Texte Ginsburger SOCIO
Texte Ginsburger SOCIO
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Maël Ginsburger
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 19/09/2022 sur www.cairn.info via Université Louis Lumière Lyon 2 (IP: 159.84.143.22)
2020/1 Vol. 61 | pages 43 à 78
ISSN 0035-2969
ISBN 9782724636543
DOI 10.3917/rfs.611.0043
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2020-1-page-43.htm
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Maël GINSBURGER
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à la protection de l’environnement a contribué à faire émerger une « norme d’éco-
citoyenneté ». Conscient de la nécessité d’agir individuellement pour protéger l’environ-
nement, l’écocitoyen modifierait ses pratiques domestiques et de consommation pour
les rendre plus durables. À partir des données de l’« Enquête sur les pratiques environ-
nementales des ménages » (« EPEM ») 2016 (CGDD/SDES), cet article étudie l’ampleur et
la nature de l’appropriation dont cette norme a fait l’objet dans la population française.
La diffusion des attitudes et des pratiques valorisées ne s’opère pas de manière homo-
gène, les individus préoccupés par l’environnement ne modifiant pas l’ensemble de leur
mode de vie. Le rapport quotidien à l’écologie apparait plutôt dual, l’écologie du geste
– celle des pratiques au cœur des campagnes de sensibilisation – se distinguant d’une
écologie de la frugalité – qui traduit avant tout une faible intégration à la société de
consommation. Minoritaires, certaines configurations de pratiques et d’attitudes asso-
cient néanmoins ces deux formes d’écologie, suggérant l’existence – ou l’émergence –
d’un habitus écologique non seulement au sein d’urbains très diplômés, mais aussi
d’une population plus modeste, féminine et vivant seule.
Mots-clés. ENVIRONNEMENT – CONSOMMATION – ANALYSE FACTORIELLE MULTIPLE – NORME
SOCIALE – ÉCOCITOYENNETÉ – DISPOSITIONS SOCIALES – MODES DE VIE
1. Voir notamment les campagnes « Économies d’énergie. Faisons vite ça chauffe » et « Rédui-
sons vite nos déchets, ça déborde » coordonnées par l’ADEME, ou « Bouteilles et films plastiques :
“stop le tout plastok !” » coordonnées par l’association Agir pour l’Environnement.
2. « L’éducation au développement durable est portée par toutes les disciplines et intégrée au
fonctionnement quotidien des établissements scolaires. Elle contribue, à travers ses dimensions éthi-
ques et sociales, à la formation citoyenne. », Loi no 2009-967 du 3 août 2009, Article 55.
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dont l’un des ressorts consiste – sans les imposer – à tracer « les contours normatifs
des comportements qui sont envisagés comme légitimes au nom de l’intérêt public »
(Dubuisson-Quellier, 2016, p. 44). Les discours et dispositifs publics d’information,
de sensibilisation, de responsabilisation ou de labellisation concourent ainsi à identifier
l’écocitoyenneté comme une norme à laquelle les individus sont incités à se conformer4.
La norme d’écocitoyenneté valorise et encourage certaines attitudes et pratiques qu’elle
suppose liées par une relation de causalité, conformément à la définition de l’écoci-
toyenneté que donne Alexandre Kiss, pionnier du droit international de l’environne-
ment, comme « conscience généralisée incitant tous les individus à prendre en compte
dans leurs actions quotidiennes les conséquences que leurs actes sont susceptibles de
produire sur l’environnement, dans le présent, mais aussi à moyen et à long terme »
(cité par Roesch [2003]). Au cœur des campagnes d’information et de sensibilisation
aux problèmes écologiques, ce postulat d’une relation causale entre attitudes et prati-
ques s’appuie sur un ensemble de théories pour l’essentiel issu de la psychologie
sociale (Owens, 2000 ; Shove, 2010). Dans la lignée de la Theory of Reasoned Action
(Fishbein et Ajzen, 1975), celles-ci envisagent les pratiques favorables à l’environne-
ment comme le résultat linéaire et rationnel d’attitudes pro-environnementales qui
pousseraient les individus à agir (Kollmuss et Agyeman, 2002 ; Harrison and Davies,
1998). Largement critiquées5 et amendées (Guagnano et al., 1995), elles continuent
de constituer l’un des principaux socles scientifiques des politiques de responsabili-
sation individuelles (Comby, 2015a ; Malier, 2019). L’écocitoyen serait donc l’indi-
vidu qui traduit une conscience accrue des dégradations environnementales en une
série d’actes concrets menés au quotidien afin de mettre l’intégralité de son mode de
vie en cohérence avec cette préoccupation. Construction théorique et politique, cette
3. Ils peuvent à ce titre être rapprochés des politiques de nutrition et de lutte contre l’obésité
visant à sensibiliser les consommateurs sur la nécessité de réformer leur mode de vie tout en leur
fournissant des incitations et des informations supposées les accompagner dans cette transformation
(Bunton et al., 1995 ; Bergeron et al., 2011).
4. Si nous définissons avant tout la norme au regard des dispositifs et discours publics visant à
réguler les comportements de consommation, il est à noter que d’autres actions de communication
et discours associatifs ou journalistiques participent à diffuser et à modifier les contours de cette
norme (Comby, 2015a ; Barrey et al., 2016).
5. Cette critique provient notamment de sociologues de la consommation, qui reprochent à ces
théories de diminuer l’attention portée au rôle des systèmes sociaux dans la structuration des modes
de vie non durables (Shove, 2010). Ils mènent à ignorer la « nature routinière des activités » et les
contextes matériels, normatifs, et les relations de pouvoir dans lesquelles leur modification s’inscrit
(Kennedy et al., 2015).
norme se diffuse par les campagnes de communication qui associent étroitement sen-
sibilisation aux dégradations environnementales et information sur les « bons gestes »,
les bons comportements et bons équipements que tout un chacun peut adopter pour y
remédier. Alors que la production et la diffusion de cette norme ont fait l’objet de
divers travaux en France (Comby, 2015a ; Malier, 2019) et à l’étranger (McCormick,
1989 ; Maniates, 2001 ; Shove, 2010), les conditions sociales de sa réception demeu-
rent encore largement inexplorées.
À partir des données de l’« Enquête sur les pratiques environnementales des
ménages » administrée en 2016 par le CGDD/SDES (Encadré 1), cet article propose
d’étudier la variété des formes et des degrés d’appropriation dont la norme d’écoci-
toyenneté fait l’objet au sein de la population française. Pour ce faire, nous nous
attacherons à étudier la diffusion des attitudes à l’égard de l’écocitoyenneté et des
pratiques étiquetées comme néfastes ou favorables à la protection de l’environnement,
ainsi que la manière dont celles-ci sont associées6.
