Vous Ne Possederez Rien
Vous Ne Possederez Rien
Vous Ne Possederez Rien
l’état servile
Titre original : The Servile State
Édition originale publiée en 1912 par T. N. Foulis, Londres, Édimbourg.
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Radu Stoenescu.
VO U S N E P O S S É D E R E Z R I E N
l’état servile
Traduction, notes et préface de
Radu Stoenescu
CARMIN
2024
préface. — posséder pour
ne pas être possédé
C
e livre traite de deux choses : il explique pourquoi les
grandes entreprises ont mis en place d’humiliants stages
de rééducation, afin de prévenir par exemple les « discri-
minations sexistes », et il expose aussi l’absurdité d’un célèbre
adage de Confucius. Qui n’a pas déjà entendu, suffisant et haut
placé, l’un de ces managers du malheur moderne dire gravement
à l’attention des nécessiteux : « Quand un homme a faim, mieux
vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson » ?
Ce livre souligne un problème, auquel le sage chinois n’avait pas
pensé : « À quoi bon apprendre à pêcher, pourrait répliquer un
hypothétique candidat à la formation de “pêcheur”, si le lac n’est
pas à moi ? Pourquoi développer des compétences, à quoi bon
me former et apprendre, si je ne peux appliquer ces aptitudes
nouvelles à aucune matière, si rien ne m’appartient ? » On verra
plus loin le lien nécessaire entre cette dépossession et les stages
de rééducation en entreprise.
Des technocrates promoteurs d’une « quatrième révolution
industrielle » se sont récemment enorgueillis de défendre expli-
citement cette perspective. « Bienvenue en 2030. Je ne possède
rien, je n’ai pas d’intimité, et la vie n’a jamais été meilleure »,
rêvait les yeux ouverts Ida Auken, ex-ministre danoise de
l’Environnement et pasteure de l’Église évangélique-luthérienne
du Danemark, selon le titre d’un article célèbre, publié par le
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13. « [L]e clivage droite/gauche, tel qu’il en est venu à fonctionner de nos
jours, est la clé politique ultime des progrès constants de l’ordre capitaliste.
Il permet, en effet, de placer en permanence les classes populaires devant
une alternative impossible. Soit elles aspirent avant tout à être protégées contre
les effets économiques et sociaux immédiats du libéralisme (licenciements,
délocalisations, réformes des retraites, démantèlement du service public, etc.),
et il leur faut alors se résigner, en recherchant un abri provisoire derrière la
gauche et l’extrême gauche, à valider toutes les conditions culturelles du sys-
tème qui engendre ces effets. Soit, au contraire, elles se révoltent contre cette
apologie perpétuelle de la transgression, mais, en se réfugiant derrière la droite et
l’extrême droite, elles s’exposent à valider le démantèlement systématique de
leurs conditions d’existence matérielles, que cette culture de la transgression
illimitée rend précisément possible. Quel que soit le choix politique (ou élec-
toral) des classes populaires, il ne peut donc leur offrir aucun moyen réel de
s’opposer au système qui détruit méthodiquement leur vie. » L’Empire du
moindre mal, ch. iv, éd. Flammarion, 2007.
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Préface. — Posséder pour ne pas être possédé
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L’État servile est écrit alors que le système dans lequel nous
vivons aujourd’hui n’en est qu’à ses balbutiements, où la plu-
part des métiers fonctionnent encore de façon « libérale », pour
le meilleur et pour le pire. Ce que Belloc voulait souligner
à l’époque, et ce que nous voyons aujourd’hui, c’est qu’en aug-
mentant la protection sociale, on perd progressivement la liberté,
et plus particulièrement la liberté de contracter, et de fixer sa
rémunération. L’État tutélaire se mêle de toutes les relations
entre les individus, à défaut d’avoir augmenté l’indépendance
concrète de chacun, c’est-à-dire sa puissance économique de pro-
duire de la richesse.
Le propos de Belloc pourrait sembler à certains rejoindre
les analyses de Friedrich Hayek ¹⁹ dans la Route de la servitude
(1944), qui rappelle élogieusement ce texte ²⁰, et qui défend la
même thèse, à savoir qu’à force de réguler l’économie, de « pla-
nifier », l’État finit par supprimer les libertés politiques. Or, si
le constat est identique, Hayek n’en tire pas les mêmes conclu-
sions, puisqu’il défendra le libéralisme économique au sens du
xixe siècle, avec toute son instabilité (et ses horreurs), causée
par les grandes entreprises, voie qui fut suivie par ses disciples
politiques, Margaret Thatcher et Ronald Reagan.
Si Belloc se fait l’avocat de la petite entreprise et des petits pro-
priétaires ²¹ organisés en corporations, tandis qu’Hayek devient
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25. Voir chap. iv, p. 40. Alors que Belloc détestait cordialement l’auteur
du Capital, son analyse historique rejoint exactement les sarcasmes de Karl
Marx : « Cette accumulation initiale joue dans l’économie politique à peu près
le même rôle que le péché originel en théologie. Adam a mordu la pomme,
et le péché s’est abattu sur le genre humain. On en explique l’origine en la
racontant comme une anecdote du temps passé. Il était une fois, il y a bien
longtemps de cela, une élite laborieuse d’un côté, intelligente et avant tout
économe, et de l’autre une bande de canailles fainéantes, qui gaspillait sans
compter les biens de cette élite. La légende religieuse de la chute théologique
nous raconte, il est vrai, comment l’homme fut condamné à gagner son pain à
la sueur de son front ; l’histoire du péché originel économique, en revanche,
nous révèle pourquoi il est des gens qui n’en ont nul besoin. Passons !… Or il
advint ainsi que les uns accumulèrent de la richesse et que les autres n’eurent
en définitive rien d’autre à vendre que leur peau. Et c’est de ce péché originel
que date la pauvreté de la grande masse qui, en dépit de tout son travail, n’a
toujours rien d’autre à vendre qu’elle-même, et la richesse de quelques-uns, qui
croît continuellement, bien qu’ils aient depuis longtemps cessé de travailler ;
c’est ce genre d’histoire puérile et insipide que, par exemple, Monsieur Thiers
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pur folklore. […] En reprenant une lutte qui d’ailleurs est dans sa
tradition (la lutte de la papauté contre l’empire), mais pas pour
la conquête du pouvoir, l’Église pourrait être le guide, grandiose
mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent […] le nouveau
pouvoir de la consommation, qui est complètement irréligieux,
totalitaire, violent, faussement tolérant et même, plus répressif
que jamais, corrupteur, dégradant […]. C’est donc ce refus que
l’Église pourrait symboliser, en retournant à ses origines, c’est-à-
dire à l’opposition et à la révolte ²⁹. »
Par-dessus tout, Belloc retient du catholicisme son âge des
cathédrales, qu’il donne en exemple d’un « État distributif »
presque achevé, c’est-à-dire d’un État où la société était majo-
ritairement composée de propriétaires de leurs moyens de pro-
duction — État malheureusement détruit en Angleterre par la
folie d’un Henri VIII, puis sur le continent par les suites de
la Réforme protestante. Si ses analyses du Moyen Âge peuvent
paraître trop belles, elles semblent validées par le spécialiste
Jacques Le Goff, qui explique la « douceur de vivre » relative
de cette époque, par rapport à l’obsession du rendement foncier
capitaliste ultérieur, par le fait que « la propriété, comme réalité
matérielle ou psychologique, est presque inconnue du Moyen
Âge. Du paysan au seigneur, chaque individu, chaque famille n’a
que des droits plus ou moins étendus de possession provisoire,
d’usufruit ³⁰. » Il se pourrait toutefois que Belloc idéalise un peu
cette période, car c’était aussi une époque où chaque homme
avait un statut individuel fixé par sa naissance — or, ce qu’il
déplore dans l’État servile, c’est précisément le rétablissement
subreptice des statuts personnels.
