Jean-Louis Brunaux - Les Religions Gauloises, Ve-Ier Siecles Av. J-C. Nouvelles Approches Sur Les Rituels Celtiques de La Gaule Independante - 2000

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 267

LES RELIGIONS GAULOISES

(Ve-Ier siècles av. J.-C.)


NOUVELLES APPROCHES SUR LES RITUELS CELTIQUES
DE LA GAULE INDÉPENDANTE

Jean-Louis BRUNAUX

Nouvelle édition revue, augmentée et illustrée

��-
editions errance
Illustration de couverture :
Représentations probables de scènes de la mythologie celtique. Bassin de Gundestrup,
Jutland (Danemark).

Autres publications de l'auteur :


• Brunaux J.-L.: Les Gaulois, sanctuaires et rites, 154 p., ill., Ed. Errance, Paris 1986
• Brunaux J.-L. et Lambot B.: Guerre et armement chez les Gaulois 450-52 avant J.-C., 220 p.,
ill., Coll. Les Hespérides, Ed. Errance, Paris 1987
• Brunaux J.-L.: « Dépôts et trophées », in Gournay II, pp. 143-238, 56 pl., Revue
Archéologique de Picardie-Ed. Errance, Paris 1988
• Brunaux J.-L. et Méniel P. : La résidence aristocratique de Montmartin (Oise) du III' s. au l'"' s.
av. J.-C., Paris, Maison des Sciences de l'Homme (Documents d' Archéologie
Française n° 64), 19 97, 267 p.

© Editions Errance, Paris, 2000


7, rue Jean-du-Bellay 75004 Paris
Tél.:014326 85 82
Fax: 01432 9 34 88
ISBN: 2 87772 128 0
PRÉAMBULE

S'il est une religion qui se prête peu à un exposé d'ensemble, c'est certainement la
religion celtique. La raison en est simple : il n'y a jamais eu une religion celtique consti­
tuée, dont les caractères essentiels se retrouveraient sur l'ensemble du territoire occu­
pé par les Celtes dans les derniers siècles qui ont précédé notre ère. On ne peut guère
être plus sûr de la réalité d'une religion gauloise qui aurait régné largement sur l'an­
cienne Gaule. Il faut garder à l'esprit que le terrain sur lequel nous progressons
demeure mouvant et j alonné d'écueils, la généralisation et l'imagination n'étant pas
les moindres.

Les progrès accomplis ces vingt dernières années sur les lieux et les pratiques du
culte nous permettent aujourd'hui d'aborder autrement les idées religieuses de ceux
que nous avons pris l'habitude d'appeler « nos ancêtres », qui depuis plus de quatre
siècles en France n'étaient vues qu'au travers du prisme parfois déformant des textes
antiques. C'est probablement, en effet, à l'année 1 562 que remonte le premier exposé
de la religion gauloise dans le De moribus veterum Gallorum de Ramus. Depuis, les trai­
tés souvent fort longs et non moins ennuyeux se sont accumulés sans ajouter grand­
chose à la récolte du philosophe du Collège de France, quelques pages de César,
quelques lignes dispersées dans l' œuvre de Cicéron et quelques dizaines de vers ins­
pirés dans La Pharsale. A côté de ce corpus quelque peu malingre, la découverte
d'étonnants sanctuaires riches d'armes, de corps humains et de restes animaux peut
nous paraître un trésor autrement estimable. On aurait tort cependant de sous-estimer
le premier autant que de valoriser le second. Les découvertes archéologiques ne valent
que par la réalité humaine et historique que leur confère le témoignage des historiens
anciens. Parallèlement les textes sont éclairés, précisés voire réhabilités par des ves­
tiges longtemps considérés comme triviaux, ossements d'animaux parmi lesquels
peuvent se cacher des squelettes humains, fragments de fer oxydé, anomalies du sol
révélant là un trou de poteau, là un autel.

L'essai que l'on peut aujourd'hui tenter est cette lecture croisée de deux types d' ar­
chives, celle de textes pieusement conservés par des générations de copistes, celle du
sol aléatoirement préservé par l'homme et la nature. Ce progrès accompli dans notre
connaissance d'une religion dont les acteurs ont disparu il y a près de vingt siècles
peut paraître immense. Pour autant il ne remplace pas le témoignage direct de Gaulois
décrivant ou représentant par la peinture ou la sculpture quelques scènes de leur vie
religieuse, encore moins des règlements écrits concernant l'usage des lieux de culte,
tels qu'il en existe en Grèce et en Italie. De fait, nous sommes et nous demeurerons
dans le domaine de la restitution. Les premiers sur cette voie furent les voyageurs
grecs qui appliquèrent à la Gaule Chevelue la méthode mise au point par Hérodote
sur les Scythes et les Perses : à partir de la visite de monuments vides de leurs utilisa-

3
teurs, de récits p lus ou moins cohérents, ils édifièrent une construction religieuse qui
pouvait être comprise de leurs lecteurs. Nous ne faisons pas autrement et les maté­
riaux de notre réflexion ne sont guère différents: les sanctuaires que nous visitons sont
désertés depuis bien longtemps, ils sont de plus détruits et enfouis dans le sol. Le seul
avantage de notre situation est que la destruction des décors du culte nous oblige à
nous intéresser à ses poubelles.

La religion sur laquelle il nous est possible auj ourd'h ui d'enquêter est celle des
Gaulois, alors que depuis Camille Jullian l'habitude était prise de ne considérer celle­
ci qu'à travers sa version gallo-romaine. Jullian, il est vrai, réagissait de la sorte à une
autre tradition, généralisée par d' Arbois de Jubainville : reconstituer une religion gau­
loise à l'aide de la mythologie et du panthéon irlandais. En fait, les objections que for­
mulait l'auteur de l'Histoire de la Gaule aux comparatistes insulaires, la différence chro­
nologique entre la Gaule indépendante et l'Irlande celtique médiévale, l'éloignement
géographique entre une Gaule continentale occupée par des populations venues de
l'est et une île au peuplement autochtone, s'adressent également aux utilisateurs du
panthéon gallo-romain. La conquête a non seulement introduit une religion méditer­
ranéenne qui devint immédiatement l'un des facteurs majeurs de la réussite sociale,
elle s'est accompagnée du démantèlement programmé de la structure sacerdotale et
elle a produit un immense brassage des cultes locaux. La religion gallo-romaine, si
tant est qu'elle existât comme entité homogène, présente une forme d'acculturation
rare dans l' Antiquité et qui n'est guère comparable qu'aux religions actuelles
d'Afrique ou du Brésil où le catholicisme doit s'accommoder d'un paganisme poly­
morphe. Évaluer la part qui revient à la religion romaine et celle de la religion gauloi­
se est actuellement une entreprise impossible, à laquelle d'ailleurs aucun historien ne
s'est jamais affronté. Le préalable est peut-être précisément de s'occuper du seul
monde religieux des Gaulois.

4
CARACTÈRES ORIGINAUX
DES RELIGIONS GAULOISES.
SOURCES, MÉTHODES

L' u n des p l u s célèbres m a n u sc rits d 'aute u r anti q u e conce rnant la re l i g i o n g a u l o i s e : le Codex Bernensis (copie d u
IX' s . d e La Pharsale d e Lucai n . Cf. A n n exe 1, p . 1 96, A n n exe 11, p . 250) . O utre l e texte d e Lucain, ce manu scrit
offre d e p ré c i e u ses a n n otat i o n s e n m a rges, les sco l i e s . B u rg e rb i b l iothek d e Berne ( S u i s s e ) .

5
Ori g inalité des religions gauloises

La Gaule indépendante, comme la Grèce, n'a pas connu de religion instituée. A


aucun moment de son histoire un prophète n'a révélé un dogme qui serait devenu
celui de tout un peuple. Aucun réformateur non plus n'a tenté de mettre en ordre des
croyances ancestrales et inégalement diffusées sur le territoire . De la même manière,
on ne se soucia j amais d'écrire les mythes, ni les règlements cultuels, pas même les
généalogies divines. Les croyances et les cultes ne devaient leur existence qu'à celle
des dieux qui paraissaient les avoir produits. Or soit ces dieux étaient sur place depuis
des temps si reculés qu'ils semblaient du domaine de l'éternité, soit ils avaient été
emmenés avec les populations nouvelles lors de leurs migrations . Dans bien des cités
le panthéon présentait un foisonnement inextricable que l'esprit religieux des Celtes
ne chercha pas à organiser. Le sens de l'ordre et de la hiérarchie n'était pas chez eux
une vertu première.

Contrairement à ce que nous laissent penser les témoignages des auteurs anciens
qui valorisent les faits sociaux plus que les conduites individuelles, contrairement
aussi à ce que nous révèle l'archéologie qui ne met au jour que les plus grands sanc­
tuaires, ceux des collectivités les plus vastes, la religion gauloise dut être avant tout
une religion individuelle. C'est ce caractère qui fait dire à César que « tous les peuples
gaulois sont adonnés aux choses de la religion ». C'est ce qui explique que les pra­
tiques religieuses ne furent jamais codifiées par écrit et à une échelle plus grande que
celle du lieu où elles s'exerçaient. Les druides dont le rôle et la place dans la société
sont surestimés dans le texte de César, ici très dépendant de son informateur
Posidonius, apparaissent très précisément à une époque et chez des peuples qui
voient leur vie politique s'organiser sur un modèle gréco-italique. Ces prêtres-philo­
sophes se présentent comme les intermédiaires que la cité place entre l'individu et le
monde divin. Leur place dans la société est d'autant plus importante que l'est celle de
la religion dans la vie de l'individu.

Si la religion s'est hissée, au cours des trois derniers siècles précédant notre ère, au
niveau de la cité, comme l'exprime clairement César, ce nouvel état n'a pas été connu
de tous les peuples mais surtout il n'a j amais concerné l'ensemble de la Gaule. Malgré
le caractère généralisateur de l' « excursus ethnographique » du Livre VI de la Guerre
des Gaules, son auteur ne peut s'empêcher d'émailler son discours d'expressions telles
que « chez certains peuples », « dans quelques cités » qui indiquent le caractère régio­
nal, voire local de certaines croyances, de quelques pratiques. Il est probable, en
revanche, qu'à la fin de l'indépendance, des cultes nationaux se soient agrégés au
niveau des confédérations politiques qui reposaient elles-mêmes sur des liens eth­
niques très puissants.

A la différence de la religion védique qui n'attachait pas ses pratiques sacrificielles


à un espace définitivement découpé sur le sol, les cultes de la Gaule étaient très dépen­
dants des lieux où on les pratiquait. Les Celtes avaient poursuivi l'activité des lieux
sacrés qu'ils avaient trouvés en arrivant sur leur nouveau territoire. Bien souvent ils
avaient pris des nécropoles, des tumulus de civilisations plus anciennes pour des

6
sanctuaires sur lesquels ils avaient réinstallé leurs dieux. Ces divinités étaient si liées
à ces demeures qu'elles ne les quittèrent pas avec la conquête romaine puis avec l'éta­
blissement de l'Empire. C'est certainement l'un des aspects les plus remarquables de
cette religion gauloise, d'avoir vu disparaître ses prêtres, se transformer ses pratiques
les plus sacrées, mais d'avoir conservé presque partout ses anciens lieux de culte.

Rien ne permet d'assurer qu'elle avait le même attachement à la mesure du temps


dont la religion romaine donne une image si parfaite. Les fêtes religieuses qu'on
évoque de manière générale à propos des Celtes ne sont connues qu'en Irlande et ne
sauraient constituer un calendrier férial. Elles marquent le début des saisons et peu­
vent, à ce titre, avoir succédé à des cérémonies religieuses plus anciennes qu'on
retrouve dans toutes les religions. Hormis ces grands moments que scande la course
du soleil au cours de l'année, nous ne connaissons aucune date qui soit propre à la
vénération particulière d'un dieu ou à l'exercice d'un rite. Nous savons seulement que
chaque année et à date fixe les druides se rassemblent dans la forêt des Carnutes.
Pendant les sept années que dure la guerre des Gaules, à aucun moment et chez aucun
peuple César ne nous signale l'arrêt des activités pour cause religieuse. En revanche,
à de nombreuses reprises on voit des chefs convoquer des assemblées guerrières qui
sont consacrées par les autorités religieuses.

Sans doute la mentalité religieuse des Gaulois était-elle infiniment plus souple que
ne le fut celle des Romains qui associait pragmatisme et juridisme. Deux ordres de
faits invitent à le penser. C'est l'expression artistique tout d'abord qui nous en donne
l'image la plus pure, même si pour elle nous ne disposons d'aucun code de déchiffre­
ment, ce qui nous la fait demeurer à jamais énigmatique. La liberté qui s'exprime dans
le style dit « plastique » aux environs du rne siècle sur les tores ininterrompus des bra­
celets et des torques et sur les plats démesurés des fourreaux, n'a pu se développer
que sur un terrain spirituel où régnaient sans limite l'esprit d'invention, la magie et le
sens de la fantasmagorie. Jusqu'à une époque tardive, contemporaine ou postérieure
à la conquête, ces œuvres furent dénuées de toute forme de réalisme. Or il s'agit
chaque fois de l'ornementation d'objets sacrés ou possédant un caractère magique
(torques, vaisselle peut-être liturgique, gaines d'épées . . . ), ornementation qui puisait
son inspiration dans le bestiaire mythologique ou dans les généalogies divines. Nous
sommes donc conduit à penser que ces sommets de l'art celtique nous livrent à leur
manière la quintessence de la spiritualité des Gaulois qui au cours des Ille et ne siècles
dut également atteindre son expression la plus épurée.

L'autre signe de cet esprit d'adaptation se révèle j ustement après la conquête avec
l'apparition des cultes gallo-romains. La facilité avec laquelle les dieux des Romains
s'installent auprès des divinités celtiques, se confondent avec elles, suppose d'an­
tiques habitudes d'échange, un commerce régulier des dieux gaulois avec les dieux
étrangers. L'introduction rapide de nouvelles pratiques cultuelles, telles que l'offran­
de de monnaies, d'ex-voto, témoigne aussi d'une liturgie peu développée, certaine­
ment peu rigide qui n'en était pas à sa première mutation. La religion comme l'art des
Gaulois procède d'un dynamisme jouant sans cesse de son aptitude à la métamor­
phose qui la rend unique dans le monde antique.

7
Que cette religion n'ait pas eu d'histoire propre ne doit donc pas étonner. Les divi­
nités nouvelles s'intégraient sans difficulté dans les panthéons les plus anciens . Les
rituels les plus archaïques cohabitaient ayec des pratiques importées ou copiées de
cultes méditerranéens. La légende seule tissait entre ces pièces dépareillées les mailles
d'un temps qui se jouait de l'histoire.

Les s ources

Pour les raisons qui ont été évoquées en introduction, nous avons fait choix de ne
pas utiliser la documentation gallo-romaine, et plus précisément l'iconographie et
l'épigraphie. Pareillement nous avons écarté la littérature médiévale insulaire. Il reste
donc à notre disposition deux sources principales, les textes antiques concernant la
religion des Gaulois ou des Celtes d'avant la conquête romaine et la documentation
fournie par l'archéologie que nous appelons protohistorique. On ne saurait pour
autant oublier une troisième source documentaire, non négligeable puisqu'elle est
l' œuvre des Gaulois. eux-mêmes mais difficilement interprétable, l'iconographie pro­
prement gauloise qui orne quelques statues, la monnaie, plus rarement la vaisselle et
les bijoux. On ne l'utilisera que dans un but évocateur, sans chercher à appuyer sur
elle notre raisonnement.

Les textes antiques

Ils forment un ensemble déséquilibré et disparate. D'un côté une dizaine d'histo­
riens, les plus souvent cités, fournissent une information conséquente et parfois un
véritable tableau des mœurs religieuses. De l'autre côté une multitude d'auteurs four­
nissent chacun un ou quelques renseignements fragmentaires. Parmi eux peut se trou­
ver une information de premier ordre sur un sujet précis, la divination, la philosophie
des druides, la description d'une divinité.

Il n'existe en langue française aucun recueil de ces textes. Nous présentons donc ici
(Annexe I) un répertoire qui comprend non seulement les passages les plus consis­
tants mais aussi les mentions qui nous paraissent précieuses. On trouvera à la suite
(Annexe II) une nouvelle traduction des premiers. Ce répertoire est présenté dans un
ordre chronologique qui permet de mesurer la distance temporelle qui sépare l'auteur
de son sujet et qui évite des redites, car beaucoup de textes ne sont que des copies
d'auteurs plus anciens. Tel qu'il est conçu, ce répertoire ne prétend pas être exhaustif.

La documentation archéologique

Il s'agit d'une source documentaire non moins originale que celle que nous venons
d'examiner. Contrairement à la documentation archéologique utilisée pour l'étude
d'autres religions antiques (grecque, romaine, égyptienne . . . ) composée pour l'essen­
tiel de témoins iconographiques et épigraphiques, de relevés architecturaux, notre
documentation ne livre quasiment aucun document de ce type, pas de représentation

8
Exe m p l es très d ivers de d o c u m e ntation arc h é o log i q u e . En haut: Photo aéri e n n e de R . Agache à Cocq u e re l
( S o m m e ) révé lant à l ' e m p lace m e nt d ' u n te m p l e g a l l o - r o m a i n (carrés b l a n c s ) u n sanctuai re celti q u e p l u s a n c i e n .
E n bas: Vue parti e l l e d u" charn i e r,, d e R i be m o nt-s u r-Ancre (So m m e ) . ( Cf. p . 1 07-1 09) .

9
En haut : U n e tombe à char d u V' siècle, découverte dans les a n n ées 1 870 : Som me-B i o n n e ( Marne) . En bas :
Reconstitution au M u sée des Anti q u ités Nati o nales d ' u n e autre tombe à char fo u i l l ée dans les m ê m e s a n n ées:
La G o rg e- M e i l let à S o m m e-To u rbe ( Marne) .

10
de cérémonie religieuse (les rares que l'on possède posent problème), quelques ins­
criptions trouvées sur les marges de la Celtique et au contact d'autres civilisations
(ligure, italique, vénète). En revanche nous disposons des résultats de fouilles impor­
tantes de sanctuaires, parfois entièrement fouillés et des études consacrées au matériel
sacrificiel ou votif qui y fut découvert.

Pour ce qui est des sites cultuels proprement dits, nous ne prendrons en compte que
le territoire spécifiquement gaulois à l'exclusion de ses marges ligure, ibère, vénète,
germaine et celtique au sens large. Pour cette raison, le sud-est de la France n'est pas
concerné par cette étude. Nous avons également écarté, pour l'instant - et certaine­
ment de façon provisoire - les découvertes qui témoignent plus d'un rituel dont la
fonction nous demeure obscure que d'une activité cultuelle au plein sens du terme.
Notre but est, en effet, grâce à cette documentation archéologique entièrement nou­
velle, de reconnaître les cultes typiquement gaulois, voire à l'intérieur de cette entité
de distinguer des groupes ethniques. La documentation iconographique et épigra­
phique ne nous offre pas cette possibilité. Nous utiliserons ce dont nous disposons sur
le territoire celtique, en faisant chaque fois les réserves d'usage.

Les sanctuaires
L'archéologie jusqu'à présent a pour l'essentiel révélé l'existence de véritables sanc­
tuaires. Il s'agit d'une découverte récente (depuis les années soixante-dix) . Et l'on ne
doit pas s'étonner que nous n'ayons pu identifier que les ensembles les plus remar­
quables, c'est-à-dire des lieux de culte de grandes dimensions destinés aux commu­
nautés humaines les plus importantes. Les autres types de lieux de culte (jusqu'aux
plus humbles, simples autels familiaux) devraient se faire j our avec le développement
de cette recherche.

Une dizaine de sanctuaires gaulois ont fait l'objet de fouilles au cours des trente der­
nières années. Ils sont tous situés dans la moitié nord de la France. Plusieurs ont été
entièrement fouillés : Gournay-sur-Aronde (fouilles J.-L. Brunaux), Saint-Maur
(fouilles J.-L. Brunaux et B . Lambot), Estrées-Saint-Denis (fouilles G .-P. Woimant),
Saint-Just-en-Chaussée (fouilles J.-L. Brunaux) et Vendeuil-Caply (fouilles D. Piton)
dans le département de l'Oise, Mirebeau (fouilles R. Goguey) dans le département de
la Côte-d'Or, Bennecourt (fouilles L. Bourgeois) dans le département des Yvelines,
Fesques (fouilles E. Mantel) dans le département de Seine-Maritime et Saint-Malo
(fouilles C. Bizien-Jaglin) dans le département d'Ille-et-Vilaine. Deux lieux de culte de
grande superficie sont en cours de fouille : Ribemont-sur-Ancre (fouilles J.-L. Brunaux)
dans le département de la Somme et Meaux (fouilles D. Magnan) dans le département
de Seine-et-Marne.

Hormis les sites de Gournay et de Bennecourt qui ont fait l'objet de publications
exhaustives (trois volumes parus sur Gournay, un volume sur Bennecourt), les autres
n'ont fait l'objet que de présentations succinctes et rarement substantielles dans le col­
loque Les sanctuaires celtiques et le monde méditerranéen (Ed. Errance 1991), dans des

11
revues régionales (Revue Archéologique de Picardie, Revue Archéologique de l 'Est) ou dans
les « Bilans scientifiques régionaux » de la Sous-Direction de l' Archéologie.

A la documentation des fouilles proprement dite s'ajoutent les résultats des pros­
pections aériennes. Ces derniers ne sont pas négligeables. Ils nous font connaître une
cinquantaine de sites supplémentaires en Picardie, en Haute-Normandie, dans le
Nord-Pas-de-Calais et dans les Ardennes. Dues pour la plupart à Roger Agache et à
Bernard Lambot, ces découvertes ont l'intérêt de présenter des plans souvent com­
plets, parfaitement comparables à ceux livrés par les fouilles. On citera les exemples
remarquables de Coquerel et de La Chaussée-Tirancourt dans le département de la
Somme, Montiers dans le département de l'Oise et de Nanteuil-sur-Aisne et de Roizy
dans le département des Ardennes.

A côté de ces découvertes récentes il faut replacer des travaux plus anciens (souvent
du XIX• siècle) sur des sites que l'on peut aujourd'hui interpréter comme des sanc­
tuaires gaulois. Les plus remarquables sont Bailleul-sur-Thérain, le Mont-Berny à
Pierrefonds dans l'Oise, Mœuvres dans le Nord, Saint-Jean-Trolimon dans le Finistère,
Nalliers en Vendée et Faye-1' Abbesse dans les Deux-Sèvres.

L'ensemble de cette documentation se révèle particulièrement abondant dans cer­


taines régions, la Picardie notamment (où l'on identifie une cinquantaine de sanc­
tuaires protohistoriques pour les deux seuls départements de la Somme et de l'Oise).
Sur ce dernier territoire une telle densité de lieux de culte, de nature forcément diver­
se, permet des recherches de topographie religieuse. Il est dès lors possible d'étudier
les liens entre l'implantation des lieux de culte et le paysage ou les frontières poli­
tiques, par exemple.

Autres lieux de culte


Depuis quelques années, d'autres types de lieux de culte sont mis en évidence. Sur
le village ouvert d' Acy-Romance (fouilles de B. Lambot) se trouve un enclos central
bordé de constructions assimilées à des temples. Sur l'imposante résidence aristocra­
tique de Montmartin (fouilles de J.-L. Brunaux), située à trois kilomètres seulement du
sanctuaire de Gournay, un enclos jouait un rôle à la fois cultuel et politique; un petit
temple se trouvait à l'intérieur. Ces deux exemples indiquent sans ambiguïté qu'on
doit s'attendre à trouver des lieux de culte qui ne soient pas des sanctuaires à propre­
ment parler mais qui sont intégrés à des habitats ou à d'autres aménagements
humains. Leur mise en évidence demeure extrêmement délicate; il peut s'agir d'un
simple foyer, d'une simple pierre utilisée comme autel ou comme représentation divi­
ne.

Sépultures et constructions funéraires


Parmi les lieux de culte autres que les sanctuaires se trouvent des constructions sou­
vent énigmatiques rencontrées dans les nécropoles. Ces ensembles de trous de
poteaux sont généralement considérés comme des « chapelles ». Leur fonction cul­
tuelle est loin d'être prouvée en l'absence d'autres éléments tels que foyer, fosse, autel

12
ou restes sacrificiels. Dans bien des cas il doit s'agir de simples enclos. Par ailleurs le
culte funéraire reste problématique, dans la mesure où il conserve des formes très
archaïques et où il n'est pas directement lié au reste de l'activité cultuelle.

Certaines sépultures peuvent présenter un intérêt dans le cadre de notre recherche,


de par le matériel qu'elles contiennent et qui peut les faire assimiler à des sépultures
de prêtres. Elles sont rares. On peut citer la sépulture n° 3 de Tartigny dans le dépar­
tement de l'Oise et peut-être la sépulture n° 1 de Bouqueval dans le département du
Val-d'Oise.

Inscriptions
Toutes les inscriptions gauloises connues ont été découvertes dans le sud-est de la
France ou en Italie du nord. Michel Lejeune (« Les textes gallo-grecs. Recueil des inscrip­
tions gauloises», Sup . n° 45 à Gallia, Paris 1 985) et Pierre-Yves Lambert (La langue gau­
loise, Paris, éd. Errance 1 995) en ont fait le répertoire. Beaucoup sont tardives (I•' siècle
avant J.-C . ) et témoignent de ce fait d'une influence difficilement évaluable de la pré­
sence romaine dans ces régions. Il s'agit, en effet, pour la plupart de dédicaces d'au­
tels ou de monuments, pratique dont on n'est pas sûr qu'elle existât en Gaule celtique
avant la conquête romaine.

Une inscription mérite une attention particulière, il s'agit de l'inscription bilingue


latino-gauloise de Verceil (Italie) . Elle se trouve sur une borne, une des quatre bornes,
nous dit le texte latin, qui délimitaient un terrain offert par un certain Acisius, terrain
dit « commun aux hommes et aux dieux » . Il est tentant de voir dans ce terrain un lieu
de culte.

Les inscriptions sur des objets sont courantes sur les territoires des marges de la
Cisalpine, notamment sur des lieux de culte communs à des populations mêlées,
vénète, ombrienne et gauloise. Il ne semble pas que ce soit une pratique typiquement
gauloise. La seule inscription de ce type en territoire celtique figure sur un torque en
or découvert à Mailly-le-Camp (Aube) et daté du I•' siècle avant J.-C . : parmi des graf­
fites difficilement lisibles on reconnaît le mot Nitiobrogeis écrit en grec. On a générale­
ment reconnu en ce mot le nom d'un peuple gaulois du sud-ouest de la Gaule. Plus
récemment Alain Duval a fait remarquer que la Table de Peutinger signale également
un peuple « Nitiobroge » en Champagne. Quoiqu'il en soit de leur identité, il semble
bien qu'il faille voir en ce mot le nom des dédicants, c'est-à-dire un peuple qui aurait
offert un torque en or à une divinité. Si cette pratique votive est attestée par les textes
antiques, la pratique qui consiste à inscrire le nom du dédicant paraît plus récente et
influencée par la présence grecque et romaine dans le sud de la Gaule.

Représentations graphiques et plastiques


Les représentations divines ou mythologiques sous la forme statuaire sont relative­
ment nombreuses sur le territoire gaulois proprement dit. Elles soulèvent deux pro­
blèmes qui nous les rendent difficilement utilisables, celui de l'identité de l'entité
représentée, celui de la datation. La plus grande difficulté vient de la quasi-impossi-

13
Exe m p l e d ' i nscription tard ive en l a n g u e g a u l oise : la t u i l e de Châte a u b l eau ( S e i n e-et- Marne) , découverte dans u n
p u its d até d u IV' s . a p r. J.-C. I l s'ag i rait, s e l o n P.-V. Lam b e rt, d ' u n contrat d e mariage o u de l 'a n n o nce d ' u n p ro­
jet de mariag e .

14
U n des p l u s remarq uables exe m p les de l'art fantasmagori q u e des Ce ltes : le co uvercle p robable d ' u n réc i p i e nt en
b o i s découvert dans u n e s é p u l t u re d u Mesni l-Amelot (Sei ne-et- Marn e ) .

15
bilité de distinguer les figures mythologiques des figures proprement divines. Quoi
qu'il en soit, si l'on en croit les auteurs anciens, la figuration divine, contraire aux
croyances des Celtes anciens (cf. les propos qui sont prêtés à Brennus quand il pénètre
dans le sanctuaire de Delphes), doit être tardive. De fait, elle est presque toujours pos­
térieure à la conquête. Les figurations antérieures à cette époque doivent donc tou­
jours nous faire douter d'une identité divine.

Ces représentations sont encore plus nombreuses sur d'autres supports, tels que les
bijoux, la vaisselle, les armes et la monnaie. Leur stylisation, beaucoup plus poussée
qu'elle ne l'est sur la pierre, rend les identifications encore plus délicates et l'on doit
renoncer à utiliser ces œuvres souvent très belles pour donner une image à un dieu, à
un héros ou à un animal mythique. En revanche, elles nous donnent une illustration
émouvante de l'atmosphère poétique dans laquelle baignaient les mythes celtiques.

Malheureusement les scènes purement religieuses qui poseraient moins de pro­


blèmes d'interprétation, sont totalement absentes ou presque. Les seules qu'on puisse
citer se trouvent sur le célèbre chaudron de Gundestrup qui a fait couler tant d'encre.
Il s'agit encore une fois d'une œuvre tardive (milieu du 1°' siècle avant J.-C.), issue pro­
bablement des confins du monde celtique (on admet généralement qu'il s'agit d'un
travail « istro-pontique », c'est-à-dire des bords de la mer Noire). Le style, certains
thèmes dénotent une influence celtique. Les plaques extérieures représentent des per­
sonnages dont on ne voit que le haut du corps; il pourrait s'agir de divinités. Les
plaques intérieures montrent des scènes mythologiques ou religieuses : parade guer­
rière, scène de sacrifice. Cependant, les représentations animales et végétales indi­
quent sans ambiguïté une part orientale dans l'élaboration du décor qui sous-tend
peut-être également sa thématique et dans ce cas en perturbe la lecture.

Le fait archéologique cultuel


Si l'on excepte les représentations divines et les inscriptions, y a-t-il d'autres objets
ou des ensembles de matériel archéologique qu'on puisse directement - par leur seule
présence - rapporter à une activité cultuelle ou à un rite particulier ? Il ne s'agit pas
d'imaginer dans cette typologie des documents archéologiques une case supplémen­
taire, un peu fourre-tout, dans laquelle on rangerait ce qui n'entre pas ailleurs. La
question se pose couramment sur les fouilles protohistoriques. On serait même tenté
d'écrire qu'elle se pose de plus en plus souvent : les archéologues ont tendance désor­
mais à voir du cultuel partout. L'auteur de ces lignes est bien conscient de la respon­
sabilité qui lui revient dans cette lecture excessive des faits archéologiques et plus pré­
cisément dans leur surinterprétation cultuelle.

Le mieux est d'évoquer quelques exemples, d 'ailleurs tout à faits banaux. Un sque­
lette, complet ou non, est découvert dans une fosse-dépotoir ou dans le remplissage
détritique d'un silo. Est-on autorisé à y voir le résultat d'un acte rituel ? Récemment
pour de telles découvertes on a évoqué une sorte de culte chthonien, destiné à favori­
ser la fécondité des récoltes, la prospérité du groupe humain. Une autre hypothèse,
tout aussi souvent exprimée, à une époque antérieure où l'on voyait du funéraire par-

16
tout, voulait voir dans ces squelettes des « sépultures de relégation », en quelque sorte
l'abandon pur et simple du cadavre d'un individu dont le statut social était parmi les
plus bas, suffisamment bas en tout cas pour qu'une sépulture authentique n'ait pas
paru nécessaire. Comment choisir entre les deux interprétations ? L'examen des os,
d'éventuelles traces de découpe, de dépeçage, de décharnement apporterait des argu­
ments supplémentaires mais qui risqueraient de ne pas être plus décisifs, puisque les
manipulations sur le cadavre peuvent être mises au compte autant d'un traitement
funéraire que d'une pratique sacrificielle. En fait il apparaît que les deux éléments que
sont le squelette et la fosse détritique ne suffisent pas à caractériser le fait cultuel. Il
manque un contexte plus significatif. Ce pourrait être la présence d'autres objets
remarquables pouvant être considérés comme des offrandes, ce pourrait être aussi un
aménagement particulier de la fosse ou une sorte de mise en scène du cadavre, qui
dans ce cas laisseraient peu de doute sur la nature rituelle du dépôt de ces restes.

La difficulté d'interprétation est encore plus aiguë lorsqu'il s'agit d'un objet seul,
même s'il est remarquable et dont on sait qu'il a pu connaître une fonction cultuelle.
Ainsi en est-il de crânes humains, surtout s'ils ont été découpés de manière à en faire
une coupe par exemple. De tels objets ont été rencontrés sur l'oppidum de Manching,
par exemple, dans des fosses. Il est fort probable qu'un tel crâne parfaitement scié a
pu servir au culte, puisque cette pratique est attestée par la littérature antique. Mais il
est évident que la situation de cet objet isolé dans un contexte détritique ne peut révé­
ler aucune autre signification cultuelle. Il peut s'agir de la cachette d'un instrument du
culte qui avait un caractère sacré. Mais il peut tout autant s'agir du simple rejet détri­
tique d'un objet qu'on avait désacralisé.

On le voit, l'interprétation de tels vestiges est délicate et exige des règles méthodo­
logiques rigoureuses. Seuls un faisceau de faits ou la mise en évidence d'un contexte
particulier autorisent à avancer une hypothèse en termes rituels. En l'absence d'une
grille de lecture toute faite et qui nous serait donnée par une littérature ancienne et
indigène, seuls des faits solidement étayés permettent de s'aventurer sur ces chemins
jusqu'ici inexplorés. Procéder autrement, c'est s'exposer à créer de toutes pièces un
culte du crâne, du crâne humain, comme on vient de le voir mais aussi de celui de cer­
vidés, si l'on en croit certaines publications archéologiques, comme jadis les préhisto­
riens avaient imaginé un culte de l'ours à partir d'amas énigmatiques de leurs os,
amas qui se révèlent à l'analyse soit purement fortuits, soit le fait des ours eux-mêmes.

Histoire d e la recherche. Méthode

Il est hors de notre propos de retracer même brièvement l'histoire d'une recherche
qui de fait s'est développée du temps même des Gaulois, lorsque des ethnographes,
tels que Posidonius cherchaient l'origine de la morale druidique et disputaient pour
savoir si Pythagore avait enseigné sa philosophie aux Gaulois ou au contraire s'il s'en
était alimenté. Quand Cicéron et César écrivent à propos de Gaulois qu'ils ont ren­
contrés, ils mêlent allégrement des éléments qui appartiennent à cette histoire à des

17
observations directes qu'ils ont pu faire. Plus tard l' hybride religion gallo-romaine se
constitue autant avec des apports extérieurs et nouveaux qu'avec des éléments
anciens. Et les copistes du haut Moyen Age qui transcrivent des œuvres comme La
Pharsale de Lucain peuvent encore faire des gloses expliquant l'identité des divinités,
les caractéristiques des druides, comme s'il s'agi ssait de faits qui leur étaient contem­
porains. Notre propos est seulement de retracer les grandes étapes de cette histoire, en
indiquant chaque fois le parti qu'a pris l'historien.

Aussi quand Ramus entreprend l'une des plus ancie1rnes re ch erches historiques sur
les Gaulois, il ignore que cette histoire est depuis toujours en marche et que les dés par
conséquent en sont pipés. De 1 562 j usqu'à 1 828, p remière édition de !'Histoire des
Gaulois d'Amédée Thierry, la découverte de la civilisation gauloise passe obligatoire­
ment par les textes anciens, exercice qui demande des efforts démesurés puisque non
seulement les traductions sont rares mais les éditions tout autant. Pourtant la métho­
de aboutit à des résultats étonnants, comme on peut s'en persuader à la seule lecture
de l' œuvre du frère d'Augustin Thierry : tous les éléments historiques ont été rassem­
blés, mis en ordre et les Gaulois et les Celtes en général sont situés à leur juste place
dans l'histoire des civilisations méditerranéennes.

Cette façon de faire disparaît totalement dans les années 1 870 avec le développe­
ment d'une archéologie métropolitaine sous l'impulsion de Napoléon III. Celui-ci
développe un programme de fouille sur des sites césariens qui devaient illustrer un
Commentaire qu'il écrit de la Guerre des Gau les . Ces travaux l'amènent à s'intéresser à
la civilisation gauloise. Aussi le nouveau Musée des Antiquités Nationales fait-il une
large place aux antiquités gauloises auprès des antiquités gallo-romaines. Il est dès
lors impossible d'entreprendre une étude sur la religion sans prendre en compte les
documents archéologiques. Ces témoins sont pour l'essentiel iconographiques et évi­
demment gallo-romains. C'est l'époque où Espérandieu constitue son monumental
Recueil général des bas-reliefs de la Gaule, source inépuisable à laquelle s'alimentent tous
ceux qui travaillent sur la religion gauloise. On estime alors que la religion gallo­
romaine est largement inspirée de la religion gauloise et que ses témoins iconogra­
phiques et épigraphiques constituent la meilleure documentation sur le panthéon
gaulois.

Cette idée, qui s'est développée quasi naturellement avec la mise au j our en
quelques années d'un prodigieux corpus de statues et de bas-reliefs, était admise par
la plupart des chercheurs à la fin du XIXe siècle et ne fut pas remise en cause jusqu'à
nos jours. Elle inspira des travaux tels que la monumentale synthèse de S. Reinach,
Cultes, mythes et religions, les deux chapitres toujours essentiels de Camille Jullian
consacrés à la religion dans son Histoire de la Gaule, dans une moindre mesure l'excel­
lente petite synthèse de Joseph Vendryes dans Les religions des Celtes, des Germains et
des anciens Slaves, enfin plus récemment La religion des Celtes de Jan de Vries, Les dieux
de la Gaule de Paul-Marie Duval et Divinités et sanctuaires de la Gaule d'Emile Thèvenot,
ces deux derniers ouvrages étant, il est vrai, consacrés en grande partie à la Gaule
romanisée.

18
Pourtant l'utilisation de la documentation gallo-romaine dans le cadre d'une étude
sur la religion des Celtes ou des Gaulois de l'indépendance soulève des problèmes
majeurs. Ainsi, on peut se demander s'il est justifié de raisonner sur des représenta­
tions divines de type anthropomorphe forcément tardives quand les textes antiques
nous répètent que les Celtes ne donnaient pas de représentations à leurs dieux, si ce
n'est par le moyen de symboles. Par ailleurs il paraît clair que la conquête romaine a
plongé de façon immédiate la Gaule dans un syncrétisme qui mêla non seulement la
religion romaine, la religion gauloise à des éléments germains et ibères, mais encore
les faciès fortement individualisés de la religion des différents peuples gaulois. Ce
brassage des divinités et des cultes provoqua une véritable acculturation du panthéon
gallo-romain dans lequel chercher la part spécifique du gaulois paraît une gageure
désespérée. En effet, si les lieux de culte et les dieux qui les habitaient ont été très lar­
gement respectés par le conquérant romain, les prêtres en ont été immédiatement
chassés, ainsi que furent interdites les pratiques sacrificielles qui visaient l'homme.
C'est le cadre spirituel de cette religion qui se trouva brisé sans que ses monuments
les plus spectaculaires ne soient touchés. Les pratiques religieuses mais également
politiques s'abreuvaient d'une philosophie morale et d'une connaissance mytholo­
gique totalement contrôlées par la classe sacerdotale et les druides en particulier. Le
caractère oral de ce savoir préservait évidemment un pouvoir qui était de nature aris­
tocratique. Il ne fait guère de doute que la conquête favorisa le développement anar­
chique d'une religiosité populaire, plus tournée vers le paganisme et la magie que vers
une éthique. La religion gallo-romaine reflète probablement plus ce paganisme atta­
ché à la terre et à sa plèbe que la religion d'Etat qui s'était instaurée chez de nombreux
peuples avant l'arrivée de César. C 'est pourquoi il nous paraît difficile de tirer parti de
la sculpture et des ex-voto gallo-romains, œuvres largement diffusées et recopiées sur
un vaste territoire, pour connaître l'univers religieux des Gaulois de l'indépendance,
univers qui n'était accessible à leurs prêtres qu'au terme d'une période d'enseigne­
ment de vingt années.

Egalement à la fin du XIX• siècle, la connaissance des Celtes accomplit des progrès
considérables grâce à la linguistique. Les études sur les langues indo-européennes
permettent d'établir une généalogie des langues celtiques et montrent la parenté entre
le gaulois du continent et les langues insulaires. Il est tentant d'imaginer qu'une
parenté similaire rapprochait les croyances religieuses des Celtes du continent et des
Celtes des îles Britanniques. C'est Henri d' Arbois de Jubainville qui développe cette
double recherche linguistique et ethnographique dans ses Cours de littérature celtique.
Alors que l'exploitation des données gallo-romaines permet, avec les difficultés que
l'on vient de voir, d'éclairer le panthéon gaulois, ce qu'il est convenu d'appeler le
« comparatisme insulaire » ouvre une porte sur un domaine qui paraissait jusqu'alors
inaccessible, celui de la mythologie. La littérature celtique irlandaise largement ras­
semblée et éditée à la fin du XIX• siècle se compose presqu'exclusivement de récits
légendaires où la société décrite, archaïque et nourrie de valeurs guerrières, semble
faire écho aux descriptions de Posidonius. C'est certainement Henri Hubert dans Les
Celtes et la civilisation celtique qui exploite avec le plus de succès ces comparaisons sur

19
les plans social, juridique et religieux. Il fait un parallèle entre les druides gaulois et
les druides irlandais, leur hiérarchie et leur place respective dans la société. Mais pour
les autres aspects de la religion, il se contente le plus souvent de combler ce qui
manque dans l'une avec ce qu'il trouve dans l'autre. Françoise Le Roux poursuit cette
œuvre dans le domaine religieux de façon assez systématique.

Cette voie de recherche, comme celle qui prétend utiliser la documentation gallo­
romaine, pose aussi des problèmes qui avaient été mis en lumière dès 1920 par
Camille Jullian. Celui-ci avait souligné que les druides irlandais (prêtres inférieurs,
sorciers) n'avaient pas grand chose à voir avec ceux du continent (philosophes,
hommes de science) . Et il voyait dans ce décalage le reflet d'un double décalage chro­
nologique et géographique. Dans cette île lointaine, la littérature n'a été retranscrite
qu'à partir du IX• siècle de notre ère, soit près de mille ans après la disparition de la
religion gauloise sur le continent. Elle le fut par des moines, des savants qui ont pro­
cédé par résumés, par arrangements, parfois par falsification et « inventions érudites
ou tendancieuses », pour reprendre les termes de Georges Dumézil qui, à propos du
dossier du roi Erémon, concluait par cette interrogation : « comment y trier le faux et
le vrai ? » Par ailleurs rien n'indique qu'en Irlande ait j amais existé u ne « religion cel­
tique plus pure », comme l'allèguent les tenants du comparatisme irlandais. Le peu­
plement des îles Britanniques à l'époque de la conquête était très mêlé, comme l'at­
testent César et Tacite : Celtes, Belges, peuples indigènes. Pourquoi la religion y aurait­
elle été plus gauloise que sur le continent ? Enfin, avec la romanisation, le syncrétisme
qui s'est développé sur un tel substrat ethnique risque fort d'y avoir été encore plus
développé qu'en Gaule. En résumé, si les littératures irlandaise et galloise nous don­
nent une bonne idée de la richesse de la mythologie des peuples celtiques, probable­
ment disparue à j amais sur le continent, elles paraissent un bien mauvais outil pour
aborder l'étude des cultes et des divinités gauloises. Et l'on ne pourrait plus aujour­
d'hui écrire ces lignes qui concluaient l'essai de Vendryès : « Il est impossible d'étudier
les manifestations de leur (des Celtes) religion et d'essayer de les interpréter sans tenir
compte de la vaste documentation fournie par les littératures de Galles et surtout
d'Irlande au Moyen Age. » Ce livre, je l'espère, dément une affirmation aussi pessi­
miste.

A la fin du XX• siècle, la mise en évidence d'authentiques lieux de culte gaulois,


nombreux et parfois étonnamment riches, révélant eux-mêmes des pratiques cul­
tuelles d'une complexité insoupçonnée, bouleverse profondément l'approche que l'on
peut avoir de la religion gauloise. Il n'est plus vrai aujourd'hui que l'iconographie
gallo-romaine et le comparatisme irlandais soient dans cet exercice des « recours obli­
gatoires » . L'étude des cultes gaulois est désormais possible. Elle s'enrichit de chaque
nouvelle fouille. Les lieux de culte nous apparaissent maintenant avec une variété de
types dont nous sommes loin de pouvoir apprécier l'ampleur. Les offrandes, les ins­
tallations cultuelles, les restes sacrificiels suggèrent de longs cycles rituels où chaque
geste prend progressivement sa place. Cette multiplicité des rites et des sacrifices s'op­
pose de la façon la plus forte à l'idée d'une religion naturelle, archaïque. Cette religion,
au premier siècle avant notre ère notamment, a acquis une maturité qui la rend l'éga-

20
le des grandes religions méditerranéennes. Et les premiers ethnographes à qui il est
donné de l'observer, tels Posidonius, ne s'y trompent pas.

Il est, en effet, remarquable que les résultats récents de ces recherches de terrain ne
contredisent pas les témoignages antiques qu'on qualifiait il y a peu encore d' « infor­
mations confuses, d'on-dit et de banalités ». Tout au contraire, les informations archéo­
logiques expliquent des textes qui nous paraissaient énigmatiques, le plus souvent
pour des raisons de traduction; ils donnent une image précise à des mots qui peuvent
avoir plusieurs sens. A l'inverse, les textes peuvent donner un sens à des pratiques
dont nous ne connaissons que les gestes sans possibilité d'imaginer leur finalité. Ainsi,
la méthode la plus fructueuse dans cette recherche paraît bien être la lecture parallèle
des textes anciens et de l'information archéologique donnant lieu à un véritable dia­
logue entre deux sources qui non seulement sont complémentaires mais suscitent
l'une à l'autre un questionnement renouvelé. Sans faire preuve d'un optimisme dérai­
sonné, on doit souligner les progrès considérables acquis en une vingtaine d'années :
mise en évidence de véritables lieux de culte et de pratiques rituelles (sacrifice animal,
offrandes d'armes, formes propres de trophées) sur un terrain totalement vierge puis­
qu'on doutait il y a peu encore de l'existence de sanctuaires construits et d'une activi­
té cultuelle régulière. Mais, en donnant des bases chronologiques à l'évolution du
culte dans le nord de la Gaule, l'archéologie fait progresser également notre connais­
sance proprement historique d'une religion qui, hormis sa description par César,
paraissait hors du temps.

21
Epée de Sai nt-And ré-de-Li d o n ( C h a re nte- Ma riti me) . De te l l e s représe ntations anthropo m o r p h i q ues sont tard ives.
Début d u I " s . av. J-C .

22
LES HOMMES ET LES DIEUX

Fi g u re masc u l i n e p o rtant trois i n s i g nes d i v i n s , u n torq u e massif et les re p rése ntat i o ns d ' u n sang l i e r et d ' u n o e i l
é n o r m e s u r l e côté g a u c h e . E uffi g n e ix ( H aute- Marn e ) , I " s . apr. J . - C .

23
Fi g u re masc u l i n e tenant u n e lyre . Pa ule ( C ôtes-d'Arm o r) , I l ' s. av. J . - C . U n e très rare re p rése ntat i o n celti q u e d ' u n
m u s i c i e n e t d e s o n i n stru ment.

24
S o c iété et reli g ion

Toute religion ne se comprend que dans le rapport qu'elle entretient avec la société
et la culture dont elle est autant le produit que le creuset. Ce rapport est d'autant plus
fort que la place du religieux est importante dans la vie des hommes, ce qui était le cas
des Gaulois, chez qui l'état de citoyen dépendait directement de la participation aux
activités religieuses. Qu'il faille connaître la société pour comprendre la religion n'est
donc pas seulement un truisme quand il s'agit des Gaulois. Malheureusement on ne
dispose pas actuellement de travaux et de recherches récents qui fassent la synthèse
des connaissances sur les aspects proprement sociaux et politiques de la Gaule, depuis
les œuvres magistrales mais largement dépassées de Jullian et de Hubert. Il convient
donc de brosser à grands traits le portrait de cette société.

La société gauloise nous est connue pour l'essentiel par le tableau qu'en donne
César dans la Guerre des Ga ules . I l s'agit d'une description composite et contradictoire,
puisqu'elle comprend deux ensembles, d'une part une enclave ethnographique dans
le récit des événements guerriers et, d'autre part, une série importante d'informations
de tous ordres qui émaillent le journal militaire proprement dit. Nous savons depuis
les importants travaux philologiques de la fin du XIX• siècle que la description ethno­
graphique est la copie par César d'un texte que tous s'accordent à attribuer à
Posidonius. Or Posidonius écrivait au tout début du premier siècle et s'est lui-même
servi d'auteurs plus anciens. Le résultat est un décalage chronologique entre le tableau
ethnographique où la religion occupe la plus grande place et la situation de la société
à l'époque de la conquête, sur laquelle le texte de César nous donne des informations
indirectes, quand il décrit les réactions des Gaulois, les manœuvres politiques, les pré­
paratifs guerriers, la diplomatie, le jeu des alliances, etc. Cet anachronisme n'est pas
un handicap majeur, une fois que l'on en a pris conscience. Il suffit de garder à l'esprit
que le long passage du Livre VI (paragraphes 13 à 28) décrit la société gauloise à la fin
du II• siècle avant J.-C., alors que les événements militaires concernent un pays en plei­
ne mutation, avant même que le conquérant romain n'accélère le processus de trans­
formation de la société gauloise.

Les civitates gauloises

Avant tout il faut rappeler que si la Gaule constitue un pays bien individualisé par
ses habitants issus d'une même souche ethnique et jouissant d'une culture commune,
la civilisation celtique, elle ne forme pas pour autant une patrie au plein sens du
terme. Les Gaulois n'ont jamais eu avant la conquête la conscience d'une patrie qui
aurait uni tous les peuples de la Gaule. Au contraire, ils appartenaient à une cinquan­
taine de nations, chacune disposant d'une structure de gouvernement autonome. Ces
petits états indépendants sont les civitates dont parle César et que l'on traduit très mal
avec notre mot français de « cité » qui évoque trop le monde urbain. En fait, la cité gau­
loise se rapproche assez des cités grecques, petites unités de peuplement comprenant
une ville et un territoire naturel qui l'entoure, à la différence près qu'en Gaule la ville
n'est pas l'élément essentiel de ces entités ethniques et politiques. Ce qui constitue la

25
civitas gauloise, c'est autant le groupe humain, issu d'une même racine ethnique sou­
vent fort ancienne, que le territoire sur lequel celui-ci s'est établi. Les deux sont deve­
nus indissociables. S'il y a eu le sentiment d'une patrie, c'est à ce niveau qu'il s'expri­
mait au moment de la conquête césarienne.

Encore que cette unité de la civitas n'allait pas partout de soi. Chaque civitas, les
grandes, telles celles des Eduens, des Arvernes, des Bituriges, comme les petites, telles
celles des Bellovaques ou des Calètes, était constituée de plusieurs « tribus », jusqu'à
une douzaine mais le plus souvent de trois ou quatre seulement. Ces « tribus » (enco­
re une fois la traduction française n'est guère satisfaisante) correspondaient à un
ensemble de familles, se réclamant d'un ancêtre commun, et gardant des liens très
puissants (parenté, culte commun, conseil, etc . ) . Comme le peuple qui s'était attaché à
un territoire, la tribu était liée à une subdivision de ce même territoire. Il semble que
l'entité humaine représentée par ce terme de « tribu » ait été la plus ancienne et la plus
forte. La civitas ou « peuple-état » semble n'être apparue que dans un second temps
avec l'évolution des structures politiques, l'apparition d'assemblées qu'on appelle
généralement « sénat », la disparition des petites royautés, leur remplacement par des
magistratures contrôlées par les assemblées et dans quelques cas la mise en place
d'une véritable constitution. A l'époque de César, le régime de la civitas était en plei­
ne expansion, mais chez certains peuples les tribus conservaient une véritable auto­
nomie politique et guerrière, ainsi chez les Morins. Certaines tribus n'étaient agglo­
mérées à aucun peuple ou hésitaient à s'allier avec tel ou tel grand voisin.

On voit par là que la situation politique et par conséquent sociale et économique


était loin d'être identique dans toutes les régions de la Gaule. Certaines cités connais­
saient encore la royauté mais celle-ci était en voie de disparition. Dans d'autres, des
nobles de vieille famille ou des arrivistes cherchaient à la restaurer. Quelques cités, les
Eduens, les Bellovaques, les Nerviens avaient un régime politique déjà très élaboré
avec une et peut-être deux assemblées, des magistrats élus pour une durée détermi­
née et une constitution sophistiquée, notamment chez les Eduens. L'idée d'une nation
à l'échelle de la Gaule était loin des préoccupations des Gaulois au le' siècle avant J.-C.
En revanche, ces derniers avaient peut-être conscience d'appartenir à l'un des trois
groupes de peuples qui se partageaient la Gaule, les Belges, les Aquitains et les Celtes.
On peut au moins en avoir la certitude pour les Belges qui se désignent eux-mêmes
comme tels, à de nombreuses reprises.

Depuis le III• siècle avant J.-C. au moins, les peuples gaulois pratiquaient entre eux
une alliance de type particulier, la confédération guerrière. Celle-ci se réalisait le plus
souvent à l'intérieur des trois grands groupes de peuples qui viennent d'être évoqués
mais pas exclusivement. La pratique avait selon toute vraisemblance une origine
ancienne et remontait peut-être au temps des migrations. Elle avait permis l'installa­
tion des différents peuples mais elle assurait surtout leur défense face aux invasions
nordiques dont la plus marquante fut celle des Cimbres et des Teutons. La pratique de
la confédération qui pouvait se réaliser à plusieurs niveaux et avec des partenaires
variables suppose une grande souplesse de l'esprit gaulois dans ses préoccupations

26
militaires et politiques, un certain génie même qui s'oppose de la façon la p l u s forte à
la réputation de caractère têtu et désordonné qu'on lui fit dès l' Antiquité. De telles
alliances, parfois ponctuelles, parfois séculaires de ces vastes communautés néces si­
taient un ciment puissant. Il était, comme on le verra, avant tout de nature religi e u s e.

Les composantes sociales

Pour ce qui est de la structure sociale nous sommes également tributaires de l' ou­
vrage de César, dans lequel se révèle plus qu'ailleurs la contradiction entre les infor­
mations du passage ethnographique et celles du récit guerrier : des éléments se trou­
vant dans le premier sont inexistants dans le second et vice versa . Au Livre VI, César
indique que chez les Gaulois « seules deux catégories d'hommes comptent, les equites
ou "chevaliers" et les druides. Quant aux gens du peuple ils ne sont guère traités
autrement que des esclaves » . Il s'agit d'une formule extrêmement schématique qui a
au moins le mérite de nous désigner les principales entités sociales qu'on ne peut pour
autant assimiler à de véritables classes. Elles seraient au nombre de quatre : les cheva­
liers - mais disons plus largement la noblesse, les druides, la plèbe et les esclaves. Une
telle classification soulève de nombreuses difficultés. Si la noblesse et la plèbe peuvent
être considérées comme des classes fixes et définies, on ne saurait en dire autant des
druides et des esclaves qui paraissent plutôt des états conjoncturels. On ne naît pas
druide mais on le devient. On ne naît pas forcément esclave mais on peut le devenir,
qu'on appartienne à la noblesse ou à la plèbe : les esclaves étant pour l'essentiel des
prisonniers de guerre.

Ce tableau, un peu caricatural, est largement contredit dans le reste du texte de la


Guerre des Gaules . Il n'y est plus du tout question des druides ou des prêtres en géné­
ral. A l'inverse, la plèbe dont on nous disait qu'elle ne compte pas, y est souvent mise
en cause dans la responsabilité des troubles, autant par la noblesse gauloise que par le
général romain. De fait, le décalage chronologique qui fut évoqué plus haut se fait res­
sentir ici plus qu'ailleurs : la société archaïque que se plaisait à observer Posidonius
s'est rapidement transformée et ne correspond plus - au moins dans sa réalité maté­
rielle si ce n'est dans ses institutions traditionnelles - à la société que rencontre César.
La noblesse a dû faire une meilleure part à la plèbe parce qu'elle a été appelée à lui
demander une participation de plus en plus forte à l'effort guerrier. L'invasion des
Cimbres et des Teutons dans les années 100 a probablement été le déclencheur d'une
véritable révolution politique. Les nobles ou « chevaliers » qui auparavant guer­
royaient seuls, comme par privilège, ont dû pour contenir les centaines de milliers
d'envahisseurs réclamer le secours de l'ensemble de la population, plèbe et esclaves
compris. Cet effort a eu son prix politique : les conseils militaires ouverts à tous les
combattants de quelque origine qu'ils fussent ont donné l'exemple d'assemblées plus
larges où la plèbe pouvait discuter de sa participation à la vie de la cité mais aussi s'en­
gager sur les efforts qu'on lui réclamait. C'est ainsi justement chez les peuples qui
avaient la plus grande puissance guerrière ou diplomatique, Bellovaques, Nerviens et
Eduens, que les formes oligarchiques du pouvoir se sont le plus développées et que le
pouvoir aristocratique a le plus reculé.

27
Dans le courant du le' siècle avant J.-C. l'appartenance sociale était donc loin d'être
figée. La noblesse avait perdu beaucoup de ses prérogatives . Le sénat qu'elle dominait
était chez certains peuples concurrencé par des assemblées populaires. La richesse ne
lui était plus seulement réservée. Et des hommes d 'extraction humble pouvaient
convoiter les plus hautes magistratures. Mais encore une fois la situation n'était pas
identique chez tous les peuples.

Nobles entre eux et nobles et gens du peuple ne concevaient pas leurs relations
comme des rapports d'individu à individu. Ces rapports se faisaient à l'intérieur
d'une institution qu'on connaît également à Rome, celle de la clientèle. Ces formes de
clientélisme étaient probablement variées et devaient s'établir à des niveaux très
divers, de la simple clientèle électorale j usqu'au quasi-servage. C'est justement cette
dernière forme qui est la mieux connue par sa description dans le passage ethnogra­
phique de César. Lorsqu'un homme du peuple est accablé de dettes, il se met au ser­
vice d'un plus puissant pour lequel il travaille en contrepartie de l'assurance qu'il lui
donne sur son entretien et sa protection. En fait cette forme extrême n'était probable­
ment plus aussi courante au moment de la conquête. Et des formes plus politiques
s'étaient substituées à elle. La puissance chez les Gaulois s'acquiert essentiellement
par cette clientèle. Si, dans un premier temps, la coercition a pu être le moteur du
clientélisme, il est évident que très vite le pouvoir de l'argent lui a fait place. Et ce n'est
plus seulement la force de travail qu'on a recherchée mais surtout l'appui politique.

Le clientélisme concernait les relations militaires et alimentait les confédérations. Il


existait également dans le domaine de la religion : les hommes étaient clients des dieux
mais, au-delà, les communautés elles-mêmes pouvaient être clientes du dieu ou du
culte d'un dieu d'une autre communauté. En effet, le clientélisme ne touchait pas seu­
lement les individus mais aussi les tribus, voire les peuples entiers. La dépendance
pouvait être assez forte mais dans bien des cas elle ne s'attachait qu'à un droit de pas­
sage, à une relation commerciale particulière.

Ce ne sont là que quelques aspects de la société qui intéressent directement notre


sujet. On ne prétend pas à travers eux brosser un tableau de celle-ci ni même en résu­
mer les aspects fondamentaux. Ils sont seulement le cadre minimal dans lequel il faut
situer la religion gauloise. Cette place n'est pas aisée à reconnaître parce que nous
manquons de descriptions concrètes de la vie quotidienne des Gaulois qui mettraient
en évidence le rapport du culte avec la vie politique, les activités guerrières ou les
besognes journalières de chacun. La grande synthèse que César tire de Posidonius ne
nous permet pas exactement de dire qui fait quoi. On s'en est rendu compte avec la
mention des druides présentés comme l'une des trois grandes catégories d'êtres
sociaux.

Religion et société

Sans entrer dès maintenant dans l'analyse du corps sacerdotal, qui viendra plus
tard, il est bon de se demander aux mains de qui est la religion et comment évolue le
rapport des citoyens avec les choses de la religion. Posidonius nous rapporte la situa-

28
tion telle qu'elle subsistait encore et chez quelques peuples au début du Ier siècle et sur­
tout telle qu'elle était aux deux siècles précédents : une catégorie définie de prêtres, les
druides, contrôlait le culte public comme le culte privé, avait un droit de regard sur la
j ustice, ainsi que sur la diplomatie et la guerre. Cette mainmise des druides se renfor­
ça encore : César nous apprend qu'ils validaient l'élection des magistrats et que les
réunions guerrières les plus secrètes se tenaient dans les bois sacrés. La puissance de
la classe sacerdotale s'était accrue dans certains domaines mais elle avait partagé ses
prérogatives avec ces différentes assemblées. La justice publique et internationale
semble progressivement lui échapper, comme la désignation des chefs. Un équilibre
s'instaure entre les attributions des prêtres et celles des assemblées et des constitu­
tions. On peut se demander si cet équilibre, si l'avènement de formes embryonnaires
de démocratie n'ont pas été voulues et organisées par ces mêmes druides. On y revien­
dra.

La situation n'a toujours été celle-là. A date ancienne, au tout début de l'installation
de la civilisation celtique en Gaule, il est probable que la religion ait été avant tout une
affaire familiale qui prenait une dimension publique quand il s'agissait de l'activité
cultuelle du roi. Ces roitelets des petites communautés celtiques cumulaient les pou­
voirs guerrier et religieux, comme c'était le cas dans les société italiques à l'époque
archaïque. La spécialisation de ces fonctions est peut-être un phénomène familial : les
descendants des grandes familles aristocratiques ont été amenés à se partager leurs
pouvoirs, régalien, militaire et religieux. Cependant la réalité d'une carrière religieu­
se, telle qu'elle nous est décrite dans le Livre VI de la Guerre des Gaules, ne devint pos­
sible qu'avec le développement du druidisme : l'association des druides en école
sacrée, par le biais d'une formation extrêmement poussée et longue, donnait un véri­
table statut reconnu par tous aux nouveaux formés qui trouvaient ainsi une place
naturelle dans la société.

L'une des théories les plus plausibles est que l'influence des druides se serait consi­
dérablement développée avec l'arrivée des envahisseurs celtes venus de l'Est et qu'on
appelle Belges, à la fin du IV• et au début du III• siècle. Nous discuterons cette théorie
dans le chapitre consacré aux druides. Disons seulement que cet état druidique de la
religion gauloise paraît relativement récent - il s'est développé entre le IV• et le I•'
siècle - et qu'il n'a probablement pas touché toutes les régions de la Gaule. Néanmoins
à l'époque de César chaque peuple disposait de prêtres spécialisés, qu'ils fussent ou
non druides. Dans chaque cité les cultes publics avaient remplacé au moins partielle­
ment les anciens cultes familiaux. L'individu, comme en témoigne très clairement la
description de Posidonius chez César, n'avait plus de rapport direct avec les divinités,
il devait utiliser un intercesseur.

Comme on vient de le voir, au moment où la religion gauloise est fixée dans les
écrits de Posidonius et de César, elle est en pleine révolution druidique. Il n'est
d'ailleurs pas étonnant qu'elle soit si bien observée et décrite par le premier :
Posidonius est avant tout un philosophe qui se réclame de Pythagore. Il est fasciné par

29
la philosophie des druides et leur place dans la société gauloise, dans laquelle il voit
une reproduction presque idéale des communautés pythagoriciennes. La description
qu'il nous donne des druides, certainement très influencée par l'intérêt personnel qu'il
avait à les montrer comme les guides spirituels et moraux de la société mais aussi les
fondements même de cette description, c'est-à-dire le pouvoir peut-être conjoncturel
qu'avaient acquis ces druides, déséquilibrent notre vision de la religion et de son his­
toire. Les druides sont les arbres - on serait tenté de dire des chênes - qui cachent une
forêt complexe mais peut-être inaccessible. Aussi est-il nécessaire avant tout de réexa­
miner les problèmes qu'ils soulèvent.

Les faiseurs de sacré

Nos meilleurs informateurs sur la société celtique, Timagène, César, Diodore de


Sicile et Strabon, sont relativement diserts sur les catégories d'hommes qui ont un
contact avec le sacré, contact au sens le plus large, puisqu'il est question non seule­
ment des prêtres mais aussi des devins - quelques-uns étant même magiciens - des
philosophes et des poètes. Ces témoignages peuvent paraître quelque peu contradic­
toires. Aussi n'est-il pas sans intérêt de les rappeler.

Les témoignages de Diodore, de Strabon et d' Ammien Marcellin

Diodore, Strabon et Timagène présentent trois tableaux qui ne sont pas sans res­
semblances. Il s'agit chaque fois d'une description en trois ou quatre phrases où sont
caractérisés en quelques mots les différents faiseurs de sacré.

Diodore distingue trois catégories. Deux sont désignées par leur nom gaulois,
bardes et druides, une troisième par son équivalent grec, devin. Les bardes sont des
poètes lyriques qui accompagnent leurs chants au son de la lyre. Ces chants peuvent
être des hymnes comme des satires. Les druides sont des philosophes et des théolo­
giens qui sont très estimés. Enfin il y a des devins qui sont le plus en faveur auprès de
la population : ils prédisent l'avenir par l'observation des oiseaux et l'immolation de
victimes, c'est ainsi qu'ils ont tout le peuple sous leur dépendance.

Strabon de la même manière cite trois catégories de personnes qui jouissent de l'es­
time de la population et qu'il désigne par des noms qui ne sont pas grecs. On retrou­
ve les bardes et les druides auxquels s'ajoutent les va tes ( « ouateis ») qui semblent cor­
respondre aux devins de Diodore. Les bardes sont décrits comme des poètes et des
chantres. Les druides sont versés dans les sciences de la nature et dans la philosophie
morale. Ils sont considérés comme les plus justes des hommes, c'est pourquoi on leur
confie le soin de régler les différends privés ou publics. Jadis ils réglaient même les
affaires guerrières entre les peuples et pouvaient arrêter les combattants sur le champ
de bataille. Les vates s'occupent des sacrifices et pratiquent également les sciences de
la nature.

30
t,

E n haut : P rocession d e sacrifi cate u rs s u r la situ le de La Certosa ( B o l og ne, Ital i e ) . Des b roches s e m b l ables à
celles q u e p o rte le t ro i s i è m e person nage ont été re ncont rées dans les s é p u ltu res de La Tè ne a n c i e n n e e n
C h a m p a g n e . E n bas : M o n naie des A u l e r q u e s E b u rovices à la légende" D ivic iacos ", p robablement u n h o m o ny­
me du c é l è b re d ru i d e é d u e n .

31
La copie de Timagène que l'on trouve chez Ammien Marcellin nous livre un tableau
très similaire. La Gaule s'est civilisée et s'est adonnée à la pratique de la science et des
arts sur l'initiative des bardes, des « eubages » et des druides. Les bardes chantaient en
s'accompagnant de la lyre, les exploits des hommes les plus illustres. Les « eubages »,
en cherchant à savoir les choses les plus hautes, entreprenaient de révéler les lois
sublimes de la nature. Les druides, supérieurs par l'intelligence, liés en confréries sur
le précepte de Pythagore, se sont élevés par leurs recherches sur les problèmes obscurs
et profonds, dédaignant les choses humaines ; ils proclamaient que les âmes sont
immortelles.

Il paraît assez clair que ces trois textes sont issus d'une même source qu'ils copient
quasi servilement. Les bardes et les druides ont des fonctions définies par les mêmes
termes, les mêmes expressions. La seule incertitude pourrait concerner les prêtres pro­
prement dit, nommés tantôt « devins », « vates » ou « eubages » . Il est clair en tout cas
qu'il s'agit de la même catégorie sacerdotale à qui reviennent trois prérogatives : le
sacrifice, la divination, la connaissance des lois de la nature, trois activités directement
liées. Pour ce qui est de leur nom, la contradiction, comme l'a fort bien montré
François Lasserre dans son édition de Strabon, n'est qu'apparente. Leur nom gaulois
serait « eubage » que Strabon a adapté dans son texte grec en utilisant un terme latin
qu'il estimait synonyme, celui de « va tes », tandis que Diodore de son côté renonçait à
le reproduire, se contentant de désigner une des fonctions, celle de devin. Les trois
versions s'enrichissent donc mutuellement : Diodore est celui qui nous renseigne le
plus sur les sacrificateurs-devins. Strabon éprouve plus d'intérêt pour les druides, et
surtout pour leur compétence juridique. Timagène ou son copiste pa s se sous silence la
question des sacrifices, souligne les qualités morales des druides et des eubages ainsi
que les fonctions de chantre et de panégyriste des bardes. Cette source unique est due
à Posidonius.

César à qui on reconnaît une dette aussi importante à Posidonius, au moins pour le
passage ethnographique, livre cependant une version totalement différente : il n'y est
question que des druides dont la description est poussée puisqu'elle s'attache non
seulement à indiquer les fonctions, mais aussi le mode de vie, la place dans la société,
le recrutement et l'enseignement en quelques grandes lignes. Nous reviendrons sur ce
texte qui est le plus important de la littérature antique sur la religion gauloise dans le
chapitre suivant quand il sera plus précisément question des druides. Ce qu'il faut
seulement indiquer ici, c'est que l'original de Posidonius qui a inspiré César n'est pro­
bablement pas le même passage qui a servi aux trois auteurs précédents. César a dû
puiser dans un chapitre, voire un livre consacré aux druides et au druidisme, tandis
que l'original que Strabon et les autres auteurs utilisent doit être issu d'une descrip­
tion plus générale de la société gauloise. Quoi qu'il en soit, c'est sur ces quatre ver­
sions que nous devons nous appuyer pour comprendre la fonction de ces faiseurs de
sacré, leur place dans la civilisation gauloise et leur évolution au cours des trois der­
niers siècles de l'indépendance.

32
Les fonctions sacerdotales

Ces textes, finalement peu copieux (si l'on excepte celui de César) et répétitifs, ont
donné matière depuis les premiers essais sur la religion gauloise à de longs dévelop­
pements sur la hiérarchie du sacerdoce celtique. Aux trois catégories d'hommes sacrés
qui viennent d'être évoquées on a ajouté ou on a fait correspondre un nom de prêtre
gaulois, le gutuater et le terme latin d' an tistes. Le premier est le nom d'un Carnute qui
est accusé d'avoir fomenté la révolte contre les Romains, mot que l'on retrouve sur
plusieurs inscriptions gallo-romaines et qui paraît désigner un type de prêtre. Le
second terme est utilisé par Polybe à propos des officiants attachés au sanctuaire prin­
cipal des Insubres. Ces divers éléments permettraient de distinguer quatre termes
gaulois : druide, eubage, gutuater et barde, correspondant à au moins cinq catégories
d'hommes sacrés : le philosophe-théologien, le devin-sacrificateur, le prêtre-gardien
d'un sanctuaire, le chantre sacré et peut-être une sorte de pontife. Le clergé donnerait
ainsi l'image d'une structure complexe et cloisonnée où chaque aspect de la religion
serait aux mains d'une catégorie sacerdotale définie.

Un tel système n'a que les apparences de l'harmonie. Dès que l'on essaie d'attribuer
à chaque type sacerdotal ses fonctions propres, les contradictions apparaissent, la
confusion s'installe. Les prérogatives métaphysiques des eubages s'opposent à celles
de même nature que tous s'accordent à reconnaître aux druides. La « physiologie » ,
cette connaissance des lois de la nature, englobant les sciences naturelles, l'astronomie
et la médecine, est disputée par les druides et par les vates. Les sacrifices et la pratique
des rites qui sont généralement reconnus aux vates et aux devins de Diodore, sont,
selon César, sous le contrôle des druides. Même la fonction de poète sacré est l'objet
de litiges : attribuée d'une manière générale aux bardes, elle serait pour Joseph
Vendryes à l'origine du mot italo-celtique de « vates ». On le voit, les choses ne sont
pas aussi claires qu'elles le paraissaient de prime abord. Et force est de reconnaître
qu'il faut renoncer avec cet ensemble d'informations à définir pour l'ensemble des
clergés gaulois une hiérarchie fonctionnelle.

Les raisons de ce désordre descriptif sont évidemment de nature historique et peut­


être géographique. Et il faut se tourner à nouveau vers la source de toutes ces infor­
mations, Posidonius, pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer. Rappelons­
nous qu'il a écrit au tout début du Je' siècle avant notre ère et qu'une partie de ses
informations étaient même plus anciennes. Entre le moment où il écrit et celui où
César s'en inspire la situation des druides a changé. Hors de l'« excursus ethnogra­
phique » , César ne les mentionne jamais, pas même à propos de l'Eduen Diviciacos
dont nous savons grâce à Cicéron qu'il n'était pas seulement un chef politique et mili­
taire mais aussi un druide. On peut donc penser que l'influence des druides sur la vie
politique était déclinante et que leur règle de vie, bien décrite au Livre VI, n'était plus
strictement observée. Il faut donc croire qu'au temps de Posidonius la situation de ce
corps sacerdotal était plus brillante qu'elle ne le devint vers le milieu du le' siècle,
qu'elle était peut-être à son apogée. Ce déclin certainement lent du druidisme suppo­
se avant la fin du ne siècle une période de progrès probablement aussi lent.

33
Le fait que les druides soient considérés par tous les auteurs comme des philo­
sophes constitue l'anomalie la plus étonnante, quand on tente de replacer sur une
échelle hiérarchique les différents intercesseurs du sacré . Il est évident qu'il ne peut y
avoir qu'une opposition entre ces philosophes désignés comme les plus justes des
hommes et les sacrificateurs-devins qui, rapporte Diodore, maintiennent la populace
sous leur influence. Cette contradiction entre le rôle j udiciaire et l'enseignement des
druides, d'un côté, et, de l'autre, l'usage répandu des sacrifices divinatoires et
magiques devait apparaître de façon manifeste dans l' œuvre originale de Posidonius :
elle est perceptible en tout cas dans les deux versions que nous donnent Strabon­
Diodore, d'un côté, et César, de l'autre. Dans les an nées 100 avant J.-C., Posidonius
nous décrit un état défini de la société gauloise bien situé dans le temps, société dans
laquelle figurent des éléments nouveaux auprès d'institutions anciennes parfois enco­
re vivaces. J'inclinerais à croire que les devins-sacrificateurs appartenaient à une
époque ancienne et qu'ils étaient combattus par ces aristocrates du sacré qu'étaient les
druides.

Nous l'examinerons plus en détail dans le chapitre suivant, les druides font figure
de réformateurs. A l'inverse, les « devins » aux multiples fonctions décrits par
Diodore, correspondant peut-être aux eubages, ont tous les caractères des prêtres les
plus anciens, ceux qui accompagnaient les troupes au moment des migrations, qui par
la mantique indiquaient le chemin à suivre, qui décidaient de la bataille et
conseillaient les chefs. La multiplicité de leurs fonctions et leur pratique du sacrifice
humain sont deux caractères qui sans aucun doute témoignent de leur nature
archaïque.

L'histoire d u corps sacerdotal

En Gaule chez beaucoup de peuples jusqu'aux débuts du J•r siècle avant J.-C., il exis­
ta un véritable corps sacerdotal, indépendant de la société civile et structuré, un peu à
l'image de ce que nous voyons dans l'Inde védique. Cependant ce clergé ne présenta
jamais l'apparence harmonieuse d'une construction raisonnée. Ce corps sacerdotal qui
se partageait plus ou moins bien les différentes fonctions s'était stratifié : avec le
temps, aux magiciens s'étaient ajoutés des devins-sacrificateurs, puis des desservants
de temple, enfin les druides. Ces « faiseurs de sacré », comme nous avons décidé de
les appeler, coexistaient les uns avec les autres plus qu'ils ne s'intégraient en un cler­
gé unique, une sorte d'église avec son autorité supérieure et une hiérarchie finement
étagée. Cependant, dans le courant du II• siècle, les druides avaient commencé à don­
ner un ordre au sacerdoce et une éthique au culte, Posidonius nous en a laissé le témoi­
gnage .

Pour tenter de comprendre le fonctionnement des différents ministères sacrés et


leur évolution dans le temps, il semble donc nécessaire de remonter à la période la
plus ancienne que l'on puisse reconstituer. Celle-ci pourrait se situer aux VI• et V•
siècles et correspondrait à l'apogée des petites royautés tribales qui ont précédé la
constitutions des civitates, peuples-états que rencontre César. A la tête de ces petites

34
communautés se trouvaient des roitelets, issus d'une noblesse, étroite par le nombre .
Leur pouvoir, qu'ils devaient à leur naissance et à leur mainmise sur les moyens guer­
riers, nécessitait cependant une aide divine. Elle justifiait leur place dans la hiérarchie
sociale. Elle avait également pour mission de cimenter les différentes composantes de
cette société inégalitaire. Le roi, dans sa conception indo-européenne, celle que l'on
peut appréhender à travers les noms latin de rex et gaulois de -rix, comme l'a montré
Emile Benveniste, détient un pouvoir qui est alors autant religieux que politique.

Un des textes (cf. Annexe II) les plus anciens que nous possédions sur les Celtes (il
remonte au milieu du me siècle), dû à l'historien grec Phylarque, évoque ces pratiques
princières qui, certainement jusqu'aux environs du ye siècle, permettaient aux aristo­
crates et au peuple de se retrouver pour un temps dans une communion divine. Un
très riche aristocrate, du nom d' Ariamnès, offre pendant un an une fastueuse hospita­
lité à toute la population d'un pays. Pour ce faire, il installe de place en place, le long
des routes, d'immenses baraques de banquet. Et chaque jour sont sacrifiés des bœufs,
des moutons et des porcs. Leur viande est préparée dans d'immenses chaudrons. Des
libations de vin et d'orge les accompagnent. Il est clair que cet aristocrate, véritable
héritier des princes du premier Age du Fer, joue lui-même le rôle d'intercesseur
auprès des divinités. Sa richesse personnelle lui permet d'offrir ces dispendieux sacri­
fices que seule plus tard la communauté toute entière, à travers les institutions d'un
véritable Etat, pourra s'offrir. Pendant plusieurs siècles, de l'apogée des royaumes
princiers jusqu'à l'apparition des premières constitutions oligarchiques, la chose reli­
gieuse demeura aux mains des princes eux-mêmes puis des aristocrates qui leur suc­
cédèrent.

Mais leur pratique religieuse ne se limitait pas à de tels banquets communautaires


qui seraient très vite apparus comme de vulgaires aumônes. Les princes avaient à j us­
tifier une proximité avec les divinités qui donnaient tout leur prix aux charges rituelles
dont ils s'estimaient investis. L'héroïsation avait ce rôle. Le prince par le décorum dont
il s'entourait (vêtements, parures, armes, moyen de transport) devait apparaître
comme un être supérieur, détaché de la masse humaine. Mais c'est surtout au moment
de la mort que son essence surhumaine se révélait : enterré dans une sépulture fas­
tueuse au centre d'un véritable monument marquant le paysage, il entrait véritable­
ment dans une seconde vie auprès des dieux. Ses représentations, sous forme de sta­
tues hiératiques, étaient là pour le rappeler. Mais surtout il continuait à participer au
culte, du côté de la divinité cette fois. Un lieu de culte exceptionnel et précoce, à Vix
parmi les tumulus princiers, a révélé deux de ces statues, homme et femme assis très
bas comme dans les banquets celtiques, parmi les restes abondants de banquets : osse­
ments de bœufs, moutons, porcs et chiens et coupes en céramique. Soit ces ancêtres
héroïsés étaient eux-mêmes l'objet d'un culte, soit ils étaient conviés avec une autre
divinité à recevoir leur part de sacrifice.

Cependant le développement de l'aristocratie, évolution normale du morcellement


des dynasties, a dû s'accompagner de l'éclatement des privilèges et des charges. Les
familles ont gardé leurs prérogatives mais les ont réparties entre leurs différents repré-

35
sentants. Il est probable que c'est à ce moment que sont apparues des fonctions sacer­
dotales particulières, devin, sacrificateur, panégyriste, etc., qui n'étaient pas à propre­
ment parler des métiers mais qui donnaient à leur détenteurs une place reconnue dans
la société. C 'est eux certainement qu'évoque la source probablement très ancienne,
recopiée par Dion de Pruse, description étonnante de ces prêtres et devins à qui obéis­
sent des rois plongés dans la luxure et l'ivresse.

On peut penser que, dès ces temps anciens, le chantre sacré avait une place remar­
quable auprès des princes. Comme dans la société homérique, les poètes épiques
étaient nécessaires à la stabilité des rois et à la compréhension par le peuple des liens
unissant les dieux à ces rois travestis en héros. La légitimité des princes était avant tout
généalogique et les panégyriques que composaient les bardes ou autres poètes
devaient tenir de l'hagiographie. Les chantres n'étaient pas seulement des courtisans
vivant aux crochets du roi, comme pourrait le laisser penser l'anecdote du roi Luern
jetant de son char un sac d'or à un poète arrivé en retard à son festin et chantant les
louanges du donateur. Ils dressaient sans cesse un portrait nouveau et nécessaire de la
gloire des chefs. Ils complétaient par la parole et la musique l'efficience d'une religion
qui ne s'exprimait guère que dans quelques cultes publics et lors des événements
guerriers. C'est grâce à eux que le peuple avait accès à deux formes de l'art, la poésie
épique et la musique, deux disciplines qui conservaient une nature sacrée : elles
étaient omniprésentes lors des cérémonies cultuelles.

L'aède était donc un acteur essentiel de cette société archaïque, au même titre que
le devin-sacrificateur. Mais sa place dans la culture celtique était plus importante :
avant l'hégémonie des druides, il était le seul historien des dynasties aristocratiques,
le seul mythologue. Alors qu'on ne peut être sûr de la présence avant le IVe siècle de
prêtres fonctionnaires, pratiquant la divination et officiant au nom de la communau­
té, la présence généralisée de ces poètes peut être considérée comme un fait acquis : la
poésie épique était un élément essentiel de la civilisation celtique qui se répandit sur
une grande partie de l'Europe dans les trois derniers siècles précédant notre ère.

Les femmes, vestales et prêtresses

Les tableaux trop synthétiques du personnel religieux en Gaule que nous ont trans­
mis les compilateurs de l'œuvre de Posidonius n'accordent aucune place particulière
aux femmes. Il est vrai que, comme dans la plupart des religions antiques, leur rôle
était secondaire. Il l'était cependant moins qu'à Rome. La femme, nous le savons par
César, avait un statut remarquable dans la société gauloise qui se traduisait notam­
ment par une étonnante autonomie patrimoniale et financière. Cette place, elle l'occu­
pait au moins depuis le premier Age du Fer où elle s'était exprimée dans la plus haute
sphère sociale, celle des dynasties princières. L'occupante de la sépulture de Vix en
offre l'exemple le plus évocateur : ses parures, ses accessoires et son char n'ont rien à
envier à ceux de l'autre prince le plus célèbre de la même époque, celui de Hochdorf.
Les honneurs qu'obtenaient de telles princesses avaient nécessairement des consé­
quences sur le plan religieux. Le fameux cratère déposé dans la chambre sépulcrale

36
B i e n q u e d i s c rète dans les descri pti o n s des aute u rs anti q u es, la place de la fe m m e ce lte dans la re l i g i o n devait
être aussi i m po rtante q u 'e l l e l ' était dans la vie sociale. N e uvy-en-S u l l ias ( Lo i ret), I " s . a p r. J . - C . ?

37
avait selon toute probabilité connu un usage cultuel et son dépôt auprès de la
dépouille de cette femme ne s'explique pas seulement par l'ostentation de la richesse
dont sa vie s'était accompagnée.

Quand les cités s'organisèrent en véritables petits Etats, il n'est pas sûr que les
femmes purent garder un rôle reconnu dans les cultes publics qui se mirent alors en
place. Comme à Rome, une femme ne pouvait à elle seule officier au nom de la com­
munauté toute entière. Cependant elles purent soit organiser soit continuer des cultes
qui leur étaient propres et où les hommes étaient soit partiellement soit totalement
exclus. De ces cultes locaux, particuliers, il ne demeure dans la littérature quasiment
aucune trace. Par bonheur, chez Strabon nous trouvons la mention de deux cultes spé­
cifiquement féminins. Ils sont aussi extraordinaires l'un que l'autre.

Le premier (Annexe II, Strabon n° 2), tiré de l'œuvre de Posidonius, provient très
certainement du récit plus ancien (III• ou II• siècle) d'un voyageur ou marin grec. Les
faits se déroulent, en effet, dans une île située en face de l'embouchure de la Loire. Là,
des femmes se sont retirées et vivent sans homme, toutes à leur adoration et au servi­
ce d'un dieu que Posidonius a identifié abusivement avec Dionysos. Ces femmes ne
sont pas des vierges, elles ont des époux qui vivent sur le continent et qu'elles vont
rejoindre, le temps d'une union. Le fait qu'elles soient qualifiées de « Samnites » (cor­
ruption probable du nom de peuple Namnète) indique qu'il s'agit d'un culte officiet
au nom de la cité, et qui était entièrement confié à ces vestales paradoxales, dont l'une
des missions était chaque année de refaire le toit du temple.

Le deuxième culte a également pour cadre une île, comme si seule l'insularité pou­
vait justifier l'anomalie d'un sacerdoce exclusivement féminin. Le texte (Annexe II,
même référence) est tiré de l' œuvre d' Artémidore, contemporain de Posidonius, mais
qui, à sa différence, voyagea le long des côtes atlantiques . Il est également copié par
Pomponius Mela (Annexe II, n° 2) qui en donne une version plus détaillée. Il s'agit
d'une île appelée Sena (que l'on identifie avec l'actuelle île de Sein) . Les deux versions,
comme c'est souvent le cas, s'éclairent mutuellement et se complètent. Strabon, à tra­
vers Artémidore, donne une traduction hellénique du culte : il s'agirait de cérémonies
en l'honneur de Déméter et de Coré, similaires à celles qui se déroulaient sur l'île de
Samothrace. Pomponius Méla ne nomme pas la divinité mais la qualifie de gauloise,
il indique qu'il s'agit d'un oracle en même temps que d'un culte guérisseur à l'adres­
se des marins et des navigateurs. Neuf prêtresses, cette fois véritables vestales, en ont
la charge. On les appelle Gallizena et elles sont en possession de pouvoirs magiques,
celui de pouvoir se transformer en n'importe quel être, celui de guérir et celui de pré­
voir l'avenir. Il est évident qu'Artémidore, comme Posidonius dans le cas précédent,
s'est livré à une identification outrancière avec le couple de divinités grecques . En
revanche, la comparaison avec le culte de Samothrace est plus justifié. Ce qui se pas­
sait dans l'île de Séna et que l'on pressent à travers les propos crédules de Méla, ce
sont bien des mystères, certainement initiatiques qui devaient développer une théma­
tique proche de ceux de Samothrace ou d'Eleusis et que l'évocation de Dérn.éter et de
Coré laissent assez bien imaginer : il devait y être question de la fécondité de la terre,
du retour des saisons.

38
Le texte de Méla a l'intérêt également d'attirer l'attention sur ce qui paraît avoir été
une particularité féminine, le pouvoir prophétique. Celui-ci est parfaitement décrit
par Tacite, même s'il est évoqué à propos des Germains, les « cousins » des Celtes
(Germanie, VIII, 2, dont les généralités sont peut-être tirées de l'observation de tribus
celtiques) : « Ils estiment qu'il y a quelque chose de sacré et de prophétique chez les
femmes. Aussi ne repoussent-ils jamais leur conseil et ne négligent-ils pas moins les
réponses oraculaires qu'elles leur font. »

La révolution sacerdotale du III' siècle

Ce schéma a dû se transformer profondément à partir de la fin du IV• siècle avec la


création des grands sanctuaires. Ces installations nouvelles et imposantes supposent
une conception, également nouvelle, du lieu de culte, établi pour l'éternité et bâti pour
recevoir des masses importantes de participants à des cultes réguliers et répétés. La
rigueur des plans, le soin apporté à la construction et à la décoration sont autant de
témoignages de la présence de véritables architectes et, d'une façon plus générale, de
concepteurs habitués au calcul et aux relevés astronomiques. Mais ces grands
ensembles nécessitaient également le concours d'un personnel, sinon nombreux du
moins multiple, pour l'accomplissement des différentes tâches rituelles et l'entretien
des installations. Les grands sanctuaires, à l'image de celui de Gournay, prouvent la
naissance d'un embryon de hiérarchie sacerdotale dès la fin du IV• siècle, hiérarchie
que ces mêmes sanctuaires devaient par la suite contribuer à développer. Les archi­
tectes qui diffusèrent à l'échelle de la frange atlantique de la Gaule ce modèle du sanc­
tuaire, qui le conçurent ou le copièrent, selon toute vraisemblance, n'étaient pas les
sacrificateurs ou les préposés à l'entretien du temple ou de sa clôture. Les sacrifices
d'animaux avec leur modes multiples de mise à mort, les rites complexes touchant au
traitement du corps humain nécessitaient un personnel spécialisé dans les connais­
sances anatomiques et les gestes quasi chirurgicaux. Le type de ces prêtres en charge
d'un sanctuaire particulier nous est signalé par Tite-Live à propos du sanctuaire prin­
cipal des Insubres. Il les distingue des officiants, qui accomplissent eux-mêmes les
rites.

Dès le milieu du III• siècle dans la Gaule du nord et de l' ouest, cette révolution dans
le sacerdoce était accomplie. Des ministres du culte étaient établis à demeure dans
l'enceinte des grands sanctuaires publics. Ils étaient de véritables fonctionnaires du
sacré, pris en charge par la collectivité et vivant du produit des opérations liturgiques
(part des animaux et des richesses sacrifiées) et des largesses de l'Etat. L'installation
progressive entre la fin du IV• siècle et la fin du III• siècle d'un clergé officiel eut de
nombreuses conséquences. Tout d'abord les magiciens-sacrificateurs qui officiaient
auprès du peuple se trouvèrent dans le même temps rendus à l'état de sorciers, per­
dant leur légitimité cultuelle et la remplaçant par l'efficacité toute relative de leurs
opérations magiques. Mais les conséquences politiques, judiciaires et intellectuelles au
sens le plus large ne furent pas moins importantes.

Les grands prêtres - peut-être ceux qu'il faut reconnaître derrière le mot gutuater -

maîtres omnipotents du sacré auprès des familles aristocratiques se trouvèrent en

39
butte à une concurrence implacable. Leur pratique sacrificielle se trouva limitée à l'ai­
re domestique, dans le cadre des cultes familiaux. Il est probable qu'ils s'accrochèrent
à leur pouvoir divinatoire, qui leur permettait d 'influencer directement les princes
dans toute décision militaire. Mais ce rôle actif dans le jeu politique et diplomatique
fut lui-même assez vite contesté quand les grands sanctuaires devinrent les lieux de
réunion des chefs, des assemblées politiques et des rassemblements confédéraux. Les
grandes décisions ne se prenaient plus dans l'enceinte de la famille royale ou aristo­
cratique, elles se prenaient encore moins au cours de banquets fastueux mais dans des
conciliabules solennels sous l'égide d'une divinité et forcément sous l'autorité de ceux
qui avaient un contact direct avec elle. Parmi ces décisions figurait en bonne place le
règlement des conflits publics, entre Etats, entre tribus et progressivement entre
magistrats et particuliers. Ainsi, petit à petit, c'est toute la sphère judiciaire qui fut aux
mains de la classe sacerdotale.

