Ladministration FranA Aise Dans Les Lutt

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 29

L’ADMINISTRATION FRANÇAISE DANS LES

LUTTES DE POSITIONNEMENT AU SEIN DE LA


TIJA- N IYYA NORD-AFRICAINE : SITUATION
LOCALE ET RÉPERCUSSIONS SUR LES
MARABOUTS SÉNÉGALAIS (1840–1956)
El Hadji Samba Amadou Diallo

The Tijāniyya Brotherhood was created in the Algerian desert by Ahmad al-
Tijānı̄ in 1781. While some researchers place emphasis on individual branches
in West Africa, most have ignored analyzing this important movement through
a transnational lens. This article examines the process of dissemination of the
Tijāniyya, taking into consideration its historical conflicts of succession in North
Africa after the death of the second Khalifa Ali Taması̄nı̄. It places particular
emphasis on the struggle for succession during the French colonial period. First,
it shows how the French administration exerted its authority over the masters
and disciples of the Tijāniyya, always advocating for their candidate, who
resides in Ayn Mādı̄ (Algeria) or Fez (Morocco). Next, it analyzes how the North
African tijānı̄ hierarchy and the French administrators succeeded in forming
relations with other influential West African families, notably Senegalese ones,
such as the Sy, Aidara, and Niasse families. Finally, I clarify how the French
administrations utilized these networks to attempt to disseminate their policies
through the Tijāniyya in sub-Saharan Africa.

a confrérie Tijāniyya a été fondée en 1781 par l’Algérien Ahmad al-Tijānı̄

L (1737–1815). Avant sa mort, il avait nommé plusieurs muqqadam (i.e.,


des dignitaires religieux chargés d’initier et de diffuser les normes d’une
confrérie donnée). Ces derniers le représenteront dans les territoires les plus
reculés du Maghreb, de l’Arabie et de l’Afrique subsaharienne. Si, sans doute,

El Hadji Samba Amadou Diallo is a Lecturer at Southern Illinois University-Edwardsville. His


research interests include the expansion of the Tijāniyya brotherhood and its networks in North
and West Africa.

© Michigan State University


French Colonial History, Vol. 9, 2008, pp. 147–174
ISSN 1539-3402
147
148 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

la Tijāniyya est considérée comme l’une des plus grandes confréries du monde
musulman, rappelons qu’elle domine aussi sur toutes les autres en Afrique de
l’Ouest. La question de la naissance de la Tijāniyya a été étudiée par des spé-
cialistes (historiens, islamologues, littéraires, etc.), depuis le précurseur Abun
Nasr1 jusqu’aux dernières analyses de l’auteur.2 Imed Milliti a abordé dans
une perspective sociologique, la fonction de socialisation de la confrérie dans
la société tunisoise actuelle3 et le rôle prépondérant des femmes dans les
processus rituels.
D’autres auteurs se sont interrogés sur la question de la mystique et de
la littérature, et ont joué un rôle de premier plan dans les études de la con-
frérie, de ses ramifications notamment en Afrique subsaharienne. Il s’agit
de Bousbina,4 précédé par les synthèses du même auteur,5 sur la théorie de
la préexcellence de la Tijāniyya sur toutes les autres confréries, telle que le
soutenait El Hadji Oumar Tall (c.1797–1864). Avant Bousbina, Robinson
s’était penché sur le débat suscité par la jihād du marabout propagateur de
la Tijāniyya, la plus connue de l’histoire de l’islam ouest-africain. Ailleurs et
cette fois-ci, dans une démarche islamologique, Mbaye s’est peu étendu sur
les origines, la doctrine et les critiques de la confrérie.6 C’est dans ce reg-
istre doctrinal que nous mettrons le résumé de la mystique tijānı̄ de P. J.
Ryan.7 Pour le moment, c’est à El Adnani que nous devons l’essentiel des
études sur la fondation de la Tijāniyya,8 même si l’auteur ne s’étend pas,
autre mesure, sur la période post-Ahmad al-Tijānı̄. Pour résumer, nous ren-
verrons aux ouvrages fondamentaux dirigés par Robinson et Triaud,9 pour
une étude plus approfondie de l’idéologie de la confrérie et de ses dif-
férentes branches en Afrique subsaharienne.
Au regard de ces divers écrits sur la Tijāniyya, plusieurs probléma-
tiques se télescopent et s’interpénètrent, dont le but ultime est de
combler un déficit historique : celui de la Tijāniyya dans la longue durée.
Qu’est-ce qu’est devenue la Tijāniyya algéro-marocaine après la période
étudiée par El Adnani (1781–1880) et par Bernady (1838–1911) ?
Comment et dans quelle mesure la Tijāniyya s’est-elle alliée au pouvoir
colonial français ? Par quels procédés politiques les administrateurs ont-
ils contribué à l’élection du chef de la confrérie ? Comment les Français
ont-ils pu mettre en relation les marabouts maghrébins favorables « à la
cause coloniale », avec leurs muqqadam subsahariens ? Quel est le degré
d’influence religieuse et politique des marabouts nord-africains sur leurs
homologues noirs africains colonisés ? Dans une première partie, nous
étudierons les problèmes de succession en Algérie et au Maroc, et dans
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 149

une deuxième, nous aborderons la question des relations d’intermédiaires


avec les marabouts en Afrique au sud du Sahara, en prenant l’exemple
sénégalais.

LA GESTION DE L’HÉRITAGE CONFRÉRIQUE APRÈS AHMAD AL-TIJĀNı̄

Peut-être oublions-nous trop à cet égard qu’en pays musulman et en parti-


culier en matière de confréries religieuses, le « divide et impera » doit presque
toujours être la règle.
—Octave Depont, Les Tidjanis et leur rôle politique

Vers une colonisation de la confrérie

A la mort du fondateur de la confrérie, deux courants religieux et politique


naîtront de son testament oral : la tradition confrérique inspirée par Ali al-
Taması̄nı̄ (1766–1844), proche disciple d’Ahmad al-Tijānı̄ ; et la faction
militaire incarnée par le fils du fondateur Muhammad al-Kabı̄r (voir le dia-
gramme de parenté ci-dessous). La direction de la confrérie revenait alter-
nativement à ces deux familles, mais celle du fondateur étant la plus
impliquée dans les luttes politiques. Ainsi, de 1827 à 1840 et même au-
delà, l’Algérie fut le théâtre de plusieurs mouvements anti-colonialistes,
auxquels avaient participé les chefs de la Rahmaniyya, de la Sanusiyya et
de la Qādiriyya avec le plus connu ‘Abd al-Qādir al-Jaz’irı̄ dit Abdelkader
l’Algérien (1808–1883). L’entrée en politique de la Tijāniyya ne saurait se
comprendre sans sa mise relation effective avec ces nombreuses confréries
qui occupaient déjà l’espace social maghrébin.
• • •
Dans un manuscrit,10 écrit quelques années après les Confréries religieuses
(1897), Octave Depont met en valeur un muqaddam tijānı̄ qui prêta
allégeance au Lieutenant Colonel Marey-Monge. L’auteur, de même que
Clancy-Smith,11 passent sur le nom du chef Ahmad ben Salem (qui sem-
ble être Muhammad al-Saghı̄r). Pour Depont, ce muqaddam a beaucoup
facilité l’installation des Français dans les territoires du sud, en ayant
remporté une victoire sur les Awlad Arbi (Arba’a) à al-Hnay. Quelques
temps avant sa mort, lorsque Henri d’Orléans (1822–1897), le Duc
d’Aumale se dirigea vers Biskra (nord-est), Ali al-Taması̄nı̄ soutient les
Français en tenant ce discours à ses disciples :
150 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

C’est Dieu qui a donné aux Français l’Algérie et tous les pays qui en dépen-
dent, c’est lui qui protège leur domination. Restez donc en paix et ne faites
pas parler la poudre. Dieu vous a délivrés de nos oppresseurs qui ne con-
naissent d’autres règles que la violence. Laissez faire aux autres ce qu’ils
veulent car ils paraissent quoique, infidèles, avoir pris le chemin de la jus-
tice et de la sagesse pour lequel, justifiera le bien de tous. Ce droit suit le
droit, tout ce qui vient de Dieu doit être respecté.12

Naturellement, nous constatons ici, l’instauration progressive d’une tradi-


tion d’accommodation par la reprise, à l’infini, des propos prêtés à Ali al-
Taması̄nı̄. C’est dans le même courant de loyalisme qu’en 1852, un an
avant la mort de Muhammad al-Saghı̄r, que ce dernier appela ses fidèles à
servir les Français. Il avait depuis longtemps exploité la puissance
française pour mettre en place une hiérarchie religieuse reconnue par sa
clientèle coloniale. Sa descendance suivra cette ligne de conduite pour
boucler le projet colonial d’implantation chez les tribus guerrières des ter-
ritoires désertiques du sud. Considérant que les garçons de Muhammad
al-Saghı̄r ne pouvaient prétendre à la succession dans la confrérie car étant
très jeunes, les affaires politiques de la famille al-Tijānı̄ et même ses pro-
pres enfants, seront confiés au chef (qa’id) Riyyān ben al-Mushrı̄
(1796–1881) qui sera l’homme de confiance de l’administration française.
Elle le nommera caïd en 1865.13
En effet, al-Mushrı̄ était selon Ahmad al-Tijānı̄, le domestique et le maçon
de son père qu’il a « vêtu et nourri de son pain ». Il est nommé « agent » des
Français, titre qui lui permit de dilapider les biens de la confrérie que son
frère Si al-Bashı̄r, trop jeune, n’était pas en mesure de contrôler. Depont dira
qu’al-Mushrı̄ « se jeta avec ardeur et sans discernement dans le monde de la
politique »,14 et sera utilisé par les colons à chaque fois qu’ils auront besoin
de ses « bons et loyaux services », et contre les gens d’Ayn Mādı̄ qu’il était
censé représenter.

