Effets de La Migration Sur Le Femmes Et Sur Les Rapports Sociaux de Sexe. Au-Delà Des Visions Binaires
Effets de La Migration Sur Le Femmes Et Sur Les Rapports Sociaux de Sexe. Au-Delà Des Visions Binaires
Effets de La Migration Sur Le Femmes Et Sur Les Rapports Sociaux de Sexe. Au-Delà Des Visions Binaires
16 | 2008
Femmes, genre, migrations et mondialisation
visions binaires
ACCUEIL DES 594
REVUES
OPENEDITION SEARCH OpenEdition
NASIMA MOUJOUD
p. 57-79
https://doi.org/10.4000/cedref.577
Texte intégral
1 Après la question des déterminants du départ des femmes, la littérature sociologique
sur femmes ou genre et migrations s’intéresse à la question des effets de la migration
sur les migrantes (Oso-Casas, 2007). Il s’agit principalement de savoir si la migration
représente ou non un « progrès » pour elles. Par exemple, l’un des enjeux majeurs des
travaux féministes anglophones est d’examiner si la migration contribue à une
« émancipation » des migrantes ou au contraire à les retenir dans une position de
dominées (Attias-Donfut, Catherine Delacroix, 2004). Cependant, plusieurs problèmes
se posent. D’abord, le manque de travaux spécialisés et la dispersion des éléments
autour de cette question, tout particulièrement en français et/ou sur la France. Ensuite,
le cadre trop étroit dans lequel ces questions sont posées. En particulier, on verra ici
comment un modèle binaire empêche la compréhension des phénomènes analysés. En
effet, beaucoup de travaux opposent de manière simpliste société d’origine et société
d’arrivée, empêchant l’émergence d’une véritable analyse globale des dynamiques de
changement et d’oppression/exploitation que révèle le processus migratoire, tant dans
les sociétés d’arrivée que de départ. De plus, la focalisation sur certaines catégories de
migrantes (notamment venues dans le cadre du regroupement familial) occulte de
L’approche évolutionniste
8 L’analyse des changements dans la vie des migrantes s’est longtemps appuyée sur le
paradigme de passage de la tradition à la modernité, comme l’indique Stéphanie
Condon (2000). L’idée d’un changement linéaire de la situation des migrantes
s’exprime ainsi de diverses manières dans des textes qui établissent d’emblée une
opposition entre les sociétés (ou parfois les « cultures ») de départ et d’arrivée. En
France, elle se retrouve tant à propos des migrantes que de leurs descendantes. Cette
démarche consiste à observer certains « indicateurs » (travail, mariage, sexualité,
virginité, contraception, rapport au religieux, maîtrise du français…) en considérant
que ceux-ci ne « s’améliorent » qu’en immigration ou parmi les descendantes de
migrant-e-s, par rapport aux valeurs transmises par leurs parents. L’usage de la
contraception et la baisse de la fécondité sont dans ce cadre considérés comme de
nouveaux comportements liés à l’immigration (Honoré-Castellin, 1990), bien que
d’autres recherches insistent sur la chute de la natalité à l’intérieur des sociétés
d’émigration, comme Zahia Ouadah-Bedidi et Jacques Vallin (2000) pour le Maghreb2.
