Modèles Et Principes en EPLS - S3 - 19

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Modèles et principes en éducation pour la santé

Author(s): Jean-Claude Manderscheid


Source: Revue française de pédagogie, No. 107 (AVRIL-MAI-JUIN 1994), pp. 81-96
Published by: Ecole normale supérieure de lyon
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41200432
Accessed: 15-09-2017 08:31 UTC

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Modèles et principes
en éducation pour la santé
Jean-Claude Manderscheid

Cet article, tout d'abord, constate le peu d'intérêt que les spécialistes français des sciences de
l'éducation ont accordé jusqu'à présent à l'éducation pour la santé, comparé à ce qui peut être observé
dans les pays anglophones. Une raison possible de cet état de fait pourrait être une conception
restrictive de la santé.
L'auteur propose donc, comme préalable, une réflexion sur les définitions de la santé et de l'éducation
pour la santé. Il présente ensuite quelques modèles en éducation pour la santé qui illustrent les
différentes approches possibles : l'action visant l'individu ou le groupe social, la cible étant passive ou
participant à l'action.
C'est l'occasion de faire mieux connaître des modèles nord-américains tels que le « self efficacy » ou le
« health belief model ». C'est aussi l'occasion de présenter un modèle original de type sociopolitique
conçu lors d'une collaboration entre J.-P. Pages et l'auteur.
En conclusion l'article donne un exemple d'utilisation de ces modèles dans une action d'éducation pour
la santé réalisée dans le département de l'Hérault.

INTRODUCTION Notons par ailleurs que toute définition dans ce


domaine répond à un point de vue, à un parti pris,
à un enjeu. Certes, elle peut être argumentée ou
Contrairement à ce qui peut être observé dans
justifiée, mais elle n'est jamais neutre et engage
les pays anglo-saxons, en France les spécialistes son auteur. Il est donc illusoire de croire ici à une
de l'éducation se sont encore relativement peu
définition purement objective, car la définition
intéressés à l'éducation pour la santé. Peut être
cette situation doit-elle être attribuée à une
dans ce cas ne fait pas que décrire ; pour être
opératoire elle doit aussi donner sens à l'objet
conception étroite de la santé dans notre pays.
défini ; or l'objet n'a de sens que parce qu'il est
Aussi il nous paraît difficile de parler de modèles
perçu par un sujet.
en éducation pour la santé sans définir au préala-
ble ce que nous mettons sous les termes de santé Une recherche inconditionnelle d'« objectivité »
et d'éducation pour la santé. En effet l'interpréta- en sciences humaines a conduit un grand nombre
tion des modèles ne peut prendre corps qu'à la de nos contemporains à se dissimuler derrière des
lumière du sens que nous donnons aux mots. analyses purement techniques, impersonnelles, et

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de ce fait à dissimuler l'essentiel derrière le Son caractère subjectif tient à ce que cette
contingent. On s'est ainsi souvent cantonné à la définition se fonde sur la notion de bien-être qui
didactique pour oublier l'éducation, on s'est trop est une perception individuelle, non quantifiable et
longtemps attardé sur le biologique pour ignorer dépend d'un contexte temporel, culturel et social.
le sujet. La notion de bien-être nous confronte obligatoire-
ment à un système de valeurs. C'est ce qu'ex-
Nous ne pouvons nous contenter de ce genre prime G. Canguilhem [12] lorsqu'il écrit « le normal
de discours pour parler de santé et d'éducation n'est pas un jugement de réalité, c'est un juge-
alors que l'une et l'autre touchent à des objets ment de valeur » et reprenant K. Jaspers, il pré-
symboliques fondamentaux : la vie, la mort, le cise « c'est l'appréciation des patients et les idées
bonheur, le devenir, la perpétuation de l'espèce, dominantes du milieu social plus que le jugement
de la culture, des valeurs du groupe, de soi. des médecins qui détermine ce qu'on appelle
Nous serons donc amené à choisir, discuter et maladie ». Plus que la lésion, c'est souvent la
en fin de compte, à proposer des définitions qui perception de la lésion qui est traumatisante,
cette lésion vécue comme une déchéance.
intègrent sans les cacher les valeurs qui les fon-
dent et qui nous permettent une analyse cohé- L'idée de santé est donc propre à chacun, liée
rente des modèles en éducation pour la santé. à l'image de soi, à l'image que le sujet croit (à tort
ou à raison) donner de lui aux autres.
Pour R. Dubos [19] «il n'est pas possible de
définir la santé dans l'abstrait. Ses critères diffè-
DÉFINITIONS PRÉALABLES rent avec le milieu ainsi qu'avec les normes et
l'histoire du groupe considéré. Mais surtout les
La santé
critères de la santé sont fonction des aspirations
et des besoins de chaque individu. »
En 1946, dans le premier article de sa constitu-
tion, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) II nous faut donc bien accepter cette part de
définit la santé comme « un état de complet bien-
subjectivité et de relativité inhérente à la santé. Au
être physique, psychique et social et pas seule-
risque d'y perdre peut être en précision, nous y
ment l'absence de maladie et d'infirmité ».
gagnerons à coup sûr en pertinence.
Cette définition a l'intérêt de rappeler que Le point de vue utopique de la définition de
l'homme n'est pas seulement un corps physique, l'OMS se situe, d'une part dans la volonté de faire
mais plus encore un être pensant et socialisé. accéder à un bien-être complet, d'autre part dans
Ainsi sont posées les trois dimensions fondamen-
l'objectif tacite de faire accéder tous les sujets à
tales de la santé (physique, psychique et sociale)
ce bien-être complet. Cet objectif fut d'ailleurs
dont découleront de nombreuses autres : politi- réaffirmé lors de la conférence de Alma Atta en
que, éthique, spirituelle, environnementale, etc. 1976 dans le slogan « la santé pour tous en l'an
2000 ». Cette utopie d'une vie sans conflits, ni
Un autre intérêt de cette définition est de parler
de la santé et pas seulement de ce qu'elle n'est échecs, ni souffrances, qui caractérise la plupart
pas. C'est en ce sens une définition positive. des projets d'après guerre émanant de l'Organisa-
Dans une réalité qui n'est pas forcément binaire, tion des Nations Unies (ONU), ne doit pas être
le vrai ne se réduit pas au complémentaire du prise au pied de la lettre. Elle cristallise l'élan de
faux. Ainsi le mal être n'est pas toujours reconnu générosité, l'idéal et la quête du bonheur de cette
comme une maladie et inversement l'infirmité époque. Il s'agit plus d'un phare qui indique le
chemin, la bonne direction à ne jamais perdre de
n'est pas systématiquement synonyme d'invalidité.
vue, plutôt qu'un objectif à atteindre concrète-
Au delà de ces deux qualités, cette définition ment, totalement et à court terme. R. Dubos [19]
appelle quelques remarques, principalement sur souligne que « l'utopie de la santé absolue pos-
quatre points : sède un pouvoir dynamique du fait que, comme
- son caractère subjectif, n'importe quel idéal, elle propose un but à attein-
dre et tend à diriger la recherche médicale vers ce
- son point de vue utopique,
but. L'espoir que la maladie puisse disparaître
- son aspect statique, complètement ne devient un dangereux mirage
- sa dimension sociale. que quand on oublie qu'il n'est pas réalisable ».

