M11060
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MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT
PAR
ALICE FRISER
SEPTEMBRE 2009
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Service des bibliothèques
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commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
REMERCIEMENTS
CHAPITRE 1
LA PRODUCTION DE COTON EN INDE COMME MOYEN DE
DEVELOPPEMENT 7
Introduction 7
Section 1 L'évolution du discours sur Je développement 7
1. 1 Les théories de la modernisation 8
J.2 Les théories de la dépendance 10
1.3 Les théories néo-institutionnelles 12
1.4 L'approche des besoins essentiels 15
1.5 Le développement durable 17
Section Il La production de coton en Inde 20
1. J Mise en contexte 20
] .1.1 L'Inde et l'industrie du coton 20
1. J .2 La révoJution verte 22
1.2 La libéralisation de J'économie indienne 23
J .2. J La promotion des exportations 23
1.2.2 La réfonne économique 24
1.2.3 L'Inde dans le passage du GATT à J'OMC 25
1.3 L'essor de la production de coton en Inde 30
1.3.1 Le coton Bt et l'essor de la production de coton en Inde 3]
1.3.2 Le signal d'une crise meurtrière 36
1.3.3 Quelles alternatives? 37
Conclusion 39
VI
CHAPlTRE JI
LE COMMERCE ÉQUITABLE COMME MOUVEMENT DE
TRANSfORMATION 43
Introduction 43
2.1 Les origines théoriques et historiques du commerce équitable 45
2.1.1 Les bases conceptuelles du commerce équitable 45
2.1.2 Les origines historiques du commerce équitable 47
2.2 Le projet du commerce équitable 53
2.2.1 Les acteurs du mouvement équitable 53
2.2.2 La philosophie du commerce équitable 57
2.2.3 Le potentiel de transformation du commerce équitable 59
2.3 La réponse du commerce équitable à la crise du coton : 62
2.3.1 Le label Fairtrade 63
2.3.2 Le coton équitable, une réponse à la crise du coton? 74
Conclusion et présentation de nos questions de recherche 77
CHAPITRE 1II
MÉTHODOLOGIE 81
Introduction 81
3.1 Notre stratégie générale de recherche 81
3.1.1 Rappel des questions de recherche 8]
3.1.2 La recherche qualitative 83
3.1.3 L'étude de cas 84
3.1.4 Validité de notre stratégie de recherche 88
3.2 Notre stratégie de collecte de données 90
3.2.1 Grille de collecte de données 91
3.2.2 L'observation directe 92
3.2.3 Le concept de représentation sociale 97
3.2.4 Fiabilité de notre stratégie de recherche 102
3.3 Notre corpus de données et son analyse 104
3.3. J Déroulement du séjour 104
3.3.2 L'élaboration d'une monographie de l'organisation 107
3.3.3 Notre corpus d'entrevues 107
VII
CHAPITRE IV
ÉTUDE DE CAS D'UNE ORGANISATION DE PRODUCTEURS DE COTON
ÉQUJTABLE SOUTENUE PAR UN GROUPE PORTEUR 115
Introduction 115
4.1 Profil général de l'organisation 115
4.].1 Agrocel... 115
4. J.2 La branche coton d' Agrocel... 119
4.1.3 Agrocel Pure and Fair cotton growers' association 122
4.2 Opérationnalisation des principes du commerce équitable 133
4.2.1 Agrocel 133
4.2.2 L'organisation de producteurs 138
4.3 Impacts du commerce équi table 139
4.3.1 Le rapport à l'environnement J 40
CHAPITRE V
ANALYSE DES ENTREVUES 151
Introduction 151
5.1 Présentation des familles de codes 152
5.2 Présentation de la famille « Acteurs immédiats » 156
5.2.1 Présentation du code « Agrocel » 157
5.2.2 Présentation du code « Producteurs» 162
5.2.3 Présentation du code « Comité »...... 165
5.2.4 Conclusion de la famille «Acteurs immédiats» 170
5.3 Présentation de la famille « Acteurs distants» 171
5.3.1 Présentation du code « Consommateurs» 172
VIII
CHAPlTRE VI
LE COMMERCE ÉQUlTABLE COMME RÉPONSE À LA CRISE DU COTON
EN INDE? 227
6.1. L'association comme alternative à la crise du coton en Inde 223
6.1.1 Agrocel comme réponse à la crise du coton en Inde 228
6.1-.2 Le commerce équitable comme réponse à la crise du coton 232
6.2. Le commerce équitable comme outil du développement 238
6.2.1 Des impacts positifs dans une logique caritative 239
6.2.2 Le commerce équitable comme vecteur d'émancipation et de politisation 244
6.2.3 Le commerce équitable, vecteur de quel développement? 246
lX
CONCLUSION , 249
APPENDICE A
LISTE DE CODES TRIÉS PAR FRÉQUENCE 257
RÉFÉRENCES 26 J
LISTE DES FIGURES
Figure 4.5 Des employées de Shrujan concentrées dans la broderie d'un sari
fait en partie de coton provenant de l'organisation 127
Figure 4. 6 Le logo d' Agrocel apposé sur un drap de coton biologique et équitable 139
Figure 4.7 Un t-shirt de coton biologique et équitable présenté par Saleish Pate1... ......... 139
Figure 4. 12 Outils offerts à chaque famille membre dans le cadre d'un versement
de la prime équitable J 45
Tableau 4.2 Les critères du commerce équitable développés par Agroccl avant
la parution des critères du commerce équitable par FLO 134
Tableau 5. 3 Fréquence des codes retenus pour chacun des producteurs interrogés J 55
CE Commerce équitable
Ce mémoire pOlie sur la capacité du commerce équitable à répondre à la crise du coton dans
le contexte indien, et plus spécifiquement sur sa capacité à émanciper du commerce
conventionnel les producteurs de coton qui en adoptent la certification.
L'évolution du discours sur le développement - du développement au développement durable
- est difficilement mise en pratique dans les pays sous ajustement structurel, orientés
essentiellement vers un objectif de croissance économique (Bélem, 2006). Pourtant, en tant
que pays producteurs de matières premières, c'est en leur sein, plus particulièrement au
niveau social et environnemental, que se font le plus ressentir les effets de la libéralisation
des marchés. La marge de manœuvre des gouvernements au pouvoir est souvent trop mince
pour y remédier. Mais quelques initiatives proposent une esquisse de solution. C'est ce que
nous tentons d'illustrer dans le secteur de l'agriculture en brossant un portrait historique de la
production de coton en Inde, production aujourd'hui en proie à une crise sans précédent, et en
présentant le commerce équitable comme seule alternative se revendiquant du développement
durable qui s'oppose spécifiquement à la crise du coton indienne.
Pour préciser notre recherche, nous avons choisi d'étudier une organisation de producteurs de
coton équitable sous projet de contrat de production en Inde. Notre collecte de données
repose sur la rédaction d'un journal ethnographique, fruit d'une observation pal1icipante au
sein de l'organisation, et d'un corpus d'entrevues, menées pour la plupart avec des
producteurs de coton de l'organisation.
11 ressort de nos résultats que le commerce équitable ne répond que partiellement à la crise du
coton, même jumelé aux pratiques de l'agriculture biologique. Le commerce équitable innove
cependant dans le regroupement qu'il impose aux producteurs en une association de type
démocratique. Nous concluons que c'est en prenant conscience de cette unité nouvelle que les
producteurs de J'association étudiée seront à même de s'émanciper du commerce
conventionnel, voire de s'y opposer en développant de nouvelles revendications auprès de
leur gouvernement.
d'atteindre ).Jn seuil de croissance économique stable. Si l'idée d'un développement durable
s'avère séduisante et paraît aujourd'hui essentielle à un rééquilibrage des besoins et des
aspirations de l'homme au Nord comme au Sud, il semble que son opérationnalisation soit
confrontée à plusieurs obstacles, et ce, particulièrement au Sud, dans les pays poursuivant un
idéal de développement axé principalement sur une croissance économique (Bélem, 2006).
Le cas particulier du coton en est selon nous un bon exemple. La production de coton
contribue indéniablement à la survie de l'économie de nombreux pays dont notamment
plusieurs pays d'Afrique, la Chine, le Brésil, le Pérou, l'Inde et le Pakistan. Pourtant, cette
activité s'avère problématique pour les milliers de producteurs qui en font leur source
principale de revenu. En effet, la production de coton nécessite aujourd'hui une irrigation
abondante et l'utilisation excessive d' intrants chimiques dispendieux et néfastes pour
l'environnement et les hommes. Par ailleurs, la surproduction mondiale de coton est
responsable de la chute du cours du coton et de la baisse des revenus pour les agriculteurs du
Sud. En Inde, depuis le début des années 1990, on parle même du suicide de plusieurs
milliers de producteurs de coton suite à cette conjoncture difficile. Mais le plus souvent, le
gouvernement concerné ne dispose que d'une faible marge de manœuvre pour y remédier.
Il existe plusieurs solutions alternatives à la « crise du coton ». Cependant, bien souvent, ces
alternatives ne s'attachent qu'à un aspect particulier de la dite crise, sans chercher à y faire
face sur plusieurs fronts ou se limitent à un segment de la population concernée, c'est-à-dire à
des agriculteurs disposant déjà de moyens financiers, opérationnels et/ou organisationnels,
davantage qu'à des agriculteurs marginalisés. Nous pensons entre autres à la mise en place de
banques à faible taux d'intérêt, telles que la Grameen Bank, ou encore à l'agriculture
biologique, certification alternative qui promeut le respect de J'environnement à travers une
série de pratiques agricoles durables. Mais des alternatives qui se revendiquent du
développement durable et qui proposent de donner un visage humain au commerce, il n'yen
a qu'une: le commerce équitable.
3
Dans notre second chapitre, nous proposerons le commerce équitable comme réponse à la
crise du coton telle que vécue par les producleurs indiens. Après avoir retracé les origines
plurielles du mouvement équitable, et présenté son potentiel de transformation à des fins de
développement durable, nous présenterons la façon dont il prévoit juguler la crise du coton.
4
Nous nous intéresserons alors à son fonctionnement général et au système de garantie sur
lequel il repose dans le cas de produits labellisés. Ce faisant, nous verrons qu'en théorie, si les
principes du commerce équitable destinés aux organisations de petits producteurs
apparaissent pertinents à la mise en place de pratiques durables et à )' amenuisement des effets
de la crise du coton, ils semblent difficilement réalisables par les producteurs les plus
marginalisés, disposant de peu de moyens financiers, opérationnels et organisationnels. Seule
la catégorie intitulée « projet de contrat de production », ensemble de critères du commerce
équitable destiné aux organisations de producteurs accompagnées moralement et
financièrement d'une tierce partie, nous semble constituer une réponse intéressante à cette
problématique. C'est dans le cadre de ce concept que nous entrevoyons d'explorer nos
questions de recherche, c'est-à-dire Je concept de projet de contrat de production permet-il
aux producteurs de coton marginalisés d'intégrer le mouvement équitable et de bénéficier de
ses retombées sociales, économiques et environnementales? Le commerce équitable
constitue-t-il une réponse à la crise du coton indienne? Et finalement, permet-il aux
producteurs de coton qui en adoptent la certification de s'émanciper du système commercial
conventionnel pour éventuellement influencer les politiques commerciales et agricoles de leur
gouvernement?
Dans le cinquième chapitre de ce mémoire qui constitue le second volet de nos résultats,
nous présenterons le discours des producteurs de coton de l'organisation. Les impacts du
commerce équitable et les enjeux soulevés lors du chapitre précédent seront explicités et
nuancés en fonction de 15 codes regroupés en six familles de codes: il s'agit des familles
«acteurs immédiats », «acteurs distants », «culture du coton », «certifications », enjeux
économiques» et « enjeux organisationnels ».
Enfin, dans notre sixième et dernier chapitre, nous répondrons à nos questions de
recherche. Dans l'organisation étudiée, si le commerce équitable participe à la diminution des
effets de la crise du coton, il ne peut être considéré comme llne alternative durable visant sa
dissolution. Par aiIJeurs, afin d'être efficaces, les principes du commerce équitable doivent
être accompagnés des pratiques de l'agriculture biologique et des conseils d'une entreprise
soutenant les producteurs dans leurs effoJ1s. Le commerce équitable ne permet pas encore aux
producteurs de coton équitable de l'organisation de s'émanciper du système commercial
conventionnel en ce qui a trait au coton ou de développer un discours politique susceptible
d'influencer les politiques commerciales actuelles de leur gouvernement pour que celui-ci se
préoccupe davantage de ses agriculteurs ct de son environnement. Toutefois, le commerce
équitable innove dans le premier principe qu'il met de l'avant, celui du regroupement des
producteurs en une organisation démocratique. Lorsque l'association sera autonome et que
les producteurs qui en font partie se considèreront comme des acteurs de changement
davantage que comme des témoins de changement, nous pensons qu'ils seront en mesure de
prendre leur avenir en main, peut-être en pOl1ant leurs revendications auprès de leur
gouvernement. Alors, il sera possible de dire que le commerce équitable leur en aura donné
les moyens.
CHAPITRE l
Introduction
que les choses 'se développent', on pourra désormais 'développer'» (Rist, 2001, p.I22).
Ainsi fut mis de l'avant le modèle qu'avait suivi l'Europe aux XVIIIe et XIXe siècles et qui
renvoie à l'idée que « la modernité, résultat du progrès, c'est la promesse d'un monde
meilleur» (Nahavandi, 2005, p.34). Cette conception du développement fut appuyée dans les
années 1960 par les théories de la modernisation, lesquelles ont largement influencé les
stratégies de développement qu'empruntèrent les pays émergents à l'issue des
indépendances.
Au Dlveau externe, selon la théorie des échanges de Ricardo,1 furent préconisées des
politiques de laisser-faire (Bélem, 2006).
Bien sûr, afin de promouvoir le processus d'industrialisation dans le monde en
développement, les puissances occidentales s'engagèrent à offrir leur aide aux pays
émergents. Si le discours du président Truman donna lieu au lancement la même année du
«Programme élargi d'assistance technique» par les Nations Unies, l'adoption de l'Act for
international development par le Congrès américain et la création du comité des territoires
d'Outre-mer par l'Organisation européenne de coopération économique, le financement du
développement 2 atteint toute son ampleur dans les années 1960, lorsque la lutte contre le
communisme devint un enjeu décisif sur la scène internationale. «Le libre-échange [devint]
[... ] alors J'un des dogmes de la vie économique du monde libre. L'après-guelTe est marqué
par une volonté générale de liberté des échanges» (De Solages, 1992, p. 31). En 1947 est
institué le GATT, l'ancêtre de l'OMC, alors ratifié par 88 pays.
Si les théOlies de la modernisation se sont penchées sur les moyens de faire rattraper leur
retard aux pays émergents, la question de la redistribution du produit national entre les
membres de la société fut rapidement écartée du fait de la consécration de l'hypothèse de la
courbe en U inversé de Kuznets en 1955. Selon cette approche, une redistribution fOl1ement
inégale du produit national est nécessaire à l'épargne et à l'investissement des mieux lotis
afin d'engendrer plus tard des retombées pour l'ensemble de la population. De même, selon
cette théorie, certains secteurs sont privilégiés tels que l'extraction minérale, car selon
Murphy, d'un point de vue économique, il s'agit d'un capital naturel à même de produire une
richesse pouvant être consommée ou réinvestie dans d'autres domaines (Murphy et al, 1989
dans BéJem, 2006); «Plusieurs pays en développement adopteront ainsi le pari de
l'industrialisation, laissant au mécanisme des retombées, le soin de redistribuer les bénéfices
de la croissance aux pauvres» (Bélem, 2006, p.3).
1 Selon la théorie des échanges de Ricardo, l'insertion des pays non industrialisés à J'économie
mondiale permet d'assurer une transmission spontanée de la croissance à travers une répartition
naturellement juste des ressources entre les États.
2 Le financement du développement se fit en deux étapes: le tranSfeJ1 de technologies el l'avance de
capitaux, par l'aide bilatérale publique el privée, et par J'aide multilatérale.
10
Les théories de la dépendance, à travers les nombreuses perspectives qui les caractérisent
cherchent en quelque sorte à répondre aux insuffisances des théories de la modernisation. lei,
il est inutile d'attendre que les sociétés du Tiers-monde passent par les mêmes stades de
développement que les sociétés industrialisées, ou que le soutien de la bourgeoisie naissante
favorise l'expansion capitaliste et la révolution démocratique bourgeoise (Frank, 1972). La
capacité même du système international à bénéficier aux pays pauvres au même titre qu'aux
pays du Nord est remise en question. Alors que les théoriciens de la modernisation
célébraient l'essor du capitalisme, les tenants de l'approche radicale, même s'ils observent
parfois une légère croissance des richesses et des forces productives des sociétés en voie de
développement soutiennent qu'il est porteur d'inégalités et donc inopérant dans le cadre du
développement des pays du Sud.
En s'inspirant des théories marxistes sur l'impérialisme, les radicaux proposent une réflexion
et une réinterprétation des relations coloniales préexistantes en postulant que les pays du Sud
se trouvent dans une situation de blocage et une relation de dépendance économique vis-à-vis
des pays dù Nord depuis la colonisation. Le «sous-développement» n'apparaît donc plus
comme une étape dans l'évolution des sociétés, mais comme le résultat direct de l'expansion
du capitalisme, c'est-à-dire comme un produit de l'histoire que les pays développés n'ont pas
connu. Si la colonisation a permis l'instauration d'une relation inégale entre le centre et sa
périphérie, ce sont principalement les échanges commerciaux, les institutions dominantes et
la technologie qui entretiennent aujourd'hui cette relation. Ainsi, le changement de structures
économique et technologique préconisé dans les théories de la modernisation ne fait
qu'accroître les différences qui séparent les pays du Nord des pays du Sud.
C'est en ce sens que Samir Amin en vient à montrer que l'ordre international se brise non pas
à partir de son centre, mais à partir de sa périphérie. Pour l'auteur en effet, la transition à
l'économie capitaliste des périphéries, c'est-à-dire celle des pays en voie de développement
est fondamentalement différente de celle de la transition au capitalisme central (Dussault,
1976). L'auteur montre que certains phénomènes issus de l'expansion du capitalisme dans les
périphéries n'en permettent pas le fonctionnement comme dans le centre, et contribuent à
accroître la dépendance technologique, commerciale et financière des pays du Sud envers les
pays du Nord (Favreau, 2004; Navahandi, 2005). C'est en fait dans la notion d'échange
11
inégal élaborée par Emmanuel que Amin, tout comme de nombreux auteurs radicaux, ancre
ces phénomènes. Pour le fondateur du concept, les échanges commerciaux sont J'un des
éléments de l'exploitation des pays en voie de développement car ils sont inégaux 3 .
Comme Emmanllel, Favreau considère l'échange inégal comme l'un des éléments du blocage
des pays en voie de développement. Parmi ces éléments, on dénonce le pillage du Tiers
monde et l'entretien de liens de dépendance économique après les indépendances politiques
depuis la colonisation; l'échange inégal entre le Nord et le Sud, soit une détérioration des
termes de l'échange de services et de marchandises; la crise de l'endettement des pays du Sud
envers les institutions bancaires du Nord (la crise draine aussi vers le Nord les flux financiers
car le paiement des intérêts et des charges de la dette extérieure remonte des pays du Sud vers
le Nord); le renforcement de la position des nouvelles couches dirigeantes du Sud, c'est-à
dire que les élites locales s'enTichissent au détriment de leur société et placent leur capital
dans les pays du Nord au lieu de l'investir au Sud (Favreau, 2004).
C'est dans ce contexte que les radicaux dénoncent j'aide préconisée par Ics libéraux ainsi que
l'implantation de multinationales dans les pays du Tiers-mondc. Celles-ci ne font
qu'amplifier la dépendance des pays du Sud et ne profitent bien souvent qu'à renforcer la
domination des classes au pouvoir à l'interne. Afin de sortir de la crise, Frank propose une
révolution socialiste, car pour l'auteur, ce sont les masses populaires qui doivcnt prendre leur
histoire en main: « Plutôt que de tailler un nouvel habit pour l'empereur, ccs peuples devront
le détrôner et penser à se vêtir eux-mêmes» (Frank, 1972, p.1 01). Mais pour Amin, la
dépendance est telle que les bases nécessaires à un départ autonome ne sont pas encore
suffisamment marquées dans les pays en voie de développement. Il conviendrait donc pour
les sociétés du Tiers-monde de rompre avec l'ordre économique mondial, cc que l'auteur
appelle la déconnexion, et de reconfigurer à leur avantage leurs structures internes. Amin
soutient en effet l'idée que « la domination externe est relayée par une domination interne et
que les classes (ou les alliances de classes) au pouvoir changent en fonction de la structure
interne de l'économie» (Rist, 200 l, p. 187-188). Il s'agirait dès lors de se rctirer de la
division internationale du travail pour accéder à ['autonomie nationale (Amin, 1988).
3Il ya échange inégal lorsque le travail incorporé dans les biens échangés, à qualification égale, n'est
pas rémunéré de la même façon (Nahavandi, 2005).
12
Celle-ci serait possible en misant sur J'accumulation de capital à partir d'un surplus agricole;
l'utilisation de ce surplus pour l'industrialisation; la planification par l'État des activités
économiques stratégiques pour coordonner l'ensemble des secteurs; le soutien moral d'une
aide étrangère qui puisse laisser suffisamment de manœuvre, soit tabler sur la concurrence
des deux blocs (Favreau, 2004).
On réalise aisément que ces théories n'aient pas trouvé écho chez les dirigeants occidentaux,
mais qu'elles aient influencé nombre de partis politiques et de groupes de pression,
notamment dans les pays du Sud. Toutefois, avec l'implosion du bloc socialiste, « le Sud n'a
plus guère eu de possibilité de constituer une grande région de la planète pouvant participer
d'un même combat universel parce qu'il a lui-même éclaté» (Favreau, 2004, p. 7). Par
ailleurs, comme le souligne Nahavandi, « ces théories considèrent trop souvent la dépendance
comme une structure internationale détenninante plutôt que comme un ensemble de
contraintes parmi lesquelles il existe une marge de manœuvre et de choix» (2005, p. 95).
Ainsi, ces théories n'offrent aucune alternative concrète à la situation qu'elles décrivent, si ce
n'est la révolution socialiste. Enfin, en ce qui concerne la définition même du développement,
So (1990) ajoute que l'approche radicale, en qualifiant la dépendance de phénomène global
manque de prendre en compte les différences existant entre les nations périphériques, et
reproduit la même erreur que les théories de la modernisation. Comme elles, poursuit
Nahavandi, l'approche radicale ne remet pas en cause la croissance et l'industrialisation
comme objectifs ultimes, seuls les moyens présentés diffèrent: le développement est
considéré comme bloqué et il demeure davantage souhaitable que le sous-développement.
C'est en empruntant à ces deux approches, sous un angle novateur, que les théories néo
institutionnelles évaluent la question du développement.
Les théories néo-institutionnelles sont Je fruit de l'expérience pratique des tenants des
théories de la dépendance, basée sur une observation critique du processus de développement
à travers les organisations internationales. Ces théories présentent ainsi des propositions
visant à guider les pays en voie de développement dans leur processus d'industrialisation.
Tout en reconnaissant cel1aines améliorations sur les plans du niveau de vie, de j'éducation ct
de la santé dans les pays en voie de développement, ce courant de pensée rejette l'idée selon
13
laquelle la croissance économique et l'expansion capitaliste y ont réduit la pauvreté. Car pour
les tenants de ce courant de pensée très diversifié, la pauvreté demeure l'enjeu le plus
sérieux: « le développement signifie le processus grâce auquel on s'éloigne du sous
développement, on s'éloigne de la pauvreté» (Myrdal dans Nabavandi, 2005, p. 98-99). Ici,
la prétendue neutralité de l'analyse néo-classique est remise en question car elle ne fait que
servi r les intérêts politiques de l'Occident en permettant de maintenir la dépendance des pays
en vOIe de développement vis-à-vis des pays industrialisés (Nabavandi, 2005, p. 98). En
rejetant la généralisation sur laquelle s'appuient les néoclassiques et les dépendantistes,
l'approche néo-institutionnelle préconise ainsi une forte intervention de l'État et l'adoption
de mesures particulières afin d'enrayer les problèmes spécifiques du monde en
développement. L'objectif est désormais de réduire les inégalités, ce qui implique
l'augmentation des salaires, de la demande et de la production, ainsi que la redistri bution des
richesses dans des proj ets agricoles et d'éducation. Les tenants de cette approche encouragent
ainsi la croissance conditionnelle, les investissements dans l'agriculture et le capital humain,
et la priorité à l'emploi (Idem, p. 100). Ici, les pays en voie de développement doivent
nécessairement intégrer l'économie mondiale, mais pas n'importe comment: en orientant
l'aide préconisée vers le secteur rural par l'entremise de la solidarité et de programmes de
coopération. Enfin, on envisage pour la première fois un développement économique à visage
humain. Plusieurs visions se traduisent alors en propositions: nous retenons celles de la
CEPAL, Perroux et Myrdal.
Dans un premier temps, en se basant sur le cas de l'Amérique latine, la CEPAL, coordonnée
par l'économiste Raùl Prebish, montre que la concentration des avances technologiques dans
les pays industrialisés conduit à la détérioration des termes de l'échange touchant les produits
primaires dans les pays de la périphérie. Amin évoquait déjà ce phénomène comme étant l'un
des éléments du blocage et de la dépendance centrc/périphérie :
Mais d'autres visions allaient nournr les discussions à venir sur le développement en
apportant un regard nouveau sur la place de J'humain au centre des débats sur le
développement; tel est le cas de Perroux et Myrdal.
Pour Perroux, le développement est le fruit de changements à l'intérieur même des
institutions. Le développement, pour l'auteur, devient «la combinaison des changements
mentaux et sociaux d'une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et
durablement son produit réel global» (In Rist, 2001, p. 172). Les programmes de
développement des gouvernements des pays du Tiers-monde et les grandes institutions
internationales doivent prendre en compte l'inégalité des acteurs en misant sur la coopération
et en plaçant L'être humain au centre de leurs priorités: «le développement suppose le
déploiement de l'activité des hommes à l'égard des hommes par l'échange de biens et
services, et par l'échange d'informations et de symboles» (Perroux in Nahavandi, 2005, p.
99).
Myrdal, pour sa part, considère les structures sociales et politiques des nations comme un
potentiel frein à la réussite des stratégies de développement: «pour préparer la voie du
développement économique, ces pays ont besoin de réformes initiales massives de leurs
structures sociales, sans ces réformes, il n'y aura ni intégration nationale, ni développement
économique» (Myrdal in Nahavandi, 2005, p. 100).
industriel urbain qui néglige la majorité rurale.ne peut avoir d'incidence sur le problème de la
pauvreté (Lipton in Nahavandi, 2005, p. 100).
Dans l'ensemble, ces théories seront critiquées par les radicaux car elles préconisent une
intégration des pays en voie de développement à l'économie mondiale et voient le
développement en termes d'accumulation de capital et de progrès technique. Pourtant, ces
théories intègrent pour la première fois des facteurs sociaux au développement et prennent en
compte la dépendance existant entre le centre et les différents pays de la périphérie. Après
leur affiliation aux organisations officielles de développement, c'est cet apport novateur qui
leur apportera une certaine légitimité auprès des pays en voie de développement lorsque
ceux-ci seront amenés à définir ou redéfinir leur propre politique de développement.
Si, dans les années 1960, le développement n'était considéré que sous un angle économique,
il fut l'objet, dans les années 1970, de nouvelles représentations: graduellement, le
développement devint à la fois économique et social (Esteva, 1992). « Le fait que le
développement laisse derrière lui, ou en un sens crée des zones importantes de pauvreté, de
stagnation, de marginalité et une exclusion du progrès social et économique [... ] [était
devenu] trop évident et trop urgent pour être négligé» (Rapport des Nations Unies, 1971, in
Sachs, 1992, p. 13). D'après Zaeeaï, c'est dans le Rapport U Thanl que l'on remarque au
niveau institutionnel la première évolution conceptuelle du développement depuis le discours
du président Truman. Il y est stipulé que le développement « n'est pas simplement synonyme
de croIssance économique. C'est une crOIssance économique accompagnée de
transformations» (Rapport U Thant, Décennie des Nations Unies pour le développement
(ONU), 1962, in Zaccaï, 2002, p. 76). Comme le constate Esteva, ces préoccupations sont
ensuite illustrées dans la création en 1963 de l'Institut de Recherche des Nations Unies pour
le Développement Social. Mais ce n'est qu'en 1974, dans la Déclaration de Cocoyoc, que
l'on donne un sens aux « transformations» évoquées plus haut. 11 y transparaît cn effet que le
but du développemenl ne devrait pas être de développer des choses, mais des hommes. « Un
processus de croissance, s'il ne permet pas d'assouvir Ics besoins d'une population, ou pire,
16
4Traduction libre.
17
relevée entre la participation des populations à leur développement et leur renforcement des
capacités. Au contraire, en insinuant que les populations visées n'avaient aucun pouvoir,
aucune autonomie ou du moins pas à la manière occidentale, les actions entreprises dans le
cadre de projets de renforcement des capacités ont souvent entraîné une dévaluation de la part
de ces populations pour leurs valeurs traditionnelles et suscité davantage de dépendance pour
les agents de changement qu'une véritable autonomie des populations. Pour Rahnema, la
promotion de la participation servait avant tout à appOJ1er une légitimité nouvelle au concept
de développement (ln Sachs, 1992, p. 122).
La question de la finitude des ressources naturelles avait été mise de l'avant, dès 1972, dans
le rapport du Club de Rome intitulé Les limites de la croissance, puis reprise dans la
déclaration de Cocoyoc en 1974 afin d'introduire la notion de besoins fondamentaux.
Rapidement, l'impact de l'activité industrielle sur l'environnement devient une préoccupation
importante des ONG et des organisations internationales de développement, d'autant plus que
la population, au niveau mondial, connaît une croissance sans précédent.
Ainsi, à partir des années 1980, le modèle de développement industriel prôné par les tenants
de la modernisation commença à faire l'objet de critiques non seulement sur le plan
économique et social, mais aussi sur le plan environnemental. Au Nord comme au Sud, il
s'agit alors d'envisager les contours d'une autre mondialisation, plus respectueuse des
18
C'est au Rapport Brundtland que l'on doit la définition la plus citée du développement
durable. 11 s'agit d'un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre
les capacités des générations futures de répondre aux leurs» (Commission Mondiale pour
l'Environnement et le Développement, 1987, p. 51). Dans le texte, cette définition se poursuit
amsl:
Deux concepts sont inhérents à cette notion: le concept de 'besoins' et, plus
particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d'accorder la
plus grande priorité, et ('idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre
organisation sociale font peser sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins
actuels et à venir (Idem).
Puis, plus loin, le Rapport propose une définition intégrée du concept. Le développement
durable est envisagé comme:
50e nombreux auteurs ont cependant montré que ce n'est pas la pauvreté qui entraîne la dégradation
environnementale mais l'inégale répartition des ressources au sein de la population qui conduit à leur
usage inadéquat ou excessif(Bélem, 2006, p. 4).
19
des ressources, il n'existe pas de limite fixe dont le dépassement signifierait la catastrophe
écologique» (CMED, 1987, p. 55).
Face à la crise environnementale actuelle, le Rapport ne remet donc pas vraiment en cause le
modèle de croissance induslrielle pourtant violemment critiqué depuis Les limites de la
croissance (1972). Ainsi, le développement durable ne répond pas directement aux critiques
qui ont suscité son émergence en tant que concept. Par contre, comme le montre Mormont
dans la préface de l'ouvrage d'Edwin Zaccaï, le concept de développement durable peut
constituer une ressource pour l'action: « Ce qui peut changer avec Je développement durable,
[par rapport à la dimension linéaire du sous-développement vers le développement] c'est en
effet notre relation au temps et à l'espace, notre manière de paramétrer le monde dans lequel
nous vivons» (ln Zaccaï, 2002, p. 14).
Pour Zaccaï, le concept de développement durable tel qu'inscrit dans le Rapport Brundtland
doit être envisagé dans le sens d'une recherche de compromis entre les pays industrialisés ct
ceux en voie de le devenir. Bien sur, indique Bélem, si l'idée du développement durable est
acceptée par tous, ce qui est dû d'après plusieurs auteurs au fait qu'il s'agisse d'un concept
extrêmement vague, elle entraîne également différentes interprétations selon les acteurs qui
s'en emparent. Ainsi, ce compromis peut faire l'objet de nombreuses dissensions,
dépendamment des intérêts et des points de vue mis de l'avant (Bélem, 2006, p. 4). Selon
Gendron et Revéret (2000), il existe trois interprétations du développement durable: la
crOIssance durable (la crOIssance est nécessaire pour résoudre les problèmes
environnementaux), l'intégration de l'économie et de l'environnement (pour une efficience
économique tout en protégeant l'environnement), et l'intégration de l'économie, de
l'environnement et de la sociélé (à travers l'équité sociale). Celte dernière perspective, initiée
par l'UICN et reprise par les institutions internationales cst qualifiée de progressiste.
Pourtant, même si elle s'avère plus intégrative que les précédentes, elle couve elle aussi de
potentielles dissensions selon la façon dont sont hiérarchisés les trois pôles. Comme le
montrent Gendron et Reveret, 1'harmonisation des aspects économique, social et
environnemental peut être confrontée à la valorisation de l'un d'entre eux au détriment des
deux autres. Ainsi, pour les auteurs, afin de dépasser son statut de slogan, le développement
durable doit être compris comme un agencement hiérarchisé des pôles économique,
environnemental et social où le développement social est envisagé comme un objectif,
20
l'économie comme un moyen et l'intégrité écologique comme une condition, l'équité étant à
la fois un moyen, une condition et une fin du développement durable (2000).
L'intégration des trois pôles du développement durable au niveau de la conception et de
l'action dépend de la participation des acteurs qui les défendent. Ainsi, l'indétermination qui
caractérise la hiérarchisation de ces pôles ouvre un espace de négociation visant à définir,
continuellement, la signification et l'opérationnalisation du développement durable.
En d'autres termes, « la situation d'équilibre» entre les trois pôles et donc le contenu
opérationnel du développement durable dépend des rapports de force entre acteurs (Bélem,
2006, p. 5). De telle sorte que le développement durable n'est plus une fin en soi, il devient
un construit favorisant l'expression de nouvelles alternatives jusque là inaudibles (Idem,
reprenant Godard, 1994).
Comme le suggère Bélem, cette ouverture est tout à fait à propos dans le contexte des pays en
développement dont les modalités de développement ont été définies par les programmes
d'ajustements structurels, selon un modèle qui favorise la libéralisation des économies et leur
intégration à l'économie mondiale, parallèlement à une redéfinition du rôle de l'État (2006).
Plus particulièrement dans Je cas de modèles de croissance basés sur l'exploitation de
ressources minérales dont les impacts sociaux et environnementaux sont immenses, la
poursuite d'un développement durable y représente un défi de taille (Idem, p.6). C'est ce que
nous tenterons d'illustrer dans la prochaine section de ce chapitre à travers l'exemple de la
production de coton en Inde.
L'Inde, qui cultive du çoton depuis plus de cinq mille ans, voit naître son industrie textile au
courant du XIXèmc siècle, au moment où entrent au pays les métiers à tisser automatiques.
Avec la guerre de Sécession, l'Inde devient le premier fournisseur de coton brut de l'empire
britannique. Puis, à l'initiative d'entrepreneurs locaux, des usines textiles sont créées dans le
Nord du pays pour constituer, jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, l'un des quatre
21
secteurs modernes les plus solides de l'Inde. Le coton est alors produit en grandes quantités,
afin de répondre à la demande locale et européenne. Mais, comme le montre Pouchepadas,
« dès la fin de 1920, l'expansion se ralentit fortement, car la concurrence européenne reparaît
dans toute sa vigueur» (1975, in Lévy, 1991, p. 99). Peu à peu, le marché anglais envahit
l'Inde de ses produits en appliquant des droits de douane prohibitifs sur les produits importés.
L'industrie textile apparut dès lors comme une entrave au développement et au désir
d'indépendance de l'Inde: c'est ainsi que le Mahatma Gandhi, en reprenant la doctrine
Swadeshi (mon propre pays) dans sa campagne de désobéissance civile de 1920 invita au
boycott des produits étrangers, au retour aux méthodes de filage traditionnelles, et à
l'intervention de l'État dans le développement de l'industrie. Si le rouet devint à ce moment
précis le symbole de la lutte contre le monopole des grandes usines de Manchester et plus
tard celui de la nation indienne, la seconde guerre mondiale vint relancer l'industrie textile
indienne: les importations de produits étrangers chutèrent, ce qui permit aux industries
indiennes de contrôler le marché interne. Aussi, ne faisant plus J'objet de la concurrence du
Japon et du Lancashire dont les usines furent détruites, la production cotonnière indienne
augmenta de 30% entre 1939 et 1942-43. Néanmoins, la Partition 6 allait portcr un coup fatal à
l'industrie textile indienne: alors que 98% des filatures de coton et la totalité des filatures de
jute étaient situées en Inde, 81 % des fibres de jute et 40% des fibres de coton provenaient
avant l'indépendance des territoires qui constituent aujourd 'hui le Pakistan (Boquérat, 1997,
p. 18).
Lorsque l'indépendance de l'Inde fut prononcée en 1947, le gouvernement opta pour une
stratégie de développement socialiste basée sur une économie mixte et un fort
interventionnisme étatique. En vertu du principe d'autonomie prioritaire, le pays souhaitait
accéder à une industrialisation rapide en développant une industrie de base de substitution des
importations. Pour ce faire, le pays délaisse le secteur agricole, pour se lancer dans le
stalinisme industriel et accroître la part du secteur public. Ainsi, l'industrie textile est mise de
1> Le terme «Panition» fait référence à la division de l'Inde en janvier 1947, au moment de son
indépendance, en trois unités (1·lnde, le Pakistan occidental (Je Pakistan actuel) et le Pakistan oriental
(Je Bangladesh). Le partage de l'Inde se fit dans J'objectif d'octroyer une patrie à la communauté
musulmane de l'Inde, et une autre à la communauté hindoue. Il se fit de façon arbitraire, sans lien avec
la géographie ou les attaches cuhurelles des communautés depuis des générations, ce qui provoqua de
violents affrontements entre les communautés religieuses, et la migration forcée de milliers de
familles.
22
Dès 1967, en vue de regagner sa souveraineté alimentaire, l'Inde adopte les solutions
proposées dans un rappol1 de la Fondation Ford où sont présentés les résultats d'une étude sur
des variétés de graines de blé et de riz à haut rendement provenant du Mexique et des
Philippines (McHattie, 2000, p. 64). L'Inde entre alors dans une série de réformes agraires
drastiques qui s'étendra jusqu'en 1975 : la révolution verte.
Alors que l'on pouvait s'attendre à des résultats concluants, les taux de production furent
inégaux d'un État à un autre de l'Inde et ne pennirent pas au pays de réduire totalement ses
importations de céréales provenant de l'étranger 8. Si la révolution verte n'avait donc rien de
révolutionnaire en termes de taux de production, elle eut, et a encore aujourd'hui, des
conséquences plus que subversives sur les plans socio-économique et environnemental.
Ainsi, Dasgupta en vient à la conclusion que la révolution verte n'a fait que renforcer l'élite
rurale, «now entrenching power in the Indian countryside» (1997, p. 259, in McHattie, p. 66)
car elle ne permit qu'aux producteurs relativement aisés d'acquérir des tracteurs, d'améliorer
7Traduction libre.
8Lorsque, après la révolution verte, l'Inde exporte une partie de sa production, Del POlO explique qu'il
s'agit d'un signe de pauvreté plus que de richesse: « ses surplus naissent du pouvoir d'achat misérable
d'une partie de sa population» (J 996).
23
C'est seulement dans le courant des années [980, lorsque l'Inde opte pour une stratégie de
promotion des exportations en vue de répondre aux problèmes de chômage qui frappent sa
population que l'industrie textile est relancée (Lévy, 199J, p. 235), et avec elle la production
de coton (Lévy, 199J, p.77). La promotion des exportations a favorisé J'émergence d'un
secteur exportateur moderne qui fonctionne grâce à J'importation de machines standardisées.
Selon Jean-Joseph Boillot, on note à ce moment là « une amélioration notable des
performances du textile indien qui remonte progressivement vers les segments aval plus
24
intensifs en facteur travail, comme l'habillement ou les tapis. L'Inde a multiplié par quatre en
dix ans (1974-1984), sa part de marché dans ces secteurs» (Lévy, 1991,235). Ainsi,
Il semble [... ] que la politique de promotion des exportations traditionnelles, associée à des
importations de machines modernes, ou de biens de consommation intermédiaires (de
qualité et bon marché), améliore la qualité des produits et valorise les avantages
comparatifs de l'Inde, en termes de faibles coûts salariaux (Idem, p. 235).
Par ailleurs, la relance du secteur manufacturier semble avoir engagé unc augmcntation de la
production agricole notamment en céréales, oléagineux, coton, sucre, jute et thé, ce qUI
donnera suite, en 1988-89, au décollage du secteur agricole indien (Lévy, 1991, p. 77).
Ces produits sont cultivés selon les nouvelles méthodes en vigueur, à savoir l'emploi accru
d'intrants chimiques et l'utilisation de graines à haut rendement.
9
C'cst cn 1991, suite à l'imposition par le FM] d'un plan d'ajustement structurel (connu en
Inde sous le nom de « réforme économique ») que l'on parle de la Jibéralisation de
j'économie indienne, organisée autour de quatre axes: la déréglementation industrielle,
l'ouverture des entreprises nationales, J'aménagement du système fiscal et l'assainissement
des finances publiques (Chaudhury, 2001). Étant donné l'accumulation des emprunts non
remboursés dans les campagnes suite à la révolution verte et la consécutive détérioration de la
viabi lité financière des banques émettrices, celle réforme visait en partie à restructurer le
système financier de manière à redorer son image et attirer les investissements étrangers.
9 Pour répondre à la crise macroéconomique qui a eu lieu du fait de l'épuisement des réserves de
devises étrangères et d'un important déficit budgétaire (FAO).
25
Parmi les mesures entreprises en son nom, on compte l'abolition des contrôles de taux
d'intérêt, le renforcement de la supervision des banques, et la création de tribunaux spéciaux
de recouvrement de dettes (Varghese, 2005). Si certains auteurs approuvent cette réforme,
d'autres la déplorent, en arguant qu'elle a eu pour effet de limiter l'accès au crédit dans le
secteur rural, et va donc à l'encontre de toute tentative de développement rural. En effet, alors
que le nombre d'institutions financières rurales a diminué, les taux d'intérêt et les coûts de
transaction demandés se sont accrus, pour dépasser ceux réclamés par les institutions
financières urbaines, empêchant 70% de la population rurale considérée comme pauvre
d'accéder au crédit (Acharya, 2006, p. 14). En parallèle, les prêteurs locaux ont gagné en
importance dans les milieux paysans (Idem).
Concrètement, si cette réforme économique n'a pas engendré de véritable rupture dans la
politique économique menée jusque là (Landy, 2001), il semble qu'elle ait participé à la
formation d'un nouveau modèle de fédéralisme en termes de régionalisation et de
décentralisation (Chaudhury, 2001): le réseau des institutions financières rurales est très
faible dans les États du Nord-Est, alors que les institutions de micro-finance sont concentrées
dans quelques États seulement (Acharya, 2006, p. 15). De ce fait, seuls les agriculteurs
disposant déjà de ressources conséquentes sont aujourd'hui en mesure d'emprunter. Comme
le souligne Heuze, en plus ct 'aggraver l'agression des milieux naturels sous prétexte de
vouloir maintenir des taux de production élevés, la réforme de 1991 eache l'émergence de
nou velles couches dominantes (2001).
Avec j'ajustement structurel appliqué depuis 1991, tout se passe comme si New Delhi
avait sacrifié partiellement ses petits agriculteurs: non pas tant pour limiter le déficit
budgétaire (la hausse des prix d'intervention l'a aggravé), mais pour améliorer la balance
des paiements. Les objectifs sont clairs: retourner à un certain productivisme, tel qu'il
avait pu prévaloir aux premiers temps de la révolution verte, et faire pOiter l'accent sur la
production - si possible ex.portable aux dépens de l'équité entre producteurs et régions.
Pour augmenter la productivité on essaie d'inverser le mouvement de fragmentation des
exploitations pour attirer des capitaux nationaux et étrangers afin de grossir Je poids de
l'agriculture d' entreprise (dei Pozo, 1996).
En 1995, alors que le GATT devient l'üMC, l'Inde s'engage à accroître ses échanges
commerciaux sur le plan mondial. Si cetle décision devrait enfin permettre au pays d'acquérir
26
un statut d'acteur reconnu sur la scène internationale, elle suscite bien des craintes au sein de
sa population, notamment dans le secteur agricole.
Orienté vers la libéralisation des échanges, l'OMC a pour ambition d'établir un système
commercial plus juste pour ses membres. Ainsi, l'Accord sur l'Agriculture (l'AsA) qui en
découle prévoit d'atteindre cet objectif à travers la réduction graduelle et substantielle des
effets distorsifs des politiques agricoles de soutien de nombreux pays (Naik et Chaturvedi,
2002, p. 193). Cet accord est basé principalement sur trois piliers: le soutien interne, J'accès
aux marchés, et les subventions à l'exportation.
L'OMC identifie trois types de mesures de soutien interne allant des moms au plus
distorsives au niveau de leur influence globale sur les échanges. L'organisation internationale
les classe en trois « boîtes» de couleur différente: vert, bleu et orange. Ici, ce sont les
subventions de la boîte orange qui nous intéressent particulièrement. Ces subventions, dites
« couplées », sont des aides liées aux quantités produites, ou aux prix de l'année en cours.
L'OMC considère que ces subventions entraînent une distorsion des échanges et de la
production dans la mesure où elles stimulent la production, favorisant ainsi une surproduction
et ont alors pour conséquence de subventionner une production exportée.
Ces subventions sont tolérées jusqu'à hauteur de 5% de la valeur de la production agricole
pour les pays développés, et à hauteur de 10% pour les pays en développement. En 1994, les
États-membres de l'OMC se sont engagés à réduire leurs soutiens internes couplés: 20% de
1995 à 2000 pour les pays développés, afin de revenir aux niveaux des années 1986-88, et
13,3% de 1995 à 2004 pour les pays en développement (Parmentier et Bailly, 2005, p. 26-27;
Naik et Chaturvedi, 2002, p. 197).
En termes d'accès aux marchés, tous les pays signataires de l'AsA doivent dorénavant
convertir leurs restrictions quantitatives et autres mesures non tarifaires en droits de douane
ordinaires. Finalement, les pays membres de l'OMC doivent arrêter graduellement de
subventionner leurs exportations, ces subventions étant considérées par l'OMC comme les
plus distorsives (Shiva et al., 2000; Parmentier et Bailly, 2005), et ouvrir minimalement leurs
marchés aux importations.
