Les Secrets de La Strategie Moderne Aux Echecs
Les Secrets de La Strategie Moderne Aux Echecs
Les Secrets de La Strategie Moderne Aux Echecs
Symboles........................................................................................................................................4
Dédicace ........................................................................................................................................8
Remerciements .............................................................................................................................8
Introduction .................................................................................................................................9
1. Aperçu .....................................................................................................................................15
La nature de la théorie du milieu de partie ............................................................................15
Méthodologie ..............................................................................................................................18
6. Les pièces mineures ..............................................................................................................95
Le point de vue traditionnel .....................................................................................................95
La tentation des couleurs opposées .......................................................................................100
Folklore ou réalitéȹ? Dames et Cavaliers ...............................................................................102
1. Aperçu ...................................................................................................................................135
La mort des échecs n’aura pas lieu ........................................................................................135
2. S’aěranchir de la règle........................................................................................................143
Le déclin des principes générauxȹ: exemples pratiques .....................................................145
Description contre réalité ........................................................................................................152
La garde royale et ses errements ............................................................................................153
De la courtoisie envers la cavalerie........................................................................................158
Des Fous pas si mauvais que cela ..........................................................................................205
Retour sur la paire de Fous .....................................................................................................213
5. Le Cavalier contemporain..................................................................................................219
Un peu rebelle sur les bords ...................................................................................................219
Illusions d’optique ...................................................................................................................227
CeĴe sensation de ne servir à rien… ....................................................................................231
9. La prophylaxie .....................................................................................................................301
Le concept de Nimzowitsch ...................................................................................................301
La prophylaxie moderneȹ: une prévention permanente .....................................................305
La symétrie d’aujourd’hui est l’opportunité de demain ....................................................337
Bibliographie ...........................................................................................................................385
'pGLFDFH
À mes élèves Tal Shaked et Patrick Hummel qui, petit à petit, m’enseignent les échecs
5HPHUFLHPHQWV
Merci à Graham Burgess et John Nunn, pour leurs conseils et leur patience, et aux
gens de ChessBase, qui m’ont fourni des données en quantité astronomique. Je suis très
reconnaissant également envers le MI Larry D Evans, tant pour son amitié que pour sa
très belle bibliothèque.
,QWURGXFWLRQ
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
parties entrent donc bien dans le cadre du sous-titre du livre – « Les progrès accomplis
depuis Nimzowitsch » – mais c’est surtout dans la deuxième qu’on trouvera, moyennant
quelques rapides retours sur les conceptions d’antan, les idées nouvelles qui caractérisent
vraiment le jeu moderne. J’espère que les textes d’introduction au début des chapitres et
sections permeĴront au lecteur de bien percevoir ces diěérences. Au risque de devenir
ennuyeux, je répéterai d’ailleurs, et même plus en détail, ce que je viens de dire sur l’orga-
nisation du livre dans le premier chapitre de chaque partie, surtout la première.
Parlons maintenant du style, et notamment de mon usage des statistiques et des
exemples choisis. Je tiens d’abord à préciser que ceci n’est pas un manuel. Évidemment,
j’ose espérer qu’en étudiant ce livre, vous progresserez dans votre jeu, mais ce n’est pas
le but premier. Je ne me suis pas non plus ęxé pour but d’écrire un guide complet de
la théorie du milieu de partie aux échecs, comme ont pu le faire Pachman ou Euwe et
Kramer avec certains de leurs ouvrages. Le livre que vous avez devant vous est certes
un livre sur le milieu de partie d’une certaine manière, avec de nombreux exemples tirés
de la théorie des ouvertures, les deux étant plus ou moins devenus inséparables de nos
jours. Simplement, dans ce contexte précis, je me suis intéressé uniquement à certaines
questions, nombreuses certes, mais pas illimitées, qui me semblent avoir un rapport
direct avec ma thèse des progrès accomplis par les échecs modernes. Donc, si le lecteur
cherche par exemple un passage où je parle des « colonnes ouvertes comme facteur dans
une aĴaque contre le Roi » (Pachman), il risque de ne rien trouver du tout. Je ne donne
pas non plus d’astuces sur le jeu pratique. Mon objectif était surtout d’explorer des enjeux
théoriques, et non pas de vous aider à gérer la pendule ou à vous préparer pour votre
prochain tournoi. La réalité – et elle est passionnante – c’est que l’histoire des échecs est
suĜsamment riche pour écrire un livre deux fois plus gros que celui-ci en s’en tenant
exclusivement aux idées théoriques.
De temps en temps, dans les deux parties du livre, je m’appuie sur des analyses statis-
tiques - fréquence de telle ou telle structure de pions ou pourcentage de gain des Noirs
dans telle variante de la Sicilienne, par exemple. Pour ce faire, j’ai toujours utilisé le
programme ChessBase. Bien que je n’indique pas systématiquement la taille de l’échan-
tillon, j’ai toujours veillé à ce que mes données soient sans ambiguïté et statistiquement
valides. Pour autant, l’interprétation de ce type de données reste subjective, et le lecteur
prendra certainement plaisir à se lancer personnellement dans de telles recherches,
d’autant que cela permeĴra une interprétation de plus en plus ęne. Pour la première
fois, me semble-t-il, certaines questions très anciennes pourraient recevoir une réponse
au moins partielle grâce à ce type d’analyse. Toutefois, comme me l’a fait remarquer
le très subtil Graham Burgess, ce type de statistiques débouche inévitablement sur des
ambiguïtés. Imaginez par exemple que vous étudiiez un grand nombre de ęnales pour
déterminer si le couple Dame et Fou est supérieur au couple Dame et Cavalier. Si les
joueurs ont d’avance le sentiment que la Dame collabore mieux avec le Cavalier, ils vont
,QWURGXFWLRQ
plutôt rechercher la transition vers ceĴe ęnale plutôt que l’autre. On aura donc un meil-
leur pourcentage de gains pour la ęnale Dame et Cavalier, mais cela traduira autant une
perception qu’un état de fait. Je ne pouvais rien faire contre cela, mais j’ai veillé à ne pas
m’arrêter aux statistiquesȹ: j’ai aussi examiné des exemples concrets. En résumé, malgré
ce problème, j’estime que mes conclusions restent valides, et dans les cas les plus épineux
(comme Ë+Ì vs Ë+Í), tout biais tendrait en fait à favoriser le camp contre lequel j’argu-
mente (ici, Dame plus Cavalier) et donc, en le corrigeant, on ne ferait que renforcer mon
point de vue. Si ceĴe dernière phrase vous semble peu claire, gardez simplement en tête
ces quelques réserves lorsque je parle de statistiquesȹ!
