Le Loup Yvon - Lettres Magiques
Le Loup Yvon - Lettres Magiques
Le Loup Yvon - Lettres Magiques
LETTRES
MAGIQUES
PARIS
ÉDITION DE L'INITIATION
SUCIÉTÉ D'ÉDITIONSLITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
Librairie Paul Ollendorff
5o, HUECHAUSSÉK-D'ANTIN, 5O
1903
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
MONCHERSÉDIR,
PAPUS.
PROLOGUE
ANDRÉAS
A STELLA.
II
A STELLA
ANDREAS
III
A STELLA.
ANDREAS
IV
ANDRÉAS
ASTELLA
A STELLA
THÉOPHANE
VI
THÉOPHANE
A STELLA
VII
ANDRÉASA STELLA
VIII
THÉOPHANE
A STELLA
IX
ANDRÉAS
A STELLA
THÉOPHANE
ASTELLA
XI
ANDRÉAS
A STELLA
XII
A STELLA
THÉOPHANE
XIII
ANDRÉASA STELLA
Deux mots pour te dire une histoire, chère Stella.
Il y avait avec nous, pendant une excursion, un de
ces professionnels charmeurs de serpents appelés sou-
padhas ; c'était un vieil homme silencieux qu'on
nommait Hamira Bhangorr; né à Bahowal, dans le
Hashiarpar, il avait rôdé un peu partout et rendu
pas mal de services, disaient les Sais, à Nana-Sahib.
Il vit un cobra mordre notre cornac; aussitôt se pré-
cipitant sur le serpent, il lui présenta un morceau de
résine rouge sombre, ovale, qu'il portait constamment
sur lui; le reptile s'enfuit dans les hautes herbes;
Hamira appliqua d'abord sa résine sur la plaie qui
était déjà noire, puis un morceau de racine sèche et,
en quelques minutes, l'enflure disparût, quelques
gouttes de sang perlèrent sur la peau,et le cornac put
reprendre la marche. Hamira se tourna vers moi pour
m'expliquer que sa résine était la bave solidifiée du
Markhôr, le cerf tueur de serpents, et la racine était
celle de la plante dont le Markhôr se sert comme
contrepoison. Je savais par expérience qu'il ne faut
jamais sourire d'un Oriental si on tient à ne pas
perdre pour toujours sa confiance; j'écoutai son his-
toire sérieusement.
— 79 —
XIV
THÉOPHANEA STELLA
La femme est un coeur; l'homme est une intelli-
gence ; l'une est amour, l'autre est science ; et laissez-
moi ici, chère affligée0 vous raconter une de mes rê-
veries favorites. Vous savez que la plus chérie, parmi
toutes ces imaginations où on a dû vous dire que je
me complais, c'est l'idée que tout ce qui existe vit ;
mais non pas de cette vie collective et muette que les
savants attribuent à leurs forces et à leurs combinai-
sons atomiques, mais d'une existence réelle, objective,
concrète, libre et responsable.
Tout ce qui est tangible sur notre terre, les objets
naturels, les inventions de l'homme, les idées des phi-
losophes, les volontés légiférantes des rois, les besoins
de la foule, les plus humbles morceaux de matière
que nous avons assouplis pour notre commodité, tout
cela sont des êtres vivants et individuels comme vous
et moi ; comme nous aussi, ils ont quelque chose de
visible, de sensible et quelque chose d'invisible ;
comme chez nous encore, c'est leur invisible où se
cache leur force. Les caractères même que ma plume
trace sur ce papier ont un esprit qui les vivifie.
Mais ici, ne tombons point dans un fétichisme ido-
lâtrique : cet esprit vivifiant n'a d'énergie qu'autant
que moi, scribe, formateur de son corps, lui en in-
suffle par ma pensée, et que la pureté de ma pensée
ou de mon intention est capable d'attirer le type éter-
nel de la Vie qui flamboie quelque part au delà des
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mondes. Ces caractères ne jouiront que d'une vie tem-
poraire; si vous déchirez ma lettre, ils deviendront
une tribu anarchique de petits sauvages; si vous la
brûlez, ils mourront à la vie physique pour renaître
ensuite à une autre forme d'existence.
Tout ce que je viens de vous dire, d'une façon con-
fuse sans doute, est vrai aussi pour les mots: Un
idiome est, pour rénover des formules chères à M. de
la Palisse, un idiome, non seulementdes langues par-
lées sur cette terre, mais aussi de toutes les langues
parlées dans toutes les planètes, où peuvent vivre des
êtres possédant le don de la parole : donc, si vous ne
trouvez pas le saut trop grand, un mot est une image
microscopique de la Vie universelle, ou mieux d'un
des êtres qui la contiennent.
Sentez-vous maintenant que si j'écris ou si je pio-
nonccles mots : quatre, pensée, bien, etc., je dessine
avec une plume ou avec ma voix, une petite photogra-
phie, déformée, d'un être : le Quatre, la Pensée, le
Bien, etc., qui dresse sa stature gigantesque sur le
sommet d'une montagne inconnue ou qui marche sur
les flots éthérés de quelque fleuve cosmique ? Cela
peut-être à cent mètres de la surface du sol, ou par
delà Sirius ; car la matière est pénétrable, il y a plus
de trois dimensions dans l'espace; que savons-
nous?