27
D'après Chakrabarti et Dalla (non référencé, in McHattie, 2000, p. 75), J'Jnde doit produire
200 millions de tonnes de céréales pour maintenir la sécurité alimentaire d'une population qui
atteint le milliard cl 'individus. Les auteurs suggèrent que ceci devra induire une augmentation
des terres consacrées à la production de céréales, ou un rendement accru, soit un autre 5,8%
de croissance dans les vingt prochaines années.
Pourtant, on constate depuis quelques temps un abandon dcs cultures céréalières au profit des
cultures de rentc telles que le coton, les huiles et le sucre de canne (2000, in McHattie, 2000,
10 Traduction libre.
Il Traduction libre.
28
p. 75), ce qui résulte, on s'en doute, en un accroissement des importations de céréales, dont
notamment le blé (idem, p. 76).
On comprend ainsi en quoi l'emploi rural peut être affecté par les changements induis de la
libéralisation indienne: les agriculteurs n'ont plus les moyens de persévérer. Pour
Chakrabarti et Dalla (in McHattie, 2000), les tracteurs remplacent graduellement les
employés des champs, les petites fermes cèdent leur place à des grandes propriétés
29
« indiquant une substitution du capital évidente par ]e travail J 2 » (2000, p. 38). Ainsi, après
huit ans de réfonnes économiques et six ans d'expérience avec l'OMC, « 87% de la
population rurale dépense moins par habitant, que 560 roupies (soit la moitié du seuil
I3
international de pauvreté )) (Idem, p. 34). Par ailleurs, comme le souligne Khabra:
« pendant les années 1998-99, des résultats provisoires montraient une baisse du taux de
salaire pour la main d'œuvre des champs non qualifiée de 2.12%. Durant la libéralisation, le
taux de croissance de l'emploi [... ) est inférieur à celui des années ]980» (Khabra, 2000, p.
13).
Pour Rajesh Aggarwal (] 999), la stratégie de 1'Inde aux réUnIons de rOMe consiste à
essayer autant que possible de ralentir les réductions de douane et les impol1ations forcées, et
de protéger ses agriculteurs (ln McHattie, 2000, p. 70). Le Dr. Ombeer Singh Tyagi de
l'Institut social indien (1999) explique que cette manœuvre est cruciale à la survie de ces
derniers, aujourd'hui aux prises avec des coüts de production souvent plus élevés que le prix
reçu en échange desproduits cultivés (ln McHattie, 2000, p. 72). Toutefois, Si l'on s'attend à
ce que l'Inde développe des poli tiques agricoles internes suite aux réformes déployées sous
l'AsA, il n'en est rien (Chakrabarti et Datta, in McHattie, 2000). Au contraire, les dépenses
du gouvernement attribuées à l'agriculture et au secteur électrique ont diminué. En outre, la
totalité des subventions indirectes à l'agriculture, c'est-à-dire le financement de puits, de
pompes, de semences et d'engrais n'atteint pas les 10% de la valeur de la production agricole
autorisée par l'AsA. Même la politique de prix minimal de soutien est amenée à disparaître.
Depuis 1972, en effet, le gouvernement indien applique une politique de prix minimal de
soutien pour 23 produits dont le coton graine. Tous les ans, le gouvernement indien et le
J4
ministère des textiles établissent dans chaque État un prix plancher que la Collon
Corporation o/India s'engage à payer aux producteurs en échange de leur récolte si le prix
l5
du marché ne permet plus au producteur de couvrir au minimum ses frais de production
12Traduction libre.
13Traduction libre.
14Sauf pour l'État du Maharastra qui dispose jusqu'en 2003 de sa propre politique de tixation des prix.
15Si Je prix du marché devient inférieur au prix minimal de soutien.
30
Mais depuis l'ouverture du marché à la fin des années 1990, le gouvernement a été incapable
d'augmenter ce prix minimal pour J'aligner sur les prix internationaux. Par ailleurs, le
gouvernement n'a plus les moyens d'acheter toutes les récoltes touchées par la mévente. Il en
va de même pour l'ensemble des produits disposant d'un prix minimal de soutien (Boda,
200 l, in Boda, 2002). Ainsi, de nombreux agriculteurs doivent vendre leur production à un
prix bien en dessous des coûts de production. Seuls les États où il y a avantage à produire
certaines commodités en termes de coûts de production ont pu bénéficier du prix minimal.
En règle générale, ces mesures de soutien sont très en dessous de ce qui est autorisé par
l'ÜMC. En effet, « L'Inde n'est pas en mesure de donner plus de 1% de son PNB en soutien
[à ses agriculteurs] alors que l'accord üMC autorise jusqu'à 10%» (Jain, in Paringaux, 2002,
p.4).
Par conséquent, si l'on assiste pendant la révolution verte à un endettement croissant des
agriculteurs, et au renforcement de l'élite rurale, il semble que la libéralisation de l'économie
indienne, au lieu de contrer ces phénomènes, les renforce. De façon plus générale, on observe
une application inégale des règles de l'Asa par ses membres, ce qui se traduit, en Inde, par
une volonté d'accroître la productivité et de développer l'infrastructure nécessaire à
l'exportation afin de rester compétitive face aux critères élevés (en termes de qualité) de
nombreux pays développés (Idem, 2002. p. 195).
Pourtant, le rendement annuel de J'Inde en termes de kg de coton par hectare n'avait jamais
été aussi faible. 11 était même, à ce moment précis. Je plus faible au monde. Certains auteurs
mettcnt en cause les pesticides et engrais chimiques qui. utilisés depuis la révolution verle,
'6 L'objectif de cette politique est d'accroître le secteur d'exportations indien afin de financer des
projets de développement.
IïEt de quatre autres commodités (Indian Export Import POI1al, S.d).
31
ont un impact négatif sur la fertilité des sols et la qua] ité du coton, sans toutefois protéger les
plants des parasites néfastes, ces derniers ayant accru leur résistance aux intnmts chimiques.
D'autres expliquent ce phénomène par la dépendance à la mousson des JI. de la surface
consacrée à la production de coton ell Inde et les mauvaises conditions climatiques de ces
dernières années (Grandhi et Crawford. 2007). D'autres encore évoquent plutôt
l'augmentation des prix des fertilisants, des semences et des pesticides, et en général des
conditions économiques défavorables qui ne pelmettent pas aux producteurs de cultiver du
coton comme ils le voudraient (Carpio et Ramirez, 2002). Afin de remédier;i ces cOlJtraintes
ct d'améliorer les rendements, tout en évitant de subventionner ses agrieultcurs
conformément aux recommandations de l'OMC, le gouvernement indien mise sur le
développcmcnt de nouvelles technologies. En 2000. il adopte ainsi Je programme Mission
Technology on Coton l8 , qui donnera lieu deux ans plus tard à la mise sur le marché de trois
variétés de coton hybride Bt, développées par la joint-venture Monsanto-Mahyco.
Les initiales « Bt» renvoient à la Bacillus thuringiensis, une bactérie que l'on trouve
naturellement dans les sols, et qui produit des toxines nocives pour des insectes de l'ordre des
lépidoptères (papillons). Suite à plusieurs manipulations, certains des gènes de cette bactélic
ont pu être isolés pour être insérés dans les semences de coton. On parle d'hybridation
génétique. Ainsi, plusieurs bactéries ont été étudiées pour mettre au point plusieurs variétés
de semences résistant à différents insectes. Sécrétant ses propres agents toxiques, le coton Bt
est donc censé aider Je cultj\/ateur en lui permettant de réduire ses coûts en réduisant les
quantités de pesticides utilisées, tout en lui évitant de nuire à sa santé et à J'environnement.
De même, en .diminuant les dégâts causés par les infestations d'insectes nuisibles, le coton Bt
18Dès 2000, à J'initiative du Ministère des textiles, est lancée la Mission lechnology on colon, lin
programme visant à soutenir la politique nationale des textilcs en accroissant de 50% la production
annueJ]e ct en améliorant la qualité du coton cultivé. Quaire volets y sont consacrés: la rechcrche
génétique, le service aux producteurs, l'amélioration de l'infrastructure du marché el la modernisation
des usines de filature. Au niveau des résultats, la MTC a élé fructueuse: en plus d'avoir permis le
développement de marchés pour la fabrication de tissus el la modernisation de plus de 700 usines de
filature, le rendement a augmenté: si pendant 10 ans, il stagnai! aux alentours de 330kg/hectare, pour
constituer le rendement le pus faible au monde. il atteint 470 kg/ha durant la saison 2004-05 ct 553
kg/ha en 2007-2008 (Cotcorp)
32
pennet en pnnclpe d'améliorer les rendements et amsl les revenus des producteurs
(Parmentier et Bailly, 2005, p. 63).
La commercialisation du coton Bt fut approuvée parce que la plante avait été testée en
Inde, ne demandait aucun sinon peu de pesticides et offrait aux producteurs des
rendements plus importants, et des revenus conséquents. Tout ceci impliquait que le
coton Bt serait respectueux de J'environnement, aboutirait à une réduction des coûts de
production, due à l'absence de pesticides, à un accroissement des rendements de coton et
permettrait au pays d'être très compétitif sur le marché mondial 19 (GRAIN, 2007).
Avec une production record de 3,94 millions de tonnes de coton brut pour la saison 2007
2008, J'Inde est aujourd'hui le second producteur de coton au monde, après la Chine et
devant les États-Unis. D'après la littérature consultée, plusieurs facteurs se trouvent être à
l'origine de l'amélioration des rendements de coton ces dernières années. Parmi eux, on
compte l'adoption de semences à haut rendement plus perfectionnées, un transfert de
technologies approprié, l'adoption de meilleures techniques agricoles et l'augmentation des
surfaces employées à la production de coton Bt. D'après the Economie Times (2007), la
surface totale employée à la production de coton Bt est passée de 6,2% en 2004-05 à 39% en
2006-07. Face à cette augmentation des terres consacrées à la production de coton
transgénique (sur les 91.32 millions d'hectares dédiés à la production de coton en Inde, près
de 35.61 millions d'hectares sont consacrés à la production de coton Bt), de nombreux
observateurs saluent le coton Bt comme étant la cause principale de l'augmentation de la
production de ces dernières années. Cependant, certains résultats montrent au contraire que
l'adoption du coton Bt en Inde s'est soldée par de nombreux échecs.
Selon Pannentier et Bailly, les résultats générés par l'adoption du coton Bt varient
grandement selon les pays et les organismes à J'origine des rapports. En Inde, les ministères
gouvernementaux et les media attribuent les hausses de production de coton à l'utilisation de
coton Bt et en vantent les mérites auprès des producteurs. Toutefois, comme Je souligne R.
Akhileshwari (2005, in GAIA Conceptions, S.d) les rapports cités pour justifier leurs propos
ont été préparés par des chercheurs de la branche market ing de l'entreprise Monsanto
Mahyco, plutôt que par des scientifiques externes à l'entreprise.
19Traduction libre.
33
Aussi, selon la littérature consultée, il semble que l'adoption du coton Bt ait entraîné des
bénéfices dans les États disposant de moyens financiers conséquents, alors que dans d'autres,
il aurait généré de lourdes pertes. C'est pourquoi en Andra Pradesh, le GEAC a refusé
dernièrement de renouveler les licences qu'il avait accordées en 2002 à Monsanto Mahyco
pour la vente de trois variétés de coton Bt. Dans cet État du Sud de l'Inde, l'adoption du
coton Bt a entraîné des pelies de rendement: entre 2002 et 2005, les rendements des champs
de coton non transgénique étaient supérieurs de 9% (Qayum et Sakk.hari, 2005, p. Il). Par
ailleurs, le coton Bt n'a pas été capable de réduire les invasions de parasites, et les
producteurs ont du avoir recours à des doses massives de pesticides alors qu'ils n'étaient pas
censés en avoir besoin (ldem).
Selon les auteurs, la capaci1é du coton Bt à réduire J'utilisation de pesticides est relative.
Dans un premier temps, les toxines Bt ne sont actives que pour certains insectes, pour les
autres, l'usage de pesticides demeure nécessaire. De plus, lorsque des insecticides «à large
spectre» sont réduits au profit du coton Bt, certains insectes secondaires deviennent un
problème majeur. Deuxièmement, les parasites deviennent plus résistants chaque année, ce
qui oblige l'agriculteur à augmenter les doses de pesticides. Troisièmement, la technologie
même du coton Bt est parfois défaillante: selon une étude du ClCR, «la protéine cry 1A,
introduite dans le cotonnier, ne s'y trouverait pas toujours en quantité suffisante pour parvenir
à éliminer les vers de la capsule, élimination qui est pourtant la raison d'être de l'introduction
dans la plante de cette protéine» (ln Parmentier et Bailly, 2005, p. 66). D'après Sakk.hari
dans « Le monde selon Monsanto », une nouvelle maladie aurait commencé à se développer
dans les champs de coton - la rhizoctonia - suite à l'adoption du coton Bt. Selon J'agronome,
il existe une mauvaise interaction entre la plante réceptrice et le gène qui y a été introduil.
« Cela a provoqué une faiblesse dans la plante, qui ne résiste plus à la rhizoctonia. D'une
manière générale, le coton Bt ne résiste pas à des situations de stress comme la sécheresse ou,
au contraire, de fortes précipitations» (In Robin, 2008, p. 355).
Dans le cas du coton, on compte aujourd'hui en Inde deux types de semences: les variétés
indigènes, et les variétés à haut rendement. Les premières ont été développées au cours des
siècles par les agriculteurs pour satisfaire leurs besoins et leur environnement. Elles peuvent
se reproduire chaque année et peuvent donc être conservées et replantées. C'est ce que Shiva
considère comme étant le seul type de semences viables. Les secondes, les semences à haut
rendement, sont en fait des semences hautement réactives à certains intrants; elles n'induisent
pas d'elles mêmes un haut rendement, mais sont amenées à le faire si elles sont
accompagnées de certains fertilisants et d'une irrigation conséquente. Introduites lors de la
Révolution verte, elles sont extrêmement susceptibles aux invasions de parasites et doivent
être accompagnées de doses importantes de pesticides et remplacées après une ou deux
saisons pour permettre un rendement continu. Ainsi, ces semences obligent le producteur à en
acheter de nouvelles auprès du secteur public tous les deux ans, ou chaque année, au nom du
droit de propriété intellectuelle, auprès des compagnies privées. Ces deux types de semences
sont des semences hybrides. Mais tandis que les premières sont obtenues par croisement
naturel, la pollinisation, les secondes sont issues de croisements en laboratoire dont la
«recette» est détenue par J'industrie semencière, aujourd'hui dominée par le secteur privé
(Shiva et al., 2000).
Les semences à haut rendement constituent aujourd'hui le type de semence le plus souvent
utilisé en Inde. Dans le cas du coton, leur efficacité réside dans l'emploi massif de pesticides:
55% des pesticides utilisés dans le secteur agricole sont attribués à la production de coton,
alors que la surface attribuée aux champs de coton en Inde ne dépasse pas les 5% (Combat
Monsanto, 2008b). Ainsi, en 2002, considérant le rendement insuffisant généré par la
production de coton en Inde, et la demande croissante de l'industrie textile, le GEAC autorisa
35
la distribution dans le conunerce des trois variétés de coton hybride Bt développées par la
joint-venture Monsanto-Mahyco.
Lors de leur introduction sur le marché, le brevetage des semences était interdit en Inde, ce
qui empêcha Monsanto-Mahyco, la compagnie détenant le monopole des semences Bt en
Inde, de faire appliquer le même système de droit propriété intellectuelle qu'en Amérique du
Nord, c'est-à-dire exiger que les agriculteurs rachètent chaque année leurs semences sous
peine de poursuite. Pour compenser cette pel1e, la compagnie quadrupla le prix des semences
OGM (Combat Monsanto, S.d, 2008a). Se développa alors un marché de semences Bt
piratées auquel Monsanto répondit par la création de la semence Terminator, dont le germe
est incapable de se reproduire après une année, obligeant l'agriculteur qui la sème à en
racheter de nouvelles chaque année. Après avoir été testée en Inde, cette semence n'est pas
autorisée. Unique consolation: puisque le prix des semences OGM demeurait quatre fois
supérieur au prix des semences conventionneJles, le Gujarat, le Maharashtra et l'Andra
Pradesh, les trois États principaux de la Collon Bell indienne sont récemment parvenus à
imposer un prix maximum relatif à la vente de semences de coton Bt. Toutefois, si le prix des
semences OGM s'est stabilisé dans ces États, celui des semences non OGM n'a pas diminué;
il en va de même pour les intrants chimiques commercialisés aujourd'hui, les compagnies
engagées dans leur vente durant la révolution verte étant les mêmes qui promeuvent
aujourd'hui le coton Bt (McHattie, 2000), et qui règnent à hauteur de 60% en monopole sur
l'industrie semencière indienne.
Autrement dit, si le coton Bt nc permet pas de réduire les quantités de pesticides utilisées
dans les campagnes, et n'entraîne une bausse des rendements qu'au prix d'unc augmentation
dcs coûts de production, il ne peut s'adresser qu'aux producteurs ayant des moyens financiers
conséquents, au détriment des plus marginalisés.
L'endettement et le non rendement des cultures dont parlait Shiva sont les deux éléments
d'un cycle infernal dans lequel les pctits agriculteurs unc fois engagés SOl1ent rarement
indemnes: depuis la révolution verte, !cs agricultcurs doivent non seulement acheter des
semences, mais aussi des engrais ct des pesticides. Puisque leur prix augmente chaque année,
ct que la sommc obtenue par les agriculteurs pour leur production ne !cm pcrmct même plus
de couvrir leurs frais de production, ils n'ont bien souvent pas les moyens de payer
immédi,ltemcnt et doivent emprunter. Aux suites de la dérégulation du système fiscal, il leur
est souvent impossible de s'adresser à des banques conventionnelles et doivcnt sc toumer
vers les prêteurs locaux, qui, tout en acceptant de leur accorder un prêt, appliquent des taux
d'intérêts élevés. Enfin, à cause de la surproduction mondiale, le prix reçu pour leur
production est minime ct les oblige à nouveau à emprunter J'année stlivantc. Dans le cas où
les producteurs auraient utilisé des semences inappropriées pour leur type de sol, ou si les
conditions climatiques ont été défavorables, les producteurs perdent leur production ct ne
peuvent rembourser leurs dettes. Si !es producteurs cultivent du coton en monocultures, ce
2°Traductioll libre.
37
qui est très fréquent dans le cas du coton Bt, on observe à long terme un appauvrissement des
sols conduisant à leur stérilité. Par ailleurs, J'accroissement du nombre de monocultures de
coton va de pair avcc la diminution du nombre de cultures vivrières, l'augmentation du prix
des céréales et la crise alimentaire. Ainsi, seuls les producteurs relativement aisés peuvent
aujourd'hui se permettre de produire du coton selon les conditions actuelles: ils peuvent
emprunter, utiliser la tech no Jogie et la biotechnologie, accroître lew·s rendements et
rembourser leurs dettes. Les autres, c'est-à-dire 80% de la population agricole indienne
considérés comme petits producteurs (avec moins de 5 hectares), sont dans une situation
précaire (McHallic, 2000, p. 58). S'ils ne résistent pas encore quelques années, ils sont
contraints de vendre leurs terres et d'aller en ville chercher du travail. Dans un rapport récent
de la Banque Mondiale, il est estimé que la population rurale qui migrait en ville
représenterait deux fois les populations combinées du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de la
France en 2010 (Ramos, 2004). Ou pirc, ils absorbent les pesticidcs qui onl causé leur perte.
Le suicide des agriculteurs fait depuis quelques années la une des journaux. Partout en Inde,
des producteurs sc donnent la mort, pmiiculièrement les producteurs de coton. Pour Shiva:
Il devient clair ici que l'AsA ne permet pas de répondre à toutes les données du problème de
la ehute du prix du coton. De ce fait, si un terme doit être mis aux pratiques de dumping, il
conviendrait de mettre en place un ensemble de mesures permettant d'assurer des revenus
décents aux producteurs du Sud et du Nord (2005, p. 35-36). Car dans de nombreux pays en
développement tels que l'Indc 21 , mais aussi dans plusieurs pays dits développés tels que les
États-Unis, il en va de la survie des producteurs. Par exemple en instituant davantage de
souplesse, ou encore en établissant un traitement différencié dans les tennes de l'AsA, en
statuant que les sommes dépensées dans Je soutien aux agriculteurs nc soicnt pas incluses
dans les mesures de soutien cumulées (Aggregate Measures of Support) dont la somme ne
doit pas dépasser 5 % pour les pays industrialisés, et 10% pour les pays en développement
(Paringaux, 2002, p. 5). Mais comme nous l'avons vu plus tôt dans le cas spécifique de
l'Inde, ces derniers ne parviennent pas à atteindre le seuil des 5% autorisé pour les pays
industrialisés, alors la question du financement du soutien aux agriculteurs dans les pays du
Sud n'est pas résolue pour autant.
Aussi. au niveau national, il convicndrait d'instituer un ensemble de mesures politiques ct
économiques efficaces gui permettraient aux agriculteurs de vivre dans des conditions
décentes. En rcconn<lissant la corrélation entre le suicide ùes agriculteurs ct la hausse des
21 Et le Pakistan, le Brésil, le Mali, le Sénégal, Je Burkina Faso, Je Pérou pour ne citer que ceux~là.
39
Pour l'auteure, dans une lettre adressée au ministre des finances Je 2 juillet 2004, certaines
mesures devraient être prises par le gouvernement: assurer aux agriculteurs la souveraineté
des semences à travers la création de banques de semences publiques communautaires,
réguler le prix des semences, prévenir Je bio piratage et encourager l'agriculture biologique;
assurer aux agriculteurs un revenu minimum en remettant en place les restrictions
quantitatives pour protéger les agriculteurs du dumping et un prix minimum de soutien
efficace et juste; libérer les agriculteurs de la dette en augmentant l'accès au crédit rural à
travers la mise en place accrue de coopératives et de banques publiques, la régulation des
taux d'intérêt demandés par les prêteurs, en obligeant les compagnies semencières à
rembourser les agriculteurs en cas de non rendement provoqué par la mauvaise qualité des
semences (Idem).
Conclusion
22Se lon la NSSO dans Sainaih (Manière de Voir, aoüt-septembrc 2007, n094), le pourcentage de foyers
paysans endettés est passé de 26% en 1993 à 48% en 2003. En Andra Pradesh, en 2003, 84% des
foyers paysans étaient endettés.
40
le développement du pays. Toutefois, selon le portrait que nous en avons dressé dans la
section précédente, il apparaît que la production de coton en Inde poursuit un modèle de
modernisation qui favorise un accroissement continu des rendements au détriment des
agriculteurs et de leur environnement. Ainsi" il semble que les avantages de la production de
coton en Inde soient répartis de manière déséquilibrée entre les riches propriétaires terriens et
les agriculteurs marginalisés, et plus généralement entre les agriculteurs indiens et les
agriculteurs occidentaux. La thèse dépendantiste semble donc se concrétiser dans le secteur
de la production de coton en Inde, à travers la reproduction d'inégalités entre le centre et la
périphérie.
La thèse néo institutionnelle préconise un développement qui tienne compte de la majorité
mrale pour réduire le problème de la pauvreté (Lipton dans Nahavandi, 2005, p. 100).
Pourtant, nous avons vu qu'avec la libéralisation des marchés et le passage d'une économie
de substitution aux importations à une économie de promotion des expoltations, la population
mrale marginalisée est négligée. D'une palt le coton indien se destine de plus en plus à
l'exportation internationale, au détriment de l'industrie textile locale qui voit s'élever le prix
du coton, d'autre part, le coton se cultive désormais à grande échelle au détriment des petits
agriculteurs, alors que la crise alimentaire menace et que la plantation de céréales devrait être
encouragée.
Aussi, l'argument proposé par Murphy (1989) posant l' exp loi tation de ressources minérales
comme un générateur de richesses pouvant être consommées ou réinvesties dans la
production d'autres types de capital ne trouve, dans un contexte d'ajustement stmcturel et de
désengagement de J'État, aucune application. Seuls les agriculteurs disposant de moyens
financiers conséquents ou vivant dans les régions les plus favorables d'un point de vue
climatique peuvent espérer échapper à la crise du coton, La satisfaction des besoins essentiels
devient alors un objectif difficile à atteindre pour les plus démunis, Finalement, en prenant en
compte les conséquences néfastes que la surproduction de coton et l'emploi massif de
pesticides peuvent avoir sur l'environnement, et l'emphase mise sur les obj ectifs de
croissance, il devient évident que le cas présent ne peut être présenté corrune modèle de
développement viable. Comme l'explique Bélem en discutant des implications du
développement durable pour J'industrie minière malienne,
41
Introduction
production et à la baisse des revenus. Selon la FTF, 100 millions de familles vivent
aujourd'hui de la production de coton à travers le monde; pourtant, les prix n'ont jamais été
aussi bas en trente ans (2005).
Plusieurs pays du Sud en appellent, depuis plusieurs années, à un système commercial plus
juste, mais à l'OMC, des mesures progressives tardent à voir le jour. Sous cet angle, les
nouveaux mouvements sociaux économiques, en proposant d'amener un changement social
et politique par l'économie, semblent offrir une alternative à cette conjoncture difficile:
Non contents de s'insérer, puis de transformer les processus politiques institutionnels, ces
mouvements s'approprient un champ qui leur était autrefois étranger, l'économie, pour
l'instrumentaliser et le redéfinir en fonction de leurs valeurs, de leur éthique et de leurs
objectifs de transformation sociale (Gendron, 200 l, p. 179).
Leur figure de proue, le commerce équitable, est aux dires de ses promoteurs l'alternative
logique à l'exclusion des agriculteurs du système commercial conventionnel: non seulement
le commerce équitable est un commerce à visage humain, mais il se pose comme un outil de
développement durable. C'est ce que nous nous proposons d'investiguer dans le présent
chapitre, afin de déterminer en quoi le commerce équitable pourrait répondre à la crise du
coton telle que vécue par les producteurs indiens.
Dans un premier temps, afin de saisir les bases conceptuelles du mouvement, nous
retracerons ses diverses origines du coopérativisme du XIXème siècle au commerce alternatif
parallèle qu'il prétend être dès la fin des années 1980. Ensuite, nous présenterons les acteurs
du mouvement équitable et le projet qu'ils mettent de l'avant afin de dételminer le potentiel
de transformation dont le commerce équitable dispose pour permettre aux petits producteurs
du Sud d'améliorer leurs conditions de vie. Enfin, dans un troisième temps, nous verrons
comment le mouvcmcnt équitable envisage la problématique de la crise du coton en Inde et
propose d'y remédier. Nous nous consacrerons alors essentiellement à présenter l'initiative
coton équitable, lancée en 2004 par l'organisation FLO, ainsi que le système de garantie
établi par le mouvement équitable dans le cas de la filière labelliséc. Nous discuterons alors
des conditions nécessaires à la mise en place d'un commerce équitable s'inscrivant dans une
perspective de développement durable, susceptible de constituer une solution face à la crise
du coton en Inde. Finalement, en guise de conclusion, nous présenterons notre question et
sous questions de recherche.
45
Comme le montrent celiains auteurs (Bisai lion, 2008; Malvervisi et Faubert-Maillollx, 2000;
IFAT, 2003), les bases conceptuelles du commerce équitable renvoient au projet de société
mis de l'avant par les premiers coopérateurs au Royaume Uni ct en Italie, au XIXème siècle.
La coopérative de Rochdale constitue à ce sujet l'exemple le plus souvent cité. Cettc
coopérative de détail, alors unique en son genre, fut instituée en 1844 par un groupe de
tisserands du Lancashire en réponse aux conditions économiques difficiles qui caractérisaient
l'époque de la Révolution industrielle, Sa spécificité était de vouloir offrir aux ouvriers de la
région des aliments de qualité à prix raisonnable ainsi que des facilités éducationnelles et
sociales. Si plusieurs initiatives de nature politique, morale ou économique avaient déjà à la
même époque été entreprises, rares sont celles qui parvinrent à entraîner un changement à
long terme. On attribue ainsi la possible fondation et le succès de la coopérative de Rochdale
à l'adoption par ses membres de cinq principes clés, inspirés dcs écrits sur les coopératives du
Dr. William King et du réformateur Robert Owen. ]J s'agit de l'adhésion libre ct volontaire,
du contrôle démocratique, du paiement d'intérêts limités sur le capital, des surplus répartis en
proportion des achats des membres, et de l'accès à l'éducation pour les membres et les
travailleurs (Euro Coop, s.d.). La coopérative avait ainsi pour objectif de développer une
économie intégrée de la production à la distribution, fOlmulant pour la première fois le
principe de commerce direct par élimination des intermédiaires. Autrement dit, il s'agissait de
« transformer la nature des relations commerciales de manière à ce qu'elles deviennent un
46
Les origines du commerce équitable sont liées à celles de la consommation responsable qui
serait née aux États-Unis au début du XIX ème siècle, avec l'apparition de boutiques militant
contre l'esclavage et offrant des produits fabriqués dans des conditions définies pour l'époque
comme étant socialement responsables (Canfin, 2006). Puis, en 1899, dans le but de
promouvoir un marché juste pour les travailleurs comme pour les consommateurs, la
National Consumers League commença à labelliser les produits qu'elle jugeait avoir été
fabriqués dans des conditions relevant d'un minimum de justice et de sécurité. Dans sa
constitution, la ligue se disait "concerned that goods be produced and distributed at
reasonable priees and in adequate quantity, but under fair, safe, and healthy working
conditions that foster quality products for consumers and a decent standard of living for
workers" (OCP, 2005). La ligue encourageait même les consommateurs à boycotter les
produits qui manquaient de satisfaire aux exigences de son label. Et au début du XXème
siècle, sous le slogan "To live means to buy, to buy means to have power, to have power
means to have duties", elle amorça une campagne pour que les travailleurs puissent percevoir
un salaire minimum afin de vivre dans des conditions décentes. Cette campagne se concrétisa
en 1938 avec l'élaboration du Fair Labor Standards Act qui officialisait pour la première fois
aux États-Unis un salaire minimum (OCP, 2005).
Cependant, malgré ces rapprochements conceptuels entre ·Ie commerce équitable, le
mouvement coopératif et la consommation responsable du XIXème siècle, on situe plus
généralement les premières expériences du commerce équitable en Europe et aux États-Unis
dans les années 1940.
47
Pour de nombreux auteurs, les premières expériences concrètes du commerce équitable ont
tout d'abord été initiées par des missionnaires, puis par des organismes religieux et certains
mouvements de solidarité de l'après guerre, au milieu du siècle dernier.
Cette première vague d'initiatives de type alternatif renvoie à ce qui est aujourd'hui défini
comme un commerce de charité (charity trade, Kocken, 2003), soit un commerce reposant
sur la vente de produits fabriqués par des populations défavorisées du Sud dont notamment
des réfugiés, à des fins caritatives ou humanitaires (Low and Davenport, 2005). Comme le
précisent Littrell et Dickson (1999), ce type de commerce est alors peu élaboré, se limitant à
la vente de porte à porte et à la sortie des églises. En fait, les premières initiatives de
commerce équitable agissent alors à titre individuel pour financer leurs activités sans
s'appuyer sur des principes fondateurs communs (Low and Davenport, 2005). Pourtant,
rapidement, ces dernières allaient converger vers le même idéal pour bâtir les fondements du
commerce équitable. Quatre organisations du Nord peuvent être identifiées comme étant à
l'origine de cette évolution: le Mennonite Central Committee (MCC), Sales Exchange for
Refugee Rehabilitation and Vocation (SERRV), Oxfam et S.O.S.
C'est avec Edna Ruth Byler, une volontaire américaine du Mennonite Central Committee que
le commerce de charité est lancé. En 1940, Edna rend visite à des bénévoles mennonites
enseignant la couture à des femmes marginalisées de Porto Rico. Les articles de broderie
qu'elle ramena de son voyage devinrent si populaires qu'en 1946, elle décida de les vendre,
ainsi que des travaux d'aiguille en point de croix fabriqués par des réfugiés de Palestine et
des articles en bois sculptés à la main par des artisans haïtiens (Ten Thousand Villages, s.d.).
En 1958, elle aménage le sous-sol de sa maison en Pennsylvanie pour en faire une boutique
consacrée à la vente de ces produits. Puis, en 1968, ce projet devient un programme officiel
du MCC baptisé "SELFHELP: Crafts of the world" et donne naissance au premier magasin
du monde américain en Ohio en 1972. En 1996, l'organisation pionnière est auto-suffisante et
prend le nom de Ten Thousand Villages (Fair Trade Hub, s.d.).
48
A partir des années 1960-70, on assiste au développement d'un nouveau type de commerce
reposant non plus sur la recherche directe de l'amélioration des conditions de vie des
agriculteurs, mais sur l'instauration de liens de solidarité avec les pays du Sud
49
En parallèle au commerce solidaire se développe vers la fin des années 1960 le commerce
développemental (developmenl trade, Kocken, 2003). Initié par des organisations religieuses
et de grandes institutions de développement, ce nouveau type de commerce alternatif se
présente comme un moyen d'atteindre des objectifs du développement dont la lutte contre la
pauvreté et l'aide aux populations victimes de catastrophes naturelles (Idem). Inspirées par
les théories de développement de l'époque prônant notamment une plus grande participation
des populations impliquées, les ONG du Nord, alliées de leurs émissaires au Sud cherchent
alors à établir des organisations de commerce alternatif au Sud qui puissent assister les
50
anisans désavantagés dans la production, leur offrir des conseils, de l'assistance et des
services sociaux, et assurer l'exponation au Nord des produits fabriqués (Kocken, 2003). Les
relations entre les organisations du Nord et celles du Sud reposent dès lors sur le pal1enariat,
le dialogue, la transparence et le respect (Idem). Toutefois, les revenus réalisés grâce à la
vente de produits d'anisanat issus de ce panenariat aux consommateurs du Nord sont utilisés
pour financer les projets de développement des organisations au Nord telles que OXFAM ou
Caritas et ne reviennent pas spécifiquement dans les communautés à l'origine des produits
commercialisés (Malvervisi et Faubert-Mailloux, 2005).
C'est dans cette perspective que les pays du Sud présents à la première conférence des
Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) en 1964 réclament « du
commerce, pas de l'aide» (trade not aiel), c'est-à-dire des règles commerciales plus justes qui
leur permettraient de participer au commerce international au même titre que les pays
industrialisés et qui rendraient inutile l'aide que ces derniers leur apportent. Cependant, les
revendications des pays du Sud sont ignorées par les instances onusiennes, et aucune mesure
concrète n'est adoptée. Seul le commerce alternatif, de par le développement de son réseau de
distribution, permet alors d'envisager une esquisse de réponse à l'appel des pays du Sud 23 .
Dans les années 1970 et 1980, le volume des ventes de produits alternatifs connaît en effet un
essor sans précédent grâce à la mise en place des Magasins du monde (Low and Davenport,
2005, p. 146). Toutefois, dans une perspective globale, ce type de commerce ne panicipe
alors que très peu à l'ordre marchand (Le Velly, 2006, p. 10). D'une pan, il ne repose que sur
la vente de produits de l'anisanat à la sortie des églises, lors de manifestations tiers
mondistes et dans des boutiques « mal situées, peu accueillantes et aménagées de bric et de
broc». D'autre pan, il demeure un commerce de niche qui s'appuie essentiellement sur la
bienveillance de consommateurs déjà convaincus, sans chercher à attirer une clientèle
nouvelle (Idem). Aussi, le prix d'un produit alternatif était alors très supérieur à sa
contrepartie conventionnelle, faisant de l'achat de tels produits un acte de charité visant à
23 Pourtant, comme le soulignent Gendron et al., si de nombreux acteurs du commerce équitable voient
aujourd'hui le message Trade 1101 aid comme l'identité même du mouvement, aucune organisation de
commerce alternatif ne s'en réclamait alors; c'est donc à postériori que s'est faite cette association, le
mouvement équitable étant alors très embryonnaire (Gendron et al., 2009).
51
Ainsi, lorsque le système commercial international fut remanié vers la fin des années 1980 - à
la suite du choc pétrolier de J973 - de façon à accroître les échanges au niveau mondial, ce
type de commerce allait faire face à d'impol1antes difficultés. Dans un premier temps, la
diminution des barrières tarifaires sur un bon nombre de produits de l'artisanat allait faire
apparaître de nouveaux joueurs commerciaux tels Pier import et la Bombay Trading
Company, et du même coup faire perdre aux Magasins du Monde l'exclusivité de ces
produits (Low et Davenpon, 2005). Du côté de la demande, dans un deuxième temps, la
récession entraîna chez les consommateurs un plus grand souci du rapport «qualité/prix », et
chez les consommateurs de produits alternatifs une remise en qucstion des garanties qui leur
étaient jusqu'alors proposées (Low et Davenpon, 2005). Dès lors, le seul fait qu'un produit
soit issu d'une boutique alternative ne suffit plus (EFTA, 2001). Les organisations
alternatives du Nord devaient s'intéresser aux demandes du marché pour commercialiser des
produits recherchés, et les organisations de producteurs du Sud devaient améliorer la qualité
des produits fabriqués (Low el Davenpon, 2005).
C'est ainsi que malgré certaines réticences à adopter une approche plus cOlTUllerciale, (Le
Velly, 2004), les Boutiques Tiers-Monde se professionnaJisent pour accorder aux activités de
commercialisation des produits autant d'importance que celles reliées à la diffusion de
l'information au consommateur (Veit, 1997). Les boutiques Tiers-Monde cherchent de cette
façon à attirer de nouveaux clients pour accroître leurs ventes. Ainsi, on note non seulement
une amélioration sensible de la qualité des produits distribués, mais aussi un élargissement
conséquent de la gamme proposée, du secteur artisanal au secteur alimentaire. Car, si du café
alternatif en provenance du Guatemala avait fait une percée en 1973 grâce à l'organisation
52
Fair Trade Organisatie (Veit, 1997; Kocken, 2003), ce n'est que vers la fin des années 1980
que l'on parle du virage alimentair/ 4 du commerce équitable.
En 1988 plus précisément, en réponse à l'appel lancé par une communauté de producteurs en
proie à la crise du café est créée l'association néerlandaise à but non lucratif Max Havelaar et
le label du même nom. En plus d'instaurer des conditions d'échange plus justes par
l'imposition de valeurs telles la transparence, le respect et le dialogue, le commerce équitable
tel qu'envisagé par Max Havelaar repose désormais sur l'élimination d'un maximum
d'intermédiaires sur la chaîne de distribution du produit, assurant ainsi une économie
significative pouvant être redistribuée au producteur et à sa communauté.
À l'initiative de Nico Roozen de l'ONG néerlandaise Solidaridad, et du prêtre Francisco van
der Hoff, le label Max Havelaar permet la vente de café équitable dans les moyennes et
grandes surfaces, le faisant ainsi connaître à un plus grand nombre de consommateurs. C'est
donc à partir de la création du label Max Havelaar que le commerce alternatif devient le
commerce équitable. Comme l'explique Gendron, avec le commerce équitable, « Il ne s'agit
plus d'aider les pays à se développer, mais bien de leur donner les moyens de le faire, en leur
offrant notamment des conditions d'échange plus justes» (Gendron, 2004, p. 7). De plus, par
rapport au commerce alternatif de bienveillance, le commerce équitable peut servir la cause
d'un plus grand nombre de producteurs marginalisés, tout en leur garantissant, ainsi qu'au
consommateur final le respect de certaines normes éthiques (Diaz Pedregal, 2006).
«Ainsi, aux côtés de la filière intégrée du commerce équitable dont les produits sont
distribués dans les réseaux alternatifs (magasins du monde, commandes par catalogues),
apparaît une nouvelle filière: la filière labellisée dont les produits sont écoulés dans la grande
distribution» (Bisaillon, 2008, p. 20). On assiste en parallèle au développement d'un discours
nouveau: si la filière intégrée en visant la transformation du système commercial
conventionnel (Jonhson, 2003) propose un commerce - outil (Le Velly, 2004), soit un
commerce utilisé à des fins de sensibilisation, la filière labellisée, en visant la régulation
(Johnson, 2003) se pose dorénavant comme un commerce - soutien (Le Velly, 2004), c'est-à
dire un commerce porté par la recherche de nouveaux débouchés pour les produits de
producteurs marginalisés et l'augmentation du volume des ventes.
Comme nous le verrons par la suite, c'est dans le cadre de la filière labellisée que les
producteurs de coton peuvent adhérer au mouvement équitable. Ce sont ces deux filières, ou
types de commerce, qui font du commerce équitable le mouvement qu'on lui connaît
aujourd'hui, c'est-à-dire des acteurs, mais avant tout un projet.
Depuis ses premiers balbutiements dans le commerce de chari lé, le commerce équitable a su
élaborer uri projet qui rassemble aujourd'hui des acteurs de tous les continents. Ainsi,
davantage qu'un succès ponctuel des années 1990, le commerce équitable représente un
véritable potentiel de transformation. C'est ce que nous souhaitons montrer ici en présentant
les acteurs qui animent le mouvement équitable, et la philosophie qui les unit.
L'institutionnalisation du mouvement équitable s'est amorcée vers la fin des années 1980
avec la structuration des magasins du monde en réseaux et organisations fédératives reliées à
des centrales d'achat (les AI/erna/ive trading associations) qui collaborent directement avec
les producteurs du Sud, et se portent garantes du respect des critères du commerce équitable
des produits qu'elles importent (Gendron, 2004, p.9).
Dans un premier temps est créée La European Fair Trade Associa/ion (EFTA) en 1987 pour
regrouper plus d'une douzaine des principales centrales d'achat en Europe.
Puis, en 1989 est fondée l'IFAT, l'Interna/ional Federation/or Alternative Trade, un réseau
international regroupant aujourd'hui les centrales d'achat d'Europe, d'Amérique du Nord et
de la région pacifique, ainsi que plus de 150 organisations de producteurs en Asie, en Afrique
et en Amérique latine et 34 membres individuels [associations, compagnies d'export et
d'études de marché, d'import, des détaillants, des réseaux nationaux ct régionaux du
commerce équitable et des institutions financières dédiées au commerce équitable (lFAT,
2008)]; l'IFAT coordonne ainsi L'EFTA. Le principal objectif de l'IFAT es! d'améliorer les
conditions de vie et le bien-être des producteurs désavantagés grâce au commerce.
L'association se donne pour mission la promotion du commerce équitable, l'échange d'idées
et d'information entre les organisations qui la composent, et la certification d'organisations
sous le label FTü (IF AT, 2005 ; Kocken, 2003). Puis c'est au tour du Ne/work of European
54
Worldshops (le réseau NEWS!) officialisé en 1994 pour regrouper une qUInzaIne de
fédérations nationales de Magasins du Monde dans le but de coordonner les campagnes de
sensibilisation européennes et de stimuler l'échange d'information sur le développement des
ventes de produits équitables. NEWS, comme EFTA, est coordonné par l'IFAT (Kocken,
2003). La même année est créée la North American Alternative Trade Organization
(NAATO) qui prend le nom un an plus tard de Fair Trade Foundation (FTF) (FTF, s.d.).
Cette association représente les centrales d'achat aux États-Unis et au Canada, ainsi que des
organisations de producteurs en Asie (Raynolds et Long, 2007).
Enfin, même si j'essentiel des organisations de commerce équitable est regroupé au Nord, on
compte aujourd'hui bon nombre de réseaux d'organisations de producteurs du commerce
équitable dans les pays du Sud, et ce, aussi bien sur Je plan continental (par exemple le
Network of Asian Producers -NAP- créé en 2005 et qui regroupe des organisations de
producteurs, leur joint bodies - FLO ou IFAT- et si c'est le cas, leur promoting bodiei5 , ou
encore le réseau africain COFTA créé en 2004 et qui regroupe 60 membres provenant de 18
pays africains); sur le plan régional (par exemple la table de coordination des petits
producteurs de conunerce équitable d'Amérique Latine et des Caraïbes -CLAC- créée en
2004); que sur le plan national (FTF-I, l'unique Forum de conunerce équitable destiné aux
organisations de producteurs en Inde qui compte 45 organisations de producteurs, dont huit
produisent des produits alimentaires et 33 de l'artisanat).
Transfair et Fair Trade Mark en sont des exemples) afin d'établir un partage de zones de
compétences et d'unifier les critères du commerce équitable (Buccolo, 2000). À leur tour, ces
organismes de labellisation se chargeront de contrôler l'utilisation de licences par les
détenteurs de licences dans leurs pays. Enfin, ils auront pour mission de promouvoir le
commerce équitable sur leur territoire de juridiction.
D'autre part, FLO certifie les organisations de producteurs, les importateurs et exportateurs
(par l'intermédiaire de FLO Cert), et s'engage à soutenir les producteurs désireux d'acquérir
la certification équitable ou de la conserver en les éclairant sur les nouvelles opportunités
d'intégration au marché (FLü, s.d.).
Le tableau 2.1 résume le rôle de chaque acteur du mouvement, dans la filière intégrée ct dans
la filière labellisée, au Nord et au Sud.
56
Année
Nom Objectifs
de
du réseau
création
Au niveau
continental: 2004 et
NAP, COFTA, 2005
etc ...
-c Regroupe les organisations de producteurs du commerce
::J Au niveau
(J) équitable au Sud;
::J régional: 2004
« CLAC, etc ... Echange d'idées et d'information.
Au niveau
national: 2000
FTF-I, etc ..
57
Travailler délibérément avec des producteurs et des travailleurs marginalisés afin de les
aider à passer d'une position de vulnérabilité à la sécurité et à l'autosuffisance
économique; donner plus de poids aux producteurs et aux travailleurs en tant que
parties prenantes de leurs organisations; jouer activement un plus grand rôle dans
l'arène mondiale pour parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial
(FINE, 2001).
D'après cette définition, qui reprend les points essentiels de la philosophie de l'IFAT et de
l'organisation Max Havelaar à ses débuts, le commerce équitable se présente avant tout
comme une alternative au marché conventionnel qu'il dénonce comme étant à l'origine des
inégalités Nord/Sud. Le mouvement se donne ainsi deux objectifs: d'une part améliorer les
conditions de vie des producteurs marginalisés du Sud, et d'autre pa11 militer en faveur de
changements au sein des règles et pratiques commerciales conventionnelles.
C'est à travers la réalisation de ces deux objectifs que le commerce équitable, selon Transfair
Canada, prétend répondre à la problématique des prix bas et volatils, à l'injustice des accords
commerciaux internationaux, au manque d'accès des producteurs au marché, au crédit ct à la
technologie, aux conditions de travail difficiles dont peuvent être victimes les producteurs et
les travailleurs du système conventionnel, et aux impacts négatifs sur l'environnement et la
santé entraînés par le développement de monocultures et l'utilisation de pesticides (2008).