La rupture avec la tradition successorale entre les familles al-Tijānı̄ et


al-Taması̄nı̄

La direction des affaires religieuses reviendra à Muhammad al-’Id al-


Taması̄nı̄ (ou Muhammad Laïd, 1814–1875) qui dirigea symboliquement
la confrérie pendant qu’al-Mushrı̄ s’occupait des affaires politiques.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 151

Figure 1 : Muhammad al-Saghı̄r et sa famille. Source : G.G.A. Territoire de


Ghardaïa, Annexe de Laghouat, établi en fin 1931, CAOM, carton 16 H 53.
En complément, nous avons consulté le site : www.tidjaniya.com.15

En 1852, année où Al-Aghwāt (Laghouat) a été conquis, Muhammad


Laïd al-Taması̄nı̄ aidait Muhammad al-Saghı̄r dans l’entreprise de paci-
fication coloniale des territoires du Sud. D’ailleurs, il épousa une des
filles de Muhammad al-Saghı̄r mais écarta les frères de sa femme du
droit successoral de leur défunt père.
152 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

Il désigna son propre frère Muhammad al-Saghı̄r al-Taması̄nı̄ (ob.1892),


décision fortement contestée par les dirigeants d’Ayn Mādı̄.16 Et avant que
Muhammad Laïd ne passe le khilāfa à son frère Muhammad al-Saghı̄r al-
Taması̄nı̄, puisque les deux fils de Muhammad al-Saghı̄r al-Tijānı̄—Ahmad
‘Ammar (Sı̄dı̄ Ahmad al-Tijānı̄ II) et Muhammad al-Bashı̄r—furent très
jeunes, le caïd Riyyān ben al-Mushrı̄ reconnut devant une assemblée
de muqaddam, Ahmad al-Tijānı̄ II, alors âgé que de 15 ans, comme suc-
cesseur légitime de son père, en l’investissant de la charge de khalı̄fa
at-tarı̄qa. De là naquit la grande scission dans la Tijāniyya et dans les deux
maisons-mères d’Ayn Mādı̄ et de Taması̄n (Témacin). A Gummar (fondé
en 1856 par Muhammad al-Sāghir al-Taması̄nı̄), troisième foyer de la con-
frérie, ce sera justement Muhammad al-’Arūsı̄ al-Taması̄nı̄ (1843–1920),
fils de Muhammad al-Saghı̄r qui dirigera la Zāwiya à la mort de son père.
Ces trois centres mitoyens de Tamalhat—créé en 1805 par Ali al-Taması̄nı̄
à l’est vers la frontière tunisienne—constituent l’essentiel de la représenta-
tivité de la Tijāniyya en Algérie, lieu d’où partiront les émissaires religieux
au Maroc, en Tunisie et en Afrique noire (Mali, Mauritanie, Niger frontal-
iers, Nigeria, Soudan, Tchad, Sénégal et Cameroun).

Ahmad al-Tijānı̄ II et l’attachement définitif à la France

Ahmad al-Tijānı̄ II est né d’une esclave noire et de Muhammad al-Saghı̄r.


Beaucoup de disciples, de par sa photographie qui circule dans les milieux
confrériques, le confondent avec Ahmad al-Tijānı̄ I. Quelques années
après la reconnaissance par certains disciples de son pouvoir califal, plus
précisément le 2 février 1868, les Français le soupçonnèrent avec son frère
Muhammad al-Bashı̄r, d’être parmi les organisateurs de l’insurrection con-
tre la France. En tout état de cause, les frères al-Tijānı̄ seront arrêtés par le
Colonel De Sonis, puis internés à Alger, d’où Ahmad al-Tijānı̄ II sera trans-
féré en France pour un internement au château d’Amboise où Abdelkader
avait été interné auparavant. Il restera longtemps en exil et en 1870, il sera
utilisé par les instances républicaines pour porter aux « tirailleurs de
Vissenbourg et de Reichshoffen, les félicitations de leurs coreligionnaires
d’Algérie ».17 La défaite française contre la Prusse en 1870, vaudra à
Ahmad al-Tijānı̄ d’être un des représentants de la France dans l’Algérie colo-
niale. Depuis Amboise, il recommande à ses muqaddam d’obéir à la France.18
Rôle d’autant plus assumé quand il rencontra—alors accompagné par ses
esclaves noirs au cours d’une soirée de Gala au Théâtre de Bordeaux—une
servante d’une famille politique française, qui deviendra sa femme. Ils
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 153

seront unis par le rite hanbalite devant le mufti d’Alger et par le rite
catholique devant Mgr Lavigerie. Aurélie Picard (1849–1933), devenue
Aurélie al-Tijānı̄ (Lalla Amina), s’installera à Ayn Mādı̄ en 1872 avec, pour
principale préoccupation, de « remettre de l’ordre dans la gestion financière
de l’Ordre ».19
La Française installe une grande propriété agricole en faisant venir des
experts français. En 1882, elle participe à la création d’une école française
à Ayn Mādı̄20 et travaille de concert avec les administrateurs pour satisfaire
les demandes de son mari, facilitant ainsi le travail d’obéissance à la
République. En 1879, Muhammad Bashı̄r al-Tijānı̄ avait déjà rallié les dis-
ciples tunisiens à la cause française, les exhortant à suivre les directives des
administrateurs. C’est à l’administration coloniale d’organiser les voyages
des marabouts21 (notamment en limitant le nombre d’accompagnateurs,
en indiquant les zones de passage, en interdisant les quêtes, en surveillant
les agissements), de mettre en valeur « ses marabouts » mais aussi de sanc-
tionner publiquement ceux-là même comme Ahmad al-Tijānı̄ II qui les
auront toujours soutenus.
C’est à Gummar que mourut Ahmad al-Tijānı̄ II le 20 avril 1897.
Inhumé dans les mêmes lieux, il sera exhumé quelques jours plus tard
pour rejoindre la demeure d’Aurélie al-Tijānı̄ à Kourdane. Sı̄dı̄ Arusı̄ n’était
pas favorable à cet avis de Muhammad al-Bashı̄r et de madame al-Tijānı̄,
pourtant autorisé par l’administration coloniale.22 A partir de là, certains
disciples véhiculèrent l’idée d’une double sépulture, tel que nous le con-
statons dans le monde musulman : un don d’ubiquité est souvent attribué
aux saints hommes comme le fondateur de la Rahmaniyya, devenu Abu
Qābrayn, Saint aux deux tombeaux.23 C’est ainsi que le 8 mai 1897, lors de
ses obsèques à la mosquée de la Prêcherie à Alger, Jules Cambon, le G.G.A.
défend une France qui « aide l’Islam » et à laquelle tous les musulmans
devraient obéir pour leurs « propres intérêts ». Son discours sera diffusé
un peu partout dans le monde francophone car, sous ses meilleurs jours,
il présentait la loyauté du marabout mais en même temps, invitait les
musulmans du monde entier à adhérer à la cause française.24
Les problèmes de succession ne vont pas tarder à se poser, et ce sera à
l’administration de choisir celui qui doit diriger la confrérie. Nous le con-
statons dans les multiples rapports des chefs de division et de subdivision.
Ils se fixèrent tous sur son frère puîné Muhammad al-Bashı̄r, étant donné
que le défunt n’a pas pris de dispositions particulières au sujet de la « trans-
mission de la baraka » et que la succession collatérale est prescrite par « le
grand livre de la doctrine Tidjaniya, le Kounnache ».25
154 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

Pour Collet Meygret, Aurélie al-Tijānı̄ soupçonnait Muhammad Arūsı̄


d’influencer Si Ali (le fils aîné d’Ahmad al-Tijānı̄ II élevé par la Française)
de s’opposer à son oncle. Elle doutait du fait que les biens communs
acquis par la confrérie depuis, tombent entre les mains d’un jeune sans
expérience de la gestion matérielle. D’ailleurs le même auteur nous
apprend que « tous les biens d’Ahmed Tedjani sont déclarés habbous,
appartiennent à la confrérie. »26 La succession à la direction de la confrérie
ne pose pas de problème comme le met en exergue le général français qui
s’en occupait, en annonçant une succession « sans secousse et dans un
sens favorable à nos intérêts ».27 Le problème des biens matériels sera
pour toujours un facteur de division de ceux qui prétendent ou non
accéder au pouvoir symbolique en question. Collet Meygret, très impliqué
dans cette succession relate les caractères vertueux et la loyauté de son
candidat Muhammad al Bashı̄r, avant d’étaler le comportement ô combien
aventurier du neveu de celui-ci :

Ali au contraire, est tout jeune, son caractère est très léger, très facile à cir-
convenir, il a des vices précoces et il est d’une intempérance qu’il prend à
peine soin de dissimuler ; il n’offre aucune garantie et peut se laisser entraîner
dans toutes les aventures.28

Aurélie al-Tijānı̄, organisatrice de la direction de la Tijāniyya, n’a jamais


voulu voir son fils adoptif diriger la confrérie. Elle-même commençait à
perdre de l’importance dans le groupe dominant. Pourtant elle est décorée
de la médaille du mérite agricole en 1903, ensuite de celle d’Officier des
Palmes de l’Académie. N’empêche que les administrateurs du Cercle de
Laghouat critiqueront les dépenses excessives et l’autoritarisme grandis-
sant d’Aurélie al-Tijānı̄. Finalement, elle sera mise à l’écart de la gestion
des affaires de la confrérie, et ce jusqu’à sa mort.29

Si Ali ben Ahmad al-Tijānı̄ II ou la continuation de l’œuvre du père

A la mort de son oncle en 1911, Si Ali semble ne plus trouver d’obstacles


pour offrir dit-il, « ses services sans fin à la France ». Pourtant
Muhammad al-Bashı̄r avait bien désigné son fils (voir infra). Les autorités
publiques consulteront Si Ali, pour toutes les affaires touchant ou met-
tant en péril leur légitimité. En 1915, par exemple, Si Ali était chargé de
125 lettres par celles-ci, dans le but d’appeler tous les chefs tijānı̄ sous sa
tutelle, à rallier la cause française pendant la Première Guerre mondiale.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 155