Mais les plus grands bouleversements touchèrent le monde de l'esprit dans son
sens le plus large, celui qui excédait les limites du sacré. Avant l'installation de ce cler­
gé hiérarchisé dont les représentants se spécialisèrent dans chacune de leurs fonctions,
le savoir n'avait pas chez les Gaulois d'existence propre, hormis le savoir technique.
Les sciences masquées par la magie, la divination, la croyance en un surnaturel uni­
versel ne pouvaient se développer de leur propre mouvement, d'autant qu'elles
n'étaient pas diffusées. La connaissance sacrée était jalousement cachée au profane.
Seuls les enfants des familles nobles avaient accès à une culture où la mythologie, la
généalogie familiale, quelques rudiments de poésie et de musique tenaient toute la
place. La multiplication des sanctuaires comprenant un personnel plus ou moins nom­
breux obligea à une propagation rapide d'un savoir essentiellement liturgique mais
qui s'accompagnait forcément de connaissances fondamentales, telles que l'observa­
tion des astres, l'anatomie humaine et animale, la botanique, le calcul. Il fallait veiller
au renouvellement de ce corps sacerdotal, en même temps qu'il fallait éduquer la jeu­
nesse aristocratique appelée soit à entrer parmi les cadres de ce clergé, soit à l'entrete­
nir au titre de représentant de l'Etat.

Ainsi, dès que les grands sanctuaires se furent répandus sur le territoire, se déve­
loppèrent des activités autonomes qui jusqu'à présent n'avaient jamais été nettement
séparées de la magie, de la divination et du culte. Ces activités principalement sont la
justice, l'éducation et les sciences. Elles sont le terreau sur lequel a pu naître l'embryon
d'une philosophie proprement celtique. Cette philosophie nous amène à évoquer
maintenant les druides.

Les druides

Les druides et le druidisme ont suscité une littérature copieuse, plus abondante
même que celle consacrée à la religion gauloise et celtique. Depuis les écrits ossia­
niques de Macpherson, les divagations et élucubrations de tous genres ont été plus
nombreuses que les synthèses objectives et raisonnées. Et aujourd 'hui il est difficile de

40
ne pas faire une analyse passionnée d'un problème qui demeure épineux. Le mot
même de « druide » qui faisait l'objet déjà dans l' Antiquité d'étymologies plus ou
moins savantes présente encore quelques obscurités. Si tout le monde s'accorde pour
y voir un mot formé de deux racines, (Dru et *wid ou *weid), dont la seconde d'origi­
ne indo-européenne présentant des analogies avec le grec et le latin signifierait voir ou
savoir, le préfixe (dru) continue d'opposer les linguistes. Faut-il y voir le nom du chêne
ou au contraire un préfixe renforçant le sens de *weid (le « très savant » en quelque
sorte) ? Quoi qu'il en soit, ce mot à l'évidence désigne des personnes qui se distinguent
par leur savoir hors du commun, que leur grande sagesse soit d'origine divine ou seu­
lement intellectuelle.

Sur les druides les textes antiques sont rares et peuvent tous être taxés de partiali­
té. Nous ne prétendons donc pas apporter une lumière définitive sur la question et
rejeter l'œuvre de nos prédécesseurs dans les poubelles de l'histoire. Nous essaierons
seulement, par l'apport des connaissances archéologiques et avec une méthode inspi­
rée de la sociologie de l'histoire, de replacer le druidisme dans une perspective histo­
rique et sociale.

Posidonius et le druidisme

Encore une fois il nous faut revenir à la source de notre documentation, autrement
dit pour l'essentiel à Posidonius . Certes, ce dernier n'est pas le premier à avoir écrit
sur les druides . Aux environs de 200 avant J.-C. deux auteurs les mentionnent, l'un est
probablement Antisthène de Rhodes à qui l'on attribue généralement le traité La
Magie, l'autre est Sotion d'Alexandrie qui écrivit la première histoire de la philosophie.
Ces deux œuvres sont malheureusement perdues, nous n'en avons connaissance que
par les deux courtes mentions qu'en fait Diogène Laërce. Elles ont au moins le mérite
d'attester qu'à la fin du III" siècle avant notre ère le druidisme était un phénomène suf­
fisamment important et marquant pour apparaître dans des traités grecs sur la philo­
sophie ou la religion. Cela prouve également qu'à cette époque la philosophie des
druides était déjà largement diffusée en Gaule pour que des voyageurs grecs ou peut­
être les habitants de Marseille signalent son existence. Cependant, c'est Posidonius,
aux environs de 100 avant J.-C., qui en dresse le tableau le plus complet. Cette des­
cription des druides était copieuse puisqu'elle nourrit une bonne partie de la digres­
sion ethnographique du Livre VI de César. Elle figurait peut-être dans le Livre XXIII
des His toires de Posidonius, racontant l'invasion des Cimbres et des Teutons, à moins
que ce ne fût dans un autre livre, tout entier ou partiellement consacré à la civilisation
et à la géographie de la Gaule.

Or Posidonius n'est pas un historien banal. On sait qu'il fut le premier ethnographe
de la Gaule mais ses compétences étaient plus larges et son influence ne se limita pas
à la seule découverte des Barbares, voisins des Grecs et des Romains. Il fut avant tout
un philosophe stoïcien qui remit au goût du jour les théories de Pythagore en leur
adjoignant les leçons de Platon. Il reprit également les idées de Zenon de Citium et for­
mula une théorie très complexe sur l'âme, sur sa nature, sur sa préexistence à toute vie

41
et sur son devenir. Ses idées nous sont connues essentiellement à travers l'œuvre phi­
losophique de Cicéron qui fut avec Pompée l'un de ses auditeurs. Mais Posidonius
comme Pythagore était un esprit tourné vers la science. Il poursuivit des recherches en
astronomie et en géographie, tout en faisant œuvre d'historien puisqu'il n'écrivit pas
moins de 52 livres de ses Histoires qui faisaient suite à l 'œuvre de Polybe. Au début du
J•r siècle avant J.-C., il fait figure de nouvel Aristote - on le surnomme polymathestos, le
« très savant » - et dans sa production littéraire prodigieuse on puisera pendant des
siècles.

Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c 'est la philosophie de Posidonius.


Il est avec son maître Panétius de Rhodes le plus important représentant de l'école
philosophique qu'on a appelée le « moyen stoïcisme ». L'un et l'autre en développent
une forme platonisante. Posidonius lui-même écrit un commentaire du Timée de
Platon. De fait, Posidonius travestit la morale et le rationalisme de ses prédécesseurs :
en diffusant l'astrologie, en s'adonnant à la mantique des nombres, il rejoint la théo­
logie pythagorique et incline au mysticisme. De la sorte, il réussit une synthèse aléa­
toire du pythagorisme et du stoïcisme. Sa philosophie est en grande partie perdue
mais on en retrouve les échos dans les œuvres philosophiques de Cicéron, chez
Lucrèce, Sénèque et Pline. La religion dans cette philosophie occupait peut-être la
place la plus importante. L'Univers est considéré comme dieu, les dieux des religions
étrangères ne doivent pas pour autant être méprisés, ils trouvent place auprès de ce
dieu univers. A l'ancienne antinomie entre le fini et l'infini, Posidonius oppose le
couple dieu-nature. C'est le dieu qui renouvelle périodiquement la nature. L'âme pro­
cède de dieu et non de la nature ; elle préexiste donc aux corps dans lesquels elle ne
fait que s'incarner. Seule la mort, détachant l'âme du corps, lui permet d'échapper à la
douleur. Il est probable que Posidonius, comme les pythagoriciens, croyait au caractè­
re divin de l'âme et des astres et à la parenté des deux. Le Timée nous donne une ver­
sion de cette croyance que l'on retrouve dans le « Songe de Scipion » qui clôt le VI•
Livre de La République de Cicéron. Sénèque nous apprend aussi dans 90° Lettre à
Lucilius que Posidonius avait écrit une théorie sur l'origine des civilisations. Il imagi­
nait un « Age d'Or » où le pouvoir aurait été aux mains des sages, d'abord rois puis
législateurs, enfin inventeurs qui auraient transmis aux hommes les principales tech­
niques. Nous verrons que cette théorie de l' Age d'Or ne fut pas sans conséquence sur
l'intérêt que Posidonius porta aux Gaulois.

Ces théories qui aujourd'hui peuvent nous paraître complexes et nébuleuses ne


nous écartent nullement de la religion des Gaulois. Comme on le verra plus loin, beau­
coup des idées qui viennent d'être évoquées ont un étrange air de parenté avec le
contenu de l'enseignement des druides. Doi t-on y voir l'influence directe de celui qui
a consigné par écrit la philosophie druidique ? Il est curieux que ce débat reproduise
un débat plus ancien où Posidonius n'est pas directement en cause ; débat que l'on
peut résumer de cette manière : les druides ont-ils été les élèves de Pythagore ? Ou au
contraire Pythagore s'est-il formé auprès de philosophes barbares, dont les druides
celtes ? Si dès le II• siècle, les premiers historiens de la religion pouvaient se poser cette
question, c'est qu'ils constataient une coïncidence entre les deux ph ilosophies, coïnci-

42
dence qu'ils n'imaginaient pas fortuite. On ne peut donc accuser Posidonius d'avoir
projeté ses préoccupations et ses idées religieuses sur celles des druides.

Il est plus intéressant de noter que tout, dans les idées et dans la vie de Posidonius,
le préparait à s'intéresser particulièrement aux druides. Attentif aux faits de société, il
était encore plus enclin à observer avec la plus grande attention les phénomènes reli­
gieux. Contrairement à tous les autres historiens de l'Antiquité, il n'avait pas un
regard méprisant ou colonialiste sur les Celtes. Il avait à cœur de connaître les divini­
tés étrangères qu'il plaçait auprès du dieu-univers. Il s'était peut-être aussi donné
pour mission d'étudier les seuls philosophes non-grecs qu'il pouvait commodément
rencontrer.

D'un autre côté, ces druides avaient toutes les qualités requises pour fasciner une
personnalité telle que celle de Posidonius. Ils étaient avant tout des philosophes, tout
comme le « très savant » . Mais ils avaient le mérite insigne de développer une mora­
le qu'ils cherchaient à diffuser dans les sphères politique et judiciaire par le biais de la
religion. Ils se chargeaient également de l'éducation et non pas seulement d'Ecoles
philosophiques, semblables à celle que Posidonius dirigeait à Rhodes. Les druides
réussissaient donc ou semblaient sur le point de réaliser l'i déal platonicien de l'inté­
gration de la philosophie dans la cité. Le corporatisme des druides qui se cooptaient
les uns les autres avait de quoi plaire aussi au néo-pythagoricien dont les idées à Rome
notamment se diffusaient à travers des sectes plus ou moins secrètes.

Posidonius fut donc un ethnographe quasi providentiel pour les Celtes. Et son
témoignage, s'il n'est évidemment pas formellement objectif, n'est entaché ni d'eth­
nocentrisme, ni de la passion de l'exotisme. On peut seulement suspecter Posidonius
d'avoir pris son rêve philosophique pour une réalité gauloise et d'avoir surestimé la
place des druides dans la société. La description qu'il en fait s'appuie selon toute vrai­
semblance sur le cas particulier d'une cité dans laquelle ce nouveau corps sacerdotal
avait pu se développer dans les meilleures conditions. Ce n'était pas le cas partout, il
faut croire que certains peuples n'ont même pas connu le druidisme. Le tableau que
brosse Posidonius des druides et du druidisme est donc le texte fondateur à partir
duquel découle une série de copies plus ou moins fidèles. Nous venons de voir que
l'une des plus précieuses, celle de César, malgré la présence de précisions qu'il est le
seul à avoir conservées, dévoie cependant la source initiale. Par une assimilation abu­
sive entre « faiseurs de sacré » et druides, il laisse croire que les druides composaient
l'ensemble de la prêtrise dans toute la Gaule. C'était bien sûr valoriser le rôle de ces
membres hors du commun dans la société. Mais c'était aussi en faire la cible des
attaques de ceux qui verraient en eux les sacrificateurs ou les devins.

La description de César

César avait des raisons pour résumer de cette manière le fruit de ses lectures. Tout
d'abord il ne devait plus reconnaître, au milieu du premier siècle et chez des peuples
connaissant un haut degré de civilisation, tels que les Eduens, la situation décrite à la
fin du II• siècle concernant des peuples peut-être plus « barbares ». Les authentiques

43
devins, les bardes traditionnels avaient peut-être disparu ou n'étaient plus identi­
fiables. Il était donc plus facile de présenter au lecteur romain un corps sacerdotal
homogène, regroupé sous une même dénomination, et se distribuant les différentes
fonctions. Mais il est possible, comme plusieurs auteurs l'ont proposé, que César ait
eu un intérêt propre à embellir l'image des druides. Une théorie déj à ancienne veut
que ces derniers aient été favorables à Rome et que, d'une manière générale, ils aient
défendu le parti de la paix. Le conquérant était donc naturellement porté à voir en ces
hommes l'avenir de la Gaule conquise. Il était habile politiquement de montrer au
sénat romain que la religion sanguinaire des Gaulois tant de fois évoquée par Cicéron
était en réalité entre les mains d'un corps structuré de prêtres, eux-mêmes dirigés par
des philosophes.

L'amalgame que fit César pour une bonne cause, celle de montrer la religion des
Gaulois dans ce qu'elle avait de meilleur et de plus prometteur, se retourna contre les
druides. Avec la conquête, ces derniers furent en partie décimés mais surtout leur
association fut profondément déstabilisée, parce qu'elle était la partie la plus fragile de
l'édifice sacerdotal. Les prêtres, les sacrificateurs se trouvèrent rendus à une certaine
liberté qui s'exerça évidemment au détriment des doctrines philosophiques. Et ce sont
les côtés les plus populaires, les plus archaïques de la religion qui resurgirent.
L'assimilation se traduisit par un nivellement par le bas : les druides - on le voit chez
Pline - sont décrits comme des mages ou des sorciers.

Les druides et la société celtique

Il paraît donc nécessaire de restaurer, au sens technique du terme, l'image des


druides, de lui redonner sa réalité. On ne peut le faire qu'en revenant au témoignage
de Posidonius qui voyait en eux avant tout des philosophes. Or l'état de la société gau­
loise vers la fin du ne siècle avant J.-C. laisse penser que cet exercice de la philosophie
et de la science ne pouvait être radicalement coupé de la religion, il aurait fallu pour
cela une société plus urbaine et une pratique beaucoup plus ancienne de la démocra­
tie. La copie césarienne de l'une des descriptions de Posidonius montre justement que
les fonctions des druides sont multiples, qu'elles associent le contrôle de la religion, la
philosophie, les sciences, l'éducation, la justice et même une participation discrète
(dans le texte césarien qui minimise ce rôle) à la vie politique. Il paraît assez évident
que c'est la pratique religieuse qui servait de caution aux autres activités. Il semble
tout aussi clair que l'éventail des prérogatives druidiques s'était ouvert progressive­
ment. Des domaines aussi divers n'ont pu se cumuler que par strates successives. La
pratique cultuelle a permis le développement de sciences qui lui étaient quasiment
annexes, anatomie, astronomie, calcul. La diffusion de la philosophie et notamment de
ses parties morale et métaphysique n'a pu se produire que lorsque le statut social
supérieur des druides fut acquis, quand ils eurent en charge l'éducation des j eunes
nobles. Mais leur intervention dans les domaines judiciaire et politique ne put être que
tardif. L'évolution des conceptions religieuses ne peut se faire qu 'à l'intérieur d ' une
évolution similaire de la société capable d'en développer les cadres m.atériels et

44
En haut : U n p o rtrait réal iste de César : b u ste s u r u n d e n i e r d ' a rg e nt de 43 av. J . - C . (Col lect i o n Danico u rt,
Péro n n e ) . E n bas : M osaïq u e des aute u rs g recs, Autu n , f i n d u I l ' s . a p r. J . - C . , témoig nant d e l ' é r u d it i o n de l'aris­
toc ratie g a u l o i s e .

45
humains. Les travaux de Max Weber l'ont excellemment montré. Les druides n'échap­
pent pas à cette règle : leur émergence, l'élargissement de leurs compétences s'inscri­
vent à chaque étape de la progression de la société celtique vers l'urbanisation et la
démocratie.

C'est pourquoi l'arrivée, soudaine et à date haute, d 'un corps sacerdotal constitué
et hiérarchisé à l'intérieur d'une société encore largement archaïque, inégalitaire, aux
mains de petites royautés, est une conception qui ne peut plus être retenue aujour­
d'hui. Il faudrait se demander dans ce cas d'où viennent ces druides et comment ils
ont réussi à s'imposer. Autant de faux débats. Les druides ne sont pas des « hommes
nouveaux », sorte d'envahisseurs dominant par la seule puissance de leur savoir. Ce
sont des prêtres qui ont développé sur place une doctrine à tendance philosophique.
On pourra en revanche s'interroger sur l'origine de leurs doctrines.

Des philosophes chez les Barbares

Qu'ils soient qualifiés de philosophes, détail descriptif si souvent mentionné qu'il


passe inaperçu, est une étrangeté qui mérite toute notre attention. Il est très rare dans
l' Antiquité, et même de nos jours, que des prêtres soient présentés de cette façon,
parce qu'il y a en fait une contradiction entre religion et philosophie, la première déli­
vrant un dogme, la seconde des théories, soumises à corrections, négations, appro­
fondissements. Si les druides consacraient une part importante de leurs activités à des
spéculations que des Grecs pouvaient appeler « philosophiques », cela signifie donc
que ces prêtres ne croyaient pas en un dogme établi qu'ils auraient eu pour mission
de diffuser sans le critiquer. Il faut croire au contraire qu'ils plaçaient leur foi dans le
pouvoir infini d'un savoir qui pouvait fort bien être de nature divine. Autrement dit,
les druides se présentent avant tout comme des réformateurs. Ils cherchent à connaître
les lois de la nature, ce qui suppose qu'ils ne les croient pas expliquées par la foi
aveugle en une mythologie forcément irrationnelle. L'observation astronomique, les
calculs savants remplacent progressivement la cosmogonie mythique par la concep­
tion d'un univers soumis à des mouvements réguliers que les mathématiques et l'ob­
servation des astres peuvent expliquer.

On ne peut pas ne pas remarquer le parallèle étonnant entre l'ancienne religion cel­
tique revue par les druides et la religion orphique transformée par les pythagoriciens.
Il s'agit dans les deux cas d'une réforme de même nature, menée par le même type de
personnages, des savants qui se présentent avant tout comme des philosophes. Dans
les deux cas, les outils mis en œuvre pour accomplir cette réforme reposent sur la
science des nombres et une observation de type scientifique. Probablement comme
chez les pythagoriciens, le développement de ce savoir débouchait sur une remise en
cause du polythéisme, au moins dans ce qu'il pouvait avoir de plus anarchique chez
les Celtes. Nous y reviendrons dans le chapitre consacré aux dieux.

Cette comparaison avec les pythagoriciens, reposant sur la fonction des philo­
sophes-savants, leur association en confréries et l'usage des nombres, se fit très tôt

46
dans l' Antiquité et elle explique peut-être la théorie de l'influence des uns sur les
autres qui au demeurant est peu crédible. Les pythagoriciens dé\ eloppèrent leurs
idées autour du v• siècle avant J.-C., tandis que les druides ne sont mentionnés dans
les textes qu'à la fin du III• siècle et durent connaître leur apogée entre le début du III•
et le milieu du J•r siècle. On peut supposer que les premiers historiens de la philoso­
phie grecque vers la fin du III° siècle firent ce rapprochement qu'ils expliquèrent en
termes d'influence directe, d'autant plus facilement qu'on soupçonnait le pythagoris­
me de s'être nourri des philosophies et religions barbares. Comme on l'a dit plus haut,
c'est peut-être cette réputation qu'on faisait aux druides qui suscita l'intérêt de per­
sonnages comme Posidonius qui cherchaient à instaurer un néo-pythagorisme.

Les origines du mouvement druidique

Quoiqu'il en soit, le problème des origines des doctrines druidiques demeure entier.
César livre, à ce sujet, une information précise, selon laquelle ces doctrines seraient
originaires de l'île de Bretagne où elles étaient encore enseignées, notamment aux
Gaulois qui voulaient approfondir leurs connaissances. L'hypothèse de l'originaire
insulaire que reproduit César a généralement été mise en doute. On voit mal, en effet,
comment un pays de peuplement celtique récent a pu voir se développer une doctri­
ne qui très rapidement se serait diffusée dans toute la Gaule par l'entremise d'une
catégorie particulière d'individus, acquérant tout aussi vite les plus grands pouvoirs.
Une autre théorie, plus respectueuse des faits culturels et de la chronologie, a été for­
mulée par Camille Jullian : ce seraient les Belges qui en envahissant le sud de l'île de
Bretagne, à partir du II• siècle, y auraient apporté les croyances druidiques ; ensuite
par la remarquable imperméabilité de cette culture belge sur l'île, c'est là que ces doc­
trines se seraient conservées à l'état le plus pur. Cette théorie a l'intérêt de rendre
compte des faits les plus marquants. Chronologiques tout d'abord : les premières men­
tions des druides seraient datables de 200, or les Belges se seraient installés en Gaule
et en Bretagne un siècle auparavant, c'est-à-dire le temps nécessaire à la diffusion de
leurs idées et à leur arrivée jusqu'aux environs de Marseille où elles purent être
décrites. Culturels enfin : les Belges apportent avec eux non seulement des conceptions
religieuses nouvelles (sanctuaires notamment) mais aussi des pratiques funéraires
inconnues qui témoignent de croyances différentes en l'au-delà. Ces derniers faits
indiquent pour le moins de profondes transformations de la pensée religieuse et de sa
traduction matérielle. Soit ce sont ces transformations qui sont à l'origine du druidis­
me, soit elles en sont au contraire la conséquence, à moins qu'il faille imaginer une
influence mutuelle.

La doctrine druidique qui sera examinée dans le chapitre suivant ne formait pas un
tout homogène. C'était un agrégat de croyances religieuses souvent archaïques et irra­
tionnelles voisinant avec des théories beaucoup plus développées sur la vie, la mort et
l'univers. Ces dernières ont pu être importées par les peuples belges. Les coutumes
funéraires de La Tène ancienne en Gaule laissent, en effet, supposer la croyance en un
au-delà relativement simpliste où le mort continuerait une sorte d'existence assez
semblable à celle qu'il a vécue, c'est pourquoi il devait être déposé entier dans sa

47
En haut : D iviciac d evant le Sé nat ro m a i n ( p . 53) . G ravu re d u X I X' s i è c l e . En bas . A g a u c h e : Le k o l o s s o s d é c rit
" ,,

par Strabon ( p . 1 70 ) . G ravu re ang laise du XV I I ' s i è c l e . A d ro ite : Les G a u l o i s et l e u rs sa c ri f i c e s h u m a i n s . t e l s q u e


le ro mantisme l e s re p rése ntait. G rav u re de G u stave Doré.

48
sépulture avec ses armes, ses bijoux, en résumé les signes distinctifs de son apparte­
nance sociale. Dans ces rites funéraires rien n'indique que l'âme du mort pouvait
s'échapper pour se glisser dans un autre corps ou partir définitivement vers un para­
dis réservé aux héros. En revanche, la croyance en la transmigration de l'âme et en son
immortalité est courante dans les civilisations orientales anciennes et s'est largement
diffusée dans le monde grec à partir du VI• siècle avant J.-C. Au cours de leurs périples
sur les bords de la mer Noire, en Grèce, en Asie mineure ou encore en Grande Grèce,
les Gala tes parmi lesquels se trouvaient des tribus belges ont pu découvrir ces idées et
en intégrer quelques-unes avant qu'elles ne se développent de leur propre mouve­
ment à l'intérieur du monde spirituel des Celtes po ur constituer un ensemble original.

Il est difficile de savoir si parmi les Belges qui s'installèrent dans le nord de la Gaule
à la fin du IVe siècle se trouvaient déjà des prêtres qui se faisaient appeler druides. Ce
dont nous sommes certains, c'est que ces Belges arrivèrent avec un clergé constitué,
hiérarchisé parmi lequel se trouvaient des savants capables de réaliser des projets
architecturaux ambitieux et de les fonder sur des relevés astronomiques. Les grands
sanctuaires qui sont installés dès ce moment sur toute la façade atlantique de la Gaule,
isolés des centres d'habitats, ne sont pas sans évoquer l'autonomie de ce clergé qui put
paraître à César former une sorte de caste, distincte des nobles et de la plèbe. Ces
grandes constructions et les rites qui s'y accomplissaient ont forcément bouleversé en
profondeur la m entalité religieuse des Gaulois.

Les grands sanctuaires, à l'image de celui de Gournay, nécessitaient un personnel


cultuel important dont les compétences étaient variées. Cela allait de l'astronome qui
gérait le calendrier aux personnes chargées de l'entretien, en passant par l'architecte,
le sacrificateur, l'équivalent de l'haruspice connaisseur en anatomie, le vacher gardien
des bêtes sacrées, le botaniste préposé à la cueillette des végétaux, etc. C'est l'impor­
tance numérique et la hiérarchie fonctionnelle de ces équipes qui furent les conditions
indispensables de l'émergence des druides, prêtres-philosophes situés à l'échelon le
plus haut du corps sacerdotal. Les mages chaldéens et les brahmanes védiques, déjà
dans l' Antiquité comparés aux druides, sont apparus dans un même contexte humain,
celui d'un corps du clergé, puissant et autonome. Comme eux, les druides apparurent
dans un premier temps comme les maîtres spirituels de tous ceux qui avaient affaire
de près ou de loin à la chose sacrée.

Ce pouvoir spirituel qui se traduisit très tôt hiérarchiquement puisait sa source


dans les conditions savantes de la pratique du culte, conjonction des astres, observa­
tions des augures, connaissance des prières, etc., savoir sacré qui assurait le contrôle
des cérémonies les plus importantes, et notamment celles qui incluaient le sacrifice.
César en garde le témoignage lorsqu'il affirme qu'aucun sacrifice ne s'accomplissait
sans l'assistance d'un druide. C 'est pourquoi, comme chez les brahmanes, cette
connaissance était secrète et transmise oralement. Elle permettait pour l'essentiel de
conserver ce pouvoir aux mains des seuls qui avaient accès au savoir, les membres de
la noblesse.

49
Ce n'est probablement qu'assez tard, au cours du II• siècle, si nos informations sont
bien issues de Posidonius, que les druides se détachèrent progressiveme:1J de la masse
du clergé. Ammien Marcellin, qui tire ses renseignements de Timagène, indique que
les druides se regroupaient en confréries communautaires. César signale qu'ils
tenaient des assises régulières au pays des Carnutes. Ces informations ont cru autori­
ser d'éminents chercheurs comme Henri Hubert à parler à propos du druidisme d'ins­
titution panceltique. A mon avis, c'est pousser l'analyse un peu trop loin. Comme il a
été dit plus haut, les druides ne sont signalés pour les deux derniers siècles précédant
notre ère que dans certaines parties de la Gaule. Il est hasardeux d'estimer que leur
influence ait pu s'exercer sur une grande partie de l'Europe celtique. Il aurait fallu
pour cela que cette influence s'appuie sur une base politique qui n'existait pas à une
telle échelle. Seules les grandes confédérations politiques ou hégémoniques, « Empire
éduen », confédération des peuples belges, etc., créaient des espaces d'échanges mul­
tiples entre les peuples où les doctrines druidiques pouvaient se diffuser dans le corps
sacerdotal et devenir le terreau de confédérations méprisant les frontières des tribus.
Il est en tout cas inconcevable qu'une telle association n'ait pas recouvert plus ou
moins exactement une entité ethnique et politique. Or, les plus grandes de ces entités
à l'époque de César sont les confédérations ou les grandes catégories ethniques qui se
partagent la Gaule, Celtes, Belges et Aquitains. Les assises de la forêt des Carnutes ras­
semblaient probablement des druides provenant d'une confédération, ou tout au plus
de la Celtique. Il est difficile de croire que des Aquitains ou des Belges, si autonomes
politiquement, y participaient. Même à l'échelle réduite à un ensemble de quelques
peuples, il y a des chances qu'une telle confédération des druides les plus puissants
ait présenté plus d'analogie avec une secte philosophico-religieuse qu'avec un corps
sacerdotal réellement actif dans la pratique du culte. Comme souvent, des informa­
tions partielles sans indication géographiques précises donnent lieu à une généralisa­
tion fautive.

Les assises j udiciaires au pays des Carnutes

Ainsi n'est-il pas inutile de revenir sur le problème de la réunion annuelle des
druides chez les Carnutes, qui a été le prétexte à de multiples exégèses. Voici ce que
César écrit : « A une date précise de l'année, dans le pays des Carnutes qui est consi­
déré comme le centre de la Gaule, ils se réunissent en un lieu consacré. Là viennent de
partout ceux qui ont des différends et ils se soumettent à leurs décisions et arrêts de
justice » . En clair, chez les Carnutes se déroulait une importante réunion, présidée par
les druides et dont le but unique (tout au moins le seul qui soit indiqué par l'auteur)
était judiciaire. Il n'est nullement spécifié qu'on y vienne de toute la Gaule. César pré­
cise seulement que le pays carnute était censé occuper le centre de la Gaule toute entiè­
re, mais il se peut qu'il s'agisse d'une considération d'ordre géographique, seulement
destinée à situer le pays des Carnutes pour des lecteurs romains. Le fait que cette
réunion soit essentiellement judiciaire interdit à mon sens d'y voir une assemblée où
de nombreux peuples étaient représentés. Un tel exercice du justice, même limité à des
différends privés (concernant cependant la noblesse la plus riche) se serait heurté
immanquablement au pouvoir politique, aurait concurrencé des entreprises hégémo-

50
niques, telles que celles des Eduens, chez lesquels notamment l'influence des druides
au moment de la conquête n'apparaît pas particulièrement forte.

La description de cette assemblée dont on ne sait malheureusement pas si elle est


tirée de Posidonius, me paraît donc évoquer l'une des activités les plus développées
par les druides, la pratique de la justice. Ils commencèrent à l'institutionnaliser et la
pratiquaient, comme le texte l'indique clairement, dans des lieux consacrés, autrement
dit à proximité d'un sanctuaire. Le lieu sacré de Ribemont-sur-Ancre qui sera décrit
dans la troisième partie de cet ouvrage, nous donne une bonne image de ce que pou­
vaient être ces lieux : avant tout un sanctuaire hors du commun situé aux confins des
territoires de plusieurs peuples, sanctuaire auto ur duquel avaient été aménagés
d'autres espaces, clairement délimités, destinés à des réunions au public nombreux et
dont les fonctions pouvaient être multiples, politiques et guerrières très certainement,
mais aussi selon toute vraisemblance ludiques et judiciaires. Chaque type de réunion
devait avoir son espace consacré par une clôture et par sa position par rapport au
sanctuaire, siège de la divinité qui symboliquement ordonnait cette forme de micro­
cosme. A Ribemont, en plus de l'espace sacré proprement dit, trois autres espaces ont
ainsi été définis. Leur aménagement et leur fonction à l'époque gallo-romaine nous
donnent une idée de leur destination primitive. L'espace le plus proche du sanctuaire
avait probablement une fonction politique et guerrière, un espace attenant pouvait
jouer un rôle judiciaire, tandis que le plus éloigné, occupé plus tard, à l'époque gallo­
romaine, par un théâtre et des thermes pouvait servir à des réunions plus populaires.

L'assemblée annuelle des druides chez les Carnutes n'avait certainement pas le
caractère international qu'on a voulu lui voir. Elle n'avait pas non plus le caractère reli­
gieux que César ne mentionne d'ailleurs pas. Ceci n'exclut nullement que le « lieu
consacré » des Carnutes ait pu être considéré comme une sorte d' « ombilic » commun
à plusieurs peuples voisins et qu'il ait eu d'autres activités, religieuses notamment. Il
nous faut reconnaître seulement que César recopie une source ponctuelle qui ne
concerne que la stricte activité judiciaire de l'un de ces lieux et qu'on ne peut pas de
ce seul et court passage échafauder une théorie sur les initiatives panceltiques des
druides, qui auraient tendu non seulement à sceller l'unité de la Gaule mais aussi celle
des peuples celtes. Ce sont là des vues de l'esprit qui doivent plus au romantisme
ossianique qu'à la lecture objective des textes.

Un chef des druides

Le même passage de la Guerre des Gaules précise que les druides ont une sorte de
chef qui se distingue par son autorité spirituelle. A la mort de ce dernier succède auto­
matiquement celui qui a les plus grands mérites et qui font de lui un maître incontes­
té. Si ce n'est pas le cas, c'est le suffrage qui en décide. Il arrive même, indique César,
qu'on doive en venir aux armes. Ce passage a généralement été englobé avec le sui­
vant, celui des assises dans le pays des Carnutes. Et l'on a attribué aux deux la même
portée géographique. En fait, là non plus rien dans le texte n'autorise à penser que
c'est l'ensemble des druides de la Gaule toute entière qui soient concernés. César écrit
« tous les druides », il peut s'agir des druides d'une cité, d'une confédération, voire de

51
l'une des trois parties de la Gaule. Pour les raisons qui ont été évoqu ées précédem­
ment, on ne peut croire que ce « tout » comprenne la Celtique, la Belgique et
l'Aquitaine. Encore une fois, il faut plutôt penser qu'une description faite à propos
d'un peuple a été abusivement généralisée ou plus précisément présentée de façon
qu'elle puisse passer pour une généralité. César dans la longue dissertation du Livre
VI procède comme les autres lecteurs de Posidonius, Strabon et Diodore, il compose
un texte-mosaïque par la juxtaposition de citations extraites de développements et de
descriptions cohérentes de façon à brosser un tableau qui n'a que l'apparence et la
volonté d'un résumé synthétique.

Le caractère local de la coutume est suggéré encore par la contradiction qu'elle sou­
lève avec tout un ordre de faits qui caractérisent les druides et leur façon de vivre. Ce
sont des sages, leur statut de druide tient à une reconnaissance mutuelle, à une véri­
table cooptation. L'existence d'une forte hiérarchie entre eux n'est indiquée dans
aucun autre texte. Et l'idée d'un affrontement, qui peut être physique, contredit évi­
demment l'image qu'on donne généralement d'eux mais aussi leurs principaux pré­
ceptes philosophiques. Cela ne veut pas forcément dire que l'information est fausse et
qu'il faut la mettre en doute. Il faut plutôt croire qu'il s'agit d'un archaïsme qui pou­
vait subsister encore dans quelques cités. Dans des termes tout à fait comparables,
mais en plein Latium, Strabon décrit le sanctuaire de Diane sur les bords du lac de
Némi dont le sacerdoce ne pouvait être obtenu qu'à la condition que celui qui le bri­
guait tue obligatoirement son prédécesseur de sa propre main.

Les druides et la politique

Une autre explication à ce curieux comportement belliqueux des druides est peut­
être à chercher dans leur rôle politique. La description généralisante du Livre VI, pour
les raisons complexes que nous avons vues (qui tiennent autant à Posidonius qui ne
voulaient voir en eux que des sages qu'à César qui voulaient minimiser leur action
aux questions strictement religieuses), présente les druides comme des hommes cou­
pés de la société active qui s'exprime autant par l'activité politique que par les expé­
riences militaires. Or deux faits, mentionnés par le même César, contredisent parfaite­
ment cette véritable image d'Epinal des druides, immortalisée notamment par la
fameuse description de la cueillette du gui chez Pline le Naturaliste.

Le premier fait est historique, il se passe chez les Eduens en 52. Cette année-là, deux
hommes, Convictolitavis et Cotas, se prétendent en charge de la magistrature suprê­
me, alors que chez ce peuple des lois circonstanciées stipulent qu'une telle magistra­
ture ne peut être exercée que par un seul individu et dans des conditions très restric­
tives. La situation menace de déboucher sur une guerre civile. Et César doit interve­
nir. Il apprend que seul Convictolitavis a été élu au moment adéquat, dans les lieux
définis pour l'assemblée élective et surtout sous la présidence des prêtres. Il ne fait
guère de doute ici que ces derniers sont des druides - on en aura la prem·e plus bas -
et l'on voit surtout quel était leur influence dans le domaine politique chez un peuple

52
qui était alors le plus puissant de la Gaule, celui aussi dont les institutions politiques
étaient les plus élaborées.

Le second fait concerne un individu, le seul dont on sache qu'il fut druide. Il s'agit
du célèbre chef éduen Diviciac qui joua un rôle important dans les événements de la
guerre des Gaules. A aucun moment, César n'indique qu'il est druide. Ce qui est déj à
u n signe : Diviciac apparaissait avant tout comme u n noble, e n charge des plus hautes
fonctions, sa qualité de druide parut au général romain comme quelque chose de très
secondaire. Pourtant Diviciac n'avait pas seulement le titre de druide mais bien toutes
les compétences nécessaires à ce titre ; il a indiqué à Cicéron qui l'a reçu chez lui qu'il
connaissait les sciences de la nature et qu'il maîtrisait toutes les techniques de divina­
tion. Autrement dit, il avait reçu toute l'éducation nécessaire à cette charge sacerdota­
le. Cette information, issue de deux sources croisées, est capitale pour la compréhen­
sion du rôle des druides et de son évolution au cours des deux derniers siècles de l'in­
dépendance gauloise. Elle montre que dès le ne siècle au moins et chez certains
peuples les druides n'étaient pas des prêtres professionnels coupés de la société civi­
le. Au contraire, après avoir été des philosophes religieux qui avaient tenté de morali­
ser la vie sociale, ils étaient eux-mêmes entrés dans la carrière politique. La qualité de
druide était une charge sacerdotale, égale par les honneurs qu'elle procurait aux
grandes magistratures politiques ou militaires. Le Druide, au moins depuis le ne
siècle, était l'équivalent du Pontife ou de l'Augure à Rome, un degré important dans
le cursus honorum de la vie politique.

Le Druide Diviciac avait donc tout pour s'entendre avec le Grand Pontife qu'était
César. Chez l'un et l'autre l'expérience et le savoir religieux étaient mis à profit dans
une carrière individuelle où l'exercice des armes ne tenait pas une place négligeable.
On comprend mieux dès lors que la qualité de Grand Druide ait occasionné parfois
entre plusieurs prétendants un combat singulier.

Croyances, mytholo g ie, philosophie

La maigreur de nos informations, leur morcellement, la façon dont elles ont été col­
lectées ne permettent plus aujourd'hui de distinguer ce qui tient plutôt des croyances
populaires, de ce qu'il faut attribuer à une mythologie plus officielle. Par ailleurs,
l'examen des données concernant les druides et le druidisme a montré qu'une grande
partie des connaissances sur la Gaule d'avant la conquête a transité par Posidonius qui
lui-même les avait collectées dans des descriptions qui n'étaient pas dénuées d'inten­
tion philosophique. C 'est donc, non seulement les croyances et la mythologie qui sont
indissociables, mais aussi la philosophie druidique.

Les druides n'agirent, en effet, pas autrement que tous les philosophes de
l' Antiquité et notamment ceux de Grande Grèce et de Rome. Ils ne remirent pas direc­
tement en cause les croyances anciennes, particulièrement celles qui touchent au pan­
théon et à la cosmogonie. Mais ils les réaménagèrent, les réorientèrent à l'intérieur

53
d'une vision plus philosophique et plus morale. De la même manière, les pythagori­
ciens réinterprétèrent les croyances orphiques. Mais c'est le Romain Varron qui nous
donne le meilleur exemple de cette entreprise raisonnée qui consiste à replacer les dif­
férents types de croyances à l'intérieur d'un ensemble cohérent qui ne lèse personne
et laisse une place aux idées progressistes, qu'elles soient de nature politique ou mora­
le. Varron distingue trois théologies, poétique, civile et philosophique. La première est
celle qui conserve les traditions les plus anciennes que l'on retrouve dans les
croyances populaires et dans la mythologie. La seconde a trait au culte public qui est
le ciment même de la société et qui permet de relier la théologie populaire et les idées
philosophiques de l'élite, constituant la troisième. Les Gaulois, au premier siècle pré­
cédant notre ère, ont pu connaître une conception semblable des différentes croyances.
Il est sûr en tout cas que les druides cherchaient à faire une synthèse entre tradition
mythologique et savoir quasi-scientifique, entreprise proche de celle que Varron expo­
se.

Croyances populaires

Ces croyances, que Varron place dans la « théologie poétique », nous sont quasi­
ment inconnues chez les Gaulois. Cela ne signifie pas qu'elles n'aient pas existé, puis­
qu'il s'agit des croyances les plus anciennes, accumulées en quelque sorte par tous les
nouveaux apports de population. Elles devaient même occuper une place privilégiée
dans la culture gauloise, place qui suppose une catégorie d'hommes chargés de les col­
lecter et de les diffuser. Les bardes, en effet, s'abreuvaient principalement à cette sour­
ce d'inspiration et leurs poèmes et leurs chants devaient être un véritable conserva­
toire de ce savoir populaire. Tous ces textes oraux ont sombré dans l'oubli, en l' ab­
sence de versions écrites.

Aujourd'hui il serait utopique de vouloir reconstituer même des bribes d'un corpus
de croyances, de superstitions, de recettes magico-médicales qui n'ont j amais formé
un ensemble ordonné. Le fonds de l'ancienne religiosité préhistorique devait y tenir
une part non négligeable. Cette dernière reposait essentiellement sur la croyance en
des forces naturelles qui fascinèrent l'homme dès qu'il devint conscient de son envi­
ronnement. Cependant, les cultes purement naturistes sur lesquels on a beaucoup
glosé avaient en grande partie disparu à l'époque de La Tène. Seuls les noms divins
des rivières et des montagnes témoignent d'une époque où chaque phénomène natu­
rel était assimilé à une entité divine. Depuis la création des grands sanctuaires du nord
et de l'ouest de la Gaule à la fin du IV• siècle, des ensembles architecturaux avaient
succédé aux lieux remarquables (montagnes, grottes, sources, etc.) et les animaux
domestiques étaient l'objet principal des échanges entre les dieux et les hommes.

Pourtant ces lieux où la nature paraît s'exprimer plus particulièrement continuaient


d'habiter l'imaginaire des hommes. Prétextes à des scènes mythologiques, barrières
symboliques entre les peuples, ils peuplaient les poèmes et les chants, envahissaient la
mémoire des Gaulois qui ne laissaient à la représentation aucune place, si ce n'est la
représentation mentale. Le seul domaine pour lequel nous possédons quelque infor-

54
N o u s ne savo ns p rati q u e m e nt rien d u coq g a u l o i s , q u i est deve n u l ' u n des sym boles de la nati o n fran çaise. L' u n e
d e s e s ra res rep résentat i o n s s u r u n e mon naie d e s Ambiani, découverte à R i be m o nt-s u r-An c re ( S o m m e ) .

55
mation concerne le monde végétal et plus précisément celui des arbres. Encore nous
apparaît-il sous une forme indirecte, notamment à travers le témoignage de Pline, sur
lequel on reviendra. Les arbres ne sont plus chez les Gaulois un objet de culte comme
ils le sont encore à la même époque chez les Germains. Les sanctuaires ne sont pas reti­
rés à l'intérieur de profondes forêts qui les protègent et leur donnent une clôture natu­
relle mais ce sont, comme en Grèce et en Italie, des bois sacrés qui tiennent plus du jar­
din botanique que du fragment préservé des antiques futaies. Néanmoins, dans ces
lieux sacrés l'arbre, le buisson jouent encore un rôle important, ils sont la demeure de
la divinité. Pline nous dit que le chêne rouvre était l'arbre de prédilection des bois
sacrés gaulois. On doit évidemment mettre cette infonTtation en parallèle avec celle
que nous donne Strabon à propos des Galates qui se réunissaient dans un sanctuaire
commun appelé Drynemeton et qu'on ne peut traduire que par le « sanctuaire du
chêne » . La question du bois sacré sera réexaminée dans le chapitre consacré aux sanc­
tuaires.

La seule information précise sur l'assimilation entre arbre et divinité est due à
Maxime de Tyr. Elle n'est pas négligeable puisqu'elle nous apprend que l'image du
Zeus celtique était un chêne. Or le chêne depuis l' Antiquité était associé aux druides.
On peut donc penser que ces derniers se voulaient les desservants de la divinité
suprême et qu'ils avaient de celle-ci à peu près la même idée que les Grecs. Cette infor­
mation recoupe parfaitement le passage célèbre de Pline le Naturaliste qui indique
que le rouvre est un arbre sacré et que la présence sur lui du gui est considérée comme
un « signe de l'élection de l'arbre par le dieu lui-même » . Le Zeus celtique devait être
associé au ciel, représenté comme une voûte dont ils redoutaient la chute. Chez
quelque peuple, en quelque sanctuaire, la divinité se manifestait sur terre par la pré­
sence d'un chêne, cet arbre symbole de la puissance qui pouvait comme chez les
Germains être censé soutenir le ciel, en être la colonne. Il ne faut donc pas s'étonner
que ce même arbre ait recueilli sur ses branches des fruits sacrés, tels que le gui, pour
les dispenser aux hommes. Dans le célèbre sanctuaire grec de Dodone, Zeus faisait
connaître la teneur de ses oracles par l'entremise d'un chêne. L'historien Johann
Zwicker a recueilli un vers qu'il attribue à l' Aulularia, et qui concernerait la Gaule : ibi
sen ten tiae capitales de robore p roferuntur (là [en Gaule] les sentences fatales leur sont
révélées grâce au chêne rouvre). On pourrait en conclure que la dendromancie était
également en usage en Gaule.

Les autres grandes entités naturelles, la terre, l'eau dormante, l'eau vive, le soleil
etc., suscitaient d'innombrables croyances dont il ne nous reste guère plus de traces.
Nous verrons à propos des dieux qu'en chacune d'elles s'incarnait une divinité tou­
jours d'origine ancienne. Mais des mythes qui s'attachaient à ces lieux ou à ces phé­
nomènes naturels rien ne subsiste.

La cueillette ritualisée

L'œuvre précieuse de Pline a permis de sauver de l'oubli une activité présentée


comme spécifiquement druidique, celle de la cueillette du gui qui a littéralement fas-

56
ciné les historiens de la religion celtique. Le témoignage du « Naturaliste » est si com­
plet et si précis qu'il s'est exposé à une surinterprétation. On a vu dans cette cueillet­
te une occupation majeure des prêtres-philosophes, dans le sacrifice qu'ils accomplis­
saient à cette occasion l'un des principaux rites religieux et surtout dans la forêt où se
déroulait la scène un sanctuaire naturel à l'exclusion de tout autre lieu de culte. Les
fouilles récentes de nombreux sanctuaires gaulois permettent de reconsidérer ces
interprétations. Mais le seul comparatisme gréco-romain aurait dû aider à reconnaître
dans cette cérémonie exotique l'une des formes ritualisées des récoltes végétales, si
courantes dans le monde antique ou de nos jours encore dans les sociétés indigènes.
Les fruits les plus précieux que la nature dispense aux hommes doivent, pour garder
leur efficacité magique ou thérapeutique, être recueillis dans des conditions définies à
l'intérieur d'un rituel complexe qui repose sur un échange entre les hommes et les
dieux. Le gui est l'un de ces fruits mais il n'est pas le seul et sa cueillette est l'une des
quêtes magiques auxquelles procédaient les druides et qui en faisaient les interces­
seurs directs des hommes auprès de leurs divinités.

Mais examinons, dans le détail, le récit de Pline. Après avoir indiqué que le rouvre
est un arbre sacré pour les Gaulois, le naturaliste explique que tout ce qui pousse sur
cet arbre est considéré comme un signe divin. Le gui en est le meilleur exemple car il
est très rare qu'il s'installe sur le rouvre. Lorsqu'on en trouve, on se rend à cet arbre
avec une pompe solennelle, à une date fixe de l'année : le sixième jour quand la lune
est ascendante. Un druide vêtu de blanc monte dans l'arbre et coupe le gui avec une
serpe d'or. Le fruit est recueilli dans un drap blanc. C'est alors qu'on sacrifie au pied
de l'arbre deux jeunes taureaux. Le gui est censé donner la fertilité, servir de remède
aux poisons. C'est aussi une panacée.

Toutes les plantes médicinales ou magiques exigeaient un rituel propre. Pline nous
en donne deux autres exemples qui montrent bien quelles en étaient les composantes.
Pour la cueillette du selago, espèce de sabine, dont le pouvoir était autant celui d'un
talisman que d'un remède aux maux des yeux, il fallait encore être vêtu de blanc, avoir
les pieds nus et tout juste lavés, et, cette fois, un sacrifice de pain et de vin devait avoir
été exécuté avant la cueillette. Il fallait prendre la plante seulement avec la main droi­
te, sans l'aide du fer d'un couteau, et en ayant bien soin de faire passer cette main par
l'ouverture gauche de la tunique comme pour voler. Le selago devait être recueilli dans
un tissu neuf. Pour le samolus, plante des marais, il fallait au contraire se servir de la
main gauche, être à jeun, ne pas regarder la plante et ne la mettre nulle part ailleurs
que dans l'auge des bœufs et des porcs à laquelle elle était destinée. La façon de la sai­
sir, qu'elle soit solennelle ou furtive, révèle bien le caractère sacré de la plante. Le
sacrifice qui accompagne souvent le geste indique qu'elle appartient à la divinité à qui
on en fait finalement l'échange. Toutes ces plantes sont donc pures et ne peuvent être
recueillies et transmises que par des êtres purs, des druides, qui se sont de surcroît
purifiés : ils se sont lavés et ont revêtu des vêtements immaculés. Une symbolique qui
tient de ce que Frazer appelait « Magie sympathique », est à l'œuvre : « tout semblable
appelle son semblable, un effet est similaire à sa cause ». Le dialogue subtil entre les

57
couleurs et les matières intervenant dans la récolte du gui (cf. texte dans Annexe Il) est
à cet égard édifiant.

Médecine, magie, divination passaient essentiellement par le traitement des plantes


dont les druides avaient certainement une connaissance encyclopédique. Pline, qui
vécut quelques années en Gaule Belgique dans la deuxième moitié du 1°' siècle après
J.-C, put encore rapporter ces trois exemples. Il les intègre sans difficulté à son œuvre,
montrant par là que nombre de ces croyances étaient partagées à la fois par les Latins
et les Gaulois. Une scolie dite « bernoise » à la Pharsale de Lucain révèle que le chêne
n'offrait pas que le gui à ses adorateurs ; les druides en consommaient (sous quelle
forme ?) les glands pour faciliter leurs exercices divinatoires.

A côté de ces cueillettes, se pratiquaient des récoltes plus mythiques, telles que celle
de l'œuf de serpent. Pline encore rapporte que cet œuf (qui ne devait être rien d'autre
qu'une coquille d'oursin fossile) était produit par des serpents s'entrelaçant. L'œuf,
produit par leur bave et leur écume, était projeté en l'air par leur simple sifflement.
Celui qui voulait le recueillir devait le faire lors d'une certaine lune en rattrapant l'œuf
dans un manteau avant qu'il ne touche le sol et en s'enfuyant immédiatement à che­
val. Cet œuf avait la réputation de faire gagner les procès et de faciliter l'accès auprès
des souverains.

Bribes de mythologie

Des croyances mythologiques des Gaulois nous ne connaissons pour ainsi dire rien.
Or celles-ci étaient nombreuses et variées, au point qu'au début du Ier siècle après
J.-C., un philosophe tel que Lucius Annaeus Cornutus, spécialiste de la mythologie
grecque, ami de Lucain, signale l'existence d'une mythologie gauloise auprès des
autres grandes mythologies classiques. La raison de sa quasi-disparition s'explique
probablement par son caractère strictement oral ainsi que par sa diffusion qui devait
être rigoureusement contrôlée. A côté d'un ensemble de mythes très répandus auprès
du peuple, se trouvait un corpus réservé aux seuls initiés (prêtres, anciennes familles
royales) parce qu'il révélait directement la nature divine, permettait les rites sacrés, la
divination, la magie. Ces pratiques sacrées étaient le privilège d'un groupe d'hommes
qui mettaient un soin particulier à garder le secret sur son savoir. Dans ce corpus de
mythes se trouvaient la cosmogonie qui racontait la création du monde, la mythologie
divine expliquant les relations familiales et conflictuelles entre les dieux, ainsi que des
visions eschatologiques, prédictions sur la fin du monde, descriptions de l'au-delà.
L'histoire mythique de la tribu parmi les peuples celtes, la généalogie des chefs, l'ha­
giographie de certains héros devaient au contraire être un imaginaire commun au
peuple et à ses élites. Diodore rapporte que sur le champ de bataille le guerrier pro­
voquait en duel un ennemi et avant d'entamer le combat chantait longuement ses
prouesses passées, celles de ses ancêtres et peut-être celles de son peuple.

Ces légendes, en l'absence de littérature écrite, tenaient lieu d ' histoire officielle.
L'historien romain Tite-Live, peut-être par l'intermédiaire de Cornélius Nepos, lui-

58
même d'origine gauloise, a dû accueillir dans son ceuvre de tels récits parmi les mul­
tiples sources qu'il a utilisées. Trois événements, concernant la guerre des Romains
contre les Gaulois cisalpins, peuvent être portés au compte de cette réécriture histo­
rique des mythes, méthode livienne que Georges Dumezil a bien mise en évidence à
propos de la religion romaine, mais qui s'applique ici à la mythologie gauloise.

Jean Bayet a de cette façon interprété l'étrange événement qui précède la bataille de
Sentinum. Alors que les deux armées sont disposées en lignes de bataille, une biche
apparaît poursuivie par un loup . La biche se dirige vers les rangs gaulois où elle est
tuée ; le loup traverse les lignes romaines sain et sauf. Cet incident est considéré par
les deux camps comme un signe qu'ils ont interprété religieusement à leur manière.
Les Gaulois auraient procédé à un sacrifice de leur animal sacré. Les Romains en
auraient fait un amen, un présage de sens divin, le loup représentant Rome préfigure­
rait la victoire.

Le deuxième récit est un épisode fameux de l'histoire romaine, il raconte le combat


singulier entre le jeune tribun Valérius et un Gaulois, sorte de colosse. L'analyse nous
en est donnée cette fois par Raymond Bloch. Entre les deux lignes des combattants
ménageant une forme d'espace sacré, le duel s'engage et une nouvelle fois on assiste
à une intervention divine, une fois encore avec un animal sacré des Gaulois, le cor­
beau. En effet, celui-ci se perche sur le casque du Romain et participe au combat, de
son bec et de ses griffes il attaque le visage et les yeux du Gaulois qui finit par tomber
à terre, avant d'être égorgé par le jeune Valérius à qui on donnera le surnom de
Corvus. Pour Raymond Bloch ce récit étrange témoigne de l'appropriation par Rome
d'un récit mythique gaulois.

Le troisième récit n'est pas moins fantastique. En 216 avant J.-C., le général romain
Postumius s'engage dans une forêt des Gaulois boïens, la forêt Litana, avec 25 000
hommes sur un étroit sentier. Les Gaulois avaient au préalable scié les troncs de tous
les arbres le long du chemin mais en laissant ces derniers debout. Quand l'armée
romaine est suffisamment engagée, les Gaulois poussent les arbres qui viennent
s'abattre sur la colonne, la prenant littéralement au piège et provoquant un véritable
carnage. Derrière les détails plus ou moins réalistes de ce combat peu ordinaire, il est
aisé de soupçonner un récit mythique mettant en scène la forêt combattante, thème
cher aux légendes celtiques.

Si les Romains ont puisé à plusieurs reprises dans la mythologie gauloise, les
Gaulois ne se sont pas privés d'agir de même avec leurs voisins grecs et romains.
Diodore signale qu'Héraclès était censé avoir fondé la ville d' Alésia. Et d'une maniè­
re plus générale, c'est à ce héros grec qu'on attribuait toutes les modifications aux
mceurs barbares qui pouvaient paraître d'origine hellénique, création de routes, abo­
lition des sacrifices humains. Le même Diodore, suivant Timée, affirme que les
Argonautes auraient visité les bords de l'Océan et y auraient installé des cultes en
faveur des Dioscures.

59
L' u n e des très rares re p rése ntations d ' u n e scè ne p robable de la myth o l o g i e c e l ti q u e C h a u d ro n d e G u n d es tr u p
( Da n e m ark) , 1 1 '- I " s . av. J . - C . ?

60
Croyances en l'au-delà

S'il est un domaine de la pensée religieuse qui semble ne pas avoir été partagé par
tous les Gaulois et qui a subi de considérables modifications au cours des trois der­
niers siècles de leur indépendance, c'est bien celui qui touche à la conception de la
mort et de l'au-delà. A l'époque de La Tène ancienne domine largement le rite de l'in­
humation. Le mort est enterré avec ses bijoux et ses armes, parfois avec des outils. De
telles sépultures reflètent à l'évidence des croyances archaïques en une survie de l'in­
dividu encore en possession de son corps et de ses attributs dans un monde infernal,
probablement mal situé. Ce rite, omniprésent aux V• et IV• siècles tend à disparaître
dans le courant du III• siècle, suivant une progression qui paraît aller du nord-ouest
vers l'est. Il est alors remplacé par l'incinération. Le mort est brûlé, peut-être après une
période d'exposition, et ses cendres sont enterrées souvent avec des céramiques et des
restes d'animaux, parfois, dans l'est et le sud de la Gaule, avec ses armes et un impor­
tant mobilier. Dans ce second rite, il est clair que la croyance en une simple survie est
abandonnée et fait place à des conceptions beaucoup plus subtiles de l'au-delà.

Ces nouvelles croyances qui apparaissent en Gaule à partir de la fin du IV• siècle ne
nous sont heureusement pas totalement inconnues. Posidonius avait dû leur consacrer
une part importante de son œuvre sur les Gaulois. Et l'on en retrouve des échos chez
César, Diodore, Strabon mais aussi chez Lucain et chez Ammien Marcellin. Ces témoi­
gnages ne sont pas exactement concordants, ce qui suggère non pas, comme on a pu
l'écrire, que la théorie était floue mais plus vraisemblablement qu'elle était complexe
et proposait des régimes variés aux âmes, suivant leur vie antérieure et peut-être l'ori­
gine sociale. César écrit que « les âmes ne périssent pas mais qu'après la mort elles
passent d'un corps dans un autre et ils (les Gaulois) pensent que cette doctrine est le
meilleur stimulant du courage, la mort n'étant plus redoutée » . Diodore a une formu­
le assez semblable : « Les âmes des hommes sont immortelles et après un certain
nombre d'années chaque âme revient à la vie en entrant dans un autre corps. » Strabon
présente une version toute différente : « Les âmes et l'univers sont indestructibles mais
un jour le feu et l'eau prévaudront sur eux ». Ammien Marcellin, peut-être d'après
Timagène, se contente d'écrire que « les âmes sont immortelles ». Lucain, sous une
forme poétique, semble décrire une croyance sensiblement différente. « Selon vos
maîtres, les ombres (des morts) ne gagnent pas les séjours silencieux de l'Erèbe ni les
pâles blafards du Dis souterrain, un même esprit anime nos corps dans un autre
monde : la mort est le milieu d'une longue vie, si vous chantez des vérités. Sûrement
ils sont heureux ces peuples que regarde l'Ourse, heureux par leur croyance erronée,
eux qu'aucune crainte ne pénètre, même la plus forte de toutes, celle du trépas. »

La juxtaposition de ces textes suggère un ensemble de théories qui ont peut-être


évolué au cours du temps et dans lesquelles les druides ont dû chercher à mettre un
ordre. Curieusement c'est le texte le moins clair par nature, le poème de Lucain, qui
est le plus riche. Il est le seul à mentionner l'existence d'un autre monde (orbe alio) où
les âmes pourraient se mouvoir, alors que les autres auteurs laissent entendre que les
âmes des trépassés reviennent sur terre. Il est le seul également à signaler un traite-

61
ment particulier pour les âmes des guerriers : « Vous aussi bardes, vates qui par vos
louanges conduisez les âmes vaillantes de ceux qui périrent à la guerre à un séjour
immortel ». Ainsi, le mort pourrait connaître plusieurs destins suivant la vie qu'il a
menée et la mort qu'il a connue. La mort héroïque au combat garantirait un éden de
l'âme sous une forme probablement éthérée, auprès des astres, tandis que les autres
morts poursuivraient une vie d'une autre nature dans un autre corps et dans un autre
monde. Mais les modalités d'accès à ces différentes sphères de l'au-delà seraient éga­
lement complexes. Lucain laisse entendre que les va tes jouaient le rôle de conducteurs
d'âmes, tels qu'il est encore exercé par les chamanes de l' Altaï. Leurs chants étaient
aussi nécessaires aux âmes que la musique à l'accomplissement des sacrifices. Les rites
funéraires avaient aussi leur importance dans ces passages et ces cheminements.

Quelle est la part de l'enseignement des druides dans ces croyances ? Quelle est la
cause de leur transformation entre la fin du IV• et le début du II• siècle ? Nous man­
quons évidemment d'éléments d'information pour tenter de répondre. Cependant il
est clair que de telles conceptions de l'au-delà s'accompagnent forcément de nouvelles
théories sur l'âme, sur l'univers, sur la nature humaine et sur celle des dieux. Or ce
sont là les sujets de prédilection des druides. Et il nous faut croire que c'est sous leur
influence que s'est développée cette nouvelle spiritualité.

Conception de l'univers et de la fin du monde

Nous disposons de rares données sur l'idée que les Celtes se faisaient du monde.
Par bonheur, la plus claire information sur le sujet est ancienne, bien datée et bien loca­
lisée géographiquement. Il s'agit d'un épisode célèbre, celui de la rencontre entre
Alexandre le Grand et des princes celtes des bords de l'Adriatique en 335 avant J.-C.
Les faits sont relatés par Strabon qui les tient directement de Ptolémée, fils de Lagos,
qui écrivit une histoire d'Alexandre. « Le roi (Alexandre) qui avait accueilli les Celtes
avec cordialité, leur demanda dans les fumées du vin, ce qu'ils craignaient le plus, per­
suadés qu'ils allaient le désigner lui-même ; mais ces derniers répondirent qu'ils ne
redoutaient personne, qu'ils craignaient seulement la chute du ciel sur leur tête, mais
qu'ils plaçaient plus haut que tout l'amitié d'un homme comme lui » . L'anecdote ne
peut être mise en doute : Ptolémée était l'un des généraux d'Alexandre et participa
peut-être à cette entrevue. Rarement donc, si l'on excepte le récit par César de la
conquête de la Gaule, une information concernant les Celtes nous est transmise de
façon aussi directe.

Pour saisir l'importance de l'anecdote, il faut mettre la croyance qu'elle suppose,


celle d'une voûte céleste, en rapport avec les textes qui viennent d'être évoqués, plus
particulièrement ceux de César et de Lucain d'un côté et celui de Strabon, de l'autre.
Les premiers évoquent l'immortalité de l'âme, plus précisément assurée aux guerriers,
qui leur évite toute crainte de la mort ou de quelque autre catastrophe. Le second
évoque une fin du monde et la disparition - certes lointaine - de l'univers et des âmes
qui sont venues prendre place auprès des astres. A l'évidence, c'est à cette fin du
monde que font allusion les Celtes qui parlent à Alexandre. A l'évidence également,

62
ces Celtes disposaient déjà d'un corpus de théories sur le monde . l'univers, l'âme,
probablement proches de celles que les druides diffusent en Gaule. Or, on se trouve au
nord-ouest de la péninsule des Balkans dans la seconde moitié du IVe siècle, à une
époque où en Gaule on procède encore à l'inhumation de guerriers en armes. Nous
sommes donc amenés à croire que les croyances largement répandues en Gaule deux
siècles plus tard avaient pris naissance dans cette région, qu'Arrien nous dit être la
région septentrionale du golfe de Ionie, autrement dit la Macédoine, la Thrace et la
basse vallée du Danube. Il s'agit là d'un nouvel argument en faveur de l'origine orien­
tale du druidisme, doctrine qui aurait pu se déplacer avec les invasions celtiques du
début du me siècle.

La représentation du ciel sous la forme d'une voûte n'est pas seulement attestée par
ce passage de Ptolémée, elle est également perceptible dans le mot celtique désignant
le sanctuaire nemeton qui se rattache à une racine indo-européenne *nem qui signifie
« courber » . Le sanctuaire serait en quelque sorte un templum au sens premier du latin,
le quadrilatère augural où . l a voûte du ciel apparaîtrait sous une forme idéale. Or, nous
le verrons plus bas, les Gaulois avaient des pratiques augurales assez proches de celles
des Romains.

Cette crainte d'une chute de la voûte céleste est exprimée dans des termes assez
comparables par Cicéron dans le « Songe de Scipion ». Décrivant les mouvements de
l'univers animé par les âmes, il indique que si les âmes ne jouaient pas ce rôle tout le
ciel tomberait. Une telle éventualité, à l'intérieur des théories néo-pythagoriciennes
sur l'univers et l'immortalité de l'âme, est tout à fait paradoxale. Elle ne peut guère
être expliquée que par un état antérieur de ces croyances où l'on imaginait à plus ou
moins long terme la fin du monde, sous la forme de l'écroulement de la voûte céleste,
état des croyances qui était peut-être celui des Gaulois aux deux derniers siècles de
leur indépendance.

Strabon, nous l'avons vu, semble indiquer une autre version de la fin du monde,
quand il fait dire aux druides qu' « un jour le feu et l'eau l'emporteront ». Une telle for­
mule n'étonne guère qui connaît les théories des physiologues ioniens ou celles de
l'ancien stoïcisme. L'eau et le feu sont les éléments premiers qui entrent dans la com­
position de l'univers. La destruction de celui-ci doit donc se traduire par une réappa­
rition de ces éléments premiers. Une telle conception de l'univers et de sa fin aboutit
naturellement à un système cyclique et perpétuel que les pythagoriciens avaient déve­
loppé au plus haut point avec leur astronomie. Les astres effectuent des rotations dans
l'univers, rotations des uns décalées par rapport aux rotations des autres, mais à un
moment tous les astres reviennent à leur position initiale. Les Celtes, versés dans l'as­
tronomie, avaient conçu un calendrier avec des périodes de trente ans qui témoigne
de théories assez similaires. Et on ne peut pas mettre en doute l'information que
Strabon tire de Posidonius, celle de la détermination d'éléments premiers constituant
la matière et revenant à l'état pur lors de la conflagration finale de l'univers, ce que les
Stoïciens appelaient ekpyrôsis . Quand Diviciac indiquait à Cicéron qu'il pratiquait la
« physiologie », c'est bien à de telles recherches qu'il faisait allusion, recherches sur les

63
"'

�éments fondamentaux, les lois de la nature, l'harmonie générale entre la terre, le ciel
et les astres. Par là, et notamment par l'évocation d'une chute du ciel dans le « Songe
de Scipion », on voit que la version de Strabon ne contredit pas celle de Ptolémée : la
fin du monde commence par la chute du ciel et s'achève par un retour de l'univers à
ses éléments premiers.

Ce sont là les informations les plus précises. César dans sa digression du Livre VI
ne fait malheureusement que résumer tout ce que Posidonius aurait pu nous
apprendre sur le sujet. Le résumé qui nous est donné ( « Les druides se livrent en outre
à de nombreuses spéculations sur les astres et sur leurs mouvements, sur la grandeur
du monde et de la terre, sur la nature des choses, sur l'essence et la puissance des
dieux immortels ») en dit cependant long sur l'importance de cette activité intellec­
tuelle dans la vie des druides et sur le haut degré de réflexion et de connaissance qu'ils
avaient atteint en ce domaine.

L'âme

La croyance en l'immortalité de l'âme a peut-être fasciné les historiens de la religion


gauloise au point de leur faire négliger la simple notion de l'âme qui n'apparaît pour­
tant pas comme un dogme secondaire lorsque l'on s'occupe de peuples que l'on a dit
longtemps barbares. Même le volume très méritoire d'Albert Bayet pourtant consacré
à La morale des Gau lois ne lui accorde pas le moindre paragraphe. Il faut dire à la
décharge de cet auteur que les sciences humaines en 1930, lors de la parution du volu­
me, baignaient en plein totémisme et que l'on cherchait alors plus à comparer les
Gaulois avec des indigènes qu'à établir les rapports entre les croyances celtiques et
celles de leurs voisins contemporains, Latins, Grecs mais aussi Thraces et Scythes.

Ce qui devrait nous étonner avant tout - ou à défaut de nous étonner, nous pousser
à tirer les conséquences de cette constatation - c'est que les Gaulois aient eu une
conception si précise de l'âme que les quelques auteurs qui l'étudièrent n'hésitèrent
pas à comparer certaines de ces vues aux théories de Pythagore. A l'évidence, et si on
continue à réfléchir avec les outils heuristiques de notre fin du XXe siècle, les Gaulois
que rencontrent Posidonius et Cicéron ont quitté depuis bien longtemps déjà les repré­
sentations très archaïques et tout imprégnées de leur appartenance commLmautaire
que Lévy-Bruhl qualifiait d'« âme primitive » . L'âme à laquelle croient les druides et
qui se révèle dans les débats antiques sur les origines de la philosophie, a la particu­
larité première d'être une âme individuelle qui se nourrit de l'expérience de la vie et
dont le destin dépend des vertus de l'individu . Nous ne sommes pas très loin de l'âme
intelligente qui anime l'univers et en fait l'égale des dieux, telle que l'avait définie
Pythagore. Ainsi, il y a bien un embryon de morale, au sens philosophique du terme,
et c'est le respect de ces grands principes qui conduit l'âme vers son immortalité.
Cependant cette morale, comme nous le verrons plus bas, est encore tributaire des ver­
tus guerrières et des intérêts communautaires.

64
Comme chez les philosophes grecs, l'eschatologie de l'âme dans la doctrine drui­
dique, son devenir ultime suscitait moins de controverse que sa nature humaine et son
rapport avec le corps. Une bonne idée de ces débats qui agitèrent tous les philosophes
grecs et latins - mais très certainement aussi les druides - entre le V0 et le I•' siècle nous
est donnée par le Timée de Platon qui faisait la synthèse des croyances des présocra­
tiques. Ce dialogue, exceptionnel dans l'œuvre de Platon, ne cessa de préoccuper les
néo-pythagoriciens, Posidonius et Cicéron notamment, qui en firent l'un et l'autre des
adaptations. Il est probable que quelques-unes des croyances que reproduit Platon
étaient connues des Celtes ou, pour le moins, partagées par eux, notamment celles qui
concernent la localisation de l'âme dans le corps. Le Timée distingue dans le corps
humain deux types d'âmes, une âme supérieure et un certain nombre d'âmes infé­
rieures. L'âme supérieure est « le principe immortel de l'animal mortel » , elle com­
mande le corps, ce dernier n'étant que son véhicule. Cette âme immortelle est sem­
blable à l'âme du monde, elle est sphérique et ne peut donc être logée que dans le
crâne qui a été spécialement tourné pour la recevoir. C'est là une croyance ancienne,
extrêmement répandue dans le monde et encore vivace chez certaines populations,
nord-asiatiques notamment. Les âmes inférieures ont des fonctions et des localisations
distinctes. Platon en signale trois. Immédiatement sous l'âme immortelle, dans le tho­
rax et au-dessus du diaphragme, se trouve l'âme de la colère et de l'ardeur guerrière.
Elle reste en relation avec l'âme immortelle et peut donc être raisonnée. Sous le dia­
phragme règne l 'âme de la nutrition, des désirs, du plaisir et de la douleur, elle est
coupée de l'âme immortelle, mais elle communique par les rêves et les pressentiments.
Enfin, plus bas, se trouve l'âme de « la conjonction charnelle » , dépendante de la
semence et insensible à la raison.

On ne sait si les Gaulois croyaient en plusieurs âmes ou s'ils faisaient la distinction


entre l'âme immortelle et des grands principes d'une autre nature présidant aux prin­
cipales fonctions du corps. Il est probable en tout cas qu'ils voyaient dans le crâne le
siège d'une âme supérieure, matérialisée par le cerveau et poussant ses ramifications
dans les autres régions anatomiques sous la forme de la moelle et des terminaisons
nerveuses. Le prélèvement du crâne de l'ennemi, la conservation de crânes d'ancêtres
ou de héros ne peuvent s'expliquer que par une telle croyance : il s'agissait de conser­
ver le réceptacle de l'âme, une fois que celle-ci avait quitté sa demeure provisoire. Le
traitement du crâne, son nettoyage minutieux, tel qu'on peut le voir sur les restes
osseux du site de Montmartin (Oise) ne contredisent pas cette hypothèse. De telles
opérations, en même temps qu'elles valorisaient cette boîte précieuse, permettaient à
l'âme de s'échapper plus librement.

L'une des grandes préoccupations des peuples altaïques avec lesquels les Celtes ont
une certaine parenté est justement cette libération de l'âme au moment de la mort.
Nous avons vu, avec l'évocation poétique de Lucain, que l'une des fonctions des vates
était la pratique quasi chamanique d'accompagnement de l'âme par la musique et les
chants jusqu'à son paradis. Ce rite devait être précédé d'opérations plus matérielles,
voire chirurgicales permettant l'extraction de l'âme de son enveloppe corporelle. Au
Tibet le crâne du mort dont l'âme doit s'envoler dans les cieux est broyé afin que les

65
vautours puissent, en en ingurgitant les restes, se charger de ce transport. Bien des
rites curieux que mettent en évidence les fouilles des gisements osseux de Ribemont­
sur-Ancre peuvent trouver un début d'interprétation dans de semblables croyances.
Les os longs (tibias et fémurs principalement) ont été brisés finement alors qu'ils
étaient encore frais et peut-être encore enrobés de chair. De telles pratiques connues à
l' Age du Bronze et chez certains Indiens d'Amérique du Nord sont généralement
interprétées comme un prélèvement de la moelle. A Ribemont, où ces mêmes os ont
été ensuite systématiquement concassés puis passés au feu, on doit plutôt voir dans
ces gestes des rites funéraires justifiés par une telle conception de l'âme.

Un passage curieux de Diodore, recopiant une fois de plus Posidonius, pourrait


laisser penser qu'il existait chez les Celtes une conception de l'âme guerrière assez
similaire à celle qu'expose Le Timée. « Quand ils consultent les présages pour quelque
grand intérêt, c'est alors qu'ils suivent un rite étrange, incroyable même. Après avoir
consacré un homme, ils le frappent avec une épée dans la région située au-dessus du
diaphragme. Ils devinent alors l'avenir à la façon qu'a la victime de tomber, l'agitation
de ses membres et l'écoulement de son sang » . Cette information ne peut pas être mise
en doute. Le type d'observations auxquelles se livrent les Celtes se retrouve chez de
nombreux peuples et de nos jours encore en Afrique, à propos de mammifères ou de
volailles il est vrai. De tels détails n'ont pu être inventés. Ce que révèle aussi ce témoi­
gnage, c'est le caractère guerrier du sacrifice : la victime est tuée dans un simulacre de
combat comme si sa mort devait donner l'image de l'issue de combats plus impor­
tants. La localisation précise du coup sacrificatoire désigne à l'évidence une région
anatomique valorisée, non loin du crâne, et qui était peut-être considérée comme le
siège des passions guerrières et politiques.

Diodore indique que ce type de sacrifice, rare, parce que seules des circonstances
exceptionnelles l'occasionnaient, était très ancien et fut longtemps pratiqué. C 'est un
argument pour penser que de telles idées sur l'âme et sur sa séparation du corps au
moment de la mort étaient anciennes et antérieures à l'instauration du druidisme.
Mais les druides eurent tout loisir d'exploiter une foi qui trouvait place dans leur phi­
losophie.

Les préceptes druidiques

Comme on l'a vu, ils développèrent le dogme de l'immortalité de cette âme. Mais
cette immortalité n'était pas d'emblée acquise, il fallait qu'elle soit le couronnement
d'une vie vertueuse. Autrement dit, les druides trouvaient de cette façon le moyen
d'installer la partie morale de leur philosophie.

La morale qui faisait de ces prêtres des philosophes en même temps que des péda­
gogues est généralement sous-estimée. Le témoignage de César donne l'image d'un
corps sacerdotal hiérarchisé dans lequel la volonté de pouvoir paraît forte et nous
avons du mal à y voir des philosophes regroupés dans des écoles comme il en existait
à la même époque dans toute la Grande Grèce. C'est pourtant un tableau semblable

66
que dépeint l'historien de la philosophie Diogène Laërce quand il voit - à tort certes -
dans les druides des inventeurs de la philosophie mais surtout quand il les compare
aux « Gymnosophistes » (brahmanes) de l'Inde. Il nous apprend, en outre, que les
druides avaient l'habitude de faire des déclarations sentencieuses, sous la forme
d'apophtegmes qui avaient touj ours une tournure énigmatique. La vérité se situe cer­
tainement au carrefour des relations de César, de Diogène Laërce ou d' Ammien
Marcellin dont les propos corroborent ceux de l'historien de la philosophie.

Comme les présocratiques ou les orphiques dont ils étaient issus, les druides se pré­
sentaient comme des prédicateurs, mêlant le dogme aux préceptes, c'est-à-dire ne se
départissant j amais d'un certain usage du mystère. Avec un décalage de deux à trois
siècles sur leurs homologues orientaux, les druides connaissaient ce moment où la
philosophie vivait une symbiose presque parfaite avec la religion. Nous avons vu ce
que pouvait être la partie dogmatique de l'enseignement des druides. Le même
Diogène Laërce par bonheur nous donne une idée, certes concise, mais révélatrice du
contenu des préceptes druidiques. « Ils disaient qu'il faut honorer les dieux, ne rien
faire qui soit mal, s'exercer au courage ». De telles consignes peuvent nous sembler
des banalités. En fait un Pythagore ne les aurait pas reniées. Elles résument bien la
synthèse opérée par les druides entre le mysticisme religieux et la morale.

L'ordre même de ces préceptes en donne la démonstration. Le premier commande­


ment est d'honorer les dieux. Cette place peut signifier une priorité mais on ne peut
s'empêcher d'y voir un préalable qui tiendrait lieu d'acte d'allégeance. Le sens devien­
drait le suivant : « certes il faut honorer les dieux, mais l'important est de ne pas faire
le mal et de pratiquer les vertus viriles » . Ce qui étonne, en effet, dans ces trois com­
mandements, ce sont bien les deux derniers. L'expression « ne rien faire de mal » sous­
entend qu'il existe un tableau du bien et du mal qui donne la description des deux et
en trace rigoureusement les limites. Un tel tableau n'est rien d'autre qu'une éthique
que les druides cherchaient faire partager à l'ensemble des hommes et non seulement
aux classes favorisées dont ils étaient issus. Au-delà, une telle notion du bien et du mal
suggère que les idées de péché et de salut étaient en germe chez les Gaulois, au cours
des deux derniers siècles précédant notre ère. Elle prouve au moins que l'individu, par
ses actions, pouvait influer sur la destinée de son âme, que celle-ci n'était pas seule­
ment dépendante de la stricte application des obligations religieuses.

Le troisième précepte pose quelques problèmes de sens. Le grec nous dit : andreian
askein . Si le verbe (« pratiquer, s'exercer ») n'offre aucune difficulté, le terme andreia est
un peu moins clair : « bravoure, virilité, énergie, courage ». La traduction la plus habi­
tuelle « s'exercer au courage » paraît quelque peu restrictive. Il semble que soient là en
cause toutes les vertus qui sont nécessaires à l'homme pour lui assurer la meilleure
place à la guerre, mais peut-être d'une façon plus générale dans la cité. Si ce n'était le
cas, on ne comprendrait pas pourquoi cette règle figurerait parmi les trois principaux
préceptes.

67
De cette façon, s'éclaire le rôle de synthèse des idées druidiques que jouent ces trois
préceptes. Ils replacent l'individu par rapport à la société des dieux et par rapport à
celle des hommes, ils lui tracent un chemin sur les trois niveaux de sa vie, celle qu'il
mène par rapport aux dieux en accomplissant ses exercices religieux, celle de sa vie
quotidienne et privée, enfin celle qu'il a à l'intérieur d'une société encore très guerriè­
re.

Les trois commandements que reproduit Diogène Laërce étaient peut-être répétés
en Gaule comme un refrain destiné à l'éducation des plus défavorisés. Ils étaient non
seulement le résumé mais aussi une introduction à des règles de vie plus précises que
les druides devaient déclamer comme leurs sentences ou comme les longues poésies
mythologiques qu'ils faisaient apprendre par cœur à leurs élèves.

Les divinités

Plus que les autres aspects de la religion gauloise, le panthéon a suscité une littéra­
ture abondante, voire pléthorique. C'est un paradoxe. Car les sources littéraires sont
relativement indigentes et soulèvent de graves problèmes. Les données graphiques et
épigraphiques sont tardives et d'une utilisation délicate. Enfin en ce domaine le com­
paratisme présente les mêmes défauts que ceux que nous lui avons reconnus au début
de cet ouvrage, éloi gnement géographique et chronologique entre les termes de la
comparaison. Autant dire que l'étude des divinités gauloises est un exercice périlleux
et, disons-le, voué à l'échec. L'histoire de la religion romaine nous apprend, en effet,
que la personnalité des dieux, leurs attributions fonctionnelles, leurs rapports avec les
autres dieux et avec les hommes ne peuvent être définis que par une multitude de
points de vue, celui du croyant, celui du prêtre, celui du citoyen ou de l'homme poli­
tique, celui du poète et de l'historien, qui ne nous sont donnés que par des sources
variées : iconographie, épigraphie, textes littéraires, règlements administratifs,
archives officielles, etc. Seule cette confrontation permet un rapport suffisamment inti­
me avec la mentalité religieuse qui est, en tout état de cause, notre véritable objet
d'étude. N'étudier que les représentations lapidaires de divinités est un exercice d'his­
toire de l'art, il ne donne qu'une image superficielle et limitée des dieux. On pourrait
en dire autant de toute approche qui ne s'appuierait que sur un seul type de matériau.

C'est pourtant ce à quoi nous condamne la carence de nos sources. Nous ne dispo­
sons sur les divinités des derniers siècles de l'indépendance de pratiquement aucune
documentation directe, c'est-à-dire qui soit de la main même d'un Gaulois qui aurait
façonné une statue en mentionnant son nom, écrit une prière ou tenu les livres de
compte d'un sanctuaire, par exemple. Nos documents littéraires sont ceux que nous
ont laissés des voyageurs grecs ou des occupants romains. Les représentations plas­
tiques sont tardives et le fait d'une population qui ressentait l'influence de Rome. Bien
souvent, au vu d'une image monétaire ou d'une statue découverte dans le sud-est de
la Gaule, nous ne savons même pas si nous avons affaire à une divinité, à un héros his­
torique ou légendaire ou à un simple ancêtre.

68
Les re p rése ntat i o n s divines anté rieu res à la conq u ête ro m a i n e sont rares. C e l l e , b i c é p h a l e , de ce q u i p o u rrait être
l ' é q u iva l e nt d ' u n H e rmès, d o it c e rta i n e m e nt bea u c o u p à l ' i nfluence méd iterra n é e n n e . R o q u e pe rtuse ( B o u c hes­
d u - R h ô n e ) , V' s . av. J . - C . ?

69
La postu re accro u p i e , q ual ifiée parfo is de bou d d h i q u e , ne d é s i g n e pas forcé ment u n e d ivi n ité, mais pe ut-être
q u e l q u e prince dans u n e attitude h é roïq u e . En haut : Petite statu ette en b ro nze p rove nant de La Bauve, Meaux
(Se i n e-et-Marn e ) , V'-1" s . av. J . - C . ? E n bas : Déta i l d e l ' oenochoé de G lau berg (Al l e m ag n e ) , v• s . av. J . - C .

70
Conception et représentation de la divinité

Avant d'entrer dans le débat des identifications des différents dieux et de leurs attri­
butions, il faut se demander quelle conception les Celtes se faisaient des divinités, afin
de ne pas leur appliquer trop systématiquement des modèles issus du monde gréco­
romain. Nous disposons de deux informations d'ordre général. La première, qui nous
intéressera longuement puisqu'elle est notre source principale, est donnée par César.
Après avoir évoqué les principaux dieux gaulois, il écrit : « De ces dieux ils (les
Gaulois) se font pratiquement la même idée que les autres peuples », ce qui laisserait
entendre que le panthéon des Gaulois présentait un certain nombre de ressemblances
avec celui des Romains et par conséquent des Grecs, ce que César avait voulu prou­
ver précédemment en donnant à chaque divinité un équivalent romain. La seconde
information concernant une époque plus ancienne (280 avant J.-C . ) est due à Diodore.
Il s'agit de Brennus pénétrant dans un temple à Delphes : « Il dédaigna les offrandes
d'or et d'argent qui s'y trouvaient mais il prit les représentations de pierre et de bois.
Et il se mit à rire de ce qu'on avait supposé aux dieux des formes humaines et qu'on
les avait représentés en bois et en pierre ». En l'occurrence, ce témoignage laisserait
supposer une divergence entre les conceptions des Gaulois et celles des Grecs et des
Romains, divergence au moins dans le mode de représentation. L'explication de cette
contradiction entre César et Diodore est probablement d'origine chronologique et géo­
graphique. Diodore, comme à son habitude, ne s'en tient qu'à sa seule source, le texte
de Posidonius qui remonte au tout début du Ier siècle. César semble, au contraire, avoir
ajouté un détail oculaire qui daterait dans ce cas du milieu du le' siècle et qui ne concer­
nerait que le seul dieu Mercure qu'à l'évidence dans son tableau il cherche à favoriser.
Mercure est le dieu des commerçants et des voyageurs, il fallait montrer aux Romains
que la conception déjà très romaine de cette divinité était un signe du bon accueil
qu'on leur ferait en Gaule. Ce détail prouve, en tout cas, que de telles représentations
commençaient à se diffuser, au moins dans certaines régions, le Sud et le Centre-Est
certainement.

Les noms celtiques des divinités gallo-romaines, qui ont été matière à des exégèses
souvent savantes, apportent un autre éclairage. Dans les inscriptions, le nom, souvent
romain, d'une divinité est généralement accolé à un terme gaulois dont on se deman­
de s'il est un qualificatif ou le nom d'une divinité gauloise qui serait l'équivalent de la
divinité romaine. Ce terme peut généralement être traduit. Le problème est que pour
une même divinité ces « qualificatifs » sont nombreux, voire contradictoires, ce qui a
plongé les historiens de la religion gauloise dans des considérations souvent sans
fond. Ainsi, Mars est associé à Caturix ( « roi de la guerre ») mais aussi à Smertrius
( « celui qui prévoit ») ou à Leucetius (probablement « celui qui donne la lumière ») ou
encore à Albiorix (« maître du monde »), sans compter les innombrables termes qu'on
ne sait traduire ou qui ont une origine germaine. La plupart des divinités gallo­
romaines présentent un échantillon plus ou moins important de ces qualifications soit
fonctionnelles, soit topographiques ou ethniques. Ce corpus gallo-romain ne doit pas
être négligé car les fouilles archéologiques montrent que la très grande majorité des
lieux de culte gaulois ont été conservés à l'époque gallo-romaine, leur plan d'en-

71
semble respecté et les principaux cultes poursuivis. Nous sommes donc amenés à pen­
ser que la théonymie gallo-romaine reproduit à sa façon des conception:::. gauloises.

Que doit-on penser de ces différents points de vue ? Tout d'abord, et contrairement
aux idées largement diffusées par les tenants du totémisme et du mana au début de ce
siècle, les Gaulois - mais en cela ils étaient proches des Germains et des Latins -
avaient une conception essentiellement mentale des divinités. Le besoin de représen­
tation, même sous forme symbolique, leur vint très tard, comme chez les Romains qui
l'acquirent des Etrusques. L'anthropomorphisation des dieux leur fut importée par les
voyageurs grecs et les commerçants romains, tardivement et non sans difficulté. Les
divinités gauloises, au profil flou, aux attributions multiples, se prêtaient mal à la
représentation stéréotypée, comme nous le montrent avec éloquence la statuaire et
l'épigraphie gallo-romaines. La conception mentale qu'avaient les Celtes de leurs
dieux différait notablement de celle des Grecs et des Romains. L'épisode de Brennus à
Delphes indique qu'on ne croyait pas en Gaule à une grande famille de dieux, vivant
des relations humaines, parenté, amour, jalousie, conflits, compétition, telles que la
mythologie grecque en donne l'exemple le plus fascinant. Les dieux gaulois paraissent
le plus souvent isolés, certains sont associés à un animal ; nous connaissons également
quelques cas de couples, un dieu et sa parèdre, des groupes de trois divinités où l'in­
dividualité perd sa place. Mais tout cela ne forme pas une société divine, image idéa­
lisée de celle des hommes. La documentation gallo-romaine prouve d'autre part que
les Celtes n'avaient pas la pensée classificatoire des entités divines que les Romains
ont développée à l'excès, ainsi le répertoire des indigitamen ta dressé par Varron qui fit
le bonheur de la critique des Pères de l'Eglise. Les dieux gaulois paraissent non seule­
ment polyvalents mais aussi omnipotents. On peut donc se demander jusqu'à quel
point la religion gauloise ne tendait pas fondamentalement et localement vers le
monothéisme ; chaque peuple, chaque tribu avait, en effet, une sorte de divinité polia­
de qui primait sur les autres.

Des dieux locaux, régionaux et tribaux

Les noms des divinités gallo-romaines connus par des dédicaces permettent d'en­
trevoir l'un des caractères essentiels du panthéon gaulois, sa nature topique. Les
répertoires les plus récents de ces noms en dénombrent plus de 400. Parmi eux plus
des trois quarts n'apparaissent qu'une fois, c'est dire leur caractère local. Joseph
Vendryes fait remarquer que bon nombre de ces théonymes ne sont pas celtiques, ce
qui laisserait entendre qu'ils sont plus anciens et qu'ils ont été adoptés par la popula­
tion gauloise. Les noms qui apparaissent plusieurs fois montrent une concentration
géographique des lieux de trouvailles, sur un même lieu (sanctuaire) ou dans une
même région. Ainsi tel dieu n'est connu que dans le Bourbonnais, tel autre en
Bourgogne, tel autre en Angleterre, etc. Il faut donc croire que chaque région avait sa
ou ses divinités propres.

L'étude des représentations plastiques gallo-romaines permet des conclusions simi­


laires, bien que moins précises. Depuis le travail d'inventaire des sculptures et bas-

72
reliefs exécuté par Espérandieu, on a constaté que les déesses-mères étaient plus nom­
breuses en Rhénanie que dans les autres régions du monde gallo-romain, que le dieu
tricéphale se trouvait surtout en pays rème. Certainement nous avons là aussi les
effets de la diffusion à l'époque gallo-romaine de ces dieux et de leur culte sur une aire
plus large, celle de la cité gallo-romaine, voire de régions entières. Vendryes a évoqué
la possibilité d'une lutte d'influence entre ces divinités régionales : quelques représen­
tations nous montrent, en effet, le dieu tricéphale surmonté par les matres, ou le
Tricéphale surmontant Mercure et Rosmerta, comme si la représentation devait signi­
fier la hiérarchie entre divinités indigènes et divinités conquérantes.

