Anatomie Du Nazisme - Frédéric Sallée
Anatomie Du Nazisme - Frédéric Sallée
Anatomie Du Nazisme - Frédéric Sallée
du
nazisme
Frédéric Sallée
Frédéric Sallée
Agrégé et docteur en histoire contemporaine, Frédéric Sallée est professeur
d’histoire-géographie, qualifié aux fonctions de maître de conférences et
membre associé au LUHCIE (Laboratoire Universitaire Histoire Cultures Italie
Europe). Ses travaux portent sur l’histoire des relations internationales des
années 1930 et sur la politique extérieure de l’Allemagne nazie.
Du même auteur
- Sur les chemins de terre brune. Voyages dans l’Allemagne nazie (1933-1939),
Fayard, 2017.
- Voyager dans les États autoritaires et totalitaires de l’entre-deux-guerres.
Confrontations aux régimes, perceptions des idéologies et comparaisons
(direction d’ouvrage avec Olivier Dard, Emmanuel Mattiato et Christophe
Poupault), LLSETI, 2017.
Issues de la tradition ou de l’air du temps, mêlant souvent vrai et faux, les idées
reçues sont dans toutes les têtes. Les auteurs les prennent pour point de départ et
apportent ici un éclairage distancié et approfondi sur ce que l’on sait ou croit
savoir.
définition
Nazisme n. m.
Qu’est-ce que le nazisme ? L’interrogation soulevant l’impérieuse nécessité
de définition posée en 1985 par Ian Kershaw dans son maître ouvrage éponyme
dessine les contours d’une délimitation ayant fluctué au fil des interprétations
historiques. Courant de pensée ? Mouvement politique ? Idéologie ?
Structuré en mouvement politique dès 1920 sous l’impulsion du bavarois
Anton Drexler et d’Adolf Hitler, le nazisme n’est pas une création politique ex
nihilo. Ses fondements, incarnés par les vingt-cinq points du programme du parti
(à l’origine le DAP) publiés en février 1920 et par la mutation en nouveau parti
politique (NSDAP*) en août de la même année, reposent sur un amalgame de la
pensée völkisch, du ressentiment de l’opinion allemande de l’après-1919 et
d’une réécriture de l’Histoire. Cet agrégat se structure autour d’une matrice,
véritable épine dorsale du nazisme, qu’est l’antisémitisme. Le primat de la
pensée s’incarne autour de la race et de sa préservation. Par le biais d’une
récupération du mythe aryen, cette survie raciale autour d’une communauté de
sang pur se fait par l’inconditionnelle opposition à celui qui incarne son
destructeur : le Juif. De cette colonne vertébrale qu’est l’antisémitisme découle
les principes essentiels du nazisme : la destruction de la démocratie, la lutte
anticommuniste, la conquête d’un Lebensraum* (espace de survie) et la
refondation culturelle par l’annihilation des principes de 1789.
Le nazisme revêt un caractère spécifique dans l’histoire des fondements
politiques du XXe siècle. Plus qu’une simple idéologie articulée autour d’un
mode de pensée n’ayant pour finalité que l’application de ses idées, il se veut
être une « vision du monde » (Weltanschauung*) proposant une relecture du
passé pour servir le présent et imposer sa « totalité » dans un futur promis à
l’unique incarnation de la réussite du modèle. Théorisée dans Mein Kampf * puis
relayée abondamment par les hiérarques du parti et les divers outils de
propagande, cette « vision du monde » s’avère profondément marquée et
orientée par les bouleversements de la guerre. Le génocide des Juifs d’Europe
incarne le paroxysme de la destruction et de la vision mortifère du monde
perçue, conçue et instaurée par les nazis, mais également le tragique symbole
d’une adéquation et adaptation de la pensée nazie aux impératifs guerriers.
[*] Les mots signalés par un astérisque renvoient au glossaire en fin d’ouvrage.
sommaire
Introduction
DU POUVOIR À LA GUERRE
« Les camps de concentration ont été créés pour tuer. »
« La “nuit des longs couteaux” a permis la liquidation de la
SA. »
« Les lois de Nuremberg sont le commencement de la politique
antisémite nazie. »
« Aucune résistance allemande n’est possible face au
totalitarisme nazi. »
« Hitler était “un dictateur faible”. »
L’EMBALLEMENT GÉNOCIDAIRE
« Dès sa création, le nazisme avait l’intention d’exterminer les
Juifs d’Europe. »
« Le génocide des Juifs d’Europe fut perpétré par des
bourreaux fous et peu cultivés. »
« Il n’y a pas eu d’images de la Shoah. »
« Auschwitz et Treblinka sont des camps d’extermination. »
« La “Shoah par balles” est une nouveauté historiographique de
ces dix dernières années. »
LA MÉMOIRE DU NAZISME
Conclusion
ANNEXES
Glossaire
Pour aller plus loin…
L’origine d’un mot : « nazi »
Loin d’être restée un simple cas d’école de la fin des années 1980, la « querelle des
historiens », opposant principalement Nolte et Habermas, ne s’est pas évanouie avec la
chute du Mur, ni éteinte avec Nolte lui-même en 2016. Née à l’été 1986 des suites de
tribunes successives opposant l’historien Ernst Nolte au sociologue Jürgen Habermas, la
polémique se déplaça vers l’Italie en 1994. Outre les propos bienveillants de Nolte sur la
participation de l’extrême-droite italienne au gouvernement Berlusconi, l’historien allemand
soulève à cette occasion le fait que la Seconde Guerre mondiale « avait en elle la tendance
et la possibilité d’une guerre d’unification européenne ». Dans un temps italien troublé par les
opérations mani pulite, Nolte recentre le débat autour d’une nostalgie guerrière unificatrice.
Dans le même temps, il fait part de ses doutes dissipés sur le prisme technique du génocide
des Juifs, permettant à ses détracteurs de réévaluer son caractère révisionniste : « Ce qui
personnellement me convainc le plus du fait qu’il y ait eu des exterminations de masse de
grande envergure dans des chambres à gaz, c’est l’emploi fréquent à ce propos du mot
“humain”, aussi bien chez Hitler lui-même que chez les autres nationaux-socialistes ».
L’année suivante, en France, l’historien de la Révolution française François Furet relance le
débat dans Le Passé d’une illusion. Loin d’être le disciple de Nolte sur lequel il se démarque
en de nombreux points, Furet souligne le caractère fécond de sa pensée, s’attirant de fait les
foudres des milieux d’extrême-gauches confondant les propos. De cette filiation et de cette
dette méthodologique naîtra la correspondance publiée sous le titre Fascisme et
communisme en 2000.
La controverse reprend en juin 2000, lors de l’attribution du prix Konrad Adenauer de la
Fondation d’Allemagne, l’éloge d’Ernst Nolte est fait. L’historien Heinrich Winker protesta
publiquement dans Die Zeit envers le directeur de l’Institut für Zeitgeschichte (IfZ) Horst
Möller. Nolte disparaît en 2016. La controverse, elle, continue, en se déplaçant sur le terrain
de l’histoire comparée. La réédition commentée des œuvres de Nolte en France a relancé le
débat sur la possibilité d’une comparaison entre communisme et nazisme. Enfin, il n’est pas
rare de voir resurgir le terme même de la « querelle », faisant du moment d’invectives un
référent opératoire. La parution du livre polémique de Daniel Jonah Goldhagen en 1996, Les
Bourreaux volontaires de Hitler, laissait présager d’une « nouvelle querelle des historiens ».
« Le nazisme est un prolongement du fascisme
italien. »
Hitler reçoit Mussolini à Berlin durant la dernière semaine de septembre 1937. À cette
occasion, les deux dictateurs prononcent deux discours sensiblement similaires sur le sens
de ce rapprochement entre le nazisme et le fascisme italien et sur leur perception du
fascisme.
Voici un extrait du discours du chancelier allemand à la tribune berlinoise, le 29 septembre
1937. Au-delà de la volonté affichée de s’incarner comme le garant de la paix internationale,
il évoque sa vision du fascisme :
« Le sens profond de cette manifestation des peuples, c’est le désir sincère de garantir à nos
pays cette paix qui n’est pas le salaire du renoncement et de la lâcheté, mais le résultat de la
volonté de garantir en pleine conscience de nos responsabilités les valeurs nationales,
morales et physiques et tout ce qui fait la substance de notre culture.
De la communauté de la révolution fasciste et de la révolution nationale-socialiste est née,
aujourd’hui, une communauté non seulement d’opinions, mais d’action. Cela est un bonheur,
à une époque et pour un monde dans lequel les tendances de destructions et de
déformations se montrent partout.
Toute tentative de détruire une telle communauté entre nos nations en jouant l’une contre
l’autre, en émettant des soupçons ou en leur prêtant des desseins inexistants, échouera
contre le désir de 115 millions d’hommes qui forment à cette heure cette manifestation de
communauté.
Elle échouera surtout contre la volonté de deux hommes qui sont debout ici devant vous et
qui vous parlent. »
Discours d’Adolf Hitler in L’Intransigeant, 30 septembre 1937, p. 3.
« Le nazisme est inéluctable à la destinée de
l’Allemagne. »
Carte postale d’Hans vom Norden, « Ce que le roi a conquis, le prince lui a donné forme, le
feld-maréchal l’a défendu, le soldat l’a sauvé et uni », 1933
Or, depuis la fin des années 1970, la théorie du Sonderweg fut battue en
brèche par l’historien allemand Thomas Nipperdey, soulignant qu’il n’y a pas
une continuité de l’histoire allemande mais des continuités, et 1933 n’est pas le
point de rencontre de l’intégralité de ces « histoires » de l’Allemagne. À cela
s’ajoute le fait que le Sonderweg commettrait l’erreur d’expliquer chaque
période historique par un lien de causalité avec la précédente. Or, la République
de Weimar, ni même la Première Guerre mondiale, ne peuvent à elles seules
annoncer l’avènement du nazisme. Certes, la faiblesse de la constitution
weimarienne pose le cadre d’un affranchissement rapide du cadre légal par
l’appareil nazi au pouvoir. Certes, la Grande Guerre est une matrice indéniable
de l’atomisation de cette génération allemande du feu. Réduire la survenue du
nazisme à une téléologie omet ses axiomes fondamentaux : des hommes
galvanisés par le chef, des idées nées et structurées par l’antisémitisme. Le
nazisme est le résultat d’une somme de causes dont l’origine ne réside pas,
comme les nazis souhaitaient eux-mêmes le faire accepter, dans l’unique
continuité du régime weimarien et, par extension, au Reich wilhelmien et à
Bismarck. En 1933, la propagande nazie diffuse massivement une carte postale
inscrivant Hitler dans la continuité de Frédéric II, Bismarck et Hindenburg. Le
chancelier se présente comme le point d’arrivée d’une nation allemande en
construction. Ce Sonderweg fantasmé, imaginé et popularisé par les nazis eux-
mêmes trouve son acmé le 30 janvier 1939, lors du discours dit de la
« Prophétie ». Le Führer* proclame le « Reich millénaire », incarnation de cette
voie particulière ayant vocation à s’inscrire désormais dans l’éternité. De plus,
l’idée d’un Sonderweg tend à minorer la part de modernité de l’Allemagne des
années 1920 et à omettre la capacité de sa société à ne pas sans cesse regarder
vers le passé ou à se comparer pour se construire dans l’après-guerre.
L’Allemagne ne s’est pas construite en dehors de la « norme » (incarnée par les
pays industrialisés comme la France ou le Royaume-Uni) qu’impliquerait le
Sonderweg mais est entrée en plein dans la modernité politique, économique et
culturelle. Politiquement, elle a fait l’expérience de la démocratie républicaine
d’une nation jeune. Économiquement, les industries de la Ruhr font jeu égal à
leurs voisines des bassins miniers de Manchester et lorrains. Culturellement,
l’envolée de prix Nobel dans les années 1910-1920 est saisissante.
L’idée d’un « chemin particulier » de l’Allemagne resurgit en 1996 lors de la
publication du livre polémique du politologue Daniel Jonah Goldhagen, intitulé
Les Bourreaux volontaires de Hitler. Non limité au champ du nazisme en tant
que régime, le Sonderweg s’est déplacé sur la question de la Shoah et de ses
particularités allemandes stricto sensu. La thèse de Goldhagen repose sur les
« agents de l’Holocauste » et sur le rôle unique joué par les Allemands dans
l’extermination des Juifs d’Europe. L’auteur entend réfléchir au cadre
sociologique, psychologique, aux structures qui motivent un homme à en tuer un
autre. L’explication de Goldhagen s’appuie sur le particularisme de l’Allemand,
de par son histoire et sa culture, qui serait enclin à sombrer dans une logique
meurtrière. Le volontarisme du bourreau allemand pose problème à plus d’un
titre. Cette mise en avant d’une « particularité allemande » dans la Shoah tend à
minorer la participation des agents extérieurs à l’Allemagne et de faire de
l’Allemand l’unique exécutant, dédouanant ainsi les multiples complicités et
compromissions des polices et civils des territoires occupés ou collaborant avec
le Reich. Ensuite, elle inscrit la Shoah dans une continuité de l’histoire
allemande, inévitable elle-aussi car l’Allemand portait en lui les germes de la
« pensée éliminationniste » dans son antisémitisme. Devant le danger d’une
résurgence de la culpabilité collective du peuple allemand réunifié des années
1990, Goldhagen prit soin de rédiger une préface à son ouvrage en juillet 1996
rappelant que l’analyse ne plonge pas nécessairement les Allemands dans des
caractéristiques immuables et qu’elle repose sur une généralisation, présentée
comme nécessaire à l’écriture de l’Histoire.
Placer le nazisme dans une histoire inéluctable de l’Allemagne revient à faire
une histoire éminemment politique et politisée, idéalisant l’Occident et reléguant
l’Allemagne à une entité vouée dès l’origine à sombrer dans la tragédie brune.
L’histoire de l’Allemagne s’inscrit aujourd’hui dans un Normalweg, dont le sens
du chemin prend davantage la direction d’une histoire européenne commune
qu’une voie faite de particularismes issus d’une construction mentale à dessein
de domination.
