PDF of Histoire Naturelle Du Silence 1St Edition Jerome Sueur Full Chapter Ebook

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Histoire naturelle du silence 1st Edition

Jérôme Sueur
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Qu’est-ce que le silence ? Est-ce vraiment l’absence de
tout ? En écoutant bien, le silence n’est peut-être pas
celui que l’on croit. Il n’est ni vide ni singulier, mais
plein et pluriel. On découvre les grands silences, peut-
être inquiétants, des vastes horizons, les silences
naturels qui sonnent tout sauf creux, les silences
quotidiens dans l’attaque des prédateurs, la discrétion
des proies ou les soupirs des enlacements. Aller
chercher les silences dans l’évolution, le comportement
animal et l’écologie, c’est aussi découvrir en
contrepoint la diversité sonore étoilée du monde
sauvage et dénoncer les bruits, ces horribles
grincements de nos agitations, qui les menacent. Et si
on respirait quelques instants pour écouter le silence
et son histoire naturelle ?

Jérôme Sueur est enseignant-chercheur au Muséum


national d’histoire naturelle, où il dirige des recherches
en écoacoustique. Il mène des projets de suivi de la
biodiversité par l’écoute et l’analyse des paysages
sonores naturels, notamment forestiers. Ses travaux,
qui tissent des liens entre comportement animal,
écologie et acoustique, le conduisent à s’interroger sur
la dimension sonore de la nature : sa composition, son
évolution et la perception que les êtres vivants peuvent
en avoir. Il a publié ses chroniques sur France Inter
sous le titre Le Son de la Terre (Actes Sud, 2022).

ACTES SUD
“MONDES SAUVAGES”
POUR UNE NOUVELLE ALLIANCE

La nation iroquoise avait l’habitude de demander, avant chaque palabre, qui, dans
l’assemblée, allait parler au nom du loup.
En se réappropriant cette ancienne tradition, la collection “Mondes sauvages” souhaite
offrir un lieu d’expression privilégié à tous ceux qui, aujourd’hui, mettent en place des
stratégies originales pour être à l’écoute des êtres vivants. La biologie et l’éthologie du
XXIe siècle atteignent désormais un degré de précision suffisant pour distinguer les
individus et les envisager avec leurs personnalités et leurs histoires de vie singulières. C’est
une approche biographique du vivant. En allant à la rencontre des animaux sur leurs
territoires, ces auteurs partent en “mission diplomatique” au cœur du monde sauvage.
Ils deviennent, au fil de leurs expériences et de leurs aventures, les meilleurs interprètes
de tous ces peuples qui n’ont pas la parole, mais avec lesquels nous faisons monde
commun. Parce que nous partageons avec eux les mêmes territoires et la même histoire,
parce que notre survie en tant qu’espèce dépend de la leur, la question de la cohabitation
et du vivre-ensemble devient centrale. Il nous faut créer les conditions d’un dialogue à
nouveaux frais avec tous les êtres vivants, les conditions d’une nouvelle alliance.
HISTOIRE NATURELLE
DU SILENCE
Crédits des citations
Épigraphe p. 9 : Extrait de Sounds par Vladimir Nabokov. © 1991, Vladimir Nabokov, utilisé
avec la permission de
The Wylie Agency (UK) Limited.
© Éditions Gallimard pour la traduction française.

Collection créée par Stéphane Durand en 2017

© ACTES SUD, 2023


ISBN 978-2-330-15020-4
JÉRÔME SUEUR

HISTOIRE
NATURELLE
DU SILENCE
Préface de Gilles Boeuf
SOMMAIRE
Préface. de Gilles Boeuf

CHAPITRE 1

DANS LES ALPES

CHAPITRE 2
L’ESSENCE DU SON

CHAPITRE 3
SOUS LES TROPIQUES

CHAPITRE 4

LA NATURE DES SONS

CHAPITRE 5

AU CŒUR DU JURA

CHAPITRE 6
L’ENNEMI

CHAPITRE 7
AU LABORATOIRE

CHAPITRE 8
ABSOLU

CHAPITRE 9

NATUREL

CHAPITRE 10
PLEYEL

CHAPITRE 11
MUSIQUE !