Le plus diĜcile, dans l’écriture de ce livre, a été de choisir les exemples. J’ai d’abord
voulu éviter de m’appuyer sur certains classiques ressassés dans tous les livres déjà
publiés – le lecteur averti comprendra ce que je veux dire. D’un autre côté, quelle arro-
gance ce serait d’ignorer délibérément ce que tant de merveilleux auteurs ont pu dire
sur les questions qui m’intéressent… En ęn de compte, j’ai relu et annoté toute une série
d’ouvrages, généralement théoriques, mais aussi des manuels et des recueils de parties,
pour la plupart mentionnés dans la bibliographie. J’en ai tiré plus d’exemples que je ne
le souhaitais au départ, notamment parce que les auteurs disaient des choses très perti-
nentes, mais aussi parce que j’ai découvert de nombreux aspects nouveaux – y compris
des erreurs ou des évaluations erronées – qui me semblaient clarięer ce que j’avais à dire
sur les diěérences visibles dans les échecs modernes. Ensuite, comme le montre bien la
deuxième partie, j’ai exploré les bases de données pour trouver des exemples récents
de parties contenant des idées modernes, certaines très ordinaires, d’autres révolution-
naires. Comme certains de ces exemples pourraient sembler assez bizarres aux lecteurs les
moins expérimentés, j’espère que le fait de les avoir mélangés avec d’autres, plus connus,
voire tout à fait ordinaires, permeĴra à chacun de se sentir plus à l’aise en abordant les
nouveaux concepts. Autre problème qui ne manquera pas de susciter des commentairesȹ:
la compréhension du jeu des joueurs classiques par rapport aux joueurs modernes. Le
lecteur doit bien comprendre que j’ai moi-même appris les échecs en étudiant essentielle-
ment des parties de joueurs d’avant 1930. La première chose que j’ai faite, pour préparer
cet ouvrage, fut de rejouer et passer au peigne ęn des centaines de parties de maîtres
d’autrefois, tout en relisant les grands classiques et les livres de tournois. Même si je ne le
mentionne pas souvent, il va de soi que de mon point de vue, les joueurs modernes ont
une compréhension du jeu plus large et plus ęne que celle de leurs prédécesseurs. Cela
va sans dire, et ce n’est pas faire injure aux maîtres du temps jadis, de même que l’on ne
retire rien au génie de Newton lorsqu’on fait remarquer qu’il n’a pas inventé la théorie
de la relativité. Mais les maîtres d’autrefois inspirent tant de respect et de vénération
que je crois nécessaire de réitérer mon total respect pour leur jeu, tout en répétant qu’il
me semble absolument vain de vouloir comparer directement des champions d’époques
diěérentes. L’objectif de ce livre est de montrer ce qui a changé dans les échecs modernes,
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
et non pas de faire des jugements négatifs à propos de tel ou tel joueur.
Enęn, je crois devoir rappeler au lecteur qu’il n’existe aucun moyen de « prouver »
ce que j’aĜrme à propos du jeu moderne. Je peux évidemment proposer des exemples,
mais en ęn de compte, je suis condamné à surestimer ou sous-estimer l’importance de
certaines idées. Ce livre prendra tout son sens si le lecteur cherche aĴentivement à véri-
ęer si les théories présentées au ęl des pages trouvent un fondement empirique solide
dans son propre jeu, et dans sa façon de le travailler. J’espère que mon livre saura au
moins vous pousser dans ceĴe direction et qu’il vous permeĴra de poser un regard neuf
sur le jeu moderne aux échecs.
John Watson
Carlsbad, Californieȹ; 1998
/HFHQWUHHWOHGpYHORSSHPHQW
Impossible de parler stratégie position- comme lui, pas spécialement féru de prise
nelle sans évoquer la question du centre. d’espace ou de masses de pions centraux
Par conséquent, ce livre tout entier parlera agressives, est peu à l’aise avec les vertus
du centre et de son traitement. Mais les classiques du centre. Dans le premier
livres sur le milieu de partie insistent chapitre, il nous enseigne une drôle de
traditionnellement sur certains aspects leçon à partir des coups 1.e4 e5 2.d4 exd4
de manière indépendanteȹ: occupation du 3.c3 Ìf6! 4.e5 Ìe4 (D).
centre avec les pions, possibilité de pous- XABCDEFGHY
sée centrale, par exemple, sans oublier le 8rslwkv-t(
développement rapide et la centralisation
des pièces. Commençons par voir ce qu’en 7zpzp+pzp’
pensait Nimzowitsch, avant de faire le lien 6-+-+-+-+&
avec certaines thématiques modernes. 5+-+-Z-+-%
/HFHQWUHHWOHVWHPSL
4-+-zn+-+$
3+-Z-+-+-#
Dans Mon système, Nimzowitsch 2PZ-+-ZPZ"
commence par un chapitre intitulé « Le
centre et le développement ». Il faut bien
O 1TNVQMLSR!
comprendre que le début de son livre xabcdefghy
est dans une certaine mesure une intro- Le Cavalier e4, estime-t-il, « s’aĜrme.
duction au jeu d’échecs. Il contient donc 5.Íd3 est en eěet facilement réfuté par
un certain nombre de « règles » élémen- un coup de développement comme 5...d5
taires auxquelles Nimzowitsch lui-même et non pas 5...Ìc5?, qui coûterait quatre
n’adhère pas nécessairement, mais qui temps après 6.cxd4 Ìxd3+ 7.Ëxd3. » Voilà
nous intéressent parce qu’elles reĚètent une variante bien singulière. Quatre temps
la théorie échiquéenne de l’époque. Dans ou pas, après 7...d5!, les Noirs ont la paire
la deuxième partie de Mon système, le de Fous et leur part du centre (et c’est le
chapitre d’introduction revisite la question « bon » Fou des Blancs qui vient de se faire
du centre et celle du développement de dévorer). La plupart des joueurs pren-
manière plus aboutie. draient volontiers les Noirs ici. (De fait,
Nimzowitsch commence par l’idée on recommande plutôt 5.Ëe2! au lieu de
bien établie qu’il faut utiliser le centre 5.Íd3, mais c’est un détail).