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L'aspect statique de la définition est déterminé minés. Ce phénomène est parfaitement illustré par
par le terme « état ». Or beaucoup d'auteurs s'ac- la progression exponentielle de l'épidémie du sida
cordent pour voir dans la santé plutôt un équilibre à ses débuts.
dynamique, une capacité de l'homme à s'adapter
2) L'individu conçoit la santé à travers un mo-
à son environnement, à supporter les agressions
dèle social de celle-ci. Le mot embonpoint ne
de ce dernier. Pour illustrer cela, I. Gordon [1]
vient-il pas de l'expression « en bon point », en
écrit que « l'homme et l'humanité sont perpétuel-
bonne situation, en bonne position (sous-entendue
lement en lutte : contre des microbes, contre une
sociale), proposée au XVIe siècle par Clément
belle-mère impossible, contre les chauffards pris
Marot [15] ? Mais les déesses de Rubens ne cons-
de boisson ou contre les rayonnements cosmiques
tituent plus aujourd'hui un modèle de santé.
venus de l'espace infini... Le caractère positif de
R. Dubos [19] fait remarquer à ce propos qu'il
la santé ne réside pas dans un certain état mais
« est stupéfiant de penser que, dans la plupart
bien dans cette lutte, cet effort pour atteindre un
des pays de l'Europe méridionale, il s'est produit
but qui, étant parfait, est hors de notre portée ». Il
une sélection de l'hyperthyroïdisme aux XVIe et
faut bien comprendre que cet équilibre recherché,
XVIIe siècles par le simple fait que cette maladie y
lieu de confrontation de forces antagonistes et
passait alors pour rendre les jeunes femmes plus
changeantes, est instable, remis en cause à cha- séduisantes ».
que instant. Dans ses mémoires, G. Thibon [42] se
souvient que s'inquiétant de la santé d'une voisine 3) La santé d'un sujet dépend largement du
malade (c'était au début du siècle en milieu pay- contexte social. La croissance actuelle du chô-
san), le mari lui répondit « aujourd'hui, elle est mage, la précarité sont autant de freins à la santé
vertueuse », et G. Thibon de remarquer que ce et ce par des mécanismes multiples :
paysan retrouvait intuitivement l'étymologie du - la diminution de l'accessibilité aux structures
mot vertu, c'est à dire virtus voulant dire force.
de soins et le manque d'hygiène ;
Pour R. Dubos cette dynamique est d'autant - l'émergence de besoins plus fondamentaux,
plus nécessaire que le milieu est changeant et il plus urgents, plus immédiats : manger, dormir, se
remarque que « dans une large mesure, les mala- protéger du froid ; le capital santé à long terme
dies qui caractérisent les sociétés très urbanisées n'est alors plus une priorité ;
et industrialisées sont les manifestations des - la désinsertion sociale et l'isolement physi-
effets des forces nouvelles, émanant du milieu, que et moral, sources de dépression.
auquel l'homme n'a pas eu la possibilité de
Les nouveaux modes de vie entraînant des mo-
s'adapter ».
difications des structures familiales posent le pro-
Il faut noter ainsi que cet équilibre qu'est la blème de l'isolement des sujets et en particulier
santé, ne se définit pas à un instant donné, mais des personnes âgées.
dans le temps, dans la durée. En effet l'équilibre
Pour résumer je dirais que la santé est :
d'un moment dépend très largement des situa-
tions antérieures. En matière de santé nous pou- • la capacité qu'a le sujet de mettre en valeur
vons parler de capitalisation des ressources de la sans les dilapider, des ressources physiques,
vie quotidienne ou, à l'inverse, de leur dilapidation intellectuelles et affectives,
par des comportements et des pratiques inadap- • pour s'adapter constamment à un milieu
tées.
agressif et changeant,
La dimension sociale de la santé qui est évo- • de sorte à pouvoir vivre de façon autonome
quée dans la définition par la notion de bien être et socialement intégrée,
social, mérite d'être soulignée et précisée sur au • aussi efficacement, aussi pleinement et aussi
moins trois points. longtemps que possible,
• dans des situations successives proches de
1) La santé d'un sujet est liée à la santé de la
l'équilibre, où la gêne et la souffrance physique et
collectivité dans laquelle il vit. Par exemple la
diffusion d'une épidémie ou la persistance d'une mentale sont minimes ou tout au moins supporta-
bles,
endémie est directement liée à l'importance du
« réservoir de virus » [2], ce réservoir de virus • et où le plaisir de vivre est suffisant pour
étant le plus souvent l'ensemble des sujets conta- rendre l'existence acceptable, sinon agréable.

Modèles et principes en éducation pour la santé 83

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L'éducation pour la santé - volontaire renforce l'idée d'autonomie et
d'autodétermination, clé de voûte de tout proces
Tout d'abord il faut distinguer l'éducation pour sus véritablement éducatif ;
la santé de la promotion de la santé ou de la
prévention en général. - comportement conduisant à la santé fixe
l'objectif de l'éducation pour la santé : la santé
La prévention utilise trois types de moyens : grâce à certains comportements.
- des démarches légales qui consistent en
J. Bury [11] fait une classification des définitions
lois, décrets et règlements imposant aux citoyens
de l'éducation pour la santé en fonction des
un cadre supposé favoriser la santé directement
méthodes sous-jacentes. Il en distingue trois
ou indirectement ;
grands types :
- - des moyens techniques comme les vaccins, • celles se fondant sur une information se vou-
l'assainissement des lieux habités, le traitement
lant neutre et faisant appel uniquement à la rai-
des eaux, etc. ;
son, au « bon sens » du sujet ;
- l'incitation des citoyens à adopter des com-
• celles correspondant à des approches sug-
portements propres à favoriser leur santé.
gestives, visant la modification systématique et
L'éducation pour la santé se situe dans cette planifiée des comportements des individus et des
approche incitative, sans pour autant en utiliser groupes à leur insu ;
obligatoirement tous les moyens. • celles enfin se réclamant d'un idéal éducatif

Parmi les nombreuses définitions de l'éducation et visant la motivation et la participation pour