« Le nazisme est devenu une force politique grâce aux
soutiens du grand patronat. »
Élément de langage récurrent, l’idée d’un grand capital ayant soutenu, financé
et donné au nazisme les moyens de ses ambitions a pour principale vertu de
rassurer des sociétés contemporaines cherchant une explication déculpabilisante
sortant du seul cadre de la participation démocratique dans l’avènement du
nazisme. Le bond spectaculaire opéré par le nazisme dans les urnes entre les
2,6 % aux élections de 1928 et les 18,3 % en septembre 1930 n’aurait pu se faire
que par l’immixtion d’une force extérieure : celle de la finance. Le nazisme
ayant pris corps dans une Allemagne berceau de la révolution industrielle, où les
fleurons de l’aciérie européenne (Krupp) côtoient les grands trusts de la chimie
(IG Farben), le processus d’identification ne peut qu’être opérant et la collusion
évidente. Face à l’anticommunisme véhiculé par le nazisme, le grand patronat
aurait ainsi trouvé un allié de poids dans la construction d’une grande force
politique au service de ses intérêts. La publication de l’ouvrage I paid Hitler en
1941 par Emery Reves issu d’entretiens échangés avec l’industriel Fritz Thyssen
(dont l’interprétation fut massivement contestée par Thyssen lui-même), la
popularisation des affiches de propagande communistes « Les millionnaires se
tiennent debout au service d’Hitler », ainsi que l’inculpation puis la
condamnation de Gustav Krupp lors du procès de Nuremberg en 1945 ont aidé à
conforter ce postulat.
La confusion autour de la chronologie des rapports entre Hitler et les grands
patrons allemands entretient ce mythe. La multiplication des rencontres
bilatérales durant les premiers mois de l’année 1933 a créé la confusion. Or, en
1933, le nazisme est non seulement un parti politique organisé mais désormais
incarné en un régime politique. Les rapports entre nazisme et grand capital sur la
période 1920-1933 doivent être étudiés pour pouvoir parler d’un quelconque rôle
dans sa consolidation. Dès sa création, le mouvement nazi est profondément
anticapitaliste. Dans ses vingt-cinq points du parti, le NSDAP* en consacre six à
la question de la réduction du pouvoir du grand capital. Aucune autre thématique
ne recueille une telle volonté réformatrice. Dès le point 11, le NSDAP entend
aboutir à « la suppression des revenus des oisifs et de ceux qui ont la vie facile ».
Le grand capitaine d’industrie est ici assimilé à l’oisif et au profiteur, en
opposition au « petit commerçant » qui incarne l’Allemagne laborieuse, comme
le rappelle le point 16. La politique d’enrichissement personnel du grand
patronat par les bénéfices de guerre est également mise à l’index (point 12).
Enfin, le NSDAP envisage une vaste politique de restructuration des grandes
industries en nationalisant les grands groupes (point 13), en participant aux
bénéfices de ceux-là (point 14) et en lançant une vaste réforme agraire visant à
l’expropriation (point 17).
Huit mois auparavant, l’humiliation de Versailles démantelant l’économie
allemande permit au grand patronat de trouver, malgré tout, des raisons de
soutenir le NSDAP en dépit de sa ligne de charge violente à son égard. La
nationalisation des brevets scientifiques (article 306 du traité de Versailles) fit
perdre de nombreux revenus aux grandes firmes industrielles allemandes. Ainsi,
le brevet de l’aspirine déposé par Bayer en 1899 est internationalisé. La
virulence du propos hitlérien envers le « diktat » légitime les premiers
rapprochements idéologiques ; la droite conservatrice et nationaliste
traditionnelle étant jugée trop laxiste sur les réponses à apporter à Versailles. À
compter de la sortie de prison du Landsberg (décembre 1924) suite au putsch
manqué de novembre 1923, l’opportunisme d’Hitler en quête de soutiens
politiques l’amena à s’éloigner progressivement des 25 points du parti, conscient
que sa sphère d’influence devait dépasser le simple cadre du monde ouvrier. Dès
1928, l’adaptation des 25 points se concentre autour du « grand capital détenu
par les juifs ». Malgré tout, la politique d’« enrégimentation » de l’économie
allemande, dans un projet d’État totalitaire ne laisse que peu de place aux
libertés des chefs d’entreprises. Ainsi, si l’on observe des mouvements de
capitaux entre la grande industrie et le NSDAP, la destination des flux financiers
principaux se dirige davantage vers la droite de von Papen ou vers le Zentrum.
La véritable inflexion de la politique économique du grand patronat affichant
son soutien au NSDAP se situe en 1932. Or, à cette date, le parti est déjà
structuré et organisé en tant que force politique. En janvier 1932, Fritz Thyssen
réunit plus de cent grands dirigeants allemands autour d’Hitler, ce dernier leur
assurant qu’il « se charge de la politique » et que les industriels doivent
s’occuper de « l’économie ». Leur participation au projet nazi commence à
s’avérer efficiente. Cependant, à cette date, les nazis sont déjà la deuxième force
politique du pays depuis leurs 6 300 000 voix de l’élection législative de
septembre 1930. De plus, l’unanimité supposée du soutien est à minorer. Les
grands patrons de l’industrie lourde, à la suite des élections d’août 1932
(meilleur score du NSDAP), mettent à disposition du président Hindenburg la
Deutsche Allgemeine Zeitung, principal quotidien dont ils sont propriétaires, afin
de faire barrage à Hitler par voie de presse. Le 19 novembre 1932, l’appel
conjoint de banquiers, industriels et grands propriétaires terriens à l’adresse du
président Hindenburg souhaitant la nomination d’Hitler à la chancellerie aurait
constitué l’acmé d’une union des forces de la finance à l’aide matérielle des
milieux d’affaires envers le parti. Cet appel, popularisé par une archive agitée
lors du procès de Nuremberg afin de faire condamner Krupp, n’est en réalité
signé que par dix-neuf personnes ne faisant pas partie des hauts milieux
d’affaires. Le brouillon initial de l’appel (utilisé comme document à charge à
Nuremberg) mentionne de grands noms (Krupp et Siemens notamment) qui, au
final, ont refusé d’apporter leur soutien à la nomination d’Hitler à la
chancellerie, avant de se ranger aux côtés du Führer* une fois ce dernier aux
commandes. En réalité, l’essentiel des actions bienveillantes du grand patronat
prit corps après 1933, à l’image de la fondation de l’Académie du Droit
Allemand. Ce cercle d’industriels milliardaires réunis autour de Carl Duisberg
(IG Farben) réfléchit aux modalités du soutien à apporter au NSDAP, devenu le
« dernier espoir plutôt que le premier choix » (Ian Kershaw). Cependant, même
après l’accession d’Hitler à la chancellerie, les milieux financiers s’inquiètent.
La décision de dissoudre le Reichstag le 2 février 1933 provoque leur
insatisfaction et critique, face à la paralysie à venir des transactions en période
d’incertitudes électorales.
De fait, les sommes fournies par le haut patronat allemand durant la période
1920-1933 pour structurer le NSDAP sont relativement peu conséquentes et
sont, pour l’essentiel, issue d’initiatives individuelles. Le journal de Goebbels est
là pour rappeler combien les finances du parti furent maigres jusqu’à l’accession
au pouvoir. L’adaptation des positions des hautes sphères du capital, promises à
la destruction « par le fer et le feu » (David Schoenbaum, La Révolution brune,
1966) durant les premiers temps du nazisme, tient de l’opportunisme issu de la
pratique du pouvoir. Le bris syndical de mai 1933 permet de fournir des
garanties à la liberté entrepreneuriale des tenants de l’industrie allemande. Par un
effet concentrique, la sphère du pouvoir politique nazi a cependant toujours
enserrée les milieux économiques allemands, en faisant des ennemis devenus
partenaires, des cupides devenus créanciers complices.
Fréquemment cité et utilisé comme exemple de l’incarnation d’un grand capital à la solde
d’Hitler et du NSDAP, le parcours de Fritz Thyssen, magnat de la sidérurgie allemande, est
symptomatique des confusions qui marquent les liens entre les deux parties.
Soutien des premières heures lors du putsch raté de novembre 1923, le dirigeant des
nouvelles Vereinigte Stahlwerke (Aciéries réunies – 1926) s’encarta au parti dès 1931. La
précocité et la linéarité de son engagement aux côtés du nazisme peuvent légitimement
nourrir le sentiment d’une indéfectible collusion entre l’une des plus grandes puissances
économiques de la Ruhr et le NSDAP. Au regard des raisons et motivations de son
engagement, la réalité est tout autre. Fritz Thyssen se rapprocha avant tout de Goering, dont
les discours ultranationalistes l’avaient particulièrement séduit. Le soutien envers le NSDAP
résulte d’un intérêt personnel pour le succès de son entreprise. Le projet de remilitarisation
de l’Allemagne, promis par Goering, assurerait en effet à Thyssen des subsides
conséquents ; son entreprise étant en pointe de l’industrie de l’armement. En 1931, les
premiers rapprochements politiques concrets entre Thyssen et le NSDAP se font jour. En
rejoignant le « Front de Harzburg », alliance politique de mouvements de droite autour
notamment du DNVP (Parti National du Peuple Allemand) et du NSDAP, le but du magnat de
l’industrie est de participer à une force de droite puissante face au gouvernement du
chancelier Brüning et, au-delà, des principes de la République de Weimar.
Le tournant profondément antisémite de l’année 1938 ainsi que la signature du pacte
germano-soviétique en août 1939 poussent Fritz Thyssen à s’éloigner radicalement du parti,
allant ainsi jusqu’à l’exil en Suisse. Quand d’autres grands dirigeants comme Gustav Krupp
et Carl Friedrich von Siemens voient dans l’année 1939 le succès espéré depuis leur
ralliement au nazisme de 1933, la trajectoire de Thyssen s’inverse, démontrant la nécessaire
différenciation des comportements sociaux dans une économie de guerre.
Née en 1905, l’entreprise IG Farben, spécialisée dans la chimie, se renforce en 1925 par le
biais d’un conglomérat des industries Agfa, BASF et Bayer. Cette nouvelle entité industrielle
monopolise le secteur chimique allemand durant l’entre-deux-guerres, autour d’activités
devenant vitales pour l’économie à l’orée de la Seconde Guerre mondiale : caoutchouc
synthétique (communément appelé « Buna », métonymie de Monowitz, site d’implantation
d’IG Farben sur le complexe d’Auschwitz), essence synthétique (substitut au pétrole).
La compromission vint de la participation active de l’entreprise au génocide. La société
Degesch, filiale d’IG Farben, fabriqua puis commercialisa le gaz Zyklon B, principal outil de
mort de l’appareil génocidaire. La vente du gaz à la SS est estimée à 300 000 marks.
Le procès contre IG Farben s’est tenu d’août 1947 à juin 1948, à Nuremberg, dans le cadre
des procès à l’encontre des industriels ayant soutenu le régime (procès Flick, procès Krupp).
Malgré des chefs d’accusation lourds (implication dans un crime contre l’humanité,
extermination de travailleurs forcés), les accusés, essentiellement membres du conseil
d’administration de l’entreprise, sont pour moitié condamnés à de la prison ou acquittés. La
défense bénéficia d’une destruction massive d’archives compromettantes par IG Farben. Le
conglomérat fut démantelé en 1952 mais les sociétés participantes (Agfa, BASF, Bayer)
purent continuer d’exercer, n’ayant pas été jugées comme partie intégrante de la
propagande nazie. Malgré ce démembrement de 1952, IG Farben resta côtée en bourse
jusqu’en 2003 et versa des subsides à ses actionnaires, provoquant l’ire des familles de
victimes, devant se contenter de maigres dédommagements.
« Le national-socialisme n’a de socialiste que le nom. »
Alors [les nazis] se maquillent et choisissent pour te parler les mots que tu as
si souvent employés toi-même, les grands mots de socialisme, de révolution qui
expriment tes aspirations et ton effort vers une vie meilleure et un monde plus
juste.
Gabriel Péri, brochure Non, le nazisme n’est pas le socialisme !, mars 1941
En 1941, le résistant communiste Gabriel Péri écrivait que « les nazis étaient
les falsificateurs du socialisme ». Au-delà de son caractère pourfendeur, le
nazisme est présenté comme un duplicata grossier des principes socialistes
héritiers de la pensée marxiste. Le socialisme ne serait qu’une promesse,
inconciliable avec la nature raciste et discriminante du nazisme. Il serait avant
tout incompatible avec le national-socialisme par ses origines idéologiques. Le
NSDAP* puise ses origines dans le DAP (parti allemand des travailleurs),
composé, entre autres, d’ouvriers préconisant l’abandon de la lutte des classes et
le rejet du syndicalisme révolutionnaire. L’éviction de ces deux pivots, centraux
dans l’expérience socialiste révolutionnaire, constitue la principale pierre
d’achoppement. De plus, le nationalisme exclusif de la vision du monde nazie
s’opposerait par nature à une Internationale socialiste en devenir.
La rencontre entre Hitler et Alfred Rosenberg (né à Reval en Estonie et
confronté à la révolution de 1917), futur idéologue et théoricien du parti, a donné
une tournure profondément anticommuniste au programme du nazisme. Ce jeune
architecte venu de l’Est et promu rédacteur en chef du Völkischer Beobachter
forme Hitler à la haine du « rouge ». Dans un État héritier du congrès de Gotha,
des figures d’August Bebel, Karl Kautsky, Rosa Luxembourg ou Karl
Liebknecht, dans une société transformée par la révolution industrielle et par
l’émergence syndicale d’une masse démographique ouvrière à l’influence
notable, le nazisme s’affirma comme force d’opposition au socialisme
révolutionnaire comme réformiste. Les campagnes des élections législatives
de 1930 et 1932 se font sur un affrontement idéologique net entre le SPD d’Otto
Wels (première force politique du pays, près de 30 % des suffrages aux élections
de mai 1928) et Hitler, renvoyant au premier le fait que le NSDAP est l’unique
« porte-parole de l’ouvrier allemand ». Dès les premiers temps du nazisme au
pouvoir, socialistes et communistes constituent les cibles initiales de l’appareil
répressif nazi et viennent peupler les 5 000 places du nouveau camp de
concentration de Dachau.
Or, le NSDAP a conservé la composante socialiste dans sa dénomination.
