Louis Althusser 2003 - Montesquieu, La Politique Et L'histoire
Louis Althusser 2003 - Montesquieu, La Politique Et L'histoire
Louis Althusser 2003 - Montesquieu, La Politique Et L'histoire
Montesquieu
La politique et l'histoire
QUADRIGE / PUF
« Transporter dans des siè-
cles reculés toutes les idées du
siècle où l'on vit, c'est des
sources de l'erreur celle qui
est la plus féconde. A ces gens
qui veulent rendre modernes
tous les siècles anciens je dirai
ce que les prêtres d'Egypte
dirent à Solon : O Athéniens,
vous n'êtes que des enfants ! »
Esprit des Lois, XXX, 14.
AVANT-PROPOS 7
CHAPITRE PREMIER. — Une révolution dans la
méthode II
- II. — Une nouvelle théorie de la loi 28
III. — La dialectique de l'histoire 43
- IV. — « Il y a trois gouvernements... » 65
V. — Le mythe de la séparation des
pouvoirs 98
VI. — Le parti pris de Montesquieu 109
CONCLUSION 123
BIBLIOGRAPHIE I24
Imprimé en France
Imprimerie des Presses Universitaires de France
73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme
Avril 1992 - NO 38 118
ABRÉVIATIONS
La dialectique de l'histoire
existants une idée qui ne vaut que pour des modèles purs et des
formes politiques parfaites ? N'est-ce pas retomber dans
une théorie des essences et dans le travers idéal qu'il
s'agit justement d'éviter ? Alors qu'on doit nécessaire-
ment, en historien, rendre compte d'une certaine répu-
blique, de certaine monarchie, forcément imparfaites, et
non d'une république et d'une monarchie pures ? Si la
totalité ne vaut que pour la pureté, quel usage faire de la
totalité dans l'histoire qui est l'impureté même ? Ou,
ce qui est la même aporie, comment jamais penser l'his-
toire dans une catégorie attachée par essence à de purs
modèles intemporels ? On voit ici revenir la difficulté
de la disparité de l'Esprit des Lois : comment unir le
début et la fin, la typologie pure et l'histoire ?
Je crois qu'il faut prendre garde de ne pas juger
Montesquieu sur une phrase, mais, comme il nous en
prévient, de prendre son oeuvre dans son ensemble, sans
séparer ce qu'il dit ici, de ce qu'il fait là. Il est très
remarquable en effet que ce théoricien des modèles purs
n'ait jamais (ou presque) donné dans son oeuvre que des
exemples impurs. Même dans l'histoire de Rome, qui
est vraiment pour lui le sujet d'expérience le plus parfait,
et comme un « corps pur » de l'expérimentation histo-
rique, la pureté idéale n'a qu'un moment, à l'origine ;
tout le reste des temps, Rome vit dans l'impureté politique.
Il serait bien incroyable qu'une pareille contradiction
ait laissé Montesquieu insensible. C'est sans doute qu'il
ne croyait pas contredire ses principes, mais qu'il leur
donnait un sens plus profond que celui qu'on leur
prête. Je crois en effet que la catégorie de totalité (et
l'unité nature principe qui en est le coeur) est bien une
catégorie universelle, qui ne concerne pas les seules
adéquations parfaites : république-vertu, monarchie-
LA DIALECTIQUE DE L'HISTOIRE 51
Il y a trois gouvernements... »
I. LA RÉPUBLIQUE
2. MONARCHIE
3. DESPOTISME
•
qui s'adresse cette fois non plus aux grands, mais aux
tyrans, ou par extension aux monarques modernes tentés
par le despotisme. Cette seconde leçon signifie en clair :
le despotisme est la voie sûre qui conduit aux révolutions
populaires. Princes, gardez-vous du despotisme si vous
voulez sauver votre trône des violences du peuple !
Ces deux leçons rapprochées en font une troisième :
si le prince s'acharne sur les grands, les grands y perdront
leur condition ou leur vie. Mais, ce faisant, le prince aura
ouvert la voie au peuple, qui se tournera contre lui, que
rien alors ne protégera de ses coups : il y perdra la
couronne et la vie. Que le prince comprenne donc qu'il a
besoin du rempart des grands pour défendre contre le peuple
sa couronne et sa vie 1 Voilà le fondement d'une bonne
alliance, toute de raison, d'échange avantageux. Il n'est
que de reconnaître enfin la noblesse pour assurer son
trône.
Tel est le despotisme. Un régime existant, certes, mais
aussi et surtout une menace existante qui guette l'autre
L. ALTHUSSER 4
CHAPITRE V
Le mythe
de la séparation des pouvoirs