Filiere Lait Burkina

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La révolution blanche est-elle

possible au Burkina Faso,


et plus largement en Afrique de l‘Ouest ?

Analyse du secteur laitier et des conséquences


des importations de lait sur la production locale

Etude des incidences sur la sécurité alimentaire


et la pauvreté au Burkina Faso

Étude commandée par MISEREOR


Auteur : Maurice Oudet
Juillet 2005
la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Éditée par :

MISEREOR
Œuvre de l’Eglise catholique d’Allemagne
pour la Coopération au Développement

Mozartstr. 9
D – 52064 Aachen
Allemagne

Tél : (49) 241/442-0


Fax : (49) 241/442 – 505
E-Mail : [email protected]
Web : www.misereor.org

© 2005, MISEREOR. Tous droits réservés.

Auteur :
Père Maurice Oudet, Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), né en 1944,
vit au Burkina Faso depuis 40 ans, directeur du SEDELAN (Service d'Édition en Langues Nationales)
B.P. 332 – Koudougou
Burkina Faso
Tél. : (226) 50/ 44 03 56
E-Mail : [email protected]
Web : www.abcburkina.net

Photo sur la couverture :


Femme peule, « éleveuse » traditionnelle, quartier Hamdalaye de Ouagadougou, Burkina Faso. Photographe : Maurice Oudet

Ceci est la version préliminaire de l’étude. Une version définitive est en préparation, également en allemand.

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Table des matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

1. Quelques données sur le secteur de l'élevage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

2. Analyse de la production de lait au Burkina Faso . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8


2.1 La production laitière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
2.2 La consommation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.3 La transformation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.4 Le potentiel de la production laitière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

3. Analyse des importations de lait et de produits laitiers au Burkina Faso . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12


3.1 La nature des importations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
3.2 La quantité de lait et de produits laitiers importés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
3.3 Origine des importations, quantité et pourcentage des importations
en provenance de l'Union Européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
3.4 Conditions d'importation (le TEC) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3.5 Prix du lait et des produits laitiers entrant sur le marché burkinabè . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

4. Les conséquences des importations de lait et de produits laitiers


sur la production locale et leurs incidences sur la sécurité alimentaire
et la pauvreté au Burkina Faso . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
4.1 La différence de prix entre le lait et les produits laitiers importés
et ceux produits localement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
4.2 Les conséquences de ces différents prix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

5. La révolution blanche en Inde. Un exemple à suivre?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

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Introduction

idée de cette étude est venue d’un constat et laitiers ? Comment se fait-il que les habitants de
L’ de quelques interrogations. Ouagadougou et des autres villes consomment
presque uniquement du lait importé ? Cela est-il
Un constat : « L’économie burkinabè repose es- dû essentiellement à la capacité productive des
sentiellement sur l’agriculture et l’élevage qui re- éleveurs? Ou bien la responsabilité incombe-t-
présente environ 40 % du Produit Intérieur Brut elle au dumping pratiqué sur le marché mondial,
(PIB), 86,6 % des exportations du pays et emplo- en particulier par les Européens ?
ient plus de 85 % de la population.1 » Les éle- Les analyses qui suivent ont pour but de nous
veurs (les familles qui vivent presque uniquement donner quelques éléments de réponse. Avec l’es-
de l’élevage) représentent plus de 10 % de la po- poir de pouvoir répondre à cette dernière question :
pulation. la révolution blanche (allusion à l’expansion gé-
nérale de la filière lait en Inde depuis les années
Quelques interrogations : Comment se fait-il, 70, connue comme « révolution blanche ») est-
dans ces conditions, que le Burkina Faso importe elle possible au Burkina Faso (et plus largement
des quantités importantes de lait et de produits en Afrique de l’Ouest) et à quelles conditions ?

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1. Quelques données sur le secteur de l’élevage

a filière lait, bien entendu, fait partie du sec- Dans la zone de Ouaga 2000 (quartier huppé et
L teur de l’élevage. Or tout le Sahel est une
zone traditionnelle d’élevage. Si, certaines an-
futuriste), des éleveurs ont été expropriés de ter-
res affectées à d’autres usages (habitation, com-
nées, la faiblesse des pluies a un impact négatif merce, administrations). A Dassasgho (quartier
sur les pâturages, il faut savoir que le Sahel reste situé à l’est de Ouagadougou), l’Etat avait délimi-
favorable à l’élevage, le bétail y subissant moins té une zone d’élevage dans les années 70. Mais
l’assaut des maladies parasitaires. A noter égale- avec la poussée démographique et l’urbanisation
ment que la mouche tsé-tsé a été éradiquée au croissante, la zone s’est retrouvée en pleine ville.
cours des années 70. Depuis des siècles, les éle- Les éleveurs ont dû purement et simplement éva-
veurs du Sahel écoulent une partie de leurs bêtes cuer leurs animaux.
vers les pays côtiers, le climat tropical humide y A présent, les éleveurs de la zone de Ouaga-
étant moins favorable à l’élevage. dougou s’installent à Zagtouli, à Loumbila, à
Il est important de noter également une premi- Yagma, à Gampéla, quartiers situés successive-
ère distinction entre les éleveurs traditionnels et ment à l’ouest, à l’est, au nord et au nord-est de
les éleveurs que l’on pourrait qualifier de moder- Ouagadougou dans un rayon d’environ 20 km.
nes. L’élevage traditionnel est pour l’essentiel aux Mais l’urbanisation ne tardera pas à les rejoindre.
mains des Peuls. Ils vivent uniquement des fruits En 2003, selon les résultats de l’Enquête Na-
de leur élevage. Ils pratiquent un élevage exten- tionale sur les Effectifs du Cheptel (ENEC II), le
sif. Ils pratiquent, le plus souvent, une certaine cheptel du Burkina était estimé à « 7.311.544 de
transhumance. Leurs troupeaux sont de petite taille bovins, 6.702.640 d’ovins et 10.035.687 de ca-
(5 à 20 têtes). C’est pourquoi certains d’entre eux prins » La plus grande partie des productions na-
se constituent en groupements pour mieux agir. Ils tionales est à porter au crédit des “petits exploi-
recourent quelques fois à la complémentation ali- tants” pratiquant un système d’élevage extensif.
mentaire et ils élèvent surtout des espèces locales Ces systèmes génèrent en effet près de 90 % de la
dont les capacités de production laitière sont fai- production totale de viande (hors gibier) et 95 %
bles. « 70 % du cheptel national répondrait à ce de la production de lait.
système traditionnel » 2. La production laitière D’une façon générale, il existe pour chaque
d’un éleveur traditionnel oscille entre 3 et 10 litres produit animal deux types de filières : une filière
par jour. Ces éleveurs traditionnels ne sont pas pro- “directe”, c’est-à-dire sans ou avec peu d’inter-
priétaires des terres où ils conduisent leurs troupe- médiaires, et une filière plus structurée et dite
aux. Or, en 40 ans (de 1965 à 2005), la popula- “longue”... Les filières directes traitent quant à
tion du Burkina est passée de 4 millions à 13,6 elles la majeure partie de l’approvisionnement de
millions. Si rien n’est fait, “ils risquent de dispa- proximité, de l’autoconsommation, du ravitaille-
raître avec les conditions de plus en plus difficiles ment direct des centres urbains... Ces filières di-
d’accès aux ressources pastorales et aux terres de rectes échappent le plus souvent aux contrôles
culture” (PAPISE 3 p. 20). Une autre façon de décrire tant d’un point de vue sanitaire, que statistique
cette situation, c’est de dire que l’espace se rétré- et fiscal.
cit. Ce qui explique, entre autres, la multiplication En terme de flux, les filières directes sont domi-
des conflits entre éleveurs et paysans d’une part, nantes en volume pour la viande (57,3 % des pro-
et des déguerpissements d’éleveurs d’autre part. ductions), et surtout pour les produits laitiers (92 %).

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Une autre distinction importante à faire est celle prix élevés. Il s’agit de produits réservés aux plus
entre les filières que l’on peut qualifier de “tradi- hauts revenus. Les filières traditionnelles assu-
tionnelles” et les filières que l’on considérera rent quant à elles le ravitaillement général de la
comme “modernes” car elles mettent en oeuvre population ; elles trouvent leur intérêt, pour les
des acteurs distincts. Cette distinction est à faire acteurs, davantage dans les volumes traités. La
au regard des produits finaux et / ou de leur con- demande traditionnelle est aussi beaucoup plus
ditionnement et de leur transformation : produits sensible aux prix.
traditionnels comme le lait cru ou la viande en La part des filières “modernes” est nettement
tas ; produits modernes comme le lait pasteurisé marginale en volumes... Les contraintes de pou-
en sachets ou la charcuterie. Cette distinction est voir d’achat, les coûts induits par la transforma-
indépendante du caractère direct ou long de la fi- tion ainsi que les habitudes alimentaires l’expli-
lière ou du système d’élevage. On trouve des pro- quent aisément (PAPISE p. 21-22). En fait, cette
duits “modernes” comme le lait pasteurisé. étude nous le montrera, c’est surtout, au moins
Les marchés sont différents pour ces deux pour le lait et les produits laitiers, la concurrence
types de produits. Les filières modernes se carac- des produits importés à bas prix qui freine le dé-
térisent par une forte valeur ajoutée et par des veloppement de ces filières.