Ce rôle d’intermédiaire pleinement assumé est sous le contrôle du


Maréchal Lyautey (1854–1934). Ce dernier cherchait à mettre en relation
les Tijānı̄ du Maroc, du Soudan français, du Tchad et du Cameroun donc
subsahariens, avec les maîtres d’Ayn Mādı̄, de Taması̄n et de Tamalhat.
Les chefs algériens semblaient perdre de l’autorité au profit des shuyūkh
marocains. Cependant, l’un d’eux, émissaire de Si Ali n’admettait pas
dans sa conscience de marabout, les limites frontalières entre la Tunisie,
le Maroc et les autres territoires africains.
• • •
Ahmad al-Abdallawı̄ (1815–1912) viendrait d’une tribu de Touggourt.30 Il
fut un proche d’Ahmad al-Tijānı̄ II et sut en quelques temps se défaire de
l’autorité jugée trop pesante de Riyyān ben al-Mushrı̄, en tissant son pro-
pre réseau d’amitiés. Il est le shaykh qui fut le plus en relation avec les
Zāwāya du Maroc et d’Algérie. Ahmad al-Abdallawı̄ est le prototype de la
réconciliation entre l’expansion confrérique en offrant beaucoup de ijāzat
(diplômes) à des chefs religieux, ce qui, du coup légitime leur droit d’ini-
tier des ikhwān (frères) locaux à la confrérie et l’adaptation à l’establishment
politique global. Comme suspectaient les administrateurs français, il par-
tait en mission mais en profitait aussi pour autoriser les shuyūkh tijānı̄ à
exporter la confrérie.31 Il demeure alors influent pour la pénétration
française au Maroc en exhortant les tijānı̄, à l’instar d’Ali al-Taması̄nı̄, à
accepter leur sort. Ali Sukayrij (1878–1944), ex-cadi d’El Jadı̄da à Fès et
cadi de Settat à Marrakech,32 savant très influent dans le milieu intellectuel
musulman marocain et sénégalais, eut l’ijāza d’Ahmad al-Abdallawı̄. Ce
dernier éduqué par Ali al-Taması̄nı̄, eut une ijāza d’Ahmad al-Tijānı̄ II et
en donnera une à El Hadji Malick Sy (1852–1922), à El Hadji Abdoulaye
Niasse (1844–1922) et à son fils El Hadji Ibrahima Niasse (1900–1975).
Ahmad al-Abdallawı̄ eut oralement une autorisation d’initier à la confrérie
de Tahar ben Butayyeb [ou Ben Tayba] qui avait décliné l’offre de propo-
sition au poste de cadi par l’administration. Réputé pour ses dons surna-
turels, Butayyeb initia Muhammad Abdallah dit Sı̄dı̄ Lakhdar, un
originaire du Twāt qui ira répandre la Tijāniyya en Afrique Occidentale, en
transmettant la confrérie au fondateur de la Hamawiyya : une branche de
la Tijāniyya en conflit avec celle dite Umariyya. En définitive, Tahar ben
Butayyeb, devenu un des saints les plus vénérés de l’espace tlemcénien,33
restera synonyme de réticence vis-à-vis de la politique française et par voie
de conséquence, des nasārā.
156 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

Ce qui veut dire qu’il ne saurait exister une dichotomie dogmatique


entre d’une part la Tijāniyya algérienne collaboratrice et la Tijāniyya maro-
caine anti-française, et d’autre entre un Indirect rule propre aux Anglais et
un Direct rule propre aux Français. Les échanges de renseignements entre
Anglais et Français, pour détecter les « pseudos Tijanis missionnaires»
étaient devenus des pratiques de surveillance importantes.34 Tel sera le cas
dans les territoires britanniques, avec Sı̄dı̄ b. Ammār (Si Benamor,
1901–1968). Tout dépend de l’histoire sociale des marabouts en con-
frontation avec l’administration française, laquelle reconnaîtra tardivement
que l’hostilité à leur projet colonial n’est pas liée à la dénomination d’une
confrérie donnée en Afrique.
L’influence d’Ahmad al-Abdallawı̄ dans le Jarid (Jérid) tunisien est une
suite logique du rôle de représentant d’Ahmad al-Tijānı̄ dans cette contrée,
dont jouissait son père Muhammad ben Qwider al-Abdallawı̄ (ob.1821),
[Fuwaidir selon Abun-Nasr].35 Le Jérid tunisien, (extrême ouest) est
réputé être la terre de prédilection du maraboutisme maghrébin.
L’administration voyait plutôt en al-Abdallawı̄, un marabout quêteur cir-
culant toujours entre Fès, Ayn Mādı̄ et Tunis où résidait son fils
Muhammad ben Abdallawı̄. En 1899, Ahmad al-Abdallawı̄ (père) fut
chargé d’une mission au Sénégal.36
Nous disposons de peu d’informations sur le fils al-Abdallawı̄, l’émis-
saire de Si Ali dans les territoires subsahariens. Nous le rapprochons
plutôt à Shaykh Alowi (Alawı̄, Aluma) qui venait de Casablanca et qui
restait au Nigeria de 1923 à 1925. Il eut des difficultés avec les admini-
strateurs britanniques qui combattaient les disciples de la Tijāniyya, aidés
par les chefs de la Qādiriyya locale (Masu Sarauta), relais de la politique
coloniale.37 Le père reste un envoyé spécial en ce sens qu’il incarnait une
politique religieuse multidimensionnelle, par les innombrables marabouts
subsahariens qui se réclament de sa chaîne initiatique, tel qu’El Hadji
Malick Sy de Tivaouane.38 Aurait-il contribué à l’adaption du marabout
à la politique coloniale ? En tout cas, ni Mbaye ni Bousbina ne nous ont
aidés à approfondir cette relation d’obéissance de maître à disciple.39 Il
serait intéressant, pour de futures recherches sur les réseaux confrériques
algéro-sénégalais, d’insérer « la chaîne spirituelle » du marabout de
Tivaouane dans sa « position face à la présence française ». Nous y
reviendrons.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 157

Mahmūd et la succession latérale

A la mort de Si Ali en 1920, Sı̄dı̄ Muhammad Kabı̄r ben Muhammad al-


Bashı̄r dirige la confrérie jusqu’à sa mort en octobre 1931.40 Il a été rem-
placé par Mahmūd ben Si Ahmad al-Bashı̄r (1874–1934), le plus âgé de
ses frères vivants. C’est parce qu’en réalité, le fils du défunt, Si Benamor
fut très jeune pour assurer cette tâche et ceux de Si Ali n’ont pas affiché un
quelconque intérêt pour cette succession ouverte. Tout simplement, il faut
retenir qu’à cette période, les filiales de Taması̄n, de Gummar et de
Tamalhat évoluaient dans une quasi-autonomie. Chacune avait son chef
que l’on confondait avec le « Grand Chef de la Confrérie » qui devrait être
issu des patrilignées depuis le fondateur, d’où les conflits entre les dif-
férentes générations et les différentes branches de la Tijāniyya en Algérie,
au Maroc et en Tunisie.
Sı̄dı̄ Mahmūd a été décoré de la médaille de la Légion d’honneur le 27
février 1914 « pour services exceptionnels rendus à la France ».41 Lors de
l’inauguration de la Grande mosquée de Paris en 1926, c’est lui qui
représentera la Tijāniyya algéro-marocaine. C’est encore lui (d’après J.
Abun-Nasr)42 qui quitta Ayn Mādı̄ par l’entremise de l’administration,
pour convaincre les tribus du sud du Maroc de l’intérêt de se plier aux
idéaux français. Néanmoins, lors de la Première Guerre, l’administration
l’écartera des missions qu’elle confiait à ses marabouts les plus influents
comme Ali Sukayrij. Il vivait au Maroc pendant à peu près 20 ans et jouis-
sait d’une influence translocale réelle à El Safra (Ayn Sefra), à Tadjemout,
à El Haouita, à Ksar El Hiran, dans la Confédération des Laarba (Arba’a),
dans le Jebel Amour, à Géryville, à Constantine, à Figuig, dans le Touat, à
Gourara, à Tidibelt, à Fès, à Mogador, chez les Touareg Ajjeur, au Soudan,
en Tripolitaine (Ghadamès), en Egypte, etc. Au Sénégal, Muhammad
Niasse (1881–1956) de Kaolack dit Khalı̄fa, eut une ijāza de Si Mahmūd
durant son séjour à Fès.43
En fin, Si Mahmūd ne s’installera à Ayn Mādı̄ qu’en septembre 1932,
après avoir eu l’approbation du G.G.A. de sa candidature. Dans les lettres
adressées au caïd Touati de Tadjemout, Si Mahmūd acceptait le Shaykhat
de la confrérie, mais sa venue à Ayn Mādı̄ nécessitait un certain retard du
fait des règlements de ses affaires au Maroc. La solution proposée par le
G.G.A. Jules Carde (1874–1949) est que, au cas où Mahmūd préfèrerait
sa résidence au Maroc, il pourrait garder le titre de « Maître de l’Ordre et
que la zaouïa d’Aïn Madi peut parfaitement être représentée par son neveu
158 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

Si Benamor ».44 De là, découlent les confusions entre les deux person-
nages quant à la direction de la confrérie. Celui qui est censé représenter
le chef de la confrérie à Ayn Mādı̄, s’est substitué, au fur et à mesure, au
chef lui-même.
La difficulté entre Mahmūd et le défunt Sı̄dı̄ Muhammad al-Kabı̄r est la
même avec le fils aîné de ce dernier, Si Benamor : A qui sont destinées les
recettes des ziyāra qui sont les ressources matérielles de la confrérie ?
Mahmūd avait par délibération du dahir (assemblée) le droit de percevoir
la ziyāra de la part de ses disciples algériens, tout comme le Shaykh d’Ayn
Mādı̄ avait des biens provenant des Zāwāya tijānı̄ marocaines. Si Mahmūd
eut quelques difficultés pour envoyer les offrandes reçues de Marrakech,
d’où ses démêlés avec la famille de Muhammad al-Kabı̄r notamment Si
Benamor. C’est le seul reproche que l’administration fit à son candidat à la
succession. Malgré tout, le personnage « serait docile et malléable et s’il est
guidé et surveillé, il suivra les traces de son frère et est susceptible de ren-
dre services ».45
• • •
Pour Depont, les Tijānı̄ ont repris dans leur doctrine le principe Taybiyya
de la Providence (Dieu aime les Chrétiens et toutes Ses créatures même
infidèles). Cette fatalité, prêtée aussi à la Rahmaniyya, que le colonisateur
infère dans la doctrine de la confrérie, servira de prétexte à la mise en
œuvre de la politique musulmane en zone tijānı̄. Certes les Français
alléguaient que les musulmans soudanais sont les plus « grands serviteurs »
de l’islam, donc « s’abâtardiront pour le service de la cause coloniale ».46
L’objectif des administrateurs fut donc d’extirper cet islam fanatique des
façons de réagir des populations noires. En rompant avec les shuyūkh
marocains, les négro-africains musulmans retrouveront l’essence même de
leur islam (bien à eux), donc teinté d’animisme ou « islam noir ». Il fallait
alors les faire soumettre aux Tijānı̄ algériens plus favorables à la cause
française, et par voie d’opposition, moins fanatiques que leurs voisins
marocains. Nous avons vu plus haut que cette opposition perd de sa per-
tinence, car suivant les situations sociales et géographiques, les Tijānı̄
seront pro- ou anti-français. Comparativement, au Nigeria les Tijānı̄
étaient taxés de naturellement violents en foi de quoi donc, ils étaient dan-
gereux pour l’islam en place.47 Pour Reynolds et Sani Umar, les concep-
tions anti-tijānı̄ des administrateurs britanniques, ont influencé les visions
anti-tijānı̄ des chefs de la Qādiriyya.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 159

