatre
fonctions logiques (car dans les jugements de goüt il y a moments, est donc fourni par l'analytique transcendan-
toujours encore (immer noch) un rapport à l'entende- e pour Ia seule et mauvaise raison que l'imagination,
ment). C'est celui de Ia qualité que j'ai examiné d'abord, source essentielle du rapport à Ia beauté, se lie peut-
parce que c'est celui que le jugement esthétique sur le Itre à I'entendement, qu'il y a peut-être et encore
beau prend d'abord en considération. )) (oielleicht, noch) de l'entendement lã-dedans. Le rap-
L'appel de cette Note est dans le titre « Premier rt à l'entendement, qui n'est ni sür ni essentiel,
moment du jugement de go111considéré au point de oue de ournit donc le cadre de tout ce discours; et en lui, du
Ia qualitê I). La Note précêde donc, d'une certaine façon, iscours sur le cadre. Sans forcer les choses, et en tout
le texte de l'exposition, elle en est relativement détachée. s pour décrire un certain forçage kantien, on dira que
11en va de même pour Ia parenthêse qu'elle comporte: out le cadre de l'analytique du beau fonctionne, par
« (car dans les jugements de goüt il y a toujours encore pport à ce dont il s'agit de déterminer le contenu ou
(immer noch) un rapport à l'entendement) I). Cette I structure interne, comme un parergon ; il en a tous les
parenthêse (insérée dans une Note qui n'est ni dans ni actêres : ni simplement intérieur ni simplement exté-
hors l'exposition, ni dans ni hors son contenu) tente de rieur, ne tombant pas à cõté de l'eeuvre comme on aurait
[ustifier, et elle est seule à le faire, le cadre de I'expo- pu le dire d'un exergue, indispensable à l' energeia pour
sitíon, à savoir l'analytique du jugement dont le bord a libérer Ia plus-value en enfermant le travail (tout mar-
été importé en toute hâte à l'ouverture de l'exposition. hé et d'abord le marché de Ia peinture suppose donc
Avant Ia Note et sa parenthêse (avant, si 1'0n regarde un procês d'encadrement; et un travail déconstructeur
l'espace de Ia page de bas en haut, mais aprês si 1'0n etfectif ne peut ici se dispenser d'une théorie du cadre),
s'en tient à l'ordre de l'exposition qui place Ia Note en il est appelé et rassemblé comme un supplément depuis
haut de Ia page, au lieu de son appel), une autre paren- le manque - une certaine indétermination « interne ))-
thêse, plus breve, fait une poche dans le texte dit « prin- dans cela même qu'il vient encadrer. Ce manque, qui
cipal II et s'y invagine en quelque sorte: « Pour distinguer ne peut pas être déterminé, localisé, situé, arrêté dedans
si une chose est belle ou non, nous n'en rapportons pas u dehors avant I' encadrement est à Ia fois, pour se
Ia représentation à l'objet par le moyen de l'entende- ervir encore de concepts appartenant précisément à Ia
ment en vue d'une connaissance, mais au sujet et à son logique classique du cadre, ici au discours kantien, pro-
s,c::n~ent . de pl~sir ou de déplaisir par le moyen de du;t et production du cadre. Si on lui applique Ia regle
1imagmanon (unte peut-être à l'entendement, vielleicht définie dans l' Eclaircissement par des exemples, et s'il
mit dem Verstande verbunden). )) devient à son tour un exemple de ce qu'il permet de
Les deux parenthêses, parerga dans et hors l'exposi- considérer comme exemple (cadre décrit dans le cadre),
tion, ont le même objet, Ia même finalité : justification n peut faire comme si le contenu de l'analytique du
(visiblement três embarrassée) du cadre importé, de jugement était une oeuvre d'art, un tableau dont le
I'analytique imposée, recours mal assuré, pour faire cadre, importé de l'autre Critique, jouerait en raison de
passer Ia table et ajuster le bord, à une hypothétique a beauté formelle le rôle de parergon. Et si c'était sim-
« liaison » à l'entendement, auquelle jugement de goüt, plcment un exergue attrayant, séduisant, amusant, ne
bien qu'il n'ait rien de logique, se rapporterait « tou- pérant pas au propre de l'eeuvre, pure déperdition
jours encore I). e valeur et gaspillage de Ia plus-value, il n'y aurait là
LA VÉRITÉ EN PEINTURE RGON

'une parure. Mais il se trouve que c'est elle, cette


lytique du jugement qui, dans son cadre, permet de
tinir Ia requête de formalité, l'opposition du formei
du matériel, du pur et de l'impur, du propre et de
propre, du dedans et du dehors. C'est elle qui
, rmine le cadre eomme parergon, ee qui à Ia fois le
titue et l'abíme, le fait à Ia fois tenir (comme ee qui
tenir ensemble, ce qui constitue, monte, enchâsse,
it, borde, rassemble, garnit, autant d'opérations
mblées par I'Einfassung) et s'effondrer, Un cadre
entiellement construit et donc fragile, telle serait
ence ou Ia vérité du cadre. S'Il y en avait. Mais cette
rité » ne peut plus être une « vérité )),e11ene définit
plus Ia transcendantalité que l'accidentalité du
Ire, seulement sa parergonalité.
philosophie veut l'arraisonner et elle n'y parvient
. Mais ce qui a produit et manipulé le cadre met tout
uvre pour effacer I'effet de cadre, le plus souvent
1 naturalisant à l'infini, entre les mains de Dieu (on
urra le vérifier chez Kant). La déconsttuetion ne doit
r cadrer ni rêver l'absence pure et simple de cadre.
deux gestes apparemment contradictoires sont ceux-
mêmes, et systématiquement indissociables, de ce qui
déconstruit ici.
i les opérations engagées, si les critêres proposés par
I' a1ytique du beau dépendent de cette parergonalité;
t utes les oppositions de valeur qui dominent Ia phi-
ophie de l'art (avant et depuis Kant) en dépendent
o leur pertinence, leur rigueur, leur pureté, leur pro-
l ré, e11esse trouvent done affectées de cette logique
parergon qui est plus puissante que celle de l'ana-
ique. On pourrait suivre les conséquences de cette
f ctante affection dans le détail. Elles ne peuvent être
1I es. L'opératíon réfiéchissante que nous venons de
er se faire écrit sur le cadre (ceei est - écrit sur le
dre) : loi générale qui n'est plus une loi mécanique ou
1 ologique de Ia nature, de l'accord ou de l'harmoníe
facultés (etc.), mais une certaine dislocation répétée,
détérioration réglée, irrépressible, qui fait craquer
dre en général, I'abíme en coin dans ses angIes et
articulations, retourne sa limite interne en limite
86 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ON

externe, tient compte de son épaisseur, nous fait voir oins), le parergon formeI et le parergon de parade
le tableau du côté de Ia toile ou du bois, etc. parure, l'opposition entre le bon et le mauvais
Pour ne remarquer que Ia premiêre conséquence du on (qui en lui-même n'est ni bon ni mauvais)
forçage initial, voyez Ia fin de Ia premiêre Note (autre d donc du cadrage de cette qualité, de cet effet
parergon qui encadre à Ia fois le texte et, en lui comme e qu'on appelle qualité, valeur de Ia valeur, et
en elle, Ia parenthêse). De même que Kant ne peut pas 1 quelle, violemment, tout parait commencer. Posi-
justifier en toute rigueur l'importation de l'analytique du : opposition : cadre.
jugement, il ne peut pas justifíer l'ordre qu'il suít dans même, dans l' Eclaircissement, le discours sur le
I'application du cadre, des quatre catégories de I'analy- t sur Ia couleur se tient dans l'angle des deux
tique des concepts. Pas plus que Ie transport du tableau ories mathématiques (qualité et quantité) alors
(Tafel ), c'est-ã-dire du cadre, I'ordre de I'exposition ne que toute l'analytique du beau défait, sans cesse
parvient ici à rationaliser philosophiquement son intérêt. mme sans le vouloir, le travail du cadre.
Sa motivation se dissimule derriêre I'arbitraire du décret cadre travaille en effet. Lieu de travail, origine
philosophique. L'exposition commence en effet par le cturellement bordée du plus de valeur, c'est-à-dire
groupe des deux catégories mathématiques (quantité et rdée sur ces deux bords par ce qu'elle déborde, il
qualité). Pourquoi ne pas commencer par les deux v ille en effet. Comme le bois. 11 craque, se détraque,
catégories dynamiques (relation et modalité ) ? Et pour- i loque alors même qu'il coopere à Ia production
quoi renverser aussi I'ordre des catégories mathéma- produit, le déborde et s'en déduit. 11 ne se laisse
tiques elles-mêmes, tel qu'il était suivi dans l'exposition . simplement exposer.
d'origine (Ia quantité avant Ia qualité)? Ce dernier )analytique du beau travaille, défait done sans. cesse
renversement s'explique certes par le fait que Ia connais- vai! du cadre dans Ia mesure ou, tout en se laissant
sance n'est ni Ia fin ni l'effet du jugement de goüt : Ia driller par l'analytique des concepts et par Ia doe-
quantité (ici l'universalité) n'est pas Ia premiêre valeur du jugement, elle décrit l'absenee du eoneept dans
d'un jugement de goüt, Fin de Ia note: « c'est celui de tivité du goüt. « Le beau est ce qui est représenté
Ia qualité que j'ai examiné d'abord, parce que c'est coneept comme objet d'un Wohlgefallen univer-
celui que le jugement esthétique sur le beau prend 1. » Cette définition (deuxiême moment, catégorie de
d'abord en considération ». Pourquoi d'abord (zuerst)? quantité) dérive de. Ia définitio~. qual!~tive (le
La priorité n'est pas prescrite par Ia table, par I'ordre du intéressement). L'obiet d'un plaisir désíntéressé
iugement, par Ia logique propre au cadre. Rien dans dépend pas d'une inclination empirique, il
I'analytique (logique) en tant que telle ne peut rendre dresse done à Ia liberté et touche chacun au lieu ou
compte de cette priorité. Or si un renversement de u.u -
\II••••• quiconque - peut être t~)Uehé.11 ~t d0!le
l'ordre logique se produit ici pour des raisons qui ne iversel. Or en expliquant pourq,UOlcette universalíté
sont pas logiques, pourquoi ne se poursuivrait-il pas ? lt être sans eoneept, Kant exhibe en quelque sorte
Quelle est ici Ia rêgle ou Ia limite critique ? forçage - imposer une analytique des coneepts à un
La qualité (le caractêre désintéressé) est cela même sans coneept - mais il justifie son opération par
qui détermine Ia formalité de l'objet beau : celui-ci doit argument qu'on pourra eonsidérer comme J.a.consti-
être pur de tout attrait, de tout pouvoir séducteur, il ne , tion, ee qui fait tenir-ensemble-debout tout l'édifice de
doit provoquer aucune émotion, promettre aucune troisieme Critique au milieu de ses deux grandes ailes
jouissance. L'opposition entre le formeI et le matérieI, critique du jugement esthétique et Ia critique du
le dessin et Ia couleur (en tant que non formelle du ement téléologique). C'est I'analogie. Elle opêre par-
moíns), la composition et le son (en tant que non formei ut dans le livre, on peut en vérifier réguliêrement
88 LA VÉRITÉ EN PEINTURE IthON

l'effet. Au lieu ou nous sommes de l'exposition - son 1111 indispensables: on n'exclut le son et Ia couleur
carrefour -, el1e rassemble sans-concept et concept, 111111 des attraits que dans Ia mesure de leur non-
l'universalité sans concept et l'universalité aoec concept, I I lité, de leur matérialité. En tant que pures formes,
le sans et l'avec; elle légitime ainsi Ia violence, l'occupa- I I couleur peuvent donner lieu à une appréciation
tion d'un champ non conceptuel par le quadrillage d'une v r elle, conforme à Ia quantité d'un jugement de
force conceptuel1e. Sans et avec en même temps (ama). I I' elles peuvent procurer un plaisir désintéressé,
C'est qu'en raison de son universalité qualitative, le I íorme à Ia qualité d'un jugement de goüt. Les sensa-
jugement de goüt ressemble au jugement logique qu'il n'est I de couleur et de son peuvent « à bon droit ))être
pourtant jamais, en toute rigueur. Le non-conceptuel U I pour bel1es dans Ia mesure ou el1essont « pures » :
ressemble au conceptuel. Ressemblance três étrange, I détermination de pureté concerne seulement Ia
proximité ou affinité (Aehnlichkeit) singuliêre qui, me qui seule peut être « universellement communi-
quelque part (a préciser plus loin 1) fait ressortir à Ia 1 avec certitude », On accêderait de deux maniêres
mimesis une interprétation du beau qui rejette ferme- 1 pureté formel1e : par une réflexion non sensible, non
ment l'imitation. 11 n'y a là aucune contradiction qui I uelle, par le jeu régulier des impressions,. « si ~'on
ne soit réappropriée par l'économie de Ia physis comme I'l')() e avec Euler » que les couleurs sont des vibrations
mimesis. I P ther (pulsus) à intervalles réguliers et si (analogie
Celui qui prend au beau un plaisir désintéressé (sans melle entre sons et couleurs) les sons consistent en un
jouissance et sans concept) « parlera du beau comme si ihme régulier des vibrations de l'éther ébranlé. Kant
(als ob) Ia beauté était une propriété (Beschaffenheu ) ti beaucoup de mal à conclure sur ce point. 11reste
de l'objet et comme si son jugement était logique I dans cette hypothêse, on n'aurait pas affaire à des
(constituant par des concepts de l'objet une connais- uuenus matériels de sensations reçues mais à des
sance de l'obiet) quoiqu'il soit seulement esthétique et I rminations formelles. C'est pourquoi Ia coule~
ne contienne simplement qu'un rapport de Ia représen- 111 pie est une couleur pure et peut donc appartenir
tation de l'objet au sujet; il a en effet, cependant, cette li dans du beau, donnant lieu à des appréciations
ressemblance [Aehnlichkeit : affinité, proximité, parenté] mversellement communicables. Les couleurs mélan-
avec le jugement logique : on peut présupposer que sa ne le pourraient pas. Le motif empiriste (la couleur
valeur vaut pour chacun. Mais ce n'est pas de concepts I ple ne provoque pas de perception transmissible)
que peut surgir cette universalité. Car des concepts il r tt renversé mais i1 ne s'agit pas ici de perception
n'y a aucun passage au sentiment de plaisir ou de I I rminante, seulement de plaisir ou de déplaisir.
déplaisir (sauf dans les pures lois pratiques, mais el1es tte ambivalence de Ia couleur (valorisée comme
contiennent un intérêt; il ne s'en joint aucun au pur pur té formelle ou comme relation, dévalorisée comme
I
jugement de gout»)). li re sensible, beauté d'un cõté, attrait de l'autre,
I Le discours sur Ia couleur et sur le son appartient à nce pure dans les deux cas) se porte au carré quand
l' Eclaircissement par des exemples, au cours de l'exposi- I 'agit de Ia couleur du cadre (goldene Rahmen, par
tion de Ia troísiême catégorie : Ia catégorie dynamique mple), quand l'équivoque parergonale de Ia couleur
de Ia finalité. Le jugement de goüt se rapporte à une
finalité purement formel1e, sans concept et sans fin,
sans représentation conceptuelle et déterminante d'une
nt épaissir l'équivoque parergonale d';1cadre. Quel
rait l'équivalent de ce carré pour Ia musique I
fin. Les deux catégories mathématiques sont néan-

I. eC. Bconomimesis, op, cit.


90 LA VÉRITÉ EN PEINTURE 91

[u'on s'occupe un peu de l'exemple, de cet exemple


mple qui et que forme le cadre. Si ça marche
m ur des roulettes, c'est peut-être que ça ne va
i bien, en raison d'une infirmité interne de Ia
qui demande à être suppléée par une prothêse ou
ure le progres dans l'exposition qu'à l'aide d'~
1__ on dira que tous les cadres ne sont pas, n'ont
pas été, ne seront pas des carrés, des figures rectangu-
1\ uil roulant ou d'une poussette d'enfant. On fait
vancer ce qui ne tient pas debout, ne s'érige pas
laires ou quadrangulaires, ni même tout simplement I ul en son procês. L'encadrement soutient et
angulaires. Les tables et les tableaux (Tafel ) non plus. I 11 nt toujours ce qui, de soi-même, s'effondre
C'est vrai : une histoire critique et systématique et ontinent, s'exc
typologique de l'encadrement parait possible et néces-
saíre 1. Mais l'angle en général, le quadrangulaire en
particulier n'en formeront pas un obiet parmi d'autres.
Tout ce qui s'écrit ici vaut pour Ia logique de Ia bordure
parergonale en général, mais le privilêge de « cadre )),
pour sembler plus chanceux en latin qu'en germain, n'y
est pas fortuit cela se démontre
r xemple, sur le probleme de l'~emple ~t. du juge-
nt réfiéchissant. Or que nous dit Ia Critique de Ia
.11 on pure? Que les exemples sont les roulettes du
I ment. Les traducteurs français disent parfois les

'-- question kan- quilles )) du jugement : ce sont bien des roulettes


tienne : rapport du concept au non-concept (haut/bas, (rt'ingelwagen), non pas les planches-à-roulettes ( skate-
gauche/droite), au corps, à Ia signature qui s'est placée ,••rd) mais les petites voitures à roues sur les-
« sur » le cadre : en fait, parfois; structurellement, 111 Iles on pousse les enfants, les vieillards ou les
touiours, La prothêse ntirrnes, ceux qui n'ont pas assez de jugement, de bon
n , cette faculté de jugement naturelle, Ia chose Ia
111 ux partagée (ce n'est pas le sensus communis de Ia
nl iême Critique) qui s'appelle, c'est ici le mot de
nt, Mutterwitz. Ceux qui n'en ont pas assez, de ce
ce qui ne marche pas l ,tz maternel, les infirmes, les imbéciles, illeur faut des
comme sur des roulettes dans Ia troisiême Critique dês oulettes, des exemples. « Les exemples sont ainsi les
urlettes de Ia faculté de juger (Gangelwagen der
I. Au moment de Ia premiêre publication de Parergon, je n'avais pai
encere lu Meyer Shapiro, Sur quelques problhnes de sémiorique de l' ar!
, 'rlheilskralt) et celui-lã ne saurait s'en passer à qui
visud: champ et véhicules dans les signes iconiques, tr. Jean-Claude Leben- I \ nque (mangelt) ce talent na~el. )) L~ roulettes,
sztein, Critique 315-6. On y trouvera plus d'une indication concemant 11 nmoins, ne remplacent pas le [ugement : nen ne peut
1'- histoire • de I'encadrement, son - invention tardive " Ie caractére peu
- naturel » du - cadre rectangulaire " aussi bien que _Ie cadre qui s'infiéchit
mpIacer le Mutterwitz. Dont le manque n'est suppléé
et pénetre à I'intérieur du champ de l'image pour comprimer ou enchevê- r aucune école (dessen Mangel keine Schule ersetsen
trer les figures (le trurneau de Souillac,l'Imago Hominis dans l'évangéliaire ann ), Les roulettes exemplaires sont donc des pro-
d'Echtemach ... ) '. Je renvoie aussi, cela va de soi, à toutes les publications
de Lebensztejn. Ih es qui ne remplacent rien. Mais comme tous les
92 LA VÉRITÉ EN PEINTURJI RGON 93
exemples (Beispielen}, Hegel l'aura fait remarquer, parergon : non pas contre l' énergie libre et pleine et
elles jouent, ont du jeu, donnent du jeu. A l'essence.j et déchainée (aete pur et présence totale de
côté de l'essence (beiher ), précise encore Hegel. Ell r eia, premier moteur aristotelicien) mais contre ce
peuvent alors renverser, déséquilibrer, incliner le mou- I manque en elle; non pas contre le manque comme
vement naturel en mouvement parergonal, détourner Iif posable ou opposable, vide substantiel, absence
l'énergie de l' ergon, introduire le hasard et l'abime dan I rminable et bordée (encore l'essence et Ia présence
Ia nécessité du Mutterwitz : non pas un ordre contrair 111 bles ) mais contre l'impossibilité d' arrêter Ia diffé-
mais un écart aléatoire qui peut faire perdre d'un coup /I en son contour, d'arraisonner l'hétérogêne (Ia
Ia tête, une roulette russe si l'on met en jeu le plaisír IUI r nce) dans Ia pose, de localíser, füt-ce de maniêre
sans jouissance, Ia pulsion de mort et le deuil du travail , I mpirique, ce que Ia métaphysique appelle, on vient
dans l'expérience du beau 1 I voir, manque, de le faire revenir, égal ou semblable
lIi (adaequatio-homoiosis ), en son lieu propre, selon
, traiet propre, de préférence circulaire (castration
rnme vérité). Apparemment opposées - ou parce
i'opposées - ces deux déterminations bordantes de ce
du parergon - faire son mtre quoi travaille le parergon (l'opération de l'énergie
deuil. Comme le tout-autre de l'hétéro-affection, dano I1 r et de Ia productivité pure ou l'opération du
le plaisir sans jouissance et sans concept, il provoque I nque essentiel) sont le même (métaphysique).
et délimite le travail du deuil, le travail en général
comme travail du deuil

le hors-cadre (mise en léthargie et valeur


li olue du cadre) : naturalisation du cadre. Il n'y a pas
le travail à parer I dre naturel. Il y a du cadre, mais le cadre n' existe
,.
L parergon - apotrope (parure, parade) des pro-
us primaires, de l'énergie libre, c'est-à-dire de la
11 tion théorique )) (Ein psychischer Apparat, der nur
Ia réserve, l' épargne, ., " Primiirvorgang besãsse, existiert zwar unseres Wissens
Ia parcimonie, le pare - le se-protéger de l'ceuvre 'li ht und ist insoferne eine theoretische Fiktion). Seule
( ergon ), énergie captée, bordée (Ia « liaison I) ( Verbin- 1111 certaine pratique de Ia fiction théorique peut donc
dung) de l'énergie, condition de Ia « maitrise (Herrs-
I) Ir vailler (contre) le cadre, le (faire ou laisser) jouer
chaft ) du principe du plaisir le résultat « n'est pa ( ontre) lui-même. Ne pas oublier néanmoins que le
simple II -à suivre) "menu, l'objet de cette fiction théorique (l'énergie libre
\11 processus originaire, sa productivité pure) est Ia
11 taphysique, l'onto-théologie elle-même. L<!pratique
\ Ia fiction risque toujours d'y croire ou d'y faire
I- le se-protéger-ze-
mire. La pratique de Ia fiction doit donc veiller à ne
I se laisser refiler une fois de plus Ia vérité métaphy-
l'eeuvre, de l'energeia qui ne devient ergon que (depuis rque sous l'étiquette de Ia fiction. Il y a fiction et
94 LA VÉRITÉ EN PEINTURI!

fiction. Nécessité ici de l'angle - diagonalité - ou ça


joue et travaille, et de faire apparaitre le reste d'angl
dans les cadres ronds (il y en a). Hegel : l'esprit lié à
l'apparition de Ia forme ronde
111. LE SANS DE LA COUPURE PURE

t LA FAÇON DE FANER DES TULIPES

_ tout fieurira au bord d'une ..• Et je sais bien qu'il ne s'agit point
tombe désaffectée : Ia fíeur à Ia beauté libre ou vague ia d'une t2te, mais seulement de Ia têt»
du naud (ou comme d'une rêtrooersion
(pulchritudo vaga) et non adhérente (pulchritudo de l'utérus ), de Ia gourde séminale, et
adhearens ), Ce sera, par exemple arbitraire, une tulipe donc d' aucune autre intelligence que celle
sans couleur et sans parfum (plus sürement que Ia cou- d'un gland (ou rétrooersion de l'utérus ),
leur, le parfum est perdu pour l'art et pour le beau Mais cela ne jeue-t-il pas quelque
(§ 53), essayez de cadrer un parfum) que Kant n'a sans jour, justement, sur l'intelligence des
doute pas cueillie en Hollande mais dans le livre d'un autres têtes? des soi-disan: oéritables
certain Saussure qu'il lisait beaucoup à l'époque. têtes?
« Mais une fíeur, sum Beispie/ eine Tu/pe, est tenue pour
'i;"'s donc de Ia fieur fanant ou fanée.
belle parce qu'en Ia percevant on rencontre une finalité Et peut-être suffirait-il â'aooir
qui, jugée comme nous faisons, ne se rapporte à aucun attiré I'attention, fixé un moment les
fin » - regards, porté le goat, fixé Ia mode sur
ces moments-là pour aooir un peu modi-
fié Ia morale, peut-être; peut-être Ia
politique? L'opinion, du moins, de
quelques personnes.
voire
... Nous aussi en avons fini de Ia
« beauté )); de Ia forme parfaite : celle
d'une coupe, pour les tulipes à leur
éclosion (classique ),
... D'oa Ia déformation et I'impropriété
manifeste de nos mots, de nos phrases;
D'ou Ia forme incongrue, baroque :
ouverte enfin, - de nos textes. ))
PONGE, L'opinion changée quant
aux fleurs.
t A VilttT* BN PBINTURB
LA VÉRITÉ EN PEINTUlUl OON 97
se cueille à Ia fin d'une note /,(I$~ des jugementsw esthétiques réfiéchissants, était
en bas de page. On s'en souvient : « Mais une fieur, par 1\ ur d'un Voyage dans les Alpes. On y lit ceei, que
exemple une tulipe, est tenue pour belle parce qu'en 10 nt n'aura pas cité: « Je trouvai, dans les bois au-dessus
percevant on rencontre une finalité qui, jugée comme l'hermitage, Ia tulipe sauvage, que je n'avais jamais
nous faisons, ne se rapporte à auçune fin. » uparavant. » (T. I, p. 431.)
Dans l' Analytique du beau, Ia note est appelée par lu traite d'un livre ou d'une anthologie, il importe
définition du beau conclue du troisiême moment : I oup que Ia tulipe de Kant soit néanmoins naturelle,
jugement de goüt examiné quant à Ia relation de olument sauvage. Une paradigmatique de Ia fieur
finalité. Selon le cadre catégoriel importé de Ia Critiqus nte Ia troisiême Critique. Kant y eherehe toujours
de Ia raison pure, l' Analytique était construite et bordée , dice d'une beauté naturelle, toute sauvage, dans
par les quatre catégories : qualité et quantité (catégoríes uelle se déeouvre le sans-fin ou le sans-concept de Ia
mathématiques), re1ation et modalíté (catégories dyna- I té. Au moment ou, beaucoup plus loin (§ 42, sur
miques). Le problême du parergon, Ia question générale '""blt intellectuel du beau), il veut soutenir que
et abyssale du cadre avait surgi au cours de l'exposition I térêt immédiat pris aux beautés de Ia nature, avant
de Ia catégorie de re1ation (à Ia finalité). L'exemple de ut jugement de goüt, est l'indiee d'une âme bonne,
Ia tulipe est placé tout à fait au bout de cette exposition : I court à l'exemple de « Ia belle forme d'une fieur sau-
dernier mot de Ia derniêre note elle-même appelée par », 11 faut, bien sür, que eet intérêt aille à Ia beauté
le dernier mot du texte principal. A Ia fin de chaque formes et non aux attraits qui utilisent ces formes
exposition, pour les quatre catégories, Kant propose I fins de séduction empirique. Celui qui admire
une définition du beau : selon Ia qualité (objet d'un I belle fieur sauvage, jusqu'à regretter son absence
Wohlgefallen désintéressé), selon Ia quantité (ce qui plaít ntuelle dans Ia nature, celui-là « s'intéresse immé-
universellement sans concept), selon Ia relation (ta I tement et intellectuellement à Ia beauté de Ia nature »
forme de Ia finalité perçue sans Ia représentation d'une n l'intervention d'aucune séduction sensuelle. Or il
fin), Au moment ou il a extrait cette troisiême définition I tout à fait « remarquable » que si on substitue une
du beau «( La beauté est Ia forme de Ia finalité - Form f1 ur artificielle (künstliche) (et, précíse Kant, on peut
der Zweckmiissigkeit - d'un objet en tant qu'elle est n faire de tout à fait semblables aux naturelles), et si
perçue en lui sans Ia représentatíon d'une fin - ohne I upercherie est découverte, l'intérêt disparaít aussitõt.
Vorstellung eines Zwecks - »), Kant ajoute unenotepour me s'il est remplacé par un intérêt pervers : utiliser
répondre à une objection. rte beauté d'artifice pour omer, par exemple, son
Une fois de plus, on sait pourquoi, je rétrocêde par ppartement,
voie réfléchissante, de l'exemple, si possible, vers le L'exemple de Ia finalité sans fin doit done être sau-
coneept. v ge. « Finalité sans fin », Ia locution est aussi fanée que
II s'agirait d'une fieur. Pas n'importe laquelle, ni Ia plaisir désintéressé », elle n'en reste pas moins énigma-
rose, ni I'héliotrope, ni le genêt : Ia tulipe. Elle se trouve uque. Elle semble vouloir dire ceei : tout dans Ia tulipe,
donc dans un texte, Mais il y a tout lieu de présumer I ns sa forme, semble organisé en vue d'une fin. Tout
qu'elle ne vient pas directement de Ia nature. Plutôt emble finalisé, comme pour répondre à un dessein
d'un autre texte. L'exemple parait arbitraire jusqu'au ( elon le mode analogique du comme si qui régit tout ee
moment ou 1'0n s'aperçoit qu'un certain Saussure est li cours sur Ia nature et sur l'art), et pourtant à cette
souvent cité par Kant dans Ia troisiême Critique. Or ee vi ée d'un but, le bout manque. L'expérienee de ee
M. de Saussure, « homme aussi spirituel que profond », manque absolu de bout viendrait à provoquer le senti-
dit Kant dans Ia grande Remarque générale concernant rnent du beau, son « plaisir désintéressé », Je laisse
LA VÉRITÉ EN PEINTURl iON 99
111 r ment de côté tous les problêmes d'étymologie
,lI" dérivation ou d'affinité - que peut soulever cette
rnblance de but et de bout, Retenons qu'ils ont en
imun le sens de Ia fin, du terme-en-vue-duquel,
Ir rnité d'une ligne ou d'un mouvement orienté, fin
n ou sens de Ia fin. Le sentiment de Ia beauté,
Ir ction sans attrait, Ia fascination sans désir tien-
I nt à cette « expérience » : d'un mouvement orienté,
I 11 é, harmonieusement organisé en oue d'une fin qui
urt nt n'est jamais oue, d'un bout qui manque ou
ao but en blanc. Je détourne cette expression du code
I' rtillerie : tirer un but en blanc, c'est tirer sur un
I 11 placé à une distance te11eque Ia balle (ou l'obus)
rent couper Ia ligne de mire prolongée. But y désigne
I I ine depuis laquelle on tire de but en blanc : le

non comme origine de Ia pulsion. 11 faut Ia finalité,


mvement orienté, sans quoi il n'y aurait pas de
uté, mais il faut que l'orient (Ia fin qui origine)
I nque. Sans finalité, pas de beauté, Mais non davan-
i une fin devait déterminer cette beauté.
. tulipe sauvage serait exemplaire de cette finalité
/I fin, de cette organisation inutile, sans but, gratuite,
hur d'usage. Mais il faut y insister, l'être coupé du but
, devient beau que si tout en lui est tendu vers le bout.
ule cette interruption absolue, cette coupure pure à se
I Ir d'un seul coup, d'un seul bout (bout veut dire
IUp : de buter) produit le sentiment de Ia beauté. Si
ue coupure n'était pas pure, si elle se laissait au
ioins virtuellement prolonger, compléter, suppléer, il
II urait pas de beauté.
e qui [ustifie peut-être à jouer de but en blanc, à
er de bout en bout et de but en bout, c'est une
ciation de prime abord étrange. Dans Ia Note, Ia
tulipe parait posée, déposée sur une tombe. En réponse,
11 nc, à une objection.
L'objection : il y a des formes finales sans fin qui pour-
I nt ne sont pas belles; toute finalité sans fin ne produit
íonc pas le sentiment de Ia beauté. Kant prête à
l'objecteur anonyme un exemple curieux : au cours de
íouilles, on retire souvent, du fond de vieilles tombes,
I ustensiles de pierre qui comportent un trou, une
100 LA VÉRITÉ EN PEINTURB M<.ON 101

ouverture, une cavíté (Loche ) « comme pour un tulipe n'est belle que sur le bord de cette coupure
manche (Hefte ) », Leur forme n'indique-t-elle pas dai- 11 dhérence. Mais pour que Ia coupure apparaisse
rement une finalité, et une finalité dont Ia fin reste I elle ne peut le faire encore que selon sa bordure -
indéterminée ? Or, poursuit l'objection, cette finalité , ut que Ia finalité interrompue se laisse voír, et
sans fin ne provoque aucun sentiment de beauté. Ces 11Im finalité et comme interrupture : comme bor-
outils pourvus d'un trou sans manche, ces outíls, ces I a finalité seule n'est pas belle, I'absence de but
ustensiles, ces utiles finalisés sans but ni bout visible 11\ plus qu'on distinguera ici de l'absence du but,
sans fin déterminable dans un concept, on ne I~ I 1 finalité-sans-fin qui est dite beIle (dite étant ici,
déclare pas beaux. I I l'avons vu, l'essentiel). C'est donc le sans qui
Certes, répond Kant, mais il suffit de les considérer ipte pour Ia beauté, ni Ia finalité ni Ia fin, ni le but
comme des artefacta (Kunsttoerke ) pour les rapporter manque ni le manque de but mais Ia bordure en
à un but déterminable. 11 n'y a donc pas de « Wohlge- de Ia coupure pure, le sans de Ia finalité-sans-fin.
fallen )) immédiat à leur intuition. Cette réponse est tulipe est exemplaire du sans de Ia coupure
~sez obscure. J?'un cõté, elle oppose l'expérience immé- 11
d%at~de Ia finalité ~ans Ia .tulipe à celle, médiatisée par
un J~gem~~t, de I ustensile; Dans les deux cas il y
aurait expenence de Ia beauté parce que Ia finalité serait
s~s fin et dans !'~et dans Ia nature. D'un autre cõté,
SI Kunstsoerk désigne I'ceuvre d'artifice en général et sur ce
non,l'objet des beaux-arts, I'expérience de Ia beauté en tj qui n'est pas un manque, Ia science n'a rien à
serart absente dans Ia mesure ou l'intention (Absicht) r
~upposée implique une fin et ~ usage déterminables :
il n y aUral~pas seulement finalité mais fin, Ia coupure
pure y serait pansable. L'engin finalisé n'est pas absolu-
ment coupé de son bout, on peut médiatement le pro-
longer vers un but, le suppléer virtuellement, repIacer le sans
le manche dans son trou, remmancher Ia chose, rendre I coupure pure s'annonçait dans I'ustensile désaf-
à Ia finalité sa fino Si l'engin n'est pas beau dans ce cas
, )A ,
t ,défunt (defunctum), privé de son fonctionnement,
C est pour n erre pas assez coupé de son but. 11 y adhêre n le trou sans manche de l'engin. Interrompant un
encore. 11 y a une adhérence - à suivre - entre le 111 tionnement finalisé mais en laissant une trace, Ia
bout détaché et l'organisation finalisée de l'organe, entre 111fta toujours un rapport essentiel avec cette coupure,
Ia fin et Ia forme de finalité. Tant que reste une adhé- hiatus de cet abíme ou surprend le beau. EIle
rence, füt-elle virtuelle ou symbolique, tant qu'il n'y " nnonce, mais eIle n'est pas beIle en elle-même. Elle
a pas de coupure pure, il n'y a pas de beauté. De beauté I donne lieu au beau que dans l'interrupture ou elle
pure du moins. I e le sans paraitre. L'exemple de Ia hache déterrée
Aussitôt aprês avoir refermé Ia tombe et recouvert le I it donc à Ia fois nécessaire, non fortuit, et inadéquat.
lieu ~e fouille, Kant pose l'exemple de Ia tulipe : n suture retient le sans en tant précisément que le
(( Mais une fíeur, par exemple une tulipe, est tenue I ours déterminant de Ia science y forme son obiet :
pour beIle parce qu'en Ia percevant on rencontre une ommence par inférence à juger de ce qui complete
finalité qui, jugée comme nous faisons, ne se rapporte l'ouril, de l'intentíon de l'auteur, de l'utilisation, du
à aucune fino I) I ut et du bout de l'engin, je construis une technologie,
102 LA VÉRITÉ EN PEINTURH 103

une sociologie, une histoire, une psychologíe, un u1 absence du but ne me Ia donnerait pas, ni sa
économie politique, etc. n . Mais Ia trace de son absence (de rien), en
Tandis que sur le sans de Ia coupure pure Ia science , qu'elle forme son trait dans Ia totalité sous l'espêce
n'a rien à dire. Elle reste bouche bée. « 11n'existe pas d tln , du sans-fin, Ia trace du sans qui ne se donne à
science du beau, mais seulement une critique du beau .• 1Il pereeption et dont l'invisibilité marque pour-
(§4.t, Des beaux-arts.) Non qu'il faille être ignorant pour , ne totalité pleine à Iaquelle el1e n'appartient pas
avoir rapport à Ia beauté. Mais dans Ia prédication de 111 n'en a que faire en tant que totalité, Ia trace du
beauté, un non-savoir intervient de façon décisive t l'origine de Ia beauté. Seule el1e peut être dite
concise, incisive, en un lieu et à un instant déterminé, 11 partir de ce trait. De ce point de vue Ia beauté
précísément à Ia fin, plus précísément quant à Ia fino , jamais vue, ni dans Ia totalité ni hors d'el1e : le
Car Ie non-savoir quant à Ia fin n'intervient pas à Ia n'est pas visible, sensible, perceptible, il n'existe
fin, iustement, mais que1que part dans le milieu, par- Et pourtant il y en a et c'est beau. Ça donne-le beau.
tageant le champ dont Ia finalité se prête au savoir ans-là est-il traduisible ? Son corps se laissera-t-il
mais dont Ia fin s'y dérobe. Ce point de vue du non- her de sa Iangue sans y perdre un reste de vie?
savoir organise le champ de Ia beauré. De Ia beauté, ne ? ohne? without? aneu? «( Musique hématogra-
l'oublions pas, dite naturel1e. Ce point de vue donne u ))du Tympan). La beauté ne va pas sans ce sans,
à voir qu'une fin est en vue, qu'il y a forme de finalité, I n va qu'avee ce sans-là, el1e ne donne rien à voir,
mais on n'y voit pas en vue de quoi est en vue le tout, iout pas elle-même qu'avec ce sans-là et aucun
Ia totalité organisée. On n'en voit pas Ia fin. TeI point t • Et encore ne (se) donne-t-elle pas à voir avec ce
de vue, de but en blanc, plie Ia totalité à se manquer lã, puisqu'el1e n'a rien à voir, nous venons de le
I e1le-même. Mais ce manque ne Ia prive pas d'une t avec Ia vue, ou du moins, en toute rigueur, avec

partie. Ce manque ne Ia prive de rien. Ce n'est pas un VI ible. Nous venons d'écríre, quelques lignes plus
manque. L'obiet beau, Ia tulipe, est un tout et c'est le t : « Ia beauté n'est jamais vue ... le sans n'est pas
I
sentiment de son harmonieuse complétude qui nous en ble ... ))
délivre Ia beauté, Le sans de Ia coupure pure est sans 1> cerre trace de sans dans Ia tulipe le savoir n'a rien
manque, sans manque de rien. Et pourtant dans mon íire.
expéríence de Ia tulipe aecomplie, de Ia pIénitude de 11 n'a pas à-en connaitre. Non qu'il défaille devant Ia
son systême, mon savoir manque de quelque chose et 111 e. On peut tout savoir de Ia tulipe, exhaustivement,
il le faut pour que je trouve cette totalité be1le. Ce u pour quoi el1e est bel1e. Ce pour 9uoi elle est belle
que1que chose n'est pas que1que chose, ce n'est pas , t pas quelque chose qu'on pourrait savoir un jour,
une chose, -encore moins une partie de Ia chose, un telle sorte qu'un progres de Ia connaissanee puisse
morceau de Ia tulipe, un bout du systême. Et c'est lu tard nous permettre de Ia trouver bel1e et de
pourtant Ia fin du systême, Le systême est entier et voir pourquoi. Le non-savoir est Ie point de vue dont
pourtant il manque à mes yeux de son bout, d'un bout I réductibilité donne lieu au beau, à ce qu'on appel1e
qui n'est done pas un morceau comme un autre, qui ne I beau.
se totalise pas avec les autres, ne se soustrait pas Le beau de Ia beauté pure et en tant que tel1e. 11
davantage au systême qu'il ne s'y ajoute et qui peut lait insister sur le pur dans Ia trace du sans de Ia cou-
seul en tous cas, par sa simple absence ou plutõt par Ia re pure. ]'y reviens maintenant pour ne pas quitter
trace de son absence (Ia trace elle-même hors de chose, fleur sauvage.
absente, de l'absence de rien) me donner ce qu'on I ourquoi Ia science n'a-t-elle rien à dire de Ia tulipe
devrait hésiter à appeler encore l' expérience du beau. tant qu'el1e est bel1e ?
104 LA VÉRITÉ EN PEINTURII IION 105

Si I'on remonte de l'apparition de Ia tulipe (à Ia fin I tire à l'abri du fiéchissement ou de Ia décomposi-


du § 17, De l'idéal de beauté, dont Ia tulipe est don I un caveau hermétique. Quand à fouiller le
l'exemple final) au paragraphe précédent (Le jugement J Kant on tombe sur ces mots latins dont on ne
de gout n'est pas pur en tant qu'il déclare un objet beau I r nd pas tout de suite (ni parfois jamais) Ia
à Ia condition d'un concept déterminé ), nous rencontron 1\ , on a un peu l'impression de ces ustensiles
déjà Ia fíeur - premier exemple - et Ia mise hors jeu I I , dotés d'un trou mais dépourvus de manche et
du botaniste quant à ce pour quoi Ia fieur est belle. I I question restait de savoir s'ils sont beaux ou
« Blumen sind freie Naturschõnheiten )) : les fieurs sont d'une beauté libre ou d'une beauté adhérente. La
de libres beautés de Ia nature, des beautés de Ia narure 111 de Kant, c'est que leur beauté en tous cas ne
qui sont libres. Pourquoi libres ? y t être vague ou libre dês lors qu'on pouvait
Deux espêces de beauté : Ia beauté libre (freie 11 ter d'un savoir, suppléer d'une thêse ou d'une
Schõnheit ) et Ia beauté simplement adhérente (bloss nh e.
anhiingende Schõnheit ), littéralement « beauté simple- u signifie cerre opposition? Pourquoi l'équiva-
ment suspendue, pendue-à, dépendant-de. Seule Ia de libre et de vaga? Libre veut dire libre de toute
beauté libre (indépendante) donne lieu à un jugement h adhérente, de toute détermination. Libre veut
esthétique pur, à une prédication de beauté pure. C'est " taché. 11avait été annoncé que ee diseours traitait
le cas des fleurs sauvages. Kant donne les équivalents I t chement en tous sens, le sens et le sans du déta-
latins des expressions beauté libre et beauté adhérente, m nt. Libre veut dire détaché de toute détermination:
La beauté libre, celle de Ia tulipe, c'est pulehritudo vaga, uspendu à un concept déterminant le but de
l'autre c'est pulehritudo adhaerens. Pourquoi ces mots I I t. La pulehritudo vaga ou beauté libre ne présup-
latins entre parenthêses P Pourquoi ce recours à une ucun concept (setzt keinen Begriff, et pour nous
langue morte et savante ? C' est une question que nous I ngue savante et morte, c'est l'allemand, que nous
devons poser si nous voulons suivre le travail du deuil IIn , dont nous usons avec tous les jeux de mots et
dans le ~scou~s sur Ia beauté. Dans Ia premiêre Note modes, avec les caprices grammaticaux les plus vite
du chapitre swvant, Kant analyse les modeles du goüt I de ce que l'objet doit être (oon dem uoraus, toas
(paradigme, parengon, patron, Muster des Geschmacks). ,. Tegenstand sein soll ), Libre veut done dire, dans le
Il prescrit que, dans les « arts parlants » du moins, les 111 ept qui le rapporte à Ia beauté, détaché, libre de
modeles soient rédigés « dans une langue morte et I adhérence au concept déterminant Ia fin de l'objet.
savante », Pour deux raisons, lexica1e et grammaticale. I comprend mieux l'équivalence de libre et de vague.
Pour que leur soient épargnées les transformations dont a est Ia chose indéfinie, sans détermination et sans
souffrent les langues vivantes et elles tiennent d'abord tination (Bestimmung), sans fin, sans bout, sans
au lexique : vulgarisation des termes nobles, viei11isse- ite. Un terrain vague n'a pas de limite arrêtée.
mc:nt des termes usités, précarité des termes nouveaux; n bord, sans bordure de propriété, sans cadre indé-
pws à Ia grammaire : 11 faut que Ia langue qui fixe le unposable et qui ne supporte Ia partition. Vague est
modêle du goüt ait une Grammatik qui ne soit pas sou- I mouvement sans son but, non pas sans but, mais
rmse « aux changements capricieux de Ia mode » et se son but, La beauté vague, celle qui seule donne
tienne dans des « rêgles inaltérables », u à une prédication de beauté pure, est une errance
Que Ia troisiême Critique propose ou non des modeles I finie, sans limite, qui se tend vers son orient mais
du goüt pour les arts parlants, chaque fois que Kant n eoupe plutõt qu'elle ne s'en prive, absolument.
recourt à une langue savante et morte, c'est pour garder 1 ne s'arrive pas à sa destination.
les normes dans Ieur état de plus grande rigidité, pour La beauté adhérente au contraire se suspend par
106 LA VÉRITÉ EN PEINTURI 1°7
quelque attache au concept de ce que doit être l'objet. ufication travaillent au-dedans notre affect, qui
Elle y est quelque part, si faible, ténu, entrevisibl traient alors à cette sorte d'indépendance quasi nar-
qu'en soit le ligament, pendue, appendue. Premiêr I ue du ceei beau (ceci plutôt qu'objet) qui ne ren-
conséquence : coupée du concept de son but, la beaut rien d'autre qu'à lui-même, qui ne fait signe vers
vague ne renvoie qu'à elle-même, à l'existant singulier d déterminable, pas même vers vous qui devez y
qu'elle qualifie et non au concept sous lequel il esl ncer, mais comme un voyeur, à l'instant ou le eeci
~mpris. La tulipe n'est pas belle en tant qu'elle appar- onne, en tant qu'il se donne, ne faisant pas signe
nent à une classe, répondant à tel concept de Ia véritabl a fin ou plutõt, signant sa fin, s'en coupe et
tulipe, de Ia tulipe parfaite. Cette tulipe-ci, elle seule eSI che absolument. La tulipe, si elle est belle, cette
belle «( une fíeur, par exemple une tulipe n), elle, Ia irremplaçable dont je parle et que je remplace en
tulipe dont je parle, dont je dis ici maintenant qu'elle est nt mais qui reste irremplaçable en tant qu'elle est
belle, devant moi, unique, belle en tous cas dans sa I ,cette tulipe-ci est belle parce que sans fin, complete
singu1arité. La beauté est toujours belle une fois, même que coupée, d'une coupure pure, de sa fino
si le jugement Ia classe et entraine Ia fois dans Ia séri I faut bien aiguiser les pointes, les lames ou les fils
ou dans la généralité objective du eoneept. C'est 1 certain ehiasme. Cette tulipe-ci est belle parce que
paradoxe (Ia classe qui sonne - ímmédiatement - le ou vague, c'est-à-dire indépendante. Elle jouit,
glas de l'unique en beauté) de Ia troisiême Critique 11 -même, d'une certaine complétude. Elle ne
comme de tout discours sur le beau : il doit n'avoir que de rien. Mais elle ne manque de rien parce
affaire qu'à des singularités qui ne doivent donner lieu I' lle manque de fin (dans l'expérience du moins que
qu'ã des jugements universalisables. D'oü le parergon, en faisons). Elle est in-dépendante, pour elle-
l'importation des cadres en général, ceux de Ia pre- e, en tant qu'ab-solue, absoute - eoupée - abso-
miêre Critique en particulier. «(
nt coupée de sa fin forme parfaite : celle d'une
Inversement, Ia beauté adhérente, dês lors qu'elle I») : absolument íncomplête, done. Inversement,
requiert le coneept déterminant d'une fin, n'est pas Ia in déterré, concavité privée de son manche, parait
beauté inconditionnelle d'une ehose, mais celle, hypo- omplet et pourtant on le rattache au concept d'une
thétique, d'un objet compris sous le concept d'une fin f ction. En tant qu'incomplet il se laisse appréhender
partícuííere. « La premíere [Ia beauté libre] ne présup- le concept de sa perfection, Sa beauté, s'il c:n a,
pose aucun concept de ce que doit être l'objet; Ia I adhérente. La coupure n'y est pas pure. Nous
seconde présuppose ce concept, ainsi que la perfection n donc affaire à deux structures complêtes-incom-
(Vollkommenheit, Ia plénitude, l'aceomplissement) de I I . L'engin troué est complet parce qu'incomplet,
l'objet d'aprês lui. Les beautés de la premiêre espêce 11 tulipe est incomplête parce que complete. Mais
s'appellent beautés (existant pour elles-mêmes, für sich in reste incomplet parce qu'un concept peut le
bestehende) de cette chose-ci ou de cette chose-là plir. Cette tulipe est d'abord complete parce que le
(dieses oder jenes Dinges}; l'autre beauté, en tant que me pt ne peut pas la combler. La coupure n'y laisse
dépendant d'un concept (ais einem Begriffe anhãngend, I une peau, aucun tissu d'adhérence. Une fíeur belle
appendue à un concept), est attribuée à des objets I touiours en ce sens une fíeur absolument coupable
(Objecten) qui se tiennent sous le concept d'un but olument absoute, innocente. Sans dette. Non pas
particulier. » loi mais d'une loi sans concept. Et un coneept
Le ceei beau est donc beau pour lui-même : il se mit toujours un supplément d'adhérence. Il vient
passe de tout, il se passe de vous (en tant que vous moins recoudre, il apprend à coudre. Nous n'en
existez), il se passe de sa classe. L'envie, Ia jalousie, Ia n pas fini de compter les effets de ce chiasme.
108 LA VÉRITÉ EN PEINTURI! ARERGON 109

A cause d~ Ia coupure, Ia science n'a rien à dire du ipe est belle, cette tulipe-ci, En tant que tel, un
vague. Aussitôt aprês Ia distinction entre les deux gnifiant, même un signifiant sans signifié, peut tout
beautés : « ~~ fteurs sont de libres beautés de Ia nature, uf être beau. A partir de lui on peut rendre compte
Ce que doit etre cette chose, une fteur, presque per- tout sauf de Ia beauté, voilà du moins ce que semble
so~ne ne le s~t, ,hors le botaniste ; et même celui-ci, velopper Ia tulipe kantienne ou saussurienne.
qUI y reconnart I organe de Ia fécondation (Befruch- Les exemples alors proposés par Kant sont, comme
tungsorgan) de Ia plante, ne tient aucun compte de oujours, de grande portée. J e procede depuis les
cette fin naturelle quand il en juge suivant le goüt. )I emples, on sait maintenant selon quelle voie, mais
En tant que t~l~en tant qu'ilínscrit son obiet dans Ie I'insiste ici sur le retors réfléchissant : nous nous
cyc1e de Ia finalite naturelle, Iw reconnaít une fonction prochons de deux paragraphes délimitant ce que
et une fin objectives, le botaniste ne peut trouver Ia ant appe1le exemplaire et exemplaire sans concept, La
fleur belle. Tout au pIus peut-il en concevoir une écessité « pensée » dans un jugement esthétique ne
beauté adhérente. Si un botaniste accêde à une beauté t être dite qu' « exemplaire » (exemplarisch). C'est
vague, ce ne sera pas en tant que botaniste. Le discours nécessité de l'adhésion de tous à un jugement comme
sC1en~lfiquesera devenu en lui muet ou impossible. Il emple (Beispiel) d'une rêgle universelle que l'on ne
n~ disposera plus de concept supplémentaire, c'est-à- ut énoncer (Angeben) (§§ 37 et 38, c'est au cours du
dire de concept, de concept en tant que généralité satu- assage de Ia troisiême à Ia quatriême catégorie, du
rante ~enant boire o.u effacer Ie sans de Ia coupure pure. moment de Ia relation au moment de Ia modalité). Tel
11 n est ~as ínsignífianr - c'est Ia signifiance même- erait l'effet de bouche bée provoqué par un exemplaire
que le discours sur Ia fleur devienne scientifique unique dont Ia beauté doit être, dans un jugement
rattache, Ia fteur à son bout, efface Ia beauté du sans e~ (bouche ouverte), reconnue sans discours conceptuel,
reconn,aIssant à Ia fleur sa fonction dans le cyc1eséminal. s énoncé de rêgles (bouche muette, souffie coupé,
La tulípe est ~~lle coupée de Ia fécondation. Non pas parole souffiée).
stérile : Ia stérilité est encore déterminée depuis Ia fin Deux ordres d'exemples : de beautés libres naturelles,
?U comm~ fin de Ia fi~, incomplétude de Ia complétude: analogues à ce1le de Ia fleur (animaux sauvages, oiseaux,
ímperfectíon, La tulipe est à cet égard puissante et le perroquet, le colibri, l'oiseau de paradis), mais aussi
c?mplet~. Elle ~oit pouvoir entrer dans le cycle de Ia de beautés libres artificielles, étrangêres à Ia nature.
fécondanon. MaIS elle n'est belle qu'à ne pas yentrer. On prévoit de grandes difficultés. Comment des pro-
La semence s'y perd mais non pas - ici le mot de ductions de l'art pourraient-elles nous apparaitre
perte risque à tout instant de recomposer l'adhérence comme des finalités sans fin ? Insignifiantes ? Coupées
comme si un morceau était détourné d'une circulatio~ du but?
à reconstituer - pour être perdue ou refinaliser sa Et pourtant il faut bien qu'il y en ait si Ia beauté
perte en réglant le détournement sur le tour ou le Iibre, vague, errante, pure nous touche aussi dans l'art.
retour, mais autrement. La semence s'erre. Ce qui est Or quels sont ces exemples ? Quels sont les exemples
beau, ~'est Ia dissémination, Ia coupure pure sans de productions d'art qui sont belles sans rien signifier
negatlvlt~, ,un sans. sa~s négativíté et sans signification. par et pour elles-mêmes (bedeuten [... ] lür sich nichts)
La négativité est sígníâanre, elle travaille au service du et sans rien représenter? Sans thême et même sans
se,ns. La .négatíviré de l'engin troué est signifiante. teste, si texte garde son vieux sens d'organisation
C ~st ~ sígníâant. ~e sans-but, le sans-pourquoi de Ia signifiante, de signifiance? Sera-t-on surpris d'y ren-
t~pe n es~ p~s signifiant, n'est pas un sígnífiant, pas contrer le cadre ou du moins certaines inscriptions
meme un sígnifiant du manque. Du moins en tant que Ia d'encadrement?
110
LA VÉRITÉ EN PEINTURE RGON 111

« Les fleurs sont de libres beautés de Ia nature. Ce nt à ne plus le faire. Elles s'y emploient car elles
que doit. être cette chose, une fleur, presque personne ivent être aussi des organisations de forme finalisée
ne le sart, hors le botaniste; et même celuí-ci qui y quoi elles ne seraient pas belles. Le sans-thême et
• l' ,
r~connatt organe de Ia fécondation de Ia plante, ne ans-texte procêdent bien du sans de Ia coupure pure.
?ent a':lCUDcompte de cette fin naturelle quand il en ut insignifiant n'est pas beau. Les rinceaux d'enca-
juge swvant le goür. Donc on ne fonde pas ce jugement ent, par exemple, peuvent représenter des feuillages
~ur une perfection quelconque, ni sur quelque finalité 's ils ne déploient Ieur beauté que sans Ia représen-
interne en rapporr avec Ia composition (Zusammenset- tion. Il faut néanmoins que leur insignifiance, Ieur
zung) de Ia multiplicité. De nombreux oiseaux (te ignifiance plutõt ait forme de finalité, mais sans fino
perroq~et, le colibri, l'oiseau de paradis), une foule de On pourrait être tenté, en exploitant cet exemple,
crustaces de Ia mer sont pour eux-mêmes des beautés rien ne l'interdit en droit, de conclure que contraire-
qui ne reviennent à auCUDobiet déterminé d'aprês des ent à ce que nous étions fondés à penser ailleurs,
concepts relativement à sa fin, mais qui pIaisent (gefal- on Kant, le parergtm constitue le lieu et Ia stru~e
len) librement et pour elles-mêmes, » Voiei maintenant Ia beauté libre. Otez d'un tableau toute représentation,
l'autre série d'exemples : des beautés libres dans l'art, ute signifiance, tout thême et tout texte comme
toute adhérence coupée au concept et à Ia fin, au uloir-dire, enlevez-lui aussi tout le matériau (Ia toile,
concept de Ia fin, ne sont pIus des significations ni des couleur) qui selon Kant ne peut être beau pour lui-
représentati?ns~ ni des signifiants ni des représentants. ême, effacez tout dessin orienté par une fin détermi-
Dans Ia rhetonque du paragraphe, ce deuxiême type ble, soustrayez le fond mural, son soutien social,
d'exemple parait aussi fonctionner comme l'illustration i torique, économique, politique, etc., qu'est-ce qw
insistante et métaphorique du premier. On recourt à te? Le cadre, l'encadrement, des jeux de formes et
I'exemple de l'art pour mieux nous faire comprendre e lignes qui sont structurellement homogênes à Ia
ceIw d~ Ia nature sur un fond d'analogie : « Ainsi {So ) ructure de cadre. Il serait donc difficile, sinon impos-
Ies dessins à Ia grecque [dessins en ligne droite de forme ible, de concilier pourtant ce que Kant énonce deux
Ia~yrinthique l, les rinceaux d'encadrement [Laubwerk su es plus haut du parergon er ce. qu'il dit icí des
Emfassungen, structures feuillées] ou sur tapisseries de rinceaux d'encadrement ou de Ia série des productions
papi~r, etc., n~ sígnífienr rien pour eux-rnêmes ; ils ne ans thême et sans texte qui lui sont analogues. La
representent nen (sie stellen nichts uor), auCUDobjet ifticu1té permet d'aiguiser un tranchant.
sous un concept déterminé, et ce sont des beautés libres. Comme le rinceau d'encadrement, le parergon d'enca-
On 'peut encore compter dans cette classe ce qu'en rement est a-signifiant et a-représentatif. Autre trait
f!luslque on appell~ Phantasieen [improvisation, varia- mmun, I'encadrement peut aussi, en tant que parergon
non libreJ (sans theme) (ohne Thema ) et même toute ( ddition extérieure à Ia représentation), participer,
Ia mus~que sans texte (die, ganze Musik ohne Text ), )I jouter à Ia satisfaction du goüt pur, pourvu qu'il le
Serait donc belle, selon I art et d'une beauté libre ou fasse par sa forme et non par l'attrait sensible (Ia couleur)
errante, donnant alors lieu à un jugement de goüt pur ui le transforme en parure. Il peut donc y aVOIrune
toute organisation finalisée ne signifiant rien, ne mon~ ertaine beauté du parergon, même si elle est justement
trant rien, ne représentant rien, dépourvue de thême et uppIémentaire. Qu'est-ce qui sépare maintenant le
de t.exte (au sens c1assique). Ces structures peuvent parergon du rinceau d'enca~rement et .d~ aUl!es pro-
aussi représenter, montrer, signifier, certes, mais elles duits du même type? Le nnceau est lC1 considéré en
n~ sont des beautés librement errantes qu'à ne pas le lui-même, comme objet et non comme accessoire. S'il
faire : en tant que quelque part elles s'empIoient ou se e passe de signifiance et de représentation, ce n'est plus
112 LA VÉRITÉ EN PEINTURI ARERGON II3

u tout comme le cadre. Le cadre ne signifie rien, un


int c'est tout, semble penser Kant. On ne voit
'annoncer en lui aucune signifiance, rien en lui n'est
nalisé ni finalisable. Tandis qu'ici le mouvement de
I ignification et de Ia représentation est entamé : les
mceaux, l'improvisation musicale pure, Ia musique
thême ou sans texte semblent vouloir dire ou
ontrer quelque chose, ils ont forme d'être tendus vers
uelque fino Mais cette tension, cette vection, cette
íon est absolument interrompue, d'un coup neto
Ile doit l'être : à devoir l'être, purement, absolument,
I ant toute adhérence à ce dont elle se coupe, elle
libereIa beauté (libre, errante et vague). A devoir l'être,
I sans-texte et le sans-thême se rapportent à Ia fin sur
I mode du non-rapport. Absolu. Et à devoir l'être, ce
n-rapport absolu doit aussi, si c'est possible, s'inscrire
aos Ia structure de l'artefact. Le sans du sans-thême
t du sans-texte doit se marquer, sans être ni présent ni
bsent, dans Ia chose à laquelle il n'appartient pas et
ui n'est plus tout à fait une chose, qu'on ne sait plus
ommer, qui n'est pas, une fois affectéepar Ia marque,
un support matériel ni une forme de ce qui ne se trouve
ni ici ni là, et qu'on pourrait indiquer, à Ia condition
d'un certain déplacement, sous le nom de texte ou de
trace --
I

tran-
chante ou tranchée soit-elle, irréconciliable en appa-
rence, l'opposition entre Ia pulchritudo vaga et Ia
pulchritudo adhaerens ne doit-elle pas quelque part trou-
ver sa limite? La non-adhérence absolue devrait certes
n'avoir aucun contact, aucune frontiêre commune,
aucun échange avec l'adhérence : aucune adhérence
possibleentre l'adhérence et Ia non-adhérence. Et pour-
II4 LA VÉRITÉ EN PEINTURlI ARERGON II5

tant ~ette rupture de contact, cette séparation même ique du discours : le pur vaut mieux que Ie non-pur.
constitue une limite, un blane, l'épaisseur d'un blanc t pourtant, à partir du moment ou Ia réponse contraire
- un cadre si vous voulez - qui en suspendant le Ataussi pertinente et Ia dissymétrie peut s'inverser,
rapport, les met en rapport sur le mode du non-rapport question initiale de Ia racine eommune (eomme adhé-
reproduisant ici à Ia [ois Ia liberté de Ia beauté vagu: ee) oblige, depuis son irréductibilité, à une refor-
et l'adhérenee de Ia beauté adhérente. Pas sans rapport ulation. Si Ia beauté errante entrenent un rapport de
de l'une à l'a':ltr~, d~ lors que I'une garde de l'autre. n-rapport à Ia fio, son horizon est l'annonce, frappée
Ce jeu de Ia limite n est pas un exercice algébrique. II 'impossiblité, de Ia fio, faisant pression, exerçant une
s'annonce três concrêtement dans le texte de Kant. ntrainte depuis son impossibilité même d'une fio dont
D'abord par le fait que l'opposition de l'errant et de e Ia pulchritudo adhaerens nous donne I'exemple.
l'adhérent est une opposition prédicative. Errant et es lors Ia beauté adhérente est peut-être moins pure
adhérent sont des prédicats pour le beau. On peut et ais elle est plus belle et plus parfaite que Ia beauté
on doi~ done se demand~r. e~ que e'est que Ia beauté vague. De Ia beauté elle nous dit plus. ~~e n,?us .dit
en général avant que Ia division de celle-ci ne s'élance lus sur ee que doit être l'accord entre I unagmanon
dans son procês arborescent, avant qu'elle ne se déter- l'entendement qui produit l'idée de beauté. La
mme, depuis une racme commune, en beauté adhérente uté adhérente serait plus belle que Ia beauté pure.
ou en beauté errante. Ne faut-il pas pré-comprendre ce t elle donnerait Ia raison de l'analogie entre les deux
que e'est que Ia beauté elle-même, l'essenee ou Ia utés,
p~~ene~ du beau pour entendre quelque ehose à Ia Chacune nous dit done plus et moins que l'autre ee
distinction entre errant et adhérent ? et pour que mal- ue doit être le beau. Y a-t-il un maximum d'adhérenee ?
gr~ l'hétérogénéité absolue que rappelle Kant,' nous n maximum de liberté
puissrons eneore parler de beauté dans les deux cas?
Il devrait done bien y avoir quelque part une adhérence
entre les deux beautés.
On peut imaginer que Ia logique du diseours kantien
récuse d'avance cette forme de question : il n'y a pas
de « racine commune » aux deux beautés, L'essence de
Ia beauté, nous ne Ia pré-eomprenons pas dans le
co~~ des deux types, mais d'abord à partir de Ia
bc;aute libre donnant lieu à un jugement esthétique puro
C est le pur qui nous donne le sens de Ia beauté en
L les trois questions : I. Ia
question de l'analogie comme question de l'homme, de
g~néral, le telos pur de Ia beauté (eomme non-telos). Ia place de l'homme dans cette critique. Elle prend au
C est .Ie pIus beau q~ nous donne à penser le beau moins trois formes. A) Qu'en est-il de Ia beauté de
essentiel, f!t non le moins beau qui en reste une approxi- l'homme et de Ia femme dont Kant déelare qu'elle ne
manon tiitonnante en vue de l'erranee. L'adhérenee aurait être qu'adhérente? B) Qu'en est-il de Ia place
serait en vue de l'erranee. Ce qui se pense selon sa fin de I'homme en tant que « seul capable, parmi tous les
(son telos déterminé) serait en mouvement vers ee qui objets du monde, d'un idéal de beauté »? Et quel
se passe de telos. Le telos des deux beautés serait le rapport y a-t-il entre Ia beauté adhére~lte de l'homme et
sans : Ia non-présentation du telos. le fait qu'il soit seul porteur de l'idéal de beauté?
C'est ~e premiêre maníêre de récuser Ia. question C) Pourquoi le systême et Ia hiérarchie des beaux-arts
de Ia racme commune. Elle parait três conforme à Ia sonr-ils eonstitués (§ 51) sur le modele analogique du
II6 RGON II7
LA VÉRITÉ EN PEINTURE

langage humain, et du langage dans son rapport au ue Kant appelle non pas un au-delà du pl~sir ou ~
corps humain, cela. non sans quelque embarras signalé, 1 isir de l'au-delà, mais, d'une formule qw pourrait
encere en note mais non sans une ngoureuse nécessité er dans « Au-delà du príncipe du plaisir », un
Interne de Ia Critique. plaisir négatif » (nega tive .Lust), c'est ~a question du
r 2. LB: q~estion ~e l'imagination productive et de Ia ub/ime. Kant explique qu'il doit en traiter seulement
p odu~v1te humwn~. Il n'y a pas d'expérience de Ia appendice, en simple appendice adhérent à l' Analy-
beaute sans une « liberté de jeu de l'imagination », ,.que du beau (eir:zen blossen Anha,!g) .•.Tandis qu~ « le
On ne pense pas ici l'imagination d'abord et seulement u fait naitre directement par lw-meme un sennment
comme Ia faculté de l'étant appelé homme mais à partir 'intensification (Beforderung : accélération aussi) de Ia
du sans de Ia coupure pure (de Ia beauté vague). Or au ie et peut s'unir par suite avec les attraits et l~ leu de
moment (le quatriême Momem) ou Kant propose une l'imagination [formul~ p.lus níetzschéenne que N,letzsche
R~qu~ générale sur I'imagination, i! distingue entre l'aurait cru], celui-ci [le sentunent du sublime] est
~e lmag~atlon. reproductive .(lieu. d~ l'imitation et n plaisir qui ne jaillit (entspríngt). qu'indirectement,
une certame m"ne~s) et une imagmanon productive, avoir de telle sorte qu'il est produit par le sennment
sPOntanée . [productio und selbstthãtig}, celle qui se 'une inhibition (Hemmung, d'un arrêt, d'une rétention)
trouve «71 jeu dans I'expérience de Ia beauté vague et tantanée (augenblicklich) des forces vitales aussitõt
dans le iugement esthétique puro Que faut-il entendre uivi d'un épanchement (Ergiessung : déversement)
par certe productivité et par ce libre jeu dom Ia valeur 'autant plus fort de ces ~êmes forces », .
~~struira l'opposition entre l'art mercenaire et l'art Qu'en est-il de ce regam de force produit par une
li,i?éral,le seul qui soit bel art en tant qu'il joue et ne triction et par une contre-striction ? Quel rapport cela
s échange contre aucun salaire ? 11 faudra mettre systé- ntretíent-il, dans l'appendice du sublime, avec le
matJquement en rapport avec toutes les questions précé- plaisir négatif » ?
dentes celle de Ia productivité, du salaire et du Le parfum de Ia tulipe, d'une qui serait pourpre,
marché 1. peut-être de pudeur, mais encore, ce n'est pas
3· .T~ut ce discours concemait, jusqu'ici, le beau. Ilr-
Celui-cí se rapporte, sur Ie mode de Ia détermination
ou de l'ind~termination, à une fin et à un accord, à
une harmonie, à une convenance de l'imagination avec
Ia nature ou avec l'art. Le sans découpait aussi sur le
made du non-rapport, l'anticipation d'une h;rmonie
~ale. D'ou l~ pl~re, l~ p~sir ~si~ ~s I'expérience
du t>;au. Et I'indétermination, l'indéfinité était toujours
e 1enten~ement devant une expérience essentielle-
m~t sensible. ~a raison n'était pas encore en scêne. « La fleur est une des passions typiques
L exclu de ce discours (et l'exc1u du dedans forme ce de l'esprit humain. L'une des roues de
manque au-dedans qui appelle toujours le cadre parer- son manege. L'une de ses métaphores de
gonal), ce n'est donc pas le sans du sans-fin mais le routine.
L'une des invo/utions, des obsessions
contre de. l~ contre-fin. La question de Ia contre-fin caractéristiques de cet esprit.
(Zr.oeckwidngkeit) usant de violence et produisant ce Pour nous libérer, libérons Ia fieur.
Changeons d' opinúm quant à elle.
I. c:f. &onomimuis, tIP. dt. Hors de cet imJolucre :
118
LA VÉRITÉ EN PEINTURIl GON 119

Le concept qu' e//e devint, coneept d'une fin qui détermine ce que I'objet doit
Par que/que révo/ution dévo/utive, , à savoir sa perfection. Les exemples : l'homme
Rendam-/a, sauoe de toute définition général : homme, femme, enfant, dit Kant), le cheval,
à ce qu'elle est,
- Mais quoi dane? . ce (Gebaüde), L'homme, le cheval et l'édifice
- Bien évidemment : un concep- pposent un concept de Ia fin et ne sauraient être
tacle. )) réhendés eomme des beautés libres.
L'opinion ehangée quant aux Comment expliquer que Ia beauté d'un cheval ne
fíeurs, isse être qu'adhérente? D'autres animaux (oiseaux ou
tacés) avaient été classés parmi les beautés libres de
nature. Pourquoi, inversement, certaines fleurs ne
urraient-elles être déterminées depuis le concept de
but? Sans doute le sont-elles du point de vue du
taniste mais ce point de vue n'est pas le point de vue
Ia beauté. 11 faut ehoisir entre ne point voir Ia beauté
e et ne point voir Ia fino Mais cette possibilité de
I- " place l'homme. Son lieu
nrier le point de vue, de faíre ou non abstraction de
fin, de considérer ou non Ia féeondation (tel était le
est assez <pfficile.à reconnaitre dans Ia troisiême Critique. 'tere), nous en disposerions dans le cas de Ia fieur, des
11 y parart mobile et multiple, i eaux ou des crustacés, jamais dans te cas du cheval.
11 ~aut d'abord expliquer pourquoi I. l'homme ne i de l'homme. Nous en disposerions dans le cas des
peut etre bea~. selon l'errance, obiet d'un iugemenr de essins à Ia grecque, des rinceaux d'encadrement, des
goüt pur; 2. l'idéal d.u bea~ ne peut se rencontrer que pisseries de papier, des musiques sans thême et sans
dans I~ forme humame. L enchainement de ces deux ate, jamais dans le cas de ces autres artefacta que
proposmons I':ut surprendre : pas de beauté libre ou nt les édifices (l'église, le palais, l'arsenal, le kiosque).
vague? pas de rugemenr de goüt pur quant à Ia forme ourquoi?
humame à laque~e pourtant revient, à elle seule Certe question est plus obscure qu'il n'y parait. Rien
réservée, ~ beauté idéale, La beauté idéale et l'idéal du De semble pouvoir y répondre dans le contexte immé-
beau, ,ce n est pas, conceptuellement, Ia même chose, diat de l'argumentation kantienne. 11 faut alors recentrer
1l1a1S I homme est I~ nom de ce qui assure leur échange : toute cette critique du jugement esthétique, reconnaitre
leur necessme et immédiare équivalence quel point elle anticipe téléologiquement Ia critique
. La déte~na.tio~ conceptuelle de Ia fu
libre de Ilmagmatlon. Le sans ouvre le [eu dans Ia
limite le jeu du jugement téléologique, et en elle les propositions
concernant Ia pIace de l'homme dans Ia nature. Seu1e Ia
beauté. deuxiême partie de Ia Critique peut en effet justifier,
Or Ia beauté de l'homme ne peut être libre errante dans Ia systématique interne du livre, ce qui se dit ici
o~ va~e eo~me. e~ll~ ?e Ia tulipe. Elle ne ~ut done des deux beautés et notamment ce choix d'exemples.
s 0';lvnr au ,eu, illímité de I'imagination productive. On aurait cerres pu s'en douter et ce n'est pas découvrir
Qw ~urtant n appartient qu'à I'homme, Celui-ci se grand-chose : un tel livre doit se lire depuis l'autre
sous~t done à un pouvoir d'erranee qu'il est seul à bout. Mais il est rare que dans un discours aimanté par
détenir, sa fin les propositions médianes restent aussi suspendues,
L'exemp~e .de Ia beaut~ de l'homme s'inscrit d'abord immédiatement iniustifiables, voire inintelligibles, que
dans une sene, Le prédicat eommun, c'est le rappon dans le cas qui nous oecupe.
120 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RGON 121

. C'est surtout le cheval qui gêne. On admet à Ia e en aucun cas sur Ia perfection de I'objet, sur sa
ngueur . qu'il soit difficile, voire impossible de faire ibilité interne d'existence. Pour juger de celle-ci, je
abstraction d'une fin dans Ia représentation de l'homme disposer du con~pt d~ ce que? 9~titat!-vement et
ou. de ses édifices. Mais quelle différence y a-t-il, de ce irativement, l'obiet dote lere. 51 je n en dispose pas,
poinr de vue, entre Ie cheval, un oiseau et un crustacé ? eulement une représentation formelle de .l'objet.
Or pour répondre à Ia question du cheval il faut tenir , t même Ia définition d'une telle représentation : le
compte ~e Ia place ,de l'h?mme : no~ plus ~omme objet -savoir de ce que l'obiet doit être? de sa fin~t~
beau (d une bea~te adher~n~e) ~81S comme sujet des .ective, exteme ou interne. 11 y a bien une. fínalíté
Ju~ements esthétique et téléologique. Si le sujet qui jective des représentations, « une certame aisance à
opere ces jugements n'est pas reconnu comme unité prendre une forme donnée dans l'imagination »,
~tIu:0p~logique, si le jeu de ses fonctions (sensibilité, sans concept de fin objective. La beauté errante
imagmauon, entendement, raison) n'est pas lié selon rrespond à une finalité subjective, sans fín, s~s
une organisation finalisée sous le nom d'homme occu- ntenu, sans concept. Finalité subjective ou finalité
pant une place privilégiée dans Ia nature rien de tout fin d'un côté, finalité objective de l'autre. Le sans-
cela n'est íntelligible, et rien d'abord de ce:':e opposition de Ia finalité n'est contradictoire que dans le cas de
entre I'errant et l'adhérent. Si en revanche une anthro- finalité objective.
pologie déte~.née intervient dans cette critique du Les trois exemples de beauté adhérente (homme,
Jugem~nt esthétique, toute une théorie de l'histoire de eval, édifices) supposen~ non seulement le ;oncept
Ia société et de Ia cu1ture décide au moment le plus 'une finalité objective mais qu'~n. ne puisse meme.pas
formellement critique. Elle pese de tout son contenu sur faire abstraction dans I'expérience de ces objets.
les cadres. sans du sans-fin ne peut s'y découper, füt-ce en
Kant avait proposé deux séries de distinctions e variation de point de vue. .
(§ ~5).. D'abord en~~e Ia finalité objective et Ia finaliü C'est que malgré leur diversité apparente, ces trois
subJectwe. La prenuere rapporte une organisation à S8 emples sont anthropologiques (le cheval est aussi pour
fin, telle qu'e11e est déterminée par un concept, c'est-ã- I'homme, pour Ia nature ~o.nt le centre est homme) et
dire à sa fin comme contenu et non simplement comme I'homme, sujet de cette cnnque, ne peut pas se penser
forme, Or te beau, jugé dans sa finalité formelle n'a ns sans fin comme une pure forme ou une errante
~u~ co~tepu final. 11n'a donc pas de rapport à ~ que ~té. Et pa~ce qu'il est capable d'un idéal de beauté,
1objet doit etre, à une perfection ou à un bien : finalité otion à définir dans un instant, il ne peut pas se penser
formelle et subjective. ans (but ou fin), être beau d'une beauté pure, vague
La finalité objective, déterminée dans son contenu par libre, ou du moins s'apparaitre tel.
~ concept, peut être - deuxiême distinction _ Reprenons les exemples dans l'ordre inverse~ ~'~difice
tnt~ .ou ~xterne. Externe, e11e consiste en l'utilité t compris à partir du concept de sa fín, 1eglise en
(Nutelichkeit}, celle par exemple d'un ustensile avec vue de cu1te, le palais en vue de l'habitation, l'arsenal
ou sa~s manche. Cette utilité est facilement déterminée vue de Ia mise en réserve des armes ou des muntnon~.
du pom.t de vue de l'homme, sa détermination anthro- ésaffectés, ils garderont encore le sen~ de leur ,desn-
pocentnque ne surprend pas. Mais comment introduire nation finale. Ce n' était pas le cas des nnceaux d enca-
Ia référence ~umaine. dans Ia finalité interne, que Kant drement. La fin de l'édifice est déterminée par et pour
nomme aUSSIperfection (Vollkommenheit)? On a sou- le sujet ((homme », .
vent confondu Ia perfection et Ia beauté. Kant tient à Mais quoi du cheval ? Quelle est Ia finalité dont on
rompre avec cette tradition. Le jugement de goftt ne De peut faire abstraction, comme dans le cas des oiseaux
122 LA VÉRITÉ EN PEINTURll RGON 123

ou des crustacés? Et cette finalité a-t-elle un rapport ue en ceuvre ce que Ia nature met à sa disposition.
essentiel avec l'homme ? . Pour comprendre l'exemple d~ chev~, so~ fonctio.n-
On devrait pouvoir faire abstraction de Ia fínalité ment pertinent à Ia place ou i1 advient, i1 fa~: faire
interne du cheval et le considérer - pourvu qu'il ne tervenir une théorie de Ia culture, plus precisement
soit ni chãtré ni stérile mais abstrait en pleine forme du e anthropologie pragmatique, dans Ia théorie du
processus de reproduction - comme une beauté sau- u dans Ia formation de ses concepts fondateurs, par
vage et errante de Ia nature. Mais c'est de sa finalité ~ple l'opposition de ~'err~t et de, l'adhérent., ~'est
exteme que Kant ne fait pas abstraction. Et c'est dans e nécessité architectomque irréductible. La troisieme
sa finalité externe qu'i1 identifie sa finalité interne : le ritique dépend de maniêre essentie1le - ces exemples
cheval est pour l'homme, au service de l'homme et I ignalent - d'une anthropologie pragmatique et de
perçu seulement par l'homme dans sa beauté adhérente. qui se nommerait, selon plus d'un sen~, un huma-
Telle est sa destination interne: l'externe. Pour l'homme, me réfléchissant. Ce recours anthropologiste, reconnu
pour un être qui ne peut lui-même que tenir à son son instance juridique et forme1le, pese en masse,
adhérenee. La subjectivité est l'adhérence, r son contenu, sur cette déduction prétendfunent pure
Pour justifier ainsi le choix de l'exemple, il faut aller u jugement esthétique.
voir ce que Ia deuxiême partie du livre (notamment au L'exemple du cheval rend l~ chose plus c~~e. Pour
§ 83) nous dit de l'homme : celui-ci est, comme tous les ue je ne puisse faire abstractíon de Ia finalite externe
êtres organisés, une fin de Ia nature mais i1 est aussi, u cheval au moment ou je lui reconnais une beauté
sur terre, ici, Ia fin derniêre de Ia nature. Tout le 'adhérence, pour que je ne puisse faire abstracti.on de
systême des fins est orienté par lui et pour lui. Cela finalité objective qui ne peut être qu'externe, i1 faut
est conforme aux principes de Ia raison. Pour le juge- ue Ia bête soit d'abord et seulement po~, l'ho~e;
ment réfléchissant, bien entendu, et non pour le jugement Ia se confirme plus loin (§ 63 De.z~ jinaltte relatioe a
déterminant. L'homme est le but demier de Ia nature. Ia nature, à Ia différence de Ia finalité ,!nte;ne) au ,co~
S'il faut chercher quelle fin il doit lui-même atteindre d'une argumentation três complexe qu i1n,~t pas ~~s-
dans son rapport à Ia nature, ce doit être une fin rendue pensable de reconstituer ici : « Cette derniêre finalite se
possible par Ia bienfaisance (Wohltiitigkeit ) de Ia nomme utilité (pour l'homme) ou a~ssl convenance
~ture. Kant a nommé (§ 82) Ia terre matemelle, 1e (pour toute autre créature), et elle est s~p~c:~c:nt rela-
sem maternel de Ia mer (Mutterboden (des Landes) und tive tandis que Ia premiêre est ~e final:ite mte~e de
der.Muttersehooss (des Meeres)) : nous ne pouvons, du l'être nature1. [...] De même s i1 devait y avoir du
pomt de vue de notre entendement et de notre raison, bétail dans le monde, bceufs, moutons, chevaux, etc.,
concevoir les êtres que selon des causes finales, c'est-ã- il fallait que l'herbe crüt sur terre, mais aussi les salso-
dire subjectivement, I'opposition antinomique du fina- lacées dans les déserts de sable pour que les chameaux
lisme subjectif et du mécanisme objectif devant se puissent prospérer ... [...] Et 9uoiq'!e parmi ~e~e~emples
résoudre dans le principe suprasensible de Ia nature cités 1es espêces d'herbes doivent etre considérées pour
«( hors d~ nous comme en nous »). La fin que l'homme elles-mêmes comme des produits organisés de Ia nature,
doit atteindre dans Ia nature est done rendue possible et par là comme effets de l'art (kuns.treich), ~n ,les
par Ia bienfaisance de Ia nature - et ce serait le bon- regarde cependant, p~ rapport .~ux ammaux qui s en
heur - ou par l'aptitude habile à toute sorte de fins nourrissent, comme simple manere br~lte (blosse rohe
pour lesquelles Ia nature (intérieurement et extérieure- Materie). Mais enfin si l'homme, par Ia liberté de sa cau-
ment) serait utilisée - et ce serait Ia culture (eu/tur) salité, trouve que les choses de Ia nature convlenn~nt à ~es
de l'homme. Bonheur et culture supposent que l'homme intentions, bien souvent loufoques (les plumes bigarrées
124 LA VÉRITÉ EN PEINTUR RGON 125
des oiseaux en parure pour ses vêtements, les terr puisqu'il est exemple - qui vaut immédiatement
eolo~ées. ou les sues végétaux pour se farder), parfol ur tous. Seuls que1ques produits exemplaires peuvent
aussi raisonnables, le cheval pour ehevaueher, le bceuí ir cet effet de quasi-rêgles. D'oü le caractêre histo-
à Minorque même l'âne et le pore pour labourer, on D' ue, cu1ture1, pragmatico-anthropologique du goüt,
peut pas admettre ici une fin relative de Ia natur ui-ci se constitue aprês coup, aprês Ia production,
(pour eet usage). Car Ia raison de l'homme sait donn I exemple. L'absence de eoncept libere done cet
aux choses ~e conformité avec les caprices arbitrair rizon de productivité historique. Mais eette historicité
de son mvention, pour lesquels il n'était pas luí-mêm t d'un exemplaire qui ne se donne en exemple que
prédestiné pa~ Ia ~ture. Mais si l' on admet que d Ia mesure ou il fait signe, empiriquement, vers un
hommes devaíent vivre sur terre, alors du moins 1 ncipe d'aecord structural et universel : absolument
m~yens san,.s lesq~els ils ne pouvaient vivre comm historique.
anunaux, meme raisonnables (au degré le plus bas qu'on uivons ee schême de Ia production. Non eoneeptue1,
voudra) ne devaient pas manquer; dans ee cas 1 " emplaire ne s'imite pas. On n'aequiert pas le goüt
choses de Ia nature indispensables à cet usage devaient r imitation. Le jugement de goüt, même s'il se réfêre
être considérées aussi eomme fins naturelles. » d productions prototypiques (exemplaires), doit être
Dês lors le cheval est pour l'homme et l'homme pour tonome et spontané. Dês lors le modele suprême, le
l'homme. Ni I'un ni l'autre ne peut être beau d'un lu haut patron (das hõchste Muster), ne. peut êí!e
beauté libre, mais leur plaee dans Ia chaíne des exempl u'une idêe, une simple idée que ehacun doit produire
n'est pas Ia même. Ni l'un ni l'autre ne souffre le san: lamJorbringen} en lui-même et d'aprês Iaquelle i1 doit
de l'erranee. Mais le sans du sans a des effets différent I er tout ee qui est objet de goüt. 11 faut un pa~on
sur l'un et sur l'autre. Le cheval, tout eomme l'édifice ais sans imitation. Telle est Ia logique de l'exemplaire,
d'ailleurs, est capable de beauté adhérente. Sans plus. l'auto-production de l'exemplaire, cette valeur
Efl p~u~ du sans, l'ho~e est capable, et seul capable, étaphysique de production. ayaJ?-t.toujours le doub~e
d un Ideal de beauté. L adhérenee de Ia beauté humaine et d'ouvrir et de fermer I'historicité. Chacun produi-
ne se sépare pas de cette capacité dont sont privées et t l'idée du goüt, celle-ci n'est jamais prédonnée par
les autres beautés adhérentes et les beautés errantes. concept : Ia production de l'idée est historique, série
Porteur d'un idéal de beauté, l'homme est aussi doté 'inaugurarions sans prescriprion. Mais comme cette
de Ia beauté idéa1e. roduction est spontanée, aut~n~me, libre au ~oment
Que veut dire idéal ? ême ou par sa liberté elle rejomt un fonds umverse1,
Pour toutes les raisons que nous connaissons mainte- ien n'est moins historique. .
nant, une rêgle de goüt ne peut se laisser déterminer par L'auto-production du Muster (patron, paradigme,
eoncepts. Et pourtant une communicabilité universelle, engon) est Ia production de ee que Kant appelle
un aeeord le plus parfait possible conditionne toute éva- 'abord une idêe, notion qu'il précise aussitõt en lui
luatíon. Mais selon des critêres nécessairement empi- ubstituant celle d'idéal. L'idée est un eoncept de Ia
nques, Kant le reconnait, faibles, à peine suffisants pour ison, l'idéa1 Ia représentation d'~ ên:e, ou d~~~
étayer Ia présomption d'un principe eommun, profon- senee partículiêre adéquate à eette idée. SI 1on surt lCl
dément eaehé dans tous les hommes. En l'absence de tte valeur d' adéquation, on retrouve le logement de Ia
eoneept gé~éral des rêgles, l'univ~rsalité restant requíse, ",;mesis dans le lieu même dont l'imitation parait
Ia valeur d e,xt;mpl81re,de produit exemplaire du goüt, clue. Et en même temps, de Ia vérité eomme adéqua-
devient Ia. referenee unique ou majeure. L'exemplaire tion dans eette théorie du beau.
(exemp/ansch), c'est un produit (Produkt} singulier Le paradigme du beau repose done sur l'idée de Ia
126 tA VÉRITÉ EN PEINTURE AlU!RGON 127

raison, sur l'idée rationnelle absoIument indéterminée beauté vague », Premiêre réponse à Ia question :
d'un « maximum » - e'est le mot de Kant - d'accord u'est-ce que le beau en général, avant l'opposition
entre les jugements. Ce maximum ne peut être repré- tre l'errance et l'adhérence ? L'oscillatíon est rompue,
senté par des eoncepts mais seulement dans une pré- I pur s'oppose à l'idéal. L'idéal de beauté n~ I?eut
sentation (Darstellung) singuliêre (in eizelner Darstel- nner lieu à un jugement esthétique pur : celui-ci ne
lung vorgestellt). Le paradigme n'est pas une idée mai ut concerner qu'une errance, l'idéal est d'adhérence.
une singuIarité que nous produisons en nous conformé- auté pure et beauté idéale sont incompatibles. Le
me~t à e~tt~ idée; Kant propos~ de l'appeler idéal. rIS de Ia coupure pure sembIe done interrompre ici le
Mms celui-ci, dans Ia mesure ou il se produit dans Ia roces d'idéalisation. La béance dans l'idéalisation ouvri-
présentation d'une chose singuliêre - d'un exem- it à Ia beauté errante et à l'événement d'un jugement
plaire - ne peut former qu'un idéal de 1'imagination. thétique pur.
Celle-ci est Ia faculté de Ia présentation (Darstellung). Mais d'oü cela apparait-il? D'oü apparait cette oppo-
Cette valeur de présentation supporte tout Ie discours. Ition entre l'idéal (de l'imagination) et le pur, entre le
De même, nous l'avons vu, qu'on ne peut eomprendre n-sans et 1e sans ?
Ia faculté de l'imagination qu'à partir du sans et du Depuis l'homme. L'homme, pourvu d'une raison,
libre jeu, on ne peut davantage y aecéder sans eette 'un entendement, d'une imagination et d'une sensibi-
valeur de présentation : libre jeu du sans dans Ia mise hté, est eet X depuis lequel, en vue duquel se prend en
en présence. vue l'opposition : du pur et de I'idéal, de l'errant et de
Le sans y est néanmoins strictement comprimé et I' dhérent, du sans et du non-sans, du sans-fin et du
orienté par 1'instanee économique du maximum. Le libre on-sans-fin, c'est-à-dire aussi bien du non-sens et du
jeu dans Ia présentation se soumet de lui-même à sa ns. Le sujet de cette opposition est l'homme et il est
régulation, à l'idée régulatrice d'un eonsensus maximal I seul sujet de cette Critique du juge~ent. 11.~t seul
entre des hommes. pable d'un idéal de beauté et, depws cet idéal, de
Se~ l'homme serait capable d~ présentation, puisque I isser se présenter le sans de Ia coupure pure. 11 est
seul il est capab1e de production - d'exempIarité, pable de eet idéal de l'imagination quant aux ehoses
d'idéal, ete. de Ia nature paree qu'il est doué de raison, ce qui veut
Kant pose ici une question et introduít un clivage de ire, en langage kantien, apte à se fixer ses propres fins.
grande conséquence. 11 se demande : I. si l'on accêde eul être dans Ia nature à se donner ses propres fins,
a priori ou empiriquement à cet idéal, 2. quelle espêce lever en lui le sans, à se eompléter et penser depuis sa
de beauté donne lieu à cet idéal. hn il est Ie seul à former un idéal de beauté, à appré-
A eette deuxiême question Ia réponse est claire et he~der le sans des autres. 11 n'erre pas. 11 ne peut se
prompte. La beauté errante ne peut donner lieu à penser sans but et c'est pour9uoi, il est au centre plein
aucun idéal. La beauté dont on recherehe l'idéal est de ce point de vue, centre plein d un champ néanmoms
nécessairement « fixée » (fixierte] par le concept d'une décentré et dissymétrique. L'homme n'est pas entre
finalité objective. Par suíte, contrairement à ce qu'on l'errance et l'adhérence comme en un milieu d'oü il
aurait pu croire, Ia beauté idéale ne donnera jamais lieu verrait Ies deux. 11se trouve d'un seul côté (l'adhérence
à un jugement de goüt pur mais à un jugement de goüt soi, à sa propre fin) et de ee ~ôté il m~t l'~rrance en
en panie intellectualisé, comportant une idée de Ia rai- perspective. « Seulement ce q~ a en sOl-:meme Ia fin
son qui détermine a priori Ia possibilité interne de de son existence, l' homme, qw par Ia raison peut se
l'objet d'aprês des concepts déterminés. On ne peut done fixer à lui-même ses fins ou bien, quand il doit les
« penser » un idéal de « belles fleurs », ni d'aucune mprunter à Ia perception extérieure, peut les unir
128 tA VÉRITÉ EN PEINTU1Ui lERGON 129
eependant à des fins, essentielles
, et universelles ,et dana nt les éléments typiques dans Ia forme d'une eertaine
ee cas porter aUSSI un jugement esthétique sur cet pece (homme ou cheval), on se réfêre à une eertaine
aecord, eet homme done parmi tous 1es objets du mond technique de Ia nature II produisant le type général.
est seul capab1e d'un idéal de beautê, eomme l'humaníté ucun individu n'y est adéquat mais on peut construire
en sa personne, en tant qu'intelligenee est capab1e d image concrête de ce type, précisément eomme idée
l'idéal de perfection,
I) (§ 17) , thétique et comme idéal empirique. Produit de l'ima-
, Conséq~~n;e paradoxale mais déjà évidente : Ia beauté tion, ee type se réfêre à un coneept três déte~né.
idéale et I'idéal de beauté ne relêvent p1us d'un [uge- ne incidente importe ici beaucoup et à deux ntres.
ment de goüt puro Clivage entre 1e beau et 1e goüt ou t note que l'imagination, facu1té des signes, peut
pour être précis, entre le beau idéa1 et 1e goüt pur entr~ ois reeonduire à des signes de coneepts anciens,
une callistique et une esthétique. ' même três anciens » (selbst oon langer Zeit ), C'est
<;ela tient au fait que Ie sujet de ee diseours se sous- 'une part Ia premiêre fois qu'il est question de signes :
trart, dans son humanité, à son propre discours. 11n'y toute une sémiotique soutient Ia troisiême Critique.
a pas de place pour une esthétique de l'homme qui se 'autre part Ia référence à un « três ancien aeeessible
I)

dérobe au jugement de goüt pur dans Ia mesur~ même ement à travers signes eommunique avec telle
ou. il est porteur de l'idéal du beau et représente lui- arque elliptique, risquée comme en passant, dans
m~e, dans sa forme, Ia beauté idéa1e. 11 s'enlêve à I'lotroduction (VI) : le plaisir (Lust ) de connaítre,
lui-même, à sa propre esthétique, il interdit l'esthétique u'on ne remarque plus maintenant, a « sürement existé
humaíne pure paree que, pour que, en tant que le sam son temps ».
de Ia eoupure pure s'efface en 1ui. Te! est aussi l'enjeu Et ee plaisir est du même : il tient toujours à Ia mal-
de Ia révolutíon eopernicienne. rise du dissemblable, à Ia réduction de l'hétérogêne.
Comment l'homme éehappe-t-il à un diseours sur 'accord, Ia conformité, Ia rencontre (Zusammentreffen)
l'esthétique dont il est l'origine eentrale? ntre les pereeptions et les catégories (eoneepts géné-
Qu'est-ce done que 1e beau de l'homme? Pour que ux de Ia nature auxquels se eonforment les lois) ne
le: ~~-sans de: Ia coupure pure soit possible, une autre procurent en apparence aucun plaisir. Mais Ia réduetion
divisíon est necessaire, de plusieurs lois empiriques « hétérogênes à un ~rin-
I)