pour la santé, nous avons retenu comme point de entraîner un comportement volontaire adapté.
départ à notre réflexion celle de L. Green [22] La définition de L. Green que nous avons choi-
pour qui « l'éducation pour la santé est toute sie se situe tout à fait dans l'approche éducative.
combinaison d'expériences d'apprentissage De notre point de vue, l'éducation pour la santé
conçue pour faciliter des adaptations volontaires est avant tout de l'éducation et à bien y regarder
du comportement conduisant à la santé ». l'éducation générale bien pensée est déjà de
l'éducation à la santé dans la mesure où elle
A. Rochon [37] commente cette définition en
soulignant l'importance de chaque mot. Nous participe à l'épanouissement du sujet, à son
reprenons à notre compte et complétons ce accession à l'autonomie, à son intégration sociale.
commentaire : L'approche informative a fait la preuve de ses
- combinaison indique l'importance de la limites, d'une part parce qu'une information n'est
complémentarité des approches éducatives ; jamais vraiment neutre, du simple fait d'être choi-
sie plutôt qu'une autre, d'autre part parce que
- expérience d'apprentissage insiste sur la
nous savons bien que la plupart de nos comporte-
nécessité d'une pédagogie active permettant
ments ne sont pas la conséquence ou l'aboutisse-
l'intégration, la réappropriation des éléments
ment d'une argumentation totalement rationnelle
cognitifs (connaissances) affectifs (attitudes et
et consciente. Avec J. Burý, il faut se rendre à
valeurs) et psychomoteurs (habilités) favorisant la
l'évidence, les gens informés ne changent pas
réalisation d'un comportement ;
nécessairement leur comportement face à la
- conçue indique la nécessité d'une réflexion santé.
préalable, si possible fondée sur une méthode,
des principes, des modèles théoriques déjà À l'opposé, l'approche suggestive ne fait pas
éprouvés ; appel au raisonnement conscient de la part du
- faciliter situe le rôle de l'éducateur dans sa sujet. À l'instar de la publicité elle exploite au
fonction de guide qui doit respecter la personna- contraire, à l'insu du sujet, les mécanismes
lité du sujet éduqué, voire favoriser son accession inconscients de prise de décision. Cette approche
à l'autonomie, à l'autodétermination ; qui n'est pas éloignée de la manipulation, n'est
pas sans soulever des interrogations sur le plan
- adaptation montre qu'il ne s'agit pas de pro- éthique.
poser des solutions toutes faites, mais de donner
des outils au sujet pour l'aider à trouver une Parmi ces approches, l'éducation pour la santé
approche qui tienne compte de sa personnalité, doit emprunter la voie étroite entre la part de
de sa situation, de sa culture, de son histoire ; liberté nécessaire pour faire l'apprentissage de

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l'autonomie, et la contrainte des valeurs fixant les nous distinguerons des modèles « passifs » et des
limites de cette autonomie. Mais les frontières ne
modèles « participatifs ».
sont pas franches et l'éducateur doit toujours se
garder d'un risque de dérive d'un côté ou de
l'autre. Idéal difficile, peut être utopique, parfois L'approche individuelle de l'éducation
compliqué par des contextes sociaux particuliers. pour la santé

L'absence de la dimension sociale est à notre Selon la théorie de la soumission librement


avis la seule lacune majeure de la définition de consentie proposée par J.-L. Beauvois et
L. Green. L'éducateur ne doit pas perdre de vue R.-V. Joule [6] l'action précède la pensée, alors
que le sujet éduqué est un sujet social et que sa que dans le « Health Belief Model » [3] par exem-
santé perçue ou réelle est largement tributaire du ple le traitement de l'information et des contenus
milieu dans lequel il évolue, des contingences symboliques est supposé précéder et déterminer
sociales et politiques. l'action. Nous parlerons par la suite d'approche
« action-pensée » pour désigner celle où l'action
Pour notre part nous dirons que l'éducation précède la pensée et d'approche « pensée-
pour la santé est : action » pour désigner celles où la pensée pré-
- l'ensemble élaboré et cohérent des interven- cède l'action.

tions sur le sujet et sur le groupe ;


- qui doivent aider le sujet à vouloir, pouvoir et L'approche action-pensée ou la théorie
savoir ; de la soumission librement consentie
- choisir et adopter de façon responsable, libre
J.-L. Beauvois et R.-V. Joule [5], [6], [25] cons-
et éclairée ;
tatent que les méthodes informatives faisant appel
- des attitudes et des comportements propres au raisonnement et au bon sens ne sont pas les
à favoriser sa santé et celle du groupe. plus efficaces pour influencer autrui dans ses
C'est à la lumière de ces définitions, à travers la choix, ses opinions, ses comportements. Ils en
grille de lecture qu'elles nous proposent, que nous concluent que les choix, les opinions ne sont pas
allons maintenant examiner quelques modèles en prédéterminés par les idées, mais par les actions.
éducations pour la santé, en nous référant pour Telle est l'hypothèse fondamentale sur laquelle
une bonne part à des sources anglo-saxonnes repose la théorie de l'engagement.
encore mal connues en France.
J.-L. Beauvois et R.-V. Joule citent plusieurs
auteurs américains ayant expérimenté et établi la
théorie de l'engagement [5]. Selon cette théorie,
LES MODÈLES ET PRINCIPES un individu ayant accepté d'émettre un comporte-
ment en opposition avec ses opinions et attitudes,
pour peu qu'il ait le sentiment de l'avoir fait libre-
Nous avons établi une classification reposant ment, sera beaucoup plus enclin à reproduire ce
sur deux critères :
comportement ou un comportement allant dans le
- la nature de la cible : le sujet ou le groupe, même sens sans que personne ne le lui demande.
- le rôle de la cible : plus ou moins actif. L'explication d'une telle réaction doit être recher-
chée dans le concept de justification et dans la
Nous présenterons d'abord des approches que théorie de la dissonance cognitive. Disons très
nous qualifierons d'individuelles, dans la mesure schématiquement que si le sujet a émis le com-
où l'objet d'étude est l'individu, même si celui-ci portement sans contrainte perçue (absence de
est parfois replacé dans un contexte social. Dans forte menace ou de forte récompense), c'est-à-
un deuxième temps, nous envisagerons des dire sans justification externe de son comporte-
approches que nous appellerons sociales et politi- ment, alors il devra trouver cette justification en
ques du fait qu'elles s'intéressent à des groupes, lui-même (justification interne). Si de plus le com-
à leur structure, à leur fonctionnement. Cette dis- portement réalisé par le sujet est en désaccord
tinction entre individuel et social revient en fait à avec ses idées, ses opinions et attitudes, ce der-
aborder les problèmes à un niveau qui peut être nier éprouvera un sentiment d'inconfort psycho-
soit intra, soit interindividuel ou intrasituationnel. affectif qui le conduira à modifier ses opinions
Au sein de chacun de ces deux premiers groupes, et attitudes pour les mettre en accord avec ce