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Préface. — Posséder pour ne pas être possédé
31. La Royauté, au roi de Chypre, I, ch. xv, éd. Louis Vivès, 1857.
32. Voir notamment la Convivialité (1973), mais toute l’œuvre d’Illich est
consacrée à l’étude de la contre-productivité des grandes entreprises capitalistes,
et des moyens de la dépasser.
33. Voir l’Effondrement des puissances (1957), éd. R&N, 2023, trad. Tho-
mas Bourdier ; et Une question de taille d’Olivier Rey, éd. Stock, 2014.
34. Voir les remarques sur les « Lois sur l’éducation », p. 99 et suiv.
35. Traduit malencontreusement par Une société sans école, en 1971 au Seuil.
Or le titre signifie « déscolariser la société ».
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39. Pour un état des lieux, lire l’œuvre de Guy Debord. Soulignons l’intérêt
du plus méconnu Véridique Rapport sur les dernières chances de sauver le capi-
talisme en Italie de Censor (Gianfranco Sanguinetti), 1975, trad. Guy Debord,
éd. Ivrea, 2003.
40. Antonio Francesco Rosmini (1797-1855), polymathe et prêtre catho-
lique, fondateur de l’institut de la Charité (appelée aussi congrégation des
Pères rosminiens) et béatifié en 2007.
41. Voir notamment Philosophie de la politique, éd. Bière, 2000.
42. Voir Essai sur la révolution d’Hannah Arendt (1963), notamment le
ch. vi « La tradition révolutionnaire et son trésor oublié ».
43. Voir Jacques Ellul, Autopsie de la révolution, 1969.
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Radu Stoenescu
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Les notes appartenant à l’auteur sont indiquées par « N. D. A. ».
Les autres sont le fait de l’éditeur.
À E. S. P. Haynes ¹
C
e livre est écrit pour développer la thèse que la société
industrielle, telle que nous la connaissons, nous conduira
à la restauration de l’esclavage.
2
Introduction. — Le sujet de ce livre
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Introduction. — Le sujet de ce livre
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Introduction. — Le sujet de ce livre
L
’homme, comme tout autre organisme, ne peut vivre que
par la transformation de son environnement à son propre
usage. Il doit faire passer son environnement d’un état
où il n’est guère en mesure de satisfaire ses besoins à un état où
il l’est davantage. Cette transformation spéciale, consciente et
intelligente de son environnement, propre à l’intelligence parti-
culière et à la faculté créatrice de l’homme, nous l’appelons la
production de richesses.
La richesse est une matière qui a été consciemment et intelli-
gemment élevée d’une condition dans laquelle elle est peu apte
à répondre à un besoin humain à une condition dans laquelle
elle est plus apte à le faire. Sans richesses, l’homme ne peut exister.
Il lui est nécessaire d’en produire, et bien qu’elles aillent du plus
nécessaire au moins nécessaire, et même jusqu’à ces formes de
production que nous appelons luxueuses, dans toute société
humaine donnée il y a un certain type et une certaine quantité
de richesses sans lesquelles la vie humaine ne se maintiendrait
pas : par exemple, en Angleterre aujourd’hui, certaines formes
d’aliments cuits et préparés avec soin, de vêtements, d’énergie
pour le chauffage et d’habitation ¹.
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mots plus anciens et mieux connus. [N. D. A.] [Belloc reprend ici la thèse
défendue dans son article « An examination of socialism » (St George Review,
1908). Il y explique qu’avec la socialisation des moyens de production, c’est la
liberté économique et l’honneur personnel des hommes qui disparaîtraient.]
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De même, l’État n’est pas servile lorsque tous les citoyens sont
susceptibles de soumettre leur énergie à la contrainte du droit
positif et doivent travailler à la discrétion des fonctionnaires de
l’État. En usant d’une métaphore lâche et à des fins rhétoriques,
les hommes qui n’aiment pas le collectivisme (par exemple) ou
la discipline d’un régiment parleront des conditions « serviles »
de ces organisations. Mais, pour les besoins d’une définition
stricte et d’une pensée claire, il est essentiel de se rappeler qu’une
condition servile n’existe que par contraste avec une condition
libre. La condition servile n’est présente dans la société que lors-
qu’il y a aussi des citoyens libres au bénéfice desquels les esclaves
travaillent sous la contrainte du droit positif.
Encore une fois, il convient de noter que le mot servile
n’évoque en aucun cas le pire ni même nécessairement une mau-
vaise organisation de la société. Voilà un point si évident qu’il
ne devrait guère nous retarder ; j’ai toutefois constaté qu’une
confusion entre l’usage rhétorique et l’usage précis du mot ser-
vile embarrasse tellement les débats publics sur la question que
je dois souligner une fois de plus ce qui devrait aller de soi.
La discussion sur la question de savoir si l’institution de
l’esclavage est bonne ou mauvaise, ou si elle est relativement
meilleure ou pire que d’autres institutions possibles, n’a rien
à voir avec la définition exacte de ladite institution. Ainsi, la
monarchie consiste à faire porter la responsabilité de la direction
de la société sur un individu. On peut imaginer un Romain
du ier siècle faisant l’éloge du nouveau pouvoir impérial, mais
jurant, en vertu d’une tradition confuse hostile aux «rois», qu’il
ne tolérerait jamais une « monarchie » : un tel homme aurait
été un critique très futile des affaires publiques sous Trajan ⁴,
mais pas plus futile qu’un homme qui jure que personne ne
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était attaché non à une seigneurie, mais à la personne d’un maître, qu’il servait
et qui pouvait le vendre à un autre, alors que le « serf regardant » était attaché
à un domaine seigneurial particulier. Quant à leur liberté vis-à-vis des autres
hommes, cela semble une exagération.
