Dynamiques Inhérentes Aux Mouvements de Contestation NDDL
Dynamiques Inhérentes Aux Mouvements de Contestation NDDL
Dynamiques Inhérentes Aux Mouvements de Contestation NDDL
inhérentes
aux mouvements
de contestation
3 0 m ars 20 1 8 I. M.
Les réflexions développées ici sont basées sur plusieurs mois
de compagnonnage à la ZAD de Notre Dame des Landes.
Elles se sont aussi élaborées collectivement, ce qui a abouti à
l'organisation du festival « off » lors de la « Fête de la
victoire », le 1 0 février 201 8. La situation est si complexe et
elle évolue si rapidement que tenter de faire entrer une
analyse dans le cadre de quelques pages est une gageure. Ceci
n'est donc qu'un point de vue partiel et partial.
Dès 2009 à l’appel de certain·e·s habitant·e·s, des jeunes sont venu·e·s de tous
les horizons : squats, libertaires, autonomes, écologistes, ou sans bagage
politique. Vu·e·s d'un œil suspicieux au début, ils et elles furent finalement
accepté·e·s par les autres composantes grâce à leur détermination face aux
violences des gendarmes mobiles lors de la tentative d'expulsion (opération
César en 2012). Ces occupant·e·s ont rajouté au slogan de l'ACIPA « contre
l’aéroport » : et son monde.
Ce sont aussi créés environ 200 comités de soutien où se jouent souvent les
mêmes divergences que sur la ZAD et dans les autres composantes.
3
Au sein des occupant·e·s se sont formées peu à peu des mouvances très mar-
quées. Pour simplifier, on peut parler de deux modes d'organisation sous-
tendues par deux visions des luttes : les anti-autoritaires et féministes d'un
côté, et les autonomes et «appellistes 5 », regroupés depuis environ deux ans
au sein du CMDO (Comité pour le maintien des occupations) de l'autre. En-
tre ces deux pôles, se sont constitués des groupes plus ou moins durables
tentant des voies différentes. D’autres occupant·e·s, ne se retrouvant pas
dans ces formes d'organisation assez structurées, se sont toujours tenu·e·s à
l'écart des réunions et actions officielles. Il n'empêche que ces derniers, ap-
pelés à NDDL « les gens de l'Est » parce qu'ils ont construit leurs habitations
plutôt à l'Est de la ZAD, ne restent pas inactifs ou inorganisés. Entre autres,
ils ont imposé aux agriculteurs une zone non motorisée. Pour continuer
dans la description à grands traits, on peut dire que les occupant·e·s des
groupes organisés sont majoritairement issu·e·s de la petite bourgeoisie in-
tellectuelle en voie de déclassement, et que les gens dit « de l'Est » sont
plutôt issus des classes populaires paupérisées.
Autre mythe à qui la réalité s'est chargée de tordre le cou, c'est celui du
fonctionnement « horizontal » des réunions. Vous connaissez le fonc-
tionnement plutôt vertical classique des associations ou collectifs, avec un
conseil d'administration ou du moins avec des prises de décision au vote
majoritaire. Les occupant·e·s, pour leur part, ont cherché à mettre en œuvre
un fonctionnement horizontal dans les réunions.
6
La prise de pouvoir est d'autant plus aisée si un groupe doté de tous ces
types de capital, matériel, social et culturel décide de prendre en main le
fonctionnement des réunions, pour allier efficacité et défense de ses in-
térêts, au nom de l’intérêt commun, bien entendu. Et l’on peut s’interroger
sur la « bienveillance » de ce groupe quand il décide de boycotter, comme l’a
fait le CMDO à l’automne, la réunion hebdomadaire des Habitant·e·s, plus
anti-autoritaire, sous prétexte qu’elle ne sert à rien. D’autant que dans le
même temps, le même groupe mettait en place de nouvelles instances
dirigeantes. Notons encore une fois les positions inégales entre la stratégie
du CMDO qui construit ce pouvoir et prend de vitesse la majorité des habi-
tant·e·s, et une partie des occupant·e·s qui continue d'affirmer publiquement
que le Mouvement doit avancer « au rythme de ceux qui trébuchent » (dis-
cours élaboré en réunion des habitant·e·s, dont le CMDO est officiellement
absent, et prononcé à la tribune du 10 février).
