Psye 572 0533
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MATERNITÉ
CHEZ DES FEMMES MIGRANTES SANS DOMICILE FIXE
2014/2 - Vol. 57
pages 533 à 561
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ISSN 0079-726X
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PSYCHIATRIE SOCIALE
ET PROBLÈMES D’ASSISTANCE
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Maternité
Errance
Migration
Construire de la sÉcuritÉ
dans l’errance. MaternitÉ
chez des femmes migrantes
sans domicile fixe
Élodie Panaccione1
Marie Rose Moro2
For the past few years, the number of pregnant, homeless women
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has been growing, and among them we find a large percentage who are
female migrants from subsaharan Africa. The aim of this study is to spot
the psychic and cultural issues in the perinatal period when these women
are confronted by ruptures generated by the absence of a fixed residence.
Above and beyond this aim, this study makes it possible to define the spe-
cific types of accompaniment aimed at these women and their children.
Ten semi-directive interviews were carried out between the seventh and
eighth months of pregnancy, and then between the second and fourth
months of life of the babies. They demonstrated the necessity of setting up
preventive actions for these women and children which take the social,
psychological and culturel dimensions into account.
Keywords: Maternity – Wandering – Migration.
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logie et, plus généralement, des sciences humaines, qui ne
s’intéressent que depuis peu aux incidences cliniques de la
précarité sociale. En France, il existe peu d’études dans
ce domaine alors que dans les pays anglo-saxons, le rap-
port entre précarité et souffrance sociale a fait l’objet de
réflexions cliniques qui ont favorisé l’émergence de nou-
velles pratiques médico-sociales.
Parmi les plus précaires, le nombre de femmes enceintes
sans domicile fixe ne cesse d’augmenter dont une grande
partie sont des femmes migrantes originaires de pays
d’Afrique subsaharienne. Celles-ci sont plus exposées au
problème de logement que la moyenne des femmes de leur
classe d’âge. Quand elles travaillent, elles sont, pour la plu-
part, employées dans le secteur tertiaire, à temps partiel,
percevant de faibles salaires ne leur permettant pas tou-
jours de subvenir à leurs besoins. En outre, ces situations
sociales précaires peuvent avoir de graves conséquences sur
le suivi et le déroulement de la grossesse : premier contact
tardif ; nombre de consultations prénatales et d’échogra-
phies insuffisant ; dépistage tardif de pathologies liées à la
grossesse ; problèmes somatiques et/ou psychiques liés aux
parcours de vie.
Face à ce constat, il nous parait nécessaire de mettre en
place des études utilisant des approches complémentaristes
intégrant de manière successive des éléments appartenant
à des disciplines différentes afin de mieux comprendre les
enjeux spécifiques aux problématiques rencontrées par ces
femmes et leurs enfants. Notre recherche s’intéresse aux
incidences cliniques de l’absence de domicile fixe sur la
construction de la parentalité des femmes migrantes d’ori-
gine d’Afrique subsaharienne. Son objectif est de cerner
les enjeux psychiques et culturels de la période périnatale
à l’épreuve des ruptures générées par l’absence de domi-
cile fixe en résonnance avec l’expérience migratoire. Par-
delà cette analyse, il s’agit de déterminer des modalités
d’accompagnement spécifiques à destination de ces femmes
et de leurs enfants.
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Toute grossesse comporte une crise maturative et struc-
ture le début des interactions et de la transmission mère-
bébé (Bydlowski, 1997). Le cadre externe constitue un
support déterminant dans le déroulement de la grossesse
et ce d’autant plus lorsque la femme ne se trouve pas dans
son milieu social d’origine. L’absence de domicile fixe risque
de réactiver des ruptures passées et parfois des événements
traumatiques fragilisant la future mère et constituant un
facteur de risque non négligeable pour sa qualité de vie
ultérieure ainsi que pour celle de l’enfant à naître. Cette
absence de cadre sécurisant influe sur la dynamique psy-
chique de la grossesse majorant l’angoisse, l’ambivalence
et l’incertitude propres à toute grossesse. La discontinuité
des prises en charges médico-sociales mises en place vient
reproduire les ruptures vécues tout au long de leur parcours
et la multiplication des professionnels devient alors source
de vulnérabilité. Sous couvert d’un travail en partenariat
où chacun se pose en spécialiste, on constate que les inter-
venants auprès de ces femmes sont souvent nombreux mais
que leur rôle respectif reste mal défini. La multiplication des
professionnels entraîne un partage diffus des responsabilités
portées par le collectif où chacun risque de se reposer sur
le reste du groupe. L’augmentation croissante du nombre de
prises en charge et la diminution drastique de personnel que
connaissent les institutions médico-sociales restreint le temps
de concertation entre les professionnels pourtant nécessaire
pour la continuité et la cohérence de ces accompagnements.
Durant la grossesse, la réactualisation de conflits passés chez
les femmes mais aussi les contre-attitudes des professionnels
rencontrés génèrent chez celles-ci des projections massives.
Le corps professionnel tend parfois à être assimilé à des
parents arbitraires, voire abusifs, et peut devenir l’objet
d’une violence inhérente à leur condition sociale. Par effet
de résonance avec des ruptures plus anciennes, les change-
ments récurrents de domicile majorent l’écart habituel entre
la réalité externe et leur réalité interne. Cela explique que
ces femmes se montrent parfois imperméables aux discours
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dépasser ces postures défensives, le suivi de grossesse doit
dépasser la simple surveillance médicale pour inclure une
continuité des actions et accompagner ces femmes dans leur
trajectoire de vie.