Simple opportunisme de façade pour rallier des voix en vue des premières
élections législatives ? Le NSDAP est en réalité scindé en deux. Le principal
courant, nationaliste, raciste et antisémite s’articule autour d’Hitler. Le second,
davantage attaché à une forme de « socialisme prussien » s’incarne en la
personne de Gregor Strasser, désireux d’amalgamer le nationalisme exclusif
d’Hitler à une véritable « aile gauche » du parti, autour d’une réadaptation
sociale des 25 points du parti. Loin d’être un courant isolé, y compris après
l’éviction de Strasser lors de la « nuit des longs couteaux » de 1934, ce
mouvement de pensée séduisit jusqu’aux plus influents du parti, comme
Hermann Goering.
« Le mouvement hitlérien est puissant, la façon dont il a brisé les résistances des partis
d’étiquette démocratique et dont il a surmonté les velléités d’indépendance des États ne
laisse aucune place au doute. (…)
À l’intérieur, le mouvement national-socialiste paraît devoir évoluer très rapidement vers un
régime prolétarien, un spartakisme assez analogue au communisme. Certains journalistes
français ont cru que l’hitlérisme était un mouvement de droite, et qu’il s’achèverait par une
restauration monarchique. Je me suis permis, dès le mois de mars, de leur citer l’exemple de
la Hongrie où une dictature qui est vraiment de droite, celle-là, dure depuis quatorze ans.
Avant même la prise du pouvoir, l’hitlérisme ne se présentait comme un parti de réaction
politique et de conservation sociale. Un Strasser, qui est devenu hérétique, mais qui a
exercé la plus grande influence sur Adolf Hitler, un Feder, qui a écrit un des livres les plus
violents qui soient contre le capitalisme, se placeraient chez nous à gauche de M. Blum. La
nationalisation de certaines entreprises est déjà faite et la formule l’usine aux ouvriers est en
voie de réalisation en plusieurs endroits. »
Jean Mistler, « Sur les chemins de l’Europe », La Revue de Paris, 15 juin 1933, p. 792-793.
Socialiste, le nazisme le fut dans le verbe. Dès 1922, Hitler fait du nazi un
parfait socialiste et du socialiste un nazi en devenir : « Celui qui est prêt à faire
sienne la cause nationale dans une mesure telle qu’il ne connaît pas d’idéal plus
élevé que la prospérité de la nation ; celui qui a compris que notre grand hymne
Deutschland über alles signifie que rien, rien dans le vaste monde ne surpasse à
ses yeux cette Allemagne, sa terre et son peuple, celui-ci est un socialiste ». Ce
socialisme hitlérien sort du cadre d’inspiration marxiste que le futur chancelier
vomit. Par la phraséologie, Hitler redéfinit le socialisme afin d’en faire l’un des
substrats du nazisme et, par là-même, pointer les défaillances du socialisme
marxiste présenté comme éloigné des préoccupations du peuple et de l’intérêt de
l’État. Au « socialisme positif » des nazis, désormais normatif, s’oppose le
« socialisme négatif » venu de l’Est. La principale réorientation de cette
définition tient dans le rapport au capital. Le nazisme ne souhaite pas retirer le
capital aux investisseurs privés. Il souhaite intégrer l’État au pouvoir de décision
de la vie économique. En 1936, les conceptions politiques de l’État national-
socialiste furent définies autour de onze principes, publiés par Wilhelm Stuckart
dans le Völkischer Beobachter. Le troisième point est sans équivoque : « Le
Reich est un État socialiste : l’intérêt général prime l’intérêt particulier. Ce qui
sert à la collectivité du peuple est droit, ce qui lui nuit est contraire au droit. »
Du socialisme, le nazisme en reprend les méthodes. En 1933, Hitler maintient
le Plan Gereke, vaste entreprise sociale de lutte contre le chômage par une
planification des travaux publics par les communes, mis en place en 1932.
Cependant, les ambitions militaires du nouveau régime firent primer les travaux
militaires sur les projets civils et le Plan Reinhardt, sous l’impulsion de la
Reichswehr, le remplace dès le mois de juin 1933. L’instauration d’un plan
quadriennal en 1936 jette à la face des démocraties libérales occidentales un
nouveau modèle de planification économique. Cependant, la méthode est là aussi
en trompe-l’œil et le plan de quatre ans ne doit pas être perçu comme le pendant
des procédés soviétiques. Seule l’industrie est concernée par cette planification,
dans une perspective d’armement à visée d’autarcie économique, bien loin de
satisfaire les préoccupations sociales.
Par un subtil jeu de miroirs comparatifs, le Troisième Reich a réussi à diffuser
ses promesses sociales comme les seules capables de restaurer l’ordre social, le
progrès et le bien-être. D’une part, dans les États voisins, le modèle
démocratique libéral est jugé vieillissant et mis à défiance par les populations.
D’autre part, l’URSS est présentée comme la responsable d’un socialisme vicié
par sa dénaturation révolutionnaire. Cette représentation d’un nazisme à visée
socialiste tient dans la multiplication des organisations et œuvres sociales mises
en place une fois au pouvoir. Le travailleur allemand est l’objet d’un grand
intérêt de la part des nazis. La mise en place d’organisations comme Kraft durch
Freude (La Force par la Joie), véritable institution permettant d’assurer la
cohésion nationale des travailleurs au sein de loisirs d’État, ou encore Schönheit
der Arbeit (Beauté du Travail), améliorant le cadre de travail quotidien et
prônant le bien-être comme modèle de réussite sociale, n’a en réalité comme
autre but de contrôler la masse démographique et de l’unifier dans la
communauté nationale. Les œuvres sociales comme Mutter und Kind (Mère et
enfant) ou Winterhilfswerk (Secours d’hiver) remplissent davantage leur « rôle
socialiste », sans être pour autant dénuées d’intérêt propagandiste pour la
Volksgemeinschaft*.
L’État nazi a fait preuve d’une dimension socialiste dans le sens où il est
descendu vers les masses pour tenter d’en améliorer la vie. Cependant, cette
dimension n’a été qu’un moyen de coaguler la communauté nationale à l’État, et
non une fin de paradis socialiste en soi. Le socialisme utilisé n’a été qu’une
illusion, un outil au service de la toute-puissance de l’appareil d’État, n’hésitant
pas à être réactivé quand les circonstances intérieures ou les enjeux
internationaux l’exigeaient et ne redoutant pas d’être enterré quand la nécessité
de l’accomplissement nationaliste et raciste s’imposait.
Ouvriers 30,3 %
Employés 19 %
Travailleurs indépendants 19 %
Fonctionnaires 12 %
Agriculteurs 10,2 %
Divers 3,23 %
Retraités 1,52 %
Étudiants 1,35 %
in David Schoenbaum, La Révolution brune. La société allemande sous le Troisième Reich
(1933-1939), Robert Laffont, 1979, p. 94-95.
DU MOUVEMENT AU RÉGIME
POLITIQUE
« La crise économique de 1929 est à l’origine du
succès des nazis. »
Les files d’attente interminables pour les bureaux d’embauches dans le port de
Hanovre. Les graffitis de croix gammées accompagnés de la mention « Hitler ».
En 1932, les photographies des scènes de vie quotidienne figent l’Allemagne
dans une situation de détresse économique totale. Cette fixation est réelle.
Réalité par les chiffres tout d’abord : l’Allemagne est à terre par les
conséquences du cataclysme financier provoqué par le krach de Wall Street en
octobre 1929. Principal partenaire commercial des États-Unis, l’Allemagne subit
de plein fouet l’arrêt des liquidités américaines et des investissements, dans une
temporalité inédite par sa rapidité d’ampleur. Touchant d’abord l’Autriche, la
crise s’étend rapidement en Allemagne, à partir de décembre 1930. En
juillet 1931, le système bancaire s’effondre (faillite de la Danat Bank) et
2 milliards de reichsmarks sont retirés. En 1932, 6 042 000 de chômeurs et
8 000 000 de chômeurs partiels (statistiques du 1er février 1932), soit 33 % de la
population active totale, peuplent le pays. Réalité par les conditions de vie
ensuite : les maladies en voie d’éradication, comme la tuberculose, réinvestissent
les villes, la prostitution s’accroît, la natalité s’effondre et le nombre de suicides
s’envole.
Est-ce à dire que la crise de 1929 fut le point de cristallisation de l’électorat
allemand autour du NSDAP* ? La réalité historique est, à tout le moins, plus
complexe. Au plus fort de la crise (1932), le NSDAP connaît en effet ses succès
électoraux les plus spectaculaires. Les élections législatives de juillet 1932 sont
une réussite majeure (plus de 13 700 000 voix pour 37,3 % des suffrages
exprimés). Cependant, la hausse du chômage n’est pas corrélée par la même
dynamique électorale nazie. En effet, aux élections législatives de novembre, qui
scellent la victoire nazie du fait d’un éclatement des gauches, le parti connaît une
érosion des voix, reflux qui fit dire à Goebbels que le pouvoir ne demeurerait
qu’une illusion. 33,1 % des voix ; suffisamment pour espérer enlever la
chancellerie mais deux millions de voix s’évanouissent.
La progression des nazis dans l’électorat s’est faite de manière dissociée, en
deux temps. La première poussée significative eut lieu durant les années 1929-
1930. Aux législatives de septembre 1930, le NSDAP a gagné plus de seize
points pour afficher un score de 18,3 %. Or, la chronologie post-krach boursier
ne doit pas faire perdre de vue que la crise économique n’a pas encore gagné
l’Allemagne. La crise est avant tout politique. La victoire de la gauche aux
élections de mai 1928 qui amena au pouvoir le socialiste Hermann Müller dans
un gouvernement de « grande coalition » offre à la droite le moment opportun
pour se souder autour d’un front commun d’attaques. Le Plan Young
d’août 1929, prévoyant un rééchelonnement du paiement des réparations de
guerre fixées par le traité de Versailles, s’il est une victoire pour le ministre des
Affaires étrangères Gustav Stresemann, devient l’incarnation d’une soumission
supplémentaire au « diktat » pour une droite dont Hitler devient la principale
voix. Le principal parti de l’extrême-droite jusque-là, le Parti Populaire National
Allemand (DNVP*) s’effondre (27,8 % en 1928 à 8,1 % en 1932). Les
transfuges ne se font pas attendre. Le solide socle de six millions de voix atteint
par le NSDAP en septembre 1930, lui permettant de devenir la deuxième force
politique du pays devant le KPD*, n’est donc pas le fruit de la crise issue de
Wall Street. Cette base doubla ensuite sur la période 1930-1932, sous l’effet
direct de l’impopularité de la politique déflationniste du chancelier Brüning.
Davantage que la crise en elle-même, c’est l’inadaptation des solutions apportées
à celle-là qui constitue le levier salutaire pour les nazis. Simultanément, la baisse
des allocations, la hausse des impôts et la réduction du salaire des fonctionnaires
entraînent un mécontentement visible dans les urnes.
À l’été 1932, la philosophe Simone Weil, en voyage à Berlin, s’interroge
devant la situation politique et économique du pays : « Nous sommes en période
de transition ; mais transition vers quoi ? Nul n’en a la moindre idée. » Croire
benoîtement que les succès électoraux du NSDAP post-1929 amènent
inéluctablement et de manière évidente Hitler à la chancellerie est une vue de
l’esprit. Simone Weil ne fait pas preuve de naïveté mais s’inscrit dans la
temporalité de son époque. À l’issue des élections législatives de juillet 1932, un
régime de « gouvernement présidentiel » est envisagé, par le biais d’une union
nationale allant des sociaux-démocrates au NSDAP. Articulé autour de
l’anticommunisme, ce gouvernement de coalition n’aurait pas pour but de
modifier les structures de l’État. L’extrême tension entre les mouvements
politiques et la violence des affrontements urbains entre factions communistes,
social-démocrates et nazies anéantissent toute entrevue d’une telle structure
gouvernementale basée sur la nécessité du compromis.
Mettre la focale sur la crise de 1929 comme point de départ des succès nazis
dans l’opinion revient à minorer la portée de la lame de fond nazie des années
1920. Le poids de la Première Guerre mondiale, le ressentiment anti-Français, la
haine de la démocratie libérale et la faiblesse de la constitution de Weimar sont
autant de points de crispation d’une société allemande qui trouva dans la crise
économique et dans la réalité de ses conditions sociales la matrice justifiant
l’adhésion. En grossissant le trait sur la répercussion du krach de Wall Street sur
les scores électoraux du NSDAP, on en vient à négliger les mutations propres à
la politique intérieure allemande des années 1928-1932 et à inscrire le nazisme
au pouvoir comme la résultante d’un enchaînement de circonstances
mondialisées quand il est, pour autant, le produit d’une histoire politique
allemande.
« Un continent dominé par la France, tel est le plan grandiose auquel on travaille à Paris ».
Ces propos ne sont pas allemands mais américains, tirés de la plume d’un journaliste du
New Republic, le 14 juin 1929. La paternité de la formule pourrait légitimement être
allemande tant le ressentiment est profond à la signature du traité de Versailles le 28 juin
1919. Il incarne, aux yeux d’une grande partie des Allemands, l’acte de destruction de la
nation juvénile, fomenté par les démocraties libérales occidentales, vainqueurs de la Grande
Guerre. Ce qui est vécu comme un « diktat » devint l’un des points centraux de la réaction
nazie dès les premiers temps du mouvement jusqu’à jouer un rôle fondamental dans
l’appréhension de la crise économique de l’après-1929. La désintégration de l’économie
allemande est tout autant structurelle que circonstancielle à la crise de 1929. Trois parties du
traité de Versailles sont particulièrement rudes sur cette thématique : les droits et intérêts
allemands hors d’Allemagne (partie IV), les réparations (partie VIII) et les clauses
économiques (partie X).
Pour les nazis, en privant l’Allemagne de ses colonies (article 119), le traité de Versailles a
limité les possibilités d’une échappatoire à la crise par l’approvisionnement en denrées d’un
hypothétique empire déchu. Reconnue responsable de la guerre, l’Allemagne doit verser des
réparations économiques immédiates (article 235) de l’ordre de 20 milliards de marks or
entre juin 1919 et avril 1921. Les droits de douane à l’importation sont abrogés (article 264).
La perte des marchés d’exportation (art.265) constitue un frein supplémentaire au
relèvement de l’Allemagne. Face à ces difficultés, l’occupation de la Ruhr en 1923 par la
France et la Belgique, dans le cadre de remboursements en nature, est vécue comme une
humiliation. Le Plan Dawes (1924), puis le Plan Young (1929) rééchelonnèrent les dettes,
jugulant au passage de puissantes vagues de contestations dans la population. L’Allemagne
ne solda les montants alloués aux réparations qu’en octobre 2010.
