Lettre Ouverte Tout - Ce - Que - Nous - Ne - Pouvons - Pas - Dire

Lettre ouverte de citoyens de Lac-Mégantic et des envions
Tout ce que nous ne pouvons pas dire…

Nous sommes de Lac-Mégantic… à quelques jours de souligner les 10 ans de la tragédie
ferroviaire qui a changé nos vies à tout jamais, qui a happé celles de 47 de nos concitoyens.
Nous attendons la concrétisation de la voie de contournement ferroviaire depuis 10 ans. Nous

sommes silencieux, trop silencieux, parce que la situation ici le commande… Si nous avons été
vocales il y a 10 ans pour clamer notre droit à la sécurité et au rétablissement, nous sommes
aujourd’hui plus silencieux, et ce, pour plusieurs raisons. Nous sommes à la fois pris par un
sentiment de culpabilité envers nos concitoyens impactés par le futur tracé, mais également
affaiblis par les blessures du passé et la méfiance envers les autorités. Comme l’animal blessé qui
se cache pour éviter la menace, nous sommes recroquevillés, craintifs et humiliés de voir que 10
ans plus tard, rien n’a vraiment changé.
Nous n’osons plus parler, par peur de blesser ou diviser encore davantage… Donc, nous
privilégions le silence, car notre communauté a été assez éprouvée! Pourtant, nous en aurions tant
à dire… si nous n’étions pas pris entre le respect et la méfiance, entre la pudeur et la peur.
Nous ne pouvons pas critiquer les médias qui souvent vont cogner aux portes des plus bavards
opposants, car ce sont ces mêmes médias qui racontent notre histoire quand nous en avons besoin.
Mais savent-ils qu’à donner tant d’attention à cette poignée d’opposants, la majorité silencieuse
finit par se remettre en question, juste pour être du côté de l’opinion populaire? Le Québec est-il
en train de nous oublier, nous qui attendons avec exaspération cette voie de contournement depuis
10 ans, nous qui vivons sous les vibrations des convois de plus en plus longs et de plus en plus
lourds, ces convois qui traversent notre centre-ville au quotidien, exactement au même endroit où
le train a déraillé en 2013?
Nous ne pouvons pas critiquer Transport Canada pour sa gestion trop souvent déficiente du dossier,
gestion qui accentue les tensions sociales plutôt que de les réduire. On ne peut pas mordre la main
qui nous nourrit… alors on attend, avec une méfiance aveugle, un espoir affaibli et une patience
usée à la corde. Savent-ils, tous ces fonctionnaires, que chaque année qui passe sans que le train ne
sorte du centre-ville, cela nous blesse un peu plus, nous fragilise collectivement, nous condamne à
affronter au quotidien nos peurs et nos traumatismes?
Nous ne pouvons pas dire haut et fort que certains expropriés ont acheté leur terrain après que le
nouveau corridor ferroviaire ait été annoncé, pleinement conscients de ce qui allait arriver…
Certains d’entre eux qui se disent victimes aujourd’hui, ne sentent-ils pas qu’ils utilisent une
situation déchirante et triste à leur avantage, alors que d’autres, réellement plus affectés, se sont
résignés à faire le sacrifice personnel de voir un bout de leur terre partir, au profit de la sécurité de
la majorité? Ils le font non pas par plaisir, mais par devoir et sens des responsabilités. Il nous semble
que c’est d’eux que nous devrions parler aujourd’hui, de celles et ceux qui acceptent, bien malgré
eux, de faire ce sacrifice trop silencieux…
Nous ne pouvons pas non plus parler de tous ces « pseudo » experts qui, dans les dernières années,
se sont improvisés ingénieur ferroviaire, hydrogéologue d’un jour ou soudainement conseiller
stratégique privilégié. Le savent-ils que la communauté ici est vulnérable et que le simple fait de
rôder, de clamer de fausses vérités et d’improviser ainsi sur un dossier aussi complexe est
complètement irresponsable? Nous préférons nous fier aux firmes expertes et certifiées qui ont été
mandatées, aux conclusions du BAPE et de la CPTAQ qui mentionnent qu’il s’agit du meilleur
tracé, de même qu’aux solutions et recommandations des hydrogéologues reconnus qui connaissent
notre territoire depuis 20 ans et qui, aujourd’hui, acceptent de travailler avec les communautés pour
réduire les impacts potentiels et les craintes qui pourraient demeurer.
Nous ne pouvons pas nous réjouir du fait que demain, certains de nos collègues, voisins, amis,
membres de la famille seront expropriés. Ils sont eux aussi des victimes collatérales. Pourtant nous
savions qu’il s’agissait d’une étape inévitable. Ici, nous nous connaissons tous alors nous pouvons
comprendre le désarroi de certains, la tristesse, la résignation ou même la frustration des autres.
Ces expropriés, le savent-ils que nous tous qui espérons et attendons la voie de contournement
ferroviaire depuis 10 ans vivons pour eux énormément de compassion? Le savent-ils ? Car si
aujourd’hui certains aiment nous placer en opposition, nous savons que ce que nous éprouvons
plutôt c’est une grande compassion. Nous sommes divisés oui… mais ce n’est pas par rapport à
eux. Nous sommes divisés entre le besoin de sécurité et celui du sentiment de culpabilité face à ce
qu’ils vivent. Nous sommes déchirés oui, autant que leurs terres qui seront scindées, comme notre
centre-ville qui l’a été.
Aujourd’hui, nous, celles et ceux qui attendent avec impatience de voir le meurtrier quitter le
centre-ville une fois pour toutes, nous avons le besoin de nous exprimer, d’exister, car nous sentons
que le Québec est en train de nous oublier. Nous avons à cœur notre ville et demeurons convaincus
que la voie de contournement est la seule façon d’éloigner le danger, de réduire le risque pour les
communautés et de permettre notre rétablissement collectif.
10 ans plus tard, la voie de contournement ferroviaire se fait attendre, mais notre voix à nous, elle,
doit continuer de se faire entendre…
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