Procédés D'émulsification: Mécanismes de Formation Des Émulsions
Procédés D'émulsification: Mécanismes de Formation Des Émulsions
Procédés D'émulsification: Mécanismes de Formation Des Émulsions
Madame, Monsieur
08/09/2008
Procédés d’émulsification
Mécanismes de formation des émulsions
par Jean-Paul CANSELIER
Ingénieur ENSCT, Docteur d’État
Maître de conférences à l’INP de Toulouse (ENSIACET)
et Martine POUX
Ingénieur ENSCT, Docteur de l’INPT, HDR
Ingénieur de recherche à l’INP de Toulouse
Laboratoire de Génie chimique UMR CNRS 5503 INPT/UPS,
École nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques, Toulouse
(ENSIACET)
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1. Les émulsions : formulation que des phases et les proportions d’ingrédients dans chacune des
phases [1] [6] [7]. Nous ne considérerons que le premier d’entre eux.
et caractérisation Un empilement aléatoire de sphères dures identiques (système
monodispersé) correspond à une fraction volumique de phase dis-
persée φ de 0,64 [8]. Lorsque l’on atteint la densité maximale
d’empilement, que les sphères soient disposées selon un arrange-
On peut définir une émulsion comme une dispersion de gout- ment hexagonal compact (motif à deux couches selon ABAB...) ou
telettes d’un liquide A dans une phase liquide continue B [1]. selon un arrangement cubique compact (motif à trois couches
Les émulsions, instables thermodynamiquement, possèdent un ABCABC...), φ admet comme limite 0,74, chaque sphère étant entou-
minimum de stabilité cinétique, assurée le plus souvent par rée de 12 voisines [9]. En pratique, dans les émulsions, φ peut être
l’addition d’agents tensioactifs, de solides finement divisés [2], bien supérieur à cette dernière valeur pour deux raisons : la
de polymères ou de macromolécules biologiques (émulsifiants). déformabilité des gouttelettes (pouvant adopter une structure poly-
édrique comme dans une mousse), puisque la phase dispersée est
fluide, et la polydispersité du système (distribution plus ou moins
large de la taille des gouttes), ce qui permet aux gouttes les plus
La production d’émulsion (ou émulsification) s’accompagne d’un petites de remplir une partie de l’espace laissé libre par les plus
accroissement considérable de l’aire interfaciale et nécessite un grosses.
apport d’énergie, fournie, par exemple, par agitation mécanique. La
fabrication des émulsions doit prendre en compte les variables de
composition ou de formulation proprement dites (nature et propor-
tion des phases, choix et quantités d’additifs, en particulier émulsi-
fiants) et les conditions dans lesquelles ces émulsions sont 1.2 Importance industrielle. Secteurs
produites (température...) : ces paramètres conditionnent le type de d’application
l’émulsion. D’autre part, les variables de procédé, relatives à la tech-
nique d’émulsification, déterminent en grande partie la qualité de
l’émulsion (finesse, stabilité). Les domaines où l’on rencontre des émulsions sont extrêmement
nombreux. Premièrement, malgré leur caractère métastable, il
existe des émulsions naturelles : c’est le cas du lait (émulsion de
type H/E stabilisée par des glycoprotéines) et du latex d’hévéa,
1.1 Classification. Composition consistant en gouttelettes de phase organique (hydrocarbures et
composés fonctionnalisés) dispersés dans l’eau. Deuxièmement,
des émulsions interviennent temporairement dans certaines étapes
L’absence de miscibilité de deux liquides, ou leur miscibilité très d’un procédé industriel : extraction liquide-liquide, polymérisation
limitée, nécessaire à la formation d’une émulsion, provient d’une dif- en émulsion... Troisièmement, certaines émulsions sont indésira-
férence de nature entre les interactions majoritairement responsables bles, comme celles qui se forment lors de l’exploitation des gise-
de leur cohésion respective. Pour que deux liquides A et B se ments pétroliers (émulsions E/H, que l’on cherche à casser). Mais les
mélangent dans des proportions données, il faut que leur enthalpie émulsions formulées constituent principalement des produits finis
libre de mélange soit négative : ou bien la somme des énergies ou produits d’usage courant dans des secteurs d’application
d’interaction A-B est supérieure à la somme des énergies domestiques ou industriels très variés [10] [11] [12] dont les princi-
d’interaction A-A et B-B (hE < 0), ou bien la valeur faiblement positive paux sont rassemblés dans le tableau 1.