7
D'autres coups de force ont eu lieu, comme rajouter en catimini une phrase
pouvant susciter une opposition au communiqué commun de « victoire »
adopté en AG9 ; comme la menace de quitter le Mouvement et de laisser les
occupant·e·s de la fraction dominée, les « perdant·e·s », comme certain·e·s se
nomment alors, seul·e·s devant les forces de gendarmerie mobile ou la pré-
fecture si les réfractaires refusaient les compromis.
8
Bureaucratisation par le haut
Ce fut surtout, durant l'automne 2017, la création par le CMDO appuyé par
les autres composantes, de nouvelles instances décisionnelles : l’AG des
Usages, venant dans les faits concurrencer la vieille AG du Mouvement,
mensuelle, où tout le monde peut venir débattre et participer aux décisions.
Dans l'AG des Usages, certes le consensus est toujours de façade, mais les
positions sont préalablement discutées au sein de chaque composante qui
en informe l'AG.
La validation de ces décisions par l'AG prend l’aspect d’une farce dès lors
qu’elles ne peuvent être contredites que par un texte, dûment argumenté,
porté par un collectif ou un lieu de vie, dans un délai d'un mois.
9
Procédure sélective excluant bien des occupant·e·s n'ayant pas accès à in-
ternet, ne maîtrisant pas suffisamment l'écrit ou l'art de l'argumentaire, ou
ne s'organisant pas en collectif interne.
Nous nous intéressons ici aux luttes dites de territoire, assez nouvelles dans
le panorama des mouvements de contestation.
Ce serait une lutte populaire dans laquelle les anarchistes se sont retrouvés,
dit-on, à lutter aux côtés des grand-mères et des députés. Anarchistes
prêt·e·s à des actions de sabotage illégales, et qui une fois arrêté·e·s, ont été
désavoué·e·s par une grande partie du mouvement No TAV optant pour une
« composition » respectable de la lutte.
11
Mais ce mythe de l’assemblée, faussement horizontale, porte un tas d’élé-
ments politiques. Il laisse le champ ouvert au leadership des meneurs de
foules, il bride le plus souvent de façon implicite, mais parfois aussi de façon
explicite l’initiative individuelle ou de petits groupes, il endosse le central-
isme « valsusin » (l’opinion portée par les « gens de la vallée » prime sur
celle des autres, du seul fait de leur origine géographique) et le compromis
constant avec les composantes autoritaires (pour la plupart issues de l’Au-
tonomie) ou légalistes (un bon nombre de comités, les pacifistes, parfois des
partis) du « mouvement aux mille âmes ». Tous ces éléments sont effacés
devant le seul aspect qui importe : celui de chercher une investiture dans les
« masses » 13 .
« Ainsi, la bureaucratisation par en haut apparaît comme une des formes de la lutte
que les institutions se livrent pour la conquête du pouvoir. Elle constitue une des
procédures employées par un pouvoir, quel qu'il soit, pour se renforcer en subvertis-
sant les pratiques électives, démocratiques en leur principe, mais constamment
faussées. Ces traits sont corroborés par les caractères spécifiques de la bureaucrati-
sation par en bas. » (Marc Ferro).
13
Territoires en lutte et lutte de classes
Les luttes environnementales dans lesquelles s’engouffrent bien des ac-
tivistes ont pour but de s’opposer à l’aménagement étatique du territoire,
mais elles laissent de côté les problèmes de l’exploitation salariale et de la
propriété privée, dont l’abolition est fondamentale pour l’avènement d’une
société égalitaire. Occultant ces aspects sur lesquels tous les mouvements
sociaux actuels se sont cassés les dents, les activistes et leurs alliés citoyen-
nistes estiment que la lutte des classes n’est plus d’actualité. Seulement,
qu’on le veuille ou non, elle fait rage, même dans les luttes de territoire.
Travestir les rapports de classes en relation de voisinage, les inégalités so-
ciales et économiques en complicités locales est une perversion, dénoncée
dans la lutte NO TAV, qui a permis aussi sur la ZAD de faire accepter la de-
struction immédiate de la route des chicanes « pour rassurer les voisins ».
