2015 Hego Melissa Plantes Projets Paysage
2015 Hego Melissa Plantes Projets Paysage
2015 Hego Melissa Plantes Projets Paysage
CFR Angers
CFR Rennes
Les analyses et les conclusions de ce travail d'étudiant n'engagent que la responsabilité de son auteur et non celle d’AGROCAMPUS OUEST
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Remerciements
Je tiens à remercier Mme Gwénaëlle de Surgy pour son accueil au Bureau Paysage et
Urbanisme, et pour m’avoir fait découvrir des projets tous plus intéressants les uns que les autres.
Un grand merci à Fanny Romain pour ses conseils et son aide tout au long de ce stage et de la
rédaction de ce mémoire.
Mes remerciements s’adressent aussi à tous ceux qui ont participé à la rédaction de ce
mémoire, par leurs conseils, leur disponibilité ou tout simplement le temps qu’ils ont pu m’accorder :
Valéry Malécot, Françoise Le Tohic, Béatrice Lacoste, Béatrice Gourdon, les bénévoles de la pépinière
de Valleroy (MM. Julita et Navrot notamment), les membres de l’ONF (Mme Morin et MM. Giovanini,
Lejeune et Rollier), M. Sparenberg de la pépinière Ecoflora, le Service Espaces Verts de la Ville de
Metz (MM. Mallavergne et Marqueton), Mme Planchais, paysagiste, et enfin Mme Nay, de l’équipe
Nova-Flore.
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Table des matières
Introduction ....................................................................................................................1
Partie I – Les plantes et espèces locales : l’émergence d’une nouvelle tendance ........... 3
1) Un phénomène de mode, dans la lignée du courant écologiste .................................................. 3
a- Le souci de la biodiversité : des origines règlementaires .............................................................. 3
b- La menace sous-jacente des plantes invasives .............................................................................. 5
c- Une forte communication provoquant l’engouement général .................................................. 6
2) Peut-on parler de renouveau dans le monde du paysage? ........................................................... 8
a- La course aux plantes ornementales ............................................................................................. 9
b- Le Wild Garden : un courant déjà ancien................................................................................... 10
c- Un engouement des paysagistes contemporains pour les plantes locales et spontanées .......... 11
3) Des limites à cet engouement .................................................................................................... 12
a- Des confusions partagées par le plus grand nombre .................................................................. 13
b- Des qualités ornementales limitées............................................................................................. 14
c- Une filière encore peu développée .............................................................................................. 14
Partie 2 – Les plantes et espèces locales dans les projets de paysage :
de nombreuses potentialités ......................................................................................... 18
1) Des atouts pratiques mis en avant par les concepteurs et les maîtres d’ouvrage
(cas du Parc du Pas du Loup) .......................................................................................................... 18
a- Contexte : le Parc du Pas du Loup .............................................................................................. 18
b- L’argument phare : les apports pour la biodiversité .................................................................. 20
c- Des capacités d’adaptation et d’implantation inégalées ............................................................. 21
d- La technique du « laisser-pousser », un argument économique indéniable .......................... 22
e- La sauvegarde de paysages identitaires et l’approche sociale ..................................................... 23
2) Palettes végétales locale et horticole : une association ouvrant de nouvelles perspectives
esthétiques ...................................................................................................................................... 23
a- Deux palettes végétales pour deux ambiances (Cas du Parc de la Seille) ................................. 24
b- Habiller en locales pour scénariser les ornementales
(Cas du Parc Simon à Augny) .........................................................................................................27
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Partie 3 – Intégrer des plantes locales dans les projets de paysage :
des choix spécifiques à chaque étape (Cas du Bureau Paysage et Urbanisme de Surgy).................... 29
1) Un dialogue essentiel en amont du projet entre paysagiste et commanditaire ......................... 29
a- Décrypter les souhaits du commanditaire
(Cas de la commune de Buxières-sous-les-Côtes) ........................................................................ 29
b- Anticiper une gestion spécifique et avertir le commanditaire du rendu final
(Cas du Parc Simon à Augny) ......................................................................................................... 30
2) Des choix de conception assumés ............................................................................................... 31
a- Mexy et son ‘Sentier Nature’ ....................................................................................................... 31
b- Buxières-sous-les-Côtes, commune rurale à révéler .................................................................33
c- Batilly : une traversée de ville au caractère très urbain .............................................................. 34
Conclusion .................................................................................................................... 36
Références bibliographiques .......................................................................................... 37
Références sitographiques ............................................................................................ 40
Entretiens ...................................................................................................................... 41
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Glossaire
Avifaune / Entomofaune
La classe des Oiseaux / des Insectes.
Béton vert
Haie de conifère taillée rigoureusement, caractéristique des jardins pavillonnaires de la seconde moitié
du XXe siècle.
Ecotype
Variété d’une espèce (ici végétale) génétiquement différente d’une autre, ayant notamment pu
développer des adaptations particulières liées à son habitat.
Espèce endémique
Espèce propre à un territoire donné, qu’on ne retrouve pas ailleurs.
Hélophyte
Espèce végétale de milieux humides, enracinée dans une terre immergée mais dont les parties
aériennes sont (en partie ou complètement) hors de l’eau.
Indigénat
Utilisé ici pour désigner le caractère des plantes originaires du milieu dans lequel elles évoluent encore
aujourd’hui (ou des plantes importées dans ce milieu avant l’an 1500). Le référentiel choisi est la
France métropolitaine, voire l’échelle régionale.
On parle de plante ou espèce indigène = native = autochtone = locale = sauvage
Spontanée
Plante ou espèce poussant seule, sans plantation de l’Homme.
Usoir
Espace entre la chaussée et le bâti, typique des villages-rues de Lorraine et Champagne-Ardenne. Cet
espace appartient au domaine public mais est traditionnellement entretenu par les riverains.
N.B. : Ces mots sont en italique* avec un astérisque dans le texte lors de leur première citation.
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Liste des abréviations
BPU
Bureau Paysage et Urbanisme (structure d’accueil du stage)
CBN
Conservatoire Botanique national
EEE
Espèce exotique envahissante
FCBN
Fédération des Conservatoires botaniques nationaux
INPN
Inventaire national du Patrimoine naturel
IUCN
International Union for Conservation of Nature (UICN en français)
LPO
Ligue de Protection des Oiseaux
ONF
Office national des Forêts
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Liste des annexes
ANNEXE I
Liste d’espèces végétales non indigènes au caractère invasif avéré ou potentiel
ANNEXE II
Liste d’espèces d’arbres, arbustes et lianes pouvant être considérées comme locales
ANNEXE III
Les prairies hautes – Avant de se lancer…
ANNEXE IV
Les plantes locales – Des méthodes à expérimenter
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Liste des illustrations
Figure 0 (couverture) : Parc de la Seille – Metz – Source : MH (Mélissa Hégo) – 25/08/2015
Figure 1 : Renouée du Japon au bord de la Seille – Source : MH – 31/07/2015
Figure 2 : Article 'Le retour de l'Ambroisie', l'Est Républicain – 10/08/2011
– Source : http://www.jardinbotaniquedenancy.eu/Francais/revuePresse.php
Figure 3 : Berce du Caucase, Exposition Jardin du Montet, Nancy – Source : MH – 26/06/2015
Figure 4 : Travail de 'nettoyage' des rues par un riverain mécontent – La Bresse (88)
– Source : MH – 30/05/2015
Figure 5 : Exemple de 'béton vert' - St-Loup-sur-Semouse (70) – Source : MH – 04/08/2015
Figure 6 : Hôtel à insectes sur le rond-point de Brignais (69)
– Source : http://trobenet.over-blog.com/2014/11/rond-point-a-brignais.html - 22/11/2014
Figure 7 : Extrait CCTP Aménagement Route de la Roche à Melle - Source : Bureau Parcours
– 07/2009
Figure 8 : Victor Lemoine
– Source : Jardin du Montet, panneau 'la collection des obtentions horticoles lorraines'
– 26/06/2015
Figure 9 : Aménagement à l'hôtel de Soubise - L. Benech - Source : louisbenech.com
Figure 10 : Parc du Château de Pange - L. Benech – Source : MH – 07/06/2015
Figure 11 : Schéma explicatif du concept d'indigénat – Source : MH (avec Lambinon, 2000) - 08/2015
Figure 12 : Colonisation d'une friche industrielle par du Buddleia - Haut-Fourneau de Uckange (57)
– Source : MH – 11/07/2015
Figure 13 : Carte phytogéographique - Source : [8] – 1998
Figure 14 : Charme taillé en topiaire - Atoll Angers - Source : MH – 24/07/2013
Figure 15 : Fleurissement de la Mairie de Ste-Marie-aux-Chênes (57) – Source : MH – 17/07/2015
Figure 16 : Stock de graines – Sècherie de la Joux (39) – Source : MH – 04/08/2015
Figure 17 : Carte de répartition des zones pour le label Végétal Local – Source : http://www.fcbn.fr/
sites/fcbn.fr/files/ressource_telechargeable/referentiel_technique_vlocal_vf_0.pdf
– 07/11/2014
Figure 18 : Plan du Parc du Pas du Loup
Source : http://www.sitlor.fr/photos/838/838163549_d1.pdf et MH – 23/08/2015
Figure 19 : Photo du Parc du Pas du Loup – Source : MH – 31/07/2015
Figure 20 : Panneau d’entrée du Parc du Pas du Loup – Source : MH – 31/07/2015
Figure 21 : Photo du Parc de la Seille – Source : MH – 19/08/2015
Figure 22 : Plan du Parc de la Seille - Source : MH (avec Coulon et Planchais, 2003, b et c)
– 13/08/2015
Figure 23 : Photos comparatives du Parc de la Seille : 2003/ août 2015
– Source : Laure Planchais et MH
Figure 24 : Photo détail des bords de Seille parsemés de Salicaire et Guimauve – Source : MH
– 19/08/2015
Figure 25 : Photos comparatives du Parc d'Augny (octobre 2012 et juillet 2015) : mise en valeur du
Hêtre rouge par contraste de couleurs - Source : G. de Surgy et MH
Figure 26 : Prairie fleurie fauchée trop tôt et couverte d'adventices Parc d'Augny - Source : MH
– 01/07/2015
Figure 27 : Différence entre prairie spontanée et prairie fleurie semée - Parc d'Augny - Source : MH
– 01/07/2015
Figure 28 : Photo du site avant travaux du Sentier Nature de Mexy (57) - Source : MH – 08/04/2015
Figure 29 : Plan projet du Sentier Nature de Mexy - Source : BPU de Surgy/MH – 05/06/2015
Figure 30 : Proposition d'aménagement de la placette de Buxières-sous-les-Côtes (55)
– Source : BPU de Surgy/MH – 31/08/2015
Figure 31 : Photo de l'aménagement de la rue de la Mairie de Batilly (57) – Source : MH – 02/07/2015
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage… Septembre 2015
‘‘ « Je préfère aux jardins arrangés et soignés ceux où le sol, riche par lui-même de plantes
locales, permet le complet abandon de certaines parties, et je classerais volontiers les végétaux en
deux camps, ceux que l'homme altère et transforme pour son usage, et ceux qui viennent
spontanément. Rameaux, fleurs, fruits ou légumes, cueillez tant que vous voudrez les premiers. Vous
en semez, vous en plantez, ils vous appartiennent (…) mais n'abîmez pas inutilement les secondes.