pour gagner du temps. Il est amusant de Nimzowitsch poursuitȹ: « Par contre,
voir combien un grand hypermoderne après 1.e4 e5 2.d4 exd4 3.c3 Ìf6! 4.e5, il
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
serait mauvais de meĴre le Cavalier en d5, par le recours à des règles artięcielles.
car il n’y trouverait pas le repos de sitôt, J’ajoute que l’indépendance par rapport à
par exempleȹ: 4...Ìd5? 5.Ëxd4 c6 6.Íc4 ces règles est une caractéristique essentielle
Ìb6 7.Ìf3 (D). de la pensée échiquéenne moderne. Dans
XABCDEFGHY le cas présent, Nimzowitsch se fait prendre
8rslwkv-t( en Ěagrant délit de comptage de tempi,
c’est-à-dire qu’il s’appuie sur le genre de
7zp+p+pzp’ conception « arithmétique » du jeu dont lui-
6-sp+-+-+& même se moquait allègrement. En réalité,
5+-+-Z-+-% ses parties à lui sont imprégnées d’une
conception très qualitative du développe-
4-+LW-+-+$ ment, bien loin des principes faciles. Dans
3+-Z-+N+-# ce contexte, l’exemple suivant, toujours tiré
2PZ-+-ZPZ" de Mon système, est symptomatique. Nous
sommes dans un Gambit du Roiȹ: 1.e4 e5
o 1TNV-M-+R! 2.f4 exf4 3.Ìf3 Ìf6 4.e5 (D).
xabcdefghy XABCDEFGHY
« Les Blancs affirment six temps contre 8rslwkv-t(
deux aux Noirs, voire même un et demi
puisque le Cavalier b6 n’a pas de bonne 7zpzp+pzp’
case et c6 n’est considéré que comme un 6-+-+-s-+&
demi-temps puisqu’il ne s’agit pas d’un 5+-+-Z-+-%
pion central. »
CeĴe évaluation est purement et simple- 4-+-+-z-+$
ment choquante. Où sont-ils donc passés, 3+-+-+N+-#
ces merveilleux tempi, après 7...Ìxc4 2PZPZ-+PZ"
8.Ëxc4 d5, là encore avec la paire de Fous,
sachant que les Noirs vont raĴraper sans
o 1TNVQML+R!
diĜculté le retard de développement des xabcdefghy
pièces mineuresȹ? En réalité, pour ne pas Nimzowitsch estime que « la case h5 est
tomber en infériorité, les Blancs vont devoir ici exceptionnellement bonne (habituelle-
essayer 9.exd6 Íxd6 10.Íg5, sur quoi les ment, les cases du bord de l’échiquier sont
Noirs égalisent par 10...Íe7 ou 10...Ëc7 mauvaises pour les Cavaliers), par ex. 4...
11.Ëe4+ Íe6 12.Ìd4 0-0! 13.Ìxe6 Îe8, etc. Ìh5 5.d4 d5 (ou 5...d6)..., et les Noirs ne
Ce mauvais départ de ce qui reste un des sont pas mal. »
meilleurs livres d’échecs de tous les temps Tout à fait exact, mais c’est tout de même
a pourtant l’avantage d’illustrer parfaite- un drôle d’exemple pour quelqu’un qui
ment l’un de nos thèmes majeurs. J’estime cherche à enseigner le centre classiqueȹ! Au
qu’aux échecs, notre jugement est émoussé contraire, nous avons ici les prémices d’une
/HFHQWUHHWOHGpYHORSSHPHQW
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
0RQDUTXHVGHVWHPSVPRGHUQHV
Qu’est-ce que ça fait d’être Roiȹ? Ce n’est prennent un malin plaisir à faire jouer à leur
pas très drôle, aux échecs en tout cas. On Roi un rôle inaĴendu, évitant par exemple
vit caché, dans la crainte d’être débusqué, de roquer aęn de mieux cordonner leurs
alors que même notre Dame a le droit de forces, ou alors le faisant monter en renfort.
sortir se couvrir de gloire en embrochant Kaidanov dit de ces joueurs qu’ils ont « un
des ennemis. C’est tout juste si on est auto- penchant pour le Roi ».
risé à prendre un peu d’exercice quand les
forces ennemies s’approchent de trop près, ª1LP]R.LQJGLDQ«
et encore, un petit pas de côté et c’est à peu TXDQGOH5RLGpIHQG
près tout. Ahȹ! au XIXe siècle, le Roi était
plus aventureux, c’est certain, mais au sens Et le premier d’entre eux fut peut-être
de « suicidaire ». Au bout d’un moment, un Nimzowitsch lui-même. « J’aime emme-
conseiller à la cour – un nommé Tarrasch, ner mon Roi en promenade », professait-
dit-on – a convaincu ces têtes brûlées qu’ils il, et de fait, il avait le don de dénicher des
feraient mieux de rester bien au chaud à l’ar- positions dans lesquelles le meilleur plan
rière pour n’entrer dans la bataille qu’une fois était de quiĴer le palais pour aller inspec-
la Dame et la plupart des oĜciers éliminés. ter ses terres. Raymond Keene s’est aĴaché
À ce stade, le monarque peut se permeĴre à dresser la liste de ces excursions nimzo-
l’audace de monter au créneau dans le noble witschiennes, et même à les catégoriser
but de collecter l’impôt, ou même d’anoblir ainsiȹ: (a) provocationȹ; (b) anticipation
un de ses fantassins ou paysans. prophylactique (fuite vers une aile moins
Le Roi moderne est-il très diěérentȹ? Pour menacée) ; (c) « un présage d’action agres-
l’essentiel, nonȹ: dans la plupart des milieux sive sur l’aile ainsi évacuée ». J’appliquerai
de partie, la sécurité du Roi prime sur ces catégories – qui se chevauchent parfois
toute autre considération. Tout de même, – aux exemples qui suivent. Commençons
on est un peu moins dogmatique qu’au par un exemple de l’amateur de prome-
tournant du XIXe siècle, quand, comme le nades lui-même.