Mais SU11out, de par sa définition, le commerce équitable prétend contribuer à la mise en
place d'un développement durable.
humain» (EFTA, 2001) en prônant un rééquilibrage des relations de pouvoir à la base des
relations commerciales conventionnelles (Le Velly, 2004), et en diminuant le nombre
d'intermédiaires présents sur la chaîne commerciale du producteur au consommateur: dès
lors, « ce ne sont plus deux agents économiques recherchant leur utilité marginale qui
transigent, mais bien des personnes ancrées dans des sociétés particulières, qui, à travers une
transaction commerciale, sont appelées à établir une véritable relation de solidarité »
(Gendron, 2004, p. 7). Afin d'engager cette relation de solidarité, le commerce équitable
avance une série de principes et un cadre institutionnel inédits.
Ces principes, à la base de l'activité du mouvement équitable, sont les suivants: dans un
premier temps, les organisations de commerce équitable doivent accorder aux producteurs un
soutien financier, technique et organisationnel. Dans un deuxième temps, elles doivent
sensibiliser la population au Nord et au Sud et mener campagne pour un changement du
commerce conventionnel. Par conséquent, le commerce équitable doit être vu comme un
partenariat bénéfique pour toutes les parties concernées. Pour ce faire, il doit reposer sur le
dialogue et le respect de chaque partenaire. À leur tour, ces partenaires devront faire preuve
de transparence au niveau financier et organisationnel et favoriser une communication
constructive. Le commerce équitable doit également proposer aux producteurs et aux
travailleurs un prix juste qui ne couvre pas seulement les coûts de production, mais qui inclut
aussi les coûts sociaux et environnementaux et qui leur permette de vivre convenablement,
ainsi qu'un préfinancement afin de leur éviter l'endettement. Ces conditions doivent être
envisagées à long terme. Aussi, le commerce équitable doit offrir un milieu de travail
socialement responsable, sécuritaire et propre et s'assurer du respect des règles de J'OlT, des
droits de l'homme et des lois nationales. Enfin, le commerce équitable s'engage à améliorer
les opportunités sociales et économiques des petits producteurs et des salariés, et des
pratiques environnementales de leurs organisations en renforçant leur participation à la prise
de décision, en offrant un soutien à J'éducation, au renforcement des capacités et à l'équité
des genres (FINE, 2001).
le fait que le commerce équitable dépende de la demande des consommateurs peut s'avérer
périlleux pour la survie des organisations de producteurs, aussi bien au niveau de
l'écoulement des produits que dans l'acceptation de nouveaux membres, notons cependant
que le commerce équitable fait aujourd'hui partie d'un mouvement plus large, le mouvement
de consommation responsable.
Dans cette perspective, il apparaît que l'apport majeur du commerce équitable a été de
réévaluer la notion de justice dans le rapport consommateur/producteur et de réinventer ce
rapport jusqu'à en faire son leitmotiv: avec le commerce équitable, de charitable, Je
consommateur est tour à tour devenu solidaire, développeur, bienveillant pour finalement
devenir, avec l'apparition du label Max Havelaar, «équitable », c'est-à-dire que le commerce
équitable axe son discours actuel sur le fait que le producteur et le consommateur
entretiennent une relation commerciale non plus sur la base de la charité ou de la solidarité
mais sur la base de l'équité et dela qualité des produits commercialisés. Dans celte évolution,
toujours selon les promoteurs du commerce équitable, le producteur a toujours joué un rôle
de récipiendaire, dépendant de celtc relation d'aide. Avec lç commerce équitable, il n'esl plus
61
dans une position d'infériorité par rapport au consommateur, car au lieu de lui offrir de l'aide,
ce dernier lui donne accès à de meilleures conditions commerciales, en échange d'un produit
de qualité, et donc les moyens d'améliorer ses conditions de vie. Du commerce de charité, on
passe à un commerce plus juste grâce auquel les producteurs ont dorénavant la capacité de
décider de la nature de leur développement.
Dans sa position d'alternative néanmoins, d'après les principes qu'il met de l'avant, le
commerce équitable repose avant tout sur une dimension politique, en proposant de militer et
d'agir en faveur de meilleures pratiques commerciales et de production en incluant toutes les
pal1ies prenantes d'un système réduit au minimum d'intermédiaires dans un maximum de
dialogue, de respect et de transparence. C'est avec un changement économique qu'ij entend
une transformation politique des conditions commerciales offertes aux producteurs
marginalisés au système commercial conventionnel, et qu'il propose de transformer à la fois
noire rapport à la consommalion, mais aussi les modes de production des agriculteurs en
62
Comme nous l'avons vu, le potentiel de transformation du commerce équitable se traduit tout
d'abord par la possibilité de faire participer pour la première fois les producteurs marginalisés
du Sud à leur développement, en faisant de la relation commerciale qui les lie à d'autres
partenaires commerciaux une relation d'équité. Pour ce faire, le commerce équitable propose
une série de principes qui reflètent une dimension politique - militer pour un changement des
règles du système commercial conventionnel - et une dimension pratique - améliorer les
conditions de vie des producteurs marginalisés - dans une visée de développement durable,
63
Selon le collectif Artisans du monde, « une garantie est une assurance délivrée au terme d'un
processus de vérification, d' adéquation entre des pratiques et des princi pes» (Art isans du
Monde, s.d.). Comme l'indique la PFCE (la Plateforme française du commerce équitable), en
l'absence de définition légale et de mode de certification uniformisé du commerce équitable
par les pouvoirs publics, il existe aujourd'hui divers systèmes de garanties privés au travers
de labellisations, de marques et de mécanismes de reconnaissances, que ce soit au niveau
international, tels FTO (garantie internationale de la filière intégrée) et Fair/rade (garantie
internationale de la filière labellisée), ou au niveau national, telle la garantie PFCE, ou encore
au niveau des produits (Fair/rade) ou des organisations (FTO, garantie PFCE, garanties de la
filière Artisans du Monde), (PFCE, s.d). lei, nous aborderons uniquement la garantie
internationale Fair/rade, puisque c'est dans le cadre de celle-ci que les productcurs de coton
sont amenés à intégrer le réseau du commerce équitable.
Dans les années J980, la professionnalisation des magasins du monde et la création du label
Max Havelaar témoignent pour la première fois de la nécessité pour le mouvement équitable
de maintenir la confiance des consommateurs. Avec la mise en place de la garantie Fair/rade
en ]997, les produits équitables de la filière labellisée allaient enfin être reconnus
internationalement dans les réseaux de la grande distribution à l'aide d'un logo facilement
reconnaissable. À cette période, le système de certification équitable de la filière labellisée
concernait essentiellement les produits agricoles, tels que le café, le sucre ou encore le cacao.
Étant donné le haut degré de standardisation de ces produits, un prix fixe, dit « équitable» a
été établi pOLIr rétribuer les producteurs du Sud pour chacun de ces produits en contrepartie
64
Producteurs
Organisations de
~-------------1Soutien aux
petits producteurs
producteurs
Travailleurs salariés
FLO Cert.
Inspection
Contrôle
Cer@cation
D
Détenteurs de
23 Initiatives
Nationales
licence
(magasin) Octroi de
licences
D Promotion du
Consommateurs label et du CE
En 2004, La FTF et FLü ont décidé d'inclure le coton dans leur gamme de produits et ont
développé, puis adopté un standard destiné aux organisations de petits producteurs dc coton
afin que ceux-ci puissent bénéficier de la garantie Fairfrade. En 2005, 50 organisations de
producteurs de coton étaient certifiées en lnde, au Mali, au Pérou, au Sénégal et au Cameroun
(FTF, 2005). Selon FLü, la certification Fairfrade est un outil de développement qui répond
de manière précise aux difficultés rencontrées par les producteurs de commodités agricoles
dans les pays en développement (idem).
En réponse à ce que nous appelons la crise du coton, FLO propose ainsi la certification
équitable Fair/rade. Celle-ci, selon l'organisation, garantit que les producteurs reçoivent un
prix juste et stable pour leurs produits; que les producteurs et les travailleurs dans les
plantations aient la possibilité d'améliorer leurs conditions de vie; un plus grand respect de
l'environnement; un lien plus étroit entre les consommateurs et les producteurs; et enfin, que
l'inclusion des petits producteurs dans les marchés mondiaux soit plus importante (FTF,
2005).
Cette certification s'adresse donc essentiellement aux producteurs, en les plaçant au centre
des préoccupations du mouvement équitable, mais elle s'adresse également aux
consommateurs, en les sensibilisant et en leur permettant de faire des choix éclairés lors de
leurs achats, et finalement aux compagnies, en les influcnçant dans Ic développement de
meilleures relations commerciales avec leurs fournisseurs au Sud ct en accroissant la gamme
et la disponibilité des produits équitables (FTF, 2005).
En pratique toutefois, les producteurs et organisations de productcurs équitables détiennent
davantage de responsabilités que n'importe quel autre partenaire de la chaîne de distribution
de produits équitables. C'est ce que nous nous proposons de montrer dans la prochaine
section, à travers une brève présentation du système de garantie de la filière labellisée.
Dans le premier cas, les producteurs doivent être regroupés en organisation démocratique
(coopérative, association ou autres formes d'organisation), laquelle doit pouvoir contribuer au
développement social et économique de ses membres et de leurs communautés (FLO, s.d.).
Les travailleurs, pour leur part, doivent être organisés, le plus souvent en syndicats, et
l'entreprise qui les emploie doit s'engager à promouvoir leur développement en leur payant
un salaire décent, et à respecter l'environnement ainsi que les nonnes internationales du
travail, de la santé et de la sécurité. Dans les deux cas, le travail des enfants est interdit (FLO,
s.d.). La certification de coton équitable ne s'adresse cependant qu'aux organisations de
producteurs et pas aux travailleurs de plantations (FTF, 2005).
Ces critères génériques sont à leur tout divisés en deux niveaux: les exigences minimales que
toutes les organisations de producteurs doivent respecter afin d'acquérir la celiification et la
conserver, et les exigences de progrès qui les encouragent à constamment améliorer leurs
pratiques et la qualité du produit cultivé (FLO, s.d.).
Les critères génériques de FLO sont divisés en quatre sections: le développement social, le
développement économique, le développement environnemental et les standards sur les
conditions de travail. Nous nous en tiendrons ici à la présentation des exigences minimales
des critères génériques destinés aux organisations de petits producteurs.
À ces critères génériques peuvent finalement s'ajouter des critères spécifiques en fonction des
distributeurs, des produits ou des lieux de production. De tels critères peuvent porter sur la
qualité du produit, le processus de production, le prix, le maintien de la sécurité alimentaire
par la diversification des cultures, le respect de l'environnement, l'équilibre entre le marché
local et le marché d'exportation ou encore le fait de privilégier la transformation sur place
(Bowen, 2001, p. 29-30.).
Dans le cas du coton, on note que la prime équitable doit atteindre en Inde de 0,05 à 0,06
US$/kg; le prix minimum équitable, pour sa part, s'élève à 0,487 US$/kg (FTF, 2005). Par
ailleurs, dans la liste des critères du commerce équitable à respecter par les petits producteurs
de coton datée du 1er juillet 2008, on retrouve deux nouvelles exigences: premièrement, en
matière de développement social, dans les exigences de progrès, il est mentionné que des
mesures appropriées doivent être prises afin d'assurer une représentation ct une adhésion
égales des femmes productrices au sein de l'organisation. L'organisation doit ainsi garantir
que les paiements soient faits directement aux femmes plutôt qu'à leurs époux.
Aussi, en regard du développement économique, dans la section 2.3 concernant la
consolidation de la situation économique de l'Organisation, niveau « exigences de progrès»
il est stipulé que les producteurs doivent promouvoir la production d'autres cultures que le
coton, tant destinées à la production familiale qu'à la vente (sur le marché local mais aussi à
l'exportation). La diversification des cultures est envisagée comme un moyen d'augmenter la
70
durabilité du sol, d'améliorer la gestion de l'eau, les moyens d'existence des producteurs, et
de diminuer leur dépendance à la culture du coton.
De leur côté, les commerçants qui s'approvisionnent directement auprès des organisations de
producteurs équitables doivent accorder aux producteurs un prix qui couvre minimalement
une production durable: le prix minimum équitable; une prime que les producteurs pourront
investir dans des projets de développement: la prime équitable; un préfinancement, si
demandé par les producteurs, afin d'éviter à ceux-ci de s'endetter; et enfin des contrats
signés qui les engagent auprès des producteurs dans un partenariat commercial à long terme
(FLO, s.d).
Aussi, en regard des tableaux 2.2 et 2.3, on constate que le soutien financier, technique et
organisationnel que FLO doit accorder aux producteurs n'apparaît que dans le discours de
l'organisation. Il apparaît dOllc qu'afin d'intégrer le réseau du commerce équitable, les
afin de pouvoir régler leur certification auprès de FLO. Dans ce cas seulement, apparemment,
cette dernière apportera son soutien aux organisations.
Mais comment les producteurs les plus marginalisés, qui n'ont bien souvent accès à aucune
information sur de nouvelles opportunités commerciales et qui ne disposent que de très
faibles moyens peuvent-ils prendre connaissance de l'existence de la cel1ification équitable,
mettre en pratique les principes du mouvement et entretenir une relation de partenariat avec
JI semble que l'organisation FLO ait commencé à réaliser que l'accès des producteurs les plus
marginalisés au réseau du commerce équitable ne soit pas aussi évident que ce qu'elle le
laissait penser jusqu'à présent. Ainsi, depuis 2005, les critères du commerce équitable de
FLO destinés aux organisations de petits producteurs, de travailleurs dans les usines ou
plantations, et les critères destinés aux commerçants, donc en bref, les critères génériqucs du
commerce équitable sont appelés à changer dans un cas particulier.
72
Principes du CE définis par FINE Principes du CE définis par FLO Destinés aux:
Organisations de
Transparence au niveau producteurs
économique.
Partenariat basé sur la transparence, le Commerçants
dialogue el le respect.
FLO envisage le partenariat sur toute
Organisations de CE
la chaîne dans son discours.
Respect des lois nationales, des droits de · Interdiction du travail des enfants
et du travail forcé; Organisations de
l'homme et des standards de l'OIT.
· Liberté syndicale et de
négociations collectives;
producteurs
··
ICM encouragé;
Agriculture biologique
encouragée.
Consolidation de la situation Organisations de
Conditions commerciales envisagées à économique de l'organisation. producteurs
long terme. Contrats de planification à long
Commerçants
terme.
73
Si la définition du commerce équitable retenue par FINE en 2001 nous amenait à envisager le
commerce équitable dans une dimension à la fois politique et pratique, ainsi gue dans sa
capacité à permettre aux producteurs marginalisés de décider pour la première fois de leur
développement, les critères du commerce équitable destinés aux organisations de producteurs
élaborés par J'organisation FLO nous semblent limités à ces égards, de par
75
La définition du commerce équitable proposée par FINE nous laissait entrevoir le mouvement
comme une réponse sociale, économique et environnementale aux difficultés éprouvées par
les producteurs marginalisés du Sud, et comme un outil politique susceptible d'influencer les
règles du commerce conventionnel. Toutefois, lorsqu'il s'agit de discuter dc l'impact du
commerce équitable dans le cas particulier du coton, les promoteurs du mouvement mettent
essentiellement de l'avant ses impacts économiques ct écologiques sans appréhendcr de
manière spécifique la façon dont il pourrait employer sa dimension politiquc : selon la FTF,
le commerce équitable permet aux producteurs de coton de recevoir un prix juste et stable
pour leurs produits; d'améliorer leurs conditions de vie; un plus grand respect de
J'environnement; un lien plus étroit entre les consommateurs ct les producteurs; ct enfin gue
l'inclusion des petits producteurs dans les marchés mondiaux soit plus importante (FTF,
2005).
de leurs conditions de vIe. Il demeure néanmoins que la réalisation de ces objectifs soit
dépendante de la demande des consommateurs en coton équitable, qui bien qu'en nette
progression, ne soit pas assurée à long terme. Il semble ainsi que la vision de la filière
labellisée du commerce équitable, dans le cas du coton, se détache de celle de FINE en
proposant un soutien économique ponctuel aux producteurs du Sud, sans mettre de l'avant les
objectifs politiques du mouvement et sans réellement constituer une alternative durable à la
crise du coton.
Cela signifie-t-il pour autant, comme le soutient Johnson, que le commerce équitable se
limite à répondre à des situations de crise pour ensuite s'avérer inopérant?
[... ] les initiatives de commerce équitable constituent un appui utile aux organisations de
petits producteurs ruraux, surtout lorsqu'elles sont au début de leur existence ou
lorsqu'elles doivent faire face à un marché mondial déprimé. Mais elles rencontrent
actuellement certaines limites à cause de la difficulté de changer le rapport de forces au
sein de ce commerce. Elles prétendent donner une réponse à la situation marginale des
petits producteurs au sein du commerce international, mais n'ont pas réussi à dépasser
une action dans un segment étroit du marché (1998, § 31).
Nous avons vu plus tôt qu'en tant que mouvement de transformation qui se réclame du
développement durable, le commerce équitable pouvait entraîner un changement à long terme
dans les pratiques, mais aussi dans les esprits. C'est d'ailleurs ce que les promoteurs du
mouvement équitable cherchent à mettre de l'avant en expliquant que le commerce équitable
est un moyen pour une fin, et non une fin en soi. Par conséquent, pour que le système
commercial puisse bénéficier aux producteurs à long terme, les gouvernements impliqués
doivent envisager le commerce dans son rapport à la société et à l'environnement:
Dans cette perspective, c'est bien la dimension politique du commerce équitable qUI est
invoquée dans le changement des mentalités des gouvernements à l'origine des pratiques
commerciales actuelles. Toutefois, dans quelle mesure les organisations de commerce
équitable peuvent-elles influencer les décisions des gouvernements du Sud, sachant qu'elles
77
sont pour la plupart regroupées, tout comme les consommateurs de produits équitables, au
Nord? Reviendrait-il alors aux producteurs du Sud de faire avancer leurs revendications,
voire le discours du commerce équitable, auprès de leurs gouvernements, de manière à ce que
ces derniers se préoccupent davantage de leurs agriculteurs et de leur environnement?
Les organisations de commerce équitable situées au Sud et qui sont constituées pour la
plupart d'organisations de producteurs, telles la CLAC, rassemblent des producteurs
conscientisés vis-à-vis des distorsions du commerce conventionnel et des initiatives
alternatives qui s'y opposent. C'est d'ailleurs suite à l'appel d'une organisation aujourd'hui
membre de la CLAC que le label Max Havelaar a été créé. Ces organisations parviennent
aujourd 'hui à adresser leurs revendications à leurs gouvernements respectifs et surtout à en
retirer des avantages, tels que la création de l'organisation Comercio Justo au Mexique, qui
permet aux petits producteurs mexicains de commercialiser leurs produits équitables sur le
marché national.
Mais qu'en est-il des organisations de producteurs qui entrent dans le réseau du commerce
équitable püJ1ées par des entreprises externes au commerce équitable (les promoling bodies)
et qui n'étaient au départ aucunement politisées vis-à-vis du fonctionnement du système
commercial conventionnel et des alternatives qui existent pour y pallier? Le commerce
équitable permet-il aux producteurs équitables membres de ces nouvelles organisations .de
s'émanciper du système commercial conventionnel, voire de développer dcs revendications
vis-à-vis de ce système et de les pOJ1er auprès de leurs gouvernements pour ultimement faire
des changements qu'il promeut dans son discours des changements durables? En ce sens, le
commerce équitable constitue-t-il à la fois un soutien et un outil pour les producteurs du Sud,
conformément à ce que ses promoteurs le prétendent auprès des consommateurs? Ou ne
constitue-t-il qu'un marché parmi d'autres, offrant des solutions ponctuelles aux producteurs
victimes de la crise du coton ')
Dans le chapitre précédent, nous nous interrogions sur les conditions d'émergence d'un
développement durable dans un contexte d'ajustement structurel. Nous avons dans un
premier temps discuté de l'évolution du concept de développement pour définir le
78
développement durable non seulement dans une recherche d'intégration équilibrée des pôles
économique, social et environnemental, mais aussi dans son potentiel de transformation
sociale. Afin de préciser cette problématique, nous nous sommes intéressée à la production de
coton en Inde, pays sous ajustement structurel, ou « réforme économique ». Après avoir
présenté les conséquences plurielles de la libéralisation des marchés en Inde, nous avons pu
établir que la production de coton, bien que nécessaire au développement du pays, s'avère
extrêmement dommageable pour l'environnement et peu rentable pour les nombreux
agriculteurs dont la survie dépend. Nous avons alors établi que la mise en œuvre d'un
développement durable dans le secteur du coton en Inde devait passer par le déploiement de
propositions alternatives jusqu'ici inaudibles.
Dans le présent chapitre, nous avons présenté le commerce équitable comme mouvement de
transformation des rapports commerciaux Nord/Sud, susceptible de contribuer à
l'amélioration des conditions de vie des producteurs marginalisés du Sud. En nous intéressant
à l'historique du commerce équitable et en replaçant le mouvement dans la dynamique de
développement durable à laquelle il aspire dans son discours, nous avons défini sa capacité à
permettre aux producteurs du Sud de décider pour la première fois de leur développement.
Afin de saisir la façon dont ce potentiel se traduisait en pratique, nous avons ensuite examiné
le système de garantie de la filière labellisée, système auquel les producteurs de coton sont
appelés à adhérer pour obtenir et maintenir la certification équitable. Si les critères du
commerce équitable destinés aux organisations de producteurs nous paraissent pouvoir
permettre la mise en place d'une meilleure coordination des pôles social, économique et
écologique dans la production de coton en Inde, il nous a semblé que le commerce équitable
ne pouvait que difficilement atteindre et encore moins améliorer les conditions de vie des
producteurs les plus marginalisés, disposant de peu de moyens financiers, organisationnels et
opérationnels. Pour que ces derniers puissent accéder et bénéficier pleinement du potentiel
promu par Je commerce équitable, il est essentiel selon nous que Je mouvement accompagne
les producteurs dans leur insertion au mouvement équitable. Le concept de projet de contrat
de production mis de l'avant par l'organisation FLü nous semble pouvoir répondre à ces
besoins.
Nous avons posé le commerce équitable comme un mouvement de transformation susceptible
de provoquer un changement durable des pratiques agricoles des producteurs de coton
79
équitable, grâce à la mise en application des critères du commerce équitable. Nous avons
également établi le potentiel du commerce équitable à entraîner un changement des pratiques
commerciales des gouvernements des pays du Sud, afin que ceux-ci incluent davantage de
préoccupations sociales et environnementales dans leurs politiques. Pourtant, en présentant
les acteurs du mouvement du commerce équitable, nous avons vu que la dimension politique
du mouvement n'était pas particulièrement portée au Sud, et encore moins en Inde. Ayant
posé le changement des pratiques commerciales des gouvernements du Sud vers davantage de
durabilité comme un prérequis à l'amélioration des c,onditions de vie des producteurs
marginalisés à long terme, nous avons présenté la possibilité de faire des producteurs
équitables les acteurs de ce changement. Nous nous sommes alors demandée si le commerce
équitable pouvait permettre aux producteurs marginalisés de s'émanciper du système
commercial conventionnel, et éventuellement de porter des revendications en faveur du
commerce équitable auprès de leur gouvernement. Si tel est le cas, en plus d'adresser
adéquatement les maux qui touchent les producteurs de coton indiens, nous pensons que le
commerce équitable pourrait permettre aux producteurs du Sud de prendre effectivement part
à leur développement, et constituer une réponse durable à la crise du coton indienne. Dans un
autre ordre d'idées, cela signifierait que le commerce équitable, en plus d'offrir un soutien
aux producteurs du Sud, constituerait un véritable outil politique susceptible de faire évoluer
les règles du commerce conventionnel, conformément à ce que ses promoteurs mettent de
J'avant.
Trois questions émergent donc de notre raisonnement pour nous guider dans la suite de ce
mémoire:
Dans le chapitre qui suit, nous présentons la méthodologie que nous avons employée dans le
but de répondre à ces questions. Puis, dans le chapitre IV et V, nous présenterons nos
résultats de recherche, pour finalement discuter de leurs implications dans le chapitre VI de
ce mémoire.
CHAPITRE III
MÉTHODOLOGIE
1ntroduction
Dans le présent chapitre, nous présentons la méthodologie suivie dans Je cadre de notre
recherche. Dans un premier temps, après avoir rappelé nos questions de recherche, nous
présentons notre stratégie générale de recherche, à savoir J'étude de cas. Ensuite, nous ferons
état de notre stratégie de collecte et d'analyse de données en présentant deux méthodes
spécifiques: l'observation participante et la tenue d'entrevues semi-dirigées. Enfin, dans une
troisième pal1ie, nous présenterons notre corpus de données et la manière dont nOlis l'avons
analysé. Si nous avons dans ce chapitre consulté plusieurs ouvrages de référence afin de
préciser notre stratégie de recherche et en garantir la validité scientifique, la méthodologie
suivie dans le cadre du mémoire de Bisaillon (2008), de par sa précision et sa clarté, nous a
le plus largement inspirée. Sans vouloir entrer dans une quête similaire d'exhaustivité, nous
en reprendrons toutefois les éléments essentiels pour les adapter à notre étude.
limitant la mise en place d'un développement durable. Dans notre second chapitre, nous
proposions le commerce équitable comme alternative à cette incompatibilité. Le commerce
équitable, de par ses objectifs sociaux, économiques et environnementaux, propose en effet
de faire du commerce une relation d'échange juste et équilibrée entre les pays du Nord et les
pays du Sud, bref, de faire un commerce à visage humain. Pourtant, depuis son
institutionnalisation économique récente, le mouvement semble faire de ses aspirations
économiques une priorité, au détriment de ses aspirations politiques. Ainsi, le commerce
équitable ne semble pas s'adresser aux producteurs les plus marginalisés, mais aux
producteurs disposant déjà de moyens financiers, opérationnels et organisationnels.
Récemment, FLO et la FTF ont développé une version des critères du commerce équitable
destinés aux organisations de petits producteurs sous projet de contrat de production. Nous
pensons que cette initiative pourrait permettre aux producteurs les plus marginalisés
d'accéder à la certification équitable. Toutefois, nous avons mis de l'avant que le commerce
équitable se présentait comme un moyen vers une fin et non comme une fin en soi, et que
pour être opérationnels à long terme, les impacts du commerce équitable devaient
s'accompagner d'un changement de politiques des gouvernements du Sud. Nous avons alors
envisagé la possibilité de faire des producteurs de coton indiens des acteurs de changement
auprès de leurs gouvernements, comme il J'a été fait au Mexique dans Je cas de producteurs
de café. Cependant, si les producteurs mexicains étaient politisés avant d'intégrer le
mouvement équitab.le, les producteurs membres d'organisations sous projet de contrat de
production n'ont pas choisi d'eux-mêmes d'intégrer le mouvement et y ont été aidé. Nous
nous sommes alors demandée si les producteurs de coton sous projet de contrat de
production, c'est-à-dire des producteurs qui n'ont pas choisi délibérément d'entrer dans le
réseau du commerce équitable, sont parvenus à s'émanciper du système commercial
conventionnel et s'ils ont développé ou aiguisé des revendications sur les règles d'échange
qui les affectent depuis leur insertion dans le réseau équitable. Ce qui sous-entend: le
commerce équitable parvient-il à conserver sa dimension politique à travers son
institutionnalisation économique, et ainsi peut-il constituer un outil de développement
durable dans le cas du coton en Inde en venant en aide aux plus démunis, c'est-à-dire ceux
qui n'ont pas les moyens de rejoindre le réseau équitable? Et : le commerce équitable peut-il
constituer une alternative durable à la crise du coton en Inde? Ou les mêmes producteurs
83
sont-ils équitables seulement parce qu'ils ont obtenu une certification qui leur permet
d'accéder à un nouveau marché, et n'ont développé aucune connaissance par rapport à la
façon dont le commerce équitable s'oppose au commerce conventionnel? Dans ce cas de
figure, la dimension politique du commerce équitable se serait-elle estompée sous le poids
de ses nouvelles prétentions économiques? Ces questions nous renvoient à un plus grand
questionnement, à quel point la participation des producteurs doit-elle être envisagée dans
l'amélioration de leurs conditions de vie? Ce qui implique: comment sortir de la relation
paternaliste typique du développement tout en leur bénéficiant?
Répondre à une question de recherche implique la poursuite d'une triple adéquation entre
une final ité (la question de recherche), une approche (qualitativc ou quantitative) et des
données (Ibert et Baumard, 1999). Selon les auteurs, une donnée est à la fois une
« découverte» et une « invention », c'est-à-dire qu'elle est à la fois sujette à la subjectivité
et à l'objectivité du chercheur. La construction des données s'inscrit donc dans un aller
retour incessant entre la théorie et ses fondements empiriques, entre ce qui constitue et ce qui
ne constitue pas une donnée (Idem). D'où la nécessité d'adopter une approche qui permette
l'élaboration d'une stratégie de recherche précise et rigoureuse, adaptée à nos questions de
recherche. Ainsi, dans le cadre de notre étude, nous privilégions une approche qualitative.
L'approche qualitative est souvent présentée comme l'approche la plus à même de décrire
des situations d'étude de l'intérieur, du point de vue des personnes qui les vivent.
L'approche quantitative au contraire, s'intéresse davantage à la fréquence des phénomènes
étudiés qu'à leur signification. L'approche qualitative ne se limite pas seulement à la
description d'une réalité, elle cherche à l'interpréter en prenant en compte les différentes
dimensions qui la composent (Flick et al. 2004). Ce faisant, cette approche contribue à la
compréhension de réalités sociales en mettant une emphase particulière sur les procédés, les
liens ct les structures. Ainsi, les méthodes qualitatives sont les seules à pennettrc une vision
holistique d'une situation sociale il l'étude, parce qu'elles permettent l'élaboration de
descriptions détaillées et l'acquisition d'une connaissance approfondie du comportement des
acteurs étudiés (Gagnon, 2005, p. 1). De cette façon, l'approche qualitative est naturellement
84
Compte tenu des caractéristiques de notre problématique, c'est dans cet ordre d'jdées que
nous privilégions une approche de recherche qualitative davantage qu'une approche de
recherche quantitative.
Dans le cadre de notre étude, nous souscrivons à une perspective constructiviste selon
laquelle la société n'est pas donnée, mais construite par les relations que les individus
établissent entre eux et le milieu dans lequel jls évoluent (Hagedorn, 1983, in Gagnon, 2005,
p. j 3). Nous nous intéressons à la manière dont le discours des producteurs de coton a
évolué depuis leur insertion dans une organisation de commerce équitable. li nous paraît
donc essentiel de recueillir les points de vue et les expériences des producteurs et personnes
clés impliqués dans la mise en place d'une organisation de commerce équitable. Par souci
d'objectivité, notre objet d'intérêt doit donc être saisi de la manière la plus holistique
possible. Ainsi, au-delà du choix d'une approche, ici l'approche qualitative, il convient
d'adopter une stratégie de recherche fiable qui permette l'utilisation de plusieurs méthodes
de collecte et d'analyse de données. C'est dans cette perspective que nous retenons l'étude
de cas, en tant que stratégie de recherche compréhensive (Yin, 2003, p. 13- j 4).
L'étude de cas est particulièrement appropriée dans une perspective constructiviste pour la
description, l'explication, la prédiction et le contrôle de processus inhérents à divers
phénomènes, qu'ils soient individuels, de groupe ou d'une organisation (Woodside et
Wilson, 2003 in Gagnon, 2005). Elle l'est aussi lorsque l'expérience des acteurs et le
contexte de cette expérience sont essentielles à la compréhension du phénomène à l'étude
(Gagnon, 2005, Yin, 2003). Pour Yin, l'étude de cas est pertinente dans l'étude d'une
situation qui peut-être expliquée à travers l'interaction de plusieurs variables car elle permet
une triangulation des données et bénéficie des avancées de propositions théoriques établies
pour guider la collecte et l'analyse de données (Yin, 2003, p. 13-14).
85
Pour Benbasat et al., repris par Gagnon dans son analyse systématique des étapes de l'étude
de cas, les caractéristiques de la problématique à l'étude sont compatibles avec celles de la
méthode de l'étude de cas si le chercheur peut répondre à l'affirmative aux quatre questions
suivantes:
1. Le phénomène qui est l'objet d'intérêt doit-il être étudié dans son contexte naturel
pour être vraiment compris?
2. Faut-il mettre l'accent sur les événements contemporains dans l'étude de cette
problématique?
3. La connaissance du phénomène peuOt-elle être acquise sans avoir à contrôler ou à
manipuler les sujets ou les événements en cause?
4. La base théorique qui existe au sujet de la problématique sous étude comporte-elle des
éléments non expliqués? (Benbasat et aL, 1983, p.372, in Gagnon, 2005, p. 16).
Dans le cadre de notre recherche sur l'influence du commerce équitable sur le discours
politique de producteurs de coton indiens, les réponses à chacune de ces quatre questions
établissent la pertinence de ['étude de cas comme méthode de rccherche appropriéc. En effet,
pour la première question, nous nous intéressons au rapport d'un groupe de producteurs de
coton indiens au commerce équitable, d'un point de vue pratique et théorique. Il est donc
essentie 1 d'étudier le phénomène à l'étude dans son. contexte naturel pour être vraiment
compns.
Pour la seconde question, nous rappelons que c'est au changement de discours de
producteurs de coton depuis leur insel1ion dans une organisation de commerce équitable que
nous nous intéressons. Nous souhaitons étudier la façon dont le commerce équitable est
perçu et adopté par les producteurs, dans les premières années de leur regroupement en
organisation. Étant donné que les critères du commerce équitable spécifiques au coton ont
été lancés en 2004, et que la création des toutes premières organisations de producteurs de
coton équitable remonte à la même année, nous considérons mettre l'accent sur des
événements contemporains dans l'étude de notre problématique.
Nous répondons également à l'affirmative à la troisième question, car le contrôle ou la
manipulation des sujets à l'étude est inutile et aurait pour effet de modifier le phénomène
étudié. La spont<lnéité des producteurs interrogés demeure la condition esscntielle à la
fiabiJ ité de nos données et donc de nos résultats.
86
Enfin, nous répondons à l'affirmative à la quatrième question, car le sujet qui nous intéresse
n'a pas encore été documenté en profondeur, aussi bien à ce qui a trait à l'apolitisation du
commerce équitable, qu'à l'étude d'organisations de commerce équitable supportées par des
groupes porteurs. La pertinence de l'étude de cas pour notre recherche démontrée, il
convient dès à présent de préciser à quelle étude de cas nous envisageons d'avoir recours.
Comme le sou ligne Bisaillon (2008), l'étude de cas concerne par définition une unité.
Toutefois, on parle d'étude de cas unique et de cas multiples. Le premier type d'étude de cas
est souvent utilisé pour vérifier une théorie, ou dans le cadre d'un phénomène jusque là
inexploré. Il permet une riche description du contexte dans lequel se déroule Je phénomène à
l'étude, mais ne permet aucune généralisation (Gagnon, 2005). Le second s'intéresse
davantage à tirer des conclusions d'un ensemble de cas et s'utilise généralement lorsqu'un
phénomène est susceptible de se produire dans diverses situations (Idem). Il permet
également une rièhe description des phénomènes à l'étude à condition que ceux-ci soient
observés et analysés dans les mêmes structures temporelles avec la même rigueur et
précision. En effet, « il importe de retenir que le nombre de cas doit permettre de faire,
suivant les ressources disponibles, un examen suffisamment approfondi de chacun des cas
pour que la réponse à la question de la recherche soit valide» (Dyer et Wikins, 1991, in
Gagnon, 2005,p. 44).
Notre recherche s'inscrit dans la première catégorie, tout d'abord parce que l'objet de notre
étude a été jusque là peu exploré et nécessite selon nous une riche description, les
organisations de producteurs de coton équitable sous projet de contrat de production étant
très peu nombreuses, mais aussi parce que notre mémoire doit être élaboré dans certaines
limites temporelles et budgétaires.
Dans ce cas de figure, le choix du cas devient alors crucial. Pour Pires (1997, p. 142), ceJui
ci doit être fonction de certains critères, notamment la pertinence théorique du cas par
rapport à la finalité de la recherche; les caractéristiques et la qualité intrinsèque du cas; la
typicité ou l'exemplarité; la possibilité d'apprendre avec le cas choisi; son intérêt social; et
son accessibilité à l'enquête. Pour Gagnon, comme nous allons bientôt le voir, ces critères
permettent d'assurer la validité externe de la recherche (2005).
87
Notre étude de cas porte sur une organisation inscrite dans la filière équitable labellisée. Le
design de recherche du projet Commerce équitable et développement durable dans lequel
notre recherche s'inscrit a orienté le choix du cadre général de notre terrain. En effet, dans le
cadre de ce projet interuniversitaire, réunissant des chercheurs de l'UQAM, de l'Université
de Montréal et de l'UQO, l'équipe de recherche a sélectionné la filière de coton équitable
comme objet de recherche. Six études de cas, dont trois en Inde et trois en Afrique ont été
prévues pour réaliser la collecte de données nécessaire à la réalisation du projet. Le choix de
ces deux « terrains» n'a pas été fait au hasard: l'Afrique et l'lnde cultivent toutes deux du
coton depuis des millénaires, l'Afrique à des fins d'exportation, l'Inde en vue de le
transformer en textiles et de j'exporter ou de le commercialiser sur place, et toutes deux sont
entrées récemment dans le réseau du commerce équitable.
Les études de cas devant se dérouler en Inde ont été attribuées aux chercheurs de l'UQAM,
et trois États de l'lnde ont été ciblés: Je Gujarat, parce qu'il est depuis plusieurs années Je
principal producteur de coton du pays, Je Maharashtra, mis à l'index pour le suicide des
producteurs de coton dans Je pays, et J'Andra Pradesh, reconnu dans la presse internationale
pour l'impact néfaste des semences de coton transgénique sur les hommes ct leur
environnement. Étant donne te faibJe nombre d'organisations de producteurs de coton
équitable ayant vu le jour en Inde au début du projet, soit en septembre 2005, trois
organisations de producteurs ont été ciblées dès le départ: Agrocel Pure and Fair
Growers 'Association, Mahima, et Rajlakshmi.
Nous avons opté pour la première, car en plus de représenter la filière de coton équitable
indienne dans le rapport annuel de FLO et la fiche coton de son site Jntcrnet, elle avait
également pour attrait le fait d'être en contrat de projet de production avec l'entreprise
AgroceJ. Six mois avant notre entrée sur le terrain, nous avons contacté par courriel les deux
responsables de la branche coton de l'entreprise Agrocel afin de leur faire part de notre désir
d'effectuer une recherche auprès de l'organisation qu'elle soutient. Sans réponse après trois
semaines, nous avons, toutes les deux semaines, réitéré notre demande par fax, courrier,
courriel, téléphone, sans succès. Nous n'avons jamais reçu de réponse, sauf pour nous avertir
que la personne concernée n'était pas en état de nous répondre.
88
Nous avons donc pris certaines mesures afin d'assurer la faisabilité de notre étude de terrain
et contacté d'autres organisations, mais sans résultat définitif. Une fois en Inde, nous avons à
nouveau contacté la branche coton d' Agrocel, et réussi à nous entretenir avec son
responsable. Ce dernier a consenti à nous recevoir dès que nous le souhaitions. Plus tard,
nous apprenions que les membres de la branche coton d' Agrocel ne répondaient plus à
aucune demande de la part de chercheurs ou d'étudiants, car ces demandes étaient trop
nombreuses, et les chargés de projet au sein de l'organisation étaient surchargés de travail.
Pourtant, à notre connaissance, seulement quatre études théoriques et une étude de marché
ont été menées de l'année 2004 à aujourd'hui.
Selon Gagnon, la validité externe est liée à la généralisation des résultats et constitue en ce
sens la plus grande faiblesse de l'étude de cas. Bien sûr, la généralisation n'est pas l'objectif
avoué de l'étude de cas comme méthode de recherche, mais il convient malgré tout de
parvenir à une certaine comparabilité ct un contraste des résultats. C'est la raison pour
laquelle il importe, selon Gagnon de contrôler la particularité des sites d'étude en vérifiant
que le contexte choisi ne présente pas de particularités telles que les résultats soient de fait
89
Pour accroître la validité externe de notre étude, nous avons choisi un site particulier mais
non unique; bien que plusieurs études se soient déroulées sur notre site de recherche, celui-ci
s'est ouvert à la recherche relativement récemment. De fait, les producteurs visités n'ont
rencontré que très peu de chercheurs et demeurent très curieux vis-à-vis de nouveaux
arrivants dans leurs villages. Finalement, comme nous allons en discuter dans la prochaine
sous-section, la tenue d'un journal ethnographique relatant la signification des données au
fur et à mesure de leur collecte nous permet d'affirmer que nous avons tout mis en œuvre
pour accroître la validité externe de notre étude.
Pour Gagnon, il Ya va lidité interne lorsque le chercheur observe et mesure bien ce qu'il veut
et prétend observer et mesurer, et que les descriptions des explications du phénomène à
l'étude sont conformes à la réalité observée. La validité interne constitue la principale force
de l'étude de cas, car l'observation prolongée qu'elle met de l'avant permet de raffiner en
continu les construits auxquels aboutit le chercheur, et de s'assurer qu'ils soient bien
conformes à la réalité. Selon l'auteur, quatre activités peuvent renforcer ce type de validité:
contrôler les effets de la présence de l'observateur en uti 1isant plusieurs sources pour
recueillir les données; choisir un échantillon représentatif de la population étudiée ct justifier
le choix effectué; faire un compte rendu des rencontres autant que possible, afin d'éviter
l'oubli de certains détails; relever et écarter les explications rivales pour assurer la véraci té
des conclusions de l'étude.
Afin d'accroître la validité interne de notre recherche, nous avons utilisé plusieurs sources
pour recueillir nos données: dans un premier tcmps l'observation participante, dans un
second temps, la tenue d'entrevues semi-dirigées. Nous avons aussi déterminé la
composition de notre échanti lion avant la collecte de données. Bien que nous ayons du
l'adapter sur le terrain en fonction des disponibilités des personnes interrogées et de la réalité
de terrain, il demeure représentatif de la population à l'étude: nous discuterons de ce point
dans la troisième section de ce chapitre; nous avons tenu un compte rendu de chaque
entrevue afin d'éviter la perte de détails relatifs à celles-ci; finalement, nous avons monté un
90
système de collecte, de vérification et de tri des données efficace, l'ensemble de ces activités
nous permettant d'assurer la validité des conclusions à l'étude.
Finalement, selon Gagnon, démontrer la validité des résultats d'une recherche passe par la
validité du construit de ['étude, c'est~à-dire montrer la constance et la comparabilité des
résultats. Pour l'auteur, il convient ainsi de sélectionner un, voire des cas pertinents aux
objectifs de la recherche; choisir ou élaborer des indices de mesure appropriés; recourir si
possible à une triangulation des données et expliquer le protocole de recherche. Ces
différentes étapes ont été entreprises dans l'intégralité de notre étude, comme nous l'avons
évoqué et comme nous allons le préciser dans la prochaine section.
Après avoir établi notre approche de recherche et la nécessité d'assurer la validité de nos
résultats, nous avons entrepris de préparer notre collecte de données en élaborant un cadre de
recherche précis permettant d'assurer une collecte de données rigoureuse.
En sciences sociales, la notion de « triangulation» fait référence à l'observation de l'objet
d'étude d'au moins deux angles de vue, qu'il s'agisse de méthodes de collecte de données,
d'investigateurs, de théories (flick, 2004, p. 178). Le plus souvent, il est question de
triangulation des données, soit la mise en commun de données provenant de différentes
sources, incluant des données verbales (entrevues) et visuelles (enregistrements vidéo,
photographies, documents écrits ct sources Internet). Pour flick, la triangulation des données
peut être envisagée de trois façons: comme une stratégie de validation, comme une
approche à la généralisation de découvertes et comme un moyen d'obtenir des connaissances
supplémentaires sur un objet d'étude (2004).
C'est dans cette triple perspective que nous avons conçu notre stratégie de collecte de
données. Afin d'obtenir un corpus de données cohérent et exhaustif, et pour minimiser
l'influence de notre biais personnel sur leur nature et leur agencement, nous avons utilisé
deux différentes méthodes de collecte de données autour d'une même grille de collecte de
données: l'observation directe et la tenue d'entrevues semi dirigées. La présente grille ainsi
que les méthodes qui y sont rattachées font l'objet de cette section.
91
Notre recherche s'inscrit dans un projet plus large intitulé Commerce équitable et
développement durable, dont la stratégie de collecte de données se base sur deux grilles de
collecte de données visant une certaine homogénéité entre les données obtenues par les
membres du projet. La première porte sur le caractère durable de la production de coton
équitable. La seconde, conçue dans Je cadre du projet Commerce équitable comme
innovation sociale et économique est destinée à J'élaboration de monographies sur les
organisations. En empruntant à ces deux grilles de collecte de données, et en nous inspirant
de l'adaptation qu'en a faite Bisaillon (2008), nous avons défini notre propre grille qui
intègre deux dimensions: le commerce équitable comme innovation socio-économique, et le
commerce équitable comme outil de développement durable. Les rubriques de cette grille
sont présentées dans le tableau 3. J.
92
l'observation directe est largement utilisée en sciences sociales dans le cadre de recherches
qualitatives, et de certaines recherches quantitatives. L'observation directe se décline en
deux approches: l'observation objective, et l'observation participante. Dans la première
approche, objective, l'observation directe est utilisée par le chercheur dans le seul but de
décrire de façon exhaustive les composantes objectives d'une situation sociale donnée pour
ensuite en extraire des typologies (Laperrière, 1992, p. 254). Le chcrcheur choisit donc la
distance par rapport aux données qu'il observe, afin de rester objectif.
Dans la seconde approche, pal1icipante, l'observation directe est utilisée de manière
beaucoup plus large. Le chercheur doit non seulement décrire une situation donnée, mais il
doit également en faire ressortir les aspects tacites (De Walt et De Walt, 2002, p. 1) afin d'en
repérer le sens, l'orientation et la dynamique (Laperrière, 1992). Pour ce faire, Je chercheur
participe plus ou moins activement aux activités courantes de la population afin de se
rapprocher de celle-ci et d'obtenir des informations générales, sensibles ou peu accessibles
qu'il mettra en contexte avec les données récoltées grâce à d'autrcs méthodes, tcllcs que
j'entrevue dirigée ou semi dirigée, ou la collecte et l'analyse documcntaire (De Walt et De
'Walt, 2002). C'est dans cette perspective que nous souhaitons effectuer nos obscrvations de
terrain. li est néanmoins à noter que si cette méthode de collecte de donnécs peut convenir à
plusieurs types de recherche et permettre l'obtention d'un corpus dc données exhaustif, elle
peut s'avérer plus ou moins difficile à effectuer, selon le rôle et la position quc lc chcrchcur
occupe vis-à-vis de la population à l'étude.
parlaient Gujarati, ce qui a nécessité l'emploi de différents traducteurs vers l'Anglais et sans
aucun doute entraîné une pene d'exactitude des réponses générées.