9 L’approche évolutionniste tend à produire l’idée qu’il serait nécessaire de rejeter les
« valeurs » de la société d’origine afin de « s’intégrer » en France. Ce rejet serait
l’attitude de descendantes de migrant-e-s qui auraient « évolué » par rapport aux
réalités de leurs parents et de leur société d’origine, comme dans Yasmina et les autres
de Nanterre et d’ailleurs, de Camille Lacoste-Dujardin : « Le plus élevé de tous les
paramètres disposant à l’intégration est clairement la dépréciation, voire le rejet, des
conditions de vie au Maghreb. » (1992 : 266-267). L’idée de changement apparaît par
opposition à « la société d’origine », associant ainsi tout ce qui est « traditionnel » (et
oppressif) aux parents ou à cette société, et tout ce qui est « moderne » (et
émancipateur) aux jeunes filles ou à la société d’immigration. Selon Sandrine Gaymard
(2003), il s’agit pour les Françaises de parents maghrébin-e-s d’une : « situation
conflictuelle entre d’une part la culture occidentale et la culture musulmane et d’autre
part la première et la deuxième génération ». D’où par ailleurs l’idée de « perte de
repères », ainsi que le formule Abdessalem Yahyaoui: « [Certaines migrantes] perdent
les repères d’ici et de là-bas et […] chutent sous la pression de désirs en contradiction et
d’appels inquiétants : se laisser pénétrer par la modernité, changer ou rester les
mêmes. » (1994 : 9). Il peut aussi être question d’une prise de conscience de la
domination qui n’aurait lieu qu’en France ou sous l’influence du féminisme
« occidental » (comme si les migrantes ne portaient pas elles-mêmes, aussi, le
féminisme, et comme s’il n’existait pas de féminisme depuis longtemps dans le reste du
monde). Ainsi, un lien « naturel » est établi entre changement (entendu comme
développement) et vie en France.
Bouly de Lesdain (1999) explique qu’elles se retrouvent « enfermées » dans des emplois
précaires qui ne correspondent pas à leurs aspirations d’avant la migration. Elles
connaissent un processus de déclassement, à l’instar des migrantes haïtiennes que
Rose-Myrlie Joseph (2007) a interrogées en France.
13 Ainsi, globalement, la question des liens entre les transformations que connaîtraient
à la fois les migrantes et les femmes autochtones, celle des effets de la migration sur les
rapports sociaux de sexe en général (et pas seulement dans la famille ou dans la
« communauté » migrante), tout comme celle des formes que prennent ces
transformations, sont rarement développées. Cela influe sur le regard global porté sur
les effets de la migration sur les femmes, et conduit à (ou relève de) ce que le
changement ne soit pas perçu sans immigration, c’est-à-dire dans les sociétés d’origine,
qui demeurent présentées de manière figée.
notamment les Asiatiques, les Européennes ou les Latino-américaines. Par exemple, les
travaux sur les Chinoises ou descendant-e-s de Chinois-e-s sont très rares en France,
alors que la migration chinoise dans ce pays n’est pas nouvelle. Elle représente même
l’une des plus importantes concentrations de migrant-e-s chinois-es en Europe (Yun,
Lévy, Poisson, 2006 : 53).
17 En fait, la focalisation sur telle ou telle population migrante évolue selon les périodes
historiques. L’attention académique portée aux « Maghrébines » date des débuts des
années quatre-vingts, alors que les Portugaises étaient pourtant aussi nombreuses que
les Algériennes4. Elle accompagne l’intérêt porté aux « Maghrébins » (progressivement
considérés comme « les immigrés » par excellence) et s’accentue avec la préoccupation
croissante des pouvoirs publics pour « l’insertion des jeunes générations ». On
remarque d’ailleurs une sorte de confusion entre « femmes immigrées » (ou
descendantes de migrant-e-s) et Maghrébines (ou descendantes de Maghrébin-e-s)5au
point qu’Anette Goldberg-Salinas croit qu’« un grand problème que soulève l’analyse de
la production académique et non académique dans ce domaine est celui de la
généralisation abusive à toutes les “femmes immigrées” ou à toutes les “jeunes
immigrées” […] d’analyses et interprétations qui se réfèrent aux femmes et aux filles du
monde arabo-musulman » (1996 : 36).
18 Selon Goldberg-Salinas, les analyses concernant les femmes du « monde arabo-
musulman » sont étendues aux autres migrantes. Certes, la littérature la plus
abondante sur le cas français porte sur les Maghrébines ou les « musulmanes »
« regroupées par leur mari » ou descendantes de migrant-e-s, au détriment des autres
migrantes ou descendantes de migrant-e-s. Toutefois, on pourrait aller plus loin que
Goldberg-Salinas et se demander ce qui est désigné par « monde arabo-musulman » et
si les catégories sur ce dit monde sont pertinentes. On peut penser qu’une partie non-
négligeable de ces catégories reproduit les schémas de pensée issus du discours
orientaliste et post-colonial, comme le démontre Meriem Rodary (2007) à propos de
l’invisibilisation du travail des femmes populaires dans les sociétés colonisées,
notamment marocaine.