Elles sont bien plus délicates, plus précieuses pour la science et pour l'art, ces mauvaises herbes,
comme les appellent les laboureurs et les jardiniers. Elles sont vraies, elles sont des types, des êtres
complets. »
La France métropolitaine héberge environ 6000 espèces végétales. Ajoutées à cela les
espèces naturalisées, ce sont presque 10 000 espèces végétales que l’on peut trouver dans notre
pays ([1]), autrement dit, une réserve extraordinaire méconnue pouvant être exploitée dans les projets
de paysage.
« Le jardin, surtout s’il est urbain, continue d’être perçu comme une parcelle de nature »
(Chansigaud, 2014), or, emblématiques de nos paysages ruraux, les plantes et espèces indigènes*
renvoient à une image de ‘nature vraie’ et c’est en partie pour cela qu’elles trouvent aujourd’hui une
place dans nos jardins, mais aussi dans les projets de paysage.
Mais qu’est ce vraiment qu’une plante ou espèce locale ? Les limites spatio-temporelles de
cette définition sont floues et souvent méconnues. Un Erable est-il plus local qu’un Séquoia ? L’histoire
nous montre qu’à l’échelle des temps géologiques, le genre Acer n’existait initialement qu’en Chine,
alors que du pollen de Séquoia a été retrouvé dans des tourbières d’Allemagne (Allain, Durnerin et
Michaud, 2008). La notion d’indigénat n’est pas si simple à cerner et comporte de nombreuses
ambigüités. Un Hêtre commun, par exemple, est une espèce des plus locales, mais s’il provient d’une
pépinière à l’autre bout de l’Europe, peut-on tout de même le qualifier de plante indigène ?
Ce manque de clarté qui entoure la notion de plantes locales et accompagne cet engouement
peut laisser penser que ce subit emballement qui agite la filière reste assez superficiel. L’apparition
des plantes locales dans les projets de paysage pose la question de la légitimité de l’intérêt qu’on leur
porte, et l’on peut se demander si cet engouement émergent est vraiment justifié… L’objectif de ce
mémoire est donc de répondre à la problématique suivante :
1
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Pour y répondre, il est avant tout nécessaire de dresser un bilan de ce que signifie
aujourd’hui l’expression « plante locale », tout en cherchant à caractériser cette tendance
actuelle. La première partie de ce mémoire est donc basée sur cette dualité entre engouement et
méconnaissance et a pour objectif de révéler et analyser les faits qui ont conduit les plantes et
espèces locales sur le devant de la scène.
Dans un deuxième temps, l’analyse porte sur des projets de paysage utilisant une palette
végétale locale, pour en comprendre leurs potentialités d’une part, et les motivations des
paysagistes d’autre part, permettant ainsi d’évaluer la légitimité de cet engouement et de déterminer
s’il dépasse le simple ‘effet de mode’.
2
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Partie I – Les plantes et espèces locales :
l’émergence d’une nouvelle tendance
L’engouement collectif pour les plantes et espèces locales rejoint la tendance écologiste
actuelle, influencé par la montée du concept de « développement durable » et de lutte contre l’érosion
de la biodiversité.
« La protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et
végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des
ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt
général.» Avec la Loi relative à la Protection de la Nature (1976), les bases des concepts
écologistes en France sont posées. La ‘Nature’ est désormais vue comme un bien commun qu’il
convient de protéger. Consolidées à l’occasion du Conseil de l’Europe à Berne en 1979, ces
résolutions concernant la protection des espèces se doublent d’une attention particulière portée aux
espèces menacées d’extinction et vulnérables, espèces listées dans les annexes de la Convention
(Conseil de l’Europe, 1979).
En 1992, à l’occasion du Sommet de Rio, la CDB (Convention sur la Diversité Biologique) fixe
trois objectifs : « la conservation de la diversité biologique, l'utilisation durable de ses éléments et le
partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques ». Pour
la première fois, la question des espèces non indigènes est posée, et les pays signataires s’engagent
« à empêcher d'introduire, à contrôler et à éradiquer les espèces exotiques qui menacent les
écosystèmes, les habitats ou les espèces » (ONU, 1992, a). De plus, le programme Agenda 21 est
lancé. Ce plan d’action devant encourager le développement durable en fixe les grands principes mais
c’est aux collectivités locales qu’il revient de se les approprier et de proposer des actions concrètes
(ONU, 1992, b). Les collectivités sont donc directement impliquées dans ce programme. Par
exemple, dans ce cadre, la ville de Metz s’engage à réaliser une étude globale de la biodiversité dans
la ville, ou encore renaturer les berges de la Seille, la rivière qui la traverse (Ville de Metz, 2011).
Renforcés lors du sommet de Johannesburg en 2002, les principes posés en 1992 sont
concrétisés au niveau français avec la Stratégie Nationale pour la Biodiversité, qui a pour objectif
premier de « susciter l’envie d’agir pour la biodiversité, préserver le vivant et sa capacité à évoluer »
3
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
(Ministère de l’Ecologie, 2012). Les lois Grenelle introduisent encore de nouveaux concepts : les
trames vertes et bleues, les continuités écologiques, mais aussi le plan Ecophyto 2018 visant à réduire
l’usage des pesticides. Avec tous ces préceptes, le souci de la biodiversité est aujourd’hui
omniprésent en France. Dans les médias, dans les écoles, ce concept est vulgarisé et banalisé.
Des outils existent pour suivre l’évolution de la diversité des espèces, végétales notamment.
Par exemple, l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la Nature) recense par pays les
espèces dites « sur liste rouge » ([2]). Cet inventaire international est considéré comme le plus complet
pour renseigner sur l’état de conservation des espèces dans le Monde. Au niveau français, l’INPN
(Inventaire National du Patrimoine Naturel) dresse également la liste par région des espèces
indigènes, endémiques*, ou encore menacées.
Une grande campagne de reboisement de Pin maritime dans les Landes de Gascogne a été
menée à la suite de grands incendies en 1947 et 1949. Ces Pins étaient importés de la péninsule
ibérique. En 1958, et surtout lors de l’hiver 1962-1963, une vague de froid intense s’abat sur la région.
Après ces épisodes de gel, de nombreux plants d’origine ibérique présentent un dépérissement (en
1965, 100 000ha étaient compromis, d’après la Direction des forêts) alors que les plants d’origine
locale ne sont que peu affectés.
En janvier 1985, de nouveau, une période de grand froid atteint la région Aquitaine (-22°C sous
abri) et confirme le fait que les plants d’origine ibérique sont plus sensibles au froid : 30 000 à 50 000
ha sont cette fois endommagés.
L’étude de Baradat et al. (1994) met en évidence la plus grande sensibilité des plants d’origine
ibérique au froid et à l’humidité du sol par rapport aux Pins maritime indigènes.
L’étude montre également, par une analyse de l’histoire climatique de la région, que plusieurs
épisodes de gel intenses avaient déjà marqué la région, notamment en 1709 (presque tous les pins
avaient péri dans les Landes) et 1879 (de nombreux dégâts étaient à déplorer). Ces successions
d’épisodes de froid ont vraisemblablement conduit à une sélection naturelle des Pins les plus
résistants, favorisant au fil des siècles une formation végétale plus rustique qu’en d’autres lieux moins
soumis aux hivers rudes (comme la péninsule ibérique).
Cette expérience prouve qu’il existe une différence d’ordre génétique entre des
populations végétales locales et exogènes*, des écotypes* différents qu’il convient de respecter
sans quoi on s’expose à des risques aux retombées économiques dissuasives.
Forte de cette expérience, la France éprouve la nécessité de durcir la règlementation
concernant le commerce des semences et plants forestiers, jusque là limitée à des normes sur la
faculté germinative. En 1962, la loi interdit, pour les essences forestières à but de reboisement, « la
vente et l’introduction en France de mélange de graines d’origine différentes », et définit des « zones
de récolte autorisées » d’où doivent provenir obligatoirement les graines vendues (Ministère de
l’Agriculture, 1962).
Sans aller jusqu’au patrimoine génétique, la supériorité des espèces locales a aussi été
démontrée : F. Dinger (1997) a rédigé un guide à destination des maîtres d’oeuvre, maîtres d’ouvrage
et opérateurs qui réalisent des projets de végétalisation sur des espaces sensibles mais aussi des
aménagements de bords de route. Avec l’exemple de la végétalisation des pistes de ski, elle propose,
pour « favoriser le retour à une plus grande biodiversité et stabilité des milieux réhabilités », des
« recommandations nouvelles pour (…) l’introduction d’espèces végétales locales dans les
mélanges de semences », en privilégiant les espèces colonisatrices indigènes (Poa alpina, Festuca
rubra, Alchemilla vulgaris par ex.).
4
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
b- La menace sous-jacente des plantes invasives
Avec les voyages et les échanges entre les différentes parties du Monde, l’introduction en France
d’espèces exotiques (animales comme végétales), initiée dès le XVIe s., s’est multipliée. Importation
volontaire ou fortuite de végétaux, graines, boutures… Du transfert de plantes exotiques pour fleurir
les jardins d’ornement aux plantes obsidionales transportées involontairement par les troupes armées
pendant les guerres (facteur souvent sous-estimé mais pourtant majeur) (Lambinon, 2000), le fait est
que nombre d’espèces exotiques se sont aujourd’hui parfaitement adaptées à nos milieux. Et si
beaucoup de plantes importées ne posent pas de problème particulier, certaines espèces se mettent
à proliférer une fois libérées dans l’environnement, jusqu’à concurrencer, voire éliminer les
plantes locales. On parle d’espèces invasives*, ou encore d’espèces exotiques envahissantes (EEE).
Ces ‘échappées’ de jardin, d’aquarium ou de parcelle cultivée, par leur prolifération incontrôlée,
peuvent « nuire à l’équilibre et au bon fonctionnement des écosystèmes qu’elles colonisent ou
perturber certaines activités humaines, voire présenter un risque pour la santé publique » [1].
5
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
interdites à la vente, au transport et à l’introduction dans le milieu naturel sur le territoire métropolitain :
Ludwigia grandiflora (Michx.) Greuter & Burdet (la Ludwigie à grande fleurs) et Ludwigia peploides
(Kunth) P. H. Raven (la Jussie) (Ministère de l’écologie et du développement durable, 2007).
6
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
L’information et la communication doivent faire partie intégrante du changement de
pratiques. C’est un véritable passage obligé, et il est préconisé aux gestionnaires d’espaces verts
d’utiliser des panneaux explicatifs pour mettre en avant les bénéfices pour la biodiversité de tel
nouveau changement (appartition de zones d’herbe haute, de friches par exemple). C’est ainsi que
fleurissent un peu partout des panneaux pour expliquer le pourquoi des fauches tardives, le comment
du zéro pesticide. De même, des labels comme Ecojardin ou encore Eve (Espaces verts écologiques)
permettent aux gestionnaires de valoriser et faire reconnaître leurs engagements. Les médias sont
aussi un bon moyen de communiquer : « Un article dans le journal municipal sur les pratiques de
gestion des espaces verts de la ville, une photographie des premières floraisons publiée sur le site
Internet de la mairie, ou des conseils de jardinage dispensés par les techniciens sur les radios locales,
sont autant de moyens pour valoriser les initiatives de la commune » (Noé Conservation, 2011). Pour
impliquer le public et le monde agricole, de nouveaux concours voient le jour tel que le concours
général des prairies fleuries qui a lieu chaque année depuis 2010 [5]. Avec cette communication, le
souci de la biodiversité devient omniprésent.
