Sécurité Alimentaire: Un Enjeu Global - Bernard Bachelier

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SCURIT ALIMENTAIRE : UN ENJEU GLOBAL

Novembre 2010

Bernard BACHELIER

www.fondapol.org

SCURIT ALIMENTAIRE : UN ENJEU GLOBAL

Bernard BACHELIER

La Fondation pour linnovation politique est un think tank libral, progressiste et europen. Prsident : Nicolas Bazire Vice-prsident : Charles Beigbeder Directeur gnral : Dominique Reyni

La prsente note est publie dans le cadre de la srie Croissance conomique .

RSUM

A lheure o la France prend pour un an la prsidence du G20, la question de la scurit alimentaire est plus que jamais dactualit. En 2008, la flambe des prix des denres alimentaires avait conduit lapparition d meutes de la faim dans les pays en dveloppement. Les mauvaises rcoltes et la spculation ne suffisent pas expliquer ces vnements dramatiques, qui trouvent leurs racines dans lvolution des politiques agricoles depuis une vingtaine dannes. Dans les pays les plus pauvres, la rduction de leffort budgtaire en faveur de lagriculture, le maintien des prix bas niveau et labandon de la politique daugmentation des rendements ont frein le dveloppement des agricultures locales et dvelopp le risque dinscurit alimentaire. Face ces dfis, malgr les dclarations de principe de la communaut internationale, peu dinitiatives concrtes ont t prises, notamment de la part de lUnion europenne. Afin que les 9 milliards dtres humains qui peupleront la plante en 2050 puissent se nourrir, il est indispensable de relancer les investissements dans la production vivrire. Cela passe par la redfinition des politiques agricoles, en vue dune augmentation des rendements et de la productivit, par une meilleure commercialisation des produits sur les marchs rgionaux et enfin par une structuration des filires de production. Les financements extrieurs, quils proviennent de la solidarit internationale ou du secteur bancaire doivent tre amplifis. Loin de ressusciter lagriculture dEtat, la prsidence franaise du G20 est loccasion de replacer la question de la scurit alimentaire au plus haut niveau.

SCURIT ALIMENTAIRE : UN ENJEU GLOBAL


Bernard BACHELIER
Directeur de la Fondation pour lagriculture et la ruralit dans le monde (FARM)

La crise alimentaire qui a frapp le monde en 2008 a ramen la question agricole au premier plan des priorits de la communaut internationale. Nous savons que de nouvelles pnuries sont possibles. La faim ne rgresse pas comme on lavait espr. Depuis le printemps 2008, toutes les runions internationales ont consacr un point de leur ordre du jour la scurit alimentaire et annonc la mobilisation de financements nouveaux. Pourtant, les actes ne suivent pas les dclarations. Lopinion publique peine comprendre ce qui se passe et distinguer ce qui relve des effets dannonce de ce qui amorce de relles actions. Depuis le mois de novembre, la France prside le G8 et le G20 pour un an. La scurit alimentaire figurera lordre du jour du Sommet mais sera trait comme le suivi technique du dossier laiss des experts. Cest sur la rgulation des marchs que la prsidence franaise entend faire peser le poids politique. Annonce par Nicolas Sarkozy, elle prpare une initiative pour le G20 sur la volatilit des prix des produits agricoles. Le prsident de la Rpublique a retenu en premier lieu la rgulation des marchs des matires premires, agricoles parmi les quatre priorits la prsidence franaise. Cet objectif se traduira par une runion des ministres du G20 chargs de lagriculture, une premire dans un univers domin par les financiers. On peut comprendre cette insistance sur la question des prix. La crise alimentaire a en effet t dclenche par leur envole. Mais il sagissait l du symptme dun mal plus profond, comme une fivre signale une maladie. La principale cause qui du dsquilibre alimentaire de la plante
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est la baisse des investissements en faveur de lagriculture, notamment de lagriculture vivrire dans les pays pauvres. Si lon veut traiter le mal en profondeur, il faut envisager de nouvelles politiques agricoles dotes de financements qui assurent leur mise en uvre. Encadrer la volatilit ne suffira pas donner aux paysans des pays en dveloppement les moyens qui leur permettront daccrotre et de stabiliser les niveaux de production ncessaires la scurit alimentaire de leurs concitoyens. lheure o la communaut internationale se runit pour traiter de nouveau ces questions, un retour sur les faits permettra de mieux comprendre les enjeux.

LA CRISE ALIMENTAIRE, RVLATEUR DES CONSQUENCES DU DSINVESTISSEMENT DANS LAGRICULTURE


La crise alimentaire de 2008 a rvl aux mdias et, travers eux, lopinion publique le dsintrt dont souffrait lagriculture depuis de nombreuses annes. Depuis longtemps, cette situation inquitait les experts. La Banque mondiale avait dcid ds 2006 de consacrer son rapport annuel 20081 sur le dveloppement la question agricole. Cette dcision avait t prise avant la crise. La rdaction du rapport fut acheve au printemps 2007 et le rapport rendu public en novembre 2007. Mais ce sont les meutes de la faim qui, fin 2007 et, surtout, au printemps 2008, mirent fin lindiffrence mdiatique. Ces meutes qui frapprent des dizaines de villes des pays pauvres furent provoques par lenvole des prix, notamment des prix du bl, cest--dire du pain, et du riz, la crale des pays pauvres. Rappelons que les prix du riz ont tripl durant les trois premiers mois de 2008. Cette monte des prix tient autant des causes conjoncturelles qu des causes structurelles.