Modèles et principes en éducation pour la santé 85

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comportement émis. C'est la théorie de la disso- Le « self-efficacy » se fonde sur l'hypothèse que
nance cognitive. le comportement est déterminé par les attentes
(expectancies, expectations) et les incitations
Partant de là, J.-L. Beauvois et R.-V. Joule pro- (incentives).
posent la stratégie qui consiste à amener le sujet
à émettre le comportement souhaité, en le mettant Les attentes que l'on peut aussi considérer
d'abord en situation de réaliser un premier acte comme des perceptions ou des croyances sont de
peu coûteux et qu'il ne peut donc pas refuser. Ce deux types : celles relatives à l'effet du comporte-
premier acte cependant engage le sujet et le con- ment (outcome expectations) et celles relatives à
duit vers d'autres actes de plus en plus coûteux, ses propres capacités à réaliser le comportement
de plus en plus engageants qui aboutissent au (efficacy expectations).
comportement attendu.
Les « outcome expectations » sont constituées
Si la théorie de l'engagement, à travers des par l'ensemble des croyances qu'a le sujet sur les
techniques comme celles du « pied dans la porte » conséquences possibles de ses comportements.
ou de Г« amorçage » ainsi que le concept de Par exemple on peut croire ou non que le fait
« soumission librement consentie », a souvent fait d'avoir une activité physique ou de faire du sport
la preuve de son efficacité, une question n'en protège plus ou moins de l'infarctus du myocarde.
reste pas moins posée, surtout dans notre culture
occidentale, celle de la liberté. Où s'arrête l'édu- Les « efficacy expectations » (qui donnent leur
cation, où commence la manipulation ? Le débat nom au concept de « self-efficacy ») représentent
est ouvert. J.-L. Beauvois et R.-V. Joule [6] remar- la confiance que l'individu met dans ses capacités
quent à ce propos que, premièrement la soumis- à réaliser le comportement souhaité pour parvenir
sion librement consentie peut dans de nom- à l'effet désiré. Par exemple le fait de penser
breuses circonstances être avantageusement qu'on est capable de suivre un régime hypocalori-
substituée à l'exercice de l'autorité, deuxièmement que conditionne fortement la décision d'entrepren-
la suspicion qu'elle éveille provient de ce que les dre et le fait de poursuivre ce régime.
sujets expérimentaux « déclarés libres » se com-
Il faut bien insister sur le fait que, plus que les
portent exactement comme ceux qui ne le sont
aptitudes réelles du sujet et les conséquences
pas. Si cette suspicion fondée sur de telles rai- réelles d'un comportement, ce sont surtout les
sons est justifiée, les auteurs nous invitent à perceptions que le sujet en a qui importent. Il faut
observer les fonctionnements sociaux et à réflé-
noter aussi que dans l'esprit des auteurs, la per-
chir sur ce qui distingue le comportement de
ception qu'a le sujet de ses propres aptitudes à
citoyens dits libres, par rapport à celui de ceux faire, n'est pas lié à sa personnalité, à ses traits
qui ne le sont pas.
de caractère, mais à la nature perçue du
comportement spécifique à réaliser, au contexte
particulier dans lequel il se trouve. Cela signifie
L'approche «pensée-action» dans les modèles que les « outcome expectations » et « efficacy
nord américains
expectations » ne sont pas constantes pour un
sujet, mais varient avec la situation et le type de
La « social cognitive theory » et le concept
comportement à réaliser.
de « self-efficacy »
Les incitations correspondent ici à la valeur
La théorie de l'apprentissage social (Social accordée à un objet particulier ou à un effet qui
Learning Theory) de A. Bandura [4], affinée par peut être l'état de santé, l'apparence physique,
l'auteur lui-même et renommée Théorie de la pen- l'approbation de l'entourage, etc. Les incitations
sée sociale (Social Cognitive Theory) [3], puis sont liées à cet objet, non en lui-même, mais à
reprise par V.-J. Strecher [39] et I.-M. Rosenstocktravers l'interprétation qu'en fait le sujet, à travers
[38] constitue un outil permettant de prévoir la compréhension qu'il en a et la valeur qu'il lui
l'orientation des changements de comportements accorde.
de santé et leur stabilité dans le temps. C'est
le concept de « self-efficacy ». Partant de ce Ayant mis en évidence le rôle fondamental que
concept, ces derniers auteurs ont proposé des joue le « je crois que je suis capable de » dans
méthodes permettant de modifier les pratiques de la réalisation effective d'un comportement,
santé. V.-J. Strecher [39] envisage les moyens de déve-

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lopper cette confiance dans ses propres capa- Dans le second cas, ce peut être par exemple le
cités. degré de crédibilité qu'il accorde à la personne
Fidèle à la théorie de l'apprentissage social qui l'exhorte à cesser de fumer.
dont il est issu, le concept de « self-efficacy » Le processus d'attribution enfin caractérise le
correspond bien à un apprentissage et dépend fait que le sujet attribue ou non le résultat d'une
donc des informations qui l'alimentent. Deux tentative d'action à ses propres compétences ou
choses importent alors, les sources de ces infor- au hasard. A. Bandura [2] fait remarquer que si le
mations (V.-J. Strecher en cite quatre) et les pro- processus d'attribution agit sur la confiance dans
cessus à travers lesquels le sujet apprécie ces ses capacités, la réciproque peut être aussi vraie.
informations (V.-J. Strecher en décompte trois). Il donne l'exemple d'une personne qui aurait une
très haute idée de ses capacités et qui face à un
• Les sources d'information échec occasionnel, attribuerait ce dernier au
L'expérience personnelle est la source d'infor- hasard ou à des circonstances particulières et
mations qui affecte le plus la « croyance qu'on estpassagères sans remettre en cause la perception
capable de faire ». L'atteinte d'un objectif après qu'elle a de ses compétences.
avoir surmonté des difficultés qui apparaissaient
effrayantes, est le meilleur moyen de renforcer la Le « Health belief model »
confiance en soi. D'où l'idée d'une succession
d'expériences au cours desquels le sujet maîtrise Le « modèle des croyances relatives à la santé »
des comportements de plus en plus difficiles à (pour reprendre la traduction proposée par
obtenir.
G. Godin [20]) a été formulé dans sa forme origi-
L'expérience des autres, bien qu'à un degré nelle par G. -M. Hochbaum [24] en 1958. Il a
moindre, peut renforcer la confiance dans ses ensuite été développé et affiné par I.-M. Rosens-
aptitudes à faire. « Si lui a été capable de s'arrêter tock, V.-J. Strecher et M. -H. Becker [8] [7]. Il est
de fumer, c'est que c'est possible et je dois pou- très imprégné des « value-expectancy theories »
voir y arriver moi aussi. » dont nous avons parlées plus haut. Ce modèle qui
avait pour objectif primitif d'expliquer les raisons
La persuasion verbale comme stimulant de la du choix des personnes, de participer ou non à
confiance en soi est bien connu des éducateurs des campagnes de dépistage médical repose sur
qui exhortent leurs patients à persévérer dans leur qu'un comportement positif d'un indi-
l'hypothèse
effort. Cette exhortation n'a d'ailleurs pas la vidu par rapport à sa santé est lié à la présence
même force selon le statut relationnel et affectif simultanée de trois classes de paramètres.
que le sujet attribue à celgi qui l'émet.
1) Le sujet doit se sentir concerné par sa santé
L'état physiologique du sujet, tel que celui-ci le et considérer celle-ci comme une composante
perçoit, peut influencer de façon circonstancielle importante de sa vie.
la confiance qu'il a en ses propres capacités. La
fatigue, la douleur, un stress générateur 2) Le sujet doit être convaincu (to believe) qu'il
d'angoisse peuvent être interprétés par le sujet est vulnérable et exposé à de sérieux problèmes
comme un signe d'incapacité physique. de santé, ou à des séquelles diverses. Ce type de
croyance peut être désigné comme la perception
• L'appréciation des informations d'une menace pour sa propre santé.
L'effet des informations sur le niveau de 3) Le sujet doit croire que l'adoption du com-
confiance en soi est modulé par plusieurs pro- portement préconisé est susceptible de réduire la
cessus.
menace perçue et ce à un coût estimé acceptable.
Ce coût estimé subjectivement par le sujet ne
L'auto-observation sélective (selective self-moni-
consiste pas seulement en un coût financier mais
toring) peut amener le sujet à focaliser son atten-
tion sur les aspects soit positifs soit négatifs des comporte aussi (et surtout) les difficultés perçues
résultats de sa tentative. que le sujet doit surmonter pour réaliser le com-
portement souhaité. En fait tout se passerait
La pondération de l'information peut être liée à
comme si la croyance du sujet en l'efficacité
l'image que le sujet a de lui et celle qu'il a de du comportement pour réduire la menace, était
celui qui émet le message. pondérée par une évaluation plus ou moins

Modèles et principes en éducation pour la santé 87

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Tableau 1 . - Correspondances entre les concepts de la « Social cognitive theory » et ceux du « Health belief model »

Social cognitive theory Health belief model

Les incitations. Valeur accordée par le s


l'apparence personnelle, etc.
(Incentive)

Les croyances sur les interrelations entre événements envi- La perception de sa propre vulnérabilité et de la gravité de
ronnementaux en rapport avec la santé. la maladie ou de ses séquelles. Perception de . la
(Environnemental expectancies). « menace ».
Les croyances sur les effets potentiels d'un comportement La perception des bénéfices éventue
mais sans notion de coût ou de difficulté à surmonter dans pondérée par le coût ou les diffic
la « social cognitive theory ». réaliser ce comportement.
(Outcome expectations).