135).
26 Ce rapport n’apparaît pas dans les travaux qui analysent le changement dans la vie
des migrantes à travers l’opposition société de départ/société d’arrivée, ou seulement à
travers le changement dans la famille ou le groupe d’origine. Ces travaux laissent dans
l’ombre le rapport historique (notamment colonial-capitaliste) et les formes de
« modernité » (industrialisation, salariat, urbanisation, exploitation, élites post-
coloniales, etc.) que ce rapport a façonné dans les sociétés colonisées devenues sociétés
d’émigration. Ils mettent de côté le fait que 1) bien que des migrantes soient originaires
d’un même pays, elles ne sont pas de la même classe sociale que d’autres femmes
originaires ou vivant dans ce pays ; 2) la domination ne naît pas que du couple ou du
groupe d’origine : elle apparaît dans les lois migratoires racistes qui renvoient les
migrant-e-s aux cadres normatifs conjugaux et familiaux, en leur refusant l’autonomie
juridique (Lesselier, 2003) ; 3) les Etats d’origine et d’arrivée oppriment conjointement
les migrantes, ce qui se manifeste notamment dans l’existence d’accords bilatéraux sur
le statut personnel (Lamine, 2002), par exemple, et à travers le contrôle par les divers
pays de la mobilité des défavorisé-e-s.
27 Donc, lorsqu’elle se fixe d’emblée sur les acquis des migrantes dans la société
d’arrivée, en opposition à la société de départ, et au sein du groupe migrant, la lecture
des effets de la migration sur les migrantes ne peut saisir comment le contexte (du
départ et d’arrivée) permet à ces femmes de s’émanciper ou non. Il est ainsi pour le
moins problématique de célébrer comme un acquis l’accès au travail salarié en
migration, tout en négligeant les caractéristiques du marché du travail dont il s’agit et
les déqualifications que peuvent connaître les migrantes par rapport à leur société
d’origine. Cela mène à oublier que les migrantes (défavorisées du Sud) ne parviennent à
une certaine autonomie que dans les limites où leurs luttes leur permettent de
manipuler les contraintes sur les deux fronts de leur parcours migratoire, d’abord pour
partir (donc pour fuir) et puis pour lutter (donc pour rester et peut-être s’émanciper).
Et c’est pourquoi la migration prend chez elles la forme de pénibles épreuves,
notamment pour celles que les politiques des Etats ont placées en situation irrégulière,
les amenant à consacrer l’essentiel de leurs efforts quotidiens à rechercher des
ressources dans un contexte de « non-droit aux droits », pour reprendre la formule de
Marie-Claire Caloz-Tschopp (2006) sur les situations des clandestines en Europe.
d’émancipation par la migration 1) font probablement partie des réalités dans les
sociétés d’origine ; 2) sont le fruit de luttes individuelles et collectives, et non pas de
quelconques facilités qui seraient offertes d’emblée par la société d’immigration aux
(é)migrantes.
les femmes ont intérêt à se marier, de préférence avec un homme privilégié du fait de sa
« race », son statut légal et sa nationalité. Aussi, en situation de migration seule et
d’irrégularité administrative, l’institution du mariage est imposée aux femmes par les
deux sociétés de départ et d’arrivée et devient l’objet d’un double contrôle. Bien que les
migrantes parties seules se dégagent plus ou moins du contrôle familial, elles n’en sont
pas moins soumises au contrôle des lois du groupe d’origine (société, Etat, consulat,
etc.) autant qu’à celui de la société française (lois migratoires, contrôle policier,
nouvelle famille, etc.).