2 OUEDRAOGO Hamidou Benoît, Actualisation de la connaissance de la filière lait, Mars 1997, p. 9


3 PAPISE : p.21-22

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2. Analyse de la production de lait au Burkina

2.1 La production laitière plement reçu l’assurance que s’ils étaient capa-
bles de fournir du lait toute l’année, le centre
Le lait produit au Burkina est estimé à 180 mil- viendrait chaque jour leur acheter leur produc-
lions de litres selon l’étude IEPC (Initiative, Ele- tion. Les connaissances des Peuls (nourriture,
vage, Pauvreté et Croissance (étude réalisée entre santé) dans la conduite d’un élevage sont bien
avril 2002 et janvier 2004) contre 130 millions de évidemment remarquables, même si des forma-
litres pour le PAPISE (Plan d’Action et Programme tions complémentaires pour intensifier la produc-
d’Investissements du Secteur Elevage de l’an tion seront très utiles si on veut développer la fili-
2000). Beaucoup de nos chiffres proviennent du ère lait.
PAPISE. Pour plus de cohérence, nous travaille- La filière dite moderne (le plus souvent dans la
rons avec l’hypothèse de 130 millions de litres. périphérie des villes) est aux mains d’opérateurs
Cette production ne correspond pas à “une de- économiques, souvent spécialistes en matière
mande” de consommation. Elle correspond da- d’élevage. On en rencontre effectivement qui sont
vantage à la capacité du cheptel. Nous le verrons des zootechniciens, des vétérinaires ou des agro-
plus loin, les 4/5 de la production ne sont pas nomes. Les non-spécialistes quant à eux bénéfi-
commercialisés mais autoconsommés. Comme cient de stages et de formation dans des pays dé-
nous l’avons vu, l’essentiel de cette production veloppés comme la France et le Canada. C’est
provient de la filière traditionnelle (à 95 %). C’est ainsi qu’on voit apparaître des élevages dits mo-
donc cette filière qui détermine pour l’essentiel dernes (avec de nouvelles races ou des métis)
les moyennes nationales. La productivité de cette avec des vaches qui donnent jusqu’à 18 litres de
filière est très faible. Le plus souvent la vache est lait par jour. Cela s’explique par une alimentation
traite ”après le veau“. Le rendement est alors de plus riche de leurs troupeaux à travers l’utilisa-
3 litres (dans le meilleur des cas) à un quart de tion de compléments alimentaires (son de céréa-
litre en fin de saison sèche. Sur une année, la pro- les, foins, tourteaux de coton, ensilage, etc.).
ductivité est estimée à 110 kg / an / vache (à Leurs troupeaux connaissent également un suivi
comparer aux 6 000 kg / vache / an en Europe). sanitaire régulier. Pour améliorer leurs produc-
Rendements désespérants pour certains, rende- tions, des éleveurs modernes procèdent au croi-
ments qui laissent espérer de forts gains de pro- sement des espèces. Certains ont importé de
ductivité pour d’autres ! pays africains des zébus maures et des zébus
Ces faibles rendements de la part des éleveurs Azawak du Niger, des Gudali, espèces présentes
traditionnels ne doivent pas faire illusion. Cela ne au Nigeria jusqu’à la région de l’Adamaoua au Ca-
veut pas dire qu’ils n’ont pas les capacités de dé- meroun, des Holsten du Canada… D’autres éle-
velopper cette production. S’il est vrai qu’en mars veurs recourent à la technique de l’insémination
ou avril vous ne trouvez pas de lait à acheter dans artificielle.
la plupart des quartiers peuls du Burkina, il est En terme de production, la ferme d’un éleveur
vrai également que les Peuls de Massala (près de moderne peut produire de 100 à 200 litres de lait
Dédougou) fournissent chaque jour – même en par jour. Malgré ces rendements, comme nous
mars ou avril – plus de cent litres de lait au centre l’avons noté plus haut, au niveau national la pro-
de formation de Moundasso. Pourtant, ils n’ont duction laitière provient à 95 % des éleveurs tra-
reçu aucune formation particulière. Ils ont sim- ditionnels, beaucoup plus nombreux.

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2.2 La consommation Les yaourts sont très appréciés par l’ensemble de


la population. Une bonne organisation (et un mi-
Le document PAPISE, déjà cité, analyse la con- nimum de protection) devraient favoriser une cro-
sommation de lait au Burkina Faso. D’emblée, il issance importante de leur consommation.
nous invite à distinguer la consommation urbaine Par contre, la demande en fromage reste enco-
de la consommation rurale. Il est mentionné, re « confidentielle ». La consommation de froma-
qu’en ville, un consommateur consomme environ ge ne faisant pas partie des habitudes alimentai-
22,6 litres de lait de vache par an, alors que dans res. Il s’agit là d’une production de substitution
le monde rural, cette moyenne tombe à 10,2 litres qui intéresse actuellement davantage le secteur
par an (lait produit localement et lait importé), moderne. Mais il est vrai cependant, qu’en ville,
auxquels il faut ajouter, pour le monde rural, 4,8 parmi les ménages aisés, la demande va crois-
litres de lait de chèvre. Mais que veulent dire ces sante.
chiffres quand le même document nous dit que La demande de consommation de beurre est
80 % du lait produit au Burkina est autoconsom- également très faible. La population étant habitu-
mé, c’est-à-dire consommé dans les familles où ée à consommer des graisses végétales, comme
ce lait est produit ? Il s’agit bien sûr, pour l’essen- celle du karité, appelé « beurre de karité ». A tel
tiel du lait produit par les éleveurs traditionnels. point que, même en ville, beaucoup ne savent
Cela signifie que sur les 130 millions de litres de pas distinguer la « margarine » (graisse végétale)
lait produits au Burkina, 26 millions seulement du beurre (provenant du lait). D’autant plus que
sont commercialisés. Quant aux 10,2 litres con- certaines marques, comme Rama, donnent à leur
sommés par an en milieu rural, il s’agit pour l’es- produit une présentation tout à fait semblable à
sentiel, de l’autoconsommation des éleveurs tra- la présentation traditionnelle du beurre.
ditionnels.
A noter également que de 1990 à 2001 la con- 2.3 La transformation
sommation moyenne a augmenté de 0,7 litre par an.
Il s’agit évidemment d’ordre de grandeur, car Avant de parler de la transformation proprement
nous sommes ici, pour l’essentiel, dans ce que dite, notons que les éleveurs traditionnels ven-
l’on appelle le secteur informel. Notons que ces dent surtout leur lait sous forme de lait caillé.
26 millions de litres de lait sont commercialisés, Dans le secteur moderne, il s’agit surtout de
pour la plus grande partie, entre juillet et novem- production de lait pasteurisé et de yaourts, parfo-
bre, cette période de l’année où le lait est abon- is de beurre et/ou de fromages. La plupart des
dant. Parfois, il s’agit de troc, où le lait (frais ou mini-laiteries de Ouagadougou se fournissent au-
caillé) est échangé contre du mil. Comme la popu- près de producteurs modernes. Pour des raisons
lation du Burkina Faso s’élève à plus de 13 mil- de facilité, parfois par manque de confiance dans
lions d’habitants dont un million d’éleveurs tradi- les éleveurs traditionnels, notamment quant à l’-
tionnels, cela veut dire que, les éleveurs mis à hygiène au cours de la récolte du lait. Certains de
part, un Burkinabè consomme en moyenne 2 li- ces producteurs assurent eux-mêmes la transfor-
tres de lait produit par les éleveurs du Burkina mation de leur propre production.
Faso (il s’agit d’un ordre de grandeur). A cela il
faut ajouter environ 2 litres de lait importé, prin-
Les mini-laiteries
cipalement sous forme de lait en poudre. (A com- Il existe une cinquantaine de mini-laiteries au
parer aux 62 litres consommés par personne et Burkina Faso, dont une vingtaine autour de la ca-
par an en Allemagne.) C’est dire que tout reste à pitale Ouagadougou. Les autres sont réparties à
faire ! Notons de plus, que ce « lait » est consom- travers l’ensemble du pays, même si certaines vil-
mé principalement sous forme de lait caillé ou de les importantes, comme Koudougou, n’en possè-
yaourt. dent pas. Toutes sont orientées vers les consom-

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mateurs urbains. Elles se caractérisent par des Autre caractéristique : certaines laiteries transfor-
capacités de production journalière très faibles, ment du lait produit localement, mais aussi du
souvent de l’ordre de 20 à 30 litres. Cinq ou six lait en poudre importé et “reconstitué”. Cela s’ex-
seulement ont une capacité de transformation de plique facilement : comme nous le verrons plus
plus de cent litres. Elles se ravitaillent le plus bas, le lait importé reconstitué coûte moins cher
souvent auprès de fermes modernes. Les éle- que le lait frais produit localement. De plus, le
veurs traditionnels, aujourd’hui, ne profitent lait importé permet de compenser la baisse de
guère du développement, et surtout de la multi- production des vaches de race locale durant la
plication de ces mini-laiteries. Toutes ensemble, saison sèche. (Nous verrons plus bas que les éle-
elles ne récoltent pas, et donc ne transforment veurs traditionnels sont capables, et prêts à four-
pas un million de litres par an (moins de 0,5 % de nir du lait, même pendant la période sèche, mais
la production laitière du pays). pas au même prix. Autrement dit, dans les condi-
tions actuelles de production et d’importation, le
lait produit localement n’est pas concurrentiel
Une illustration des avec la poudre de lait importée).

difficultés rencontrées par La production de yaourts, de fromages


et autres produits comprenant du lait
la transformation du lait
La plupart des yaourts “burkinabè” commerciali-
Il y a déjà de cela quelques années, les mo- sés au Burkina Faso sont fabriqués à partir de lait
ines de Koubri, à 25 km de Ouagadougou, en poudre importé puis reconstitué. Le prix de re-
ayant réussi à développer une ferme avec vient de ce lait reconstitué est de l’ordre de 200 F
des vaches laitières (fruits du croisement le litre, alors que le lait frais produit localement
entre des vaches locales et des taureaux et livré à la laiterie coûte le plus souvent de 300 à
importés d’Europe) donnant de 15 à 18 li- 325 F CFA. Là où la laiterie assure elle-même la
tres de lait par jour, ont voulu se lancer collecte du lait, le prix payé à la ferme varie de
dans la production de yaourts. C’est ainsi 200 F à 250 F suivant la période et la localité. De
que nous avons pu apprécier, pendant plus, l’approvisionnement en lait en poudre est
quelques mois, d’excellents yaourts fabri- plus facile à maîtriser que le lait produit locale-
qués par les moines bénédictins de Koubri ment dont la production subit des variations sai-
et produits à partir de lait frais. Au bout de sonnières.
quelques mois, ils ont dû arrêter : ils per- Aujourd’hui à Ouagadougou, on trouve une
daient de l’argent. bonne vingtaine de marques de yaourts fabriqués
Peu de temps après, les Bénédictines, par les mini-laiteries de la place. La plupart sont
leurs voisines, se sont dit que l’idée était faits entièrement à partir de lait en poudre impor-
pourtant intéressante. Elles se sont lan- té, d’autres de lait frais burkinabè, d’autres enfin
cées à leur tour dans la production de d’un mélange de lait reconstitué et de lait local.
yaourts, mais fabriqués, cette fois, à partir C’est ce que fait, entre autres, la Laiterie Moder-
de lait en poudre importé. Ces yaourts n’a- ne qui utilise 1/4 de litre de lait local, pour 3/4
vaient pas la qualité de leurs prédéces- de lait importé. Quelle que soit la provenance du
seurs, mais ils pouvaient être vendus lait, ils sont vendus sensiblement au même prix.
moins cher. Aujourd’hui, les Bénédictines On trouve encore très peu de beurre ou de fro-
continuent de fabriquer ces yaourts et à les mage burkinabè. Comme nous l’avons vu plus
vendre dans les boutiques d’alimentation haut, la consommation de beurre et de fromage
de Ouagadougou! ne fait pas encore partie des habitudes alimentai-
res. De plus, la majorité de la population n’a pas