Les croyances sur ses propres capacités à réaliser un Pas d'équivalent dans le « health belief
comportement donné. la perception des difficultés à surmonter.
(Self-efficacy expectations).

consciente, des difficultés, des avantages et des Nous citerons simplement pour mémoire trois
inconvénients de ce comportement. autres théories qui entrent dans le cadre de cette
approche cognitiviste de l'éducation pour la santé.
Nous pouvons constater après d'autres auteurs
[30] que la « social cognitive theory » de A. Ban- La théorie de l'action raisonnée (theory of rea-
dura et le « health belief model » ont beaucoup de soned action) de I. Ajzen et M. Fishbein [5].
points communs que nous mettons en correspon- La théorie des comportements interperson-
dance dahs le tableau 1.
nels (interpersonal behavior theory) de H. -С.
Triandis [6].
La théorie du comportement planifié (planned
Quelques autres modèles et concepts behavior theory) qui est une amélioration de la
cognitivistes théorie de l'action raisonnée par I. Ajzen lui-
même [7].
Le « locus of control » [1 8] correspond à la per-
ception qu'a le sujet de l'origine, de la cause,
d'un état de santé. Le sujet peut penser que son L'approche participative individuelle
état de santé dépend de lui et donc situer le « lieu Jusque-là et dans la plus pure tradition de la
de contrôle » de cet état de santé dans son pro-
psychologie expérimentale, l'individu a été consi-
pre comportement. Le « locus of control » sera déré comme « objet » de réflexion, d'analyse, de
alors dit interne. Dans le cas contraire, c'est-à-
même que le corps est objet d'étude pour l'anato-
dire si le sujet pense que son comportement ne miste et le physiologiste. De ce fait le chercheur
peut en rien changer sa santé, le « locus of con- se place toujours sur un autre plan que son
trol » sera dit externe (extérieur au sujet). « objet d'étude », comme si l'un était « plus pen-
sant » que l'autre. C'est pour donner à l'individu
Le « self estim » n'est pas à proprement parler
sa complète dimension de sujet susceptible de
un modèle mais un concept qui correspond à
s'autodéterminer et de se prendre en charge,
l'image positive que le sujet peut avoir de lui-
même. Sans être identifiable au « self efficacy », il
qu'un certain nombre d'auteurs ont proposé une
approche participative. C'est ainsi que N.-M. Clark
y est tout de même étroitement associé. Il peut
[14] propose une assistance dans l'apprentissage
être assimilé à l'une des causes du processus de
de la santé qui consiste à aider le sujet à imaginer
pondération des informations que nous avons vu des stratégies permettant d'améliorer les trois
plus haut dans le cadre de l'appréciation des processus de l'autorégulation qui sont :
informations comme élément intervenant, avec la
nature de la source d'information, sur le dévelop- 1) auto-observation à travers laquelle le sujet
pement des « efficacy expectations ». parvient à apprécier par lui-même son comporte-

88 Revue Française de Pédagogie, n° 107, avril-mai-juin 1994

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ment, les réactions de son corps, l'effet de son 1) L'éducation pour la santé orientée selon les
environnement ; pathologies définit des priorités en termes de
2) autojugement qui lui permet d'utiliser les ré- maladies particulières à chacune desquelles cor-
sultats de son observation pour apprécier person- respond une action spécifique orientée vers
nellement les situations et les problèmes qu'il ren- l'ensemble des facteurs de risques associés, cha-
contre ; que facteur de risque nécessitant un changement
3) autoréaction qui est la réponse personnelle de comportement. Le programme vise ici une con-
du sujet en fonction de l'autoobservation et l'auto- séquence : la maladie.
jugement.
Par exemple, une action visant à diminuer les
A. Tannahill [41] résume assez bien l'évolution cancers s'attaquera au tabagisme, aux régimes
historique des différentes approches en éducation alimentaires, aux pollutions, etc. comme l'indique
pour la santé en distinguant trois étapes : la figure 1.

Figure 1. - Éducation pour la santé orientée selon les pathologie

Priorités

t t
Ensemble des Ensemble des Ensemble des
t
Actions - ^ facteurs de risque facteurs de risque facteurs de risque
associés à A associés à В associés à С

2) L'éducation pour la santé orientée selon les (cancers, maladies respiratoires et cardio-vascu-
facteurs de risque vise à éliminer des facteurs de laires). Le programme dans ce cas vise une
risque particuliers (par exemple le tabagisme) pou- cause : le facteur de risque comme le montre la
vant favoriser l'apparition de plusieurs maladies figure 2.

Figure 2. - Éducation pour la santé orientée selon les facteurs de risque

Priorités
de risque 1 de risque 2 de risque 3

Actions / Maladie A Maladie В Maladie G

3) L'éducation pour la santé orientée vers la sa santé, son bien-être et le lieu où l'on peut
santé se fixe pour priorité non plus les maladiesl'atteindre. Cette stratégie est illustrée par la
ou les facteurs de risque mais le sujet lui-même,figure 3.

Modèles et principes en éducation pour la santé 89

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Figure 3. - Éducation pour la santo orientée vers le sujet

/ Actions ^v

Priorités

Facteur Facteur Facteur


de risque 1 de risque 2 de risque 3

Maladie A Maladie В Maladie С

Le sujet passe alors du statut de cible souvent inflation dramatique des programmes scolaires.
passive du programme de santé au statut d'acteur Elle s'adresse au contraire directement au sujet
de sa propre santé. Par exemple pour lutter pour lui parler de lui, des autres et lui apprendre
contre le tabagisme et l'alcoolisme des jeunes, (pratiquement) à comprendre et dans une certaine
plutôt que de tenir aux enfants et aux adolescents mesure à maîtriser son corps, ses désirs, les
un discours « préventif » et le plus souvent effets de son environnement. Force est de consta-
« moralisateur » au mauvais sens du terme, ne ter alors qu'une telle éducation pour la santé ne
vaudrait-il pas mieux apprendre à ces jeunes à peut être dissociée de l'éducation du « citoyen »,
comprendre les processus d'influence de la publi- de l'éducation tout simplement. Notons que la
cité, à observer le mécanisme des relations participation n'est pas une fin en soi, elle doit être
sociales au sein d'un groupe, d'une bande, et en considérée comme un élément indispensable au
particulier le phénomène de pression des pairs processus d'apprentissage de l'autonomie. Une
par lequel ils sont conduits parfois à réaliser des telle éducation cultive la motivation du sujet dont
actes qu'ils n'avaient pas souhaités, à analyser ce J. André [1] nous rappelle qu'elle se nourrit des
à quoi tient le désir, le plaisir, le bien-être. Il ne messages de reconnaissance et de réassurance.
s'agirait pas là de faire des cours théoriques com- Cette éducation repose donc sur la confiance a
plexes, mais d'amener le sujet à expérimenter des priori que l'on exprime au sujet.
choses simples, puis à débattre librement avec
ses pairs tout autant qu'avec les adultes. L'enfant, Nous devons cependant prendre conscience
l'adolescent aurait ainsi les matériaux et les outils des questions que cette nouvelle approche sou-
lève.
lui permettant de construire sa personnalité et de
forger ses représentations sur des bases aussi
personnelles et saines [8] que possible. Tout d'abord l'adulte et plus précisément l'édu-
cateur, celui qui est « investi » du savoir, perd une
Une telle éducation pour la santé n'est plus bonne part de son pouvoir. En effet, il ne lui
orientée vers une pléthore de maladies (les can- appartient plus de dicter les comportements, les
cers, les maladies respiratoires, le sida, etc.) ni objectifs à atteindre. Il a pour nouvelle mission
même vers une multitude de facteurs de risques d'aider le sujet à analyser une situation, à s'auto-
(le tabac, l'alcool, le soleil, la pollution, etc.) qui déterminer et à agir. Cela conduit à redéfinir les
conduit à multiplier les actions et à provoquer une rôles et les responsabilités de chacun, ce qui peut