« Le nazisme est un mouvement politique de la ville. »
Aux débuts des années 1960, l’historien et sociologue américain William S. Allen entreprend
une étude dans la ville imaginaire de Thalburg, en réalité Northeim, cité de 10 000 habitants
en Basse-Saxe. Basé sur la collecte de témoignages, ainsi que la consultation d’archives
locales, le travail d’Allen a vocation à retranscrire par l’histoire et par la mémoire le quotidien
d’une ville allemande, pouvant être considéré comme un étalon de mesure de la société,
entre 1930 et 1935. De cette expérience naîtra en 1965 un livre unique dans le paysage
historiographique, La Prise du pouvoir nationale-socialiste, traduit en français en 1969 sous
le titre Une petite ville nazie.
L’utilisation de la micro-histoire et de la sociologie constitue, à bien des égards, des apports
précieux à la compréhension de l’installation du national-socialisme dans les provinces
allemandes, loin des grands centres urbains. Cassant l’image établie d’une crise
économique ayant propulsé l’adhésion au nazisme (la population de Thalburg étant
relativement épargnée par la crise), William S. Allen a mis en évidence le rôle de la peur
dans la fabrication de l’opinion politique, thématique largement élaguée depuis par la science
politique. La crainte du déclassement économique et social de la petite bourgeoisie vers le
prolétariat a propulsé le NSDAP au rang des possibles. La seconde vertu repose sur l’étude
de la violence. Le climat de tensions entre communistes et membres de la SA se transforma
peu à peu en quasi-guerre civile opposant des factions souhaitant dominer le temps, celui de
l’élection, mais également l’espace, celui de la rue.
À travers l’étude d’« une petite ville nazie », c’est toute l’Allemagne qui apparaît en filigrane.
Et le poids de la pluridisciplinarité (histoire et sociologie), de l’Alltagsgeschichte (« histoire du
quotidien ») fait un sort à l’histoire purement politique du nazisme.
« Les nazis se sont emparés seuls du pouvoir par la
force en 1933. »
S’il y a une idée reçue tenace dans l’histoire du nazisme, c’est probablement
celle du fantasme autour de l’arrivée des nazis au pouvoir. À la lecture du prisme
d’Auschwitz et de l’horreur, les nazis, incarnation du Mal, ne peuvent avoir
accédés au pouvoir que par leurs propres moyens. La pratique démocratique ne
peut accoucher de la barbarie. Par le verbe et par le geste, le nazisme a prouvé
dans son histoire sa capacité à s’accommoder des institutions et du choix du
peuple. Dans le discours tout d’abord, la prégnance des idées antidémocratiques
et antiparlementaristes dans Mein Kampf*, la multiplication des allusions à la
démocratie bafouée dans les tribunes publiques (« La démocratie et le régime
parlementaire doivent être envoyés en enfer », discours d’Hitler du 13 avril
1923) ont ancré dans l’imaginaire collectif un nazisme hors du cadre
démocratique. Dans l’action ensuite, les nazis ont fait l’expérience du coup
d’État. En mars 1920, la tentative du « putsch de Kapp », fomentée par le
général von Lüttwitz afin de porter Wolfgang Kapp au poste de chancelier a
pour but de faire tomber la République de Weimar. Le NSDAP*, tout juste né,
soutient et approuve l’action malgré son échec. Le 8 novembre 1923, ce sont les
nazis eux-mêmes qui tentent de déstabiliser le gouvernement de Bavière, dans la
tentative de putsch dit « de la Brasserie ». Échec cuisant conduisant à
l’emprisonnement d’Hitler et à la martyrologie des blutzeuge*, l’événement
scelle le rapport du nazisme au coup d’État.
De plus, l’année 1932 est marquée par une valse gouvernementale (Brüning
depuis 1930, von Papen en juin, von Schleicher en décembre) à laquelle Hitler
n’entend pas participer. Devant la fraction nazie du Reichstag réunie avant la
rentrée du Parlement (présidé par Goering), il déclare le 6 décembre : « Jamais
un grand parti n’a vécu lorsqu’il est engagé dans la voie des compromis ». Le
chef lui-même entend faire preuve d’autorité et d’intransigeance deux mois à
peine avant sa nomination. La coalition n’est pas dans l’ADN du nazisme et le
partage du pouvoir apparaît inadapté au Führerprinzip.
Derrière cet apparat mythique de nazis s’étant emparés du pouvoir et ayant
dirigés seuls l’Allemagne d’une main de fer se dresse la réalité historique et sa
complexité : celle du cadre légal de la nomination d’Hitler à la chancellerie, d’un
cabinet d’alliances inéluctables pour gouverner et d’une hésitation de six
semaines sur le tournant dictatorial ou non du régime.
Le légalisme dans la survenue du nazisme, forme d’accession au pouvoir
pourtant abondamment critiquée par les nazis eux-mêmes au début des années
1920, constitue un bien précieux pour le chancelier Hitler. Accusé d’être
responsable des émeutes anticommunistes émaillant la période 1929-1933, il
tient là un gage de stabilité politique et inscrit le NSDAP dans le respect des
institutions républicaines de Weimar. L’importance du caractère légal a aussi
vocation à être diffusée à l’étranger. L’entourage d’Hitler se plaît à rappeler aux
étrangers présents pendant les parades de victoire à Berlin sur Unter den Linden
qu’aucun membre nazi n’a produit de cri hostile devant l’ambassade de France
(contrairement aux remous suscités par la réouverture des services diplomatiques
à Berlin en 1922). Il faut faire accepter à l’opinion étrangère l’accession au
pouvoir du NSDAP.
La composition du premier gouvernement d’Adolf Hitler se caractérise ainsi
par sa diversité politique. Véritable cabinet hybride, la vieille bourgeoisie (von
Papen, Hugenberg), côtoie Hitler, incarnation d’une tabula rasa des acquis
passés, autour d’un triumvirat. Le vice-chancelier, Franz von Papen, ex-membre
du Zentrum devenu membre de la droite conservatrice et la présence du chef
nationaliste Hugenberg au portefeuille de l’Économie publique et de
l’Alimentation rappellent les principes de la coalition du « Front de Harzbourg ».
En réalité, cette pseudo-pluralité politique de droite est un écran de fumée sur les
réels détenteurs des prérogatives régaliennes. Le gouvernement Hitler est
atrophié ; les fidèles parmi les fidèles, Goering et Frick, obtiennent les
portefeuilles convoités du ministère de l’Intérieur. Le maréchal von Blomberg,
ami d’Hitler, obtient l’Armée. Malgré tout, cette « coalition des droites », nazie,
nationaliste et conservatrice, n’est pas une entente cordiale. Hitler et Hugenberg
aspirent à des ambitions différentes : le premier souhaite l’établissement d’une
dictature quand le second espère la restauration de la monarchie. Von Papen, à
défaut d’être un allié pour Hitler, est le trait d’union entre le président
Hindenburg et le nouveau chancelier. Ce gouvernement de coalition permet donc
à des ministres n’étant pas nazis, comme Hugenberg, de gouverner. Ce dernier
fait passer une série de mesures qui devinrent effectives : politique
protectionniste de hausse des tarifs douaniers, interdiction des saisies judicaires
du monde paysan ou effacement de la dette agricole.
La mainmise sur le pouvoir n’est ainsi pas chose aisée. Les adversaires
d’Hitler, au sein même de son cabinet, parient sur son échec politique rapide.
Une telle hypothèse marquerait un revers considérable pour le NSDAP lors des
prochaines échéances électorales. De plus, pour pouvoir gouverner, Hitler doit
s’assurer le soutien des catholiques. Sans leur appui, le gouvernement Hitler
serait renversé par le Reichstag, faute de majorité. La première visite du nouveau
chancelier est pour eux, en l’audience accordée à Monseigneur Kaas. Ainsi les
premières semaines d’exercice du pouvoir nazi sont loin de la dictature
omnipotente de l’été 1934 et de l’efficience de la Gleichschaltung*. Hitler doit
composer avec l’ensemble des sensibilités de son propre gouvernement et
séduire les appuis nécessaires au Reichstag. L’incendie du Reichstag (voir
encadré) offre l’opportunité aux nazis de se débarrasser des communistes et
socialistes. Cependant, les résultats des élections législatives (43,9 % pour le
NSDAP) convoquées par Hitler le 5 mars 1933 ne lui permettent pas d’obtenir la
majorité absolue espérée. Hitler doit continuer à composer avec le DNVP*
d’Hugenberg et parvenir à séduire le Zentrum pour espérer obtenir le vote des
pleins pouvoirs. Ce fut chose faite le 23 mars 1933. Quatre jours plus tard,
l’entrée en vigueur du texte marque le pouvoir désormais sans partage des nazis
sur le Reich.
Le 2 février 1933, Hitler dissout le Reichstag, à la recherche d’une nouvelle majorité. Les
projections établissent une victoire de l’ordre de 40,4 % pour le gouvernement. Les 10 %
manquant pour l’octroi de la majorité absolue se jouent sur l’adhésion des milieux
catholiques et du Zentrum.
Prévues pour le 5 mars, ces élections constituent le premier rendez-vous politique majeur du
cabinet Hitler dans la continuité des institutions weimariennes. La majorité absolue
permettrait à Hitler d’assoir définitivement son autorité légale ; son absence signerait le
tournant autoritaire passant outre le résultat ou un renvoi immédiat du gouvernement.
Les interdictions des manifestations communistes durant le mois de février n’empêchent pas
les échauffourées et bagarres de rue se soldant par des tués. Le gouvernement envisage le
rétablissement des « lois d’exception » mises en vigueur par le gouvernement von Papen
(abrogées par le gouvernement von Schleicher). Ces lois prévoient la peine de mort pour
« terrorisme politique », muselant une opposition devenant de fait hors-la-loi. Le 28 février, le
Reichstag est en flammes. Un anarchiste néerlandais, Marinus von der Lubbe est arrêté,
avouant ses méfaits, puis condamné à mort. L’occasion est belle pour les nazis, prenant
dans la foulée le « décret de l’incendie du Reichstag », privant les droits civiques garantis par
la constitution. Ce décret, signé et promulgué par le président Hindenburg, marque la fin de
la démocratie allemande. Le Parlement siège désormais face au Reichstag en ruines, à
l’opéra Kroll. Les députés (exception faite des sociaux-démocrates) votent les pleins
pouvoirs à Hitler, reléguant le parlementarisme à de simples scories.
S’il se caractérise par son pluralisme des droites, le cabinet Hitler, nommé par Hindenburg,
conserve certains noms du précédent gouvernement éphémère von Schleicher (3 décembre
1932-30 janvier 1933), mais également du gouvernement von Papen (1er juin 1932-
3 décembre 1932). Ainsi, von Neurath, von Schwerin-Krosigck, von Elz-Rübenach, Gerecke
et Gürtner conservent leur portefeuille. Avec la présence de von Papen au poste de vice-
chancelier, la moitié des ministres n’est pas renouvelée. La vacance de deux ministères
(Postes et Justice) le 30 janvier 1933 est due aux tractations pour offrir ces portefeuilles au
Zentrum et aux populistes bavarois, sans succès.
Le gouvernement :
– Chancelier : Adolf Hitler (NSDAP)
– Vice-chancelier et commissaire d’Empire en Prusse : Franz von Papen (Conservateur)
– Affaires étrangères : Baron Konstantin von Neurath (Conservateur)
– Intérieur : Wilhelm Frick (NSDAP)
– Finances : Comte Lutz von Schwerin-Krosigck (Conservateur)
– Économie publique et Alimentation : Alfred Hugenberg (DNVP)
– Travail : Franz Seldte (fondateur des Casques d’Acier)
– Armée : Général Werner von Blomberg (Conservateur)
– Ministre sans portefeuille, commissaire à l’Aviation et représentant du ministère de
l’Intérieur pour la Prusse : Hermann Goering (NSDAP)
– Commissaire d’Empire pour la recherche du travail aux chômeurs : Gunther Gerecke
(Conservateur)
– Postes et Communications : non attribué le 30 janvier 1933, nomination du Baron Paul von
Elz-Rübenach le 31 janvier (Conservateur)
– Justice : non attribué le 30 janvier 1933, nomination de Franz Gürtner le 31 janvier (déjà en
poste depuis juin 1932) (DNVP)
Les reconductions et nominations annexes :
– Reichsbank : M. Luther (maintenu à son poste)
– Service de presse : M. Funk (NSDAP)
– Préfet de police de Berlin : Contre-amiral Magnus von Levetzow (NSDAP)
– Secrétaire d’État à la chancellerie : M. Lammers (NSDAP)
– Secrétaire d’État à l’Économie publique : M. Bang (DNVP)
– Commissaire du Reich à l’instruction publique en Prusse : M. Rust (NSDAP)
– Commissaire du Reich à la TSF : nomination le 13 février 1933 du docteur Krukenberg
(NSDAP)
– Commissaire du Reich chargé de tous les pouvoirs de police : nomination le 13 février
1933 de Stieler von Heidekamp (NSDAP)
« L’installation du nazisme au pouvoir ne s’est pas
faite dans le sang. »
Dans une Europe marquée par la brutalité depuis la Grande Guerre, l’idée
d’une absence de violence ayant accompagné les premiers temps du nazisme au
pouvoir a germé. La présentation du caractère révolutionnaire du nazisme par ses
dirigeants eux-mêmes a fait le jeu de cette image en réalité galvaudée. Par le
biais de la comparaison, la révolution nationale qui s’opère en Allemagne
apparait comme pacifique au regard des deux autres révolutions faisant office de
points de référence : 1789 et 1917. La Révolution française a incarné, pour ses
détracteurs – et les nazis en premier chef –, l’installation de la Terreur et du sang
versé. Himmler, lors de la visite du journaliste français Guillaume Ducher en
Allemagne en 1933, lui rappela que leur « révolution n’est pas faite de violence
brutale » et qu’il n’y a pas chez eux « de guillotine installée en permanence ». La
révolution bolchevique, quant à elle, aurait amené la déstabilisation de toute la
Russie, incarnant jusque-là une entité politique séculaire et stable, et avec elle la
purge de l’intégralité de la famille tsariste dirigeante et de ses fidèles. En
somme, la révolution menée par les nazis serait une révolution pacifique, guidée
par la modernité, bien loin des pratiques barbares des Français et des Russes.