rappelle Andy Soltis, « Morphy et consorts Dans la position du diagramme suivant,
roquaient toujours très rapidement. » la situation des Noirs ne semble pas très
D’une part, il existe un certain nombre reluisante, les Blancs semblent même à deux
d’ouvertures dans lesquelles le Roi reste au doigts de la domination totale. À ce stade,
centre – cf. le traitement de la Caro-Kann Nimzowitsch remarque une caractéristique
par Karpov vers la ęn des années 1990, par intéressante de la positionȹ: le problème, ce
exemple. Du reste, depuis Nimzowitsch, n’est pas que son aile-roi est faible, c’est que
il s’est toujours trouvé des joueurs qui son Roi y constitue une cible.
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
0RQDUTXHVGHVWHPSVPRGHUQHV
partie. Commençons par un exemple bien Les Noirs sont clairement mieux (20.f5?
connu, mais toujours aussi rafraîchissant : c6). Quant au Roi, il est parfaitement à sa
XABCDEFGHY placeȹ!
8r+-wk+-t( Puis vint un autre grand spécialiste de
7zpz-+p+-’ la balade royale, le très imaginatif Tigran
6-+-z-s-z& Petrosian. Sa pratique regorge d’exemples
5+-+-+lz-% formidables, mais je vais me contenter
de présenter quelques cas typiques de la
4-vPW-+-Z$ manière très naturelle dont il intégrait le
3+-S-+-V-# Roi à son jeu ȹ:
2PZ-+PZP+" XABCDEFGHY
o 1+-T-ML+R! 8q+-t-+-+(
xabcdefghy 7t-+-+pm-’
.HUHV²5LFKWHU 6-+Rvp+pz&
Munich 1942 5zQ+p+-+-%
Le dernier coup des Blancs, 11.h4, 4Pz-Z-+-+$
menace 12.hxg5. La défense naturelle, 11... 3+N+-Z-Z-#
g4, est aěaiblissante, et 11...Îg8 cède la 2-Z-+-Z-Z"
colonne h. Mais Richter trouve un coup
saisissant…
O 1+-T-+-M-!
11...Êd7!! xabcdefghy
Protège la Tour h8 et menace par là 3HWURVLDQ²8Q]LFNHU
même le coup agressif ...Ìe4. Mais enęn le Hambourg 1960
Roi est au centre, nonȹ?
12.Îd1?! Les Blancs ont un avantage sur l’aile-
Sans doute pas le meilleur coup, mais dame, mais en y regardant de plus près, on
l’option naturelle 12.Íe5 achoppe sur 12... ne voit pas clairement comment progres-
Íc5! 13.Íxf6 Íxd4 14.Íxd8 Îaxd8 avec ser. Je me demande combien de joueurs
un bon jeu. Peut-être fallait-il se contenter auraient trouvé ceĴe solution toute simpleȹ:
de 12.f3. 29.Êf1! Êg8 30.h4 h5 31.Î1c2 Êh7
12...Ìe4 13.Ëe5 Íxc3+ 14.bxc3 Ìxg3 32.Êe1!
15.fxg3 Íg6 On voit maintenant où Petrosian veut
Bien au chaud. C’est la position des en venirȹ: le Roi part se réfugier sur l’aile-
Blancs qui commence à sentir le roussi. dame, après quoi les pions de l’aile-roi vont
16.hxg5 Ëxg5 17.Ëf4 Îae8 18.Îd5 Ëxf4 pouvoir aller ouvrir un deuxième front en
19.gxf4 b6! toute sécurité. Nous sommes donc claire-
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
ment en présence du cas ‘c’. Les Blancs ont un tout petit avantage
32...Êg8 33.Êd1 Êh7 34.Êc1 Êg8 35.Êb1 grâce au fort Cavalier bloqueur en d3 et
Êh7 36.Ëe2 Ëb7 37.Îc1 Êg7 38.Ëb5! Ëa8 parce qu’ils ont le meilleur Fou, mais les
Le gain est très joli sur 38...Ëxb5 39.axb5 Noirs ont plus d’espace et font pression
a4 40.b6 Îad7 41.Ìa5 Îa8 42.Îxd6! Îxd6 sur e2. La façon dont Petrosian parvient à
43.b7 Îb8 44.Îc8 Îd8 45.Îxd8 Îxd8 46.Ìc6. progresser est un régal pour les yeuxȹ:
En jouant Ëb5-e2, les Blancs gagnent un 27.h4!
temps pour progresser à l’aile-roi avant que Un petit coup de sonde pour créer une
les forces adverses ne puissent s’y rendre. faiblesse à l’aile-roi pour commencer. Mais
39.f4 Êh7 40.Ëe2 Ëb7 41.g4! hxg4 dans le fond, les Blancs ne sont-ils pas aussi
42.Ëxg4 Ëe7 43.h5 Ëf6 44.Êa2 Êg7 exposés que les Noirs iciȹ?
45.hxg6 Ëxg6 46.Ëh4 Íe7 27...h6 28.Ëb5 Ìa7 29.Ëf5 Ìc6 30.Êf1!
Après 46...Îh8 47.Ëf2, la menace Îg1 Pour protéger e2ȹ? Pas vraimentȹ: le Roi
est dévastatrice. Remarquez bien que les part en fait se cacher sur l’aile-dame avant
Blancs n’ont jamais vraiment besoin de la rupture g4-g5, par exemple.
transférer les Tours sur l’aile-roiȹ: en fin 30...Îe6 31.Ëb5 Ìa7 32.Ëb3 Ìc6 33.h5!
de compte, c’est la colonne c qui décide – Prend de l’espace, mais interdit surtout
avantage qu’ils avaient depuis le début. ...h5.