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ENCADRÉ 1. – L’« Enquête sur les pratiques environnementales
des ménages » de 2016
L’analyse proposée dans cet article s’appuie sur l’échantillon métropolitain de la dernière
vague de l’enquête « EPEM » (« Enquête sur les pratiques environnementales des ménages »),
composé de 4 057 individus. Ipsos a administré cette enquête par internet en mars 2016
pour le compte du Commissariat général au développement durable et du Service statistique
du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, auprès d’une population repré-
sentative âgée de 18 ans et plus, tirée aléatoirement au sein du panel Ipsos puis sélectionnée
selon la méthode des quotas (sexe, âge, PCS niveau 1 de la personne de référence du ménage,
catégorie d’agglomération, zone géographique et nombre de personnes au foyer). Cette
enquête s’inscrit dans la suite de l’« EPEM » 2011 (CGDD/SOeS) et des questionnaires « Pra-
tiques environnementales et sensibilité aux problèmes d’environnement » administrés en
1998 et 2005 dans le cadre de l’« Enquête permanente sur les conditions de vie » (« EPCV »)
(Insee). Le questionnaire est organisé en trois grands ensembles : 1) les caractéristiques
sociodémographiques et du logement, 2) les pratiques, motivations et intentions, 3) les
opinions liées à l’environnement. Le second ensemble aborde successivement différents
domaines : « proximité et déchets », « équipement domestique et utilisation de l’électromé-
nager », « logement », « consommation-alimentation » et « transports ».
La norme d’écocitoyenneté transparait dans le contenu et la structure de ce questionnaire.
Elle se perçoit dans la formulation de certaines questions : « Pour protéger l’environnement,
qu’est-ce que vous seriez prêt à faire de plus par rapport à ce que vous faites déjà au
quotidien ? », « Sur une échelle de 0 à 10, à combien estimez-vous votre niveau d’enga-
gement personnel en faveur de l’environnement ? ». De telles questions participent à
.../...
6. Ce travail a bénéficié des critiques et suggestions d’un grand nombre de personnes, ainsi que
de celles des relecteurs anonymes de la Revue. Je tiens à les en remercier chaleureusement. Il fait
suite à un article publié dans La Revue du CGDD (Ginsburger et Petev, 2018) qui étudie la manière
dont le lien entre attitudes et pratiques se décline différemment selon l’âge, le sexe et la profession.
Ce précédent article ne questionne pas fondamentalement la norme d’écocitoyenneté et vise surtout,
dans une publication institutionnelle, à réaffirmer la nécessité d’ancrer socialement toute analyse des
liens entre les attitudes et les pratiques liées à l’environnement. Ici, en nous appuyant sur certains
des outils développés pour cette autre publication (notamment les indices d’attitudes et de pratiques),
nous souhaitons développer un examen empirique de l’appropriation de la norme d’écocitoyenneté
par la population française.
(suite Encadré 1)
diffuser cette norme en imposant un cadrage individualisant de la question environnemen-
tale, d’autant plus qu’elles précèdent un ensemble de questions sur les pratiques qui appa-
raissent dès lors comme une liste des bonnes actions à entreprendre pour s’y conformer.
Par ailleurs, le questionnaire se termine sur un ensemble de questions visant à mesurer
l’« opinion » que les individus ont à propos de l’état de l’environnement et des acteurs et
actions à entreprendre pour le préserver : les concepteurs de l’enquête entendent analyser
les pratiques en étroite association avec les attitudes, valeurs et perceptions concernant
l’environnement. Comme outil de gouvernement, la statistique éclaire sur le cadrage domi-
nant de la problématique qu’elle entend étudier, et participe en même temps à la construire
(Bourdieu, 1973 ; Desrosières, 2005). L’étude par la statistique publique des comporte-
ments ayant un impact sur l’environnement est loin d’y faire exception (Comby, 2015a).
Cette enquête présente néanmoins plusieurs avantages : elle traite, au sein d’un même
questionnaire, de questions liées à des opinions et de questions liées à des pratiques, en
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n’omettant pas la prise en compte des variables sociodémographiques et résidentielles.
Elle permet d’étudier en même temps des variables au niveau des individus interrogés et
des variables caractérisant leur ménage, une dualité précieuse lorsqu’il s’agit de lier les
modes de vie des individus à leurs représentations. Surtout, elle donne l’opportunité, dans
un cadre français et sur une période récente, d’analyser une variété de gestes et pratiques
et d’attitudes considérés comme bénéfiques ou néfastes pour l’environnement.
7. Pour autant, il est à noter que les frontières des attitudes environnementales par rapport à
l’« inquiétude », aux croyances, aux valeurs ou aux intentions d’agir pour l’environnement varient
selon les travaux (Kollmuss et Agyeman, 2002 ; Dunlap et Jones, 2002).
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Nombre des questions issues de l’« EPEM » 2016 admettent des réponses numériques
ou ordinales permettant de construire des indices synthétisant l’information issue des
réponses à une ou plusieurs questions. Raisonner à partir d’indices permet de limiter le
nombre de variables à analyser et le bruit statistique lié à l’existence de non-réponses ou
à la mécompréhension de certaines de ces questions. Cela permet aussi de rendre facilement
comparable la position d’un même individu sur des gradients de pratiques ou d’attitudes
allant de l’absence à l’adoption forte. Lors des traitements, la moyenne des 14 indices a
été ramenée à 0 et l’écart type à 1.
Indices de pratiques :
– Indice de tri (de 0 à 1) : Moyenne des fréquences des pratiques de tri des emballages,
du papier, du verre, des boites, du compost, des piles et des ampoules (0 pour « jamais »,
0,5 pour « de temps en temps » et 1 pour « régulièrement »).
– Indice d’équipement : Somme du nombre de réfrigérateurs, congélateurs, lave-vais-
selle, lave-linge, sèche-linge, combinés, caves à vin, fours, fours à micro-ondes, plaques
de cuisson, télévisions et ordinateurs présents dans le logement de la personne interrogée.
– Indice de nouveauté des équipements (de 0 à 4) : Moyenne des indices de nouveauté
de 4 types d’équipement. Celui-ci vaut 0 si le ménage ne possède pas l’objet, 1 s’il l’a
acheté depuis plus de cinq ans (pour la télévision et le lave-linge) ou dix ans (pour l’ordi-
nateur et le téléphone portable) et va jusqu’à 4 si le ménage a acheté l’objet depuis moins
de deux ans (pour la TV et le lave-linge) ou d’un an (pour l’ordinateur et le téléphone).
– Indice de température : Température (en degrés Celsius) de chauffage de la pièce
principale en hiver.
– Indice de gestes d’économie d’énergie (de 0 à 3) : Moyenne de 6 indices de gestes
(attention à éteindre complètement le téléviseur, les autres équipements électriques, laver
le linge à basse température, limiter la température du séjour, celle des chambres et éteindre
la lumière en quittant les pièces).
– Indice de consommation de bio (de 0 à 3) : Moyenne des indices de fréquence d’achat
de trois types de produits issus de l’agriculture biologique : fruits et légumes, viande et
poisson, œufs et lait.
.../...
8. Si la mesure des pratiques est aussi fondée sur des déclarations, et que celles-ci peuvent aussi
traduire des attitudes vis-à-vis de la norme, il nous semble heuristique de distinguer ce que les
individus interrogés déclarent penser de la norme, de la manière dont ils déclarent l’appliquer, afin
de pouvoir questionner la façon dont ces deux pans de l’appropriation de la norme se combinent.
(suite Encadré 2)
– Indice de consommation de viande (de 0 à 9,5) : Fréquence hebdomadaire estimée
de consommation de viande.
