Fs 2023 Ns Adaptation Territoires Juin
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NOTE DE SYNTHÈSE
lectivités ont mesuré leur vulnérabilité et l’importance des enjeux de résilience et de transforma-
tion de leur territoire. L’objectif principal est désormais la mobilisation de tous les acteurs, en par-
ticulier des collectivités qui sont en première ligne.
En France, les politiques d’adaptation au changement climatique ont pris du retard par rapport aux
politiques d’atténuation, car elles ont longtemps sonné comme un aveu d’échec. Leur forte dimen-
sion territoriale implique qu’elles soient conçues et mises en œuvre localement. Mais les décideurs
locaux sont confrontés à un défi de taille : ils doivent assumer politiquement la situation, faire des
choix d’investissement potentiellement coûteux pour prévenir des crises qui auront lieu dans un
avenir relativement lointain, dont les risques et les impacts sont incertains, les solutions d’adap-
tation complexes et les annonces anxiogènes.
Afin de prendre la mesure de ce défi collectif, nous avons interrogé des acteurs de trois territoires,
qui ont chacun leur expérience de la résilience territoriale et de l’adaptation au changement cli-
matique : à titre préventif, pour Grand Poitiers ; par une expérience séculaire de la gestion du risque JUIN
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d’inondation, pour Dunkerque ; ou à la suite d’une catastrophe naturelle, dans les vallées de la
Roya, de la Vésubie et de la Tinée.
Il en ressort que les connaissances scientifiques sur le changement climatique sont bien diffusées,
mais qu’il manque un accompagnement méthodologique et technique auprès des décideurs locaux
pour qu’elles soient traduites en actions. Cette mise en œuvre opérationnelle suppose plusieurs
conditions : une connaissance fiable et localisée des impacts du changement climatique ; une défi-
nition claire des critères de résilience ; un accompagnement liant à la fois les questions techniques
et la conduite du changement ; une proximité des services de l’État avec les porteurs de projets
pour créer une relation de confiance et la possibilité d’un dialogue.
L’expérience de la catastrophe − comme la tempête Alex dans l’arrière-pays niçois en octobre 2020 −
reste malheureusement le déclencheur le plus efficace du passage à l’action. Mais elle peut aussi
être contre-productive, au sens où il est nécessaire de dépasser la gestion de crise traditionnelle
et les réponses de court terme pour prendre des mesures préventives et systémiques. Sarah Tessé
département Société
La multiplicité des acteurs ayant compétence sur un ou plusieurs champs de l’adaptation au chan- et politique sociales
gement climatique fait de la gouvernance un défi de taille. Une piste consisterait à améliorer la et Émilien Gervais
coordination locale en affirmant la place de la Région et du préfet de région dans la mise en cohé- département Développement
rence des objectifs et des stratégies d’adaptation sur le territoire régional, et en renforçant le rôle
du préfet de département comme fédérateur des acteurs locaux. Les expériences de passage à l’ac- La Note de synthèse est publiée
sous la responsabilité éditoriale
tion les plus réussies sont celles où les cofinancements viennent consolider la coopération entre du commissaire général
de France Stratégie. Les opinions
les acteurs. L’élaboration des diagnostics de vulnérabilité et la définition des critères de résilience
exprimées engagent leurs auteurs
des projets devraient être un préalable à leur cofinancement par l’État. Enfin, le dialogue entre les et n’ont pas vocation à refléter
la position du gouvernement.
services déconcentrés de l’État, les élus ou les porteurs de projets doit être constant, sur la base
des retours d’expérience, afin que l’adaptation soit, pour les territoires vulnérables, moins une
contrainte qu’une opportunité désirable.
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trait de côte et submersions marines, etc. Des impacts tels cement des actions d’adaptation plus éloignées des ques-
que l’augmentation du risque d’inondation, l’accélération de tions de sécurité restent à consolider, voire à imaginer.
l’érosion côtière, la diminution de la ressource en eau et de Chaque échelon a un rôle à jouer.
l’enneigement, l’aggravation de l’effet d’îlot de chaleur et des
feux de forêt, les impacts sur les cultures et la végétation ou Du côté de l’État, au niveau national, l’Observatoire natio-
encore la fragilisation des bâtiments liée au retrait-gonflement nal sur les effets du changement climatique (ONERC) a été
des argiles sont ressentis localement. Pour les territoires créé en 2001, avec pour mission d’identifier et de quanti-
littoraux et montagneux, l’exposition au risque climatique est fier les impacts à venir du changement climatique sur le
déjà d’actualité : des bâtiments et infrastructures subissent territoire national. La France s’est dotée d’une stratégie
l’érosion côtière ; faute d’enneigement, les stations de ski de nationale d’adaptation au changement climatique (Snacc)
moyenne montagne envisagent leur reconversion. L’Outre- en 2006, qui a été traduite en plans d’adaptation (les
Mer est particulièrement exposé, en raison d’un aména-
Pnacc) sans statut juridique opposable. Le deuxième Pnacc
gement concentré sur les littoraux et de la fragilité de ses
a été adopté en 2018. Le gouvernement prépare la future
écosystèmes (80 % de la biodiversité française). Les impacts
Sfec et présentera en 2023 la loi d’orientation énergie-cli-
du changement climatique ont ainsi une forte composante
mat. Celle-ci devrait être déclinée, pour le volet adaptation,
territoriale, qui implique des réponses spécifiques.
par le troisième Pnacc, attendu en 2024.
Les particularités de l’organisation territoriale sont en
outre à prendre en compte. Dans un rapport sur la recons- Au niveau territorial, les services déconcentrés de l’État
truction de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après l’ou- participent aux politiques d’adaptation. Le préfet a un rôle
ragan Irma8, la Cour des comptes souligne que les deux îles central dans la gestion de crise, qui en est une des compo-
ont subi le même cataclysme, mais que « chacune a fait santes. Certains dispositifs structurants permettant des
l’objet de méthodes et de modalités différentes de recons- actions d’adaptation comme les plans de prévention des
truction prenant en compte leurs particularités institution- risques naturels (PPRN) sont élaborés sous son autorité,
nelles et de développement ». Trois ans après le passage avec l’appui de services déconcentrés qui ont des missions
de l’ouragan, la reconstruction était quasi achevée à d’ingénierie, de contrôle ou d’accompagnement des acteurs,
Saint-Barthélemy et seulement engagée à Saint-Martin. comme les directions départementales des territoires et
de la mer (DDTM) et les directions régionales de l’environ-
Des politiques publiques qui commencent nement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Enfin,
à se mettre en place au niveau national et local on trouve dans les territoires des opérateurs clés comme
Certains dispositifs vecteurs de politiques d’adaptation l’Ademe, le Cerema, Météo-France, mais aussi les agences
territorialisées sont déjà anciens, bien structurés et cofi- de l’eau, l’Office national des forêts (ONF) ou le conserva-
nancés par l’État et les collectivités. Ils portent sur des toire du littoral, qui interviennent sur des domaines de com-
enjeux de sécurité des populations − compétence parta- pétence plus spécialisés et plus opérationnels, couvrant
gée entre l’État et les collectivités −, essentiellement sur une partie des politiques d’adaptation.
