Legros D Maitre de Pembroke E and Talbi
Legros D Maitre de Pembroke E and Talbi
Legros D Maitre de Pembroke E and Talbi
Denis Legros
Emmanuelle Maître de Pembroke
Assia Talbi
« L’une des exigences de base de l’école du futur est de préparer les élèves au travail en réseau et
de les intégrer à la société de l’information dans laquelle la connaissance constitue la ressource
fondamentale pour le développement économique et social. L’institution scolaire est contrainte
d’adapter sa pédagogie et son enseignement. Les nouvelles technologies de l’information et de la
communication peuvent contribuer à transformer l’apprentissage et l’enseignement et à rendre le
système capable d’évoluer et de répondre aux défis. » (Lehtinen et al., 1998, n.p.)
Les travaux consacrés aux effets des systèmes multimédias sur l’apprentissage
sont rares en France. De nombreuses études, essentiellement américaines, nous
mettent en garde depuis de nombreuses années sur l’inefficacité de ces systèmes.
Selon Clark (1994), les médias en général ne sont que de simples véhicules qui
présentent des informations, mais n’aident pas le sujet à construire les connaissances.
Dans une revue de question, Kozma (1994) n’a relevé aucune recherche mettant
clairement en évidence l’effet positif des systèmes multimédias sur l’amélioration de
l’apprentissage. Dès 1986, Clark et Salomon pensaient même qu’il ne fallait plus
perdre de temps sur ce sujet avant qu’une nouvelle théorie de l’apprentissage
multimédia ne soit développée. Et ils jugeaient indispensable d’entreprendre des
recherches, afin de mettre clairement en évidence les effets des fonctionnalités
multimédias sur l’apprentissage. Contrairement à ce qui se passe en France, les
travaux conduits sur cette question aux États-Unis constituent aujourd’hui un
domaine de rechercheconsidérable. Les revues spécialisées se comptent par dizaines.
L’exploration de ce champ immense nous a plongés dans la
Denis Legros, Emmanuelle Maître de Pmbroke & Assia Talbi – mars 2001
perplexité. Comment peut-on ignorer tous ces travaux, alors que l’utilisation des
technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’école se généralise ?
Le moment semble favorable pour faire le point et contribuer à l’explicitation
des théories de l’apprentissage qui sont souvent implicitement à la base des systèmes
et des outils multimédias.
Le but de ce chapitre est de présenter une synthèse des principaux travaux,
essentiellement américains, sur l’étude des rapports entre théories de l’apprentissage
et systèmes d’aide à l’apprentissage. Cette synthèse doit contribuer à apporter
quelques éléments de réponse à trois questions que pose à l’école le développement
de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication : quelle est
l’influence des théories de l’apprentissage sur la conception et l’utilisation en classe
de ces environnements techniques ? En quoi ces environnements techniques
modifient-ils les modèles théoriques de référence et influencent-ils nos conceptions
de l’enseignement ? Quels bénéfices peut-on espérer en tirer pour améliorer
l’efficacité de l’apprentissage et de l’enseignement ?
La plupart des spécialistes de l’apprentissage et de l’enseignement, et, en
particulier, les responsables et les formateurs des Instituts universitaires de
Formation de maîtres (IUFM) sont conscients de la nécessité de développer auprès
des futurs enseignants la connaissance des bases cognitives de l’apprentissage et des
effets des nouvelles technologies sur l’apprentissage. Ces bases constituent en effet
les fondements indispensables à tout acte d’enseignement. Quel que soit le domaine
de connaissances enseigné, il apparaît en effet difficile de concevoir des scénarios
pédagogiques incluant des environnements d’apprentissage sans connaître
précisément le fonctionnement cognitif de l’apprenant dans les activités proposées et
les effets de ces environnements sur ces activités.