47.Ëf2 Êf8 48.Ìd2 Îb7 49.Ìb3 Îa7 33...Ìe7 (D)
50.Ëh2! Íf6 51.Îc8! Îad7 52.Ìc5! b3+ XABCDEFGHY
53.Êxb3 Îd6 54.f5! Îb6+ 55.Êa2 1-0 8-+-w-+k+(
Voici un exemple du même cas, plus 7+p+-spz-’
raĜné, mais fondamentalement similaire ȹ: 6-v-+r+-z&
XABCDEFGHY 5z-+-+-+P%
8-+-wr+k+( 4-+-z-V-+$
7+p+-+pzp’ 3ZQ+N+-Z-#
6-vn+-+-+& 2-ZR+PZ-+"
5z-+-+Q+-% O 1+-+-+K+-!
4-+-z-V-+$ xabcdefghy
3Z-+N+-ZP# 34.Êe1! Ìd5 35.Ëb5 Ìf6!
2-ZR+PZ-+" L’échange en f4 réduirait la position à
bon Cavalier contre mauvais Fou, et les
O 1+-+-+-M-! Blancs conserveraient le contrôle de la
xabcdefghy colonne c.
3HWURVLDQ²3HWHUV 36.Êd1! Ìd5 37.Íe5 Ìe7 38.g4!
Lone Pine 1976 La rupture g5 se proęle, et en prime le
0RQDUTXHVGHVWHPSVPRGHUQHV
Fou trouve un havre de paix en g3. l’instant, il faut protéger les pions g et anti-
38...Ìc6 39.Íg3 Ìa7 40.Ëb3 Ìc6 41.Êc1 ciper l’aĴaque qui se proęle à l’aile-roi par
Îe4! 42.f3 Îe3 43.Êb1 Ìe7? g3, Êg2, Îh1, et h5. Là encore, Petrosian
Finalement, après une superbe défense, parvient à optimiser le rendement de ses
Peters craque – il ne fallait pas autori- pièces tout en évacuant son Roi de la zone
ser l’échange de ceĴe pièce essentielle. Le à risque.
problème, c’est que les Noirs sont quasi- 19...Ëe8! 20.g3 Îc7 21.Êg2 Ëf7 22.Îh1
ment en Zugzwang, n’ayant plus que des Êf8!
coups de Tour puisque la Dame et le Fou C’est presque trop facileȹ! Il n’y a clai-
ne peuvent jouer et que le Roi est rivé à la rement aucun danger à l’aile-dame, mais
protection de f7. Une ligne plausible serait les Blancs n’ont pas assez de puissance de
42...Îe8 43.Êb1 Îe3 44.Ëb5 Ìa7 45.Ëf5 feu pour percer à l’aile-roi (souvenez-vous
Ìc6 46.Íf4 Îe6 47.g5 hxg5 48.Íxg5 Ëe8 d’Alekhine-Nimzowitsch).
49.Ëg4! avec de la pression et une aĴaque. 23.Ëg5 Êe8 24.Îac1 Êd7 25.h5 gxh5
Après 43...Ìe7, les Noirs auraient pu 26.Îxh5 Îg8 27.Îh7 Êc8 28.Ëh4 Ëg6
mieux défendre, mais la position était déjà 29.Îh8 Îxh8 30.Ëxh8+ Êb7
très diĜcile et la défaite fut rapideȹ: Tranquillementȹ! Les pièces blanches
44.Íh4! Ëd6 45.Íxe7 Îxe7 46.Îc8+ Êh7 sont actives, c’est vrai, mais handicapées
47.Îf8 Ëc7 48.f4 Íc5 49.Ëd5 Îe5 50.Îxf7 par le fait que l’échange des Dames mène
1-0 systématiquement à une ęnale gagnante
XABCDEFGHY pour les Noirs.
8r+-+-+k+( 31.Ëf8 Îc8 32.Ëd6 Ëe8 33.a4 Îd8
34.Ëa3 Ëe7 35.Ëc3 Îc8 36.Íd2 g5!
7z-+q+rz-’ Une fois de plus, l’aile évacuée permet
6-zn+p+p+& l’ouverture d’un deuxième front. Cet
5+-+pZp+-% exemple est donc un mélange du cas ‘b’
(essentiellement) et ‘c’ !
4-+-Z-W-Z$ 37.Ëc2 f4! 38.gxf4 gxf4 39.Íxf4 Îg8+
3Z-+PV-+-# 40.Íg3 Ìxd4 41.Ëc3 Ìe2 42.Ëc6+ Êb8
2-+-+-ZP+" 43.Îe1 Ìf4+ 44.Êf1 Ìxd3
Le coup gagnant. La ęn est tactique,
o 1T-+-+RM-! mais assez simpleȹ:
xabcdefghy 45.Îb1 Ëf7 46.Ëd6+ Êb7 47.Êe2 Îc8
'LH]GHO&RUUDO²3HWURVLDQ 48.a5 Îc2+ 49.Êf1 Ìxf2 50.Îxb6+ axb6
Palma de Majorque 1969 51.Ëxb6+ Êc8 52.Ëa6+ Êb8 53.Ëb6+ Ëb7
54.Ëd6+ Ëc7 0-1
Les Noirs ont un net avantage à long
termeȹ: bon Cavalier contre mauvais Fou et AĴention tout de même à ne pas trop
les pions d adverses sont faibles. Mais pour en faire. C’est le danger auquel on s’expose
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
lorsque le Roi va se promener par provoca- 21...e5 22.Êxd3 Íf4 23.Ëg1 0-0-0 24.Êc2
tion (cas ‘a’) : Íxc1 25.Îxc1 Ëxa2 26.Îh2 Îhf8 27.Îd2
XABCDEFGHY Ëa4+ 28.Êb1 Ëc6 29.Íd3!
8r+-wk+-t( … avec des perspectives assez équi-
librées (les Blancs ęnirent même par
7zp+n+pzp’ l’emporter).
