La Traduction Par MichaelOustinoff
La Traduction Par MichaelOustinoff
La Traduction Par MichaelOustinoff
Ouvrage recensé :
Oustinoff, Michaël. La Traduction, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-
je ? », no 3688, 2003, 128 p.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/011982ar
DOI: 10.7202/011982ar
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En 1959, à l’époque des premiers balbutiements de la traduction
automatique, Émile Delavenay avait signé La Machine à traduire
(no 834), numéro qui faisait alors le point sur ce qui était encore une
innovation chargée de promesses. Compte tenu de l’évolution qu’ont
connue depuis lors la traduction automatique et la traduction assistée
par ordinateur, ce numéro n’a plus guère qu’une valeur historique. Il ne
figure plus d’ailleurs au catalogue des PUF. Seuls les historiens y
trouvent encore quelque utilité.
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pages une bonne vue d’ensemble de cette pratique multiséculaire ?
L’étudiant inscrit dans une école de traduction et d’interprétation qui se
destine à cette profession qu’exercent de nos jours des dizaines de
milliers de traducteurs et traductrices dans le monde pourra-t-il puiser
dans ces pages des renseignements utiles sur son futur métier ?
Autrement dit, ce numéro fait-il véritablement le tour de la question,
est-il un autre de ces petits livres qui "collent à l’actualitéiii" et brossent
un panorama plus ou moins complet d’un sujet ? Malheureusement,
force est de reconnaître que ce n’est pas le cas. De manière générale, on
peut dire que l’auteur ne semble pas avoir une vision très précise de
l’importance de la traduction dans l’histoire intellectuelle, comme
phénomène culturel et comme profession. Dans plusieurs chapitres,
l’information est lacunaire. On note aussi des répétitions et des
digressions qui viennent « brouiller » les développements. L’auteur a
du mal à se défaire d’une vision toute linguistique de la traduction :
« La traduction est d’abord une opération linguistique » (p. 121). En
fait, c’est l’article de Roman Jakobson, « Aspects linguistiques de la
traduction » (1959) qui semble avoir le plus inspiré M. Oustinoff, car il
le cite abondamment dans tous ses chapitres. On en vient même à se
demander si l’auteur n’y voit pas le texte fondateur de la traductologie
moderne...
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que les trois parties suivent plus ou moins l’ordre chronologique et
nous mènent de Cicéron au XXe siècle. L’auteur a largement puisé,
semble-t-il, dans l’ouvrage de Michel Ballard, De Cicéron à Benjamin
(1992). On aurait aimé que Les Traducteurs dans l’histoire (1995),
construit sur neuf thèmes, soit au moins cité en référence, tout comme
plusieurs autres ouvrages récents en histoire de la traduction. De ce
point de vue, c’est l’indigence totale. Ce n’est pourtant pas la matière
qui manque : mon cd-rom sur l’Histoire de la traduction recense plus
de 2700 titres sur le sujet.
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et Darbelnet (qui reviendront au chapitre suivant) et, évidemment,
Jakobson, qui est partout. On s’étonne, par contre, de lire que Après
Babel de George Steiner est un « ouvrage fondamental sur la
traduction » (p. 62) – on a fait beaucoup mieux – et que l’Association
canadienne de traductologie est rattachée à l’Université d’Ottawa. Cette
Association est tout à fait autonome et n’est rattachée à aucune
universitéiv. Les pages sur la « poétique de la traduction » (p. 56-61),
celle d’Henri Meschonnic, nous présentent une conception cohérente de
la traduction. Mais, bizarrement, ce chapitre se termine en Chine, sans
raison apparente.
Je ne crois pas que l’on puisse acquérir une idée claire des
grands enjeux ou des principales conceptions théoriques
contemporaines en traduction en lisant la quinzaine de pages
consacrées à ce sujet. Il n’est pas facile, encore une fois, de dégager un
fil conducteur dans la présentation de l’auteur dont le style est très
décousu. Les trois pages signées par Mona Baker dans l’Encyclopedia
of Translation (Routledge, 1998) nous renseignent davantage sur le
vaste champ couvert par la traductologie : « Translation studies is now
understood to refer to the academic discipline concerned with the study
of translation at large, including literary and non-literary translation,
various forms of oral interpreting, as well as dubbing and subtitling.
[...] ‘Translation studies’ is also understood to cover the whole
spectrum of research and pedagogical activities, from developing
theoretical frameworks to conducting individual case studies to
engaging in practical matters such as training translators and
developing criteria for translation assessment » (p. 277). Dans un
chapitre consacré aux « théories de la traduction », on se serait attendu
à voir présentées, sommairement cela va de soi, ou tout au moins
énumérées les principales approches théoriques modernes, en plus des
approches linguistique et poétique. Mais pas un mot sur la théorie du
skopos, rien ou si peu sur la théorie du polysystème, rien sur
l’introspection à haute voix (aussi connue sous le nom de protocoles de
verbalisation ou think-aloud protocols), rien sur la conception féministe
de la traduction, rien sur le postcolonialisme, rien sur l’apport de la
traduction aux études interculturelles, etc. L’ouvrage de Susan
Bassnett, Translation Studies, est sans aucun doute une référence
intéressante, mais pourquoi ne pas avoir cité la 3e édition, qui date de
2002, au lieu de la première, vieille de 25 ans (1980) ? De Lawrence
Venuti, l’auteur ne semble connaître que The Translator’s Invisibility,
alors que son Translation Studies Reader (2000) se révèle très utile
pour acquérir un bon aperçu des approches théoriques en traductologie.