– Indice kilométrique : Nombre de kilomètres parcourus annuellement avec son véhi-
cule motorisé personnel.
– Indice de temps passé en avion (de 0 à 27) : Nombre estimé d’heures passées dans
l’avion l’année précédente.
Indices d’attitudes :
– Indice d’état de l’environnement (de 0 à 2) : Moyenne des indices d’opinion concer-
nant l’état de l’environnement dans sa commune, en France et dans le monde (de 0 « Bon »
à 2 « Mauvais »).
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– Indice de nuisance (de 0 à 3) : Degré d’approbation à l’affirmation « tout ce que
nous faisons dans la vie moderne nuit à l’environnement ».
– Indice d’intérêt de l’action individuelle (de 0 à 3) : Degré de désapprobation à l’affir-
mation « il ne sert à rien que je fasse des efforts pour l’environnement si les autres ne font
pas de même ».
– Indice de dépenses supplémentaires (de 0 à 100) : Moyenne des pourcentages d’aug-
mentation tolérée des coûts de l’électricité pour ne recourir qu’à des énergies renouvelables
et du coût des fruits et légumes pour n’acheter que des fruits et légumes bio.
– Indice d’intention de modification des installations (de 0 à 2) : Moyenne des indices
d’intention de modifier l’installation de chauffage et l’isolation du logement (de 0 « non
pas avant longtemps » à 2 « oui c’est déjà prévu »).
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publiques de sensibilisation aux questions environnementales et d’information et pres-
cription de certaines pratiques pour des motifs environnementaux. Elles étiquettent
attitudes et pratiques comme socialement désirables ou condamnables, car conformes
ou non à un objectif de protection de l’environnement. Or, au sein de ces discours
et dispositifs publics, les différentes attitudes et pratiques occupent une place inégale,
ceux-ci faisant la part belle à l’alimentation biologique, aux « écogestes » ou au recy-
clage et n’ayant intégré que très récemment des pratiques telles que l’utilisation des
transports aériens9. Les gestes d’économie d’énergie ont fait l’objet de campagnes
mobilisatrices longues10 visant notamment à sensibiliser le public sur le fait que « le
passage à l’acte est avant tout un choix » individuel (ADEME, 2008). On peut s’attendre
à ce que les pratiques et les attitudes les plus saillantes dans les discours et les
dispositifs publics soient en priorité adoptées par les individus les plus soucieux de
se conformer à cette norme. Par ailleurs, dans le cas des pratiques alimentaires,
« l’exposition des individus au gouvernement des conduites varie selon leurs positions
dans la trajectoire de vie et dans l’espace social, de même que varient leurs disposi-
tions à les mettre en application » (Barrey et al., 2016, p. 401). Le rapport aux recom-
mandations publiques en matière d’alimentation se distribuerait ainsi sur un gradient
allant de l’appropriation par les catégories supérieures et intermédiaires à l’indiffé-
rence ou la réaction critique chez les plus pauvres ou précaires (Régnier et Masullo,
2009). De la même manière, on peut s’attendre à observer, chez les catégories supé-
rieures et intermédiaires, une forte appropriation de la norme d’écocitoyenneté, en
particulier de ses composantes les plus saillantes dans les discours et dispositifs
d’action publique. Plus réflexives sur leurs pratiques quotidiennes, ces catégories
seraient aussi plus enclines à valoriser les sources institutionnelles de prescription (et
les sources expertes sur lesquelles elles s’appuient) ainsi que les valeurs de pré-
voyance, de civisme et de tempérance sous-tendues par les discours publics promou-
vant l’écocitoyenneté (Comby et Grossetête, 2012 ; Barrey et al., 2016).
Deuxièmement, l’adoption des différents types de pratique en jeu s’appuie sur des
« configurations matérielles » (Schatzki et al., 2001) elles-mêmes variables, au
premier rang desquelles la situation (accès aux infrastructures collectives) et les carac-
téristiques du logement (taille, présence ou non d’un jardin, de parties communes).
Certains auteurs ont mis en évidence la nécessité de combiner une approche culturelle
et institutionnelle à une approche matérialiste qui mette en évidence le rôle des techno-
logies, infrastructures, objets et ressources matérielles dans la réalisation de certaines
pratiques (Schatzki et al., 2001 ; Shove et al., 2012). On peut par exemple s’attendre
à ce que les ménages habitant de petits logements disposent d’un nombre d’équipe-
ments plus faible. Les pratiques (consommation de produits issus de l’agriculture
biologique, utilisation intensive de la voiture, achat d’électricité issue de l’éolien ou
de l’hydraulique) seraient aussi déterminées par la contrainte ou l’aisance budgétaire
à laquelle le ménage doit s’adapter (Kennedy et al., 2019 ; Coulangeon et Petev,
2012). À ces configurations matérielles se superposent des ressources et contraintes
occupationnelles et temporelles associées à la réalisation de certaines pratiques : l’uti-
lisation accrue des transports, notamment aériens, peut être liée à l’activité profes-
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sionnelle et aux déplacements qu’elle induit. Plus généralement, l’âge, le genre et la
position dans le cycle de vie font varier la pression temporelle ressentie par les indi-
vidus et le nombre et la variété des pratiques qu’ils peuvent engager (Southerton,
2006). La biactivité de ménages dont le temps de travail hebdomadaire et les res-
sources économiques sont élevés peut ainsi favoriser certaines pratiques de transport,
d’alimentation ou d’équipement à l’impact environnemental élevé (Devetter et Rous-
seau, 2011). On peut donc s’attendre à ce que la plus ou moins grande adéquation de
l’ensemble des pratiques domestiques et de consommation à la norme d’éco-
citoyenneté soit fortement redevable des contraintes et ressources budgétaires, rési-
dentielles et professionnelles des individus et de leur ménage.
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d’écocitoyenneté (Bozonnet, 2001 ; Franzen et Meyer, 2009), les campagnes de sen-
sibilisation ne semblent pas avoir fait émerger un ensemble homogène de pratiques.
Ainsi, en 2016, 81,1 % des Français considèrent qu’il est vrai ou plutôt vrai que
« presque tout ce que nous faisons dans la vie moderne nuit à l’environnement » et
74,5 % considèrent l’environnement comme étant en mauvais état dans le monde. Ils
paraissent aussi en majorité (68,3 %) convaincus de l’utilité de faire des efforts sans
garantie que ceux-ci seront suivis par l’ensemble de la population. Il est à noter que
si ces attitudes se ressemblent du point de vue de leur forte diffusion, elles ne forment
pas un ensemble homogène, et traduisent des opinions et intentions qui ne vont pas
nécessairement de pair. Ainsi, la perception d’un environnement en mauvais état peut
s’accompagner de la croyance dans l’impossibilité d’y remédier par des actions indi-
viduelles potentiellement isolées (voir, par exemple, Elyse R. Stanes et al. [2015] sur
le pessimisme des jeunes en Australie).