Refuser de voir ces antagonismes, mis sous le coude un temps mais qui
ressurgissent dès que possible, sous prétexte que « ces luttes nous les avons
gagnés ensemble, toutes sensibilités d’action confondues, et nous les finirons ensem-
ble. » 16, c'est se préparer à des désillusions qui n'auraient pas lieu d'être si
ces dynamiques de réformisme et de bureaucratisation étaient dénoncée
dès le début pour tenter de les enrayer.
Nous n’avons pas traité tous les aspects de cette lutte (les nécessités
matérielles subordonnées aux tâches d’organisation, par exemple 17), et cer-
tains considérés ici auraient mérité plus d’approfondissement. Espérons que
ces quelques clés vous permettront d’ouvrir des discussions sur NDDL, et
plus généralement sur les prises de pouvoir dans les luttes que nous vivons
les un·e·s les autres.
Cette bureaucratisation de la lutte à NDDL fait d’autant plus rager que l’oc-
cupation de la ZAD a permis des expériences passionnantes d’agriculture
hors normes, d’habitations auto-construites, d’artisanat et d’activités artis-
tiques hors contrôle, de tentatives de relations sociales sans domination
14
sexiste ou raciste pendant près de dix ans. Cette lutte est aussi intéressante
par les réflexions de celles et ceux qui subissent ces dynamiques de prise de
pouvoir, qui en prennent conscience progressivement voire tardivement,
puis qui tentent de s'y opposer sans grande efficacité jusque-là, mais qui ne
baissent pas les bras.
Ce qui a été décrit plus haut sont des mécanismes qui se sont mis en place
progressivement depuis de longs mois. Certain·e·s vous diront dès le début
des occupations, pratiquement. Puisque la lutte est passée à une autre phase
le 17 janvier, qu'en est-il maintenant (mars 2018) ?
Pour les composantes qui étaient prêtes à négocier, il n'y avait plus de
temps à perdre. Depuis la mise en place de la nouvelle AG des Usages et de
ses commissions satellites, les discussions de fond étaient écartées sous le
prétexte bien connu de l'urgence du moment. Le 18 janvier, il n'y eut plus
d'hésitations. Au cours de l'AG exceptionnelle du soir, COPAIN et la Coordi-
nation, suivis par le CMDO, ont annoncé que, puisque l’État le demandait, ils
allaient commencer le démantèlement de la route « des chicanes » dès le
lundi 22 janvier. Pas de discussion possible, pas de concessions envisage-
ables. Les occupant·e·s, sous le choc de ce coup de force qu'un paysan de
COPAIN a reconnu un mois plus tard être « merdique », n'ont pu qu'obtem-
pérer sous la menace à peine voilée de se retrouver seul·e·s et d'être stigma-
tisé·e·s s'ils s'opposaient. Tout le monde avait en mémoire le précédent de
l'AG du 1er Août (voir plus haut).
15
Les réfractaires à la libre circulation sur la route des chicanes (pour main-
tenir une pression en cas de menace d'expulsion) avaient été amenés durant
l'hiver à réfléchir à un possible aménagement de cette route. Non pas à la
normalisation ou non de cette route, notez bien, mais à la manière de la
normaliser. Des « cercles de qualité » ont été mis en place au cours
desquelles ces modalités ont été discutées. Peu à peu, il ne fut même plus
pensable de la garder en l'état. Il fallait la rendre à l’État...
La semaine qui suivit fut cruciale pour la suite. Les comités de soutien, ap-
pelés en renfort, comprirent sur le tas que le « tous ensemble » dont leurs
organisateurs les avaient bercés ne résistait pas à l'épreuve des faits. Les
initiateurs de cette destruction, appuyés par les tracteurs, redoutèrent que
des oppositions tournent à la violence. Ils étaient si conscients de la tension
interne au Mouvement qu'ils bloquèrent la presse hors de la route, alors
qu’ils sont si friands de ces relations médiatiques depuis des années.