Sans ces bases, l’enseignant s’appuie dans sa pratique sur des conceptions
souvent confuses, partielles, et qui renvoient le plus souvent au paradigme
béhavioriste, c’est-à-dire à une conception de l’apprentissage conçu comme un
conditionnement (Burton, Moore & Magliano, 1996). Dans sa formation et dans sa
pratique, il passe alors l’essentiel de son temps à construire des cours, c’est-à-dire à
organiser les informations à proposer aux élèves en s’appuyant le plus souvent
davantage sur les connaissances des champs disciplinaires que sur les processus de
traitement des connaissances appartenant à ces différents champs. Or, les deux
domaines de connaissances sont indispensables pour construire des séquences
efficaces, c’est-à-dire qui tiennent compte des modalités de traitement cognitif des
différents types d’informations proposées à l’apprenant au cours des différentes
activités pédagogiques. Lorsqu’on observe les changements provoqués par les
nouvelles technologies dans la façon de traiter l’information, on imagine aisément
les bouleversements que ces nouvelles technologies pourraient produire dans la
façon d’apprendre et d’enseigner.
Les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement
(TICE), utilisées dans les environnements multimédias d’aujourd’hui sont en effet
d’un autre type que les logiciels d’inspiration béhavioriste qui ont prévalu un temps.
Selon certains auteurs, ces nouveaux environnements permettent l’expérience
concrète et la découverte personnelle, ils constituent alors des outils cognitifs avec
lesquels l’élève peut penser et agir. Ils affectent
ainsi la façon de lire, de comprendre, de construire des connaissances, de résoudre
des problèmes (Crinon & Legros, sous presse).
De plus, ils ont un impact sur la communication dans la classe et ils offrent la
possibilité d’établir des situations d’apprentissage dans lesquelles plusieurs élèves
collaborent et interagissent à distance à une même tâche. Ces nouveaux
environnements constituent ainsi une force potentielle de changement dans la façon
d’enseigner. Les nouvelles modalités d’enseignement résultant de ces nouveaux
environnements doivent faire appel à des cadres théoriques de référence nouveaux
afin de rendre compte des effets des interactions verbales sur l’apprentissage
(Duchastel, 1993).
Un champ de connaissances est apparu à l’interface de la psychologie
cognitive développementale et de l’enseignement (Driscoll & Dick, 1999 ; Mayer,
1992a ; Richey, 1997 ; voir Conway, 1997). Dans le cadre de ce nouveau domaine
scientifique, la notion de « instuctional design », qui n’est pas récente (Joyce &
Weil, 1972), renvoie à une conception fondée sur les sciences de la connaissance et
fait appel en même temps à l’expérience pédagogique. Goupil et Lusignan (1993)
ont traduit ce terme par « modèle d’enseignement » et proposé une analyse de la
notion. Ils ont établi une typologie de ces modèles qui se fondent sur des théories
ayant toutes pour objet la relation enseignement/apprentissage. Parmi les designs
qu’ils ont analysés, les plus souvent invoqués aujourd’hui dans la conception des
systèmes et des environnements d’aide sont ceux du tutorat et du guidage (Reusser,
1996).
Selon Depover, Giardina et Marton (1996), les recherches ont contribué « à
tisser autour de cette notion de design une multiplicité de représentations tantôt
positives, tantôt plus critiques. Ainsi, alors que certains lui associent volontiers l’idée
de rigueur, d’efficacité, voire de rentabilité, d’autres s’attachent d’avantage à
stigmatiser ce qu’ils considèrent comme des défauts majeurs : rigidité, approches
trop standardisées... » (p. 41). C’est pourquoi l’analyse des designs qui sous-tendent
les environnements d’apprentissage informatisés et de la place qu’ils réservent à
l’apprenant et au contexte de l’apprentissage est une condition de leur efficacité
(West, Farmer & Wolff,1991).
La clarification des champs théoriques est d’autant plus souhaitable que les
environnements tendent à reposer sur des bases théoriques multiples et à proposer
des champs de connaissances multidisciplinaires (Willis, Thompson & Sadera,
1999). Enfin, cette clarification permettra des interactions plus efficaces entre la
recherche théorique et la recherche de terrain. Elle rendra ainsi possible les aller et
retours entre la prise en compte des théories du fonctionnement de l’apprenant et les
pratiques des enseignants, contrôlées et évaluées par la recherche empirique
(Niederhauser, Salem & Fields, 1999).