de hE est compensée par le terme entropique, toujours positif et de
signe contraire. La théorie des solutions régulières et les paramètres
de solubilité associés à cette théorie fournissent une description
quantitative correcte du comportement des mélanges liquides, 1.3 Processus d’évolution au cours
pourvu que les interactions entre dipôles et les phénomènes d’asso- du temps
ciation (A-A, B-B ou A-B) ne soient pas trop importants [3]. Les deux
types extrêmes de liquides sont représentés par les « huiles » (liqui-
des apolaires), dont la cohésion est due uniquement aux forces de
Au cours du temps, une émulsion évolue fatalement vers la sépa-
dispersion et les liquides constitués de molécules fortement asso-
ration des phases. Les mécanismes de déstabilisation d’une émul-
ciées, par exemple par des liaisons hydrogène, dont le représentant le
sion peuvent être répartis en deux catégories :
plus important est l’eau. Les émulsions simples (une phase dispersée
dans une phase continue) sont donc de type huile dans l’eau (H/E) ou — la première regroupe les phénomènes de migration de particu-
eau dans l’huile (E/H), l’inversion de phases étant d’ailleurs possible les et met en jeu des phénomènes réversibles ;
dans certaines conditions. Les émulsions doubles (ou émulsions mul-
— la seconde concerne la variation de taille des particules, con-
tiples) consistent en une émulsion simple dispersée à son tour dans
sistant en des processus irréversibles (figure 1).
une phase continue externe. Elles sont du type E/H/E ou H/E/H. (0)
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v = 2 ∆ρ gr 2 (1)
--- ------------------
9 ηc
4 ,6 φ
1 + -------------------3- Sédimentation Coalescence
2 ∆ρ gr 2 (1 – φ)
v = -------------------- ----------------------------------- (2)
9 ηc ( 1 – φ )
Figure 1 – Phénomènes intervenant dans la déstabilisation
des émulsions (d’après B. Abismail et coll. [67])
Pour une fraction volumique donnée, les techniques de préven-
tion de la migration des particules qui peuvent être envisagées
sont :
1.3.2 Variation de taille des particules
— le rapprochement des masses volumiques des deux phases :
∆ρ ≈ 0 (qui sont généralement fixées) ;
(changement du nombre de particules)
— l’addition d’épaississants (ηc croît, donc v décroît) « non
1.3.2.1 Mûrissement d’Ostwald
newtoniens » comme l’hydroxyéthylcellulose et les polysacchari-
des. On peut aussi jouer sur le diamètre (les petites gouttes migrent Le mûrissement d’Ostwald est un processus irréversible mettant
moins vite que les grosses) ; cela va dépendre de la technique en jeu la diffusion de molécules de la phase dispersée à travers la
d’émulsification. phase continue. Il tire son origine de la solubilité non nulle de la pre-
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mière dans la seconde et du fait que la pression de Laplace (cf. § — une faible viscosité de la phase continue ;
2.1.2) est plus grande dans les petites gouttes, ce qui explique un — une taille moyenne des gouttelettes assez élevée.
potentiel chimique plus élevé et un flux de matière tendant à vider
Une large distribution de tailles de gouttes (DTG) est défavorable
les petites gouttes au profit des plus grosses. Selon la relation de
à cause du mûrissement d’Ostwald (3). Une solubilité peu élevée de
Lifshitz-Slezov :
l’émulsifiant dans la phase continue ne permet pas de disposer
8 γ V m SD d’une « réserve » de ce composé (cf. règle de Bancroft, § 1.4.1). La
dr 3 (3) floculation, partant la coalescence, sont facilitées par :
--------- = ------------------------
dt 9RT
— un film interfacial mécaniquement peu résistant et peu élasti-
avec r rayon de la goutte (m), que (effet Gibbs-Marangoni contrarié), l’élasticité pouvant même
être pénalisée par un excès d’émulsifiant ;
t temps (s),
— des interactions coulombiennes répulsives peu marquées (fai-
R constante molaire des gaz (J · K−1), ble valeur du potentiel ζ, au niveau de la surface de cisaillement) ;
T température (K), — des interactions attractives de Van der Waals fortes.