Les élus comme les particuliers adoptent ces principes écologiques : préférer les haies
champêtres, user et abuser de prairies fleuries, installer des nichoirs, et des hôtels à insectes…
Tout un marché s’est développé autour de cela, si bien qu’aujourd’hui, la biodiversité s’achète en
jardinerie. Tout ceci est parfois poussé à l’extrême, si bien qu’on trouve parfois des incohérences, tels
que des hôtels à insectes trônant au milieu d’un rond-point (cf Fig. 6), plus symboliques qu’utiles à
l’entomofaune*, au regard du peu de végétation
alentours et de la forte circulation automobile.
7
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
L’engouement général pour les plantes et espèces locales se retrouve aussi dans les
projets d’aménagement, comme celui de la Route de la Roche à Melle (Bureau Parcours, 2009) (cf
Fig. 7) ou encore le projet d’aménagement du quartier BO01 à Malmö (Suède), dans lequel chaque
promoteur immobilier doit choisir 10 des 35 critères du cahier des charges comme « planter au moins
50 espèces de plantes indigènes dans les espaces publics », « installer un nichoir par appartement »
ou encore « laisser des espaces publics libres pour le développement de successions végétales
naturelles » (ADEUS, 2013).
Figure 7 : Extrait CCTP Aménagement Route de la Roche à Melle Source : Bureau Parcours – 07/2009
Face à l’engouement croissant des collectivités, quelques fournisseurs spécialisés se sont tout de
même développés et forment aujourd’hui une sorte d’oligopole. L’entreprise Nova-Flore par exemple,
fournit depuis 2003 des mélanges grainiers de prairies et jachères fleuries, d’espèces plus ou moins
locales, aux collectivités, particuliers, agriculteurs et entrepreneurs.
Avec la mode des prairies fleuries, alors que le territoire rural est de plus en plus soumis à des
pressions qui font disparaître les espèces (Peeters, 2010) et que de nombreux types de prairies
extensives ont déserté nos campagnes, « l’espace urbain ouvre une perspective à la protection des
prairies », celles-ci étant perçues comme une « réminiscence du paysage agricole traditionnel » (Von
Der Lippe et Fischer, 2010) et étant de plus en plus utilisées pour végétaliser facilement et à moindre
de coût de grandes zones urbaines.
L’engouement pour les espèces locales tire donc son origine conjointement de la montée des
préoccupations écologistes, de craintes d’invasions de plantes exotiques, et d’une intense
communication, y compris à but commercial, leur attribuant de nombreuses qualités. Il découle aussi
du besoin croissant de nature dans les villes et de la mode du jardin ‘naturel’.
8
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
a- La course aux plantes ornementales
Si William Robinson reste dans les mémoires et prête même son nom au style de jardins
‘robinsoniens’, la paysagiste Gertrude Jekyll (1843-1932) est aujourd’hui plus méconnue. Pourtant, elle
fut avec Robinson l’une des plus ferventes promotrices du Wild Garden, maîtrisant parfaitement l’art de
« combiner les couleurs et les variétés de la flore locale » (Universalis, 2015), et déplorant le goût de
l’époque pour les plantes importées : « Parce qu’elle repose sur l’introduction d’espèces exotiques
dans les milieux naturels, les gens sans discernement concluent hâtivement qu’ils peuvent planter
n’importe quoi n’importe où … J’ai vu des espaces boisés qui offraient dans leur simplicité, un charme
parfait, gâché par des plantations irréfléchies » (Aggeri, 2004).
Ce style de ‘jardin sauvage’, s’il se veut plus proche de la véritable nature et s’il nécessite
moins d’entretien, n’en est pas moins maîtrisé que les autres styles. L’analyse de l’histoire des jardins
nous montre que le jardinier, à chaque époque, a toujours recherché à imiter la nature, et chaque
nouveau style de jardin a eu pour objectif de s’en rapprocher davantage : « Il est remarquable de
constater que chaque nouvelle école de jardinage fait le procès de l’artifice à la génération qui le
précède : les partisans des jardins sauvages jugent les jardins paysagers comme irrespectueux de la
nature, alors que les adeptes de ces derniers avaient formulé la même critique sur les jardins
géométriques. Tout ceci souligne que la place de la nature dans les jardins est avant tout un élément
de rhétorique. » (Chansigaud, 2014).
Ainsi, l’utilisation de plantes et espèces locales n’est pas un fait nouveau, bien au
contraire, même si, à l’époque de Robinson, l’art de choisir et mettre en valeur les espèces indigènes
était assez marginal et n’était motivé que par l’aspect esthétique et le peu d’entretien qu’elles
nécessitent, et non par la sauvegarde de la biodiversité comme il peut l’être aujourd’hui.
10
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
c- Un engouement des paysagistes contemporains pour les plantes locales et spontanées
De nos jours, le courant naturaliste continue de faire son chemin, notamment dans le travail de
plusieurs paysagistes contemporains. Trois d’entre eux, paysagistes emblématiques dans ce domaine,
sont présentés ici.
Paysagiste néerlandais, Piet Oudolf est un adepte des jardins ‘naturels’. Connu notamment
pour son aménagement de la High Line à New York (2009), il associe espèces locales et espèces
horticoles dans des compositions artistiques, au rendu très spontané. Utilisant vivaces, annuelles,
bisannuelles, et notamment des bulbes à fleurs, Piet Oudolf écrit dans son livre Planting : A new
Perspective que « la filière du paysage se tourne de plus en plus vers ses propres fleurs [les plantes
locales] (…). Les raisons en sont nombreuses : la volonté de célébrer la diversité régionale, le
patriotisme, le souhait de soutenir la biodiversité, et la nécessité pour les espèces de survivre
aux assauts de climats locaux difficiles » [7].
Gilles Clément est l’un des porteurs des concepts de biodiversité et d’écologie dans le
monde du paysage en France. Il déplore les pratiques rémanentes du 19e et 20e s. consistant à
éliminer la diversité dans les jardins au profit de quelques espèces « qui vont faire joli dans le
tableau » (rosiers, gazon…) et introduit la notion de ‘Jardin planétaire’, constatant l’amplification
récente du « brassage planétaire » des espèces végétales, en raison de l’activité de l’homme : « les
plantes et les animaux se rencontrent dans des circonstances nouvelles et imprévisibles que la
géographie ne permet pas spontanément » (Clément, 2008). Bien qu’étymologiquement, le mot ‘jardin’
signifie ‘enclos’, rien n’est moins vrai que de dire que les espèces que l’on place dans son jardin n’en
bougeront pas. Aussi, pour Gilles Clément, la notion d’indigénat est un non-sens. Dans ses ‘Jardins
en mouvement‘ (1991), il prône un accompagnement des mouvements ‘naturels’ des végétaux,
laissant s’exprimer sans distinction toutes les espèces spontanées, indigènes comme
exotiques (invasives comprises), et intervenant ponctuellement et avec parcimonie pour ouvrir un
passage, marquer les contours de tel îlot d’herbacées, mettre en valeur telle espèce…
De même, le concept de « tiers paysage », qui désigne selon lui les espaces délaissés (friches,
bords de route, landes, tourbières…), donne à ceux-ci une importance toute neuve de par la
biodiversité qu’ils abritent. Ces milieux constituent des « poches de résistance » dans lesquelles se
trouve « une diversité qui est chassée partout ailleurs », soulignant d’ailleurs que «plus le jardin est
pauvre, plus on a de chances d’y observer des espèces exceptionnelles » (Clément, 1991).
Paysagiste bien connu pour ses projets d’envergure tels que le réaménagement des Jardins des
Tuileries (1990), l’extension du Domaine de Chaumont-sur-Loire (2011) et plus récemment,
l’aménagement du Bosquet du théâtre d’Eau au Château de Versailles (2013), Louis Benech se voit
avant tout comme un jardinier. Attentif au contexte des sites, notamment à la végétation en place, il
utilise volontiers des plantes et espèces indigènes dans ses projets : « La nature est ma source
d’inspiration. J’essaie de respecter le paysage. (…) Ma joie est de me servir des végétaux locaux dans
leur propre environnement. De nombreuses plantes ne sont jamais aussi belles que dans leur habitat
naturel ». Pour lui, l’important est de « donner l’impression que ce que l’on voit a toujours été là »
(Deydier, 2008).
11
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Souvent sollicité pour les jardins de
sites historiques, il revisite les formes
classiques traditionnelles en utilisant des
espèces indigènes, en exploitant
notamment les formes et couleurs que
peut offrir la strate herbacée. Par
exemple, pour l’aménagement des jardins
de l’hôtel de Soubise à Paris (site des
Archives nationales), il a créé une
composition contemporaine alliant
topiaires et prairies hautes (cf Fig. 9).
Boutons d’or, scabieuses des prés,
géraniums des prés, mauve musquée et
luzerne se prêtent parfaitement à ce projet
([8]). Figure 9 : Aménagement à l'hôtel de Soubise - L. Benech
Source : louisbenech.com
De même, le Parc du Château de
Pange (57), réaménagé en 2000 par
Louis Benech et labellisé Jardin
Remarquable, a conservé des orientations
de style classique (l’organisation générale
suit une certaine symétrie, avec le bassin
et le bâtiment de l’ancienne grange et les
chambres de verdure aux haies bien
taillées) mais sa végétation champêtre et
la prédominance de prairies hautes
modèlent un parc finalement
contemporain (cf Fig.10).
Figure 10 : Parc du Château de Pange - L. Benech
Source : MH – 07/06/2015
Si la quête de nature est depuis longtemps la motivation première à la création de jardins, c’est
davantage la nature ‘dominée’ qui y est représentée, et à toutes les époques, y compris lors de la
période du Wild Garden, au cours de laquelle on réintroduit les espèces locales dans les jardins. Si à
l’époque, ces dernières étaient utilisées pour le peu d’entretien qu’elles nécessitaient, et pour leur
bonne intégration dans le site d’accueil (Aggeri, 2004), les considérations écologiques sont bel et bien
le propre de notre siècle, et les paysagistes contemporains qui utilisent la flore locale doublent leur
recherche d’esthétisme d’attentions environnementales.
Les plantes et espèces locales sont de plus en plus médiatisées et utilisées dans les jardins et
communes, à l’instar de toute une panoplie d’éléments « bénéfiques à la biodiversité » comme des
hôtels à insectes ou des nichoirs. Cet engouement peut apparaître comme exagéré, voire surfait, tant
la biodiversité devient une activité commerciale et tant la notion d’indigénat est ambigüe. De plus,
outre la supériorité esthétique des végétaux horticoles sur les végétaux ‘locaux’, l’utilisation de ces
derniers dans les projets de paysages est limitée par une filière encore peu développée.