Après avoir présenté les grands paradigmes de l’apprentissage et leur influence
sur la conception des environnements, nous analysons les effets des nouvelles
technologies sur les conceptions de l’enseignement. Nous évoquons pour terminer le
travail coopératif à distance. Ce champ de recherche en cours de constitution ouvre
en effet des perspectives passionnantes et riches.
1. Théories de l’apprentissage, enseignement et nouvelles
technologies
Skinner, l’un des pionniers du béhaviorisme, a suscité des recherches qui ont
généré une grande quantité de données expérimentales etcontribué à constituer pour
plusieurs décennies le paradigme de référence des théories de l’apprentissage. Les
béhavioristes ne s’intéressent qu’aux résultats, et non aux processus cognitifs de
traitement des informations. L’accent est mis sur l’analyse des comportements
observables. Dans cette perspective, le courant de la pédagogie par objectifs cherche
à définir les objectifs d’apprentissage sous forme de comportements observables
(Mager, 1975). Le travail de l’enseignant consiste alors à analyser les réponses de
l’apprenant en fonction des objectifs à atteindre et, à partir de ces réponses, à en
déduire les habiletés (skills) qui les produisent. Dans la lignée des « modèles
d’enseignement » conçus selon les principes d’une structuration des habiletés à
atteindre, en fonction d’une hiérarchisation des objectifs d’apprentissage (Joyce,
Weil & Showers, 1992), des environnements ont été conçus pour favoriser la
construction de ces habiletés (Roblyer, Edwards & Havriluk, 1997, cité par Conway,
1997).
Les béhavioristes s’intéressent d’abord au contenu informationnel à
transmettre. Ils mettent ainsi entre parenthèses le système cognitif de l’individu : les
processus cognitifs et les structures sur lesquels ils opèrent pour traiter les
informations nouvelles et construire de nouvelles connaissances. Cette ignorance du
système et du fonctionnement cognitif de l’apprenant a souvent provoqué une
confusion grave entre la notion d’information et celle de connaissance qui n’a fait
que se renforcer avec le développement des TIC. D’autres confusions encore plus
graves, comme celles qui consistent à assimiler cohésion entre les informations
proposées et cohérence entre les connaissances construites, contribuent à ignorer le
travail de l’apprenant dans son activité de construction de la cohérence des
représentations des connaissances (voir Hoover, 1997).
Ainsi, ignorer toutes les caractéristiques du fonctionnement de l’ apprenant
risque de conduire à une analyse partielle des causes de l’échec scolaire. En effet, les
problèmes et les difficultés de l’enfant n’étant pas traités dans leurs dimensions
cognitives, l’enseignant est amené à surestimer les interventions sur les facteurs
contextuels de la situation d’apprentissage (soutien scolaire, aide aux devoirs, aide
aux familles…), interventions sans doute nécessaires, mais insuffisantes.
La conception béhavioriste, encore largement dominante dans de nombreuses
pratiques enseignantes et dans de nombreux systèmes et outils multimédias, ne peut
contribuer efficacement au développement cognitif et métacognitif de l’élève. Les
développements les plus récents du paradigme béhavioriste ont permis de renouveler
et d’enrichir les modèles, en y intégrant, en particulier, des éléments du paradigme
cognitiviste (Staat, 1986), pour les adapter aux TIC (Bergan, 1990 ; Gagné, Briggs &
Wager, 1992). Ces modèles continuent cependant à proposer des programmes
d’enseignement qui, dans de nombreux cas,
reposent essentiellement sur les mêmes principes de base : découpage des savoirs en
micro-objectifs, renforcement, etc.