LES RIVALITÉS ENTRE LES MARABOUTS TIJĀNĪ DE LA CINQUIÈME GÉNÉRATION


ET LEURS CONSÉQUENCES DANS LES ZĀWĀYA NOIRES

Le conflit de succession entre Si Tayyı̄b et Si Benamor

Si Mahmūd est mort le 28 avril 1934 sans nommer de successeur. Le


Colonel Bertschini soutenait la candidature de Si Benamor, car ce dernier
avait plusieurs khouans (disciples) à Alger et à Kolea. De même que Si
Ahmad al-Tijānı̄ de Taması̄n intervenait pour la richesse de Si Benamor à
rénover la Zāwiya d’Ayn Mādı̄. L’administrateur et le marabout furent tous
mis hors du jeu successoral, par la décision de nomination de Si Tayyı̄b48
par Jules Carde, qui était aussi le gouverneur général de l’AOF.
Si Tayyı̄b, (né à Ayn Mādı̄), a été élu le 15 mai 1934 grâce aux voix du
parti de sa Zāwiya en présence de l’autorité administrative. C’est l’admin-
istrateur Picod qui, contre les prescriptions de son supérieur hiérarchique,
présida à la réunion au cours de laquelle Si Tayyı̄b fut choisi par un cer-
tain nombre de membres de la famille du défunt :

N’étant ni Musulman, ni Tidjani nous ne pourrions connaître mieux que les


intéressés celui qui leur conviendrait comme chef et que l’exercice du droit de
veto devait amplement nous suffire pour écarter ceux que nous jugerions
indésirables du point de vue public.49

En se fondant sur la position d’Ahmad al-Tijānı̄, l’administration


accréditait en premier, l’idée selon laquelle le premier maître de « l’ordre »
n’a pas désigné de successeur. Le deuxième point qui pourrait annuler la
nomination de Si Benamor est l’affaire dite des « négresses ». En 1928, Si
Benamor fut assigné en résidence forcée à Tiaret, par ordre de Pierre Louis
Bordes (1870–1943), le G.G.A. pour « sévices graves sur la personne de
trois négresses au service de la zaouïa ».50 Mais pour le chef de la Zāwiya
de Taması̄n, ce trait de la vie privée passée de Si Benamor n’est qu’un point
de détail par rapport à la gravité de la nomination d’un pauvre Si Tayyı̄b.
Pour Ahmad al-Tijānı̄ de Taması̄n, Si Tayyı̄b manque véritablement d’es-
prit d’initiative pour une Zāwiya déjà en déliquescence.
Devant le fait accompli, les autorités publiques valident ce choix non
unanime des deux factions rivales, pour la désignation du successeur de Si
Mahmūd. En effet, c’est la filiation de Si Ali (Si Tayyı̄b ben Si Ali,
Muhammad ben Si Ali et Hamida ben Si Ali) qui concourut à la nomina-
tion d’un membre de leur famille. Tandis que les descendants de Si Bashı̄r
160 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

ben Muhammad Saghı̄r (Ali ben Si Mahmūd fils du défunt, Si Benamor ben
Si Muhammad Kabı̄r dont la présence n’est pas notée dans les archives)
furent réduits en minorité par la faction dominante. Et comme plusieurs
muqaddam aussi importants que Muhammad Tahar et Amar Ben Si Ali ne
furent pas de la réunion, Si Tayyı̄b fut désigné (si l’on en croit Picod, le
principal organisateur de cette réunion), conformément à la « tradition
qui stipule que le choix s’est toujours porté sur le descendant le plus âgé du
fondateur ».51
Dans quelle mesure les biens matériels comptent-ils pour l’incarnation
du pouvoir spirituel ?
Le conflit perdure jusqu’aux années 1950, pendant lesquelles la rivalité
symbolique se transforma en conflit économique, par des quêtes dans les
différentes régions où les cousins patrilatéraux avaient des disciples.
L’administrateur Hirtz parle même de la volonté de Si Benamor d’évincer
Si Tayyı̄b, « semi-léthargique » du pouvoir califal. Le prétexte invoqué par
Si Benamor est le fait que Si Tayyı̄b, depuis plusieurs années, n’aurait pas
réparti équitablement entre tous les ayants droit, la ‘rbiāa,’ produit des
transferts de diverses mosquées tijānı̄ du Maroc et particulièrement ceux
de Fès et de Tétouan, mais aussi les dons reçus des tournées en Afrique
noire. Hirtz signifia à Si Benamor que « l’histoire de la confrérie n’offre pas
d’exemple de déposition de Cheikh »52 et que cette révolution intérieure
souhaitée par Si Benamor, accoucherait de véritables remous au sein de la
Tijāniyya.
Entre autres répliques, l’administrateur montre que Si Benamor, dont le
père avait pris les « biens de la zaouïa pour le mettre dans ses biens », est
un commerçant « extrêmement avare ».53 Pour lui rien ne prouve qu’il
consacrerait aux œuvres de la Zāwiya les biens de la confrérie, s’il en avait
la disposition. La formelle neutralité prônée par la France prévaudra sur
tout car aucun des deux marabouts, soutenait Picod lors des toutes pre-
mières crises de succession, ne réunit à proprement parler les conditions
de prestige et d’influence indispensables au fonctionnement normal d’une
Zāwiya : « Il semble qu’en présence de cette crise intérieure de la zaouïa,
l’administration doive se montrer particulièrement prudente et ménager
autant Si Tayeb et ses partisans que Si Benamor et les siens ».54 Ainsi, la
confusion entre les biens confrériques et les biens familiaux, et la préten-
due neutralité de l’administration française face aux problèmes de succes-
sion à la tête des différentes confréries, sont des phénomènes que l’on
retrouvera dans le champ islamique subsaharien.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 161

« La branche plutôt que la souche » : Rivalité entre la Zāwiya de


Taması̄n et celle d’Ayn Mādı̄
Le Chef de la Zāwiya de Gummar Si Sayah est mort le 31 juillet 1945 et
comme son père Si Muhammad Arūsı̄ b. Muhammad al-Saghı̄r al-
Taması̄nı̄, repose à Gummar. Il est remplacé par Si Lakhdar, le troisième
fils de Muhammad Arūsı̄ (1843–1920) et le germain de Si Sayah. A la mort
de Si Bashı̄r al-Taması̄nı̄ en 1918, son fils Muhammad Laïd (1887–1927)
prend la direction de la confrérie. Vu les nombreux disciples de
Muhammad Laïd en Tunisie, il avait une subvention de trois mille francs
par an, accordée à la Zāwiya de Taması̄n par le gouvernement français de
Tunis. Cette subvention qui a été attribuée à la Zāwiya, pour des raisons
politiques, a toujours été mandatée au nom du chef de la Zāwiya de Taması̄n
et sur sa demande, versée à son représentant à Tunis. Souvent le résident
français de Tunis recevait plusieurs demandes au nom de la même Zāwiya,
ce qui lui posait assez fréquemment le problème de reconnaître « le nom du
véritable chef responsable de la zaouïa ».55
Toujours en Tunisie, le Capitaine Lewden, dépassé par les problèmes
avec les disciples de la confrérie, cherche à distinguer les bons des mau-
vais tijānı̄ selon les catégories de classification bien coloniales. II y a tout
d’abord les notaires, les shuyūkh, les dignitaires, qui forment la classe
supérieure de la communauté. Ensuite, viennent celle des gens aisés, des
commerçants, des riches agriculteurs qui sont en fait des pourvoyeurs et
détenteurs de biens pour la société tijānı̄. En fin la classe des voleurs qui,
insiste-t-il, l’exaspère le plus. Les « Tidjania de la catégorie des voleurs »
sont les Adjerda, les Gueltoufa, les Djelalta qui sont traqués par le
Bureau des Affaires Indigènes. Après la sanction d’un notable tijānı̄ de
Tataouine, le 15 mai 1918, par ordre du Premier ministre français,
Muhammad Laïd le révoqua à son tour, de ses fonctions de muqqadam,
le 8 décembre 1924. Justement, le « véritable » chef de la Zāwiya de
Taması̄n, résidant à Tamalhat, est donc Muhammad Laïd. Il a été décoré
le 9 juillet 1924 et promu au grade de Chevalier de la Légion d’honneur.
Il est mort à Biskra le 25 octobre 1927 et sera enterré le lendemain à la
Zāwiya de Tamalhat. Au miroir de ses multiples pérégrinations, l’admi-
nistration tunisoise le soupçonnait d’avoir des relations avec des tijānı̄
affiliés au parti nationaliste destourien, partisans de la propagande anti-
française. C’est le plus connu des marabouts de Tamalhat, Gummar,
Taması̄n, en territoire tunisien qui lui succèdera. Il s’agit de son fils Si
Ahmad al-Tijānı̄, né en 1900 à Tamalhat. Tous ces marabouts ont presque
162 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

les mêmes zones d’influence : l’Oued Rhir (Wadi Righ), le Souf, le Hoggar
et le centre-ouest tunisien (Nefzaoua et Djerid) où Ahmad al-Tijānı̄ fut
interdit de quête de même que dans la côte est, plus précisément à Sfax et
à Gabès. Sur le plan politique, Si Ahmad al-Tijānı̄ deviendra, en octobre
1947, adjoint de la Commune Municipale de l’Annexe de Touggourt. En
1948, sous l’étiquette « indépendant », il est élu délégué algérien à
l’Assemblée nationale française. Réélu en janvier 1954, il mena des cam-
pagnes contre le Front de Libération Nationale (FLN) et sera critiqué par
les différents mouvements de libération nationale.56
Avec Si Benamor qu’il a défendu pour diriger la confrérie, ils se
rendaient au Soudan anglais et en Egypte, d’où ils ramenaient des
‘Ulama—peut-être Muhammad al-Hafı̄z ben Abd al-Latı̄f (1897–1978), la
grande figure de la confrérie au Caire—pour les opposer aux savants
réformistes d’Algérie. Ces derniers attaquaient les marabouts tijānı̄, non
seulement en critiquant les aspects controversés de leur confrérie mais
aussi le fait qu’ils aidaient les Français dans l’œuvre de colonisation.
Faudrait-il rappeler que le courant salafiste égyptien gagnait du terrain en
Algérie, notamment avec Rashı̄d Rı̄da (1865–1935) qui critiquait l’attribut
dit divin d’Ahmad al-Tijānı̄ de pouvoir voir le Prophète Muhammad à l’état
de veille et traitait alors ses adeptes d’« infidèles ».57 Le voyage de
Muhammad Abdu (1849–1905) à Alger et à Constantine en 1903, influ-
encera entre autres choses, ‘Abd al-Hamı̄d b. Badı̄s (1889–1940) qui sera
une référence des mouvements réformateurs ouest-africains, donc séné-
galais ayant fréquenté la Badisiyya.
Avec Muhammad al-Habib (ob.1983), Si Ahmad al-Tijānı̄ de Taması̄n
interviendra dans les problèmes de succession de la famille Sy de
Tivaouane (Sénégal) et jouera un rôle diplomatique important :