12
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
a- Des confusions partagées par le plus grand nombre
Il paraît évident que, puisque les végétaux horticoles sont créés dans un but esthétique, pour
obtenir des caractères spécifiques (des fleurs doubles ou plus grosses, des feuillages panachés, des
ports particuliers), ceux-ci l’emportent en général sur les végétaux locaux en terme de qualité
ornementale, mais aussi de diversité de formes et de couleurs. Un simple Noisetier (Corylus
avellana) se décline en plusieurs cultivars : port tortueux (‘Contorta’), feuillage rouge (‘Rote
Zellernuss’) ou tout cela à la fois (‘Red Majestic’), et les multiples variétés de Viorne obier (Viburnum
opulus) peuvent éclipser la variété d’origine (‘Roseum’, ‘Xanthocarpum‘, ‘Compactum’). Dans les
projets de paysage, les Hêtres sont souvent préférés dans leur forme fastigiée (‘Dawyck’), pleureuse
(‘Pendula’), ou pourpre (‘Purpurea’), plutôt que
leur forme locale…
Aujourd’hui, les végétaux sauvages commercialisés sont très rarement d’origine locale.
On parle d’espèces locales, mais le terme « plantes locales », lorsqu’il est utilisé, l’est souvent à tort, et
si l’on peut trouver des plantes « sous leur forme sauvage » comme par exemple dans les mélanges
grainiers de Nova-Flore, celles-ci ne sont pas dites « locales » et proviennent de « différents
fournisseurs, pour la plupart européens » (Nay, comm. pers. 2015). Lambinon (2000) a testé un
mélange grainier de la pépinière Van Der Have (Mélange Fleurs des Champs 2) : « [le mélange] vise à
14
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
obtenir une végétation de talus la plus naturelle possible (…) et est constitué des espèces suivantes :
Papaver rhoeas [ à la culture, on a trouvé des formes à fleurs doubles ], Centaurea cyanus [ à la
culture, apparition d’une fréquence anormale de coloris floraux variés], Linaria vulgaris [ à la culture est
apparu L. maroccana] … ». La composition des mélanges est donc assez aléatoire et il est difficile de
trouver de véritables mélanges de plantes locales.
D'autres pays européens ont déjà développé des filières d'approvisionnement en végétaux
d'origine locale. Par exemple, en Belgique, la pépinière Ecoflora est installée depuis 21 ans, et
propose à la vente quelques 500 plantes à l’origine locale garantie. Si les ligneux sont d’espèces
locales mais non produits dans la pépinière, les vivaces, annuelles et bisannuelles sont en revanche
cultivées sur place, à partir de prélèvements de graines réalisés ‘dans la nature’, dans un rayon de 300
km autour de la pépinière. Ces prélèvements remontent à plusieurs années, et depuis, les plantes sont
cultivées, les graines de pieds-mères récoltées et elles-mêmes cultivées, dans un cycle perpétuel. La
pépinière privilégie la diversité à la quantité, c’est pourquoi elle ne peut répondre à certaines
commandes de milliers de plants de la même espèce. La clientèle est composée aux ¾ de particuliers,
et la clientèle professionnelle (collectivités, entreprises de paysage et bureau d’études), qui représente
¼ du chiffre d’affaire, est en hausse notable. Jardins botaniques, parcs, milieux semi-naturels, voire
même ronds-points, qui viennent compléter les jardins de particuliers, sont des sites pour lesquels la
demande en plantes locales s’accroît.
Les pépinières françaises se trouvent aujourd’hui globalement dans une situation économique
assez peu avantageuse, et sont de plus en plus dominées par de grandes pépinières étrangères (de
Belgique et Allemagne notamment). La filière des plantes locales est peu développée et se limitait
jusqu’à présent à des actions très ponctuelles, dont l’exemple de la marque Pyrégraine de Néou
en est le plus abouti. En 2010, dans le cadre d’un vaste programme de revégétalisation en milieu
montagnard dans les Pyrénées, cette marque de semences sauvages indigènes est mise au point
sous l’égide du CBN des Pyrénées et de Midi-Pyrénées. Initialement créée pour respecter la
règlementation du Parc National des Pyrénées interdisant l’introduction de nouvelles espèces et parce
qu’aucune espèce indigène n’existait dans le commerce, cette opération s’est par la suite généralisée
et est maintenant utilisée pour la revégétalisation des domaines skiables pyrénéens. Ce sont près de
100 à 150 ha chaque année qui, auparavant, étaient ensemencés avec des mélanges grainiers
exogènes qui nécessitaient des apports massifs d’engrais pour favoriser leur implantation dans ces
milieux contraints. Une meilleure implantation (70% de recouvrement en 2 ans au lieu de 40% avec
des graines exogènes), une densité de semis et des apports d’engrais diminués, un patrimoine
génétique local sauvegardé, mais aussi une alimentation saine assurée pour le bétail ([10]).
L’opération est un franc succès mais son lieu d’action est très restrictif.
La filière de plantes locales forestières en France est plus développée car plus ancienne,
et assure une traçabilité exemplaire des graines d’essences forestières. Régie par le service
« Graines et Plants » de l’ONF, la filière
débute véritablement 1950, avec la
construction d’une sècherie pour les résineux,
ceux-ci étaient jugés moins aptes à se
régénérer seuls, puis se poursuit avec la mise
en service d’une sècherie de feuillus en 1983.
Aujourd’hui, la Sècherie de la Joux, dans le
Jura (cf Fig. 16), approvisionne le marché de
la graine forestière, suivant des protocoles
bien codifiés : en France, 60 essences sont
règlementées, et environ 500 peuplements
Figure 16 : Stock de graines - Sècherie de la Joux (39)
Source : MH – 04/08/2015 15
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
d’arbres (toutes essences confondues) sont classés et donc habilités à fournir des graines pour la
revente. Chacun de ces peuplements est catégorisé suivant ses caractéristiques et sa localisation (à
chaque essence correspond une répartition de la France en différentes régions auxquelles on attribue
un code, par exemple pour le chêne en ‘Bordure Manche’ : QPE 101). À chaque lot de graines
récoltées correspond un certificat qui suit ces dernières de leur lieu de récolte à la pépinière,
garantissant ainsi leur essence, leur qualité, et surtout leur origine (Morin et Lejeune, comm. pers.
2015). Cultivées en pépinière, ces graines sont utilisées dans 98% des cas pour des travaux de
régénération de forêts et ne concernent donc pas les projets de paysage. Cependant, la structuration
de cette filière, et l’expérience du Service Graines et Plants de l’ONF sont un bel exemple pour
le développement futur de la filière de fourniture de végétaux locaux pour les projets de
paysage.
Le projet lauréat a finalement été celui porté par l’Afac-Agroforesterie (Association Française
Arbres Champêtres et Agroforesterie), la FCBN (Fédération des Conservatoires Botaniques
Nationaux) et Plante & Cité, nommé « Végétal local et vraies Messicoles ». Un projet en fait double,
l’appellation « vraies messicoles » concernant les plantes compagnes des cultures. Consistant en une
démarche de certification « arbres et arbustes d’origine locale », l’initiative « Végétal local », qui a
l’avantage d’avoir une approche globale et nationale, a plusieurs objectifs : « offrir aux filières
émergentes des outils techniques spécifiques, définir les métiers de cette filière et établir un plan de
sensibilisation des publics ciblés par la filière ». Le label « Végétal local » dispose d’un règlement
spécifique, attribuant des plantes locales à chacune des onze zones géographiques métropolitaines
définies (cf Fig. 17) et posant des
normes à respecter en matière de
récolte, culture et commercialisation de
ces végétaux. Le projet vise aussi à
accompagner techniquement les
acteurs de la filière par la rédaction de
toute une série de documents détaillant
les espèces concernées, les
règlementations en vigueur, ainsi que
les zones à la « naturalité » suffisante
pour les récoltes (en effet, il est
nécessaire de bien identifier les
formations végétales anciennes,
caractéristiques de l’histoire d’une
région, et celles plus récentes, moins
Le 19 février 2015, le premier appel à candidature pour les producteurs, pépiniéristes, semenciers
et récolteurs qui souhaitent faire labelliser leurs plantes « végétal local » est lancé.
Dans le cahier des charges, trois obligations :
-origine locale des plantes, au regard de la carte des 11 régions biogéographiques
métropolitaines, avec traçabilité complète de la récolte/multiplication
-prise en compte de la diversité génétique dans les lots de plantes
-conservation des plantes-mères dans le milieu naturel lors de la récolte
Les premières labellisations auront lieu en novembre 2015 [11]. La filière des plantes locales en
France en est donc encore à ses balbutiements, même si, avec un tel programme, elle devrait se
développer dans des proportions considérables dans les prochaines années.
Les notions sous-jacentes au concept de « plantes et espèces locales » sont donc assez
subtiles et parfois difficiles à bien cerner, notamment par les commanditaires, non spécialistes de la
question, qui ont parfois des a priori sur les plantes locales ou les plantes exotiques. D’un point de vue
historique, on peut distinguer plusieurs grands domaines d’utilisation des plantes et espèces locales :
aspect économique (comme dans le cas de la sylviculture), aspect esthétique (cas du Wild Garden par
exemple), aspect pratique et environnemental (adaptation des plantes à des milieux spécifiques),
aspect écologique lié à des pratiques de renaturation, ou d’évitement des plantes invasives… Ainsi
l’appellation ‘local’ présente de multiples facettes, et ne possède pas de cadre réglementaire bien
défini. Il est ainsi possible d’isoler trois niveaux d’utilisation de cette expression :
-sélection variétale réalisée sur un territoire géographique donné : variétés locales anciennes
-espèces croissant naturellement sur un territoire défini, sur lequel elles n’ont pas été
introduites : espèces indigènes
-plantes prélevées in situ, près du lieu de l’aménagement ou dans un site aux conditions
écologiques proches : Végétal Local ou plantes locales
Dans la suite de cet exposé, l’expression générale ‘plantes locales’ sera adaptée et remplacée (dans
la mesure du possible) par l’une de ces trois formules, précisant ainsi de quel niveau de
compréhension il est question.
Ainsi, pour de multiples raisons, découlant surtout d’une mouvance écologiste plus globale
initiée par des préoccupations internationales pour la biodiversité et relayée par les collectivités, les
plantes locales ont pris une dimension nouvelle auprès du grand public comme des commanditaires :
elles sont sorties de l’ombre et sont devenues les plantes « bonne conscience », un rempart à l’érosion
de la biodiversité à exploiter.
Leur utilisation dans les jardins n’est pas nouvelle : redécouvertes avec le style paysager du
Wild Garden, elles sont tout de même restées en marge, éclipsées par les végétaux horticoles dont le
développement a explosé au XVIIIe et XIXe s.
Aujourd’hui, mises à l’honneur par certains paysagistes à l’approche naturaliste et exploitées
dans des compositions auxquelles elles apportent une touche contemporaine, les plantes locales ne
peuvent pas exprimer tout leur potentiel et être utilisées pleinement car leur filière est encore
embryonnaire. Néanmoins celle-ci devrait désormais se développer rapidement avec l’apparition du
label Végétal Local qui permettra dès cet automne de certifier l’origine locale des végétaux des
pépinières partenaires. Ainsi, leur utilisation dans les projets de paysage sera facilitée.