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Q
uel que soit le domaine du passé européen dans lequel
nous effectuons nos recherches, si nous remontons le
temps au-delà de l’an 1 de notre ère, nous trouvons une
institution fondamentale sur laquelle repose l’ensemble de la
société : cette institution fondamentale est l’esclavage.
Il n’y a ici aucune différence entre la cité-État hautement civi-
lisée du bassin méditerranéen, avec ses lettres, ses arts plastiques
et son code de lois, et tout ce qui définit une civilisation — et cela
s’étend dans le passé immémorial —, il n’y a aucune distinction
entre ce corps civilisé et les sociétés du Nord et de l’Ouest des
tribus celtiques, ou des hordes mal connues qui parcouraient les
pays germains. Elles reposaient toutes sans distinction sur l’escla-
vage. Il s’agissait d’une conception fondamentale de la société,
partout présente et nulle part contestée.
Il existe ou semble exister une distinction entre Européens et
Asiatiques en la matière. Religion et morale des uns diffèrent
tellement de celles des autres, en ce qui concerne leur origine ¹,
que toutes les institutions sociales sont affectées par ce contraste
1. Allusion vague à la doctrine du karma, propre à l’Asie, qui régit à la fois
la morale et le statut social, ce qui fait que, théoriquement, il n’y a pas de « pro-
blème social », puisque le statut social actuel d’un individu est censé résulter
des mérites karmiques des vies antérieures. Voir Max Weber, Hindouisme et
Bouddhisme, coll. « Champs », Flammarion, 2015.
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4. Allusion à la servitude pour dettes. À Athènes, elle est abolie par Solon
au vie siècle av. J.‑C. La Bible l’évoque : « Si l’un de tes compatriotes hébreux,
homme ou femme, se vend à toi comme esclave, il sera à ton service pendant
six ans. La septième année, tu lui rendras la liberté. » (Deut. 15, 12)
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tous issus. Tout d’abord, bien que l’on oppose aujourd’hui l’escla-
vage à la liberté, à l’avantage de cette dernière, les hommes accep-
taient alors librement l’esclavage comme alternative à l’indigence.
En second lieu — et ceci est très important pour notre appré-
ciation de l’institution servile dans son ensemble et de l’éventua-
lité de son retour —, pendant tous ces siècles, nous ne trouvons
pas d’effort organisé ni, ce qui est encore plus significatif, d’ob-
jection de conscience contre cette institution qui condamnait la
majeure partie des êtres humains au travail forcé.
Dans les textes littéraires de l’époque, on peut trouver des
esclaves qui se plaignent de leur sort ou qui plaisantent à son
propos ; certains philosophes avancent qu’une société idéale ne
devrait pas comporter d’esclaves ⁵ ; d’autres excusent l’établisse-
ment de l’esclavage en invoquant tel ou tel argument, tout en
reconnaissant qu’il porte atteinte à la dignité de l’homme. Le plus
grand nombre soutiendra que l’État est nécessairement servile.
Mais personne, esclave ou homme libre, ne rêve d’abolir ou
même de changer la chose. Il n’y a pas de martyrs de la « liberté »
contre « l’esclavage ». Les guerres dites serviles sont la résistance
des esclaves en fuite à toute tentative de reprise ⁶, mais elles ne s’ac-
compagnent pas de l’affirmation que la servitude serait une chose
intolérable ; une telle affirmation ne se trouve d’ailleurs nulle part,
depuis les débuts indéterminés du monde païen jusqu’à sa fin
avec le catholicisme. L’esclavage est désagréable, indigne, malheu-
reux, mais on le tient comme étant dans la nature des choses.
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tandis que c’est le «village» qui avait droit au reste, de deux cent
cinquante animaux.
Sur la première de ces portions, le domaine ou la réserve du
seigneur, la richesse était produite par le respect de certaines
heures de travail fixes par l’esclave. Il devait venir tant de jours
par semaine, ou à telle ou telle occasion — toutes fixes et cou-
tumières —, cultiver la terre du domaine pour son seigneur, et
tout le produit de ce travail devait être remis au seigneur — bien
que, naturellement, un salaire journalier en nature était autorisé,
car le travailleur devait vivre.
Sur la seconde portion, la « terre en villenage » ou les tenures,
presque toujours la plus grande part des terres arables et des
pâturages de la villa, les esclaves travaillaient selon des règles et
des coutumes qu’ils ont peu à peu élaborées pour eux-mêmes.
Ils travaillaient sous la direction d’un représentant qui leur était
propre, parfois nommé, parfois élu : presque toujours, en pra-
tique, un homme qui leur convenait et qu’ils avaient plus ou
moins choisi, bien que ce travail coopératif sur l’ancien terrain
des esclaves fût contrôlé par les coutumes générales du village,
communes au seigneur et à l’esclave, et que l’autorité principale
sur les deux types de terres fût l’intendant du seigneur.
Sur la richesse ainsi produite par les esclaves, une certaine
partie fixe — estimée à l’origine en nature — était due au bailli
du seigneur et devenait la propriété de ce dernier. Enfin, sur la
troisième partie de la terre (la terre inculte, le bois, la lande et
certains pâturages communs), la richesse était produite comme
ailleurs par le travail de ceux qui avaient été les esclaves, mais
divisée dans les proportions habituelles entre eux et leur maître.
Ainsi, telle prairie inondable accueillait tant de bœufs ; le nombre
était défini avec précision, et, sur ce nombre, tant appartenaient
au seigneur et tant aux villageois.
Au cours des viiie, ixe et xe siècles, ce système s’est cristallisé et
est devenu si naturel aux yeux des hommes que le caractère servile
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6. Selon Robert Speaight, son biographe, Belloc a été hanté toute sa vie
par le fait d’avoir candidaté mais échoué à obtenir une bourse du All Souls
College de l’université d’Oxford, en juillet 1895 (voir The Life of Hilaire Belloc,
1957). Cette bourse annuelle de 200 £ (environ 40 000 euros d’aujourd’hui)
lui aurait été octroyée pour sept ans, sans obligation d’enseigner, tout en étant
nourri et logé par l’université. Elle lui aurait permis de se consacrer aux études
qui lui tenaient à cœur, pour rectifier notamment, avec l’autorité universitaire,
la version officielle, protestante, de l’histoire de l’Angleterre, rétablissant l’im-
portance et la grandeur du catholicisme britannique (voir l’étude de Victor
Feske, From Belloc to Churchill, Presses de l’université de la Caroline du Nord,
1996). Lors de la publication par H. G. Wells de son Esquisse de l’histoire
universelle (1920), qui occulte selon Belloc l’importance historique du chris-
tianisme, notre auteur saisit encore plus vigoureusement l’importance de la
transmission fidèle de la mémoire, et il répliquera avec plusieurs pamphlets.
