1LBHE22F Introduction Nation Nationalité État-Nation 2022-2023

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1LBHE22 – Histoire contemporaine


Être européen au XIXe siècle

CHAPITRE INTRODUCTIF
Notions de nationalité, État-nation et nationalisme au XIXe siècle :
problématique et bibliographie

I. DEFINITIONS

Nation

• Communauté sociale et politique à dimension transrégionale et dont la cohésion repose sur


une forte conscience de soi. Cette conscience de soi s’exprime à travers un ensemble de
représentations communes (idées, images et identité communes), que l’on désigne aussi sous
l’expression de « sentiment national ». Bref, la nation est ce qui rassemble un ensemble
d’individus de provenance et de culture différentes…

• Cette cohésion nationale est souvent garantie par un État : quand la construction d’une nation
est achevée, on parle d’État-nation pour bien marquer la coïncidence entre la nation et l’État à
ce stade de l’évolution des sociétés modernes. Les « États-nations achevés » caractérisent
les Français, les Anglais et les Allemands du Reich après 1871 et les Italiens après 1870. Mais cette
construction prend du temps… et passe par plusieurs stades : le plus important est celui des
« nationalités ». L’empire austro-hongrois en est encore au stade des « nationalités » au début
des années 1920.

Nationalités : mot forgé au XIXe siècle

• Le concept a d’abord été inventé par des intellectuels pour caractériser ce qui donne à
un groupement humain sa spécificité, son originalité par rapport à un autre groupe
(adjectif : « nationalitaire »). Ceux qui s’interrogent sur les nationalités ne font que chercher les
fondements culturels de tel ou tel groupe humain : linguistiques, historiques, folkloriques,
religieux… Le facteur religieux a une grande importance dans la construction d’une
« nationalité ».

• C’est là qu’intervient le romantisme : ce vaste courant culturel insiste sur la valeur signifiante
pour tout peuple de son passé culturel spécifique, original, authentique. Le romantisme
contribue donc à « imaginer » ou à « construire » les nations. C’est une recherche de la
différence. Le romantisme contribue aussi à donner aux nations un caractère sacré. C’est pour
cela que l’on peut dire, comme l’historien allemand Thomas NIPPERDEY (1927-1992), qu’il
existe un « nationalisme romantique ». Plus précisément, le romantisme est un
« nationalisme culturel » (voir définition infra).

• La démarche de recherche culturelle peut également avoir une finalité politique : rendre libre
un peuple ayant sa nationalité, donc bâtir un État pour achever la construction de la nation.
C’est là qu’intervient le libéralisme, doctrine politique qui vise une plus grande
« démocratisation » de la vie politique, c’est-à-dire l’élargissement de la participation à la vie
politique. Le grand combat des libéraux, c’est l’obtention d’une constitution, garantissant les

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libertés fondamentales et l’égalité juridique des citoyens. Les souverains reconnaissent


l’existence d’une autre souveraineté, qui tire sa légitimité de la nation et non plus d’eux-mêmes.

➣ Le concept de nationalité a un double sens : culturel et politique. Il est étroitement mêlé à 2 autres notions :
romantisme (culturel) et libéralisme (politique).

Nationalisme : la définition de ce dernier terme est de loin la plus complexe

• Le nationalisme doit être d’abord considéré dans sa dimension culturelle, c’est-à-dire un


prolongement de la « nation ». C’est un « système d’idées, de valeurs et d’opinions centré sur la
nation ». On l’appelle aussi « nationalisme du sentiment national » parce qu’il se rapporte à
une multitude de formes d’expression culturelle : par exemple la langue, la religion, mais
encore le drapeau et les symboles nationaux… Cette notion se rapproche aussi beaucoup de celle
de patriotisme.

• Il est très difficile de distinguer ce qui relève, d’une part, d’une « culture officielle »
(conduite par l’État et s’appuyant sur des programmes) et, d’autre part, d’une « opinion
spontanée ». Le nationalisme du « sentiment national » est le produit d’un échange entre ces
deux formes d’expression. C’est particulièrement vrai dans le domaine religieux. Dans certains
cas, comme en Italie, on observe une coïncidence entre religion et nation. Dans d’autres cas,
comme en Allemagne ou en France, on observe une cohabitation entre fort sentiment
religieux, fort sentiment patriotique et manifestations d’anticléricalisme. En Allemagne,
c’est le cas du Kulturkampf ou « combat pour la civilisation » mené en 1873-1875 par Bismarck et
l’administration centrale contre les catholiques afin d’affaiblir le Zentrum ou « parti du centre »,
accusé de favoriser le particularisme des États au détriment de la cohésion nationale.

• La culture est si importante dans la construction du « sentiment national » que


l’anthropologue et philosophe britannique Ernest GELLNER (1925-1995) pense que c’est
le « nationalisme qui a créé les nations ». Cette affirmation revient cependant à sous-estimer
le travail accompli par une poignée de militants politiques durant la phase nationalitaire
(1815-1950), où culture et politique vont de pair et tendent déjà vers une forme
d’homogénéité culturelle, bien avant que l’État n’impose une culture standardisée de
masse à laquelle s’identifie toute la nation.