CHAPITRE 12
LES UNS, LES AUTRES

CHAPITRE 13
ENTENDRE OU NE PAS ENTENDRE

CHAPITRE 14

AU MUSÉE

CHAPITRE 15

PASSÉ

CHAPITRE 16
SE CACHER

CHAPITRE 17

JOURS SOLAIRES

CHAPITRE 18

AMOUREUX

CHAPITRE 19
ENSEMBLE

CHAPITRE 20
PARTAGE

CHAPITRE 21

BATAILLES

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

GRANDS SILENCES
CHAPITRE 24

SILENCE, ON CONFINE !

CHAPITRE 25

GARDER LE SILENCE

Conclusion

Notes

Remerciements
Tu te taisais avec légèreté et insouciance, comme se taisent les nuages, les
plantes. Tout silence contient l’hypothèse d’un secret. À beaucoup tu semblais
secrète.
VLADIMIR NABOKOV, “Le Bruit”,
trad. Gilles Barbedette et Bernard Kreise1.
PRÉFACE
Quel livre !!
Histoire naturelle du silence… Quel joli titre… La nature est-elle
parfois silencieuse ? Oui, mais pas si souvent ! En 2011, au Muséum
à Paris, Jérôme Sueur me présente celui qui va devenir un ami,
l’extraordinaire bioacousticien américain Bernie Krause, qui venait
alors de publier Le Grand Orchestre animal. Bernie présentera à la
Fondation Cartier à Paris une exposition sur le même titre, qui fera
date, et permettra de sauver ses enregistrements sonores qui ont
disparu lors du grand incendie en Californie.
Depuis la fin des années 1960, Bernie Krause, souvent cité par
l’auteur dans son livre, a joué un rôle de pionnier considérable dans
l’étude des sons de la nature, aidant au développement d’une
discipline nouvelle aux États-Unis, la bioacoustique. Avec Jérôme, ils
me formeront tous les deux “aux sons de la nature”… Même si de
tout temps l’humain, chasseur et cueilleur, puis cultivateur et éleveur,
a écouté la nature, les approches scientifiques et technologiques ont
mis du temps à décoller et, jusqu’à une époque très récente, ces
sons ont été peu exploités scientifiquement. Durant la première
moitié du xxe siècle, les sons sont enregistrés au moyen du
phonographe, puis de nouvelles technologies apparaissent peu à
peu, notamment grâce à l’essor de l’électronique : des oscilloscopes,
des caméras acoustiques, des microphones et des hydrophones de
plus en plus perfectionnés (souvent utilisés pour les “chants” des
baleines) qui permettront des approches toujours plus sophistiquées
et favoriseront l’essor de cette nouvelle discipline.
Les progrès les plus récents concernent l’impact du bruit
anthropique (le son des activités humaines, l’“anthropophonie”) sur
le vivant et étudient les relations entre les humains, les “non-
humains” et leur environnement acoustique, souvent dénommé
“paysage sonore”. Des recherches nouvelles portent également sur
une technique non invasive permettant d’estimer la biodiversité
(pour certaines espèces de grenouilles, par exemple, qui ne sont pas
discriminables par leur apparence mais qui produisent des sons
totalement différents), conduisant à une nouvelle discipline, l’éco-
acoustique, née il y a quelques années en France au Muséum
national d’histoire naturelle.
Dans son ouvrage, Jérôme Sueur écrit : “Le son est omniprésent
au-dehors mais il grogne aussi au-dedans : il entre par nos oreilles
et n’en ressort pas, il traverse nos corps sans mal, il atteint nos
organes, touche nos enfants en devenir. Nos corps sont eux-mêmes
des sources sonores, ils pulsent en continu de battements
cardiaques, ils bruxent dans nos sommeils, ils craquent de nos
étirements articulaires et ils gargouillent de bouillonnements
gastriques quand la faim nous tenaille.
À chaque instant, jours comme nuits, nous sommes donc la cible et
l’origine de flèches sonores. Il suffit de fermer les yeux, de se
concentrer quelques secondes et d’analyser la scène acoustique qui
se déroule autour de nous pour nous rendre compte de cette
omniprésence sonore. Voix, musiques, corps, plantes, vents, pluies,
orages, objets envoient ou renvoient des sons qui nous bombardent
tous et tout le temps, rarement en solitaires, souvent en mêlées.”