Aussi, un bon contact entre le chercheur et au moins une personne clé au niveau
institutionnel, politique et affectif ainsi qu'une compréhension claire et une adhésion de
celle-ci aux objectifs de la recherche constituent un moyen efficace de contrer les biais dans
les conduites et les discours des acteurs sociaux observés (Laperrière, 1992, p. 259). Pour ce
faire, lorsque nous menions des entrevues avec des producteurs, nous étions accompagnée
d'un traducteur et d'un membre de l'organisation Agrocel. Si cela nous a sans aucun doute
permis d'attirer la confiance des producteurs que nous souhaitions interroger, nous pensons
néanmoins que la réponse des dits-producteurs a peut-être été influencée par la présence des
employés d' Agrocel.
Mais cet exercice de réflexivité demande principalement au chercheur de consigner par écrit
à la fois ce qu'il voit, ce qu'il interprète, mais aussi ce qu'il ressent afin d'aboutir à la
réalisation d'un journal ethnographique valide en tant que donnée.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons suivi la méthode de prise de notes de Bernard
(2002) dans laquelle il existe quatre principaux types de notes: les notes brèves, les notes
personnelles, les notes de planification et les notes de terrain qui incluent à leur tour des
notes à caractère méthodologique, descriptif et analytique.
Les notes brèves sont les notes que le chercheur prend à tout moment de la journée
lorsqu'une idée ou un détail important lui vient en tête. Constituées principalement de mots
clés, elles lui permettent de se rappeler des détails relatifs à certaines occasions et d'en
faciliter la reconstruction une fois terminées. La tenue de ce type de notes se fait
généralement dans un petit carnet que le chercheur garde toujours en sa possession afin de
lui garantir un accès rapide et facile en cas de besoin.
Les notes personne/les font référence à des notes relatant les sentiments, les impressions,
j'humeur du chercheur et servent d'une pmi à accompagner le chercheur tout au long de son
étude de terrain en lui permettant de mettre à l'écrit ses états d'âme et de l'apaiser, mais
aussi, la journée terminée, de lui faire prendre conscience de ses biais personnels sur la tenue
96
et la teneur de ses autres notes. Les notes personnelles sont consignées chaque soir dans un
journal personnel séparé qui ne sera pas révélé en tant que tel dans le journal
ethnographique.
Les notes de planification permettent au chercheur de faire le point sur ce qui a été fait et ce
qui reste à faire et assure un caractère systématique à la collecte de données en permettant la
progression du chercheur sur le terrain. Ces notes' comprennent toutes les informations
concernant la planification, le déroulement et les problèmes à résoudre par le chercheur lors
de l'observation participante. Elles sont consignées dans un journal de bord que le chercheur
doit également toujours avoir en sa possession. Le nôtre était un cahier rouge de 200 pages
mesurant environ 19 cm par 24 cm. Comme Bisaillon (2008), nous avons choisi de bonifier
la version de Bernard en le divisant en sections: la première présentait nos objectifs de
recherche. La seconde regroupait les notes de planification relatives à notre séjour. La
troisième regroupait à la fois la description des personnes rencontrées, leurs adresses et
numéros de téléphone ainsi que les références bibliographiques suggérées tout au long de
notre séjour.
Ces trois types de notes permettent au chercheur, idéalement le soir même, de rédiger ses
notes de terrain. Le chercheur les écrit de façon chronologique le plus rapidement possible,
afin de conserver les détails de l'instant vécu. Dans le cadre de notre recherche, nous
disposions d'un ordinateur portable qui nous permettait cette prise de notes avant l'heure du
coucher ou au plus tard le matin même. Les notes de terrain sont à leur tour divisées en trois
types: les notes méthodologiques, descriptives et analytiques.
Enfin, les notes de terrain seront à leu! tour organisées de façon chronologique en un journal
ethnographique qui constituera le produit final de l'observation paliicipante. Le processus de
prises de notes jusqu'à la rédaction du journal ethnographique est schématisé ci-contre.
Notes brèves
Carnet de
notes
q Notes de terrain
Notes de Notes
méthodologiques
planification
Journal
Notes
Journal de descriptives
ethnographique
bord
Notes analytiques
Notes
personnelles
Journal
q Fichiers
informatiques
personnel
Dans le cadre de cette recherche, nous pensons que saisir la perception que les producteurs
de coton équitable se font du commerce équitable nous permettra de comprendre la façon
dont celui-ci peut à son tour influencer leur mode de pensée par rappol1 au système
commercial conventionnel. Cette approche peut être articulée à travers le concept de
représentation sociale. Comme l'indique Audebrand, une représentation sociale est
l'élaboration d'un objet social (le commerce équitable) par une certaine communauté (les
producteurs) à des fins d'interaction et de communication (2004). Selon le fondateur de ce
concept, Serge Moscovici (1973 in Audebrand, 2004), les représentations sociales sont des
systèmes de valeurs, d'idées et de pratiques qui servent deux fonctions: établir un ordre qui
permette aux individus de s'orienter dans leur univers matériel ct social et de le maîtriser, ct
permettre la communication entre les membres d'une communauté en leur offrant un code
98
d'échange social et un code leur servant à nommer et à classer les différents éléments de leur
univers et de leur histoire en tant qu'individus et en tant que groupe. Ainsi, le but de la
théorie de la représentation sociale est de cibler la façon dont est élaboré ce phénomène et de
quelle manière le consensus, le conflit et la tension dans une communauté y contribue. Selon
Duveen (200 l, p. 15), la théorie des représentations sociales offre un cadre d'interprétation
pour rendre les représentations visibles et pour les rendre intelligibles en tant que pratiques
sociales. La communication étant au cœur du processus de formation des représentations
sociales (Moscovici, 1976, in Audebrand, 2004), nous avons choisi l'entrevue en tant que
méthode de collecte de données pour en repérer la dynamique.
L'entrevue est une technique de collecte de données souvent utilisée en sciences sociales,
notamment dans les recherches qualitatives de type ethnographique centrées sur
l'observation participante. On peut la définir ainsi: l'entrevue est «une interaction verbale
entre des personnes qui s'engagent volontairement dans pareille relation afin de partager un
savoir d'expertise, et ce, pour mieux dégager conjointement une compréhension d'un
phénomène d'intérêt pour les personnes en présence» (Savoie-Zajc, 2003, p. 295).
Il existe plusieurs types d'entrevue, du plus formel, tel que le questionnaire, au moins
formel, tel que la conversation. Comme le montre Savoie-Zajc, la thématique, l'objet et les
finalités de l'étude sont les facteurs essentiels à prendre en compte dans le choix d'un type
d'entrevue comme méthode de collecte de données. Ainsi, le chercheur qui s'inscrit dans
une perspective constructiviste interprétative de la recherche tend à préférer l'entrevue de
type semi dirigé (Bailey, 2007, p. 101). Ce type d'entrevue est en effet tout indiqué dans le
cadre de recherches portant sur des sujets délicats, centrées sur le sens que les individus
donnent à une expérience particulière, ou encore si le chercheur souhaite déga'ger une
connaissance approfondie d'un phénomène (Savoie-Zajc, 2003, p. 298). Le chercheur
privilégiera également ce type d'entrevue parce qu'il permet, de par son emphase sur le
discours oral, d'acquérir l'expertise de personnes dont le rappol1 à l'écriture est
problématique, ce qui est le cas des producteurs de coton visés par la présente recherche
(Idem).
99
Mais j'entrevue semi-dirigée permet aussi au chercheur d'accroître la viabilité de son étude,
car celle-ci offre à la fois un certain contrôle sur son répondant, en lui permettant de
maintenir une structure sur les paramètres de l'entrevue, tout en lui conférant une certaine
homogénéité dans ses résultats. Les différents types d'entrevue, classés selon leur position
sur ces deux continua, sont présentés dans la figure 3.2.
Figure 3. 2: Les différents types d'entrevue, selon De Walt et De Walt, 2002, p.12l.
L'entrevue semi-dirigée consiste en une interaction verbale animée de façon souple par
le chercheur. Celui-ci se laissera guider par le rythme et le contenu unique de l'échangc
dans le but d'aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes
généraux qu'il souhaite explorer avec le participant à la recherche. Grâce à cette
interaction, une compréhension riche du phénomène à l'étude sera construite
conjointement avec l'interviewé (Savoie-Zajc, 2003, p. 296).
Pour Savoie-Zajc, trois postulats sont sous-jacents au choix de l'entrevue semi dirigée
comme méthode de collecte de données (2003, p. 297): dans un premier temps, le chercheur
doit envisager l'entrevue comme une narration, une unité de sens dont les différentes
sections doivent être considérées les unes avec les autres pour constituer un tout unique et
cohérent. Dans un deuxième temps, le chercheur doit considérer que la perspective de
J'autre, donc de son interlocuteur a du sens, qu'il est possiblc de la connaître ct de la rendre
explicite. Troisièmement, le chercheur accepte le fait que l'entrevue reflète la réalité du
moment dans lequel elle s'est déroulée, et que J'interaction verbale et sociale de l'entrevue
100
Nos premières entrevues révèlent également quelques limites principalement à cause du fait
que certaines des questions impliquaient un type de réponse plutôt qu'un autre, Après avoir
remarqué cette limite, soit après deux entrevues, nous avons fait de nombreux effül1s pour
éviter de la reproduire. Aujourd'hui, nous gardons à l'esprit que la formulation des questions
à poser en entrevue est une tâche plus difficile qu'il n'y paraît à premier abord, et que dans
27 Traduction libre,
101
Afin de rendre le contenu de nos entrevues intelligible, nous avons eu recours à l'analyse de
contenu. La description qu'en font Allard-Poesi et al. nous semble pertinente afin d'en saisir
les éléments essentiels:
Pour de nombreux auteurs, procéder à l'analyse de contenu relève d'avantage d'un art que
de la mise en application de prescriptions. Toutefois, il est possible d'en résumer les grands
traits. Après avoir réuni un corpus de données exhaustif, le chercheur entreprend de les coder
en suivant trois étapes: lil codification ouverte, axiale et transversale. La codification
consiste à définir des unités d'analyse (le plus souvent un mot, le sens d'un mot ou d'un
groupe de mots, une phrase entière) et de les intégrer au sein de catégories sélectionnées (le
plus souvent des concepts, thèmes, caractéristiques que l'on définit et auxquels on attribue
des relations). Au fur et à mesure de l'analyse, le chercheur raffine cette liste de manière à
préciser ses définitions, à réduire le nombre de codes en fonction de leur importance et de
leur pertinence, à les classer en catégories et à construire un réseau de relations entre celles
ci pour déterminer le phénomène dominant l'analyse et l'expliquer (Bbhm, 2004, in Flick et
al., p. 270-275). En fait, un bon système de codification doit être inclusif, adaptatif et doit
cOITespondre à plusieurs niveaux d'abstraction (Pfaffenberger, 1988, in Contandriopoulos et
al., p. 83).
La méthode de l'analyse de contenu repose sur une comparaison continue des données entre
elles, et des données avec la théorie émergente. JI s'agit donc d'un processus itératif qui
102
gagne en fiabilité au fur et à mesure de son élaboration. La saturation, soit la diminution puis
l'absence de nouveaux concepts et idées, marque la fin de celui-ci. Néanmoins, l'analyse de
contenu ne capture que le contenu manifeste d'une communication (Allard-Poesi, F. et al.
1999, p. 459). Par ailleurs, lors de l'analyse de contenu, le chercheur doit faire preuve
d'objectivité et de subjectivité en même temps, à la fois en attribuant un sens au discours,
mais en choisissant le nom des codes et des catégories qui y seront rattachées. Pour Bardin,
Ce qui, au positif, est source de créativité, devient, au négatif, risque de biais scientifique
par projection du propre cadre de référence de l'observateur. Autrement dit, les
inférences finales, seront, aussi, tributaires des choix de la catégorisation. D'où la
nécessité d'être parfaitement attentif à ce niveau : en ayant conscience du mode de
raisonnement; en explicitant la motivation personnelle à travailler sur un matériel donné
ou choisi; en travaillant à plusieurs (fidélité des codeurs); en prévoyant plusieurs grilles
catégorielles à appliquer (Bardin, 2003, p. 253).
Afin de pallier à ces inconvénients, nous avons pris soin, dans un premier temps, d'attribuer
un sens à nos entrevues en tenant compte de leur globalité, en nous référant aux notes de
terrain prises lors des entrevues. De cette façon, nous pensons avoir évité une mauvaise
interprétation du contenu à l'étude. Dans un deuxième temps, nous avons eu recours au
logiciel Atlas-ti afin de pouvoir conserver l'intégralité de notre corpus de données. Dans un
troisième temps, nous avons procédé à un Constant validitity check (Bernard, 1995, dans
Dewalt et Dewalt, 2002), c'est-à-dire que nous avons fait en sorte de réévaluer sans cesse
nos acquis en cherchant les incohérences, en examinant les évidences qui ne soutiennent
aucune conclusion et celles qui le font, en développant des explications alternatives pour les
éléments provenant d'autres points de vue, en prenant soin de ne pas rejeter les cas contraires
automatiquement. ... Finalement, nous avons fait vérifier nos résultats par notre directrice. De
cette façon, nous pensons avoir effectué notre analyse de façon rigoureuse.
Pour Gagnon, une recherche démontre une fiabilité interne si d'autres chercheurs, en traitant
nos données peuvent parvenir sensiblement aux mêmes conclusions (2000). Pour accroître la
fiabilité de sa recherche, le chercheur doit autant que possible avoir recours à des
descripteurs concrets ct précis, soit des descriptions narratives et mot à mot des entrevues;
toujours garder une copie originale de ses données; recourir à de multiples chercheurs;
103
confirmer les données recueillies avec des informateurs clés et faire réviser l'interprétation
des données par des pairs pOlir être cel1ain d'arriver à des conclusions similaires.
Dans notre recherche, nous avons eu recours à toutes ces mesures à. un moment ou à un autre
de son élaboration. Nous avons enregistré toutes nos entrevues et décrit le contexte dans
lequel elles s'inséraient, de manière narrative, photographique, et parfois audiovisuelle.
Toutes ces entrevues ont été transcrites en verbatim et une photographie ainsi que les notes
de terrain assorties ont étés apposées dans un fichier informatique précis; nous avons
conservé une copie originale de chaque type de donnée; nous avons mené cette recherche du
début à la fin en tant que chercheur principal, mais durant notre collecte de données nous
avons pu compter sur la collaboration de notre conjoint, étudiant à la maîtrise en
anthropologie, à des fins de consultation méthodologique et analytique; ayant recours à un
traducteur et à la présence d'un représentant du groupe porteur pour chaque entrevue, nous
nous assurions de rapporter correctement les données recueillies et d'en confirmer le sens
auprès d'eux; finalement, notre directrice a révisé notre interprétation des données.
entretiennent avec les producteurs interrogés. Nous avons noté sur un petit carnet les
circonstances dans lesquelles chaque entrevue était menée, et comme expliqué
précédemment, nous sommes parvenus à prendre une photographie de chaque producteur
interrogé. Aussi, nous avions une idée précise, dès le début de la collecte de données, des
concepts à utiliser durant notre recherche, et avons basé nos entrevues sur une grille élaborée
à cet effet. Finalement, comme nous l'avons mentionné, nous avons opté pour une
triangulation des données à partir d'un corpus d'entrevues et d'une monographie
d'organisation réalisée à partir d'une observation participante.
Notre séjour dans le Gujarat s'est déroulé du 20 novembre 2006 au 20 janvier 2007. Après
avoir trouvé un logement sommaire à Bhuj, ville située entre Mandvi (où se trouve le siège
social d'Agrocel) et Rapar (village autour duquel sont rattachés les villages membres de
l'organisation), nous nous sommes dirigée vers Mandvi afin de rencontrer un responsable de
la branche coton d'Agrocel. M. Saleish Patel nous a reçue et a accepté que nous visitions
l'organisation de coton équitable Agrocel Pure and Fair collon growers'Association.
Toutefois, il nous a prévenue que dans le cadre de nos visites, nous devions nécessairement
être accompagnée par une personne parlant le Gujarati et connaissant les villages participant
au projet. Il nous a immédiatement présentée à l'un des consultants biologiques travaillant
pour Agrocel et suggéré d'accompagner ce dernier dès le lendemain pour l'une de ses visites
aux producteurs. Cette première visite aux producteurs a duré cinq jours et nous a permis de
rencontrer les chargés de projet, d'effecteur quatre entrevues individuelles, une entrevue de
groupe et une entrevue avec le directeur de l'école d'un des villages visités. Cette première
visite terminée, nous avons loué un petit appartement à Bhuj, afin d'avoir une base où nous
pouvions transcrire nos entrevues, peaufiner notre questionnaire d'entrevues et nous reposer.
C'est également à Bhuj que la plupart des ONG de développement de la région ont établi
leur siège social, et ceci nous a paru crucial afin d'en savoir davantage sur le contexte
général de la région. La personne à qui appartenait l'appartement était notre personne
ressource privilégiée. Il s'agit d'un homme respecté à Bhuj, directeur d'hôtel et ancien
105
commerçant dans la région de Rapar. Ce monsieur nous a mis en contact avec les deux
traducteurs que nous avons engagés pour les deux visites aux producteurs suivantes. Ces
visites étaient plus longues que la première, d'une durée de six et sept jours, et nous ont
permis de rencontrer le chef de la communauté Jain de Rapar et d'assister à la construction
de projets communautaires. La date et le déroulement de ces visites étaient planifiés avec M.
Pate t, puis avec M. Gordanbhai, le chargé de projet d' Agrocel. Nos venues coïncidaient ainsi
avec une période de temps durant laquelle notre présence ne constituait pas un trop grand
poids pour les chargés de projet. Comme pour la visite précédente, Agrocel avait mis à notre
disposition une voiture avec chauffeur afin de faciliter nos déplacements. Nous avons tenu à
rembourser les chargés de projet d' Agrocel pour les frais occasionnés lors de nos
déplacements. À chaque visite, nous devions nous munir d'une autorisation de la police de
Bhuj pour visiter et dormir à Rapar, et un permis permet à la personne qui le détient de rester
un maximum de 7 jours dans le lieu souhaité. Nous avons appris que la région, de par sa
proximité avec le Pakistan, était sujette à des passages d'armes et de drogues et que les
étrangers qui s'y rendaient étaient souvent liés à ces activités. Pour obtenir celte autorisation,
notre conjoint et nous-même déclarions à chaque fois que nous étions des touristes intéressés
à la culture du coton et aux broderies de la région. Sans visa de recberche, nous ne pouvions
prétendre faire une recherche dans la région. À la fin de notre troisième visite, la police
locale a décidé qu'il s'agissait de notre dernière visite à Rapar. Pour notre sécurité à tous, et
parce que nous ne détenions pas le visa de recherche qui nous aurait permis d'allonger notre
séjour, nous avons été priés de quitter les lieux.
Notre observation participante a donc été limitée à trois séjours au sein des villages membres
de l'organisation. Si nous avons été invitée plusieurs fois à loger dans des fami Iles de
producteurs, les chargés de projet et nos traducteurs nous en ont dissuadée. De ce fait, nous
logions dans une petite chambre dans un foyer Jain de la ville de Rapar, non loin du magasin
d'Agroce!. Nous rencontrions les producteurs chez eux, sur leurs champs et souvent nous
restions pour dîner ou souper. En pratique, notre observation participante s'est traduite en
l'observation des activités des producteurs et de leurs familles, à la visite de membres de la
communauté, et à une interaction avec ceux-ci en ce qui concerne le Canada, les thèmes du
commerce équitable, de J'organisation, et de J'agriculture biologique. Notre ethnicité et notre
genre ont constitué à la fois une barrière avec la population locale, mais également un moyen
106
de susciter son attention et son intérêt. Si nous communIquIOns avec les producteurs par
gestes, mimes et grâce à l'emploi de quelques mots de base, le fait de ne pas parler
couramment le Gujarati et d'avoir eu recours à un traducteur dans nos interactions a
constitué, selon nous, une barrière au déroulement d'une véritable participation au sein de la
communauté.
Nous pensons toutefois avoir effectué une observation participante dans la· mesure où les
producteurs rencontrés nous acceptaient et répondaient à nos questions sincèrement: ils
avaient entendu parler de nous par d'autres producteurs, et lorsqu'il nous est arrivée de
croiser certains d'entre eux dans la ville de Rapar, ils venaient à notre encontre pour nous
saluer et prendre de nos nouvelles. Aussi, le fait d'être constamment accompagnée par le
chargé de projet d' Agrocel nous a permis de gagner la confiance des producteurs, ces
derniers lui vouant une grande reconnaissance pour les avoir guidé dans la filière biologique
puis équitable. Ainsi, nous pensons que le fait de n'être restée que peu de temps dans les
villages n'a pas nuit au bon déroulement de notre recherche.
Lorsque nous ne nous trouvions pas sur le terrain, nous visitions la région et tentions de
rencontrer toutes les personnes susceptibles de nous en apprendre davantage sur l'entreprise
Agrocel, le contexte culturel local et sur l'émergence du commerce équitable dans la région.
Nous avons ainsi rencontré quatre personnes responsables d'ONG locales travaillant pour
renforcer les capacités des femmes de la région par la broderie. Il s'agit de KMVS,
Kalaraksha, Shrujan et Sewa. Ces entretiens informels nous ont pennis d'en savoir
davantage sur les problèmes d'environnement, d'endettement, d'alcoolisme de la population
de la région, en plus d'en apprendre davantage sur les alternatives existantes et sur la
compétition entre les ONG locales. Nous avons d'ailleurs collecté plusieurs documents qui
nous ont permis d'avoir 'une compréhension de base du contexte socioculturel régional.
Toutefois, nous n'avons rapporté de notre séjour aucune copie de document institutionnel de
l'organisation, car tous étaient écrits ou imprimés en Gujarati. Par ailleurs, nous avons
estimé qu'ils n'auraient rien appol1é de plus à notre recherche, si ce n'est des chiffres déjà
donnés par J'organisation.
107
Finalement, nous avons pris part à une petite fête organisée par l'ONG Shrujan dans le cadre
de laquelle les 2000 employées de l'organisation présentaient leurs réalisations; cet
événement nous a permis de rencontrer plusieurs personnes travaillant dans le milieu du
commerce équitable de la filière intégrée et d'échanger des informations sur AgroceJ.
Durant toute la durée de notre séjour, nous avons tenu un journal ethnographique et un
journal personnel, conformément aux recommandations de Bernard. Compte tenu de la
difficulté de séparer nos notes de terrain de nos notes personnelles, et étant donné que nous
disposions de très peu de temps pour nous retrouver seule et mettre il l'écrit nos activités de
la journée, nous combinions les deux, chaque soir, à travers un récit journalier, puis, lorsque
nous rentrions à Bhuj, nous prenions soin de séparer ce récit des informations, notes
méthodologiques, analytiques et de planification sur un autre fichier. Nous y ajoutions des
photographies autant que possible afin de nous remémorer plus facilement les faits vécus et
les personnes rencontrées. Nous considérons que la combinaison des notes de terrain et des
notes personnelles dans le même fichier s'est avérée bénéfique à la production de notre
journal ethnographique. Toul d'abord parce que notre récit a gagné en fluidité, mais aussi
parce qu'au moment de l'analyser, notre biais personnel, visible dans Ics notes de caractère
personnel était immédiatement apparent aux côtés de notes plus formelles. À la fin de notre
séjour, nous disposions d'un journal ethnographique. Comme l'explique Bernard, le
processus d'analyse des observations consiste en un processus d'écriture, de lecture et de
réécriture, faisant donc appel au chercheur en tant qu'instrumcnt de mcsure (in Bisaillon,
2008). Pour en faire une monographie précise de l'organisation, nous y avons ajouté nos
réflexions issues des entrevues effectuées, ainsi que des points pertinents recueillis dans les
documents collectés lors de notre séjour. Cette monographie fait l'objet du chapitre suivant.
Durant notre séjour dans le Gujarat, nous avons mené 18 entrevues auprès de producteurs de
coton biologique et équitable, une entrevue de groupe avec 16 productcurs biologiques et
équitables, une entrevue avec le responsable du projet il Agroccl, une entrevue avec le
108
chargé de projet de l'organisation, une entrevue avec un officier de terrain, une entrevue
avec un consultant biologique, une entrevue informelle avec le chef de la communauté Jain
de Rapar et une entrevue avec le directeur de l'école du village de Padampar. Nous avons
également mené des entrevues informelles auprès de quatre personnes responsables d'ONG
visant le renforcement des capacités des femmes de la région à travers la broderie. Les
entrevues que nous avons menées auprès des producteurs se déroulaient en général chez eux,
au sein de leur famille. Ainsi, pour chaque entrevue, nous étions entourés d'au moins une
dizaine de personnes.
Notre premier traducteur est guide de profession et nous a renseignés sur la région, les
communautés y résidant, leur mode de vie et les difficultés auxquelles ils font face. Le
second guide que nous avons engagé (le premier étant indisponible pour notre dernière
visite) dirige une petite entreprise de teinture naturelle. Il nous a appris beaucoup sur
l'industrie textile du Gujarat. Les deux ignoraient tout du commerce équitable et de
l'agriculture biologique et se sont montrés très enthousiastes à l'idée d'en apprendre
davantage. Ainsi, pour leur expliquer la nature de notre projet, nous avons dû utiliser des
termes clairs et être concise. Ceci s'est répercuté sur la traduction, ce qui a facilité la tenue
de nos entrevues.
109
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2 Producteur élu M X X X
Producteurs 3 Producteur élu M X X X
Producteur élu, époux
4 d'une productrice élue
M X X
5 Producteur M X X X X
7 Producteur M X X
11 Producteur M X X
13 Épouse de Producteur F X X
14 Producteur F X X
15 Producteur M X X
16 Producteur M X X X
17 Producteur M X X
18 Productrice F X X
19 Producteur M X X
20 Épouse de producteur F X X
21 Fils de producteur M X X
22 Producteur M X X
23 Producteur M X X
24 Producteur M X X
25 Fils de producteur M X X
Communauté 6 Directeur d'école M X
(membres) 26 Chef spirituel M X
1 Consultant M X X
Employés 8 Employé M X X
9 Employé M X X
10 Chargé de projet M X X
12 Chargé de projet M X X
27 Officier de terrain M X X
28 Employé F X X
29 Employé M X X
110
Vis-à-vis de tous nos répondants, nous nous présentions en tant que chercheure et étudiante
en environnement venant du Canada, intéressée à savoir si le commerce équitable pouvait
aider les producteurs de coton d'un point de vue social, économique et environnemental et à
la façon dont les producteurs comprennent, utilisent et interprètent le commerce équitable.
Une fois présentée, nous demandions au producteur visité s'il acceptait de répondre à
quelques questions et d'être enregistré. Puis, nous amorcions l'entrevue en abordant dans un
premier temps des questions générales ayant trait à leur situation familiale et à leur travail de
producteurs. Ensuite, nous abordions des questions ayant trait à l'évolution de leurs
pratiques depuis leur partenariat avec Agroeel, depuis leur entrée dans l'agriculture
biologique et depuis la création de leur organisation de producteurs équitables. Nous
demandions aux producteurs de nous expliquer ce que chaque thème leur évoquait et la
façon dont ils pouvaient le définir. Pour chaque thème abordé, nous demandions quels
changements cela avait entraîné dans leur vie, et leur positionnement par rapport à ces
initiatives. Enfin, nous posions des questions ayant trait aux possibles améliorations espérées
et à venir. Nous clôturions l'entrevue en expliquant aux producteurs que les consommateurs
du Canada s'intéressaient à leur situation, et nous leur demandions s'ils avaient un message
à leur transmettre.
Compte tenu du fait que notre recherche porte sur le changement de discours des producteurs
de coton équitable, nous tenions, et ce, avant notre arrivée sur le terrain, à ce que nos
répondants soient principalement des producteurs. Nous souhaitions interroger une vingtaine
de producteurs, aussi bien des hommes que des femmes, et appartenant ou non au comité
décisionnel de l'organisation. Nous souhaitions également nous entretenir avec le
responsable de J'organisation au sein d'Agrocel, et avec les représentants d'Agrocel sur le
terrain, afin de connaître leur point de vue sur cette évolution.
Une fois sur le terrain, nous avons présenté nos souhaits au chargé de projet principal ct
celui-ci a tout d'abord organisé quatre entrevues individuelles avec des producteurs de coton
équitable et une entrevue de groupe de seize producteurs de coton biologique et équitable
afin de nous faciliter la tâehe et nous permettre d'interroger plusieurs producteurs en même
temps. Après la tenue de ces premières entrevues, nous J'avons remercié, mais avons précisé
notre volonté d'effectuer davantage d'entrevues individuelles auprès de producteurs. De
cette manière, il nous a dirigé vers les producteurs qu'il pensait le mieux correspondre à nos
111
critères. Nous avons alors réalisé que les producteurs membres de l'organisation étaient
dispersés dans 7 villages. Nous avons choisi de nous concentrer sur trois d'entre eux. Ainsi,
sur 18 producteurs de coton biologique et équitable interrogés appartenant à trois différents
villages, 3 femmes ont été interrogées, et nous nous sommes rendus chez la vice-présidente
du comité afin de nous entretenir avec son époux, producteur référant en matière
d'agriculture biologique. Durant ces différentes entrevues, en dehors du cadre plus formel de
l'enregistrement, nous avons pu nous entretenir de manière plus libre avec d'autres membres
des familles visitées, incluant des femmes et des membres plus âgés de la communauté.
En moyenne, J'enregistrement de chaque entrevue avec un producteur atteignait une durée
allant de 30 min à 65 min, alors que celui des entrevues effectuées avec des membres
d'Agrocel atteignait une durée de deux heures ou plus. Au moment où la police locale nous a
demandé de quitter la ville de Rapar, bien que nous aurions aimé réaliser d'autres entrevues
avec les producteurs, nous avions atleint une saturation des données, dans le sens où de
nouvelles entrevues ne nous auraient rien apporté de plus.
Toutes nos entrevues ont été tranSCJites et ensuite analysées à l'aide du logiciel Atlas-ti.
Étant donné que nos entrevues ont été enregistrées en anglais et qu'elles avaient été traduites
du gujarati, nous avons préféré ne pas les traduire en français et conserver la traduction
anglaise afin de réduire la perte de sens déjà occasionnée. Puis, nous avons procédé à
l'analyse du contenu issu de ces transcriptions, en nous limitant à la codification ouverte et
axiale des entrevues: le phénomène à J'étude étant depuis le début de notre recherche le
commerce équitable, nous avons trouvé inutile d'entrer dans la codification transversale.
Notre analyse dépeint pourtant le commerce équitable comme un phénomène animé par
différentes inter-relations.
Dans une première étape, la codification ouverte, les données ont été déconstruites, c'est-à
dire que nous avons attribué à chaque unité de sens un ou plusieurs concepts. Afin d'éviter la
simple paraphrase, nous nous sommes alors posé les questions suivantes: quoi, quand,
comment, pourquoi, par quels moyens?
112
Nombre de
Date de
N° Type d'entretien Durée (min) Enregistrement pages de
l'entretien
transcription
Les codes que nous avons attribués au contenu de nos données sont à ce stade le plus
souvent empruntés directement du langage utiJisé sur le terrain. Les codes attribués au tex1e
Afin d'assurer la rigueur de son étude, tout chercheur doit viser à en accroître la val idité. Si
celle-ci inclut des sujets humains, il doit également être capable de démontrer que son
intervention sur le terrain s'est déroulée dans le respect, en tenant compte de certaines
préoccupations d'ordre éthique, notamment la compétence du chercheur à entrer sur le
terrain, le consentement éclairé, et l'anonymat (De Walt et De Walt, 2002).
Dans le cadre de cette recherche, nous avons tout d'abord suivi les procédures
institutionnelles en matière de recherche impliquant des sujets humains. Nous avons ainsi
obtenu un certificat de conformité à l'éthique en matière de recherche impliquant la
participation de sujets humains en septembre 2006. Puis, nous avons élaboré des formulaires
114
de consentement que nous prévoyions utiliser dans le cadre des entrevues semi dirigées. À
notre arrivée sur le terrain, les responsables de l'organisation ont donné leur consentement à
ce que nous nous rendions dans les villages membres de l'organisation pour visiter les
familles et les membres de l'organisation. Avant chaque entrevue, nous expliquions à nos
répondants les objectifs de notre recherche 28 . Lorsqu'ils en faisaient la demande et que nos
connaissances le permettaient, nous leur donnions des informations supplémentaires sur le
commerce équitable et l'agriculture biologique. Puis, s'ils consentaient à participer à la
recherche, c'est-à-dire s'ils acceptaient de répondre à nos questions, nous demandions leur
autorisation afin d'enregistrer la conversation et de prendre des photographies. Nous
évoquions le fait qu'ils pouvaient en tout temps, sans avoir à s'expliquer, interrompre leur
participation, et que nous garantissions leur anonymat dans la publication de nos résultats.
Durant notre collecte de données, nous avons obtenu le consentement oral de tous nos
répondants, et nous avons jugé inapproprié d'utiliser les formulaires de consentement, du fait
que la plupart de nos répondants ne savent ni lire ni écrire. Au niveau de la compétence du
chercheur, nous avons fait approuver notre projet de recherche avant notre arrivée sur le
terrain, pris toutes les mesures nécessaires pour ne pas imposer notre présence sur les
membres de l'organisation, et témoigné d'un grand respect envers ceux-ci.
Conclusion
Au fil de ce chapitre, nous avons rappelé nos questions de recherche, présenté notre stratégie
générale de recherche, puis notre stratégie de collecte et d'analyse de données, et enfin la
façon dont nous avons analysé notre corpus de données. Cette présentation a été ponctuée de
précisions ayant trait à la validité, à la fiabilité, et enfin à l'éthique de la recherche. Ainsi,
nous pensons avoir pris les mesures nécessaires afin d'assurer la rigueur de notre recherche.
Dans les chapitres suivants, nous présenterons nos résultats. Dans un premier temps à travers
une monographie de l'organisation, réalisée à partir de notre journal ethnographique, de nos
entrevues et de sources Internet, puis, dans un second temps à travers l'analyse de contenu
des entrevues effectuées sur le terrain.
Introduction
Ce chapitre constitue la première partie de nos résultats. À partir des données collectées sur le
terrain, nous présentons ici l'organisation visitée pour notre étude de cas, Agrocel Pure and
Fair collon grower's association. Puisque l'organisation a été initiée par les responsables de
la branche coton de l'entreprise Agrocel, il nous apparaît logique de présenter dans un
premier temps cette entreprise, avant de présenter l'organisation en tant que telle. Puis, nous
aborderons la manière dont les principes du commerce équitable sont opérationnalisés par
l'entreprise et l'organisation, pour finalement discuter des impacts du commerce équitable sur
l'organisation et la communauté.
4.1.1 Agrocel
L'entreprise gujaratie Agrocel est issue d'un projet de société articulé dans les années 1960
par Shri C.C, fondateur des Industries Excell Itd, et son épouse Shri K.C Shroff. Dans ridée
de contribuer au développement économique et à l'amélioration des conditions de vie de la
population rurale indienne, Mf. et Mme. Shroff avaient un rêve commun: permettre aux
agriculteurs du pays, en tout temps et à coût moindre, un accès facile aux intrants agraires, un
soutien marketing, technique et conseil Mme Shroff a d'abord créé Shrujan, la première
ONG du Gujarat à employer des femmes pour développer une collection d'articles brodés
traditionnels et leur pennettre de contribuer au revenu familial Puis, en 1975, le couple fait
Aujourd'hui, Agrocel est une compagnie détenue à 89% par la famille Shroff et à II % par les
industries publiques du Gujarat (Gujarat Governement Enterprise). Le groupe Shroff inclut
Excel Industries Ltd., Excel Crop Care Ltd., Transpek Industries Ltd., Trans Metal Industries,
Hyderabad Chemicals Ltd., Punjab Chemicals Ltd., Parul Industries et Shroff Engineering; il
collabore avec les universités de la région, l'institut de recherche sur le coton, l'institut
international de recherche sur les climats tropicaux semi-arides (ICRISAT), J'institut national
de gestion en extension agricole, la fondation nationale de coopératives de reboisement
(NTGCF), le National Dairy Development Board et le National Research Center for
Groundnut. L'entreprise Agrocel fait appel à la certification SGS pour le développement de
techniques de production de riz basmati, de noix de cajou et de noix de Grenoble, à la
certification Geochem pour la fabrication de pains de neem, à la certification SKAL pour
l'agriculture biologique et à 1'IRFT (International Resources for Fairer Trade), une ONG
indienne partenaire, pour l'audit social et les conseils en agriculture de nature équitable.
L'entreprise Agrocel est reconnue pour la manufacture de produits chimiques, ses idées
innovantes, sa recherche et développements, divisés en deux branches: la division « service à
l'agriculture» et la division « produits chimiques marins ». Notre étude de cas, bien entendu,
se situe dans l'étude de la première. Toutefois, les mêmes principes sous-tendent l'essence
des deux divisions.
117
Les voici:
Tirer avantage d'une situation difficile, privilégier les emplois locaux, aider les
districts frontaliers indiens, exceller avec des ressources humaines locales, être
créatif, miser sur la simplicité et la réduction des coûts intermédiaires pour
former une direction dynamique, dépasser la logique avec bon sens, maintenir
une structure organisationnelle horizontale, toujours penser responsabilité
sociale parce que l'environnement, la santé et la sécurité sont primordiaux, et
voir la bonne volonté comme la clé du succès 30 . Finalement, "Agrocel, ce sont
des gens ordinaires qui travaillent pour des résultats extraordinaires, à travers la
confiance, la concentration et le respect" (site Internet d' Agrocel).
Au niveau des ressources humaines, le principe majeur est le suivant: « en utilisant les
dynamiques de groupe avec une clarté, une direction et un but commun, notre équipe
composée de 250 membres pourra faire face à tous les défis ». Aussi, l'organisation mise
beaucoup sur l'éducation de ses employés, chacun ayant un potentiel à ne pas négliger; dans
cet esprit, elle offre des formations à ceux qui le désirent et qui n'ont jamais pu y avoir accès,
afin d'aiguiser leur expertise. En partant du principe que chaque travail a son importance,
J'organisation se veut horizontale pour permettre au groupe d'êtr.e homogène et à chacun de
s'épanouir; Agrocel s'engage cl 'ailleurs à améliorer la qualité de vie de ses employés et de la
population locale où elle a implanté un centre de service, et à satisfaire ses parties prenantes à
travers une croissance durable. Enfin, des pratiques équitables pour les producteurs sont
f011ement encouragées [socialement, économiquement et environnemenlalemcnt]31.
La mission de la division service à l'agriculture est d'offrir aux agriculteurs des régions dans
lesquelles elle opère tous les intrants et Je support marketing possible, au bon moment et à
coût raisonnable, avec toule l'assistance technique nécessaire sous un seul nom afin de
permellre l'accroissement de la production locale et nationale, d'améliorer la qualité des
cultures et de réduire les coûts de production des producteurs. Tout ceci dans des conditions
que J'entreprise qualifie d'équitables: la division s'engage à travailler pour une agriculture
progressive, régénérative et durable, avec comme slogan: « un service à visage humain»
(Service wilh a human face). Aussi, en plus des 19 centres de service bénéficiant aux fermiers
du pays, la division service à ]'agricullure a développé toute une gamme de produits
biologiques et respectueux de l'environnement tels que des intrants biologiques faits à pal1ir
Actually we started this company for the true sustainability of the farmers. Because we've
seen every years when we go into the farmers community we see that proper scientific
agriculture is not there. And so our approach is how we can sustain the farmers. For that
we started one service center here 15 years aga. Agrocel has mainly three activities, total
input suppl y, whatever the requirement of the farmers, at reasonable priee, under one
roof. Farmers get ail inputs from Agroce!. Second we provide free service, technical
assistance to the farmers, free. Farmers are producing many crops and many things, so
whatever possible, we. are providing marketing support - through various ways Iike fair
trade, organic, and things like that. So this is the main three activities. And so we started
a service center, and farmers see that they are getting very good benefit, so other areas
are demanding this service center. So we have made 18 service cent ers over India. So
with different types of crops, like cotton, sasame, rice, cashews... (Saleish Patel, le
16/12/07).
119
Le centre de service Agrocel de Kodai, près de la ville maritime de Mandvi, est le centre de
service à l'agriculture qui chapeaute tous les autres centres du pays (voir figure 4.1). Il est
ainsi responsable de la branche coton d'Agrocel. Ce centre chapeau est entouré de plans de
coton nés de nouvelles variétés de graines créées par Agrocel et de plantes locales destinées à
la fabrication d'intrants biologiques en pain, en poudre ou liquides. Un bâtiment de trois
étages a été aménagé en bureaux pour les chargés de projets, dirigeants et employés de la
division service à l'agriculture, un entrepôt est utilisé pour stocker les produits alimentaires et
le coton récolté jusqu'à leur tranSpot1 prochain ct gérer les comptes de l'entreprise au niveau
des ventes, et un autre entrepôt, plus petit, sert à la fabrication d'intrants biologiques. À
Kodai, le chargé de projet responsable de la branche coton d' Agrocel est Mr. Saleish Patel, et
le directeur général Mr. Hasmul Patel. Le premier s'occupe des relations avec les médias et
Ensemble, les trois organisations définissent et brevètent une fibre cotonnière Agroce/® Pure
& Fair Indian Organic COI/on. L'objectif est de l'utiliser pour produire du coton biologique
cultivé dans des conditions de travail éthiques, selon des critères adaptés de ceux du
commerce équitable 32 C'est à Rangpura Gordanbhai, chargé de projet dans le centre de
service Agrocel à Rapar (voir figure 1.2) que Hasmul Patel confie le projet. Les techniciens
d'Agrocel déploraient en effet les faibles moyens technologiques mis en œuvre pour aider les
producteurs. M. Gordanbhai, qui travaillait pour Agroccl à Rapar depuis plusieurs années, a
32 Les critères du commerce équitable pour le coton-graine ne sont à cette date pas encore lancés.
AgroceJ fait donc preuve d'une grande innovation. Nous présentons ces critères dans la section 4.2 de
ce chapitre.
120
souhaité relever le défi et, avec l'aide de techniciens spécialisés venus de Kodai, a conunencé
à informer les producteurs sur les méfaits des produits chimiques et Je potentiel des méthodes
de production naturelles. Rangpura Gordanbhai organisa des réunions qui furent tout d'abord
improductives, les producteurs ne pouvant s'imaginer renoncer à ce qu'ils avaient toujours
cru être la meilleure façon de cultiver du coton. Mais avec le temps, il réussit à rallier à sa
cause quelques producteurs qui ont pu observer rapidement des résultats inattendus. Lorsque
les résultats se sont confirmés, et le processus de certification amorcé par les bureaux de
Kodai, ces producteurs en ont parlé autour d'eux et ont organisé des réunions informelles qui
leur permettaient d'échanger sur des techniques d'agriculture biologique. Rangpura
Gordanbhai, pendant ce temps, organisait d'autres réunions, des séances d'information, des
formations; il se rendait directement dans les familles et a pu trouver d'autres producteurs en
qui la foi avait refait surface. Depuis 2002, plus d'une cinquantaine de producteurs de la
région de Kutch cultivent ainsi du coton biologique dans des conditions de travail correctes,
selon une liste de critères adaptée des critères du conunerce équitable. Bientôt, ces
producteurs perçoivent les premiers bénéfices de cette conversion. La prime biologique,
associée à une production et une qualité de coton plus importante suscite un fort engouement.
Peu de temps après ses débuts dans le coton biologique, Agrocel passe une entente avec
l'organisation Oxfam dans le cadre de la campagne « vêtements propres ». Agrocel, qui avait
fait parler d'elle pour ses standards à la fois sociaux et environnementaux élevés, s'engage
alors à réaliser une conunande de t-shirts faits de coton biologique et fabriqués dans des
conditions de travail respectueuses des normes de l'OIT dans toutes les étapes de la
production. L'expérience est un succès et Agrocel s'organise afin de réaliser davantage de
commandes. Peu de temps après, Saleish Patel se rend au Pakistan pour un court séjour. II
visite alors une organisation de producteurs soutenue par une entreprise pakistanaise afin
d'acquérir la certification équitable. Dès son retour, il en parle à son responsable, Hasmld
Patel qui décide d'en faire autant dans leur région, avec les petits producteurs de coton
biologique et en conversion biologique de la région de Kutch. Compte tenu du succès
rencontré avec l'agriculture biologique, Rangpura Gordanbhai n'a alors aucun mal à
convaincre les producteurs du bien fondé d'une telle initiative. De plus, ces producteurs
respectaient déjà les critères équitables d'Agrocel, ce qui n'a posé aucun problème
121
... ,
En janvier 2007, l'organisation compte plus de 450 familles membres réparties sur sept
villages classés selon leur degré d'appartenance au réseau équitable (voir figure 4.3). Elle
regroupe des petits producteurs dont la taille des fermes ne dépasse pas 17.5 acres. Au
Gujarat, ces producteurs sont considérés comme des petits producteurs. Une famille
comprend en moyenne sept membres, et il est fréquent que plusieurs familles se paliagent des
teITes. En plus du coton cst généralement cultivé moutarde, cumin, arachides, lentilles, fruits
et légumes, destinés à la vente sur le marché, mais plus souvent à la consommation familiale.
D'après nos entrevues, il semble que le tiers des familles membres de l'organisation ne
produise du coton que depuis une dizaine d'années, soit après qu'Agrocel ait ouvert un centre
de conseil dans la région. Certains producteurs de moutarde ont ainsi commencé à produire
du coton parce que sa culture était devenue rentable. Les membres sont aujourd'hui certifiés
biologiques pour la plupart, et tous sont certifiés équitables depuis 2005, 2006, ou 2007. Les
membres en conversion pourront faire partie de l'organisation lorsque leurs pratiques se
seront améliorées au point de satisfaire aux critères du commerce équitable.
34Yoir http://commons.wikimedia.org/wiki/lmage:Map_GujDisl_Kuchchh.png
123
Bhutaky a • Bhimasar
•
centre de service Agrocel
• Bhangara Cl certification équitable récente
• en cours de certification équitable
• Cl1tlOtapa • certifié équitable depuis 2005
• Padampar • ville
___ route
= 4 km
Agrocel Pure and Fair cotton growers' association n'est pas une organisation autonome.
