Lights Out T1 On Pole - Mills Coleman
Lights Out T1 On Pole - Mills Coleman
Lights Out T1 On Pole - Mills Coleman
com
Couverture : © books and moods
ISBN : 9782017218852
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Pour Élodie, une bêta en or sans qui ce
roman ne serait pas le même.
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Sommaire
Couverture
Titre
Copyright
Lexique
Écuries
Articles de presse
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Épilogue
Remerciements
Extrait - Speedway
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Lexique
Aileron : élément de carrosserie situé à l’avant et à l’arrière d’une
voiture monoplace. Il permet une meilleure adhérence et assure la stabilité
du véhicule.
Bac à graviers : partie du circuit automobile destinée à ralentir ou arrêter
les monoplaces ayant subi une sortie de piste.
Chicane : partie du circuit où se succèdent deux virages de sens
contraire.
Cockpit : compartiment où s’assoit le pilote.
DNF (Did not finish) : cas dans lequel un pilote ne termine pas une
course.
Courbe : virage en arc de cercle.
Courir : participer à une course automobile.
Drapeaux : ils sont utilisés par les commissaires de course pour informer
les pilotes d’une situation particulière. Le drapeau à damier annonce la fin
de la course, le drapeau jaune indique la présence d’un danger, le drapeau
vert la fin de ce danger et le drapeau rouge avertit la mise en pause de la
course. Enfin, le drapeau bleu indique à un pilote qu’il se fait dépasser par
les leaders de la course et qu’il doit les laisser passer.
DRS (Drag Reduction System) : fonctionnalité des voitures de course
permettant d’ouvrir une partie de l’aileron arrière, permettant au pilote
d’aller plus vite en ligne droite. Le DRS ne se déclenche que sur des parties
définies du circuit, et seulement si la voiture qui la précède est à moins
d’une seconde.
Essais libres : composés de trois sessions, les essais permettent aux
pilotes de se familiariser avec la piste, avant les qualifications et la course.
Esse : chicane en forme de « S ».
Flat spots : surface plane sur la gomme des pneus due à l’usure. Elle
entraîne une perte d’adhérence.
Force : phénomène physique exercé par un objet sur un autre. Une force
peut agir sur la vitesse d’un objet, le faire dévier.
G (initiale de gravité) : unité d’accélération.
Graining : apparition de grains de gomme sur les pneus, diminuant leur
adhérence.
Grille de départ : ordre dans lequel les voitures se positionnent sur la
ligne de départ. Il est défini à l’issue de qualifications.
Grip (adhérence) : correspond au maintien d’une voiture sur la piste qui,
par conséquent, ne glisse pas.
Halo : structure renforcée au-dessus de la tête du pilote permettant de le
protéger en cas d’accident.
Homerace : course à domicile pour le pilote ou pour l’écurie.
Intersaison : période séparant deux saisons de Formule 1 durant laquelle
les écuries développent les monoplaces pour le championnat suivant.
Marshals : personnes assurant la sécurité sur la piste pendant la course.
Paddock : partie du circuit réservée aux personnes habilitées (écuries,
journalistes, invités, etc.). Elle se trouve derrière les stands.
Parc fermé : à la fin d’une course, les voitures sont disposées dans cette
zone sécurisée où personne ne peut les toucher le temps que la fédération
les inspecte.
Pesage : les pilotes et voitures sont pesés après chaque course et séance
de qualification afin de vérifier que le poids total respecte le poids minimal
imposé par la fédération.
Pilote payant : pilote qui paye pour obtenir un siège dans une écurie.
Soit il verse cette somme lui-même, soit il reçoit une aide extérieure.
Pit-stop (ou arrêt aux stands) : court arrêt permettant de réaliser
l’entretien du véhicule pendant une course.
Pit-wall : mur séparant la voie des stands de la piste. Derrière le pit-wall
sont installés les ingénieurs et les dirigeants qui observent la course et
communiquent aux pilotes les informations nécessaires.
Pneus (ou gommes, trains de pneus) : il en existe de plusieurs sortes :
soft, medium, hard et wet. Les pilotes en disposent d’un nombre limité
qu’ils doivent gérer pour optimiser leurs chances de l’emporter. L’usure des
pneus est un élément stratégique crucial.
Pole position : le pilote le plus rapide en qualification obtient cette place.
Il débutera la course en première position.
Qualifications : organisées la veille de la course et divisées en trois
sessions (Q1, Q2 et Q3), elles définissent l’ordre de départ de la course. Le
pilote qui réalise le meilleur temps obtient la pole position.
Safety car : lorsqu’un drapeau jaune est brandi (et si la situation le
nécessite), cette voiture précède le leader en roulant plus doucement,
permettant ainsi aux commissaires d’intervenir sur la piste en toute sécurité.
Silly Season (chaises musicales) : période pendant laquelle les pilotes et
les écuries négocient pour signer les contrats pour l’année qui suit.
Tour de formation : juste avant le départ de la course, les pilotes
effectuent un tour de piste au terme duquel ils prennent leur place sur la
grille de départ.
Undercut : stratégie de course consistant à s’arrêter aux stands avant son
concurrent.
Vibreur : dalles en béton rouges et blanches qui marquent la délimitation
de certains virages.
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Écuries
Dark Crown (couronne)
Owen Abbott
Magnus Nilson
Mathieu Lecomte
Kai Porana
Riotti (éclair)
Ben Charley
Loris Doppia
Ted Wheeling (TsurW)
Sylvain Millet
Enzo Adoni
Neptune (Poséidon)
Gabriel Hupert
Solveig Peterson
Diego Garcia
Alak Oran
Roar Racing (guépard)
Mathias Berg
Victor Leroy
Simon Faure
Jacob Oak
Giants (lutteurs)
Felix Newman
Paul Becker
Cavarot (griffes)
Mike Miller
Daniel Harris
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Articles de presse
La Course 05/02/2020
Dark Crown accueille un prodige
Si les rumeurs nous ont tenus en haleine pendant de nombreux mois la
saison dernière, la sentence est finalement tombée en ce début d’année.
Après de longues négociations – et un gros cachet –, Dark Crown a enfin
annoncé l’arrivée d’Owen Abbott dans ses rangs !
Le pilote de vingt-six ans, aussi séduisant que redoutable, vient
remplacer le multiple champion du monde Adrian Pirino aux côtés du
Suédois Magnus Nilson. Nul doute que ces deux-là vont nous offrir des
affrontements dignes des plus grands. Entre l’expérimenté et le virtuose du
volant, rien n’est joué. Quelle stratégie adoptera l’écurie qui cette saison
encore fait figure de favorite ?
La première course aura lieu dans un mois en Australie et nous promet
déjà un beau spectacle.
Sept ans après ses débuts en F1 et ses passages chez TW et Peredes, le
pilote anglais voit la coupe du championnat à portée de main dans cette
nouvelle écurie aussi riche que victorieuse. Encore faudra-t-il qu’il
parvienne à détrôner son coéquipier, désireux de décrocher pour sa part un
second titre.
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Chapitre 1
Février – Angleterre
LISE
Si l’article de People News m’amuse, il n’en est rien pour les autres.
Ça tourne en boucle dans ma tête : comment vais-je gérer cette histoire ?
Il fallait bien que ça arrive à un moment donné, je ne pouvais pas me cacher
jusqu’à la fin des temps. Mais je ne me sens pas prête pour autant.
Je m’appelle Lise Cardin, j’ai vingt-six ans et je suis ingénieure stratégie
chez Dark Crown. Je suis jeune pour un tel poste, pas vrai ? Et en plus, je
n’ai pas de couilles !
La vérité, c’est que j’ai tout donné pour m’élever ainsi et je suis fière d’y
être parvenue. Tout n’était pas aussi bien parti pourtant…
Ce n’est pas le moment de penser à ça. Je n’ai pas le temps de me
morfondre. Je dois me concentrer sur le fait qu’Owen Abbott va débarquer
chez Dark Crown et qu’il ne s’attend certainement pas à tomber sur moi. Je
flippe à mort…
Owen et moi, nous nous connaissons plutôt bien, très bien même. Par
contre, nous ne nous sommes pas vraiment quittés en bons termes. Enfin,
pour ma part, je l’ai quitté en bons termes, mais je doute que la réciproque
se vérifie. J’imagine que jamais il n’aurait pensé me revoir un jour. De mon
côté, j’espérais ne pas avoir à le confronter si tôt. Je vais toutefois bien y
être obligée.
Je crois que je réfléchis trop, de l’eau a coulé sous les ponts. Ça fait
quoi ? Huit ans ? Il y a de grandes chances pour qu’il ne se souvienne pas
de moi. Avec tout ce qui s’est passé dans sa vie, la Formule 1, etc., je ne
représente qu’un infime détail dans une nuée d’événements. C’est sûr, il
m’a oubliée.
Ce que je raconte sonne quand même drôlement faux…
— Vous avez vu cet article de La Course ? C’est bon pour nous ça, se
vante un de mes collègues.
Nous lisons les derniers papiers parus à notre sujet. C’est notre meilleur
moyen pour prendre la température de la saison.
En tout cas, l’arrivée d’Owen fait l’unanimité. Il faut dire qu’il est
vraiment doué, et que sa présence nous assure presque la gagne. Il va devoir
apprendre à maîtriser une nouvelle voiture, bien sûr, mais le connaissant, ça
ne devrait pas poser de problèmes.
La seule chose qui m’inquiète, c’est l’entente entre lui et Magnus, son
coéquipier. Nilson n’est pas connu pour laisser de la place au second pilote,
et je doute qu’Owen s’en accommode.
— Abbott est cool, mais Nilson va le manger, annonce un autre collègue.
Je roule des yeux.
Clairement, c’est Owen qui va détruire Magnus. Il a bien plus de volonté
et de ressources. J’en suis persuadée.
— T’en penses quoi, Cardin ? m’interroge Bill, le seul collègue que
j’apprécie.
Je fronce les sourcils.
— J’en pense que si tu n’enlèves pas tout de suite tes sales pieds de mon
bureau, je te démonte.
Il faut savoir s’imposer dans un monde d’hommes ! D’ailleurs, Bill
s’exécute sans tarder. Il sait que je rigole, mais il ne se risque pas pour
autant à me froisser. Je les mène tous par le bout du nez, d’où ma position.
Les seuls avec qui je n’en mène pas large, ce sont mes supérieurs.
Tiens, quand on parle du loup…
Patrick Smith, gérant de l’écurie, arrive au bureau accompagné des
ingénieurs courses et d’autres gars pas vraiment importants à mes yeux. Si
c’est pour brasser de l’air, ils pourraient au moins le faire sur mon visage…
ça me rafraîchirait un peu.
Le grand patron nous annonce le planning des prochaines semaines, nos
tâches, ses souhaits. Je note tout, comme toujours. Il nous rapporte aussi des
infos qu’il a réussi à choper sur nos concurrents, et s’en va comme il est
venu.
Je respecte cet homme pour son dévouement, sa détermination et tout ce
qu’il a fait pour mener l’écurie là où elle est aujourd’hui. Par contre, même
après trois ans à bosser ici, je ne m’habitue toujours pas à sa froideur et à
son arrogance.
Dès qu’il est sorti, nous nous mettons au travail. Une stratégie, ça se
pense sur une année entière. Elle débute avec les choix pour la voiture, les
pilotes, le staff, les investisseurs. Puis nous étudions les courses à venir
avec les détails imposés par la fédération. Enfin, à chaque Grand Prix, nous
réévaluons le tout en fonction du classement, de la météo, des capacités de
nos pilotes. Bref, tout un tas de paramètres à prendre en compte.
C’est beaucoup de travail et de responsabilités.
À l’heure actuelle, c’est surtout ce qui m’empêche de penser au fait que
bientôt, je vais me retrouver face à Owen. J’ai aussi hâte que ça me terrifie.
J’ai réussi à éviter la confrontation pendant de longues années, mais ce
temps est révolu.
Le pauvre ne sait même pas ce qui l’attend.
OWEN
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Chapitre 2
Février – Angleterre
LISE
OWEN
LISE
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Chapitre 3
Février – Angleterre
OWEN
Le lendemain, je donne tout ce que j’ai avec Bryan. Je double mes séries
jusqu’à sentir le goût du sang dans ma bouche. J’essaie tant bien que mal de
faire sortir ma frustration par le sport. Quand cela ne fonctionne pas
totalement, pour éviter de me mettre à crier sur mon entourage, je me
renferme et reste silencieux. Je sais prendre sur moi quand il le faut.
Je réfléchis beaucoup.
Je tente de gratter quelques informations auprès du staff sur Lise, mais
rien de ce qui ressort ne m’intéresse.
Près d’une semaine passe. L’espace d’un moment, j’ai espéré recevoir un
message ou un appel de sa part. Je suis évidemment déçu quand je réalise
qu’elle ne le fera pas. En fait, je ne sais même pas ce que j’attends. Si elle
avait dû m’envoyer un texto, elle l’aurait fait il y a huit ans.
La saison n’a pas commencé que je suis déjà à bout. Il va vite falloir que
cette histoire se règle, car je n’aurai pas l’énergie de m’occuper des courses
et de Lise.
LISE
J’ai attendu que quelques jours passent pour revenir à la charge auprès
d’Owen. S’il y a bien quelque chose que je sais avec lui, c’est que parfois il
a besoin de temps pour digérer certaines informations. J’ai appris par le
bouche-à-oreille qu’il se donnait à fond dans les entraînements et qu’il
restait dans sa bulle pour se préparer mentalement. De mon côté, j’ai
conscience que c’est surtout pour avaler la pilule et se passer les nerfs qu’il
se comporte comme ça. Je ne lui jette pas la pierre, c’est ainsi que je
fonctionne, moi aussi.
C’est d’ailleurs de cette façon que j’ai géré les choses. Quand tout a
déraillé, que ma vie s’est effondrée, j’ai préféré prendre du recul, souffler.
Quitte à blesser certaines personnes… Il fallait que je me retrouve, que je
me reconstruise. J’étouffais. La jalousie me consumait. La haine aussi.
Encore huit ans après, y repenser me donne envie de vomir. Je crois que
je ne parviendrai jamais à accepter ce qui s’est passé.
Je suis sûre qu’Owen le comprend. Quelque part, il doit savoir pourquoi
je suis partie. À ma place, il ne l’aurait pas supporté non plus.
Aujourd’hui, j’ai décidé de le coincer pour trouver un terrain d’entente.
Je l’ai laissé tranquille assez longtemps. Maintenant, il va bien falloir qu’il
me parle, car les réunions d’équipe approchent, nous allons devoir
communiquer en adultes.
C’est pour le bien de nos deux carrières.
Nora a réussi à me dénicher son planning en échange de quelques infos
croustillantes sur Owen et moi. Je sais donc où le trouver.
Ce matin, il avait rendez-vous pour prendre les photos officielles en
combinaison. Ce sont ces clichés qui apparaîtront sur chaque générique en
début de course, sur les panneaux publicitaires et sur les murs de l’écurie.
Bref. C’est super important. Il est obligé d’y être.
J’arrive sur place au milieu de la séance.
Owen se tient bien droit en combinaison devant un drap vert. Il prend
diverses pauses destinées à séduire les téléspectateurs. Certains voudront lui
ressembler et seront plus enclins à dépenser une fortune en produits dérivés.
Pour une écurie, tout est constamment une question d’argent…
Je reste dans un coin et me fais discrète pour ne pas le perturber. Je
l’observe poser en notant à quel point il est fait pour ce job.
Owen et moi avons toujours partagé cette passion. Nous nous sommes
rencontrés au kart quand nous avions cinq ans. Très vite, nous sommes
devenus amis. Vers l’adolescence, nous avons réalisé que nous avions les
mêmes envies, des goûts similaires. Surtout, nous fonctionnions de la même
manière. Il était mon binôme.
Le kart représentait tout pour nous. Nous ne vivions que pour ça. Si nous
nous entraidions chaque jour, une fois en course c’était chacun pour sa
peau.
Avec d’autres amis, eux aussi en F1 aujourd’hui, nous passions tout notre
temps ensemble. D’abord, c’était uniquement les week-ends, puis ça a
commencé à être pendant les vacances. À partir de douze ans, nous partions
toute l’année en internat pour allier études et course. Ils sont devenus ma
famille.
Owen, particulièrement, est venu compléter une partie de mon être. Nous
étions tout bonnement inséparables. Rapidement, les sentiments ont
commencé à s’en mêler. Nous avions grandi et nous voyions différemment.
Notre amitié a glissé vers quelque chose de plus fort. De très fort.
Puis soudain, ma carrière s’est effondrée. Le kart, tout s’est arrêté. Je
devais prendre le large pour ne pas me perdre dans cette rage qui me
consumait. Je ne regrette pas mon choix. Juste la façon dont j’ai quitté
Owen.
Si ses sentiments étaient aussi profonds que les miens, alors je sais à quel
point cette séparation a pu le détruire. Elle m’a bousillée, moi aussi.
Owen ne devrait être nulle part ailleurs. Sa place est ici, à cet endroit
précis, dans cette tenue. Je le trouve particulièrement beau à cet instant.
Envoûtant. Charismatique. Ce sport est comme fait pour lui.
Il n’a même pas besoin de faire semblant pour paraître imposant,
important. Je ne peux pas le laisser risquer sa saison à cause de mes choix.
Je vis ma passion à travers lui depuis huit ans. Cette année, il peut
l’emporter et je ne dois pas être un obstacle sur son chemin.
Je sais qu’il partage cet avis.
Je sais aussi qu’il va avoir besoin d’aide s’il veut soulever la coupe. Il n’a
pas idée de ce qui se trame dans son dos. Ou alors il en a conscience, mais
sous-estime son adversaire. Je peux le soutenir. Je dois le soutenir.
Si au passage je parviens à retrouver mon ami, eh bien je ne dis pas non.
Je ne suis pas revenue dans les parages sans raison. J’avais besoin de le
voir, de m’assurer qu’il allait bien. Le regarder à la télé ne suffisait pas.
Quand il a eu cet accident, il y a cinq ans, j’ai cru que j’allais mourir devant
mon écran. Je n’aurais jamais pu être près de lui à temps en cas de
problème. Il fallait que je me rapproche, au cas où.
Je ne compte pas lui raconter cela aujourd’hui, il n’est pas prêt à entendre
ce genre de choses. Pour l’instant, je veux simplement qu’il parvienne à
supporter ma présence plus de deux heures d’affilée. Il faut que j’arrive à
lui parler en cas de besoin. Pour ce qui est de nos relations personnelles, je
m’en occuperai en temps voulu.
La séance photo touche à sa fin. Ils prennent d’ultimes clichés plus
détendus avec Smith ou d’autres membres du staff. Quand le photographe
pense avoir ce qu’il faut, il invite tout le monde à ranger.
Owen serre la main des professionnels avant de se diriger vers le buffet
pour boire un coup. Je n’attends pas plus longtemps pour aller le trouver.
— Joli travail, entré-je en matière.
Il laisse passer un moment avant de me répondre sans croiser mon regard.
— Lise.
Il semble plus détendu que l’autre soir. C’est bon signe.
— Je suis sûre qu’on ne verra que toi sur les affiches.
Il rigole nerveusement.
— Tu as opté pour le léchage de bottes, toi aussi ? me pique-t-il.
Non, je le pense vraiment.
— Je me suis bien habituée au milieu, répliqué-je, amère.
— Je vois ça, soupire-t-il.
Plutôt que de rester sur cette question sensible, je choisis d’entrer dans le
vif du sujet. Non pas qu’il soit moins sensible, d’ailleurs.
— Je te dois un certain nombre d’excuses et d’explications, Owen.
Il boit un verre entier avant de zyeuter autour de lui pour continuer à fuir
mon regard. Je reprends :
— J’aimerais vraiment qu’on parvienne à s’entendre. Tu sais tout comme
moi que c’est dans nos deux intérêts. J’ai évidemment conscience que ça
n’arrivera pas si je ne regagne pas ta confiance.
— Ouais, se contente-t-il de répondre.
Il ne va certainement pas me faciliter la tâche.
— Tu veux bien m’écouter, alors ?
Il croise les bras.
— Je ne me suis pas barré, donc je suppose que oui.
Il s’est adouci, mais n’a pas entièrement retrouvé son calme. Je vais
devoir subir son courroux encore quelque temps. Une chose à la fois.
J’inspire un grand coup et me lance :
— Je te demande pardon. J’ai conscience que ma décision t’a fait du mal.
Tout comme je sais qu’au fond tu la comprends. J’aurais dû m’y prendre
autrement avec toi, mais… je savais que si je t’en avais parlé, je ne serais
jamais allée au bout.
Il regarde partout, sauf vers moi.
— Je ne te demande pas d’accepter mes excuses, Owen, ni de redevenir
ce qu’on a été. J’aimerais simplement qu’on arrive à s’entendre. Tu vas
avoir besoin de moi chez Dark Crown.
— Si j’avais eu besoin de toi, je ne serais pas là, réplique-t-il, cinglant.
Sa remarque me blesse, mais encore une fois, elle est juste.
— Tu m’as évité pendant trois ans. Tu as attendu d’être au pied du mur
pour me parler. Tu ne crois pas que je méritais un peu plus de ta part ? me
reproche-t-il durement.
— J’étais terrifiée, me justifié-je doucement.
Il secoue la tête.
— Arrête Lise, tu as toujours eu plus de couilles que tous les pilotes
réunis !
— Sauf avec toi ! m’emporté-je.
Il soupire, mais ne me contredit pas. Il sait que je dis vrai et me provoque
juste pour me balancer sa colère à la figure.
— Je ne t’aurais jamais fait ça, poursuit-il.
— Tu ne seras jamais à ma place, lui opposé-je.
Il m’accorde ce point. Lui n’aura jamais à être une femme.
— Et si je décide de ne plus jamais t’adresser la parole ? teste-t-il.
Je hausse les épaules. Je commence à perdre patience, mais tente de me
contenir.
— Je fais partie des stratégistes. Tu crois vraiment que tu peux m’éviter ?
Il fronce les sourcils.
— Je ne sais pas quoi te dire, Lise. Si tu savais à quel point je t’en
veux… Je ne te fais plus confiance.
Il marque une pause et poursuit :
— Toi et moi… Je ne laisserai plus jamais un truc pareil arriver.
« Un truc pareil »… Il ne pouvait pas mieux cracher sur notre histoire.
— Je ne t’ai pas demandé en fiançailles, Abbott, répliqué-je, vexée.
Il roule des yeux.
— Je veux bien accepter une sorte d’entente cordiale entre nous. Dans le
strict cadre professionnel, concède-t-il.
— C’est tout ce que je demande, soufflé-je, tendue.
Je ne suis pas convaincue par cette solution, mais c’est déjà un premier
pas.
— En dehors de ça, tu restes hors de ma vie, impose-t-il froidement. Je
ne veux plus rien avoir affaire avec toi.
Cette dernière partie me fait l’effet d’un gros coup dans le ventre. Mais je
m’y attendais. Il finira par digérer et en arriver au même point que moi.
D’ici là, je sais déjà que nous pourrons travailler ensemble, à défaut de
retrouver notre complicité.
Je dois me montrer patiente et ne pas chercher à le pousser trop vite.
Je dois être patiente.
Patiente.
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Chapitre 4
Mars – Angleterre
OWEN
Le réveil est dur ce matin. Je n’ai pas la motivation suffisante pour tout
ce qui m’attend. Mon emploi du temps est toujours surchargé, donc j’ai
l’habitude. Mais je suis tellement préoccupé en ce moment que ça me
bouffe la moitié de mon énergie.
Entre les entraînements, les interviews et les réceptions, il devient
difficile de trouver une minute pour aller aux toilettes.
Le devoir m’appelle malgré tout.
Je me lève, déjeune rapidement et me prépare pour la journée qui
s’annonce bien remplie. Heureusement que mon assistant me tient au
courant de mes obligations parce que sinon, j’en oublierais les trois quarts.
Les courses je maîtrise, mais le reste…
J’enfile comme toujours les vêtements que l’écurie me demande de
porter. Nous devons maintenir une image de marque et notre cohésion.
Affublé de mon tee-shirt aux couleurs et logo de l’écurie, de ma casquette et
de ma veste toutes deux assorties, je me rends à la réunion d’équipe de la
matinée.
Nous allons discuter avec Smith pour savoir comment se déroulera la
saison et quelle sera la ligne à tenir devant les caméras. Mieux vaut établir
ce genre de choses à l’avance vu le nombre de journalistes qui nous suivent
sur les dates. Une boulette peut avoir un retentissement sur toute l’écurie.
Une année, un pilote a commis l’erreur de parler de ce qui se passait
derrière le rideau dans les usines de son écurie. Ça s’est terminé en une
enquête pour détournements de fonds qui a fait couler l’équipe et son staff.
Je ne cautionne pas ce genre d’activité, mais si la presse ne s’en était pas
mêlée, il aurait pu y avoir un rachat de l’entreprise, ce qui aurait sauvé les
salariés. Bref. Sale histoire que je préfère éviter de reproduire.
J’arrive dans les locaux de Dark Crown en tentant de rester discret. Je
n’ai pas très envie de croiser Lise, aujourd’hui. Nos deux dernières
discussions m’ont laissé avec beaucoup de pensées que j’aimerais intégrer
avant de me retrouver de nouveau face à elle. Cette semaine, je veux me
concentrer uniquement sur mon travail.
Une assistante vient me trouver dans le hall pour m’accompagner jusqu’à
la salle de réunion.
— Bonjour, monsieur Abbott.
Je la salue d’un mouvement de tête et d’un sourire.
— Je m’appelle Cindy, suivez-moi.
Je m’exécute sans broncher et espère arriver rapidement à destination.
Moins je traîne dans le coin, moins j’ai de chances de tomber sur Lisie.
Non, Lise. Elle n’est plus ma Lisie.
— On ne m’a pas menti à votre sujet, commence Cindy, vous êtes
effectivement très séduisant !
Ah…
Ma place suscite beaucoup de réactions chez les gens. Les hommes sont
majoritairement jaloux de moi, tandis que les femmes cherchent pour la
plupart à me charmer. Si parfois je suis tenté de flirter pour me détendre, à
d’autres moments, je préférerais ressembler à un troll.
Je n’ai pas très envie de laisser croire à cette femme qu’elle pourrait avoir
une chance, alors au lieu de jouer avec elle, je me contente d’un sourire
crispé.
— Nous voilà arrivés, m’annonce-t-elle devant une porte.
— Merci.
Je m’apprête à entrer quand elle passe sa main dans la poche de mon
jean. Je pensais pourtant avoir été assez froid pour la dissuader.
Ce type de comportement me met hors de moi. Je conserve cependant
mon calme. Ce n’est pas le moment de causer une scène alors que Smith et
le staff attendent peut-être de l’autre côté de la porte.
Je reste de marbre, même quand elle se hisse sur la pointe des pieds pour
me chuchoter quelque chose à l’oreille.
— Appelez-moi à l’occasion, si vous avez envie de passer un bon
moment.
Elle ne saurait être plus claire. Mais je ne suis pas intéressé. En plus, elle
n’est pas vraiment mon style de femme, trop bimbo à mon goût.
Cindy finit enfin par s’en aller.
Je m’apprête à entrer quand un ricanement dédaigneux attire mon
attention.
Évidemment… Il fallait qu’elle soit témoin de ça et qu’en plus elle
participe à la réunion. Je suis maudit.
Je n’aurais donc jamais une seconde pour digérer toute cette histoire ?
— Quoi ? m’emporté-je sans le vouloir.
L’entente cordiale sera compromise si je me comporte comme un
hargneux chaque fois que je vois Lise. J’ai conscience que l’avoir de mon
côté est dans mon intérêt. Cependant, être si près d’elle en ayant
l’impression d’être face à une inconnue me met dans tous mes états. Ça me
fait chier cette situation ! Et c’est sa faute !
Lise lève les yeux au ciel.
— Rien. Cindy est juste… prévisible.
Pourquoi ai-je tout de suite conclu qu’elle se fichait de moi ?
— Ouais, me contenté-je de rétorquer, me sentant bête de l’avoir agressée
pour rien.