Tranche par tranche, les chicanes furent détruites, les pneus et carcasses de
voitures emportés au loin. Beaucoup d'occupant·e·s eurent à cœur de le faire
proprement puisqu'il fallait le faire. D'autres occupant·e·s jouèrent le rôle
d'intermédiaire auprès des réfractaires, pour « apaiser », pour tenter contre
toute évidence de réduire le fossé qui se creusait entre les différentes frac-
tions du Mouvement. Il fut patent pour toutes et tous que désormais, cer-
taines composantes étaient à la manœuvre et useraient à l'avenir de ces
stratagèmes pour faire valoir leurs intérêts liés à la propriété privée 19, et
que d'autres seraient les dindons de la farce, et que leurs intérêts (dont le
principal était de vivre sur la ZAD, dans la zone non motorisée, mais pas
que) ne seraient pas pris en compte. Entre ces deux pôles, des individus
isolés se radicalisaient, voyant l'irrémédiable créée par ce coup de force, ou
au contraire faisaient concession sur concession pour pallier aux con-
séquences.
La route est donc ouverte aussi à la présence des forces de l’État. Compag-
nies de gendarmerie, de renseignement, anti-terroristes aussi, accompag-
nèrent tous les jours les ouvriers. Officiellement pour les « sécuriser ». Mais
en réalité pour capter tous les renseignements possibles : fichage des per-
sonnes, repérage des lieux, et même fouille d'habitations à proximité en
l'absence des occupant·e·s. Cela demanda une énorme énergie de surveiller
les flics en permanence pour éviter les intrusions, de jouer encore une fois
l'apaisement pour éviter qu'un dérapage puisse servir à la répression. D'au-
tant que les personnes qui veillèrent à ce que les flics restent sur la route
furent seules. Pas de relais, aucune solidarité. Les fractions dominantes du
mouvement firent ainsi payer la rébellion de la partie précaire et méprisée
du mouvement. Tout en préparant les négociations, ils obtinrent, par la fa-
tigue et la démoralisation, une acceptation et pacification qu'eux seuls pou-
vaient obtenir grâce au travail des occupant·e·s en position intermédiaire.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de résistance. Dans un pré limitrophe
à la route, Lama Fâché a été reconstruit : un bel hangar offert par une voi-
sine, une cantine fonctionne avec du matériel et des aliments donnés par
certains lieux de vie de la ZAD (mais pas tous). Et certains travaux de la DDE
sont sabotés aussitôt finis. Seulement, fin février, la solidarité avec les ex-
pulsés de Bure a été difficile à mettre en place. Ces occupant·e·s méprisé·e·s
et laissé·e·s seul·e·s face aux flics (« C'est de votre faute, si les flics sont sur la
zone ») ne voient pas pourquoi ils dépenseraient de l'énergie à une solidar-
ité dont eux-mêmes ne bénéficient pas.
17
Délégation et négociation
Le problème de la délégation pour aller négocier avec l’État est une autre
voie d'intégration de cette rébellion « zadiste ». Si la perspective d'aller né-
gocier avec l’État, qui avait été combattue pendant des décennies jusqu'à
l'obtention de l'abandon du projet d'aéroport, était préparée de longue date
par les composantes citoyennistes, il n'en allait pas de même pour une par-
tie des occupant·e·s qui avaient lutté contre l'aéroport mais qui entendaient
bien continuer à lutter contre son monde. Les paysans de la Confédération
Paysanne mettent désormais en avant la satisfaction de leurs intérêts : ils
attendent d'une négociation le gel des terres, le temps de s'organiser.
« Foncier droit devant » dit la plaquette signée par le CMDO, le 10 février20. Ils
ont montré leur bonne aptitude à gérer les « Zadistes » et à les maintenir
dans un cadre acceptable pour l’État. Leur lutte est maintenant dirigée con-
tre la FNSEA et ils espèrent que l’État sera sinon de leur côté, du moins un
arbitre « bienveillant ». Les élites des occupant·e·s, en particulier le CMDO et
ses proches, attendent de cette négociation une reconnaissance en tant
qu'interlocuteurs, pour la pérennité de leur présence sur la zone, afin de
garder leurs ressources matérielles et sociales qui permettraient « d’assurer
le rayonnement de la lutte de la zad à l’international ».