17
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Partie 2 – Les plantes et espèces locales dans les projets de paysage :
de nombreuses potentialités
Les bénéfices qu’apporte l’utilisation de plantes locales (type Végétal local) sont nombreux et
reconnus :
- limiter les invasions biologiques, telles que la Graphiose de l’Orme (deux souches
introduites en Europe en 1919 et 1970), le Cynips du Châtaignier (arrivé en Europe en
2002), la Chalarose des Frênes (importée en France en 2009) ou encore la Pyrale du Buis
(depuis 2006), toutes de provenance asiatique (ou suspectées de l’être) (Prom’Haies
Poitou-Charentes, 2015)
- limiter l’émission des gaz à effet de serre produits lors de l’acheminement de plants produits
à l’étranger
- privilégier les filières locales pour valoriser l’économie de la région
- …
Les espèces indigènes (de manière plus large) possèdent aussi de nombreux atouts, plus
médiatisés et ‘vendeurs’, mis en avant par les paysagistes et maîtres d’ouvrage, tels que les bienfaits
pour la biodiversité, une adaptation facilitée des plantes au site, des coûts pouvant être réduits, et la
sauvegarde de l’identité paysagère locale. De plus, l’association d’espèces locales et d’espèces
horticoles traditionnelles révèle des potentialités nouvelles et peut apporter un esthétisme particulier
aux projets.
1) Des atouts pratiques mis en avant par les concepteurs et les maîtres d’ouvrage
Utiliser des espèces indigènes ou même des plantes locales au lieu des végétaux courants que
l’on trouve en pépinière présente de nombreux avantages largement décrits dans la littérature.
Certains d’entre eux sont particulièrement visibles à travers l’exemple du Parc du Pas du Loup, à Metz,
et sont mis en avant par ses gestionnaires.
Le Parc du Pas du Loup est situé en périphérie de la ville de Metz, dans le quartier de Magny. Il
couvre une quinzaine d’hectares et offre aux visiteurs 2,3 km de promenade dans un environnement à
l’aspect très naturel. Pourtant, ce parc est tout sauf ‘naturel’. De 1945 à 1970, le fameux ‘schout’ ou
‘kip’ de Magny, autrement dit, la décharge publique de Metz, a vu s’accumuler quantités d’ordures de
toutes sortes. En 1987, quelques arbres sont plantés pour cacher ce paysage peu attrayant à la vue
des Messins (cf Fig. 18 : bande boisée en bleu). En 1998, la ville de Metz décide de faire de cet
espace un parc pour améliorer la sécurité et créer un lieu de promenade. La région subventionne
18
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
d’ailleurs le projet à presque 50%. Les travaux, réalisés par l’entreprise Vert Paysage se résument à
ajouter 20 à 30 cm de terre (des limons provenant du curage de la Seille, la rivière en contrebas) pour
enfouir les ordures. Le relief de la décharge est conservé, des allées stabilisées sont créées, et
quelques bancs ajoutés. Mais aucune plantation n’est réalisée, dans un souci d’économies
(Mallavergne, comm. pers. 2015).
Dans la littérature, l’argument phare des adeptes des plantes locales et espèces indigènes est
sans conteste la préservation, voire le renforcement, de la biodiversité.
Dans la littérature…
Tout d’abord, préférer des plantes locales favorise la diversité végétale. Même au sein d’une même
espèce, la diversité existe et doit être préservée. Nos populations végétales locales possèdent un
patrimoine génétique particulier, entraînant des caractères spécifiques. Introduire des plantes
exogènes, même d’espèce identique, peut appauvrir la diversité génétique, et porter préjudice aux
spécificités locales des plantes. Les brassages génétiques ont certes toujours existé, mais l’action de
l’homme les facilite, et crée des rencontres qui n’auraient peut être jamais eu lieu sans elle. Armin
Bischoff (2009), définit plusieurs risques à utiliser des plantes d’origine non locale :
- Le risque d’invasion génétique. Les végétaux introduits peuvent présenter un génotype invasif,
c'est-à-dire que ceux-ci peuvent se révéler plus performants que les végétaux locaux et ainsi
prendre petit à petit leur place. C’est le cas par exemple du Phragmites australis en Amérique
du Nord : le génotype local de 1900 a été entièrement remplacé par un génotype d’Eurasie en
un demi-siècle.
- Le risque de pollution génétique*, ou introgression génétique*. Les végétaux introduits sont
susceptibles de s’hybrider avec les végétaux locaux, et de réduire la performance des
populations locales. Armin Bischoff parle de « dilution of local adaptation ».
De plus, dans les pépinières, les plantes horticoles sont souvent produites à partir de pieds-mères,
assez peu renouvelés, ce qui équivaut finalement à du clonage. La diversité génétique est donc
progressivement réduite (Prom’Haies Poitou-Charentes, 2015).
Sans parler de diversité génétique au sein d’une même espèce, qui reste une considération
scientifique, propre à la restauration écologique, préférer des espèces indigènes concourt aussi à
sauvegarder la diversité spécifique : planter des espèces végétales locales est un moyen de conserver
« des espèces en régression », « qui ont tendance à disparaître dans nos campagnes » (Oestreicher,
2001). Le Cormier (Sorbus domestica) est un bon exemple d’espèce oubliée au XXe siècle et
récemment redécouverte, mais aujourd’hui rare et menacée (Bariteau et al, 2006).
20
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Si la diversité végétale a une importance écologique non négligeable, la notion de biodiversité au
sens faunistique du terme est plus connue et davantage vulgarisée. Les espèces indigènes d’arbres et
arbustes sont avant tout perçues comme des plantes bénéfiques pour la faune sauvage. Sources de
nourriture notamment pour les insectes phytophages ou butineurs et les animaux frugivores, elles
constituent des refuges et des sites de reproduction pour beaucoup d’espèces. « La plupart des
insectes vivent d’essences locales. Pas moins de 70 espèces d’insectes trouvent leur nourriture sur le
Noisetier et près de 150 sur l’Aubépine. (…) Certaines d’entre elles sont devenues totalement
dépendantes d’un arbre ou d’un arbuste [comme] l’Aromie musquée au Saule ou l’Argus à bande noire
à la Bourdaine. » (Oestreicher, 2001). Les plantes ornementales, souvent sélectionnées pour la
grosseur de leurs fleurs, leurs couleurs, leur parfums, sont souvent plus attractives que les plantes
locales vis-à-vis des insectes butineurs et pollinisateurs. Mais bien souvent, leurs fleurs ne produisent
que peu de nectar, si bien qu’elles constituent un leurre pour les insectes (Julita et Navrot, comm.
pers. 2015).
Dans la littérature…
Dans ‘la nature’, les végétaux possèdent une diversité génétique très élevée, synonyme de forte
faculté d’adaptation aux aléas. Comme nous l’avons vu précédemment, deux populations de même
espèce peuvent différer par des caractères variés dont certains conditionnent l’adaptation au milieu
(débourrement, résistance au froid…) (Preney, 1996). Ainsi, nos plantes locales peuvent avoir
développé un génotype particulier, adapté aux conditions de la région. Introduire des plantes de même
espèce qu’une population de plantes locales ne signifie donc pas que ces premières seront aussi
adaptées au milieu. Armin Bischoff (2009) a réalisé une étude portant sur le développement de 3
espèces herbacées : Plantago lanceolata, Holcus lanatus et Lotus corniculatus. Des graines de
plantes de ces 3 espèces ont été prélevées dans 3 régions différentes (Angleterre, Suisse, et
République Tchèque) et plantées dans chacune de ces trois régions. Bien que cette étude mette en
évidence que les résultats sont très dépendants de l’espèce étudiée, elle montre que chez certaines
(Plantago lanceolata ici), il existe une nette adaptation génétique aux conditions locales (y compris une
résistance aux ravageurs et pathogènes locaux) (mais globalement, il est démontré qu’il est préférable
21
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
de privilégier des populations provenant de zones au climat et à la géomorphologie semblable, plutôt
que des populations venant de la même zone géographique). Ainsi, puisque les plantes locales
poussent à l’état spontané sans aucun problème, elles sont parfaitement adaptées aux conditions
locales, contrairement à des variétés ornementales ou des plantes exogènes. Cela est
particulièrement vrai dans une région au climat à influence continentale comme la Lorraine, le gel
hivernal pouvant être fatal à nombre de variétés horticoles moins résistantes que les espèces
indigènes.
Lorsqu’on connait l’histoire du site du Pas du Loup et la nature de son sol (20 à 30 cm de terre
au dessus d’une montagne de déchets), on comprend que toutes les plantes ne peuvent pas se
développer dans ce site (imaginons des Platanes ou des Tulipiers de Virginie). Le parc étant
quasiment entièrement recouvert de végétaux spontanés, ils sont adaptés à ces conditions
spécifiques. Graines présentes dans le substrat ou apportées par zoochorie* (par les animaux) ou
anémochorie* (le vent) se sont développées sur ce terrain particulier. Le fait de laisser la végétation
spontanée coloniser l’espace est ainsi l’assurance que celui-ci se végétalise de façon efficace
et durable, sans risque de mauvaise adaptation des végétaux aux conditions du site. Parmi les
espèces les plus présentes, on trouve notamment des : Charmes, Chênes pédonculés, Erables
champêtres, planes et sycomores, Robinier faux acacia, Saules marsault et Trembles, mais aussi
quelques fruitiers sauvages (Poiriers, Prunelliers, Cerisier), ainsi que des arbustes typiques des
milieux perturbés : Aubépines, Ronces (attirant de nombreux cueilleurs de mûres qui, sans doute,
ignorent ou préfèrent oublier la nature du substrat), Cornouillers …
Il est évident que laisser la flore spontanée se développer d’elle-même épargne les coûts
relatifs à la fourniture et la plantation d’arbres et arbustes. C’est même pour des raisons budgétaires
que le Parc du Pas du Loup a pu se développer de cette manière. De même pour la prairie, la banque
de semences du sol est suffisamment riche pour ne pas laisser le sol nu bien longtemps. Bien sûr,
cette banque de semences dépend de l’histoire de la terre utilisée. Si la terre n’est pas locale ou si l’on
a fait pousser précédemment des espèces spécifiques, la végétation sera bien entendu différente de
cette trouvée dans la prairie voisine. D’après Gilles Clément (1991), un sol livré à lui-même se couvre
de prairie en 1 à 3 ans, puis, jusqu’à la 14e année, les fourrés prennent la place de la prairie. Des
arbres se développent au sein des arbustes épineux, protégés des prédateurs, et finissent par couvrir
tout l’espace en quelques dizaines d’années, sauf aux endroits où le sol est superficiel, sur lequel
demeure un manteau arbustif. Ainsi, la technique du « laisser pousser », si elle est économique,
reste tout de même plus longue que la technique de plantation d’arbres. Si les économies sont
faites sur la fourniture et la plantation, il faut également souligner que celles-ci se poursuivent
dans la durée, car un entretien limité est souvent associé à ce type d’espace champêtre, naturel
et sauvage. Ainsi au Parc du Pas du Loup, les prairies ne sont fauchées qu’une fois par an, et la taille
et élagage sont réduits à leur strict minimum. Notons en revanche que dans le cas d’achat de plantes
d’espèces indigènes en pépinières, le coût est assez semblable à celui d’espèces horticoles, il peut
même être plus élevé dans le cas d’achat de plantes vraiment locales (type Végétal Local). Il faut
néanmoins évoquer un risque lié à la technique du « laisser pousser », bien visible au Parc du Pas du
Loup : c’est le développement d’espèces invasives parmi la végétation spontanée. En effet, lorsqu’on
laisse l’espace se revégétaliser seul, il est tout de même nécessaire d’intervenir en cas d’invasion pour
limiter dès le début son expansion. Ainsi, dans le parc, on trouve en de nombreux endroits des
‘bosquets’ de Renouée du Japon (cf Fig. 18) qui mériteraient qu’on leur porte une attention particulière
avant qu’elles envahissent entièrement l’espace.