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les revenus nécessaires pour consommer de tels L’objectif de promotion de cette filière (qui, bien
produits. que non-compétitive à cause des subventions à
La laiterie de Lumbila (à 15 km au nord-ouest l’origine dont bénéficient les produits laitiers im-
de Ouagadougou) est connue pour son fromage portés, reste rentable et stratégique pour le Bur-
de chèvre. Le centre de Moundasso pour sa kina Faso) est d’accroître la part de lait local
“tomme” ! Une bonne partie de cette tomme est dans la satisfaction des besoins nationaux à 65%
vendue sur Ouagadougou. La Laiterie Moderne (55 % actuellement).
de la Patte d’oie à Ouagadougou dont le promo- Dans une option de non-amélioration de la
teur a reçu une formation technique en Italie, fa- productivité, la production nationale en 2015
brique des fromages de type italien (Mozzarella, sera de 241 788 TEL. Un accroissement de la pro-
Caciotta, Ricotta). ductivité de 110 à 180 kg/an/vache devrait per-
Si Nestlé au Ghana produit du lait concentré li- mettre d’influencer positivement ce potentiel
quide (en boîte métallique) à partir de lait en (près de 400 000 TEL).
poudre importé, aucune multinationale ne s’est La formulation d’un plan d’actions est en cours.
installée au Burkina Faso. La transformation du
Les actions viseront à :
lait y est donc artisanale.
● améliorer la capacité des éleveurs en conduite

des élevages laitiers afin d’améliorer la producti-


2.4 Le potentiel de la production vité en lait et de réduire la mortalité des veaux ;
laitière ● trouver des alternatives à la crise spatio-tempo-

relle du lait afin d’améliorer la durée de lactation ;


Comme nous l’avons écrit plus haut, le lait produ-
(ndlr : sur ces deux derniers points, il existe, bien
it au Burkina est estimé à 180 millions de litres
sûr des solutions techniques – production intensive
par an pour un cheptel de plus de 7 millions de
de fourrage... L’essentiel sera d’obtenir la confian-
bovins ! (Enquête de 2003, alors que les données
ce des éleveurs traditionnels, et de trouver des mé-
ci-dessous correspondent à une autre enquête
thodes d’animation adéquates, alliant émissions
datant de l’an 2000 qui estimait le cheptel à 5
radiophoniques, alphabétisation fonctionnelle...).
millions de bovins environ, pour une production
● définir un schéma de valorisation basé sur une
de 130 millions de litres de lait.)
approche des bassins régionaux (Nigeria, Côte
Le Sahel, nous l’avons déjà mentionné, est une
d’Ivoire) ;
zone d’élevage car les conditions climatiques y
● identifier et adapter les technologies de trans-
sont favorables à la santé des animaux. Cepen-
formation à même d’apporter des solutions aux
dant, pour garantir un lait sain, il faudra renforcer
contraintes majeures qui minent la valorisation
la couverture sanitaire du cheptel. Il faudra élimi-
du lait local (assainissement, conservation, trans-
ner les animaux atteints de la tuberculose ou de
port etc.) ;
la brucellose.
● étudier la possibilité de tarification spéciale
Or, “de par son caractère stratégique, le lait
dans le cadre du TEC (Tarif Extérieur Commun de
constitue le produit à même de servir de levier à
l’UEMOA) afin de limiter l’effet des subventions
la transformation des systèmes de production
sur l’essor du lait local.
(bovins surtout) et (à l’augmentation du) niveau
de vie des populations pastorales. Les besoins L’importance stratégique de la filière lait nécessi-
nationaux à l’horizon 2015 (sans accroissement te que le plan d’actions travaille à l’émergence
de la consommation individuelle qui est de 17,4 d’une structure autonome de pilotage de la poli-
litres) seront de 261 000 TEL (tonne équivalent tique de développement laitier mais aussi à la dé-
lait). Ils devraient atteindre 277 000 TEL si cette finition d’un mécanisme de financement et de ta-
part s’accroît régulièrement (0,7 litre ente 1990 xation des produits importés.” (fin de citation du
et 2001). document PAPISE p. 47).

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

3. Analyse des importations de lait


et de produits laitiers au Burkina Faso

3.1 La nature des importations qu’il a subi une transformation au Ghana. Nous y
reviendrons.
Les produits laitiers importés au Burkina Faso Pour les produits en provenance d’Europe, il
sont la poudre de lait, le lait concentré sucré ou est clair que le pays d’origine indiqué dans notre
non sucré, le yaourt nature, le yaourt additionné étude est le pays qui commercialise le lait (parfo-
de fruits, le beurre et toutes sortes de variétés de is le transforme) mais rien ne prouve que les va-
fromages. Ce faisant, le marché burkinabè est in- ches qui ont produit ce lait proviennent d’un seul
ondé de produits laitiers venus de l’extérieur. pays et que ce soit le pays indiqué.
Parmi les grands importateurs, on trouve des Nous reviendrons sur ces questions, plus en
spécialistes de l’alimentation générale, comme le détails, dans le chapitre 3.5 : Essai d’inventaire
groupe SCIMAS et Marina Market (opérateurs lo- des produits importés.
caux), mais aussi quelques entreprises spéciali-
sées comme Cowbell ou Sodilait. 3.2 La quantité de lait et
Les marques importées sont très variées, mais de produits laitiers importés
certaines dominent le marché.
Dès son indépendance, le Burkina s’est révélé
Au titre de la poudre de lait, les produits couram- être un grand importateur de lait. Les importa-
ment rencontrés sur le marché sont Nido, Vivalait, tions ont connu une croissance exponentielle
Cowbell, Belle France, France lait, Régilait. avec les famines des années 70. A l’époque, l’im-
portation de la poudre de lait fut conseillée pour
Comme crème de lait concentré sucré ou non
vaincre l’insécurité alimentaire et du même coup
sucré, il y a Bonnet rouge, Bonnet bleu, Nestlé,
pour enrichir l’alimentation des populations ur-
Russo, Belmona, Président, Jago, Bonita, Suisse
baines et rurales. Le pays consacrait des sommes
Milk.
très importantes à importer le lait… oubliant ses
Les marques de yaourts importés sont principale- potentialités à produire et à valoriser le lait local.
ment Yoplait, Danone et Flory. A titre d’exemple les importations de lait de la
Haute-Volta (ancien nom du Burkina) s’élevaient
Pour le beurre, on trouve surtout le Président et
« à 1.792.854 tonnes en 1972 ; à 1.957.153 ton-
Bridel.
nes en 1973 ; à 1.470.479 tonnes en 1974 » 1. Les
Pour chacune de ces marques il faudrait faire une importations massives ont continué jusqu’en
étude pour s’assurer de l’origine, de son proprié- 1994, année de la dévaluation du franc CFA.
taire. Pour certaines, c’est facile. Ainsi sur les boî- L’une des conséquences de cette dévaluation
tes de lait en poudre Nido, il est clairement indi- fut la hausse des prix de produits importés tel
qué qu’il s’agit d’une des marques de la multina- que le lait. Cependant, la baisse des importations
tionale Nestlé. Pour d’autres, c’est beaucoup plus engendrée par la dévaluation fut de courte durée.
difficile, rien n’indiquant sur les boîtes l’origine En effet, l’adoption du TEC (Tarif Extérieur Com-
réelle du lait, ni le propriétaire de la marque. Un
exemple : on peut trouver du lait en poudre « fa-
briqué au Ghana » et s’apercevoir, après enquête, 1 Conférence de M. Zoubga Noaga Christophe,
ingénieur en industrie laitière, en 1976 à Bobo Dioulasso
que ce lait provient de la Nouvelle-Zélande, mais 3 Initiative, Elevage, Pauvreté et Croissance, p. 81