— La réunion va commencer. On ferait mieux de rentrer, suggère-t-elle.
Comment fait-elle pour autant maîtriser ses émotions ? Moi, ça fait des
jours que je me retiens difficilement de hurler !
Elle ouvre la porte pour nous deux, entre en premier, puis va s’installer
sur une chaise après avoir salué ses collègues.
J’en suis encore à respirer le peu de son odeur qui est passé sous mon nez
quand je réalise que je bloque le passage.
Je me pousse pour aller m’asseoir à l’opposé de Lise.
Bien sûr, c’était la pire idée qui soit, car maintenant je l’ai droit devant
moi. Elle ne semble pas le moins du monde perturbée par ma présence ou
alors, elle le cache très bien. Elle discute tranquillement avec les personnes
autour d’elle comme si de rien n’était. Ce que je devrais faire, moi aussi,
mais à la place, je l’observe.
Tout comme moi, elle porte les vêtements de l’écurie. Je ne peux
m’empêcher de remarquer que son col rond moule sa poitrine d’une très
belle façon. Information que je ne compte certainement pas partager.
Surtout, elle arbore ses infernales tresses. Elle a toujours attaché ses
cheveux de cette façon. Quand elle faisait du kart, ça avait de l’intérêt, mais
je ne comprends pas pourquoi elle garde encore cette manie. Ses cheveux
sont beaucoup mieux détachés avec ses boucles indomptables.
Deux hommes entrent et prennent place à la table. En fait, à part Lise,
nous ne sommes que des mecs. Je n’imagine même pas combien elle a dû
en émasculer pour être assise là avec le respect de ses collègues. Cette
femme m’impressionnera toujours.
Les nouveaux arrivants s’arrêtent d’ailleurs pour lui taper dans la main et
lui parler.
Avant, moi aussi j’avais droit à ce sourire. Je me sens maintenant comme
un con posé comme ça, à l’autre bout de la table, loin d’elle, alors qu’elle et
moi nous aurions pu former la plus redoutable des équipes. Ça me fout en
rogne.
— La forme, Cardin ? lui lance le premier.
Elle lui offre un clin d’œil.
— Pour te botter le cul ? Toujours.
— J’ai lu ton rapport. Tu m’épates parfois, lui fait remarquer le second.
Elle hausse les épaules.
— Faut bien que quelqu’un serve à quelque chose, ici.
Les autres rigolent.
— Tu vas les traumatiser un jour, lui glisse un homme que je suppose
être son ami.
Déjà au gala, je l’ai trouvé proche d’elle. Dans la trentaine, plutôt en
forme. Je me demande quel rôle il tient au sein de l’écurie.
— J’aurais réussi quand ils arrêteront de regarder mes seins en arrivant.
Il rigole en hochant la tête.
— T’as encore du boulot ! T’as vu ce qu’il y avait sur ton bureau, ce
matin ?
Elle soupire.
— Si je trouve celui qui a fait ça, je lui fais bouffer ses couilles dans le
jus de sa pisse.
Je la reconnais bien là. Je me maudis quand un rire m’échappe malgré
moi. Et évidemment, elle m’a entendu. La connaissant, elle gardait un œil
sur moi.
Son regard amusé et son petit sourire en coin m’agacent. Hors de
question qu’elle croie que je ne suis plus furieux après elle.
Malgré tout, je soutiens son regard. Son collègue nous observe
bizarrement et s’apprête à dire quelque chose quand Nilson fait son entrée.
Toujours aussi discret, celui-là. Il n’est pas bien grand, plutôt baraqué,
mais putain ce qu’il aime se montrer. Il se prend pour un prince alors que sa
seule qualité est d’aligner le fric. Il sait conduire, c’est certain, mais bon…
Il y en a de bien meilleurs que lui sur le circuit qui feraient des merveilles
avec sa voiture.
Si Keelean n’avait pas été à la masse l’année dernière, il se serait fait
démonter. Il n’a utilisé que 60 % des capacités de son moteur, dont 10 %
uniquement pour me foutre dans le décor.
Cet enfoiré m’a valu trois DNF l’an passé. Il va me les payer.
Il s’assoit en ignorant tout le monde, sauf Lise à qui il offre un signe de
tête. Rien que pour ça, je vais encore plus haïr ce mec. J’espère sincèrement
qu’il n’a pas partagé un truc avec elle. Elle n’est pas à moi et je n’ai
clairement pas mon avis à donner, mais ça me rendrait fou de rage. Je ne
partage pas Lise. Jamais. Même si je suis furieux après elle.
Patrick Smith entre à son tour, ce qui marque le début de cette réunion. Je
reporte mon attention sur lui plutôt que sur Nilson ou Lisie.
Patrick commence par un tour de table en présentant tout le monde, puis
il enchaîne sur le programme du meeting.
Chaque chef de pôle doit nous donner les directives à suivre, notamment
pour la communication. Chacun intervient à tour de rôle. On me demande
mon avis sur divers sujets. On me transmet le fameux rapport de Lise que je
dois lire avant l’Australie. Enfin, on aborde les questions marketing, soit les
instants où je devrai faire semblant de m’entendre avec mon coéquipier
pour l’image de l’écurie.
— On doit croire que vous êtes comme cul et chemise, nous explique
Smith avec un petit sourire.
Je serre les dents tandis que Nilson rigole.
— C’est ça, ouais…
Sa remarque attise mes nerfs déjà mis à rude épreuve.
— Toujours en train de faire chier le monde ? réponds-je.
Il me fait un doigt d’honneur. Alors je le provoque moi aussi.
— Ravi de voir que tu as autant de couilles en piste qu’en dehors.
— Messieurs… tente Smith.
Ce n’est certainement pas moi qui ai commencé.
— On vous demande juste de ne pas vous étriper face caméra, élabore le
responsable communication.
En revanche, une fois dans le cockpit…
— Je pense que vous pouvez mettre vos egos d’alphas de côté. Les
millions que l’on vous verse valent bien ça, nous lance Smith avec un
sourire qui n’a rien d’amusé.
Nilson s’apprête à polémiquer, mais le boss le fait taire.
— C’est non négociable. Je refuse de voir DC en une des journaux pour
une guerre d’egos !
C’est plus qu’une guerre d’egos. Cet enfoiré m’a coûté la signature avec
quelques sponsors l’an dernier. Il a volontairement pris des risques pour me
mettre en difficulté. C’est non seulement inconscient, mais c’est surtout
indigne d’un pilote. Ce mec est une merde que j’aurai sous ma semelle à la
fin de la saison.
J’accepte malgré tout les conditions de Patrick. Ça fait partie du jeu, je le
sais. Nilson, lui, se contente de me lancer des regards noirs, comme si ça
allait arranger quelque chose.
La réunion se poursuit sur des sujets moins importants. J’en profite pour
glisser une œillade en face de moi.
Lise est concentrée. Elle prend des notes et grignote son crayon en
réfléchissant. Si elle est arrivée détendue, maintenant je la sens plutôt
inquiète.
Je ne dois pas m’en préoccuper, mais rester à l’écart.
Mets-toi ça dans le crâne, Owen ! Lise, c’est fini, on oublie. Même si elle
est là. Même si elle te tracasse. Plus de Lise !
La réunion prend fin. Smith nous remercie avant de nous laisser partir.
Les discussions reprennent. Certains débriefent de ce qui a été dit, d’autres
sont complètement passés à autre chose. Nilson est le premier parti. Tant
mieux, moins je le vois, mieux je me porte !
J’enfile ma veste et me dirige vers la sortie pour enchaîner avec un
entraînement. Bryan m’attend dehors pour qu’on aille à la salle.
Je descends les escaliers montés en compagnie de Cindy, longe le couloir
qui mène au hall, puis fonce vers la porte à double battant.
— Owen, attends ! m’interpelle Lise, essoufflée.
Elle m’a manifestement couru après.
— Je dois partir.
Elle soupire en me barrant la route.
— Mets de côté ton attitude d’abruti cinq secondes, s’il te plaît. Je dois te
prévenir de quelque chose.
Elle aura tenu moins d’une semaine avant d’abandonner son jeu de fille
gentille et arrangeante. Je préfère ça, je sais mieux gérer.
— Tu as trente secondes, pas une de plus.
Elle lève les yeux au ciel mais ne dit rien. Elle se concentre sur la chose
dont elle voulait me parler.
— Nilson va chercher à te mettre au placard, commence-t-elle.
— Sans rire ? ironisé-je.
Mon sarcasme ne l’amuse pas.
— Ouais, fais le malin, mais il gère bien plus de trucs que tu crois, ici. Je
savais que vous ne vous appréciez pas, mais pas à ce point.
Je souffle bruyamment.
— On est en F1, Lise, répliqué-je, condescendant.
Cette fois, je l’ai énervée. Très énervée. Elle secoue la tête, soupire et
s’en va sans un mot de plus. Elle me lance cependant une dernière pique
avant de disparaître au détour d’un couloir.
— T’as l’air d’oublier qui je suis, Abbott. Je sais comment se passent les
choses. Et je te dis que tu vas te faire démonter avant même de mettre un
pied sur la grille. Ne viens pas pleurer quand ça arrivera.
Elle se taille sans que j’aie pu réagir.
Maintenant que j’y pense, elle n’a pas tort. Lise sait mieux que personne
comment se jouent les cartes dans ce domaine. Si elle prend soin de me
mettre en garde, c’est qu’il y a une raison.
Je lui reparlerai un autre jour, quand elle sera moins remontée contre moi
et que je me sentirai moins con de l’avoir envoyée chier alors qu’elle
voulait m’aider.
Définitivement, un peu de sport va me faire du bien pour décompresser…
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Chapitre 5
Mars – Angleterre
OWEN
LISE
Je sais que je dois me montrer patiente avec Owen, que je lui ai fait du
mal et qu’il se méfie de moi. Reconstruire notre relation va prendre du
temps. Mais quand il se comporte ainsi, j’ai envie de le gifler. C’est plus
fort que moi.
Je veux simplement l’aider. Il n’a pas idée à quel point Magnus a du
pouvoir chez DC. Il ne se rend pas compte : s’il ne fait pas attention, il sera
vite évincé et ne sera qu’une marionnette juste bonne à faire briller Nilson.
Au lieu de m’écouter, cet imbécile a mis ma capacité d’analyse en doute.
Il sait parfaitement que je connais ce milieu sur le bout des doigts. Je suis la
première à en avoir souffert. Il me connaît, il sait que je m’emporte si on
appuie sur ce point sensible. J’ignore s’il l’a fait exprès, mais je ne vais pas
me laisser marcher sur les pieds.
Alors oui, je dois me montrer patiente, mais je ne vais pas non plus
m’écraser.
Quand hier j’ai reçu un appel de mon assistant qui lui-même avait discuté
avec l’assistant d’Owen, j’ai craqué. Je pense que nous avons vécu bien
trop de choses ensemble pour nous parler par assistants interposés.
Pour me demander mon numéro en plus…
Il s’est avéré qu’il s’agissait de mes anciens amis qui voulaient me parler,
soit. C’était adorable de leur part de prendre de mes nouvelles et de
chercher à me voir. Je n’ai pas été cool avec eux non plus, mais ils ne sont
pas du genre rancuniers.
Contrairement à Owen qui, lui, ne souhaitait certainement pas échanger
avec moi. Il n’en rate pas une pour me descendre, celui-là.
Nous sommes devenus des adultes. J’aurais espéré qu’il se comporte un
minimum comme tel.
Ce matin, je revois avec l’équipe les stratégies que nous avons établies
pour Melbourne. La course arrive à grands pas et nous devons nous tenir
prêts.
Chacun donne son point de vue, rapporte les indiscrétions entendues ici
et là chez les autres. Nous notons tout et élaborons divers scénarios pour
chacun des pilotes. Nous essayons de prévoir la météo aussi, même s’il y a
des chances qu’elle change d’ici là.
Alors qu’un de mes collègues est en train de parler, mon téléphone sonne.
Je refuse immédiatement l’appel sans regarder pour ne pas couper le débat
qui nous occupe.
Quelques secondes plus tard, la sonnerie retentit à nouveau. Je retourne
mon téléphone sur la table et ignore encore l’appel pour rester focalisée.
— Tu devrais quand même vérifier de qui il s’agit, c’est peut-être
important, me suggère Bill.
Je suis alors son conseil et saisis mon portable, quand celui-ci sonne une
troisième fois.
C’est une blague…
Le nom d’Owen apparaît sur l’écran. Je m’apprête à reposer le téléphone,
mais Bill me stoppe tout net.
— C’est Abbott, réponds !
Je pourrais maintenant difficilement trouver une bonne raison de
raccrocher au nez d’un de nos pilotes. Je serre les dents, puis décroche en
m’éloignant du groupe.
— Tu te fous de ma gueule ou t’es juste un enfoiré ? attaqué-je avant
même de le saluer.
— Elle a vraiment dit ça ? demande un de mes collègues alors que je sors
de la salle.
— Lise… Bonjour, répond doucement Owen.
— Je suis en train de bosser, là, et toi tu me harcèles. Faut savoir, tu veux
me parler ou pas ?
Je l’entends soupirer.
— Lise…
— Je ne sais pas pour qui tu te prends, mais il va vite falloir redescendre
quand tu t’adresses à moi, Abbott.
J’ai crié. Et lui, cette fois, il rigole.
— Je peux en placer une ? m’interroge-t-il, avec un sourire que je devine
dans sa voix.
À contrecœur, je capitule.
— Je suis désolé pour hier soir. Et aussi pour hier matin. Tu cherchais à
m’aider et j’ai dit de la merde.
Étrangement, son calme m’apaise un peu. Ce qui ne m’empêche pas de
rester encore légèrement crispée.
— Je crois bon de te rappeler que je t’ai botté le cul plus d’une fois en
course et que je sais mieux que quiconque comment marche le milieu !
— J’en ai conscience, Lise. Arrête de t’énerver.
Je me pince l’arête du nez pour me contenir.
— Tu m’as vexée, Owen, confié-je.
Il n’y a qu’à lui que je peux m’ouvrir de cette façon.
— Je suis désolé, Lise. Nilson m’avait mis sur les nerfs et j’ai mal réagi.
Je sais que tu es bien plus experte que moi sur certains sujets. D’où mon
appel…
Il va bien falloir que nous mettions tous les deux de l’eau dans notre vin
si nous voulons avancer et travailler ensemble. Il vient de faire un premier
pas, à moi d’en faire autant.
— Je m’explique sur ce que je t’ai dit uniquement si tu me promets
d’arrêter de me rabaisser à la moindre occasion. Ça ne fonctionnera pas
sinon.
Il râle.
— Je ne peux pas promettre de ne pas te piquer encore un peu, tu sais…
— Hier, tu n’avais pas à me prendre la tête. Je n’avais rien fait, je ne t’ai
pas parlé. Je ne t’ai même pas fait de remarque sur le numéro qui s’est
glissé dans ta poche.
— Encore heureux, il ne manquerait plus que tu me tiennes responsable
des groupies qui me courent après…
Il se moque de moi !
— T’as pris un sacré melon, soufflé-je.
— C’est faux, ça, ricane-t-il.
— Owen, je dois aller travailler…
— Tu bosses, là. Tu me parles, rétorque-t-il avec suffisance.
Comment ose-t-il dire après ça qu’il n’a pas pris le melon ?
— Je t’entends penser, Lise. J’établis juste un fait, c’est tout, se défend-il.
— Tu veux quoi, à la fin ? Je commence à perdre patience, Owen.
— Je te l’ai dit !
Ah oui, c’est vrai.
— Je te promets de ne pas te chercher inutilement, c’est d’accord.
Reste à savoir ce qu’il entend par « inutilement », mais c’est déjà ça…
Je décide d’en venir au but pour retourner au plus vite en réunion avec
les autres.
— Ce que je voulais te dire, c’était que Nilson a plus de contacts que tu
crois ici. Il dirige énormément de choses et il aligne beaucoup d’argent pour
que l’écurie aille dans son sens. Je sais que tu le détestes, mais essaie
d’arrondir les angles. Ça pourrait te retomber dessus autrement.
Il marmonne quelque chose d’inaudible.
— Tu sais pourquoi je hais ce mec.
— Oui. N’empêche que si tu veux la coupe cette année, tu vas devoir
mettre un peu ton ego de côté, contré-je sévèrement.
Il refuse purement et simplement.
— Écoute Owen, je n’ai pas cent ans à t’accorder, donc tu as entendu ce
que j’avais à dire, maintenant tu en fais ce que tu veux.
— Ouais. Merci, Lisie.
La fin de cet appel me laisse un drôle de goût. Il minimise clairement ma
mise en garde et j’ai peur que le retour de bâton lui fasse mal. S’il y a bien
une autre personne que moi qui mérite cette coupe, c’est lui. Je crains
qu’elle lui échappe s’il continue de penser comme il le fait.
Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il m’a appelée par mon surnom.
Lisie… Je suppose qu’il est en train de s’adoucir à mon égard. Déjà, il m’a
téléphoné et on a réussi à avoir un semblant de conversation, on progresse.
Je retourne dans la salle pour reprendre le travail. Je m’assois à mon
bureau et questionne mes collègues pour savoir où ils en sont.
Tous me dévisagent.
— T’as vraiment traité Abbott d’enfoiré ? demande Bill, mi-amusé, mi-
choqué.
Ah. Ça.
Je prends quelques secondes avant de répondre.
— Vous attendez une explication de ma part, là ? Non, parce que je ne
me rappelle pas vous avoir dit que ça vous concernait.
Bill lève les yeux au ciel alors que les autres ne bronchent pas.
L’incident est clos. Nous pouvons nous remettre au travail.
Je penserai à Owen un peu plus tard.
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Chapitre 6
Mars – Angleterre
OWEN
C’est l’heure du grand départ. La première course aura lieu dans deux
jours.
Accompagné de Bryan, je monte dans mon jet privé pour rejoindre
l’Australie. Des heures d’avion m’attendent pendant lesquelles j’espère
dormir un maximum.
Bryan a la gentillesse de m’épargner tout autre sermon à propos de Lise.
De toute façon, je lui aurais demandé de se taire s’il s’était permis d’en
rajouter.
J’écoute de la musique et essaie de me mettre dans ma bulle. Je dois me
concentrer dès maintenant sans laisser quoi que ce soit m’atteindre, pas
même le passé.
À l’arrivée, je suis accueilli par des photographes que je salue avant de
monter en voiture pour rejoindre mon hôtel. Comme toujours, les écuries
réservent de belles chambres pour leurs pilotes. Je ne suis jamais déçu.
Aujourd’hui ne fait pas exception.
C’est du grand luxe. J’ai même droit à un mot personnalisé sur la télé et
un seau à champagne rempli de glaçons avec une bouteille offerte. C’est
peut-être un peu trop, mais je ne vais certainement pas me plaindre.
Le décalage horaire est violent. Il va falloir que je m’y habitue : pendant
les prochaines semaines, je vais changer de pays presque chaque week-end.
Je profite d’avoir une baignoire pour me détendre quelques instants avant
la réception de ce soir. Savoir que Lise n’y sera pas me rassure légèrement.
Je m’y rends sans entrain, souris poliment et réponds simplement aux
questions qui me sont posées pour vite m’en débarrasser. Je veux rentrer le
plus tôt possible, car les choses sérieuses commencent dès demain avec les
essais libres sur le circuit. Je dois être prêt.
Avant de dormir, je me rejoue mentalement le tracé et chaque manœuvre.
Je dois montrer que je domine la voiture, que je sais en tirer le maximum. Je
dois surtout éviter de l’abîmer pour ne pas donner du travail inutile aux
mécaniciens.
La première série d’essais est prévue vendredi matin. La seconde dans
l’après-midi et la dernière samedi matin. Les qualifications auront lieu
comme toujours samedi après-midi et la course dimanche après-midi.
Chaque phase est importante. Les essais vont me permettre d’apprivoiser le
circuit. Il faut que j’envoie tout pendant les qualifications si je veux
commencer en haut de la grille dimanche. Je n’ai pas le choix. Je dois
gagner cette course. Je dois donner le ton de la saison. C’est non
négociable.
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Chapitre 7
Mars – Australie
LISE
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Chapitre 8
Mars – Australie
OWEN
Assis au fond de mon siège, je suis si concentré que plus rien ne peut
venir me perturber. L’adrénaline augmente ma pression sanguine, mon
corps se prépare à l’intensité de la course, mon excitation est au taquet. Je
ne pourrais être nulle part ailleurs. Je ne vis que pour cet instant.
Après le tour de formation, je me remets à ma place sur la grille. Le bruit
du moteur est grisant. J’enrage encore de me retrouver en P4, mais je
compte bien relever le défi. Je ne peux que remonter.
Sur la ligne de départ, Nilson et Lecomte me devancent. Je me tiens à
côté de la seconde Keelean de Porana. Je dois prendre un bon démarrage
pour le passer et vite réduire l’écart pour doubler Lecomte vers le dixième
tour dans la zone de DRS. Voilà le plan.
Les moteurs grondent dans l’attente du feu vert.
Dans mon rétroviseur, je peux apercevoir les seize autres monoplaces se
mettre en position.
Je contrôle mon rythme cardiaque pour ne pas perdre en réflexe. Mon
pied effleure l’accélérateur dans l’attente de l’enfoncer. Ce n’est plus
qu’une question de secondes.
Enfin, les cinq lumières s’allument.
Je ne vois plus les gradins remplis de supporters. Je ne vois plus les
panneaux des sponsors. Tout ce qui attire mon regard, ce sont ces lumières
qui s’éteignent une à une. Quand la dernière tombe, je trouve la pédale et
m’impose au milieu du circuit pour bloquer ceux derrière moi.
Mon ingénieur course me tient au courant des mouvements des pilotes
qui me suivent. Un tente de passer par ma gauche, mais je reste focalisé sur
Porana qui est juste à côté de moi. Si je ne prends pas l’avantage
maintenant, je vais rater mon virage et perdre trop de temps sur Nilson.
Alors que la plupart commencent à freiner en prévision de la courbe qui
arrive, je garde ma vitesse et attends la dernière seconde pour ralentir sans
partir dans le décor. Ma manœuvre est risquée, mais elle paie. Porana est
obligé de battre en retraite s’il veut éviter l’accident.
Une place de prise.
Maintenant, la suivante.
— Collision à l’arrière du peloton. DNF pour Faure et Newman. Pas de
safety car.
— Reçu.
J’enchaîne les secteurs et les tours comme un automate. Je pousse la
voiture tout en cherchant à préserver mes pneus qui ont déjà souffert aux
qualifications. L’arrêt au stand n’est pas prévu avant encore une vingtaine
de tours. À moi de les faire tenir jusque-là.
Je dois maximiser ma conduite pour réduire l’écart avec Lecomte tout en
chouchoutant mon train.
— Écart de 0,6 seconde avec Lecomte. Tu peux pousser un peu plus.
Je n’attends pas une seconde. J’accélère.
— 0,4.
J’y suis presque.
Si en dehors des courses Mathieu est mon ami, là, il est l’homme à
abattre. Je veux rattraper Nilson coûte que coûte et il se trouve sur mon
chemin.
La zone de DRS entre en vue. C’est bon, je suis en dessous d’une
seconde d’écart.
— DRS activé.
Je sens l’aérodynamisme s’améliorer et ma vitesse augmenter. Je prends
l’aspiration de la Keelean, puis la passe par l’intérieur sur la courbe en fin
de zone.
— DRS désactivé. P2.
Lecomte est dans mon rétroviseur. Maintenant, au tour de Nilson.
— Écart avec Nilson : 4,3.
Je ne l’aurai pas avec ce train de pneus. Ma gomme souffre et je dois
encore la tenir. Je peux juste maintenir le rythme en poussant là où Magnus
a des faiblesses. Je dois réduire l’écart pour minimiser les conséquences de
l’arrêt au pit.
Au secteur trois, je repense aux conseils de Lise et les applique. Je sauve
mon bas de caisse et mon pneu avant gauche. De ce que j’ai vu, Nilson n’en
a pas fait autant. Il va devoir passer au stand plus vite que prévu.
Mes medium tiennent encore mais les bouts de gomme qui s’envolent
commencent à me tendre. J’aurais pensé qu’ils dureraient quand même plus
que ça, malgré mes dépassements. Toutes nos statistiques indiquaient une
usure moins rapide. C’est comme si mon train comptait plus de tours que
réellement réalisés.
— Usure ?
— Avant droit 20 %, Owen. Tu penses tenir combien de tours ?
— Moins de 10.
— Reçu.
Je maintiens ma position en créant l’écart avec les Keelean qui restent
malgré tout assez proches derrière moi. Elles sont bien plus puissantes que
l’an passé. Je conduis prudemment jusqu’à mon appel au stand qui devrait
arriver rapidement. Il faut qu’il arrive rapidement. Le deuxième quart de la
grille a enfilé les hard.
— Nilson au pit, reste dehors.
— Reçu.
La priorité au premier. Je comprends. Mais je suis en train de perdre en
puissance et en vitesse ! Je risque la crevaison si je continue trop longtemps
sur ce train.
Lecomte se rapproche. Le reste du peloton doit refermer l’écart avec les
premiers s’ils sont passés au stand. Je crains de me retrouver dans trop de
trafic si je ne pit pas maintenant.
— Nilson quitte les stands. Il est P5.
Ce qui veut dire que je vais ressortir plus loin.
— Pit au prochain tour.
— Putain ouais.
J’explose mon train sur ce dernier tour pour gagner un peu de temps et
m’engage sur la voie des stands. Je réduis ma vitesse pour respecter les
limitations, puis me gare devant mon box. L’arrêt nous fait perdre
généralement vingt secondes. À l’équipe de changer mes pneus en moins de
trois secondes. Je croise les doigts.
Le staff s’active et je repars rapidement. Mais j’ai un mauvais
pressentiment : je sens que ça n’a pas été aussi efficace que ça aurait dû.
— Combien de temps ? vérifié-je avec mes équipes.
Mon ingénieur soupire à la radio.
— 4,5, Owen.
Putain, c’est beaucoup trop ! Seulement, accabler l’écurie ne m’aidera
pas à remonter. À moi de tout envoyer pour rattraper cette erreur.
Je maintiens une vitesse basse jusqu’à la sortie des stands pour ne pas me
prendre de pénalité et retrouve de la vitesse dès que possible.
— Tu vas ressortir P9. Oran arrive, tu dois passer avant.
C’est une position bien plus basse que ce que je prévoyais, je vais devoir
faire avec.
— OK.
Mes pneus sont froids, je n’ai pas de grip, mais j’envoie. Tant pis. Si je
ne double pas Oran à ma sortie, je vais utiliser trop de gomme avant de me
repositionner en haut.
J’aperçois la Peredes arriver dans mon rétro quand je m’installe à
l’intérieur du circuit. Je monte en vitesse, je ne dois pas laisser Oran à
portée de DRS. Si je maintiens plus d’une seconde entre nous, c’est bon.
Je parviens à la courbe. Il ne me passe pas. Bien.
— Lecomte mène, Porana pit.
— Nilson ?
— P4.
Les Keelean vont forcément s’arrêter, mais elles auront plus de vitesse
sur la fin de la course. Nous devons réduire l’écart maintenant.
Ma voiture est plus puissante que le milieu du peloton. Je passe
facilement les Neptune et les TW, ce qui me permet de rattraper le temps
perdu lors du pit-stop. Si j’ai limité les dégâts au strict minimum, rien n’est
encore joué. Nilson se trouve à présent devant moi. La stratégie impose de
ne pas se gêner en course, mais putain ça me démange d’essayer de le
doubler. Ça serait idiot niveau gomme, mais tentant tout de même.
Nilson réduit l’écart avec Charley. Je le suis de près sans non plus faire
chauffer mon moteur pour rien. Nous tenons trois tours avant de le passer
sur la zone de DRS. Il ne s’est pas arrêté au stand et son train est mort. Il ne
pouvait pas lutter longtemps.
Il n’y a plus que les Keelean devant nous.
Enfin, les deux voitures filent au stand. Nilson reprend le lead, mais cette
fois, je le talonne de près. Il reste une quinzaine de tours, bien assez pour
que je le passe.