, Kant distingue, quant au beau de l'homme, deux 'pc ({cause un plaisir três remarquable ». Et quoique
ídées. Deux morceaux, dít-il ailleurs (zwei Stuck«), TI I'mtelligenee de Ia nature dans son unité ne nous procure
eoupe le beau de l'homme en deux morceaux, efface plus forcément un tel plaisir, celui-ci a « ~Ureme~t
tour à tour Ia coupure de chacun, sans se demander si existé en son temps » (aber ste 1St gewtSS eu ihrer Zeit
Ia ~~té de l'homme, pure, errante, non ídéale, celle lewesen), sans ,quoi « 1'.expérience Ia plu~ ,eo~une ne
qu il nent eon:une ~n réserve et qui, ne lui apparait pas, erait pas possible ». Simplement ee plaisir s est peu à
ne ~e~~n:mt jamais objet pour lui, ne nent pas à Ia peu eonfondu avec l'expérienee et n'a plus été remarqué.
possíbílíré de ee moreellement sans négativité. Ainsi, bien que Ia troisiême Critique (lieu de l'esthé-
Chaque morceau est fixé. Les deux morceaux ont en tique) dissocie le plaisir et Ia connaissanee, bien qu' elle
commun d'être fixés. 11 y a d'abord l'idée-normale fasse de cette dissociation une frontiêre juridique rigou-
esthétique (non pure) : die esthetische Normalidee. reuse entre le goüt et Ia eonnaissance, l'esthétique et le
L'homme s'y présente en tant qu'être sensible, fini, logique, il faut bien que le principe du plaisir aít
appartenant à une espêce animale. Cette idée correspond quelque part, dans un temps immémorial (eoneept dont
à une intuition particuliêre de l'imagination empruntant le statut reste fort incertain dans une Critique), commandé
ses canons à l'expérienee. Pour voir dans Ia nature que1s Ia connaissanee, qu'il I'ait conditionnée et aeeompagnée
RGON 131
13° LA VÉRITÉ EN PEINTURIl
h irie du signe et du symboIe dont Ia position appa-
P,artout ou elle était,possible, déterminée comme expé tr plus loin, précisément au pivot, au centre ou à
~le~Ce(au sens kantien), précédant ainsi 1'écart entre 1 harniêre du livre, au fameux paragraphe 59 : le
JOun:et 1~~onnaitre. ~mment situer ici le temps de cet ier de Ia premiêre partie (fin de Ia critique du
archi-plaisir soudant I'imagination (esthétique) à l'en-
ment esthétique), i1 touche à Ia question de Ia
tendement (logique) ? t phore philosophique et s'intitule De Ia beauté
, L'id~e-no~ale esthétique - à laquelle aucun indi- symbole de Ia moralité. Dês le paragraphe 17,
vidu I?- est ad~quat - forme le canon empirique de 1. l'idéal de beautê, ce symbolique est défini comme
beaute humaine : type moyen analogue à Ia grandeur ression du dedans au-dehors, union présentative du
moyenne qu'on dégagerait de milliers d'images indivi- ans et du dehors. L'ordre expressiviste et symbo-
duelles pow: construire Ia « stature d'un bel homme », ue de Ia beauté à lieu dans l'homme et pour l'homme :
Ce type var~e avec les conditions empiriques, il diffêr
pour un .((negre », un « blanc » ou un « chinois », 11en
va de meme pour le type d'un « beau cheval II ou d'un « De l'idée-normale du beau se distingue encore
« beau chien » ,d'llD:e ~c,e déterminée. Cette image qui l'idéal du beau qu'on ne peut s'attendre à rencontrer
(( fíotte II p~ les. individus de l' espêce est un « arché- que dans la forme humaine pour des raisons déjà
type » (Urbild ) reglant toutes les « productions » de indiquées. Dans celle-ci l'idéal consiste en l'expres-
sion du moral (in dem Ausdrucke des Sittlichen), sans
Ia nature pour une ~pece donnée. Non pas un arché- quoi l'objet ne donnerait une satisfaction ni univer-
type de beauté mais Ia forme et Ia condition de Ia selle ni positive (non simplement né~tive dans une
beauté p~ur une espêc~, pan~ le c~s du visage humain, présentation scolairement correcte), L'expression
ce type regulateur, qui n est jamais beau en lui-même visible (Der sichtbare Ausdruck) d'idées morales
qui gouvement l'homme intérieurement, ne peut être
manque même à I'ordinaire d'expression et révêle ~ empruntée, il est vrai, qu'à l'expérience; mais pour
homme d'une « valeur intérieure médiocre» si toute- rendre en quelque sorte visible dans leur extériorise-
fois l'on admet, précise Kant, que Ia naru:e porte à tion corporelle (in kiirperlicher Ãusserung) (comme
l'e~térieur les p~opo~ons intérieures. Et il est tout prêt effet de l'intérieur) (a1s Wirkung des Innern ) leur
liaison (Verbindung) avec tout ce que notre raison
à 1admettre. Mieux, il ne peut pas, dans ce systême ne rattache au bien-moral dans l'idée de la plus haure
pas,l'admettre. Nous le vérifierons. Par exemple, ;i Ia finalité : Ia bonté de 1'!me, Ia pureté, Ia force, ia
caricature correspond à une exagération de I'idée-nor- sérénité, etc., il faut que les idées ~ures de Ia raison
male, à une outrance dans le type, le génie marque lui et une grande puissance de l'imagmation s'unissent
dan s lee vi • ' , en celui qui veut les présenter (darstellen). Voiei ce
visage meme et dans son expression un écart qui démontre Ia justesse de ,cet idéal de ~ beauté :
qui déporte le type. ' i1 ne permet à aucun attralt sensuel (Smnenretz )
De cette idée-normale du beau se distingue alors de se mêler à la satisfaction (Wohlgefallen) de son
- c'est 1'autre morceau -l'idéal du beau. 11ne peut se objet et cependant il y fait prendre un grand íntérêt;
en conséquence Ie jugement porté d'apree une telle
rencontrer que dans Ia forme humaine. L'homme n'est norme ne peut jamais être purement esthétique, et le
jamais beau d'une beauté pure mais Ia beauté idéale lui jugement conforme à un idéal de beauté ne peu~
est réservée. lei interviennent pour Ia premiêre fois jamais être un simple jugement du goüt » (17). (}'al
I'intériorité absolue et Ia moralité absolue comme condi- souligné expression, extériorisation corporelle, pré-
tions de 1'idéal du beau : ce qui absorbe ou résorbe le senter). ----
sans de Ia coupure pure. Si Ia forme humaine a droit
toute seule, à Ia beauté idéale, c'est parce qu'ell~
exprime le dedans et que ce dedans est un rapport de
Ia raison à une fin morale pure. Cela engage toute Ia
132
LA VÉRITÉ EN PEINTURB ERGON 133
I' t et le langage humain. Les trois espêces de beaux-
I (art parlant, art figuratif (bildende ), art du [eu des
nsations (Spiel der Empfindungen) correspondent
. cette sérnio- x formes de l'expression humaine référées aux moyens
tique morale qui lie Ia prêsentation à l'expression d'un , xpression du corps (articulation, gesticulation, modu-
~ed~s, et Ia beauté de l'homme à sa moralité, fait done 1 tion : mots, gestes, tons). Cette correspondance est
systeme avec.un humanisme fondamental. Celui-ci jus- ogique. Or ã deux reprises, dans des notes en bas
tifie, au mOInS subrepticement, l'íntervenríon de Ia page, Kant manif~te q~'il n~, tient .pas absol~ent
~ture. et d~ l'anthropologie pragmatiques dans Ia ce principe de classificatIo? ~lerarchique e~ qu il ne
d~duCt1ondes rugemems de goüt. II y a Ià de quoi rendre 1 i trouve pas de valeur theonque à toute epreuve :
~son d'unesorte d'effet d'incohérence, d'une gêne ou Si donc nous voulons diviser les Beaux-Arts, nous ne
d une indécisíon suspendue dans le fonctionnement uvons, du moins ã l'essai (uenigstens zum Ver~~),
du discours. Deux points de repêre : hoisir de principe plus commod~ (bequemeres.Princ,P)
I. Dans le qua~rieme et dernier moment du iugemenr ue l'analogie de l'art avec l'espece d'expression dont
de goüt (Ia modalité), Ia v~e~ d'exemplarité en appelle 1 hommes se servent dans leur langage (Sprechen)
à un sen~ comm~ (Gm;nnsmn). La regle du jugement ur se communiquer, aussi parfaitement que possible,
exemplaire recueillant I adhésion universelle doit rester n seulement leurs concepts mais aussi leurs sen-
au-delã de tout énoncé. Le sens commun n'a donc pas ~m~ ,
le sens co~un de ce qu'on appelle en généralle sens

I
« "* Le lecteur ne jugera pas cette esquisse d une
commun : 11 n'est pas intellectuel, ce n'est pas un ivision possible des beaux-arts comme d'un projet de
entendement. Quel est alors son statut ? Kant se refuse théorie. Ce n'est lã que l'un des multiples essais que
ici ã décider, voire ã examiner (<< nous ne voulons ni ne I'on peut et doit encore tenter. » (§ 51.)
P~UV(:>ns examiner ici... ») si un tel sens commun existe La redondance d'une deuxiême note, dans le même
(s «. d. Y,en a ,un )!) .comme príncipe constitutif de Ia paragraphe, souligne l'embarras : « Le lecteur ne. devra
possibilíré de 1expenence ou bien si, ã titre régulateur n général considérer ceei que c,?~e un .ess~ pour
er non constitutij cette fois, Ia raison nous commande de relier les Beaux-Arts sous un pnnClpe, qui dou être
produíre (hervorbringen) en nous un seus commun à cette fois celui de l'expression d'idées esthétiqu~
des fins .plus élevées. Ce qui reste ainsi suspendu c'est (d'aprês l'analogie d'un langage (n:zch. der Analogie
Ia quesnon de savoir si le príncipe esthétique d~ goüt IÍner Sprache), et non comme une dérivation tenue pour
I?ur, en ~ant qu'il requiert l'adhésion universelle, a un décisive. »
li.eu,spécifique corr~pondant ã ~ pouvoir propre, ou Le scrupule de Kant ne serait que .l'índice .d'une
~l c est encore une idée de Ia raison (pratique), une vigilance critique s'il portait ~ur un p.Otnt localisable,
ld~e de Ia con~nn~.n~u~éuniverselle unanime qui en révisable ou détachable du systeme. Mais on ne VOltpas
on~nte le pr~ces Idéalisat~ur .. Comme touiours, tant comment il aurait pu éviter, sans une refonte totale,
qu une telle idée reste à 1 horizon, Ia Ioi morale et le une teIle déduction classificatrice et hiérarchisante,
culturalisme empirique s'allient pour dominer le réglée sur le langage et sur l~ corps de l'homme, su~ l~
champ.
eorps de l'homme interprété comme. langage do~~
2. L'autre .i~d.écision signifiante quant au príncipe par Ia parole et par le regard. L'humamsme est Implique
concerne Ia. divisíon des. beaux-arts, Celle-ci comporte, par tout le fonctionnement du sys.teme ~t aucune autre
comme touiours, une hierarchie, elle va três loin dans déduction des Beaux-Arts n'y était possible.
le détail et repose elle aussi sur une analogie : entre Le príncipe analogique y est en effet inséparable d'un
RGON
135
134 LA VÉRITÉ EN PEINTURIl

principe anthropocentrique. Le centre humain s'y tient imesis), Ia loi du même et du propre qui se reforme
aussi au milieu, entre Ia nature (animée ou inanimée) IlIujours. ..' .
et Dieu. C'est à cette seule condition qu'on peut Contre l'inutatton mais par analogie
comprendre l'analogie entre jugements déterminants et
jugements réfíéchíssants, piêce essentie11ede Ia machine.
Dans l'incapacité ou nous sommes de détermíner absolu-
ment les lois empiriques partículíêres de Ia nature économimesis -
(puisque les lois générales de Ia nature, prescrites dans
notre entendement, les laissent indéterminées), nou
devons faire comme si un entendement (non le nõtre)
avait pu leur donner une unité, « comme si que1que
entendement renfermait le fondement de l'unité de Ia
variété des lois empiriques li (Introduction, IV). Dês
lors Ia finalité naturelle, concept a priori dérivant d'un
jugement réfíéchissant, se conçoit par analogie avec l'art
humain qui se donne un but avant d'opérer. Cette
analogie - se donner le but de I'opération, en effacer
a priori le sans - met donc en rapport l'art de l'homme
et I'art du créateur. L'analogie avec Ia finalité pratique
en est le médium. « Car on ne peut attribuer aux pro-
ductions de Ia nature une chose telle qu'un rapport de
Ia narure à des fins, mais on ne peut employer ce
concept que pour réfíéchir ( rejlectiren) sur Ia nature
au point de vue de Ia liaison des phénomênes en e11e,
liaison donnée par des lois empiriques. Ce concept est
d'ailleurs tout à fait distinct de Ia finalité pratique (de
l'art humain ou même des meeurs), encore qu'il soit
pensé par analogie .avec e11e.»
La connexion entre l'anthropo-théologisme et l'ana-
logisme indique, entre autres choses, un certain cap,
le capo
Ce1ui-ci parait manquer à Ia pulchritudo vaga, errant
sans fin déterminable, dans le sans du but en blanc, sans
complément d'obiet, sans fin objective. Mais tout le
systême qui Ia prend en vue supplée le cap, détermine le
vague (comme manque) et redonne le sens à l' errance :
son destin et sa destination. L'analogisme recapitule ou
recapite. 11 sature l' hiatus par Ia répétition : Ia mise en
abyme résiste à l'abime d'effondrement, reconstitue
l'économie de Ia mimesis. Ce11e-ciest le même (écono-
JtGON 137
I double attraction intéresse d'autant plus qu'il y
récisément du double, et de l'un, le colosse, comme
ble.
e parlant que du colossos, Vemant déclare: « A 1'ori-
, le mot n'a pas une valeur de taille I) (Figuration
I'invisible et catégorie psychologique du double : le
ossos, in Mythe et pensée chez les Grecs ), « N'a pas
valeur de taille » : ceia veut dire en apparence,
blement, qu'un colossos n'est pas nécessairement
4· LE COLOSSAL d, gigantes que, hors de proportion. Sans que le
texte y invite le moins du monde, ni par conséquent
tention manifeste de Vernant, Ia « valeur de taille»
rte ailleurs. Avant Ia grandeur, et d'abord ceIle du
Ce qui se refor~e toujours - l'économimesis _ rps humain, par exemple celle des pieds qu'on dit
p0'bo se refermer n en laisse pas moins chaque fois une i pointure, « taille »aura marqué le trait d'une coupe,
e~ uchure. La fin de Economimesis (in Mimesis o c) tranchant d'une épée, toutes les incisions qui viennent
s OUV!wtsur,l'eau « mise à Ia bouche », ' • • tamer une surface ou une épaisseur pour y frayer
Laissons 1embouchure ouverte 11 s'azit to . . . e voie, y délimiter un contour, une forme ou une
d '. . e- UJours leI
e savOlr.ce qur se passe aoec ou sans ce qu'on /aisse tité (coupe de bois ou de tissu).
Et ce qur se passe de laisser, qu'il soit suivi d'un no~ i, « à l'origine, le mot [colossos] n'a pas une valeur
ou d'un verbe, lorsq,u.'i!nous porte d'un coup, d'un pas taille », il n'y viendra plus tard, précise Vernant,
fi~-deIà de: Ia passwite comme de l'activité. Laisson; ue par accident, Qu'en est-il ici de l'accident, de
aire ou Iaíssons voir ce qui se passe de l'embouch ui-ci précisément, qui fait venir Ia taille au colosse,
ouverte. ure n pas Ia taille incisive qui donne Ia mesure, non pas
Ce que j'essaierai d'y reconnaítre, en son voisina e taille modératrice mais Ia taille démesurante? Cet
et1tournant un peu autour, ressemblerait à une certai~~ ident n'est pas au programme, semble-t-il, de Ia
co onne. che étude de Vernant qui s'est contenté d'en écarter
Un colosse plutôt, un certain cotossos qui s'érige en question dês ses premiêres lignes : « A l'origine le
mesure. ot n'a pas une valeur de taille. 11 ne désigne pas,
Qu'est-ce que s'ériger en mesure ? mme il le fera plus tard pour des raisons accidentelles,
La ~olonn~ et l~ colosse, ce n'est pas Ia même chose. es effigies de dirnension gigantes que, « colossale »,
~AmolDs qu ils n aient en commun cela seulement de aos le vocabulaire grec de Ia statue, três divers et
n erre pas des choses. En tout cas, si 1'on voulait garder sez fíottant, comme M. E. Benveniste I'a montré, le
~ mot « mot II et le mot « chose », cotosse er cotonne sont erme colossos,du genre anirné et d'origine préhellénique,
eux. mots et deux choses dissociables qui n'ont rien rattache à une racine kol-, qu'on peut rapprocher de
à VOl~ensemble et q~i ensemhle n'onr rien à voír : rtains noms de lieux en Asie Mineure (Kolossai, Kolo-
ne vdolentrIe~ et ne laissent nen voir, ne font rien voir phon, Koloura) et qui retient l'idée de queIque chose
ne onnent nen à voir de ce qu'on croit. ) d'érigé, de dressé. »
IEt pourtant, en~re Ie cotossos grec et Ia columna ou Ie A travers l'effigie, justement, et dans l'espace fictionnel
co umen des Romains une s?rte ~'~té sémantique et de Ia représentation, l'érection du kol- assure peut-être
formelle exerce une atreacnon írrésístíble, Le trait de te que j'ai proposé de nommer ailleurs (Glas, + R),
LA VÉRITÉ EN PEINTUIU RGON
139

à propos du colossal justement, le détail ou Ia détaille, I enne, modérée, mesurable, mesurée. La mes~re de
le passage de Ia taille, qui est toujours petite ou mesuré , II rection peut être prise. En ce sens elle ne serait pas,
à Ia démesure du sans-taille, à l'immense. La dimension olonne, colossale.
de l'effigie, l'effigie el1e-même aurait pour effet fictionn I ..ctte opposition du colosse et de Ia colonne ne se
de démesurer. Elle détaillerait, elle libérerait l'excês d ne pas à lire immédiatement comme telle dans le
taille. Et l'érectíon serait bien, dans son effigie, diffé te kantien. Elle n'en est Pas moins incontestable dans
rence de taille. Puis kol- assurerait encore, plus ou aragraphe De l'éoaluation des gra~Ts des choses de
moins dans l'effigie d'un phantasme, le passage entr nature nécessaire à I'idée du subl,me (§ 26). Kant Y
le colosse et Ia colonne, entre le colossos, le colum4/1 rche ~ exemple du ~u~lime qui convienne ~ Ia
et Ia columna. ique du jugement ~~hetl9ue puro 11 doit ~onc etre
Je me tiendrai dans ce passage. tinct du jugement réléologíque en tant que [ugement
A Ia différence d'autres « idoles II analogues (breuu onneI. Cet exemple de sublime ne, sera donc pa~
xoanon), le colossos est indéplaçable. Rien de portatif prunté à l'ordre des « pr?ductions d art ». c;:elles-Cl
en lui. C'est une immobilité pierreuse et figée, un t en effet, pourrait-on dire, à l~ taille de I hom~e
monument d'impassibilité qu'on aura dressé sur Ia terr en détermine Ia forme et les dimensions. La mal-
aprês l'y avoir un peu enfoncé, et parfois enterré. Bien e de l'artiste humain y opere en.vue d'une fín, elle
1'1

que les philologues ou les archéologues, Vernant par termine, définit, informe. En décidant des conto?rs,
exemple, n'aillent pas voir dans cette direction, au border Ia forme et Ia taille, elle mesure et domine.
I moment même ou ils parlent pourtant de Ia Gorgone et le sublime, il n'y en a, s'il y en a; qu:à déborder :
de lithinos thanatos (Pindare), on devrait relier ici le I xcede Ia taille et Ia bonne mesure, il n est plus pro-
d~scours sur le ~ol- avec t~ute Ia pr~blématique freu- rtionné à l'homme et à ses déterminations. 11 n'y a
dienn~ de Ia !"eduse (érecrion/castratíon/apotropaíque) nc pas de bon exemple, d'exemple « co~venable » de
II dont J 3.1 tente de déplacer Ia lecture dans le Hors livre blime dans les produits de l'art humaín. Or quels
de La dissémination, aussi bien que du col qui assure une emples se présentent à Kant comme « mauvais .1)

II grande densité de circu1ation dans Glas (( Et du clin (-)


entre les deux col (-) )),p. 25I). Ie ne le ferai pas ici,
pas.plus CJ.ueje ne m'engagerai du ~Ôtédu trait heideg-
emples du sublime? Dans quels exemples 11! faut-ll
s chercher le sublime, même et surtout 51 on est
té de le faire? En bien, précisément (et entre
genen tRiss, Zug et toute Ia « famille » de leurs croise- renthêses) dans les édifices et les colonnes : (z.B.
t(

ments) ou du rõle que joue l'entame (Aufriss) en ce lbiiuden, Siiulen u.s.w.) ». Ailleurs exemple d~ parer-
corpus. J'y viendrai ailleurs et plus tardo Je préfêre en on mi-eeuvre mi-hors-d'reuvre, ru ceuvre m hors-
rester pour l'instant à Ia troisiême Critique qui nous '~uvre et surgissant pour y suppléer del?uis .l~
sert de guide en ce trajet préliminaire. anque au-dedans de l' oeuvre, Ia eolonne devient 1e1
Cela vaut le détour. On y tombe sur de Ia colonne, emplaire de l'ceuvre dominable et inf~rmab1e, à la
et le colossal n'y est pas seulement rencontré, c'est un raille de l'artiste, et dans cette mesure mcapable de
thême. Mais Ia colonne et le colossal n'y occupent pas onner idée du sublime.
le même lieu. Nous l'avions déjà vérifié : quand elle Bien entendu les choses de Ia nature, quand leur
soutient un édifice, Ia colonne était, par exemple sinon oncept contient déjà ~e fin déterminée, sont aU551
par hasard, un parergon .' supplément d'opération, ni ancapables de nous ouvnr au sublime : par .exemp1e le
ceuvre ni hors d'ceuvre. On peut repérer dans l'Anary- heval dont Ia destination naturelle nous est b~en co~~e.
tique du sublime une distinction voire une opposition oués d'une fin déterminable et d'une t~lle définie,
entre Ia colonne et le colossal. La colonne est de taille 15ne peuvent produire le sentiment du sublime, dísons
LA VÉRITÉ EN PEINTU~ RGON

suréleoé, Erhaben, le sublime, n'est pas seulement


ut, élevé, ni même três élevé. Três haut, absolument
ut, plus haut que toute hauteur comparable, plus que
paratif, taille non mesurable en hauteur, le sublime
sur-élévation au-delà d'elle-même. Dans Ia langue,
sur n'y suffit plus. Sa surélévation signifie au-delã de
te élévation et non seulement l'élévatíon supplé-
taire. (11y va de ee qui s'appelle dans Glas l'éleve.)
e Ia surélévation sublime ni l'objet naturel à desti-
tion déterminable ni l'objet d'art (Ia eolonne) ne
vent done donner idée. La surélévation ne peut
annoncer, elle ne peut provoquer à son idée, y motiver,
usciter qu'au spectacle d'une nature, cerres, mais
une nature qui n'aura été informée par le eoncept
ucune fin naturelle. La surélévation s'annoncera
mime Ia nature brote: an der rohen Natur, une nature
'aucun contour final ou formei ne puisse cadrer,
cune limite border, finir ou définir en sa taille. Cette
ture brute sur 1aquelle il faudrait « montrer » (auf-
. en) Ia surélévation sublime sera brute en ee qu'elle
'offrira aucun « attrait » (Reiz) et ne provoquera
cune émotion de peur devant un danger. Mais elle
ra eomporter des « grandeurs », grandeurs qui néan-
oins défient Ia mesure, excêdent Ia domination de Ia
. ou du regard et ne se prêtent à aucune manipula-
on finie. Ce n'est pas le cas des objets naturels pourvus
'une fin (eelle-ci nous est aeeessible, dans le concept,
mme un tout que l'imagination peut aussi comprendre),
des objets d'art qui par définition sortent des mains
l'homme, dont ils gardent alors Ia mesure - et e'est
cas de Ia colonne.
Non du colossal.
Qu'est-ce que le colossal ?
Par opposition aux eeuvres d'art et aux ehoses de Ia
nature finies et finalisées, Ia « nature brote » peut offrir
u présenter le « prodigieux », l' Ungeheuer (l'énorme,
l'immense, l'exeessif, l'étonnant, l'inouí, parfois le
monstrueux). Les ehoses « prodigieuses » ne dcviennent
objets sublimes que si elles restent étrangêres et à Ia
peur et à Ia séduetion, à l' « attrait », « Prodigieux »
est un objet qui, par sa taille (Grõsse ), anéantit, réduit
142 LA VÉRITÉ EN PEINTURI RERGON 143
rien (oernichtet ) Ia fin qui en constitue le concept.
prodigieux excede, y mettant fin, Ia limite finaIe.
I déborde sa fin et son concept. Prodigieux, ou mons-
ueux, prêtons-y attention, est le caractêre d'un objet,
t d'un objet dans son rapport à sa fin et à son concept.
colossal, qui n'est pas le prodigieux, ni le mons-
ueux, qualifie Ia « simple présentation )) (blosse Darstel-
lung) d'un concept. Mais non de n'importe quel
mcept : Ia simple présentation d'un concept qui est
presque trop grand pour toute présentation )) (der
IlJr alle Darstellung beinahe zu gross ist ), U n eoncept
ut être trop grand, presque trop grand pour Ia présen-
tion.
olossal ( kolossalisch ) qualifie donc Ia présentation,
I mise en scêne ou en présence, Ia prise en vue plutôt
quelque chose, mais de quelque chose qui n'est pas
ne ehose, puisque c'est un concept. Et Ia présentation
ce concept en tant qu'il n'est pas présentable. Ni
implement imprésentable : presque imprésentable. Et en
. on de sa taille : il est « presque trop grand », Ce
oncept s'annonce et se dérobe à Ia présentation sur
ne. On le dirait, en raison de sa taille presque
cessive, obscêne.
Comment arrêter Ia catégorie du « presque trop ))?
L « trop )) pur et simple mettrait bas le colossal : il
ndrait Ia présentation impossible, Le « sans trop ))ou
I « pas trop )),l' « assez ))aurait le même effet. Comment
penser, dans Ia présence d'une présentation, le se-tenir-
U -debout (Darstellen) d'un excês de taille qui reste
eulement presque excessif, au bord à peine franehi d'un
trait limitatif? Et qui se taille, si on peut dire, dans
l'excêsê
Le presque-trop forme donc l'originalité singuliêre,
ns bordure ni simple débordement, du colossal.
Hien qu'il ait un rapport essentiel à l'approximation,
u mouvement approchant de l'approche (beinahe zu
ross ), bien qu'il nomme l'indécision de l'approche, le
oncept du « presque trop )),lui, en tant que concepr,
n'a rien d'une approximation empirique. 11 n'a pas
chappé à Ia plume de Kant. (Je hasarderai ici Ia défi-
nition du philosophos cotossos, qui n'est pas le « grand
ARERGON 145
LA VÉRITÉ EN PEINTUR

phi1osophe » : celui qui calcule presque trop bien 1 I cidément trop grand pour notre Zusammenfassung,
approches du « presque trop » dans son texte.) L notre compréhension? Un peu plus haut dans le même
presque trop garde une certaine fixité catégoriale. Il h pitre, Kant avait distingué deux pouvoirs de l'ima-
répête r~~erement, et c~aque f?is associé à « grand • mation, Lorsque celle-ci se rapporte íntuítivement ~
Kant precise en effet, aussitõt apres, que Ia présentation IR quantum afi.n de l'utiliser c?mme mesu,re ou um~e
d'un concept devient difficile, dans son « but », quand I umérique de mesure, elle dispose de I apprehensio
l'intuition de l'obiet est « presque trop grande» pOUI (Auffassung) ou de Ia comprehensio aesthetic~. (Zu!am-
notre « po~voir d:aPI?réhension» (Auff'!SsungsvermOgen). ", nfassung). La premiêre peut aller à l'infini, Ia
Elle « devient difficile » (erschwert toird), progressive onde a du mal à suivre et devient de plus en plus
ment, par approximation continue. Mais ou coupei hfficile à mesure que l'appréhension pro~esse. Elle
alors ? ou délimiter le trait du presque trop ? ueint vite son maximum : Ia mesure esthétique fonda-
Le « pouvoir d'appréhension » parait donner ici Ia mentale pour l'évaluation des grandeurs.
~~ure. Ne ?OUSprécipitons pas vers ce qui, par 1 Qu'en est-il donc du -prendre quant au c?l?ssal?
biais d~ Ia metaphore, de l'hypotypose (schématique ou Iourquoi Kant appelle-t-il colossale, sans reference
symbolique), nous mettrait immédiatement l' Auffassen parente au colossos,Ia présentation d'un concept (d'un
sous Ia main ou sous les yeux. Cette problématique est I 'C"ff dont le Begreifen luí-même n'irait pas ~ans p~ise
nécessaire, elle conduirait aussi bien au fameux para- t sans prise en vue)? Qu'est-ce que Ia presentanon
graphe 59 de Ia troisiême Critique qu'au traitement d'un concept pour qu'elle puisse être parfois colossale
hégélien du « Fassen » comme métaphore usée. Je Ia I) en tant que telle, inégale au concep~ qw, ~out en
contourne provisoirement, m'y autorisant d'autres traiet r tant trop grand pour sa propre presentation, ne
(La mythologie blanche, in Marges, et Economimesis, o.c.). I i se pas de s'y présenter néanmoins, colossalement?
Le .«. presque-trop-grand.» du colossal (pressés, nou Lnfin, qu'est-ce que le sublime aurait à voir avec
traduirions : du phallus qui double le cadavre· mais ne routes ces inadéquations ?
jamais être pressé quand il y va d'érection, iaisser Ia J e viens de prélever le fragment de texte dans lequel
chose se faire) se détermine donc, si on peut encore urgissait le mot « colossal ». Le tlSSUco?-textuel aPI?ar-
díre, en sa relative indétermínatíon, c0lIllI.lepresque trop uent à l'Analytique du sublime (Ire parne, Ire Section,
grand au regard, SI on pouvait encore dire, de Ia prise, Livre 11, apres l' Anaiytique du beau). L.e beau et le
de l'appréhension, de notre pouvoir d'appréhension. ublime présententun cert:ün nombre d~ tr~ts communs :
(Je n'abuserai pas du mot français d'appréhension : il plaisent par eux-memes, sont indépendants de
aux limites de l'appréhension, le colossal fait presque ,ugements des sens et de iugemems ,déte~minants
peur, il inquiete à partir d'une relative indétermination : (logiques), ils provoquent aUSSl.U?-e prétennon à Ia
qu'~~-ce qu~ vient ~ qu'est-ce qui va arriver? ete. valeur universelle, du côté du plaisir, certes, ~t non de
Ma.J.sil ne doit pas faire peur, dit Kant.) I connaissance. Tous deux supposent un [ugement
La prise de l'appréhension n'est pas ceI1e de Ia réfíéchissant et en appellent du « plaire ))à des eoncepts
~mpréhensio? I?~s cette problématique, il s'agit tou- mais à des eoncepts indéterminés, done à des « présen-
jours de savoir SI 1on peut prendre (appréhender ou t tions », et à Ia faculté de prése~tation. ..
comprendre, ce qui n'est pas Ia même chose), comment On peut difficilement parler d une opposttton. entre ~e
s'y prendre pour prendre, et jusqu'à quelles limites Ia beau et le sublime. L'opposition ne pourrait surgir
préhension peut et doit s'étendre. Comment s'y prendre qu'entre deux objets déterminés, avec leur contour,
avec le colossal? Pourquoi est-il presque trop grand leurs bords, leur finité. Or si Ia différence entre le beau
pour notre Auffassung, pour notre appréhension, et et le sublime ne fait pas opposition, c'est précisément
146 LA VÉRITÉ EN PEINTURt ARERGON

ille impose une fois de plus sa nécessité. Dans


parce que Ia présence d'.une limite est ce qui donn I' xpérience du beau, il y a intensification et accéléra-
fo~e au beau. Le sublime se trouve, lui dans un n de Ia vie, le sentiment s'unit facilement à Ia force
« obJ~t sans forme » e~le « sans-limite » se « r;présente • dique de l'imagination ~t à ses attraits ( R~~e~).
en l~ ou à son ~c~lon, donnant toutefois à penser 1 ns le sentiment du sublime, le plaisir ne « jaillit »
totalité du s~s-hmlte. Le beau semble ainsi présentei u' « indirectement », 11vient aprês l'inhibition, l'arrêt,
un concept .mdéterminé de l'entendement le sublim suspension (Hemmung ) qui retiennent les forces
un conce\'t indéterminé de Ia raíson. ' tales. Cerre rétention est suivie d'un brusque épan-
A partl~ d~ cette définition - définition du beau hement, d'un déversement (Ergiessung) d'autant plus
comm~ definiss~ble e~ son contour et du sublim issant. Le schême est ici d'un barrage. L'écluse ou
dé-fini comme indéfinissable pour l'entendement vanne interrompt un fíux, l'inhibition fait gonfier les
on .comprend déjà que le sublime se rencontre moin ux, l'accumulation fait pression sur Ia limite .. La
facilement que le beau dans l'art, plus facilement dan ression maximale ne dure qu'un instant (augenbltck-
l~ « n~ture brute. I). 11 peut y avoir du sublime dan h), le temps d'un clin d'ceil pendant lequelle pas~age
I art s il est S,?umlSaux conditions d'un « accord avec t strictement fermé, et Ia stricture absolue. Puis le
Ia nature »'. SI l'art donne forme en limitant, voire en arrage se rompt et c'est l'inondation. Expérience vio-
encadrant, il peut y avoir un parergon du beau, parergon lente ou il n'est plus question de plaísanter, de jouer,
de Ia colonn:e ou parergon comme colonne. Maís il ne e prendre du plaisir (positif) ni de s'~rrêter .aux
peut y aVOIr, semble-t-il, de parergon au sublime. attraits » de Ia séduction. Plus de leu {Spiel ) mais le
, Le colossal exclut le parergon. D'abord parce que ce érieux (Emst ) dans l'occupation de l'imagination. Le
n est pas une eeuvre, un ergon, ensuite parce que l'infini plaisir ne s'unit pas avec l'attrait (Reiz) parce que
s'y. présente et l'infini ne se laísse pas border. Dans Ia l'esprit n'est pas simplement attiré (angezogen) mais,
fini~de d~ ses contours formels, au contraíre, le beau inversement, toujours aussi repoussé (abgestossen). Le
r.eq~e~ d ~utant plus Ia bordure parergonale que sa trait de l'attrait (les deux familles ~e Reissen et. de
~tatlon. n est pas seulement exteme : le parergon, on Ziehen dont il nous faudra analyser ailleurs le croise-
s ~n souvle~t, y est appelé par le creusement d'un cer- ment dans L'origine de l'ceuvre d'ort et Unterwegs .zur
tam lacunaire au-dedans de I'eeuvre 'prache ) est divisé par le double sens de Ia tracnon,
En présentant ~ concept indéte~né, ici de l' enten- le « positif» et le « négatif ». Ce. que « contl~~t » le ~(~e-
dement, lã de Ia raison, le beau et le sublime produisent plaire-à » du sublime, c'est rnoms un « plaisir positif»
un «. Wo~lgefallen », ce qu'on traduit souvent par que du respect ou de l'admiration. C'est pourquoi il
« satlsfll;ctlon » et que j'aí proposé de transposer en u mérite d'être appelé plaisir négatíf ».
« se-p!atre-à »~ pour des raísons déjà données et de
Cette négativité du sublime ne se distingue pas seule-
surC~Oltpour eviter Ia saturation de l' « assez » qui ne ment de Ia positivité du beau, Elle reste aussi étrangere
COnVl~~ltpas. Dans le cas du beau, le « se-plaire-à » l Ia négativité dont nous avions re~onnu qu'elle était
~t, « lie,» ~ Ia qualité, dans le cas du sublime à Ia quan- aussi au travail, un cerram travail du deuil, dans
tl~e. Ou 1o~ ,voit déjà s'annoncer Ia question de Ia l'expérience du beau. Telle négativité était déià singu-
taille et Ia différence du colosse à Ia colonne liêre, négativité sans négativité (sans sans sans), sans
L'autre différence, nous l'avions déjà rec~nnue dans de Ia coupure pure, sans fin de Ia finalité. La sin~ere
un ~utre contexte : le plaísir (Lust ) provoqué par le négativité du sans fait ici place au contre : opp~SlOon,
sublime est négatif. Si. nous relisons cette séquence en conflit, disharmonie, contre-force. Dans Ia beaute natu-
vue du cotossos, .la loglq~e de Ia taílle, de Ia coupure relle, Ia finalité formelle parait pré-déterminer l'objet
pure, du sans-taille, de 1excês ou du presque trop de
149
LA VÉRITÉ EN PEINTURI RGON

en vue d'un accord avec notre faculté de juger. L


sublime dans l'art retrouve cette concordance (Überein
stimmung). Mais au regard de Ia faculté de iuger, )
sublime naturel, celui qui reste privilégié par cett
analyse du colossal, parait formellement contraíre à un
fin (zweckwidrig ), inadéquat et sans convenance,
inapproprié à notre faculté de représentation. II parait
faire violence à l'imagination. Et d'autant plus sublime.
La mesure du sublime est à Ia mesure de cette démesure
de cette incommensurabilité violente. Toujours au titr
du contre et de Ia violence contraire, le paragraphe 27
parle d'une émotion qui, surtout en son début, peut
être comparée à une secousse (Erschütterung), à un
tremblement ou à un branlement dü à l'alternance
rapide voire à Ia simultanéité d'une attraction et d'une
répulsion (Anziehen] Abstossen). Artraction/répulsion
du même objetoDouble bind. 11 y a là un excês, un sur-
plus, une surabondance (Vberschwengliche) qui ouvre
un abime (Abgrund). L'imagination a peur de s'y perdre.
Et nous reculons. L'abíme - dont le concept, comme
celui du pont, organisait les considérations architecto-
niques - serait Ia présentation privilégiée du sublime.
L'exemple de l'océan ne viendra pas fortuitement dans
Ia derniêre Remarque générale sur l' exposition des
jugements esthétiques réfléchissants, non pas l'océan
comme objet de jugements téléologiques mais l'océan
des poêtes, l'océan spectaculaire, limpide « miroir
d'eau » borné par le ciel quand il est calme, « abime
menaçant de tout engloutir » quand il s'emporte. Ce
spectacle est sublime. La même Remarque distingue le
« sans-intérêt » (ohne alies Interesse), propre à l'expé-
rience du beau, du « contre-intérêt » qui ouvre l'expé-
rience du sublime. « Est sublime ce qui plaít immédia-
tement par son opposition (Widerstand) à l'intérêt des
senso »
Le « se-plaire-à » du sublime est purement ou sim-
plement négatif (nur negativ) dans Ia mesure ou il
suspend le jeu et élêve au sérieux. Dans cette mesure il
constitue une occupation rapportée à Ia loi morale.
Elle a un rapport essentiel à Ia moralité {Siulichkeit )
qui suppose aussi Ia violence faite aux senso Mais Ia
150 LA VÉRITÉ EN PEINTUR RGON

vi~lenc~ es~ ici le fait de I'imagination, non de Ia raison e infinie elle-même. 11 présente inadéquatement
L unagma~on retoume cette violence contre elle-mêm , fini dans le fini et l'y délimite violemment. L'inadé-
elle se m~tile, ,ligote, bande elle-même, se sacrifie et tion (Unangemessenheit ), Ia démesure, l'incommen-
~érobe, s entaille et se vole, elle-même, C'est en ble se présente, se Iaisse présenter, dresse~ lã,
li~u q~e Ia valeur de sacrifice opere thématiquement ttre debout devant (darstellen) comme cela m~me.
l'mtérteur de Ia troisiême Critique, alors que nous l' présentation est inadéquate à. l'íd~e d~ Ia raAlson
avons const~~ent traquée. Ma.is cette vioIence muti elle se présente dans son ínadéquation meme,
lante et sacrífícíetle organise l'expropriation à I'ínté
quate à son inadéquation. L'inadé~~ti~n d~ Ia
rteu~ d'un ~cul; et l'échange qui s'ensuit est iusremem entation se présente. O~ en tant qu l~dequatlon,
I~ 101. du sublime autant que le sublime de Ia loi, L'ima I n'appartient pas au sensible naturel, ni à Ia nature
~tlo,!- g~gne à ce qu'etle perd. Elle gagne à perdre, général mais à l'esprit qui se. contente ~'~pIOJ!er Ia
L unagt,!-atl0I?- orgamse le rapt (Beraubung) de s ture pour nous donner à sennr une finalite indépen-
p~opre liberte, elle se laisse commander par une autr te de Ia nature. A Ia différence de celui du beau, le
101 qu~ celle de l'u~age empirique qui Ia détermine en
ncipe du sublime doit donc être. recherché en nous
vue d une fin. Mats par ce renoncement violent ell . projetons (hineinbringen) le sublime dans Ia nature,
gagne en extension (Erweiterung ) et en puissanc us en tant qu'être rationnels. .
( A!acht). çette puissance est plus grande que ce li n'y a d'effet colossal qu'au point de vue de Ia rai-
~~ ell~ sacríâe, er SI le fondement lui reste caché, n. Telle est Ia raison du colossal, et. telle en .est ~a
I ~agtnatlon a Ie sentiment du sacrifice et du rapt en i on qu'aucune présentation ne saur~t en aV~lI ~at-
meme temps que de Ia cause (Ursache) à laquelle elle n. Le sentiment du colossal, effet d une proiecnon
se soumet.
ubjective, est l'expérience d'une inadéquation ~e Ia
Premiêre conséquence : si le sublime s'annonce dans
Ia !lature brute plutôt que dans l'art, Ia contre-finalit~
résentation à elle-même, ou plutõt, = to~te p.resen-
qui 1: con~tltue nous oblige à dire que le sublime ne
tion est adéquate à elle-même, d'une. madequatlo? du
résentant au présenté de Ia présentation. Une p~ese~-
peut ~tre ~lmpIe!Dent un « objet naturel li. On ne peut t tion inadéquate de l'infini présente sa propre inadé-
pas dire d un obiet natu~~I, dans son évaluatíon positive uation une inadéquation se présente comme telle en
.(~u ou su~~e) qu il est contraíre à Ia finalité. • prop:e béance, elle se détermine en son contour, se
SunpIement.I objet naturel en question peut être propre taille et s' entaille comme incommensurable au ~ans:taille,
apte [taúglich ) à Ia « présentation d'une sublimité )/ v ilà une premiêre approche du colossal en erecnon ..
D'une sublimité qui, elle, ne peut se rencontre~ Parce que le sublime n'est pas dans Ia n~ture ~atS
co~e telle que da~s l'esprit et du cõté du sujet. Le eulement en nous, parce que le colossal qui en rel.eve
sublim~ ne peut habíter au~e forme sensible. 11 y a e procede que depuis nous, l'analytique du sublime
des obiets ~aturels beaux, il ne peut y avoir d'objet t seulement un appendice (einen blo~s~n Anhang)
naturel sublime. Le vrai sublime, le sublime propre et l'appréciation esthétique de Ia finalite naturelle,
pr~pr~e!lt dit (das ~gent/iche Erhabene) ne se rapporte • C'est 1à une remarque préliminaire fort né~essatre?
qu a~ idées ,de Ia ratso~. 11 se refuse donc à toute pré- note Kant à l'ouverture de l'Analytique du sublime, qui
senta~lOn adequa te. Mais comment cet imprésentable épare totalement les idées du sub~e de cell~ d'une
peut-il s~ pr~ent~r? Cornmenr le bénéfíce du calcuI finalité de Ia nature et fait de Ia théorie du sub~e un
víolent, I'ínâníté, s annoncerait-il dans le fini ? 11 faut se
imple appendice à l'évaluation critique (Beurtealung)
te demander : si le sublime n'est pas contenu dans un esthétique de Ia finalité naturelle, car par là aucune
objet naturel ou artíficiel fini, il n'est pas davantage forme particuliêre n'y est représentée [dans 1anature] ... ))
LA VÉRITÉ EN PEINTU RGON 153
Ainsi, bien que Ie sublime soit mieux présenté par I ignifíant, cette inadéquation. sublime . d~~t ê~re
na~e (brute) que .par l'art, il n'est pas dans Ia natur e depuis le plus et non le moins, depws I infinité
mais en nous, projeté par n~)Usdepuis l'inadéquati II ifiée et non Ia finitude signifiante.
~ nous ~e plusieurs .pouvOlrs, de pIusieurs faculté l-par exemple - une p~ésen~tion ,~!os~ale ~t
L ~ppendi~e sera le lieu de cette inadéquation. II I taille, ce qui est sans taille, c est l'idée infinie,
trartera et il ~~ se,ra ~e~té. Ce lieu serait le lieu propr t le présenté qui ne se laisse pas adéquatement pré-
~u c?loss~ s il n était 1emplacement inadéquat d'un ter. La forme de Ia présentation, elle, Ia Darstellung,
ínadéquatíon.
ne taille, si grande soit-~e. ~a taille d~ colossal
C'est cette détermination « subiective ))du sublime' t pas à Ia taille de ce qu'il presente et qui est sans
partIr de nos facultes que Hegel iugera intéressante et lle. Hege1 reproche à Kant de partir de ~ ~e et
lDs~sante. Ille fait dans les Leçons sur /' Esthétique au n du sans-taille. A quoi Kant répond en pnncipe que
chapitre sur l:e SY",!?o/im:e, .du, s:m/ime .: En rompanl ur penser le sans-taille, il faut que celui-ci se présente,
ayec le s'ymbo~sme, I infinité mteneure devient inacces- me s'il se présente sans se présenter, a~équatement,
sible et. ínexprimable, Sa présentation ne peut plus êtr e s'il s'annonce seulement, et précisément dans
~ymbolique (au sens hégélien ou saussurien du terme qui ufhebung. II faut (il faut et il faut bien) partir du
Implique Ia participation ou Ia ressemblanee analogique lossal en tant qu'il s'entaille, q~'il e~eve sa ~e et
~ntr~ le symbole et le symbolisé). Le eontenu (l'ídée découpe sur le fond du sans-taille : il faut partir de
lnfini~, en l?os~tionde signifié et non plus de symbolisé) figure, et de sa taille.
dé~ruIt le sígnífianr ou le représentant. 11ne s'exprime Tout cela se passe done autour d'une eoIonne infinie
qu en marquant dans son expression l'anéantissement ais tronquée à Ia limite du tronc, à Ia place de Ia
de l'expression. Il fait voler en éclat le signifiant qui ncature ou du tranehant, sur le trait de bordure, fio
voudraír se mesurer à son infinité. Plus précisémenr, Ia mme une lame, qui définit Ia taille. La ~u~tion
forme',!'acte d~ former, le Gestalten, se détruit à travers 'ouvrant de savoir si on doit penser une sublimité de
e~ qu 11 exprime, explique ou interprete. Dês lors l'Ameà partir d'un bord ou de l'autre, de l'infini ou du
I'mterprétation exé~étique (Auslegung) du contenu se ni étant entendu que les deux ne s'opposent pas mais
prodwt eomme releve (Aufhebung) de l'acte d'inter- ~ransgressent l'un vers l'autre. et l'un dans l'~utre.
prét~r, de montrer, déplier, manifester, C'est là le lus précisément : Ia question s ouvre de savcnr, ou
sublime : une releve de l'Auslegen dans I'Auslegung du lutõt de penser, si on doit d'abord penser (eomme le
eontenu. Le ~ontenu y opere et commande Ia releve de se Hege1) Ia sublimité, partir de Ia pensée de Ia
Ia forme. Voi1à ce que le « subjectivisme )) de Kant ublimité ou au contraíre (eomme se le figure l<a?t) de Ia
aurait manqué. Si c'est Ie contenu, l'infinité elle-même résentation, inadéquate à cette pensée, ~u sub~e, etc,
ce qu: Hegel ap~elle l'un, Ia substance, qui oper~ Kant et HegeI réfléchissent néanmoins Ia ligne de
elle-mem~ cett;e releve de Ia forme, si e'est elle qui rend upure ou plutôt le pas franchissant ~ette li~e entre
Ia forme inadéquare, alors on ne peut expliquer cette fini et infini eomme lieu propre du sublime et mterrup-
operanon .à partir d'une subjectivité finie. Nous devons tion de Ia beauté symbolique; il n'est donc .pas "sur-
au contraire comprendre le sublime en tant qu'il est prenant qu'ils considêrent tous deux un certam [udaísme
fond,é dans l'unique substance absolue, dans Ie contenu comme Ia figure historique de l'~ption sublime, l'un,
à .present~r (ais dem darzustellenden Inhalt ), Autrement Kant, au point de vue de Ia relígíon et de. Ia ~or~e,
dit à parnr du présenté de Ia présentation et non de Ia dans l'interdit de Ia représentation lcomqu~ (~ ((B,ld~»,
présenraríon du présenté. S'iI y a inadéquation dirions- Di « Gleichnis »), l'autre, Hegel, dans Ia poesie hé~ralque
nous dans un code à peine différent, entre le ;ignifié et considérée comme Ia plus haute forme négative du
154 LA VÉRITÉ EN PEINTU J!RGON 155
sublime. La forme affirmative du même sublime
rencontrerait, dit-íl, dans 1'art panthéiste.

Quelle est alors Ia question ?


L ,Comme celle du beau, l'analytique du
sublime procede à I'intérieur du cadre de 1'analytiqu
e que Kant ne pose pas et que: pourtant no~ pou-
o poser du dedans de son discours. Et SI nous
uvons Ia poser du dedans de son discours, c'est que
du)u~ement Imp~rtée de.la Critique de Ia Raison pur y être posée elle n'est pas sans s'y po~e~. Les ques-
théorique (quantité, qualité, relation, modalíté). Nou
os peuvent être aussi parergonales. VOICl..
~vons déjà reconnu les problémes posés par cett
Tentons de considérer à nouveau Ia magmtude. Ce
ImportatIon au moment de situer le parergon. lei, m traduit l'absolument grand, non pa~ Ia grandeur
compte tenu du caractêre informe de 1'objet sublime,
olue (puisque ce grand est étranger et ~co~mensu-
Kant propose de commencer par Ia quantité er non par ble à Ia grandeur) ni 1e grand abso1u (pwsqu on pour-
Ia qualité comme il 1'avait fait dans 1'analytique du
it être tenté d'inverser ou de permuter 1es deux
beau. Il commence donc par le sublime mathématiqu
tributs et de transformer l'un ou l'autre en substanti~)
et non ~ar le subl~me ~ynamique. Or c'est dans l'espace is l'absolument grand, sy.ntaxe .inc?rrecte pour dési-
du sublime mathematlque que surgissent Ia colonne et
le colossal. Et le problême de Ia taille. ner une valeur qui n'est m no~alisab1e ~bsol.ument
« Nous appelons sublime ce qui est absolument grand
I grandeur du grand) ni une simple modification du
(sch/echthin gross) II (§ 25). L'absolument grand n'est m (le grand comme grandeur). C'est parce qu'il est
olument grand, que ce grand n'est plus de l'ordre
pas une grandeur, au sens quantitatif. Etre grand et
u aux ordres de Ia grandeur. Il ~t p1us grand que Ia
e~re,une grandeu!, ce sont là deux « concepts totalemenr
randeur ni grand ni grandeur, mais absolument grand.
différents imagnituda et quantitas) », Le grand absolu
uelle ~t alors Ia question ? Voiei. . ,
n'appartient pas à Ia grandeur, il n'est pas et n'a pas
Pourquoi Ia magnitude, qui n'est pas une quannte,
une grandeur. Il ne se prête à aucune comparaison
t pas une quan~té ~mparable, dans l'ordre des
(abso/ute, non comparative magnum, über alle Verglei- hénomênes, se laisserait-elle representer sous Ia ca~é-
chung;' N'étant égale ni comparable à rien, cette
orie de Ia quantité plutôt que sous une autre? Qu a-
magmtude reste absolument inégale, inadéquate à quoi
I l1e de conunun ou d'analogue avec elle .alors mêm~
que ce soit de mesurable. Démesure absolue de cette
magnitude sans grandeur, l'inégal ne peut y être en u'elle lui est incomparab1e ? Autrement dit, pourquo~
ppeler magnitude ou I( abso1ument grand l~ ce qw
tant qu'inégal, qu'égal à soi, égal qu'à soi. C'est ce'que
o\est plus une quantité? Pourquoi c~tte référence,
nous appelons sublime, « une grandeur qui n'est égale
qu'à elle-rnême n, De lâ suit que le sublime ne se ren- ncore, à une taille dans l' espace ? ~ns~te? autre. q~es-
tion encore Ia même si Ia phénoménalisation doit etre
contre jamais dans Ies choses de Ia nature, seulement dans
les idées. Dans lesquelles ? demande alors Kant. Ce sera dnrise, pourquoi l~ sublime serait-il l'ab~ol~e~t
l'objet d'une « déduction )) rand et non l'abso1ument petit? Pourquoi ~exces
bsolu de Ia grandeur, ou plutôt de Ia quantité, se
156 LA VÉRITÉ EN PEINT RGON 157
sch~matiserait-i1 du côté de Ia grandeur et non de I t d'autant plus inévitable que l'infinité non phéno-
penresse > Pourquoi cette valorisation du grand q\ll nale de I'idée doit toujours se présenter dans I'intui-
mtervienr donc encore dans une comparaison entre d 10. Or tout ce qui se « présente » dans l'intuition et
incomparablesp L'absolument grand ne se comp I in se « représente esthétiquement, tout phénomêne
)1

certes à nen, à aucune grandeur phénoménale en tOUI I ussi un quantum. Mais qu'est-ce qui décide que,
cas,. mais il ~t préfér,é à l'absoIument petit. Bref, pour Ince quantum, le plus vaut plus que le moins,
quoi le sublime est-il grand et non petit ? Pourquoi I mieux II que le moins, et le grand plus ou mieux que
grand (absoIument) est-il sublime et non le petn I petit P L'instance de décision ou de « préférence II ne
(absolumenr) ? Kant pose Ie fait de cette préférence, d ut être, en tant que telle, ni phénoménale ni nouménaIe,
ce. plaisir pns au plus grand ou du plus grand plai \I nsible, ni intelligible.
prI~ au grand, de cette économie qui fait, quasi-taut I. question revient à l'origine de Ia présentation.
logie, que le plus vaut plus que le moins, et l'absolumem iurquoi le grand absolu (le sublime), qui n'est pas un
grand plus que l'absolument petit, puisque le schêm ntum puisqu'il excede toute comparaison, se laisse-
de Ia préférence (le plus) y entraine comme une cons 11 présenter par un quantum qui n'arrive pas à le pré-
quence analytiq~e. Si en effet on se demande, comm ler? Et pourquoi ce quantum essentiellement ina-
je viens de Ie faire, pourquoi Ia préférence irait au plu uat le présente-t-il d'autant « mieux II qu'il est plus
grand, on oublie nai'vement que le plus et donc 1 nd? Le plus ou moins (grand) ne devrait avoir
grandeur s'inscrivent dans le mouvement et dans 1 lu aucun sens, aucune pertinence au regard du grand
conce.pt même de .préférence. 11 faut alors déplacer J olu, de Ia magnitude. Or il a un sens, note Kant
quesnon : pourfJ'!Ol.y aurait-il préférence ? et plus stric ( I il décrit là ce qui en effet se passe) puisque l'évalua-
tement pourquoi, SI dans Ia phénoménalité l'excês d uon positive porte vers le haut ou le grand absolu, Ia
quantité. doit s'annoncer, et le passage au-delà de J gnitude, et non vers le petit ou le moyen.
comparaison, pourquoi le ferait-il du cõté du grand I Kant aura introduit Ia comparaison lã ou, dit-il, elle
no~ du pent, du plus grand et non du pIus petit, du n devrait pas avoir lieu. 11 l'introduit, il Ia laisse
mOInSgrand ou de I'absolumenr petit? 'introduire de maniêre apparemment fort subtile.
. Kant .pose que Ia préférence ne peut être que subiec- on pas en ré-impliquant Ia magnitude dans ~~compa-
tive m2!s Ia tautologíe même de Ia proposition le dis- ble, mais en comparant le comparable ã 1mcompa-
pense d une ques~lOn. SI aucune mathématique ne peut ble. La logique de l'argument, me semble-t-il, et
en tant ~u~ t~~e Justifi~r. ~e préférence, un avantage ut-être Ia chose même, ne sont pas sans rapport
~e supenonte, un prívilêge (Vorzug), il faut qu'un vec Ia preuve de l'existence de Dieu selon saint Anselme
jugement esthétique y soit impliqué, et une mesure
subiective venant à fonder des jugements réfiéchissants.
(aliquid quo nihil majus cogitari potest ) --I
Un objet, nous fút-il indifférent dans son existence
nous p~ai~toujours par sa simple grandeur, même si o~
Ia consIdere. comme sans forme (formlos), et ce senti-
ment est urnversellement communicable. Le rapport à
cet,te grandeur n'~t pas mathématique, ni le « respect II
qu elle inspire, DI davantage le « mépris II que suscite
« ce que nous nommons simpIement petit I). Kant ne
se demande pas pourquoí cela irait de soi, de soi natu-
rellement vers le plus grand et le plus hauro La question
LA VÉRITÉ EN PEINTU RGON 159

L sublime ce en comparaíson de qu I
tout le r~te est pent. Kant laisse s'mtrodwre ainsi un
le colossal, nous l'avions
é attendre, ressurgit ici. Nous sommes en
comparaison, .une Vergleichung, lieu de toutes 1 t devant une sorte de mesure premiêre et fonda-
figures, analogies, métaphores, etc., entre deux ordr tale. 11 y aurait une évaluation fondamentale
absolument irréductibles entre eux, absolument hétér stes oder Grundmass) de Ia grandeur, et deux
gênes et dépa;~illés; II iette un pont par-dessus 1 .êres de prendre : appréhender et comprendre.
g~>uff~e,entre 1Impresentable et Ia présentation. A vr I mment l'entendre?
~~re 11. prétend ne pas le jeter mais le reconnaltre, Dans l'ordre phénoménal, une évaluation de Ia gran-
I ~dentlfier : le pont, comme symbole, se jette. Dês lor r procede mathématiqu~e~t, par, concepts ,de
c est toute Ia. nature, Ia t~talité des présences et de mbre ou par leurs ~ignes .alge~~lques;,1 ~utre p~ocede
grandeurs qui est et apparalt comme petite au regard de- thétiquement par simple mtumon, ~ 1ceil. .ar SI nous
la magnitude, Et c'est lã le sublime. II n'est rien dan ulions nous confier seulement à 1 évaluation mathé-
Ia .natu~e, si gran~ qu:~n s~it le phénomêne, qui n tique, nous serions privés de .toute mesure fondamen-
pwsse etre ramene ã lmfiniment petit. Le télescop e ou premiêre. Dans Ia série des nombres allant à
!l0u,s rend cett~ affírmation três proche. Inversemem, I'lnfini chaque unité en appellerait à une autre unité
il n es~ nen. qui ne puisse pour l'imagination s'étendr m~ure. L'évaluation de Ia grandeur fondamentale
~ux dimensions du monde, en comparaison avec d (Grundmass) doit donc consister en une capacité de
efhelles d~ mesure e~core plus petites, et cette foi isie (Fassen ) immédiate et intuitive : présentationdes
c est le microscope qw nous aide. Mais comme il y a ncepts de nombre par .1'imagination. Autre mantere
dans notre Imaginatíon un~ tendance au progrês infini, e répéter que I' évaluation .~es .grandeurs, po~ les
dans notre raison une pretennon à Ia totalité absolue bjets naturels, est en dermere mstance esthétíque
comme à une idée réelle, Ia démesure (Unangemessenheit) ubjective et non objective». A • ,. •

de notre P?uvo~r d'~valuation phénoménale des gran- Pouvoir rapporté à ce qui peut ~tre pns à, 1ceil, ~ns
deurs, .son madequatlOn ã l'idée infinie éveille en nous vue, voilà le fondamental quand il y va de 1 évaluation
le sennmenr d'une faculté suprasensible. Cet éveil est es grandeurs. Le colossal sera peut-être quelque ch?se,
proprement sublime, et il nous fait dire : « est sublime I présentation plut~t de ~ue1que chose qw p~ut. etre
ce en comparaison de quoi tout le reste [tout autre prise sans pouvoir etre pnse, en mam ou à 1ceil, le
alles andere] est petit » , Passen ressemblant d'abord à l'opération de Ia main.
tre prise sans pouvoir être prise et qui dês lors vous
I A VÍRITt IIN PEINTUIU!
161
160 LA VÉRITÉ EN PEINT RERGON

écrase, vous rejette en bas tout en vous élevant, puisqu


vous pouvez Ia prendre en vue sans Ia prendre en main
sans Ia comprendre, et que vous pouvez Ia voir sans I
voir complêtement. Mais non sans plaisir, d'un
plaire-à-cela sublime.
Reprenons : l'évaluation mathématique de Ia gran
deur n'accêde jamais à son maximum. L'évaluati 1\
esthétique, Ia premiêre et Ia fondamentale, y atteint
et ce maximum subjectiJ constitue Ia référence absolu
qui éveille le sentiment du sublime; aucune évaluati 11
ou comparativité mathématique n'en est capable, 5 \I
si - et cette remarque de Kant, abandonnée comme li
passage, entre parenthêses, est saisissante - Ia mesur
esthétique fondamentale reste vivante, est maintenu
en vie (lebendig erhalten wird) dans l'imagination qu
présente les nombres mathématiques. Ce qui montr
bien que l'évaluation fondamentale de Ia grandeur en
son maximum est subjective et vivante, si énigmatiqu
que reste cette « vie », cette vivacité ou cette vivanc
(Lebendigkeit) .
Or cette premiêre mesure (subjective, sensible
immédiate, vivante) procede du corps. Et eUe a 1
corps pour premier objeto On doit maintenant le vérifier,
C'est le corps qui s'érige en mesure. 11 fournit l'unité d
mesure mesurante et mesurée : du plus petit et du plu
grand possible, du minimum et du maximum, comme
du passage de l'un à I'autre,
Le corps, disaís-je. Le corps de l'homme, comme iJ
va de soi, et sans dire. C'est à partir de lui que l'érection
du plus grand se préfêre,
Tout se mesure ici à Ia taille du corps. De l'homme.
C'est à ce mesurant fondamental (Grundmass) qu'il
faut rappêrter le colossal, son excês de taille, son insuf-
fisance de taiUe, le presque et le presque trop qui le
tient ou l'élêve ou l'abaisse entre deux mesures.
On vient de l'entrevoir : pour que l'évaluation esthé-
tique donne lieu à une mesure mathématique, l'inter-
vention de l'imagination est indispensable. Celle-ci
s'empare (aufnimmt) d'un quantum sensible pour en
faire une estimation empirique. Or l'imagination,
intermédiaire entre Ia sensibilité et l'entendement, est
162 LA VÉRITÉ EN PEINTU RGON

ue du sujet. De três prês, l'appréhension visuelle


capable de deux opérations. Et nous retrouvons ici 1 e du temps pour s'accomplir de l~ base au sommet,
d~ux bo~~s, 1~ d~ux faces du trait, de Ia limite ou de I premíêres perceptions s' « évanoUlssent II avant que
t~e. L un~auon est Ia taille parce qu'elle a deu agination n'atteigne aux dernieres et.« Ia compré-
tailles. La ~e a toujours deux tailles : elle dé-limit íon n'est jamais complete », accomplie. 11 faudrait
Elle a Ia taille de ce qu'elle délimite et Ia taille de nc trouver un lieu moyen, un éloignement [uste pour
qu'elle dé-lim,ite? de ce qu'elle li?tite et de ce qui ' I r le maximum de compréhension au maximum
libere de. sa limite. Deux opérations de l'imagination ppréhension, pour prendre en vue le maximurn de ce
donc, qw sont toutes deux de préhension. L'appréhen , n ne peut pas prendre et imaginer le maximum de
sl(~n (apprehensio, Auffassung) peut aller à l'infini sa" qu'on ne saurait voir. Et quand l'imagi~ati0Il: atteint
peme. L'autre, Ia compréhension (comprehensio, Zusam maximurn et éprouve le sentunent de son impuis-
mer:fas~ng) ne. pe~t pas swvre, elle est finie, assujettJ nce, de son inadéquation à présenter l'idée d'un t?ut,
à. 1intuuus derioatious et au sensible. Elle arrive tr U retombe, elle s'abime, elle sombre en elle-meme
vite à un maximurn, qui s'érige alors en mesure fond an sich selbst zurück sinkt ), Et cette retombée abyssale
mentale. Ce maximurn de Ia compréhension est « I Ia laisse pas sans une certaine é~otion .positive :
~esure ~ondamentale, esthétiquement Ia plus grande, d certain transfert lui donne de quoi se plaire à cette
1 évaluatíon de Ia grandeur », Et si l'appréhension hute qui Ia fait revenir à elle. 11y a un « se-plaire-à II
s'éte?d au-delà ,~ece maximurn, il fait perdre en compr ns ce mouvement de l'imagination impuissante (in
hens~on ce qu il gagne en appréhension, D'oü cett h selbst zUTÜck sinkt dadurch aber in ein rührendes
conseguence apparemment paradoxale : le bon lieu 1 ohlgefallen versetzt wird); C'est ce,qui ~e p~sse, autre
topo~ idéal pour l'expérience du sublime, pour l'inad~ u de pierre au nom de Pierre, et c est I Eglise, quand
quation de. Ia présen~ation à l'imprésentable, ce sera un le spectateur entre pour Ia prem~ere ,fois dans l'é~lise
place médiane, un li~u moyen du corps qui fourniss e Saint-Pierre à Rome. 11 est « egare » ou frappe de
un m~urn esthéu.que sans se perdre dans l'infini tupeur », On dirait presque médusé : tout ~ l'heure
mathémauq';1e. 11 dou y avoir un corps à corps : 1 u-dehors maintenant au-dedans de Ia crypte pierreuse.
corp~ « subli?teAII (celui qui provoque le sentiment du C'est d~ moins ce qu'on raconte (wie man erziihlt) :
sublime) doit ei!e assez loin pour que Ia grandeur ant n'est jamais allé Y voir de plus prês, ni à. Rome
~axlmale apparalsse. et reste sensible, assez prês pour i en Egypte. Et il faut aussi compter avec Ia distance
~~re yu .et « compI';1s lI, pour ne pas se perdre dan 'un récit d'un récit écrit dans le cas des Lettres de
1indéfini mathéJ?lauque. E-loignement réglé, mesuré vary. Mais l'éloignement requis p0?I' l'expérience du
entre un trop pres et un trop loin. ublime n'ouvre-t-il pas Ia percepuon à l'espace .du
Dans 1~ exemples kantiens, ce corps à corps est un
récit? L'écart entre l'appréhension et Ia comp~éhension
corps à r.ierr~. Avant même que surgisse le colossal,
n'appelle-t-il pas, déjà, une voix ~rrauve? Ne
a~ant q~ il sou nommé, et vous le pressentez déjà de 'appelle-t-il pas, déjà, d'une voix narrauve, le colossal ?
pierre, pi~rreux, pétrífíé ou pétrifiant, les deux exemples Nous y revenons apres avoir tourné lentement autour
sont de pierre. de son emplacement. Dans 1e ~aragraph~ pr~cédent,
, I?'abord, une fois de plus, les Pyramides. Kant se Kant vient de nommer les Pyramides et Samt-Plerr~ de
~efere ~ux Lettres d'Egypte. Savary explique: il ne faut Rome : « ••• si on doit donner le jugernent esthénque
etre 01. tr?? p~es ni trop loin des Pyramides pour pur (qui ne soit mêlé avec aucun jugement téléologique
ressentir 1emotion propre à Ia chose. De três loin comme jugement de 1a raison) et par là un exemp1e
l'appréhens.ion des pierres ne donne lieu qu'à un~ pleinement approprié à une critique de la faculté de
représentation obscure sans effet sur le jugement esthé-
LA VÉRITÉ EN PEINTURI RGON

l' utre. Taille, bordure, bords de coupure, ce qui


juger esthétique, on ne doit pas montrer le sublirn
dans des produits de l'art (par exemple des édifices, e et se passe, sans passer, de l'une à I'autre,
des coIonnes, etc.) en Iesquels une finalité humain
détermine aussi bien Ia forme que Ia grandeur, ni dan
les chose~ de ~a,nature, dont le concept comporte déjl
une fin .déterrmnee (par exemple des animaux dont 1
destination naturelle est bien connue), mais dans 11
nature brute (et en elle dans Ia mesure seulement 01
elle ne comporte aucun attrait ni rien d'émouvant venu
d'un danger réel), pourvu seulement qu'elle contienn pas_sans-de-l'une-à-l'autre
de Ia grandeur. ~ d~s cette.so~e de représentation
Ia nature ne connent nen qui soit prodigieux (unge-
heuer) (rien. de magnifiqu~ ou d'~pouvantable); 1
gr!l1lde~rqui est appréhendee peut etre étendue aussi
10mqu on voud~? SIs~ule~ent elle peut être comprise
en un tout par 1imagmanon. Un objet est prodigieux
Iorsq';le, par sa grandeur, il anéantit Ia fin qui en
c~nstItue !e con~ept. Colossale en revanche s'appelle Ia
simple presentanon ?'un c~>nceptq~ ~t presque trop
gran~ pour toute pr~sentatIon (à Ia limite de ce qui est
I Kant a plusieurs fois retouché sa
hrase y aiguisant sa plume. Le « qui » du « qui est
r~IatIvement prodigieux); ~ ~ fin de Ia présentation resqu'etrop grand » a pour a!ltécéd~nt, d'UJ?-eédition
~ un conc~pt.est rendue difficilepar le fait que l'intui- l'autre, le concept ou Ia prese,ntatIo~.MaIS cela ne
non de ~objet est. presque ,trop grande pour notre víent-il pas au même? La pres~ntat1onde ,quelque
faculté d a~prehe~sI0n. » D appréhension et non de hose qui est trop grande pour etre présentee o,! Ia
compréhensl0~, bien que l'appréhension se définisse présentation trop grande de quelque chose p.our etre
par. le l?ouvolr de progresser à l'infini; elle s'essouffíe présentée, cela produit toujours une it:ladéq~~tIond~ Ia
moms vrte q~e Ia compréhension. Nous y avions insisté présentation à elle-même- Et cette. méAgaliteP?sslbl~
plus haut mat~pour affinerIa distinction et Ia proximité du présent de Ia présentation à Iuí-même, voilà qur
entre ko~ossa[,!ch et ungeheuer, il faut encore rappe1erIa ouvre Ia dimension du colossal, du Darstellen colossal,
connotanon vlrtuell~ qur marque cette derniêre valeur : de l'érection là-devant du colosse qui se taille. 11 se
le ",?"st"!4eux. A. Philone~? Ia privilégieen rempIaçant taille, surgit et ressurgit dans sa taille immense, à Ia
systemanquement « prodigieux » (traduction Gibelin) fois limitée puisque le présenté reste trop grand,
par « monstrueux », presque trop grand pour lui, et illimitée par cela même
Le colossal semble appartenir à Ia présentation de Ia qu'elle présente ou qui se présente en elle. ~e do?ble
nature brute, rude, crue. Mais on sait que le sublime trait d'une taille qui limite et illimite à Ia fois, Ia ligne
n'e~prunte que ses présentations à Ia nature. Le diviséesur laquelle un colossevient à se tailler, s'entaíl-
sublime du colossal, s'il ne releve pas de l'art ou de Ia lant sans taille, voilà le sublime. Kant le dit aUSSl
culture, n'a pourtant rien de naturel. La taille du
« subjectif » : déchiffrons-y l'idéaft~ psychique de c~
colosse n'est ni culture ni nature, à Ia fois l'une et
qui « n'est pas dans Ia nature », 1ongme ~e Ia psyché
l'autre. II est peut-être, entre le présentable et I'impré- comme colossos, rapport au double du cí-devant qui
sentable, le passage autant que I'irréductibilité de l'une
166 LA VÉR1TÉEN PEINTU
RGON 167
vient là-deoan; s'ériger. Se suréleuer, prétendument, \I
delà de Ia hauteur. cõtés sa propre taille, i1 est de sa propre taille des

'I
cõtés. A priori et d'entrée de [eu double colosse,
n double colonne. D'ou sa résonance.

.I
cí-devanr, Fort
~~ . colossal. Ce qui vient-Ià-devant-s'ériger. Devam à Ia fois puissant et imp~ssant, puissant
s er~~er dans le .mouvemenr excessif de sa propre di n impuissance même, tout en pwssance dans son
pantion, ~e son lmprésentable présentation. L'obscénit ité à soi. Tout ici résonne et se répercute dans le
de son abíme. _
e dynamique .. Le colossal a. été traité dans ~e
I pitre sur le sublime mathématique. ~este à VOlt
ent le dynamique V1e~tau mathé~tlque. .
our le jugement esthétique, le sublime dynamzque
Ia nature se donne dans Ia différence entre Ia force
Ia puissance, quand Ia force (Macht) n'a pas Ia
rce d'exercer sa puissance ou sa violence (Gewalt) :
nous. Et Ia force ne devient puissance qu'à l'emporter
r Ia résistance d'une autre force --
. cette doubl
taill~ ne se compare qu'à elle-même. Car Ia limite
n:e~ste pas. Même s'il y en a, Ia taille de cette entame
n ~,,!st~ pas, elle. ~e commence jamais, nulle parto Ni
ongmaire ni dénvee, comme Ia trace de chaque trait
C'est cela, ce qui se présenre sans taille. .

, . idé I
--:- '" et, SI vous consi erez e tronc du présent glas et ~ctique du. colossos.
q~. se fait ~ClA present, vous voyez double, vous voyez ans l'intervalle entre le sublime mathématique et le
qu il aura du erre double. Le colossal est, autremenr dit ublime dynamique, un arbre avait été proj~té. dans ~
se surélêve des deux côtés de sa propre taille, i1 est des
voie lactée. 11y avait le pont au-dessus de 1abune qw
168 LA VÉRITÉ EN PEINTU

menace de tout engloutir, au bord duquel s' entame l'an


lytique du sublime. Maintenant ce tourbillon qUI
arrache l'arbre pour le projeter, immensément, dans Ia
dissemence laiteuse. Il y va toujours, comme on "
maintenant, de I'écriture chiffrée (Chiffreschrift)
même Ia nature. Et d'un exemple : « Des exemples d
sublime mathématique dans Ia nature nous sont livr
dans Ia pure intuition par tous les cas ou nous I
donnée non pas tant un três grand concept numériqu
que, plutõt, une grande unité en tant que mesure pOUI
l'imagination (afin d'abréger les séries des nombre)
r
Un arbre, que nous évaluons d'aprês Ia taille de l'hommI

donne dans tous les cas une mesure pour une montagne I

et si celle-ci était haute d'un mille environ, e11e peut


servir d'unité pour le nombre exprimant le diamêtre d
Ia terre, de telle sorte que celui-ci devienne accessibl
à l'intuition, le diamêtre de Ia terre jouant Ie mêm
rôle pour le systême planétaire que nous connaisson I (par dessus le marché)
celui-ci pour Ia voie lactée; et Ia foule immense de tel
systêmes de voies lactées appelées nébuleuses, qui
vraisembIablement constituent entre elles un systêm
analogue, ne nous laissent attendre ici aucune limite. Ii

I
i, le résonnement dans cette autre langue vous
t encore, j'aimais les mots pour trahir (pour
ter, triturer, traíner, tramer, tracer, traquer).

Par exemple, pour trahir Adami, être traitre à son


vail, je me laisserais donner un cadre.

L'exhiberai-je sans reste? Comment évaluer l'écono-


'e des moyens, les contraintes d'une échéance (tant
jours, mais c'est plus retors, je procede à partir d'une
ccumulation difficile à mesurer), d'un format (tant de
es, mais ie plie et multiplie les tropes, surdétermine
codes, engrosse les langues et les marges, capitalise
l'ellipse, jusqu'à un certain point qui me regarde mais
ue je vois mal), et puis ce qu'ils appe1lent les conditions-
e-la-reproduction, le marché-de-la-peinture : mais
ussi de Ia signature, de l'écriture et même, ici prise en
mpte, de Ia rature.

Premiére version publiée en 197 dIa' .


:;w 197~. éditions Maeght). L'o<;~st:Sen ~~~~ D~êre /e miroir (nO l14. 11 dessinait à Ia gomme, le voiei qui rature .
.e Vale~lO Adami. Le f)oyag. du dmin
11 esr utile de Ie rappeler ici d
P . par ,une exposition
000 ~
'E ar:u une centaine d aurres dessins
Que fait-il, lui, du marehé, des cadres et des marges ?
Elles avaient préparé les d~uxe:. tu ••. pour un dessin d'opre. G/a s, :
CHI (CHI~RE pour l'ensembl )rel qUI r~çur~nt leur titre, ICH et En parler de toute évidence ne lui suffir pas. Ni
en corps IS. sans marge bo deu texte qUI sua. Celuí-eí fut imprim~
d'abord fait pour s'en ex~liq~e~e ou passe-partout d'aucune sorte. Et l'énoncé de thêses à ce sujet. Benjamin, ici portraituré,
enjoint à L' auteur comme producteur : qu'il ne se contente
173
172 LA VÉRITÉ EN PEINT

pas de prendre position, par des discours, au sujet I


Ia société et que jamais, füt-ce de thêses ou de produn
révolutionnaires, il n'approvisionne un appareil de pr
duction sans transformer Ia structuremêmedel'appar I
sans le tordre, le trahir, l'attirer hors de son élém 1\
Aprês l'avoir piégé, l'ayant d'un mauvais coup pri
mot ou au mors.

lei même, voyez, il a forcé un cadre. Ill'a mis à 11'


et retourné, s'acharnant à disloquer les angles, fouill 11
les encoignures. A tergo, laissant croire qu'on pouvn
tourner autour, faire un tour de propriété, passer d I
riêre Ia reproduction spécu1aire.

Mais ou le dos fait face, le texte était déjà : lettr


initiales déjà écrites de ce que vous croyez être
main par quelqu'un qui écrit ici moi, disant (quoi
lisez, regardez) ici maintenant, mais depuis toujour
entraínées dans Glas par une incroyable scêne d
séduction entre Rembrandt et Genet. Avec passage
l'acte, bien sür, comme on entend Ia séduction dans 1
psychanalyse.