1
Il faut noter ici la place particulière de Papert et de ses collègues du MIT’s Media Laboratory. La tortue
LOGO et les micro-mondes (Papert, 1981) ont jeté les bases d’une conception spécifique de
l’informatique à l’école, qui a marqué les années 80 : le rôle de l’action du sujet sur un environnement
par la programmation y est prépondérant. Sur les micro-mondes et l’approche par la programmation, voir
Bruillard, 1997.
de la cognition conçoit la connaissance comme l’effet d’une co-construction entre les
individus et les groupes et le résultat d’une interaction entre les facteurs culturels et
langagiers.
Cette approche a donné de nouvelles perspectives aux travaux sur
l’apprentissage (voir Gilly, Roux & Trognon, 1999a). Elle a aussi ouvert la voie à la
constitution de nombreux cadres théoriques qui conçoivent la cognition comme
socialement partagée (Resnick, Levine & Teasley, 1991) et qui ont pour point
commun de concevoir l’apprentissage comme une activité située socialement
(« Situated cognition », voir Brown, Collins & Duguid, 1989 ; Anderson, Reder &
Simon, 1996 ; Lave & Wenger, 1991 ; McClellan, 1996) et ancrée dans la réalité
quotidienne (Bransford, Sherwood, Hasselbring, Kinzer & Williams, 1990). Ces
théories de la cognition rencontrent certains courants de la philosophie des sciences
(Kitcher, 1990) pour lesquels l’activité cognitive est distribuée ou partagée
socialement, dans le but d’étendre les ressources cognitives individuelles (Pea,
1993).
Malgré une conception du processus de co-résolution différente selon les
approches (Mugny, 1985, Gilly, 1995 ; Gilly & Deblieux, 1999), certains auteurs ont
tenté de rendre complémentaires et d’unifier le courant constructiviste et
constructionniste (Cobbs, 1994) — souvent confondues dans les modèles
d’enseignement/apprentissage et les environnements qu’ils inspirent. Duffy et
Cunningham (1996) jugent cependant incompatibles les deux positions. L’une
consiste à concevoir, après Piaget, les interactions sociales comme responsables de la
transformation des processus inter-individuels en processus intra-individuels.
Pour l’autre, les processus d’apprentissage s’insèrent dans les pratiques
socioculturelles elles-mêmes, aussi bien les pratiques collectives de la vie
quotidienne que les interactions scolaires. Ce sont ces pratiques d’action sur le
monde réel qui, en transformant les représentations de ce monde, sont responsables
de la (re)construction des connaissances. Mais le monde dont il s’agit n’est pas
simplement le monde réel, ni le monde expériencé comme certains spécialistes des
sciences cognitives ont tendance à le concevoir, il est le monde dans toute sa
complexité sociale. A l’échelle de l’histoire, les processus mentaux supérieurs ont
leur source dans l’héritage culturel (Gilly, Roux, & Trognon, 1999b). C’est la raison
pour laquelle, l’apprentissage implique une activité « sémiotique » (Cunningham,
1992 ; Deleau, 1989 ; Dinter, 1999 ; Seel, 1999) qui va au-delà de l’expérience
immédiate et individuelle du sujet. Pour Deely (1982), c’est par le(s) langage(s) que
les individus s’engagent dans ce type particulier de construction collective d’un
monde façonné par la culture, c’est-à-dire par la collectivité (Lave & Wenger, 1991).