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Des causes conjoncturelles : scheresse et emballement des marchs


Parmi les causes conjoncturelles, on compte dabord des phnomnes climatiques qui se se sont traduits par une succession de mauvaises rcoltes en Australie et en Europe orientale. Cependant, la scheresse nexplique pas tout. Les marchs financiers ont amplifi ce phnomne. En effet, le dbut de lanne 2008 correspondait la premire phase de la crise du

1. Banque Mondiale Rapport sur le dveloppement dans le monde 2008. "L'agriculture au service du dveloppement" Washington - Banque Mondiale - 2007

crdit marque par une mfiance lgard des marchs financiers et une augmentation des prix de toutes les matires premires. Dgages des marchs financiers, des liquidits ont t utilises pour spculer sur les marchs agricoles. cela sajoute ce que lon peut appeler une spculation dtat rsultant de linterdiction des exportations dcide unilatralement par quelques pays. Cest le cas du march du riz dont les mouvements ont t amplifis par la fermeture des frontires de lInde, de la Thalande et du Vietnam, principaux fournisseurs de lAfrique subsaharienne. La troisime cause que lon cite souvent lorigine de la crise alimentaire de 2008 est la production de biocarburants. Une part de lopinion publique a dnonc leur monte en puissance et les a accuss de dtourner la production de son usage alimentaire et de gonfler les prix : manger ou conduire, il faut choisir , proclamaient certains mdias. En ralit, la chute des cours de 2009 a montr que la production de biocarburants navait pas de rel impact sur les prix. Seuls trois ensembles conomiques ont une politique volontariste de biocarburants : le Brsil, qui produit partir de la canne sucre ; les tats-Unis, qui utilisent principalement du mas ; et lUnion europenne, qui a mis sur la betterave sucre et les olagineux. LUnion europenne a fix un objectif dincorporation de 10 % des biocarburants dans lensemble des carburants destins aux transports dici 2020. Les tats-Unis, eux, veulent quadrupler leur production dici 2022. Quant au Brsil, il introduit dj 20 25 % dthanol dans son essence. Ces objectifs restent modrs. La production de biocarburants occupe actuellement 2 % des terres cultivables. Ce chiffre slvera 4 % dici 2050, selon la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO). Les analyses ont montr que lessentiel de la transmission des prix des cultures biocarburants vers les denres alimentaires provenait du mas amricain, qui est aussi une base de lalimentation de lAmrique latine. Les quantits de mas amricain destines aux biocarburants ont doubl entre 2005 et 2007, passant de 40 80 millions de tonnes. Mais le rle du biocarburant base de mas doit lui-mme tre relativis, car les quantits destines lalimentation animale et lalimentation humaine sont restes stables. Quoi quil en soit, accuser les biocarburants revient se tromper de cible. Leur consommation est stable, elle augmente de faon progressive et programme, et ne favorise pas la volatilit mais au contraire lamortit. De plus, lEurope et les tats-Unis conservent le potentiel agricole ncessaire la satisfaction des besoins des marchs, mme si, terme, le monde ne se nourrira certes pas de leurs excdents.

Scurit alimentaire : un enjeu global

Des causes structurelles : la baisse des investissements et le plafonnement des rendements


Il existe donc aussi des causes structurelles. Les stocks mondiaux de crales ont t en 2007 exceptionnellement bas, et cette situation ntait pas due seulement aux mauvaises rcoltes. Elle rsultait des politiques agricoles suivies depuis une vingtaine dannes : cest le rsultat du dsinvestissement dans lagriculture. Sans doute, les pays riches ont continu de soutenir leur agriculture par des transferts publics massifs. Ainsi, le budget europen de la Politique agricole commune a t sanctuaris jusquen 2013 par laccord entre Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schrder, tandis que, de leur ct, les tats-Unis ont vot en 2008 un nouveau Farm Bill, la loi sur lagriculture, qui maintient laide budgtaire lagriculture amricaine. Cependant, les politiques agricoles ont fait lobjet dinflexions majeures dont les consquences ont t considrables. Elles ont ainsi contribu liminer les stocks en rgulant la production par la mise en jachre de terres agricoles. Cela a lavantage, en temps normal, dviter de dsquilibrer les marchs en bradant les excdents. Mais, en labsence de stocks de rfrence, le ngoce ne dispose plus dalerte et, en cas de crise, ne peut plus ragir rapidement. La politique dont les consquences ont t les plus graves demeure le ralentissement de laugmentation des rendements. lchelle de la plante, de 1960 2000, les rendements en crales ont augment de 2,5 % par an, multipliant ainsi la production par 2,6. Depuis le dbut des annes 2000, les gains de productivit se sont ralentis et plafonnent 1 % par an en moyenne. Il existe plusieurs raisons ce phnomne. Dune part, les pays dvelopps, en particulier lEurope, ont focalis leur attention sur la protection de lenvironnement, rejetant ainsi lintensification de lagriculture et condamnant le productivisme, devenu source de tous les maux et de toutes les pollutions. Ils ont oubli que cest grce lamlioration des rendements par la technique que leur alimentation tait devenue aussi bon march et aussi sre du point de vue sanitaire. Ce plafonnement des rendements ne concerne pas uniquement lEurope. Il est d la baisse drastique des financements publics consacrs lagriculture et la recherche agronomique, ainsi que la Banque mondiale la not dans son rapport 2008. La part de lagriculture est tombe 4 % de laide publique en 2006, alors quelle avait atteint prs de 20 % la fin des annes 1970. Les pays dAfrique subsaharienne ny consacrent pas plus de 4 % de leurs budgets nationaux.