les risques d’inondation, comme les plans de prévention de
risques naturels (PPRN) ou les programmes d’actions de Du côté des collectivités, les responsabilités sont partagées.
prévention des inondations (PAPI). Mais la coordination Les principaux acteurs sont les intercommunalités et les
entre acteurs et le partage des responsabilités et du finan- conseils régionaux (voir Tableau 1), mais il ne faut pas négliger
Tableau 1 — Répartition des compétences liées à l’adaptation au changement climatique par échelon territorial
Collectivité Compétences de la collectivité liées à l’adaptation
Échelon départemental Compétences plus limitées en matière d’adaptation : gestion des espaces naturels sensibles (ENS), voirie départementale.
Échelon régional Élaboration de documents stratégiques comme le SRADDET ou le SRDEII, soutien aux observatoires régionaux du changement climatique.
8. Cour des comptes (2021), La reconstruction de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après le passage de l’ouragan Irma, rapport public thématique, juillet.
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Démarche et stratégie
climat-air-énergie
SRADDET
uniquement
(objectif)
Communal
Permis d’aménager / de construire
« Doit être compatible avec » signifie « ne pas être en contradiction avec les options fondamentales »
« Doit prendre en compte » signifie «ne pas ignorer ni s’éloigner des objectifs et des orientations fondamentales
non plus les acteurs privés, notamment la profession du ministère de la Transition écologique11 a récemment
agricole, pour les enjeux sectoriels comme la ressource dressé le bilan de la contribution des PCAET et SRADDET
en eau. aux politiques de transition écologique et énergétique.
Selon ce rapport, les SRADDET ne présentent générale-
Les documents de planification territoriale que sont les ment pas de réel diagnostic de vulnérabilité au change-
Schémas régionaux d’aménagement, de développement ment climatique. Ils affichent quelques chiffres globaux
durable et d’égalité des territoires (SRADDET), au niveau à l’échelle de la région sur les macro-tendances clima-
régional, et les plans climat-air-énergie territorial (PCAET) tiques, issus des données de Météo-France, mais ne les
au niveau intercommunal ou des SCoT9, fixent des objec- déclinent pas à l’échelle infrarégionale. Les impacts,
tifs en matière d’adaptation au changement climatique, en lorsqu’ils sont évoqués, sont présentés de façon géné-
se fondant sur un diagnostic de vulnérabilité10. C’est l’em- rique, sans territorialisation ni quantification. Dans les
boîtement SRADDET/SCoT/PLU qui organise la planifica- PCAET, le volet de l’adaptation est bien moins fourni que
tion territoriale, comme l’illustre la Figure 1. celui de l’atténuation. Enfin, les objectifs inscrits sont
peu précis et quantifiés, à l’exception du risque d’inon-
Cependant, les diagnostics de vulnérabilité et les straté- dation, et l’adaptation au changement climatique est
gies d’adaptation sont très peu présents dans les documents principalement abordée de manière sectorielle12, sans
de planification territoriale et dans les projets. Un rapport stratégie globale.
9. Les articles L. 141-3 et 4 du code de l’urbanisme permettent aux SCoT d’exprimer des orientations en matière d’adaptation au changement climatique.
10. L’article L. 4251-1 du CGCT dispose que le SRADDET « fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière […] de lutte contre le changement
climatique », tandis que l’article R. 4251-5 précise que ces objectifs portent notamment sur « l’adaptation au changement climatique ». D’après les articles L. 229-26
et R. 229-51 du code de l’environnement, le PCAET doit comprendre : un diagnostic présentant une analyse de la vulnérabilité du territoire aux effets du changement
climatique ; une stratégie fixant des objectifs stratégiques et opérationnels portant sur l’adaptation au changement climatique, un programme d’actions à réaliser afin
d’anticiper les impacts du changement climatique et de favoriser la biodiversité pour adapter le territoire au changement climatique.
11. Ministère de la Transition écologique (2022), Rapport concernant la contribution des plans climat-air-énergie territoriaux et des schémas régionaux d’aménagement,
de développement durable et d’égalité des territoires aux politiques de transition écologique et énergétique, mars. Ce rapport, présenté au Parlement en juin 2022,
est requis par l’article 68 de la loi Climat et Résilience.
12. Les secteurs identifiés sont l’eau, la gestion des risques, l’agriculture, l’urbanisme, la forêt et la biodiversité.
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Encadré 1 – Glossaire PDM – Le Plan de mobilité, ex-plan de déplacements
urbains (PDU), s’adresse aux autorités organisatrices de la
Les définitions qui suivent sont largement empruntées mobilité (AOM) dont le ressort territorial est situé dans les
aux sites du Cerema ou des organismes concernés. agglomérations de plus de 100 000 habitants. Le PDM
régit l’organisation du transport des personnes et des mar-
DICRIM – Le Document d’information communal sur les risques
chandises, la circulation et le stationnement. Il vise à dimi-
majeurs précise les informations sur les risques majeurs au
nuer les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur
plus près des habitants. Il s’appuie notamment sur le Dos-
des transports.
sier départemental sur les risques majeurs (DDRM) et sur
des informations transmises par le préfet en matière de pré- PLU – Le plan local d’urbanisme est un document communal
vention des risques : cartographies des zones exposées, ou intercommunal (PLUi) qui détermine les conditions d’amé-
liste des arrêtés constatant l’état de catastrophe naturelle, nagement et d’utilisation des sols. Il assure les conditions
éléments contenus dans les plans de prévention des d’une planification durable, qui prenne en compte les besoins
risques naturels (PPRN) ou des risques miniers (PPRM), etc. des habitants et les ressources du territoire, en conjuguant les
dimensions sociales, économiques et environnementales.