Ainsi cet ouvrage est une merveilleuse incitation à écouter tous ces
“paysages sonores” qui nous environnent. L’auteur s’évertue à nous
décrire, parfois avec beaucoup de poésie, toujours avec une solide
base technique et scientifique, une foultitude d’espèces et de
milieux, tant continentaux qu’océaniques, tant terrestres
qu’aquatiques. Sommes-nous capables de percevoir ces sons et de
les interpréter ? Nous nous souvenons très bien des visions et des
odeurs de notre enfance, en est-il de même pour des sons ? Il est
réel que nous avons perdu beaucoup de nos facultés de perception
de nos environnements, émoussées par une vie différente et trop
coupée de la nature dans laquelle nous évoluions il n’y a pas si
longtemps. Il n’est que d’observer des aborigènes australiens
capables d’entendre un lézard fouissant le sable du désert, capacité
vitale dans la survie en milieux si hostiles.
“Le bruit, l’ennemi du silence, ne se camoufle pas, dit l’auteur. C’est
un ennemi de masse qui se fait entendre à toute heure et en toute
circonstance.” Et cette situation génère énormément de nuisances et
de pathologies chez l’humain, alors même que la plupart des bruits
sont créés par des activités strictement humaines (anthropophonie).
“L’homme n’aime pas le bruit mais aime faire du bruit.” Écoutez les
sarabandes de jet-skis sur nos rivages ou lacs durant l’été ! Si je fais
du bruit, c’est que j’existe ! Alors le silence est-il “un son qui ne fait
pas de bruit” ? Quelle jolie définition, d’un gamin d’école
maternelle !

Alors que faut-il pour que cessent ces cacophonies


d’anthropophonie, un grand confinement comme nous venons de le
vivre, plus de 99 % des nuisances en moins aux approches des
aéroports ? En effet, il est démontré que ces survols constituent la
principale pollution sonore dans certaines zones “très sauvages”,
inhabitées. Ou faut-il aller retrouver cette zone de silence de l’ONF
dans le désert de Chartreuse dans les Alpes où il est interdit de…
faire du bruit ? Le silence est multiple et plein de secrets, dit
Vladimir Nabokov, mais il n’est en rien un vide… Alors, comme en
cette splendide abbaye des Pyrénées en pays catalan, qu’est Saint-
Martin-du-Canigou, comme sur ces sculptures de moines faut-il
réduire nos bouches et agrandir nos oreilles ?

En fait à la pollution omniprésente de nos civilisations, aux


contaminations chimiques, physiques (dont la radioactivité),
biologiques avec les disséminations d’espèces partout, faut-il bien
ajouter les pollutions lumineuse et sonore. Les sons du vivant
(biophonie) sont tellement essentiels depuis les origines de la vie ;
associés à la géophonie (les sons du monde physique, volcans,
tonnerre, vagues… ), ils ont façonné la vie que nous connaissons. Et
nos musiques en sont bien souvent issues… Alors apprenons à
écouter, comme dans cette merveilleuse chanson de Paul Simon et
Art Garfunkel, The Sound of Silence…
Bergerac, le 14 septembre 2022.