Encore une fois, j’applique les conseils de Lise et je remonte sur lui avec
facilité. Il est loin d’être aussi bon que moi, je le sais. Dans trois tours, je
pourrai le doubler.
J’attends mon heure avec patience. Je ne dois pas faire de manœuvre
inconsidérée et nous mettre tous les deux dans le mur, l’écurie serait
furieuse.
La zone de DRS arrive, alors je commence à accélérer.
— Ne dépasse pas ! m’ordonne soudainement mon ingénieur à la radio.
— Quoi ?
— Attends.
C’est quoi le délire ? Il y a un problème sur la voiture ?
Je rate ma fenêtre et ai envie de tous les insulter. C’est quoi ce bordel ?
— Vous ne devez pas faire la course entre vous, c’est trop risqué. On doit
assurer deux places sur le podium, m’explique finalement mon ingénieur.
C’est une putain de blague…
— Je peux le passer sans effort ! Ça n’a rien de risqué, il n’avance pas !
Je sais qu’ils n’en diront pas plus. Les radios sont écoutées par la
fédération et les spectateurs. Nous en parlerons en interne.
Il ne reste que quelques tours. Mes chances de doubler Nilson se
réduisent. J’hésite entre suivre l’écurie et n’en faire qu’à ma tête. Je dois
penser équipe, c’est vrai, mais là, j’ai juste le sentiment de me faire baiser.
Les Keelean sont loin derrière nous maintenant. Cette fin de course est
une promenade pour Dark Crown. Ils vont réussir à amener deux voitures
sur le podium, très bien, pourtant, j’ai la drôle impression que ce scénario a
été décidé bien avant le départ. Mon cerveau analyse déjà chaque seconde
de cette journée. Les pneus, les stands, mais surtout le dépassement…
Nilson est-il responsable de tout cela ?
Putain…
Je comprends mieux ce que voulait dire Lise. Magnus a réellement payé
pour assurer sa victoire ! Cette stratégie de fin de course est aussi injuste
qu’en faveur de mon concurrent. Je suis à deux doigts de créer la collision.
— Dernier tour, Owen. Joli week-end.
Si je réponds, je les insulte.
— Owen, tu me reçois ?
J’ai envie de hurler.
— Ouais.
Magnus passe la ligne d’arrivée moins d’une seconde avant moi. J’ai la
rage.
Le staff nous acclame à notre passage. La foule est en délire. Moi, je
veux juste me casser d’ici. Je méritais la victoire, je ne suis pas la putain de
doublure de Nilson.
— P2, Owen. Félicitations.
Un rire amer m’échappe.
— On pouvait faire mieux. J’aurais fait mieux.
Je sens le malaise de mon ingénieur de l’autre côté de la radio. Ce n’est
pas sa décision, il a obéi aux ordres du patron. Smith m’entend parfaitement
et il sait que ma remarque lui est destinée. Je compte bien régler cette
histoire.
LISE
Je vis la course comme si j’étais moi-même dans le cockpit. Je scrute
chaque décision d’Owen, chacun de ses dépassements. Je crie de joie avec
l’équipe chaque fois qu’il prend une place. Malgré sa gomme qui dépérit
anormalement vite, il s’en sort à merveille.
Nos pilotes sont en tête. Les commentateurs du Grand Prix s’excitent à
chaque manœuvre du prodige anglais. Tous prédisent sa victoire.
L’arrêt au stand de Nilson est spectaculaire, celui d’Owen un peu
chaotique, mais il rattrape facilement la situation comme le pilote
incroyable qu’il est. Keelean perd en puissance sur la fin de la course, plus
rien ne peut arrêter Dark Crown. La coupe est pour nous. Deux voitures sur
le podium, ça va coûter cher à Keelean dans le championnat !
Les quinze derniers tours arrivent. Owen vole littéralement alors que
Nilson se ramollit.
La stratégie consiste à amener les deux pilotes à la victoire, mais Owen
peut facilement passer Nilson sans le moindre risque.
Il remonte avec une précision digne des meilleurs. Il attend son moment
et quand la fenêtre s’ouvre, il va pour la gagne. La première place doit
revenir au plus méritant, les pilotes aussi jouent un championnat. Nous
fonctionnons en équipe, mais si l’occasion se présente, le pilote doit penser
à lui.
Seulement Owen ne passe pas Nilson.
L’information donnée à la radio laisse planer un doute obligeant Owen à
ne pas prendre de risque. Il doit croire à un problème moteur. C’est ce que
n’importe quel pilote doit s’imaginer quand il entend « attends » à la radio.
Je réalise alors que Smith est en train de mener sa barque avec précision.
Mon cœur s’alourdit. Le boss a conscience que s’il avait dit autre chose,
Owen aurait doublé Magnus. Mais quelques serrages de mains ont forcé le
patron à favoriser le Suédois. Je savais que quelque chose dans ce genre
pouvait arriver, mais dès la première course ?
Owen s’est fait voler sa victoire et vu sa façon de parler à la radio, il l’a
bien compris.
Merde…
Nos pilotes passent le drapeau à damier, le staff se félicite. Je suis le
mouvement, un goût amer en bouche. Owen devait gagner. L’argent ne
devrait pas entrer en jeu.
Je connaissais la stratégie, mais pas les coups bas de Nilson. Mon équipe
n’avait clairement pas noté ce scénario, c’est pourtant celui que Smith a
choisi.
Je n’imagine pas l’état de nerfs dans lequel Owen doit être.
Nous rejoignons le podium pendant que le reste des pilotes finissent leur
tour. Nous arrivons en même temps que nos voitures. Les trois premiers se
garent devant les panneaux numérotés. Lecomte a pris la troisième place.
Nilson sort en premier et célèbre sa victoire avec exagération vis-à-vis de
sa performance. Il saute dans les bras du staff et crie de joie.
Lecomte et Abbott sortent un peu après. Ils se serrent la main en
échangeant quelques mots avant de saluer à leur tour les équipes. Owen
garde son casque tout du long, c’est la meilleure façon pour un pilote de
cacher sa frustration.
Je me tiens en retrait derrière Smith, aux côtés de Nora et de Bill. Je peux
ressentir la tension d’Owen et je l’absorbe. Ma crispation attire l’œil de
mon amie.
— Ça va, Lise ?
Je soupire.
— Abbott est une bombe à retardement, lui confié-je.
Elle grimace.
— Ouais, il a l’air un peu tendu.
C’est l’euphémisme de l’année.
Les pilotes partent se peser avant d’aller répondre aux questions des
journalistes. Des fans nous entourent et hurlent les noms des gagnants.
Owen finit par retirer son casque et comme prévu, son froncement de
sourcils traduit parfaitement son état d’esprit.
Nilson est le premier à rejoindre les journalistes. Puis c’est Lecomte qui
s’y colle. Owen attend à côté. Il enfonce sa casquette sur la tête pour cacher
le bordel que sont ses cheveux. Il regarde autour de lui et sourit à ses
supporters. Il leur offre quelques signes qui les ravissent.
Son tour arrive pour répondre aux questions. Mathieu et lui se serrent
dans une accolade quand ils se croisent.
Owen prend enfin place derrière le micro. Le journaliste commence :
— Félicitations ! Quelle belle façon de débuter la saison ! On vous a
senti à l’aise avec la voiture, un bon rythme.
— Carrément, réplique-t-il le visage encore rougi par sa performance
physique. La voiture est extraordinaire. Elle est puissante et elle répond
bien. Le staff a produit des merveilles. J’ai pris un super départ qui m’a aidé
pour la suite.
— Malgré tout, on vous sent frustré après cette course ?
Il rit nerveusement.
— Forcément. Je viens pour gagner, pas pour jouer les figurants.
— C’est l’impression que vous avez ? D’avoir joué les figurants dans la
pièce Nilson ?
Un sourire qui ne trompe personne se dessine sur ses lèvres.
— Ça c’est une question qu’on réglera en interne. Je vous laisse déduire
ce que vous voulez de ce que vous avez vu pendant cette course, réplique
l’Anglais, furieux.
Le journaliste échange un regard complice avec Owen.
Eddy Tomari est le reporter le plus connu et le plus important sur le
paddock. Il suit chaque course et sait en conclure ce qu’il faut. Aujourd’hui,
il est d’accord avec Owen et a discrédité Nilson au passage. Abbott possède
au moins ce soutien-là.
— Des attentes pour la prochaine date ?
— La gagne.
Tomari le remercie pour son temps et le laisse aller signer quelques
autographes avant le début de la remise des prix. Owen se prête au jeu des
photos jusqu’à ce que des membres de l’écurie viennent le sauver de la
foule.
Tout le monde se dirige vers le podium pour les célébrations. Une
véritable marée humaine s’étend en dessous.
Je sais qu’Owen n’est pas d’humeur, cependant, je sais aussi qu’il va
respecter la tradition. Avec Mathieu à ses côtés, il n’a pas le choix de toute
façon.
C’est le gouverneur général australien qui va remettre les coupes en
personne. C’est souvent ainsi que ça se passe. Un Grand Prix, ça n’arrive
qu’une fois dans l’année, et il y a tellement d’argent en jeu que les
représentants d’États font le déplacement.
Le speaker annonce l’arrivée des pilotes en chauffant la foule. Il
commence par Mathieu qui se met en scène comme personne. Il adore ça,
s’amuser, divertir les autres. Il excite tellement les spectateurs que quand
Owen débarque à son tour pour monter sur la deuxième marche, celui-ci ne
peut que sourire. Les fans hurlent leurs noms et les deux amis leur en
donnent pour leur argent. Enfin, Nilson arrive. Il est acclamé avec moins
d’entrain, ça s’entend. Il faut dire que lui n’a pas le soutien de certaines
femmes venues uniquement pour les beaux yeux des deux jeunes…
L’hymne national du pays du vainqueur, Nilson, est joué, suivi de celui
du pays du constructeur, Dark Crown. Les garçons retirent leur casquette
par respect.
Puis le gouverneur général remet tour à tour aux pilotes leur trophée, et
ceux-ci s’empressent de le présenter à la foule qui les acclame avec encore
plus de ferveur.
L’heure est maintenant au champagne. Les pilotes se saisissent des
bouteilles qu’ils secouent énergiquement avant de faire sauter les bouchons.
Owen et Nilson se conforment aux directives de DC et s’aspergent en
faisant semblant de partager une complicité. Rapidement, Owen en a assez
et va plutôt rigoler avec son pote. Les deux amis se courent après et s’en
mettent partout en riant. Puis ils se dirigent vers la foule qui n’attendait
qu’une chose : se faire elle aussi arroser.
Ils gardent un fond de champagne à boire, avant de finir par descendre de
la scène pour aller prendre cette fois-ci une vraie douche et se reposer.
Chaque course leur fait perdre près de quatre kilos à cause des forces et
pressions encaissées. Ce qu’ils réalisent, c’est un exploit sportif. Ils méritent
bien au moins une petite sieste !
En me dirigeant vers les bureaux de Dark Crown, je vois qu’Owen a déjà
pris la même direction. Il veut sûrement régler ses comptes avec Smith. Ce
dernier doit s’y attendre ; il se doute qu’aucun pilote n’apprécie ce genre de
déloyauté.
Et ils vont probablement s’engueuler, car Smith n’admettra jamais devant
lui que l’argent de Nilson lui a offert la victoire. C’est sûr, Owen va
simplement encore plus enrager et il va chercher à se défouler en sortant.
Mieux vaut que je ne traîne pas dans les parages à ce moment-là. Vu
comment il me supporte en ce moment, il pourrait bien me crier dessus sans
raison.
S’il s’est un peu apaisé, je sens qu’il reste encore méfiant à mon égard. Je
préfère l’éviter.
La semaine est à peine finie que la suivante commence déjà : je n’ai que
deux jours de pause avant le branle-bas de combat pour rejoindre
l’Allemagne et penser à la course d’après. J’en profite alors pour
directement retourner à mon hôtel et me reposer.
Là-bas, je réfléchis à ce qui s’est passé aujourd’hui. Il y a quelque chose
qui ne colle pas. Plus le Grand Prix tourne dans ma tête, plus je réalise qu’il
n’y a pas que cette histoire de dépassement qui est louche. J’ai activement
participé à la stratégie concernant les gommes de nos pilotes. Or, les pneus
neufs d’Owen n’auraient jamais dû réagir de cette façon. Avec la
température de la piste et leur ancienneté, les medium auraient dû tenir une
dizaine de tours supplémentaires. Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?
Sans parler de l’arrêt au stand. Nos équipes s’entraînent depuis des mois
dans toutes sortes de conditions pour les réussir à la perfection. D’ailleurs,
celui de Nilson n’a posé aucun problème. Pourquoi l’arrêt d’Owen a été
aussi long ? Les pneus étaient changés en plus, ce n’est que le top départ
qui a été retardé.
Est-ce que Nilson a quelque chose à voir avec ça ? Est-ce que je me fais
des films, en bonne parano que je suis ? Je tourne en boucle.
Je ne peux pas répondre à ces questions pour le moment. Malgré tout, je
me dis que je ferais mieux d’éclaircir cela auprès d’Owen et lui dire que je
n’ai rien eu à voir avec cette stratégie. Je n’aurais jamais participé à un truc
pareil, quelle que soit l’étendue de la supercherie. Je connais le sport et
respecte le mérite. Il le sait, ça. Mais quelque part, au fond de moi, j’ai peur
qu’il croie que je me suis jouée de lui. Après tout, je l’ai mis en garde avant
la course. Il doit peut-être penser que je l’ai fait par calcul et en
connaissance de cause, et non par précaution pour l’aider. Il faut que je
dissipe ce malentendu.
Seulement pour lui parler, il va falloir que je l’approche sans qu’il se
méfie.
Une idée me vient en tête.
J’envoie un message à Gabriel via ses réseaux sociaux. J’espère qu’il me
répondra. Ça aurait été plus facile si j’avais eu son numéro. Je lui propose
de nous voir avec le reste des garçons. Je croise les doigts pour que mon
plan fonctionne.
Il me répond une demi-heure plus tard.
Gabriel : « J’organise ça et je te tiens au courant ! »
Ne voulant pas faire cela pour rien – même si j’ai envie de les voir –, je
préfère préciser ce que je veux vraiment.
Moi : « Tu peux t’assurer qu’Owen sera là ? J’ai deux mots à lui dire. »
Il est son meilleur ami : s’il y en a bien un qui peut forcer Owen à
accepter quelque chose, c’est Gabriel. Je suis certaine qu’il doit bien rigoler
en me voyant ainsi insister. Je m’en moque, j’ai vraiment besoin qu’on
s’explique.
Gabriel : « Promis, Lisie »
Satisfaite, je me laisse sombrer dans le sommeil. Je n’ai pas piloté, mais
les journées de course sont aussi éreintantes pour tout le staff. Nous
sommes sans cesse sur le qui-vive pour parer à toute urgence.
Sans oublier que je dois reprendre des forces pour affronter une nouvelle
fois Owen dans peu de temps.
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Chapitre 9
Mars – Australie
LISE
OWEN
Cette soirée à l’hôtel de Gabriel ne peut me faire que du bien. J’ai besoin
de décompresser après cette course et cette discussion inutile avec Smith. Il
a eu le culot de nier avoir favorisé Nilson. Si je ne tenais pas à mon siège, je
lui en aurais mis une.
Après ça, je n’ai pas arrêté de me demander si Lise était impliquée dans
cette histoire. La femme que je connaissais n’aurait jamais fait ça, elle a
toujours milité pour le mérite. Mais j’ignore si je la connais encore aussi
bien. Elle m’a prévenu que ça pouvait arriver donc peut-être qu’elle savait
que ça allait arriver. Je suis perdu.
Sa présence ce soir va sûrement m’éclairer sur la question.
À la seconde où elle a passé la porte, j’ai compris que cette fête était à
son initiative. Elle est devenue maître dans l’art de me coincer pour me
parler.
Ce n’est pas plus mal qu’elle soit là à vrai dire. Au moins, les gars
arrêteront de me prendre la tête et moi, j’obtiendrai mes réponses.
Par contre, j’aurais préféré qu’elle vienne seule plutôt qu’accompagnée
de ce mec. Je ne sais pas s’ils sont ensemble, mais lui il ne me revient pas.
Je n’ai jamais pu voir Lise avec un autre que moi et je suppose que ça ne
changera jamais, quelle que soit la nature de notre relation aujourd’hui.
En plus, ce gars la colle, il semble incapable de se détacher d’elle. En soi,
je le comprends, mais ça me gave ! Heureusement que je ne l’ai pas vu
poser sa main sur elle, car sinon j’aurais pété un plomb. Déjà que je suis à
bout de nerfs, là c’est sûr, je ne l’aurais pas supporté.
Je dois avouer que je la trouve magnifique, ce soir. Elle porte une robe
rose pâle délicate et décolletée. Mais surtout, elle a lâché ses cheveux. Si ça,
ce n’est pas un appel du pied pour m’amadouer…
Cette femme m’a toujours plu. Ça ne changera pas aujourd’hui.
Pour l’instant, j’ai l’impression qu’elle s’est contentée de répondre aux
questions des garçons. Ils ont manifestement parlé de moi. Loris est resté
longtemps avec elle. Si je ne savais pas qu’il était gay, là aussi j’aurais été
jaloux.
Je n’arrive pas à décrocher mon regard de leur groupe. Le petit sourire
satisfait sur les lèvres de Lise m’indique qu’elle m’a grillé. Je n’ai jamais
rien su lui cacher, c’est un calvaire.
Les gars autour de moi me parlent de la course et des jours à venir, mais
je ne parviens pas à les suivre. Je suis trop focalisé sur Lise. J’ai besoin de
vérifier si elle a eu un rôle dans ce qui est arrivé aujourd’hui.
Chaque minute passée avec elle fait renaître mon attirance à son égard.
Lise m’est irrésistible. Son caractère, sa voix, ses connaissances, sa
beauté… J’ai beau vouloir lutter, j’ai du mal à rester de marbre face à elle.
Elle m’a manqué. Tellement. Ce fait outrepasse largement l’affront qu’elle
m’a fait en me quittant sans rien dire. Seulement, je ne veux pas retomber
amoureux d’une femme devenue déloyale. Je dois savoir. J’ai besoin de
l’entendre me dire qu’elle n’a rien eu à voir avec cette histoire.
Quand elle se lève et torche son verre, je comprends qu’il est l’heure de
notre confrontation. Je l’imite en tirant moi aussi mon courage du
champagne et la suis sur la terrasse.
J’ai la satisfaction de voir le regard défait de son pote quand il saisit que
nous nous isolons. Le mec est définitivement intéressé. Il va vite falloir
qu’il réalise que Lise ne sera jamais à lui.
Je ferme la baie vitrée derrière moi et m’installe à ses côtés pour observer
la vue. Son odeur m’arrive par la légère brise qui soulève ses cheveux. Son
souffle est rapide, je sens qu’elle stresse. Je suis aussi tendu qu’elle.
Plutôt que de tourner autour du pot, j’attaque sans plus attendre pour en
terminer avec cette conversation.
— Tu savais ?
Mon ton est tranchant. Je ne veux pas l’agresser, mais cette situation me
met vraiment en rogne.
— Owen, je t’ai dit que je pensais que ça pouvait arriver, mais je te
promets que je ne savais pas que ça allait effectivement se passer. Surtout…
j’ignore jusqu’où Nilson peut aller. Cette course a été franchement étrange.
Je soupire de soulagement en l’écoutant prononcer ces mots. Je m’en
doutais, mais je devais l’entendre. Lise est une pilote, elle ne tolérerait
jamais ces conneries. Malgré tout, je m’inquiète de voir que je ne suis pas le
seul à avoir remarqué d’autres bizarreries sur ce circuit. Nilson est-il
réellement responsable de tout ce que j’imagine ?
— Tu me connais, Owen. Ce genre de délire me dégoûte, insiste-t-elle.
Sa remarque me fait rire amèrement. Depuis la fin de la course, une idée
tourne en boucle dans mon esprit.
— Pourtant t’y participes. Tu t’en rends compte, pas vrai ?
Elle secoue la tête. Prise au dépourvu par cette pique, elle se défend de
son mieux.
— C’est toi que j’ai conseillé, pas lui. Je ne pensais pas qu’ils te
bloqueraient dans un moment pareil. T’avais la voie libre, c’était n’importe
quoi.
Je me dois d’insister. Elle qui s’est tant battue contre les injustices du
sport, la voilà qui se retrouve complice d’une machination écœurante. Elle
n’est peut-être pas à l’initiative des dérives, mais elle offre toutes les armes
à ceux qui veulent m’arrêter. C’est elle qui analyse tous les dénominateurs
de la course. Sans ses données, Smith ou Nilson ne pourraient pas mettre en
place une stratégie différente.
Elle sait ce qui se passe derrière le rideau. Même si elle ne l’a peut-être
pas vu de ses yeux, elle le sent et l’a aussi bien remarqué que moi pendant
cette course. Ça ne s’arrête pas à un ordre à la radio, clairement ça va plus
loin que ça. En bossant là-dedans, bien que ça lui permette de rester en F1,
elle finit par participer au système qui l’a détruite.
— Comment tu peux travailler pour le même genre de personne qui t’a
volé ton rêve ?
Mes mots la blessent, je sais. Mais il faut qu’elle se réveille. Alors je lui
explique exactement ce que je pense de tout ça, de sa situation, de son rôle
dans ces histoires.
— Je n’ai pas le choix, me reproche-t-elle.
Je vois dans ses yeux qu’elle ne comprend pas mes remarques, que pour
l’instant, elle ne fait pas le même lien que moi. Pour elle, sa seule chance de
vivre entourée de F1 est de bosser pour ces types. Mais elle a tort. Elle est
tellement douée… Elle ne peut que trouver mieux, j’en suis certain.
Ça ne sert à rien que j’insiste. Elle ne saisira pas ce que je veux dire ce
soir. J’ai planté ma graine, maintenant je vais laisser Lise y réfléchir
tranquillement. Je suis sûr qu’elle parviendra aux bonnes conclusions.
Autrement, j’ai peur qu’elle finisse de nouveau par en souffrir. Sa
conscience finira par lui exploser en pleine figure.
— Je ne te l’ai pas mise à l’envers. Je te le promets, Owen, insiste-t-elle.
Je hoche la tête.
— Je te crois.
Je la surprends en capitulant aussi facilement. Ses épaules se détendent,
elle relâche la pression.
— Je sais à quoi m’en tenir maintenant.
Elle acquiesce, triste. Il me semble apercevoir des larmes monter. Je ne
réalise qu’à cet instant à quel point elle paniquait à l’idée que je la pense
responsable de tout ça. Si elle était si stressée, elle aurait dû m’appeler après
la course. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?
J’ai peut-être la réponse à cette question, en fait. Je n’arrête pas de
l’envoyer bouler depuis que nous nous sommes revus. Elle n’avait pas de
raison de croire que j’allais l’écouter cette fois-ci. Il faut vraiment que je
calme le jeu. Avec les conneries de Nilson, il est plus clair que jamais que
j’ai besoin d’elle de mon côté.
Surtout, je n’ai pas envie d’entrer en guerre avec elle. J’ai déjà perdu huit
ans, maintenant qu’elle est là, je ne veux pas lui donner une nouvelle excuse
pour partir. Elle m’a manqué. Je préfère l’avoir près de moi, quelle que soit
la nature de notre relation. Jamais personne ne m’a compris comme cette
femme.
Nous restons dans un silence pesant quelques instants.
Je ne sais pas comment aborder les choses, comment lui faire
comprendre que je veux que nous redevenions amis.
Le malaise finit par faire craquer Lise qui cherche à rentrer, mais je la
retiens. Je n’ai pas terminé cette discussion avec elle. Il y a encore des
points que je souhaite éclaircir.
Elle me laisse lui attraper la main et la ramener vers moi. Son regard est
méfiant, elle se prépare à ce que je lui crie dessus. Ce fait me retourne. Je
n’aime pas qu’elle me voie ainsi.
— Gabriel m’a rapporté ce que tu leur as dit tout à l’heure. Sur les
raisons de ton départ.
Elle plonge ses yeux dans les miens en attendant que j’en dise plus.
Je me lance, non sans appréhension.
— J’ai fait de mon mieux, soufflé-je.
Elle se mord la lèvre tout en se rapprochant de moi pour reprendre sa
place initiale. Je crois être une des seules personnes à avoir vu Lise dans un
tel état de faiblesse. Elle se laisse rarement surprendre par une situation.
Avec moi, elle n’a jamais eu peur de se montrer vulnérable. Cela n’a pas
changé et j’en suis rassuré.
— Je ne t’ai jamais reproché le contraire.
Je regarde ses boucles, ses yeux peinés, ses sourcils qui se froncent. Cette
conversation l’a fait autant souffrir que moi.
— Tu es partie, contré-je.
Elle ne me répond pas tout de suite. Elle retient encore ses larmes, je le
vois.
— C’était ça ou te demander de tout abandonner pour moi. Je t’aimais
trop pour accepter cette seconde option.
J’ai beau comprendre son choix, j’ai encore du mal à l’encaisser. De
l’eau a coulé sous les ponts, mais sa décision se dresse toujours entre nous
comme un mur infranchissable.
J’ai conscience d’être le seul à pouvoir le briser, pourtant je ne sais pas si
j’en suis capable.
À la seconde où je laisserai libre cours à mon attirance pour elle, je serai
foutu. D’un autre côté, que je le veuille ou non, j’ai besoin d’elle. J’ai
besoin d’elle en piste et dans ma vie.
C’est la première fois depuis la course que je pense à autre chose. Elle a
ce pouvoir sur moi. Elle se faufile sous ma peau et me mène à la baguette.
Sa présence m’apaise, même si ces discussions sont dures.
Je sais pertinemment que je vais craquer, que je vais retomber amoureux
d’elle, si ce n’est pas déjà en train d’arriver.
Au lieu de me battre pour rien, je l’attire contre moi. Je veux faire la paix
et retrouver notre complicité. Je vais en avoir besoin pour les prochaines
semaines.
Lise était une jeune fille quand elle a pris sa décision. J’estime pouvoir
donner une seconde chance à la femme qu’elle est devenue.
Elle se laisse faire, referme sans rien dire ses bras dans mon dos. Elle
blottit sa tête contre mon torse, comme elle a toujours fait, et inspire mon
odeur.
J’enfouis mon visage dans ses cheveux, en apprécie la caresse familière
sur ma peau.
— Tu les as détachés, ne puis-je m’empêcher de lui faire remarquer.
Elle part d’un rire franc.
— Je me suis dit que ça m’aiderait à t’amadouer.
Elle lève le regard vers moi, et pour la première fois depuis que je l’ai
retrouvée, nous échangeons un vrai sourire.
— Tu ne me détestes plus alors ?
Je lui offre mon meilleur sourire en coin.
— Je t’ai menti. Je ne t’ai jamais détestée.
Elle s’offusque.
— C’est moi qui te déteste, là, tout de suite.
— Je n’en crois pas un mot.
Elle éclate de rire et putain, je dois dire que ça m’avait manqué. Je viens
d’ouvrir la boîte de Pandore en signant cette trêve avec elle. Je ne le regrette
pas.
— On ferait mieux de rentrer avant qu’ils ne commencent à s’imaginer
des trucs, sinon, ils vont nous faire vivre un enfer.
C’est une excuse bidon, mais je la suis malgré tout. J’espère juste que
l’autre gars aura bien vu que c’est moi qu’elle a enlacé.
Nos amis nous épargnent tout commentaire. Seuls Bryan et Gabriel me
lancent des regards éloquents. Moi, tout ce que je remarque, c’est que Lise
a retrouvé le sourire. Un vrai sourire. Je la trouve rayonnante.
Je crois qu’elle s’est enfin détendue. En tout cas, c’est l’impression que
j’ai quand je la vois danser avec nos potes le reste de la soirée.
Un coup Loris la fait tourner, un coup Mathieu l’entraîne dans des
chorégraphies pas possibles. Je découvre une femme encore plus sensuelle.
Ses mouvements sont plus assurés, osés. C’est une Lise expérimentée qui
n’a plus froid aux yeux. Elle est renversante.