Mettant le cadre en avant, le poussant sur Ia scên


maltraité, sous les proiecteurs, il a barré marges, il
écrit, donc raturé, ce qu'il faisait; il a dessiné, trait pOUI
trair, ce qu'il écrivait, ce qu'il raturait plutôt : c
Marges que je tenterais en vain de me réappropri I
comme une rente ou un titre.

Pour ce double geste, et ce mobile d'une citation,


déjà, de Ia double gravure (disque et dessin), Concerte
per un quadro di Adami, il lui fallait deux fois deux
mains. 11 compose, il décompose : entre autres piêce pour< un dou i" d'aprls Glas (l'une de. deux faces de ce qui sera une ."figra-
avec des partitions que j'ai feint de signer, ou Ia néce le objet double face).
sité de jouer à plusieurs mains, sur plus d'une portée,
insistait depuis longtemps (( Deux textes, deux main ,
deux regards li, Ousia et grammê; « 11 est là comme
l'ombre du livre, le tiers entre les deux mains tenant le
livre, Ia différence dans le maintenant de l'écriture li,
Ellipse; « 11faut au moins deux mains pour faire fone-
174 LA VÉRITÉ EN PEINTU 175
nner l'appareil, et un systême de gestes, une multi-

I
ité organisée d'origines. 11 faut être plusieurs pour
re et déjà pour « percevoir ». La structure simple de
maintenance et de Ia manuscripture est un mythe,
« fiction » aussi « théorique » que l'idée du processus
aire », Preud et Ia scêne de l'écriture).
e Concerto a quauro mani s'interprête deux fois en
versant l'orientation des mains : devant un miroir,
un miroir, derriêre le miroir. L'étrange manu-
e détourne Ia spéculation, elle présente ce qui Ia
ente, derriêre le miroir, en couverture. Celle-ci fait
ne partie d'elle-même, morceau d'un présentoir qui,
r se trouver à Ia fois dedans et dehors, manipule sur
u ieurs registres un objet qui pourtant le déborde.
feint de représenter un instrument non représentatif
r exemple un piano).
Mais aussi, vaguement distraite par Ia fumée d'une
arette, d'une danse chirurgicale, les doigts en choeur.
aos Viaggio all' est c'est Ia bouche en cceur.
A couvrir, dês son tirre, Ia totalité d'une série dont
n'est pourtant qu'un morceau, d'un ensemble dont il
'est qu'un instrument, le concerto s'empare-t-il de Ia
s puissante galerie (un mot que je prélêve dans un
utre dessin)? Détraque-t-il le sens de Ia marche ou
u marché? On se le demandera pour chaque dessin,
haque titre, chaque trait. Partout le même stratagême.
I rait pour traít, chacun vaut pour tous mais ne laisse
I ais Ia moindre chance, de ce fait, à l'équivalence.
Que se passe-t-il quand une plus-value se met en
byme?

quoi donc aurai-je cédé? A qui.

Quant à Ia peinture, sur e1le, à cõté d'e1le ou par-dessus,


41••••••..11. J •• r
le discours me parait toujours niais, à Ia fois enseignant
et incantatoire, programmé, agi par Ia compulsion
Etude pour un desrin d'aprls Glas (I'autre face).
magistrale, poétique ou phi1osophique, toujours, et plus
encere quand il est pertinent, en situation de bavardage,
inégal et improductif au regard de ce qui, d'un trait,
LA VÉRITÉ EN PEINTU , R 177

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179
LA VÉRITÉ EN PEINTU R

(se) passe (de) ee langage, lui demeurant hétérogêne 011


lui interdisant tout surplomb. Et puis, si je dois sim
plifier sans vergogne, e'est eomme s'il y avait eu pour
moi, dans Ia peinture, deux peintures. L'une eoup8J1I
le souffíe, étrangêre à tout diseours, vouée au mutism
présumé de « la-chose-même », restitue, en silenee aut
ritaire, un ordre de présence. Elle motive ou déplo
done, le déniant totalement, un poême ou un philos
phême dont le eode me parait épuisé. L'autre, Ia mêm
done, volubile, intarissable, reproduit virtuellement un
vieux langage, en retard sur Ia pointe d'un texte qu
m'intéresse.
A Ia pointe de ee texte (texte général, je ne vais p
te définir encore dans tous les rouages ou les énergie
de son dispositif), m'attendait Ia signature anguleu
d'Adami. Avancée stupéfiante et simultanérnent sur
tous les fronts (historique, théorique, formel, poli
tique, etc.),
J'ai done cédé, avant même de le savoir, eomme I
j'étais lu d'avance, éerit avant d'écrire, prescrit, saisl,
piégé, pêehé. Et puis ça me regardait. Me faisant parler
ça me mettait dans mon tort mais il était trop tard et
ça m'aura appris.

Par exemple dans le dessin au poisson que je bapti-


serai Ich : sans autorisation de l'auteur, pour le lul
prendre à mon tour et le tenir au bout de maligne, d'un
ligne apparemment simple, sans moulinet, sans ta / ,
maehine interposée qui tourne et pêche toute seule
sous les roues du train, dans La meccanica dell' asnientura
(elle date du mois suivant).

Ich, corps arraché d'un poisson, corps étranger d'un


mot pour intéresser une autre Zangue (Adami le fait sou- Etude pour dersi" d'apris Glas.
vent) au jeu des signatures et à Ia surenchêre agonistique
spéculant sur leje. Corps tronqué ou matrice surchargée
(il y en a tant ehez Adami), amoree pour le phallus
ehristique (/chtus), piste, graphe ou traee [Ichnos )
d'un mors sans voix.
181
180 LA VÉRITÉ EN PEINTURI I R

Je donne Ia traduction de Ich. upée avant le da. Ce qui se détache - tombe par-
sus bord - est aussi un morceau du nom de l'autre
da) et l'un des motifs les plus ?b~édants de Glas.
Glas (on exigera que je me cite moi-même patiemment Le da n'est pas là, hic et nunc, mais il ne manque {!as.
ie parle ici de Ich et 1'expose comme un au;re, et tout UI: mme Ia couleur? il faudra voir plus tard : ce qu: se
chacun) traque en tous sens l'opération du désir bapti it fort de Ia chute monumentale - tombe par-dessus
mal qui entre et sort mais ne retient jamais, comme Ich rd. dé ., d'
ni dans l' eau ni hors de l' eau. ' lcb : ce cahier de dessin tourne en nsion, av~ce
pour rouiours., les. dissertations dont on. voudrait le
uvrir avec applicauon, dans le .genre «.pel~ture et/ou
. pe~ pages (double colonne, double bande) sont riture » « Ia rhétorique du trait n, « histoire et fo~c-
ICI relit:es, par ~e .agrafe nommée spirale, comme dan onneme~t de Ia légende dans Ia sémíotíqce d' Adam! n,
un cahier. Codicarium Quaternarium? quatre cõtés en
ê
Ia réinscription du titre n, « Ia subverslOn poíitico-
tout ?S' un. support lui aussi coupé en quatre selon ynecdochique de Ia B.D. 11, etc. .
un decalage interne de Ia reliure et une limite obliqu Je-marque seulement l'événement de Ich, Sll~ struc-
comme Ia surface des eaux. ure en est singuliêre, ne relevan~ plus routefois de ce
Pêchée dans Glas, tirée au-dessus de Ia mer hors d ue Ia conscience ou Ia percept1~n appréhe~d~nt au
son .éIément, une phrase semble durer, à I~ fois se utre de Ia singularité, chaque dessin d' Adarm, ~ affecte
contmuer et se couper : d'abord en elle-même d 'un événement. « Global II dira~~ Genet. J. aiouterar
gauche à droite, interrompant son propre mouve~ent lílescopé, Ia dramaturgie ten~t à I'íntrusíon violente de
puis se reconstituant, d'un saut par-dessus Ia reliure, l'appareil optique qui de 10m rassemble et bouleverse,
par-dessus Ia marge domestique ou 1'articu1ation. Prenant ~ it rentrer l'un dans l'autre, aussi bien qu'à l'événement
appel sur son gl à peine articulable. Tout se marque dont il précipite le récit. .
ici à peine.. L'énoncé ne se coupe pas seulement au- La phrase qui traverse les hauteur~ de Ich s~ laisse,
dedans, aUSSlsur ses deux bords externes, au massicot. jusqu'à un certain point, déchiffrer, re veux dire dans
« Ce qui à Ia fois me coupe et me souffte tout le reste» le systême d'une langue. Ie v<?us,a~an~onn~ cett~ lec-
s' écrit et se lit ainsi, se perforrne en coupant et en ture : Ia polysémie ,:,<?ireIa. dlssermnauon I entraínent
soufftant tout le reste, en train de faire ce qu'il dit faire loin de toute rive qui mterdisent à ce que vous appelez
de dessiner ce qu'il est en train d'écrire. Les bordares un événement de s'arriver jamais. Laissez fíotter le filet,
encadrantes sont sautées, les marges saturées mais en le jeu infiniment retors des noeuds et des mailles qUI
abyme. Ich replongé «( Ia replongée conso~ne ll) au prend cette phrase dans son dessin. .
I??ment même de Ia pêche et du baptême, dans un J e tire seulement un fil pour tenter, mais encore en
élément sans ~ond. Le phallus christique sort-il de Ia vain, de capter ce qui advient. Je remarque ~'abord que
mer ? Pas de nve, plus de bord, certes, mais le bord est chaque lettre, chaque mot se donneà vou, appa~aít
nommé : « l'angle est toujours pour moi un bord de donc, trait ou forme, hors langue. Mais s:ms se lim}ter
tombe », a reproduire, par ressemblance ou analogíe, cela meme
ui se dit ou se montre. Chaque lettre a ~ans do~t~ Ia
Ma signature - qui en attestera l'authenticité dans forme arquée, tendue, Ia rigidité convulsive e: l~g~re-
~e~~ reproduction de reproduction ? et si Adami l'avait ment incurvée, Ia souple fiexion d'un phallus enge ou
mutee, comme mon écriture? et si ['avais, sur ia du poisson entre vie et mort, encore pendu, au crochet
gauche, contrefait Ia sienne ? - ma signature est aussi (une sorte de mors aussi), arraché à son élement mais
183
182 LA VÉRITÉ EN PEINT
r che d'un coup (ictus ) à Ia surface) ni à un logo-
bon~ssant .en~ore, désir dansant pour Ia premiêre me (ce n'est même pas l'ancien fragment d'un mot
derniêre f01Sd un sursaut : p1us d'air. Et chaque letu
l'ex-trait d'un discours), lch crêve d'un coup, comme
sans doure; gl ~urtout, remarque ce qui se monu
comme ce qw se dit : surface glissante, caractêre anguleu isson, et le langage et le tableau. .'
e dirais d'un coup de musique si ce mot n~ risquait
mot angIe, bord de tombe, signature crochue. Chaq I
e laisser encore arraisonner dans un systeme ana-
1ettre, mors ou morceau de mot, s'écrit avec deux main
e. D'une danse alors, danse de mort dans Ia queue
sur chaque page, deux fois deux mains : écriture fi I
melle, écriture discursive,. picto-idéo-phonogramm poisson, d'un rythme imprimé à Ia queue. Et. Pll! Ia
ue lamée. Rythmos, on le sait, en est venu à s!grnfier
pour ~ seul concerto, dominé par un seul instrument
fois Ia cadence d'une écriture et l'ondulauon des
Mal~ g!? son gl? le son gl, le gl d'angle, son gl
t . lei imprimé à Ia mer matrici~~e - l'homme-
Ce~e ecnture à pem~ ~rononçab~e n' est pas u~ mor
I on sublimant à mort pour plus d air - aux ondes,
P?eme, p.as un mot SI 10n se renent de franchir, ri 11
I surface ondée d'une musique battue par Ia queue
n y auto~lse, le pas de ~ens. gl n'appartient pas au di
cou~s, rn. da~antage à 1espace et rien n'assure Ie pas ieuse de Ich.
ou 1avernr d une telle appartenance. Le suspendu n' t
pourtant plus un phonême insignifiant Ie bruit ou Ie Cri
,.. '
qu on oppose naivement, comme Ia nature ou l'animaJ
01ou abime du tableau : touchant au f~nd de Ia m~r,
e três vive et droite, autochtone, ou galere ~aufra~~e,
à Ia pll!0le. ~ésistant,. au dis.cours du pêcheur, il • ve immobile et monumentale~ un vers de)à. « ate »
figurerait Ia pemture s il ne lui restait aussi irreprésen S Glas ici de três haut repêche, entre des guillemets,
table : non pas I'éclat de voix dans Ia peinture mai
l' éclatement de Ia paro1e dans le dessin ou Ia ta~he d angl~, des noires aussi saD;sportée. ~u co~enc;
couleur dans Ia graphie ou le trait dans Ia couleur. ent c'était le premier vers d un m~uvals poem~ ~u à
~~belle au c~mmerc~ apaisé, à l'échange réglé des deux -sept ans j'ai publié dans ?De pente ~~~e mediter-
éenne qui a sombré depws .et dont }ai aban~onné
~I~m.ents(le:ucal ~t pictural), prês de trouer l'arthron d
I ~cnture dlscu,rs~ve et de Ia peinture représentative on seul exemplaire dans un vieux coffre à. EI-Bw.
n est-ce p~ un evenement sauvage, presque inénarrab1e ? [e ne garde, m'en gardant, que Ia memoire de ~tte
remiere ligne, au fond d'une scene ou depws touiours
.Adarnl I enfonce p~es ~e Ia queue du poisson, non
10m de Ia reliure articulée, dans l'angle inférieur du , . du savoir comment me donner Ia mort. .
quart de page, au lieu d'affaissement de Ia limite, sur Glas y émerge en morceaUX à d~~, r~pns~, coupé
lui-même, une fois dans glu, à 11?tene~u d un seul
et sous Ia mer. Mouvement de survie, arrêt de mort
ot, une autre fois inapparent ou maudible, .de IU!-
transe. finale, sursaut cambré tenu au mors. Pris dans
ême détaché par le chasme entre d~ux mots, : 11se lit,
Ies x,naillesou dans Ies écailles anglées de l'ichtus comme
voit écrit ou dessiné, tenu au silence (etang lalt,
Ia signature d' Adami, son sigle plutõt, car si l~s Iettres
composent un bane de poissons, une bande d'érections tant redevenu lait, étranglé sans r, etc.).
Ceci n'est pas dans Glas, qu'on se reporte par
err~tes .à 1'agonie, en revanche le poisson dominant
xemple à Ia page deux cent dix-neuf et ~ans ses parages.
celui qui mord le mieux et dit je (je suis mort) ou ho~
Le corps du mot « noyée », Ia « noyee », fto~e entre
est .corpus meum, so~ de Ia mer un corps d'écriture
é~ée? une surface littérale, homogêne aux initiales du eux eaux, un peu au-dessus_ du fond, corde det~due
loin de son ancrage dans Ia phrase, lettres agrandies à
signataire.
gl ne se rédui.sant ni à une forme spatiale (Ia poussée la dérive, image ~ilatée, limites évasées à travers des
de lecture glottique, vers une bul1e presque impossible, lunettes sous-marmes.
LA VÉRITÉ EN PEINTUR R

Deux lignes de force travaillent ou dynamisent 'il y a l'angle et l'onde, l'insistance infatigable et
tableau d~ pêche (comme o~ dit tableau de chasse), cupante des ongles dans tous les dessins d' Adami
deux pulsions de mort se croisent en x, double diago uf tiens dans les trois dessins congénêres de Glas ;
nale pour tem r en vie toute Ia surface investie, les deux s~nt po~r une fois des dispositifs sans rnains, rien
fois deux parties. Une mort pousse, attire ou retient humain non plus n'y apparatt. comme tel: « pl~Ces.à
vers Ie bas, du cõté de l'angle inférieur droit (noyade I viction » et « théâtre d'un cnme n condut Benjamin
colo~e d~,cendan~e). L'autre I?ort, aussi impitoyable, t les premiêres rues vides photograp~ées ~ar
sub~e, eleve à I angle oppose (asphyxie du phallu tget), qu'on lise sur telle double .page (~74) I aS~OCla-
extrait de Ia mer et colonne ascendante). On sauve d'un D des poissons et des ongles. PUlS Gabrielle, mere ~e
noyade en attirant Ia bête, toute vive, hors de son et, prénom matriciel de tout le livre, est un « POIS-
milieu. n-lune ».

On peut décrire à l'infini Ia prise instantanée de Gla


par Ich, Ia prise de Ich sur Glas. Elle serait totale si 1 Et pourtant Ich développe, sans négatif, unt: scêne q1;Ú
t?ut de Ia proie, déià, n~ relevait du simulacre. Ie pré- peut en aucun cas se trouve~ dans Gl~s fi le repre-
fere marquer pourquoi elle ne peut donner lieu • ter à quelque titre que ce SOltoA~ ~oms po~r cette
aucune représentation illustrative. Ni dans un sens ni ison : Ich performe sa propre operanon, Ia violence
dans l'autre. Et quelque réévaluation qu'on puiss hue, acérée d'une capture qui s'empare d'un
accorder à une telle illustration, il faudrait plutõt dire conscient (faítes Ia revue des armes, le moulinet de
lustration. La scêne dénommée Ich est introuvable dan meccanica les rangées d'hameçons sous Ia mam de
Glas et n'en reproduit rien. Bien sür elle capture et tire tua in via;gio,. il y a, oui, le t!~V~ et Ia force, le
à elle ~oute une machination pisciculturale, rythmée par voir-faire incomparable, l'agressívíte, les ruses ou le
Ia logique de Ia double bande (double bind) ou tenue ir du pêcheur-analyste, et puis cet X à Ia place
par l'argument dit de Ia gaine. Ainsi, par exemple quant uquel on nomme le coup de chance ou I~ couP. de
à donner le nom ou le titre : « Mais don de rien, e : Ia ligne fiotte un moment, comme 1anennon,
d'aucune chose, tel don s'approprie violemment, il .s vibre et se tend d'un coup, ça mordo 11 faut aUSSl
harponne, arraisonne ce qu'il parait engendrer, iI ue Ia bête s'y rende), fait sa proie persécutée d'un
pénêtre et paralyse d'un coup le donataire ainsi consa- te, d'une signature, d'un Ich, ce~e trace p~sC1phal-
cré. Magnifié, celui-ci devient un peu Ia chose de celui que, le traque et le traine hors de lui, pour lui do~er
qui le nomme ou le surnomme ... » ou encore « le texte voir le laisser ooir, enfin, mort, ce qu il ne poUVaI~se
dénommé de Genet, nous ne le comprenons pas ici, iI onn~r lui-même. Adami dessine ici (ce) qu'il dessme,
ne s'épuise pas dans Ia poche que je coupe, couds et ontre (ce) qu'il fait en affectant de mon~rer que1que
relie. C'est lui qui Ia troue, Ia harponne d'abord, Ia ose de l'autre main, il montre ce q~ (se). passe,
regarde; mais Ia voit aussi lui échapper, emporter sa terdit à Glas, hors de portée pour son sígnaraire- Icp
fíêche vers des parages inconnus n, et quant à Ia néces- igne l'envers absolu d'un text~, son autr.e scene, mais
sité d'élaborer sous Ia gaine, « tout cela doit rester sou ontre aussi qu'il montre, dessme Ia galerie, Ia monstra-
Ia gaine ... il y a plus de jouissance ... à faire comme si le rion, l' exhibition ou, si on ne veut plus. ~arler les deux
pois~on r~stait entier, enc~re vivant, d'autant plus utres langues d'Adami, expose l'exposition Par-d~sus
mobile, glissant, fuyant, qu'il se sait menacé », Et puis- te marché. Non pas au-dessus du marche, ce serait le
186
LA VÉRITÉ EN PEINT\1

r auquel vous vous laisseriez encore premire, mais


ttre en jeu ou en abyme les simulacres destructeurs
I plus-value. Sans que cette auto-exposition (ni
ulobiografia) réapproprie quoi que ce soit, se dévoile
'égale jamais en quelque vérité surgie de l'eau : Ia
histique, disait Platon, comme pêche à Ia ligne. Dans
igueur et Ia sévérité joyeuse du trair, impassibilité
dusante de Ia ligne, Ia disjonction travaille toute
Iité possible, elle disloque, dissocie, déboíte, déca1e,
nque, interrompt. Mais, sur I'autre scêne, de I'autre
10, Ia force rassemblante d'une érotique répare,
ye, ajointe, reconstitue l' « intégrité dans Ia disper-
n » (Jacques Dupin). La même pulsion bande et tire
deux cõtés. Et branche directement, I'un sur l'autre,
inconscients.
L'événement est inénarrable mais le récit s'enchaine.
I/fl-// I poser l'envers de l'exposition mais sans résumption
ible : ce simulacre de /ch se remontre, à tant de
i sances supérieures, dans Ia double bande dessinée,
double dessin (recto/verso) dont vous tenterez de
re le tour, puisque le support, une plaque métallique,
ra posé sur un sode. Mais vous ne pourrez jamais
rassembler pour Ia mettre, comme le tout d'un
ctacle, sous les yeux. Comme toujours chez Adami,
I rtefact est aussi un outil, une machine, un automobile :
i même Ia roue au-dessus de l' Elegy for young looers
t tre-citation de Auden), l'automatique jet d'eau sous
iupe, Ia locomotive ou le moulinet de La meccanica,
voire, les machines sont souvent des armes, Ia fronde
I' Autobiografia ou le fusil meurtrier de Staline. Ça
arche ou ça part presque tout seul.
Pulsion ou projection pénétrante (fronde, fusil, mais
ussi Ia seringue de Sequenza), attraction, introjection
pirante (les armes de pêche, l'aspirateur de Scena
domestica, Ia seringue encore à Ia pointe effilée mais
Autobiografia.
'elle-même disjointe). La seringue est son instrument :
dessin à Ia pointe incisive, pénétrant sous Ia peau, style
.gu prélevant puis, aprês mélange, injectant les cou-
leurs, irriguant et révélant le corps inconscient, cela se
fait en musique : Syrinx, Ia panique.
Au dos, on décrit le dos d'un tableau, 1'envers du
188

, en repassant par les eoins, les eneoignures, les


I . Ce qu'on croit pouvoir lire, « texte » ou pseudo-
de, n'occupe pas le centre mais se déporte dans
1 (en bas à droite), mordant sur Ia bordure, avec
légêre dislocation du eoin. Sur Ia bordure, sur les
rx,s renommées et raturées. Mais annoneées, sur ee
I abimé, par un x.

Ia lettre du ehiasme, e'est Chi, en sa transcription


ituelle. J'appelle ainsi eette autre scêne, selon si vous
I z l'inversion anagrammatique de Ich, ou de Iscb
homme hébraíque).

I rononeez qui ou khi, en expirant, râlant ou raclant


peu, avee un r en plus au travers de Ia gorge,
que cri. Mais on peut essayer plusieurs langues et
les sexes (par exemple she).

I igne ee tableau.

roisement privilégié par tous les textes que j'ai


ndus sous mon nom et que, pour les bonnes raisons
ue j'ai dites, je n'hésite plus à ramener à Ia surface, en
ulles ou bandes légendaires. « Nous sommes dans un
híasme inégal ... Selon le 'I.. (le ehiasme) (qu'on pourra
ujours eonsidérer, hâtivement, eomme le dessin
hématique de Ia dissémination), Ia préfaee, en tant que
emen, peut aussi bien rester, produire et se perdre
mme différence séminale que se laisser réapproprier
s Ia sublimité du pêre. » Hors livre. « Tout passe par
chias me, toute l'écriture y est prise - le pratique.
Eltgy for young 1000trs. . forme du chiasme, du x, m'intéresse beaueoup, non
comme le symbole de l'inconnu mais parce qu'il y
lã une sorte de fourche (c'est Ia série carrefour, quadri-
[urcum, grille, claie, clé, etc.) d'ailleurs inégale, l'une des
ointes étendant sa portée plus loin que l'autre : figure
du double geste et du croisement dont nous parlions
tout à l'heure. » Positions.
x, l'intersection générale de Glas, de ses commence-
190 LA VÉRITÉ EN PEINTII 191
R

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~ R~ ~'1't)1UIJ- (fIle I
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tftf~ ti [«ft,,) lU{ p)IPrI(
1r---"---.L....u-/iLL .J..lIuli.ll Li.. ....LI..L.Ui~-..J

Brude pour un dessin d'apri. GIas.

Etud« pour un dtsrin d'aprb GIas.


193
192 LA VÉRITÉ EN PEIN1II

ments ou fins en bandes tordues et écartées d I I ous ces motifs, Ia chímere sortant de l'eau à mi-
aussi l'opération démiurgique dans le Timée ': « I l'échelle immobile sur le bord, l'absence de
systase ainsi obtenue, d'un bout à l'autre il Ia fendi r' humaine, on les trouvait rassemblés dans La
en deux d'une. schize d~s le sens de Ia longueur; ~~~.
. double échelle dressée, rivée, entravée, on sart
.
deux bandes, il lc:s ~xa 1une sur l'autre par le mil!
en forme de x; puis illes ploya pour former de chaC\1II • lle n'arrive jamais. Série de marques «(
c'est le
un cerc1e et réunit entre elles toutes les extrémit e mot que marge et marche )), La double séance)
l'opposé du point de croisement ... Le mouvement I ne conduisent à ríen, de l'autre cõté, aux marges
cerc1e extérieur ill'adjugea à Ia nature du Même e lu rature. « L'escalier conduit toujours à l~ mo~ :
du cerc1e intérieur à Ia nature de l'Autre. )) , le haut et par étapes, escales, avec le soutien d un
Mais comme pour aecrocher Ia ehose dans Ia galeu I e. CEdipe et le Christ se sont rencontrés dans un

de l'exposition, Ia tenant suspendue par le haut, ene 11 ier. ))li y va, faut-il le répéter, de marches [..:]
I'hameçon crochu de Ich, il répête Ia premiêre Ieru e on sait, au moins depuis Jacob, chaque fo~s
le crochet X d'une citation. 'on rêve d'un acte sexue1, cela représente symboli-
Découpée dans Glas, celle-ci décrit d'avance UII ent une escalade ou une dégringolade. « Escaliers,
es~a.de, le pro~ês,d'une ,surenchêre spéculant à l'infin helles, Ia marche sur un escalier ou une échelle, Ia
qur signe ? qui lit? 9Ul regarde et dé-peint l'autr ntée aussi bien que Ia descente, sont des représenta-
. On peut alors se laisser prendre à considérer que I n symboliques de l'acte sexuel (Traumdeutung) »,

simulacre de légende intitule, au dos comme cela se f , Ias.


~arfois, le « devant ))silencieux de l'accrochage : doubl
echelle, double mesure, Ia même pourtant, une échell
sur l'autre hissée, comme pour regarder par-dessus I
cadre, par-dessus Ia marche, Ia derniêre, et dominer I
s~rplomb. C~aque éc?elle est une double colonne qu
glisse ou coulisse sur 1autre. Mais comme toujours ch I
Ad~, le désartículé, le dissocié, le disloqué se retient,
arrêté en même temps qu'exposé : le dis-joint (maint
nant fait ceuvre).

Le disjoint maintenant fait eeuvre. La couleur n'a pas encere été nomm~. Au moment
, Par Ia for~e ,du trait, selon une systase de puissant ) j'écris, je n'ai pas vu Ia couleur de Ch'me:e. ~ourq~Ol
ligatures qui viennent bander, serrer, maintenir stricte ontrer des dessins? Qu'est-ce que le dessin d Adami?
ment les membra disjecta. La double échelle est fortement 1faut expliquer. •
garrotée, p~, cordes et bandes, dans l' échafaudag Avant le fini d'une production dont on connaít Ia
c;omplexe (pili~rs, colonnes, cadres, chapitaux). Un puissance et l'insolence ~u déferlement c~omat1que,
echelle est un echafaud, ce fut aussi un synonyme d voudrait-on ouvrir l'atelier sur le work tn progres~,
évoiler le substrat línéaíre, le tramé en cours, le travail
potence, ~e ~es fi~es organisatrices de Glas Ce qu «( traia, le trait nu, le trajet ou les étapes d'un « voyage ))?
je voulais ecnre, c est POTENCE du texte, )) L'autr
mot, le seul à recevoir de grands caractêres et dont .e serait un peu simple.
po~ ,finir, j'intitule Ia fable des trois dessins, ce fut
chimere: « Le mot cerné, c'est peut-être CHIMERE ))),
194 195

viens, sans trop d'arbitraire, d'accumuler des mots


Ir : travail en train, trait, traiet, tramé. raurais pu
tressé, tracé, traiectoíre, traversée, transformation,
ription, ete.

our transposer, autrement dit pour trahir ia fonction


1 phase du trait chez Adami, quand celui-ci opere
1 ligne », laissez tomber gl, traiter avec tr,

tt le dessin = tr,

N'y lisez pas une programmatrice formelle pour tous


mots qui viendront, en larges bandes ou aplats, ia
plir comme ia couleur. Ce n'est pas une matrice
térielle mais un systeme de traits, pas une matrice
rmelle puisque son contenu est déjà arrêté.
Et pourtant tr ne reste pas tout à fait intact à travers
utes les transformations des prétendus contenus ou
mpléments. Les mots dits entiers sont chaque fois
fférents dans leur forme et dans leur contenu. La
trise de cette traduction ou transcription, le trépas,
\ I transe ou Ia tragédie de Ich, les trous, trones, trépana-
íons, le tréma ou le trop qui intéressent Adarni n'ont
paremment aucune affinité linguistique ou séman-
I que avec ce que je dis faire quand je trie ou triche sur
I til d'un cheveu, quand je tringle (opération qui
nsiste à « marquer une ligne droite sur du bois, avec
n cordeau bandé et frotté de craie qu'on élêve par le
ilieu et qui marque en retombant sur le bois ll, Littré),
uand je trime, tremble ou me trouble en écrivant, en
ulant le corps flottant d'une traille pour passer une
197
196 LA VÉRITÉ EN PEINT\l
Ir nce d'autant plus tranegressive (Ia cons~ence pe~-
riviêre? en traq~t Ia bête, en trempant ma li 11
IIV dirait arbitraire) qu'elle laisse Ia 101 du trair
meillié~que, en pechant à Ia traine, au trémail, \I , en sa Iumíere d'encre. 11 y a, certes, un contrat :
tr s.
I dessin qui n' est plus un croquis ou ,~e esquisse
Mais si .tr est Achaquefois altéré, transforme, dépl
par ce qUI paraít Ie compléter, il garde une sorte I dispositif différentiel des couleurs. MaiS il n'engage
suffisance, !l0n pas une identité à soi, sens ou cor] . laisser les deux instances autonomes. Comme on
I Ia grâce, Ia « deuxiême navigation » du dessin dans
propre, mais une étrange et altiêre indépendance. 1111
iuleur est un premier voyage, un transfert ~augural.
Ia tlC?lt pas du noyau sémantique trans ou era.
, pour ainsi dire aucun passé, a~cune veille al?rs
.Ni un tout ni un morceau, ni métaphore ni méton
m et parce que Ia structure graphique est achevee :
mie (<< Comment arrêter Ies marges d'une rhétorique ? .)
liAprend, se dureit, se retranche, coupant, osseux, un ouverte, viable. , ' ,
Jne preuve parmi d'autres : Preud tn tnaggw. verso
arete.
Cette matrice tronquée ne manque de rien poui rtdra. Ce qu' Adami appelle « voyage du dessin » y
affecter déjà. Provoquer à tous les transferts. plique en abyme invisible, un dessin de voyage.
en a d:autres, suivez iei le Viaggio all'est (encore les
9uelque chose viendra I'accomplir, imprévisiblement vées Ia traversée le train, comme dans Casals IS
mais pour ne lui avoir jamais manqué. I
'lmÍni Home to p.d.), La meccanica dell'avuenrura (les
uliers de marche, le parapluie et Ia locomotive au~o-
Et voiei Ie paradoxe : parce que rien ne lui manqu Ilbiles le mot film qui passe vite, comme un tram,
parce .que son progr~e inchangeable contrõle el l'é~an, ou dont Ia bobine se déroule d'elle-m~e,
contramt tout ce qur peut lui survenir ça veille Imme le moulinet), le cycle de Sequenza, le tra',et
engager des itinéraires absolument nouvea~ tout autr hygraphique de l' Autobiografia, le voyage de G?rki à
chaq~e fois. Chaque mot, chaque phrase prend, en S8 pri, l'émigration de Mies Van der Rohe à, Chicago,
quasi-complétude, un sens hétérogêne entame un demier exil de Benjamin. Transfert, ínvasrons, exil,
secc;>ndetrav~rsée qui pourtant n'est pius secondaire, Igrations de masse, nostalgi~, fray~es erratiques, pe~-
dérivée, servile au regard du maitre tr : au dessin te! tion déportation, agresSlOns, regresslOnS, le dessin
S'Actanrl traverse le musée en déflagration - ou
q.ue le prati~ue. Ad~ .. La couleur n'y est jamais anti-
cípée, elle ~ arnve J~aIS avant l'arrêt complet du trait ",nconseient - de notre temps à l'allure d'un tran~eu-
p-express : être-en-train historico-pictural, théonco-
moteur, mais par là meme elle déploie, en larges bandes
C?nt~u.es, une. force d'autant plus déchainée que le lítique.
dispoSlt:if graphique reste prêt, tranquille, ímpassible-
Dans Le voyage de Preud, un même dessin, up.e fois
ment pret à tout.
is sur les rails, se prête, sans bouger en lw~meme ou
~ntre Ie trait er Ia couleur Ia rigueur du partage presque, à toute une série de le~es différentes,
devient pIus tranchante, stricte, sévêre et jubilante à haque fois de part en part transf~rmees à travers Ia
mesure qu'on, avance dans Ia période dite récente. redistribution des valeurs chromatlques et, toutes les
A retarder le ,~t de couleur, el1e mobilise plus de via- versions différentielles qu'en propose Adami. Et pour-
Ience, potentialise Ia double énergie : d'abord le cerne tant « le dessin, iei, n'a rien d'un fondement » (Hubert
~lein, Ia ligne noire, incisive, définitive, puis l'inonda- Damisch).
non des Iarges gammes chromatiques en aplat.
La couleur transforme alors Ie programme, avec une
LA VÉRITÉ EN PEINTtI
199

P i travaille, dans ou hors 1a langue, un tr.

va se précipiter vers l'appât, on va mordre : a1lons,


re un retour de logocentrisme, le voi1à qui consacre
ogie, absorbe l'espace dans 1avoix, Ia peinture dans
e, le rhême ou le philosophême, i1structure tout
e un 1angage et pire, selon une théorie mimétique
ypercratyléenne du langage.
u tement nono 11y va ici, au contraire, de violence
'arbitraire. D'avancer l'injustifiable pour aucune
cience, et quelque chose qui ne tienne, à entrer
.vement en rapport avec les événements déc1enchés
Adami, qu'en n'ayant rien à uoir avec eux. Et puis
e représente, n'imite rien, i1 ne grave qu'un trait
érentiel, donc plus un cri informe, i1 ne releve pas
re de Ia lexie, i1ne se laisse pas encore domestiquer
un verbe a~aisé, i1initie et fraye un tout autre corps.
e vous arretez donc pas là. Pour n'être pas un élé-
t transcendantal (sémantique ou formel) tr se rend
I'analyse. Comme tout conglomérat transformable.
mposez le tr, faites-en varier les atomes, opérez des
titutions ou des transferts, gommez comme Adami
d i1 dessine. Dans un prem.ier tableau, gardez
bord le double consonnantique, effacez tel1e et tel1e
e du t, remplacez-les par les traits d'une autre
n onne. Par exemple f (à peu prês le renversement
I trophique du t) mais cela pourrait être, pour un
Ire voyage, b, c, d, g, p, V. Gardant le même r, vous
rez alors, avec cette variation en fr, dégagé un
La meccarnoca dell'atJtJtntura.
t + r. Consonne plus r. Et en dessinant le +, vous
urez cíté, en cours de route, toutes les croix d' Adami,
I cheminement des croix rouges surtout, les insignes
'infirmiêres, d'ambulanciers fantastiques marquant à 1a
I Ia guerre et Ia paix, Ia neutralité indécidable dans 1a
pographie de l'Europe politique, circulant au milieu
mutilations chirorgica1es, des corps morcelés et
200 LA VÉRITÉ EN PEINTU 201

restaurés, des moignons, des jambes de bois, des pro


thêses agressives, des têtes pansées, des membres )11
des yeux bandés.

Cet effet + r, comme l'effet + 1 dans Glas, vo


pourriez l'analyser froidement, pratiquement.
Mais aussi l'orchestrer, ear si nous tenions ici UII
discours, lui et moi, ce serait plutôt sur Ia musiqu

11 faut iouer Ir à quatre maios, et faire toujo


comme Adami, plusieurs choses à Ia fois.

Par exemple en surnommant le Ritratto di Walt,


Benjamin.
C'est encore une fois l'interprétation active de frag
ments radiographiés, Ia sténographie épique d'un
inconscient européen, le télescopage monumental d'un
énorme séquence. Elle est stratifiée mais eímultanémear
biographique, historique, économique, technique, poli
tique, poétique, théorique. Une textualité sans bord
déstructure et réinscrit le motif métaphysique du réf
rent absolu, de Ia ehose même en sa derniêre instance :
ni ce scripturalisme formaliste et non figuratif qui vien-
drait effacer ou dénier Ia scêne qui le supporte (histoire,
théorie, politique, etc.), ni un « réa1isme-de-gauehe »
Ia simplification codée ou Ia stéréotypie politiste quJ
annulerait l'événement scientifique, écrasant aussi Ia
eouehe du discours, l'épaisseur de culture, l'efficac
idéologique.

Pour commencer par l'une seulement de ses partition


possibles (ear c'est un montage de partitions, de césures,
202
LA vtRITt EN PEINll1
2°3
de limites), Ie Portraii de Benjamin met en (( s I
matérielle exacte » le corpus théorique du « sujei akusbund etc. - mais aussi dans le portrait
Violente, sobre et puissante cítatíon, au sens brechti • c Babel, ies gllets d~ Lénine, le cuirassé Potem-
du gestus interrompu pour suspendre l'identificat til etc.) elle devait avoir commencé pIus tÔt et elle
(Benjamin en faisait grand cas) : du Trauerspie/ et de loln d'être dose. La réaction des artistes fuit souvent,
ana1yses du hiéroglyphe ou de l'allégorie, de L'aut l'art pour l'art, Ia théologie négative d~ I'art pur,
eomme producteur, etc, Une telle citation de loin tél I formalismes refusent de se reconnaítre aucun
cope, bloque et renverse tout. Le texte Benjamin devi li' politique ou d'analyser les conditions objectives du
Ia légende, une píêce dépendante et jouée, ana1y :hé. Benjamin simplifie un peu, au passage, le rõle
interprétée par le Portrait. Mallarmé dans cette histoire. Avec ~ous, les ,eff~t~
me qu'on peut lire chez Mallarme, 1 am~l~te
e telle position marque aussi le texte de Benjamin,
ricien des enjeux politiques du ~arché dans ses
Qui, néanmoins, regarde l'auteur. formations techniques et économiques, méfian~ et
ystificateur à l'égard des idéologies rêactionnaires
u rituel fétíchiste, Benjamin fít aussi fi~e de gran~
L' auore d' art à /' époque de sa reproductibi/ité tech h e, amateur d'éditions ori~ales qu:il ne ~allait
t ut pas lire collectionneur d exemplaires uniques
nique (1936) interroge les effets politiques de Ia phot
graphie et du cinéma. N'oubliez pas que vous avez sou r res: et cel~ dans le domaine de l'édition littéraire
les yeux, en un premier sens, une reproduction. EU l'uniclté n'a pas Ia même valeur qu~ dans d'autres
dépend d'~ marc?é (par-dessus le marché ne peut . Ironie douloureuse d'un autoportr81t,: « A mesure
ínnruler qu un déreglement fictionnel), d'un appar 1/ e sécularise Ia valeu r cu1turelle de l'image, on se
politique, optíque, technique. Benjamin y insiste : résente de façon plus indéterminée le substrat de
II une seule fois » (Einmaligkeit). D~ plus en plu~,
l'instant ou Ia technique de reproduction franchit
I'étape de Ia photographie, une lígne de fracture, un n Ia représentation du spectateur, 1une-seule-fois
n~uv~u front a~ssi, traverse t01:lt l'espace de l'art. phénomênes régnants dans l'image culturelle .est
L unícité présumee d une produCtlon, l' être-une-seule pplantée par l'une-seule-fois empiri9u~ de ,l'artl~te
fois de I'exemplaíre, Ia valeur d'authenticité se trouv de son opération artistique. Mais jamais, bl~n
pratiquement déconstruite. La religion, le culte, le rire, tendu, sans reste. Le concept d'authenticité (Echtheit)
l'aura cessent de. dissimuler, dans l'art, le politiqu cesse jamais de tend~e vers, q1:l~que chose de, plus
comme tel. A partir du moment ou l'on peut reproduir u'une simpIe attribution d ongme (authenttSchen
non seulement des eeuvres se prêtant, pensait-on, à I u chreibung). (L'exemp~e le plu~ significatif étant
distinction production/reproduction mais d'autres dan lui du collectionneur qur garde toujours quelque chose
lesque~es,la repr~duction entame Ia structure d'origine u fétichiste et qui par Ia possession de l'eeuvre d'art
(Adanu nent toujours Ie compte de cette effractíon), rticipe à son pouvoir cultuel). »
(( Ia fonction de l'art n'est plus fondée dans un rituel
mais sur une autre praxís : elle a sa fondation dans Ia La figure de Benj~ retrace l'ambigui~é 9u'il
politique », éclare ici. 11 s'illustre lui-même, Des deux cõtés d une
Si cette crise fut contemporaine des origines du socia- I e de fracture,
lisme (séquence radiographiée dans Ies Dix Leçons sur
le Reieh -Ia machine à écríre de Níetzsche, Liebknecht, L' esthête fétichiste ou rêveur est aussi un théoricien
litique, militant d'avant-garde, inassimilable d'un
LA VÉRITÉ EN PEIN I 2°5
cõté comme .de l'au.tre, partout reieté, sans pIace \11 front du suiet, le nom est aussi au bas d'un cadre.
carte des idéologies européennes, marxiste 11 c.l'un (tableau) absent : d'un disparo.
accuse de ne pas être le dialecticien qu'il a tou til paru est le sujet. Le disparo apparatt, absent au
voul~ ê?,e, penseur politique auquel on reprochalt même du rnonument commémoratif, revenant à
messiamsme, son mysucisme, son talmudisme.
Mal reçu dans son pays et dans son milieu,
que ignoré dans Ia terre d'exil -Ia France d'abonl
'I vide marquée par son nom. Art ~u c~taphe.
tre, donc, d'un (tableau) abs~t : ~ un di~paro.
I cadre vide, comme un appareil opnque, ailleurs
encore aujourd'hui - ou il a passé sa vie et s'est d(lI11 I elles ou 1es lunettes. Elles restent blanches ~
Ia morto Homme critique, en position critique leau peint, celles de Freud ou de Babel aUSSl.
limites, homme frontiêre, ' Das Reich le binocle de Liebknecht apparait tout
~e do~er Ia, mort : qu~ son suicide (séquence pl aos visage, au centre d'un tabIeau traversé d:~e
énigmatique .qu on n~ le ditosouvent et dont II giOCII I vertica1e déroutée. lci par une autre fronuere,
SUJctdJ~ décrít peut-etre mieux l'effroyable simuJ I e Ia frontiêre franco-espagnoIe, au-dessus, sous Ia
spparnenae à ~e scêne de fr,ontiere franco-espagnoí nce sans regard d'une sentin~e, espagnole ou A

voilã qui ne doit pas donner lieu à des rêveries syml . .se, peu importe, Ia force politique est Ia meme
~stes mais à l'analyse d'un appareil historico-polítlq, deux cõtés. Des deux cõtés Ia rnort (comme dans
implacable, mb'e) d'un cõté le Benjamin allemand traqué par 1es
. Le Ritratto d~ Walter f!enjamin porte un titre I et ~efoulé par les forces d'occupation (au-des~us
tionnel et parodique, parne du dessin, comme le n 111 I frontiêre Ia couleur sera proche du vert-de-gris),
Benjamin, écrit de Ia main d' Adami dont on reCODU d sous ce sera 1e rouge d'un Benjamin (Ia tête y est
l'écriture ~ais qui ne signe pas, et pourtant signe ( I" ) également surveillé, trahi, réprimé, comme l'Es-
signe ?), detachant, abandonnant ou remarquant, d 'li e rouge. Sous son nom Ia frontiere traverse Ia
le nom de Benjamin, au lieu d'affaissement de Ia fron frappe et tranche à hauteur de front.
tiêre (comme sous le gl de lch), un morceau du corp I 'uand Ia « valeur d'exposition li (Ausstellungswert)
son nom. Outre son écriture, on identifie les lettres I ture Ia « valeur de culte » (Kultuert ), celle-ci se
son nom propre qui suffisent à Ie rendre disponible I enche dans le visage humain. « Ce n'est en rien un
co~un, ami, .s~ellant du même coup, par tant I rd si Ie portrait se tient au centr~ de Ia pr~ere
traits, Ia fraternité des sujets. Ceci est Ie corps de mU11 tographie. Dans le culte du souvemr voué a~ etres
nom (sur ce portrait aussi lire Damisch, jouer I. és, éloignés ou morts, Ia valeur ~turell~ de 1~ge
concerto à quatre noms, sans oublier l'air des pr uve son demier refuge. Dans I exprc:sslon fu~uve
norns). 'un visage d'homme [i~ le vi~~ge à ~e humain, .à
Benjamin avait une théorie du portrait. Celui ne vivant, d'un réfugié, fugitif ~ tram de fran~
aurait joué un rôle de transition, à Ia frontiêre entr ligne toutes 1es lignes] les premieres photographies
« l'art cultuel II et Ia « rep!oductibilité technique I). I nt pl;ce à l'aura pour Ia derníere fois. » Lisant Baude-
représentation photogr~phique du visage est le reste, I re Benjamin avait cru pouvoir lier Ia perte de l'aura
dermere resistance du ntuel. Quand le visage commen 1 'vacuité du regard. Ce portrait à lunettc:s ~Ianc~es
à .disparaitre ou, ~omme ici, à ne plus occuper le haut pose aussi le « théâtre d'un cnme )1 à « signification
ru le centre, s unpose Ia légende (Beschriftung} Iitique li, comme les rues ~ése~es dans I~ ~ans
« Elle a un tout autre caractêre que le titre d'un tableau. I Atget. Piêces à conviction, faits divers, « indications
Ritratto di WaZter Benjami!, est d'un type aussi légen 'itinéraires li « journaux illustrés II (un tableau porte
daire que le nom « Benjamin », A peu prês au centre t titre) « Ia iégende est devenue pour Ia premiêre fois
206 207
nécessaire, elle a un tout autre caractêre que le 111 I min lui-même, En un sens qu'on peut généraliser,
d'un tableau », It aussi le portrait d'une photographie célebre, le
r it d'un portrait photographique dont on reconnait
Hiéroglyphe d'une biographie, de Ia théorie, d I les lignes (il est reproduit sur Ia couvertur~ des
politique, allégorie du « sujet » - de Benjamin au sen ",inat;ons en traduction anglaise) : Ia pose, le visage
au nom de Benjamin -, fresque narrative en proje I hé sans face, les montures vides - ici deux fois par-
accé1érée iusqu'ã Ia limite de l'instantané, synopse d' I ;elon une ligne oblique, dessus et dessous, dedans
film ou tous les fragments métonymiques, représem I hors - Ia main pliée, 1esdoigts (encore démesuré-
tions de mots ou de choses, tiennent comme en susp " I agrandis, 'comme ceux de Ia sentinelle) soutenant 1e
~e. force de frayage int~rro~pu, le gestus d'un eU1I1 méditatif.
~al~Ipar Ia morto Appareil scientifique : produits 1'1
jetes sur 1e support du film, bande ou écran totalem 11
i?vestis ou dynamisés, les traits procêdent par secou compromis bístorique entre Ia. peintur~ et Ia
ecarts brefs, oscillations aiguês, étalent parfois I Itographie, le portrait photographique ~ I « ere
lon~es durées plates, Ia pointe du sismographe rest 111 1 reproductibilité technique », le VOIC1dénoncé,
continüment au contact de ce qu'elle incise, plus 1I en abyme ~s sa reproduction, dépla~ parce
sensible et impassiblement objective. cité à comparaítre dans une geste qui deporte Ia
Ça (quoi ?) aurajmarehé. veté référentielle, mais cette fois sans retour.
Une légende souterraine est au travail, un faux til!
dont Ia répression même aurait infailliblement ajoinl
les lignes fragmentaires, réarticulé les fractions dan I triture, comme souvent, des photographies, mais
continuum linéaire, organisé 1es simulacres de fétich i un texte, sans bordure de chose même. Des
Le Front Benjamin. n ées matérielles, des processus techniques, des
hines de guerre ou des appareils politiques, des
Je dis bien simulacres de fétiches. Le fétichism endes gorgées de culture entrainées dans ~e érul;
généralisé par Adami tourne en dérision les logiqu m incessante, un puissant fíot mythographique drai-
c1assiques du fétichisme, l'opposition du mors fétichl nt toutes les forces d'un ehant révolutionnaire. Mais
à Ia chose même, à Dieu, au référent d'origine, au ph II lu d'abstraétion ni de ehose même. Car dans cette
lus transcendantal. ographie politique de Benjamin, I' « affect du
age )) ne perd ~u~e VIolence,. au contraíre, à
Fr?~t capital de Benjamin, frontalement coupé par I produire sur des limites, ~ur d~ lign~ de fracture
frontiêre franco-espagnole, front des guerres qui I' 111 d'affrontement, en des lieux d effraCtlon : cadres
traversé, divisé, à lui-même opposé. Et dont son n01l1 t cadres de cadres. Les traits humains n'y dessinent
es~encore l'enjeu : était-il, authentiquement, révolution u -mêmes que des cadres ou des ID;0t;ltures. Et ~
narre ou non, marxiste ou non, dialecticien ou non, jUI' ront Benjamin ne se ferme plus, son idiome ~t pns,
ou non? Ou en était-il au regard de ce que tous I .t différentiel à son tour, dans un voyage, Ia diagonale
codes, ceux de l'occupation aussi, nomment une lign 'une narration fictive avec laquelle il échange ou
de démarcation? II en a franehi une pour se laiss I chame tous ses fragments.
frapper sur l'autre.

Le sujet de ce Front Benjamin n'aura donc pas ét Par exemp1e avec The surrealist Map of the World
208
LA VÉRITÉ EN PEIN1 I'
209

urréa1istes en avaient gommé l'Espagne) et sur-


I avec Le voyage de Preud qui date de Ia même année,
re aussi sur une photographie, aecumule, au transit
ntalier, l'énergie d'un déferlement théorico-poli-
u , l'épos inoui d'un héros juif, d'un penseur révo-
uonnaire que Ia maehine dominante essayait de
ouler, reieter, stériliser. De ees héros positifs
I tzsche, Freud, Gorki, Babel, Liebknecht, Lénine,
e) ou négatifs (Bismark, Hitler, Staline, etc.), on
rai/le les extraits, les fragments détachables eomme
signatures (maehine à écrire ou plumier rouge,
nettes, parapluie, ehapeau, gilet, ehaise, cigare, ete.,
j aussi les casques ou fusils à lunette), artefacts,
pareils à voir, à écrire, à tuer, fétiehes monumentaux
emblêmes minuscules.

Pourquoi dé-tailler ? Pour qui.

Le prélêvement du détail agrandi ressortit en tout


et à Ia teehnique einématographique et à Ia psycha-
I ytique. Les deux pouvoirs, les deux teehniques,
I deux situations, autre démonstration de Benjamin,
ont indissociables. Une seule et même mutation.

Revenez maintenant à I' Autobiografia (entre autres


mdex à Ia date de naissanee). Puis à l'épilogue de
(.'ceuvre d'art ... ou Benjamin explique: si le fascisme
tend tout naturellement à esthétiser Ia vie politique »,
tI Ia réponse du eommunisme est de politiser l'art »,
Légende pour ee que j'aurais voulu ici même des-
iner : un autre portrait d' Adami, un auto-portrait
CARTOUCHES
30 novembre 1977
et ainsi du reste, sans précédent.

2 décembre 1977
Si j'écris maintenant CELA SERA RESTE SANS
XEMPLE, ils ne liront pas.
Ils se détoumeront aussitôt en pensant que je
crifie au genre de l'éloquence traditionne1leet, pour
une fois, au code de l'éloge : une oraison funêbre,
le drapé de l'idéalisatíon, Ia pompe du futur antérieur
u-dessus du cercueil muet, à la fois hermétíque et
transparent. Tout y est visible, en effet, exposé en
vitrine sous Ia plaque d'altuglass (quel mot), accessible
par toutes ses surfaces, et pourtant cios, crypté, cloué,
vissé : impénétrable.
En lisant à peine, ils se demanderont de quoi je
parle.
De celui-ci, de ce « coffin » singulier, fermé (impas-
sible, tacitume, têtu, de bois) dans ia solitude absolue
de son titre princier? Mais alors, est-ce que je parle
Premiére ve~sion J;lu~liée lors de l'exposition de Gérard Titus-Carmel :
du mot ou de Ia chose?
The Pocker S!U TII~r Coffin er les 61 p,emiers dessins qui s'msuivi,ent, La chose, Titus-Carmel Ia désigne d'un singulier
lU M,!sée national d art moderne, Centre Georges Pompidou (ler mar&-
~avnl (978). Lei ~2,?• coffins » et leur • mod~le • furent alors reproduits
(article défini) qu'il appe1le « générique )) (u Sous le
...!
. ~llcatalogue íntitulé Glrard Titus-Carmel, The Pocket Sil&' Tli~t titre générique de The Pocket Siee Tlingit Coffin est
cUJJ.n, I ustré de Ca,touches par Jacques Derrida. rassemblé un assez grand nombre de dessins... »).
215
214 LA VÉRlTÉ EN PEINTU R

Est-ce que je parle du mot ou de Ia chose? Ou d/I


reste? Mais alors quoi? Quels restes? Les rest
auxquels une sépulture est censée donner lieu?
le reste de Ia série, les 127 cercueils que l'incipit di
petit coffin princeps aurait engendrés? Engendrés u
laissés dégénérer, selon le cas, avec un air de famill
qui n'en soustrait aucun à lui-même, au secret absolu,
à ce détachement définitif qui l'isole et l'ab-sout hor
série.
Car ils sont tous, et chacun, seul, unique, irrempl
çable : Le Coffin, lui, l'autre.
De toutes maniêres, ils défient en série Ia répétítion,
D'oü mon découragemenr, aujourd'hui : je ne peu
tenir à leur sujet qu'un discours général, dans 1
meilleur des cas générique ou génétique. Je les manque.
Ils me manquent aussi, d'oü me vient ce sentiment
déjà? 11 ne faut pas l'oublier, en oublier un seul (pa
un seul) si on veut voir ou toucher quelque chose d
ce groupe ou se feint une généalogie, voire une repro-
duction.
Ne pas en oublier un seul et que chacun reste seul,
si du moins ceux qui ne me lisent pas encore veulent
bien suivre cette théorie de cerceuils, l'obséquence
de ce cortêge en lignée singulíêre, Ia série sans modele
, odel
• ~~I~i~~ ~~ériq~; d~ Th. Pocku Siz« T/ingil Coffin rasse~blé un
d nombre de dessina (cent vingt-Iept précisément) ayant trait au m me m)
~:r:~
éel • dans Ia main de l' • auteur • qui écrit d'autre part :
=.
u;,
dont le défilé en double bande, sur ce mur, les fascine , ' d' e bolte d'acajou de dimenliona modestes (I~ x 6,:: x ,::,4 7m•
encore trop pour qu'ils m'écoutent prononcer CELA • ~:ion: tCl
a été soignée : choix du bois, de Ia teinte, d~f{~r~?~~ ~~~~t}~~~ ~~

SERA RESTE SANS EXEMPLE. • de l'u.emblagc (que~~1d·ar.on~e)~dJ:


,.boltecltrecouvert
~~:d~~~r:dr;.:a
unmldro e) . àunovaled.osier
deux iarg~urs, ont ét~
enveloppésurdeuxpor-
és deux contreCom servant e repolOln "d I '
de son périmctre de fourrure .ynthétique 8lile, L ovale es.t, e ,P US, IJl!Imtenu
Ia e dont I•• liens, travenant I•• paroil de Ia bolte en I~ pomtl .•pUII noués
\O'::: deça.!rt•• de clefs, tombent librement tout autourde ce pelt1t~erdcuelllen bO}ldes
3 décembre 1977 ";"~~I;!nfi..p
. 1 ue d'altu tasl, fixée par quatre mmuscu es VIS. C auon, .lcr:mc
;'::'kll Sin }/ingil Co(Jin (o~: tu t« lassitud« considéré« comm •• /U-
nl <ti chirUTgi.), Baudoin L4bon-SM I Pans 1976.
Pas un seul.
Pourquoi Ia métaphore familiale ou généalogique
s'est-e1le imposée à moi, hier? Ie sais pourtant qu'elle
manque de pertinence, et aussi le mot de reproduction.
Mais Ia limite de cette pertinence - le lieu ou ça
ne touche plus - je suis sür aussi que c'est bien ce
qui a lieu, ici, ce qui se passe, ce qu'il a mis en place.
Je relís. Le mot « altuglass » dont il s'est servi lui-
même. En décomposition : Ia glace transparente, le
froid de Ia mort, le glas, l'aíeul en sa langue étrangere,
217
216 LA VÉRITÉ EN PEINT TOUCHES

le: meuz:tre, l'artificiel ou le synthétique (ni Ia natur de Ia laisser seule avec vous, rester muet au bout du
ID Ia VIe, Ia sépulture), toutes les puissances de I
pte; passer à cõté d'~e en .si!en~e, comme ,une
re théorie, une autre série, ne nen dire de ce qu elle
syllabe « tu », 11 faut que je renonce à ce type d'an
lyse interminable. résente pour moi, ni même pour lui.
t du même coup Ia laisser, elle, Ia chose, à Ia
~!s se demandent comment j'ai pu écrire d'un cereu Ii
qu il ~ura « engendré », Le cerceuil du pêre? I, te sans nom de son mutisme.
cerceuil (~~ sa langue étrangere) comme pêre? 1 e sair, et elle sait se taire.
coffret (dixit Freud dans Le thême des trais coffr I
- il faudra y revenir) comme ventre féminin voir 4 décembre 1977
matemel. 11 faudra que je renonce à ce type d'~aly
intenninable.
Le « sans exempl~ » 9ui s'est. imposé hier. Et le p 11 aura fallu s'y mettre., ' .
du,..pas-un-seul. Difficile à faire entendre ' mais Pour lui d'abord. Pour moi en suíte de IUl. Ordre
.
n msisterai pas. Ne pas les délivrer de Ia fascination séquences (conséquenccs et obséquences des séries).
au moment ou ils s'abiment dans Ia distance infini 'y mettre : cela veut dire, d'abord, aborder, com-
nulle po~t, l'espace démesuré qui sépare le peth cer, entreprendre. Et si ,c'est s~ns ~xemple, ~'est
cercueil pnnceps de toute une lignée ressemblante, d ce que Ia série aura pose un sm~e~ ,problem~
toute une prétendue descendance qu'il ne reconnait p
'initialité. J'en viendrai plus tard aux ínítíaíes. Qui
11 ne faut pas Ia reconnaítre. commencé? Ou? Quand? Comment? A telle date,
Lui, tout autre, en relief, modele réduit gardant uand LE petit obiet en acajou a été co~çu et mis a?
~ ~éduction tous =. reli~fs, il "!'appartient pas à Ia
ur construit en solide? en dur? Ou bien quand 11
~mmencé à le harceler, à s'achamer sur lui plutõt
n
z'~~e dont, ,dereehe!, ta,t. partte. 11 (lui) reste lui
I préfere ce mot à cause de Ia r~férence au ,piege,
heterogene, unmobile er indifférent, impassible et têtu
sur un socIe, une stêle, un trõne ou, toujours à Ia Ia chasse, à l'appât qui dot,me a~ chienset aux olsea~
hauteur, lui le nain royal, sur l'estrade de son cata- e proie le goüt de Ia chair), des le 23 jum 1975, des
!alque. 11risque sa tête sur cet échafaudage hallucinant, premier des 127?
i1 est exposé ~ Ia hauteur, plus petit que le plus petit Des 127 quoi? '
de tous mais unmensément grandi, hors de proportion, 11 dit « dessins », un « grand nombre de dessins »
dan~ son retr~chement exhaussé. Et pourtant déchu, mais ce ne sont pas des dessins seulement, i! y a des
d~tltué, débns à l'abandon, banni, excIu d'une famille quarelles, des gouaches, des gravur~, ~t l'ensemble~
y compris le princeps, le coffin lw-meme, de quo;
(tnbu~ g~ns, ~eru:s) avec l~que~e il n'a plus de rapport,
A vrai dire il n en aura ,Jamllls eu, alors même qu'en t-i! ensemble? Que signifie ici ensemble?
Je dirai par commodité les 127 article~. Cela reste
~ecre~, ,d~s ,un t~ps unmémorial, un passé qui n'a
uffisamment indéterminé, cela se sera déJà vendu sur
Ja.m,~se~e present, ill'aura présomptivement engendrée.
S1 J écns. pour l~ « spectateurs )) interloqués que ça un certain marchê, cela fait partie d'un ensembl.e
regarde, je ne dois pas les libérer de Ia fascination articulé, cela insiste sur les articuZations, cel~ re~rod~t
ingulierement, inimitablement. c:;haq'!e fois, 1art!,le
par mon discours. Car celui-ci, j'entends qu'il ne se
mêl~ de ;ien (Ia chose que vous regardez n'est pas mon dJfini (générique) 9.ui scelle l'unicité d un pnnce (c'est
~alre ~ celle de m~n discours dont elle se passe fort chaque fois the coJlm, le même et l',autre), cela d~~~e
b~en), ,J entends gu il ne touche à rien. 11 doít, leur Ia « partie (numérotée ou non) quI,forme ~~ dl'V'~
dirais-je, vous laisser seuls avec Ia chose qui vous d'un texte légal, juridique, diplomatJqUe, rel.gteux, liuê-
219
218 LA VÉRITÉ EN PEINl ti roucass
raire li (Robert ), tout cela s'inscrivant à l' articl I enroulements (pas de cartouche en ,~énér.al~ans une
Ia morto te et un enroulement) porteurs d ínscnpuons. Ce
Qu'en est-il donc du premier article? t parfois les traits d'un de.ss~ ~utour d'un document
Cette question de príncipe, quant au droit du prin iel (je pense à un acte de deces).
je Ia crois beaucoup plus compliquée, pour lui et poiu Cartouch« nomme aussi, avance Littré, une sorte
moi en suite de lui. Voilà ce que pour l'instant je JII , eau elliptique qui, dans les ínscriptions hiérogly-
contenterai de suggérer en disant « cela sera resté S 1\ iques, entoure les noms propres d~s dieux, ~es. rois.
exemple » ou « sans précédent », 'llipse d'un anneau dénommeraít alors I alliance
Ce n'est pas quelque chose qui sera resté sans, t ageant une généalogie dans un nom propre, quelque
C'est le reste lui-même, dans sa structure de reste, qu: e comme une lettre de noblesse, un sceau secret, un
aura été, c'est assez curieux du reste, sans (sans exempl u d'exil sur Ia carte {canuccio ), sur une carte jouée,
ou sans précédent). I vrée à Ia chance ou à Ia nécessité, Ia géographie. cryptée
Il aura fallu s'y mettre. Je m'y mets, sauront-ils l'en 'un imperium, une autre famille, une autre tnbu, tres
tendre, c'est ce qu'il dit aussi en artículant bien. miliêre et três étrangere. .
t pourtant il ne faut pas que je tente de m'appropner
S'y mettre : non seulement commencer, entreprendr tte série de eénotaphes. ..
un travail, se mettre à l'ceuvre ou s'engager, donner du Le mot s'imposerait si ces coffres mortuaires éta1~nt
gage, mais aussi se metere dans, s'étendre, s'allonger av ut à fait vides. Un cénotaphe est un tombeau ,;de
des gestes lents, parfois impatients ou découragés, exal (Itenostaphos, Iunotaphion) pour le, co~s dísparu d un
tés ou déprimés, 127 fois, plus une ou sans l'autre, dan I paro, disparu ou volé, empoche à l,occaslOn - et
un cercueil qu'on a construit pour soi, ou pour l'autr Ia tire - par quelque plckpocket exerce.
à. chaque coup pour Ia premiêre et derniêre fois, à l'ar Dispor» est le sujet.
ticle de Ia mort mais sans exc1ure une autre fois, toujour Mais vides - et même aprês épuisement - les cof-
Ia premiêre et Ia derniêre. frets ne le sont que du corps propre. 11 y reste d'autres
liefs, reliques, reliquats, p~ exemple ~ anneau d,?nt
I reparlerai, des fils assembles autour d une place vide
4 décembre 1977 (un « foyer dít-íl) et surtout ce nnroir tout au fond. 11
)1

t là pour toutes les spéculations, tout~ I~ représen-


Pourquoi ai-je dit « prince » au moment de désigner t tions : Ia scêne commencera par se repeter. 11 vous
l'article principiei, le « premier » cercueil, l'incipit pré- uffit de vous pencher pour vous Ymen;re, en morceaux
somptif? Pour ne pas dire pêre, roi, ou empereur. Je u tout entier, pour ne plus vous retemr sur aucun d~s
prévois, dans ce prince-là, de l'héritier déjà, du rejeton bords et pour y tomber, voyez-vous, spectateur ou spe-
ou de l'enfant, et peut-être du mort-né, J'aurai sans culateur de l'autre cõté. [e ne tenterai pas de dérober,
doute à y revenir. ftlt-ce ~ur l'espace d'une sígnature sur le cartouche, Ia
A coup sür, je n'aurais pas accepté de tenir un dis- Iignée de ces marques mortualIes. .. .. .
cours au-dessus, à cõté ou au-dessous de ces cercueils [e ne spéculerai pas, que ce SOl~bien clair à Jamais,
s~s avouer le désir ~e m'y mettre à ~on tour, irrépres- Le petit objet ligneux ne m'appartlent pas. Pas plus que
siblement, compulsívement, 127 fois au moins, d'y toute sa descendance présomptive et coupée de luí, pas
inserire mon nom sur le cartouche. plus que cette dérivation en dérive. Ce ne sont pa~ les
Pour I'instant, je m'intéresse au masculin : un cartouche, miens. C'est une affaire de famille : ce sont les siens.
Le cartouche a parfois le relief d'une sculpture, avec A chacun les siens.
220
LA VÉRITÉ EN PEIN'IlI TOUCHES 221

Difficile pourtant de résister A I'investissement h, fois, dans ee cas, plus d'une place, eelles du proprié-
dional. Je suis IA, comme eux maintenant comm 111 re, du puissant acq~éreur, du légataire, du .simple
obsédé, assiégé, ça me regarde de. tous les' cõtés, ç 111 sitaire, du banquier ou du notaire commis à Ia
regarde en tous les sens et depuis le fond du miro I de avant l'ouverture d'un testament qu'il devra de
co~e une mort qui me serait déjà arrivée. Multlll ute façon gérer, le plus jalousement). .
et ínterminable, une seule pourtant. Que peut-on dé i, e l'armoire métallique, du grand coffre-fort ou ils
d'u~ cercueíl sinon I'avoír pour soi, le voler, s'y m til trouvaient couchés, rangés l'un au-dessus de l'autre,
et s y voir, y coucher ou accoucher, de préférence a us avons tiré, iustement, d'énormes boites de carton
I'autre, autre maniêre de le neutraliser, d'apaiser ir en forme de tiroir. Elles contenaient les drawings,
~ropre terreur, d'en user avec I'altérité, d'en user l'all 127 dessins en forme de tiroir (drawer). Les ép~is
rité ? ~~s que peu~-on désire~ .d'un cercueil sinon qU'1 allélépipêdes noirs étaient refermés sur les dessms
r~ste ou 11 est, A distance, A I ecart - en reprodui 111 r des lacets ou des rubans noirs. Nous les avons
I ecart, en msistant jusqu A épuisement - sinon qU'1I noués pour en tirer un à un les cercueils qui eux-
re~te Al'autre ? Les deux désirs ne SOnt pas contradt êmes, exhibant leurs cordelettes, etc. Nous avons
torres, mies deux gestes qu'il induit. I1s négocient t \I rlé de Ia Morgue, et de Ia Morgue dans Ia Morgue.
jours Ia kenose, ils traitent le mort I'un avec l'autre.
Le glossaire ou l'attirail do~t je tr~te en ~e ~,?me~t
Sans exempl~, il faut s'y ~ettre. Cent víngt-sept foi, tire, tirer, tiroir, tirage) conduit Acelui du trair, 11 induit
avec et sans (toithout ) Ia fois supplémentaire dont vou u tement Ia duction, et même le « ductus », ce trait idio-
ne saurez jamais décider, c'est ça Ia mort, si elle aura él atique auquel on reconnait un dessinateur avant ~ême
Ia bonne.
u'il signe de son nom (c'est de ee « duetus » que Je ne
Qu'est-ce qu'une fois, cette bonne fois ? ussirai pas Aparler ici). On tire uD:trait .:sur les rest~s
ont on dessine 127 fois le cercueil, puis sur Ia série
u'on décide d'« achever ». On soutire un cercueil, par
6 décembre 1977 xemple pour le soustraire de Ia série. On.(le) tir~ à soi,
ur soi. On tire des traites sur un cercueil, On tire des
Avant-hier, j'ai écrit « à Ia tire », ouches.
Je pensais au pickpoket qui s'exerce A voler un cer- La question revient toujours : quel e~t I'a~~t ou Ia
cueil ou un mort dans Ia poche de l'autre. duction d'un tiroir? Ou d'un cercueil à tIrOUS? De
Mais le mot tirer pourrait désormais attirer Alui dan quoi se tire-t-on ainsi ? Je renonce à tous les tirages, au
~ rass~mblement finalement impossible, dans ud glos- marehé ou à Ia spéculation sous-traitant le luxe des tirés-
sm~ qUIferme mal, t~u~ les traits de cette scêne, L'obiet t-part, à tous les contrats sous scellés, mais je me
s~ ~ue ~omme ~ ~Olr (drawer), il ressemble à un demande ce qui se passe ici. Séduire Ia hantise d'un
nroir ql! on ferait vemr à soi, comme à Ia Morgue, pour cénotaphe, l'attirer à I'é~~ ins!ste~ sur I'éca~, dévoyer
r~c~nnaltre un cadavre encore anonyme; c'est Ia défi- 127 fois le mort, 127 fois faire I article et Ie tirer à.part.
runon de Ia Morgue ou de l'Institut médico-légal : En se retirant aprês Ia soustraction d'un cercuell.: à
~(endroit ou 1'0n expose des cadavres de personne l'autre, à Ia série mais pour l'y remettre comme SI de
mconnues »,
rien n'était, etc.
L'autre jour, avec Titus-Carmel, je suis allé voir les
127 dess}ns (drawings) Al'I.nstitut nommé Beaubourg,
Reoenant - 127 fois. Je commence à spéculer sur ce
actuel detenteur des 128 articles (te détenteur occupe à qui se chíffre ainsi du reste. Pour l'insrant, ce chiffre-
222 LA VÉRITÉ EN PEINlll TOUCHES 223

1;7 - ne, s= .dit rien. ~.-C. n~en dit rien, il p ri


d usure, d erosion, etc. Tirer : nrer au sort tirer I
), je ne vais pas ehe!ch~r de. préeédent. Elle reste
on moi, en un sens tres singulier, sans exemple. Elle
cartes, tirer à sa fin, etc, ' ite le sans-exemple selon Ia structure même, par elle
truite, d'un autre rapport à l'.exemp~a~e, au modele
11 a un idiome - ou plutõt un effet idiomatique
"t cipiel, à ee que je nommerai de préférence le para-
du ttrer. Je l'entends en deux sens : l'idiome du ti' II me.
tiré mais aussi l'idiome du mot tirer et de toutes I n arriêre, aprês coup et à sa maniêre, elle éjecte le
maniêres dont i1 se traite dans Ia langue. radigme.
Non qu'elle le perde, l'annule ou s'en défasse pure-
Plus tard, ailleurs, attirer tout ce discours sur 1 t et simplement. Ce qu'elle expulse, décompte ou
traits tirés, l'attirer du cõté ou se croisent les d 11 falque, elle le garde à sa maniêre, et elle en exhibe le
« familles », celle de Riss (Aufriss, l'entame, Umriss I te elle le surélêoe sur ce socle, Ia stêle, le trõne ou
c~>ntour,le cadre, l'esquisse, Grundriss, le plan, le pr u'ade de son catafalque (ex cathedra, une fois monté
CIS, etc.) et eelle de Zug, de Ziehen, Entziehen, Gez ehaire, i1 s'y tait). ., .
(trait, tirer, attirer, retirer, le contrat qui rassemble tou J'appelle « paradigme » le cercueil « prmeeps », le pe~t
u:
les a1ts : « Der Riss ist das einheit/iche Gezüge VI' oir ou le petit piêge en aeajou, ee volume dont le relief
Asfriss und Grundrtss, Durch - und Umriss» Heid lide parait pour l'instant ~lus « réel » q?e l~s ~27 de~-
ger, L'origine de I'CEUvred'art). ' s. Ceux-ci semblent « copier » un modele (il ecnt lui-
Plus tard, ailleurs, se rendre au lieu ou le croisemem ême le mot « copier » entre guill~ets dans un « car~
de ces deux ((familles », de L'origine de l'auvre d'art • uche » du coffin dont je reparlerai), I1s semblent lui
Unterwegs zur Sprache, entrelace sa nécessité, celle de 1 &iresuite (conséquence, obséquence) pour le .mettre.à
différence, avec le motif, précisément, de l'entrel lat et en perspective, y perdant du couple relief et fai-
eement {Geflechi}, Comment se eroisent ces deu t référence. Seul ce paradigme auran un nom, un
familles d'idiomes, ete.? Et ainsi de suíte. Et autrement om singulier et done prop~e, si .ce~ui-ci n'était aussi
L'autrement du « ainsi de suite » devient alors mon générique » : The Pocket .S,~e Tl'ng,t Coffin. 11 donne-
thême. ait même son nom, on dirait presque son patronyme,
I'aurai ~té attiré, sédui~ plutõt, Pll! le mot ductus, p r une lignée reproductriee, le lui prêterait plutõt, le lui
Ia nec~s~l~ede s.on sens, ble~ sür, pwsque dUC1USsignifi céderait en héritage à titre de reoanche.
ce trait idiomatique du dessmateur qui vient signer tOUI Mais si le paradigme parait être à l'or~gine d'une
seul, ~v~t même le soussígné du nom propre. Le duc Fnéalogie, l'usurpation ne ~dera pas. à f2l!e scan~e
tus fait signature, ou vaut signarure, dit-on, Mais j'aura et le paradigme devra ~e ret1re~ (!etr~t, ~xll, r~trll!te).
aussi été fasciné, à proximité de Titus, par l'affinité de Le paradigme n:a ~a~ eté à l'orlg~e,.ll ~ est lw-~em.e
syllabes finales. Elles signent. ni producteur m generateur. Fac-simile d un modele, il
Qu'est-ce qui, à Ia fin, donne Ia signature de Titus ? ura d'abord été produit - et même, en tous les sens
Que donne-t-elle ? Y a-t-H (gibt es ?) de Ia signature ? de ce mot, comme modele, réduit, Selon l'indémon-
trable, l'improbable et inimitab~e ductus ~e T~~~-Car-
mel, H y va done ~ien d~ Ia duction e~ sérIe. : m .1md~e-
7 décembre 1977 tion, ni Ia production, m Ia r~produ~0!1' ni la r~du~on
ne l'épuisent de leurs modalités, m meme Ia séduction
. A cette théorie sérielle des 127 cercueils de poche qui le conduit à l'écart.
(ie Ia nomme encore en français et de façon approxima- Le petit cercueil princeps n'est pas donné, c'est le
LA vmuTi EN PEINTURE
8
225
224 LA VÉRITÉ EN PEIN111 TOUCHES

moins qu'on puisse dire, il n'est pas là, donné préalahl urné dans tous ses états (ou presque) et sous tous ses
appartenant à une sorte de nature, natif et autocht 1\ les (ou presque). .
comme le sont le plus souvent les « modeles 1), I petit (paradigme) aura été constnnt comme une
« exemples 1), les « référents 1). Le petit cercueil d'ac \11
ypte pour garder jalousement son secret au moment
est lui-même un « produit », 11 n'a pas de privil : Ia plus grande exposition. J.alo~sem~nt, p:u-ce,que
absolu par rapport à une série de productions ou I ut est atraíre ici, me semble-t-il, d envie et d exces de
reproductions. I . Car s'il est offert à tous les contacts, A toutes les
C'est pourquoi je préfêre l'appeler « paradigme 1). uches du moins avant son achat par un Centre qui
Le mot grec ici convient. 11 désigne le plus souv 111 it ici' en délégation, entreprise de Fompes F~ebres
cette sorte de modele artificiel qui procede déjà d'un. tionales pour des obsêques du memt: nom, 11 reste
technê. Le modele, l'exemple, est alors un artefact, \111 tinément et, comme on dit, herméuquement dos,
référent construit, parfois de toutes piêces, instruit UII ppelant ces petits temples portatifs que les Grecs
structure fabriquée. C'est ici le caso 11 y aura e~ \I pelaient des hermes. 11 est muet, [ermé sous sa trans-
passé antérieur et comme à l'origine en fac-simile de ence altuglassée. ..
fu~ antéri~ur, « production d'un modêle » qui ne Domaine réservé, A rendre fou de [alousie le voyeur
I serait trouve, pas. plus qu'aucune sépulture, déjà I istant, à travers ces traits réguliers, plus ou moms
dans Ia nature. NI même dans aucune société donn oits-
Mais je devrai compliquer incessamment ces formule
ces modules discursifs, je les délaisserai au fur et '
7 décembre 1977
mesure comme les déchets d'une consommation insu
~sa~1te, les reliefs d'.une cêne interrompue en plein
)~UISSancepar une mise au tombeau, aprês des déclar Séduire le mort l'attirer à l'écart (leurre, acharne-
trens sans commune mesure avec Ia chose même : ce ment), l'égarer, fai:e perdre Ia piste du fantõme, le faire
I est mon corps, ceei est mon nom. Aucun mot n'aura ét revenir au centuple, et plus encore. Sauf (fors) dans ce
suffisamment ductile, surtout pas ceux de production offre-lã.
de reproduction, de séduction, de réduction. La duction
n'y suffit plus. S'enfermer avec toute Ia famille du paradigme. Para-
Cependant le paradigme, le petit obiet solide, imper- dtiknumi : montrer à côté, mettre en regard, d'oü com-
turbable et de bois, fait pour résister au temps et à tou parer (aussitõt, donc, l'id~e d:e série an~loglque)., r,non-
les assauts, pour supporter sans mot dire toutes le trer, exposer, assigner, dístribuer, attríbuer (l'ídée de
manipulations, pour excéder toutes les perspectives el tribut me parait ici indispensable).
toutes les anamorphoses, pour repousser les attaques de L'autre opération, dans Ia même famille, l'autre verbe
tous les bords (car Titus-Carmel touche à tout, iI ne serait pas inutile si je devais écrire en grec sur ce
attaque par tous les bords), pour garder secret le relief coffin paradeigmatizô : ~roposer pour modele ou donner
,li en e~emple, mais aUSSIfaire un exemple, condamner,
hors ~e pri~, inabord~~le, introuvable, le petit cercueil
,I paradigmatique aura ete IA, comme depuis touiours, posA blãmer, frapper d'infamie, s'~cha~er sur quelqu'un
(un theme~ d~>nc,une thêse), exposé, déposé puis « repro- pour le déshonorer .. Le paradigmatisme (paradeigma-
duit » (mais 11 faut dire aussi retire, à l'écart soustrait à tismos ) est une peíne infam~t~ destinée à flll~eexemple.
l'ab~i de son r~trait) 127 fois tiré-ã-part s~ un sup~rt 11 s'agit peut-être, dans l'hístoíre du coffin, d un exemple
fragile, un papier vulnérable aux traits mêmes, 127 fois condamné (on dit aussi plombé, sous sc~ll~s), non pas
multiplié, décrit, sérialisé, analysé, détaillé, déplacé, d'une condamnation pour faire exemple m d un exemple
226 TOUCHES 227
LA VÉRITÉ EN PEINTU

de ~ondamnation, m,aisd'~e condamnation (exempla.ir uisses ne l'épuisent pas, s'épuisent elles-mêmes à Ia


de I exemple :, damne paradigme. A mort! Ou condamn e (macchietta} et doivent un jour prendre fin, un
en tout cas, c est plus retors (parce que Ia condamnatíon ur précis, pour des raisons de fatigue, d'usure, de
peut, comme le revenant, faire retour), au bannissemem ance ou de maIchance.
« Fermez le ban ", dit-il. Or ici le coffin I( initial ", le cercueil O (tiens, il com-
Ils s'apercevront que j:aime le mot paradigme. A J rte Ia forme O en son sein, l'ovale entre miroir et
mesure de mon amour, ow, e'est le mot qu'il faut, pour I ltuglass) ou I, ou - I, comme on voudra, cet in(dé)-
c,offin,.1emot et lachose. A Ia mesure de tout ce que j' . able de Ia série a bien un statut volumineux, archi-
moestu : ce de~er. mot est trop usé maintenant UI al ou scu1ptural, et avant même d'être installé à
tous les bords, mais II est dans ce cas irremplaçable A I hauteur pour en être mis bas : déchu, couché sur une
mesure ~e ,c~ que j'en investis plutõt à Ia suit~ d urface, accouché sur un support, délivré ou tout cela
assauts r~,petes, des ~agues oifensives dont il aura sou Ia fois.
tenu le siege, du capital, de l'mtérêt comme de l'usur C'est aussi lui-même qui, avant d'être mis bas, don-
de to~s .Ies inv~tissements de l'autre auxquels il aur • rait naissance, comme un générateur ou une génitrice,
donne he~ et fait appel. J'essaíe de m'y retrouver. question reste encore ouverte, à une progéniture
mo~paradigme (en toutes lettres) est un nom bien propu iprobable, à une descendance incalcu1able.
à dire Ia ch~se en q1l:es~on,i1est à sa mesure pour toute Ils se demanderont comment un cercueil peut mettre
s~rtes de .ratsons qw s accumulent en plus-value mais j as. J'essaierai de l'expliquer. Mais aussi bien comment
n en dirai qu'une ou deux. ne le ferait-il pas ?
Ainsi, par exemple, l'artefacr ne s'expose pas seule- Le cercueil O (I ou - I) n'a pas seulement ce statut
ment à Ia,~e. P~ur les Grecs, i1 n'est pas seulement le 'architecture ou de sculpture, il est, étendu sur le dos
modele Vlsl,~le~ un peintre ou d'un dessinateur, d'un omme un gisant - ci-git le Tlingit Coffin -, une st~-
z~aphe s ;'lls~ll'ant alors d'un exemple constitui voire rue princiêre. On n'en verra le dos, me semble-t-il,
d une constltut;Ion (sy~t~e, systase, syntaxe) quand Ia que dans l'ultime dessin (u juillet 1976), au moment
métapho~e devíent polítíque. Platon parle d'un Etat qui du demier retournement, le u'r faisant enfin tableau
~e connaítra le bonheur que si le II diagranune » constitu- (noír), sombre tableau et ténébreuse affaire, de son des-
tionnel en a été tracé par des II zoographes " travaillant IOUS. Le dos fait face, comme un masque mortuaire, les
Ies ye~ fixés sur Ie « paradigme divin », cheveux tombant à Ia verticale, les eeillets vides (mais
Mats le plus souvent, done, un paradigme ne se pro- i1 est encore trop tõr pour en parler). La stature aura
pose pa,s seulement au regard, préposé comme un précé- bien été un paradigme en ce sens, pour architecte,
dent IDlS à plat, comme un plan préa1able pour le zoo- cu1pteur, accoucheur si on préfere, plutõt qu'un modele
graphe. 11 occupe un volume, il s'avance comme une pour zoographe. Ce n'est pas le modele d'un zoographe
s?'Ucture .de reli~fs appartcnant à l'espace de Ia construo- parce que le modele a été, en un sens qu'il faudra préci-
non mampulatrlce, comme Ia maquette d'un édífice ou ser, soustrait, mais d'abord parce qu'il n'y a plus de
d'un monument, d'un appareil ou d'une machine par zoographe.
exemple un bateau. (Le coffin est aussi un reste jlo:tant En effet : avant le renversement du paradigme, le
une coque ou le coffret d'un corsaire en dérive T -C' cercueil O se trouve monté, surélefJé à Ia hauteur d'un
en p~le comme .d'une II épave I).) Bref, un corps' qui n~ mont sublime (il faudra bientõt monter à l'assaut aprês
se laisse pas facilement mettre à plat et dont on peut avoir fait le siêge) et artificieusement agencé. Le mon-
tenter, ~out au plus, de faire le tour, encore que pour tage est minutieux, comme d'une montre - en vue
cerre raison même, le tour n'en soit jamais achev'é : les d'une explosion à retardement ou pour l'exposition de
228
LA VÉRITÉ EN PEINTUII TOUCHES 229

les rouages intestins dans le boitier transparent. Le


nteur - auteur de 7 Démontages - dit quelque part
'il a un cõté « montre suisse »,
Or dans l'opération qui ne monte que pour mettre
, Titus-Carmel (j'entends à l'instant son nom comme
lui d'un envahisseur, l'empereur issu de Ia plebe qui
'un ou de plusieurs coups - d'état - renverse, desti-
, interrompt une généalogie royale pour fonder une
tre dynastie et instaurer un nouvel âge politique)
itus-Carmel ne calcule pas comme un peintre ou un
inateur zoographique. Il se comporte aussi en tha-
tographe. A l'égard du paradigme précisément. Il ne
contente pas de traiter de Ia sépulture, du mort et
restes, et à cette fin d'en ajointer le paradigme. Non,
'e t le paradigme qu'il met à mal, et à morto Son para-
) . iame ne montre pas un cercueil, il se montre dans son
rcueil, Ia derniêre demeure du paradigme enfin mis
n terre.
Titus-Carmel cadavérise le paradigme. S'acharnant
3Jjuin 1975 ur son efligie, en feignant de le feindre dans une série
Le • premier • et le • dernier • des 127 dessins.
reproductions simulées, il le réduit, il le transforme
11 jui/l./ IV n déchet minuscule, hors série dans Ia série, et hors
'usage désormais.
11s'en passe (plus de paradigme, plus de cercueil, un
de plus ou de moins), il y met fino

11travaille, au deuil, sans exemple et sans précédent.


li apprend à se passer.

