La Traduction Par MichaelOustinoff

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Compte rendu

Ouvrage recensé :

Oustinoff, Michaël. La Traduction, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-
je ? », no 3688, 2003, 128 p.

par Jean Delisle


TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 17, n° 1, 2004, p. 222-231.

Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante :

URI: http://id.erudit.org/iderudit/011982ar
DOI: 10.7202/011982ar

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France, coll. « Que sais-je ? », n 3688, 2003, 128 p.

Depuis la publication du tout premier numéro de la collection « Que


sais-je ? » fondée en 1941 par Paul Angoulvent, les Presses
Universitaires de France ont fait paraître près de 3700 titres. Dans cette
« encyclopédie au format de pochei », deux titres seulement sont
consacrés à la traduction. Pour une collection traduite en 43 langues et
diffusée à 150 millions d’exemplaires, c’est peu. Très peu, même,
quand on connaît l’importance que revêt la traduction dans tous les
domaines de la connaissance, la genèse des langues, la naissance et la
fécondation des littératures, la circulation des idées, le progrès
scientifique et le métissage des cultures. Il est vrai que la traduction
n’est pas totalement absente d’autres numéros de la collection. Il en est
question, par exemple, dans La Littérature au XVIIe siècle (Roger
Zuber, no 95), La Littérature comparée (Yves Chevrel, no 499),
Histoire du livre (Albert Labarre, no 620), Les Ordinateurs
électroniques (Pierre Demarne et Max Rouquerol, no 832), La
Linguistique appliquée (Charles Bouton, no 1755), Le Colinguisme
(Renée Balibar, no 2796) et sans doute dans de nombreux autres titres.

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En 1959, à l’époque des premiers balbutiements de la traduction
automatique, Émile Delavenay avait signé La Machine à traduire
(no 834), numéro qui faisait alors le point sur ce qui était encore une
innovation chargée de promesses. Compte tenu de l’évolution qu’ont
connue depuis lors la traduction automatique et la traduction assistée
par ordinateur, ce numéro n’a plus guère qu’une valeur historique. Il ne
figure plus d’ailleurs au catalogue des PUF. Seuls les historiens y
trouvent encore quelque utilité.

Il faudra attendre pas moins de quarante ans avant que paraisse


le deuxième « Que sais-je ? » consacré uniquement à la traduction. Il
s’intitule tout simplement La Traduction (no 3688) et est sorti des
presses en novembre 2003. Son auteur, Michaël Oustinoff, est maître
de conférence à Paris III, Sorbonne Nouvelle. Collaborateur à la revue
Palimpsestes, publiée par les Presses de la Sorbonne Nouvelle, M.
Oustinoff est l’auteur, entre autres, de Bilinguisme d’écriture et auto-
traduction. Julien Green, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov
(L’Harmattan, 2001), ouvrage tiré d’une thèse soutenue en 1997.

La quatrième de couverture nous indique l’orientation générale


que l’auteur a choisi de donner à son ouvrage, classé par les PUF dans
la catégorie des « Ouvrages généraux - Histoire et critique littéraires » :
« Au-delà de la formule traduttore, traditore, quels mécanismes se
mettent en place lorsqu’il s’agit de traduire une langue ? Faut-il que la
traduction s’efface pour que l’œuvre semble conçue dans la langue
d’arrivée ou préserver les particularismes de la langue d’origine ? Cet
ouvrage présente l’histoire, les théories et les opérations linguistiques et
littéraires de cette activité si spécifique : la traduction. » La quatrième
de couverture nous indique donc que l’auteur a traité des aspects
cognitifs et linguistiques de la traduction, des manières de traduire
(cibliste et sourcière), de traduction littéraire et, enfin, d’histoire et de
théorie de la traduction. Le programme est intéressant en soi, mais il est
très incomplet comme nous le verrons.