« Contexte » et « outil cognitif » constituent ainsi deux concepts clés de ces
théories. Le contexte devient partie intégrante du processus d’apprentissage. La
métaphore du rhizome inspirée par Eco (1984) (« l’esprit comme rhizome »), reprise
par Duffy et Cunningham (1993) assimile les connaissances à un ensemble de
racines, de tiges et de fibres entremêlés qui s’oppose à toute idée de structure, de
hiérarchie, d’ordre, de nœud et de noyau. De plus, le rhizome n’a pas d’extérieur, ni
d’intérieur, il est un réseau ouvert qui peut être connecté à d’autres réseaux dans
toutes ses dimensions. Si l’on file la métaphore, le fonctionnement de l’esprit (à la
fois « mind » et « brain ») de l’individu humain, conçu comme système
(neuro)cognitif de traitement de l’information, ne peut s’envisager que comme une
partie de
l’esprit collectif distribué dans les contextes et réseaux sociaux, culturels, historiques
et institutionnels. Wertsch (1985), à partir des travaux de Vygotski en particulier,
considère ainsi l’esprit comme un système cognitif connecté, non seulement aux
membres des communautés culturelles et linguistiques, mais aussi aux milieux
socioculturels d’appartenance de l’apprenant caractérisés par des outils comme les
ordinateurs, la télévision, etc. et des systèmes sémiotiques propres à chaque domaine
du monde. La pensée n’est donc pas une activité qui se situe dans la tête de
l’individu, mais plutôt dans les connections et les interactions entre, d’une part, les
individus humains et, d’autre part, les objets du monde qui constituent ainsi des
outils cognitifs d’aide à la construction des connaissances.
2
En anglais, skills. On pourrait aussi parler de compétences.
de l’apprenant et leur évaluation. En permettant à l’élève de soulever lui-même des
questions et de rechercher des réponses, ils favorisent le développement des
processus cognitifs de construction des connaissances. Cet apprentissage par l’action
(Georges, 1983 ; Richard, 1990) contribue ainsi au développement de la pensée
critique de l’élève et donc à son autonomie.
Divers environnements d’apprentissage, inspirés de ces modèles, sont à citer
ici : les environnements d’apprentissage ouverts (open-ended learning environments,
Land & Hannafin, 1996), les micromondes et l’enseignement ancré sur la réalité
(anchored instruction, Cognition and Technology Group, 1992), l’apprentissage par
résolution de problèmes (problem-based learning, Savery & Duffy, 1995), les
scénarios pédagogiques basés sur des buts (goal-based scenarios, Shank & Cleary,
1995).
Ces environnements que Jonassen (Jonassen & Land, 1999 ; Jonassen &
Murphy, 1999) dénomme « les environnements d’apprentissage constructivistes »
(Constructivist Learning Environments : CLEs) diffèrent complètement des
environnements inspirés des modèles centrés sur l’enseignant ou modèles
instructionnistes. Non seulement parce qu’ils sont centrés sur l’apprenant mais aussi
parce qu’ils incluent tous dans leur conceptualisation une « théorie de l’action »
inspirée de Leontiev (1981, voir Kozulin,1986), théorie qui comprend trois niveaux
d'activité: les activités proprement dites, les actions et les opérations. Une activité est
associée à un motif, une action à un but et une opération à des conditions nécessaires
à son exécution (Kuutti,1996). Les actions et opérations sont dans une relation
dynamique qui permet à une action de devenir une opération.
Au fur et à mesure que des actions deviennent des opérations, le sujet peut
s'occuper d'actions de plus haut niveau. Lorsque les conditions de réalisation d'une
opération ont changé, celle-ci peut à nouveau obtenir le statut d'action pour être
spécialisée et adaptée à ces nouvelles conditions. Notons tout d’abord la similitude
qui existe entre ce processus et le processus de compilation décrit par Anderson
(1992) dans son modèle ACT (Active Control of Thought). D'après ce modèle, les
connaissances sont d'abord déclaratives et l'apprentissage consiste à compiler
plusieurs cas particuliers en une règle de production générale, puis d'exercer celle-ci
en vue de l'automatiser. Selon ce modèle, le processus d’interaction entre les
connaissances procédurales et les connaissances déclaratives est à la base de la
construction des connaissances. Même si l’auteur conçoit ce modèle comme un outil
de portée très générale pouvant aider à comprendre les mécanismes d’apprentissage,
il reconnait lui-même que le formalisme basé sur des règles de production permet de
concevoir des outils d’aide à l’apprentissage (Anderson, 1996). C’est ainsi qu’est née
toute une lignée de tueurs intelligents censés valider le modèle ACT (voir Depover,
Quintin & De Lièvre, 2000).