GEMAPI – La gestion des milieux aquatiques et la préven-
C’est un outil central de l’aménagement opérationnel : ses
tion des inondations sont des compétences confiées aux
prescriptions s’imposent aux travaux, constructions, planta-
intercommunalités (métropoles, communautés urbaines,
tions, installations. Le PLU peut être élaboré par un établisse-
communautés d’agglomération ou de communes). Les
ment public de coopération intercommunale (EPCI) compétent
actions incluent l’aménagement des bassins versants ; l’en-
en la matière ou par une commune non membre d’un EPCI.
tretien et l’aménagement des cours d’eau, lacs et plans
d’eau ; la défense contre les inondations et contre la mer ; PLH – Le programme local de l’habitat est la stratégie portée
la protection et la restauration des zones humides. par les acteurs du territoire pour satisfaire les besoins des
ONERC – L’Observatoire national sur les effets du réchauf- personnes en logement et en hébergement. Territorialisé
fement climatique diffuse les informations sur les risques à la commune, avec une dimension stratégique renforcée
liés au réchauffement climatique, formule des recomman- par le caractère opérationnel des actions prévues, le PLH
dations sur les mesures d’adaptation au changement clima- est porté par l’EPCI depuis son élaboration jusqu’au suivi de
tique et opère la liaison avec le GIEC. Il coordonne la poli- la mise en œuvre. Mais de nombreux acteurs peuvent y
tique nationale d’adaptation au changement climatique. contribuer : services de l’État, communes membres de
Depuis 2017, il est piloté par une commission spécialisée l’EPCI, porteur du SCoT, bailleurs sociaux, etc.
permanente du Conseil national de la transition écologique.
PPRN ou PPRNP – Le plan de prévention des risques natu-
PAPI – Le Programme d’actions de prévention des inonda- rels est un document de planification qui réglemente l’uti-
tions est un appel à projets couvrant les grands axes de la lisation des sols en fonction des risques naturels prévi-
prévention : connaissance du risque, surveillance des crues sibles. Cela va de l’interdiction de construire à la possibilité
et des inondations, alerte et gestion de crise, intégration du de construire sous conditions en passant par des mesures
risque inondation dans l’urbanisme, réduction de la vulnéra- de prévention et de sauvegarde. Il peut porter sur un
bilité des personnes et des biens, etc. Portés par les collec- risque naturel spécifique comme l’inondation (PPRI ou
tivités territoriales ou leurs groupements, les PAPI per- PPRNI) ou sur plusieurs risques naturels concernant un
mettent d’assurer un partenariat étroit entre ces collectivités même territoire (inondations et submersion marine,
et l’État en matière de prévention des inondations. L’obten- séismes, éruptions volcaniques, mouvements de terrain,
tion du label PAPI donne lieu à la signature, entre le porteur avalanches, feux de forêt, tempêtes).
de projet, l’État et les cofinanceurs, d’une convention qui pré-
SFEC – La future Stratégie française sur l’énergie et le
cise les modalités de financement et de suivi du projet.
climat constituera la feuille de route actualisée de la
PCAET – Le Plan climat-air-énergie territorial est un outil France pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et
de planification qui permet aux collectivités d’aborder l’en- assurer l’adaptation de la société aux impacts du change-
semble de la problématique air-énergie-climat sur leur ter- ment climatique. Elle sera constituée de la première loi de
ritoire. Obligatoire pour certaines métropoles et intercom- programmation quinquennale sur l’énergie et le climat
munalités, il définit les objectifs stratégiques et opération- (LPEC), qui doit être adoptée en 2023 et déclinée par la
nels en vue d’atténuer le changement climatique et de s’y Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), le Plan natio-
adapter ; et les actions pour améliorer l’efficacité énergé- nal d’adaptation au changement climatique (PNACC 3)
tique, augmenter la production d’énergie renouvelable ou et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE
de récupération, favoriser la biodiversité, limiter les émis- 2024-2033), qui doivent être adoptés au premier
sions de gaz à effet de serre, etc. semestre 2024.
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En outre, la prise en compte des diagnostics de vulnérabi- collectivités sont souvent obligées, quand elles en ont les
lité − quand ils existent − dans les projets d’infrastructure ou moyens, de recourir à de l’ingénierie d’appui.
d’aménagement est encore très faible. Dans certains domaines
sectoriels sur lesquels elles ont la main, certaines collecti- Ensuite, même régionalisées par les GREC, ces données
vités se sont pourtant emparées du sujet : des opérations sont souvent insuffisantes pour réaliser un diagnostic de
de végétalisation ou de désimperméabilisation d’espaces vulnérabilité précis, chiffré et localisé, susceptible de
publics sont ainsi portées par des collectivités pionnières13. mesurer l’ampleur des impacts du changement climatique
sur le territoire concerné et sur l’ensemble des politiques
FREINS ET DÉCLENCHEURS publiques locales. Par exemple, les analyses présentées
dans les rapports d’AcclimaTerra, GREC de la région Nouvelle-
DU PASSAGE À L’ACTION
Aquitaine, ne sont pas traduites localement, au niveau des
Pour mener des actions d’adaptation réussies, les acteurs SCoT ou des EPCI.
locaux doivent relever plusieurs défis, dont certains sont
communs à toutes les politiques de transition écologique. Enfin, les informations en matière de quantification des
dommages, y compris dans les secteurs où des effets
Premier défi : assumer des décisions significatifs sont attendus (par exemple l’eau ou la biodi-
en situation d’incertitude
versité) sont insuffisantes, et ne permettent pas aux déci-
Les décideurs locaux doivent s’engager dans des projets deurs locaux d’évaluer le coût de l’inaction, comme le sou-
de stratégie territoriale, d’infrastructure ou d’aménage- ligne une étude de France Stratégie16. Par exemple, de
ment qui perdureront sur plusieurs décennies, alors que les nombreux secteurs sont exposés à des pertes économiques
incertitudes se multiplient, sur la hausse des tempéra- en cas d’accès restreint à l’eau, que ce soit dans l'énergie
tures, sur la hausse du niveau de la mer comme sur ses (barrages hydro-électriques, refroidissement des centrales
impacts, sur les avancées du progrès technique et enfin thermiques ou nucléaires), l’agriculture, le tourisme (lacs,
sur les dynamiques démographiques et socioéconomiques activités nautiques) ou l’industrie (aciérie, chimie). Le défi-
qui pourraient accroître les vulnérabilités. cit entre l’offre et la demande d’eau à disposition du secteur
agricole passerait de 10 % à 23 % dans un scénario ten-
Pour prendre des décisions assurées, les acteurs locaux danciel sans adaptation, mais aucune estimation des coûts
doivent pouvoir s’appuyer sur des données fiables. En induits par ces déséquilibres anticipés n’est proposée.