Probablement, à l'époque de l'indépendance le panthéon devait-il être avant tout


tribal. Le nom de dieu gaulois le plus célèbre, Teutates, cité par Lucain, en est la par­
faite illustration. Joseph Vendryes, une fois encore, a montré qu'il ne s'agit pas d'une
divinité particulière, aux attributions définies - on comprendrait mal dans ce cas que
ce nom ne figure que sur une seule inscription - mais qu'il s'agit d'un qualificatif, le
teu tates, autrement dit « le dieu de la tribu » . Un interdit devait régner sur le véritable
nom de certaines divinités qu'il fallait désigner par une formule allusive ou un euphé­
misme : ainsi l'autre nom de divinité, Esus, ne signifiait-il peut-être rien d'autre que
« le bon », de même que les Grecs par antiphrase appelaient Euménides les Furies.
Chaque tribu pouvait appeler son dieu tutélaire Teutates et tous ces Teutates pou­
vaient avoir des caractères très variés. L'autonomie de la tribu, même à l'intérieur de
la civitas, autonomie que nous avons évoquée sur le plan politique et militaire, s'ex­
primait évidemment en matière de religion. Et la divinité protectrice de la tribu (la
*teu ta) en était l'illustration la plus remarquable. La compétition entre les tribus se
reproduisait comme en miroir dans le monde divin : les dieux des différents peuples
s'affrontaient. Nous avons vu avec le Tricéphale et avec les Déesses-mères que ces
luttes pouvaient aboutir à la domination des uns sur les autres. Il y avait peut-être
d'autres issues. A Rome on cherchait à séduire le dieu de l'ennemi. En Gaule, beau­
coup d'esprits divins attachés à un lieu après avoir été combattus par les Gaulois ont
été adoptés, probablement parce que la mentalité religieuse ne concevait pas qu'un
dieu puisse être chassé par les hommes et remplacé par un autre.

César et le panthéon gaulois

L'ensemble du territoire gaulois devait donc présenter une multitude de ces figures
divines, certaines importantes parce qu'elles étaient la divinité tutélaire de la tribu ou
du peuple tout entier, d'autres secondaires en ce qu'elles incarnaient une force natu­
relle reconnue de tout temps. Les 400 théonymes recensés ne doivent donc pas éton­
ner. Le nombre initial de ceux qui figuraient sur des inscriptions doit être sensiblement
plus important. Il faudrait lui ajouter les noms de tous les dieux qui ont disparu avec
les débuts de la romanisation. Dans ces conditions, chercher à brosser le tableau d'un
panthéon qui soit à l'image de celui des Grecs et des Romains est une entreprise
impossible, et surtout inutile. C'est pourtant ce qu'a tenté César dans son Livre VI.

73
Il convient de dire que, dans ce cas précis, l'auteur n'utilise pas la source habituel­
le, Posidonius. Les autres copistes, en effet, Diodore et Strabon ne reproduisent pas
cette description. Par ailleurs, celle-ci, comme on le verra, s'accorde mal avec l'esprit
et la méthode du néo-pythagoricien. Il s'agit peut-être d'une information de première
main, issue d'entretiens soit avec des commerçants romains soit avec des nobles gau­
lois, tels que Diviciac. Cinq personnalités divines sont citées, toutes sous une forme
romaine. Le dieu le plus honoré est Mercure, considéré comme l'inventeur de tous les
arts, protecteur des voyageurs et du commerce. Viennent ensuite Apollon, Mars,
Jupiter et Minerve dont, nous dit César, les Gaulois ont une opinion relativement
banale : Apollon guérit les maladies, Minerve enseigne les principes des arts et des
métiers, Jupiter est le maître des dieux, Mars régit les guerres.

On a beaucoup glosé sur ce tableau. Parmi les multiples analyses qui en ont été
faites, deux doivent être retenues. La première est qu'il s'agit d'un exemple typique de
ce que Tacite lui-même, à propos des dieux Germains, appelait l'interpretatio romana,
c'est-à-dire la transposition systématique des divinités indigènes dans les grilles du
panthéon romain. Cette pratique n'est pas propre à César, elle est courante chez les
auteurs latins et les Grecs ; Hérodote par exemple, s'en était déjà rendu coupable. On
voit bien les défauts d'une telle lecture ethnocentrique, elle réduit la personnalité divi­
ne observée à des caractères existant chez le dieu. qui sert de référence, elle occulte ce
qui fait l'originalité même de la mentalité religieuse du peuple étudié. En gros elle
livre les habits classiques avec lesquels seront habillées plus tard ces entités indigènes
quand la conquête aura fait son œuvre. C 'est ce qu'on a reproché, vigoureusement et
avec raison, à l'auteur de la Guerre des Gaules ; cette évocation des dieux gaulois n'est
guère utilisable, elle nous renseigne plus sur l'idée que se faisait ou que voulait trans­
mettre à ses lecteurs César du panthéon gaulois que sur les divinités gauloises elles­
mêmes.

Une seconde analyse, due à George Dumézil, est moins pessimiste. Tout en recon­
naissant les effets de l'in terpretatio romana, il fait remarquer que la composition de ce
panthéon et l'ordre dans lequel il nous est donné ne doivent rien au modèle romain.
La première position occupée par Mercure, la quatrième seulement pour Jupiter et
l'absence de Junon, Cérès, Vénus, etc., lui paraissent des anomalies de taille pour quel­
qu'un qu'on a accusé de « penser romain ». De même la caractérisation de Mercure
« inventeur de tous les arts » est inhabituelle. En clair, pour Dumézil, César, avec les

outils que lui donnaient les correspondances du panthéon romain, a tenté de traduire
l'ensemble des principales fonctions divines qu'il voyait en Gaule ou qu'on lui avait
décrites.

Après les remarques qui ont été faites plus haut sur les caractères régionaux ou tri­
baux de ces divinités, on peut aller plus loin dans une telle analyse. Peut-être faut-il
croire tout simplement que César a voulu réaliser une sorte de synthèse idéale, un
résumé des principaux dieux que l'on pouvait rencontrer dans toute la Gaule sous la
forme d'un panthéon qui n'existait de fait sous cette forme chez aucun peuple en par­
ticulier.

74
Dis Pater gaulois

Le caractère artificiel de l'essai auquel s'est consacré César est indiqué par la men­
tion plus lointaine, un ajout hors cadre, d'un dieu sur lequel il nous donne des infor­
mations précieuses, sans commune mesure avec celles qui précèdent. « Tous les
Gaulois se vantent, écrit-il, d'être issus de Dis Pater. Ils disent que ce sont les druides
qui le leur ont révélé. C 'est pour cela qu'ils mesurent le temps par le nombre des nuits
et non par celui des jours. Les jours de naissance, les débuts de mois et d'années sont
comptés de façon que la nuit précède le jour. » On pourrait penser que Dis Pater est
encore un produit de cette in terpretatio romana et que ce texte n'est, en fait, qu'un com­
plément, déplacé comme un ajout, au précédent. Si c'était le cas, il constituerait un
exemple supplémentaire des anomalies repérées par Dumézil. Dis Pater, en effet, n'ap­
partient pas vraiment au panthéon romain, il est une introduction tardive, parmi les
esprits infernaux et les génies des ancêtres, de l'équivalent du Pluton grec dont il est
l'exacte traduction. D'ailleurs Dis Pater et sa parèdre Proserpine semblent n'avoir
jamais connu un réel succès auprès des masses populaires romaines.

Si César utilise donc la figure de Dis, c'est bien parce que cette sorte de Pluton paraît
le mieux correspondre à un authentique dieu gaulois, dieu chthonien par excellence,
habitant probablement la terre et qui avait pour fonction principale d'être le géniteur
divin des Gaulois. Le peu qui en est dit, qui concerne cette paternité de Dis, les calen­
driers nocturnes, correspondent à des informations précises qui ont toutes les chances
d'être proches de la réalité. On s'attendrait, en effet, qu'à propos d'une telle figure on
nous parle des morts dont le « Riche », Dis ou Pluton, est censé habituellement s'ali­
menter. Or César nous informe du contraire : c'est le Dis gaulois qui donne naissance
aux Gaulois. C'est cette information paradoxale que retient César et, pour la valider, il
éprouve le besoin d'indiquer que c'est un dogme druidique, ce qui n'est pas sans inté­
rêt. Alors qu'au début de la présentation par César de la religion gauloise il est essen­
tiellement question de l'immortalité de l'âme et des croyances cosmiques des druides,
ici il n'est plus question que de corps humains et de la Terre.

Cette trop courte mention semble donner un début d'explication à toute une partie
manquante de la doctrine druidique, celle du cycle des êtres humains faisant pendant
au cycle des âmes. L'impression se dégage qu'à l'intérieur de la sphère cosmique à
laquelle participaient les âmes se trouvait une sphère terrienne animée par le cycle des
corps, corps morts retournant à la terre et donnant naissance à de nouveaux êtres en
un mouvement perpétuel reproduisant à une plus petite échelle celui de l'univers.
L'originalité de cette information, qui a été peu analysée par les historiens de la reli­
gion gauloise, donne de bonnes raisons pour croire que l'informateur ici est bien
Posidonius qui dut avoir quelque plaisir à retrouver chez les Gaulois l'équivalent de
la théorie des cercles, chère aux pythagoriciens. Nous verrons, de notre côté, que les
rites funéraires et plus précisément d'étranges pratiques d'allure funéraire sur le site
cultuel de Ribemont-sur-Ancre pouvaient avoir pour cadre idéoldgique de telles
croyances.

75
Caractères de la théologie gauloise

On vient de le voir, le peu de sources dont nous disposons ne nous autorise pas à
tenter la reconstitution d'un panthéon gaulois dont on pourrait d'ailleurs contester la
réalité, puisque chaque peuple, peut-être même chaque tribu en possédait un propre.
L'iconographie gallo-romaine ne nous est que d'un faible secours, elle peut même
nous induire en erreur. On ne peut mieux faire que répéter les propos de Georges
Dumézil à son propos : « Nous sommes, avec ces monuments, dans une religion
décomposée, sans théologie. Plus de druides, plus de guerriers gaulois. L'aristocratie
s'est romanisée. Seuls les marchands, les gens de métier, les paysans restent en partie
fidèles à de vieux dieux : est-il étrange que tous ces dieux prennent une figure mono­
tone de donneurs de richesse ? » Pour l'auteur de ces lignes inspirées, c'est la raison
qui doit nous pousser à utiliser principalement le texte de César, seule source raison­
née contemporaine des faits étudiés.

Si le panthéon, comme la mythologie, est disparu à tout j amais, il semble que l'état
des connaissances nous permette de repérer un certain nombre de traits qui font l' ori­
ginalité de la théologie gauloise. L'idée qu'un peuple se fait du monde divin dépend
largement de sa manière de vivre et de l'état de la société. Or un grand nombre de
peuples qui ont occupé la Gaule au cours des cinq derniers siècles précédant notre ère
étaient auparavant soit nomades, soit peu attachés à un sol en particulier. Une telle
façon de vivre a ses répercussions sur les conceptions théologiques : le divin ne se
décline pas en une famille diversifiée et installée mais tend à une forme de mono­
théisme qui n'a évidemment rien à voir avec celui qu'enseignent les religions du Livre.
On conçoit un esprit omniprésent qui ne s'oppose pas à des forces naturelles car c'est
lui qui les anime ou qui se révèle à travers elles. Cet esprit divin se prête plus à la sym­
bolisation qu'à la représentation, c'est pourquoi il est exagéré à propos des Celtes de
parler d'aniconisme. Les objets sacrés qu'ils emportaient avec eux n'incarnaient pas
telle ou telle divinité mais ils en signalaient la présence constante auprès des hommes.

Parce que les Celtes voyagèrent beaucoup et n' élirent que tardivement domicile sur
un territoire défini, ils ne façonnèrent pas comme les Romains une terre sacrée qui se
présentait comme la reproduction microcosmique de l'univers habité par les dieux.
C'est la raison pour laquelle ils furent plus sensibles que leurs voisins méditerranéens
à toutes les manifestations naturelles, à tous les cultes indigènes qu'ils étaient amenés
à rencontrer. Ces phénomènes de la nature ou ces créations de l'homme n'étaient que
les versions différentes du même esprit divin auquel ils croyaient. Lors de l'épisode
fameux où l'on voit Brennus pénétrer dans un temple à Delphes, Diodore nous dit
qu'il ne se saisit pas des offrandes d'or et d'argent, mais qu'il ne s'intéressa qu'aux sta­
tues divines de pierre et de bois. Il s'en moqua mais les emporta. Quand les Celtes arri­
vèrent en Gaule, les rivières, les montagnes, les sources, etc., portaient déj à des noms
soit d'une souche celtique plus ancienne, soit donnés dans une autre langue. Ces noms
désignant une force divine furent conservés par la population immigrante, intégrés à
un système de pensée divine qui était d'une extraordinaire souplesse. Ils formèrent la
base d'une topographie religieuse naissante où ils finirent par se fondre : la divinité

76
topique indigène devint la représentante de tel dieu de la tribu, le nom demeura, pro­
bablement aussi une partie du culte.

Beaucoup de ces peuples, avant leur installation, mais même après - notamment les
peuples belges -, étaient avant tout des peuples guerriers. Leur représentation divine
principale avait évidemment cette nature belliqueuse. Et c'est à ce type divin que
César fait allusion quand il parle de Mars. Les sanctuaires dont il sera question dans
la partie suivante sont essentiellement connus dans le nord de la Gaule et précisément
chez les peuples belges dont la réputation guerrière fut à ses dépens confirmée par
César. Or, la plupart de ces grands lieux de culte qui avaient une audience élargie à la
civitas tout entière voire à une confédération, présentent des caractères guerriers indé­
niables. Chez les Belges, les Ambiens, les Atrébates de l'époque de l'indépendance, le
culte guerrier semble même occulter toute autre forme de culte, agraire, artisanal.
L'impression se dégage que chez tous ces peuples le dieu principal était une forme de
Mars, que c'est elle qui incarnait les grands principes divins qui chez d'autres peuples
pouvaient être attribués à une autre divinité. L'importance de ce culte guerrier dans
un certain nombre de cités est encore signalée par le bref tableau du panthéon gaulois
quand César écrit que chez de nombreux peuples on peut voir dans des lieux consa­
crés des monceaux de dépouilles guerrières, telles que celles dont les sanctuaires
belges nous donnent image.

Cette prépondérance dans le texte de César du dieu Mars et des manifestations qu'il
inspire, fait évidemment pendant à ce qui est dit, au début du texte, de Mercure. La
prééminence de ce dieu caractérisé comme protecteur des voyageurs et du commerce,
le seul qui soit statufié, qui se présente en gros déj à comme une divinité gallo-romai­
ne, s'oppose radicalement à la figure d'un Mars gaulois qui montre de grandes affini­
tés avec le Mars de la Rome archaïque. Il est difficile d'imaginer que deux personnali­
tés aussi différentes et surtout aussi anachroniques aient pu coexister sur le même
rang hiérarchique à l'intérieur d'un même panthéon. On s'imagine assez bien dans
quelle région de la Gaule ce Mercure pouvait régner, celle où le commerce était fort
développé, où les negotiatores romains s'étaient installés déjà depuis longtemps, autre­
ment dit le Centre-Est, les cités des Eduens, des Bituriges, des Arvernes et des
Séquanes. Une preuve indirecte nous en est donnée par Diodore au Livre IV : chez les
Mandubiens, voisins des Eduens et peut-être leurs clients, la ville d' Alésia passait
pour avoir été fondée par Héraclès. Autrement dit, la divinité principale de cette ville
et peut-être du peuple était une divinité d'allure gréco-romaine, décrite comme enne­
mie farouche des mœurs barbares, protectrice du commerce et bâtisseuse de routes,
soit la copie quasi conforme, excepté le nom, du Mercure de César.

Je ne pense pas qu'il faille voir seulement dans la place accordée par César à
Mercure une in terpretatio romana destinée à rassurer le sénat romain, à préparer les
commerçants et les chefs d'entreprise à une installation future en Gaule, comme la
thèse en a été développée par Michel Rambaud. Nous savons aujourd'hui, grâce à une
documentation archéologique plus importante et mieux analysée, que le centre-est de
la Gaule connaissait une forme de romanisation avant même l'arrivée de César, par le

77
commerce, les échanges diplomatiques, les services du mercenariat et l'adoption par
les Gaulois de modèles politiques romains. Cette romanisation volontaire, souhaitée
par un peuple comme celui des Eduens, avait évidemment sa traduction religieuse,
celle que prouve la présence d'Héraclès à Alésia. La souplesse de l'esprit gaulois qui
trouve une illustration éloquente dans ses œuvres d'art se prolongeait dans la théolo­
gie. Le panthéon gaulois qui s'était enrichi de divinités indigènes qu'il avait trouvées
sur place, avait les mêmes facilités pour adopter les dieux des étrangers. Mais cette
souplesse s'accompagnait naturellement d'un manque de rigueur, de l'absence d'es­
prit de classification, propres à la religion romaine : les dieux étrangers perdirent cer­
tains de leurs traits d'origine et se fondirent probablement avec des homologues gau­
lois avec lesquels on pouvait les rapprocher.

Dumézil a fait remarquer que Mercure et Minerve, dans l'exposé de César, se diffé­
rencient mal et que Junon, Cérès sont absentes. Dans cette analyse on peut aller plus
loin et constater que les cinq figures divines, si on leur ajoute Mars, présentent un
indéniable caractère de souveraineté, comme si chacune présentait pratiquement
toutes les attributions fonctionnelles mais se distinguait des autres par la prééminen­
ce d'une fonction : commerce, artisanat pour Mercure, art et artisanat pour Minerve,
rôle guérisseur d'Apollon, de souverain pour Jupiter et de guerrier pour Mars.
Autrement dit chacune a pu être une divinité principale et omnipotente. Cette analy­
se rejoint celle que l'on vient de faire à propos de Mars et de Mercure. Si Mars fut la
figure privilégiée des peuples belges, si Mercure connaissait un grand succès chez les
peuples de l'empire éduen, on est en droit de se demander si les peuples de l'ouest
armoricain n'avaient pas des faveurs propres pour Apollon, si les peuples aquitains
spécialisés dans l'extraction et le traitement des minerais précieux n'honoraient pas
plus particulièrement la correspondante de Minerve. Si c'est le cas, nous compren­
drions beaucoup mieux le sens et la méthode du résumé de César : informé par des
commerçants romains - on a souvent parlé du rôle de Diviciac - il a mentionné en pre­
mier lieu le dieu le mieux représenté dans la région dont ses informateurs étaient
issus ; ensuite ceux-ci lui citèrent quelques-uns des dieux principaux qu'on rencontrait
dans les autres régions de la Gaule. Ainsi l'auteur de la Guerre des Gaules n'aurait eu
connaissance que des dieux principaux présents en Gaule, la description des dieux
secondaires étant une tâche aussi impossible pour lui qu'elle l'était pour ceux qui le
renseignaient. La synthèse qui est née de ces entretiens ne concerne donc que les dieux
souverains de l'ensemble du territoire gaulois, en aucun cas elle ne peut prétendre à
tenir lieu de véritable panthéon pour quelque civitas.

Ces informations, avec les lacunes qu'elles présentent, demeurent cependant un


outil incomparable pour avoir quelque idée de la mentalité religieuse des Gaulois et
surtout pour comprendre comment elle se prêtait à l'importation de valeurs et de pra­
tiques romaines qui ne la feraient j amais disparaître mais donneraient forme à une
religion nouvelle, qui nous est encore largement énigmatique, la religion de l'époque
gallo-romaine.

78
LES LIEUX DE CULTE

Le sol d u l i e u de c u lte g u e rrier de R i b e m o nt-su r-An c re ( S o m m e ) , j o n c h é d ' o s h u m a i n s et d 'armes.


I l l ' S . av. J . - C .

79
Jusqu'à présent, l'étude des lieux de culte occupait une place minime, parfois même
elle n'en tenait aucune dans les différents exposés qui ont été consacrés à la religion gau­
loise. Deux préjugés expliquent une telle carence. Depuis les premières études qui remon­
tent à la Renaissance on a considéré, sur la foi des auteurs antiques, que la religion reflète
ce qu'il y a de plus barbare dans la civilisation gauloise. Ce caractère devait s'exprimer par
une opposition à ce que les religions classiques nous montrent, des temples, des sanc­
tuaires d'une beauté saisissante, c'est-à-dire par l'absence de lieux où résidait une divini­
té et où on pouvait l'honorer régulièrement. Le deuxième préjugé tient à la conception
naturaliste des cultes primitifs qui s'est développée aux XVIII• et XIX• siècles et qui a cru
trouver des arguments de choix dans la littérature antique, notamment dans le passage
fameux de Pline évoquant la cueillette du gui. Les historiens de la religion gauloise y ont
vu la croyance en une divinité assimilée à la forêt, représentée par le chêne et honorée
indifféremment dans tous les lieux boisés offrant les conditions nécessaires à l'exercice du
culte, la présence du gui par exemple. D'autres dieux « naturels » ont été reconnus aussi
dans telle montagne, telle source qui fut plus tard le siège d'un temple gallo-romain.
C'était là la preuve que les Gaulois croyaient avant tout en des forces naturelles auxquelles
ils rendaient grâce là où ils les rencontraient, sans que ce lieu trahisse un choix et un amé­
nagement volontaires. Une telle opinion, aussi réductrice du culte, s'intégrait parfaitement
à la vision quasi misérabiliste de la société gauloise qui est demeurée en vogue jusqu'à la
seconde moitié du xx· siècle.

Ce sont des chercheurs allemands qui, à partir des années 1930, combattirent - il est vrai
dans le cadre de la recherche de leur identité nationale - cette conception barbare de la pro­
tohistoire et cherchèrent à attribuer d'authentiques lieux de culte aux Celtes des derniers
siècles précédant notre ère. Ils crurent les trouver dans des enceintes de terre, d'assez
grandes dimensions et de plan carré, les Viereckschanzen que des fouilles récentes interprè­
tent plutôt comme des constructions domestiques et souvent d'origine médiévale. Mais
l'important pour la recherche et l'histoire de la religion fut cette volonté de donner aux
Celtes de réels lieux de culte, fixés au sol, aménagés et, somme toute, assez comparables à
ceux que l'on connaît en Grèce et en Italie. La recherche française des vingt dernières
années a donné raison à ces précurseurs: des dizaines d'installations cultuelles gauloises
ont été mises en évidence dans le nord et l'ouest de la Gaule.

Dans l'étude d'une religion le sanctuaire joue un rôle important. Il traduit l'installation
d'un culte dans une société donnée, et sur un territoire donné. Il distingue une religion éta­
blie de la simple religiosité populaire parfois encore empreinte de magie. Le lieu de culte
est aussi un microcosme qui donne à sa façon une image idéale de la nature maîtrisée par
l'homme avec l'aide des dieux et en leur honneur. Son étude nous offre donc toutes les
chances d'accéder aux caractères fondamentaux de la mentalité religieuse.

Textes antiques et archéolo g ie

Le témoignage des textes antiques

Les rares textes grecs et romains qui mentionnent explicitement des lieux de culte
gaulois, c'est-à-dire ceux de César, de Pline et de Lucain, ont été curieusement détour-

80
nés de leur sens par les spécialistes de la religion gauloise, sous l'influence des deux
préjugés que nous venons de mentionner. Chez ces trois auteurs ils ont voulu voir
l'existence de forêts sacrées là où il n'est question que de « lieu consacré » (locus conse­
cratus) et tout au plus de « bois sacré » (lucus). Or ces termes, tout autant que ceux
employés en grec par des auteurs comme Diodore et Strabon qui n'ont guère suscité
l'intérêt de ces mêmes auteurs, sont riches de sens et viennent heureusement complé­
ter les informations que nous livre l'archéologie et qui seront exposées plus bas.

La tournure locus consecratus, peu évocatrice et qui semble un fourre-tout commo­


de, a au moins un mérite, celui de signaler que l'auteur de langue latine a volontaire­
ment refusé d'utiliser les termes classiques de templum, aedes, fanum, adytum qui sont
ceux qui désignent généralement des installations cultuelles, selon toute probabilité
parce qu'il ne reconnaissait pas dans les lieux gaulois l'image qu'on se faisait à Rome
de la résidence monumentale ou seulement symbolique d'une divinité. Cependant,
dans son imprécision, locus consecratus indique clairement une aire sacrée, un espace
soigneusement délimité de celui qu'occupent les hommes et réservé exclusivement à
une divinité et au culte qu'on lui rendait.

Le terme de lucus, d'un usage spécifique dans la langue latine, désignant un sanc­
tuaire marqué par un bois sacré, c'est-à-dire un lieu de culte artificiellement paysagé,
traduit le même embarras. Il apporte pourtant une information supplémentaire, la
mention d'un aménagement végétal suffisamment remarquable pour que le lieu puis­
se passer pour un lucus . C 'est d'ailleurs assez souvent le mot qui est utilisé pour dési­
gner ou décrire des lieux de culte italiques, d'origine ancienne et ne présentant pas les
caractéristiques monumentales des édifices cultuels de Rome. Ce que l'on peut affir­
mer, c'est que le mot n'aurait pu être utilisé pour un lieu de culte dépourvu d'un amé­
nagement végétal assurant la résidence de la divinité.

Pour évoquer un lieu ou une construction permettant le culte, le grec dispose d'un
champ lexical au moins aussi étendu que le latin. Et il est évidemment intéressant
d'observer comment celui-ci a été utilisé pour les installations gauloises. Seuls deux
auteurs nous offrent des exemples de cet emploi, Strabon et Diodore. Strabon utilise
deux fois le terme hieron à propos du sanctuaire de Toulouse et de celui d'une île située
en face de l'embouchure de la Loire. Ce mot est une forme substantive d'un adjectif
signifiant « sacré », il est employé le plus couramment dans les textes grecs concernant
la religion. Et son sens, comme l'a montré M. Cazevitz, est peu précis, il « désigne
toute sorte de sanctuaire ». Cependant, à l'usage, on constate qu'assez souvent il est
utilisé à propos d'ensembles plus ou moins complexes comprenant au moins une
enceinte sacrée et un ou plusieurs bâtiments. C'est ce qui correspond bien à l'emploi
qu'en fait Strabon, puisque dans les deux cas, nous pouvons être sûrs de l'existence
d'un bâtiment (équivalent de temple) mais que pour autant ce n'est pas ce dernier qui
a été privilégié par un mot courant tel que naos (le « temple » ) . Strabon, toujours à pro­
pos de Toulouse - et là, il semble qu'il copie fidèlement Posidonios à qui il se réfère,
emploie également le terme sekos qui signifie « enceinte ». C 'est l'équivalent, à
l'époque où il est employé, de temenos.

81
Diodore, dans le seul passage où il évoque les aménagements cultuels, emploie les
deux mots en tais hierois kaï tais temenesin. Temenos a un sens beaucoup plus précis, bien
connu, c'est le « terrain, » la « propriété » dans son usage primitif, devenu par la suite
l' « enceinte sacrée ». Le mot est rapproché du verbe temnein qui signifie « découper ».
L'association sous la plume de Diodore des deux mots, courante en grec, pourrait
n'être qu'une formule généralisante. Cependant, comme il s'agit encore de la copie
d'un texte de Posidonius décrivant des faits remontant à la fin du II• siècle ou au tout
début du 1°' siècle, les deux termes pourraient préciser deux réalités différentes, des
sanctuaires comprenant des aménagements architecturaux et des lieux de culte plus
archaïques d'aspect, seulement matérialisés par une enceinte.

Ce vocabulaire latin et grec, mésestimé par la plupart des historiens qui se sont pen­
chés sur la religion gauloise, s'avère donc relativement précis mais surtout il traduit
bien, avec les difficultés lexicales que rencontraient les auteurs pour décrire une réali­
té qui leur était étrangère, ce que l'archéologie nous révèle aujourd'hui à sa manière,
par les traces que ces aménagements ont empreintes dans le sol.

L'apport de l'archéologie

Les deux approches se complètent heureusement et doivent désormais demeurer


indissociables. L'archéologie, qui a la charge de l'étude des lieux de culte, met en évi­
dence deux grandes séries de phénomènes. Celle qui nous est la plus habituelle depuis
la fouille des sanctuaires grecs et romains concerne l'aménagement architectural. Elle
livre non seulement les plans précis des constructions mais nous renseigne aussi sur
les matériaux utilisés et dans bien des cas permet la restitution, pour le moins gra­
phique, de leur élévation. Ainsi, les temples dont des descriptions littéraires n'évo­
quaient que l'allure générale et les décors les plus remarquables apparaissent dans
leurs détails les plus fonctionnels, ceux qui peuvent expliquer certains rites ou qui per­
mettaient leur réalisation. Pour les constructions gauloises il n'en va pas autrement,
bien que les matériaux utilisés soient le bois, la terre et plus rarement la pierre.

L'autre série de phénomènes que l'archéologie révèle touche aux pratiques, aux
gestes que les hommes accomplissaient en ces lieux. C'est un domaine immense que
l'archéologie classique n'avait exploité que superficiellement par l'exhumation d'of­
frandes. L'archéologie protohistorique, avec des méthodes empruntées aux fouilles
préhistoriques (notamment celles mises au point par André Leroi-Gourhan), permet
d'aller beaucoup plus loin dans cette voie et de nous faire connaître non seulement des
réalisations artistiques destinées aux divinités mais tout un monde de gestes, des plus
simples aux plus solennels, qui faisaient la vie même du sanctuaire. Le sacrifice ani­
mal, et plus spécialement celui du bœuf, a pu de cette façon être reconstitué lors de
l'étude du sanctuaire de Gournay-sur-Aronde. Le traitement des dépouilles guerrières
qui se décline en une multitude de manipulations est en cours d'étude sur le site de
Ribemont-sur-Ancre.

82
De ces pratiques rituelles comme de ces installations, dont la plupart devaient
paraître très banales à des voyageurs grecs ou romains, les textes ne parlent pas. Et
l'absence d'iconographie, d'archives et de règlements administratifs autochtones,
seules la fouille et l'étude des restes archéologiques peuvent la pallier. Les sciences
appliquées à l'archéologie doivent même permettre d'aller beaucoup plus loin.
L'examen palynologique systématique des sols, des fossés de clôture, des fosses de ces
sanctuaires contribuent à la reconstitution de l'environnement végétal, qu'il soit natu­
rel (forêt, buissons, rivières, etc.) ou artificiel (cultures, haies, aménagement bota­
nique) . La pédologie et la sédimentologie nous renseignent sur la nature du terrain
que les constructeurs ont rencontré et sur les traitements qu'ils lui ont fait subir.

A l'inverse, ces relevés, ces examens scientifiques ne nous diront rien, en l'absence
d'une inscription ou d'un texte littéraire, de la personnalité de la divinité honorée, du
nom qu'on lui donnait et des pouvoirs qu'on lui attribuait. La mentalité religieuse,
hormis le classement des pratiques en quelques grandes catégories universelles,
demeurera largement hors de portée. Il en est de même de l'histoire du lieu de culte
qui se fond dans celle de la communauté : les catastrophes naturelles ou guerrières
(incendie, inondation, tremblement de terre, etc.) peuvent laisser des traces tangibles
mais les décisions politiques qui ont abouti à une restructuration, parfois à une fer­
meture de ce lieu ne peuvent être révélées par la fouille. Il est clair que la perception
intellectuelle ou individuelle que le Gaulois avait du monde divin ne nous sera resti­
tuée qu'au travers des textes littéraires que ses voisins grec ou romain lui ont consa­
crés ou à travers des dédicaces que lui-même aurait pu apposer à quelque offrande.

Les lieux de culte découverts en Gaule

Pour des raisons qu'on exposera plus loin, le nombre de lieux de culte gaulois, de
la période précédant la conquête, est difficile à apprécier. Sur l'ensemble du territoire
français, plus d'une trentaine ont fait l'objet de fouilles conséquentes. Mais on en
connaîtrait par la prospection aérienne ou pédestre plus d'une centaine. Ces chiffres
sont en eux-mêmes assez considérables. Ils correspondent au nombre de fanums
gallo-romains connus en Gaule quand Louis de Vesly au début de ce siècle commen­
ça à les répertorier.

La moitié des lieux de culte qui ont été fouillés l'ont été dans l'actuelle région
Picardie et plus précisément dans les deux départements de l'Oise et de la Somme.
Dans ces deux départements la prospection aérienne révèle l'existence d'une trentai­
ne d'autres lieux de culte gallo-romains dont l'origine a toutes les chances d'être gau­
loise. A moins que la région n'ait présenté à l'époque gauloise une sorte d'isolat,
remarquable par sa religiosité - ce dont aucun texte antique ne rend compte, il nous
faut donc croire que cette même région est représentative de la répartition des amé­
nagements cultuels en Gaule. Autrement dit, on peut estimer qu'aux trois derniers
siècles précédant notre ère, celle-ci comprenait des centaines voire quelques milliers
de lieux de culte.

83
Ces chiffres peuvent être encore prec1ses. Il semble que ces structures, visibles
d'avion, et se présentant comme des ensembles assez importants en superficie et géné­
ralement isolés, correspondent de fait à des sanctuaires relativement importants, celui
d'une confédération de peuples comme Ribemont-sur-Ancre, celui d'une civitas, celui
d'un pagus, comme c'était peut-être le cas de Gournay-sur-Aronde, enfin celui d'une
tribu composant le pagus . Des fouilles récentes viennent de révéler d'autres types
d'installations cultuelles, installées au cœur même d'habitats plus ou moins impor­
tants, parfois même au centre d'une résidence aristocratique qui ne regroupait que
quelques dizaines d'habitants. Ces lieux de culte véritables en ce qu'ils sont clairement
séparés des quartiers d'habitation, en ce qu'ils possèdent une installation sacrificielle
et montrent des offrandes de type guerrier ou tout au moins aristocratique, ne peu­
vent être caractérisés comme des sanctuaires au sens habituel du terme, lieu de culte
autonome permettant l'activité religieuse d'une communauté élargie. Leur nombre est
certainement beaucoup plus élevé et viendrait s'ajouter aux sanctuaires proprement
communautaires.

Comme on l'a évoqué plus haut, la mise en évidence archéologique de ces lieux est
relativement récente, elle date d'une vingtaine d'années. La fouille du site du « Parc »
à Gournay-sur-Aronde a été le « révélateur » d'une recherche qui ne cesse de trouver
des prolongements heureux, notamment à l'étranger. Cette fouille d'un ensemble cul­
tuel, relativement bien conservé et présentant une rare lisibilité quant à l'évolution des
structures architectura les du début du me siècle jusqu'à l'époque gallo-romaine, a fait
apparaître d'emblée les principales caractéristiques de la plupart des lieux de culte
gaulois : enclos fossoyé, doublé d'une ou plusieurs palissades, autel creux, porche
d'entrée monumental, restes sacrificiels en grande quantité, offrandes guerrières, pré­
sence dans pratiquement tous les cas d'une installation gallo-romaine postérieure, sur
l'emplacement même des structures gauloises. Dès lors, il était possible de repérer,
sous bien des fanums gallo-romains, des lieux de culte plus anciens, antérieurs en tout
cas à la conquête romaine. Cette découverte remettait en cause bien des a priori que
nous avions sur les effets de la romanisation que nous avons tendance, notamment en
matière religieuse, à surestimer. Elle permettait d'entrevoir à court terme une topo­
graphie religieuse des terroirs gaulois dont nous ne soupçonnions même pas l'exis­
tence il y a seulement trente ans.

Par chance, la fouille du sanctuaire de Gournay a été exhaustive : l'ensemble de la


surface de l'enclos sacré fut fouillé, le fossé de clôture, richement comblé de restes
sacrificiels et d'offrandes, entièrement dégagé et son matériel restauré et étudié. La
publication qui suivit offrit en quelque sorte une grille d'analyse, utilisable pour
d'autres sites, soit moins bien conservés, soit fouillés anciennement et quelquefois seu­
lement sondés. Le nombre des sites qui ont révélé leur appartenance au même type
montrèrent rapidement que la structure de Gournay n'était nullement une exception
mais plutôt un représentant assez commun d'un type de lieux de culte gaulois, lieux
dont on commence maintenant à apprécier la diversité.

Plus de la moitié de ces sites sont connus dans une région qui correspond au quart
nord-ouest de la France : Picardie, Ardennes, Nord-Pas-de-Calais, Ile-de-France et

84
Haute Normandie. Les autres se répartissent principalement sur toute la façade atlan­
tique de la Gaule et en direction de la Rhénanie. Sur la carte des sanctuaires de la
Gaule toute la région Centre et l'est de la France constituent une sorte de désert. Cette
absence de lieux de culte dans une région de la Gaule considérée comme la plus
anciennement celtisée ne trouve pour l'instant guère d'explication satisfaisante. Mais
peut-être faut-il la relativiser. Un sanctuaire celtique tout à fait caractéristique a, en
effet, été découvert à Mirebeau en Côte-d'Or.

L e s antécédents : aména g ements d e lieux funéraires

L'origine de la conception architecturale des grands sanctuaires qui seront décrits


plus loin reste mystérieuse. Aucune filiation claire ne peut être établie ni dans le temps
ni dans l'espace entre des enclos quadrangulaires qui pourraient en être les modèles
et ceux si caractéristiques qui marquent ces grands sanctuaires. Des auteurs récents
ont voulu voir un lien quasi généalogique entre les édifices monumentaux de la fin de
l' Age du Bronze, les grandes enceintes quadrangulaires que les archéologues alle­
mands appellent Viereckschanzen et le temple rural gallo-romain, plus connu sous le
terme de fanum. Or il n'y a pas d'évolution architecturale continue entre ces aména­
gements, pas plus qu'il n'y a de continuité dans leur fonction. A l' évidence, les grands
sanctuaires de La Tène moyenne ne perpétuent pas une tradition cultuelle, ils tradui­
sent par une architecture novatrice des préoccupations religieuses nouvelles.

Pour autant, le modèle de ces lieux qui dès le début du III• siècle avant J.-C. se révè­
lent sous une forme déj à très standardisée, ne surgit pas ex n ihilo. Il emprunte sa forme
à des types d'aménagements de l'espace déj à existants et se développe probablement
par tâtonnement. Il est probable que les premiers essais se sont déroulés en milieu
funéraire pour des raisons multiples. L'espace, ouvert et libéré des contraintes de
l'agriculture et de l'élevage, se prêtait aux réalisations monumentales. Le culte funé­
raire, aux formes très hiérarchisées, ouvrait la voie aux innovations rituelles les plus
diverses : sacrifices animal et végétal, banquet aristocratique ou festin communautai­
re, pompe, procession, etc. Mais surtout la nécropole, souvent tumulaire, était l'un des
rares lieux avec sa résidence où l'élite aristocratique pouvait justifier et entretenir ses
privilèges. Ici elle pouvait le faire à travers trois types de rites dont elle seule était
maître d'œuvre : elle pratiquait l'héroïsation, plus ou moins poussée, de ses ancêtres,
elle honorait les dieux par le sacrifice notamment dont elle prodiguait les restes à l'en­
semble de la communauté, lors de banquets funèbres ou commémoratifs.

Deux sites sont particulièrement révélateurs des premières formes qu'ont connues
les lieux culte à la fin du premier Age du Fer.

La nécropole de Gurgy

Elle se situe dans la vallée de l'Yonne, au lieu-dit « La Picardie ». Bien que partiel­
lement détruit par une gravière puis fouillé lors d'un sauvetage urgent effectué dans

85
de mauvaises conditions, cet ensemble est remarquable par sa longévité et la cohé­
rence spatiale de ses installations qui en font un modèle exemplaire de l'évolution des
structures funéraires à l' Age du Fer. Les vestiges les plus anciens remontent au VI•
siècle avant J.-C., les plus récents datent du II• siècle avant J.-C. Mais les traces d'un
bâtiment quadrangulaire aux angles arrondis, matérialisé par de puissants trous de
poteaux (R sur le plan), pourrait remonter à la fin de l' Age du Bronze. Il a pu, soit être
accolé à un vaste tumulus circulaire de type princier (V), contenant une riche sépultu­
re (n° 60), dont il constituait une sorte de dromos, soit avoir été recoupé plus récem­
ment par celui-ci. Quoi qu'il en soit du rapport chronologique entre les deux édifices,
le bâtiment R paraît bien avoir connu une fonction cultu elle.

Dans un second temps, cet ensemble, même si le tumulus demeure encore en élé­
vation, est abandonné au profit d'une enceinte carrée, d'une vingtaine de mètres de
côté. Cette dernière à elle seule semble pourvoir aux deux fonctions mises en éviden­
ce à l'époque précédente, funéraire et cultuelle. Elle ne contient aucune sépulture mais
très précisément en son centre se trouve une fosse carrée, d'l m 20 de côté et d'au
moins 1 m 50 de profondeur, remplie de cendres parmi lesquelles se trouvent plu­
sieurs ensembles d'os humains incinérés, l'un notamment à l'intérieur d'une situle en
bronze. Cette fosse, construction soignée et nécessairement boisée, annonce déjà les
autels creux, de type « chthonien », qui sont l'une des principales caractéristiques des
grands sanctuaires de La Tène moyenne. A l'évidence, cette enceinte servait de lieu de
crémati on à des morts qui n'étaient pas destinés à recevoir une sépulture individuel­
le mais dont les cendres paraissent avoir été offerts à une divinité infernale et souter­
raine.

Une troisième phase, couvrant la période allant de La Tène ancienne à la fin de La


Tène moyenne, est marquée par une succession d'enclos carrés, de 10 à 15 m de côté,
entourés ou parfois occupés postérieurement par des inhumations. A cette époque, le
nouveau mode de sépulture, l'inhumation, paraît avoir bouleversé les rites et les amé­
nagements architecturaux destinés à les accueillir. Les enclos dont les fossés sont vides
de tout matériel semblent n'avoir connu que des fonctions temporaires et pour une
bonne part symboliques.

A Gurgy donc une sépulture princière paraît avoir généré à la fin du Premier Age
du Fer un lieu de culte de type « chthonien », dans le plus pur sens du mot, c'est-à­
dire à double composante, funéraire et adressée à une divinité souterraine. Pour
autant, à l'époque de La Tène, le lieu reprend une vocation funéraire exclusive où le
traitement sépulcral individuel prime sur les aménagements collectifs.

Un herôon dans la plaine de Vix

Ce culte « chthonien » apparaît sous une forme encore plus emblématique avec les
dernières découvertes faites à Vix en 1991 et 1 992. Il s'agit d'une enceinte au plan par­
faitement carré avec des angles vifs, de 23 m de côté, marquée par un fossé de 2 m à
2 m 50 de largeur et 1 m 50 de profondeur. Une interruption, au milieu d'un des côtés,

86
ZA Plan g é n é ral des fo u i l l es d e
G u rgy (Yo n n e ) .

C\ .. ,,

I�
16 17
' B
' .,.. ,
15
.. IA

/
/

Statues re p rése ntant deux per­


s o n n a g e s (fe m m e p ro b a b l e ­
m e n t , à g a u c h e ; g u e rrier, à
d roite) assis, découvertes d e
part et d 'autre d e l ' e ntrée d e
l ' e n c l o s d e Vix ( C ôte-d ' O r ) .
v · s . av. J . - C .

87
d'l m 20 de largeur, signale une ouverture en direction du nord-ouest. Cette enceinte
se trouve au centre de quatre tumulus qui occupent la grande boucle dessinée par la
Seine au pied du Mont-Lassois. La célèbre sépulture princière se trouve à seulement
200 m au nord-est. Les vestiges ont malheureusement souffert de l'érosion naturelle et
seul le fossé de l'enceinte a livré des informations susceptibles de nous renseigner sur
la nature et la fonction de l'aménagement.

Ce sont avant tout plusieurs fragments importants de deux statues taillées dans des
blocs calcaires, de taille humaine. Elles représentent une femme et un homme, tous
deux assis sur un support très bas, voire à même le sol, ce qui donne à leur position
une allure presque accroupie, avec les genoux haut relevés. La statue probablement
féminine, à laquelle manquent la tête et les pieds, est traitée en un style archaïque et
sobre : seul un torque fin semble nous assurer du sexe de cette femme, drapée dans
une vaste robe qui masque les formes des bras et des jambes. Ce torque d'un type par­
ticulier, avec des tampons simplement marqués par un retour à angle droit des deux
extrémités vers l'extérieur, évoque la parure en or découverte dans la tombe de la
désormais célèbre « Dame de Vix ». La figure masculine, tout aussi hiératique par la
forme, montre un traitement plus réaliste de la figuration des armes et de l'équipe­
ment. Toute la moitié supérieure du corps et la base de la statue manquent mais on
reconnaît néanmoins sur la partie inférieure du corps un bouclier ovale posé vertica­
lement devant les jambes, une épée en vue partielle sur le côté droit, une probable j am­
bière matérialisée par un trait curviligne tracé dans le mollet, enfin couvrant les
hanches et les fesses une jupette ou plutôt un lambrequin, si l'on en croit les traits
rayonnants sur le côté droit représentant des empiècements. Ces deux statues qui ne
montrent aucun signe ou accessoire particulier ne révèlent pas d'emblée une identité
divine. On reconnaît avant tout en elles un guerrier équipé d'une panoplie complète
et une femme suffisamment riche pour se parer d'un torque.

Le fossé a également livré de nombreux os animaux et des tessons de céramique


appartenant à un grand nombre de coupes, datées de la fin du premier Age du Fer.
Ces dernières suggèrent qu'en ce lieu soit on a beaucoup bu, soit on a procédé à des
libations répétées, les deux rites ne s'excluant d'ailleurs pas. D'autant qu'on y a
consommé des animaux, bœufs, moutons, porcs et chiens. L'absence d'autel à l'inté­
rieur, la présence de ces deux statues personnifiant plutôt des êtres humains, l'entrée
de l'enclos ouvrant en direction du soleil couchant semblent les indices de rites funé­
raires. Il y eut des sacrifices et un ou plusieurs banquets auxquels les deux statues
étaient censées participer par leur présence. Leur position étrange (ils sont assis très
bas) rappelle la description célèbre que fait Strabon (IV, 4, 3) du repas des Celtes : « ils
prennent leur repas assis sur un lit d'herbes ou de feuillages », ainsi que celle de
Posidonius reproduite par Athénée (Cf. Annexe II, N° 1 ) . Le comblement rapide du
fossé dans lequel se trouvent à la fois les reliefs de ces repas et fragments importants
des statues suppose que l'activité rituelle ne s'est pas installée dans la durée.
Néanmoins la représentation figurée des morts témoigne d'une tentative d'héroïsa­
tion de personnages importants qui ont fort bien pu être les résidents des tumulus
environnants. On ne peut s'empêcher dans le cas particulier de Vix, connu par le riche

88
matériel de sa sépulture, de voir en cette sorte d'hérôon une nouvell e marque de l'in­
fluence grecque. Elle ne se serait pas exprimée seulement à travers des objets de pres­
tige transportés à de longues distances mais physiquement par des commerçants et
des voyageurs transmettant également leurs idées et leur mode de vie.

Les g rands sanctuaires

Comme il arrive souvent dans la recherche archéologique, au début l'arbre cache la


forêt. Autrement dit, les exemples les plus extraordinaires focalisent l'intérêt et le
retiennent souvent longtemps, au détriment des représentants moins attractifs mais
plus caractéristiques. La recherche s'est attachée à l'étude de lieux dont on comprend
maintenant qu'ils sont de grands sanctuaires, exceptionnels par l'ampleur de leurs
installations et la richesse de leurs dépôts, probablement peu courants sur l'ensemble
du territoire, deux ou trois par civitas, alors que la grande masse des lieux de culte est
composée d'installations plus légères et souvent pauvrement dotées. Parce que dans
ce domaine nous avançons comme dans une nuit, percée des quelques éclairs de
lumière que nous prodiguent les rares textes antiques qui viennent d'être évoqués, il
est évidemment plus facile d'étudier les premiers dont les structures architecturales et
le matériel votif et sacrificiel offrent une plus grande évidence. C'est ce que nous
ferons donc ici, sans perdre de vue le caractère exceptionnel des grands sanctuaires et
en sachant qu'un jour il sera probablement possible de présenter un échantillon plus
représentatif des lieux que les Gaulois avaient aménagés pour le culte.

Situation dans le paysage et dans le territoire de la civitas

Les lieux de culte du nord de la France montrent des particularités topographiques


qui se répètent de site en site. Vu le nombre de ces lieux (une cinquantaine), on peut y
voir le reflet de règles qui ont présidé à leur implantation. Leur situation dans le pay­
sage est paradoxale, si on la compare à celle des autres installations humaines. Ils se
trouvent, dans leur grande majorité, sur les plateaux et toujours sur des points domi­
nants. Non pas sur des éminences remarquables - qui sont rares dans cette région -
mais sur les côtes altimétriques les plus élevées, celles qui permettent de voir un hori­
zon éloigné de quelques kilomètres, parfois de plus d'une dizaine de kilomètres. Ces
lieux de culte étant généralement distants les uns des autres de six ou sept kilomètres,
il est très courant que de l'un de ces sites on puisse voir un ou plusieurs sites simi­
laires.

Le sanctuaire paraît toujours isolé. En fait, il est au centre d'un espace qu'il domine,
et dont la superficie excède toujours plusieurs hectares et quelquefois plusieurs
dizaines d'hectares. Espace plan dans le prolongement du sanctuaire. Dans la plupart
des cas, il est éloigné de tout habitat ou de toute nécropole, mais il peut se trouver sur
un chemin, ou à proximité immédiate. Dans de nombreux cas également, l'emplace­
ment du sanctuaire domine un point d'eau, rivière, confluence, source mais à une dis­
tance respectable, de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de mètres. La nature du

89
sol n'est pas non plus laissée au hasard. Dans la majorité des cas, le lieu de culte est
installé sur le plateau crayeux là où la couverture limoneuse est assez épaisse et
exempte d'argile à silex. Ce choix n'est pas sans raison. La nature de la végétation
dépend évidemment du terrain, celle-ci était peut-être autant recherchée que celui-là.
Il fallait également une roche qui se prête au creusement des fossés, à la confection de
talus et à la bonne conservation des constructions de bois et de terre.

Sur une quinzaine de sites photographiés d'avion on constate la présence, à


quelques dizaines de mètres du lieu de culte gaulois, d'un ou de plusieurs cercles de
l' Age du Bronze, autrement dit des tumulus arasés. Une telle j uxtaposition des deux
types de structure ne peut être fortuite. En Irlande certaines divinités celtiques étaient
réputées habiter ces constructions de terre, si courantes dans l'île. Mais la comparai­
son doit plutôt être faite avec la Grèce où de grands sanctuaires ont été installés sur
d'anciens herôa dont les sépultures étaient soit encore visibles soit seulement symbo­
liques. Le héros présumé demeurer dans la sépulture, étant considéré comme fonda­
teur du lieu de culte, son nom lui restait attaché. Si l'on ne peut prouver qu'une telle
construction mythologique rendait compte en Gaule de la naissance de certains lieux
de culte, on peut penser que les peuples belges qui créèrent de tels sanctuaires au
moment de leur installation définitive sur le territoire, en plus des caractéristiques
physiques et géographiques qu'on vient de voir, cherchèrent aussi à j ustifier le choix
du lieu par des critères moins matérialistes : résidence d'un dieu indigène, sépulture
d'un héros, construction remarquable attribuée à une civilisation antérieure . . .

Le lieu de culte occupe également une position dans le territoire de la civitas qui
n'est pas indifférente. Cela ne doit pas étonner. Les Celtes qui se sont installés en
Gaule entre le ye et le me siècle, avant de délimiter clairement leurs territoires respec­
tifs, ont voulu se les approprier magiquement en accord avec les dieux. La création du
sanctuaire, comme un point fixe assurant le dialogue entre les hommes et les dieux,
marquait définitivement le territoire, mieux qu'une borne l'aurait fait, car il indiquait
la propriété du peuple, non seulement aux peuples voisins mais aux dieux des
peuples voisins. La civitas, dans le plus grand nombre de cas, était composée de plu­
sieurs pagi (en moyenne trois ou quatre), entité territoriale correspondant à une entité
ethnique (ensemble de tribus liées généalogiquement et par voie de conséquence reli­
gieusement et politiquement) . Ces pagi, qui constituaient l'échelon structural le plus
important des peuples lors des invasions gauloises, existaient encore, parfois avec des
pouvoirs à peine diminués, quelques siècles plus tard, lors de la conquête romaine. Il
est donc certain que d'emblée chaque pagus posséda son propre sanctuaire principal,
alors qu'on ne peut pas avoir la même certitude de la création aussi précoce d'un sanc­
tuaire « central », en quelque sorte, à la civitas .

La création du sanctuaire « tribal » dut être le véritable acte fondateur de la civitas,


de même que dans le monde romain la création d'une ville était d'abord un acte reli­
gieux. Dès lors, se dessinait une topographie religieuse qui devint vite complexe.
Comme on l'a indiqué plus haut, dans la Gaule indépendante religion et politique
étaient intimement liées et n'eurent pas le temps de se dissocier avant la conquête,
sauf peut-être dans les cités de la mouvance éduenne. Aussi, chaque lieu où s'exerçait

90
un pouvoir devait avoir sa caution religieuse, ville, bourgade, camp , résidence aristo­
cratique. Les lieux de culte se multiplièrent. Leurs attributions fonctionnelles se trans­
formèrent. Tel sanctuaire de pagus put devenir le principal d'une civitas. Tel autre,
comme celui de Ribemont-sur-Ancre, parce que sa proximité de trois frontières de
peuples l'y prêtait naturellement, devint le sanctuaire d'une confédération guerrière.
A l'inverse, un sanctuaire ancien dont l'origine pouvait se perdre dans l'histoire d'une
population autochtone antérieure à celle du pagus, put être délaissé au profit d'instal­
lations nouvelles établies sur une bourgade en plein développement ; c'est ce qui a pu
arriver au sanctuaire de Gournay dont le culte s'éteint au moment de la création de
l'ensemble d'Estrées-Saint-Denis, au tout début du II• siècle avant J.-C.

Beaucoup d'observations seraient à faire sur le paysage religieux auquel les grands
sanctuaires ne participaient que dans une mesure certainement moins importante
qu'elle nous paraît aujourd'hui. La conservation exceptionnelle des aménagements
cultuels de Ribemont-sur-Ancre montre que les Gaulois dans leurs pratiques reli­
gieuses n'utilisaient pas seulement les grandes constructions (grande enceinte,
temple, fosse-autel) mais aussi des installations beaucoup plus modestes, simple foyer
établi sur le sol, bloc de grès fiché dans la terre servant soit d'autel, soit de représen­
tation divine, soit encore de borne à quelque enclos sacré, comme on en voit encore de
nos jours en Inde par dizaines d'exemplaires autour des pagodes monumentales.
Cette humble matérialité devait être le lot commun de bien des installations cultuelles
les plus familières, autels familiaux, autels isolés dans la campagne ou sur les chemins.
Aujourd'hui peu de ces vestiges demeurent encore, enfouis dans le sol. Et si nous les
exhumons, il y a peu de chance pour que nous les reconnaissions. Ce sont eux pour­
tant qui devaient baliser les parcours les plus quotidiens du paysan, comme les pro­
cessions les plus solennelles.

Un modèle exemplaire : le sanctuaire d e G ournay-sur-Aronde

Ce lieu de culte est le seul jusqu'à présent à avoir été entièrement fouillé. Il est à ce
titre exemplaire. Nous l'examinerons donc dans le détail. Par chance, on connaît bien
également son environnement proche, puisque sa périphérie immédiate, sur une
superficie de plusieurs hectares, a fait l'objet de nombreux sondages, mais aussi son
contexte régional : de nombreuses prospections, un certain nombre de fouilles récentes
nous donnent une bonne image du pagus dont il était le centre sur le plan religieux,
tout au moins. Les lieux de culte de Montmartin et d'Estrées-Saint-Denis dont il a déjà
été question en sont éloignés respectivement de trois et six kilomètres.

Le sanctuaire, de façon exceptionnelle, ne se trouve pas sur un point haut du pla­


teau picard. Il est situé sur le versant de la vallée de l'Aronde, assez près de la rivière,
sur une langue de limon formant une petite éminence naturelle qui domine un maré­
cage distant de seulement une cinquantaine de mètres. A l'évidence, c'est le rapport
entre cette eau dormante et le lieu de culte qu'on a cherché à privilégier. Le long du
sanctuaire passe un chemin qui fut la principale route nord-sud traversant le pagus. Ce
chemin est marqué par trois autres sanctuaires plus au sud et il vient franchir la val-

91
"'­
N
0
p
Q
• 1 2s 1 2, : 21 1 12 1 2 1 1 20 1 1g 1 1 e 1 1 1 1 1 � 1 1 s 1 1' 1 1 1 1 1 2 1 1 1 1 10 1 t 1 1 1 1 1 & 1 s 1 ' 1 1 1 2 1 1 1 -1 1 1 -1 1 -, 1 -s 1 -6 1 -1 1 - • 1 -9 1 -1 0 1 -1 1 1 - 1 2 1 -n1- 1 ' 1 -1s 1 -1•1-1 1 1 -1 • 1 -1t i -2oi -i1 1 -2 � - n i -ui
-isi - i ;

En haut : Plan g é n é ral d u sanctuai re de G o u rnay- s u r-Aro n d e ( O i s e ) . En bas : Autel creux au centre de l'enclos
sacré .

92
lée de l'Aronde par le gué qui longe le marécage. Au-delà, de l'autre côté de la vallée,
commencent les territoires des Ambiens, au nord-ouest, et des \i iromanduens, au
nord-est. Le sanctuaire fait figure de sentinelle veillant sur la frontière naturelle que
constitue la vallée de l' Aronde.

Plus haut sur le versant, mais à seulement une centaine de mètres du sanctuaire, se
trouve une enceinte fortifiée de trois hectares de superficie. Elle est sensiblement plus
ancienne que la structure cultuelle. Elle a connu une occupation à l'époque de La Tène
ancienne mais son origine est peut-être chalcolithique. Aucune occupation contempo­
raine du sanctuaire n'a été mise en évidence. Les sondages réalisés dans la proche
périphérie du sanctuaire semblent confirmer qu'entre le début du III• siècle et le début
du I•' siècle avant J.-C. le lieu de culte se trouvait seul dans la campagne. En revanche
à partir du milieu du I•' siècle avant J.-C., s'est développée une petite agglomération
dans laquelle prenait place le petit fanum augustéen qui succéda au sanctuaire gaulois.

Sur le bord occidental du sanctuaire a été rencontrée une fosse qui ne comprenait
qu'une vingtaine de vases soigneusement rangés le long de ses parois et laissant un
espace central vide. Celle-ci, de plan carré de près de deux mètres de côté, se trouvait
au centre d'un petit tertre artificiel, entouré d'un fossé dont le tracé complet n'a pu
être mis en évidence. L'examen des vases et des profils de la fosse laissent penser que
cette dernière n'a pas été comblée immédiatement après son aménagement mais qu'el­
le est demeurée ouverte relatl \·ement longtemps, suffisamment en tout cas pour que
les vases se fragmentent sous les effets des intempéries jusqu'au moment où un rem­
plissage naturel est venu protéger les fonds des vases. Cet ensemble a été interprété
comme un petit lieu de culte que les vases permettent de dater du IV• siècle avant
J.-C., soit plusieurs dizaines d'années avant la construction du grand sanctuaire.

L'ensemble (tertre et fosse) était probablement en relation avec l'état ancien du sanc­
tuaire qui se présentait comme un simple enclos fossoyé. Les profils du fossé de clô­
ture du sanctuaire montrent, en effet, en quelques endroits l'existence d'un fossé plus
ancien presqu'entièrement disparu au moment de son recreusement au début du III•
siècle, lors de l'aménagement monumental du sanctuaire. Cet état ancien est corrobo­
ré par la présence de quelques tessons résiduels de La Tène ancienne dans le remplis­
sage du fossé. Il semble donc que dans les années 280-260, quand les populations
belges s'installèrent sur ce territoire, existait déj à en ce lieu un sanctuaire indigène,
matérialisé par un simple enclos et une petite fosse-autel où l'on faisait des offrandes
de vases, certainement accompagnées de végétaux. Ce lieu de culte devait être dédié
à une divinité censée résider dans les eaux des marécages.

C'est ce lieu que les hommes du pagus rosson tensis, l'un des quatre pagi constituant
la civitas des Bellovaques choisirent pour y édifier leur sanctuaire principal. Cette
réutilisation d'un lieu de culte autochtone signifie probablement qu'il existait encore
une population indigène qui se trouva englobée dans le nouveau peuplement. Les
arrivants belges, comme plus tard le firent les occupants romains, cherchèrent de cette

93
façon à s'attirer les bienfaits des divinités territoriales, en même temps qu'ils trou­
vaient le meilleur moyen d'obtenir reconnaissance et gratitude des indigènes.

L'enceinte sacrée

Comme tous les lieux de culte gaulois d'une certaine importance, celui de Gournay
se caractérise avant tout comme un morceau de terre découpé au sol et, par consé­
quent, nettement séparé du monde profane qui l'entoure. Cet espace, d'une petite
superficie, de 250 m2 pour le plus petit enclos connu à ce jour (Bennecourt) à 2 500 m2
pour le plus grand (Ribemont) ne diffère guère par la taille des sanctuaires grecs et
romains. Les téméné de l' Aphaion d'Egine, du Hieron de Délos, de l' Athenaion de
Larisa, de l' Artemision de Sparte ont une superficie assez comparable à celle de l'en­
ceinte de Gournay, environ 1 500 m2• Ce terrain est avant tout la propriété du dieu qui
réside dans son sous-sol ou dans l'un des aménagements que l'homme lui a octroyés,
temple, autel creux, bois sacré. Quelques hommes, les desservants et curateurs du
sanctuaire, ont à charge la gestion de ce terrain, son entretien et peut-être certaines
formes d'exploitation.

Le plan de l'enceinte de Gournay affecte la forme d'un rectangle aux angles arron­
dis. Cette allure quadrangulaire est répétée par tous les autres lieux connus ; elle s'ex­
plique, selon toute vraisemblance, par des considérations d'ordre astronomique.
L'ensemble des constructions et de l'entrée principale est orientée et chacun des côtés
regarde une direction cardinale. L'orientation permet de caler le calendrier liturgique
sur l'un des temps forts du cycle solaire, solstice ou équinoxe. A Gournay, c'est le sol­
stice d'été qui avait été privilégié : l'axe de l'autel creux avait été déterminé grâce à lui.
Il n'est pas impossible non plus que ce plan quadrangulaire ait eu des raisons d'ordre
augural ; peut-être était-il la reproduction sur la terre de l'équivalent du templu m
romain, cet espace que les augures dessinaient dans l e ciel pour y observer l e vol des
oiseaux. Comme on le verra plus bas, les Celtes avaient, en effet, des pratiques augu­
rales tout à fait similaires.

L'enclos se matérialise avant tout, c'est-à-dire chronologiquement et symbolique­


ment, par un fossé. Il est possible que dans son premier état, celui du sanctuaire indi­
gène au IV• siècle, il n'ait été qu'un morceau de terrain seulement découpé au sol. Ce
type de clôture avait un indéniable caractère symbolique : malgré sa taille conséquen­
te, environ 2 m 50 de largeur pour une profondeur de plus de 2 m, le fossé ne présen­
tait pas de réel intérêt dissuasif, encore moins défensif. Sur certains lieux de culte, ce
dernier prend même l'allure d'une simple rigole ; en revanche, à Ribemont où toutes
les installations sont monumentales, le fossé de plus de 3 m de largeur et de profon­
deur pourrait être celui d'un retranchement. L'origine de ce type d'enclos, fossoyé, de
plan quadrangulaire, pose un problème qui a été évoqué à propos des exemples de
Gurgy et de Vix. On a voulu y voir la reproduction d'un modèle funéraire. Dans les
nécropoles de La Tène ancienne, en Champagne notamment, de tels enclos ne sont pas
rares, en effet, et dans certains, dépourvus de sépulture, on a cru reconnaître un lieu
de culte. La difficulté tient à ce qu'il n'y a pas d'évidence d'une filiation directe entre

94
ces enclos sommaires des ye et rv· siècles en milieu funéraire et les enclos cultuels du
III• siècle éloignés de toute nécropole. On peut se demander si l'on n'a pas affaire à
deux types distincts, descendant d'un modèle unique, beaucoup plus ancien, un espa­
ce cultuel seulement dessiné au sol pour une activité temporaire. Ainsi, dans l'Inde
védique un n ® vel espace sacré de forme quadrangulaire était consacré d'un simple
trait sur le sol à chaque sacrifice. Le fossé pourrait donc être la forme primitive de ces
installations symboliques s'établissant définitivement en un lieu donné. Il est sûr, en
tout cas, que le tracé de ces enclos fossoyés, parfaitement rectilignes souvent avec des
angles droits vifs, exigeait une épure au sol, qui pouvait en être le vestige.

A Gournay il n'est pas sûr que dans un premier temps le fossé ait été doublé d'un
mur. C'est ce que semble indiquer la palissade qui fut construite postérieurement et
qui ne se trouve pas là où on attendrait qu'elle fût : très curieusement elle englobe, du
côté extérieur, le fossé. L'installation d'un mur de bois entourant l'espace sacré consti­
tue une étape majeure dans la création du sanctuaire. C 'en est quasiment l'acte fon­
dateur. L'espace sacré devient réservé. Il est masqué à qui se trouve à l'extérieur.
Désormais le sanctuaire divise les hommes en deux catégories, ceux qui pénètrent
dans l'enceinte et deviennent des initiés, ceux qui demeurent dehors. A Gournay, l'ins­
tallation d'une palissade soignée, constituée de poteaux jointifs accompagne d'autres
grands travaux dans l'enclos, cuvelage de l'ancien fossé sur toute sa longueur, creuse­
ment d'un nouveau fossé extérieur entourant complètement l'enceinte sacrée, creuse­
ment des fosses-autels au centre de l'espace sacré, installation d'un premier porche
d'entrée, travaux qui, les uns et les autres, témoignent de l'appropriation du sanctuai­
re indigène par une nouvelle population autant que d'une nouvelle conception du lieu
de culte. Cette seconde naissance en quelque sorte du sanctuaire est datable de la pre­
mière moitié du III• siècle.

Pour autant l'élément principal du sanctuaire primitif, le fossé, n'est pas abandon­
né. On lui accorde le plus grand respect. Il est méticuleusement boisé et la longue fosse
qu'il forme servira pendant plus d'un siècle de réceptacle aux vestiges des trophées et
aux restes sacrificiels. De barrière en creux qu'il était entre le monde sacré et le monde
profane il devient un cordon constitué des déchets de l'activité cultuelle, comme si ces
derniers retournaient à leur premier état sans pouvoir s'éloigner du lieu qui les a fait
approcher des dieux.

L'autel creux

Très précisément au centre de l'enclos, sous les vestiges des temples postérieurs, se
trouve un complexe de neuf fosses entourant une dixième de plus grandes dimen­
sions. Cet ensemble est géométriquement ordonné. Au centre, se trouve une grande
fosse de plan ovalaire de 3 m par 4 m pour une profondeur de 2 m. Elle est entourée
de neuf fosses quasi cylindriques de 1 m 20 de diamètre et d'une profondeur originelle
de 1 m 40. Celles-ci sont groupées trois par trois sur les côtés sud, ouest et nord et elles
ménagent un accès du côté est par un intervalle de 4 m. Le centre des neuf fosses a
rigoureusement été défini à partir du centre de la fosse centrale par une distance de 3

95
m 50. L'espace compris entre la fosse centrale et les fosses périphériques est une bande
de circulation de 1 m 50 de largeur.

La fosse centrale a été recreusée au moins à deux reprises. Il n'est donc pas exclu
que dans un premier temps elle ait été seule et qu'elle ait été recreusée en même temps
que les neuf autres. Comme elles et le fossé dont il vient d'être question, elle a été soi­
gneusement boisée. Cette opération était tout à fait nécessaire dans le cadre d'une uti­
lisation un peu prolongée. Le sol est, en effet, un limon fin qui ne résiste pas au ruis­
sellement, encore moins aux effets du gel.

La fonction de cet ensemble creux a pu être déterminée par l'étude du remplissage,


la stratigraphie, et par celle des quelques objets rencontrés. Toutes les fosses présen­
tent un remplissage assez similaire : une importante couche de comblement recouvre
dans le fond des couches plus fines, nombreuses, indiquant souvent plusieurs recreu­
sements. A l'évidence, on a affaire à des structures qui sont restées ouvertes assez
longtemps (plusieurs dizaines d'années), dont le fond a successivement été comblé
soit naturellement soit artificiellement, puis recreusé, comme si on avait à chaque fois
voulu le nettoyer. Ces opérations n'ont évidemment laissé que peu de matériel à l'in­
térieur de la structure : si celle-ci en contenait, il était évidemment chaque fois récupé­
ré lors de ces curages. Dans une des fosses périphériques a été découvert un brin de
chaîne de fourreau d'épée en bronze, enfoncé dans le fond de la fosse. Dans la fosse
centrale, hormis ce qui a été trouvé dans la couche tardive de comblement, il n'a rien
été découvert, si ce n'est trois petits osselets de bœuf, de la taille de petites billes, des
sésamoïdes qui sont des pièces importantes dans la compréhension du sacrifice du
bœuf et dans celle de la fonction de cette fosse. A l'évidence ces rares vestiges ont été
oubliés ou non observés lors du nettoyage systématique des fosses. Leur position stra­
tigraphique, dans le fond, indique d'autre part qu'ils sont en rapport direct avec l'uti­
lisation fonctionnelle de la structure.

L'étude ostéologique réalisée sur l'ensemble des restes animaux du sanctuaire a


montré que le sacrifice du bœuf y avait été privilégié, puisque les restes d'au moins
quarante individus ont été retrouvés. Ce sacrifice qu'on décrira plus précisément dans
la quatrième partie de cet ouvrage est de type chthonien, il s'adressait à une divinité
résidant dans la terre. La victime qu'on lui destinait était seulement tuée et offerte tout
entière, c'est-à-dire que les hommes ne participaient pas au festin. Les os de ces ani­
maux ont été retrouvés, ils ne portent pas de trace de découpe ou de prélèvement de
chair et les colonnes vertébrales n'étaient même pas disloquées. De tels restes ostéolo­
giques sont tout à fait exceptionnels et n'ont pu être produits que par un rituel parti­
culier qui a pu être reconstitué : après la mise à mort, le cadavre de la bête était dépo­
sé pour qu'il pourrisse naturellement pendant une durée de six à huit mois. Après ce
laps de temps, on prélevait les os qui s'étaient débarrassés de la plus grande partie de
leur chair. L'essentiel de ces os était rejeté dans le fossé-réceptacle de la clôture tandis
que les crânes étaient mis à part. La fosse centrale, présentant un volume vaguement
cylindrique, d'environ six mètres cubes, se prêtait parfaitement au stockage tempo­
raire de ces grands mammifères ; le fait est justement corroboré par la découverte des

96
sésamoïdes qui sont les seuls os qui ne participent pas d'une articulation et sont les
premiers à se libérer lors de la putréfaction.

La grande fosse centrale avait donc pour fonction première de faire communiquer
les hommes et leur dieu par le truchement d'une victime qui pourrissait et dont les
humeurs devaient être censées alimenter ce dernier. C'est donc un autel creux, tel
qu'on le connaît dans le monde grec lors des sacrifices chthoniens, l' eschara, mais c'est
aussi l'équivalent exact de l'autel védique, un trou au centre d'un cercle sacré, trou où
la divinité est censée s'installer pour participer au sacrifice. AinsC chez les Gaulois
belges du III• siècle avant J.-C., l'autel avait conservé la forme pure et archaïque des
anciens temps indo-européens. Cet autet bien que simple trou creusé dans le sot était
l'objet des soins les plus attentifs. Ses parois avaient été recouvertes de douves de bois,
comme un tonneau. Probablement était-il fermé d'un couvercle hors des périodes de
sacrifices. Enfin, comme l'étude stratigraphique le suggère, il était soigneusement net­
toyé après le séjour de chaque victime. C'est un lieu parfaitement pur qui devait, en
effet, chaque fois accueillir une nouvelle victime. En Inde, cet autel creux, le vedi, était
à chaque nouveau sacrifice consciencieusement recouvert de plusieurs épaisseurs de
gazon qui servait de couche à la divinité, censée venir physiquement participer au
sacrifice qui lui était rendu.

Sur la fonction particulière des fosses périphériques nous avons moins de données.
Elles paraissent avoir connu les mêmes opérations de protection, et de nettoyage. Mais
nous ignorons pour la plupart ce qu'elles ont pu contenir. Le fragment de chaîne de
ceinture découvert dans l'une d'elles indique peut-être qu'on y déposait provisoire­
ment des armes. Deux autres fosses avaient le fond tapissé d'une épaisse couche
d'oxyde de fer qui a pu être provoquée par un séjour ou prolongé ou répété de ces
mêmes objets. Mais cela demeure une hypothèse. Rien ne s'oppose à ce qu'elles aient
pu contenir des victimes animales de plus petite taille. L'une de leur fonctions
majeures était en tout cas de marquer au sol les contours de l'autel proprement dit,
c'est-à-dire non seulement le trou central mais aussi sa périphérie où officiaient les
prêtres qui procédaient au sacrifice. C 'est notamment dans cette aire circulaire que la
bête était mise à mort, selon toute vraisemblance, à l'extrémité orientale de la fosse,
face à l'entrée de l'enclos, face au soleil levant.

L'autel abrité devient un temple

Ce type de construction, n'utilisant que des cavités dans le sot correspond, comme
on l'a vu, à une forme primitive de l'autet héritière d'un temps où le lieu de culte
n'était pas définitivement fixé à un emplacement déterminé. D'emblée, ces installa­
tions se révélèrent peu adaptées à l'usage qu'on voulait en faire, tout au moins à une
utilisation prolongée. Les fosses furent protégées mais il n'en allait pas de même de
l'aire sacrificielle. Or dans une région où les intempéries tout au long de l'année ne
sont pas rares, un rituel qui exigeait le respect de règles contraignantes (disposition
des sacrifiants, de la victime, préparation de cette dernière, etc.) soulevait de réelles
difficultés : amener un bœuf par temps de pluie ou de neige sur un terrain glissant,

97
l'orienter convenablement au bord de la fosse, le faire assentir à son propre sacrifice,
le tout dans une atmosphère recueillie, devaient souvent tenir de la gageure.

La nécessité d'un abri protégeant l'ensemble de l'autel, soit une surface d'une qua­
rantaine de mètres carrés, se fit tôt ressentir. On y céda quelques décennies après ce
premier aménagement du sanctuaire, au cours de la seconde moitié du III• siècle. Une
solution minimale fut retenue : on installa une simple toiture au-dessus de l'aire sacri­
ficielle, toit soutenu par des poteaux installés dans les fosses périphériques, probable­
ment de façon à bouleverser le moins possible le plan existant. Il fallait certainement
aussi ne pas perturber le sous-sol, domaine de la divinité, par de nouveaux creuse­
ments. Rien n'indique que les neuf poteaux installés aient également soutenu des
parois. Le plan même, celui du fer à cheval, qui était le plan d'ensemble des fosses, se
prêtait d'ailleurs assez mal à la confection de murs.

Ce premier aménagement, à proprement parler architectural, de l'autel modifia


assez peu les rites qui s'y déroulaient, si ce n'est qu'on n'utilisa plus les fosses péri­
phériques comme des contenants. Le sacrifice des grands animaux dut en revanche
être singulièrement amélioré dans son fonctionnement. Il est assez difficile de se repré­
senter dans le détail l'élévation de cet édifice. Les poteaux qui soutenaient la toiture,
les neuf implantés dans les anciennes fosses et deux supplémentaires à l'avant de l'au­
tel sur le côté oriental, avaient probablement l'allure de colonnes. Ces colonnes de
bois, notamment sur la façade orientale, faisaient ressembler la construction à quelque
temple classique, si la toiture était en bâtière ménageant un fronton au-dessus de la
façade. Mais cela ne peut être affirmé. Il y manquait en tout cas une cella fermée.

Dans le courant du II• siècle, pour des raisons qui nous échappent, le sanctuaire de
Gournay a connu un profond réaménagement. La palissade extérieure a été recons­
truite en même temps que le porche d'entrée. L'autel n'a pas échappé à ce programme
de reconstruction : l'édifice de protection a été entièrement refait, on a même sensible­
ment modifié son orientation. Le précédent s'alignait sur un axe qui passait à huit
mètres au sud de l'entrée de l'enclos ; dans le nouveau plan, l'axe du bâtiment passe
très exactement par cette entrée qui a été élargie. Le plan du nouveau bâtiment ne res­
pecta pas celui du précédent mais seulement son emplacement : on le fit quadrangu­
laire et on le dota de trois murs de torchis sur les côtés sud, ouest et nord. Cet édifice
fermé en partie avec sa colonnade de bois en façade ressemblait cette fois beaucoup
plus à un temple classique. Deux caractéristiques l'en faisaient différer notablement :
l'autel se trouvait à l'intérieur et non à l'avant du temple et il n'y avait toujours pas
d'authentique cella.

La création de ces trois murs s'explique peut-être par la présence d'un foyer à proxi­
mité de l'autel creux, peut-être à l'arrière de la fosse, au fond du bâtiment. Deux rai­
sons nous le font croire. La première est qu'à la fin du I•' siècle avant J.-C., la fosse cen­
trale était recouverte par un grand foyer installé au sol. La seconde raison est que sur
le site de Montmartin, à trois kilomètres de Gournay, un édifice similaire à celui de
Gournay, quoique sensiblement plus petit, et contemporain montre les deux structures
côte à côte, fosse et foyer. On ne peut dire si un tel foyer faisait partie de l'aire sacrifi-

98
cielle depuis l'origine. Les sols du sanctuaire, qui ont disparu à Gournay, ont entraîné
avec eux toute trace de ces éventuels foyers. On peut seulement - et par comparaison
avec Ribemont-sur-Ancre - penser qu'il existait de tels foyers dans l'enceinte depuis
son aménagement au début du III• siècle.

Le porche d'entrée et les trophées

Le troisième élément essentiel du sanctuaire est le porche d'entrée. Sur tous les sites
cultuels observés l'entrée de l'enclos montre un aménagement plus ou moins com­
plexe, de la simple paire de trous de poteaux qui trahit l'existence d'une porte aux ves­
tiges plus nombreux laissés par un bâtiment, un véritable porche. C'est une construc­
tion semblable que nous donne à voir le sanctuaire de Gournay.

Comme le centre de l'enclos, l'entrée a fait l'objet de travaux importants pendant


près de deux siècles par les Gaulois eux-mêmes puis a subi des remaniements impor­
tants à l'époque gallo-romaine. La lecture des vestiges les plus anciens ne s'en trouve
pas facilitée. L'enclos dans sa forme primitive, celle qui date de La Tène ancienne, pré­
sente une notable différence avec les autres enclos cultuels de La Tène moyenne :
contrairement à ceux-ci, qui sont entièrement fermés, il présente une entrée marquée
par une interruption du fossé. Cette anomalie à Gournay a été réparée par le creuse­
ment d'une fosse devant cette interruption, fosse qui prolongeait le parcours du fossé
et nécessitait l'utilisation d'une passerelle. La fosse fut par la suite abandonnée, quand
un fossé extérieur fut creusé autour de la palissade ; celui-ci était, en effet, ininterrom­
pu.

Dès l'aménagement du sanctuaire au début du III• siècle, un porche fut installé. Son
plan, en grande partie oblitéré par les constructions postérieures, ne peut qu'être
imparfaitement restitué. Nous possédons cependant des informations indirectes sur
l'allure qu'il pouvait avoir. Il semble, en effet, que la masse importante d'armes et de
crânes de bovidés qui a été exhumée du fossé des deux côtés de cette entrée se soit
trouvée préalablement entreposée sur des éléments de ce bâtiment, linteau, parois
mais plus vraisemblablement à l'étage de celui-ci ou sur une balustrade. C'est donc un
édifice tout à fait conséquent qui couvrait le passage de l'entrée. La confirmation nous
en est donnée par le bâtiment qui lui a succédé lors du réaménagement du II• siècle
que nous avons déj à évoqué. Le plan de ce bâtiment cette fois-ci est assez clair, c'est
un rectangle qui occupe le passage de l'entrée et vient couvrir le fossé extérieur, il a
environ huit mètres de longueur pour cinq mètres de largeur. Son volume comme son
allure devaient le faire ressembler à l'édifice qui recouvrait l'autel.

Ce porche indique clairement l'importance de ce lieu de passage qui permettait la


communication entre le monde profane et l'espace sacré. Des aménagements du bâti­
ment permettaient peut-être des rites particuliers qui lui conféraient un rôle de sas par
lequel le participant au culte se purifiait avant d'entrer dans le domaine divin. Mais
sur le sujet l'investigation archéologique demeure muette. Ce que nous savons, en
revanche, c'est que ce bâtiment monumental ouvrant vers l'extérieur était richement
orné. Il donnait à lui seul une image évocatrice du sanctuaire. Le fatras d'armes décou-

99
Reconstitution d u sanctua i re de G o u rnay-s u r-Aro nde (Oise) à la f i n d u I l l ' s. av. J - C . (dess i n J . - C I . G o lvi n ) .

1 00
vert à son pied dans le fossé n'est pas le résultat du simple entreposage de butin dans
la partie supérieure du porche. Nous ne sommes d'ailleurs pas sûr qu'il s'agisse de
butin : les armes, à cause du nombre répété de deux à trois cents représentants de
chaque type (boucliers, épées, fourreaux, chaînes), suggèrent plutôt l'image d'un
dépôt de panoplies complètes, peut-être prises sur l'ennemi mais peut-être aussi
offertes par les vainqueurs à leur dieu. Ces offrandes dont certaines étaient encore
liées ensemble comme en faisceau étaient, pour une bonne part, exposées et partici­
paient à la décoration du porche. Il en va de même des crânes de bovidés qu'on avait
détachés du reste de la dépouille. Une douzaine de crânes humains, au moins, figurait
dans cette composition d'un genre particulier qui illustrait la guerre et le sacrifice.
Mais on ne saura jamais si cet esthétisme présentait un caractère effrayant ou agréable
pour le Gaulois qui allait entrer dans le sanctuaire.

Cette entrée monumentale, qui par l'architecture devait ressembler à celles des oppi­
da celtiques, avec sa décoration de crânes humains, fait évidemment songer à un texte
de Strabon, encore une copie de Posidonius : « Les guerriers gaulois - écrit-il - rap­
portent les crânes des ennemis dans leur cité et ils les clouent à des "portes" » . Le texte
grec emploie le terme propylaioïs, dont la traduction habituelle est « propylées », c'est­
à-dire « porche monumental de sanctuaire » . A une époque encore récente où on igno­
rait tout de l'existence des lieux de culte celtiques, le mot avec son sens aussi spéci­
fique plongeait les traducteurs dans la perplexité et ils préféraient s'en tenir à une tra­
duction neutre, celle de « porte », qui en revanche aujourd'hui apparaît fautive et
donne une bonne idée de la précision des descriptions et du vocabulaire de
Posidonius.

Un trophée monumental à Rib emont-sur-Ancre

La recherche archéologique la plus récente montre que les lieux de culte gaulois ne
se limitaient pas à ce qu'on nomme du terme très général de « sanctuaire », c'est-à-dire
des emplacements choisis et plus ou moins bien aménagés où se déroulait une activi­
té cultuelle régulière et vitale pour un bon fonctionnement de la religion. A côté de ces
lieux de culte quasi institutionnels se trouvaient, comme on le verra plus bas, une mul­
titude d'aménagements ponctuels dans l'espace et le temps : temples, autels, voire
représentations religieuses qui participaient d'installations plus vastes d'une nature
générale non religieuse (habitat, fortification, lieu d'assemblée et de justice . . . ). Il pou­
vait y avoir aussi des constructions d'origine évènementielle qui par la suite étaient
devenus des lieux de culte d'une nature très particulière. Les trophées guerriers, bien
connus dans l'antiquité gréco-romaine, sont de ceux-là. Le plus représentatif est sans
conteste celui de Ribemont-sur-Ancre.

Les trophées celtiques

Jusqu'à la mise en évidence du caractère purement guerrier des étranges vestiges de


Ribemont, la présence de trophée militaire chez les peuples celtiques n'avait j amais été

101
\
' \
\
\ \
1 1
\ \

/
Dépôl mét.allique

·'
R1 bcmont -sur- Ancre
Traa! du fossé et dépôts �U.< du l l lè s. a• . JC.

zone foui lltt


zone de grande fréquence des con�
zone d'absence de connc.'<ion
• consuuroons failcs d'os humains

Plan g é n é ral du sanctuaire d e R i be m o nt-s u r-An c re ( S o m m e ) .

1 02
envisagée d'une façon générale et cette pratique n'était pas évoquée comme une don­
née fondamentale de la mentalite religieuse des Celtes. Certes Jacques Harmand avait
bien avancé l'hypothèse d'un trophée pour expliquer la découverte d'un nombre
important d'armes dans les fossés de défense d' Alésia. Mais ce trophée, il ne le conce­
vait que sous la forme la plus primitive, celle d'un congeries armorum, autrement dit
d'un simple tas d'armes accumulées après la bataille. Or le trophée grec, comme par
la suite sa traduction romaine sont bien autre chose, ce sont de véritables monuments.
Et nous allons voir, grâce aux découvertes de Ribemont, qu'il n'en allait pas différem­
ment chez les Celtes. En fait, les tas de dépouilles qu'évoque César et avec lesquels
Jacques Harmand identifie les armes d'Alésia, ne sont rien d'autre que le produit de
la destruction d'un véritable monument qui n'avait rien à envier par la taille et la
décoration à bien des sanctuaires.

On aurait pu faire cette découverte beaucoup plus tôt si l'en avait tenu compte
d'une information aussi brève qu'explicite de l'encyclopédiste Elien. Celui-ci écrit :
« Mais surtout ils (les Celtes) érigent des trophées à la façon des Grecs, autant pour

célébrer leurs hauts faits guerriers que pour laisser derrière eux des monuments de
leur vertu (guerrière) » . Certes Elien est un auteur tardif, un paradoxographe toujours
en recherche d'anecdotes ou de curiosités mais les quelques lignes qu'il consacre aux
Celtes montrent qu'il a puisé dans des sources très anciennes et d'origine grecque,
notamment les traits de caractères des Celtes qu'on se plaisait à évoquer à Athènes
dans le courant du III• siècle. Mais surtout les quelques détails qu'il nous laisse sur ces
trophées indiquent que son information était sérieuse et circonstanciée. Il précise que
ce sont des trophées de type grec, ce qui veut dire pour cet Italien du II• siècle après
J.-C. qu'il ne s'agissait ni de représentation symbolique ou figurée ni d'un simple amas
d'armes mais bien d'une véritable construction. Cette interprétation est corroborée par
la deuxième motivation qu'il donne à la pratique : il s'agit de laisser des monuments
pour les générations à venir.

Le court texte d'Elien aurait permis de mieux apprécier la découverte d' Alésia. Elle
aurait permis également de donner une toute autre interprétation à une découverte
sensationnelle faite en 1 9 1 3, lors du creusement du canal du nord à Moeuvres (Nord).
Dans un fossé peu profond furent découvertes de nombreuses armes parmi des restes
humains en très grande quantité. Il s'agissait de ceux de près de deux cents individus
gisant pêle-mêle. Les crânes manquaient, les corps emmêlés étaient recroquevillés,
colonnes vertébrales souvent tordues, membres écartés ou repliés. La découverte fut
interprétée évidemment comme un charnier constitué après une bataille. Nous allons
voir maintenant qu'elle a les plus grandes similitudes avec celle de Ribemont dont elle
est presque contemporaine : le matériel métallique découvert à Moeuvres appartient à
La Tène C2, soit la première moitié du II• siècle.

Une bataille oubliée de l'histoire

A l'origine du monument celtique de Ribemont-sur-Ancre qui lui-même a généré


ensuite un immense complexe cultuel gallo-romain, il y a une bataille qui, comme

1 03
l'immense majorité de celles que les Celtes ont eu à mener, n'a laissé aucune trace his­
torique. La rencontre sur le terrain de l'histoire et de l'archéologie est rare. Quand elle
se produit, le mouvement entre les deux disciplines se fait toujours dans le même
sens : c'est toujours l'archéologie qui apporte un petit peu d'eau au moulin de l'his­
toire. A Ribemont nous avons affaire à un cas exceptionnel, celui où l'archéologie
ouvre une fenêtre dans l'ethnogenèse d'un peuple et de son territoire.

L'épisode guerrier s'est déroulé au milieu du III° siècle, dans les années 260 proba­
blement. Il a opposé un peuple qui fut victorieux, construisit le trophée et resta par la
suite maître de ce territoire à un autre peuple qu'une quinzaine de monnaies d'or trou­
vées sur les cadavres des guerriers permet d'identifier avec un peuple originaire de
Basse-Normandie, Lexovii ou Aulerci Eburovices probablement. Qui étaient les pre­
miers ? Que faisaient les derniers en ce lieu ?

Seule la confrontation des témoignages historiques et des données archéologiques


permet d'avancer une hypothèse. Nous savons désormais, grâce aux nombreuses
fouilles préventives récentes, que le territoire généralement reconnu aux Ambiens (en
gros le centre du département de la Somme et plus particulièrement les environs
immédiats du fleuve) n'a été occupé densément qu'à la fin de La Tène Cl et surtout
au début de La Tène C2, c'est-à-dire à la fin du III• siècle. Auparavant et notamment
pendant La Tène ancienne, cette région (Ponthieu, Vimeu, Amiénois, Santerre), sans
être totalement inhabitée devait être particulièrement dépeuplée. Or les historiens
depuis toujours s'accordent à reconnaître que la Picardie et ses régions limitrophes ont
connu une importante immigration celtique au début du III• siècle : ce sont des
peuples qui s'appelaient Belges qui ont, si l'on en croit César, par la suite dominé toute
la région de la Gaule comprise entre la Seine et le Rhin. Les travaux de l'archéologie
montrent aujourd'hui que, contrairement à ce que croyaient les historiens du XIX•
siècle qui ont les premiers commencé à écrire l'histoire de la Gaule, cette immigration
ne fut ni massive ni soudaine mais qu'elle s'échelonna dans le temps, probablement
pendant près d'un siècle, de la fin du IV• à la fin du III• siècle. Les Belges, comme les
Gaulois qui envahirent la plaine du Pô, arrivèrent pas vagues successives. Les pre­
miers descendirent jusqu'aux abords de la Seine et s'emparèrent de terres fertiles et
d'emplacements stratégiques, les suivants comblèrent les vides qui s'étaient créés
dans l'occupation du territoire. Les Belges qui, par la suite se firent appeler Ambiens,
si l'on en croit les résultats de l'archéologie, n'arrivèrent que lors d'une deuxième ou
troisième vague et la datation de 260 proposée à Ribemont s'accorde bien à celles, sen­
siblement postérieure, des établissements qui se sont ensuite fixés dans cette région.