Il serait à tous égards préférable, si une propagande pro-française est jugée


opportune dans les milieux tidjania d’A.O.F. de confier cette mission au
Cheikh de Temacine, Si Ahmad ben Mohamed El Aïd, homme vigoureux,
intelligent, actif d’un loyalisme éprouvé qui s’est déjà acquis de nombreuses
sympathies parmi les Tidjania du Sénégal.58

La division des deux branches par la France


La lettre de renouvellement du loyalisme de Si Benamor, fut un prétexte
pour exprimer son étonnement de ne pas être désigné en lieu et place du
marabout Si Ahmad al-Tijānı̄. La contestation est relative à la nomination
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 163

du chef de Tamalhat, pour faire partie de la délégation des chefs musul-


mans, envoyée en France à l’occasion de la fête nationale du 14 Juillet
1945, pour recevoir la Croix d’Officier de la Légion d’honneur des mains
du Général de Gaulle (1890–1970). Selon le Commandant Gazagni, qui
est à l’origine de ce choix, il ne saurait mettre Si Tayyı̄b dans la délégation
officielle car celui-ci ne réside pas à Ayn Mādı̄. Et comme il tenait que la
confrérie Tijāniyya « amie fidèle de la France » fût représentée, il décidait
alors d’envoyer le chef « incontestable de la zaouïa de Tamelhat, filiale
d’Aïn Madi où le chef est effectivement Si Benamor » et à l’absence de Si
Tayyı̄b.59 Gazagni rectifia alors le choix de Jules Carde qui consistait à ce
que Si Tayyı̄b dirige la zāwiya d’Ayn Mādı̄, à partir de Fès où il résidait à
ce moment. Si Benamor ne démord pas en tant que « Grand ami » de la
France, en évoquant que le siège de la confrérie est à Ayn Mādı̄ (le déten-
teur de la baraka) et non à Tamalhat où habite Ahmad al-Tijānı̄, son « sim-
ple moqqadam », alors qu’il en compte jusqu’au Hijāz (Arabie Saoudite).
Vraisemblablement, Si Benamor fait des émules en alléguant qu’aucune
zāwiya ne devance celle d’Ayn Mādı̄ dans les services rendus à la France,
« suivant les traditions léguées par nos parents » :

Nous sommes les Maîtres de la Confrérie des Tidjania et la Présidence de


l’Ordre nous appartient exclusivement de père en fils. Quant à Sidi Ahmed, il
n’est qu’un descendant de Si El Hadj Ali Tamasîn, un Grand moqadam de
notre aïeul fondateur de l’Ordre. La préférence accordée aussi à la branche
plutôt qu’à la souche nous fait moralement souffrir.60

Toujours la neutralité théorique est de rigueur dans ces affaires de


préséance. En réalité, c’est une administration qui prend parti « sans
vouloir prendre parti dans cette affaire qui n’est au fond qu’un conflit d’au-
torité entre une maison mère jalouse de sa prédominance et une zaouïa
annexe à tendance un peu trop indépendante ».61

La pérégrination de Si Tayyı̄b au Sénégal

En 1947, Si Tayyı̄b, dont la profession relatée par la fiche de renseigne-


ments est celle de chef de confrérie, demandait un passeport diplomatique
pour ses déplacements en AOF. Pour ce premier voyage de quelques mois,
pour resserrer les liens avec les zāwiya africaines, Si Tayyı̄b n’a été chargé
d’« aucune mission » par la Résidence générale du Maroc.62 C’est à titre de
« marque de considération » qu’il le demandait encore dans les années
164 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

cinquante, mais le Ministre de l’Intérieur le lui refusa et lui proposa un


passeport de service.63 Les deux branches sénégalaises de la Tijāniyya
notées dans beaucoup de rapports administratifs sont les Sy (fondée par
El Hadji Malick Sy, initié par son oncle Mayoro Wéllé qui à son tour, l’a
reçu d’El Hadji Oumar Tall) ; et les Tall (fondée par El Hadji Oumar Tall
et représentée par El Hadji Seydou Nourou Tall (1863–1980) qui eut une
ijāza de son beau-père E. M. Sy en 1919. C’est pourquoi il est difficile
pour certains de distinguer la branche Sy de la souche confrérique Tall.
Donc, l’administrateur note que la principale branche Tijāniyya
douze grains est à Tivaouane où se trouve le chef Babacar Sy (1883–1957),
deuxième fils d’El Hadji Malick Sy. Babacar Sy est « allié » à El Hadji Seydou
Nourou Tall. Si Tayyı̄b suivait l’itinéraire suivant :Dakar–Tivaouane–Kaolack–
Bathurst–SaintLouis–Kayes–Bamako–Koulikor–Ségou. L’accueil du chef de
la confrérie se concrétisera avec l’organisation de cérémonies de dons de
la part des grands marabouts de la Tijāniyya : A Dakar, c’est Tall qui l’ac-
cueillit et Si Tayyı̄b procéda au remplacement de son muqqadam Sharif al-
Ghalı̄ Sufyanı̄ (ob.1947) par Driss b. Abı̄d al-Iraqı̄, un notable fāsı̄ vivant
à Dakar depuis longtemps et fournissant des ijāzat à des marabouts de la
Tijāniyya comme El Hadji Abasse Sall de Louga (1909–1990). A Tivaouane,
Babacar Sy le reçoit de même qu’à Kaolack il sera l’hôte d’El Hadji
Ibrahima Niasse. Si Tayyı̄b aurait perçu plus d’une douzaine de millions de
francs de ses disciples, et avait bénéficié d’une exonération douanière pour
ramener ses affaires à Ayn Mādı̄. Ces facilitations renforçaient par la même
occasion son attachement à la France, mais aussi lui permettaient de ne
pas approuver la proposition de voyage de son rival Si Benamor qui pour-
tant, a été « chargé de mission », depuis sa rencontre en France en janvier
1948 avec Paul Coste-Floret (1911–1979), Ministre de la France d’Outre-
mer. Les absences répétées de Si Tayyı̄b à la Zāwiya d’Ayn Mādı̄ ont fini par
faire accepter Si Benamor comme chef de la Zāwiya. Si Tayyı̄b venait tout
juste, suite à leur confrontation récente, par acte passé devant le Mahakma
de Laghouat, de retirer la procuration de gestion des biens de la Zāwiya
jadis confiée à Si Benamor, pour la confier à son neveu maternel :
Muhammad Habı̄b b. Mahmūd qu’il nomme en 1947, Mandataire Général
des Affaires de la Zaouïa.64

Si Benamor « chargé de mission »

Après beaucoup de préparatifs administratifs, le 27 avril 1948, Si


Benamor quitta Casablanca pour Dakar, avec une délégation officielle de
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 165

quatre accompagnateurs, tous de nationalité française : Muhammad Ali


uld Fetūn de Méderdra (Mauritanie), Umar Ona de Say (Niger), Ahmad
ben Lanayé Dohsi et Muhammad Samghūnı̄ de Ayn Mādı̄. Les difficultés
de circulation des sujets français posaient sans doute problèmes au Shaykh
Benamor. En tout cas, nous observons dans plusieurs domaines que la
citoyenneté française était une des raisons d’éviter les tracasseries
administratives, douanières. Si Benamor voyageait où l’appelaient ses
disciples et n’avait pas un programme fixe pour ses déplacements. Nous
ne reviendrons pas ici sur les nombreux détails de ses passages dans les
autres territoires français : Mali, Bénin, Tchad, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire,
Congo-Brazzaville, ex-Zaïre, Gabon ; et dans les territoires britanniques :
Ghana, Liberia, Soudan, Nigeria, etc. Partout, le discours reste centré sur
ce qui suit :

Aimez la France, suivez ses représentants sans arrière-pensées. Depuis que la


France s’est intéressée à notre terre, vous n’avez plus été maltraités, elle ne
vous a apporté que des bienfaits, elle a respecté nos croyances. Elle n’a pas
voulu vous traiter comme des esclaves mais comme des amis et vous êtes tous
ses fils.65

