Directions de Avenir
Directions de Avenir
Directions de Avenir
[1771-1955]
jésuite, paléontologue et philosophe français
(1973)
LES DIRECTIONS
DE L’AVENIR
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à partir du livre de :
Paris : Les Éditions du Seuil, 1973, 236 pp. Collection : Oeuvres de Pierre Teil-
hard de Chardin, no 11.
LES DIRECTIONS
DE L’AVENIR
Paris : Les Éditions du Seuil, 1973, 236 pp. Collection : Oeuvres de Pierre
Teilhard de Chardin, no 11.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 5
Avertissement:
[4]
I. LE PHÉNOMÈNE HUMAIN
II. L'APPARITION DE L'HOMME
III. LA VISION DU PASSÉ
IV. LE MILIEU DIVIN
V. L'AVENIR DE L'HOMME
VI. L'ÉNERGIE HUMAINE
VII. L'ACTIVATION DE L'ÉNERGIE
VIII. LA PLACE DE L'HOMME DANS LA NATURE
IX. SCIENCE ET CHRIST
X. COMMENT JE CROIS
HYMNE DE L'UNIVERS
ÊTRE PLUS
RÉFLEXION ET PRIÈRES DANS L'ESPACE-TEMPS
LA MESSE SUR LE MONDE
SUR LE BONHEUR / SUR L'AMOUR / LE PRÊTRE
MON UNIVERS
IMAGES ET PAROLES
JE M'EXPLIQUE. textes réunis et présentés par J.-P. Demoulin
CAHIERS :
TOUJOURS EN AVANT
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 8
[7]
publié
sous le Haut Patronage
de Sa Majesté la Reine Marie-José
et sous le patronage
1. d'un Comité scientifique
II. d'un Comité général
I. COMITÉ SCIENTIFIQUE
ROMER (Alfred Sherwood), Ph. D., Sc. D., Director of the Museum of
Comparative Zoology and Alexander Agas-
siz, Professor of Zoology, Harvard Univer-
sity (U.S.A.).
TERMIER (Henri), Professeur à la Sorbonne.
TERRA (Dr Helmut de), Former Research Associate, Columbia Uni-
versity (U.S.A.).
TOYNBEE (Sir Arnold J.), Director of Studies, Royal Institute of Inter-
national Affairs, Rescarch Professor of In-
ternational History, London University.
VALLOIS (Dr Henri Victor), Professeur au Museum Nat ional d'Histoire
Naturelle, Directeur honoraire du Musée de
l'Homme, Membre de l'Académie de Méde-
cine.
VANDEL (Albert), Membre non résidant de l'Académie des
Sciences.
† VAUFREY (Raymond), Professeur à l'Institut de Paléontologie hu-
maine.
VIRET (Jean), Professeur à la Faculté des Sciences de
Lyon.
WESTOLL (Stanley), Professor of Geology at King's College in
the University of Durham.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 11
[11]
Sous le patronage de
AVANT-PROPOS, par le Père Wildiers
[13]
AVANT-PROPOS
N. M. WILDIERS
Dr en Théologie
[19]
1
LE SENS HUMAIN
[21]
N.-B. - Toutes les notes qui ne portent pas l'indication N.D.E. sont du Père
Teilhard de Chardin.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 21
Il n'est guère de travail plus pénible à notre esprit (ni qui se heurte
plus vite à un effort impossible) que de sortir de soi-même pour re-
trouver la pensée de ceux qui sont spirituellement loin de lui. Quelle
pouvait être la vision intérieure d'un Homme pour qui la Terre était
plate, les cieux concaves, l'Espace limité, le Temps circonscrit et ho-
mogène ? Qui donc se coulera, sans la déformer, dans l'âme d'un An-
cien, d'un Primitif ou d'une Bête ?
Nous sommes tellement familiarisés, aujourd'hui, avec les notions
(bien ou mal comprises) de Progrès, de Devenir, d'Humanité, que
nous avons bien de la peine à ne pas les joindre au lot d'idées essen-
tielles qui constituaient le fonds intellectuel de Platon, d'Aristote ou de
saint Thomas. Si ces grands esprits n'ont pas disserté comme nous de
ces choses qui nous occupent tant, c'est, dirions-nous pour un peu,
qu'après les avoir pesées ils les ont dédaignées.
Et pourtant il faut nous rendre à l'évidence historique. Plus puis-
sants peut-être, individuellement, qu'aucun penseur actuel, ni Aristote,
ni Platon, ni saint Thomas, n'ont aperçu le Monde comme nous le
voyons aujourd'hui, parce que l'Humanité générale dont ils faisaient
partie n'était pas encore mûre , à leur époque, pour une semblable vi-
sion. Ils ont eu, c'est évident, une certaine perception de la solidarité
humaine, et des changements humains. Mais ces changements n'ont
jamais été plus, dans leur idée, que diversification accidentelle ou ré-
pétition [23] de cycles monotones ; ni cette solidarité autre chose
qu'une liaison spéculative ou juridique. Pour la pensée chrétienne, no-
tamment, jusqu'au XVIIIe siècle (et même au-delà !) le sort de l'indi-
vidu (considéré du reste presque uniquement dans ses zones « surnatu-
relles ») a complètement masqué les destinées collectives de l'Ensem-
ble. Dans l'idée des théologiens et des moralistes d'hier (et trop sou-
vent encore aujourd'hui...), il y avait bien des affaires d'hommes, -
mais il n'y avait pas d'Affaire Humaine, et - encore moins d'Affaire
Universelle, spécifiques, engagées dans la Création.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 22
eux, sous nos yeux, - malgré bien des révoltes, et pourtant dans une
ivresse supérieure - peuples et individus. C'est la constitution, actuel-
lement en cours, du bloc organisé humain, puissant et autonome, - la
prise en masse de l'Humanité.
7 Et c'est aussi, observons-le, ce qui fait notre civilisation, dans son essence,
aussi différente que possible du vieux paganisme grec, auquel on essaie par-
fois de la comparer.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 27
esprit est partout autour d'eux ; et, s'il ne parle pas par leur bouche, du
moins il se fait entendre - d'eux, - ou bien il les juge. L'aviateur qui se
tue en établissant une ligne postale ; le grimpeur qui risque sa peau en
escaladant le mont Everest ; le médecin qui perd ses membres au
contact des rayons X ; tous ceux, en somme, qui sont les pionniers
actuels de l'Humanité, obéissent, fondamentalement, au besoin de
coopérer à une grande réussite qui les dépasse. Ils le disent dans leurs
testaments, dans leurs dernières paroles, dans leurs livres 8 . Et on les
comprend. Et ceux qui ne les comprennent pas, on les méprise. L'ap-
pui moral cherché dans la conscience de faire grandir le Monde en
faisant grandir l'Humanité tend à devenir un ressort normal et habi-
tuel de toute action humaine. Quel prodigieux changement depuis
Pascal et depuis Bossuet !
Dans cet éveil des responsabilités et des aspirations unitaires, en
quoi consiste proprement le Sens Humain, il serait légitime de recon-
naître la face psychologique, et donc la manifestation [30] expérimen-
tale, de ce que nous avons appelé ailleurs « la Noosphère ». Si l'Hu-
manité ne constituait pas, physiquement et biologiquement, une unité
naturelle, douée de certaines puissances spécifiques d'organisation et
de croissance, comment éprouverait-elle une âme commune ?