La course faisait ressortir sa part quelque peu masculine. Aujourd’hui,
elle assume pleinement sa féminité en ondulant les hanches avec confiance.
Son bassin bascule de droite à gauche, me laissant imaginer l’effet de ce
mouvement contre ma peau. Des images déplacées me viennent en tête que
j’essaie d’oublier en me focalisant – à tort – sur son corps. Cela ne fait
qu’accentuer mon attirance pour elle. Elle joue de sa poitrine en rythme
avec la musique, c’est subtil, mais le mouvement attire mon regard sans que
je ne puisse y résister. Son sourire en coin m’achève. Ses cheveux caressent
sa nuque en suivant ses balancements, me donnant envie d’y passer la main
pour vérifier que sa peau est toujours aussi agréable.
Elle est merveilleuse.
Je ne suis pas le seul à le remarquer, évidemment. L’autre gars la regarde
d’un peu trop près. Lui, je sens qu’il va grandement me gonfler.
De mon côté, je ne suis pas fou au point de céder à mes envies. Je préfère
l’observer de loin et profiter dans mon coin. J’irais beaucoup trop vite en
dansant près d’elle. Nous venons à peine de faire la paix, elle doit encore se
demander si je compte vraiment lui reparler. Surtout, Bryan me couperait
les couilles si je me montrais aussi faible.
Cette fille est loin de me filer des hémorroïdes. Bien au contraire. Quoi
qu’elle en pense.
Je ne sais même pas comment elle a pu croire ça. Même quand je lui
criais dessus, mon attirance devait se lire sur mon visage.
Je pourrais me sentir frustré de l’avoir si près et pourtant si loin.
Seulement, Lise ne regarde que moi. Je ne sais pas si nous allons rester
amis longtemps, mais c’est déjà bien de l’avoir à nouveau dans ma vie.
J’ai l’impression de pouvoir enfin respirer pleinement.
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Chapitre 10
Avril – Autriche
OWEN
Maintenant que j’ai bien saisi ce qui se tramait dans mon dos, je peux
tenter de contrer les manipulations de Nilson.
En Allemagne, j’ai non seulement pris la pole, mais j’ai passé le drapeau
à damier avant lui. Certes, Doppia était en première place, mais c’était déjà
ça. J’aurais pu gagner sans cette légère collision en début de course qui m’a
valu un passage inopiné au stand. Sans aileron, je ne pouvais pas aller bien
loin… N’empêche que j’ai quand même battu Nilson, qui aurait très bien pu
remporter le Grand Prix.
La tension entre nous n’a fait que s’exacerber depuis l’Australie. Il a la
haine de voir que je me débrouille mieux que lui.
On dit que le pire ennemi d’un pilote est son coéquipier. Il n’y a rien de
plus vrai ! Quand on fait les comptes à la fin de la saison, il est le seul à
avoir eu les mêmes armes que toi pour se battre, le seul à qui on peut te
comparer. Si avec une même voiture un pilote finit toujours devant l’autre,
c’est que le second est moins bon. C’est aussi simple et dur que ça.
Durant la semaine d’intervalle entre les courses en Allemagne et en
Autriche, nous nous sommes malgré tout prêtés à des activités ensemble. Ça
peut se résumer à des jeux débiles pour faire rire les téléspectateurs. Je ne
sais pas pourquoi les gens aiment nous regarder essayer de parler allemand
ou goûter des plats inconnus. Toujours est-il que ça rapporte à l’écurie.
Le summum de la semaine a été cette battle de danse avec en prime les
pilotes de Roar Racing. Cette vidéo a battu des records de vues et je ne
comprends toujours pas pourquoi. Ça doit avoir un lien avec les messages
explicites que j’ai reçus juste après.
Le premier Grand Prix autrichien n’a pas débuté sous les meilleurs
augures. Un accident sur l’arrière du peloton m’a valu quelques débris sur
le tour suivant. Ma crevaison annonçait la fin de ma course. Cependant, le
truc avec la F1, c’est que rien ne peut être prévu avec certitude. Un second
accident a nécessité la safety car pour nettoyer le circuit. Résultat, j’ai pu
changer mon train de pneus sans perdre de temps et remonter facilement
dans le classement.
Quand la course a repris, mon départ a été fulgurant. Tout le monde
cherchait à chauffer sa gomme, je me suis faufilé au milieu et je suis
parvenu à la troisième place en seulement quelques tours.
Une erreur a valu à Nilson une perte de puissance. Je suis passé devant
lui presque en lui faisant un signe. Sa défaite a été cuisante. Il a dû adorer
me regarder prendre la victoire depuis les stands.
J’ai bien entendu fêté ça. J’ai été invité à une soirée privée dans un club
très sélect de Vienne. Bryan m’a accompagné. Nous y avons retrouvé
Gabriel et Mathieu. Alcool à volonté, ambiance assurée par le DJ le plus en
vue du moment et surtout, la discrétion était de mise. Pas de journaliste, pas
de vidéos enregistrées en secret. Une vraie fête pour se détendre.
C’est ce que nous avons fait. Mathieu s’est pris une sacrée murge.
Gabriel était sur la réserve, comme toujours. Moi, j’ai simplement passé un
bon moment. Nous avons dansé jusqu’au bout de la nuit. Mathieu est reparti
avec une femme accrochée à son bras. Gabriel s’est moqué de lui, mais a eu
lui-même du mal à résister à la fille qui l’a séduit toute la soirée.
Ce genre de fête se caractérise aussi par cette facilité certaine à rentrer
accompagné. Je n’aurais eu qu’à claquer des doigts pour ne pas dormir seul.
Si ça m’est déjà arrivé d’en profiter, ce soir-là, la seule femme qui
m’intéressait n’était pas dans le coin.
Coucher avec elle aurait été une grosse erreur, mais vu le niveau
d’alcoolémie que j’avais atteint, j’aurais probablement tenté le coup.
Rester loin de Lise en étant sobre c’est une chose, mais lui résister ivre,
c’est mission impossible.
Maintenant que j’ai décidé de ne plus lui faire la tête et que nous
recommençons à discuter, je retrouve la fille dont j’étais amoureux. Elle
n’est plus sur ses gardes. Moi non plus. Comme je ne l’agresse pas, elle ose
venir me parler. Nous ne sommes pas encore à cent pour cent détendus l’un
avec l’autre, mais nous pouvons de nouveau débattre sur la F1.
Non pas que je l’aie vue souvent ces derniers jours. Je suis débordé, tout
comme elle. Nous ne nous sommes croisés que quelques fois. Pourtant,
dans cette boîte, ivre, avec toutes ces groupies autour de moi, je ne pensais
qu’à elle.
En me réveillant le lendemain, j’ai compris qu’il ne fallait surtout pas que
je passe une soirée en sa compagnie. Je ferais une grosse connerie. Je me
mettrais à la draguer, ruinant là nos efforts pour redevenir amis. Soit elle me
rembarrerait, ce qui me vexerait énormément. Soit elle accepterait de passer
la nuit avec moi, ce que nous regretterions tous les deux le matin venu.
Aucune de ces options n’est bonne à prendre.
La seconde course autrichienne a lieu aujourd’hui. Je pars en pole, Nilson
en second. Mon but du jour : mener la danse du début à la fin.
Je m’y suis préparé. Je sais comment gagner quelques secondes
précieuses pour atteindre mon objectif. Hier, j’ai appelé Lise pour en
discuter avec elle. Ses idées sont toujours inattendues. Elle m’a filé
quelques conseils que je compte bien appliquer.
Pour l’instant, je n’ai pas assez de poids dans l’écurie pour imposer mes
choix de gomme. Je dois donc concilier les décisions de l’équipe avec mes
stratégies. Je ne peux pas compter sur eux pour m’aider à gagner. Je ne
peux faire confiance qu’à ma personne.
Il va falloir que je fasse traîner mon premier train pour creuser l’écart
avec le second. La stratégie veut que je commence en soft, puis passer en
medium. Ça va être dur, mais je m’en sens largement capable.
Dès que les lumières s’éteignent, je presse l’accélérateur. Je dois avoir le
meilleur temps de réaction. Bryan m’a aidé à le travailler.
Je débute la course côte à côte avec Nilson, les Keelean sur nos talons.
La première courbe arrive et tout va se jouer au moment de savoir lequel de
nous deux aura le plus de couilles pour ralentir en dernier.
Smith doit être en train de nous maudire. Lui n’est pas pilote, il ne sait
pas ce qu’est ce besoin de gagner, d’écraser l’autre. Mon instinct me dit de
le passer quoi qu’il advienne. C’est tout ce qui compte. À cet instant, c’est
moi avant tout. Il n’y a pas d’équipe qui tienne.
J’attends la dernière milliseconde pour rétrograder et négocier la chicane.
Je prends Nilson sur l’intérieur, puis sur l’extérieur. Ma conduite est
puissante, sèche. Il ne tient pas le rythme et doit se résoudre à calmer le jeu
pour ne pas perdre le contrôle.
Je gagne le lead et compte bien le garder.
Nilson me colle, mais il n’arrive pas à remonter.
— 1,5 avec Nilson.
Mon ingénieur me dresse un rapport de l’écart à chaque tour.
Je me concentre pour préserver mon train. La voix de Lise me guide dans
les virages 6 et 10.
Je tiens plus de vingt tours avec mes soft, ce que je considère être un
exploit. La moitié des pilotes sont déjà passés aux stands. Nilson y compris.
Ce n’est que lorsque je commence à observer des flat spots sur mes pneus
avant que je demande à rentrer au stand. Ils m’y ont appelé deux fois déjà,
mais je n’y suis pas allé. Je compte bien imposer ma façon de faire, que ça
leur plaise ou non.
Smith doit enrager, mais il sera bien obligé de reconnaître que j’avais
raison quand je soulèverai la coupe.
— Box, box.
Cette fois, je suis l’information et rentre dans la voie des stands pour
passer en medium. L’arrêt dure deux secondes huit. Je ressors P4 avec un
train neuf. La remontée sera belle. Quand tous les autres perdront en
puissance sur les derniers tours, je pourrai les doubler. Tout se joue dans les
pneus.
— Pénalité pour Porana.
— Noté.
Une place de gagnée.
Je remonte tranquillement sur Loris pendant les quinze derniers tours. Il
me sent arriver et c’est probablement un de ceux qui connait le mieux mes
tactiques. Je dois me forcer à penser différemment. Il ne me fera pas de
cadeaux.
Doubler mes potes est ce que je préfère. C’est ce qui me demande le plus
d’ingéniosité. Nous conduisons ensemble depuis si longtemps que nous
nous connaissons par cœur.
La seule qui a toujours gardé une imprévisibilité en course, c’est Lise. Je
dois penser comme elle.
Je me rapproche de Doppia en réfléchissant à cent à l’heure. L’esse arrive
et une idée me vient en tête. Ce genre de courbe, ce n’est pas le délire de
Loris. Si je le surprends en passant d’abord par l’intérieur, puis encore à
l’intérieur pour le doubler avec plus de puissance en sortie sur la droite, il
ne pourra rien faire.
Je serre les fesses tout le long de la manœuvre et ne relâche la pression
que lorsque je ressors P2 de cet affrontement.
— Beau travail, Abbott.
— Yes !
Enhardi par ce mouvement, je remonte pour choper Nilson. Cette fois,
hors de question de le laisser me voler ma place. Quoi que l’on m’ordonne,
je passerai.
— 0,9 avec Nilson. Garde ce rythme.
Compte là-dessus.
J’accélère. La voiture me suit. Mon train de pneus est préservé et prêt à
l’attaque.
— Encore cinq tours. Garde le rythme.
— Reçu.
Nilson perd en puissance. Son pneu avant gauche va le lâcher s’il pousse
trop.
— 0,5. Doucement, Owen, on veut passer l’arrivée.
— C’est le but.
Pas cette fois.
La zone de DRS approche. Sa seule chance serait que je le laisse
tranquille. Ce que je ne compte pas faire.
Mon aileron s’ouvre et je le double en ligne droite comme s’il roulait en
2 CV. Celle-là, elle doit piquer !
— P1, Owen.
Le soupir de mon ingénieur m’indique que Smith n’est pas content, ce
qui rend mon mouvement encore plus savoureux.
— Dernier tour.
— C’est bon, ça !
Je creuse encore l’écart et sais que j’ai gagné cette course avant
d’apercevoir le drapeau à damier et mon équipe qui me félicite à côté. Je
rapproche la voiture de la paroi pour leur répondre. Ils exultent, moi aussi.
— P1, Owen. Beau travail. Félicitations !
— Yes ! Yes ! Yes !
La pression redescend. Cette fois, je vais le savourer, ce champagne !
Je me gare devant le panneau 1, puis sors du cockpit en vainqueur. Les
bras en l’air, je me délecte des cris de la foule.
Je vais féliciter l’équipe qui m’attend tout en me lançant des
remerciements. Je les laisse me soulever, me serrer contre eux. Ils bossent
tellement que cette victoire leur appartient aussi. Cette voiture, c’est aussi
leur bébé. Mon ingénieur course me prend dans ses bras. Il est de mon côté
et nous formons une équipe. Lui aussi il veut la gagne, même quand Smith
lui demande l’inverse aux stands.
Nilson se prête au jeu en faisant la gueule. Il me serre la main à
contrecœur. Mon sourire satisfait durcit ses traits. C’est encore meilleur que
de soulever la coupe.
Smith me félicite non sans un regard sévère.
Je cherche alors une personne en particulier dans l’assemblée.
Planquée sous sa casquette, elle reste dans le fond pour ne pas se
retrouver dans un mouvement de foule. Elle relève la tête et croise mon
regard. Son sourire me dit tout ce que j’ai besoin de savoir.
Je pars valider la pesée et répondre à Tomari. Je signe quelques
autographes, puis suis l’équipe qui m’amène au podium.
God Save the Queen ravit mon cœur avant que je me prenne une douche
de champagne. Ça n’arrêtera jamais de me renverser. Je vis pour ces
moments. Cette adrénaline, ce contentement à la fin, les hurlements des
supporters. Je pourrais repartir pour deux heures de course.
Cette victoire me fait officiellement passer devant Nilson dans le
championnat. J’ai fait le job, et je pourrais presque en bander.
LISE
La joie pure qui émane d’Owen au moment de récupérer son trophée vaut
tout l’or du monde. Moi aussi j’aurais bien aimé le serrer contre moi pour le
féliciter. Je n’ai pas osé. Je ne sais pas s’il aurait apprécié. L’équipe aurait,
de toute façon, trouvé mon comportement bizarre.
Bref. C’est comme ça. Je lui aurais sauté dans les bras si nous étions
restés en couple. Ce qui n’est pas le cas. Par ma décision. Si Owen ne prend
pas d’initiative avec moi, je n’en prendrai pas non plus. À lui de mener la
danse et à moi de m’adapter.
Il n’empêche que ça me tend de savoir qu’il va aller fêter ça dans un club
branché privé avec ses potes et de nombreuses femmes qui n’attendent que
de partager son lit.
La jalousie me vrille l’estomac depuis la fin de cette course.
En réalité, ce sentiment me tiraille depuis que je suis revenue sur le
paddock il y a trois ans et que j’ai réalisé à quel point Owen était convoité.
Je suis restée dans l’ombre, comme je me l’étais promis pour ne pas de
nouveau interférer avec sa vie. Seulement, parfois, ça m’a été dur. Quand
j’enchaînais les réunions, les nuits solitaires dans des hôtels moyens, bas de
gamme, ou encore les heures de travail acharné, lui profitait de sa célébrité
et de tous les excès mis à sa disposition.
Je me suis noyée dans les stratégies, les études des courses, des pilotes.
J’ai bossé comme une dingue pour oublier le passé, pour trouver ma place
dans ce monde d’hommes, pour parvenir à enfin être fière de moi. J’ai lu et
rédigé des dizaines de rapports, j’ai suivi toutes sortes de conférences,
écouté je ne sais combien de spécialistes débattre des nouveaux moteurs
dans le sport.
Pendant ce temps, Owen menait la grande vie. Sans moi. Avec d’autres
conquêtes.
Il est séduisant, riche et le meilleur dans son domaine. Évidemment que
les femmes et certains hommes se jettent à ses pieds.
Fut un temps où il ne voyait que moi. Je savais que quoi qu’il arriverait,
il ne me trahirait pas. Aujourd’hui, il peut faire ce que bon lui semble, je ne
fais pas le poids face aux mannequins qui le charment.
Il est sorti avec Paola René, élue femme la plus séduisante par People
News. Comment pourrais-je rivaliser ? Je me maintiens en forme, mais je ne
possède pas sa grâce naturelle.
En soi, moi aussi je pourrais aller l’oublier avec un homme pour la
soirée. Mais je n’en ai pas envie. L’idée me dégoûte même. C’est avec
Owen que j’aimerais discuter. Cette course était dingue, nos débriefings me
manquent.
Au lieu de rester allongée sur mon lit d’hôtel à ne rien faire, je décide de
filer prendre une douche froide pour me vider la tête. Après, je n’aurai qu’à
proposer à Nora de sortir boire un verre pour me détendre et surtout, je ne
dois pas ouvrir les réseaux. Dieu sait ce que je pourrais y trouver. Ça me
ferait du mal pour rien.
J’emporte mon téléphone dans la salle de bains pour mettre de la
musique.
L’eau coule sur ma peau et je me déhanche au rythme des derniers sons à
la mode. Je ferme les yeux et laisse l’instant m’apaiser. Je crois que ça
fonctionne. Malheureusement, la sonnerie du téléphone interrompt
soudainement la musique. Je sursaute et manque de tomber. Heureusement,
je me ressaisis à temps et reste sur mes pieds.
C’est Owen.
Je ne réfléchis pas au fait que je suis encore sous la douche avant de
décrocher.
— Allô ? demandé-je, incertaine.
Il a peut-être fait une fausse manip.
— Lisie ?
Il rigole, probablement toujours euphorique de sa victoire.
— Tu fais quoi ? J’entends des bruits bizarres.
Le haut-parleur trahit mon activité.
— Euh… Je prends une douche, avoué-je, gênée.
Heureusement, il ne peut pas me voir rougir et grimacer. Il faudrait que
j’apprenne à réfléchir des fois. J’espère que je n’ai pas malencontreusement
activé la vidéo parce que sinon, ça serait vraiment embarrassant.
Owen laisse planer un blanc qui me pousse à m’expliquer.
— Désolée, je suis à l’ouest. J’ai vu ton nom et j’ai répondu. On peut se
rappeler après, si tu préfères.
Je l’entends à nouveau rire.
— Non, c’est bon. C’est tout bon. Bon.
Ça, c’est le Owen mal à l’aise. En même temps, il doit m’imaginer sous
la douche, ce qui n’aide pas à tenir une conversation sérieuse.
— Tu voulais me parler d’un truc ? Tu as un problème ?
— Ah ! Oui, se ressaisit-il.
— Qu’est-ce qui se passe ? m’inquiété-je.
— Non ! Pas de problème. Putain, ce n’est pas clair, marmonne-t-il.
Ça, il l’a dit. À mon tour de rigoler.
Je lui laisse du temps pour qu’il en vienne à m’expliquer la raison de son
appel. Il attend quelques secondes avant de se lancer.
— Je me demandais si… tu voulais qu’on partage un verre ?
Hein ?
— Avec moi ? vérifié-je bêtement.
— C’est toi que j’ai appelée, non ? Tu es bien Lise Cardin ? Attends,
évidemment que c’est toi, tu me réponds alors que tu es sous la douche, me
taquine-t-il.
Mon sourire va me dévisser la mâchoire. Ce que je peux être mielleuse
quand il s’agit de lui.
— Quand tu auras fini de te moquer, tu me diras où et quand.
Je l’entends ricaner.
— À mon hôtel, après ta douche.
— Vendu.
Je me mords la lèvre de contentement. C’était tout ce que je voulais.
Putain, il préfère me parler qu’aller baiser des groupies !
— Bonne douche, Lisie. N’oublie pas de t’habiller avant de venir.
Je roule des yeux, mais rigole.
— Je vais y penser.
Nous raccrochons et je termine de me laver en me demandant ce que je
suis censée porter. Je dois me dépêcher, il va m’attendre.
Je me sèche rapidement de la tête aux pieds avant de chercher une tenue.
Je n’aime pas trop me balader en robe donc j’opte pour une combinaison
élégante et décolletée. Avec des talons, ça sera parfait. Je m’apprête pour un
hôtel de luxe, mais je n’en fais pas trop non plus.
Je grimpe dans un taxi et me maquille sur la route.
Quand j’arrive devant l’hôtel, j’envoie un message à Owen pour le
prévenir.
Je croise les doigts pour qu’il ne me plante pas finalement au milieu de la
soirée pour rejoindre une fête. Je le vivrais très mal. Bon, je suppose que je
verrai bien.
Je pénètre dans le hall du palace avec appréhension. Est-ce qu’il va me
parler boulot ?
Je me dirige vers les canapés pour attendre qu’Owen me dise où le
retrouver. Je l’aperçois alors sortir de l’ascenseur, son téléphone à la main.
Je reçois son SMS au moment où il lève les yeux vers moi.
Aujourd’hui, j’ai droit à un grand sourire qui me retourne. Owen est
séduisant en général, mais quand son attention m’est destinée, je ne réponds
plus de rien. J’ai terriblement envie de l’embrasser à cet instant. Ce qui ne
serait pas malin, vu que nous ne nous sommes pas seuls. Une photo est vite
envoyée à la presse.
J’arrive enfin à sa hauteur.
Il rigole avant même de sortir sa vanne.
— Toute propre !
J’aimerais me retenir de rire mais je n’y parviens pas.
Il est encore excité de sa victoire. J’adore cette version de lui. Je le trouve
moins préoccupé que d’habitude. Depuis ses débuts en F1, il semble si
tendu. Là, je retrouve l’homme taquin qu’il a toujours été.
— Ça va Owen, t’as déjà fait pire je te signale.
Il grimace en repensant à ces épisodes : celui où je l’ai surpris en train se
toucher en regardant un passage de Game of Thrones, ou encore celui où je
l’ai trouvé en train de comparer la taille de sa queue avec Mathieu. Seize
ans et déjà obnubilés par leurs engins.
Nous avons grandi ensemble. J’en ai des dossiers sur lui !
Il me guide vers les ascenseurs pour monter dans sa suite. Cet instant me
fait terriblement penser au début d’un porno où les personnages feraient
l’amour dans toutes les positions sur le lit d’hôtel. Il faut très vite que je
songe à autre chose.
Le ding signalant que nous sommes arrivés à notre étage me fait éclater
de rire malgré moi. Je vois maintenant mes personnages batifolant dans le
couloir…
Owen me regarde bizarrement.
— Il ne vaut mieux pas que je t’explique…
Il hausse un sourcil et ne cherche pas à en savoir plus.
Il ouvre la porte de sa chambre : il loge dans une immense suite au
dernier étage de l’hôtel. Je suis morte de jalousie.
— Et dire que moi je me tape un deux étoiles miteux… pensé-je à voix
haute.
Owen me regarde, incrédule.
— Sérieux ?
Je rigole.
— Tout le budget passe dans cette chambre, Abbott. Tu crois qu’ils ont
des fonds illimités pour tout le staff ?
Il grimace. Ça ne lui était jamais venu à l’esprit.
— Tu veux du champagne ? propose-t-il avec une moue d’excuse.
J’accepte sa proposition avec joie. Un peu de courage m’aidera à rester
seule avec lui sans savoir pourquoi je suis là. Je m’installe sur le canapé au
centre de la pièce et attends qu’il vienne me rejoindre.
Il me glisse un verre dans la main, puis s’assoit à côté de moi : ni trop
près, ni trop loin.
Je prends le temps de l’observer. Pas de combinaison, pas de costume,
pas de vêtements sponsorisés. Juste un jean délavé et un tee-shirt gris. Il a
tout de même fait l’effort de se coiffer. Il porte une de ses montres hors de
prix et ses chaussures de créateur qu’on lui a sûrement offertes. Le luxe lui
va bien, il est à tomber.
Je bois une longue gorgée pour qu’il ne saisisse pas mes pensées à travers
mon regard. Je ne suis pas là pour le draguer ou quoi que ce soit. En fait, je
ne sais toujours pas pourquoi il m’a appelée.
N’y tenant pas, je lui pose la question qui me démange depuis tout à
l’heure.
— Tu n’es pas censé être à une des dix soirées où on t’a invité ?
Il hausse les épaules.
— Ça ne me disait rien, répond-il simplement.
Je dois dire que ça me laisse dubitative. Il s’en rend compte.
— Quoi ?
— Rien. C’est juste que… après cette victoire, je pensais que tu aurais
envie de profiter, insisté-je.
— Je profite là, rétorque-t-il avec son sourire en coin.
Il sait très bien où je veux en venir, mais il s’amuse à tourner autour du
pot.
— Permets-moi de douter que tu préfères passer la soirée avec moi plutôt
que de sortir avec tes potes et partager ta nuit avec une ou plusieurs
femmes, finis-je par déblatérer malgré moi sur un ton presque accusateur.
Il plonge ses yeux dans les miens pour que je saisisse bien ses propos.
— Permets-moi de te dire que tu as tort, Lise. Sur toute la ligne.
Je me contente d’un regard éloquent. Il ne s’explique pas. Au lieu de
persister sur le sujet, j’aborde une question bien plus sûre.
— Cette course était…
— Dingue, termine-t-il, rêveur.
Son sourire revient, le mien s’agrandit.
— Ce mouvement sur Loris ! C’était magistral, le complimenté-je.
Il rigole.
— J’ai appris de la meilleure, glisse-t-il avec un clin d’œil. Tu m’as
démonté à Imola avec un truc comme ça en junior.
Je souris en y repensant.
— Je t’ai assez traumatisé pour que ça rentre dans ton crâne !
Il hoche la tête.
— Nilson doit être furieux, remarqué-je, amusée.
— Smith aussi.
Nous nous tapons dans la main, contents de cet exploit. Il leur a craché
au visage pendant ce Grand Prix. C’était beau.
— Tu sais ce que m’a dit Loris, à la fin de la course ? rigole-t-il. Qu’il
s’est fait doublement baiser, par moi et par toi. Je crois qu’il attend des
excuses de ta part.
J’éclate de rire.
— Mais je n’ai rien fait ! J’étais sagement dans les stands à patienter !
— Te fatigue pas, il sait très bien que ce genre d’idée vient de toi,
argumente-t-il.
— Sur ce coup-là, tu y as pensé tout seul.
Me sentant plus à l’aise qu’à mon arrivée, je retire mes chaussures et
m’installe en tailleurs sur le canapé. Owen m’observe faire avec un sourire
discret.
— Pourquoi voudrais-je passer la soirée entouré de rapaces quand je
peux rester avec toi à parler de la course ?
Sa remarque me touche. Il m’a bel et bien choisie alors. Et voilà que j’ai
à nouveau envie de l’embrasser. J’avale une grosse gorgée de champagne
pour calmer cette sensation qui grandit un peu plus chaque fois que je le
vois.
— Ça me manque tu sais, réponds-je. Piloter. Te battre.
Ma taquinerie le fait rire.
— Crois-moi, j’aurais préféré un milliard de fois que tu puisses
continuer. Vu ce que ça a déclenché…
— Ce sentiment derrière le volant, la vitesse, l’adrénaline. Parfois, c’était
presque mieux qu’un orgasme.
Il hoche la tête. Il me comprend.
Rien n’égalera jamais cette sensation de maîtrise complète. Il n’y avait
que moi dans la monoplace, que moi pour décider de mes prochaines
attaques, de mes défenses. Le staff pouvait me parler à la radio, mais au
final, j’étais la seule à avoir le dernier mot. Je choisissais les risques que je
prenais, puis me laissais envahir par un pic d’adrénaline avant de jouer avec
mes limites.
J’étais la maîtresse de ma course. Rien ni personne n’aurait pu m’arrêter.
Je dominais et c’était tellement bon. Le stress avant de partir, l’excitation du
départ, puis l’apothéose au moment de remporter la compétition… Même la
plus délicieuse partie de jambes en l’air n’égalera jamais ce plaisir.
J’aurais pu m’étouffer avec ce désir de l’emporter, cette soif de victoire.