Six chapitres structurent La Traduction : I – Diversité des


langues, universalité de la traduction; II – Histoire de la traduction;
III – Théories de la traduction; IV – Les opérations de la traduction;
V – Traduction et interprétation; VI – Les signes de la traduction.
Après avoir lu ce « Que sais-je ? », je me suis demandé : Cet ouvrage
fait-il véritablement « le point des connaissances actuellesii » sur la
traduction ? Une personne cultivée, étrangère au domaine, qui souhaite
se renseigner sur la traduction, pourra-t-elle acquérir en lisant ces 128

223
pages une bonne vue d’ensemble de cette pratique multiséculaire ?
L’étudiant inscrit dans une école de traduction et d’interprétation qui se
destine à cette profession qu’exercent de nos jours des dizaines de
milliers de traducteurs et traductrices dans le monde pourra-t-il puiser
dans ces pages des renseignements utiles sur son futur métier ?
Autrement dit, ce numéro fait-il véritablement le tour de la question,
est-il un autre de ces petits livres qui "collent à l’actualitéiii" et brossent
un panorama plus ou moins complet d’un sujet ? Malheureusement,
force est de reconnaître que ce n’est pas le cas. De manière générale, on
peut dire que l’auteur ne semble pas avoir une vision très précise de
l’importance de la traduction dans l’histoire intellectuelle, comme
phénomène culturel et comme profession. Dans plusieurs chapitres,
l’information est lacunaire. On note aussi des répétitions et des
digressions qui viennent « brouiller » les développements. L’auteur a
du mal à se défaire d’une vision toute linguistique de la traduction :
« La traduction est d’abord une opération linguistique » (p. 121). En
fait, c’est l’article de Roman Jakobson, « Aspects linguistiques de la
traduction » (1959) qui semble avoir le plus inspiré M. Oustinoff, car il
le cite abondamment dans tous ses chapitres. On en vient même à se
demander si l’auteur n’y voit pas le texte fondateur de la traductologie
moderne...

Le premier chapitre s’ouvre, comme cela était prévisible, sur le


récit de la Tour de Babel (Genèse XI, 9). On se demande ensuite où
l’auteur veut en venir. Après une brève mention de la Septante et de la
pierre de Rosette, est évoquée l’hypothèse de Sapir-Whorf à laquelle
succède un chapelet de citations ou de références à Martinet, Green,
Mounin, Derrida, de Saussure, Humboldt, Mallarmé, Jakobson, Vinay
et Darbelnet, Barthes, Hagège, Henriette Walter, Freud, Kandinsky et
d’autres encore. Tout cela dans une quinzaine de pages qui se terminent
par une critique très sommaire des « unités de traduction » que l’auteur
propose de remplacer par des « unités différentielles ». Rien de très
convaincant pour une tentative qui vise à présenter la diversité des
langues, leurs visions du monde et les opérations fondamentales du
langage. Cette entrée en matière n’est pas très réussie.

L’histoire de la traduction fait l’objet du chapitre II. Au lieu de


suivre la voie chronologique, l’auteur opte pour une présentation
« thématique ». Il subdivise son chapitre ainsi : 1. L’esprit et la lettre; 2.
Les belles infidèles; 3. L’époque contemporaine. Contrairement aux
deux premières, la troisième subdivision peut difficilement être
considérée comme un « thème ». À la lecture, on se rend compte de fait

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que les trois parties suivent plus ou moins l’ordre chronologique et
nous mènent de Cicéron au XXe siècle. L’auteur a largement puisé,
semble-t-il, dans l’ouvrage de Michel Ballard, De Cicéron à Benjamin
(1992). On aurait aimé que Les Traducteurs dans l’histoire (1995),
construit sur neuf thèmes, soit au moins cité en référence, tout comme
plusieurs autres ouvrages récents en histoire de la traduction. De ce
point de vue, c’est l’indigence totale. Ce n’est pourtant pas la matière
qui manque : mon cd-rom sur l’Histoire de la traduction recense plus
de 2700 titres sur le sujet.