Gilles Boeuf,
professeur à Sorbonne Université,
ancien président du Muséum national
d’histoire naturelle, professeur invité
au Collège de France.
CHAPITRE 1

DANS LES ALPES


La descente est douce depuis Saint-Pierre-de-Chartreuse vers la
plaine du Dauphiné. Cet ancien chemin du désert de Chartreuse est
une petite route de montagne sans cris ni effrois, à peine quelques
degrés de pente et quelques virages suspendus, entrecoupés d’un
seul étroit passage sous roche où les ascendants heureux frôlent les
descendants malheureux.
Nous faisons alors partie des tristes qui rejoignent le bas et, bien
pire encore, qui prennent par les grandes routes rectilignes et
embouteillées la direction du plat et morne Bassin parisien.
Répondant à un besoin d’air frais, de blanc neigeux, d’espaces
hauts et libres, nous avions décidé de nous perdre en famille dans le
massif de la Chartreuse, premier massif alpin accessible depuis les
plaines de l’Ouest et dont le nom nous évoquait le mystère d’un lieu
retiré du monde.
Nous allions accrocher de nombreux souvenirs sur les pentes de ce
massif enneigé, cette année et les suivantes. La semaine fut
tumultueuse. De grands moments de jeux sonores dans la neige
vierge loin des pistes damées alternèrent avec plusieurs petites
catastrophes familiales : voiture aux pneus effroyablement lisses
bloquée dans la glace et la neige, chute tête et dents en avant d’une
de nos filles de trois ans dans l’escalier abrupt d’un ancien grenier
chaleureusement transformé et loué à la semaine par un couple
d’une gentillesse infaillible, et gastroentérite sévère transmise par un
drôle d’altruisme familial d’enfants à parents et vice versa.
Durant ce court séjour où tout semblait compressé, le temps
entrecoupé de visites et de contre-visites médicales, l’espace
intérieur d’un chalet chaleureux mais petit, les chevilles dans les
hautes chaussettes neuves, j’eus l’occasion inespérée de m’échapper
une petite heure dans la forêt de sapins environnante.
Les montagnes m’ont presque toujours fait peur, leur masse et
leurs effondrements pesant de tout leur poids et fracas sur mes
frêles épaules de citadin blafard. J’ai eu peu d’opportunités de
fréquenter les parois rocheuses ou les pentes blanches. Quelques
séjours hivernaux pour skier comme on le faisait il y a trente ans, et
comme on le fait encore, un peu bêtement, c’est-à-dire en tribu,
vite, sans regarder ni au loin les crêtes ni au proche les vies
animales et végétales qui pourraient survivre entre les pylônes des
remontées mécaniques. Quelques séjours estivaux aussi dans les
Pyrénées à la recherche d’une grenouille énigmatique sur le mont
Canigou ou dans les Alpes valaisannes en traque cette fois d’une
cigale rouge presque aussi mystérieuse. Je n’avais qu’une vision très
tronquée de la montagne, une vision ne dépassant pas celle d’un
masque de skieur ou d’une paire de lunettes bon marché achetés
dans un grand magasin parisien entre les rayons d’équitation et
d’aquagym. Étranger dans ce massif de la Chartreuse, cette sortie du
chalet à la faveur d’une sieste collective imposée par la maladie eut
pour moi l’effet d’une grande découverte.
Je m’habille, peut-être me surhabille comme un Parisien, je chausse
dans la précipitation une paire de raquettes et saisis des bâtons mis
à disposition par les propriétaires. Sous un ciel gris mais lumineux, je
choisis le premier sentier sur la droite du chalet en remontant la
pente et m’enfonce entre les arbres noirs.
Lors de cette très brève marche, rapidement je me rends compte
que quelque chose se passe, ou plutôt ne se passe pas. Je m’évade
certes de la maison encombrée de mouvements et de cris mais, sans
l’avoir anticipé, j’entre surtout dans un autre environnement sonore.
Avançant doucement, traçant mon chemin, sortant légèrement du
sentier, en prenant garde de mémoriser quelques repères visuels
pour ne pas me perdre, je sens sous mes pieds le crissement
meringué de mes raquettes et de mes bâtons sur la neige dure, le
froissement de mes vêtements imperméables et le feulement de
mon souffle qui bute contre mon écharpe.
Lorsque je m’arrête après quelques centaines de mètres, je prends
enfin la mesure de ce qui m’arrive.
Au cœur de la Chartreuse, loin du laboratoire, loin de la vie
parisienne, la nature est ici plus que jamais vivante, froide et
éclatante. Déshabillée des bruits humains, elle s’offre nue au
promeneur. Seuls restent dans l’air froid le bruissement d’une
mésange noire en quête de quelque subsistance et le glissement
feutré d’un pâton de neige qui se détache d’une branche pour
tomber au ralenti sans laisser de traces.
Pour la première fois, en quelques pas seulement, seul et immobile,
hors du temps bouillonnant, je découvre enfin le silence dans une
nature profondément vivante.
C’est donc sur cette route de retour, le long de laquelle je trouverai
un étrange panneau, que je me rends compte que je dois
dorénavant tenter d’écouter ce que personne n’écoute, d’écouter le
prétendu vide quand tous cherchent le prétendu plein.
CHAPITRE 2