22
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
e- La sauvegarde de paysages identitaires et l’approche sociale
Préférer les espèces indigènes à des espèces exotiques ou ornementales est un moyen de
renforcer le caractère identitaire des paysages régionaux. A contrario, utiliser des espèces
ornementales qu’on retrouve partout en France ou en Europe, des ‘produits phares’ de pépinières,
conduit à une banalisation et une uniformisation des paysages, phénomènes d’ailleurs condamnés
par la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal ([12]). De plus, utiliser dans les aménagements des
espèces champêtres locales peut également contribuer à atténuer la rupture entre espace urbain et
rural. Le parc du Pas du Loup reste assez neutre, et ne renvoie pas forcément une image de paysage
typiquement régional, néanmoins, son ambiance champêtre tantôt prairiale, tantôt arborée évoque tout
de même de micro-paysages ruraux de l’Est de la France.
L’INPN introduit la notion d’« espèce emblématique » pour définir une espèce sauvage ayant une
importance culturelle, religieuse, parfois économique pour l’Homme dans une région donnée ([13]).
Par extension, on peut définir des espèces propres à certaines régions, qu’il est valorisant d’utiliser
dans les aménagements de ces espaces. Par exemple, le Chêne tauzin ( Quercus pyrenaica ) est une
espèce propre au Sud Ouest de la France, de même que le Mirabellier ( Prunus domestica subsp.
syriaca…) est un fruitier particulièrement emblématique de la Lorraine (notamment les variétés ‘de
Metz’ ou ‘de Nancy’). Au sujet de l’identité des paysages, on peut tout à fait imaginer étendre
l’expression « espèce locale » à des plantes horticoles créées localement, utilisant ainsi l’expression
de ‘variétés locales anciennes’. La Lorraine possède justement un riche passé dans le domaine de
l’horticulture et de nombreuses obtentions ont été créées dans cette région, si bien que pour valoriser
ce patrimoine, utiliser des espèces locales (dans le sens horticole du terme) comme des Lilas des
pépinières Lemoine (par exemple Syringa vulgaris ‘Gloire de Lorraine’) prend tout son sens.
Ainsi, les plantes locales et espèces indigènes présentent de réels atouts sur les plantes
ornementales : globalement meilleures pour la biodiversité, elles sont parfaitement adaptées aux
conditions de leur site de destination, coûtent moins cher (dans le cas de végétaux spontanés mais
aussi de par la gestion douce qui leur est associée), et contribuent à préserver les identités
paysagères régionales. Dans les projets de paysage, on utilise davantage des espèces indigènes que
des plantes locales, plus difficile à trouver dans le commerce, plus lentes à se développer dans le cas
de végétation spontanée, et souvent réservées à des projets de restauration écologique.
Les plantes locales et espèces indigènes méritent bien leur place dans les projets de paysage,
mais n’excluent pas forcément les espèces horticoles, bien au contraire (sauf dans les cas de
restauration écologique). Couplées à une palette végétale ornementale traditionnelle, elles peuvent
ajouter une dimension supplémentaire au projet, comme le prouvent les deux exemples détaillés ici : le
Parc de la Seille à Metz, et le Parc Simon à Augny.
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
a- Deux palettes végétales pour deux ambiances (Cas du Parc de la Seille)
Le Parc de la Seille (cf Fig. 21), réalisé en 2003 et conçu par les paysagistes Laure Planchais
et Jacques Coulon, est un parc urbain à vocations multiples : renaturation des bords de Seille (la
rivière qui borde le parc et traverse la ville de Metz), collecte des eaux du futur quartier de
l’Amphitéâtre, actuellement en pleine mutation, et création d’un site apte à recevoir des usages
culturels et sportifs ([14]). Le site du projet, le terrain de l’ancienne foire exposition et de la gare de
marchandises, est entièrement remanié, un nouveau bras de la Seille est créé, et 2 200 arbres sont
plantés. En tout, le coût du chantier s’élève à près de 7 millions d’euros. Ce projet d’envergure est
l’une des fiertés de la ville de Metz, qui reçoit avant même la fin des travaux le diplôme « Merci, dit la
planète » du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement pour le caractère durable
du projet, qui est depuis 2013 labellisé Ecojardin (reconnaissant ainsi l’engagement des gestionnaires
dans une démarche de gestion écologique).
Dans ce projet, l’enjeu fort a été de concilier exigences écologiques (renaturation des bords de
Seille, gestion douce des eaux pluviales) et aménagement urbain. Pour cela, Jacques Coulon explique
avoir « joué la simplicité, et l'eau. En décanalisant et en renaturalisant la Seille, en lui offrant un autre
bras pour créer une île et une petite vallée qui héberge la flore naturelle des berges locales» ([15]). Le
choix d’utiliser des espèces indigènes n’est pas une demande particulière du maître d’ouvrage,
cependant, il s’impose de lui-même face aux enjeux de renaturation des berges et à la volonté de faire
connaître la flore locale (Planchais, comm. pers. 2015). Celle-ci est d’ailleurs connue en amont du
projet par une étude floristique réalisée par un botaniste amateur. Dans ce projet, les paysagistes
optent naturellement pour un gradient double (cf Fig. 22) : l’axe Nord/Sud devient l’axe ambiance
urbaine / paysage ‘agraire’, et l’axe Ouest/Est correspond au gradient terrain sec / terrain
humide (Coulon et Planchais, 2003 (a)).
Si les formes globales des aménagements et les usages auxquels ils sont destinés reflètent
bien ces gradients (Esplanade minérale, tapis vert engazonné et aire de jeux vers le Nord-Ouest, et
espaces plus diffus, à la végétation plus enveloppante vers le Sud Est), le choix des plantes en est
aussi une composante essentielle (cf Fig. 22). Les espaces à vocation de ‘parc urbain’ sont
parsemés d’espèces exotiques et horticoles : Tulipiers de Virginie, Chênes fastigiés (Q. robur
‘Fastigiata’), Platanes en plateau, vivaces ornementales ( Allium giganteum, Bergenia cordifolia, Hosta
plantaginea, Campanula latifolia ‘Macrantha’, Delphinium belladona ‘Finsteraarhorn’ …), tandis que
les espaces à ambiance plus champêtres sont emplis d’espèces indigènes : Cornouillers (C.
mas), Aubépines (C. laevigata), Fusains d’Europe, Sureaux noirs, Saules blancs, mais aussi toute un
florilège de vivaces caractéristiques de la flore locale, déclinée pour les milieux secs et humides.
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Figure 22 : Plan du Parc de la Seille
Source : MH (avec Coulon et Planchais, 2003, b et c) – 13/08/2015
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Une plante rare et protégée trouvée dans des inventaires floristiques des bords de Seille, Inula
britannica, a même été mise en culture par la Ville de Metz et plantée dans la prairie humide. Les
paysagistes ont également choisi de mettre à l’honneur les cultures locales, en prenant donc
l’expression d’espèces locales au sens large : Mirabelliers (‘de Metz’ bien sûr), Vigne et Houblon
(Coulon et Planchais, 2003 (c)).
La gestion du Parc est adaptée aux différentes zones et aux différentes palettes
végétales : le Guide d’entretien du Parc de la Seille (Coulon et Planchais, 2003 (a)) donne les
préconisations suivantes : les zones de pelouses doivent être tondues pour que leur hauteur reste
comprise entre 5 et 10cm (soit environ 15 passages par an) et amendées deux fois par an, tandis que
les prairies sont fauchées 3 fois par an (fin juin, mi-août et début octobre), la période délicate était en
juillet, lorsqu’elles sont défleuries et qu’elles commencent à s’affaisser. Les massifs de vivaces doivent
être désherbés manuellement 2 à 3 fois par, locales comme ornementales, mais ces dernières
réclament en plus un amendement organique annuel (un nouvel avantage des espèces locales : un
moindre besoin en amendement). Les bords de berges ne nécessitent qu’un passage par an pour
enlever les jeunes plants ligneux et maintenir ainsi des ouvertures visuelles sur les rives (on remarque
qu’aujourd’hui, certains espaces se sont fermés (cf Fig. 23 en bas à droite), mais cela renforce l’aspect
naturel de l’ensemble et contraste d’autant mieux avec les zones restées plus ouvertes).
Depuis 2003, la végétation s’est développée de manière assez hétérogène. Comme pour
donner du crédit à ce mémoire, il semble que la partie plus ‘urbaine’ ait évolué moins vite que les
espaces plus ‘naturels’ (cf Fig. 23). Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cela.
L’ Esplanade
Massif de
vivaces
ornementales
Les berges
de la Seille
Figure 23 : Photos comparatives du Parc de la Seille : 2003/ août 2015 - Source : Laure Planchais et MH
Tout d’abord, au niveau de l’Esplanade (entre autres), aucune terre végétale n’a été apportée,
le substrat en place (terre pauvre et déblais) a simplement été amendé, alors que près des berges, la
terre était sans doute de meilleure qualité (limons fertiles de la Seille). De plus, la gestion étant plus
minimaliste sur les rives, la végétation a eu tout le loisir de se développer. En tous cas, dans les
espaces plus verts, près de la Seille, la végétation se développe seule, elle voyage même, se déplace,
à l’image du concept de jardin en mouvement de Gilles Clément, puisqu’on retrouve des vivaces dans
des espaces où elles n’ont pas été plantées initialement. La Salicaire (Lythrum salicaria) et la
26
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Guimauve (Althea officinalis) (cf Fig. 24) notamment, voyagent beaucoup et parsèment les berges de
la Seille de taches violettes et roses.
b- Habiller en locales pour scénariser les ornementales (Cas du Parc Simon à Augny)
Le Parc Simon à Augny est un parc extensif, typique du style parc romantique anglais du XIXe
siècle. Dans ce sens, il comporte plusieurs fabriques : de petits édifices caractéristiques de ce type de
parc : petit pavillon de pierres, cave à fruits, glacière…. Implanté sur un terrain ayant appartenu à des
parents des pépiniéristes Simon, le parc est surtout parsemé de nombreux sujets remarquables
d’arbres d’espèces exotiques ou de cultivars horticoles (Hêtre pourpre (F. sylvativa ’Purpurea’), Chêne
de Turner (Q. x turnerii), Cèdre bleu de l’Atlas (Cedrus atlantica ‘Glauca’) et surtout, Hêtre tortillard de
Rémilly (F. sylvatica remillyensis), devenu emblème du parc).