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Les erreurs des politiques conomiques


Cette chute de la part agricole dans les budgets publics est une consquence des politiques dajustement structurel imposes par le Fonds montaire international (FMI) pour accorder des rductions de dettes. Sous son influence, le financement public de lagriculture ainsi que les services publics agricoles ont t dmantels et figurent parmi les victimes des rformes conomiques. Lagriculture ne peut pas toujours tre finance par le seul secteur priv, comme nimporte quelle autre activit conomique. Si un tel cas de figure est envisageable dans des pays qui disposent de capitaux comme le Brsil, le dsengagement des pouvoirs publics place les productions vivrires des pays pauvres dans une impasse. La faiblesse de la rentabilit, les risques climatiques, les incertitudes conomiques, lmiettement de la production, labsence de lgislation foncire ne peuvent que dissuader les investisseurs. De plus, les doctrines dominantes privilgient des prix le plus bas possible pour les consommateurs. Et, pour y parvenir, la solution de facilit est de recourir des importations bon march. Or les prix des marchs internationaux ont t la fois stables et de faible valeur pendant plus de vingt ans. Les importations de bl, de riz et de lait bon march satisfont la fois les consommateurs urbains ; les gouvernements, qui ils assurent la paix sociale ; les importateurs, souvent proches du pouvoir ; et les financiers internationaux, puisquils limitent les charges pour les budgets nationaux. Au fond, presque tout le monde a des raisons dtre content, sauf les paysans. En effet, ces stratgies ruinent les agricultures locales, dcouragent les investisseurs et empchent que se crent des filires commerciales nationales. Cet quilibre nocif fonctionne tant que les prix mondiaux sont bas. Si les prix senvolent, le systme explose. Et le ngoce urbain ne peut se retourner vers les producteurs locaux qui, coups des marchs et de laccs au crdit, ne peuvent profiter de ces opportunits. Cest cette approche que la crise alimentaire a remise en question. Elle la branle temporairement, car labondance de la production des pays exportateurs en 2009 a permis de retrouver rapidement des prix plus bas, mais elle a tir une sonnette dalarme. Mais tout le monde ne semble pas avoir conscience des risques qui psent sur la scurit alimentaire de la plante si rien de change.

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LA RECRUDESCENCE DE LA MALNUTRITION REMET EN CAUSE LES POLITIQUES AGRICOLES


En 2008, la malnutrition est repartie la hausse. Quentend-on par malnutrition ? La scurit alimentaire dfinit laccs de chaque individu, tout moment, une nourriture en quantit et en qualit suffisante pour mener une vie saine et active. Cest la dfinition adopte par le Sommet mondial de lalimentation organis par la FAO en 1996. Cette dfinition repose sur quatre piliers : la disponibilit physique des aliments qui renvoie la production agricole et aux changes commerciaux : loffre ; laccs physique et, surtout, conomique qui renvoie la capacit des individus dacqurir les aliments et donc aux rapports entre les prix agricoles et les revenus : la solvabilit des consommateurs ; lutilisation des aliments, ladquation avec les besoins en fonction des individus, de leur tat, de leur environnement, des carences locales et des habitudes de consommation ; la stabilit, cest--dire la rgularit de laccs et labsence de pnuries : la gestion durable, qui renvoie aux politiques publiques vitant les alas. Chaque anne, la FAO publie un rapport sur ltat de linscurit alimentaire dans le monde qui value le nombre de personnes souffrant de la faim en fonction dindicateurs tenant compte des diffrentes caractristiques de groupes dindividus telles que lge, le sexe ou lactivit.2

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Un milliard de personnes souffrent de la faim


La premire confrence mondiale de lalimentation sest runie en novembre 1974. cette poque, 900 millions de personnes souffraient de la faim. Vingt-deux ans aprs, lors du Sommet mondial de lalimentation de 1996, ce chiffre est encore de 850 millions. Les participants du Sommet proclamaient [leur] volont politique et [leur] engagement commun et national de parvenir la scurit alimentaire pour tous [] et dans limmdiat, de rduire de moiti le nombre de personnes sous-

2. FAO L'tat de l'inscurit alimentaire dans le monde Rome - FAO - 2008.

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Lagriculture vivrire oublie des politiques publiques et dlaisse par les investissements privs
Or cette situation rsulte dune conception rductrice de lagriculture vivrire qui la tient lcart de lconomie. Pour sortir de la pauvret, les agriculteurs doivent avoir accs au march. Ils doivent pouvoir agir en acteurs conomiques : accder au crdit, acqurir les moyens de production, les intrants agricoles et le petit quipement, vendre leur production. Pour faire face aux pnuries ou pour accder une alimentation plus diversifie, ils doivent pouvoir acheter ce quils ne produisent pas grce la vente de leurs excdents. Deux causes expliquent cette situation : la conception des politiques agricoles en faveur de lagriculture vivrire et la baisse des financements publics destins lamlioration de cette agriculture. Pourtant, la conception de lagriculture de subsistance qui prvaut depuis plusieurs dcennies dans les instances internationales et une partie du monde des ONG se traduit par un blocage de fait. La satisfaction des besoins familiaux par lassistance extrieure maintient les mnages

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alimentes dici 2015 au plus tard . Cet engagement sera repris dans les objectifs du Millnaire adopt par le Sommet du Millnaire runi New York, du 6 au 8 septembre 2000. Pourtant, ds 2002, le Sommet mondial de lalimentation : cinq ans aprs constatait que le nombre de personnes souffrant de la faim restait suprieur 800 millions. Tout le monde sait que lobjectif du Millnaire ne sera pas atteint. Cest dans ce contexte quest survenue la crise alimentaire, puis la crise conomique. La sous-alimentation est repartie la hausse : 915 millions de personnes en 2008, plus de 1 milliard en 2009, sous leffet conjugu des hausses des prix agricoles et de la baisse des transferts Nord-Sud. La FAO espre un lger reflux en 2010. Ce chiffre reste nanmoins inacceptable pour le monde o nous vivons. Deux continents sont victimes de la faim : lAsie, avec 640 millions de personnes, soit plus de 60 % du total ; et lAfrique subsaharienne, avec 260 millions de personne, soit un quart du total. Et cest en Afrique que la proportion par rapport la population totale est la plus leve : 36 %. Les trois quarts des personnes qui souffrent de la faim habitent dans les zones rurales. Une grande partie dentre eux vit de lagriculture. On sait que la malnutrition est une consquence de la pauvret. On oublie quelquefois quelle est troitement lie la pauvret rurale.

dans la dpendance. La mfiance lgard de lconomie, des marchs et de linnovation empche tout progrs durable. Concrtement, laide extrieure agit travers des projets qui soulagent temporairement les plus dmunis par la distribution dengrais ou de semences et quelques conseils techniques. Ces projets ne concernent quun pourcentage trs faible dagriculteurs et sont limits dans le temps. Ils ne conduisent pas une accumulation dun peu de capital qui assurerait aux paysans et leurs organisations leur autonomie. Ils fonctionnent plus comme un affichage pour les pays riches que comme une stratgie cohrente de dveloppement. Les financements engags par la solidarit internationale en faveur de lagriculture vivrire des pays pauvres sont drisoires par rapport aux besoins rels. La faon de les dpenser en rduit encore la porte. Les mauvais rsultats de la lutte contre linscurit alimentaire sont la consquence directe de la faon de traiter cette question.