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bilité, leur faisant miroiter une évolution sociale à plus long
terme. Leur présence en France est parfois l’occasion pour
ce dernier de disposer des services d’une bonne à domicile
pour s’occuper gratuitement du ménage et des enfants. La
désillusion est rapide et beaucoup de ces femmes hésitent
à rentrer dans leur pays, bien que peu se l’autorisent par
peur du sentiment d’échec et du regard que ceux qui ont tant
envié leur départ porteront sur elles. La réalité sociale en
France leur impose donc bien souvent de renoncer à leur
projet initial : poursuivre des études ; exercer dans le même
secteur d’activité que dans le pays d’origine ; etc. Pour
celles qui avaient une bonne situation socioprofessionnelle
dans leur pays d’origine (commerçante indépendante, infir-
mière, comptable…), la migration engendre un déclassement
social. Leurs conditions de vie en France s’apparentent par-
fois à des formes d’esclavagisme moderne : faire le ménage
du matin au soir, garder les enfants et faire la cuisine sans
jamais sortir de chez l’hébergeant, certaines allant jusqu’à
se prostituer en échange d’un hébergement par peur de se
retrouver à la rue.
Ces femmes se montrent méfiantes à l’égard de leur nou-
vel environnement qui vient bouleverser leurs repères et les
maintient en marge de la société, pointant l’illégitimité de
leur présence en France. Se trouvant souvent sans emploi
et sans papier, l’annonce d’une grossesse devient source de
conflits avec l’hébergeant et est parfois à l’origine d’une rup-
ture brutale d’hébergement. La femme, fragilisée par la gros-
sesse, n’est plus suffisamment productive et risque de devenir
une charge financière supplémentaire pour l’hébergeant.
Paradoxalement, c’est au moment où le besoin d’étayage
devient fondamental que ces femmes se retrouvent souvent
livrées à elles-mêmes sans ressource et sans hébergement.
Elles trouvent parfois de l’aide auprès d’autres compa-
triotes, mais ce traitement préférentiel n’est que temporaire
et les ruptures d’hébergement deviennent rapidement le lot
du quotidien. L’absence de papiers accentue la précarité de
leur situation et entrave l’accès aux aides sociales pouvant
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et la précarité de l’habitat (changements répétitifs d’héber-
gements chez des tiers, à l’hôtel, dans des squats). Ces condi-
tions de vie laissent souvent des traces sur le plan physique,
somatique mais aussi psychique et ont d’importantes réper-
cussions sur le déroulement d’une grossesse. Il s’agit d’une
précarité intermédiaire dont les enjeux sont spécifiques à
cette population et doit être distinguée de celle des personnes
sans domicile fixe qui vivent dans la rue sans enfant et qui
bénéficient rarement de l’entraide collective. Ces femmes, en
marge de la société d’accueil, restent en quête d’une inscrip-
tion qui ne s’est pas faite et qui leur manque pour se repré-
senter leur futur enfant dans leur environnement qu’elles
perçoivent comme inquiétant, voire menaçant. Toutefois,
si l’occurrence d’une grossesse précarise temporairement
leur situation, elle leur permet aussi d’envisager un avenir
meilleur. La naissance d’un enfant sur le territoire français
favorisera l’accès à un statut de mère, socialement codifié
et reconnu et, par-delà, facilitera, à terme, leur régulari-
sation administrative. Cette naissance représente donc un
événement majeur dans le cheminement de la femme tant sur
le plan subjectif puisqu’elle contribue à son émancipation
personnelle, que sur le plan collectif puisque que c’est par
son intermédiaire que la femme accède à une place et à une
visibilité sociale.
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L’hypothèse qui sous-tendait cette étude était que des
conditions de vie précaires, associées à de faibles ressources
financières et à une absence de domicile fixe, influenceraient
la constitution des représentations maternelles prénatales.
Notre échantillon comprenait cinq femmes migrantes qui
se trouvaient à plus de sept mois de grossesse, dont quatre
étaient d’origine africaine, sans ressource financière ni lieu
de vie stable. Nous avons utilisé une grille d’entretien semi-
directive, l’IRMAG (Interview pour les Représentations
Maternelles pendant la Grossesse), mise au point par Massimo
Ammaniti (1999). Cet outil permet d’étudier les représenta-
tions maternelles, essentiellement conscientes, que la femme
enceinte se fait d’elle-même en tant que mère et celle qu’elle
se fait de l’enfant à naître.
L’analyse des entretiens a mis en évidence que les condi-
tions matérielles et affectives dans lesquelles se trouvaient
ces femmes influaient sur leur expérience subjective de la
maternité. Quatre des cinq femmes rencontrées présen-
taient des représentations maternelles de type « étroites-
désinvesties »3 et l’une d’entre elles des représentations
maternelles de type « non intégrées-ambivalentes » (alors
que les études menées auprès de femmes tout venant
mettent en évidence la prédominance de représentations
maternelles de type « intégrées-équilibrées »4).
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nelles présentent des particularités en lien avec l’absence
de domicile fixe et par-delà avec l’expérience migratoire ; le
deuxième étant d’analyser l’évolution de ces représentations
maternelles suite à la naissance de l’enfant.
La majorité des femmes sans domicile fixe étant originaire
d’Afrique subsaharienne, nous avons centré notre recherche
sur les femmes qui ont vécu l’expérience migratoire d’un
pays d’Afrique subsaharienne vers la France. Pour cela,
nous avons interrogé dix femmes africaines majeures, ayant
vécu cette expérience migratoire, se trouvant sans domicile
fixe depuis au moins six mois et étant enceintes de plus de
sept mois. Afin d’éviter des biais interprétatifs, nous avons
exclu de cette recherche les femmes présentant des troubles
psychiatriques avérés. Les femmes touchées durablement
par l’absence de domicile fixe sont principalement celles
qui ne peuvent avoir accès aux dispositifs de l’aide sociale.
Aussi, bien que l’absence de régularisation administrative ne
fasse pas partie de nos critères de recrutement, l’ensemble
des femmes participantes à notre recherche se trouvait sans
papiers lors du premier entretien de recherche.
Cette recherche s’inscrit dans une démarche qualitative
et prend appui sur des références ethnopsychiatriques inté-
grant des éléments psychanalytiques et anthropologiques.