34 Accéder à un statut légal devient la principale voie d’autonomisation en immigration
pour les migrantes « seules », pauvres et racisées, et donc illégalisées — tout au moins
pour une période de leur parcours migratoire. À partir du moment où elles sont
régularisées, elles jouissent enfin de droits sociaux et politiques nécessaires à leur
autonomisation. Elles obtiennent donc une autonomie qui s’établit à partir des logiques
instituées par les lois migratoires, et non pas « culturelles », sociales ou religieuses. Les
migrantes régularisées sont (et se sentent) libérées du contrôle policier, moins
vulnérables par rapport à l’exploitation dans le travail salarié et valorisées par leur
milieu d’origine du fait de leur nouveau statut légal et des ressources qu’il leur accorde.
Car, dans le cadre des migrations soumises à l’illégalisation, n’a échoué dans son projet
migratoire (et son autonomie) que le/la migrant-e qui ne réussit pas à régulariser son
statut légal. Les migrantes régularisées sont mieux armées pour nourrir les solidarités
matérielles avec les proches et montrer la réussite du projet migratoire — les sans-
papiers étant astreint-e-s à l’immobilité. Nous arrivons par là à l’explication de la
manière par laquelle la « race » ou le statut légal complètent ou se subsitituent à la
domination masculine (notamment du groupe d’origine) tout en se fondant sur les
mêmes logiques de contrôle et d’oppression. Les lois migratoires racistes empêchent
l’autonomisation des migrantes par la migration, comme elles répriment leurs
aspirations et leur barrent la voie de la reconnaissance dans les deux sociétés de départ
et d’arrivée.
Se « débrouiller » individuellement
35 Bien que les migrantes s’organisent éventuellement avec le soutien d’autres acteurs
et actrices, politiques et sociaux-elles, dans le contexte d’illégalisation, les limitations de
droits génèrent fréquemment des attitudes de débrouille individuelle. L’illégalisation
ne laisse aux (é)migrantes que peu d’issues, les forçant à s’orienter vers le travail non
protégé, la prostitution ou le mariage plus ou moins « blanc », afin de voyager et/ou de
rester et vivre, surtout légalement, en immigration. Certes, les migrantes en situation
irrégulière recherchent autonomie matérielle et possibilités d’être soustraites à la
pression sociale de leur groupe d’origine, mais de manière informelle,
indépendamment des institutions de la société d’immigration et souvent même contre
elles. Elles s’appuient sur leurs relations sociales amicales, amoureuses,
professionnelles et familiales. Autrement dit, les voies vers l’autonomie ne relèvent pas
de structures qui seraient fournies par l’Etat et proposées aux (é)migrantes (pour
migrer, travailler ou s’émanciper). Ces femmes inventent des ressources en s’adaptant
aux secteurs qui leur sont laissés. Elles peuvent cumuler des stratégies plurielles, dont
on peut schématiser les dimensions essentielles autour de quatre aspects principaux :
36 - économique : les migrantes irrégulières sont conduites à rechercher leur survie
matérielle et financière dans des secteurs sexués, ethnicisés, informels et non protégés
(prostitution, domesticité non-déclarée, travail dans des « ateliers clandestins », des
entreprises familiales, commerce informel, etc.).
37 - juridique : elles sont amenées à focaliser leur attention sur les possibilités de
régulariser leur statut légal et d’accéder aux droits en tant que régulières ou nationales.
38 - social : elles sont amenées à contrer les rapports sociaux de pouvoir en s’appuyant
seulement sur les relations sociales. Elles reconvertissent les liens sociaux (amicaux,
amoureux, sexuels ou de travail, par exemple) en liens de solidarité dans les divers
domaines de leur vie (logement, santé, travail, régularisation, contact avec les
proches.).
39 - associatif et militant : les migrantes sans-papiers se mobilisent dans le cadre des
actions en faveur des migrantes, actions qui leurs fournissent un espace nécessaire de
soutien et d’informations10.
