Les Limites de L'histoire: Thomas Charland
Les Limites de L'histoire: Thomas Charland
Les Limites de L'histoire: Thomas Charland
2022 13:29
Éditeur(s)
Institut d'histoire de l'Amérique française
ISSN
0035-2357 (imprimé)
1492-1383 (numérique)
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porter des traces n'en portent pas du tout. Inutile de dire qu'elle doit
alors s'entourer de toutes les précautions possibles.
On serait porté à croire que l'abondance des documents facilite
nécessairement la tâche de l'historien. C'est une illusion, car il doit
se dégager des documents tout en s'astreignant à leur rester fidèle.
Il y a là un idéal difficile à atteindre et qui en fait reculer plus d'un.
N'en est-on pas venu, dans certains milieux, à penser que le mieux est
de s'effacer systématiquement devant les documents, de se contenter
d'en donner une transcription, sinon une simple photographie?
C'était méconnaître qu'ils ne sont pas l'histoire elle-même, bien qu'ils
en soient l'unique source.
1. C'est ce mot qui revient le plus souvent ^ous leur plume, notamment sous
celle d'Albert Sorel (« notre maître à tous », disait Louis Madelin). Voir encore
l'excellente Introduction à Vhistoire, que vient de publier Louis Halphen (1 vol.
in-16, 100 p . Paris 1946).
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celle des indulgences, Luther se jeta sur ces deux articles et cette
dispute devint bientôt la plus importante 2 . »
Cette déduction logique ne cadre malheureusement pas avec la
réalité mieux connue par les documents. Il ressort de ceux-ci que
Luther avait élaboré sa doctrine de la justification par la foi seule bien
avant, sous l'influence d'expériences personnelles intimes, qi^il l'avait
même formulée dans son commentaire sur l'épître de S. Paul aux
Romains, en 1515, sinon plus tôt encore, et que la querelle des indul-
gences a été tout au plus l'occasion de sa révolte.
Plus génétique, la conception moderne de l'histoire est aussi plus
sociale. L'historien d'autrefois se contentait de raconter des révo-
lutions politiques, des batailles, des cataclysmes. L'extraordinaire
seul le frappait. Et il ramenait à peu près tout à l'action des grands
hommes. Sans exclure ces derniers, l'historien d'aujourd'hui fait plus
grande la part de la masse, de ses besoins, de ses aspirations, dans
l'explication des mouvements de l'humanité. Il fait entrer en ligne de
compte des facteurs de tout ordre: économiques, intellectuels, artis-
tiques, religieux et moraux, aussi bien que politiques et militaires,
qui modifient les états de la société et dont l'influence pèse à des
degrés divers sur la marche des événements. Il ne s'intéresse pas seu-
lement aux faits uniques, collectifs ou individuels; il s'arrête aussi aux
faits généralisés, comme les habitudes de vie et de pensée des peu-
ples, pour en montrer les origines, les modifications et la répercus-
sion sur le cours des événements. Ces deux sortes de faits se com-
pénètrent et se conditionnent, dans la vie d'autrefois comme dans
celle d'aujourd'hui, quoique à un degré moindre peut-être. Il faut
faire appel aux uns et aux autres pour avoir une vue plus juste et
donner une image plus exacte du passé. Que de faits ne s'expliquent
que par les mœurs et la mentalité du milieu et de l'époque où ils se sont
produits ! Mais, même sur ce terrain élargi, c'est encore l'idée d'évo-
lution qui domine, c'est toujours l'enchaînement des faits qu'il s'agit
de faire ressortir. A ce compte seulement l'histoire remplit le rôle
qui lui a valu tant d'éloges: elle éclaire la marche de l'humanité en
projetant sa lumière sur les expériences du passé.
2. Histoire des variations liv. I, n. VI, (Oeuvres complètes, éd. Lâchât, Paris,
Vives, 1863, XIV, 23-24).
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