Ce caractère supposé pacifique de l’installation au pouvoir tient de l’histoire
comparée mais également de deux réalités propres au cas allemand : le caractère
légal de la révolution (allant de l’accession au pouvoir par le cadre légitime des
élections législatives de décembre 1932 aux premières mesures répressives du
vaste ensemble de la Gleichschaltung*, loi de la « Mise au pas », inscrites dans
la loi) et la rapidité de restauration d’un ordre établi. La recherche d’un cadre
légal permettant à Hitler d’opérer a fait passer comme légitime la violence
perçue. Toute victime est désormais coupable de l’être par le caractère criminel
et illégal de ses actes. Ainsi, le syndicaliste assassiné à Köpenick en juin 1933 ne
doit sa mort qu’au non-respect de la « mise au pas » issue des lois interdisant la
pratique syndicale de mai 1933 ; quand la mort du Juif tué dans les violences du
9 novembre 1938 n’est que la conséquence de « son caractère criminel » (« être
juif »). La violence justifiée et légale ne fait désormais que des victimes
collatérales et présente un régime n’ayant pas eu besoin de faire couler le sang
pour accéder au pouvoir, s’installer et se pérenniser.
En réalité, Hitler édicte dès Mein Kampf* la tonalité violente de son projet
d’accession au pouvoir, vénérant « l’efficacité victorieuse de la violence ». Deux
ans plus tôt, le putsch manqué du 9 novembre 1923 se terminait dans un bain de
sang, donnant au futur Führer* la possibilité de s’inscrire dans la tradition de la
violence politique, honorant les blutzeuge*, ces « témoins du sang » tombés en
martyrs de la cause nazie. Dès lors, la violence était au cœur du nazisme, le bras
armé de sa vision du monde. Cette « violence congénitale » au nazisme (Philippe
Burrin, Fascisme, nazisme, autoritarisme, 2010) était tout autant un moyen
qu’une fin en soi. Moyen par l’outil qu’elle incarnait dans l’application de
l’idéologie, fin dans l’apocalypse fantasmée par Hitler dans sa conception de
lutte des races. Une fois installés au pouvoir, les nazis n’eurent aucuns scrupules
à utiliser la violence physique pour faire régner l’ordre. Les outils principaux
furent la SA*, la SS*, ainsi que la Gestapo*. À compter d’avril 1933, la
perpétuation des violences à l’endroit des Juifs, l’ouverture du système
concentrationnaire, la pratique de la torture (physique comme mentale) et
l’organisation de crimes et massacres de grande ampleur sont visibles. La SA et
la SS, sur le modèle des pogroms antisémites perpétrés en Europe de l’Est depuis
la fin du XIXe siècle, pratiquèrent des attaques ciblées sur des Juifs, contre l’avis
du régime, alors soucieux de ne pas dévoiler une image centrée sur la violence.
Ainsi, en 1933, la police d’Aschaffenbourg (Bavière) condamna les sévices des
SS faites aux Juifs de la ville. Il en va de même dans les structures
concentrationnaires. L’ouverture du camp de concentration de Dachau, dans la
banlieue de Munich, en mars 1933, se solda par quelques exécutions sommaires
(dont le docteur juif Delwin Katz) dès ses premiers jours d’existence. Si le
régime condamne la violence, les auteurs n’en sont pas moins blanchis. Le
discours gomme les actes, pourtant bien réels, et propage l’idée de l’absence de
sang versé. De même, la majorité des violences se fit à l’abri des regards durant
les premiers mois de la pratique du pouvoir. De fait, les geôles de la toute
nouvelle police politique dirigée par Himmler, la Gestapo, furent rapidement
exigües. Le journaliste anglais Geoffrey Fraser, arrêté début avril 1933 et
emprisonné durant 39 jours dans les cellules de la Gestapo sur Alexanderplatz,
témoigna des méthodes d’utilisation de la violence. Afin de ne pas éveiller les
soupçons, la violence physique se concentre sur les parties non visibles
publiquement (peu à la tête). Un second journaliste, le Suisse Egon Erwin Kisch,
évoque dans le même temps la violence des tortures mentales (menaces sur la
famille, annonce de fusillade prochaine en réalité inexistante).
Le 3 juillet 1934, alors qu’il n’est pas encore chancelier-président
(Hindenburg mourra le 2 août 1934), Hitler annonce lors du conseil des
ministres un texte ayant force de loi. Il convient pour lui de justifier et de
légaliser l’assassinat de la haute garde SA lors de la « nuit des longs couteaux ».
Dès lors, les événements des nuits précédentes font jurisprudence. L’assassinat
sans jugement, lorsque la victime se transforme en menace d’État, devient légal
et constitue le nouveau cadre normatif de l’Allemagne, sous la réflexion du
juriste Carl Schmitt. La conception très large de la « menace d’État » permet à la
terreur répressive de s’abattre sans crainte d’éventuelles contestations de la part
du sommet du pouvoir.
Au final, les historiens allemands Eberhard Kolb, Manfred Messerschmidt et
Fritz Wüllner ont comptabilisé quelque 16 560 condamnations à mort par des
tribunaux civils et environs 50 000 par les tribunaux militaires entre 1933
et 1945. À ces violences, parfois informelles, des premiers temps du nazisme au
pouvoir, s’est substituée une violence permanente et de plus en plus structurée à
partir de 1937. Les lois de stérilisation devant permettre un assainissement de la
communauté nationale puis la T4*, vaste opération d’assassinat des handicapés
mentaux en 1939-1940, ajoutées au cadre de la guerre, laissent augurer la
rapidité du déferlement généralisé de la violence génocidaire. Ainsi, si la
violence tenta maladroitement d’être masquée durant l’année 1933, il ne faut pas
perdre de vue que c’est bien elle qui « reste l’expression la plus fidèle de la
manière dont les contemporains perçurent le nouveau régime » (Pierre
Ayçoberry, La Société allemande sous le IIIe Reich. 1933-1945, 1998).
Le massacre de Köpenick
Wendy Lower, dans son ouvrage Les Furies de Hitler. Comment les femmes allemandes ont
participé à la Shoah (2013), a su mettre en avant quelques cas singuliers de femmes
totalement acquises à la cause nazie. Erna Petri est de celles-là.
Né en 1920, cette fille de paysan épousa un lieutenant SS, Horst Petri. Comme 500 000 de
ses semblables, elle participa à la colonisation vers l’Est en 1942. Erna et son mari
s’installèrent sur le domaine de Grzenda, près de Lwów (actuelle Lviv), en Ukraine, à la tête
d’une exploitation agricole. Horst Petri incarnait l’archétype du « paysan-soldat » dans toute
sa splendeur, fantasmé par Darré. Les Petri symbolisaient le couple modèle du Reich :
l’homme SS colonisateur et la femme génitrice dès sa première année de fiançailles (en
1938). Le sol et le sang. Le dogme nazi irradiait les Petri. L’homme marquait son autorité sur
les populations slaves (ukrainiennes et polonaises) lui servant de domestiques en les
frappant et violant, tandis que la femme participait à des raids contre des Juifs survivants de
la liquidation du ghetto. La violence génocidaire avait désormais son terreau.
Durant l’été 1943, elle croisa le chemin de six enfants (de six à douze ans) au bord d’une
route, échappés d’un convoi de déportés en gare de Saschkow, à destination du centre de
mise à mort de Lublin-Maïdanek. Après les avoir recueillis dans son exploitation, elle les
emmena au bord d’un fossé, les aligna, et leur tira à chacun une balle à la base de la nuque.
Interrogé en 1961 par un tribunal est-allemand sur les motivations de ces assassinats, sa
réponse fut claire : l’antisémitisme seriné dans les discours nazis. À la question de sa place
dans le couple Petri et sur le rôle de son mari dans la tuerie, elle affirma qu’elle fut bien
l’exécutrice (son mari étant absent lors de l’assassinat), dans une volonté d’affirmation
féminine face à son conjoint, masculin et membre de la SS : « Je voulais leur montrer [aux
SS] que je pouvais, en tant que femme, agir comme un homme. Et donc j’ai tué 4 Juifs et 6
enfants juifs. »
Arrêtée en août 1961 par la Stasi et jugée en septembre 1962, Erna Petri fut condamnée à la
réclusion criminelle à perpétuité. Son mari, Horst, fut guillotiné à la suite de leur procès
commun. Purgeant sa peine à la prison de Hoheneck (Saxe), elle fut libérée en 1992 sur
raisons médicales et décéda en juillet 2000.
Les lois de Nuremberg sont la somme de trois textes appartenant certes au même corpus
législatif, mais présentant des normes juridiques spécifiques pour chacun d’entre eux.
Le premier texte, intitulé Reichsflaggengesetz (loi sur le drapeau du Reich), ne concerne pas
le sort des Juifs. Il s’agit d’inscrire dans la loi les couleurs du Reich : noir, blanc, rouge autour
d’un symbole, la croix gammée. Depuis 1933, les drapeaux du Reich présidé par Hindenburg
et du parti nazi coexistent. Le décès d’Hindenburg en août 1934 nécessite une clarification
juridique qui vient consacrer la svastika, sans oublier la bannière d’Empire, conservant le
tricolore.
Le second texte, connu sous le nom de Reichsbürgergesetz (loi sur la citoyenneté), abolit le
principe d’égalité politique en place depuis 1871. Héritier des Lumières honnies par les
nazis, ce principe est désormais remplacé par la distinction entre citoyens et simples
ressortissants. Désormais, tous les hommes ne se valent pas. La citoyenneté se définit à
présent par la race. On ne peut être citoyen que si l’on est de sang allemand. Sont exclus de
cette communauté de sang les Juifs, les Tziganes et les « nègres ». Le Juif se définit par
l’ascendance : la religion des aïeux (grands-parents) fait office de présomption raciale.
Le troisième et dernier texte, intitulé Gesetz zum Schutze des deutschen Blutes und der
deutschen Ehre (loi pour la protection du sang et l’honneur allemand), est une mise en
pratique juridique des deux précédents. Le but est ici d’isoler les Juifs du reste de la
communauté nationale. À ce titre, le Juif ne peut plus arborer les couleurs du Reich
précédemment définies mais est incité « à pavoiser aux couleurs juives ». Le point central de
la loi est la séparation sexuelle des races, par l’interdiction des mariages mixtes.
Principales cibles de ces lois, les Juifs ne sont pas les seuls concernés. La loi du 18 octobre
1935 sur « la protection de la santé héréditaire du peuple allemand » dresse le catalogue
« des races étrangères et des groupes inférieurs » parmi lesquels « les Tziganes, les nègres
et leurs bâtards » et permet le renforcement des textes de septembre. Les deux décrets
d’application du 14 novembre 1935 (annulation des droits civiques, suppression du droit de
vote) et du 21 décembre 1935 (renvoi obligatoire de la fonction publique par les personnes
bénéficiant jusque-là d’exemption) viennent clore le processus législatif.
« Aucune résistance allemande n’est possible face au
totalitarisme nazi. »
Distribué dans la nuit du 15 au 16 février 1943 à Munich, puis dans la cour de l’Université, ce
sixième tract du mouvement de la Rose blanche fut à l’origine de l’arrestation d’Hans et
Sophie Scholl deux jours plus tard. Après un procès expéditif, ils furent guillotinés le
22 février 1943.
« Nous avons grandi dans un État où toute expression de ses opinions personnelles était
impossible. On a essayé, dans ces années si importantes pour notre formation, de nous ôter
toute personnalité, de nous troubler, de nous empoisonner. Dans un brouillard de phrases
vides, on voulait étouffer en nous la pensée individuelle, et on appelait cette méthode :
“formation pour une conception saine du monde”. Par le choix du Führer, un choix comme on
n’en pouvait faire de plus diabolique et de plus borné à la fois, des hommes sont devenus
des criminels sans dieu, sans honte, sans conscience ; il en a fait sa suite aveugle, stupide.
Ce serait à nous, “travailleurs intellectuels” de régler son compte à cette nouvelle clique de
Seigneurs. Des combattants du front sont traités comme des écoliers par des Chefs de
groupe ou des aspirants Gauleiter.
Il n’est pour nous qu’un impératif : lutter contre la dictature ! Quittons les rangs de ce parti
nazi, où l’on veut empêcher toute expression de notre pensée politique. Désertons les
amphithéâtres où paradent les chefs et les sous-chefs SS, les flagorneurs et les arrivistes.
Nous réclamons une science non truquée, et la liberté authentique de l’esprit. Aucune
menace ne peut nous faire peur, et certes pas la fermeture de nos Écoles Supérieures. Le
combat de chacun d’entre nous a pour enjeu notre liberté, et notre honneur de citoyen
conscient de sa responsabilité sociale.
Liberté et Honneur ! Pendant dix longues années, Hitler et ses partisans nous ont rebattu les
oreilles de ces deux mots, comme seuls savent le faire les dilettantes, qui jettent aux
cochons les valeurs les plus hautes d’une nation. Ce qu’ils entendent par ces mots, ils l’ont
montré suffisamment au cours de ces années où toute liberté, matérielle aussi bien
qu’intellectuelle, toute valeur morale furent bafouées. L’effusion de sang qu’ils ont répandue
dans l’Europe, au nom de l’honneur allemand, a ouvert les yeux même au plus sot. La honte
pèsera pour toujours sur l’Allemagne, si la jeunesse ne s’insurge pas enfin pour écraser ses
bourreaux et bâtir une nouvelle Europe spirituelle.
Étudiants, Étudiantes ! Le peuple allemand a les yeux fixés sur nous ! Il attend de nous,
comme en 1813, le renversement de Napoléon, en 1943, celui de la terreur nazie.
Bérésina et Stalingrad flambent à l’Est, les morts de Stalingrad nous implorent !
Nous nous dressons contre l’asservissement de l’Europe par le National-Socialisme, dans
une affirmation nouvelle de liberté et d’honneur. »
Inge Scholl, La Rose blanche. Six Allemands contre le nazisme, 1953.
« Hitler était “un dictateur faible”. »
Pour les « bourgeois » plus évolués, Hitler, prisonnier de son parti, n’aurait
aucun pouvoir. Chaque jour, c’est l’œil gonflé de larmes qu’il affronterait ses
lieutenants. Ses discours sont revus : il cède au Maréchal Hindenburg sur le
chapitre de l’expropriation ; il s’incline devant Goering, qui serait prêt, s’il le
fallait, à faire marcher les troupes de protection contre les chemises brunes.