Pour garder cette image de démocratie qui prend soin de toutes et tous, il
fallait convaincre le maximum d'occupant·e·s anti-autoritaires et anti-capi-
talistes de participer à cette négociation. Ce n'est pas rien pour des gens, qui
ont refusé pendant des années d'avoir des porte-parole, de désigner des
délégué·e·s. Ce n'est pas rien non plus pour des gens qui ont vécu les vio-
lences policières de 2012, de Sivens ou de Bure, les violences étatiques d'ex-
clusion sociale de toutes sortes, d'accepter de reconnaître l’État comme
interlocuteur.
Pour cela, il y eut moult réunions, de différentes formes, pour amener les
gens à réfléchir dans le cadre. Réunions bien contrôlées par des « facilita-
teurs et facilitatrices » chevronné·e·s qui savaient couper la parole des im-
18
portun·e·s ou recadrer les indécis·e·s. Par exemple, on pouvait discuter de ce
qu'on allait demander à la négociation ou de ce qu'on n'accepterait jamais
comme compromis. Mais on ne put jamais remettre en cause l'opportunité
même de cette négociation. On put réfléchir aux compétences demandées
aux délégué·e·s, et de leur nombre, mais pas de savoir si les occupant·e·s en
voulaient. Peu à peu, les réticences s'amoindrirent. Et les occupant·e·s les
plus critiques s'adaptèrent aux contraintes imposées. Même l'expulsion
militarisée des occupant·e·s de Bure, en lutte contre le projet d'enfouisse-
ment de déchets nucléaires, qui a fait 15 arrestations, n'a pas remis en cause
le processus de négociation. Solidarité avec Bure certes, mais que cela ne
trouble pas nos affaires à venir.
Il faut noter, pour la petite histoire, que le CMDO, qui est constitué d'occu-
pant·e·s, a décidé d'envoyer un délégué uniquement pour son groupe, et
qu'il ne représente donc pas les autres occupant·e·s. A noter aussi qu'au bout
du compte, il reste une bonne partie des occupant·e·s qui n'a pas joué le jeu
de ces réunions longues et fastidieuses, et qui est restée sur le bas-côté. Ils et
elles ne se sentent nullement représenté·e·s. Ils et elles ne sont nullement
pris·e·s en compte : « ils n'ont que ce qu'ils ont cherché ! ».
Du coup, les têtes pensantes ont pris le principe de réalité de face. Ils ac-
cusent le coup en disant : « on l’avait prévu, l'Etat nous teste au premier
rendez-vous ».
19
Les appellistes tentèrent de mettre la barre plus haut en organisant un
rassemblement (« excessivement tranquille » pour rassurer l’ADECA qui va
siéger au Comité de pilotage) devant la préfecture le 19 mars et en appelant
toutes les associations à manifester contre toutes les expulsions le 31 mars,
fin de la trêve hivernale, à Nantes. Ils espèrent encore forcer la porte de la
préfète et amorcer des négociations avec l’Etat. D’autres occupant·e·s es-
pèrent toujours, après cet échec, retrouver l’unité perdue, en se lançant
dans des actions contre les expulsions.
Légalisation et expulsions
La légalisation en vue d'éviter l'expulsion promise par E. Philippe à la fin de
la trêve hivernale est une des perches tendue par le gouvernement pour
sortir la tête haute de ce conflit. Lui non plus n'a pas envie de ternir son
image de marque en se lançant dans un processus d'expulsions hasardeux.
Les occupant·e·s ont bien souvent l'expérience de ces situations, et s'ils ne
les recherchent pas, ils seront des clients difficiles à mater.
Pour ce qui est des expulsions, on comprend un peu plus à chaque réunion
la filouterie de la fraction dominante du mouvement. La délégation, malgré
le mandat reçu, n’est pas partie du bureau de la préfète lorsqu’elle les a en-
voyés bouler : « il y aura des expulsions ciblées ». Forcément, l’ADECA, l’ACIPA
et la Conf’ venaient de recevoir leur invitation pour le Comité de pilotage.