C'est une organisation de producteurs de coton prise en charge par Agrocel, son porteur de
projet, guide, et source de con sei Is et financements. À long terme, Agroee 1envisage la prise
en charge totale de l'organisation par ses membres, ce qui ne signifie pas le retrait d'Agrocel
de la région. Toutefois, cette prise en charge n'est pas encore effectivc, car les membres ne
sont pas tous conscients de leur position en tant que membres au sein d'une organisation
fédérative. Rangpura Gordanbhai et Saleish Patel se fixent ainsi des objectifs de progrès tous
les deux ans afin d'amener graduellement un changement dans cette direction. Dans un
premier temps, il a été question de sensibiliser les membres à l'agriculture biologique, puis
d'obtenir la certification biologique. Aujourd'hui, ils travaillent à mettre en place une
structure démocratique solide au sein de l'organisation.
L'organisation dispose d'un comité de producteurs composé de 13 membres, élus
démocratiquement chaque année. Elle emploie deux membres du personnel d'Agrocel pour la
prise de notes et les bilans financiers. Il n'existe pas de locaux d'entreposage ou de salle de
réunion prédéterminée qui soient la propriété de l'association. Ainsi, les réunions annuelles
du comité ont lieu à l'extérieur, car elles permettent de regrouper plus de 450 producteurs; les
réunions bimensuelles des sous-comités se déroulent dans chacun des villages, ou à
]24
J'intersection de deux villages chez les producteurs qui possèdent les plus grandes fermes, ou
sous les préaux des écoles. Chaque village est représenté par deux personnes du comité
principal et une réunion est tenue chaque mois, ou tous les deux mois avec ces deux
personnes et les membres des villages adhérents. Chaque village dispose d'un budget à
dépenser à des fins de développement, proportionnel au nombre de producteurs adhérents au
commerce équitable; les réunions sont destinées à l'allocation des dépenses de la prime
équitable en fonction des besoins les plus urgents.
4.1.3.2 Activités
Durant les formations 35 , les producteurs apprennent de nouvelles façons de contrôler les
invasions d'insectes, d'irriguer leurs champs en économisant leurs réserves d'eau et
d'emichir la terre. Il arrive régulièrement que des membres d' Agrocel viennent sur place pour
leur enseigner comment fabriquer de nouveaux intranls biologiques à base de plantes locales.
Une fois le coton récolté, il est entreposé dans les fermes et le producteur se charge d'appeler
Gordanbhai pour qu'il lui envoie un camion afin de prendre le coton et le transporter à Kodai.
Ce dernier, avanl de charger le colon dans le camion, s'occupe du contrôle de qualilé du
coton, du pesage et du paiement au producteur. Le camion est ensuite dirigé dans une usine
d'égrenage, principalement dans le Gujarat, où il sera préparé pour son expédition à
l'étranger ou travai lié pour être confectionné dans le pays. Régulièrement, les chefs de
famille des producteurs membres de l'organisalion assislent aux réunions de leur comilé de
village, et annuellement, à celle du comité de l'organisation.
Lorsque les producteurs disposent de temps libre, nolammenl à la fin de la saison cotonnière,
ils déploienl leur énergie dans la réalisation de projels de développemenl tels que le
creusemenl de bassins d'irrigation, la réparation de bâlimenls, l'installalion de réservoirs
d'eau potable, l'organisation de classes de lecture pour adultes, d'ateliers de coulure el de
broderie pour les filles des producleurs membres de l'organisation. Les producteurs de
l'associalion sonl parfois invilés au centre de Kodai, pour des réunions avec d'autres
producteurs ou pour des formalions. Ce genre de réunions est alors très bénéfique parce qu'il
permet aux producteurs équitables de réaliser le changement qu'ils ont vécu avec la
certification, ct d'échanger toutes sortes de conseils et d'expériences avec des producteurs
non certifiés.
L'association n'entretient pas de lien avec les autres entreprises locales en ce qui concerne la
production. Agrocel, quant à elle, entretient des liens avec les usines d'égrenage de la région
puisqu'elle y envoie son coton. Ce dernier sera alors envoyé, une fois la fibre travaillée en
Angleterre, à des compagnies comme People Tree, Gossypium ou Satya, qui vendent des
35Après la production de coton, la tenue de formations constitue la seconde activité à Jaquelle les
membres de l'organisation prcnncnt part.
127
vêtements biologiques et équitables, ou dans des ONG locales comme Shrujan pour être tissé
~t vendu dans le pays et sur place. L'industrie profite alors à des milliers de femmes de la
région qui, en brodant et cousant ce coton, touchent 30% au moins du prix auquel il sera
vendu en produit fini, et contribuent ainsi au revenu familial et à la transmission de leurs
savoirs (voir figure 4.5).
Figure 4.5 Des employées de Shrujan concentrées dans la broderie d'un sari fait en
partie de coton provenant de l'organisation .
Agrocel offre un service de prêts sans intérêts aux producteurs. Toutefois, ces prêts sont
limités en nombre et en nature car les producteurs ne peuvent souvent pas les rembourser
avant un certain temps, et parce qu'Agroccl ne dispose pas de fonds suffisants. 11 est arrivé
dans le passé qu'Agrocel prête des sommes importantes, mais ccci a mené les producteurs
concernés à la ruine. Agrocel travaille toutefois avec les comités pour mettre en place un
fonds qui serait utilisé pour augmenter la somme prêtée sans intérêt. Si la saison a été
emprunteur a tendance à rembourser la banque beaucoup plus vite pour ne pas mettre ses
amis dans l'embarras et éviter une pression de leur part. Agrocel tient aussi des rencontres
d'information pour sensibiliser les producteurs au prêt et les encourager à ne pas emprunter
d'argent aux prêteurs locaux, qui chargent des taux d'intérêt faramineux. La banque offre des
prêts à 0,75% d'intérêt, alors que ces prêteurs chargent des taux de plus de 2%.
Tout producteur intéressé par la certification biologique ou équitable peut se rendre au centre
de service de Rapar, discuter avec les techniciens et prendre rendez-vous avec M.
Gordanbhai. S'il ne peut pas se déplacer, M. Gordanbhai viendra à lui. À ce moment là, si le
producteur souhaite adhérer au mouvement, M. Gordanbhai J'invitera à prendre le thé chez
lui pour signer un contrat. Après signature, le producteur devra suivre une formation offerte
par Agrocel qui lui garantira selon le cas, de solides connaissances sur les méthodes
d'agriculture biologique ou sur les critères à respecter lorsque l'on devient un producteur
équitable. Il est ici nécessaire de préciser que les producteurs de la région sont en règle
générale certifiés biologique avant d'être certifiés équitable. Il sera alors suivi de près par les
techniciens et chargés de projet d'Agrocel pendant sa première année, et toutes les deux
semaines au moins pour les années suivantes. Il arrive parfois que certains agriculteurs
deviennent chargés de projet pour Agrocel lorsqu'ils disposent de connaissances assez solides
pour conseiller d'autres personnes sur les pratiques d'agriculture écologique, biologique oulet
équitable.
Le producteur devra également participer aux réunions du comité, mais pourra toujours, s'il
le souhaite, acheter ses intrants et vendre sa production ai lieurs. Toutefois, ceci n'est pas à
129
envisager dans le cas des producteurs bio-équitables car aucun autre vendeur qu' Agrocel
n'offre d'intrants biologiques.
Ci-contre sont présentés les critères du commerce équitable destinés aux producteurs et aux
groupes porteurs dans Je cas d'un projet de contrat de production. Comme nous Je
mentionnions dans le chapitre lI, ces critères sont adaptés des critères génériques du
commerce équitable destinés aux petits producteurs et en suivent chacun des points
essentiels.
130
Responsabilités des
Critères Responsabilités du groupe porteur producteurs et du
groupe exécutif
DEVELOPPEMENT SOCIAL
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
DEVELOPPEMENT ENVIRONNEMENTAL
·S'assurer que les producteurs enregistrés aient pris connaissance de leurs responsabilités vis-à-vis
de l'environnement et gardent des rapports relatant les applications conséquentes.
·S'assurer que les membres respectent la législation nationale et internationale relativement à l'emploi
de pesticides, à la conservation de pesticides, à la protection des cours d'eau, de la forêt vierge et de
tout autre écosystème à haute valeur écologique, à l'érosion et à la gestion de l'eau. Les pesticides
interdits sur la liste des critères génériques destinée aux organisations de petits producteurs le sont
également ici .
L'organisation a pu être fondée grâce à la fondation Shell qui a versé une somme d'argent
importante à Agrocel pour permettre la réalisation du projet avec une emphase sur
l'éducation et les nouvelles technologies de production comme celles de l'agriculture
biologique. L'organisation travaille aussi avec l'UNICEF, Yura, Cohesion, Setu, Marag et
d'autres organisations locales en ce qui a trait à l'éducation. Agrocel, en tant qu'ONG
travaille avec d'autres organisations locales comme la fondation Shroff, le CC Shroffs self
help center, Shrujan, Vivekanand Research and Training Institute et VGS pour l'aide à
l'emploi, le soutien à J'artisanat local et à ['agriculture, l'élevage, la santé, l'irrigation.
Ces ONG ont commencé à intervenir de manière soutenue dans la région depuis le
tremblement de terre de 2002 et n'ont cessé d'apporter leur soutien à l'organisation depuis.
Elles travaillent avec l'organisation, mais aussi dans d'autres villages de la région.
Les producteurs sont davantage impliqués dans la vie communautaire et n'hésitent pas à
parler des bénéfices du commerce équitable et surtout de l'agriculture biologique autour
d'eux. L'organisation entretient de très bonnes relations avec le milieu, car elle permet à
J'ensemble des villages et des villageois, qu'ils soient membres ou non, d'avoir accès à la
plupart de leurs projets de développement tels que l'accès à ['eau potable et au bassin
d'irrigation, et des écoles mieux équipées.
En ce qui concerne la relation entre les employés d' Agrocel et les producteurs, on peut parler
d'un partenariat durable de longue date, particulièrement avec Mr. Gordanbhai. Agrocel
133
entretient de très bonnes relations avec le milieu, aussi bien dans les conseils que dans
J'assistance technique et la recherche de marchés. Le centre de conseil d' Agrocel à Rapar est
reconnu pour ses membres dévoués aux producteurs: ces derniers qualifient ses pratiques de
« meilleure façon de faire du coton ».
4.2.1 Agrocel
Saleish Pate l, Rangpura Gordhanbhai et les huit personnes travaillant dans le centre de
service d' Agrocel à Rapar, en plus des techniciens et inspecteurs biologiques, connaissent les
principes du commerce équitable et ses implications pour les producteurs. Ils sont conscients
des impacts d'un tel projet au niveau social, économique et environnemental, et partagent les
vues du mouvement. En fait, ces principes s'accordent avcc la philosophie d'Agrocel et
entrent dans les activités que l'entreprise a développées depuis ses débuts. L'implantation des
critères du commerce équitable au sein de l'organisation en a doncélé facilitée, ccux-ci
complétant en quelque sorte les cri tères sociaux et environnementaux qu' Agroccl avait
développés avec Vericott et Traidcraft Exchange avant la parution dcs critères du commerce
équitable pour le coton-graine.
• Offre de formations
Développement économique • Faciliter la transparence du marché
• Offre d'une prime équitable par Agrocel
• Pratiques biologiques
Développement environnemental • IPM et ICM
• Offrir un support marketing
Les membres d'Agrocel que nous avons interrogés ont insisté durant nos entretiens, sur la
pertinence de certains critères, leur présence dans le discours de la mission d'Agrocel ou sur
leurs limites dans la pratique. Il s'agit de la notion de commerce direct, de préfinancement, de
• Le commerce direct
Agrocel, dans son entrée au sein du réseau équitable, se démarque de ses activités courantes
dans l'achat direct aux producteurs et la vente directe aux parties prenantes.
Les membres d'Agrocel sont conscients des défauts de la chaîne de production
conventionnelle et cherchent à éviter le surplus d'intermédiaires cn travaillant sur la durée ct
le partenariat. Ceci simplifie grandement le travail des productcurs qui n'ont plus à se rendre
dans les marchés locaux au prix de déplacements dispendieux ct au risque de ne pas toucher
un prix convenable dans les temps. Aujourd'hui, Agrocel se rend directement chez les
135
producteurs pour leur éviter des dépenses et une perte de temps inutile, et surtout pour leur
permettre de recevoir leur paie directement.
• Le préfinancement
En pratique, le préfinancement n'est pas proposé aux producteurs malgré qu'il soit prévu
dans les critères du commerce équitable. Toutefois, les producteurs ont aujourd'hui
davantage accès au crédit, comme nous l'avons mentionné dans la section précédente: sans
intérêt avec AgroceJ, et à un taux d'intérêl de 0.75% auprès de la banque de Baroda.
Toutefois, le préfinancement demeure limité auprès d'Agrocel et de la banque de Baroda.
Agrocel, pour sa part, ne dispose pas d'un fonds suffisant pour venir en aide à chaque
producteur. La banque de Baroda, quant à elle, ne veut traiter qu'avec des producteurs de
confiance en vue d'assurer un remboursement dans les temps.
Because of sorne fanner who ha ven 't returned payment, so that is why they are strict
with the farmers. Even today Bhimasar, is big village, lot of farmer, but even today not
any bank will give loan to any one farmer, because in past a lot of farmer was never
repaid in that area. So they say, the bank manager, please, Gordenbhai, lot of money we
are lost, this is your personal responsibility then 1 give you. Then 1 say this is a good
farmer, and good relation, then yeah okay, but sometimes not this farmer (Rangpura
Gordanbhai, le 20/12/07).
G: We also bring farmer to bank. A lot of farmcr gct this type of loan with our
recommendation. Don't forget the bank is ready, but wc are nol. .. because this is our
personal responsibility. The farmer is poor, farmer say 1 have no money, so the bank
manager asks us, and this creates sorne problem also (Rangpura Gordanbhai, le
20/12/07).
Avant Agrocel, les producteurs empruntaient tous aux prêteurs de la région à des taux
d'intérêts de plus de 2%, et ne parvenaient que rarement à les rembourser, entraînés dans un
cycle de dettes sans retour. Ceci était dû cn partie au fail que les acheteurs de coton ne leur
versaient pas un prix correct qui pouvait leur permettre de couvrir leurs frais de production.
Aujourd'hui, de nombreux producteurs souhaiteraient obtenir davantage de prêts, alors que
d'autres ne veulent même pas y penser. Agrocel est consciente de cette réalité, ct même si
elle considère que les producteurs devraient éviter de s'endetter, travai Ile à améliorer
l'accessibilité du système financier pour les petits producteurs.
136
Aux dires des chargés de projet du centre Agrocel à Rapar, les organisations de commerce
équitable sont très présentes dans l'évolution de l'association, qu'il s'agisse de contrôles de
qualité ou de respect des standards, de démonstrations de nouvelles technologies, de conseils
en développement, de visites amicales ou publicitaires, ou de venir offrir aux producteurs des
vêtements faits de leur coton. Ces visites sont très appréciées des producteurs et permettent
une certaine imputabilité à l'association et à Agrocel, tout en renforçant la crédibilité du
commerce équitable. Aussi, les producteurs découvrent pour la première fois ce qui est fait de
leur coton.
G: Lots of visitors, inspectors come here ... sorne purchaser come here and they give small
piece of cotton, they say also say this is your cotions, they are happy. Because without
fair trade they dont know, local trader take this cotton but give afteL.. what is the cotton?
But even today there is lot of barrier from here and from this and this cottons and pure.
They are aware. They are also happy with this in part, because you are come here,
because of this fair trade. There is a lot of relation.
A: Do the inspectors that come just inspect or do they give a lot of ideas?
G: A lot of ideas. The inspectors also give lots of ideas, like this and this ... (Entretien
avec Rangpura Gordanbhai, le 20/12/07).
• Le juste prix
Aujourd'hui, pour 100kg de coton, Agrocel offre aux producteurs de l'organisation une
moyenne de 2230 roupies, alors que le gouvernement fixe un taux de 1900 roupies pour 100
kg et que les acheteurs des marchés n'offrent bien souvent que 1500 roupies. En plus de
payer 1900 roupies aux producteurs pour 100kg de coton pour respecter la loi
gouvernementale, Agrocel ajoute une prime équitable de 300 roupies aux 100kg, prime qui
doit être utilisée dans le développement de la communauté, et une prime biologique de 4%
pour les producteurs en conversion, et de 8% pour les producteurs certifiés équitable et
biologique. Ceci n'est pas encore suffisant pour les producteurs qui, si l'on calcule le nombre
d'heures qu'ils consacrent à la production de coton, devraient toucher beaucoup plus.
Cependant, selon les producteurs et les chargés de projet, même si ces prix demeurent bas et
ne permettent pas la réalisation d'économies substantielles, ils pennellent aux producteurs de
couvrir leurs coûts de production et de payer les frais de scolarité de leurs enfants.
137
La protection de l'environnement est l'objectif premier des membres d'Agrocel pour qui les
techniques d'agriculture biologique sont les technologies dont les producteurs ont besoin
pour survivre économiquement. À cet effet, de nombreuses formations sont organisées, une
ferme témoin a été mise en place pour que les producteurs conventionnels puissent en
apprendre davantage sur J'agriculture biologique, et des techniciens viennent régulièrement
contrôler les progrès de chacun. Agrocel produit et offre des intrants biologiques aux
producteurs et a développé ses propres standards en matièr~ d'environnement, en plus de
ceux donnés par SKAL. Agrocel travaille avec de nombreux centres de recherche pour
perfectionner ses connaissances et s'est spécialisée dans l'lPM et l'leM. Ainsi, les critères
équitables de protection de l'environnement sont largement allei nts ct même dépassés.
• La gestion démocratique
La gestion de l'association est fondée sur l'élection des membres du comité général et des
comités villageois et sur la participation démocratique. Avant l'implantation des critères du
commerce équitable, Agrocel n'encourageait pas particulièrement le regroupement de
producteurs sous forme d'organisation. Toutefois, les chargés de projet interrogés saisissent
les enjeux qui sont associés à la participation démocratique des producteurs et suivent de
près les progrès de l'association à cet égard. Le comité principal comprend des membres
masculins et féminins, et un sous-comité féminin va être mis sur pied pour faciliter la
participation des femmes aux décisions, bien que ces dernières soient souvent à l'origine des
plus gros changements en incitant leurs époux à faire valoir leurs points de vue. La gestion
démocratique, en plus des développements communautaires, représente pour les producteurs
la différence majeure entre l'agriculture biologique ct le commerce équitable. Agrocel suit de
près celle variante et l'intègre dans sa philosophie.
• L'information du public
Agrocel a créé un site Internet destiné aux consommateurs ct aux acheteurs de coton
biologique et équitable. Toutes les informations nécessaires y figurent, ce qui permet une
certaine transparence et une Iraçabilité. Des liens vers les acheteurs sont intégrés, ainsi que
138
des statistiques et descriptions des variétés de coton cultivé, des données sur l'impact de
l'activité sur les producteurs, ainsi qu'un jeu vidéo sur la production de coton. Sur le site
Internet d'Agrocel, il existe aussi un descriptif des activités de la compagnie.
Les membres d' Agrocel sont conscients de la nécessité d'offrir au public des renseignements
sur leurs activités, même si d'après notre expérience, ils sont difficilement joignables, et que
les données du site, mises à jour pour la dernière fois en 2002, sont quelque peu obsolètes.
Mostly the farmers in this area are uneducated. No knowledge, no education. So we give
them sorne instruction, sorne guidance in this channel. But sorne farmers don't believe
this. They don't believe it properly. So there are sorne problems there. Like one fanner
has big quantity of cotton, and another has small quantity. Then when we give materials
we give materials to the big quantity but they do not know and there are sorne problems
there.
S: The premium is divided based on how much they produce. They dont understand why
he is getting more than us. It depends on how much they produce (Entretien avec
Rangpura Gordanbahi, le 20/12/07).
Ils savent qu'ils peuvent adhérer à un syndicat ou à une union, mais tous n'en éprouvent pas
la nécessité. Ils savent également que le travail des enfants est interdit et respectent ce critère,
et connaissent les modalités d'insertion au réseau. Cependant, ils ne reconnaissent pas le
commerce équitable comme une entité insérée dans la philosophie d'Agrocel. Aussi, ils
attribuent à l'agriculture biologique et aux chargés de projet d'Agrocel en particulier les
bénéfices générés depuis la naissance des changements, qu'ils soient de nature économique,
sociale ou environnementale. Toutefois, les producteurs sont conscients d'être devenus un
groupe lorsqu'ils participent aux comités. Ils voient les résultats du commerce équitable dans
l'apposition de logos, dans les projets de développement, dans la prime équitable, et
également dans le prix minimum fixe qu'Agrocel leur accorde depuis 2002. Les membres du
comité général de l'association, semblent être les seuls à savoir exprimer la différence entre
139
dans les grandes villes du pays comme Mumbai ou Dehli afin de chercher du travail et
contribuer au revenu familial. Entre temps, plusieurs projets de réhabilitation, des aides
gouvernementales et'l'intervention de certaines ONG (dont Shrujan, l'UNICEF et autres) ont
permis la création d'emplois comme la couture et la création d'entrepôts de charbon, et la
reconstruction des maisons et principaux bâtiments comme les hôpitaux et les écoles. À
Rapar, la prime biologique et la prime équitable, en plus du prix minimum fixe équitable
qu'Agrocel payait déjà aux producteurs avant la certification sont arrivés comme une
bénédiction pour les plus démunis.
L'organisation détient la certification équitable depuis l'année 2005, mais n'est pas encore
suffisamment autonome pour la conserver sans l'aide d'Agrocel. Ainsi, les impacts du
commerce équitable sur les membres de l'organisation, leurs familles et leur communauté
sont présents, mais encore limités.
L'évolution du rapport que les producteurs entretiennent avec leur environnement constitue
l'un des impacts les plus importants de J'intervention d'Agrocel sur le réseau de producteurs
du district de Rapar. On peut supposer que les formations sur la santé et l'agriculture
biologique organisées par l'entreprise pour les producteurs y sont pour beaucoup. Les
producteurs sont davantage conscients dcs mérites de J'agriculture biologique sur la faune, la
flore et leur propre santé: auparavant, ils pulvérisaient des pesticides chimiques sur leurs
141
D: He was discussing the frequency of rainfall, the quantity of water is becoming lower
lower lower. .. due ta deforestation. Previously there was good forestalion. For rain very
good. Take for example in this state, .lunagar district, due to forest, lots of rainfall. Here
you can find the whole desert (3:31).
D: Eagle... he is talking about eagle... in previous there is sa much eagle bird. They are
just wipe out.
A: Due to pesticides?
D: Due to pesticide. Due to benzo henza chloride.
D: What happened was tnat the livestock cows, bullock buffalo, a person from the village
is responsible for transporting dead livestock to the graveyard. Birds will come for eating
at the graveyard. But due to residue in the body[of the livestock], [the eagles] are killed
(Extrait de l'entrevue de goupe, le 29111/07).
142
qualité de vie, et ce, grâce à l'agriculture biologique. Dans un premier temps parce que les
producteurs certifiés biologique n'ont eu aucune difficulté à devenir équitable et donc à
toucher la prime équitable, mais aussi parce que grâce aux méthodes d'agriculture biologique,
la qualité du coton produite est excellente et la production relativement importante. Ceci a été
possible grâce aux nombreuses formations gratuites offertes par Agrocel sur l'agriculture
biologique et la production de coton en générai.
Toutefois, il faut préciser ici que les producteurs ne cultivent plus que des variétés de coton à
longue fibre, car de par leur résistance sont les plus demandées sur le marché, au détriment de
la variété locale à fibre cOUlte. Certains producteurs s'en offusquent et souhaiteraient que les
demandes pour cette variété se fassent plus nombreuses. La variété locale est tout à fait
adaptée au climat de Kutch et se cultive plus facilement.
A: What are, how are yom relationships with the farmers around you?
G: They also leave iL .. after in committee they have good relationship with each other
because they have to go to the committee meetings... they have good relationships they
are united. She says last lime there was a lunch party with the fm·mers.
A: So its completely new? There was no party likc that before?
G: No.
A First lunch party.
G: They get more benefil (13:18).
Au niveau politique, les producteurs sont ravis d'avoir leur mot à dire et de prendre des
décisions par voie démocratique. Pour des raisons culturelles, les femmes indiennes de la
région visitée prennent rarement la parole en groupe lorsque leurs époux sont présents. Par
ailleurs, seuls les chefs de famille assistent aux réunions des comités de villages. Ainsi, les
femmes sont souvent exclues des discussions. L'organisation va prochainement mettre en
place un comité réservé aux femmes, afin de leur permettre de communiquer entre elles sans
aucune inhibition.
Cette unité est visible entre les membres de l'organisation, mais pas entre tous les
producteurs de coton travaillant avec Agrocel. On peut donc attribuer l'existence de ces
nouveaux liens entre producteurs au commerce équitable.
En plus de cette unité nouvelle, on peut attribuer au commerce équitable l'idée d'encourager
la mise en place de projets de développement avec la prime équitable. Si certains d'entre eux
bénéficient seulement aux membres, tels que la création d'un atelier de couture, la plupart de
ces projets, tels que les projets d'irrigation, l' insta]Jation de réservoirs d'eau, la rénovation
des écoles, le reboisement de champs avoisinants profitent non seulement aux producteurs et
à leurs familles, mais à la communauté entière.
Aussi, avec le commerce équitable, on remarque un accès plus facile à l'éducation autant
pour les enfants que pour les adultes, et ce, pour les producteurs et leurs communautés. Tous
144
A: So is it all about the premium or are there other ways it is helping to sustain them?
G: Not only premium, but they get more production. They also get less expense. Organic
and fair trade both. They also get some guidance. And children put in school, before they
not in schooJ, but today ail farmers children in school.
A: Do you think its because of fair trade?
G: Oh yeah. Ail the farmers have their cbildren in school now.
A: What other benefits have you seen? Like in education ... are there other things you
have seen?
G: They also use water management. In the past they use long channel for irrigation, but
today small crop... so today less water used for more area. Now they also ready to use
drip and sprinkler, but no money (Entretien avec Rangpura Gordanbhai, le 20/12/07).
Figure 4.12 Outils offerts à chaque famille membre dans le cadre d'un versement de
la prime équitable.
équitable n'est pas juste pour les producteurs interrogés, si l'on prend en considération le
temps de travai 1passé dans les champs par les producteurs et les difficultés rencontrées dans
la pratique de techniques écologiques. De ce fait, le juste prix nous apparaît à la fois comme
un impact et une limite du commerce équitable dans le cas de l'organisation étudiée.
Pour Rangpura Gordanbhai, la crise du coton se manifeste dans l'État du Gujarat de deux
façons: dans un premier temps par la dépendance des producteurs à la mousson, et dans un
deuxième temps dans le prix élevé des intrants et la difficulté des producteurs de coton à
obtenir des prêts à faible intérêt lorsque nécessaire. Toutefois, selon eux, il est moindrement
question du suicide des producteurs de coton dans le Gujarat, par rapport à d'autres États
indiens, car les producteurs gujaratis détiennent en moyenne des terres plus importantes.
G: The suicide is not in Gujarat, notlike other state. It is not a prob1em in Gujarat. There
are problems here, because farming is dependant on rain mostly. And rain is not regu1arly
good. So there are a lot of problems. Expenses are regular, like seed, fertilizer, pesticides,
pJowing. Expenses are the same, but with rain it changes production. So everything
depends on the rain. So they, for some expense regular, like feeding, chi1dren education,
kitchen expense, but most of the problem goes to fodder for animal. Mostly farmer have
problem, but mostly it is animal problem. The farrners dont have quantity of food to feed
animais. So most of the problem is animaIs. AnimaIs die (Entretien avec Rangpura
Gordanbhai, première partie, le 20/12/07).
A: SO what is the difference in this state, why are there less problems than in other states?
G: Because Kutch area is a big area, and most fanners have more land. In 2 or 3 years are
good they will gel good production, so they store il. There are many NGOs here as weil
and government gives sorne subsidy on product. lt is not a problem like the suicides.
A: So a small farm here is still much bigger than a small farm in other states?
G: Yes (Entretien avec Rangpura Gordanbhai, seconde partie le 20/12/07).
Ceci ne signifie pas que les producteurs gujaratis soient vraiment plus avantagés
économiquement que les producteurs d'autres États, mais ils ont en général au moins les
moyens d'éviter d'en venir à penser au suicide. La mise en place de l'organisation a pelmis
en ce sens d'améliorer un peu plus la position de certains des plus désavantagés de J'État. À
ce niveau, les résultats suscités par la création de l'organisation Agroce/ Pure and Fair
Collon Growers 'Association sont positifs et permettent à Saleish Patel et Rangpura
Gordanbhai d'envisager la création future de projets similaires afin de contribuer à
147
l'amélioration des cOJlditions de vie d'un plus grand nombre de producteurs, aussi bien dans
le secteur du coton que dans d'autres secteurs agricoles, et ce, dans plusieurs États de l'Inde.
Les résultats observés aujourd'hui semblent correspondre à ce qui était attendu par les
responsables de la branche coton d'Agrocel, c'est-à-dire une rémunération plus importante
pour les producteurs, la mise en place de projets de développement et J'adoption par les
membres de l'organisation de pratiques agricoles écologiques voire biologiques. Bien sûr, il
reste encore beaucoup à accomplir, au niveau démocratique, organisationnel et tcchnique.
L'infrastructure des villages, les réseaux de communication, de transport et d'cau potable
doivent être améliorés. Mais les impacts générés jusqu'à préscnt sont encourageants et
bénéficient pour la plupart à toute la communauté.
Cependant, les producteurs ne saisissent pas tous d'où ces changement sont issus, ne
distinguent pas toujours le commerce équitable de l'agriculture biologique, ct tcndent à
attribuer les changements entraînés par la cel1ification équitable à l'entreprisc Agrocel, ou à
l'adoption de pratiques issues de l'agriculture biologique. Au niveau de l'opérationnalisation
des critères du conunerce équitable, les producteurs interrogés considèrent cssentiellement
l'interdiction de faire travailler les enfants, J'absence d'exploitation qui caractérise désormais
leur relation à la production de coton, la mise en place du comité décisionnel de l'association
et J'octroi du prix et de la prime équitables dans les temps et sur place. Ils ne saisissent pas les
ambitions politiques du commerce équitable et considèrent la certification équitable d'un
point de vue essentiellement économique, bien qu'ils soient satisfaits dcs projets de
développement créés et du matériel reçu grâce à la prime équitable. D'après nos entrevues,
nous avons également saisi Je développement d'un meilleur rapport des productcurs à leur
travail comme une avancée attribuable au commerce équitable. Toutefois, en ce qui concerne
148
Comme nous l'avons vu au travers des sections précédentes de ce chapitre, tous les principes
inscrits dans le discours du commerce équitable ne s'appliquent pas ou s'appliquent
difficilement en pratique. Tel est le cas particulier du préfinancement et du juste prix. Dans le
cas du préfinancement, l'association et J'entreprise Agrocel ne disposent pas encore des fonds
suffisants à l'attribution de prêt systématique à chaque famille. L'entreprise fait pourtant tout
son possible, par J'intermédiaire de Rangpura Gordanbhai, pour améliorer les relations entre
les producteurs et la banque de Baroda, au risque de s'impliquer personnellement entre les
deux acteurs. Ainsi, les producteurs les plus fiables sont recommandés en priorité au directeur
de la banque pour une demande de prêts ou empJl.Jntent directement une petite somme
d'argent à Agoce!. Les autres sont encouragés à se regrouper pour représenter un producteur
à la fois auprès de la banque et ainsi développer une relation de solidarité et de confiance
entre eux.
D'après Saleish Patel, la demande en coton équitable est présentement à la hausse, ce qui
l'amène à penser, comme Rangpura Gordanbhai, que l'organisation comptera à l'avenir
d'avantage de membres. Aussi, Saleish Patel nous a appris que certains des fournisseurs qui
s'approvisionnaient en coton auprès d'Agrocel faisaient confiance à l'entreprise au niveau
des pratiques qu'elle encourage auprès des producteurs et en venaient à considérer la
certification équitable comme dispendieuse et superflue.
149
Nous réalisons ainsi que si Agrocel est une entreprise responsable capable de contribuer à
l'amélioration des conditions de vie des petits producteurs, elle représente un vecteur de
changement social, environnemental et économique depuis déjà une dizaine d'années ct n'a
pas attendu la parution de l'initiative coton du commerce équitable pour se pencher sur les
problèmes rencontrés par les petits producteurs de coton. Le commerce équitable représente
donc une initiative qui s'insère dans la philosophie de l'entreprise. Nous n'écartons pas
néanmoins la possibilité que la popularité du mouvement équitable ait influencé des
entreprises comme Agrocel à devenir plus responsables.
Rappelons que le changement a pris place en trois phases: tout d'abord l'arrivée ù'Agroccl
dans la région, qui a permis aux producteurs un accès facile à toutes sortes d'intrants, ùes
conseils et une assistance technique gratuite. Ensuite, l'agriculture biologique, qui a donné
aux producteurs les moyens d'accroître leur production et leur qualité de vie au niveau santé,
économie et environnement. Finalement, le conunerce équitable qui a favorisé une structurc
démocratique, une prime et des projets conununautaircs, ct permis la fondation officicllc de
l'association, ce qui a eu pour effet de souder les membres de l'organisation en une entité
nouvelle.
CHAPITRE V
Introduction
Dans le chapitre précédent, nous présentions le fonctionnement de Agroce/ Pure and Fair
Cotton Grower's Association à partir des résultats de notre observation participante et de nos
entrevues menées dans la région de Kutch, dans le Gujarat. L'objectif de cet exposé était de
brosser un portrait de l'organisation et du contexte qui l'a vu naître le pl us précisément
possible afin d'en faciliter la compréhension. En vue de le compléter, nous révélons à présent
la seconde partie de nos résultats, c'est-à-dire l'analyse des entrevues que nous avons
effectuées auprès des producteurs membres de l'organisation. Pour ce faire, nous avons tout
d'abord attribué une série de codes à chacune de ces entrevues. Après avoir raffiné ct épuré
celle-ci, ce qui a constitué l'étape de la codi fication ouverte, nous avons sélectionné les codes
les plus fréquents et pertinents à nos questions de recherche pour les classer par thèmes: les
familles de codes. Il s'agit de l'étape de la codification sélective. Dans le présent chapitre,
nous présentons dans un premier temps les familles sélectionnées et le discours général issu
de nos entrevues. Puis, dans un deuxième temps, nous précisons le contenu de ces fami Iles et
la façon dont les thèmes retenus sont articulés.
Avant d'entrer dans la présentation des familles sélectionnées et du discours général issu dc
nos entrevues, nous souhaitons rappeler que les citations présentées à travers ce chapitre dans
Je but d'appuyer notre analyse sont tirées des entretiens que nous avons eus avec 18
producteurs de coton membres de Agroce/ Pure and Fair Co/ton Grower's Associa/ion. Nous
précisons que Je déroulement de chacun de ces entretiens, en plus d'inclure notre présence,
celle de notre conjoint et celle du répondant, incluait également celle d'un ou de deux
ehargé(s) de projet de l'entreprise Agrocel, d'un traducteur et de la famille et parfois des amis
ou voisins du producteur interrogé. Ainsi, plusieurs personnes ont été amenées à intervenir au
fil de nos discussions avec nos répondants. Les chargés de projet de l'entreprise Agrocel et
152
notre traducteur parlant anglais, nous avons fréquemment pu avoir deux traductions des
réponses offertes par les producteurs. Aussi, il arrivait souvent que les chargés de projet, en
plus de traduire ou traduire à nouveau les propos de nos répondants, les complétaient. Nous
avons trouvé à propos de présenter ces ajouts dans notre analyse pour deux raisons. Dans un
premier temps, ils confirment les dires de nos répondants ou nous permettent de mieux en
saisir la nature et la portée. Dans un deuxième temps, ils ne s'opposent pas au discours des
producteurs, et permettent à celui-ci de dominer la présente analyse. Pour pennettre au
lecteur de différencier les propos des producteurs de ceux des chargés de projet, nous avons
présenté ces derniers en caractère gras.
La codification sélective de nos entrevues nous a pennis d'obtenir 126 codes. Parmi ceux-ci,
15 codes ont été retenus pour la présente analyse, dont 13 parmi les 25 plus fréquents, et deux
moins fréquents, mais jugés d'une grande pertinence en rapport à notre question de
recherche. Ces 15 codes ont été regroupés sous six thèmes, ou familles de codes. Le tableau
5.1 présente les J 5 codes retenus ainsi que leur fréquence. Le tableau 5.2 présente ensuite la
justification du choix de ces codes. Le tableau 5.3, enfin, présente la fréquence des 15 codes
retenus pour chacun des producteurs interrogés et nous permet donc de connaître
l'importance de chacun de ces codes par répondant. Nous remarquons ainsi que les
répondants 6 et 7 n'utilisent que peu de codes, ce qui s'explique par le fait que ces deux
acteurs ne sont pas aussi impliqués dans la gestion de l'organisation que les autres: le
répondant 7 est une femme de la communauté Rajput, et le répondant 6 venait à peine
d'intégrer l'organisation lorsque nous l'avons interrogé. Nous expliquerons en quoi ces deux
conditions limitent le discours des acteurs au fil de notre analyse.
153
Codes Fréquence
Agrocel 88
Producteurs 75
Agriculture biologique 71
Commerce équitable 70
Agriculture conventionnelle 57
Comité 55
Financement 46
Irrigation 44
Culture du coton 39
Prix 34
Information/Communication 28
Consommateurs 25
Gestion de ['organisation 20
Marché 14
ONG Il
154
Tableau 5.3 Fréquence des codes retenus pour chacun des producteurs interrogés
Entrevues 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 T
0
t
a
1
Codes
Agrocel
7 8 3 2 8 ) 1 3 3 2 5 9 5 4 7 8 6 6 88
Producteurs
7 3 6 3 9 2 1 5 1 2 4 5 7 3 5 5 3 4 75
Agriculture
biologique Il 6 3 2 4 1 2 1 3 2 5 4 3 2 7 5 4 6 71
Commerce
équitable 8 4 6 4 6 2 J 3 1 3 4 7 8 1 3 3 3 3 70
Agriculture
conventionnelle 5 5 2 2 6 1 2 1 2 4 1 3 3 4 4 7 1 4 57
Comité
4 1 7 2 4 2 ) 5 J 0 3 5 3 3 4 4 4 2 55
Financement
8 4 0 2 5 2 1 2 2 1 2 5 3 2 1 2 2 2 46
Irrigation
4 2 3 2 3 1 0 0 3 1 3 7 4 4 1 2 2 2 44
Culture
du coton 4 3 1 0 2 J 1 0 1 0 3 4 3 3 2 4 2 5 39
Prix
2 2 1 0 4 0 0 1 0 2 2 8 2 0 1 5 2 2 34
Information/
Communication 1 0 2 1 ] 1 0 2 0 0 2 4 J 1 1 4 5 2 28
Consommateurs 0 0 1 0 4 0 0 2 3 3 2 3 2 2 1 J 0 1 25
Gestion de
l'organisation ) ) 5 0 0 1 J 2 1 2 J 2 2 0 1 0 2 0 20
Marché ]
0 0 0 1 0 0 1 0 1 3 2 0 0 1 2 1 1 14
ONG
2 0 0 J 0 1 0 0 O· 0 2 1 0 0 2 2 0 0 II
Total
64 39 40 22 57 16 11 28 21 21 42 68 49 29 40 46 40 30
Nombre de «0»
2 4 3 4 2 3 6 3 4 4 0 0 2 4 0 1 2 2
156
Après avoir été sélectionnés selon leur fréquence et leur pertinence à nos questions de
recherche, les 15 codes retenus pour notre analyse ont été regroupés dans 6 familles de
codes: « Acteurs immédiats », « Acteurs distants », « Culture du coton », « Certifications »,
« Enjeux économiques» et « Enjeux organisationnels ». Le tableau 5.3 en présente le
contenu, et les sections suivantes de ce chapitre constituent l'analyse de chacune de ces
familles, et de chacun de ces codes, en fonction des codes qui y sont le plus fréquemment
associés ou/et qui y sont pertinents.
Agrocel
Acteurs immédiats Producteurs
Comité
ONG
Acteurs distants
Consommateurs
Culture du coton
Culture du coton
Agriculture conventionnelle
Irrigation
Commerce équitable
Certifications
Agriculture biologique
Financement
Enjeux économiques Prix
Marché
Gestion de J'organisation
Enjeux organisationnels
Information/Communication
Codes Fréquence
Agrocel 88
Producteurs 75
Comité 55
Nous avons utilisé le code « Agrocel» lorsque nos répondants parlaient de l'entreprise
Agrocel et/ou de ses chargés de projet sur le terrain, ou y faisaient référence. II s'agit du plus
fréquent des codes utilisés, lié à 103 autres codes. Ce code est analysé ici en fonction dcs
codes qui y sont le plus souvent associés:
Producteurs (30 citations sur 75) Acheteur (22 citations sur 22)
Agriculture biologique (26 citations sur 71) Assistance technique ( 19 citations
Agriculture conventionnelle (26 citations sur 57) sur 20)
Commerce équitable (19 citations sur 70) Fournisseur (15 citations sur 15)
Pratiques agricoles écologiques (17 citations sur Confiance (6 citations sur 8)
57)
L'amélioration des conditions de vie des producteurs est au centre de la mission d'Agroccl
depuis plus de 10 ans. À ses débuts auprès des producteurs à Rapar, Agrocel limitait ses
activités à la vente d'intrants chimiques et de semences, à la diffusion d'information sur les
pratiques d'agriculture écologique et à la mise en place de projets communautaires:
Aujourd'hui, Agrocel accompagne les producteurs dans toutes les étapes de la production de
coton jusqu'à la vente finale. À leurs yeux, Agrocel est un partenaire à part entière:
D: They start to grow the seed, then after germination, after 30 days or 40 days they
will doing one weeding, then say another after 10 days, and then it will go for
interculturing by bullock, then it will spray bio, if the population is there, they will
first inform to us that this pest is present, then Agrocel will start by recommend
somc bio-insecticidc, thcy will come here during critical stage and spray this bio
insecticide. And then after these activities, the time has come for pic king. Our staff
again come, for advising sometbing like clean picking, clean storage house, etc. and
simply pick and store, their produce in a storage house. Then they will inform to us
that it is ready for purchase within a week or seven to ten days (1 :79).
Agriculture
conventionnelle
Confiance
Producteurs
est la raison d'être de
Agrocel
Assistance
technique
Pratiques
agricoles
écologiques Acheteur
Commerce permet
équitable
Agriculture
biologique
En tant que partenaire, Agrocel met tout en œuvre pour venir en aide aux producteurs lorsque
nécessaire, par exemple en prêtant de petites sommes d'argent aux producteurs dans le besoin
qui en font la demande, ou encore en mobilisant les ressources nécessaires à la réparation
d'infrastructures et d'équipement indispensables au bon travail des producteurs et de la
communauté.
D: Agrocel provides the agricultural inputs, but if sorne money he wants, he can borrow
from people from Agrocel, but if needed. He does not need it, but if needed (4:40).
D: One village has sorne problems with drinking water... But he helped them ... Gave
them contact and made new weil [speaking about G.] (l :70).
Aucune obligation ne lie les producteurs à Agrocel. Ces derniers sont libres de vendre leur
production à j'acheteur de leur choix. Pourtant, c'est à Agrocel que les producteurs de coton
équitable choisissent le plus souvent de vendre leur récolte. Les producteurs expliquent leur
préférence pour Agrocel par quatre facteurs: dans un premier temps, les membres d' Agrocel
se rendent directement chez les producteurs pour procéder à la cueillelte du coton, ce qui leur
évite de se rendre en ville pour chercher un acheteur au risque de rentrer bredouilles aux frais
d'un déplacement dispendieux. Dans un second temps, Agrocel offre un meilleur prix (le prix
équitable, la prime biologique et la prime équitable) que les commerçants locaux. Dans un
troisième temps, Agrocel est un acbeteur sérieux qui leur fournira un paiement dans les
temps. Enfin, Agrocel offre aux producteurs un soutien après vente, c'est-à-dire des conseils
et des outils qui leur permettront d'améliorer leurs pratiques pour la prochaine récolte:
Ar: When they collect the cotton, lhey just make some arrangement like this, ail faI'mers
come here in this farm, with their cotton, and G. cornes here and weights the cotton, and
buy from here [.. .]. Before organics, before the committee, traders come to them, or they
were going to traders, and they jusl differ the quality saying ob, it is low quality, it is bad,
1 will not give you so much money, and they bad to sell for 200 or 300 rupees. Now, G.
buys the same quality the same rate. 11 is a good benefit he says [.. .].
Ar: Sometimes the traders cheat them in weighing, but there is no feel of eheating witb
G. and Agroeel [... ], they are doing their work you know ( 16: 17).
Comme le montrent les citations précédentes, les producteurs apprécient les conseils et
l'assistance que les membres d'Agrocel leur offrent sur demande. De ce fait, Agrocel n'est
pas un simple partenaire financier, l'organisation est un guide accompagnateur qui leur
permet d'améliorer leurs pratiques, de réduire leurs coûts de production et de vivre dans de
meilleures conditions. Le code « Assistance technique» renvoie au terme guidance utilisé par
les producteurs et qui réfère au soutien qu' Agrocel leur prodigue.
En pratique, les membres d' Agrocel rendent visite à chaque producteur au moins deux fois
par mois pour les approvisionner en intrants écologiques et les orienter sur les problèmes
auxquels ils pourraient être confrontés, tels qu'une invasion d'insectes nuisibles. Ceci s'avère
bénéfique pour les producteurs qui n'ont pratiquement plus à se rendre en ville pour
s'approvisionner en intrants.
G: Our inspectors come every 15 days, so they take them and supply them.
Guidance also and the kind of pesticide to use (10:21).
G: This a main benefit for farmers, they don 't have to go to Rapar, they just have to cali
to have organic fertilizer, otherwise they would have to make arrangements with other
villages. Nowa jeep comes and gives the fertilizer (16: 14).
La relation qu'entretiennent les producteurs avec Agrocel se cristallise autour des pratiques
agricoles écologiques dont l'entreprise fait la promotion depuis son arrivée dans la région.
Ces pratiques font référence à la rotation des cultures, à J'utilisation de fertilisants
écologiques ou encore à la mise en place de systèmes de contrôle des invasions d'insectes
nuisibles. Elles peuvent viser une utilisation limitée d'intrants chimiques, comme dans le cas
des principes environnementaux du commerce équitable, ou l'utilisation exclusive d'intrants
écologiques, comme dans le cas de l'agriculture biologique. L'ambition d'Agrocel, sous cet
angle, est d'amener tous les producteurs de la région à réduire graduellement leur utilisation
d'jntrants chimiques pour ultimement être capables d'obtenir la certification biologique, puis
la certification équitable. Les producteurs attribuent leurs connaissances en la matière à
161
Agrocel et comme nous le verrons plus loin, les mérites qui y sont associés, dont notamment
un rendement plus important et une meilleure qualité.