Je voulais gagner, à tout prix, à mes yeux j’étais la meilleure. Depuis que
tout s’est arrêté, j’ai l’impression d’avoir perdu ce qui faisait de moi une
femme forte, déterminée, respectée. Je ne suis que l’ombre de la Lise
Cardin d’avant. Rien que pour me retrouver entièrement, je donnerais tout
pour reprendre la course.
— Je sais que ça ne remplacera jamais la place que tu aurais dû avoir en
F1, mais si tu veux emprunter ma voiture de fonction pour te défouler sur
un circuit, tu peux.
Son attention est mignonne.
— Merci.
Je me laisse glisser sur le canapé en repensant à ces années. Je me
remémore la sensation de la combinaison, le bruit du moteur, la violence de
la première accélération. Je ferme les yeux et je peux encore apercevoir les
virages défiler.
Les battements de mon cœur s’apaisent avant de repartir de plus belle
quand une image bien moins plaisante envahit soudainement mon esprit.
Je revois cette notification de mes sponsors pour m’annoncer la fin de
notre collaboration, puis la lettre de la formation junior pour me dire que
sans investisseurs, ils ne me soutiendront plus. Mes parents n’ont pas voulu
financer ma passion, trop masculine pour eux. Le coup de grâce a été donné
par ce journaliste qui m’expliquait que, de toute façon, aucune femme
n’atteindrait jamais la F1.
« Ce n’est pas un sport de gonzesses. »
« Les filles sont juste bonnes à jouer les grid girls. »
Comme si mon ambition était de me pavaner en sous-vêtements avec des
panneaux publicitaires dans la voie des stands.
Putain de sexisme.
Évidemment, il faut une grosse bite pour conduire un moteur puissant…
Si je revois ce mec un jour…
Après cela, ma descente aux enfers n’a pu s’arrêter.
02/02/2012 – Angleterre
OceanofPDF.com
Chapitre 11
Avril – Brésil
LISE
OWEN
LISE
OceanofPDF.com
Chapitre 12
Mai – Angleterre
OWEN
LISE
OceanofPDF.com
Chapitre 13
Mai – Monaco
LISE
OWEN
La semaine monégasque est une des plus intenses. Non seulement j’ai de
nombreux impératifs à honorer, mais il y a aussi quelques événements que
je n’aime pas rater.
Les essais commencent demain, seulement, impossible de me reposer.
Entre deux entraînements avec Bryan, je dois assister à des interviews, des
rendez-vous et quelques repas guindés en compagnie du gratin
hollywoodien venu sur le Rocher juste pour l’occasion.
Je ne sais pas pourquoi Monaco attire à ce point les paillettes. Chaque
année, c’est la même chose. La ville se remplit de riches et de personnalités
pour la semaine. Tous entendent profiter, faire la fête et jouir du luxe qui se
promène avec ce sport.
Je reconnais que j’apprécie cette étape. Déjà, le circuit est juste dingue,
excitant. Le remporter est un de mes buts ultimes après mon accident dans
ces rues. Cette piste est si mythique qu’y soulever la coupe est presque
aussi bon que de gagner le championnat.
Les années précédentes, j’ai aussi pris le temps de profiter de la débauche
qui est indissociable de cette date. Mathieu sait toujours nous traîner dans
des soirées extravagantes, sensuelles et parfaitement VIP. Les fontaines de
champagne sont monnaie courante. Des danseurs dénudés semblent animer
chaque événement. Sans parler des DJ qui viennent chaque fois mettre une
ambiance irrésistible.
Revenir accompagné – et en très bonne compagnie – n’a jamais été un
problème ici. Rien qu’hier, j’aurais facilement pu accepter l’invitation de
ces actrices pour la nuit. Mais cette année, je n’ai que Lise en tête. Ça me
tue qu’elle ne puisse pas participer et être là avec nous. J’aimerais tellement
qu’elle s’éclate avec le groupe, comme au bon vieux temps. J’aurais aimé
repartir avec elle et lui refaire l’amour aussi sauvagement que la dernière
fois.
Si cette nuit-là avec elle m’a plus apaisé qu’une ligne de coke, je m’en
trouve encore terriblement agité. J’ai envie de remettre ça. Je n’avais pas
goûté à autant de plaisir depuis… elle. Le sexe devient mille fois mieux
avec une personne de confiance, d’importance. Avec Lise, ça a toujours été
exquis. L’autre soir était sensationnel. Elle s’est montrée délicieusement
détendue, excitée, mature.
Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Ces dernières années, j’ai souvent
songé à me replonger en elle, mais rien de ce que j’avais imaginé n’arrive à
la cheville de la réalité. Je me suis une fois de plus pris en pleine tête le fait
qu’elle est devenue une femme. Si quand nous étions jeunes je menais
souvent la danse, là, j’ai cru mourir de plaisir en la sentant me maîtriser
avec tant d’assurance.
Partager cette nuit avec elle m’a semblé aussi naturel que respirer. Cet
échange ne m’a demandé aucun effort, mon corps et mon âme réagissent
aux siens. Lise est la seule femme à savoir me combler sans que je n’aie à
formuler un quelconque besoin. J’ai l’impression d’avoir enfin retrouver la
partie de moi qui me manquait.
Je me sens entier. Comblé.
Je ferais bien d’arrêter de penser à ça alors que je dois rencontrer des
sponsors dans cinq minutes. Monaco attire de très gros poissons que je dois
absolument mettre dans ma poche. Sans argent, je ne cours pas, c’est aussi
simple que ça. Mes victoires m’assurent un certain nombre de signatures,
mais je dois encore en amadouer pour faire gonfler ma valeur. Si je pèse
plus dans la balance, je peux plus facilement imposer mes choix. C’est ce
que Magnus fait, avec peu de déontologie. C’est ce que tout pilote cherche à
obtenir pour conduire comme bon lui semble.
J’enfile mon meilleur masque d’hypocrisie pour entrer dans la salle de
réunion louée dans un palace du Rocher. Affublé d’un costume sur mesure
et de mocassins, je ne me sens définitivement pas à ma place. J’ai aussi fait
l’effort de me coiffer. En gros, j’ai la sensation de me prostituer.
Heureusement que mon attaché de presse est là pour m’accompagner.
C’est pour la bonne cause, me répété-je.
Ces investisseurs sont de riches entrepreneurs, actionnaires d’entreprises
asiatiques. Je crois qu’ils ont, par ailleurs, la main mise sur une société de
mannequinat à Paris. Pour résumer, ils sont blindés et la F1 ne fait pas
encore partie de leurs acquisitions. Ces gens aiment se diversifier,
fanfaronner en parlant de tous ces domaines qu’ils parviennent à gérer.
Je dois les brosser dans le sens du poil, les laisser s’imaginer qu’ils me
contrôlent avec leur argent, qu’ils ont réellement un pied en F1 alors qu’ils
ne sont que des vaches à lait. Mon attaché de presse m’a briefé et plus ou
moins expliqué ce que je devais répondre à leurs questions.
Nous nous serrons fermement la main pour nous saluer.
Le machisme est toujours au premier plan de ces rendez-vous. Si vous en
avez une grosse et que vous vous imposez, ça va. Sinon, vous repartez en
pleurant. Pas étonnant que Lise ait perdu ses sponsors, avec des connards
pareils aux rênes.
Si je n’avais pas besoin de cet argent, je serais déjà loin d’ici.
Nous nous asseyons autour de la table de réunion, un verre de champagne
à la main. Les deux hommes que j’ai en face de moi sont plutôt petits,
rondouillets. Le stress leur a fait perdre de nombreux cheveux, leurs traits
sont tirés et leur teint cireux, à force de fumer le cigare. Ils puent le tabac
froid. Je leur donne dix ans avant de mourir d’un cancer du poumon.
Les discussions commencent. Elles consistent à les écouter chacun se
vanter de leurs exploits. Je me contente de sourire et d’alimenter leur ego en
posant les bonnes questions au moment opportun. Je me suis renseigné sur
eux, je connais leurs futurs projets, je sais ce qu’ils ont envie d’entendre.
C’est aussi simple que ça, mais horriblement dur à réaliser quand on
possède un tantinet de fierté.
— Sincèrement, monsieur Abbott, votre parcours nous plaît. Vous êtes un
investissement sûr.
— Probablement un des plus sûrs du sport, d’ailleurs, ajoute l’autre.
— Vous pouvez effectivement me faire confiance, leur confirmé-je, sûr
de moi.
Mon attaché de presse hoche la tête pour me soutenir, mais surtout pour
me signifier que je m’en sors bien. Ils regardent à nouveau mes courbes de
performance, toutes les données qui constituent à cet instant ma carte
d’identité.
— Peut-être ne faites-vous pas assez le show, remarque alors le plus âgé
des deux.
— On vous voit rarement vous battre, en découdre avec ferveur. Les gens
adorent ça, explique le second.
Ils sont complètement débiles.
— La fédération nous l’interdit. Je serais viré du paddock si je laissais
libre cours à mon tempérament.
Je suis surtout contre la violence. Je n’en vois pas l’intérêt. Ce n’est pas
en frappant Nilson que j’obtiendrai la coupe. Je m’écorcherais juste les
mains, ce qui me gênerait en course.
— L’écurie préfère aussi que nos pilotes restent maîtres d’eux-mêmes,
ajoute mon attaché de presse. Nos voitures coûtent assez cher pour que
n’ayons pas envie de les abîmer.
Les deux hommes entendent nos arguments mais s’en fichent royalement.
Ils ne connaissent même pas les règles.
Si seulement j’étais né ultrariche comme Harris… Je serais un pilote
payant, certes, mais au moins je ne me ferais pas chier avec ces conneries.
— Vous êtes célibataire, n’est-ce pas ?
Le visage de Lise s’impose devant mes yeux. Je ne sais pas si nous
sommes ensemble, nous n’en avons pas discuté. Même si je compte bien
me remettre en couple avec elle, je ne peux pas affirmer à cet instant être
pris. D’autant qu’il faudrait que je donne son nom, ce qui est hors de
question.
Je réponds donc par l’affirmative.
Les deux hommes hochent la tête, pensifs. Ils chuchotent entre eux
quelques mots que je ne peux pas entendre, avant de reporter leur attention
sur moi.
J’échange un regard nerveux avec mon attaché de presse. Cette question
ne me dit rien qui vaille.
— Comme vous le savez, nous dirigeons une agence de mannequinat et il
y a une jeune fille que nous devons mettre sur le devant de la scène. En
échange de notre investissement, nous exigeons que vous vous affichiez à
son bras.
Une alerte rouge se déclenche dans ma tête.
Putain… Pas ça.
Si j’ai déjà toléré ce genre de clause quand j’avais vraiment besoin de
sponsors, aujourd’hui, je ne suis plus autant aux abois. Surtout, je sais que
je briserais le cœur de Lise. Je n’accepterais jamais de lui imposer ça.
Alors que je réfléchis à une échappatoire, ils poursuivent leur
argumentaire.
— Elle est un peu jeune, mais majeure, ne vous inquiétez pas.
Encore heureux !
— Elle a dix-neuf ans, je crois, complète l’autre associé. Elle est
mignonne, vous passeriez un bon moment.
Son clin d’œil lubrique m’écœure. Ce porc n’aurait aucun mal à toucher
cette jeune fille encore innocente et inconsciente du panier de crabes dans
lequel elle vient de mettre les pieds. Moi, je ne profiterai jamais d’une fille
qui pourrait être ma petite sœur. Nous avons sept ans d’écart !
Cette journée est en train de dérailler.
Je reste figé face à cette requête. Mon attaché de presse leur sourit
nerveusement, mais je vois bien que lui aussi n’apprécie pas cette
proposition. Il sait en plus où sont mes limites. Il doit s’attendre à ce que je
leur vole dans les plumes.
Je ne peux pas supporter ça, accepter de faire partie de ce système. J’ai
besoin de ces sponsors pour affirmer ma place, mais pas au détriment d’une
jeune fille qui en finira traumatisée. Je ne peux pas faire ça, ne serait-ce que
pour soutenir ces femmes qui se battent chaque jour pour faire cesser ces
comportements inadmissibles.
— Je refuse.
Mon attaché de presse soupire. Je vois le stress l’envahir et je ne fais
pourtant rien pour l’aider en prenant cette décision aussi vite. J’imagine
qu’il aimerait éviter que nous froissions ces hommes, pour notre image,
mais moi, je m’en tape.
Je n’ai pas besoin d’y réfléchir plus longtemps. Ce choix va me coûter,
mais moins qu’à cette femme. J’espère simplement qu’elle ne tombera pas
dans les bras d’un homme moins scrupuleux que moi.
Les entrepreneurs me regardent les yeux froncés, mécontents.
— Nous n’investirons pas sans cet accord, affirme l’un d’eux.
Le second hoche la tête.
— J’en ai bien conscience. Cependant, je refuse de jouer à ce jeu et de
traumatiser une jeune fille de sept ans ma cadette.
Je ne peux pas en dire plus. Ces hommes pourraient me faire beaucoup
de mal si je les insultais. Ce n’est malgré tout pas l’envie qui me manque. Si
j’avais pu, je leur aurais dit que je refuse de travailler avec des connards
s’autorisant des propositions aussi outrageantes, que contrairement à eux, je
ne vends pas des filles à des salauds qui s’ennuient. Ils sont abjects.
Putain, si seulement je pouvais me permettre ce discours.
Je fulmine. Mon attaché de presse doit me sentir à deux doigts de
craquer, car il met gentiment fin à cette rencontre. Il emballe cette réunion
par douze formules de politesse puis, une main rassurante sur mon épaule,
m’invite à le suivre pour que nous partions.
Je me lève sans attendre une seconde de plus et quitte la salle, frustré,
dégoûté. Je n’arriverai jamais à faire tomber ces hommes. Si je parle aux
médias, mes sponsors s’en iront de peur que je leur fasse la même chose.
Mon écurie m’obligera à me taire pour conserver son image. L’argent de ces
investisseurs parviendrait à me faire couler à leur place.
Je me contente de faire ce que je peux : ne pas prendre part à cela.
J’en reste malgré tout bourré de culpabilité.
En passant la porte, je les entends me maudire.
— Pauvre idiot !
— Je lui rends service, elle me remerciera ! Qu’est-ce qu’il raconte,
celui-là ?
Je sors de l’hôtel comme si j’avais le feu aux trousses. Mon attaché de
presse me court presque après.
La soirée qui m’attend me fera le plus grand bien avant les qualifications.
Ça me changera les idées. J’ai juste la haine que Lise ne puisse pas venir,
une fois de plus. Le problème de ces réceptions guindées, c’est que nous ne
pouvons pas amener qui nous voulons.
Je l’appellerai avant d’y aller. J’espère que ça ira, qu’elle ne le prendra
pas mal, qu’elle me fera confiance pour ne pas lui jouer de mauvais tour. Je
la sais jalouse et je vais faire de mon mieux pour préparer un truc avec elle.
J’ai besoin de la voir, de l’embrasser, de la toucher. J’ai envie de m’amuser
avec elle.
Ce soir, j’assiste à un gala organisé par le sponsor numéro un du sport.
Producteur de champagne réputé, je sais que nous n’en manquerons pas.
J’ai l’obligation de participer à cette réception. Cette marque paie pour de
nombreuses choses et nous devons la remercier en nous présentant à chaque
événement qu’elle organise. Seules les personnes détentrices d’invitations y
ont accès. En dehors des couples mariés, nous n’avons pas le droit à un +1.
Pourtant, j’aurais tué pour que Lise soit avec moi.
Entre mon rendez-vous catastrophique et le départ pour la soirée, soit une
fourchette d’une heure pendant laquelle je dois aussi me changer et me
préparer, j’ai le temps de lui passer un coup de fil. Je mets l’appel en haut-
parleur et me déshabille en attendant que Lise réponde.
Elle décroche, mais je n’entends pas immédiatement sa voix. Je l’entends
marcher, soupirer, le souffle court.
— Lisie ? demandé-je pour m’assurer qu’elle a volontairement répondu.
— Désolée ! J’étais en réunion, se justifie-t-elle, nerveuse.
— Je te rappelle plus tard, si tu veux.
— Non, non. C’est bon… Crois-moi je suis contente que tu m’aies
appelée.
Cette remarque me gonfle de fierté.
— C’était une réunion sur quoi ? l’interrogé-je, curieux.
Elle met un petit temps à répondre.
— C’est… Magnus. Il m’a plus ou moins convoquée. Et il m’a déblatéré
un certain nombre de conneries en croyant que j’allais le suivre dans son
sabotage. Bref. Je suis contente d’être sortie de là. On avait terminé de toute
façon.
Pardon ?
Il n’a pas osé ? Là, j’ai carrément envie de le tuer. Qu’il fasse ses
machinations c’est une chose, qu’il se permette d’y mêler Lise, c’en est une
autre.
— Je peux t’entendre t’énerver, Abbott ! me reprend-elle. Je gère, OK ?
Fais-moi confiance là-dessus. Tu dois aller à la soirée Champomy, donc ne
te prends pas la tête avec ça. En plus, les essais commencent demain, reste
concentré.
Malgré la situation plutôt épineuse, elle parvient à me redonner le
sourire.
— Soirée « Champomy » ? répété-je, amusé.
Elle éclate de rire.
— Merde, désolée ! C’est comme ça qu’on l’appelle dans le staff,
m’explique-t-elle.
Je suppose qu’elle n’est pas la seule à mal prendre le fait de ne pas être
conviée à ces soirées. Les équipes se démènent nuit et jour pour nous, pour
les courses, et ils n’obtiennent que très peu de reconnaissance. Les marques
voient la présence des pilotes comme de la pub, donc ils ont intérêt à nous
faire venir. Tandis que le staff ne leur apportera rien à part une bonne
conscience. Autant dire qu’ils se foutent royalement de cet aspect. Nous,
pilotes, profitons d’avoir accès à tout ça. Il n’empêche que c’est
parfaitement injuste pour ceux qui bossent à ce point.
— Au fait, tu n’avais pas rendez-vous avec des investisseurs cet après-
midi ? se rappelle-t-elle.
Je grogne de frustration en enfilant ma chemise.
— Ça s’est mal passé ? s’inquiète-t-elle.
— Ils ont essayé de me mettre en couple avec une enfant…
Un silence tendu me répond.
— De mieux en mieux…
Sa haine est partagée.
— Je vais devoir battre Nilson différemment, pensé-je tout en accrochant
ma ceinture à mon pantalon.
Lise laisse échapper un petit rire.
— Qu’est-ce que tu fais, Owen ?
Le tintement de la boucle a dû l’intriguer.
— Je me prépare pour partir. D’ailleurs, par rapport à ça…
Je ne la vois pas, mais je sens qu’elle est en train de se fermer comme
une huître.
— Ne t’inquiète pas. Je sais que tu dois y aller.
Cette femme pourrait faire croire n’importe quoi au premier venu, mais
pas à moi.
— Si tu ne logeais pas chez tes parents, je serais venu me coucher avec
toi. Mais ton père m’accueillerait avec une carabine, donc…
Elle rigole. Je m’en sens soulagé.
— Je craque, ils me rendent folle ! Vivement la prochaine date, je déteste
Monaco.
Déjà quand nous courrions en F2 elle ne supportait pas sa homerace.
Mais à l’époque, elle parvenait au moins à s’amuser avec nous.
— Dois-je te rappeler que tu es monégasque, Lisie ?
Elle ricane.
— Sur le papier uniquement, râle-t-elle.
— J’arriverai à te faire aimer Monaco. Un jour, je te jure que tu me diras
que tu es contente de rentrer chez toi.
Son rire dubitatif me pince le cœur. Aucun membre de la bande n’est
réellement proche de ses parents. Ils ne nous ont pas éduqués. Sauf peut-
être pour Gabby. Lise est particulièrement en froid avec les siens. Elle n’a
pas de chez elle. Je ne sais même pas comment elle fait pour rester si solide
alors que sa vie ne fait que lui glisser entre les doigts.
— Je viens de voir Nilson partir à la soirée, je suppose que c’est le
moment pour toi aussi de devoir y aller.
Je regarde l’heure en soupirant.
— Oui, il faut que je file, annoncé-je en ajustant mon nœud papillon. On
se voit demain, ma belle ? Je t’envoie un message quand je rentre.
La tête de mule qu’elle est ne peut pas reconnaître deux soirs d’affilée
être jalouse.
— Tu n’as pas de comptes à me rendre.
Nous savons pourtant tous les deux que si ! Si je veux éviter sa colère,
mieux vaut que je la rassure. Et puis je ne veux pas la décevoir, la blesser.
Nous nous saluons, puis raccrochons. Je pars à contrecœur à cette réception.
Voir Nilson va me gonfler, et faire semblant de nous entendre encore plus
après qu’il a tenté de retourner Lise contre moi – l’imbécile. Heureusement,
mes potes seront là.
Quand j’arrive, je file directement vers eux. Regroupés ainsi, nous
ravissons la presse, les fans et nous nous protégeons des rapaces.
Chacun de nous s’est mis sur son trente-et-un. Nos costumes sur mesure
nous font indéniablement sortir du lot. C’est pour cette raison qu’on nous
les offre de toute façon. Nous ne sommes que des panneaux publicitaires
ambulants.
— C’est elle la plus mignonne, murmure Mathieu à Mike.
Ce dernier grimace.
— Non ! Celle-là !
Loris, Gabriel et moi nous regardons, atterrés.
— Ça vous arrive de la garder dans le pantalon ? les provoque Doppia.
Nos amis l’envoient balader.
Pour ma part, je ne me sens pas d’humeur à leur rappeler les bonnes
manières. J’ai une idée en tête depuis mon coup de fil avec Lisie. Je dois
attraper Newman pour lui faire part d’une requête. Je le cherche dans la
salle, mais ne le trouve nulle part. Il est pourtant censé être là. Nous devons
tous venir à cette réception.
Nilson est bel et bien sur place. Bien accompagné, d’ailleurs. Je ne vois
pas ce que cette femme peut aimer chez lui.
Depuis sa conversation avec Lise, je me dis que je dois encore plus parler
à Newman. J’ai deux objectifs et seul lui peut m’aider.
Pour l’instant, je me contente de bavarder avec mes potes. Nous
discutons des essais à venir, de la course et des rendez-vous que nous avons
dû honorer. Tout en papotant, je sonde la salle de réception pour trouver le
champion allemand.
— Hey ! Newman ! l’interpelle Gabriel.
Finalement, c’est lui qui sera venu à moi. Je ne vais pas le lâcher, à
présent.
Il nous salue tous et reste un instant pour débattre sport, tout en se
plaignant de l’ennui de cette soirée.
— Rien à voir avec le club d’hier, râle-t-il.
Les garçons critiquent chacun leur tour la réception et attendent que je
surenchérisse, mais je n’arriverai pas à participer à leur discussion tant que
je n’aurai pas réussi à partager mon idée.
— Felix, coupé-je court, tu as bien un yacht, ici, non ?
Il hoche la tête en offrant un clin d’œil à Mike qui rêve de suivre le même
chemin que son idole.
— Tu as envie de prendre la mer, Abbott ?
J’ignore mes amis qui ne tardent pas à se foutre de moi.
— En fait, je me disais que tu pourrais organiser un petit truc. Entre
pilotes et leurs proches.
Gabriel et Loris me regardent avec un grand sourire.
— Tu souhaites passer une soirée avec une personne en particulier,
Owen ? me taquine mon meilleur pote.
Je lui offre en retour un sourire en coin avant de répondre.
— Elle a besoin de se défouler, elle aussi.
Mathieu ricane.
— Nul doute que vous allez vous défouler après la fête.
Je l’espère bien, mais ça ne le concerne pas. Je le fusille du regard pour
l’obliger à se taire. Il se contente de me rire au nez.
— Pourquoi tu n’organises pas toi-même cette soirée ? m’interroge
Newman.
J’y ai bel et bien pensé, mais…
— Parce que si c’est moi qui l’organise, personne ne comprendrait que
j’invite Nilson. Sauf que ce connard doit comprendre qu’il ferait mieux de
garder ses distances avec Lise, donc j’ai besoin qu’il soit présent.
Mes amis se tendent soudainement et m’interrompent.
— Il joue à quoi, Nilson ? demande Loris.
— Il la drague ? me questionne Mike. Si c’est le cas, il est mort.
S’ils sont toujours là pour se moquer de moi ou de ma relation avec Lise,
les gars ne laisseraient jamais quelqu’un de mauvais s’approcher de leur
amie. Ils tiennent à Lise, autant que moi, mais d’une façon différente.
— Je ne sais pas qui est cette Lise, mais l’intérêt que vous lui portez tous
me donne envie de la rencontrer, remarque Newman.
— Il essaie de la retourner contre moi. Il l’a même convoquée cet aprèm,
expliqué-je à mes potes.
— Il n’a aucun instinct de survie, lui, raille Gab. Elle va l’émasculer.
Je soupire.
— Le truc c’est qu’elle ne peut pas, donc… il va falloir faire comprendre
les choses à Nilson, mais autrement.
— Abbott ? m’interpelle Doppia. Tu oublies que Cardin va te tuer, toi,
pour cette idée. La connaissant, elle préférerait largement que Nilson ne
sache rien de votre relation.
Je le sais. Rester dans l’ombre l’arrange et elle risquerait sa place en
s’affichant avec moi. Mais je ne peux pas laisser Nilson croire qu’il peut
s’approcher de Lise comme ça. Impossible. De toute façon, même si nous
énervons Magnus, il ne pourra pas la renvoyer. Il a trop besoin d’elle. Smith
ne se séparerait pas d’elle non plus. Il connaît sa valeur. Je suis sûr de moi
sur ce coup-là.
— C’est toi qui oublies que je sais bien mieux gérer son caractère que
vous, remarqué-je.
— Tellement bien qu’elle a disparu pendant huit ans… rétorque Loris,
mauvais.
Je sais bien qu’il veut la préserver, mais sa remarque me met sur les
nerfs. Il vient d’appuyer là où ça fait mal, et ce n’est vraiment pas cool de
sa part. La tension est en train de monter entre nous. C’est nul. Les garçons
le sentent et cherchent tout de suite à désamorcer le conflit.
— Je propose qu’on la laisse juge de tout ça, tente Gabriel.
Newman, qui se délecte de cette situation, accepte finalement ma
demande, juste pour comprendre qui est cette femme capable de me mettre
dans un tel état.
J’espère simplement avoir raison et que Lise se rangera de mon côté.
LISE
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Chapitre 14
Mai – Monaco
LISE
OWEN
Quelques verres plus tard, Lise est entièrement détendue. Je ne pense pas
qu’elle soit soûle. Elle savoure simplement le fait de traîner avec nous, de
pouvoir se lâcher, danser. Felix parti, Loris et moi réconciliés, nous
pouvons pleinement nous amuser.
J’ai l’impression d’être revenu dix ans en arrière, quand nous prenions
nos premières cuites tous ensemble. Ça me fait un bien fou.
De voir Lise comme ça, rire, raconter des conneries et se déhancher, j’en
oublierais presque l’arrivée de Nilson à la soirée. Pour l’instant, c’est le
cadet de mes soucis. Je veux juste profiter de cette soirée avec ma Lisie.
Je lui attrape la main pour l’attirer près de moi. Quand son regard passe
de Mike à moi, il se transforme. L’humour laisse place à la sensualité. Je
n’ai pas besoin de le lui demander pour savoir que je figure sur son menu.
Elle enroule ses bras autour de mon cou, je dépose mes mains sur le bas
de son dos. Je lui embrasse la gorge et l’entraîne dans un collé-serré en
rythme avec la musique. Je la fais tourner, la ramène contre moi, la penche
en arrière.
Elle se laisse faire, pouffe ou mordille ma mâchoire. Je possède son
entière attention et j’en suis comblé. Elle est si belle. Cette robe lui va à
ravir. J’aime sentir sa peau sous ma main, son odeur, ses lèvres.
Je n’attends que la fin de cette soirée pour nous retrouver une fois plus.
J’ai besoin de la goûter, de la toucher. Je ne saurais pas dire pourquoi.
Simplement, j’ai besoin d’elle pour aller bien.