Initiée en 2007, une étude visant à faire ‘renaître le Parc d’Augny’, c'est-à-dire à révèler son
potentiel de parc romantique remarquable et mettre en valeur son riche patrimoine botanique,
historique et paysager a été conduite par le BPU de Surgy, l’objectif étant de stopper l’effacement
progressif du parc (dû a vieillissement général des arbres, à l’enfrichement des chemins et des
fabriques et à l’envasement de l’étang). Les grandes lignes du projet ont consisté en la remise en état
de l’étang du parc, l’ouverture d’un réseau de cheminements, la valorisation des arbres présents, tout
en respectant les vestiges anciens du parc XIXe. De nombreuses plantations ont été réalisées dans ce
cadre.
Si plusieurs espèces de collection ont été choisies pour renouveler le patrimoine horticole
existant ou l’enrichir, de nombreuses espèces locales ont aussi été sélectionnées. Ici, l’utilisation
d’espèces indigènes a été motivée par deux raisons principales :
-renaturer le secteur étang : Saules blancs, Aulnes glutineux, Ormes champêtres, Noisetiers,
Cornouillers sanguins, Aubépines monogynes … mais aussi des hélophytes* comme du Carex, de la
Salicaire et de la Menthe aquatique ont été implantés dans un but de restauration d’une
végétation naturelle. La palette végétale locale a donc naturellement trouvé sa place sur les berges.
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
-mêler espèces indigènes et espèces horticoles, comme dans le parc originel : l’héritage
botanique du parc est constitué de nombreuses espèces indigènes (Erable champêtre, Chêne sessile,
Merisier, Aubépine monogyne, Saule marsault…). Pour faire ‘renaître le Parc’, les grandes lignes des
aménagements d’origine ont été suivies et l’on a donc poursuivi ce mélange d’espèces indigènes et
horticoles. De plus, ces plantations ont été judicieusement choisies pour mettre particulièrement
en valeur les espèces ornementales, par contraste de formes et/ou de couleurs avec les
espèces indigènes (cf Fig. 25).
Ainsi dans ce projet, les espèces indigènes d’arbres et arbustes créent un écrin végétal, une
toile de fond scénarisant les espèces horticoles, mais aussi reflétant le paysage de la campagne
environnante, participant à renforcer les allures de parc romantique, mimant la nature, l’améliorant
même, à l’image des jardins anglais du XIXe s.
Dans les projets de paysage, remplacer entièrement la palette horticole par une palette locale
serait inapproprié, sauf projet de renaturation, ou encore projet spécifique visant à mettre
particulièrement en valeur la flore indigène. En effet, les végétaux horticoles renvoient à une
importante page de l’histoire des jardins, et possèdent des qualités diverses qui les différencient des
plantes locales (couleurs, formes…) que les projets de paysage peuvent exploiter. Ainsi, les deux
palettes végétales peuvent se séparer pour façonner deux ambiances différentes ou encore s’associer
et se compléter pour renforcer l’esthétisme et la cohérence de l’ensemble.
Bien que les espèces indigènes puissent être éclipsées par les espèces horticoles, elles
compensent leur infériorité ornementale par plusieurs autres qualités : elles contribuent à préserver la
biodiversité et les paysages, leur adaptation au site des projets est exemplaire, et elles peuvent faire
faire des économies au commanditaire. Ces deux palettes végétales se complètent donc parfaitement
dans les projets de paysage, dans lesquels elles peuvent s’associer pour se mettre l’une l’autre en
valeur, ou se séparer pour créer deux ambiances différentes. Mais l’intégration de plantes locales et
espèces indigènes dans un projet n’est pas qu’une affaire de conception et doit être réfléchie tout au
long de la vie du projet.
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Partie 3 – Intégrer des plantes et espèces locales dans les projets de paysage :
des choix spécifiques à chaque étape
(Cas du Bureau Paysage et Urbanisme de Surgy)
Si les plantes locales et espèces indigènes semblent être amenées à enrichir de plus en plus la
palette végétale des projets de paysage, leur utilisation entraîne des choix spécifiques. La phase de
conception reste l’étape clé du processus, mais lorsque le paysagiste ou le commanditaire fait le choix
d’une palette végétale locale, une réflexion doit être poussée en amont pour bien en définir les
implications.
Lorsque la question de la palette végétale locale est posée, une discussion entre paysagiste et
maître d’ouvrage est nécessaire pour bien définir les attentes de ce dernier (nous avons vu en partie I
que les amalgames liés à la notion de plantes locales n’étaient pas rares), et anticiper la gestion future
du site (une palette végétale locale induisant souvent une gestion spécifique) tout en prévenant le
commanditaire du rendu parfois changeant de ce type de végétation, notamment dans le cadre de
prairies hautes.
Le choix d’utiliser une palette végétale locale ne vient pas toujours d’une volonté propre au
concepteur (comme au Parc de la Seille). Parfois, le commanditaire exprime une sensibilité particulière
vis-à-vis de la biodiversité, du risque des plantes invasives ou des plantes toxiques (on retrouve
d’ailleurs parfois une méconnaissance et des amalgames chez les commanditaires), et le choix des
plantes locales et espèces indigènes peut être un souhait particulier. Avant de penser à répondre à
cette demande dans le projet, il est nécessaire de bien cerner ce que le maître d’ouvrage souhaite,
celui-ci pouvant mal en percevoir les enjeux.
Si les plantes locales et espèces indigènes sont ‘à la mode’ et de plus en plus évoquées par les
commanditaires, les prairies hautes le sont davantage encore. Mais mettre en place une prairie haute
n’est pas anodin et réclame une gestion spécifique, sans quoi son développement peut totalement
échouer. De plus, son aspect global évolue au gré des saisons. Très esthétique au début de l’été, elle
l’est beaucoup moins durant les sècheresses du mois d’août, et il peut être bon de bien communiquer
et avertir le commanditaire de ce dans quoi il s’engage avant de mettre en place une prairie haute
dans un projet.
- Les prairies fleuries sur les zones ensoleillées (Mélange Natura Auxiliaire de Culture ou PBI
COnnect de Novaflore) ont plutôt bien évolué. Si les espèces initiales ne sont pas toutes au
rendez-vous, loin de là, ces prairies restent tout de même assez fleuries et diversifiées
(Achillée, Chicorée, Lamier, Marguerite, Mauve, Millepertuis, Oseille, Panais…), marquant
nettement la différence avec les zones d’herbes hautes spontanées (cf Fig. 27).
Figure 27 : Différence entre prairie spontanée et prairie fleurie semée - Parc d'Augny - Source : MH – 01/07/2015
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
- Les prairies fleuries « spécial ombre » (Mélange Equinoxe de Novaflore) semées en 2011-2012
ont assez mal perduré. Du mélange initial (Ancolies, Campanules, Digitales, Mauves,
Violettes…) peu de traces sont visibles, et l’aspect esthétique est très variable : sur certaines
parcelles, des graminées ont tout colonisé, mais sur d’autres, on trouve du Lamier (~90% de
recouvrement visuel approximatif par projection de la végétation au sol), des Orties (~5%), et
de la Benoîte (<1%). Globalement, au bout de plusieurs années, le rendu est moins intéressant
dans les parcelles semées en prairies fleuries que dans les parcelles voisines, laissées en
végétation spontanée, dans lesquelles la diversité est plus importante (Benoîte (~80%),
graminées (~20%), Lisimaque (~1%), Vesce (~2%), Geranium Herbe à Robert (<1%))
(observations personnelles).
Ayant mis en évidence des problèmes de gestion (période de fauche inadaptée) et d’évolution des
prairies fleuries, il est apparu utile de réaliser une fiche de communication sur les prairies hautes,
posant noir sur blanc les conseils et préconisations utiles pour réussir le pari de les mettre en place (et
de les conserver dans la durée), ainsi que pour prévenir le commanditaire de leur rendu aux
différentes phases de leur évolution. Cette fiche (cf Annexe III), créée pour le Parc d’Augny, pourra
être utilisée pour d’autres projets, pour informer le maître d’ouvrage avant qu’il ne s’engage dans ce
type d’aménagement.
Ainsi, avant même de démarrer le projet, un temps doit être réservé pour établir le dialogue avec le
commanditaire, et des outils de communication peuvent être créés dans ce but, comme des fiches
pratiques d’information sur les prairies hautes.
Ayant perçu l’intérêt des espèces indigènes, le BPU de Surgy les utilise dans certains projets.
Arbres et arbustes d’espèce locale, mais aussi prairies hautes viennent compléter la palette végétale,
en association avec des végétaux horticoles. Trois projets sont présentés ici, mettant en évidence les
choix du bureau.
Figure 28 : Photo du site avant travaux du Sentier Nature de Mexy (57) - Source : MH – 08/04/2015 31
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Avec un budget très limité pour les travaux (surtout pour un site de cette taille), le bureau a tout
de suite envisagé de diviser l’espace en zones d’herbes hautes différentes (cf Fig. 29) :
- semées avec un mélange adapté aux sols superficiels séchants pour le milieu du site (type
‘Hexaflore’ de Novaflore avec espèces locales dont 90% de graminées, peu coûteux)
- semées avec un mélange de plantes de zones temporairement humides (type Bassin Tampon
Version Grands Espaces de Novaflore avec espèces locales dont 50% de graminées) pour la
partie lisière de forêt souvent gorgée d’eau
- spontanées dans la partie périphérique plus dissimulée
Le couvert végétal serait ainsi remplacé car aujourd’hui exclusivement constitué de graminées
et parsemé de chardons (Cirsium arvense).
Figure 29 : Plan projet du Sentier Nature de Mexy - Source : BPU de Surgy/MH – 05/06/2015
La plantation de quelques arbres et arbustes est prévue (si le budget est suffisant) pour animer
le site, et l’on peut proposer de les choisir parmi les espèces indigènes pour leur caractère
champêtre mais aussi leur aptitude à s’accommoder de conditions assez dures (ici, le sol est
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
séchant ou pouvant être gorgé d’eau suivant l’endroit, globalement assez peu profond, comme dans le
Parc du Pas du Loup) : Erables champêtres, Tilleul à grandes feuilles, Saule marsault, Cormier,
Cornouillers, Sureau, Baguenaudier (espèce sub-spontanée courante en zone calcaire de l’Est)…
Si tout le site peut abriter des espèces indigènes, il est tout de même proposé ici de
marquer l’entrée du site avec des plantes plus ornementales et florifères comme du Millepertuis
(H. calycinum) et du Lilas (Syringa vulgaris), pour que ce lieu se détache du reste, soit accueillant, et
rende compte que ce lieu n’est pas qu’une prairie ordinaire, mais un véritable sentier aménagé à
parcourir.
Les élus, particulièrement adeptes des prairies fleuries, souhaiteraient en installer à l’entrée
des villages. Ce type de végétation renvoie à l’image de la campagne, très similaire au paysage
environnant. De plus, il risque de fragiliser les accotements de la route et est donc peu indiqué ici. Le
bureau préconise donc un autre type d’aménagement, comme des massifs fleuris (association de Buis
arbustif et de vivaces florifères, type Perovskia) plus facilement associables aux représentations
du milieu urbain, cela pour faire réagir et ralentir l’automobiliste qui traverse la commune, et lui faire
prendre conscience qu’il entre bel et bien dans une agglomération, à la vitesse limitée.