2023, on peut considérer que les connaissances scienti-
fiques sur le changement climatique sont plutôt bien dif- Ainsi, les élus expriment un besoin de connexion entre une
fusées et qu’elles sont territorialisées à l’échelle des connaissance scientifique qu’ils reconnaissent comme riche
régions voire des communes. De nombreuses sources et pointue, et la réalité des politiques publiques qu’ils portent.
d’information publiques renseignent de manière fiable et
Deuxième défi : passer d’une réponse sectorielle
localisée sur l’évolution du climat, comme le centre de res-
à une réponse systémique
sources pour l’adaptation au changement climatique, le
portail DRIAS Les futurs du climat ou encore Climadiag Les réponses aux impacts du changement climatique sur
commune, publié récemment par Météo-France14. Pour un territoire sont à considérer de façon systémique, et sont
répondre à ce besoin de territorialisation des données, la donc complexes. À traiter séparément les problèmes, on
création de Groupes régionaux d’experts sur le climat (GREC) risque de reporter les contraintes d’un secteur sur l’autre.
s’est généralisée. Presque toutes les régions métropoli- Par exemple, en cas de stress hydrique, si on maintient une
taines (12 sur 13) en sont pourvues ou prévoient d’en créer consommation d’eau agricole élevée, on reporte le problème
un. Ces structures pluridisciplinaires réunissent des cher- sur l’eau potable ou sur le refroidissement des centrales
cheurs et des experts bénévoles. Souvent financées par nucléaires, aux besoins difficilement compressibles, au
les régions, elles fonctionnent parfois en collaboration avec risque de créer de vives tensions entre les usages, comme
des organismes publics, comme l’Ademe ou le CNRS15. en témoignent les débats sur la création de retenues de
substitution dans la Vienne et les Deux-Sèvres. Or, la plupart
Cependant, les décideurs locaux n’y trouvent qu’une des administrations sont organisées en silo, et l’un des pre-
réponse partielle à leurs attentes. D’abord, ces données miers obstacles auxquels se heurte un élu local voulant
publiées sur les sites nationaux, quoique publiques et dis- mener des politiques d’adaptation est de ne pas savoir à
ponibles, sont difficiles à manipuler : pour les exploiter, les quel service attribuer leur élaboration.
13. I4CE (2023), Mettre l’adaptation aux impacts du changement climatique au menus des discussions entre les collectivités et l’Etat, Point climat (n° 73), janvier.
14. Le centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique est une plateforme portée par le Cerema en partenariat avec l’ONERC, l’Ademe et Météo-France
qui propose des ressources pour s’engager dans l'adaptation au changement climatique (bonnes pratiques, outils, etc.). Le portail DRIAS Les futurs du climat, sur le site
du ministère de la Transition écologique, pour vocation de fournir des projections climatiques régionalisées réalisées dans les laboratoires français de modélisation du
climat. Climadiag commune, publié depuis peu par Météo-France, propose des indicateurs climatiques ciblés par commune, calculés à partir de projections climatiques
de référence sur la métropole, à l’horizon du milieu du siècle dans un scénario médian d’émission de gaz à effet de serre médian (RCP4.5).
15. Héraud B. (2023), « L’heure des GIEC locaux a sonné », La Gazette des communes, le 17 mars.
16. Delahais A. et Robinet A. (2023), « Coût de l’inaction face au changement climatique : que sait-on ? », Document de travail, n° 2023-01, France Stratégie, mars.
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En outre, les politiques transversales et les documents mais les élus communautaires se sont heurtés à des diffi-
stratégiques se superposent. Le défi de la transversalité cultés d’appréciation des impacts de ces arbitrages. Par
n’est pas neuf : d’autres politiques publiques ont la même exemple, ils se sont interrogés sur le sort à donner à une
exigence, à commencer par les politiques d’atténuation. piscine qui présentait des fuites. Fallait-il réhabiliter cet
L’enjeu est d’intégrer un objectif transversal à des straté- équipement communautaire ou le fermer ? Ce lieu de rafraî-
gies déjà conçues pour être transversales, dans des orga- chissement peut être nécessaire en cas de canicule, mais
nisations traditionnellement sectorielles, tout en évitant faut-il privilégier les piscines ou les fontaines dans l’espace
d’empiler les dispositifs. public ? Faut-il mettre en place des dispositifs incitatifs
pour partager les piscines des particuliers ? On risque alors
Prenons l’exemple de Grand Poitiers. Cette communauté d’encourager la dépense en eau, par rapport à une situation
urbaine de Nouvelle-Aquitaine n’est pas soumise à des où les restrictions d’eau s’appliqueraient aux piscines à
phénomènes climatiques intenses, mais la question de la usage privé. Quel est le meilleur choix pour s’adapter aux
répartition de l’eau entre agriculture et eau potable, dans températures de 2050 ? C’est à ce type de questions que
un contexte de réduction de la ressource liée au change- doivent répondre les élus pour prévoir leurs budgets. Pour
ment climatique, crée des tensions entre les acteurs locaux. ce faire, ils ont besoin de référentiels ou d’outils d’évalua-
Sur la volonté politique des élus, une mission « préven- tion des impacts socioéconomiques du changement clima-
tion/gestion de crise/résilience » a été créée en 2022, à tique, qui ne sont pas disponibles actuellement.
l’occasion de la réorganisation de l’ensemble des services.