André Beucler, Le Petit Parisien, 5 octobre 1933
Hitler faible, l’idée n’est pas neuve. Dès janvier 1933, von Papen pense
qu’Hitler n’est qu’un « pantin » et que le manque d’épaisseur politique peut
aider à servir les intérêts de la droite conservatrice. Son incapacité à prendre des
décisions (von Papen allant jusqu’à parapher les premières ordonnances à sa
place) et la peur des responsabilités sont pointées du doigt dès les premières
semaines d’exercice du pouvoir. Le renversement de l’ordre des choses est brutal
pour Hitler. Depuis 1919, il a passé sa vie à discourir, à haranguer les foules et il
se retrouve désormais dans la soumission de l’obligation de la consultation, de la
lecture de rapports et du conseil. En somme, le donneur de leçons doit désormais
les apprendre pour gouverner.
Durant la guerre, les critiques sur le pouvoir personnel d’Hitler vinrent du
camp marxiste. Exilé à Londres, le juriste Franz Neumann, dans son ouvrage
Béhémoth publié en 1942, soulignait le caractère politique pluriel du NSDAP*,
renvoyant au passage l’image d’un chef n’ayant pas su créer l’amalgame autour
de sa pensée ainsi que la trop grande variété des pouvoirs structurels au sein de
l’État incapable de s’entendre : le Parti, l’armée, l’administration. Le nazisme
comme polycratie était né, nuançant de fait le pouvoir absolu du Führer*.
Après-guerre, l’historiographie a aidé à diffuser ce poncif. En 1971,
l’historien allemand Hans Mommsen défend la thèse du « dictateur faible ».
S’opposant aux historiens intentionnalistes comme Klaus Hildebrand ou
Eberhard Jäckel qui voyaient en Hitler une toute puissance sans limites,
Mommsen soutient que le système nazi s’est emballé et que les crimes du
nazisme sont tout autant imputables à l’État nazi que le produit des décisions
d’Hitler lui-même. Il se base sur l’observation des archives : Hitler est
fréquemment absent des documents officiels. L’idée, volontairement
provocatrice, a le mérite de poser la question de la verticalité de l’ordre, du
pouvoir décisionnel et du rôle des instances locales et régionales dans
l’organisation du nazisme. À la lumière de la théorie du « dictateur faible », la
réévaluation de la chaîne du crime permet de mettre en évidence le poids de
l’initiative du donneur d’ordres et du zèle dans l’accomplissement de la
Weltanschauung*. Le réexamen des crimes sur le front de l’Est, notamment, a
permis de comprendre l’emballement de l’appareil génocidaire nazi au-delà de
toute omnipotence hitlérienne. L’origine même de l’ordre du passage à l’acte du
génocide pose question chez les historiens. Hitler fut-il le donneur d’ordres ?
L’historien Christopher Browning rappelle le caractère informel de l’ordre, issu
d’Himmler lors de ses différentes visites en Pologne à l’été 1941, exhortant les
Einsatzgruppen* ainsi : « Tuez tous les Juifs, repoussez les femmes dans les
marais » (Christopher Browning, Des hommes ordinaires, 1992). La part de
l’intention hitlérienne est ici remise en cause.
En réalité, l’image du « dictateur faible » tient dans la forme charismatique de
son mode de gouvernement. En « divisant pour mieux régner » (Ian Kershaw,
Qu’est-ce que le nazisme ?, 1985, ou encore Le mythe Hitler, 1980), Hitler crée
une dynamique de rivalités donnant un semblant de pouvoir à ses subalternes se
partageant les faveurs d’un dictateur qui n’aurait plus le monopole de la
décision. Or, ce gouvernement charismatique est un système pensé pour que la
décision finale revienne inéluctablement au Führer. En témoigne la promulgation
de la « loi constitutionnelle du IIIe Reich » en 1938, inscrivant dans le marbre le
pouvoir décisionnel juridique du Führer comme incontesté et incontestable,
reléguant au rang d’anecdotes et d’épiphénomènes les conseils des ministres. La
polycratie supposée du régime ne tient que par une éventuelle cohésion au sein
des différentes structures qui imposerait une force de persuasion suffisante pour
infléchir les décisions du chef. Or, il n’en est rien. Au sein du NSDAP, les
rivalités ne se cachent plus entre les hauts dignitaires (inimitiés Goebbels /
Goering / Rust) quand, dans le même temps, les dissensions entre SA* et SS*
puis SS et Wehrmacht se font jour.
Les faiblesses supposées du dictateur évoquées par l’historiographie tiennent,
pour l’essentiel, dans la vision intentionnaliste avancée par les historiens. Hitler
décidait-il de chaque chose ? L’image idéal-typique du dictateur à laquelle Hitler
renvoie ne peut qu’être affaiblie si la réponse est négative. La question de
l’accomplissement de l’ordre, parfois chaotique, a été sujette à débats et
controverses. L’excentricité des habitudes hitlériennes, allant des convocations
ministérielles aux aurores à une préférence pour l’invective orale que la lettre de
mission écrite, a posé problème dans l’interprétation d’une cohérence de la
volonté du chef. L’absence d’homogénéité et de linéarité dans la pratique du
pouvoir a conduit les historiens intentionnalistes à voir une marque de faiblesse
quand il suffisait de nuancer le caractère omnipotent du chef sans remettre en
question sa capacité à rester l’autorité suprême. Ainsi, les mesures prises par
Hitler sur le travail durant les années 1934-1935 allèrent contre les volontés du
ministre Seldte. Finalement résolu à céder en sa faveur comprenant qu’il
maîtrisait mieux les dossiers socio-économiques que lui, Hitler préféra abroger
les décisions (renforcement du Front du Travail du docteur Ley en 1934,
uniformisation des grilles salariales dans le secteur du bâtiment en 1935) plutôt
que de se dédire, sans pour autant envisager les propositions de son ministre. Sur
les 650 décrets pris par Hitler durant la guerre, 404 ne furent pas retranscrits au
Journal officiel, laissant planer le doute sur la véracité de la parole du dictateur
quand l’ordre, lui, fut bien réel (Philippe Burrin, Fascisme, nazisme,
autoritarisme, 2000).
Au regard de l’évolution du personnage hitlérien durant les douze années de
gouvernement, la concentration des pouvoirs ne cesse de s’accroître : chancelier
en janvier 1933, détenteur des pleins pouvoirs en mars 1933, cumul des
fonctions de chancelier et de président du Reich en août 1934, autorité juridique
et judiciaire incontestable en 1938 et commandant en chef suprême des armées
en 1941. La mainmise autoritaire est totale, balayant au passage l’éventualité
d’une faiblesse naissante par la maturation du pouvoir. Ainsi, selon l’historien
Martin Broszat, la disparition des derniers éléments de la droite conservatrice
dans l’entourage d’Hitler en 1938 marque le tournant d’un régime autoritaire à
totalitaire (Martin Broszat, L’État hitlérien. L’origine et l’évolution des
structures du IIIe Reich, 1969). Ce que Jean Largue appelait « le fait nazi », ce
rapport affectif qu’Hitler a su entretenir avec le peuple, a rendu son pouvoir
incontesté, quand ses seconds bénéficiaient de tares dans les descriptions des
contemporains allemands (la morphinomanie de Goering, la ruse méprisante de
Goebbels).
Ne pas décider n’est pas être indécis, mais savoir manier habilement la
psychologie de son entourage afin de laisser le sens de la hiérarchie et le zèle
accompagner et accomplir le processus de décision. La rationalité perceptible
jusque-là dans la façon de gouverner l’Allemagne ne tient plus et Hitler a su
imposer ses méthodes de subordination par la domination charismatique. N’étant
ni le « dictateur faible » des fonctionnalistes, ni le « maître du IIIe Reich » des
intentionnalistes, Adolf Hitler fut bien l’initiateur de la Weltanschauung nazie se
transformant parfois, aux besoins de sa politique, en arbitre des décisions de ses
seconds.
Fréquemment utilisé par les contemporains du Troisième Reich, le terme d’« hitlérisme »
côtoie sans réelles différenciations les termes de « nazistes », « nazis » ou « nationaux-
socialistes ». Or, les occurrences ne sont pas synonymes. La personnification du régime
autour d’Hitler n’est pas neutre idéologiquement. Elle met en avant l’omniprésence et
l’omnipotence du Führer dans les décisions prises au sein de l’appareil d’État. Pour une
partie de l’historiographie, l’« hitlérisme » n’existe pas. Thèse avancée en 1962 par Friedrich
Glum, l’idéologie nazie se serait développée en dehors d’Hitler. Cette idée repose sur la
lecture culturelle de l’histoire du nazisme, inscrivant l’idéologie dans un vaste fatras partant
de Gobineau, en passant par Moeller van den Bruck et finissant en Alfred Rosenberg, sans
jamais passer par Hitler. Face à Glum, la théorie d’un hitlérisme fut défendue par Walter
Görlitz et Herbert Quint, rappelant que « le national-socialisme est un hitlérisme ». Ils
trouvèrent un allié de taille en la personne de l’historien Helmut Heiber, affirmant qu’« il n’y a
pas eu et [qu’] il n’y a pas de national-socialisme en dehors de Hitler. Les deux sont
identiques. » La synonymie des termes « hitlérisme » et « nazisme » était née.
L’hitlérisme s’incarne autour de la figure centrale du Führer. Si le nazisme n’est pas
réductible au chef (d’où l’abandon de la formule « hitlérisme » dans l’historiographie
actuelle), cette formule permet de rendre compte du charisme du Führer et de son poids
dans l’organisation de la société allemande. L’obéissance envers le chef était le premier
principe de l’hitlérisme mais il fallait aller au-devant des décisions en anticipant. Ce mode de
fonctionnement du « travail pour Hitler » (Ian Kershaw, « Working towards the Führer »)
permet de comprendre comment la société allemande s’est livrée corps et âmes pour son
dirigeant. Certains contemporains d’Hitler, comme le Suisse Denis de Rougemont ou encore
Marcel Déat, ont vu dans l’hitlérisme une certaine forme de jacobinisme, apparentant le
dictateur à Robespierre et l’État nazi à une forme centralisée du pouvoir rappelant l’héritage
de 1789. Paradoxal lorsque l’on connaît la détestation des nazis pour les acquis de la
Révolution française. Pour d’autres, l’hitlérisme est un mysticisme. « Avez-vous remarqué
comme le ciel devient plus bleu ? Il fera beau demain, comme à chaque fois qu’Hitler parle
en public », souligne, en 1934, un Allemand à son interlocuteur français Alphonse de Gobart.
Ainsi, l’hitlérisme est un subtil mélange de l’homme et du mythe, le premier façonnant le
second, le second glorifiant le premier.
L’EMBALLEMENT
GÉNOCIDAIRE
« Dès sa création, le nazisme avait l’intention
d’exterminer les Juifs d’Europe. »
Hitler prit prétexte de la guerre pour accomplir des meurtres de masse qui
n’avaient rien à voir avec elle mais qui répondaient toujours chez lui à un
besoin.
Sebastian Haffner, Considérations sur Hitler, 1978
Né en 1907 dans une famille paysanne de Basse-Saxe, Otto Ohlendorf incarne l’élévation
universitaire vers le prestige intellectuel et la barbarie. À l’inverse d’autres bourreaux du
génocide (Krüger, Nebe, Blobel), il est trop jeune pour avoir fait l’expérience physique de la
Grande Guerre et avoir forgé sa conscience politique au travers de l’expérience du feu.
Encarté au NSDAP en 1925 et entrant à la SS l’année suivante, il fréquente les universités
de Halle, Leipzig et Göttingen (ce tryptique constitue avec Heidelberg le prestige du droit
universitaire allemand) afin d’obtenir un double diplôme (fréquent dans le système
universitaire allemand) de droit et d’économie politique.
Ne soutenant pas sa thèse de doctorat (pour « des raisons obscures » selon Christian
Ingrao), il devient néanmoins un intellectuel de la scène universitaire en étant assistant du
professeur Reinhard Höhn, juriste proche d’Heydrich, à l’université de Berlin. Durant un
séjour universitaire à Pavie en 1930, il décroche un diplôme de droit italien, avant de
poursuivre en enseignant à l’université de Kiel.
Intégrant le SD en 1936, il entame une carrière administrative fulgurante pour être promu
SS-Grüppenführer, troisième grade d’officier général dans la hiérarchie militaire de la SS, en
1944.
Ses compétences intellectuelles lui valurent d’être nommé par Heydrich responsable de
l’unité D des Einsatzgruppen, ayant pour mission le ratissage des Juifs d’Europe orientale et
méridionale (essentiellement en Ukraine). Il part avec son groupe mobile dès juin 1941.
Interrogé à Nuremberg par le colonel Amen, Ohlendorf décrit les méthodes de tueries et
reconnaît son implication active :
« — Colonel Amen : Comment étaient-ils [les Juifs] transportés sur le lieu d’exécution ?
— Otto Ohlendorf : Ils étaient transportés par camion, toujours en nombre assez réduit pour
être fusillés immédiatement. On tentait, par là, de réduire autant que possible le laps de
temps entre le moment où les victimes savaient ce qui allait leur arriver et celui de leur
exécution.
— A : Était-ce votre idée ?
— O : Oui. (…)
— A : Comment les femmes et les enfants étaient-ils exécutés ?
— O : De la même manière, par fusillade. »
Reconnu coupable par le tribunal militaire de Nuremberg de l’assassinat de 90 000
personnes et condamné à mort en 1948, Otto Ohlendorf fut pendu le 7 juin 1951 à la prison
du Landsberg.
« Il n’y a pas eu d’images de la Shoah. »
Est-ce que vous connaissez quelqu’un qui ait jamais vu, ce qui s’appelle vu,
une chambre à gaz ? (…) Je ne veux même pas voir [vos photos]. Ce sont des
photos truquées.
Louis Darquier de Pellepoix s’adressant au journaliste Philippe Ganier-
Raymond, L’Express, 28 octobre 1978
L’Album d’Auschwitz
L’Album d’Auschwitz est un ensemble de 193 clichés réalisés par les nazis gardiens du site
d’Auschwitz-Birkenau lors de la déportation des Juifs de Hongrie au printemps 1942.