Les occupant·e·s n’ont pas rompu l’unité en sortant seul·e·s du bureau… Plus
se rapprochait l'heure des expulsions, plus les positions des composantes
devenaient cyniques : « d'accord pour s'opposer aux expulsions au sein du mou-
vement mais les saboteurs sur la route se sont mis eux-mêmes hors du Mouvement. »
Intégration de la rébellion
Bien qu’averti·e·s de la manière dont les prises de pouvoir se sont déroulées
dans le passé et dans les luttes contemporaines, nous en avons subi les effets
sur nous. Nous revenons quelques instants sur une sorte « d’auto-analyse »
politique pour tenter de comprendre les mécanismes mis en œuvre. Ceux
décrits ci-dessous ne sont pas les seuls, il y en a de plus violents qui perme-
ttent de ramener les plus récalcitrant·e·s à la raison, en particulier les in-
sultes, les attaques personnelles, les chantages, les menaces ou la réalisation
des menaces.
21
Nous avons été étonnés de nous rendre compte, après coup, que nous avions
« cru » à la fable de la préfète acceptant qu’une « cabane de punk-à-chien »
(Lama Fâché) se pérennise au milieu d’une départementale normalisée à
90km/h. C’était rationnellement inconcevable. Mais on a fini par y croire.
Juste, on n’a pas été surpris quand COPAIN annonça que « la préfète voulait
sa destruction ». Autre exemple : nous étions sûrs, expériences (des autres)
à l’appui, qu’une négociation avec l’Etat ne pouvait se faire sans mise en
place d’un rapport de force. Mais nous avons « cru », portés par l’illusion
collective, que cette délégation pourrait obtenir un petit quelque chose,
même insuffisant. Nous n’avons cependant pas été surpris de la fin de non-
recevoir de la préfète. Ce redoutable mécanisme psychologique de double
pensée, qui consiste à retenir à la fois deux pensées qui s’annulent tout en
niant leur opposition, inhibe toute résistance. Cette double pensée est en-
core à l’œuvre dans la tête de bien des occupant·e·s qui, malgré les preuves
d'inégalités et de dominations qu'ils et elles avaient sous les yeux, ont con-
tinué à croire de façon irrationnelle à « l'unité du Mouvement ».
A l’instar de ce qui s’est passé en URSS, toutes proportions gardées, les op-
posant·e·s à la fraction dominante qui prenait progressivement le pouvoir se
sont tu. Vers l’extérieur : pour ne pas ternir l’image du « Mouvement » et
amoindrir la solidarité indispensable pour atteindre le but fixé : l’abandon
du projet d’aéroport. Vers l’intérieur aussi : l’autocensure a été puissante. Et
il a fallu des semaines, après l’annonce de cet abandon le 17 janvier 2018,
pour que les paroles se libèrent et que des textes d’analyse critique soient
publiés. Comme au sujet de l’URSS, les premiers à dénoncer cette situation
n’ont pas été crus, ils ont même été traités de « menteurs », de « paranos »,
de « diviseurs »... Comme en URSS, les opposant·e·s ont, dans un premier
temps, tout fait pour assurer la pérennité du groupe. L’idée de rupture était
inacceptable. Les intérêts du collectif passaient avant ses intérêts person-
nels. Nombre d’entre elles et eux ont participé pleinement à la préparation
de manifestations qu’ils et elles critiquaient21 , estimant que leur devoir était
24
de « faire fonctionner la ZAD même si on n’est pas d’accord », culpabilisant
même de ne pas être à la hauteur du rythme de travail imposé.
Pour dire vrai, les expulsions ont commencé depuis bien longtemps, avec le
départ des opposant·e·s qui ne voyaient plus de sens à rester alors qu’ils et
elles voyaient se profiler une normalisation dévastatrice que peu de monde
voulait ou pouvait combattre.
Les expulsions ont pris une autre tournure dès le 1er juin 2017, quand le
premier ministre a nommé une médiation et que les composantes de la lutte
(sauf les occupant·e·s, alors) se sont précipités pour être entendues. Puis en
février et mars, quand les délégué·e·s (y compris les occupant·e·s) sont allés
en préfecture, dans l’espoir d’une négociation que l’Etat leur refuse. Ce fut
l’expulsion de la conflictualité qui a eu lieu alors. En douce, évacuée dans le
coffre de voiture des délégué·e·s... Depuis, elle n’a jamais pu revenir.