Estimant que tous les sujets étaient liés et que l’on ne pou- Troisième défi : passer de la gestion de crise
vait pas traiter la question de la ressource en eau sans la à la prévention et à la résilience
lier aux questions d’agriculture et d’alimentation, à l’acti- En matière d’adaptation au changement climatique, le
vité économique, aux enjeux sociaux et d’acceptabilité ou déclencheur le plus efficace de l’action semble être l’expé-
encore aux risques sanitaires, les élus ont rattaché cette rience de la crise. Mais celle-ci peut rapidement se révéler
mission directement au directeur général des services (DGS), un frein à l’élaboration de véritables stratégies d’adapta-
pour lui permettre de traiter avec tous les services18. Cette tion. Après une catastrophe, il faut surmonter un réflexe de
mission doit encore trouver sa place et ses moyens d’action. retour à l’état antérieur si on veut reconstruire un territoire
résilient. Il s’agit de dépasser la gestion réactive post-crise,
L’analyse des stratégies d’adaptation doit également envi- bien connue des collectivités et des services déconcentrés
sager des solutions dans leur globalité, pour éviter des de l’État, pour aller vers une réponse anticipative et préven-
situations de « maladaptation19 ». Il s’agit d’intégrer les tive s’intégrant dans un projet de territoire systémique.
réponses dans l’analyse des risques, ce qui crée un degré
supplémentaire de complexité, alors même que les alter- Par exemple, dans les vallées des Alpes-Maritimes (voir
natives proposées aux élus locaux doivent être simples et Encadré 2), les services de l’État ont dû prendre en compte
appropriables. Ainsi, Grand Poitiers a décidé de faire de la le besoin de revenir rapidement « à la normale », qui répond
résilience l’un des critères de ses arbitrages budgétaires, à la volonté de reconstruction personnelle des habitants
17. En référence aux missiles MIRV à têtes multiples pour illustrer l’action multiple simultanée.
18. Les premiers objectifs fixés restent modestes : mobilisation de l’administration, via la sensibilisation et la formation ; mise à jour du diagnostic de vulnérabilité ou des
documents liés à l’adaptation, comme le DICRIM ou le plan communal de sauvegarde ; et enfin structuration d’une feuille de route.
19. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) définit ainsi « toute mesure susceptible d’aggraver le risque de conséquences néfastes asso-
ciées au climat (y compris par une hausse des émissions de gaz à effet de serre), d’accentuer la vulnérabilité face aux changements climatiques ou de dégrader les
conditions de vie actuelle ou future, ce résultat étant rarement intentionnel ».
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après une catastrophe. L’enjeu était de reconstruire au mauvaise gestion. En outre, le coût à venir de l’inaction à
plus vite les infrastructures essentielles à la circulation, l’échelle de la commune n’étant pas quantifié, il ne peut
tout en « réinterrogeant l’aménagement, en prenant en être présenté ni aux instances décisionnaires ni aux habi-
compte la vulnérabilité du territoire et les gestions des tants pour justifier les investissements prenant en compte
événements extrêmes en contexte de changement clima- les impacts. Ainsi, même si les élus sont en faveur de
tique, en limitant l’artificialisation des sols, et évaluant les l’adaptation, leurs choix prioritaires restent souvent les
besoins et leur typologie, qui (dépendent) de la stratégie urgences du quotidien. Il leur est difficile de dégager du
politique de chaque territoire20 ». Ce second objectif néces- temps et des ressources pour les politiques de long terme.
site du temps de concertation et d’élaboration d'études, D’autant que les crises actuelles, déjà dues pour certaines
surtout s'il implique la création d'une stratégie de dévelop- au changement climatique (canicules, inondations),
pement territoriale inédite, appuyée sur des mutations sociales réduisent les budgets de fonctionnement et mobilisent
et économiques structurelles, pour atteindre la résilience. fortement les agents. Anticiper les crises à venir en sur-
montant les crises actuelles est une gageure.
Comme le souligne la mission IGA-IGEDD chargée du
retour d’expérience sur la tempête Alex21, dans un La préférence pour le présent et pour la résolution rapide
contexte de fortes attentes de la population pour un des crises est aggravée par le caractère anxiogène du
retour à la normale, on ne profite pas toujours de la situa- changement climatique et de ses impacts. Les acteurs
tion « pour mettre en œuvre les principes du “mieux interrogés soulignent un réel problème d’acceptabilité de
reconstruire” ». Ainsi certains aménagements construits ces enjeux, que ce soit par les élus ou par les habitants.
à la hâte et sans action des services de l’État « pourraient Si les politiques d’adaptation renvoient souvent à la crise,
ou auraient pu se révéler peu efficaces en cas de nou- à la catastrophe possible, elles peuvent aussi être une
velle crue, ou pire […] pourraient aggraver la situation ». réponse à des phénomènes peu visibles, comme le dépé-
Il faut réussir à concilier le temps de la reconstruction en rissement des forêts ou le recul du trait de côte23. Dans les
urgence et celui de la connaissance prospective, qui per- deux cas, elles sont complexes et supposent une approche
mettra d’imaginer un territoire résilient, différent de systémique pour rendre les solutions acceptables par les
celui d’avant la catastrophe. Concilier ces deux impéra- élus locaux et par les habitants.
tifs et ces deux temporalités est une des principales dif-
ficultés rencontrées par les acteurs. Prenons l’exemple du Dunkerquois, qui constitue avec le
delta de l’Aa un territoire de polder, donc gagné sur la mer.
Quatrième défi : prendre des mesures acceptables Le drainage des terres a été aménagé depuis le Moyen Âge
dès maintenant pour agir sur le long terme grâce à un système de canaux, de portes à la mer et de
Les élus et décideurs locaux doivent préparer le moyen et pompes, appelé wateringues. Aujourd’hui, la montée du
le long termes (jusqu’à 2050) voire le très long terme (fin niveau de la mer et l’intensification des épisodes de préci-
du siècle) alors que les mandats électifs sont évidemment pitations en hiver remettent en cause la protection offerte
beaucoup plus courts. Intégrer dès maintenant dans les par ce système à moyen et long termes. Le territoire connaît
décisions d’investissement les enjeux du climat futur est en effet une dépendance technique aux wateringues pour
un choix économiquement rationnel. Comme le souligne son adaptation, système qui lui-même nécessitera d’être
I4CE22, cela reste généralement moins coûteux que de ne modernisé et appellera donc des investissements impor-
pas le faire et de réinvestir plus tard, à des coûts plus élevés. tants. Le Dunkerquois, territoire très industriel et très
Par exemple, il revient moins cher de prendre en compte urbanisé, a aussi une forte composante agricole à l’échelle
dès maintenant l’impact des vagues de chaleur lors de la du polder. Une forte ambition politique de développement
création ou de la réhabilitation d’un équipement sportif, que peut alors entrer en conflit avec des restrictions en matière
de réinvestir pour adapter l’équipement des années plus tard. d’aménagement.
Mais la rationalité politique peut être différente. De façon Les estimations d’aléas présentées par l’État sur le risque
générale, les élus locaux espèrent que les résultats de littoral ont été très contestées par les élus de ce territoire.
leurs décisions politiques seront visibles à une échéance Ces derniers estiment que les collectivités ont une bonne
d’un ou deux mandats maximum et n’entraîneront pas de connaissance de leur territoire et que le système d’endigue-
critiques sur les surcoûts, généralement assimilables à une ment a montré son efficacité pendant près d’un millénaire.