D: The birds will come here for watering and they will go for the collection of the larva
and they control insects naturally.
A: This is one of the techuiques to get rid of the nasty bugs ... Who gave you this idea?
D: Agrocel. They also use traps. They trap the male adults of the insects to control the
population. They never use chemicals. In place of chemicals, they use local produets.
A: Can we see? What kind?
D: Cow urine, neeni, bay leaf, thorn. It gives very good control in aIl pests.
A: And did he get ail the techniques from Agrocel, or was he using sorne of them before?
D: Yes, Agrocel (3:35).
D: With the starting of AgroceJ, Agrocel is very weil concerned with farmers. From
stat"ting, their advice tlt farmers, use of insecticide Jess. Because IPM - integrated
pest management - waIlt to apply ail - Iike bird stand, biologicaJ method, sorne
chemicals which aren't Ilarmful to beneficial insects. After accepting IPM he will
come near organic. Now [PM is just one step behind organic. ft was the concept that
is like organic but includes more use of chemicals and insecticides (1 :20).
C'est en appliquant les pratiques d'agriculture écologique que les producteurs, peu à peu, ont
cessé d'utiliser des intrants chimiques, au point de satisfaire aux critères de j'agriculture
biologique. Les producteurs attribuent à Agrocel l'initiative de la certification biologique et
les techniques qui y sont attachées. Ils font donc très souvent référence à l'agriculture
biologique et à ses principes lorsqu'ils parlent d'Agroeel.
Les producteurs et les chargés de projet d'Agrocel parlent également du commerce équitable
lorsqu'ils font référence à Agrocel, que ce soit au niveau du prix offert par Agrocel, ou en
général des avantages suscités par leur association avec Agrocel. Nous expliquons cette
relation par le fait qu' Agrocel est le prol11oling body de l'association de producteurs
162
équitables, et est l'entité qui a fait la promotion du commerce équitable pour la première fois
auprès des producteurs. Comme dans le cas de l'agriculture biologique, Agrocel est un
médiateur auprès des producteurs.
A: Do you think it is a good thing that many more farmers want to join organics and FT?
G: Definitely, he says it is a very good thing, because before organics, they sell to any
businessman, there was nothing after it, but now they are selling to AgroceI. They got
good support after the selling. They are giving instruments, guidance, bags, aIl these
things. Before that it was only you are selling and you are getting money. So nowadays,
they selling to Agrocel, and they are having support afterwards, that is a good thing. And
you can see the production! (15 :15).
Finalement, au fil des ans, le chargé de projet sur le terrain d'Agrocel (G.) a acquis une
grande confiance auprès des producteurs, notamment parce que ses recommandations auprès
des producteurs se sont toujours avérées conséquentes. De ce fait, Agrocel bénéficie
aujourd'hui d'une image positive et est souvent synonymc dc nouvelles idées, d'amélioration
des pratiques et de~ conditions de vie des producteurs.
Ar: She says she knows G. and he is a good person, she trusts him. Other persons come,
and say we arc coming from G. office, th en we trust them (13 :7).
Ar: First he did not trust G., and then he decided to take the risk and used organic
fertilization for four months, and got good results, so he trusted G., he is a good man, and
it is going to be good for the future (14:7).
Le code « Producteurs» est utilisé lorsque nos répondants font référence à leur condition de
producteurs. Ce code est analysé en fonction des codes qui caractérisent le mieux selon nous
leur travail, leurs potentiels problèmes, et le moyen par lequel ils envisagent d'y pallier. Étant
donné que nos répondants constituent à eux seuls le code « Producteurs », nous avons choisi
d'analyser les codes les plus fréquents relativement à leur condition dans l'ensemble de
l'analyse au lieu de nous restreindre à la corrélation du code « Producteurs» avec d'autres
codes. Bien entendu, il s'agit d'une exception que nous ne reproduirons pas dans la suite de
notre analyse. Les codes sélectionnés sont les suivants:
Difficultés
financières
Se traduit Producteurs
par Aspirations 1
Agriculture
~
1 . Irrigation
Comme le montre la figure 5.2, les producteurs s'identifient avant tout comme des
agriculteurs, une cOlldition héritée pour beaucoup de plusieurs générations. Pour tous les
producteurs, l'agriculture représente la principale source de revenu ct de subsistance de la
famille, qu'il s'agisse de vendre le produit de leur labeur, ou d'en consommer une partie.
Tous les producteurs cultivent en effet des légumes, céréales ou légumineuses qu'ils destinent
princi paJement à leur usage, et à la vente, en cas de surplus.
Lorsque les épouses ou les filles de producteurs ne travaillent pas dans le champ, elles
confectionnent des articles de broderie qui s'ajouteront à leur trousseau de mariage ou à celui
de leurs filles. Les fils aînés des producteurs ont souvent quitté le domicile parcntal pour aller
occuper un emploi en ville et contribuer au revenu familial. Toutefois, certains d'entre eux
sont attendus pour prendre la relève après que leurs parents soient décédés ou incapables de
continuer à travailler.
S: Yes, she says she knows about farming, she works hard in the field, what wc grow we
se11, that is how we are living (7:7).
164
S: Since childhood, from mother and father, this [farming] is our main job she says and if
we don't do this, we die.
A: Outside offarming do they have other sources ofincome? [... ]
S: She has two sons and four daughters, ail are into the fields and they just do that, but
later on 1 asked if they do something else, for example embroidery, are you selling that,
and she said no, that is our traditional work and we make it, but for our own use. During,
when her daughter gets married, she herself, and the family makes gifts from embroidery,
there is no trade in embroidery, but her eider son is in Mumbai and he works in a shop he
owns there.
A: Ok. Why did he go to the city?
S: To help the family [... ] (7:6).
Mais l'agriculture, pour les producteurs interrogés, est un défi de tous les jours, qUI,
conjuguée à la sécheresse, et à la chute des prix du coton, leur principale culture de
subsistance, leur impose de sérieuses restrictions budgétaires et les oblige à emprunter de
l'argent auprès des institutions financières locales (nous en parlerons plus loin dans l'analyse
de la famille « Financement ») et à envoyer, comme nous venons de le voir, leurs aînés en
ville pour chercher un emploi et contribuer au revenu familial.
S: Labour work is hard, we do not have a lot of electricity, we have charges, the
production is costly, and today, the cotton market gives 20/22 rupees/kg, sa it is not
sufficient for farmers, the cotton rate is very high, the production is very expensive. We
expect high rates, not only for us, but for ail (l0:27).
Ainsi, lorsque interrogés, la plupart des producteurs aspirent à davantage de moyens pour
améliorer leur système d'irrigation.· Les parents aspirent à ce que leurs enfants fassent des
études afin d'échapper à la condition d'agriculteur.
A: Has it always been this way with your father and grandfathers? Did they rely mainly
on cotton?
G: OnJy on cotton. Now he is thinking that his son will be educated weil and go in
anolher place.
A: Is il ok or?
G: He said my great grand father, grand father and father were in the field in cotton, 1
wanl my son ouI of the field.
A: Why?
G: Because of the low rainfall, somelimes, there is no rain for three years sometimes, the
family is dependent on agriculture, il is very hard ... (12: 12).
165
Si l'un des producteurs interrogés souhaite simplement vivre dans des conditions décentes et
cultiver des produits sains pour sa famille:
D: He dont want a high ... high production. He want to get a healthy produce. With no
chemicals.
A: For his fami1y and to sell too?
D: Yeah ... [shows green gram]. .. He grows this just for his family for their own
consumption... Organic... (1 :29).
La plupart d'entre eux aspirent à une production plus importante. Pour y parvenir, certains
d'entre eux achèteraient des terres s'ils en avaient les moyens.
80 codes sont liés au code « Comité». Ce code faj( référcnce au comité décisionncl de
l'organisation et à ses sous-comités. Lorsque les producteurs font référence à l'organisation,
c'est pour en invoquer la structure décisionnelle, et utilisent le code « Comité ». Dans cette
perspective, nous analyserons le code « Comité» à la lumière des codes suivants:
Les rencontres entres producteurs membres de l'organisation ont tout d'abord été organisées
par Agrocel, pUIsque l'entreprise est responsable de l'adhésion des producteurs à
l'organisation. De ce fait, les producteurs associent les rencontres et souvent les
accomplissements du comité à l'organisation Agrocel : tel est le cas dc la création de classes
pour adultes, initiées à la fois par Agrocel, mais aussi par le comité. Cette association, pour
les producteurs, est souvent dépeinte avec optimisme.
166
G: They always attend the meetings held by the cornmittee. He did not miss one meeting.
A: Does he remember the [irst time he went to a meeting?
G: The [irst he attended was organized by Agrocel.
A: How was it?
G: The [irst meeting was very faithful, they listened to ail the talks from them, and they
were thinking that it was going to be nice in the future. So it was really exciting.
A: Have the meetings changed since th en?
G: One thing changed, on the first meeting they were only 10 or 15 farmers, nowadays
they are 30 to 40.
A: And what about the discussions?
G: Nowadays they are discussing on how to recharge the weil, how to make a compost
pit, how to make a small lake, so because they have the good money of premium, they
are working on it (15: 17).
A: Did he go to school?
D: [rires]. No, but now Agrocel is starting education for adult people.
A: That's very good. Does he think it is easier to go to school now than 20 years ago?
D: Previously, you see the situation, there will be no facility dschoollike in the present,
so many are very uneducated, but they want to educale their children (2:9).
S: So in the committee they talk 10 each other and they decide who is in need of tools,
farming tools, sorne other help, fertilizers, manure, organic manure. They talk whatever
they want, they decide which person is in need. So they talk, they talk .to these people and
they get (8: 14).
Gestion de
l'organisation par l' intennédiaire de
Information/
Communication
nécessite Pratiques
agricoles
-\
écologiques
permet ) Relations
Hommes/
Comité Femmes
Relation entre
producteurs
est lié à
Agrocel
Prise de
décision
Commerce
Utilisation supervIse
équitable
1 permet ~ de la prime
équitable
D: He is firstly go to the meetings, to leam what fair trade is and the merits of fair trade
(4:2).
A: What about the accomplishments of the committee? Can he be more specific on what
the committee managed to achieve?
G: The committee suggested them to not use any chemicals at ail and to not make
children work in the field. And they say how to use the water (15:26).
De manière générale, c'est à travers leurs activités au sein du comité et des sous-comités que
les producteurs envisagent leur participation à la gestion de l'organisation. Ainsi, les
membres élus du comité sont les principaux gestionnaires de l'organisation, avec Agrocel,
alors que les producteurs membres des sous-comités participent en prenant part aux prises de
décision concernant la façon dont la prime équitable doit être utilisée.
Le comité repose sur la participation des producteurs présents aux rencontres, sur le principe
de la démocratie.
A: Have there been any disagreements between farmers? When you are having your
meetings what would be the biggest disagreement?
D: No disagreements.
A: None? How is that possible? Everyone agrees? Is there someone in charge?
D (answers direct): The reason l am telling you. There is one committee. They will
take a decision and it is final.
A: How do you create the committee?
D: First of ail the farmer are together for meeting. Then according to opinion of ail
farmers they decide who is the president, vice president. ..
0: There has nevel' been a disagreement?
D (answers direct): It's a democratic way (1:72).
169
De l'avis de tous nos répondants, les producteurs entretiennent de meilleures relations depuis
la création du comité. C'est en effet la première fois qu'ils se réunissent sur une base
régulière et doivent s'accorder sur des décisions communes.
A: Before the creation of the cornrnittee, did he use to meet with other làrmers to discuss
about problems, or was there something to replace the committee?
S: No, before they never used to meet together, they never had any meetings.
A: Does he enjoy, what does he think about it?
S: Yeah, before they never had any meetings, but now they are a group, they get together.
A: Does he feel stronger as a member of a group?
S: Yes, it is different now, they have something.
A: Do farmers used to be members of other unions before?
S: No, they did not have anybody, any NGO or any trust to work as they are doing now
(6: 13).
S'ils ne s'adressaient la parole auparavant que pour des raisons pratiques, ou s'ignoraient sur
la base de préjugés, ils expliquent aujourd'hui avoir développé des liens d'amitié et de
solidarité avec leurs voisins. Agrocel, dans son rôle de médiation du comité a également
contribué à cette amélioration:
S: Before they joined the commiltee, sometimes the farmers were fighting for electricity
and ail these things; after the joined the commiltee, G came and explained them 'don't
fight, you are united, you will have good benefits", they are very happy and when thcy
see on the road, the smile at each other.
G: ln this village there are sorne problems, beforc the committce, the y did not sit and talk,
but today, ail farmers get in one room and take breakfast, tea, they aJso go to the temple
together. There are changes today (14: 10).
A: [...] Can you ask them if they feel fair lrade has helped, other than just money?
S: Yeah, there was an accident in the village. Il was a pOOl' family and they had a
problem. The lady was pregnant and it was difficult, so they had to go to Ahmedabad. So
for that, they decided in the cornrnittee, ail together, to help hcr. So that is in the fair
trade, the commiltee that they decided to help her (8:4).
Ainsi, les producteurs considèrent aujourd'hui appartenir à un groupe qui leur donne
davantage de pouvoir, qui leur permet de s'exprimer sur les sujets qui leur tiennent à cœur et
qui leur permet d'acquérir davantage de moyens, en termes de pression, d'aide, ou
d'équipement. Pour ces raisons, nos répondants expriment une grande satisfaction à l'idée
d'être membres du comité.
A: Do your meetings with the fair trade association give you leverage, or more power, to
fix, or improve that?
S: They can get together and they have a power. If they get together they will listen to
them, their problems, but they haven '1 done it yet. They jusl have meetings for smaller
problems. He says we have a power and if we have something to say everybody will get
together and they williisten (5:31).
A: Since there is a committee do you think women can express themselves more?
S: Few of them wcrc visiting before Agrocel, farming meetings and or for the village
itself, but now since they are into Agrocel they are having meetings regularly and
womens are coming and they are also questioning (8:4).
Ces relations ne sont néanmoins pas encore équilibrées, comme en atteste le témoignage de
plusieurs épouses de producteurs. Comme l'explique G., même si les femmes s'expriment
facilement dans le cadre familial, elles n'osent généralement pas prendre la parole devant
d'autres hommes que leurs époux pour des raisons culturelles. C'est pourquoi Agrocel
envisage de créer un comité décisionnel consacré aux femmes.
Les producteurs, le comité décisionnel de l'organisation et Agrocel sont les actcurs auxquels
les producteurs font le plus souvent référence, et sont à cet effet des acteurs immédiats, c'est
à-dire que c'est avec eux que les producteurs interagissent le plus régulièremenl. Dans celle
171
relation, les producteurs, définis par leur rapport à l'agriculture et les difficultés qUi en
découlent, sont la raison d'être d' Agrocel et du comité.
Le comité, grâce auquel les producteurs entretiennent de meilleures relations et décident de la
façon dont sera utilisée la prime équitable, est promu par l'organisation Agrocel. Ainsi, aux
yeux des producteurs, le comité est une initiative d'Agrocel, ce qui, de par les bénéfices
engendrés, du fait de la promotion par le comité de pratiques écologiques renforce le lien de
confiance établi entre Agrocel et les producteurs.
Cette famille est fOlmée des codes « Consommateurs» et « ONG ». Il s'agit des acteurs avec
lesquels les producteurs interagissent depuis leur entrée dans l'organisation de producteurs
équitables, mais sans réellement le savoir, dans le cas des consommateurs, ou sur une base
moins fréquente que dans .Ie cas des acteurs immédiats, en ce qui concerne les ONG. Ces
acteurs sont impol1ants dans l'idéologie du commerce équitable, puisque FLO, l'une des
entités mentionnées dans le code «ONG» est l'organisation de labellisation avec lesquels les
producteurs devront traiter IOJsqu'ils auront gagné en indépendance, et qu'ils n'auront plus à
passer par Agrocel pour vendre leur production aux organisations équi tables. Les
consommateurs, toujours dans l'idéologie du commerce équitable, constituent une entité clé
vis-à-vis des producteurs, parce qu'ils permettent de contribuer à l'amélioration de leurs
conditions de vie en achetant des produits équitables. Celle famille s'intitule « Acteurs
distants» parce que les producteurs mentionnent peu ces deux acteurs, et comme nous allons
le voir, ont développé une conception différente de celle présente dans le discours
institutionnel du commerce équitable.
C'est la raison pour laquelle, malgré la fréquence relativement faible de ces codes, nous
avons jugé pertinent d'en faire une famille et de l'analyser.
Codes Fréquence
Consommateurs 25
ONG II
172
Depuis la création de l'association, tous les producteurs interrogés ont reçu au moins une
pièce de tissu fabriqué à partir de leur coton. C'est la première fois qu'ils sont en mesure de
voir ce qui est fait à partir du fruit de leur labeur. Pour la plupart, il s'agit de constater que
leur coton est de bonne qualité, et ùe réaliser que les consommateurs le constateront
également.
A: Have you had the occasion to see what is made with your cotton?
G: They have seen the collection bags and the material [un doti]. It is good quality, good
cotton.
A: First time he could see what was made with his cotton?
G: Yes, first time (14:20).
Ainsi, les producteurs interrogés considèrent désormais qu'il est de leur devoir d'offrir un
coton de bonne qualité aux consommateurs.
s: We use our cotton crop to make more money, so we glve quality, it IS our
responsibility for Fair trade consumers (J 0: J 2).
Mais pour d'autres, il s'agit tout d'abord d'apprendre que le coton est utilisé principalement
pour être tissé et transformé en textile, et que la plupart de leurs vêtements sont faits de coton.
173
A: Does he know where the cotton he grows go? Does he know what is made with it?
S: As they are into the fair trade, they are giving their cotton to Agrocel and tbey say
them that it goes out somewhere, in one of the big NGO or tl1Jsts, but out ofIndia.
S: They don't know, they give it to them and it goes out (5:48).
De même, les producteurs interrogés ne semblent pas se poser de question sur le prix attribué
au Nord pour une pièce de tissu faite de coton équitable. Néanmoins, ils expliquent que leur
coton est de bonne qualité et cultivé au prix de nombreux efforts, et que ccci pourrait
expliquer un prix supérieur au coton conventionnel.
A: Can you explain, tbat in Canada when 1 buy a fair trade t-shirt it costs much more tban
a normal t-shirt, why do they think 1 should buy it?
S: He says that maybe it is costly because it has less production, and. because it has high
quality. That's why. Better quality. It is costly bccause of tha1. But if you feel it is costly,
weil he don't answer, but he says it is nice quality and less production (5:40).
Ainsi, la relation qu'entretiennent les producteurs avec les consommateurs est avant tout une
relation commerciale dans laquelle les producteurs cultivent un produit de qualité en vue
d'obtenir un revenu décent. Les producteurs, en règle générale, souhaitent faire savoir aux
consommateurs qu'ils sont satisfaits du commerce équitable, puisque de nombreux
changements positifs se sont produits depuis leur adhésion à J'association.
G: They say, there are many benefits in joining FT, so say about the benefits, like, more
rate, transport (in the pasl, local traders in the village, they had to bring tbem cotton with
bullock carts, so lots of time, and no lots of money. Today, they come to Agroccl, we
come to their farm, and regular payment, so say FT is very helpful to us (10: 1J).
174
Producteurs ~
nécessite Équipement et
-~ infrastructures
Financement
Commerce
équitable
Consommateurs
Toutefois, aux yeux. des producteurs, le prix reçu en contrepartie des efforts déployés est
supérieur au prix reçu pour du coton conventionnel, mais il ne suffit pas.
G: Labour work is hard, we do not have a lot of electricity, we have charges, the
production is costly, and today, the cotton market gives 20/22 Rupees/kg, so it is not
sufficient for faI-mers, the cotton rate is very high, the production is very expensive. We
expect high rates, not only for us, but for aIl.
A: What kind of crop do you have?
G: They have many other crops also like mustard, wheat, cumin, cluster, but ail are the
same because ·expenses are very high, and the market is down, so they request a better
market! (10: 13).
Ainsi, ils souhaiteraient que la demande en coton équitable soit plus importante, afin d'avoir
un meilleur prix, et demeurent mécontents du fait que le commerce équitable n'ait développé
aucun marché pour le coton local à fibre courte, moins contraignant à cultivcr car
parfaitement adapté au climat local. Ils pensent que les consommateurs pourraient permettre
la création de ce marché en en faisant la demande.
Ar: The only message is please buy FT cotton so it is more demanded and there is a
higher rate (16:31).
Mais d'autres, plus nombreux, estiment que si les consommateurs veulent réellement leur
venir en aide, ils devraient exercer une pression suries organisations de commerce équitable
de manière à faire augmenter le prix équitable. Nous soulignons ici que les producteurs font
176
un lien entre les organisations de commerce équitable et des consommateurs, qu'il s'agisse de
culture ou de proximité physique. Finalement, certains producteurs considèrent que les
consommateurs, dans l'idée de contribuer à l'amélioration de leurs conditions de vie,
pourraient directement leur offrir ce dont ils ont besoin, c'est-à-dire des prêts à faible taux
d'intérêt, et du financement pour un meilleur accès à l'équipement et aux infrastructures.
Ainsi, nous présumons que ces producteurs considèrent d'une certaine manière le commerce
équitable comme un intermédiaire sur la chaîne producteur/consommateur :
S: The only thing they need is more prices, better price, better, rate, they are getting 850
rupees, so ifthey come to know somebody has better prices than FT, they will go with il.
[... ] S: He says what Canadians do, they can talk to organizations, and they can do better
priee, let's say 5, 10% more than what they are getting, in general, for every farmer. And
also, he was just joking, if they could open a bank on each talL/ka, that gives loans, that
would be much helpful. Between these two things, better price or they can give a loan at
low interest (5:32).
G: Theyalso say tbey want sorne facilities for home and animais. [rires]. They say about
agricultural expenses, because expenses are very more for irrigation, because water is
very deep. They need to do sorne counter bounding [borders to guide the water in the
field] and a weil recharging, and sometimes they work on night and they need sorne lighl.
This is our story for them, we are really hard workers (9:9).
A: W ould you have a special message .... Give us a message from you to tell to other
students and people in Canada.
G: He wants drip irrigation and a school near the house, so that his children can have a
good education (12: 13).
Le code «ONG» a été utilisé lorsque nos répondants mentionnent leur interaction avec des
organisations non gouvernementales. Si ce code est le moins cité de tous les codes
sélectionnés, nous estimons qu'il s'avère pertinent à notre question de recherche, dans le
rapport que les producteurs entretiennent avec l'extérieur. Ce code est lié à 54 codes. Nous
analyserons ce code à la lumière des codes suivants:
est vue
1 Agroce]
Aide
~
Sutri est source de
Panjapur
Financement
Les producteurs ayant utilisé le code «ONG» ont tendance il considérer les ONG dans un
premier temps comme une source d'aide morale, technique ou pratique, dans une relation de
partenariat. Dans cette conception, Agrocel apparaît aux yeux des producteurs comme une
référence. Le comité décisionnel de l'organisation satisfait également à cette définition, bien
que les producteurs ne l'identifIent pas comme une ONG.
Ar: If they have any problem, they discuss in the commitlee with the mcmbers, the NGO
organizations if they have any (16: 19).
L'ONG Sutri Panjapur est également souvent citée par nos répondants. II s'agit d'une
organisation de la région qui offrc du compost gratuitement aux producteurs qui en font la
demande. Cette ONG semble apporter une aide précieuse à nos répondants.
S: They have different kinds of organic fertilization, made by an NGO in the area. The
name is Sutri panjapur. They are making compost with the pally from the cows and give
it to farmers, they don't sell it (IL7).
Les ONG sont également perçues comme une source de financement permettant aux
producteurs d'obtenir de l'équipement et des infrastructures. Les ONG sont en effet très
178
D: He is telling that please you help to give more help for the foreign organisations, he is
telling that Agrocel is giving us, but they need more funds to irrigate farming (1: 51).
L'organisation FLO, par contre n'entre dans aucune de ces deux conceptions. Lorsque nous
demandions à nos répondants quels étaient leurs rapports avec J'organisation FLO (Fair
Trade Lobe/Jing Organisations), nous n'obtenions aucune réponse, ce qui nous laisse penser
que les producteurs rencontrés ne connaissent pas l'organisation. Selon le chargé de projet
d'Agrocel, FLO intervient néanmoins fréquemment sur le terrain pour inspecter, offrir de
l'information, de l'équipement et de la formation aux producteurs. Nous pensons que les
membres de FLO doivent être toujours accompagnés des membres d' Agrocel lors de leurs
visites sur le terrain, et que les producteurs attribuent les actions menées par FLO aux
membres d'Agrocel.
Les consommateurs et les ONG sont perçus par nos répondants comme des acteurs distants,
c'est-à-dire qu'ils sont moins présents auprès des producteurs que les acteurs immédiats. Les
deux acteurs de la famille «Acteurs distants» sont envisagés comme une source d'aide et de
financement. Dans Je cas des consommateurs, les producteurs ont noué une relation nouvelle
avec le coton qu'ils cultivent, sans toutefois chercher à en savoir davantage sur sa destination
179
finale. Pour les producteurs, la relation producteurs/consommateurs vantée par les promoteurs
du commerce équitable est donc une relation virtuelle parce que les producteurs ne
connaissent pas et ne cherchent pas à connaître les consommateurs. L'analyse du code
«Consommateurs» nous a permis de comprendre que les producteurs reconnaissent recevoir
des bénéfices du commerce équitable, mais que le prix offert par celui-ci est encore en deçà
de ce qui est nécessaire. Aussi, celtains producteurs remettent en qucstion le commerce
équitable dans son rôle d'intermédiaire entre eux et les consommateurs. E ce sens, ils ne
saisissent pas la notion de partenaire commercial supposée exister entre eux et les
consommateurs. Pour nos répondants, afin d'améliorer les conditions dc vie des producteurs,
les consommateurs pouITaient leur envoyer directement le financement nécessaire à l'achat
d'équipement, d'infrastructures et d'intrants biologiques. Dans le cas des ONG, connues par
les producteurs comme étant une source de financement depuis plusieurs années,
l'organisation FLO demeure méconnue auprès des producteurs, et demeure moins
significative que d'autres ONG telles que Sutri Panjapur. Nous expliquons cc phénomène par
le fait que l'entreprise Agrocel demeure un intermédiaire important entre les producteurs et
les organisations «distantes». Finalement, nous comprenons les consommateurs et les ONG
(ou, dans le cas de Agrocel et de FLO, les organisations comprises comme des ONG) comme
des entités pouvant potentiellement financer les producteurs et leur venir en aide dans
l'amélioration de leurs conditions de vie. Dans cette relation, les producteurs se considèrent
comme des victimes récipiendaires de dons bien mérités.
La famille «Culture du coton» est formée des codes «Culture du coton», «Agriculture
conventionnelle» et «lrrigation». JJ s'agit des codes utilisés par les producteurs lorsqu'ils font
référence à la culture du colon, aux défis que leur posent les méthodes d'agriculture
conventionnelle et leur dépendance à la mousson pour irriguer leurs champs. Ces codes sont
importants aux yeux des producteurs parce que c'est à travers eux qu'ils expriment la nature
des changements engendrés par les ccltifications biologique et équitable.
180
Codes Fréquence
Culture du coton 39
Agriculture conventionnelle 57
Irrigation 44
Le code «Culture du coton» est lié à 51 codes. Il a été utilisé lorsque les producteurs parlent
des raisons qui les encouragent à cultiver du coton, et expliquent ce que représente à leurs
yeux la culture de coton en tennes financiers et de défis. Nous analysons ce code à la lumière
des codes suivants:
Plusieurs des producteurs interrogés cultivent du coton parce que leurs parents et grands
parents en cultivaient déjà. Le coton est ici perçu comme un héritage:
Mais d'autres expliquent avoir commencé à cultiver du coton parce que celui-ci s'avérait
rentable sur le plan financier:
Plus précisément, plusicurs des producteurs interrogés cultivent du coton depuis qu'Agrocel
offre des conseils ct des intrants biologiques aux producteurs. Depuis le début de ce
181
partenariat, les producteurs n'ont pas cessé d'utiliser ce type d'intrants. Cependant, nombre
d'entre eux ont cessé de cultiver la variété de coton locale à fibre courte, et ont décidé de
cultiver une variété à fibre longue, plus en demande sur le marché.
Culture Revenu
vivrière additionnel
doit
être lié à
Héritage
Culture ~ I_R_e_v_en_u_
du
Irrigation coton
~ Avantages
financiers
1 Financement permet
B l ntrants
1 AgroceJ 1 biologiques
S: They are growing cotton because it has good rates, and also they have enough water
nowadays, a long back they did not have so much water and cotton needs a lot of water.
But since 7 years, they are getting more weil water because they are having e1ectricity,
otherwise they used to have wells, and in the wells through the pumps not so much water
at that time, but with electricity and boie wells they are getting more water (5:37).
Pourtant, la plupart d'entre eux cultivent également des céréales, des légumes et des
légumineuses à la fois pour permettre à leur famille de se nourrir, mais aussi pour assurer un
revenu additionnel au ménage. Le coton s'avère peut-être rentable par rapport à d'autres
cultures, mais il demeure insuffisant comme unique source de revenu.
s: He says it is like smoking or chewing tobacco, the lands also gets sorne habits to have
chemical fertilizers. In a way, the crop is so good, but slowly slowly, it damages.
G: He is saying about chemical fertilizers and other chemicals, so he is saying about the
damage, it becomes salty faster, so production low (9:7).
D: Before organic farming, the cotton was brown due to the spraying of chemicals (4:6).
Agriculture
biologique I_inil_ue_nce_ _ >
Prix
Commerçants
locaux
Agriculture
conventionnelle
lntrants
chimiques
Dégradation de
l'environnement
Problèmes de
santé
Par ailleurs, le coût des intrants chimiques se trouve être très élevé comparativement à celui
des intrants biologiques. En modifIant leurs pratiques pour êtrc en phase avec lcs critères de
l'agriculture biologique, les producteurs interrogés ont donc réduit leurs coûts de production
et économisé une importante somme d'argent.
184
G: Before organics, he used to spend about 10000 rupees on chemicals to buy fertilizers.
A: lt is huge! Rires. And now, you saved 10000 rupees, and there is more production.
G: Definitely, now they are not spoiling the land, because of the chemicals (15:24).
G: They say when they use chemicals in the field, they have expense, more expense, but
today they use no chemicals, so ail expense stopped and they use only local pesticides
like neem bays. They also save sorne money from chemical fertilizers, because it is very
costly, they save sorne money, this is the benefit; they also prepare sorne medicine, herbai
pesticide, made from neem (10:1 0).
L'agriculture conventionnelle est toujours dépeinte par les producteurs comme étant
accompagnée du commerce conventionnel, c'est-à-dire des commerçants locaux. En plus de
devoir aller à leur encontre au prix de déplacements dispendieux pour vendre leur récolte, les
producteurs ne recevaient que rarement un prix satisfaisant dans les délais espérés.
Aussi, de nombreux producteurs ont mentionné avoir connu des problèmes de santé lorsqu'ils
utilisaient des intrants chimiques. Ces problèmes de santé engendraient des coûts
supplémentaires pour les producteurs malades.
Ar: They went to the nearest dispensary, because of the chemical fertilization because of
headaches, ail this, the only problem was with the spraying of chemicaJ pesticides, no one
wanled to listen to them, so they went to the dispensary. And they had to pay the doctor if
they have disease or injury from the chemical pesticides (16: 19).
En fin, si Agrocel offre aujourd 'hui aux producteurs une assistance technique et sel1 de
médiateur entre les producteurs et les certifications biologique ct équitable, il y a quelques
185
A: Do you think it is a good thing that many more farmers want to join organics and FT?
G: Definitely, he says it is a very good thing, because before organics, they sel! to any
businessman, there was nothing after it, but now they are selliqg to Agrocel. They got
good support after the selling. They are giving instruments, guidance, bags, ail these
things. Before that it was only you are selling and you are getting money. So nowadays,
they selling to Agrocel, and they are having support afterwards, thal is a good thing. And
you can see the production! (15:15).
Ar: Sometimes the traders cheat them in weighing, but there is no feel of cheating with
G. and Agrocel. He can see ail the process out there. Ali labours were weighing the
cotton in picking, from the farmers, not from the organization, they are not afraid of
cheating, they are doing their work you know (J 6: 17).
Toutefois, depuis leur collaboration régulière avec l'entreprise Agrocel, nos répondants
semblent considérer l'agriculture conventionnelle comme une pratique du passé.
Aujourd'hui, Agrocel promeut le respect de l'environnement auprès des producteurs, leur
offre des conseils et de l'assistance technique afin de les aider à graduellement cesser
d'utiliser des intrants chimiques pour ultimement obtenir les certifications biologique el
équitable.
S: G. came and informed about organic fel1ilizalion. They collected ail fanners here (ail
farmers of the area) and had a meeting to tell farmers to use organic cotton (the benefits
of organics), because organic fertilization is going to help you, it will hclp for quality and
quantity, it is the way he came to know organic feliilization. He said bcfore we did not
know and chemical fertilization was spoiling the land (14: 18).
Mais à présent, ils considèrent que Ics produits biologiques sonl plus sains que les produits
conventionnels, que les Coûts de production qui y sont attachés sont moindres, qu'ils
demandent moins d'effort Cl génèrent un meilleur prix. En d'autres lennes, les producteurs ne
186
souhaitent pas revenir aux méthodes de l'agriculture conventionnelle, perçues comme étant
totalement opposées à celles de l'agriculture biologique.
A: And what is the difference between what he was doing before and now?
S: In organics he says it is good for health, they don't have to spend as much money as
they used to spend with conventional farming, the labour work is [ess in organics and
they get better priees for organic crops (6: 12).
S: l asked her the difference between chemical fertilizer and organic fertilizer, and she
says we are getting good crops, it does not affect the land, if they use fertilizers,
chemicals, it gives a bad land (7:5).
Le code «Irrigation» est lié à 73 codes. Il a été utilisé lorsque les producteurs faisaient
référence à l'irrigation de leurs champs de coton. Ce code constitue l'une des préoccupations
majeures de nos répondants. Pour en saisir la portée, nous l'analyserons à la lumière des
codes suivants:
La sécheresse est un défi important auquel les producteurs doivent faire face en permanence.
Elle engendre de nombreux problèmes, notamment au niveau de l'irrigation des terres, et de
l'accès des producteurs, de leurs familles et de leur bétail à l'eau potable.
A: Can you describe the cycle, how often do you have good water and how often do you
have bad water?
G: 2 years it is good, and 2 years it is hard, Jast years were very good, but last year there
was no raID.
A: Does he think the production is going to be good this year?
G: He cannot say anything! (12:32).
187
Pour l'un des producteurs interrogés, la saison des pluies est dorénavant plus courte à cause
de la déforestation. Ce lien de cause à effet est intéressant parce qu'il montre que notre
répondant envisage désormais l'environnement en relation avec la fréquence des pluies.
D: Due to drought, to lower rain fall. Due to drought, lower rain fal!, as you know the
deforestation is going.
A: So is deforestation responsible for lower water? Or?
D: He was discussing the frequency of rainfall, the quantity of water is becoming lower
lower lower... due to deforestation. Previously there was good forestation. For rain very
good. Take for example this stale, Junagar district, duc to forest, lots ofrainfall. Here you
can find the whole dese11.
A: How long is the rain season?
D: 3-4 months. Starting from May/June (3:31).
Sécheresse
fait partie de
influence
Culture
du
~épend de 1
coton
Difficultés
financières 1 Agrocel
Les producteurs de coton de la région de Kutch dépendent des pluies pour irriguer leurs
champs. Durant la saison des pluies, ils récoltent l'eau de pluie dans des puits ou dans des
bassins prévus à cet effet. Lorsque leurs réserves d'eau de pluie sont épuisées, ils doivent
creuser des puits pour atteindre l'eau des nappes phréatiques, salée et de moins bonne qualité
que l'eau de pluie. Le rendement de coton des producteurs dépend donc du système utilisé et
de la quantité d'eau disponible.
G: When they were using chemical fertilizers, the soil was really hard, but today, they are
using FIM and the soi! is very soft, it absorbs water better, good conditions (J 0:9).
G: They necd less water and they have more quality with organics (13:7).
G: They also say they want some faci\ities for home and animais. [Rires]. They say about
agricultural expenses, because expenses are very more for irrigation, because water is
very deep. They need to do some counter bounding (borders to guide the water in the
field) and a weIl recharging, and sometimes tl1ey work on night and they need some light.
This is our story for them, we are really hard workers (9:9).
Afin d'irriguer leurs champs, ils doivent chercher un financement, partois auprès des
banques, sous forme de prêt. Ainsi, nombreux sont ceux qui espèrent que leurs enfants
parviendront à échapper à la condition de producteur de coton.
G: He said my great grand father, grand father and father were in the field in cotton, 1
want my son out of the field.
A: Why?
G: Because of the low rainfall, sometimes, there is no rain for three ycars sometimes, the
family is dependent on agriculture, it is very hard .... He says 1 litre of diesel is 8 rupees,
they are getting the same price, they are getting the same price than the product, today it
is 40 rupees the litre, same priee than product (12: 12).
A: Have you ever had to take Joans, to borrow money from other people?
G: They take a loan from the bank.
A: Why?
G: ln Rapar, they have one for the weIl and the engine, for a pumping facility (14: 14).
Agrocel dispose d'un budget spécifique à J'irrigation des champs des producteurs avec
lesquels elle travaille. Toutefois, pour certains d'entre eux, celui-ci n'est pas suffisant, ct ils
souhaiteraient recevoir davantage d'aide de l'extérieur afin de mieux irriguer leurs champs et
d'accroître leur production. Pour Agrocel, les producteurs doivent être patients, car d'ici
quelques années, tous les producteurs auront accès à un bon système d'irrigation.
D: The government helps Agrocel. For example there is a scheme that gives 50%
discount for drip irrigation (2:41).
A: And are there some problems with drought, or evcn with low rainfall? Are you okay
with the weil?
G: They have sufficient for irrigation. They have problem, Iike today with bore weil IS
run 5-6 year, then they dig another one. So today is another one.
A: They dig a new one or just make it deeper?
G: New weIl.
A: Are they doing anything to refill it, are they using ways to refill the wells in the rain
season? Weil recharging?
190
G: They apply us, and 21 other farmers ready to do recharge bore weil. And 31so
one application for check dam. Because fair trade is since last 1 year. this is first
benefit. 80 not much benefit we have given him. After few year, two year, three year
we give good facility (13:16).
D: He is telling that please you help to give more help for the foreign organisations, he is
telling that Agrocel is giving us, but they need more funds to irrigate farming (1 :51).
Afin de remédier aux défis suscités par la sécheresse sur le plan de l'irrigation, les
producteurs font également appel au comité décisionnel de l'organisation. Même si le comité
ne dispose pas de fonds suffisants à la mise en place d'un système d'irrigation goutte à goutte
pour tous les producteurs, il est parvenu à améliorer l'accès à l'irrigation de tous les
producteurs en demande. De ce fait, les producteurs sont en mesure de réduire leurs dépenses
liées à l'irrigation de leurs champs. En effet, le comité prévoit chaque année un fond destiné à
l'amélioration de l'accès à l'irrigation pour ses membres.
Les producteurs interrogés ont pour la plupart commencé à cultiver du coton parce que leurs
parents en cultivaient déjà. Pour ce faire, nombre d'entre eux ont adopté leurs pratiques et
utilisé des intrants chimiques, ce qui avec le temps, s'est avéré néfaste pour J'environnement
191
et pour la capacité des sols à filtrer l'eau de pluie. Incidemment, la qualité et le rendement des
plans de coton ont diminué, ce qui a forcé les producteurs à cultiver d'autres produits
agricoles afin de solidifier leurs revenus. Avec l'arrivée d' Agrocel, ces producteurs ont peu à
peu abandonné l'utilisation d'intrants chimiques pour suivre les principes de l'agriculture
biologique. Non seulement ils ont pu économiser sur le prix des intrants chimiques, mais les
sols se sont également régénérés de manière à pouvoir filtrer l'eau plus facilement. De ce fait,
les producteurs n',ont plus eu besoin d'autant d'eau pour irriguer leurs champs, ce qui s'avère
être un avantage important dans une région qui doit faire face à la sécheresse une bonne
partie de l'année, et lorsqu'il s'agit de cultiver du coton, une plante très gourmande en eau.
Aussi, la mise en place du comité décisionnel de l'association a créé un fond d'urgence
annuel afin de venir en aide aux producteurs les plus touchés par la sécheresse. Ce fond a
jusqu'ici été utilisé .de manière à améliorer l'accès à l'irrigation de tous les producteurs en
demande, et incidemment de leurs communautés. Pourtant, selon la plupart de nos
répondants, le financement associé à l'accès à l'irrigation ne suffit pas. Ainsi, alors que
certains producteurs ont décidé de planter du coton parce que celui-ci était devenu rentable,
du fait des relativement faibles coûts de production qu'il nécessite, d'autres doivent encore
demander des prêts auprès de prêteurs locaux et d'institutions bancaires ct compter sur la
production de légumes, céréales et légumineuses pour nourrir leurs familles parce que la
vente de coton ne leur permet que de couvrir leurs coûts de production.
Codes Fréquence
Commerce équitable 70
Agriculture biologique 71
192
Le code «Commerce équitable» est lié à 96 codes. Il a été utilisé par les producteurs
lorsqu'ils parlaient ou faisaient référence au commerce équitable. Nous soulignons que les
producteurs interrogés utilisaient le terme ethical trade pour faire allusion au commerce
équitable.
Tous nos répondants en viennent à parler d'agriculture biologique lorsque nous leur
demandions d'évoquer ce que le commerce équitable représentait à leurs yeux. Pour
plusieurs, les deux certifications aspirent aux mêmes résultats, alors que pour d'autres, elles
ne font qu'une. Rares sont ceux qui différencient les deux certifications.
A: What does he think about FT? first, what is it, and then what does he think about it?
S: lnstead of FT, he was saying about organic farming and the fact they don't have to use
fel1ilizers, he did not answer properly...
A: Il is ok. It is a good answer (9: 13).
A: What is FT to him?
G: He does not know the word FT, but he knows the word organic (12:27).
A: Cao you tell us a liule bit about the tlifference between fair trade and organic farming?
How long have you been organic? And how long fair trade?
S: Fair trade they might not be knowing...
A: Oh they might, ask them.
S: He says not so much difference belween fair trade and the organic. As in orgaoic they
used to get the natural fertilizers and they use the same in fair trade (5:38).
193
Comme le montre cette dernière citation, le plus souvent, les producteurs interrogés ont pris
connaissance de l'existence et de la possibilité d'entrer dans le marché équitable par
l'entremise d'Agrocel. L'entreprise joue en ce sens un rôle d'intermédiaire et de médiateur
entre le comité et les producteurs. L'entreprise présentait alors Je corrunerce équitable comme
un moyen d'accroître le revenu des producteurs, mais aussi comme une façon de pratiquer
une agriculture sans exploitation.
A: Is it Mr G. who told him about fair trade? What did he say to him?
0: He came here, taking him with him, makes him contact other farmers and make one
union, that is the association. They are also helping Gordhenbhai for management.
A: And what did Mr Gordhenbhai said about fair trade? He said it is being in a union?
0: No no no. Il is without exploitation (3: Il).
A: Since there is a corruniltee do you think women can express themsclvcs more?
S: Few of them were visiting before Agrocel, farming meetings and or for the village
itself, but now since they are into AgroceJ they are having meetings regularly and
womens are coming and they are also questioning (8:4).
Ainsi, la plupart des producteurs interrogés considèrent que le commerce équitable est par
définition une collecte à domicile, une assistance technique sur demandc, et, nous présumons,
une certification gratuite.
G: They say, there are many benefits in joining FT, so say about the benefits, Iike, more
rate, transport (iD the past, local traders in the village, they had to bring them cotton with
bullock carts, so lots of time, and no lots of money). Today, they come to Agrocel, we
come to their fann, and regular payment, so say FT is very helpful to us (10: Il).
Tous les producteurs sans exception soulignent les avantages financiers générés depuis leur
adhésion à l'association. La plUpaJ1 d'entre eux ont d'ailleurs accepté de tenter l'aventure
équitable dans l'idée d'accroître leurs revenus, davantage que pour la philosophie du
commerce équitable; c'est le cas de nombreux producteurs de coton biologique.
194
s: lt is much beller, it is good [fair trade]. They get much of knowledge out of FT and
they are paid very weil (6:4).
G: Organic farmers want the premium, there are people joining because they get
good money and premium also. They don't know about FT actually, they know
about organics (12:6).
Les avantages financiers évoqués par nos répondants sont parfois explicités en termes de
«prix», parfois en tennes de «prime». Au niveau du prix, nos répondants s'accordent pour
avoir perçu une augmentation de la somme reçue en échange de leur récolte par kg. Cumulée
à la prime biologique, celle somme pennet un revenu plus conséquent que ce que percevaient
les producteurs en appliquant les principes de l'agriculture conventionnelle. Toutefois,
certains déplorent le fait que celle-ci ne puisse couvrir que leurs coûts de production.
s: Through the fair trade they are able to get 5% increase. They are getting two bags
feI1ilizer, its not really enough. Sometimes they get that kind of instrument. They need
more (5:29).
S: The only thing they need is more prices, beller price, beller, rate, they are gelling 850
rupees, so if they come to know somebody has better prices th an FT, they will go with il.
A: [rires] Yeah.
S: But they don't know anybody.
A: But the idea is that FT is the best right now. [after a break]. But how else someone in
Canada cou Id help small farmers?
S: He says what Canadians do, they can talk to organizations, and they can do beller
price, let's say 5, 10% more than what they are gelling, in general, for every farmer
(5:32).
195
Agriculture biologique
est
comparé
à
Pratiques Équipement et
agricoles infrastructures
écologiq ues
Commerce
Avantages
financiers
équitable
~ 1 Pdm, 1
Comité
B EJ
~
1 Exploitation
Travail
des
enfants
Les producteurs interrogés reconnaissent également avoir perçu une augmentation de leurs
revenus en termes de prime:
Toutefois, comme pour le prix, certains producteurs estiment que la prime équitable n'est pas
encore suffisante pour leur permettre de vivre dans des conditions décentes:
A: When we go back we are going to present what we have leamt here, about FT. 1s there
a message or something you wou Id like us to tell?
G: They say they want more premium, they also want to, more premium for the land, for
fertilizers, counter banding, water facilities (11 :33).
G: But the premium, more premium seems to be a fair way to him (12: 15).