George Orwell, qui lisait Belloc, a peut-être retenu cette leçon pour le thème
fondamental de 1984 : « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur.
Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. »
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9. Si l’on compare cette description historique avec ce qu’en dit Karl Marx,
dans le fameux chapitre xxiv du Capital, consacré à « l’accumulation primi-
tive », on est frappé par la convergence des points de vue.
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A
près la digression historique que j’ai faite dans les deux
derniers chapitres pour illustrer mon propos, je reviens
maintenant à la discussion générale de ma thèse et au
processus logique par lequel elle peut être établie : l’État capita-
liste est instable ; on peut le considérer plus précisément comme
une phase transitoire entre deux états permanents et stables de la
société. Pour comprendre pourquoi il en est ainsi, rappelons
la définition de l’État capitaliste : une société dans laquelle la
propriété des moyens de production est réservée à un corps de
citoyens libres, insuffisamment nombreux pour représenter cor-
rectement le caractère général de cette société, tandis que les
autres sont dépossédés des moyens de production, et sont donc
prolétaires.
Il convient de noter les différents points d’un tel état de fait.
Si la propriété privée existe, ce n’est pas une propriété privée répar-
tie entre de nombreuses mains et donc familière en tant qu’ins-
titution à l’ensemble de la société. Encore une fois, la grande
majorité est dépossédée, mais en même temps citoyenne, c’est-
à-dire composée d’individus politiquement libres d’agir, quoi-
qu’économiquement impuissants ; encore une fois, bien que ce
ne soit qu’une déduction de notre définition, c’est une déduc-
tion nécessaire qu’il y aura sous le capitalisme une exploitation
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tout seul ; mais se débrouiller tout seul quand on n’a rien, c’est
mourir de faim.
En réalité, là où un petit nombre possède les moyens de pro-
duction, il est impossible d’avoir des conditions politiques par-
faitement libres. Un État capitaliste parfait ne peut exister, bien
que nous nous en soyons rapprochés dans l’Angleterre moderne
plus que ne l’auraient cru possible d’autres nations plus fortunées.
Dans l’État capitaliste parfait, il n’y aurait pas de nourriture dis-
ponible pour le non-propriétaire, sauf lorsqu’il est effectivement
engagé dans la production, et cette absurdité, en mettant rapi-
dement fin à toutes les vies humaines, hormis celles des proprié-
taires, mettrait un terme au système. Si on laissait les hommes
complètement libres dans un système capitaliste, la mortalité
due à la famine serait si élevée que les sources de main-d’œuvre
se tariraient en très peu de temps.
Imaginons que les dépossédés soient dans l’idéal de parfaits
couards, que les possédants ne considèrent rien d’autre que
l’achat de leur travail au plus bas prix sur le marché, et le sys-
tème s’effondrerait à cause de la mort des enfants, des ouvriers
et des femmes. Vous n’auriez pas affaire à simplement un État en
déclin comme le nôtre. Il s’agirait à l’évidence d’un État en train
de périr.
En fait, il est évident que le capitalisme ne peut aller jusqu’au
bout de sa logique. Tant que par liberté politique de tous les
citoyens il faut comprendre que quelques possesseurs de nourri-
ture sont libres de l’accorder ou de la refuser, et que de nombreux
non-possesseurs sont libres de conclure n’importe quel marché,
de peur de ne pas s’en voir proposer d’autre, le plein exercice de
cette liberté, c’est faire mourir de faim les très jeunes, les vieux, les
impotents et les désespérés. Le capitalisme doit dès lors maintenir
en vie, par des méthodes non capitalistes, de grandes masses de
population qui autrement mourraient de faim ; et c’est ce que
de plus en plus le capitalisme a pris soin de faire à mesure qu’il
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une entreprise rivale, vendre moins cher que ces trusts et briser la
sécurité comparative qu’ils offrent dans leur domaine à l’indus-
trie. La raison pour laquelle personne ne le fait est qu’en réalité
la liberté politique n’est pas protégée par les tribunaux de notre
pays dans les affaires commerciales. Un homme qui tenterait de
rivaliser avec l’un de nos grands trusts anglais se trouverait immé-
diatement découragé. Il pourrait, conformément à l’esprit du
droit européen depuis des siècles, mettre en accusation ceux qui
voudraient le ruiner, en les citant pour entente illicite dans le but
de restreindre le commerce ; de cette entente illicite, il trouverait
dans le juge et les politiciens les plus ardents défenseurs.
Mais il faut toujours se rappeler que ces accords secrets visant
à restreindre le commerce, qui sont la marque de l’Angleterre
moderne, sont en eux-mêmes la marque du passage de la phase
capitaliste véritable à une autre étape. Dans les conditions consti-
tutives du capitalisme, dans une parfaite liberté politique, ces
ententes seraient punies par les tribunaux pour ce qu’elles sont,
c’est-à-dire une contravention à la doctrine fondamentale de la
liberté politique ⁶ ; car cette doctrine, en même temps qu’elle
donne à tout homme le droit de conclure le contrat qu’il veut
avec n’importe quel ouvrier et d’en offrir le produit au prix qu’il
juge convenable, implique aussi la protection de cette liberté
par la punition de toute entente qui pourrait avoir pour but le
monopole. Si ce n’est plus cette liberté parfaite que l’on recherche,
si les monopoles sont autorisés et encouragés, c’est parce que la
tension contre nature à laquelle donne lieu la liberté jointe à
la restriction de la propriété, l’insécurité de sa simple concur-
rence et l’anarchie de ses méthodes de production se sont enfin
révélées intolérables.
Je me suis déjà attardé plus que nécessaire, dans cette section,
sur les causes qui rendent un État capitaliste essentiellement
67
L’État capitaliste devient instable…
É
tant donné qu’un état capitaliste est instable par na-
ture, il tendra à atteindre la stabilité d’une manière ou
d’une autre. Par définition, un corps en équilibre instable
recherche un équilibre stable. Par exemple, une pyramide en équi-
libre sur son sommet est en équilibre instable, ce qui signifie sim-
plement qu’une légère force dans un sens ou dans l’autre la fera
tomber dans une position où elle ne bougera plus. De même, cer-
tains composés chimiques sont dits en équilibre instable lorsque
leurs éléments constitutifs présentent une telle affinité les uns
avec les autres qu’un léger choc peut les faire se combiner et
transformer la composition chimique de l’ensemble. C’est le cas
des explosifs.