Découvert dans le camp de concentration de Dora-Mittelbau par Lili Jacob, déportée juive à
Auschwitz, il est aujourd’hui propriété du Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Plus vaste
ensemble photographique sur le processus de déportation et de sélection des Juifs à
Auschwitz-Birkenau, cet objet unique regroupe des photographies mises sous forme d’album
sans lien chronologique évident. De même, les raisons et les conditions de réalisation de ce
document restent obscures. S’agit-il d’une commande ? D’une initiative personnelle malgré
les injonctions ordonnant le secret ? L’hypothèse la plus probable réside dans la réalisation
d’un matériau capable de prouver à la hiérarchie du RSHA que la plus grande déportation de
Juifs (422 000 Juifs en 55 jours) organisée jusque-là se déroule sans encombres et sans
résistances, alors que les revers militaires s’enchaînent pour la Wehrmacht. Le choix du
cadrage, la quasi-absence de violence des bourreaux, la docilité des victimes, sont autant
d’indices permettant d’envisager l’Album d’Auschwitz comme un document administratif.
L’intégralité des photographies se concentre sur la phase préparatoire à l’extermination, de
l’arrivée sur le site et la spoliation des biens des Juifs à la sélection et à l’envoi vers les
chambres à gaz. Ainsi, il constitue un document de premier plan dans la représentation
imagée du génocide et constitue – s’il en fallait encore – une preuve de plus de l’entreprise
d’extermination des Juifs d’Europe, par les phases préparatoires au génocide, à savoir la fin
de la déportation et l’arrivée sur un site d’un centre de mise à mort. En 2007, un second
« Album d’Auschwitz » fait surface. Offert et consigné au Mémorial de l’Holocauste de
Washington, il regroupe des photographies de la vie du camp et concerne non plus les
victimes mais le cadre de vie des bourreaux. Si les deux albums permettent de comprendre
la juxtaposition de deux territoires de vie (celui du bourreau) et de mort (celui de la victime),
seul celui de Lili Jacob offre la captation d’un moment génocidaire.
Dessin de M.M. illustrant le processus de sélection sur la Bahnrampe à Auschwitz-
Birkenau, 1943
« Auschwitz et Treblinka sont des camps
d’extermination. »
Je crois qu’il y a une différence (…) qui est la suivante : c’est qu’à Auschwitz,
les internées étaient exterminées purement et simplement, il ne s’agissait que
d’un camp d’extermination, tandis qu’à Ravensbrück, elles étaient internées
pour travailler, elles étaient exténuées de travail jusqu’à ce qu’elles en meurent.
Charles Dubost, juriste, réagissant au témoignage de Marie-Claude Vaillant-
Couturier lors du procès de Nuremberg, 28 janvier 1946
Généralement réduits au nombre de six (du fait de la présence de chambres à gaz), les
centres de mise à mort du IIIe Reich, tous situés en Pologne, ont chacun des aspects leur
permettant de ne pas être assimilés au « camp ». Chelmno, Maïdanek, Sobibor, Treblinka,
Auschwitz-Birkenau et Belzec sont construits dans un seul but : l’assassinat des Juifs
d’Europe.
Le site de Belzec, « prototype » (Raul Hilberg) des centres de mise à mort, et son
architecture constituent un marqueur du contre-exemple du camp. Camp à Belzec, il y eut.
Un camp de travail fut dirigé par Odilo Globocnik mais démantelé à l’automne 1940. À
l’automne 1941, le site s’articule autour de trois baraquements, d’une voie ferrée et
d’installations de gazage. Il a vocation à être le lieu de destruction des Juifs de Galicie.
L’architecture rudimentaire est telle que les convois ne peuvent rentrer qu’en marche arrière,
la rampe étant trop courte pour accueillir l’intégralité des wagons lors du déchargement. À
l’été 1942, des constructions en pierre apparaissent à Belzec. Ces dernières structures
pourraient jeter le doute sur la présence continue de populations juives sur le site. Or, la
présence de bâtiments en dur a une triple fonction : être le lieu de vie des SS et des
supplétifs ukrainiens, surveillants du site, accueillir les bureaux administratifs et permettre
aux Arbeitsjuden (juifs du travail) de s’occuper des tâches d’extraction des corps des
chambres à gaz. Les Juifs déportés à Belzec ne traversent que deux bâtiments avant de
pénétrer dans la chambre à gaz : la salle de déshabillage et la salle de tonte pour les
femmes, directement reliée au gazage par le « boyau ». Ceux qui ne pouvaient marcher
jusque-là étaient sélectionnés dès la rampe, allongés face contre terre avant d’être exécutés
d’une balle dans la tête et jetés dans une fosse commune. Ainsi, pas un seul déporté, à
l’exception des Arbeitsjuden, n’est amené à rester statique dans un baraquement. Le but est
de créer le mouvement permanent afin de fluidifier le « traitement » des nouveaux arrivés et
de créer une industrialisation de la mort. La « chaîne » (Raul Hilberg) de commandement et
d’efficacité logistique mise en place par les nazis permet de ne pas avoir de populations
juives en attente sur le site ni de transformer le lieu d’extermination en camp.
En décembre 1942, 453 508 Juifs ont été assassinés à Belzec, sans avoir passé plus de
quelques heures sur le site. Dix mois plus tard, le site est démantelé ; des pins sont plantés
sur l’emplacement de la tuerie.
Maly Trostenets est le nom d’une bourgade située à une douzaine de kilomètres de Minsk
(Biélorussie). Il s’agit également de l’un des principaux lieux de tueries par balles de la
Shoah. Le site n’est pas utilisé pour ses particularités topographiques naturelles comme le
ravin de Babi Yar (Ukraine) ou les forêts de Ponary (Lituanie), mais est récupéré pour sa
proximité avec l’importante communauté juive de Minsk et pour la réutilisation du kolkhoze
« Karl Marx » déjà présent.
Durant deux ans, de mai 1942 à juin 1944, près de 60 000 Juifs ont été assassinés à Maly
Trostenets (selon le bilan de l’historien Christian Gerlach).
L’étude du fonctionnement du camp de Maly Trostenets permet de battre en brèche la notion
de « Shoah par balles ». Les méthodes de tuerie à l’intérieur du site sont diverses et variées.
Si l’exécution par balles prédomine dans les bois entourant le camp, certains Juifs sont
également assassinés par cinq à dix camions à gaz, à l’identique de ceux installés à
Chelmno (Pologne) en décembre 1941. La liquidation du ghetto de Minsk en août 1944 a
également mis en évidence la mort par la faim que subirent une grande partie de la
population juive. Déjà, lors du premier convoi du 6 mai 1942, 8 personnes sur près de 1 000
déportés étaient déjà décédées à leur arrivée à Maly Trostenets. Il y a ainsi une imbrication
des méthodes d’extermination, l’une ne substituant pas à l’autre mais s’empilant. Cela n’est
pas propre à Maly Trostenets mais à l’ensemble des centres de mise à mort.
De plus, le travail de mémoire du lieu n’est pas le produit unique de ces dix dernières
années. Ainsi, jusqu’au début des années 1960, certaines fosses servant à la crémation des
corps étaient encore visibles au grand jour. En 1962, une commission d’enquêtes soviétique
est lancée à Maly Trostenets, dans la continuité des premières constatations menées par la
« Commission extraordinaire d’État sur les crimes d’envahisseurs hitlériens » à l’été 1944
ayant conduit au bilan (erroné) de 206 500 victimes. Un premier procès avait été intenté
contre les bourreaux du camp par l’URSS à Minsk en 1946. Relevant davantage de la justice
expéditive de l’immédiat après-guerre que du respect du droit, quatorze des dix-huit accusés
sont condamnés à mort. C’est en 1949 que le premier procès dit du « ghetto de Minsk »
s’ouvre dans la RFA naissante. Les procès s’échelonneront jusqu’au début des années 1960
en Allemagne de l’Ouest, remettant épisodiquement Maly Trostenets dans la lumière
médiatique. En 1970, l’un des chauffeurs des camions à gaz est relaxé par une Cour de
Justice autrichienne, malgré des preuves accablantes. Le procès autrichien marque la fin de
la « judiciarisation » de Maly Trostenets.
La période des procès est aussi celle de la mémorialisation du lieu. En 1963, un monument
dédié aux victimes est érigé, autour d’un obélisque, sur le site même de l’ancien kolkhoze.
Le monument de 1963 ne fait en revanche pas mention de la confession juive des victimes, à
l’image des nombreux monuments aux victimes du nazisme fleurissant en URSS.
L’indépendance de la Biélorussie en 1991 accéléra le processus mémoriel et
historiographique de Maly Trostenets autour de projets communs entre la nouvelle
république indépendante et l’Allemagne, comme le Geschichtswerkstatt, projet d’histoire
germano-biélorusse.
LA MÉMOIRE
DU NAZISME
« Le nazisme est mort dans le bunker avec Hitler. »
Tourné au printemps 1993 dans l’ancien quartier juif de Kazimierz à Cracovie (Pologne), le
film de Steven Spielberg, sept fois oscarisé, constitue dans l’imaginaire collectif la
représentation fictionnelle mondiale du nazisme et de la Shoah. L’adaptation
cinématographique du roman de l’Australien Thomas Keneally (1982) est aujourd’hui
détenue par la bibliothèque du Congrès pour son « importance culturelle, historique et
esthétique ». L’œuvre semble résolument incontournable et indiscutable.
Pourtant, le film n’a pas échappé à sa sortie à la question de la pertinence face à l’histoire.
Le débat fut notamment posé par Claude Lanzmann dans Le Monde où il signa un texte
intitulé « Holocauste, la représentation impossible », en mars 1994 lors de la sortie en salles.
S’en suivent des critiques fusant de toute part, y compris du monde du cinéma. Le
réalisateur Terry Gilliam pointe du doigt la démarche optimistique de Spielberg et d’une
« happy end » jugée comme indigne. La valorisation du Juste, à travers l’industriel Oskar
Schindler, tendrait à faire oublier la réelle nature du bourreau nazi. La tension volontairement
exagérée par l’arsenal technique du cinéma (gros plans, musique, bruitage) lors de la scène
de la douche écœure certains historiens (Annette Wieviorka). Le choix de filmer « caméra à
l’épaule » une part importante du film afin de renforcer l’effet documentaire apparaît comme
discutable sur les motivations du réalisateur : film ou documentaire ? Enfin, l’arrangement
avec l’histoire pour les besoins scénaristiques jette le trouble sur l’acceptation de l’œuvre
dans sa fidélité au passé. La petite fille au manteau rouge, Roma Ligocka, fil conducteur du
film et personnage bien réel, survécut à la Shoah contrairement à son destin fictionnel.
Au-delà de ces critiques, que reste-t-il du film dans son apport historique ? La reconstitution
des ghettos est une réussite incontestable et permet une immersion dans un aspect
désincarné par les productions de l’historiographie. Le film relève également le tour de force
de pénétrer l’univers mental du nazi pour le spectateur. Ce dernier assiste en effet à
l’intégralité du processus de destruction, bien au-delà de l’acte homicide. De la fabrication de
la vision du monde nazi à la liquidation des ghettos, de la déportation puis extermination
jusqu’à l’opération 1005 (disparition des traces du génocide), La Liste de Schindler s’attache
à démontrer le processus de la destruction dans sa globalité.
Enfin, l’œuvre de fiction s’est doublée d’un travail de mémoire. Spielberg créa la Fondation
de l’Histoire Visuelle des Survivants de la Shoah, visant à récolter des témoignages filmés
des survivants de la Shoah afin de constituer un vaste corpus d’archives, utilisable à l’avenir
par les historiens.
« La dénazification a permis de tourner la page. »
Je crois qu’il est désormais temps que nous en finissions avec tout ce qui
renifle le nazisme.
Konrad Adenauer, discours au Reichstag, 22 octobre 1952
Munich est le « bastion du sentiment réactionnaire », soulignait Thomas Mann en 1926. Plus
qu’ailleurs, la mémoire du nazisme dans la ville « capitale du mouvement » (titre honorifique
attribué par Hitler à la capitale bavaroise le 8 août 1935) est complexe. La « Maison brune »,
le « putsch de la brasserie », Dachau, la signature des accords de septembre 1938, autant
de lieux, d’événements, avec lesquels la ville doit désormais composer. Si la plupart des
bâtiments témoins du nazisme naissant et grandissant ont été rasés après la Seconde
Guerre mondiale dans la perspective d’« éliminer toutes traces » (Peter Reichel, L’Allemagne
et sa mémoire, 1998), certains, à l’image de l’École de musique (lieu de signature des
accords de Munich) sont toujours là, rendant délicate la question d’un tourisme nostalgique
des heures sombres. Durant la Guerre froide, Munich a voulu gommer l’essentiel des traces
pouvant l’assimiler à la capitale du mouvement nazi et en faire la genèse du désastre.
L’image de la ville est alors celle de l’ouverture au monde, du modernisme, accéléré par la
nécessaire reconstruction de bâtiments dévastés par les bombardements. L’effacement du
paysage du souvenir rend difficile, voire impossible, tout processus mémoriel spécifique à la
capitale bavaroise et tend à diluer sa place dans une histoire allemande du nazisme, et non
bavaroise.
Cependant, en 2015, sur les lieux mêmes du siège du NSDAP, un musée du nazisme vit le
jour. Ce cube architectural blanc, à la fois lieu de mémoire et centre de documentation,
s’invite dans le passé brun de la ville. Porté par une muséographie déroutante (la visite
commence par les étages supérieurs pour se poursuivre chronologiquement dans les étages
inférieurs, dans une symbolique de descente aux enfers), l’exposition permanente ne se
cantonne pas aux années du pouvoir, mais projette le nazisme dans la société allemande
actuelle par le biais de l’antisémitisme aujourd’hui.
Parallèlement à cette volonté pour la ville d’affronter son passé, l’absence d’initiative
mémorielle intégrée à une politique fédérale supposée faire consensus surprend. La
municipalité ne souhaite pas mémorialiser ses rues avec les stolpersteine (« pierres de
trébuchement »). Créés par l’artiste berlinois Gunter Demnig, ces pavés métalliques sur
lesquels est inscrit le parcours d’une victime du nazisme sont imbriqués sur les trottoirs des
principales villes allemandes et affleurent afin de créer le trouble et l’arrêt lors du passage
des piétons. Rendues illégales par la municipalité à Munich ne souhaitant pas honorer cette
mémoire, et à défaut d’être de trébuchement, ces pierres sont d’achoppement dans la
construction mémorielle à l’échelle fédérale.