Il est donc loisible d'identifier les vainqueurs avec des troupes belges qui tentaient
de s'installer sur les rives de la Somme. Que faisaient alors en ces mêmes lieux les
Gaulois de Basse-Normandie qui, aux dires de César, appartenaient au groupe des
Armoricains ? Deux hypothèses peuvent être envisagées. Ou bien eux aussi tentaient
de conquérir de nouvelles terres. Ou bien ils défendaient tout simplement une région
dont ils avaient l'hégémonie parce qu'ils avaient en charge le commerce avec l'île de
Bretagne. Il était alors nécessaire pour eux de contrôler toutes les côtes de la Manche

1 04
mais aussi l'arrière-pays et surtout les régions qui permettaient la liaison avec les
voies terrestres ou fluviales. La vallée de la Somme avec la vallée de la Seine étaient
les deux plus importantes voies de communication en direction de la Manche et au­
delà de la Bretagne et de la mer du Nord. La présence sur les rares habitats du IV•
siècle en Picardie de céramiques originaires d'Armorique nous fait plutôt préférer
cette seconde hypothèse.

Là où se tenait la divinité, là où l'ennemi a cédé

Une bataille décisive, semble-t-il, s'est produite le long de la vallée de l' Ancre à
proximité immédiate du lieu où fut installé le trophée. Le nombre de morts actuelle­
ment identifiés dans le trophée, environ 500, suppose qu'au moins 5 000 combattants
avaient pris part aux hostilités. La ligne de bataille pouvait, en ce cas, se développer
sur au moins un kilomètre de longueur. L'armement et les parures découverts laissent
supposer que ce sont pour l'essentiel des guerriers d'élite munis d'un harnachement
complet qui s'affrontèrent. La découverte parmi les cadavres de guerriers d'un torque
en or ayant miraculeusement échappé au ramassage du matériel, lors du nettoyage
définitif du site vers -40, prouve que les guerriers les plus prestigieux étaient, comme
l'affirment Polybe et Tite-Live, porteurs de telles parures en or. Le faible nombre de
fibules fait supposer également que beaucoup de guerriers étaient faiblement vêtus,
ce que les historiens de l'Antiquité veulent décrire quand ils affirment que les Gaulois
combattaient nus.

Si l'on veut se représenter une telle bataille, le mieux est certainement de relire la
description que Polybe fit d'une bataille à peine plus récente, celle de Télamon en 225,
description dont l'extraordinaire réalisme est tiré par Polybe du témoignage de Fabius
Pictor, historien romain qui participa lui-même au combat. « La multitude des cors et
des trompettes était incalculable et leur répondait de toute cette armée poussant ses
chants de guerre un vacarme si grand et tel que non seulements les instruments à vent
et les troupes mais aussi les lieux environnants qui en rendaient l'écho paraissaient
produire ces sons. Effrayants également étaient l'apparence et les mouvements des
hommes occupant les premiers rangs qui se distinguaient aussi par leur force et leur
beauté. Tous ceux des premières lignes étaient parés de torques et de bracelets d'or. »

Le gros des troupes devait être composé de fantassins qui, par bien des côtés,
devaient ressembler à des hoplites légers. Mais il y avait aussi des cavaliers dont les
restes osseux des montures ont fini également dans le trophée. Quelques chars de
guerre étaient également présents mais certainement pas en grand nombre. Et il y
avait surtout à l'arrière des combattants une deuxième troupe de goujats surveillant
leurs maîtres, au besoin volant à leur secours et loin derrière l'invraisemblable cara­
vane de chariots, de bêtes de somme, de bétail gardés par des serviteurs, des familles.

Il est évidemment impossible de connaître le déroulement de l'affrontement. On


peut seulement présumer que chacune des armées en présence était accompagnée de
sa ou de ses divinités protectrices. Celles-ci avaient peut-être, comme on le voit dans

1 05
l'Iliade, une présence quasi physique ou tout au moins fantômatique. Si c'était le cas,
une place leur était peut-être assignée. L'emplacement du trophée de Ribemont sur
une légère croupe du versant de la vallée de l' Ancre a pu correspondre à ce siège de
la divinité pendant la bataille. Et l'on comprendrait alors qu'il ait été sacralisé immé­
diatement après la victoire. De ce belvédère divin pendant la bataille on aurait fait une
résidence divine définitive.

On ne peut cependant exclure que les Gaulois ait eu une conception du trophée
encore plus proche de celle qu'avaient les Grecs. Pour ces derniers le trophée devait
être érigé là même où l'ennemi avait effectué un demi-tour (d'où en grec le nom de
trophée, du mot tropé « demi-tour au moment de la fuite ») pour amorcer sa fuite. Mais
là encore on peut penser qu'en ce lieu dû au hasard de la bataille le dieu des vain­
queurs avait été réellement présent.

Faire des dépouilles un monument

A une victoire gauloise succédait immanquablement une véritable boucherie. Les


Celtes coupaient les crânes des ennemis morts. Ceux de Ribemont n'ont pas échappé
à la règle : parmi les plusieurs dizaines de milliers d'os appartenant à près de cinq
cents individus aucun crâne ne figure mais les vertèbres cervicales ne sont pas rares,
qui montrent les traces souvent d'un couteau, parfois d'un objet plus volumineux
ayant permis la décollation. Sachant qu'il s'agit de nombre minimaux et que la bataille
dut être sensiblement plus meurtrière, il faut s'imaginer que l'opération difficile et
méticuleuse a pris beaucoup de temps, une journée, peut-être deux, si l'on en croit
Tite-Live pour des combats plus méridionaux gagnés par les Gaulois. Chaque guerrier
avait tout loisir de se confectionner son propre trophée, dans la mesure où tout le
reste, cadavres et armes, devait revenir à la divinité.

Les moments qui suivaient la victoire étaient l'occasion de rites solennels que nous
examinerons plus loin, sur lesquels les découvertes de Ribemont n'apportent qu'une
documentation matérielle, celle qui concerne le transfert des dépouilles. Même sur
une distance assez courte, probablement moins de deux kilomètres, pour une telle
matière à transporter et une telle quantité, l'entreprise n'avait rien d'aisé. Nous le
savons par les récits des historiens grecs concernant les suites des batailles hopli­
tiques : dépouiller le mort de ses armes et de son harnachement, porter le corps déjà
rigidifié nécessitaient de la main d'œuvre, du temps et des moyens de transport.

Ce n'était cependant que le début des grands travaux. Il fallait désormais aménager
le lieu élu pour le trophée. Alors qu'en Grèce cette installation ne devait qu'être pro­
visoire et constituait, selon l'hypothèse convaincante de Jean-Louis Durand, un autel
destiné à justifier sur un mode sacrificiel les tueries de la bataille, chez les Celtes il
s'agissait d'un monument durable où, selon toute vraisemblance, la divinité élisait un
domicile définitif. Il fallait donc faire du trophée un véritable lieu de culte, c'est-à-dire
séparer à l'aide d'un fossé, la propriété sacrée du monde profane qu'étaient le champ
de bataille et la campagne environnante. On lui donna la forme quadrangulaire habi-

106
Reconstitut i o n hypothét i q u e d e l ' u n des bâti­
m e nts constituant l e trophée ( dessin Clara
N o n d e d e u ) ( p . 1 09 ) .

U n e d é p o u i l l e p res q u e c o m p l ète d e g u e rrier g i sant


sur l e s o l .

D é p ô t d 'a r m e s , d ' o u t i l s et de ferru res d e


c o n structi o n découvert d a n s l e fossé d e c l ôt u ­
r e ( p . 1 09 ) .

107
tuelle aux lieux sacrés, celle qui permet une véritable orientation. A l'emplacement
d'un petit bois qui fut par la suite soigneusement conservé, l'espace avait cependant
ses particularités : appuyé côté ouest contre un talus, vestige d'une ancienne terrasse
ou d'un tertre, ses limites ne furent marquées par un fossé que sur les côtés nord, est
et sud. Contrairement aux sanctuaires contemporains ouvrant toujours à l'est, côté du
soleil levant, symbole de toutes les renaissances, tel un enclos funéraire, il regardait
l'ouest.

Glorifier les vainqueurs, honorer les morts

Il fallait célébrer la victoire en en donnant une représentation matérielle, à l'aide de


ses restes éloquents, dépouilles humaines et armes. Mais il fallait rendre aussi hom­
mage aux morts de la cité, ces guerriers qui avaient connu une belle mort. Il semble
mais nous n'en avons pas la certitude, parce que de telles subtilités conceptuelles sont
difficiles à mettre en évidence par les techniques de l'archéologie, que le lieu de
Ribemont avait cette double mission. On ne comprend pas sinon pourquoi les vestiges
humains découverts ont une nature différente, suivant qu'ils se trouvent à l'intérieur
de l'enclos fossoyé ou à sa périphérie extérieure. Dans ce deuxième cas, nous avons
affaire à l'épandage sens dessus dessous de morceaux de squelettes, rarement entiers,
colonnes vertébrales, bassins, jambes, bras souvent repliés, mêlés les uns aux autres et
à des armes, présentant souvent encore des positions fonctionnelles (épées dans leur
fourreau encore attaché à sa chaîne de ceinture). Dans le premier cas, ce sont des
ensembles organisés d'os longs, de véritables constructions cubiques contenant des
esquilles brûlées ou non d'autres os humains.

Le gisement périphérique à l'enclos se développait tout au long du côté oriental et


primitivement sur les côtés septentrional et méridional où des constructions posté­
rieures de l'époque gallo-romaine l'avaient moins bien préservé. L'état apparent
d'abandon de ses dépouilles sans tête, avec leurs armes, leurs parures, parfois pré­
cieuses, et dans un certain nombre de cas leur pécule de monnaies d'or, suggère sans
grand risque d'erreur que les guerriers dont ils sont les restes appartenaient au camp
des vaincus, qu'ils furent un temps présentés comme les témoins indubitables de la
force belliqueuse des vainqueurs. L'état où les archéologues les ont découverts est
celui de la destruction, en grande partie naturelle, d'un ou de plusieurs bâtiments où
ils avaient trouvé place et que nous essaierons plus bas d'imaginer.

Les sols de l'espace intérieur présentaient une situation moins homogène et souvent
moins spectaculaire. Dans bien des cas, il s'agissait d'os épars, de différentes natures,
des quelques constructions cubiques évoquées plus haut, le tout suggérant une acti­
vité rituelle complexe et longue, s'assimilant à des traitements funéraires.

Des b âtiments monumentaux en bois

A l'extérieur de l'enclos sacré, sur le bord même du fossé le limitant, un bâtiment


avait été élevé qui se développait probablement sur les trois côtés nord, est et sud.

108
Chaque aile avait donc une cinquantaine de mètres de longueur pour une largeur de
cinq mètres, une sorte de portique ou de halle. La construction était pour l'essentiel en
bois, elle ne reposait pas sur des poteaux ancrés profondément dans le sol mais sur des
pans de bois à partir de sablières basses qui n'ont laissé que des témoins fugaces,
traces ligneuses, saignées dans le sol où des os et des armes ont été ensuite piégés.
C 'est dans ces trois grands bâtiments que furent stockés la plus grande masse des
dépouilles issues du champ de bataille.

L'état de ces restes, leur bonne conservation, l'absence de trace qu'aurait laissée sur
eux les différents prédateurs naturels nous apprennent que l'aménagement était par­
faitement couvert et hermétiquement clos. Il faut croire également que le produit du
ramassage ne gisait pas à même le sol, auquel cas l'humidité aurait activé précoce­
ment la pourriture des chairs et l'oxydation des éléments métalliques mais plutôt que
tout cela avait été disposé sur un plancher surélevé, sans pour autant être trop haut.
Les morceaux de squelettes découverts sur l'emplacement de ces bâtiments montrent
souvent des positions recroquevillées comme écrasées. Et surtout les fourreaux d'épée
qui ont perdu en un premier temps leur bouterolle et dont l'extrémité des tôles non
protégée montre la trace d'un ploiement accidentel, suggèrent qu'ils étaient suspen­
dus assez haut avant de venir choir sur le sol.

Enfin un amas de pièces métalliques découvert dans le remplissage du fossé et


datant de la destruction de ces bâtiments au milieu du I•' siècle avant J.-C. comprend
de nombreux éléments de construction (grands clous de 20 à 30 cm de longueur,
grosses agrafes, pentures de portes, etc.) qui proviennent sans aucun doute des bâti­
ments eux-mêmes. Ils en révèlent la monumentalité exceptionnelle, puisque les clous
par exemple sont du même modèle que ceux qui caractérisent le fameux murus galli­
cus décrit par César, rempart des oppida constitué de poutres entrecroisées et clouées.
On ne peut après une telle évocation ne pas songer à l'étrange description de Strabon
(cf. Annexe II, N° 2) où il est question d'un kolossos (représentation informe) de bois et
de paille dans lequel étient enfermés hommes et bêtes avant qu'on y mette le feu. Ce
qui a été pris pour une incroyable forme de sacrifice pourrait n'être que le spectacle
donné par l'état de destruction d'un aménagement semblable à celui de Ribemont.

Sous quelle forme étaient emmagasinées les dépouilles ? Il est difficile de répondre
puisque leurs restes n'ont pas été découverts dans la position initiale de leur dépôt
mais dans celle de leur destruction et, suivant toute vraisemblance, de leur effondre­
ment. Cette restitution est d'autant plus difficile que les fragments de squelettes
retrouvés sur le sol ne constitue qu'une part assez faible des dépouilles qui furent
amenées. Seules quelques particularités des restes autorisent l'hypothèse. Ainsi la
désolidarisation de la colonne vertébrale et du gril costal attenant sur quelques sque­
lettes assez bien conservés pourrait s'expliquer par une position verticale où la pesan­
teur aurait fait son effet. Cela ne permet pas d'affirmer que toutes les dépouilles
étaient disposées de cette façon. De la même manière, la répartition au sol des armes,
souvent groupées, suppose l'existence de sortes de faisceaux d'épées et de lances.

1 09
Des rites chthoniens

Autant les aménagements extérieurs paraissent avoir été relativement statiques,


autant les vestiges de l'intérieur de l'enclos témoignent d'une véritable activité cul­
tuelle, d'une nature particulière cependant. A l'évidence, on a en ce lieu procédé au
dépeçage de corps. Etaient-ce ceux des ennemis, suffisamment corrompus, que l'on
exhumait des bâtiments extérieurs ? Etaient-ce au contraire ceux des morts de la cité
qui furent quelque temps exposés en plein air, peut-être même sur le champ de
bataille, comme Pausanias en rapporte la tradition ? La seule certitude est que les
dépouilles étaient suffisamment putréfiées pour qu'il ne fût pas besoin de procéder à
une véritable découpe. Cette opération, ainsi que celles qui suivirent, firent de l'espa­
ce intérieur une sorte de vaste atelier avec des zones spécialisées. Ainsi, le dépeçage
est localisé dans l'angle sud-est : on y observe un semis de petits os qui se sont dis­
persés lors de l'opération (patella, phalanges, fragments de bassins). A proximité se
trouve une construction cubique dont les parois sont constituées d'os longs des
membres, alignés et empilés par lits successifs et croisés. Cette sorte d'ossuaire n'a
peut-être servi qu'à stocker les membres issus de ce dépeçage. Au pied de cet ossuai­
re un épandage d'esquilles d'os longs témoigne du bris volontaire de ces os par per­
cussion sur une pierre ou une enclume.

Plus loin, en direction du centre de l'enclos, quelques-unes de ces esquilles, mais


brûlées cette fois, révèlent la proximité d'un ou de plusieurs foyers qui n'ont malheu­
reusement pas été conservés. De telles esquilles, plus ou moins bien brûlées, ont été
découvertes dans des quantités beaucoup plus importantes autour et à l'intérieur d'un
autre ossuaire situé à l'intérieur de l'angle nord-est.

Cet ossuaire est encore une sorte de cube, d'l m 70 de côté, aux parois fabriquées
d'os longs, souvent même de membres entiers mais repliés. Aux os humains est mêlé
un nombre non négligeable d'os de chevaux, leurs jambes entières quelquefois. La
construction s'élevait au moins sur une hauteur de 60 cm. Aussi est-il certain, comme
un essai de reconstruction l'a montré, que les os ne constituaient que l'armature d'une
sorte de maçonnerie à base de terre ou de torchis. Ces parois ménageaient un espace
intérieur d'environ 80 cm de côté dont le centre était occupé par un trou de 30 cm de
diamètre et d'un mètre de profondeur. Ce trou, comme l'espace intérieur, était rempli
d'esquilles d'os humains jusqu'au fond. Il semble en ce cas que l'ossuaire avait pour
fonction première de recevoir ces cendres et de les faire, tel une sorte d'entonnoir, des­
cendre dans le sol. Ce sont les caractéristiques d'un autel chthonien, comme on l'en­
tend dans la religion grecque. Il est destiné à alimenter une divinité souterraine.

Le fait que les dépouilles humaines de l'intérieur de l'enclos ait subi un traitement
qui s'apparente de près aux rites funéraires contemporains dans cette région (exposi­
tion du cadavre, incinération d'os déjà secs, enfouissement de ces cendres dans de
simples cavités) fait plutôt envisager qu'il s'agit là des morts de la cité auxquels on a
donné une sépulture collective et quasi héroïque : ils rejoignent, en effet, la divinité
guerrière à laquelle fut offert le butin de la bataille. Il n'est d'ailleurs pas exclu que des
morts, issus de batailles quelque peu postérieures à la victoire fondatrice, soient venus

110
aussi trouver ici sépulture. La présence d'un certain nombre de chevaux ne contredi­
rait pas une telle hypothèse. Eux qui étaient si proches de l'homme auraient connu de
cette façon une forme d'honneur.

Cérémonies au pied du trophée

Le monument, en effet, n'a connu aucune désaffection. Dès la fin du III• siècle on n'y
apporta plus que des armes que les archéologues ont découvertes en faible quantité.
Ce ne sont que les restes de dépôts qui ont pu être plus nombreux, qui pouvaient être
encore la part de butins, qui pouvaient être tout autant des offrandes déposées par les
guerriers de la cité. Elles témoignent, en tout cas, de rites réguliers qui se sont dérou­
lés pendant deux siècles.

Au milieu du premier siècle avant J.-C., en pleine période de conquête romaine,


l'activité cultuelle ou tout simplement rituelle s'intensifie. Un nouvel enclos quadran­
gulaire, d'un hectare de superficie, est édifié à l'aide de palissades au sud de l'enclos
sacré. Sa fouille encore très partielle a déj à révélé qu'on y avait installé des foyers et
que des porcs en grande quantité y furent consommés. De nombreux tessons d' am­
phores indiquent que le vin avait coulé avec abondance. L'association de ces deux
types de consommation, vin importé d'Italie et porcs en grande quantité, est désor­
mais bien connue dans la Gaule du I•' siècle avant J.-C. Elle est mise au compte de la
pratique du banquet collectif qui n'avait pas forcément une connotation très religieu­
se. Sur les sites qui ont livré de tels vestiges n'ont, en effet, été identifiés ni autel ni
aucun autre élément cultuel. A Ribemont, la forte tradition guerrière et le devenir de
ces installations dans les quatre ou cinq décennies qui précèdent notre ère laissent
supposer que ces banquets rassemblaient des militaires, soit dans le cadre de rites
purement associatifs, soit dans celui, plus large, des cérémonies religieuses qui ponc­
tuaient l'activité guerrière : « conseil armé » qui marquait le début d'une guerre, rites
de purification, d'initiation, etc.

La fin du trophée et l'émergence d'un sanctuaire du culte public

Le monument guerrier de Ribemont, contre toute attente, survécut à la conquête et


ne fut détruit que dans les années -40, -30. Les travaux furent menés consciencieuse­
ment et avec un certain respect des vestiges en place. Ceux-ci, construits depuis deux
siècles, malgré la solidité des matériaux mis en œuvre, devaient être en mauvais état
mais bien des dépouilles, des armes étaient encore visibles. Elles furent soigneuse­
ment triées, pour une part peut-être récupérées, pour une autre rejetées dans le fossé
de l'enclos sacré. Le démontage des bâtiments, le nivellement du terrain étaient néces­
sités par la construction d'un temple.

Des pièces de harnachement, des monnaies caractéristiques mêlées à ces restes ou


perdues dans des niveaux de construction nous apprennent que les bâtisseurs étaient
des auxiliaires gaulois, probablement des cavaliers qui avaient pu être engagés dans
les armées césariennes. En l'absence de camp militaire à proximité, le choix de ce lieu

111
pour l'édification d'un temple d'allure romaine ne s'explique que par l 'origine de ses
bâtisseurs : il s' agit, selon toute probabilité, de guerriers ambiens qui « romanisèrent »
eux-mêmes l'ancien lieu sacré. Il faut se souvenir, en effet, que César et ses troupes
séj ournèrent pendant tout l'hiver de -54 -53, à quelques kilomètres de là à
Samarobriva. Il se sentait en territoire conquis et il y tint même son « conseil des
Gaules » . On peut penser qu'il profita de ce séjour pour recruter des auxiliaires indi­
gènes et que c'est une partie de ceux-là qui rentrèrent chez eux, à l'issue de leur enga­
gement, vingt ans plus tard.

Le meilleur indice de la mixité et du caractère militaire de la communauté qui prend


en charge les lieux nous est donné par le nouveau bâtiment qui y est installé.
Contrairement aux bâtiments précédents, il s'agit cette fois d'un authentique temple
de conception italique, en ce qu'il possède une véritable cella, demeure du dieu, avec
un autel situé à l'extérieur devant le temple. La construction n'a rien de gaulois non
plus. La cella repose sur un plancher surélevé, tel qu'on les connaît dans les horrea des
camps militaires du limes . Les pans de bois de la galerie périphérique sont isolés de
l'humidité du sol par de gros blocs de grès. A ce temple principal sont associés un,
voire deux petits temples annexes. Ces bâtiments et les autels qui les précèdent sont
enfermés dans un véritable péribole en bois délimitant l'aire sacrée. Cette dernière est
elle-même précédée d'une vaste esplanade, également enceinte de murs de bois et
reprenant les limites mêmes de l'enclos réservé aux banquets. Dès le tout début de
notre ère, l'ensemble commence à être monumentalisé. La galerie du temple est ornée
d'une colonnade en pierre, exceptionnellement précoce pour le nord de la Gaule.

Le site de Ribemont, en plus de la documentation exceptionnelle qu'il apporte à la


connaissance des rites guerriers, nous livre donc aussi l'exemple le plus clair de la
transition entre un lieu sacré gaulois et un sanctuaire gallo-romain, bien particulier
puisqu'il fut immédiatement dédié à un culte public, ce qu'il demeura jusqu'à son
abandon à la fin du IV• siècle après J.-C.

Autres type s d e lieux d e culte

Autant les authentiques sanctuaires peuvent être aisément mis en évidence par l'ar­
chéologie, autant les lieux de culte intégrés à l'habitat sont difficiles à repérer en pros­
pection comme en fouille. De ces derniers les exemples sont encore rares. Ils ne don­
nent assurément qu'une image incomplète de la réalité religieuse. On en distinguera
trois groupes : les espaces réservés sur les oppida, les zones cultuelles sur les habitats
groupés et un exemple de place publique et cultuelle dans une résidence aristocra­
tique.

Des enceintes sur les oppida

L'intérêt des archéologues a très tôt été attiré par la présence sur quelques oppida
d'enceintes souvent imposantes par la taille et dont la fonction ne paraît ni défensive

112
ni domestique. Ils ont généralement considéré, de façon quelque peu arbitraire, qu'il
s'agit d'espaces cultuels. Nous examinerons ici deux cas exemplaires, ceux du Mont­
Beuvray et du Titelberg. Sur le Mont-Beuvray, une légère éminence appelée « La
Terrasse » montre une enceinte de plan grossièrement rectangulaire matérialisée enco­
re sur deux côtés par un talus et un fossé. Les dimensions de ces côtés sont voisines de
1 00 m. Au plus fort de la vogue de la théorie des Viereckschanzen, on en a vu un repré­
sentant typique et dès lors l'interprétation cultuelle a prévalu. Alors qu'au XIX• siècle
les antiquaires voyaient en chaque lieu fortifié ou simplement fossoyé la trace du pas­
sage de César, le fouilleur Bulliot identifiait « La Terrasse » avec un camp romain et
plus précisément celui de Marc Antoine. Des fouilles récentes ont cherché à lever les
interrogations. Leurs résultats sont décevants : aucune installation intérieure n'a été
mise en évidence et le matériel s'est révélé très pauvre. En d'autres termes, « La
Terrasse » donne bien l'image d'une des innombrables Vierecksch anzen allemandes,
enceinte d'un hectare de superficie marquée de puissants talus, mais caractérisée aussi
par une absence quasi totale de vestiges, en gros le contraire de l'image qui nous est
donnée par les lieux de culte du nord de la Gaule.

L'enceinte connue à l'intérieur de l'oppidum du Titelberg présente des caractères


tout à fait différents. Découverte en photographie aérienne, elle est seulement maté­
rialisée par un fossé. Ses dimensions n'ont rien à voir avec celles de « La Terrasse » du
Mont-Beuvray, elle pourrait avoir une superficie de 7 ha alors que l'oppidum en fait 43.
La fouille conduite par Jeannot Metzler a montré qu'il fallait « écarter l'hypothèse
d'une occupation militaire romaine ». En revanche, la découverte et la fouille d'un
fanum gallo-romain à l'intérieur de l'enceinte donnent du poids à une interprétation
religieuse. Il reste bien sûr à montrer que ce fanum succède à une structure cultuelle
gauloise mais la fouille du fossé de clôture, en livrant un riche matériel et en montrant
un remplissage complexe et assez lent, ne laisse guère de doute sur l'origine gauloise
de cet aménagement. En revanche, on peut s'interroger sur la nature exclusivement
cultuelle de l'enceinte, à l'intérieur de laquelle le fanum occupe une place quelque peu
décentrée. Une telle superficie autorisant des rassemblements humains très impor­
tants se prêtait à des manifestations d'un autre ordre, politique, juridique peut-être,
qui avant la conquête romaine n'étaient pas nettement séparées de la sphère religieu­
se.

Dans le nord de la Gaule, des retranchements antiques considérés généralement


comme des oppida mais qui peuvent se révéler à la fouille être de véritables camps
romains (c'est le cas de La Chaussée-Tirancourt) montrent, parfois à l'intérieur de leur
enceinte ou à l'extérieur mais à proximité immédiate, des vestiges cultuels indé­
niables. C 'est le cas à « La cité de Limes » à Braquemont où un fanum se trouvait qua­
siment au centre de l'espace fortifié ; depuis sa fouille, à la fin du siècle dernier, il a
chuté dans la mer avec la falaise qui le supportait. Liercourt-Erondelle présente le
même cas de figure. En revanche, à La Chaussée-Tirancourt et à Vermand, de vastes
ensembles cultuels d'origine gauloise sont à l'extérieur et font face à un retranchement
qui dans les deux cas semble tardif. On est donc en droit de se demander si en Gaule
Belgique ce ne sont pas des ensembles religieux importants qui ont précédé un amé-

113
nagement de type militaire. Seules des fouilles simultanées, conduites sur les vestiges
cultuels et les installations défensives, pourront apporter une réponse à des problèmes
qui ne concernent plus seulement l'insertion du cultuel dans l'habitat mais la notion
même d'habitat urbain de type opp idu m .

Des puits à offrandes sur les habitats

Nous ne connaissons, pour l'heure, aucun lieu de culte, au sens strict du mot, situé
en plein habitat, temple ou sorte d'acropole, clairement délimitée dans l'espace avec
ses constructions propres. Le seul exemple pourrait nous être donné par l'enclos sacré
d'Estrées-Saint-Denis. Ce dernier, situé à six kilomètres seulement du sanctuaire de
Gournay, a d'ailleurs pu lui succéder ou mieux, le remplacer : l'activité de l'enclos
d'Estrées commence au début du IJe siècle, justement au moment exact où le sanctuai­
re de Gournay est fermé. Là, dans un péribole de plan quadrangulaire, une multitude
de bâtiments (temples, autels) et de fosses témoignent d'une activité sacrificielle et
votive active qui s'est poursuivie jusqu'en pleine époque gallo-romaine puisque
quatre fana (petits temples ruraux de plan carré) ont fini par s'installer sur le même
emplacement. Cet exemple n'est malheureusement pas entièrement convaincant dans
la mesure où l'habitat qui l'entoure n'est connu que de façon très fragmentaire et qu'il
est actuellement impossible de savoir s'il est exactement contemporain du lieu de
culte ou s'il s'est développé à partir de ce dernier.

Plus courants sont, en revanche, sur les habitats du sud-ouest de la France les puits
dont la fonction cultuelle est indéniable. Il s'agit généralement d'habitats groupés,
parfois même d'opp idum . En plein quartier d'habitation ou de travail artisanal se trou­
vent de nombreux puits au riche remplissage. L'exemple le plus célèbre est sans nul
doute celui que nous donne le site de Vieille-Toulouse. Parmi les vestiges d'habitations
nombreux, soixante-six puits au moins ont été fouillés, livrant chaque fois un riche
matériel : vases, vaisselle en bronze, amphores, parfois armes et autres ustensiles, ainsi
que des os animaux et parfois des restes humains. Ce sont ces derniers qui ont susci­
té une interprétation en termes funéraires de ces puits. Cependant la thèse résiste mal
à la critique. Les squelettes sont fréquents dans les puits ou les silos, sans pour autant
témoigner d'une authentique sépulture. On comprend mal pourquoi ici le squelette
n'aurait pas été déposé plus ou moins complet ou, pour le moins, incinéré.

La réponse nous est certainement donnée par les fouilles de Richard Boudet sur
l'opp idum de !'Ermitage à Agen. Une quarantaine de puits, de même nature que ceux
de Vieille-Toulouse, y avaient été rencontrés depuis le XIX• siècle. L'un notamment
avait livré une quinzaine de crânes de chèvres portant la trace du coup de maillet qui
les avait mises à mort. Il s'agissait, selon toute probabilité, des traces d'un sacrifice ani­
mal. Mais c'est la fouille récente d'un puits important par la profondeur (10 m) et l'ou­
verture (2 m x 2 m) qui est la plus instructive. Ce dernier se trouve à proximité d'un
curieux édifice. De plan carré, bâti sur deux rangées de poteaux porteurs, de 6 m x
6 m, il pourrait s'agir d'un bâtiment cultuel. Le puits se trouve à environ 3 m, au nord­
ouest. La fouille a montré que le remplissage n'avait rien de désordonné mais qu'on y
distinguait au moins quatre dépôts intentionnels. Comme tous les autres puits, celui-

1 14
Offrandes dans l ' u n des p u its de l ' oppidum de ! ' E rm itage à Ag en : cas q u e et vaisse l l e de b ronze, cé ram i q u es
entières.

115
ci n'atteignait pas la nappe phréatique. Le fond avait été légèrement agrandi pour
constituer une petite salle, cuvelée j usqu'à une hauteur d'l m 30. On y avait déposé
un premier ensemble composé de trois seaux en bois, d'une situle en bronze et de sept
vases. Un deuxième dépôt comprenait un vase, une cruche et une passoire en bronze.
Le troisième dépôt était formé de deux vases entourant un casque en bronze et les élé­
ments d'une crémaillère. Le quatrième dépôt contenait à nouveau un casque et quatre
vases. Enfin le remplissage terminal, humique et fortement cendreux, renfermait enco­
re une soixantaine d'amphores italiques, des os animaux, des tessons de vaisselle
diverse. Au niveau de l'ouverture, une chape d'argile recouvrait ce sédiment. Sur elle
on avait installé un foyer. A l'évidence, cette cavité avait servi avec une certaine régu­
larité, pendant une période qu'il est difficile de déterminer, dans le cadre d'une acti­
vité au moins votive. Les casques en bronze, la vaisselle métallique et les objets de fer
n'ont pu faire l'objet d'un simple rejet détritique mais constituent bien des offrandes
assez luxueuses. Les amphores italiques qui sont une constante dans le remplissage de
ces puits indiquent, par ailleurs, que les rites ont été accompagnés de la consomma­
tion et/ ou de libations de vin. Enfin des animaux ont certainement été sacrifiés et ont
pu être partiellement consommés par les habitants.

De telles découvertes ne sont pas rares. Il faut leur ajouter, parmi les plus exem­
plaires, celles de Rodez ou de Vic-Fezensac. En fait, elles se répartissent sur toute la
région Midi-Pyrénées, entre Agen et Rodez. Caractéristiques de la fin de l' Age du Fer,
elles témoignent de l'activité religieuse sur des sites d'un habitat quasi urbain. Le culte
y apparaît sous des formes assez diverses (dépôts, offrandes, enfouissement, créma­
tion, sacrifice animal, banquet peut-être) qui ne paraissent pas répondre à des règles
strictes. Celui-ci n'est pas non plus centralisé en un lieu remarquab le, comme il l'était
aux époques antérieures et dans régions septentrionales. Il est difficile de savoir, en
l'attente de nouvelles découvertes et de nouvelles fouilles, s'il s'agit d'un phénomène
régional, attribuable par exemple aux peuples aquitains ou s'il s'agit d'une nouvelle
forme de culte, contemporaine de la période de la conquête, et qui se serait traduit par
un véritable éclatement des rites et des lieux.

La résidence aristocratique de Montmartin

Le troisième type de lieu de culte sur l'habitat est encore mal connu, puisqu'il
concerne des résidences dites aristocratiques dont la mise en évidence par les fouilles
archéologiques est toute nouvelle. Nous ne disposons que d'un seul exemple, heu­
reusement explicite et résultat d'une fouille exhaustive. Encore une fois dans la région
de Gournay, à trois kilomètres seulement du sanctuaire, un habitat d'un type bien par­
ticulier vient d'être fouillé. C 'est un enclos de 3 ha fortifié, situé à la confluence de
deux petites rivières. Les quelques maisons découvertes et surtout un riche matériel
d'une nature inhabituelle sur les habitats ruraux permettent d'interpréter l'ensemble
comme une résidence aristocratique, à l'image de celle que César décrit comme la
demeure de Comm l' Atrébate. Devaient vivre ici une famille noble tout entière avec
ses esclaves et probablement sa clientèle guerrière. L'installation la plus remarquable
sur le site est une enceinte de moins d'un ha située à la pointe même de l'enclos géné-

116
En haut : C râne h u m a i n p rove nant d u fossé de l ' e n c l o s c u ltuel de M o ntmart i n ( O i s e ) . En bas : Reconstituti o n d e
l ' a u t e l couvert d e M o ntmarti n (dess i n P. To ussai nt) .

117
ral, appuyé par conséquent sur la confluence des rivières. Cette enceinte est délimitée
par un puissant fossé dans lequel s'est installé assez tôt un mur épais fait de poteaux
de bois et de torchis soigneusement déposé et lissé. La surface intérieure, comme dans
les autres enceintes qui viennent d'être décrites est quasiment vierge de toute structu­
re, à l'exception, sur le point le plus haut, d'un ensemble de fosses et de trous de
poteaux qui est, en modèle réduit, la réplique exacte de l'autel creux de Gournay avec
son évolution en autel abrité. Dans le fossé de clôture, au pied du mur de torchis et
parmi ses débris dans la dernière couche de remplissage, celle de la destruction, un
abondant matériel a été découvert. Ce sont des armes en fer qui ont subi le même trai­
tement que celles de Gournay et une centaine de restes humains, parmi lesquels une
douzaine de crânes.

Ici, grâce à la présence d'une structure dont la nature cultuelle est évidente, l'inter­
prétation religieuse ne fait pas de doute. Elle ne saurait cependant à elle seule rendre
compte des particularités des aménagements de l'enceinte et du matériel qui y fut
découvert. Pourquoi l'autel est-il excentré ? A quoi sert le vaste espace libre de toute
construction à l'intérieur de l'enclos ? Pourquoi cet enclos était-il fermé par un puis­
sant mur, plus défensif que la clôture de l'habitat ? Il faut imaginer que la grande place
servait à des rassemblements de guerriers. La décoration de l'enceinte avec les crânes
coupés et les armes indique non seulement la couleur guerrière de ces assemblées
mais aussi leur nature aristocratique : les crânes pouvaient être soit ceux des ennemis
tués par le groupe, soit ceux d'ancêtres. Enfin, les hauts murs de torchis pouvaient
préserver le secret de cérémonies peut-être initiatiques, en même temps qu'il proté­
geait les guerriers qui, le temps de l'assemblée, étaient particulièrement vulnérables.

L'enceinte de Montmartin ouvre donc la voie à une recherche pleine d'avenir, puis­
qu'elle concerne non seulement le monde religieux mais la sphère du politique, voire
du judiciaire qui lui est connexe. Nous aurons l'occasion de réexaminer ces problèmes
dans le cadre des mises à mort publiques sur des sites ouverts, à Acy-Romance dans
les Ardennes et à Fesques en Seine-Maritime en particulier.

Sanctuaires « marins » et « portuaires »

Ces qualificatifs, au sens ambigu, n'ont d'autre intérêt que de regrouper en un


même ensemble des lieux qui n'ont en commun que d'avoir été visités par des voya­
geurs grecs longeant les côtes de l'Océan. Sur eux nous n'avons qu'une documenta­
tion littéraire, ce qui ne doit pas étonner : les côtes sont un milieu naturel fragile qui a
souffert des fluctuations marines et des aménagements humains, laissant peu de prise
à l'archéologie. Les témoignages proviennent, pour l'essentiel, de Strabon et, dans une
moindre mesure, pour les îles Britanniques de Tacite. Cette littérature devait être
abondante. Du début du ye au Ille siècle, les Grecs n'ont connu de la Gaule que ses
rivages occidentaux et furent fascinés par les étranges mœurs de leurs habitants.
L'exemple le plus célèbre et le plus ancien, qui aux yeux d'Aristote était censé carac­
tériser la folie humaine, cette histoire des Celtes marchant armés contre les flots, est
d'ailleurs, selon toute vraisemblance, un rite mal compris par les observateurs, une
épreuve initiatique ou une ordalie. La fascination pour l'Océan était double, les Celtes

118
En haut : S é p u ltu re de type aristocrat i q u e à Tartigny ( O ise) ( p h oto R . Agache) . En bas : To rq ues, b race lets, m o n ­
n a i e s e n o r p rove nant d e d iffé rents dépôts votifs : M a i l ly-le-Ca m p (Au b e ) , Saint-Lo u i s ( Haut- R h i n ) , M o ntans
(Tarn ) .

119
la partageaient avec les Grecs mais pour d'autres raisons. La mer pour eux était un
domaine divin et l'expression même de la volonté des dieux. Pour les Grecs l'Océan
était une des limites du monde habité, région de confins habitée ou visitée par des
héros ou des populations qui n'étaient plus tout à fait humaines. Les mythiques
Hyperboréens que l'on assimile généralement aux premiers Celtes étaient de celles-là.
La Grèce avaient des contacts religieux avec eux, notamment par l'entremise
d'Apollon qui avait séjourné un an sur leur territoire et auquel on devait l'ambre,
matérialisation de ses larmes quand il pleura Asclépios, si l'on en croit Apollonios de
Rhodes. Du pays des Hyperboréens provenaient aussi des offrandes sacrées qui
étaient déposées au sanctuaire de Délos après long périble chez les peuples du Nord
et chez les Scythes.

Il est évidemment difficile de saisir la réalité de tels contacts qui ont pu être spora­
diques et s'être faits sur de longues distances par une succession d'intermédiaires. Ce
que l'on peut seulement présumer, c'est que les habitants des côtes, par leur habitude
des voyages en mer, par leurs rencontres plus nombreuses avec des étrangers, étaient
plus que tout autre ouverts aux influences extérieures, notamment en matière de
croyances et de rites. C'est la seule explication que l'on peut donner aux étranges his­
toires rapportées par Strabon et que nous avons déj à évoquées, celle des femmes sam­
nites possédées d'un Dionysos celtique ou celle de ces Gallizena, sortes de vestales de
déesses équivalentes de Démeter et de Coré. Tirées de Posidonius et d' Artémidore, ces
deux descriptions, dans leur brièveté, n'en sont pas moins très instructives. Dans les
deux cas (c'est vrai également pour l'île de Mona chez les Celtes bretons), il s'agit de
petites îles, autrement dit de sanctuaires naturels qui n'avaient pas besoin d'être
enclos. Le morceau de terre, comme projeté dans le milieu marin d'essence divine,
devenait sacré sur toute sa superficie. Sur les installations proprement dites les infor­
mations sont plus maigres, probablement parce qu'aucun voyageur n'a pu pénétrer
sur l'une de ces îles et y faire ses propres observations. On sait cependant que
Dionysos disposait d'un temple ou d'un autel abrité muni d'une couverture en végé­
taux, roseaux probablement que la pluie et le vent détérioraient rapidement et qu'il
fallait refaire chaque année.

Le troisième exemple de lieu sacré est plus atypique. Il ne s'agit ni d'une île sacrée
ni d'une île oraculaire mais d'un lieu certainement public, à proximité d'un port et
devant faire face à l'océan. On n'y pratiquait pas de culte à proprement parler mais
une consultation divine étonnante, à mi-chemin entre l'oracle et l'ordalie. Deux cor­
beaux, marqués d'un signe divin (ils possédaient des plumes blanches sur l'aile droi­
te), étaient censés rendre justice et régler les différends. Chaque partie adverse offrait
des gâteaux d'orge aux volatiles. Celle dont les galettes n'avaient pas été mangées
mais dispersées était réputée avoir gagné.

Des temples dans les cimetières, des autels dans les maisons ?

Depuis les fouilles nombreuses et enrichissantes des cimetières de Champagne à la


fin du XIX• siècle, il est habituel de parler de temple funéraire, voire de lieu de culte
héroïque. En effet, les travaux actuels le montrent, dans les grandes nécropoles de

120
Champagne, d'Ardennes et du Soissonnais, aussi bien les plus anciennes du ye siècle
que les plus récentes de la fin de l'indépendance, les bâtiments isoles, souvent impo­
sants par le plan ou par la taille des trous des poteaux, sont courants. Les chercheurs
anciens qui ne connaissaient alors aucun sanctuaire et qui ignoraient tout autant l'ha­
bitat ont naturellement interprété ces constructions qui leur paraissaient exception­
nelles comme des temples dont les poteaux de bois pouvaient évoquer les colonnes de
pierre de leurs homologues grecs et romains.

Maintenant que nous avons une connaissance bien meilleure des authentiques lieux
de culte mais également des formes très variées que prenait l'habitat des Gaulois, on
ne saurait tenir un tel raisonnement et il paraît nécessaire de réexaminer ces struc­
tures. Les fouilles récentes confirment bien le caractère soigné des constructions mais
n'apportent aucun élément nouveau qui soutiendrait l'hypothèse cultuelle, restes
sacrificiels par exemple. Elles montrent, au contraire, que les bâtiments isolés ne se
distinguent pas franchement des installations, peut-être très temporaires, qui sur­
montaient certaines sépultures. D'autres interprétations demeurent donc possibles.
On peut imaginer des maisons destinées à recevoir provisoirement le mort ou à
conserver son effigie. Des salles destinées à réunir un groupe, une famille, un clan ne
peuvent pas non plus être écartées. Mais il ne faut pas non plus exclure des installa­
tions destinées à l'accomplissement de rites funéraires (exposition des morts par
exemple) s'inscrivant dans un culte des morts qui n'est j usqu'à présent attesté ni par
les textes ni de façon indubitable par l'archéologie.

Il faut garder en mémoire cette phrase de César : « Tous les peuples gaulois sont très
adonnés aux choses de la religion » . Elle peut signifier que la religion pénétrait toutes
les activités quotidiennes et avait disposé ses cadres sur tous les lieux de vie. Pas plus
que nous ne connaissons le culte funéraire, nous n'avons de données sur celui de la
famille. Ni dans les textes ni dans les inscriptions, nous ne trouvons des indices qui
pourraient faire penser à l'existence de dieux de la maison, des équivalents des Lares
latins. Il est difficile d'en tirer quelque conclusion que ce soit. La maison et le foyer
sont les lieux les plus inaccessibles pour l'ethnographe, l'absence de mention de pra­
tiques rituelles s'y rapportant ne doit pas étonner. Cependant, la sacralisation de la
maison comme univers de la famille est une conception typiquement romaine dont
rien ne laisse penser qu'elle était partagée par les Celtes, peuples migrants qui n'ont
élu un domicile fixe qu'assez tard. Toutes les informations fort précieuses que livre
César sur la famille gauloise, une certaine indépendance (au moins financière) de
l'épouse, les divisions politiques intestines dans ces familles, les oppositions courantes
entre frères, fils et père, neveu et oncle, ne témoignent pas vraiment du caractère fermé
et solidaire de ces groupes ni du pouvoir incontesté d'un pater familias jouant quasi­
ment auprès des siens le rôle d'un prêtre. Les Celtes se représentaient avant tout
comme les éléments du groupe ethnique, c'est ce dernier qui structurait la société tout
entière. C'est à cet échelon que se pratiquait certainement le culte parental dans son
sens le plus large et qui donnait lieu déjà à des cérémonies collectives, comme le lais­
se imaginer l'enceinte de Montmartin. L'autel dans la maison n'est a priori pas à exclu­
re mais son existence ne pourra être prouvée que par l'archéologie.

121
Trés ors et lacs sacrés

On ne saurait terminer l'examen des lieux du culte sans évoquer une catégorie dont
l'existence est j usqu'à présent peu confirmée par l'archéologie mais qui est attestée par
la littérature antique. Il s'agit des trésors et des lacs sacrés. Ces derniers doivent être
examinés consciencieusement parce que les textes qui les décrivent sont eux-mêmes
précis et détaillés, parce qu'ils suggèrent que les enceintes sacrées gauloises se répar­
tissaient au moins en deux grands ensembles, à l'instar des temples grecs, d'une part
les enceintes-sanctuaires que nous venons de décrire, d'autre part les enceintes-tré­
sors.

L'or de Toulouse

Deux textes concernent ce problème, l'un est de Diodore, l'autre de Strabon. Ils sont
les survivants d'un ensemble d'écrits que nous connaissons de façon indirecte, écrits
qui relataient l'affaire de Cépion qui, au moment de la guerre contre les Cimbres et les
Teutons pilla les richesses de Toulouse et fut accusé d'en avoir détourné une partie
lors de leur transfert à Rome. Deux écoles s'affrontaient quant à l'origine de cet or ;
l'une, représentée par Timagène, l'assimilait à l'or de Delphes pris par les Gaulois en
278, l'autre, défendue par Posidonius, y voyait une production indigène. Les travaux
philologiques du dernier siècle qui ont reconstitué toute une partie de l'œuvre de
Posidonius et qui montrent bien quelles étaient ses méthodes de travail, donneraient
plutôt raison à ce dernier. Les travaux archéologiques les plus récents sur les mines
d'or d'Aquitaine vont dans le même sens : les Gaulois du Sud-Ouest ont produit des
quantités importantes d'or.

Le passage de Diodore est le plus court, il tient tout entier en une phrase. « Dans les
sanctuaires et dans les enclos sacrés on a jeté beaucoup d'or pour le consacrer aux
dieux et personne ne se permettrait de le toucher par crainte des dieux ; cependant les
Gaulois aiment l'argent à l'excès ». Comme on le verra avec le texte de Strabon,
Diodore résume, généralise arbitrairement et ne prend pas position dans la querelle
historique. Deux faits lui paraissent remarquables : qu'on dépose de l'or en grande
quantité dans les sanctuaires et que personne n'y touche. C'est une version encore
plus elliptique que l'on trouve chez César - qui ne mentionne même plus l'or - et qui
fait l'amalgame entre les trophées d'armes et les dépôts d'offrandes. Comme Diodore,
il retient que personne, par superstition, n'ose toucher à ces richesses.

Le texte de Strabon, beaucoup plus long, présente un intérêt infiniment supérieur.


Après avoir présenté la thèse de Timagène qui cherchait probablement à donner une
j ustification au sacrilège commis par Cépion, il résume les informations qu'il a trou­
vées dans l'œuvre de Posidonius. Le trésor de Toulouse s'élevait à 15 000 talents, soit
plus de 400 tonnes. Il était composé d'œuvres d'art mais aussi de lingots d'or et d'ar­
gent. Une partie était déposée dans les lacs, l'autre dans les sanctuaires. Deux raisons
interdisent de croire que ces richesses venaient de Delphes. Le sanctuaire avait été
pillé lors de la Guerre Sacrée et ne devait plus contenir beaucoup d'or lors du passa-

1 22
ge des Gaulois. Par ailleurs, pratiquement tous les Gaulois avaient été massacrés à
Delphes ou lors de leur retour. En revanche, on trouve dans le pays des Tectosages de
l'or à l'état de minerai. Parce que ses habitants sont très religieux et qu'ils ne se sou­
cient pas du luxe, dans ce pays les trésors sacrés sont abondants. A Toulouse il y avait
un sanctuaire très vénéré par les habitants de toutes les régions voisines, il regorgeait
de richesses qui y avaient été consacrées.

L'intérêt du texte tient avant tout à sa précision, que l'on mesure dans l'emploi du
vocabulaire. Or, sur la question des trésors grecs (thesauros) de nature cultuelle,
Strabon sait de quoi il parle, puisqu'il est le seul avec le grammairien Hésychius à
nous donner une définition du mot. S'il emploie ce mot thesauros ou s'il le réutilise
parce qu'il l'a trouvé dans le texte de Posidonius, c'est que ce mot, avec le sens très
particulier qu'il a en Grèce, lui paraît convenir à la réalité gauloise. D'ailleurs, toutes
les caractéristiques de ces trésors gaulois - hormis le fait qu'ils puissent parfois être
immergés dans des lacs - existent en Grèce : lingots de métal précieux mais aussi
œuvres d'art, dépôt dans des espaces sacrés, consécration des offrandes, origine régio­
nale des donateurs, protection divine, etc.

Les trésors de Snettisham

L'existence de tels lieux en France n'a pu j usqu'à présent être prouvée par l'archéo­
logie, au moins de façon directe. Heureusement, en Angleterre une fouille récente, fai­
sant suite à une découverte déjà ancienne, nous donne une image archéologique de
ces trésors qui ne sont rares ni sur le continent ni sur les îles Britanniques mais qui,
souvent à cause de la précipitation de leur prélèvement, n'ont plus de réels contextes.
A Snettisham dans le Norfolk, une région qui dans les derniers siècles de l'indépen­
dance gauloise avait été colonisée par les Belges, a été découverte la plus importante
concentration de métal précieux de l'époque celtique.

Les trouvailles ont été faites dans un enclos sur un terrain qui dans l' Antiquité était
marécageux. L'enclos, marqué par un fossé de palissade puissant, est très vaste, envi­
ron huit hectares. Seule la partie centrale a été explorée ; elle a livré quatorze dépôts
reconnus mais leur nombre doit être beaucoup plus élevé car les travaux agricoles
avaient arasé la partie supérieure de la plupart des ensembles. Ces derniers montrent
une composition et un aménagement variables. Le dépôt F se trouvait dans un réci­
pient de bronze placé dans une petite fosse guère plus grande que lui ; il comprenait
plus de neuf kilos d'objets précieux, 50 torques, 75 brassards ou bracelets, 9 monnaies
d'or et 2 lingots. D'autres dépôts moins volumineux se trouvaient dans de petits trous
d'une vingtaine de centimètres de profondeur, d'un diamètre j uste suffisamment
grand pour qu'on y place des torques.

Au cours des seules campagnes 1 990 et 1991, 75 torques ont été exhumés, les frag­
ments d'une centaine d'autres, environ 1 00 brassards et bracelets, 243 monnaies, soit
au total 40 kilos de métal précieux dont 11 kilos d'or et 16 kilos d'argent. Si on ajoute
à ces découvertes dues à des fouilles scientifiques celles qui sont dues au hasard ou à

1 23
des recherches moins honorables, on arrive à une masse qui, si elle est encore très éloi­
gnée de celle qui nous est décrite pour Toulouse, lui confirme une indéniable réalité.

De l'or pour les dieux

Il est de fait que les dieux gaulois aiment l'or. Les historiens antiques le racontent à
l'envi. La seule offrande matérielle qui soit appréciée par les divinités barbares qui,
dans les textes, semblent ne se repaître que de victimes humaines, est le torque d'or.
C'est généralement un présent en remerciement d'une victoire et peut-être une dîme
calculée sur le butin en or. Il peut faire l'objet d'un vœu avant une bataille, c'est ce que
nous rapporte Florus à propos d' Arioviste qui avait fait une telle promesse au Mars
gaulois. Le torque en or, d'une taille démesurée, est l'attribut des dieux, qu'ils soient
indigènes ou étrangers. Ainsi Catumandus, rapporte Justin, après avoir vu Minerve en
songe, va offrir un tel torque à sa statue dans un temple de Marseille. Plus tard, les
Gaulois offrent à Auguste un torque d'un poids de 1 00 livres, ce qui est bien une
manière de le diviniser.

Les humains portaient-ils de tels ornements ? La question est controversée, car sur
ce point les textes et l'archéologie se contredisent. Jamais des colliers en or ne sont
découverts en sépulture, encore en place sur le cou d'un guerrier, pas plus qu'on n'en
retrouve dans les habitats. Les textes, au contraire, sont précis et issus de plusieurs
sources. La mention la plus fiable est due à l'un des plus grands historiens de
l' Antiquité, Polybe qui dans son célèbre récit de la bataille de Télamon, écrit : « Tous
les combattants des premières formations étaient parés de torques et de bracelets en
or » . Or Polybe tenait ses informations de son prédécesseur, historien comme lui,
Fabius Pictor, qui avait participé à la campagne de Rome contre les Gaulois. La beau­
té et le réalisme de la description de la bataille tiennent pour une grande part à la qua­
lité de tels détails descriptifs, généralement peu courants dans les récits antiques de
bataille. Une autre information précieuse est due à Tite-Live, au livre XXXIII. En 196
les Romains battent les Boïens et totalisent pour leur butin 507 insignes militaires, 432
chariots, et un grand nombre de colliers en or, parmi lesquels s'en trouve un plus
pesant qu'ils offrent au Jupiter du Capitole. Encore une fois, la précision des données
exclut toute affabulation et indique une source, cette fois administrative, archive mili­
taire ou familiale. Enfin, pour signaler que la coutume du port de torques en or n'était
pas réservée aux seuls Gaulois cisalpins, citons encore Eutrope qui indique que lors de
la conquête du midi de la Gaule, les Romains firent sur l'armée de Bituit un énorme
butin de colliers.

La découverte récente d'un torque en or parmi les dépouilles humaines du trophée


de Ribemont donne raison aux sources antiques. Ce torque massif et serré près du cou
fut porté par un guerrier qui mourut au combat et dont la tête fut ensuite prélevée par
son meurtrier. Néanmoins la parure précieuse ne fut pas gardée par le vainqueur qui
la rapporta dans le domaine divin avec le reste des dépouilles. Pour solenniser ce don
ou, tout au moins, pour le rendre inaliénable, on le découpa à l'aide d'une pince. Il est
difficile d'imaginer meilleur exemple du pouvoir sacré de ces torques en or.

1 24
Trésor découve rt à M a n c h i n g ( Bavi è re ) : 487 statères et l i n g ot de 2 1 7 g d ' o r.

125
Les insignes d'or « inamovibles » de l' Athéna insubre

De cette réalité duelle il faut tirer les conséquences et résumer les faits de cette
manière : les guerriers portaient ostensiblement des parures en or au combat ; selon
toute probabilité ils ne pouvaient les conserver chez eux ni dans leur ultime demeure ;
en revanche les dieux se voyaient offrir les plus beaux et les plus pesants de ces col­
liers ou quelquefois, si on en croit l'exemple de Snettisham, des quantités importantes
de parures de tous ordres. Qu'en conclure ? Tout d'abord que l' or est un attribut divin.
Polybe une fois encore nous renseigne à ce propos. Il s'agit des Insubres qui en 223-
222 face à la menace exceptionnellement grave que représente l'attaque romaine « se
décident à sortir du sanctuaire d'Athéna les insignes d 'or dites "inamovibles" » . Cette
phrase pose un certain nombre de problèmes de traduction. Quel est le sens, mais
aussi la graphie du mot sémaïa généralement retenu par les manuscrits mais qu'on
trouve aussi sous la forme semeïa ? « Enseignes, étendards » ou « insignes, symboles » ?
Le français avec le faux doublet « enseigne, insigne » indique bien la facilité des glis­
sements sémantiques. Autre difficulté de la traduction : quel est le sens du mot kathe­
lontes généralement rendu par un commode « retirer », justifié plus par le complément
de lieu qui suit, ek tau hierou que par le verbe lui-même dont le sens premier est « faire
descendre, abaisser, abattre ». Doit-on comprendre que ces insignes étaient installées
en hauteur, soit sur des poteaux, soit sur une représentation divine ?

Il est clair en tout cas, d'une part, que ces insignes représentaient l'essence même de
la divinité, d'autre part qu'elles n'étaient pas les seules à l'incarner. Si celles-ci s'appe­
laient « les inamovibles », ce qui doit être la traduction mot à mot du terme gaulois, ce
nom sous-entend qu'il en existait d'autres qui, elles, pouvaient être déplacées et,
s'agissant d'Athéna, on imagine aisément la nature de ces déplacements. Si l'on met
bout à bout tous ces faits, on entrevoit un rapport complexe entre les dieux et les guer­
riers, un commerce symbolique transitant par ces objets et dont la force résidait peut­
être en leur caractère mouvant. Il est possible que la force divine contenue dans ces
symboles ait été déléguée pour un temps dans des circonstances bien précises, dans
des combats par exemple où il semblait que ce n'étaient plus seulement les hommes
qui s'affrontaient mais à travers eux les divinités. Ce problème sera examiné dans la
cinquième partie de l'ouvrage, notamment à travers la légende de Torquatus Manlius.

Le torque de Mailly-le-Camp

Mais revenons au problème qui nous intéresse ici, celui des trésors sacrés dont
l'existence est clairement attestée par deux auteurs de langue grecque, Posidonius et
Strabon, qui l'un et l'autre étaient conscients que la description qu'ils en faisaient ren­
voyait le lecteur à une réalité grecque. Doit-on penser que les trésors et les lacs sacrés
en Gaule jouaient le même rôle que les trésors de Delphes ou de Delos ? Sur cette ques­
tion non négligeable nous restons tributaires de trois données, le texte de Strabon,
l'exemple de Snettisham qui l'un et l'autre viennent d'être évoqués et une découverte
ancienne, celle du torque de Mailly-le-Camp .

1 26
L' u n e des rares enseignes m i l ita i res g a u l o ises découvertes, correspon dant aux i m ages m o n étaires : san g l i er sty­
l i s é , S o u lac-s u r- M e r ( G i ro n d e ) .

1 27
Le torque de Mailly-le-Camp par ses dimensions, son poids et son décor est une
pièce exceptionnelle mais qui ne se distingue pas vraiment des autres torques en or
connus, ceux de Saint-Louis, de Pommerœul, de Frasnes-les-Buissenal, etc. Comme la
plupart de ces autres pièces, il a été découvert dans des circonstances et dans un
contexte douteux qui interdisent toute analyse directe sur sa fonction, son origine ou
sa datation. Il présente cependant une particularité notoire qui en fait une pièce de
grande valeur dans l'étude des témoignages religieux. Il porte sur sa face interne plu­
sieurs graffitis dont un seul est lisible, en écriture grecque, nitiobrogeis . On reconnaît
sans peine le nom d'un peuple gaulois, Nitiobroges ou Nitiobriges, situé dans la
région d'Agen. Or cette seule mention est en soi précieuse, car il s'agit, à coup sûr, du
nom des dédicants. Le torque ayant été découvert dans le département de l'Aube, soit
à près de 600 kilomètres du siège du peuple qui l'a offert, on est tenté de voir dans cet
objet le représentant d'un de ces trésors dont parle Strabon. C'est l'analyse qui a été
faite récemment par Christian Goudineau. Et les faits qui ont été recueillis et présen­
tés plus haut, donnent toute raison d'y souscrire.

On est donc fondé à croire que les peuples gaulois mais peut-être aussi certains rois,
certains nobles constituaient des trésors qu'ils plaçaient sous les auspices de tel ou tel
sanctuaire renommé et parfois très éloigné. Ces trésors pouvaient provenir de butins
guerriers ou être fabriqués à partir de ces butins et revenir à la divinité comme en un
juste retour des choses. Tite-Live au Livre XLIV, 26, donne une bonne idée des quan­
tités considérables d'or qui passaient entre les mains des guerriers. Des Celtes d'Illyrie
offrent leurs services à Persée, sur les bases suivantes : il lui sera réclamé dix pièces
d'or pour chaque cavalier, cinq pour chaque fantassin et mille pour leur chef. De tels
chiffres rendent parfaitement crédible l'estimation du trésor de Toulouse. Chaque
expédition de mercenaires devait se traduire par un gain de plusieurs centaines de
kilos d'or. Et on imagine aisément qu'une bonne partie de ces richesses devait revenir
aux dieux qui avaient conduit à la victoire, c'est ce qu'exprime Strabon quand il dit
qu'elles ont été consacrées (anatithenton) . Ces enceintes-trésors et ces lacs sacrés pré­
sentaient également d'autres avantages : on pouvait y déposer de l'argent en toute
quiétude, les dieux et le peuple gérant du sanctuaire se chargeaient de la surveillance.
Mais le rôle certainement le plus habituel de ces lieux devait être de recueillir des
témoignages d'amitié qu'un peuple immortalisait ainsi en faveur du peuple gardien
du sanctuaire, ou en faveur de la divinité l'habitant et dont on espérait obtenir les
bonnes grâces. Les relations parfois lointaines entre les peuples celtes trouvaient cer­
tainement leur ferment dans ces lieux divins qui leur donnaient aussi les moyens de
s'épanouir.

Sanctuaire s, p anceltisme ou celtisation

Dans les premières décennies du XXe siècle, quand l'archéologie commençait à


mettre en évidence, sur la plus grande partie de l'Europe continentale, les traces des
civilisations celtiques, un concept s'est fait jour, aujourd'hui fort délaissé, le panceltis­
me. Cette théorie, en fait, n'eut pas même le temps de se construire : les instruments

128
comme la matière lui manquaient. Le seul développement intéressant qu'elle connut
fut celui que lui donna Henri Hubert qui voyait dans le druidisme l'exemple des ins­
titutions panceltiques et par « institution » il entendait le langage conceptuel, au sens
où Emile Benveniste l'a étudié à l'échelle indo-européenne. Pour H. Hubert le sacer­
doce druidique donnait l'image idéale des relations les plus profondes qui se
nouaient, en dépit des ethnies, des frontières et des rivalités, entre tous les Celtes. Une
vingtaine d'années plus tard, en 1948, Joseph Vendryes qui fut le premier à avoir
reconnu les correspondances de vocabulaire et par conséquent de conceptions et de
rituels entre Celtes et Hindous, partageait encore le point de vue d'Hubert. Mais en
France c'était le dernier soupir d'une théorie qui ne résista pas au voisinage - tout au
moins lexical - du pangermanisme, théorie politique dont on connaît les ravages.

Si deux des plus géniaux historiens de la civilisation celtique ont reconnu une cer­
taine efficience à une théorie dont ils pouvaient mesurer mieux que d'autres l'exploi­
tation perverse qu'on pouvait en faire, c'est de toute évidence que les faits archéolo­
giques et linguistiques résistaient à la critique idéologique. Aujourd'hui, à la fin du
même siècle, il est possible de jeter un regard serein sur les relations entre les lointains
Celtes européens, en même temps que sur les rêves de nos maîtres en celtologie.

Il n'y a évidemment aucun intérêt à ressusciter une théorie comme celle du pancel­
tisme. Son imprécision la rend inapte à rendre compte, dans sa richesse, du phéno­
mène étonnant que représente l'universalisation d'une culture celtique à l'échelle de
l'Europe dans les trois derniers siècles qui ont précédé notre ère. Elle présente, de sur­
croît, comme on l'a vu, des risques de confusion avec des notions qui n'ont que les
plus lointains rapports avec elle, pangermanisme mais aussi panhéllenisme. En
revanche, il convient de s'interroger sur les raisons de cette extraordinaire diffusion
qui a fait rivaliser dans les Carpathes et sur les bords de la mer Noire la culture cel­
tique avec la civilisation hellénistique.

Certes, ce n'est pas dans le cadre d'un tel ouvrage qu'on peut résoudre un problè­
me dont le seul exposé nécessite l'étude des civilisations antérieures, une synthèse des
structures sociales et le tableau des manifestations artistiques. Autrement dit, à ce
stade de la recherche, les raisons profondes d'un tel mouvement nous demeurent inac­
cessibles. En revanche, l'étude qui nous occupe, celle de la religion, nous révèle
quelques moyens - mais ce sont peut-être les plus puissants - qu'a pu prendre cette
cel tisa tion.

Henri Hubert, on l'a dit, était fasciné par le fait que le druidisme semblait avoir lais­
sé des traces sur toutes les terres que les Celtes avaient conquises, ainsi que par la
mobilité des druides qui n'hésitaient pas à franchir la Manche pour aller chercher dans
quelque antique école un regain de pureté à leur doctrine. Aujourd'hui il faut tempé­
rer ce bel enthousiasme. Les druides paraissent absents de l'Espagne et de l'Italie, rien
n'indique explicitement qu'ils aient été présents chez les Galates et chez les peuples
danubiens. Le sacerdoce des druides vu comme une « institution panceltique » doit
être sérieusement remis en cause. En revanche, voir en lui « le ciment de la société cel-

129
tique » est une hypothèse qu'il faut conserver au moins provisoirement et à titre d'ou­
til, parce qu'elle peut participer à l'explication de réalités que l'archéologie met en évi­
dence.

Les sanctuaires sont actuellement le meilleur exemple d'une telle réalité qui demeu­
re pour nous énigmatique. Comparés aux autres types de vestiges, les différentes
formes de l'habitat, la fortification, les sépultures . . . , ils présentent une particularité
tout à fait remarquable : leur matériel n'est pas seulement abondant, comme il a été
indiqué à de multiples reprises, il est exceptionnellement diversifié. Le sanctuaire de
Gournay nous en donne une image éloquente. La collection d'armes qui y a été exhu­
mée offre une sorte de résumé de la totalité de la production celtique entre le IVe et le
le' siècle, de la mer Noire à l'Atlantique. Tous les types connus sont présents mais aussi
tous les styles. Dans l'état des recherches, encore embryonnaire pour ce qui est de
l'origine et de la diffusion des objets manufacturés, il est prématuré, voire erroné, de
traduire cette diversité des armes par une diversité d'origines. En effet, les historiens
de l'art celtique ne parviennent pas encore à isoler des ateliers de production, à partir
desquels il serait loisible de tracer des voies de diffusion, par le commerce ou par la
copie. Quoi qu'il en soit, une telle variété ne trouve pas d'explication dans le seul com­
merce ou la rencontre hasardeuse entre des belligérants venus des confins du monde
celtique. Le caractère « celtique » des objets rencontrés dans ces sanctuaires est d'au­
tant plus remarquable que les installations cultuelles sont établies dans des régions
qui auparavant n'apparaissaient pas comme franchement celtisées. Celles-ci mettront
d'ailleurs un certain temps à le devenir, pendant lequel les lieux de culte font figure
d'isolats. Tout se passe comme si les sanctuaires étaient les têtes de pont d'une celti­
sation qui s'installe, plus par le truchement des rites et des croyances que par la guer­
re et le commerce.

Là réside probablement l'explication de la situation paradoxale des grands sanc­


tuaires, où on ne les attendrait pas, toujours aux marges des territoires. Dès leur ori­
gine, ils ont été conçus comme des établissements communs à des tribus, liées par leur
appartenance à une civitas, à une confédération. Mais leur rôle international a pu se
développer très tôt et prendre des formes qu'on peut seulement soupçonner. De la
céramique d'origine armoricaine à Gournay, des objets de bronze provenant de
Rhénanie ou de Bohème à Ribemont supposent des relations à plus grande distance,
qui ne sont pas forcément d'ordre guerrier ou politique. Elles traduisent peut-être sim­
plement une amitié ou une complicité religieuse. Les sanctuaires celtiques, tout fermés
et secrets qu'ils étaient, étaient des lieux de rencontre pour les grands du monde, rois,
prêtres et nobles. Asiles au sens grec du terme ils se prêtaient, derrière les échanges les
plus matériels, ceux qui s'expriment par la richesse, à un commerce entre les hommes
où les dieux étaient toujours présents.

1 30
LE CULTE ET LA DIVINATION

Objets c u lt u e l s découverts dans u n e s é p u l t u re de Tartigny ( O i s e ) .

131
Si l'étude des lieux de culte nous renseigne sur la situation de la religion à l'inté­
rieur de la société, celle des rites, au contraire, donne accès à la psychologie de l'indi­
vidu, aux structures mentales. La description littéraire, qu'elle soit antique ou non, a
plus de facilité à traiter des premiers que des seconds. L'observation tout d'abord en
est plus facile : les éléments architecturaux sont statiques, tandis que les rites, par
essence, sont éphémères, souvent complexes et rapides. De nos jours encore, les eth­
nographes, pourtant armés de grilles méthodiques d'observation, doivent recourir à
des techniques modernes, photographie, cinéma, enregistrement, pour fixer sur des
documents la succession de gestes, de paroles et de musique qui s'enchaînent inéluc­
tablement. On comprend pourquoi les géographes de l'Antiquité n'ont pu nous livrer
une documentation utilisable en ce domaine. Face à une série de gestes dont il ne com­
prenaient pas forcément la finalité, soit ils notaient les plus marquants, soit ils s'inter­
rogeaient sur leur sens, soit ils les comparaient à des pratiques plus ou moins simi­
laires de leur propre culture. Aucune des solutions envisagées par eux ne nous paraît
auj ourd'hui satisfaisante. Mais il nous faut reconnaître qu'il nous a fallu attendre le
xxe siècle pour bénéficier de descriptions raisonnées de rituels.

L'archéologie, heureusement, ouvre d'autres perspectives. L'examen des vestiges


dans leur contexte spatial permet d'établir des relations entre les vestiges eux-mêmes
d'une part, et d'autre part des relations entre ces vestiges et l'ensemble auquel ils
appartenaient initialement (ensemble anatomique animal ou humain, panoplie
d'armes, céramique, statue, etc . ) . Ces relations sont de différents ordres : de cause à
effet (manipulation directe : découpe, bris, feu, manducation, transport, etc.), acciden­
tel (déplacement involontaire, piétinement, destruction naturelle, pourrissement),
d'origine animale (terrier, vers, escargots, manducation, déplacement, etc . ) .
L'établissement d e ces relations permet d'une part l a mise e n évidence d e gestes
humains volontaires qui s'inscrivent dans l'étude des rites, d'autre part l'observation
du comportement physique de ces restes qui nous renseigne sur leur insertion dans le
lieu de culte et dans le temps.

Cependant il ne faut pas se méprendre sur ce qui pourrait apparaître comme un


ambitieux programme de recherche. L'examen des vestiges sacrificiels ou cultuels, au
sens large, permet la mise en évidence de gestes simples, il ne parvient pas toujours à
mettre en ordre la succession de gestes, succession qui est j ustement ce qu'en langage
d'ethnologie religieuse on appelle un rituel. Mais, surtout, ce type d'étude objective
sur des restes matériels et inertes ne nous documente en rien sur le sens que les
hommes qui les pratiquaient donnaient à leurs gestes, ni sur ce qu'ils en attendaient.
Il s'agit d'un autre ordre d'analyse, subjectif celui-là, où les textes des historiens et
géographes antiques peuvent prendre place au côté d'autres approches indirectes (ico­
nographie, réinterprétation, comparaison . . . ) .

Le s acrifi c e animal

Le sacrifice animal est actuellement la pratique cultuelle la mieux attestée sur les
sanctuaires gaulois. Elle est aussi la mieux connue. Les raisons en sont assez simples.

1 32
S u ovéta u r i l e (sacrifice d ' u n p o rc , d ' u n m o uton et d ' u n tau reau ) . Le sacrifice a n i mal en G a u l e ne d evait pas beau­
coup d iffé re r d e ce q u ' i l était à Rome. ( M u sée du Louvre ) .

133
Sur les lieux de culte du nord de la Gaule, les ossements sont bien conservés. L'os,
qu'il soit animal ou humain, est un riche support d'informations, informations
directes (traces qu'il porte : de découpe, de décamisation, de mise à mort, de mandu­
cation, de séjour prolongé à l'atmosphère, etc.) ou indirectes (rapports avec l'ensemble
anatomique qui indiquent des problèmes de déplacement, de conservation différen­
tielle, de pourrissement, etc.). L'os raconte donc à lui seul une partie de l'histoire de
l'individu auquel il appartenait : âge, sexe, morphologie, travail, mise à mort, dépeça­
ge, découpe, consommation. En revanche, il ne nous dit pas si la bête avait une robe
blanche ou noire - ce qui n'est pas sans intérêt pour les cultes que nous étudions -, si
elle avait un statut particulier (sacré, dépendant d'un lieu de culte), si elle avait fait
l'objet d'un achat collectif ou non, si au contraire elle constituait un don, considéra­
tions non négligeables si l'on prend en compte la valeur marchande que représen­
taient des bovidés ou des chevaux.

Curieusement, les textes sont quasiment muets sur ce type de pratique qui s'avère,
de très loin, la plus courante (tout au moins celle qui a laissé les traces les plus abon­
dantes) sur tous les lieux de culte fouillés jusqu'à présent. L'explication en est simple
et permet de relativiser la valeur de ces témoignages en matière de rite : il semble que
tous les auteurs qui abordent la question religieuse à propos des Gaulois, César,
Diodore, Strabon, Lucain omettent volontairement de décrire le sacrifice animal qu'ils
sous-entendent tous par ailleurs. César écrit : « les druides s'occupent des sacrifices
publics et privés » , il ne peut évidemment s'agir que du sacrifice animal. Quand
Strabon rapporte que sur une île de Bretagne on fait des sacrifices à Déméter et Coré,
semblables à ceux qui se font dans l'île de Samothrace, on ne peut imaginer autre
chose qu'une forme particulière de sacrifice animal. Quand il qualifie les vates de hie­
ropoioï, on doit comprendre également qu'il désigne en eux ceux qui accomplissent
matériellement de tels sacrifices. Pour ces auteurs ou pour les informateurs sur les­
quels ils se sont appuyés, les différents types de sacrifice animal pratiqués par les
Gaulois leur paraissaient si banals qu'ils n'ont pas jugé bon de les décrire. On s'en per­
suade aisément quand on étudie le sacrifice animal sur le site où il s'est le mieux révé­
lé, celui de Gournay : que ce soit dans le choix des animaux, dans les formes de mise
à mort ou dans le traitement post-mortem, les parallèles avec les pratiques romaines ou
grecques sont tellement évidents qu'un voyageur les contemplant aurait pu imaginer
avoir affaire à une copie plus ou moins bien comprise de rites romains ou grecs. On ne
doit pas oublier que, dans la droite lignée d'Hérodote, tous ces ethnographes de for­
tune cherchaient avant tout l'exotisme, ce qui faisait décalage avec leur propre cultu­
re et qui pouvait renforcer l e lecteur dans sa conscience d'appartenir à la meilleure des
civilisations. C'est pourquoi les uns et les autres parlent surabondamment (en tout cas
de façon disproportionnée par rapport à la réalité) du sacrifice humain. Cette attitude
ne s'exerce pas seulement à propos des Gaulois, elle est systématiquement adoptée
pour les peuples non-grecs puis non-romains.

Animaux sauvages et bétail


Cette quête de l'exotisme et le relatif mépris pour les réalités plus ordinaires qui
l'accompagne aboutissent parfois à des contresens. Strabon évoque ainsi un kolossos,

1 34
une représentation de taille gigantesque faite de bois et d'osier dans laquelle on enfer­
mait bêtes sauvages, bétail et humains avant de l'enflammer. Or il es t tout à fait extra­
ordinaire - et c'est l'un des grands apports de l'archéologie cultuelle gauloise de
l'avoir établi - qu'on ne rencontre jamais sur aucun lieu de culte des restes d'animaux
sauvages. Il faut donc croire que l'informateur de Strabon n'a pas assisté à la scène
mais qu'il a observé, selon toute probabilité, des restes détruits, ossements et bois brû­
lés, et qu'il a cru reconnaître dans les premiers des ossements humains, des ossements
animaux et ceux de bêtes sauvages. Or, il faut se méfier des connaissances anato­
miques des historiens comme de celles de nos actuels archéologues : le mythe répan­
du du caractère sacré du sanglier fait reconnaître cet animal dans bien des ossements
qui sont ceux de porcs parfaitement domestiqués et néanmoins porteurs de défenses.
Les ossements d'animaux sauvages, victimes de la chasse, ne se rencontrent, et enco­
re en petit nombre, que sur l'habitat. Strabon, en réalité, résume de façon incomplète
un texte plus substantiel qui se trouvait chez Posidonius que Diodore et César ont éga­
lement rapportés, chacun à sa façon. Le folkloriste Mannhardt, en procédant à une lec­
ture croisée des trois auteurs, a restitué le texte original et montré que ces sacrifices
étaient réalisés dans le cadre d'une grande fête qui se renouvellait tous les cinq ans.
Elle consistait, entre autres, a sacrifier à une divinité des prémices de tous les trou­
peaux, autrement dit une part qui revenait de plein droit à cette divinité, part préle­
vée sur chaque nouvelle génération.

L'omniprésence de l'animal domestique parmi les restes sacrificiels est lourde de


sens. Elle indique que les Gaulois, en ne sacrifiant que des animaux domestiques,
s'inscrivent parmi les peuples civilisés qui ne mettent à mort que les représentants de
leur propre production. Elle situe le sacrifice animal gaulois dans la droite lignée indo­
européenne qui codifie et hiérarchise le sacrifice animal. En Inde les pasu (animaux
domestiques propres à être sacrifiés) étaient dans l'ordre hiérarchique : l'homme, le
cheval, le bœuf, le mouton et le bouc. A Rome, la liste est la même, à deux exceptions
près : le sacrifice humain est exceptionnel et le bouc est remplacé par le porc. Nous le
verrons, la liste gauloise est calquée sur celle de Rome avec une exception, l'ajout du
chien.

Le sort réservé à l'animal domestique s'inscrit donc dans un ensemble de concep­


tions qui expliquent le rôle de l'homme dans la nature et les rapports entre nature et
culture placés dans une perspective théologique : l'homme ne peut offrir aux dieux
que ce qu'il a ou entièrement ou partiellement produit. Ces croyances, comme on vient
de le voir, sont probablement d'origine indo-européene. Elles sont en tout cas anté­
rieures à la création des grands sanctuaires qui dès leur origine respectent ce schéma
sacrificiel. Au-delà, elles traduisent également un ensemble de croyances concernant
le monde animal sauvage sur lequel il ne nous reste que de maigres documents.

L'un de ceux-ci mérite pourtant notre attention. On le doit à l'historien grec Arrien.
Celui-ci rapporte les mœurs cynégétiques des Celtes du premier siècle après J.-C. et
notamment cette curieuse coutume. Chaque année ils offrent un sacrifice à Artémis, la
déesse de la chasse. Ils tuent une chèvre, un mouton ou un veau qu'ils ont acheté à l'ai-

1 35
de d'un petit trésor qu'ils ont constitué tout au long de l'année. Chaque animal tué à
la chasse oblige le chasseur à verser une amende, une obole pour un liè re, un drach­
me pour un renard, quatre drachmes pour un chevreuil. Les historiens de la religion
ont surtout retenu de ce récit que les chiens étaient conviés à festoyer avec leurs
maîtres après avoir été couronnés. Ce détail indique, en effet, la haute estime que les
Gaulois accordaient à certains de leurs chiens. Mais peut-être ne s'agit-il que d'une
évolution tardive du rite. Ce qui me paraît remarquable, en revanche, c'est la signifi­
cation évidente cette fois, puisqu'elle est traduite sur un rapport monétaire, du sacri­
fice d'un animal domestique. Celui-ci est destiné à dédommager en quelque sorte
Artémis (ou plutôt son équivalente celtique) des larcins que l'homme a effectués sur
le troupeau des animaux sauvages dont elle a la charge. Autrement dit - et pour
reprendre les termes de César qui expliquent de cette façon la conception gauloise du
sacrifice, humain notamment - le sacrifice d'un animal domestique doit racheter la
mort des animaux sauvages.

On a là très vraisemblablement la trace du caractère sacré de l'animal sauvage.


Cette sacralité interdisait certainement de le tuer, sinon dans des circonstances pré­
cises, et il est vrai, comme il a été noté plus haut, que les restes de produit de la chas­
se sont assez rares sur les habitats, notamment ceux des grands animaux, sanglier,
cerf. L'animal sauvage comme les végétaux participaient directement du monde divin.
Chaque prélèvement de ce capital divin sur terre répondait à des règles et faisait l' ob­
jet d'une contrepartie. Il faut croire que la chasse par conséquent, comme dans beau­
coup d'autres sociétés antiques, était réservée à la noblesse qui avait une plus grande
proximité avec les dieux que le reste du peuple et qui pouvait s'offrir financièrement
ce luxe.

Cette appartenance divine faisait de chaque bête sauvage un animal sacré et il est
vain de vouloir, comme cela a été tenté, privilégier telle espèce au détriment des
autres. Les quelques fragments, les échos lointains de la mythologie celtique qui sont
parvenus jusqu'à nous font une place particulière au sanglier, représentant de la force
et figurant sur les enseignes guerrières, au cerf symbolisant également la puissance
virile, au corbeau, oiseau de guerre également et de mort, au serpent, animal chtho­
nien par excellence. Mais il est clair que chaque animal avait un rôle soit auprès des
dieux, soit dans la mythologie ou encore dans la magie.

Des taureaux contre du gui

La seule description que nous possédons du sacrifice animal, nous la devons à Pline
dans un texte qui a déj à été évoqué, celui de la cueillette du gui. Quand un chêne por­
teur de gui a été repéré, à une date précise de l'année, le sixième jour de la première
lune, un sacrifice et un festin rituel sont préparés sous l'arbre. On amène alors deux
taureaux dont la robe est blanche et dont les cornes sont liées pour la première fois,
c'est-à-dire qu'ils n'ont j amais travaillé mais qu'ils sont en âge le faire, autrement dit
ils sont dans la fleur de l'âge. Quand le gui est coupé, on immole les deux victimes. Le
gui est censé rendre la fertilité à tout animal stérile ; il est aussi un contrepoison.

136
On ne reviendra pas sur la symbolique très forte de ce rituel qui se traduit par des
équivalence de couleurs, de formes et de pouvoir naturel. On observera seulement ici
la nature de ce sacrifice animal qui s'exprime par la couleur blanche des victimes, leur
jeunesse et la consommation dont ils font l'objet. Il s'agit d'un sacrifice de commensa­
lité s'adressant à une divinité ouranienne qui de son Olympe céleste a laissé choir le
gui sur quelque chêne. Il est probable, puisque l'auteur n'éprouve même pas le besoin
de le préciser, que les chairs des animaux sont brûlées, au moins celles qui par la
fumée vont rejoindre celui ou ceux à qui s'adresse le sacrifice.

Dans sa forme liturgique, ce sacrifice est tout à fait similaire à ceux de la Grèce ou
de Rome. C'est d'autant plus intéressant que le sacrifice de commensalité entre les
hommes et les dieux est celui que l'archéologie a le plus de mal à mettre en évidence.
Pline nous donne aussi des détails que l'archéologie ne peut pas toujours fournir, sur
la couleur des bêtes par exemple.

Les restes animaux sur les sanctuaires

Les os animaux sont fréquents sur tous les lieux de culte fouillés dans le nord de la
Gaule, dans des quantités variables. Mais leur intérêt dans le cadre d'une étude des
rites cultuels n'est pas dépendant de la quantité, il l'est au contraire de la situation de
ces restes parmi les structures architecturales et de leur conservation. En d'autres
termes, les os animaux, à l'instar des offrandes, sont d'autant plus riches d'informa­
tions qu'ils sont proches dans l'espace et dans leur état des gestes proprement rituels,
ceux de la mise à mort, du dépeçage, de la découpe culinaire ou du pourrissement.

Dans la très grande majorité des cas, les vestiges rencontrés ne présentent pas des
cas de figure aussi favorables. Ils offrent l'aspect habituel des reliefs culinaires que l'on
rencontre sur tous les habitats : os souvent très fragmentés par la découpe ou le bris,
laissés à la surface du sol où ils sont devenus erratiques ou rejetés dans des fosses
comme en des poubelles. Ils témoignent alors avant tout d'une consommation sur les
modalités de laquelle on s'interroge. Les animaux ont-ils fait l'objet d'un festin com­
munautaire dans l'enceinte du sanctuaire ? Une part était-elle réservée à la divinité ?
Est-ce la totalité du corps de la victime qui était consommée sur place ? Ou au contrai­
re l'espace sacrificiel servait-il de boucherie sacrée, la plus grande partie de la bête
étant emportée par son propriétaire sur son lieu de vie ? La fragmentation des os et la
mauvaise représentation de l'ensemble anatomique ne permettent pas souvent de
répondre à ces questions.

Dans leur relatif mutisme ces restes indiquent cependant quels types d'animaux
entraient dans le sanctuaire et dans quelle quantité. Ce ne sont, comme on l'a vu, que
des animaux domestiques, bovidés, ovins, porcins et chiens. Les moutons et les porcs
sont en général les plus abondants. Mais chaque sanctuaire offre une représentation
qui lui est propre. A Gournay, parmi les animaux consommés, le mouton dominait. A
Bennecourt, c'est le porc. Sur tous les sites, le chien a été consommé dans des propor­
tions non négligeables.

137
Ces reliefs de repas qui ressemblent à s'y méprendre au contenu de bien des
« fosses-dépotoirs » d'habitat posent pourtant problème. Qu'ils soient demeurés à la
surface du sol ou qu'ils aient été enfouis dans des fosses, ils se trouvent à l'intérieur
de l'enceinte sacrée dans le domaine de la divinité. Leur présence a donc un sens qu'il
convient d'interroger. Pour cela il faut se tourner vers les deux sites les mieux étudiés,
ceux de Gournay et de Ribemont. A Gournay, tous les os animaux se trouvent rejetés
à la périphérie du sanctuaire dans le fossé de clôture, ils y côtoient des offrandes
métalliques qui furent préalablement exposés en l'honneur des dieux. Ce fossé fait
donc figure d'immense dépotoir, sacré néanmoins. Les os présentant des traces de
consommation appartiennent au mouton, au porc et au chien. Un examen plus précis
révèle qu'il s'agit dans une très grande proportion de restes correspondant à des
épaules d'agneaux et à des gigots de jeunes porcs, autrement dit à des viandes de
grande qualité. A Ribemont, dans les quelques décennies qui ont précédé le début de
notre ère, les restes d'animaux consommés proviennent également pour leur plus
grande part du fossé de clôture. Cependant, à la différence de celui de Gournay, le
fossé de Ribemont était déj à comblé et les os animaux ont été découverts à l' emplace­
ment de poteaux arrachés. On doit donc croire que ces restes avaient été appuyés
contre la clôture et qu'ils s'enfouirent naturellement au moment du démontage de
celle-ci. Mais, en gros, la situation est la même qu'à Gournay, les os ont été repoussés
jusqu'aux limites de l'aire sacrée. Il s'agit là, et dans une très grande proportion, de
crânes de porcs fendus en deux. Peut-on imaginer que sur ces deux lieux de culte on
ait abandonné à la vue des pratiquants et sur le sol de la propriété divine les déchets
d'une consommation humaine ? Il faut croire, pour le moins, que ces viandes sélec­
tionnées avaient fait l'objet d'un festin partagé par les hommes et les dieux.

Chaque dieu avait ses propres goûts culinaires. La divinité qui veillait sur l'encein­
te de Ribemont appréciait les cervelles de porcs. Ce choix est généralement assez
exclusif et le reste de l'animal n'a pas été conservé dans les limites de l'aire sacrée.
Aussi sommes-nous privés des moyens de restituer le mode de mise à mort, de com­
prendre le partage qui s'effectuait entre mortels et immortels.

Le sacrifice chthonien du b œuf

Heureusement, il n'en va pas de même pour l'autre forme de sacrifice que dans le
langage de l'histoire des religions on nomme « chthonien » . Cette désignation est issue
d'une analyse déjà ancienne des sacrifices grecs que les lexicographes et les scholiastes
répartissaient en deux classes, division un peu idéale que faisait déjà Platon dans Les
Lois . La première regroupe les sacrifices propitiatoires et les rites d'action de grâce des­
tinés à des divinités plutôt bienveillantes et généralement situées dans le ciel. On peut
les appeler « ouraniens ». La seconde comprend les rites qui s'adressent aux morts,
aux héros et aux divinités infernales que l'on situe sous terre, les dieux chthoniens. Par
une généralisation un peu abusive qui s'appuie sur une ressemblance dans les formes
matérielles du sacrifice, ces rites sont appelés « chthoniens » .

1 38
On peut appliquer dans ces grandes lignes cette distinction aux sacrifices gaulois.
Ceux de commensalité qui viennent d'être évoqués sont assimilables sans difficulté
aux sacrifices de la première catégorie. Nous allons voir maintenant que la deuxième
catégorie était également représentée, au moins dans ses formes, sans que l'on préju­
ge d'une similarité possible entre dieux chthoniens grecs et dieux infernaux gaulois.

Le meilleur exemple nous est donné par le sacrifice du bœuf sur le sanctuaire de
Gournay. La fouille exhaustive de l'enceinte sacrée, la bonne conservation des struc­
tures cultuelles et la découverte de nombreux ensembles anatomiques appartenant au
bœuf permettent de retracer les grandes lignes de ce rituel qui, déjà dans cette recons­
titution, apparaît fort complexe. Le sacrifice a lieu près d'un autel typiquement chtho­
nien, un autel creusé dans le sol. Un bœuf - mais ce peut être aussi un taureau ou une
vache - généralement très âgé, voire sénile, est conduit jusqu'au bord de la fosse. Au
vu du type de coup mortel qui lui sera donné, on doit imaginer que comme en Grèce
ou à Rome on invitait la victime à baisser la tête vers le sol, en lui présentant à boire
ou à manger. De cette manière, elle paraissait consentir à son sacrifice et surtout pre­
nait la pose, nuque tendue, qui seule permettait la mise à mort.

Celle-ci prenait des formes diverses. Quelques crânes retrouvés montrent la trace
caractéristique que produit le coup de hache sur la nuque, méthode la plus classique
dans le monde antique. D'autres crânes présentent un impact impressionnant sur le
frontal. La forme circulaire de cet impact indique l'emploi d'un merlin. Une trace
unique de section losangique prouve que, dans certains cas, on utilisait un fer de
lance, opération spectaculaire et quelque peu acrobatique. Plusieurs crânes ne portent
aucune trace ; il faut donc imaginer un type de coup qui n'atteignait pas l'os : l' égor­
gement est probable.

La variété des ces mises à mort suggère une semblable variété du rituel. Ces diffé­
rentes formes présentaient une allure chthonienne et s'adressaient aux divinités habi­
tuellement concernées par ces types de sacrifice mais elles s'inscrivaient dans des fêtes
religieuses particulières à l'intérieur du calendrier liturgique. Certaines exigeaient une
mort rapide sans effusion de sang, d'autres au contraire voulaient que la victime égor­
gée ensanglante abondamment l'autel creux. Il est possible dans ce dernier cas que
l'offrande au dieu se soit limitée à cette seule libation.