90 Revue Française de Pédagogie, n° 107, avril-mai-juin 1994

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parfois créer une situation inconfortable intellec- que T.-E. Dieldman [18] propose une batterie de
tuellement et psychologiquement. L'éducateur doit questions permettant d'évaluer la susceptibilité du
négocier, il n'a plus le confort intellectuel qu'of- sujet à la pression des pairs.
frait l'inamovibilité rassurante d'un standard érigé
Comme l'exprime M. Minkler [33] par un jeu de
en vérité première, ni le confort psychologique mots, les programmes d'éducation pour la santé
d'une autorité incontestable. La deuxième consé-
ont mis l'accent sur la responsabilité de l'individu
quence d'une telle approche de l'éducation pour
(responsability) en oubliant sa capacité à répondre
la santé porte sur l'évaluation de celle-ci, dans la
(response-ability). Or M. Minkler à la suite de S.-L.
mesure où les objectifs en termes de comporte-
Syme [40] et de G. -A. Kaplan [26] fait remarquer
ments ne sont plus préalablement et définitive-
que la classe sociale est un facteur de risque
ment fixés, mais s'imposent au cours de l'action.
important de maladie, peut être le plus important.
En effet, à la différence de l'approche par la
De même pour J.-P. Deschamps [16], « l'éducation
« soumission librement consentie », Г« autonomie »
pour la santé a trop longtemps mis l'accent sur la
du sujet, supposé être par ailleurs « éclairé », peut modification des comportements individuels sou-
le conduire à des choix de comportements qui ne
haités, là où les problèmes de santé avaient une
sont pas forcément ceux auxquels avait pensé dimension profondément culturelle et sociale ».
l'initiateur du programme. Quant aux objectifs
Aussi, écrit-il par ailleurs [17], «il s'agit dès lors
éducationnels vrais (capacité d'autodétermination,
de faire de l'éducation pour la santé un outil de
d'autoprise en charge) leur appréciation n'est pas changement social et non plus seulement un
évidente et n'a pas forcément une expression
moyen de modifier des comportements ». Cela
homogène d'un sujet à l'autre, d'un groupe à nous conduit à penser, qu'au moins dans certains
l'autre.
cas, l'éducation pour la santé et plus générale-
ment la promotion de la santé doit s'adresser non
L'approche sociale et politique de l'éducation
à des individus mais à des groupes sociaux. Ainsi
pour la santé nous entrons dans l'approche sociale de l'éduca-
Au cours des années 80, les chercheurs se sont tion pour la santé. L'approche sociale concerne
de plus en plus inquiétés de replacer le sujet dans non pas un ensemble d'individus, chacun d'eux
son environnement, et en particulier dans son étant pris isolément, mais l'ensemble dans sa
environnement social. On s'aperçoit alors que structure elle-même. Certes il importe de prendre
l'intention d'agir d'un sujet n'est pas seulement en compte les données propres à chaque individu,
liée à sa perception du problème de santé et de mais il importe plus encore de considérer le jeu
ses capacités à faire (ou liée à ses actes anté- des interactions qui détermine la structure de
rieurs pour la théorie de l'engagement). Cette l'ensemble : les interactions entre individus, mais
intention d'agir est aussi liée à la perception des aussi les interactions entre comportements.
autres. Les modèles de H.-C. Triandis ou de I.
Ajzen et M. Fishbein évoqués plus haut compor- Le soutien social et les réseaux sociaux
tent déjà des « déterminants sociaux » de l'inten-
B.-H. Gottlieb [21] définit le soutien social
tion d'agir. Mais au cours des années cette
(social support) comme ce que la société renvoie
dimension s'impose de plus en plus. Par exemple,
au sujet (feedback) à travers les contacts avec les
M.-W. Kersell et J.-H. Milsum [28], après avoir
pairs ou avec le groupe de référence (primary
présenté les différents modèles alors connus dont
group) qui a le plus d'importance aux yeux de
le « health belief model », proposent leur propre
l'individu. Pour J. Cassei [13], la déficience de ce
modèle qui « tente d'intégrer la dimension de
feedback en provenance du groupe de référence
l'environnement socioculturel » faisant partie des
peut être à l'origine de la survenue d'états patho-
« conditions (de l'incitation à faire) liées aux anté-
logiques. Mais il serait illusoire de penser à
cédents externes » par opposition aux « conditions
l'inverse que le groupe de référence dans lequel le
liées aux antécédents personnels ».
sujet est plongé est inconditionnellement positif et
Ils introduisent aussi « la perception de bénéfique pour les comportements de ce dernier.
l'influence sociale et la perception des facteurs P. Oriol [35] montre par exemple que les facteurs
environnementaux » qu'ils classent dans les de risque du tabagisme des 11-16 ans résident la
« conditions socio-psychologiques ». Dans le plupart du temps précisément dans ces groupes
même sens, E.-P. Bettinghaus [9] introduit dans de référence : les parents, les frères et sœurs, les
son modèle la notion de « pression sociale » alors meilleurs copains et copines. Comme le font