Nonobstant le fait qu’il détenait de nombreux esclaves noirs et qu’il soit


de temps à autre rappelé à l’ordre par l’administration française, le
marabout plaide la cause de ses disciples négro-africains. Le but du dis-
cours destiné à des disciples, hommes à accepter les consignes du maître
« chargé de mission », est l’obéissance à la politique française, dans une
période de lutte intense pour la libération nationale. Toutefois, il faut
retenir qu’en British West Africa (BWA) aussi bien qu’en AOF, mieux qu’El
Hadji Seydou Nourou Tall et Si Benamor, le marabout El Hadji Ibrahima
Niasse avait déjà une forte communauté de disciples dont les muqqadam
sont choisis sans discrimination ethnique. Par des relations matrimoniales
aussi, ils soutenaient le rôle de diffusion de la Tijāniyya. Le marabout de
Kaolack brisait ainsi les frontières franco-anglaises qui devenaient plutôt
des passages de dizaines de millions de disciples de la confrérie.
• • •
Si Benamor fut accompagné par El Hadji Mansour Sy (1900–1957), fils
d’El Hadji Malick Sy. Ils se rendirent à Saint-Louis, à Tivaouane, à Thiès
et à Kaolack. Ce fut sous les recommandations de son frère le Khalife
Général des Tidianes sénégalais (Babacar Sy). Pour les cérémonies
166 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

organisées en son honneur à Kaolack, il eut l’effacement « du marabout


Tidjani Ibrahima Niasse rival du représentant de Babacar Sy dans le
Sine-Saloum, Ousmane Kane ».66 En juillet, El Hadji Mansour Sy
envoyait des lettres aux muqqadam tijānı̄ sénégalais pour annoncer la
venue de Si Benamor. Le 16 août 1949, El Hadji Mansour Sy eut un
entretien avec Laurent Marcel Wiltord, (le gouverneur du Sénégal) au
sujet de la préparation de ce périple. De cette fonction de médiation,
nous déduisons que les hautes autorités ont beaucoup contribué à l’insti-
tutionnalisation de la famille Sy comme représentante officielle de la
Tijāniyya sénégalaise. Ce fait colonial est pérennisé par les autorités
administratives du Sénégal post-indépendance.
Dans la rivalité entre Si Benamor d’Ayn Mādı̄ et son cousin Si Tayyı̄b de
Fès, le caractère francophile du premier est souvent souligné. La France a
souvent eu des suspicions vis-à-vis de la Tijāniyya marocaine. C’est la rai-
son pour laquelle certains chefs tijānı̄ d’AOF pro-français, manifesteront
beaucoup d’enthousiasme pour accueillir Si Benamor ; d’autres, quoique
francophiles comme El Hadji Seydou Nourou Tall, afficheront peu d’en-
gouement pour cette visite. L’une des raisons évoquée est la venue récente
de Si Tayyı̄b en AOF. El Hadji Seydou Nourou Tall, confie au Haut-
Commissaire Paul Béchard (1899–1982) qu’il ne « voyait pas de mal » à
la venue de Si Benamor, mais ne peut encore fixer le sentiment de Babacar
Sy, « la plus haute autorité tidjani du Sénégal ».67
En janvier 1951, Si Benamor se rendait chez les Tijānı̄ Aïdara de
Casamance (Sénégal). Cette visite a été mentionnée par les différents rap-
ports, périodiques, mensuels, trimestriels du Cercle de Ziguinchor.68 A la
fin de l’année 1951, le marabout Maki Aïdara (1909– ?) visitait Ayn Mādı̄,
sur invitation de Si Benamor. Aïdara effectuait une tournée à Tunis, à
Alger et à Casablanca. Il est présenté comme « le Chef de la Casamance »
et considère Si Benamor comme « le Chef Suprême de la Confrérie
Tidjania en faisant semblant d’ignorer l’existence de Si Tayyeb ».69 Maki
est le fils de Younouss Aïdara (1840/50–1916), originaire du Waddaï mais
installé à Banghère (Casamance). Proche disciple de Babacar Sy, Maki
Aïdara portera d’anciennes et de récentes lettres de recommandation ou de
félicitation des autorités du Sénégal à leurs collègues algériens. En plus, il
détenait une « lettre en français, datée de février dernier par laquelle le
Cheikh Tidjani Ben Amor l’investit comme son représentant au Sénégal »,70
ce fut lors du passage de Si Benamor au Sénégal. Cela démontre que,
même chargé de mission, les marabouts offraient de façon « officieuse »
des ijāzat à leurs muqqadam soudanais. Ce sont ces actes souterrains de
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 167

livraison d’ijāzat qui rendent possible la dissémination à grande échelle de


la confrérie, d’où sa trans-localité nord-africaine et sa trans-nationalité
nord-ouest africaine.

CONCLUSION

Grandi de cet attachement à la France, allant crescendo depuis sa tournée


africaine, fort de toutes ses médailles, Si Benamor entre en campagne con-
tre le Sultan Mohamed V (1909–1961) à la demande des autorités du
Protectorat. En Algérie où le FLN envisageait une république algérienne,
Si Benamor demandait alors à la France de rester en Algérie. Après
l’indépendance de l’Algérie, ses manifestations publiques deviennent de
plus en plus rares. Quant à son concurrent Si Tayyı̄b, il se rendait plus à
Kaolack qu’ailleurs au Sénégal et ce jusqu’à sa mort en 1973. Son suc-
cesseur Si Ali ben Mahmūd continuera les tournées en Afrique noire,
notamment à Dakar où son frère Muhammad Habib laissera une famille
bien implantée. Muhammad Habib mourut à Dakar en 1983 mais sera
enterré à Ayn Mādı̄, à côté des membres de sa famille. Son fils successeur
est Si Abdel Moutalib al-Tijānı̄, lui aussi installé à Dakar. Ali ben Mahmūd
(1911–1990) a été remplacé par son neveu Abdel Jabar al-Tijānı̄ (mort en
2005).71 Ce dernier a aussi comme successeur, son neveu Muhammad al-
Tijānı̄, l’actuel Khalife résidant à Ayn Mādı̄. Les relations entre les zawāyā
Tijāniyya nord-africaines et celles subsahariennes donc sénégalaises, sont
toujours revivifiées par les descendants de ces familles religieuses.
Nous avons vu avec Ahmad al-Abdallawı̄ et Si Benamor que les
marabouts pouvaient de temps à autre échapper au contrôle de l’adminis-
tration française. L’obéissance totale et définitive à la République n’a jamais
été une donnée constante chez les marabouts. C’est la même remarque
pour l’accommodation, disons plutôt l’adaptation des marabouts au projet
d’expansion coloniale. Le projet a souvent été compris comme « une mis-
sion civilisatrice » tantôt attribuée à la volonté divine tantôt comme un
mal, d’où les multiples résistances à la présence française en Afrique.
En revanche, ces relations multiformes surtout avec Si Tayyı̄b et Si
Benamor, ne nous permettent pas à elles seules, de dire que l’adaptation de
quelques marabouts ouest-africains, est l’acte final de leur subordination aux
shuyūkh nord-africains. Certes, il y a eu des influences à la fois confrériques
et stratégiques par rapport à la domination française. Mais l’idée que les con-
ditions socioculturelles dans lesquelles évoluaient les « Grands » marabouts
subsahariens y compris ceux sénégalais, les a beaucoup influencés prime
168 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

sur toutes les autres. Il nous faut remettre sur les pieds les approches his-
toriques confréries et politiques en Afrique de l’Ouest. Ce n’est plus l’ac-
commodation des marabouts africains à la politique coloniale qu’il faut
s’attarder à analyser, mais plutôt celle des pouvoirs coloniaux aux anciens
modèles africains de relations sociales. Nous l’avons montré par les missions
confiées aux chefs, les subventions octroyées par les supérieurs et enfin par
les lettres de recommandation qui furent une politique d'exploitation des
reseaux maraboutiques. En dernière analyse, cette synthèse historique
(qui doit intégrer les textes arabes des archives et par les marabouts eux-
mêmes, pour ensuite les confronter à une enquête de terrain) n’est pas
l’histoire de la confrérie en Afrique de l’Ouest encore moins au Maghreb.
Elle se veut alimenter et susciter un débat en sciences sociales, sur l’im-
portance transfrontalière des évolutions spatio-temporelles de la grande
confrérie Tijāniyya.

NOTES
1. Jamil Abun Nasr, The Tijaniyya: A Sufi Order in the Modern World (Oxford: Oxford
University Press, 1965).
2. Jamil Abun Nasr, « Al-Tidjânî, Ahmâd Ben Muhmâd b. al Muhtâr », Encyclopédie de
l’Islam, 2e ed. (Leiden-Brill, 2000), tome 10, 497–99.
3. Imed Melliti, La Zāwiya en tant que foyer de socialité: Le cas de la Tijâniyya de Tunis, thèse
de doctorat (nouveau régime), Université de la Sorbonne (Paris V), 1993 ; « Espace
liturgique et formes de l’autorité chez les femmes Tijâniyya de Tunis », dans Mohamed
Kerrou, (sous la direction de), L’autorité des saints : Perspectives historiques et socio-
anthropologiques en Méditerranée occidentale (Paris : Éditions Recherches sur les
Civilisations/I.R.M.C., 1998), 133–49.
4. Said Bousbina, Un siècle de savoir islamique en Afrique de l’Ouest : Analyse et commentaire
de la littérature de la confrérie tijâniyya à travers les œuvres d’al-Hâjj Umar, Unbayda ben
Anbuja, Yirkoy Talfi et al-Hâjj Mâlik Sy, thèse de doctorat de IIIe cycle, Université de
Paris I, 1996.
5. Said Bousbina, « Les Mérites de la Tijâniyya d’après ‘Rimah’ d’al-Hâjj Umar », Islam et
Sociétés au Sud du Sahara, n° 3 (1989) : 253–59.
6. Ravane Mbaye, Le Grand Savant El Hadji Malick Sy : Un pôle d’attraction entre la Charî’a
et la tarîqa, Pensée et Action (Paris : Éditions Albouraq, 2003), vol. 1, section 2,
274–88, 315–66.
7. Patrick J. Ryan, « The Mystical Theology of Tijâni Sufism and Its Social Significance in
West Africa », Journal of Religion in Africa 30, no 2 (2000): 208–24.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 169