Dans les autres cas, la victime morte, sa dépouille tout entière était glissée au fond
de la fosse. Elle y demeurait environ six mois. L'effet recherché était un pourrissement
lent mais total des chairs. La putréfaction permettait l'infiltration dans le sol de ce qui
était considéré comme une nourriture pour la divinité souterraine. Au terme de cette
période, la carcasse était totalement décharnée, ne demeuraient en place que des os
plus ou moins bien assemblés par des tendons desséchés. On procédait alors au net­
toyage de l'autel creux par l'enlèvement de la carcasse. Seul le rachis gardait ses rela­
tions anatomiques. Le reste de la charpente osseuse livrait des pièces détachées. Le
nettoyage était soigné. Le sol était même finement gratté. Alors qu'un minimum de

1 39
C râne de bovidé p o rtant s u r l ' os frontal la marq u e d u c o u p de m e r l i n q u i l'a abatt u . Sanctuaire de G o u rnay- s u r­
Aro n d e ( O i s e ) .

140
quarante bœufs ont séjourné dans cette fosse pendant plusieurs décennies, seuls trois
os sésamoïdes, de la taille d'une bille, ont échappé à l'attention des cureurs.

Les os exhumés faisaient l'objet d'un tri. Une partie était immédiatement déposée
dans le fossé de clôture, utilisé comme un dépotoir sacré. Ce sont notamment les
colonnes vertébrales, les côtes et la plus grande partie des pattes. Les crânes faisaient
l'objet d'un traitement spécial. Il est probable qu'ils étaient exposés avec les armes et
les crânes humains sur le porche de l'entrée du sanctuaire, pendant plusieurs années.
Mais ensuite, ils rejoignaient les autres restes dans le fossé, souvent après avoir reçu
un coup tranchant sur l'extrémité du maxillaire supérieur. Les extrémités des pattes et
la queue devaient quitter l'espace du sanctuaire car elles n'ont pas été retrouvées.

Voici résumées les grandes lignes, celles matérielles et qui ont laissé des traces, d'un
rituel qui s'étalait sur plusieurs années. A l'intérieur de cette longue durée s'interca­
laient les cycles inaugurés par les sacrifices précédents et ceux qui suivaient avec des
intervalles d'au moins six mois. L'enchaînement inéluctable de ces opérations consti­
tuait la vie même du sanctuaire. Il n'excluait pas d'autres formes de sacrifice, ni
d'autres cycles rituels, sur lesquels nous sommes moins documentés.

De même il faut garder à l'esprit que ne nous est restituée que l'ossature d'un rituel
qui revêtait des parures immatérielles ou périssables, incantations, chants et prières
peut-être, musique assurément, sans oublier les fastes du décorum : vêtements des
prêtres, parures possibles de la victime, décorations de l'autel et de l'espace sacré.
Nous ne savons pas non plus comment la ou les divinités étaient conviées au sacrifi­
ce. Etaient-elles représentées matériellement par des effigies visibles ? Etaient-elles,
comme en Inde, censées s'asseoir au fond de la fosse sur un gazon préalablement
déposé pour elles et sur lequel elles demeuraient invisibles ? Ou demeuraient-elles
cachées dans les antres du sol, attendant leur nécessaire nourriture ? La seule infor­
mation dont on dispose sur les rites annexes au sacrifice nous est donnée par Pline.
Celui-ci indique que les Gaulois ne procédaient à aucune cérémonie religieuse sans
utiliser du feuillage de chêne. Il est difficile malheureusement d'en tirer des conclu­
sions plus précises. Ce feuillage représentait-il la divinité ? Ou n'était-il qu'une déco­
ration sacrée obligatoire, un élément essentiel de la liturgie ?

Des trophées animaux ?

Les bœufs de Gournay dont les crânes figuraient sur le porche d'entrée parmi les
offrandes guerrières paraissent des victimes sacrificielles ambiguës. Leurs têtes
conservées au côté des têtes humaines signifient qu'on a voulu en conserver le souve­
nir et qu'elles n'étaient pas seulement de la viande à consommer. Leur âge canonique,
les marques de travail qu'elles portent ajoutent encore à ce caractère énigmatique. On
peut se demander si ces animaux n'avaient pas un rapport avec la guerre, s'il ne s'agit
pas de bétail pris à l'ennemi et qui de ce fait reviendrait de plein droit à la divinité
guerrière à qui était voué le butin. De tels trophées ne sont pas isolés. Sur un lieu dont
la fonction reste énigmatique, à Saint-Just-en-Chaussée, distant d'une quinzaine de

141
kilomètres de celui de Gournay, plusieurs amas de crânes de bœufs ont été décou­
verts ; ils portaient les traces d'une longue exposition.

Le cheval, dont il n'a pas été question jusqu'à présent, pose un problème plus com­
plexe encore. Bien que présent sur les sites de Gournay, Saint-Just et Ribemont, rien
n'indique qu'il ait compté au nombre des victimes sacrificielles. Aucun des animaux
rencontrés ne montre de traces évidentes de mise à mort. Si cette absence ne prouve
pas qu'ils soient morts de leur mort naturelle, elle prouve cependant que s'ils furent
sacrifiés, ils ne connurent qu'un type de mise à mort, l'égorgement. Mais c'est surtout
leur position en ces lieux qui inspire une certaine perplexité.

A Gournay, les os des chevaux étaient rassemblés par ensembles anatomiques dans
le fossé de clôture, de place en place, chaque animal étant séparé du précédent par une
quinzaine de mètres. Si la presque totalité du squelette était représentée, les relations
anatomiques n'étaient pas conservées mais la position des os dans l'espace évoquait
encore vaguement leur situation anatomique. A l'évidence, il s'agit d'animaux qu'on
avait laissés se décomposer et qui avaient fait l'objet d'un ramassage puis d'un dépôt
consciencieux dans le fossé. Un des crânes de chevaux découverts portait une curieu­
se trace, une découpe de l' occipital autour du foramen magnum, trace courante sur tous
les crânes humains de Gournay. Elle suggère que le crâne du cheval avait dû subir un
sort similaire à celui de l'homme.

Le cheval à Gournay présente des caractéristiques qui le place d'emblée entre le


bœuf et l'homme. La question est de savoir s'il est plus proche de l'homme que du
bœuf. Les sites de Saint-Just et de Ribemont nous apportent des éléments de réponse
assez précis. Le lieu, peut-être cultuel, de Saint-Just, encore en cours d'étude, a livré
un nombre important de restes de chevaux. Ceux-ci se trouvaient dans une situation
assez analogue à celle des chevaux de Gournay, à quelques différences près. Le fossé
où ils se trouvaient n'est, en réalité, qu'une petite rigole peu profonde, les os y étaient
étalés de façon continue et surtout les squelettes entiers, sans avoir gardé de strictes
relations anatomiques, avaient conservé la position des différentes régions anato­
miques. Un crâne possédait encore son mors en place. Ces particularités témoignent
d'une absence de déplacement des carcasses. Il faut croire que les animaux exposés
entiers et certainement debout se sont effondrés au terme de quelques mois sur l'em­
placement même de leur exposition, bien qu'il soit encore difficile de préciser les
modalités de leur présentation. Etaient-ils partiellement momifiés ? Quels étaient les
supports qui les maintenaient ? On ne peut s'empêcher de penser à la description par
Hérodote des curieuses coutumes funéraires des Scythes qui mettaient en scène non
seulement les chevaux mais aussi leurs cavali ers morts ; les premiers étaient mainte­
nus debout, parfois contre des roues de char, les seconds les montaient, le tout étant
maintenu par des pieux qui les traversaient et s'enfonçaient dans le sol.

Le trophée de Ribemont complète précieusement ces informations. On y a décou­


vert des fragments de crânes de chevaux montrant la même découpe que celle obser­
vée sur les crânes humains de Gournay et de Montmartin et correspondant à un

1 42
agrandissement du foramen magnum. Cette découpe, très difficile à réaliser, si l'on ne
veut pas briser la boîte crânienne, semble avoir eu pour but le nettoyage de la cavité
céphalique, selon toute probabilité en vue d'une exposition. Ces pièces prouvent en
tout cas que les crânes de Ribemont et au moins un spécimen de Gournay ont subi le
même traitement que des crânes humains. Mais ce sont surtout les os de chevaux
découverts dans les autels construits en os qui sont les plus évocateurs. Une trentaine
figurait parmi les os humains qui constituaient précisément l'ossature des murets for­
mant l'autel. Comme pour les restes humains, il s'agit de j ambes qui étaient encore en
connexion partielle et qui proviennent de cadavres qui n'étaient pas totalement
décomposés. Les os longs du cheval avaient été uti lisés comme ceux de l'homme, leur
morphologie et leur taille permettant de les ranger côte à côte. L'étude morphologique
de ces restes confirme encore la proximité du cheval et de l'homme dans cette struc­
ture : ce ne sont que des os appartenant à des animaux adultes.

A l'évidence, sur ces trois lieux hors du commun que sont Gournay, Ribemont et
Saint-Just, le cheval n'a pas les caractères d'une simple victime sacrificielle. Les
preuves objectives de son sacrifice d'ailleurs n'existent pas. En revanche, la présenta­
tion de ces restes sous forme de trophée ne fait aucun doute. Si des vestiges aussi spec­
taculaires que ceux découverts à Saint-Just étaient mis en évidence sur le site de
Ribemont, nous aurions la preuve que le cheval connaissait un sort exactement simi­
laire à celui de l'homme. Nous en avons, pour l'instant, de fortes présomptions qui
nous amènent à nous interroger sur l'identité de ces montures et de leur rapport pos­
sible avec le monde de la guerre.

L e s o ffrandes

Il est devenu habituel, surtout à propos de la religion gallo-romaine, de placer


parmi les rites importants qui animent la vie d'un lieu de culte, ceux qui touchent à
l'offrande. Or, comme l'a montré Jean Rudhardt dans un essai sur la pensée religieu­
se en Grèce, l'offrande ne constitue pas une catégorie propre de rites qui se distingue­
raient de ceux du sacrifice ou de la libation. L' « offrande » est une facilité de langage
chez les historiens de la religion qui regroupent sous cette appellation tous les dons de
nature matérielle offerts à la divinité, par opposition aux dons de nature animale (et
exceptionnellement humaine). Le vocabulaire grec, riche et précis, montre tout ce qu'a
d'arbitraire et de réducteur une telle classification : il faut distinguer des offrandes
matérielles, érigées pour une période assez longue dans le sanctuaire, les offrandes
végétales que les verbes utilisés pour en décrire l'usage permettent d'assimiler à des
formes de sacrifice ; enfin, de telles « offrandes » peuvent être les composantes de
rituels beaucoup plus complexes, sacrifice animal notamment.

La pauvreté de nos sources ne permet pas dans le domaine de la religion celtique


de telles distinctions, qui sont les plus objectives puisqu'elles reposent (dans l'exemple
grec) sur la variété du vocabulaire. Afin de bien distinguer la réalité religieuse gauloi­
se de celle qu'elle prend à l'époque gallo-romaine, et en reprenant, en les simplifiant

1 43
Epées, u m bos de b o u c l ier ( G o u rnay) et casq u e ( R i be m o nt) p rése ntant des traces de m uti lati o n s volontai res.

144
considérablement, les catégories proposées par Rudhardt, nous distinguerons les
offrandes matérielles installées dans le sanctuaire (en grec les anathemata), les ex-voto,
les offrandes végétales, enfin les offrandes incluses dans le rite sacrificiel.

Les anathemata

Ce terme grec désigne un dépôt fait dans un espace consacré. Le rite dans lequel
entre ce dépôt est bien précisé par le terme lui-même, issu du verbe grec anatithemi qui
signifie « poser sur », « suspendre à » . Il consiste donc à prendre un objet, à le poser
sur un monument ou à l'accrocher sur un temple et à le conserver dans la position où
le rite l'a placé. En Grèce, les objets qui peuvent devenir des anathemata sont variés,
dépouilles prises sur l'ennemi, récompenses reçues dans des compétitions athlétiques,
couronnes, statues, etc.

Cette catégorie d'offrandes existe en Gaule. Les représentants les plus nombreux et
les plus spectaculaires sont les dépouilles prises à l'ennemi, extraordinairement nom­
breuses dans les sanctuaires du nord et de l'ouest de la Gaule. Dans bien des cas
cependant, ces dépouilles sont consacrées dans le sanctuaire en un rite beaucoup plus
complexe que celui que nous voyons en Grèce et qui est assez comparable à un autre
rite grec dont l' anathema se distingue justement, le tropaïon, terme plutôt réservé à la
consécration des dépouilles sur le champ de bataille même. Cette consécration des
dépouilles dans les sanctuaires de Picardie prend des formes si surprenantes qu'il
paraît nécessaire de la distinguer d'un simple dépôt. C'est pourquoi elle sera exami­
née à part.

Les simples dépôts d'objets n'étaient probablement pas rares. On a évoqué plus
haut les trésors, ils peuvent entrer dans cette catégorie. Mais il y avait d'autres objets
moins précieux, tout au moins par leur matière. Dans le courant du ne siècle avant
J.-C. la pratique du trophée total comprenant la dépouille humaine et ses armes est
progressivement abandonnée. L'habitude de stocker des armes dans les lieux de culte,
cette fois comme de véritables anathemata, persiste. Beaucoup d'armes et de parures de
La Tène C2 et Dl (Ile et début du le' siècle avant J.-C.) témoignent de cette pratique.
Nous en avons au moins une illustration littéraire. Elle est due à Plutarque. Voici la
belle traduction qu'en fit Amyot : « Les Arverniens montraient en un de leurs temples
une épée pendue, qu'ils disaient avoir été gagnée sur César ; et lui-même depuis, en
passant un jour par-là, la vit et s'en prit à rire ; et comme ses amis la voulussent faire
ôter de là, il ne voulut pas qu'ils le fissent, disant qu'il n'y fallait pas toucher puisque
c'était chose sacrée. » Ce récit confirme que les Gaulois dans leurs sanctuaires se
livraient à des gestes parfaitement semblables à ceux des Grecs : suspendre une épée
au mur d'un temple ou de la clôture de l'enceinte sacrée suffisait à la consacrer. Les
témoignages archéologiques en sont peu nombreux mais suffisamment explicites. Sur
l'enceinte sacrée de Saint-Maur de nombreux fragments d'armes avaient glissé dans la
tranchée de fondation de la palissade, au moment de sa destruction quand les bois
pourris créèrent une cavité dans le sol particulièrement réceptive. Dans ce cas nous
avons la preuve que les armes étaient directement suspendues au péribole du sanc-

145
tuaire. Le même cas s'est produit le long du mur occidental du temple de La Tène fina­
le à Gournay : en retenant la terre issue du lessivage du sol il a piégé des fragments
d'armes ainsi que des crochets de fixation qui montrent bien que le mur du temple
était également un support privilégié pour les anathemata .

Beaucoup d'objets devaient être simplement posés au sol ou sur des banquettes
périssables. Le sol du sanctuaire de Ribemont, heureusement préservé, nous donne
une bonne idée de la densité du matériel votif qui occupait l'espace intérieur de l'en­
ceinte. A côté des armes figurent de nombreuses parures (fibules, bracelets, perles de
verre et de bronze), ainsi que des éléments de seaux et de chaudrons en bronze qui
devaient constituer un étrange bric-à-brac, ne différant en rien de ceux que l'on ren­
contrait sur tous les sanctuaires de l' Antiquité.

A Mirebeau en Côte-d'Or, des cuvettes légèrement creusées dans le sol sacré ser­
vaient de réceptacles à des centaines de vases entiers, souvent peints, qui avaient été
offerts à la divinité. On voit par là que la diversité de telles offrandes devait être fort
grande et que l'archéologie est loin actuellement de nous en rendre une image fidèle.

Les ex-voto et le vœu thérapeutique

Une catégorie d'offrandes bien particulières paraît propre à la religion gallo-romai­


ne, ce sont les ex-voto. Ne lui trouvant pas une franche origine romaine, les historiens
de la religion en ont fait un rite d'origine gauloise.

Les ex-voto, comme leur nom l'indique, sont le produit d'un vœu (votum). Ce sont
des présents à une divinité, en retour desquels on espère son concours. D'une façon
assez générale, c'est le secours thérapeutique d'une divinité qui est ainsi demandé. Et
dans les sanctuaires gallo-romains dédiés à un dieu guérisseur, les petites statuettes
dites « anatomiques », de pierre ou de bois, abondent. Elles représentent la région du
corps qui souffre, parfois de façon réaliste la blessure ou la malformation qui est cause
du mal. Dans quelques cas c'est l'image complète du pèlerin qui est sculptée, ce peut
être aussi celle de la divinité.

Le vœu à but thérapeutique est attesté dans la Gaule indépendante, par un passage
célèbre de César. « Ceux qui sont affectés par de graves maladies, ceux qui sont ame­
nés à livrer des combats ou à affronter quelque péril, immolent ou font vœu d'immo­
ler des victimes humaines et ils ont recours pour ces sacrifices au ministère des
druides. Ils jugent, en effet, que la vie d'un homme ne peut lui être rendue qu'au
moyen d'une autre vie humaine. » Un fragment de l'œuvre de Posidonius, conservé
par Athénée, donne une autre version de ce don de la vie humaine, sous une forme
originale, puisqu'il s'agit d'un suicide, vécu, ainsi que l'a qualifié Marcel Mauss qui a
fait une excellente analyse du texte, comme une « contre-prestation suprême » . Un
homme, après s'être fait offrir des cadeaux qu'il a redistribués à ses amis, offre sa vie
en contrepartie.

146
Ces deux témoignages ont probablement une origine relativement ancienne, II•
voire III• siècle avant J.-C. Ils rendent compte d'un ensemble de croyances très struc­
turées que nous avons évoquées dans la deuxième partie de cet ouvrage, croyances
selon lesquelles la puissance divine est bergère du troupeau des vies humaines,
chaque homme sur terre ayant son correspondant outre-tombe, les vies humaines et
les âmes passant d'une sphère à l'autre, comme l'eau dans des vases communicants.
Cette conception très mécaniste de la vie et de la mort trouve évidemment son origi­
ne dans la mentalité primitive. Elle s'est conservée comme un archaïsme dans un
domaine où la magie et l'irrationnel règneront encore longtemps, celui de la maladie
et de la mort. Cependant - et nous y reviendrons plus longuement dans le chapitre
suivant - le sacrifice humain comme moyen utilisé dans le vœu à but thérapeutique
dut être abandonné très tôt. Et justement la pratique de l'ex-voto dès le début de la
période gallo-romaine nous en donne une preuve indirecte : cette pratique, parfaite­
ment symbolique, n'a pu se substituer directement à un sacrifice aussi peu ordinaire
que le sacrifice humain ; elle suppose des pratiques intermédiaires parmi lesquelles le
sacrifice animal devait tenir une place de choix. Dans bien des cultes actuels le sacri­
fice animal est censé guérir une maladie ou a ssurer une bonne santé. L'ex-voto gallo­
romain, peu différent par sa forme des ex-voto populaires qu'on peut voir dans bien
des chapelles européennes, apparaît comme une forme encore plus évoluée de ces
pratiques cultuelles, basées sur l'échange entre les hommes et les dieux.

Ainsi l'ex-voto, tel qu'il apparaît à l'époque gallo-romaine sous forme de représen­
tations lapidaires, a bien une lointaine origine gauloise mais son expression matériel­
le est une création purement gallo-romaine, le résultat d'un syncrétisme entre tradi­
tion religieuse gauloise, culte officiel et pratiques magiques.

Offrandes végétales

La plupart des religions connues montrent un usage plus ou moins développé de


l'offrande végétale. Celle-ci présente deux formes, l'offrande de végétaux fraîchement
récoltés : céréales, fruits, herbes aromatiques, fleurs, plantes, branches d'arbres, etc.,
ou l'offrande de produits confectionnés à l'aide de ces mêmes végétaux : boissons,
gâteaux, bouillie, etc.

La littérature grecque et romaine nous renseigne fort peu sur ce type d'offrande.
Néanmoins, son usage en Gaule peut être implicitement déduit de deux informations
que nous donne Strabon. Nous avons déjà évoqué sur la côte océanique l'existence
d'un culte en l'honneur de Déméter et de Coré. Ces divinités, responsables de la ferti­
lité des cultures, recevaient en Grèce des offrandes végétales : raisins, gâteaux de miel,
huile, par exemple à Phigalie, si l'on en croit Pausanias ; ailleurs il s'agissait souvent
de céréales. Nous sommes porté à croire qu'il en allait de même sur l'île bretonne. Le
même Strabon, quand il évoque le jugement rendu sur le Port des Deux-Corbeaux,
indique que sont donnés aux corbeaux des « psaista », c'est-à-dire des petits gâteaux
d'orge et de miel, que l'on fabrique généralement pour un usage cultuel. Encore une
fois, c'est la banalité de la pratique au regard d'un voyageur grec ou romain qui

147
'b
'�
' 1

Reconstituti o n d ' u n arbre artificiel découve rt s u r 1' op­


pidum d e M a n c h i n g ( Bavi è re ) .

148
explique l'absence de description propre : celle-ci n'aurait rien apporté à l'exotisme
qu'on attendait de tels récits.

Ces offrandes, périssables au plus haut point, offrent encore moins de chance que
tout autre rite de laisser des traces susceptibles d'être relevées par l'archéologue. Les
confections culinaires ont disparu à tout jamais. Seuls quelques végétaux peuvent, au
bénéfice de conditions exceptionnelles, avoir été conservés. C 'est le cas, en particulier,
de graines de céréales fossilisées dans l'oxyde d'une arme en fer sur le sanctuaire de
Mirebeau. Elles nous indiquent que les armes ont été déposées en même temps que
l'offrande végétale, en une même anath ema, soit sur le sol du sanctuaire, soit dans un
même récipient.

Offrandes incluses dans le rite sacrificiel, libations

Comme les précédentes, la pratique archéologique peine à les mettre en évidence.


Elles ne sont pas mentionnées non plus dans les descriptions littéraires qui ne retien­
nent, d'une manière générale, que l'acte central du sacrifice. Nous ne pouvons donc
que supposer leur existence dans le culte gaulois, parce que de telles offrandes au
cours du sacrifice existent dans toutes les religions, parce que les installations cul­
tuelles que nous mettons au jour dans les sanctuaires se prêtaient aussi bien à de tels
dons matériels qu'au sacrifice animal.

Il en est ainsi des foyers, malheureusement plus ou moins bien conservés sur les
sites cultuels suivant l'importance de l'érosion des sols anciens. On leur attribue géné­
ralement une fonction culinaire directement liée au sacrifice animal : ils permettaient
autant la cuisson des parts réservées aux dieux que celles qui étaient redistribuées aux
participants. Mais il est probable que bien des foyers, les mêmes ou d'autres qui leur
étaient adjoints, servaient à brûler les herbes aromatiques ou à torréfier des céréales.
A Ribemont on distingue deux types de ces foyers, ceux de l'intérieur de l'enclos où
était pratiquée l'incinération des os humains et ceux de l'extérieur, du côté sud notam­
ment, qui ont connu un autre usage, certainement la cuisson des céréales dont des
graines ont été découvertes à proximité.

Il en va de même des autels creux qui dans la plupart des religions antiques
connaissent deux usages. Le premier, nous l'avons évoqué avec le sacrifice du bœuf à
Gournay, il permet de recueillir la dépouille de l'animal sacrifié. On connaît des
exemples similaires en Grèce et à Rome. Cependant, la fonction la plus courante de ces
fosses est plutôt de recevoir des libations de liquides, de boissons, voire de végétaux
ou de produits manufacturés qui ont une forme suffisamment fluide pour pouvoir
être versés à partir d'un récipient. Si ces différentes matières n'ont laissé aucune trace
identifiable dans le sol, l'usage de la libation chez les Gaulois est attestée indirecte­
ment par la découverte de récipients qui paraissent n'avoir connu que cette unique
fonction. Ce sont des bassins en bronze, larges et plats. On en connaît un dans la sépul­
ture n° 3 de Tartigny dans l'Oise, sépulture qui pourrait avoir été celle d'un prêtre.
Deux autres exemplaires ont été trouvés également dans une sépulture à Rebourseaux

1 49
dans l'Yonne. Enfin, à Acy-Romance dans une fosse située au centre d'un bâtiment
probablement funéraire, une curieuse céramique ayant la forme de deux écuelles
superposées pourrait avoir connu un tel usage.

Des seaux en bois assemblés avec des cerclages de fer ou de bronze sont courants
dans les sépultures de La Tène moyenne et finale dans le nord de la France, ainsi que
dans les puits dits « à offrandes » du Sud-Ouest. Ils ont pu connaître également un
usage religieux. Leur très faible capacité en fait des objets peu fonctionnels et leur pré­
sence dans la tombe auprès d'objets de grande qualité intrigue, d'autant plus que
quelques exemplaires, celui de la sépulture n° 3 de Tartigny par exemple, portent une
ornementation à forte connotation symbolique : il s'agit de crânes ou de masques
humains. Leur fonction, néanmoins, semble avoir été de contenir de l'eau, ce qui
n'entre pas en contradiction avec l'usage religieux qu'on leur suppose. L'eau servait
avant tout à la purification des prêtres et des participants, généralement de règle dans
tous les types de sacrifice. Mais elle pouvait être aussi l'objet d'une offrande propre à
la divinité.

L e sacrifice humain

Le lecteur peut s'étonner de la place faite ici à l'homme, derrière l'animal et les
offrandes matérielles. Elle n'a d'autre but que de symboliser la place que nous croyons
être celle qu'avait le sacrifice humain sur les lieux de culte, c'est-à-dire dans la vie reli­
gieuse quotidienne. Si l'on s'en tient à la seule réalité archéologique, il faudrait même
n'accorder aucune place à ce rite qui jusqu'à présent n'a j amais été mis en évidence de
façon incontestable. A l'inverse, les textes grecs et latins nous offrent des relations
nombreuses et variées qui obligent à s'interroger sur une pratique certainement excep­
tionnelle mais dont le sens très fort lui faisait jouer un rôle majeur dans l'imaginaire
des peuples voisins qui se disaient civilisés.

Le sacrifice humain dans l'histoire de la religion gauloise

De la même manière et peut-être pour les mêmes raisons qu'il étonnait les Grecs et
les Romains, le sacrifice humain chez les Gaulois a exercé une véritable fascination sur
tous ceux qui se sont penchés sur la religion gauloise. L'abondance du témoignage
écrit y est pour quelque chose. Le sacrifice humain est l'une des rares coutumes gau­
loises mentionnée par plus d'une dizaine d'auteurs antiques. De tels textes, souvent
fort courts et imprécis, donnent pourtant l'illusion d'une richesse ethnographique
qu'on ne trouve nulle part à propos des Gaulois, richesse qui permet recoupements,

classification, iérarchie.

Mais 1§._rafs ons profondes de cet intérêt doivent être cherchées ailleurs. Le sacrifi­
ce humain chez des Gaulois considérés comme nos ancêtres directs renvoie une image
acceptée ou refusée de notre propre culture. A la Renaissance, quand les humanistes,
dans une époque relativement paisible, découvrent les auteurs grecs et latins qu'ils

150
considèrent comme leurs ancêtres spirituels, les Gaulois ne sont décrits que comme
des barbares lointains, sans filiation directe avec les Français. Montaigne, qui connaît
ses antiquités, comme on pouvait les connaître à son époque, lorsqu'il évoque la ques­
tion du sacrifice humain, ne cite pas les Gaulois mais trouve son meilleur exemple
dans le Nouveau Monde. Sa défense de la « modération » ne l'amène cependant pas
j usqu'à j ustifier là-bas une conquête qui fit disparaître la coutume en même temps que
bon nombre des indigènes qui la pratiquaient. En revanche, au début du XIX• siècle,
quand Joseph de Maistre oppose sa philosophie chrétienne aux théories révolution­
naires, il revient sur la question du sacrifice humain pour, en un étrange jeu de miroirs,
expliquer les difficultés du présent par les erreurs du passé et chercher dans ce même
passé des solutions pour l'avenir. Dans ses Eclaircissements sur le sacrifice, les Gaulois
sont mis à contribution. « Ces sacrifices subsistèrent dans les Gaules, comme ailleurs,
j usqu'au moment où le christianisme s'y établit : car nulle part ils ne cessèrent sans lui,
et j amais ils ne tinrent devant lui » . On a là l'exemple caricatural d'un courant de pen­
sée qui n'a pas totalement disparu de nos jours, pensée qui voit dans cette coutume la
plus forte expression d'une barbarie qui ne pouvait disparaître qu'avec, dans un pre­
mier temps, la conquête romaine et dans un second temps le christianisme.

C'est, dans une œuvre relativement récente, L 'art de la déformation historique dans les
commentaires de César, le point de vue qu'adopte encore son auteur Michel Rambaud.
Ce dernier voit dans la synthèse de la religion gauloise que fait César l'exemple même
de cette « déformation » qui selon lui caractérise l'œuvre du plus important ethno­
graphe des Gaulois. Contre toute attente, cette description des mœurs religieuses gau­
loises ne serait pas excessive mais, au contraire, « adoucie ». « Du tempérament natio­
nal gaulois César a défiguré l'aspect le plus révélateur, le sentiment religieux. Il inspi­
rait aux hommes vigueur, fanatisme et goût du sang . . . Leurs dieux personnifiés exi­
geaient du sang . . . Les Gaulois croyaient que les dieux ont soif et qu'une victoire san­
glante sur l'ennemi devait se payer d'avance avec du sang » . Et Michel Rambaud de
continuer à brosser le « véritable » tableau de la religion gauloise avec l'aide d'autres
auteurs, moins coupables que César de « pro-celtisme », Cicéron et Tacite surtout. Cet
exercice laborieux et caricaturalement tendancieux ne nous renseigne guère sur la reli­
gion gauloise ni sur la conception que s'en faisait César, il nous en dit long en
revanche sur les obsessions de Michel Rambaud qui ne voit guère autrement les
Gaulois que comme des indigènes sanguinaires, un peu à la façon dont les mission­
naires du XVI• siècle décrivent les Indiens Tubinamba du Brésil. Dans quel but est-il
nécessaire de récrire l'histoire de cette façon ? Pour montrer non seulement que la
conquête, par le syncrétisme de la religion gallo-romaine, réussit à faire disparaître
l'expression la plus révoltante de la barbarie gauloise, mais encore que César avait
prévu et commencé cette fusion des deux religions, ne gardant de la gauloise que son
caractère populaire pour la faire entrer dans le cadre civilisé du panthéon et du culte
romains : « Par son tableau de la religion gauloise, le proconsul conquérant de la Gaule
et grand pontife à Rome, suggérait la politique religieuse qui suivit . . . Cette fusion fut
méthodique, voulue par l'administration romaine, et l'on dirait finalement que la
répression des sacrifices humains et l'oppression des druides par le gouvernement

151
impérial correspondent à la ligne politique indiquée par les Commen taires » . Ce point
de vue est souvent implicitement celui qu'adoptent les historiens qui ont étudié la reli­
gion gallo-romaine. Après avoir décrit, brièvement et en reprenant les mêmes sources
que Rambaud sans les mettre en question, les turpitudes de la religion gauloise, ils
s'attardent sur les formes frustes que prend la piété populaire sous l'Empire, piété
débarrassée de tout instinct de violence, et empreinte des valeurs simples et saines de
la vie rurale.

A l'opposé, et suivant une ligne de démarcation déjà décrite au début de cet ouvra­
ge à propos de l'interprétation plus générale de la religion gauloise, on trouve l'atti­
tude des purs celtisants. Reprenant la vision romantique qui les amène à valoriser, à
l'excès, l'héritage irlandais, ils voient dans les Gaulois un peuple héroïque et en même
temps exotique, coupé quasiment de tout contact ethnique, linguistique et culturel
avec ses voisins méditerranéens. Le sacrifice humain est alors présenté comme une de
ces innombrables coutumes étranges mais non dénuées d'une aura mythique, à côté
des duels pour s'attribuer la meilleure part du jambon, des funérailles du prince qui
voient brûler à côté du cadavre du mari l'épouse vivante, etc. La description qui en est
faite reste si proche de la source où elle a été trouvée qu'il n'est guère possible de se
livrer à des comparaisons, encore moins de s'interroger sur le sens. On en reste au
simple constat. Un bon exemple nous est donné par Camille Jullian. « Les dieux de la
Gaule exigeaient beaucoup d'or et beaucoup de sang . . . Ce qu'ils aimaient toujours le
plus, c'était la vie humaine . . . Je ne peux cependant m'indigner contre cette religion ni
en conclure qu'elle était la plus sanglante qu'on pût imaginer . . . Ces meurtres étaient
le souvenir d'époques très sauvages. » A l'évidence, dans une telle approche ce n'est
pas le rite qui est interrogé pour lui-même mais dans le rapport qu'il peut avoir avec
l'historien, vécu comme le lointain mais direct descendant de ceux qui le pratiquaient.
Ethnocentrisme, passion de l'exotisme, recherche d'origines indigènes, voire un cer­
tain nationalisme entachent un discours qui ne peut plus se livrer à une analyse objec­
tive et raisonnée du phénomène.

Entre ces points de vue, tous excessifs, une voie intermédiaire ne cédant pas aux
facilités de la poétisation des faits, s'est fait jour à la faveur des avancées considérables
qu'ont connues la sociologie et l'ethnologie entre les deux grandes guerres mondiales.
Henri Hubert et Joseph Vendryès en sont les meilleurs représentants. Mais l'un et
l'autre ont buté sur la question du sacrifice humain qu'ils ont éludée, le premier en y
voyant un sacrifice divin de nature transcendantale, le second un sacrifice commu­
nautaire à but cathartique et par là exceptionnel. La meilleure analyse du problème,
on la trouve dans un ouvrage, aujourd'hui bien oublié malgré ses grandes qualités,
celui d'Albert Bayet, La morale des Gaulois . Son titre, peu attractif même à l'époque où
il fut publié, le desservit considérablement. Or le propos de l'auteur n'était rien
d'autre que l'étude des faits moraux, !'éthologie, au même titre que celle des institu­
tions politiques, du droit ou de l'économie. Albert Bayet place le problème du sacrifi­
ce humain au cœur de son étude et il le traite avec une méthode rigoureuse qui consis­
te à récolter l'ensemble des témoignages et à les analyser minutieusement, en les
opposant les uns aux autres. Sur ce sujet comme sur l'ensemble des faits qu'il aborde,

152
cet auteur parvient à une conclusion qui paraît aujourd'hui parfaitement d'actualité.
Il ne faut voir dans les Gaulois ni des « primitifs » ni des « barbares » . Les sacrifices
humains, tant décriés par les Romains, ont existé également à Rome mais, de part et
d'autre des Alpes, demeurèrent toujours assez rares. D'une façon générale, les analo­
gies entre la Gaule et l'Italie sont frappantes, la parenté italo-celtique, démontrée sur
le plan linguistique, est confirmée par les faits éthiques.

Tous ces auteurs ont en commun de n'avoir travaillé que sur un seul type de
sources, les textes des auteurs grecs et romains. Depuis vingt ans, la fouille à une gran­
de échelle d'une quinzaine de sanctuaires gaulois dont plusieurs ont livré des os
humains dans des quantités assez importantes, permet de recentrer le débat, en oppo­
sant les faits matériels aux interprétations, aux discours idéologiques de l' Antiquité.

Les os humains sur les sanctuaires

La présence d'os humains à l'intérieur même de l'enceinte sacrée intrigue. Sur un


terrain scrupuleusement nettoyé par ses utilisateurs, à côté d'offrandes choisies et de
restes sacrificiels qui ont eux-mêmes fait l'objet d'une sélection, les vestiges squelet­
tiques de l'homme ne peuvent être le produit du seul hasard . La tentation serait de
vouloir leur donner une interprétation trop rapide et, parce qu'il s'agit d'os, de les
replacer dans un même ensemble qui comprendrait aussi les restes animaux et d'en
faire des vestiges sacrificiels.

Il est donc nécessaire d'interroger ces témoins sur deux points : dans quelle mesure
ils se distinguent de ceux que l'on rencontre sur d'autres types de sites (nécropole et
habitat principalement) ; dans quelle mesure ils se distinguent des os animaux pré­
sents sur les lieux de culte. Il est assez facile de répondre à la première question. Sur
les sanctuaires du nord de la Gaule les os ne se présentent jamais, de près ou de loin,
comme les sépultures habituelles des Gaulois aux trois derniers siècles qui ont précé­
dé notre ère. Il ne se rencontre jamais un squelette complet inhumé dans une fosse à
l'intérieur de l'enceinte sacrée. De la même manière, aucune incinération individuelle
n'a pu être mise en évidence. Pour être plus précis, on peut dire qu'aucun ensemble
osseux ne peut être assimilé à une sépulture à inhumation ou à incinération, conçue
comme le séjour définitif du cadavre d'un homme dont l'âme est promise à une quel­
conque outre-tombe. En revanche, les os sur les lieux cultuels peuvent témoigner d'un
traitement funéraire, celui-ci étant considéré dans son sens le plus large, celui des
manipulations exercées sur un corps post-mortem. En résumé, le sanctuaire ne se pré­
sente pas comme un lieu de sépulture, même s'il a pu servir de réceptacle à des restes
humains dont rien ne prouve jusqu'à présent qu'ils étaient complets lors de leur arri­
vée en ce lieu.

Avec les os humains rencontrés sur les habitats ou les fortifications, les différences
sont aussi tranchées. Là, les os se trouvent dans deux types de situation : ou bien il
s'agit de « sépultures détritiques » ou de relégation, ou bien il s'agit de crânes ou de
fragments de crânes qui pouvaient soit être exposés sur des bâtiments publics soit

153
C râne h u ma i n découve rt dans la résidence aristocrat i q u e de M o ntmart i n ( O i s e ) .

1 54
faire partie du mobilier d'habitations individuelles. On ne rencontre jamais de vastes
ensembles d'os triés et pouvant appartenir à un nombre plus ou moins élevé d'indi­
vidus. Cette double distinction des os des sanctuaires d'avec ceux des nécropoles et
des habitats indique donc bien leur statut singulier, sur lequel il convient de s'interro­
ger.

Cette interrogation passe par l'étude des rapports que ces os peuvent entretenir
avec ceux des animaux. Les principaux caractères de ces derniers dans les lieux de
culte sont les suivants : quelques-uns portent les traces évidentes d'une mise à mort
violente, beaucoup montrent des traces de découpe qui supposent la consommation,
enfin dans leur majorité ces os témoignent d'opérations de tri, faites sur les espèces,
les animaux à l'intérieur de l'espèce et certaines parties à l'intérieur du corps de l'ani­
mal. Les os humains présentent-ils ces mêmes caractères ou quelques-uns seulement ?

D'emblée nous pouvons répondre par la négative. Jusqu'à présent aucun lieu de
culte n'a livré de restes osseux prouvant une mise à mort violente, de type sacrificiel.
Les traces relevées sur les vertèbres cervicales de Gournay et de Ribemont indiquent
bien une décollation mais qui dans tous les cas semble avoir été faite sur un individu
déj à mort, en tout cas couché, et dans de nombreux cas l'instrument utilisé (le couteau)
laisse penser que ce n'est pas cette opération qui a entraîné la mort. La preuve du
sacrifice pourrait nous être donnée par des stigmates semblables à ceux relevés sur les
crânes de bœuf de Gournay, qui sont aussi ceux que l'on peut voir sur des squelettes
découverts sur des lieux de culte aztèques : violents traumatismes sur la boîte crâ­
nienne occasionnés par un coup de gourdin ou d'instrument tranchant ou perçant.
Tant qu'une telle preuve matérielle n'est pas fournie, l'existence du sacrifice humain
ne peut être formellement établie.

Elle pourrait l'être, de façon plus indirecte, par des preuves de consommation.
Mais, là encore, aucune trace de découpe mise en évidence ne correspond à celles que
laisse le prélèvement de la chair. A Gournay les humains ont été dépecés, c'est-à-dire
qu'on a séparé les membres du tronc mais l'opération s'est arrêtée là : on n'a pas divi­
sé les membres en morceaux et les muscles n'ont pas été prélevés. A Ribemont un cer­
tain nombre d'os longs ont été intentionnellement brisés par percussion, comme le fai­
saient les utilisateurs de certaines grottes de l' Age du Bronze pour en extirper la moel­
le. Il est cependant peu probable que ce fut à Ribemont la finalité de ce geste : l'opéra­
tion, effectuée au moins plusieurs semaines après la mort, n'aurait livré qu'une moel­
le sans grand intérêt culinaire. La représentation anatomique ne présente pas non plus
de similarité avec celle que montrent les os animaux. L'ensemble des régions anato­
miques du corps humain sont présentes, à l'exception du crâne. Cette absence est inté­
ressante car elle n'est pas due, à Ribemont tout au moins, à une récupération posté­
rieure mais bien à une absence antérieure à l'arrivée du corps dans le sanctuaire. Le tri
des individus, en revanche, y est manifeste : ce sont des hommes, des adultes (parfois
jeunes) et probablement des guerriers. La composition particulière de cette population
et l'absence des crânes dont on sait qu'ils étaient systématiquement prélevés sur les
ennemis morts permettent de ranger les humains de Ribemont à part : ce sont des

155
corps d'ennemis morts ramenés dans le sanctuaire au cours d'un rite particulier, celui
du trophée, sur lequel on reviendra mais qui n'a certainement rien à voir avec le sacri­
fice humain.

En résumé, les os des hommes sur les sanctuaires ne présentent aucune analogie
avec ceux des bêtes qui furent introduites vivantes dans ces enceintes pour y être abat­
tues et parfois consommées partiellement, une part du cadavre étant elle-même par la
suite retirée du sanctuaire. On a affaire, dans la grande majorité des cas, à des cadavres
qui ont été déposés dans l'espace sacré, alors qu'ils n'étaient déj à plus complets et
qu'ils avaient déj à subi au moins un rite sur le lieu de leur mort, le prélèvement de
leur crâne.

Il demeure cependant un cas qui pose problème, celui des os humains de Gournay.
1 ·c,tude qui en a été faite par François Poplin montre la présence de deux lots. Le pre­
mier est représenté par des restes crâniens, vertèbres cervicales et fragments de l'occi­
pital entourant le foramen magnum. Le second l'est par des os longs. Le premier ne se
distingue pas vraiment des os de Ribemont, il témoigne de la pratique consistant à
prélever le crâne, puis de la préparation de ce dernier en vue d'une exposition, ou
pour le moins, d'une conservation sous forme de trophée. Ces pratiques peuvent être
d'emblée écartées de la question du sacrifice humain mais seront réexaminées dans le
cadre de la consécration des dépouilles et plus généralement des rites guerriers. Le
deuxième lot fait difficulté pour deux raisons. La première a déjà été évoquée, c'est
celle du dépeçage : à l'évidence - et une clavicule en porte les marques indubitables ­
le squelette a été sectionné en au moins trois morceaux. On est en droit de se deman­
der quelle était la finalité d'un tel geste. La seconde raison tient de la détermination
sexuelle : l'évidence en est moins forte, cependant sur la douzaine d'individus déter­
minés, trois pourraient être des femmes, c'est ce qu'indique l'indice de gracilité des os
longs. Que 'venaient faire des corps de femmes dans l'enceinte du sanctuaire ? L'état
de nos connaissances permet d'écarter la possibilité qu'elles aient compté au nombre
des guerriers. Si la détermination sexuelle était confirmée, on aurait là l'indice que des
rites non guerriers étaient pratiqués sur les êtres humains à l'intérieur de l'enceinte
sacrée.

Ce tour d'horizon n'est pas aussi décevant qu'il y paraît. Il offre un intérêt statis­
tique. Une dizaine de lieux de culte ont livré des os humains, mais ce chiffre est tout
relatif car les sites de l'ouest de la France sont établis sur une roche qui ne conserve
pas les os. Ces os peuvent, comme à Ribemont ou à Mœuvres, se trouver dans des
quantités considérables. Mais dans leur très grande majorité ils n'apportent pas les
preuves d'un sacrifice humain : lorsqu'ils se trouvent encore dans leur contexte origi­
nel comme à Ribemont, ils indiquent sans nul doute qu'ils sont le produit, dans leur
plus grand nombre, d'un rite de consécration des dépouilles. Cependant quelques os,
à Gournay et peut-être à Montmartin, viennent nous rappeler l'existence d'autres rites
qui pourraient avoir un rapport avec le sacrifice humain.

156
Retour aux textes antiques

La fouille des grands sanctuaires du nord de la Gaule permet donc de tempérer le


témoignage des auteurs anciens. Alors que ces derniers ne parlent j amais du sacrifice
animal, celui-ci révèle son omniprésence en ces lieux. A l'inverse, le sacrifice humain,
leitmotiv des sources écrites, est absent - par les témoins matériels - de la plupart des
sanctuaires. Le sacrifice humain apparaît donc avant tout comme un problème histo­
rique et littéraire dont la solution ne peut-être recherchée que dans les textes eux­
mêmes.

Ces textes sont nombreux et de qualité très inégal e, on le sait. Ils peuvent être répar­
tis en deux grands ensembles. Le premier comprend un petit nombre d'écrits riches,
issus de quelques auteurs - en fait les meilleurs ethnographes de la Gaule, ceux que
nous avons eu à citer à de nombreuses reprises - qui ont tiré pour l'essentiel leur sour­
ce de Posidonius. Ce sont Posidonius lui-même, César, Diodore et Strabon. Le second
ensemble est beaucoup plus vaste et disparate, il regroupe des informations souvent
isolées et imprécises chez des auteurs appartenant à des époques très diverses. C'est
là qu'il faut placer les témoignages de Cicéron, Lucain, Pline, Tertullien, saint
Augustin, etc.

Nous commencerons par ces derniers. Ils sont dominés par la personnalité écrasan­
te de Cicéron qui, au sujet du sacrifice humain, a non seulement exercé un terrorisme
intellectuel sur ses contemporains mais encore sur tous les historiens de la religion. La
parole d'un tel philosophe, même si l'on avait conscience que ses mots les plus durs
sur les Gaulois prenaient place dans la bouche de l'orateur judiciaire ou politique, se
livrant à des réquisitoires passionnés et par là très subjectifs, ne pouvait être mise en
doute.

Ciceron et Indutiomare

Le texte de Cicéron le plus développé sur la question des sacrifices humains gaulois
se trouve dans le Pro Fonteio. Fonteius, ancien administrateur de la Provincia, est accu­
sé par ses anciens administrés gaulois de concussion. Au procès qui se tient probable­
ment en 69 avant J.-C., tous les peuples gaulois de la province romaine sont représen­
tés par le chef allobroge Indutiomare. La cause de Fonteius est quasi perdue, car il s'est
livré à de nombreuses exactions en Gaule et a permis aux colons romains de s'enrichir
sur le dos des habitants gaulois. Cicéron prend cependant sa défense, pour des raisons
purement politiques, voire carriéristes. Fonteius est un chevalier et Cicéron s'appuie
sur l'ordre équestre pour obtenir l'édilité en 70 puis devenir préteur en 67. La seule
défense qu'il propose donc à Fonteius, c'est l'attaque : il faut mettre à mal le témoi­
gnage d'Indutiomare qui était probablement la personnalité gauloise la plus impor­
tante et la plus respectée de toute la Provincia . En quelques phrases, d'une dureté et
d'une mauvaise foi étonnantes, Cicéron dénie à ce prince le droit même de prêter ser­
ment. « Peut-on comparer le notable plus important de la Gaule pas même avec les
premiers personnages de notre cité mais seulement avec le plus humble citoyen
romain ? » Pour l'orateur la réponse semble évidente et, pour en persuader l'auditoi-

157
re, il entreprend une démonstration savante et perverse qui s'adresse directement à la
mentalité religieuse des Romains. Argumentant sur la déposition d'Induhomare, il fait
remarquer que ce dernier - soit dit en passant qu'il a dû s'exprimer en latin - n'a
jamais employé la formule habituelle « je crois » mais « je sais » . A l'évidence, c'est en
pleine conscience que le chef gaulois a de cette façon présenté sa déposition sous le
sceau de l'objectivité pour ne pas la placer sous l'égide divine, ce qui aurait pu frois­
ser les Romains : à quels dieux aurait-il alors fait appel ? Aux dieux gaulois ? On l'au­
rait taxé de barbare. Aux dieux romains ? La réaction eût été plus virulente encore.
C'est dans cette brèche que Cicéron enfonce le coin de son attaque : on ne peut accor­
der aucune foi au témoignage de quelqu'un qui ne se place pas sous la protection et
le contrôle divin, qui plus est, quelqu'un dont les dieux sont les plus barbares que l'on
connaisse. Le tour est joué : Cicéron a réussi à détourner l'attention du tribunal, il n'est
plus question d'un administrateur véreux et de trafiquants romains prêts à tout.
L'enjeu se situe à un niveau beaucoup plus élevé, celui de la lutte éternelle de Rome
contre ses voisins barbares.

Cette argumentation, spécieuse mais brillante, illustration même de son génie ora­
toire, a certainement impressionné l'auditoire et l'on pense que Cicéron a pu gagner
son procès. On est cependant surpris de la faiblesse des éléments de la démonstration.
« Eux (les Gaulois) c'est aux dieux immortels eux-mêmes qu'ils font la guerre ». Et
pour donner corps à cet effet de style, ils ne trouvent que des faits fort anciens, l'at­
taque de Delphes et le pillage du sanctuaire, la prise de Rome, pour terminer par la
phrase célèbre : « En effet qui ignore que jusqu'à ce jours ils ont conservé la coutume
monstrueuse et barbare d'immoler des hommes ? » La formule est peu convaincante.
La tournure interrogative, faisant appel à une approbation collective, indique bien
qu'il s'agit d'évoquer l'un de ces lieux communs qui courent sur les Gaulois : de nos
jours, on dirait un ragot. Mais le vocabulaire employé dans cette phrase (retinere,
consuetudinem, « garder », « habitude ») est plus intéressant car l'auteur se trahit, il tra­
hit sa connaissance de la religion gauloise et des côtés les plus archaïques de la reli­
gion romaine ; ces termes supposent qu'il y a eu un fond commun ancien de religion
où il arrivait de sacrifier des victimes humaines. C'était une coutume, seuls les Gaulois
l'ont conservée. Ce qui prouve qu'anciennement les Romains la pratiquaient aussi.
Dans cette argumentation de bric et de broc, Cicéron n'oublie pas ses lectures philo­
sophiques et les longs développements que Posidonius consacrait à la religion gauloi­
se lui reviennent en mémoire. La dernière phrase « Ils pensent qu'on peut faire plaisir
aux dieux immortels par le meurtre et le sang humain » en est probablement issue,
c'est une version encore plus résumée, plus caricaturale que celle que nous donne
César.

Cicéron et Diviciac

Le tête-à-tête dans un prétoire entre Cicéron et Indutiomare rappelle évidemment


une autre entrevue, quelques années plus tard, probablement en 61, entre le même
Cicéron et un grand prince gaulois, c'est celle qui a suivi la visite du druide Diviciac
au sénat romain. Cicéron l'a reçu chez lui et il a pu s'entretenir longuement non seu-

158
lement des questions de politique gauloise, mais des idées religieuses de ce Gaulois
qui, comme Cicéron, portait deux casquettes, l'une religieuse et philosophique et
l'autre politique. Ces entretiens sont évoqués dans un traité purement philosophique,
De divinatione, ouvrage dont il a déjà été question.
Il est particulièrement remarquable qu'à aucun moment dans ce traité, qui a forme
de dialogue platonicien, ne soit mentionnées les pratiques barbares sur lesquelles
Cicéron était si prolixe dans sa défense de Fonteius. L'interlocuteur de Cicéron pré­
sente Diviciac comme l'hôte et l'admirateur de Cicéron, en somme comme une per­
sonne charmante, tout à fait digne de parler mais aussi d'habiter sous le même toit
qu'un Romain, qui n'est même pas « le plus humble citoyen romain », pour reprendre
l'expression de Cicéron. Diviciac, quelques années seulement après le procès de
Fonteius, a donc été traité avec tout le respect et tous les honneurs que requéraient son
extraction sociale, son sacerdoce et la place qu'il occupait dans la vie politique éduen­
ne. C'est peu dire qu'on est aux antipodes de l'attitude qu'avait Cicéron face à
Indutiomare, personnage non moins influent.

Certes, là il n'est question que des connaissances en matière de divination du drui­


de Diviciac qui affirme connaître l'art augural, ainsi que d'autres procédés de man­
tiques, telles que la conjecture par les nombres. On pourrait alléguer qu'en mention­
nant de telles connaissances chez le druide, Cicéron ne faisait qu'illustrer son propos,
consacré à la divination. Mais cet argument ne tient pas, car l'un des sacrifices
humains gaulois le plus couramment mentionné par les auteurs contemporains de
Cicéron est un sacrifice augural. Non seulement Cicéron n'en parle pas mais son pro­
pos va dans une direction tout à fait contraire, puisqu'il n'hésite pas à comparer, cette
fois de façon positive, les pratiques gauloises avec celles des Romains.

Il me semble que cette opposition radicale entre les comportements qu'adopte tour
à tour Cicéron face à Indutiomare puis à Diviciac ôte toute crédibilité aux propos tenus
lors du procès de Fonteius. Il ne peut s'agir que d'effets de manche où la part de la
vérité concernant des non-Romains était parfaitement secondaire. C'était un procès de
nature essentiellement politique, ne l'oublions pas. Si Cicéron avait eu à sa disposition
des faits, plus précis, bien localisés géographiquement et datés, et a fortiori si le
moindre de ces faits avaient concerné un citoyen romain (par exemple victime des
Gaulois), il n'aurait pas manqué de les utiliser avec autant d'habileté. Ce qu'il soumet
au tribunal ne sont que de vieilles histoires, des lieux communs qui réjouissent les
hommes politiques dans les assemblées, qui, accumulés, finissent par forger une opi­
nion mais qui à eux seuls ne sauraient emporter l'adhésion. Cicéron l'avoue, quand
dans La République, il parle, cette fois, au passé des sacrifices humains chez les Gaulois,
les Egyptiens, les Carthaginois et les peuples de la Tauride.

La propagande hellénistique

Nombreux sont les auteurs qui, comme Cicéron, reproduisent ce qui est devenu un
poncif de la littérature antique consacrée aux Gaulois. Varron, Denys d'Halicarnasse,
Pline, Lucain, et plus tardivement Minucius Felix, Tertullien, saint Augustin recopient

1 59
à l'envi une formule aussi lapidaire qu'imprécise : les Gaulois sacrifiaient des victimes
humaines, tantôt à Chronos, tantôt à Mercure ou à Saturne. La source en est ancienne.
Elle est peut-être due au poète Sopatros qui dans une comédie Ga latai� aujourd'hui
perdue mais dont cinq vers ont été conservés par Athénée, accusait les Galates de
mettre à mort leurs prisonniers de guerre. Sopatros écrivait peu de temps après les
grandes invasions celtiques dont l'épisode le plus marquant fut le pillage de Delphes.
Mais cette source peut aussi se trouver chez un autre auteur contemporain. Le passa­
ge des Celtes en Macédoine, en Grèce puis en Asie Mineure avait, en effet, tellement
marqué les esprits que l'une des plus grandes fêtes religieuses hellénistiques, les
Sôtèria, fut instituée pour rappeler l'événement et remercier l'intervention divine. Dès
lors les Celtes envahirent aussi la littérature et les arts grecs.

Deux ans seulement après l'épisode de Delphes, le poète Callimaque avait donné le
ton. Dans son célèbre Hymne à Délos, il compare les Celtes aux derniers des Titans qu'il
qualifie de « race folle ». De fait, il inaugure un vaste mouvement artistique qui lais­
sera sa marque la plus prestigieuse dans la sculpture. Une trentaine d'année plus tard
en effet, les rois de Pergame reprennent ce thème pour développer une véritable
entreprise de propagande où ils se présentent comme les vainqueurs d'une giganto­
machie et les défenseurs des valeurs grecques face aux intrusions barbares. Tout sera
mis à contribution pour faire passer les souverains hellénistiques comme les sauveurs
de la Grèce. Avec l'aide de la poésie, de la comédie, de la sculpture on cherche à don­
ner une dimension mythique aux Celtes qui ne craignent ni les dieux (beaucoup de
scènes les représentent pillant les sanctuaires de Delphes et de Didymes), ni la mort
(toute une série de sculptures montrent les Gaulois se suicidant) et qui par conséquent
abusent sans scrupule du sacrifice humain.

Le mot « Galates » employé par les auteurs grecs pour désigner aussi bien les Celtes
que les Gaulois permet un amalgame facile que les Romains ont exploité sans ver­
gogne. Au début du 1°' siècle avant J.-C. les intellectuels romains redécouvrent la phi­
losophie grecque, les bienfaits de l'hellénisme, ils partagent avec deux siècles de retard
les lieux communs sur le monde barbare sans plus de discernement que les artistes
hellénistiques. C 'est à cette source que se sont abreuvés Cicéron et les auteurs que
nous avons cités, mais aussi César.

César et le sacrifice humain

César appartient au premier groupe d'auteurs qui évoquent le sacrifice humain,


ceux qui le font avec richesse dans le détail et dont la variété des informations montre
qu'on doit leur accorder une certaine foi. Cependant César qui offre la documentation
la plus fournie occupe une place à part, pour plusieurs raisons. C'est notre informa­
teur le plus prolixe. Contrairement aux autres, il décrit une époque relativement récen­
te, bien située dans le temps. Et pour animer le tableau qu'il brosse de la société gau­
loise, comme tous les auteurs antiques, il puise dans le fonds disponible des sources
plus anciennes. L'ethnographie gauloise qu'il nous livre est donc complexe, disparate,

160
matière à critique. C 'est sur la question religieuse, et plus précisément celle du sacri­
fice humain, que cet écheveau est le plus emmêlé.

A l' évidence, et cela a déj à été noté, le texte de César est hétérogène par les faits qu'il
dispose, autant que par les sources. On aurait tort de croire qu'il manque de cohéren­
ce. La place disproportionnée accordée à la religion, alors que César dans sa biblio­
thèque disposait d'ouvrages qui rendaient compte de bien d'autres aspects de la vie
quotidienne des Gaulois (Strabon nous en donne l'exemple), indique un projet. Le
sens de ce dernier nous est donné par la place aussi disproportionnée qu'il accorde,
parmi les acteurs de la vie sociale, aux druides. Plusieurs exégètes de ce texte avaient
déjà remarqué l'importance donnée dans le passage du Livre VI aux druides alors que
dans tout le reste de l'ouvrage il n'en est plus question, même à propos de Diviciac.
Cette exagération est encore accrue proportionnellement par le peu de cas qui est fait
des chevaliers : ce sont des nobles qui vont à la guerre, en somme. Il n'est rien dit de
leur rôle politique.

Des druides en revanche, même si on aimerait en savoir plus encore, la description


est parfaitement détaillée, sur leur place dans la société, leurs prérogatives religieuses,
judiciaires, diplomatiques, sur le contenu de leur enseignement, etc. On doit s'étonner
surtout de ce qui est dit de leur rôle politique : ils ne paient pas d'impôt, ils ne vont
pas à la guerre, tranchent les conflits, s'occupent des fêtes religieuses publiques et pri­
vées. En clair, ils ont presque tous les pouvoirs. Or, en 51, quand à la fin de la secon­
de campagne contre les Belges, César pour désigner les responsables de la guerre dres­
se un catalogue des pouvoirs politiques dans la cité des Bellovaques, il cite le sénat, les
gens de biens (des patriciens en quelque sorte) et la plèbe, il ne mentionne pas les
druides, pas plus qu'il ne les évoque le moins du monde dans aucun autre conflit. Il y
a là un mystère auquel on peut donner deux explications qui, en fait, se rejoignent. La
plus simple serait qu'il a découvert l'existence des druides dans ses lectures, que, ne
les ayant pas rencontrés physiquement au cours de ses campagnes, il fut d'autant plus
étonné de l'existence de ce groupe humain, à la fois caste, collège sacerdotal, école phi­
losophique qui ne trouve aucune comparaison directe dans le monde romain. Le pas­
sage ethnographique témoignerait de cet étonnement, de la volonté du conquérant de
le faire partager à ses lecteurs. L'autre explication laisserait moins de place au hasard
de la lecture. César aurait eu connaissance soit directement soit indirectement de
l'existence des druides qu'il n'arrivait pas à situer clairement sur l'échiquier politique.
Il aurait alors cherché, dans l' œuvre de Posidonius notamment, des informations sur
ces hommes qui l'intriguaient.

Quoi qu'il en soit, le but de César pa raît clair. Ayant appris soit dans ses lectures,
soit par ses informateurs que les druides ne jouaient pas seulement un rôle religieux,
mais exerçaient un véritable pouvoir spirituel au plus haut niveau de l'Etat, il décrit
ces hommes comme un danger potentiel dans des termes qui, sous couvert de la pré­
cision ethnographique, interpellent directement ses lecteurs romains. Dans la descrip­
tion que César fait des druides, tout a de quoi étonner, voire inquiéter un Romain. Ce
sont les druides qui traitent de toutes les questions religieuses et notamment de la reli-

161
gion d'Etat, fonctionnement parfaitement inconcevable à Rome où les sacerdoces
publics sont aux mains d'hommes politiques. Les mêmes druides s'occupent aussi
bien de la religion privée que de la religion publique ( « procura n t sacrificia publica ac
privata ») : là aussi, parfaite contradiction avec la mentalité romaine qui a rigoureuse­
ment cloisonné le culte public, soumis à un calendrier précis, de la religion familiale
où le pater fam ilias est seul maître. Enfin, dernier trait assassin sous la plume de César,
celui qui concerne le sacrifice humain justement : certains de ses sacrifices qui se font
toujours sous le contrôle des druides sont une institution d'Etat. Il est difficile pour un
Romain d'imaginer pire monstruosité. Non que ce type de sacrifice soit inconnu à
Rome ou dans le Latium. Mais qu'il puisse entrer dans la religion d'Etat et qu'il soit
pratiqué par prêtres institutionnels, voilà un détail qui désigne les druides comme les
représentants éminents de la barbarie résiduelle des Gaulois.

Par ce dernier détail, César trahit ses intentions. Il est le seul, en effet, à indiquer que
les druides participent à ce genre de sacrifice. Or on a, nous l'avons vu plus haut,
toutes les raisons de penser que les druides avaient une morale qui leur interdisait de
telles pratiques. Et ce n'est certainement pas chez Posidonius que César a pu recueillir
cette information. C'est donc volontairement qu'il fait cette précision qui peut nous
paraître insignifiante aujourd'hui mais qui ne l'est certainement pas pour un Romain
qui, à l'issue d'une telle description, est amené à penser ce que César pense lui-même
et dont il veut persuader son lecteur : la place des druides dans la société gauloise est
incompatible avec un fonctionnement politique de type romain. L'histoire lui a donné
raison : Tibère puis Claude ont pourchassé les druides.

On ne doit pas pour autant, comme l'avait proposé Michel Rambaud, chercher dans
l'œuvre de César une sorte de programme de romanisation anticipé en matière reli­
gieuse. Les Romains, à propos des religions étrangères, étaient plus laxistes qu'on a eu
tendance à le dire, non par ouverture d'esprit ou tolérance mais plutôt par égocen­
trisme : seule leur conception de leur religion les intéressait. César ne pouvait prévoir
ce que serait la religion de l'époque gallo-romaine. Il a seulement senti, de manière
aiguë, que les druides ne pourraient trouver une place dans un fonctionnement de la
vie publique de type romain. Du coup, son témoignage sur le sacrifice humain perd
beaucoup de sa valeur. Il a puisé chez les anciens, dans le récit de voyageurs des men­
tions se rapportant à des époques et à des peuples probablement très divers. Le cata­
logue qu'il dresse est un inventaire digne de Prévert, si peu construit et hiérarchisé
qu'on oublie qu'il est rédigé par un grand pontife : les sacrifices privés y côtoient les
grandes fêtes religieuses collectives. Il ne craint pas de leur ajouter des mises à mort
judiciaires, criticables certainement mais guère plus excusables que les combats de
gladiateurs à Rome. Aucune de ces mentions ne présente suffisamment de précision
pour pouvoir être aujourd'hui exploitée. Le détail le plus intéressant demeure la
reproduction de cette croyance gauloise remontant à son état le plus primitif qui vou­
lait qu'on paie aux dieux le prix d'une vie par une autre vie. Les autres formes de
sacrifice humain, on les retrouve chez Diodore et Strabon qui, peut-être parce qu'ils
sont des auteurs grecs, en présentent des versions plus détaillées et plus objectives.

1 62
Le sacrifice divinatoire

Pour tirer parti de témoignages aussi divers, il convient de leur donner un ordre, de
dégager des séries cohérentes et de leur chercher des parallèles dans d'autres religions
antiques et, si possible, voisines. Le sacrifice de type divinatoire répond le mieux à de
telles directives. Diodore nous en donne la meilleure illustration. Après avoir évoqué
les bardes puis les druides qu'il décrit comme des théologiens, il cite les devins. « Ils
utilisent aussi les services de devins auxquels ils accordent une grande confiance.
C 'est par l'observation du vol des oiseaux et par le sacrifice de victimes qu'ils prédi­
sent l'avenir. De cette façon ils tiennent toute la populace sous leur dépendance. Mais
c'est quand ils ont à se prononcer sur des questions importantes, qu'ils suivent un rite
étrange et incroyable. Après avoir rituellement consacré un homme aux dieux ils le
frappent à l'aide du couteau sacrificiel dans la région située au-dessus du diaphrag­
me ; quand la victime tombe sous le coup, ils cherchent des signes dans la façon qu'el­
le a de tomber, ses membres de s'agiter, le sang de s'écouler. C'est une forme d' obser­
vation ancienne, longtemps utilisée, en laquelle ils ont foi » .

Rares sont les textes aussi précis que celui-là dans l a description d'un rite. I l s'agit
d'un fait que l'informateur a pu voir ou sur lequel il s'est documenté. Deux détails ne
trompent pas. Le fait tout d'abord qu'il ne s'agisse pas d'une extispicine habituelle,
l'examen des entrailles de la victime, mais d'une mantique très originale, comme le
fait remarquer Diodore, qui consiste à observer la façon de mourir. Cette pratique
repose sur une croyance largement diffusée à l'époque d'Homère et dont l'Iliade a
gardé souvenir. Patrocle puis Hector, au moment de leur mort, se livrent à des pro­
phéties. C'est, comme l'a expliqué E. Rohde s'appuyant sur les commentaires des sco­
liastes, que « l'âme, sur le point de devenir libre, revient à un état de vie plus haute,
où elle jouit de la faculté de connaître sans l'intermédiaire de la perception sensible ».
Une telle croyance me semble confirmée par le deuxième détail qui tient au mode de
mise à mort, tout aussi original. Plonger une dague au-dessus du diaphragme entre
les côtes et le sternum sur un homme debout est un exercice difficile répondant à une
impérieuse nécessité, celle qu'imposerait par exemple la localisation en cet endroit de
l'une des âmes particulières, celle de la force guerrière peut-être, participant de l'âme
générale. Dans la deuxième partie de cet ouvrage nous avons vu que le Timée de
Platon avait heureusement conservé comme une archive l'une de ces géographies ana­
tomiques de l'âme.

Le texte de Diodore, si l'on essaie d'échapper à l'habituelle imprécision de la tra­


duction, devient parfaitement clair. Il y a probablement deux sortes de devins. Les
mages travaillent de façon privée et s'adressent généralement au peuple (en grec plé­
thos), ils pratiquent l'art augural et l'extispicine sur les victimes animales habituelles,
ils ont un grand succès car ils répondent à tous types de questionnement. Les devins
officiels, au contraire, sont intégrés dans les corps sacerdotaux et pratiquent leur divi­
nation dans un cadre parfaitement ritualisé qui n'a rien à voir avec la magie. Le texte
de Diodore est formel : ils frappent un homme qui auparavant a été consacré. Le terme
employé (kataspeisan tes) a un sens premier précis qui signifie « arroser, asperger, faire

1 63
une libation » . On ne sait si l'on doit retenir ce sens premier, il est sûr en tout cas que
la victime a fait l'objet d'un rite préalable qui le « consacre » aux dieux, qui en fait un
être sacré. Ce rite a deux conséquences : il place le sacrifice au sein d'un culte du plus
haut niveau et il établit le contact avec le monde divin. Autrement dit, la victime va
devenir pour quelques instants l'intermédiaire ou plutôt le porte-parole des dieux qui
vont exprimer leur volonté à travers lui. L'authenticité du sacrifice humain dans ce cas
paraît incontestable. Il n'en demeure pas moins un acte exceptionnel, justifié par de
grands intérêts qui ne peuvent avoir rapport qu'à la guerre, à quelque épidémie, en
somme un péril qui menace la nation entière. On se trouve dans le cadre classique des
sacrifices humains antiques dont Iphigénie est la figure symbolique. Les Grecs et les
Romains ont pratiqué longtemps de tels sacrifices avant l'entrée en guerre, sacrifices
marqués du sceau de la mantique.

Diodore n'est pas le seul à mentionner ce procédé qui inaugure la guerre. Justin
dans son abrégé de l'œuvre de Trogue-Pompée raconte que les Galates en 277 avant
J.-C. avant d'affronter Antigone, procèdent à un sacrifice divinatoire. « Les Gaulois,
instruits de l'approche d'Antigone, se préparent au combat, ils immolent des victimes
pour les auspices précédant le combat, dans leurs entrailles ils trouvent le présage
d'une affreuse défaite » . En réalité - et la suite des événements en donne la confirma­
tion - il s'agit d'une prise d'auspices habituelle, telle qu'auraient pu la faire des
Romains, avec des victimes animales. Ce n'est qu'avoir pris connaissance du présage,
qu'ils sacrifient femmes et enfants en un épouvantable massacre, ce que Trogue­
Pompée commente de cette manière : « ils entament les auspices de la guerre par un
parricide », ce qui est une manière de dire que le sacrifice divinatoire proprement dit
s'était exercé sur des animaux. On le voit, même au cours d'événements dramatiques,
le sacrifice humain demeure exceptionnel, alors qu'on se trouve à une époque relati­
vement ancienne, le début du IIIe siècle. C'est dire qu'à l'époque de César un tel sacri­
fice devait être rare, voire le souvenir d'un lointain passé. Il avait pu subsister chez
quelque peuple retiré, éloigné des progrès de la civilisation. Ainsi, Tacite dans les
Annales signale encore son existence à l'époque de Néron dans l'île de Mona, chez les
Bretons.

Le sacrifice d'action de grâce


Le même Diodore nous fait un autre récit de sacrifice humain, parfaitement carac­
téristique d'un deuxième type, le sacrifice d'action de grâce. Il s'agit encore des
Galates, engagés cette fois dans la troisième guerre de Macédoine au milieu de la pre­
mière moitié du II• siècle. Après une bataille, un chef galate rassemble les prisonniers,
il choisit les plus beaux, ceux qui sont dans la fleur de l'âge, il les couronne puis les
sacrifie aux dieux. Tous les autres il les perce de traits. Or, rapporte Diodore, plusieurs
d'entre eux étaient connus de ce chef et entretenaient avec lui des rapports d'hospita­
lité.'

On a à nouveau un schéma classique qui indique un rite non pas courant mais
connu dont les règles sont respectées, ce qui exclut tout emportement conjoncturel. Le

1 64
chef galate procède méthodiquement. Il choisit les plus beaux des jeunes hommes,
ceux qui incarnent le mieux les qualités du guerrier mais aussi du jeune aristocrate. Il
les consacre en les couronnant, la couronne étant chez les Celtes un signe d'amitié et
de respect, avant de les sacrifier. Cette action de grâce, selon toute probabilité, vient
conclure un vœu préalable, avant le combat. Ici est rendu aux dieux ce qui leur avait
été promis. Le sacrifice humain se limite aux hommes qui ont été consacrés. Les autres
prisonniers sont tués en dehors de tout rite, parce que les Galates agissent ici en mer­
cenaires engagés dans une longue campagne et qu'ils ne peuvent emmener ces pri­
sonniers chez eux pour en faire des esclaves.

On a affaire ici à un ensemble de rites purement guerriers qu'on retrouve, dans ses
grandes lignes, au moins, dans la religion romaine archaïque, c'est le votum dont on
voit ici la réalisation. Le prix du vœu, suivant la gravité du péril, variait dans la masse
et la qualité des offrandes. Il pouvait être total dans le pire des cas : butin matériel,
humain et animal. Il pouvait aussi ne se limiter qu'à des prises prestigieuses : trophées
d'armes des chefs ou parures de ces derniers. Entre les deux, toutes les solutions
étaient possibles. Diodore, dans ses généralités sur les Gaulois du Livre V, indique
qu'ils se servaient des prisonniers de guerre pour les offrir aux dieux, ce qui doit être
une manière différée de rendre grâce d'une victoire, en la replaçant dans le calendrier
férial. Les mêmes rites existèrent longtemps à Rome et Vercingétorix en est l'exemple
malheureux. Mais Diodore précise aussi que certains peuples sacrifiaient les animaux
pris à la guerre, ce qui laisse entendre que généralement les prisonniers étaient promis
à un autre destin ; on sait, en effet, que toute une partie de l'économie gauloise, notam­
ment celle de ses échanges avec les peuples voisins méridionaux, reposait sur le mon­
nayage de ces prisonniers, échangés contre une rançon ou livrés à l'esclavage.

Ainsi, que son but soit divinatoire ou qu'il soit l'aboutissement d'un vœu, le sacri­
fice humain apparaît avant tout comme un rite guerrier ou un rite conjoncturel dans
une situation périlleuse. Par là il ne diffère nullement des exemples que l'on connaît
dans la Grèce ancienne grâce aux poètes tragiques ou à Rome jusqu'à une époque fina­
lement très tardive. Rien n'indique - en tout cas pas les textes - que ces rites aient
connu une fréquence plus grande chez les peuples de Gaule que chez les peuples ita­
liques ou grecs.

Sacrifice cathartique

Il n'est même pas certain que les peuples gaulois aient connu un autre type de sacri­
fice humain, bien connu dans l'Antiquité et représenté par quelques exemples célèbres
en Grèce et à Rome, celui que l'on pourrait qualifier de « cathartique » . Dans cette série
le sacrifice le plus célèbre est celui dit du « bouc émissaire » . Un homme symbolique­
ment chargé de toutes les impuretés de la cité est promené dans celle-ci avant d'être
solennellement mis à mort. Servius dans un texte reproduit par Pétrone indique qu'un
tel rite se déroulait à Marseille en cas d'épidémie. Un pauvre s'offrait pour sauver la
cité. Pendant un an il était nourri et choyé aux frais de l'Etat. Le moment venu, il était
revêtu d'habits consacrés et couronné de feuillages. On le promenait à travers toute la

1 65
ville où il était soumis à toutes les imprécations. Enfin il était précipité à la mer,
emportant et son corps et tous les maux dont il était symboliquement couvert.
Lactance Placide, commentant La Th ébaïde de Stace, fait un récit pratiquement similai­
re. Mais il attribue la coutume aux Gaulois, lui donne un rythme annuel et décrit le
sacrifice sous forme d'une lapidation.

Il est probable que les deux récits soient issus d'une même source qui jusqu'à pré­
sent n'a pas été identifiée. Il est donc difficile de trancher pour savoir si la coutume
était gauloise ou massaliote. A vrai dire, cela est sans importance pour notre propos.
Il est plus que vraisemblable qu'un certain nombre de peuples gaulois aient pratiqué
ce type de sacrifice largement répandu dans les parages de la Méditerranée au premier
mi llénaire avant notre ère. C'est un rite typiquement urbain, destiné à ressouder
périodiquement une communauté non encore habituée à vivre dans la promiscuité et
à partager des cultes auparavant limités à l'aire familiale. Dès le ne siècle avant J.-C.,
un certain nombre de cités gauloises se sont urbanisées sur le modèle grec, il n'y a rien
d'étonnant à ce qu'elles aient acquis parallèlement les rites qui étaient attachés à ce
nouveau mode de vie. L'absence de mention chez les compilateurs de Posidonius sug­
gère qu'ils étaient peu répandus voire inexistants dans la Gaule du centre et du nord.

Non que les Gaulois n'aient pas eu conscience de la nécessité d'une certaine pureté
de leur société. Ils la concevaient, ainsi que son fonctionnement, d'une autre manière.
Dans son fatras d'informations religieuses, César livre un renseignement précieux qui
est parfaitement confirmé par Diodore. « Ils pensent que le supplice de ceux qui ont
été emprisonnés pour vol, pour brigandage ou pour une quelconque autre forme de
préjudice sont plus en faveur auprès des dieux immortels. Mais quand les victimes de
ce genre manquent, ils se résignent à supplicier des innocents. » Il faut évidemment
oublier la seconde phrase, perfidie intentionnelle de César que contredit évidemment
l'affirmation antérieure. Ainsi, si l'on devait s'en tenir qu'à ce seul texte, nous aurions
la preuve que dans le fonctionnement normal de la cité, hors des temps de guerre,
seuls les malfaiteurs (selon l'expression de Diodore) étaient mis à mort.

Des exécutions j udiciaires et un lieu de j ustice

Chez la plupart des peuples gaulois, nous l'avons vu, le judiciaire ne s'était pas
séparé du religieux, à la fois par archaïsme et par philosophie politique, un ensemble
de conceptions des rôles de l'Etat et de la religion, largement inspiré par les druides.
La moralisation de la vie politique entreprise par ces prêtres-philosophes passait
nécessairement par l'adoucissement des mœurs religieuses. Les croyances primitives
sur l'appétit des dieux pour les victimes humaines, sur le rachat d'une vie humaine
par une autre vie humaine ne pouvaient pas être ouvertement condamnées et rapide­
ment combattues. Elles ne pouvaient qu'être détournées de leur forme première. C'est
ce que firent les druides dans un domaine particulier et privilégié, puisqu'il est à che­
val sur trois sphères de la vie sociale : le religieux, le politique et la vie quotidienne. En
s'occupant de toutes les affaires judiciaires, publiques et privées et en ritualisant les
condamnations à mort, les druides agissaient sur deux plans : ils cantonnaient le sacri-

1 66
Plan de l ' e n c e i nte de Fes q u e s (Sei ne- Mariti m e ) , auto u r de laq u e l l e f u rent déco uve rtes des pai res de pieds e n
p lace dans d e petites fosses.

1 67
fice humain à un cadre strictement pénal, ils renforçaient leur contrôle sur la vie poli­
tique en retirant aux magistrats civils le droit de vie et de mort. Ce pouvoir exorbitant
des druides, au moins dans les régions que Posidonius avait pu étudier, avait de quoi
inquiéter un Romain tel que César qui savait, quand cela l'arrangeait, faire taire son
éthique et faire parler ses instincts dictatoriaux. C'est pourquoi maladroitement, juste
après avoir recopié ce passage de Posidonius, il essaie d'en annihiler le caractère posi­
tif : « Les supplices de ceux qui sont arrêtés pour vol ou pour brigandage passent pour
être plus agréables aux dieux ; mais quand les ressources de ce type font défaut, on se
résoud à supplicier des innocents » .

Nous l'avons v u a u long d e c e chapitre, i l est extrêmement rare que l'archéologie


apporte de l'eau au moulin de la documentation littéraire. C'est pourtant en ce domai­
ne du rituel judiciaire que deux sites exceptionnels du nord de la France livrent des
faits qui semblent confirmer les témoignages de Diodore et de César. Ces découvertes
sont du plus haut intérêt, dans la mesure où les vestiges, nombreux voire répétitifs, ne
doivent rien au hasard et surtout s'inscrivent dans un contexte lui-même révélateur.

Acy-Romance, dans le département des Ardennes, est un village gaulois occupé aux
deux derniers siècles précédant notre ère. Les maisons et probablement des fermes s'y
regroupent sur une superficie d'une dizaine d'hectares. Parmi le nuage de structures
creuses que forment les trous de poteaux des maisons et les fosses et silos, se distingue
un enclos de forme assez curieuse, entre le trapèze et le quartier d'orange, d'un demi­
hectare de superficie. Il s'agit probablement d'une sorte de place publique qui a connu
des activités rituelles, assurément des banquets collectifs. Deux voies longent, à l'ex­
térieur, deux côtés de cet enclos et paraissent structurer l'habitat. Les découvertes qui
nous intéressent ont été faites à l'extérieur de l'enclos et au croisement de ces deux
voies. Ce sont dix-neuf fosses, très peu profondes (d'une trentaine de centimètres sous
le niveau de décapage), dans lesquelles se trouvaient chaque fois les restes d'un indi­
vidu en position accroupie, voire recroquevillée. La position de ces corps, l'aplatisse­
ment du squelette et la conservation de bon nombre d'articulations suggèrent que les
individus sont restés exposés un certain temps et se sont desséchés naturellement. La
disparition des chairs mais la conservation de la peau et d'une partie des ligaments
paraissent seules pouvoir expliquer la forme de galette qu'ont prise ces squelettes. Les
cadavres avaient dû par conséquent demeurer un certain temps à l'air et il n'est pas
improbable qu'ils n'aient jamais été volontairement recouverts de terre.

La situation des squelettes humains du deuxième site, celui de Fesques en Seine­


Maritime, est assez semblable. Vingt-six ensembles (mais il y en a probablement beau­
coup plus, de l'ordre de la centaine) se trouvent également dans des fosses très peu
profondes et qui sont également restées un temps assez long ouvertes. Pour l' essen­
tiel, il ne s'agit cette fois que des parties basses des corps, paires de pieds, quelquefois
surmontées encore de leur tibias et fibulas. Des os, généralement ne présentant plus
de relations anatomiques et appartenant au reste du squelette, indiquent cependant
que c'étaient bien des cadavres entiers qui avaient été exposés là et en position verti­
cale. Le contexte de ces découvertes diffère totalement de celui d' Acy-Romance : une

1 68
colline, d'une dizaine d'hectares de superficie, en forme d'éperon barré, enceinte par
un petit fossé, plus symbolique que défensif. Les fosses se trouvent à l'extérieur de
cette enceinte mais à quelques mètres seulement du fossé. Des trous de poteaux les
côtoient souvent, parfois les entourent et les auteurs de la découverte les interprètent
comme les traces de sortes de portiques qui auraient pu maintenir les individus en
position verticale. Là encore la rigueur des liaisons anatomiques entre les os du pied
suggère que les cadavres se sont desséchés sur place. A l'intérieur de cette vaste
enceinte ne se trouve qu'un petit lieu de culte dont l'époque d'utilisation peut corres­
pondre à celle de la mise en place des cadavres tout autour de l'enceinte, mais qui a
surtout livré un matériel un peu plus récent (!°' siècle avant J.-C . ) .

Les restes humains d e ces deux sites n'ont rien d e commun avec les vestiges cul­
tuels habituels et ne paraissent pas pouvoir être mis au compte de sacrifices humains
réguliers, ceux qui seraient offerts à une divinité en son lieu de culte. Dans les deux
cas nous avons affaire à des victimes - si tant est qu'elles ont été mises à mort pour
l'occasion, ce que l'état des os ne permet pas de savoir - qui se trouvent hors de l'es­
pace cultuel et qui ont la particularité de n'avoir pas été « consommées » par la divi­
nité en ce qui devrait être son autel, un foyer ou une fosse, du type de celle de
Gournay. L'abandon des cadavres en un lieu totalement ouvert suggère plutôt que
ceux-ci adressent leur message plutôt aux humains qu'aux dieux. La signification de
tels gestes, on la trouve certainement dans les faits grecs et romains. De nombreux
vases peints montrent des corps, toujours nus, dans des positions similaires, soit assis,
soit debout, liés à un poteau ou à un portique. Ces scènes représentent des châtiments,
entraînant la mort, et dont Platon dans Les Lois nous donne le sens : (pour les actes les
plus graves) « les peines seront la mort, la prison, le fouet, certaines postures humi­
liantes, assis, debout, exposé à la porte d'un temple sur les frontières du territoire » . Il
en allait de même à Rome où les suppliciés, exposés pareillement, mis en croix, étaient
repoussés aux limites de la ville. Les deux exemples gaulois nous donnent des ver­
sions de la peine capitale, qui s'inscrivent parfaitement dans cette syntaxe ritu e lle qui
d'ailleurs n'est pas propre à l' Antiquité : probablement mises à nu, parce que leur
apparence est ainsi plus dégradante, les victimes sont exposées en un lieu public ad
vitam aeternam, la mort intervient d'elle-même, sans effusion de sang, comme si elle
découlait inéluctablement de l'acte fautif.

A cet égard, le site de Fesques apporte des données fondamentales. La colline


entourée d'un fossé peu profond, plus une rigole qu'une authentique clôture, paraît
avoir accueilli, certainement temporairement et peut-être à plusieurs reprises, des
foules importantes. En témoignent les milliers d'ossements de bœufs, rejetés en ce
même fossé, provenant peut-être de plusieurs centaines d'animaux, tou s très jeunes,
d'un an et demi à deux ans. Ces foules ont donc participé ici à un ou plusieurs ban­
quets gargantuesques. Quelles étaient les raisons de telles agapes ? Les deux
ensembles remarquables de vestiges du lieu, les individus exposés et le petit lieu de
culte, nous les donnent. Les rassemblements de cette communauté, suffisamment
vaste pour sacrifier une telle part de son cheptel bovin, avaient probablement une
double nature, si ce n'est une triple nature. Sous l'égide divine que signalait au som-

1 69
met de la colline un petit autel les participants tenaient des réunions de la plus haute
importance, celles qui présidaient à l'avenir de l'entité ethnique, la cité ou l'un de ses
pagi, et dont témoignent non seulement les reliefs imposants de ces repas mais aussi
une abondante vaisselle et surtout des éléments de l'armement. On devait parler ici de
politique et, au besoin, se prenaient les décisions judiciaires. Les druides devaient
n'être pas bien loin, c'est ce que semble signifier l'existence du petit lieu de culte. Un
tel lieu, aussi vaste et aussi propice à de grands rassemblements, n'est pas sans faire
penser à celui qu'il faut imaginer, à l'évocation que nous fait César du tribunal
d'Orgétorix, suffisamment grand et bien conçu pour recevoir non seulement tous les
édiles helvètes mais encore les dix mille clients venus soutenir Orgétorix. Le récit de
la Guerre des Gaules, à de nombreuses reprises, évoque de telles installations publiques,
sièges de sénat, du concilium armatum, lieux de justice. Le site de Fesques pourrait être
le premier exemple que l'archéologie nous en donne, une sorte de tribunal, offert par
la nature et légèrement aménagé par l'homme. A un niveau inférieur de l'échelle des
groupes humains, celui d'une agglomération plus ou moins grande, comme à Acy­
Romance, une simple place, un carrefour tenaient lieu d'espace de justice, ainsi que le
firent plus tard les gibets.

Des formes exceptionnelles ou incomprises

Diodore, Strabon et César décrivent d'autres formes du sacrifice humain. Ces der­
nières curieusement ont plus retenu l'attention des commentateurs que les sacrifices
humains qui viennent d'être décrits et peuvent par comparaison avec d'autres reli­
gions paraître assez banals. Ils trouvaient là matière à la description exotique des
Gaulois qui plaisait tant au XIX• et au début du XXe siècle. La mise en scène tout à fait
extraordinaire d'un véritable holocauste a surtout marqué les esprits. Chez César et
Strabon la description est, à la phrase près, la même. Des Gaulois construisent une
sorte d'effigie d'osier et de paille, d'une taille gigantesque et qui pouvait donner l'ima­
ge d'un dieu (César emploie simulacrum et Strabon kolossos, deux termes utilisés pour
les représentations divines) . A l'intérieur de cette construction on place des humains,
mais aussi du bétail et des bêtes sauvages. Et on y met le feu. L'originalité de cet holo­
causte, les précisions sur la construction donnent une certaine crédibilité au témoi­
gnage. Un informateur un j our a vu dans un pays gaulois cette étrange cérémonie ou
plus certainement ses résultats, sous une forme déj à très altérée. Rien ne dit que ce rite
se soit diffusé géographiquement ni même qu'il ait connu une certaine fréquence. Il
est sûr en tout cas que l'information transmise à Posidonius devait être incomplète : on
ne lui a pas donné les raisons du sacrifice et il est probable même que l'informateur
n'ait pas assisté physiquement à la scène. La m ention que l'on trouve dans le texte de
Strabon de bêtes sauvages paraît tout à fait douteuse. Il faut noter à ce propos que
César sur le contenu de la construction ne parle que d'humains pour renforcer le
caractère barbare qu'il veut donner à la religion gauloise.

Les autres sacrifices mentionnés, surtout par Strabon, paraissent plus suspects
encore. Non pas qu'il faille voir chez cet auteur une quelconque volonté de déformer

1 70
l'information. Il semble plutôt que dans la compilation des sources posidoniennes
Strabon ait regroupé tout ce qui concernait les corps humains (le traitement des têtes
par exemple) sans se soucier de chercher si les pratiques dont il rendait compte
avaient toutes à voir avec le sacrifice humain. Ainsi, il mentionne, sans plus s'y attar­
der, deux manières parfaitement aberrantes de mettre à mort des humains. La pre­
mière consiste à percer une victime de flèches, la seconde à empaler ou crucifier (le
terme anestauroun signifie « suspendre ou accrocher à un poteau » ) un homme dans
une enceinte sacrée. Les récentes découvertes de dépôts osseux humains dans les lieux
de culte de Picardie, loin d'accréditer un tel témoignage, invitent plutôt à le corriger.
On est en droit de se demander s'il ne s'agit pas tout simplement de la description de
trophées humains construits avec des cadavres de guerriers morts au champ d'hon­
neur. A l'époque de Posidonius, la confection de gigantesques trophées humains, tels
que celui de Ribemont, n'était déjà plus en usage dans la Gaule, c'est donc par une
source intermédiaire, un voyageur grec de la fin du me siècle peut-être, que l'ethno­
graphe de la Gaule a eu à connaître cette coutume. L'auteur de sa source ou son infor­
mateur n'a certainement pas vu l'accomplissement du rite qui devait se faire dans le
secret ou dans le cercle étroit des initiés, il n'en a vu que le résultat, des cadavres
décharnés encore accrochés à des poteaux et c'est à partir de cette observation qu'il a
reconstruit un rite probablement imaginaire. Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse d'un
véritable sacrifice ou plutôt, comme je pencherais à le penser, que ce soit la description
d'un trophée, il s'agit encore une fois de rites purement guerriers qui seront réexami­
nés dans la cinquième partie de cet ouvrage.

Conclusion

Si ce tour d'horizon sur l'ensemble des sources concernant le sacrifice humain a pu


paraître long, c'est qu'il a été fait dans le détail et dans le souci d'une analyse poussée
sur un sujet qui a encombré l'histoire des religions celtiques. Au terme de l'examen,
on ne peut être que surpris par le petit nombre des sources dignes de foi qui ne sont
ni la sempiternelle copie d'un auteur ancien, ni un commérage insignifiant. Les
quelques formes cohérentes qui ont pu être mises en évidence indiquent que le sacri­
fice humain a existé en Gaule, d'une façon régulière jusqu'au me siècle avant J.-C.,
qu'il entrait dans des pratiques guerrières et prenait des formes tout à fait similaires à
celles que l'on connaît dans la Grèce jusqu'au VIe siècle et à Rome jusqu'à l'Empire.

