Les Vrilles de La Vigne - Bain de Soleil - LL
Les Vrilles de La Vigne - Bain de Soleil - LL
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Voici une
analyse
linéaire du
fragment
« bain de
soleil » issu
de la nouvelle
« En marge
d’une page
blanche II »
(également
nommée « en baie de somme« ) dans Les vrilles de la vigne de Colette.
L’extrait étudié va de «"Poucette, tu vas te cuire le sang"» à «"la vapeur azurée qui vibre
au-dessus des dunes"»
Elle a séjourné dans la ville portuaire nommée Le Crotoy à partir de l’été 1906, et y a
rédigé le recueil de nouvelles intitulé Les Vrilles de la Vigne. (Voir la fiche de lecture de
Sido et Les Vrilles de la vigne)
Extrait étudié
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Poucette, tu vas te cuire le sang ! viens ici tout de suite ! » Ainsi apostrophée du
haut de la terrasse, la chienne bull lève seulement son museau de monstre
japonais, couleur de bronze. Sa gueule, fendue jusqu’à la nuque, s’entrouvre par
un petit halètement court et continu, fleurie d’une langue frisée, rose comme un
bégonia. Le reste de son corps traîne, écrasé comme celui d’une grenouille
morte…Elle n’a pas bougé; elle ne bougera pas, elle cuit…
Midi sonne au Crotoy, et mon ombre courte se ramasse à mes pieds, coiffée d’un
champignon…
Douceur de se sentir, sans défense et sous le poids d’un beau jour implacable,
d’hésiter, de chanceler une minute, les mollets criblés de mille aiguilles, les reins
fourmillants sous le tricot bleu, puis de glisser sur le sable, à côté de la chienne qui
bat de la langue !
Problématique
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Comment, dans ce passage tout en sensualité, Colette nous conduit-elle au cœur de
cette torpeur ?
Puis, de «"mon pied nu tâte amoureusement"» à «"la marée dernière"», nous verrons
comment, par le travail de l’écriture, le sable devient mer, la plage un gouffre de lumière
qui nous conduisent au cœur de la torpeur.
I – Un paysage impressionniste
La nouvelle commence ensuite in medias res (=dans l’action) par une apostrophe
comique qui joue sur la surprise du lecteur: «"Poucette, tu vas te cuire le sang ! viens ici
tout de suite !"».
L’exclamation prévient du danger de rester en plein soleil. On n’apprend qu’un peu plus
loin l’identité de Poucette, petite «"chienne bull"» de l’auteur.
Le décor, lui, est suggéré par la précision «"du haut de la terrasse"», mais on n’en sait
pas plus pour le moment, car c’est un portrait amusé de Poucette, écrasée de chaleur,
que dresse à présent Colette.
L’ordre est donc inefficace, comme le souligne l’adverbe «seulement» dans «"la chienne
bull lève seulement son museau"».
La seule partie mouvante de son corps est sa gueule: «"fendue jusqu’à la nuque"».
Elle«"s’entrouvre pour un petit halètement court et continu"», signe que l’animal a chaud.
Sa langue est comparée à une fleur, tout d’abord par le participe «"fleurie"»,
métaphorique, puis par la comparaison «"rose comme un bégonia"». On retrouve
l’univers sensuel et poétique de Colette, proche de la nature.
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Hormis cette gueule mouvante et colorée, «"le reste de son corps"» est terrassé de
chaleur: il «"traîne, écrasé comme celui d’une grenouille morte"», la comparaison
suggère des pattes courtes et repliées.
L’immobilité de l’animal est mise en valeur par la conjugaison du même verbe au passé
composé puis au futur, et par la répétition de la négation: «"Elle n’a pas bougé; elle ne
bougera pas"». Il s’agit d’une épanorthose qui souligne avec humour la détermination de
la chienne.
Le regard de la narratrice se lève alors sur le paysage, que le lecteur découvre en même
temps qu’elle.
C’est un horizon flouté par la «"brume de chaleur"», qualifié un peu plus bas de
«"brouillard moite et bleu"».
Le verbe «baigne», métaphorique, fait de cette brume une sorte de mer aérienne qui
imprègne tout.
La terre elle-même semble perdre consistance, devenir légère, car l’air chaud brouille
les lignes comme le souligne le champ lexical de la confusion ("« brouillard », « moite »,
« flotter », « inconsistante », « mirage »"): «"Reculée derrière ce brouillard moite et bleu,
la pointe de Saint-Quentin semble frémir et flotter, inconsistante comme un mirage…"».