Pour autant, les pratiques écocitoyennes connaissent une diffusion très inégale
– et généralement plus faible – au sein de la société française. Le tri de certains
déchets ou les gestes d’économie d’énergie sont certes massivement reportés par
les enquêtés de l’« EPEM » (par exemple, 87 % des Français déclarent faire réguliè-
rement le tri des emballages en verre), mais d’autres pratiques, tels le covoiturage
ou le chauffage aux énergies renouvelables, restent minoritaires (qui concernent
respectivement 30 % et 14 % des Français). Au demeurant, la plupart des pratiques
écocitoyennes déclarées par les individus ne sont pas binaires. Elles varient plutôt
en intensité, notamment lorsqu’il s’agit de fréquences, de température de chauffage
ou de quantités achetées ou consommées (Encadré 2). Ainsi, alors que les compor-
tements extrêmes demeurent rares (1,3 % des Français déclarent chauffer la pièce
de séjour en hiver à 16 oC ou moins, 1,8 % à 24 oC ou plus), la plupart des Français
déclarent des pratiques intermédiaires. L’inégale diffusion des pratiques au regard
des attitudes parait en partie redevable de l’inégale attention dont les différentes
pratiques ont fait l’objet de la part des discours et dispositifs d’action publique.
Cela apparait lorsque l’on observe les liens entre les pratiques et les cinq indices
d’attitudes, représentés au moyen de quatre modèles de régression linéaire11. Nous
mobilisons dans ces modèles cinq indices d’attitudes centrés et réduits (Encadré 2)
et deux indices de pratiques12 comportant respectivement l’ensemble des neuf
11. Pour les résultats détaillés des modèles de régression, se reporter au Tableau A2 (Annexe).
12. Construits en faisant la moyenne arithmétique standardisée des indices de pratiques standar-
disés correspondants.
pratiques questionnées (indice général) et seulement six d’entre elles (indice res-
treint), excluant ainsi trois pratiques au cœur des discours et dispositifs d’action
publique – l’achat de produits issus de l’agriculture biologique, les gestes d’éco-
nomie d’énergie et le tri des déchets. Le premier modèle estime les associations
ceteris paribus entre les indices d’attitudes et l’indice général de pratiques écoci-
toyennes. Dans le deuxième modèle, l’indice restreint de pratiques est substitué à
l’indice général afin de comparer la force des associations lorsque trois pratiques
routinières au cœur des campagnes de communication ne sont pas prises en compte.
Dans les troisième et quatrième modèles, ces associations sont contrôlées par le
niveau de revenu du ménage, le sexe, l’âge et le niveau de diplôme de la personne
interrogée13. Malgré la forte variation des coefficients selon l’indice d’attitude à
l’égard de l’écocitoyenneté considéré14, on observe une diminution générale lors du
passage de l’indice général à l’indice restreint. Dans les modèles portant sur l’indice
général, les cinq attitudes considérées sont associées positivement à l’indice de
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pratique15. À l’inverse, dans le modèle 4 portant sur l’indice restreint, seuls les
indices d’état de l’environnement et d’intention d’effectuer des dépenses supplé-
mentaires pour consommer des produits labellisés restent positivement associés à
l’indice restreint de pratiques. En particulier, l’association des pratiques avec
l’indice d’intérêt de l’action individuelle apparait due à l’inclusion des indices cor-
respondant aux trois pratiques (gestes d’économie d’énergie, consommation d’ali-
ments bio et tri sélectif) au cœur des discours et dispositifs publics, leur retrait
induisant une réduction importante de la valeur du coefficient. Ainsi, l’action éco-
citoyenne n’est pas systématiquement redevable d’attitudes favorables à l’éco-
citoyenneté. Si ce constat d’un écart entre les attitudes et les pratiques n’est pas
nouveau (e.g. Kollmuss et Agyeman, 2002), on observe ici qu’il est avant tout
localisé sur les six pratiques les plus périphériques au sein des discours et dispositifs
publics promouvant l’action écocitoyenne. Si le lien attitudes-pratiques est le plus
souvent un présupposé de ces actions institutionnelles – en particulier celles visant
à sensibiliser la population –, ce constat suggère plutôt qu’il en serait le produit.
Afin de diffuser les pratiques individuelles jugées favorables à la protection de
l’environnement, ces actions institutionnelles transforment les significations qui y
sont associées et les identifient comme des composantes de l’écocitoyenneté. Ainsi
des gestes d’économie d’énergie pour lesquels il s’est agi, au travers de campagnes
de communication (voir note 1), d’associer au bénéfice privé (la moindre dépense
en énergie pour chaque ménage) un intérêt collectif (la préservation des ressources
naturelles) (Figure 1).
13. Il est attendu que ces variables affectent tant les attitudes (Franzen et Meyer, 2009) que
certaines pratiques (Carfagna et al., 2014 ; Mathé et al., 2012 ; Stanes et al., 2015).
14. Alors qu’en moyenne une augmentation de 1 point de l’indice d’adhésion à l’intérêt de l’action
individuelle est associée ceteris paribus à une augmentation de 0,15 point de l’indice général de
pratiques, ce coefficient est largement inférieur pour les indices reflétant une inquiétude vis-à-vis
d’un environnement perçu comme en mauvais état (0,05) et des effets nuisibles de la modernité
(0,07).
15. Afin de s’assurer de la robustesse des intervalles de confiance malgré la nature non proba-
biliste de l’échantillon, nous avons également calculé les intervalles de confiance bootstrap à partir
de 5 000 simulations. Les résultats sont robustes à cette autre méthode d’inférence.
Maël GINSBURGER
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Source : CGDD/SDES (« EPEM » 2016).
Lecture : Toutes choses égales par ailleurs, une augmentation d’un point de l’indice standardisé
d’intérêt de l’action individuelle est associée à une augmentation de 0,15 point de l’indice général
de pratiques environnementales.
Hétérogène, la norme d’écocitoyenneté est pour autant dotée d’une certaine cohé-
rence lorsque l’on observe les logiques qui structurent son appropriation par les Fran-
çais. Appliquée à un nombre important de variables de pratiques et d’attitudes
écocitoyennes, l’analyse des correspondances permet de rendre compte de ces logi-
ques en les rapportant aux caractéristiques sociales et résidentielles des individus
qu’elles opposent.
Nous appliquons aux neuf indices de pratiques et aux cinq indices d’attitudes
(Encadré 2) la méthode de l’analyse factorielle multiple (Encadré 3) et analysons le
plan produit par les deux premières dimensions en tant qu’« espace social des rap-
ports à l’écocitoyenneté »16. Cet espace permet d’étudier finement les clivages en
termes d’attitudes et de pratiques écocitoyennes et les manières dont elles sont asso-
ciées. La projection de variables sociodémographiques et résidentielles dans cet espace
permet d’analyser la pertinence des trois ensembles de mécanismes évoqués ci-dessus
16. Nous appliquons le critère dit de « Kaiser » et restreignons aux dimensions dont la valeur
propre est supérieure à 1. De plus, nos deux groupes de variables contribuent de manière forte aux
deux premiers axes tandis que le troisième est principalement (à 67 %) structuré par les attitudes
(voir Tableau A3, Annexe).
pas de même, et peu prompts à investir (de l’attention, du temps et/ou de l’argent)
pour protéger l’environnement. À l’est sont présents les individus reportant des atti-
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tudes très proches de l’action (consentement à « faire des efforts » même si les autres
n’en font pas et intention d’investir) et déclarant faire plus (de tri, de gestes, de
dépenses) pour protéger l’environnement.