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Combien d’autres ouvrages relativement récents auraient pu (auraient
dû) être mentionnés pour donner un portrait actuel et fidèle des
recherches théoriques diversifiées qui se font en traductologie.
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la chuchotée, rien sur l’interprétation judiciaire, rien non plus sur les
principaux jalons de l’histoire de l’interprétation (Traité de Paris,
Nuremberg, ONU). L’auteur semble encore se documenter à une seule
source, l’ouvrage de D. Seleskovitch et M. Lederer, Pédagogie
raisonnée de l’interprétation (cette fois il cite la dernière édition, celle
de 2002, la première datant de 1989). Il me fait l’honneur de reproduire
un schéma qui figure à la page 39 de L’Analyse du discours comme
méthode de traduction (1980). Malheureusement, tel que reproduit à la
page 96 du « Que sais-je ? », le schéma perd son sens, car la flèche qui
va du concept à la reverbalisation ne pointe pas dans la bonne direction.
Une distraction du graphiste sans doute. En reproduisant ce schéma,
l’auteur a voulu montrer que « la traduction est avant tout une opération
"cognitive", au sens de Piaget » (p. 96). Mais a-t-il raison de croire que
« l’inconvénient de taille d’un tel système est qu’il ne s’applique pas à
la traduction littéraire et, plus généralement, à toute traduction où le
signifiant doit être pris en compte pour lui-même » (p. 96-97) ? S’il est
vrai qu’« un texte a le sens de ses formes autant que le sens de ses
mots » (H. Meschonnic), il n’en demeure pas moins que c’est par une
opération cognitive que le traducteur parvient à dégager le sens de ces
formes et la valeur « poétique » des signifiants. Comment pourrait-il en
être autrement ? Les mots, dont l’interprète peut s’affranchir une fois le
sens compris, sont, pour le traducteur d’une œuvre littéraire ou
poétique, une contrainte supplémentaire et ces mots ne sont jamais
« transcodables » dans le texte d’arrivée. La preuve en est que la poésie
est ce qu’il y a de moins traduisible par la machine à traduire, mais ce
qu’il y a de plus traduisible, contrairement à une idée reçue selon
laquelle la poésie serait intraduisible. C’est du moins l’avis de poètes et
écrivains traducteurs qui ont pratiqué ce genre de traduction et ont
réfléchi à la question, dont Étienne Barilier (écrivain suisse), Yves
Bonnefoy, Jorge Luis Borges, Henri Meschonnic et bien d’autres
encore.
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etc. Rien à voir avec la traduction automatique. Dans la suite du texte,
on n’en apprend guère plus sur ce mode de traduction : rien sur les
premiers essais de la fin des années 1940 (un renvoi à La Machine à
traduire de Delavenay aurait fait l’affaire), rien sur les enjeux
linguistiques (problèmes liés aux ambiguïtés), rien sur les systèmes
fonctionnels (MÉTÉO, de l’Université de Montréal), rien sur les
centres où il se fait actuellement des recherches sur la traduction
automatique, rien. Une seule référence, encore une fois, sur le sujet,
Anne-Marie Loffler-Laurian, La Traduction automatique, Lille, Presses
Universitaires du Septentrion (p. 104), sans mention de l’année de
publication [1996, 156 p.]. Très décevant.
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connaissance) regroupant près de 3000 traducteurs, interprètes et
terminologues.
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comme on l’aurait fait dans les années 1970, époque où la traductologie
se cherchait encore. Pourtant, chaque numéro de la collection « Que
sais-je ? » est censé présenter de manière actualisée, claire, succincte
voire didactique les multiples facettes d’un sujet. Le slogan de la
collection ne promettait-il pas en 1989 : « Tout ce que vous ne savez
pas et que vous avez besoin de savoir vite est dans "Que sais-je ?" » ?
Je dois dire que le no 3688 ne réussira pas à satisfaire « les envies du
savoirv » de ceux qui liront cet ouvrage. Dommage. Il y avait tant à
dire...
Jean Delisle
École de traduction et d’interprétation
Université d’Ottawa
Notes
i Slogan de la collection en 1987.
ii Slogan de la collection en 1951.
iii Slogan de la collection en 1980.
iv Il est vrai, en revanche, que le site Web de cette Association est
hébergé sur le serveur de l’Université d’Ottawa et que trois professeurs
de l’École de traduction et d’interprétation de cette université ont été
présidents de l’Association.
v Slogan de la collection en 2001.