Laissons de côté, ici, la Noosphère ; et contentons-nous d'appro-
fondir un peu plus la nature et la portée psychologique du grand mou-
vement intérieur dont nous venons de saisir la naissance et le premier
développement. Que représente, au juste, dans l'histoire de la pensée
terrestre, l'apparition du Sens Humain ?
À cette question, nous devons répondre : « Rien autre chose qu'un
puissant phénomène d'ordre religieux ».
Par nature, le Sens Humain rapproche et anime les Hommes dans
l'attente d'un Avenir, c'est-à-dire dans la certitude d'une Réalisation
dont l'existence, bien que strictement indémontrable, est cependant
admise avec une assurance plus grande que si elle était touchée et dé-
montrée. Il est une Foi.
Par nature, encore, à la préparation et au service de cette grande
Chose pressentie, le même Sens Humain subordonne la totalité des
activités qu'il dirige en dernier ressort. L'œuvre en cours dans l'Uni-
vers, le mystérieux aboutissement auquel nous collaborons, est « le
Plus Grand » devant lequel il faut que, pour réussir, tout cède, et tout
se sacrifie. Le Sens Humain est un appel au Renoncement.
Foi et Renoncement : ne sont-ce pas là les deux attributs essentiels
de toute adoration ?
En vérité, ce que les Hommes subissent en ce moment, sous l'inva-
sion du Sens Humain, c'est littéralement une conversion profonde,
consécutive à la révélation naturelle de leur situation et de leur voca-
tion dans l'Univers.
Or, ne nous y trompons pas ; et ne confondons pas ce qui se passe
avec l'éclosion et la propagation d'une Religion particulière quel-
conque. L'Événement actuel est beaucoup plus considérable que l'avè-
nement du Bouddhisme ou de l'Islamisme 9 . [31] Il ne s'agit pas seu-
lement, de nos jours, de l'application spéciale, faite à telle ou telle Di-
vinité, des facultés religieuses humaines. C'est la puissance religieuse
même de la Terre qui subit en nous, à l'heure qu'il est, une crise défi-
nitive, - celle de sa propre découverte. Il semble que nous retrouvions,
dans de très vieilles représentations humaines, les vestiges de cette
idée que « chercher à savoir » est mauvais, et défendu par Dieu. Plus
tard, l'Évangile pourrait sembler avoir enseigné que toute lutte pour
grandir humainement est chose inutile 10 . Et voici que le moment est
11 Six ans plus tard, dans Quelques Réflexions sur la Conversion du Monde
(Science et Christ, in (Oeuvres, t. IX, p. 166), Teilhard devait affirmer énergi-
quement : « Je pense que le Monde ne se convertira aux espérances célestes
du Christianisme que si, préalablement, le Christianisme se convertit (pour les
diviniser) aux espérances de la Terre. » (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 30
b) Le malaise chrétien.
C'est déjà (combien me l'ont dit!) l'attente inquiète d'un Évangile nou-
veau.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Si chaudement isolés et enveloppés d'orthodoxie qu'elle cherche à
maintenir les croyants, l'Église ne peut éviter que [35] ses fidèles pui-
sent dans le réservoir commun de la sève humaine l'énergie religieuse
naturelle qui alimente en eux la foi « surnaturelle » en Dieu. Or, nous
l'avons dit, c'est cette énergie religieuse primordiale elle-même qui, du
fait de l'éveil du Sens Humain, est en voie de métamorphose. Entraîné
dans son point d'appui, le chrétien, qu'il le veuille ou non, s'échappe
donc à lui-même. Ses yeux deviennent autres, et son cœur aussi.
Comment continuerait-il à trouver, dans les mêmes images et les mê-
mes promesses, les mêmes satisfactions et la même ardeur ? - Il peut
bien chercher à se persuader qu'à croit encore au primat de la Chute,
de l'expiation, et du mépris des choses 12 . Déjà il se force, - et même il
se fausse. Il y a des perspectives que nous n'admettrons jamais plus,
parce qu'elles sont devenues étrangères à l'âme humaine. - jamais per-
sonne n'a pu rallumer un amour qui s'éteint.
c) La réaction officielle.
d) Le Salut du Monde.
13 En fait, par suite du changement qui s'est opéré, ainsi que nous avons dit, dans
la puissance religieuse humaine fondamentale, toute la littérature religieuse
actuelle, parce qu'elle a été écrite, soit avant cet événement, soit saris en tenir
compte, depuis, est en partie périmée : non pas en ce sens qu'elle soit devenue
fausse ou inutile, mais en ce sens qu'elle doit se plier au CHANGEMENT DE
COURBURE subi récemment par l' « anima naturaliter christiana » du fait de
l'apparition de cette dimension nouvelle : le Sens Humain. Reconnaissons
donc franchement la situation : non seulement l'Imitation de Jésus-Christ,
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 37
[43]
CONCLUSION
14 Remarquons-le : l'écrit est de1929. Depuis, une partie des chrétiens a passé, de
l'écueil que signale ici l'auteur, à l'écueil opposé. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 40
[45]
2
LA ROUTE DE L'OUEST
VERS UNE MYSTIQUE NOUVELLE
[47]
1. LA VOIE ORIENTALE
sans effort, les sommets spirituels où nous nous haussons avec tant de
lenteur. Mais bien à tort. En droit et en fait, la divine vertu de l'unité
se découvre en raison directe de la différenciation du multiple qui
s'oppose à elle. Il faut avoir reçu distinctement et violemment la sépa-
ration et l'antagonisme des éléments cosmiques pour pouvoir se griser
au sentiment de leur liaison profonde et de leur confluence anticipée.
La Prélogique (dans la mesure où elle existe) ne connaît qu'une pré-
religion et une pré-mystique.
Le premier courant de vraie mystique (c'est-à-dire de tendance à
l'union universelle). dont les traces aient été conservées par l'histoire
écrite, et dont l'influence se prolonge distinctement jusque dans la
pensée moderne, est celui qui, né dans l'Inde quelque cinq ou dix siè-
cles avant l'ère chrétienne, a longtemps fait de cette contrée le pôle
religieux de la Terre 16 .
[50]
Nous ne savons si quelque historien a pu encore déterminer à quels
antécédents psycho- ou physiologiques, à quels raffinements de cultu-
re ou de pensée a pu répondre (comme un effet direct ou comme une
réaction) la formation de ce « cyclone » mystique sur les plaines du
Gange. Mais les résultats de ce fait extraordinaire sont toujours sous
nos yeux : la plus belle moitié de l'Humanité, à un moment donné,
s'est trouvée unanime pour croire en l'unité essentielle de la Nature, et
penser que cette unité ne pouvait s'obtenir que par une détente de
l'Univers.
16 Rien d'aussi peu mystique (au sens ici admis) que les anciennes parties de la
Bible. Le monothéisme juif, à ses débuts au moins, est anthropomorphique,
beaucoup plus que « cosmique ».
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 45
[65]
3
L’ÉVOLUTION DE
LA CHASTETÉ
[67]
Depuis que les religions existent, elles ont toujours tendu à s'ex-
primer, dans leurs manifestations les plus hautes, sous la forme de la
chasteté. Bouddhisme aussi bien que Christianisme. Pour le « par-
fait », vaincre l'attrait sexuel apparaît toujours, en fin de compte,
comme l'expression suprême du triomphe de l'esprit.