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matérielles et résidentielles qui peuvent peser sur certaines d’entre elles – telles que
l’utilisation de l’automobile – peuvent contribuer à les éloigner d’une forme d’éco-
logie valorisant le libre choix individuel.
Le second axe oppose des individus dépensiers et confiants à des individus plus
critiques dont le mode de vie est caractérisé par une forme de frugalité. Nous le
nommons axe de l’écologie de la frugalité. Les pratiques les plus fortement associées
à cet axe sont les variables relatives à l’équipement (nombre et nouveauté) et à l’uti-
lisation du véhicule personnel. Les attitudes les mieux représentées par l’axe sont
l’opinion à l’égard de l’état de l’environnement, le degré de défiance à l’égard de la
modernité et de ses effets environnementaux ainsi que l’intention d’améliorer la
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Rapport à la norme d’écocitoyenneté et position dans l’espace social
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ment liées. Il apparait cependant difficile de distinguer ces mécanismes d’adhésion à
la norme des dispositions traditionnellement associées à ces populations. En particu-
lier, les fractions les plus dotées en capitaux culturels partageraient un rejet de la
dimension purement matérielle pour privilégier la dimension symbolique et immaté-
rielle de la consommation (Holt, 1998). Le coût des produits issus de l’agriculture
biologique et les pertes de temps ou de confort induites par certaines pratiques domes-
tiques « vertes » seraient ainsi rendus acceptables – voire valorisés – aux catégories
les plus dotées en ressources culturelles par le bénéfice moral qui peut en être retiré,
au cœur d’une forme spécifique et renouvelée d’ascétisme18. À l’inverse, les catégo-
ries les moins diplômées, notamment les ouvriers (plus souvent des hommes) appa-
raissent à distance de cette écologie du geste. La « bienséance écologique » que l’on
retrouve dans cette conformité à la norme d’écocitoyenneté apparait éloignée des
« principes à partir desquels s’organisent les modes de vie économiquement
contraints » (Comby, 2015b, p. 25). L’écart vis-à-vis de cette forme d’écologie semble
ainsi renvoyer à une posture distante de ces individus vis-à-vis des normes de « bonne
conduite » et des institutions chargées de les diffuser (institutions scolaires, médias,
administrations publiques).
L’appropriation de l’écologie du geste est en même temps plutôt le fait de femmes
relativement âgées, en particulier les 60-66 ans (en 2016). Il semble que ces affinités
soient redevables des contextes de socialisation de ces populations, ainsi que de leurs
contraintes et ressources matérielles et temporelles spécifiques. Ces résultats rejoi-
gnent le constat selon lequel l’âge induirait – par le dégagement des contraintes pro-
fessionnelles – une autonomie plus forte dans la gestion du temps et un investissement
temporel et matériel dans l’espace domestique favorisant les pratiques de tri sélectif,
mais aussi l’attention au respect de gestes quotidiens, notamment relatifs aux écono-
mies d’énergie (Southerton, 2006 ; Mathé et al., 2012). À cela s’ajoute une sociali-
sation féminine à la prise en charge du travail domestique qui semble octroyer aux
femmes une place centrale dans l’appropriation des pratiques associées à l’écologie
17. Comme on le constate sur la Figure 3, la dispersion des modalités pour les variables socio-
démographiques est plus faible le long de l’axe 1 que de l’axe 2. Cela témoigne de la nécessité, dans
les enquêtes ultérieures, d’inclure un plus grand nombre de variables (relatives aux pratiques cultu-
relles, par exemple) afin de mieux comprendre les logiques sociales à l’œuvre dans cette écologie du
geste. Néanmoins, l’ANOVA multifactorielle présentée dans le Tableau A5 (Annexe) témoigne de la
forte significativité du lien entre la position sur l’axe 1 et le sexe, le diplôme, ou l’âge.
18. Ces pratiques rejoindraient ainsi les pratiques telles que la marche ou le footing (Bourdieu,
[1979] 2016).
du geste : tri des déchets, alimentation plus « saine » et moins carnée19, gestion des
économies d’énergie liées à certaines tâches ménagères telles que la diminution de
la température de lavage du linge. Enfin, les plus de 66 ans apparaissent légèrement
plus distants de la norme que les 60-66 ans. Il est probable que ce décalage soit lié
à un effet de génération : celles nées après 1950 ont été sensibilisées dans leur jeu-
nesse à une question environnementale mise sur l’agenda politique et médiatique
depuis les années 1970 (Comby, 2015a). Toutefois, cet effet de génération potentiel
ne semble avoir qu’une place secondaire dans la compréhension de la distance à
l’écologie du geste : bien qu’ayant été témoins de l’affirmation, depuis les
années 1990, du cadrage individualisant, les plus jeunes apparaissent éloignés de cette
écologie du geste. Ce constat – surprenant au regard de l’ampleur de l’exposition aux
enjeux écologiques dont ils ont fait l’objet – est corroboré par d’autres travaux (e.g.
Stanes et al., 2015 ; Johnson et Schwadel, 2019). Les mécanismes liés au cycle de
vie apparaissent globalement plus adéquats pour interpréter l’association entre âge et
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écologie du geste. Une analyse longitudinale permettrait de confirmer cette primauté
du rôle du cycle de vie et des configurations matérielles sur le rôle des générations
et des contextes de socialisation spécifiques. Dans l’analyse du rapport à l’écologie
du geste, les trois mécanismes évoqués (rapport à la norme, contraintes matérielles
et dispositions) semblent jouer un rôle primordial.
L’axe nord-sud de la frugalité critique recouvre quant à lui une opposition en
termes de revenu, de profession, de structure du ménage et d’âge. Au nord, les indi-
vidus les plus confiants dans la modernité et l’état de l’environnement et les plus
dépensiers sont ainsi les ménages de grande taille – aux besoins décuplés – et les plus
aisés – ayant des ressources importantes pour satisfaire ces besoins. Au sud, les indi-
vidus vivant seuls et disposant d’un faible revenu sont au contraire les plus frugaux
et les plus pessimistes concernant l’état de l’environnement et les effets de la moder-
nité. La plupart des comportements impliquant des dépenses étant déclarés par les
individus pour l’ensemble de leur ménage (consommation de carburant ou d’équipe-
ment ménager en particulier), il apparait peu surprenant que l’augmentation de la
taille et des ressources du ménage aille de pair avec des pratiques de transport et de
consommation d’équipement plus importantes. Cependant, cette association entre pos-
ture critique, mode de vie plus frugal et jeunesse, vie seule et faible revenu peut
s’interpréter comme étant liée à la plus faible intégration sociale de tels individus.