Vm volume molaire de la phase dispersée (m3 · mol−1), Enfin, une tension interfaciale élevée ou, au contraire, très basse
entraîne une démixtion rapide : on sait que, comme les systèmes
D coefficient de diffusion (m2 · s−1), sans émulsifiant, les systèmes triphasiques du type Winsor III, à
S solubilité de la phase dispersée dans le milieu phase microémulsion médiane, décantent rapidement [1].
continu (mol · m−3) ;
Une élévation de température conduira souvent à la rupture de
dans un système donné à température fixée : l’émulsion. En effet :
— le rapport des tailles de particules au diamètre moyen reste — l’agitation thermique multiplie les collisions, rendant plus pro-
constant ; bables les occasions de coalescence ;
— la vitesse de grossissement des gouttes (en volume) est cons- — l’agent émulsifiant risque d’être désactivé (stabilité thermique
tante (fonction de la tension interfaciale, du volume molaire du com- insuffisante) ;
posé dispersé, de la solubilité et du coefficient de diffusion de la — la viscosité diminue ;
phase dispersée dans la phase continue) [31]. — si les masses volumiques des phases ont été ajustées à une
certaine température, une variation de ce paramètre ne peut qu’en
1.3.2.2 Coalescence accroître l’écart.
La coalescence est la formation de grosses gouttes par rapproche- Selon la théorie DLVO (Deryagin-Landau-Verwey-Overbeek) [33]
ment et fusion de gouttelettes due à l’instabilité de l’interface. L’évo- [34], l’énergie totale d’interaction entre deux particules colloïdales
lution de l’état initial métastable de l’émulsion vers son état final, lyophobes est la somme de l’énergie coulombienne répulsive et de
énergétiquement stable, peut être caractérisée par une cinétique de l’énergie attractive due aux forces de Van der Waals. Les émulsions
coalescence. Celle-ci dépend des interactions entre les gouttes, qui seront d’autant plus stables que cette résultante sera élevée.
s’expliquent elles-mêmes par l’existence d’une barrière électrique et/ Quant à la rupture d’une émulsion, elle fait intervenir des moyens
ou stérique. La hauteur de la barrière d’énergie s’opposant à la coa- chimiques, électriques ou mécaniques [25] [35].
lescence, par conséquent la stabilité cinétique de l’émulsion, dépend
en grande partie de la qualité de la protection colloïdale des goutte-
lettes. D’une part, dans l’eau, ces dernières sont souvent chargées
électriquement, notamment grâce à l’adsorption de tensioactifs ioni- 1.4 Caractérisation d’une émulsion
ques, et se repoussent donc mutuellement (stabilisation électrostati-
que). D’autre part, en milieu non polaire, des forces répulsives
s’exercent également entre gouttelettes d’eau recouvertes de ten- Trois critères principaux permettent de caractériser une émulsion :
sioactif orientant leur chaîne hydrophobe vers la phase continue ; — la nature des deux phases, continue et dispersée ;
ces forces répulsives ont une portée plus grande dans le cas de — la taille et la distribution de taille des gouttes (granulométrie) ;
macromolécules adsorbées. Les copolymères séquencés, composés
— la rhéologie.
de deux sous-chaînes d’affinités différentes, sont particulièrement
efficaces, mais encore peu utilisés industriellement : une partie
(l’ancre) s’adsorbe sur la gouttelette et laisse l’autre (la bouée) libre
de se dérouler dans le solvant et de protéger ainsi la gouttelette [32].
1.4.1 Identification de la phase continue
La taille des gouttes étant d’un ordre de grandeur nettement supé-
Le test consistant à déterminer la nature de la phase continue
rieur à celui des molécules d’émulsifiant, la courbure spontanée du
(type de l’émulsion H/E ou E/H) a une grande importance car le type
film interfacial, liée à la structure moléculaire de l’émulsifiant, ne
d’émulsion peut changer, non seulement en fonction de la composi-
devrait guère influer sur la coalescence. Cependant l’existence
tion du mélange (nature et proportions des ingrédients, par exem-
d’une barrière énergétique due à l’énergie de courbure contribuera
ple degré de salinité), mais aussi en fonction du protocole de
à retarder la coalescence [1].