Je ne chercherai pas ici à contester, mais plutôt à justifier la valeur
profonde de ce geste. Par sa spontanéité et son universalité l'appel à la
chasteté me paraît tenir de trop près aux instincts infaillibles de la Vie
pour qu'il soit possible de le considérer comme une valeur périmée.
Cependant, en cette matière comme en tant d'autres, je crois recon-
naître que nous sommes encore loin d'avoir fixé avec précision la na-
ture de ce que nous sentons, La conscience ne progresse-t-elle pas par
tâtonnements, approximations successives ? Un élément précieux, si-
gnificatif, et opérant, se cache, j'en suis sûr, au fond de l'idée de virgi-
nité. Mais cette idée, j'en suis non moins sûr, n'a pas encore trouvé sa
formule satisfaisante dans la pratique, ni dans la théorie. Doute né de
mon expérience personnelle. Doute accru par le nombre croissant des
esprits élevés et sincères qui ne voient plus rien de moralement beau
dans les restrictions de l'ascèse.
La chasteté ne se projette plus qu'en flou sur notre Univers physi-
que et moral. Elle continue, soit à se traduire en mots et en systèmes
vieillis, - soit à se justifier par un complexe [68] de raisons disparates
dont beaucoup ne nous émeuvent plus. Il s'agit de définir exactement
ce qui fait son excellence, - et, pour cela, de la rattacher distinctement
à la structure et aux valeurs du Monde d'aujourd'hui.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 59
Ces deux règles couvrent avec succès la majorité des cas ; et elles
ont réussi à entretenir, plusieurs siècles durant, les deux essentielles
fonctions humaines de « propagation de la race » et de « spiritualisa-
tion ». Elles sont toutefois peu cohérentes, - pratiquement complé-
mentaires, plus que logiquement liées. On sent, sous cette sagesse
22 « Ce sont ceux qui ne se sont pas souillés avec des femmes. » (Apocalypse,
14, 4.) (N.D.E.)
23 Le tutiorisme consiste à adopter, en cas de doute, la solution qui présente le
moins de risques. Certains théologiens ou conseillers spirituels en ont fait une
règle de vertu. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 62
24 Par cette inversion, la peine, signe habituel de l'effort, est prise pour un résul-
tat qui vaudrait en dehors du résultat poursuivi à travers l'effort !
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 63
nous gaspillons trop souvent les réserves en aimant mal, j'ai déjà dit
que j'en étais convaincu. Mais que notre coeur se diminue nécessaire-
ment pour l'un en se donnant (sous un autre rapport ou d'une manière
hiérarchisée) à un autre, voilà ce que j'ai de la peine à admettre. Je
puis trouver deux fleurs belles, - et de l'une mes yeux revenir plus sen-
sibles à l'appréciation de l'autre. L'usage multiplie la puissance. Ce qui
est vrai, c'est que, dans le cas particulier de l'amour, l'époux doit ré-
server et fortifier pour l'épouse cette position privilégiée qui la fait, en
quelque façon, le soleil de son univers intérieur. Et sur ce point la ja-
lousie a raison : il ne peut y avoir qu’un soleil dans le ciel de notre
coeur. Mais des astres subordonnés, pourquoi pas ?
Ces réflexions me paraissent déjà affaiblir sensiblement la valeur
psychologique de la « loi de réservation » du cœur invoquée par les
défenseurs d'une chasteté « de privation ». Mais nous pouvons aller
encore plus loin dans notre réponse. - Pour définir le code de la chas-
teté, on a coutume de comparer, « univoce », à deux amants Dieu et
l'âme chrétienne. C'est oublier ce fait essentiel que Dieu n'est pas une
personne de même ordre que nous-mêmes. Il est une « super-
personne », un « hyperer-centre », - c'est-à-dire quelqu'un de plus pro-
fond que nous-mêmes. Ceci veut dire que le fait, pour un homme, de
centrer son cœur sur une femme, ne signifie pas nécessairement que
cet homme va se trouver affectivement « neutralisé » par rapport au
Divin. À travers l'astre féminin, le soleil divin (parce que plus pro-
fond) peut être encore aperçu. Il peut briller, et même d'un éclat plus
vif, sur la même ligne et au-delà. Même saturé par rapport aux autres
personnes humaines, le couple aimant peut encore se présenter, libre,
et même exalté par sa dualité, à l’attraction supérieure de Dieu. Il y a
une façon d'aimer qui ne tombe pas sous le [83] reproche fait par
l'Apôtre « de diviser » 26 . Cas chimérique, direz-vous. Mais ne mou-
rons-nous pas, encore un coup, de la confusion qui s'est établie entre
fondeurs que nous prêtons à la Matière ne sont que le reflet des hau-
teurs de l’Esprit.
Ce point nous paraît décidé par l’expérience et la pensée humaines.
Toute la question, maintenant (question secondaire en théorie, mais
très sérieuse en pratique), est d'apprécier en quelle mesure, au cours
de ce virement du « spectre » vers des couleurs de qualité toujours
plus hautes, les rayons inférieurs continuent à briller, - ou bien s'étei-
gnent. - Vers le spirituel se déplace progressivement le centre d'attrac-
tion et de possession amoureuses. De plus en plus haut, pour s'attein-
dre, les êtres ont à se poursuivre. Mais, afin d'assurer la plénitude de
cette sublimation, - afin de ne pas couper les canaux qui leur amènent
les puissances spirituelles de la Matière, - à partir de quel niveau doi-
vent-ils commencer à se prendre ? Combien du corps, pour un opti-
mum d'esprit 29 ?
[85]
Nous voici ramenés, pour avoir analysé la fonction créatrice de la
chasteté-esprit, au problème de savoir ce que signifie, et ce que vaut,
la virginité.
âme par la longue application des « Tu ne feras pas », répétés sur une
longue suite de générations. Serait-ce une libération, ou seulement une
régression, de briser les liens de devoir moral et de respectueuse admi-
ration qui se sont tissés, durant des siècles [87] d'expérience humaine,
autour de l'idéal de la virginité ? N'y aurait-il pas quelque motif secret
pour lequel, si omnipotent que soit l'esprit dans le domaine de la chas-
teté, certains aliments physiques échappent à son pouvoir transforma-
teur, en vertu même de sa perfection ?
Pour justifier l'abstention, - ou du moins la tendance à un usage
minimum - de la chair en affections, les moralistes semblent souvent
(nous l'avons déjà dit) invoquer une raison de sécurité, personnelle et
collective. Se priver, pour ne pas abuser. Se séparer, pour ne pas être
absorbé. Forcer à droite, pour ne pas glisser à gauche. Monter pour ne
pas descendre. - À elles seules, nous le répétons, ces raisons ne satis-
font pas. D'une part, la mesure proposée serait d'une efficacité douteu-
se. Se forcer, c’est souvent se fausser. Resserrer tend à faire éclater.
On n'a jamais dominé ni une force ni une idée en la comprimant, -
mais en la captant. D'autre part, s'il est un point où s'accordent les Re-
ligions et sur lequel en particulier le Christianisme a engagé son auto-
rité, c'est que la chasteté corporelle emporte avec elle une espèce de
supériorité absolue. Il est donc indispensable, si l'on veut sauver l'es-
sence de la pratique traditionnelle, de découvrir quelque perfection de
nature à la virginité.