Si l’État capitaliste est en équilibre instable, cela signifie
seulement qu’il est à la recherche d’un équilibre stable, et
que le capitalisme ne peut qu’être transformé en un autre
système dans lequel la société peut trouver le repos. Seuls
trois types de structures sociales peuvent remplacer le capita-
lisme : l’esclavage, le socialisme et la propriété. Je peux imagi-
ner un mélange de deux de ces trois options ou de toutes les
trois, mais chacune constitue un type dominant et, de par la
nature même du problème, on ne saurait concevoir de quatrième
solution.
Le problème tourne, rappelons-le, autour du contrôle des
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Pour un tel homme, l’État servile n’est pas quelque chose vers
quoi il dérive, c’est plutôt un substitut tolérable à son État collec-
tiviste idéal, substitut qu’il est tout à fait prêt à accepter et qu’il
considère favorablement. Déjà, la plupart de ces réformateurs
qui, il y a une génération, se seraient appelés « socialistes » sont
maintenant moins préoccupés par un projet de socialisation du
capital et de la terre que par d’innombrables projets en cours,
dont certains ont déjà force de loi, pour réglementer, « diriger »
et former le prolétariat sans empiéter d’un pouce sur les privi-
lèges dont jouit la petite classe capitaliste en matière d’outillage,
de magasins et de terres. Le soi-disant « socialiste » de ce type
n’est pas tombé dans l’État servile par erreur. Il l’a engendré ; il
se réjouit de sa naissance, il prévoit le pouvoir qu’il aura sur son
avenir ⁴.
Ainsi en est-il du mouvement socialiste qui, voilà une géné-
ration, se proposait de transformer notre société capitaliste en
une société où la communauté serait le propriétaire universel et
où tous les hommes seraient également libres ou non libres éco-
nomiquement sous sa tutelle. Aujourd’hui, leur idéal a échoué,
et, des deux sources dont ils tiraient leur énergie, l’un accepte
à contrecœur, l’autre avec joie l’avènement d’une société qui n’est
pas socialiste du tout, mais servile.
2. Du réformateur pragmatique
Il existe un autre type de réformateur, qui se targue de n’être
pas socialiste et qui est l’un des plus importants à l’heure actuelle.
Lui aussi travaille à l’émergence de l’État servile. Ce deuxième
4. Ce type de réformateur est un « planificateur ». Belloc anticipe ici le
courant économique planiste des années 1930 qui influencera tous les mou-
vements politiques, des fascistes au Conseil national de la Résistance, sans
oublier l’URSS des « plans quinquennaux ». Le Grand Bond en avant (1958-
1962), qui a fait entre 15 et 55 millions de morts, était également le second
plan quinquennal de la Chine maoïste.
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tant comme lui dans l’Angleterre moderne et s’il n’avait pas été si
puissant économiquement, dans les conditions extraordinaires
d’un État capitaliste, je l’aurais négligé dans cette analyse. Mais
nous pouvons nous consoler en nous rappelant que l’avènement
de l’État servile, avec sa puissante organisation et la nécessité
d’une pensée lucide chez ceux qui gouvernent, l’éliminera certai-
nement.
Nos réformateurs, à la fois ceux qui pensent et ceux qui
ne pensent pas, ceux qui sont conscients du processus comme
ceux qui en sont inconscients, se dirigent donc directement vers
l’État servile.
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13. Appelée aussi loi des proportions variables, loi des rendements non
proportionnels ou loi des rendements marginaux décroissants, elle est exposée
par l’économiste britannique David Ricardo (1772-1823) dans Des principes
de l’économie politique et de l’impôt (1821).
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entendu, l’État ne peut rien faire de tel. Les stocks de blé étant
déjà entre les mains des capitalistes, et ces stocks s’élevant à beau-
coup moins que 3 000 mesures de blé, la situation semble être
une impasse. Mais ce n’est pas une impasse si les capitalistes
sont stupides. L’État peut aller voir les capitalistes et leur dire :
« Remettez-moi vos fermes, et je vous garantis que vous recevrez
plus de 100 mesures de blé par an pendant trente ans. En fait, je
vous paierai encore la moitié de cette somme jusqu’à ce que ces
paiements supplémentaires équivalent à l’achat de votre stock
d’origine. »
D’où provient ce montant supplémentaire ? Du pouvoir de
taxation : l’État peut prélever un impôt sur les bénéfices des capi-
talistes A et B et leur verser le supplément avec leur propre argent.
Dans un exemple aussi simple, il est évident que les victimes
remarqueraient qu’on leur rend « la monnaie de leur pièce »,
et qu’elles y opposeraient précisément les mêmes forces que celles
qu’elles opposeraient au processus beaucoup plus simple et plus
direct de la confiscation immédiate. Mais on pourrait faire valoir
que, dans un État complexe, où l’on a affaire à des myriades de
capitalistes individuels et à des milliers de formes particulières
de profit, il serait possible de maquiller le processus. Il existe en
effet deux manières pour l’État de masquer son action, s’il suit
cette politique. Il peut d’abord soustraire à l’impôt général une
petite surface de terre et de capital, puis une autre, et encore
une autre, jusqu’à ce que l’ensemble ait été transféré ; ou bien
il peut taxer avec une sévérité particulière certaines entreprises,
que les autres, restées à l’abri, abandonneront à leur ruine, et,
avec l’impôt général plus cet impôt spécial, racheter ces malheu-
reuses entreprises qui, bien entendu, auront perdu beaucoup
de valeur sous l’effet de cette attaque fiscale. La seconde de ces
astuces sera bientôt apparente dans toute société, aussi com-
plexe soit-elle : après qu’un secteur impopulaire aura été choisi
pour cible, l’essai des mêmes méthodes dans un autre domaine
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17. En utilisant cette métaphore, je présente mes excuses à ceux qui croient
aux univers elliptiques et hyperboliques, et j’avoue être un amateur de para-
boles à l’ancienne. En outre, j’admets que les triangles en question sont sphé-
riques. [N. D. A.] [Allusion ironique à la géométrie hyperbolique, non eucli-
dienne, développée au xixe siècle, dans laquelle la somme des angles des tri-
angles, comme ceux-ci y sont formés par des lignes courbes, est strictement
inférieure à 180°.]
