Descartes - Evidence de L'intuition

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D ESCARTES : évidence de l’intuition

P ar intuition j’entends, non point le


témoignage instable des sens, ni le
jugement trompeur de l’imagination qui opère des
voir intuitivement, non seulement que 2 et 2 font 4 ; et
que 3 et 1 font 4 également, mais en outre que, de ces
deux propositions, cette troisième-là se conclut
compositions sans valeur, mais une représentation qui nécessairement.
est le fait de l’intelligence pure et attentive, On peut dès lors se demander pourquoi, en
représentation si facile et si distincte qu’il ne subsiste sus de l’intuition, nous avons ajouté ici un autre mode
aucun doute sur ce que l’on y comprend ou bien, ce qui de connaissance, celui qui se fait par déduction ; nous
revient au même, une représentation inaccessible au entendons par là tout ce qui se conclut nécessairement de
doute, représentation qui est le fait de l’intelligence pure certaines autres choses connues avec certitude. Il a fallu
et attentive, qui naît de la seule lumière de la raison, et procéder ainsi, parce que la plupart des choses sont
qui, parce qu’elle est plus simple, est plus certaine l’objet d’une connaissance certaine, tout en n’étant pas
encore que la déduction ; celle-ci pourtant, (…) ne par elles-mêmes évidentes ; il suffit qu’elles soient
saurait, elle non plus, être faite de travers par un esprit déduites à partir de principes vrais et déjà connus, par un
humain. Ainsi, chacun peut voir par intuition qu’il mouvement continu et ininterrompu de la pensée, qui
existe, qu’il pense, que le triangle est délimité par trois prend de chaque terme une intuition claire : ce n’est pas
lignes seulement, la sphère par une seule surface, et autrement que nous savons que le dernier anneau de
autres choses semblables, qui sont bien plus nombreuses quelque longue chaîne est rattaché au premier, même si
que ne le remarquent la plupart des gens, parce qu’ils nous ne voyons pas d’un seul et même coup d’œil
dédaignent de tourner leur esprit vers des choses si l’ensemble des anneaux intermédiaires dont dépend ce
faciles. rattachement ; il suffit que nous les ayons examinés
Au reste, pour éviter que certains peut-être ne l’un après l’autre, et que nous nous souvenions que du
s’alarment de cet usage nouveau du mot d’intuition, premier au dernier, chacun d’eux est attaché à ses voisins
comme de celui de quelques autres, que par la suite je immédiats. Nous distinguons donc ici l’intuition
serai contraint de détourner de la même manière de leur intellectuelle et la déduction certaine, en ce que l’on
signification courante, j’avertis ici, d’une façon générale, conçoit dans l’une une sorte de mouvement ou de
que je ne me soucie guère de l’utilisation qu’on a faite de succession, et non pas dans l’autre ; et parce qu’en
certains vocables dans les écoles ces derniers temps, outre, pour la déduction, il n’est pas besoin comme pour
parce qu’il serait bien difficile de se servir des mêmes l’intuition d’une évidence actuelle, mais que c’est à la
noms, tout en ayant des sentiments profondément mémoire qu’elle emprunte, d’une certaine manière, sa
différents ; et que je tiens seulement compte de ce que certitude. De là suit qu’on peut dire de ces propositions
signifie chacun de ces mots en latin ; ainsi, quand les qui se concluent immédiatement à partir des premiers
mots propres font défaut, je transpose pour les principes, qu’on les connaît, selon le point de vue auquel
accommoder à mon sens ceux qui me paraissent les plus on se place, tantôt par l’intuition, tantôt par la
adaptés à cet usage. déduction ; mais que les premiers principes eux-mêmes
Or, cette évidence et cette certitude de ne sont connus que par l’intuition, tandis que les
l’intuition ne sont pas seulement requises pour les conclusions éloignées ne sauraient l’être que par
simples énonciations, mais aussi pour toute espèce de déduction.
démarche discursive. Soit en effet, par exemple, le
résultat suivant : 2 et 2 font autant que 3 et 1, il faut Règles pour la direction de l’esprit,
III (AT x 368-370)

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