Voici, dans cette direction, ce que j'entrevois.
La plus pénétrante interprétation que nous puissions donner du
Monde, celle qui s'exprime équivalemment dans toutes les mystiques
et les philosophies, - c'est de le considérer comme un mouvement de
convergence universelle, au sein duquel la pluralité matérielle se
consomme en esprit. Cette vue des choses rend compte du rôle fon-
damental et créateur de l'attraction amoureuse. Elle dénoue sans ef-
fort, dans une formule simple, les complexes difficultés posées par
l'évolution biologique, intellectuelle et morale du Monde. En tout do-
maine, progresser n'est-il pas s'unifier ? Dieu, dans cette perspective,
se découvre comme le Centre suprême où le Multiple inférieur s'orga-
nise, - le Foyer où la Matière se consomme [88] en Esprit. - Acceptons
cette hypothèse, - et appliquons-la au problème qui nous occupe.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 76
manière qui a été jusqu'ici la seule règle des êtres. Pourquoi, ne gar-
dant de leur attraction mutuelle que ce qui les fait monter en les rap-
prochant, ne se précipiteraient-ils pas l'un vers l'autre en avant ? Pas
de contact immédiat, mais la convergence en haut. L'instant du don
total coïnciderait alors avec la rencontre divine. C'est encore la foi
en la valeur spirituelle de la chair, - mais avec, cependant, une place
faite à la virginité. La chasteté devient, dans son essence, un don re-
tardé.
Deux solutions. Deux routes. Quelle est la bonne ? - Sur ce point,
les témoignages individuels s'opposent et se contredisent. Par naissan-
ce, puis-je dire, je me suis trouvé engagé sur la deuxième. Je l'ai suivie
aussi loin que possible. J'y ai, bien entendu, trouvé des passes diffici-
les. Je ne m'y suis jamais senti diminué, ni perdu.
Et alors, maintenant, du point où je suis parvenu il me semble dis-
tinguer autour de moi les deux phases suivantes dans la transformation
créatrice de l'amour humain. - Au cours d'une première phase de l'hu-
manité, l'Homme et la Femme, reployés sur le don physique et les
soins de la reproduction, développent graduellement, autour de cet
acte fondamental, une auréole grandissante d'échanges spirituels. Ce
nimbe était d'abord une frange imperceptible. Peu à peu, c'est en lui
qu'émigrent la fécondité et le mystère de l'union. Et puis, finalement,
c'est en sa faveur que l'équilibre se rompt. Mais, [90] à ce moment
précis, le centre d'union physique d'où la lumière émanait se révèle
impuissant à soutenir de nouveaux accroissements. Le foyer d'attrac-
tion se rejette brusquement, comme à l'infini, en avant. Et, pour conti-
nuer à se saisir plus outre dans l'esprit, les amants ont à tourner le dos
au corps, pour se poursuivre en Dieu. La virginité se pose sur la chas-
teté comme la pensée sur la vie : à travers un retournement, ou un
point singulier.
Bien entendu, une pareille transformation, sur la surface de la Ter-
re, ne saurait être instantanée. Il y faut essentiellement le Temps.
L'eau que l'on chauffe ne se vaporise pas tout entière à la fois. En elle,
« phase liquide » et « phase gazeuse » coexistent longtemps. Il le faut.
Toutefois, sous cette dualité, il n'y a qu'un seul événement en cours, -
dont le sens et la « dignité » s'étendent à l'ensemble. - Ainsi, à l'heure
présente, l'union des corps garde sa nécessité et sa valeur pour la race.
Mais sa qualité spirituelle est désormais définie par le type d'union
plus haute qu'elle alimente, après l'avoir préparé. L'amour est en voie
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 78
[91]
[92]
Oui, des fous ont fait ce rêve, répondrai-je. Et voilà pourquoi, au-
jourd'hui, l'air est à nous. Ce qui paralyse la vie, c'est de ne pas croire
et de ne pas oser. Le difficile n'est pas de résoudre les problèmes.
C'est de les poser. Or, nous le voyons maintenant : S'emparer de la
passion pour la faire servir à l'esprit serait, d’évidence biologique, une
condition de progrès. Donc, tôt ou tard, à travers notre incrédulité, le
Monde fera ce pas. Car tout ce qui est plus vrai se trouve ; et tout ce
qui est meilleur finit par arriver.
Quelque jour, après l'éther 31 , les vents, les marées, la gravitation,
nous capterons, pour Dieu, les énergies de l'amour. - Et alors, une
deuxième fois dans l'histoire du Monde, l’Homme aura trouvé le
Feu * 32 .
[93]
4
COMMENT COMPRENDRE ET UTI-
LISER L'ART DANS LA LIGNE DE
L'ENERGIE HUMAINE
13 mars 1939.
[95]
[99]
5
LA PAROLE ATTENDUE
31 octobre 1940.
[101]
[102]
ses plaies, mais à épouser ses anxiétés, ses espérances, tous les gran-
dissements encore attendus de lui par la création ?
Incorporer le progrès du Monde dans nos perspectives du Royau-
me de Dieu. Incorporer le Sens de la Terre, le Sens humain, dans la
Charité. Le Monde n'éclipsant plus Dieu, ni ne nous entraînant suivant
une ligne divergente. Les deux astres entrant dans une harmonieuse
conjonction. Les deux influences s'ajoutant hiérarchiquement l'une à
l'autre pour nous soulever et nous détacher dans une même direction.
« Deus amictus mundo. » Il est évident que cette opération, si elle
était possible, ferait cesser, immédiatement et radicalement, l'opposi-
tion interne dont nous souffrons.
Or que faut-il, que suffit-il, pour que cette transformation libératri-
ce s'opère ? Simplement, et c'est là où je veux en venir, que nous al-
lions jusqu'au bout de notre Credo, dans la suite à la fois logique et
historique de son développement.
[106]
33 « Il est descendu et il est monté, afin de remplir toutes choses. » Éph. 4, 9-10.
(N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 92
[111]
6
NOTE SUR LA NOTION
DE PERFECTION CHRÉTIENNE
Pékin, 1942
[113]
Fig. 1.
D = Dieu. a, a', a", les âmes. MM',
le Monde demeurant constant à tra-
vers le Temps. En noir, la « nature »,
cri rouge, le « surnaturel » : sur tou-
tes les figures 34 .
34 Dans les figures de cet article, le noir est traduit par des hachures, et le rouge
par des pointillés. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 96
Fig. 2.
Le Monde, convergeant dans l'avenir
vers une consommation « naturelle », psy-
chique.
Fig. 3.
Formule classique du « détachement »
transportée littéralement sur un Monde en
voie de croissance naturelle (encore en
cours).
Fig. 4.
Schéma exprimant l'incorporation du
Progrès Naturel dans la spiritualisation et le
détachement chrétiens. K ne s'achève qu'en
D, - et D incorpore K (« a besoin de K »)
pour la réalisation du Plérôme.
37 Non plus séparation (évasion), mais émergence (note ajoutée par l'auteur sur
l'exemplaire du P. Allegra).
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 99
38 Il est descendu, il est remonté, afin de tout remplir (d'après saint Paul : Éph. 4,
9-10).