L’ESSENCE DU SON
En quelques traces de raquettes, j’avais perçu l’épaisseur du silence
d’un paysage de montagne emprisonné dans la neige. Était-ce donc
cela, le silence ? Un instant de solitude et de repos dans une nature
habillée de glace et de froid ? Le silence serait-il un calme
acoustique où seuls flottent encore quelques flocons sonores – un
froissement de plumes, le délitement d’une neige maladroite ? Le
silence serait-il une absence de sons et, par là, un manque
d’informations venant de l’environnement ?
Mais comment arriver alors à circonscrire une absence, une forme
de vide ? Comment définir l’antimatière, le silence, sans s’intéresser
à la matière, le son ? Pour connaître le silence, il faut inévitablement
savoir le son. Qui est le son ? Quel est cet animal frétillant mais sans
corps qui s’insinue en permanence, même lorsque nous dormons,
dans les circonvolutions de nos oreilles externes, tapotille nos
tympans, secoue gentiment les étriers, marteaux et enclumes de nos
oreilles internes, circule en spirale dans nos cochlées, voyage le long
de nos nerfs comme dans un train et, finalement, éveille les
neurones de nos cerveaux ?
Selon les lois de la physique, le son est une modification de la
pression ou de la densité d’un gaz, d’un fluide ou d’un solide due à
la mise en vibration endogène ou exogène d’un objet. Quel que soit
cet objet, un piano, un grille-pain, un hêtre pourpre ou un rorqual, le
son voyage avec l’air, l’eau, les matières végétales et minérales. Sans
son médium, le son n’est rien. En réalité, le son se confond avec son
milieu de propagation : le son est air, eau, plante ou caillou et il est
là depuis que les matières gazeuses, liquides et solides terrestres
existent. Si le son s’atténue avec la distance, rebondit et se diffracte
contre les obstacles, il peut aussi passer d’un milieu à l’autre, de l’air
à l’eau, de l’eau à un rocher, d’un rocher à une plante et d’une
plante à l’air. Le son ne connaît pas de frontières, il se disperse,
s’insinue, puis s’évacue partout. Tous les trajets sont possibles tant
que le son est assez énergique et que la matière se laisse déformer.
Aujourd’hui, en cet instant d’écriture, tout vibre autour de moi, à
fleur de peau, la mésange bleue sur le prunus brun du jardin, la
radio de la cuisine, le chat de la voisine. Tout vibre aussi loin de
moi : au même instant, le son passe et repasse dans l’humidité des
forêts tropicales, le froid des taïgas, la sécheresse des déserts ; il
s’immerge dans l’eau des rivières, des lacs, des fleuves, des mares,
des mers, des océans ; il traverse les fleurs, les épis, les bourgeons,
les fruits, les feuilles, les troncs et les branches ; il voyage dans la
roche des sols, le sable des plages, les couches profondes de la
croûte terrestre.
Le son est omniprésent au-dehors mais il grogne aussi au-dedans :
il entre par nos oreilles et n’en ressort pas, il traverse nos corps sans
mal, il atteint nos organes, touche nos enfants en devenir. Nos corps
sont eux-mêmes des sources sonores, ils pulsent en continu de
battements cardiaques, ils bruxent dans nos sommeils, ils craquent
de nos étirements articulaires et ils gargouillent de bouillonnements
gastriques quand la faim nous tenaille.
À chaque instant, jours comme nuits, nous sommes donc la cible et
l’origine de flèches sonores. Il suffit de fermer les yeux, de se
concentrer quelques secondes et d’analyser la scène acoustique qui
se déroule autour de nous pour nous rendre compte de cette
omniprésence sonore. Voix, musiques, corps, plantes, vents, pluies,
orages, objets envoient ou renvoient des sons qui nous bombardent