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POUR SATISFAIRE LES BESOINS ALIMENTAIRES EN 2050, IL FAUT ACCROITRE LES RENDEMENTS ET RINVESTIR DANS LAGRICULTURE
Les besoins futurs conduiront une nouvelle dgradation de lquilibre alimentaire mondial si lon sen tient au statu quo. La FAO estime quil faudra augmenter la production alimentaire de 70 % dici 2050 pour nourrir les 9 milliards dhabitants que comptera alors la plante ; 90 % de cette augmentation devra se faire dans les pays en dveloppement et 80 % devra provenir dun accroissement des rendements. Ce point est capital. Il ne faut pas attendre laugmentation de la production dune extension des surfaces cultives. Celle-ci restera faible. Or il ne faut pas avoir peur des mots : cest dune intensification de la production que la plante a besoin. Une intensification dune nouvelle forme, mais bien une intensification. LAmrique du Sud, lAsie et lAfrique vivent des situations contrastes. Avec des terres, de leau et des capitaux pour les mettre en valeur, lAmrique du Sud, le Brsil en tte, sera encore plus quaujourdhui lune des grandes rgions exportatrices. Les pays dAsie, la Chine et lInde, seront confronts au double dfi de franchir un nouveau saut de production tout en limitant les risques environnementaux qui brident dj les effets de la rvolution verte. Dautant que leurs rserves de terre sont limites. La croissance conomique exercera un effet positif sur les marchs. Elle permettra dabsorber une partie des migrants de lagriculture sachant que lon peut tout moment craindre des dsquilibres dmographiques

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et sociaux qui retiendront lattention des gouvernements. Mais la croissance conomique conduira aussi une diversification des habitudes alimentaires vers les produits dorigine animale plus gourmandes en surfaces cultives. Quoi quil en soit les gouvernements asiatiques devront la fois financer et protger leur agriculture et veiller assurer leur approvisionnement. Cest ce qui justifie les investissements indiens, chinois ou corens en Afrique ou dans les pays de lex-Union sovitique. Ils devront aussi amliorer le fonctionnement intrieur des marchs comme le montrent les difficults auxquelles se heurte lInde qui se trouve dans la situation paradoxale de souffrir de graves famines et denregistrer les pertes importantes de rcoltes, faute de circuits commerciaux efficaces.

LEurope partage des intrts agricoles avec lAfrique du Nord


LAfrique du Nord et le Proche-Orient resteront structurellement dficitaires en raison des limites imposes aux terres cultivables par la scheresse et les concurrences sur les ressources en eau. Les quantits de crales quils importent chaque anne varient en fonction de la pluviomtrie. Elles dpendent aussi de la capacit des budgets nationaux subventionner les produits de base pour contenir les prix la consommation. Le Maroc, grce la dynamique de son conomie, et lAlgrie, grce son ptrole, ont vit la rpercussion de la crise alimentaire. Il nen a pas t de mme en gypte. Ce pays demeure un des plus vulnrables en raison de sa fragilit conomique et de ses tensions politiques. Ce qui en fait sans doute un des plus sensibles la fermeture des exportations dcide unilatralement par la Russie au cours de lt 2010. LUnion europenne doit considrer que le sort des populations de la rive sud de la Mditerrane relve en partie de sa responsabilit. Les besoins alimentaires constituent certes un march pour les producteurs europens, mais la modernisation des structures agraires grce au dveloppement des marchs intrieurs est la priorit des priorits. Cette modernisation passe par la diversification des productions. Le succs de la production de lait au Maroc est un exemple du mouvement coopratif local. Et les filires franaises peuvent participer la cration de filires conomiques, dans le domaine des olagineux par exemple. Comment lEurope peut-elle imaginer quelle puisse grer les flux migratoires et favoriser une meilleure gestion des cologies fragiles sans contribuer lamlioration de la situation de millions de paysans pauvres ? Linitiative dUnion pour la Mditerrane (UPM), voulue par Nicolas
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Sarkozy et Henri Guaino, se heurte bien des rticences politiques. Sil ne faut pas attendre des miracles des changes rgionaux contraints par les difficults politiques, lUPM pourrait offrir un lieu de concertation sur les enjeux agricoles partags, incluant non seulement les changes Nord-Sud et Sud-Nord mais aussi les partenariats conomiques entre filires agricoles et agro-industrielles.

La priorit est maintenant daider lAfrique subsaharienne russir sa rvolution verte


LAfrique subsaharienne mrite une attention particulire. Proche de lEurope, elle reste une rgion pauvre dont lconomie est essentiellement agricole. Or cette agriculture ne sest pas encore engage dans lintensification. Les rendements craliers restent les plus faibles du monde, de lordre de 13 quintaux par hectare, comparer avec la moyenne mondiale de 32 quintaux et aux 50 quintaux des pays industrialiss. Pourtant les paysans sont nombreux. Seuls 230 millions dhectares sont exploits sur un potentiel de terres cultivables estimes par la FAO plus de 1 milliard. Les ressources en eau sont abondantes, mme si elles sont ingalement rparties. Ce sont les moyens qui manquent pour les mettre en valeur. En fait, lAfrique subsaharienne est la rgion du monde qui a le plus souffert des politiques dajustement structurel et du dsengagement des tats. Les taux de croissance de ces dernires annes, de lordre de 6 %, proviennent essentiellement de lexportation de matires premires. En labsence dinvestissements productifs, lAfrique subsaharienne ne possde pas les moteurs qui ont tir lconomie agricole dans les pays mergents. De nombreuses raisons sont avances pour expliquer cette situation : la faiblesse des gouvernements, les conflits et les guerres, les taux de change qui, dans la zone euro, pnalisent les exportations, le morcellement politique du continent, les contraintes climatiques, sans oublier les problmes sanitaires qui psent lourdement sur les classes actives. Cependant, il ne faut pas ngliger les consquences des politiques conomiques imposes par les bailleurs de fonds. Rien na t substitu aux politiques publiques dirigistes et coteuses qui ont t remises en cause, juste titre. Les pouvoirs publics nationaux et internationaux ont laiss tomber lagriculture. Les productions dexportation, comme le cacao ou le coton, ou bien celles qui faisaient lobjet dune transformation industrielle, comme lhuile de palme, ont tir leur pingle du jeu, mais les cultures vivrires se sont retrouves de fait dans un angle mort. Et cette