40 Plusieurs pistes restent à creuser. Les migrantes ont des trajectoires et des statuts
variés. Les recours qu’elles empruntent sont donc probablement plus divers dans leurs
modalités, loin d’être spécifiques à la population migrante et beaucoup plus contrastés
que ne le laisse supposer toute description figée. La réflexion sur les effets de la
migration sur les femmes gagnera peut-être à se détourner des perceptions simplistes
des rapports de genre (limités au contrôle par le groupe d’origine ou familial) et de
l’autonomie (fondée sur des oppositions entre sociétés ou sur des « indicateurs »
prédéfinis, comme « l’accès au travail »). S’en tenir aux rapports de genre au sein de la
famille ou de la « communauté » migrante ne permet pas de rendre compte de la
diversité des migrantes et de leur relation aux structures familiales, ni de comprendre
l’inscription de la migration des femmes dans la continuité historique de la colonisation
et dans la mondialisation néolibérale. Cette démarche limite la domination des
femmes, ainsi que leurs marges de manœuvre, aux frontières « ethniques » ou
familiales, et non pas à d’autres modalités de la domination, notamment raciste et
étatique, tout en invisibilisant les effets du sexisme des sociétés d’arrivée. Mais ce
constat ne saurait donner quitus à certains travaux qui, en insistant sur la domination,
ne laissent paraître ni les résistances des migrantes et des racisées, ni leurs apports aux
luttes des femmes autochtones et en direction de leur pays d’origine, que l’on peut
constater dans les travaux de Nadia Châabanne (2004) et dans les apports théoriques
et politiques du Groupe du 6 novembre (2001).
41 Les nouvelles recherches pourront peut-être se pencher davantage sur les effets
contradictoires de la migration : les femmes souhaitent renforcer leur autonomie et
leurs chances de mobilité sociale, mais sont en même temps enfermées dans des
structures de domination dont elles doivent manipuler les règles. On pourrait
s’intéresser à la manière dont déclassement et capacité d’agir coexistent chez des
migrantes vivant en situation de promotion ou de déqualification par rapport à leur
projet initial et à leurs qualifications dans leur société d’origine. On pourrait également
situer ces effets contradictoires par rapport à la position des femmes autochtones et
adopter une perspective comparative, en analysant les changements liés à la migration
dans un cadre plus général, non limité aux structures du groupe d’origine mais relié à la
théorie des rapports sociaux de pouvoir et de leurs dynamiques. Cette théorie telle que
définie par Danièle Kergoat (2000 et à paraître), nous fournit de quoi comprendre
l’autonomisation des migrantes sans oublier leur position dominée ou idéaliser leur
empowerment par la migration. L’analyse de l’autonomisation des migrantes pourra
ainsi se référer aux solidarités collectives, aux luttes qui peuvent réunir migrantes et
autochtones et aux relations interpersonnelles qu’elles construisent — et non pas à des
indicateurs tous faits, définis en fonction de présupposés sur le groupe ou la société
d’origine, ou à des « améliorations » qui seraient accordées par la société d’immigration
ou nécessairement opposées à la vie dans la société d’émigration.
42 Aller au-delà de la vision binaire et des analyses centrées seulement sur la famille ou
le groupe dit d’appartenance est donc une condition nécessaire à la lecture des effets de
la migration sur les rapports sociaux de sexe. La perspective internationale et
comparative est susceptible de le permettre. Elle conduira à ne pas centrer le regard sur
la seule immigration, à mieux réfléchir sur les transformations qui sous-tendent la
migration des femmes, à prendre en compte les similarités des dynamiques de genre
dans les sociétés de départ et d’arrivée, et à saisir par conséquent ce que le changement
dans la vie des migrantes doit ou non à la migration internationale. Cela nécessite de
faire retour sur les transformations politiques et socioéconomiques dans les sociétés
d’émigration, et donc sur les implications genrées de la colonisation, de la
mondialisation et des « politiques de développement », ainsi que sur les luttes de
femmes dans ces pays, leurs acquis et les contradictions en leur sein, et non seulement
au sein du groupe des femmes dans les sociétés d’arrivée. Car ce qui pose problème
dans la vision binaire, c’est d’abord le point de départ basé sur des dichotomies
renvoyant à deux sociétés l’une et l’autre figée. J’ai tenté de dire qu’il est nécessaire de
rompre avec cette perspective théorique et de réfléchir sur de nouveaux paradigmes
afin de reformuler la problématique des effets de la migration sur les femmes, en
regardant du côté de la dialectique entre domination et résistance dans le cadre de la
mondialisation néolibérale.