Les recherches scientifiques ont démontré que le fonction-
nement du psychisme prend sa source durant la période
anténatale au sein d’un environnement socioculturel dont
il portera l’empreinte. L’homme est donc un être dont le
développement psychique ne trouverait pas son origine uni-
quement en lui-même. L’approche transculturelle, approche
complémentariste selon laquelle il y aurait une part sociale
et culturelle dans les représentations de chaque être humain,
nous semble indispensable afin de comprendre la manière
dont l’environnement socioculturel influe sur les représenta-
tions maternelles sans même que la femme en ait conscience.
Afin de mener à bien cette recherche, un hôpital ainsi que
deux centres de protection maternelle et infantile situés en Ile-
de-France ont participé au recrutement des participantes. Ce
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préalables à notre recherche a été de nous questionner sur
les enjeux psychiques et culturels de l’expérience migratoire
ainsi que ses retentissements sur l’expérience de la maternité
chez les femmes sans domicile fixe. La migration représente
un déplacement vers un nouveau lieu en vue d’une existence
meilleure, mais génère une perte des repères, des étayages
et bien souvent des références culturelles. Confrontées à
une exigence d’adaptation au pays d’accueil, ces femmes
vivent de profonds bouleversements externes (changement
de cadre social et culturel, changement de langue, absence
de domicile stable) mais aussi internes (modifications des
supports identificatoires). L’errance de la femme qui n’a
plus de lieu où se poser vient faire écho à une errance iden-
titaire en cela qu’elle vient réactiver fortement le vécu de
rupture d’avec le pays d’origine et d’avec le groupe social
ainsi que la perte de repères associée à l’expérience migra-
toire. Dans cette logique, l’absence de domicile fixe viendrait
ancrer la quête subjective propre à l’expérience migratoire
en la maintenant inachevée. Disposer d’un lieu de vie stable
apporte une sécurité matérielle mais aussi psychique à la
femme en ce sens que ce lieu représente un contenant externe
rendant la réalité extérieure moins menaçante. Lorsque ce
cadre s’avère défaillant et l’oblige à changer régulièrement
de domicile, la survenue d’une grossesse vient questionner
l’habilité psychique (Harel, 2008) de la future mère et le sens
que prendra pour elle cette naissance dans un lieu étranger
(où elle n’a pas de repères stables) et étrange (qui ne fait pas
toujours sens pour elle). Comment s’organisent les repré-
sentations maternelles de ces femmes durant la grossesse ?
En quoi se trouvent-elles modifiées lorsque l’extérieur fait
défaut, lorsque le réel devient inquiétant, voire menaçant ?
Comment évoluent-elles après la naissance de l’enfant ?
Afin de répondre à ces questions, des entretiens de
recherche ont été réalisés auprès de dix femmes se trouvant
entre le septième et huitième mois de grossesse puis entre les
deux et quatre mois du post-partum. Durant ces entretiens,
nous avons privilégié l’expression libre et les associations
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grossesse et de la naissance de l’enfant. Afin de prendre en
compte les enjeux culturels propres à notre population, nous
avons élaboré deux grilles d’entretien semi-directives que
nous avons nommées l’ETRG (Entretien Transculturel pour
les Représentations maternelles pendant la Grossesse) et
l’ETRN (Entretien Transculturel pour les Représentations
maternelles après la Naissance), respectivement inspirées
de l’IRMAG (Ammaniti, 1999) et de l’IRMAN (Interview
pour les Représentations Maternelles Après la Naissance)
(Ammaniti, 1999). Ces deux outils ont pour spécificité de
prendre en considération la dimension transculturelle à tra-
vers des questions concrètes et des relances faisant appel
aux éléments culturels en lien avec l’expérience de la mater-
nité. Chaque entretien était suivi d’une prise de notes dans
l’après-coup, centrées sur les comportements et les affects
observés durant l’entretien y compris ceux du chercheur.
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tations maternelles sont peu organisées et peu élaborées. On
trouve des descriptions qui peuvent être longues mais qui
comportent, à certains moments, des éléments contradic-
toires générant de la confusion et rendant la communication
peu claire. Durant la grossesse, il semble que ce soit lorsque
les premiers mouvements intra-utérins sont ressentis que
l’enfant devient perceptible avec plus de précisions. Cette
sensation favorise leur capacité de perception à l’égard du
fœtus, bien qu’elles ne peuvent décrire ces mouvements de
manière détaillée. Après la naissance de l’enfant, les détails
concernant leurs émotions, comportements et manière de
concevoir leur rôle maternel sont plus nombreux. Elles se
décrivent toutes comme des mères affectueuses et peu évo-
quent des éléments faisant référence à des difficultés dans la
relation avec l’enfant. La richesse des perceptions concerne
plus particulièrement la connexion de certains événements
avec les émotions qu’ils suscitent en elles. C’est seulement
après la naissance qu’elles décrivent des caractéristiques,
besoins matériels et affectifs, compétences interactives et
sentiments concernant leur enfant, bien que ces descriptions
restent essentiellement centrées sur les besoins primaires
de leur enfant qui sont, pour la plupart, interprétés en lien
avec leurs propres besoins personnels projetés sur l’enfant.