Cette hypothèse semble confirmée par la position des chômeurs sur cet axe (au sud
de l’espace). Comme l’écrivent Christian Baudelot et Roger Establet à la suite de
Maurice Halbwachs, « Consommer, ce n’est pas seulement dépenser ni acquérir des
biens matériels, c’est bel et bien prendre sa part de la vie sociale. » (1994, p. 38). Or,
la plus faible participation de ces individus à la vie sociale tant sur le versant du
marché du travail, de la famille que de la consommation peut se traduire par un
rapport plus contraint, déçu et pessimiste à l’égard d’un environnement perçu comme
en mauvais état et à l’égard d’une modernité qui les exclut.
Les ouvriers sont quant à eux situés au nord-ouest de l’espace. S’ils ont le plus
souvent un rapport distancié à l’égard de l’écologie du geste (à l’ouest), ce rapport
ne se double généralement pas d’un mode de vie frugal et d’une forme d’exclusion
des différentes sphères de la vie sociale. Plus encore, la consommation permet aux
19. Éprouvée par les femmes du fait de la socialisation différentielle et par les plus âgés, la
nécessité de prendre soin de son corps expliquerait ainsi en partie le recours particulièrement accru
de ces individus aux « aliments-santé » (Régnier et al., 2009) et donc la faible consommation de
viande et la plus forte consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique.
franges intégrées des catégories populaires (dont font majoritairement partie les
ouvriers) de se distinguer des franges les plus jeunes et les plus précaires. Comme
l’écrit Olivier Schwartz en 1990 dans Le monde privé des ouvriers, « c’est peu dire
que les individus [les familles ouvrières] s’autorisent à consommer : quand ils le
peuvent – en termes de ressources économiques –, ils s’adonnent, non sans jubilation,
à des formes redondantes et sophistiquées de consommation. C’est alors qu’on saisit
la richesse des significations, et surtout l’intensité des investissements dont les “inté-
rieurs” sont le théâtre et le statut central des objets dans cet espace » ([1990] 2012,
p. 101). Notre analyse du rapport à l’écocitoyenneté montre que la consommation
demeure un axe de clivage majeur au sein des catégories populaires, enserrées dans
un faisceau de contraintes matérielles et de significations sociales qui paraissent
encore très éloignées des préoccupations environnementales.
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Le positionnement à l’égard des écologies du geste et de la frugalité est aussi très
largement lié à la manière dont les individus et leurs modes de vie sont distribués
dans l’espace résidentiel. Nous avons projeté sur le premier plan factoriel neuf varia-
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surreprésentés. L’éloignement perçu des collecteurs de déchets recyclables ou des
espaces verts y est la norme, et le chauffage collectif y est largement surreprésenté.
À l’extrême de ce pôle, on retrouve les milieux urbains les plus défavorisés, les zones
dans lesquelles le chômage est le plus fréquent, les espaces verts plus absents, et où
l’insécurité est médiatiquement présentée comme un problème majeur.
Même si cette droite nord-est/sud-ouest semble bien résumer l’association entre
rapport à la norme d’écocitoyenneté et configuration matérielle et géographique,
certaines nuances sont à apporter. D’abord, la taille de l’agglomération ne semble
pas jouer le même rôle sur les deux axes. Sur l’axe est-ouest de la proximité à
l’écologie du geste, l’opposition se fait essentiellement entre les zones rurales et
l’agglomération parisienne, l’ensemble des autres villes en région occupant une
position centrale. Le fait de résider dans une zone très urbanisée, la région pari-
sienne (où l’état des logements est souvent plus mauvais que dans le reste de la
France [Herpin et Verger, 2008]), plutôt qu’à la campagne est – dans l’ensemble –
associé à une forte distance vis-à-vis de cette forme d’écologie. À l’inverse, sur
l’axe nord-sud de l’écologie de la frugalité, la taille de la ville croit de manière
continue avec la position sur l’axe. La propension à la frugalité semble surtout
associée à la faible taille du logement et à la disponibilité perçue de transports en
commun, toutes deux liées à la taille et à la densité de la commune de résidence.
Ainsi, le positionnement à l’égard de la norme d’écocitoyenneté est très fortement
associé aux configurations matérielles dans lesquelles s’inscrivent les modes de vie
des individus et de leurs ménages, en particulier la morphologie et le statut d’occu-
pation des logements et les infrastructures et aménagements qui les entourent. En
contraignant certains types de consommation (d’équipement par exemple), en faci-
litant l’accès à certaines infrastructures – collecteurs de déchets, réseaux de trans-
port en commun – ou en participant à générer une « atmosphère écocitoyenne »20
facilitant l’appropriation des attitudes et pratiques valorisées, le lieu semble gran-
dement participer à définir le rapport que les individus nouent avec la norme d’éco-
citoyenneté. Inversement, les choix résidentiels peuvent être conditionnés par les
20. Nous adaptons l’hypothèse, évoquée par Pierre Bourdieu, de l’existence, dans les grandes
villes, d’une « “atmosphère culturelle”, c’est-à-dire [...] les incitations exercées par un groupe de pairs
que la résidence contribue à définir » ([1979] 2016, p. 27). Dans le cas de l’écocitoyenneté, ces effets
de lieu peuvent passer par les comparaisons et discussions entre voisins (Macias et Williams, 2016),
mais aussi par la présence d’infrastructures et d’espaces verts pouvant contribuer à générer un certain
rapport à l’environnement et à la norme de responsabilisation individuelle dans sa protection.
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pratiques de consommation. Il apparait toutefois clair que ces pratiques restent de
manière générale associées à des zones particulièrement contraintes de l’espace social
et géographique.
21. La typologie proposée ici s’appuie sur les cinq premières dimensions (51,6 %) et permet
d’étendre l’analyse à des pratiques – telles que l’utilisation des transports aériens – peu associées aux
deux logiques analysées ci-dessus.
22. Pour plus de détail, voir la Figure A6 (Annexe).
23. Sur l’intérêt de combiner analyse factorielle et classification, voir Ludovic Lebart et al. (1995,
p. 185-221).
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et près d’un cinquième vit en logement social (contre à peine plus d’un individu sur
dix en moyenne). Ce groupe présente ainsi les traits d’une précarité critique et distante
vis-à-vis des discours et des individus qui tentent de réformer leur façon de penser
et de vivre. La frugalité partielle de ce groupe semble être le résultat de configurations
matérielles étroites qui délimitent le champ des pratiques possibles : équipement res-
treint en appartement, usage automobile restreint en ville, température élevée d’un
chauffage souvent collectif et non maitrisé.
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sagent notamment pas de modifier l’isolation ou le chauffage de leur logement et
s’inquiètent peu de l’état de l’environnement. Leur mode de vie semble témoigner
d’une forme de matérialisme très éloignée de la sobriété et peu inquiète de
l’environnement.
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bon état.
consommer plus de produits « verts » et à investir dans des équipements plus éco-
nomes en énergie. Cependant, le faible revenu des individus des groupes 2 et 4 est
associé à des comportements plus sobres, les attitudes écocitoyennes pouvant accom-
pagner (groupe 4) ou non (groupe 2) les contraintes budgétaires.