A partir du me siècle, sous l'influence de la philosophie druidique et sous l'effet de


la transformation profonde de la société gauloise, cette pratique prend essentiellement
une allure pénale. C'est alors que se développe le mythe rapporté par Diodore selon
lequel Héraklès qui avait fondé Alésia aurait interdit aux Gaulois l'usage du sacrifice
humain, sous-entendu à l'intérieur d'un culte d'Etat. Dès le ne siècle beaucoup de cités
gauloises ont au sujet des sacrifices humains des conceptions qui ne les font pas dif­
férer radicalement de l'attitude qu'ont sur le même sujet les Romains. Les propos
convenus de Cicéron et de César sont à ranger parmi les figures de style, les exercices
imposés que l'on trouve dans la parfaite panoplie des orateurs politiques de l'époque.

1 71
Au g ure et divination

C 'est dans la pratique de la divination que les Gaulois se rapprochent le plus des
peuples italiques. Il n'est aucune forme de mantique connue à Rome qui ne trouve un
correspondant en Gaule, au point qu'il est loisible de se demander si la parenté italo­
celtique que les linguistes ont mise en évidence à propos des deux langues ne s'éten­
dait pas également aux formes les plus archaïques du culte. Pourtant dans l' Antiquité,
l'art divinatoire des Gaulois n'était pas universellement connu et les avis des histo­
riens anciens sur la question sont très partagés. Pausanias écrit que les Celtes avant la
bataille n'utilisent pas les services d'un devin grec et se demande s'il existe même une
forme de divination celtique. Autant la première affirmation paraît partiellement juste
(les Celtes avaient leur propres devins et l'on conçoit mal qu'ils fissent appel à un spé­
cialiste grec), autant la seconde est contredite par tous les autres auteurs antiques. A
l'inverse, Cicéron décrit Diviciac comme un druide spécialisé dans la mantique ; tel
que ses connaissances le définissent, il fait figure d' Augure à la gauloise.

Si les sources littéraires sont peu nombreuses et surtout disparates, c'est que le sujet
n'offrait pas aux géographes et historiens les qualités des autres mœurs gauloises,
celles qui inspiraient des cartes postales exotiques où les Gaulois apparaissaient un
peu comme les indigènes d'Afrique et d'Océanie dans les récits des voyageurs de
l'époque moderne. Par ailleurs, les pratiques divinatoires se prêtaient mal à des des­
criptions brèves reposant sur des observations matérielles, susceptibles de provoquer
chez le lecteur des représentations faciles. Enfin, il est évident que ces ethnographes
de fortune n'avaient accès qu'à une connaissance visuelle limitée, celle qui portait sur
des gestes aisément interprétables : le sacrifice, l'examen des entrailles, l'observation
de pèlerins venant recueillir un oracle dans un sanctuaire, mais qu'ils ignoraient tout
des lois complexes de cet art, savoir réservé à quelques devins et dont à Rome même,
seuls les Livres Sibyllins nous donnent une idée.

Aujourd'hui, l'état des sources ne permet pas une synthèse raisonnée qui diviserait
l'ensemble des pratiques divinatoires en grandes catégories auxquelles on pourrait
faire correspondre les officiants qui les pratiquaient. L'habituelle difficile distinction
entre magie et divination officielle à laquelle les élucubrations des druides sur les
nombres, le mouvement des planètes sont venues apporter encore un peu plus de
confusion, ne permet pas une vision historique qui donnerait un semblant d'ordre à
des rites si différents.

Jours fastes, j ours néfastes

Natio est omnis Gallorum admodum dedita religion ibus, écrit César en une formule
demeurée célèbre qu'il n'est cependant pas aisée de traduire. « Tous les Gaulois sont
très adonnés aux pratiques religieuses » serait certainement la meilleure traduction, si
on entend par pratiques religieuses non seulement les cultes officiels, mais aussi
toutes les conduites superstitieuses voire magiques. Parmi elles l'interrogation des

1 72
signes de tous ordres était une préoccupation constante pour le simple individu
comme pour le chef de guerre ou le dignitaire religieux.

Les Gaulois, comme les Romains, ne se souciaient pas seulement de connaître l'ave­
nir. Il leur était nécessaire en toute circonstance de savoir s'il y avait un accord préa­
lable du divin pour qu'une action, cultuelle ou non, fût engagée. Les Romains expri­
maient cette autorisation divine par le mot Jas. Le calendrier de Coligny, écrit en
langue gauloise, fait alterner des jours dits mat avec des jours dits anmat, qui pour­
raient bien correspondre à la répartition des jours entre ceux qui sont favorables et
ceux qui ne le sont pas, à moins que ces termes ne désignent les jours susceptibles
d'être marqués par une fête religieuse, ceux que le latin appelle festi, par opposition
aux jours laissés aux hommes pour leurs affaires publiques et privées, dits profesti. Il
est probable que le sens précis de ces termes gaulois nous échappera encore long­
temps. Ce qui importe, c'est que dans les derniers siècles de leur indépendance, les
Gaulois, comme les Romains, aient été amenés à donner une hiérarchie à la succession
de jours qu'il fallait chaque fois interroger.

Néanmoins, le caractère faste du jour ne dispensait pas l'individu soumis à un péril


ou à une simple difficulté d'interroger les signes sur les chances de réussite de son
entreprise. Le général avant de commencer le combat devait consulter. Mais aussi
celui qui devait mener une négociation politique ou commerciale. César rapporte
qu'en 53, l'Eduen Dumnorix refuse de l'accompagner chez les Bretons. Dumnorix se
dit « empêché par des raisons religieuses ». On ne sait s'il avait consulté les augures
au sujet de la simple traversée de la Manche ou sur son avenir politique. Il est sûr en
tout cas que César ne paraît pas spécialement étonné par la raison invoquée, ce qui
signifie qu'il était habitué à voir autour de lui les nobles gaulois procéder à des obli­
gations religieuses de tous ordres. La recherche d'un accord divin devait être un pré­
texte commode pour échapper à des obligations politiques ou guerrières dont l'issue
paraissait incertaine.

Présages et prodiges

Scruter les signes divins n'est pas le fruit d'une volonté intellectuelle, c'est un
réflexe profondément humain devant chaque écart que la nature impose à des cycles
qui paraissent immuables. Dès que l'homme par l'usage de la parole devint capable
de donner une forme raisonnée à sa conscience, il a cherché à guetter puis à interpré­
ter les moindres défaillances d'un environnement naturel qui lui était comme une
seconde peau. L'examen des présages et des prodiges qui remonte à la préhistoire la
plus ancienne est demeuré dans toutes les religions antiques dans un exceptionnel état
de fraîcheur. Elles se sont contenté d'en développer les méthodes d'analyse, chacune
imprimant à ces méthodes la marque de sa mentalité propre. Les Romains, avec leur
souci habituel de l'ordre, avaient rédigé des répertoires annalistiques de tous les
signes enregistrés. Les Etrusques avaient développé, à l'excès et sur le modèle méso­
potamien, l'art des livres d'interprétation qui ne laissaient que peu de place à la glose.
Comment les devins gaulois avaient-ils développé l'art de l'interprétation de ces

1 73
Calen d ri e r g a u l o i s de C o l i g ny (Ai n ) .

1 74
signes ? En l'absence d'écrits, il est impossible d'en dire quoi que ce soit. Nous savons
seulement qu'ils étaient sensibles au moindre souffle, au plus petit tressaillement que
l'univers communiquait parfois aux phénomènes physique : tonnerre, tremblement de
terre, raz-de-marée, phénomènes astraux, etc. Rien ne nous dit en revanche qu'ils aient
apporté le même intérêt au règne animal qui peut produire des prodiges dont les
annales romaines regorgent.

De ces présages et de ces prodiges la littérature gréco-romaine a conservé quelque


mémoire qui nous laisse évidemment sur notre faim. Justin nous apprend que les
Gaulois, sous le règne légendaire du roi Ambigat, en une sorte de ver sacrum, expa­
trièrent une partie de la population sous la conduite des neveux du roi, Bellovèse et
Sigovèse. Le premier se dirigea ves l'Italie. Le second se laissa guider par le vol des
oiseaux qui le conduisirent jusque dans la forêt hercynienne. Pour une époque
quelque peu plus récente, Polybe rapporte que les Galates Aegosages qui accompa­
gnaient Attale en Eolide, arrêtèrent tout à coup leur marche. Ils avaient observé une
éclipse de lune. Aussi déclarèrent-ils qu'ils n'iraient pas plus loin. Les Germains,
proches, dans leur religion, des Celtes, étaient soucieux du calendrier lunaire. Ainsi
Frontin dans ses Ruses de guerre signale que César décida d'attaquer Arioviste quand
la lune était décroissante, cette période étant déclarée néfaste par les Germains. Le
même Frontin signale que la ruse employée par César contre les Cadurques, inter­
rompre le débit d'une source, fut interprétée par ces derniers comme un signe divin.

Du vol des oiseaux et des entrailles des animaux

Les Gaulois voyaient dans les oiseaux les intermédiaires naturels entre le monde
humain et l'univers céleste. Comme la fumée montant des foyers sacrificiels ou funé­
raires, l'oiseau passait pour un messager mais aussi un convoyeur d'âme. Silius
Italicus dans son épopée Punica met cette étrange croyance au compte des Celtes qui
accompagnent Hannibal : « Ils pensent prendre place au ciel, auprès des dieux, si le
vautour affamé déchire leurs restes » . Ce voyage de l'âme ingurgitée par les vautours
qui vont la conduire jusqu'au ciel, on la retrouve identique chez les chamans tibétains.
Elle s'inscrit dans un ensemble de croyances largement diffusées dans tout le monde
altaïque, le sujet a déj à été évoqué. Il est remarquable, en tout cas, qu'elle ait laissé des
traces dans la mythologie irlandaise où le corbeau joue le même rôle et conduit l'âme
du guerrier sur la lune, éden des guerriers héroïques où peut prendre place l'âme,
comme il arrive au héros Lleu, tué d'un coup de lance.

Les oiseaux les plus grands, les plus mystérieux et ceux qui montent le plus haut
dans le ciel jusqu'à sembler s'y perdre, étaient évidemment censés tenir une plus gran­
de place auprès des dieux, rapaces, grands oiseaux migrateurs par exemple. Un véri­
table art de l'observation des oiseaux s'est développé en Gaule assez tôt. Diodore le
nomme oïonoskopia . Cicéron le fait correspondre à l' augurium . Derrière ces mots, il est
évidemment difficile d'imaginer des pratiques qui devaient différer plus ou moins
sensiblement de ce que l'on en sait à Rome. Heureusement Artémidore, géographe
grec, contemporain de Posidonius, a su consigner l'un de ces exercices si bizarres que
Strabon, recopiant l'anecdote, la qualifie de fable. Voici ce récit d' Artémidore que nous

1 75
avons déjà eu l'occasion d'évoquer : sur la côte atlantique se trouve un port, dit « des
deux corbeaux » . Son nom, il le tient d'un véritable rite d'oïonoskop ia, comme le quali­
fierait Diodore. Il y a en cet endroit deux corbeaux qui ont la particularité d'avoir l'ai­
le droite blanche. Ceux qui ont des différends se rendent là-bas et ce sont les corbeaux
qui les départagent de la manière suivante : des galettes d'orge sont disposées en tas
aux deux extrémités d'une planche, un tas pour chaque adversaire. On lâche alors les
corbeaux qui se précipitent sur les gâteaux. Celui dont le tas aurait seulement été épar­
pillé par le corbeau sans être mangé obtiendrait gain de cause. Le géographe ou son
compilateur a oublié d'indiquer dans quel cadre cette sorte d'ordalie se faisait. Des
prêtres étaient-ils présents ? La scène se déroulait-elle dans un sanctuaire ? Il est sür en
tout cas que les deux corbeaux, apparemment attachés au lieu, étaient des animaux
sacrés, choisis pour leur particularité physique, l'aile blanche qui indiquait que leur
élection était l'œuvre même des dieux.

Nous l'avons vu, à propos du sacrifice humain, l'extispicine ou examen des


entrailles dans un but divinatoire, a été pratiquée par les Celtes. Mais les témoignages
en sont rares, ils ont déjà été cités et paraissent concerner les Galates plutôt que les
Gaulois. Rien n'assure que cette forme de divination particulière se soit développée en
Gaule. On sait qu'à Rome elle était limitée à l'haruspicine (examen du foie) introduite
par les E trusques.

Le corbeau d'Apollon et de Valérius Corvus

Il faut réserver une place particulière au corbeau que la légende donne comme l'un
des animaux sacrés des Gaulois. Le corbeau, dans la religion gauloise mais aussi dans
la religion romaine, était l'oiseau augural par excellence. Et on lui prêtait des liens pri­
vilégiés avec Apollon. Cette croyance n'était pas seulement partagée par les « Halo-cel­
tiques » mais aussi par les anciens Grecs. Hérodote rapporte qu' Aristéas de Proconèse
affirmait être un compagnon d'Apollon et qu'il prenait alors la forme d'un corbeau.
Or il est remarquable qu'Apollon est le dieu grec qui a le plus de rapport avec les
Celtes. On disait qu'il s'était réfugié chez les Hyperboréens, nom que les Grecs avant
le IV• siècle donnaient aux populations celtiques du nord-ouest de l'Europe. Et une
légende conservée par Apollonios de Rhodes expliquait l'origine de l'ambre comme la
pétrification des larmes d'Apollon lors de son exil. Mais des liens plus étroits exis­
taient encore sur le plan religieux : des vierges hyperboréennes apportaient jusqu'au
sanctuaire de Délos de mystérieux cadeaux à Apollon.

L'intérêt que les peuples antiques trouvaient au corbeau tient évidemment à sa voix.
Pindare explique que cet oiseau peut produire soixante-quatre cris différents. Et Pline
l'ancien affirme qu'il s'agit du seul oiseau capable de comprendre le sens de ses pré­
sages. La seule mention que nous possédions de cette fonction oraculaire du volatile
concerne la fondation légendaire de Lyon. Le Pseudo-Plutarque explique la fondation
et le nom de cette ville, « la colline des corbeaux » par une légende qui paraît être la
copie ou le doublet de celle expliquant la fondation de Rome : deux nobles gaulois
Atepomaros et Mômoros, guidés par un oracle, entreprennent de délimiter les fonda­
tions de leur future ville qu'ils établissent sur une colline. C'est alors que des corbeaux

1 76
semblent arriver de toutes les directions et se perchent sur les arbres environnants.
Mômoros qui a des connaissances dans l'art augural y voit un heureux présage. La
ville en gardera le nom.

Raymond Bloch, dans une étude inspirée, a montré que l'histoire romaine, notam­
ment celle que nous a léguée Tite-Live, avait conservé la trace d'un mythe celtique
concernant le corbeau. Parmi les récits légendaires qui constituent les débuts réinven­
tés de l'histoire de Rome se trouve une curieuse anecdote dans laquelle R. Bloch voit
l'exemple même du génie de la psychologie romaine à s'approprier « leurs dieux,
leurs mythes, leur gloire » aux peuples voisins. Il s'agit du combat solennel que se
livrent en 349 avant J.-C. un chef gaulois, remarquable par sa force et la beauté de ses
armes et un jeune tribun du nom de Valérius. Au moment où le duel s'engage, un cor­
beau vient se percher sur la tête du jeune Valérius. Celui-ci y voit un présage de bon
augure et prie la divinité qui lui a envoyé cet animal de l'aider à vaincre. Le corbeau
tout en restant sur son perchoir humain participe alors au combat, attaquant de son
bec et des ses griffes le Gaulois qu'il finit par aveugler. En remerciement de cette vic­
toire, Valérius se fit désormais appeler « Corvus », le « corbeau » et fut plus tard repré­
senté en statue, toujours accompagné du corbeau.

Raymond Bloch, reprenant une analyse d'Henri Hubert, montre que ce thème est
isolé dans la littérature et l'histoire romaines, alors qu'il est courant dans les épopées
celtiques insulaires. Par ailleurs de tels combats singuliers, comme celui de même
nature, qui donnera le surnom de « Torquatus » à Manlius, sont étrangers aux habi­
tudes romaines qui privilégient toujours les manœuvres collectives.

Cette légende nous montre comment se présentaient les mythes ou l'histoire légen­
daire dont les Gaulois paraient leur passé ; ils étaient probablement peu différents de
ces récits des temps anciens chez Tite-Live ou de la description des combats que l'on
peut lire chez Homère où les humains ne sont jamais livrés à eux-mêmes mais toujours
accompagnés de dieux qui se livrent entre eux un autre combat, parallèle.

Songes, intoxication, oracles

Autant l'attention portée aux oiseaux rapproche les Gaulois des peuples italiques,
autant leur intérêt pour les songes trouve les plus grandes similarités avec celui que
leur témoignent les Grecs depuis Homère. La valorisation du songe chez les Gaulois
repose sur la conception plus générale qu'ils se faisaient de l'âme et qui a été exposée
dans la deuxième partie de cet ouvrage. L'âme possède une certaine indépendance par
rapport au corps qui l'enferme. Elle parvient à s'échapper de celui-ci au moment de la
mort mais aussi momentanément au cours du sommeil. Dans les deux cas, elle peut
communiquer sans l'aide d'intermédiaire avec la puissance divine. Nous avons vu
que la libération de l'âme dans un but divinatoire pouvait être provoquée par une
sorte de sacrifice humain. Mais le cas le plus courant de la divination exercée par l'âme
était occasionné par le rêve qui n'en paraissait pas moins une expérience quasi fabu­
leuse à celui qui en avait le bénéfice. E. R. Dodds qui a étudié de tels rêves chez les
Grecs a montré que l'activité onirique chez les peuples anciens produisait deux types

1 77
de rêves, des rêves habituels sans signification apparente et ceux qui par leur caractè­
re extraordinaire ou leur rapport à la réalité indiquaient la présence d'un contenu, res­
senti comme un message directement intelligible ou non. Déjà dans l' Antiquité, des
auteurs tels qu' Artémidore et Macrobe avaient proposé une classification de ces der­
niers. Ils en reconnaissaient trois types. Le premier correspond à un rêve chargé de
symboles, le travail d'interprétation doit alors consister à traduire les métaphores oni­
riques. Le second est la vision d'un événement futur, le sens en est généralement clair.
Le troisième, appelé ch rematismos, est à proprement parler un oracle, prononcé par un
personnage dans le rêve, généralement un parent, un dignitaire voire une divinité.

Dodds a montré, à partir d'exemples tirés de la littérature philosophique ou théâ­


trale, que de tels rêves, notamment celui du dernier type, étaient courants dans
l' Antiquité. Les structures mentales et culturelles de l'individu l'y préparaient. Et à sa
façon, le rêve reflète non seulement notre personnalité, comme l'a montré Freud, mais
aussi notre société et notre culture. Les Gaulois avaient pour cela des dispositions cer­
tainement assez semblables à celles des Grecs mais aussi moins développées par plu­
sieurs siècles d'une civilisation brillante. L'un de ces rêves du type chrematismos, géné­
ralement réservés aux personnages importants, nous est connu dans le monde gau­
lois. Il s'agit du rêve du roi Catumandus qu'a consigné Trogue-Pompée. Peu de temps
après sa fondation, la ville de Marseille fut assiégée par les peuples gaulois du voisi­
nage. Ces derniers étaient commandés par un roitelet, du nom de Catumandus. Une
nuit, devant Marseille, il connut le rêve suivant : une femme à la figure menaçante se
présenta à lui comme une déesse, elle l'épouvanta et lui demanda de faire la paix avec
les Massaliotes. Le lendemain il demanda aux habitants de Marseille d'entrer dans la
ville pour y honorer leurs dieux. Arrivé au temple de Minerve, il reconnut la déesse
qui l'avait visité en songe, décida de faire la paix et offrit à Minerve un torque en or.
Comme le fait remarquer, non sans humour, Dodds, de tels rêves faisaient après coup
l'objet d'un « travail d'élaboration secondaire », pour reprendre l'expression de Freud,
qui pouvait être assez conséquent. Nous en avons là un exemple édifiant.

En fait, le songe divinatoire du roi Catumandus n'est pas un cas isolé dans
l' Antiquité. Marcel Détienne dans Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, rappelle
qu'à haute époque en Grèce « diverses formes de pouvoir politique et certaines pra­
tiques judiciaires se fondent essentiellement sur un savoir de nature mantique ». Dans
les maisons royales de Thèbes, de Sparte on gardait jalousement des oracles qui
avaient « une grande importance dans la conduite des affaires ». Catumandus ne se
conduit pas autrement que les premiers magistrats de Sparte qui pendant leur som­
meil reçoivent directement leurs instructions de Pasiphae.

Si l'on en croit Nicandre de Colophon, les Gaulois, comme leurs initiateurs grecs en
matière de civilisation, ne se contentaient pas d'attendre sagement des visites divines
qui tardaient souvent. On s'imagina mais on se rendit compte aussi - car la pratique
devait avoir une certaine efficience - qu'on pouvait provoquer les rêves divins. La
méthode la plus simple et certainement la plus rentable étant de s'endormir à proxi­
mité même du dieu, dans son sanctuaire. C'est la technique que les exégètes antiques

1 78
ont appelée « incubation » et plus précisément « incubation oraculaire » . En Grèce,
celle-ci connut un grand succès sur les sanctuaires du dieu Esculape, ceux d'Epidaure
et de Pergame surtout. Un bénéfice thérapeutique était attendu de ces nuits, souvent
répétées, sur le sol du sanctuaire. Nicandre ne dit rien de tel à propos des Celtes, il
signale seulement que les Celtes exerçaient l'incubation oraculaire auprès des sépul­
tures de leurs morts. Or le le plus célèbre oracle grec où l'on recourait à l'incubation
était celui de Trophonios à Lébadée, un sanctuaire dans lequel les archéologues ont
reconnu une sépulture très ancienne, de type th olos . Les cérémonies décrites dans le
détail par le touriste avant la lettre qu'était Pausanias s'assimilaient à une véritable
descente dans l'Hadès.

Il y avait d'autres moyens de provoquer un état proche de celui que procure le som­
meil, état qui n'est pas moins riche en visions et délires oniriques. Certaines formes
d'intoxication ou de drogue pouvaient le favoriser. Nous avons deux exemples qui
concernent les Gaulois. Les Scolies bernoises de la Pharsale de Lucain notent que les
druides étaient accoutumés à exercer la divination sous l'effet de la consommation de
glands. Le choix de ce fruit doit évidemment avoir un rapport avec la sacralité du
chêne. On aimerait savoir sous quelle forme de consommation cet aliment indigeste
pouvait provoquer un talent divinatoire. Peut-être était-il torréfié ? Peut-être en inha­
lait-on la fumée lors du grillage. Hérodote rapporte une coutume étrange des Scythes :
ils jetaient des graines de chanvre sur des pierres rougies au feu dans des sortes de
tente. La vapeur et la fumée produites les mettaient dans un état de délire que Karl
Meuli, dans un article célèbre, Scythica, a interprété comme une pratique chamanis­
tique. On ne sait si les glands du chêne pouvaient produire de pareils effets. Le second
exemple est dû à Pline l'ancien qui écrit que les Gaulois utilisaient la verveine dans un
but également divinatoire. On peut d'ailleurs déduire, à la lecture de ce dernier auteur,
qu'au début de notre ère ce patrimoine probablement immense de pratiques de divi­
nation, de thérapeutique était tombé entre les mains de mages et de sorciers qui se
réclamaient des druides.

Pline encore, dans la somme immense et désordonnée qu'il nous a laissée, évoque
une autre forme de divination, bien connue du monde antique, celle qui consiste à
rechercher d'une grotte, d'une faille dans la terre des signes susceptibles d'être inter�
prétés. Beaucoup des faits qu'il rapporte sont communs aux Celtes et aux Italiques,
nombreux sont ceux qu'il a recueillis lui-même en Gaule et plus précisément en
Belgique dont il fut peut-être le procurateur, aussi peut-on penser, même s'il ne le pré­
cise pas, que les Gaulois connaissaient « les cavernes fatidiques dont les exhalaisons
enivrent et donnent la prescience de l'avenir » . Cette pratique remonte à la plus haute
préhistoire et paraît avoir été exercée surtout par les peuples montagnards, évidem­
ment plus sensibles à ces phénomènes de la nature. Dès le début du premier millénaire
avant notre ère, tout l'arc alpin a connu des lieux de culte sur les sommets et d'autres
liés à de telles cavités naturelles, grottes, avens, etc. Les meilleurs exemples nous sont
donnés par la religion crétoise mais on sait que ces croyances ont été largement diffu­
sées dans l'Europe circumméditerranéenne.

1 79
Les Gaulois, comme la plupart des peuples de l' Antiquité connaissaient des formes
de divination très variées dont beaucoup avaient gardé une forme archaïque. Chaque
lieu de culte, chaque oracle, mais aussi chaque peuple cultivait un particularisme qui
trouvait dans les techniques d'observation et d'interprétation la meilleure forme d'ex­
pression. Chercher à généraliser, à classer ces pratiques, à leur trouver des caractères
spécifiquement gaulois ou même celtiques est une entreprise, dont on peut d'ailleurs
douter du bien-fondé, vouée à l'échec.

Les druides et les nombres

La situation que déplore Pline, celle d'une Gaule au début du Haut-Empire envahie
de sorciers, de prophètes et de guérisseurs, si elle fut réactivée par la disparition des
druides, n'en connaissait pas moins des origines anciennes. Les formes souvent
frustes de divination que nous venons d'évoquer y avaient leur part. Les druides qui
dans les trois derniers siècles de l'indépendance gauloise introduisent les théories phi­
losophiques et les principes moraux dans la vie religieuse, furent confrontés à ce qui,
à bien des égards, ne paraissait rien d'autre qu'une forme d'obscurantisme. Il n'est pas
sûr qu'ils le combattirent de face, ce qui eût été le meilleur moyen de se couper des
masses populaires qui dans le même temps trouvaient progressivement leur place
dans la vie politique. La méthode généralement utilisée par le pouvoir religieux dans
ce cas est d'aménager les croyances anciennes pour les détourner progressivement de
leurs origines. C'est probablement ce qui fut tenté.

Derrière un habillage pseudo-scientifique de la divination, ce qui était recherché


était bien sûr une sorte de rationalisation de l'art qui le mettrait exclusivement entre
les mains d'intellectuels, soit les druides eux-mêmes, soit d'individus formés par eux.
Le pouvoir qui en était attendu n'était pas négligeable. L'interrogation des dieux pré­
cédant toute décision politique, diplomatique ou militaire importante, ceux qui étaient
chargés de l'exécuter pouvaient non seulement retarder les échéances mais aussi faire
prendre des décisions contraires à celles qui étaient souhaitées par· le pouvoir poli­
tique. Si l'on en croit Dion Chrysostome, les druides abusaient de ce pouvoir dont ils
avaient dépossédé les rois, sans toucher à leurs autres privilèges.

La religion gauloise dont l'un des fondements était de nature astrale, se prêtait à des
observations de caractère scientifique. Nous avons vu jusqu'à quel point les druides
avaient développé leurs connaissances en astronomie. Une astrologie dogmatique
devait en être l'aboutissement religieux. L'absence d'écriture, un goût du secret en
firent rapidement la seule prérogative des druides. Mais le pouvoir, ou plus exacte­
ment le contre-pouvoir religieux, s'opposant au pouvoir politique de nature aristocra­
tique, n'étaient pas seulement recherchés. Les aptitudes de ces hommes pour les exer­
cices intellectuels les poussèrent à développer une sorte de quintessence de l'art divi­
natoire, celui qui utilise les seuls nombres. Saint Hippolyte dans ses Philosouphomena
indique que les druides pratiquent la divination par les chiffres et les nombres à la
façon pythagoricienne. Est-ce leur passion pour les mathématiques qui les faisait se
rapprocher une fois de plus du grand mage des nombres qu'était Pythagore ? Ou est-

180
ce parce qu'ils furent abreuvés à sa philosophie qu'ils s'exercèrent également aux
mathématiques ? Il est évidemment impossible d'en décider. Il est sûr en tout cas
qu'une manière si originale de se livrer à la conjecture séparait radicalement les
druides des anciens mages qui ne faisaient rien d'autre que d'appliquer des recettes,
suivre des rituels.

181
G a u l o i s m o u rant. M u sée d u Capitole ( R o m e ) .

1 82
RITES GUERRIERS ET FUNÉRAIRF.S

1 83
Hors des lieux de culte, la vie religieuse de l'individu nous est pratiquement incon­
nue. Les textes antiques pour des raisons plusieurs fois évoquées n'en gardent pas
trace et l'archéologie nous est d'un faible secours, sauf dans le domaine funéraire. Seul
le monde de la guerre est matière à une documentation littéraire consistante mais
déséquilibrée : les rites guerriers proprement dits · sont décrits mais jamais ceux qui
marquent l'initiation du jeune homme et sa formation militaire. Sous leur forme dis­
parate, tous ces témoignages rendent compte cependant des préoccupations majeures
du Gaulois, son amour du combat et de tout ce qui touche à la guerre, sa conception
de la mort.

La guerre

Avant le combat

Hormis le sacrifice augural précédant les grandes décisions politiques et parmi elles
les opérations militaires, nous ne savons quasiment rien des rites ou des opérations
magiques qui visaient à préparer religieusement la campagne militaire ou plus parti­
culièrement une bataille. L'étrange rite, rapporté par César et sur lequel on reviendra,
rite consistant à tuer un guerrier au cours du « conseil armé » est d'ailleurs peut-être
à porter au compte de tels sacrifices auguraux. Dans une population qui était vouée,
au sens premier, à la g uerre et qui avait fait de cette dernière l'une de ses activités prin­
cipales ou, tout au moins, celle qui était la plus valorisée, de tels rites devaient être les
plus nombreux et les plus variés.

Ils touchaient la collectivité mais s'ancraient aussi profondément dans la vie de l'in­
dividu. Le guerrier, en effet, ne menait pas une vie sociale, comme on l'imaginerait
aujourd'hui, partagée entre une activité professionnelle, des obligations militaires et
une vie familiale propre. Il avait, avant tout, une existence guerrière, marquée par des
étapes qui en faisaient progressivement un eques à part entière, et sur la fin de sa vie,
dans quelques cas, un héros avant que d'être mort.

L'homme armé
Sa condition d'homme armé lui conférait une sacralité que seul l'adjectif latin sacer
avec son sens ambivalent « sacré, tabou, dangereux » permet de caractériser. César
nous en donne un témoignage involontaire et la meilleure illustration, quand il signa­
le que les enfants ne devaient pas paraître en public auprès de leur père avant qu'ils
ne fussent en âge de porter les armes. Lors des réunions publiques, les citoyens à part
entière siégeaient armés, comme nous l'apprend Strabon, et il y avait un réel danger
pour les enfants, ceux qui n'avaient pas encore été initiés, à côtoyer ceux qui étaient
porteurs d'une force quasi magique, en tout cas incontrôlable. Strabon, à ce sujet, rap­
porte une coutume étrange à laquelle il est pourtant possible de donner un sens.
Evoquant ces assemblées armées, il mentionne la présence d'une sorte d'huissier,
armé d'une épée et veillant au bon déroulement des discussions. Si quelqu'un inter-

1 84
Cette m o n naie armoricaine déco uve rte à R i b e m o nt-s u r-Ancre d o n n e u n e i m age caricat u rale de l ' i nt i m ité d u g u e r­
r i e r et de son cheva l .

1 85
Départ à la g u e rre (situle Arnoald i , Balog na) .

Reto u r au pays avec d es p rison n i e rs et d u butin (situle de Benve n ut i , I ta l i e ) .

Parade m i l itai re ( c h a u d ro n d e G u nd estru p ) .

186
rompait l'orateur, ce garde menaçait le perturbateur de son glaive. Enfin au troisième
ou quatrième avertissement, il lui coupait un morceau de son sayon suffisamment
grand pour que celui-ci n'ait plus aucune utilité. Le symbolisme du vêtement que l'on
déchire est peut-être à mettre en rapport avec celui de la nudité guerrière que l'on exa­
minera plus loin. C 'était peut-être aussi une façon de signaler à l'agitateur qu'il se met­
tait en position de combattant face à l'assemblée, autrement dit qu'il risquait la mort
comme au combat.

Le noble et, plus tard, le citoyen, qu'il fût d'origine « plébéienne » ou « patricien­
ne », était à tout moment un guerrier potentiel. L'un des plus anciens auteurs qui aient
écrit sur les Celtes, Ephore, rapporte que chez certains peuples il existait une ceinture
qui servait, en quelque sorte, d'étalon pour mesurer la taille réglementaire de l'abdo­
men des jeunes hommes. Ceux qui dépassaient cette mesure étaient punis. Une telle
législation de la condition physique des guerriers s'accompagnait forcément d'exer­
cices d'entretien de la forme, gymnastique, entraînement guerrier, chasse, etc., ceci dès
une date haute puisqu'Ephore écrivait vers le milieu du IV< siècle. Les restes humains
de Ribemont dont on sait qu'ils étaient ceux de guerriers morts au combat, confirment
ce statut physique particulier du guerrier. Ces guerriers étaient, dans une grande
majorité de cas, de haute stature (leur taille moyenne est équivalente à la taille moyen­
ne des Français actuellement), leur squelette indique qu'ils étaient solidement consti­
tués ; mais surtout leur colonnes vertébrales ne montrent aucun signe de dégénéres­
cence arthrosique qui sont habituellement très courante pour les populations contem­
poraines de même âge. L'assiduité aux exercices, la qualité de sa force physique, l'en­
tretien de ses armes étaient des critères qui permettaient à l'individu de participer au
combat et, par voie de conséquence, d'avoir le privilège d'assister à de telles réunions.

Les assemblées purement guerrières a fortiori étaient celles où le guerrier se parait


de toutes ses armes, qui indiquaient son rang et témoignaient de son passé belliqueux
(comme le montrent les armes déposées à Gournay et à Ribemont, beaucoup portent
les traces de réparations, parfois grossières) . Si certaines assemblées étaient ouvertes à
l'ensemble des combattants, toutes origines sociales confondues, le plus grand
nombre étaient réservées aux chefs et se faisaient dans le secret, comme le laisse
entendre César à plusieurs reprises. Dans la résidence aristocratique de Montmartin,
près de Gournay, la grande enceinte intérieure avait été aménagée, selon toute vrai­
semblance, pour de pareilles réunions : derrière de puissants murs décorés d'armes et
de crânes humains, une large esplanade pouvait accueillir quelques centaines
d'hommes sous l'égide d'un petit temple. Le propriétaire des lieux qui devait aussi
être un chef militaire (si l'on en croit le mobilier de sa maison où furent découverts des
armes et des crânes humains) réunissait ici certainement ses clients et ses alliés. Ces
assemblées, qu'elles fussent seulement civiles ou militaires, ne se départissaient pas
d'un certain décorum. Lors de la conjuration générale de 52 avant J.-C., les chefs gau­
lois se réunissent chez les Carnutes, probablement dans l'un de leurs sanctuaires. Là
ils nouent des serments au-dessus des étendards réunis en faisceau, ce qui est, dit
César, more eoru m gravissima caerimonia, autrement dit « selon leurs mœurs, la pratique
religieuse la plus lourde de conséquences » .

187
L'arme et son caractère sacral

La sacralité du combattant résidait en grande partie, sinon exclusivement, dans la


possession de l'arme qui était bien plus qu'un simple instrument de guerre ou le signe
de la position sociale. L'arme n'était ni objet de commerce ni matière à convoitise. Les
sanctuaires du nord de la Gaule nous en donnent des exemples édifiants : encore en
état d'être utilisées ou partiellement détruites par le combat, les armes des vaincus
revenaient toutes aux dieux. C 'est que le guerrier obtenait son arme comme une
récompense, un signe de reconnaissance de son état de guerrier. Revêtir ses armes fai­
sait de l'homme un citoyen capable de prendre part à toutes les décisions politiques,
un homme qui faisait passer son devoir belliqueux avant ses sentiments familiaux. Il
ne pouvait utiliser que les armes que lui accordait son rang.

Le caractère archaïque et figé de l'armement des trois derniers siècles de l'indépen­


dance gauloise tient probablement à cette morale du guerrier, totalement engagé dans
le combat qui ne craint ni la mort ni les blessures, en un mot qui est véritablement pos­
sédé d'une furie divine. A la fin du IV• siècle, l'équipement militaire atteint une sorte
de perfection parce qu'il est particulièrement adapté à la façon de combattre de
l'époque, située à mi-chemin entre le duel des chefs et l'affrontement de petites for­
mations de caractère hoplitique. Le choix des armes reflète ces deux manières de com­
battre, l'épée pour la lutte individuelle, la pique et le bouclier pour les assauts collec­
tifs. Cette double tactique, les Gaulois l'avaient héritée de la tradition des combats
héroïques où seuls les nobles prenaient part au combat, sur leur char tout d'abord,
puis ensuite à pied, l'épée à la main, mais aussi des manières de combattre de leurs
voisins qu'ils apprirent en pratiquant le mercenariat. Par la suite, notamment quand
ils firent un usage généralisé du cheval qui les rendit célèbres sur tous les bords de la
Méditerranée, cet armement se révéla moins bien adapté. L'épée pointue et lourde
devait être fort peu utilisée. La chaîne de ceinture et le fourreau d'épée du simple
point de vue pratique n'étaient que des accessoires encombrants. Le bouclier, conçu
pour des formations de fantassins groupés, se prêtait mal à la diversité des combats.
Pour autant, malgré l'inadaptation de leurs armes, les Gaulois ne perdirent rien de
leur fougue guerrière et ne connurent pas moins de succès.

Contrairement aux Romains qui n'ont cessé de copier l'armement de leurs voisins,
ne gardant du leur que ce qui en faisait l'efficacité, les Gaulois étaient attachés à la
symbolique de l'arme de caractère divin. La grande pique et le long bouclier dési­
gnaient certainement le citoyen combattant, l'épée dans son fourreau historié était la
marque du noble eques, tandis que le casque, rare, devait être réservé aux chefs. La
décoration complexe et précieuse qui ornait fourreaux et casques devait, un peu à la
manière des blasons, développer le thème de la filiation divine du guerrier en un lan­
gage stylistique qu'il ne nous est plus permis de comprendre.

Furor et concilium armatum

Le combat pour un Gaulois, jusqu'à l'époque de la conquête par César, n'est pas
œuvre humaine. C'est une immense ordalie où le combattant n'est que la main de la

188
divinité. La force des armes, les subtilités de la stratégie sont des préoccupations
secondaires. Seuls comptent les moyens de se prêter le mieux au service de la force
divine. L'état mental et physique dans lequel entre alors le guerrier possède son nom
en latin, c'est le fu ror, « fureur guerrière », qui caractérisait les héros légendaires de
Rome et qui possédait des bataillons entiers de Celtes et de Germains. Cette folie divi­
ne constitua le ressort de la force belliqueuse des Celtes pendant tout le me siècle qui
les vit traverser l'Europe en tous sens. Elle semait avant tout une terreur qui disper­
sait l'ennemi souvent avant même le combat ou qui le figeait sur place. Une telle pos­
session nous paraît aujourd'hui difficilement imaginable. Dans l'Antiquité, de tels
états d'enthousiasme, au sens premier du terme, étaient courants et les Grecs, malgré
leur grande sagesse, nous en ont laissé des illustrations impressionnantes, notamment
dans leur vie religieuse : bacchisme, ménadisme, cultes orgiastiques . . .

Le Gaulois était gagné par ce fu ror dès le « conseil armé » qui était une véritable
entrée en guerre. Ce conciliu m armatum extrêmement ritualisé n'avait probablement de
conseil que le nom. César le décrit d'une manière tout à fait exceptionnelle dans son
œuvre. C 'est, en effet, l'une des très rares descriptions de caractère ethnographique
qui ne se trouve pas dans l'excursus du Livre VI ; elle a l'avantage ainsi de mettre en
relation directe une pratique religieuse avec des événements datés. « Selon les cou­
tumes des Gaulois il marque le début de la guerre. Une loi commune à tous veut que
tous les adultes y viennent en armes. Celui qui arrive le dernier est tué à la vue de la
multitude après avoir subi de multiples supplices. » Contrairement à ce que laisse
entendre le conquérant romain, pour des raisons de propagande anti-gauloise, il s'agit
d'une coutume ancienne. Le texte accole, en effet, deux types information, la mention
de la tenue de ce conseil en 54 sous l'impulsion du chef trévire Indutiomare et un fait
ethnographique, concernant de tels « conseils armés », information certainement tirée
de Posidonius. En réalité, nous avons tout lieu de douter que le rite barbare ait été
accompli, lors de ce conseil de 54 chez les Trévires. Celui-ci ne réunissait pas des guer­
riers d'un même peuple mais des confédérés, parmi lesquels des exilés et des condam­
nés, qui hésitaient encore sur le parti à prendre. Indutiomare, de son côté, rivalisant
avec Cingétorix, n'avait pas obtenu le pouvoir suprême qui l'aurait autorisé à décider
pareil sacrifice humain. On n'imagine mal, vu de telles circonstances qui différaient
totalement du cadre ancien et ritualisé de la déclaration de guerre, des combattants
acceptant une pareille ordalie.

Même si le rite est ancien, en tout cas antérieur au I"' siècle, il est révélateur. Son sens
est parfaitement compréhensible. Il s'agit sous la forme la plus solennelle de signifier
à tous les participants que désormais leur vie ne leur appartient plus, qu'elle est entre
les mains d'un destin qui les laissera en v ie ou qui en fera des morts promis à un éden
héroïque. Celui qui a tenté de se soustraire au devoir collectif doit non seulement
mourir en l'honneur des dieux mais il doit le faire lentement, dans des traitements
dégradants et à la vue de tous, de façon à ce que sa mort paraisse l'image inversée de
la mort du guerrier, rapide, en pleine gloire, au prix de la souffrance et parfois de la
mort de son ennemi. Mais ce sacrifice a aussi son efficacité religieuse propre : on doit

1 89
le considérer comme un sacrifice de prémices, celles de la grande tuerie d'ennemis qui
seront offerts aux dieux en échange de la victoire.

La nudité guerrière

Il ne suffisait pas que le fu ror fût seulement un état mental, entretenu par les
croyances et par quelque rite comme celui-là. Le guerrier devait physiquement s'en
sentir investi. L'ennemi devait à sa seule vue en constater les signes visibles. Deux
coutumes étranges des Celtes, abondamment décrites par les auteurs antiques qu'elles
avaient impressionnés, jouaient ce rôle, la nudité guerrière et le port du torque en or.

La première, la plus spectaculaire, est un thème redondant des récits de batailles


hauts en couleurs mais aussi de la sculpture hellénistique mettant en scène les Celtes.
Cette pratique curieuse était avant tout le fait des Gaulois que l'on appelait
« Gésates », ce qui ne paraît pas être un nom de peuple mais plutôt, si l'on en croit

Polybe, celui d'une fonction : bataillons de mercenaires qui se louaient pour des expé­
ditions de plusieurs années. Ces Gésates souvent requis par les peuples gaulois de la
Cisalpine étaient originaires de Gaule, nous ne savons pas plus précisément d'où car
les connaissances géographiques de cette partie du monde étaient très faibles, aussi
bien chez les Cisalpins que chez les Romains. Polybe a rapporté plusieurs récits de ces
batailles gigantesques où les Gésates intervenaient comme des êtres sortis d'un autre
monde. A Télamon en 225, « les Insubres et les Boïens allaient à la bataille vêtus de
braies et de sayons commodes qu'ils avaient enroulés autour d'eux mais les Gésates,
par amour de la gloire et assurance, s'en étaient dépouillés et s'étaient placés au pre­
mier rang, avec leurs seules armes, s'imaginant qu'ils se battraient mieux ainsi » . Les
Galates, rapporte Tite-Live, pratiquaient aussi cette coutume. La symbolique d'un tel
geste paraît relativement claire : il signifiait que le soldat ne redoutait rien, il mettait
plus en valeur encore son corps et renforçait la terreur qu'inspiraient des armes qui
attiraient d'autant mieux le regard. Cette nudité était encore plus provocante quand
les blessures lui donnaient relief et couleur. Les récits de bataille évoquent très souvent
ces blessures infligées aux Celtes et qu'il était facile d'observer. On y voit souvent
aussi le Gaulois s'extirpant de sa poitrine ou de l'un de ses membres un projectile qui
s'y est fiché ou n'hésitant pas, par bravade ou par anticipation des honneurs qui lui
seront rendus, à élargir une plaie qu'il estime trop bénigne.

En réalité, cette nudité n'était le plus souvent que partielle. Le guerrier ne devait
avoir que le torse nu. Et avant d'être une coutume rituelle, la pratique avait eu ses rai­
sons pratiques. Elle s'était imposée d'elle-même dans les expéditions que les Celtes
menaient sur les bords de la Méditerranée où leurs adversaires et parfois leurs alliés
la pratiquaient également souvent. Le guerrier alors redoutait autant la chaleur que la
gêne causée par les vêtements. Il devait avoir les bras libres et veiller à ce que son épée
n'entrave pas sa course. Très tôt, dès la période hallstattienne, les Celtes avaient copié
la tenue des hoplites grecs. Comme eux, ils ne revêtaient qu'un simple lambrequin,
une jupette constituée de carrés de cuir, qui enserrait la taille. On peut la voir accom­
pagner une cuirasse sur les statues de guerriers de Roquepertuse, de Glauberg ou de

190
Vix. Elle est encore signalée, seule cette fois, par Diodore de Sicile dans la copie qu'il
fait du texte de Posidonius, pour une époque qui doit correspondre au me siècle avant
J.-C. C'est à la même époque qu'apparaissent les braies, pantalon bouffant, caractéris­
tique des peuples belges (qui, si l'on en croit Verrius Flaccus, lui devraient leur nom,
« bulga » qui auraient donné « Belgae »). Ces braies seront ensuite le vêtement des sol­
dats gaulois jusqu'à l'époque romaine.

Le port du torque en or

La seconde coutume - quasiment un rite - qui permettait au guerrier de se surpas­


ser et de s'investir d'une mission quasi divine est le port d'un torque et parfois de bra­
celets en or. Les historiens antiques, et parmi eux les plus dignes de confiance, Polybe
et Tite-Live, signalent le fait à de nombreuses reprises pour une période qui va du
début du me siècle jusqu'aux premiers temps de la romanisation. Polybe, dans son
récit de la bataille de Télamon, indique que tous les guerriers des premiers rangs por­
taient des bijoux en or. Eutrope dans son Abrégé de l 'h istoire romaine, rapporte que les
Romains quand ils vainquirent Bituit en 121 récupérèrent un énorme butin de colliers
d'or. Tite-Live signale qu'au moins à deux reprises le sénat romain offrit des colliers
d'or à des rois gaulois engagés contre les Macédoniens et note même leur poids, deux
colliers pesaient ensemble cinq livres, un autre collier offert au prince Balanos en
pesait deux. Ces témoignages ont longtemps paru suspects. Car autant la mention est
courante, autant les realia archéologiques étaient jusqu'à présent muettes sur le sujet.
Il n'a, en effet, jamais été retrouvé de telles parures dans les sépultures de guerriers,
même de ceux qui s'accompagnaient d'un riche équipement. Il n'en a pas plus été
découvert dans les sanctuaires et les habitats, même ceux que l'on considère comme
aristocratiques. Et les seuls torques en or que l'on connaisse proviennent de décou­
vertes fortuites, ce qu'on appelle des « trésors », un ensemble d'objets précieux com­
prenant généralement un nombre plus ou moins important de monnaies d'or et d'ar­
gent et un ou plusieurs torques en or. Mais le problème tient à ce que ces parures ne
paraissent pas destinées aux humains. Elles sont souvent de grandes dimensions et
fabriquées en une tôle fine qui les rend fragiles et surtout difficilement portables pour
un combattant.

Le problème paraissait insoluble jusqu'à la découverte en 1999 d'un tel torque


parmi les vestiges humains du trophée monumental de Ribemont. Il s'agit d'un torque
en or massif qui initialement devait peser près de 400 grammes. Il gisait, coupé à moi­
tié et replié comme pour en faire un bracelet, auprès des os d'un avant-bras de l'une
des dépouilles appartenant au gisement dit « le charnier » que nous interprétons
comme les restes partiels du stockage de plusieurs centaines de corps d'ennemis tués
sur le champ de bataille. Le torque appartenait selon toute vraisemblance à l'un de ces
ennemis, il devait être porté très près du cou, si l'on en juge à son diamètre initial, et
avait dû s'en détacher au moment de la décollation. La coutume qui voulait que le
butin tout entier revienne dans la propriété divine avait été respectée : le torque avait
été rapporté mais on avait pris soin de le mutiler rituellement pour le rendre inutili-

191
Moitié d ' u n torq u e en or massif découve rt à R i b e m o nt-s u r-Ancre (Som m e ) . U n e te l l e parure, s o l i d e et s o b re ,
convenait parti c u l i è rement b i e n au g u e rrier.

192
sable et on l'avait très certainement replacé sur le bras du mort d'où il n'avait glissé
que lorsque les chairs furent assez corrompues.

La découverte est importante car elle prouve que les guerriers pouvaient porter des
torques qui leur étaient destinés, ce qui donne raison à Polybe et à Tite-Live. Elle
prouve également que ces parures revenaient bien aux dieux, ce qui confirme, cette
fois, le témoignage de Posidonius reproduit par Diodore de Sicile. A Ribemont il
semble bien qu'un remblai involontaire, effectué au milieu du Jcr siècle, ait protégé
l'objet, notamment au moment du démontage des installations sacrées. On peut en
déduire que de tels objets précieux ne devaient pas être rares sur les lieux de culte. A
Ribemont d'ailleurs des monnaies d'or isolées et glissées parmi les ossements
humains témoignent de la présence d'un certain nombre de bourses qui, elles aussi,
étaient portées à même le corps des guerriers. Pourquoi des parures aussi presti­
gieuses qui reflétaient très certainement le statut social ou la valeur de leur porteurs
ne les accompagnaient-elles pas jusque dans la sépultures avec les autres objets qui
leur étaient chers ? Pour répondre à cette question, il faut revenir aux témoignages
antiques.

C'est encore une fois un étrange récit de Tite-Live, racontant la formation légendai­
re de Rome, qui peut nous éclairer. En 361 avant J.-C., aux portes de Rome, sur les
bords de la rivière Anio, Gaulois et Romains s'affrontent. Rome est en péril, le dicta­
teur a proclamé le justitium, c'est-à-dire la cessation de toutes les affaires publiques.
Après plusieurs affrontements, les deux armées semblent figées sur leurs lignes res­
pectives. C'est le moment où un chef gaulois, « d'une taille gigantesque, et tout res­
plendissant des mille couleurs de ses vêtements et des armes peintes et ciselées en or »
s'avance sur le pont et s'adresse aux Romains, proposant un duel singulier pour
départager les deux armées. Le tribun Manlius propose de relever le défi et engage le
combat. On assiste alors à un affrontement qui n'est plus celui de deux hommes mais
de deux mentalités. Le Romain, petit, avec des gestes précis, à l'aide d'armes bien
adaptées, se glisse sous le Gaulois gigantesque qui brandit en tous sens des armes trop
longues et inefficaces. Sans grande peine, il lui livre un coup fatal. « A ce cadavre ren­
versé il épargne toute injure, seulement il le dépouille de son collier, qu'il passe, tout
mouillé de sang, à son cou. L'épouvante et l'admiration clouent sur place les
Gaulois » .

Comme dans l e cas, évoqué plus haut, celui d e Valérius qui prit l e surnom de
« Corvus », Manlius acquit immédiatement celui de « Torquatus » . A l'évidence, on a
affaire ici à deux exemples d'une pratique religieuse italique, bien connue et qui avait
fait l'objet d'un rituel propre, celui que les Latins appelaient evocatio. Elle consistait à
s'attirer les faveurs du dieu des ennemis, voire à le détourner définitivement de ses
fidèles. C'est ainsi que le corbeau divin des Gaulois avait changé de camp . Le torque
du héros gaulois avait suivi un parcours similaire et c'est ce qui remplissait les Gaulois
assistant à la scène d'une terreur religieuse. Le torque en or, comme l'oiseau fétiche,
incarnait la puissance divine, bénéfique et nécessaire à la guerre. Sa prise par un enne­
mi signifiait que la divinité avait changé de camp .

193
Le torque en or apparaît donc bien comme un insigne divin qui transforme celui qui
le porte en un représentant des dieux, un authentique héros, dans le sens qu'a le mot
dans les poèmes homériques. Peut-être s'agissait-il d'un prêt ou d'un don que les
dieux avaient fait à leurs meilleurs guerriers. Il est sûr en tout cas que l'objet précieux
n'était pas considéré par son porteur comme sa propriété individuelle. Il ne l'empor­
tait pas dans la tombe. Il ne le transmettait pas plus à ses héritiers. La découverte de
Ribemont nous révèle l'une des destinées de tels objets après la mort de celui qu'ils
paraient. Si le témoignage de Posidonius, selon lequel les sanctuaires regorgeaient
d'or, est crédible, on peut imaginer que beaucoup de ces objets d'or, ceux des guerriers
morts chez eux comme ceux des ennemis tués en terre étrangère, regagnaient la pro­
priété divine.

Deux questions restent cependant posées : à qui revenait le droit de porter une telle
parure ? Quelle était l'origine de ce bijou ? A la première, en l'absence de documents
littéraires explicites, il est difficile d'apporter réponse mais non de proposer une hypo­
thèse. On verra plus bas que le guerrier avait le privilège de garder pour lui la tête de
l'ennemi qu'il avait tué. On s'interrogera alors sur le sens symbolique d'un tel geste
mais on retiendra ici son intérêt pratique : ce crâne pieusement conservé, aisément
transportable et relique idéale, était le meilleur témoin de la bravoure et de l' efficaci­
té du guerrier. Or celles-ci devaient être récompensées, le guerrier devait nécessaire­
ment obtenir une part du butin exactement équivalente à ses résultats sur le champ de
bataille. La revendication de cette j uste part passait par la présentation de la ou des
têtes coupées. Nous savons par Hérodote que c'est ainsi que procédaient les Scythes.
Il en allait probablement de même chez les Celtes chez lesquels la valeur individuelle
du guerrier était fortement valorisée, au détriment souvent de la cohésion du groupe
militaire. Chez les Celtes engagés dans les conflits méditerranéens, dès le IV• siècle
cette récompense s'effectuait en pièces d'or dont tous les Celtes étaient très avides,
pour des motifs plus irrationnels que purement vénaux, car alors en Grèce et en
Grande Grèce c'est le monnayage en argent qui primait. On est en droit de se deman­
der si le torque en or ne correspond pas tout simplement à un nombre défini de pièces
d'or, autrement dit d'ennemis tués. Une autre hypothèse, qui est conciliable avec la
précédente, serait que le torque en or était le privilège des chefs de guerre ou des rois.
C'est ce que l'on pourrait déduire des deux anecdotes rapportées par Tite-Live et qui
viennent d'être évoquées : dès le début du II• siècle il était courant que les puissances
étrangères s'attirent les faveurs des chefs gaulois par de tels présents.

L'origine du torque en or comme parure de guerrier est un problème qui a déjà été
soulevé, par Joseph Déchelette notamment qui essaya de faire la synthèse et de don­
ner une solution à une controverse qui depuis une cinquantaine d'années agitait le
milieu des celtisants. Comme nous, les archéologues du XIX• siècle s'étonnaient d'une
triple contradiction entre les faits archéologiques et les données littéraires. Comment
expliquer qu'on ne trouvait que des torques en bronze dans des sépultures féminines
uniquement à la période de La Tène ancienne, alors que les historiens évoquaient des
torques en or portés par des guerriers pour une époque correspondant à La Tène
moyenne ? Certains archéologues en virent même à mettre en doute l'identité sexuel­
le de certains défunts dont tout par ailleurs indiquait qu'il s'agissait de femmes. Pour

1 94
Déchelette la réponse est simple : il n'y a pas de filiation entre les torques en or de La
Tène moyenne et les torques en bronze de La Tène ancienne. Les premiers seraient
inspirés de modèles scythes qui servaient également de parures aux princes. Le fait est
que l'on connaît un certain nombre de torques en or provenant de kourganes du IV•
siècle. Déchelette pensait que cette mode aurait pu être transmise par les Celtes danu­
biens qui au III• siècle dans la plaine hongroise étaient directement au contact des
populations scythes. L'hypothèse est séduisante mais la chronologie s'y oppose. Les
torques de Waldalgesheim, Weiskirchen, Rodenbach sont beaucoup plus anciens, au
point qu'ils auraient pu servir de modèles aux exemplaires scythes. Il nous faut donc
imaginer une autre filiation où les orfèvres grecs, qui ont inspiré autant les créations
des Scythes que celles des Celtes, joueraient un rôle plus actif et plus précoce. Mais les
découvertes qui pourraient matérialiser les voies et surtout les modes d'une telle dif­
fusion ne sont pas assez nombreuses.

En revanche, l'apparition du grand torque à fonction cultuelle se comprend mieux.


Il s'agit d'objets sensiblement plus récents qui couvrent une période qui va du II• siècle
aux débuts de la romanisation. Comme on l'a dit plus haut, de tels objets sont connus
par des découvertes archéologiques, généralement des « trésors » et le caractère cul­
tuel de ces parures est déduit du fait qu'elles sont de grandes dimensions et ne parais­
sent pas vraiment portables par des humains, à cause de leur fragilité notamment. La
littérature les mentionne pour une époque contemporaine de ces trouvailles.
Catumandus en offre un à la Minerve de Marseille. Les Romains, même quand ils bat­
tent les Boïens en 1 96, toujours par evocatio des dieux ennemis, détournent le torque le
plus lourd et l'offrent au Jupiter du Capitole. Mais la mention la plus intéressante est
celle que nous offre Florus ; il rapporte qu'Arioviste avait voeu de consacrer à l' équi­
valent du dieu Mars un torque fabriqué avec les dépouilles des ennemis tués. Ainsi,
peut-être pour des raisons pratiques ou pour éviter le vol, quelques peuples avaient
pris l'habitude de fondre les torques des guerriers pour constituer de gigantesques
colliers à leur dieu.

Effrayer l'adversaire

Longtemps, les Celtes n'eurent pas une façon de combattre qui leur fût propre. Ils
hésitèrent pendant plus d'un siècle entre l'utilisation des chars, celle d'une infanterie
structurée, avant de développer un art de la cavalerie qui fit leur réputation. En
revanche, depuis les temps les plus anciens, ils avaient développé l'art d'effrayer l'ad­
versaire par un décorum puissant et varié dont le but était de signifier à l'ennemi qu'il
n'avait face à lui pas seulement une armée humaine, mais un bataillon de titans issu
de quelque épopée homérique. Le meilleur exemple de cette armée en marche nous
est donné par Polybe dans le récit célèbre qu'il a laissé de la bataille de Télamon. Nous
avons cité plus haut ce témoignage à propos de la bataille qui est à l'origine du tro­
phée de Ribemont. Cette admirable description, qui a su préserver jusqu'à nous le
caractère surhumain de l'affrontement, montre que les Gaulois avaient consciencieu­
sement recherché l'effet d'épouvante, en parant leurs troupes d'une aura magique qui
ne laissait de côté aucun des moyens utilisables, instruments à vent, chant humain,

1 95
cris, parures rutilantes, nudité impudique, corps d'une taille et d'une force inhabi­
tuelles, etc. Dans tous les combats, ces guerriers effrayants étaient placé� en première
ligne pour qu'ils soient vus les premiers mais pour qu'on imagine aussi que ceux qui
les suivaient étaient semblables. Comme l'indique Polybe, non seulement leur aspect
inquiétait mais aussi leurs mouvements. Ainsi, avant d'entreprendre le combat pro­
prement dit, le Gaulois avait coutume de pratiquer une danse armée, probablement
peu différente que celle que nous a léguée l'ethnographie des Indiens d'Amérique du
Nord : il sautait sur place en agitant ses armes et en les frappant pour produire un
énorme vacarme métallique. Les Romains, à partir du III• siècle, se moquent de ces
mœurs archaïques qui étaient pourtant encore les leurs, un ou deux siècles plus tôt, et
dont le rituel des frères Saliens conservait pieusement le souvenir. Ils eurent cepen­
dant du mal à s'y habituer et beaucoup des véritables préparations psychologiques
qui précèdent les batailles de la guerre des Gaules ont pour but, non seulement d'en­
courager les hommes mais surtout d'effacer l'effet néfaste produit par la vue de tels
ennemis.

Les Gaulois avant la bataille criaient abondamment. Plutarque dans le récit qu'il a
repris à Posidonius des affrontements entre Marius et les Cimbres et les Teutons
évoque souvent des scènes aussi sonores que visuelles. A croire que ces peuples
avaient un véritable don du cri de guerre qui n'entamait en rien leur ardeur physique.
Arrien dans sa Tactique indique que les cavaliers romains s'étaient peu à peu habitués
à ces cris de guerre des Gaulois. A une époque plus haute, quand le combat gardait
·
encore le caractère d'un affrontement individuel, chaque guerrier se choisissant dans
les rangs adverses un ennemi de son rang, une autre technique d'effroi était utilisée.
Le guerrier s'avançait pour défier son adversaire tout en faisant étalage de son passé
glorieux et de celui de ses ancêtres. Le panégyrique que le soldat brossait de sa propre
histoire, par la forme, n'était pas exempt de vantardise. Mais il est fort probable que
les faits d'armes évoqués étaient vrais, l'allongement de la liste, l'instillation de détails
macabres devaient déstabiliser l'adversaire.

Dans le même but, les Gaulois avaient un usage curieux, celui de tirer la langue à
l'ennemi. Pline le mentionne en l'expliquant comme une façon propre aux soldats
gaulois d'effrayer leurs adversaires. Les Cimbres et les Teutons l'utilisaient pareille­
ment. Cicéron évoque un bouclier appartenant à Marius sur lequel on pouvait voir le
portrait contrefait d'un Gaulois tirant la langue et les joues pendantes. Ces différents
auteurs, si tant est qu'ils en aient eu connaissance, n'expliquent pas ce qui causait réel­
lement l'effroi. On ne peut que conjecturer qu'il s'agissait d'une allusion un peu lour­
de à une pratique de mutilation exercée sur le cadavre de l'ennemi tué. Lorsque le
vainqueur découpait le crâne de son ennemi mort, il procédait peut-être à un tel geste
qui appartenait à ces vengeances mutilatrices venues du fond des temps dont les
poètes et tragiques grecs du VIe et du V• siècle avaient gardé d'obscurs souvenirs,
découpe de la main ou du bras de l'assassin, pour éviter que l'âme revenant hanter les
vivants n'utilise un membre qui avait permis le forfait. Les Gaulois redoutaient peut­
être l'usage de la parole chez les revenants, parole qui avait été tant utilisée à des fins
de vantardise. Le seul fait archéologique qui puisse être mis en rapport avec ces men-

196
tions littéraires, c'est la trace sur les crânes humains de Montmartin d'un tel prélève­
ment de la langue, consciencieux et sans finalité apparente.

Ces pratiques d'effroi, à composante macabre, n'avaient rien d'exceptionnel.


L'auteur du Bellum Hispan iense, dans lequel on a cru pendant longtemps reconnaître
César lui-même, lorsqu'il entreprend la description du siège de Munda, explique que
les Gaulois ont une façon bien particulière de commencer un siège. Ils encerclent la
ville des cadavres des ennemis, plantent des lances dans le sol sur lesquelles ils
piquent les crânes coupés dont ils orientent le regard éteint vers les assiégés. Les
Gaulois qui vainquirent les Macédoniens ne procédèrent pas autrement avec la tête de
Ptolémée qu'ils avaient coupée. Ils la promenaient sur leurs premières lignes, au
même titre que leurs enseignes militaires. Il ne fait nul doute que l'effet recherché
devait être facilement obtenu. Les ennemis n'avaient plus seulement à affronter l'évo­
cation orale de leur sort en cas de défaite mais bien des exemples réels et terrifiants.
Enfin, si l'on en croit Pausanias, ils utilisaient même leur propres morts dans un pareil
but : ils les abandonnaient sur le champ de bataille, même en cas de victoire, simple­
ment pour effrayer l'ennemi.

Le vœu

Le rite religieux guerrier le plus solennel est sans aucun doute le vœu. Il n'est pas
propre aux Celtes, ces derniers le partagent avec la plupart des peuples indo-euro­
péens. Il repose sur l'idée d'un échange généralisé entre les hommes et les dieux qui
permet un contrat entre eux. La formule latine do ut des résume le mécanisme et le sens
de cet échange qui prenait en charge toute l'activité guerrière, depuis la promesse
solennelle du don avant la bataille jusqu'au sacrifice d'action de grâce et à la consé­
cration du butin après celle-ci. Mais le vœu proprement dit est un rite bien précis dans
ce potlatch qu'engagent les hommes avec les dieux. C'est un acte oral, l'annonce la
plus solennelle faite en présence des hommes assemblés et des dieux convoqués. On
ne peut en comprendre la valeur que si l'on garde à l'esprit que la parole chez les
Gaulois était valorisée à l'excès, parce qu'elle était la seule forme de communication
intellectuelle et spirituelle : on ne pouvait revenir sur ce qui avait été dit.

Les Romains avaient aménagé la pratique du vœu avec leur habituel sens de la
casuistique. Différents cas de figure étaient prévus auxquels répondaient des degrés
divers d'un votum qui, en tout état de cause, n'était que conditionnel. Le don ne serait
fait qu'en cas de succès. Les Gaulois, aux conceptions religieuses moins pragmatiques,
n'avaient certainement pas paré leur vœu solennel de telles subtilités. Ce qui n'empê­
chait que la pratique fût chez eux également très aboutie et lourdement ritualisée. Les
quelques exemples historiques que nous a conservés l'historiographie latine indiquent
que le vœu était toujours prononcé par un roi ou un chef, en tout état de cause, un être
que ses contemporains avaient élu comme leur représentant légitime auprès de la
communauté divine. Arioviste avait fait au dieu Mars le vœu d'un torque constitué
avec les dépouilles des soldats romains. Viridomar avait promis au dieu Vulcain les
armes de ses adversaires. Le don était total et ne se limitait pas, comme chez les

197
Romains, à une partie souvent infime du butin, les spolia opima par exemple. César,
copiant Posidonius, indique qu'en cas de victoire tout le butin vivant était sacrifié ;
quant aux biens matériels, ils étaient déposés en un endroit consacré. Les découvertes
de Ribemont correspondant à des événements militaires du milieu du III• siècle, ou
celles à peine plus anciennes de Gournay lui donnent raison. Cependant au milieu du
!°' siècle, au moment de la guerre des Gaules, les choses avaient bien changé. Depuis
belle lurette, les prisonniers n'étaient plus sacrifiés mais rendus au prix de fortes ran­
çons qui avaient obligé les Grecs à légiférer sur la question. Il est sûr également que le
butin - et particulièrement les armes - n'était plus consacré aux dieux dans sa totali­
té. Si cela avait été le cas, les innombrables batailles concernant l'ensemble du terri­
toire français pour une période allant de 60 à 30 avant J.-C. aurait occasionné au moins
quelques découvertes du type de Ribemont ou d' Alésia.

Le destinataire du vœu chez les Gaulois ne faisait pas non plus l'objet d'une régle­
mentation contraignante. Dans la plupart des cas, Mars était concerné mais d'autres
dieux pouvaient être requis. Florus dans son Abrégé de l 'histoire romaine, à travers
l'anecdote curieuse des deux vœux qui viennent d'être évoqués, semble indiquer que
le combat des armées ne reflétait qu'un affrontement de nature théologique, que la
victoire tenait moins à la supériorité du consul Flaminius sur Arioviste qu'à celle de
Jupiter sur le Mars Gaulois. L'histoire se reproduira, dans les mêmes termes avec
Viridomar et Marcellus, dont l'affrontement sera placé au second plan, derrière celui
qui oppose Jupiter Férétrien et le correspondant gaulois de Vulcain. Florus écrit, en
effet : « Les Gaulois, sous la conduite d' Arioviste, avaient fait vœu à Mars de lui offrir
un torque avec le produit de nos dépouilles. Mais Jupiter intercepta ce vœu : et ce fut
avec leurs torques que Flaminius érigea un trophée en or à Jupiter. Enfin, sous le roi
Viridomar, les mêmes Gaulois avaient promis les armes romaines à Vulcain. Mais les
vœux aboutirent tout autrement : Marcellus, après avoir tué le roi, suspend pour la
troisième fois depuis Romulus, notre père, de telles armes à Jupiter Férétrien ». Il est
clair que c'est la religion romaine, à travers de tels exploits guerriers, qui se montrait
plus forte que sa consœur gauloise et que c'est la légitimité de Jupiter Férétrien à rece­
voir l'objet du vœu qui était réaffirmée.

Le vœu, on le voit, est la forme ritualisée et solennelle, souvent à connotation roya­


le, d'une pratique plus large, très courante dans le monde celtique, celle du serment.
Si celui-ci a le caractère sacré et intangible du vœu, il n'a pas les lourdes conséquences
qu'implique l'engagement total du peuple à travers la promesse faite par le roi en son
nom. Le serment peut être prononcé par un soldat en son simple nom, voire par un
bataillon. Florus, toujours dans la comparaison partisane qu'il fait des deux religions
sœurs, indique que les Gaulois de Britomar avaient fait serment de ne point délier leur
baudrier qu'ils n'eussent escaladé le Capitole mais que c'est Emilius qui les avait
déliés de leur serment en suspendant leurs propres armes au temple du Capitole.
César rapporte la teneur du serment que les cavaliers gaulois prêtent à Vercingétorix :
« Que chacun s'engage, par le serment le plus solennel, à ne point rentrer dans sa mai­
son, et à n'approcher ni de ses enfants, ni de son père, ni de sa femme, qu'il n'ait passé

198
à deux reprises à travers les lignes ennemies. La proposition est approuvée ; à chacun
on fait prêter serment » .

L a devotio d e Vercingétorix

Une forme particulière et paradoxale du vœu est également commune aux Gaulois
et aux Romains, bien qu'elle fût probablement plus courante chez les premiers que
chez les seconds, qui l'avaient entourée d'une aura prestigieuse, c'est la devotio. A
Rome, elle désignait le sacrifice qu'un général faisait de sa propre vie pour sauver son
armée, en cherchant la mort au cours du combat et en la vouant aux divinités infer­
nales. Les cas de devotio étaient rares, on ne citait guère que Décius et Curtius qui ait
accompli le rite dans les règles.

Chez les Celtes, ce sacrifice individuel du chef s'exprimait surtout par le suicide sur
le champ de bataille, courant dans tous les récits mettant en scène les Galates. Ce sui­
cide était d'ailleurs devenu l'un des thèmes majeurs de la sculpture pergaménienne
qui a livré des œuvres majeures, telles que l'émouvant Galate mourant du musée du
Capitole à Rome. Mais on citait également l'exemple de Brennus à Delphes qui, dès
qu'il eût pénétré dans le temple d'Apollon, retourna ses armes contre lui-même ; les
auteurs antiques se disputaient sur les raisons de ce geste, les uns y voyant une sorte
de devotio, d'autres, comme Valère-Maxime, y voyait plutôt l'effet de la vengeance du
dieu outragé.

En fait, chez les Gaulois nous ne connaissons qu'un seul exemple, bien attesté, de
devotio, c'est celle dont Vercingetorix se rend l'objet après la défaite d' Alésia.
L'événement a marqué les consciences, non seulement des Gaulois présents, mais
aussi des Romains pendant plusieurs générations. Il est rare qu'un événement histo­
rique à cette période soit relaté par quatre auteurs s'appuyant chacun sur des sources
différentes : César évidemment, Florus reprenant un livre perdu de Tite-Live,
Plutarque et Dion Cassius. César qui retouche, comme un peintre le ferait en atténuant
les traits les plus contrastés, la scène de la reddition proprement dite, est le seul à
décrire le moment de la devotio : « Ayant convoqué le conseil, Vercingétorix déclare que
la guerre n'a pas été entreprise par lui pour son propre intérêt mais pour la liberté
commune, et, parce qu'il faut céder à la fortune, il s'offre à eux de deux manières :
qu'ils apaisent les Romains par sa mort ou qu'ils le livrent vivant » . César a appris cer­
tainement ces détails, après coup, par des informateurs ou des alliés gaulois qui ont
pu assister directement à la scène, il n'en retient que ce qui sert l'économie de son récit,
les raisons alléguées par Vercingétorix, et il omet, volontairement ou non, le rituel
d'une cérémonie religieuse dont le « conseil armé » était le cadre idéal. Cependant la
reddition proprement dite, telle qu'elle apparaît dans le texte de Plutarque, prouve
que Vercingétorix met en scène un véritable rituel religieux que César lui-même pro­
longera, six ans plus tard, en le concluant par le véritable sacrifice humain, sans aucu­
ne forme de procès, du dernier grand chef des Gaulois.

199
Le decorum ento u rant la red d ition de Ve rc i n g étorix, b i e n re n d u ici par le pei ntre, autorise à voir dans la cérémo­
n i e une forme d e devotio ( p . 1 99 sq. ) . Lionel Royer ( 1 852-1 926 ) . Le Puy-en -Velay. M u sée C rozatier.

200
Voici le récit de Plutarque, dans la belle traduction qu'en donne Amyot :
« Vercingétorix, celui qui avait suscité et conduit toute cette guerre, s 'étant armé de ses
plus belles armes, et ayant aussi paré et accoutré son cheval de même, sortit par les
portes de la ville, et alla faire un tour tout à cheval à l'entour de César, étant assis en
sa chaire : puis, descendant à pied, ôta tous les ornements à son cheval, et dépouilla
toutes ses armes, qu'il jeta en terre, et s'alla seoir aux pieds de César sans mot dire. »
On pourrait être tenté de voir dans cette scène dramatique l'effet d'un enjolivement
littéraire. On aurait tort. Plusieurs détails ne trompent pas. Vercingétorix se pare de ses
plus belles armes, celles qui habituellement sont destinées aux dieux. Il accomplit ce
rite guerrier en compagnie de son cheval, ce même cheval qui est comme le prolonge­
ment de l' eques à la guerre, un autre corps qui le transporte, qui porte ses armes et ses
trophées de crâne. Mais surtout, en tournant autour de César, Vercingétorix accomplit
un véritable rite religieux, pratiqué par les Gaulois, celui de la circumambulation.
Pline, ainsi que Posidonius chez Athénée, rapporte que c'était une manière pour les
Gaulois d'adorer leur dieu. Autrement dit : Vercingétorix divinise César, il se conduit
envers lui comme envers une divinité à laquelle il offre lui-même ses propres
dépouilles. Dans la défaite et dans sa devotio, Vercingétorix se montre l'égal voire plus
grand que celui qu'il fait reconnaître publiquement comme son maître. César ne pou­
vait reproduire une scène qui révélait trop le caractère religieux de ce qu'il voulait rap­
porter seulement comme une simple reddition.

Accompli par Vercingétorix, celui qui voulait restaurer la royauté et qui prônait les
anciennes valeurs, ce don de soi apparaît, à l'évidence, comme une pratique religieu­
se ancienne que le jeune aristocrate remet au goût du jour, en n'oubliant aucun détail,
en ajoutant peut-être encore au décorum. L'exemple qu'il nous donne demeure unique
mais parfaitement révélateur de l'abnégation du guerrier, du don qu'il fait de sa per­
sonne en faveur des dieux et, au-delà, au bénéfice du peuple au nom duquel est
accompli le rite. La devotio de Vercingétorix fut efficace : César mit à part les prison­
niers éduens et arvernes qu'il rendit à leurs peuples, les autres Gaulois furent attribués
aux soldats romains en butin, en raison d'un par tête.

La prise du crâne

Longtemps, jusque vers la fin du ne siècle, les Gaulois connurent deux sortes de vic­
toire et par conséquent deux sortes de butin et de trophée. La victoire se jouait, en
effet, à deux niveaux, individuel et collectif. Ce n'est qu'avec les grandes invasions
germaines puis avec les guerres de la conquête romaine que les guerriers gaulois
abandonnèrent leur façon individualiste de se battre, en même temps que celle de se
préoccuper de leur propre trophée. Auparavant, et notamment dans tous les conflits
qui animèrent les me et II• siècles, les Celtes pratiquaient en toutes circonstances, alors
que les périls n'étaient pas toujours écartés, une coutume que tous les historiens et
géographes ont abondamment relatée, celle de se saisir du crâne de l'ennemi mort.

On a quelquefois, à ce propos, parlé d'une décapitation rituelle. Or le terme est


impropre et il convient de l'écarter d'emblée. Les textes antiques évoquent toujours un

201
geste consistant à séparer la tête du cadavre de l'ennemi mort, jamais il ne décrivent
cette pratique comme une forme de mise à mort. L'opération a d'ailleurs toujours lieu
sur le champ de bataille et ne peut en aucune façon être assimilée au sacrifice de pri­
sonniers, de retour au pays et sur un lieu de culte. L'archéologie confirme amplement
la précision du vocabulaire des auteurs grecs ou latins. Tous les crânes et les vertèbres
cervicales qui lui restent attenantes au moment de la décollation présentent des traces
de couteau indiquant des gestes tournant autour du cou, jamais celles qu'aurait pro­
duites un violent coup d'épée ou de hache. Ces mêmes crânes, quand ils sont bien étu­
diés, peuvent révéler la présence de stries attribuables à l'écorchage mais aussi au
minutieux nettoyage de la tête osseuse. Les crânes trouvés sur l'habitat de Montmartin
en livrent des exemples éloquents.

Cette pratique a aussi été rapprochée du culte du crâne, courant dans tout le monde
altaïque et encore de nos jours en Polynésie. En réalité, en ce qui concerne les Gaulois,
rien ne nous permet de parler ici d'un véritable culte qui supposerait des cérémonies
régulières dans un cadre approprié. Si le prélèvement du crâne que nous étudierons
plus particulièrement s'inscrit bien à l'intérieur des rites guerriers et de ceux qui tou­
chent au trophée, le crâne, une fois acquis de cette manière, s'assimile plus à une
relique qu'à un objet de culte. Le crâne découpé et conservé par le guerrier gaulois
apparaît donc comme un objet au statut ambigu, à mi-chemin entre le funéraire, le
sacré et le profane. L'hypothèse du culte du crâne supposerait également que certains
de ces chefs soient ceux d'ancêtres et pas seulement d'ennemis. Or jusqu'à présent
aucune donnée archéologique, aucune mention littéraire ne permettent d'appuyer
cette hypothèse.

Chez les Celtes la pratique n'est pas attestée antérieurement au III• siècle ; la men­
tion la plus ancienne, due à Tite-Live, concerne la bataille de Clusium en 295. Les pre­
miers auteurs grecs qui mentionnent l'existence des Celtes aux V• et IV• siècles n'en
parlent pas. L'archéologie ne nous en livre également aucun témoignage. En revanche,
les relations littéraires concernant les Galates, les Belges, les Gaulois de Cisalpine aux
trois derniers siècles précédant notre ère décrivent à de très nombreuses reprises le
prélèvement du crâne. Nous sommes donc naturellement amenés à penser qu'il s'agit
une fois encore d'une coutume orientale, transmise peut-être aux Celtes danubiens ou
d'Asie Mineure par les populations scythes, comme l'avait proposé Déchelette pour
les torques en or. Il est remarquable, en effet, qu'au V• siècle, Hérodote décrive cet
usage chez les Scythes dans des termes et avec un sens qui seront ceux utilisés quatre
siècles plus tard à propos des Gaulois. Le crâne découpé est soigneusement nettoyé,
souvent orné d'or, parfois transformé en coupe à boire mais surtout utilisé dans le
cadre domestique par le guerrier qui l'a acquis. Momentanément ces crânes peuvent
séjourner sur le cheval, compagnon du guerrier, ils sont présentés au roi comme preu­
ve des faits d'armes et sont des gages pour le partage du butin ; enfin, collectionnés,
ils témoignent du passé glorieux de celui qui les conserve. Tous ces caractères, bien
particuliers, qu'on ne retrouve ni en Polynésie ni en Amérique centrale où le crâne
entre toujours dans un culte collectif pratiqué à l'intérieur d'un sanctuaire, s'obser­
vent, au contraire, trait pour trait chez les Gaulois transalpins et cisalpins.

202
Il convient, avant de tenter de comprendre le sens de ce qui nous paraît être une
sinistre coutume, de revenir aux documents de base, ceux issus de la lecture de
Posidonius, chez Diodore de Sicile et Strabon. Le texte le plus complet se trouve chez
Diodore : « Aux ennemis tombés ils enlèvent la tête qu'ils accrochent au cou de leurs
chevaux ; puis, remettant à leurs servants d'armes le reste de la dépouille ensanglan­
tée, ils emportent ces trophées en entonnant le péan et en chantant un hymne de vic­
toire et ils clouent à leurs maisons ces prémices du butin comme si, en quelque chas­
se, ils avaient abattu de fiers animaux. Les têtes de leurs ennemis les plus célèbres,
imprégnées d'huile de cèdre, ils les conservent avec soin dans un coffre et les montrent
aux étrangers, se vantant que pour l'une d'elles l'un de ses ancêtres, ou son père ou
lui-même n'ait pas voulu recevoir une grosse somme d'argent. On dit même que cer­
tains se targuent de n'avoir pas accepté pour l'une de ces têtes son poids en or, témoi­
gnant ainsi d'une grandeur d'âme propre aux Barbares : car il n'est pas noble de mon­
nayer les témoins de sa bravoure mais il y a quelque chose de sauvage à faire la guer­
re à un mort de sa race » . Strabon résume, sans guère conserver de détail supplémen­
taire, le même texte : « Quand ils reviennent de la bataille, ils suspendent au cou de
leurs chevaux les têtes de leurs ennemis et ils les rapportent chez eux pour les clouer
aux "propylées" . Posidonius dit avoir vu en maints endroi ts ce spectacle qui d'abord
lui répugnait mais qu'ensuite l'accoutumance lui rendait supportable. Les têtes des
ennemis illustres étaient imprégnées d'huile de cèdre, on les montrait aux étrangers
mais on se refusait à les rendre même contre leur poids en or. »

En fait, l'exposé, méticuleux et digne de la méthode ethnographique actuelle, qu'a


fait du problème Posidonius nous livre les éléments essentiels à la compréhension.
Comme le compare judicieusement l'observateur, cette coutume s'assimile à celle
qu'ont les chasseurs de conserver et d'exposer les crânes des bêtes les plus féroces ou
les plus splendides qu'ils ont tuées. Le crâne humain apparaît donc avant tout comme
un trophée, au sens cynégétique du mot. Il est le témoin d'un fait d'arme, le témoin le
plus réaliste qui se puisse imaginer, puisqu'il est une partie même, la plus expressive,
de la victime. Cette fonction première de preuve est confirmée par deux faits. D'une
part chez les Scythes, comme chez les Gaulois, la tête, rapportée et montrée au chef,
est un gage de récompense ; ainsi les cavaliers gaulois sous les ordres de Labiénus qui
tuèrent lndutiomare rapportèrent la tête de celui-ci au général romain. D'autre part,
chez les deux peuples également les crânes sont conservés chez lui par le guerrier qui
les a acquis et sont régulièrement montrés aux étrangers, c'est-à-dire à ceux qui ne
connaissaient pas la valeur de ce guerrier. Ce type de trophée n'a donc rien à voir avec
le butin, il a une immense valeur personnelle mais n'est pas pour autant un bien mon­
nayable. Il n'entre pas non plus directement dans le trophée collectif, dans la mesure
où il témoigne d'une relation quasi individuelle du guerrier avec l'ennemi et, au-delà,
avec la mort. La tête de l'ennemi est la preuve unique et irremplaçable du courage
guerrier, ce que les Grecs appellent aresteïa . Chez les Grecs elle fut très tôt remplacée
par une part de butin, un éloge public. Chez les Scythes, comme chez les Celtes, elle a
gardé son pouvoir archaïque, un pouvoir personnel si fort qu'il tenait lieu bien sou­
vent de toute autre part de butin.

203
La prise du crâne garde donc le souvenir des temps anciens (chez les Celtes jus­
qu'au début du IVe siècle) où la bataille n'était qu'une multiplication de duels entre
des guerriers à la figure héroïque. La chasse, l'initiation guerrière et le combat étaient
liés, ils s'entretenaient l'un l'autre, tissant, articulant la vie et l'image d'un aristocrate
dont le prestige ne reposait que sur des activités à la sacralité plus magique que pure­
ment religieuse. Le crâne était autant la relique d'une geste personnelle que celle d'un
ordre ancien dont les symboles étaient soigneusement renouvelés.

Pas plus qu'il ne faut y voir un culte du crâne, il ne faut chercher dans cette pratique
un rituel magique destiné à s'approprier les vertus de l'ennemi ou une part de son
âme. Ce qui fut probablement vrai des temps préhistoriques ne l'était plus pour les
Gaulois qui avaient substitué aux conduites magiques une pensée religieuse élaborée.
Le crâne tenait plus de l'objet décoratif que des sacra confinés dans les sanctuaires.
Respecté, il n'était pas tabou, c'est pourquoi il est courant d'en rencontrer les traces
archéologiques sur les habitats gaulois, parmi le mobilier domestique. Contrairement
aux dépouilles humaines qui participaient du trophée collectif, qu'on gardait dans
l'état où on les avait ramassées sur le champ de bataille et qui continuaient lentement
de se dégrader, le crâne était soigneusement débarrassé de toute chair et de toute
matière qui ne fût pas de l'os. Posidonius indique qu'on l'enduisait d'huile de cèdre.
Il n'est pas impossible que chez quelques peuples on ait procédé également à un sur­
modelage du crâne pour lui garder l'apparence expressive qui avait été celle de l'en­
nemi vivant.

Rares sont les crânes d'ennemis qui connaissaient un autre sort. Sur le sanctuaire de
Ribemont-sur-Ancre, sur plusieurs centaines de cadavres dont la plupart provenaient
des champs de bataille un seul crâne a été découvert. La littérature antique ne nous
donne qu'un seul exemple d'un crâne qui a subi un traitement particulier, celui du
général Postumius tué en même temps que toute son armée par les Boïens dans la
Silva Litana. Le crâne découpé, écrit Tite-Live, fut emporté, accompagné par des chants
triomphants, dans le sanctuaire le plus vénéré de ce peuple. Là on le transforma en
une coupe qu'on recouvrit d'une feuille d'or et il fut utilisé dans le culte par les
prêtres. Ce traitement s'explique par la personnalité du mort, Postumius qui dirigeait
toute l'armée romaine, et par les circonstances particulières de la bataille où tous les
Romains avaient été massacrés, d'une façon curieuse, écrasés par les arbres que les
Gaulois avaient préalablement coupés mais laissés debout. Une victoire si épique
devait beaucoup aux dieux et le crâne du chef des Romains pouvait passer pour le tro­
phée propre à la divinité qui avait combattu auprès des hommes. Il n'est pas non plus
impossible que les Boïens par leur proximité du territoire romain ait été influencés par
la coutume des spolia opima qui voulait que les dépouilles d'un chef de guerre ne
reviennent pas aux humains.

Transformer le crâne en coupe est cependant propre aux Celtes et aux Scythes. Si
seul l'exemple du crâne de Postumius nous est donné, Silius Italicus affirme qu'il
s'agit d'une coutume généralisée aux Celtes. Pour la décrire il emploie les mêmes
termes qu'Hérodote à propos des Scythes : « Ils sertissent les os des crânes vides dans

204
de l'or et les conservent comme des coupes » . Pas plus que la coupe crânienne dorée
de Postumius, celles auxquelles fait allusion le poète n'ont été retrouvées ; il s'agissait
d'objets doublement précieux par leur usage cultuel et par leur décoration. L'oppidu m
de Manching a cependant livré une calotte crânienne parfaitement sciée et correspon­
dant à ces descriptions.

La consécration des dépouilles

Ce terme est préférable à celui de trophée qui n'est que l'une des pratiques de la
consécration des dépouilles, l'usage du mot trophée étant généralement réservé à
deux formes de cette consécration, le monument érigé avec les dépouilles elles-mêmes
sur le champ de bataille ou la représentation de celui-ci, souvent au cœur de la cité.
Nous avons vu, avec l'exemple de Ribemont-sur-Ancre, que le trophée, sous cette pre­
mière forme existait chez les Celtes, alors que nous ne possédons aucun vestige attri­
buable à un trophée du deuxième type. Il serait réducteur néanmoins de croire que la
consécration des dépouilles, certainement l'un des actes religieux les plus importants
chez les Celtes, se limitait à cette seule pratique, immédiate et liée intimement à la
bataille. Les habituelles sources littéraires évoquent assez souvent l'ensemble de ces
rites, cependant moins abondamment et moins précisément que la prise du crâne.
C 'est qu'ils paraissaient communs à des historiens qui ne cessaient de faire le récit
d'innombrables batailles sur les bords de la Méditerranée où les trophées grecs,
romains, perses, scythes, carthaginois prenaient les allures les plus diverses. Par
ailleurs, les voisins des Celtes n'avaient ni la possibilité d'apprécier la diversité ni de
comprendre les modalités de consécrations dont les résultats récents de l'archéologie
suggèrent toute la complexité. Le trophée chez les Celtes ne connut jamais de monu­
mentalité architecturale. Il conserva toujours sa forme primitive, celle d'un dépôt plus
ou moins construit de véritables dépouilles que les voyageurs n'eurent la plupart du
temps le loisir de les contempler que sous leur forme détruite, quand ils paraissaient
d'informes amas. Il n'était guère plus possible de visiter les temples où pouvaient être
suspendues les armes exceptionnelles. Seul César, si l'on en croit Plutarque, eut le pri­
vilège de pouvoir admirer dans un temple arverne sa propre épée qui lui avait été
prise quelque temps plus tôt.

On ne dispose donc, venant de la littérature antique, que de généralités peu utili­


sables parce qu'elles entretiennent une confusion involontaire, due à la difficulté de la
description et à l'absence d'une méthode ethnologique. Justin, on l'a vu, évoque le
vœu de consacrer des dépouilles ; il utilise pour cela le mot latin spolia, terme bien
connu pour désigner dans la religion romaine les dépouilles de valeur prises à l'en­
nemi, mais on s'interrogera longtemps et inutilement sur la signification précise qu'a
ici ce terme : s'agit-il seulement des armes prestigieuses, ou au contraire de l' ensemble
du butin ? Florus, quand il cite les voeux d' Arioviste et de Viridomar, est plus explici­
te : le premier, selon toute vraisemblance, ne consacrera que l'or pris à l'ennemi pour
faire un torque à Mars, le second offrira à Vulcain toutes les armes prises à l'ennemi.
Cependant on peut se demander s'il ne s'agit pas seulement d'une partie de la consé-

205
cration, celle qui est le fait du chef de guerre. Car, si l'on en croit César, lorsqu'il copie
Posidonius, il arrivait que l'ensemble des hommes et des biens constituant l'armée
ennemie soit consacrée aux dieux, « animalia capta immolan t ; reliquas res in unum locum
conferunt » .