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

mun) en l’an 2000 dans l’espace UEMOA a fait la neuf milliards de francs CFA par an, voire davan-
part belle aux produits laitiers. En effet, comme tage. Rien ne prouve que toutes les importa-
nous le verrons plus bas, la poudre de lait relève tions de produits laitiers soient comptabilisées
de la première catégorie (5% de taxe) dans la no- par le service des douanes.
menclature tarifaire du TEC. Le lait concentré
sucré ou non sucré et les préparations à base de
lait relèvent, eux, de la troisième catégorie (20 %
3.3 Origine des importations,
de taxe). De plus, tous ces produits sont importés quantité et pourcentage des
sans TVA (Taxe à la Valeur Ajoutée), alors qu’il importations en provenance
s’agit de produits transformés. de l’Union européenne
Or, la législation du Burkina sur la TVA dit ceci :
« Sont exonérés de la TVA les domaines de l’agri- Les importations en provenance
culture, élevage et pêche, assurance et réassu- de l’Union européenne
rance, soins médicaux, transports ferroviaires, Des 25 pays membres de l’UE, dix pays exportent
construction habitat social agréé, enseignement, de façon significative, à destination du Burkina,
locations nues, produits alimentaires non trans- du lait et des produits laitiers. Ces pays sont l’Al-
formés, pain et pâtisserie, médicaments, livres et lemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la
journaux, lunetterie, appareils médicaux, pro- France, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-
duits phytosanitaires et engrais, matériels agrico- Bas et le Royaume-Uni. Ils ont fourni au Burkina 1
les, exportations… ». Autrement dit, a contrario, 720 tonnes de lait et de produits laitiers en 2002,
les produits alimentaires transformés sont thé- soit plus de 50 % des importations du Burkina.
oriquement imposables, donc au taux normal Mais ces chiffres par pays ne sont pas très signifi-
de 18%. catifs, les Pays-Bas, par exemple, pouvant impor-
Il est vrai que le lait produit au Burkina est ter du lait produit en Allemagne, le transformer et
commercialisé sans TVA, mais il s’agit de lait cru l’exporter en Afrique de l’Ouest.
ou de lait pasteurisé. Le Burkina Faso ne produi- La plupart des ménages de Ouagadougou con-
sant pas de lait en poudre, il pourrait mettre une somment grandement Bonnet Rouge ou Bonnet
TVA (de 18 %) sur le lait en poudre. Mais, en fait, Bleu (ces deux marques appartenant à Fries-
aujourd’hui, la politique économique du gouver- land Coberco Dairy Foods – Pays-Bas), Belle
nement découle du choix de nourrir les villes au France, France Lait, Bridel (une des marques –
moindre coût. Avec les conséquences désastreu- avec « Président » du groupe français Lactalis).
ses, pour les agriculteurs et les éleveurs, que Dans les kiosques et restaurants des grandes vil-
nous connaissons. les, le yaourt servi est fait à base de lait en poudre
Un tel désarmement tarifaire favorise l’entrée reconstitué provenant le plus souvent de l’Euro-
sur le territoire burkinabè de lait provenant de pe. Les femmes dans le cadre de leurs activités
divers pays.. Seulement, il est quasiment impos- génératrices de revenus vendent également du «
sible d’obtenir des statistiques fiables. Avec l’- dégué ». Il s’agit d’une bouillie faite d’un mélange
urbanisation, la demande en lait est croissante. de farine de petit mil et de lait reconstitué.
Le lait local est très peu répandu en ville, et
pourtant certains documents officiels font état Les importations de poudre de lait
d’une diminution des importations de produits En 2002, au total 560 tonnes (chiffre le plus ré-
laitiers. Nous avons donc été à la rencontre de cent) de poudre de lait en provenance de l’UE ont
personnes bien placées du Ministère des inondé le marché burkinabè. La France se taille la
Ressources Animales, qui ont confirmé mon part du lion avec 302 tonnes suivie des Pays-Bas
point de vue : l’importation de produits laitiers avec 80 tonnes. Si on ne tient pas compte de lé-
est croissante. Elle serait de l’ordre de huit à gères variations d’un produit à l’autre, on peut

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Année 1997 1998 1999 2000 2001 2002


Pays
Allemagne 30 – 19 21 – –
Belgique et Luxembourg 45 95 73 66 – 66
Danemark – – – – – –
Espagne – – – – – –
France 245 243 261 312 145 302
Irlande 119 378 361 188 159 48
Italie 1 1 – 70 – –
Pays-Bas 52 91 41 58 – 80
Royaume-Uni 321 271 125 158 – 64
Totaux 813 1079 880 873 304 560

Quantité (en tonnes) des importations de poudre de lait en provenance de pays membres de l’Union européenne
(source : Ministère burkinabè du Commerce, de la Promotion de l’Entreprise et de l’Artisanat)

dire qu’il faut 130 g de lait en poudre pour recon- Il aurait été intéressant de pouvoir analyser ces
stituer 1 litre de lait à 3,5 % de matières grasses. statistiques. Elles manifestent une baisse des im-
Les 560 tonnes en provenance de l’Europe sont portations, alors qu’avec l’urbanisation croissan-
donc équivalentes à environ 4.300.000 litres de lait. te la consommation semble en augmentation.
Ces statistiques font apparaître des variations Est-ce l’apparition de la concurrence venue de
étonnantes. Nous n’avons pas trouvé d’explications Nouvelle-Zélande et surtout de l’Asie, avec des
satisfaisantes à cela. Serait-ce la qualité des stati- produits « semblables » comportant peu de lait,
stiques ? mais surtout du sucre et des matières végétales ?
Au Bénin, à Cotonou, ayant commandé un café au
Les importations de crème de lait concentré lait dans un kiosque, on m’a servi un « Nescafé »
sucrée et/ou non sucrée auquel on a ajouté quelques cuillérées provenant
Les Burkinabè font une consommation importan- d’une boîte métallique de marque « Bonjour ». Ce
te de lait concentré liquide (appelé crème de lait produit, en provenance de Singapour, ne conte-
concentré, à ne pas confondre avec la crème du nait pas de lait, mais uniquement du sucre et des
lait, la matière grasse du lait), le plus souvent graisses végétales.
sucré. Ils s’en servent pour le petit déjeuner en Ce sont ces deux produits, la poudre de lait et
l’accompagnant de café ou de thé. la crème de lait concentré qui concurrencent ac-
Le lait hollandais est bien connu des Burkin- tuellement le plus le lait produit localement.
abé, spécialement la marque « bébé hollandais », C’est pourquoi nous avons poussé un peu plus l’-
si bien que certains s’amusent à traiter de ’’bébé analyse avec des statistiques sur les importa-
hollandais’’ tout enfant potelé et bien portant. En tions d’origine européenne de ces produits.
plus de la France et des Pays-Bas (Hollande), l’Al- Voici, maintenant, plus brièvement quelques
lemagne, l’Italie et l’Irlande exportent vers le Bur- éléments portant sur les importations de yaourts,
kina de la crème de lait. de fromage et de beurre.

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Année 1997 1998 1999 2000 2001


Pays

Allemagne 34 18 55 – –
Belgique et Luxembourg – – – – –
Espagne 1 – 81 78 –
France 2652 2534 1039 443 420
Irlande – – – – –
Italie – – 102 100 32
Pays-Bas 4227 5128 2400 1689 1660
Royaume-Uni – – – – –

Totaux 6914 7680 3677 2310 2112

Quantité (en tonnes) des importations de crème de lait concentré sucré et/ou non sucré ou contenant des matières grasses
en provenance de l’UE (source : Ministère du Commerce, de la Promotion de l’Entreprise et de l’Artisanat)

Importation de yaourts 3.4 Conditions d’importation (le TEC)


De nombreux yaourts viennent de l’UE. Au Burki-
na, ils semblent venir surtout de la France, alors Depuis l’an 2000, les droits de douane et diverses
qu’au Bénin les yaourts en provenance des Pays- taxes à l’importation sont identiques pour tous les
Bas dominent. Cependant, la fabrication locale de pays de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoi-
yaourts – souvent à partir de poudre de lait im- re, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo).
portée – tend à se substituer à ces importations. C’est pourquoi le cas du Burkina est représentatif, à
quelques nuances près, de l’ensemble régional
Importations de fromages et de beurre qu’est l’UEMOA. A cet espace, on pourrait ajouter le
Les fromages d’origine européenne sont large- Ghana, dont le niveau de protection douanière est
ment commercialisés au Burkina. Ils proviennent assez proche de celui de l’UEMOA. Donc, dans cet
principalement de la France, des Pays-Bas et de espace, les droits de douane sont définis à travers
l’Italie. En 2002, le Burkina a importé 84 tonnes le Tarif Extérieur Commun (TEC). Il existe 4 catégo-
de fromages venant de la France. ries, dont les droits de douane sont définis par le
Le beurre venant de l’UE est bien présent au tableau ci-dessous. 7.000 produits sont ensuite clas-
Burkina. Le beurre Bridel et le beurre « Président sés dans une de ces catégories. A cela, il faut ajouter
» sont les plus répandus. Il s’agit de deux mar- 2 % de taxes communes à toutes ces catégories.
ques du même groupe français Lactalis. Les po- A noter que les pays de la CEDEAO (Commu-
pulations urbaines les ont adoptés pour enrichir nauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ou-
leur alimentation. Selon les chiffres du ministère est) sont actuellement en négociations pour créer
du commerce, en 2002, la France a exporté 29 entre eux une zone de libre-échange. La tendance
tonnes de beurre vers le Burkina. Cependant, qui s’exprime majoritairement serait d’étendre (à
seule la fraction aisée des villes consomment du quelques exceptions près) le TEC de l’UEMOA à
beurre. Beaucoup consomment de la margarine. cette nouvelle zone de libre-échange.

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Catégories Produits Droits de douane

0 Biens sociaux essentiels relevant d’une liste limitative 0%


Biens de première nécessité, les matières premières de
1 5%
base, les biens d’équipement, les intrants spécifiques
2 Intrants et produits intermédiaires 10%
3 Biens de consommation finale et autres produits
non repris ailleurs 20%

Nomenclature tarifaire définie par le TEC et applicable aux produits dans l’espace UEMOA

Si l’ensemble des produits laitiers sont classés tra de fonder notre analyse de l’impact de ces
dans la catégorie 3, il existe une exception de prix sur la production locale.
taille : le lait en poudre. Ce lait en poudre est ha- Et comme au cours de ce travail, il nous est ap-
bituellement classé en différentes catégories paru que ce qui nuit le plus au développement de
selon sa teneur en matières grasses (plus de la filière lait au Burkina (et dans l’espace
1,5% de matières grasses et moins de 1,5 % de UEMOA), c’est l’importation à bas prix de poudre
matières grasses) ou selon son conditionnement de lait dans des sacs de 25 kg, nous avons appro-
(sac de 25 kg d’une part, et autres conditionne- fondi davantage l’étude de ce produit.
ments orientés davantage vers la consommation
humaine d’autre part). Le lait en poudre est tou- Essai d’inventaire des produits importés
jours classé dans la catégorie 1, soit avec seule- Poudre de lait
ment 5 % de droits de douane, quelle que soit sa Les principales marques présentes sur le marché
teneur en matières grasses ou sa présentation. burkinabè sont : Nido, Régilait , France Lait, Cow-
bell, La Belle hollandaise, Vivalait, Bridel, Lacstar,
3.5 Prix du lait et des produits Kerrygold, Millac…
laitiers entrant sur le marché
burkinabè a) Comme nous l’avons vu plus haut, nous nous
sommes surtout intéressés au sac de lait de 25
Il n’est pas possible d’être exhaustif dans ce do- kg. On trouve, sous cette forme, les marques sui-
maine. Les marques sont trop diverses ; les prix vantes :
peuvent varier d’une boutique à l’autre. Cepen- Bridel, du groupe français Lactalis. Il s’agit de
dant, nous fournirons assez d’éléments pour pou- lait entier possédant 28 % de matières grasses. Il
voir justifier notre conviction maintenant bien est très apprécié par les transformateurs, notam-
établie : quelle que soit l’origine du produit im- ment les fabricants de yaourts.
porté ou sa marque, les prix varient peu. En fait, Vivalait est une marque de lait d’origine irlan-
ils sont fixés par l’état du marché mondial. Les daise. Elle est commercialisée au Burkina par la
différences de prix constatées proviennent sou- société Sodilait.
vent davantage du commerçant local (du type de Kerrygold est également une marque irlandai-
commerce : moderne, tourné vers une clientèle se du groupe irlandais I.D.B. (IRISH DAIRY
aisée, ou simple kiosque d’un quartier populai- BOARD).
re). Nous verrons que, pour chaque type de pro- Lacstar, est également une marque irlandaise.
duit, il est possible de constater un ordre de Le cas de Cowbell est intéressant, mais plus
grandeur suffisamment précis. Cela nous permet- complexe. Cette marque est en train de se répan-