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situation repose la question de la conception des politiques publiques et du financement de lagriculture.

LAfrique de lOuest pourrait satisfaire ses besoins alimentaires


Comme lont montr les tudes de la Fondation pour lagriculture et la ruralit dans le monde, lAfrique de lOuest pourrait tout fait satisfaire ses besoins alimentaires.3 Au cours des vingt-cinq dernires annes, alors que la population a doubl, la production rgionale de productions vgtales a plus que tripl. La production vivrire est passe de 59 millions de tonnes en 1980 212 millions en 2005. Mais ces rsultats ont t gagns pour 70 % par lextension des surfaces cultives et pour 30 % par laugmentation des rendements. Ce ratio est inverse du ratio du reste du monde. Lagriculture ne sest pas intensifie. Selon la FAO, la rgion dispose de 236 millions dhectares cultivables, mais seul 24 % de ce potentiel est cultiv, soit 55 millions dhectares, non compris les 119 millions dhectares de pturage. On estime quune augmentation de 50 % des terres cultives est possible. En revanche, les rendements devraient doubler. Ce doublement des rendements est conditionn par la matrise de leau. Les ressources existent. Le potentiel irrigable est de plus de 10 millions dhectares. De plus, des zones largement dpressives, qui peuvent bnficier de retenues deau locales, offrent un potentiel important de 11 16 millions dhectares. Le problme que posent ces amnagements est celui des capacits dinvestissement. Les moyens ne peuvent tre dgags par les budgets des gouvernements locaux. Cela devrait reprsenter une priorit et un vritable effort en faveur de lagriculture africaine. Le dveloppement de lirrigation est indispensable la satisfaction des besoins en riz, alors que la rgion est dpendante des importations hauteur de 55 %. La demande estime en 2025 pour 455 millions dhabitants slverait 22 millions de tonnes de riz, soit un peu moins de 7 millions dhectares avec un rendement de 5 tonnes par hectare. La surface actuelle consacre au riz est de 5 millions dhectares avec un rendement de 1,67 tonne de paddy. Mais le rendement moyen dans la zone de lOffice du Niger, qui est dj de 4 tonnes par hectare, montre que ces objectifs ne sont pas hors de porte.

3. Blein R., Goura Soul B., Faivre-Dupaigre B., Yrima B. Les potentialits agricoles de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) Paris - FARM - 2007

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Scurit alimentaire : un enjeu global

LAfrique de lOuest pourrait nourrir ses habitants dici 2025. Les paysans africains en sont capables et les ressources du milieu le permettent. Il faut investir dans lagriculture. Les tats africains ne peuvent le faire seul. La communaut internationale doit les aider.

DES DCLARATIONS DE LA COMMUNAUT INTERNATIONALE NON SUIVIES DACTIONS


O en est la mobilisation des dirigeants du monde du printemps 2008 ? Agitation institutionnelle des diplomates, faible montant des sommes rellement libres, conformisme de la rflexion sur les politiques agricoles essayons donc dy voir clair. Lors de son intervention le 6 juin 2008 au sommet convoqu par la FAO Rome, le prsident Nicolas Sarkozy a lanc lide dun partenariat mondial sur la scurit alimentaire. Lobjectif tait damliorer la coordination du systme international, de le doter dun groupe dexperts sur le modle des experts du climat et de moyens pour soutenir la relance des politiques agricoles. En fait, on est plutt conduit constater une multiplication des prtendants la coordination.

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Le secrtariat des Nations Unies et son programme-cadre


La premire instance qui y prtend est une quipe des Nations unies mise en place par le secrtaire gnral Ban Ki-moon en avril 2008. Sa dnomination officielle la caractrise : Coordination Team of the UN System High Level Task Force on the Global Food Security Crisis ( quipe de coordination du groupe spcial de haut niveau des Nations unies sur la crise de scurit alimentaire globale ). Cette instance a dfini un cadre incitatif (Comprehensive Framework for Action CFA) qui est cens orienter les initiatives des acteurs multilatraux et nationaux. Le texte rdig dans le style des Nations unies sadresse aux spcialistes de ce genre de diplomatie. On voit mal comment il peut atteindre les acteurs. Elle dispose aujourdhui dun organigramme avec une vingtaine dexperts rpartis entre New York, Genve et Rome. Le budget de 3,4 millions de dollars est financ par le Royaume-Uni (1 million), lIslande, la France, la Suisse et la Banque mondiale.