8 décembre 1977

Je renonce. Découragement. Je n'en viendrai jamais


à bout, n'en serai jamais quitte. Il faudra recommencer
aprês avoir traité en résidus, plus d'une fois, tous les
mots dont je viens de faire usage, je devrai en user beau-
coup, les consommer, les ronger jusqu'à 1'0s ou à Ia
corde, les remettre en perspective, les retourner dans
tous les sens par une série d'écarts, de variations, de
modulations, d'anamorphoses. Et puis m'arrêter à un
230 LA VÉRITÉ EN PEINTU TOUCHES 231

moment donné (~~ pages plus ou moíns), de fa 11


apparemment arbitraire, comme lui à Ia fin de l'ann
plus ou moins, sur le mode de Ia contingence. 8/9 décembre 1977

Peut-être un jour dira-t-on, à Ia mode légendaire ou


8 décembre 197 ythique, « les 127 cercueils de Titus-Carmel » (bien
'il n'y en ait qu'un, ne I'oubliez jamais, unique en son
Con~genc~ : c'est le mot qui me cherchait. e) comme on dít, par exemple, « Les 120 journées de
Car il Y va ICI du contingent, de ce qui touche au tou ome ou I'école du libertinage».
cher, au tangible, de ce qui touche, comme on perçoh L'analogie, comme Ia mise en série de séries, peut
(des choses o~ de l'argent), comme on manipule à mêm doit rester accidentelle. EIle appartient à l'ordre du
Ia peau, mamgance le faux-contact, établit le manê ntingent. EIle ne fait appel ni au modele ni à l'exemple,
des contiguités plus ou moins discrêtes en série' mel guliêrement de Sade pour Tirus-Carmel, de part et
il. y va aussi du contingent qui s'attri~ (comme 'adjec 'autre de plusieurs révolutions, républiques ou em-
tif) ~ux .effets .du hasard ou de Ia chance, l'építhêt
de I écheance mcalculable, I'usage du non-nécessair Et 'pourtant, si je m'y suis autorisé, c'est que l'analo~ie
devenu.fa~; ,et e~ du contingent, le nom cette fois : iviale (le contingent des 120, ave~ ou sans u~e sem~me
Ia multiplícíré ratíonnée d'un ensemble sériel distribué plus) en porte une autre, et qui touche à 1essentiel :
attribué (encore), en partage, à qui de droit. I
deux contingents mettent en scêne un travail et une
Comment rendre raison de cette ration, les 127 par louissance quant au reste. Ils mettent en scêne, théâtre et
exemple? IlIiorie, le rationnement du reste. .
Le contíngent est un attribut. On dira le contingent Reste disséminal, peut-être, 120 et quelques jets ou
des 127 artícles, comme on dit un contingent d'armes projets, mais excrémentiel aprês tout.
de soldats, de provisions ou de médicaments en temp: Le « premier » proiet, le cercueil principiel, gardien
de guerre (I'usage du nécessaire). ]e me servirai donc dcs restes, redeviendra, au terme du process~, .à Ia fin
du mot contingent. D'ailleurs, comme j'ai d'avance de Ia r.rocession, Ie déchet monumental de Ia sene.
échoué à rendre raison de Ia chose même, de I'idiome et 111 est déjà, à l'articulation de chaque artic1e.
de ce. dUCIUS irréductible, comme j'ai d'avance accepté Assumer le déchet, tel avait été le contrat par lequel
de. laisser le coffin se. défendre tout seul, ce qu'il fait Titus-Carmel avait traité avec lui-même, 11 avait décidé
mieux que personne, je me serai contenté de me servir de garder tous les « dessins » de l'année, même les moins
de quelques mots, d'en proposer l'utilité ou Ia formalité bons. Au tournant de I'anniversaire, parvenu à Ia
économíque à ~'autres~ les mots cartouche, par exemple, 121' version, i1 en avait cependant détruit deux, dont
parad'gme, article, duction, contingent, et pas mal d'autres te reparlerai, sauvant encore l'impair ou le nombre pre-
eux-mêmes aléatoires et inévitables, qui formeront à leU: mier.
tour une série parallêle, Ia fatalité d'un nouvel idíome. Assumer I'excrétion anale, I'avaler ou Ia faire avaler,
en escompter Ia jouissance, telle fut l:opération rythmée,
Ia cadence réguliêre des 120 Journees. Chaque expen-
I1 .faut d~nc s'y remettre et repartir de cette échéance mentation est méticuleusement notée, narrée, datée,
contmgep.tee. Elle sera restée sans exemple, voi1à une scrupuleusement comptabilisée. La compulsion ari~-
ruse ou Je pressens quelque stratagême scélérat, mologique et Ia narration comptable sont de Ia parne,
J'enrends ce demier mot dans son registre sadien. elles procurent un supplément de jouissance et ne
----~ 232 LA VÉRITt EN PEINTU
TOU~ 233
enroulements nommés cartouches : « ••• petit ~~e
lai~s.ent aucun répit à l'écriture. 11faut faire cas de l' les enfants font avec de Ia poudre à canon mowllee
crenon (orale ou anale), Ia prendre en soi ou sur soi I
mise en pãte et qu'ils allument par le sommet »•
momc:nt (~ecre9 d~ sa séparation, et l'intérioriser. •armement 'donc, en ce contingent d'une parade
MaIS I ~tro,e~on du morceau, autrement dit 1/ IMlnu,a:'ire,en 'cette expédition, voilã ce qui reste à vou :
mors, est ínterminable, elle finit toujours par lais I
tomber un ~este .d'incorpo~ation absolument hétérogên feu, L'armement« quels mots -
Analy~e mfinie du deuil, entre I'introjection et l'in
corporanon. 9 décembre 1977
Le mors s~ couJ?Cain~i .de .son lieu de production ou
~e reproduction dite ongmarre, de son orifice, de s 11 Un étron qu'on voudrait bien s'approprier, ~B?sj~ais
issue o~ de sa fosse: 11sort de sa fosse, suivez-le, suiv parvenir, qu'on voudrait reprendre en SOlJUSqua Ia
ce demier mot. Suivez Ie mot fosse, mais suivez aussi I
t jusqu' à épuisement. '
mot mm:~:q~d j'ai dit « du morceau, autrement dit du Lejusqu'à ce que (mort s'ensuive) est int~ble, Ia
mors », j'msistais autant sur le dit que sur Ia chose. -.ni·inai·son de l'ana1yse apparemment conungente.
I'
mors ,~st le morceau,~ans I~ bouche, qu'il y parle ou non Qu'ils lisent par exemple le jusqu' à ce que dans ce
et qu il y cause ou I mterdise. La réduction du reste d
c~ ~este-Ià, reste impossible, je raconterai comment 'ell ment des 120 [oumées. ... "
Je l'extrais à dessein de Ia Vmgtteme J~urnee. ~ est
resls~e. Ie le rapporterai pour faire droit à ce qui en c fin on va déborder sur Ia vingt et umeme et 11 est
c~ntm~~nt sans précédent, requiert Ia narratio~. Car tion d'un « secret », de I' « autre secret » tenu ~ous
des qu li,t~uche à Ia série (127 toithout one, hors séri
calque, le voile ou le linceul. (( Comme ces.mes~s
~s Ia se~le), on ne peut plus faíre l'économie du récit. s'expliquerent pas daf)antag~, u tWUSa ét~ .mpossib~
S il faut s y mettre et s'y remettre et en remettre c'est savair ce qu'ils ont voulu dir«. Et, le susnons:-tWUS,Je
que ça ne se fB:itjamais d'un coup. Faisant exemple du ais que tWUSferions bien par pudeur '!e le temr s~ ~
sans-exemple, il a montré dans cette exposition qu'on a 'le, car il y a tout plein de choses qu'.l ~ [aut qu 'rz:l'-
beau, vraunent beau, multiplier les approches, les [...
l Ce serait ré'Véler des secr~ts quI dOlv~t etre
assauts, les atraques, on a beau multiplier les mouve- lrifouis pour le bonheur de l'humamté; ce sera~t.entre-
ments d'appropriation, séduire Ia chose I'apprivoiser prendre Ia corruption générak des maurs, et p!éCJPJter,ses
Ia domestiquer, Ia fatiguer de ses avanc~ elle reste e~ frires en Jésus-Christ dans tous tes écarts ou pour:aJent
tant que reste (vraim~nt beau), indi1fére~te, eoupk du porter de uls tableaux. ») Et voiei Ia cascade dégoulinante
monde, de Ia production comme de Ia reproduction. « jusqu'à ce que » dans les ({5 récits » de .1aDuelos .:
« Un autre sefaisait piquer ks [esses, les cou.lles et le 'VIt
(~s on reconsidérera cette eoupure, ça se complique /ltJecune grosse alêne de savetier, et cela avec à ~ pres
tOU!ours quand Ia structure d'un entrelacs sériel entre "s mêmes cérémonies, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'.l eíJt
en [eu.) mangé un étron queje ~uiprés~!ais ~ns un pot de ehambre
Coupée, pour le moment, autrement dit tronquée sans qu'il voulut savOJrde quI d était.
« On n'imagine pas, messieurs, ~ les ~.s portent le
entiêrement tronquée. Un étron en somme et en série'
.. "
en connngent rationné, un morceau, un mors coupé
dilire dans le[eu de leur iAmagina~.~.N en ~'-J~pas ~ un
qui, toujours dans les memes pnnapes, engea.t. que te le
(de stronzare ou de strunzen) et bien formé une « matiêre rossasse à grands coups de canne sur les fesses, Jusqu ~ ce
fécale c~nsist~te et. bien moulée » dit Li:n.é qui aioute p'il eUt mangé l'étron qu'il faisait tirer devam 11# du
à notre mtennon puisque nous nous intéresserons encore
234 LA VÉRITÉ EN PEINTII OUCHES
235

fonâ même de Ia fosse des lieux ? Et sa perfide décharg hée, l'effrondrement d'un trait d'union : mai~ Je ne
coulait dans ma bouche, à cette expédition, que lorsgu i pas l'inventaire, on trouve dans c~~que sen~ -
auait dévoré cette fange impute. II ue pourtant et irremplaçable - les elements d une
Tirer, donc, encore, devant soi du fond même d e ei ainsi du reste, ce qui enchaine à elle-même une
fosse des lieux. 'ouverte de séries), il y a l~s «. 18 Mausolées JW!n
Un coup, puis un autre, et un autre. hauffeurs de Taxi New-Yorkau ll; il y ales « 20 Va~-
Extraire le reste et se l'approprier. sur l'Idée de Détérioration » (encere le parallele-
Le projet de sperme disséminal ne débouche p de comme un cercueil elos avec l'angle d'anaque
avant, dans Ia bouche de l'autre, que l'étron n'ait I ur Ia décomposition, etc.), il y ales « 17 Bxemples
incorporé par Ia bouche, Ia sienne. (Embouchure 1I ltération d'une Sphere ll, puis il ~ ~ les « V! Spheres li,
reste, vomissement dans l'economimesis.) « 7 Démontages ll, les « 15 !~ons !A~nes II (avec
Le reste une fois consommé, il faut, une fois compuI uche en un sens três smct, mscnptl<?n tombale
sive de plus, s'y remettre. Pour faire eeuvre et série. noms'de poete et « suaire impr~gné d~ l'image d'un
Ce qui fau ceuore, c'est le décret décisif, Ia séparati 1\ le lI). [Le nombre alors fait parne du. ntre, l~ ,v1t:nty
de corps, Ia mise au secret de l'étron : une série, étr 11 rrompre l'autorité du nom, de Ia voix, de 1eCr1~e
elle-même (unicité générique, the coffin), ensembl onéti ue: dans le titre même. C'est une des fonctíons
tronqué, se trouve arrêtée, fixée, découpée, au term Ia séde. Mais quand le chiffre ne disloque pas le titre
d'une multiplicité de coups. Par exemple au 127e artiel minal il intervient encore dans les sous-tltres, dans
de Ia morto numérotage ou Ia datation (c'est ici le cas) ou en
D'oü vient le décret qui met en coupe et en crypte? éral dans ce qui joue 1e rõle de car~o,!che. ~~ tex~e
De qui ? De quoi ? it accompagne inséparab1ement, Ia sene. 11s y mscnt
Pourquoi l'arrêt de mort à 127 ? nc même s'il s~mble se présenter hors:ca~e e~ hors-
ie. Ce coffin n'est pas sans cartouche~ )e 1~pltquer~
lus tard.] Sans chifíre incorporé au titre, 11 y a. ~USSI
9 décembre 1977 foaquin's Lave Affair ll, « suíte de 8 paves non 1~slb1es
I'emblée ", les 19 dessins de L' Usa,ge du NécessalT,e, lc:s
Je tourne autour de ce chiffre, je spécule, je compare •• dessins de « The Four Season StJC~ », etc. Ça n aVal~
avec Ia comptabilité pointiUeuse (d'autres diraient
maniaque, ou obsessionneUe, ou compulsive) des autres
s dépassé 34 (mais 3 ~ 4 = 12,3 + 4, = 7, 12.et 7·
27). Cette fois l'accrolssement paraít enorme: . 127·
séries, des séries de séries, des séries en nombre. urse de fond. La série est plus conséquente.. SI Ia pra-
11 tient des comptes, apparemment. 11 rêgle des tique sérielle trafique Ia mise ~ mortod~ ~aradigm~ ou la
comptes, sans doute, avec le paradigme. De quoi est-il échéance du modele, celui-ci aurait ete ~ette fois pl~s
comptable ? de qui ? devant qui ? résistant : p1us que 4 saisons. Les 34 Sticks font ~-
Ça ne s'arrête plus de computer en moi, comme si versaire (21 juin 1974/21 juin 1975), leso 127 cercue,ils,
j'espérais rendre raison du nombre, raison pertinente ommencés deux jours aprês 1e demier des Stick«
de Ia ration contingente, comme si j'espérais toucher, (23 juin 1975), débordent elliptiq.ueme:nt l:anneau
donc, à Ia nécessité de cette contingence, au bord, à tous (rr juillet 1976). L'engagement anmversaire n est pas
les bords de ce coffin si nombreux.
tenu. 1 b e
Je récapitule : il y ales « 25 Variations sur l'Idée de Faut-il compter avec les dates ou avec e nom r
Rupture II (déiã les parallélépipêdes oblongs, les ban- d'articles? Qu'est-ce que ça signifie, outre .l'a~nke
deaux pileux venant panser, ligaturer, serrer Ia césure .pparemment insignifiante d'une chance, d'une echeance,
237
LA VÉRITÉ EN PEIN II

,obre 1975
"9 ao"t 1975

91wrier 1976

17 .epltmbrt 197.'
238 tA VÉRITÉ EN PEIN'III TOUCHES 239
d'une déchéance P Qu'est-ce que ee chiffre - 127 matin, sur ma table, j'ai à côté de Ia maehine un
aura satísfait pour arrêter le désir d'aller plus 1 111 't electronic pocketable calculator (Model Ur-300,
Pourquoi pas un eereueil de plus ? lal No. 27932). Ie compute, d'une maio un peu dis-
te.
127 : j'ai d~abo~~tendance, m?i, à décomposer ain I t voi1à : 127 est un nombre premier.
à Ia lecture dissociée, 12 + 7. Tiens, ça fait 19 comm n'est pas tout, mais c'e~~ tres, impo~t. Un
dans L' U~age du Nécessaire et on sait que dans e~ dern bre premier, selon sa défínition, n est. dtvmble que
cas, le chiffre 19 avait été obtenu aprês Ia soustracu« , lui-même. Par aucun autre nombre enner. Le coffin,
ou Ia destruction d'un dessin; i1 avait été dérobé \I son unicité générique, est done entier, intact, invul-
tiré ou annulé, extrair de Ia série: il aura fallu réduir~' I able, il n'est divisible par rien d'autre que lui-même.
I2+ 7 : I2 mois, une année, plus une traínée \111 ne l'affectera plus du dehors. L'impair est indivi-
q~eue de comete, Et il.y.a 12 dessins aprês I,am:iv I le dans ce caso Le reste reste entier, à Ia condition
saíre du premier, le 23 JUlO, et I1s s'étalent sur un 1I t n' défalquer un, le coffin paradigmatique qui appar-
plus d'une semaine (sept iours et une trainée) du J t sans appartenir à Ia série qu'il rend possible. II s'y
tiême mois. Il a tiré du coffin 12 gravures (celles dont I it mais en y laissant aussi Ia marque de sa propre
reprod1!Ctlons sont justement accompagnées d'un é til ustraction, ce qui définit l'instance du mors transeen-
à portee de cartouehe et sur lequel je reviendr ) tal : un morceau exceptionnel, mordu, arraehé ou
Do:uze eercuei.ls, eomme dans Les douze frêres I u avee Ia bouche, [fait] bande à part, mais pour
Gr~ : le roi menace les douze fils de les tuer si I dre possible Ia chame articulée, Ia série d'articles à
treizíeme enfant est une fille. Dês avant Ia naissanee 1 quelle il fait exception [tout sauf lui, fors le mors] et
douze cercueils sont prêts. Les fils s'enfuíent et juren~ d s laquelle eependant il se réinscrit réguliêrement.
tuer toute fille qu'ils reneontreraient. Qu'on se repor! On dira indifféremment le mors transeendantal ou le
à Ia suite, jusqu'aux sept ans pendant lesquels Ia fiUe rs transcendantal.
tut, resta muette comme Ia mort pour délivrer ses frêr Mais Ia mise à mort du paradigme est aussi celle du
devenus corbeaux. Freud Ia raconte dans Le thême d I anscendantal. L'aete de T.-C. aura forcé le cercueil
trais coffrets. anscendantal - si vous voulez bien le suivre - à ren-
trer dans Ia série ou dans le cortege et à y occuper n'ím-
porte quelle place, ee à quoi doit toujours s'entrainer
9 décembre 1977 un cercueil d'avant-garde.
Le nombre premier du coffin résiste done à toute ana-
Le thême des 127 coffrets de Titus-Carmel. Aurai-j Iyse, il est fait pour ça, il ne se résout pas en p~antasmes,
Ie temps de réinscrire toute une lecture de Freud dan il ne se divise pas, il ne se fend pas. Du moias aucune
ee cartouche ? décomposition venue du dehors ne peut~elle l'affecter,
127 : 12 + 7. 12 : 3 x 4 (heures, moís, saisons, n'im fors Ia sienne propre. L'armement atomique. Le. coffin
porte quoi, choisissez), 7 = 3 + 4 ou eneor devieot alors lui-même, indivisible en somme, jusque
I + 2 +~ + 4 ., 1~ et I + 2 + 7 = 10. Tetracty
pyth.agorlClenne G en ar trop parlé dans La dissémination
dans Ia dissémination de sa lignée. Integre hors de Ia
érie integre une fois réintégré ou réinséré, inattaquable
re laisse tomber, non sans rappeler que les proportion d'un'lieu à l'autre, impassible, splendidementautonome:
du coffin o (- I OU + I) correspondent au nombre d'or suffisant. La suffisance de eette lignée s'arroge même -
(10 X 6,2 X 2>4em) et donc au même registre de spé- e'est sa prérogative unique -Ia modestie, Ia mesure, Ia
culations arithmopoétiques). modération qu'on peut toujours eotendre au moment
240 LA VÉRIT:á EN PEIN 11' TOUCHES

ou que~qu'un dír, ac~eptant Ia limite: ça suifit. 127. rt-né dans cette histoire de coifin et peut-être dans
s~t~ c est assez, ie ~ en peux plus. T.-C. dit de Ia , I coifin lui-même, D'abord yannihi~ation .des deux
~ acatou aux propornons du nombre d'or que ses dim " its n'a pas été sans reste. 11s en SOUV1ent et 11 en parle.
slon~ s?nt « modestes I). Ça suffit, asses, satis et « 111 cartouche en garde Ia mémoire, 11 ne leur a I~ssé
de 1 abíme »,
une sépulture et aucun nom mais une date au moins :
. Superbe morgue. II fallait penser, comme l'inc 11 et morts entre le 20 et le 21 (I) aoüt. 11 en reste des
cient, bien sür, au nombre premier, et, consciemm " oins, les 4 taches (ou maquettes) noires, les plus
pour Ie coup, dans Ies proportions du nombre d'",
QueUe morgue. QueI raffinement à Ia fino
pouillées, sans lacet «( cordons de poêle )1). Deux
, ntre eux, les deux premiers, sous calque, et l'un d'eux
lement, le seul des quatre, laisse voir les touffes de
Dans son titre en Iangue étrangêre, un cercueil mu I
il sur les cõtés, à l'intérieur du cercueil. Dans ce que
garde Ie dernier moto Quelle morgue. 'appelle son cartouche il les décrit au passage comme
deux oisillons gris sans bec », Rien n'interctit alors de
nser que les deux exclus, comme tout ce qu'on exclut
9 décembre 19 général, se font représenter à I'intérieur de l'enclos.
Les deux forment-ils une paire? ou un couple?
Avant d~ lais~er froidement en plant cette pous nt-ils ou non partie de Ia lignée? En portent-ils le
~umérologlque, re remarque ceci : il a détruit deux d om, et de quel droit? Ie poserai ~ a~ltre jour Ia !1lêm~
sms, II me l'a dito II serait arrivé à 129, autre impa I, uestion quant à un cartouche en general: appartient-il
~erte~ (et.129 - 10 = 119 = 12(0) - I, etc.), mal u non à I' « oeuvre II ? Est-il ou non à l'ceuvre ?
,mpal~ qUI ne resterait plus premier. Deux de plus et J
paradigme n'est plus premíer en sa lignée, il devíem De Ia catastrophe généalogique, comment savoir si les
dívisíble par un autre que lui : ctisséminable offert à ) eux exclua ou le double rejeton banni ont été victimes
décomposition sans forme. ' u bénéficiaires? C'est Ia question du savoir que je
Ces deux-Iã me fascinent. pose, et d'un reste-ã-saooir. Ces deux sont sublimes, les
. Exclus ou détruits, ils laíssent Ia trace d'une interrup plus subtils, le:splus subtilisés de: tous. en l~ur soustrac-
non dans 1~contrat qu'il a.vait voulu passer avec lui tion hors-séríe, nous les pleurerons à jamais. Les bords
même, entiêrement avec lw-même si un tel aete e I de cette crypte s'en trouvent scellés,
po~slble, pour.la formation de ce contingent ou l'insti Scellés par un hors-série dont I'extériorité a et n'a
tutíon de Ia hgnee : garder tous les dessins tous le pas Ia même fonction, relative, du hors-série-d~s-la-
restes, même Ie~ (plus ou moins) manqués, l;s avortés érie qui revient au coifin princeps, et, dans sa swte, à
les débris, Ies détritus, 11aurait donc reconnu que tous chacun des exemplaires.
Ies déchets ne se valent pas. I'avais été mis sur Ia piste de cette série de hors-série
On peut dire des deux bannis qu'il ne les a pas gardés « hors-série li par l'allusion de Gilbert Lascault à une
cerres, les vouant ainsi à une perte sans nom et san' soustractíon analogue, dans ou hors L' Usage du Néces-
sépulture; mais aussi bien qu'en Ies perdant poursauver saíre : « Aux dix-neuf dessins, s'ajoute, exclue de Ia
Ia, série en son nombre premier, il les a sauvés du série, produite à peu prês au mitan de Ia série, une .ving-
desastre ou de Ia pompe funêbre, de Ia fosse commune tiême ceuvre : il faudra revenir sur cette exclusion. ))
ou de Ia sinistre exposition des cénotaphes. Et il y revient : « ••• un des nécessaires a été exclu de Ia
Tout, enner sauf ces deux-Ià. C'est Ia conctition du série. Ce nécessaire s'intitule Béant, s'ouvrant, ailleurs
mort-ne. Qu'on regarde bien ces cercueiIs, il y a du dêclos, lu dans son bâillement : W. B. Yeats ... II (Remarques
LA VÉRITÉ EN PEIN"II OUCHES 243
ptrsées sur L' Usage du Nécessaire, Revue d'Esthé-
ue, mars 1973. 11faut lire Lascault. Je date de cette
rence ma premiere pensée pour Títus-Carmel, et le
timent que ce nécessaire exc1u marquait Ia bordure
saire du Nécessaire même, le nécessaire - l'ex-
té, le contingent, « sauf' », « fors » - du Nécessaire,
M'hors-série ou le Fors-série. Le coup du sort, nom
pre : Lachésis. Le nom de cette fileuse, l'une des
i sceurs, rappelle « Le thême des trois coffrets »,
igne « le hasard qui se manifeste au-dedans des lois
issant le destin », Lachésis, tiens, e'est le titre du
sin XII dans L' Usage du Nécessaire! Ça suffit.)

10 déeembre 1977

li faut faire l'impossible. S'y remettre aujourd'hui.


u travail, bien sür.
Du deuil. Faire du deuil son deuil. C'est ee que j'ap-
lle faire l'impossible.
Pour lui d'abord (mais il a déjà réussi, non ?) et pour
20 ""úr 1975 oi en suite de lui. S'y remettre, s'allonger de tout son
I ng, s'étendre sans peur, sans p'udeur, sur le dos (qui
te alors invisible encore qu'il s'expose mieux, plus
veuglément, au miroir), dans le cotfre de bois, y faire
:11 aour , n trou - un peu le contraire de creuser sa tombe -
mme on enfonce sa tête, par quelques mouvements
refs, dans un eoussin un peu dur, lui donner son moule
t sa propre forme.
Mais pour se l'approprier, pour être sür de son bien
(le seeret caehé, le bien préeieux entre tous, le trésor du
ouveau Monde au pays des trafiquants de fourrure, les
lingit) il faut avoir de longue date, depuis toujours,
préparé ta chose. Par exemple, aprês beaucoup d'autres
bjets analogues dans leurs séries (boites, coffrets, boi-
tiers, parallélépipêdes, ligaments, garrots, lacets, liga-
fures, pansements, tissus, fourrures synthétiques, angles
droits et formes ovales, etc.), beaueoup d'éléments autre-
ment ajointés mais analogues dans leur disjonction ou
dans leurs réajointements partiels, il faut avoir conçu
et fabriqué, quasiment de ses mains, son propre cercueil.
244 LA V~RIT~ EN PEIN OUCHES 245
Travail de menuisier : i1 consiste d'abord à raffin I d'abord publié avec l~ 12 graoures d~ coffin
P?~ le coffin sur toutes ses surfaces, à l'amenuiser, udoin Lebon, SMI Pans, 1976) et consiste en
dJ",,'!uer sa forme et son contenu (modele réduit et t I propositions ainsi classées pour votre spécu1ation :
réduite, ~e sont se~ mots, si réduite que le corps du d '1 1.2. I 2.1., 2.2., 2·3·, 2·4·, 2·5· 13·1., 3·2., 3·3·,
p~ a disparo, ~ en reste que le mot et l'allusion 8\1 .,3.5. Encore une série hors-série qui vient s'inscrire,
pratiques mortuaíres du Nouveau Monde). fois en douze, dans Ia série. L'acte de T.-C. s'y
. Supposons donc qu'il s'y soit mis. Ce devait être 111 pose ainsi comme acte d'écriture discursive, laissant
jour, avant le 23 juin 1975, da~~ du premier des ln, « acre >l, au sens de l'archive ou du document testa-
quelque temps. avant notre premiere rencontre : il m' ntaire. II commémore, explique, décrit, raconte
parlé du. paradigme et des premiers jets comme d'un I toire et Ia structure du coffin, mais de façon as~ez
chose falte, en esqui~sant, si je me rappelle bien, 1 ptique et iouée, assez fictive et assez peu reproductive
gestes de met"t!e Ia mam dans Ia poche. Avant le 23 iuin, 1 t un texte de plus et non une réplique) pour que
donc, reconstItu?ns le processus, il aurait conçu, c' I hors-d'eeuvre ne surplombe pas le coffin (le chef-
le mot, le paradigme du paradigme. Un archi-premi I 1 uvre) et en fasse partie au contraíre. 11est d'ailleurs
d~s~JD, un ~ro~o-cercueil auraít-il donc procuré J it en cours d'opération, pendant le pr?cessus. On
precedem de 1obiet menuisé? Son devis ? Sa devíse] t donc lui accorder, en un sens assezstnct, Ia valeur
En tout cas, av~t le 23 juin, il dispose de ce qU'OIl 'un cartouche. 11en a tous les traits : carte (cartuccio )
appelle un « ~odele ))de série. Une premiêre manipu table comme support d'inscriptions supplément~res,
lation esset,ttI~e l~ aura permis de s'exhausser au exemple à même les cercueils d'empereurs égyptiens;
dessus de I'objet (d abord plus grand que lui puisqu'll emble de traits renfermant un titre ou une dédicace;
l'aborde en ~t~dant s'y mettre) jusqu'ã ce que celui-cí eau elliptique autour des noms pr~pres ,de di~':lx
soit assez ~nunué .pour qu'il le puisse manier, tenir u de rois, avec des formules de devise, d armome,
dans sa MaID. Touiours Ia surélévation colossale. Pre blason.
mIere .levée du cercueil (íl aura été en1evé plus d Nous pourrons lire ce cartouche à Ia fois comme un
127 foís),
titre et une signature. 11 n'est pas étranger, même .s'i~
Enlevcments au cercueil.
e s'y réduit pas,. au cartellino ou a'!. ca~te~. <;elW-Cl
Pensam à toures les ruses, à tous les artífices qui eut identifier et ngner le tableau, qu il s y integre ou
s'.~ploi~~t dans l'ombre à cer enlêvement répété, je non, qu'il s'isole ~u non d~ l'in;lage selon des confí-
~rals qu ti complote pour avoir le morr dans sa manche IUfations topologtqu~ tres dive~es. Iean-Claude
SJDO~pour contracrer alliance avec lui : jeux de mains; Lebensztejn a propose une analyse nche. et n~our~se
manege et mamgances. du cartel, de sa structure et de sa fonction historique
dans un paragraphe (1.4) de son Esquisse d'une typologie
Puis d'un toumemain l'empocher. (in L'art de Ia signature, Revue de l'art, 26, 1974).
Le cartel qui nous intéresse ici n'est pas três éloigné
C'est ce qu'il appelle « mettre le modele dans sa d'une signature, avec journal de bo,~d et ~e ~e Vls~te.
poche I).
Qu'on le lise attentivement. Pour 1mstant Je n Y, releve
Je cite ici un écrit dont il faut tenir un compre aussi que deux traits. D'abord il s'ordonne au sous-~tre de
exact que possible. II s'intitule « THE POCKET Ia chirurgie, à Ia violence du scalpel ou de Ia (e senngue.))
SIZ~, TLINGI.T COFFIN (ou : De Ia lassitude et au jeu de mains. Suivez ~ le texte le r~vai1
consrdér~e comme mstrument de chirurgie) I). Ce document acharné sur le corps, en chair et en os. Ensuite le
reprodwt lors de l'exposition (il en fait donc partie): signataire du cartel, Titus lui-même, y note, en lettres
tA VÉRITÉ EN PEINTIJ TOUCHES 247
capitales, avec Ia promptitude d'un coup d'Etat (I tement vers le nom propre, pour l'induire de loin :
d'un coup de théãtre, entre 2 et 3 : blique raconte que Pythagore aimait à se retirer
« CECI ÉTANT, METTRE LE MOD~LE DAN le mont Carmel pour y méditer, Retire aussi Les Rois.
SAPOCHE. » ant de récits (en séries) sous-traités dans Ia crypte
on cartouche. II y suit plus d'un ordre. Et répercute
Ce coup de théâtre est à Ia fois d'un théorême I plus d'une surface. Le travail de l'angle : il RECTI-
d'un mot d'ordre. dans tous les sens : tue, fait angle plus ou moins
it, puis répare, restaure, ressaisit, puis de nou-
II résonne au moins sur trois surfaces. u, etc. Dette inépuisable jusqu'à échéance d'un
p de dés «( au fond d'un naufrage »). II faut redresser
e injustice, et réparer un torto
II décembre 197
Les mots anglais en ce network, leur nécessité, tout
Laisser le discours sur les trois surfaces à demain qu'on pourrait faire avec corpse ou rest (résidence,
Supposanr lu, ~ cette étape, le cartel « de Ia lassitude ... " '/'Os du corpse) ...
i'en extrais cecr : I

« 3.1. [...] - scande /a journée de ses sorties.)


« Le poser lã et n'en faire qu'une bouchée, » 12 décembre 1977
(~pro.-nécroph~gie : à l'intention de ceux qut
auraient jugé force ou théâtral mon lever de tentur Pour dire ces trois possibilités, je n'exploite pas plus
sur Ies 120 JOurnées ...) ue 1ui une expression idiomatique fort économe en
Revenír sur, sC;Spas, toujours, encore, récír/série, n ellipse. [e décris une chirurgie équivoque.
Pro~esslon funéraíre et palindrome. Revenir : le revenu Elle trouve sa chance dans Ia langue et programme
de I usure, le revenant, l'hôte, guest, ghost. Le coffin geste autant qu'elle se le voit prescrire.
comme hõtel de passe. Ce que fait T.-C. revenant à I I. II n'a pas seulement mis Ie modele dans sa p.oche.
charge (surcharge et décharge d'une piêce à conviction : 11a exposé, enseigné, montré paI' l'exemple (paradigme)
c0Il1Il?-ents'en débarrasser?) et revenant sur les li~ omment, en général et en particu1ier, « mettre le
du cnme. II traque a~ssi un déterré, suit le sillage d'une modele dans sa poche ». Le dominer, le jouer, le défaire,
« ,épave )~.Dans ~e sillage du sillage, exultation aussi lui faire échec au cours d'un simulacre de négociation,
d une veillée funebre, Finnegans Wake encore. Faíre par un marché de dupes, une manigance ou un manêge.
chanter les morts. Faire vibrer le sarcophage : sous le Mettre quelqu'un dans sa po~h~ : en faire so~ ~é
charme. oumis (alliance - anneau elliptique - et assujetns-
~t les mots. Ce coffin grouille de mots illisibles, en ement à Ia fois) aprês avoir leurré selo,n l'acham~ent,
en~er ou en !D0rceaux nombreux. Le nombreux dort placé Ia chair en vue pour Ia capture d un autre animal,
enner, expo~e selon ses dimensions, joué selon ses Vaincre sa résistance à l'usure, être plus fort, ou plus
rythmes. Suivre les cadences du trait. Toute Ia série mort que lui, à l'occasion en faisant le morto
des mots en or dont j'ai dü faire cas (mort, corps, hors, Oui, mettre quelqu'un dans sa poche, autant que
fors, mors, corpse, sort, bord, retors, et ainsi de suíte). que/que chose : qui décidera si le coffin, si Ia Chose est
quelqu'un ou quelque chose, de quelqu'un ou de
, A propos du nombre d'or e~de Ia tétractys (1 2 7,+ + quelque chose?
c est 1 +2 +
3 +
4), 1anecdote pour reconduire En ce premier sens, il a mis le modele dans sa poche
I LA VÉRITÉ EN PEINTlI oueRES 249
P:U-c~9u'i! en a .fini a--:ec!u!-(feu le paradigme), ave neraie Culturelle (1969-1970). Ne oous précipitoos
dignité ou son ntre principíel de modele. vers le « symbole », ce cootingent de victimes
11 en a fíni de plusieurs maniêres. Au moins quau .ques ces victuailles encore érigées sur leurs
(ABCD). les ;' 59 bananes en ma?ere ,plastiq~e, feignant,
I A. 11 a « produit )), quasiment de ses mains I sibles, de copier le modele d une s01XllIlf:1eme o~
pat;adi~e. Celui-,ci n'était pas lã, en soi, avant t~lIl e premiêre (la « vraie », Ia « naturelle lI) qui poumt
operanon. T.-C. n est plus dans Ia situation du démiur tement, détumescence afftigeante offert~ .~u copro-
qui, ~ll1,lsle Timée, contemple un paradigme improduu Igeaffamé. Le contingeot est de 60 (Ia moine des 120)
et précédenr, le programme de ses formes. L'opératíon de 59 (nombre pr~er), + I, ou de 119 - I/~,.etc.).
chirurgicale de T:-C. n'est pas une démiurgie. 11 m I fruit (qui est aussi le pere) « naturel » de Ia sene.est
Ia ~am au paradigme et meme porte Ia main sur lUI décomposition, autrement dit en analyse effect1V~,
M~s d~ coup z: d'oü l'équivoque terrible du coup I tique. La décomposition dure le temps de l'exposi-
mam, I'impossible coup de maitre -, en « produisant n. Celle-ci donne le temps de .la re.marq?e,. d~
le paradigme, en se. do~1U!nt le. modele, en le priV8111 marquer Ia différence entre le frwt (qui serait amsi
d~ sa transcendll?ce impeneuse, i! risque de se surélev r pere) « naturel )) et les 59 « faux-fruits I) (qui se
luí, T.-C., en pere du modele « paternel ))mis ã mon emblent comme des frêres - faux-frêres - ou des
pêre du pêre, grand-pêre du fils, petít-fíls du grand-pêr rs ou des fílles, comme 00 voudra).
d~ soi-même l'aieul? etc. Du m~n;te coup, si 00 peu; qui se remarque ainsi, c'est. Ia différe~ce e~tre ~e
dire, tuant l~ paradigme, le .parnclde tue son produit, modele » et les « copies» (mais le modele fait déià
~~trem~~t dit son rejeton, 11 le fait avorter (127 foi ie de Ia série exposée), Ia banane ( patemelle )).et
l.mfantlCl~e)" et s~ propre paternité avec, ainsi sou filiales, indistinctes, indiscemables, plus ou ~oms
signée, Lignée brisée, plus de famílle, une série, une onymes (j'écris ici sur un autre, cartel~. Mats, au
se~le ~e serres sans commencement ni commandemenr ment ou cette différence (modele/copie, « pere/
(ni sttck de commandement), sans archie ni hiérarchi etons » dirait Platon) est le mieux marquée, le
et ainsi de suite, (J'aimerais attirer ce discours dans le
I odêle (l~ fruit ou le pêre, comme on voudra) est
parages de Ia Chôra du Timée et de Ia « bâtardise » qui talement pourri, décomposé, analysé, déchu. 11 ne
s'y r~ppor~e mais [e dois faíre vite et court.) nctionne phis ; défunt {defunctus ) .temo~el,e ~(naturel ».
• Nécessairement le mort se venge. Et le paradigmc Les filiales ne soot plus des COpies, 01 d ailleurs des
revient, il prend sa revanche. Le « modele » est toujoura riginaux. Ce seraieot ?es phantas;nata plutõt (copies de
le revenant rêvé. La hantise ne lui survient pas elle pies sans exemple) SI Ia force d un ductus ne \,Ortalt le
donne le premier pas. A Ia fin de Das Unhei';'Ziche reste au-delà de tout phantasme, au de1à de Ia signature,
[i! faudrait tout citer co~e pour le choix des coffrets] u nom propre et même du nommable. 11 re~d c~m~te,
I Freud rappelle Di!!' Zerrissene de Nestroy : celui qui se n sa contingence, de l'idéalité du modele. L'ld~sauo~
nent pour meurtner soulêve [aufhebt] le couvercle de 'élêve toujours, comme Ia fermentatlo~ de 1~~nt
ch~que trappe e~ e~ voit surgir chaque fois le fantõme (Geisr), comme un gaz, au-dessus. d'une décompositíon
I pretendu [vermetntZtche GespenstJ de Ia victime. 11 est organique. Déjã dans la Bananeraie ...
etfrayé ; « je n'en ai pourtant tué qu'un seul! ))
Le paradigme, disais-je, « à titre de revanche », 11 y a bieo quelque chose d' analogue dans l~ cootin-
B. 00 pourrait comparer (mettre en série) Ia série gent des 127. Le paradigme, cette ,fOlS, semble echapper
du coffin avec toutes les précédentes, bien qu'elle s'en u désastre, i! ne tombe pas en decompOS1tlO~.Aucune
passe fort bien aussi. Je me limiterai à La Grande débandade. 11 tient même le mort presomptif dans un
LA VÉRITÉ EN PEINl I TOUCHES

état de rigidité constante, rigueur tendue par des Ia 11 l'est plus en tant que « produit ".d'une technê, ~,Io~
stricts. La stricture est nouée au-dedans et au-dehoi Ia banane, modêle (fruit ou pere) naturel I etalt
elle traverse ta paroi comme un lacet, une série I S9 simulacres. , ..
lacets tirant dans tous les senso (Dans tous les sens, I 'ailleurs - et voilà ou ie veux en vemr aujour-
séries reviendront à entrelacer, et déjà dans les mot 'hui - qui nous assure que le coffin de bois, (hyle,
series, lignée, enchainement et en grec seira, cor t l ou matiêre, petit madrier) aura été premser, ne
chaine, lasso, corde à noeuds). Mais il donne bt I it-ce que dans le temps ? ""
l'exemple et le lieu de Ia décomposition, des reste I Pour Ia banane, aucun doute : elle aura ete en situanon
reliefs; et il semble bien avoir Ie même rapport u turelle » de précéder to~tes ~es a~tres, toutes ,Ies
127 artic1es que Ia banane « vivante » aux 59 fauss pies », On n'a pas bes~m d ~e in[éren~e., d un
copies en rnatiêre plastique, encore que celles-ci soi 111 ement, d'un témoignage discursif ?U d un recrt po~
justement de matiêre plastique, en relief, et ceux-l n assurer. Dans le cas du coffin, 11 nous faut crotre
dessinés à plat. Et pourtant entre les deux séries, un qu'en dit l'auteur présumé, Ti~s-Carmel. Seule
dissemblance pertinente. ] e veux dire qui touche. EU rlsistoire qu'il nous raconte en fait foi, et cette narraUon
touche justement Ia différence entre le modele (natur 11 oposée dans le cartouche dontje p~r.laís plus .haut~
et le paradigme (artificiel), dans leur rapport à I I. I. à savoir que c'est le pent boítier de boís qui
production et à Ia décomposition. Modele « naturel " nt en :ête de Ia production et servit ainsi de (~modele !)
Ia banane présomptivement paternelle n'a pas él I. I. Sous le titre générique de The Pocket Sise Tlmplt
« produite » au sens « technique » du terme. Elle offin est rassemblé ~ ~sez grand nombre de des~ms
décompose « naturellement ». Elle n'est pas faite pOUI I t vingt-sept préclsem~nt] ,ay~t tran au meme
survivre aux filiales, sa détumescence est Ia débandad odêle : i! s'agit d'une boite d aca}ou... »), , .
du modele. Le paradigme « artificiel », lui, le coffin Or cette déclaration qui met de l'ordre dans Ia sene,
géniteur ou générateur aura été « produit », en apparenc réeit qui scelle une irréversibilité appartient au
du moins, et i! dure autant que ses simulacres. Marquant ouche. Ceci est un cartouche : i! met en ceuvre et
le lieu de Ia décomposition « naturelle », supposé lUI 't partie de l'eeuvre en (s')y ins.crivant ~comm~) le
donner lieu en 1ui (restes en lui), il ne se décompos ure, Ia signature et le ~~~orma?f autob~ographique
~as. To~tes s~s ,mises en perspective dessinées (par- u signataire (comment J ai •dessiné c~r~alns de ~es
tíelles, a Ia différence des bananes) Ie décomposent rcueils). 11 raconte que le pere ~e la sene (le « m~me
peut-être en partie(s) mais il est fait pour ne pas s odeie ll), par lui produit, ,celw, qUI do~e so~ ntre
décomposer, pour excéder l'analyse en son nombre • générique ll, à savoir un singulier collectif qui pour
premier. tre singulier, comme un nom p~tr?ny~lque, n'~n vaut
Or voiei du paradigme le paradoxe : en raíson de S8 as moins pour un ensemble généalogique - i! nous
prérogative même, et de cette autre histoire qui le raconte donc nous demandant de le croire, que ce
,
re-fils est l'unique « boite
d' acajou
. », etc, .
rapporte aux « phantasmata )), il est déchu de son
privilêge. Dês lors qu'il est construir, artifieiellement Maís rien aucune nécessíté strucmrelle et mterne,
bâti, il. s'inscr~t automatiquement dans Ia série, ni pIus dans Ia séri~ des 128 artic1es, n'interdit de considérer
m moms qu un cartouche apparemment hors-série. la bolte d'acajou comme une simili-reproduction en~re
Ilfait partie du contingent et il est même plus homogêne utres la matérialisation hylétique de tel ou tel dessm,
aux 127 que Ia banane exemplaíre aux 59 autres. Sans • telle' ou telle place de Ia série, ,v?ire, .apres tout, pour-
doute reste-t-i! hétérogêne en raíson de son relief, de auoi pas, aprês tous, in fine. SI Je f~s abstraction de
sa matíêre, de sa singularité volumineuse, etc, Mais il l'ordre imposé (performé) par le srgnataire en son
252 LA VÉRITÉ EN PEIN111 TOUCHES 253
cartouche: .rien ne m~~terdit de déplacer les aru I nné le jour. Si le cartouche introduit Ia possibilité
dans Ia serre, de considérer que Ia boite d'acajou " une perversion dans l'ordre même qu'il est seul à
oc~per. toutes les places, ~t n'importe laquelle, rformer, i! ne s'agit plus seuIement de tentation,
meme titre que les autres simulacres. C'est d'aill \11 mme je viens de l'écrire. Tout est mis en oeuvre
tentant : pourquoi n'aurait-il pas solidifié Ia chos I ur que Ia perversion ou I'inversion catastrophique
fin, de parcours, pour achever un monumenr ? ou à P , iennent nécessaires. Elles sont fatales. Produit, le
pres au milieu, pour en jalonner ou arrêter l'esqui radigme a dü être précédé de sa suíte, par quelque
Le hors-série, dans ce cas comme dans celui des I sin ou dessein antérieur l'inscrivant d'avance dans
peut couri~, c'est ~ curseur, tout au long d'une II filiation sérielle sans commencement ni fin, sans
à laquelle il apparnent sans lui appartenir. Il l'hab I tre ordonnance que Ia phantasmatique d'un contíngent
sans y résider, il Ia hante. tant (au-delà de Ia hiérarchie et au-delã du phan-
L'apparition du visiteur est innombrable i! sême J me).
arithmosophistes. ' D'oü l'instabilité dynamique, voire le double bind
ui tend ce coffin entre ses lacets, liant le hors-série à
érie, et ce que je vais dire du paradigme présomptif
13 décembre 19 ut aussi bien pour chaque I27e ou I28e du premier.
Tantõt, si modeste soit-il dans sa présentation, i! se
La logique du cartouche vous déconcerte comm andit démesurément de son analogie avec les 127 au-
celle d'une narration dont le site resterait improbabJ . Surélévation colossale, Magnifié, hors de propor-
Si je place le cartouche hors d'ceuore, comme Ia vérit on, incommensurable, il domine, ce minuscuIe, toute
méta~l~n~stique ou méta-opérationnelle de l'ceuvr scêne de l'exposition. Ie le vois plus gros que Beau-
sa vente intouchable tombe en ruine : elle deviem urg, énorme. Plus grand que tout musée d'art
exteme et je peux, en considérant le dedans de l'ceuvr sique et contemporain. Vous êtes en lui, vous ne
déplacer ou renverser l'ordre de Ia série réinsér voyez que lui, vous y revenez, vous vous répercutez sur
tranquillement le paradigme n'importe ou.' Même I parois. Tous les dessins sont exécutés sur commande
détruire comme les deux mort-nés comme les deu à sa gloire. 11rayonne, le magnifique, il jette des feux,
fausses copies exclues. ' ncentre toute Ia puissance, il a tous les pouvoirs.
Si inversement je fais place au cartouche à l'intérieur L'espace politique se mobilise, dynamisé ou hiérarchisé
o~ sur le bord interne d'un cadre, il n'est plus qu'un I par Ia place du mort depuis laquelle il étend son empire
p~e~e,de Ia performance générale, il n'a plus valeur d t gouverne hiératiquement, sans un geste.
v~?te surplombanre, L~ résultat est le même, le récit Tantôt au contraire (est-ce le contraire ?) il se trouve
reinscnt, avec le paradigme, dans Ia série. réduit à sa modeste apparence, presque ridicu1e,
Ou est passé le cartouche ? Il se vole lui-même. Plu infiniment petit au regard de toute Ia lignée, insignifiant
de récít, plus de vérité. côté de chaque dessin mural et monumental. lnappa-
~a place p~ordiale du présumé paradigme, du rent petit reste menuisé, résidu désuet d'une opération
« pere ~)putatíf, n est donc pas inscnte à même Ia chose, qui l'a toujours dépassé, une écorce ligneuse et sans vie,
Elle nent à une performance de cartouche qui luí une peau tombée «( le petit cercueil Tlingit a laissé
soustrait d'une main ce qui se donne de l'autre en cett sa [ses) peau[x) ... » conclut le cartouche), un pere, si
ret?rse .chirurgie. I?ês. lors qu'un paradigme est « pro vous insistez, mais comme petit vieux diminué,
duit », 11 peut aussI. bien descendre des « copies », d amenuisé, aíeul anonyme et oublié dans Ia grande
pseudo-« reproductíons » filiales qui lui auront ainsl cérémonie familiale à Ia gloire du nom perdu. Délaissé
254 LA VÉRITÉ EN PEIN] I' TOUCHES 255
(une ,vieille. c~auss~e, plus ou moins délacée). R n ce sens le « phallus » « naturel » de Ia banane en
un pere qui vient d accoucher aprês avoir été gro I mposition serait plutõt à Ia place de Ia mêre. Dans
tous les autres. t mesure du moins, un tel cartouche n'eüt pas été
Ou encore, troisiême possibilité ou se rêgle l' écon 11I1 saire dans le cas de Ia Bananeraie, pas nécessaire
des deux autres : un hors-série (ou hors-la-Ioi) p til t à l'ordre généalogique. En príncipe i! ne viendrait
d'autres, dans Ia loi de Ia série, ni plus grand m ri" l'idée de personne de refuser à Ia banane naturelle,
pent que tout un chacun, soustrait à toute hiérarclu discours, une certaine antériorité absolue, un rõle
effet de série sans famille. précédent íncontestable, par rapport aux 59 filiales
Effet de pêre : toute série secrête un hors-série I" nymes. L'intérêt ou le capital de ~ette histoire, .ce
s'y perd à chaque récurrence. I t pas qu'on puisse ou non douter d un acte de nais-
ce ou d'une reconnaissance de paternité, ni du
rtouche comme l'aete de T.-C. Mais ceci : dês lors
14 décembre 19 le cartouche ne fait plus Ia loi et ne peut prétendre
iter Ia vérité qu'en donnant lieu aux conditions du
Le parergon. La topologie du cartouche relêver 11 ute, i! entre en série, comme un simulacre parmi
donc de ce que j'ai analysé ailleurs au titre du parerg", I utres. Fait partie de Ia série s~s paradigme, san~
(te suppíémenr du hors-d'eeuvre dans l'ceuvre), Br I re, le petit agenda de poche, le iournal de bord qui
une sene que je ~~onque ICl : le co.ffin paradigmatiqu de encore du modele ou du pêre. 11 transforme le
le patron, le parricide auquel 11 donne lieu, le parergou radigme en effet de paradigme (sans l'annuler, car i! y
Le tour de force, Ia force du trair, dans ce cas : réduir a toujours). Supplémentaire, effet lui-même aiouté
le paradigme, .Ie modele ou Ie ~(pa~gon (ce mOI
I) u retranché, use ou I2ge (nous retrouvons un autre
attendaít depws longtemps son msernon en ces lieu ) mpte), le récit de cartouche sur le chef (le discours du
à Ia pIace du parergon. Dans Ia même série, Ie pharmako I hef') s'exécute comme un morceau, un mors, une scêne
et Ia bâtardise. rmi toutes celles qui s'entrelacent ici.
La question revient : comment cadrer un cartouche ~ Ie nomme cela le chef-d'(EU'()t'e, l'effet de chefferie
Dans Le parergon, je rnettais légêrement au défi d mme reste d'une mise en eeuvre, autrement dit en
cadrer un parfum. J'ígnoraís alors La Reconstitutioe érie, sans modele, sans précédent,
olfactioe ... Ce n'est qu'un chef-d'(EU'()t'e (plus tard ils liront autre-
Faire Ia part du cartouche, de cette écriture articu1é ment ces traits d'union; tout cela travaillerait en somme
à ~'expositio~, e~ qui vie~t attester que cecí, le petit u nom d'un trait d'union, en son nom), selon Ia généa-
objet de bOIS, c est le pere, le premier et « même ~ logie d'un génitif perverti, le chef né de I'eeuvre.
m?deIe. Dês lors que c'est un cartouche mis en jeu ou a-t-i! du chef né? Chez les Tlingit?
mlS. eTf (ZU'Ore, s~n ironie ne fait plus foi. On n'est pa Qu'est-ce qui fait tilt au moment ou je prononce
oblige de .le croue. et nen ne le prouve ni ne Ie donne encere ce nom de tribu ? Ça raisonnera sürement plus
à percevoir, On sait - Freud l'a rappelé pour en tirer tardo
quelques conséquences - que Ia paternité (ceei est e 11a donc circonvenu le modele, i! l'a obligé à se
le pêre, dit le cartouche) est toujours inférée à partir tenir dans une série ouverte/fermée conune une boite.
d'une sentenc~" d'une déclaration en forme de jugement. L'eidos rnême de modele, le paradigme du modele, le
Car Ia patermte ne se perçoit pas, ne se touche jamais. paradigme du paradigme, il 1'a ainsi déioué pour le
C'est pourquoi elle n'est en aucun cas naturelle. 11 en mettre dans sa poche. A cette fin - ill'a du même coup
va autremenr, dit-on, pour Ia materniré, tini (fignolé, préparé, maquillé comme un défunt pour
LA VÉRITÉ EN PEIN111 TOUCHES 257
une derniêre mascarada de funeral home), achevé (/li 74, il écrivait : « ••• le même s'altêre de revenir au
à.mort et cond~~ à ~on.terme, parfait), réduít (à pr 111 ême dans un écart qm' se trace - et écart est le palín-
nen, à sa fin, à 1ínsignífianr, au tres petrt - tête réduu me de tracé -, ceei par le jeu d'une distante qui
d'un petit chef). , t pas seulement mise à l'écart ou mise en botte de
Çe tour subtilisant, il ne l'a pas joué à ce paradigm Idée originale en tant que príncipe transcendantal
m~s, ~e~plaIrement, au paradigme (en) général. I I critique du modele comme substratum intemporel et
se I est joue en se le donnant car il n'est pas facile de '
I nceptuel -, mais encore ironie d'elle-même.: »
débarrasser. Me~tre dans sa poche, c'est garder mi \I ( .T.-C. ou le procês du modele). On lira Le procês du
que jamars aupres de soi (voir à côté ou p1us haut p \11 dele pour comprendre Ia structure et Ia généalogie de
Ia vengeance du paradigme mort), qui se passe ici, mais aussi bien comme une partie
C'~t pourquoi il y a toujours de l'idéa1ité dans 11 arergonale) de l'ceuvre de T.-C., et non des moindres,
paradigme e~ dans so~ deuil non moins qu'ail1eurs. même comme un ensemble série! dont l'eeuvre en
T.-C. a fait son deuil du paradigme et son paradign» uestion ferait aussi partie dans une sorte d'entrelace-
du deuil. Le coffin contient les restes du coffin et I ent sans commencement ni fin, Ia partie pouvant
paradigm~ 7't Ia sépulture du. paradigme, le mODU uiours, voilã une leçon de cette chirurgie, comprendre
ment funéraire de soi-meme qui De se contient plus 11 tout. Par exemple : tout se passe comme si Ia mise en
se tenir SI bien dans ses restes. Effet de fantôme. Ri 11 Ite du paradigme, cel1eque vous croyez avoir sous les
n:est plus étrange, plus inquiétant : il est lã sans être ) eux ou dans Ia main, venait accomplir Ia formule pres-
niplein ni vide de lui-même, et il se regarde. Sans 'te dans Le procês du modele, l'achever, le matérialiser
vou : on le regarde et il nous regarde mais il ne se v 1 ussi - en bois (hyle) - dans une ultime allégorie. La
pas ~out entier dans s~ glace ni dans aucune des repro ormule ironique ((mise en boite » viendrait de prendre
ductíons (T.-C. aura ignoré Ia superstition qui oblige rps(e), un autre; et une fois déplacée, entralnée
dissimuler les miroirs sous un drap dans les chambr ailleurs, el1e se met d'el1e-même en boite dans son
des mox;:s!. Et ~'?n:me il ~'y a plus de modele - SOIl allégorie, toujours dans un autre cercueil, Ia sépulture
corps a ete subtilise -Ia sepulture (modele) du modêl e l'autre. Elle avait été d'avance nommée, désignée
es~à peu prês vide. Je pense à l' ldée d'un parallélépip~d dans Ia langue (mise en boite) par un roya! tisserand
sonde en deux (Grand Cénotaphe n° 1) (1971). (celui du paradigme dans Le politique de Platon, avec
.o. Comme tout cercueil, celui-ci garde et détruit à !tI les entrelacs qu'on peut y suivre en série). Dans Ia
fois Ia garde ~t Ia destructi,?n de ce qu'il garde et détruit mise en boíte comme mise à mort du modele, le corps(e)
Toute oraison à son sujet doit dODCrester dans un disparu mais il n'est pas absent. Une fois empoché ou
réserve, et sur Ia réserve : l'ironie, l'équivoque, 1 emboité, incorporé, il rend le travail du deuil impossible,
masque de l'acteur, l'hypocrisie et le demi-deuil sont de U lui fait faire l'impossible. Et le fantôme se venge, il
l~ partie, T.-C., pêre pius ou moins naturel du para- multiplie ses apparitions. Dês le deuxiême jour, le
digme mOIt~né, met le ~o~ele (( dans sa poche », li couverc1e se leve (en lévitation, un peu comme tous les
monumentalise ce dont il signe alors Ia disparition, il autres, en vol, en l'air) : démontage rigoureux pour une
marque Ia déchéance de ce qu'il institue (le pêre et 1 effraction, sur épreuve, le 24 juin 1975.
fils à Ia fois). L'acte de T.-C. ironise. Et comme un En quoi l'allégorie est-elle ici plus conséquente? Elle
cercueü-modeíe peut s'ouvrir et se fermer sur Ies rest Ivait déjã commencé, les boites, cassettes, coffrets ne
d'un cercueil-modêle, l'ironie exemplaire se met en manquaient pas et Ie (( procês du modele » était bien
botte elle-même. engagé en tous ses éléments discrets. Le supplément de
Ie cite ici Jean-Marc Tisserant. Avant le Coffin, en conséquence tient à ceei, qui contient jusqu'à l'abime :
258 LA VÉRITÉ EN PEINI OUCHES 259
Ia boite .elle-mtme. es: mise en botte. Elle n' en pa 11 Ia « chirurgie »), il cite Pompes funêores en note
reste, mise en boite : un reste et une mise en boite, ans ma poche, Ia boite d'allumettes, le cercueil
Qu'est-ce que l'emboiternent d'une boite? u cule ... »).
Ie dois y aller d'un autre récit en ce cartouche elle nécessité, par lui retenue, oblige à insister.
de Ia bolte d'allumettes. ' pparemment le coffin n'est pas une boite d'allu-
nes, ni même un cercueil bien identifiable en Occi-
I, et sans doute ailleurs. 11 ne s'ouvre pas, autrement
15 décembre 1I par effraction, et ne contient aucune allumette,
de ces petits corps de bois couchés côte à côte,
. L'histoire ~e Ia boite d'allumettes est indispen ", ndant de prendre feu et fiamme entre vos doigts. Et
SIon veut bien comprendre le deuxiême sens d I rtant. Dês lors que le cartouche sur Ia « chirurgie »
devise « mettre le modele dans sa poche », Ce deuxi 11I premiêre page, associe dans une note, cartouche de
sens s'est trouvé réalisé, incorporé. En conséquen touche, le coffin à Ia boíte d'allumettes, Ia contiguíté
2. Lors de notre premiêre rencontre (mais sans d 111 t partie de l'eeuvre sérielle, Elle lui appartient au
nous connaissions-nous déjã), T.-C. me parle un V II ins comme un parergon.
à Ia main, du coffin. C'était, me sernble-t-il 'aux aJ 11 r enfin qu'est-ce qu'une boíte d'allumettes ?
tours de juin-juillet 1975. La chose devait êtr: menui arallélépipêde semblable au coffin et à peu prês de sa
déiã, et Ia procession en marche. Je fais alors allusion ille (si on le destine à Ia cuisine), Ia boite d'allumettes a
p'omp!'sfunêbre» et à certaines séquences que j'en av I . de particulier qu'elle ne s'ouvre pas, comme tant
régulierement greffées ou retournées dans Glas 111 , utres coffrets, selon l'articulation d'une charniêre.
début (page dix-huít) à l'avant derniêre page. ' yez par exemple le rõle de Ia chamiêre dans L'Usage
(Ayant explíqué pourquoi, à l'artic1e de Ia mort l 11 Nécessaire. Ici, pour une fois, une boite s'ouvre ou e
pudeur n'était plus de mise pour un cartouche, je ci~ rme en glissant dans une autre, qui n'est autre qu'ell -
« Au moment du « coup de théâtre », dans Pompes Fun me. Une bolte ouverte sur le haut s'embotte dans un
bres, quand on « glisst;' II le cercueil dans le catafalqll utre boíte, Ia même, ouverte sur deux côtés, aux der-
- ((escamotage de Ia b,ere ))- avant sa réduction com, a res extrémités. La fermeture hermétique rompo
le cercueil de ( Sainte Osmose II (/ettre fictiv; sur 1I deux ouvertures, elle se compose des deux. La boh
Légende Dorée puhliée en italien) en botte d' allumettes II ',1 décompose - en deux boítes indépendantes; t
mort de Jean se dédoublait en une autre mort », Le Jem 'emboíte elle-même (se met en boíte) dans cette décom
mort dont on bande le cadaore... II et à I'avant-demiêr ition. Or quand on glisse le cercueil dans le cal
pag~ de Glas entre le « dais de l' oil révulsé et le « lait d
I) que, on procede à un ernboitement de ce genre. Ceu
deuil cacheté I) : I( Comment fait-ü ? li est prêt. li a toujoun . e en boíte de Ia boite forme bien, dans Pom
eu son cadavre sur lui, dans sa poche dans une boll lunebres, l'un des multiples mouvement inducteurs I.
d' a//u~ttes. Sous Ia main. Ça s'a//u:ne tout seul. C" up de théâtre, aprês celui-ci, qui préparait les ch
~a't: 11se sent Jaire obstacle à sa mort, c'est-à-dire lu. plus loin :
pet}t tnoant, à Ia suréléoation sublime, démesurée, san « ••• Je me demande pourquoi Ia Mort, lesstars de cini""
taille, de son colasse. I1 n'est qu'un détail de son double d ,. oirtuoses en voyage, les reines en exil, les rois banni ,,"
moins que ce ne soit /e contraire. Toujours plus, avec ~t/ 1m corps, un visage, des mains. Leur Jascination tIl nt
mors: qu'a'fJe~le tout de l'autre. Faim de Ia pulsion. ») d'autre chose que d'un charme humain, et, sans trOI'/'
L ass~atIo~ coffin/boite d'allumettes parait asso. I'mthousiasme des paysannes qui ooulaient l'aperceoo«
nécessaíre à Titus-Carmel puisque dans son cartouch Ia portiêre de son wagon, Sarah Bernhardt aura;' ,
260 LA VÉRITÉ EN PEINT\l roucHES 261

apparattre sous Ia forme d'une petite boite d'allwmfl tiennent les couilles dans les costumes florentins, ma
suédoises. Nous n'étions pas uenus voir un visage nu« m lâcha Ia botte d'allumettes et sortit de ma poche. »
Jean D. mort ... » Mon erreur, donc, on en comprendra vire le méca-
Car Ia.~cen~se passe aussi « dans Ia salle de Ia Morgu me, consista à croire longtemps, tout à l'heure
« quand J allai le uotr a Ia Morgue », Morgue de Ia lit: ore, que Ia poche était d'un pantalon.
rature cette fois.
Autre inducteur précédent « Ia comparaison » ave ,
boíte d'allumettes, le fait qu'auparavant le narrarem 16 décembre 1977
l'autre [ean, avait « une mainfermée au fond de sa poch« ,
I'autre s'appuyant sur une baguette flexible ... » vais-ie mal lu ? Apparemment oui. Le narrateur dit
Troisiême inducteur, le plus proche et le plus déci I ans Ia 'poche de ma veste ». Mais l'écriture dérive
sans doute, le glissement d'une boíte dans une autre d tement vers « Ia lourdeur des bourses » qui vient
cercueil dans le catafalque : ' ucher, dans Ia phrase, Ia (( boite d'allumettes »,
« On glissa le cercueil dans le catafalque par une 0UfJ hive écrite et publiée de ma précipitation, ce passage
ture ménagée à l'une des extrémités. Ce coup de théâtr , Fors (que je cite encore sans pudeur, il traite des
I'escamotage de Ia biêre, m'amusa beaucoup. » I'fUlremra) ou, à propos du travail de Nicolas Abraham
La ((comparaison » ne se fait plus attendre longtemp , Maria Torok sur le deuil, le fantôme, Ia crypte,
elle s'impose au paragraphe suivant : I'introjection et l'incorporation, etc., je situais Ia poche
« Machinalement je mis Ia main dans Ia poche de mil des bourses :
veste et j'y rencontrai ma petite boite d' allumettes. EII IILa crypte est peut-être ce contrai avec le mon, Le
était oide. [...) - C'est une petite botte d'allumettes qu ryPlophore s'engage envers le mort, il lui laisse, paur
j' ai dans ma poche. l'ouoerture du crédit, une hypothêque en soi, un gage dans
((II était naturel que me reotnt à ce moment Ia compara; If corps, une POChekystique à Ia fois .visible .(effronté~) et
son qu'un jour aoait faite un gars en prison, me parlant tUJ crête, lieu d'un plaisir thanatopoétique qUI peut toujours
colis permis aux prisonniers : rfPTendre [eu. D'oü le double désir, Ia contrad~ction mor-
« - T'as droit à un colis par semaine. Qu'ça soye UtI ,,118 assignée par toute crypte. Pour garder Ia Vle et mettre
cercueil ou une botte d' allumettes, c'est pareil, c'est un " mort dans sa poche (dans une ((botte d' allumettes » pré-
colis. »
'sem les Pompes funêbres de Genet ) , ilfaut lui rêseroer ce
Puis, aprês le passage cité par Titus-Carmel, ceei qu liIu cousu prês des pudenda, cette piêce rapp,ortée ou se
m'intéresse par l'erreur signifiante qui s'ensuivit dana tient le plus précieux, l' argent, le titre ou l'actum au taux.
ma lecture, et qui ne fut pas induite par hasard : " plus éleoé, Prise aussi pour le chantage de l'autre, ~el"!
« J'accomplissais dans ma poche, sur Ia botte caressée par fUi laisse toujours sans ressource lorsque ~an~ Ia nuu, a
ma main, une cérémonie [unêbre en réduction [... ] Ma bott» chaque toumant, à l'angle de chaque rue, ti tnen: menacer
était sacrée. E/le ne contenait pas une parcelle du corps tU IIn désir : Ia bourse ou Ia vie »,
Jean, e/le contenait Jean tout entier. Ses ossements avaient
Ia taille des allumeues. [...] Toute Ia gravité de Ia céré-
monie était amassée dans ma POCheou venait d' avoir lieu 17 décembre 1977
le transfert. Toutefois, il est à noter que Ia POChe ne
posséda /ama,is aucun caractêre religieux [... ] sauf qu'en Rencontré Genet. 11 me dit que ce fut d'abord un
parlant a Brik, quand mon regard s'attacha à Ia braguette événement ((réel », il avait vraiment cette boite d'allu-
reposant sur Ia chaise auec Ia lourdeur des bourses qui mettes dans sa poche à Ia Morgue, devant le cadavre de
LA VWTÉ EN PEIN II TOUCHES

son ami, l'autre [ean, J.D. Pompes funebres est déd


~ean Decarnin. La. dédicace appartient au cartouch I,
livre. Comme le ntre et Ia signature, l'exergue l' 1'1 19 décembre 1977
graphe, l'épitaphe. Ou s'arrête un cartouche? '
eu le paradigme. Travail d'artificier. Armes à feu ou
. A relire le cartouche des 12 gravures, je n'arrive p rves de cartouches, s'il y en a dans le contingent de
situer Ia poche, peut-être une troisiême, Ia po h tes les formes, de toutes les tailles, sujets à des
rev?lv~! (non, c;est improbable, à cause des cigarett hmes (Plus ou moins « fast ))) et à des calibrages
mais l'idée de I arme ne me quitte plus) : « ••• omm 1 bles, passer de l'idée de contingent à celle de
pr~ent, cet insupportable coffret, à portée de Ia m 1\ noplie. ., ..
tap~ dans l:a po~he entre le paquet de cigarettes et I uis à l'idée de canon. Tous les canons, associes lCl de
peUt ca1epm notr ... », n réglée (canonique) ou nono Faire comme si le
n tenait, en laisse, un discours sur le mot canon,
Donc, ne pas se tromper de poche, entre Ia sienne I ves dans toutes les directions de l'homonymie ou de
celle de l'autre. ynonymie. La musique et les. mathématiques, .Ia
rgie, I'imprimerie, Ia paléographie sont de Ia parne,
ainsi de suite. De l'autre cõté, tous les sens du canon
18 décembre 197 mme tubulure (voir les sept rubriques du Littré). De
t en blanc, comme dans Le sans de Ia coupure pure, Ia
Qu'est-ce qu'une boite? ve.
Revenir sur l'emboitement. La série: emboitement I Qui veut-il saluer ?
d~1?oitement. La boíte d'allumett~ comme obiet d
sene par excellence, en attendant mieux. D'autres trair
pertinents, mais aussi bien contingents, emboítés dan 20 décembre 1977
Ia même « comparaison )) cercueiljboite d'allumett
Le coffin, retour de Ia poche-revolver, reste une arm Qui veut-il sauver? Et qui de cette opération se
autant qu'un étui à munitions. Parade offensive et rera sain et sauf - lui ?
défensive. L'art martial de Titus. « Nécessaire d'armes • L'armement. L'art de Ia balistique. La cartouche. La
au~t q'!e de voyage, disait-il de L' Usage du Nécessair , e traçante. J'avais noté plus haut : il« éjecte Ie p3!a-
ICl ~. boite d'allumettes est une arme à feu. On peut igme », Oui, comme ~e, cartouche ~Ide, une do~e
Ia diriger contre les autres, faire usage des petits cylin- u en chute libre et legerement oblique, le premier
dres de bois, tout prêts à prendre feu et Bamme ou • ;ge d'une fusée (sol-solou sol-air) : ça tombe s~I0D:Ia
e~ploser (prês de Ia tête, Ia leur), des cartouches. Ou rrajectoire d'un vol dont elle rapporte le film (negatifs,
bien contre Ia boíte elle-même qui peut vous sauter entre uleurs, radiographies, etc.). Ou encore : auparavant,
les mains, une poudriêre, se serait projeté, en l'air, catapulté par étages em-
N on p~ un poudrier (les os en poudre, les accessoires boités comme Ia fusée d'une jouissance féminine. Le
du maquillage pour Ia toilette du mort, le petit miroir paracllgme de lancement reste au sol, sur Ia rampe.
mco11?oré au ~~itier) mai~ une poudriêre : suicide, le Etudier Ia structure du LEM.
paradigme suicide se renre en se faisant sauter. 11
saborde. Fuit le ci-devant modele. Feu (sur) le para-
digme. Il-füt.
LA VÉRITÉ EN PEIN"l1I r ueHES
un total. 11 n'y a pas de total des sens et des
r (masculin/féminin). Toujours une boite dans Ia
21 décembre I te quelque cartouche supplémentaire, un parerg.on,
'ce que nous dit le mutism~ du coffín, e~ en lw le
La grande exposition sur fond noir : pleins feux SUl I ple d'oisillons sans bec, Touiours une boite hors ~a
chose. L'arsenal de Titus-Carmel. Mais ce n'est 1 t • Fors Ia boíte. D'oü Ia nécessité de volerlec~rcu~il,
tout. La panoplie touche encore autrement au feu elt. que fois et chaque fois autremen~ Cette nécessité
'lia de toutes les maniêres, T.-C. joue aussi, d~s 1111 inserire à même Ia II chose » et à meme le cartouc~e.
cartouche, avec le feu, avec le feu du foyer (« césure I 'en viens ce matin au troisiême « sens » de Ia devise
flammes qu'est le foyer [...] feu de l'action, du drame. J ettre le modele dans sa poche ))).Je l'~ppelle. devise
mlrOlr... comme ... chaud-central ))). e qu'on Ia lit dans un cartouche, mais aUSSlparce
Le foyer familial n'est pas nommé, bien sür, mais (11 , lle va nous donner à déchiffrer, lentement, un
peut librement spéculer, dans le miroir, sur une histo I
de famille, une (sombre histoire) ))entre parenthês on. , I S
II
. Mettre le modele dans sa poche, c est le vo ~r: e
c?mme le demier mot de l'affaire, au plus proche de I proprier en un toumemain dans des condi~ons
signature, teso Question du titre : s'il a inscrit « Pocke~ Size »
Rien de moins familier (unheimlich), dans ceu le titre au-delà de toute sorte de bonnes-raisons, le
panoptique, qu'un foyer de foyers. Cendres et cav I à Ia tir; d'un pickpocket doit guetter Ia lecture à
de famille. Le foyer devenu crématoire, toute une eu I' gle. .
sine de l'incinération, par exemple pour « cette br Ductus inimitable du pickp~cket~. son ;x~r.cl,ce q~o-
chette curviligne avec ses deux oisillons », ien son expertise, Ia force singuliêre, 1agilité furtlv.e
Travail en série : usure et consumation achamée. L so~ trait (de génie), répétant (Ia. transgression doit
reste,n'en ~t ni f?T~d".it (selon un art qui prétendrait re répétée pour commencer) Ia pire et Ia p1us fatale
Ia presentanon ongmaire de Ia chose, à Ia production d scélératesses : vo1 et viol de sépulture,
présence pure, sans trace de doublure et sans passé) n Dans une phase déterminée du deuil, 1es~ome~t~ ~e
reproduit ou représenté (le ci-devant paradigme aura ét 'omphe (impérial), Ia jubila~on, l'explosl0n. libidi-
enlevé : leoée du eercueil). Ce qui reste d'une évaluation e : je connais quelqu'un qw vécut ~ tel triomphe
~ori~n~e ou d'une pensée II classique ))du reste aur promenant toute une nuit, dans sa vouure, 1ecercueil
été réduit en cendres et de cette opération historiqu sa mêre fraíchement déterré - ou l'abattement,
nous gardons néanmoins plus d'une preuve monumen- uand on baisse les bras, on laisse tomber Ia chose~
tale, au moins 127. u'on reprend le lendemain dans l'exaltation pour lw
onner toutes 1es couleurs ou pour Ia restaurer, parer,
éparer dans son intégrité invulnérable. ..
21 décembre 1977 Tous ces m0Ill:ents, et d'autres, .écriv~nt le~ histoire
ur les 127 dessins, Ils en déploient I archive synop-
11~.tiré toutes ses.cartouches, jusqu'à épuisement des uque,
munmons. (La pente orpheline du conte d' Andersen Qui signe le vol ?
meurt au petit matin, dans le froid, aprês avoir épuisé Et de quel nom, propre ou commun ? Et si le nom
Ia boíte d'allumettes.) lui-même était ici l'enjeu du voI?
. 11y a du reste de cartouche, parce que Ia dissémina- Cartouche, 1e nom du grand vole~., Nom. pr<?pr~ou
non des cartouches (en tous sens, en tout genre) n'épuise nom commun ? Cartouche a bien laisse une ínsntunon,
266 LA VÉRITÉ EN PEIN 1I oueRES 267

Ia mise en commun de son nom propre; mais celut


avait sans doute des origines communes; et cette [n j

tution d'héritage, ill'a payée três cher dans son c I


Que signe un Cartouche?
Et un Titus-Carmel ? 11 se signe devant Ia proc ••
de l'autre. Mais il y en a touiours, de l'autre, et
n'assiste pas à des obsêques, Un cortêge de reven 111
vous entoure de toutes parts, ils vous provoquem I
vous pressent, depuis les Triomphes de Ia Mon I
Quattrocento [usqu'à The Triumph of Li/e de Sh 1\
[« ..• here the true similitudelOf a triumphal pageant...
ee... But mark, Jww ehained to the triumphal chairil',
mighty phantoms of an elder day - 11).

22 décembre 19
Le voI de 127 coffrets mortuaires. Sur le Se, à Ia d I
du 21-7-75, il a laissé des empreintes, les paumes de
mains, et une carte de visite qu'il faut déchiffrer
l'envers. Chaque cotfret situe l'archive d'un vol, il donn
lieu à un voleur. Titus-Carmel et les 127 voleurs. 1.
deuxiême iour il soulêve un couverc1e. Revoir, plu
tard, Das Motiv der Kiistehenwah/ (le thême de: tro,
eoJJrets) d'un bout à l'autre. Réinterprétation général .
Une autre syntaxe. Histoire d'alliance et d'héritage
Leque1 des 127 contient le portrait? Or, argent, plomb ,
le sceau du plomb muet, du plombage (plomb-sur-
plomb) et du plombagineux dans le eoffin.

23 décembre 1977
Ceci est un cartouche. Dit-il, Je n'ai pas seulement
un cartouche, [e le suis. Ceci est mon cartouche, c'est
moi qui l'ai volé. Ceci est mon corps, le corps de mon
nom.
Un titre, un nom propre, une signature s'inscrivent
sur un cartouche. Par exemple « The Poeket Size Tlingit
Coffin I), Comment l'a-t-il arrêté ? Pourquoi et comment
s'est-il arrêté à cette contingence devenue nécessaire?
268 LA VÉRITÉ EN PEIN II TOUCHES
oncé nominal (un nom et trois attributs emboítés,
cun fonctionnant différemment) et três singulier.
des attributs (Pocket-Size ) sont des noms com-
uns, l'autre un nom propre (Tlingit). C'est donc une
e de nom propre (singulier générique et familíal),
i un nom propre emboitant en lui-même un nom
pre (Tlingit), le nom d'une famille étrangêre, le
m de l'autre.
Emboitement supplémentaire et abyssal : Tlingit
nommepas seulement Ia familleou Ia tribu de l'autre,
t aussi un nom étranger dans une langue déjà
gere, l'anglais, doublement étrangêre, pour les
Ungit et pour Titus-Carmel : double insertion vio-
te, par colonisation, dans le titre comme dans Ia
lombie britannique. Doublement étrange : une
gue étrangêre encryptée dans une autre, e1le aussi
rangere, déjà, et le tout dans un nom propre.
Qui devra devenir três familier : écoutez, répétez,
essez les surfaces, les angles, les bords.
The Pocket Size Tlingit Coffin : tribut payé à une
ibu étrangêremais étrangement familiêreaussi : Titus-
el en connait les maurs (le coffin comparé à
amulette, cette fois, du Shaman) et les masques. Et
fétiches.
L'autre jour, [e suis tombé en arrêt devant Ia crypte,
21 juillel 1975 e de son nom. Gérard est bien français, mais Titus-
el unir, d'un fragile,'ruptible trait d'union partout
I'oeuvre (en particulier dans ses Cryptiques et ses
DImontages), deux noms d'allure étrange, sinon étran-
re, et, en supplément, étrangers l'un à l'autre. La
eville est fragile. Ça pourrait boiter, ou mal s'em-
Iter, dans un trait d'union qui s'en tire três bien au
te, en fin de compte : dans le chef-d'eeuvre.
J eux furtifs mais têtus des initiales dans Ia nomina-
on cryptique. T.-C. : initiales de Tlingit Coffin. Et
fois deux syllabes autour d'un trait d'union
. e. Les deux noms s'emboitent bien l'un dans
'autre. Les dimensions du cercueil sont bonnes pour
nom propre (dimensions « modestes », prétend-il) :
Tlingit Coffin, Titus-Carmel. Les bordures angulaires
ussi : deux fois deux consonnes (TS-CL, TT-CN)
LA VéRITé EN PEIN1 li TOUCHES

aut0ll! des 2 X 2 syllabes. Les consonnes durem. 1/ trait d'union justement, sont les mêmes (S-C), que
foumíssent Ia charpente ligneuse, osseuse, l'ossatur 11 de JésUS-Christ (5 - 6). On peut lire encore
les ossements, I 6 = II ou 5 - 6 = - ,I.
Ie vous laisse maintenant spécu1er avec toutes I oute l'arithmétique du coffin s'y récapitulerait. Juste
lettres .(en particulier les T, les CIGIT) qui repo to t « CECI ETANT, METTRE LE MODELE
tranquillemenr dans le cimetiêre alphabétique de NS SA POCHE » (Ia poche de qui au fait ?), son
ntre : 26 lettres, ni plus ni moins. Comptez le titre ouche avait évoqué à propos, semblait-il, de tout
avec lui, en mesure. tre chose, « La crucifixion d'lsenheim de Manhias
Cependant, je l'imagine : pendant plus d'un an, I rünewald ».
caresse le nom dans S3 poche, le nom de l'autre le i 1\ i je dis que le trait d'union n'est pas seulement
solide, au carré, en entier dans son nombre d'~r, r emblême, une devise, un sceau, un blason ou une
tant aussi, étranger, rétíf, d'oü l'impatience, le décour oirie mais le symbole, c'est pour rappeler que tout
gement, parfois, le meurtre et Ia réparation. N om I mbole est stricto sensu un trait d'union, rassemblant,
nivore ou sarcophage, nom propre dans Ia langue 11 1 n le sumballein, les deux morceaux d'un corps
I'autre, avec l'arbitraíre d'une généa1ogie, Ia nomin agé dans le contrat, le pacte ou l'alliance. Le balis-
tlO~ 9u'on ne peu~ ni choisir ni se réapproprier. Recom ue retentit tout prês du symbole dans Ia langue.
posmon ou récapitulation interminable d'un récit dali
l'acte de T.-C. Palindrome, anagramme, nécrose I Le mors. 11 mord sur Ia série - exemplairement. Qui
régénérescence, Les cendres. Les oisillons sont phén ord sur lui. Toujours un « ceei est mon corps » à se
ciens, ettre sous Ia dent, pour « n'en faire qu'une bouchée ».
à laisser fondre, si vous n'aimez pas, comme lui,
oquer : un lot de 127 hosties. J'en prends note à cette
24 décembre 197 te : un ca1endrier peut toujours être fictif; Ia chrono-
logie des dessins est ici sur Ia touche, el1e vaut ce que
Tenir le compte, faire cas, dans ce carnet de bord, v ut l'espace d'un cartel. Le principe d'ordre jamais
~e ,toutes les Iettres de son nom, de Ia mise en [eu 'est intangible.
lJt!eralement, du corps de son nom. Dans sa poche, i1
Jn1S le coffin à Ia place du « petit calepin noir »,
A ce que j'ai dit. hier, ajouter ceci : TlingIT amor ler janvier 1978
un .palindr<;>me,à Ia rencontre d'un autre T plus ou
mOIDScrucial, Dans les 15 Incisions Latines, à l'artic1 La déposition de son titre - comme de cartouches.
Lucrêce, le nom Titus se lisait à I'envers 2UTIT. Seul
un S aura souffert au moment ou le corps du nom Le titre - Cartouches - au pluriel, dans toutes ses
retourne dans Ia tombe. portées, Ainsi, par exemple
. ~t. puis, encore, le ruptible trait d'union, visible
IDV1s1bIe,dans une fragilité qui dé-monterait tout
l'ceuvre, curseur
.'.,
met en pieces et rapiece autour d'un trait d'union dom
.
et rupteur à Ia fois. 11 monte et démonte
1. Ceci - ce texte, si vous voulez, cette série déjà
intitulée Cartouches est (je préfêre dire reste) elle-même
une série de cartouches. Le titre décrit Ia forme, Ia
i1 signe : ceei est le corps de mon nom. Et mon nom nature, Ia structure ou Ia pIace du texte : voici des
compre le même nombre de lettres, c'est encore crucial, cartouches, ceux que je suis.
et bordé par 4 consonnes, dont les deux médianes, autour
LA VÉRITÉ EN PEIN 111 TOUCHES 273

2. Cartouches (le texte ainsi intirulé) traite de 1II -value sans fond. Il peut se remarquer pr que à
croit de cartouehes en tous sens et en tous genres (JlIIII tini.
masculin et/ou féminin, propre et/ou commun
noue l'entrelacs du et/ou). Ce titre définit done de \11 [e viens peut-être de déerire Ia série intitul The
croit l'objet eontenu dans le texte, l'ensemble irr 111 lut Size Tlingit Coffin. Du moins dans sa tru ture
tiblement pluriel des objets traités et contenus : VIII érique, autre façon de dire que tout re t fi ire.
des cartouehes, eeux que je montre ou auxquels j'ai tr I Ire affaire, et Ia sienne, dont il se tire três i 1\ t ut
1.
3. Les obiets (d'ailleurs abjects) ainsi traités, h
sont pas seulement les ehoses nommées cartouch as de eartouche sans « enroulement» ur oi,
mais les noms eux-mêmes, et de surcroit si vous avez , lindre ou spirale. Ce que je viens de dessiner h m -
attentifs, bien des mots assoeiés, des eorps entiers " uement, de décomposer plutõt, e'est un mouv 1\1 nt
des moreeaux de mots, des reliefs de sens ou de leu. , roulement et d'emboitement, de déroulement 1 de
eeux que je dis ou écris. boitement. Il faut les penser ensemble, ch li" e
ant et s'ouvrant sur lui-même mais se dé \li t 1\1
4. Cartouches donne à remarquer que tout titre I ce fait selon un éeart sans cesse répété, s'alt r 111 I
lui-même un eartouehe, pris dans Ia structure (par I détériorant. L'autre, le double, le diable est di" I
gonale) d'un cartouehe. C'est là qu'il a lieu et il n I lte. Imaginez un cylindre dans un cylindre \I li,
marque pas seulement par un énoncé descriptif 1111 manuserit ou un dessin roulés dans un cart li. 11\
définitionnel, plutôt par un performatif, et d'un gem rallélépípêde dans un parallélépipêde, puis d
bizarre, une performance sans présence, sans production uches dans un étui à munitions, une boite d' li.
de soi qui ne se déboíte aussitõt d'un écart. ettes, Vous ouvrez, fermez, ouvrez, trouvez

5. Cartouches se remarque done en eette performanc Le jeu de supplément, Ia répétition de I'écart I II


voici, je suis moi-même cartouehe et cartouehe(s) \I aller à l'infini, ou presque, à moins que d'un « ça Sulll
pluriel, je signe dês le titre, je me signe à mort et m vous ne laissiez un beau jour Ia série s'arrêter, à t 11
réduis au premier chef, eapitale et tête réduite. te, à tel artic1e, par exemple au I27e, pour sceller I
rypte. . . ., . dé idé d I
6. Cartouches ne remarque done pas seulement 1 Que je laisse mtacte pour vous, ear J ai eci e e n
lieu du titre eomme lieu de Ia signature. Sa performan as toueher, vraiment.
singuliêre (comme le cí-devant paradigme, comme 1
série, c'est un hapax, il n'aura eu lieu qu'une foi)
intitule et signe à Ia fois : elle, il, je signe, done nou 2 janvier 1978
signons Cartouche (s) .
Ils attendaient une description : de feu le paradigme
7. Les six traits préeédents peuvent eneore se décom er de toute sa suite, artic1e par article, et même de Ia
poser. La marque du pluriel (s) reste, de surcroit, entr érie en hiatus qui les isole à tout jamais l'un de l'autre.
autres ehoses et supplémentairement, signe de rappel Archipel, insularité absolue, e~ les bras ~e ta mer ent~e
pour Ia multiplieité sérielle 1,2, 3,.4, 5, 6, et même 7 tous ees petits eercueils. Mais le connngent e~t fait,
Celui-ci, le 7, s'augmente aussitõt, par-dessus le marché puis exposé, dans sa ehance et dans sa nécessíté, pour
d'un pouvoir de capitalisation en abime. Il produit une e passer superbement (quelle morgue) de tout diseours.
274 tA VÉRITÉ EN PEINTll OUCHES 275
Comment expliqu~r que sur le marché et en soi (si VIIII (( ce qui unporte... par-delà les fantasmes ». La
msisuez po~r d!stmguer), un chef-d'~uvre n'ait pu tte de l'auteur, eomme Ia mienne, sont aussi indescrip-
passer en lui-même d'un cartouche discursif, d'un d 1 . Personne ne sera jamais quitte devant ces restes.
criptif, fút-il signé de l' « auteur » en son privilê suffit pour aujourd'hui. Je m'aperçois, en datant,
Et de quel pouvoir tient-il ici le privilêge P Comm 111 Ia période pendant 1aquelle je tiens ee carnet de
l'expliquer alors qu'il reste, par fonction de défunt rd coincide, selon l'anniversaire, avee l'époque de son
qui aura pu s'en passer (pas de cartouche, plus de I e, si on peut dire : du ler décembre 1975 au
touche) sans être jamais touché, compris ni même efHe I lanvier 1976, aucun dessin. Ni production, ni repro-
par les assauts d'éloquence, aussi impassible et inv 1I ction. Abstinence complete. C' est aussi le moment
nérable qu'aux harcêlements du trait? C'est peut- I l'exposition, chez Templon, d'un premier 10t. 11s'y
qu'il était déjà dans Ia tombe, le cartouche. et en janvier, c'est le 5ge (60 - I : Ia Bananeraie,
Et le descriptif. Si j'avais voulu décrire, j'aurais d I 0/2).
rencontré, outr~ les o,bstacles .empiriques qu'on p II Lot : chance et nécessité bien partagée de ce vocable
imagmer, les difficu1tes canomques de Ia descripti 111 nt j'aurais da me servir pour gagner quelques signes.
dans lediscours sur l'art. Or celles-ci s'affectent, en , ""tingem fait une procession trop longue pour dire à
cas umque, de complications supplémentaires m I prês Ia même chose, moins bien : pas de ehance
essentielles. En voiei une demi-douzaine. partager avee le contingent.
I. Tous les (( arts » sont mis en oeuvre, en ceuvr Quant à ((carnet de bord », je le voulais initialement
séquentielle, les arts de Ia parole non moins que 1 mme titre, surtout à cause du T muet, à Ia fin, et de
autres et quel que soit leur titre de noblesse dans J uelques autres associations appropriées, mais un jour
classifícatíon traditionnelle (menuiserie, couture, serro décembre, j'ai eu Ia ehance de lire sur un agenda édité
rene, scu1pture, architecture, dessin, peinture, litt The Metropolitan Museum of Art ia description
rature, théâtre - une piêce en 127 actes - et [e n'exc1u uivante, pour l'image de Ia semaine : ((Box in the shape
pas ia musique, et ses canons, au rythme d'une march if a cartouche. Rising slightly abooe the gilded background
funêbre accompagnant Ia procession). Essayez de décrir Df this uooden box are applied ebony and painted ivory
2. Les 127 articles sont en eux-mêmes une sorte d f,ieroglyphs which render Tutankhamun's personal name
mouvement décr'it, trajet de station en station, et décri nd his regular epithet : « Tut », ((ankh », « Amun », « ruler
vant (désécrivant aussi). Le coifin, l'article définissant Df On of Upper Egypt »,
Iui-même. Mais celui-ci, selon le palindrome de l'ex
posmon, ne prend sa valeur que de ia description appuyée,
recommencée, insistante en ses écarts. 11 faudrait don 7 janvier 1978
décrire cette singuliêre description d'un obiet qui, en
toute certitude, n'existe pas sans Ia description et ho Quand Ia date elle-même devient le lieu d'une crypte,
d'elle, Chaque description décrit I'objet et elle-même, quand elle en tient lieu.
autant que son rapport à un autre article; dês lors e11
requiert toujours un supplément descriptif. Aucun Sauront-ils jamais pourquoi j'inscris ceei à telle date?
~che. technique, .aucun catalogue ne s'en acquitter Coup de di.
ramais, par pnncipe. Pas plus que l'auteur lui-même
dont le cartouche descriptif, exergue dans I'eeuvre, vient On a dit aussi le date (Ia chose donnée, le datum).
compliquer l'objet de ses associations, points de vue, 1Iy a ia date d'aujourd'hui, dont ils ne sauront jamais
contmgenees phantasmatiques, ete ..., même s'il entend rien de ce qui y fut donné à vivre - et retiré,
IOUCHES
277
LA VÉRITÉ EN PEIN 1I

La date elle-même tiendra lieu de crypte, Ia seul 1"


reste, fors le ceeur.
Dater se dit, en droit, du lieu d'écriture ou de i I
ture pour l'engagement, le contrat, Ia missive, le t I
ment. Qui saura jamais d'oü je date ceei, aujourd'h II
même ? 11y a le don (es gibt) et il y a aussi ce qu'au] 111
d'hui je n'aurai pas pu donner. Et que donc je v \I
garder mieux que jamais.