3
On utilise alors aussi bien les méthodes quasi expérimentales, l’entretien non directif, l’analyse de
protocoles individuels, l’enquête ou l’observation de comportements induits. Les situations pédagogiques
étudiées peuvent impliquer deux pairs, un petit groupe, ou une classe, pendant vingt minutes ou plusieurs
années (voir l’analyse des travaux consacrés aux effets de l’apprentissage coopératif par Dillembourg,
1999).
2.4. Le constructionnisme et les conditions d’un design efficace
Dans son étude consacrée à l’influence des théories de l’apprentissage sur ce
que les américains appellent la science instructionnelle (« instructional science»),
c’est-à-dire, en gros, la didactique, De Corte (1996) décrit les caractéristiques
majeures qui permettent de définir un apprentissage efficace (voir aussi Harel &
Papert, 1991).
Ces caractéristiques résument les points essentiels qui se dégagent de la
synthèse des travaux évoqués plus haut. « L’apprentissage efficace est
constructiviste, cumulatif, autorégulé, intentionnel, situé et collaboratif. » (p. 99)
L’apprenant n’est pas un récipient qui reçoit et accumule l’information, ni un
système cognitif autonome ni passif ; il est un agent actif qui participe avec ses
partenaires et les outils cognitifs dont il dispose, à la (co)construction active des
connaissances et des habiletés nécessaires à cette activités de construction.
L’apprentissage est cumulatif. Les élèves construisent les connaissances sur la
base de leurs acquis. C’est sur cette base de données qu’ils s’appuient pour
construire les nouvelles connaissances et les nouvelles habiletés. Les erreurs de
conceptions s’expliquent ainsi par la résistance au changement, c’est-à-dire par le
poids de ces structures cognitives (Perkins & Simmons, 1988), d’où l’intérêt cognitif
des interactions entre apprenants.
L’apprentissage est autorégulé. Cette caractéristique renvoie aux aspects
métacognitifs qui définissent l’apprentissage efficace. Plus l’apprentissage devient
autorégulé, plus les élèves prennent le contrôle de leurs propres activités et moins ils
sont dépendants des supports d’apprentissage.
L’apprentissage est orienté vers un but. Bien que l’apprentissage incident
puisse toujours se produire, il y a aujourd’hui un large consensus pour admettre que
l’apprentissage est le plus efficace lorsque qu’il est orienté vers un but défini par
l’élève. Bereiter et Scardamalia (1989) ont introduit le terme d’« apprentissage
intentionnel » pour définir les processus cognitifs qui sont eux-mêmes orientés vers
un but.
L’apprentissage est situé (Brown, Collins & Duguid, 1989 ; Lave & Wengler,
1991. Greeno (1991) compare l’apprentissage d’un domaine de connaissances à
l’apprentissage de la vie au milieu de ce domaine de connaissances. Cette conception
implique que les situations d’apprentissage soient ancrées dans des contextes de la
vie sociale.
L’apprentissage est collaboratif. Il se produit à travers les interactions.
, En outre, alors que « la plupart des théories décrivent l’acquisition des
connaissances en termes purement cognitifs, le constructionisme reconnaît le poids
important des affects. L’engagement de l’individu confère à ses activités et à ses
projets une dimension significative personnelle importante et constitutive des
connaissances construites. Créer de nouvelles relations avec la connaissance est aussi
important que de construire de nouvelles connaissances. Le constructionnisme met
l’accent sur l’importance de la diversité et de la richesse des connaissances
côtoyées » (Kafai et Resnick, 1996,p. 2).