Ces différences entre les périodes pré- et post-natales
peuvent s’expliquer par le fait que pour beaucoup de fem-
mes migrantes, durant la grossesse, on ne doit pas parler de
l’enfant qui n’est pas encore visible sous peine d’attirer le
mauvais œil. C’est sa naissance effective qui permet une mise
à distance progressive des angoisses en lien avec les repré-
sentations culturelles du fœtus. Aussi, en post-natal, l’enfant
étant désormais visible et observable, les descriptions s’en
trouvent plus enrichies. Si l’on prend en exemple les pro-
pos de Madame N., jeune femme ivoirienne de 28 ans ren-
contrée à sept mois de grossesse, ses descriptions sont floues
et succinctes : « Elle bouge un peu, quand elle veut […] au
début, je comprenais pas mais maintenant ça va, je me suis
habituée », alors qu’en post-natal elles sont plus détaillées
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elle dit “maman, je veux que tu t’occupes de moi”. Elle veut
qu’on soit là avec elle, Kenza elle est jalouse. »
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dans le processus de parentalité est repérable dès la gros-
sesse et, de manière notable, après la naissance de l’enfant,
l’ensemble de ces femmes accordant une place centrale au
bébé dans leurs préoccupations du moment. Cependant, pen-
dant la grossesse, aucune ne semble pouvoir anticiper ce que
sera leur future organisation ni même leur mode de relations
intrafamiliales, comme si les contraintes environnementales
liées à l’absence de domicile fixe, venant s’ajouter à d’ancien-
nes blessures narcissiques, figeaient leur pensée dans l’ici et
maintenant. Après la naissance de l’enfant, cette anticipation
reste incertaine mais un avenir possible avec l’enfant est
désormais envisageable. Elles n’évoquent pour autant aucun
changement qu’elles vivent elles-mêmes en tant que femme
indépendamment de leur enfant (ni changements physiques,
ni changements psychologiques, ni changements relation-
nels). Les changements qu’elles repèrent restent essentiel-
lement centrés sur l’évolution des compétences interactives
de leur enfant et ce qu’elles soient ou non primipares. Leur
discours met en évidence une difficulté à se laisser toucher
et modifier par des événements en lien avec leur maternité
ainsi qu’une difficulté à s’identifier au bébé qu’elles tendent
à considérer comme un prolongement d’elles-mêmes, même
après sa naissance. Leur difficulté plus ou moins prononcée à
faire alliance avec le chercheur lors du premier entretien et,
à l’opposé, les mouvements d’identification projective mas-
sifs durant le deuxième vont dans le sens d’une difficulté à
s’adapter à de nouvelles situations et, par-delà, à accepter
l’introduction de nouveaux éléments ou personnes dans leur
quotidien.
L’intensité de l’investissement
Cette dimension détermine l’intensité de l’implication
psychologique de la femme concernant les expériences rela-
tives à sa grossesse, son enfant et sa relation avec lui.
Chez l’ensemble des femmes, on perçoit une implication
affective d’intensité forte à modérée au travers l’émergence
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perçue à la fois comme un événement divin et comme une
contrainte. Madame G, femme Banda de 34 ans d’origine
centrafricaine, nous dit en parlant de sa grossesse : « C’est
un don de Dieu... Si ma grossesse doit continuer comme ça,
c’est pas la peine ! » En post-natal, la relation à l’enfant est
hyper-investie et fortement idéalisée. Cela s’explique par le
fait que l’enfant est considéré comme un « enfant-messie »
devenant progressivement un support antidépressif néces-
saire pour affronter leurs propres difficultés. Elles expriment
spontanément des émotions fortes en lien avec la naissance
de l’enfant et, de façon plus défensive, des angoisses désta-
bilisantes dont on perçoit aisément les résonances émotives
personnelles, familiales et culturelles. Elles parcourent les
émotions, tant positives que négatives, qu’elles ont éprou-
vées sans essayer de les dissimuler, bien qu’elles manifestent
le besoin de les mettre rapidement à l’écart. La majorité
d’entre elles cherche à mettre en avant la joie procurée par
la naissance de leur enfant et le plaisir qu’elles prennent à
travers leurs interactions avec celui-ci. Pour reprendre les
propos de Madame G : « Chaque moment que Dieu me donne
avec lui, c’est ma plus grande joie. » Cette insistance manque
de nuances et témoigne de leur besoin de maîtriser l’ambi-
valence suscitée par la rencontre avec le bébé réel devenu
un individu à part entière. Elles se donnent toutes comme
tâche essentielle de protéger leur enfant et de lui fournir
de l’affection. Toutefois, elles envisagent leur rôle de mère
en s’appuyant sur leurs propres manques affectifs, plaçant
ainsi l’enfant dans une position de toute-puissance narcis-
sique. L’enfant choyé devient, par effet de projection, l’objet
réparateur de blessures narcissiques précoces.
La cohérence du récit
Cette dimension évalue la cohérence globale du récit que
fait la femme sur elle-même et sur son enfant. Cette cohé-
rence se réfère à la clarté du récit, à sa pertinence et à sa
plausibilité.
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21 novembre 2014 02:33 - La psychiatrie de l’enfant 2/2014 - Collectif - La psychiatrie de l’enfant - 135 x 215 - page 548 / 718 21 no
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stratégies d’évitement. Si l’on prend l’exemple de Madame J,
femme Baoulé originaire de Côte d’Ivoire, à sept mois de
grossesse elle nous relate : « On souffre pas ici, ça va mais ici
on vient, tu es toute seule dans la vie et (Madame claque la
langue contre son palet) c’est pas facile ! Vraiment c’est pas
facile ! » Après la naissance de l’enfant, leur discours devient
plus clair et plus argumenté mais les nombreuses digressions
concernant leur situation sociale introduisent des moments
de confusion dans le récit. Pour reprendre les propos de
Madame J aux deux mois de son enfant : « Maintenant je suis
plus assurée. C’est seulement quand elle pleure, je me sens
un peu embrouillée. Mais c’est ... pour les papiers… j’ai pas
encore … j’ai pas pu faire… »
Cette évolution constructive dans leur récit s’explique
par le fait que la naissance de l’enfant permet une mise en
lien entre passé et présent mais aussi entre ici et là-bas et une
mise en sens rendant le discours plus fluide et plus facilement
partageable. L’ensemble des femmes rencontrées présente
une organisation psychique globalement préservée, comme
en témoigne leur capacité à se projeter dans un futur aux
contours flous avec l’enfant. Bien que l’ébauche de projets
reste furtive, peu développée, la recherche des prénoms, les
préoccupations matérielles en lien avec les besoins de l’enfant
sont présentes dans l’ensemble des entretiens. Toutefois, on
trouve des éléments, signes d’une désorganisation psychique
transitoire, à savoir une incapacité à mettre en latence leur
désarroi lié à l’absence de domicile qui infiltre l’ensemble de
leur discours ainsi qu’une confusion temporo-spatiale pou-
vant aller, à l’extrême, jusqu’au sentiment d’étrangeté : « Je
ne sais plus où j’en suis » ; « Je ne sais plus où j’habite » ;
« Je ne sais plus qui je suis ». La prédominance de méca-
nismes de défense d’ordre névrotique (la dénégation, le refou-
lement, la culpabilité, l’agressivité, l’ambivalence) ponctués
de recours à des mécanismes de défense d’ordre psychotique
(le déni, le clivage, la projection) viennent confirmer cette
analyse. La naissance de l’enfant entraîne un réaménagement
psychique apportant, chez la majorité des participantes, une
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voie, un nouvel avenir avec leur enfant. Pour l’une d’entre
elles, Madame D, jeune femme Dida de 30 ans, originaire de
Côte d’Ivoire, c’est au contraire une rigidification des méca-
nismes de défense qui fait suite à la naissance de l’enfant,
venant ainsi mettre en lumière une fragilité préexistante à la
naissance de cet enfant.