Pour le thème « Les belles infidèles », l’auteur passe en


Angleterre. Il évoque les noms de Florio, traducteur de Montaigne, de
North, traducteur de Plutarque, de Tyndale, le traducteur-martyr de la
Bible – tous des incontournables –, mais aussi ceux d’Érasme et de
Luther (qui n’ont rien d’Anglais), puis il revient en France pour dire
quelques mots de Perrot d’Ablancourt, Madame Dacier et Leconte de
Lisle (XIXe s.). Enfin, le « thème » « L’époque contemporaine »
s’ouvre, étrangement, par les trois formes de traduction que définit
John Dryden (XVIIe s.). S’enchaînent ensuite des citations de
Montesquieu (XVIIIe s.), Chateaubriand (XIXe s.), Robert Larose,
Steiner, Berman et Goethe. L’auteur donne de toute évidence un sens
très large au « thème » « époque contemporaine ». Les extraits de
Chateaubriand, tous de seconde main, – ce ne sont pas les seuls – sont
tirés de Après Babel de George Steiner. En lisant ce chapitre à la
structure boiteuse, le lecteur aura du mal à cerner les grands « thèmes »
qui ont scandé l’histoire de la traduction au cours des siècles. Ce
chapitre reproduit en fait quelques citations parmi les plus connues sur
la traduction, citations d’ailleurs mal contextualisées et mal intégrées à
une démonstration dont on aimerait saisir plus clairement le fil
conducteur. On ne retient par conséquent de toutes ces citations que
leur aspect anecdotique. À quand un « Que sais-je ? » sur L’Histoire de
la traduction ?

Pour le chapitre III – « Théories de la traduction », l’auteur


choisit encore une fois une « présentation thématique » pour éviter
d’avoir à décrire chaque théorie individuellement. Ses quatre thèmes
sont les suivants : 1. Sourciers et ciblistes, 2. Linguistique et traduction,
3. Poétique de la traduction et 4. Critique des traductions. De prime
abord, ces thèmes paraissent plus cohérents que ceux du chapitre
précédent. Compte tenu de l’approche linguistique privilégiée par
l’auteur, on ne s’étonne pas de voir cités Catford (qui n’a pourtant rien
de significatif à dire sur la traduction), Nida, Mounin, Malblanc, Vinay

225
et Darbelnet (qui reviendront au chapitre suivant) et, évidemment,
Jakobson, qui est partout. On s’étonne, par contre, de lire que Après
Babel de George Steiner est un « ouvrage fondamental sur la
traduction » (p. 62) – on a fait beaucoup mieux – et que l’Association
canadienne de traductologie est rattachée à l’Université d’Ottawa. Cette
Association est tout à fait autonome et n’est rattachée à aucune
universitéiv. Les pages sur la « poétique de la traduction » (p. 56-61),
celle d’Henri Meschonnic, nous présentent une conception cohérente de
la traduction. Mais, bizarrement, ce chapitre se termine en Chine, sans
raison apparente.

Je ne crois pas que l’on puisse acquérir une idée claire des
grands enjeux ou des principales conceptions théoriques
contemporaines en traduction en lisant la quinzaine de pages
consacrées à ce sujet. Il n’est pas facile, encore une fois, de dégager un
fil conducteur dans la présentation de l’auteur dont le style est très
décousu. Les trois pages signées par Mona Baker dans l’Encyclopedia
of Translation (Routledge, 1998) nous renseignent davantage sur le
vaste champ couvert par la traductologie : « Translation studies is now
understood to refer to the academic discipline concerned with the study
of translation at large, including literary and non-literary translation,
various forms of oral interpreting, as well as dubbing and subtitling.
[...] ‘Translation studies’ is also understood to cover the whole
spectrum of research and pedagogical activities, from developing
theoretical frameworks to conducting individual case studies to
engaging in practical matters such as training translators and
developing criteria for translation assessment » (p. 277). Dans un
chapitre consacré aux « théories de la traduction », on se serait attendu
à voir présentées, sommairement cela va de soi, ou tout au moins
énumérées les principales approches théoriques modernes, en plus des
approches linguistique et poétique. Mais pas un mot sur la théorie du
skopos, rien ou si peu sur la théorie du polysystème, rien sur
l’introspection à haute voix (aussi connue sous le nom de protocoles de
verbalisation ou think-aloud protocols), rien sur la conception féministe
de la traduction, rien sur le postcolonialisme, rien sur l’apport de la
traduction aux études interculturelles, etc. L’ouvrage de Susan
Bassnett, Translation Studies, est sans aucun doute une référence
intéressante, mais pourquoi ne pas avoir cité la 3e édition, qui date de
2002, au lieu de la première, vieille de 25 ans (1980) ? De Lawrence
Venuti, l’auteur ne semble connaître que The Translator’s Invisibility,
alors que son Translation Studies Reader (2000) se révèle très utile
pour acquérir un bon aperçu des approches théoriques en traductologie.