8. Jillali El Adnani, Entre hagiographie et histoire : Les origines d’une confrérie musulmane
maghrébine : La Tijâniyya (1781–1880) (Université de Provence, Département d’his-
toire, 1998).
9. David Robinson et J.-L. Triaud, (sous la direction de), Le Temps des marabouts : Itinéraires et
stratégies islamiques en Afrique Occidentale française v. 1880–1960 (Paris : Karthala, 1997) ;
La Tijâniyya: Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique (Paris : Karthala, 2000).
10. Octave Depont, « Les Tidjanis et leur rôle politique », Alger 15 avril 1899, CAOM, 16 H
49, p. 27.
11. Julia A. Clancy-Smith, Rebel and Saint: Muslim Notables, Populist Protest, Colonial
Encounters (Algeria and Tunisia, 1800–1904) (Berkeley: University of California Press,
1994), 189.
12. Depont, « Les Tidjanis et leur rôle politique », 16–17. Clancy-Smith (Rebel and Saint,
84) doute sur le fait que c’étaient des délégations de disciples venus du centre-est du
pays notamment de Souf (Suf) et de Touggourt (Tuqqurt), qui cherchaient des conseils
(Abun Nasr, The Tijaniyya: A Sufi Order in the Modern World, 72–73).
13. Lettre de Sid Ahmed El-Tedjani à Louis Henri de Gueydon, Gouvernement Général de
l'Algérie (G.G.A.), Amboise (Indre-et-Loire, France), le 15 avril 1871, CAOM, 16 H 44.
14. Depont, « Les Tidjanis et leur rôle politique ». Al-Mushrı̄ contribuera à la césure entre
les familles al-Taması̄nı̄ et al-Tijānı̄ même si des relations matrimoniales se sont nouées
entre les deux lignages saints. En 1857, rappelle Guillaume Bernady, déjà six filles de
Muhammad al-Saghı̄r, avaient épousé les chefs de Taması̄n, ce qui aggrava les prob-
lèmes successoraux dans la Tijāniyya algérienne, mais qui n’en constitue pas moins une
particularité. Voir Rapports entre la Confrérie Tijâniyya et l’Administration coloniale à Ain
Madi (1838–1911), mémoire de maîtrise, Université d’Aix Marseille I, 1997–1998, 69.
15. Légende : Pouvoir confrérique
2e : Shaykh de la Confrérie : Si Ali ben Aïssa ou Sı̄dı̄ Ali al-Taması̄nı̄ (1766–1844)
4e : Muhammad Laïd al-Taması̄nı̄ (1814–1875), fils du 2e S. T.
5e : Muhammad al-Saghı̄r (ob.1892), frère du 4e S. T.
Relations matrimoniales
0 : marié à Fatma bent Hamza, fille de l’ex-Agha du Djebel Amour
1 : veuve de Muhammad Kabı̄r ben Larabı̄, fils de Sı̄dı̄ Muhammad Laïd, 4e S. T.
2 : veuve de Sı̄dı̄ Ali ben Si Ahmad, 8e S. T.
3 : marié à Mamma bent Si Ali et à Naamet, fille de Hadji Brahim, ancien ministre des
cultes de l’ex-sultan de Turquie Abedlhamid
4 : mariée à Si Muhammad Tahar ben Si Ali
5 : mariée à Ali ben Si Laïd, descendant de Sı̄dı̄ Ali al-Taması̄nı̄
6 : mariée à Mahmūd ben Si Bashı̄r
7 : mariée à Si Kabı̄r ben Si Laïd, descendant du 2e S. T.
8 : mariée à Si Saghı̄r ben Si Laïd, descendant du 2e S. T.
9 : mariée à Si Benamor, fils du 9e S. T.
170 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

16. Cette décision rompt d’avec les prescriptions d’Ahmad al-Tijānı̄ I, relatives à l’alter-
nance du pouvoir califal entre les familles al-Taması̄nı̄ et al-Tijānı̄. Voir El Adnani, Entre
hagiographie et histoire, 364. Cela est constatable dans la Rahmaniyya après la mort de
son fondateur Muhammad b. Abd’ al-Rahmān al-Azharı̄ (1715–1794). Cf. Clancy-
Smith, Rebel and Saint, 340 note 94.
17. Octave Depont, « Les Tidjanis et leur rôle politique », 7.
18. « Lettre du 15 avril 1871 ». Certainement, il faut voir le rôle du Général Mac-Mahon,
ancien G.G.A., dans cette intermédiation.
19. Guillaume Bernady, « Rapports entre la Confrérie Tijâniyya et l’Administration colo-
niale à Ain Madi (1838–1911) », mémoire de maîtrise, Université d’Aix Marseille I,
1997–1998, 87.
20. Monsieur Loyse, le Général Commandant la Division au G.G.A., « Instruction pri-
maire, école indigène », n° 5, Alger le 4 janvier 1886, CAOM, 16 H 44. Ahmad al-
Tijānı̄ avait remis au commandant supérieur de Laghouat, un acte par lequel il
déclarait faire cession à la commune indigène, pour l’installation de l’école d’Ayn Mādı̄
dans un immeuble appartenant à la zāwiya.
21. Cruise O’Brien insiste comme beaucoup de chercheurs, sur la transposition des
modèles institutionnels algériens au Sénégal comme le Service des Affaires Musulmanes,
en montrant comment les autorités françaises sont allées jusqu’à vouloir faire venir un
« Grand ami de la France » au Sénégal : « Thus, in 1893, the Governor of Senegal
wrote to ask that Si Ahmad Tidjani [II], “one of the heads of the order in Algeria,
should be allowed to visit Senegal, so as to attract the Friendship of the Tijani sect,
which is very popular in Senegal. I thought that was necessary to show them the
nature of our relations with the Tijani of Algeria, all devoted to the French cause” ». «
Towards an “Islamic Policy” in French West Africa, 1854–1914 », Journal of African
History 7, no. 2 (1967) : 306–7. C’est Henri de Lamothe (1843–1926) qui écrivait au
G.G.A., Jules Cambon (1845–1935).
22. « Translation des restes de Sid Ahmed Tidjeni », CAOM, 16 H 45.
23. Julia A. Clancy-Smith, « Between Cairo and the Algerian Kabylia : The Rahmaniyya
tariqa, 1715–1800 » dans Dale F. Eickelman et James Piscatori, Muslim Travelers:
Pilgrimage, Migration, and the Religious Imagination (Berkeley: University of California
Press, 1990), 200–216.
24. Le Mobacher, n° 3890, CAOM, 16 H 49. Ce journal a été co-fondé par Abu al-Qāsim
al-Hafnawı̄ (c.1852–1942) qui incarnait la tendance intellectuelle et pro-française de
l’islam algérien, dans lequel il est une des figures de proue du réformisme (Clancy-
Smith, « Between Cairo and the Algerian Kabylia », 223). Ahmed al-Tijani avait fourni
un mémoire quasi complet (soit 25 pages) sur ses engagements vis-à-vis de la France,
présenté au G.G.A. le 19 avril 1893, pour témoigner de sa « fidélité inaltérable »,
CAOM, 16 H 49.
25. Cf. Lettre du Général Collet Meygret, Commandant de la Division d’Alger au G.G.A.,
1er mai 1897, Affaires indigènes n° 498, objet : a. s. de la succession de Si Ahmed
Tidjeni, CAOM, 16 H 49. Le Kunāsh (pl. kanānı̄sh) est le livre qui réunit les fonde-
ments mystiques et liturgiques de la confrérie.
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 171

26. Collet Meygret au G.G.A., 18 mai 1897, Affaires indigènes n° 521, objet : a. s. de la
succession de Si Ahmed Tidjeni, CAOM, 16 H 49.
27. Ibid.
28. Ibid. Dans sa lettre datée du 3 septembre 1896 (Affaires indigènes n° 111, objet : a. s.
de la succession de Si Ahmed Tidjeni, CAOM, 16 H 49), alors que le marabout était
malade, Collet Meygret demandait à Aurélie al-Tijānı̄ de lui faire écrire un testament
pour régler de son vivant cet épineux problème. Donc ne l’ayant pas fait, l’adminis-
tration imposera son marabout-candidat, allant même jusqu’à faire des démarches
pour un mariage entre Muhammad al-Bashı̄r et Aurélie al-Tijānı̄ : ce qui fut fait et vu
par les opposants du couple, plus comme un mariage de raison que de cœur, car les
deux mariés ne s’appréciaient pas trop en ce qui concernait la gestion des biens con-
frériques et l’organisation même de « l’Ordre » surtout avec l’affaire de l’école d’Ayn
Mādı̄ et bien d’autres.
29. Guillaume Bernady, Rapports entre la Confrérie Tijâniyya et l’Administration coloniale à
Ain Madi (1838–1911).
30. Monsieur le Gouverneur général, « au sujet du nommé Ahmed ben Abdallah », Oran,
novembre 1871, n° 41, CAOM, 16 H 44. Ailleurs, dans le même carton nous lisons :
« Ahmed ben Abdallah des Abadhia de Boghar (au nord d’Ayn Mādı̄, vers Alger),
moukkadem de l’ordre Tedjini, dont les voyages fréquents sur divers points de
l’Algérie et des relations entretenues par lui à Alger avec des personnages hostiles à
notre domination ferait une personnalité suspecte ».
31. « Sous prétexte de faire du commerce, il récolte des ziaras et distribue le chapelet de
l’ordre des Tedjini », Depont, « Les Tidjanis et leur rôle politique », 2.
32. Said Bousbina, « Al-Hajj Malik Sy : Sa chaîne spirituelle dans la Tijaniyya et sa posi-
tion à l’égard de la présence française au Sénégal », dans David Robinson et J.-L.
Triaud, (sous la direction de), Le temps des marabouts : Itinéraires et stratégies islamiques en
Afrique Occidentale française v. 1880–1960 (Paris : Karthala, 1997), 181–98.
33. Sossie Andezian, Expériences du divin dans l’Algérie contemporaine : Adeptes des saints de
la région de Tlemcen (Paris : Éditions C.N.R.S., « C.N.R.S. Ethnologie », 2001), 62.
34. Jonathan Reynolds, « Good and Bad Muslims: Islam and Indirect Rule in Northern
Nigeria », International Journal of African Historical Studies 34, no 3 (2001): 612.
35. Jamil Abun Nasr, The Tijaniyya: A Sufi Order in the Modern World.
36. En ce qui concerne ces missions, nous renvoyons aux rapports des administrateurs
civils ou militaires, notamment les lettres du Général Ruyssen Commandant de la
Subdivision de Laghouat à Monsieur le Général Commandant la Division, a. s. « de
l’envoi au Sénégal d’un émissaire Tidjanien », n° 1268, Affaires Indigènes, Laghouat le
11 octobre 1899. Celle du G.G.A. à Monsieur le Général Commandant la Subdivision,
20 décembre 1899, n° 3174, a. s. « du Tijanien Mohamed ben Abdelaoui, lui donner
la liste des tidjanis sénégalais ». Cf. Lettre du Ministre des Colonies, (Antoine Guillain)
au Gouverneur du Sénégal, (Barthélémy Chaudié), datée du 21 mars 1899. Abdallawı̄
fut appelé pour aller au Sénégal et rencontrer les chefs religieux de la région de
Njambour où la Tijāniyya Madiyankoobe se livrait à des guerres contre les Français et
172 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