Le degré de différenciation
Il s’agit d’analyser l’autonomie psychique de la femme,
c’est-à-dire sa capacité à se vivre comme une personne ayant
des besoins, des désirs et des caractéristiques personnelles
différenciés de ceux de son entourage et notamment de ceux
de son enfant.
Le degré de différenciation entre la mère et l’enfant reste
faible durant la grossesse et après la naissance de l’enfant.
Malgré l’aptitude à reconnaître l’existence de tiers, la
relation à l’enfant se situe principalement du côté du pôle
narcissique. En prénatal, les femmes reconnaissent des
caractéristiques, des besoins, des compétences interactives
spécifiques à l’enfant, mais ces éléments sont toujours mis
en parallèle avec leurs propres émotions. En post-natal, on
trouve une présence massive de projections identificatoires,
l’expression d’angoisses de séparation ainsi qu’une mise à
distance du tiers, notamment du père. L’enfant est considéré
par leur mère comme un allié face au père. L’enfant est mis
dans une position où conjugalité et parentalité se confondent
et devient un prolongement narcissique de leur mère, venant
combler un vide. Le niveau de différenciation psychosexuelle
entre les rôles paternel et maternel est lui aussi très faible.
Ces femmes manifestent une difficulté à reconnaitre la place
symbolique du père de l’enfant, même lorsque celui-ci est
physiquement présent ou que la relation conjugale perdure.
Cette organisation en miroir avec une confusion des rôles
paternel/maternel et un fonctionnement fusionnel excluant
le tiers fait résonnance à d’anciens conflits psychiques non
internalisés envahissant le devant de la scène psychique. Ce
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Madame M, jeune femme bamileke de 30 ans d’origine came-
rounaise, rencontrée à sept mois de grossesse nous explique :
« Tantôt je sens j’ai mal, tantôt je sens qu’elle bouge, elle dit
“maman il faut enlever le mal” » puis lors de l’entretien post-
natal, elle poursuit : « Ma fille, elle est comme moi, si je vais
bien elle va bien, si j’ai pas le moral aussi elle est triste. »
La dépendance sociale
Cette dimension met en évidence l’influence du groupe
familial, social mais aussi culturel sur les représentations
que la mère se fait de sa grossesse, de son enfant et d’elle-
même en tant que mère.
Le discours des femmes rencontrées concernant leur
rôle de mère et celui concernant leur enfant est empreint
de représentations socioculturelles de leur pays d’origine
bien que, pour certaines, ces éléments restent implicitement
contenus dans leurs propos. Le fonctionnement psychique
et la capacité de penser sont à considérer comme étant uni-
versels mais la pensée, quant à elle, s’organise à partir des
représentations culturelles du groupe d’appartenance qui
participent à l’organisation symbolique. Une partie de ces
représentations ne sont pas universelles mais se transmettent
de génération en génération. Elles subissent des remanie-
ments en fonction de l’histoire et du parcours de chacun,
mais restent le point d’ancrage de la vie psychique. Aussi,
durant la grossesse, on relève la présence d’éléments conflic-
tuels entre les logiques culturelles du pays d’origine et celles
du pays d’accueil, notamment à travers le recours défensif
au mécanisme du clivage. Cela se traduit, par exemple, en
prénatal chez Madame A, jeune femme Akan de 19 ans d’ori-
gine ghanéenne, par : « Je ne suis plus au Ghana donc moi
les trucs là-bas ça me dit plus rien… il faut que je suive ce
qui est ici. » Ces représentations culturelles sont exprimées
avec plus de facilité suite à la naissance de l’enfant, certaines
femmes allant jusqu’à en expliciter les fondements afin de
les rendre partageables et compréhensibles. Pour reprendre
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Durant la grossesse, certaines de ces représentations ayant
trait au fœtus, être invisible et vulnérable qu’il convient de
protéger de la curiosité et du « mauvais œil », sont contenues
implicitement dans le discours et donc moins facilement per-
ceptibles. En post-natal, on assiste à une articulation entre
ces logiques culturelles, par exemple à travers le choix des
prénoms dont, souvent, un est empreint des logiques du pays
d’origine et l’autre de celles du pays d’accueil, mais aussi à
travers le recours à des stratégies d’adaptation aux pratiques
culturelles du pays d’accueil en intégrant celles du pays d’ori-
gine. Par ailleurs, en post-natal, ces femmes expriment plus
directement et avec plus de détails les théories étiologiques
associées au sens qu’elles attribuent aux différentes étapes
traversées avec leur bébé. Cette évolution entre la période
pré- et post-natale s’explique par la mise en place de ce que
l’on peut appeler des « stratégies de métissage culturel ».
L’émergence de fantaisies
Il s’agit de la dimension fantasmatique consciente et
communicable concernant soi en tant que mère et l’enfant.
Ce qui est pris en compte n’est pas la quantité de fantaisies
mais leurs incidences sur le contenu des représentations
maternelles.