8 janvier I

(Accélérer le processus aujourd'hui, finir avam I


9 janvier et pas un signe de plus. Coup de fi} : I
maquene du coffret, pour le catalogue et les reprodu
tions, serait déjà prête.)

3. Chaque assaut descriptif, cbaque 127e est enti I


Unique, discret, suffisant. Ie ne peux pas m'abim I
dans l'ana1yse patiente de chaque artic1e. Série uniqu '975
d'uniques: Yhiatus chaque fois maintient et rature, dan
l'entrelacement sériel, Ia référence à l'autre (j'ai propo
ailleurs d'appe1er ça une sériature) et à l'autre de l'autr
Comment décrire ce pli de Ia référence interne ou cit I
tionnelle? De cette grammaire transformationnelle]

4. A l'intérieur de Ia structure générique que j' I


tenté de formaliser (elle n'est déjà pas simple) le simu
lacre de référence au ci-devant modele s'affecte de pli
ou d'écarts supplémentaires.
Quatre exemples (ABCD).

A. Tel dessin ne prend pour « modele» qu'un autr


dessin, celui qui le précêde immédiatement et s' appliqu
à le copier, comme s'il n'y avait que lui au monde et ç
à faire.

B. Tel autre (du 5 octobre, le mois le plus fécond,


comme s'il préparait Ia fête des morts, autour de son
anniversaire) exhibe des cordelettes (( réelles » : elles
n'appartiennent pas à l'élément du trait et, venues de
278 LA VÉRITÉ EN PBIN II JUCHES 279
l'écheveau utilisé pour Ia boíre d'acaiou, c'est CODUlI nt prendre ? La structure en souple filet (netsoork ),
elles greffaient, cousaient, reliaient un morceau r eau vous met au défi. Mais non sans vous avoir
paradigme, selon une sorte de synecdoque en rei I serré dans un Iabyrinthe. Tant de laniêres, tant
sur le corps de l'autre; et de surcroit en traversanr I es.
calque I et même le support. op à dire ici, je renonce. Elles sont, comme le
, A PRENDRE OU A LAISSER de toutes
C. Tels autres sont composés de plusieurs d 111 res.
ou fragments de dessins dífférents, réajustés ou sup' I décrivent d' avance tous les mouvements par
posés, mettant en cause jusqu'à l'unité de chaque arn eis votre description tenterait de s'en saisir et de
et l'entamant dans sa décomposition même. , e Ia maio dessus. J'essaierais en vaio de typer,
~ surimpression des reliefs - avec des effets chaque It nomie, les discours dans lesquels je me prends ici,
singuliers - cIasser ~ussi le [eu des calques (ils li" puis un certain temps ailleurs. Au moins trois :
disposés par-dessus 1altuglass, recadrant ou reecifll"
les angles de perspectíve, étendus aussi comme 1 Un discours sur Ia strieture : elles sont tendues pour
linceul trensparem), les collages, les agrafes cc réell ) bander le mors, serrées plus ou moins strictement,
~ s~chage en palimpseste de supports dé;à COUV I' deux cõtés, pour tendre le fantôme d'un double bind
d écriture (le 27 mars sur un papier à en tête d'un MI lui tendre ce piêge selon des (C clés lI, qui ne vont pas
d'Hammamet - le rôle des occasions saisies en tuu serrure. Même laçage dans d'autres séries et, au-
ceIa). uns, autour des deux corps embrochés en miroir.
D. La référence morcelée, fragmentée, non se I , Un discours sur le lacs, le laçage comme stricture
ment aux éléments (eux-mêmes toujours décornp, Ir laçant le dedans et le dehors, le dess~s et le des:
sables) de eet!e série, ~~s d~ tant d'autres. Un exempl Ia droite et Ia gauche. Cette traoersee de Ia paroi
seulement. :.1 ovale d o~ler, mstrument de torture 1><"1' 'ix points dans ce cas) disloque, une f~is mise en
les deux oisillons tombés du nid et sacrifiés à Ia broch vre, toutes les jointures rassurantes du discours sur
cite à comparaitre, par sa forme, le O de Ia série H.I.O. t toutes les limites autorisant au cadrage, toutes les
(C( O : Encercler, cerner. Noyau de résistance. Maneeuv, rdures de propriété. J'en ai tenté ailleurs I'ex-position,
afio de briser le charme [cercle magique] I)). III ropos d'une autre série de véhicules à, p~endre ?u. à
J'interromps aussitôt un discours appelé par . er, à rendre plutõt, pleins de lacets défaits et d ceil-
C( charme », par ce mot, et par toute cette séduction ti" traversés, les chaussures de Van Gogh.
mort au nom de Titus-Carmel.
J e passe de IA aux cordelettes (lacets, liens, tres y. Un discours sur Ia série: non pas Ia série de cor-
cordons, fils, filets) qui se multiplient, dansent et ' lettes, mais Ia cordelette ( series ou seira) comme figure
dressent parfois comme les serpents au-dessus de I nyme de l'entrelacs sériel (je me rappelle maintenant
Tête de. Méduse, pour composer ailleurs les figur l'éponyme donne le nom A une année). Avant son
les p~us diverses (entrelacements souples ou tenue rigid ) lêvement ou sa mise en terre par les croque-morts
esquisser, mterrompre ou rappeler tous les mouvemenl rdes pendantes puis tendues à craquer), avant même
possibles - ou disparaítre, tomber dans le Iacs. u'on puisse y reconnaitre quoi que ce soit (cc franges I),
filets de bave ))ou (C cordons de poêle lI, propose 1'0r-
5· Comment cIasser tous les usages de ces cord nnateur des <Euvres), ceIa sera resté, traversant chaque
Iettes, tous Ies sens selon Iesquels elles prennent ou 'anche (chaque table, chaque tableau) I'emblême de Ia
280 LA VÉRITÉ EN PEIN'I\I 1< UCHES 281

sériature. Supplémentarité d'entrelacement (aussi 111 I " ipe ni le fond ni Ia figure, participe souvent de l'un
entre les 3 diseours ci-dessus) ne laissant aucun r I" de: l'autre, de l'un et de l'autre; il est parfois troué,
au typos, au parangon, et à Ia description. Le supplém " y r é, déehiré dans sa solidité de substrat, défoncé
transforme et détache. Les deux à Ia fois. me 1e eercueil qu'il supporte et qu'on ne peut plus
lrer.
6. Aucun repos non plus pour une classification.
coffin, on aura remarqué qu'il n'assure au reste au li' uivant Ia présence ou l'absence de certains traits
repos. Pas même le dernier, celui de Ia derniêre demeui r exemple les coffrets dessinés (ou fabriqués) avec ou
Toute généalogie revient à classer et on connaít, cen cordelettes, avec ou sans miro ir, avec ou sans
le goüt de l'auteur pour Ia taxinomie. On pourrait d< 11 ue (se voiler Ia face devant l'impossibilité de décider
être tenté de ranger tous les articles de Ia panopli u premier chef, le calque est un trair, un fond, une
d'exposer Ia panoptique en tableau. A entrées mul re, ete., ou de quel élément il releve), avec ou sans
tiples, avec des fils d'Ariane entrelacés. On s'orienter I ature (lisible ou non), etc.
ainsi, selon au moins six perspectiues : Mais le nombre des traits n'est pas délimitable,
cun est le re-trait de tous les autres, il cite, classe,
I. Suivant les techniques (fusain, erayon plus i \I rit une autre série, et surtout Ia hantise fait Ia loi,
moins gras, mine de plomb, instruments à bricol I b ent insiste plus qu'un autre, obsede, assiêge, avec
coller, agrafer, trouer, calquer, gouaches, aquarel1 I 1e sans (trait d'union : unth-out).
le crayon blanc aussi et Ia gomme).
Mais ces techniques se croisent, se surimpriment, 5. Suivant les dimensions (les cadres ont beau les
parasitent, et ce sont aussi des matiêres, et il utilise I aler, il y en a de tous les calibres).
support comme moyen technique. Mais nous avons vu pourquoi le plus petit est plus grand
ue 1eplus grand, annulant ainsi sa propre conséquence.
2. Suivant les perspectioes (certains angles sont pr
vilégiés et forment des familles de sous-types, des profil 6. Suivant les rythmes (les dates, les accélérations, les
de profils). entissements ou les plages vides, le groupement des
Mais Ia loi du déplacement se déplace elle-même, us-séquences typées durant tell~. période, etc.).
quelle « vérité II ordonner ces prises de vue? 11 n'y Mais ce serait se fier à l'ordre d'un recit dont Ia logique
que des perspectives sans référent hors-perspectiv , u cartouche a situé le piêge, Et les rassemblements, avec
Qu'appellera-t-on « face lI, « profil )l, surplomb, dessu 'r de famille, se font aussi par-dessus de longs inter-
ou dessous, gauche ou droite, d'un cénotaphe ? L'orien valles. L'unité d'une période (d'un détour) est indéter-
tation d'un corps propre n'y fait plus Ia loi. Au fond, minab1e.
c'est un coffin sans core, sans noyau central et organi- LE coffin sera donc resté i,nclassable. Chaque arfi:c1e
sateur. uvre un jeu de cartes perforees pour Ia transforrnation
de l'autre, qui lui-rnême ... et ainsi de suíte.
3. Suivant les supports (grande variété de papiers,
ils sont de taille, de va1eur, d'épaisseur et même d
eouleur diverses). 8 janvier 1978
Mais il n'y a pas seulement du papier, il y a des mor-
ceaux empruntés à l'écheveau du paradigme ligneux Tombe, dans le lacs.
(est-ce du support ou non ?); et Ie support, qui n'est en
LA VÉRITÉ EN PBIN I1 ueRES 283
8 janvier I 9 janvier 1978
.Ce qui ne s~ laisse pas classer, on ne le cadre 1'1 ÇA SE CORSE - NE PAS TlRER TOUTES
Ailleurs, depws longtemps, Ie [eu du cadre, du q I I FICELLES.
et des cartes et de Ia charte, dans Ia díssémmatíon
Ie Spiege/spie/ du « Quadriparti )) ou du « Cadr 11
(Geoiert ) . 10 janvier 1978

Mettre son nom propre, à commencer par le 9"1" I [outerai : et ne pas mettre toute Ia gomme. Atteris-
dans ma poche, tout ou partie. impossible aujourd'hui. . .
ntraitable : l'ombilic de ce coffin, de celui-ci, de
Le jeu du trois et du quatre. Ne pas oublier les tabl cun retiré en sa crypte. On a beau le fouetter, les
et qu'?n .ne peut pas tabIe~ sur un cartouche, ni compt I res laissent une marque mais ne font rien. Tant de
sur lui ni compter avec lw. Ie me rappelle Ies difficuh es. Le bloc du coffin, fermé co~e ~ .dictionnlÜ!e
de Kant entre les tabIes et le parergon. Ne pas oubll t Ouvre à l'article laisse. Laisse, dit-il : - voir,
davantage : 3 x 4 = 12, et 3 + 4 = 7. 'r~ - tomber, - pour compte, - en héritage (lais).
ien~tous ces mots en laisse, plus ou moins tendue, plus
.Tiré à part, le faire-part de deuil. Cent-vingt- I moins lâche, à chacun sa chance et sur sa fino J e
fois comme une salve de missives bordées de nu I n e à Ia Cêne et au treiziême à table.
Ça s'envoie, quelqu'un ou quelque chose, et à 01
même, pour se faire part du legs qui cent vingt sept fUI
vous aura tous couchés, et moi-même, ainsi de sul! II janvier 1978
S'envoyer le reste, voilà le désir, et son impossible. J
~ss~e pet.It t~u;ours n~ pas revenir, ne pas arriver, 011 Inclassable. Pas de sépulture sans rangement classi-
missive, m meme I'émissaire, toire sans série ordonnée, sans tabulation. Autrement
Étudier Ia structure du LEM. , t le ~arnier. Le coffin circule, curseur et rupteur,
,~e cer~eil volant, co~e moyeo de transpon it d'union entre le cimetiêre et Ia fosse commune.
oéhicule, disent les rhétoriciens, tous terrains. 00)' classe ne manque pas, c'est le moins qu'on puisse
vérifié : coque de navire (ou « épave ))),fusée (quand ell re, el1e est à l'eeuvre (ordre, série, lignée, chronologie,
s'enterre un peu aprês Ia chute), feu, eau, air, terre, I . omie, rang, rangée, rangement, avec et sans hiérar-
enfin - ie), Mais ce qui n'en releve plus et dont e~e ne ~e
leve plus, c'est peut-être le sort. Le s~rt qui lui est fait,
ort qui lui est jeté, celui qui en est [eté,
8 janvier 197 On ne pourra plus le m~ttre .en nomendature, cata-
~e ou table de classifícatíon, j'aurais du moms voulu
Une sorte d'ascenseur, avec ou sans câble parachute y employer. En tabIe d'opération peut-être, et encore,
Avec ou sans cordon ombilical. ais sans leçon d'anatomie. ,..
C'est à l'exposition en tableaux qu il aurait fallu,
. même, dire nono Mais de toute façon, aura-t-elle eu
eu ? et ainsi de suite, etc.
LA VÉRITÉ EN PEIN II OUCHES 285
11 janvier 11/

Bien entendre Ia chance et Ia nécessité d'un


suffit ». C'est assez, mais sans satisfaction; et qUI
sature -. Rien à voir avec Ia suffisance ou l'in. 1111
sance. Le verbe suffire ne t'apprendra rien sur un t I
suffit »,

L'inouí du coffin: le 11 juillet (il en avait fait 111 P 11


et 16 grands), devant Ia chose retournée en tableau 1111,
sens dessus dessous, les quatre fers en l'air et reill
grands ouverts, Titus-Carmel a dü murmurer, si j' ,
tends bien, « ça suffit ».

11-12 janvier 1j

Ainsi du reste - et autrement.


'Iuteur devant un détail de La Grande Bananerai« culturelle Le • m " I
en décomposition dans I'angle droit, au-dessus de Ia tête.
11 juil//I

• Th« Four uaso" Sticks •


lei un des Summer Stick: QUX deux bOUlS, nouês,
286 LA VÉRITÉ EN PEIN I1 OUCHES

• 20 Variations sur I'idée de détérioration " Dessin XII .

• .17 Exemples d'altération d'une Sphere " - Neuuiêm« altération .

• 18 Mau.ol~c. pour 6 chautl'curs de taxi new-yorkais •


- Mausolit Mod.Jto H~rnande% N° 3-

PBINTURB
288 LA VÉRITÉ EN PEIN I, TOUCHES

I( L' Usage du néccssaire N - Lachesis IV .

• L'Usage du nécessaire ••- Lion, émir cornu d'un Toe, rime Noil, 1971.
LA VÉRITÉ EN PEIN 11'
RESTITUTIONS
de Ia vérité en pointure

eUÇjA:) eUIT3ÇJ:JUJ eUTIT

à I.-C. ..... sztejn

« POINTURE (lat. punctura), sf.


Syn. anc. depiqilre. T. d'imprim.
Petite Iame de fer qui porte une pointe
et qui sert à fixer sur Ie tympan Ia
feuille à imprimer. Trou qu'eUe fait
dans le papier. T. de cordonnier, de
gantier. Nombre de points d'une
• IS lncisions latines - Lucréce (détail), chaussure, d'une paire de gants. »
Littré.

« Je vous dois Ia vérité en peinture,


et je vous Ia dirai. II
Cézanne.

« Mais elle m'est si chere, Ia vérité,


le chercher à faire wai aussi, enfin je
crois, je crois que je préfêre encore être
cordonnier à être musicien avec Ies
couleurs. » Van Gogh.
Et pourtant. Qui disaít, je ne me souviens plus,
I n'y a pas de fantõmes dans les tableaux de
Gogh »? Or nous avons bien là une histoire de
tõmes. Mais il faudrait attendre d'être plus de deux
ur commencer.

- Pour appareiller plutõt, et même plus de trois.

- Les voilà. Je commence. Quoi des chaussures?


i, des chaussures? De qui sont les chaussures?
quoi sont-elles ? Et même qui sont-elles ? Les voilã,
questions, c'est tout.

- Vont-elles rester là, déposées, laissées à I'abandon,


.ssées ? Comme ces chaussures apparemment vides,
cées, attendant avec un certain détachement qu'on
e et dise, qu'on vienne dire ce qu'il faut pour les
nacher?

- Ce que je veux dire, c'est qu'il y aura eu comme


La premiere partie de ce «polylogue. (à n + I voix - féminine) a été pubb
dans le numéro 3 de Ia revue Macu14, à l'intérieur d'un ensemble intitulé Mamo
l'appariement d'une correspondance entre Meyer Scha-
HtideKJer e lI!. souliers de yan GOl? J'y prends prêtexte d'un essai de Meycl Iro et Martin Heidegger. Et qu'ã prendre Ia peine de
Schapiro pubhe dans le meme numero de Maeu/a, sous Ie titre «La nature _, rmaliser un peu, elle reviendrait, cette correspon-
co~ ~b)eI persontul •. 11 s'agit d'une critique de Heidegger, plus prêcisêment de
qu il ~t d~ cha!,ssures de Van Gogh dans L'origine de I'/l1UVred'art. L'article de ce, aux questions déposées à l'instant.
Schapiro (a p~rl1tre en traduction aux éditions Gallimard), dêdié à Ia mémoire d
Kurt Goldstein (.qui le premier, dit l'auteur, attira mon anention sur cet esstl
[~'origitu de I'lZufJ1'~d'arl] prêsenté dans une confêrence en 1935 et 1936.), parut
- Elle y reviendrait. Reuenir sera d'une grande
d abord en 1968, 10 Th« R.ach of Mind .. Essays ir! memory of Kun Goldun« rtée dans ce débat (portée aussi) si du moins il s'agit
(Springer Publishing Company, New York).
e savoir à qui et à quoi reoiennent certaines chaussures,
294 LA VÉRITÉ EN PEIN II ITUTIONS 295
ut-être les chaussures en général. A qui et à quoi,
onséquence, il faudrait, s'acquittant d'une dette, les
tituer, les rendre
Pourquoi dire toujours de Ia peinture qu'elle
d ? qu'elle restitue?

s'acquittant d'une dette plus ou moins fantõma-


ue, restituer les chaussures, les rendre à qui de droit;
s'agit de savoir d'oü elles reoiennent, de Ia ville
hapiro) ou des champs (Heidegger), comme des rats
quels je m'avise qu'elles ressemblent (quel est alors
mme aux rats de ces rats ?), à moins que ce ne soit
tOt à des piêges à lacets guettant le promeneur en
in musée (pourra-t-il éviter de précipiter le pas pour
mettre les pieds ?); s'il s'agit de savoir quel revenu
uit encore leur déréliction hors d'usage, quelle
u -value déchaíne l'annulation de leur valeur d'usage :
s du tableau, dans le tableau et, troisiêmement,
mme tableau, ou pour Ie dire d'un mot três équivoque,
leur vérité de peinture; s'il s'agit de savoir quel pas
revenant, citadin ou paysan, vient encore les hanter
lhe ghost 01 my other I », l'autre Je de Vincent le signa-
e, suggêre Schapiro citant, mais Heidegger le fait
si ailleurs, Knut Hamsun); s'il s'agit de savoir si les
haussures en question sont hantées par du fantõme
sont Ia revenance elle-même (mais alors que sont,
ui sont en vérité, et de qui de quoi, ces choses ?). Bref,
revient à quoi ? A qui ? A qui, à quoi restituer, rat-
cher, réaiuster justement

- à quelle pointure [ustement, sur mesure, adéqua-


ent

- et d'oü ? comment ? s'il s'agit du moins de savoir,


venir sera d'une longue ponée.
Ce que je veux dire, c'est qu'il y aura eu correspon-
ance entre Meyer Schapiro et Martin Heidegger.
L'un dit en 1935 : ça revient, cerre paire, des champs,
du paysan, et même de Ia paysanne
LA V:áRIT:á EN PEIN W lTUTIONS 297

- d'oü tient-illa certitude qu'il s'agit d'une pair , Mais que veut dire dans ce cas rester ?
chaussures ? Qu'est-ce qu'une paire?
Posons en axiome que le désir d'attribution est un
- Je ne le sais pas encore. En tous cas, Heide r d'appropriation. En matiere d'art comme partout
n'a aucun doute à ce suiet, c'est une paire-de-ch \I S. Dire : ceei (cette peinture ou ces chaussures)
sures-de-paysan (ein Paar Bauernschuhe). Et ça rev "I nt à X, cela revient à dire : ça me revient par le
ce tout indissociable, cette chose-paire, des champ I iur du « ça revient à (un) moi », Non seulement : ça
du paysan, voire de Ia paysanne. Heidegger ne rép» ,I nt en propre à tel ou telle, au porteur o.u à Ia por-
pas ainsi à une question, il est sür de Ia chose av 111 «( Die Bõuerin aul dem Acker trãgt d,e Schuhe ...
toute autre questiono Semble-t-il. L'autre, pas d'aco I I Bãuerin dagegen trãgt einlach die Schuhe », dit l'un
du tout, dit aprês müre réâexion, trente-trois ans pl\1 1935, « They are clearly pictures 01 the artist's own
tard en exhibant les piêces à conviction (mais sans '11 , not the shoes 01 a peasant », réplique l'autre en
terroger au-delâ et sans poser d'autre question) : D 11 8, et je souligne) mais ça me re,:ient ~n p~opre, p~
il y a erreur et projection, sinon tromperie et faux-tém I ref chemin de détournement : l'ldenuficauon, parmi
gnage, ça revient, cette paire, de Ia ville ucoup d'autres identifications, de Heidegger avec
paysan et de Schapiro avec du citadin, de celui-lã
- d'oü tíent-il la certitude qu'il s'agit d'une pair« I du sédentaire enraciné, de celui-ci avec de l'émi-
chaussures? Qu'est-ce qu'une paire, dans ce cas 1 t déraciné, Démonstration à suivre car n'en dou-
Ou dans le cas de gants et autres choses semblables ? pas, dans ce procês de resti~~on, il y va aussi ~es
ussures, voire des sabots et S1 I on remonte à peine
- Je ne le sais pas encore. En tous cas, Schapiro n' haut pour l'instant, des pieds de deux illustres
aucun doute à ce sujet et n'en laisse paraitre aucun. 1I fesseurs occídentaux, Di plus ni moins.
selon lui, ça revient, cette paire, de Ia ville, à du citad 11
et même à tel « man 01 the toam and city )), au signatalr _ II s'agit certainement des pieds et de beaucoup
du tableau, à Vincent, porteur du nom de Van Go li I urres choses, à supposer que des pieds soient quelque
aussi bien que' des chaussures qui semblent ainsi le com ose et d'identifiable à soi. Sans même aller chercher
pléter, lui-même ou son prénom, au moment ou I Ue~s ou plus haut,. ~a. restitution rétablit dans ses
reprendrait ainsi d'un « ça me revient » ces objet oits ou dans sa propnete en remettant le suiet debout,
convexes qu'il a retírés de ses pieds s sa stance, dans son institution. «••• the erect body »,
it Schapiro.
- ou ces obiets creux dont il s'est retiré.
_ Considérons alors les chaussures comme un ins-
- Ça ne fait que commencer mais on a déjà l'im tut, un monumento Rien de naturel en ce produit.
pression que Ia paire en question, si c'est une pair 'est au produit (Zeug) que Heidegger s'intéresse dans
pourrait bien ne revenir à personne. Les deux chose I'analyse de cet exemple. (Par simplification commode,
pourraient alors, si même elles n'étaient pas faites pour ardons Ia version de Zeug en « produit », Elle est un-
le désappointer, exaspérer le désir d'attribution, d ée dans Chemins... pour Ia traduction de L' origine de
réattribution avec plus-value, de restitution avec 1 rcmvre d'art. Zeug, il faut le préciser et s'en souvenir
béaéfice d'une rétribution. Défiant le tribut, elles pour- ésormais, c'est sans doute un « produit », un artefact,
raient bien être faites pour resrer-lã. .s aussi un ustensile, un produit généralement utile,
'ou Ia premiêre question de Heidegger sur 1'«utilité I»~.
LA VÉRITÉ EN PEIN I lTUTIONS 299
De cet artefact, l'un dít, avant même de s'interro I 11 faudrait revenir à Ia chose même. Et je ne sais
de poser toute autre question : cette paire revient I ncore d'oü partir. Je ne sais pas s'il faut en parler
(ou à l'une). A l'autre, répond l'autre, preuve en 11\ n écrire. Tenir un discours à son suiet, au sujet de
mais sans autre forme de procês, et l'un ne reviem I que ce soit, c'est peut-être Ia premiêre chose à
à l'autre. Mais dans les deux attributions ça r , I r. On m'a demandé un discours. On m'a mis un
peut-être au même par un bref chemin de détoumem " I u (mais leque~ au juste ?) et de~ tex~es sous I~
à un sujet qui dit moi, à une identification. . Ie viens de lire, pour Ia prenuere fois, The still
as a Personal Object - A Note on Heidegger and Van
- Et ces chaussures les regardent. Elles 111'" h. Et de relire, une fois de plus, Der Ursprung des
regardent. Leur détachement est évident. Dél tuerkes. Je ne ferai pas ici Ia chronique de ~es lec-
délaissées, détachées du sujet (porteur, détenteur antérieures. J'en retiens seulement Ceci, pour
propriétaire, voire auteur-signataire) et détaché encero J'ai toujours été convaincu de Ia forte
elles-mêmes (les lacets sont détachés) sité du questionnement heideggerien, même s'il
te ici, au pire comme au meilleur sens du terme, Ia
- détachées l'une de l'autre même si elles sont apl losophie traditionnelle de l'art. Et peut-être dans
reillées, mais avec un supplément de détachement d 1\ mesure même. Mais j'ai chaque fois perçu te
l'hypothêse ou elles ne feraient pas Ia paire. Car d' t eux passage sur « un célebre tableau de Van Gogh »
tiennent-ils tous deux, je veux dire Schapiro d'un c I e un moment d'effondrement pathétique, déri-
Heidegger de l'autre, Ia certitude qu'il s'agit là d'uu e, et symptomatique, signifiant.
paire de chaussures? Qu'est-ce qu'une paire dan
cas ? Allez-vous faire disparaitre ma question? E t Signifiant quoi ?
pour ne pas l'entendre que vous accélérez l'échang I
ces voix, de ces tirades inégales ? Vos strophes di 1 Pas de hâte ici. Pas de précipitation vers Ia réponse.
raissent plus ou moins vite, à Ia fois entrecoupée I précipitation du pas, voilà peut-être ce qu'on n'aura
entrelacées, tenues ensemble au croisement meme I ais su éviter devant Ia provocation de ce « célebre
leurs interruptions. Césures apparentes, vous ne I leau », Cet effondrement m'intéresse. Schapiro le
nierez pas, et multiplicité toute feinte. Vos périod ecte aussi à sa maniêre (qui est aussi celle d'un détec-
restent sans origine dénombrable, sans destination, m I ) et son analyse m'intéresse par lã, même si elle ne
elles ont en commun l'autorité. Et vous me tenez élOl satisfait pas. Pour répondre à Ia .quest1?n ~e ce que
gnée, moi-même et ma demande, en mesure, je SUl ifie tel effondrement, faudra-t-il Ia redwre à une
évitée comme une catastrophe. ar inévitablement j'in pute sur I'attribution des chaussures? Faudra-t-il,
siste : qu' est-ce qu'une paire dans ce cas? peinture ou en réalité, se disputer les chaussures ?
t seulement se demander « (de) qui sont-elles? », Je
- détachées de toute maniêre, elles nous regardent, 'y avais pas pensé mais je me prends maintenant à
bouche-bée, c'est-à-dire muettes, Iaissant causer, inter aginer que, malgré Ia pauvreté apparente de cette
loquées devant ceux qui les font parler «( Dieses hat gel uerelle de restitution ou de cette traite des chaussures,
prochen », dit l'un des deux grands interIocuteurs) I certain marché conelu pourrait bien tout y faire
qu'elles font parler en vérité. Elles deviennent commesen ser. Dans son énormité, le problême de l'origine de
sibles, jusqu'aufou-rireimperturbablementretenu, au c uvre d'art pourrait bien passer par ces trous de lacet,
mique de Ia chose. Devant une démarche aussi süre d'ell les ceillets des chaussures (d'une peinture) de Van
même, índémontablement, Ia chose, paire ou pas, rito gh. Oui, pourquoi pas ? Mais à Ia condition que ce
300 LA VÉRITÉ EN PBIN I , ITUTIONS 3°1
traitement, bien sür, ne soit abandonné ni aux ma 11 11 che par une opération dont l'équivaIent Iogico-
Martin Heidegger ni aux mains de Meyer Schaplru I mmatica1 est plus ou moins de mise.
dis bien ne soit pas abandonné car nous entendon '11
servir aussi de leurs mains, voire, au reste, de I " Nécessaires reste un adjectif encore un peu vague,
pieds. h ,ouvert, évasé. 11faudrait plutôt dire : des idiomes
Le choix de Ia démarche à faire est difficile. Ça pOllh question dont Ia forme est três apte. ElIe s'adapte.
Ce qui est sür, c'est qu'il y aura eu correspondance 111 11 s'ajuste, de façon stricte, serrée, bien lacée, coIlant
Heidegger et Schapiro. Et qu'il y a là comme un "1'1' nitement mais avec souplesse, dans le vocabulaire,
riement dans le différend, l'énigme d'un ajust 11I I lettre ou Ia figure, au corps même de ce dont vous
complémentaire des deux côtés, d'un bord à l' 111' z ici envie de faire obiet, à savoir les pieds. Les deux
Mais je ne sais pas encore d'oü partir, s'il faut en plll ds, cela importe au premier chef.
ou écrire, ni surtout sur que! ton, selon quel cod: I
vue de quelle scêne. Et à quel rythme, celui du pa Mais on ne dit pas une paire de pieds. On dit une
ou ce1ui du citadin, à l'âge de l'artisanat ou de Ia t I re de chaussures ou de gants. Qu'est-ce qu'une paire
nique industrielle? Ces questions ne sont pas, ní n ce cas, et d'oü tiennent-ils tous deux que Van Gogh
scrupules, hors du débat engagé par Heidegger auto» int une paire? Rien ne le prouve.
de l'eeuvre d'art.
Mais ai-je bien envie d'entreprendre cette démarch Pour ma part, j'ai souvent traité, en tous sens, de
Je commencerai par fixer une certitude d'allure a 11 marche et, c' est à peu prês le « même » mot, le « même ))
matique. M'y installant comme en un lieu ou ça p r s, de Ia marque et des Marges dont j'ai fait un titre.
ne pas bouger, ou ça ne patine plus, je partirai d I s même en fut un autre. Al-ie alors parlé des pieds ?
(três vite), aprês y avoir bloqué un de mes pieds, \111 n'en suis pas sür (il faudra chercher), ni d'un certain
de mes pointes, immobile et plié en deux avant le COI'I cessaire, voilà le nom, de Ia marche, à savoir au plus
du starter. Ce lieu que je commence par occuper 111 s du sol, le degré le plus bas, le plus subjectif ou sous-
tement, avant Ia course, ce ne peut être iei qu'un lieu I ent de ce qu'on nomme Ia culture ou l'institution, Ia
Iangage. ussure. Plus strictement, Ia paire de souliers
Voiei. Les questions de Ia démarche embarra
(boiteuse ou louche ?), les questions du type « ou meti! - La double séance tourne autour des pointes de Ia
les pieds ? I), « comment ça va marcher ? )), « et si ça /I nseuse, analyse « Ia syntaxe du point et du pas I), dit
marche pas ? )), « qu'est-ce qui se passe quand ça 1\ mment « chaque paire, dans ce circuit, aura toujours à
marche pas (ou quand on met ses chaussures au v uel9u'autre renvoyé, signifiant en outre I'opération de
tiaire ou les pieds à côté de ses pompes ? I), « quand ~ ifier... »,
s'arrête - et pour queIle raison - de marcher ? », « qUI
marche? I), « avec qui ? )), « avec quoi ? », « sur ies pie I - Mais Ia pointe ne porte pas le pied au contact
de qui ? « qui fait marcher qui ? », « qui fait march ,
I), 'une surface. El1e ne s'y étale pas. Plus strictement, Ia
quoi ? )), « quoi fait marcher qui ou quoi ? )), etc., tout aire de souliers et même, pour se limiter à ce sur quoi
ces figures idiomatiques de Ia question me paraissent, I supporte Ia plante des pieds au-dessus du sol - des
même, nécessaires. villes ou des champs, peu importe -, Ia paire de
Nécessaires " c'est un attribut. eIles. Sa surface externe, et donc inférieure, porte au
lus bas et c'est d'elle que ie crois n'avoir jamais parlé.
- Les chaussures aussi. Ça s'attribue à un suiet, s' lle est plus bas que le pied.
3°2 LA VÉRITÉ EN PEIN II TITUTIONS

I'avance alors : quoi des chaussures quand • Elle n'est jamais tout à fait ouverte, justement.
marche pas ? Quand elles sont mises de côté, r I' I garde une forme, Ia forme du pied. Informée par le
pour un temps plus ou moins long, voire à tout iam , elle est une forme, elle décrit Ia surface exteme
hors d'usage? Que signífient-elles P Que valent- 11 l'enve1oppe de ce que 1'0n appelle une « forme », à
Plus ou moins? Et selon quelle économie? Vers II voir, je cite encore Littré, un « morceau de bois qui a
fait signe leur plus (ou moins)-value? Contre 1" figure du pied et qui sert à monter un soulier ». Cette
peuvent-elles s'échanger? En quel sens (qui? q\\l1I e ou cette figure du pied
font-elles marcher ? et parler ?
Voilà le sujet qui s'annonce. Schapiro verra Ia « figure Ii de Van Gogh dans
11revient lentement. Mais toujours trop vite - I Ii chaussures.
de précil?itation -~ Ia tête Ia premiêre pour oc J
debout, mstantanement, les lieux abandonnés. 1", Cette « forme » ou cette figure du pied en bois
investir et s'approprier les lieux hors d'usage comm 'I place le pied, comme une prothêse dont 1e soulier
ne restaient inoccupés que par accident, et non J te toujours informé. Tous ces membres-fantômes
structure. t et viennent, vont plus ou moins bien, ne s'adaptent
Le sujet s'étant annoncé, laissons ici, pour un temp toujours.
les ~haussures. 11se passe que1que chose.quelque ch«
a lieu quand des chaussures sont abandonnées, vid Que fait-on alors quand on attribue des chaus-
pour un temps ou à jamais hors d'usage, apparemm II res ? Quand on 1es donne ou quand on les restitue?
détachées des pieds, portés ou porteurs, détachée I ue fait-on quand on attribue un tableau ou quand on
elles-mêmes si elles sont à lacets, l'une de l'autre lUlI entífie un signataire ? Et surtout quand on va jusqu'à
jours mais avec ce supplément de détachement d 111 tribuer des chaussures peintes (en peinture) au signa-
l'hypothêse ou elles seraient dépareillées. re présumé de ladite peinture? Ou inversement
uand on lui en conteste Ia propriété ?
- Oui, supposons par exemple deux souliers
lacets) droits ou deux souliers gauches. Ça ne fait p111 - C'est peut-être lã qu'il y aura eu correspondance
une paire, ça louche ou ça boite, je ne sais pas, de fa 1111 tre Meyer Schapiro et Martin Heidegger. Je suis
étrange, inquiétante, menaçante peut-être et un 11 téressé au fait qu'elle ait eu lieu. Apparemment. Mais
diabolique. J'ai parfois cette impression avec tell us ne savons pas encore ce qu'est ce lieu et ce que
chaussures de Van Gogh et je me demande si Schaph« . e avoir lieu dans ce cas, ou, comment, etc,
et Heidegger se ne hâtent pas de faire Ia paire pour
rassurer. Avant toute réftexion on se rassure avec Ia paii - On vient de demander : que fait-on quand on
ttribue des chaussures (réelles) au signataire présumé
- On sait alors comment s'orienter dans Ia pen 'une peinture dont on présume qu'elle représente ces
êmes chaussures? Précisons : des chaussures-sujet
- Dês lors que ces chaussures délaissées n'ont plu (lUpport destiné à porter leur porteur sur le sol, des
de rapport strict avec un sujet porteur ou porté, ell illes ou des champs, support qui figurerait ici le premier
deviennent le support anonyme, allégé, vidé (mais d'a I rubstrat, à moins que le porteur n'en fasse un autre
tant plus pesant qu'il est abandonné à son ineru age que ce1ui de Ia marche, auquel cas le mot d'usage
opaque) d'un sujet absent dont le nom revient hanter J querait selon certains d'être perverti) mais sujet lui-
forme ouverte. ême d'une toile qui en constitue à son tour le sujet
LA VÉRITÉ EN PEIN II lTUTIONS

ou le support cadré. Et c'est ce double sujei (les ch I e pénis et pénis de Ia femme. Détachable et rat-
sures en peinture) que les deux plaideurs veulent , hable. Comment expliquer alors que dans L'intro-
restituer au sujet véritable : le paysan ou Ia pay 111 tion à Ia psychanalyse (Le symbolisme dans le rêoe)
d'un côté, le peintre citadin de 1'autre (un peu plu 111 oulier et Ia pantoufie soient classés parmi les sym-
d'être le signataire du tableau censé représent r 1 des organes génitaux de Ia femme? Ferenczi y
propres chaussures, voire lui-même en personne : 111' nnait parfois le vagin (Sinnreiche Variante des
les sujets sont ici au plus proche d'eux-mêmes, en I1 huhsymbols der Vagina, 1916) mais ce n'est qu'une
rence). 'ante individuelle et il faudra préciser, inversement -
Ou est Ia vérité de cet avoir-lieu ? L'origine de l' ,
d' art appartient à un grand discours sur le lieu et I Serait-ce parce que, comme un gant qu'on
Ia vérité. Par tout ce qui vient de s'annoncer on le • tourne, Ia chaussure a tantôt Ia « forme » convexe du
communiquer (est-ce à 1'insu de son « auteur » ?) d (pénis) tantôt Ia forme concave qui enveloppe le
Ia question du fétichisme. Prolongée au-delà de I (vagin) ?
« économie poli tique » ou de sa « psychanalyse » •
sens strict, voire de Ia simple et traditionnelle 0PP" I - Dans ces derniers textes, il n'est pas question de
tion du fétiche à Ia chose même. ichisme (phallus de Ia mêre) et quand il en est ques-
Tout se passe comme si 1'on voulait dire Ia v til n, Freud ne dit pas que le pied (ou Ia chaussure)
au sujet du fétiche. Nous y risquerons-inous ici ? mplace ce qui est censé manquer à cause de sa forme
ais à cause de sa situation orientée, Ia syntaxe d'un
- 11 faudrait pour cela mettre ce débat entre I ouvement vers le haut, depuis le tres-bas, le plus-bas,
deux grands professeurs en résonance avec tant d'aun systême de rapports dans Ia génération alléguée du
textes. Marx, Nietzsche, Freud tiche, Et Freud ne désigne pas alors quelque chose,
tout plus ou moins détachable, par exemple « le
- qui parle plus strictement du fétichisme de I íed » ou « Ia chaussure I). 11 précise : « ou une partie
chaussure. Dans Ia premiêre partie, ou le prem I e ceux-ci », Ia partie reIativement détachable d'un
mouvement, de son essai de 1927 sur Le fétichisme. I n emble toujours divisible.
généalogie qu'il propose alors du fétiche (comm
substitut du phallus de Ia femme ou de Ia mêre) r 11 - Le gros orteil par exemple? La chaussure ne
drait compte, selon lui, du privilêge accordé au pi .1 I ue-t-elle
pas à elle seule un gros orteil détaché ? Dans
ou à Ia chaussure marché de Ia pointure, Ia résonance des offres, des
emandes, des actions en hausse ou en baisse devrait
- les chaussures ou Ia chaussure ? 'augmenter d'une spéculation sur Bataille (Le gros
Drleil,La mutilation sacrificielle et l'oreille coupée de Van
- Ia chaussure. Cette préférence tiendrait au fi 11 ogh, Van Gogh Prométhée),
que le « garçon », dans 1'expérience terrifiante qu'il
faite de ce qu'il vit comme Ia « castration » de sa m r - En tout cas Ia chaussure, pour Freud, n'est pas
a regardé « d'en-bas 11 aurair, lentement, levé I
I). lus le pénis que Ie vagin. Sans doute rappelle-t-il,
yeux. Depuis le sol. ntre Steckel, que certains symboles ne peuvent être
d Ia fois masculins et féminins. Sans d~ute précise-t-il
- La chaussure, compromis ou substitut rassurant que des objets longs et fermes ne sauraient symboliser
serait done une « forme » de prothêse, mais toujour des organes génitaux féminins (des armes par exemple),
LA VÉRITÉ EN PEIN'II [TUTIONS

ni des ?bjets a:e~ (caísses, boítes, coffrets) des or 11 I diome II mais aussi contre Ies universaux symboliques,
mascu1ins; ~atS c .est pour admettre aussitôt apr I' v de soi que nous resterons Ioin, três Ioin d'une lec-
I~ symbolis~tlon bisexuelle reste une tendance irrépr idiomatique de Van Gogh, de sa signature ou a for-
sl~I~, archaique, remontant à I'enfance qui ignor I . de teI tabIeau. 11 s'agira seulement, comme cela
?i!ference des sexes (Traumdeutung VI, V). « AjouIIII' r dit et fait à propos de Genet, de Ponge ou de
lCl que Ia pIupart des symboIes de rêve sont bisexu I nchot, de préliminaires à Ia position d'une telIe
et peuvent, seIon Ies circonstances, être rapporté \I tion. Elle est tout entiêre à rééIaborer, nous en
orgaI?-esdes deux sfxes. » ,rUeber den Traum ), S 1111. es bien d'accord ?
Ies ,ctrc~nstances, c est-à-dire aussi selon une syn:
irréductible à queIque substantialité sémantique li D'aeeord ou pas, [e propose de remettre cette
« symbolique », tion à pIus tardo Elle est d'ailleurs faite pour être
.se, elle conceme Ia remise à pIus tard, pIus Ioin, si
- 11 faut done toujours réserver une sorte d'e arrive jamais. Ie Ia crois três scientifique mais aussi
d'interprétation, un suppIément de Iecture, à vrai dn gere à ce qui se dit Ie pIus souvent au nom de Ia
décisif, pour l'idiome d'une variation syntaxique. M JII e, c'est-á-díre d'une phi1osophie de Ia science.
si I'idiome absoIu est Ie nom d'un Ieurre. Le «
d'idiome II absolu n'autorise pas - av contraire ju I - 11 y a deux types d'objet et Ia « forme II de Ia
~ent - à se contenter d'équ:v~ences symboliques t \I
A
ussure a un autre privilêge : elIe fait systême des
iours pretes à porter ou d umversaux de confectiou types d'objet définis par Freud : allongés, solides
C'est peut-être Ie sens d'une petite phrase entre par 11 fermes sur une surface, creux ou concaves de I'autre.
thêses et comme en post-scriptum, à Ia fin de Ia n I se retoume
de Ferenczi : il y distingue Ies variantes individuell
des symboIes universeIs. Cette distinction tient à I - eomme une paire de gants. Van Gogh a peint
rich~~e des ass~ciations. (<< sich an sie reichlich Einftill e paire (?) de gants (en janvier 1889, à Arles) et dans
ass~z,!ren »] .mats ee ~tere économique conceme d note qu'il Iui consacre, Sehapiro semble encore les
vananons qui sont aUSSldes écarts, des restructuration nsidérer comme des « obiets personnels », Illes réap-
des redistributions générales. Et des écarts sans norm roprie, s'empresse de les apparier et même de les
esse':1tielIe. Réseau de traces différentielles, (Je préci pparier aux cyprês de Ia même nature morte [« The
aUSSlentre parenthêses que Ie cas évoqué par Ferencz hoice of objects is odd, but we recognize in it Van Gogh's
ne met pas en scêne des chaussures, stricto sensu, ma pirit. In other still lioes he has introduced objects that
en queIque sorte des sur-chaussures, des supplément long to him [je souligne] in an intimate way - his hat
ou .des sur-vêtements (Gummi- Ueberschuh (Galoschen)) tJndpipe and tobacco pouch ... His still lioes are often per-
9w ne s'adaptent pas au pied mais aux souliers. Quand onal subjects, little outer pieces of the self exposed with
il pIeut ou quand il neige, on Ies dépose à l'entrée d 1m personal but always significant things. Here the blue
Ia maison en gardant néanmoins ses souliers. Et - tra I laves, joined like two hands [je souligne] in a waiting
important sinon suffisant pour l'inrerprétatíon - ce par passive mood, are paired in diagonal symmetry with a
dessus ou ce surpIus de chaussure est en caoutchouc. branch of cypress, a gesticulating tree that toas deeply
D'oü, se!on Ferenczi, I~ symbolisme du vagin. Reste poetic to Van Gogh ... the glooes and the branches belong
savoir, e est à swvre, Sl cet effet de gaine - together ... II (je souligne) 1

- Compre tenu de ce qui vient d'être dit du « pa I. Mc:yc:r Schapiro, Van Gogh, Abrams, Nc:w York, s. d., p. 93.
tA VÉRITÉ EN PEIN' ITunONS

Je propose qu'on ne se risque pas encore à traiter


tement de cette question du fétichisme, de Ia
ibilité des gants ou de l'orientation dans Ia paire.
uis pour le moment intéressé à Ia correspondance
Meyer Schapiro et Martin Heidegger.

Nous piétinons. Nous ne patinons même pas,


pataugeons, plutôt, avec une complaisance un peu
cente. A quoi rapporter ce mot de correspondance
revient sans cesse? A cet échange de lettres, en
S?
[e m'intéresserais plutôt à une correspondance
ete, évidemment : évidemment secrête, eryptée dans
her de l'évidence et de Ia vérité, trop évidente parce
le ehiffre en ce eas reste seeret de n'être pas celé,
ref, encore confiée au facteur de Ia vérité, cette cor-
pondance n'est un seeret pour personne. Son secret
ait se lire à lettre ouverte. La eorrespondance
ête pourrait être déehiffrée à même Ia eorrespon-
ce publique. Elle n'a pas lieu d'autre part et n'est
inserite ailleurs. Chacun dit : je vous dois Ia vérité
peinture et je vous Ia dirai. Mais il faut faire porter
ccent sur Ia dette et sur le doit, vérité sans vérité de
vérité. Qu'est-ce qu'ils doivent tous Ies deux, et de
uoi doivent-ils s'aequitter par cette restitution des
Nature morte (corbeille avec oranges et citrons, branchages, ga"~:;i•. ussures, l'un prétendant Ies rendre à Ia paysanne,
utre au peintre? .
Oui, il y a eu en effet cet échange de lettres en I965.
hapiro le révele dans La nature morte... puisqu'il faut
duire ainsi « The Still Life... » que vous venez de
e. Cette « Nature morte... », l'essai qui porte ce titre
t un hommage rendu, un présent fait à un mort, un
on dédié à Ia mémoire de Kurt Goldstein. Ce1ui-ci
'était, de son vivant, attiré Ia reeonnaissanee de Scha-
iro au moins par ce geste : lui avoir donné à lire
'origine de l'auvre d'art (« It was Kurt Goldstein who
fim called my attention to this essay... »}, Schapiro
'acquítte, d'une eertaine façon, d'une dette et d'un
evoir d'amitié en dédiant sa « Nature morte... » à son
. morto Le fait est loin d'être indifférent ou extrin-
310 LA VÉRITÉ EN PBIN II lTUTIONS

seque, nous y reviendrons, ou du moins l'extrin ," Ies restituer, via Amsterdam, Paris (Van Gogh à
intervient toujours, comme le parergon, au-dedan I ) à Van Gogh mais du même coup à Goldstein
Ia scêne, Retenez ces faits et dates. J'en isole sêch 111. vait attiré son attention sur le détournement hei-
quelques-uns en attendant. Emigré três jeune, Sch \,1 erien. Et Heidegger les retient. Et quand tous deux
enseigne à Columbia (New York) ou Goldstein, fu • nt en somme, « ie vous dois Ia vérité II (car tous
l'Allemagne nazie en 1933 (aprês y avoir été ern]» , prétendent dire Ia vérité, voire Ia vérité de Ia
sonné puis libéré à Ia condition de quitter le pays) li' té - en peinture et en chaussure), ils disent aussi :
lui aussi enseigné de 1936 à 1940. II y arrive apr • ois les chaussures, je dois les rendre à qui de droit,
pénible séjour d'un an à Amsterdam, précisément. 11 ur appartenance propre : au paysan ou à Ia paysanne
aura écrit La structure de I'organisme. Ce sont les ann côté, au peintre citadin et signataire du tableau de
mêmes ou Heidegger donne ses conférences sur L',,,. tre. Mais à qui en vérité? Et qui croira que cet
gine de I'ceuore d' art et son cours d' Introduction ode est seulement une dispute théorique ou philo-
métaphysique eles deux textes ou il se réfêre à bique pour l'interprétation d'une ceuvre ou de
Gogh). vre d'art? voire une querelle entre experts pour
Ce dernier acte se passe donc à New York, Unív • ribution d'un tableau ou d'un modêle ? Schapiro,
sity of Columbia, ou Schapiro vivait et enseignait d I ur les restituer, dispute âprement les chaussures à
si je ne me trompe, quand Goldste(n y arriva poui idegger, au « professor Heidegger li qui aurait en
enseigner à son tour, de 1936 à sa mort, avec \llt e voulu, par paysan ínterposé, les chausser, les
interruption pendant Ia guerre (Harvard et Boston I tire à ses pieds de terrien, avec ce pathos de
1940 à 1945). Ce dernier acte appel de Ia terre », du Peldweg ou des Holzwege qui,
1935-36, ne fut pas étranger à ce qui poussa Goldstein
- Est-ce le dernier ? ntreprendre sa longue marche vers New York, via
sterdam. 11 y a beaucoup à acquitter, à rendre, à
- A cette date 1, le dernier acte est à New YOI tituer, sinon à expier en tout cela. Tout se passe
dans cette grande institution universitaire de ColuJII mme si Schapiro, non content de remercier un mort
bia accueillante à tant de professeurs émigrés, m I ur ce qu'il lui a donné à tire, offrait à Ia mémoire de
quel chemin et quelle histoire, depuis prês d'un siê I • n collegue, congénere et ami, nomade, émigré, cita-
pour ces chaussures de Van Gogh. Elles n'ont p n,
bougé, elles n'ont rien dit mais ce qu'elles auront fi 11
marcher, et causer! Goldstein, lui, l'homme de I'aph - une partie détachée, une oreille coupée, mais à
sie, mort aphasique, n'en aura rien dito II a simplem \I ui?
indiqué, montré le texte de Heidegger. Mais tout
passe comme si Schapiro, de New York (ou il a au - Ia paire reprise, soustraite, voire arrachée à l'en-
prononcé l'oraison funêbre de Goldstein en 1965), 1 mi commun, au discours commun en tous cas de
disputait, les chaussures, à Heidegger, les reprena I l'ennemi commun. 11 s'agit pour Schapiro lui aussi, et
u nom de Ia vérité, de reprendre pied, de reprendre
I. Je reprodui. ici Ia note de Ia rédactioe propoée par Macula : chaussures pour y remettre les pieds qu'il faut. En
• Depuis cerre date, alora qu'elle étaít d~jà composée sur épreuve •• I
fiction que nous publiona ici fut en quelque sane íouee ou racontée p I alléguant d'abord que ces chaussures furent celles d'un
Iacques Derrida à l'université de Columbia (Stminaire de th~rie de I igrant et d'un citadin, « the artist, by that time a man
littérature) sur l'invitation de Marie-Rose Logan et de Bdward W. Sald Df town and city li, les choses devant plus tard se compli-
Cette séance eut lieu Ie 6 octobre 1977. Meyer Schapiro prit pan au dtb.,
qui .'ensuivit. N.D.L.R. • uer dangereusement du fait que ce migrant n'a cessé
312 LA VÉRITÉ EN PEIN I IlfUTIONS

de tenir le discours de l'idéologie terrienne, artis 11 dans leur restance ?


paysanne. Tous ces grands professeurs auront, c 11111
on dit, beaucoup investi dans ces chaussures à plu d', Ce serait impossible. La restance n'est jamais de
titre hors d'usage. IIs en ont remis. Remeure I' Irepos, eIle n'est pas Ia présence substantieIle et
d'une grande portée en ce débat. Les rets de ces ch I nifiante. J'ai aussi, moi, à faire avec ces chaussures,
sures sont formés de ces re- du revenir et du rem 111 I donner peut-être, même si je me contentais de
Remise des chaussures. EIles sont, eIles peuvent 11111 Ia fio : tout simplement ces chaussures n'appar-
jours être détachées (en tous les sens que nous aV11I nent pas, eIles ne sont ni présentes ni absentes,
dits), délaissées, à Ia remise. Tentation, dês lors in 111 a des chaussures, un point c'est tout.
à même l'objet, de le remettre : remettre les chaus I
à ses pieds, les remettre au suiet, à l'authentique 11 11lia ces chaussures. Et de nos voix, Ia torsade -
teur ou propriétaire rétabli dans ses droits et réinstitu
dans son être-debout. La structure de Ia chose et li Es gibt, ça donne, ces chaussures.
procês oblige alors, touiours, à en rajouter. La m 111
y est de rétorsion supplémentaire. La correspondance littérale, ce que vous appelez
hange de lettres, c'est maintenant un phénomêne
- Ce que fait maintenant cette in,éroyable recon 11 u pres) publico Rendu public par Schapiro dans
tution. C'est une dramaturgie délirante qui proien hommage à Ia mémoire de Goldstein. Cet échange
son tour : une hallucination coIlective. Ces souliers (1111 ormais public aurait donné lieu, apparemment, à
hallucinogênes. lque chose comme un désaccord. II s'est soldé,
ions-nous, par un désaccord. En tous cas Schapiro
- Oui, je vais ici un peu vite. Mettons que tout dévoile et commente cette correspondance, gardant
se passe aussi par-dessus le marché et faites-moi cr til i le demier mot, concIut sur un désaccord. 11 pré-
pour l'instant. Consentez-moi une légêre avance 1 d détenir Ia vérité des chaussures (du tableau) de
disons que j'épouse ce qui fut peut-être, de part I cent (Van Gogh). Et comme il doit Ia vérité, illa
d'autre, un délire. II y a de Ia persécution dans ce ré II titue. 11 identifie (en tous les sens de ce mot) Ia
dans cette histoire de chaussures à identifier, à appn inture et les chaussures, leur assigne leurs points ou
prier, et vous savez de combien de corps, noms I r pointure propre, nomme I'eeuvre et attribue le
anonymats, nommables et innommables, ce conte I I t de l'eeuvre (les chaussures) au sujet de l'reuvr~,
fait. Nous y reviendrons. Ce qui porte icí, et qui m'im lt à son sujet véritable, le peintre, Van Gogh. Hei-
porte, c'est cette correspondance entre Meyer Schapir I ger selon lui se trompe et de peinture et de chaus-
et Martin Heidegger. r s. En les attribuant à du paysan ou de Ia paysanne,
reste dans l' erreur [« the errar lies... »), dans Ia pro-
- Va-t-on les renvoyer dos à dos, réinstallant I I tion imaginaire, celle-la même contre ~aqueIl~~ pr~-
paire ndait nous mettre en garde [« He has indeed ' 'mag'-
d everything and projected it into the paintin~". »];
- Est-ce bien une paire? idegger aurait remis les chaussures à des pieds de
ysan ou de paysanne. 11 les aurait d'avanc~ lacées,
- réinstallant les deux chaussures dans leur délai rées autour des chevilles paysannes, celles d un suiet
sement ({propre ll, dans leur être-délacé qui, entre eux, nt l'identité, dans te contour même de son absence,
au beau milieu ait bien stricte. TeIle serait l'erreur, l'imagination,
LA VÉRITÉ EN PEIN Iti ITUTIONS

Ia projection précipitée. Elle aurait des causes multipl I'appelle ainsi pour parler du collêgue et du corres-
Schapiro en détecte plus d'une, mais laissons cela I1U" dant, et Heidegger tout court quand il nomme le
l'instant. bre penseur, auteur de L'origine de l'ceuore d'are) :
uel tableau vous êtes-vous référé, au juste ? L' « obli-
- Mais à cause de quoi cette correspondanc 111 te )) réponse du Professeur H. {« In reply to my
publique? tion, Professor Heidegger has kindly written me that
pícture to which he referred is one that he saw in a
- Comme toute cause, et toute chose en proc , at Amsterdam in March 1930. This is c/early de Ia
cause prochaine est une sorte de piêge. Schapiro le 1 I 1 lIe's no. 225 (see Figure I). »} se ferme sur son
à Heidegger avant de s'y prendre lui-mêrne les pi .I ur comme un piêge, On entend le bruit : clair.
t clair, clearly, c'est entendu, l'affaire est entendue :
- Et pourtant. 11 s'y connait en piêges. 11 a I Ia Faille 255, ça ne peut pas revenir à du paysan :
de Ia main Ia plus experte sur le piêge en peinture. I' , 'hey are the shoes of the artist, by that time a man of
exemple sur ce piêge à souris (mousetrap ] que Jo ,,' town and city, ) Instruction c1ose, sentence arrêtée :
dans cette Annonciation du Maitre de Flémalle 1 uffira de compléter ou de raffiner le compte-rendu
e procês en somme três vite expédié. Le Professeur
- Mais ce piêge est tendu au di(ble ( Muscipula til., pris. Sehapiro, confirmé dans son soupçon, peut
boli), l'appât en est Ia chair christique. reconstituer un des mécanismes possibles de Ia
prise, elle-même au service d'un pathos pulsionnel
- Raison de plus pour se méfier ici. Le diabolk I politique (1' « ídéologie » terrienne et paysanne) :
est peut-être déjà pris, appât supplémentaire, da I t une sorte de ressemelage à l'aide de Ia semelle
boitement de ces deux souliers Iouches qui, si le douI I autre tableau aperçu lors de Ia même exposition
ne fait pas Ia paire, piêgent ceux qui veulent y rem 111 1930. C'était Ia premiêre méprise, le premier piêge
les pieds, précisément parce qu'on ne peut pas - " nt celui que Schapiro tendra au Professeur pour
doit pas - y mettre les pieds et que lã serait Ie pl re Ia paire et ne lui laisser aucune ehanee. Ceci pour
étrange. Quant à l'ombre christique de l'appât, nmo ndre à Ia question qui m'a été posée à l'instant :
verrons qu'elle n'est pas tout à fait absente parmi llll tes les causes de ce procês auront été des píêges
ces fantômes. Ce piêge étrange - mme à l'avance figurés par l'enjeu apparent du
bat : à qui revient le piêge ?), des chausse-trapes ou
- Autre espêce de piêge et de ce qui fut nomm vous préférez, des lacets, des piêges à lacets. « Vieux
dans Pas Ia paralyse. iers aux lacets » [« Old boots with laces I»), tel est le
donné par le grand catalogue de l'exposition des
- Insouciant, donc, Schapiro tend un piêge à H I uileries (1971-72) (Collection du Musée National
degger. 11soupçonne déià I' « erreur )),Ia « proiection neent Van Gogh à Amsterdam) au tableau que Pro-
l' « imagínation )) dans le texte de Heidegger à tu, or Sehapiro prétend identifier à partir de Ia réponse
signalé par son ami et collêgue Goldstein. L'instrucdeu nfiante de Professor Heidegger et qu'il reproduit, lui,
ayant ainsi commeneé, il écrit au Professeur Heideg o
U8 le titre de « Old shoes I). Je ne sais pas encore
elle est Ia part qui revient à Van Gogh dans le choix
I, ec. Meyer Schapiro, • Muscipula Diaboli " the Symbolism of lhe Mil' I. ce titre. Mais comme une certaine indétermination
Allarpiece, In Renaissance An, ed, Creigton Gilbert, Harper, I I
Traduit en français dans Symbol,J d, Ia Renaissance, recuei! collecríf puloll entielle fait partie de notre problême qui est aussi
par Danie1 Arasse aux Presses de l'Ecole Nortnale Supérieure, Paria, I!I lui du titre et du discours tenu (par exempIe par
3I6 LA VÉRITÉ EN PBINI lTUTIONS

l'auteur) au sujet du tabl'au, il convient peut- Ir ens à ma question : elles 1e sont aussi, de ce fait,
laisser à Ia chose que1que suspens. Les auteur e de l'autre et rien ne prouve qu'elles font Ia paire.
catalogue que ie viens de citer ont tenu compre 111 ucun titre, si [e comprends bien, ne dit « paire de
Ia Faille~ celuí-Ià même qui fait autorité pour Sch I"~ iers » pour ce tableau. Alors qu'ailleurs, dans une
(( Les ntres des ceuvres données par Vincent d 11 re que Schapiro cite d'autre part, Van Gogh aura
correspondance, communément adoptés, ont ét " lé d'un autre tableau en précisant « une paire de
cisées lorsqu'ils n'étaient pas suffisamment expU 11 souliers I). Est-ce que Ia possibilité de ce « dépa-
d'oü quelques différences, soit avec 1es titres \1 11 é » (deux chaussures du même pied, par exemple,
autrefois, soit avec ceux du nouveau Catalogue Rai (1111 t davantage 1e double l'une de l'autre mais ce doub1e
de J. Baart de Ia Faille ... »). Nommés ou non I uille Ia paire et l'identité à Ia fois, interdit Ia complé-
Van Gogh, dans un titre ou dans une lettre, ces 1 tarité, para1yse l'orientation, fait loucher vers 1e
(à serrer/desserrer, plus ou moins strictement, le 111 ble), est-ce que Ia logique de cette fausse parité,
port~ur o~ porté) dessinent Ia forme même du p tOt que de cette fausse identité, ne construit pas 1e
AUSSlfascmant que (par 1à même) négligeab1e pour e? Plus ie regarde cette peinture, moins ça parait
deux professeurs qui n'y font pas Ia moindre allu 110, voir marcher ...
Voilà une des causes: le lacet. Une chose dont le 111
est aussi un nom de piege (le 1acet). 11ne vaut pas \1\ Ouí, mais il faut pour cela que le « dépareillé I)

ment pour ce qui passe par 1es eeillets des chaus 11/ te une possibilité, [e dirai, à Ia limite, improbab1e.
ou des corsets. Nos voix, ici même - d'ailleurs, quand bien même Van Gogh aurait
tulé le tableau, et l'aurait intitulé « paire de ... », cela
- Je remarque en effet, maintenant, cette bouu changerait rien à l'effet produit, qu'il soit ou non
étrange ciemment recherché. Un titre ne défínit pas
p1ement le tableau auque1 il s'attache ou dont ilse
- prête à étrangler ache selon des modes nombreux et parfois surdéter-
és. 11 peut faire partie du tab1eau et y jouer p1us
- du lacet défait. La boucle est ouverte, plus en •.• un rõle, y assurer plus d'une figure de rhétorique.
que 1es chaussures détachées, mais aprês une sort I Paire de- lI, par exemple, peut induire à penser Ia
neeud esquissé ité, Ia « vérité de Ia paire » au moment ou se donne
- elle forme un cercle à son extrémité, un ter I voir le dépareillé, ou 1e hors-pair. Et puis, autre
ouvert, comme provisoirement, prêt à se referm I ent, le « dépareillé II peut dire et montrer Ia
comme une pince ou un porte-clé. Une laisse. D 1\ ité, Ia vérité de Ia paire, avec beaucoup p1us de force.
l'ang1~'inférieur droit ~u elle fait face, symétriquem 111 out comme, nous 1e verrons, 1e hors-d'usage exhibe
à Ia signature de « Vmcent I), rouge et sou/ignée. 111 tilité ou 1e déseeuvrement expose l'eeuvre.
occupe 1à une place três couramment réservée à I
signature de l'artiste. Comme si, de l'autre cõté, d 1\ - Je trouve cette paire, si on peut dire, gauche. De
l'autre .angle? ,à l'autre bord, mais symétriquem 111 en parto Regardez 1es détails, Ia face latérale
à (quasi) pante avec elle, elle en tenait lieu, comme , teme : on dirait deux pieds gauches. De ouliers
elle en tenait lieu vide et ouvert ... érents, Et plus je les regarde, plus ils me regardent,
oins ils ressemblent à une vieille paire. A un vi ux
- Si 1es 1acets sont desserrés, 1es chaussures '" uple, plutõt. Est-ce Ia même chose? Si on se lai ait
bien détachées des pieds et en elles-mêmes. Mais er à Ia facílité du symbolisme dont vous parliez tout
318 LA VÉRITÉ EN PEINII TlTUTIONS 319

à l'heure, Ia bisexualité évid~e de cette chose plur 11


tiendrait à Ia passivité retournée, ouverte comm 11
gant, plus offerte, plus déshabillée de Ia chau 111
gauche (je précise : à gauche sur Ie tabIeau puisqu I
dépareillé peut aussi affecter Ia disposition di 111
« vraie » paire, Ie soulier gauche nous faisant face d l' II
Ia gauche, et le droit depuis Ia droite du tabl \I

- c'est une paysanne

- une mangeuse de pommes de terre ou Ia Paysll/I


du Brabant (1885), Ia coiffe vide de l'une ou de l'a\11I
tandis que l'autre chaussure (gauche ?), à droite 8UI
tableau (comment s'orienter pour en parler?) est (lI I
droite, étroite, stricte, moins ouverte. Bref on aurai; 11
autrefois plus masculine, et c' est e1le qui tend le 1 I
au cercle entr'ouvert, en face du prénom.

- Si comme l'avance Schapiro, le signataire t I


propriétaire ou, nuance importante, le porteur li
chaussures, dirá-t-oa que le cercle entr'ouvert du 1 I
appe1le un rattachement : de Ia peinture à Ia signat 11
(à Ia pointure qui troue Ia toile), des chaussures à 1 111
propriétaire, voire de Vincent à Van Gogh, bref 1111
complément, un rattachement général comme vér I
en peinture ?

- C'est aller beaucoup trop vite. De quel~\1


preuve qu'on prétende disposer, Ie signataire d li.
tabIeau ne peut être identífié au propriétaíre nommahl
d'un objet essentiellement détachable et représenté d 1\
le tableau. On ne peut procéder à une telle identificatíun
sans une incroyabIe ingénuité, incroyabIe· de Ia p ,
d'un expert aussi autorisé, Ingénuité identificat 1
quant à Ia structure d'un tableau, et même d'un Pcysanne du Brabont.

représentation imitative au sens le plus simple de I


« copie ». Ingénuité identificatoire quant à Ia strucnn
d'un objet détachable en général et quant à Ia logiqu
de son appartenance en général, Quel intérêt a I
motiver un teI faux-pas, c'est Ia question que je vouln
poser tout à l'heure à propos de l'étrange scêne I
320 LA vÉRId EN PBIN I TlTUTIONS 321
restitution à trois, tous trois grands universit I gibt que Heidegger nous aura donné, mieux qu'un
européens. Pourquoi tout à coup cet aveuglement, 1I tre, à penser. Le Es gibt « avant » l'être, le Es gibt
mise en sommeil, soudain, de toute vigilance critiqu lettre,le Sein à partir de (et revenant au) Es gibt Sein.
Pourquoi Ia lucidité reste-t-elle três active, hyper II
tique, autour de cette macu1a, mais seulement sur - Mais nous n'avons pas encore ouvert le dossier
bords? Pourquoi cette compulsion hâtive, pou 111 cette correspondance entre Meyer Schapiro et
l'un à faire hommage au second, le mort, d'une natul . Heidegger. Prenons notre temps. De toute
morte arrachée à (l'interprétation non moins hâtiv I çon, d'oü qu'elles viennent ou reviennent, ces chaus-
compulsive de) l'autre, le troisiême ou le premier conun es ne reviendront pas à bon porto .
on voudra, le quatriême restant comme toujours ex \11
Ça donne pour mieux reprendre, ça prend en donn 111 - Ni à bon marché. En dépit de l'incroyable mar-
dês lors qu'il y a ces lacets dage, ou en raison de l'interminable surenchêre
'une analyse qui n'en finit pas de relier, cette fois
- de Ia bourse ou du fétiche, si je comprends b 11
La dégaine de cet obiet, si je comprends bien, 00 I - Elles auront beaucoup voyagé, traversé toute
sait pas encore à que1 porteur elle renvoie mais pui qu rte de villes et de territoires en guerre. Plusieurs
vous vous intéressez au porteur, je vois pour rins 111 erres mondiales er les déportations en masse. On peut
dans ce lacet, une sorte de cheque au porteur. ] rendre son temps. Elles sont lã, faites pour attendre.
cheques au porteur. Le píêge, c'est que chacun our faire marcher. L'ironie de leur patience est infinie,
précipite pour le remplir, de son nom ou d'un nom t D peut Ia tenir pour nulle. Nous en étions donc à cette
société à responsabilité limitée (SARL) dont il est pll rrespondance publique er je disais que scellant un
ou moins actionnaire ou porteur d'obligation (Heid I accord, ce scellé tenait sous scellé une autre corres-
pour une société agricole, terrienne, rurale, séden r. ndance. Secrête celle-là, bien que lisible à même
Schapiro pour une société industrielle, citadin. 'autre. Une correspondance symbolique, un accord, un
nomade ou émigrante), sans s'apercevoir que le chêqu onique. Dans cette communication entre deux
est barré. Et comme cela se fait souvent, d'un doubJ lllustres professeurs qui ont tous deux une communi-
trait, et peut-être davantage encore : celui qui cadre J tion à faire sur un « célebre tableau de Van Gogh »
tableau, le coupant de son dehors, le plaçant en ~
sévêrement elos, et celui qui délimite, dans le tabTeau, - l'un des deux est un spécialiste. La peinture, et
Ia forme des chaussures, en particulier cette vacan ême Van Gogh, c'est un peu sa chose, il veut Ia
défaíte, hantée, délacée der, qu'on Ia 1ui rende -

- J'ajouterai ce1ui qui sépare une chaussure - que perçoit-on? A travers Ia considération
l'autre. Car qu'est-ce qui prouve qu'il s'agit là d'un mutuelle, Ia cívilité d'une légitimation réciproque qui
paire? parait moucheter les coups les plus meurtriers, on est
sensíble aux effets d'un code commun, d'un désir
- Diffici1e, dans ces conditions, pour aucun portem analogue (identique, identifiable), une ressemblance
de passer à Ia caisse. Et pour aucun donneur de fai dans l'empressement (qui est aussi un empressement
hommage. vers Ia ressemblance identificatoire), bref un intérêt
commun, et même une dette commune, un devoir
- Et pourtant. 11 y a hommage. Ça donne. Voilà partagé. IIs doivent Ia vérité en peinture, Ia vérité de
322 LA VtRITt EN PEIN 11' TInITIONS

Ia peinture et même Ia peinture comme vérité, VIIII bolique en raison de cet engagement préalable et
comme vérité de Ia vérité. (IIs doivent dire Ia vérit é, de ce colloque contracté à partir d'un intérêt
peinture. 11 faut bien sür compter avec Ia dette u mmun (le rattachement par un nexus, l'annexion des
devoir - « je vous dois )) - mais dire, qu'est-ce 1i ussures ou, cela déjà suffit, Ia simple formation de
ça veut dire ici? Et dire en peinture : Ia vérité I 11 oncé « de qui sont les chaussures » ou, ce qui revient
elle-même, comme on dit « en peinture »? ou Ia v 111 prês au même, dans l'infanterie de cette prépa-
dite au sujet de Ia peinture, dans le domaine d ion un peu militaire, « de qui ou de quoi sont les
peinture? Ou Ia vérité dite en peinture, par le 111 s » qui sont ici l'objet du soin constant des profes-
moyen de Ia peinture, non plus dite mais - dire n' I " rs), Cela implique une sorte de reconnaissance
plus qu'une maniêre de dire, une figure - pc,,, iproque (de Ia paire), un échange diplomatique
Ia vérité silencieusement peinte, elle-même, en 111 uble et réciproque) ou en tous cas ce droit des gens
ture ?). Pour cela, ils ont tous deux intérêt à ident'jl suppose une déclaration de guerre. Pour commé-
à identifier le sujet (porteur ou porté) de ces chaussm rer l'engagement mutuel, on se partage les chaussures,
à nouer, à renouer stricto sensu, dans leur bon sens, cun garde un morceau du symõolon. Et le même
objets qui n'en peuvent mais -, à identifier et à ( rceau, ou plutôt le morceau ressemblant et différent
réapproprier, pour en user à leur tour, cet étr " même tout, le morceau complémentaire. C' est
hors-d'usage, produit producteur de tant de plus-v I" urquoi Ia paire est Ia condition de Ia correspondance
supplémentaire. 11 faut à tout prix en retrouver I bolique. Pas de contrat symbolique dans le cas
pointure, même si ce « sujet ) n'est pas le même pUI" un double qui ne ferait pas Ia paire. Qui ne serait
l'un et pour l'autre. IIs sont d'accord, c'est le conn , une (même) chose en deux, mais un deux dans
de cette institution tacite, pour en chercher un, ou pUlII dentité.
faire semblant d'en chercher un, tous deux ét /li
assurés d'avance de l'avoir trouvé. Puisque c'est UII - Alors finalement, au sujet de quoi, cette corres-
paire, d'abord, et aucun d'eux n'en doute, il doit ndance? Au sujet de Ia correspondance? Au sujet
avoir un sujet. Si bien que le contrat, l'institution, 11 cette parité de Ia paire?
ce marché de Ia chaussure, c'est d'abord Ia parité ent.
lc:s chaussures, ce rapport três singuliêrement duel qu - Ah voilà. Au sujet de quoi. La question « de qui
~Just~les deux parties d'une paire (identité et différen nt les pieds ? », à laquelle on voudrait faire revenir
identité toc:ue dans le concept ou dans Ia sémantiqu de qui sont les chaussures? ) suppose résolue Ia
formelle, différence et non-recouvrement dans l'ori " uestion « de quoi ) ou « que sont les pieds ? », Sont-ils ?
tation des traits). S'il y a paire, il y a contrat possibl I résentent-ils
ê Qui ou quoi? Avec ou sans chaus-
on peut chercher le sujet, l'espoir reste permis. ) ures ? Celles-ci sont plus ou moins détachées (en elles,
colloque - et Ia collocation - pourra avoir lieu, I tre elles et des pieds), par là déchargées : d'une
dispute (s') engager. On pourra s'approprier, expropri r che ou d'une fonction actuelle. A Ia fois parce que
prendre, donner, reprendre, offrír, s'acquitter, rah visiblement détachées et parce que, ne jamais oublier
hommage ou injure. Sans quoi l'éther invisible de cette évidence triviale, ce sont des
bjets peints (déseeuvrés en tant qu'eeuvre) et les
- Pourquoi dire de cette corresrndance qu'elJ • ujet » d'un tableau. Hors de fonctionnement, défunts,
est symbolique ? Symbolique de quoi . sont détachés, en ce double sens, encore en un
utre double sens, celui de Ia déliaison et celui du
- Du symbole. Du symb%n. J'ai dit correspondan étachement d'un émissaire : représentation diploma-
LA VtRITt EN PEINTO' TITUTIONS

tique, si vous voulez, par métonymie ou synecdoqu ysiques qui lui seraient tombées dessus, Ia recouvrant
Et ce qui se dit des chaussures peut aussi se d J 1ui faisant à Ia fois injure (Ueberfall), insultant, dit
quoique l'opération soit plus délicate autour d I traducteur français, ee qui est proprement chose
eheville, du eou ou des pieds. Ia chose, produit dans le produit, ceuvre dans
A quel sujet, done, eette correspondanee? Au uj' vre (das Dinghafte des Dinges, das Zeughafte des
du sujet de rattaehement. On se presse de renouer v' lfIIes, das Werkhafte des Werkes). Ces déterminations
le sujet. Le détaehement est insupportable. Et I I l'Ueberfall vont par paires ou par couples. Parmi
correspondanee a lieu au suiet du vrai suiet du su I , il y a Ia détermination de Ia chose comme dessous
d'un « célebre tableau », Non seulement au sujet I, 'POkeimenon ou hypostasis) par opposition aux
suiet du tableau, comme on dit, mais du sujet (port 111 ebekota qui lui surviennent. Ce couple oppositionnel
ou porté) des chaussures qui semblent former le su I transformera, dans Ia latinité, en subjectum (subs-
capital du tableau, des pieds du sujet dont les pi I tia) / accidens. Ce n'est que l'une des paires d'oppo-
ees chaussures puis ee tableau lui-même semblent .ons tombées sur Ia chose. Les deux autres seraient
détaehés et comme en dérive. Ça fait beaucoup. I I e de aisthetonlnoeton (sensiblejintelligible) et celle
c'est três compliqué. La structure du détachement « I hylejeidos-morphe (matiêre/forme-figure).
done de Ia subjectivité de ees dífférents sujets - diff I 11 faut aceompagner un moment eette démarehe
dans chaque caso Et il faut bien dire que Ia corresp 11 ideggerienne. Elle constitue le conteste encadrant
dance qui nous intéresse a pour dessein l'effacement I1 édiatement l'allusion au « célebre tableau », Et si
toutes ces différences. Parmi lesquelles je n'ai pas en I apiro a raison de reproeher à Heidegger d'être si
compté celle qui détermine Ia subjectivité (sous-jacent ) attentif au contexte interne et externe du tableau
de Ia chaussure en sa surface Ia plus fondamentale, I e à Ia sérialité différentielle des huit tableaux
semelle. Ni Ia subjeetivité encore plus ou moins fond I chaussures, il aurait da lui-même éviter une précipi-
mentale du sol (sur ou sans le support de Ia toile) av I .on rigoureusement eorrespondante, symétrique,
ce pas de contact (ce pas de sujet) qui soulêve, selon UII ogue : découper sans autre précaution une vingtaine
rythme, l'adhérence d'une marche. Le pas n'est p lignes dans le long essai de Heidegger, les arracher
présent ou absent. Et pourtant ça marche mal sans p I ta1ement à leur cadre dont Schapiro ne veut rien
voir, en arrêter le mouvement puis les interpréter
- Mais je suis três surpris. C'est bien le texte d vec une tranquillité égale à celle de Heidegger faisant
Heidegger qui a ouvert ce débat. Or ne laísse-t-il p der les « chaussures de paysan », Aussi, nous apprêtant
loin derriêre lui toute problématique de Ia subjectivité 1 traiter de chaussures en peinture et de subjectum en de
Celle-ci suppose en effet ce qui est ici par lui dé-séd ultiples sens, et de sol, de fond, de support (Ia terre
menté, entre autres, Ia détermination de Ia cho Ia toile, Ia terre sur Ia toile, Ia toile sur Ia terre, les
comme « hypokeimenon », support, substrat, sub uliers sur Ia terre, Ia terre sur et sous les souliers, les
tance, etc. ? ieds ehaussés sur terre, le sujet supposé porter (ou
orté) des pieds, des chaussures, etc., le sujet du
- C'est un des paradoxes de cet échange. Chaqu bleau, son sujet-objet et son sujet signataire, le tout
discours y reste inégal, à lui-même inadéquat. Dan e nouveau sur une toile avee ou sans dessous, etc.),
L'Origine ... , le passage sur « un célebre tableau d ref nous apprêtant à traiter de l' être-dessous, du sol
Van Gogh » appartient à un chapitre sur La chose I du sous-sol, il est peut-être opportun de marquer
l'reuvre. On y est oecupé à soustraire Ia chose, mais 1 e pause, avant même de commencer, auprês de ce
soustraction ne suffit pas, aux déterminations méta rubjectum. Je réserve pour une autre fois Ia lecture des
326 LA VÉRITÉ EN PEIN11I TlTUTIONS

vêtements ou tissus ou voiles, par exemple le b" ít l'accorder avec le « sujet » qui nous occupe en
comme dessous de ce texte. Ce n'est pas sans rap 111 lieu propre, avec son paysage, sa paysannerie, son
on le verra, avec le dessous qui nous occupe en onde », et cette « chose » qui n'est ni du sol ni du
moment du côté de Ia semelle, sole en anglais an mais entre eux, les chaussures. Cela nous
erait trop loin aujourd'hui, du cõté des chaus-
- Est-ce opportun pour faire droit à une (U I ou des bas avec lesquels une pensée chemine,
d'assonance affine, comme pour donner la note av I" e, parle, écrit, avec sa langue (comme) chaussée;
de parler du sujet en tous sens du « célebre tableau ' de ce qui a lieu quand les chaussures de Ia pensée ne
Ou bien faut-il considérer comme essentiel et néces 11 t pas, le sont-elles jamais, lacées de façon absolument
le lien entre les deux « sujets », les deux lieux problém cte ou quand les bas de Ia langue sont un peu défaits.
tiques du sujet ? Ipposez que les chaussures de Van Gogh ressemblent
eelles qui viennent, dans le texte, de cheminer sur
- Je crois que c'est opportun pour les deux rais /I chemin qui conduit à ce qu'il y a de proprement
La question du dessous comme sol, terre, puis comm duit dans le produit » (Doch welcher Weg führt
semelle, chaussure, chaussette - le bas -, pied, t Zeughaften des Zeuges est une phrase qui précêde
ne peut être étrangêre à Ia « grande question » d I quatre lignes l'évocation du « célebre tableau » et Ia
chose comme hypokeimenon, puis comme subjectu", e que Schapiro cite en commençant : « Nous nous
Ensuite s'il est acquis que la démarche de L'origin assurerons au mieux en décrivant tout simplement,
prétend reconduire en-deça, en amont ou à Ia veille ti aucune théorie philosophique, un produit, Comme
la constitution du « subjectum » dans l'appréhension ti emple, prenons un produit connu : une paire de
la chose (en tant que telle, en tant que produit ou 11 iers de paysan ... », 11 ne s'agit pas encore de produit
tant qu'eeuvre), alors lui poser la question du « sujet , mme une oeuvre d'art ou en elle : articulation fine
du sujet de cette paire de souliers, ce serait peut-êu équivoque dont nous devrons bientôt tenir compte,
commencer par une méprise, par une lecture imaginair , du moins on veut lire ce texte).
projective ou erronée. Sauf si Heidegger ignore (exclu ,
forclõt ? dénie ? laisse dans l'implicite ? dans l'impens6 ) - Si done pourtant, ee « pas en arriêre » sur le
une autre problématique du suiet, par exemple dans UII emin de pensée devait revenir en-deçà de tout
déplacement ou un développement de Ia valeuI subjeetum », comment expliquer cette attribution
« fétiche ». Sauf donc si on déplace autrement ceu ve, primesautiêre, précritique des chaussures d'un
question du subjectum, hors de la problématique de I bleau à un (( sujet » aussi déterminé, le paysan, Ia
vérité et de Ia parole qui gouveme L'origine. Le moin ysanne plutõt, attribution et détermination serrées
qu'on puisse dire, c'est que Schapiro ne le tente p ui orientent tout ce discours sur le tableau et sur sa
11 y est pris et même sans en avoir apparemment 1 vérité »? Serions-nous d'accord pour qualifier ce
moindre soupçon. te comme je viens de le faíre : naíf, primesautier,
critique?
- Et pourtant. Si ce « pas en arríêre » (Sehriu
zurück) sur le chemin de pensée - Oui, et Ia démonstration de Schapiro confirme,
ur ce point précis, ce qu'on pouvait percevoir três
- 11 y a l'insistance sur Ia pensée questionnant te. Mais il reste à délimiter Ia place et Ia fonction de
comme « Weg)), comme chemin ou comme cheminement. tte ((attribution » dans le texte, Ia carte de ses effets
Elle rêgle tout chez Heidegger. Elle est difficile et 11 ur le long cours de Ia démarche, sa non-congruence
LA VÉRITÉ EN PEIN \I

apparente avec les motifs dominants de l'essai : rem nl


en-deçã du subjectum, en effet, mais aussi critique d I
représentation, de l'expression, de Ia reproduction, ,.
11 faudra y revenir, comme à Ia logique de l'UeberJ ,/1
Sur toutes ces questions et malgré une pertinence n
tive et ponctuelle, Ia démonstration de Schapiro 111
parait bien vite essouflée. Et sa « naiveté primesaut I
ou précritique II (je reprends ces mots) tout à I I
symétrique ou complémentaire de celle qu'il a raison I
dénoncer chez Heidegger. La correspondance I

suivre ces effets jusque dans le détail. Tout à I'heui


Nous étions convenus d'une pause auprês du subJ '
tum, au moins pour retourner le dessous de cette corr
pondance.