Dans cette commune, il est nécessaire de veiller à sauvegarder les motifs ancrés dans les
représentations du paysage rural lorrain : usoirs* bordant les routes, assez peu végétalisés (en
dehors d’un enherbement et de quelques massifs entretenus pas les riverains), et espaces davantage
plantés (souvent arborés, avec les mêmes espèces qui reviennent : Tilleuls, Charmes, Erables…) pour
marquer les entrées de village, les calvaires, les églises... Il convient donc lors d’un aménagement de
traversée de bourg de ce type, de prendre en compte ces caractéristiques, d’éviter de morceler
l’espace par des plantations qui cloisonneraient les usoirs, au risque de perdre le caractère de vieux
village initial. Dans la même visée, utiliser des espèces indigènes d’arbres et arbustes (Charme,
Prunellier, Cornouiller, Troène, Noisetier, Erable champêtre…), couplées à une palette végétale
horticole, permet de conserver l’esprit du site (CAUE Moselle, 1989).
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Figure 30 : Proposition d'aménagement de la placette de Buxières-sous-les-Côtes (55) - Source : BPU de Surgy/MH – 31/08/2015
Batilly est une petite ville de Meurthe-et-Moselle, adossé à un complexe industriel (usine
SOVAB) qui augmente la fréquentation de cet espace initialement plutôt rural. La commune a initié un
grand projet de requalification de la traversée de ville, dont la 4e phase est actuellement en cours de
réalisation. Bien que la ville reste de taille modérée, elle possède un caractère urbain marqué, de par
son dynamisme et son
attractivité (la construction d’un
nouveau lotissement est en
cours de préparation).
Ce type de projet n’exclut cependant pas une palette végétale locale en certains endroits
choisis. L’aménagement d’un sentier rural qui part de la ville pour rejoindre le site des étangs de la
commune, par exemple, est le prétexte à la plantation d’Aubépines, de Cytises, et d’Erables
34
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
champêtres en cépée. Enfin, tout au long de la traversée de ville, des prairies fleuries spécifiques sont
proposées par le bureau, en alternative au gazon et pour limiter l’entretien. Ainsi, aux abords d’un
carrefour au sol compacté et peu profond, une prairie spécifique aux sols séchants est proposée. En
zone d’ombre, au bord du sentier des étangs, un mélange adapté aux espaces peu lumineux est
préféré, et le long des trottoirs et de la chaussée (espaces dans lesquels la visibilité ne doit pas être
réduite par la végétation), on opte pour un mélange ras. Ces prairies fleuries, comme on l’a vu
précédemment, ne perdurent pas plus de 3 ans, et se changent petit à petit en surfaces d’herbes
hautes, qui peuvent tout à fait être fauchées régulièrement, ou même tondues si la commune souhaite
revenir à des bas-côtés traditionnels. Elles présentent l’avantage d’être plus esthétiques les premières
années (lorsqu’elles sont encore vraiment des prairies ‘fleuries’), et elles peuvent être utilisées dans
différents milieux particuliers dans lesquels un gazon ne serait pas forcément adapté.
Le parti pris du BPU de Surgy est donc d’utiliser le caractère champêtre foisonnant des
espèces indigènes pour renforcer l’ambiance ‘naturelle’ et rurale d’un site, attribuant aux végétaux
horticoles un caractère plus urbain, plus anthropisé. Ce raisonnement est le même qui a guidé les
choix de Laure Planchais et Jacques Coulon dans la conception du Parc de la Seille : deux types de
palettes végétales pour deux ambiances bien distinctes :
- parc urbain/traversée d’agglomération mis en valeur par des espèces et variétés horticoles,
- parc plus naturel/espace rural renforcés par des espèces indigènes, voire des variétés locales
anciennes.
C’est certainement la manière la plus intuitive d’utiliser les plantes locales et espèces indigènes
dans les projets de paysage car elle va dans le sens des représentations courantes, gardant les
plantes de nos campagnes à la campagne et les plantes ornementales dans les villes. Le BPU de
Surgy fait néanmoins un pas de plus dans l’utilisation des espèces indigènes par rapport au projet du
Parc de la Seille en proposant, y compris en milieu urbain, des prairies fleuries en alternative à
l’engazonnement. La pérennité de tels aménagements est limitée et les mélanges choisis ne sont pas
toujours composés de plantes d’espèces locales. Mais pour autant, c’est une première étape à la
généralisation des plantes locales et espèces indigènes dans les projets, et elle mérite d’être
soulignée. Pour aller plus loin, on pourrait imaginer utiliser des végétaux d’espèce indigène à chaque
fois qu’il s’agit de faire de la végétalisation d’arrière-plan, y compris en milieu urbain : pour les fonds de
massifs, les haies de délimitation d’espaces, les contours de parking… Pour tous ces espaces
discrets, autant préférer des espèces indigènes que des espèces ornementales qui passent
inaperçues, d’autant plus qu’elles permettraient de mettre davantage en valeur les plantes horticoles
du premier plan (suivant l’exemple de Parc d’Augny).
Le choix des plantes locales et des espèces indigènes dans les projets de paysage implique
des choix spécifiques lors de la conception bien sûr, mais aussi lors de la définition des besoins du
commanditaire, en amont du projet. La phase de conception reste bien sûr la plus importante, et le
contexte du projet détermine dans quelle mesure utiliser une palette végétale locale. Le BPU de Surgy
opte dans ses projets pour une utilisation d’espèces indigènes liée au caractère rural du projet, et à
l’ambiance recherchée. Le Sentier Nature de Mexy étant l’exemple type du projet où les espèces
indigènes sont reines, et la traversée de Batilly l’exemple inverse, dans lequel une palette ornementale
a toute sa place. Mais dans chaque projet, du plus rural au plus urbain, chacune des deux palettes
peut être utilisée, la palette végétale horticole pour « briller », ou répondre à des critères spécifiques
(taille, période de floraison …), la palette végétale locale pour « habiller », pour créer une ambiance
feutrée de parc naturel, mais aussi pour sa dimension environnementale.
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Conclusion
Ce mémoire a donc cherché à révéler l’existence d’un engouement fort pour l’utilisation d’une
palette végétale locale, dans les jardins de particuliers en premier lieu, chez les collectivités ensuite,
qui les font entrer dans les projets de paysage en arguant de leurs bénéfices pour la biodiversité. Les
paysagistes suivent ce mouvement, et aujourd’hui, composer avec les espèces indigènes est un
nouvel enjeu dans les projets. Ces végétaux, déclinés en espèces d’arbres, arbustes, et herbacées
(démocratisées avec les prairies fleuries), sortent aujourd’hui de l’ombre. Cet engouement paraît tout
à fait justifié au regard de leurs nombreux atouts. Au-delà du simple effet de mode, les plantes
locales et espèces indigènes sont amenées à prendre une place prédominante dans le monde
du paysage, d’autant plus que la filière s’organise pour pouvoir garantir la traçabilité et l’origine des
végétaux et des semences, et l’apparition du label Végétal Local est un grand pas en avant pour
faciliter leur utilisation et faire la lumière sur les ambiguïtés encore existantes.
L’analyse d’un plus grand nombre de projets de paysage réalisés au cours de ces dernières
décennies aurait pu permettre de dater plus précisément cette évolution du choix de la palette
végétale, et aurait peut-être montré que le développement des espèces indigènes n’est pas si récent.
Mais si ce phénomène a été initié antérieurement, la tendance actuelle montre que celui-ci est
aujourd’hui proéminent.
Dans les projets de paysage, hors projets de restauration écologique dans lesquels l’utilisation
de plantes locales est une évidence et est poussée à l’extrême (recherche de patrimoine génétique
local), ce sont davantage les espèces indigènes qui sont privilégiées plutôt que des plantes vraiment
locales, peu commercialisées. Elles sont utilisées la plupart du temps pour créer une ambiance dite
naturelle : que ce soit pour renforcer le caractère champêtre typique de communes rurales ou
faire entrer ‘la nature en ville’ dans les parcs urbains. Associées à des plantes horticoles pour
exploiter tout le potentiel ornemental, paysager voire patrimonial (dans le cas d’espèces
emblématiques) du végétal dans les projets, elles révèlent de belles qualités, mais leur utilisation
nécessite quelques connaissances spécifiques, apportées par le paysagiste, notamment en termes de
gestion du site.
Si cet engouement pour les plantes locales et les espèces indigènes a bel et bien des allures
de mode, en tout cas chez les particuliers, voire les collectivités, c’est un phénomène plus rationnel et
raisonné dans le monde du paysage. Les concepteurs qui utilisent des espèces indigènes ont bien
conscience des atouts, des limites et des enjeux liés à leur utilisation. Ainsi dans les projets, sans
parler de renouveau (le phénomène n’est pas si récent), on peut parler de véritable pratique à
encourager. Si l’utilisation d’une palette végétale locale dans les projets de paysage se généralisait,
cela contribuerait non seulement à préserver une biodiversité malmenée dans nos campagnes, mais
aussi à gommer progressivement les disparités qui rendent nos paysages ruraux et urbains si
dissemblables. Plus qu’une mode, les plantes locales et espèces indigènes sont aujourd’hui un
élément déterminant dans la construction des paysages de demain.
Pour aller plus loin dans l’utilisation des plantes locales et des espèces indigènes, des outils se
développent (comme le site Tela-botanica ([16]), l’IUCN ou encore des associations comme Floraine,
qui fournissent des informations sur les plantes locales et leur statut) et des techniques restent à
expérimenter (cf Annexe IV).
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Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
Références bibliographiques
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Entretiens
Interviews
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Supt. Interview le 4 août 2015.
Echanges de mails
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de mails le 6 août 2015.
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41
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage…
ANNEXES
1
Annexe I : Liste (non exhasutive) d’espèces végétales au caractère invasif avéré ou potentiel
2
Annexe II : Liste (non exhaustive) d’espèces d’arbres, arbustes et lianes
pouvant être considérées comme locales
3
4
5
Annexe III : Les prairies hautes : Avant de se lancer…
6
7
8
Annexe IV : Les plantes locales : des méthodes à expérimenter
9
10
11
Diplôme : Ingénieur
Spécialité : Paysage
Spécialisation / option : Maîtrise d’œuvre et Ingénierie
Enseignant référent : Fanny Romain
Auteur(s) : Mélissa HEGO Organisme d'accueil : BPU de Surgy
Adresse : 2 rue Gardeur Lebrun
Date de naissance* : 07/05/1991 57000 METZ
Nb pages : 66 Annexe(s) : 4
Année de soutenance : 2015 Maître de stage : G. de Surgy
Titre français :
Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage :
effet de mode ou renouveau à encourager ?
Titre anglais :
Native plants in landscape projects: fashion practice or real powerful change to encourage?
Résumé (1600 caractères maximum) :
Les acteurs de la filière paysage se tournent aujourd’hui vers les plantes et espèces végétales
locales, faisant suite à la mouvance écologiste du moment. Cet engouement croissant peut prendre
des allures d’effet de mode et paraître superficiel tant la notion de plante indigène est entourée
d’ambigüités et parfois utilisée à tort… Pourtant de vrais arguments se cachent derrière ce renouveau,
et les plantes locales révèlent de nombreuses potentialités dans les projets de paysage. Les
paysagistes qui les utilisent l’ont bien compris et il semble que cette tendance, bien que freinée par
une filière encore naissante, soit amenée à prendre une ampleur sans précédent, dépassant ainsi le
simple effet de mode pour prendre une place déterminante dans les projets de paysage.