Durant la grossesse, les femmes rencontrées expriment
peu de fantaisies concernant l’enfant, bien qu’on retrouve
des indices implicites qui témoignent notamment de la pré-
sence de rêves non relatés. Madame P, jeune femme Bafia de
28 ans d’origine camerounaise, à sept mois de grossesse nous
explique : « Il faut attendre que bébé il sorte pour savoir »,
puis aux trois mois de son enfant : « Il est mon sauveur…
C’est lui qui a donné un sens à ma vie. »
Il s’agit, là encore, de mécanismes de protection du fœtus
contre le mauvais œil. En post-natal, les fantaisies sont plus
explicites, comme en témoignent l’expression de leurs désirs,
attentes, récits de rêves et explicitations du choix des prénoms.
Cela s’explique par le fait que la naissance de l’enfant permet
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Il leur permet aussi d’accéder à une visibilité sociale à travers
leur statut de mère et de se réinscrire dans une filiation sur le
plan transgénérationnel mais aussi culturel.
Tout au long des entretiens, on trouve un niveau accru
d’angoisse repérable à travers le recours à des expressions
formelles de type : « J’ai peur, je suis inquiète, je suis angois-
sée », mais aussi à des expressions somatisées de l’angoisse
(tremblements, respiration soutenue) ou encore à l’aspect
décousu, logorrhéique, voire inhibé du discours des partici-
pantes. Du côté du chercheur, certains mouvements contre-
transférentiels (agitation, tension ou empathie) émergent en
résonnance avec l’angoisse perçue chez les participantes.
La capacité de rêverie est entravée par les événements de
la réalité externe qui viennent court-circuiter leur capa-
cité à penser. Anticiper leurs besoins, évoquer leurs peurs
ou leurs désirs sous la forme de scénarios plus ou moins
articulés avec la réalité devient complexe. En prénatal,
les quelques fantaisies émergeantes concernent des peurs
communes à toutes les femmes enceintes et, plus spécifi-
quement, des peurs relatives à la capacité de protéger leur
enfant des menaces extérieures ainsi qu’à la culpabilité et
au sentiment d’impuissance associés à l’impossibilité de lui
fournir un environnement sécurisant. À certains moments,
des scénarios idéalisés émergent de manière furtive, comme
si la femme les gardait secrets afin de les préserver du regard
extérieur. Ces scénarios prennent appui sur les images écho-
graphiques (fixation à l’image-objet ou transformation en
image mentale – Rajon, 1996) et alimentent une fantasma-
tique préexistante. En post-natal, toutes arrivent à se réor-
ganiser pour accueillir leur enfant bien que, pour plusieurs
d’entre elles, des zones de fragilité se dévoilent suite à la nais-
sance de l’enfant. Ces zones de fragilité semblent résulter de
ruptures répétées ayant généré des conflits internes, non ou
mal résolus, dont la naissance de l’enfant est le révélateur.
Ces ruptures ont été fortement réactualisées par l’expé-
rience migratoire et se trouvent ici potentialisées par les
ruptures successives d’hébergement. Lors de l’entretien
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l’impact direct de ces ruptures sur les processus de pensée en
leur procurant un cadre contenant et en leur donnant l’espoir
de trouver une solution à court terme. Pour la majorité
d’entre elles, si aucune solution concrète d’hébergement n’a
pu être mise en place, un réseau de professionnels, formant
un maillage groupal, les entoure et l’accès à une régulari-
sation administrative est désormais envisageable. Pour celles
qui, a contrario, se trouvent à nouveau confrontées à l’iso-
lement et au sentiment de solitude, l’insécurité générée par
l’absence de domicile fixe refait surface de manière criante
et destructurante. Pour deux d’entre elles, malgré leur pré-
sence à l’entretien de recherche en post-natal, l’échange ini-
tialement prévu a été dévié par l’urgence et la prédominance
de leurs préoccupations matérielles. Pour une troisième qui
s’apprêtait à se retrouver à nouveau sans solution d’héber-
gement, l’entretien a mis en évidence une forte rigidification
des mécanismes de défense susceptible, à terme, d’amoindrir
la disponibilité de cette mère à l’égard de son bébé.
On retrouve aussi, chez l’ensemble des femmes ren-
contrées, une difficulté à trouver leur place dans la société
française, mais aussi dans leur groupe social d’origine, dif-
ficulté qui s’estompe en post-natal. Suite à la naissance de
l’enfant, l’attribution des prénoms, souvent emprunts des
logiques culturelles du pays d’origine et du pays d’accueil
des participantes, semble permettre un ancrage dans une
filiation remise en question par la migration et dans une affi-
liation nouvelle à la société française. Par l’acte symbolique
de la nomination, la femme devenue mère renoue avec ses
origines tout en s’inscrivant dans un nouvel environnement.
Par-delà, la naissance de l’enfant devrait faciliter, à plus
long terme, l’obtention de papiers et, par conséquent, la per-
spective d’une insertion possible en France. L’enfant permet
donc une inscription physique, psychique et culturel, « un
lien entre ici et là-bas […] comme un trait d’union qui ouvre
à un avenir possible et représentable » (Moro et al., 2008),
amoindrissant ainsi l’impact de l’instabilité du cadre externe
sur les processus de pensée.
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La migration, l’absence de domicile fixe et la maternité
se rencontrent ici à une période où la vulnérabilité de ces
femmes est un enjeu majeur pour le devenir de la relation
mère-enfant. L’expérience migratoire est à rapprocher de
celle de la maternité. La migration représente une étape bou-
leversante et souvent douloureuse, mais elle constitue aussi
une expérience de subjectivation qui amène la femme à réin-
terroger son histoire et sa place dans les générations. Cette
expérience met à l’épreuve la solidité de ses assises narcis-
siques et son rapport à l’autre, ce que l’on retrouve dans
celle de la maternité. Lorsque que l’on entend parler de ces
femmes qui « tombent enceintes » alors qu’elles n’ont pas
les moyens de subvenir à leurs propres besoins, on évoque
souvent un décalage culturel, au mieux une faille narcissique
que cet enfant viendrait réparer. On oublie que la mater-
nité constitue aussi un moyen d’élaboration subjective qui
reviendrait à donner naissance à l’autre mais aussi à soi-
même. Ce processus d’émancipation est comparable à celui
déjà recherché à travers l’acte migratoire qui consiste à quit-
ter un lieu pour accéder à une existence meilleure et créer sa
propre voie.