préparation (température, ordre d’addition des phases...). Les trois
tests cités par l’AFNOR [36] sont fondés respectivement sur :
1.3.3 Facteurs de déstabilisation a - la coloration de l’une des phases : par exemple, l’addition d’un
colorant hydrosoluble permet d’identifier la phase aqueuse ;
En résumé, la stabilité d’une émulsion est favorisée par une com- b - la dilution : l’addition d’eau montre si la phase continue est
binaison de facteurs incluant des critères purement géométriques, aqueuse ou huileuse ;
des propriétés physiques de chacune des phases, des propriétés de c - la conductimétrie : la conductivité des émulsions H/E étant net-
l’émulsifiant et les performances du procédé. Certains facteurs de tement (au moins 1 000 fois) plus élevée que celle des émulsions E/H,
déstabilisation sont liés à la migration des gouttelettes c’est la méthode la plus fiable. En supposant des gouttes sphériques
[équations (1) et (2)] : et une fraction volumique de phase dispersée pas trop élevée, on
— une proportion élevée de phase dispersée (mais la valeur de φ peut appliquer la formule de Maxwell [34]. Pour rendre plus nette la
peut être imposée) ; variation de conductivité, il est cependant conseillé d’ajouter un élec-
— une grande différence de masses volumiques entre les phases ; trolyte à la phase aqueuse et d’extrapoler à salinité nulle.
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Par ailleurs, si l’on connaît la nature de l’émulsifiant, la règle de 1.4.2.3 Modèles de distribution. Corrélations
Bancroft constitue un guide simple, mais non infaillible : la phase con-
tinue est celle dans laquelle l’émulsifiant est le plus soluble [2] [34]. Les principales corrélations permettant le calcul du diamètre
moyen des gouttes dans les systèmes liquide-liquide agités ont déjà
fait l’objet d’une mise au point [43]. Pour des raisons de commodité
les corrélations sont exprimées en fonction de d32. La relation entre
1.4.2 Taille des gouttes et distribution de taille le rapport du diamètre de Sauter (d32) au diamètre de l’agitateur (D)
des gouttes et la fraction volumique de phase dispersée (φ) est souvent de forme
affine (1 + Cst · φ) avec Cst > 0 (cf. article [J 2 153] § 3.1.3).
1.4.2.1 Notion de diamètre moyen
Les expressions de la DTG les plus fréquemment rencontrées
On sait maintenant réaliser des émulsions monodispersées, soit dans la littérature pour des dispersions macroscopiques sont nor-
par un procédé voisin de la cristallisation fractionnée [37], soit par mées en volume autour du diamètre de Sauter [43] [44]. En revan-
cisaillement d’une émulsion grossière polydispersée en milieu vis- che, lorsqu’on s’intéresse aux milieux colloïdaux ou finement
coélastique [38]. Mais, en général, dans une émulsion, les gouttelet- dispersés, la distribution normale est difficilement applicable, les
tes de phase dispersée n’ont pas une taille unique. Pour caractériser distributions réelles, non symétriques, s’étalant souvent vers les
une émulsion il est donc nécessaire de déterminer la distribution de grands diamètres. C’est pourquoi, tant en émulsification sous agita-
taille des gouttes (DTG). Cependant, on préfère souvent choisir une tion mécanique (régime turbulent isotrope) [45], que dans le cas des
seule valeur représentative : le diamètre moyen. À partir de la DTG, émulsions visqueuses préparées dans un moulin colloïdal [46], on
il est possible de définir plusieurs moyennes. Comme en extraction considère de préférence une distribution log-normale (histogramme
liquide-liquide, le paramètre important est ici l’aire interfaciale A. de fréquences) [34] :
Dans le cas où la fraction volumique est bien inférieure à 0,74, l’hypo-
thèse de la sphéricité des gouttes est en principe vérifiée, et on a : 1 1 ln d – ln d moy 2
( ln d ) = ---------------------- exp – --- ------------------------------------- (7)
ln σ 2 π 2 ln σ
A = 4π ∑ n i r i2 = π ∑ n i d i2 (4)
i i avec probabilité (exprimée en fraction volumique) de
avec A aire interfaciale (m2), rencontrer une goutte de diamètre di,
n nombre de gouttes, σ écart-type moyen géométrique,
r rayon de la goutte (m), d diamètre de la goutte (m),
d diamètre de la goutte (m) ; dmoy diamètre moyen (m).
et le volume des gouttes est : La polydispersité est définie comme le rapport de la largeur de la
distribution σ au diamètre moyen dmoy. Une émulsion peut être
4 π considérée comme monodispersée si ce rapport (σ/dmoy) ne
V = --- π
3 ∑ n i r i3 = ---
6 ∑ n i d i3 (5) dépasse pas 0,1.