En fait, les données littéraires et les faits archéologiques permettent de distinguer


au moins trois rites qui peuvent présenter entre eux toutes les combinaisons possibles,
s'associer, s'exclure, tous trois ou par deux. Les lieux et les acteurs peuvent également
varier. Il semble qu'il y ait toujours une consécration, au moins partielle, directement
sur le champ de bataille. Elle est le fait, pour tous les cas connus, du chef militaire qui
fait voeu, qui consacre, qui sacrifie. Rien n'interdit de penser qu'il ne fait que présider
et que les rites sont accomplis par des prêtres mais aucun texte ne l'indique explicite­
ment. Il semble que voeu et consécration soient le privilège du chef militaire et l'ex­
pression emblématique de son activité religieuse. L'autre lieu est la cité et plus préci­
sément son ou ses sanctuaires. Là il est sûr que les desservants réguliers du lieu de
culte jouent un rôle mais il faut penser que le stratège victorieux occupe encore dans
le rite une place importante, de même que ses guerriers. Sur le champ de bataille, deux
de ces rites peuvent se dérouler. C'est tout d'abord le sacrifice d'hommes ou d'ani­
maux. Les informations sur le sujet sont quelque peu contradictoires. César, adaptant
l'original de Posidonius, emploie le terme très général d'animalia, « tous les êtres
vivants », autrement dit les hommes, les chevaux, le bétail. Un tel sacrifice paraît tout
à fait inconcevable. Tuer des prisonniers qui sont une source de richesse par leur futu­
re mise en esclavage ou par le monnayage de leur liberté paraît une forme de consé­
cration exceptionnelle qui n'est mentionnée que chez les Gala tes, au II• siècle pendant
la guerre de Macédoine. Elle s'explique par des circonstances exceptionnelles et sur­
tout par l'éloignement de la cité qui ne permettait guère le transport sans risque d'un
grand nombre de prisonniers. Sacrifier tous les chevaux et tout le bétail ne paraît guère
plus probable, ils représentaient une grande richesse mais surtout ils étaient trop
nécessaires à la survie des troupes en campagne. Il semble tout simplement que sur le
sujet César ait travesti la réalité en procédant à un amalgame entre la description des
rites guerriers et celle de l'holocauste, figurant également dans le texte de Strabon,
sacrifice exceptionnel se reproduisant tous les cinq ans où des êtres animés de toutes
espèces étaient sacrifiées. Il faut plutôt croire Diodore à propos des Gala tes : il arrivait,
certainement dans de rares cas, qu'une victoire, difficile ou de grande ampleur, justi­
fiât une consécration à la mesure des résultats obtenus. Mais alors, comme il a été évo­
qué plus haut, la mise à mort avait tous les caractères d'un véritable sacrifice d'action
de grâce.

Il est cependant probable que sur le champ de bataille le rite principal fût la consti­
tution d'un trophée dont le meilleur exemple nous a été donné par les vestiges de
Ribemont-sur-Ancre. L'encyclopédiste Elien laisse entendre que la pratique en était
courante, qu'elle prenait les formes et qu'elle avait en gros le sens du trophée, tel que
l'entendaient les Grecs. On pourrait s'étonner qu'il n'en ait pas été trouvé de témoi­
gnages archéologiques plus abondants. La réalité nous paraît exactement contraire. Si
l'on considère que l'on ne connaît avant le Ier siècle aucun lieu de bataille où les Celtes

206
se sont trouvés engagés, on doit se satisfaire de la découverte d'au moins trois tro­
phées en Gaule dont l'un, celui de Ribemont, révèle, de plus, l'existence d'une bataille
totalement ignorée. Cela suppose que la pratique était courante voire régulière. On ne
reviendra pas sur ce dernier exemple, le seul bien connu et qui a fait l'objet, plus haut,
d'une description circonstanciée. La découverte de Moeuvres dans le Nord est inté­
ressante également parce qu'elle est proche de celle de Ribemont par sa situation géo­
graphique - elle n'en est éloignée que de 40 km -, elle l'est également ethniquement -
elle se situe chez les Atrébates, un autre peuple belge -, enfin elle en est presque
contemporaine, puisqu'elle date de la fin du me siècle. Là encore il s'agit de vestiges
de guerriers à qui le crâne avait été prélevé. L'auteur parle de deux cents individus.
Les restes présentant encore des connexions partielles, comme ceux du charnier de
Ribemont, furent découverts dans un fossé. Il semble donc que le monument ne pré­
sentait pas les mêmes caractéristiques que celui de Ribemont. Les cadavres ont subi
une exposition qui pouvait être assez semblable mais qui fut de courte durée : quand
ils commencèrent à se démembrer on les rejeta dans cette structure creuse. Le troisiè­
me exemple est plus célèbre mais la découverte en est moins bien connue. Il s'agit de
l'ensemble d'ossements d'hommes et de chevaux et d'armes découvert à Alésia au
pied du Mont Rhéa. On parle de 4 à 5 mètres cubes de restes. La plus grande partie de
ces vestiges ont aujourd'hui disparu et il est bien difficile de se faire une opinion pré­
cise de la signification de telles découvertes. Néanmoins nous pouvons, sans grand
risque d'erreur, accepter l'interprétation que faisait Jacques Harmand, bien avant les
découvertes picardes, qui voyait là les vestiges d'une forme de trophée et plus préci­
sément un congeries armorum, « amas d'armes » pour le distinguer du trophée construit
tel qu'on le connaît dans le monde gréco-romain. Moeuvres et Alésia ont le défaut de
présenter des restes de trophée sous la forme d'une relégation qui laisse peu de chan­
ce de reconstituer la construction initiale mais ces deux découvertes anciennes ont
cependant l'intérêt de montrer que le trophée de Ribemont n'est pas une exception.

Le troisième rite nous est connu à la fois par la littérature et par l'archéologie, il
concerne les dépouilles qui sont rapportées au sanctuaire. Le manuel ethnographique
de Posidonius devait l'évoquer et l'on en trouve un écho assez vague dans les textes
de César et de Diodore. Mais ce sont certainement les deux exemples célèbres qui ont
déjà été signalés, celui du crâne du général Postumius et celui de la présumée épée de
César, qui sont les plus instructifs. Il s'agit de deux éléments emblématiques apparte­
nant tous deux à des chefs militaires. Le rapprochement avec les spolia opima des
Romains s'impose. D'autant qu'il est confirmé par les découvertes archéologiques.
Ainsi, les armes de Gournay qui ont été utilisées, qui sont probablement des armes
prises à l'ennemi et qui ont été accrochées aux murs du sanctuaire, sont toutes des
armes exceptionnelles, en fait les éléments de panoplies qui ne pouvaient appartenir
qu'aux guerriers du plus haut rang. On est porté à croire que les Gaulois, comme les
Italiques, réservaient les armes les plus prestigieuses, par leur beauté et par la renom­
mée de leur propriétaire, aux dieux en leur sanctuaire. Parce que les Gaulois avaient
une pensée religieuse moins pratique et j uridique - pour reprendre les qualificatifs de
Georges Dumézil - que les Romains, cette coutume n'était pas limitée strictement aux

207
armes des chefs qui auraient été conquises par le général lui-même, elle devait englo­
ber tout objet exceptionnel pris à l'ennemi. Le sort de ces objets était alor� très simple,
c'est celui des anathemata, tels que la religion grecque les définit. Ils sont suspendus
aux murs de péribole du sanctuaire ou à ceux du temple. Ces anathemata obéissaient à
des contraintes d'utilisation qui ont été bien mises en évidence sur le sanctuaire de
Gournay. Ce bric-à-brac, une fois installé, non sans un certain esthétisme (par fais­
ceaux notamment) sur les supports qui lui étaient destinés, ne devait plus faire l'objet
de manipulation humaine : les bois pourrissaient, les cuirs se desséchaient, le fer se
rongeait j usqu'à ce que par paquets ces compositions baroques glissent inexorable­
ment sur le sol. Un véritable interdit les frappait. On ne devait y porter la main, pas
plus pour s'en approprier quelque élément que pour consolider leur éphémère pré­
sentation. A Rome, une loi avait été instituée, qu'on attribuait au légendaire Numa,
qui interdisait la réparation de tels trophées. Elle était censée laisser le temps gouver­
ner la mémoire, effacer la honte du vaincu après une période que seuls commandaient
les éléments naturels. Les Gaulois partageaient cette conception. Aussi les sols des
sanctuaires étaient-ils couverts de ces restes fragmentés, usés que les pieds des parti­
cipants au culte déplaçaient au gré de leurs pérégrinations : Ribemont nous donne une
image spectaculaire de ces sols encombrés d'ossements, de morceaux de fer, de
parures diverses ; à l'inverse, le sanctuaire de Saint-Maur où les sols ont disparu, a
livré un fossé de clôture transformé en dépotoir de cette poussière de trophées, frag­
ments infimes de métal, os rongés, les uns et les autres en voie de disparition.

Qu'on ait surtout rencontré les vestiges de ces consécrations sur le territoire des
peuples belges n'a rien qui doive étonner. Les Belges encore du temps de César
avaient une réputation belliqueuse incontestée. Ils la devaient à leur résistance unique
à l'invasion des Cimbres et des Teutons mais aussi à de perpétuelles guerres qu'ils
entretenaient avec les peuples germains. De fait, depuis leur installation en Gaule au
début du III• siècle, ils n'avaient pas abandonné les mœurs guerrières, qui étaient aussi
celles des Celtes qui accomplirent les grandes invasions en Macédoine, en Grèce et en
Asie Mineure. La réputation des Belges reposait sur les faits de guerre mais aussi sur
les monuments de leur bravoure que constituaient trophées et sanctuaires guerriers.
La décoration funèbre et militaire de bien des sanctuaires tenait lieu d'aménagement
défensif du territoire : les enceintes sacrées de Gourany, Saint-Maur, Ribemont en
disaient suffisamment long sur l'efficacité guerrière des tribus dont elles étaient le
meilleur symbole. On comprend ainsi que les Belges du nord-ouest de la Gaule,
contrairement aux Celtes du centre de la Gaule, n'aient pas jugé nécessaire de recou­
rir à des fortifications, imposantes à défaut d'être toujours puissantes.

Des épouvantails humains

Les Celtes ont pratiqué une autre forme de traitement des dépouilles ennemies, une
forme intermédiaire entre le trophée de type grec sur le champ de bataille et la pré­
sentation monumentale des dépouilles dans les sanctuaires. Il s'agit d'une sorte de tro­
phée portatif. Nous n'en avons qu'une mention explicite mais nous verrons que de tels

208
estes n e p euvent que s'ancrer profondément dans la mentalité religieuse. Justin rap­
orte que les Celtes qui affrontèrent Ptolémée Kéraunos en Macédoine, sous les ordres
d ' un chef a u nom ethnonymique de Belgius ou Bolgios, tuèrent ce roi, coupèrent sa
éte qui fut fixée à une lance et promenèrent celle-ci sur tous les champs de bataille
our e ffrayer l'ennemi. Les faits peuvent paraître banals : typiquement guerriers, on
le s rencontre dans d'autres civilisations, toujours dans des circonstances exception­
nelles. Chez les Celtes, même si elle est rarement relatée, la pratique paraît cependant
p l u s coutumière. C 'est ce que suggèrent les faits archéologiques. Les éléments de
crânes découverts sur le sanctuaire de Gournay montrent que ces trophées ne connais­
saient pas seulement deux types de destinées, celle de finir dans le coffre domestique
d'un brave guerrier ou celle de servir, comme le chef de Postumius, de coupe sacrée à
l'usage des prêtres. D'un crâne fut découpée toute la partie faciale, de façon à en faire
un masque. Sur cinq autres crânes on a prélevé le basioccipital, c'est-à-dire la sorte de
vertèbre incluse dans la boîte crânienne et entourant le trou occipital, de façon à agran­
dir celui-ci. Cette opération extrêmement difficile et délicate pour la boîte crânienne
ne trouve qu'une explication : c'est la seule façon de rendre possible la fixation du
crâne sur une hampe en bois, notamment si l'on veut transporter l'ensemble. Nous
connaissons, en effet, d'autres mode de fixation (gros clou qui traverse l'os, encoche
dans la pierre ou le bois d'un support destiné à recevoir un crâne, bande de fer entou­
rant le frontal) mais il s'agit toujours dans ces cas de supports fixes. A Gournay les
pièces isolées produites par une telle opération ne permettent pas de conclure que les
crânes furent effectivement exhibés comme celui de Ptolémée Kéraunos. Mais elles
prouvent que les Celtes avaient une grande habitude de ces gestes de chirurgie ou plu­
tôt de dissection.

Les Belges ont pu les acquérir dans la région dont on dit habituellement (à la suite
de César) qu'ils sont originaires, l'Europe centrale. Là, des restes humains provenant
de grottes occupées au premier Age du Fer témoignent de pratiques étranges et simi­
laires. A Majda-Hrasko en Slovaquie du sud, deux masques du même type que celui
de Gournay et un masque de cerf ont été découvert avec des os humains appartenant
à une douzaine d'individus. Ces os portaient des traces de coups de couteau, de bris
intentionnel et d'action du feu. Les auteurs de la découverte pensent qu'il s'agit de
vestiges de pratiques magiques, peut-être initiatiques, probablement accompagnées
de sacrifice humain. De telles grottes en Slovaquie ne sont pas rares, on en compte au
moins six qui ont livré des restes humains susceptibles d'être interprétés en termes
d'anthropophagie. Mais les découvertes les plus extraordinaires et qui montrent le
plus de similitudes avec celles de Picardie ont été faites en Moravie dans la grotte de
Byci-Skala. Là, parmi un matériel métallique d'une richesse inouïe (au moins trois
chars, des cistes, situles et bassins de bronze, de nombreux bijoux) ont été rencontrés
plusieurs ensembles de restes humains : une sorte de charnier où se trouvaient pêle­
mêle des morceaux de squelettes d'une quarantaine d'individus auxquels il manquait
souvent le crâne, plus loin sur le sol accompagnant d'autres offrandes les restes d'un
homme, enfin sur une sorte d'autel taillé dans la pierre, deux mains portant encore des
bagues et un crâne coupé. Parmi tous les restes humains figuraient quatre coupes
découpées dans des crânes. Les populations installées dans ces régions depuis l' Age

209
du Bronze avaient peut-être de telles mœurs en commun avec les Scythes d'Europe
qui n'étaient guère éloignés. Ou peut-être de telles traditions furent-elles renforcées au
contact de ces peuples qui montrent un même goût pour le traitement des cadavres et
le travail sur l'os. Hérodote dans le livre IV de ses Histoires a décrit avec beaucoup de
précision de tels gestes. Les archéologues travaillant sur les territoires anciennement
occupés par les Scythes ont non seulement confirmé toutes ces descriptions, ils ont
aussi mis en évidence des traitements plus extraordinaires encore. Ainsi en Sibérie du
sud ont été découverts des restes humains qui avaient fait l'objet de véritables pra­
tiques de taxidermie : après le décharnement du cadavre, le squelette avait été conso­
lidé à l'aide de longues baguettes de bois, puis enrobé d'herbes et rhabillé, tandis
qu'on avait appliqué un masque sur le crâne.

Si les Belges sont bien issus de ces populations celtiques, confinées anciennement
entre les Monts de Bohème et le nord des Carpathes, on comprend que les longues
migrations qu'ils ont connues entre le IVe et le ne siècles leur ont permis de conserver
des mœurs aussi archaïques et de les importer dans le nord d'une Gaule qui, en regard
de cette nouvelle population, paraît étonnamment civilisée. C'est la seule façon, eu
égard à l'état de nos connaissances, d'expliquer l'intrusion de telles coutumes et leur
disparition tout aussi brusque. Elles ne subsistent, en effet, guère au delà de la fin du
III" siècle. Elles tombent dans une désuétude qui n'est qu'une sorte de long sommeil.
En effet, dès que les Gaulois (et parmi eux certainement beaucoup de Belges) repar­
tent en guerre, ils ravivent cette forme première du trophée. Ainsi, comme on l'a vu
plus haut, lors de la guerre d'Espagne, des soldats qui sont, selon toute vraisemblan­
ce, des auxiliaires gaulois confectionnent pour effrayer les assiégés de la ville de
Munda d'étranges mannequins qui par bien des aspects rappellent certaines formes
de trophée qui viennent d'être évoquées.

La mort

Les rites de la mort sont habituellement confondus avec les rites funéraires, parce
que beaucoup de civilisations actuelles ne parent pas la première d'un rituel qui la
transcende, qui transforme la passivité que l'on observe généralement face à elle en un
acte volontaire et chargé de sens. Les Gaulois ritualisaient la mort, peut-être sous
toutes ses formes. Mais, comme dans les autres domaines, la documentation antique
n'a retenu que ce qui lui paraissait extraordinaire ou qui concernait des hommes
remarquables. Ces rares témoignages nous permettent d'entrevoir la conception reli­
gieuse que les Gaulois se faisaient de la mort.

Tous les exemples de mort ritualisée qui nous ont été transmis appartiennent, avec
des différences sensibles, à un même ensemble, à une même attitude face à la mort
qu'on pourrait qualifier de « sacrifice de soi » ou « sacrifice volontaire » . Ces expres­
sions sont, en effet, préférables au mot « suicide » qui évoque notamment dans notre
civilisation une décision individuelle. Ces morts volontaires chez les Gaulois, au
contraire, sont des gestes religieux dont le but ultime est toujours de replacer l'indivi­
du en harmonie avec le groupe auquel il appartient et avec le monde divin.

210
Avancer armé contre les flots

Parmi les plus anciennes mentions concernant les Celtes se trouve une série de
textes dont on retrouve l'écho dans !'Ethique à Nicomaque d'Aristote. « Les Celtes ne
craignent ni les séismes ni les tempêtes », écrit-il. C 'est une allusion à un trait des
mœurs celtiques qui avait été abondamment diffusé dans le monde grec à la fin du V"
siècle et dont la version la plus complète se trouve chez Elien qui écrit dans ses
Histoires variées : « Beaucoup attendent de pied ferme la mer qui les inonde. Il y en a
même qui prenant les armes, se précipitent contre les flots, en agitant leurs épées ou
leurs lances nues, comme s'ils pouvaient effrayer l'eau ou la blesser. » Cette coutume
singulière, probablement observée par les premiers voyageurs d'origine grecque, ser­
vait d'exemple pédagogique pour caractériser la folie, l'excès et c'est à ce titre
qu'Aristote l'utilise.

Les celtisants du début du siècle ont beaucoup glosé sur ces excentricités celtiques
qui avaient déjà passionné les anciens. Posidonius qui avait eu entre les mains la sour­
ce initiale, probablement due à Ephore, ne croyait pas à la vérité des faits, pas plus que
Strabon qui reproduit les opinions des uns et des autres. D' Arbois de Jubainville et
Jullian ont cherché à donner un sens à la coutume et ce sens leur est apparu de natu­
re religieuse. Pour le premier, c'est la preuve que le guerrier menacé par une catas­
trophe naturelle s'apprête à entrer dans l'au-delà en armes, c'est-à-dire comme un
guerrier. Pour le second, l'utilisation des armes contre les flots n'avait peut-être
d'autre but que d' « écarter la nage invisible » de ceux qu'ils ne voulaient pas revoir.
Les Grecs avaient, de leur côté, cherché une explication naturelle à la montée des flots.
Le phénomène des marées leur parut la plus logique mais leur répétitivité, au contrai­
re, qui aurait dû rendre celles-ci familières aux Celtes et interdire très vite des réac­
tions aussi intempestives, avait conduit ces auteurs à nier tout simplement la véracité
d'une telle conduite et à n'y voir qu'une fable rapportée par Ephore, auteur effective­
ment peu apprécié de Strabon.

Il y avait, en fait, une explication plus simple mais aussi plus exceptionnelle, celle
que Timagène déjà donnait comme l'origine des premières invasions celtiques, celle
d'un raz-de-marée sur les côtes de la mer du Nord. Un phénomène aussi rare et mons­
trueux peut expliquer une attitude aussi extraordinaire où l'homme affronte à la natu­
re sa fragilité et sa grandeur d'âme. L'explication partielle de d'Arbois de Jubainville
doit être retenue. L'homme face à un péril qui lui paraît de nature surhumaine revêt
ses attributs de guerrier pour entrer dans l'au-delà, comme il y entrerait à la guerre,
c'est-à-dire avec l'assurance que le combat qu'il livre le conduira directement à l'éden
des héros.

La mort au combat
Une telle attitude a longtemps animé les Celtes quand ils allaient au combat.
L'image quasi fabuleuse en était donnée par les Gésates qui combattaient nus. Cette
nudité exprimait le mépris le plus radical non seulement de la mort mais aussi, d'une
certaine manière, de l'ennemi qui pouvait la donner. Elle indiquait pareillement que

211
O n veut habitu e l l e m e nt vo i r dans cette scène la représe ntation d ' u n sacrifice h u m a i n . C h a u d ro n de G u nd est r u p
( Danemark) .

212
le guerrier se trouvait au cœur d'une ordalie dont le résultat ne pouvait que lui être
favorable. Soit il vainquait et sa victoire s'enrichissait d'une caution divine ; soit il
mourait et sa mort lui permettait de prendre place auprès de ses ancêtres sous la pro­
tection des dieux. C 'est pourquoi le guerrier se battait jusqu'à la mort ou j usqu'à ne
plus avoir d'ennemi autour de lui. De tels sentiments étaient ceux qu'animaient les
hoplites grecs jusqu'au IV• siècle et qu'on trouve particulièrement bien reproduits
dans !'Oraison fu nèbre en l'honneur des soldats qui allèren t au secours des Corin thiens de
Lysias : « Aussi devons-nous estimer heureux entre tous les hommes ces héros qui ont
fini leurs jours en luttant pour la plus grande et la plus noble des causes, et qui, sans
attendre une mort naturelle, ont choisi le plus beau trépas : leur mémoire ne peut
vieillir et leurs honneurs sont un objet d'envie pour tous les hommes » (trad. Gernet
et Bizos). Le guerrier gaulois qui affronte Manlius sur les bords de l' Anio à aucun
moment ne craint la mort mais il s'investit du destin de son peuple : « Que le guerrier
le plus fort que Rome possède s'avance donc au combat, afin que notre sort à tous
deux montre quel peuple est meilleur à la guerre » .

Pour l e Gaulois jusqu'au I•' siècle avant J.-C., l e combat n e peut avoir que ces deux
issues. La fuite, la capture par l'ennemi ne sont pas des solutions envisageables. La
honte qui les aurait accompagnées empêchait le guerrier de survivre. De telles
conduites n'étaient pas admises par la société. Le faible développement de l'indivi­
dualisme ne permettait pas de s'opposer à une telle pression. C'est pourquoi la plu­
part des récits concernant les III• et II• siècles nous montrent les Celtes se donnant la
mort à l'issue des batailles qui ne leur ont pas été favorables. Chaque bataille est vécue
comme un dialogue fatal entre l'homme et les divinités. Il faudra attendre les grands
périls du début du I•' siècle pour que les Gaulois prennent conscience du destin de leur
peuple et adoptent des conduites individuelles plus soucieuses de l'avenir de la col­
lectivité.

La mort des so ldures

Cette morale du temps de guerre était devenue pour certains un mode de vie. A
propos d' Adiatuanos que Nicolas de Damas qualifie de roi des Sotiates, César men­
tionne l'existence de soldures . Ce sont des hommes qui forment une sorte de cour
autour d'un personnage éminent. Ils sont entièrement dévoués à celui-ci, lui assurant
une garde permanente, notamment à la guerre. En contrepartie ils partagent tous les
biens de leur protecteur. Leur dévouement est total et va j usqu'à la mort. Au combat
ils protègent leur maître, mais s'il arrive que ce dernier meure, ils mettent également
fin à leurs jours. César ajoute qu'il n'est jamais arrivé qu'un de ces soldures refuse de
mourir quand celui à qui il s'était voué d 'amitié venait de mourir.

Cette institution nous paraît typiquement celtique, parce qu'elle est une forme exa­
cerbée de la clientèle, mode de relation sociale largement généralisé chez les Gaulois,
comme chez les Romains. Ce devait être une coutume ancienne, qui s'était dévelop­
pée au moment des invasions celtiques. Dans ces interminables pérégrinations, où les
conditions de vie étaient souvent terribles, les chefs devaient pouvoir se reposer sur

213
une sorte de garde prétorienne qui prenait en charge tous les problèmes matériels. A
la bataille de Télamon, le roi Anéroeste était entouré d'un semblable groupe qui se
donna la mort en même temps que lui. En Aquitaine les soldures d' Adiatuanos, selon
Nicolas de Damas, n'étaient pas moins de six cents. En Gaule Belgique, Comm
l' Atrébate était entouré d'une semblable garde de clients combattant à ses côtés, qui
ne doivent être rien d'autre que des soldures.

La mort de ces soldures n'était pas une fin en soi. Elle n'était que la conséquence
d'un dévouement qui s'assimilait à une devotio. Le soldure se donnait la mort par
amour ou, mieux, par sympathie pour son patron. Mais il le faisait aussi parce que ses
conditions de vie venaient, tout à coup, d'être remises en question. Comme au guer­
rier, un code de l'honneur rigoureux ne permettait aucune fuite qui se serait traduite
par une réintégration dans la société.

Celui qui se fait donner la mort en public

La mort, vécue comme un rituel, pouvait donner lieu à des mises en scènes extra­
ordinaires. Nous possédons de celles-ci une unique description, d'une grande valeur,
parce qu'elle est due à Posidonius qui, comme à son habitude, expose les faits comme
le ferait un ethnologue, c'est-à-dire avec une grande précision, le sens du détail mais
sans la passion de l'exotisme, et le souci de saisir l'intention et le sens derrière les
gestes. Le passage a été copié par Athénée dans ses Deipnosophistes . En voici une tra­
duction qui se veut la plus proche du texte : « D'autres dans un théâtre, ayant reçu de
l'argent et de l'or, certains ayant obtenu des amphores de vin, et s'étant engagés solen­
nellement à rembourser ce don, après l'avoir partagé entre leurs proches et leurs amis,
ils sont couchés le dos sur leur bouclier, et quelqu'un se tenant à leur côté leur coupe
le cou avec une épée. »

Il ne s'agit pas d'une anecdote mais d'une pratique qui, sans être banale, était com­
mune. D'après Athénée, l'usage en existait aussi à Rome où, pour une somme de cinq
mines qui était partagée entre leurs héritiers, des hommes se faisaient trancher la tête.
Chez les Gaulois, cet auto-sacrifice s'accompagnait de l'habituel décorum qui mar­
quait toutes les cérémonies religieuses. La scène se déroulait, nous dit le texte, en thea­
tro, c'est-à-dire dans un théâtre ou dans une salle de cérémonie, en tout état de cause
devant un public. Athénée ne copie, semble-t-il, que la fin de la description qui fait
suite à une série complexe de rites. L'homme qui se sacrifie est, de toute évidence, un
guerrier et plus vraisemblablement un chef qui semble entouré de ses clients. Pour des
raisons qui ne sont pas explicitées mais sur lesquelles on reviendra, l'homme offre sa
mort en contrepartie de dons qu'il partage entre ses parents et ses amis. Puis soit il se
donne la mort, soit il est mis à mort. On l'allon ge alors le dos sur son bouclier et quel­
qu'un de l'assistance vient lui couper la tête.

Le fait a intrigué les historiens qui, pour la plupart, ont préféré ne pas proposer
d'analyse. Albert Bayet reconnaît ne pas comprendre le sens de ces gestes et il évoque
une possible explication religieuse. Seul Marcel Mauss en a fait une étude pénétrante.
Il y a vu la forme exacerbée d'un potlatch, une série de dons et de contre-dons qui se

214
termine par le suicide de celui ne peut plus rendre, offrant sa vie comme « contre-pres­
tation suprême » . Que la mort dans ce rite soit conçue comme une monnaie d'échan­
ge est indubitable, le texte est d'ailleurs suffisamment clair. En revanche, rien n'in­
dique que la mort intervienne à la suite d'une compétition de dons. Le chef qui se fait
donner la mort obéit peut-être à d'autres nécessités. On peut imaginer que sa fortune
personnelle ne lui permet plus d'entretenir ses clients ou ses soldures ou tout simple­
ment que la maladie le menace et qu'il préfère une mort honorable à une déchéance
physique. Il semble bien, en tout cas, que c'est son honneur de guerrier qui est mis ou
en cause ou en doute.

Il est clair, en effet, que le rite s'articule sur une thématique guerrière. La victime est
en armes, on la couche sur son bouclier, on lui coupe la tête avec une épée. A l'évi­
dence, l'homme se met symboliquement dans une situation guerrière. On peut
d'ailleurs se demander si la mort ne fait pas suite à l'un de ces duels que dans le même
texte Athénée a évoqués auparavant. Le dernier acte de cette représentation rappelle
évidemment le champ de bataille : on prend à la victime son crâne comme on ferait
trophée d'un ennemi tué. C'est une façon de signifier que la victime s'estime vaincue
mais que son honneur est intact : elle a été traitée comme sur un champ de bataille. Il
est probable que celui qui découpe le crâne se rembourse de cette manière des cadeaux
qu'il vient de faire. Le crâne qu'il acquiert vaut des « sommes d'argent ou d'or ou des
amphores de vin », ce ne peut être que celui d'un grand soldat. Cette prise du crâne
rend, de fait, l'honneur, peut-être perdu, en tout cas mis en doute, du guerrier.

Une mort qui donne un sens à la vie

Tous ces types de mort volontaire ont un point commun. Elles sont une réponse à
un changement du cadre matériel de la vie. Des hommes voient leur maison et leurs
terres menacées par les flots, d'autres sont promis à un esclavage certain, quelques­
uns redoutent un état de dépendance financière ou physique. Des femmes, nous dit
César, se jetaient dans le bûcher où brûlait le cadavre de leur mari. Tous refusent de
voir leur existence radicalement transformée. Pour eux il n'y a pas un mauvais sort qui
s'acharne sur eux et qui leur impose une nouvelle façon de vivre. Il y a dans les évé­
nements qui les contraignent comme un signe divin qui leur signifie de mourir.

En fait, c'est la vie tout entière du Gaulois qui apparaît à travers la mort comme une
longue ordalie, le jeu continu entre l'individu et les divinités qui tiennent les fils de sa
destinée. La mort ne peut pas être le produit du hasard, de causes extérieures, elle ne
peut être que décidée par l'homme ou le divin. Même si elle est annoncée par la mala­
die, par le péril, elle prend l'apparence d'une décision volontaire. Les rites curieux que
nous venons de voir ont ce rôle.

Pour un Gaulois « refaire sa vie », comme on le dit aujourd'hui, n'était pas une idée
concevable. Il n'imaginait d'autre vie que celle qu'il pourrait vivre à nouveau dans un
autre corps. Cette issue ou celle de l'entrée dans un éden héroïque que lui enseignaient
les théories sur la transmigration de l'âme, lui rendaient la mort facile. Elles en fai­
saient surtout un passage prometteur.

215
To m b e à char de B u cy-le-Long (Ai s n e ) . ( Fo u i l l e de l ' U RA 1 2 d u C N RS)

216
C 'est parce que la mort était si riche de sens et déjà soumise à des rituels essentiels
que les pratiques funéraires proprement dites, au moins dans les trois derniers siècles
de l'indépendance gauloise, paraissent relativement modestes.

Les rites funéraires

Contrairement à ce qu'affirme César dans l'excursus du Livre VI, les funérailles du


Gaulois dans les derniers siècles qui précèdent notre ère paraissent peu fastueuses.
C'est la conclusion que l'on doit tirer de la fouille de milliers de sépultures. C'est aussi
ce que laisse entendre le mutisme, sur ce sujet, des autres auteurs antiques. Cet état
des choses s'explique par l'évolution, quelque peu balbutiante, des idées des Gaulois
sur la mort qui influèrent évidemment sur les modes funéraires. A La Tène ancienne,
on inhume le mort avec ses armes, ses bijoux ou un service de table. A partir de La
Tène moyenne on incinère et on ne dépose qu'un matériel symbolique. A La Tène fina­
le, ce matériel d'accompagnement s'appauvrit et souvent disparaît.

Ces variations du traitement funéraire reflètent des conceptions changeantes de


l'au-delà. Nous les avons examinées dans la deuxième partie de cet ouvrage. Elles ont
pour corollaire une considération du mort qui a varié dans le temps.

Respect ou mépri s du mort

A La Tène ancienne, le mort était censé poursuivre une existence végétative depuis
sa sépulture. Une ubiquité incertaine lui permettait des présences parallèles à la fois
dans la sépulture, parmi les ombres infernales et quelquefois auprès des vivants. C'est
pourquoi le corps devait garder son intégrité, ainsi que les accessoires nécessaires à ses
activités symboliques. En cela, les Celtes des ve et IVe siècles ne différaient guère de
bien des peuples antiques qui conservèrent longtemps ces croyances, proprement pré­
historiques.

De telles conceptions s'accompagnaient d'un respect profond du mort et de sa


sépulture. Le mort devait être inhumé pour mener cette existence d'outre-tombe. La
sépulture assurait une protection à son squelette, en même temps qu'une tranquillité
qui lui permettait ces pérégrinations entre différents mondes. Les lieux de sépulture
devaient être, comme chez les Grecs archaïques, peuplés d'ombres et de fantômes fur­
tifs virevoltant en un incessant ballet. La sépulture, autant qu'un lieu de repos pour le
mort, était un moyen de faire tenir en place le revenant. Mettre le corps en terre était
autant une nécessité pour le mort que pour le vivant qui craignait les revenants mais
aussi la contagion de la mort.

Cette peur du mort s'exprime parfois dans l'aménagement de la sépulture. Vers la


fin du IV0 siècle en Ile-de-France et dans le Sénonais, il n'est pas rare que l'inhumé soit
recouvert de grosses pierres dont la fonction est claire ; elles doivent empêcher celui­
ci de quitter son tombeau, de hanter les vivants, voire de se venger et d'utiliser les
armes qui sont auprès de lui.

217
Au IIIe siècle, l'apparition soudaine de l'incinération témoigne de croyances totale­
ment nouvelles qui ont déj à été évoquées. Le point central de celles-ci e:::i t la concep­
tion d'une âme parfaitement distincte du corps et qui s'en détache au moment de la
mort. Dès lors, se différencient les rites concernant le corps proprement dit de ceux qui
touchent à l'âme. C'est évidemment cette dernière qui est privilégiée parce qu'elle
peut mener une véritable vie en pénétrant dans un autre corps ou qu'elle peut acqué­
rir l'éternité. Ces croyances se développent au détriment de l'ancien respect dû au
corps. Celui-ci n'est plus que le témoin de la vie consommée. Le traitement funéraire
qui en est fait reflète ce rôle relativement limité.

L'incinération

L'origine de l'incinération a suscité de nombreuses théories. Elle n'est certainement


pas à rechercher dans la culture celtique ; il est probable, en revanche, qu'elle a été
empruntée à des civilisations périphériques. Et il faudrait en suivre les cheminements
géographiques et chronologiques pour saisir comment et dans quelles conditions his­
toriques et sociologiques s'est fait cet emprunt. Ce pourrait être le sujet d'une vaste
étude et ce n'est évidemment pas le nôtre ici.

Pourquoi la crémation du corps s'est-elle largement diffusée ? Elle s' appuyait néces­
sairement sur de nouvelles croyances. Erwin Rohde pour les Grecs a émis l'hypothè­
se que c'était là un moyen d'accélérer la séparation de l'âme avec le corps, séparation
souhaitable le plus rapidement possible pour que l'âme gagne le nouveau destin
auquel elle était promise et demeure le moins longtemps auprès des vivants. Ainsi,
dans l'Iliade, l'âme de Patrocle dit à Achille : « Je ne sortirai plus désormais de l'Hadès
quand vous m'aurez donné ma part de feu » . Pour les Gaulois et les Celtes en général
aucun texte ne confirme cette croyance. Mais il est probable que ce sont des préoccu­
pations de cet ordre qui rassuraient la main de celui qui mettait le feu au bûcher
funèbre.

La multiplication des fouilles de sépultures de l'époque de La Tène moyenne et


finale montre en tout cas que les individus dénombrés dans les sépultures à incinéra­
tion ne reflètent pas la totalité de la population. On note un déficit très net de sépul­
tures qui indique que tous les individus morts ne parvenaient pas jusqu'à ces lieux de
repos éternel. Mais surtout les analyses ostéologiques et celles du matériel qui accom­
pagne le défunt suggèrent que les incinérés ne forment qu'une part, probablement
triée, de la population. Les femmes paraissent plus nombreuses que les hommes. Ces
derniers par leur dotation funéraire se signalent comme des agriculteurs ou des arti­
sans, j amais comme des guerriers.

L'exposition du cadavre

De fait, l'incinération n'est que l'un des éléments, le plus remarquable, notamment
pour l'archéologue, dans un ensemble nouveau et complexe de pratiques funéraires
dont nous ne pouvons que pressentir l'existence sans en comprendre toutes les moda­
lités. Dans ce cadre, la sépulture à incinération apparaît comme le terme, peu valori-

218
sé, au moins dans sa matérialité archéologique, de rites préalables peut-être plus
importants pour ceux qui les pratiquaient ou seulement y assistaient. Les vestiges
archéologiques nous donnent une bonne idée de la modestie et de la discrétion de ces
sépultures : la fosse où sont déposés les restes incinérés et les offrandes ne se présente
pas comme une tombe à part entière, bien construite et signalée à la surface du sol ;
elle n'est généralement qu'un simple trou informe dont rien ne laisse soupçonner la
présence, une fois qu'elle a été rebouchée. Pareillement, les terrains où se localisent les
sépultures ne peuvent être considérés comme des nécropoles : aucun enclos ne déli­
mite leur emprise au sol, aucun aménagement, tel que chemin, alignement de sépul­
tures, ne témoigne d'une volonté d'humaniser ce lieu et d'en faire une enceinte consa­
crée au dialogue des vivants et des morts. Ces lieux de sépulture ne voyaient dans
bien des cas que les rites de mise en terre. Il est probable que les autres gestes funé­
raires que l'on tente de restituer se passaient bien souvent sur d'autres lieux (l'espace
domestique par exemple) ou plus ou moins près de la sépulture.

Lorsque les os incinérés font l'objet d'une étude ostéologique, ils révèlent assez sou­
vent que ce sont des os secs qui ont été brûlés, autrement dit que le cadavre au
moment de la crémation avait déjà perdu sa chair et que les os avaient séché. Un tel
état suppose des rites assez longs dont seule la littérature ethnologique nous donne
idée. Parmi eux, l'exposition du cadavre occupe une place importante. On sait qu'elle
était pratiquée dans la Grèce archaïque et chez beaucoup de peuples d'Asie Mineure.
Chez les Celtes, cette pratique ostentatoire n'est pas attestée de façon aussi formelle
puisqu'on ne dispose ni de représentation graphique ni de description littéraire incon­
testable. Cependant un faisceau de faits permet d'en avancer raisonnablement l'hy­
pothèse. Ce sont tout d'abords les faits cultuels qui ont été exposés plus haut, notam­
ment ceux qui ont été mis en évidence à Ribemont-sur-Ancre. Ils indiquent que la pra­
tique était connue et parfois mise en œuvre à grande échelle. Ce sont évidemment les
os secs qui supposent, soit que le corps a été exposé, soit qu'il a été tout d'abord été
mis en sépulture puis exhumé avant d'être incinéré. Mais cette seconde hypothèse
n'est étayée par aucune donnée archéologique, alors qu'un troisième ordre de faits
donne des arguments à la théorie de l'exposition. En Champagne et en Ardennes, sur
plusieurs lieux de sépulture se trouvent un ou plusieurs bâtiments qui ont pu conve­
nir parfaitement à une telle exposition du cadavre avant sa crémation puis sa mise en
terre. Les exemples les plus remarquables sont dus aux travaux de Bernard Lambot
sur les nécropoles d' Acy-Romance. Mais dans bien des cas il a pu exister des installa­
tions beaucoup plus légères qui n'ont que peu de chance de laisser des traces archéo­
logiques. Ce sont de véritables tables à exposition, sortes de planchers surélevés où
était étendu le mort, comme on les voit peintes sur des vases géométriques des musées
d'Athènes et du Louvre. A Gournay-sur-Aronde, à seulement cent mètres du sanc­
tuaire, un double enclos de six mètres de côté ne contenait qu'un ensemble de trous
de piquet dessinant un rectangle d'l m 80 de longueur sur 0 m 80 de largeur, c'est-à­
dire les dimensions exactes d'un brancard. Il est difficile d'imaginer, pour cet enclos
ouvert à l'ouest, une autre fonction que cette exposition funéraire.

Le déficit de sépultures qui a été évoqué plus haut peut trouver une explication, au
moins partielle, dans de telles expositions du cadavre qui, à l'évidence, ne s'ache-

219
vaient pas toutes forcément par la crémation des os. Il existe, en effet, bien d'autres
moyens de faire disparaître un squelette volontairement ou involontairement, en lais­
sant agir la nature. L'exposition prolongée aux intempéries aboutissait à la dislocation
du squelette, puis au bris des ossements avant leur dissolution plus ou moins achevée.
Les animaux, carnivores, omnivores et surtout les rapaces jouaient également leur
rôle. Mais l'homme pouvait aussi aider cette élimination des restes du squelette. Il est
extrêmement courant de rencontrer sur l'habitat dans des fosses, dans des silos des
squelettes humains qui ont avant leur rejet subi un décharnement plus ou moins avan­
cé. Enfin l'immersion dans l'eau des rivières ou des marécages doit être également
envisagée.

Il n'est pas rare que des incinérations, à l'analyse, révèlent la présence de plusieurs
individus dans une même sépulture. Une telle anomalie est révélatrice de ce que la
sépulture n'est plus conçue comme un lieu individuel de repos éternel mais comme
celui d'une relégation des restes osseux. Des périodes d'exposition plus ou moins
longues permettaient de tels regroupements dont il est difficile par ailleurs de recher­
cher le sens. S'agit-il des membres d'une même famille ou d'une même communauté ?
Rien ne permet, en tout cas, d'y voir l'illustration du récit des funérailles chez César
qui signale que lorsqu'un chef de famille mourait sa femme pouvait être brûlée avec
lui ainsi que ses esclaves.

Cérémonies funèbres

Entre la mort et la crémation des restes osseux, pouvait se passer un temps plus ou
moins long qu'il ne nous est guère possible de mesurer. Cette durée pouvait être mise
à contribution pour des rites divers, certainement essentiels pour la mentalité reli­
gieuse, et qui ont toutes les chances de n'avoir laissé que peu de traces. Nous venons
de le voir, l'exposition du cadavre est probable, mais il ne faut peut-être pas écarter
catégoriquement la possibilité d'une sépulture primaire et provisoire de laquelle l'in­
humation des os incinérés ne serait que le pâle reflet.

Ces pratiques, ces cérémonies, certainement très variées, suivant les peuples mais
aussi suivant la personnalité du défunt, nous sont à jamais perdues. Cependant des
ethnographes, tels que Posidonius, en avaient décrit quelques-unes, au moins, dont le
texte de César nous livre un écho, à la fois surprenant et incompréhensible. Ce qu'il
nous dit des funérailles gauloises est l'équivalent de ce que nous rapporte Hérodote
de celles des rois scythes. « Les funérailles par rapport au degré de civilisation des
Gaulois sont magnifiques et somptueuses ; tout ce qu'ils pensent que le défunt chéris­
sait de son vivant est porté au feu, même les animaux ; et il y a peu encore avant notre
époque, il fallait pour que les funérailles soient réalisées selon les règles que les
esclaves et les clients qui lui étaient chers fussent brûlés également ». Aucune décou­
verte archéologique n'a jusqu'à présent donné l'image de pareilles cérémonies. Les
quelques sépultures qui pourraient, d'assez loin, témoigner de tels rites ·montrent
généralement un inhumé riche, accompagné parfois d'un autre squelette, de quelques
morceaux d'animaux et d'un mobilier d'accompagnement exceptionnel. De telles
sépultures, toujours à inhumation, datent de La Tène ancienne, jamais d'une période

220
plus récente. La précision paulo supra hanc memoriam suggère qu'il s'agit d'une coutu­
me ancienne, probablement recueillie par Posidonius mais peut-être pas observée
directement par lui. On doit croire aussi qu'il s'agissait d'un événement tellement
exceptionnel qu'il n'a livré jusqu'à présent aucun témoignage archéologique, proba­
blement les funérailles d'un roi que César a abusivement généralisées.

Les restes animaux trouvés régulièrement dans les sépultures appartiennent à deux
catégories. Ce sont des animaux entiers qui ne portent pas de traces de découpe et,
dans ce cas, on peut penser que l'animal était censé accompagner le défunt dans l'au­
delà dans un but qui nous échappe, soit comme matière à des repas symboliques, soit
comme compagnon. Ce sont, dans le plus grand nombre de cas, des quartiers d' ani­
maux qui ont fait l'objet d'une découpe, porcs, bœufs, moutons, caprins, chiens mais
aussi volaille. La découpe bouchère semble alors indiquer une consommation effecti­
ve et l'on peut imaginer un repas funéraire que les parents auraient partagé avec leur
défunt, celui-ci recevant dans la fosse funéraire de réels morceaux de viande. Ce sont
les seuls indices que l'on possède d'un banquet qui avait le caractère d'un sacrifice
animal dépourvu de faste. Pour une période récente, la fin du l" siècle, les fouilles de
Jeannot Metzler sur la nécropole de Lamadelaine près du Titelberg, révèlent des pra­
tiques de sacrifice animal et de banquet très élaborées. De tels rites se déroulaient,
selon toute vraisemblance, à la mort du défunt puis ils étaient renouvelés, quelque
temps plus tard, après son décharnement, lors de l'incinération des os secs. A
Goeblange-Nospelt, dans la même région, une sépulture de type aristocratique a été
l'objet d'un véritable culte des ancêtres : des sacrifices animaux et des dépôts de mon­
naies se sont déroulés pendant cent cinquante ans en pleine période romaine. Mais il
s'agit certainement de pratiques fortement influencées par une présence romaine très
précoce chez ce peuple.

Néanmoins d'autres formes de culte des ancêtres ont pu exister avant la conquête
romaine. Chez les Ambiens des sépultures de La Tène moyenne récemment fouillées
à Estrées-Deniécourt par Didier Bayard et Gilles Prilaux ont montré, dans plusieurs
cas, que la sépulture originellement coffrée était traversée par un tube de bois qui
reliait l'extérieur de la tombe au dépôt d'ossements lui-même. Ces sortes de tuyaux
ont été découverts calcinés. Ils font évidemment penser aux conduits à libation du
monde italique. Mais d'autres hypothèses ne peuvent être écartées : conduit d' aéra­
tion, issue pour l'âme, moyen de communication entre morts et vivants, etc. Une telle
découverte montre que la fouille des sépultures, quand elle est conduite avec des tech­
niques adaptées et une rigoureuse analyse des vestiges, nous réserve encore beaucoup
de surprises.

Le guerrier mort

Contrairement à ce que pourraient laisser penser les résultats des fouilles archéolo­
giques qui ont livré des milliers de sépultures, notre documentation sur les concep­
tions funéraires des Gaulois demeure tout à fait lacunaire. La preuve nous en est don­
née par le sort du guerrier mort, tel qu'il apparaît dans quelques textes antiques ou à

221
travers les découvertes effectuées sur les sanctuaires. Dans bien des cas, son cadavre
ne finissait pas dans une humble sépulture.

Nous avons vu, avec les gisements osseux de Ribemont, que le cadavre du guerrier
mort, une fois sa tête coupée, pouvait être rapporté dans le sanctuaire du vainqueur
au titre des dépouilles et figurer avec les armes dans une exposition du type trophée.
Ce n'était probablement pas toujours le cas. L'ennemi qui avait tué un homme pouvait
lui-même ensuite être tué ou capturé ou tout simplement contraint d'abandonner le
corps de ses victimes. Probablement les compagnons du mort, chaque fois qu'ils le
pouvaient, devaient récupérer son corps et, quand cela était possible, le ramener dans
sa patrie. C'est encore d'étranges découvertes du sanctuaire de Ribemont qui suggè­
rent quel traitement funéraire leur cité pouvait donner à ces héros morts au combat.
Les grandes constructions en os, de la forme d'une boîte cubique, découvertes à l'in­
térieur de l'enceinte sacrée, contenaient une masse importante d'os incinérés qui
avaient été déversés dans celle-ci comme dans un autel chthonien, en direction des
dieux souterrains. Ces os, traités de manière quasi funéraire, par leur crémation et
ensuite leur inhumation, s'opposent point par point aux os des cadavres exposés dans
des bâtiments à l'extérieur de l'enceinte puis laissés à l'abandon. Tout porte à penser
que ces os incinérés, situés au cœur de l'espace sacré, sont ceux de guerriers de la cité
qu'on a voulu honorer de la plus belle manière, en les rapprochant au plus près des
divinités qui étaient censées veiller sur eux.

Dans les expéditions lointaines ou lorsque le destin provoquait une suite ininter­
rompue de batailles, les guerriers morts n'étaient pas ramassés. Contrairement aux
Grecs qui dans ce cas prévoyaient des trêves pour accomplir leurs derniers devoirs
envers les morts, les Celtes se souciaient peu de donner une sépulture aux guerriers
tués. Pausanias, qui rapporte de tels faits, indique que les Galates n'enterraient pas les
tués pour effrayer l'ennemi et parce qu'ils n'avaient pas pitié des morts. Il reflétait
bien l'opinion généralement admise sur la barbarie des Celtes et la difficulté qu'il y
avait à établir avec eux des traités de guerre stipulant la récupération des morts. Bien
sûr les préoccupations des Celtes étaient d'un autre ordre. Ils n'avaient pas à se sou­
cier des cadavres des morts puisqu'ils estimaient que les vautours, en consommant les
chairs des morts, emporteraient leur âme aux cieux, là où elles étaient appelées.
Pausanias nous l'apprend mais aussi, comme on l'a vu, Silius Italicus qui ajoute qu'il
était impie de brûler ceux qui avaient péri au combat et que seuls prendraient place
auprès des dieux ceux dont les chairs auraient été dévorées par les vautours.

Probablement d'autres croyances du même ordre concernaient les paysans, certains


artisans, les esclaves peut-être, chacune de ces catégories d'hommes, suivant son
appartenance sociale, étant appelée à un destin funéraire particulier, celui qu'exigeait
l'avenir de son âme.

222
VERS LE SYNCRÉTISME GALLO-ROMAIN

L' u n e des s e u l e s re p rése ntat i o n s d i v i n e s d o nt l ' i d e ntité n o u s soit d o n née : E s u s . S u r le P i l i e r des Nautes. M u sée
d e C l u ny, Pari s .

223
Au terme de ce tour d'horizon des textes et des faits, la religion gauloise nous appa­
raît dans une pluralité, plus vaste et plus profonde que celle que nous lm supposions.
Elle nous a amené à traiter préférentiellement des régions septentrionale et occidenta­
le de la Gaule, qui se prêtent le mieux actuellement à une synthèse confrontant les
résultats des fouilles archéologiques à la lecture du témoignage des anciens. Il est sûr
que, si un tel exercice était possible pour le centre et le sud de la Gaule, il n'autorise­
rait pas les mêmes conclusions. A plus forte raison, les différences seraient encore
accrues avec ce que nous donnerait à voir l'étude des religions de la Celtique danu­
bienne et de la Cisalpine.

Cette pluralité est l'un des caractères originaux des religions gauloises, les autres
étant la souplesse, la capacité d'absorption des influences extérieures et la facilité
d'adaptation. La prééminence de l'oral sur l'écrit, en même temps qu'elle empêchait
tout dogme formaliste, a favorisé une mentalité religieuse foisonnante dont les
quelques mythes ou rituels, fossilisés par une observation étrangère, ne donnent que
l'image appauvrie. Probablement, l'examen ethnoarchéologique des restes cultuels,
rencontrés sur le sanctuaire de Gournay et le trophée de Ribemont, par exemple, rend­
il mieux compte de la complexité des gestes qui les ont produits mais aussi de celle de
la pensée qui les nécessitait. N'en déplaise aux tenants du primitivisme ou à ceux
d'une vision romantique, les Gaulois, dans l'expression de leurs cultes, se révèlent des
Indo-Européens, proches des Grecs tout autant que des Germains mais certainement
plus encore des Latins. Cette appartenance à une large communauté humaine, parta­
geant un langage conceptuel très élaboré, une conception similaire du panthéon, un
immense corpus de mythes, n'exclut pas l'originalité. Celle-ci se révèle surtout dans
une immaturité qui transparaît dans les contradictions, dans un décalage constant
avec le cadre économique et social. Ainsi, tandis que les cultes qui touchent à la guer­
re conservent un archaïsme, tout droit issu de la préhistoire, les lieux qui les
accueillent prennent l'aspect des grands sanctuaires méditerranéens, traitant l'espace
sacré puis les bâtiments cultuels avec le même souci de la monumentalisation.

Contrairement aux religions grecque et romaine qui sont parvenues très tôt à établir
une harmonie durable avec la vie politique, en Gaule la foi, la pratique des cultes, le
recours à la magie n'ont jamais réussi pleinement à nouer des relations indéfectibles
avec celle-ci, et qui auraient abouti à l'idée même d'une « religion », au sens que l'éty­
mologie lui donne, l'ensemble des liens qui unissent l'homme aux dieux, liens que la
société à travers ses institutions reconnaît pleinement. Le mot même de religion, en
tant qu'il traduit une telle conception, n'existait probablement pas en Gaule.
L'entreprise des druides devait être, en grande partie, consacrée à la recherche d'une
telle harmonie, peut-être exagérément ambitieuse, puisqu'elle visait l'homme, les
dieux, la société mais aussi toutes les formes de savoir. Cette réforme ne fut pas aussi
généralisée qu'on l'a dit mais elle intervint surtout trop tard, quand les peuples les
plus influents de la Gaule se tournaient déjà vers le modèle économique et politique
que Rome leur montrait. Parce que la mentalité religieuse gauloise avait, en l'absence
de tout dogme écrit, joui d'une liberté quasi illimitée, elle se prêtait plus que toute

224
autre à se laisser submerger, un jour, par une « religion » constituée, solide, qui, de
plus, était celle des vainqueurs.

La destinée des cultes gaulois, du panthéon et de la mythologie celtiques dans la


Gaule romaine pose de délicats problèmes que les historiens de la religion ont cru
régler en supposant leur simple persistance pendant tout l'Empire sous des formes
abâtardies qui n'auraient guère présenté d'intérêt, pas plus que les formes qu'y pre­
nait l'authentique religion romaine. Il y aurait un livre entier à écrire sur le sujet. Mais
un tel ouvrage suppose qu'au préalable le point soit fait sur les manifestations maté­
rielles des cultes gaulois de la période de l'indépendance. C 'est ce qui vient d'être
tenté. Après avoir rendu aux Gaulois ce qui appartient aux Gaulois, il est plus aisé de
mettre en évidence la part proprement romaine et celle qui est à mettre au compte
d'une véritable acculturation. Je n'évoquerai ici que les grandes lignes directrices de
l'histoire des religions gauloises après la conquête romaine, autant de voies que des
recherches plus approfondies devraient explorer.

Il y a tout d'abord les faits historiques. La conquête romaine s'est déroulée sur une
vingtaine d'années dont la première décennie fut marquée de nombreux et importants
événements guerriers qui durent profondément désorganiser voire étouffer le culte
lui-même. Les lieux où il se pratiquait furent soit détruits accidentellement, soit volon­
tairement fermés, dans de nombreux cas abandonnés. Deux mentions chez Pline et
Suétone signalent que Tibère et Claude abolirent la religion druidique. On en a conclu
qu'il avait alors été procédé à une véritable chasse aux druides. Cette vision des choses
est, au moins en partie, erronée. Comme nous l'avons vu, les druides s'occupaient
pour l'essentiel d'un véritable culte public et leur charge, au cours du temps et parti­
culièrement au milieu du I•' siècle, avait pris des aspects honorifiques qui ne devaient
pas être sans conséquence et sans poids dans une carrière politique que rien ne leur
interdisait de mener. Diviciac, chez les Eduens, en donne un exemple éclairant. On
peut donc être amené à penser qu'au moment de la conquête romaine les druides les
plus influents étaient de semblables aristocrates dont nous savons que bon nombre
des survivants aux guerres de conquête ont gardé leur place dans la nouvelle société
mais aussi leurs propriétés foncières, à la seule condition qu'ils acceptent la tutelle
romaine. Cette dernière s'est exercée avant tout sur le plan politique et économique,
mais aussi, pour une part qui reste à préciser soigneusement, sur le plan religieux. Les
centres politiques qui s' édifièrent rapidement comprenaient des aménagements desti­
nés à un culte public à la romaine qui visait moins à supplanter les cultes indigènes
qu'à associer indéfectiblement carrière politique et reconnaissance des dieux romains.
Les édiles gaulois assumèrent immédiatement des fonctions politiques plus ou moins
importantes, les charges sacerdotales étaient de celles-là. Or il y avait certainement
beaucoup moins de distance entre la qualité de druide et celle d'un prêtre romain
qu'on ne le croyait il y a encore peu. Bon nombre de druides aristocrates tenant de la
cause pro-romaine étaient particulièrement indiqués pour assumer de telles charges.
Aussi est-il probable qu'en deux ou trois décennies c'est tout le sommet de l'ancienne
hiérarchie sacerdotale qui se fondit dans les valeurs romaines.

225
Les sources historiques sur cette période, avec la disparition des livres de Tite-Live
qui la concernaient, sont malheureusement très pauvres. Cependant le texte de
Suétone dans sa brièveté est instructif car il nous apprend que dans un premier temps
le culte druidique avait été interdit aux seuls citoyens. Une telle précision indique bien
comment les administrateurs romains ont procédé et l'effet qu'ils recherchaient. Cette
religion « atroce et barbare des druides » qu'ils interdisent aux citoyens est tout sim­
plement le culte public gaulois qui était incompatible avec la qualité de citoyen
romain. Il ne pouvait pour des raisons évidentes coexister deux cultes publics.
D'emblée donc, l'administration romaine organisa les rapports entre les deux reli­
gions. Elle installa son culte public au cœur de chaque cité et respecta, en apparence
seulement, les religions autochtones dont, en réalité, elle avait coupé la tête. Les cultes
locaux, leurs représentants, le panthéon, les croyances, la mythologie ne furent très
certainement l'objet d'aucune attaque d'envergure de la part du nouveau pouvoir.
Mais les uns et les autres se désagrégèrent, perdirent leur âme, parce que leur moteur
spirituel, le druidisme, était démantelé.

Suétone livre un précieux renseignement sur la chronologie de ce changement de


nature du culte public. Il indique que c'est Auguste qui procéda à l'interdiction offi­
cielle du culte druidique aux citoyens romains. Mais il ne s'agit que d'une législation
qui vint concrétiser un mouvement qui avait dû commencer très tôt. L'évolution du
trophée de Ribemont est, à cet égard, paradigmatique. Nous avons vu que les vestiges
gaulois y sont laissés en place pendant les troubles de la conquête mais que dès les
années -40, -30, les Gaulois eux-mêmes, s'étant « romanisés » pendant leur séjour dans
l'armée romaine, avaient remplacé les anciennes installations par un temple de
conception italique. Il est clair que ces guerriers, de retour dans leur pays, voulaient y
garder leurs prérogatives et continuer à participer à la marche des affaires. Le cursus
édilitaire passait par la participation à toutes les grandes cérémonies collectives et par
l'évergétisme. Mais l'exemple est doublement intéressant, parce qu'il montre aussi
que l'administration romaine, dans sa grande mansuétude, a autorisé les aristocrates
gaulois à donner une allure romaine et publique à certains de leurs anciens lieux de
culte les plus prestigieux.

Que devinrent les druides dans ce nouveau cadre politique ? Les folkloristes, les
mythologues qui prétendent qu'une tradition celtique s'est prolongée jusqu'en plein
Moyen Age, estiment qu'un nombre non négligeable de druides ont survécu à la
romanisation. C 'est douteux. Ceux qui dans les décennies, voire les siècles qui suivi­
rent sont désignés comme druides ne paraissent que des mages, des sorciers de villa­
ge parmi lesquels pouvaient se trouver les descendants d'authentiques druides, cher­
chant dans leur pratique certainement dégénérée des moyens de lutter contre le
conquérant. Mais loin des anciens sanctuaires, sans moyen de procéder aux rites régu­
liers, ils s'étaient très vite coupés de la tradition druidique. Les formes particulières de
transmission du savoir religieux ne favorisaient pas leur nouvel état. A l'époque de
l'indépendance, l'apprentissage oral au cours de longues années ne permettait qu'aux
représentants de la plus haute aristocratie d'accéder au plus haut niveau des connais­
sances religieuses. Or bien de ces aristocrates, sénateurs, cavaliers, périrent· pendant la

226
guerre des Gaules. Beaucoup de ceux qui survécurent ne durent cette chance qu'à leur
soutien au conquérant. Sauf rebellion tardive contre leurs alliés, ils n'employèrent pas
leurs connaissances à former de nouveaux disciples. Ceux qui eurent le désir de le
faire, ne bénéficiaient plus des conditions idéales pour cela. Pomponius Méla semble
indiquer qu'ils durent le faire dans des grottes ou dans toute autre cachette naturelle.
Il est sûr en tout cas que cet enseignement ne s'adressait plus qu'aux plus basses
couches de la population. Très tôt dans quelques grandes villes, à Autun en particu­
lier, des écoles avaient été ouvertes pour accueillir les enfants des grandes familles
aristocratiques gauloises.

C 'est dans ce cadre historique, intellectuel et artistique qu'il faut se demander com­
ment ont été transmises les croyances concernant le panthéon, la mythologie et les
autres rudiments de la religion. On ne saurait préjuger de ce qu'apporteraient des
recherches précises dans ces directions. Mais on a une bonne idée de la confusion qui
s'est installée dans les esprits des Gaulois sous l'Empire romain quand on examine le
panthéon dit « gallo-romain » . Un même dieu gaulois trouve plusieurs correspon­
dants romains. L'inverse est également vrai : une même divinité romaine est associée
à plusieurs dieux gaulois, aux attributions fonctionnelles parfois contradictoires. Leur
représentation n'est pas beaucoup plus cohérente. La roue, généralement considérée
comme un symbole solaire, est plus souvent attribuée à Jupiter qu'à Apollon ou
Bélénus. La figure du dieu au maillet n'est guère plus claire, il est tantôt assimilé à
Sucellus, à Taranis ou à Dispater. Celle du serpent est également commune à des divi­
nités fort différentes. L'étude consacrée par Paul-Marie Duval aux Dieux de la Gaule
donne un bon exemple des difficultés quasi insurmontables à tout essai de classifica­
tion. La persistance d'un panthéon purement gaulois était d'autant plus difficile que
la religion romaine, par le rite de l'evocatio ou par l'association, sous la forme d'une
divinité mixte ou sous celle d'un couple, d'un dieu romain et d'un dieu indigène, avait
les moyens de l'assimiler tout entière, sans y perdre l'âme.

La naissance et les développements de ce panthéon gallo-romain seraient plus


faciles à étudier si l'on disposait d'une documentation iconographique et épigra­
phique provenant de sanctuaires consciencieusement fouillés et en nombre suffisam­
ment grand. Il serait alors possible de connaître l'identité des dieux, souvent associés
à l'empereur, auxquels était rendu un culte public et celle des divinités dont les lieux
de culte étaient de nature indigène. Certainement verrait-on apparaître des change­
ments au cours des cinq siècles de domination romaine, qui nous renseigneraient sur
la mentalité religieuse de la population gauloise, de l'influence certainement fluc­
tuante qu'ont exercée sur elle les valeurs romaines. Si l'on veut donc progresser dans
l'étude de la religion gallo-romaine, on ne pourra le faire qu'à l'aide de fouilles de
grande envergure sur un nombre représentatifs de lieux de culte. Et ces fouilles ne
devront pas se limiter, comme ce fut si souvent le cas, à la seule étude architecturale.
Il faudra, comme il a été fait pour les sanctuaires gaulois, interroger les restes maté­
riels et les vestiges architecturaux sous un autre angle, celui du culte lui-même qui
passe par la reconstitution des rites, de la fonctionnalité des espaces et des aménage­
ments construits.

227
On comprendra peut-être alors comment apparaissent de nouveaux rites qui sont
typiquements « gallo-romains », offrandes de monnaies, ex-voto par exemple, pour­
quoi se maintient ou réapparaît une activité cultuelle à l'emplacement d'anciens sanc­
tuaires gaulois. Mais la réponse à ces questions passera forcément par une interroga­
tion sur l'identité des fidèles et sur celle des prêtres. Car, au fond, derrière la religion
c'est toujours l'homme qui se cache.

228
ANNEXE I :
SOURCES ANTIQUES SUR LA RELIGION GAULOISE

Les noms d'auteurs grecs sont donnés dans la translittération la plus courante mais qui par­
fois fait concurrence à d'autres ; ainsi, Posidonius est appelé aussi Posidonios ou plus justemen t
Poseidon ios. Les noms d 'œuvres son t donnés également sous leur appellation la plus habituel­
le. Nous avons renoncé à indiquer les références d 'éditeurs, souven t nombreuses, anciennes, et
pour les auteurs anciens rarement dispon ibles en langue française. Après les passages cités
figuren t parfois, entre parenthèses, l 'indication de l'auteur chez qui on trouve la copie. Enfin
l'indication chronologique est volontairement peu précise (la biographie de ces au teurs est sou­
ven t objet de con troverses) et concerne la période d'écriture.

EPHORE, IV• siècle av. J.-C., historien et géographe :


Histoires, Fragment n° 131 de Jacoby : Les Celtes sont philhellènes, ils punissent d'une
amende les jeunes gens dont le ventre excéderait la mesure fixée par une ceinture
(Strabon, IV, 4, 6). Fragment n° 132 de Jacoby : Les Celtes, par bravoure, ne quittent pas
leur maison envahie par les flots (Strabon VII, 2, 1 ) . Superstition ou ordalie ?
ARISTOTE, IVe siècle av. J.-C., philosophe :
É thique à Nicomaque, III, 7, 7 : Les Celtes, dit-on, ne redoutent ni le tremblement de terre
ni les vagues irritées.
EUD È ME, IVe siècle av. J.-C., élève d'Aristote, philosophe :
É thique à Eudème, III, 1 , 25 : Les Celtes affrontent tout armés les flots.
PTOLÉ M É E dit « Sôter » ou « Lagide » , fin du IVe - début du IIIe siècle av. J.-C., roi
d'Egypte, historien :
É crivit une histoire des guerres d'Alexandre dont on ne connaît que des fragments.
Fragment 138 F 2 de J acoby : Les Celtes des bords de l'Adriatique rencontrèrent
Alexandre pour établir avec lui des rapports d'amitié et d'hospitalité. Au roi qui leur
demandait ce qu'ils craignaient le plus, ils lui répondirent qu' « ils ne craignaient per­
sonne, qu'ils redoutaient seulement que le ciel ne tombe sur leurs têtes mais qu'ils pla­
çaient l'amitié d'un grand homme comme lui au-dessus de tout. » (Strabon, VII, 3, 8
[Cf. Annexe II] et Arrien, Anabase, 1, 6).
TIM É E, fin du IVe et début du me siècle av. J.-C., historien :
Histoires (titre incertain), Fragment n° 85 de Jacoby : Les riverains de l'Océan (autre­
ment dit les Celtes de Gaule) ont les Dioscures comme principaux dieux (Diodore, V,
56 [Cf. Annexe II] ) .
CALLIMAQUE, IIIe siècle av. J.-C., poète :

229
Hym nes, IV, vers 1 70-1 85 : « Un jour que de l'extrême Occident les derniers des Titans,
levant contre l'Hellade l'épée barbare et l' Arès celte, se précipiteront, tels les flocons
de la neige . . . les Galates, race en délire » (trad. E. Cahen).
SOPATROS, III• siècle av. J.-C, auteur de comédies :
Galataï, Fragment n° 6 de Kaibel : Les Gala tes mettent à mort les prisonniers de guer­
re (Athénée IV, 160 e (Cf. Annexe Il)) .
PHYLARQUE, III• siècle, historien :
Histoires, Livre III : Les extraordinaires rites d'hospitalité du riche Celte Ariamnès.
Livre VI : Façons de table ritualisées des Gaulois (Athénée, Les Deipnosophistes, IV, 1 50,
d-f (Cf. Annexe Il)).
LA MAGIE, Traité philosophique d'un auteur inconnu attribué par Diogène Laërce et
Pline l'Ancien à Aristote, mais par Souda à Antisthène. Daté des environs de -200.
La philosophie serait née des Mages Perses, des Chaldéens, des Gymnosophistes
(brahmanes) de l'Inde et de ceux « qu'on appelle Druides et Semnothées chez les
Celtes » (Diogène Laërce, Livre 1, 1 ) . La philosophie des Druides et des
Gymnosophistes reposait sur l'enseignement suivant : « honorer les dieux, ne pas faire
le mal, s'exercer au courage » (Diogène Laërce, Livre 1, 6 (Cf. Annexe Il)) .
PARADOXOGRAPHE dit « d u Vatican » , auteur grec anonyme, entre l e III• e t le Ier
siècle av. J.-C :
Choses extraordinaires, 24 : Les Celtes, lorsqu'il y a une disette ou la peste, fouettent les
femmes qu'ils considèrent comme responsables. 44, 1 . Quand les Gaulois veulent faire
la guerre, ils prennent l'avis des femmes ; s'ils subissent une défaite ils coupent les
têtes des femmes qui ont pris la décision et jettent ces têtes au-delà des frontières.
SOTION, fin du III• siècle av. J.-C., philosophe :
Succession des philosophes : Une des sources d'inspiration avec le traité La Magie (Cf.
supra) des informations données par Diogène Laërce sur les druides et leur enseigne­
ment.
CATON dit « l'Ancien ou le Censeur », début II• siècle av. J.-C., historien :
Origines, Fragment 34 : La plupart des Gaulois excellent dans deux choses, l'art de la
guerre et celui de parler à propos.
POLYBE, début du II• siècle av. J.-C., historien :
Histoires, Livre II, 28, 1 0 : A la bataille de Télamon les Gaulois tuent le consul Atilius,
lui coupent la tête qu'ils apportent à leurs rois. II, 32, 6 : Lors de la dernière campagne
de Rome contre les Insubres, ces derniers « retirent du temple de Minerve les
enseignes (ou insignes) d'or dites "inamovibles" » .
Livre V, 78 : Lors d'une expédition, les Gala tes accompagnés de leurs femmes e t de
leurs enfants observèrent une éclipse de lune, ils y virent un signe et déclarèrent qu'ils
n'iraient pas plus loin.

230
Livre VIII, 32 : Hannibal et des Celtes envahissent Tarente : les Galates dépouillent les
cadavres des Tarentins.
NICANDRE dit « Nicandre de Colophon », milieu du II• siècle av. J.-C., grammairien
et poète :
Métamorphoses, Fragment n° 43 de Jacoby : Les Celtes pratiquaient l'incubation oracu­
laire en passant la nuit auprès des sépultures (Tertullien, De anima, 57).
ANONYME :
Description : Description géographique due à un auteur anonyme, fin du II• siècle, attri­
buée longtemps à tort au Pseudo-Scymnos.
Vers 183-187 : Les Celtes ont des mœurs helléniques. Ils accueillent avec empressement
les étrangers. Leurs assemblées sont accompagnées de musique.
ARTÉ MIDORE, fin du II• siècle av. J.-C., géographe :
Géographiques, Fragment n° 34 de Hagenow : Il existe du côté de la Bretagne une île sur
laquelle se déroulent en l'honneur de Déméter et de Coré des cérémonies religieuses
pareilles à celles célébrées à Samothrace (Strabon, IV, 4, 6 [Cf. Annexe II] ) .
POSIDONIUS, début d u l°' siècle av. J.-C., philosophe, historien, ethnographe :
Source principale du Livre VI, 13 à 20 de César, de Strabon et de Diodore de Sicile pour
leur description des Gaulois, ainsi que du Marius de Plutarque pour l'épisode de la
guerre contre les Cimbres.
Histoires, œuvre monumentale qui faisait suite à l'œuvre de Polybe. Le livre XXIII
concernait la Gaule et était en grande partie consacré à l'invasion des Cimbres et des
Teutons.
Fragment n° 15 (Cf. Annexe II) : Banquet des Celtes, duels entre convives, suicide spec­
taculaire (Athénée 154 a-c [Cf. Annexe II] ) . Fragment n° 1 7 : description des bardes
(Athénée IV, 246 c-d (Cf. Annexe II)) . Fragment n° 1 8 : Le roi Luern se fait construire
une enceinte pour offrir des banquets à ses clients, un barde qui lui est dévoué
(Athénée IV 152 d-f [Cf. Annexe II] ) . Fragment n° 55 : Posidonios dit avoir vu souvent
en bien des endroits le spectacle de têtes coupées, qui lui répugnait d'abord mais
auquel il s'est habitué (Strabon IV, 4, 5 (Annexe Il)) . Fragment n° 56 : Il y a une île
située en face de l'embouchure de la Loire habitée par les femmes Samnites. Celles-ci
vouent un culte à Bacchus. Chaque année elles reconstruisent la toiture du temple en
une seule nuit. Si une femme laisse alors tomber son fardeau au sol, elle est déchique­
tée par les autres qui promènent ses membres autour du temple en criant l'évohé
(Strabon IV, 4, 6 [Cf. Annexe II] ) .
ALEXANDRE dit « Polyhistor », 1 '• moitié I•' siècle av. J.-C., historien e t ethnographe :
Symboles pythagoriciens, Fragment n° 94 de Jacoby : Pythagore a été le disciple de
l' Assyrien Zaratos, des Gaulois et des Brahmanes. La philosophie serait née tout
d'abord chez les Barbares et notamment chez les druides Gaulois (Clément
d'Alexandrie, S tromateis, 1, 15, 70, 1 et 74, 4 ; Cyrille d'Alexandrie, Pour la sainte religion
des chrétiens contre l 'ouvrage de Julien l' Athée, IV, 133) .

231
VARRON, lre moitié I•' siècle, historien.
D'après saint Augustin (La cité de Dieu, VIII, 9), Varron écrivait que les Gaulois fai­
saient des sacrifices humains en l'honneur d'une divinité qu'il appelle Saturne.
CIC É RON, milieu du I•' siècle av. J.-C., homme politique, philosophe, orateur, épisto­
lier :
Chez Cicéron les textes concernant la religion gauloise sont de deux ordres, une série
de passages polémiques, volontairement excessifs et peu dignes de foi, tirés de plai­
doyers pour ses clients et un texte court mais important parce qu'il repose sur un
entretien qu'il a eu avec le druide et homme politique Eduen, Divitiac, qu'a fréquen­
té également César.
Pro Fon teio, XIII, 29-31 : Les Gaulois attaquent les dieux des autres peuples, ils ont pillé
le sanctuaire de Delphes. Ils pratiquent jusqu'à ce jour des sacrifices humains. (Cf.
Annexe II) .
De re publica, III, 9, 15 : Les sacrifices humains ont existé chez les Gaulois. (Cf. Annexe
II) .
De divinatione, I, 90 : La divination n'est pas inconnue des Barbares. Divitiac, hôte de
Cicéron, se vantait de connaître la nature des choses, la « physiologie » des Grecs et de
pratiquer l'art des augures. (Cf. Annexe II) .
C ÉSAR, milieu du I•' siècle av. J.-C., homme politique et historien :
Bellum Gallicu m. Les informations concernant la religion sont pour la plupart situées
dans l'excursus du Livre VI, 13-20 (Cf. Annexe II) . C'est notre source la plus riche.
Rappelons qu'elle est issue pour l'essentiel de la lecture de Posidonius.
César décrit avec détail la place des druides dans la société, leur enseignement, leur
recrutement. Il nous donne aussi la version romanisée du panthéon des Gaulois et
indique un certain nombre de pratiques sacrificielles. Dans tout ce passage la religion
est examinée comme un fait de société.
Hormis ce passage, on trouve quelques informations importantes. Livre V, 56 : L'acte
initial de la guerre est le conseil armé, tous les guerriers doivent y venir en armes, celui
qui arrive le dernier est mis à mort dans de cruels supplices (Cf. Annexe II) . Livre VIII,
38 : La révolte des Carnutes est due à l'initiative de Gu tuater. S'agit-il d'un nom propre
ou de la fonction de grand prêtre que l'on connaît par des inscriptions postérieures ?
Bellum Hispan iense, œuvre d'un auteur inconnu, longtemps attribuée à César, 2• moi­
tié du I•' siècle av. J.-C.
32 : Lors du siège de Munda, probablement des troupes auxiliaires de César plantent
autour de la ville assiégée les cadavres ennemis sur des piques, la tête regardant la
ville, de façon à l'effrayer. Ainsi font les Gaulois quand ils commencent à assiéger un
oppidum. (Cf. Annexe II) .
DIODORE, 2• moitié du I•' av. J.-C., historien :

232
Bibliothèque historique, Livre IV, 1 9 : Héraclès a parcouru entièrement la Celtique, abo­
lissant les coutumes contraires à nos lois, notamment celles de tuer les étrangers. Il a
fondé la ville d' Alésia. 56 : Timée dit que les Argonautes seraient allés chez les Celtes.
Comme preuve on allègue que les Celtes riverains de l'Océan ont une vénération toute
particulière pour les Dioscures. (Cf. Annexe Il) .
Livre V, 24 : Héraclès, après avoir fondé Alésia, s'unit avec la fille du roi. De leur union
est né Galatès, fondateur de la nation des Gala tes. 27 : Chez les Celtes du nord les sanc­
tuaires regorgent d'or mais personne n'oserait s'en emparer (Cf. Annexe II) . 27 :
Description des banquets. Chez eux prévaut le dogme de Pythagore selon lequel les
âmes sont immortelles et reviennent plusieurs années après la mort dans un autre
corps. Aussi jettent-ils dans les bûchers funéraires des lettres pour les défunts (copie
de Posidonius) (Cf. Annexe Il) . 29 : Ils coupent la tête de leurs ennemis qu'ils accro­
chent à l'encolure de leur cheval. La dépouille ensanglantée est remise à leurs servi­
teurs. Ils emportent ces trophées chez eux en chantant. Ils clouent à leur maison ces
prémices du butin. Les têtes des ennemis les plus illustres sont enduites d'huile de
cèdre et gardées dans un coffre. Ils les montrent aux étrangers et se vantent de ne pas
les avoir cédées contre des grosses sommes d'argent. (Cf. Annexe Il) . 31 : Il y a chez
eux des poètes lyriques qu'ils nomment bardes, des philosophes et des théologiens qui
se nomment druides. Ils se servent de devins à qui ils accordent la plus grande auto­
rité. Divination par l'observation des oiseaux et l'immolation des victimes, par
exemple ils frappent un homme avec une épée et c'est à la façon qu'il a de tomber
qu'on devine l'avenir. Personne ne sacrifie sans l'assistance d'un druide. En temps de
paix mais surtout en temps de guerre, on consulte les bardes et les druides. Il arrive
que sur un champ de bataille un barde sépare les deux armées ennemies (Cf. Annexe
Il) . 32 : Les plus sauvages des Celtes sont ceux qui habitent sous les Ourses (le plus au
nord) et au voisinage de la Scythie, ils mangent les humains tout comme les Bretons
de l'île Iris. Ils font des sacrifices monstrueux. Ainsi après avoir gardé prisonniers pen­
dant cinq ans des malfaiteurs ils les empalent en l'honneur des dieux puis les brûlent
avec beaucoup d'autres offrandes dans d'immenses bûchers. Ils font le même sort à
leurs prisonniers de guerre, ainsi qu'aux animaux qu'ils ont pris à la guerre (Cf.
Annexe Il) .
Livre XIV, 115 : Les Celtes à Rome passent une journée entière à couper la tête des
ennemis morts. (Cf. Annexe Il) .
Livre XXII, 9 : Brennus, roi des Galates, étant entré dans le temple de Delphes, voyant
des statues de pierres et de bois, rit parce qu'on a représenté les dieux sous une forme
humaine (Cf. Annexe Il) . 12 : Les Galates, mercenaires de Pyrrhus, pillent les sépul­
tures royales de Macédoine et dispersent les os des morts.
Livre XXXI, 13 : Le général des Galates choisit parmi les prisonniers les plus beaux et
ceux qui se trouvaient dans la fleur de l'âge et après les avoir couronnés les sacrifia
aux dieux. Tous les autres il les fit transpercer de traits, bien que beaucoup soient
connus de lui par des séjours qu'il avait passés chez eux (Cf. Annexe Il) .
TIMAG È NE, fin du Ier siècle av. J.-C., historien :

233
Sur les rois, Fragment n° 9 de Jacoby : La science a été diffusée chez les Celtes par les
bardes, les « euhages » et les druides. Les « euhages » par des recherches sérieuses
révèlent les trésors de la nature. Parmi eux les druides, esprits plus élevés, unis selon
une règle qui a l'autorité de Pythagore, vivent en commun et sont arrivés à une hau­
teur d'esprit d'où ils contemplent l'humanité et proclament l'immortalité de l'âme.
(Ammien Marcellin, Histoire, 15, 9). (Cf. Annexe II) .
TROGUE POMPÉ E, fin du le' siècle av. J.-C., historien :
Histoires philippiques, œuvre disparue, connue essentiellement par le résumé qu'en a
donné Justin : Epitoma Historiarum Philipp icarum.
Justin, XXIV, 4, 1 : La Gaule étant de plus en plus peuplée, on envoya trois cent mille
hommes chercher de nouvelles terres . . . Guidés par le vol des oiseaux, car les Gaulois
excellent plus que tout autre peuple dans la science des augures. XXIV, 4, 5 : Les
Macédoniens vaincus (par les Gaulois) furent taillés en pièce. Ptolémée fut fait pri­
sonnier. Sa tête fut mise au bout d'une lance et promenée sur le champ de bataille pour
épouvanter l'ennemi. XXIV, 4, 6 : Brennus ose tourner ses regards vers les temples et
dire par une raillerie impie que les dieux sont assez riches pour donner aux hommes
(Cf. Annexe II) .
Justin, Livre XXVI, 2 : Les Gaulois instruits de l'approche d' Antigone se préparent au
combat, immolent des victimes et consultent leurs entrailles. Trouvant le présage
d'une affreuse défaite et espérant expier les menaces de leurs dieux, ils sacrifient leurs
femmes et leurs enfants, inaugurant les auspices de la guerre par des parricides,
comme si ce crime devait racheter leur vie et garantir la victoire (Cf. Annexe Il) .
Justin, Livre XXXII, 3 : Les Tectosages ne furent débarrassés de la peste que lors­
qu'instruits par la réponse d'haruspices, ils plongèrent l'or et l'argent, fruit de la guer­
re et d'un sacrilège, dans un lac de Toulouse.
Justin, Livre XLIII, 5 : Catumandus, un des rois celtes qui assiégeaient Marseille.
Lorsque dans son sommeil, une femme d'une figure menaçante qui disait être une
déesse, l'épouvanta et lui fit faire la paix. Demandant aux Marseillais l'autorisation
d'entrer dans leurs murs pour y adorer leurs dieux, il reconnut sous le portique du
temple de Minerve, sous les traits d'une statue, la déesse qui l'a visité en songe. Il offrit
à Minerve un torque en or.
DENYS D'HALICARNASSE, fin du I"' siècle av. J.-C., historien :
Histoire a ncienne de Rome, Discours 1, 38 : Les Celtes font encore des sacrifices humains,
coutume à laquelle Héraclès voulut mettre fin. Discours VII, 70 : Les Celtes, comme les
Lybiens, les Egyptiens, les Scythes et les Indiens sont fidèles à leurs croyances reli­
gieuses et le temps ne les persuade pas de renoncer à leurs pratiques.
TITE-LIVE, fin du le' siècle av. J.-C., début le' siècle ap. J.-C., historien :
Ab Urbe condita libri, Livre V, 39 : Les Gaulois victorieux dépouillent les morts et entas­
sent les armes en monceaux, selon leur coutume. 41 : Les Gaulois éprouvaient une
sorte de respect religieux à l'aspect de ces hommes vénérables (des vieillards, anciens
magistrats) qui, assis sous leur vestibule, semblaient par la solennité de leur costume,

234
par leur attitude imposante, par le caractère de gravité empreint sur leur front et dans
tous leurs traits, représenter la majesté des dieux. Les Barbares demeuraient debout à
les contempler comme des statues. 46 : Fabius Dorso traverse les lignes gauloises, seul
pour accomplir le sacrifice annuel sur le mont Quirinal « à la vue des Gaulois étonnés
d'une si merveilleuse audace, ou peut-être pénétrés d'un de ces sentiments de religion
auxquels ce peuple est loin d'être insensible » .
Livre VII, 10 : L e Gaulois auquel s'affronte l e jeune Manlius Torquatus sur l e pont de
l' Anio exécute une sorte de danse armée, il saute, agite ses armes et tire la langue.
Livre XXI, 38 : Le nom des Alpes Pennines vient du nom de « Poeninus » donné par
les Sedunoveragri à la divinité qui possède un sanctuaire sur le plus haut sommet (au
Grand Saint-Bernard) .
Livre XXIII, 24 : Les Gaulois déciment l'armée romaine dans l a forêt Litana e t tuent son
général, Postumius. « La dépouille et la tête coupée du chef ils les portent en chantant
leur triomphe dans le temple qui sur leur territoire est le plus saint. Selon leur coutu­
me ils nettoient cette tête et recouvrent l'os d'or. Celui-ci devint un vase sacré pour les
libations dans les fêtes solennelles et une coupe pour les prêtres et les desservants du
temple ». (Cf. Annexe Il) .
Livre XXXVIII, 1 7 : Les Gaulois commencent le combat par des chants, des hurlements,
des danses sauvages et un affreux tintamare d'armes frappées contre leurs bouliers,
suivant leur coutume. Tout est étudié pour provoquer la terreur. 25 : Les parlemen­
taires Tectosages avertissent le consul que les rois sont retenus par des tâches reli­
gieuses. 47 : Discours de Manlius : Les cités d'Asie à propos des Gala tes : « ils pou­
vaient à peine racheter les prisonniers et ils apprenaient le sacrifice de victimes
humaines et l'immolation de leurs enfants » .
STRABON, fin Jer siècle av. J.-C, début J•r sièce ap . J.-C., historien e t géographe :
Géographie, Livre IV, 1 , 13 : Les trésors trouvés à Toulouse proviendraient de Delphes
« mais augmentés cependant des offrandes privées faites par les habitants de cette
ville pour consacrer aux dieux ces dépouilles et solliciter leur miséricorde ». La ver­
sion de Posidonius est plus probante : il ne peut s'agir des richesses de Delphes pillé
par les Phocidiens pendant la Guerre Sacrée, en revanche l'or abonde dans le pays des
Tectosages et « du fait de la foi superstitieuse de ses habitants et de leur genre de vie
exempt de luxe, les trésors sacrés y sont fréquents. Les lacs, qui plus est, y assurent la
meilleure protection contre les sacrilèges » . « Dans Toulouse le sanctuaire était saint et
l'objet d'une vénération particulière de la part des habitants des environs ; les richesses
y étaient abondantes ; les consécrations d'offrandes y étaient nombreuses et personne
n'aurait la hardiesse de se les approprier ». (Cf. Annexe II) . 4, 4 : « Chez tous les
peuples gaulois il y a trois sortes d'hommes qui sont honorés de façon différente, les
Bardes, les Vates et les Druides ; les Bardes sont des chantres sacrés et des poètes ; les
Vates s'occupent des cérémonies religieuses et des sciences de la nature ; les Druides,
également versés dans les sciences de la nature, s'exercent plutôt à la philosophie
morale. Ils sont regardés comme les plus j ustes des hommes et pour cette raison on
leur confie le soin de juger les différends privés et publics. Jadis ils arbitraient les

235
guerres et apaisaient ceux qui étaient sur le point de se mettre en ordre de bataille ;
mais ce sont surtout les affaires criminelles dont on leur confiait le jugement. Quand
il y a abondance de ces dernières, ils considèrent que c'est un signe d'abondance pour
leur pays. Ils disent, ainsi que d'autres, que les âmes et l'univers sont immortels mais
que le feu et l'eau un jour l'emporteront sur eux. ». (Cf. Annexe Il) . 4, 5 : Le prélève­
ment des crânes des ennemis. Copie de Posidonius Frag. 55. « Les Romains ont fait
cesser de telles coutumes ainsi que les formes de sacrifices et de divination contraire à
nos lois » . Sacrifice d'un homme avec une épée, sacrifice avec l'assistance d'un druide
(copie de Posidonius, Cf. Diodore). « On dit qu'il y avait d'autres formes de sacrifices
humains. Ainsi, certains étaient percés de traits ou empalés dans les sanctuaires. On
fabriquait aussi un colosse avec de la paille et du bois dans lequel on jetait toutes
sortes de bêtes, bétail et animaux sauvages, ainsi que des hommes et on en faisait un
holocauste. » (Cf. Annexe Il) . 4, 6 : Copie de Posidonius, Frag. 56. Copie d' Artemidore,
Frag. 34. Copie d'Ephore, Frag. 1 3 1 . 5, 4 : Copie de passage attribué à Posidonius mais
non répertorié : « Pour ce qui est de l'anthropophagie on dit que c'est une coutume
scythe mais qu'elle a été pratiquée par les Celtes, les Ibères et plusieurs autres peuples
dans la nécessité qu'avait occasionnée le siège de leurs villes » .
Livre VII, 3 , 8 : Copie d e Ptolémee Sôter, Frag. 1 3 8 F 2. (Cf. Annexe II) .
Livre XII, 5, 1 : Les Gala tes d'Asie mineure, Les douze tétrarques avaient un conseil de
trois cents membres qui se réunissaient en un lieu appelé « Drynemeton » .
VAL È RE MAXIME, 1 '• moitié d u I•' siècle a p . J.-C., historien :
Actions et paro les mémorab les, II, 6, 10 : Les Gaulois se prêtent des sommes d'argent rem­
boursables dans l'au-delà. (Cf. Annexe II) .
POMPONIUS M É LA, milieu du I•' siècle ap. J.-C., géographe :
De Chorographia, III, 2, 1 8-20 : Les sacrifices humains qui existaient jadis sont aujour­
d'hui remplacés par de légères blessures. Croyance en l'immortalité de l'âme et paie­
ment des dettes de l'au-delà (même source que Valère Maxime). (Cf. Annexe Il) . III, 6,
48 : L'île de Sena, son oracle, les neuf prêtresses appelées « Ga ll izenae » et leurs méta­
morphoses. (Cf. Annexe Il) .
LUCAIN, milieu du I•' siècle ap. J.-C., poète :
Be ll um civi l e ou La Pharsa le, I, vers 444-446 : « Ceux qui apaisent par un sang horrible
le féroce Teutatès, le hideux Esus dans ses sauvages sanctuaires, Taranis aux autels
non moins cruels que ceux de la Diane scythique » (trad. A. Bourgery) . vers 447-462 :
Les bardes et les druides, leurs sacrifices, leurs connaissances des dieux et des enfers,
l'immortalité de l'âme (Cf. Annexe Il) . III vers 399-417 : Description d'un bois sacré
dans l'arrière-pays de Marseille. (Cf. Annexe II) .
N.B. : Les vers 444-446 ont fait l'objet d'une glose tardive dans les Commenta Bernensa
ou Scholies Bernoises (Cf. à cette rubrique) .
LUCIUS ANNAEUS CORNUTUS, 2• moitié du I•' siècle ap. J.-C., grammairien et phi­
losophe :

236
Précis de théologie hellénique, 1 7, 7 : Parmi les mythologies autres que la mythologie
grecque, celle des Celtes.
PLINE L'ANCIEN, 2• moitié du l°' siècle ap. J.-C., encyclopédiste :
Histoire naturelle, Livre VII, 2, : Sacrifices humains au-delà des Alpes. Livre XVI, 95 :
Les druides. Le gui. Récit de sa cueillette ritualisée (Cf. Annexe II) .
Livre XXIV, 1 03-104 : cueillette ritualisée du selago et du samolus . (Cf. Annexe II) .
Livre XXVIII, 5 : Pour saluer les dieux les Gaulois se tournent tout le corps à gauche,
non à droite comme les Romains.
Livre XXIX, 12 : La récolte de l' œuf de serpent (Cf. Annexe II) .
Livre XXX, 4 : La Gaule était possédée jusqu'à nos jours par la magie. C'est l'empereur
Tibère qui supprima les druides et cette engeance de prophètes et de médecins. La
Bretagne pratique encore cet art. Il faut remercier les Romains qui ont aboli ces mons­
truosités dans lesquelles tuer un homme était l'acte le plus religieux et le manger la
pratique la plus salutaire. (Cf. Annexe II) .
SILIUS ITALICUS, 2• moitié du I•' siècle ap. J.-C., poète :
Punica, III, 340-343 : Les Celtes qui mettent leur honneur à périr au combat, qui jugent
impie de brûler le cadavre du guerrier et qui pensent que ce dernier ne peut prendre
place au ciel près des dieux que s'il a été dévoré par un vautour. (Cf. Annexe II) . IV,
201 : Dans un récit de la bataille du Tessin un Gaulois voue sa chevelure à Mars
Gradivus.
FLORUS, fin du I•' siècle ap . J.-C., historien :
Epitoma, II, 4 (Jal I, 20) : Les Insubres descendant sur Rome avaient fait à plusieurs
reprises le serment de ne point détacher leur baudrier, tant qu'ils n'auraient pas esca­
ladé le Capitole. En effet, c'est Emilius qui les ayant vaincus détacha les baudriers
dans le temple lui-même. Conduits par Arioviste, ils vouèrent à leur dieu Mars un
torque fabriqué avec les dépouilles de nos soldats. Mais Jupiter s'empara de ce vœu et
le consul Flaminius lui consacra en trophée les colliers d'or pris aux Gaulois. Enfin
sous le roi Viridomar, ils avaient promis à Vulcain les armes de nos guerriers. Ces
vœux eurent une autre destinée. Marcellus tua le roi et suspendit pour la troisième fois
depuis Romulus, notre père, les armes à Jupiter Férétrien.
III, 10 (Jal I, 45) : « Ceux-ci étant rassemblés en foule dans les bois sacrés, lors des fêtes
et des assemblées religieuses, Vercingétorix les excita avec une rare éloquence à recon­
quérir leur liberté » .
TACITE, fin d u !•'-début d u II• siècle ap. J.-C., historien :
Vie d 'Agricola, XI : les Bretons (probablement les plus proches de la Gaule) ont les
mêmes cultes et les mêmes croyances superstitieuses que les Gaulois qui ont dû enva­
hir cette région de Bretagne.