Ce cheminement ne se fait cependant pas toujours sans
heurt et dépend des fondements psychiques propres à cha-
cune, mais aussi des supports externes sur lesquels la femme
qui devient mère peut s’appuyer. Si donner naissance
entraîne toujours des doutes quant à ses compétences mater-
nelles, en situation migratoire, les repères identificatoires se
trouvent d’autant plus fragilisés que le pays d’accueil dis-
crédite ce que la femme pense être bon et adapté pour son
enfant. Son aspiration à l’autonomie se trouve à nouveau
entravée par la contrainte à se conformer aux modèles nor-
matifs imposés par notre société. En Afrique, c’est le groupe
social, notamment les femmes proches de la future mère, qui
accompagne le passage du statut de femme au statut de mère.
En situation migratoire, l’absence de références culturelles
rend plus complexe cette transmission et la réorganisation
psychique sous-jacente, introduisant parfois du doute dans
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la mère de s’appuyer sur un modèle identificatoire opérant.
Cet étayage sécurisant assure une continuité entre la culture
d’origine et celle de la société d’accueil, facilitant par la suite
l’acceptation de nouvelles pratiques médicales (échographie,
péridurale ou accouchement par césarienne) et de nouvelles
pratiques éducatives (sevrage précoce, responsabilité éduca-
tive partagée sur la base de la famille nucléaire, place de la
parole de l’enfant, etc.) (Becker et Anouck, 2007 ; Moro et
al., 2008). Celle qui ne bénéficie pas d’entourage rassurant
est confrontée à une adaptation brutale et éprouve parfois
un sentiment de perte d’identité. Lorsqu’à cela s’ajoute
l’absence de domicile fixe, ses capacités d’élaboration se
trouvent entravées par les ruptures successives d’héberge-
ment dont l’effet est majoré par la réactivation des ruptures
migratoires au point, parfois, de figer sa pensée. L’absence
de papiers vient alors complexifier la mise en place de solu-
tions et suspend la femme à la recherche de moyens pour
obtenir une régularisation administrative.
Avec la naissance de l’enfant, la femme acquiert un statut
socialement reconnu, celui de mère, et sort de l’anonymat
et de l’invisibilité sociale. L’enfant vient ainsi symboliser ce
lieu et le faire exister en introduisant de la continuité là où il
y avait rupture, favorisant ainsi la redynamisation des pro-
cessus de pensée de la femme.
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l’expression de la pensée, de la souffrance, de l’agressivité
de ces femmes sans qu’elles se sentent censurées, jugées ou
disqualifiés. Ces situations peuvent confronter les profes-
sionnels à des mouvements de sidération, des mouvements
d’identifications massives ou, au contraire, de rejet, tout
autant que des sentiments d’impuissance. Il est nécessaire de
co-construire un cadre en équipe pluridisciplinaire au ser-
vice de cette clinique éprouvante. La discontinuité générée
par les ruptures répétées vécues dans leur parcours raisonne
fortement sur le cadre institutionnel qui est bien souvent
mis à mal. Cela met à l’épreuve le lien entre professionnels
mais aussi avec ces femmes, de par leurs absences répétées
lors des rendez-vous qui impriment une discontinuité dans
le lien établi et révèle la fragilité de leur engagement dans
celui-ci. Leur attention se concentre généralement sur la
satisfaction des besoins primaires : avoir de l’argent pour
manger ; trouver un endroit où dormir. Il devient difficile
pour elles d’anticiper le lendemain et de faire des projets en
lien avec la naissance de leur enfant. Cela affecte leur per-
ception du temps : leur quotidien est rythmé par les repas,
les recherches d’hébergements et les éventuels rendez-vous à
la maternité ou chez l’assistante sociale. Les journées se res-
semblent et peu à peu le moment présent prend toute la place
au détriment des liens qui pourraient se faire avec le passé et
l’avenir. La mise en récit devient source de souffrance avec
une pensée infiltrée de préoccupations quotidiennes, comme
celle de savoir où elles passeront les prochaines nuits. Les
services sociaux sont souvent les seuls lieux que ces femmes
fréquentent régulièrement, mais les intervenants n’ont pas
toujours le temps suffisant ni les outils adaptés qui permet-
traient de leur proposer un soutien préventif efficace. Il est
important de dispenser des formations continues aux profes-
sionnels afin de mieux cerner les problématiques singulières
et pluridimensionnelles de ces femmes migrantes, enceintes
et sans domicile fixe, ainsi que de comprendre les enjeux psy-
chiques à l’œuvre tant au niveau de la femme qu’au niveau
des professionnels. Ces formations concernent notamment
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La mise en place d’interventions précoces autour d’un
projet médico-social, plaçant la femme et l’enfant au centre
d’une réflexion pluridisciplinaire, permet d’apporter un
soutien préventif dans la relation mère-enfant et ce, même
si l’absence de papiers limite les moyens à disposition des
professionnels. L’élaboration d’un projet avec la femme faci-
lite la structuration de sa pensée et lui redonne des repères
spatio-temporels. De même, la restitution auprès d’elle des
échanges interprofessionnels lui donne une place active dans
la prise en charge et c’est parfois l’occasion pour elle d’éla-
borer d’autres aspects de sa position parentale. Le temps
de concertation entre professionnels est primordial. Les
différents professionnels doivent mettre en commun leurs
expertises à l’occasion d’une concertation pluridisciplinaire
incluant les acteurs du secteur médical et ceux du secteur
social en contact avec la femme. À l’issue de cet échange,
où la réalité clinique de la mère et de son enfant est prise en
compte, un projet médico-social pourra être partagé et porté
par tous, avant tout par la femme elle-même. La période
post-natale est souvent moins investie par les professionnels,
comme si, une fois l’enfant présent, le danger était écarté.