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Le Comit de scurit alimentaire rform


Lautre prtendant majeur la coordination internationale est la FAO. Son directeur gnral Jacques Diouf sest battu pour ne pas tre dpossd de ses responsabilits par Ban Ki-moon et a procd au renforcement du Comit de scurit alimentaire mondiale (CSA) cr aprs la Confrence mondiale de lalimentation de 1974 pour assurer le suivi de la situation alimentaire mondiale. La rforme, soutenue par la France, a ouvert le CSA aux diffrents acteurs du systme alimentaire mondial. La France a aussi encourag la cration, intervenue le 3 septembre 2010, dun groupe dexperts de haut niveau pour la scurit alimentaire et la nutrition (HLPE). Le CSA est prsid par Noel De Luna. Le Dr S. Swaminathan, pre de la rvolution verte indienne, a t lu prsident du groupe dexperts. Le CSA possde aujourdhui la lgitimit institutionnelle pour assurer la coordination, mme sil ne faut entretenir dillusions sur la capacit des grands rassemblements pour prendre des dcisions et inflchir les stratgies des gouvernements. Depuis 2008, le G8 et le G20 ont inscrit la scurit alimentaire leur ordre du jour. En 2009, les pays industrialiss membres du G8 ont adopt une dclaration sur la scurit alimentaire mondiale, lInitiative de LAquila sur la scurit alimentaire (IASA). Les signataires conviennent dagir avec lenvergure et lurgence voulues , et sengagent mobiliser 20 milliards de dollars sur trois ans. Ce chiffre de 20 milliards avait dj t cit la suite de la confrence de Rome du 6 juin 2008. De toute faon, la mise en uvre reste de la responsabilit de chacun des acteurs. On ne sait sil sagit de financements nouveaux et on ne connat pas leur destination. Ce nest quune annonce. Par ailleurs, la dclaration de LAquila recommande le renforcement de la gouvernance mondiale et cite toutes les instances de coordination sans clarifier leurs responsabilits respectives. Et il est vrai que la G8 nest pas une instance de coordination. Mais quelques semaines aprs, les 24 et 25 septembre 2009, le G20 runi Pittsburg se saisit du dossier son tour et recommande, sur linsistance des tats-Unis, dappeler la Banque mondiale uvrer [] pour tablir un fonds daffectation spciale multilatral afin de soutenir les actions innovantes et des programmes tels que le Programme intgr pour le dveloppement de lagriculture en Afrique (CAADP). Les engagements slvent 22 milliards de dollars. On ne sait rien sur ces 22 milliards de Pittsburg, pas plus que sur les 20 milliards de LAquila. Mais les tats-Unis ont obtenu

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Scurit alimentaire : un enjeu global

la recommandation de la cration dun fonds spcial gre par la Banque mondiale, ide laquelle les Europens sopposaient.

Les tats-Unis prennent le leadership et sappuient sur la Banque mondiale


Ds le 22 avril 2010, le secrtaire au Trsor des tats-Unis annonce la cration du Global Agriculture and Food Security Program ( Programme mondial pour lagriculture et la scurit alimentaire ). Comme prvu, le fonds sera gr par la Banque mondiale. Il est immdiatement dot de 900 millions de dollars, dont 475 millions viennent des Amricains. Les pays fondateurs sont les tats-Unis, le Canada, lEspagne, la Core du Sud et la Fondation Bill & Melinda Gates (30 millions de dollars). Ni lUnion europenne ni la France ne font partie des fondateurs. Ainsi les tats-Unis prennent le leadership de la lutte contre linscurit alimentaire. La capacit daction se situe au cur de Washington, dans ce triangle o se trouvent la Maison-Blanche, la Banque mondiale, le FMI et ladministration amricaine. Le fonds spcial nest pas une instance de coordination : il est beaucoup mieux que cela, puisquil possde la fois une gouvernance restreinte et un pouvoir financier. Paralllement, les tats-Unis lancent leur propre stratgie de lutte contre linscurit alimentaire, Feed the Future , un programme trs structur avec des choix clairs. Cette stratgie de ladministration Obama donne la priorit au soutien la production agricole des pays pauvres, tournant ainsi le dos lorientation traditionnelle amricaine en faveur de laide alimentaire. Le refus de lUnion europenne de participer cette initiative est une erreur historique. Elle rsulte, une fois de plus, de labsence de vision stratgique et de manque de ractivit (ctait la priode de nomination des nouvelles instances de la Commission europenne et des commissaires). Cette absence est dautant plus regrettable que lUnion europenne avait dgag un crdit spcial de 1 milliard deuros la fin de lanne 2008. Il est vrai que la technocratie de la Commission finissante a russi dpenser ce milliard sans impact, ni politique, ni stratgique, ni oprationnel. Inversement, par leur clart, les initiatives amricaines donnent quelque espoir et font regretter par contraste le flou des positions europennes.

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LA RGULATION DES MARCHS AGRICOLES NE TRAITERAIT QUUNE PARTIE DU PROBLME


Le prsident Sarkozy a donc annonc que la France inscrirait la question de la rgulation des marchs des matires premires, notamment celle des prix des produits agricoles, lordre du jour du G20 que la France prside partir de novembre 2010. Les raisons dencadrer la volatilit des marchs agricoles sont nombreuses. Linstabilit pnalise les consommateurs lorsque les prix grimpent, et les agriculteurs lorsquils scroulent. Labsence de prvisibilit des prix fait perdre lagriculture une grande partie des investissements potentiels. La volatilit de leurs approvisionnements cause de graves difficults aux industries agroalimentaires. Linstabilit gnre linstabilit. Les producteurs ragissent aux signaux du march, lagriculture se trouve entrane dans un cercle vicieux. Or les marchs agricoles souffrent de spcificits : la dispersion de la production, la vulnrabilit aux alas climatiques et, surtout, la dissymtrie des informations qui imposent des dcisions aux agriculteurs en labsence de donnes conomiques fiables. De plus, la financiarisation des marchs agricoles a amplifi la spculation depuis une dizaine dannes. Dans ces conditions, on ne peut que souhaiter que la communaut internationale arrte des dispositions permettant de limiter la fluctuation des cours ce qui est ncessaire au bon fonctionnement des marchs.