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

dre dans toute l’Afrique de l’Ouest. Elle appar- breux fromages français comme des camemberts
tient à la multinationale d’origine sud-africaine (surtout le Président et Bridel), quelques bleus,
Promasidor (spécialisée dans les boissons). du Roquefort, de la tomme de Savoie, quelques
Après avoir créé des filiales « Cowbell » au Nige- fromages de chèvre. Ensuite, on trouve quelques
ria et au Ghana, Cowbell (pour la distribution) a fromages hollandais et quelques fromages ita-
actuellement une filiale au Burkina. Sur les sacs liens (voir ci-dessous le tableau des prix de quel-
Cowbell que nous avons personnellement exami- ques fromages).
nés il était indiqué : Lait écrémé en poudre d’ori- A Bobo-Dioulasso (la deuxième ville du pays),
gine néo-zélandaise, transformé au Ghana en le choix est déjà très réduit, et à Koudougou (la
ajoutant 28 % de matières grasses d’origine vé- troisième ville du pays), vous ne trouvez plus de «
gétale ! A noter que Promasidor semble avoir dé- fromage » digne de ce nom : vous trouverez seu-
placé son siège en Suisse (d’où la mention de la lement le fromage fondu le plus répandu (mais
Suisse présente sur bon nombre de ses produits). cette fois très répandu) : La vache qui rit !
C’est dire que le fromage, par son prix élevé (et
b) Les poudres de lait en boîtes métalliques parce qu’il ne fait pas partie des habitudes ali-
(pour la consommation familiale sont donc : Nido mentaires) est réservé à une portion réduite de la
(Nestlé), France Lait (d’origine française comme population (les expatriés et ceux qui ont fait un
son nom l’indique) est une marque de Régilait, séjour en Europe, pour l’essentiel).
La belle Hollandaise (d’origine hollandaise, mais
présente en Malaisie sous le nom de Dutch Lady Beurre
Milk industries Berhad), Millac bien présente au Deux marques françaises dominent très large-
Royaume-Uni et au Pakistan… ment : Président, Bridel.

Crème de lait concentré sucré ou non sucré Le lait U.H.T.


(lait concentré liquide commercialisé dans Là encore, les marques françaises Président et
des boîtes métalliques) Bridel dominent.
Voici les marques rencontrées sur le marché de
Ouagadougou : Bonnet Rouge, Bonnet Bleu, Le lait dit «frais» qui n’est en fait
Russo, Bel Mona, Bridel, Président, Jago, Bonita, que du lait reconstitué !
Kerrygollo, Suisse Milk, Rosa, Nestlé, Me & My... A noter, que nous avons trouvé du « lait frais »
A noter qu’au Ghana (importation probable au (dans de belles bouteilles en plastique) en prove-
Burkina, mais non constatée), Nestlé commercia- nance de Côte-d’Ivoire (selon le vendeur) de marque
lise des boîtes de lait concentré liquide sur le- « Candia » (du Groupe français Sodiaal) qui s’est
squels il est indiqué : « Fabriqué au Ghana avec révélé être du lait reconstitué à Abidjan à partir de
du lait de vache ». Renseignement pris, il s’agit lait demi-écrémé en provenance de France.
de poudre de lait transformé au Ghana en lait
concentré liquide !

Yaourts
Danone (groupe et marque français), Yoplait
(marque appartenant à Danone), Elle & Vire (mar-
que française).

Fromages
A Ouagadougou, il est possible de trouver des di-
zaines de sortes de fromages importés : de nom-

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Les prix
La poudre de lait
En sac de 25 kg (ce lait peut être vendu par sac,
mais le commerçant peut reconditionner ce sac
en sachet de 1 kg ou 500 g). Poudre de lait ayant
une teneur de 28 % de matières grasses :

Produits Poids ou capacité Prix Origine

Bridel 25 kg 40 000 F France


1 kg 1 700 F
Cowbell 25 kg 39 500 F Ghana
1 kg 1 700 F à 1 750 F
Vivalait 25 kg 38 500 F Irlande
Kerrygold 25 kg 42 000 F Irlande
Lacstar 25 kg 37 500 F Irlande

Conditionnement familial :

Produits Poids ou capacité Prix Origine

France lait 400 kg 1 500 F France


2500 kg 8 600 F à 8 700 F
Nido 2500 kg 8 400 F De la multi-
nationale Nestlé
Prix en Francs CFA de quelques variétés de poudre de lait rencontrées sur le marché burkinabè (conditionnement en boîte métallique).

Les différentes crèmes de lait (ou lait concentré)

Produits Poids ou capacité Prix Origine

Bonnet rouge concentré 1 litre 1 200 F à 1 500 F Pays-Bas


et sucré
Bonnet rouge concentré 0,5 litre 600 F
non sucré
Bonnet bleu sucré 1 litre 1000 F
(lait et graisse végétale)
Russo concentré et sucré 1 litre 850 F Malaisie
Bel Mona 1 litre 850 F ?

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Produits Poids ou capacité Prix Origine

Me & My 1 litre 750 F Royaume-Uni ?


Jago concentré sucré 1 litre 850 F Singapour
Bonita concentré sucré 1 litre 850 F Italie
Maya concentré sucré 1 litre 750 F ?
Suisse Milk concentré et sucré 1 litre 850 F Suisse
Nestlé concentré et sucré 0,5 litre 850 F

N.B. : On peut aussi trouver de la « crème fraîche », ce qui est évidemment un autre produit. Nous avons noté un pot de crème fraîche
de 20 cl de marque « Mont d’Auvergne » de 20 cl à 2 600 F !

Prix de quelques yaourts importés ou de «dessert lacté»

Produits Poids ou capacité Prix Origine

Danone Pot de 100 g 485 F France


Yaourt Flory Pot de 150 g x 6 2400 F soit France
400 F le pot

Elle et Vire Pot de 100 g x 4 1750 F soit France


400 F le pot

Prix de quelques fromages importés


Le cas du fromage fondu « La vache qui rit » (du ville du pays, on ne trouve pas de fromage pro-
groupe français Bel) mérite d’être traité à part : il prement dit, mais plusieurs boutiques vendent
est très répandu, même à l’intérieur du pays, et à des boîtes de 140 g (8 portions) « La vache qui
un prix plus abordable. A Koudougou, troisième rit » à 525 F la boîte.

Produits Poids ou capacité Prix Origine

Fromage le rustique 200 g 2 900 F France


Bleu d’Auvergne 1 kg 7 500 F France
Tomme Livredou 1 kg 7 500 F France
Roquefort 1 kg 16 500 F France
Gouda 1 kg 6 000 F Hollande
Fromage Mozarella 1 kg 12 500 F Italie
Fromage Caciotta 1 kg 8 500 F Italie
Fromage Ricotta 1 kg 6 000 F Italie

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Prix de quelques beurres importés

Produits Poids ou capacité Prix Origine

Beurre Bridel 250 g 600 F France


Beurre Paysan 200 g 500 F France
Beurre Président 200 g 600 F France

Prix du lait « frais » importé (U.H.T.)

Produit Poids ou capacité Prix Origine

Bridel entier, Brique en carton 850 F


demi-écrémé de 1 litre 775 F France
et écrémé (lait U.H.T.) 700 F
Président (demi-écrémé) 1 litre 750 F France
Hochwald (demi-écrémé ?) 1 litre 750 F Allemagne

A noter, qu’actuellement (juin 2005), aux heures Le lait dit « frais » qui n’est en fait que
de grande écoute, vous pouvez voir sur la RTB, la du lait reconstitué !
Télévision nationale du Burkina, de la publicité A Ouaga, un litre de lait reconstitué demi-écrémé
pour le lait importé de marque Bridel. Je n’ai ja- de marque Candia est vendu 600 F le litre.
mais vu sur cette même chaîne (propriété de l’E-
tat) qui se dit être un service public, une invita-
tion à consommer du lait produit au Burkina Faso.