Deux groupes se distinguent par leur très forte appropriation de la norme d’éco-
citoyenneté : les petits locataires responsables et les urbains engagés. Urbains et très
diplômés, les individus du groupe 6 semblent effectivement connaitre une reconfigu-
ration de leurs goûts, dispositions et représentations en affinité avec leur prise de
conscience environnementale. Notre analyse rejoint les résultats qui attestent, en Amé-
rique du Nord, de l’émergence d’une forme d’habitus écologique au sein d’une popu-
lation spécifique, les urbains à fort capital culturel (Carfagna et al., 2014 ; Kennedy
et al., 2019). Selon ces sociologues, les goûts de ces catégories ne seraient plus
vraiment orientés vers le cosmopolitisme, l’idéalisme (ou refus du matérialisme) et
l’expertise, comme le montrait Douglas B. Holt (1998), mais de plus en plus vers le
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local, le matériel et le travail manuel (Carfagna et al., 2014). Ainsi, les attitudes des
urbains engagés paraissent fortement orientées vers la protection de l’environnement
et, outre leurs achats importants de produits bio, leur orientation vers la consommation
locale transparait dans leur tendance à déclarer faire systématiquement attention à la
provenance des produits qu’ils achètent (pour plus de 60 % d’entre eux contre 45 %
en moyenne). Cependant, parmi les enquêtés, la reconfiguration des pratiques et repré-
sentations dans le sens de leur verdissement semble double et inaboutie. D’abord, la
tendance au localisme des urbains engagés continue de s’accompagner d’un fort
cosmopolitisme dont témoigne la fréquence des déplacements en avion. Ceux-ci sont
liés à la présence de voyages professionnels qui concernent en priorité les salariés les
plus qualifiés et à la multiplicité des voyages d’agrément qui permettent d’entretenir
le capital culturel (Demoli et Subtil, 2019). Ensuite, s’ils peuvent représenter des
pratiques plus légitimes, le travail manuel direct et l’autoproduction sont encore loin
de donner lieu à des pratiques très répandues parmi cette catégorie. L’autoproduction
de produits alimentaires ou la récupération d’eau de pluie n’y sont pas plus répandues
que dans l’ensemble de la population (environ 7 % et 45 %). L’association croissante
entre localisme, matérialisme, valorisation du manuel et fort capital culturel est ainsi
inaboutie au sein de catégories qui manifestent, par ailleurs, une très forte appropria-
tion de la norme d’écocitoyenneté.
Par ailleurs, la propension à déclarer des pratiques et attitudes en conformité glo-
bale avec la norme d’écocitoyenneté parait aussi très importante au sein d’une popu-
lation très différente, celle du groupe 4, dans lequel les femmes célibataires, moins
urbaines et aux ressources économiques et culturelles plus faibles sont surreprésen-
tées. Leurs pratiques globalement sobres, leur haut degré de préoccupation environ-
nementale et leur appropriation de l’écologie du geste en font une population
particulièrement conforme à la norme d’écocitoyenneté. Bien que des différences
subsistent – notamment dans les pratiques et attitudes qui demeurent éloignées de la
norme d’écocitoyenneté (forte utilisation des transports aériens vs. faible intention de
réaliser des travaux à domicile) –, les groupes 4 et 6 présentent tous deux une appro-
priation particulièrement forte de la norme d’écocitoyenneté, alors même que les
principales caractéristiques sociodémographiques et résidentielles diffèrent grande-
ment. Plus qu’ils ne remettent en question l’hypothèse d’un habitus écologique émer-
gent, qui – bien que jeune et incomplet – semble caractériser une frange des catégories
urbaines à fort capital culturel, nos résultats témoignent de la nécessité de considérer
que cet habitus écologique pourrait être multiple, associé à des groupes sociaux et
des contextes résidentiels très différents. En particulier, un groupe composé
*
* *
La promotion par des campagnes de sensibilisation et de responsabilisation de
pratiques et gestes quotidiens peu néfastes pour l’environnement et d’attitudes sup-
posées favoriser de telles actions s’est traduite par l’émergence d’une norme d’éco-
citoyenneté. En s’appuyant sur l’individualisation de la gouvernance des conduites
ainsi que sur un socle théorique faisant des croyances et des valeurs individuelles le
principal vecteur d’action, ces discours et dispositifs supposent que l’écologie est
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l’affaire de chacun et que des actes jusqu’alors routiniers doivent devenir politiques.
Cet article s’est donné pour objectif d’analyser la manière dont, par leurs attitudes
déclarées et leurs pratiques, les Français se positionnent à l’égard de la norme d’éco-
citoyenneté. Nous avons ainsi tenté de répondre à trois questions : la norme d’éco-
citoyenneté se présente-t-elle comme une norme unifiée, les pratiques étant
uniformément associées aux attitudes ? Quelles sont les principales logiques sociales
et résidentielles à l’œuvre dans le positionnement vis-à-vis de cette norme ? Peut-on
identifier, dans le cas français, l’existence d’un habitus écologique ?
La norme d’écocitoyenneté apparait de fait peu unifiée, avec une déconnexion
entre les pratiques les moins institutionnalisées et souvent les plus polluantes et les
attitudes supposées les favoriser. L’association des pratiques aux attitudes apparait
– du moins en partie – comme le produit de dispositifs spécifiques (campagnes de
sensibilisation et d’information, labels), centrés sur certaines pratiques et dont la
réception varie dans l’espace social.
À travers les notions d’écologie du geste et d’écologie de la frugalité, nous avons
pu mettre en correspondance le degré de conformité à la norme d’écocitoyenneté, la
position sociale et la situation résidentielle. Ainsi se croisent une logique d’adhésion
aux gestes domestiques ayant fait l’objet d’un important travail de prescription de la
part des pouvoirs publics, et d’adhésion à la rhétorique des efforts individuels
– typique d’un pôle rural, diplômé, âgé et féminin de l’espace social, disposé au
conformisme et à l’investissement temporel dans l’espace domestique – et une forme
de frugalité, critique du fonctionnement de la société et de ses impacts environne-
mentaux – typique d’un pôle urbain, jeune et précaire de l’espace social, aux fortes
contraintes financières et résidentielles. Au croisement de ces deux modalités du
rapport à la norme d’écocitoyenneté, l’exploration des combinaisons d’attitudes et de
pratiques confirme, dans le cas français, l’existence d’un habitus écologique au sein
d’urbains très diplômés. Mais elle suggère qu’une population plutôt féminine, modeste
et vivant seule serait tout aussi – bien que différemment – en adéquation avec la
norme d’écocitoyenneté, la traduisant dans un mode de vie sobre et des attitudes
favorables à l’écocitoyenneté.