25
Notes
1. En particulier : Mouvement où est ta victoire ? :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5118
2. Le « mouvement » est mort. Vive... la réforme ! :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5165
3. Pour en savoir plus sur la « Coord » : https://www.acipa-
ndl.fr/coordination-des-opposants
4. Pour en savoir plus sur COPAIN : https://acipa-ndl.fr/
5. Pour en savoir plus : Revue Tiqqun, 1999, L’insurrection qui vient, La
Fabrique, 2007, A nos amis, 2014, entre autres
6. Constellations, Ed. de L'Eclat, 2014. Contrées, Ed. de L'Eclat, 2016. Saisons, Ed.
de l'Eclat , 2017.
7. « Fête des bâtons », octobre 2016 : bousculades de journalistes. Campagne
électorale, avril 2017 : jet de purin sur le pare-brise d'une voiture de
journaliste lors d'une conférence de presse d'une candidate de la France
Insoumise au hangar de la Vache Rit. Fête de la Coordination, juillet 2017 :
altercation contre les experts de Nexus qui y tenaient un stand après avoir
participé à un colloque du Front National.
8. On sait maintenant que la délégation a été éconduite par l'Etat le 28
février puis le 20 mars. Les négociations rêvées par les composantes ne sont
plus d'actualité. Par contre les expulsions ciblées sont maintenues. L’échec
des délégué·e·s n’a pas l’air de les inciter à se remettre en cause.
9. Pour en savoir plus : Contre l’aéroport - et pour son monde, ou quoi? :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5106
10. Pour une vision approfondie : Le « mouvement » est mort. Vive... la réforme ! :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5165
11. « La lutte fondamentale aujourd’hui est entre, d’une part, la masse des
travailleurs – qui n’a pas directement la parole – et, d’autre part, les bureaucraties
politiques et syndicales de gauche qui contrôlent – même si c’est seulement à partir
des 14% de syndiqués que compte la population active — les portes des usines et le
droit de traiter au nom des occupants. Ces bureaucraties n’étaient pas des
26
organisations ouvrières déchues et traîtresses, mais un mécanisme d’intégration à la
société capitaliste. » Comité pour le maintien des occupations (l'original pas la
copie), Paris 22 mai 1968,
https://www.esprit68.org/compil68.html#partie216
12. De la bile sur le feu et autres états d’âme anti-autoritaires. ZAD, 2017
13. Pour en savoir plus : No-TAV, défendre un territoire ou détruire le vieux
monde ? : https://ravageeditions.noblogs.org/files/2015/11/nonotav-
discordia.pdf
14. Pour en savoir plus : Extractivisme, exploitation industrielle de la nature,
Anna Bednik, Le passager Clandestin, 2016.
15. Pour en savoir plus : Des soviets au communisme bureaucratique Les
mécanismes d'une subversion, Marc Ferro, Folio, 1980, 2017
16. Soutenir Bures, toujours : https://zad.nadir.org/spip.php?article5190
17. L’aspect pyramidal des luttes même horizontales : il y a toujours moins
de personnes qui font des propositions que de gens requis pour les mettre
en œuvre, il serait important d’analyser les racines de cette différence
numérique. Par ailleurs, il y a des gens qui surfent sur les luttes surtout
longues pour faire carrière. Tant qu’on n’aura pas analysé et résolu ce
problème, il sera difficile d’avancer. La division entre travail manuel et
travail intellectuel dans chaque groupe et à différentes échelles est un autre
thème.
18. De la bile sur le feu, ZAD, 2017
19. pour en savoir plus : Déchicanisons : comme un malaise :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5070
20. Pour en savoir plus : ZAD will survivre (en français...) :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5141
21. Comme la Fête des bâtons, le 8 octobre 2017 ou la fête de la victoire le 10
février 2018.
22. Pour en savoir plus : Ça y est, on a gagné :
https://zad.nadir.org/spip.php?article5121
27
« Winston laissa tomber ses bras et remplit lentement
d’air ses poumons. Son esprit s’échappa vers le
labyrinthe de la double-pensée. Connaître et ne pas
connaître. En pleine conscience et avec une absolue
bonne foi, émettre des mensonges soigneusement
agencés. Retenir simultanément deux opinions qui
s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à
toutes deux. Employer la logique contre la logique.
Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. [. . . ].
Surtout, appliquer le même processus au processus lui-
même. Là était l’ultime subtilité. Persuader
consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite
inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de
perpétrer. La compréhension même du mot « double
pensée » impliquait l’emploi de la double pensée. »