- 11 y a au musée de Baltimore une paire de chau


sures de Van Gogh (oui, peut-être une paire,cettefo I.
des chaussures montantes comme celles-ci. Disons I
demi-bottes. Mais à gauche, l'une des deux est retourn .
montrant son dessous, sa semelle à peu prês neuv .
ornée d'un dessin c1outé. Le tableau date de I H,
(F. 333).
- Revenons en-deçà de l'allusion au « célêbi
tableau li, au moment ou le chapitre La chose et l' ceuv
nomme « l'expérience grecque fondamentale de l'être I
l'étant en général li. Ie souligne fondamentale (GrundI,
fahrung). L'interprétation de Ia chose en hypokeimenoll
puis en subjectum ne (se) produit pas seulement (comm )
un léger phénomêne linguistique. La traduction tran
formatrice de hypokeimenon en subjectum correspondrsu
à un autre « mode de pensée li et d'être-lã. Elle traduírait,
transporterait, transférerait (Heidegger souligne le p
sage en über) par-dessus et au-delã de ladite expérien
grecque fondamentale : « La pensée romaine repren I
(übernimmt) les mots (Wiirter) grecs sans l'expérien
co-originaire correspondante de ce qu'ils disent, sans I
parole (Wort) grecque. L'absence-de-sol (Boden/
sigkeit) de Ia pensée occidentale s'ouvre avec cett
traduction »,
Le sol (de Ia pensée) vient donc à manquer quand d
33° LA V~RITÉ EN PEIN II lTUTIONS 331
mots perdent Ia parole. Les « mêmes » mots (~rI ' les discours d'attribution, les déclarations de
privés de Ia parole (Wort) correspondant à l'expérl 1\ riété, les performances ou les investitures du type :
originairement grecque de Ia chose, les « mêmes » 111 est à moi, ces chaussures ou ces pieds sont à quel-
qui ne sont donc plus tout à fait les mêmes, les dou! I 'ua qui dit « moi et peut du coup s'identifier, elles
l)

fantômatiques d'eux-mêmes, leurs simulacres lége • artiennent à du nommable (commun : le paysan ou


mettent à marcher au-dessus du vide ou dans le v I paysanne, l'homme de Ia ville; ou propre : Vincent
bodenlos, Retenons longtemps cette différence des m« Gogh; et propre dans les deux désirs : Heidegger,
à Ia parole, elle nous aidera tout à l'heure, et plu I I t apiro qui exigent Ia restitution). Ces abimes ne sont
enéore, à comprendre, au-delã du débat étroit sur I' 1III le « dernier mot et surtout ils ne consistent pas
l)

bution de ces attributs, de ces accidents que seraient I plement en cette Bodenlosigkeit dont nous venons
pieds, ã fortiori les chaussures, ce que dit Ia chose. arler. Au moment même ou Heidegger dénonce Ia
qu'on lui fait ou laisse dire, ce qu'e11efait ou laisse d I uction en mots latins, au moment ou, en tous cas, il
e perdue Ia parole grecque, il se sert aussi d'une
- Devríons-nous croire qu'entre cette privation I étaphore ». Au moins d'une métaphore, celle du
sol et le lieu de ces chaussures, leur avoír-líeu ou 1 111 dement et du sol. Le sol de l'expérience grecque
tenir-lieu, il y ait que1que topos commun? Elles 1111 it défaut à cette « traduction ». Ce que je viens d'ap-
l'air en effet d'être un peu en l'air, soit qu'elles par er trop vite « métaphore » concentre toutes les diffi-
sent sans contact avec Ia surface, comme en lévitation 11 rés à venir : parle-t-on « métaphoriquement » du sol
dessus de ce qui pourtant Ies supporte (celle de droit •I ur quoi que ce soit? Et de Ia marche ou des chaus-
plus visiblement ((gauche » des deux, semble un peu (111 es (le vêtement, l'outil, l'institution, l'investiture
levée, mobile, comme si elle s'enlevait pour un II lme) pour Ia pensée, le langage, l'écriture, Ia peinture
tandis que l'autre adhérait davantage au terrain), '" le reste.
que, abandonnées à leur être-délacé, elles suspend 111 Que dit Heidegger? 11 dit ceei : dês lors qu' on
toute expérience du sol, celle-ci supposant Ia march I I 'ppréhende plus Ia chose comme le faisaient les
station debout et qu'un « sujet » iouisse de ses pieds, ,,,' , à savoir en dessous comme hypokeimenon, mais
encore, plus « radicalement l),que leur statut d'obj I e substantia, le sol vient à manquer. Mais ce sol
représenté dans Ie cadre strict d'une toile peinte, v I t pas l'hypokeimenon, c'est l'expérience originaire e~
accrochée au mur d'un musée, détermine Ia Bod I ndamentale des Grecs ou de Ia parole grecque qui
losigkeit elle-même, Ia provoque ou Ia définisse, Ia tr préhende Ia chose comme être-dess~us. C' ~t le sol d.e
duise, Ia signifíe ou comme on voudra, Ia soit, lã IYPokeimenon. Ce redoublement (métaphorique ?) doit
e interrogé pour lui-même. Et le dessous du dess?us
- et le désir alors de leur faire reprendre pied sur I duit à une pensée de l'abime, plutôt que de Ia rmse-
sol de l'expérience fondamentale -abyme, et l'abime serait « ici » un des lieux ou non-
ux prêts à tout porter de ce ieu.
- Non, non, du moins pas si vite. 11s'agit seulemem
pour commencer, de découvrir quelques effondremem - Voilà qui éloigne ~eaucoup de}a « Natu;e morte .....»
de terrain, quelques abimes aussi dans le champ 111 Schapiro et de ce qur fut nomme tout à 1heure, SI je
s'avancent si tranquillement e souviens bien, l'offrande de l'oreille coupée à
ldstein.
- Pourquoi pas de tranquillité? Pourquoi ceu
persécution ? - Non, d'une paire (qui n'a peut-être jamais exísté,
332 LA VÉRITÉ EN PBIN I TlTUTIONS 333
et que personne n'a jamais eue) de choses détach et lorsque se pose, si on peut dire, Ia question de
renouées pour en faire cadeau. Un cadeau, comm I lieu. Comment prendre cette correspondance et ce
nom l'indique, en chaine. Est-ce que ça s'est élo 11 sfert, toutes ces traductions ?
Qu'est-ce que s'éloigner? L'é-loignement ent-fem; I,
il, é-loigne le lointain ... J'arrive en retardo Je viens d'entendre les mots
btme )),« offrande ) ou « don », Ça donne dans l'abime,
- Je ne m'éloigne pas, je suis en train, à partir 11 I donne -I'abíme, 11y a, esgibt, l'abime. Or i1 me semble
de revenir à ce que dit l'autre. Car Ia chose est n •., n que L' origine se lit aussi comme un essai sur le don
plus dérobée ou enrobée par-dessous son inve I I 11 chenkung), sur I'offrande : l'un des trois sens dans
qu'il n'y parait. A I'instant ou il nous rappelle u quels justement Ia vérité viendrait à son instauration,
grec et à l'appréhension de Ia chose comme hYPll on institution ou à son investiture (Stiftung). L'un
menon, Heidegger donne à penser que cet origin 11 deux autres sens, Ia fondation (Gründen), n'est pas
recouvre encore, lui tombant dessus, quelque clu rapport au sol. D'autre part, cette vérité qui est,
L'hypokeimenon, ce dessous, dissimule un autre de 111 t Heidegger, « non-vérité et qui « advient (geschieht)
li

Ainsi le dessous latin (substantia-subjeaum} fait d 1 le tableau de Van Gogh . (énoncé sur lequel ironise
raitre, avec le sol grec, le dessous grec (hypokeimln' I apiro), L' origine dit aussi que son essence ouvre
mais celui-ci cache ou voile encore (Ia figure du VIII lutôt à I' « abíme I). Rien à voir avec Ia certitude attri-
ment, du linge voilant comme dessus-dessous ne tar 1 , tive sur le sol assuré de Ia subjectivité (cartésiano-
pas à apparaitre, et I'hymen qui l'entraine dans l'lml elienne). Alors? Avant d'appliquer ces « concepts )
cidable ne sera pas sans rapport avec Ia chaussett 1 00 ou abíme par exemple) au débat, voire à tel
soquette ou le bas, entre pied et chaussure) une cho I objet » qui serait Ie texte de Heidegger, peut-être
« plus )) originaire. Mais le « plus )) s'emportant 11 udrait-il commencer par les déchiffrer et les restituer
même, Ia chose n'a plus figure ou valeur de « desso PU le texte de Heidegger qui se soustrait peut-être
Se trouvant (ou pas) « sous ))le dessous, elle n'ouvr , I vance à l'application qu'on voudrait lui en faire, en
pas seulement un abíme. Elle prescrirait brusquern 1\ blématise d'avance tous les instruments. Alors une
discontinüment, d'un coup, le changement de directu•• plication malicieuse et agile pourrait bien se révéler
ou plutôt une tout autre topique. énue, lourde, somnambulique, et le détectíve piégé

- Peut-être celle de ce revenir dont Ia grande port . - Sans doute. 11 faudrait alors procéder de telle
tout à l'heure çon . que toutes ces inégalités à soi du discours,
lautieusement -
- Peut-être. Le topos de l'abime et a fortiori c 111
de Ia mise-en-abyme pourraient aussi dissimuler, 11 - Nous étions réunis, c'était entre nous Ia conven-
tous cas amortir un peu Ia brusque et anguleuse né n, pour parler de La nature morte... de Schapiro et
sité de cette autre topique. Et de cet autre pas. VoilA 'une certaine correspondance dont le secret nous fut
qui m'intéresse « sous » cette correspondance quant un moment promis. Je propose qu'on y vienne enfio.
un « célebre tableau » de vieux souliers de mar " n'en tinira jamais autrement dans les limites pro-
délacés ées. Macu/a définit les limites, voilà ce qui reste
voir et si c' est pour nous Ia Ioi, nous ne pouvons
- à moitié délacés y toucher.
334 LA VÉRITÉ EN PEIN II TlTUTIONS 335
- Moi, ce qui m'a intéressé, c'est de voir 111 l'eeuvre d'art et sur Ia vérité. C'est le même discours,
expliqué d'un certain côté pourquoi j'avais tou I" 'a jamais été interrompu par Ia moindre digression
trouvé ridicu1e et lamentable ce passage de Heid qui manque d'ailleurs à toutes ces démarches pro-
sur Van Gogh. C'était donc bien Ia naíveté de c I' orales quant aux chaussures, c'est le sens de Ia
Schapiro appelle justement une « projection li.On 1\ ession : les chaussures doivent faire Ia paire et
pas seulement déçu quand le sérieux académiqu cher sur le chemin, en avant ou en arriêre, à Ia
sévérité et la rigueur du ton font place à cette « ,{" 'te en cercle, mais sans digression, sans pas de côté
tration II (bildliche Darstellung). On n'est pas seulem " . ne soit alors répréhensible; or il y a un rapport
déçu par Ia précipitation consommatrice vers le CODl " e le détachable du pas et Ia possibilité du digressif).
d'une représentation, par Ia lourdeur du patho , I vous vois choqués, dans votre déférence, par Ia scêne
Ia trivialité codée de cette description, à Ia fois sur 11 I e j'ai, comment dire
gée et indigente, dont on ne sait jamais si elle s'811 I
autour d'un tableau, des souliers « réels I) ou des sou, I projetée.
imaginaires mais hors peinture, par la grossiêret I
cadrage, l'arbitraire ou Ia barbarie du découpage, l' " - Alors revenons en classe. Tout ça est classique,
rance massive de l'identification : « une paire de soull I aire de classe, de pédagogie aussi et de classicité.
de paysans li, comme ça! ou a-t-il pris ça? ou I fessor Heidegger, comme dit Professor Schapiro en
explique-t-il? Alors on n'est pas seulement déçu I" mmage à Professor Goldstein, projette une diaposi-
pouffe de rire. La chute de tension est trop forte. , ve. 11 veut intéresser, par cette illustration, dês le
suit pas à pas le cheminement d'un « grand-penseui but de sa conférence. Car L'origine fut d'abord, à
il fait retour à l'origine de l'eeuvre d'art et de Ia v ti ne date três significative, une série de conférences
en traversant toute l'histoire de l'Occident et voilã <t" vant une Kunstunssenschaftliche Gesellschaft puis de-
tout à coup, au détour d'un couloir, on se retrouv I nt un Freie Deutsche Hochstift, et s'en ressent.
pleine visite organisée, écoliers ou touristes. Quelqu'm
est allé chercher le guide dans Ia ferme voisine. PI 11 - Le mot « illustration li vient d'être prononcé. 11
de bonne volonté, Il aime Ia terre et une cert " I' vait été plusieurs fois auparavant. Je propose qu'on
peinture quand il s'y retrouve. Abandonnant son a II mmence par là, s'il faut commencer et s'il faut lire
vité habituelle i1 va prendre sa clé en faisant atten h Note de Schapiro contre laquelle j'ai I'intention de
les visiteurs qui descendent lentement du caro (11 fendre systématiquement, au moins pour l'exercice
un Iaponais parmi eux, qui posera tout à l'heure quelqu commission, Ia cause de Heidegger (qui, ne l'ou-
questions au guide, en aparte.) Puis Ia visite commen lions pas, tient aussi, en ce lieu ou il est question de
Avec l'accent local (souabe), il essaie de faire vibrer I chose, un important discours sur Ia causa). Bon
clientêle (il y réussit parfois et tremble aussi régul ombre de difficu1tés tiennent à ce qu'on traduit par
rement, en mesure, chaque fois), il multiplie les a I llustration. Dans son protocole, Schapiro se sert de ce
ciations et les projections immédiates. De temp ot par leque1 on traduit aussi en français « bildliche
autre, il montre les champs par Ia fenêtre et persom arstellung li «(
11 suffit pour cela d'une illustration.
ne s'aperçoit qu'il ne parle plus de peinture. Bon. I ous choisissons à cet effet un célebre tableau de
on se dit que la scêne, le choix de l'exemple, Ia procédui an Gogh ... Schapiro ouvre son texte - et L'origine-
li).

du traitement, rien de tout cela n'est fortuito Le guíd ce point (mais de que! droit ?) et il écrit : « Dans son
d'occasion est celui-là même qui, avant et aprês ceu sai sur L'origine de l'ceuore d'art, Martin Heidegger
tirade incroyable, poursuit son discours sur l'origin terprete une peinture de Van Gogh pour illustrer (to
LA VÉRITÉ EN PEIN 11I USTlITUTIONS 337
illustrate) Ia nature de l'art comme dévoilement ti ustration. La Veranschaulichung, Ia présentation in-
vérité, 11 en vient à cette peinture au cours d'un 11 'tive en que1que sorte, c'est ce qu'il fallait faciliter
tinction entre trois modes d'être : les artefacta utilit 11 invo~uant l'exemple du tableau. Mais c'est aussi ce
[produits], les choses naturelles et les eeuvres d' ti I u'on n a pas fait, bien qu'on ait paru le faire. Hei-
propose de décrire d'abord, « sans aucune théorie 111., gger le précise clairement : I'eeuvre ne nous a pas
losophique ... » une espêce familiêre de produit [Z, i à cela, ne nous a pas rendu ce service qu'en
traduit par equipment] - une paire de chaussur II mme nous avons feint d'attendre d'elle. Elle a fait
paysan, et « pour en faciliter Ia visualisation » [VI'I' leux qu'illustrer ou présenter à l'intuition sensible
realisation, qui traduit Veranschaulichung, présent I " ou pire, selon le point de vue -, elle a montré, fait
intuitive, sensible], il choisit « un célebre tableau 1 aitre, Heideggervient de rappeler que I'oeuvre n'a
Van Gogh qui a souvent peint de telles chaussur « servi » de Veranschaulichung ou de Darstellung,
Mais pour saisir « l'être-produit du produit », 01111 I?récise : « C'est bien plus l'être-produít du produit
devons savoir « comment les chaussures servent eU ' w arrive, proprement (eigens ) et seulement par l' ceuvre,
tivement », Pour Ia paysanne elles servent sans qu'ell on paraitre. » Ce paraitre de l'être-produit n'aurait
pense ni même qu'elle les regarde. Debout et march 1\ lieu dans un ailleurs que l'ceuvre d'art pourrait,
dans ses chaussures, Ia paysanne connait l'utilité [Sertll y renvoyant, illustrer. 11 a lieu proprement (et
ability, Dienlichkeir] en laquelle « consiste l'être-prod 11 ement) en elle. Dans sa vérité même. Cela peut
du produit I). Mais nous ... » Et Schapiro cite ces d 11 mbler aggraver l'illusion dénoncée par Schapiro et
paragraphes que vous jugez tous si ridicules ou ' ettre au compte de Ia présentation ce qui n'était
imprudents. Relisons-les d'abord, en allemand, en fr 11 ceusé qu'au titre de Ia représentation, comme si
çais, en anglais. eidegger pensait voir encore plus directement ce que
chapiro lui reproche d'inférer trop vite. Mais les
hoses ne sont pas encore si simples et nous devrons
revenir.
Tout d'abord : ce n'est pas en tant que chaussures-
-paysan, mais en tant que produit (Zeug) ou en tant
- C'est fait. ue chaussures comme produit que l'être-produit s'est
, esté. La manifestation est celle de l'être-produit
- Avant d'aller plus loin, je releve dans le déc \I u produit et non de telle ou, telle espêce de produit,
page protocolaire de Schapiro un certain nombre I oire de chaussures. T elle était Ia fonction de Ia Dars-
simplifications, pour ne pas dire plus. Elles ont d , Ilung, 11 faut bien Ia délimiter dans ce passage et en
effets sur tout ce qui suit. 11 simplifie en disant qu érencier les étapes. Heidegger n'est pas en train,
Heidegger interprete une peinture pour illustrer I out simplement, comme le prétend Schapiro, de dis-
nature de l'art comme dévoilement de Ia vérité. " nguer entre trois modes d'être de Ia chose.
n'a pas besoin, pour le prouver, de se référer à ce qu
dit Ia page suivante, à savoir (dans Ia traduction fran - Mais de quoi s'agit-il alors au moment ou inter-
çaise d'abord) : « ••• l'eeuvre n'a nullement servi (diem vient Ia prétendue « illustration » ?
gamicht ), comme il pourrait sembler d'abord, à mieu
illustrer ce qu'est un produit I). Ce qu'on a traduit 11 - Heidegger vient d'analyser le systême des trois
français par « illustrer lI, c'est Veranschaulichung, cett uples de déterminations surimposées à Ia chose. Ils
fois, et non Darstel/ung aussi traduit plus haut p t ont connexes, associés dans une sorte de « mécanique
LA VÉRITÉ EN PEIN'III TlTUTIONS
339
eoneeptuelle » (Begriffsmechanik) à 1aquelle rien I . sons. En tous cas cet exemple se passe três bien,
résiste. Parmi les effets de ce systême, le couple matl , ndant de longues pages, de toute référence esthé-
forme et le concept de chose comme matiere info 111 ue ou picturaIe. Or c'est au cours de sa derníere
ont longtemps dominé toute théorie de 1'art et tu11I rence avant 1'allusion au « célebre tableau » que
esthétique. Aujourd'hui encore. Dês lors qu'il '111 met en place un schême essentiel. Sans Iui on ne
resse ici à l'eeuvre d'art, Heidegger insiste et pr I mprendrait rien au passage sur telle eeuvre de Van
sa question : ce comp1exe (dominant) forme-m li , gh, à sa fonction différentielle, à son équivoque
a-t-i! son origine dans l'être-chose de Ia chose ou hl , éductible aussi. J'ai dit schême : i1 s'agit en somme,
dans I'être-oeuvre de I'eeuvre et dans l'être-pr li•• un sens kantien à peine déplacé, d'un mixte, d'une
(sous-entendu avec Ia participation de l'homme, d'", diation et d'une double appartenance ou d'une
Ia tentation de prendre ce comp1exe matíêre-for li' uble articulation. Le produit (Zeug) semble se tenir
pour Ia structure immédiate de Ia chose) du prod til tre Ia chose et I'ceuvre d'art (I'oeuvre est toujours
Autrement dit, ne serait-ce pas à partir de Ia ch« vre d'art dans ce contexte : Werk). 11 participe des
comme eeuvre ou comme produit que se serait secr I bien que l'eeuvre ressemble (gleicht ), plus que
ment constituée cette interprétation généra/e (prétend« ~roduit, à Ia « simple chose ». L'exemple deschaussures
ment généraIe) de Ia chose comme matiêre inform de 1'analyse de ce schématisme au moment de sa
Or relisez le chapitre : au cours de cette interrog 1111 iêre mise e~ place. C'est seulement trois pages
sur le produit eomme matiêre informée, l'exempl I
Ia paire de chaussures survient au moins trois
aoant et sans Ia moindre référence à une CBUfJ7'e
"I
d'lJ I
lus 10m, pour faíre un pas de plus dans eette question
l'être-produit que Heidegger reprendra 1e même
emple : cette fois à l' « intérieur » d'une eeuvre d'art;
qu'elle soit picturaIe ou autre. Deux fois assoei us verrons pourquoi et comment cet « intérieur » se
celui de Ia hache et de Ia cruche. ourne, d'un seul pas franehi. Pour l'instant, Ia paire
chaussures est un paradigme
- 11 y a beaucoup à dire sur ces exemples et \I
le discours de Ia cruche ehez Heidegger, à propo I - dans ce statut de paradigme, elle a une três noble
la chose justement. éalogie philosophique, depuis Platon, On peut donc
tendre ici une sorte de citation, aussi cryptée que
- Oui, chez Heidegger et d'autres avant lui, d n nventionnelle, dans une longue chaíne de diseours.
sa tradition, ou aprês lui, Ponge par exemple, M
ne nous laissons pas détoumer. Une autre fois. Ap, - c'est ici un paradigme de Ia chose comme « pro-
avoir été à deux reprises associée à Ia cruche et I uit ». ElIe n'est pas encore « peinte » ou « peinture »
hache, Ia paire de chaussures (la troisiême fois m I elle tient exemplairement cette « place intermédiaire
toujours avant qu'il soit question du tableau) se déta li wischenstellung, lieu de I'entre, entre-stêle ou entre-
des autres exemples. Elle est tout à coup seule, .11 ture dirait peut-être Lacoue-Labarthe dont il faut
répond sans doute à un besoin particulier, mais II lire ici Typographie, dans Mimesis] entre Ia simple
degger ne 1e thématisera jamais. C'est peut-être qui ose (blossen Ding) et l'ceuvre (Werk) », Quand le
Ia différence de Ia hache et de Ia cruche, ce produ 11 produit » sera le sujet d'une « ceuvre », quand Ia chose
utile est aussi un vêtement (Fussbekleidung) dont I mme produit (chaussures) sera le « sujet » présenté
mode de rattaehement au corps du sujet - disons plll représenté par une ehose comme eeuvre (tableau de
rigoureusement au Dasein - comporte une originalit ao Gogh), Ia chose sera trop compliquée pour qu'on
dont on tirera un meilleur parti dans ce contexi traite aussi légêrement et aussi simplement que
34° LA VÉRITÉ EN PEINTII TITUTIONS 341
Schapiro. Car on aura affaire à une eeuvre (qui resseml.l borde, dans l'inadéquation, l'exeessif, le supplé-
plus à. une simp~e chose qu'à un produit et plus qu'u» otaire?
prodwt à une sunple chose), à une eeuvre présem 111
ou représentant un produit dont le statut est im I - Heidegger poursuit. « Le produit a done sa place
médiaire entre Ia chose et l'ceuvre, etc. Le mode inl I termédiaire (Zwisehenstellung) propre entre Ia chose
médiaire est au milieu des deux autres qu'il rassem 11 l'oeuvre, à supposer qu'il soit permis de se livrer à
e~ diyise eIl; lui selon. ~e, structure d'enveloppem 111 telle classification eomptabilisante. »
diffícile à etaler. VOlCl d abord le schématisme I" Ce qui, aux yeux de Heidegger lui-même, limite Ia
produit. Par exemple : les chaussures en général, I .timité de eette triplicité arithmétique (celle par Ia-
prélêve et souligne quelques mots : « Le produu lle Sehapiro résume hardiment tout le eontexte :
(Zeug), par exemple le produit chaussures (Sehuhz •.. in the course of distinguishing three modes of things... »),
repose, aussi prêt (fertig, achevé) en lui-même qu I st que si Ia chose 2 (le produit) est entre le chose 1
chose pure et simple, mais il n'a pas eomme le blo II ue, pure et simple) et Ia ehose 3 (l'oeuvre d'art),
granit, cette Eigenwüehsige [difficile à traduire : noo I icipant ainsi des deux, il n'en reste pas moins que
« spontanéité » (tr. fr.) mais compacte suffisance, pn. chose 3 ressemble davantage à Ia chose I : aussi,
priété drue et ne renvoyant qu'ã soi, entêtée]. D'auu us loin, le tableau se présentera comme une ehose et
part le produit montre aussi une parenté (V erwaml lui reconnaitra un privilêge dans Ia présentation qui
schaft ) avec I'eeuvre d'art, dans Ia mesure ou il , 'y fera (dans Ia présenee, se suflisant à elle-même) de
produit (heruorgebracht ) de main d'homme. Mal I ehose 2 (ehaussures comme produit). Ces « trois »
cela, I'eeuvre d'art à son tour, par cette présenee modes » ne sont done pas entre eux dans un rapport
suffisant à elle-même (in seinem selbstgenügsamen An distinction, comme le croit Sehapiro. (Entrelacement
sen) , ressemble (gleicht) à Ia chose pure et simfl I é mais qui peut toujours être anaJysé : délié jusqu' à
ne renvoyant qu'à soi (eigenwüchsige) et qui n , certain point. Comme un lacet, chaque « ehose )),
contrainte à rien {eu nichts gedrãngten ) [... ] Ainsi I aque mode d'être de Ia chose, passe au-dedans puis
produit est à moitié chose, parce que déterminé p I -dehors de l'autre. De Ia droite à Ia gauche, de Ia
Ia choséité, et cependant plus que cela; en même temj uche à Ia droite. Nous articulerons cette strophe du
il est à moitié eeuvre d'art, et eependant moins q cet : dans sa retorsion passant et repassant par l'oeíllet
cela Ia chose, du dehors au dedans, de dedans au dehors,
Ia surfaee exteme et sous Ia surface interne (et
- donc une oeuvre comme le tableau aux chaussur . versa quand cette surfaee est retournée comme le
représente sa moitié et cependant moins que cela ut de Ia ehaussure de gauche), il reste le « même »
part et d'autre, entre droite et gauche, se montre
- et eependant moias que cela, paree que lui manqu disparait (fort/da) dans Ia traversée réguliêre de
l'autosuffisance de I'eeuvre d'art. l'eeillet, assure Ia ehose de son rassemblement, dessous
Ii~ au-dessus, dedans serré au-dehors, par une loi de
- done une eeuvre comme le tableau aux chaussur tricture. Dure et souple à Ia fois), Ainsi, l'eeuvre, qui
exhibe ce qui manque à quelque ehose pour être un semble plus à Ia ehose pure et simple qu'un produit
eeuvre, elle exhibe - en chaussures - le manque d'ell chaussures par exemple) est aussi un produit. Le ta-
même, on pourrait presque dire son propre manqu leau aux chaussures est un produit (d'art) ressemblant
Et c'est en cela qu'elle se suffirait? Qu'elle s'accompli une chose, présentant (et non re-présentant, nous y
rait? Se complête-t-elle alors ? A moins qu'elle ne (8 ) viendrons) un produit (chaussures), etc,
LA VÉRITÉ EN PEIN 111 TUTIONS 343
Le recours au « célebre tableau » est d'abord iu 111 e nue (blosse Ding) est une espêce de produit
par une question sur l'être-produit et non sur I' U I ) mais un produit dévêtu (entkleidete) de son
d'art. C'est comme en passant et aprês coup qu" -de-produit. L'être-chose consiste alors en ce qui
semblera parler de I'ceuvre en tant que telle. Au 111, e encere (was noch übrigbleibt). Mais ce reste (Rest)
ou Heidegger propose de se tourner vers le tabl I t pas proprement (eigens) déterminé en lui-même ... »
il ne s'intéresse donc pas à I'ceuvre, seulement à I' "
prod~t dont des chaussures - n'importe lesquell. Le reste : ces chaussures nues, ces choses à
fo~ssent un exemple, Si ce qui lui importe et qUI ge incertain, retournées à leur délaissement de
décrit alors, ce ne sont pas les chaussures en peinnu e à ne rien faire.
on ne peut légitimement attendre de lui une de 111'
ti~~ du ta~leau p'our lui-même ~i par conséquent " C'est peut-être encere trop les penser à partir
crltiquer. I:unpertm~nce. A qUOI s'occupe-t-il don leur valeur d'usage. Pour penser autrement ce
pourquoi insiste-t-il tant sur I'être-produit? Il 10 este », et « proprement » (e.gens), Heidegger fait
s~upçon, lui aussi, et une hypothêse : Ia chose pur un autre pas. 11 veut interpréter l'être-produit
simple, Ia chose I n'a t-elle pas été secrêtement d , I ou en-deçà du couple matiêre-forme, convaincu
minée à partir de Ia chose 2, du produit comme mau , '00 n'atteindra pas à ce reste par soustraction du
informée? Ne faut-il pas tenter de penser l'être-pro 1111I roduit » mais en ouvrant un autre chemin vers ce
« avant », « hors », « sous » cette détermination survenu 'il y a de proprement produit dans le produit, vers
« C'est ainsi que l'interprétation de Ia chose selou I « Zeughaften des Zeuges D. La référence à Van Gogh
matiêre et Ia forme, qu'elle reste médiévale ou devi /111 scrit dans ce mouvement, en ce qu'il peut avoir de
transcendantale au sens kantien, est devenue cour "I strictement singulier. Cela dit, à l'intérieur de ce
et ~llant de soi. Mais? pour ,au~ant elle n'en est Jl uvement, le geste de Heidegger, avec Ia subtilité
moms que les autres mterpretanons de Ia choséité I .sanale d'un cordonnier à l'alêne courte et passant
Ia chose une surimposition tombée sur' (Ueberfi 1/ te du dedans au dehors, parle tantõt du tableau, en
l'être-chose de Ia chose. Cerre situation se révêle d " taniõt de tout autre chose, hors de lui. Dans un
~s te fait q~e nous. nommions les choses proprem 'li mier temps et au premier chef, Ia question qui
dites {eigentlichen Dingen) des choses pures et simpl voque Ia référence au tableau ne conceme en rien
(bloss Dinge, des choses nues). Ce « nu » (Das « bloss e ceuvre d'art, D'une certaine maníêre il n'est pas
veut dire toutefois le dépouillement [EntbliJssung, I uestion de peinture dans Ia motivation premiêre du
mise à nu qui dépouille de -] du caractêre d'utilu ssage. Et pourtant, par ce mouvement en lacet dont
( Dienlichkeit) et de fabrication us parlions (du dedans au dehors, du dehors au
dans, traversant de sa pointe ferrée Ia surface du cuir
- Si je comprends bien : 000 pas Ia mise à nu 111 u de Ia toile dans les deux sens, par piqâre et poin-
pied, par exemple, mais Ia mise à nu des souli I re) le trajet de Ia référence se divise, se multiplie.
redevenus choses nues, sans utilité, dépouillées de 1 \lI e façon à Ia fois retorse et naíve sans doure mais
valeur d'usage ? Présenter des chaussures comme cho 10n une nécessité que le proces de Schapiro me
(1 ou 3, sans 2), ce serait en exhiber une certain ait négliger.
nudité, voire une obscénité
- S'agit-il de rendre justice à Heidegger, de lui
- obscénité, c'est déjà en remettre, disons nudit tituer son da, sa vérité, Ia possibilité de sa marche et
oui. Heidegger poursuit : ... « et de fabrication. I e son cheminement propres ?
344 LA VÉRITÉ EN PEIN 11' lTUTIONS 345
- Cette question vient un peu tõt. Je ne fai n, bien SUl', parergonale, comme un dehors assigné
commencer. le dedans et pourtant irréductible.

- I'interromps un instant pour rappeler, dan Quoi, par exemple ?


parergon, ce blanc du cadre aux angles ouvem I'
séparait le passage cité à l'instant - sur le « nu ., Eh bien, si avec le cadre et Ia colonne, le vêtement
(Iproduit dévêtu » et le « reste» - d'une série de q pour Kant .~ exemple, de parergon, dans sa rep~é-
tions que je voudrais citer : « ••• et si l' Ueberfall av I I tation esthétique, et SI alors le corps ou le sujet
structure du parergon? La surimposition violente 1'" pre de Ia représentation est le « nu », alors tels
tombe agressivement sur Ia chose, 1'«insulte», dit étr " eux souliers aux lacets », ou les rangera-t-oa ? N'ont-
gement mais non sans pertinence le traducteur fran as pour sujet « principal » cette fois le parergon, tout
de l' Ueberfall, l'asservit et Ia conjugue, littéralem 111 , avec toutes les conséquences qui s'ensuivent? Un
sous matíêre/forme, est-ce Ia contingence d'un ca I I1gon sans ergon? Un supplément « pur »? Un
chute d'un accident ou une nécessité qui reste à im , ent comme supplément « nu » du « nu ? un sup-
)J

roger ? Et si, comme Ie parergon, ce n'était ni l'un 111 ent sans rien à suppIéer, appelant au contraire ce
I'autre. Et si Ie reste ne pouvait jamais, dans sa strucnu 'il supplée comme son propre supplément? Com-
de reste, se laisser déterminer « proprement », s'il I t se rapporteraient-ils à Ia chose « nue )}? au « nu »
fallait même plus attendre ou questionner dans I U « reste » dont on vient de parler ? Et pourtant, en
horizon... » Dira-t-on que nous sommes ici dan I autre sens, nous les avons dits « nus » tout à l'heure,
même espace problématique, celui du bord, du cadt , us les avons vus tout nus. Est-ce un hasard si Ia
du lieu de Ia signature et, en général, de Ia strucnn métaphore » vestimentaire vient si facilement à Hei-
parergonale, telIe qu'elle est décrite « à partir » d'un er pour parler de Ia chose « pure et simple » ? « Ce
certaine lecture de Ia Critique de Ia faculté de juger ? nu )} (bloss) veut dire toutefois le dépouillement
ntblossung) du caractêre d'utilité (Di~lichkeit) et
- Oui (( à partir de » et donc aussi hors d'elle), 0\1 fabrication. La chose nue (blosse Ding ) est une
de façon strictement nécessaire, me semble-t-il, T I de produit (Zeug) mais un produit dévêtu
ce qui s'échange íci à propos d'un tableau et d'une J fmtk1eidete) de son être-de-produit. L'être-chose
respondance, inscrivons-Ie dans ce blanc-ci au cadr siste alors en ce qui reste encore. Mais ce reste (Rest )
disIoqué. On ne peut pas, Ie souhaíterais-ie, ana1y I 'est pas .Eroprement déterminé en lui-même. 11 reste
tous Ies motifs qui Ie faisaient attendre à cette pIa uteux (Bs bleibt fraglich) que ce soit sur Ia voie (auf
ElIe y était prescrite en toute rigueur mais avec ceu Wege) d'une soustraction (Abzug) de tout carac-
souplesse de Ia chance, avec ce pari qui aurait pu lais I e de produit (alles Zeughaften) que l'être-chose de
Ia place vide. 11 faudrait tout relire et encore d'autr chose en vienne en général à apparaitre. » Une sous-
choses. ction (de l'être-produit) ne nous restituera pas le
reste» en tant que chose « nue », Le reste n'est pas une
- Doit-on traduire ergon par produit ou par oeuvre1 ose nue. 11 faut « penser » autrement le reste.
et parergon par hors-d' eeuvre ?
- J'ai toujours l'impression que tout en commentant
- Le parergon répond à cette questiono Ce qui m'in eidegger, en le restituant de façon apparemment três
téresse ici, ce n'est pas Ia nécessité de faire retour v tticte, on lui fait dire tout autre chose, on change tous
Le parergon, mais ce qui s'y ajoute maintenant. D accents, on ne reconnait plus sa langue. Le commen-
LA VÉRITÉ EN PEIN J I TITUTIONS 347
taire devient obscene et penser autrement devient 11 ceuvrement supplémentaire. 11 découpe mais aussi
autrement que lui, qui veut penser « proprement I oud. Par un lacet invisible qui troue Ia toile (eomme
reste. lei, autrement, ce serait autrement que pr 1" « pointure » « troue le papier »), passe en elle puis
ment. Mais alors qu'est-ce qui serait propre à cet aull r d'elle pour Ia recoudre à son milieu, à ses mondes
me et externe. Dês lors si ces chaussures ne servent
- Revenons plutôt au « célebre tableau », Une cht u c'est parce qu'elles sont, certes, détachées des
produit, des chaussures, s'y trouve comme repré 11\ d~nus et de leur sujet de rattaehement (propriétaire,
(Heidegger dira d'ailleurs qu'elle n'est pas représem t nteur usuel, porteur porté). C'est aussi parce qu'elles
re-produite, mais laissons pour I'instant ces questi 111 nt peintes : dans les limites d'un tableau mais des
nous les reprendrons). Ce « produit » a au moin I ites qu'il faut penser en lacets. Hors d'eeuvre dans
caractêres singuliers que nous pouvons dês maint n 111 uvre, hors d'eeuvre en tant qu'eeuvre : les laeets
signaler : il est du genre « vêtement » (parergon 1 , versent les ceillets (qui vont aussi par paires) pour
ce sens) et ce n'est pas le cas de tous les produit . " ser du cõté invisible. Et quand ils en reviennent,
esquisse un mouvement de retour à Ia chose ditC'J' , t-ce de l'autre côté du cuir ou de l'autre cõté de Ia
métaphore ou transfert, « nue » : en tant que pro 1110 ilc? La piqüre de leur pointe ferrée, au travers d~s
inutile, hors d'usage actuel, délaissé, délacé, o I lIets bordés de métal, troue simultanément le cuir
comme chose (1 et 3) et comme produit (chose 2) d 11 Ia toile. Comment distinguer les deux textures d'invi-
une sorte de désceuvrement. Pourtant, en tant que pro bilité ? Les trouant d'une seule pointure
duit (utilisable) et surtout en tant que produit du g 1\
vêtement, et quel vêtement, il est investi, habit - 11 y aurait donc une pointure des lacets, en cet
informé utre sens -
- hanté - les trouant d'une seule pointure
- par Ia « forme » d'une autre chose nue dont il - Ia pointure appartient-elle au table~u? [e pense
(partiellement et provisoirement ?) détaché ux pointes qui clouent Ia toile sur le chaSSIS.Dans le
ou l'on peint les clous (ce que fait Klee dans Cons-
- « le parergon se détache ... » tructif-impressionnant, ,1927), fi~e sur ~ond, quel est
lieu ? A quel systeme appartiennent-ils ?
- et à laquelle il semble attendre (faire attendr )
d'être rattaché, réapproprié. 11semble fait pour renou I - les clous ne font pas partie de Ia figure « prinei-
Mais Ia ligne du détachement (et done du hors-d'usa le ", comme les lacets. Le fonctionnement de leur
comme du déseeuvrement) n'est pas seulement celle q 11 inture requiert une autre analyse -
fait le tour des chaussures et ainsi leur donne forme, I
découpe. Cette premiêre ligne est déjà un tracé d'aller _ les trouant d'une seule pointure, Ia figure des
retour entre le dehors et le dedans, notamment quand ell I cets aura cousu le cuir sur Ia toile. Si les deux épais-
suit le mouvement du lacet. EUe n'est donc pas simpl I urs les deux texrures sont traversées d'un seul coup
elle a une bordure interne et une bordure externe ince édo~blé, c'est qu'elles sont désormais indiscernables.
samment retoumée. Mais il y a une autre ligne, un out est peint sur cuir, Ia toile est à Ia fois chaussée et
autre systême de traits détaehants : c'est I'eeuvre en tanl échaussée, etc. Telle est du moins I'apparence dans ce
que tableau dans son cadre. Le cadre fait oeuvre d t u d'apparition/disparition.
LA VÉRITÉ EN PEINII' TITUTIONS
349
Bref, pour précipiter l'ellipse du Parergon et·du .\ I e ? ~im~n de ce ~él?at, restons-y encore un peu :
tU Ia coupure pure que j'abandonne ici : que re t I urquoi Heidegger dit-il tantôt « une paire de chaus-
d'un pied nu ? Et qui ? Ces questions font-elles 11 es de paysan (ein Paar Bauemschuhe} et rien d'autre
Le pied nu (plus ou moins lié en sous-main et qu'il (Ilnd nichts weiter) ll, sans détermination sexuelle ou en
fasse ou non Ia paire) serait-il ici Ia chose ? Non p I I sant le masculin prendre pied à Ia faveur de cette
chose même, mais l'autre ? Et quel rapport avec l'e 111 tralité, tantôt, plus souvent d'ailleurs, pour désigner
tique? avec le vocable « beau ))? « sujet ll, « Ia paysanne li (die Bãuerin}? 11 ne s'en
plique jamais et Schapiro, de son cõté, n'y prête pas Ia
- Un « beau » pied, un pied sublime comme dan I oindre attention. A quel sexe reviennent ces chaus-
chef-d' Q!UlJTeinconnu de Balzac ? es? Ce n'est pas exactement Ia même question que
Jus haut, quand on se demandait s'il y avait ou non une
- J'ai dit, de façon plus louche et plus boiteus , 111 uivalence symbolique entre le prétendu « symbole II
vocable. haussure li et tel ou tel organe génital ou si seule une
taxe différentielle et idiomatique pouvait arrêter Ia
- Quoi du reste, des pieds ou des chaussures, VII I alité, lui conférer telle valeur entrainante ou
une question trop ouverte. Je propose qu'on Ia res II minante, etc. Ce n'est pas ici Ia même question et
et qu'on revienne plus précisement à l'objet du dé I ~t l'attribution des chaussures (en peinture) à
tel qu'il a été comme transfiguré par les deux corre 111 sujet-porteur
dants : Ia figure du paysan pour l'un, du peintre 111
l'autre qui en fait un portrait de l'artiste. L'obiet I - des chaussures et d'un sexe
débat
- masculin ou féminin, cette attribution n'est pas
- L'abject du débat : des souliers c'est aus s résonance avec Ia premiêre questiono N'oublions
qu'on laisse tomber. Les vieilles chaussures en part I que L'origine traite de l'essence de Ia vérité, de Ia
lier. Instance de Ia chute, du chu ou du déchu. On 1 j ité de l'essence et de l'abime (Abgrund) qui s'y joue
tomber comme une vieille chaussure, une vieille sav I mme du fatum « voilé » qui transit l'être.
une vieille chaussette. Le reste, c'est aussi ce bas. Greffe du sexe sur les chaussures. Elle n'est pas
êtée par L'origine : tantôt l'indétermination glisse
- « Se faire du reste cadeau li (Glas), voilà peut- I force de langue vers le masculin, tantôt le féminin
suivant telle syntaxe qui ne s'arrête ni ne marche - p mporte. 11 y a du paysan et Ia paysanne, jamais un
du tout -, voilà Ia scêne de Van Gogh ysan. Côté Schapiro, ça revient sans discussion pos-
ble à du masculin (ee a man o/ the town and city ll), Ie
- et des trois éminents collêgues. Mais revenon xe de Vincent Van Gogh ne faisant aucun doute pour
l'objet du débat. Pourquoi et de quel droit Heide ignataire de Ia « Nature morte ... I)
s'autorise-t-il, s'agissant du « célebre tableau )1, à 1I
« souliers de paysan li ? Pourquoi les pieds ou les souJ I - 11 est vrai que ni Heidegger ni Schapiro ne
devraient-ils appartenir ou revenir à un paysan ? S h blent accorder une attention thématique au sexe de
piro a-t-il raison ou tort de lui en faire l'objection \I ttachement. L'un rattache, avant tout examen, à du
ponctuelle ? ysan mais passe sans erier gare du paysan à Ia paysanne.
'autre, aprês examen, rattache à du peintre citadin,
- Je précise Ia question : à un paysan ou à une p is ne se demande jamais pourquoi ce seraient des
35° LA VÉRITÉ EN PEIN II TITUTIONS 351
chaussures d'homme ni pourquoi l'autre, non c 111 , chose et Ia motte de terre dans le champ. La cruche
de dire « du paysan ll, ajoute parfois « Ia paysanu une chose, et Ia fontaine au bord du chemin.
Parfois et même le plus souvent. 'homme (Mensch) n'est pas une chose. 11 est vrai que
s appelons une jeune fille qui entteprend une tâche
- Mais qu'est-ce qu'une attention thématiqu f Ia dépasse une « trop jeune chose » (ein su junges
ce qu'elle semble exc1ure (l'implicite ? le foreIos? I I ) mais seulement parce que nous omettons d'une
nié? l'impensé? l'encrypté ? 1'«incorporé » ? aut nt I ine maniêre, dans ce cas, l'être-humain (Mens-
fonctions différentes) se laisse-t-il exc1ure du champ m), pensant y trouver plutôt ce qui constitue préci-
ent l'être-chose des choses (das Dinghafte der
- De quel champ ? Bordé par qui ? par quoi? I O",e) ••• »
du paysan ou de Ia paysanne ?
- Le piêge à lacets, le lacet ou Ia chausse-trape de
- 11 y a pourtant comme une rêgle dans l'entr t à l'heure commencent à ressembler à un cache-
scêne de Ia paysanne. Heidegger désigne ainsi Ia J ' e, à une gaine peut-être.
teuse des chaussures hors du tableau, si on peut 11
quand le lacet du discours passe hors de Ia bordur I - Non non, il s'agit, bien sür, de ces choses qui
cadre, dans ce hors-d'ceuvre qu'il prétend voir se 1" ivent aller au pied. Et que Heidegger tirant d'un
senter à même I'ceuvre. Mais chaque fois qu'il parI I, é, Schapiro de l'autre, l'un avant tout examen, l'autre
produit exemplaire dans le tab1eau, il dit de façon neuu rês un examen rapide, tous deux avec autant de vio-
générique, c'est-ã-dire, selon une grammaire, ma II ce compulsive et d'artifice, veulent essayer, ajuster
line : « ein Paar Bauernschuhe )),une paire de chaussui
de paysan. Pourquoi les pieds de Ia chose, ici des ch \I - appointer : rendez vous
sures, sont-ils ensuite posés comme les pieds d'un
femme (paysanne)? L'induction d'un tel geste est d' \I - en forçant, à tout prix. Là c'est le pied d'un cita-
tant plus surdéterminée que Ia peinture alors, dan , qui n'est pas três loin de lui, là c'est le pied d'une
passages, ne fait plus Ia loi. Cette induction a sans d \I ysanne toute proche. Spécu1ation en miroir pour
été favorisée par tant d'auttes « paysannes )) de V I urer Ia chose. Qui sert et ressert, ici une femme, lã
Gogh, ce qui va dans le sens de Ia contamination in I homme, dans un duel à mort, bien sür, implacable
minée par Schapiro. Plusieurs tableaux seraient venu cruel malgré Ia courtoisie académique, Ia considéra-
composer le modele imaginaire de Heidegger. N \I n mutuelle des deux hommes, les rêgles de l'honneur
devrons réexaminer plus loin ce grief. Ailleurs je pr» tous les témoins rassemblés sur le champ. L'arme
poserai aussi de mettre en série, en galerie, toutes 1 hoisie, puisqu'i! faut forcer sur le parergon, c'est le
figures de femme qui scandent de leurs apparitions d hausse-pied. Quant au terrain : pré piégé pour les
crêtes, furtives, presque inaperçues, le discours I ercs, ils risquent d'y rester tous les deux. Témoin sur-
Heidegger sur La Chose : Ia paysanne, Ia servante thra ivant : restent les souliers en peinture qui les regardent,
Ia gardienne de musée, Ia « jeune fille ) comme « trul s le détachement d'une ironie imperturbable.
jeune chose ) dans Ia locution citée au début de non
chapitre et rencontrée, comme les premiers exempl - J'avais demandé : Schapiro a-t-i! raison?
en chemin, am Weg : « Der Stein am Weg ist ein Di,
und die Erdscholle auf dem Acker. Der Krug ist ein Di, - Un peu trop à mon aviso Là, il faut faire le détail,
und der Brunnen am Weg... La pierre sur le chemin I ot ã moto Tout est affaire, en ce marché, de détache-
352 tA VÉRITÉ EN PEIN 11 TITUTIONS 353
ment et de détaille. Schapiro a extrait ce long p
rythmé par un étrange « Et pourtant (Und dennocn]
Puis il écrit : « Le Professeur Heidegger sait bien 111
Van Gogh a peint plusieurs fois de telles chau 11
mais il n'identifie pas le tableau qu'il a en vue, c 11I111
si les différentes versions étaient interchangeable , JI'
sentant toutes Ia même vérité. » Schapiro a raison, I 11
que trop raison. Heidegger ne cherche pas à pr
de quel tableau il s'agit, IIse précipite dans Ia réfé li.
et une référence aussi vague (« un célebre table \I
comme si Ia chose était si süre et si c1aire, san 11
attentif à Ia série différentielle qui non seulement I
ceme les références possibles, mais fait de Chlllll
tableau une référence latente, latérale et différent 11
aux autres. On peut même trouver comme un ind 1
cette sérialité dans l'un des tableaux (Trais pair
souliers, F. 332). A l'extrême gauche, le soulier I
lacets défaits a le « col », si on peut dire, ouvert I
retourné comme un gant, à Ia ressemblance de 111
qu'on voit à Ia gauche de F. 255, le tableau identifié I I
Schapiro comme celui de I/origine. Au centre, aUI'
« retourné )),un soulier exhibe sa semelle. Je dis « 11
à cause du cou (de pied en cap)

- ou de l'utérus.

- Tout cela aggrave Ia naíveté référentialiste, mono


référentielle de Heidegger. II faut le souligner à prol I

d'un discours sur L/origine de l'ceuore d'art. Cela 11


peut être sans rapport avec toute l'entreprise. Et poui
tant:

a - Heidegger « sait bien », et Schapiro sait qu'il I


sait bien : « Van Gogh a peint plus d'une fois de tell
chaussures )) (solches Schuzeug mehrmals gemahlt hai]
Pourquoi n'en a-t-i! pas tenu compte? Sa faute 11
est-elle plus ou moins lourde? Aurait-il induit un
sorte de « tableau général II gardant, par abstraction 011
soustraction, les traits communs ou présumés tels I
toute une série? Cette hypothêse - Ia pire - est exclu
par tout ce qu'on peut lire de Heidegger. Il a touiour
354 LA VÉRITÉ EN PEIN II TlTUTIONS 355
été sévêre pour ee eoneeptualisme qui se doubler 11 hapiro et sur lesquels il faudra revenir. Mais alors,
d'une barbarie empiriste. Alors ? ra-t-on, pourquoi avoir ehoisi une peinture? Pour-
Défense de Heidegger, cireonstanee atténuante : ' oi avoir explicité si lourdement ce qui tient à l'iden-
« intention » n'était pas de s'intéresser à telle peintur I I cation problématique de ees chaussures comme chaus-
décrire et d'interroger sa singularité en critique 1', es de paysan? Dans Ia phase ou nous sommes en
Relisons done une fois de plus l'ouverture de e p' et, et Heidegger le dit, des chaussures réelles (de
sage. 11 s'agit bien de « décrire simplement » (e;'lj I ysan ou non) ou des ehaussures vaguement dessinées
beschreiben) non pas un tableau mais « un produn J craie au tableau auraient rendu le même service. Le
« sans théorie phílosophique ». « Comme exemp1e ncH' bleau noir aurait suffi.
choisissons un produit habitueI: une paire de chau 11
de paysan », Pas encore de tableau, pas d'auvre di." - C'est ce que Schapiro reproche à Heidegger.
un produit. Poursuivons. « Pour les décrire, point n'
besoin d'avoir devant soi des échantillons effectifs d' ob] I - Mais Heidegger Ie dit (( Mais qu'y a-t-il de plus
utilitaires de ce type. Tout le monde les eonnait. M I voir lâ ? Chacun sait ce qui appartient à des ehaus-
comme il y va d'une description immédiate, il peut " es ») et on ne peut le lui reprocher qu'en supposant
bon de faciliter Ia présentation intuitive (V eranschaul u'il s'intéressait d'abord à un tableau, qu'il voulait
chung) . A titre d'accessoire de secours (Für diese N achll/II alyser comme tel, ee qui n'est pas le cas. Pour l'usage
mots omis par Ia traduction française) une (re) présent u'il voulait d'abord en faire, les toiles étaient en effet
tion en image (bildliche Darstellung ) suffit. Nous chol I terchangeables et sans dommage. Si son attribution
sons à cet effet un célebre tableau de Van Gogh 11' Ia chose à du paysan est bien (nous aurons encore à
a peint plus d'une fois de telles chaussures. » aminer iusqu'à quel point) imprudente et précipitée,
n sait du moins qu'il aurait pu tenir, pour ce qui impor-
- C'est clair, le tableau est pour l'instant, par hyp« it à I'analyse de l'être-produit, le même discours pour
thêse, un accessoire intuitif. On peut reprocher à H I souliers de ville : le rapport du porteur à cet étrange
degger cette démarche illustrative, mais ee serait aul, oduit (três proche et pourtant détachable de son corps),
chose que de faire comme s'il voulait décrire le tabl 11 rapport à Ia marche, au travail, au sol, à Ia terre et au
pour lui-même, puis de lui reproeher des fautes li onde. Tout ce qui revient au monde « paysan est à )1

lecture dans cette hypothêse qui n'est pas pour l'inst 111 t égard une variable accessoire même si cela releve
Ia sienne. Pour l'instant, l'obiet à décrire, à interprét I assivement de Ia « projection » et répond à des inves-
ce n'est pas le tableau ni même l'obiet en tant qu sements pathétiques - fantasmatiques - idéologiques -
peint ((re) présenté), mais un produit familier que t 111 litiques de Heidegger.
le monde connait. Rien de ce qui suit ne concerne ni 11
prétend cerner Ia spécificité picturale ni même Ia spé I b - La « même vérité », celle que « présente » le
ficité de ces ehaussures en tant qu'elles seraient diffi bleau, ce n'est pas pour Heidegger Ia vérité « pay-
rentes d'autres chaussures. Ayant sous les yeux, pOUl nne », une vérité dont le contenu essentiel tiendrait à
soutenir I'attention et faciliter l'intuition, I'image d'un J'attribution (même imprudente) des chaussures à du
paire de chaussures, quelle qu'elle soit, de paysan 011 aysan. La caractéristique « paysanne » reste ici secon-
non, peinte ou non, on pourrait y relever les mêm aire. La « même vérité » pourrait être « présentée » par
traits : l'être-produit, l'utilité, I'appartenance à un ut tableau à chaussures, voire toute expérience de
monde et à Ia terre, au sens três déterminé que Heide haussures et même de tout « produit » en général :
ger reeonnait à ees deux mots qui n'intéressent p 'est celle d'un être-produit revenant de « plus loin »
LA VÉRITÉ EN PEINlII TITUTIONS 357
que le couple matiêre-forme, voire qu'une « distin 1111 - Fallait-il, d'ailleurs, attendre Heidegger pour se
des deux », Cette vérité revient à une « origine riu fier ? Pour éviter de considérer un objet peint comme
Iointaine », Elle n'est pas d'un rapport (d'adéquai \111 e copie? Pour éviter, pire, de lui attribuer un modele
ou d'attribution) entre teI produit et teI propriét I quat (Ies chaussures réelles) et d'attribuer de sur-
usager, détenteur, porteur-porté, L'appartenance 111 It un sujet adéquat à ce modele (Van Gogh), ce qui
produit « chaussures » ne renvoie pas à tel ou tel I~ t deux attributions capitalisées ? Puis il y a le mot eoi-
jectum, ni même à tel ou tel monde. Ce qui est di t t/y, le mot clear/y qui intervient encore plus loin, au
l'appartenance au monde et à Ia terre vaut pour Ia v 11 oment d'idenrífíer un tableau dans un catalogue, les
et pour les champs. Non pas indifféremment m ots « his own » qui à plusieurs reprises déclarent si
également. anquillement Ia propriété, les propositions du type
Schapiro se méprend donc sur Ia premiêre fonct 1111 eci est cela » ou Ia copule noue un prédicat « réel » à
de Ia référence picturale. 11méconnait aussi un argum 111 objet « peint ». Tout ce langage dogmatique et pré-
heideggerien qui devrait ruiner d'avance sa propre r itique surprend de Ia part d'un expert. Tout se passe
titution des chaussures à Van Gogh: l'art comme « m mme si le martêlement des valeurs d'évidence, de
en eeuvre de Ia vérité » n'est ni une « imitation )),ni UII srté, de propriété devait résonner três fort pour empê-
« description » copiant le « réel )),ni une « reproduction er d'entendre que rien ici n'est clair, ni évident, ni
qu'elle représente une chose singuliêre ou une essen ropre à qui ou à quoi que ce soit. Et sans doute Scha-
générale, Car en revanche, tout le procês de Schap I I Iro le sait-il ou se le dit-il plus ou moins clairement.
en appelle aux chaussures réelles : le tableau est cen ais c'est à ce prix seulement qu'il peut avoir les
les imiter, représenter, reproduire. 11faut alors en dét I haussures, les acquérir en vue de restitution, les arra-
miner l'appartenance à un suiet-réel ou prétendu tel her à I'un pour les donner à l'autre, Auq~el il ne se
un individu dont Ies extrémités, hors du tableau, fi oit pas étranger. Les passer donc. A ses ple~s et ~!lX
doivent pas rester longtemps déchaussées eds de l'autre. Comme un vêtement ou un obiet qu on
passe. Le se-passer de cette passe, c'est aussi ce que
- comme de vieilles dents. Mais il n'évitera pas 1 nt les chaussures en restance. Voilà ce qui se passe ici.
bridge. 11ignore que le soulier forme déjà prothêse. 1 ,
peut-être le pied. Ça peut toujours être d'un autre. Taní - Je distinguerais trois dogmes dans le credo de
de locutions passent par là pour dire le déboitement d chapiro, 9uand il .spécule ainsi sur l'occasion ~e ces
l'inadéquat, quand on est à cõté de ses pompes, 0\1 vieux souliers. TrOlS dogmes de structures distinctes
l'abus de l'usurpateur : « to be in someone's shoes », Pr ais analogues dans leur finalité fonctionnelle. I. Des
cipitée dans I'abíme, Ia sphinge, dês l'instant ou I'enfíur haussures peintes peuvent appartenir réellement et se
1 isser restituer réellement à un sujet réel, identifiable,
- Schapiro serre les lacets du tableau autour d nommable. Cette illusion est facilitée par I'identificatioo
pieds « réels ». Je souligne : « They are clearly pictur« 1 plus proche entre le détenteur allégué des chaussures
of the artist's own shoes, not lhe shoes of a peasant ... Lat r t le soi-disant signataire du tableau. 2. Des chaussures
in Arles he represented, as he wrote in a letter of Augwl ont des chaussures, qu'elles soient peintes ou « réelles )),
1888 to his brother, « une paire de vieux souliers )),which eulement et simplement des chaussures qui sont ce
are evidently his own... » They are : le lacet passe IA, qu'elles sont, adéquates à elles-mêmes et d'abord adap-
dans Ia copule, il accouple les chaussures peintes et le tables à des pieds. Des chaussures appartiennent en
pieds du peintre. 11est tiré hors du tableau, ce qui sup propre. Elles n'ont pas, dans leur structure de produit
pose un trou dans Ia toile. remplaçable, dans le standard de leur pointure, dans le
LA VÉRITÉ EN PEIN111.~ TITUTIONS 359

détachable de cet instrument de type vestimentair ,I I

quoi faire dériver toute appartenance et toute propr I


strictes. 3. Des pieds (peints, fantomatiques ou r I
appartiennent à un corps propre. Ils n'en sont pas d I
chables. Ces trois assurances ne résistent pas I
moindre questiono Elles sont aussítôt démontées, I
tout cas, par ce qui se passe, ce qu'il y a dans cette 111
ture.

- Bien qu'elles portent sur des articulations di


tinctes, ces trois assurances tendent à les effacer au pr I

fit d'un seul et même continuum. A rattacher les d~I


chables selon une stricture absolue.

- Plus de lacet, quoí, même plus de neeud visibl


ni de trous ni d'ceillets, des chaussures pleines, absolu
ment adhérentes au pied.

- Comme dans Le modele rouge de Magritte. M i


là aussi, il faut tenir compte d'un effet de série et de cit
tionnalité. Magritte en a peint plusieurs. Là, sans comp
ter La philosophie dans le boudoir (1947) ou Le puirs II
vérité (1963), il y a incontestablement paire, on v I
I'orientation des doigts de pied qui forment avec 1
bottines un seul et même corps. Ils font Ia paire et 1
soudure.

- Encore Le modele rouge mime-t-il et toume-t-il


en dérision ce leurre. Encore coupe-t-il le pied-chau
sure à Ia cheville, au cou, indiquant de ce trair, aioui
aux traits horizontaux et réguliers du fond de bois, pu
aux traits du cadre, que cette paire de souliers montant
(vers quoi ?), maintenant hors d'usage, au col vide , IA Model. roug«.
délacé (différemment d'un modele à l'autre), citam
alors à comparaitre les témoins de Van Gogh, diffêrem
encore leur supplément de propriété, le revenu de leur
usure. Leur mutisme fait parler l'expert qui ne va p
tarder à dire, comme Heidegger du tableau de Van Gogh,
« ça a parlé I). Deux psychanalystes - de Londres bien
sür, ça ne passerait pas Ia Manche - ont dit à Magritte .
« The Red Model is a case 01 castration. » Le peintre leur
LA VÉRITÉ EN PEIN II ITUTIONS

La Philo,ophi. dans I. boudoir.


L. Puits d. fJtritt.
LA VÉRITÉ EN PEIN 11' TlTUTIONS 363
adressa alors « a real psycho-analytical drawing » qui 1 , assurances de Schapiro (qui semble croire à Ia
inspira le même discours. roduction de chaussures « données », celles de Van
gh et même de tel Van Gogh « donné », à un moment
- Mais pourquoi le tranchant de ce verdict c 1111 en un lieu donnés, « by that time a man of the toum and
Schapiro? S'il était si crédule dans l'identification d Iy »/), je comprends bien aussi en quoi Ia preuve
tableau ême, dans ce cas, est a priori sans pertinence. Mais ce
ue je ne comprends pas, c'est pourquoi Heidegger
- ça je ne l'ai pas encore montré, je m'en suis I 1110 apperait à Ia même suspicion, à Ia sienne en somme,
aux prémisses générales, Plus tard, s'agissant d lors qu'il dit, sans preuve cette fois, sans même
tableau e recherche de preuve : ce sont des chaussures de
ysan. 11ne dit même pas ce sont pour répondre par
- disons alors crédule dans l'attribution, en gén r I ne définition à une éventuelle question, illes nomme :
de chaussures peintes à un sujet déterminable, et, Ein Paar Bauemschuhe », sans même imaginer le pre-
qui est en effet plus grave, déterminable en réalll ier murmure d'une questiono
est-ce que Ia naiveté de Heidegger n'est pas encore .,111
massive? 11 attribue lui aussi, et sans le moindre - C'est toute Ia dissymétrie, Ia surenchêre incessante
men, les chaussures peintes à du paysan, voire à d cette correspondance. Une revendication est plus
paysanne. Cette attribution parait incompatible v' Ive que l'autre, plus excessive, si on peut dire, que
ce qu'il dit plus bas contre l'imitation, Ia copie, Ia repr I I' utre. Une attribution excede l'autre. Imaginez un
duction représentative, etc., contre Ia valeur d'adéqu I mmissaire-priseur qui s~it ~ Ia fois un expert et. un
tion ou d'homoiosis. Par exemple : « Ou bien Ia propu cheteur et qu'il fasse lui-même, dans Ia salle vide,
sition selon laquelle l'art est le se-mettre-en-ceuvre d I onter les encheres. Pour des souliers d'occasion plus
vérité redonnerait-elle vie à une opinion heureusem 111 u moins dépareillés sur une toile encadrée. D'un côté,
dépassée selon laquelle l'art serait une imitation ou UII I' ttribution de Schapiro reste dans l' esthétique repré-
copie descriptive du réel ? La réplique du donné exi tative, et même Ia plus empiriste. En deçà (précri-
sans doute Ia conformité avec l'étant, une prise que) ou au-delà (excessive) du mouvement effectué
mesure réglée sur lui; adaequatio, dit le Moyen A L'origine dans le passage qui vient d'être traduit.
6/LotwaLç dit déjà Aristote. Depuis longtemps, I ais de son cõté, en disant « Bauemschuhe » sans se
conformité avec l'étant est considérée comme équiv ser de question ã ce sujet, Heidegger est en deçà
lente à l'essence de Ia vérité. Mais croyons-nous vr I e son discours sur Ia vérité en peinture et encore plus
ment que ce tableau de Van Gogh copie (male ah, . que Schapiro. Son e~ces va jusqu'à p.arler de c~aus-
dépeígne) une paire de chaussures de paysan donn I ures de paysan avant meme toute quesnon « represen-
(présente, vorhandenes), et que ce soit une oeuvre par tive» et déjà dans l'ordre d'une vérité « présentative »,
qu'il y a réussi ? Voulons-nous dire que le tableau a prl 'est que le pas en arriêre d'une vérité d'~déquation
copie du réel et qu'il a transformé celui-ci en produ I vers une vérité de dévoilement, quelle que soit sa néces-
(Produkt) de Ia production artistique? Nullement. ité et sa force « critique », peut aussi bien laisser pra-
Cette réponse «( Nullement ») vaut aussi, au paragraph tiquement désarmé devant l'in~énu, ~e pré-critique, le
suivant, pour Ia reproduction d'une essence général ogmatique, devant tout « pré-investissement » «I fan-
que certains auraient voulu, gardant le même schém matique », « idéologique », etc., ou de quelque nom
substituer au donné singulier. Alors je comprends bi 1\ u'on l'appe11e). 11y a lã une loi. C'est peut-être un d
en quoi cela atteint les préoccupations et disqualifi ecrets de cette correspondance, de sa dissymétri u
LA VÉRITÉ EN PBIN 1I TITUTIONS

de son excessive symétrie dans le contrat de v 11 oment ou le « célebre tableau » fournit en somme un
(<< je vous dois Ia vérité en peinture »), entre Ia v 111 emple d'exemple, son statut nous laisse dans une
comme adéquation (de représentation, ici attribut i certitude définitive. On pourra toujours dire, défiant
cõté Schapiro) et Ia vérité de présence dévoilé I , preuve, que Heidegger n'entend pas parler du tableau,
Heidegger). Laissons pour l'instant ce contrat de v I , le décrit pas comme tel, passant réguliêrement d'un
entre les deux vérités. (Ce qui y contracte a rapl"" emple de produit (chaussures de paysan) à l'exemple
avec un trait (Riss ) et un attrait (Zug) de l'ceuvre l'exemple (telles chaussures dans tel tableau) et dans
un Gezüge, qui nous attireront beaucoup plus loin ti 11 deux sens, puis de l'exemplarité à l'être-produit en
le texte de Heidegger.) La vérité des chaussures COIIIIII rélevant les prédicats de l'être-produit et laissant
ehose due (l'objet du sujet) contraint cette corr p 01, mber les autres
danee et nous devrons, à supposer qu'il faille iaru
devoir, en réexaminer les termes plus tardo Un I - comme de vieilles chaussures
innombrables difficultés, dans Ia lecture de L'ori "
et singuliêrement de ce passage, c'est de res I , - plus ou moins attentivement et même s'il leur
l'instant furtif ou se franehit, et de quel pas, une nsacre un discours pathético-pédagogique abondant.
taine ligne. ême s'il y investit, dans cette investiture de produits
vestímentaíres, des valeurs auxquelles on peut s'intéres-
- Au sens de über die Linie (trans lineam ou r d'autre part.
linea?) et de Ia topologie de l'être dans Zur Seinsfra
- C' est vouloir à tout prix le justifier.
- N on. Enfin, si. Mais cette connexion passe 1'
des détours dont nous n'avons pas ici le temps. N I - Non. On .peut voir clairement, clearly, evidently,
place. Je désignais seulement, au plus proche, le fr 1\ ue tout ce qui s'énonce d'abord dans les trois premiers
chissement de certaines lignes, de certains traits dan I aragraphes (jusqu'au « Et pourtant. » (Und dennoch.},
tableau (le contour du « produit », par exemple Ia li 11 iculation ou suspens rhétorique três inhabituel chez
du colou Ia ligne en lacet). Et surtout, d'abord I eidegger, il faut en tenir un compte rigoureux) ne
franchissement des lignes d'encadrement, les traits q rétend rien dire du tableau lui-même. Seul objet visé,
détachent le tableau du milieu réel. Ou, à quel momem tte paire de chaussures de paysan dont il avait été
en quel sens cette transgression a-t-elle lieu? Et uestion plus haut. Aucun trait propre au tableau.
franchissement est-il une transgression ? De quelle 1 prês le « Et pourtant. ))(suivi d'un point et d'un alinéa)
Ce qui revient à se demander notamment si et d 1\ Ia tira de pathétique (comment Ia nommer autrement?)
quelles limites Heidegger entendait parler du « célêbr Ia forme d'une méditation qui s'évade. Mais qui
tableau », 'évade d'un tableau seulement évoqué et dans lequel
Di le regard ni le discours n'ont encore pénétré, qu'ils
- Lequel? n'ont pas même abordé ou effleuré d'une description.
ien n'a encore été dit qui concemãt strictement le
- On ne sait pas encore. Nous l'avons vérifié contenu du tableau et à peine vient-on de le nommer
à l'instant précis ou, dans ce chapitre, il prend l'exempl une deuxiême fois qu'on le quitte encore d'un discours
d'une paire de chaussures de paysan, aucun tabl 11 évasif et débordant. Qu'on y prête attention : chaque
n'a encore été nécessaire. Aucun n'a même été évoqu paragraphe est une nouvelle vague qui feint de frôler
Et cela dure depuis quelques pages. Or même \I l'obiet et qui s'en retire aussitôt, Et pourtant : une
LA VÉRITÉ EN PEIN \I TITUTIONS

légêre touche, un três bref contact, assez indétenu h Schapiro a en effet passé sous silence, le faisant sauter
pour engendrer à peu prês n'importe quel di 1111 ans sa longue citation, ce qui s'inscrivait sur le bord
débordant, aura laissé dans le texte Ia marque P I érieur du paragraphe « pathétique » (le troisiême
passage. Aussi légere sera donc l'objection de Sch p I aragraphe de ce passage autour du tableau). Heideg-
qui ne trouvera à s'appuyer que sur cette touche ,. er va à Ia ligne, comme il l'avait fait aprês « Und
identifier le tableau dont, croit-il, Heidegger t • noch. », et il éerit : « Mais tout cela, peut-être ne le
train de parler. Cette touche, c'est (( Aus der dun I oyons-nous que sur les chaussures du tableau (im
Offnung des ausgetretenen Inwendigen des Schuhzeug i/de, ou en image) lJ, comme tableau, comme image, etc,
« De l'ouverture obscure du dedans usé ... », C'est u'il dise (( peut-être lJ, qu'il feigne au moins par
vague, ouvert, lâche, pour pouvoir se dire, à peu pr ,I ypothêse de voir une limite dans une description
n'importe quelle paire de chaussures, réelles ou nlll! ntrainte ou contenue par des déterminations picturales,
de paysan ou de citadin, et en tout cas, comm I simple fait éclaire Ia possibilité de passer le cadre dans
remarque iustement Schapiro, de trois peintur I deux senso On prétendait dane, dans le paragraphe
souliers signées de Van Gogh. Mais encore une foi 111 récédent, voir ou lire autre chose ou au-delà du tableau
ne peut en faire une objection qu'en prêtant à Hei cadré, autre chose qu'une « image » et que ce tableau-
ger une intention que rien ne démontre dans son teu i. En disant : mais peut-être y sommes-nous restés
cel1e de décrire et de ne se référer qu'à des chaussur ermés comme dans une projection ou une hallucina-
peintes, telles chaussures peintes, dans les limites d'ul tion subjective, Heidegger confirme bien que son projet
cadre qui ne peut être franchi que dans un sens : I1II était de déborder le tableau en tant que représentation.
dehors vers le dedans. Si on cesse de prêter eette int li 'allusion à Van Gogh n'avait done pas Ia fonction que
tion à Heidegger et tant que cette question du cadt lui prête Schapiro. L'évasion pathétique
n'est pas réglée dans toutes ses portées, l'argument p 11I
se retourner contre l'objecteur. (N'oublions pas qui I - Heidegger n'accepterait pas ces mots. Sur ce que
faudra désormais reposer cette question du cadre, I chapiro appelle son ( pathos lJ il aurait sans doute plus
question de ce cadre en suivant Ia figure ou le trai I d'une question à poser. Cela nous entraínerait trop
du lacet : stricture par passage alternatif et réversihl loin. Puis il ne s' évade pas, il reste, s' enfonce et derneure ...
du dedans au dehors, du dessous au dessus. Ces lac I
montant vers le col « dans » le tableau ou « dans » I - J'entendais « évasion » par débordement d'une
cadre forment aussi le tour du tableau et du cadr ) limite picturale au col évaséou à demi retourné, par fran-
Quand Schapiro écrit un peu plus loin : « Ie ne trouv chissement de Ia représentation cadrée, de I'immédiateté
rien dans la description imaginative (fanciful descri visible, si quelque chose de tel existe, dans le tableau.
tion) donnée par Heidegger des ehaussures représent Ce débordement est-il l'opération discursive elle-même
par Van Gogh qui n'ait pu être imaginé en regardam dês le premier mot, dês Ia premiêre articulation? Ou
une paire de chaussures de paysan réelle », on peut l'ap bien a-t-il sa raison interne, en quelque sorte, dans la
prouver. Mais on peut y voir aussi Ia confirmation q\l tructure picturale ? La question qui m'intéresse est une
Heidegger ne prétendait pas déerire un tableau. Du de celles qui ne sont thématiquement posées par aucun
moins pas simplement, car les prémisses mêmes du déb I des deux correspondants. Elle conceme la structure de
nous manquent encore, comme le cadre du débat et I cette limite, de l'être-dans ou de l'être-hors. A Ia fois
débat sur le cadre, sur la structure (Ia stricture diron quant au produit et quant à l'eeuvre. C'est en effet
nous bientõt) de sa double limite, interne et externe, 5011 Ia question du supplément de parergon qui en relaie ou
double bordo entraíne un certain nombre d'autres que je n'ai pas le
LA VÉRITÉ EN PEINTU RESTITUTIONS

temps d'énumérer. Dês lors que l'évasion prend apl,l parle. Voyez ce que Heidegger dit ailleurs de Ia causa,
sur une touche descriptive aussi pauvre, aussi indét I ce serait essentiel pour notre débat.
minée, tout autre trait descriptif (U n'y en a pour in
dire pas d'autre) ne concemerait plus une peínnn - [e reprends ma questiono Tout se passe finalement
Par exemple (mais U n'y a pas d'autre exemple): « 11 comme si Heidegger n'avait certes pas parlé du tableau.
le cuir s'étend Ia terre grasse et humide. Par-dessou I Mais loin de s'en évader, il n'en aurait pas parlé en vue
semelles ... », Et encore ce « par-dessous »s'enfoncerait I de le laisser parler fui-mime. Non pas fait parler mais
par-dessous 1a toile laissé parler. Ces chaussures (une fois peintes) parlent,
cette chose produite et détachée de son sujet se met
- qui serait Ia semelle ? • (en) parler, voilà ce que Heidegger dit un peu aprês.
11 ne le dit pas lui-même, mais disons que ça se dit et
- si 1a toile seule était désignée. Pour ces seul en tout cas voiei ce que nous lisons : « L'être-produit
raisons, déjà, on ne peut reprocher à Heidegger de du produit a été trouvé. Mais comment? Non pas
tromper de tableau, d'en confondre plusieurs, de m I • travers une description ou une explication (Brklãrung )
décrire ou de projeter dans un lieu imaginaire. 11 li d'une paire de chaussures [Sc~uhz~ges : ça se .trad~t
prétend pas se référer en toute rigueur à un tableau 11 par paire dês lors que Zeug determme le produit utile,
général, ni à tel tableau singulier. Cette référen nuance importante qui nous intéressera plus loin]
effectivement présentes; non pas à travers un rapport
- Mais qu'est-ce que se référer? Qu'est-ce que I sur le procês de fabrication des chaussures ; ni davantage
référence en peinture ? • travers l'observation de Ia maniêre dont iei et là on
utilise effectivement les chaussures. Mais - mais
- cette référence, quelle qu'elle soit, n'est pas essen seulement en nous mettant devant le tableau de Van
tielle à son propos. De plus, U s'intéresse iei à 1a vérit Gogh (wir uns vor das Gema/de uan Goghs brachten),
de 1a vérité, condition indispensable pour savoir ce qu Celui-ci a parlé (Dieses hat gesprochen}, Dans Ia
référer veut dire. Et 1anotion de référence, comme cell proxirnité de l'ceuvre nous avons soudain été ailleurs
de référent, n'appartient-elle pas à une sémio-lingui que là ou' nous avons accoutume ' d"etre. L' ceuvre d' ar t
tique dominée, encore aujourd'hui, qu'on le veuille, 1 a donné à savoir ce que Ia paire de chaussures (Schuh-
sache ou non, par le couple matiêre-forme ê Par cett seug ) est en vérité. Ce serait Ia pire des ~lu:sions ~i
interprétation de Ia chose comme « produit » que nous voulions penser que c' est notre description qui,
passage même de L'origine est en traio de mettre en en tant qu'activité subjective, a ainsi tout dépeint .e~
cause ou en procês ? ensuite introduit dans le tableau. Si quelque ehose 1C1
est problématique, e'est seulement le fait que nous
- Soit. Mais alors comment expliquer que plus loin, n'ayons appris que trop peu à proxirnité de l'ceuvre
à l'autre bout, tout ce discours sur les chaussures, sur et n'ayons énoncé cet apprendre [Erfahren : éprou~~r,
cet exemple de produit, soit rnis au compte du tableau expérimenter, traverser] que de façon trop grossiere
lui-même ? Non plus seulement comme discours sur et trop immédiate. Mais avant tout l'ceuvre n'a nullement
le tableau mais du tableau, diseours tenu par lui, voir servi, comme i1pouvait sembler d'abord, à une meilleure
par Ia paire de chaussures? C'est plus grave et plua présentation intuitive (V eranschau/ichung), et seulement
grave que ce que lui reproche Schapiro. à cela, de ce qu'est un produit. C'est bien plutôt à
travers l'ceuvre et seulement dans l'ceuvre que l'être-
- Oh, pour l'un et pour l'autre, c'est sür, 1a chose produit du produit en vient proprement (eigens)
370 LA VÉRITÉ EN PEIN J I TlTUTIONS 371
à son paraítre (Vorschein). Qu'est-ce qui advient j I ire de chaussures de paysans, est en vérité. II La
Qu'est-ce qui dans I'eeuvre est à l'reuvre? [Wa " taxe de Ia phrase, .identique en allemand et en
im Werk am Werk? à I'eeuvre sans doute comm 111' çais, marque bien Ia place du suiet. 11 s'agit de Ia
dit II au travail lI, sinon à pied d'eeuvre mais on peut, I ~rité du produit, de I'être-produit et 000 de I'exemple,
jouant à peine, traduire aussi par « à même l'oeuv savoir telle paire de ehaussures resserrée dans sa
ou « appartenant à l'ceuvre, oeuvrant dans l'eeuvr étermination eomme eelle de paysans. C'est bieo
ce qui condense de nombreuses questions]. Le tabl \I nforme à Ia visée démoostrative de cette séquence.
de. Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, I e mot « exemple ))prêterait à confusion s'il iodiquait
paire de chaussures de paysans, est en vérité [was J•• emeot un rapport déterminant d'iodividu à géné-
Zeug, .das Paar Bauemschuhe, in Wahrheit ist, soy 111 oté eooeeptuelle ou un simple resserrement spéeifique
attentifs à Ia syntaxe de cette phraseJ. Cet étant enu ( pêce/geare) du cooeept d'être-produit à celui de
dans le décêlement (Unverborgenheit) de son être, aussures (soulíers, sabots, savates, bottes, pointes, etc.)
décêlement de l'étant, les Grecs l'appelaient <iÀ-Ij6cllXo 11 uis à celui de ehaussures de paysan (Iesquelles?)
os à eette paire-cio
- Est-ce que cela n'est pas pire que tout? pire qu
l' « illusioo II subjectiviste dénoncée par Heideg~er' - Mais une ehaussure seule, est-ee un iodividu du
Pire que Ia « projection II incriminée par Schapiro r oupe « paire lI? Et une paire, est-ee un iodividu de
Voiei maintenant que le tableau dévoile en parlam, 'ensemble ((chaussures li? Ie suis venue iei pour poser
dans Ia proximité immédiate de sa présence, en fi eette questioo que personne, depuis tout à l'heure, ne
de laquelle il suffirait de se plaeer ou de se trouver. C I semble eoteodre.
me parait eontredire ce qui fut dit tout à l'heure ti
l'exemple d'exemple, - Si Ie mot « exemple IIprête à Ia eonfusioo que je
disais, il faut préciser : toute Ia séqueoce semble
- 11 fallait peoser cette exemplarité en /acet. dure ee rapport d'articulatioo eooeeptuelle (genre,
pêce, iodividu, paire ou pas). C'est bieo cette paire
- 00 abuse du laeet, tout le monde en ioue dans ce tableau qui ouvre à Ia vérité de l'être-produit.
Mais qui y ouvre daos sa préseoee dévoilée-dévoilante,
- Oui, ça parait « pire IIque Ia ré-adéquation ou I en se 1aissant traverser
ré-attributioo d'une représeotatioo au cours d'un
rattaehemeot laborieux. Ce serait pire si (e Dieses h I - eomme un eeíllet, eomme le cuir, comme Ia toile
gesprochen IIavait le sens courant du discours, et don des chaussures, traverser par 1e laeet?
du diseours humain prêté à une peinture, à un
ehaussure en peinture. En abordant plus tard 1 - vers Ia vérité. Et dans ee cas, même s'il y avait
problême du trait (Riss) , de l'attrait (Zug), du erreur d'attributioo ou projection de paysannerie, Ia
systême qui eootracte les traits (Gezüge) dans lein marge d'aberratioo serait três étroite. C'est Ia vérité
rapport à Ia parole et à Ia langue, j'essaierai de montr I de l'être-produit eomme teI qui porte. S'il y a projection,
que e'est plus eompliqué. Pour l'instant, ee serait Ia prise est maigre pour Ia poliee des tableaux, pour
« pire ))en effet, si Ia « vérité )) était celle de Ia ee paysan ce diseours de l'ordre et de Ia propriété en peín-
nerie lI, pour ainsi díre, des ehaussures et non simplement ture.
de leur « être-produit », Or on a bieo lu : « Le tableau
de Van Gogh est l'ouverture de ee que le produit, lu - S'il y a police (o'y en a-t-il pas toujours ?), elle
372 LA VÉRITÉ EN PEINTII TITUTIONS 373
opérerait ici eontre une autre poliee, eontre un li" ntre eette autre poliee (secrête) qui sous prétexte de
arraisonnement idéologique, et us délivrer des chaines de l'écriture et de Ia lecture
(toujours réduites, analphabétiquement, à I'alphabet)
- Que veut dire idéologique dans ee cas? L'or! 11I. vous enferme en toute hâte dans un prétendu hors-
propose au passage quelques schêmes d'interprétat ou xte : le pré-texte de Ia perception, de Ia parole vive,
quant à Ia formation et aux limites de ee eon I I es mains nues, de Ia création vive, de l'histoire
d'idéologie ou de son ehamp. lle, ete. Prétexte en effet pour asséner le diseours le
lus écu1é, le plus fruste, le plus fatigué. C'est aussi
- Le raffinement sur Ia syntaxe de « le produit I vee du prétendu non-texte, du pré-texte nu, de l'immé-
paire de ehaussures » m'a paro incroyable. Tout iat, qu'on essaie de vous intimider, de vous assujettir
jouerait done dans le suspens de eette appositi 11 u programme le plus vieux, le plus dogmatique, le
à Ia pointe d'une virgule entre « le produit » et « I lus sinistrement autoritaire, aux maehines médiati-
paire », eette pause déposant Ia paire un peu à côté lu antes les plus massives. Mais nous ne pouvons nous
produit, d'un intervalle un peu plus long entre d \I gager ici dans ee débat sur les barbaries. J e propose
mots qu'on revienne à ee passage ou, le cadre jouant
díscrêtement (mouvement inaudible du laeet), se pro-
- quelle est Ia pointure d'une virgule ? duit en silence l'événement qui nous retient ici
vee ses enjeux policiers, politiques, historiques,
- Il ne s'agit pas d'un intervalle de temps entre deu , psyehanalytiques. La bordure entre ee texte-ci (au
dont l'un est « paire », mais de ee fait syntaxique qu ens courant, prétendument strict, de ehose imprimée
« Ia paire» est en apposition, redoublant le produit, dans un livre) et une textualité générale (sans bord
d'un redoublement néanmoins resserrant, plus stri t, absolu) s'y enleve.
plus étroit (le produit, par exemple ici Ia paire). Alor
l'espaee de cette peinture est assigné par Ia pointure d - S'y enleve: au sens de Ia Gestalt apparaissant sur
Ia virgule qui elle-même, eomme une virgule, comm fond? ou bien de ce qui s'y effaee et s'y perd?
une chaussure, ne dit jamais rien.
- Les deux peut-être : les deux peuvent être
- Tout revient encore à une de ces « explications d « à-l'eeuvre ))comme nous disions plus haut. Avant de
texte »... Est-ce qu'on lit? Est-ce qu'on regarde ] revenir au réquisitoire de Schapiro et à sa cause, [e
voudrais expliquer três vite l'apparenee d'un renver-
- Vous eroyez qu'on accepterait ça, qu'on 1 sement de perspective dans L'origine (qu'on peut er
reeevrait comme une explication de texte ou comm doit traiter aussi en peinture). Aprês avoir secondarisé
close reading ? un exemple d'exemple et sans qu'il soit question de
référer à un tableau pour lui-même, dans son systeme
- Tout revient à un de ees exercices de leeture à I de tableau
loupe qui prétendent tranquillement faire Ia loi, tOUI
eontrôler, policiêrement en effet. - ça existe, ça, il y en a, du tableau pour lui-même
dans son systême de tableau ?
- Ça peut toujours, plus ou moins tranquillement,
devenir policier. Ça dépend eomment, en vue de quoi - aprês avoir seeondarisé un tel « systême )), Hei-
dans quelle situation ça opere. Ça peut aussi armer degger en est venu, par étapes, à confier toute Ia vérité
374 LA VÉRITÉ EN PEIN'l1l j TITUTIONS 375
au tableau, à Ia restituer tout entiêre à Ia peintur I" - Disons qu'ille met de cõté, le pose à cõté du dis-
« a parlé », faisant à Ia fin tout autre chose qu'illu Ir I urs présent. De toute façon, laisser tomber prend du
ou rendre présent à l'intuition. Comment et pourquo ps. C'est une trajectoire assez retorse pour qu'il s'y
Tout cela est difficile. Minuscule et minutieusem '" se plus d'une chose. Dês qu'il a « choisi » le tableau,
réglé. Comme dans ce procês de fétichisme, tout I choisir entre les tableaux d'une série dont il connait
affaire et économie de détail, de Ia dêtaille, on ne P 'li existence, ill'abandonne. II commence, dês Ia phrase
faire l'économie du détail. Pas plus ici qu'ailleur . II ivante, à laisser, si vous voulez, tomber : « Mais
faut délacer L'origine avec des gestes lents et attenut u'y a-t-il là de si important à voir (Aber tuas ist da mel
au moindre pli, risqués aussi, avec de temps à aUI I sehen ?) ? » Qu'y a-t-il de plus et de si important dans
un écart brusque, en tirant. e peinture? La réponse vient vite, elle est nette :
Heidegger choisit un tableau, il décide, pose I . . Rien que nous ne sachions déjà, sous-entendu en
produit une convention : « Nous choisissons à cet ell , hors du tableau. Cette réponse ne sera jamais contre-
un célebre tableau de Van Gogh qui a souvent p 1\1 'te, seulement méditée sur un chemin en Iacet. Jamais
de telles chaussures... » Il ne l'identifie pas dan ucun contenu n'apparaitra dont on puisse décider que,
singularité. II ne lui donne aucun titre, aucun num I , tant que contenu, il appartient au tableau, il est
de catalogue. 11ne se soucie en rien de son ínscriptíon écelé, défini, décrit, lu en lui. Dans ces condirions, ou
différentielle ou citationnelle dans une série (de V 1\ urrait-il y avoir confusion ou projection quant à Ia
G~~h 01:1 d'a~tres, de Millet par exemple). Mais on 11 ture ou à Ia propriété de choses peintes ?
qu il sait : 11 y en a d'autres. Qu'est-ce qui, pom Aprês avoir demandé « Mais qu'y a-t-il Ià de si impor-
I'instant, pourrait autoriser son insouciance? Ceci t à voir ? » et répondu : rien, « chacun sait ce qui est
aussitôt aprês et à plusieurs reprises, il ne convoque I propre à des chaussures », Heidegger propose une des-
peinture que pour constater - et faire constater cription banale et minimale de « ce que nous savons
qu'elle est inutile. On n'a rien à en faire et rien à déjà » (was wir schon wissen) avant toute peinture. Des-
apprendre. De cette inutilité il va tirer parti, le pari cription en termes de matiêre et de forme précisément,
q~'on va voir. II va l'exploiter, spéculer sur elle, J I ces catégories qu'il s'agit à un moment ou à un autre de
faire rendre. 11 faudra donc raffiner et différencier J délaisser. Mais cette description en elle-même laisse
détail de cette valeur d'inutilité, de l'inutilité. Mal omber, délaisse le tableau aussitÔt aprês sa premíêre
dês maintenant on peut garantir Ia pertinence de cett évocatíon (« nous choisissons ..• »)
proposition : dans Ia mesure ou Heidegger a clairement
~~voyé le tableau à son inutilité quant à ce qui import - Mais qu'est-ce que délaisser un tableau?
ICl, dans cette mesure, en tant que et tant qu'il le fait,
on a le droit de dire que Heidegger ne se sert pas du - Ce qui porte, dans ces quelques lignes descrip-
tableau pour sa démonstration et que d'une certain tives, c'est peut-être qu'elles excIuent les sabots (de bois)
maniêre il n'en est pas questiono La référence eSI ou les chaussures de filasse : « Mais qu'y a-t-il lã de si
suspendue (ou traversée). important à voir ? Chacun sait ce qui est propre à une
chaussure. S'il ne s'agit pas justement de sabot ou de
- Dira-t-on alors qu'il a três vite laissé tomber 1 chaussures de filasse (Hols- oder Bastschuhe}, on y
~bl~u comme, une vieille chaussure, c,omme un objet trouve Ia semelle de cuir, une empeigne, l'une à l'autre
mutile, hors d usage? Comme un abiect P Ce serait assemblées par couture et clous. Un tel produit sert à
encore le considérer Iui-même. chausser le pied [dient zur Fussbekleidung, à vêtir Ie
.pied]. En fonction de cette utilité (Dienlichkeit), qu'il
LA VÉRITÉ EN PEIN'III r TITUTIONS 377
'agisse de travail aux champs ou de danse, Ia matiêre et
forme varient. II

- 11 vient d'exclure les sabots ou les chaussures de


is. Pourquoi sinon parce qu'il parle d'un tableau?
t-ce que cela ne donne pas raison à Schapiro? La
lupart des paysans, les paysannes surtout, portent des
bots dans les tableaux ou dessins de Van Gogh. Je
se en particulier à cet Intérieur de ferme (1885,
. 168), à L'écosseuse de pois (1885, F. 214), à telle
aysanne arrachant des pommes de terre (1885, F. 251), à
Femme à Ia bêche uue de dos (1885, F. 255), au Paysan
GUChant(1885, F. 318), à Le bücheron (1885, F. 1327), au
aysan à Ia bêche (1890, F. 1587), aux Paysans au
Qvail (1890, F. 1602), à tant d'autres sabots dans des
es, des ensembles ou des « natures mortes )) dont le
ond reste visiblement le monde paysan. Si les sabots
nt exclus dans l' exemple même de Heidegger, une
imple lecture interne devrait suffíre à conc1ure qu'il ne
Nature morre (bcuteilles, vases, sabots), te plus de place pour des chaussures de paysan
présentables par Van Gogh. On serait ainsi díspensé
ces conjectures externes concemant les dates, les
lieux, le porteur ou le sujet réel des chaussures. La dis-
Nature morri (choux, saboll,
sion en serait abrégée et cene serait pas plus mal.
'est lassant, ce point de détail ou ce détail de pointure.
11 y a d'autres enjeux et plus urgents. La description
teme nous épargnerait ces interminables investigations
.rconstancielles, policiêres et anecdotiques.