C’est à l’intersection des actions institutionnelles relativement récentes visant à
les étiqueter comme « pro-environnementales » et des configurations matérielles et
dispositions préexistantes qu’attitudes et pratiques écocitoyennes doivent être analy-
sées. Nos analyses suggèrent que ces trois dimensions façonnent écologie du geste
et écologie de la frugalité à des degrés divers, associant la première aux enjeux
Maël GINSBURGER
Observatoire sociologique du changement (OSC)
Sciences Po – CNRS
98, rue de l’Université – 75007 Paris
[email protected]
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Pôle Sociologie du CREST (GENES) – ENSAE
5, avenue Henry Le Chatelier
TSA 96642 – 91764 Palaiseau cedex
ANNEXES
TABLEAU A2. – Régressions linéaires sur l’indice général
de pratiques environnementales
Variable Indice général Indice restreint Indice général Indice restreint
dépendante
État de 0,06** (0,02 ; 0,09) 0,10*** (0,06 ; 0,13) 0,05** (0,02 ; 0,08) 0,09*** (0,05 ; 0,12)
l’environnement
Nuisance 0,07*** (0,04 ; 0,11) 0,03 (- 0,01 ; 0,06) 0,07*** (0,04 ; 0,10) 0,01 (- 0,02 ; 0,05)
Intérêt de l’action 0,15*** (0,12 ; 0,19) 0,02 (- 0,02 ; 0,05) 0,15*** (0,12 ; 0,19) 0,02 (- 0,01 ; 0,05)
individuelle
Dépenses 0,09*** (0,06 ; 0,13) 0,02 (- 0,02 ; 0,06) 0,11*** (0,08 ; 0,15) 0,05** (0,01 ; 0,08)
supplémentaires
Intention de 0,07*** (0,03 ; 0,10) - 0,05** (- 0,09 ; - 0,02) 0,09*** (0,06 ; 0,12) - 0,02 (- 0,05 ; 0,01)
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modifier la PE
Sexe (réf. = Femme)
Homme - 0,11*** - 0,01
(- 0,17 ; - 0,05) (- 0,07 ; 0,05)
Âge (réf. = 44-59 ans)
< 32 ans - 0,19*** - 0,09
(- 0,29 ; - 0,09) (- 0,19 ; 0,01)
32-43 ans - 0,20*** - 0,12**
(- 0,29 ; - 0,11) (- 0,21 ; - 0,04)
60-66 ans 0,19*** (0,10 ; 0,27) 0,04 (- 0,04 ; 0,13)
> 66 ans 0,22*** (0,12 ; 0,31) 0,13** (0,036 ; 0,22)
Diplôme (réf. = Bac)
Collège ou moins - 0,03 (- 0,15 ; 0,09) - 0,01 (- 0,11 ; 0,13)
CAP-BEP - 0,08 (- 0,17 ; 0,01) - 0,09* (- 0,18 ; - 0,01)
Bac + 2 0,06 (- 0,03 ; 0,15) - 0,01 (- 0,10 ; 0,08)
Bac + 3 et + 0,17*** (0,08 ; 0,26) 0,14** (0,05 ; 0,22)
Revenu (réf. = 1 200-2 000 e/mois)
< 1 200 e/mois 0,20*** (0,09 ; 0,31) 0,32*** (0,21 ; 0,43)
2 000-3 000 e/mois - 0,37*** - 0,50***
(- 0,46 ; - 0,29) (- 0,58 ; - 0,41)
3 000-4 500 e/mois - 0,57*** - 0,81***
(- 0,67 ; - 0,48) (- 0,90 ; - 0,71)
> 4 500 e/mois - 0,88*** - 1,14***
(- 1,02 ; - 0,75) (- 1,27 ; - 1,01)
Constante 0,00 (-0,03 ; 0,03) 0,00 (-0,04 ; 0,03) 0,31*** (0,26 ; 0,42) 0,40*** (0,30 ; 0,50)
Observations 3 640 3 640 3 640 3 640
2
R ajusté 0,05 0,01 0,16 0,21
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7 0,60 6,33 65,02 50,61 49,39
TABLEAU A4. – ANOVA multiple sur les coordonnées des individus sur l’axe 1
Ddl Somme des Carré moyen Test F p-value
carrés
Observations 3 640
TABLEAU A5. – ANOVA multiple sur les coordonnées des individus sur l’axe 2
Ddl Somme des Carré Test F p-value
carrés moyen
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Observations 3 640
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ABSTRACT
Since the 1990s, an increasing number of policies designed to raise awareness of envi-
ronmental protection has contributed to the emergence of a “norm of eco-citizenship”.
Aware of the need for individual action to protect the environment, eco-citizens are
expected to change their consumption and domestic practices to make them more sus-
tainable. Using data from the “Survey on Households’ Environmental Practices” (EPEM)
of 2016 (CGDD/SDeS), this article studies the extent and nature of the conformity of the
French population with this norm. The spread of these prescribed attitudes and practices
is not homogenous; individuals who care about the environment do not change all
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aspects of their lifestyle. Instead, their everyday relationships toward environmental pro-
tection take two forms: environmental gestures—which includes practices at the heart
of awareness—raising campaigns; and environmental frugality, which is the manifesta-
tion of a low level of integration into consumer society. Though infrequent, some confi-
gurations of practices and attitudes nevertheless combine both these forms of everyday
environmentalism, suggesting the existence—or the emergence—of an environmental
habitus not only among highly-educated urban people, but also groups that are predo-
minantly women, less well-off, and living alone.
ZUSAMMENFASSUNG
Seit den Jahren 1990 hat die Zunahme der Sensibilisierungspolitiken zum Umweltschutz
dazu beigetragen, eine „Norm für Ökobürger“ zu schaffen. Das Bewusstsein, dass indivi-
duelle Handlung zum Umweltschutz notwendig ist, könnte das praktische Verhalten der
Ökobürger und das Verbrauchsverhalten der Haushalte dauerhaft gestalten. Ausgehend
von der „Untersuchung zum Umweltverhalten der Haushalte“ (EPEM – Enquête sur les pra-
tiques des ménages) im Jahre 2016 (CGDO/SDeS) prüft dieser Artikel Auswirkung und Art
der Übernahme dieser Norm durch die französische Bevölkerung. Die Verbreitung des der
aufgewerteten Einstellungen und Praktiken geschieht nicht gleichmäßig, da die umweltbe-
wussten Bürger nicht ihre gesamte Lebensgewohnheiten ändern. Es liegt eher eine duale
tägliche Beziehung zur Ökologie vor, einerseits die „Gestenökologie“, d.h. des praktischen
Verhaltens zu den Sensibilisierungskampagnen, andererseits die „Genügsamkeitsökologie“
fern vom Konsumverhalten der übrigen Bevölkerung. Obwohl sie in der Minderheit sind,
vereinen nichtsdestoweniger bestimmte Konfigurationen des Praxisverhaltens beide
Formen und deuten auf das Vorliegen – oder die Entstehung – eines ökologischen Habitus
an, nicht nur innerhalb der gebildeten Stadtbevölkerung, sondern auch bei anderen bes-
cheideneren Bevölkerungsteilen wie alleinstehende Frauen.
RESUMEN
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las actitudes y prácticas valoradas no es homogénea, ya que los individuos preocu-
pados por el medio ambiente no modifican su modo de vida en su conjunto. La relación
cotidiana con la ecología aparece más bien como ambivalente, y se distingue la ecología
del gesto – relativa a las prácticas en el centro de las campañas de sensibilización –
de la ecología de la frugalidad – que traduce más que nada una débil integración a la
sociedad de consumo. Aunque sean minoritarias, algunas configuraciones de prácticas
y actitudes asocian sin embargo esas dos formas de ecología, lo que sugiere la exis-
tencia – o la aparición – de un habitus ecológico no solo entre una población urbana
con un alto nivel de estudios universitarios, sino también entre un sector más modesto
femenino y soltero de la población.