Et, si la Stella civilisée s'effraie de ces paradoxes,
qu'elle écoute un peu la Stella sauvage qui sait bien,
elle, que l'âme de l'homme est toujours attachée au
vrai absolu, et que, par suite de cette union, plus
intime que les philosophes et les prêtres ne l'imagi-
— 8i —
nent, l'homme ne peut pas procréer quelque chose de
totalement faux.
Ainsi, cet admirable symbolisme de la nature, cette
végétation libre, produite par le mariage des efforts
de la raison humaine et des secours de la bonté di-
vine, fait que dans le langage courant se cachent des
vérités profondes.
On emploie mille fois par jour le mot « amour» ou
le mot « raison ». Qui se demande pourquoi le pre-
mier est du genre masculin, le second du genre fémi-
nin ? Pourquoi l'un exprime le charme de vos soeurs,
Stella, et l'autre la force de mes frères?
Je vous ai parlé sacrifices l'autre jour : voilà le se-
cond à faire : oubliez les livres, ils ne sont pas faits
pour vous ; plongez-vous dans la vie maternelle et
féconde ; écoutez avec votre coeur les battements de
son coeur. Laissez les savants dénombrer les formes
de la matière, les armées des astres, les légions de
plantes ; laissez leurs instruments et leurs algèbres,
vos mathématiques doivent être les rayonnements du
Dieu qui est en vous ; vos microscopes, ce sont les
efforts de votre charité toujours en éveil. Servir est
votre devise.
XV
ANDRÉAS
A STELLA
XVI
THÉOPHANEA STELLA
Permettez que je vous appelle mon enfant. Le jour
n'est pas loin où je pourrai pour vous quelque chose
qui excusera un peu ce que ce titre a de protecteur,
car nous sommes tous les enfants du même Père, et
nous valons tous autant à Ses yeux. Mon enfant, di-
sais-je, j'avais commencé à vous parler de l'Amour,
et son inéluctable épouse, la Mort, est venue aussitôt
vous visiter. Car cette tristesse, ce découragement,
ces doutes, le désespoir, la morne indifférence pour
tout, ce sont les formes d'une des morts les plus dou-
loureuses qu'il soit donné à l'être humain de subir.
Je dis «donné », car ces souffrances sont bénéfiques et
salvatrices ; je ne vous dirai ni pourquoi, ni comment
vous allez vivre et alors vous comprendrez tout. Votre
ami, Andréas, avait une recette qui vous aurait aidé
à supporter ces tortures ; il ne vous l'a pas dite, non
seulement parce qu'on lui avait ordonné le silence,
mais surtout parce qu'il ne vous croyait pas capable
de la mettre en pratique.
Cette recette, la voici : elle consiste essentiellement
à découvrir dans le fond de notre conscience le pié-
destal où trône notre vrai moi, à escalader ce piédes-
tal et à regarder de Jànos soldats se battre : la pensée
qui s'effrite, le coeur qui perd son enthousiasme, la
volonté qu'abandonne la foi. Mais cette recette est
dangereuse, car on arrive ainsi à ne plus s'intéresser
à la Vie, et nous péchons gravement toutes les fois
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que nous négligeons d'agir. Nous sommes des soldats
et des laboureurs, notre devoir est de nous battre
contre les ténèbres, et après les avoir vaincues, de dé-
fricher les déserts qu'elles habitaient. Les livres sont
des instruments de travail, la science n'est pas unbut,
mais un moyen.
Votre coeur de femme fait que vous sentez toutes
ces choses; il ne faut pas vous borner là. Vous aimez
Andréas, votre amour est un ange vivant ; envoyez-
le-lui ; il ne connaît pas les distances; l'Esprit est par-
tout à la fois ; vcus aurez à soutenir l'exilé, à le gui-
der peut-être, tout au moins à intercéder pour lui.
Vous connaîtrez ainsi, par expérience, quel glaive in-
vincible est l'Amour, pourquoi et comment il est ac-
tif, pourquoi la science est passive et de quelles
essences se nourrissent les hommes parfaits. Tel est
le Grand-OEuvre qu'il vous sera donné d'accomplir,
vous deux.
Déjà maintenant, n'êtes-vous pas secrètement aver-
tie par des touches légères au dedans de vous-même
de ce qui arrive d'heureux ou de néfaste au bien-
aimé? L'Amour grandit dans la mesure où il se
donne. Aimez donc tous ceux qui sont autour de
vous, et vous aimerez d'autant plus profondément
celui avec qui vous serez une seule âme un jour.
XVII
ANDRÉASA STELLA
Pendant que cuisent lentement dans un bassin de
cuivre des sucs végétaux, je vais pouvoir, tout en sur-
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veillant le feu, m'acquitter de la première partie de
ma dette.