6-+-vp+-+& Il y a tout de même un petit problème,
5+Q+-S-+P% que j’ai déniché en préparant cet exempleȹ:
21...Ìf6+! mène à un gain forcé après
4-+-zl+P+$ 22.Êxd3 Ìxg4!. Sur 23.fxg4 Ëxf1+, alors h3
3+-Z-+P+-# tombe, et sinon il y a 23.Ëb6 Ìf2+. En fait,
2PZ-+-+-+" 21.Ëe3? est faux. Il fallait sans doute accep-
ter de jouer 21.Ëg6, et c’est probablement
O 1T-V-ML+R! ce qu’aurait fait le même Karpov quelques
xabcdefghy années plus tardȹ!
.DUSRY²$=DLWVHY
Kuibyshev 1970 Peut-être faut-il un peu moins de pièces
sur l’échiquier pour que la provocation
À peine sortis de l’ouverture, les Blancs fonctionne. Dans son article sur les prome-
se retrouvent déjà dans une situation nades royales, Kaidanov (qui en a joué plus
délicate. Karpov trouve maintenant une d’une) donne cet exemple ȹ:
idée incroyableȹ: pour conserver l’équilibre XABCDEFGHY
matériel et positionnel, le Roi va plonger 8-+-+-t-+(
au cœur de la mêlée, sans craindre les
nombreuses pièces qui s’y trouvent. Il faut 7v-+-wpm-’
des nerfs d’acier pour y parvenirȹ: 6-+-z-+-z&
15.Ìxf7!? Íg3+ 16.Êe2 d3+ 17.Êe3! 5+-+LzQzP%
Ëf6!
17...Êxf7 était possible aussi, après quoi 4-Z-+P+-+$
les Blancs auraient poursuivi leurs provo- 3+-Z-+RZ-#
cations par 18.Êxe4 (18.fxe4? Ìe5! menace 2-+-+-Z-+"
...Ëg5+) 18...Ìf6+ 19.Êe3, et sur 19...Ìd5+,
peut-être 20.Êe4!? à nouveauȹ!
O 1+-+-+-M-!
18.Êxe4! Ëxf7 19.Îh3 a6 20.Ëg5 h6 xabcdefghy
21.Ëe3 3VDNKLV²+HEGHQ
Soltis ponctue ce coup d’auto-blocage Chicago 1983
apparemment absurde d’un ‘!’, et 20...h6
d’un ‘?’. Incroyable mais vrai, les Blancs Visuellement, les Blancs dominent les
ressortent indemnes après… débatsȹ: comme le note Kaidanov, les Noirs
0RQDUTXHVGHVWHPSVPRGHUQHV
ne peuvent jouer que le Fouȹ! D’un autre Après tout, le Roi a bien le droit de
côté, comment progresserȹ? Le pion passé s’amuser. Naturellement, ce type d’excur-
ne sert pas à grand-chose dès lors que le sion exotique reste quelque chose d’excep-
Fou de cases noires n’a aucun mal à le tionnel. En revanche, pour ceux qui aiment
bloquer. Il faut donc évidemment que le jouer le Roi, on trouve de plus en plus de
Roi s’en mêle, mais de quel côtéȹ? lignes d’ouvertures dans lesquelles il reste
42.Êg2 Íb6 43.Êf1 Ía7 44.Êe2 Íb6 au centre. Il y a généralement une raison très
45.Êd3 Ía7 46.Êc4 Ëc7+ 47.Êb3 précise à cela, un objectif (une poussée libéra-
Pas par ici, donc. trice, un schéma de développement particu-
47...Ëe7 48.g4 Íb6 49.Êc4! Ía7 50.Êb5!! lier) qui fait qu’on ne peut pas se permeĴre
Par làȹ! de prendre un temps pour roquer. Certaines
50...Ëe8+ structures s’y prêtent plus particulièrement,
Ce qui est fou, c’est que 50...Îb8+ 51.Êa6! par ex. des pions noirs en f7, e6, et soit d5
Îb6+ 52.Êa5 est tout simplement gagnant. comme dans la Française, soit c6 comme
Provocation d’accord, mais pas n’importe dans la Scandinave, la Caro-Kann et la Slave.
commentȹ! On trouve désormais dans la théorie normale
51.Íc6 Ëd8 de ces quatre ouvertures des coups comme
La position après 51...Ëb8+ 52.Êc4 Ëc7 ...Êf8, ...Êe7 et ...Êd7. Évidemment, il existe
53.Ëd7 (53.Ëf6+!? Êh7 54.Êd5) est dans le aussi des ouvertures très courantes dans
même esprit que la suite de la partie. lesquelles ce sont les Blancs qui renoncent au
52.Êc4 Ëe7 53.Ëd7! roque pour des raisons stratégiques.
Après l’échange des Dames, le Roi va
pouvoir escorter ses pions, et c’était bien là En résuméȹ: les joueurs modernes se
tout le sens de la manœuvre, au fond. préoccupent tout autant de la sécurité de
53...Ëe6+ 54.Ëxe6 fxe6 55.Îxf8 Êxf8 leur Roi que leurs prédécesseurs, mais il
56.Êb5 Êe7 57.Êa6 Íxf2 58.c4 Êd8 59.Êb7 semblerait que le jeu moderne laisse une plus
Íe1 60.b5 Íf2 61.b6 grande place à la créativité – une tendance
et la ęnale gagne facilement. qui devrait se poursuivre, à mon avis.
/H)RXPRGHUQH
Le temps est venu de revenir sur la ques- livre Bishop vs Knightȹ: The Verdict, Steve
tion des pièces mineures. Dans le chapitre Mayer nous dit que « le duel Fou contre
6 de la première partie, nous avons revu les Cavalier constitue le rapport matériel
conceptions traditionnellement véhiculées (déséquilibré) le plus courant aux échecs ».
par les manuels. Je voudrais maintenant Ce qu’il veut dire, c’est que l’une des deux
aborder les progrès qui ont remis en cause pièces est généralement meilleure que
ceĴe vision bien établie. Je commencerai l’autre. Or c’est précisément cet écart qu’il
par examiner chaque pièce individuel- importe de bien comprendre pour saisir les
lement, dans la mesure du possible. Un idées modernes aux échecs.