20. DDTM des Alpes-Maritimes (2021), « Stratégie de gestion de crise Tempête Alex », note, mai.
21. Arbizzi S., Cinotti B., Desbouis J.-F., membres du CGEDD, Moreau L., Sauzey P. et Vilmus F. (2021), Retour d’expérience des intempéries des 2 et 3 octobre 2020 dans
les Alpes-Maritimes. Enseignements de la crise et propositions pour une reconstruction résiliente, Rapport CGEDD n° 013618-01, IGA n° 20115-R, octobre.
22. I4CE (2022), « Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France. De combien parle-t-on ? I4CE, 2023, Adaptation : ce que
peuvent (et doivent) faire les collectivités », Point climat (n° 74), janvier.
23. Ces phénomènes d’aggravation sont des phénomènes continus. Prendre des décisions suppose de définir le seuil de l’action : quand déclencher ? Les tempêtes, les
inondations ou les canicules surviennent quant à elles de façon aléatoire : on passe de la non-perception à une sur-perception (réaction émotionnelle). Dans les deux
cas, les mesures d’adaptation doivent être anticipées et acceptées, ce qui est plus difficile quand les phénomènes ne sont pas encore visibles.
8 FRANCE STRATÉGIE
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En outre, les modélisations présentées par l’État, fondées Une analyse des coûts d’une éventuelle inaction au niveau
sur des prévisions difficiles à appréhender, imposaient des local, en particulier dans les secteurs où des effets signifi-
contraintes importantes en matière de perspectives de catifs sont attendus, comme l’eau ou la biodiversité, aide-
développement. Dans ce contexte, l’injonction de l’État, qui rait les décideurs locaux à dégager des priorités26. Des
demandait aux collectivités de prendre des mesures pour outils d’évaluation des impacts macroéconomiques des
s’adapter localement au climat futur, a pu prendre des airs investissements en faveur de l’adaptation pourraient être
de sanction difficilement acceptable pour les élus. proposés pour appuyer les décideurs locaux dans leurs
choix d’investissement.
DES PISTES POUR AVANCER
L’injonction de prévoir les actions d’adaptation dans les Des outils de gestion de la complexité seraient aussi les
documents de planification territoriale restera insuffi- bienvenus. L’Ademe propose une méthode « trajectoire
sante si les moyens ne sont pas donnés pour accompagner d’adaptation au changement climatique des territoires »
les élus locaux dans cette mise en œuvre. Il ne suffit pas (TACCT)27 qui permet d’élaborer une politique d’adaptation
non plus de miser sur la pédagogie, car certaines collecti- du diagnostic jusqu’au suivi des mesures et à l’évaluation
vités sont déjà convaincues, mais elles ont des difficultés de la stratégie (voir Figure 2 page suivante). Cet outil n’est
à mettre en place des actions à la hauteur des enjeux. cependant pas connu de tous les élus, et il peut paraître
Quels leviers pour enclencher les actions d’adaptation d’un usage compliqué, sans accompagnement.
l’analyse des territoires de Dunkerque, de Grand Poitiers
et des vallées des Alpes-Maritimes nous permet-elle Cependant, les guides et les outils à destination des déci-
d’identifier ? deurs publics ne sont pas suffisants pour passer de la
connaissance à l’action. Tous les acteurs soulignent ici l’im-
Accompagner les acteurs pour gérer la complexité et pour portance des moyens humains et de l’expertise technique.
passer de la connaissance à l’action Le Centre de ressource du développement durable
Pour réduire l'incertitude (premier défi) et traduire les (Cerdd)28 est un bon exemple d’accompagnement des
connaissances scientifiques sur les impacts territoriaux du acteurs locaux. En effet, il accueille en son sein un labora-
changement climatique en actions politiques, les élus ont toire qui travaille avec Météo-France et produit des don-
besoin d’une mise en application localisée, d’un accompa- nées climatiques territorialisées, mais il se distingue
gnement par des experts ou par des échanges entre pairs, d’autres organismes d’observation du climat par ses
dans une démarche de conduite de changement et de prise formes d’intervention, par son intérêt pour la conduite du
en compte systémique de ces impacts territoriaux. changement et par une approche systémique qui fait la
part belle aux sujets multithématiques. Le Cerdd réalise
La production d’outils clés en main et disponibles en des temps d’accompagnement collectifs avec plusieurs
ligne est demandée par les décideurs locaux. C’est un territoires, notamment pour que les collectivités s’enri-
minimum indispensable, assez facilement réalisable et à chissent mutuellement de leurs expériences. Cette forme
moindre coût, qui pourrait être étendu à toutes les d’accompagnement, qui allie observation du climat au
actions d’adaptation « sans regret »24 que les acteurs niveau régional et conseil sur les transitions, pourrait être
locaux peuvent réaliser dès maintenant, même si cela ne étendu à l’ensemble des GREC.
les concerne pas tous. En ce sens, la publication de
guides pratiques par le Cerema ou l’Ademe devrait être Développer cette capacité d’accompagnement des col-
poursuivie. Par exemple, l’Ademe a produit une fiche sur lectivités en matière de transition écologique au sein
les impacts du changement climatique sur les produc- des services de l’État (préfectures, DDTM, DREAL, etc.),
tions végétales en Franche-Comté25. En évaluant les vul- et des opérateurs (Ademe, Cerema, Office national des
nérabilités (les sols à faibles réserves d’eau), mais aussi forêts, agence de l’eau, etc.) est également un levier
les opportunités du changement climatique (de meil- important. Ceci passe par leur montée en compétence
leures conditions de culture pour les sols en excès d’hu- sur la mise en place des stratégies à dimension systé-
midité), cette fiche met en évidence les adaptations géné- mique, sur l’évaluation des impacts et sur l’accompagne-
tiques, agronomiques et culturales qui seront nécessaires. ment au changement.
24. « Il s’agit de solutions qui restent pertinentes quel que soit le scénario climatique envisagé parce qu’elles permettent de répondre à d’autres objectifs que les seuls
objectifs d’adaptation » : voir Dantec R. et Roux J.-Y. (2019), Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée, rapport d’information
au Sénat, n° 511.
25. Ademe (2014), « Adaptation au changement climatique en Franche-Comté. Filières de production végétale, cultures et vignes », septembre.