Linstabilit des prix dans les pays en dveloppement dpend de facteurs endognes
Pour autant, la question est complexe et sa rsolution ne garantirait pas la scurit alimentaire de la plante. En effet, la rgulation concerne les prix sur les marchs internationaux. Or ces prix ont peu dimpact sur les marchs intrieurs des pays pauvres. Les tudes de la Fondation pour lagriculture et la ruralit dans le monde (FARM) ont montr que la transmission des prix internationaux aux agriculteurs africains tait trs rduite. La volatilit des marchs intrieurs, nationaux et rgionaux, dpend de facteurs endognes, que lon peut classer en deux grandes familles. La premire est celle de la production dpendant des alas climatiques mais aussi de lorganisation de la production, de laccs au crdit et aux intrants. La seconde famille est celle de dficiences de fonctionnement des marchs en raison de linsuffisance des capitaux et des crdits, des obstacles institutionnels, de linorganisation des filires agricoles et de labsence de capacits de stockage physique et financire.

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Scurit alimentaire : un enjeu global

Certes, le niveau de prix des denres importes nest pas indiffrent. Limportation de riz bon march dstabilise la production locale dans certains pays comme le Sngal. Mais, durant une vingtaine dannes jusquen 2007, le prix du riz import na pas t instable. Il a t constamment bas.

Peut-on satisfaire la fois les producteurs et les consommateurs ?


Il faut aussi poser la question des conflits dintrts entre producteurs et consommateurs. Peut-on dterminer des rfrences de prix qui satisfassent les uns et les autres ? Les gouvernements des pays pauvres ont tendance arbitrer en faveur des consommateurs, au dtriment des agriculteurs. Cette contradiction entre pays dvelopps et pays en dveloppement, ou du moins les plus dmunis dentre eux, ne risque-t-elle pas de se retrouver dans lenceinte du G20 ? Si la rgulation devait entraner une augmentation des prix agricoles intrieurs dans les pays dAfrique subsaharienne, elle devrait imprativement tre assortie dune politique de soutien la production locale. Dans ces conditions, on voit mal ce qui distinguerait un accord au G20 des ngociations des accords de partenariat conomique (APE) en cours dans lUnion europenne et les pays dAfrique, des Carabes et du Pacifique. Les ngociations nont toujours pas abouti avec lAfrique de lOuest. Or les organisations agricoles de cette rgion demandent des taxes aux importations des produits agricoles de base de 50 80 %. Les gouvernements africains ny sont gure favorables. Mais, surtout, les ngociateurs europens ne font rien pour aider les tats africains protger les marchs rgionaux et faciliter la mise en place de politiques agricoles dynamiques. De mme, les ngociations du cycle de Doha conduites dans le cadre de lOrganisation mondiale du commerce ont achopp en juillet 2008 sur le mcanisme de sauvegarde spcial (MSS) exig par lInde. Ce pays souhaitait appliquer des restrictions temporaires pour limiter les importations en relevant les tarifs douaniers ou en imposant des quotas. Pour lInde, lobjectif tait de protger les agriculteurs vulnrables des importations lorsque les prix baissaient trop fortement. Le dfaut majeur des ngociations commerciales, quelles soient europennes ou multilatrales, est de distinguer la fixation des rgles du commerce des financements de lagriculture. En effet, lOrganisation mondiale du commerce na pas de matrise de laide au dveloppement,

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alors que le cycle de Doha sintitule cycle de dveloppement. Ce travers se retrouvera au G20 si celui-ci traite de la rgulation des marchs sans traiter en mme temps des politiques de dveloppement de lagriculture et de leur financement. Cela serait dautant plus dommage que le G20 offre la France une occasion historique de reprendre la main sur le dossier de la scurit alimentaire.

LA CONCEPTION DE NOUVELLES POLITIQUES AGRICOLES EST AUSSI CRUCIALE QUE LES FINANCEMENTS POUR LES METTRE EN UVRE
Financement de lagriculture et politiques agricoles publiques constituent un couple indissociable. Labsence de moyens rduit nant la relance des politiques agricoles. linverse, limmobilisme conceptuel freine les dcisions des responsables financiers. Les bailleurs de fonds multilatraux utilisent lalibi que la bonne gouvernance serait plus importante que laugmentation des budgets. Cest un idal inaccessible, constitu dun mlange de politiques publiques intelligentes , dtat de droit, dadministration efficace et dabsence de corruption. En fait les agences daide se sont replies sur les projets de dveloppement. Elles ont renonc des stratgies densemble et des programmes sectoriels. Les politiques agricoles et les politiques de dveloppement sortent dun cycle de trente ans qui a commenc au dbut des annes 1980, motiv, lorigine par la ncessit de dsendetter les tats. Ce cycle est symbolis par les politiques dajustement structurel. Les bons lves du Fonds montaire international, notamment les tats dAfrique subsaharienne, ont t au bout de cette logique. Ils ont dmantel les services agricoles et les caisses de stabilisation, rduit les budgets agricoles et privatis les socits de dveloppement et les banques agricoles, et ouvert leurs marchs aux importations. La remise en cause de cette politique se heurte des obstacles considrables en raison de la perte des comptences dans les ministres et du tarissement des budgets. Elle se heurte surtout une difficult conceptuelle. Il est impossible de revenir sur la libralisation et lconomie de march et il est difficile de concevoir et de mettre en place les nouvelles fonctions que requirent les politiques publiques dans des conomies librales. Dautant quaucun tat ne peut aujourdhui russir seul.

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Scurit alimentaire : un enjeu global