- Mais une armée de fantômes réclame ses chaus-


ures. Des fantômes en armes ou une immense houle de
déportés recherchant leur nom. Si vous voulez vous
rendre à ce théâtre, voici le chemin de l'affect : Ia mé-
moire sans fond d'une dépossession, d'une expropria-
tion, d'une spoliation. Et des tonnes de chaussures
entassées là, paires mêlées et perdues.

- Vous paraissez aussi trop sürs de ce que vous


appelez description interne. Et l'externe ne reste jamais
dehors. 11 y va ici d'une décision quant au cadre, à ce
qui sépare l'inteme de l'externe, par une bordure elle-
LA VÉRITÉ EN PEINT •• RESTITUTIONS 379
même double en son trair, et ajointant ce qu'elle part emble résider, pour Ia tradition, l'être-produit du
Il y va de tous les intérêts engagés dans le procês de I produit.
partage. La logique du parergon ici à I'eeuvre ôte à I Les souliers, ça sert. Das Zeugsein des Zeuges besteht
égard toute sécurité. D'autant plus que le parergon in seiner Dienlichkeit, « l'être-produit du produit consiste
peut-être ici Ia forme de ce lacet qui rattache le ded I dans son utilité », voilà « ce que nous savons déjà »,
au dehors, si bien que le lacet (dedans-dehors) à moiu
défait dans le tableau figure aussi le rapport du tableau - Mais sur l'utilité propre aux souliers, Heidegger
son dehors. Le tableau est pris dans le lacet qu'il sembl laisse trainer l'équivoque et à vrai dire ne Ia lêvera ja-
pourtant comprendre comme sa partie. Quant \I mais, alors même qu'il prétend Ia rappeler dans son
investigations policiêres, il a déjà été suggéré qu'outr évídence Ia plus banale. 11a dit d'abord que les souliers
son importance en tant que représentant de Ia loi, I mwnt à chausser le pied, à 1e vêtir, à le couvrir (dient
police était toujours plus et autre que ce qu'on voudr 11 nr Fussbek1eidung). Rapportée à telle partie du corps
limiter sous ce nom. Les agents de Ia police ne sont p exposée (suriout en ses dessous) et qu'il s'agit de pro-
seulement dans les commissariats, dans les cars blind téger, dissimuler (mais pourquoi ?), serrer sinon orner
ou sur les lieux habitueIs de leur intervention. L'inv (Heidegger ne s'intéresse à ce vêtement qu'en raison de
tigation qui nous intéresse est aussi une enquête sur I IOn utilité, et à son utilité qu'en raison de Ia marche et
police. Elle est policiêre en ce senso Et pour l'anecdo du travail, cela ne sera pas sans conséquence), Ia chaus-
tique, il faut précisément voir ce qui se donne comme t I ure n'est pas encere, dans cette premiêre phase, posée
Moi aussi j'avais cru qu'une telle lecture interne ferait I comme un instrumento Seulement comme un vêtement
décision. Mais nono 11y a des chaussures de paysan qu ufile. En revanche, au paragraphe suivant, entrée en
ne sont pas des sabots. Et surtout, Van Gogh en a peint cêne de Ia paysanne, l'utilisation est référée au pas, à
dont Ia « paysannerie » parait indiscutable. Par exempl Ia marche, à Ia station debout et au travail, bref aux pieds
Le semeur de 1881. L'un des deux tableaux du moin en mouvement. Comme si une chaussure sans mouve-
qui, datés de Ia même année, sont peints « d'apr ment ou sans contact avec le sol, ne touchant en somme
Millet » sous ce même títre, fait apparaitre le détail d qu'aux pieds, perdait son sens et toute utilité. Cela n'est
chaussures - on peut dire maintenant souliers puisqu'il pas une contradiction, mais à ne pas insister sur le vête-
n'y a plus de sabots - de même type que ceux décrit ment ou du moins sur le vêtement hors du travail, sur Ia
par Heidegger et hardiment attribués par Schapiro parure, le postiche, le travestissement ou l'investiture de
Van Gogh, « by that time a man of the town and city » (J parade, sur d' autres usages que Ia marche ou sur l'utilisa-
me répête tout le temps cette petite allégation senten tion de l'inutile, on peut s'immobiliser devant deux
cieuse, on ne s'en lassera jamais)! De toute façon, 6U limites au moins virtuelles. Premíerement : ne pas com-
moment ou Heidegger écarte les sabots, il ne par1e tou prendre à quoi peut être « u~e » l'~utilité dont il s~ra
jours pas du tableau, même si c'est teI tableau en vue qu question tout à l'heure (souliers vides, plus ou moins
le pousse à resserrer l'exemple autour de souliers, d desserrés, hors de marche; et tableau lui-même hors
chaussures comme deux souliers qui font Ia paire. Il li d'usage, désinséré comme les souliers qu'il exhibe, le
ira de même quand l'hypothêse des souliers sera confir hors-d'usage y donnant à voir le hors-d'usage et l'usage,
mée par l'allusion au cuir qui exclut encore les sabot l'usage suspendu des souliers « dans » le tableau sus-
Décrivant ce qui appartient et revient sürement à 1 pendu, et réciproquement). Deuxiêmement : le proces-
chose comme produit, décrivant en termes de matiêr IUS dit de fétichisation du produit et de l'ceuvré, des
et de forme, il veut, toujours sans l'aide de Ia peínture soulíers et de Ia peinture, ne peut être thématiquement
poser Ia question de Ia Dienlichkeit, de l'utilité en quot interrogé dans ses zones problématiques déjà codées
LA VÉRITÉ EN PEIN 11 ITUTIONS

(f(\t-ce pour les critiquer), Ia « sexuelle » et I' « écono-


'que », C'est justement ici que [e situerais l'enjeu de Ia
· e, de Ia parité ou de l'appareillé des souliers. Une
· de souliers est plus facilement traitable comme une
· ité qu'un seul soulier ou que deux souliers dépa-
· és. La paire inhibe au moins, si elle ne l'interdit pas,
motion « fétichisante »; elle rive à l'usage, à l'usage
normal », elle chausse mieux et fait marcher selon Ia
i. C'est peut-être pour exclure Ia question d'une cer-
· e inutilité, ou d'un usage dit « pervers », que Heídeg-
et Schapiro se sont interdit le moindre doute sur Ia
'té ou l'appareillé de ces deux souliers. Ils les ont liés
semble pour les lier à Ia loi de l'usage normal. Ils ont
. , enchaíné, réprimé le díabolique, celui d'une du-
licité sans parité, d'un double sans paire. Ils ont liga-
pour limiter un inquiétant démembrement. Condi-
. n pour rendre justice à Ia vérité qu'ils croyaient
elevoir en peinture. Qu'auraient-ils fait, essayez de
'imaginer, de souliers dépareillés, de deux souliers du
ême pied, ou d'un soulier plus esseulé encore que ces
deux là? Auraient-ils pu tenir le même discours en
prensot pour exemple telles chaussures d'Adami (singu-
Ii~ent ce soulier de femme ajusté ou retiré, on ne sait
pu, le talon restam, apparemment découvert, voilé d'un
bis ou plutõt de ce qui, entre Ie bas et le soulier, comme
un dessous de plus, un sous-vêtement suppIémentaire
dans ce strip-tease ...) ou Ia Nature morte au oieux soulier
de Miró (1937)? ou ce soulier de femme (de morte?)
~ Magritte intitule IA lune] ou The Shoe de Lindner ?
Quand on s'assure de Ia chose comme d'une paire, quand
on oublie que le détachement va aussi d'un soulier à
I'autre et divise Ia paire, on réprime toutes ces questions,
on les fait rentrer dans l'ordre.

- On vient de dire : tout cela ne pouvait plus être


thématiquement interrogé. Mais est-ce forcément une
insuffisance ? Et si Heidegger interrogeait au-delà de cette
thématique déjà codée ? S'il se méfiait aussi du concept
de fétichisme selon Marx ou selon Freud ? Et s'il voulait
tout reprendre de ce problême, et de Ia question de Ia
chose en vérité qui travaille Ia valeur de fétichisme?
LA VÉRITÉ EN PEIN1 \I RESTITUTIONS

Vous avez tous l'air bien assurés de pouvoir déterminer


comme exclu, méconnu, impensé, dénié, trop implicite
- autant de possibilités au reste distinctes - ce que
vous ne trouvez pas dans, dans ce que vous délimitez en
toute hâte comme le dedans cadrable d'un teste, d'une
uníté détachable du corpus.

- Mais non, iustement, j'allais dire, mettant le mot


de « fétichisation » entre guillemets, et parlant de limites
u moins virtuelles, qu'il fallait y être attentif : ce qui
ressemble à un processus de fétichisation (l'inutilité de
l'oeuvre et du produit, l'inutilité du produit à l'eeuvre
dans l'oeuvre) se trouve décrit par Heidegger comme
un étrange mouvement de l' aletheia. Cela peut être tiré
dans diverses directions, toutes ouvertes. Peut-être y
a-t-i!, dans le trajet en lacet, de quoi nouer ou dénouer
autrement toute ladite question du fétichisme et du
symbolique.

- Parlera-t-on désormais d'un argument-des-deux-


souliers comme on parle dans Glas, d'un argument-de-la-
gaine? Argument des deux-souliers, plutôt que de Ia
paire, plutôt que du couple( homo ou hétérosexuel).
Bisexualité du double en deux souliers. L'argument-de-
la-gaine intervenait aussi, à partir de Freud, depuis, mais
au-delà du príncipe freudíen, pour dêplacer le concept
philosophico-psychanalytique du fétichisme, l'opposition
du fétiche à Ia chose même qu'il devenait, Ia décidabilité
sexuelle (paysan ou paysanne? Van Gogh ou Ia pay-
sanne ?), Ia castration comme vêritê de Ia vérité, etc.
Deux-souliers gainent aussi, mais quoi, en vue de quel
bénéfice, et quel sexe? Ils serrent plus ou moins fort, plus
TIIt S"Ot. ou moins strictement. Et Ia stricture plus ou moins défaite
des lacets, ceux de Ia gaine aussi, donnerait peut-être à
voir.

- le « torse de quelque Vénus en marbre de Paros


qui surgirait parmi les décombres d'une ville incendiée »!
C'est ainsi qu'ils « aperçurent dans un coin de Ia toile
Ie bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs,
de tons, de nuances indécises, espêces de brouillard
LA ViJuT* EN PEINTtlIUI J]
LA VÉRITÉ EN PEINTU I RESTITUTIONS

sans forme; mais un pied délicieux, un pied vivant I d'usage, à l'usage, si l'usage ne peut être, pense-t-il,
«(
Dans Le chef-d'reuvre inconnu Oui, oui, c'est bien 11 qu'etfectif, l'etfectivité même, alors le tableau ne sert à
toile li, dit l'un. « Vous êtes devant une femme et vou rien pour accéder à ce qui sert, à l'utilité du produit. 11
cherchez un tableau », dit le peintre) les visiteurs (111 est inutile à l'appréhension de l'utile. Mais pourquoi?
alors médusés, « pétrifiés d'admiration I). « - Il y a un En apparence pour une seule raison. Or cette raison
femme là-dessous ... li. se dédouble et ce dédoublement m'intéresse. C'est
encore un mouvement d' entrelacement du lacet. Par ce
- donnerait peut-être à voir ce que le corset, 1 mot d'entrelacement entendons au moins trois choses :
dessous lié de Ia gaine ou de Ia chaussure, garde pri I) l'entrelacement du lacet avec lui-même, 2) qu'il soit
dans un plus ou moins de stricture, toujours, v .1 aussi incomplêtement lacé (entre-lacé comme on dit
en effet ce qui m'importe, mais n'allons pas trop vil entrouvert pour ce qui n'est pas complêtement ouvert),
comme une issue sans dénouement. L'argument d I 3) et enfin que le figurant de l'entrelacement y soit entre-
gaine, c'est que ça joue toujours sur deux tableau lacé avec le figuré, le laçant avec le lacé. L'entrelacement
Je reviens en arriêre, à l'instant ou Heidegger rapp 11 n'est pas ici thématisé par Heidegger mais sous le nom de
que l'être-produit consiste en son « utilité I). 11ne s' Geflecht, il occupera plus tard son discours, dês 1950. Je
cupe toujours pas du tableau de Van Gogh. 11va maln traduis quelques lignes jusqu'au « Et pourtant. » qui va
tenant opérer en plusieurs temps et selon une démarch marquer un tournant : « Au long du processus de l'uti-
três insolite. lisation du produit le proprement produit du produit
Premier temps " cette utilité ne peut se laisser appr doit venir à notre rencontre. Par contre aussi longtemps
hender que dans l'usage, qu'en cours d'usage, à l'usag que nous nous contentons de nous représenter (vergegen-
Aucune peinture ne nous est donc de Ia moindre utilit
pour appréhender l'utilité d'un produit. Evocation de
paysanne, donc, hors tableau : « L'être-produit du pr
'I wartigen) en général une paire de souliers ou de regar-
der en image les souliers qui sont simplement lã vides,
inutilisés, nous n'apprendrons jamais ce que l'être-pro-
duit consiste en son utilité. Mais qu'en est-il de ceu duit du produit est en vérité. D'aprês le tableau de Van
demiêre P Saisissons-nous avec elle déjà ce qu'il y Gogh, nous ne pouvons même pas établir ou se tiennent
de proprement produit dans te produit (das Zeughaft ces souliers. Autour de cette paire de souliers de paysan
des Zeuges)? Ne devons-nous pas, pour y arriver, il n'y a rien à quoi ils pourraient appartenir [wozu und
nous mettre en quête du produit utile dans le cours d wohin sie gehõren kõnnten, à quoi et de quoi ils pourraient
son usage (in seinem Dienste) ? La paysanne aux champ revenir, et en vue de quoi], seulement un espace indé-
porte les souliers. Là seulement ils sont ce qu'ils som. terminé. N'y reste pas rnême collée une motte prise à
Ils le sont d'autant plus authentiquement (echter) qu Ia glêbe du champ ou au chemin de campagne, ce qui
Ia paysanne au travail pense moins à ses souliers ou 1 pourrait au moins faire signe vers leur utilisation. Une
regarde moins, voire les sent moins. Elle se tient debout paire de souliers de paysan et rien d'autre. Et pourtant. »
et va en eux. C'est ainsi que les souliers servent effecti Dans ce moment de l'argumentation, l'inutilité du
vement. Au long du processus d'utilisation du produit tableau tient donc à deux raisons qui se recoupent, se
le proprement produit du produit doit venir à notr redoublent et s'entrelacent selon un mode
rencontre. »
Toujours à l'intérieur de cette premiêre phase, Hei- - On disait à l'instant une raison qui se dédouble
degger feint, c'est une démarche rhétorique, de tirer au contraire
une conséquence de ce qui vient d'être dit : si l'utilité,
essence de I'être-produit, ne peut apparaitre qu'en cour - On peut aussi le dire, ce qui importe c'est le mode
LA VÉRITÉ EN PEIN'III IlESTITUTIONS

remarquable de I'entrelacement d'une raison qui t d'autant plus grave que l'attribution se prétend
remarque dans l'autre ou en elle-même. interne, fondée dans le tableau er non sur une coniecture
ou une reconstruction comme dans Ia Note de Schapiro.
- Je coupe encore. Une chose est süre mainten 111 t elle colle aux souliers avant tout autre examen, plus
sinon deux, à suivre ces que1ques lignes. Tout en d I tenace, plus adhérente encore que des mottes de terre
rant le tableau inutile, Heidegger en dit au mOI"
~eci : « cette paire de souliers de paysan », I1 ' u - plus indécrottable
incontestablement du tableau, d'une référence, m 111
si elle est dite inutile, à certe peinture-ci, à une « C 11 - ce mot connote aussi Ia vulgarité citadine et bour-
peinture-ci », On ne peut plus dire que Ia référence 1 geoise, celle qui colle aux chaussures de ville. 11y a trop
suspend~e o~ l~ peinture mis~ de côté. 11ne laisse I I d'injures politiques dans cette correspondance, de coups
tombery il décrit un tableau, S1 peu que ce soit. bas pour que nous en remettions ici.

-:- C'est incontestable en effet, Et s'il y a un 11 - Mais cette correspondance a pour sujet le bas
à dire que « ce ne sont pas des souliers-de mais d
souliers-de », Heidegger s'est lourdement avan - Lequel?
Sans toutefois les attribuer à un suiet réel, extérieur 111
antérieur au tableau, il a chargé ces souliers, il le - L'autre, toujours le supplément de bas.
investis, arraisonnés, compulsivement Iacés autour I
chevilles paysannes, alors que rien dans le tableau n' - Je reviens à Ia contradiction symptomatique. A
autorisait expressément. quel moment apparait-elle? Le tableau est doublement
inutile à Heidegger. lnutile parce qu'il nous « montre »,
- Ni ne I'interdísait. « exhibe » ou « représente », peu importe ici, dépeint des
objets-produits, inutiles, (( vides et inutilisés », Ils ne
- D'oü le symptôme, l'intérêt symptomal de I'in peuvent rien nous apprendre sur l'utilité qui nous inté-
vestiture, d'un côté comme de l'autre. Mais dans le c resse. Ils sont lã hors d'usage, sans valeur d'usage
d~ .Heidegger, il ne suflit ~as. de dire que c'était ill acruelle. La ligne, le systême de traits qui découpent
ginme, imprudent ou arbitraire (arbitraire quant u ce ((hors-d'usage », nous Ies suivons sur Ia bordure de ce
tableau, três nécessaire à Ia démarche investissante d vide, les bordures, Ia bordure multiple qui détache
Heidegger). 11 ne suflit pas d'ana1yser les motivation l'être-produit de ce que j'appellerai sa portée subjective.
~e tout~ ~orte (métap~ysiques, « idéologiques )), pol Bordure linéaire et assez simple autour du cou de pied
tiques, idiophantasmatiques, toutes nouées ensembl ) ou de Ia cheville dé-peints in absentia. Assez simple
qui l'ont poussé en 1935, prês d'un demi-siêcle apr quand le montant est droit, moins simple quand il
leur production et leur mise sur le marché, à annex I retombe comme un gant à moitié retourné (à gauche).
ces souliers, sous prétexte de les rapatrier dans leu. Sans Ia moindre simplicité quand il s'agit du lacet,
authentique paysage rural, dans leur lieu natal. Il faut entrelaçant le dedans et le dehors, Ie dessous et le dessus,
souligner Ia contradiction symptomatique, dans Ia mêm Ia droite et Ia gauche, ou a fortiori de ces trous bordés,
phrase, entre l'indétermination alléguée du tableau qu ourlés, que sont les oeillets comme lieu de passage.
ne nous apprendrait rien sur les souliers, sur leur appar Tout ce systême de bordures entrelaçantes détache
tenance, leur lieu, leur « champ )) social et, d'autr I'être-produit de sa portée subjective tout en amorçant
part, cette attribution de paysannerie. La contradiction (en induisant et en appâtant) le rattachement de ladite
LA VÉRITÉ EN PEIN'J 1/ TlTUTIONS

temps d'énumérer. Dês lors que l'évasion prend a I I par1e. Voyez ce que Heidegger dit ailleurs de Ia causa,
sur une touche descriptive aussi pauvre, aussi ind I I serait essentiel pour notre débat.
minée, tout autre trait descriptif (il n'y en a pour 111
dire pas d'autre) ne concemerait plus une peintui - Je reprends ma questiono Tout se passe fina1ement
Par exemple (mais il n'y a pas d'autre exemple): « I' omme si Heidegger n'avait certes pas par1é du tab1eau.
le cuir s'étend Ia terre grasse et humide. Par-dessou I Mais loin de s'en évader, il n'en aurait pas par1é en vue
semelles ... », Et encore ce « par-dessous » s'enfoncer I I de le laisser parler lui-même. Non pas fait par1er mais
par-dessous ia toile laissé par1er. Ces chaussures (une fois peintes) parlent,
ette chose produite et détachée de son sujet se met
- qui serait Ia semelle ? • (en) par1er, voilà ce que Heidegger dit un peu aI!res.
11 ne le dit pas lui-même, mais disons que ça se dít et
- si Ia toile seule était désignée. Pour ces seul n tout cas voiei ce que nous lisons : II L'être-produit
raisons, déià, on ne peut reprocher à Heidegger d du produit a été trouvé. Mais comment? Non pas
tromper de tableau, d'en confondre plusieurs, de m I • travers une description ou une explication (Erkliirung)
décrire ou de proieter dans un lieu imaginaire. 11 I d'une paire de chaussures (Sc~uhz~ges : ça se .trad~t
prétend pas se référer en toute rigueur à un tableau 11 par paire dês lors que ~eug dete~e 1e produit ut~le,
général, ni à tel tableau singulier. Cette référen f nuance importante qui nous mteressera p1us 10m]
effectivement présentes; non pas à travers un rapport
- Mais qu'est-ce que se référer? Qu'est-ce qu I ur le procês de fabrication des chaussures; ni davantage
référence en peinture ? • travers l'observation de Ia maniêre dont ici et lã on
utilise effectivement les chaussures. Mais - mais
- cette référence, quelle qu'elle soit, n'est pas ess 1\ eulement en nous mettant devant 1e tab1eau de Van
tielle à son propos. De plus, il s'intéresse iei à ia vérit Gogh (wir uns vor das Gemãlde uan Goghs brachten).
de ia vérité, condition indispensable pour savoir ce qu Celui-ci a par1é (Dieses hat gesproch~n)., p~ns Ia
référer veut dire. Et ia notion de référence, comme ce11 proximité de l'eeuvre nous avons soudain ete ailleurs
de référent, n'appartient-elle pas à une sémio-lingul que là ou. nous avons accoutume ' d' etre. L' ceuvre d' art
A

tique dominée, encore aujourd'hui, qu'on le veuille, I a donné à savoir ce que Ia paire de chaussures (Schuh-
sache ou non, par le couple matiêre-forme ê Par cett zeug) est en vérité. Ce serait Ia pire des ~ll~sions ~i
interprétation de Ia chose comme « produit » que nous voulions penser que c'est notre description qui,
passage même de L'origine est en train de mettre 1\ en tant qu'activité subjective, a ai?si tout dépeint .e~
cause ou en procês ? ensuite introduit dans le tab1eau. SI quelque chose lC1
est problématique, c'est seulement le fait que nous
- Soit. Mais alors comment expliquer que plus 10ÍD, n'ayons appris que trop peu à proximité de I'eeuvre
à l'autre bout, tout ce discours sur les chaussures, SUl et n'ayons énoncé cet apprendre [Erfahren : éprou'f~r,
cet exemple de produit, soit mis au compte du tableau expérimenter, traverser] que de façon trop grossiere
lui-même ] Non plus seulement comme discours sur et trop immédiate. Mais avant tout l'eeuvre n'a nullement
le tableau mais du tableau, discours tenu par lui, voir servi, comme il pouvait sembler d'abord, à une meilleure
par Ia paire de chaussures? C'est plus grave et plu présentation intuitive (V'eranschaulichung), et seulement
grave que ce que lui reproche Schapiro. l cela, de ce qu'est un produit. C'est bien plutôt à
travers I'eeuvre et seulement dans l'ceuvre que l'être-
- Oh, pour l'un et pour l'autre, c'est sür, ia cho produit du produit en vient proprement (eigens)
370 LA VÉRITÉ EN PEIN J TITUTIONS 371
à son paraitre (Vorschein). Qu'est-ce qui advient i I aire de chaussures de paysans, est en vérité, » La
Qu'est-ce qui dans I'eeuvre est à I'ceuvre > [Wa " yntaxe de Ia phrase, .identique en allemand et en
im Werk am Werk? à I'eeuvre sans doute comm 1111 rançais, marque bien Ia place du sujet. 11 s'agit de Ia
~it « au trav,ail n, sin0I?-à piedd'ceuvre mais on peut, " vérité du produit, de l'être-produit et non de l'exemple,
jouant à peine, tradwre aUSSlpar « à même l'oeuvr savoir telle paire de chaussures resserrée dans sa
ou « appartenant à l'ceuvre, eeuvrant dans l'ceuvr étermination comme celle de paysans. C'est bien
ce qui condense de nombreuses questions]. Le tabl \I nforme à Ia visée démonstrative de cette séquence.
de, Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, I e mot « exemple » prêterait à confusion s'il indiquait
paire de chaussures de paysans, est en vérité [was I" ulement un rapport déterminant d'individu à géné-
Zeug, das Paar Bauemschuhe, in Wahrheit íst, soyon ité conceptuelle ou un simple resserrement spécifique
attentifs à Ia syntaxe de cette phrase). Cet étant enu ( pêcefgenre) du concept d'être-produit à celui de
dans le décêlement (Unoerborgenheit ) de son être. ( aussures (souliers, sabots, savates, bottes, pointes, etc.)
décêlement de l'étant, les Grecs l'appelaient «À-Ij6c1cx, 11 uis à celui de chaussures de paysan (lesquelles?)
puis à cette paíre-ci.
- Est-ce que cela n'est pas pire que tout ? pire qu
l' (( illusion » subjectiviste dénoncée par Heidegg r , - Mais une chaussure seule, est-ce un individu du
Pire que Ia « projection » incriminée par Schapiro oupe (( paire lI? Et une paire, est-ce un individu de
Voici maintenant que le tableau dévoile en parlam, 'ensemble « chaussures n? Je suis venue ici pour poser
dans Ia proximité immédiate de sa présence, en fo tte question que personne, depuis tout à l'heure, ne
de laquelle il suffirait de se placer ou de se trouver. C I semble entendre.
me parait contredire ce qui fut dit tout à l'heure ti
l'exemple d'exemple. - Si le mot ((exemple prête à Ia confusion que je
)1

disais, il faut préciser : toute Ia séquence semble


- 11 fallait penser cette exemplarité en lacet. dure ce rapport d'articulation conceptuelle (genre,
pêce, individu, paire ou pas). C'est bien cette paire
- On abuse du lacet, tout le monde en joue dans ce tableau qui ouvre à Ia vérité de l'être-produit.
Mais qui y ouvre dans sa présence dévoilée-dévoilante,
- Oui, ça paraít ((pire » que Ia ré-adéquation ou J en se laissant traverser
ré-attribution d'une représentation au cours d'un
rattachement laborieux. Ce serait pire si (( Dieses h I - comme un eeillet, comme le cuir, comme Ia toile
gesprochen n avait le sens courant du discours, et don des chaussures, traverser par le lacet?
du discours humain prêté à une peinture, à un
chaussure en peinture. En abordant plus tard 1 - vers Ia vérité. Et dans ce cas, même s'il y avait
problême du trait (Riss ) , de l'attrait (Zug) , du erreur d'attribution ou projection de paysannerie, Ia
systême qui contracte les traits (Gezüge) dans leui marge d'aberration serait três étroíte. C'est Ia vérité
rapport à Ia parole et à Ia langue, j'essaierai de montr • de l'être-produit comme tel qui porte. S'il y a projection,
que c'est plus compliqué. Pour l'instant, ce ser h Ia prise est maigre pour Ia police des tableaux, pour
« pire » en effet, si Ia ((vérité » était celle de Ia ((paysan ce discours de l'ordre et de Ia propriété en pein-
nerie n, pour ainsi dire, des chaussures et non simplement ture.
de leur « être-produit », Or on a bien lu : ((Le tableau
de Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, I - S'il Y a police (n'y en a-t-il pas toujours ?), elle
372 LA VÉRITÉ EN PEINTUII TITUTIONS 373
opérerait ici contre une autre police, contre un aun ntre cette autre police (secrête) qui sous prétexte de
arraisonnement idéologique, et vous délivrer des chaínes de l'écriture et de Ia lecture
(toujours réduites, analphabétiquement, à l'alphabet)
- Que veut dire idéologique dans ce cas? L'origw vous enferme en toute hâte dans un prétendu hors-
propose au passage quelques schêmes d'interprétat 1111 texte : le pré-texte de Ia perception, de Ia parole vive,
quant à Ia formation et aux limites de ce cone J I es mains nues, de Ia création vive, de l'histoire
d'idéologie ou de son champ. réelle, etc. Prétexte en effet pour asséner le discours le
Jus éculé, le plus fruste, le plus fatigué. C'est aussi
- Le raffinement sur Ia syntaxe de « le produit, J vec du prétendu non-texte, du pré-texte nu, de l'immé-
paire de chaussures » m'a paru incroyable. Tout diat, qu'on essaie de vous intimider, de vous assujettir
jouerait donc dans le suspens de cette appositi 11, u programme le plus vieux, le plus dogmatique, le
à Ia pointe d'une virgule entre (( le produit )) et « I plus sinistrement autoritaire, aux machines médiati-
paire )),cette pause déposant Ia paire un peu à côté du tes les plus massives. Mais nous ne pouvons nous
produit, d'un intervalle un peu plus long entre deu engager ici dans ce débat sur les barbarles. Je propose
mots qu'on revienne à ce passage ou, le cadre jouant
discrêtement (mouvement inaudible du lacet), se pro-
- quelle est Ia pointure d'une virgule ? duit en silence l'événement qui nous retient ici
vec ses enjeux policíers, poli tiques, historiques,
- Il ne s'agit pas d'un intervalle de temps entre deu , psychanalytiques. La bordure entre ce texte-ci (au
dont l'un est ((paire )l, mais de ce fait syntaxique qu ens courant, prétendument strict, de chose imprimée
(( Ia paire » est en apposition, redoublant le produ II dans un livre) et une textualité générale (sans bord
d'un redoublement néanmoins resserrant, plus stri I, bsolu) s'y enleve.
plus étroit (le produit, par exemple ici Ia paire). Alor
l'espace de cette peinture est assigné par Ia pointure d - S'y enleve: au sens de Ia Gestalt apparaissant sur
Ia virgule qui elle-même, comme une virgule, comm fond ? ou bien de ce qui s'y efface et s'y perd ?
une chaussure, ne dit jamais rien.
- Les deux peut-être : les deux peuvent être
- Tout revient encore à une de ces ((explications d « à-l'eeuvre ))comme nous disions plus haut. Avant de
texte ))... Est-ce qu'on tit? Est-ce qu'on regard ? revenir au réquisitoire de Schapiro et à sa cause, je
voudrais expliquer três vite l'apparence d'un renver-
- Vous croyez qu'on accepterait ça, qu'on 1 ement de perspective dans I/origine (qu'on peut et
recevrait comme une explication de texte ou comm doit traiter aussi en peinture). Apres avoir secondarisé
close reading? un exemple d'exemple et sans qu'il soit question de
référer à un tableau pour lui-même, dans son systeme
- Tout revient à un de ces exercices de lecture à I de tableau
loupe qui prétendent tranquillement faire Ia loi, toui
contrôler, policiêrement en effet. - ça existe, ça, i1 y en a, du tableau pour lui-même
dans son systême de tableau ?
- Ça peut toujours, plus ou moins tranquillement,
devenir policier. Ça dépend comment, en vue de quol, - aprês avoir secondarisé un tel (( systême I), Hei-
dans quelle situation ça opere. Ça peut aussi armer degger en est venu, par étapes, à confier toute Ia vérité
374 LA VÉRITÉ EN PEINT I, TITUTIONS 375
au tableau, à Ia restituer tout entiêre à Ia peinture tl"l - Disons qu'ille met de cõté, le pose à cõté du dis-
« a parlé », faisant à Ia fin tout autre chose qu'illu tr I urs présent. De toute façon, laisser tomber prend du
ou remire présent à I'intuition. Comment et pourqui ps. C'est une trajectoire assez retorse pour qu'il s'y
Tout cela est difficile, MinuscuIe et minutieusem 111 se plus d'une chose. Dês qu'il a « choisi » le tableau,
réglé. Comme dans ce procês de fétichisme, tout I choisir entre les tableaux d'une série dont il connait
affaire et économie de détail, de Ia dêtaille, on ne 11I exístence, ill'abandonne. II commence, dês Ia phrase
faire l'économie du détail. Pas plus ici qu'ailleurs. I1 uivante, à laisser, si vous voulez, tomber : « Mais
faut délacer L'origine avec des gestes lents et attenul u'y a-t-il là de si important à voir (Aber was ist da mel
au moindre pli, risqués aussi, avec de temps à auu sehen ?) ? » Qu'y a-t-il de plus et de si important dans
un écart brusque, en tirant. e peinture? La réponse vient vite, elle est nette :
Heidegger choisit un tableau, il décide, pose I rim. Rien que nous ne sachions déjã, sous-entendu en
produit une convention : « Nous choisissons à cet etl I ors du tableau. Cette réponse ne sera jamais contre-
un célebre tableau de Van Gogh qui a souvent p "I 'te, seulement méditée sur un chemin en lacet. Jamais
de telles chaussures ... » 11 ne I'identifie pas dans cun contenu n'apparaitra dont on puisse décider que,
singularité. 11 ne lui donne aucun titre, aucun num r I tant que contenu, il appartient au tableau, il est
de catalogue. 11 ne se soucie en rien de son inscripti 11 écelé, défini, décrit, lu en lui. Dans ces conditions, ou
différentielle ou citationnelle dans une série (de V 1\ urrait-il y avoir confusion ou projection quant à Ia
Gogh ou d'autres, de Millet par exemple). Mais on s li nature ou à Ia propriété de choses peintes ?
qu'il sait : il y en a d'autres. Qu'est-ce qui, poui Aprês avoir demandé « Mais qu'y a-t-il là de si impor-
l'instant, pourrait autoriser son insouciance? Ceci tant à voir ? » et répondu : rien, « chacun sait ce qui est
aussitôt aprês et à plusieurs reprises, il ne convoque I, propre à des chaussures », Heidegger propose une des-
peinture que pour constater - et faire constater cription banale et minimale de « ce que nous savons
qu'elle est inutile. On n'a rien à en faire et rien à déjà » (was wir schon wissen) avant toute peinture. Des-
apprendre. De cette inutilité il va tirer parti, le part cription en termes de matiêre et de forme précisément,
q~'on va voir. 11 va l'exploiter, spécuIer sur elle, J ces catégories qu'il s'agit à un moment ou à un autre de
faire rendre. 11 faudra done raffiner et différencier I délaisser, Mais cette description en elle-même laisse
détail de cette valem d'inutilité, de I'inutilité. Mal tomber, délaisse le tableau aussitÔt aprês sa premíêre
dês maintenant on peut garantir Ia pertinence de cett évocation (<< nous choisissons ... »)
proposition : dans Ia mesure ou Heidegger a clairement
~c:nvoyéle tableau à son inutilité quant à ce qui import - Mais qu'est-ce que délaisser un tableau ?
lC1, dans cette mesure, en tant que et tant qu'il le fait
on a le droit de dire que Heidegger ne se sert pas du - Ce qui porte, dans ces que1ques lignes descrip-
tableau pour sa démonstration et que d'une certain tives, c'est peut-être qu'elles excluent les sabots (de bois)
maniêre i1 n'en est pas questiono La référence e t ou les chaussures de filasse : « Mais qu'y a-t-il lã de si
suspendue (ou traversée). important à voir ? Chacun sait ce qui est propre à une
chaussure. S'il ne s'agit pas justement de sabot ou de
- Dira-t-on alors qu'il a três vite laissé tomber I chaussures de filasse (Hole- oder Bastschuhe ), on y
tableau comme une vieille chaussure, comme un objet trouve Ia semelle de cuir, une empeígne, l'une à I'autre
inutile, hors d'usage? Comme un abject? Ce serait assemblées par couture et c1ous. Un tel produit sert à
encore le considérer luí-même. chausser le pied [dient zur Fussbekleidung, vêtir le
.pied]. En fonction de cette utilité {Dienlichluit}, qu'il
LA VÉRITÉ EN PEINIII TITUTIONS 377
'agisse de travail aux champs ou de danse, Ia matiêre et
forme varient. »

- 11 vieot d'exclure les sabots ou les chaussures de


is. Pourquoi sinon parce qu'il parle d'un tableau?
t-ce que cela ne donne pas raison à Schapiro? La
lupart des paysans, les paysannes surtout, portent des
bots dans les tableaux ou dessins de Van Gogh. Je
se en particulier à cet Intérieur de ferme (1885,
. 168), à L'écosseuse de pois (1885, F. 214), à telle
aysanne arrachant des pommes de terre (1885, F. 251), à
Femme à Ia bêche vue de dos (1885, F. 255), au Paysan
'euchant (1885, F. 318), à Le bücheron (1885, F. 1327), au
aysan à Ia bêche (1890, F. 1587), aux Paysans au
Iravail (1890, F. 1602), à tant d'autres sabots dans des
nes, des eosembles ou des « oatures mortes ))dont le
ond reste visiblement le monde paysan. Si les sabots
nt exclus dans l' exemple même de Heidegger, une
imple lecture interne devrait suffire à conclure qu'il ne
Nature morte rboureíües, vases, saboes). te plus de place pour des chaussures de paysan
représentables par Van Gogh. 00 serait ainsi dispensé
de ces conjectures externes concernant les dates, les
lieux, le porteur ou le sujet réel des chaussures. La dis-
Nature mDrte (choux, sabote, I
sion eo serait abrégée et cene serait pas plus mal.
'est lassant, ce point de détaíl ou ce détail de pointure.
11y a d'autres eojeux et plus urgents. La descríption
interne oous épargnerait ces interminables investigatioos
circonstancielles, policiêres et anecdotiques.

- Mais une armée de fantõmes réclame ses chaus-


ures. Des fantõmes en armes ou une immense houle de
déportés recherchant leur nom. Si vous voulez vous
rendre à ce théâtre, voici te chemin de l'affect : Ia mé-
moire sans fond d'une dépossession, d'une expropria-
tion, d'une spoliation. Et des tonnes de chaussures
entassées lã, paires mêlées et perdues.

- Vous paraissez aussi trop sürs de ce que vous


appelez description interne. Et I'externe ne reste jamais
dehors. 11y va ici d'une décision quant au cadre, à ce
qui sépare l'interne de l'externe, par une bordure elle-
LA VÉRITÉ EN PEIN1U I IESTITUTIONS 379
même double en son trair, et ajointant ce qu'elle part emble résider, pour Ia tradition, l'être-produít du
11 y va de tous les intérêts engagés dans le proces d produit.
partage. La logique du parergon ici à l'eeuvre ôte à Les souliers, ça sert. Das Zeugsein des Zeuges besteht
égard toute sécurité. D'autant plus que le parergo1l in seiner Dienlichkeit, « l'être-produit du produit consiste
peut-être ici Ia forme de ce lacet qui rattache le ded 1\ dans son utilité », voilà « ce que nous savons déjà »,
au dehors, si bien que le lacet (dedans-dehors) à moit
défait dans le tableau figure aussi le rapport du tableau - Mais sur l'utilité propre aux souliers, Heidegger
son dehors. Le tableau est pris dans le lacet qu'il sembl laisse trainer l'équivoque et à vrai dire ne Ia lêvera ja-
pourtant comprendre comme sa partie. Quant li mais, alors même qu'il prétend Ia rappeler dans son
investigations policiêres, il a déjà été suggéré qu'ouu êvídence Ia plus banale. 11 a dit d'abord que les souliers
son importance en tant que représentant de Ia loi, I mvent à chausser le pied, à le vêtir, à le couvrir (dient
police était toujours plus et autre que ce qu'on voudr 11 .ur Fussbek1eidung). Rapportée à telle partie du corps
limiter sous ce nom. Les agents de Ia police ne sont P exposée (suri:out en ses dessous) et qu'il s'agit de pro-
seulement dans les commissariats, dans les cars blind téger, dissimuler (mais pourquoi ?), serrer sinon orner
ou sur les lieux habituels de leur intervention. L'inv (Heidegger ne s'intéresse à ce vêtement qu'en raison de
tigation qui nous intéresse est aussi une enquête sur I IOn utilité, et à son utilité qu'en raison de Ia marche et
police. Elle est policiêre en ce senso Et pour l'anecdo du travail, cela ne sera pas sans conséquence), Ia chaus-
tique, il faut précisément voir ce qui se donne comme t 1 ure n'est pas encore, dans cette premiêre phase, posée
Moi aussi j'avais cru qu'une telle lecture interne ferait I comme un instrumento Seulement comme un vêtement
décision. Mais nono 11 y a des chaussures de paysan qu utile. En revanche, au paragraphe suivant, entrée en
ne sont pas des sabots. Et surtout, Van Gogh en a peint acene de Ia paysanne, l'utilisation est référée au pas, à
dont Ia « paysannerie » parait indiscutable. Par exempl Ia marche, à Ia station debout et au ttavail, bref aux pieds
Le semeur de 1881. L'un des deux tableaux du moin en mouvement. Comme si une chaussure sans mouve-
qui, datés de Ia même année, sont peints « d'apr ment ou sans contact avec le sol, ne touchant en somme
Millet ))sous ce même títre, fait apparaitre le détail d qu'aux píeds, perdait son sens et toute utilité. Cela n'est
chaussures - on peut dire maintenant souliers puisqu'lI pas une contradiction, mais à ne pas insister sur le vête-
n'y a plus de sabots - de même type que ceux décrit ment ou du moins sur le vêtement hors du travail, sur Ia
par Heidegger et hardiment attribués par Schapiro parure, le postíche, le travestissement ou l'investiture de
Van Gogh, « by that time a man of the town and city)) (J parade, sur d' autres usages que Ia marche ou sur l'utilisa-
me répête tout le temps cette petite allégation senten tion de l'inutile, on peut s'immobiliser devant deux
cieuse, on ne s'en lassera jamais)! De toute façon, au limites au moins virtuelles. Premíêremeat : ne pas com-
moment ou Heidegger écarte les sabots, il ne parle tou- prendre à quoi peut être « u~e ) l'~utilité dont il s~ra
jours pas du tableau, même si c'est teI tableau en vue qui question tout à l'heure (souliers vides, plus ou moms
le pousse à resserrer l'exemple autour de souliers, d desserrés, hors de marche; et tableau lui-même hors
chaussures comme deux souliers qui font Ia paire. 11 en d'usage, désinséré comme les souliers qu'il exhibe, le
ira de même quand I'hypothêse des souliers sera confir- hors-d'usage y donnant à voir le hors-d'usage et l'usage,
mée par l'allusion au cuir qui exclut encore les sabots. l'usage suspendu des souliers « dans )) le tableau sus-
Décrivant ce qui appartient et revient sürement à I pendu, et réciproquement). Deuxíemement : le proces-
chose comme produit, décrivant en termes de matiêre sus dit de fétichisation du produit et de l'ceuvré, des
et de forme, il veut, toujours sans l'aide de Ia peinture, souliers et de Ia peinture, ne peut être thématiquement
poser Ia question de Ia Dienlichkeit, de l'utilité en quoi interrogé dans ses zones problématiques déjà codées
LA VÉRITÉ EN PEINTIl IESTITUTIONS

(füt-ce pour les critiquer), Ia « sexue11e))et I' « écono-


mique ». C'est justement ici que je situerais I'enjeu de Ia
paire, de Ia parité ou de l'appareillé des souliers. Une
paire de souliers est plus faci1ement traitable comme une
fltilité qu'un seul soulier ou que deux souliers dépa-
reillés. La paire inhibe au moins, si elle ne l'interdit pas,
motion « fétichisante )); elle tive à l'usage, à l'usage
• normal I), elle chausse mieux et fait marcher selon Ia
loi. C'est peut-être pour exc1ure Ia question d'une cer-
tline inutilité, ou d'un usage dit « pervers )),que Heideg-
aer et Schapiro se sont interdit le moindre doute sur Ia
parité ou l'appareillé de ces deux souliers. Ils les ont liés
CDsemblepour les lier à Ia loi de l'usage normal. Ils ont
Iié, enchainé, réprimé le diabolique, celui d'une du-
plicité sans parité, d'un double sans paire. I1s ont liga-
turé pour limiter un inquiétant démembrement. Condi-
tion pour rendre justice à Ia vérité qu'ils croyaient
elevoir en peinture. Qu'auraient-ils fait, essayez de
l'imaginer, de souliers dépareillés, de deux souliers du
m~e pied, ou d'un soulier plus esseulé encore que ces
deux là? Auraient-ils pu tenir le même discours en
prenant pour exemple telles chaussures d'Adami (singu-
Iierement ce soulier de femme ajusté ou retiré, on ne sait
pas, le talon restant, apparemment découvert, voilé d'un
bas ou plutõt de ce qui, entre le bas et le soulier, comme
un dessous de plus, un sous-vêtement supplémentaire
dans ce strip-tease ...) ou Ia Nature morte au oieux soulier
de Mir6 (1937)? ou ce soulier de femme (de morte ?)
que Magritte intitule La Zune(OU The Shoe de Lindner ?
Quand on s'assure de Ia chose comme d'une paire, quand
on oublie que le détachement va aussi d'un soulier à
l'autre et divise Ia paire, on réprime toutes ces questions,
on les fait rentrer dans l'ordre.

- On vient de dire : tout cela ne pouvait plus être


thématiquement interrogé. Mais est-ce forcément une
insuffisance ? Et si Heidegger interrogeait au-delã de cette
thématique déjà codée ? S'il se méfiait aussi du concept
de fétichisme selon Marx ou selon Freud ? Et s'il voulait
tout reprendre de ce problême, et de Ia question de Ia
ehose en vérité qui travaille Ia valeur de fétichisme?
LA VÉRITÉ EN PEINTU I RESTITUTIONS

Vous avez tous l'air bien assurés de pouvoir déterminer


comme exclu, méconnu, impensé, dénié, trop implicite
- autant de possibilités au reste distinctes - ce que
vous ne trouvez pas dans, dans ce que vous délimitez en
toute hâte comme le dedans cadrable d'un texte, d'une
unité détachable du corpus.

- Mais non, justement, j'allais dire, mettant le mot


de « fétichisation » entre guillemets, et parlant de limites
au moins virtuelles, qu'il fallait y être attentif : ce qui
ressemble à un processus de fétichisation (l'inutilité de
l'oeuvre et du produit, l'inutilité du produit à l'eeuvre
dans l'oeuvre) se trouve décrit par Heidegger comme
un étrange mouvement de l' aletheia. Cela peut être tiré
dans diverses directions, toutes ouvertes. Peut-être y
a-t-it, dans le trajet en lacet, de quoi nouer ou dénouer
autrement toute ladite question du fétichisme et du
symbolique.

- Parlera-t-on désormais d'un argument-des-deux-


souliers comme on parle dans Glas, d'un argument-de-la-
gaine? Argument des deux-souliers, plutôt que de la
paire, plutôt que du couple( homo ou hétérosexuel).
Bisexualité du double en deux souliers. L'argument-de-
la-gaine intervenait aussi, à partir de Freud, depuis, mais
au-delà du principe freudien, pour dêplacer le concept
philosophico-psychanalytique du fétichisme, l'opposition
du fétiche à Ia chose même qu'il devenait, Ia décidabilité
sexuelle (paysan ou paysanne? Van Gogh ou Ia pay-
sanne ?), Ia castration comme vérité de Ia vérité, ete.
Deux-souliers gainent aussi, mais quoi, en vue de quel
bénéfice, et quel sexe? I1sserrent plus ou moins fort, plus
The Shoe. ou moins strictement, Et Ia stricture plus ou moins défaite
des lacets, ceux de Ia gaine aussi, donnerait peut-être à
voir.

- le « torse de quelque Vénus en marbre de Paros


qui surgirait parmi les décombres d'une ville incendiée »!
C'est ainsi qu'ils « aperçurent dans un coin de Ia toite
te bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs,
de tons, de nuances indécises, espêces de brouillard
LA VáiuTt! EN PEINTUIlB 13
LA VÉRITÉ EN PEINTUIII RESTITUTIONS

sans fonne; mais un pied délicieux, un pied vivant I Ii d'usage, à l'usage, si l'usage ne peut être, pense-t-il,
Dans Le chef-d'ceuvre inconnu «< Oui, oui, c'est bien Wl qu'effectíf, I'effectivité même, alors le tableau ne sert à
toile », dit l'un. « Vous êtes devant une femme et vo I rien pour accéder à ce qui sert, à l'utilité du produit. Il
cherchez un tableau », dit le peintre) les visiteurs s 111 est inutile à l'appréhension de l'utile. Mais pourquoi?
alors médusés, « pétrifiés d'admiration », « - Il y a UI1 En apparence pour une seule raison. Or cette raison
femme là-dessous ... ». se dédouble et ce dédoublement m'intéresse. C'est
encore un mouvement d' entrelacement du lacet, Par ce
- donnerait peut-être à voir ce que le corset, I mot d'entrelacement entendons au moins trois choses :
dessous lié de Ia gaine ou de Ia chaussure, garde prl I) l'entrelacement du lacet avec lui-même, 2) qu'il soit
dans un plus ou moins de stricture, toujours, voil aussi incomplêtement lacé (entre-lacé comme on dit
en effet ce qui m'importe, mais n'allons pas trop vit , entrouvert pour ce qui n'est pas complêtement ouvert),
comme une issue sans dénouement. L'argument de 1 3) et enfin que le figurant de l'entrelacement y soit entre-
gaine, c'est que ça joue toujours sur deux tableau lacé avec le figuré, le laçant avec le lacé. L'entrelacement
Je reviens en arriêre, à l'instant ou Heidegger rappell n'est pas ici thématisé par Heidegger mais sous le nom de
que l'être-produit consiste en son « utilité )1. 11 ne s'o Geflecht, il occupera plus tard son discours, dês 1950. Je
cupe toujours pas du tableau de Van Gogh. Il va main traduis quelques lignes jusqu'au « Et pourtant. » qui va
tenant opérer en plusieurs temps et selon une démarch marquer un tournant : « Au long du processus de l'utí-
três insolite. lisation du produit le proprement produit du produit
Premier temps : cette utilité ne peut se laisser appr doit venir à notre rencontre. Par contre aussi longtemps
hender que dans l'usage, qu'en cours d'usage, à l'usa~ . que nous nous contentons de nous représenter (vergegen-
Aucune peinture ne nous est donc de Ia moindre utilit wartigen) en général une paire de souliers ou de regar-
pour appréhender l'utilité d'un produit. Evocation de 1 der en image les souliers qui sont simplement là vides,
paysanne, donc, hors tableau : « L'être-produit du pr inutilísés, nous n'apprendrons jamais ce que l'être-pro-
duit consiste en son utilité. Mais qu'en est-il de cett duit du produit est en vérité, D'aprês le tableau de Van
derniêre P Saisissons-nous avec elle déjà ce qu'il y Gogh, nous ne pouvons même pas établir ou se tiennent
de proprement produit dans le produit (das Zeug~aft ces souliers. Autour de cette paire de souliers de paysan
des Zeuges)? Ne devons-nous pas, pour y arriver, il n'y a rien à quoi ils pourraient appartenir [wozu UM
nous mettre en quête du produit utile dans le cours d wohin sie gehõren kõnnten, à quoi et de quoi ils pourraient
son usage (in seinem Dienste) ? La paysanne aux champ revenir, et en vue de quoi], seulement un espace indé-
porte les souliers. Là seulement ils sont ce qu'ils sont, tenniné. N'y reste pas même collée une motte prise à
Ils le sont d'autant plus authentiquement (echter) qu Ia glêbe du champ ou au chemin de campagne, ce qui
Ia paysanne au travail pense moins à ses souliers ou 1 pourrait au moins faire signe vers leur utilisation. Une
regarde moins, voire les sent moins. Elle se tient deboui paire de souliers de paysan et rien d'autre. Et pourtant. »
et va en eux. C'est ainsi que les souliers servent effectí- Dans ce moment de l'argumentation, l'inutilité du
vement. Au long du processus d'utilisation du prodult tableau tient donc à deux raisons qui se recoupent, se
le proprement produit du produit doit venir à notr redoublent et s'entreIacent selon un mode
rencontre. »
Toujours à l'intérieur de cette premiêre phase, Hei - On disait à l'instant une raison qui se dédouble
degger feint, c' est une démarche rhétorique, de tirer au contraire
une conséquence de ce qui vient d'être dit : si l'utilité,
essence de I'être-produit, ne peut apparaitre qu'en cour - On peut aussi le dire, ce qui importe c'est le mode
LA VÉRITÉ EN PEINT I RESTITUTIONS

remarquable de 1'entrelacement d'une raison qui I est d'autant pIus grave que l'attribution se prétend
remarque dans 1'autre ou en elle-même, interne, fondée dans le tabIeau er non sur une conjecture
ou une reconstruction comme dans Ia Note de Schapiro.
- Ie coupe encore. Une chose est süre mainten 111, Et elle colle aux souliers avant tout autre examen, plus
sinon deux, à suivre ces quelques lignes. Tout en dé I tenace, plus adhérente encore que des mottes de terre
rant le tableau inutile, Heidegger en dit au m "
ceci : « cette paire de souliers de paysan ». 11 s' 11 - plus indécrottabIe
incontestabIement du tabIeau, d'une référence, m 01
si elle est dite inutile, à certe peinture-ci, à une « C ti - ce mot connote aussi Ia vulgarité citadine et bour-
peinture-ci », On ne peut plus dire que Ia référence I geoise, celle qui colle aux chaussures de ville. 11 ya trop
suspendue ou Ia peinture mise de côté. 11 ne laisse p' d'injures politiques dans cette correspondance, de coups
tomber, il décrit un tableau, si peu que ce soit. bas pour que nous en remettions ici.

- C'est incontestabIe en effet. Et s'il y a un s o - Mais cette correspondance a pour sujet le bas
à dire que « ce ne sont pas des souliers-de mais d
souliers-de », Heidegger s'est lourdement avan - Lequel?
Sans toutefois les attribuer à un sujet réel, extérieur 011
antérieur au tableau, il a chargé ces soullers, il le - L'autre, toujours le supplément de bas.
investis, arraisonnés, compulsivement lacés autour d
chevilles paysannes, alors que rien dans le tableau n' - Je reviens à Ia contradiction symptomatique. A
autorisait expressément. quel moment apparait-elle ? Le tableau est doublement
inutile à Heidegger. Inutile parce qu'il nous « montre »,
- Ni ne l'interdisait. « exhibe ))ou « représente », peu importe ici, dépeint des

obiets-produits, inutiles, « vides et inutilisés », Ils ne


- D'oü le symptôme, l'intérêt symptomal de l'in peuvent rien nous apprendre sur l'utilité qui nous inté-
vestiture, d'un côté comme de l'autre. Mais dans le C8 resse. Ils sont lã hors d'usage, sans valeur d'usage
de Heidegger, il ne suffit pas de dire que c'était i11 actuelle. La ligne, le systême de traits qui découpent
gitime, imprudent ou arbitraire (arbitraire quant a I ce « hors-d'usage », nous les suivons sur Ia bordure de ce
tableau, três nécessaire à Ia démarche investissante d vide, les bordures, Ia bordure multiple qui détache
Heidegger). 11 ne suffit pas d'analyser les motivation l'être-produit de ce que j'appellerai sa portée subjective.
~e tout~ ~orte (métap~ysiques, « idéologiques », poli Bordure linéaire et assez simple autour du cou de pied
tiques, idiophantasmatiques, toutes nouées ensemble) ou de Ia cheville dé-peints in absentia. Assez simple
qui 1'ont poussé en 1935, prês d'un demi-siêcle apr quand le montant est droit, moins simple quand i1
leur production et leur mise sur le marché, à annexer retombe comme un gant à moitié retourné (à gauche).
ces souliers, sous prétexte de les rapatrier dans leur Sans Ia moindre simplicité quand il s'agit du lacet,
authentique paysage rural, dans leur lieu natal. II faut entrelaçant le dedans et le dehors, le dessous 'et le dessus,
souligner Ia contradiction symptomatique, dans Ia mêm Ia droite et Ia gauche, ou a fortiori de ces trous bordés,
phrase, entre l'indétermination alléguée du tableau qu ourlés, que sont les oeillets comme lieu de passage.
ne nous apprendrait rien sur les souliers, sur leur appar- Tout ce systême de bordures entrelaçantes détache
tenance, leur lieu, leur « champ )) social et, d'autr I'être-produit de sa portêe subjective tout en amorçant
part, cette attribution de paysannerie. La contradiction (en induisant et en appâtant) Ie rattachement de ladite
LA VÉRITÉ EN PEINTU/l1 RESTITUTIONS

portée subjectioe. Entendez ces demiers mots comme v \I ment des lacets n'est pas absolu, il n'absout pas, ne
voudrez : le contenu déterminé de Ia subjectivité du délie pas, ne coupe pas. 11garde une stricture organisée.
suiet, du sujet des souliers, de qui est supposé remplu Non pas un plus ou moins de stricture mais une forme
les chaussures; ou encore le sujet porteur ou port • déterminée (structurée) de stricture : du dedans et du
sinon propriétaire. Dans cette portée subjective, décou dehors, du dessous et du dessus. La logique du déta-
pée de son talon comme un cheque en blanc, vont chement comme coupure conduit à l'opposition, c'est
porter les sujets pressés d'y mettre les pieds, Martln une logique, voire une dialectique de l'opposition. J'ai
Heidegger ou Meyer Schapiro, avec leur propre inv montré ailleurs qu'elle avait pour effet de relever Ia
titure. Par exemple. différence. Donc de suturer. La logique du détachement
comme stricture est tout autre. Différante : elle ne
- Pour faire revenir des fantômes ? Pour les empê uture jamais. Elle permet ici de tenir compte de ce
cher au contraire de revenir ? Ces souliers se mettent fait : ces souliers ne sont ni attachés ni détachés, ni
ressembler aussi à un membre-fantõme, 11s deviennent pleins ni vides. Un double bind y est comme suspendu
sensibles, nerveux, presque bavards là ou apparemment et tendu à Ia fois, que je n'essaierai pas ici de rattacher
Ia chose ne sent et ne dit rien, objectivement. strictement à un autre discours sur le double bind. Mais
cette paire louche, boiteuse, plus ou moins bien appa-
- Donc Heidegger dit : les souliers sont inutiles, dan reillée, comme l'entre-deux bande, entrebâillée, elle
cet état, pour qui voudrait accéder à l'utilité de l'utile, n'est ni vide ni pleine. Une certaine hantise, qui revien-
l'essence supposée du produit. Cette inutilité de l'inutil dra tout à l'heure, ne peut s'accommoder d'aucun de
à penser l'utile, cette - déjà - double inutilité ne tient ces couples d'oppositions, de ces coupes opposition-
pour I'instant qu'à I'être-détaché ou délaissé, délacé de nelles. Si je dis du fantõme en ce bail des souliers, que
souliers. L'exhibition des lacets à demi desserrés, Hei le, Ia, les double( s) band-
degger n'en parle pas directement, mais c'est elle qu
importe ici et elle appartient au systême de traits mar- - Oui, disons alors stricture ou destricturation.
quant Ia coupure.
- Toute stricture est à Ia [ois stricturation et des-
- Ce mot de coupure me gêne. D'abord il install tricturation.
trop vite, il arraisonne et maintient dans une probléma-
tique de Ia vérité-castration (rappelez-vous les psychana- - C'est ce que dit Ia « paire» de souliers de Van Gogh ?
lystes de tout à l'heure quand à Magritte ils ensei-
gnaient Ia castration - Elle ne dit pas ça, mais elle ne dit pas autre chose.
Ça, c'est ce qui se dit qui se passe d'une restance, si vous
- à Londres? voulez bien suivre l'analyse interminable de ce lacet. Une
analyse veut toujours délier.
- oui, à Londres). Cette problématique est un peu
simpliste - un cas ou un effet tout au plus - si on tient - C'est en considérant Ia déliaison, Ia destrictura-
compte de l'argument-de-la-gaine ou des-deux-souliers, tion, l'être-desserré des lacets, le hors-d'usage des
Puis ces lacets, précisément, ces liens desserrés ne me deux souliers que Heidegger déc1are le tableau inutile
paraissent pas jouer dans une logique de Ia coupure. à sa recherche. Mais, deuxiême raison entrelacée avec
Plutõt dans celle de Ia stricture, dans I'entre-lacement celle-ci, le tableau, inutile en ce qu'il représente et
de Ia différance de (ou comme) stricture. Le desserre- cadre ainsi, l'est aussi, inutile, en ce qu'il représente et
390 LA VÉRITÉ EN PEINTU I RESTITUTIONS 391
cadre. Inutile par ce qu'il donne en peinture et: par sa remarque I'être-détaché de l'autre : les souliers aux
qu'il donne en peinture. Inutile dans les chaussur lacets (un peu) défaits donnent à remarquer Ia pein-
inutiles (le produit) mais aussi inutile en tant u ture.
tableau désinséré, détaché de -son milieu par l'arti
de son rattachement, Ia ligne du cadre. Ce n'est p - IIs donnent ?
seulement un produit inutile montrant un produit inu
tile, il est inutile en tant qu'eeuvre (Werk), produ 11 - Ça donne, il y a, es gibt, II Y a ça, les deux souliers
abstrait de son milieu et donnant à voir un produ h peints ...
abstrait de son milieu. Son milieu d'appartenance (I
mur du musée par exemple) est aussi abstrait que celu - En vieux langage, on dirait
des souliers. Quand Heidegger parle de I' « espace ind
terminé II autour des souliers, il aurait aussi pu le dir - II Y a du vieux langage ? Comme des vieux sou-
de ce qui entoure le tableau. liers désuets, hors d'usage ou périmés, du langage peint
Dans cette phase de I'argumentation, Heidegger m I en somme ? Vous voyez ou ça mênerait ...
ainsi l'accent sur le dé-, le dé-lacé, le destricturé, 1
détachement, I'abstraction. Plus tard, le processus d - Laissons le vieux langage. D'autres diraient : les
rattachement, Ia restricturation toujours déjà amorcé souliers tiennent un discours sur Ia peinture, sur le
viendra, aprês le « Et pourtant. », mettre en eeuvre cett cadre, sur les traits. Ces souliers sont une allégorie de Ia
double inutilité, en faire d'une certaine maniêre usag peinture, une figure du détachement pictural. I1s
et plus-value disent : nous sommes Ia peinture en peinture. Ou
encore : on pourrait intituler ce tableau : l'origine de Ia
- cette triple inutilité, puisque Ia double inutilit peinture. II met le tableau en tableau et vous invite à ne
(celle du produit et celle de I'eeuvre) est inutile à Ia pas oublier; cela même qu'il vous fait oublier : vous
saisie de I utilité, avez sous les yeux de Ia peinture et non pas des souliers
(essayez donc de les remettre, à vos pieds ou à ceux d'un
- En tout cas Ia correspondance entrelaçante entre autre I), Ia peinture est originairement ce détachement
ces deux détachements abstraits, celui des souliers et qui perd pied. Mais le détachement doit aussi s'entendre
celui du tableau, n'est en rien fortuite. Elle ne ras-
semble pas deux détachements, deux termes, deux iden- - Non, non, non, ça ne dit rien de tel, ça ne donne
tités détachables, deux fois détachables, deux « choses II rien à entendre, surtout pas, une fois de plus, cette
ou deux produits dont I'un est produit au sens strict mise-en-abyme de Ia peinrure dans Ia peinture dont on a
et l'autre une ceuvre, aucun des deux n'étant naturel. bien montré à quelle saturation restituante, à quelle rés-
Elle ne rassemble pas deux selon une loi qui leur serait déquation représentative elle tendait encore. Non, nono
extérieure. Le détachement de l'un marque, re-marque
ou sur-marque celui de I'autre. En lui-même l'entre- - Si - le détachement doit aussi s'entendre comme
laçant. Je propose ce mot de marque (marche, marge) une mission représentative à rattacher à son origine
pour des raisons expliquées ailleurs mais il suffit de émettrice, Un rattachement est déjà, toujours, en train
dire ici que c'est pour éviter de dire « dire >l, « montrer >l, de resserrer le destricturé. En ce sens les souliers font
« représenter >l, « peindre >l, autant de mots que ce sys- marquer (font marcher, font marché-de) ce qu'on tra-
teme ceuvre à déconstruire. Donc I'être-détaché (délacé duirait par l'énoncé suivant : ceei est un tableau, nous
ou destricruré, délaissé ou abstrait) de l'un entrelace de sommes Ia peinture en peinture, ceei est dessiné par
392 LA VÉRITÉ EN PEINTUIU RESTITUTIONS 393
les traits, les bordures, les lacets des souliers vides q I - Apparemment pas. Ce serait en tout cas trans-
nous détachent du sujet en pied. Dês lors ces trait 1\ former, sinon pervertir Ia maniêre dont ce texte est lu
lacets forment le « cadre » du tableau qui paraissait 1 ffen général )) et peut-être par Martin Heidegger lui-
encadrer. Nous, les souliers, nous sommes plus gran même. Personne n'y a jamais vu une peinture ni une
que le cadre et Ia signature incorporée. Le tableau chaussure. Et pourtant. Je I'aime comme ça.
dans les chaussures que nous sommes
- 11 reste que Ia figure de cette correspondance
- Elles s'agrandissent tout à coup démesurément entrelacée (depuis longtemps on ne sait plus qui y tient
on peut tout y mettre. Tout (le monde) peut voulolr, Ia parole et si ça parle) ne releve d'aucune rhétorique
veut pouvoir les emprunter ou les voler, comme le pell établie. Parce que ce n'est pas simplement un discours,
poucet ou le chat boné. Qui est l'ogre? Mais ces bott bien sür, mais parce que même transportes, par rhéto-
de sept lieues, ce serait aussi le texte du récit, Le peut rique, hors de Ia rhétorique discursive, les tropes ou les
poucet, Le chat botté, Cendrillon. Le texte est une chau figures ne marcheraient pas iei. Cette correspondance
sure plus grande que celle qu'il met en scêne et qui e I entrelaçante, par exemple le débordement interminable
pourtant plus grande que lui. Et le discours prêté à I du tout par Ia partie qui fait sauter (par-dessus) le
chaussure, à l'instant, est aussi une chaussure. Mêm cadre, ne se produit pas à l'intérieur d'un élément
loi, pour ces vieux souliers, que pour les Habits neuf cadrant ou cadré, comme les figures de rhétorique dans
de l' empereur dans Le [acteur de Ia vérité. Ia langue ou le discours, comme les figures de « rhéto-
rique » « picturale » dans le systême de Ia peinture. lei
- Loi du parergon qui comprend tout sans com- Ia surenchêre en plus-value de Ia correspondance débor-
prendre et pervertit tous les rapports de Ia partie au dante (surbordante) a lieu entre l'élément dit général
tout. Car inversement le tableau encadrant, ce qui s (discours, écriture, peinture) et tel ou tel élément déter-
donne pour peinture en premiêre évidence - pour miné en lui. Ce dernier vaut plus que le tout. La rnéto-
Heidegger, Schapiro et quelques autres - se remarqu nymie ou Ia synecdoque ne sont plus simplement ce
comme paire (plus ou moins louche) de souliers. Déta- qu'elles sont. D'autant plus que ça opere dans les deux
chés en cours de rattachement, en procês de (dé-re-) sens, le « tout ))iouant toujours métonymiquement, sur
stricturation. Si le tableau pouvait parler à son tour (il les deux tableaux, Ia partie de Ia partie. Le jeu est là, il
a parlé, dit Heidegger), hypothêse à travailler plus loin ne va pas sans un étrange contrat entre plus d'un trait.
ne dirait-il pas : je suis, comme toute peinture, un Et de cela Heidegger dit plus, peut-être, et plus singu-
chaussure, une espêce de soulier et même peut-êtr lier qu'il n'y parait dans ce passage. 11faudra pour l'en-
une paire (version possible) de souliers. En tant que tendre aller plus loin que le passage des souliers de
tableau, et en tant que tel tableau, telle paire (version Van Gogh.
possible) de souliers. La figure sans figure de cette correspondance est
entrevue. Quelle pertinence gardent alors les questions
- Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'un tel dis- classiques d'identification, de description, d'attribu-
cours traduisant Ia remarque de Ia peinture en peinture tion? Que1 sens y a-t-il à savoir de qui, de quoi, au
est une version peu normale de Heidegger. 11 ne res- juste, au p1us juste, on parle en ajustant? Et surtout
semble guêre à ce qu'on peut lire dans L'origine quand à savoir si ça se passe dans le tableau ou hors cadre ?
Ia vérité y prend Ia parole : « Celui-ci [Ie tableau] a 11y a de Ia naíveté à ignorer le droit de ces questions.
parlé ... L'eeuvre d'art a donné à savoir (gab zu wissen) 11n'y a en pas moins à s'y confiner.
ce que Ia chaussure est en vérité. » Deuxiême temps. Seule Ia possibilité de cet entrela-
394 LA VÉRITÉ EN PEINTU I RESTITUTIONS 395
cement débordant permet à Heidegger de passer alor utíle à Ia saisie de I'utilité de I'utile. 11permet de penser
Ia ligne dans les deux sens, tantôt dans le cadre, tant I l'être-produit du produit et I'être-eeuvre de I'ceuvre.
hors cadre. Qu'il le fasse ou non en connaissance I Car à partir du moment ou le détaché appelle le rat-
cause. tachement, un discours s'y esquisse, et toute une ma-
Le « Et pourtant. )) forme Ia scansion Ia plu noeuvre, pour appeler l'adhérence.
apparente dans ce passage de Ia ligne. On vient ti
dire toute l'inutilité. On va maintenant exploiter 1\ - Vous renouez iei avec ce qui fut engagé dans Le
plus-value du hors d'usage. C'est dans I'inutilité - d sans de Ia coupure pure au suiet des produits artificiels
souliers : du tableau - qu'on va « lire ))- dit le traducteur et « défunts ))(les ustensiles démis de leurs fonctions,
français -, « voir ))dit Heidegger, l'utilité du produít, et comportant un trou, une ouverture, une cavité,
l'être-produit du produit comme utilité. Et c'est alo Loche, « comme pour un manche )),mais sans manche
le paragraphe incriminé, le paragraphe pathétique, celu - des souliers vides en somme), au suiet des eeuvres
qui vous parait si ridicule, si chargé de « proiections • d'art, de Ia pulchritudo vaga et de Ia pulchritudo
« idéologiques », Relisons-le, Dans les trois langues. adhaerens.
- Dans l'inutile (l'inutilité du tableau (se) donnant
à lire (dans) celle des souliers, l'inutilité de l'ceuvre
- 11 est si codé aussi par Ia poétique du terroir, (dans) celle du produit, et réciproquement) Ia vérité
par des modeles traditionnels, si stéréotypé dans l'affec- de l'utile apparait. Elle apparait dans Ia mise en ceuvre
tation de son pathos qu'on peut aussi le lire comme un de Ia production inutile. Mise en oeuvre de Ia vérité,
exereice mimant I'application scolaire et disant en dira plus loin Heidegger. La vérité de l'utile, autrement
somme : voilà ce qu'on pourrait touiours ressentir dit l'être-produit du produit (en son premier abord),
voilà ce qu'on peut dire dans le genre apparait dans l'instance du hors-d'usage, dans le déla-
cement et dans Ia destricturation. Qui servent alors,
-l'essentiel étant de faire apparaítre le débordement en cela, à cela. Ce mouvement de Ia vérité passe par
(de ce qui est strictement visible) par Ia « terre )) Ia possibilité de Ia fétichisation mais il ne s'achêve,
par le « monde I) et par I' « appartenance protégée II si on peut dire, qu'en confirmant cela même qu'il
des souliers. paraít effacer. La vérité de Ia présentation, en son
Si on pouvait ici parler, sinon de fétichisation, du paraitre, surcharge l'inutile de valeur, l'augmente de
moins des conditions d'une fétichisation, et du produit plus-value en le rattachant symboliquement à son
et de l'eeuvre, et des chaussures et de Ia peinture, il appartenance. Celle-ci, différence capitale car il s'agit
faudrait les ressaisir à l'instant ou le hors-d'usage déta- de Ia tête du suiet, n'est pas celle d'un sujet proprié-
ché (relativement déstricturé) donne lieu, dans son taire, détenteur ou porteur des souliers, Elle n'es~
détachement même, dans sa déréliction ou sa sépara- même pas celle de tel ou tel monde, par exemple celui
tion, à une sorte de plus-value abyssale. A une sur- de Ia paysanne qui n'est précisément qu'un exemple.
enchere sans fond. Sous Ia forme de ce qu'on pourrait C'est, pour tout produit et pour toute utilité, Ia terre
appeler un effet de vérité. L'inutile donne lieu à une et le monde. La terre et le monde, même si on doit
exploitation spéculative. 11 échappe à l'espace de Ia chaque fois les penser autrement et de façon singuliê-
production et tend vers Ia rareté absolue, l'unieité rement déterminée, dans une opposition, un contlit ou
irremplaçable. En lui-même et en tant qu'il donne à une guerre (de Ia terre et du monde). Heidegger y
lire Ia loi de l'utilité cherchée, 11 devient plus qu'utile, rapportera plus loin sa pensée du trait et de Yattrait.
LA VÉRITÉ EN PEINTUlI RESTlTUTIONS 397
La « vérité » de l'utile n'est pas utile, Ia « vérit • définitivement un tableau dont on ne sait pas encore
du produit n'est pas un produit. La vérité du produ I clairement s'il a jamais été abordé? C'est difficile à
« chaussure )) n'est pas une chaussure - trancher. Il est indispensable de reconnaitre ce mouve-
ment pour comprendre ce passage par (à travers) le
- Mais on pourrait penser Ia différence de l'êtr tableau. Même si, comme le fait Schapiro, on coupe
I'étant comme Ia chaussure, à travers elle, dans S 11 et désarticule brutalement Ia démarche de l/origine, on
pas. Et ainsi Ia différence ontologique : chaussée 11 comprendra toutefois un peu mieux Ia référence au
peinture. « célebre tableau )) en lisant un paragraphe de plus.
Celui qui commence par « Mais tout cela peut-être ne
- Par exemple. le voyons-nous que ... », Il conduira à penser que I'uti-
lité du produit vient encore de plus loin. Vient de
- Mais Heidegger ne s'arrête pas, voilà ce qu plus loin cela même, l'utilité, que Ia double ou triple
compte, à l'utilité de l'être-produit qu'il vient de « voir M mutilité des souliers en peinture aura fait paraitre. Car
dans les souliers en peinture. Qu'il vient de voir « peut l'utilité était encore pensée en termes de matiêre in-
être », « peut-être seulement ))en peinture, « en image ", formée et il faut, pour accéder à l' « authentique être-
im Bilde. Ce « peut-être seulement ))aurait da suspendr produit )), remonter plus haut que cette paire opposí-
toute I'assurance de Schapiro. « Mais tout cela, d t tionnelle : matiêre-forme.
Heidegger à Ia fin de Ia tirade, peut-être ne le voyon
nous que sur les souliers du tableau. » La conséquenc - La peinture - celle-ci - est-elle requise pour ce
en est équivoque. Heidegger affecte au moins de n'êtr retour vers une origine encore plus lointaine, plus
pas sür : ce qu'il vient d'évoquer pathétiquement tiem dérobée ? Pour ce pas de plus dans Ia pensée ?
peut-être à Ia puissance d'évocation du tableau ou A
Ia subjectivité du spectateur, et illaisse alors prudem - Quand on assiste à un « pas en arriêre )),on v6it
ment planer un doute sur Ia rigueur du rattachement, les chaussures de face. Je dis cela pour rire, mais aussi
Paradoxe : I'objection de Schapiro tombe alors mêm en écho à Ia précision de Schapiro, plus loin : telles
qu'elle se trouverait renforcée par I'affirmation impll chaussures de paysan sont vues de dos, celles-ci (les
cite de Heidegger (cela se trouve du moins dans 1 siennes!) Van Gogh les a « rendues ))de face {« he has
tableau, sinon au-delã). Mais si ça ne se trouve ~ rendered tirem as if facing us ))}, et elles nous regardent
dans le tableau, aussi bien ça ne s'y trouve pas, Ia pein- en somme, comme le peintre lui-même.
ture se franchissant elle-même dans Ia référence qu'ell
constitue d'entrée de jeu. - La peinture - celle-ci - est-elle requise pour cet
Troisiême temps. Mais ce n'est là une fois de plu autre pas? On ne peut pas en décider, toujours pour
que mouvement pour aller plus loin. L'utilité au fond les mêmes raisons. Les traits délimitant et l'objet et le
n'intéresse pas Heidegger en derniêre instance, ni don cadre õtent a priori toute pertinence à cette question
l'inutile, Comme être-produit du produit, l'utilité n'est et à Ia « décision » qu'elle appelle. Les disqualifient par
encore que cette valeur dérivée du couple matíere- stricture. Par entrelacs. Certes, Heidegger semble encore
forme, de ce qui est « tombé-sur )) Ia chose comm mettre le tableau de cõté (mettre de cõté, c'était [adis
produit. En ne considérant les souliers qu'au titre d une traduction bizarre mais ici intéressante pour Auf-
l'ustensile (useful artijact ), Schapiro semble s'arrêter heben). Il le fait avec une rhétorique plus spectaculaire.
à ce qui n'est qu'une étape de L'origine. Aprês l'alinéa et Ia concession (( Mais tout cela peut-
11 faut alIer plus loin. Le paragraphe suivant quitte-t-il être... »), il ne parlera plus du tableau, il suivra Ia
LA VÉRITÉ EN PEINTU RESTITUTlONS 399
paysanne, il analysera ce qui, dans l'utilité du produ II plus seulements comme produits « utiles ))mais comme
vient de plus loin que le couple matiêre-forme, M I choses fiables -
ce sera pour mieux sauter, en conclusion : c'est lu I

le tableau « qui a parlé )),Dieses hat gesprochen. Et d 1\ - Les chaussures sont-elles parties prenantes ou
l'intervalle, « sous » l'utilité, « sous ))le rattachement exc1ues dans le portrait des Arnolfíni, cet extraordi-
son « appartenance " utilisatrice, il aura nommé naire contrat de mariage sans autre témoin que le
« grâce à quoi lI, par Ia « force » de quoi, « en vertu I peintre laissant au-dessus d'un miroir lui faisant face
quoi » (kraft ) l'utilité du produit est possible, Ia con I I'inscription « Johannes de Eyck fuit hic, 1434 », trans-
tion de l'utilité, Ia Verlãsslichkeit: formant ainsi en attestation de mariage un tableau
Verléisslichkeit. Le mot est difficile à traduire. l' représentant une alliance per fidem (pouvant se passer
précisé laborieusement « grâce à quoi ", « par Ia for I de témoin), dans une scêne dont le texte pictural
de quoi ", « en vertu de quoi » parce que le rappoll devrait constituer une épreuve majeure pour de nou-
(kraft) n'est pas d'une condition de possibilite fi I velles ana1yses ? Ailleurs, plus tardo Je note seulement
melle à son conditionné ou d'un fondement plus pn que les chaussures de ceux qui contractent mariage
fond à ce qu'il fonde mais d'une sorte d'expérien selon Ia Foi sont déposées, abandonnées, à l'écart, à
Expérience, disons pour l'instant, de fiabilité : on peui gauche du tableau et, pour I'autre paire, entre les deux
compter sur le produit. Le produit est fiable. II n' I époux, au fond et au centre du tableau, sous Ia table,
utile que si nous nous confions à sa fiabilité. A partir sous le miroir et sous I'inscription du peintre. Expli-
du moment ou Heidegger a nommé Ia fiabilité, il n cation de Panofsky : elles sont là, comme d'autres
s'intéresse plus à Ia valeur, en somme dérivée li symboles typiques de Ia foi, pour marquer l'empreinte
condítionnée, d'utilité. Le lieu de l'argumentation du sacré. Quand Moise s'approche pour mieux voir
celui du débat ouvert par Schapiro - est déplacé. le buisson ardent, Yahvé lui dit « õte tes sandales de
Ce qui est oerlãssig mérite confiance, foi ou crédit tes pieds car le lieu que tu foules est une terre sainte »
Dans ce cas, le crédit est antérieur à tout contrat sym tBxode 3,s). Sont-elles alors, ces chaussures, exclues
bolique faisant l'objet d'un engagement signé (explicit de I'espace sacré, ou surinvesties au contraire dans Ia
ment ou non) par un suiet nommable. II n'est pa peinture par cette sacralisation de l'hymen? ou les
culturel ni davantage naturel. 11 revient à un engag deux à Ia fois, seIon Ia double fonction d'un pharmakon,
ment- et Ia double fonction d'un parergon? Sont-elles des
« produits »? et fiables en quel sens? Heidegger et
- Associera-t-on fidélité à fiabilité? Fidêle est c Scbapiro auront aussi resacralisé, chacun de façon
sur qui ou sur quoi on peut aussi compter. Et cette valeur différente mais aussi ambivalente, les souliers en pein-
de fidélité s'accorderait avec tout ce qui fut dit de 1 ture : parce que détachés (exclus de tout en un sens)
restitution : des chaussures qu'on rend, de Ia vérit mais dans le processus de leur rattachement. Leur
qu'on doit, qu'on restitue ou qui restitue, de ce que 1 appartenance est sacrée, mais (il y a toujours mais
peinture « rend " fidêlement, si elle le donne à voir dans ce cas) il faut détacher l'abiect, rattacher le
« en peinture «, Et les protagonistes de Ia correspon- sacré, sacraliser en rattachant Ia chose. Mais du coup,
dance veulent à Ia vérité rendre fidêlement les souliers : Ia nudité du pied peut être ou bien pIus pure, pIus
de Ia peinture - et à qui de droit, Cela par fidélité • sacrée (déliée de l'abject) ou bien plus démunie, déchue,
un engagement antérieur à tous les contrats sociaux dépourvue de I'objet sacré, sans rattachement. D'oü,
dont on peut témoigner en droit publico Les chaussur du même coup, l'ambivalence de l'usure : bonnejmau-
en sont ici partie prenante, les témoins secrets : non vaise, proprejsale, famílíêre/abiecte. Moíse : « Je vous
400 LA VÉRITÉ EN PEINTURI RESTlTUTIONS 4°1
ai conduits pendant quarante ans dans le désert ...
sans que vos sandales soient usées» (Deutéronome, 29,s).
A l'enfant prodigue on donne aussitôt des chaussures,
en même temps qu'une robe et un anneau. (Luc, 15,22).
Mais d'autre part, Ia misehna interdit le port des
chaussures le iour du sabbat. On se déehausse en
pénétrant dans un lieu sacré ou simplement en entrant
chez l'hôte qui doit vous offrir de quoi vous laver les
pieds (Luc, 7, 38, 44). Inversement, Ia nudité du pied
devient marque négative d'indignité (Ia captivité) ou
signe de deuil.