Nos amis nous observent, amusés. Gabriel se moque ouvertement de ma
faiblesse face à Lise mais je m’en fous. J’attends de le voir aussi épris d’une
femme. Il fera moins le malin.
Nous enchaînons les danses jusqu’à ce que les gars se décident à nous
séparer. Mathieu embarque Lise avec Mike. Si je ne la savais pas capable de
les gérer, je me serais inquiété.
Gabriel en profite pour m’interroger avec un Loris très curieux à ses
côtés.
— Toi, tu as couché avec elle, affirme mon meilleur ami.
Je me contente de hausser les épaules, innocemment. Ils n’ont pas besoin
d’un rapport sur ce que nous avons fait ou non.
— Elle est mielleuse avec toi, ajoute Loris. Ça me perturbe toujours
autant.
Il ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité. Lise n’a rien de mielleux
avec moi. Je la comparerais plus avec une lionne.
— Crois-moi, tu te trompes.
— Vous sortez de nouveau ensemble, alors ? demande Gab.
Je grimace.
— On n’en a pas parlé. Je ne pense pas.
Mes amis m’observent bizarrement.
— Quoi ?
Loris soupire mais laisse Gabriel s’exprimer.
— Tu l’amènes ici, Nilson la fusille du regard et tu n’as même pas
officialisé avec elle ? Mec, tu fais de la grosse merde, là.
Il n’a pas tort. Mais Cardin est bien assez grande pour prendre ses
décisions. Je ne l’ai pas forcée à venir, elle sait ce que je compte faire avec
Nilson. C’est à elle de choisir quels risques elle est prête à prendre. Moi,
j’ai encore un peu envie de profiter de ces moments de séduction avant de
me remettre officiellement avec elle. Je ne souhaite pas aller trop vite,
même si j’ai conscience que les choses glisseront dans ce sens d’ici peu.
— Magnus arrive, m’annonce Loris.
Super…
J’avale une gorgée de champagne pour me préparer.
— Abbott, me salue-t-il froidement.
Il ne prend même pas la peine de dire bonjour à mes amis. Ce manque de
respect me gonfle déjà.
Mon regard croise celui de Lise, derrière Magnus. Je la sens inquiète.
— Que me vaut le déplaisir ? lui demandé-je.
Son masque de fausse politesse tombe aussitôt.
— À quoi tu joues ? siffle-t-il.
Je comprends très bien où il veut en venir, mais je préfère me moquer de
lui.
— Il va falloir être plus clair.
Mes amis suivent notre conversation avec méfiance.
— Cardin. C’est comme ça que tu gagnes, tu la baises pour avoir ses
idées ?
Mon envie de le buter monte un peu plus à chaque instant. Je ne suis pas
le seul. Gabriel et Loris n’apprécient que très moyennement ses paroles.
Mon meilleur pote se fait un plaisir d’humilier Nilson.
— Tu sais probablement que Lise Cardin était championne de kart, pas
vrai ? Tu sais qu’elle a remporté deux fois la F3 et une fois la F2 ? Elle a
grandi avec nous, donc oui on est proches. Ça ne veut pourtant pas dire
qu’on la baise. Si tu connaissais un minimum Lise, tu saurais qu’elle est
intègre. Elle ne participe pas à des stratagèmes de bas étage. Toi, si ?
La concernée nous rejoint à cet instant, accompagnée de Mathieu et
Mike. Même s’ils ont senti la tension, ils font comme si de rien n’était.
— Salut Nilson. La forme ? demande Mathieu, hypocrite.
Le Suédois se contente de hocher la tête.
— Je ne savais pas que tu fréquentais autant de concurrents, Cardin, la
pique Nilson.
Elle le regarde, impassible.
— Pourtant ce n’est pas un secret. Smith ne t’a pas dit où il m’avait
recrutée ? Et puis on s’est déjà croisés quand je pilotais. Je n’y peux rien si
tu ne considères pas assez les femmes pour te souvenir d’elles.
L’abruti ne s’est même pas renseigné sur elle avant de lui chercher des
problèmes. Une femme dans le sport est tellement impensable à ses yeux
qu’il ne l’avait pas reconnue ou simplement pas retenue. Bouffon.
Je ne comprends vraiment pas comment si peu de monde peut se
souvenir d’elle. Surtout parmi les pilotes de notre génération. Elle
concourrait avec nous tout de même ! Quelques années de plus sur un
visage semblent suffire pour créer la confusion dans leurs esprits. Je crois
surtout que nous sommes tous si absorbés par nos carrières propres que
nous oublions celles de ceux qui échouent. Malgré tout, j’aime à penser que
je me souviens mieux que ça de mes anciens concurrents. Non ?
Incapable de m’en empêcher, je passe mon bras autour de sa taille. Elle
se love naturellement contre moi. Une fois de plus, nous formons une
équipe imbattable. Cette femme est mon binôme dans le meilleur, comme
dans le pire.
Nilson regarde ma prise avec fureur. Si ce n’était pas encore assez clair, il
vient de saisir qu’il n’aura jamais le dessus sur celle qui a la main sur les
stratégies. Pire, il comprend que si elle devait donner l’avantage à l’un de
nous, ça ne serait certainement pas lui. Il doit aussi se douter que Lise m’a
relaté leur petite conversation de la veille.
Cette soirée a tourné à la catastrophe pour le Suédois. Le voir partir sans
attendre ne me surprend pas.
Je suis content d’avoir mis ces détails au clair. Je suis rassuré de savoir
qu’il ne cherchera plus à retourner Lise contre moi.
Notre groupe débat quelques instants de ce qu’il vient de se dérouler, puis
nous décidons de passer à autre chose pour nous changer les idées.
Nous restons encore deux bonnes heures à rigoler et à danser tous
ensemble. Je trouve Lise plus séduisante que jamais. C’est bien la première
fois que je la vois se déhancher comme ça, les garçons autour d’elle. Avec
eux, son côté masculin a toujours eu tendance à ressortir. Maintenant
qu’elle ne pilote plus, qu’elle traîne moins avec nous au quotidien, elle se
montre bien plus féminine. Ils en sont choqués. Je crois qu’ils réalisent
enfin que Lise est une femme et une femme parfaitement attirante.
Dommage pour eux. C’est ma Lisie.
De toute façon, je sais qu’ils n’oseraient jamais la séduire. Leur amitié
est trop ancienne et ils ne me feraient jamais un coup comme ça.
C’est pourquoi je laisse Mathieu danser avec elle. Non sans un regard
éloquent pour mon pote. Il s’en amuse mais reste particulièrement
respectueux de Lise. Il ne l’a jamais dit, mais il l’admire.
Quand la soirée se termine, elle et moi rejoignons mon chauffeur. Nous
saluons nos amis avant de monter en voiture.
Assis à ses côtés, je prends sa main pour lui en caresser le dessus de mon
pouce.
Elle laisse tomber sa tête en arrière puis se tourne vers moi.
— C’était génial, murmure-t-elle. Merci. J’avais besoin de ça.
Son sourire vaut tout l’or du monde.
— C’est quand tu veux.
Elle ricane.
— Si seulement…
Certes… Nous n’avons que si peu de temps. Mais je me promets de lui
offrir plus souvent ce genre d’instants.
— Il va falloir indiquer au chauffeur si je te ramène chez tes parents… ou
pas.
Le sous-entendu dans ma question lui plaît.
— Bah, ça dépend de ce que tu comptes me faire à ton hôtel, me
provoque-t-elle.
Elle attise les braises déjà chaudes dans mon pantalon.
— Je t’écoute. Qu’est-ce que tu aimerais que je te fasse ? entré-je dans
son jeu.
Elle se mord la lèvre d’amusement. Elle me semble bien plus jeune à cet
instant. J’ai l’impression de retrouver la gamine de seize ans, excitée et
gênée. J’aime qu’elle se sente plus légère, que ce soit moi qui la fasse se
sentir ainsi.
La tension dans l’habitacle monte d’un cran quand elle me donne sa
réponse.
Ses joues se parent de rouge, ses pupilles se dilatent et ses mains ne
cessent de bouger.
— J’aimerais que tu m’embrasses, puis qu’on se déshabille. J’aimerais…
Elle marque une pause.
— Tu sais très bien ce que je veux, Owen.
Je hoche la tête. Je sais exactement ce qu’elle désire. Mais j’adorerais
aussi qu’elle m’en parle. C’est quelque chose que nous n’avons jamais fait.
Je n’ai jamais entendu ces mots dans sa bouche. Ça en devient un fantasme.
Alors que je m’apprête à lui expliquer cette pensée, elle me surprend en
reprenant.
— J’aimerais que tu me refasses ce truc de la dernière fois avec… ta
langue.
Mon corps se tend d’envie. Je n’attends que de la dévorer.
— Où ça ? Sur tes seins ? Tes lèvres ?
Elle rougit encore plus et ne cesse de se tordre les doigts. J’ai besoin de
l’embrasser, mais je me retiens. Plus ce jeu dure, plus notre excitation
monte, la délivrance en deviendra exquise.
— Les deux, chuchote-t-elle.
Je dépose un baiser sur sa main en lui faisant un clin d’œil. Son
gloussement m’atteint en plein cœur.
Quelques minutes après, nous arrivons devant l’hôtel. Je m’apprête à
descendre mais Lise me retient. Je me retourne vers elle avec un regard
interrogateur.
— J’ai besoin de savoir quelque chose avant de…
Je me rapproche d’elle. Son visage est redevenu sérieux.
— Par rapport à nous. Je sais qu’on n’est pas ensemble, mais… je dois
vérifier si pour toi, nous sommes exclusifs.
Sa question m’étonne. Il est clair, à mon sens, qu’à partir du moment où
j’ai posé les mains sur elle, ce n’était plus que nous deux. Pourtant, elle a
besoin d’être rassurée.
— Évidemment que nous le sommes. Du moins, c’est comme ça que je
vois les choses. C’est toi et juste toi. Aucune autre femme.
Elle hoche la tête, apaisée.
— Pour moi aussi.
Cette fois, nous sortons du véhicule et nous rendons dans ma suite. Nous
retrouvons notre légèreté et quand nous entrons dans ma chambre, nos
vêtements ne font pas long feu.
Désireux de la combler, je tiens mes promesses et lui fais tout ce qu’elle
m’a réclamé. Ma Lisie a un faible pour ma langue et je compte bien lui
donner raison. Je l’invite à avancer son bassin au bord du lit, puis
m’agenouille devant elle comme un sujet devant sa reine.
Je suis tout à toi, ma belle.
Elle se mord la lèvre d’anticipation et gémit de plaisir avant même que je
ne commence quoi que ce soit. Enorgueilli par sa réaction, je manque d’y
aller trop vite. Heureusement, je parviens à contrôler mes pulsions pour la
satisfaire pleinement.
Tout se joue dans l’attente. Je dois la faire languir, espérer obtenir plus
sans accéder trop vite à ses besoins.
Les mains de part et d’autre de ses cuisses, je les écarte pour me faufiler
entre ses jambes galbées et si douces. Je dépose délicatement une ligne de
baisers en remontant de son genou droit jusqu’à l’intérieur de sa cuisse, puis
reproduis la même chose de l’autre côté. Je retiens difficilement mon
sourire en la sentant gigoter sous mes mains.
Des baisers je passe aux morsures. Je la croque d’abord délicatement,
puis de plus en plus fort en suivant les mouvements d’excitation de son
bassin, tout en veillant à ne pas lui faire mal. Son souffle s’accélère sous
mes caresses et je n’ai même pas commencé les choses sérieuses. Je compte
bien la faire jouir de cette façon, l’entendre crier mon nom, sentir ses mains
tirer sur mes cheveux pour échapper à mes assauts sans réellement avoir
envie que cela cesse.
J’approche mon visage de son sexe sans pour autant la toucher. Je la
laisse sentir mon souffle contre sa peau moite, désirer mon toucher sans le
lui offrir.
— Owen… geint-elle doucement.
Y a-t-il plus grand honneur que celui d’obtenir une telle confiance de la
part de la femme qu’on désire ?
À présent, j’approche mon visage encore plus près pour frôler ses lèvres.
Je la caresse doucement, la mordille délicatement. Je suis envahi par son
odeur sucrée, je salive d’avance à l’idée de la goûter. La sentir aussi excitée
décuple mon plaisir. Ne pas me toucher me demande beaucoup de
concentration. Cet instant est pour elle.
Enfin, je commence à la lécher. Je l’embrasse amoureusement puis
parcours ce même bout de peau de ma langue. Je recommence encore et
encore sans jamais atteindre son bourgeon qui palpite pour moi. Je la
provoque en lui léchant les lèvres, en contournant l’endroit où elle me
désire réellement. Son bassin ondule sous ma bouche, cherche à obtenir
cette caresse tant désirée. Elle gémit, arque son dos, soupire d’aise et de
frustration à la fois.
— Je te trouve bien impatiente, la taquiné-je en sachant que sentir ma
voix contre son sexe la rendra folle.
— Putain… se contente-t-elle de répondre.
Elle a complètement perdu le contrôle, signal pour moi d’enfin
pleinement la combler.
Je trace un dernier tour sur ses lèvres et les écarte doucement afin
d’atteindre ce bouton si sensible. Toute légèreté s’envole quand je la croque
là. Un cri remplace ses gémissements et je dois poser mes mains sur son
bassin pour la maintenir contre ma bouche. Elle ondule comme pour
échapper au baiser tout en en redemandant, encore et encore.
— Oh… Owen… supplie-t-elle.
Je grogne de satisfaction contre son sexe, laissant la vibration ajouter à
son plaisir d’autres sensations qui l’emportent.
Je garde une main sur son bassin, remonte l’autre sur son sein dont je
taquine l’extrémité. Elle repose ses doigts dessus, m’invitant à continuer
cette caresse qu’elle n’attendait pas, mais savoure. Ses cris et gémissements
laissent place à un plaisir muet à mesure que l’orgasme monte en elle. C’est
si bon qu’elle ne peut plus l’exprimer.
La fierté me submerge quand je la sens trembler contre mes lèvres. Là, je
me délie d’elle pour la laisser reprendre ses esprits.
Je n’ai pas le temps de la taquiner sur l’orgasme que je viens de lui
donner qu’elle se jette sur moi pour m’embrasser et me satisfaire à mon
tour.
La passion nous submerge une fois de plus. J’aime la faire gémir, crier,
me griffer. Nous faisons l’amour à deux reprises, puis je m’endors dans ses
bras, comblé.
Rien ne pourrait plus me rebooster avant une course qu’un câlin avec ma
Lisie. Elle et moi, c’est juste une évidence.
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Chapitre 15
Mai – Monaco
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OWEN
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Chapitre 16
Mai – Italie
OWEN
À la fin des courses italiennes, l’équipe est conviée à une réunion pour
discuter de ce début de saison et des circuits à venir.
Owen et moi ne nous sommes pas vus depuis un moment, du moins plus
de dix minutes. Nous bossons tous les deux ardemment et nous avons
besoin de nous reposer le soir venu. D’un autre côté, j’ai pensé que me tenir
un peu à l’écart ne ferait de mal à personne. De cette façon, la pression a pu
redescendre un minimum après l’interview catastrophe. Magnus me tourne
moins autour, l’air en est que plus respirable.
Je me suis aussi dit que ça nous aiderait, Owen et moi, à prendre une
décision. Ce temps sans sexe, sans baiser enflammé ou danse endiablée
nous permettra de savoir ce que l’on veut réellement.
Je pense que nous sommes sur la même longueur d’onde au niveau de
nos envies, reste à savoir si nous souhaitons rendre les choses plus
sérieuses, si nous désirons le faire maintenant ou à l’intersaison, si nous
gardons notre rapprochement secret. Bref, de nombreuses options s’offrent
à nous et j’aimerais être fixée sur la suite. Même si je doute de pouvoir
trouver une minute et d’avoir le temps d’une discussion posée avec lui.
Owen assiste à la réunion, tout comme Nilson, Smith et le reste des
cadres de l’écurie. J’arrive dans les derniers. Je salue les présents, avec un
regard plus appuyé pour Owen qui s’est une fois de plus installé à l’autre
bout de la salle. J’aurais préféré m’asseoir à côté de lui. Mais mieux vaut
que je reste dans mon coin et que je prenne sur moi en attendant que ça
passe, sinon Nilson risque encore de me tomber dessus. J’aurais alors perdu
toute crédibilité face aux autres. Déjà que je reçois quelques œillades
déplacées…
Smith débarque enfin, ce qui nous permet de commencer sans tarder.
La réunion débute par un bilan des courses passées, des points acquis
dans les deux championnats : pilotes et constructeurs. On nous fait passer
les courbes des deux pilotes reprenant leurs performances ou leur façon de
conduire selon les circuits. C’est un rapport très détaillé qui aidera sans
doute Nilson à voir où il pèche quand Owen déchire tout.
Quand vient mon tour, je présente les différents scénarios que nous avons
établis pour les prochains Grands Prix au Moyen-Orient. Smith rappelle ses
objectifs et nous redonne le planning des semaines à venir.
L’équipe communication dresse ensuite un état des lieux des réseaux
sociaux pour lister ce qui se dit sur l’écurie. Les prouesses d’Owen à
Monaco sont soulignées, tout comme ses récentes en Italie. Nilson est un
peu plus critiqué, voire moqué. Bizarrement, nous passons rapidement sur
ces infos.
Arrive le moment où nous abordons cette fameuse interview lors de
laquelle nos pilotes se sont écharpés en live. Smith ne les rate pas, comme
prévu.
— Nous avions convenu que vous deviez vous entendre face caméra et
ça, c’est un débordement intolérable.
Owen hausse les épaules dans un soupir.
— Je ne me serais pas emporté si Nilson n’avait pas exposé ma vie
privée en pleine conférence.
Ce dernier ricane.
— Ta vie n’a plus rien de privé quand tu l’affiches en soirée.
C’est faux. Il y a un consensus entre pilotes pour éviter de divulguer ce
qui se passe en soirée. Nilson a brisé cette règle et c’est inacceptable. En
tant que personne publique, il devrait comprendre que ce coup bas est
indigne.
— Stop ! intervient Smith, fatigué.
De mon côté, je me fais aussi petite que possible.
— Vous devez vous entendre, point, impose-t-il.
Owen perd patience, illustrant ce que je ressens intérieurement.
— Le monde entier sait qu’on ne peut pas se voir, c’est ridicule !
Comment voulez-vous qu’on s’entende quand il soudoie l’équipe dans mon
dos ?
Cette remarque interpelle toute l’assemblée. Smith grince des dents,
Nilson me fusille du regard. Les autres tendent discrètement l’oreille.
Putain…
— Répandre ce genre de rumeur, Abbott, ne fera que desservir l’équipe
et toi au passage. Je te conseille de te taire. L’écurie souffre bien assez de
mauvaise pub avec vos conneries, alors arrêtez d’en rajouter !
Si Dark Crown était clean, nous n’en serions pas là.
Owen fulmine sur sa chaise, tout comme Nilson. Smith poursuit :
— Vous allez donner une interview avant la prochaine course et vous
allez vous comporter correctement. Rattrapez-moi cette merde !
Il faudrait être stupide pour retenter l’expérience…
Un blanc s’installe dans la pièce. Le chargé de communication a du mal à
reprendre la parole après cette engueulade. Quand je le vois se tourner vers
moi, je sais que cette journée va encore empirer.
— Suite à cette histoire d’interview et après avoir posé quelques
questions, il est venu à notre attention que vous aviez des relations intimes
avec un membre de l’écurie et surtout un pilote, affirme-t-il sans chercher
pour autant à croiser mon regard.
Il ne va pas oser ?
Je commence à m’agiter.
Il attend que je confirme, mais je me contente de le détailler comme s’il
était la personne la plus ignare au monde.
Il se racle la gorge et enchaîne presque dans un murmure.
— Il serait souhaitable que vous gardiez votre vie privée, privée, sans la
mélanger au travail.
En clair : arrête de baiser le pilote.
C’est marrant, ils n’ont pas demandé au pilote d’arrêter de baiser la
stratégiste.
Une fois encore, je le regarde comme si cette histoire ne me concernait
pas. Cette manie de mettre la faute sur une seule personne commence à me
tendre. Il ferait mieux de se méfier.
Smith soupire de me voir faire ma tête de mule.
— Excusez-moi, intervient Owen, mais pourquoi vous ne me regardez
pas ? Vous nous parlez bien à tous les deux, pas vrai ? Vous avez conscience
que le sexe ça se pratique à deux ?
Dieu merci, quelqu’un a un cerveau dans cette salle.
Je ricane.
— Bah apparemment, tu as le droit de coucher avec moi, mais moi je n’ai
pas le droit de coucher avec toi. Sauf que rien n’est spécifié dans mon
contrat, donc je propose qu’on change de sujet, terminé-je implacable,
froide.
Nilson a le culot de s’en mêler.
— C’est un conflit d’intérêts ! avance-t-il sans la moindre gêne.
Mes ongles s’accrochent à la table pour m’empêcher de bondir et de lui
cracher ma haine à la figure.
— Non, ça s’appelle du sexisme, expliqué-je en articulant exagérément.
Et ça non plus, ça ne ferait pas de bonne pub à l’écurie.
Smith voit que je suis sur le point d’exploser, il se décide enfin à
intervenir.
— Lise, s’il te plaît. On dit seulement que ce n’est pas une super idée.
Ma menace lui fait peur. L’actualité déborde d’affaires de sexisme et il ne
veut pas ajouter le nom de l’équipe à cette liste déjà longue.
— Non ! m’emporté-je. Vous dites que je vais moins bien faire mon
travail si je couche avec un pilote ! C’est une putain de connerie sexiste ! Je
ne vous ai pas entendus expliquer à Abbott qu’il allait moins bien
conduire !
Owen me soutient en hochant la tête et insiste sur le fait qu’ils se
comportent tous comme des connards.
— Lise, retente doucement Smith.
— Stop, le coupé-je. Je vous interdis de vous mêler de ma vie privée.
Rien dans mon contrat ne m’empêche de fréquenter un membre de l’écurie.
Il fallait y penser avant. Vous savez très bien que je suis la meilleure dans
mon travail et que je serais demandée chez n’importe quel concurrent. Donc
ce sujet s’arrête maintenant.
Ils n’auraient jamais dû lancer ce débat. S’ils voulaient m’humilier, me
rabaisser, me décrédibiliser, c’est raté. Je sais ce que je vaux. Si sortir avec
Owen m’apparaissait aussi comme une idée bancale, ils viennent de me
convaincre de suivre mes envies. Ils veulent la jouer sexiste ? Je vais leur
montrer qu’aucun homme ne dicte mes choix.
Bande de connards.
Le regard d’Owen me confirme qu’il n’en pense pas moins. Je lui suis
reconnaissante de ne pas être intervenu davantage. Je n’ai pas besoin qu’on
me défende. Je peux mener cette bataille toute seule et je viens de leur
prouver à nouveau qu’ils n’auront jamais le dessus sur moi.
Ma vie m’a été volée une fois, pas deux.
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Chapitre 17
OWEN
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Chapitre 18
OWEN
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Chapitre 19
Octobre – Singapour
OWEN
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Owen est aussi abasourdi que moi quand cette conversation prend fin.
Je n’avais pas de doute quant au fait que nous allions trouver des trucs
sales sur Nilson, mais à ce point ? Je ne m’en remets pas.
Nous poursuivons la soirée, chacun perdu dans nos pensées. Si Magnus a
touché une femme sans son consentement, je veux qu’il paie ! Sauf que
sans preuve, il ne peut rien lui arriver et surtout, rien ne m’assure pour le
moment de la véracité de ces informations.
En plus, le sponsor n’a même pas donné son accord à Owen pour le
soutenir. Ça aurait pu, il avait l’air de l’apprécier. Nilson a vraiment dû le
refroidir. Je garde espoir qu’il le recontacte pour signer un contrat. Il va
probablement creuser dans la vie d’Owen, voir ce qu’il pourrait cacher. Il
reviendra quand il comprendra qu’Abbott n’a rien à se reprocher.
Nous rentrons à l’hôtel en silence. Ce n’est qu’une fois au fond du lit que
nous discutons de ce que nous avons appris ce soir.
— On fait quoi avec ça ? demande Owen, épuisé.
Je soupire. J’y réfléchis depuis des heures.
— Toi, tu te concentres sur les courses. Moi, je vais voir si cette histoire
est vraie et si on peut la prouver. Si effectivement il y a des cas
d’attouchements ou de viols, je ferai tout pour qu’il en subisse les
conséquences.
Owen acquiesce.
— Tu crois sérieusement qu’il a pu traîner dans ce genre de conneries ?
Nous sommes aussi surpris l’un que l’autre. Nilson est idiot, mais je ne
pensais pas que nous tomberions sur ce type de révélation.
Cela dit, ce n’est pas si incohérent avec la façon dont il s’est comporté
avec moi dernièrement. Je l’ai trouvé de plus en plus violent et même si je
dis le contraire à Owen, je commence à flipper. Seule face à lui, je ne fais
pas le poids physiquement. Mais je le crois assez intelligent pour ne pas me
toucher. Il sait que je l’exposerais et il n’a rien pour me faire chanter. En
revanche, avec une femme moins farouche que moi…
J’ai envie de vomir.
Je ne dois cependant pas tirer de conclusions hâtives. Si ça se trouve, ce
ne sont que des racontars. J’aimerais que ça ne soit que ça.
— Je vais en parler avec Nora et voir ce qu’on peut dénicher, songé-je.
— Faites attention, Lisie, me prévient-il.
— Plus que jamais, lui promets-je.
Nous enlaçons nos doigts, pensifs.
Au fond de moi, je suis furieuse. Ça me prouve une nouvelle fois qu’il y
a quelque chose à faire, une lutte à mener. J’ai des cartes en main, je dois
juste trouver la partie où les jouer. Je vais creuser cette source et faire de
mon mieux pour dénicher la vérité. Mais Owen a raison, je dois aussi me
méfier. L’écurie n’appréciera pas que je fouine pour évincer un de nos
pilotes. Nilson, lui-même, pourrait me le faire payer.
Je joue ma carrière, mais tout de même un peu ma vie. Ce poste ne me
tient pas à cœur, mais mon salaire oui. Je ne souhaite pas me reposer sur un
homme pour subvenir à mes besoins. Je ne veux pas non plus m’avouer
vaincue. J’ai décidé de les provoquer en m’affichant avec Owen et je veux
garder ce job rien que pour les emmerder.
Je m’endors dans les bras de mon chéri en tournant le problème dans tous
les sens. Je me demande à qui parler, comment. Je vais avoir besoin de
ressources et si Nora m’aide beaucoup, ça ne sera pas suffisant. Il me
faudrait plus de pouvoir, plus de marge de manœuvre.
Je rêve de mes questionnements toute la nuit et y songe encore tout le
long du week-end de la course.
Je suis passivement les événements. Les essais démarrent mal avec un
accident pour Owen. Mais l’équipe parvient à remettre la monoplace sur
pied avant les qualifications. Ces dernières se passent bien, Owen se
positionne en pole, Nilson en P2.
Le Grand Prix est un peu tendu. Lecomte avance bien et met la place
d’Owen en péril. Mais c’était sans compter le talent de Nilson pour créer
des collisions en s’en sortant indemne. Le DNF de Mathieu va lui faire mal
dans le classement. Il était la cible de Nilson aujourd’hui. Cela permet à
Owen de remporter la course et le tour le plus rapide. L’écart se creuse dans
le championnat, je m’attends donc à être de nouveau victime de la colère de
Magnus.
C’est plus facile pour lui de m’insulter plutôt que de s’en prendre à Owen
ou, encore mieux, à lui-même.
Le week-end à Singapour prend fin et nous partons vers la France pour la
prochaine date. Pour ce long voyage, nous avons décidé de partager le jet de
Mathieu avec Gabriel, Mike et Loris. Nous n’avons pas pu nous voir
beaucoup dernièrement. C’est l’occasion de relâcher un peu la pression
ensemble.
Installée au fond de mon siège en cuir, un whisky dans la main, j’écoute
Mathieu se plaindre de Nilson pendant la course.
— Ce connard n’assume pas de tomber dans le classement, c’est dingue.