Bibliographie
Ahmed, Leila (1992), Women and gender in Islam. Historical roots of a modern debate, New
Haven/Londres, Yale University Press.
Agustin, Laura Maria (2005), « Cessons de parler de victimes, reconnaissons aux migrants leur
capacité d’agir », Cahiers genre et développement, n°5, p. 109
115.
Al Rassace, Sabreen ; Falquet, Jules (2007), « De la nécessité de faire bon accueil aux
lesbiennes et aux femmes étrangères. Lesbiennes étrangères en mouvement en France
aujourd’hui », in Freedman, J. ; Valluy, J. (Dir.). Persécutions des femmes. Savoirs,
protections et mobilisations, Paris : Ed. du Croquant, p. 339-372.
e
Al-Sadda, Hoda (2004), « Le discours arabe sur l’émancipation féminine au XX siècle »,
Vingtième Siècle, Revue d’histoire, n° 82, p. 81-89.
Attias-Donfut, Claudine ; Delacroix, Catherine (2004), « Femmes immigrées face à la
retraite », Retraite et Société, n° 43, p. 138-163.
Azoulay, Muriel ; Quiminal, Catherine (2002), « Reconstruction des rapports de genre en
situation migratoire. Femmes “réveillées”, hommes menacés en milieu soninké », VEI enjeux,
n° 128, p. 87-101.
Bouly de Lesdain, Sophie (1999), « Projet migratoire des étudiantes camerounaises et attitude
face à l’emploi », Revue Européenne des Migrations Internationales, (15), 2, p. 189-202.
Caloz-Tschopp, Marie-Claire (2006), « Clandestinité des femmes migrantes. Apartheid de
sexe, violence, globalisation », Vivre Clandestine, Collectif Femmes en noir contre les centres
fermés et les expulsions, Bruxelles, Université des femmes, p. 63-113.
Catarino, Christine ; Morokvasic, Mirjana (2005), « Femmes, genre, migration et mobilité »,
Revue Européenne des Migrations Internationales, (21), n° 1, p. 7-27.
Châabane, Nadia (2004), « Là-bas et ici », <http://www.mediterraneas.org > (consulté le 20
octobre 2005).
Condon, Stéphanie (2000), « L’activité des femmes immigrées du Portugal à l’arrivée en
France, reflet d’une diversité de stratégies familiales et individuelles », Population (55), 2,
p. 301-330.
Domingues, Clara ; Lesselier, Claudie (2006), « Sans-papiers et institutions françaises —
paroles de sans-papières » <http://www.femmes-histoire-immigration.org> (consulté le 20-
12-2006).
Falquet, Jules (2006), « Hommes en armes et femmes “de service” : tendances néolibérales
dans l’évolution de la division sexuelle et internationale du travail », Cahiers du Genre, n° 40,
p. 15-38.
Gaymard, Sandrine (2003), La négociation interculturelle chez les filles franco-maghrébines.
Une étude de représentation sociale, Paris, L’Harmattan.
Goldberg-Salinas, Anette (1996), « Femmes en migration. Une réflexion sur l’état de la
question en France », Migration-Formation, n° 105, p. 31-44.
Groupe du 6 Novembre (2001), Warriors/Guerrières, Paris, Nomades’ Langues Editions.
Guillaumin, Colette (1983), « Porter aux nues et penser pis que prendre. Remarques sur les
stéréotypes dans le racisme », Recherche, Pédagogie et Culture, n° 62, p. 35-39.
Guyot, Jean ; Padrun, Ruth ; Dauphinet, Evelyne et al. (1977), Des femmes immigrées parlent,
Paris, L’Harmattan-CETIM.