26. Delahais A. et Robinet A. (2023), op. cit.
27. Disponible sur le site tacct.ademe.fr. Ademe (2019), Diagnostiquer l’impact du changement climatique sur un territoire, guide méthodologique, Ademe éditions, décembre ;
Ademe (2019), Construire des trajectoires d’adaptation au changement climatique du territoire, guide méthodologique, Ademe éditions, décembre ; Ademe (2019), Éva-
luer les politiques d’adaptation au changement climatique, guide méthodologique, Ademe éditions, décembre 2019.
28. GIP (groupement d’intérêt public) créé par l’État, la région Hauts-de-France et l’Ademe.
FRANCE STRATÉGIE 9
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NOTE DE SYNTHÈSE
JUIN 2023
Note : l’Ademe propose une méthode en trois étapes pour évaluer la vulnérabilité d’un territoire.
Garantir une meilleure coordination des acteurs locaux études de risque régionales ainsi que le volet adaptation
La cohérence et la clarté des objectifs nationaux et régio- des SRADDET », ce qui permettrait de fixer un cadre plus
naux sont essentielles à la mise en œuvre des politiques clair et plus lisible aux politiques infrarégionales. Fixer un
d’adaptation. Lors de la conférence organisée par France cadre clair, cela suppose aussi de stabiliser la réglementa-
Stratégie et I4CE en janvier 2023 sur ce thème29, le tion sur les SRADDET. L’État pourrait donner une vision
ministre en charge de la transition écologique et des col- d’ensemble du calendrier (du SRADDET aux PLU) et des
lectivités territoriales, Christophe Béchu, le sénateur objectifs clairs sur le volet adaptation, pour aider les col-
Ronan Dantec et la présidente de la région Bourgogne- lectivités à mettre en œuvre progressivement ce qui est
Franche Comté, Marie-Guite Dufay, ont tous répété qu’il prévu par la réglementation.
fallait une vision nationale claire et des scénarios avec des
hypothèses de réchauffement climatique sur lesquels L’échelon régional est trop grand pour permettre le dia-
État, collectivités, investisseurs puissent s’étalonner : logue entre les collectivités31. Des échelons intermédiaires
« Ce qui manque réellement, c’est une vraie stratégie » a entre région et intercommunalités sont plus propices à la
déclaré Marie-Guite Dufay, « où doit-on aller ? Quels sont coopération entre les collectivités compétentes en matière
les critères auxquels on doit se référer dans quarante ou d’adaptation. Ce sont les périmètres fonctionnels (bassin
cinquante ans ? ». Dans cette optique, les membres du versant, par exemple), mais aussi les périmètres des SCoT,
Conseil national de la transition écologique (CNTE), réunis qui débordent les périmètres des agglomérations. Soulignons
le 4 mai 2023, ont validé le principe d’une trajectoire que les SCoT ont une valeur plus prescriptive que les
d’adaptation à un réchauffement de +4 °C. PCAET, que le code de l’urbanisme leur permet d’intégrer
des dispositions en matière d’adaptation au changement
Pour élaborer des stratégies territoriales systémiques et climatique, et qu’ils doivent être déclinés dans les PLU.
résilientes (deuxième et troisième défis), il est nécessaire
que les acteurs territoriaux puissent coopérer. Ainsi, En outre, le dialogue de proximité entre élus locaux et ser-
comme. le préconise l’IGEDD30, l’État et les régions pourraient vices déconcentrés de l’État (préfecture de département,
« élaborer de façon concertée des éléments de doctrine DDT) doit être renforcé. Les maires des communes des vallées
sur les objectifs, les moyens, le cadre méthodologique, les touchées par la tempête Alex ont par exemple été accom-
29. Conférence « Adaptation au changement climatique dans les territoires : comment avancer ? », à visionner sur le site de France Stratégie.
30. Blanc P., Schwob B. et Strauss M. (2022), Mission de parangonnage sur les politiques d’adaptation au changement climatique, IGEDD, décembre.
31. La région Nouvelle-Aquitaine, par exemple, est grande comme l’Autriche et les objectifs du SRADDET en matière d’adaptation sont trop peu territorialisés.
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pagnés dans la définition de leurs projets de reconstruc- Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE)
tion et d’aménagement par le préfet délégué à la recons- au niveau intercommunal, ou les Contrats de plan État
truction et par un architecte-urbaniste. En utilisant une Région (CPER) au niveau régional, peuvent être des outils
méthode « maïeutique », ce dernier a échangé d’une part à la fois de diagnostic, de coordination des politiques
avec les maires des communes touchées par la catas- publiques de l’État et des collectivités, de définitions de
trophe, pour préciser leurs souhaits d’aménagement, d’autre plans d’action sur le moyen terme et de cofinancements.
part avec les services de l’État, pour fixer le cadre de ce Ce sont en théorie des outils mobilisateurs pour les poli-
qu’il était techniquement et réglementairement possible tiques de transition écologique, dont l’adaptation. Le CRTE,
de réaliser. À l’issue de ces nombreux échanges qui ont ins- en particulier, a vocation à être un contrat intégrateur sur
tauré une confiance propice au changement, des projets la transition écologique.
d’aménagement plus résilients ont été imaginés.
Or, selon les enjeux, différents outils de contractualisation
entre l’État et les collectivités sont définis sans être tou-
Le rôle fédérateur du préfet de département pourrait être
jours articulés entre eux, ni liés aux SRADDET, aux SCoT
conforté, en s’appuyant sur son autorité, sur les services
ou aux PCAET, alors qu’ils peuvent être des vecteurs d’ac-
déconcentrés de l’État et sur ses missions traditionnelles
tions. C’est pourquoi le CRTE devrait évoluer pour devenir
en matière de gestion de crise et d’accompagnement des
effectivement un contrat intégrateur, comme annoncé à
élus locaux. Les préfets, de région et de département,
sa création, et non s’ajouter à d’autres documents straté-
pourraient veiller à la mise en cohérence et à la mobilisa-
giques, au risque de perdre de vue la cohérence des poli-
tion de l’expertise des services et des opérateurs de l’État,
tiques publiques en faveur de la transition écologique.
et des financements sur les projets et stratégies permet-
traient de répondre aux stratégies d’adaptation territo-
En outre, l’enveloppe budgétaire attribuée aux finance-
riales, en veillant à éviter les conflits d’objectifs entre court
ments des projets du contrat devrait être pluriannuelle,
et moyen termes, ou entre politiques publiques. L’effica-
pour correspondre au temps de conception des actions
cité de la Mission interministérielle pour la reconstruction
d’adaptation, parfois plus long que celui des investisse-
des vallées (MIRV) dans les Alpes-Maritimes, pilotée par un
ments « prêts à financer ».