237
Germanie : Nombreuses mentions sur les croyances, les cultes et les divinités des
peuples Germains. Certains de ces traits peuvent avoir été empruntés aux Celtes ou
apportés par eux, mais la part leur revenant reste difficile à déterminer.
Annales, Livre 1, 61 : Germanicus retrouve les restes de l'armée de Vanus. Témoignage
des pratiques religieuses des Celtes et des Germains, en cas de victoire (Cf. Annexe Il) .
Livre XIV, 30 : Druides et cultes sanglants sur l'île de Mona (Cf. Annexe Il) .
PLUTARQUE, fin du !•'-début du II• siècle ap. J.-C., historien :
Vies parallèles, Camille, 1 5 : Brennus étant en Ambassade chez les Clusiens est attaqué
par Fabius Ambustus. Il proteste contre lui en prenant les dieux à témoins. 20 : Les
Gaulois à Rome (version semblable à Tite-Live, V, 41).
César, 1 9 : (A propos des Germains d' Arioviste) Mais surtout les prédictions divina­
toires des « femmes sacrées » les décourageaient. Celles-ci avaient l'habitude d'obser­
ver les tourbillons des rivières et de chercher des signes dans le mouvement circulai­
re et les bruits des cours d'eau. Elles ne donnaient pas l'autorisation de se battre avant
que ne brille la nouvelle lune » .
César, 26 : « Les Arvernes montraient une petite épée suspendue à un d e leurs temples,
(qu'ils présentaient) comme une dépouille prise à César. Ce dernier ayant l'occasion
plus tard de voir la chose de ses propres yeux, se mit à sourire quand ses amis lui
demandèrent l'autorisation de la décrocher, il ne le permit pas, la considérant comme
une chose sacrée » .
D e l a superstition, 3 , 1 65 D : E n Gaule o n n'a pas peur des tremblements d e terre. 13, 1 71
C : Religion sanguinaire des Gaulois.
Les vertus des femmes, 216 BD : Chez les Gaulois les femmes participent aux délibéra­
tions sur la guerre et la paix, depuis l'époque où ils envahirent l'Italie.
DION dit « Chrysostome » ou « Dion de Pruse », fin du !•'-début du II• siècle ap . J.-C.,
philosophe :
Discours, 32 (49) : Chez les Celtes, les druides commandent même aux rois qui font
bombance assis sur des trônes d'or mais qui n'ont aucun pouvoir sans eux.
SUÉ TONE, fin du !•'-début du II• siècle ap. J.-C., historien :
Vie des douze Césars, César, 54 : « En Gaule il pilla les temples et les fana qui étaient rem­
plis de dons faits aux dieux ». (Cf. annexe Il) .
Claude, 25, 13 : « Il abolit complètement en Gaule la religion atroce et barbare des
druides qui, sous Auguste, avait été interdite aux seuls citoyens ». (Cf. annexe Il) .
ARRIEN, milieu du II• siècle ap. J.-C., historien :
La Chasse, 34 : Les Celtes chaque fois qu'ils tuent un animal à la chasse mettent une
somme dans un pot commun ; avec cet argent il achètent chaque année un animal
domestique qu'ils sacrifient à Artémis (pratique cultuelle certainement postérieure à
la conquête).

238
L'expédition d 'Alexandre, I, 4, 6-8 : Ambassade des Celtes auprès d'Alexandre (Cf.
Ptolémée Sôter) .
PAUSANIAS, milieu du II• siècle ap. J.-C., historien :
Description de la Grèce, X, 21, 1 : Les Gaulois de Brennus engagent la bataille sans avoir
consulté au préalable des devins, on ignore s'il y a un art celtique de la divination. 22,
3 : « Ils émasculèrent tous les hommes, tuèrent les vieillards, les enfants encore au sein
furent arrachés de leur mère et égorgés, si quelques-uns paraissaient mieux nourris
que d'autres, les Gaulois buvaient leur sang et se rassasiaient de leur chair » . XX, 21,
7 : Les Galates n'enterrent pas les guerriers tués pour effrayer l'ennemi.
LUCIEN, fin du II• siècle ap . J.-C., philosophe :
Propos : Héraclès, 1 -6 : Description du dieu Ogmios, !'Hercule des Celtes. C'est un
vieillard qui tire les hommes à l'aide de chaînes unissant leurs oreilles à sa langue. Il
s'agirait du thème d'une peinture qu'un Gaulois commenta à Lucien. Légende
d'Héraclès passant en Gaule pour ramener les bœufs pris à Géryon.
MAXIME dit « de Tyr », fin du II• siècle ap. J.-C., philosophe :
Dissertations, VIII, Sur les images des dieux, 8 : « Les Celtes rendent un culte à Zeus mais
l'image celtique de Zeus est un grand chêne » .
ELIEN, fin d u II• - début d u III• siècle ap . J.-C., écrivain encyclopédiste :
Histoires variées, Livre II, 31 : généralités sur la religiosité des Celtes.
Livre XII, 23 : Les Celtes érigent des trophées à la manière grecque. (Cf. Annexe II) .
CLITOPHON, II• ou III• siècle ap. J.-C . , historien :
Connu par le « Pseudo-Plutarque », certains doutent de son existence.
Sur la fondation des villes, Livre 1 3, Fragment 3 Jacoby. : Mômoros et Atepomaros, chas­
sés par Séséroneos, arrivent à la colline (Lyon) que leur avait désignée un oracle. Alors
qu'ils creusaient les fondations de la nouvelle ville, des corbeaux se rassemblèrent.
Mômoros, versé dans l'art augural, nomma cette ville Lougdounon.
MINUCIUS FELIX, début du III• siècle, écrivain :
Octavius, 6 . 1 : Indications sur la religion gallo-romaine : chaque groupe humain, pro­
vinces, villes, etc., a ses rites propres et ses dieux municipaux. Les Gaulois vénèrent
particulièrement Mercure. 28, 7 : La déesse Epona. 30, 4 : Les Gaulois jadis sacrifiaient
à Mercure des victimes humaines.
CL É MENT dit « d'Alexandrie », début du III• siècle ap. J.-C., théologien :
S tromateis, I, 15, 70 et 71 : Copie des passages d'Alexandre Polyhistôr (Symboles pytha­
goriciens, Fragment n° 94 de Jacoby) .
TERTULLIEN, début du III• siècle ap . J.-C., écrivain :
Apologétique, 9, 5 : Même source que Minucius Felix sur Mercure et les sacrifices
humains et sur les dieux propres à chaque région.
Remèdes contre les scorpions, 7 : idem.

239
Sur l'âme, 57 : Copie de Nicandre (Métamorphoses, Fragment n° 43 de Jacoby) .
DIOG È NE LA Ë RCE, milieu du IIIe siècle ap. J.-C., historien de la philosophie :
Vies et doctrines des philosop h es célèbres, Prologue, 1 et 6 : Copie de La Magie et de Sotion
(Cf. ces deux rubriques) : origines de la philosophie, les trois principaux préceptes des
druides. (Cf. annexe Il) .
ATHÉ N É E, milieu du III• siècle ap. J.-C., écrivain compilateur :
Les Deipnosophistes : Copie de Posidonios Fragments n° 15, 1 8 et 55 de Jacoby. Copie de
Sopatros Fragment n° 6 de Kaibel (Cf. ces deux rubriques) . (Cf. annexe II) .
HIPPOLYTE dit « Saint Hippolyte de Rome », milieu du IIIe siècle, pape, théologien :
Réfu tation de tou tes les h érésies, l, 2, 1 7 et I, 2 5, 1 -2. Hippolyte rapporte une autre tradi­
tion sur les rapports entre Pythagore et les druides. Ce serait Zalmoxis, le Thrace,
esclave de Pythagore qui aurait enseigné la philosophie pythagoricienne aux druides.
Les druides sont prophètes et pratiquent la divination par les chiffres ainsi que
d'autres rites magiques.
LACTANCE, fin du Ille-début du IVe siècle ap . J.-C., écrivain :
Institu tions divines, I, 2 1 , 3 : Les Gaulois sacrifiaient des humains à Esus et à Teutatès.
AMMIEN MARCELLIN, 2e moitié IVe siècle ap. J.-C., historien :
Histoire, Livre XV, 9, 8 : Copie de Timagène (Sur les rois, Fragment n° 9 de Jacoby) . (Cf.
annexe II) .
AUGUSTIN (Saint Augustin), fin du IVe-début du Ve siècle, évêque et théologien :
La cité de Dieu, VII, 1 9 : Copie de Varron : sacrifices humains en l'honneur d'une divi­
nité assimilée à Saturne. VIII, 9 : Les Gaulois figurent parmi les peuples qui comptent
des sages et des philosophes. XV, 23 : On affirme que certains démons que les Gaulois
appellent dusii s'attaquent continuellement aux femmes.
SCHOLIES BERNOISES à la Pharsale de Lucain, entre le IVe et Xe siècle ap. J.-C :
Commentaires des vers 444-446 et 454-458 : Nom des druides, du nom du chêne parce
qu'ils vivent dans des bois sacrés ou parce qu'ils exercent la divination sous l'effet de
l'ingestion de glands. Copie de diverses sources : immortalité de l'âme, crémation du
mort avec ses serviteurs et ses chevaux (César) . La croyance en l'immortalité de l'âme
leur donne le plus grand courage. Les druides disent que les mânes n'existent pas.
Teutatès est appelé Mercure, il est honoré par des victimes humaines. C 'est ainsi qu'ils
honorent Teutatès Mercure : ils plongent un homme la tête en avant dans un tonneau
plein. Esus Mars est honoré de cette façon : un homme est suspendu dans un arbre jus­
qu'à ce que ses membres se détachent. Taranis Dis Pater est honoré de la façon sui­
vante : quelques hommes sont brûlés dans un baquet en bois (Strabon) . Ils tiennent
Taranis Jupiter pour le dieu tutélaire de la guerre et un des plus grands dieux du ciel ;
il était accoutumé jadis à recevoir des têtes humaines, maintenant il se contente de
bétail. (Cf annexe Il) .

240
ANNEXE II :
PRINCIPAUX TEXTES ANTIQUES
CONCERNANT LA RELIGION GAULOISE

Ces textes sont donnés ici dans une nouvelle traduction. Notre souci a été de rester au plus près
de l'original. La structure de la phrase est généralement respectée. Pour ce qui est du vocabu­
laire, le sens premier du mot est préféré, parfois précisé par des annotations en tre paren thèses.

AMMIEN MARCELLIN, Rerum Gestarum Libri, His toire


N° 1
Livre XV, 9, 8
« Dans ces contrées (de la Gaule) les hommes peu à peu se sont civilisés, l'étude des
arts et des sciences louables a fleuri, entreprise grâce à l'action des bardes, des
« eubages » et des druides. Les bardes chantaient aux doux accents de la lyre les actes
les plus remarquables des hommes illustres, dans des compositions aux vers
héroïques ; tandis que les « eubages », explorant les domaines les plus élevés, entre­
prenaient de révéler les merveilles de la nature. Parmi eux, les druides, supérieurs sur
le plan de l'intelligence, et, comme le veut la doctrine de Pythagore, étroitement liés
en confréries communautaires, se sont élevés par leurs recherches dans les domaines
les plus obscurs et les plus profonds et, dédaignant la réalité humaine, ils proclamè­
rent que les âmes sont immortelles. »

ARISTOTE
N° l
Ethique à Nicomaque, Livre III, VII, 7
. . . D'autre part, ce serait faire acte de folie ou d'insensibilité que de ne rien redouter, ni
le tremblement de terre, ni la mer déchaînée, ainsi que le font, dit-on, les Celtes.

ATHÉNÉE, L e s Deipn osophistes


N° 1
Livre IV, 151 e-152 d (fragment n° 1 5 de Jacoby et 67 de Kidd)
« Après avoir étendu de la paille sur la terre, les Celtes placent devant eux les mets sur
des tables de bois qui s'élèvent légèrement au-dessus du sol. Ils ont pour nourriture
du pain en petite quantité mais beaucoup de morceaux de viande cuits à l'eau ou
grillés sur des charbons ou à la broche. Ils portent ces mets à la bouche avec propreté

241
mais à la manière des lions, en saisissant des membres entiers de leurs deux mains et
en les déchirant avec les dents. Si un morceau est difficile à arracher, il est découpé sur
tout son long avec un petit coutelas qu'ils rangent dans une boîte spéciale fixée au
fourreau de leur épée. Ceux qui habitent aux bords des rivières ou des deux mers,
intérieure et extérieure, mangent également du poisson qu'ils rôtissent aussi (après les
avoir assaisonnés) avec du sel, du vinaigre et du cumin. Ils utilisent ce dernier (le
cumin) dans leur boisson. Ils ne se servent pas d'huile d'olive à cause de sa rareté et,
par manque d'habitude, ils la trouvent désagréable (au goût) . Quand de nombreux
(convives) s'assemblent pour manger, ils s'asseyent en cercle ; au milieu prend place le
personnage le plus important, celui qui se distingue de tous les autres par son adres­
se au combat, par sa naissance et sa richesse ; il est comme le coryphée d'un coeur.
Auprès de lui se tient celui qui reçoit, et ensuite, de chaque côté, prennent place (les
autres convives) suivant leur valeur respective. Parmi les servants d'armes ceux qui
portent les boucliers longs se tiennent auprès (de leur maîtres) mais derrière. Les dory­
phores (ou porteurs de lances) sont assis en cercle en face (des maîtres) et mangent en
même temps qu'eux. Les serviteurs portent la boisson dans des vases de terre ou d' ar­
gent, assez semblables à nos oenochoés. Les plats sur lesquels ils apportent la nourri­
ture, sont de même nature ; certains sont en bronze, mais il y a aussi des corbeilles de
bois ou d'osier tressé. Chez les riches on boit du vin transporté depuis l'Italie ou du
pays des Massaliètes. Il est bu pur mais quelquefois on y mélange un peu d'eau. Chez
ceux qui sont moins riches c'est une bière de froment préparée avec du miel qui est
bue. Mais dans le peuple on se contente d'une bière simple. Elle est appelée carma . Ils
boivent par petites gorgées à une même coupe, j amais plus d'un ciathe à la fois, mais
ils le font très souvent. L'esclave fait passer à la ronde cette boisson, de la droite vers
la gauche. C'est de cette façon qu'on fait le service, c'est aussi la façon qu'ils ont d'ado­
rer leurs dieux, en tournant vers la droite. »
N° 2
Livre IV, 1 52, e-f (fragment n° 1 8 de Jacoby 1 8, et 67 de Kidd)
« Poseidonios décrit encore la richesse de Luern, le père de Bituit qui fut défait par les

Romains. Il rapporte que Luern qui cherchait à se gagner les faveurs du peuple, par­
courait les campagnes sur un char et distribuait de l'or et de l'argent à des myriades
d'hommes qui le suivaient. Il faisait faire un enclos de douze stades carrés dans lequel
on remplissait des cuves de boissons d'un grand prix et où l'on préparait une telle
quantité de victuailles que pendant plusieurs jours il était permis à ceux qui voulaient
entrer de profiter de tout ce qui avait été préparé, le service se faisant de manière inin­
terrompue. Une fois, alors qu'il avait fixé la date d'un festin bien à l'avance, un poète
de chez ces Barbares y arriva trop tard et vint à sa rencontre. Il vanta la grandeur de
Luern par un chant dans lequel il déplorait aussi d'être arrivé en retard. Luern, réjoui
par ce chant, demanda qu'on lui donne une bourse et la jeta au poète qui courait à ses
côtés. Ce dernier, l'ayant ramassée, reprit son chant, disant cette fois que les traces sur
la terre, là où il passait en char, portait de l'or et des bienfaits aux hommes.
Poseidonios raconte cette histoire dans son vingt-troisième livre. »

242
N° 3
Livre IV, 1 54, d-e (fragment n° 1 6 de Jacoby et 68 de Kidd)
« Posidonius dans son vingt-troisième livre des Histoires . « Les Celtes, dit-il, quelque­
fois, au cours du repas, se battent en combat singulier. En effet, étant excités et munis
de leurs armes, ils engagent tout d'abord un combat imaginaire et finissent par en
venir aux mains les uns avec les autres et parfois vont j usqu'aux blessures ; et parfois
même, irrités par ces dernières, si (leurs proches) qui se réjouissent (de la scène) ne les
arrêtent pas, ils vont jusqu'à s'enlever la vie. Il dit aussi que dans le passé, lorsque l'on
présentait les mets rôtis, le plus fort prenait la cuisse. Si quelqu'un s'y opposait, les
deux adversaires se levaient et se battaient en duel jusqu'à la mort. D'autres, dans un
théâtre (ou dans un lieu d'assemblée), ayant reçu de l'argent et de l'or, certains ayant
obtenu des amphores de vin, et s'étant engagés solennellement à rembourser ce don,
après l'avoir partagé entre leurs proches et leurs amis, ils sont couchés le dos sur leur
bouclier et quelqu'un se tenant à leur côté leur coupe le cou avec une épée. »
N° 4
Livre VI, 246 d (fragment 1 7 de Jacoby et 69 de Kidd)
« Poseidonios d' Apamée rapporte, dans son vingt-troisième livre des Histoires, que les
Celtes emmènent avec eux, quand ils partent à la guerre, des compagnons de vie qu'ils
appellent (probablement dans leur langue d'un terme qui correspond au grec : ) «para­
sites » ou « commensaux ». Ces derniers récitent des éloges de leurs maîtres devant
des assemblées nombreuses mais aussi à chacun de ceux-là en particulier. Ils appellent
« bardes » les troupes de musiciens et de chanteurs. Il arrive que ces poètes fassent
leurs panégyriques en musique. »

Anonyme
N° 1
Bellum Hispan iense, 31
« (lors du siège de Munda) ils disposèrent des boucliers et des lances, qu'ils avaient
pris sur les armes ennemies, en guise de vallum et les cadavres en guise de mottes de
gazon ; les têtes découpées aux morts furent installées sur la pointe des épées et toutes
tournées en direction de la ville, de façon à ce que les adversaires, non seulement
soient enfermés par ce rempart, mais qu'ils voient également en direction de l'ennemi
des insignes de la vertu guerrière qui inspirent la peur. C'est de cette façon que les
Gaulois commencent un siège, après avoir encerclé la ville de tragules et de javelots
mais aussi des cadavres des ennemis. »

CÉSAR, Bellum Gallicum


N° 1
Livre III, 22
« . . . avec six cents hommes dévoués, ceux qu'ils nomment des « soldures » ; la condi­
tion de ces derniers est la suivante : ils jouissent communément de tous les biens de la

243
vie avec celui auquel ils se sont voués d'amitié, si celui-ci meurt de mort violente, ou
bien ils supportent ensemble le même sort, ou bien ils se donnent eux-mêmes la mort ;
de mémoire d'homme on ne connaît personne qui ait refusé de mourir une fois que fut
mort celui auquel il s'était voué d'amitié. »
N° 2
Livre V, 56
« . . Suivant l'usage des Gaulois, cela (le conseil armé) marque le début de la guerre :
.

d'après une loi commune tous les adultes ont pour habitude de se rassembler armés ;
celui d'entre eux qui arrive le dernier à la réunion, il est mis à mort à la vue de tous
après avoir subi toutes sortes de tortures. »
N° 3
Livre VI, 13-14
« Dans toute la Gaule il n'y a que deux classes d'hommes qui comptent quelque peu
et soient estimées. Mais pour ce qui est des deux classes, l'une est celle des druides,
l'autre est celle des chevaliers. Les premiers s'occupent des affaires religieuses, ils ont
en charge les sacrifices publics et privés, expliquent les pratiques religieuses ; à eux se
j oignent de très nombreux jeunes gens qui viennent recueillir leur enseignement ;
enfin ces druides sont chez eux en grand honneur. En effet, ils rendent les jugements
dans presque tous les conflits, qu'ils soient publics ou privés, et si quelque crime a été
commis, si un meurtre a été perpétré, s'il y a un conflit au sujet d'un héritage ou au
sujet de limites, ce sont eux qui jugent, qui décident du dédommagement et de la
peine. Si une personne privée ou un peuple ne s'en tient pas à leur verdict, ils lui inter­
disent les sacrifices. Cette peine est chez eux la plus grave. Ceux qui sont frappés de
cette interdiction, sont tenus pour des impies et des criminels, tout le monde s'écarte
d'eux, on fuit leur rencontre et leur discours, de peur d'être souillé à leur contact
impur ; la justice ne leur est pas rendue quand ils la réclament et aucun honneur ne
leur est accordé. Tous ces druides obéissent à l'un d'entre eux, celui qui parmi eux a la
plus grande autorité. A sa mort, si l'un des druides surpasse les autres par son méri­
te, il lui succède ; si plusieurs paraissent avoir des compétences égales, ils s'affrontent
pour obtenir ce pouvoir par le suffrage des druides quand ce n'est pas par l'emploi
des armes. A une date fixe de l'année ils siègent en un lieu consacré du pays des
Carnutes qui est considéré comme le centre de toute la Gaule. Là de partout tous ceux
qui ont des différends se réunissent et obéissent à leurs décisions, à leurs j ugements.
Leur doctrine aurait été créée en Bretagne et de là elle aurait été transmise en Gaule -
estime-t-on ; et de nos jours encore ceux qui veulent la connaître plus en détail, le plus
souvent ils vont là-bas s'y instruire.
Les druides ne participent pas habituellement à la guerre et ne paient pas de contri­
bution comme le reste de la population ; ils jouissent de l'exemption du service mili­
taire comme de toute autre charge. Stimulés par tant d'avantages, beaucoup, de leur
propre volonté, viennent se joindre à eux pour apprendre leur doctrine, beaucoup
aussi sont envoyés par leurs parents et leurs proches. On dit que là ils apprennent par
cœur un très grand nombre de vers. C 'est pourquoi beaucoup d'entre eux demeurent

244
en instruction pendant vingt années. (Les druides) estiment qu'il n'est pas permis par
la religion de confier à l'écriture cet enseignement, tandis que pour pratiquement tout
le reste, affaires publiques ou privées, l'alphabet grec est utilisé. Ils me semblent avoir
institué cette règle pour deux raisons, d'une part parce qu'ils ne veulent pas que leur
doctrine soit divulguée, ni que, d'autre part, ceux qui apprennent, confiants dans
l'écriture, mettent moins à contribution leur mémoire ; il arrive, en effet, assez ordi­
nairement qu'apprenant sous la protection de l'écrit on relâche son attention et sa
mémoire. Les druides avant tout veulent convaincre que les âmes ne disparaissent pas
mais qu'après la mort elles quittent les corps pour aller dans d'autres corps ; ils pen­
sent que cette croyance stimule au plus haut point le courage, parce qu'elle fait mépri­
ser la mort. Par ailleurs, ils dissertent abondamment sur les astres et leur mouvement,
sur la grandeur du monde et de la terre, sur la nature des choses, sur la puissance des
dieux immortels et sur leurs compétences et ces connaissances ils les transmettent à la
jeunesse » .
N° 4
Livre VI, 1 6-18
« Tout le peuple gaulois se passionne immodérément pour les choses de la religion ;

pour cette raison ceux qui sont atteints de graves maladies, ceux qui se trouvent habi­
tuellement dans des combats ou face à d'autres dangers, prennent des hommes
comme victimes sacrificielles ou font vœu de le faire et pour ces sacrifices ils utilisent
le ministère des druides ; ils croient qu'on ne peut apaiser les dieux immortels, que
seule la vie d'un homme ne peut être rendue qu'au prix d'une autre vie humaine et ils
ont des sacrifices de ce genre qui sont des institutions publiques. D'autres ont des
représentations d'une grandeur colossale dont les pièces faites d'osier tressé sont rem­
plies d'hommes vivants ; on met le feu à celles-ci et les hommes entourés par les
flammes y périssent. Les supplices de ceux qui sont arrêtés pour vol ou pour brigan­
dage passent pour être plus agréables aux dieux ; mais quand les ressources de ce type
font défaut, on se résoud à supplicier des innocents.
Le dieu qu'ils vénèrent le plus est Mercure : ses images sont les plus nombreuses ; ils
le tiennent pour l'inventeur de tous les arts, pour le guide des routes et des voyages
et ils pensent qu'il a une grande influence sur les gains d'argent et sur le commerce.
Après lui ils honorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. De ces dieux ils se font à peu
près la même idée que les autres peuples : Apollon guérit les maladies, Minerve trans­
met les principes des arts et des métiers, Jupiter a le pouvoir sur les autres divinités
célestes, Mars régit les guerres. A ce dernier, quand ils ont décidé de livrer un combat,
ils font la plupart du temps vœu de consacrer tout ce qu'ils prendront à la guerre :
quand ils ont gagné, ils immolent tout le butin vivant et le reste ils l'apportent en un
même endroit. Dans beaucoup de cités on peut voir des tertres élevés dans des lieux
consacrés avec ces dépouilles ; et il n'est pas arrivé souvent que quelqu'un, méprisant
la religion, ose cacher chez lui le butin qu'il avait fait ou ose toucher à ces dépôts, pour
un tel acte le supplice le plus cruel a été institué.

245
Tous les Gaulois se vantent d'être descendants de Dis Pater et ils disent que c'est une
croyance transmise par les druides. C'est pour cette raison qu'ils mesurent les lon­
gueurs de n'importe quelle durée non en nombre de jours mais en nombre de nuits,
ils observent les anniversaires et les débuts de mois et d'année de cette manière : c'est
le jour qui fait suite à la nuit. Dans leurs autres institutions ils diffèrent des autres
peuples en cela seulement qu'ils ne supportent pas que leurs enfants, avant qu'ils ne
soient en âge de porter les armes, se présentent à leur côté en public et pour eux il est
honteux qu'un fils encore enfant participe à une quelconque assemblée sous le regard
de son père. »
N° S
Livre VI, 1 9
. . . « Les hommes ont droit d e vie e t d e mort sur leurs femmes comme sur leurs

enfants ; et quand meurt un père de famille issu d'une lignée illustre, ses proches se
rassemblent et, s'il y a un doute sur la cause de la mort, ils mènent une enquête auprès
des épouses comme ils le font avec les esclaves ; si on est convaincu de leur culpabili­
té, on les met à mort par le feu après les avoir suppliciées dans toutes sortes de tortu­
re. Les funérailles sont magnifiques et somptueuses eu égard au degré de civilisation
des Gaulois ; tout ce qu'ils pensent avoir été agréable au défunt ils le portent au feu,
même les animaux et un peu avant notre temps il était établi que, dans des funérailles
normales accomplies comme il se doit, les esclaves et les clients qui lui étaient chers
étaient brûlés en même temps. »

CICÉRON
N° 1
Pro M. Fonteio oratio, XIII-XIV, 30-31
. . . « Les autres peuples soutiennent des guerres pours leurs religions, eux ils les font

contre les religions de tous les hommes ; les autres conduisent des guerres pour obte­
nir la paix et les faveurs des dieux immortels, eux c'est aux dieux immortels eux­
mêmes qu'ils s'attaquent. Ce sont ces nations qui j adis loin de leur demeure sont allées
j usqu'à Delphes, jusqu'à l'Apollon Pythien, l'oracle de la terre entière, pour l'abîmer
et le piller. C 'est par ces mêmes peuples, vertueux et religieux quand ils font une dépo­
sition (allusion à la plainte déposée par Indutiomare devant le tribunal), que furent
assiégés le Capitole et ce Jupiter au nom duquel nos ancêtres voulurent que soit scel­
lée la bonne foi des témoignages. Enfin que peut-on trouver de saint et de religieux
chez ces gens qui même quand ils sont amenés par une quelconque peur à croire que
les dieux doivent être apaisés, souillent leurs autels et leurs temples de victimes
humaines et ne peuvent pratiquer aucun culte sans l'avoir profané auparavant par un
tel crime ? En effet qui ignore que ceux-ci ont conservé jusqu'à ce jour la coutume
monstrueuse et barbare d'immoler des hommes ? Quelle peut être la bonne foi, quelle
peut être la piété de ceux qui estiment que les dieux immortels peuvent être calmés
plus facilement par le sang humain et un tel crime ? »

246
N° 2
De divinatione, I, 41, 90
« Cet art divinatoire n'est pas négligé non plus par les peuples barbares, puisqu'il y a
les Druides en Gaule et parmi eux, l'Eduen Diviciac, ton hôte et ton panégyriste, que
j 'ai connu, et qui déclarait que la nature des choses, ce que les Grecs appellent « phy­
siologie », était connue de lui, qui disait aussi prévoir l'avenir, d'une part par les
augures, d'autre part par la conjecture . . . »
N° 3
De re publica, III, 9, 15
« Que d'hommes, tels que les habitants de la Tauride dans le Pont-Euxin, tel que le roi
d'Egypte Busiris, tels que les Gaulois ou les Carthaginois, ont cru qu'il était pieux et
au plus haut point agréable aux dieux d'immoler des hommes. »

DIODORE DE SICILE, Bibliothèque his torique


N° 1
Livre IV, 56
« . . . Un nombre important d'historiens tant anciens que contemporains, et parmi eux
Timée, affirment que les Argonautes . . . se dirigèrent des Ourses (des mers du nord)
vers le couchant, ayant la terre à gauche et qu' arrivés près de Ga dira, ils pénétrèrent
dans notre mer. Comme preuve à tous ces faits, ils rapportent que les Celtes situés sur
les bords de l'Océan sont présentés comme des peuples vénérant tout particulière­
ment les dieux Dioscures, que la présence de ces dieux y est attestée depuis des temps
très anciens et qu'ils seraient arrivés là en passant par l'Océan, qu'enfin il y a dans
toute cette région située le long de l'Océan bon nombre d'appellations que l'on doit
aux Argonautes et aux Dioscures. »
N° 2
Livre V, 27
« Il y a un fait particulier et incroyable chez les Celtes d'en haut (du nord) concernant
les enceintes consacrées aux dieux. Dans les sanctuaires et dans les enceintes sacrées
érigées dans ces régions on a jeté beaucoup d'or en offrandes aux dieux, et aucun des
habitants ne s'en empare par crainte des dieux, bien que les Celtes aiment l'argent à
outrance. »
N° 3
Livre V, 28
« Ils ont aussi l'habitude, au cours de leur repas, à propos de n'importe quel sujet, d'en
venir à des disputes verbales, puis, s'étant lancé mutuellement des défis, d'en venir à
se battre en des duels, sans crainte de perdre la vie. Chez eux, en effet, le dogme de
Pythagore connaît une vigueur particulière, dogme selon lequel les âmes des humains
sont immortelles et qu'après un nombre déterminé d'années, chaque âme revient à la
vie, en pénétrant dans un autre corps. C'est pourquoi, au cours des funérailles, ils jet-

247
tent dans le feu des lettres écrites à des parents déjà morts, comme si ces derniers pou­
vaient les lire. »
N° 4
Livre V, 29
« Aux ennemis tombés ils coupent les crânes et les attachent au cou de leurs chevaux.
Les dépouilles ensanglantées de ces ennemis tués sont emportées comme du butin par
leurs servants d'armes auxquels ils les ont confiées, au son du péan et des hymnes de
victoire ; et ils clouent ces prémices du butin à leurs maisons, comme s'ils avaient cap­
turé des bêtes fauves en quelque chasse. Les têtes des ennemis les plus illustres, après
les avoir enduites d'huile de cèdre, ils les gardent avec soin dans un coffre à provision
et ils les montrent aux étrangers, se vantant que pour l'une de ces têtes son père ou
l'un de ses ancêtres ou lui-même n'ait pas accepté la somme importante qu'on lui pro­
posait. On dit même que certains se vantent de n'avoir pas accepté pour l'une de ces
têtes son poids équivalent en or, montrant par là une grandeur d'âme, bien propre au
Barbares. Il n'est, en effet, pas noble de négocier les gages de sa vertu guerrière, mais
faire la guerre à un mort de sa race a quelque chose de sauvage. »
N° 5
Livre V, 31
« Il y a chez eux des poètes lyriques qu'ils appellent « bardes » . Ces derniers avec des
instruments semblables à des lyres évoquent ceux qu'ils louangent ainsi que ceux
qu'ils raillent. Il y a aussi des philosophes et des théologiens, estimés au plus haut
point, et qui sont appelés « druides ». Ils recourent également aux services de devins
qu'ils tiennent en grande faveur. Ces derniers prédisent l'avenir d'après l'observation
des oiseaux et par la mise à mort de victimes sacrificielles, c'est ainsi que toute la
populace est soumise à leurs oracles. Mais surtout quand ils font un examen sur un
sujet important, ils ont une coutume étrange et incroyable. Ils consacrent un homme
aux dieux en l'aspergeant comme dans une libation puis ils le percent avec une épée
dans une région située au-dessus du diaphragme, ils font alors leur prédiction d'après
la chute de celui-ci qui a été frappé et qui tombe, d'après l'agitation de ses membres,
mais aussi d'après la manière qu'a son sang de s'écouler, ayant foi dans cette obser­
vation divinatoire, ancienne et longtemps pratiquée. L'usage chez eux est de ne pro­
céder à aucun sacrifice sans la présence d'un druide. Ils disent, en effet, qu'il faut offrir
des sacrifices d'action de grâce aux dieux par l'intermédiaire de ces hommes qui
connaissent la nature divine et parlent, pour ainsi dire, la même langue que les dieux,
ils pensent aussi que c'est seulement par eux que les bienfaits doivent être demandés
aux dieux. Non seulement en temps de paix mais surtout pendant les guerres, ils se
laissent convaincre par les chants des poètes, non seulement les amis mais aussi les
ennemis. Souvent dans les batailles rangées, alors que les troupes s'approchent l'une
de l'autre, épées levées et lances jetées en avant, ces poètes se placent entre elles et les
font cesser, comme on calme quelque bête fauve. Ainsi, même chez les Barbares les
plus sauvages, la passion recule devant la sagesse et Arès respecte les Muses. »

248
N° 6
Livre V, 32
(à propos des Celtes du nord de la Gaule et des autres Celtes septentrionaux « qu'on
appelle Galates ») « Conformément à leur nature sauvage, ils sont extraordinairement
impies dans leur façon de sacrifier. En effet, les malfaiteurs qu'ils ont gardé prison­
niers pendant cinq ans, ils les empalent en l'honneur des dieux et avec beaucoup
d'autres offrandes les sacrifient en d'immenses bûchers qu'ils ont préparés à cet effet.
Ils se servent également des prisonniers de guerre comme de victimes sacrificielles en
l'honneur des dieux. Certains d'entre eux tuent les animaux qu'ils ont pris à la guerre
en même temps que les hommes, ou bien ils les brûlent ou encore les font disparaître
dans d'autres supplices. »
N° 7
Livre XIV, 115
(A Rome, au moment du siège du Capitole, après la bataille du Tibre) « Les Celtes le
premier jour achevèrent de couper les têtes des ennemis morts suivant la coutume de
leur nation. »
N° 8
Livre XXII, 9
(Lors de la prise de Delphes) « Brennus, le roi des Galates, quand il entra dans le
temple ne vit aucune offrande d'or ou d'argent, mais se saisissant des statues de bois
et de pierres, il se prit à rire de ce que les dieux soient montrés avec une forme humai­
ne et soient dressés là en bois ou en pierre. »
N° 9
Livre XXXI, 1 3
(Lors d e la troisième guerre d e Macédoine) « Quand l e général d e s Barbares Galates
fut revenu de sa poursuite, il rassembla les prisonniers et procéda à un acte cruel et
parfaitement orgueilleux. Après les avoir couronnés, il sacrifia aux dieux ceux qui
avaient le plus bel aspect et qui étaient dans la fleur de l'âge, si toutefois un dieu peut
accepter de telles marques de vénération. Tous les autres il les abattit à coups de j ave­
lots, alors que beaucoup étaient connus de lui par des séjours qu'il avait faits chez eux
bien avant ces faits. Il n'eut de compassion pour aucun, même par amitié. Mais il n'est
pas étonnant que les Barbares, quand ils ont conduit à bien leurs affaires au-delà de
leurs espérances, usent de leur succès, d'une façon qui ne respecte plus la nature
humaine. »

DIOGÈNE LAËRCE, Vies et doctrines des philosophes célèbres


N° 1
Livre I, Prologue, 1
« Quelques uns affirment que l'étude de la philosophie a commencé chez les Barbares.
Les Mages la pratiquaient chez les Perses, les Chaldéens chez les Babyloniens ou les

249
Assyriens, les Gymnosophistes chez les habitants de l'Inde, ainsi que chez les Celtes
et les Gaulois ceux qu'on appelle « druides » ou « semnothées » (littérallement « dieux
vénérables ») ; ils disent cela sous l'autorité d'Aristote dans son livre La Magie et sous
celle de Sotion, dans son vingt-troisième livre, La Succession des philosophes .
N° 2
Livre 1, Prologue, 6
« Ceux qui affirment que la philosophie a commencé chez les Barbares expliquent que
celle-ci a pris chez chacun une forme particulière. Ainsi ils disent que les gymnoso­
phistes et les druides philosophaient en énonçant des sentences énigmatiques, telles
que : « il faut honorer les dieux, ne pas faire le mal, s'exercer à la bravoure » .

ELIEN, His toires variées


N° l
Livre XII, 23
« Mais surtout ils (les Celtes) érigent des trophées à la façon des Grecs, autant pour
célébrer leus hauts faits guerriers que pour laisser derrière eux des monuments de leur
vertu (guerrière) »

LUCAIN, Belli civilis libri ou Pharsa lia (La Pharsa le)


N° 1
Livre 1, vers 444-462
. . . « et ceux qui honorent le cruel Teutates avec un sang terrible, l'épouvantable Esus
dans ses sanctuaires sauvages et Taranis aux autels non moins sanglants que ceux de
la Diane Scythique. Vous aussi bardes, vates qui par vos louanges sélectionnez les
âmes vaillantes de ceux qui périrent à la guerre pour les conduire à un séjour immor­
tel, vous avez répandu sans crainte ces innombrables chants. Et vous druides, les
armes déposées, vous avez repris vos rites barbares et la coutume sinistre des sacri­
fices. A vous seuls il est donné de connaître comme de les ignorer les dieux et les puis­
sances célestes. Vous habitez de hauts sanctuaires parmi des bois sacrés retirés. Selon
vos maîtres, les ombres des morts ne gagnent pas les séjours silencieux d'Erèbe ni les
royaumes blafards du Dis qui habite sous la terre : un même esprit anime nos corps
dans un autre monde : la mort est le milieu d'une longue vie, si vous chantez des véri­
tés. Sûrement il sont heureux ces peuples que regarde l'Ourse, heureux par leur
croyance erronée, eux qu'aucune crainte ne pénètre, même la plus forte de toutes, celle
du trépas. De là des caractères naturellement portés à se précipiter sur les armes et des
âmes capables d'envisager la mort, enfin le sentiment de la lâcheté à épargner une vie
qui vous sera rendue. »
N° 2
Livre III, vers 399-452
« Il y avait un bois sacré qui depuis les temps les plus anciens n'avait j amais été pro­
fané, entourant de ses branches entrelacées les ténèbres et les ombres glacées, à l'écart
des mouvements du soleil. Celui-là ce ne sont pas les Pans paysans ni les Sylvains

250
maîtres des bois, ni même les Nymphes qui le possèdent mais ce que l'on a consacré
aux dieux suivant des rites barbares. Des autels y sont érigés sur des tertres sinistres
et tout arbre y est purifié d'un sang humain. Si l'antiquité admiratrice des puissances
célestes mérite quelque foi, les oiseaux même craignent de se poser sur ces branches
et les bêtes sauvages d'y trouver un repaire. Le vent ne vient pas coucher dans de tels
bois, non plus la foudre jaillissant des nues obscures. Ces arbres qui ne présentent leur
feuillage à aucune brise font frissonner d'horreur. L'eau abondante s'écoule de noires
fontaines ; les sinistres simulacres des dieux manquent d'art et se dressent informes
sur des troncs coupés. La pâleur même du chêne pourri frappe d'épouvante. Ce ne
sont pas les divinités dont l'image est ainsi donnée que l'on redoute, tant il s'ajoute de
terreur à ne pas connaître les dieux que l'on doit craindre. Déj à on disait que des
cavernes profondes mugissaient sous l'effet des tremblements de terre, que des ifs
courbés se dressaient à nouveau, que des incendies éclairaient des bois qui ne brû­
laient pas, que des dragons enlaçant les chênes se répandaient en abondance. Les
populations ne s'en approchent plus pour pratiquer leur culte mais cèdent le bois aux
dieux. Que Phébus soit au zénith ou qu'une nuit noire remplisse le ciel, le prêtre lui­
même a peur d'y pénétrer et redoute d'y surprendre le maître du lieu.
(César) ordonne d'abattre cette forêt au moyen du fer, car voisine des travaux et non
touchée par la guerre précédente, elle se tenait seule très épaisse parmi les monts
dénudés. Mais la main tremble même aux plus courageux, respectueuse de la majesté
du lieu, ils craignaient que, s'ils frappaient les arbres sacrés, les haches rebondissent
sur eux. Quand César vit les cohortes arrêtées par cette soudaine torpeur, il osa le pre­
mier brandir une hache qu'il venait de saisir et fendre de son fer un chêne très haut,
et quand le fer fut enfoncé dans le tronc violé, il déclara : « Désormais pour qu'aucun
de vous n'hésite à abattre ce bois, dites vous que c'est moi qui ai fait le sacrilège. »
Alors toute la troupe obéit au commandement, elle n'était pas libérée de la peur mais
elle avait pesé avec soin la colère des dieux et celle de César. Les ormes tombent, l'yeu­
se noueuse est frappée ainsi que les bois de Dodone, l'aulne propre au tremblement et
le cyprès qui témoignent de deuils non plébéiens. Alors pour la première fois ils lais­
sèrent choir leur chevelure et sans leur feuillage laissèrent entrer le jour ; cependant,
bien que poussée en avant, la forêt dans sa chute se retient par la densité de ses troncs.
Les populations gauloises gémissent à ce spectacle mais la jeunesse guerrière enfer­
mée dans ses murs exulte. Qui peut croire, en effet, que les dieux peuvent être offen­
sés impunément ? Pourtant la fortune épargne beaucoup de coupables et les divinités
ne peuvent s'irriter que contre les malheureux. Quand suffisamment de bois fut
coupé, on le transporte sur des chariots qui ont été volés dans les champs et les pay­
sans voyant leurs bœufs arrachés à la charrue courbe pleurent une année perdue. »

SCOLIES dites « BERNOISES » à LA PHARSALE DE LUCAIN


N° 1
Commenta ad versu I 451
« (les druides) sont appelés ainsi d'après les arbres (chênes), parce qu'ils habitent des
bois sacrés écartés, ou parce qu'ils étaient habitués à exercer la divination sous l'effet
d'une ingestion de glands. »

251
N° 2
aux vers 454-458
(Zwicker, fr. 5 1 )
« Les druides nient que les âmes périssent o u qu'elles soient détruites au contact des
enfers ; le mort ils le brûlent avec ses serviteurs et ses chevaux et beaucoup de son
mobilier afin qu'il puisse s'en servir ; c'est pourquoi ils marchent courageusement au
combat et ne ménagent pas leur vie comme si celle-ci ils allaient la recouvrer dans une
autre retraite de l'univers. »
N° 3
Adnotationes ad versu I, 454
« Ils (les druides) disent que les mânes n'existent pas. »
N° 4
Adnotationes ad versu I, 445
« Teutates, ainsi est appelé Mercure qui est honoré chez les Gaulois par des victimes
humaines. »
N° 5
Commenta ad versu 1, 445
« Mercure est appelé dans la langue des Gaulois Teutates, celui qui est honoré par du
sang humain. »
N° 6
Scolia ad versu 1, 445
« Ainsi est honoré chez les Gaulois Teutates Mercure : un homme est précipité tête en
avant dans un tonneau plein afin qu'il y suffoque. »
N° 7
Scolia ad vers . 1, 445-446
« Esus Mars est honoré de cette façon : un homme est suspendu dans un arbre jusqu'à
ce que ses membres se détachent . . . »
N° 8
Scolia ad versu 1, 446
« Taranis Dis Pater est honoré chez eux de cette façon : quelques hommes sont brûlés
dans un baquet en bois. »
N° 9
A propos de Teutates :
« Nous trouvons cela exposé d'une manière différente chez d'autres auteurs. Mars
Teutates est honoré « d'un sang terrible », soit parce que les batailles sont organisées
par la divinité selon sa propre inspiration divine, soit parce que les Gaulois j adis
étaient accoutumés à immoler pour d'autres dieux des hommes aussi. »

252
N° 1 0
A propos d'Esus
(Zwicker p. 50)
« Ils croient en un Esus Mercure, si celui-ci est honoré par les commerçants. »

N° 11
A propos de Taranis
(ils tiennent) « Taranis Jupiter pour le dieu tutélaire de la guerre et des plus grands
dieux du ciel ; il était accoutumé j adis à recevoir en offrande des têtes humaines, main­
tenant il se contente de bétail. »

PHYLARQUE, His toires


N° 1
Livre III (dans Athénée, Les deipnosophistes, IV, 1 50, e-f) (fragment n° 2 de Jacoby)
« Le même Phylarque, dans son troixième livre, raconte qu'Ariarnnès, un très riche
Gaulois, avait promis publiquement de donner l'hospitalité à tous les Gaulois (de son
peuple) pendant un an, promesse qu'il réalisa en procédant de cette manière. En
divers points du pays, il divisa les routes les plus convenables par des stations sur les­
quelles il fit ériger des baraques faites de pieux et de tiges d'osier pouvant contenir
quatre cents personnes et parfois plus, de façon à ce que les lieux pussent accueillir le
flot des populations qu'on pouvait attendre des villes et des campagnes. Là, il avait
disposé d'énormes chaudrons remplis de toutes sortes de viandes, chaudrons qu'il
avait fait forger l'année précédant ces réjouissances et pour lesquels il avait mandé des
artisans de toutes les villes. Chaque jour de nombreuses victimes étaient sacrifiées,
taureaux, porcs, moutons et autre bétail, des barriques de vin étaient préparées, ainsi
que des farines d'orge déj à mélangées. « Non seulement les Gaulois venant des villes
et des campagnes en profitaient, dit-il, mais aussi les étrangers de passage les esclaves
qui leur étaient préposés ne les laissaient pas partir, qu'ils n'eussent goûté de ce qu'on
avait préparé. »
N° 2
Livre VI (dans Athénée, Les deipnosophistes, IV, 1 50, d-f) (fragment N° 9 de Jacoby)
« Chez les Gaulois, rapporte Phylarque dans son sixième livre, beaucoup de morceaux
de pain découpés et de viandes sortis du chaudron sont disposés en abondance sur
des tables, mais personne n'y touche sans s'être assuré que le roi a lui-même déj à
goûté à ceux qui s e trouvaient devant lui. »

PLINE L'ANCIEN, Histoire naturelle


N° 1
Livre XVI, XCV, par. 249
« On ne doit pas non plus oublier à ce propos l'admiration qu'ont les Gaulois (pour le
gui) . Les druides - c'est ainsi qu'ils appellent leurs mages - n'ont rien de plus sacré

253
que le gui et l'arbre dans lequel il croît, à condition que celui-ci soit un rouvre. Or c'est
déjà pour lui-même qu'ils choisissent le rouvre pour leurs bois sacrés et ils n'accom­
plissent aucun acte sacré sans son feuillage, de telle sorte qu'on pourrait considérer
que les druides sont appelés ainsi d'après la traduction grecque. C 'est un fait qu'ils
pensent que tout ce qui pousse sur ces chênes est d'origine céleste et que c'est le signe
que l'arbre a été choisi par le dieu lui-même. Il est tout à fait rare de trouver le gui dans
ces conditions, quand c'est le cas il est recueilli avec une grande vénération et avant
tout lors de la sixième lune qui chez les Gaulois désigne le début des mois, des années
et des siècles qui comptent trente années, parce que la lune (à ce moment) possède
déjà suffisamment de force sans être au milieu de sa course. Ils appellent (le gui) dans
leur langue « celui qui guérit tout » . Après avoir préparé au pied de l'arbre et selon les
rites le sacrifice et le repas religieux, ils amènent deux taureaux de couleur blanche
dont les cornes sont attachées pour la première fois. Un prêtre paré d'un vêtement
blanc monte dans l'arbre, avec une serpe d'or il coupe le gui : celui-ci est recueilli dans
un sayon blanc. Ensuite ils immolent les victimes en priant le dieu de faire ce présent
propice à ceux à qui il l'a donné. Ils pensent que la boisson tirée de cette plante donne
la fécondité à tout animal stérile, qu'il est un remède contre tous les poisons. Tant on
met de religion généralement dans des choses futiles. »
N° 2
Livre XXIV, LXII, par. 1 03, 1 04.
« La plante qui est appelée « selago » ressemble à cette sabine. On la récolte sans ins­
trument métallique mais avec la main droite que l'on passe du côté comme le fait le
voleur : il faut être habillé en blanc, avoir les pieds nus et lavés très soigneusement et
avant de cueillir la plante il faut avoir sacrifié avec du pain et du vin. Ensuite elle doit
être emportée dans une serviette neuve. Les druides proclament qu'il faut en avoir
(sur soi, pour lutter) contre toute calamité et que la fumée (de celle-ci) est utile contre
toutes les maladies des yeux.
Les mêmes donnent le nom de « samolus » à une herbe qui pousse dans des lieux
humides. Il faut la cueillir de la main gauche quand on est encore à jeun, (si on veut
l'utiliser) contre les maladies des porcs et des bœufs. Celui qui la cueille ne doit pas la
regarder ni la poser ailleurs que dans l'auge où elle est broyée avant d'être donnée à
boire (aux animaux malades) . »
N° 3
Livre XXIX, 12, par. 52 à 54
« En outre il y a une espèce d' œufs dont le renom est grand dans les Gaules, et qui a
échappé aux Grecs. Des serpents enlacés + il y en a un certain nombre + forment une
boule dans leur étreinte productive avec la bave de leur gorge et l'écume de leur
corps ; cette boule est appelée + uirinum + . Les druides disent que ce dernier est pro­
jeté en l'air par les sifflements des serpents et qu'il faut le rattraper avec un sayon
avant qu'il ne touche terre ; que celui qui le ravit doit fuir à cheval car les serpents le
suivent jusqu'à ce qu'ils soient arrêtés par la rencontre d'un quelconque cours d'eau ;
qu'il y a une preuve pour reconnaître celui-ci, s'il flotte contre les eaux, même attaché

254
avec un lien en or. En outre, avec leur subtile ingéniosité à masquer leurs mensonges,
ces mages décident que le rapt doit être réalisé à une certaine lune, comme s'il en allait
d'une décision humaine de faire concorder avec cette lune l'opération des serpents.
Certes, j 'ai vu l'œuf, d'une grosseur semblable à celle d'une pomme ronde moyenne ;
son enveloppe cartilagineuse est remarquable par ses innombrables cupules comme
celles que portent les bras des poulpes. Son étonnant pouvoir pour gagner les procès
et pour accéder auprès d'un roi est vanté par les druides, mais c'est une telle trompe­
rie qu'un chevalier romain de chez les Voconces qui en avait un sur sa poitrine lors
d'un procès fut condamné à mort par le divin empereur Claude, sans autre raison à ce
que je sache. Cependant l'enlacement des serpents et leur fertile union doivent être
considérés comme la raison pour laquelle les peuples étrangers entourent le caducée
d'une représentation de serpents comme d'un signe de paix ; il est en effet d'usage que
ces serpents sur le caducée ne portent pas de crête. »
N° 4
Livre XXX, IV, par. 13
« En tout cas, les Gaules en ont été possédées (de magie), et qui plus est jusqu'à notre
époque. En effet, c'est le principat de l'empereur Tibère qui fit disparaître les druides
et toutes sortes de devins et de médecins. Mais pourquoi rappellerais-je ces choses à
propos d'un art qui a traversé l'océan et s'est transporté là où il n'y a plus de nature ?
Aujourd'hui la Bretagne hébétée célèbre la magie dans de telles cérémonies qu'elle
pourrait passer pour l'avoir donnée aux Perses. Ainsi dans le monde entier, bien que
toujours en discorde ou s'ignorant les uns les autres, tous s'étaient mis d'accord sur la
magie et l'on ne peut suffisamment estimer combien on est redevable aux Romains qui
ont supprimé ces monstruosités selon lesquelles tuer un homme est la chose la plus
religieuse et le manger est vraiment excellent pour la santé. »

POMPONIUS MÉLA, Ch orographie


N° 1
Livre III, 2, 1 8 à 1 9
« Les populations ( d e l a Gaule) sont orgueilleuses e t superstitieuses e t autrefois elles
étaient si barbares qu'elles considéraient l'homme comme la victime la meilleure et la
plus agréable aux dieux. Il reste des vestiges de ces mœurs sauvages et aujourd'hui
abolies et, s'ils s'abstiennent de faire ces ultimes sacrifices, néanmoins ils continuent à
enlever un peu de chair à ceux qui se sont dévoués et qu'ils viennent de conduire aux
autels. Ils ont cependant un talent pour l'éloquence et (ils disposent) d'enseignants de
la sagesse, les druides. Ils (les druides) se vantent de connaître les dimensions et la
forme de la terre et du monde, ainsi que les mouvements du ciel et des astres et ce que
désirent les dieux. Ils apprennent beaucoup de choses aux représentants de la nobles­
se, dans le secret et sur de longues périodes, vingt ans, soit dans une grotte, soit dans
des bois retirés. L'un de leurs enseignements a été diffusé au commun des mortels,
assurément pour qu'ils soient plus vaillants à la guerre, c'est que les âmes sont éter­
nelles et qu'il y a une autre vie chez les morts. C'est pourquoi ils brûlent ou enterrent

255
avec les morts tout ce qui convient à des vivants. Jadis le livre de comptes et le recou­
vrement des dettes étaient emportés aux enfers et il y en avait qui de, de leur plein gré,
se jetaient dans les bûchers funèbres des leurs, comme s'ils voulaient continuer à vivre
à leur côté. »
N° 2
Livre III, 6, 48
« Sena, dans la mer Britannique, face aux côtes des Osismiens, est célèbre par son
oracle à une divinité gauloise, dont on rapporte que les prêtresses, au nombre de neuf,
sont consacrées par une chasteté perpétuelle. Ils les appellent « Gallizena » et croient
que leurs chants et leurs formules magiques ont le pouvoir de soulever les mers et les
vents, qu'elles peuvent se transformer, comme elles le veulent, en toutes sortes d'êtres,
qu'elles guérissent des maladies que personne d'autre ne peut soigner, qu'elles
connaissent et prédisent l'avenir. Mais ces bienfaits elles ne les accordent qu'aux navi­
gateurs et à ceux qui ont fait le voyage pour les consulter. »

SILIUS ITALICUS, Punica, La Guerre Punique


N° 1
Livre III, vers 340-343
« Ils sont venus aussi les Celtes, dont le nom est associé à celui des Ibères. Pour eux

c'est une gloire de mo urir au combat et il est sacrilège de brûler le corps de celui qui
a connu une telle mort. Ils croient qu'ils seront transportés au ciel auprès des dieux, si
le vautour affamé déchire leur dépouille gisante. »

SOPATROS, Galataï
N° 1
(Athénée, Les deipnosophistes, IV, 1 60, e-f) (Zwicker, Fasc. V, I'• partie, I, p.6) .
D'après c e qui est dit dans l a pièce Galataï d e Sopatros d e Paphos :
« Chez eux il y a la coutume, quand dans leurs combats ils connaissaient quelque suc­

cès, de sacrifier aux dieux les prisonniers qu'ils avaient faits, et moi-même imitant ces
Celtes j 'ai promis aux puissances divines de brûler sur l'autel trois de ces dialecticiens
qui contrefont la vérité . . . »

STRAB ON, Géographie


N° 1
Livre IV, 1 , 1 3
« O n dit que les Tectosages ont participé à l'expédition militaire vers Delphes e t que

les trésors trouvés chez eux dans la ville de Toulouse par le général romain Cépion
étaient une partie des richesses de là-bas, auxquelles les habitants avaient ajouté des
offrandes privées pour se rendre favorables les divinités. Cépion s'était attribué ces
richesses et pour cette raison finit sa vie dans le malheur : il fut banni de sa patrie pour
avoir été un pilleur de temple et les filles qu'il laissa derrière lui s'abîmèrent dans la

256
prostitution, ainsi que le rapporte Timagène. La version de Posidonius est plus cré­
dible : il rapporte, d'une part, que les trésors trouvés à Toulouse s'élevaient à quinze
mille talents, qu'il n'y avait aucun mobilier mais de l'or et de l'argent bruts déposés
en réserve dans les sanctuaires et dans les lacs sacrés ; d'autre part, que le sanctuaire
de Delphes à cette époque était quasiment dénué de telles offrandes, après avoir été
dépouillé par les Phocidiens lors de la Guerre Sacrée ; enfin que s'il était demeuré de
telles richesses, ils (les Celtes) se les seraient partagées entre eux. Par ailleurs, il n'est
pas vraisemblable qu'ils (les Celtes) aient pu fuir j usque chez eux après l'évacuation
de Delphes, puisqu'ils se dispersèrent, chacun partant de son côté, sous l'effet de la
discorde. Mais, comme ce dernier le mentionne avec beaucoup d'autres auteurs, la
région était riche en or, et il y avait des trésors en maints endroits de la Celtique, (qui
avaient pu se constituer) par la crainte superstitieuse que les habitants vouaient à
leurs dieux et par le mode de vie de ces derniers, exempt de luxe. Plus que les autres
lieux, les lacs permettent l'inviolabilité, aussi c'est en eux qu'ils immergent des barres
d'argent mais aussi d'or. Les Romains, devenus maîtres des lieux, vendirent les lacs au
profit de l'Etat et de nombreux acheteurs trouvèrent des meules d'argent martelées.
Dans Toulouse même, le sanctuaire était sacré et il était l'objet de la plus grande véné­
ration de la part des habitants des environs ; c'est pourquoi les richesses s'y accumu­
lèrent, beaucoup étant consacrées, et personne n'était assez audacieux pour oser se les
attribuer. »
N° 2
Livre IV, 4, 4 à 6
« Chez tous les peuples gaulois, d'une manière générale, il y a trois catégories

d'hommes qui sont honorés à des degrés divers : les bardes, les va tes et les Druides.
Les bardes sont des panégyristes et des poètes. Les vates s'occupent des cérémonies
religieuses et pratiquent les sciences de la nature. Les druides, en plus des sciences de
la nature, s'exercent à la philosophie éthique. Ils sont considérés comme les plus justes
des hommes et, pour cette raison, il leur a été confié le jugement des conflits privés et
publics, de telle sorte que jadis ils arbitraient les guerres et séparaient ceux qui étaient
sur le point de se mettre en ordre de bataille. On leur demandait également de j uger
les affaires de meurtre. Quand il y a abondance de celles-ci, ils considèrent que c'est le
début d'une période d'abondance pour le pays. Ils affirment et les autres (Gaulois)
aussi que les âmes et l'univers sont immortels et qu'un jour le feu et l'eau régneront.
Il s'ajoute à leur déraison quelque chose de barbare et d'étranger à nos mœurs, qui est
propre à beaucoup de peuples du nord : ils attachent les têtes de leurs ennemis à l'en­
colure de leurs chevaux et les emportent pour les clouer à des propylées (dans le texte,
c'est-à-dire littéralement « aux porches des temples » ) . Posidonius dit l'avoir vu lui
même en beaucoup d'endroits, s'être tout d'abord détourné d'un tel spectacle, puis
avec l'habitude l'avoir supporté sereinement. Les têtes des ennemis les plus illustres,
après les avoir enduites d'huile de cèdre, ils les montrent aux étrangers et ne les ren­
dent pas, même au prix d'une rançon en or, équivalente en poids à celui de la tête. Les
Romains firent cesser toutes ces pratiques, ainsi que les formes de sacrifice et de divi­
nation, contraires à nos lois. Un homme, qui avait été consacré aux dieux par une
aspersion, après avoir été frappé dans le dos avec une épée, c'est d'après ses convul­
sions qu'ils prédisaient l'avenir. Ils ne sacrifiaient pas sans la présence d'un druide.
Mais on rapporte aussi d'autres formes de sacrifice humain : ils perçaient de traits (des

257
victimes) et les empalaient (ici le terme est moins explicite que chez Diodore en V, 32,
il peut signifier aussi « accrocher à un poteau » ) dans les sanctuaires ; ils construisaient
aussi une représentation gigantesque de bois et de paille qu'ils brûlaient après l'avoir
remplie de bétail et de toutes sortes de bêtes ainsi que d'êtres humains.
Il (Posidonius) dit aussi qu'il y a dans l'Océan une petite île, non loin dans la mer,
située en face de l'embouchure du fleuve Loire. Ce sont des femmes Samnites qui l'ha­
bitent, elles sont possédées de Dionysios qu'elles apaisent par des cérémonies et des
rites sacrés. Aucun homme ne pénètre dans l'île, ce sont les femmes qui font la tra­
versée pour avoir des rapports avec les hommes et s'en retournent ensuite chez elles.
Il y a une coutume selon laquelle elles doivent une fois par an démonter le toit du
sanctuaire et le refaire le même jour avant le coucher du soleil, chaque femme portant
son fardeau. Si l'une d'elles laisse choir sa charge, les autres la mettent en pièces, en
portent les morceaux en tournant autour du temple, tout en poussant des cris, et ne
s'arrêtant pas avant que ne cesse leur frénésie. Et toujours il arrive que l'une d'entre
elles tombe et doive subir ce traitement.
Artémidore raconte un fait plus extraordinaire encore, au sujet de corbeaux. Il décrit
un port, situé au bord de l'Océan et appelé Port des Deux-Corbeaux, parce qu'on y
montre deux corbeaux qui ont l'aile droite noire et blanche. Ceux qui ont un différend
sur quelque problème s'y rendent et sur un lieu élevé, après avoir disposé une
planche, jettent sur celle-ci des gâteaux d'orge, chacun de son côté. Les oiseaux s'abat­
tent alors sur celles-ci, mangeant les unes, dispersant les autres. Celui dont les galettes
ont été dispersées, a gagné. Il (Artémidore) dit là des choses très fantaisistes mais ce
qu'il dit de Déméter et de Coré est plus fiable. Il indique qu'il y a une île en face de la
Bretagne, sur laquelle sont célébrées des cérémonies religieuses, semblables à celles
Samothrace pour Déméter. » . . .
. . . (Ephore dit qu') « Ils s'exercent, en général, pour ne pas devenir gros et, en particu­
lier, pour ne pas avoir de ventre et qu'est puni celui qui, parmi les jeunes hommes,
dépasse la mesure indiquée par une ceinture. »
N° 3
Livre VII, 3, 8
« Ptolémée, fils de Lagos, raconte que pendant cette campagne (l'expédition
d'Alexandre en Thrace) des Celtes établis sur les bords de l'Adriatique vinrent à la
rencontre d'Alexandre pour obtenir de lui les bienfaits de relations d'amitié et d'hos­
pitalité. Le roi les reçut chaleureusement et au cours du repas il leur demanda ce qu'ils
craignaient le plus, persuadé qu'ils diraient que c'était lui. Mais ils répondirent qu'ils
ne craignaient personne, qu'ils redoutaient seulement que le ciel ne tombe sur eux,
mais qu'ils plaçaient l'amitié d'un homme tel que lui au-dessus de tout. »

SUÉTONE, Vie des douze césars


N° 1
Livre I, César, 54
« En Gaule, il (César) pilla les sanctuaires ruraux (fana) et les temples qui étaient rem­
plis d'offrandes faites aux dieux. »

258
N° 2
Livre V, Claude, XXV, 13
« Il (Claude) abolit complètement en Gaule la religion atroce et barbare des druides,
qui, sous Auguste, avait été interdite aux seuls citoyens » .

TACITE, ANNALES
N° 1
Livre 1, LXI, (César Germanicus retrouve les restes de l'armée de Varus)
« Au milieu de la plaine, des ossements blanchis, épars ou amoncelés, suivant qu'on
avait fui ou combattu, jonchaient la terre pêle-mêle avec des membres de chevaux et
des armes brisées. Des têtes humaines pendaient au tronc des arbres ; et l'on voyait,
dans les bois voisins, les autels barbares où furent immolés les tribuns et les princi­
paux centurions. Quelques soldats échappés à ce carnage, ou qui depuis avaient brisé
leurs fers, montraient la place où périrent les lieutenants, où les aigles furent enlevées.
« Ici Varus reçut une première blessure ; là son bras malheureux tourné contre lui­
même, le délivra de la vie. » Ils disaient sur quel tribunal Ariminius harangua son
armée, combien il dressa de gibets, fit creuser de fosses pour les prisonniers ; par
quelles insultes son orgueil outragea les enseignes et les aigles romaines. »
N° 2
Livre XIV, 30, 1 et 3
(Suetonius Paulinus dans l'île de Mona)
« Sur le rivage l'armée ennemie faisait face, dense en armes et en hommes ; parmi elle
couraient des femmes semblables à des furies, les cheveux dénoués et portant des
torches. Autour d'elles des druides, les mains tournées vers le ciel, répandaient d'af­
freuses imprécations . . .
Après avoir laissé une garnison chez les vaincus, on coupa les bois consacrés par des
superstitions barbares : car ils (les Celtes de Mona) pensaient qu'il était pieux d'hono­
rer leurs autels du sang des prisonniers et de consulter les dieux dans les entrailles
humaines. »

TROGUE POMPÉE, Histoires Philippiques,


extrait de JUSTIN, Epitoma Historiarum Philippicarum
N° 1
Livre XXIV, 4, 1
« Les Gaulois, riches d'une multitude d'hommes, au point que leurs terres ne pou­
vaient plus contenir tous ceux qu'ils avaient engendrés, envoyèrent en expédition à
l'étranger trois cent mille hommes pour y chercher de nouvelles terres. De ceux-ci une
partie s'installa en Italie, après avoir pris et brûlé la Ville romaine. L'autre partie, gui­
dée par le vol des oiseaux (car les Gaulois excellent dans la science des augures plus

259
que les autres peuples), pénétra dans la cuvette illyrienne en massacrant les barbares
et s'installa en Pannonie. »
N° 2
Livre XXIV, 4, 5
(A propos des Gaulois en Macédoine, sous les ordres de Belgius) « Ptolémée, atteint
de multiples blessures, est fait prisonnier. Sa tête est coupée, fixée à une lance et pro­
menée sur tout le champ de bataille pour inspirer la terreur aux ennemis. »
N° 3
Livre XXIV, 4, 6
(Lors de la prise de Delphes) « Il (Brennus) fait donc route, sur le champ, vers Delphes
et, préférant le butin au respect de la religion, l'or à l'offense contre les dieux immor­
tels, il affirme qu'il ne prend aucune richesse aux dieux, puisque ces derniers ont l'ha­
bitude de les dispenser généreusement aux hommes. »
N° 4
Livre XXVI, 2
(Les Galates qui affrontent Antigone en 277) « Les Gaulois, instruits (de l'approche
d' Antigone), se préparent au combat, ils immolent des victimes pour les auspices qui
précèdent la bataille, dans leurs entrailles, ils trouvent le présage d'une affreuse défai­
te. Remplis non de crainte mais de fureur, ils espèrent pouvoir apaiser la colère des
dieux par le massacre des leurs ; ils tuent leurs femmes et leurs enfants, entamant les
auspices de la guerre par un parricide. Tant de rage envahit leurs âmes sauvages qu'il
n'épargnent pas cet âge que même l'ennemi respecte et ils engagent un combat sans
merci contre leurs enfants et les mères de leurs enfants, ceux j ustement pour lesquels
d'habitude on entreprend de faire des guerres. Comme s'ils avaient racheté leur vie et
la victoire par ce forfait, alors qu'ils étaient tout couverts du sang des leurs, ils mar­
chent au combat mais l'issue n'est pas meilleure que celle qu'avait prédite le présage. »

VALÈRE-MAXIME, Actions et paroles mémorables


N° 1
Livre Il, 6, 1 0
« Dès qu'on quitte ses remparts (Marseille), o n rencontre cette vieille coutume des
Gaulois dont le souvenir nous est rapporté : ils étaient accoutumés à se donner en prêt
des sommes d'argent qu'ils devaient rembourser aux enfers, parce qu'ils étaient per­
suadés que les âmes des humains étaient immortelles. Je dirais qu'ils sont insensés ces
hommes vêtus de braies (les Gaulois) s'ils n'avaient des conceptions que partageait
aussi cet homme couvert du pallium (ce Grec) qu'était Pythagore. »

260
BIBLIOGRAPHIE

Sources, méthode, histoire de la recherche


Textes antiques :
Ammien Marcellin, His toire, Paris, 1 968, éd. « Les Belles Lettres » (Collection des Universités de
France), tra d . E . Galletier.
Athénée, Les deipnosophis tes, Edition complète en allemand : Leipzig, 1 887- 1 890, éd. Teubner. Edition
complète en anglais : London, 1 923- 1 9 4 1 , Harvard University Press (Loeb Classical Library) . En
français seuls les livres I et II sont disponibles : Paris, 1 956, éd. « Les Belles Lettres » (C.U.F. ) tra d .
A.-M. Desrousseaux et Ch. Astruc . Fragments concernant l e s Celtes dans Cougny.
Anonyme (attribué à César), Bellum Hispan iense, London, 1 988, éd. Harvard University Press (Loeb
Classical Library ) .
César, La guerre des Gau les, Paris 1 9 78, éd. « L e s Belles Lettres » ( C . U . F. ) , trad. L . - A . Constans .
Cicéron, Discours (Pro Fon teio), Paris 1 929, éd. « Les Belles Lettres » (C.U.F. ) , trad .A. Boulanger.
De Divinatione, Leipzig 1 9 75, éd. Teubner, texte latin seul édit. par H. G iomini .
La Répu blique, Paris 1 980, éd. « Les Belles Lettres » (C.U.F. ) , trad. E. Breguet.
Diodore de Sicile, B ibliothèque His torique, Edition complète en anglais : London, 1 933- 1957, éd.
Harvard University Press (Loeb ), tra d . C . H . Oldfather et alii. Fragments concernant les Celtes
dans Cougny.

Pline l'Ancien, His toire naturelle, Livre XVI, Paris 1 962, éd. « Les Belles Lettres » ( C . U . F.), trad . J .
André.
Histoire naturelle, Livre XXIX, Paris 1 962, éd. « Les Belles Lettres » (C.U.F.), trad . A . Ernout.
His toire naturelle, L ivre XXX, Paris 1 962, éd. « Les Belles Lettres » ( C . U . F.), trad. A . Ernout.
Pomponius Méla, Chorographie, Paris 1 988, éd. « Les Belles Lettres » (C.U.F. ) trad. A. Silbermann.

Posidonius, Volume III, The translation of the fragmen ts, Cambridge, University Press (Cambridge clas-
sical texts and commentaries), éd. l. G. Kidd .
Strabon, Géographie, L ivre III-IV, Paris 1 966, éd. « L e s Belles Lettres » (C.U.F. ) , tra d . F . Lasserre.
Géographie, L ivre VII, Paris 1 989, éd. « Les Belles Lettres » ( C . U . F. ) , trad. R. Baladié.
Tacite, Annales, Paris, 1 9 74- 1 9 78, éd. « Les Belles Lettres » ( C . U . F. ) , nouvelle édition, 4 tomes, trad.
J . Hellegouarch et H. Le Bonniec.
Trogue Pompée (chez Justin), His toire u n iverselle de Justin extraite de Trogue Pompée, Paris 1 827, éd.
Panckoucke, trad. J . Pierrot et E . Boitard .

Recueils généraux :
E. Cougny, Extraits des a u teurs grecs concernant la géographie et / 'his toire des Gaules, Paris 1 8 78-1 892, 6
vol., Librairie Renouard. Rééd. Paris, 1 986, éd. Errance .

F . Jacoby, D ie Fragmen te d e r griech ischen His toriker, Berlin et Leiden, 1 923 à 1 958, 1 2 volumes.
J . Zwicker, Fon tes h is toriae religionis Celticae, Berlin 1 934- 1 936, 3 volumes.
Ouvrages sur la religion celtique :
H. d' Arbois de Jubainville, Le cycle mythologique irlandais et la mythologie celtique. Paris 1 884.

G . Dottin, La religion des Celtes. Paris 1 904.


P.-M. Duval, Les dieux de la Gaule. Paris 1 976, éd. Payot.
C. Jullian, His toire de la Gau le, Paris 1 920, éd. Hachette . Tome II, p. 84- 1 8 1 .

261
F. Leroux, La religion des Celtes, in H . - C . Puech (dir. ) His toire des Religions I. Paris 1 970, éd. Gallimard
« Encyclopédie de la Pléïade » .
S . Reinach, Cultes, mythes e t religion . Paris 1905-1 923, volume III, ch. VII à XI .
M.-L. Sj oestedt, Dieux et héros des Celtes . Paris 1 940, éd. Leroux (PUF) .
J. Vendryes, La religion des Cel tes . Paris 1 948, éd. PUF, (col. « Mana » ) . Réedition, Spézet 1 997, Coop
Breizh, avec p réface, notes, bibliographie de P. -Y. Lambert.
J . de Vries, La religion des Cel tes . Paris 1 9 77, éd. Payot.
Les hommes et les dieux
E . Benvéniste, Voca bulaire des institu tions indo-eu ropéen nes, 2 vol . Paris, 1 969, éd. de Minuit.
J. Vendryes, « Les correspondances de vocabulaire entre l'indo-iranien et l'italo-celtique », Mémoires
de la Société de L ingu istique de Paris, 1 9 1 8, XX, p. 265-28 5 .
H . Hubert, Les Celtes dep u is l 'époque de La Tène et la civilisation celtique. Paris 1 932, éd. Albin Michel.
J . Bayet, « L'étrange « omen » de Sentinum et le celtisme en Italie », in Hom mages à A lbert Gren ier,
Bruxelles 1 962, p. 244-256.
R. Bloch, Recherches sur les religions de l 'Italie a n tique. Genève 1 976, éd. Librairie Droz.
A. Bayet, La morale des Ga ulois . Paris 1 930, éd. Felix Alcan.
G . Dumezil, Na issa n ce de Rome. Paris 1 944, éd. Gallimard, p. 22-33.
M . Rambaud, L'art de la déformation h is torique da ns les Commenta ires de César. Paris 1 966, éd. « Les
Belles Lettres ».
M . Weber, Econ o m ie et société, Vol . 1. Paris, 1 9 7 1 , éd. Plon.
Les li eux de culte
M . Casevitz, « Temples et sanctuaires : ce qu'apprend l'étude lexicologique », in G. Roux (sous la dir.
de), Temples et sanctua ires . Lyon, Maison de l'Orient 1 9 84, p. 8 1 -95.
C . Pellet et J.-P. Delor, « Les enceintes funéraires de « La Picardie » sur la commune de Gurgy
(Yonne) : étude préliminaire », Revue A rchéologique de l 'Est, t. XXXI, fasc. 1 -2, n° 1 1 9 - 1 20, p. 7-54.
B . Chaume, L. Olivier et W. Reinhard, « Das keltische Heiligtum von Vix », in A. Haffner (éd . ) ,
Heiligtii mer u n d Opferku l te d e r Kelten , Stuttgart, 1 995, éd. Theiss, p . 43-50.
J.-L. Brunaux (éd . ) , Les sanctua ires cel tiques et leu rs rapports avec le monde méditerranéen . Paris 1 9 9 1 , éd.
Errance .
J . -L. Brunaux, P. Méniel et F. Poplin, Gou rnay I. Les fou illes s u r le sanctua ire et l 'oppidum. Numéro spé-
cial de la Revue A rchéologique de Picardie 1 985.
J . -L. Brunaux et A . Rapin, Gou rnay II. Boucliers et lances. Dépôts et trophées . Paris 1 988, éd. Errance.
T. Lejars, Gou rnay III. Les fo u rrea ux d'épée. Paris 1 994, éd. Errance .
J.-L. Cadoux et P. Lancelin, « L'ossuaire de Ribemont-sur-Ancre », A n th ropozoologica, numéro spécial
1 987, p. 9 1 -9 6 .

J . -L. Brunaux, « L e s sanctuaires gaulois », La Recherche, N ° 2 5 6 , j uillet-août 1 993, p . 820-82 8 .


J.-L. Brunaux, « Die keltischen Heiligtümer in Nordfrankreich », in A . Haffner (éd . ) , Heiligtü mer u n d
Opferku lte der Kel ten . Stuttgart 1 995, éd. Theiss, p . 55-74.
J.-L. Brunaux et alii, « Ribemont-sur-Ancre : Bilan préliminaire et nouvelles hypothèses », Gallia, tome
56, 1 999, p. 1 77-283.

O. de Cazanove et J . Scheid (éd.), Les bois sacrés, Naples 1 993 (col. du Centre Jean Bérard, 1 0 ) .
R. Boudet, Rituels cel tes d 'Aqu itaine, Paris, 1 996, éd. Errance.
C . Goudineau et C . Peyre, B ibracte et les Eduens. A la découverte d ' u n peuple ga u lois. Paris 1 993, éd.
Errance.
B . Lambot, « Les morts d'Acy-Romance à La Tène finale. Pratiques funéraires, aspects religieux et
hiérarchie sociale » in G . Leman-Delerive (éd.), Les Celtes . Rites fu néraires en Gaule du Nord en tre le
VI" et le l"' s iècle av. J. -C. . Namur, 1 998, Ministère de la région wallonne, p. 75-87.

262
E. Mantel et alii, Le sanctua ire de Fesques (Seine-Maritime). Berck-sur-Mer, 1998, Nord-Ouest A rchéologie,
n° 8.
J. Metzler, Das treverische Oppid u m a uf dem Titelberg. Luxembourg 1 995, (Dossier d' Archéologie du
Musée National d' Art et d'Histoire III), 2 vol.
J.-L. Brunaux et P. Ménie!, La rés idence a ristocra tique de Mon tmartin (Oise) du Ill" a u Il" s . av. f.-C. Paris,
1 997, éd. Maison des Sciences de l 'homme (col. Documents d' Archéologie Française n° 64) .
I . M . Stead, « Die Schatzfunde von Snettisham », in A. Haffner (éd .), Die Heiligtümer u n Opferku lte der
Kelten. Stuttgart 1 995, éd. Theiss, p. 1 00- 1 1 0 .
C . Goudineau, « Les sanctuaires gaulois : relecture d'inscriptions et de textes », i n J . - L . Brunaux (éd .),
Les sanctua ires ga u lois et leu rs rapports avec le monde méditerra néen (op. cit.), p . 250-25 6 .
Le culte et la divination
J . Rudhardt, No tions fon damen tales de la pensée religieuse et actes constitutifs du cu lte da ns la Grèce clas­
sique. Paris 1 992, éd. Picard .
M. Mannhardt, Der Baumkultus, l" volume des Wald- u n d Feldkulte, Berlin, 1 875, p. 526-534.
M . Mauss, « Sur un texte de Posidonius . Le suicide, contre-prestation suprême » . Rev ue cel tique, 42,
p. 324-329 .
J.-L. Brunaux et alii, « Le sanctuaire celtique de Mirebeau (Côte-d'Or) », in L. Bonnamour, A. Duval
et J.-P. Guillaumet (éd . ) Les âges d u fer dan s la vallée de la Saône. Rev ue A rchéologique de l 'Est et
Cen tre-Est, 6' sup . , 1 985, p. 79- 1 1 1 .
E . R . Dodds, Les Grecs et l 'irra tionnel. Paris 1 9 77, é d . Flammarion, ch. « Structure onirique et structu-
re culturelle » .
M. Détienne, Les maîtres d e vérité da ns l a G rèce a rchaïque, Paris, 1 990, é d . L a Découverte.
Rites guerriers et funéraires
E . Rohde, Psyché. Le c u lte de l 'âme chez les Grecs et leu r croya nce en l 'immortalité de l 'âme. Paris 1 928, éd.
Payot.
J . Déchelette, Ma n uel d 'a rchéologie préh istorique, celtique et gallo-romaine, II, Troisième Partie, Paris,
1 9 1 4, éd. Picard, p. 1207 sq.
A . Salomon, « Le charnier de Moeuvres », Bull. Soc. Préh is t. Fra n ç . , t. 10, 1 9 1 3, p. 3 1 9-322.
J.-L. Durand, « La mort, les morts et le reste », Systèmes de pen sée en Afriq ue noire, cahier 14, « Destins
de meurtriers », 1 996, p. 39-56.
N . et J . Metzler-Zens et alii, Lamadelaine, une nécropole de l 'oppidu m d u Titelberg, Luxembourg, 1 999,
Musée National d' Histoire de l ' Art.
B . Lambot et alii, Le s ite pro toh isto riq u e d 'Acy-Romance (A rdennes) II. Les nécropoles . Mém . Soc. Archéolog.
Champenoise, 8, Sup . au Bull. N° 2, 1 994.

263
TABLE DES MATIÈRES
PR É AMBULE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
CARACT È RES ORIGINAUX DES RELIGIONS GAULOISES.
SOURCES, M É THODES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Originalité des religions gauloises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Les sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Les textes antiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
La documentation archéologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Les sa nctuaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Autres lieux de culte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Sépultures et constructions funéraires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Inscriptions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Représentations graphiques et plastiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Le fait archéologique cultuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Histoire de la recherche. Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
LES HOMMES ET LES DIEUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
S ociété et religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Les civitates gauloises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Les composantes sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Religion et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Les faiseurs de sacré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Les témoignages de Diodore, de Strabon et d'Ammien Marcellin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Les fonctions sacerdotales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
L'histoire du corps sacerdotal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Les femmes, vestales et prêtresses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
La révolution sacerdotale du III• siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Les druides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Posidonius et le druidisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
La description de César . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Les druides et la société celtique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Des philosophes chez les Barbares . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Les origines du mouvement druidique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Les assises judiciaires au pays des Carnutes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Un chef des druides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Les druides et la politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Croyances, mythologie, philosophie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Croyances populaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
La cueillette ritualisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Bribes de mythologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Croyances en l'au-delà . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Conception de l'univers et de la fin du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
L'âme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Les préceptes druidiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Les divinités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Conception et représentation de la divinité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Des dieux locaux, régionaux et tribaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
César et le panthéon gaulois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Dis Pater gaulois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Caractères de la théologie gauloise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
LES LIEUX DE CULTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Textes antiques e t archéologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

269
Le témoignage des textes antiques 80
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'apport de l'archéologie 82
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les lieux de culte découverts en Gaule . . . . . . . . . . . 83


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les antécédents : aménagements de lieux funéraires . . . . . . . . . . . . . 85


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La nécropole de Gurgy .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un herôon dans la plaine de Vix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les grands sanctuaires · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · : · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 8 9


Situation dans le paysage et dans le territoire de la civitas . 89
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un modèle exemplaire : l e sanctuaire de Gournay-sur-Aronde 91


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'enceinte sacrée 94
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'autel creux .. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'autel abrité devient un temple .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le porche d'entrée et les trophées 99


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

U n trophée monumental à Ribemont-sur-Ancre . 101


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les trophées celtiques . 101


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Une bataille oubliée de l'histoire .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Là où se tenait la divinité, là où l'ennemi a cédé 105


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Faire des dépouilles un monument .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Glorifier les vainqueurs, honorer les morts . .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des bâtiments monumentaux en bois . .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des rites chthoniens . .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cérémonies au pied du trophée . . . 111


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La fin du trophée et l'émergence d'un sanctuaire du culte public 111 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Autres types de lieux de culte . .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des enceintes sur les oppida .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des puits à offrandes sur les habitats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La résidence aristocratique de Montmartin .. . . . . . . . . . . . . 116


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sanctuaires « marins » et « portuaires » 118


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des temples dans les cimetières, des autels dans les maisons ? . 120 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Trésors et lacs sacrés 122


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'or de Toulouse .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les trésors de Snettisham .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

De l'or pour les dieux 124


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les insignes d'or « inamovibles » de l'Athéna insubre 125


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le torque de Mailly-le-Camp .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sanctuaires, panceltisme ou celtisation 128


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LE CULTE ET LA DIVINATION 131


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le sacrifice animal . . . . . . . 132


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Animaux sauvages et bétail .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des taureaux contre du gui .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les. restes animaux sur les sanctuaires .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .137 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le sacrifice chthonien du bœuf ... . . 138


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des trophées animaux ? .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les offrandes 143


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les anathemata 145


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les ex-voto et le vœu thérapeutique . . . . . 146


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Offrandes végétales . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Offrandes incluses dans le rite sacrificiel, libations 14 9


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le sacrifice humain 150


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le sacrifice humain dans l'histoire de la religion gauloise . . .. . . . . . . . . 150


. . . . ..... . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les os humains sur les sanctuaires . . . . . . . . . . . . . . 153


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Retour aux textes antiques 157


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cicéron et Indutiomare .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cicéron et Diviciac . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ." . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

270
La propagande hellénistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 9
César et le sacrifice humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Le sacrifice divinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Le sacrifice d'action de grâce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Sacrifice cathartique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Des exécutions judiciaires et un lieu de justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
Des formes exceptionnelles ou incomprises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . 171
Augure et divination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . �... . . . . . . . 172
Jours fastes, jours néfastes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
Présages et prodiges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Du vol des oiseaux et des entrailles des animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Le corbeau d' Apollon et de Valérius Corvus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Songes, intoxication, oracles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Les druides et les nombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
RITES GUERRIERS ET FUN É RAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
...............................

La guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..........

Avant le combat . . . : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'homme armé 184


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'arme et son caractère sacral . . . . . . . . . . . . . . . 188


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Furor et concili u m arma tum . .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La nudité guerrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190


Le port du torque en or . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Effrayer l'adversaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Le vœu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
La devotio de Vercingétorix .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La prise du crâne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201


La consécration des dépouilles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Des épouvantails humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
La mort 210
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Avancer armé contre les flots . ...


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . .
. . . . . . 211 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La mort au combat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211


La mort des sa Id ures . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . ..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Celui qui se fait donner la mort en public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214


Une mort qui donne un sens à la vie . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les rites funéraires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217


Respect ou mépris du mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
L'incinération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
L'exposition du cadavre .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cérémonies funèbres . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le guerrier mort . . .. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VERS LE SYNCR É TISME GALLO-ROMAIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

ANNEXE 1 : SOURCES ANTIQUES SUR LA RELIGION GAULOISE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 9


: PRINCIPAUX TEXTES ANTIQUES
ANNEXE II
CONCERNANT LA RELIGION GAULOISE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . 241
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

INDEX G É N É RAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264

INDEX DES NOMS DE LIEUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

INDEX DES NOMS D'AUTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268

271
...... ,.,.� •; . ....... -- >
PAYS DE LA L� ><ANS ].
" LOIRE

· 20 c':;,

,1

,� · �
__,, - r' · l!OOIV.0-,;,:!iil!.>'u- .?.....;:..-. . '
, -:::.,=·-;;.•.· . ' � 23
POITOU-
l.A "-OCHEL�E
., CHARENTES

��'\ RHÔNE-ALPES

Région
1 PICARDIE
""'

AQUITAINE
• 28 1_J
""&!' r

MlDI­
PYRENEES
• 2QLOIJU LANGUEDOC'­
-,..,. <"' ROUSSILLON
....,,......... ...!. r.
• CAF.CMSQlll<Z

;.;?

·{

1 P o m meroeul 11 M o ntmarti n
2 Moe uvres 12 Estrées-Saint- D e n i s 21 Pau l e
3 C h a u ssée-Ti ranc o u rt ( La ) 13 Acy- Romance 22 Saint-Malo
4 R i b e m o nt-s u r-Ancre 14 Nante u i l - s u r-Ai sne 23 Vix
5 Fes q u e s 15 Ro izy 24 G u rgy
6 Tartig ny 16 Tite l b e rg 25 M i re beau
7 Ve n d e u i l -Caply 17 Benneco u rt 26 M o nt-Beuvray
8 Saint- M a u r 18 B o u q u eval 27 Saint- L o u i s
9 Sai nt-J u st-e n - C h aussée 19 Meaux La Bauve « » 28 A g e n
1 0 G o u rnay- s u r-Aro nde 20 Mai l ly-le-Ca m p 29 To u l o use

C e t ouvrage a é t é achevé d ' i mprimer sur les presses de l ' imprimerie de l ' indépendant
53200 Château-Gontier - France - N° d ' i mprimeur : 000958 - Dépôt légal : 3' trimestre 2000

Vous aimerez peut-être aussi