i i
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polynomiale empirique permet d’exprimer la viscosité d’émulsions Cependant, comme le suggère le sens commun, le régime turbu-
plus concentrées : lent est le plus souvent mis à profit. Dans ce qui suit, nous allons
exposer et expliquer les relations établies dans la littérature lorsque
ηr = 1 + aφ + bφ2 + cφ3 + ... (9) l’énergie est fournie par agitation mécanique.
avec b théoriquement égal à 14,1 selon Guth, Gold et
Simha (résultats cités dans [2]), mais compris
entre 3 et 6 d’après l’expérience,
2.1 Énergie mise en jeu
a toujours de l’ordre de 2,5 comme dans la formule
d’Einstein (8),
c peu souvent déterminé (8,78 cité par un auteur). Excepté dans certains cas où l’on observe une émulsification
Généralement, les émulsions les plus fines sont les plus visqueu- spontanée, l’obtention d’un mélange métastable, tel qu’un système
ses et, à φ constant, les émulsions sont d’autant plus visqueuses comprenant au minimum de l’huile, de l’eau, et un émulsifiant,
qu’elles sont moins polydispersées. Les émulsions concentrées nécessite un apport extérieur d’énergie. L’un des paramètres impor-
manifestent en général un comportement non newtonien (notam- tants qui permet de contrôler la qualité d’une émulsion est la distri-
ment rhéofluidifiant à faible gradient de vitesse et rhéoépaississant bution de taille des gouttes. Le plus difficile est de faire des gouttes
à gradient de vitesse élevé), qui peut aussi présenter un seuil suffisamment fines : le phénomène déterminant est donc la rupture
d’écoulement et même dépendre du temps (thixotropie) [1]. des gouttes et il convient d’éviter le plus possible le phénomène de
coalescence.
Les émulsions très concentrées (φ > 0,70-0,74) possèdent les pro-
priétés d’un solide élastique à faible contrainte et deviennent des
fluides rhéofluidifiants viscoélastiques au-delà d’une contrainte cri-
tique. La caractérisation expérimentale de tels systèmes n’est pas à
2.1.1 Énergie libre superficielle
l’abri d’artéfacts divers. Parmi les centaines de relations publiées
exprimant la viscosité des émulsions, nous citons l’une des plus L’état initial présentant une interface plane entre les deux liquides,
simples et des plus pratiques, faisant intervenir φ100 (fraction volu- la variation d’énergie libre due à la formation des gouttes (phéno-
mique de phase dispersée pour laquelle ηr = 100) [48] : mène global intervenant dans le processus d’émulsification)
s’exprime comme suit :
φ 2 ,49
----------
φ 100 ∆G form = γ ∆A − T∆Sconfig (11)
η r = 1 + -------------------------------- (10)
φ
1 ,187 – ---------- ∆A
φ 100 avec variation d’aire interfaciale,
γ tension interfaciale (N · m−1),
avec ηr viscosité relative,
φ fraction volumique, T∆Sconfig terme d’entropie configurationnelle.
φ100 fraction volumique de phase dispersée pour ηr = 100. Ce dernier terme, positif (accroissement d’entropie par dispersion
Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à des mises au d’une des phases sous forme de gouttelettes), est négligeable
point récentes [47] [49] [50]. devant γ ∆A, et ∆Gform est donc positif. On retrouve le cas de l’émul-