- La valeur de fiabilité est ici antérieure à I'oppo-


sition de l'utile et du saeré. Sans fiabilité il n'y aurait
pas de produit utilisable mais pas non plus d'objet
symbolique. La bague, les « mots et les actions II requis
pour un hymen per fidem, doivent offrir une fiabilité
minimale pour que l'engagement ait lieu, pour que le
moindre échange soit possible. Cette fiabilité élémen-
taire, cette fidélité d'avant tout est une sorte d'anneau
(Ring), d'alliance originaire ...
- II faudrait lire ee que Heidegger dit ailleurs de
eet anneau (Ring). Est-ce que les souliers, Ia paire de
souliers -

- Dans le contexte de L'origine, la fiabilité (Ver-


Ziisslichkeit) revient à un engagement (dette, devoir,
restitution, vérité) dont le eoneept ne peut que précéder
toutes lês valeurs qui font systême avec eelles de
matiêrejforme : le symbolique, le sémio-linguistique,
ete. La VerZiisslichkeit du produit, « avant II son utilité
mais comme condition de eette utilité, engage dans
l'appartenance à Ia terre et au monde. Cette apparte-
nanee n'est plus des souliers au porteur ou à l'utili-
sateur, mais de tous les deux au monde et à Ia terre,
qui se donnent à penser dans leur « combat )) même,
Portrait des ipoux Arnolfini,
selon eet engagement et non plus à partir des eoncepts
philosophiques auxquels nous faisions allusion plus
haut. « Grâce à II eette fiabilité, et grâce au produit
qui Ia suppose, Ia paysanne est « confiée II (dit Ia tra-
LA VÉRITÉ EN PEINTURI RESTITUTIONS

duction française pour einge/assen : reçue, accueilli , - C'est sür, si on en prend le temps. Lisez La
admise en), accordée à l'appel silencieux de le terr I chose. Penser autrement n'implique pas qu'on pense
à ce langage sans langage de Ia correspondance avee 1 sans rapport ou dans un simple rapport de transforma-
terre et avec le monde. Sans cet appel silencieux (I tion altérante à Ia pensée courante ou philosophique,
voici qui monte des chaussures en tant que cho mais encore selon un autre rapport d'entrelacement
fidêle qui n'est ni de reproduction ni de production transfor-
matrice d'une matiêre donnée.
- ou qui en descend, pourquoi pas
- Nous ne pouvons nous engager ici sur Ia piste
- chez Schapiro ça descendrait plutôt, il y voit un longue -
visage), sans le préalab1e absolu de cet engagement,
dans cette fiabilité pré-originaire, aucun contrat sym - C'est vrai. Je voulais seulement marquer, situer
bolique, aucune production, aucune utilisation ne s une connexion, une nécessité principielle. Et insister
raient possibles, ni aucun des concepts qui servent sur ce qui nous intéresse dans le contexte étroit de
dominer tout ça, en particulier ceux de matiêre I notre débat. En quelques points.
de forme Premiêrement : aucune des « correspondances » dont
nous avons jusqu'ici distingué les modalités ne peut
- donc aussi de signe, linguistique ou non, d être déchíffrée sans un recours au moins problématique
sujet, d'obiet, de réalité, de fantasme, de savoir, ete. à Ia correspondance qui vient d'être dégagée sous le
Ou s'arrêtera-t-on ? Qu'est-ce que s'arrêter ? nom de Verlâsslichkeit, au moment ou L' origine fran-
chit ce pas : « L'être-produit du produit consiste bien
- Par exemple le moment d'enlever ses chaussure en son utilité (Dienlichkeit). Mais celle-ci repose elle-
et ~e s'en séparer, pour un temps variable ou pour même dans Ia plénitude d'un être essentiel du produit.
touiours. Nous Ia nommons Ia Verliisslichkeit I). Cette nomina-
tion, cette donation du nom est aussi un « acte »
- J'ai dit qu'il y avait là un contrat pré-originair complexe : il suppose, en sa performance même, une
avec Ia chose fiable mais I'appel silencieux qu'on en- fiabilité de Ia langue et du discours; mais il le produit
tend à travers Ia Verlasslichkeit ne vient pas de I en même temps, il s'y engage. Nous ne pouvons ana-
nature, telle du moins qu'on Ia conçoit dans Ia tra- Iyser ici cette structure mais il le faudrait. C'est une
dition philosophique. Mais du combat de Ia terre et « eeuvre » à Ia fois et un « produit », le seul espace dans
du monde. Et de son trait, On peut le dire três som- lequel le discours sur le tableau et le discours du tableau
mairement : aucune chance de rien entendre à ee peuvent se laisser comprendre. Le moins qu'on puisse
pages sur « le célebre tableau )),aucune chance de leur dire, c'est que Schapiro ne s'y est pas rendu. 11 a reven-
adresser Ia moindre objection qui leur soit pertinem- diqué, avec les chaussures, I'autorité sur un domaine
ment mesurable si on ne suit pas, au moins en principe, (le discours sur Ia peinture, une spécialité) dont il a
Ie trajet heideggerien pour penser Ia terre, le monde cru que les frontiêres étaient déterminables : au-delã,
et Ie quadriparti ( Geoiert ), I'anneau (Ring) et le tour c'est par exemple le contexte « philosophique »
(Gering), autrement,
- Justement nono
- Le lacet peut y conduire, ou I'entrelacement?
- plus ou moins bavard de L'origine. Partage des
LA VÉRITÉ EN PEINTUJU RESTITUTIONS

compétences. Par ici, du cõté de Ia peinture (I on sait marquent le contour des souliers délacés dans le
bien ce que c'est »), les chaussures de Van Gogh. tableau, ceux qui délimitent le tableau lui-même, sont
Deuxiêmement : dans Ia logique de cerre démarche, effacés dans l'appartenance de cette Verlãsslichkeit et
Ia fiabilité est Ia premiêre ou l'ultime condition d
I( )l dans ces noces avec Ia terre. Si bien que l'instance ou
possibilité concrête de tout rattachement : du produit plutõt Ia restance picturale parait omise, secondarisée,
à son utilité, à son usage, à son sujet porteur ou porté instrumentalisée à son tour. On oublie Ia peinture.
à son appartenance en général. Ces rattachements s Exactement comme le progres de Ia re-présentation
rattachent à Ia Verlãsslichkeit, à ce don ou à cet abandon à Ia présentation effaçait aussi Ia spécificité obstinée
pré-originaire - du texte ou du reste pictural. Mais on verra plus loin
que rien n'est apaisé dans I'effacement apparent. Et
- à LA-MERE quoi, ou de LA-MERE, et le aprês avoir lu que « L'eeuvre laisse Ia terre être Ia
deux-souliers se - terre», on verra comment le trau, l'entame (Aufriss), I'at-
trait et le systême de traus ioue dans le combat entre le
- comment passer ce qui se dit sous ces mots san monde et Ia terre.
penser d'abord, en son abord, Ia Verliisslichkeit? Alora Troisiêmement : si Ia Verlãsslichkeu assure « en
ne vous pressez pas de reconnaitre des schémas trop premiêre ou derniêre instance », le serrement entre!açant
utiles. Ne jouez pas les utilités, des souliers, si elle lace et laisse en même temps, si Ia
vérité du produit parait à même (an) cette fiabilité
- Mais Heidegger n'a rien contre l'utile, il ne dê- qui parait à même Ia peinture qui « a parlé )l, elle est
veloppe pas une « idéologíe » anti-utilitariste. bien le resserrement le plus strict (souple et rigoureux
à Ia fois, comme le Gering de La chose) de toutes ces
- ~on. Ce don ou cet abandon pré-originaire re- puissances de rattachement. Cette fiabilité essentielle
condwt le rattachement en-deçã de toutes les instances et pleine » rend possibles - restitue - à Ia fois Ia
(I

ou catégories de production, de matíêre-forme ou régression Ia plus critique », Ia plus profonde »


I( (I

d'utilité, de loi, de contrat, d'échange ou de dette en-deçà des philosophêmes de matíêre-forme, d'utilité,
symbolique, de serment, de suiet ou d'obiet (total ou de production, de subjectivité, d'objectivité, de symbole
partiel), etc. Heidegger ne rattache pas les chaussures et de loi, etc., mais aussi Ia régression Ia plus naívement
à un port (porteur ou porté) comme suiet, surtout pas archaique dans l'élément de Ia confiance ingénue, celle
comme sujet réel hors du tableau. Mais il ne peut qui peut se laisser prendre, s'abandonner au piêge le
être absous de cette accusation (Schapiro ne le peut plus grossier, au piêge primaire, au piêge d'avant tous
pas) que P?ur avoir renoué les choses bien plus süre- les piêges. A Ia possibilité de leurre que constitue le
ment et bien plus (I profondément )l, pré-originaire- jeu de miroir du monde, son Spiegelspiel.
ment :. d~s l'appartenance (correspondante) au dis- Quatribnement : Ia possibilité du serrement en général
cours silencieuxde Ia terre. A ce mariagepré-contractuel s'éclaire ici d'une difficulté de traduction qu'on ne
ou pré-contracté avec Ia terre. peut traiter en accessoire. Ie n'ai pas encore traduit
Verliisslichkeit. Fiabilité est une approximation plus ou
- avec LA-M.ERE, et cette paysanne confiante qui moins stricte, plus ou moins lãche. Le traducteur
entend l'appel silencieux, qui lui répond en silence - français de Chemins ... propose un mot à Ia fois irrece-
vable et souterrainement pertinent. lrrecevable au
- Ne jouez pas les utilités. Tous les traits de déta- premier abord : solidité. La Verlãsslichkeit serait Ia
chement sur lesquels nous sommes repassés, ceux qui solidité du produit, ici des souliers, parce qu'on peut
LA V~RlT~ EN PEINTURB RESTITUTIONS

leur « faire confiance », dit une note du traducteur, und irren dabei; denn die Verléisslichkeit des Zeuges gibt
la chaussure « ne nous lâchera pas », « on peut s'ap- erst der einfachen Welt ihre Geborgenheit und sichert
puyer » sur elle. der Erde die Freiheit ihres stéindigen Andranges », [e me
garderai bien de traduire à mon touro Notons seulement
- Ceci parait conforme avec l'idée de contrat noué que l'assurance, donnée à la terre, d'une liberté dans Ia
avec les chaussures, avec leurs lacets même, passés constance de sa pression (pulsion, poussée, pression
comme un certain marché, au pied de Ia lettre ou avant violente) consonne avec Ia Geborgenheit donnée au
Ia lettre. monde par Ia même fiabilité. Geborgenheit associe le
secret caché, crypté, à l'être-en-sécurité, à ce qu'il faut
- Mais dans la langue courante, la solídité d'un bien réserver, sinon dérober, pour vivre. Te! serait le
produit tient surtout à ses qualités de résistance resserrement de cette alliance originaire, tel l'effet de
physique, résistance des matériaux, résistance des Ia Verliisslichkeit. Tout ce qu'on pourrait ensuite
formes à l'usure, etc, L'idée de confiance, de crédit, chercher à ajuster sur mesure, « à Ia pointure », en
de foi ou de fiabilité en parait plutõt absente. En revanche termes d'adéquation, de réappropriation, de réattri-
quand le traducteur français (sans toutefois s'en bution, d'identification, de réadaptation de la partie
expliquer et à dessein ou non) fait jouer « solide » dans au tout, de rattachement symbolique, de restitution, etc.,
la phrase suivante, avec « soudée » (autre traduction toute la problématique du suiet, de Ia loi et du fétiche,
irrecevable pour gewiss), il restitue étrangement un dans ses « formes » aujourd'hui disponibles, tout cela
mouvement lisible dans le texte teI que je l'interprête ferait d'abord fonds sur une telle fiabilité. Mais dire
ici. La chaine qui relie solide à solidarité et à soudure qu' el1e est le solou le sous-sol sur lequel marche un
est bien celle du resserrement qui se trouve ici à discours sur le sol, la marche, la semel1e, les souliers,
I'eeuvre. Voici Ia traduction française dans Chemins... les píeds, etc., ne serait-ce pas déjà Ia traduire, ~tte
En premiêre lecture et à cause du mot « solidité », elle fiabilité, dans les marques de ce qu'elle rend possible ?
court le risque de dissimuler définitivement la version Dês lors toutefois que ces marques appartiennent à Ia
allemande. Et pourtant : « ••• cel1e-ci [l'utilité] à son marche, au pas, au chemin (Weg), ce ne sont plus,
tour repose dans Ia plénitude d'un être essentiel du pour cette pensée, des formes dérivables de figures,
produit. N ous l' appelons la solidité (die Verliisslichkeit). tropes ou métaphores. La pensée pense à partir d'elles.
Grâce à el1e [Kraft ihrer), la paysanne est confiée Reste à savoir - si c'est encore de savoir qu'il
[eingelassen] par ce produit à l'appe1 silencieux [schwei- retourne - quoi du rapport entre le trait de dé-ratta-
genden Zuruf: l'appel se tait mais il s'entend et il n'est chement (la stricture du tableau et dans le tableau) et
pas muet; le tableau parle ainsi en se taisant); grâce Ia parole qui permet de dire de Ia peinture que d' eile:
à Ia solidité du produit, elle est soudée à son monde même elle « a parlé », Comment cette parole - qw
[ist sie ihrer Welt gewiss]. Pour el1e, et pour ceux qui n'est pas un discours - s'entretient-elle de ce trait?
sont avec el1e comme el1e, monde et terre ne sont là Comment s'entrelace-t-elle avec lui? Rien n'en est dit
qu'ainsi : dans le produit. Nous disons « ne... que )) dans ce passage de L'origine. Plus tard, plus loin.
mais ici la restriction a tort (irren dabei). Car s'est seule- Laissons cette question se reposer.
ment la sotidité du produit qui donne à ce monde si
simple une stabilité bien à lui, en ne s'opposant pas - Admettons qu'on vienne ainsi de reconstituer,
à l'aftlux permanent de la terre », La traduction de cette de restituer, en l'interprétant, en négociant avec lui,
derniêre phrase est si lâche qu'on en vient à se demander un certain trajet de L'origine. Admettons que ce traiet
si c'est bien de ce texte qu'il s'agit :.« Wir sagen ••nur" devait passer par l'inutilité même des souliers et du
LA VÉRITÉ EN PEINTUR RESTITUTIONS

tableau, du produit et de l'ceuvre; qu'il avait besoin même titre besoin, voilà ou je voulais en venir, que ces
de spéculer sur ce hors-d'usage, passant la ligne en soullers fussent de paysan ? Et Ia ligne passée, d'y voir,
la~t dans les deux sens, faisant revenir, éloignant, d'en bas, depuis le bas, une paysanne? Une paysanne
faísant de nouveau revemr, dedans, dehors, lã-bas, ici, debout?
fort, da. (Heidegger tient la chose, les souliers en
peinture, par le lacet et joue avec la bobine - C'est à peu prês Ia même question que celle du
fort : da. La valeur de proximité joue un rõle décisif
- qui est pour Schapiro, jouant de Ia même façon dans ce texte et dans Ia pensée heideggerienne en
ce1le de Van Gogh, « a piece of his own life », « facing général. Les souliers de paysan sont plus proches de
us ». cette terre à laquelle i! fallait faire retour. Mais dans le
príncipe, le même trajet aurait été possible avec des
-l'attirant vers lui puis l'éloignant grâce à Ia fiabilité chaussures de ville. Il aurait été plus long, plus éloignant,
du lacet). 11 fait la même chose avec la paysanne, plus détoumé. Mais l'éloignement est le sujet. Quant
tantõt dans le tableau, tantõt hors du tableau. Jouer à Ia paysanne, elle ne surgit que dans les passages ou
du lacet, c'est toujours possible. Mais en jouant du i! s'agit moins qu'ailleurs de décrire un tableau, quand
lacet avec Ia bobine du fort, da, i! faut tenir compte de Ia peinture est le plus loin possible. Telle est du moins
I'entre-lacement, et c'est plus compliqué ... Ia réponse qu'on peut tenter en se fiant à Ia logique
manifeste du texte. Si 1'0n ne voulait pas trop simplifier,
- Mais non, ne soyons pas si sürs de savoir ce qu'est i! faudrait reconnaitre toutes les ressources, les tours,
le fortida. Ce que nous savons c'est que toute démarche retours et retors de cette valeur de proximité. Depuis
(discursive ou picturale en particulier) implique un Sein und Zeit elle rêgle et dérêgle toute cette pensée.
[ortjda. Tout rapport à un texte pictura1 implique ce Ici le « bon » rapport à l'eeuvre est à deux reprises
mouvement double et doublement entrelacé à lui-même. défini comme une « proximité » (in der Nãhe des
C'est un certain fortlda que décrit le tour de lacet dont Werkes). Mais on sait depuis Sein und Zeit que le
~o~s par~ons plus haut .. Tout le discours heideggerien « proche » peut s'entendre tantôt en un sens ontique,
(ici et ailleurs) s'entretient du fortlda, et ici d'un tantõt en un sens ontologique, et qu'il ne s'oppose pas
tableau qui marque ou fait marcher lefortlda en peinture. simplement à l'é-loigné d'une Entfernung qui éloigne
Disons que le titre du tableau pourrait être aussi bien 1e lointain. Ainsi s'éloigne Ia peinture, ainsi éloigne-
Ia peinture (ça faisait hurler tout à l'heure, à juste titre, t-elle. Impossible ici de s'approcher davantage de ce
mais tant pis) que les chaussures ou fortlda. D'oü proche, faute de -
partent, ou et à qui reviennent les chaussures, d'oü
reviennent-elles en se rapprochant, etc.? Et tout le - Je voudrais qu'on revienne à des certitudes plus
chemin de pensée, pour Heidegger, reconduit, par déterminables. Nous ne savons p1us qui a Ia parole et
I'é-loignemerit, à un Da (ainsi le Da du Sein) qui n'est ou nous en sommes. Sans doute Schapiro n'a-t-il pas
pas simplement proche, dont Ia proximité laisse jouer pris Ia mesure de L'origine (mais ce n'était pas son
en elle le lointain du fort. Le rapport n'est pas d'oppo- propos), pas même des quelques pages autour du
sition, chaque valeur offre un ceillet à la traversée, à Ia « célebre tableau li, soit. Sans doute a-t-i! simplifié.
figure ou à Ia pointure de l'autre. Port : Da. Double Sans doure a-t-i! méconnu Ia nécessité de l'argumenta-
ceillet, voi!à comment il faut le renouer en écrlture. tion, le mouvement en lacet de son aller-retour et
l'abime de son fort : da. Sans doute en a-t-i! ignoré la
- Admettons. Mais alors Heidegger avait-il au portée plus que philosophique. Cela dit, si l'on revenait
410 LA VÉRITÉ EN PEINTURB ~ITUTIONS

aux dimensions qu'íl a, Iui, assignées à ce débat (sa parce que ce sont les souliers de Van Gogh. Qui n'est
convention est Ia nõtre, et nous devons accepter le pas, en tout cas à cette date, un paysan!
contrat qu'il propose), ne peut-on maintenir, quant
à l'ideotificatioo du tableau et à l'attribution des - Que fait Schapiro? Comment arrache-t-il les
souliers, qu'il a raison ? Et que, comme cela fut accordé souliers à Heidegger pour en offrir Ia « nature morte »
plus haut, s'il y a un sens à dire ce sont des souliers-de X maintenue en vie à Ia mémoire d'un mort et comme un
et non des souliers-de Y, Heidegger s'est lourdement morceau vivant de Vincent? Plus qu'un morceau, on
avancé. Et cela même en admettant Ia nécessité de Ia le verra, Vincent lui-même. Vincent, Ia signature,
démarche heideggerienne dans soo trajet long, dans y devient le titre, Ia légende, l'histoire ou Ia définition
son trajet essentie1 ? du tableau, de son sujet comme de son objeto Car ce qui
importe à Schapiro, c'est que les souliers soient bien
- Je ne l'ai pas encore fait. Je l'ai seulement suivi ceux de Vincent et, si détachés soient-ils, qu'ils le soient,
et plus tard, avec les questions du trair, de l'attrait et comme par un lacet ombilical, de Vinceot. Les rendant
de Ia parole, j'essaierai d'interroger autrement. à Vincent, les lui restituant, il les offre du même coup
à un tiers, comme un morceau de Viocent ou une pars
- Alors. Même si on l'admettait, ne pourrait-on totalis que Vincent aurait provisoirement déliée, un
accorder à Schapiro que sur un point précis et fút-il de jour, à Paris. Vincent lui-même aurait offert, comme un
détail précieux morceau de lui-même, cette partie détachée,
ill'aurait donnée à -
- mais on a dit tout à l'heure qu'il n'y avait que du
détail, autant dire qu'il n'y en a pas en cette - Comme une oreille coupée, comme cet organe,
affaire. ce n'est pas n'importe lequel, qu'il aurait fait porter,
dépêché, détaché, en mission, en représentation
- sur un point précis Heidegger a fait un faux-pas ?
On parlait tout à l'heure de « contradiction symptoma- - peignant ensuite un auto-portrait bandé, Ia tête
tique» et injustifiable eotre telle phrase relevant l'indé- pansée, serrée, dissimulant cette fois Ia partie manquante,
termination du tableau, le milieu abstrait autour des exhibant du même coup in absentia le « personal object ))
souliers, Ieur non-appartenance en somme, et d'autre perdu. Curieuse nature morte.
part Ia formule qui suit aussitôt, « une paire de souliers
de paysan », définissant dogmatiquement une apparte- - Je ne vais pas comparer des souliers à une oreille.
nance minimale que Heidegger aurait tort de croire Surtout pas une paire de chaussures à une oreille.
lisible, de façon interne, sur l'objet peint.
- On a laissé tomber ma questiono Est-ce une paire?
- Oui. Mais rnême de ce point de vue três limité, Qu'est-ce qu'une paire? Je voudrais qu'on fasse I'ana-
suffit-il que Heidegger ait tort pour que Schapiro ait lyse spectrale de Ia paire et de toutes les façons qu'e~e a
raison? d'être détachée, de toutes les séparations de Ia paire.
J'en vois au moins cinq.
- Que fait Schapiro? II ne dit pas seulement :
Heidegger a été imprudent, rien ne prouve que ce sont - Non, non, pIus tardo
des souliers de paysan et cette allégation n'aurait auCUD
senso II dit : ce ne sont pas des chaussures de paysan, - Je remarque que le titre de Schapiro, c'est « La
412 LA VÉRITÉ EN PEINTURl RESTlTUTIONS

nature morte comme objet personnel I). lei ce serait UIl the worn insides », « l'obscure ouverture du dedans usé .
objet personne1 visiblement détaché (rien à voir ave dont parle Heidegger. Cet élément descriptif est três
l'oreille), comme tableau de chaussures en exposition, pauvre, c'est l'une des deux notations de ce type qu'on
détaché du corps d'un sujet morto Mais revenant. peut relever dans L' origine, et encore dans un para-
Revenant vivant au mort : dês lors vivant, lui-mêm graphe dont rien ne nous assure, nous l'avons vu, qu'il a
revenant. Faisant revenir. Cet (( objet personnel » le tableau pour objeto Néanmoins Schapiro le prélêve et
détachable et revenant au revenant, le voici offert en le retient. Il en tire argument pour éliminer cinq tableaux
sacrifice à Ia mémoire d'un autre mort qui, par définition ou cinq cartes sur huit. Des trois qui restent il déclare
et comme son nom l'indique, reste de pierre en cet sans autre forme de démonstration : « They are clear/y
âpre festin, de pierre précieuse comme l'offrande au pictures of the artist's oum shoes, not the shoes of a pea-
nom (de ce) qui reste. Mais revient aussi, comme un santo ))
revenant, grâce au don de ce revenant. Tout en s'assu-
rant - pour s'assurer - comme de Van Gogh et de Hei- - Pourquoi « manifestement )), « clearly li ?
degger, qu'il reste bien ou il est. - Et pourtant les sou-
liers, eux aussi, restent là. - L'appel dogmatique à l'évidence manifeste sonne
ici comme un décret. Cette prétendue évidence ne peut
- Lesquels? ou ? dans ce potlach ? être produite par Ia forme des souliers, par quelque lec-
ture interne du tableau, à supposer même qu'on puisse
- Lã, pour que l'inconscient de chacun y mette du ne faire qu'un seul pas d'une description interne à une
sien, les chausse sa pointure.
à inférence du type : donc Ies chaussures peintes appar-
tiennent en réalité à X, elles représentent Ies chaussures
- Non, Ia pointure du fantôme, de l'inconseient de
à réelles appartenant en réalité à X. De pIus Ia lecture
l'autre. C'est fait pour ça, Telle est Ia facture qu'ils pré- interne ne produit légitimement aucune évidence pou-
sentent, tout compte fait. vant soutenir une telle inférence, même si on acceptait,
concesso non dato, Ie principe de l'inférence. Car Van
- Mais que fait donc Schapiro ? Comment opere-t-il, Gogh a peint des chaussures de paysan à Ia forme ana-
au cours de ce sacrifice ? logue, des souliers montants et non seulement des
sabots. La preuve est donc curieusement « externe )) :
- Penchons-nous. Il rappelle d'abord que Van Gogh Ia date présumée des tableaux. Présumée car l'un des
avait peint de tels souliers plusieurs fois. Et que Hei- trois tableaux seulement porte « Vincent 87 li, si on tient
degger, le sachant, I'a dénié, n'en a tenu aucun compte, cela pour une preuve. A cette date présumée, Van Gogh
comme si les différentes versions étaient « interchan- était à Paris, loin des paysans! 11 n'a donc pu peindre
geables I), produits de série et non ceuvres, « présentant des souliers de paysan! Cette conclusion triomphante
toutes Ia même vérité li. 11les a traitées en produits de suffirait à étonner. Schapiro surenchérit encore : i1 a
série pour avoir méconnu Ia série. Nous avons analysé donc peint les siennes! Le morceau est adjugé, l'expert
ce mouvement. Aprês quoi, Schapiro dispose en quelque a condu, le parterre se tait.
sorte sur Ia table, comme des cartes à jouer ou des piêces Que s'est-il passé? L'expert a fait jouer alternative-
à conviction, les huit tableaux de chaussures répertoriés ment deux types d'argumentation. Tantôt il a fait appel
dans le catalogue de Ia Faille parmi toutes les toiles à une description interne en reconnaissant que, même
exposées à Ia date de L'origine. La démonstration com- à Paris, Van Gogh pouvait peindre des souliers qu'il
mence. Trois seulement présentent ((lhe dark openings of « avait portés en Hollande I). La date ne joue plus alors,
LA VÉRITÉ EN PEINTU RESTITUTIONS

seulement Ia forme, dont Schapiro semble prétendr heideggerienne (surface usée et dedans obscur) pouvait
qu'elle exc1uait Ia paysannerie. Mais si Van Gogh a pu bien représenter lui aussi des soutiers de paysan. Rien
peindre des chaussures du passé, et s'il n'est pas prouv en tout cas ne peut prouver le contraire. L'expert s'est
que Ia forme soit exc1usivement citadine, pourquoi eontredit et son argumentation, pour prouver trop,
n'aurait-il pas peint à Paris des souliers de paysan ? A vrai s'emporte elle-même. Au moment de restituer un chau-
dire l'argument interne est sans valeur. Pour deux rai- dron
sons : parce que c' est un argument interne insuffisant
(il y a de tels soutiers de paysan, en général et dan - Voilà une instruction qui sent sa police. Cette
toute Ia peinture de Van Gogh), et parce qu'il est ratiocination autour d'une paire de soutiers volés ou
insuffisant en tant qu'argument interne (il n'y a aucun détournés, je l'entends d'autant plus facilement comme
sens à en tirer une conc1usion sur l'appartenance venue d'un détective privé, d'un Dupin qui voudrait
exteme à un sujet réel hors du tableau). Tantôt l'expert finalement rendre Ia chose, remettre les chaussures
fait appel à un argument externe, Ia date, et alors il veut
nous faire croire qu'une fois à Paris Van Gogh ne pou- - Ia chaussure peut-être, le double de Ia ehaussure
vait plus peindre des soutiers de paysan ni même d'autres qui s'est fait Ia paire, Ia ehaussure du double. L'analyse
soutiers que les siens, ou les soutiers de personne. Allé- spectrale de Ia séparation interne d'une paire, telle que
gation doublement irrecevable. Elle présuppose d'abord je Ia proposais tout à l'heure en cinq points, si -
que Van Gogh n'était pas un paysan, n'était plus un
paysan, ne pouvait plus s'identifier, si peu que ce soit, - d'un Dupin qui voudrait remettre Ia chose à
si partiellement que ce soit, pas même du bout des qui de droit, pour faire hommage de cette restitution
doigts de pied, à du paysan. Si cela a un sens, c'est (ajustée à Ia pointure de Ia princesse), s'y laissant à son
faux, on peut le démontrer et je réserve cette démons- tour piéger, d'autant plus facilement, disais-ie, que ee
tration pour plus tardo La même allégation présuppose discours policier s'affaire autour de rien en somme,
aussi qu'aprês son départ de Hollande, en tout cas restes de rien, de pas, de vestiges, de traces sans présenee
aprês 1887, Van Gogh ne s'intéresse plus au monde ni absence sur un sol sans fond ou sur un sous-sol abimé.
paysan. Or même si elle n'était pas gratuite en elle-même, Fort, Da : Ia pointure joue de Ia virgule.
cette hypothese stupéfiante est démentie par une lettre
que Schapiro cite lui-même aussitôt apres : « Une - 11 a été écrit ailleurs que ça peut toujours ne pas
deuxiême nature morte de « vieux souliers de paysan » arriver à destination, ça peut toujours ne pas revenir au
est mentionnée dans une lettre de septembre 1888 porto Telle est Ia condition de revenance. Dans Le fac-
au peintre Emile Bemard mais il y manque Ia surface teur de Ia oérité, rempIacez le pied de Ia « lettre » par une
usée et l'intérieur sombre caractéristiques de Ia des- « ehaussure» et vous lirez: « C'est ce qui égare et hasarde
cription de Heidegger. » Rien ne va plus dans Ia logique sans retour garanti Ia restance de quoi que ce soit : une
de ee paragraphe. Si l'on avait ici à prouoer, Ia lettre ehaussure n'arrive pas toujours à destination, et dês lors
prouve que Van Gogh pouvait peindre et avait peint en que cela appartient à sa structure, onJ'eut dire qu'elle
effet des souliers de paysan aprês 1886. Donc si les n'y arrive jamais vraiment, que quan elle arrive, son
soutiers mentionnés par Ia lettre ne ressemblent pas, pouvoir-ne-pas-arriver Ia tourmente d'une dérive in-
eux, à eeux que Heidegger décrit (s'il décrit un tableau), terne. » On peut ajuster cet énoncé à Ia divisibilité d'une
les tableaux retenus comme piêces à conviction pou- paire. Pas plus que Ia lettre, une paire n'est indivisible.
vaient bien en revanche représenter des soutiers de
paysan. Done eelui qui eorrespond à Ia « description » - C'est pourquoi ne parlant pas simpIement en
416 LA VÉRITÉ EN PEINTURB RESTITUTIONS

policier mais d'abord du discours policier, je n'ai pas dit, paysannerie (si quelque chose de tel existait en matiêre
comme Heidegger, ce sont des souliers de paysan mais de chaussures semblables) en était exclue, 2. que ces
contre lui : rien ne prouve que ce sont des souliers de paysan souliers étaient ceux de Van Gogh. Or ce que nous
(Ia seule proposition incontestable, selon moi, de Scha- avons dit du paragraphe précédent ruine toute possibilité
piro); et je n'ai pas dit, comme Schapiro, ce sont les de preuve à cet égard.
souliers d'un citadin et même de Van Gogh, mais contre L'assurance paraít d'autant plus péremptoire dans sa
lui : rien ne prouve, ni ne peut prouver que « they are précision qu'aussitôt aprês avoir identifié le tableau,
the shoes 0/ the artist, by that time a man 0/ the town and Schapiro doit évoquer Ia possibilité d'une contamination
city », Chaque fois que vous lisez « they are c1ear/y... », entre certains traits appartenant à deux tableaux dans Ia
« this is clearly ... », « are evident/y ... », cela ne signifie pas référence de Heidegger : « On y exposait aussi au même
que c'est clair ou évident, bien au contraire, mais qu'il moment une toile représentant trois paires de chaussures
faut dénier I'obscurité intrinsêque de Ia chose, sa (VI, Fig. 250), et il est possible que Ia semelle exhibée
crypte essentielle, et qu'il faut faire croire que c'est d'un soulier dans ce tableau ait inspiré Ia référence à Ia
manifeste tout simp1ement parce que Ia preuve fera seme11edans Ia relation descriptive du philosophe. Mais
toujours défaut. « Clear/y » et « evident/y » portent d'abord aucun de ces tableaux ni aucun des autres ne pennet de
sur Ia restitution des souliers à Van Gogh, sur Ia pro- dire proprement (proper/y) qu'une peinture de souliers
priété des souliers qui 1ui reviendraient en propre (d'au- par Van Gogh exprime I'être ou l'essence des souliers
tant moins fétichisables comme chose de l'autre, autre d'une paysanne et son rapport à Ia nature et au travail.
chose, qu'elles sont vieilles, familiêres, usées, formées Ce sont les souliers de l'artiste, soit, à cette époque, d'un
au pied, maculées). Je souligne : « They are clearly homme des villes et de Ia grande ville. »
pictures 0/ the artist's own shoes, not the shoes 0/ a Identification (dans tous les sens de ce mot, ils sont
peasant »••• « ••• « une paire de vieux souliers » which are nombreux), attribution, réappropriation : le désir n'a
evidently his own ... » P1us bas, « c1ear/y » assure l'identi- plus de limite. Premier temps, premiêre exigence : Scha-
fication, cette fois, d'un tab1eau à partir d'une 1ettre de piro considere le tableau comme une « copie » et il ignore
Heidegger qui aura fait un surprenant trajeto On peut une loi de structure élémentaire en induisant des rap-
par1er ici de détournement pro1ongé. « En réponse à ma ports de propriété dans Ia « réalité » extérieure au tableau,
questíon, 1e Professeur Heidegger m'a obligeamment dans le prétendu modele de Ia copie : non seulement,
écrit que le tableau auquel il s'est référé est un tableau dit-íl, ça ne revient pas à du paysan ou à de Ia paysanne
qu'il vit dans une exposition à Amsterdam en (ce qui fait trop vite concIure de l'improbable à l'exclu)
mars 1930. C'est manifestement (c1ear/y) de Ia Faille mais elles reviennent à un homme, à un homme qui est
nO255 (voir figure I). » Pourquoi est-ce manifeste? Rien un peintre, à un peintre qui est le signataire du tableau,
n'en est dito Est-ce parce que Ie catalogue de cette expo- propriétaire de sa signature autant que de ses chaussures,
sition excluait toute autre possibilité ? Alors pourquoi ne qui reviennent ici au même. Deuxiême temps, deuxiême
pas le dire ? Dans ce cas toute l'improbable et laboríeuse exigence : cela ne suffisant pas à Ia restitution parfaite, il
démonstration qui précêde eüt été de trop. Et de sur- faut encore que le porteur-détenteur-propriétaire-signa-
croít, même si à partir de Ia référence de Heidegger taire (autant de valeurs accumulées, autant de capital
(dans sa lettre) à sa référence (dans son texte) comme augmenté car ccs significations s'aioutent, ne se confon-
identique à Ia référence (dans sa visite à l' exposition dent pas) réel des chaussures peintes soit plus défini, que
de 1930), même si ces références étaient superposables Ia pointure soit rigoureuse et Ia chose plus sürement
et ne laissaient aucun doute quant à ce tableau (de Ia ajustée. Celui auquel on rend son bien doit aussi être
Faille nO 255), encore faudrait-il prouver I. que toute « hommes des villes et de Ia grande ville », Cela doit, à un
LA v:áRId EN PEINTURB RESTITUTIONS 419
moment donné [« by that time »), le fixer dans son Est-ce que Ia peinture doit se laisser appliquer un dis-
essence car, autrement, pourquoi n'aurait-il pas fait du cours élaboré ailleurs sur I'hallucination? Ou bien
pays~ a!0rs qu'il é~t en ville ? Comme si Van Gogh ne doit-elle en être l'épreuve déeisive, et Ia condition?
pouv~t etre de Ia ville et de Ia campagne, comme s'il ne
pouvait garder en lui du paysan (voire avec lui des sou- - lei plusieurs remarques. Oui, hallueinations et
liers de paysan : qu'est-ce que c'est, au iuste ?) dês lors revenants. Mais qu'est-ce que ça veut dire? Nous au-
qu'il serait devenu provisoirement citadin! comme s'il ne rions beaucoup de raisons de nous méfier du concept de
pouvait peindre des souliers de paysan alors qu'il portait « projection », tel que le manipule Schapiro. Qu'est-ce
des souliers de ville! comme s'il ne pouvait peindre, avec qu'une projection en peinture ? Quelles sont les limites
ses pinceaux, píeds nus! comme si on peignait des d'une projection ? Qu'est-il interdit de projeter et pour-
chaussures avec ses chaussures! Car c'est Ia troisíême quoi? Qu'est-ce qu'une expérience sans projection?
exigence et le troisiême temps : ainsi défini, le proprié- Ce concept de projection n'appartient-il pas à un objec-
taire, etc., réel des chaussures peintes (épithete qui tivisme ou du moins à un systême des rapports sujet-
retient ou produit toute l'équivoque du rapport mo- objet ou de Ia vérité (comme adéquation ou comme
dêle/image) doit être substantiellement situé dans le dévoilement, eomme présence dans Ia représentation ou
~emp~ et dans l'espac:e: Une fo~s qu'on a cru pouvoir dans Ia présentation) qui ne peut plus se mesurer aux
identifier le tableau Vise par Heidegger, une fois qu'on effets de l'inconseient, tels qu'un certain état de Ia
en a attribué le sujet (telles chaussures déterminées) au théorie psychanalytique les a déterminés, ni surtout à
sujet (porteur, détenteur, propriétaire, artiste signataire, Ia structure restante des marques dont Ia graphique nous
homme, citadin), il faut encore que, présent à telle dàte intéresse iei? Néanmoins, prenons pour l'instant ce
dans telle oille, il n'ait pu peindre autre ehose que des concept de projection ou d'imagination, tel que l'utili-
chaussures de ville, les plus proches (Dal ) possible. sent en somme aisément nos deux correspondants, l'un
Des chaussures peintes à partir des ehaussures portées, pour lui opposer Ia présence de Ia vérité en peinture
qui done ne partent pas, enfio pas três loin, et sont déjà comme aletheia, l'autre Ia représentation fidêle et mimé-
de retour. Ou? 1à. Ou là? Lã, voyez, iei, iei tout de tique, vraie parce qu'adéquate à l'objet. Alors il pourrait
suite. y avoir plus de projection hallucinatoire que ne le dit
Schapiro dans sa propre reconnaissance du tableau. On
- Et pourtant. Tout comme Heidegger, qu'il cite vient de le démontrer, rien dans ce tableau ne permet de
sur ce point avec ironie, Schapiro exclut qu'il y ait de ooir les souliers, encore moins les pieds ou le corps tout
son propre côté Ia moindre « projection », Assuré d'avoir entier de Van Gogh homme de Ia ville, Van Gogh à
seientifiquement déterminé le contenu et l'origine du Paris, etc. Inversement, il pourrait (je dis bien il pour-
tableau (chaussures de ville comme obiet personnel du rait) y en avoir moins que ne le dit Schapiro dans Ia
peintre), Schapiro a beau jeu de dénoneer Ia projection « vision » de Heidegger. Dans son cas en effet les risques
identificatoire de Heidegger : celui-ci a annexé les sou- de projection auront été atténués pour les raisons qui
liers à son paysage social, il les a surinvestis avec son furent longuement développées tout à l'heure et tou-
« lourd pathos de l'originaire et du terrien », Il aurait fait chant à Ia structure même de Ia référence au tableau
cela même dont il se défend, il aurait « tout imaginé et dans L'origine. Je n'y reviens pas mais j'y ajoute un
projeté dans Ia peinture », argumento 11 concerne le moment ou, sans doute pos-
sible, Heidegger parle du tableau pour dire imprudem-
- Une hallucination eu somme. C'est de l'halluei- ment « une paire de souliers de paysan », L'imprudence
nation eu peinture que nous nous entretenons iei. et le risque de projection sont incontestables, aussi
LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 421
incontestables que du côté de Schapiro. Mais une cir- de l'reuvre d'art. Et poser des questions analogues au
constance au moins peut les atténuer du côté de Hei- sujet des modeles poétiques de Heidegger. Il reste que
degger. Cette circonstance atténuante tient au conteste. les risques de projection étaient pIus limités. La « pro-
Au contexte scripturo-pictural de Van Gogh. Elle ne jection » opere dans le choix plutôt que dans l'analyse du
consiste pas seulement dans le grand nombre de paysans modele, dês lors que le corpus exemplaire est celui de
et de paysannes, de chaussures de paysans (détachées Van Gogh. Une certaine analogie entre Heidegger et
ou non, nommées, déclarées, intitulées ou non) que Van Van Gogh, quelles qu'en soient les limites A d'autres
Gogh aura peintes, avant et apres 1886, le grand nombre points de vue, une certaine communauté du « pathos »
de scênes et d'objets de Ia vie paysanne qu'il se sera fournissait paradoxalement un sUPPOrt d'identification
acharné à vouloir restituer en peinture et en vérité qui réduisait d'autant les risques de « projection », de
«( ... que ce soit une vraie peinture de paysans. Je sais que délire hallucinatoire. Le paragraphe « pathétique » sur
c' est cela... Par de tels tableaux, ils apprennent quelque l'appel silencieux de Ia terre, consonne, autre corres-
chose d'utile », Lettres A son frêre Théo, 1883-1885. pondance, avec telle ou telle lettre de Van Gogh.
Elles sont pleines d'invectives contre les « citadins »).
Non. Elle consiste en ceci: I' « idéologie », disons pour - [e voudrais aller plus loin. Non p1us pour sous-
faíre vite, rurale, terrienne, terreuse, artisanale que traíre Heidegger au verdict de Schapiro ou pour lui
Heidegger est accusé d'avoir proietée, ce « lourd pathos trouver des « circonstances atténuantes », Mais pour
de l'originaire et du terrien », est-ce si étranger A Van faíre apparaítre, au-delà des trais exigences de Schapiro,
Gogh ? Qui a dit : « Quand je dis que je suis un peintre une vague d'identification supp1émentaíre. Supplémen-
de paysans, c'est bien ainsi en réalité et tu verras mieux taire car l'identification est, comme l'attribution, de
par Ia suite que c'est IAque je me sens dans mon mi- structure supplémentaire, ou parergonale. Et supplé-
Iieu. »? Ces signes (peinture et écrits sur Ia peinture) mentaire parce que cette exigence de rattachement est
sont trop abondants et trop connus. N'en abusons par définition insatiable, insatisfaite, toujours dans Ia
pas. « Idéologie » paysanne et artisanale en peinture, surenchêre. Elle relance, elle en remet chaque fois
souci de Ia vérité en peinture «( Mais elle m'est si chêre, davantage. Aprês avoir, sur un mode défensif et critique,
Ia vérité, Ie chercher à faire vrai aussi, enfio ie crois, je contesté le droit de propriété agricole revendiqué par
crois que je préfere encere être cordonnier à être musi- Heidegger, Schapiro passe à I'offensive générale. L'of-
cien avec Ies couleurs. »), voilà ce qu'il partage avec fensive se déc1enche avec Ia question suivante : est-ce
Heidegger, même si sa « vérité », du moins dans son que l'erreur de Heidegger (démonstration supposée
discours, reste représentative. N'abusons pas de cet argu- acquise) tient simplement au choix d'un mauvais
ment, mais reconnaissons que Ia projection hallucina- exemp1e ? Non, c'est qu'il n'a pas su ana1yser son propre
~oire de Heidegger, s'il y en a, est motivée par ce sUPPOrt exemple et même s'il avait eu raison de « voir » des
identificatoire. On doit, certes, expliquer pourquoi Hei- chaussures de paysanne, il aurait manqué l'essentieI, « Ia
degger avait besoin de choisir te! type d'obiet (produit présence de I'artiste dans son eeuvre », Voici : « Is Hei-
dit « utile » comme vêtement et tel vêtement), tel type degger' s mistake simply that he chose a wrong example ?
de tabIeau, tel peintre, pour dire ce qu'il entendait dire. Let us imagine a painting of a peasant-uoman shoes by
11 n'aurait pu aussi facilement dire Ia même chose avec Van Gogh. Would it not haoe made maniJest just those qua-
d'autres objets, avec d'autres peintures, avec d'autres lities and that sphere of being described by Heidegger with
chaussures, celles de Van Eyck, Miro, Magritte ou such pathos ? Heidegger toould have missed an importam
Adami. On doit, certes, analyser le choix, et les limites, aspect of the painting : the artist's presence in the work. »
du modele exemplaire pour un tel discours sur L'origine Dês cet instant, Ia réappropriation des souliers par son
LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 423
propre Van Gogh ne va plus connaítre, pour Schapiro, souliers de paysanne peints par Van Gogh. Pour montrer
aucune limite. Au terme de l'offensive, on n'aura plus que même dans ce cas Heidegger aurait manqué l'es-
affaire à un objet personnel (une affaire personnelle ou sentiel, Ia présence de l'artiste dans l'eeuvre, il faut donc
un morceau de corps) détachable, à un objet en somme retrouver les traits de Vincent dans le corps de Ia
qui appartiendrait à Van Gogh sans se confondre avec paysanne, Vincent en paysanne. Mieux, Ia paysanne
lui, füt-ce un membre fantôme. On serait en présence de Van Gogh dans ses chaussures. Cela va loin mais serait
Van Gogh lui-même. Le tableau manifesterait Ia « pré- encore plus intéressant si les protocoles de cette identi-
sence » de l'artiste lui-même dans son « auto-portrait )), fication étaient autres. Mais peu importe. 11 s'agit
non seulement un « morceau de sa propre vie » (a piece maintenant de mettre un visage sur (dans) les souliers,
of his oton life) mais un morceau indétachable et donc le visage du signataire. Vincent Van Gogh fuit hic. Ce
entrainant tout le corps avec lui, une de ces « choses que Heidegger aurait négligé, ignoré (ooerlooked), c'est
inséparables de son corps )) (things inseparable from his le « personnel » et le « physionomique » de ces souliers.
body) et même de son corps debout, « érigé )) [« the A Ia différence des sabots de bois qu'il a peints à
erect body in its contact with the ground ») : le pas de Van d'autres moments (sabots de paysan, clairs, propres et
Gogh revenant, passam dans le tableau. Entre le corps sans trace d'usure, donc impersonnels), à Ia différence
de ce passant et les chaussures, entre les pieds et les des savates de cuir (savates de paysan, vues de dos), il
souliers, entre les deux soutiers eux-mêmes, dans Ia montre ici les souliers de face, venant à nous, regardant
paire, plus de séparation possible. Le référent réel du le spectateur (as if facing us), nous fixam, visage dévi-
tableau, le modele qui était si ingénuement attribué sageant ou dévisagé, avec des traits individuels, des
jusqu'ici à Ia copie, le voici maintenant agrandi jusqu'à rides, un « portrait véridique de chaussures vieillis-
Ia totalité du sujet. Le titre du tableau, sa légende : santes » (oeridical portrait of aging shoes ), U n peu comme
Hoc est corpus meum. On est encouragé à ce déchiffre- on dirait « Portrait de vieillard » ou mieux, pour pro-
ment: Van Gogh se donne, sedonneà voir,faitl'offrande longer l'intention de Schapiro : a portrait of the artist as
sacrificielle de sa chair en donnant à voir ses soutiers. Et an old thing.
Gauguin, cité par Schapiro en conclusion, le confirme- Le rattachement est si serré (absolu) qu'il s'efface ou
rait : il a devant lui Ia « vision du Christ ressuscité ", « Ia s'absout : les souliers peints ne sont pas seulement les
vision d'un Jésus prêchant Ia bonté et l'humilité. » souliers réels et réellement présents de Vincent réel et
Plus de détachement : les souliers ne sont plus rat- présent, ils ne reviennent pas seulement à ses pieds :
tachés-à-Van Gogh, ils sont Vincent lui-même, de lui- ils sont Vincent Van Gogh de pied en capo Chausser égale
même indétachable. Ils ne figurent même pas une de ses être, qu'on en restitue toute Ia conséquence.
parties mais toute sa présence rassemblée, resserrée, Le cap : Vincent a signé là un auto-portrait, il a illus-
contractée en elle-même, avec elle-même, auprês d'elle- tré sa signature, sujet des chaussures peintes, et si dans
même : une parousia. cet auto-portrait il a dissimulé les pieds, ce ne serait pas
Est-ce alors un paradoxe ou une nécessité de ce qui pour délaisser des chaussures vides (restantes) mais
fut nommé « correspondance » ? Toujours est-il que le parce que ces souliers sont le visage de Vincent : le cuir
moment ou Schapiro semble le plus radicalement s'op- de sa peau vieilli, ridé, chargé d'expérience et de fatique,
poser à Heidegger est aussi le moment ou sa démarche sillonné par Ia vie et surtout três familier (heimlich), Si
ressemble le plus à celle de sa partie adverse. Comment les souliers hantés sont sans pied, ce ne serait pas pour
se produit cette identification médiatisée ? rester, détachés, plus bas que Ia plante mais pour être,
La grande offensive commence donc au moment ou plus haut qu'aucun membre, absolument rattachés :
Schapiro feínt, par concession tactique, d'imaginer des l'attache est ici un autre cou. 11 élêve jusqu'à Ia figure, il
LA VÉRITÉ EN PEINTURB RESTlTUTIONS 425
transfigure. Les chaussures transfigurées sont en lévi- - Personne n'est accusé, ni surtout condamné, pas
tation, les auréoles d'elles-mêmes, Ne plus regarder vers même soupçonné, li y a de Ia peinture, de l'écriture, des
le bas, le três-bas (les pieds, les chaussures, le sol, le restitutions, voilà tout. Qui connaít ici Van Gogh,
sous-sol) mais une fois de plus (suivez Ia paysanne) vers Heidegger, Goldstein, Schapiro? Ce carré -
le haut, le três-haut, le visage faisant face, Ia Face.
On pourrait avoir l'impression d'être, par rapport à - D'une certaine maniêre, quand Heidegger propose
L'origine, sur l'autre pôle. Heidegger tirait vers Ie bas, dans L/origine de revenir en-deçã de l'opposition tardive
vers Ia terre, I'abíme, etc. Non pas vers le visage de Ia entre l'artiste et l'artisan (le travailleur manuel) et de
subiectivité. Et pourtant. repenser Ia technê ou le technités (nous y aborderons
Et pourtant, malgré ou à cause de cette opposition plus tard), il s'avance aussi dans cet espace de I'analogie
maximale, les propos entrent en connivence, ils se entre le peintre et le paysan. Pour répondre à cette
mettent à se ressembler étrangement, à se renvoyer leur question, il faudra bien se décider à lire ce passage, que
image, à s'identifier par plus d'un trait. Bien sür, l'iden- i'annonce depuis longtemps, sur Ia signature, le trait et
tification ne sera pas entiêre et Ia correspondance aura I'attraction.
des limites. Comme toute paire. Et pourtant, quand
Schapiro oppose cet auto-portrait à Heidegger, son - Voilà que soudain tout paraít étrangement conson-
accent rappelle celui de I/origine : ((Yet Van Gogh is in ner entre Heidegger et Schapiro. N'est-ce pas inquié-
some ways like the peasant ; as an artist he works, he is tant?
stubborniy occupied in a persistem task that is for him his
inescapable calling, his life ( ...) that part of the costume - La consonnance s'interrompt chaque fois que
whith which we tread the earth and in which we locate the Schapiro dit (( self ll, « self conscious ll, « self awareness ll,
strains of mooement, fatigue, pressure, heaoiness - the « own )), « portrait )): il remet tout à une conscience de
burden of the erect body in its contact with the ground. soi, à une subjectivité à laquelle Heidegger ne se confie
They mark our inescapable position on the earth. II jamais sans question, et qu'il interroge toujours comme
une époque de Ia métaphysique : celle qui, depuis Des-
- Oui, il y a bien ce retour à Ia terre et cette concen- cartes, cherche à s'assurer dans Ia subjectivité un sol
tration d'un monde de l'artisanat dans les souliers, le de certitude (un roe ou un socIe inébranlables, sur les-
labeur paysan, etc, C'est le même « pathos », Mais les quels cette fois Ia semelle adhérente ne glisse plus).
énoncés de Schapiro s'autorisent de I'analogie entre le Disons à cette occasion que Schapiro se méprend en
peintre et le paysan. Ce n'est pas le cas chez Heidegger. parlant d'un « concept du pouvoir métaphysique de
I'art II qui resterait une « idée théorique II er en prêtant
- Ce n'est pas si sür ni si simple. Cette analogie est tout cela à Heidegger. C'est cela même qui est mis en
certes d'abord un thême de Van Gogh : ie suis un paysan, question dans L' origine, de façon systématique. Et il
je suis un cordonnier, j'appartiens à ce monde, et quand n'est pas sür qu'on en trouve plus de trace chez Hei-
je me dépeins moi-même, si souvent - degger que chez Ia plupart - au moins - des théoriciens
de Ia peinture. Les présupposés métaphysiques me
- Que Van Gogh dise et peigne si souvent « moi )), paraissent par exemple, plus présents et plus détermi-
est-ce qu'on n'en fera pas une « circonstance atté- nants dans Ia Note de Schapiro.
nuante )l pour Sehapiro cette fois, eomme de l'idéologie - Ce qui vient d'être dit des souliers comme por-
((p,aysanne II du peintre pour Heidegger ? trait du peintre-paysan-à-l'ceuvre pourrait confirmer Ia
suggestion de tout à l'heure : les chaussures sont lã en
426 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 427
peinture, elles sont lã pour (figurer, représenter, remar- fantõme)? Dans ee cas sont-elles le fantõme de Van
quer, dé-peindre?) Ia peinture à I'eeuvre, Non pas pour Gogh ou le fantôme de l'aurre Je de Van Gogh, et que
être rattachées aux pieds de tel ou tel, dans le tableau veut dire alors l'autre Je? Ou bien, sans être fantõme
ou hors de luí, mais lâ pour-la-peinture (et vice versa) elles-mêmes, ont-elles le fantõme, sont-elles le lieu
propice à avoir, faire revenir, prendre ou retenir le
- Ia peinture à I'eeuvre, comme le peintre en acre, fantõme, et lequel? le sien ou celui de l'autre (déta-
comme Ia production picturale en son procês ? chable) ? De l'inconscient de l'autre?
- pour ce qu'il y a de Ia restance picturale, formule - On ne répondra pas à cette question iei mais il
qui ne se réduit à aucune des autres mais que je dois faut voir comment elle se lie à celle de Ia paire que vous
abandonner ici à son ellipse. Le fi! s'en tire d'ailleurs. ne voulez pas entendre depuis tout à l'heure. Une ana-
lyse spectrale du deux des chaussures devrait nous dire
- I'avais à peine commencé à lire cette deuxiême comment elles oont " si elles ootu ensemble et alors
partie de Ia Note de Sehapiro, cette identification à l'ad- comment, et si elIes oont aux pieds et alors comment.
versaire. Aller auec dans le premier cas, aller à dans le second,
11 y a cette référence à Knut Hamsun décrivant ses mais a/ler à ne veut pas dire se rendre à (tel ou tellieu).
propres souliers. Sehapiro l'oppose à Heidegger. Notam- Pour aller, dans les deux cas, aller ensemble, ou aller-à,
ment quand Hamsun éerit : « Ils (mes souliers) m'affec- deux souliers doivent, e'est une des conditions indis-
taient eomme Ie fantõme de mon autre Je - une partie pensables, faire Ia paire. En principe. Mais dês qu'elles
vivante de mon propre moi. » Pour en eonclure, eomme ne vont plus quelque part, qu'elles sont. détach~es,
il semble le faire et eomme Schapiro en tout eas s'em- délaissées, délacées, elles peuvent ne plus faire Ia paIr~.
presse d'en décider, que « mon autre Je» est moí-même, La paire se sépare. Quel est alors le spectre des POSSl-
est Je, et surtout que son fantõme est Je, il faut vouloir bilités ou Ia possibilité des spectres? Les chaussures
dormir sur ses deux oreilles. Qu'est-ce que e'est que peuvent être dépareillées, apparte~ chacune à. une
« mon fantõme » ? Que dit Ia locution : le fantõme de autre paire par laquelle elles contmuent à se laisser
mon autre Je? mon autre Je, est-ce moi-même ou un hanter. Mais dans ce premier cas de dépareillé, ça peut
Je autre, un autre qui dit Je? ou un moi-même qui encore aller ou du moins marcher si Ia pointure et Ia
n'est lui-même que divisé par le fantõme de son double orientation (droite et gauche) le permettent.
double ? Dês qu'il y a du fanrõme ou du double comme C'est une premiêre possibilité, presque « normale »,
revenant, Ia logique de l'identification, est-il besoin d'y bien que le dépareillé, signalé par d'autres traits, fasse
insister, ne s'apaise pas aussi facilement que semble le boiter ou loucher l'expérience inquiete que nous avons
penser Sehapiro. Si je dis : ees souliers sont le fantõme dans ee casoDeuxiême possibilité: un seul soulier. Nous
de Van Gogh, de l'autre Je fantomatique de Van Gogh, en avons déjà parlé. Paire amputée ? Soulier amputé de
l'oscillation du génitif traduit à elle seule le malaise, Ia paire à laquelle H appartient? Hanté par l'autre?
l'Unheimlichkeit de Ia ehose : le fantõme de Van Gogh Triomphant et souverain, enfin seul, et captant t?ute
eomme eelui qu'il est ou eomme celui qu'il a en lui ou l'investiture fétichiste ? ou narcissique ? Double mieux
devant lui et qui le hante, un autre, done, le fantõme rassemblé du mort ou de Ia morte? Erection du boite-
(qui est un autre) en lui comme celui d'un autre, ete ... ment? Elimination du double? Misere ou souverai-
neté monumentale de l'inutilisable? Toutes ces inves-
- Mais alors Ia hantise de ces ehaussures ? Sont-elles titures sont possibles, elles restem, ouvertes à Ia syntaxe
un fantõme (un morceau de fantõme, un membre de tous les spectres. Troisiême possibilité (je suis sür
428 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 429
que je vais en oublier) : deux souliers droits ou deux sou-
liers gauches. Non mettables, non utilisables, en prin-
cipe. En tout cas ils ne oont pas ensemble sans blesser le
porteur, à moins qu'il ait les pieds d'un monstre. Mais
les deux souliers, alors détachés du port et de l'usage,
se réfíéchissent mieux l'un l'autre. Chacun est étrange-
ment le double de l'autre. La capitalisation de Ia hantise
y trouve un bénéfice supplémentaire, elle peut combiner
les possibilités précédentes, les étayer, les augmenter.
Cette troisiême possibilité se divise en deux : I. les
deux souliers droits ou les deux souliers gauches peuvent
appartenir, dans une origine qui continue de les habiter
même s'ils s'en sont détachés, à deux paires différentes.
Chacune d'elles s'est séparée d'elle-même mais laisse sa
marque sur chaque soulier. Elle est reconnaissable et
cette différence entre les deux souliers droits ou les deux
souliers gauches vient rompre un peu ce qu'ils ont de
superposable et donc d'inquiétant, de boiteux, de
louche; elle amorce un ré-appariement três vite
inhibé. 2. Les deux souliers droits ou gauches sont
exactement semblables, ils appartiennent à deux paires
(séparées l'une de l'autre et d'elles-mêmes) qui n'ont
entre elles de différence que numérique. On croirait
voir double : deux uniques parfaitement identiques.
Fiction hallucinogêne. L'appariement, Ia com-paraison
même, ni le pari ne sont possibles. Car un pari revient
toujours à comparer. Encore faut-il qu'une différence le
permette. Mais quand il n'y a plus de différence?
Dira-t-on alors, comme on vient de le faíre, que le pari
devient impossible ? Ou au contraíre: qu'il ne reste plus
úlloulitTl. qu'à parier? qu'il n'y a plus qu'à parier? Dans le cas
des chaussures, Ia paire arrangerait tout dans Ia mesure
ou l'être-avec des deux individus (complets incomplets,
tout et parties) ne supprime pas, conserve au contraire,
suppose et releve une différence. Celle-ci revient pour
l'essentiel à Ia seuIe orientation (il y va ici de toute l'es-
thétique transcendantale de Kant) et à Ia seule orienta-
tion d'un « corps propre », La comparaison en cet autre
sens est alors possible : plus de pari.

- Plus de pari?
43° LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 431
- On dirait alors que Schapiro, Heidegger et - Celles qui restem, selon Ia restance dont je parle.
quelques autres auront, devant le tableau, três raison- Le spectral de l'analyse défie Ia distinction entre les
nablement parié pour Ia paire? I1s auront joué Ia paire? chaussures réelles et les chaussures en peinture. 11 ne
Et cela (plus de pari) afin d'éviter les risques du pari? l'efface pas, il Ia défie et Ia double. L'analyse spectrale
Ce qu'ils n'ont pas réussi à faire puisqu'il faut compter concemait, en vérité diraient-ils, mais doublant aussi
avec le pari de l'inconscient ou l'inconscient du pari, si Ia vérité, le rapport des chaussures II peintes » aux
vous préférez. Toujours plus de pari. Si bien que le chaussures II réelles ». Elles ne font pas Ia paire, et Ia
piêge marche toujours dans l'entrelacs, soit qu'il fasse feraient d'autant moins que le simulacre du double y
marcher, laisse marcher ou qu'il paralyse. Plus de pari, atteindrait une perfection hallucinante. Le rapport de
pas de pari. I1s ont parié pour Ia paire, pour Ia compa- hantise qui travaille le dépareillé (et donc Ia paire) est
raison, pour un pari qui limite les risques du pari absolu, irréductible à tout le mimétologisme (je ne dis pas Ia
qui se limite et se resserre lui-même jusqu'à s'étrangler. mimesis) qui rêgne dans Ia philosophie ou dans Ia théorie
Jusqu'à se lier pour ne pas s'absoudre. Car Ie retors philosophique (c'est-à-dire quelquefois scientifique) de
tient à ce que le pari absolu ne doit jamais exclure le Ia peinture, à toutes ses oppositions, à toutes ses paires
disparate ou l'impair absolu. I1s ont donc parié, bon gré de catégories. Car une paire marche avec des oppositions
mal gré, contre Ia possibilité du pari. On appellera dis- symétriques, harmonieuses, complémentaires, dialec-
paras ce qui ouvre le fort : da de Ia pointure, le jeu du tiques, avec un jeu réglé d'identités et de différences.
disjparaitre, à Ia possibilité du dépareillage. Avoir fait
marcher le destin et provoqué à un pari impossible, - Mais le dépareillé (le disparat) ne permet-il pas
voilà ce qui reste du coup de Van Gogh : Ia génialité de de mieux faire apparaitre Ia vérité, Ia parité de Ia paire,
son impair. le rapport à soi de Ia paire ou du couple

- Je reprends I'analyse specttale de ce disparat. - ce n'est pas exactement Ia même chose,


Deuxiême hypothese, donc, de Ia troisieme possibilité,
deux souliers droits ou gauches qui ne se distinguent - de mieux penser Ia paire comme telle ?
que « numero », Chaque soulier est alors le double par-
fait de l'autre : jamais Ia paire n'aura été plus interdite. - de mieux penser à sa réparation, sans doute, à
Le double est d'autant plus ce qu'il est panser, ã bander lã ou le-la-les double(s) band-

- Doppelgiinger! - Laissons là le spectre de l'impair. Quand on veut


parler des chaussures qui restent, il y en a beaucoup,
- qu'il ne va pas. 11ne va pas avec son double par- par exemple des multiplicités de paires plus ou moins
fait. Inadaptable : à l'autre, à Ia paire, aux pieds, à Ia dépareillées, comme dans cet autre tableau de Van
marche. Gogh (Trais paires de souliers dont l'un exhibe, tous
Voilà le spectre. En ai-je épuisé les possibilités? les fers en l'air, son dessous), il faut savoir s'arrêter.
Quatre ou cinq, je ne sais plus, et j'en oublie, et j'omets Bst-ce possible ? Le disparat ou l'impair c'est qu'il y a
Ia syntaxe déterminante des variations secondaires, en toujours une chaussure en plus, ou en moins, une troi-
particulier celle des pointures. siême ou une premiêre. Nous parlions de Knut Ham-
sun que ses vieux souliers impressionnent comme le (I

- Mais cette analyse specttale concernait-elle les fantôme d'un autre Je ». Schapiro savait-il que Knut
chaussures réelles ou les chaussures en peinture ? Hamsun est aussi une référence précieuse de Heideg-
432 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 433
ger? Et qu'il y a Ià encore un trait d'identification qui n'a affaire qu'à de l'étant. Elle revient à Ia philo-
entre les correspondants ? Hamsun est cité, par exemple, sophie ou à Ia poésie. Hamsun est invoqué comme
dans I'Introduction à Ia métaphysique. Et quelques pages poête qui s'ouvre à Ia pensée du néant, dans ({ee véri-
avant cette autre allusion de Heidegger à un « ce tableau table diseours du Néant (wahre Rede uom Nichts) » qui
de Van Gogh », três breve celle-lã et relevée en note « reste toujours insolite (ungewohnlich) », Comme pour
par Schapiro qui pouvait y lire au moins une critique Schapiro, Hamsun est ici le poête de l'insolite. Le
de Ia re-présentation mimétique d'un modele : « Ce fantomatique n'est pas loin. Le rapport qui déeolle
tableau de Van Gogh : une paire de grosses [ou gros- l'être de l'étant sans en faire autre ehose, un autre
siêres, derbe] chaussures de paysan. L'image ne re- étant, seulement un néant, un non-étant qui est là
présente proprement rien (Das Bild stellt eigentlich sans être lã comme étant présent, ce rapport a quelque
nichts dar). Pourtant ce qui est là (da ist), c'est avec connivence avec Ia hantise. L' Unheimlichkeit est Ia
cela qu'on est seul aussitõt, comme si soi-même, un condition - entendez ce mot eomme vous voudrez -
soir d'automne, alors que charbonnent les derniers de Ia question de l'être, de son être-en-ehemin, en
feux de pommes de terre, on revenait du champ avee tant qu'elle (ne) passe par rien. Dans Zeit und Sein,
sa pioche, fatigué, vers Ia maison. Qu'est-ce qui est l'expérienee qui rapporte Ia présence à l'absenee
là étant [Was ist da seiend : on ne doit pas, eomme le ( Anwesenj Abwesen) est dite unheimliche.
font toutes les traductions, toueher à eette syntaxe
sous peine d'altérer l'essentiel] La toile? Les touches - Ousia et grammê, qui porte ce passage en exergue,
du pinceau ? Les taches de eouleur ?». parle aussi d'une cheoille de l'essence.
Est-ce le même tableau que dans L' origine? Com-
ment en décider ? La citation de Hamsun par Heidegger - Et il y a dans Ia citation de Hamsun par Hei-
n'a aueun rapport direct avec ce tableau ou avec des degger, un ({trou » (Loch) qui n'est « pas même un
chaussures, eomme e'était le eas dans celle de Sehapiro. trou », comme ee ({trou » (Loch aussi) de Kant qui
Et pourtant : elle appartient, dans l'Introduction à Ia induisait à penser, dans Le sans de Ia coupure pure,
métaphysique, au même mouvement que Ia breve allu- avec et sans Kant, un sans sans manque, « sans négati-
sion que nous venons de lire à un tableau de Van Gogh. vité et sans signification », un pas sans pas négatif.
11 s'agit de dégager Ia question ({ quel est l'être de Voit-on ee pas sans ou un autre dans ces ehaussures?
l'étant », Le tableau de Van Gogh est un des exemples
ê 11 n'y a pas même un trou en elles.
de ee qui est là (da), de l'étant, de ee qui est, de ee
qui est présent, done là (da). 11 vient auprês d'autres - Voici Hamsun cité par Heidegger. Est-ce un autre
exemples de type différent mais qui ont en commun que ce1ui qui hante Ia Nature morte de Schapiro? 11
d'être là, comme étant (le bâtiment du lycée, une parIe de deux oreilles, d'une paire d'oreilles peut-être,
chame de montagnes, le portail d'une église romane, indétaehables apparemment, mais dont l'être-double
un Etat, ete.) mais dont il est difficile de dire en quoi pennet à Ia stéréophonie du vide de se laisser entendre.
consiste l'être de l'étant qui permet chaque fois de dire Rumeur sans origine, le néant est là sans être là. Pas
que l'étant est. Ce qui est, comme être de cet étant, même un trou. 11 faut être assis entre ses oreilles,
n'est pas (l'étant). Une certaine pensée, une eertaine eomment est-ce possible? pour entendre. ({Le poete
expérienee du néant (du non-étant) est requise pour dit : " 11 est ici assis entre ses oreilles et il entend le
l'accês à cette question de l'être de l'étant, eomme à véritable vide. Tout à fait comique, une fantasmagorie
Ia différence de l'être à l'étant. 11 faut ici alIer três (Himgespinst ), Sur Ia mer (A. s'est souvent rendu
vite. Certe pensée du néant est étrangêre ã Ia science auprês de Ia mer autrefois) s'agitait (pourtant) quelque
434 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 435
chose, et il y avait (gab es) lã-bas (dort) une rumeur Gogh a rendu ses chaussures, il s'est rendu dans ses
[Laut: entre 1ebruit et Ia voix], que1que chose d'audible, chaussures, il s'est rendu avec ses chaussures, il s'est
un chceur des eaux. lci - 1e néant rencontre 1e néant rendu à ses chaussures, il s'est rendu ses chaussures.
et n'est pas là (ist nicht da), n'est pas même un trou. Tous les sens se nouent et se dénouent dans le lacet
On ne peut que secouer Ia tête en signe d'abandon de cette syntaxe.
[de reddition, de résignation : ergebungsvoll].•• »
- Toutes ces chaussures restant là, en solde, on
- Ie reviens en retard, j'ai dü vous abandonner peut alors comparer, appareiller, dépareiller, parier
en chemin. A-t-on répondu à ma premiêre question? ou non sur Ia paire. Le piêge, c'est Ia fatalité du pari.
Qui a dit, je ne me souviens p1us, « 11 n'y a pas de fan- La logique du disparat. On peut aussi essayer d'acheter
tõmes dans 1es tab1eaux de Van Gogh, pas de visions, le piêge et l'emporter chez soi, comme un tribut, ou
pas d'hallucinations. C'est de Ia vérité torride... »? comme on croit emporter quelque chose à Ia semelle
de chaussures peintes. Toutes ces chaussures restent là
- Artaud protestait Ià contre une autre maniêre de - car il en a peint beaucoup et malgré le « pas d'idiome »,
« suicider » Van Gogh (Van Gogh, le suicidé de Ia on aimerait bien faire céder Ia cause três singuliêre
société). Cette allégation de fantõmes ou d'hallucina- de cet acharnement : que faisait-il au iuste ? - comme
tions serait une maneeuvre de Ia société, déléguant sa un tribut inappropriable. Un fantõme s'attribue-t-il P
police psychiatrique Peut-on dire « le fantõme-de » si on ne peut dire les
souliers-de ? Pas de justice distributive pour ce tributo
- mais « suicider » quelqu'un, est-ce le faire revenir Les chaussures sont toujours ouvertes à l'inconscient
en fantõme ou 1e faire rester, comme fantõme, ou il est, de l'autre. En location selon une autre topique ou Ia
en somme assez bien enterré, ne disposant plus que topique d'un autre. En location, en solde, aux encheres,
de ses pas ? Pas de revenant. Pas de nom. au sort, à prendre comme on pourra mais jamais à
posséder, encore moins à garder. Seulement à rendre
- C'est à son nom que se rend Van Gogh. si on croit les avoir, et à croire donner si on ne les a pas.
Quand Artaud proteste contre les fantômes
- Selon Schapiro Van Gogh (alias J.-C.) en ses
chaussures s'est rendu lui-même. Dans un auto-portrait - Attention. 11 proteste au nom d'une certaine
on se rend soi-même. A soi-même. 11 faudrait annexer vérité, sans sujet, sans objet, accordée à une musique
le problême du narcissisme à ce1ui du fétichisme et qui revient souvent dans son texte (malgré sa « préfé-
reprendre tout, à Ia base. Nous n'en aurions pas rence », à cause d'elle, Van Gogh serait un « formidable
tini. musicien »). On y retrouve entrelacés tous 1es motifs
de notre correspondance. Mais un motif, qu'est-ce que
- Mais rendre n'a pas 1e même sens dans 1es deux c'est ? Et l'exc1usion apparente des fantõmes, de ceux-ci
locutions : se rendre en peinture et se rendre quelque et non de ceux-là, est seulement destinée à laisser
chose à soi-même, se payer revenir l'inquiétante étrangeté, Ia « sensation d'occulte
étrangeté », Ecoutez Ia peinture. Elle nous « épouille-
- ici sa tête, ou son oreille ou ses souliers. Se rendre rait », selon Artaud, de 1'«obsession » de « faire que les
quelque part serait un troisiême sens, celui des souliers objets soient autres », « d'oser enfin risquer le péché
précisément. Et se rendre à quelqu'un serait, pour qui de l'autre ... », Ecoutez Ia peinture : « Non, il n'y a pas
se livre dans une reddition, un quatriême senso Van de fantôme dans les tableaux de Van Gogh, pas de
LA VÉRITÉ EN PEINTURE

drame, pas de sujet et je dirai même pas d'objet, car TABLE DES ILLUSTRATIONS
le motif lui-même qu'est-ce que c'est?
« Sinon quelque chose comme l'ombre de fer du
motet d'une inénarrable musique antique, comme le PARERGON
leit-motiv d'un thême désespéré de son propre sujet.
« C'est de Ia nature nue et pure vue, telle qu'elle se
révêle, quand on sait l'approcher d'assez preso Pages
[ ] ... Johannes K-EPLER,De Nioe sexangula, marque de l'im-
.:< Et je .ne connais p~ de peinture apocalyptique, primeur, (photo Flammarioo). . . . . . . . .. 30
hieroglyphique, fantomatique ou pathétique qui me Lucas CRANACH, Lucrêce, 1533, Berlin, Staatliche
donne à moi cette sensation d'occulte étrangeté, de Museen Preusische Kulturbesitz, Gemâldegalerie,
cadavre d'un hermétisme inutile, tête ouverte, et qui (photo Walter Steinkopf) . . . . . . . . . .. 68
rendrait sur le billot son secreto )) Antonio FANTUZZI, Un cryptoportique, 1545, (photo,
Flammarion). . . . . . . . . . . . . . . .. 70
- 11faudrait « rendre » encore, donc, en se séparant. MAITREL. D., Cryptoportique de la grotte dujardin des
Et même en laissant tomber. Pins, à Fontainebleau, (photo Flammarion). . .. 72
Antonio FANTUZZI, Panneau d'ornement auec ooale
- Rendre ce secret pourtant lisible à même Ia oide, 1542-1543, (photo Flammarion).. . . . .. 75
lettre, « hermétisme inutile » du reste crypté. Antonio FANTUZZI,Cartouche rectangulaire vicie, 1544-
1545, (photo Flammarion). . . . . . . . . ., 76
- Mais Ia séparation c'est en soi déiã, dans le mot, Encadrement de porte, style Louis XIV, gravure ano-
dans Ia lettre, dans Ia paire, l'ouverture du secreto Le nyme, (photo Roger Viollet) . . . . . . . . .. 84
Nicolas ROBERT, La Tulipe, in « La Guirlande de
nom l'indique. 11 faudrait donc rendre ce secret déjà Julie », (photo Giraudon). . . . . . . . . . .. 98
lisíble, comme un reste de chiffre inutile.
Frontispice de Nouueaux Dessins d'ornements, de pan-
neaux, lambris, earosses, erc., (photo Roger Viol-
- 11 ne faut rien rendre. Seulement parier sur le let). . . . .. ..... 112
piêge comme d'autres jurent sur une bible, 11 y aura
Le Colosse de Rhodes, tapisserie des Gobelins,
eu à parier. Ça donne à rendre. A remettre. xvne siecle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Antoine CARON,Le Massacre des triumoirau, musée du
- Ça vient de partir. Louvre, (photo Flammarion). . . . . . . . .. 142
Francisco GoYA, Le Colasse, aquatinte, (photo Roger
- Ça revient de partir.
Viollet) . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 149
Francisco Gors, Le Colosse ou Panique, huile, musée
- Ça vient de repartir.
du Prado, (photo Giraudon).. 161

+ R
PAR DESSUS LE MARCHÉ

Valerio AoAMI, Etude pour un dessin d'apres « Glas » de


Jacques Derrida, 27-2-75 . . . . . . . .173 et 190
LA VÉRITÉ EN PEINTURE TABLE DES ILLUSTRATIONS 439
Valerio AnAMI, Etude pour un dessin d'apres « Glas » de 2[ juillet I975, épreuve de vernis mou sur papier . . 268
Jacques Derrida, 27-2-75, Mine de plomb, colI. 5 octobre I975, crayon, calque et collage sur papier à
parto . . . . . . . . . . . . . . . . 174 et 191 lettre.
Valerio ADAMI,Concerto a quattro mani, 31-3-75, Mine 27 mars I976, crayon sanguine, tracés de pastel gras
de plomb. . . . . . . . . . . . . . 176 et 177 sur papier à lettres fixé aux 4 coins sur papier sup-
port . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Valerio ADAMI,Etude pour un dessin d'aprê: « Glas » de
Jacques Derrida, 22-5-75, Mine de plomb, colI. parto 179 L'auteur devant La Grande Bananeraie culturelle,
Aachen, janvier 1972, (photo André Morain)... . . 285
Valerio ADAMI, Autobiografia, 6-4-75, Mine de
plomb. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 186 « The Four Season Stick » - Summer Sticks : au deux
bouts, noués, 1974, crayon sur papier, colI. privée,
Valerio ADAMI,Elegy for young looers, 1-4-75, Mine de ~penhague. . . . . . . . . . . . . . . . . 285
plomb. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 188
« 18 Mausolées pour 6 chauffeurs de taxi new-yor-
Valério AnAM1,La Piscina, 1966, huile sur toile, galerie kais » - Mausolée Modesto Hernandez n° 3, 1970,
Schwarz, Milan, (photo Bacci). . . . . . . . .. 194
crayon et fourure sur papier, coll. part., Paris. . . . 286
Valerío An~I, La Meccanica dell'asmentura, 25-3-75, « 20 Variations sur l'idée de Détérioration » - Des-
Mine de plomb. . . . . . . . . . . . . . .. 198
sin XI I, 1971, crayon sur papier, coll. D.B.C., Paris.
Photographie de W. Benjamin qui a servi de modele « 17 Exemples d'altération d une Sphere » - Neuoiême
au Disegno . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 altération, 1971, crayon sur papier, coll. privée,
Valerio AnAMI, Disegno per un ritrauo di W. Benja- Liege . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
min, 24-8-73, Mine de plomb, coll. part. . . . . . 208 « L'Usage du nécessaire » - Lachesis IV, 1972, crayon
sur papier, coll. F. et J. Choay, Paris.
(Photos galerie Maeght, excepté le nO7 : photo Bacci.) « L'Usage du nécessaire » - Léon, émir comu d'un roc,
rime. Noêl, 1972, crayon sur papier, Louisiana
Museum, Humlebaeck, Danemark. . . . . . . . 288
CARTOUCHES « H 10 X » - 0, 1973, crayon et collage sur papier,
coll. S. et Z, Mis, Bruxelles.
« Démontage » - Démontage V I, 1972, crayon et col-
Gérard TITUS-CARMEL, photographie du modele «rêeb lage sur papier, coll. privée, Paris. . . . . . . . . 289
(e The Pocket Size Tlingit Coffin», 1975) dans Ia main « 15 incisions latines »- Lucrêce (détaíl), 1973, crayon
de l'auteur (photo André Moraio) 215 sur papier, coll. privée, Liêge . . . . . . . . . . 290
(Photos André Morain de 8 à 14.)
« The Pocket Size Tlinglit Coffin », 1975, Musée natio-
nal d'art moderne, Centre Georges Pompidou,
(photos du musée).
2]juin I975, crayon et aquarelle sur papier. RESTITUTIONS
I i juillet [976, sanguine et collage sur papier . 228
29 aot2t I975, mine de plomb sur papier.
[7 septembre I975, crayon lithographique sur Vincent VAN GOGH, Vieux souliers aux lacets, 1886,
papler. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 236 Amsterdam, musée national Vincent Van Gogh,
4 octobre [975, mine de plomb sur papier. (photo du musée). . . . . . . . . . . . . . . 294
ç féorier [976, mine de plomb sur papier. . . .. 237 Vincent VAN GoGH, Nature morte (corbeille avec
20 aot2t [975, encre, crayon et calque sur papier. oranges et citrons, branchage, gants), Arles, 1889,
2[ aot2t [975, encre de chine sur papier. . . . 242 Upperville, (Virginie) coll. Mellon (photo
24juin I975, gravure et son épreuve sur papier . 267 MACULA). . . . . . . . . . . . . . . . . . 308
LA VÉRITÉ EN PEINTURE

Vincent VANGoGH, Paysanne du Brabant, 1885, Am-


sterdam, musée national Vincent Van Gogh (photo
du musée) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Vincent VANGoGH, Les Souliers, Paris, 1887, Baltimore
Museum of Art, (photo MACULA).. . . . . . . 329
Vincent VAN GOGH, Les Souliers, Paris, 1886-1887,
BruxelIes, colI. Schumacher, (photo MACULA). . 329
Vincent VANGoGH, Trais paires de sau/iers, 1886-1887,
Cambridge (Massachusetts) Fogg Art Museum,
Harvard University, 0011. M. Wertheim, (photo du
musée), . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353
Renê MAGRITIE, Le Modlle rouge, 1935, Paris, musêe
national d'Art moderne, Centre G. Pompidou, (photo
du musée) © A.D.A.G.P. 359
Renê MAGRITTE,La Philosophie dans le boudoir, 1947,
coll. particuliêre, Washington, (photo X.)
© A.D.A.G.P. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360
René MAGRITIE,Le Puits de vérité, 1963, New York, eol1.
Davlyn Gal1eries, (photo X.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
Vineent VAN GOGH, Nature morte (bouteilles, vases, sa-
bots), Nuenen, 1884, Utrecht, Stichting Museum van
Baaren, (photo MACULA) 376
Vincent VANGoGH,Nature morte (ehoux, sabots, etc.), La
Haye, 1881, Amsterdam, musée national Vineent Van
Gogh, (photo du musée) 376
Renê MAGRITTE,«La Clê des songes», La Lune (détaíl),
1930, coll, particuliêre, (photo X.) © A.D.A.G.P. ... 380
Richard LINDNER,The Shoe, 1976-1977, (photo galerie
Maeght) © A.D.A.G.P. .. . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. . .. . 382
Jan VAN EYCK, Portrait des êpou» Amolfini, 1434, Lon-
dres, National Gallery, (photo du musée) . . . . . . . . . .. 400
Vincent VANGoGH, Les Souliers, Arles, aoüt 1888, New
York, coll. Kramarsky Trust Fund, (photo MACULA) 428
TABLE

PASSE-PARTOUT

I. PARERGON

I. Lemmes 21

11. Le parergon 44
lU. Le sans de Ia coupure pure 95
IV. Le colossal 136

2. + R
(par-dessus le marché) . . . . . . . .. 169

3. CARTOUCHES 211

4. RESTITUTIONS
de ia vérité en pointure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 291

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