* Pékin, 1942.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 100
[119]
7
RÉFLEXIONS SUR
LE BONHEUR
[121]
[123]
A. ÀL'ORIGINE DU PROBLÈME :
TROIS ATTITUDES DIFFÉRENTES
EN FACE DE LA VIE
[124]
3) Et des ardents, enfin – ceux-là, veux-je dire, pour qui vivre est
une ascension et une découverte. Non seulement, pour les hommes
formant cette troisième catégorie, il vaut mieux être que ne pas être,
mais encore il est toujours possible, et uniquement intéressant, de de-
venir plus. Aux yeux de ces conquérants épris d'aventures, l'être est
inépuisable, - non pas à la manière gidienne, comme un joyau à facet-
tes innombrables, qu'on peut tourner en tous sens sans se lasser, - mais
comme un foyer de chaleur et de lumière dont il est possible de se
rapprocher toujours plus. - On peut plaisanter ces hommes, les traiter
de naïfs, ou les trouver gênants. Mais en attendant ce sont eux qui
nous ont faits, et c'est d'eux que s'apprête à sortir la Terre de demain.
Pessimisme et retour au Passé ; jouissance du moment présent ;
élan vers l'Avenir. Trois attitudes fondamentales, je disais bien, en
face de la Vie. Et par suite, inévitablement, voilà qui nous replace au
cœur même de notre sujet -trois formes opposées de bonheur en pré-
sence.
tiplier, nous ne formons déjà [132] plus qu'un seul corps. Et la se-
conde c'est que, dans ce corps lui-même, par suite de l'établissement
graduel d'un système uniforme et universel d'industrie et de science,
nos pensées tendent de plus en plus à fonctionner comme les cellules
d'un même cerveau. - Qu'est-ce à dire sinon que, la transformation
poursuivant sa ligne naturelle, nous pouvons prévoir le moment où les
hommes sauront ce que c'est, comme par un seul cœur, de désirer,
d'espérer, d'aimer tous ensemble la même chose en même temps...
L'Humanité de demain, - quelque « super-Humanité » beaucoup
plus consciente, beaucoup plus puissante, beaucoup plus unanime que
la nôtre, sort des limbes de l'avenir, elle prend figure sous nos yeux. Et
simultanément (je vais y revenir) le sentiment s'éveille au fond de
nous-mêmes que, pour parvenir au bout de ce que nous sommes, il ne
suffit pas d'associer notre existence avec une dizaine d'autres existen-
ces choisies entre mille parmi celles qui nous entourent, - mais qu'il
nous faut faire bloc avec toutes à la fois.
Que conclure de ce double phénomène, externe et interne, sinon
ceci : ce que la Vie nous demande, en fin de compte, de faire pour
être, c'est de nous incorporer et de nous subordonner à une Totalité
organisée dont nous ne sommes, cosmiquement, que les parcelles
conscientes. Un centre d'ordre supérieur nous attend, - déjà il apparaît
-non plus seulement à côté, mais au-delà et au-dessus de nous-mêmes.
Non plus seulement se développer soi-même, donc, - ni même seu-
lement se donner à un autre égal à soi - mais encore soumettre et ra-
mener sa vie à un plus grand que soi.
Autrement dit, être d'abord. Aimer, ensuite. Et, finalement, adorer.
Telles sont les phases naturelles de notre personnalisation.
Trois degrés enchaînés, vous le voyez, dans le mouvement ascen-
sionnel de la Vie ; et par conséquent, aussi, trois degrés superposés de
bonheur, - si le bonheur est bien, comme nous l'avons reconnu, indis-
solublement associé au geste de monter.
[133]
Bonheur de grandir, - bonheur d'aimer, - et bonheur d'adorer.
Voilà en dernière analyse la triple béatitude que la théorie nous
permet de prévoir en partant des lois de la Vie.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 112
toute situation, non seulement de servir (ce qui n'est pas assez) mais
de chérir en toutes choses (les plus douces et les plus belles, comme
les plus austères et les plus banales) un Univers chargé d'amour dans
son Évolution * .
[141 ]
8
LA MORALE PEUT-ELLE
SE PASSER DE SOUBASSEMENTS
MÉTAPHYSIQUES ?
[143]
Morale.
Métaphysique.
[147 ]
9
L'APPORT SPIRITUEL
DE L'EXTREME-ORIENT.
QUELQUES REFLEXIONS
PERSONNELLES
[149]
ques, adaptés une première fois par la Chine à ses horizons tangibles,
se trouvent maintenant remodelés, à travers le Zen, en code de violen-
ce et d'abnégation chevaleresques.
Sens métaphysique du divin dans l'Inde. Sens naturistique et prati-
que de l'humain en Chine. Sens héroïque du collectif au Japon. Ainsi
se brise à l'analyse, en trois faisceaux de teintes absolument différen-
tes, la lumière réputée si simple qu'il nous faudrait, dit-on, aller repui-
ser aux sources d'Extrême-Orient. En fait, observons-le (accord secret
des choses, ou simple coïncidence ?) ces trois faisceaux se présentent
comme curieusement complémentaires. Pris ensemble, en effet, ne
couvrent-ils pas, très exactement, le champ entier d’une spiritualité
parfaite ? Mystique de Dieu, mystique de l'individu en face du Monde,
mystique sociale. Tout y est bien. Seulement, voilà : dispersées, ethni-
quement et géographiquement, sur trois domaines différents du conti-
nent, ces trois composantes [152] d'une vie complète de l'Esprit, non
seulement ne nous apparaissent en Asie Orientale qu'à l'état disjoint,
mais encore (ce qui est plus grave) elles s'y révèlent, si nous les étu-
dions de plus près, affectées de caractères qui les rendent (au moins
momentanément, sous leur forme actuelle) exclusives l'une de l'autre,
- irréconciliables.
43 Ceci a été parfaitement senti, au VIIIe siècle, par les promoteurs du Bhakti
Yoga. Mais, le mode d'union qu'il prône, ce yoga (ou mystique hindoue) de
l'amour n'est-il pas de type (« occidental » (v. ci-dessous), et de ce chef irré-
ductible aux tendances originelles et authentiques du Védânta ?
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 128
tion : puisque aucune valeur essentielle n'est accordée dans cette pers-
pective aux constructions planétaires de l'effort humain 44 .
[154]
Retenons bien ce dernier point ; et tournons maintenant notre re-
gard vers la Chine.
b) Si l'Inde baigne naturellement dans une atmosphère de transcen-
dant et de divin, la Chine, avons-nous reconnu plus haut, est par ex-
cellence, et depuis toujours, un foyer d'aspirations matérielles et hu-
maines. Mais quel dessin, quel éclat, quel parfum particuliers cette
fleur terrestre a-t-elle surtout développés en s'épanouissant ? - S'il est
possible et permis de condenser en une sèche formule l'exubérante
réalité diffuse dans trois mille ans de vertus, d'art et de poésie, ne
pourrait-on pas, ne faut-il pas dire que ce qui caractérise l'âme de la
vieille Chine, c'est le goût, beaucoup plus que la foi, en l'Homme ? La
Chine, bien sûr, n'est pas restée complètement immobile au cours de
son histoire. Mais il ne semble pas que ce mouvement de progression
l'ait intéressée. Discerner, apprécier et conserver l'harmonie d'un ordre
établi, - réaliser un bel équilibre statique entre la Terre, la Société et
les astres, - pacifier plutôt que conquérir : telles Paraissent avoir été sa
préoccupation dominante et la source de ses plus hautes inspirations.