sification spontanée pour une valeur critique (très faible) de la ten-
sion interfaciale (γ = T∆Sconfig/∆A). Dans la plupart des cas, les
émulsions ne sont donc stables que cinétiquement. Dans la prati-
que, cette énergie nécessaire à la création d’interface ne représente
2. Mécanismes qu’une fraction négligeable de l’énergie mise en œuvre.
intervenant au cours Exemple numérique : énergie mise en jeu dans les procédés
d’émulsification
de l’émulsification Pour une fraction volumique d’huile φ de 0,1 et des gouttes de dia-
mètre 1 µm dans l’eau, la surface spécifique A (assimilée à ∆A), est de
3 × 105 m−1. Si la tension interfaciale est de 10 mN/m (valeur proche
Si les mécanismes de l’émulsification ne sont pas encore parfaite- d’un maximum pour γ), l’accroissement d’énergie libre superficielle
ment éclaircis, nous sommes loin du temps où un apothicaire ano- (γA) nécessaire pour créer cette surface est égale à 3 kJ/m3. Il est diffi-
nyme affirmait qu’on devait toujours agiter une émulsion dans le cile d’évaluer précisément l’énergie consommée pour vaincre les for-
sens inverse des aiguilles d’une montre, dissuadant alors ses con- ces inertielles et les forces visqueuses. En pratique toutefois, on peut
frères de recruter des assistants gauchers [51] ! Les processus élé- estimer avoir besoin de 3 MJ/m3 pour obtenir l’émulsion décrite ci-des-
mentaires d’émulsification comprennent au moins deux étapes : la sus. La contribution du terme ∆Gform (≈ γ ∆A) à l’énergie réellement
formation de gouttes relativement grosses, incluant la formation ini- apportée pour réaliser une émulsion n’est donc que de l’ordre de
tiale de films ou de cylindres fluides et leur rupture due à des insta- 0,1 %. Quant à la contribution du terme entropique, qui s’écrit [5] :
bilités de type Rayleigh-Taylor et/ou Kelvin-Helmholtz (cf. § 2.2.2),
puis la rupture de ces gouttes en objets plus petits. T∆Sconfig = − NkBT[lnφ + [(1 − φ)/φ]ln(1 − φ)]
Du point de vue hydrodynamique, l’émulsification peut être con- à 300 K, avec 2,4 × 1016 gouttes/m3, elle est égale à 0,3 mJ/m3, soit
duite en régime laminaire ou en régime turbulent [52] [53]. 1 ⁄ 10 000 000 e de l’énergie thermodynamique et 1/10 000 000 000e
L’émulsification en régime laminaire utilise, notamment, l’écoule- de l’énergie totale consommée !
ment forcé à travers un capillaire ou le mouvement oscillatoire
d’une lame de verre [38]. L’émulsification par cisaillement doux en
régime laminaire est possible lorsque les deux phases sont suffi- 2.1.2 Pression de Laplace
samment visqueuses et que la fraction volumique de phase disper-
sée est élevée : l’énergie consommée est faible, la DTG très étroite,
mais ce procédé requiert un temps d’émulsification pouvant attein- Avant rupture, une goutte passe par une étape de déformation, à
dre plusieurs heures. laquelle s’oppose l’énergie due à la pression de Laplace pL. Cette
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dernière représente la différence de pression entre la partie convexe lèlement à l’interface, est sensible à la viscosité et aux gradients de
et la partie concave de l’interface de la goutte : tension interfaciale. Il est probable que la formation des gouttes à
partir d’une interface plane résulte d’une combinaison de tous ces
mécanismes.
p L = γ ----
1 + 1 (12)
r - r-----
1 2
We = ηcGr/γ (14)
2.2.1 Formation d’un film
avec G gradient de vitesse (m · s−1),
Le processus d’émulsification débute par la formation d’un film
de ce qui deviendra la phase continue autour de la future phase dis-
r rayon de la goutte (m),
persée. En l’absence d’émulsifiant, ce film est extrêmement insta-
ble. La grandeur physique importante est ici l’élasticité de Gibbs ou γ tension interfaciale (N · m–1),
module de dilatation de surface, lié au gradient de tension interfa-
ciale (E = dγ /d(ln A)). Si le film est mince, la concentration en émulsi- ηc viscosité de la phase continue (Pa · s).
fiant (par exemple : tensioactif) est déterminante : elle ne doit pas
être trop faible sous peine d’épuisement rapide de sa présence dans ηcG représente la contrainte exercée sur une goutte dans l’écoule-
le film. En revanche, avec une quantité suffisante de tensioactif, la ment laminaire. Un nombre de Weber suffisamment élevé permettra
partie du film la plus mince ayant l’élasticité la plus élevée, elle pré- la rupture du cylindre par les forces visqueuses [54].
sentera une plus grande résistance à l’étirement, ce qui entraîne une
stabilisation [52].