préfet en charge de la reconstruction, coordonnant les
acteurs et cofinançant les projets, pourrait servir de
Les projets financés par l’État dans le cadre des
modèle. Les équipes des SGAR et une équipe resserrée
contrats ou des dotations (DSIL, DETR, fonds verts)
autour des préfets de département pourraient préparer les
devraient pouvoir répondre à des critères de résilience
décisions préfectorales dans ce sens.
rigoureux, établis avec les experts techniques, adaptés
aux territoires et compris par tous. Ce qui a été mis en
Au total, plusieurs éléments apparaissent nécessaires
place dans les Alpes-Maritimes pourrait être généralisé :
pour passer de la connaissance scientifique à la mise
l’autorisation ou le financement des projets de recons-
en œuvre opérationnelle des politiques d’adaptation :
truction ou d’aménagement ont été conditionnés à des
une connaissance fiable et localisée des impacts du
critères de résilience locale définis par des comités
changement climatique, la définition claire des critères
d’évocation de la résilience32 composés de services
de résilience, un accompagnement liant à la fois les
techniques de l’État. Ces comités pourraient être repro-
questions techniques et la conduite du changement,
duits à l’échelle des SGAR ou des services de la préfec-
pour les expliquer aux décideurs finaux, la proximité
ture de département, en charge de l’instruction des
des services de l’État avec les porteurs de projets pour
demandes de financement.
créer une relation de confiance et la possibilité d’un dia-
logue sur les projets.
Les services de l’État en charge de la co-élaboration de ces
contrats pourraient être davantage mobilisés, en tant
Renforcer les contrats intégrateurs, qu’experts et cocontractants, pour établir la partie dia-
cofinancer les projets résilients gnostic territorial de ces contrats. En contrepartie d’une
Le cofinancement des projets facilite le dialogue entre État plus grande exigence sur les critères de résilience des pro-
et collectivités sur les enjeux d’adaptation, quand se pose jets financés, l’État pourrait soutenir financièrement les
un problème d’acceptation sociale du risque. Le cas s’est collectivités les plus vulnérables, pour qu’elles fassent réa-
présenté sur le territoire de Dunkerque : après des désac- liser un diagnostic de vulnérabilité solide et un plan d’adap-
cords sur l’évaluation des risques, un dialogue a pu être renoué tation au changement climatique, à intégrer au PCAET,
dans le cadre de l’élaboration des PAPI prévoyant le cofi- mais aussi aux contrats avec l’État donnant lieu aux cofi-
nancement d’investissements pour prévenir les inondations. nancements des projets.
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NOTE DE SYNTHÈSE
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La difficulté des politiques d’adaptation tient pour une part au fait que l’on travaille sur un fondement perçu comme
un échec : celui de la politique d’atténuation du changement climatique. Il faut donc, pour entraîner les services
de l’État, les élus et les habitants dans des scénarios de transition, « enchanter le récit » afin d’ouvrir des
perspectives positives. Ainsi, l’Ademe Hauts-de-France a choisi d’accompagner sept sites touristiques de la région
pour identifier des politiques d’adaptation, car c’est un sujet auquel tout le monde s’intéresse.
La mobilisation des citoyens par un large dispositif de concertation sur l’adaptation du territoire, voire sur son
développement après une catastrophe comme celle qui a touché les vallées des Alpes-Maritimes, peut contribuer
à mettre toute la population en mouvement. Comme le souligne le préfet délégué chargé de la reconstruction des
vallées, « la concertation citoyenne (permet) à la fois aux habitants de s’impliquer, de s’exprimer, de témoigner de
ce qu’ils ont vécu et de contribuer à la formalisation (des) projets (de développement) »33. Cette concertation peut
faciliter la mission des élus locaux confrontés aux attentes des électeurs et habitants (quatrième défi) qui
privilégient les actions de court terme, et poser le socle d’un récit collectif sur la résilience territoriale.
Dans les Hauts-de-France, le Cerdd, qui porte les actions de sensibilisation et de mobilisation des territoires, est
en train d’élaborer un projet pionnier (« Archipel, histoire(s) de s’adapter »34) en considérant que le levier de
l’émotion et de l’art pourra déclencher des démarches d’adaptation. Ce projet expérimental travaillera sur la mise
en récit, en complément des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics, pour agir sur les comportements et
faire basculer les territoires dans des modèles de transition.
Directeur de la publication : Gilles de Margerie, commissaire général ;
directeur de la rédaction : Cédric Audenis, commissaire général adjoint ;
Plus généralement, l’appropriation des méthodes de conduite du changement et de concertation par les
Secrétariat de rédaction services
: Olivier de Broca ;
dépôt légal : Juin
de l’État qui accompagnent les territoires vers des stratégies d’adaptation − ou du moins leur sensibilisation 2023 - N° ISSN 2556-6059
à la ;
nécessité de faire appel à ces outils pour engager des transformations profondes − sera de nature à faciliter les
passages à l’action. La plupart des interlocuteurs interrogés pour cette note ont encore une contact vision presse : Matthias Le Fur,
de l'adaptation
directeur du service Édition-Communication-Événements,
de leur territoire centrée sur les risques naturels. L'un des enjeux, à l'avenir, est d'élargir
01 42 75 61 37,[email protected]
prisme des stratégies
d'adaptation afin d'intégrer l'ensemble des dimensions économiques et sociales à traiter pour garantir la résilience
des territoires.
33. « Reconstruction résiliente et durable des vallées des Alpes-Maritimes touchées par la tempête Alex les 2 et 3 octobre 2020 – note d’enjeux », septembre 2021.
34. Le Cerdd mise sur une approche locale « sensible », par la culture, l’art ou les témoignages d’habitants afin de toucher des sensibilités différentes pour déclencher une
prise de conscience, un déclic, chez les citoyens mais surtout chez les élus.
Institution autonome placée auprès de la Première ministre, France Stratégie contribue à l’action publique par ses analyses et ses propositions.
Elle anime le débat public et éclaire les choix collectifs sur les enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Elle produit également
des évaluations de politiques publiques à la demande du gouvernement. Les résultats de ses travaux s’adressent aux pouvoirs publics,
à la société civile et aux citoyens
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