226
Combien d’autres ouvrages relativement récents auraient pu (auraient
dû) être mentionnés pour donner un portrait actuel et fidèle des
recherches théoriques diversifiées qui se font en traductologie.

Le chapitre IV porte sur « Les opérations de la traduction ».


Dans ce chapitre Vinay et Darbelnet (1958) reviennent en force : une
douzaine de pages (p. 71-82) sont consacrées à leurs désormais célèbres
catégories, plus précisément à la modulation et à la transposition,
appelées aussi « recatégorisation » (p. 75-76), comme l’auteur le
précise avec à propos. Des exemples de découpage en « unités de
traduction » nous sont donnés. On ne voit pas trop l’intérêt de citer des
pages entières d’exemples du genre « She should sit and read » =
« Elle s’asseyait pour lire » (p. 77) qui illustrent le passage d’une
coordination à une subordination. Ces exemples ne sont pas faux et ont
certainement leur place dans un manuel d’initiation à la traduction ou
un traité de stylistique comparée mais ici, ils ne mènent nulle part.
L’auteur écrit : « La Stylistique comparée de J.-P. Vinay et J. Darbelnet
doit beaucoup au fait que les auteurs, éminents linguistes canadiens,
viennent d’un pays bilingue [...] » (p. 81). Cette affirmation n’est pas
fausse, mais il faut préciser que ces deux auteurs sont d’origine
française et qu’ayant émigré au Canada à la fin des années 1940, ils ont
été frappés par certaines particularités du français canadien, sur les
panneaux routiers, entre autres. Ce sont ces écarts par rapport au
« français de France », qui, de leur aveu même, ont déclenché leur
intérêt pour la stylistique comparée et sont à l’origine de leur célèbre
ouvrage.

Dans le chapitre V, « Traduction et interprétation », l’auteur


aborde la traduction orale et reprend quelques concepts chers à Danica
Seleskovitch et Marianne Lederer de l’ESIT : « empan mnésique »,
« unités de sens », « sens », « déverbalisation ». La traduction littéraire
serait soumise à la « logique du signifiant » (Jakobson, toujours), tandis
que l’interprétation serait soumise, elle, à une « logique du signifié ».
L’auteur fait bien la distinction entre les exigences de la traduction
écrite et celles de l’interprétation professionnelle qu’il qualifie à deux
reprises d’« interprétariat », désignation que Danica Seleskovitch
abhorrait, car évoquant trop le mot « secrétariat ». Étrangement, il n’est
pas fait mention des « compléments cognitifs », autre notion-clé
indispensable pour expliquer le passage des mots au sens. Ces quelques
pages consacrées à l’interprétation simultanée (p. 89-101) ne font
aucune mention des autres formes d’interprétation, à l’exception de la
consécutive (p. 100) ; il n’y a rien sur l’interprétation gestuelle, rien sur

227
la chuchotée, rien sur l’interprétation judiciaire, rien non plus sur les
principaux jalons de l’histoire de l’interprétation (Traité de Paris,
Nuremberg, ONU). L’auteur semble encore se documenter à une seule
source, l’ouvrage de D. Seleskovitch et M. Lederer, Pédagogie
raisonnée de l’interprétation (cette fois il cite la dernière édition, celle
de 2002, la première datant de 1989). Il me fait l’honneur de reproduire
un schéma qui figure à la page 39 de L’Analyse du discours comme
méthode de traduction (1980). Malheureusement, tel que reproduit à la
page 96 du « Que sais-je ? », le schéma perd son sens, car la flèche qui
va du concept à la reverbalisation ne pointe pas dans la bonne direction.
Une distraction du graphiste sans doute. En reproduisant ce schéma,
l’auteur a voulu montrer que « la traduction est avant tout une opération
"cognitive", au sens de Piaget » (p. 96). Mais a-t-il raison de croire que
« l’inconvénient de taille d’un tel système est qu’il ne s’applique pas à
la traduction littéraire et, plus généralement, à toute traduction où le
signifiant doit être pris en compte pour lui-même » (p. 96-97) ? S’il est
vrai qu’« un texte a le sens de ses formes autant que le sens de ses
mots » (H. Meschonnic), il n’en demeure pas moins que c’est par une
opération cognitive que le traducteur parvient à dégager le sens de ces
formes et la valeur « poétique » des signifiants. Comment pourrait-il en
être autrement ? Les mots, dont l’interprète peut s’affranchir une fois le
sens compris, sont, pour le traducteur d’une œuvre littéraire ou
poétique, une contrainte supplémentaire et ces mots ne sont jamais
« transcodables » dans le texte d’arrivée. La preuve en est que la poésie
est ce qu’il y a de moins traduisible par la machine à traduire, mais ce
qu’il y a de plus traduisible, contrairement à une idée reçue selon
laquelle la poésie serait intraduisible. C’est du moins l’avis de poètes et
écrivains traducteurs qui ont pratiqué ce genre de traduction et ont
réfléchi à la question, dont Étienne Barilier (écrivain suisse), Yves
Bonnefoy, Jorge Luis Borges, Henri Meschonnic et bien d’autres
encore.