les chefs païens (ceddo). Pour toutes ces lettres et celles envoyées dans d’autres terri-
toires subsahariens, cf. CAOM 2 U 23.
37. Jonathan Reynolds, « Good and Bad Muslims: Islam and Indirect Rule in Northern
Nigeria », 614 ; Muhammad Sani Umar, « The Tijâniyya and the British Colonial
Authorities in Northern Nigeria », dans David ROBINSON et J.-L. TRIAUD, (sous la
direction de), La Tijâniyya: Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique (Paris :
Karthala, 2000), 341.
38. Ravane Mbaye, Le Grand Savant El Hadji Malick Sy, tome 3, 65.
39. Bousbina, « Les Mérites de la Tijâniyya d’après ‘Rimah’ d’al-Hâjj Umar », (1997), 189.
Sur les lettres de Si Ali en 1914, acheminées par al-Abdallawı̄ fils, vers les marabouts
subsahariens dont El Hadji Malick Sy à Tivaouane, et celles destinées aux autres
Shuyūkh de la Tijāniyya à leurs confrères, pour soutenir les Français pendant la guerre,
voir « Les Musulmans français et la guerre », Revue du Monde Musulman 29 (décembre
1914). D’autres chefs tijānı̄ enverront des lettres de soutien aux Français: Sı̄dı̄
Muhammad Kabı̄r, Sı̄dı̄ Mahmūd, Si Bashı̄r al-Taması̄nı̄, Muhammad Arūsı̄ de
Gummar.
40. De façon certaine, c’est par testament que Sı̄dı̄ Muhammad Kabı̄r devrait succéder à
son père : « Je vous prends à témoins que lorsque Dieu décrétera ma mort inévitable
et contre laquelle, il n’y a aucun refuge pour les créatures vivantes—je désire que mon
successeur à la tête de la zaouïa soit mon fils Mohamed El Kébir, c’est lui qui la dirig-
era en raison de la certitude que j’ai acquise de sa belle conduite, de sa probité et de
son esprit conservateur. » Sidi El Béchir ben Mohamed ben Ahmad Tijani, traduction
de M. Merle Officier interprète 1re Classe, (Capitaine Gauthier, Chef de l’Annexe de
Laghouat, le 4 mars 1911, CAOM 16 H 53). Il y a aussi le fait que son fils Muhammad
Kabı̄r est plus âgé que son neveu Si Ali (voir arbre généalogique).
41. CAOM 16 H 53.
42. Jamil Abun Nasr, The Tijaniyya: A Sufi Order in the Modern World, 97.
43. John O. Hunwick et al., comps. The Writings of Western Sudanic Africa. Vol. 4 of Arabic
Literature of Africa (Leiden: Brill, 2003). 272–73.
44. Capitaine Picod, Chef de l’Annexe à M. le Commandant Militaire du Territoire de
Gardhaïa (C.M.T.G.) à Laghouat. Objet : Zaouia d’Aïn Madhi, 16 décembre 1931,
CAOM 16 H 53.
45. Le Commissaire Résident Général de la République Française (R.G.R.F.) au Maroc à M.
le G.G.A. Objet : La succession spirituelle de Si Mohamed El Kebir, chef de la zaouïa
Tidjania d’Aïn Madhi, décédé, le 2 octobre 1931, CAOM 16 H 53. Mahmūd a aidé en
1912, la marche sur Marrakech de la colonne du Colonel Mangin (1866–1925).
46. Octave Depont, « Les Tidjanis et leur rôle politique », 24.
47. Jonathan Reynolds, « Good and Bad Muslims », 105, 616.
48. Si Benamor contesta explicitement la nouvelle nomination (voir ses lettres au Colonel
Bertschini en septembre 1934). Lorsque Jules Carde recevait le nouveau calife le même
jour du 7 janvier 1935, il écrit à Bertschini en ces termes : « En réponse à votre lettre
LA TIJĀN IYYA NORD-AFRICAINE 173

du 18 décembre 1934, n° 315/C, j’ai l’honneur de vous faire connaître que, confor-
mément à vos conclusions, je donne mon agrément à la désignation de Si Tayyeb ben
Ali en qualité de Chef de l’Ordre des Tidjania », Direction des Territoires du Sud-
Services des Affaires Indigènes n° 89 à M. le C.M.T.G. à Laghouat a/s Tidjanis, le 7 jan-
vier 1935, CAOM 16 H 53.
49. Bertschini, C.M.T.G. à G.G.A. a/s Tidjani, Laghouat le 13 juillet 1934, n° 171/C,
CAOM 16 H 53.
50. Le Colonel Chaverebière de Sal, C.M.T. de Touggourt à M. le Général Commandant
interarmées au Sahara, Office Saharien, n° 1038/8231, objet : Cheikh Tidjani ben
Amor, Alger 18 août 1958, CAOM 16 H 54.
51. C’est nous qui soulignons. Le Capitaine Picod à M. le C.M.T.G. (Bertschini) n° 591
CM/B, Laghouat le 19 mai 1934, CAOM 16 H 53. Dans une lettre à Bertschini (datée
du 17 août 1934, n° 4029, CAOM 16 H 53), Jules Carde reprend les propos de Picod
en s’expliquant ainsi : « Le choix du successeur dans la confrérie ne répond pas à une
règle fixée par écrit, le plus âgé est conforme à la tradition suivie jusqu’à ce jour ».
52. L’Administrateur Hirtz, Chef d’Annexe de Laghouat, objet : Zaouia Tidjania : Conflit Si
Tayeb/ Si Benamor, n° 336 C, Laghouat le 23 novembre 1951, CAOM 16 H 53.
53. Ibid.
54. Ibid.
55. R.G.R.F. à Tunis, à Charles Lutaud, G.G.A., n° 3, S.E.S., objet : zaouia des Tidjania à
Tamassine, « subvention allouée sur le budget de la Tunisie », Tunis, le 29 janvier
1913, CAOM, 16 H 54. Ali al-Taması̄nı̄ recevait de l’argent de Husayn Bey (reg.
1824–1835) qui favorisait la Tijāniyya (Clancy-Smith, Rebel and Saint, 136 ; Abun
Nasr, The Tijaniyya: A Sufi Order in the Modern World, 85). Leurs descendants (lignée
sainte et lignée beylicale) noueront des relations matrimoniales en favorisant ainsi le
déploiement de la confrérie en Tunisie.
56. Notice concernant Si Ahmed Tijani, ben Sidi Mohamed ben Sidi Mohamed Laïd, Chef
de la zaouïa de Tamelhat (Annexe Touggourt), CAOM 16 H 54.
57. Elizabeth Sirriyeh, Sufis and Anti-sufis: The Defence, Rethinking and Rejection of Sufism in
the Modern World, Curzon Sufi Series (Richmond, UK: Curzon Press, 1999), 101–2 ;
Jamil Abun Nasr, The Tijaniyya: A Sufi Order in the Modern World, 177–78.
58. « Note sur la confrérie religieuse musulmane des Tidjania », Demande de renseigne-
ments sur la Confrérie des Tidjania par le Directeur de la Réforme à M. le Directeur
des Territoires du Sud, CAOM 16 H 53.
59. Le C.M.T.G. à Laghouat, pour le Gouverneur général, le Secrétaire général du
Gouvernement, signé Gazagni, a. s. du marabout Si Amor, n° 4307, Laghouat le 18
août 1945, CAOM 16 H 53.
60. Lettre de Sidi Ben Amor Ben Sidi Mohamed El Kebir Tidjani-Khalifa de la zaouïa
Tidjani-mère-d’Aïn Madhi, Aïn Madhi le 5 octobre 1945, CAOM 16 H 53. Le nom du
destinataire n’y est pas mentionné.
174 EL HADJI SAMBA AMADOU DIALLO

61. L’Administrateur de la Commune-Mixte de Laghouat à M. le C.M.T.G. à Laghouat, n°


478, Laghouat le 3 août 1945, CAOM 16 H 53.
62. Lehuraux, C.M.T.G.. à Laghouat, au G.G.A., a. s. Si Tayeb, chef de la zaouia Tidjania
d’Aïn Madhi, n° 4277, Laghouat 23 septembre 1947, CAOM 16 H 53.
63. Joseph Gaud, Ministre de l’Intérieur à M. le G.G.A., réf. votre lettre du 27 juin 1953,
n° 1531/NA/4, Services des Liaisons nord-africaines, a. s. de Cheikh Tidjani Taïeb,
Paris, 17 juillet 1953, CAOM 16 H 53.
64. Lehuraux, C.M.T.G.. à Laghouat, au G.G.A., a. s. Si Tayeb, chef de la zaouia Tidjania
d’Aïn Madhi, n° 4277, Laghouat 23 septembre 1947.
65. Discours prononce à Zinder (Niger), le 25 août 1950, CAOM 16 H 53.
66. Gouvernement Général de l’AOF, Service des Affaires Politiques et Musulmanes, n°
885, reçue au G.G.A. le 17 octobre 1949, CAOM 16 H 53. Ousmane Kane
(1902–1988) est le fils d’Abdou Hamid Kane (1855–1934) de Saint-Louis, muqqadam
d’El Hadji Malick Sy, installé à Kaolack où il fut en relation avec Ali Sukayrij et Si
Mahmūd avec qui il partageait les cérémonies françaises, notamment celle de pose de
la première pierre de la Grande mosquée de Paris en 1926. Hamid Kane a été nommé
cadi de Kaolack par l’administration en 1898 ; voir Martin Klein, Islam and Imperialism
in Senegal : Sine-Saloum, 1847–1914 (Stanford, CA: Stanford University Press, 1968),
199.
67. Le Haut-Commissaire de la République, G.G.A.O.F., à M. le Ministre de la F.O.M.,
Dakar le 14 février 1948, CAOM 16 H 53.
68. Le Chef de Subdivision René-Louis Touzé, Rapport du Cercle de Ziguinchor de 1951,
Bignona le 16 janvier 1951, Paris, Centre Historique des Archives Nationales, Paris
(C.H.A.N.), microfilm 200 MI 1926, Série G, sous-série 2 G 50/95 bobine 795.
69. Le Lieutenant Colonel Comes, C.M.T.G., à M. le G.G.A., Direction des Territoires du
Sud/2 à Alger, objet : a/s de M. Aïdara, notable tidjani du Sénégal, Laghouat le 9
novembre 1951, CAOM 16 H 53.
70. Note pour M. le Directeur des Territoires du Sud, objet : a. s. de M. Aïdara, notable
Tidjani du Sénégal, 29 octobre 1951, CAOM 16 H 53.
71. Voir www.tidjaniya.com.

Vous aimerez peut-être aussi