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

4. Les conséquences des importations de lait


et de produits laitiers sur la production locale
et leurs incidences sur la sécurité alimentaire
et la pauvreté au Burkina Faso
4.1 La différence de prix entre le son emballage. C’est ce lait que consomment les
lait et les produits laitiers importés familles plus aisées.
et ceux produits localement 4) Le litre de lait local pasteurisé à la laiterie
coûte 500 F. Le plus souvent, ce lait contient plus
Pour comprendre le poids du lait importé sur la fi-
de 3,5 % de matières grasses.
lière lait, il faut retenir quelques chiffres.
Les chiffres qui suivent sont bien évidemment 5) Ce même litre de lait pasteurisé est vendu 600 F
des approximations (il peut y avoir de petites dif- au détail dans les boutiques d’alimentation.
férences de prix), des ordres de grandeur, mais ils
6) Le litre de lait, qui contient 3,5 % de matières
sont très significatifs.
grasses, reconstitué à partir d’une boîte métallique
1) Un litre de lait reconstitué à partir de la poudre de crème de lait concentré non sucré revient à 600 F.
de lait « industrielle » (par « industrielle » nous
7) Le litre de lait U.H.T. importé est vendu au dé-
entendons que cette poudre n’est pas condition-
tail chez les commerçants à 800 F.
née dans un emballage pratique pour une famille :
Ce qui nous donne le tableau suivant (il s’agit évi-
il s’agit le plus souvent de sac de 25 kg vendu tel
quel, ou reconditionné dans de petits sacs en pla- demment d’ordres de grandeur, susceptibles de
stique transparent, sans marque apparente). Tou- légères variations) :
tes les grandes marques commercialisent du lait
en poudre sous cette forme. C’est ce lait qu’utili- Produits Prix du litre
sent les mini-laiteries. C’est ce lait, vendu au dé-
tail dans des sachets d’un kilo, que consomment lait reconstitué à partir
les familles peu fortunées. Il est vendu dans les d’un sac de lait en poudre
boutiques d’alimentation populaire, mais pas de 25 kg 200 F
dans les boutiques d’alimentation moderne.
lait frais produit
Ce litre de lait reconstitué qui contient 3,5 %
localement et livré
de matières grasses (reconstitué à partir de pou-
à la laiterie 300 F
dre de lait contenant au moins 28 % de matières
grasses) revient à 200 F CFA. lait reconstitué à partir
Avec un sac de 25 kg de lait en poudre on ob- de lait en poudre à usage
tient environ 200 litres de ce lait. familial 400 F
2) Le litre de lait burkinabè non pasteurisé, livré à lait produit localement
la laiterie coûte environ 300 F. et pasteurisé à la laiterie 500 F
3) Le litre de lait reconstitué sur la table familiale lait reconstitué à partir
à partir d’une boîte de 400 g ou 1 kg de lait en d’une boîte métallique
poudre coûte 400 F. Toutes les grandes marques de crème de lait concentré
sont également présentes sur le marché sous non sucré 600 F
cette forme. Ce lait est importé directement avec

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Produits Prix du litre C’est ainsi qu’il y a quelques temps nous


avons visité un quartier peul à une douzaine
lait produit localement de kilomètres de la ville. « Le vieux » du
et pasteurisé dans les quartier nous a dit : « Quand j’étais jeune,
commerces d’alimentation 600 F avec mon père, c’était moi qui fournissais le
lait U.H.T. importé 800 F lait à l’administration française. Aujourd’hui
encore, nous pouvons produire du lait toute
l’année, à condition d’être sûrs de le vendre
4.2 Les conséquences de ces à un prix rémunérateur (ce qui veut dire en-
différents prix viron 300 F le litre de lait rendu en ville).
Mais nous ne pouvons pas dépenser de l’ar-
Les conséquences de cette situation sont incalcu- gent pour la nourriture de nos vaches si en-
lables. suite nous n’arrivons pas à vendre notre lait. »
1) La première, massive, c’est qu’on peut dire Vers la fin de notre rencontre, une femme
qu’il n’existe pas de filière lait, digne de ce nom, a pris la parole pour nous dire : «Nous les
au Burkina Faso. Le lait importé est là, massif, de- femmes, nous sommes très intéressées par
puis l’indépendance. Jusqu’à aujourd’hui, il a em- cette idée de créer une mini-laiterie à Kou-
pêché tout développement significatif de la filière dougou. Personnellement, je ne suis pas de
lait. ce quartier. Je suis venue rendre visite à des
A certaines périodes (quand l’Europe croulait amies, mais je suis de la ville de Koudou-
sous ses montagnes de lait et de beurre), l’aide gou. Je suis présidente d’une association
alimentaire comportait du lait et du beurre en de femmes peules de la ville de Koudou-
quantité. gou. Nous avons créé cette association
Aujourd’hui la situation est telle qu’avec plus pour nous entraider, car beaucoup d’entre
d’un million d’éleveurs (10 % de la population to- nous sont très pauvres. Comme filles d’éle-
tale du Burkina Faso) les populations de Ouaga- veurs, en ville, nous ne pouvons pas exer-
dougou et de Bobo-Dioulasso consomment pres- cer notre métier. Aussi nous avons créé
que uniquement du lait importé. Leurs yaourts, cette association qui a pour but la transfor-
pour la plupart, sont fabriqués avec du lait importé. mation du lait et du mil. Notre association
regroupe 51 femmes peules de Koudougou. »
La présidente de l’association m’ayant
Les femmes peules, éleveurs invité à participer à une de leurs réunions,
un dimanche après-midi, je me suis retrou-
traditionnels de Koudougou, vée dans sa cour au milieu d’une trentaine
de femmes. L’une d’elle est arrivée avec
transforment le lait importé une calebasse recouverte d’un couvercle.
venu d’Europe J’ai demandé à voir ce que contenait la ca-
lebasse. Elle ne s’est pas fait prier. Elle
A Koudougou, troisième ville du Burkina nous a montré son contenu : du « dégué ».
Faso, nous sommes quelques-uns à nous Un plat traditionnel très apprécié : de la fa-
demander s’il ne serait pas possible de rine de petit mil délayée dans du lait caillé.
créer une mini-laiterie qui transformerait le J’ai demandé d’où provenait le lait. Elle a
lait produit par les éleveurs traditionnels, répondu qu’elle faisait le dégué avec du
les Peuls, des villages proches de la ville. lait reconstitué à partir de la poudre de lait

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

2) Une autre conséquence, c’est qu’à partir de


importée. Elle achetait son lait chez un com- février, il n’y a plus de lait à vendre dans les quar-
merçant. Celui-ci achetait des sacs de 25 kg tiers peuls. Et donc plus de revenus financiers
de lait en poudre qu’il commercialisait au pour les femmes qui doivent assurer la gestion fi-
détail, à 1.700 F le kg. Ce qui permet d’obte- nancière de la famille. Les campements consultés
nir un litre de lait pour 200 F environ. en février et mars 2005 disent qu’ils pourraient
C’est ainsi qu’au cours de la conversa- avoir du lait si les vaches étaient mieux nourries.
tion j’ai appris que toutes les femmes se Mais pour cela, il leur faudrait acheter de la nour-
fournissaient en lait en poudre auprès des riture pour les animaux (par exemple du tourteau
commerçants de la ville pour fabriquer et de coton). Ils sont prêts à le faire s’ils sont assu-
commercialiser leur dégué ou leurs rés de vendre leur lait à un prix rémunérateur (de
yaourts. Ce n’est qu’à partir du mois de ju- 250 à 300 F selon l’éloignement de la mini-laite-
illet (et jusqu’en octobre – novembre) que rie ou de l’acheteur).
certaines d’entre elles achetaient du lait A Koudougou, quelques femmes fabriquent et
produit localement. Toutes disaient que, commercialisent des yaourts et du dégué (lait
filles d’éleveurs, elles préféreraient trans- caillé enrichi de farine de mil). En hivernage (la
former du lait produit localement, mais saison des pluies), elles s’approvisionnent en lait
qu’elles n’avaient pas le choix. Elles faisai- auprès des éleveurs traditionnels. Les vaches ont
ent ce travail pour nourrir leurs enfants. alors de bons pâturages, et le lait est abondant.
Vu l’enthousiasme de ces femmes à l’idée Le litre de lait peut se vendre à 150 F ou 200 F.
de transformer à nouveau du lait produit lo- Ensuite les éleveurs traditionnels n’ont plus de
calement et l’intérêt des éleveurs à pouvoir lait à vendre, car les vaches ne trouvent plus la
commercialiser du lait toute l’année, nous nourriture nécessaire. Nous avons fait une enquê-
sommes décidés à appuyer cette associa-
te dans les quartiers peuls autour de Koudougou
tion de femmes pour qu’elles puissent met-
(15 à 20 km autour de la ville). Partout la réponse
tre en place une laiterie sur la ville de Kou-
était la même : si nous étions assurés de vendre
dougou. Cette laiterie devrait pouvoir com-
notre lait à 250 F pendant la saison sèche, nous
mercialiser du lait pasteurisé, du dégué et
achèterions de la nourriture pour nos animaux
des yaourts. Nous nous appuierons sur les
(par exemple des graines de coton à l’usine d’é-
radios locales pour aider les consomma-
grenage de Koudougou). Mais à cette époque, les
teurs à se détourner du lait importé pour se
femmes qui fabriquent des yaourts préfèrent
tourner vers le lait frais et les produits locaux.
acheter un sac de 25 kg de lait en poudre à 28 %
En même temps, nous nous battons avec
de matières grasses à 40 000 F. Ce qui équivaut à
la Confédération Paysanne du Faso pour
200 litres de lait. Ce qui nous fait le litre de lait à
obtenir de la CEDEAO (Communauté Éco-
nomique Des États de l’Afrique de l’Ouest) 200 F. Il est clair que si le lait importé coûtait 50 %
que le lait en poudre soit taxé à 60 ou 70% plus cher, la situation allait changerait rapide-
à l’importation (40% pour « effacer » les ment.
diverses subventions européennes à la fili- 2) Du côté des éleveurs, les conséquences sont
ère lait et 20 à 30 % pour donner le temps faciles à deviner : pour la plupart, c’est une gran-
à la filière lait en Afrique de l’Ouest de se de pauvreté. Les femmes chargées de nourrir
développer et de se renforcer). A titre d’e- quotidiennement la famille n’ont plus de recettes
xemple, le Kenya taxe le lait à l’importation financières.
au taux de 60%, et les Kenyans consom- 3) L’autre conséquence de cette situation, c’est
ment du lait produit localement. que le lait frais (ou pasteurisé, ou U.H.T. pour le
Source : Maurice Oudet, abc Burkina N° 134, mai 2005 lait importé), si important pour la santé des en-
fants, est resté un produit de luxe. Rappelons

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

qu’un litre de lait U.H.T. importé coûte 800 F. Sauf


pour les familles d’éleveurs qui consomment les
4/5 de la production burkinabè, le lait frais n’est
pas à la portée de tous. Et surtout, en dehors de
Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, et de quel-
ques villes comme Bittou, Kaya, Batié, Léo (qui
possèdent une mini-laiterie) on n’en trouve prati-
quement pas.
4) Non seulement cette situation coûte plusie-
urs milliards de Francs CFA en devise au pays (3
milliards d’importation de lait et produits laitiers
en 2002 ; à comparer aux 7 milliards pour le blé),
mais c’est aussi un manque à gagner. Avec ses
7.000.000 de bovins, le Burkina Faso exporte be-
aucoup de viande vers les pays côtiers voisins
(sur pied et en carcasse), mais pas de lait, ni de
produits laitiers. L’élevage représente 20 % des
exportations. Avec la mise en place en 2005 de
l’espace CEDEAO, les éleveurs du Sahel devraient
s’intéresser à ce marché potentiel, pas seulement
pour la viande, mais aussi pour le lait et les pro-
duits laitiers. Sous réserve, bien sûr, que de nou-
velles règles du commerce international soient
instaurées.