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Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’en fait les mesures dites « socia-
listes » et confiscatoires de notre époque n’ont rien à voir avec le
problème discuté ici. L’État confisque en effet, c’est-à-dire que
dans de nombreux cas il taxe de manière à appauvrir le contri-
buable et qu’il diminue le capital de ce dernier, au lieu de réduire
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18. Ainsi, l’argent prélevé à la mort d’un gentilhomme pas très riche et
représenté, disons, par des locomotives en Argentine, se transforme en trois
kilomètres de palissades pour les charmants jardins d’un millier de nouveaux
fonctionnaires dans le cadre de la loi sur l’ébriété, ou se voit simplement remis
aux actionnaires de Prudential Financial [compagnie d’assurances toujours en
activité] dans le cadre de la loi sur les assurances. Dans le premier cas, les loco-
motives ont été rendues à l’Argentine et, après une longue série d’échanges, se
sont vues troquées contre un grand nombre de palissades en bois de la Baltique,
ce qui n’est pas exactement une richesse productive. Dans le second cas, les loco-
motives qui étaient aux mains du gentilhomme deviennent, ou leur équivalent,
des moyens de production aux mains de la famille Sassoon [Surnommés « les
Rothschild de l’Est », les Sassoon sont une famille de financiers et d’hommes
politiques d’origine juive irakienne. Ils avaient bâti un empire dans les assu-
rances et l’immobilier, après s’être enrichis pendant les guerres de l’opium de
1839 et 1856.]. [N. D. A.]
chapitre ix
l’état servile a commencé
D
ans ce dernier chapitre de mon livre, je traite de l’ap-
parition réelle de l’État servile à travers certaines lois et
propositions de loi qui sont aujourd’hui familières à la
société industrielle de l’Angleterre moderne. Ce sont ces preuves
manifestes, « lois et projets de loi », qui donnent de la substance
à mon argumentation et montrent qu’elle ne se fonde pas sur
de simples déductions, mais sur l’observation. De ces preuves, il
en est deux qui sont manifestes : d’abord, les lois et projets qui
soumettent le prolétariat à des conditions serviles ; ensuite, le
fait que le capitaliste, loin d’être exproprié par les expériences
« socialistes » modernes, se trouve confirmé dans son pouvoir.
Je les prends dans l’ordre, et je commence par demander dans
quelles lois ou propositions l’État servile est apparu pour la pre-
mière fois parmi nous.
Une mauvaise conception de notre sujet pourrait conduire
à trouver les origines de l’État servile dans les restrictions impo-
sées à certaines formes d’industrie et dans les devoirs correspon-
dants imposés au capitaliste dans l’intérêt de ses ouvriers. Les lois
sur les manufactures, telles qu’elles se présentent dans ce pays,
sembleraient offrir un point de départ à cette vision superficielle
et erronée. Elles ne font rien de tel ; et ce point de vue est superfi-
ciel et erroné parce qu’il néglige les éléments fondamentaux de la
question. Ce qui caractérise l’État servile, ce n’est pas l’ingérence
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12. Le Labour Exchanges Act de 1909 créa pour la première fois des bourses
du travail, c’est-à-dire des « agences Pôle emploi », contrôlées par l’État.
13. En français dans le texte.
14. Il n’en a pas moins été présenté deux fois au Parlement dans le cadre
d’une procédure régulière, sous la forme d’un projet de loi ! [N. D. A.]
[L’arbitrage obligatoire contraint les travailleurs et les propriétaires à négocier
au lieu de déclencher un conflit social qui pourrait affecter profondément les
intérêts publics. Certes, il n’avait pas été accepté en Europe, mais il avait été
déjà adopté par l’Australie en 1906 !]
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15. C’est bien l’enjeu de la récente « loi pour le plein emploi », votée le
10 juillet 2023, qui impose 15 heures d’activité par semaine aux allocataires
du RSA.
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16. C’est prophétique à plus d’un titre : les camps nazis, le goulag, le sys-
tème de « rééducation par le travail » maoïste (« laogai ») sont les plus connus,
mais, en Grande-Bretagne aussi, dans les années 1930, le très socialiste Premier
ministre Ramsey MacDonald établit 27 camps, appelés «centres d’instruction
au travail », pour « raffermir des hommes » devenus censément trop faibles à
cause du chômage, en les soumettant à des travaux manuels extrêmement durs
(voir John Field, Working men’s bodies : Work Camps in Britain, 1880-1940,
Presses de l’université de Manchester, 2013).
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17. Dans les termes de Robert Blatchford, cela veut dire que les « condi-
tions » auront été suffisamment modifiées pour « déterminer » un bien-être
global, au prix de la liberté. Voir « Les controverses avec Blatchford », dans
G. K. Chesterton, Orthodoxie, éd. Carmin, 2023.
conclusion
I
l est possible de peindre un grand mouvement social
du passé avec précision et dans le détail si l’on peut consa-
crer à cette tâche le temps nécessaire à la recherche et si l’on
dispose en outre d’un certain pouvoir de synthèse permettant
d’intégrer une grande masse de détails pour en faire une somme.
Il est rare de voir accomplie une telle tâche, mais elle demeure
du ressort de l’historien.
Il en va autrement du futur. Personne ne peut dire ce que sera
l’avenir, même dans son aspect le plus général ou dans ses grandes
lignes. On ne peut que présenter les principales tendances de
son époque ; on peut juste déterminer l’équation de la courbe
et supposer que cette équation s’appliquera plus ou moins à ses
prochains développements. Pour autant que je puisse en juger,
les sociétés qui ont rompu avec la continuité de la civilisation
chrétienne au xvie siècle — c’est-à-dire, en gros, l’Allemagne du
Nord et la Grande-Bretagne — tendent actuellement au réta-
blissement d’un statut servile. Il se présentera sous des formes
diverses du fait de contingences locales, se verra modifié par cer-
tains particularismes, caché sous des formes multiples, mais c’est
ce qui aura lieu.
Tout le monde a bien compris que l’anarchie capitaliste ne
peut pas durer. Tout le monde devrait également comprendre
qu’il n’existe à ce problème que très peu de solutions possibles.
Pour ma part, comme il est écrit dans ces pages, je ne crois pas
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Conclusion
1. Belloc est un peu cavalier, car ce collectivisme a fini par prendre pied
en Russie quelques années après la rédaction de ce texte et a dominé la moitié
du monde pendant un demi-siècle. Dans l’édition de 1931 de l’Église catho-
lique et le Socialisme, il reconnaît la réalité de cette puissance émergente, et
souligne prophétiquement que c’est l’Église catholique, plus particulièrement
polonaise, qui sera une barrière efficace contre son influence. Cela se vérifiera
avec le pontificat de Jean-Paul II, qui a porté un coup fatal au communisme.
139
Conclusion
Videat Deus ⁴.
2. Voir note 15, p. 108, les louanges faites à la réforme agraire irlandaise.
3. Les biais profrançais de l’auteur l’aveuglent, car en réalité la France avait
promulgué le 22 mars 1910 une loi sur les retraites ouvrières et paysannes, qui
obligeait les personnes au salaire annuel inférieur à 3 000 francs (13 501 euros
de 2023) de cotiser pour une retraite par capitalisation. Certes, les revenus
supérieurs n’y étaient pas contraints encore, mais pouvaient y souscrire volon-
tairement.