Dans les trois pages et demie consacrées à « La traduction


automatique » est reproduit un extrait du Monde vieux de trente ans (10
mai 1974) traduit et publié dans The Guardian Weekly (18 mai 1974) et
sont énumérés certains traits caractéristiques du français par rapport à
l’anglais selon Guillemin-Flescher (Syntaxe comparée du français et de
l’anglais, 1981). Exemples : « L’anglais a tendance à respecter l’ordre
canonique (sujet + verbe + complément) et à n’intercaler aucun élément
entre ces constituants, alors que le français manifeste la tendance
inverse » (p. 103). « L’anglais a tendance à recourir à la coordination,
alors que le français a tendance à recourir à la subordination » (ibid.),

228
etc. Rien à voir avec la traduction automatique. Dans la suite du texte,
on n’en apprend guère plus sur ce mode de traduction : rien sur les
premiers essais de la fin des années 1940 (un renvoi à La Machine à
traduire de Delavenay aurait fait l’affaire), rien sur les enjeux
linguistiques (problèmes liés aux ambiguïtés), rien sur les systèmes
fonctionnels (MÉTÉO, de l’Université de Montréal), rien sur les
centres où il se fait actuellement des recherches sur la traduction
automatique, rien. Une seule référence, encore une fois, sur le sujet,
Anne-Marie Loffler-Laurian, La Traduction automatique, Lille, Presses
Universitaires du Septentrion (p. 104), sans mention de l’année de
publication [1996, 156 p.]. Très décevant.

Le dernier chapitre, enfin, « Les signes de la traduction », titre


qui ne signifie pas grand chose, nous ramène, comme il fallait s’y
attendre, à la troisième forme de traduction que distingue R. Jakobson :
la traduction « intersémiotique », c’est-à-dire « l’interprétation de
signes linguistiques au moyen de systèmes de signes non
linguistiques » (Jakobson). Dans ce chapitre hétéroclite et sans intérêt,
il est question du signifiant des mots une fois de plus (on est linguiste
ou on ne l’est pas !), de mondialisation ( ?) – l’auteur juge utile de
reprendre les trois types de mondialisation définis par D. Walton pour
conclure que « la traduction est inséparable de ces trois
mondialisations » (p. 111) –, d’interprétation et, contre toute attente, de
traduction automatique, sujet pourtant traité précédemment. Ce chapitre
ne tient pas ses promesses et sa pertinence reste à démontrer.

La bibliographie est à l’image de l’ensemble de l’ouvrage : très


lacunaire et pas toujours pertinente. Dans une bibliographie sommaire
censée présenter certaines des publications les plus importantes sur la
traduction et la traductologie, fallait-il inclure L’Écriture poétique
chinoise, de F. Cheng ? Palimpsestes. La littérature au second degré,
de G. Genette ? Halte à la mort des langues, de C. Hagège ? A
Textbook of Translation, de P. Newmark, un des manuels de traduction
les plus brouillons qui soient ? Écrits de linguistique générale, de F. de
Saussure ? Language, Thought and Reality, de Benjamin Lee Whorf?
Quatre revues de traduction seulement retiennent l’attention de
l’auteur : Meta, Palimpsestes, Translation and Literature et TTR.
Pourquoi avoir exclu Target et The Translator ou des publications
professionnelles telles que Babel, Circuit et Traduire ? Dans la liste des
« Associations de traducteurs et de traductologie », figurent l’ACT,
l’ATLAS, l’ATLF, la SFT, l’ATA et la FIT, mais pas l’OTTIAQ qui
est tout de même un Ordre professionnel (le seul du genre à ma

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connaissance) regroupant près de 3000 traducteurs, interprètes et
terminologues.