Avec ce résultat inévitable que, si le Ciel était bien toujours là pour
former toit au-dessus de la Cité humaine, sa voûte en tous cas était
regardée comme impénétrable ; et rien de pareil à un progrès de la Vie
n'était envisagé qui donnât l'envie ni l'espoir d'y pénétrer jamais.
Aménagement dans la possession. Ni l'esprit de Prométhée, ni le pro-
blème de l'Action ne semblent jamais avoir hanté ni troublé l'âme de
Confucius ni de Laotze. Forme de sagesse où, cette fois, surnageait
bien le Monde ; mais qui, supprimant en droit (sinon en fait) toute in-
quiétude, toute exigence d'avenir, tendait à relâcher tout élan, à couper
toute issue vers ce qui était à la même heure l'unique soif de l'Inde : le
transcendant.
c) Et de nouveau, pour finir, abordons le Japon. Ici, ce n'est plus le
mouvement qui manque, ni l'esprit de conquête . mais c'est bien plutôt
45 Même et y compris (si paradoxal que cela paraisse) les aspirations « marxis-
tes », où je me refuse à voir autre chose que la mystique occidentale illégiti-
mement réduite à sa branche (et comme à son foyer) d'organisation matérielle.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 132
* 10 février 1947.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 134
[161]
10
TROIS CHOSES QUE JE VOIS
(ou : une Weltanschauung
en trois points)
Paris, février 1948.
[163]
Introduction.
[174]
Dans l'émergence d'un sentiment si étonnamment riche et si entiè-
rement nouveau on pourrait ne voir d'abord que l'achèvement indivi-
duel d'une plénitude intérieure mystique.
En réalité le retentissement du phénomène est beaucoup plus éten-
du, et beaucoup plus important.
Plus en effet on observe l'extrême complexité de l'organisme pla-
nétaire que l'Homme, pour achever l'Homme, se voit amené à monter,
plus on se convainc qu'un pareil « moteur » ne saurait fonctionner
(non seulement sans déformer les éléments libres qui le composent,
mais encore de façon à déchaîner en ceux-ci le tréfonds secret de leurs
puissances spirituelles) à moins que la force qu'on y applique soit de
nature [175] affectivo-unitive. Biologiquement, dans le cas (posé par
la formation d'une Noosphère) d'une totalisation personnalisante,
l'amour (un amour universel) est la seule forme concevable que puisse
prendre une énergie vraiment évolutive.
52 En droit, - et donc en fait : car finalement, c'est toujours le plus fort « psychi-
quement » qui triomphe.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 145
[177]
11
COMMENT JE VOIS
26 août 1948.
[179]
Avertissement
Ire PARTIE PHYSIQUE (Phénoménologie)
I. Le Phénomène Humain
2e PARTIE : METAPHYSIQUE
3e PARTIE : MYSTIQUE
Conclusion
Appendice
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 148
[180]
[181]
AVERTISSEMENT
54 « Toute chose veut être pensée » (Charles de Bovelles, cité par Bernard Groe-
thuysen, dans Mesures, 16 janvier 1940).
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 151
[183]
1. PHYSIQUE (Phénoménologie)
I. LE PHÉNOMÈNE HUMAIN
55 Par exemple la variation de masse des corps aux très grandes vitesses. Etc.
56 Ceci revenant à dire que tout élément particulaire cosmique se comporte sym-
boliquement pour notre expérience comme une ellipse construite sur deux
foyers d'intensité inégale et variable : l'un F1 d'arrangement matériel, l'autre
F2 de psychisme ; F2 (Conscience) apparaissant et croissant d'abord en fonc-
tion de F1 (Complexité), mais manifestant bientôt une tendance continue à ré-
agir constructivement sur F1 pour le sur-compliquer, et à s'individualiser
lui-même de plus en plus. Dans la Pré-Vie (zone des complexités infimes :
atomes et molécules) F2 n'est pas sensible, et peut être considéré comme nul.
Dans la Vie pré-humaine (zone des complexités moyennes) F2 apparaît, mais
n'influe encore que faiblement sur la croissance de F1 qui demeure largement
automatique. À partir de l'Homme (zone des complexités immenses), F2, ré-
fléchi, assume pour une large part la charge de faire progresser F1 (par jeu
d'invention), en attendant peut-être de s'en détacher par complète autonomisa-
tion. Voir plus loin.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 153
entoure. Il est beaucoup question depuis quelque temps, chez les as-
tronomes, d'un Univers en voie d'expansion dans l'Immense. Tout
aussi scientifiquement, et avec plus de vérité encore, pourquoi ne pas
parler d'un Univers en cours d'enroulement dans le Complexe ? - Les
deux façons de voir (parfaitement conciliables entre elles) sont juste
aussi objectives, juste aussi pures de tout finalisme indu l'une que l'au-
tre. Mais la deuxième va, semble-t-il, beaucoup plus loin et profond
que la première. Car si l'étalement explosif de la Matière dans l'Espa-
ce peut bien nous renseigner sur la distribution des galaxies et des
étoiles, en revanche, un processus de complexification et de centration
de l’Étoffe cosmique sur elle-même nous permet de suivre et d'enre-
gistrer, avec la granulation croissante de cette Étoffe, la montée corré-
lative de l'intériorisation, c'est-à-dire du psychisme, dans le Monde. Et
ce déplacement simultané dans l'Organique et le Conscient a bien des
chances d'être le mouvement essentiel et spécifique de l'Univers.
(4) Il ne saurait être encore question, en cette première phase de
notre enquête, de chercher à définir le principe ou « champ de force »
particulier qui entraîne la Matière à se compliquer ainsi sur elle-même
(20). Par contre, ce qu'il est important de noter, c ‘est l'allure irréver-
siblement croissante [186] du phénomène. D'abord le sous-monde des
atomes, capables apparemment de se former chacun pour soi, à partir
des corpuscules nucléaires, suivant un nombre limité de groupements
fixes, sans ordre naturel de succession bien défini entre types lourds et
types légers. Puis le sous-monde des molécules, où apparaissent clai-
rement, chez les formes les plus complexes, sinon encore une appa-
rence de généalogie, tout au moins des arrangements en chaîne évo-
quant l'idée d'une ontogénèse. Enfin le sous-monde organisé (avec ses
subdivisions possibles) où, grâce au merveilleux processus de la re-
production (et de la mort...), la complexification peut se poursuivre
additivement d'individu à individu, le long de phyla presque indéfi-
nis 57 . En somme, une fois amorcé, l'enroulement cosmique de com-
plication ne s'arrête plus ; mais bien plutôt il semble se poursuivre
(malgré les improbabilités qu'il entraîne et qu'il entasse) avec une in-
faillibilité et une constance qu'on ne saurait comparer - paradoxale-
ment - qu'à la dégradation implacable (et probablement conjuguée), à
l'autre bout des choses, de la Matière et de l'Énergie, celle-ci (la dé-
gradation ou déroulement) se perdant dans un rayonnement impalpa-
ble à force d'extériorisation, et celui-là (l'enroulement) se sublimant à
force de synthèse en Esprit.