Modèles et principes en éducation pour la santé 91

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remarquer P. Oriol [35] puis R.-S. Zimmerman pour la santé ». Nous sommes là dans le champ
[43], pour les comportements impliquant « les de la santé communautaire où l'éducation pour la
autres », « ces autres » doivent être impliqués santé rejoint ^education à la conscience critique.
dans l'intervention. L'intervention doit viser dans Encore une fois, l'approche participative trans-
ce cas non plus les individus, mais le réseau forme une situation de transmission de savoir en
social lui-même avec ses processus. Dans son une situation de partage de savoir où les profes-
analyse du mécanisme du soutien social, sionnels doivent « accepter de s'instruire du dis-
B.-H. Gottlieb [21] distingue trois niveaux d'ap- cours des usagers et accepter de n'être parfois
proche : pas indispensables ». V.-L. Machado [29] remar-
que que la communauté n'échappe pas aux diffé-
1) le niveau macrosocial où s'organise l'intégra- renciations d'intérêts, voire aux contradictions.
tion et la participation sociale. À ce niveau, le Les antagonismes peuvent donner lieux à des
soutien social est apprécié à travers l'implication conflits ouverts ou latents, au sein du groupe ou
du sujet dans les institutions, son adhésion volon- entre le groupe et les professionnels. La gestion
taire à des associations ; de ces conflits se fait alors à travers la négocia-
tion.
2) le niveau « mezzosocial » prend en considé-
ration les liens qu'entretient le sujet avec ses Dans son analyse des représentations sociales
pairs les plus proches et avec lesquels on peut en période de crise, J.-P. Pages [36] signale que
constater une interaction régulière. Il s'agit du si acteurs (autorités scientifiques ou morales, lea-
réseau social de proximité constitué par les per- ders politiques) et public sont en général en
sonnes qui sont amenées à donner au sujet des accord sur l'objectif (pour nous l'objectif de santé
avis, une assistance matérielle, de l'amitié, des et de bien-être), la divergence d'intérêts des par-
marques d'estime, des motifs d'émotion. Ce sont ties prenantes provoque un désaccord sur les
ceux « qui comptent » (signifiant others) ; moyens à mettre en œuvre pour parvenir à cet
objectif. C'est alors du conflit que résulte l'équi-
3) le niveau microsocial repose sur ce qui ali-
libre « négocié » correspondant au « risque
mente les émotions profondes : les relations avec
accepté ». Aussi dans son analyse, J.-P. Pages ne
quelques intimes. Ici la qualité du soutien social
considère plus l'opinion publique uniquement
importe plus que la quantité des liens tissés.
comme un jugement susceptible d'être modifiée
E.-P. Bettinghaus [9] cite une expérience de pré-
vention de la conduite en état d'ivresse rapportée par l'information ou la communication (opération à
sens unique), mais comme une « force légiti-
par H. Mendelsohn [9] et dans laquelle le message mante » dont l'acteur (le professionnel de santé, le
qui disait « amis, ne laissez pas des amis ivres
décideur politique) est obligé de tenir compte.
conduire », s'appuyait sur le concept de soutien
Dans cette approche où la psychosociologie
social en visant des proches et non les sujets
cibles directement.
s'intègre au politique, les conflits jouent un triple
rôle social :
- légitimer
L'implication sociale et l'approche politique de les grands choix en imposant le
l'éducation pour la santé débat entre les parties prenantes. Par exemple
dans un lycée mettant en place un programme
De même que le sujet, comme nous l'avons d'éducation pour la santé, ces parties prenantes
montré plus haut, peut être impliqué dans les pourront être l'administration, les enseignants, les
choix concernant sa santé, de même un groupe parents d'élèves, les élèves eux-mêmes ;
social peut prendre part à l'analyse de sa propre- harmoniser les changements institutionnels
situation de santé, à la définition des besoins, à et
la révolution des mentalités ;
détermination des priorités, à l'élaboration des
- permettre aux individus de communiquer et
actions de santé. Ce que nous avons écrit plus ainsi d'accéder à une certaine connaissance. En
haut sur la participation comme élément du pro-
effet les individus prenant position dans le débat
cessus d'apprentissage de l'autonomie s'applique
doivent alors argumenter leur choix.
parfaitement au groupe social. Pour J.-P. Des-
champs [17] «l'éducation pour la santé devient Partant du concept de « champ » proposé par
alors un processus à travers lequel on aide les P. Bourdieu [10] nous pouvons considérer que
individus et les groupes à trouver des solutions àl'éducation pour la santé s'inscrit dans un champ
leurs problèmes, à s'organiser pour modifier des(un marché) où s'ajustent une offre de la part des
situations sociales ou économiques dangereuses acteurs et une demande de la part du public.

92 Revue Française de Pédagogie, n° 107, avril-mai-juin 1994

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Figure 4. - Action préventive et relation acteurs-public

soaEIE DISCOURS 1 ACTEURS 1


Discours sur les rôles Débat de société

___________ REALITE du tabac dans la société


I ___________ TRANSMISE I I
STTOATION DISCOURS 2 ACTEURS 2
La vente du tabac - ► -^- Discours sur le <^- Débat politique sur la
commerce du tabac situation et les valeurs

_______ RISQUE RESIDUEL ____^«^__ du tabac


RISQUE POTENTIEL EFFORT DE DISPOSITIF DE
Risque du tabac PREVENTION PREVENTION
Suppression de la Prévention des méfaits
publicité sur le tabac du tabac par les cinq

REALTIE
PERÇUE

EMOTIONS J_ # OPINION
(valeurs)

^ ^REPRESENTATIONS ^__ ^

^AV°°ÎS4 COMTORTEMENT individus


(symboles)

Ainsi acteurs et public en interaction, participent ses représentations. À partir de ces représenta-
à une construction : celle du risque perçu et de sa tions, le sujet émet :
gestion. S'inspirant de S. Moscovici [34] et - une opinion constituée par le discours qu'il
С Herzlich [23], J.-P. Pages montre alors com- tient sur le tabac dans la société ;
ment l'individu participe, en prenant position, à la
- un discours sur la perception qu'il a du ris-
construction de ses propres représentations.
que que représente le tabac pour la société. Ce
Une réflexion conduite en commun avec risque doit être distingué de celui que le sujet
J.-P. Pages nous a conduit à l'élaboration d'un perçoit pour lui-même et qui est ici intégré aux
modèle s'appuyant sur les théories de ce dernier émotions ;
pour expliquer les mécanismes sociaux et politi- - un comportement en relation avec le tabac
ques associés à la mise en œuvre d'une action de (consommation ou non) qui est pour le sujet une
santé publique. Nous avons illustré ce modèle par façon, entre autres, de s'exprimer.
la figure 4 dans le cas particulier de la prévention
Ces trois éléments qui constituent globalement
du tabagisme.
la prise de position sociale du sujet vis à vis du
Prenant en compte une situation donnée (médi- problème, à leur tour rétroagissent sur les repré-
cale, économique, sociétale) les acteurs (leaders sentations. Sous la pression sociale le sujet est
d'opinion) font des propositions ou émettent des obligé de justifier ses choix. C'est précisément
discours à travers lesquels ils transmettent une cette rétroaction sur les représentations soulignée
certaine réalité. Cette réalité, combinée à une lec- par J.-P. Pages qui donne au schéma son carac-
tère constructiviste.
ture particulière de la situation précitée, génère
chez le sujet une réalité perçue qui participe, avec L'agrégation des sujets constitue le public dont
ses émotions et ses savoirs, à la construction de l'opinion va influencer les acteurs pour ainsi