chapitre sera ensuite consacré aux interac-
tions et à la valeur comparée du Fou et du /HÀDQFKHWWRRQHQHVWIRXV
Cavalier. Enęn, le thème du sacrięce de
qualité (Tour contre Fou ou Cavalier) aura Dans un article écrit en 1928 (cité par
lui aussi droit à son propre chapitre. Keene dans l’ECOT) sur les ouvertures
On voit que le matériel ne manque pas, de l’époque, Spielmann mentionne entre
et à mon avis cela montre qu’une grande autres l’idée de Nimzowitsch 1.Ìf3 suivi
partie des changements intervenus dans le de b3 et Íb2, précisant que selon lui, le
jeu moderne se situe dans le traitement des contre-ęancheĴo par ...g6 et ...Íg7 consti-
pièces mineures. Bien sûr, il y aurait beau- tue une bonne défense. Puis il se lâcheȹ:
coup à dire sur les Tours et leurs quali- « Mais ceĴe manie du ęancheĴo à tout-
tés, mais la liste des progrès accomplis ces vaȹ! Entre les mains du défenseur, dont la
derniers temps en la matière ne serait pas tâche est d’égaliser, c’est une bonne arme,
très longue (j’ai abordé la question dans la mais comme méthode de développement
première partie, sans prétendre l’avoir épui- pour le joueur en premier, cela ne vaut pas
sée). Les pièces mineures, c’est autre choseȹ! grand-chose. »
Pour commencer, les problèmes sont bien Il faut avouer qu’en eěet, on ne trouve de
plus complexes. Demandez aux forma- ęancheĴo avec les Blancs que dans 2 % de
teurs quels sont les plus gros problèmes ses parties, alors qu’il a joué ...b6 et ...Íb7
positionnels de leurs élèves, et je crois ou ...g6 et ...Íg7 dans près de 9 % des cas.
que le traitement et l’évaluation des pièces Je crois que son cri du cœur (« ceĴe manie
mineures arriveront généralement très du ęancheĴoȹ! ») est typique de son tempsȹ:
haut sur la liste. D’ailleurs, en pratique, il pour les « vrais » joueurs d’échecs, ceux qui
existe d’innombrables positions où il s’agit prenaient le centre, développaient leurs
simplement de savoir qui a les meilleures pièces en un coup et d’une façon générale
pièces mineures. Dans la préface de son s’en tenaient à un style de jeu de gentlemen,
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
le ęancheĴo n’était qu’un pénible artięce. ce cas [après sa suggestion – JW]… l’absur-
S’il avait pu se douterȹ! Il est vrai qu’à dité de l’ouverture à ‘double-trou’ aurait
l’époque, le ęancheĴo-roi par g3 était un été démontrée une fois de plus. » Il faisait
oiseau rare, mais Botvinnik, déjà, le jouera référence à Teichmann, qui avait traité
dans 9 % de ses parties, et Karpov 13 %. Avec le double ęancheĴo de Réti de « stupide
les Noirs, Lasker ne s’en est servi (sur les deux variante à double-trou », sentiment partagé
ailes) que 5 % du temps, et souvent après le par bien des traditionalistes.
dixième coup, donc en dehors de son schéma Et ensuiteȹ? Comme chacun sait, les
de développement normal, contre 8,5 % hypermodernes ont eu le dernier mot sur
pour Alekhine. En revanche, Nimzowitsch le ęancheĴo, qui permet d’exercer une
en était très friand avec les Noirs – 18 % de inĚuence sur le centre sans se faire immé-
ses parties – et Kasparov est monté jusqu’à diatement harceler. J’ajouterais qu’on
28 % ! AĴention, ces pourcentages s’appli- sous-estimait largement à l’époque le rôle
quent au nombre total des partiesȹ: avec défensif du Fou en ęancheĴo, surtout par
les Noirs, Kasparov joue un ęancheĴo-roi rapport au Roi.
plus de la moitié du tempsȹ! La réalité est Pour bien saisir les conséquences du
encore plus extrême, puisque ces chiěres ne ęancheĴo pour notre Fou, le mieux est de
comprennent pas le schéma ...b5 et ...Íb7, regarder les Fous adverses. Prenez l’Est-
très fréquent de nos jours (le pourcentage de Indienne après 1.d4 Ìf6 2.c4 g6 3.Ìc3 Íg7
Kasparov monte à 31 % dans ce cas). (D) :
Le double ęancheĴo, parfaitement XABCDEFGHY
accepté aujourd’hui, suscitait chez les 8rslwk+-t(
tenants de la vieille école un mépris tout
particulier. Voici ce que disait Alekhine 7zpzpzpvp’
du début 1.Ìf3 Ìf6 2.b3 d6 3.g3 que lui 6-+-+-sp+&
avait joué Nimzowitsch à New York 1927 : 5+-+-+-+-%
« L’hypermodernerie dans toute sa splen-
deur. Dans la présente partie, elle n’aurait 4-+PZ-+-+$
jamais rapporté aux Blancs le moindre 3+-S-+-+-#
laurier si leur adversaire n’avait sures- 2PZ-+PZPZ"
timé sa position et ne s’était mis en tête de
réfuter le schéma. » Que conclure de ces
O 1T-VQMLSR!
paroles acerbesȹ? Alekhine était trop ęn xabcdefghy
pour penser que b3 et g3 était réfutable, Parlons un peu du Fou c1. Dans d’autres
mais il n’a tout simplement pas supporté lignes, moins jouées, les Blancs essaient de
qu’on puisse le baĴre en jouant ainsiȹ! Au le sortir en f4 ou g5 avant de pousser e3, de
sixième coup, il ajoute, proposant une manière à se créer deux « bons » Fous (qui
amélioration pour les Noirs (accompagnée ne soient pas gênés par les pions centraux).