4. « Que Dieu regarde ! » La légende veut qu’en 1054 les trois émissaires
du pape Léon IX, après avoir déposé sur l’autel de Sainte-Sophie la bulle excom-
muniant le patriarche de Constantinople, aient crié en latin : « Videat Deus
et judicet ! » (Que Dieu regarde et juge !) Cela déclencha le schisme d’Orient
entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe.
Annexes
hilaire belloc
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Hilaire Belloc
engloutie par un système tout aussi impersonnel et inhumain, que nous l’appe-
lions communisme ou capitalisme. Si nous ne pouvons pas revenir en arrière,
il ne semble guère utile d’aller de l’avant. Il n’y a rien d’autre devant nous
qu’un désert de standardisation, mis en place soit par le bolchevisme, soit
par les grandes entreprises. » The Outline of Sanity (1926, notre traduction),
publié en français sous le titre Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste, éd.
L’Homme nouveau, Paris, 2009.
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travail, d’un système qui sera bientôt tout aussi complet et grâce
auquel, pour finir, chaque membre du prolétariat sera enregistré
de la même manière en tant que travailleur, ses tendances à la
rébellion contre le capital connues et leur fréquence établie, dans
quelle mesure il est disposé à servir le capitalisme, si et quand il
a refusé de le faire, et, dans ce cas, où et pourquoi.
Le lecteur remarquera avec intérêt, au milieu des accidents et
des réactions des années qui viennent de s’écouler, le lent perfec-
tionnement de ce système : enregistrement et contrôle du prolé-
tariat, nous rapprochant simultanément de façon nécessaire et
fatale du terme qu’est le travail obligatoire. Enfin, pour rendre
justice à mon livre, je crois que je dois indiquer à ce même lecteur
le sens de ses dernières pages : aucun changement dans la société
européenne n’arrive à son terme s’il n’est adopté dans toute
l’Europe. Le capitalisme n’est donc pas universel ; il est déve-
loppé à des degrés très divers dans les différentes parties de l’Eu-
rope ; l’avènement de la servitude présente donc un degré de
probabilité différent, selon les diverses composantes de la société
européenne. Il est évident qu’à l’avenir l’exemple de liberté écono-
mique d’une contrée pourra influencer, et limitera certainement,
la dérive vers le rétablissement de l’esclavage dans d’autres parties
de l’Europe ⁸. Mais la tendance au rétablissement de l’esclavage
comme développement nécessaire du capitalisme est patente par-
tout où le capitalisme est au pouvoir, et nulle part ailleurs davan-
tage que dans ce pays.
H. Belloc.
Kings Land, Shipley,
Horsham, Sussex.
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La Restauration de la propriété
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9. Voir plus bas, p. 193 comment Adam Smith aussi explique de cette
décivilisation.
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10. Voir les analyses de Guy Debord : «la représentation ouvrière s’est oppo-
sée radicalement à la classe », dans la Société du spectacle, éd. Champ Libre,
1967, § 100.
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11. Voir les débats actuels sur l’instauration d’un revenu universel.
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Mais, alors que l’État servile vers lequel nous tendons actuelle-
ment peut prendre une forme achevée, l’État propriétaire (ou dis-
tributiste) ne peut ni ne doit être complet, car il ne saurait, de par
sa nature, être mécanique. Il existera beaucoup de personnes rela-
tivement pauvres et quelques personnes relativement riches. Il se
trouvera probablement une certaine proportion de personnes
dépossédées. Mais la propriété et son corollaire, la liberté écono-
mique, seront la marque de la société dans son ensemble.
La deuxième condition, à savoir que nous ne pouvons rien
entreprendre si l’état d’esprit ne nous est pas favorable, peut
sembler rendre tout effort futile. La société dans laquelle nous
vivons actuellement en Angleterre a largement oublié ce qu’est
la propriété. Les gens parlent d’emploi et de salaire. Lorsqu’ils
parlent de propriété, le mot évoque dans leur esprit la possession
de vastes biens par un petit nombre. S’il subsiste aujourd’hui
en Angleterre un désir de liberté économique — c’est-à-dire de
propriété — suffisant pour alimenter les prémices d’un change-
ment, c’est l’expérience seule qui en décidera. La plupart des gens
cherchent à augmenter leurs revenus, et non pas la propriété.
La propriété n’est certainement pas l’objectif de la majorité ; si
tel était le cas, voilà longtemps que les protestations contre le
système du salariat se seraient vues couronnées de succès.
Comme nous le savons tous, des protestations confuses eurent
lieu au début de la révolution industrielle et tout au long de ses
premières étapes ; des violences éclatèrent pour tenter d’empê-
cher l’enclosure des biens communs et il y eut des émeutes contre
les nouvelles machines ¹³. Mais c’était il y a longtemps. Prenez le
processus dans son ensemble, depuis la première étape, la grande
13. Allusion au luddisme, conflit social anglais des années 1811-1812, qui
visait à briser les machines employées dans l’industrie du tissu, pour sauvegar-
der la puissance concurrentielle des tisserands individuels. Il fut noyé dans le
sang et les « briseurs de machines » condamnés à la potence.
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Conclusion (extraits)
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Ils ne peuvent pas affirmer que les gens ne détestent pas assez la
ploutocratie pour lui tordre le cou, et nous reprocher ensuite de
leur demander de la contempler suffisamment pour la détester.
Si tant qu’ils ne la détestent pas ils ne l’attaquent pas, alors nous
faisons la chose la plus pragmatique que nous puissions faire en
montrant qu’elle est détestable. Un mouvement moral doit bien
commencer quelque part, mais je postule de façon la plus réso-
lue qu’il doit y avoir un mouvement moral. Il ne s’agit pas d’un
mouvement financier, d’un règlement de police, d’un projet de
loi privé ou d’un détail de comptabilité. Il s’agit d’un effort puis-
sant de la volonté humaine, comme pour se débarrasser de tout
autre grand mal, ou bien ce n’est rien. Je dis que si les hommes se
battent pour cela, ils peuvent gagner ; je n’ai jamais suggéré qu’il
existait un moyen de gagner sans se battre. […]
Quant à mon second principe général, qui peut sembler
contradictoire, mais ne fait que confirmer le premier, le voici.