Selon Kafai et Resnick (1996), ces caractéristiques permettent d’expliquer
pourquoi le constructionnisme est à la fois une théorie d’apprentissage et une
stratégie d’enseignement. Le constructionnisme permet en effet d’établir des
interactions très fortes entre l’apprentissage et le modèle pédagogique. Dans ce
contexte, le statut des technologies d’apprentissage se trouve modifié. Les produits
logiciels ne sont plus des tuteurs à la disposition de l’enseignant, comme dans le
paradigme du modèle instructionniste (Coulsen, Estavan, Melaragno & Silberman,
1962). Ils ne sont plus seulement des outils cognitifs pour l’individu apprenant
(Winograd & Flores, 1986). Mais ils constituent des environnements
d’apprentissage : à la fois partenaires cognitifs et moyens de travailler avec une
communauté de partenaires. Cette idée de communauté d’apprenants a toujours été
présente dans la vision du constructionnisme (voir Papert, 1981).
4
En ligne : http://csile.oise.on.ca/intro.html.
Greene, 2000 ; Resnick, 1996b ; Shneiderman, Borkowski, Alavi & Norman, 1998).
Leur réussite implique en effet des changements profonds dans les conceptions de
l’apprentissage et de l’enseignement. Ces changements nécessitent de nouvelles
formes de pratique et de formation pédagogique et une véritable interaction entre les
chercheurs et les praticiens.
Selon Lehtinen et al. (1998), CSILE et la plupart des environnements
d’apprentissage collaboratif contribuent au développement des processus de haut
niveau. Lamon, Secules, Petrosino, Hackett, Bransford et Goldman (1996) ont
comparé des classes élémentaires utilisant cet environnement avec des classes
témoins ne l’utilisant pas. Ils ont observé que les élèves des classes CSILE
obtenaient de meilleures performances à des tâches de lecture et de compréhension
de textes. Ils comprenaient mieux les textes difficiles. Ils posaient des questions
beaucoup plus pertinentes et proposaient des réponses plus riches. Selon les auteurs,
les progrès proviennent des changements radicaux dans l’apprentissage. Ces
connaissances ne sont pas des objets formels appris, mais des outils réinvestissables
dans des constructions de connaissances de plus en plus complexes (Brown et
Campione, 1994), Les connaissances ne sont plus transmises, mais construites par
des élèves appartenant non pas seulement à une classe, mais à une communauté
virtuelle d’acteurs actifs.
Hakkarainen et Lipponen (cités par Lehtinen et al., 1998) ont analysé les
activités de recherche et les processus d’apprentissage mis en place au cours de ces
activités chez des élèves appartenant à des écoles du Canada et de Finlande. Ils ont
observé des différences importantes au niveau de la gestion du travail collaboratif et
du fonctionnement des élèves dans les activités de construction des connaissances.
Étudier l’effet de ces différences culturelles dans les interactions permettra de
comprendre les particularités des structures de connaissances et des traitements
cognitifs mis en jeu dans les apprentissage ; les enjeux sont importants : préserver
l’identité et la spécificité de chaque culture, mais aussi rendre plus efficace les
systèmes (Chisholm & Wetzel, 1997 ; Cifuentes & Murphy, 2000). Une étude de
Riel (1995) a montré qu’après une année de travail coopératif à distance, « les
partenaires prenaient davantage conscience de leur propre identité et de leur propre
spécificité culturelle » (p. 234). De même Zeitz et Kueny (1998) ont observé à
travers l’analyse d’échanges entre étudiants japonais et américains une capacité à
briser rapidement les conceptions stéreotypées des uns et des autres et à construire
ensemble de nouvelles conceptions fondées sur et enrichies par la diversité culturelle
des représentations.
Cette ouverture sur le champ de l’apprentissage interculturel débouche aussi
sur de nouvelles perspectives de recherche, dans la conception de l’interactivité et du
travail coopératif (Gilbert & Moore, 1998), dans le domaine de la sémantique
cognitive interculturelle (Legros, Maître de Pembroke, Makhlouf & Talbi, 2001 ;
Maître de Pembroke & Legros, 2001) et dans le domaine de l’apprentissage
coopératif à distance (Erlendsson, 2000 ; Peal, 2001). Il est évident que ces
bouleversements nécessitent une implication de tous les acteurs et de tous les
décideurs.
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