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

5. La révolution blanche en Inde.


Un exemple à suivre ?

expansion générale de l’industrie laitière en Mondiale). Si nous analysons ces chiffres, nous
L’ Inde, qui a commencé au début des années
70, est connue comme révolution blanche.2
voyons qu’un producteur fournit en moyenne 1 ou
2 litres par jour, et qu’une coopérative laitière col-
«Avec une production qui frôle désormais les 85 lecte chaque jour, en moyenne, environ 200 litres
millions de tonnes, l’Inde est devenue le premier par jour. Des réalités, qui a priori, ne sont pas hors
pays producteur de lait dans le monde. Cette cro- de portée des éleveurs traditionnels burkinabè.
issance a été le fruit d’une politique volontariste Dans les années 70 (le début de l’opération «
de l’Etat qui a compris l’importance d’une activité Flood », l’Inde a suivi « une politique de dévelop-
qui permet d’alimenter les populations, de fixer pement qui privilégiait fortement la substitution
les populations rurales et d’accroître le niveau de aux importations (politique qui est restée essen-
vie des producteurs. On estime qu’aujourd’hui tiellement la même jusqu’en 1991. C’est donc
l’élevage occupe environ 20 millions d’individus, cette période qui nous intéresse. Surtout qu’au-
soit 5 % de la population active du pays. jourd’hui les petits producteurs sont à nouveau
Pour atteindre ces objectifs, l’Inde a développé menacés par le libéralisme du pouvoir).
à partir de 1970 une puissante organisation coo- Dans le secteur laitier, il a été décidé de faire
pérative, le National Dairy Development Board appel à des coopératives de production pour dé-
(NDDB), ayant compétence sur l’ensemble des velopper l’industrie laitière et rendre la substitu-
Etats de l’Union. Le NDDB a lui-même mis en tion aux importations aussi efficace que possible.
place ou soutenu progressivement toutes les Les produits laitiers subventionnés au titre de
composantes de la filière : organisations de pro- l’aide alimentaire devaient ensuite être vendus
ducteurs, organisations professionnelles, écoles aux prix du marché et le produit de la vente de-
et centres de formation, sociétés d’ingénierie, fa- vait être affecté au financement de l’opération «
bricants de matériel, etc. Par ailleurs, l’Inde (prin- Flood ».
cipalement NDDB) a bénéficié pendant toute une Ces mesures ont permis de réduire les risques
période de l’appui de la Banque Mondiale et de de fluctuation des prix pour les producteurs, les
l’Union européenne au travers des opérations petits négociants, et les établissements privés de
Flood I, II, et III. » (Le secteur laitier en Inde) traitement du lait. Le croisement des vaches loca-
L’opération « Flood » (Inondation !) est une les avec des espèces élevées spécifiquement
entreprise de grande envergure, même si elle ne pour la production laitière a fourni la technologie
représente que 6,3 % de la production laitière et qui a permis un accroissement rapide de la pro-
22 % du lait commercialisé en Inde. C’est à elle duction de lait, et l’opération « Flood » a donné
que nous allons nous intéresser, car c’est elle qui l’exemple de grands établissements modernes de
s’adresse aux petits producteurs. C’est donc elle traitement du lait recevant la matière première
qui pourrait sans doute nous inspirer pour ac- d’un grand nombre de petits producteurs bien or-
compagner les éleveurs traditionnels du Burkina. ganisés fournissant une petite quantité de lait.
«En 1996, l’opération « Flood » touchait 9,3
millions de producteurs qui fournissaient en moy-
enne 10.900 tonnes de lait par jour, par l’entremi- 2 Le texte qui suit s‘inspire principalement de deux documents.
Le premier : Une fiche technique de l'Ambassade de France en Inde :
se de 55.042 coopératives villageoises, à 170 Le secteur laitier en Inde (Missions Economiques – Fiche de Synthèse);
Le deuxième est un document de la Banque Mondiale : India :
unions de producteurs laitiers (UPL). » (Banque The Dairy Revolution.

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

L’opération « Flood » représente la caractéristi-


que inhabituelle d’être « un projet de développe- En provenance du Ghana, j’ai passé la nuit
ment intégré » fondé sur un seul produit. L’opéra- à Bittou (au Burkina Faso, mais proche de
tion « Flood » a présenté des avantages très clairs la frontière du Ghana et du Togo). Je vou-
pour les femmes et les enfants. Pour les paysans lais visiter la mini-laiterie de Bittou dont
sans terre qui possèdent ou ont pu acheter une j’avais entendu parler au Burkina, mais
vache laitière, cette opération a été une aubaine. aussi par une femme peule de Garu au
En collaboration avec les ONG, l’opération « Ghana. Je n’ai pas été déçu !
Flood » a permis de créer 6.000 sociétés coopéra- Arrivé à 7 heures du matin devant la lai-
tives laitières de femmes et de dégager des reve- terie, je vois trois femmes peules qui ba-
nus plus élevés pour certaines d’entre elles. » En layent la cour et les bâtiments. Je me dis
augmentant les revenus des familles, « elle a per- que j’ai enfin trouvé une laiterie aux mains
mis d’accroître le nombre d’enfants scolarisés des éleveurs traditionnels. La gérante étant
(spécialement les filles). » ( The Dairy Revolution : absente, je suis accueillie par Madame Na-
Résumé). nema Kadissou, animatrice.
Ces quelques éléments sont là parce qu’il nous Madame Nanema me fait d’abord l’his-
semble qu’il y a de nombreux éléments compara- torique de la laiterie.
bles entre les populations cibles, celle de l’Inde Elle a été fondée en 1990, bien qu’à cette
dans les années 70-90 et celle du Burkina Faso. date il s’agissait d’un centre de formation
Ils sont une invitation à mettre en place une poli- orienté vers les femmes des éleveurs tradi-
tique volontariste en faveur de la filière lait et des tionnels. Bittou avait été retenu pour cette
éleveurs traditionnels. expérience, car il s’agit d’une zone pastora-
le. Il y avait donc un centre de formation sur
place à Bittou, mais des animateurs circu-
laient aussi dans toute la région. Ils animai-
La mini-laiterie de Bittou
ent 35 groupements d’éleveurs.
En provenance du Ghana, j’ai passé la nuit A partir de 1995, grâce à l’appui de deux
à Bittou (au Burkina Faso, mais proche de projets de développement (acquisition de
la frontière du Ghana et du Togo). Je vou- matériels…), le centre s’est orienté vers la
lais visiter la mini-laiterie de Bittou dont transformation du lait.
j’avais entendu parler au Burkina, mais En l’an 2000, le centre a pris son auto-
aussi par une femme peule de Garu au nomie et a été privatisé sous la forme d’un
Ghana. Je n’ai pas été déçu ! Groupement d’Intérêt Economique. Il y
Arrivé à 7 heures du matin devant la lai- avait alors 6 actionnaires. Aujourd’hui, ils
terie, je vois trois femmes peules qui ba- sont onze. Il s’agit d’éleveurs de la région
layent la cour et les bâtiments. Je me dis qui ont apporté 100.000 F chacun, en leur
que j’ai enfin trouvé une laiterie aux mains nom propre ou au nom du groupement
des éleveurs traditionnels. La gérante étant dont ils font partie. La gérante et l’anima-
absente, je suis accueillie par Madame Na- trice sont également actionnaires.
nema Kadissou, animatrice. Aujourd’hui, la laiterie est alimentée par
Madame Nanema me fait d’abord l’his- 5 groupements de femmes. Le groupement
torique de la laiterie. le plus proche est à 5 km, le plus éloigné à
Elle a été fondée en 1990, bien qu’à 25 km. La laiterie paye le litre de lait à 275 F.
cette date il s’agissait d’un centre de for- 250 F sont pour le producteur et 25 F pour
mation orienté vers les femmes des éle- ceux qui assurent la collecte du lait en vélo.

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Chaque jour, 3 femmes assurent la trans- en poudre que l’on peut acheter à 40.000 F).
formation du lait. En fait, il y a 3 groupes Ensuite, elles commercialisent ces yaourts
de 3 femmes qui se relaient chaque semai- dans des sachets en plastique transparent
ne pour ce travail. 25 F par litre de lait de faible qualité, sachets qu’elles nouent
transformé reviennent au groupe de travail avec un simple fil. Ces sachets présentent
du jour. En plus de ces femmes, il y a deux moins bien que ceux de la laiterie, mais
salariés : la gestionnaire et l’animatrice. sont vendus à 150 F le 1/3 de litre.
Cette dernière fait des tournées dans les De cet exemple de la mini-laiterie de Bit-
villages auprès des groupements. Elle en- tou, nous tirons deux conclusions.
seigne l’hygiène de la traite du lait, l’ali- 1) Il est possible de créer de telles mini-
mentation du bétail… laiteries dans de nombreuses petites villes
Les 5 groupements possèdent un fonds du Burkina.
de roulement pour un complément alimen- 2) Cependant, nous avons vu comment
taire des animaux. Ce fonds s’élève à deux cette mini-laiterie est fragilisée par la con-
millions de Francs environ, et permet aux currence du lait importé subventionné. La
groupements d’acheter du tourteau de filière lait doit être protégée de la concur-
graines de coton… et de le stocker à Bittou. rence déloyale. Il suffirait pour cela d’intro-
A la fin du mois, la laiterie règlera chaque duire une taxe significative sur l’importa-
producteur en fonction du nombre de litres tion du lait en poudre
de lait fournis, mais aussi de l’alimentation Source : Maurice Oudet, abc Burkina N° 123, février 2005
pour bétail qu’il aura prélevé sur le stock
de la laiterie.
La laiterie transforme 100 à 200 litres de
lait par jour. Elle produit du lait pasteurisé,
des yaourts et du ghee (beurre fondu). Le
lait et les yaourts sont commercialisés
dans des sachets imprimés au nom de la
laiterie. Le 1/2 litre de lait est vendu 200 F
par la laiterie ; il est revendu sur la ville de
Bittou à 225 F. Les yaourts (fabriqués à
partir de lait 1/2 écrémé) sont vendus en
sachets d’1/4 de litre, à 150 F le sachet.
Enfin le ghee est vendu à 600 F le 1/2 litre.
Depuis la crise de la Côte d’Ivoire (sep-
tembre 2002), le trafic vers le Ghana et le
Togo s’est beaucoup développé, et la ville
de Bittou aussi. On aurait pu penser que
cela allait faciliter la commercialisation des
produits de la laiterie. Il n’en a rien été. Car
si cela a apporté de nouveaux clients, cela
a surtout apporté une concurrence qui n’e-
xistait pas auparavant. Aujourd’hui plusie-
urs femmes fabriquent des yaourts à partir
de lait en poudre (des sacs de 25 kg de lait