Modèles et principes en éducation pour la santé 93

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fermer la boucle. Mais l'expérience montre que Dans ce processus « politique » on comprend
très souvent cette boucle est en fait une hélice que la génération du débat est liée à l'intérêt du
qui place le problème successivement à trois ni- public et à la pression qu'il exerce sur les acteurs.
veaux. C'est la raison pour laquelle il est difficile d'ap-
porter une solution aux problèmes de santé qui ne
Dans le cas particulier du tabac, au premier
mobilisent pas l'opinion. Seules les évolutions de
niveau, les acteurs représentant le dispositif de
la perception du tabac dans le public ont permis
prévention sont les cinq « sages » qui conseillent de voir les récentes décisions politiques en
le ministre de la Santé et obtiennent l'effort de
matière de prévention (loi sur la suppression de la
prévention qu'est la suppression de la publicité
publicité). Ce qui importe en fait, n'est pas tant la
sur le tabac. Le risque potentiel du tabac (toutes
réalité correspondant au risque résiduel, que les
les pathologies qui peuvent en découler) est
canaux par lesquels sont transmis cette réalité et
ramené au risque résiduel, le nombre de cancers
la réalité perçue qui en découle. Nous voyons bien
des bronches par exemple. Cette première inter-
que dans ce schéma, les représentations jouent le
vention entraîne un débat et l'expression d'un opi- rôle clé. Aussi à ce niveau, le but d'une action
nion au niveau du public.
d'éducation pour la santé est bien d'atteindre
celles-ci.
Cette opinion publique provoque à son tour un
débat politique sur la situation et les valeurs
« doit-on supprimer le tabac ? ». Les acteurs à ce
deuxième niveau sont ceux directement concernés
par le tabac : le ministère de la Santé, le ministère
du Budget, la SEITA, les représentants des pro- CONCLUSION : DES MODÈLES À L'ACTION
ducteurs de tabac... Le discours porte sur le com-
merce du tabac. Le danger est maintenant la
situation liée à la vente (ou à la non vente) du Les modèles, surtout dans le domaine de l'édu-
tabac. cation pour la santé, ne constituent pas des
recettes toutes faites qu'il suffit de reproduire
Dans ce débat, le risque perçu du tabac est un pour s'assurer du succès. Chaque situation est
enjeu : les acteurs qui s'opposent à la consomma- particulière et réclame une action adaptée. Les
tion du tabac ont intérêt à ce que le risque perçu modèles, qui ont un rôle heuristique, sont alors
soit important pour pouvoir s'appuyer sur le public utiles pour alimenter la réflexion préalable à toutes
dans la controverse qui les oppose aux acteurs conception d'un projet éducatif. Mais ils peuvent
produisant le tabac ou favorisant sa consomma- aussi éclairer l'analyse que l'on fait des effets
tion. C'est ainsi que, de producteur de la position d'une action.
sur le tabac, le risque perçu, devient produit de
celle-ci. Certains anglo-saxons appellent ce phé- Dans le cadre de la prévention du sida nous
nomène l'amplification du risque [27]. avons conçu et mis en œuvre durant l'année sco-
laire 1988-1989 une action expérimentale d'éduca-
Au troisième niveau nous accédons à un débat tion pour la santé dans la moitié des lycées clas-
de société dans lequel le conflit lié au tabac est siques et lycées professionnels du département
replacé dans l'ensemble des conflits et où tous de l'Hérault. Les autres établissements nous ont
les leaders d'opinion peuvent intervenir. Les dis- servi de témoins pour l'évaluation.
cours émis portent sur les rôles du tabac dans la
société. Notre constat (que nous nuancerions aujour-
d'hui) était alors que les jeunes lycéens savaient
Poussés au devant de la scène par l'opinion, quasiment tous comment se transmet le virus du
ces acteurs marquent de leur sceau leurs discours sida, mais pour la plupart, ils disaient ne pas être
qui sont de véritables « prêt à penser » (prise de concernés et en conséquent ne prendre aucune
position avec son argumentation) qu'ils offrent à précaution. Notre objectif dès lors fut de les ame-
travers les médias au public. C'est ainsi qu'à tra-ner à s'interroger et à débattre sur les deux
vers les acteurs se tissent des liens entre les grands problèmes liés à cette maladie : les risques
prises de position des individus du publicde contamination
dans les et le danger de la ségrégation.
grands débats de société. Nous ne sommes plus La conception de notre action s'est fondée à la
dans le registre des réalites techniques mais dans fois sur le modèle participatif individuel et sur le
celui des symboles et des valeurs. modèle sociopolitique.

94 Revue Française de Pédagogie, n° 107, avril-mai-juin 1994

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Pour créer une dynamique d'interrogation chez classiques), c'est-à-dire en fonction du milieu
les jeunes, dans chaque établissement retenu socioculturel. Les élèves des lycées profession-
nous avons proposé à un groupe de lycéens de nels ont augmenté leur utilisation des préservatifs
concevoir et réaliser un film vidéo de 5 à tandis que ceux des lycées classiques ont retardé
10 minutes sur le sida. Ils devaient dans un l'âge des premiers rapports. Ces types de modifi-
second temps présenter leur film à leurs cama- cations, que nous n'avions pas demandé, corres-
rades et organiser des discussions autour de pondent en fait à un choix individuel de la popula-
celui-ci. Nous ne sommes pas intervenus person- tion cible dans le cadre d'une action véritablement
nellement. Nous n'avons pas proposé et encore éducative et non directive ;
moins imposé de solutions préventives. Nous - la dynamique d'interrogation que nous avons
avons simplement mis à la disposition des jeunes ainsi provoqué ne s'est pas arrêtée au thème du
l'ensemble des connaissances alors disponibles sida. Il s'est avéré que les jeunes des lycées
(bibliothèque et vidéothèque itinérante). ayant participé à l'action se sont posés des ques-
Des volontaires de l'équipe éducative (ensei-
tions sur d'autres grands thèmes qui font l'objet
d'un débat dans la société, comme par exemple la
gnants, conseillers d'éducation, infirmières, etc.)
couche d'ozone, le nucléaire, etc.
de chaque lycée impliqué ont été formés avec
l'aide du Centre Régional de Documentation Nous constatons donc qu'il est tout à fait possi-
Pédagogique et de la Mission Académique pourble d'éduquer efficacement pour une meilleure
pouvoir encadrer les jeunes réalisateurs et santé sans pour autant avoir recours à des prati-
acteurs. Le projet qui était placé sous la respon- ques de manipulation à l'instar des publicitaires et
sabilité des chefs d'établissement avait fait l'objet
des spécialistes des techniques de ventes. L'édu-
de plusieurs réunions de concertation avec les cation pour la santé (tout comme l'éducation en
associations de parents d'élèves, les responsables général) se distingue du « marketing de santé » sur
de l'Inspection d'Académie et du Rectorat ainsi trois points :
qu'avec un conseiller technique du Ministre de - elle recherche l'intérêt exclusif du sujet et du
l'Éducation nationale de l'époque (acteurs du
groupe visé ;
modèle sociopolitique).
- elle fait a priori confiance au sujet ;
Nous avons déjà largement décrit [32] [31] cette - elle tente d'éveiller chez le sujet le sens des
action ainsi que les résultats de son évaluation.
responsabilités.
Nous pouvons dire que cette action a été efficace
principalement sur deux points : C'est en ce sens que les sciences de l'éduca-
- les jeunes des lycées impliqués ont modifié tion et les sciences de la santé (dont la médecine)
significativement plus leurs comportements se rejoignent, car au delà du fait que ce sont des
sexuels dans un sens préventif que les jeunes des disciplines de recherche, ce sont aussi et surtout
lycées témoins. Mais ce qui est le plus remarqua- des disciplines d'actions vers les individus et les
ble c'est que ces modifications n'ont pas été uni- groupes. Aussi elles ne peuvent se concevoir en
formes ; elles ont varié en fonction des types dehors d'un ensemble de règles éthiques et en
d'établissements (lycées professionnels et lycées dehors du respect total de l'être humain.

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Modèles et principes en éducation pour la santé 95

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