Joseph, Rose-Myrlie (2007), Genre, travail et migration : le cas des femmes haïtiennes en
France. Mémoire de Mastère 1, Université Paris Diderot.
Kergoat, Danièle (2000), « Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe », in Hirata,
H. ; Laborie, F. ; Le Doare, H. ; Senotier, D. (2000), Dictionnaire critique du féminisme, Paris,
PUF, p. 35-34.
« Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », in Dorlin, E. (Dir.), Sexe, classe,
race. Pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF.
Lacoste-Dujardin, Camille (1992), Yasmina et les autres de Nanterre et d’ailleurs. Filles de
parents maghrébins en France, Paris, La Découverte.
Lamine, Haoua (2002), « Femme et étrangère, parfois la double discrimination », Réalités
Familiales, n° 64-65, p. 62-69.
Lemercier, Elise (2005), « La médiation sociale culturelle : du “sale boulot” à l’engagement
collectif », Migrations société, (17), n° 99-100, p. 119-130.
Lesselier, Claudie (2003), « Femmes migrantes en France : le genre et la loi », Cahiers du
CEDREF, p. 45-61.
Manry, Véronique ; Ribas-Mateos, Natalia (2005), « Mobilités au féminin, ou comment
appréhender la place des femmes et des mobilités dans la globalisation », Mobilités au
féminin, Journées d’études, 15-19 novembre 2005, Tanger, sur <http://www.mmsh.univ-
aix.fr> (consulté le 20 novembre 2005).
Mathieu, Nicole-Claude (1987), « Femmes du soi, femmes de l’autre », Vers des sociétés
pluriculturelles : études comparatives et situation en France. Actes du Colloque International
de l’AFA, Paris, 9, 10, 11 janvier 1986, p. 604-614.
Mernissi, Fatema (1987), « Etat, planification et discours scientifique sur la femme », in
Mohamed A. et al., Portraits de femmes, Casablanca, Le Fennec, p. 69-105.
Morelli, Anne ; Gubin, Eliane (2004), « Pour une histoire européenne des femmes
migrantes », Sextant, n° 21-22, p. 7-15.
Morokvasic, Mirjana (1986), « Emigration des femmes : suivre, fuir ou lutter », Nouvelles
Questions Féministes, n° 13, p. 65-75.
Moujoud, Nasima (2007), Migrantes, seules et sans droits, au Maroc et en France.
Dominations imbriquées et résistances individuelles. Thèse de doctorat d’anthropologie
sociale, EHESS.
Moujoud, Nasima ; Texeira, Maria (2005), « Migration et trafic de femmes » in Handman, M.-
E. ; Mossuz-Lavau, J., La prostitution à Paris, Paris, La Martinière, p. 377-395.
Nader, Laura (2006), « Orientalisme, occidentalisme et contrôle des femmes », Nouvelles
Questions Féministes, (25), n° 1, p. 12-24.
Oso, Laura ; Catarino, Christine (1997), « Les effets de la migration sur le statut des femmes.
Le cas des Dominicaines et des Marocaines à Madrid et des cap-Verdiennes à Lisbonne »,
Migrations Société, (9), n° 52, p. 115-130.
Oso-Casas, Laura (2007), « Femmes actrices des mouvements migratoires »,
<http://www.iued.unig.ch> (consulté le 15 mai 2007).
Ouadah-Bedidi, Zahia ; Vallin, Jacques (2000), « Maghreb : la chute irrésistible de la
Notes
1 L’analyse de cette question prend place au sein d’une recherche de thèse dont l’objectif était
d’étudier les effets empiriques de l’articulation des rapports sociaux de sexe, de « race » et de
classe sur le regard porté sur les migrantes dans leur ensemble, et sur le travail et les attitudes
de migrantes « seules » du Maroc sans-papiers en France (Moujoud, 2007). Le terrain investi
pour cette recherche croise les deux sociétés, marocaine (Casablanca) et française (Paris et sa
banlieue proche). Il se compose d’une centaine d’entretiens semi-directifs avec des migrantes
« seules » sans-papiers ou régularisées, des migrantes rurales domestiques à Casablanca, des
hommes migrants légaux en France et des représentant-e-s d’associations de soutien aux
migrant-e-s.