Nombre de ces femmes ont le sentiment qu’elles perdent
l’intérêt des professionnels à distance du post-partum immé-
diat, comme si l’enfant était le seul lien fortement investi et
le seul objet qui leur donnait de la valeur. On voit apparaître
durant cette période des sentiments d’abandon, de rivalité
ou de dépréciation. Ces femmes auraient besoin de garder
un canal de communication bien défini avec les équipes pré-
sentes en prénatale, de manière à éviter la répétition des
ruptures et de favoriser la continuité des prises en charge.
Face à ces situations pluridimensionnelles, le travail cli-
nique trouve sa place à l’articulation entre les dimensions
sociale, culturelle et psychologique, d’où la pertinence
d’approches complémentaristes et la nécessité d’une étroite
collaboration entre les professionnels d’une même équipe.
En ce sens, la rencontre avec le psychologue est à penser
comme un étayage fondé sur la rencontre humaine, support
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ponible sans rien attendre d’elle. Dans un premier temps,
il doit favoriser l’établissement progressif d’un lien de
confiance et renoncer au travail sur les contenus psychiques.
Le travail clinique consiste progressivement à rendre le dis-
cours plus fluide, à faciliter l’équilibre entre un trop plein
de paroles correspondant à une décharge d’affects insup-
portables et une parole lacunaire qui se traduirait par des
blancs faisant suite à des événements douloureux non éla-
borés. Peu à peu, le clinicien revêt une fonction de mise en
lien entre des espaces-temps restés bien souvent clivés. En ce
sens, il peut être comparé à un véritable tisserand qui tisse
divers fils pour en faire une étoffe. Au fur et à mesure, les
rencontres facilitent la mise en lien, liens de la femme avec
les autres membres de l’équipe, liens avec des éléments de
son passé, de son présent mais aussi de son futur, tout autant
que des liens entre sa culture d’origine et celle de son pays
d’accueil. Progressivement, il s’agit d’entendre ce qui se joue
pour elle dans son parcours de vie en retraçant son histoire
depuis son enfance jusqu’à ce jour, en mettant des mots sur
des événements douloureux et sur des séparations souvent
encore vives.
La relation duelle apporte à ces femmes une attention
continue et favorise ainsi la restauration d’un sentiment
de sécurité interne endommagé. Ce cadre, s’il est suffisam-
ment contenant et étayant, leur permettra de s’aventurer à
retracer leur histoire et favoriser l’amorce d’une démarche
introspective. Bien souvent, l’errance générée par l’absence
de domicile entrave l’accès à leur culture d’origine et à celle
du pays d’accueil, en potentialisant l’effet traumatique de
la situation migratoire. Les espaces-temps risquent de res-
ter clivés si le clinicien n’invite pas de lui-même la femme
à revisiter les éléments propres à la représentation sociale
de la maternité dans sa culture d’origine et dans celle de la
société d’accueil, et à les mettre en lien avec celle qu’elle s’est
formée au cours de son histoire. Pour le professionnel, il est
avant tout primordial de se décentrer de ses propres repré-
sentations individuelles et collectives pour accueillir avec
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vit-elle les étapes que représentent la migration et la mater-
nité ? Se sent-elle comprise et soutenue dans ses représen-
tations et ses façons de faire ? Le clinicien doit être prudent
et ne pas se laisser submerger par les incertitudes induites
par cette clinique éprouvante. Les aspects dépressifs sont
fréquents en cette période, notamment lorsque les condi-
tions de vie sont source d’insécurité et génèrent souvent une
forte empathie chez les professionnels, dans la mesure où ils
n’amoindrissent pas trop la mise en action de ces femmes. A
contrario, les manifestations de révolte sont souvent mal per-
çues et peuvent induire en résonance des réactions de rejet,
voire de l’agressivité chez les professionnels, ce qui ne fait
qu’accentuer la méfiance et le sentiment de solitude de ces
femmes. Ces rencontres génèrent chez tous les professionnels
de vives réactions et émotions, constituant de véritables élé-
ments d’analyse clinique qu’il convient de prendre en consi-
dération dans la compréhension de ces situations.
Il est nécessaire de prévoir la mise en place de dispo-
sitifs préventifs transculturels. Ce qui est en jeu pour ces
femmes, ce sont autant les aspects psychiques et culturels
que les relations interpersonnelles. Reconstituer un maillage
socio-culturel est un élément essentiel pour les accompagner
dans l’intégration et la mise en sens de leur parcours. À titre
d’exemple, dans le cadre de l’association dans laquelle je
travaille, j’ai mis en place avec une collègue éducatrice un
groupe d’expression et de soutien que les participantes à ce
groupe ont intitulé : « La parole aux femmes ». Ce groupe se
réunissait une fois par mois pendant une heure et demie dans
une salle de l’association, lieu connu et identifié comme pro-
tecteur par l’ensemble des participantes. Elles avaient pour
point commun l’expérience migratoire, celle de la maternité
et celle de l’absence de domicile fixe, quels que soient leur
culture, leur âge, leur avancée dans leur parcours d’inser-
tion (certaines étaient sans papiers, d’autres non, certaines
étaient prises en charge par le 115, d’autres par des centres
d’hébergement, d’autres avaient été relogées). Ce groupe
permettait, en outre, de rompre l’isolement social et culturel
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traditionnelles dans lesquelles la relation duelle est rare et
peut être vécue comme anxiogène, voire menaçante, surtout
dans les premiers temps. Le groupe permet la reconstruc-
tion d’un maillage groupal sur lequel les femmes peuvent
s’appuyer, un espace de transition vers des espaces plus
individualisés.
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d’actions préventives proposant un étayage suffisamment
contenant et solide pour permettre à ces femmes et à leurs
enfants de s’appuyer sur un cadre externe structurant qui
les aide à construire une relation harmonieuse. L’enjeu est
majeur pour le devenir de ces enfants nés dans des situations
de grande errance.
RÉfÉrences
Automne 2012
Élodie Panaccione
9 rue de la Petite Pierre
75011 Paris
[email protected]