Je ne comprends pas que les commissaires le laissent à chaque fois s’en
sortir sans pénalité.
Ses mots flottent dans mon cerveau avant qu’un signal d’alarme ne se
déclenche dans un coin de ma tête. Je me redresse vivement sur mon siège
pour regarder Owen. Il semble avoir déduit la même chose que moi.
— L’argent sale ? m’interroge-t-il.
— Ça expliquerait beaucoup de trucs bizarres.
Même si nous ne trouvons rien sur ses agissements envers les femmes, si
nous prouvons qu’il soudoie un commissaire, ça pourrait déjà faire
beaucoup de mal à son image.
— De quoi vous parlez ? demande Mike, intrigué.
Owen termine son verre avant de leur répéter nos découvertes. Les
garçons l’écoutent attentivement, tantôt énervés, tantôt dégoûtés.
— Le problème c’est qu’on ne sait pas si c’est vrai ou comment prouver
tout ça le cas échéant, ajouté-je à la fin de son récit.
Nos amis sont sur le cul, furieux.
— Je peux peut-être demander à mon mec, propose Loris. Il bosse à la
fédération, il a pu entendre des choses.
— T’as un mec ? s’étonne Mike, ahuri.
Celui-là, il ne suit jamais rien.
— Bref ! Assez parlé de ça, on peut changer de sujet ? suggère Owen,
frustré. On m’a vendu une soirée en vol.
Nous avons clairement besoin de nous détendre. Les gars sont de cet avis
aussi et nous nous servons tous un shot de tequila. Owen m’attire sur ses
genoux, je me blottis contre lui. Gabriel met de la musique pour que
Mathieu et Mike commencent à danser.
— C’est agréable aussi quand vous ne draguez pas tout ce qui bouge, les
taquine Loris.
Les deux compères rigolent.
— Quelle idée de se caser ? demande Mathieu. Moi, je profite.
— Et tu influences Mike à suivre ta voie, lui reproché-je, amusée.
Le concerné me gronde de le traiter comme un enfant. À la fois, c’est un
enfant !
— Un jour, tu vas tomber sur une fille qui va te tenir par les couilles et je
serai le premier à me foutre de ta gueule, se moque Owen.
Loris lui donne raison. Seul Gabriel reste très discret, aujourd’hui.
— Lise a chopé les tiennes à douze ans, mon cas ne sera jamais aussi
désespéré que le tien, rétorque Mathieu.
— Pourtant tu ne sais pas ce que tu rates. Une femme amoureuse est bien
plus… imaginative et ouverte.
Mike me regarde, presque écœuré.
— Ne commencez pas à parler de sexe ! À mes yeux, vous ne faites pas
l’amour, c’est comme de l’inceste.
Définitivement un enfant.
— Nous avons clairement plus de rapports que vous deux réunis,
réplique Owen. Vous devriez changer de mode de vie, les gars.
Mike se laisserait presque amadouer.
— Plutôt crever, s’entête Mathieu.
Soucieuse de voir Gab si calme, je me détache d’Owen pour aller lui
parler. Les autres poursuivent leurs débats, j’en profite pour interroger
discrètement mon ami.
— Tout va bien ?
Ma question le fait sourire. Il décroche enfin son regard de son verre. Je
le sens fatigué.
— C’est plutôt à toi qu’il faut demander ça, avec toutes ces histoires dans
votre écurie.
S’il change de sujet, c’est que quelque chose le tracasse.
— Allez, dis-moi ce qui te rend si maussade.
Il soupire en faisant tourner le liquide dans son verre.
— Mon contrat avec Neptune s’arrête à la fin de la saison prochaine et je
ne fais pas des étincelles. Je me dis juste que ma carrière risque de vite
prendre fin.
— Tu as encore un an pour faire tes preuves, Gabby. Ne perds pas
confiance, c’est la pire chose qui pourrait arriver. Leur voiture n’est pas
exceptionnelle et tu bats régulièrement ton coéquipier. S’ils doivent changer
un pilote, ça ne sera pas toi, tu es le plus jeune de vous deux.
Il soupire.
— Peterson ne renouvelle pas son contrat, il s’en va. Oran va le
remplacer.
Merde.
— Tu sais aussi bien que moi ce que ça veut dire, enchaîne-t-il.
Ils misent sur un nouveau poulain et ils pourraient échanger Gabriel
contre un pilote plus expérimenté ou qui ramène plus d’argent, comme Oak.
C’est la rumeur qui court, cependant rien n’est joué.
— Tu es bon Gab. Le truc c’est que si tu l’oublies, tu vas tomber tout
seul en bas de la grille. Bats-toi.
Il hoche la tête inconsciemment. Il sait que j’ai raison, mais pour l’instant
il doit encaisser cette nouvelle donne. Quand il aura repris ses esprits, il sera
plus combatif.
Pour l’heure, je lui ressers un verre, puis l’entraîne avec les garçons pour
danser et profiter le temps que nous arrivions en France. Là-bas, il pourra
voir sa sœur et ses parents. Ça lui fera du bien de se ressourcer.
Quant à moi, je me prends une bonne cuite pour oublier ce week-end. J’ai
besoin de me détendre et c’est exactement ce que je fais. Je sens que la suite
ne va pas être jolie, je m’y prépare à ma façon, en occultant les risques que
j’ai pris.
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Chapitre 20
Octobre – Canada
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Il ne reste que trois courses avant la fin de la saison. Owen doit gagner
celle-ci et se placer sur un podium dans les deux prochaines pour remporter
la coupe. Il faut aussi que Nilson ne gagne aucun des autres Grands Prix à
venir. Je suis sûre qu’il va y arriver. Je vais tout donner pour qu’il y
parvienne.
Voilà déjà quelques semaines que je me défonce pour favoriser Owen
dans les stratégies et pour réfléchir à comment l’aider à récupérer de
précieuses secondes pendant les qualifications, puis le dimanche lors de la
course.
Aujourd’hui, je me rends au bureau dans cette même optique.
J’arrive sur place mais suis surprise de trouver Smith à la place de mes
équipes. Son visage est fermé, froid. Je pense savoir ce qui m’attend avant
même qu’il n’ouvre la bouche.
— Assieds-toi, Lise, j’ai à te parler.
Je m’exécute, déjà en train de m’énerver. Il s’installe sur une chaise en
face de moi, puis me fait glisser un papier où il a apposé sa signature.
Le titre est plutôt explicite : « Notification de licenciement ».
Ils ont osé. Ils ont osé trois courses avant la fin du championnat. Je me
doute qu’ils cherchent simplement à déstabiliser Owen. Nul doute qu’il
s’agit là de l’œuvre de Nilson.
Ce dernier vient de signer son arrêt de mort.
— Nous allons devoir nous séparer de toi, comme tu le comprends,
explique Smith.
Un rire amer traverse mes lèvres quand je lis les raisons qu’ils ont
invoquées : « manque d’investissement », « laisse sa vie privée interférer
avec son travail », « manque de professionnalisme », « étalage dans les
médias ».
— Quelles jolies paraphrases, commenté-je. Mais on connaît la vraie
explication : « sort avec le concurrent de Magnus Nilson ».
Smith ne répond pas à ma pique.
— Le licenciement est à effet immédiat. Je vais te demander de me
remettre ton badge et les documents relatifs à l’écurie. Je te rappelle que tu
es soumise à une clause de non-concurrence et de confidentialité. Je suis
désolé, Lise. Mais tu t’y attendais en jouant ainsi.
— En jouant ? m’emporté-je. Vous savez très bien ce qu’il se passe et
que je suis la seule à avoir un minimum d’éthique ici.
Il se contente de me regarder sans répondre. Son comportement passif me
met hors de moi. Je reprends :
— Votre pilote va tomber, je vous le promets. Je vais m’en assurer
personnellement. Ne vous attendez pas à ce que je la ferme, je vais vous le
faire payer.
Il grince des dents.
— Tu ne feras rien qui atteindra ton cher amoureux.
— Je sais ce que je peux ou ne peux pas faire par rapport à Owen. Ne
vous inquiétez pas, mes plans n’entacheront que vous, promets-je
froidement.
Mes menaces l’inquiètent, mais il tente de garder la face.
— Ne te comporte pas comme ça, Lise. Il te reste un minimum de
dignité.
S’il croit m’avoir de cette façon, il se trompe. Je sais très bien que ma
réputation n’est pas en jeu. La leur par contre…
Retourner la situation est sa seule échappatoire. La décision vient de
Nilson, qui n’en a pas mesuré les conséquences. Smith, lui, sait que je peux
faire du bruit si j’en ai envie. C’est ce que je compte faire.
— Je croyais que nous nous respections plus que ça, Patrick. J’avais
beaucoup d’estime pour vous. Vous me faites presque peine à vous
soumettre de la sorte.
Je prends mes affaires sans tarder et dégage de cet endroit. Je sors du
paddock, escortée par la sécurité. Je n’ai plus d’accès aux coulisses et ils
veulent me le faire savoir.
Une fois dehors, j’ai envie de hurler, de casser quelque chose. Je me sens
désemparée mais aussi libérée. Je ne fais définitivement plus partie de ces
conneries et je ne risque plus rien à creuser sur Nilson. Je peux toujours
donner des conseils à Owen, mais il va devoir se méfier des requins sans
mon aide en interne.
Smith doit être en train d’annoncer mon départ à l’équipe, car je reçois
quelques messages, dont un de Bill à qui je n’ai pas adressé la parole depuis
notre altercation.
Bill : « Ça te pendait au nez, Lise… J’ai essayé de te prévenir que cette relation ne
t’apporterait rien de bon. Je reste triste de ne plus travailler avec toi. »
Moi : « Tu es bien naïf si tu crois que ça a un lien avec mon couple. »
Au lieu de me lancer dans une discussion avec lui, je commence une
série d’appels pour prendre mes dispositions.
D’abord Owen.
— T’es pas au boulot ? s’interroge-t-il.
Plutôt que de tourner autour du pot, je lui balance la nouvelle.
— Ils m’ont virée, Owen. Nilson m’a fait virer.
Un silence me répond. Il ne s’attendait pas à ça.
— C’est une blague ? Putain, je vais les démonter. Je vais appeler Smith
et…
— Non, le coupé-je. Je vais leur faire payer moi-même. Concentre-toi sur
la course et méfie-toi. Il est hors de question que tu ne remportes pas cette
coupe !
— Lise, soupire-t-il, tu ne peux pas me demander d’attendre les bras
croisés.
— Je vais les écraser. Tu sais aussi bien que moi que j’en ai besoin. Ton
rôle, c’est de leur laisser croire que c’est toi qui mènes la danse, OK ?
— Je ferai tout ce que tu veux, acquiesce-t-il, désemparé. On en parle ce
soir ?
— J’aurai un plan d’action d’ici là, lui assuré-je.
Je suis plus furieuse que jamais. Ils viennent de me délivrer de toute
retenue. Je leur étais reconnaissante avant, mais là, je peux jouer toutes mes
cartes pour les faire souffrir sans peur de représailles. Ils ont mal mené leur
barque.
Je raccroche avec Owen pour appeler Gabriel. J’ai besoin d’un accès au
paddock et ce n’est pas Dark Crown qui va me le fournir en tant que copine
de leur pilote.
— Je viens de recevoir un message d’Owen, t’es virée ? C’est quoi cette
connerie ?
— Ouais, Nilson en est là… Tu arriverais à me trouver un badge pour
entrer sur le paddock ?
Je l’entends dire quelque chose à son assistant avant de revenir vers moi.
— Je suis sur le coup. Dès qu’il est prêt, Dorian te l’apportera aux grilles,
me rassure-t-il.
— Merci, Gabby. Tu me sauves.
Heureusement que j’ai mes amis.
— J’ai hâte de savoir comment tu vas leur faire payer, songe-t-il mi-
amusé, mi-énervé.
— Ils ne sont pas prêts, lui affirmé-je, véhémente.
Je raccroche, bourrée d’adrénaline et de colère, puis passe le dernier
appel que j’avais en tête.
— Lise ? décroche Nora.
Je lui raconte rapidement ce qu’il s’est passé pour en venir à ma
demande.
— Tu délires ? Putain… Je n’arrive pas y croire.
Ça semble être une réaction commune, aujourd’hui.
— Qu’est-ce que je peux faire ? lance-t-elle directement.
Au moins, je sais sur qui je peux compter.
— Je vais avoir besoin de tes contacts et de tes conseils. J’ai un papier à
écrire et à publier aussi vite que possible dans un journal qui fera du bruit.
— J’aime quand tu me parles comme ça ! s’excite-t-elle.
Je compte bien faire couler tous ceux qui ont eu un rôle dans la
destruction de ma carrière de pilote, dans mon licenciement et enfin,
j’offrirai une attention toute particulière au Suédois. Je vais trouver les
preuves dont j’ai besoin et le faire plonger.
L’assistant de Gabriel arrive rapidement en compagnie de Mélanie. Elle
me serre dans ses bras.
— Je suis désolée, souffle-t-elle.
— Merci.
Avoir une amie m’aidera dans les étapes de ma libération de parole. Si
j’étais trop jeune auparavant, aujourd’hui je sais que mon histoire va faire
du bruit. Je sais que les garçons m’épauleront et que je pourrai peut-être
faire bouger les choses. Je compte bien citer des noms et signer mon récit.
Ce licenciement est la goutte de trop. Je dois agir pour empêcher que les
choses se reproduisent pour d’autres.
Munie de mon nouveau badge de chez Neptune, j’entre à nouveau sur le
paddock, accompagnée de Mel.
J’arbore fièrement mon pass aux couleurs immanquables de l’écurie
française. Je demande même à Mélanie de faire un détour pour me pavaner
devant les locaux de DC. Ils sont bien évidemment surpris de me voir, puis
ils tombent sur mon badge. Je crois que Smith ne réalise que maintenant
tous les contacts que je peux avoir. Il est livide.
Je leur offre mon meilleur majeur avant de partir trouver Nora au stand
des journalistes.
Ma seconde amie me prend à son tour dans ses bras en s’excusant. Je lui
présente mon plan : je souhaite écrire mon histoire et la publier, je veux que
ça ait un retentissement important.
Choquée par la décision de la direction, Nora prend l’exercice à cœur et
cherche tout comme moi à faire sortir mon papier rapidement pour un
meilleur impact. Nous ne devons pas prendre le risque de laisser DC me
décrédibiliser en amont. S’ils ont vent de mes projets avant que je ne les aie
menés à bien, ça sera foutu.
Elle me propose diverses façons de faire, c’est elle la pro de la
communication. Je décide de lui faire confiance et de la laisser gérer
l’aspect technique. Moi, je n’aurai qu’à raconter ce qui m’est arrivé et à
fournir des preuves.
À la fin de la journée, elle me surprend en me présentant la journaliste
qui, selon elle, est la plus compétente dans ce domaine. Je ne m’attendais
pas à ce que ce soit si rapide. Elle me file son numéro et je ne perds pas une
minute pour l’appeler. Nous échangeons quelques mots et nous entendons
facilement sur la façon dont nous voulons que ça se passe. Nous convenons
de faire sortir le papier rapidement pour éviter que l’écurie étouffe l’affaire,
d’une façon ou d’une autre. Cette femme est derrière moi, elle aussi prête à
tout pour que l’histoire sorte. Ça ne pourra que faire du bien à sa carrière.
Nul doute qu’elle-même doit galérer dans un monde d’hommes pour se
faire respecter et remarquer. Le journalisme sportif n’est pas le plus
accueillant pour notre sexe.
Finalement, nous nous donnons rendez-vous le lendemain pour que je lui
raconte tout en lui fournissant les éléments nécessaires. Le papier sortira
juste avant la course. Dans trois jours. Je n’en reviens pas de notre
efficacité.
Ils vont tous devoir assumer leurs actes.
OWEN
Lise m’avait prévenu que ça allait être moche, mais c’est encore mieux
que ce que je pensais. Elle n’a pas fait semblant. Son honnêteté est
frappante et ceux qui sont cités vont devoir assumer. Les preuves sont là.
Nos témoignages aussi. Elle a tenu sa promesse, elle est en train de les faire
couler petit à petit.
La Course 20/10/2020
Quand le sexisme s’invite sur le paddock…
Ce thème sujet à débats n’est pas nouveau. Nous en parlons
régulièrement dans ce magazine, cependant, nous n’avons jamais réussi à
trouver une femme ayant envie de s’exposer et de prouver que non, ce ne
sont pas juste des rumeurs.
Lise Cardin, ancienne étoile montante du karting, est aujourd’hui prête à
se livrer. Le monde de la Formule 1 n’a qu’à bien se tenir, car ce qu’elle a à
raconter ne va pas faire que des heureux. Son récit, étayé par de nombreux
documents officiels, témoignages et même SMS, dévoile une bien triste
réalité pour ce sport qui pourtant a les moyens de lutter contre ce fléau.
Heureusement, la parole de femmes comme Lise Cardin se libère. Le
combat est enclenché. Ce récit est, nous l’espérons, le premier d’une longue
série.
Lise Cardin : « Vous ne le saviez pas, mais avoir un vagin est
incompatible avec un siège en Formule 1. De mes cinq ans à mes dix-huit
ans, ma vie n’a tourné qu’autour du kart. Ce qui n’était qu’une passion est
devenu ma vocation. Je m’entraînais dur, je participais aux mêmes stages
intensifs qu’Abbott, Lecomte, Doppia, Hupert et Miller. J’apprenais dans la
même école qu’eux. En course, je les battais à chaque fois et si vous leur
demandez, ils vous diront que j’étais la meilleure de notre promotion.
Quand je suis entrée en F3, il a fallu commencer à attirer les sponsors.
Mes prouesses m’ont aidée et j’ai décroché trois contrats qui m’ont permis
de continuer les courses. Puis Dark Crown m’a sélectionnée pour intégrer
leur équipe junior. Ils parlaient de moi en tant que “génie du sport” et
“future championne du monde”. J’ai quitté ma famille et voué ma vie aux
courses, aux entraînements.
J’ai remporté toutes les compétitions auxquelles j’ai participé. Ma
chambre croulait sous les coupes. Je ne déméritais pas, pourtant tout s’est
arrêté. Du jour au lendemain, mes sponsors Straw Drink, Flanning et
Tireman m’ont lâchée. Leur explication : “Une femme n’ira jamais plus loin
que la F2, miser sur vous est sans intérêt”, “Vous n’êtes qu’une femme !”,
“Vous supporter était bon pour notre image, maintenant, vous êtes un trou
dans notre budget”. Ils m’ont retiré les fonds dont j’avais besoin. Par voie
de conséquence, Dark Crown m’a virée de l’équipe junior. Malgré mon
talent, ils n’étaient pas prêts à me financer seuls. Ces hommes ont détruit
ma carrière pour l’unique motif que j’étais une femme.
J’ai été brisée, mais je me suis relevée. La course faisait partie de moi et
il fallait que je trouve un moyen de revenir sur le paddock. Smith m’a
appelée. Il connaissait mon talent et l’intérêt qu’il aurait à m’avoir dans
l’écurie. Dark Crown a financé mes études d’ingénieur et ils m’ont ensuite
engagée en tant que stratégiste dans leur équipe.
J’étais une femme dans un monde d’hommes et j’ai dû taper sur la table
plus d’une fois pour me faire entendre et respecter. Mais j’ai fini par
acquérir la reconnaissance de mes collègues.
Malheureusement, le sexisme ne s’est pas arrêté là. Quand Owen Abbott
et moi avons affiché notre couple, l’écurie a immédiatement commencé à
remettre en cause mes capacités sans la moindre preuve. Selon eux, une
femme qui sort avec un collègue perd soudainement ses aptitudes à
réfléchir. Abbott, lui, n’a pas reçu de notification de licenciement, on ne lui
a pas expliqué qu’avoir des relations sur son lieu de travail était
inacceptable, on ne l’a pas pointé du doigt et désigné comme incompétent.
Lui ne s’est pas fait insulter de “pute”, de “grid girl” ou de “groupie”. Lui
n’a pas reçu de messages de ses collègues masculins déplorant ses choix de
fréquentation.
Il y a de nombreux autres sujets dont j’aimerais tant parler, mais je n’ai
pas encore réuni les preuves dont j’avais besoin. Je vous promets que quand
je les aurai, d’autres devront faire face à leurs décisions et leurs actes.
Le sexisme doit cesser et je me battrai pour rééquilibrer les choses. Il y a
des jeunes filles qui méritent d’avoir leur place en F1 et je ne laisserai pas
des machos arriérés les priver de leur rêve. Toutes les preuves dont vous
avez besoin pour me croire sont là : contrats, lettres, SMS, mails, vidéos de
course, d’interviews, témoignages d’entraîneurs, de pilotes, de journalistes.
Qu’est-ce qu’il vous faut de plus pour comprendre que ces conneries
doivent cesser ?
Il est temps pour certains hommes de se retirer. Je leur propose de le faire
d’eux-mêmes avant qu’ils n’y soient forcés. »
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Chapitre 21
Octobre – Canada
OWEN
LISE
OWEN
Quand Lise rentre à l’hôtel, je sens que quelque chose cloche. Son teint
est pâle, elle est préoccupée. Elle avait rendez-vous avec une femme
aujourd’hui. J’ai peur de ce qu’elle a pu trouver.
Elle se blottit dans mes bras sans rien dire. Elle se contente de humer
mon odeur et de me serrer contre elle. Je l’embrasse sur le haut du crâne,
inquiet.
— Lisie ?
Elle relève le visage et me regarde.
— C’est moche, Owen. Très, très moche.
Je l’invite à m’expliquer. Alors elle sort son téléphone et me montre une
vidéo qui me retourne l’estomac.
— Putain.
C’est tout ce que j’arrive à dire.
— Ouais…
Nous nous observons sans savoir quoi faire. Finalement, nous nous
posons dans le canapé avec un verre de whisky chacun.
— Et elle est d’accord pour s’exposer ?
Lise hoche la tête.
— Elle nous a donné son accord. Nora a mis par écrit son histoire qu’elle
a accepté de signer. La vidéo est confondante.
Je soupire.
— Il va tomber, songé-je. Pourtant, je n’en ressens aucune satisfaction.
— J’aurais préféré que tout ça ne soit que des mensonges, ajoute Lise
tristement.
Elle pose sa tête sur mon épaule, pensive.
— J’ai peur qu’il découvre ce qu’on sait et qu’il fasse tout pour enfouir
l’affaire, songe-t-elle.
Ça ne fait plus de doute que Nilson a obligé un paquet de monde à se
taire. Ce genre de dérapage n’est pas occasionnel. Cet homme est mauvais.
Il continue tranquillement ses courses, alors que des femmes ont été brisées
de sa main.
— Alors on doit faire sortir tout ça le plus tôt possible, affirmé-je.
— Ce week-end ? m’interroge-t-elle.
Ça risquerait de trop déstabiliser l’écurie. Je ne sais pas s’il s’agit de la
meilleure solution.
— Juste après ? suggéré-je.
Nous pesons le pour et le contre de chaque proposition avant de trouver
la façon la plus adéquate de procéder. Nous révélerons cette histoire le
lendemain de la course. Nous ne pouvons pas attendre la fin de la saison.
Cette femme compte sur nous et Nilson doit être pris de court pour ne pas
avoir le temps de se préparer au choc.
Plus que quelques jours et nous serons débarrassés de lui. Je lui souhaite
un combat judiciaire sans fin.
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Chapitre 22
Novembre – Portugal
OWEN
LISE
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Chapitre 23
Novembre – Espagne
OWEN
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Chapitre 24
Novembre – Espagne
LISE
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Chapitre 25
Décembre – Angleterre
LISE
Ça y est. Les preuves contre Nilson ont été envoyées à plusieurs journaux
et directement à la fédération. Les papiers devraient sortir rapidement. Sa
chute est imminente.
De notre côté, Owen et moi allons pouvoir profiter de vacances bien
méritées. Nous avons besoin de souffler. Les saisons sont intenses et celle-
ci l’a particulièrement été pour nous. Nous allons aussi prendre le temps de
faire entièrement le deuil de notre ami.
Dans deux semaines, nous partirons pour les Philippines, quelques jours
à l’autre bout du monde nous feront du bien. Les plages de sable fin
m’appellent.
Je me vois déjà en maillot à longueur de journée dans un remake du
voyage de noces de Twilight sur une île privée. Je ne sais pas exactement ce
qui nous attend, mais c’est ça que j’imagine. Owen s’est occupé de tout
réserver, je me laisse porter.
D’ici là, nous logeons dans son appartement londonien. Nous profitons
d’avoir des grasses matinées et beaucoup de temps tous les deux. Nous ne
réalisons qu’à cet instant à quel point nos vies vont à cent à l’heure en
pleine saison.
Cette année, je ne suis même pas obligée de bosser sur la saison
prochaine. Je suis en paix, comme mon pilote.
Pendant que monsieur dort encore, je prépare le petit déjeuner. Je me suis
réveillée avec une grosse envie de pancakes. Donc je m’attèle à concocter la
pâte quand mon téléphone sonne.
Le numéro est inconnu, mais je réponds malgré tout.
— Lise Cardin ? s’assure une voix de femme.
— Oui, c’est moi.
Je n’ai pas le temps de poser une question que la personne se présente.
— Bonjour ! Je suis Anita Baker. Je ne sais pas si vous vous souvenez de
moi. Nous avons discuté au gala de charité d’Abu Dhabi.
Mon cerveau relie toutes les informations.
— Oui, si ! Bien sûr ! Vous allez bien ?
Pourquoi m’appelle-t-elle ? Comment a-t-elle récupéré mon numéro ?
Je m’assois sur une chaise de la cuisine en attendant d’obtenir mes
réponses.
— Au gala, je ne pouvais pas encore vous en parler. Le projet était en
construction. Mais depuis nous avons bien avancé et surtout j’ai été épatée
par votre prise de parole dans la presse.
— Merci, réponds-je bêtement sans comprendre où elle veut en venir.
Elle marque une pause avant de poursuivre.
— Votre histoire et votre tempérament sont ce dont nous avons besoin.
— Excusez-moi, la coupé-je. Qui ça, « nous » ?
Elle rit nerveusement.
— Quelle andouille ! J’oublie l’information principale ! Je travaille pour
la fédération de Formule 1.
Hein ?
Je reste sans voix, alors elle poursuit sa tirade. Que me veut la
fédération ?
— Nous cherchons à faire bouger les choses. La fédération souhaite
redorer son image désuète et moi, comme vous le savez, j’aimerais soutenir
les femmes capables de prendre place dans une de ces voitures. Nous
aiderions plus généralement tous les jeunes discriminés à faire
véritablement leur entrée dans ce sport.
Je commence à tirer quelques conclusions sur la raison de cet appel. Mais
je ne veux pas me tromper.
— Pourquoi me contactez-vous ?
Elle se racle la gorge.
— Nous voulons vous proposer de faire partir de ce projet. La fédération
pense que votre profil serait un exemple pour les jeunes femmes et un
rappel de ce qu’il ne faut pas faire. Pour ma part, je vous trouve forte et
déterminée. Nous avons besoin de personnes motivées si nous désirons
secouer ce petit monde.
Je reste bouche bée, incapable de sortir le moindre son. La fédération est
vraiment en train de m’offrir sur un plateau d’argent le job de mes rêves ?
— Vous êtes partante ?
Je bégaie quelques instants avant de trouver mes mots.
— En quoi ça consisterait ? Je devrais faire quoi ? Qu’est-ce que je ne
devrais pas faire ? Enfin, vous connaissez ma… situation.
Owen arrive justement à cet instant. Encore à moitié endormi, sa moue
d’incompréhension me tire un sourire. Je lui intime de venir et mets le
téléphone en haut-parleur.
— Votre relation ne pose pas de problème. Il n’y aura pas de conflit
d’intérêts, car nous ne travaillerons pas avec les pilotes. Notre action
touchera plus les investisseurs, les directeurs d’écurie et surtout nous aurons
un pied dans chaque équipe junior pour vérifier ce qu’il s’y passe.
Owen écarquille les yeux. Moi, je suis toujours sans voix.