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De « "Mon pied nu tâte amoureusement" » à «"la marée dernière"»
Avec sensualité, la première personne entre dans le récit à travers l’adjectif possessif
« mon » : «"Mon pied nu tâte amoureusement la pierre chaude de la terrasse"».
C’est par la plante des pieds, par le toucher, que Colette prend conscience de la chaleur
intense et bienfaitrice du soleil.
Tout en renouvelant vainement son ordre à Poucette, la narratrice descend comme vers
une mer de chaleur et de lumière: «"Et je descends l’escalier dont les derniers degrés
s’enlisent, recouverts d’un sable plus mobile que l’onde"».
Alors que tout est figé dans la torpeur et semble mort, seul le sable est «"vivant"»: «"ce
sable vivant qui marche, ondule, se creuse, vole"».
La plage est une fournaise. Avec la lumière éblouissante qui s’élève du sable («"La
plage éblouit…"») vient aussi la chaleur: «"…et me renvoie au visage […] une chaleur
montante"».
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Éblouissement et chaleur sont insoutenables. La comparaison au « "foyer trop ardent"»
et l’adverbe «trop» en soulignent l’excès.
Et de même que la narratrice avait plaisir à sentir sur la plante de ses pieds la chaleur du
sol, c’est par les «orteils», devenus sujets d’un verbe d’action qu’elle cherche la
fraîcheur: «"Mes orteils fouillent le sable pour trouver […] la fraîcheur salée, l’humidité de
la marée dernière…"».
L’image de l’ombre «courte» qui «"se ramasse"»aux pieds de la narratrice signale que le
soleil est à l’aplomb, écrasant.
Dominée par cette chaleur, vulnérable, la narratrice cède elle aussi peu à peu à la
torpeur, en une longue phrase qui occupe tout le paragraphe et constitue une
exclamation de plaisir: «"Douceur de se sentir sans défense…!"».
À travers le champ lexical du combat, Colette souligne toujours l’aspect double de cette
chaleur, bienfaisante et dangereuse : "« sans défense », implacable », « criblés de
milles aiguilles »."
L’expression «"sous le poids d’un beau jour implacable"», reprend cette dualité, avec
d’une part le «"beau jour"», de l’autre l’idée de «"poids"», d’écrasement, d’une chaleur
«"implacable"» et donc impitoyable.
Les sensations physiques témoignent des effets intenses de ce bain de soleil : «"les
mollets criblés de mille aiguilles, les reins fourmillants sous le tricot bleu"».
La voilà vaincue comme Poucette : «"à côté de la chienne qui bat de la langue !"». Les
termes monosyllabiques ou bisyllabiques restituent l’halètement de l’animal.
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C’est alors la métaphore de la mort qui revient, avec le terme «"linceul"» (métaphore
reprise à la fin de l’extrait) : «"un linceul de sable me couvre à demi"».
Le sens du toucher, passant à nouveau par la plante des pieds, en contact avec le
sable, est évoqué: «"Si je bouge, un fin ruisseau de poudre s’épanche au creux de mes
jarrets, chatouille la plante de mes pieds"».
C’est ensuite la vue: «"Le menton sur mes bras croisés, la cloche de jonc borne mes
regards"» .
Si la narratrice ne peut voir au loin, ce chapeau lui donne aussi la liberté de rêver sans
être vue: «"je puis à mon aise divaguer"».
Alliée à la chaleur, la paille du chapeau lui évoque une image exotique: «"me faire une
âme nègre à l’ombre d’une paillote"».
Ce champ de vision rétréci («"sous mon nez"») lui permet d’apercevoir les «"trois puces
de mer"» qui «"sautent, paresseusement"». L’adverbe « paresseusement » montre
qu’elles non plus n’échappent pas à la torpeur ambiante.
Ces sont des phrases nominales qui closent ce paragraphe, et qui, alliées aux points
de suspension, donnent l’impression d’une pensée qui plonge elle aussi dans la
torpeur, divague et s’interrompt: «"Chaleur, chaleur…"».
Elle se confond alors avec la brume bleue et moite dont elle suit le mouvement : «"et
s’évanouit avec la vapeur azurée qui vibre au-dessus des dunes…"».
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À partir de l’image comique de la chienne qui profite du soleil implacable, cet extrait
« bain de soleil », rédigé tout au présent, nous introduit dans un paysage estival où le
temps est suspendu.
Tout se tient à la fois immobile et ondoyant de chaleur, les tons sont doux et pastels :
brume bleue, sable blond, puces de mer «"grise agate"». Tout y semble transparent, les
contours sont flous.
Allongée dans le sable qui devient mer de lumière, elle s’y fond, et sa pensée elle-même
s’absorbe dans le bleu de la brume.
8/8