Les producteurs intelTogés, qu'ils fassent ou non la différence entre l'agriculture biologique,
Agrocel et le commerce équitable, et qu'ils souhaitent ou non percevoir un revenu plus
important, sont satisfaits de leur adhésion au commerce équitable, car il s'agit d'une façon de
servir la communauté, de regrouper les producteurs, et d'échapper aux inconvénients liés à
l'agriculture conventionnelle:
D: Due to FT, the social, environrnental and econornic aspects are fulfilled, they
have opened sorne sewing classes, now he is going to open classes for ernbroidery
(3:37).
A: What do they think about FT?
Ar: lt is the best way to help farming with FT, the best way because there is no cheating,
good benefits and facilities given by them.
A: ls not there another way to make it even better?
Ar: Nowadays, it is the best she said (17:33).
Pour de nombreux producteurs, particulièrement pour ceux qui ont adhéré au commerce
équitable sans être passés par la certification biologique, l'impact du commerce équitable
s'exprime en termes de formation et de promotion des pratiques agricoles écologiques.
197
Comme nous le mentionnions dans l'analyse du code «Comité», les producteurs interrogés
comprennent le commerce équitable uniquement en termes concrets, c'est-à-dire dans leur
relation au comité décisionnel de l'association. Ainsi, le comité représente un moyen de leur
faire prendre connaissance des principes du commerce équitable.
She also says, we joined with FT and Agrocel and we get many agriculture tools; they
also get one urine collection pot, they also get some cotton like this, so Agrocel a)so
supplies some cotton clotbes, containers for the picking, for contamination free cotton.
They also get some facility for the family, like one torch for the field when they work on
night, they also get some vessels, various Iypes of help (J 3:3).
A: And does he notice a difference between organics and fair trade? What is fair trade to
him?
D [après une longue discussion]: In organics, it is farming without any chemicals, but in
the case of fair trade it is not this, it is ethical trade plus no labour chi Id, plus highest
wages for labour... (2:37).
A: Can you tell us about fair trade?
D: yes, I am asking.
D: Previously, local traders were cheating with him, in a weight point of you, money
point ofview, in a payment point ofview, they were very exploited by traders.
D: He says fair trade is ethicaltrade (3:6).
S: If small farmers need Joans, they know that FT will he!p them, they know they are
he!ping the small farmers, and until now they are not in need, but in case they will be in
need they will ask (6: J 3).
A: What do they think about FT?
Ar: li is the best way to help farming with FT, the best way because there is no cheating,
good benefits and facilities given by them.
A: Is not there another way to make it even beller?
Ar: Nowadays, it is the best she said (J 7:33).
Le code «Agriculture biologique» a été utilisé lorsque les producteurs faisaient référence à
J'agriculture biologique. Ce code est lié à 89 codes. Nous analysons ce code à la lumière des
codes suivants:
Le code «Agrocel» et le code «Assistance technique» apparaissent très souvent aux côlés du
code «Agriculture biologique», parce que l'entreprise Agrocel, il y a environ 5 ans, a joué un
rôle de médiateur entre les producteurs et l'agriculture biologique Pour les accompagner
dans la certification biologique, Agrocel a offert une assistance technique aux producteurs
intéressés, comprenant des conseils, une formation technique et des visites fréquentes.
Souvent, Agrocel recommandait aux producteurs de réduire la quantité d'intrants chimiques
199
utilisés pour graduellement cesser de les utiliser. Peu à peu, les producteurs ont pu apprécier
certains avantages dont nous discuterons dans les sections à venir. Ces bénéfices sont souvent
attribués à Agrocel.
A: Do you think it is a good thing that many more farmers want to join organics and FT?
G: Oefinitely, he says it is a very good thing, because before organics, they sel! to any
businessman, there was nothing after it, but now they are selling to Agrocel. They got
good support after the selling. They are giving instruments, guidance, bags, ail these
things. Before that it was only you are selling and you are getting money. So nowadays,
they selling to Agrocel, and they are having support afterwards, that is a good thing. And
you ean see the production! (15: 15).
avantages financiers générés par le prix et la prime équitable. Aussi, les producteurs membres
de l'association choisissent très souvent de dépenser une partie de la prime équitable dans
l'achat d'intrants biologiques et d'équipement pennettant les pratiques d'agriculture
biologique.
A: Organic and fair trade. There are standards to respect and things like that. Is it really
hard to follow the criteria?
D: He is telling it is easy for them.
A: Yeso For organic or fair trade?
D: Both. Because the pretenses are the same (1 :65).
G: Organic fanners want the premium, there are people joining because they get good
money and premium also. They don't know about FT actually, they know about organics
(12:6).
A: What is FT to him?
G: He does not know the word FT, but he knows the word organic (12:27).
A: Yeah, ok ... What would they like to do with the premium this year?
Ar: Mostly they spend on children education, organic fertilizers and organics,
[... ] In the next few days, they are going to have a compost pit. They also want to use a
urine collection platform for everybody. Because cow urine is really useful for the field
(17:27).
D: He has produced good qua lity of cotton after applying organic and FT standards,
better quality in color. Before organic farming, the cotton was brown due to the spraying
of chemicals (4:6),
D: 1 asked her the difference between chemical fertilizer and organic fertilizer, and she
says wc are getting good crops, it does not affect the land, if they use fertilizers,
chemicals, it gives a bad land (7:5).
De même, tous les producteurs sont unanimes sur le fait que l'agriculture biologique leur a
pennis d'accroître leur revenu, que se soit grâce à la prime biologique, et/ou grâcc aux
économies réalisées par l'abandon des intrants chimiques, et/ou grâce au fait que les pratiques
201
agricoles biologiques permettent après une certaine période une augmentation du rendement
de coton.
A: Is il cheaper to be organic?
G: Definilely it is cheaper, because the chemicals are so expensive. And now they are
using organics, c()w dung and ail this, it is cheaper.
A: To get an idea, how much did he use to spend on cbemicals before? How much money
did he use to spend before organics, on chemicals?
G: Before organies, he used to spend about 10000 rupees on chemicals to buy fertilizers.
A: It is huge l Rires. And now, you saved 10000 rupees, and Ihere is more production.
G: Definitely, now they are not spoiling the land, because of the chemicals (J 5:24).
Tous les producteurs interrogés ont souligné une amélioration au niveau de la qualité et de la
quantité du coton cultivé depuis qu'ils suivent les principes de l'agriculture biologique ct les
conseils d'Agroce1. L'accroissement du rendement de coton produit entraîne dans ce cas des
avantages financiers certains, comme évoqué précédenunent.
L'Agriculture biologique, à travers les pratiques agricoles écologiqucs qu'elle promeut est
perçue comme un moyen de respecter l'environnement. Il s'agit aussi d'une façon pour les
sols de récupérer certaines de leurs capacités d'absorption de l'eau et dc leurs nutriments
essentiels. Mais l'agriculture biologique est avant tout une agriculture pratiquéc sans intrants
chimiques. L'unique limite de l'agriculture biologique réside dans la difficulté sporadique
qu'éprouvent les producteurs à s'approvisionner en intrants biologiques.
D: After organic farming he got so many merits, like, improving their economic
conditions, their environmental conditions and socially also. There is sorne watering
facility especially for birds, so you see (he is showing us a water reservoir for birds in the
tree nexlto us). ln this tree (3:34).
1 Agrocel
Protection de
l'environnement
Producteurs
Jrrigation
Économie
Avantages
financiers
Agriculture
biologique
Avantages
rendement
Santé
s'oppose
Assistance Avantages
à
technique qualité
Commerce
Agriculture lntrants équitable
conventionnelle biologiques
Effort
Conune nous l'avons vu dans l'analyse de la famille «Culture du coton», la culture du coton
requiert la capacité des producteurs à récolter, stocker et faire circuler l'eau de pluie récoltée
durant la mousson. Grâce aux principes de l'agriculture biologique, à l'utilisation d'intrants
biologiques et au terme mis par les producteurs à l'utilisation d'intrants chimiques, les
producteurs expliquent que leurs terres ont acquis une meilleure capacité d'absorption et de
filtration de l'eau, et ainsi nécessitent une irrigation moins importante qu'auparavant, ce qui
réduit considérablement leurs coûts de production.
G: They had water problems before organics, there was not good irrigation in the field,
and the soil was sally, and after they used organics, they had irrigation and a good
production also (14: 17).
A: What are the main changes they have noticed?
Ar: With the organie fertilization, they don't have to use the chemical fertilization, and it
makes the land very hard with the chemicals, today they are using only organic
fertilization, it makes the land very soft, that needs less water, gives a good production,
from the chemical fertilization the have to go to the market to sell, now with organic
cotton, the people come to buy to our farm (16:7).
Ainsi, tous les producteurs s'entendent sur le fait que l'agriculture biologique leur a été très
bénéfique. Si certains prétendent même avoir réduit leur temps de travail du fait de l'adoption
des techniques de l'agriculture biologique, d'autres, au contraire, expliquent que les bénéfices
de l'agriculture biologique sont consécutifs à de nombreux efforts de leur part. La plupart des
producteurs n'ont ainsi pas constaté de changement dans leur rendement avant un certain
temps. La période de transition a dans ce cas été souvent difficile. D'autres au contraire, ont
pu apprécier une évolution positive très tôt dans leur processus d'adoption des principes de
l'agriculture biologique. Nous expliguons ce phénomène par le fait que tous les producteurs
n'avaient pas, dès Je départ, des terres saines.
A: How did he adapt to organics? From conventional to organics? Was it easy or not so
much?
D: Somewhat difficull because it is a starting year, there was misproduction.
A: And now, would he say the production is good?
D: Yes, it is good.
A: Does it take more efforts to produce organically? Are you working harder'>
D: Yes, more efforts
A: Why does it take more efforts, what is it that is more intensive? Why is conventional
easier?
204
D: It is easy to produce conventional cotton because if there is a pest problem, then just,
they will spray the chemicals. But in case of organic fanning, they have to continue
spray, but in this area, there is less problems of pest, variety is good (4:18).
A: And what is the difference between what he was doing before and now?
S: In organics he says it is good for health, they don't have to spend as much money as
they used to spend with conventional fanning, the labour work is less in organics and
they get better priees for organic crops.
A: The labour work is less?
S: Less yeso
A: In average, how man y hours does he work compared to before?
S: It is 2 to 3 hours less than in conventional farming. In that they have always to be
careful to put fertilizers, and that saves the time (6: 12).
Finalement, certains des producteurs interrogés ont pris goût aux produits cultivés de manière
biologique et considèrent l'agriculture biologique comme un choix de vie.
D: He dont want a high ... High production. He want to get a healthy produce. With no
chemicals.
A: For his family and to sell too?
D: Yeah ... [shows green gram] He grows this just for his family for their own
consumption .. , Organic ... (I :29).
G: They say wh en they use sorne chemical fertilizers, the vegetables are not tasty, but
today it is tasty.
A: Oh, it is coming back?!
G: When they were using chemical fertilizers, the soit was really hard, but today,
they are using FIM and the soit is very soft, it absorbs water better, good conditions
(10:9).
Les certifications biologique et équitable ont été présentées par Agrocel aux producteurs.
Néanmoins, c'est parce que les résultats générés par la première sont nombreux que les
producteurs choisissent généralement de chercher à obtenir la seconde. Dans un premier
temps parce qu'ils ont établi une relation de confiance avec Agrocel dans J'adaptation des
pratiques biologiques, mais aussi parce que les critères de J'agriculture biologique sont plus
contraignants que ceux du commerce équitable, réduits pour beaucoup à l'interdiction du
travail dcs enfants. Ainsi, les pratiques agricoles écologiques mises de l'avant par les deux
certifications amènent généralement des avantages financiers, une amélioration du rendement
et de la qualité du coton cultivé, en plus de permettre aux sols de retrouver une capacité de
205
filtration de l'eau suffisante afin de pelmettre une absorption des nutriments provenant des
intrants biologiques, et la réduction des quantités d'eau nécessaires à l'irrigation des plants de
coton. Toutefois, certains producteurs ne sont pas encore tout à fait satisfaits du prix obtenu
en contrepartie de leur récolte. La prime équitable permet certainement d'acheter de
l'équipement et d'améliorer les infrastructures en place, mais le prix permet juste de couvrir
les coûts de production des producteurs. C'est ce que nous investiguons dans la prochaine
section.
Codes Fréquence
Financement 46
Prix 34
Marché 14
Le code financement a été utilisé par nos répondants lorsqu'ils font référence à leurs sources
de financement et à leurs besoins à cet égard. Ce code est lié à 81 codes. Nous l'analysons à
la lumière des codes suivants:
dépendent de la mousson pour irriguer leurs champs et que le revenu obtenu pour leur récolte
leur permet juste de couvrir leurs coûts de production.
A: Has it al ways been this way with your father and grandfathers? Did they rely mainly
on cotton?
G: Only on cotton. Now he is thinking that his son will be educated weIl and go in
another place.
A: 1s it ok or?
G: He said my great grand father, grand father and father were in the field in cotton, 1
want my son out of the field.
A: Why?
G: Because of the low rainfal1, sometimes, there is no rain for three years sometimes, the
family is dependent on agriculture, it is very hard .... He says 1 litre of diesel is 8 rupees,
they are getting the same priee, they are getting the same priee than the product, today it
is 40 rupees the litre, same price than product (12 :12).
Ainsi, la plupart des producteurs interrogés expliquent avoir des difficultés financières et
expriment le besoin de recevoir un revenu plus important pour vivre dans des conditions
décentes.
Un financement plus important serail utilisé, selon nos répondants, principalement dans la
mise en place d'infrastructures permettant un système d'irrigation plus efficace, l'irrigation
étant le domaine dans lequel la plupart des producteurs dépensent la majeure partie de leur
revenu.
G: (...] They say about agricultural expenses, because expenses are very more for
irrigation, because water is very deep. They need to do sorne counler bounding (borders
lo guide lhe waler in lhe field] and a well recharging, and sometimes they work on night
and lhey need sorne light. This is our slory for them, we are really hard workers (9:9).
G: He is saying a main problem for us is lhat the waler Jevel is less, and we have only 8
hours of electricity a day, so the electricity only in night time, it is very cold, so the y
request bettcr irrigalion syslem. They wanl sorne help in lheir project because lhcy have
no money (II :33).
207
~
Culture du Irrigation
coton
Difficultés
financières
~~
~~
Financement
Accès au
crédit
C'est la raison pour laquelle nombre d'cntre eux cultivent d'autres produits, à la fois pour
nourrir les membres de leur famille, mais aussi, en cas de surplus, pour obtenir un revenu
additionnel. Certains des producteurs interrogés reçoivent également de l'aide de leurs fils
aînés travaillant en ville.
D: They [the commillee] arrange seminars for hOl1icuiture crops, ta grow fruit crops for
addiÜonal incarne. This is the meeting, the allendants from the meetings, the village, the
total number of [armers was 108 (3:25).
D: His two boys is in farming. They wantto send one to big city. Mumbai.
0: What kind ofwork there? What does he wantto do?
D: Construction. Labour.
0: How come? Why?
D: To get additional income.
0: And you think therc is more money in Mumbai, in construction than in working here?
D: lf farmer has 5 acre of land, and they have 3 children, sa when they grow .. Theil'
ehildren grow ... Theil' incarne may not be suffieienl. .. (1 :40).
208
Certains de nos répondants disent faire appel à Agrocel de temps à autre, soit pour emprunter
une petite somme d'argent, soit pour recevoir de l'aide en termes d'équipement et
d'infrastructures. Toutefois, Agrocel ne dispose pas des ressources suffisantes pour venir en
aide à tous les agriculteurs:
0: He is telling that please you help to give more help for the foreign organizations, he is
telling that Agrocel is giving us, but they need more funds to irrigate farming (1:41),
Ainsi, la plupart des producteurs dans le besoin font appel à des prêteurs privés. Cependant,
les taux d'intérêt demandés par les prêteurs privés sont très élevés, et les producteurs
éprouvent de nouvelles difficultés à les rembourser, devant parfois leur verser leur revenu au
complet. Si les producteurs tendent à faire une demande de prêt auprès de ces acteurs plutôt
qu'auprès des banques, c'est parce que celles-ci sont réputées pour demander également des
taux d'intérêt élevés, mais aussi parce qu'elles sont synonymes de bureaucratie et de perte de
temps. Nous tenons à souligner que certains producteurs ne sont pas en mesure de rembourser
leurs emprunts, ce qui leur confère une image négative que les banques utilisent pour leur
refuser de nouveaux emprunts.
A: lfyou need to borrow money do you have access to credit? Do you ever need to?
S: They get, they are able to get the money on Înterest, but the rate is too high. When they
are in need they have to get the money and they pay high interest.
A: From whom? Agrocel?
S: Private lenders. ln the bank they said it's too complicated and lenghtly lots of
paperwork to get the loan. So it is better, easier to get the private lender. But then they
have to pay huge interest.
A: Do they have to do that often, do they borrow often?
S: No he doesn't.
A: Wl1at about the other farmers here?
S: One ofthem has.
A: And usually from private places?
S: Yes the bank is too much paperwork he says, but he has loans from private.
A: Does Agrocel help with that at aIl?
S: If someone really needs lOOO rupees or a little more they can get that from Agrocel.
Not for everybody, but to sorne people they do lend small amounts.
A: Have any farmers been forced to sell land?
S: There are several people who used to do farming, and they were not succcssfui and
they sold their land and startcd working as laborers (5:27).
209
Le code « Prix» a été utilisé lorsque les répondants parlaient du prix qu'ils peuvent toucher
par kg de coton, qu'il s'agisse du prix conventionnel ou équitable. Ce code est lié à 81 codes.
Il a été analysé à la lumière des codes suivants:
Pour la plupart des producteurs interrogés, le prix fixé par FLü pour le coton graine a deux
avantages: dans un premier temps, il est attribué aux producteurs ayant produit un coton de
qualité dans des conditions difficiles; dans un deuxième temps, il s'agit d'un prix fixe à tous
les producteurs ayant produit un coton de qualité. Ainsi, plus le rendement produit est
important, plus le revenu du producteur augmente:
A: Can you explain, that in Canada when 1 buy a fair trade t-shirt it costs much more than
a normal t-shirt, why do they think 1should buy it')
S: He says that maybe it is costly because it has less production, and bccause it has high
quality. Thats why. Better quality. Jt is costly because of that. But if you feel it is costly,
weil he dont answer, but he says it is nice quality and less production (5:40).
G: 1...] Our priee is fixed, it is FT. Some farmers are good, some are bad, Iike in
other areas, they fight for weight, they spray sorne water on night time... We do not
purchase those farmers, but they are so many. Our farmers write an agreement, if
quality is good, Agrocel purchasc, if quality is not good, Agrocel does not purchase.
So farmers say why you don/t purchase? Weil, it is quality (11 :20).
A: Does he think it is a good thing that many more farmers want to joïn?
G: That is a good thing, because the farmers are united. And a]so ail the farmers get fixed
rates, otherwise some peopJe have some good bencfits and some are not (12:8).
210
Prix
Commerce
équitable
Commerçants
représenté
locaux
par
Agrocel
entraîne entraîne
Avantages Limites
financiers
Pour en revenir au prix équitable, certains producteurs constatent une nettc amélioration en
comparaison du prix obtenu auparavant avec les commerçants locaux et exprimcnt leur
satisfaction. Le prix équitable apparaît ainsi comme le principal point positif du commerce
équitable.
D'autres producteurs expliquent que le prix équitable est supérieur au prix obtenu avec les
commerçants locaux, mais soulignent que le prix équitable leur permet à peine de couvrir
leurs coûts de production et ne leur permet pas de réaliser des économies pour concrètement
améliorer leurs conditions de vie. Le commerce équitable leur permet toutefois de vivre dans
des conditions minimales.
S: The rate cornes in the month of January and it stays for a month. Il goes up and down
but not so much. Last year it was 851 rupees per 40kg.
A: Is it a good price?
S: They feel that the prices are lower and if it is if it can be a little higher it would be
much better because onee in a year they grow cotton so it has to be a little more. In the
bazaar in the market they get a little less th an what they do from Agrocel, but it is still
less (5:17).
A: Weil one of the ways we might help is that many people buy fair trade thinking more
money goes to the small farmer... what do they think about this?
S: Through the fair trade the y are able to get 5% inerease. As they are getting... they are
getting two bags fertilizer, its not really enough. Sometimes they get that kind of
instrument. They need more (5:29).
La plupart d~s producteurs interrogés aimeraient ainsi que le prix équitable pour le coton
graine augmente. Pour eux, c'est aux consommateurs d'amener ce changement, soit en
s'adressant aux organisations de commerce équitable, soit en achetant davantage de produits
faits de coton équitable.
A: [...] But how else someone in Canada cou Id help small farmers?
S: He says what Canadians do, they can talk to organizations, and they can do better
priee, let's say 5, 10% more th an what they are getting, in general, for every farmer. And
also, he was just joking, if they could open a bank on each taluka, that gives loans, that
would be much helpful. Between these two things, better price or they can give a Joan at
low interest (5:32).
G: And buy organic cotton, it will increase the rate, and we will have the supply! (12:13).
Le code « Marché» a été attribué lorsque les producteurs interrogés parlaient du marché du
coton, équitable, biologique ou conventionnel. Ce code est lié à 50 codes. Nous l'analysons à
la lumière des codes suivants:
Variété de
coton
Marché Commerce
détermine
équitable
Prix
influence
1 Consommateurs 1
Les producteurs interrogés expliquent que leur partenariat avec Agrocel et leur adhésion aux
cel1ifications biologiques et équitable coïncident avec le fait d'avoir arrêté ou limité leur
production de coton à fibre courte, pourtant adaptée au climat local, pour produire une variété
de coton à fibre longue, davantage demandée, mais nécessitant des soins plus intensifs de la
pal1 des producteurs.
Certains d'entre eux souhajteraient pouvoir cultiver à nouveau cette variété locale et
expliquent que le marché n'y est pas favorable. Etant donné qu'ils ont accepté de cultiver une
nouvelle variété de coton et d'adopter les contraintes qui l'accompagnent, ils espèrent au
moins être capables d'en obtenir un bon prix.
214
G: Labour work is hard, we do not have a lot of electricity, we have charges, the
production is costly, and today, the cotton market gives 20/22/kg, so it is not sufficient
for farmers, the cotton rate is very high, the production is very expensive. We expect high
rates, not only for us, but for ail.
A: What kind of crop do you have?
G: They have many other crops also like mustard, wheat, cumin, c1uster, but all are the
same because expenses are very high, and the market is down, so they request a better
market! (10: 13).
Ainsi, si un meilleur prix leur était proposé, ils n'hésiteraient pas à quitter le commerce
équitable pour l'obtenir.
S: The only thing they need is more priees, better priee, better, rate, they are getting 850
rupees, so ifthey come to know somebody has better priees than FT, they wiJ] go with il.
A: rires. Yeah
S: But they don't know anybody (5:32).
Toutefois, cela ne signifie pas que les producteurs de l'association, en vue de maintenir leur
certification équitable et de s'assurer l'obtention du prix équitable respectent des critères dont
ils ne partagent pas la philosophie. Avec un meilleur prix, les producteurs interrogés
215
expliquent qu'ils aimeraient investir dans un meilleur système d'irrigation et dans l'achat
d'intrants biologiques.
G: They say they want more premium, they also want to, motre premium for the land, for
fertilizers, counter ban ding, water facilities.
A: We can't get more premium, but we will do our best to promote FT.
G: They also want high rates from cotton.
A: Do you speak about it to FLü when they come here? What do they say?
G: It is not our matter, it is a market matter. We have tried, but it is the market
(11 :33).
Le seul changement potentiel de prix en la faveur des producteurs réside pour la plupart de
nos répondants dans la demande des consommateurs. Les producteurs souhai tent que les
consommateurs influent sur la demande de coton équitable, ou sur la demande de variétés de
coton à fibre courte locales, plus faciles et moins dispendieuses à entretenir.
A: Ok, let's ask it, can you tell him that we will be doing presentations In
schools... message ... Canada? A personal message from them')
Ar: The only message is please buy FT cotton so it is more demanded and there is a
higher rate (16:31).
sont transmis l'information et les savoirs relatifs à la gestion de l'association entre Agrocel et
ses producteurs membres.
Codes Fréquence
Gestion de l'organisation 20
Information/Communication 28
Le code « Gestion de J'organisation» est lié à 64 codes. II est utilisé lorsque les producteurs
font référence à leur participation à la gestion de l'association de commerce équitable. Tous
les producteurs sauf un, dont l'épouse est vice-présidente du comité, entrevoient leur
participation à la gestion de l'association à travers leur position de membre au comité ou
sous-comités décisionneJ(s) de l'association. C'est pourquoi nous avons analysé ce code à la
lumière des codes suivants:
L'association est gérée officiellement par ses membres, c'est-à-dire les membres élus du
comité décisionnel. Toutefois, en pratique, Agrocel demeure son principal gestionnaire.
Lorsqu'il s'agit de parler de la gestion de l'organisation, les producteurs membres du comité
décisionnel mentionnent donc très souvent AgroceJ.
A: Is it Mr G. who told him about fair trade? What did he say to him?
D: He came here, taking him with hi m, makes him contact other fm·mers and make one
union, that is the association. They are also helping G. for management (3. JI).
producteur dont les propos ont été cités ci-dessous, sa femme, vice-présidente du comité
général était également présente pour étoffer ses réponses.
Prendre part aux décisions des sous-comités de façon régulière, et à celles du comité général
une fois par an, constitue l'essentiel de la participation des producteurs membres de
l'association.
G: They attend the meetings in the society, and they diseuss about their work, like the
pond they are making, about the fertiJization, how to get it, how much money it will buy,
they are discussing aboutlhat.
A: How often are the meetings, you said it was once a month?
G: Yes, once a month. During summertime, it is 2 months, 3 months, it is not fixed, but
generally, during the cotton season, it happens once a mon th.
A: Do you have time do go as much as you can, do you like 10 go often? When do you
go?
G: Every meeting, because the meetings are mostly here'
A: Oh yeah, so! But why are they mostly here?
G: Because this is the middle area for ail farmers. And they have certain facilities
also, when there is a meeting, they have sorne seating arrangements here, plus tea,
coffee, it is good for org~Ulizational purposes (11 :28).
G: [...] We expeet high rates, not only for us, but for ail (10: 13).
A: Are you happy with FT? With the meetings, do you fcel st ronger?
S: Before, they did nol undersland and they did not have meetings ail logelher, but now
they can raise sorne problems and they have sorne power (8:6).
218
A: Before the creation of the committee, did he use to meet with other farmers to discuss
about problems, or was there something to replace the committee?
S: No, before they never used to meet together, they never had any meetings.
A: Does he enjoy, what does he think about it?
S: Yeah, before they never had any meetings, but now they are a group, they get together.
A: Does he feel stronger as a member of a group?
S: Yes, it is different now, they have something.
A: Do farmers used to be members of other unions before?
S: No, they did not have anybody, any NGO or any trust to work as they are doing now
(6:13).
Agrocel
se charge de
Gestion de
J'organisation
Relations
hommes/
1 comité; se charge de
femmes
Relations entre
producteurs
Sentiment
d'appartenance
Comme le montre la figure 5.15, Agrocel et le comité décisionnel de 1'association sont les
principales sources d'information sur le commerce équitable auprès des producteurs.
L'information communiquée par Agrocel porte sur le commerce équitable et les pratiques de
l'agriculture biologique.
est est
source source
de de
Commerce
Information/
Communication
E) équitable
~ ~
Producteurs
~
Figure 5. J5 Réseau du code « Information/Communication»
Diffusion
Le comité décisionnel, pour sa part, représente une so~rce importante d'information pour les
producteurs, particulièrement en ce qui concerne le commerce équitable, car c'est lors des
221
A: And what does he think about FT? What is it for him, and does he think it is a good
thing?
S: Il is much better, it is good. They get much of knowledge out of FT and they are paid
very weil (6:4).
A: What would be the changes with drip irrigation?
G: He said that if the drip irrigation is there, he will have enough water, the water he
needs, because with anotbcr irrigation, the land gets very wet and very heavy, with drip
irrigation, the land gets enough water, the water it needs. Il will give 50% more quantity
if there is 50% more water.
A: Waouh! 1s this one of the things you are working on with the committee?
G: They inform the cornmittee, but the committee does not have enough money to
provide drip irrigation, because the committee has starlcd bcfore, but now other people
have joined the committee and the commit tee has good money nowadays, but in the
future they will have so many farmers and not enough money, so in the future he will try
drip irrigation in the committee (12:4).
Depuis la création du comité, les producteurs ressentent le désir d'être informés et d'en savoir
davantage sur le commerce équitable et les décisions prises lors dcs réunions. C'est le cas des
chefs de famiJle qui assistent régulièrement aux réunions du comité, mais aussi celui de leurs
épouses qui s'intéressent de plus en plus à ce nouveau type dc rencontres. Toutefois, dans la
plupart des cas, lorsque les producteurs interrogés cherchent à en savoir davantage sur le
commerce équitable, ils cherchent en fait à en apprendre davantage sur les discussions
émanant du comité, les conseils relatifs à de meilleures pratiques agricoles écologiques et de
la façon dont la prime équitable est dépensée.
A: When one persan goes to the meetings, this person cornes back and tells everybody, or
everybody goes?
Ar: Only men in the family like him go to the meetings and comc back to tell ail ofthem.
A: And for training programs, il is the same?
Ar: Yeah, same (16:24).
A: Sinee there is a eommittee do you think women ean express themselves more?
S: Few of them were visiting before Agroeel, farming meetings and or for the village
itself, but now since they are into Agrocel they are having meetings regularly and
womens are eomming and they are also questioning (8:4).
Mais le comité sen également de médiateur entre les producteurs et les organisations ou
personnes liées au commerce équitable. Les producteurs envisagent la visite de personnes
222
externes comme une façon de leur faire connaître leurs activités et d'améliorer leurs
pratiques.
S: To make the committee stronger, first thing he asked the money again, and he was
saying that if sornebody cornes, for example you are here, you will get information and
you can say other people also and you can improve the committee (8:9).
G: Now saying that they are working with Agrocel, nearby other villages farmers come to
him and ask him, "oh you are working with Agrocel, is there any benefit to working with
them?" they are explaining to him we have good facilities, good social works, good
school all this... and they have good priee good premium. Now they are also joining.
They are asking one by one (12:20).
soulignons enfin que les melnbres élus du comité décisionnel, accompagnés des employés
d'Agrocel, ont pour rôle la gestion de l'organisation et que cette fonction n'incombe pas aux
producteurs électeurs. Il était donc prévisible que tous les producteurs de l'organisation ne
soient pas impliqués au même degré dans la gestion de l'organisation.
Conclusion
L'analyse systématique du discours des producteurs membres de Agroce/ Pure and Fair
Cotton Grower's Association nous a permis de connaître Jes thèmes qui suscitent chez eux un
fort intérêt. Six thèmes, ou familles de codes ont ainsi été identi1ïées : « Acteurs immédiats »,
« Acteurs distants », « Cu.lture du coton », « Certifications », « Enjeux économiques» et
« Enjeux organisationnels ». Un regard global sur J'ensemble de ces familles ct la façon dont
elles s'articulent nous amène à formuler plusieurs constats sur la vision que les producteurs
ont développée à l'égard du commerce équitable, du fonctionnement de J'organisation et de
l'arrimage du discours et de la pratique du commerce équitable.
Dans un premier temps, nous constatons que les producteurs interrogés attribuent l'initiative
des certifications biologique et équitable à l'entreprise Agrocel. Si tous connaissent
l'agriculture biologique et considèrent avoir amélioré le rendement et Ja qualité du coton
produit depuis qu'ils en ont adopté les pratiques, rares sont ceux qui connaissent le commerce
équitable. La plupart d'entre eux ne connaissent le commerce équitable que par le comité
décisionnel de l'association et par le prix et la prime équitable, principale raison pour laquelle
nombre d'entre eux ont d'ailleurs accepté de chercher à obtenir la certification équitable.
Aussi, si nous présentions dans le chapitre précédent la relation que les organisations de
commerce équitable entretiennent avec les producteurs de l'organisation comme une relation
de partenariat, il ressort de l'analyse de nos entrevues que les producteurs ne connaissent pas
l'organisation FLO. Les producteurs interrogés ont tendance à attribuer davantage
d'importance à d'autres organisations, plus présentes et plus concrètes en termes des
bénéfices qu'elles entraînent sur une base régulière. Nous expliquons ceci également par le
fait que les émissaires de FLO sont pressentis comme des visiteurs ou des inspecteurs ct ne
sont pas présentés par Agroccl comme des membres de l'organisation FLO. L'influence de
FLO est pourtant présente, notamment au niveau des pratiques employées par les
224
producteurs. Aussi, ces derniers se sentent davantage épaulés et éprouvent une grande
satisfaction à l'idée de recevoir des visiteurs intéressés par leur travail.
D'un point de vue pratique, nous estimons que la prime équitable permet aux producteurs
d'avoir accès à de l'équipement et d'améliorer leurs infrastructures. Néanmoins, le prix
équitable, même si supérieur au prix touché auparavant pour du coton conventionnel auprès
des conunerçants locaux, ne permet aux producteurs que de couvrir leurs coûts de production,
de nourrir leurs familles et de payer les frais de scolarité de leurs enfants. Le juste prix promu
dans le discours du conunerce équitable, s'il permet une amélioration des conditions de vie
des producteurs interrogés, n'est pas encore équitable, surtout si l'on considère le temps passé
par les producteurs dans leurs champs de colon, et les difficultés qu'ils peuvent y rencontrer
avec l'adoption de pratiques écologiques, voire biologiques. Le prix minimum du commerce
équitable est donc juste en théorie, mais limité en pratique.
De manière plus pragmatique, nous estimons que la mise en place du comité, de par
l'amélioration des relations entre les producteurs qu'elle a engendrée, constitue la
contribution essentielle du commerce équitable à l'amélioration de leurs conditions de vie.
Depuis leur insertion dans le réseau équitable, les producteurs prennent également conscience
de l'existence des consommateurs et des possibilités d'utilisation de leur coton. Les
producteurs de l'organisation saisissent la notion de partenaire commercial en ce qui
concerne leur relation avec Agrocel, parfois avec des organisations de commerce équitable,
lorsque celles-ci leur présentent des produits dérivés de leur coton, mais n'y incluent pas
particulièrement le consommateur. Les producteurs ne connaissent d'ailleurs pas les
consonunateurs, à l'exception du fait que ceux-ci disposent de moyens financiers supérieurs
aux leurs, et qu'ils viennent probablement du Nord. La relation producteur/consommateur
vantée par les promoteurs du commerce équitable est donc une relation tout au plus virtuelle
en ce qui concerne les producteurs.
Pour l'essentiel, les principes du commerce équitable doivent être jumelés aux principes de
l'agriculture biologique afin de permettre une amélioration substantielle des conditions de vie
des producteurs. Dans le cas étudié, l' enlreprise Agrocel insiste auprès des producteurs
équitables pour que ceux-ci adoptent les pratiques de l'agriculture biologique plutôt que de
continuer à utiliser certains intrants chimiques. De cette façon, les producteurs équitables
225
Le rôle de j'entreprise Agrocel est crucial dans la transition des producteurs vers le
biologique, mais nous considérons que ceux-ci dépendent fortement d'Agrocel. D'ailleurs,
les producteurs interrogés amalgament souvent les services offerts par l'entreprise aux
critères du commerce équitable. Ce qui nous amène à douter de la capacité d'autonomisation
de l'organisation dans un avenir proche, et du danger encouru par cette dernière si Agrocel
décidait d'abandonner ses producteurs, ou si le marché du coton équitable atteignait
saturation. Néanmoins, dans pareille situation, ces derniers auraient au moins l'avantage
d'avoir un comité décisionnel en place, d'avoir cessé toute utilisation d'intrants chimiques ct
d'avoir intégré des connaissances en matière d'agriculture biologique.
Comme l'analyse du code « Acteurs distants» l'a fait ressol1ir, cette relation de dépendance
est ancrée dans la conception que les producteurs ont développé vis-à-vis de l'aide extérieure,
c'est-à-dire une aide bien méritée étant donné leur condition fragile. Néanmoins, si le
commerce équitable apparaît comme une aide bénéfique, il se différencie du schéma
conventionnel reconnu d'aide au développement en constituant un filtre à l'aide offerte par
les consommateurs. Le commerce équitable est donc saisi dans la continuité des initiatives
226
d'aide au développement promues dans la région depuis plusieurs années, mais est compris
comme un intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs, davantage qu'un vecteur
de rapprochement entre les deux acteurs. Peut-être que le commerce équitable, de par la
latitude qu'il offre aux producteurs dans les décisions qui ont trait à leur développement, est
en train de remettre en question cette conception auprès des producteurs, et leur permettra
ultimement de se voir non plus comme des récipiendaires passifs, mais comme des acteurs de
changement, voire du mouvement équitable.
Finalement, nous notons que les producteurs n'évoquent jamais leur gouvernement ou la
façon dont il pourrait influencer leurs conditions de vie. Soit les producteurs ne pensent pas
que celui-ci puisse influencer leurs conditions de vie, soit ils considèrent qu'il n'est pas en
mesure de le faire. Nous sommes d'avis que les producteurs de l'organisation, suite à des
discussions' informelles auprès de certains d'entre eux, n'entrevoient pas leur gouvernement
comme un moteur de changement. Avant de pouvoir élaborer un discours politique à partir de
leurs revendications et l'adresser à leur gouvernement, nous estimons que les producteurs de
l'organisation étudiée doivent dans un premier temps considérer leur gouvernement comme
tel.
CHAPITRE VI
Après avoir présenté nos résultats de recherche dans les deux chapitres précédents, nous
souhaitons à présent discuter de leurs implications vis-à-vis de notre question ct sous question
de recherche. C'est donc dans ce dernier chapitre, à travers une brève synthèse de nos
résultats, que nous répondrons spécifiquement aux questions que nous avons soulevées à la
fin de notre cadre théorique. Nous structmons notre réflexion en deux points essentiels: dans
un premier temps, nous nous attacherons à voir de quelle manière Agrocel Pure and Fair
Collan Growers' Association se pose COJlU11e une alternative à la crise du coton vécue par les
producteurs indiens. Puis, dans un deuxième temps, nous verrons en quoi le commerce
équitable peut constituer un vecteur d'émancipation et de politisation des producteurs du Sud.
Nous proposerons alors une définition du type de développement promu par le commerce
équitable dans un contexte de projet de contrat de production.
La crise mondiale du coton, caractérisée par une surproduction à J'échelle planétai re, la
diminution de la demande et la baisse du cours du coton-graine est exacerbée en Inde par une
profonde insécurité alimentaire, l'utilisation abusive d'intrants chimiques, la corruption quasi
généralisée des acheteurs de coton, une aide gouvernementale limitée, un accès limité au
crédit à faible taux d'intérêt, la limitation du nombre de Semences de qualité disponibles à bas
coût et la promotion de semences de type OGM. Dans la région de Kutch, où nous avons
mené notre étude de terrain, les producteurs de coton doivent également compter sur la
mousson pour irriguer leurs champs dans un climat semi-désertique. En vue de remédier à
cette conjoncture difficile qui touche plusieurs milliers de personnes, il n'existe que peu
d'initiatives. L'une d'entre elles propose de rendre au commerce un visage humain en offrant
228
aux producteurs désavantagés par les règles commerciales conventionnelles actuelles des
conditions d'échange plus justes d'un point de vue économique, social et environnemental. Il
s'agit du conunerce équitable. En 2005, sous les reconunandations et la supervision de
l'entreprise indienne Agrocel, un groupe de petits producteurs certifiés biologiques fondent
Agrocel Pure and Fair Cotton Growers' Association, organisation de conunerce équitable
régie par les critères du commerce équitable destinés aux organisations de producteurs dans
le cadre de projets de contrat de production.
En janvier 2007, comme nous le mentionnions dans le chapitre IV, les effets de la crise du
coton évoqués ci haut semblaient s'être amenuisés, et les conditions de vie des producteurs
interrogés améliorées sur plusieurs aspects. Nous discuterons dans un premier temps de la
façon dont ces effets ont été atténués pour les producteurs membres de l'organisation, pour
ensuite présenter la façon dont le conunerce équitable y a contribué.
L'amélioration des conditions de vie des producteurs interrogés ne découle pas entièrement
de l'adhésion des producteurs à l'association, elle résulte en partie du soutien et de
l'assistance technique qu'AgroceJ voue aux producteurs depuis une dizaine d'années et de
leurs efforts pour respecter les principes de l'agriculture biologique. Aussi, nous soulignons
que si certains des impacts observés sur l'amélioration des conditions de vie des producteurs
interrogés nous apparaissent durables, c'est-à-dire que leurs effets sont susceptibles de se
prolonger au-delà du paJ1enariat qu' Agrocel entretient avec les membres de l'organisation,
d'autres, au contraire, dépendent de cette association et méritent que nous nous y attardions.
De cette façon, nous estimons que l'amenuisement des effets de la crise du coton chez les
producteurs de l'organisation étudiée est avant tout conjoncturel et pour le moment tributaire
du soutien d'AgroceJ, du maintien des pratiques de l'agriculture biologique par les
producteurs et de la demande des consommateurs en faveur du coton biologique et équitable.
Au niveau des impacts que nous qualifions de durables, nous retenons essentiellement la
diminution des coÎlts de production des producteurs et l'introduction d'une sécurité
alimentaire.
229
En ce qui concerne la diminution des coûts de production, les producteurs interrogés ont
effectivement pu réaliser des économies importantes du fait d'avoir limité ou cessé toute
utilisation d'intrants chimiques, de j'accès facilité à coût raisonnable à des intrants
biologiques et à des semences de qualité auprès d'Agrocel. L'adoption de pratiques agricoles
écologiques, voire biologiques - dans le cas des producteurs ayant acquis la certification
biologique - a permis avec le temps une régénération de la faune et de la flore dans la région
et une meilleure absorption des sols en eau et en nutriments, ce qui s'est traduit pour les
producteurs concernés par une production plus importante et de meilleure qualité, et par une
réduction des dépenses liées à l'irrigation de leurs champs. Nous soulignons ici que ces
impacts ont été rendus possibles grâce à la promotion effectuée par Agrocel auprès des
producteurs sur l'agriculture biologique et le soutien que l'entreprise leur a prodigué dans
leur transition vers des pratiques agricoles écologiques, davantage que par l'adhésion de
ceux-ci à l'organisation. En fait, comme nous l'expliquions précédemment, les premiers
membres de l'organisation étaient un groupe de producteurs biologiques convaincus de
l'appui d'Agrocel à leur égard et des bénéfices de l'agriculture biologique. Une fois certifiés
biologiques, ces derniers ont accepté de fonder l'association de manière à pouvoir obtenir la
certification équitable. Ensuite, de par les nouveaux avantages amenés par cette adhésion, ces
derniers ont fait la promotion de l'association et des pratiques de l'agriculture biologique
auprès des producteurs avoisinants. Peu à peu, le nombre de membres de l'association a
gagné en imp0l1ance pour s'élever aujourd'hui à plus de 500 familles. Nous considérons la
diminution des coûts de production des producteurs équitables comme un impact durable, car
dans le cas peu probable où Agrocel déciderait d'interrompre son partenariat avec
l'association, les producteurs tendraient à perpétuer les pratiques agricoles écologiques et
biologiques apprises jusqu'à présent. Certains producteurs ont révélé que si un meilleur prix
que le prix équitable leur était offert, ils n'hésiteraient pas à se détacher du mouvement
équitable; mais ce serait dans le but de pouvoir s'offrir des intrants biologiques lorsque
nécessaire, afin de perpétuer l'enseignement appris jusqu'ici.
En ce qui a trait à l'introduction de la sécurité alimentaire, nous tenons à préciser que tous
nos répondants, en plus de cultiver du coton, produisent des fruits, légumes, céréales ou
légumineuses. Si la plupart d'entre eux en ont décidé ainsi en vue d'accroître la fertilité des
sols dans le cadre d'une rotation des cultures, sous les conseils d'Agrocel et du comité
230
décisionnel de l'association (la production de cultures autres que le coton étant l'un des
critères de progrès du commerce équitable pour le coton graine), l'absence d'un revenu
suffisant généré uniquement par la culture de coton, même équitable, les encourage
également à consormner une partie de ces récoltes et d'en vendre l'excédent pour obtenir un
revenu additionnel. Dans les deux cas, l'entreprise Agrocel est responsable de ce
changement. Nous considérons cet impact comme un impact durable car nous pensons que
les producteurs continueront, par nécessité, à cultiver des produits alimentaires. À moins que
les revenus générés par la culture de coton soient suffisamment satisfaisants pour que les
producteurs ne se consacrent qu'à celle-ci.
courte, moins contraignantes à produire dans leur région. Nous précisions à ce sujet que si les
producteurs de l'association ont désonnais accès à des' semences de qualité à prix
raisonnable, la gamme proposée par Agrocel les conditionne à produire des variétés à fibre
longue. Bien que ce changement n'encourage pas les producteurs à cultiver des semences
parfaitement adaptées à leur environnement local, ce que nous trouvons dommage étant
donné la perte de biodiversité rencontrée aujourd'hui dans la région, et l'engagement avoué
des certifications biologique et équitable à cet effet, nous estimons qu'il va de l'intérêt des
producteurs de préférer des semences plus en demande sur le marché mondial afin de
s'assurer un revenu en tout temps. Aussi, les certifications biologique et équitable s'opposent
à la culture de semences de type OGM. La menace OGM ne plane donc plus sur les
producteurs, tant que ceux-ci sont engagés auprès de ces certifications.
C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'en vue de continuer à percevoir les primes
biologique et équitable et le prix équitable, les producteurs de l'association dépendent
aujourd'hui de la demande des consommateurs et doivent se plier à leurs attentes en matière
de qualité et de variété. Si cette demande est actuellement à la hausse, rien ne nous permet de
penser qu'elle sera tout aussi importante dans dix ans, lorsque J'association aura intégré des
centaines de nouveaux membres. L'augmentation du revenu des producteurs constitue ainsi
un moyen de faire face à la crise du coton indienne, mais ne peut en aucun cas être perçue
comme un acquIs.
11 en va de même en ce qui concerne les services offerts par Agrocel, c'est-à-dire les conseils,
l'assistance technique, la récolte du coton et l'approvisionnement d'intrants biologiques à
domicile en tant que réponse à la corruption de la plupart des acheteurs de coton locaux. Si
ces avantages permettent aux producteurs rencontrés de ne plus dépendre de ces derniers,
d'améliorer leurs pratiques, de recevoir un paiement plus juste, dans Jes temps, et de réaliser
des économies du fait de la gratuité des services à domicile prodigués par l'entreprise, nous
émettons une réserve quant à la pérennité de ces bénéfices dans l'avenir de J'organisation (à
l'exception de l'intégration des pratiques agricoles écologiques). Nombre des membres
interrogés considèrent que ces bénéfices sont directement imputables au commerce équitable.