(5) Tout ceci pour en arriver à la conclusion que voici. Suivant un
préjugé tenace et répandu, la Vie, si fragile en apparence, et en appa-
rence si rare dans l'Univers aussi, ne représenterait qu'un accident for-
tuit, et donc un élément tout à fait secondaire dans la Cosmogénèse.
Eh bien c'est bout pour bout, évidemment, que, dans l'hypothèse d'un
« Monde [187] qui s'enroule », il faut renverser cette vision. Au sein
d'un tel Monde, par structure, la portion vitalisée de la Matière - si
faible et si localisée qu'elle paraisse - ne saurait en aucun cas représen-
ter une anomalie, ni un accessoire (ou, comme on entend dire encore,
« une moisissure ») ; mais elle correspond au contraire à l'axe le plus
central et le plus solide (ou, si l'on préfère, à l'« apex » même) du
« vortex. » cosmique. Si bien que en tout point de l'Espace-Temps
(quelles qu'en soient la courbure et les limites) il faut nous représenter
la Vie (et par suite la Pensée elle-même) comme une puissance par-
tout et toujours en pression, - et n'attendant par suite qu'une occasion
favorable pour émerger, et, une fois surgie, pour pousser ses construc-
tions (et donc son intériorisation) jusqu'au bout.
Voilà ce qu'il faut voir et accepter, une fois pour toutes et avant
toutes choses, sous peine de ne rien comprendre, ni à l'Univers, ni à ce
qui est pour nous l'expression la plus avancée de l'Univers : le Phé-
nomène humain.
2. L'Hominisation élémentaire
ou Le Pas de la Réflexion.
3. L'Humanisation collective
ou la Marche à la Super-réflexion.
(10) Tout ce qui a été dit jusqu'ici revient en somme à opter, non
pas au hasard, mais par souci de clarté et de cohérence, pour les deux
positions ou propositions suivantes :
(11) En soi (nous aurons bientôt à revenir sur ce point) ce que nous
appelons « socialisation » chez les animaux n'est pas autre chose que
la manifestation, dans le cas d'éléments hautement individualisés, des
forces d'enchaînement qui tendent, constamment et partout, à rappro-
cher et à lier entre [192] elles les particules élémentaires (atomes, mo-
lécules, cellules...) de l'Univers. La seule différence est que, à ces
hauts niveaux de complexité (où s'exagèrent les effets de désintégra-
tion et de répulsion), le processus organique de groupement, pour s'ef-
fectuer de manière notable, exige chez les corpuscules soumis à son
action des propriétés spéciales, rarement rencontrées : telle par exem-
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 159
pression, tout juste encore amorcée, que tendent à se poser, et que de-
vront tôt ou tard être résolus, les ultimes problèmes de l'Hominisation.
71 Exigence non pas d'égoïsme (qu'on ne s'y trompe pas !), mais de respect pour
la valeur de l' « être ». Porté à l'échelle du Tout, le renoncement cesse d'être
beau, parce qu'il devient absurde.
72 Où le plus complexe se comporte paradoxalement comme un plus stable, mal-
gré sa fragilité...
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 168
terne de leur mutuelle attraction. Mais ici encore (et comme dans le
cas de « la chute sur la Complexité ») gardons-nous de trop simples
analogies physiques, puisées à l'autre bout du Monde, dans le domaine
des infiniment Simples. Pour se grouper « centriquement », les parti-
cules humaines, si comprimées soient-elles, doivent finalement s'ai-
mer (s'aimer toutes à la fois, et toutes ensemble) (2). Or pas d'amour
vrai dans une atmosphère, si chaude soit-elle, de Collectif, c'est-à-dire
d'Impersonnel. L'amour ne peut naître, ni se fixer, à moins de ren-
contrer un cœur, un visage. Plus on approfondit ce mécanisme psychi-
que essentiel de l'union, plus on se convainc que la seule manière pos-
sible pour l'enroulement cosmique d'aboutir est de se terminer, non
seulement sur un système centré de centres, mais sur un Centre de
centres, - ni plus ni moins.
(23) Avant tout, par suite même de la réflexion ainsi perçue du Di-
vin sur le Monde, une confirmation importante (essentielle, même 76
nous est apportée de l'existence d'Oméga. Mais sur l'essence par sur-
croît (nature trinitaire, par exemple), et plus particulièrement sur les
modes d'opération de ce dernier - (grâce à cette fécondation dirigée de
la pensée humaine par quoi se manifeste psycho-expérimentalement à
nous la « Révélation ») - toutes sortes de déterminations concrètes ap-
paraissent, aussi précieuses pour notre spéculation que pour notre ac-
tion.
75 Ce n'est pas ici le lieu de discuter dans son mécanisme, mais seulement de
situer dans sa position dialectique, le mystérieux « acte de foi » au sein duquel
se reconnaissent vitalement (à partir, et cependant au-delà de certains signes)
le centre humain élémentaire et le Mégacentre divin.
76 « Essentielle » à double titre - religieusement d'abord, sans doute, pour forti-
fier notre adoration ; mais intellectuellement, aussi, pour nous donner confian-
ce en notre raison. Si en effet rien ne venait confirmer l'existence de l'Oméga
reconnu par nous comme théoriquement nécessaire pour cohérer le Monde, ne
serait-ce pas là une sérieuse atteinte à notre confiance en la valeur constructive
de la raison humaine ?
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 171
fois admise d'Oméga est que la marée de conscience dont nous faisons
partie n'est pas due simplement à quelque poussée venant de
nous-mêmes, mais qu'un astre la soulève, sur lequel peu à peu, un à
un, et tous en bloc, nous achevons, par union, de nous intérioriser. -
Bien plus riches et pénétrantes se révèlent autour de nous les nappes
du Monde dans les perspectives d'une création de type Christique
(c'est-à-dire où une involution divine descendante vient se [206] com-
biner avec l'évolution montante cosmique). Sur les harmonies méta-
physiques et les conséquences mystiques d'une telle vision, je m'éten-
drai plus loin. D'un point de vue phénoménal observons seulement ici
la relation qu'elle fait apparaître entre ce que j'ai appelé ci-dessus « le
point critique de Maturation » humaine, d'une part, et, d'autre part, le
point de Parousie (ou deuxième venue, triomphante, du Christ), par
où se clôt, à la fin des temps, l'horizon chrétien. Inévitablement, par
structure, les deux points coïncident, - en ce sens que l'achèvement de
l’Hominisation par ultra-réflexion apparaît comme une condition pré-
alable nécessaire 77 de sa « divinisation ». Et, de ce chef, voici qu'un
élément de plus se dessine dans le noyau même du cône d'enroule-
ment cosmique. Dans l'Univers, avions-nous d'abord reconnu, c'est la
Vie qui est le Phénomène central, - et, dans la Vie, la Pensée, - et,
dans la Pensée, l'arrangement collectif de toutes les pensées sur el-
les-mêmes. Voici maintenant que, par une quatrième option, nous
nous trouvons amenés à décider que, plus profond encore, c'est-à-dire
au coeur même du phénomène social, une sorte d'ultra-socialisation
est en cours : celle par laquelle « l’Église » se forme peu à peu, vivi-
fiant par son influence, et collectant sous leur forme la plus sublime
toutes les énergies spirituelles de la Noosphère ; - l'Église, portion ré-
flexivement christifiée du Monde - l'Église, foyer principal d'affinités
inter-humaines par super-charité (cf. (38 )), - l'Église axe central de
convergence universelle, et point précis de rencontre jaillissante entre
l'Univers et le Point Oméga.