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Type d'écoulement
Cisaillement simple G→0
G élevé
Cisaillement simple ηd /ηc faible
G élevé
Cisaillement simple η d /η c 1
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Si l’écoulement est turbulent (fluctuations chaotiques des vitesses Si l’on tient compte de la relation (23), la relation (22) peut aussi
locales autour de valeurs moyennes), les forces inertielles mais s’exprimer en fonction des paramètres liés à l’agitation mécanique :
aussi parfois les forces visqueuses peuvent participer simultané-
ment au processus de rupture d’une gouttelette. En régime turbu- d max d 32
lent homogène et isotrope, on distingue deux cas, selon que les ------------- = C 7 We –3 / 5 ou bien -------- = C 7′ We –3 / 5 (24)
premières ou les secondes sont prédominantes. D D
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2.4.4 Ralentissement de la coalescence l’émulsification devrait être complète en une seconde environ. Or,
pratiquement, cela demande plutôt une minute ou davantage. En
Les émulsions relativement stables renferment une quantité de fait, certains appareillages, tels que les moulins colloïdaux, les
tensioactif bien supérieure à celle nécessaire pour tapisser l’inter- homogénéiseurs haute pression, les sonotrodes et les agitateurs
face. À condition que l’excès de tensioactif soit dissous dans la rotor-stator à grande vitesse, sont capables de briser de petites
phase continue, la coalescence des nouvelles gouttes est ralentie gouttes très rapidement ; mais ils ne conviennent pas pour les pre-
grâce à la présence de ce tensioactif (effet Marangoni) qui réagit à la miers stades de l’émulsification. Au contraire, les mélangeurs met-
déplétion entre les gouttes. Au contraire, si le tensioactif est dans la tent en jeu des processus beaucoup plus lents. Une
phase dispersée, aucun gradient de tension interfaciale E n’apparaît préémulsification du mélange peut donc être avantageuse, en per-
et l’écoulement ne se produit pas. Ce pourrait être l’explication de la mettant d’obtenir une taille de gouttelettes plus petite et une distri-
vieille règle de Bancroft [2]. Les films (multicouches) de cristaux bution plus étroite.
liquides lamellaires et les polymères s’opposent à la coalescence du
fait de la réduction des interactions attractives de Van der Waals De plus, on peut considérer la valeur finale de la taille des gouttes
entre gouttelettes. comme le résultat d’un équilibre dynamique entre rupture et coales-
cence. La probabilité des collisions étant plus élevée, la vitesse de
coalescence augmenterait comme le carré du nombre de gouttes n,
avec une constante de vitesse K2 :
2.5 Aspects cinétiques
dn/dt = K1n − K2n2 (30)
2.5.1 Temps caractéristiques
avec n nombre de gouttes,
Trois temps caractéristiques sont impliqués dans le processus
K1 , K2 constantes.
d’émulsification : le temps de déformation (ou de relaxation suivant
une petite déformation de la gouttelette) τdef, le temps d’adsorption
Toutefois, les « constantes » Ki devraient être tributaires de d. En
τads, nécessaire au transport du tensioactif (par convection) vers la
réalité, on constate seulement une lente augmentation de d avec la
nouvelle interface et le temps moyen s’écoulant entre deux colli-
réduction de la concentration en émulsifiant ou avec la diminution
sions τcol.
de la vitesse d’agitation. L’augmentation de d au cours du temps
τdef est généralement de l’ordre de 0,01 à 0,1 ms, excepté pour de après passage par une valeur minimale est souvent le signe d’une
grosses gouttes (r ≈ 1 mm) en régime turbulent, où il peut atteindre dégradation de l’émulsifiant (cas d’un tensioactif protéinique, par
10 ms. exemple). Finalement, le phénomène de coalescence semble sur-
τads augmente de 10−4 ms en écoulement laminaire à 0,5 ms en tout important pour les gouttelettes fraîchement formées (couche
écoulement turbulent pour de grosses gouttes, et de 0,1 ms (lami- d’adsorption incomplète). Il est difficile à quantifier car il dépend
naire) à environ 6 ms (turbulent) pour une gouttelette de diamètre aussi de la nature de l’émulsifiant [52].
critique.
Dans l’ensemble, le temps d’émulsification dépend des variables
Quant à τcol, il varie de 5 × 10−4 ms en régime turbulent à quelques
de procédé ainsi que de la nature et de la proportion de tensioactif.
dixièmes de milliseconde en régime laminaire [52].
Par exemple, en ce qui concerne l’équilibre dynamique rupture-coa-
lescence au cours de l’émulsification, on a montré récemment que la
distribution finale de tailles de gouttes reflète totalement l’efficacité
2.5.2 Vitesse de formation de l’émulsion : équilibre
de l’émulseur seulement à concentration élevée en tensioactif [66].
dynamique entre rupture et coalescence
Le temps nécessaire à la rupture est de l’ordre de τdef : ainsi, bien Les auteurs remercient Mme A.M. Wilhelm ainsi que MM. B. Abismaïl et
B. Letellier pour leur contribution à cet article.
que de nombreuses ruptures successives doivent se produire,
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