Tu te rappelles que je t'ai promis l'histoire d'une
cérémonie du moderne sivaïsme; si j'ai pu y assister
quoique Européen, c'est grâce à ma connaissance des
usages et de la langue du pays, et aussi parce que le
soleil a fait de ma peau une chose semblable à un
épidémie de yogi ; d'ailleurs, mes amis de la pagode
deGanéça m'avaient accompagné. Ceci se passa quel-
ques mois après mon arrivée dans le pays.
11faut te dire tout d'abord que, dans la plupart des
villes du Malabar, la religion est double ; il y a celle
qu'on suit officiellement, au grand jour, puis l'autre
dont on s'occupe dans l'ombre, la nuit ; la première
n'est plus qu'une suite de rites compliqués. La se-
conde, nettement mauvaise, gagne ses adhérents par
quelque chose qui ressemble à tout ce que l'on raconte
des anciens sabbats desorciers. Et les Hindous, quelle
que soit leur caste, la plupart de leurs prêtres, aussi
peu instruits des mystères que le dernier desSoudras,
se retrouvent, en de certaines nuits, dans la jungle,
pêle-mêle, toutes distinctions confondues, le riche, le
pauvre, le guerrier, le comédien, le lutteur, le domes-
tique, emportés parla même frénésie, dans un formi-
dable tourbillon hystérique.
Le lieu de la réunion était un vaste plateau rocail-
leux, où le soin des prêtres et de la secte avait, sur un
espace assez vaste, débarrassé le sol des arbrisseaux
épineux qui le couvraient partout ailleurs, car les
terrains où croissent des ronces sont très agréables à
Shiva. Il y avait là, pour tout temple, une sorte d'es-
-87-
trade de pierres, sur laquelle se dressait un bûcher,
préparé à l'avance, et auxcoins, leslingamsclassiques.
La cérémonie comportait un festin et une cérémonie
religieuse. Le festin, préparé par quelques fidèles éta-
blis à demeure surla lisièrede lajungle environnante,
se distingua par une abondance pantagruélique et par
la violation systématique de toutes les règles que les
dieux ont donné aux hommes pour connaître les ali-
ments permis ou défendus. Les gibiers, les viandes illi-
cites, ies liqueurs alcooliques, les vins épicés, les ra-
cines chaudes, rien ne fut épargné pour allumer dans
le sang des convives un feu qui, à mon sens, devait
servir beaucoup à la partie religieuse de la fête.
Contrairement à ce qui a lieu d'ordinaire, dans les
réunions de Shakteias, il n'y avait pas de femmes
dans notre assemblée, mais le fait de se trouver entre
hommes n'ôta point aux assistants cette gravité si
souvent imposante sous laquelle l'Hindou cache toutes
ses émotions ; l'ivresse même où beaucoup tombèrent
fut digne et sobre. Je ne connais que des lords qui
puissent supporter tant d'alcool avec le même flegme.
Mes guides et moi nousétions prudemment abstenus
du festin; il nous aurait été autrement presque impos-
siblede résister au vertige dont toute l'assemblée allait
devenir la proie.
Après le festin, les assistants, sous la direction de
quelques chefs, commencèrent unedanselenteetcom
pliquée dont les figures symbolisaient, paraît-il, la
légende de Dourga. Pendant ce temps, quelques vinas,
des tambourins et une espèce de clarinette, soute-
naient en mineur une psalmodie chantée ou plutôt
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murmurée par neuf prêtres. C'est ici que commence
le côté bizarre de la réunion.
A mesure que ces danses se prolongeaient, des va-
peurs semblaient s'élever du sol, pourtant desséché
par le soleil ; elles se condensaient, visibles, sous les
rayons de la lune, au centre de chaque ronde de dan-
seurs ; puis du santal, arrosé d'une huile fétide et
macabre fut allumé sur le bûcher; on jeta dans le feu
diverses poudres,du beurre fondu, des ossements qui
me semblèrent venir d'enfants, et les assistants s'uni-
rent de façon à ne former qu'un cercle mouvant tout
autour de cet autel improvisé ; les nuages que j'avais
aperçus vinrent aux côtés du foyer,et à mesure qu'un
danseur tombait d'exaltation sur le sol, une forme
semblable à une femme se détachait de cette vapeur
blanche, s'approchait du crisiaque, et peu à peu le
plateau tout entier devint le théâtre d'une orgie de
luxure auprès de laquelle pâlirent et le Satyricon
et Louise Sigée et les dessins de Jules Romain.
Le phénomène était certainement objectif, car, je
te le répète, dès que je m'avançais de quelques pas
vers le centre de la scène, je sentais des courants
magnétiques d'une puissance irrésistible me saisir au
cervelet.
N'est-il pas curieux de retrouver partout les mêmes
rites quand l'homme veut diviniser le pouvoir de
création physique que la Nature lui prête?
Demain, je pense avoir le temps de m'acquitter de
ma seconde dette. Que les Devasveillentsurtes nuits,
chère délaissée ; pense quelquefois à celui qui pense
trop peut-être à toi.
-.89-
XVIII
THÉOPHANEA STELLA
XIX
ANDRÉASA STELLA
XX
THÉOPHANEA STELLA
SÉDIR.
Fin de la premièrewârtiè. {