• Or, chacun sait que le nationalisme correspond aussi à une forme d’engagement politique
bien plus radicale que le simple « nationalisme du sentiment national ». Ce « nationalisme
politique » est d’autant plus exacerbé qu’il s’exprime en période de crise ou de guerre. On
assiste alors à une crispation collective (ou « chauvine ») du sentiment national, souvent
canalisée par de véritables partis nationalistes. C’est le cas à la fin du XIXe siècle et au début
du siècle suivant.

II. COMMENT PASSE-T-ON DES « NATIONALITES » AUX « ÉTATS-NATIONS MODERNES » ET AUX


« NATIONALISMES » ?

• Trois facteurs peuvent être mis en avant :

Facteurs économiques : rôle des « bourgeoisies », de l’urbanisation et de l’industrialisation, bref


des élites socio-économiques. Cela pose la question du caractère souvent élitiste des
nationalités. Inversement, la crispation des élites et des « classes moyennes » explique la phase
nationaliste à la fin du XIXe siècle.

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Facteurs culturels : développement de l’enseignement (et de « l’histoire nationale »), de la langue


nationale, de la presse, autant de vecteurs de la pensée nationale. La crispation du sentiment
national est aussi un facteur d’éveil du nationalisme politique.

Rôle de l’État : la nation est aussi une construction de l’État, l’administration centrale
s’efforce de tisser des liens entre citoyens (rôle de l’école et de l’armée). Enfin, l’État est un
puissant relais des aspirations des partis nationalistes à la fin du XIXe siècle.

• Il y a imbrication de ces trois facteurs pour expliquer le passage d’une nationalité à un État-
nation, puis à un système nationaliste. Mais seront privilégiés dans ce cours les facteurs
culturels et politiques.

III. PEUT-ON SCHEMATISER LE PASSAGE DES « NATIONALITES » AUX « ÉTATS-NATIONS


MODERNES » ET AUX « NATIONALISMES » ? LE MODELE DE HROCH

• Ce passage de la culture à la politique a été démontré par l’historien et politiste tchèque


Miroslav HROCH [né en 1932, professeur à l’Université Charles de Prague]. Hroch, qui a
étudié l’évolution des mouvements nationaux chez les petits peuples européens et en particulier
en Bohême (sur la période 1830-1850), décrit un processus en 3 phases :

Phase A : « la période d’intérêt intellectuel » ➣ phase de recherche désintéressée où sont


diffusés de multiples travaux scientifiques.

Phase B : « la période d’agitation patriotique » ➣ exploitation des découvertes par des militants
politiques aguerris (l’« élite »).

Phase C : « la période du mouvement de masse » ➣ ces militants entraînent les masses


populaires dans un combat contre l’ordre établi pour revendiquer un État propre qui achève la
construction nationale.

• On pourrait, en prolongeant la typologie de HROCH, ajouter une 4e phase à l’évolution des


nations : celle des nationalismes.

Phase D : « la période du nationalisme ». À l’intérieur de cette phase, on observe un passage du


« culturel » au « politique ». Le nationalisme conduit alors à la guerre (la guerre est menée au nom
du « principe des nationalités » et, plus tard, en 1914, pour des « raisons nationales ») et aux
conquêtes coloniales.

1°) Bibliographie de la leçon introductive :

GELLNER Ernest, Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989, 208 p.

HROCH Miroslav, Social Preconditions of National Revival in Europe. A Comparative Analysis of the
Social Composition of Patriotic Goups among the Smaller European Nations, Cambridge, Cambridge
University Press, 1985 (ouvrage paru en allemand sous le titre Die Vorkämpfer der nationalen
Bewegung bei denkleinen Völkern Europas, Prague, Universita Karlova, 1968, 171 p).

NIPPERDEY Thomas, « À la recherche de l’identité : le nationalisme romantique », Réflexions


sur l’histoire allemande, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1992, p. 156-177.

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2°) Bibliographie générale

Les trois ouvrages suivants sont fondamentaux. Mais la lecture (et la prise en notes
éventuelles, en complément du cours) de celui de Caron et Vernus est indispensable pour
ce programme. Cet ouvrage est disponible en intégralité dans sa version électronique
[Cairn eBooks General].

CARON Jean-CIaude et VERNUS Michel, L’Europe au XIXe siècle. Des nations aux nationalismes
(1815-1914), Paris, Armand Colin, « U », 1996, rééd. 2019, 509 p.

CABANEL Patrick, La question nationale au XIXe siècle, Paris, La Découverte, « Repères », 1997,
rééd. 2015, 121 p. Ouvrage disponible en intégralité dans sa version électronique.

GIRAULT René, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Paris, Hachette, coll. « Carré Histoire »,
1996, rééd. 2008, 271 p.

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