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Recommandations

es enjeux de cette étude nous semblent con- lable pour d’autres produits. Il est temps que
L sidérables. Comme nous l’avons vu, à la lectu-
re d’un document officiel du Ministère des
l’Afrique fasse entendre sa voix et défende les in-
térêts de ses petits producteurs sur la scène
Ressources Animales du Burkina Faso, les éle- internationale.
veurs traditionnels sont menacés de disparition. Or, l’année 2005 risque d’être cruciale. En effet
Pour éviter ce drame, un seul moyen semble di- deux échéances majeures se présentent à nous.
sponible : développer la filière lait au Burkina Il s’agit, d’une part, des négociations consécuti-
Faso et dans tout le Sahel. Mais cette stratégie se ves aux accords dits de Cotonou qui ont pour but
heurte aux règles du commerce international. d’aboutir en 2007 à des Accords de Partenariats
Les experts européens consultés nous ont écrit Economiques (A.P.E.) entre l’Union européenne
que si la filière lait européenne n’était pas sub- (UE) et les pays A.C.P. (pour l’Afrique de l’Ouest,
ventionnée (à la production et à l’exportation), le il s’agit d’un accord entre l’UE et les pays de la
litre de lait européen reconstitué, à partir de la CEDEAO auxquels s’est jointe la Mauritanie), et
poudre de lait à 28 % de matières grasses, arrive- d’autre part des négociations sur l’Agriculture à
rait au Burkina (et autres pays du Sahel) à 0,45 l’O.M.C. L’essentiel de ces négociations, sauf blo-
EUR, soit environ 295 F. Si à ce lait, on faisait cage imprévisible, sera terminé en décembre 2005.
alors supporter une taxe à l’importation de 20 % Il nous faut donc travailler à trois niveaux.
au lieu des 5 % actuels, ce litre de lait serait com- Au niveau des responsables politiques de
mercialisé au Burkina autour de 340 F le litre (soit l’Afrique de l’Ouest, notamment de la CEDEAO.
68 000 F le sac de 25 kg de poudre de lait). Le lait En effet, l’U.E.M.O.A. est en train de se fondre
burkinabè serait non seulement rentable, mais dans un espace économique plus vaste : celui de
concurrentiel ! Il suffirait alors d’un léger accom- la CEDEAO, qui va donc du Nigeria à la Mauritanie
pagnement des éleveurs traditionnels pour que la (la Mauritanie qui a quitté la CEDEAO en son
production explose, et que des mini-laiteries col- temps est en train de la rejoindre à nouveau).
lectant et transformant le lait produit localement Le 19 janvier 2005 à Accra, les chefs d’Etat et
se mettent en place dans toutes les villes du Bur- de gouvernement de la CEDEAO ont signé une po-
kina Faso. litique agricole commune, nommée ECOWAP.
Il est donc urgent que les règles du commerce Cette politique agricole se place résolument dans
international changent en faveur des éleveurs du la perspective de la souveraineté alimentaire et
Sahel. Que de petits producteurs de lait soient se propose de limiter les importations de produ-
subventionnés pour qu’ils puissent continuer à its alimentaires pour soutenir la production loca-
vivre et à travailler dans une région montagneuse le. Pour cela, il faudrait instaurer des taxes à l’im-
(par exemple dans les Alpes), cela ne dérangerait portation significatives. Pour le lait, qui nous in-
pas les éleveurs africains si l’Europe n’exportait téresse ici, tant que l’Europe continuera à expor-
pas de lait. Mais tant que du lait sera mis sur le ter du lait subventionné, il faut instaurer une taxe
marché mondial en dessous des coûts de produc- à l’importation de l’ordre de 60 à 70 %. Pour cela
tion, nous revendiquons le droit de taxer le lait à les Etats peuvent utiliser différents instruments,
l’importation à un niveau suffisant de protection notamment le TEC (Tarif Extérieur Commun) et la
(le Kenya protège sa filière lait par une taxe à TCI (Taxe Conjoncturelle à l’Importation). Il y a ac-
l’importation de 60 %). Ceci est bien entendu va- tuellement d’intenses négociations à ce sujet. Les

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

échos qui nous parviennent de ces négociations CEDEAO. Ce qui serait, nous l’avons déjà dit, con-
ne sont pas rassurants. Il semble que le courant damner les agriculteurs et les éleveurs à la misè-
dominant (appuyé en coulisse par l’Union euro- re. Nous ne comprenons pas ce que cherche l’Eu-
péenne) voudrait tout simplement étendre à la rope. Quel intérêt, pour l’Europe, d’avoir un par-
CEDEAO le TEC de l’U.E.M.O.A. tenaire sans ressources?
Pour les agriculteurs et les éleveurs de la Au niveau de l’O.M.C. La prochaine réunion
CEDEAO, ce serait une catastrophe. ministérielle de l’O.M.C. se tiendra en décembre
Pour les chefs d’Etat qui ont adopté cette ECO- 2005 à Hong Kong. Les pays de la CEDEAO devrait
WAP, ce serait, une nouvelle fois, manifester leurs pouvoir défendre leur politique agricole commu-
contradictions, puisque l’ECOWAP ne serait pas ne, l’ECOWAP, comme l’Europe va défendre sa
applicable. PAC. Les pays africains devraient tenir ce langage
Pour les organisations paysannes ou d’éle- à l’Europe (et au reste du monde) : « Comment
veurs, il faudrait même aller plus loin. Il faudrait pouvez-vous prétendre défendre votre PAC à
faire une liste de produits sensibles (comme c’est l’O.M.C. et, dans le même temps, empêcher la
prévu dans les propositions d’actions de l’ECO- CEDEAO de mettre en place une politique agricole
WAP) qui ne seraient pas assujettis au TEC, mais commune (l’ECOWAP) ? Vous savez bien que vos
sur lesquels la CEDEAO pourrait instaurer des subventions (couplées ou découplées) dans le
taxes à l’importation suffisamment importante cadre de la PAC servent à protéger vos agricul-
pour constituer une protection efficace de la pro- teurs. Nous n’avons pas les moyens de subven-
duction locale. Cette taxe varierait en fonction tionner nos agriculteurs, mais nous sommes dé-
des cours du marché mondial. La CEDEAO ne se- terminés à les soutenir par des taxes à l’importa-
rait pas tenue à justifier le taux de ces taxes par tion. Cela d’autant plus que vous continuerez
des mesures compliquées. Elle serait seulement d’exporter certains produits, comme le lait, le blé
tenue à prévenir ses partenaires commerciaux. Le et le coton, en dessous de vos coûts de produc-
lait, comme le riz et le blé, ferait évidemment par- tion. » Comme le plan d’action de l’ECOWAP le
tie de cette liste. Et cette taxe (nommée TCI ou suggère, la CEDEAO devrait soumettre une liste
autrement) devrait être – pour le lait – de l’ordre de produits à l’O.M.C. sur lesquels elle se propo-
de 60 à 70 % actuellement (à comparer à la taxe à se de mettre des taxes à l’importation, variables
l’importation du Kenya sur les produits laitiers en fonction du marché mondial, pour soutenir ses
qui s’élève à 60 %). producteurs sans devoir se justifier par des pro-
Au niveau des responsables politiques euro- cédures trop lourdes pour être applicables. Le riz,
péens. Il y a un travail intense (et urgent) de lob- les confitures, le concentré de tomate, la viande…
bying à entreprendre. En effet, aujourd’hui, l’Eu- en feraient partie, mais aussi, bien évidemment,
rope fait pression sur les pays A.C.P. pour qu’ils le lait.
signent des A.P.E. à la convenance de l’Europe. En
fait, quand on y regarde de plus près, on s’aperç-
oit qu’il s’agit d’accords de libre-échange. C’est
ainsi qu’actuellement « des consultants » circu-
lent dans les ambassades pour faire en sorte que
le TEC de l’U.E.M.O.A. soit élargi, tel quel, à la

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la révolution blanche est-elle possible au burkina faso, et plus largement en afrique de l'ouest ?

Conclusion

ans un contexte mondial d’échanges inéqui- souveraineté alimentaire que sur un seul produit,
D tables, les prix des produits agricoles du
marché mondial n’ayant rien à voir avec les coûts
il faudrait choisir le lait. En effet, promouvoir la fili-
ère lait au profit des éleveurs traditionnels est sans
de production, accentuer le libre-échange entre doute le seul moyen de réduire les conflits entre
les pays riches et les pays pauvres, c’est condam- agriculteurs et éleveurs, et à terme d’éviter le gé-
ner les éleveurs et les agriculteurs à la misère. Il nocide des Peuls. Promouvoir la filière lait, c’est
suffit de se rendre dans une boutique d’alimenta- aider les éleveurs traditionnels à passer d’un éle-
tion générale d’un pays de l’UEMOA pour se ren- vage extensif qui demande de grands espaces (or,
dre compte que le libre-échange, ça ne marche avec la croissance démographique, ces espaces
pas pour les paysans des pays pauvres. Les pays ont disparu) à un élevage plus productif, plus in-
les plus forts bradent leurs produits auprès des tensif. Or cela n’est possible qu’en rendant le lait
populations urbaines de ces pays. S’il y a peu de local concurrentiel par la suppression des subven-
produits africains épargnés, le lait demande cer- tions à l’exportation et par l’instauration, en Afri-
tainement une attention particulière. Si les pays que de l’Ouest, de taxes à l’importation variables
de la CEDEAO ne devaient exercer leur droit de en fonction des prix du marché mondial.

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