Je pense qu’il faudrait procéder par étapes, avec patience et en fai-
sant des concessions partielles. Si je pense cela, ce n’est pas parce
que je suis le moins du monde convaincu par ce culte stupide
de la lenteur que l’on nomme parfois l’évolution, mais en raison
des circonstances particulières de la situation. Tout d’abord, les
foules peuvent piller, brûler et voler l’homme riche, pour son
plus grand bien et son édification spirituelle. Il n’est pas anor-
mal qu’elles le fassent, pour ainsi dire inconsciemment, alors
qu’elles ont autre chose à l’esprit, par exemple quelque aversion
pour les Juifs ou les huguenots. Il ne faudrait pas pourtant que
nous donnions des chocs très violents au sentiment de propriété,
même lorsqu’il est très mal placé ou mal équilibré ; car il se trouve
que c’est justement ce sentiment que nous essayons de faire
revivre. En matière de psychologie, il serait insensé d’insulter
une féministe, même peu féminine, dans le but d’éveiller une
délicate galanterie envers les femmes. Il serait déraisonnable de
se servir d’une image sacrée comme d’une massue pour frapper
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que tous les distributistes seraient d’accord avec moi sur ce point ;
mais, dans l’ensemble, je suis enclin à conclure que nous devrions
nous servir de cela pour briser le bloc désespéré de capital et de
management concentrés, même si nous appelons instamment
à son abandon une fois le travail accompli. Il s’agit de produire
un type particulier d’hommes, des hommes qui ne vénéreront
pas les machines, même s’ils les utilisent. Mais il est essentiel
d’insister à chaque étape sur le fait que nous nous considérons
comme libres non seulement de cesser de vénérer les machines,
mais aussi de cesser de les utiliser. C’est dans ce contexte que j’ai
critiqué certaines remarques de M. Ford et l’ensemble de l’idée
de normalisation qu’il représente. Mais partout je reconnais une
différence entre les méthodes que nous pouvons utiliser pour
produire une société plus saine et les choses que cette société
plus saine pourrait elle-même être assez saine pour entreprendre.
Par exemple, un peuple qui a vraiment découvert le plaisir qu’il
y a à fabriquer des objets ne voudrait jamais fabriquer la plupart
d’entre eux à l’aide d’une machine. Les sculpteurs ne veulent
pas fabriquer une statue avec une machine-outil, ni les peintres
imprimer leur tableau comme un modèle standardisé, et un arti-
san vraiment capable de fabriquer des casseroles ou des poêles
ne serait pas plus enclin à condescendre à ce qu’on appelle la
fabrication à la chaîne de ces objets. Il est d’ailleurs curieux que
le mot même de manufacture signifie le contraire de ce qu’il est
censé signifier ³. Il témoigne lui-même d’une époque meilleure
où il ne désignait pas le travail d’une usine moderne. Au sens
strict des termes, c’est un sculpteur qui manufacture une statue,
alors qu’un ouvrier ne manufacture pas une vis.
Quoi qu’il en soit, un monde dans lequel il y aurait beau-
coup d’hommes indépendants serait probablement un monde
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misères que leur père ; quand, ne pouvant rien sur leur sort, il ne
saurait connaître ni les devoirs, ni les droits, ni les espérances, ni
les soucis dont la paternité est accompagnée. Il est facile de voir
que presque tout ce qui incite l’homme libre à consentir une
union légitime, manque à l’esclave par le seul fait de l’esclavage.
Les moyens particuliers dont peut se servir le législateur ou le
maître pour l’exciter à faire ce qu’il l’empêche de désirer seront
donc toujours inutiles.
La même remarque peut s’appliquer à tout le reste.
Comment éclairer et fortifier la raison d’un homme tant qu’on
le retient dans un état où il lui est inutile et où il pourrait lui être
nuisible de raisonner ? On ne saurait sérieusement s’en flatter.
De même, il est superflu de vouloir rendre actif et diligent un
ouvrier qui est forcé de travailler sans salaire ; et c’est un effort
puéril qu’entreprendre de donner l’esprit de conduite et les habi-
tudes de la prévoyance à celui dont la condition est de rester
étranger à son propre sort, et qui voit son avenir entre les mains
d’un autre ¹.
La religion elle-même ne peut pas toujours pénétrer jusqu’à
l’esclave ; et elle ne saurait presque jamais l’atteindre que d’une
manière très superficielle. Tous ceux qui ont eu occasion de vivre
dans nos colonies s’accordent à dire que les nègres y sont fort dis-
posés à recevoir et à retenir les croyances religieuses, « Les nègres
sont avides de religion », dit M. le gouverneur général de la
Martinique, dans un de ses derniers rapports.
Cependant, il paraît certain que les mêmes nègres n’ont encore
conçu que des idées très obscures et à peine arrêtées en matière
1. Ce raisonnement est l’opposé de celui de Victor Hugo, qui, après l’incen-
die de la bibliothèque des Tuileries en 1871, écrivait dans son fameux « À qui
la faute ? » : « La science en l’homme arrive la première. Puis vient la liberté »,
maxime à la base de l’idée que l’école serait émancipatrice. Que ceux qui ont
essayé d’enseigner la littérature classique à de futurs salariés, « étrangers à leur
sort », tranchent entre Tocqueville et Hugo !
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6. Extrait d’une tirade célèbre de Sancho Panza : « Béni soit celui qui
a inventé le sommeil, manteau qui couvre toutes les humaines pensées, mets
qui ôte la faim, eau qui chasse la soif, feu qui réchauffe la froidure, fraîcheur qui
tempère la chaleur brûlante, finalement, monnaie universelle, avec laquelle
s’achète toute chose, et balance où s’égalisent le pâtre et le roi, le simple et le
sage. Le sommeil n’a qu’une mauvaise chose, à ce que j’ai ouï dire : c’est qu’il res-
semble à la mort ; car d’un endormi à un trépassé la différence n’est pas grande.»
(Don Quichotte de Miguel de Cervantes, II, ch. lxviii, trad. Viardot, 1837)
7. « Même jusqu’au ciel ou jusqu’en enfer. » [N. D. A.]
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mille dollars, avec tous les avantages, mais sans les soucis ni les
responsabilités d’un maître. La « propriété de l’homme » est
ce que tous s’efforcent d’obtenir. Pourquoi ne seraient-ils pas
obligés de prendre soin de l’homme, leur propriété, comme ils
le font de leurs chevaux et de leurs chiens, de leur bétail et de
leurs moutons ? Or, sous le nom trompeur de liberté, vous le
faites travailler « de l’aube à la rosée du soir ⁹ » — de l’enfance à
la vieillesse —, puis vous le laissez mourir de faim. Vous traitez
mieux vos chevaux et vos chiens. Le capital est un maître cruel.
La traite des esclaves libres : le commerce le plus commun, mais
aussi le plus cruel.
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Annexes .................................................................................141
Hilaire Belloc .......................................................................... 142
Gilbert Keith Chesterton ........................................................ 162
Alexis de Tocqueville ............................................................... 172
George Fitzhugh...................................................................... 181
Abraham Lincoln ................................................................... 190
Adam Smith ........................................................................... 193
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la police
utilisée est EB Garamond,
de Georg Duffner et Octavio Pardo.