En somme, il faut reconnaître que La Traduction ne donne qu’un


aperçu très partiel et même partial de la traduction et de la
traductologie. En refermant cet ouvrage, un profane qui ignore tout du
domaine aura évidemment appris un certain nombre de choses sur la
traduction et son histoire, bien que le style incohérent de l’auteur puisse
l’agacer. Il glanera aussi au passage des observations qui pourront
alimenter sa réflexion : « Une langue que l’on n’arrive plus à traduire
est une langue morte, avant que la traduction ne la ressuscite » (p. 11),
« Il n’est pas de traduction "neutre" ou "transparente" au travers de
laquelle le texte original apparaîtrait idéalement comme dans un miroir,
à l’identique » (p. 19), « Écriture et traduction sont à mettre exactement
sur le même plan » (ibid.), « Aucun problème n’est aussi consubstantiel
aux lettres et à leur modeste mystère que celui que propose une
traduction » (Borges, p. 56), « Traduire, c’est à la fois habiter dans la
langue de l’étranger et donner hospitalité à cet étranger au cœur de sa
propre langue » (Paul Ricoeur, p. 118).

En revanche, les spécialistes, les étudiants des écoles de


traduction ou toute personne qui connaît un tant soit peu le domaine ne
manqueront pas de constater les trous béants de ce panorama. Il n’y a
rien dans ce « Que sais-je ? » sur l’organisation professionnelle des
traducteurs (la traduction, est-il besoin de le rappeler, est d’abord et
avant tout une profession que pratiquent des dizaines de milliers de
personnes dans le monde), rien sur la reconnaissance professionnelle
acquise de haute lutte par les traducteurs de certains pays, rien ou
presque sur le marché de la traduction, rien sur les écoles de formation
qui se sont multipliées depuis 50 ans, rien sur la pédagogie de la
traduction et de l’interprétation, rien sur toute la problématique de
l’évaluation des traductions, rien sur l’historiographie de la discipline
(il n’est même pas fait mention de l’Index Translationum ni de la
Collection UNESCO d'œuvres représentatives), rien sur l’importante
industrie du doublage et du sous-titrage, rien sur le poste de travail du
traducteur et ses nouveaux outils informatisés (mémoires de traduction,
concordanciers, bitextes, etc.), rien sur la localisation, rien de
significatif sur la traduction automatique, rien sur les disciplines
connexes à la traduction telles que la terminologie et la terminographie,
rien sur les grandes banques de terminologie telles que Termium ou
Eurodicautom. L’auteur présente une vision étriquée, incomplète et
réductrice de la traduction. Il a écrit un ouvrage sur la traduction

230
comme on l’aurait fait dans les années 1970, époque où la traductologie
se cherchait encore. Pourtant, chaque numéro de la collection « Que
sais-je ? » est censé présenter de manière actualisée, claire, succincte
voire didactique les multiples facettes d’un sujet. Le slogan de la
collection ne promettait-il pas en 1989 : « Tout ce que vous ne savez
pas et que vous avez besoin de savoir vite est dans "Que sais-je ?" » ?
Je dois dire que le no 3688 ne réussira pas à satisfaire « les envies du
savoirv » de ceux qui liront cet ouvrage. Dommage. Il y avait tant à
dire...

Jean Delisle
École de traduction et d’interprétation
Université d’Ottawa

Notes
i Slogan de la collection en 1987.
ii Slogan de la collection en 1951.
iii Slogan de la collection en 1980.
iv Il est vrai, en revanche, que le site Web de cette Association est
hébergé sur le serveur de l’Université d’Ottawa et que trois professeurs
de l’École de traduction et d’interprétation de cette université ont été
présidents de l’Association.
v Slogan de la collection en 2001.

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