Des politiques agricoles favorables linvestissement et lesprit dentreprise


Llaboration de nouvelles politiques agricoles et de dveloppement est une ncessit. Cette conception ne peut provenir dune inflexion des politiques antrieures, mais cest bien une rupture quil faut procder. Les responsables politiques doivent peser de toute leur volont pour y parvenir. Il faut que les productions vivrires deviennent des productions commerciales pour le commerce local. Nous proposons ici de contribuer llaboration de politiques agricoles nouvelles. Il importe de rappeler quelques attendus pour conserver notre objectif. La question traite est celle de la scurit alimentaire. Les productions agricoles concernes sont donc les productions vivrires : les crales, les tubercules, les produits dorigine animale, notamment le lait et les volailles. Les productions dexportation, telles que le coton, le cacao, le caoutchouc naturel, ou les productions industrielles, comme les olagineux ou les biocarburants, ne sont pas exclues. Elles ne doivent pas tre opposes aux productions alimentaires, mais les politiques agricoles ne peuvent se limiter la russite de ces filires. Lobjectif est de faire en sorte que les productions alimentaires, par exemple le riz ou le mas en Afrique subsaharienne, linstar du lait en Inde, deviennent des productions commerciales pour les marchs rgionaux. La priorit doit tre donne au potentiel de production et au fonctionnement des marchs locaux. Il faut produire plus et diminuer les cots de production unitaire. En effet, les marchs tant dj ouverts, toute protection des marchs entrane une augmentation des prix alimentaires. Laugmentation des rendements et de la productivit est une condition indispensable de russite. Lintensification de lagriculture des pays agricoles pauvres doit tre considre comme une priorit. Cest un droit des socits agricoles qui doivent avoir accs aux technologies disponibles. Ils disposent des marges de manuvre de productivit leur donnant un potentiel de progrs sans provoquer de dgradation du milieu.
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Le dveloppement des fonctions conomiques des organisations agricoles et la structuration de filires agricoles en acteurs conomiques doivent constituer le cur de laction. Il ne sagit pas dopposer cette priorit la monte en puissance dentreprises et dinvestisseurs privs qui peuvent jouer un rle de moteur conomique, mais ce secteur priv ne pourra quoccuper une place restreinte dans les filires vivrires. Il ne pourra pas rpondre lui seul aux enjeux ni de la scurit alimentaire ni de lemploi agricole.

Proposition pour une approche conomique pro-business ou pro-entreprises


La dmarche pro-business dfinit une conception globale des politiques agricoles tournes vers le dveloppement conomique et la diffusion de lesprit dentreprise. Elle vise orienter les politiques publiques et mobiliser les acteurs professionnels et privs dans une attitude proentreprises . Lexpression pro-business est emprunte Dani Rodrik, professeur dconomie politique internationale luniversit de Harvard, et Arvind Subramanian, membre du centre de recherche du Fonds montaire international. Dans un texte de mai 2004, intitul From Hindu Growth to Productivity Surge: the Mystery of the Indian Growth Transition4 , les auteurs font lhypothse que la croissance conomique de lInde a t provoque par un changement dattitude du gouvernement vis--vis de lentreprise prive, en 1980. Les auteurs distinguent lorientation promarch et lorientation pro-business (ou pro-entreprise). La premire vise supprimer les obstacles aux marchs travers la libralisation de lconomie. La seconde vise accrotre la rentabilit des tablissements industriels et commerciaux existants. Elle tend favoriser les entreprises et les producteurs. Il est noter que le traducteur de Dani Rodrik en franais a conserv lexpression pro-business (plutt que pro-entreprises). Nous avons adopt la mme position, qui nous semble bien caractriser et diffrencier cette dmarche. Cette stratgie conduit la mise en uvre dun nouveau modle conomique pour lagriculture. Base sur la promotion dorganisations professionnelles exerant des fonctions conomiques, elle suppose laccs

4. Dani Rodrik Nations et mondialisation, Les stratgies de dveloppement dans un monde globalis Paris La dcouverte - 2008

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aux financements extrieurs en combinant les emprunts bancaires et les subventions de dveloppement. Elle vise dgager des marges assurant lautonomie des groupements agricoles. La sphre publique reprsente par les tats, les organisations rgionales et les institutions internationales accompagne lapproche pro-business. Les pouvoirs publics favorisent et scurisent les investissements. On peut rappeler quelques axes majeurs : investissements dans les infrastructures (transports, communication), investissements dans les structures du march, actions incitatives (lgislation, subventions) favorables au crdit agricole, actions en faveur des dispositifs de couverture de risques, politiques dintgration rgionale, politiques long terme donnant la priorit aux productions locales (tarif douanier adapt), politiques favorables la structuration des filires agricoles (lgislation, subventions, dlgation de gestion), promotion de lapproche mutualiste et des coopratives. Les acteurs privs, les organisations professionnelles agricoles et leurs partenaires conomiques et financiers, notamment les institutions de crdit, doivent tre associs llaboration des politiques publiques et leur mise en uvre. Il sagit de les associer la dcision et non les cantonner dans les forums de la socit civile ou du secteur priv, qui les tiennent de fait lcart des arbitrages dcisifs.

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POUR UN G20 AGRICOLE CONSACR LA SCURIT ALIMENTAIRE


La priorit doit tre donne aux investissements, notamment la relance des financements publics grce la solidarit internationale. La scurit alimentaire de la plante est possible. Il y faut une forte mobilisation conceptuelle et financire du Nord comme du Sud, afin de valoriser ce qui est disponible de technologies, de savoir-faire, dconomie et de management. Le double enjeu consiste relancer les investissements en faveur de lagriculture et de concevoir de nouvelles politiques agricoles. La communaut internationale a besoin dun vritable coup de poing pour changer de rythme. Cest ce prix que la priode qui souvre accordera aux enjeux agricoles lambition dont ils ont besoin. Le G20 est une opportunit. La rgulation des marchs est un objectif fdrateur. Il faut le dpasser en traitant la scurit alimentaire avec un nouvel lan.

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La Fondation pour linnovation politique publie cette note en partenariat avec la Fondation pour lAgriculture et la Ruralit dans le Monde. FARM est une fondation reconnue dutilit publique cre par cinq entreprises franaises : Crdit Agricole SA, GDF SUEZ, le groupe Casino, Limagrain Vilmorin, Air France et lAgence Franaise de Dveloppement avec le soutien de lEtat. La mission de FARM est de promouvoir dans le monde des agricultures et des filires agro-alimentaires performantes et respectueuses des producteurs. FARM promeut une approche conomique des filires agricoles et la diffusion de lesprit dentreprise. FARM agit par les tudes, les propositions, les rencontres, les projets de dveloppement pilotes et la formation des leaders agricoles Les ressources de la fondation proviennent des fondateurs, dentreprises mcnes, des particuliers et des pouvoirs publics.

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