« Il y a désormais consensus historique sur le
nazisme. »
Aujourd’hui, ce passé-là [le nazisme] est enseigné partout, traité dans des
livres, des films. L’Allemagne a retrouvé la mémoire.
Elie Wiesel, interview donnée à l’hebdomadaire Le Point, 11 septembre 2008
Tout aurait été écrit sur le nazisme. Pas un sujet n’a été aussi étudié, analysé,
commenté par l’historien malgré sa contemporanéité. Non linéaire – la querelle
des historiens en 1986 est là pour le rappeler –, la prise en compte du nazisme
par l’historiographie serait arrivée à un consensus se heurtant au fait qu’il serait
presque obscène de continuer à en débattre. Comme le suggérait Claude
Lanzmann à la sortie de Shoah, il ne sert plus à rien d’« expliquer ». Arguant du
fait que son œuvre constituait l’aboutissement de la démonstration historique, il
positionne également le débat sur l’aberration de la recherche permanente
d’analyses sur un sujet d’étude désormais éculé. L’ouverture des archives est-
allemandes après 1989 et le réexamen du stalinisme ont permis, par effet
comparatiste, de forger un certain consensus autour de la nature du nazisme. La
monstruosité des crimes nazis n’est plus à prouver et le différentiel mémoriel
entre nazisme et communisme (Bernard Bruneteau, Le Totalitarisme. Origines
d’un concept, genèse d’un débat. 1930-1942, 2010) est encore trop présent pour
que l’on ne puisse pas être d’accord sur les conclusions historiques. Le nazisme
constitue une « mémoire chaude » face à une « mémoire froide » communiste
(Charles S. Maier). De fait, tant que l’objet d’études n’est pas refroidi, la voie du
consensus domine afin de faciliter le travail mémoriel. Abhorrer le nazisme ne
peut que teinter le champ de la recherche.
De cette posture découle l’idée que chaque nouvelle étude ne s’inscrivant pas
dans le consensus général de l’après-Guerre froide servirait une forme de
légitimation du nazisme. Le nazisme devenu incarnation du mal absolu pourrait
voir son image redorée par une étude iconoclaste, tantôt sur les bourreaux, tantôt
sur le consentement du peuple. Aucune démarche scientifique supplémentaire ne
serait suffisante pour subsumer la nature du nazisme. Depuis la fin des
années 1970, les principales caractéristiques du régime nazi sont connues et,
bien que toujours discutées, validées par l’essentiel des historiens : la fin de
l’hitlérocentrisme, la prégnance de l’antisémitisme comme essence
fondamentale, l’absence de processus linéaire et intentionnel d’un processus
génocidaire depuis les origines du nazisme. Devant ce consensus autour des
acteurs, des idées et des événements, tout débat paraît vain. Une décennie plus
tard, les apports de l’Alltagsgeschichte (Histoire du quotidien) ont permis de
fournir des clés de compréhension opératoires autour du consentement, de la
fascination ou de la répulsion de la société allemande pour le nouveau régime.
Pourtant, le consensus semble bien friable au regard des évolutions de
l’historiographie mais également des différentes politiques mémorielles en
Allemagne et dans les territoires touchés par le nazisme. Tout n’a pas été écrit
sur le nazisme. De nombreux pans restent à envisager avec des études de fond.
L’univers des ghettos, le rôle joué par la Wehrmacht, les crimes commis en
URSS, sont encore des angles morts de l’historiographie.
Sur les questions mémorielles, les gouvernements allemands successifs furent
confrontés à des querelles autour de ce qu’il était légitime ou non d’honorer.
L’étude des lieux de mémoires en Allemagne permet de mesurer ce malaise.
Quelle forme devait prendre l’inscription dans la pierre allemande de l’hommage
aux victimes du génocide ? L’élaboration du projet Denkmal für die ermordeten
Juden Europas (Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe) – communément
appelé Denkmal – en 2003 (inauguration en 2005) traduit les difficultés d’opérer
le consensus dans la commémoration et dans l’action politique. En effet, ce
monument composé de plus de 2 700 stèles de béton et désormais indissociable
du centre-ville berlinois n’est pas l’initiative du politique mais celle du citoyen et
de l’historien. Le projet est né en 1988 (soit 15 ans avant le début de
l’édification) à la demande d’un collectif de citoyens berlinois et de l’historien
allemand Eberhard Jäckel. Il se heurta à une droite conservatrice refusant la
repentance permanente qui trouva appui dans le retentissant article de l’écrivain
Martin Walser en juillet 1998 dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung sur
l’omniprésence de la Shoah dans le débat public. Si honorer le héros ou la
victime a fini malgré tout par s’imposer et aller de soi, faire la part belle au
bourreau l’était moins. Le projet de musée Topographie de la Terreur à Berlin en
témoigne. À l’origine fondation née en 1989 afin de préserver les terrains et
sous-sols en friche de l’ancien siège de la Gestapo* berlinoise, délaissé durant la
Guerre froide, Topographie de la Terreur se mue en exposition temporaire sur
les criminels de guerre du Troisième Reich. Elle perdura dix ans, preuve de
l’intérêt de la population allemande pour son passé noir.
En Pologne, la mémoire de la nation polonaise se mêle à l’histoire du
nazisme. Le 10 février 2018, le président Duda promulgue la loi sur l’Institut de
la mémoire nationale (IPN) rendant pénalement répréhensible « l’attribution à la
nation ou à l’État polonais, en dépit des faits, de crimes contre l’humanité ». En
dépit des faits sur lesquels les historiens n’ont pourtant guère de doutes. Une
semaine plus tard, lors de la conférence de Munich, son Premier ministre
Mateusz Morawiecki s’illustre tristement en affirmant qu’« il ne sera pas
punissable, il ne sera pas vu comme criminel de dire qu’il y a eu des bourreaux
polonais, tout comme il y eut des bourreaux juifs, ou comme il y eut des
bourreaux russes, ou ukrainiens, ou allemands ». Le consensus de la recherche
historique se heurte ici à la fabrication d’une mémoire nationale glorieuse
détachée de toute culpabilité.
Tombé dans le domaine public au 1er janvier 2016 (jusque-là, les droits étaient propriété
exclusive du Land de Bavière), Mein Kampf a fait l’objet d’une réédition scientifique en
Allemagne sous la direction de Christian Hartmann et sous l’égide de l’Institut d’histoire
contemporaine (IfZ) de Munich. Doté d’un appareil critique de 3 700 notes et sous-titré Une
édition critique, l’ouvrage est devenu une somme de près de 2 000 pages, écoulé à 85 000
exemplaires lors de sa première année de diffusion.
La maison Fayard, détentrice des droits en France, s’est emparée d’un projet d’édition
scientifique, déchaînant au passage les passions et posant la question de l’intérêt de la
réédition. La question est devenue politique, à la suite d’une tribune de Jean-Luc Mélenchon
s’opposant à la publication, arguant du fait que l’on ne pouvait décemment pas trouver en
librairie un ouvrage programmatique sur l’extermination des Juifs d’Europe. La
méconnaissance du contenu même de Mein Kampf par l’auteur de la tribune a permis de
comprendre les enjeux de la réédition scientifique et de la nécessaire connaissance
historique.
Les tenants d’une non-publication invoquent également l’hitléro-centrisme de l’œuvre, ne
primant pas dans la compréhension du nazisme. Paradoxal lorsque l’on sait que, depuis des
années, les meilleurs historiens s’accordent à dire qu’Hitler n’est pas le nazisme mais que le
nazisme sans Hitler est aberration. Autre argument : l’édition critique est faite en Allemagne
par les pointures scientifiques, à quoi bon refaire un travail déjà fait ? Un tel principe revient à
envisager l’histoire du nazisme et de Mein Kampf uniquement par la voie allemande. Or,
l’éclairage d’historiens étrangers ne peut être qu’un adjuvent salutaire à l’avancée de la
connaissance historique. La traduction du Journal de Goebbels, outil historique majeur, ainsi
que les analyses sur ce dernier des historiens Nicolas Patin et Florent Brayard, ont apporté
un éclairage novateur.
L’aspect commercial, ensuite : quid de l’argent généré par les ventes d’un tel texte ? Si la
question n’est pas réglée, l’exemple américain ne peut être qu’inspirant. Aux États-Unis, la
maison Houghton Mifflin Harcourt, détentrice des droits, distribue ses subsides à l’Anti-
Defamation League, reversant elle-même l’argent aux projets mémoriels et éducatifs sur le
génocide des Juifs.
Enfin, la question morale, éminemment centrale dans la publication et la diffusion de textes
nazis, se pose. La crainte de voir Mein Kampf devenir une relique sur les étals des librairies
se heurte à la dédiabolisation de l’objet, aisément accessible sur Internet. De plus, depuis
1979 et un arrêt de la Cour d’appel de Paris, le texte doit comporter un avertissement au
lecteur, rappelant l’incompatibilité des thèses présentées avec les valeurs républicaines.
S’inspirant d’une décision de la Cour de cassation allemande prise la même année,
rappelant que le texte étant antérieur à la République fédérale, il ne pouvait en menacer les
institutions, l’ouvrage est toujours disponible chez les antiquaires.
conclusion
Perclus dans un carcan d’idées reçues nées de l’après-1945, le nazisme s’est
longtemps résumé à une reductio ad hitlerum, à un programme de mort dénué de
toute logique et à une parenthèse historique confinant à l’aporie. L’impossibilité
d’expliquer l’inédit, de comprendre l’inhumain, a dérouté l’historien tentant
d’exhumer par l’archive l’indicible vérité, préalable à l’acceptation.
Cette confusion permanente, le nazisme l’a générée, de sa genèse bavaroise
jusqu’à la mémoire que l’on s’en fait aujourd’hui. Son histoire traverse le siècle,
ne se cantonnant pas aux soubresauts des années 1920, à l’expérience du pouvoir
des années 1933-1945 ou au génocide des Juifs d’Europe. De querelles
d’historiens en survivance idéologique, il continue à susciter la curiosité morbide
du néophyte et l’attirance herméneutique de l’initié. Tantôt objet politique de
guerre froide, tantôt contre-exemple modèle du socle de la construction
européenne, sa mémoire s’est modelée au miroir d’une époque, d’un contexte.
Mais au-delà de la multiplicité des intérêts et de la vacuité des poncifs, que reste-
t-il du nazisme aujourd’hui ? Il symbolise un référent moral de l’horreur,
dépassant le simple cadre de l’histoire. Les enjeux se situent davantage dans la
subtile conciliation de la mémoire des victimes et de l’écriture de l’histoire des
exécutants. Le nazisme doit se lire comme un processus de fabrication de la
destruction, dont la matrice, le liant et l’accélérateur sont la guerre. Ce qui nous
apparaît comme irrationnel fut pensé comme cohérent. Ce qui nous semble
immoral fut présenté comme probe. Ce qui nous dépasse fit sens. Le laboratoire
antisémite européen du XIXe siècle a fourni les codes du patrimoine génétique du
nazisme, habilement amalgamés aux craintes inhérentes à la société allemande
par Hitler, véritable « tambour » (Ian Kershaw) et caisse de résonance.
Cet ADN, comme anatomie du nazisme, est non seulement le patrimoine
historique de l’Allemagne mais également de l’Europe. Des corps alanguis
d’Allemands profitant des bords de mer du Nord, insouciants en 1933, aux corps
meurtris, décharnés, des Juifs d’Europe en 1945, la temporalité fut célérité. C’est
à présent sur le temps long que l’historien s’applique à examiner le nazisme. La
mémoire européenne est désormais tributaire d’une incarnation de ces êtres,
aussi bien bourreaux que victimes, afin de ne pas faire du nazisme un objet
d’histoire froid, où tout serait écrit, où tout aurait été déjà dit.
ANNEXES
Glossaire
Lebensraum : Espace vital, espace de survie. Théorie forgée au XIXe siècle selon
laquelle le territoire politique de l’Allemagne serait insuffisant pour assurer la
survie du peuple, elle trouve un second souffle à la publication du livre Un
peuple sans espace, d’Hans Grimm en 1926. Les nazis utilisèrent cette théorie
pour justifier l’expansion vers l’Est, suivant la route naturelle historique des
chevaliers teutoniques et du Drang nach Osten (« Route vers l’Est », processus
de colonisation visant à repousser la frontière orientale du territoire germanique
à travers les siècles).
Mein Kampf : Ensemble de deux livres rédigés en 1924 par Adolf Hitler durant
son emprisonnement au Landsberg. Le premier tome est consacré à la réécriture
biographique d’Hitler quand le second présente une vision du monde nazie
articulée autour de trois thématiques : l’antisémitisme, l’antibolchevisme et le
rejet de la démocratie libérale. Publié pour la première fois en 1925, Mein Kampf
s’écoule à dix millions d’exemplaires jusqu’en 1945.
Nacht und Nebel : « Nuit et Brouillard ». Nom du décret signé par le maréchal
Wilhelm Keitel, daté du 7 décembre 1941. Il édicte la conduite à tenir envers les
populations susceptibles de commettre « des infractions contre le Reich ou
contre les forces d’occupation » et leur donne une dimension criminelle.
Communément appelés « NN », les ennemis du Reich sont destinés à disparaître
sans laisser de traces. Dans la pratique, les « NN » sont systématiquement
déportés dans les prisons puis en camps de concentration.
— Le Bouddhisme, B. Faure
— La Dyslexie, A. Dumont
— L’Édition, B. Legendre
— L’Islam, P. Balta
— Jésus, D. Fricker
— Le Liban, D. Meier
— Les lieux des erreurs scientifiques, G. Ramuni
— Le Maghreb, P. Vermeren
— Le Maroc, P. Vermeren
— Marx, Y. Quiniou
— Nietzsche, P. Wotling
— Le Paléolithique, M. Groenen
— Le Rap, A. Pecqueux
— Les scientifiques jouent-ils aux dés ?, R.-E. Eastes & B. Lelu (dir.)
— La Télé-Réalité, F. Jost
— Le Vatican, du mythe à la réalité, N. Steeves