d’une analyse d’ailleurs médiocre) : « Dans Mais si le Fou vient en g5, il peut se faire
/H)RXPRGHUQH
aĴaquer par ...h6, et après Íh4, il y a ...g5, cheĴo a changé la nature même des échecs
et sur Íg3 les Noirs prennent la paire de modernes. Quant à l’idée qu’il serait moins
Fous par ...Ìh5, ce qui, on le sait, compense « dynamique », je constate simplement
l’aěaiblissement de l’aile-roi (comme dans que le Fou développé de manière classique
la Benoni d’ailleurs). Si le Fou vient en f4, contribue davantage aux simplięcations,
il perdra souvent un temps sur ...d6 et ...e5 ayant beaucoup plus tendance à s’échan-
(voire ...Ìh5). On voit que la structure des ger. Si vous recherchez un vrai combat avec
Noirs permet de restreindre les possibili- un maximum de complications, je crois que
tés du Fou c1. D’un autre côté, si les Blancs le bon choix s’impose de lui-même.
continuent normalement par 4.e4 d6 5.Ìf3
0-0 6.Íe2, la diagonale c1-h6 reste ouverte. 'HV)RXVSDVVLPDXYDLVTXHoD
Ensuite les Noirs vont souvent jouer ...e5 et
les Blancs d5, avec une conséquence inté- On considère traditionnellement qu’un
ressanteȹ: le Fou g7 est « mauvais », mais Fou de la même couleur que ses pions est
soudain, son collègue en e2 l’est aussi, à « mauvais », en ce sens que ses propres
cause de la structure c4-d5-e4. De toute pions limitent sa mobilité, tandis que les
façon, comme nous allons le voir plus loin, cases situées devant eux ne sont pas proté-
les apparences sont souvent trompeuses gées par le Fou. Quelques réserves s’impo-
avec les Fous en ęancheĴo. L’important, sent pour commencer. Premièrement, ce
c’est de ne pas juger le Fou g7 (enfermé sont les pions centraux qui comptent avant
après ...e5) isolément, mais en relation avec tout – d’abord les pions d et e, puis les
les pièces adverses, gênées elles aussi. pions c et f. Les autres n’ont pas trop d’im-
La liste complète des ouvertures portance, du moins avant la ęnale. Voici un
comportant un ęancheĴo de nos jours serait petit exemple tout simple ȹ:
fastidieuse, car c’est un des changements XABCDEFGHY
les plus spectaculaires intervenus dans 8r+-+-tk+(
le jeu moderne. Nous avons maintenant
des complexes entiers, comme l’Anglaise, 7+pwl+pvp’
dominés par le ęancheĴo des deux côtésȹ; 6-+pz-sp+&
quant aux ouvertures Indiennes, leur 5+-sPz-+-%
dynamisme latent est tel qu’on se demande
comment Spielmann a pu prétendre qu’il 4p+P+P+-+$
ne servait à rien pour l’aĴaquant. La 3Z-SLVNZ-#
plupart des Siciliennes reposent sur un Fou 2-Z-+-ZKZ"
en ęancheĴo, que ce soit en b7 ou g7ȹ; les
Blancs utilisent g3 contre à peu près toutes
O 1+R+QT-+-!
les défenses Indiennes, et même le Gambit- xabcdefghy
Dame (Catalane) ; et ainsi de suite… Il s’agit bien sûr d’une Est-Indienne. Les
En théorie comme en pratique, le ęan- Noirs ont six pions sur cases blanches et
-RKQ:DWVRQ_Les secrets de la stratégie moderne aux échecs
seulement deux sur cases noires, et pour- perdus positionnellement après 1.e4 c5
tant le Fou b7 est « bon » et son collègue 2.Ìf3 d6 (ou 2...Ìc6, ou 2...e6) 3.d4 cxd4,
en g7 est « mauvais ». De même, les Blancs puisque les Noirs ont un pion central
ont un mauvais Fou en d3, avec seulement de plus. Mais les Blancs ont un autre
trois pions sur cases blanches. problèmeȹ: le Fou-roi. Prenons la Najdorf
Par ailleurs, on voit bien que si le Fou après 1.e4 c5 2.Ìf3 d6 3.d4 cxd4 4.Ìxd4
est « en dehors » de sa chaîne de pions, Ìf6 5.Ìc3 a6 (D).
il reste techniquement « mauvais », alors XABCDEFGHY
qu’il peut s’avérer très efficace, surtout 8rslwkv-t(
en milieu de partie. Voici par exemple
deux mauvais Fous très différents l’un de 7+p+-zpzp’
l’autre ȹ: 6p+-z-s-+&
XABCDEFGHY 5+-+-+-+-%
8r+-+-tk+( 4-+-SP+-+$
7z-+nw-+p’ 3+-S-+-+-#
6-zp+p+-+& 2PZP+-ZPZ"
5+-+pZp+-% O 1T-VQML+R!
4-+-ZlZp+$ xabcdefghy
3+-Z-V-Z-# Où va le Fou f1ȹ? En g2 ou d3, il sera
2PZN+-+-Z" gêné par le pion e. En e2, il sera passif, et
s’il vient ensuite en f3 (avec ou sans f4),
O 1T-+Q+RM-! les Noirs peuvent empêcher directement
xabcdefghy ou indirectement la poussée e5 pour le
En ęnale, il est bien rare qu’un mauvais rendre « mauvais ». Donc il faut jouer
Fou soit meilleur qu’un bon. Les quelques Íc4, me direz-vous, mais dans ce cas on
exceptions sont des Fous qui permeĴent perd des temps sur ...b5 ou ...d5, sans
de tenir la nulle en défendant leurs propres parler de ...Ìbd7-c5, après quoi le pion e
pions. Partant du principe que le lecteur a besoin de protection.
doit connaître ces ęnales dans lesquelles Tout cela est bien connu. Mais cet
un bon Fou (ou un Cavalier) prend le exemple m’intéresse surtout à cause d’un
dessus sur un mauvais, je m’abstiens de troisième point, très négligé par la théo-
développer plus avant. rie à mon sensȹ: le mauvais Fou est surtout
Il suĜt parfois d’un pion central mal un problème pour le joueur qui doit aĴa-
placé pour ruiner les perspectives d’un quer. Dans notre Najdorf, après ...e5 ou
Fou. Par exemple, dans la Sicilienne, ...e6, le Fou e7 ne vaut guère mieux que
Larsen – très pince-sans-rire, on le sait – celui des Blancs en g2 ou d3. Exact, sauf
avait coutume de dire que les Blancs sont que dans la Sicilienne (comme dans beau-
/H)RXPRGHUQH
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