J’imagine que je ne pourrai pas suivre Owen sur toutes ses dates, que,
moi aussi, je voyagerai beaucoup. Mais c’est le job de mes rêves. Je vais
pouvoir aider de nombreuses jeunes filles et mettre à mal un modèle
dépassé.
— Qu’en dites-vous, Lise ? Vous acceptez ? insiste-t-elle.
Owen hoche rapidement la tête pour m’inciter à dire oui sauf que j’ai
déjà pris ma décision.
— Il va me falloir un peu plus de détails, mais sinon, oui, évidemment
que ce poste m’intéresse.
— Ne vous en faites pas, nous comptons vous rencontrer plus
formellement pour vous donner tous les détails sur cet emploi, sur le contrat
de travail. Bref. Tout ce dont vous avez besoin pour nous donner une
réponse définitive. Je voulais simplement m’assurer que vous étiez
intéressée avant d’enclencher les démarches.
— J’ai hâte de vous rencontrer, lui assuré-je.
Soulagée, Anita me donne les informations pour un prochain appel avec
un membre plus élevé de la hiérarchie, puis raccroche non sans m’affirmer
être ravie à l’idée de collaborer à mes côtés.
Dès la fin de l’appel, je fais un rapide résumé à Owen qui me prend dans
ses bras, heureux.
Il semblerait que je reste en F1, tout compte fait. J’ai trouvé un travail. Et
quel travail ! Ce petit monde n’a qu’à bien se tenir !
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Chapitre 26
Janvier – Angleterre
OWEN
Février – Allemagne
MATHIEU
Buzz.
Buzz.
Buzz.
Encore légèrement bourré de la veille, il me faut un moment pour capter
que c’est mon téléphone qui vibre.
Je grogne, frustré d’avoir été réveillé.
Qui est-ce qui me casse les couilles encore ? C’est le week-end ! On ne
peut pas me laisser pioncer ?
Je prends mon portable et ravale mes plaintes quand je lis « Mercredi »
sur mon écran. J’ai raté l’appel en plus.
Après ça, je n’arriverai pas à me rendormir. Je me frotte les yeux et
prends connaissance des lieux qui m’entourent. Je n’ai pas la moindre idée
d’où je suis, ni… qui est cette… non, ces jeunes femmes allongées près de
moi.
Je soulève la couette, une capote est encore accrochée à mon sexe mou.
Elle est pleine. Je sais maintenant comment s’est terminée ma soirée. Je suis
ravi de voir que même torché, j’ai du bon sens.
La chambre pue la transpiration et la bite.
J’observe les filles à mes côtés pour tenter de me remémorer leurs noms
mais à bien y réfléchir, je ne suis pas certain de les leur avoir demandés.
La meilleure solution serait probablement de fuir les lieux, mais j’ai faim.
En plus, quitter une femme après le sexe sans rien dire c’est un truc de
lâche. Quitter deux femmes sans rien dire, c’est du suicide.
Mon téléphone vibre à nouveau et cette fois je décroche. J’attends d’être
sorti de la chambre pour parler. Je ne voudrais pas réveiller les demoiselles.
— C’est qui ? demandé-je, la voix éraillée par la soirée et l’alcool.
— Mathieu ? interroge une voix féminine.
Ça fait beaucoup de femmes pour un seul matin.
— Oh putain, c’est dégueulasse, marmonné-je en retirant la capote de ma
bite.
— Quoi ?
— C’est tout collant, expliqué-je.
Mon interlocutrice soupire et semble s’adresser à une autre personne qui
doit être à côté d’elle. Je ne comprends rien. Le marteau-piqueur dans ma
tête me tape sur les tempes.
— Monsieur Lecomte ? reprend d’un ton plus ferme une voix masculine.
— Pas si fort ! me plains-je.
J’entends du bruit dans la chambre. Les filles doivent être en train de se
réveiller.
Je ne sais même pas quelle heure il est. Je sais juste qu’on est mercredi.
De quelle semaine, allez savoir. Je suis dans quelle ville déjà ? Je crois que
je traîne en Espagne en ce moment, mais j’ai un doute, car il me semble
avoir pris un avion récemment. Peut-être que je suis en Allemagne tout
compte fait.
Je vais à la fenêtre pour trouver des indices, mais la lumière est bien trop
forte pour que je persiste à regarder.
L’homme poursuit de l’autre côté du combiné.
— Monsieur Lecomte, Keelean vous demande de bien vouloir rappliquer
en Écosse ! Vous avez rendez-vous avec le gérant de l’écurie et si vous ne
voulez pas dégager, il va falloir vous résoudre à vous montrer !
À la fin de sa phrase, il est presque en train de crier.
Je crois que j’ai déjà raté ce rendez-vous deux ou trois fois. Jusqu’ici, ils
n’avaient pas menacé de me virer, mais je pense que ça y est, je suis venu à
bout de leur patience.
Ils me cassent les couilles, Mickey. Tu les entends, sérieux ? Moi je
profite de la vie et eux, ils me cassent les couilles ! Mes couilles bien vides
après cette nuit.
— OK, me contenté-je de répondre avant de raccrocher.
Ah merde ! J’ai oublié de demander où et quand. Bon. Ils ont mon
numéro, ils me rappelleront.
Cette chaise est vraiment froide. Elle me glace le cul. J’ai besoin d’un
caleçon.
Mes compagnes de la nuit se lèvent au moment où je reviens dans la
chambre trouver mes fringues.
— Salut, toi, minaude la rousse.
Son maquillage a coulé, on dirait un film d’horreur. Mais je lui souris
tout de même.
— Dites les filles, vous savez dans quel pays on est ?
Elles gloussent et ne répondent pas, croyant à une vanne. Visiblement,
elles ne me seront d’aucune aide.
Je reçois alors un SMS.
« Vous avez rendez-vous dans une semaine avec le propriétaire de Keelean au QG de l’écurie
à Édimbourg. Mercredi, 10 h. Ne soyez pas en retard et certainement pas absent. »
Une semaine ? Ça va ! J’ai le temps de traîner un peu plus !
La saison est encore loin. En attendant, je compte bien profiter de la vie
et de tout ce qu’elle a à m’offrir !
Mec… Tu vas perdre ton siège ! Arrête tes conneries !
Je ne vais pas perdre mon siège ! J’ai même rendez-vous, regarde ! Je
gère, t’inquiète petit frère.
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Remerciements
Ce livre, et cette trilogie dans son ensemble, c’est avant tout une passion :
celle de la F1.
Tout a commencé avec une course regardée de force et me voilà quelques
années plus tard, complètement mordue, incapable de rater un Grand Prix et
bien trop impliquée dans ce sport pour mon bien (et mon temps d’écran).
Ce projet, j’y ai cru et j’y crois. Course après course, ces personnages ont
commencé à envahir mon esprit jusqu’à assez m’obséder pour me forcer à
passer outre cette crainte de ne pas réussir à écrire ce que je visualisais. On
Pole a été écrit en un mois. Ma motivation était telle que je n’ai pas senti les
heures passées sur mon clavier. Bon, par contre, j’ai bien senti les heures de
correction… Mais ça en valait la peine, car au final, ce projet est celui dont
je suis le plus fière.
Merci à toutes les personnes qui se sont investies de près ou de loin pour
ce roman, qui m’ont motivée, rassurée, conseillée. Merci à celles qui, dès
qu’elles ont appris pour ce projet, se sont montrées surexcitées à l’idée de le
lire. Cet enthousiasme aura été déterminant dans mes coups de mou.
Un grand merci à BMR et surtout à Zélie pour m’avoir fait confiance
avec ce roman et pour ce travail éditorial du tonnerre. Ce livre (comme tous
les autres) est mon bébé, j’y tiens comme s’il faisait partie de moi. Laisser
d’autres personnes travailler dessus est toujours un challenge, mais tout le
long de ma collaboration avec toi, Zélie, j’ai senti un réel respect pour mon
texte et ma position d’auteure vis-à-vis de mon manuscrit. Un énorme merci
pour ça.
Enfin, merci à toi qui as choisi de lire ce livre plutôt qu’un autre. J’espère
qu’il aura su te convaincre et que je n’aurais pas – malgré moi – sacrifié tes
prochains dimanches à regarder pendant des heures des voitures tourner en
rond sur des circuits difformes.
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Couverture : © Olga Ekaterincheva / © iurii / © STILLFX /
Shutterstock
ISBN : 978-2-01-626477-5
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1.
CLÉMENCE
Le ciel est plombé. La pluie menace et il fait froid. Je suis gelée. Plus que
ça encore, et je ne parle pas de température. Mon corps est transi et mon
cœur est pris dans une gangue de glace. Il doit faire des efforts démentiels
pour continuer à battre, alors que le cercueil descend au fond du trou.
Tant que je n’imagine pas ce qu’il contient, j’arrive à gérer mais dès que
je pense à celui qui est enfermé, à tout jamais, entre ces quatre planches, je
sens l’angoisse m’envahir et je n’arrive plus à respirer. C’est un enfer et je
ne sais pas comment je vais m’en sortir. On m’a répété que ça passerait, que
le temps ferait son œuvre, mais je n’y crois pas.
Depuis une semaine je suis en mode survie… Le but : tenir jusqu’à
l’enterrement pour être à ses côtés une dernière fois. Mais après ? Quand
tout sera fini, qu’est-ce qui va se passer ? Comment vais-je pouvoir
supporter le vide abyssal dans lequel j’ai été projetée le jour où j’ai reçu ce
coup de fil assassin ?
Trevor avait une voix douce, empreinte d’empathie, mais ses mots étaient
terribles et ils m’ont broyé le cœur. J’ai lâché mon portable et je me suis
écroulée, essayant d’assimiler ce que je venais d’entendre. « Clem, je suis
désolé, ma puce… c’est Josh… » Mon meilleur ami n’a pas eu besoin d’en
dire plus, mes jambes ont cédé et, alors que Trevor hurlait au téléphone, je
n’étais déjà plus là, happée par l’horreur.
Mon amour, celui qui allait devenir mon mari, venait de me laisser pour
toujours, emporté par sa passion. La Suzuki était pulvérisée, un freinage
trop tardif, un concurrent qui le percute par l’arrière, la moto qui part en
tonneau et qui retombe sur son pilote, le tuant sur le coup. Accident
improbable, rare mais fatal, et une vie brisée, une de plus… Un lourd tribut
payé à la course. Un sacrifice fait à la déesse vitesse et à son corollaire,
l’adrénaline, une drogue qui ne vous lâche plus à partir du moment où vous
y avez goûté.
Alors que le cercueil est maintenant au fond, dissimulé à ma vue, je n’ai
qu’une envie, plonger à mon tour et le rejoindre. J’esquisse un pas pour me
rapprocher de la fosse mais une main m’arrête dans mon élan. Je sais à qui
appartiennent ces longs doigts nerveux. Trevor ne m’a pas quittée depuis
que je les ai retrouvés à l’hôpital. Ils étaient tous là. Les mécanos, le team
manager, le deuxième pilote, les ingénieurs. Ils me fixaient tous, quand je
suis entrée dans la salle d’attente.
Qu’y avait-il à attendre ? Il n’y avait plus aucun espoir, Josh était déjà
mort dans l’ambulance qui l’amenait à l’hôpital. Nous sommes restés pour
ses parents et son frère… Ils avaient demandé à être les seuls à rester avec
lui, j’étais exclue de leur veille. Eux seuls auraient le droit de le voir ; moi,
je n’étais que la petite amie, alors que nous attendions la fin de la saison
pour nous marier… Les parents de Josh ne me portent pas dans leur cœur, je
n’avais aucun réconfort à attendre de leur part alors j’ai laissé les différents
membres de l’équipe me prendre dans leurs bras, m’étreindre, m’abreuver
de mots qui n’avaient aucun sens, qui ne me faisaient aucun bien, alors que
mon monde s’écroulait.
La cérémonie funèbre s’achève et on m’entraîne vers la sortie alors que
je voudrais rester là, avec lui. Je sais qu’il est là. Et je n’ai qu’un désir, un
besoin, m’allonger par terre et poser ma main sur la terre, pour l’étreindre
encore une fois…
C’est horrible ! C’est impossible !…
J’aurais voulu tellement plus pour lui rendre hommage, pour lui faire
plaisir une dernière fois. Mais je n’ai décidé de rien. Edna et Barney, ses
parents, ont pris les choses en main, je n’ai pas eu mon mot à dire, ou je
n’ai pas su me faire entendre. Je n’en avais pas la force, peut-être.
Trevor m’aide à m’installer dans la voiture, il vient même de boucler ma
ceinture, comme si j’étais une enfant. Et je le laisse faire. Je sais que je
devrais me révolter, monter aux créneaux pour crier, hurler, me défendre
mais, pour le moment, c’est plus facile, plus confortable. On me guide, on
me dit quoi faire, comment le faire et, comme ça, j’ai tout le temps de
penser à lui.
Il me manque tellement !
Je hurle dans ma tête et personne ne m’entend. Je crie ma peine, je
voudrais tellement qu’il revienne, qu’il me prenne dans ces bras, qu’il soit
là, tout simplement.
Nous avons gagné la salle mise à la disposition de la famille pour
accueillir tous ceux qui ont connu et aimé Josh… Je l’ai connu, mieux que
personne je crois, je l’ai aimé, je l’aime et je l’aimerai encore longtemps.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Josh était la plus belle personne que j’ai pu rencontrer dans ma vie. Fans
de moto l’un et l’autre, nous avions fait connaissance lors d’une course de
vitesse à laquelle nous participions tous les deux. Je l’avais battu ce jour-là,
avec ma Kawa… Il était venu me féliciter après le passage du drapeau à
damiers, pas du tout amer d’avoir été mis à mal par une fille, alors que
d’autres se demandaient encore comment un pilote, avec des seins et un
vagin, pouvait se tenir sur une moto.
Josh et moi avons gravi tous les échelons, côte à côte. Championnats
régionaux, nationaux, internationaux. Nous avons atteint les hautes sphères,
ensemble, le Graal de tout pilote de vitesse, la catégorie reine, la moto GP
et le clan très fermé des meilleurs pilotes mondiaux.
Je souris… Josh n’a jamais remis en doute ma position, pour la simple
raison que je suis une fille. Il n’avait rien à voir avec tous ces crétins dont
certains sont là, aujourd’hui. Il n’a jamais fait de différence, il ne m’a
jamais fait sentir que je n’avais pas ma place au milieu de la meute, bien au
contraire. Quand il me voyait enfiler ma combarde, il souriait et me
regardait avec tant de fierté qu’à chaque fois j’en étais saisie. Il a toujours
été à mes côtés même quand c’était difficile, alors qu’on m’injuriait, me
critiquait, je n’avais rien à foutre là. Pour être honnête, ce n’est pas tant le
fait que je sois une fille qui heurtait certaines sensibilités mais plutôt que je
sois une fille concourant pour le titre de champion du monde, dans la plus
prestigieuse catégorie. Ça en agaçait beaucoup.
Josh était mon pilier, ma force, la moitié de mon cœur, mon âme sœur…
Je regarde les personnes venues aujourd’hui. Soit pour lui rendre
hommage, soit pour soutenir ses parents, soit pour se faire voir…
Mes amis sont là… Trevor qui essaie de ne pas trop s’éloigner de moi,
l’équipe dans laquelle Josh courait ; Violette, ma moitié amicale qui veille
de loin, mais veille quand même malgré son infinie tristesse. Mes parents,
les siens et mon frère qui a perdu son meilleur ami. Ils m’entourent et je
leur en suis reconnaissante mais malgré tout je me sens seule.
Et c’est ça depuis qu’il est parti.
Il y a toujours quelqu’un avec moi… De quoi ont-ils peur ? Que je mette
fin à mes jours ? Ils ne me connaissent donc pas ? Je suis anéantie par la
disparition de l’homme que j’aimais et avec lequel j’allais finir ma vie.
Mais je sais aussi ce que notre passion commune peut coûter. Oui, elle est
extrême, dangereuse… pourtant rien n’aurait pu empêcher Josh de courir,
même pas moi. D’ailleurs il ne me serait jamais venu à l’esprit de le lui
demander. Pas plus que je n’aurais accepté qu’il le fasse.
Si je n’avais jamais peur pour moi quand j’étais au guidon de ma
machine, pour lui je me rongeais les sangs et je sais que c’était pareil de son
côté, mais nous n’en avons jamais rien dit… Nous nous respections et nous
nous aimions beaucoup trop pour faire un truc pareil.
Depuis une semaine, je ne fais que repasser en boucle nos cinq ans de vie
commune. Nos rires, nos larmes, nos engueulades, nos retrouvailles, nos
étreintes tantôt tendres ou passionnées, les petits riens de la vie quotidienne,
nos délires et nos balades à moto. Je me demande aussi : pourquoi lui ? Je
suis en colère. Cette colère ne s’adresse à personne en particulier mais elle
est là. Et elle me ronge. J’ai parfois envie de faire mal comme j’ai mal.
Il me manque tellement, j’ai honte de le dire mais je le maudis parfois de
nous avoir abandonnés. Puis je m’excuse parce que s’il avait pu choisir, il
ne serait jamais parti, il serait resté avec nous. Il était tellement heureux…
Si j’ai dû arrêter la compétition, c’est parce que je suis enceinte. Je n’ai
pas prolongé mon contrat avec mon écurie, nous en avons discuté et la
décision a vite été prise. Josh savait que j’étais triste de tirer un trait sur les
courses, si tôt dans ma carrière, mais je demeurais dans le monde de la
moto en intégrant le team et je restais à ses côtés.
Peu de gens sont dans la confidence ; à part Josh, seule Violette sait que
j’attends un enfant et que c’est l’unique raison de l’arrêt prématuré de ma
passion. Aujourd’hui, ce bébé n’a plus que moi.
Quelques personnes sont venues me saluer…
Je leur ai rendu la politesse mécaniquement, sans aucune émotion, vide,
seule…
J’en ai marre d’être là. Je ne supporte plus tous ces visages, toutes ces
personnes qui retrouveront leur vie en sortant d’ici, nous laissant dans le
cimetière qu’est devenue la nôtre.
J’ai besoin d’être seule, je veux rentrer chez moi.
Je me lève, j’enfile mon blouson et je préviens mes proches de mon
départ. Je sais qu’ils sont réticents, qu’ils préféreraient que je reste avec
eux, sûrement pour me surveiller, mais c’est au-dessus de mes forces…
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2.
CLÉMENCE
J’ai refusé que Trevor me ramène. Je vais marcher. Je n’habite pas tout
près mais j’ai envie de solitude.
Il fait toujours aussi froid et je me rends compte que je ne suis pas assez
habillée. Mais je persiste, mes amis ne me laisseraient pas conduire de toute
façon. Je ne suis pas en état, argumenteraient-ils.
Je descends le petit escalier qui mène au parking de la salle où nous nous
sommes réunis. Il est rempli de voitures, de motos, celles des courageux qui
ont bravé les intempéries pour un dernier hommage. Je dois le traverser
pour gagner le portail et je pourrai partir. Je fourre mes mains dans mes
poches et fais les premiers pas.
— Tu vas choper la mort…
Pourquoi ne suis-je pas surprise ? Je sais qui vient de m’apostropher.
— Ça réglerait peut-être mes problèmes, je lance, tout en continuant
d’avancer.
— C’est seulement une expression…
— Fous-moi la paix, Nate, je ne t’ai rien demandé.
— Il fait froid et tu n’as rien sur le dos, reprend-il.
Pourquoi ne me laisse-t-il pas ? Je ne veux pas parler, surtout pas à lui.
Nathaniel McAfee, celui dont il faut se méfier sur la piste, le type qui se
tape dix gonzesses à l’heure, qui ne supporte rien ni personne, sauf son
team et encore, si tout va comme il le veut. Ce mec est insupportable, c’est
un pilote imbu de sa petite personne qui croit que tout lui est permis parce
que Monsieur a été deux fois champion du monde. OK, il m’est arrivé de
rouler contre lui et je dois reconnaître qu’il est bon, super bon même,
meilleur que beaucoup. Seul Josh arrivait à lui mettre des bâtons dans les
roues.
Josh était lumineux, gentil avec tout le monde. Il était toujours prêt à
rendre service, à donner de son temps pour ses fans, ou ceux qu’il aimait en
général. Nathaniel, c’est tout le contraire. Il est sombre, égoïste. Il ne fait
que ce qu’il veut, quitte à blesser ceux qui l’entourent, et sur la piste il est
souvent excessif… Prêt à tout pourvu qu’il gagne et ce, malgré les
nombreuses remontrances des autorités et de son équipe. En même temps, il
assure et attire la foule, toujours plus nombreuse pour venir le soutenir.
C’est un gladiateur et je ne l’ai jamais vraiment apprécié.
Mais il a fait l’effort de venir aujourd’hui et je sais que ce n’est pas pour
se montrer. Ils étaient des adversaires impitoyables sur la piste mais Josh le
respectait, même s’il n’approuvait pas toujours son comportement.
Je me retourne et lui fais face. Il est égal à lui-même : sombre, vêtu de
noir de la tête aux pieds. Couleur de circonstance, diront certains.
— Merci d’être venu, Nathaniel, mais je dois y aller.
— Je peux te ramener.
— Merci mais ce ne sera pas la peine…
— Clem, je suis navré pour Josh.
— On l’est tous…
Je passe devant lui et sors du parking.
C’est la première fois qu’il m’adresse la parole. Il fait partie de tous ceux
qui pensent qu’une femme n’a rien à faire à l’avant d’une bécane. Eh bien,
qu’il se rassure, il ne m’y verra plus. Je vais rester à ma place… Je serai une
maman et rien de plus, qu’il soit content.
Je marche dans la rue, tête baissée et je grelotte, resserrant en vain mon
blouson pour me protéger de l’humidité.
J’avance et ma tête est vide… comme mon cœur. Je suis en équilibre au
bord d’une falaise et je suis prête à défaillir. Mon bébé est la seule chose qui
me rattache encore au monde des vivants. C’est pour lui que je dois me
battre. Je remise ma peine au placard et j’avance. Je mets un pied devant
l’autre et je lutte contre le froid.
J’entends le bruit caractéristique du moteur Porsche et je soupire quand la
voiture roule au ralenti à côté de moi.
— Clem…
Je continue à avancer sans m’occuper de la voiture qui me suit.
— Clem, bordel, il pleut… Laisse-moi te ramener chez toi.
— Tu me parles maintenant ?
— Monte !
— Je n’ai pas besoin de toi, Nate. Tu me traites comme une pestiférée sur
les circuits et là maintenant t’es aux petits soins ? Je me fous de ta pitié !
Laisse-moi tranquille !
— C’était un super pilote…
—…
— Clémence, nom de Dieu ! Monte dans cette bagnole ! Tu n’as pas
besoin d’une pneumonie en plus de tout ça.
Mais qu’est-ce que ça peut lui faire ?
— Casse-toi, Nate ! Qu’est-ce que t’en as foutre de moi, hein ? Fous-moi
la paix, dégage, OK ?
Je suis en colère, dans une fureur noire plus exactement, et
malheureusement pour lui il est le seul à proximité.
Je lui tourne le dos et le laisse là, à l’abri dans son bolide aussi sombre
que lui et que cette journée.
J’entends la voiture partir sur les chapeaux de roues. Il doit être vexé que
j’aie refusé son aide mais je m’en tape.
Je n’ai évacué qu’un centième de la rage qui m’habite mais c’est suffisant
pour le moment.
Je n’ai besoin de personne. Mon bébé et moi allons y arriver, c’est la
seule façon de rendre hommage à celui qui fera partie de ma vie à tout
jamais.
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3.
CLÉMENCE
J’ouvre les yeux et, pendant quelques secondes, je me dis qu’il doit
prendre sa douche ou son petit-déjeuner. Je vais le voir débarquer dans
notre chambre avec un grand sourire et un café. Il le posera sur la table de
nuit pour que l’arôme me tire du sommeil, puis il m’embrassera. Est-ce
aujourd’hui que je dois voir la gynéco ? Nous parlerons du bébé, nous
réfléchirons à un prénom et nous nous organiserons pour le reste de la
saison. Nous avons prévu d’annoncer la nouvelle à nos familles ensemble
mais je veux attendre les trois mois fatidiques, pour être sûre.
Mais ce matin encore la réalité revient d’un coup et me percute de plein
fouet. Son côté du lit est vide et froid et il n’y a pas de café qui me
réveille… Lui et moi ne rirons plus, nous ne discuterons plus de rien, nous
ne ferons plus jamais l’amour et c’est seule que j’irai voir le docteur.
Josh nous a quittés il y a deux semaines et autour de moi il n’y a plus que
Trevor, Violette et mon frère. Je crois que j’ai fait le vide. Je ne réponds pas
au téléphone. Je ne veux entendre personne parce que je ne sais jamais quoi
leur dire.
« Oui merci ça va… Oui, il faut que je me laisse du temps… Oui, je
referai ma vie, un jour… Oui, il était merveilleux… Oui, il nous manque à
tous… Oui, oui, oui… »
Non…
Non rien ne va, non je ne veux pas que le temps passe, je ne veux rien
oublier de lui, ni son rire, ni ses yeux, ni sa bouche, ni ses baisers, ni ses
caresses… Non, il n’était pas merveilleux, il était beaucoup plus que ça…
Une seule raison me motive à me lever, me laver et m’habiller… Tous
ces gestes du quotidien me demandent tant d’effort mais je les fais pour la
vie qui pousse en moi, la seule chose tangible qu’il me reste de Josh… notre
bébé, le résultat d’un amour infini.
Ce matin, je me rappelle avec précision les circonstances de sa
conception et notre émotion quand nous avons appris que j’étais enceinte.
C’était un soir de victoire, la dernière course que Josh ait remportée. J’avais
fini dans le top cinq et nous avions doublement fêté cette magnifique
journée. Après avoir célébré l’événement avec nos équipes respectives,
nous nous étions retrouvés dans notre camping-car. Notre nuit avait été un
feu d’artifice. Quand, un mois après, j’avais été prise de nausées, le doute
n’était plus permis.
Josh avait sauté de joie en découvrant les deux petites barres roses sur le
test. Puis nous avions pris conscience des conséquences de cette arrivée
absolument pas anticipée. Je devais renoncer à la compétition et c’était un
crève-cœur. Mais j’étais heureuse de cet enfant que nous aimions déjà,
même s’il n’était pas plus gros qu’un Dragibus, surnom débile trouvé par
Josh, en gourmand invétéré.
C’est ma troisième visite chez la gynéco. J’en suis à près de quatre mois
de grossesse et le médecin veut me voir, surtout après tout ce qui m’est
arrivé. J’appréhende… je perds un peu de sang depuis une semaine, rien
d’important, mais j’ai besoin que le médecin me réconforte, me dise que
tout ira bien et que notre bébé est en bonne santé.
Ma meilleure amie m’accompagne, elle va arriver, c’est ce que
m’annonce son SMS où elle rajoute qu’elle m’emmènera déjeuner après la
visite.
Le docteur Corman nous accueille dans son cabinet. L’examen est long et
intrusif, et la conclusion décevante. Je pensais rentrer chez moi rassurée, je
ne le suis qu’à moitié. Les pertes brunes ne sont pas forcément
annonciatrices de problèmes mais elles ne sont pas une bonne nouvelle non
plus. La gynéco me conseille de me reposer le plus possible, de bien
manger et d’éviter toutes les émotions fortes. Je n’insiste pas sur l’immense
douleur qui ne me quitte pas depuis qu’il est parti mais je lui promets de
faire tout mon possible et de penser au bébé.
Pendant le déjeuner qui suit, Violette fait son possible pour me changer
les idées. Elle est comme moi, toujours aussi triste, les traits tirés, mais elle
est là. Nous n’évoquons pas le Dragibus, comme si nous voulions conjurer
le sort. Elle me ramène ensuite chez moi et me laisse, non sans m’avoir
abreuvée de tout un tas de conseils.
Je me prépare un chocolat, prends un bouquin et m’installe sur le canapé.
J’essaie de me plonger dans l’histoire mais je suis trop préoccupée. Je
pose ma main sur mon ventre et je me dis que le destin ne peut pas être
aussi cruel, pour m’enlever la seule chose qui me fait tenir encore.
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