[207]
II. MÉTAPHYSIQUE
A On ne saurait oublier la nature d'essai, précisée ici par le Père. En tout domai-
ne et notamment en ceux-là, la science et la réflexion ne sauraient procéder
que par tâtonnement. La critique d'un tel texte implique et suppose qu'on entre
dans le mouvement initial de cet écrit qui est celui de toute l'œuvre de Teil-
hard. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 173
(28) Dans l'acte même par lequel sa réalité se pose, Dieu, venons-
nous de reconnaître, se trinise. Mais ce n'est pas tout. Par le fait mê-
me qu'il s'unifie sur soi pour exister, l’Être premier fait ipso facto jail-
lir une autre espèce d'opposition, non plus au coeur, mais aux antipo-
des de lui-même (troisième temps). L'Unité self-subsistante, au pôle
de l'être ; et nécessairement, par suite, tout autour, à la périphérie, le
Multiple : le Multiple pur (entendons bien), ou « Néant créable », qui
n'est rien, - et qui cependant, par virtualité passive d'arrangement
(c'est-à-dire d'union), est une possibilité, une imploration d'être, - à
laquelle (et c'est ici que notre intelligence ne sait décidément plus, à
telles profondeurs, comment distinguer suprême nécessité de suprême
liberté 79 , à laquelle, dis-je, tout se passe comme si Dieu n'avait pas pu
résister d .
l'esprit », de peu antérieur à Comment je vois. Cf. T. VII pp. 155-158. Le Père
Teilhard montre ici comment on peut se représenter Alpha en partant d'Omé-
ga. (N.D.E.)
79 Sauf à reconnaître la présence du Libre au signe infaillible d'un amour associé.
- C'est également l'amour (cf. plus loin note 1, p. 216), qui permet de distin-
guer l'« ineffable de détente, » oriental de l'« : ineffable de tension » chrétien
(celui par exemple d'un saint Jean de la Croix).
d Teilhard aborde ici le problème de la Création sous l'aspect où n'étant pas en-
core, elle existe pour Dieu sous forme d'un possible dont Dieu veut avoir be-
soin. Étant donné la manière dont Teilhard pense la réalité, ce possible a de
quelque manière la figure déjà positive et pourtant encore entièrement évanes-
cente du pur multiple. Il l'appelle « néant créable » parce que c'est déjà l'étoffe
dans laquelle l'univers sera taillé par voie d'arrangement et d'union créatrice.
Quant à la liberté de cet acte créateur, Teilhard s'est exprimé de façon très
profonde dans ce paragraphe 28 et dans sa note conjointe. Dès 1924 il avait
écrit dans le même sens « Dieu et Monde, le Plérôme, - réalité mystérieuse
que nous ne pouvons pas dire plus belle que Dieu tout seul, puisque Dieu
pouvait se passer du Monde, mais que nous ne pouvons pas non plus penser
absolument accessoire, sans rendre incompréhensible la Création, absurde la
Passion du Christ, et inintéressant notre effort. » (Cf. : Mon Univers, t. IX, p.
114.)
Une métaphysique de l'union, culminant en la figure du Christ universel
comme le dit le P. Teilhard au no 38 de Comment je vois fait pressentir com-
ment le néant créable, c'est-à-dire le monde fait pour le Christ avant même
qu'il soit monde, entre dans sa vocation sous la forme d'une imploration d'être.
(N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 175
[210]
III. MYSTIQUE
89 Voir une curieuse anthologie de textes, de toutes origines, dans Aldous Hu-
xley, Perennial Philosophy.
e Pour une analyse plus poussée de l'originalité de ces deux voies, voir dans ce
volume L'apport spirituel de l'Extrême-Orient, quelques réflexions spirituelles
(p. 149) ; voir aussi Comment je crois (Oeuvres, T. X p. 141 à 146). (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 180
91 Laissée à elle-même, la Biologie n'oserait sans doute pas pousser les effets de
socialisation au-delà d'une Réflexion commune (unanimité), réunissant et
arc-boutant les éléments pensants en une sorte de voûte, - mais sans apparition
d'un Centre de conscience commun.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 183
l'avons dit, ce qui est la seule façon de déchaîner jusque dans leur fond
ses réserves psychiques tout entières.
Par elle, encore, les souffrances d'échec et de diminution (el-
les-mêmes !), transformées en facteur d'excentration unitive (je veux
dire de don et de « passage » en un Autre plus grand que soi), cessent
d'apparaître comme un déchet de la Création pour devenir, par une
merveille d'énergétique spirituelle, facteur positif de sur-évolution :
suprême et véritable solution du Problème du Mal (cf. plus haut, note
1, p. 212).
Par elle, enfin, les molécules humaines, non seulement compri-
mées du dehors les unes sur les autres, mais intériorisées les unes aux
autres par accession à un Centre commun, peuvent espérer entrer, sans
déformation, dans le champ pressenti de leurs terrifiantes affinités.
En somme, pour faire marcher à pleine puissance, sans en défor-
mer un seul rouage, l'immense et redoutablement [220] complexe mo-
teur de l'Évolution, la Mystique chrétienne, forme supérieure et per-
sonnalisée de la Mystique de l'Ouest, se découvre à la réflexion com-
me l'énergie parfaite, comme l'énergie par excellence. - Sérieux indice
que rien ne saurait l'empêcher de devenir la Mystique universelle et
essentielle de demain.
CONCLUSION
[221]
APPENDICE
[222]
Plutôt que de regarder, ainsi que je l'ai fait (Cf. (26 ), l'esse comme
ultérieurement définissable par l'unire ou (l‘uniri), mieux vaudrait
peut-être considérer les deux notions d'être et d'union (ou, si l'on pré-
fère, de mobile et de mouvement) comme formant un couple naturel
dont les deux termes (aussi primitifs l'un que l'autre, et radicalement
irréductibles l'un à l'autre) sont cependant ontologiquement insépara-
bles (telles les deux faces d'un même plan) et assujettis à varier simul-
tanément dans le même sens 92 .
[223]
[225]
12
QUELQUES REMARQUES
« POUR Y VOIR CLAIR »
SUR L'ESSENCE DU SENTIMENT
MYSTIQUE
Hiver 1951
[227]
a) sauve les faits et l'Histoire (la Science et l'Histoire) qui nous ré-
vèlent la Conscience ( l’Esprit) comme un processus de différencia-
tion et de synthèse,
b) et, en même temps, sauve, chez l'homme « spirituel », cette in-
tensité, cette ardeur, ce « drive », inséparables, pour nous, de l'idée de
véritable mystique. - Voie de tension, non de détente...
[229]
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 190
* Hiver 1951.
Pierre Teilhard de Chardin, Les directions de l’avenir. (1973) 191
[231]
13
UN SOMMAIRE DE
MA PERSPECTIVE « PHÉNOMÉNO-
LOGIQUE »
DU MONDE. POINT DE DÉPART
ET CLEF DE TOUT LE SYSTÈME.
[233]
[234]
3) Développement de la Co-réflexion
(et montée d'un Ultra-Humain).
Fin du texte