D'une certaine façon, ces pratiques sont attribuables au mouvement puisque en tant que
prol11oring body, Agrocel a le devoir de soutenir les membres de l'organisation dans la
production et la vente de leur coton. Le soutien accru dont l'entreprise fait preuve auprès des
232
membres de l'organisation constitue sa façon d'ériger pour eux des conditions d'échange plus
justes et selon nous, une initiative louable. Cependant, une fois autonome, l'organisation ne
sera peut-être pas en mesure de prodiguer à ses membres les mêmes services; aussi, les
critères du commerce équitable destinés aux organisations de producteurs n'invoquent pas
ces services comme une nécessité. C'est la raison pour laquelle la présence d' Agrocel et la
demande des consommateurs nous semblent constituer les éléments essentiels à la continuité
de ces pratiques en tant que réponse à la corruption des acheteurs de coton locaux.
Enfin, les avantages dont nous venons de discuter ont amené nos répondants à produire du,
ou davantage de coton. Si la plupart d'entre eux sont parvenus à accroître leur production du
fait de l'adoption de pratiques agricoles écologiques (dans le cas du commerce équitable) ou
biologiques (dans le cas des producteurs certifiés biologiques), d'autres ont délibérément
choisi de cultiver du coton après avoir cessé d'en produire à cause de la dégradation de leurs
terres, des coûts de production élevés et du faible revenu obtenu en contrepaJtie de leur
récolte. Nous présumons que la culture de coton, associée aux cel1ifications biologique et
équitable s'avère plus rentable que la culture d'autres produits non certifiés. Toutefois, loin
de répondre à la crise du coton, ce phénomène tend à l'exacerber puisqu'il contribue à la
surproduction de coton à l'échelle mondiale. Aussi, pour revenir sur ce que nous disions plus
haut et le compléter, la production de coton biologique et/ou équitable influence certainement
les pratiques agricoles des producteurs positivement, mais ne constitue qu'un remède
ponctuel à la crise du coton d'un point de vue global, tant que la demande des
consommateurs en coton biologique ou équitable ne sera pas assurée et stabilisée.
S'il nous paraît prématuré de parler de l'impact du comm~rce équitable sur l'amélioration des
conditions de vie des producteurs après seulement un an et demi d'adhésion à J'organisation,
nous avons pu remarquer, lors de notre étude de terrain, ce qui était et cc qui n'était pas
attribuable au commerce équitable dans les changements vécus par les producteurs depuis
leur partenariat avec Agroccl. Aussi, nous avons su noter quels principes du commerce
équitable étaient susceptibles d'amener un changement ou s'avéraient inopérants auprès des
membres de l'organisation.
233
Face à la crise du coton indienne, les principes du commerce équitable destinés aux
producteurs dans le cadre de projets de contrat de production nous semblent pertinents. La
plupal1 des producteurs de coton indiens passent l'essentiel de leur vie dans leurs villages et
n'entrent que rarement en contact avec le monde extérieur. Aussi, rares sont ceux qui parlent
anglais ou une autre langue que leur dialecte régional. De ce fait, prendre connaissance des
certifications alternatives, amorcer et entretenir un dialogue avec des organismcs
certificateurs et respecter des critères fondamentalement opposés aux pratiques qu'ils ont
toujours reconnues comme les meilleures pourrait, pour nombre d'entre eux, relever de
l'impossible, Le cas de Agrocel Pure and Fair Cotton Growers' Association ne fait pas
exception: sans Agrocel, les producteurs auraient difficilement intégré le marché biologique,
et l'organisation n'aurait certainement pas vu le jour. Le concept de Promoting body nous
paraît ainsi extrêmement pertinent à la mission du commerce équitable visant l'amélioration
des conditions de vie des plus démunis, Grâce au soutien d'Agrocel, les producteurs
interrogés ont non seulement fondé une organisation gérée démocratiquement, mais ils ont
aussi acquis des conditions d'échange plus justes et adopté des pratiques agricoles
écologiques, voire biologiques. Selon nos répondants, en comparaison des principcs de
l'agriculture biologique et des efforts requis pour les respecter, les principes du commerce
équitable destinés aux proçlucteurs dans le cadre de projets de contrat de production sont
facilement applicables et ne contraignent aucunement les producteurs. Le commerce
équitable est d'ailleurs compris par plusieurs comme la meilleure façon de les aider à
produire du coton, Ainsi, même si la plupart des producteurs interrogés retiennent
essentiellement de ces principes la non exploitation et l'interdiction dc faire travailler les
enfants, tous sont respectés. Néanmoins, les producteurs rencontrés, pour la plupart,
considèrent que la certification équitable est similaire à la certification biologiquc. La seule
différence entre les deux certifications reposerait dans l'existence du comité décisionnel de
l'association et de 1a nécessité de respecter les deux critères précédemmcnt cités. Nous
attribuons cette confusion au fa it qu' Agroce l, Je méd iateur de ccs deux ccrti fications auprès
des producteurs promeut des pratiques plus respectueuses des hommes ct de J'environnement
depuis une dizaine d'années, ct que les principes qui sont à la base de la mission d'Agrocel
234
D'après ce que nous avons observé, en matière de développement social, les producteurs sont
regroupés en organisation démocratique, laquelle contribue, sous la supervision d'Agrocel au
développement social et économique de ses membres et de leurs communautés. Aucune
discrimination relative à l'entrée de nouveaux membres dans l'organisation n'a été relevée, et
les relations entre producteurs et entre hommes et femmes ont même été améliorées du fait de
la mise en place de l'organisation et de son comité décisionnel. Tous les producteurs
membres sont des petits producteurs selon les moyennes de l'État du Gujarat, c'est-à-dire que
la superficie de leurs terres ne dépasse pas 17 acres. Au chapitre du développement
économique, Agrocel administre la prime et le prix équitable de façon transparente, tant pour
les producteurs que pour FLO. Les termes de l'échange sont également facilités pour les
membres de l'association puisque Agrocel se charge des questions de transport et incarne
pour tous nos répondants la confiance. En ce qui concerne le développement
environnemental, du fait de la promotion faite par Agrocel des pratiques d'agriculture
biologique, les producteurs font de la gestion de l'environnement une partie intégrante de la
gestion de leurs fermes. Certains des producteurs rencontrés utilisent les intrants chimiques
autorisés dans les critères environnementaux du conunerce équitable, mais la plupart d'entre
eux n'utilisent que des intrants biologiques et ont d'ailleurs acquis la certification biologique.
De manière générale, les producteurs interrogés comprennent mieux la relation existant entre
l'environnement et les intrants chimiques et biologiques depuis leur partenariat avec Agrocel.
En ce qui concerne les exigences de progrès spécifiques au coton graine, exigences que nous
avons présentées au chapitre ll, c'est-à-dire la représentation égale des femmes et des
hommes au sein de l'organisation, et la production d'autres cultures que le coton, nous avons
observé que l'organisation, par l'intermédiaire d' Agrocel, avait déjà entrepris des démarches
pour faire de ces critères de progrès des critères respectés par les membres de l'organisation.
Le comité décisionnel de l'organisation comprend des hommes et des femmes, et les épouses
de producteurs tendent à s'impliquer, de manière formelle ou informelle, dans la prise de
décisions relatives à la façon de dépenser la prime équitable et à apprécier les conseils
prodigués par les membres élus de l'organisation en ce qui a trait à l'amélioration des
235
pratiques agricoles. Seule la présence des chefs de famille est requise lors de la tenue des
réunions de sous-comités. Cependant, un sous-comité réservé aux femmes devrait voir le jour
afin de faciliter leur prise de parole et leur implication au sein de l'organisation. Le critère de
progrès visant l'attribution du paiement du prix équitable aux femmes plutôt qu'aux hommes
n'est pas encore appliqué, mais nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'un prérequis à davantage
de participation de la part des femmes.
Concernant la production d'autres cultures que le coton, nous avons déjà mentionné que les
producteurs cultivaient tous des légumes, des céréales ou des épices afin de s'assurer un
revenu supplémentaire, de nourrir leurs familles, et d'améliorer la qualité des sols cullivables.
Si Agrocel a encouragé l'opérationnalisation de ce principe auprès des producteurs de
l'association, nous notons qu'il faisait déjà partie intégrante des pratiques de la plupart des
producteurs, ces derniers ne parvenant pas à obtenir un revenu suffisant de la seule vente du
coton.
Finalement, nous avons observé que trois des principes du commerce équitable n'étaient pas
opérationnels sur le terrain. La première limite constatée réside dans ce que FLü considère
être le prix minimum équitable, c'est-à-dire une « rémunération juste qui n'est pas seulement
le salaire minimum mais un salaire qui permet à la personne qui le touche de vivre
convenablement» (FINE, 200 l, traduction libre). Pour les producteurs intcrrogés, en cffet, si
le prix minimum équitable s'avère supérieur au prix conventionnel, il suffit tout juste à
couvrir leurs coûts de production sans leur permettre de réaliser des économies substantielles.
De même pour Ja prime équitable qui permet l'achat d'outils et d'intrants biologiques, et la
mise en place de projets communautaires, tels que des bassins d'irrigation, mais en top faibles
quantités par rappol1 aux besoins des producteurs. En d'autres termes, la production de coton,
même biologique et équitable, ne suffit pas encore à ce que les productcurs puissent épargner
ou au moins, éviter de s'endetter. De ce fait, si l'on offrait aux producteurs un meilleur prix,
quitte à ce qu'ils doivent délaisser la cel1ification équitable, plusicurs d'cntre eux
n'hésiteraient pas une minute. Toutefois, avec la différence de revenu pcrçue, ccs derniers
achèteraient des inlrants biologiques et participeraient au financcmcnt d'équipement et
d'infrastructures. Par conséquent, si les productcurs interrogés avoucnt considérer le
commerce équitable principalement pour son pnx rclativement supéricur au prix
conventionnel, ils ne s'opposent aucunement aux principes que le mouvement met de l'avant,
236
La seconde limite que nous avons observée réside dans la relation producteur/consommateur
vantée par les promoteurs du commerce équitable. Selon FINE, et d'après le discours que
tient FLO, les producteurs et les consommateurs, en plus d'acquérir certains bénéfices du
commerce équitable, c'est-à-dire un meilleur prix et une prime équitable pour les producteurs
et un produit de qualité cultivé dans des conditions correctes pour les consommateurs,
participent à la mise en place d'un commerce équitable sans que l'un ne dicte ses règles à
l'autre et sans que l'échange entre l'un et j'autre ne soit fait sur une base charitable. En
d'autres termes, le commerce équitable, de par la diminution du nombre d'intermédiaires
présents sur la chaîne de distribution d'un produit équitable doit théoriquement rapprocher les
producteurs des consommateurs.
En pratique cependant, nous avons observé que les producteurs ne savent rIen des
consommateurs et ne cherchent pas à en savoir davantage à leur sujet. Ils comprennent qu'ils
doivent leur offrir un produit de qualité, mais ne les considèrent pas comme des partenaires
commerClaux.
Enfin, la troisième limite que nous avons observée réside dans le principe de préfinancement
visant à ce que les producteurs soient rémunérés en avance afin d'éviter l'endettement. En
pratique, les producteurs sont payés dans les temps à un prix fixe, ce qui constitue une
avancée notable si l'on considère les termes de l'échange pratiqués par les commerçants
locaux. Toutefois, actuellement, les producteurs de l'association ne sont pas rémunérés en
avance, et doivent avoir recours au prêt. Celui-ci est aujourd 'hui plus accessible, grâce aux
démarches que l'entreprise Agrocel effectue auprès de la banque locale. Parfois même,
Agrocel accorde un prêt sans intérêt aux producteurs méritants qui ont déjà pu dans le passé
emprunter et rembourser les sommes empruntées. Les producteurs qui nécessitent un prêt,
mais qui sont considérés comme des clients à risque doivent être accompagnés, par
l'intermédiaire d' Agrocel, d'une dizaine de producteurs qui se portent garants de son
remboursement. Dans ce cas, la banque se montre plus conciliante, parce que le producteur
emprunteur devra faire face à une dizaine de producteurs mécontents dans le cas d'un non
remboursement. Jusqu'il présent, cette stratégie s'avère efficace et permet aux producteurs
237
« mauvais payeurs» de redorer leur image auprès de la banque et des producteurs qui se sont
portés garants de son remboursement.
Comme nous l'indiquions plus tôt, les principes du commerce équitable relatifs à l'économie
et à l'environnement sont appliqués par les producteurs depuis leur partenariat avec Agrocel,
et non depuis la création de l'organisation. Sur ces deux aspects, même si le commerce
équitable renforce Je partenariat entre les producteurs de l'organisation et l'entreprise
Agrocel, le commerce équitable ne révolutionne pas le mode de vie des producteurs. Ces
principes contribuent davantage à encourager des pratiques agricoles écologiques et la
discussion entre les membres de l'association. Ainsi, le commerce équitable permet aux
producteurs de pouvoir aisément acquérir la certification biologique après avoir obtenu la
certification équitable, et à remédier aux conditions économiques difficiles auxquelles ils font
face grâce à une amélioration des termes de l'échange, tant qu'il existe une demande des
consommateurs en faveur du coton biologique et équitable. Conjuguée à la légère
augmentation du revenu des producteurs générée par le prix «équitable» dont nous avons
discuté plus tôt, la dépendance des producteurs vis-à-vis des consommateurs fait du
commerce équitable une réponse conjoncturelle à la crise du coton, mais toutefois positive en
termes d'amélioration ponctuelle des termes de l'échange, de prime au développement et de
mobilisation sociale. C'est dans cette dernière perspective que nous envisageons J'innovation
du commerce équitable par rapport à la crise du coton telle que vécue par les producteurs
indiens.
ont perdu la VIe, et plus de 100 000 personnes ont été déplacées. Depuis, les minorités
religieuses du Gujarat tendent à se faire moins visibles.
Comme nous venons de Je voir, le commerce équitable ne répond que partiellement à la crise
du coton et risque même de l'exacerber en encourageant sa surproduction, le rôle
d'exportateur de matières premières des pays du Sud et leur dépendance envers ce que Amin
appelle le centre, c'est-à-dire les pays dits « développés ».
Nous ne saurions cependant critiquer trop vi vement la culture de coton en lnde, étant donné
qu'elle supporte en partie l'économie du pays. Mais nous avons vu que celle-ci poursuivait
un modèle de modernisation qui favorise un accroissement continu des rendements au
détriment des agriculteurs et de leur environnement. Aussi, il est avéré que le coton indien se
destine de plus en plus à l'exportation intell1ationaJe, aux dépens de l'industrie textile locale
239
qui voit s'élever le prix du coton. Enfin, comme nous l'avons montré dans le chapitre I, la
conjoncture économique actuelle incite les producteurs à favoriser des cultures de rente, telles
que le coton, ce qui tend à réduire la sécurité alimentaire du pays et à accroître sa dépendance
alimentaire envers l'extérieur. Étant donné que les ressources générées de la production de
coton ne sont pas redistribuées de façon égale au sein de la population indienne, l'accès aux
céréales importées ne devient accessible qu'à ceux disposant des moyens les plus importants,
et l'écart entre les grands propriétaires terriens et les producteurs marginalisés s'amplifie.
Sous cet angle, même si ses impacts vis-à-vis de la crise du coton nous semblent limités, nous
attribuons au commerce équitable le mérite d'avoir participé à l'amélioration des conditions
de vie des producteurs membres de J'association. Depuis qu'ils reçoivent des conseils de
l'entreprise requis et adhèrent aux principes de l'agriculture biologique et équitable, les
producteurs de l'association ont vécu certains changements, qui, même sans répondre
directement à la crise du coton, nous semblent significatifs.
Dans un deuxième temps, depuis leur adhésion à l'association, les producteurs interrogés
constatent une amélioration des termes de l'échange, en contraste avec la relation qu'ils
entretenaient auparavant avec les commerçants .locaux. Non seulement une rémunération
basée sur un prix fixe dans les délais est aujourd' hui possible, mais)' achcteur pc ut également
s'avérer être une source de conseils pour les producteurs en leur offrant un soutien après
vente. En d'autres termes, même s'ils maintiennent une certaine réserve, les producteurs de
240
l'association ont espoir d'un avenir meilleur, et ceci se reflète dans les relations qu'ils
entretiennent entre eux, désormais davantage basées sur l'honnêteté et l'entraide.
Le troisième changement que nous avons observé dans le discours des producteurs depuis
leur adhésion à l'association réside dans leur rapport au produit cultivé, le coton, et dans leur
relation aux consommateurs. Tous les producteurs rencontrés ont reçu au moins une pièce de
tissu réalisée avec le coton de l'association. Ainsi, en plus de prendre connaissance des
fonctionnalités du coton, notamment son rôle dans l'industrie textile, ils sont nombreux à
reconnaître la qualité de leur coton et en retirent une certaine fierté.
Rares sont les producteurs qui cherchent à connaître la destination finale de leur coton et le
prix qui lui sera attribué. Comme nous le disions plus tôt, les producteurs ne connaissent pas
les consommateurs et ne cherchent pas à en savoir davantage à leur sujet. Dans la perception
qu'ils se font des consommateurs, ces derniers sont compris comme des personnes du Nord
disposant d'un pouvoir d'achat élevé, et en tant qu'acteurs distants, ne sont pas compris
comme des partenaires commerciaux. Nous estimons que les producteurs ont commencé à
réaliser la présence des consommateurs et à développer cette conception à leur égard depuis
qu'ils ont commencé à interagir avec les chercheurs et visiteurs intrigués par le
fonctionnement de l'association.
Comme nous l'exprimions précédemment, ces changements, tout comme ceux dont nous
avons discuté tout au long de la section précédente ne sont pas uniquement imputables au
commerce équitable. Ainsi, nous sommes d'avis que pour être mis en pratique et fonctionnel
dans le contexte indien, le commerce équitable doit être soutenu par une entreprise locale en
qui les producteurs ont confiance, et qui promeut des pratiques agricoles écologiques, voire
biologiques. À cet effet, nous espérons à travers la présentation de nos résultats être parvenus
à démontrer la nécessité du soutien de l'entreprise Agrocel à l'intégration des producteurs de
l'association au mouvement équitable, à l'acquisition de la certification équitable par
l'association, à l'adoption des principes du commerce équitable par I~s producteurs et à
l'amélioration des conditions de vie de ces derniers. Mais surtout, nous espérons avoir su
montrer que l'entreprise Agrocel a permis de faire des principes du commerce équitable un
ensemble de pratiques adaptées aux producteurs de l'association davantage que de simples
normes à respecter. Par exemple, la notion d'équité qui se résume dans les principes de FLü
241
Néanmoins, bien que les producteurs comme les chargés de projet d'Agrocel se montrent
satisfaits de ce partenariat, les producteurs de J'association sont actuellement dépendants du
soutien de J'entreprise, ce qui nous amène à nous questionner sur J'autonomisation de
l'association et ses perspectives à long terme advenant qu'Agrocel doive quitter la région. De
même à l'inverse, si Agrocel choisit de demeurer auprès des producteurs, ce qui est tout à fait
plausible étant donné que ces derniers sont la raison d'être de l'entreprise ct que celle-ci
bénéficie de ce partenariat en tant qu'acheteur et fournisseur. Dans les deux cas, si Agrocel
permet une médiation indispensable entre les organisations de commerce équitable et les
producteurs de l'association, nous sommes d'avis qu'elle constitue en même temps un frein à
leur autonomisation en les maintenant dans une relation d'assistance.
Pourtant, même s'ils ne saisissent pas les aspirations du commerce équitable, les producteurs
que nous avons interrogés font souvent référence au comité décisionnel de l'association, au
prix et à ]a prime équitable. Plus précisément, selon nos résultats, le commerce équitable est
associé par nos répondants à un ensemble de pratiques définies, ct à une certification initiée
par l'entreprise Agrocel. Les producteurs associent à l'agriculture biologique la cause de
leurs plus grands efforts, et tendent à envisager leur adhésion à l'association uniquement du
242
point de vue des avantages qu'elle pennct de générer, c'est-à-dire des avantages de type
économique. En ce sens, le commerce équitable tend à être vu en tennes d'aide au
développement et les producteurs à se percevoir comme des récipiendaires méritants, dans le
prolongement des actions caritative,s émanant de diverses ONG depuis plusieurs années en
réponse aux catastrophes naturelles qui touchent la région, Ceci est illustré dans le discours
de nos répondants lorsqu'ils en viennent à évoquer leur relation avec les organisations de
commerce équitable et les consommateurs.
Comme nous l'avons montré dans le chapitre précédent, les consommateurs et les ONG sont
des acteurs distants très liés au financement des producteurs mais dont ces derniers ignorent
tout ou presque. Lorsque nous leur demandions quel message ils souhaitaient nous voir
adresser de leur pm1 aux consommateurs, et de manière plus précise aux canadiens, nous
notions deux types de réponse, qui dans les deux cas, renvoyaient à la position de puissance
des consommateurs par rapport à la leur: la principale revendication de leur part résidait dans
l'accroissement de leur revenu compte tenu des coûts de production élevés et des effol1s
encourus depuis leur adhésion aux principes de l'agriculture biologique.
Certains souhaitaient leur faire savoir que le commerce équitable leur permettait d'améliorer
leurs conditions de vie et nous pressaient de leur demander d'acheter davantage de coton
équitable et biologique parce que ce geste allait naturellement provoquer J'augmentation de
leur revenu.
D'autres cependant, considèrent que les consommateurs peuvent directement faire accroître
ce revenu soit en s'adressant aux organisations de commerce équitable pour réclamer un
accroissement du prix du coton graine au kg, soit en leur envoyant directement de
l'équipement, du financement, ou en ouvrant des banques à faible taux d'intérêt. Dans cette
dernière conception, le commerce équitable constitue même un frein à l'aide que les
consommateurs pourraient verser aux producteurs, car il absorbe l'aide offel1e des
consommateurs aux producteurs Ainsi, c'est bien avec le commerce équitable que les
producteurs ont commencé à développer une relation avec les consommateurs, mais il ne
s'agit pour le moment que d'une relation commerciale, pressentie non pas sur la base d'un
partenariat, mais sur la base d'un échange de nature caritative.
243
Les producteurs reconnaissent qu'ils s'engagent auprès des consommateurs pour leur offrir
un coton de qualité en contrepartie duquel ils recevront un revenu plus élevé. Cependant, ils
ne saisissent pas le fait que les consommateurs, en achetant un produit équitable, cherchent
peut-être à contribuer à l'amélioration de leurs conditions de vie. Pour certains des
producteurs interrogés, si telle était leur intention, les consommateurs pourraient leur faire
parvenir directement de l'équipement et ouvrir des banques à faible taux d'intérêt.
Contrairement à ce que laissent penser les promoteurs du commerce équitable, la relation
producteur/consommateur vantée par le mouvement est une relation plus étroite que dans le
cas du corrunerce conventionnel, uniquement du fait de la réduction du nombre des
intermédiaires présents sur la chaîne de distribution du produit.
Dans le chapitre ll, au vu des conclusions de Johnson (1998), nous nous demandions si le
commerce équitable se limitait en pratique à réduire les effets d'une crise pour ensuite se
réduire à un marché sur lequel les producteurs pourraient compter lorsque les cours mondiaux
seraient trop bas. Comme nous l'avons démontré jusqu'ici, le commerce équitable ne
constitue pas à lui seul la réponse à la crise du coton vécue par les producteurs indiens. Selon
nos résultats, le commerce équitable pennet une amélioration des conditions de vie des
producteurs de coton en proie à la crise du coton, mais à la condition que les pratiques qu'il
encourage soient jumelées aux pratiques de l'agriculture biologique ct complétées par
l'intervention d'un intervenant spécialisé tel qu'Agrocel. Aussi, même dans ce cas de figure,
le commerce équitable ne permet pas de répondre de manière durable à la crise du coton, car
il encourage la surproduction de coton à l'échelle mondiale, repose sur une demande des
consommateurs que nous jugeons instable à long terme, et offre un prix qui, aux dires des
producteurs interrogés, s'avère tout juste supérieur au prix conventionnel. Toutefois, si,
comme nous le précisions plus tôt, l'idée d'un revenu plus élevé constitue le principal
incitatif dans l'adhésion des producteurs à l'associalion, et J'un de ses bénéfices les plus
importants du point de vue des producteurs, ces derniers adhèrent aux principes qu'il met de
l'avant, à savoir des pratiques agricoles écologiques, la non exploitation, la transparence ct
l'interdiction de faire travailler les enfants. En parallèle, nous Icnons J'équité, Cl plus
généralement l'amélioration des relations entre les producteurs grâce à la mise en place du
comité décisionnel de l'association comme une, si cc n'est la réussite du commerce équitable.
244
Dans le cadre de ce mémoire, nous nous sommes interrogée sur le potentiel du commerce
équitable à répondre à la crise du coton, puis au type de développement qu'il promouvait en
pratique. Nous sommes arrivés à la conclusion que sa capacité à émanciper et politiser ou non
les producteurs qu'il soutient de manière à ce qu'il puissent faire face à leurs gouvernements
pour leur demander de se préoccuper davantage de leurs agriculteurs et de leur
environnement était cruciale au succès de sa mission et à sa pérennité en tant qu'alternative
politique et économique. Lorsque nous nous sommes posé celte question pour la première
fois, nous envisagions une réponse positive comme le signe d'un équilibre entre les
prétentions politiques et économiques du mouvement équitable et la possibilité de constituer
une alternative efficace et surtout durable au système commercial conventionnel.
Nous envisagions une réponse négative comme le signe de la primauté des aspirations
économiques du mouvement sur ses prétentions politiques, et ainsi le mouvement équitable, à
l'instar de ce que déplorent Raynolds et Long (2007), comme une niche de marché
susceptible de se résumer à un meilleur prix pour les producteurs et à l'apposition d'un logo
sur un produit pour qu'il soit facilement reconnaissable pour les consommateurs.
Nos résultats nous dirigent toutefois vers une troisième voie, à savoir l'élaboration d'une
politisation informelle des producteurs par leur regroupement au sein d'une organisation
démocratique, dans un contexte de crise économique. Nous avons mis en évidence les
possibles et nécessaires retombées de cette première mobilisation, et qui dépassent, comme
nous l'avons vu, la simple définition du commerce équitable en termes d'économie ou de
politique La mise en place d'une organisation de producteurs dans le cadre d'un projet de
contrat de production permet avant tout à ceux-ci de réaliser que le changement est possible.
Cette politisation demeure informelle du fait que Je commerce équitable n'est pas compris en
termes d'opposition au commerce conventionnel, mais davantage comme une initiative
caritative, ou comme l'initiative d'Agrocel, en termes de marché. De même, la plupal1 des
producteurs envisagent uniquement leur participation à la gestion de l'organisation dans leur
participation aux prises de décisions ayant trait à la façon de dépenser la prime équitable.
Ainsi, nous sommes d'avis que les producteurs interrogés ne se considèrent pas comme des
acteurs de changement, mais comme les témoins d'un changement. Nous supposons
245
Cet état de fait nous ramène à un nouveau constat. Si le corrunerce équitable est né de
J'initiative d'organisations de productcurs politisés au Mexique, puis en Amérique du Sud,
pour finalement étendre sa toile sur tous les continents, nous soulignons que le contexte
culturel d'un pays influe considérablement sur sa mise en application ct sa pertinence. En
Inde, et certainement ailleurs, les producteurs les plus marginalisés ne sont pas
nécessairement politisés et de ce fait, ne disposent pas des moyens suffisants à l'intégration
au mouvement équitable. Nous pensons en ce sens que le concept de projet de contrat de
production représente une avancée de taille.
Nous avons observé néanmoins que l'accompagnement des producteurs dans la mise en place
d'une organisation équitable et le respect des critères du commerce équitable peut constituer
un [rein à l'autonumisation el à j'émancipation de cette organisation. Toutefois, étant donné
le succès de cette dernière dans le regroupement des producteurs, nous estimons que Je
concept de projet de contrat de production est une réussitc. Car c'est bien parce qu'ils ont
confiance envers l'entreprise Agrocel que les productcurs dc l'organisation ont choisi
d'intégrer le mouvement équitable.
Ainsi, nous soutenons que si la réelle ambition du commerce équitable est d'améliorer les
conditions de vie des petits producteurs défavorisés par le système commercial international,
246
le commerce équitable compris dans le cadre de projet de contrat de production est efficace.
Sous cet angle, peu importe qu'il soit compris par les producteurs comme une initiative
caritative ou comme une alternative au commerce conventionnel.
Cependant, dans le discours qu'en font ses promoteurs, le commerce équitable prétend non
seulement répondre au slogan Trade no! Aid, en s'opposant à la logique caritative promue par
les programmes de développement de l'après-guerre, mais il affirme également contribuer au
développement durable en intégrant de façon équilibrée des considérations d'ordre social,
économique, et environnemental et en faisant de l'équité son fer de lance. Sur ces points,
notre étude de cas démontre que le commerce équitable ne rencontre que partiellement ses
objectifs. D'une part, il ne répond pas au slogan Trade no! Aid mais plutôt à celui de Trade
and A id, et d'autre part, il n'intègre pas de façon équilibrée les considérations d'ordre social,
économique et environnemental auxquelles il prétend pourtant adhérer, à moins d'être
accompagné des principes de l'agriculture biologique et du soutien d'Agrocel. D'où le
questionnement: le commerce équitable, en Inde, vecteur de quel développement?
Dans la visée du développement durable avancée par Gendron et Revéret, si l'humain est
perçu comme la visée du développement, l'économie et le respect de l'environnement en
constituent respectivement le moyen et la condition, en faisant de l'équité à la fois Je but, Je
moyen et la condition. Mais selon les auteurs, davantage qu'une série de clitères à appliquer
pour en constater les effets, le développement durable constitue surtout un appel à la
durabilité, et donc au changement social, économique et écologique. C'est d'ailleurs dans
cette perspective qu'il peut être pensé en termes de manœuvres et de choix dans les
contraintes qui caractérisent la structure internationale actuelle, dans notre cas la crise du
coton dans l'ajustement structurel indien.
Comme nous l'avons montré tout au long de ce chapitre, le commerce équitable ne répond
que partiellement à la crise du coton en Inde et en accentue même les effets en encourageant
sa surproduction à l'échelle mondiale. De plus, il ne peut fonctionner sans l'appui d'une
entreprise locale et les principes de l' agliculture biologique, et risque d'entraîner une
dépendance des producteurs pour cette entreprise et de ralentir à la fois son autonomisation .et
les avancées que le mouvement cherche à mettre de l'avant.
247
Ces limites placent Je commerce équitable dans la lignée de l'approche des besoins essentiels
et du développement participatif, mais Je maintiennent dans une logique de développement
imposée du Nord au Sud: les organisations de commerce équitable dictent les règles du
commerce équitable à Agrocel, qui les dicte ensuite aux producteurs. Ces derniers décident
finalement d'utiliser la prime équitable selon leurs besoins, mais toujours selon les conseils
d'Agrocel. Ainsi, à prime abord, dans Je cas étudié, Je commerce équitable ne saurait
constituer un modèle de développement durable.
Toutefois, à la lumière des bénéfices qu'il a su engendrer auprès des producteurs interrogés
(notamment une plus grande équité à travers la mise en place de l'association et une nouvelle
lueur d'espoir chez les producteurs rencontrés) et des amélior.ations qu' i1 vise au niveau
économique et environnemental, nous estimons que le commerce équitable a su replacer
l'humain au centre du développement pour amener un changement positif dans les pratiques
actuelles. Si le commerce équitable ne constitue pas un modèle de développement durable à
prbprcment parler, puisqu'il n'offre qu'une réponse ponctuelle à la crise du coton, ct
maintient Je rôle d'exportateur de matières premières des pays du Sud ct donc leur
dépendance envers les pays du Nord, il incarne le potentiel de transformation du
développement durable et nous montre que l'effet des contraintes qui caractérisent l'ordre
international actuel peut être réduit, voire transformé.
Ainsi, dans le cadre de projets de contrat de production, nous sommes d'avis que la
compréhension que les producteurs se font du commerce équitable constituc l'un des plus
grands défis du mouvement, parce qu'el le conditionne en quelque sorle le développement
promu par celui-ci, et ses retombées à long terme. Que penser d'un mouvement qui invoque
une relation d'équité entre deux partenaires commerciaux mais dont l'un d'eux, le
producteur, n'envisage en réalité son rapport au partenariat commercial quc dans une logique
de charité ou de seule opportunité économique, et ne saisit pas les ambitions politiques qui le
portent?
Dans le cas du coton indien, il semble que le contexte de l'ajustement structurel ne soit pas la
seule entrave à la mise en pratique d'un développement durable: dans Je cas du commerce
équitable, le type d'aide octroyé aux pays du Sud depuis l'après-guerre conditionne
également la compréhension du mouvement et ultimement la mise en place d'un
248
Notre travail de recherche touche ici à sa fin. Il fut l'occasion de discuter des conditions
d'émergence d'un développement durable dans un contexte d'ajustement structurel, et plus
précisément de voir comment le commerce équitable, mouvement qui se revendique du
développement durable, pouvait constituer une réponse à la crise du coton en Inde.
Dans notre premier chapitre, nous avons tout d'abord présenté les principales théories du
développement, du développement au développement durable. Nous avons établi que le
concept de développement durable, tout en s'inscrivant dans la lignée des théories sur le
développement d'après-guerre, incluait pour la première fois des préoccupations sociales,
économiques et environnementales, susceptibles de rééquilibrer les aspirations et les besoins
des hommes, au Nord comme au Sud. En suivant le raisonnement de Bélcm (2006), nous
avons toutefois posé l'émergence d'un développement durable dans les pays sous ajustement
structurel comme un défi, cOlnpte tenu des objectif" essentiellement économiques que ces
pays ont adopté. Afin d'illustrer nos propos, nous avons exposé la façon dont était pratiquée
en Inde, pays sous ajustement structurel, la production de coton, secteur crucial à l'économie
du pays. Après avoir dressé un bilan historique de la production de coton en Inde et exposé
ses conséquences sociales, économiques et environnementales, nous avons vu que le secteur
cotonnier indien était sujet à une crise sans précédent. Nous avons alors présenté la nécessité
d'encourager au sein de cette activité des pratiques plus soucieuses des hommes et de leur
environnement et conclu que seules des propositions allernatives jusque là inaudibles
pouvaient y parvenir pour faire du secteur cotonnier indien un secteur plus durable.
Dans notre second chapitre, nous avons posé le mouvement du commerce équitable comme
une réponse potentielle à la crise du coton indienne. Non seu lement le commerce équitable
s'oppose aux règles actuelles du commerce conventionnel et propose de redonner au
commerce un visage humain, en cherchant à améliorer les termes de l'échange entre les
producteurs marginalisés du Sud ct les consommateurs du Nord, mais il sc revendique du
développement durable en prétendant contribuer à long terme à l'amélioration des conditions
de vie des producteurs du Sud. En regardant plus allentivemcnt la façon dont le mouvement
250
entrevoie son partenariat avec les producteurs du Sud, c'est-à-dire en nous penchant sur les
critères du commerce équitable destinés aux organisations de producteurs, nous nous sommes
aperçue que seuls les producteurs disposant de moyens financiers, organisationnels et
opérationnels pouvaient réellement bénéficier du commerce équitable. En 2005 cependant, la
responsable du fonctionnement de la filière labellisée du commerce équitable, l'organisation
FLO, a lancé une série de critères destinés aux organisations de producteurs sous projet de
contrat de production, c'est-à-dire des critères destinés à des organisations de producteurs
insérées dans le réseau équitable par l'intermédiaire d'une organisation externe qui s'engage
à accompagner les producteurs jusqu'à ce qu'ils soient autonomes. Dans le contexte indien où
les producteurs de coton sont pour la plupart marginalisés au point de ne pas être en mesure
de prendre connaissance de nouvelles opportunités commerciales, et de se plier aux critères
requis pour y adhérer, cette série de critères nous a semblé pertinente. Puis, nous nous
sommes intéressée à la façon dont le commerce équitable prévoyait de répondre à la crise du
coton, et à l'instar de Johnson (1998), nous nous sommes demandée si le mouvement ne
constituait en fait qu'une réponse ponctuelle à la crise du coton et si ses prétentions politiques
de renversement du système commercial conventionnel s'estompaient sous le poids de ses
aspirations économiques. Nous avons alors établi que pour être capable de contribuer à
J'amélioration des conditions de vie des producteurs marginalisés à long terme, le commerce
équitable devait permettre aux producteurs du Sud de s'émanciper du système commercial
conventionnel et de porter leurs revendications auprès de leur gouvernement de manière à ce
que ce dernier se préoccupe davantage de ses agriculteurs et de leur environnement. En
d'autres termes, nous avons posé les producteurs du Sud insérés dans Je mouvement du
commerce équitable comme les promoteurs du développement durable dans un conlexte
d'ajustement structurel.
Trois questions ont émergé de notre raisonnement et nous ont guidé dans la suite de ce
travail: Le commerce équitable constitue-t-il une solution à la crise du coton en Inde? Le
concept de projet de contrat de production permet-il aux producteurs marginalisés d'intégrer
le mouvement équitable et de respecter ses critères? Dans Je cadre de projets de contrat de
production, le commerce équitable permet-il d'émanciper du commerce conventionnel les
producteurs qui en adoptent la certification, voire de s'y opposer en développant des
revendications en faveur d'un commerce plus juste auprès de leur gouvernement?
251
Afin de répondre à ces questions qui s'inscrivent dans une perspective constructiviste et nous
ont amenée à adopter une démarche de type qualitatif, nous avons choisi d'utiliser l'étude de
cas comme stratégie de recherche compréhensive (Yin, 2003). Plus précisément, nous avons
opté pour l'étude d'un cas, c'est-à-dire celui d'une organisation indienne de producteurs de
coton sous projet de contrat de production. Après avoir expliqué la pertinence de l'étude de
cas et le choix du cas sélectionné, nous avons présenté notre stratégie de collecte de données,
à savoir l'observation partici pante et la tenue d'entrevues auprès des producteurs de
l'organisation et de ses chargés de projet. Nous avons précisé que notre stratégie de collecte
de données s'appuyait sur une grille de colJecte de données particulière. Puis, nous avons
décrit le déroulement de notre séjour en lnde et la façon dont nous prévoyions d'analyser les
données obtenues, soit la réalisation d'une monographie de l'organisation étudiée ct l'analyse
du discours des producteurs interrogés. Tout au long de ce troisième chapitre, nous avons
exposé la façon dont nous allions nous assurer de la validité de notre recherche. De manière
générale, la méthodologie que nous avions J'intention d'adopter durant notre étude de terrain
a été suivie. Toutefois, si nous envisagions d'effectuer une observation participante prolongée
au sein de l'organisation, nous avons du sur le terrain nous limiter à trois séjours auprès des
producteurs de l'organisation. Nous avons cependant eu l'impression d'avoir été acceptée et
appréciée en tant que chercheur sur le terrain, et que les réponses générées par nos répondants
étaient directes et non biaisées. Le fait de ne pas parler couramment le Gujarati, langue parlée
par les producteurs de l'organisation, nous amène toutefois à penser que les propos de ces
derniers n'ont pas été saisis dans tout leur potentiel. Si nous avons réussi à compenser cet
inconvénient en préservant les témoignages de toutes les personnes présentes lors de chacune
de nos entrevues, nous soutenons que dans le cadre d'une nouvelle recherche dans la région,
il s'avèrerait essentiel de recourir à un véritable traductcur.
C'est dans les chapitres IV et V de ce mémoire que nous avons présenté nos résultats de
recherche. Le chapitre IV présentait la monographie de l'organisation étudiée ct le chapitre V
le discours des producteurs interrogés. ]1 ressort de ces deux chapitres que le commerce
équitable constitue en effet une réponse ponctuelle à la crise du coton vécue par les
producteurs de l'organisation étudiée, surtout si l'on tient compte de l'instabilité à long terme
du marché de coton équitable. Aussi, alors que la production de coton en Inde est vouée
principalement à servir les besoins de J'industrie textile du pays, le commerce équitable tend
252
à encourager le rôle d'exportateur de l'Inde en coton vers les pays du Nord, ce qui accentue la
relation de dépendance de l'Inde envers ces pays.
Le commerce équitable constitue également une réponse limitée à la crise du coton en Inde
du fait de l'iniquité du prix dit équitable que le mouvement met de l'avant. Le commerce
équitable propose en effet un prix dit équitable aux producteurs de coton, mais il s'avère que
celui-ci, même si supérieur au prix conventionnel, leur suffit à peine à couvrir leurs coûts de
production, sans les aider à réaliser des économies substantielles. De même, la prime
équitable offerte à l'organisation par kg de coton ,est jugée par nos répondants comme
insuffisante, particulièrement si l'on considère le temps et les efforts nécessaires à la
production de coton dans le respect de l'environnement. Nous remettons également en
question le principe de préfinancement avancé par le commerce équitable, tar si les
producteurs rencontrés ont davantage accès au crédit qu'auparavant lorsqu'ils cultivaient du
coton de manière conventionnelle, ils n'ont pas accès à un paiement en avance qui puisse leur
éviter de s'endetter.
Aussi, nous avons établi que les impacts engendrés par les pratiques de l'agriculture
biologique et le soutien d'un groupe porteur étaient aux yeux de nos répondants plus
conséquents que ceux du commerce équitable. Par ailleurs, si nos répondants connaissent le
terme « agriculture biologique », ils ne connaissent pas toujours le terme « commerce
équitable ». Les producteurs interrogés ne saisissent pas ]a notion de partenariat commercial
lorsqu'il s'agit de leur relation avec les consommateurs, mais la saisissent lorsqu'il s'agit de
leur groupe pOl1eur. Compte tenu du fait que Je groupe pOJ1Cur de l'association promeut des
pratiques qu'il qualifie de durables et d'équitables depuis une dizaine d'années, incluant
253
redonner espoir. Mais pour que le mouvement équitable dépasse son statut de slogan et fasse
de ses aspirations politiques un vecteur de changement économique plus global, il doit
encourager les producteurs à devenir des acteurs de changement davantage que des témoins
de changement.
Nous souhaitons conclure sur quelques recommandations pour le mouvement équitable issues
de nos réflexions. Dans un premier temps, si Je mouvement équitable souhaite bénéficier
comme il le prétend aux producteurs marginalisés du Sud, davantage qu'à des producteurs
disposant déjà de moyens financiers, opérationnels et organisationnels, il doit d'une part se
faire connaître d'eux, et d'une autre faciliter leur insertion en son sein. Le concept de projet
de contrat de production nous semble en ce sens extrêmement pertineni, et devrait selon nous
être attaché à d'autres produits que le coton et le riz, dans d'autres pays que l'Inde et le
Pakistan.
Dans un deuxième temps, nous avons constaté que les pratiques promues par l'agriculture
biologique pe!mettaient dans le cas étudié de réduire les coûts de production des producteurs
interrogés, de réduire leurs problèmes de santé, d'accroître leurs rendements de coton, de
toucher une prime, d'améliorer la qualité des sols, de réduire leurs besoins d'irrigation et
d'encourager la régénération de la faune et de la flore. Nous considérons que le mouvement
équitable, particulièrement dans le cas du coton, bénéficie aux petits producteurs en
encourageant ce type de pratiques. Toutefois, comme nous l'avons montré dans nos résultats,
si les pratiques agricoles biologiques semblent faciles à adopter, elles nécessitent en fait de
nombreux efforts de la part des producteurs impliqués, particulièrement lorsque ces derniers
cherchent à les appliquer sur des sols peu fertiles, à la suite d'une utilisation intensive
d'intrants chimiques. Ainsi, nous considérons à nouveau Je concept de projet de contrat de
production, dans le soutien aux producteurs qu'il met de l'<lvant. L'agriculture biologique, ou
du moins des pratiques agricoles écologiques, devraient selon nous être promues par le
mouvement équitable, non seulement dans les critères qui régissent J'ensemble des produits
agricoles équitables, mais aussi dans le travail de sensibilisation que le mouvement effectue
auprès des instances internationales, et ce, au Nord comme au Sud. Car pour assurer la
pérennité des changements qu'il met de J'avant et sa survie, nous sommes d'avis que le
commerce équitable ne devrait pas reposer sur la seule demande des consommateurs au Nord.
Ainsi, nous estimons que les producteurs du Sud devraient être davantage inclus dans les
255
décisions qui les affectent et devenir parties prenantes du mouvement équitable. Dans le cas
des producteurs ayant intégré le mouvement par l'intermédiaire d'un groupe porteur, il reste
un long travail à effectuer afin que ces derniers réalisent que le conunerce équitable constitue
davantage qu'une meilleure opportunité commerciale et qu'il dispose d'un potentiel de
changement des règles commerciales conventionnelles. Mais en règle générale, les
organisations de commerce équitable au Nord devraient davantage s'impliquer auprès des
organisations de commerce équitable au Sud, afin que ces dernières puissent à leur tour
apporter leur soutien aux organisations de producteurs et militer auprès de leurs
gouvernements pour un changement des pratiques agricoles actuelles. Ce faisant, le
mouvement équitable dépasserait son statut de slogan pour devenir un véritable mouvement
de transformation.
APPENDICE A
LISTE DE CODES TRIÉS PAR FRÉQUENCE
Code-Filter: Ali
HU: producteur18.doc
File: [C:\Documents and Settings\Alice F\Bureau\producteurs\producteur18.doc.hprS]
Edited by: Super
Date/Time: 10/12/0812:31:42
Agrocel
Producteurs
Agriculture biologique
Commerce équitable
Agriculture conventionnelle
Pratiques agricoles écologiques
Comité
Financement
Avantages financiers
Intrants biologiques
Irrigation
Culture de coton
Défis
Médiation
Prix
Intrants chimiques
Equipement et infrasructures
Information/communication
Difficultés financières
Education
Economie
Avantages rendement
Consommateurs
Utilisation de la prime équitable
Coton
Acheteur
Relations entre producteurs
Gestion de l'organisation
Assistance technique
Limites
Prise de décision
Satisfaction
Dégradation de "environnement
Commerçants locaux
258
Agricu Iture
Effort
Formation technique
Protection de l'environnement
Culture vivrière
Connaissances
Fournisseur
Revenu additionnel
Avantages qualité
Prime équitable
Semences
Accès au crédit
Message aux consommateurs
Projets futurs
Marché
Diffusion
Aspirations
Insuffisance
Eau potable
Qualité
Sécheresse
Information
Famille
Rendement
Aide
Unité
Absence d'intrants chimiques
ONG
Santé
Transport du coton
Gouvernement
Relations hommes/femmes
Rotation des cultures
Réponse
Critères du commerce équitable
Exploitation
Revenu
Paiement
Dépenses
Main d'oeuvre
Environnement
Confiance
Héritage
APFCGA
Variété de coton
Solidarité
Membership
Faible rendement
Problèmes de santé
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