2 L’une des explications de la prégnance de l’analyse évolutionniste ou en termes d’indicateurs
prédéfinis distinguant les deux sociétés de départ et d’arrivée peut être la fragmentation entre
les champs de recherche sur la migration internationale et sur telle ou telle société du « Sud ».
3 Patricia R. Pessar constate que les « gains sont bien sûr variables selon les pays d’origine et
selon le statut qu’ils réservent aux femmes » citée par Attias-Donfut, Delacroix (2004 : 183).
4 Je remercie Stéphanie Condon qui me l’a rappelé.
5 Cette confusion entre « immigrées » et « maghrébines » rappelle ce que décrit Nouria Ouali
(2002 : 75) à propos du glissement de la signification du terme immigré-e en Belgique, qui
devient synonyme de « musulman-e ».
6 On retrouve ici une continuation des préjugés sur le non-travail des « Orientales », que
Fatema Mernissi (1987) déconstruit dans ses travaux.
7 Le rôle des Etats et des hommes du « Nord » dans le travail domestique est largement
occulté par ce type d’analyse.
8 Ces dernières expressions sont tirées du texte de Manry et Ribas-Mateos (2005).
9 Jean Guyot, Ruth Padrun, Évelyne Dauphinet et Yvone Jospa (1977 : 140-149) évoquent des
images de femmes enfermées dans la société d’origine « pour qui […] la liberté ne veut rien
dire ». Pour Gaymard (2003 : 30), « Les femmes [musulmanes] sont habituées dès leur
enfance à être inférieures aux hommes. D’un point de vue personnel, une jeune fille
musulmane souffre moins d’une situation qui serait intolérable aux yeux d’une jeune
européenne actuelle. »
10 Le contexte politique répressif restreint l’engagement associatif des migrantes sans papiers
que j’ai rencontrées. Celles-ci peuvent craindre une visibilisation de leur présence irrégulière
en France ou ont eu l’occasion de saisir les limites imposées à ces actions et la nécessité
d’inventer d’autres luttes (Moujoud, 2007).
Référence électronique
Nasima Moujoud, « Effets de la migration sur le femmes et sur les rapports sociaux de sexe.
Au-delà des visions binaires », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 16 | 2008, mis en ligne le
22 mars 2011, consulté le 01 novembre 2022. URL :
http://journals.openedition.org/cedref/577 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.577
Ait Ben Lmadani, Fatima. (2018) Gender and Mobility in Africa. DOI:
10.1007/978-3-319-65783-7_10
Le Guen, Mireille. Marsicano, Élise. Bajos, Nathalie. (2018) Des ressources pour
une union, une union contre des ressources : mise en couple et conditions de vie
chez les immigré·e·s d’Afrique subsaharienne après leur arrivée en France.
Revue européenne des migrations internationales, 34. DOI:
10.4000/remi.11968
Moreira, Sofia Laíz. (2019) “I dream of a better future to help my mother, to give
her back all she gave to me…”: social mobility projects, the family and other det.
Questions vives recherches en éducation. DOI: 10.4000/questionsvives.4142
Vendroux, Sabrina. Idris, Isam. (2018) S’émanciper loin de ses repères culturels
et familiaux ou devenir mère pour être femme…. Enfances & Psy, N° 79. DOI:
10.3917/ep.079.0167
Odasso, Laura. (2018) Une absence genrée . Revue des mondes musulmans et de
la Méditerranée. DOI: 10.4000/remmm.12030
Auteur
Nasima Moujoud
Socio-Anthropologue affiliée au Laboratoire d’Anthropologie Sociale (LAS-EHESS) et à
l’Institut Maghreb-Europe (Université Paris 8 Saint-Denis).
Droits d’auteur
Tous droits réservés