tous et tout le temps, rarement en solitaires, souvent en mêlées.
Le son est un élément essentiel de nos vies intra-utérine et extra-
utérine, de nos survies. Le son par la parole est la base
fondamentale de nos liens familiaux et sociaux et le son nous
informe en permanence sur l’état et les changements de notre
environnement. Armature d’un réseau immense qui connecte et
renseigne les êtres vivants, le son nous distrait, nous détend, nous
alerte, nous anime, parfois nous contrôle ou nous horripile. Le son
pénètre nos corps pour le meilleur comme pour le pire.
Dans l’air, le son est une alternance, plus ou moins régulière, plus
ou moins complexe, de compressions et de dilatations longitudinales
des particules atmosphériques. Ces particules oscillent autour de leur
position, ne s’éloignant jamais bien loin, au plus à quelques dizaines
de nanomètres. De ce petit geste particulaire émerge un grand
phénomène : les nano-oscillations des particules se transmettent de
proche en proche si bien que l’alternance compression-dilatation
parvient à se propager sur de longues distances, parfois des
kilomètres. Les mouvements des particules sont petits et faibles,
mais l’onde sonore est grande et puissante et les différences de
pression qui en résultent peuvent tout changer en nous. Quelle
étrangeté de ne pouvoir voir le son parfois si intense qu’il en est
douloureux. Pour cela, il nous faut passer par le truchement de
capteurs sensibles – des microphones, des accéléromètres, des
vibromètres laser – et des transformées mathématiques qui
changent le son en image.
La description physique d’une onde sonore se fait selon quatre
dimensions principales : l’amplitude, la durée, la fréquence et la
phase. L’amplitude représente la force, la pression, l’énergie, la
puissance, l’intensité du son. Tous ces termes de physique
mécanique sont liés les uns aux autres par des variables
d’accélération, de masse, de surface, de masse volumique, de
célérité, d’impédance et de temps. Au-delà des mathématiques sous-
jacentes, relativement simples par ailleurs, il est juste essentiel de
retenir que plus l’amplitude d’un son est grande, plus celui-ci
déforme son milieu de transport. Le barrissement de l’éléphant
africain déplace plus les particules d’air que les battements alaires
d’un moustique qui lui tourne autour des oreilles.
La deuxième dimension, purement temporelle, est plus facile à
cerner. Un son n’est pas un événement infini, il a un début et une
fin, une durée. Si chaque son porte en lui son histoire faite
d’événements complexes de transduction, diffusion, dissipation,
propagation, réfraction, réflexion, diffraction, le son est par essence
un événement de l’instant et évanescent. La naissance d’un son est
relativement facile à dater, c’est le début de la vibration lorsque les
particules du milieu passent d’un état de repos à un état d’excitation.
Cet accouchement est le plus souvent rapide, marqué par une
augmentation nette de l’amplitude. En revanche, la mort d’un son
est plus difficilement cernable. Le son peut en effet passer un certain
temps à s’éteindre. Le temps de l’agonie sonore dépend en premier
lieu des propriétés physiques d’amortissement de l’objet émetteur,
notamment de sa masse et de son élasticité. Un objet résonnant,
comme une cloche, met plus de temps à s’arrêter de trembler qu’un
objet impulsif, comme un claquement de doigts. La durée d’un son
dépend également, et surtout, des propriétés physiques intrinsèques
du milieu, comme sa masse volumique et son impédance, et de
l’encombrement de l’espace matériel par la présence possible
d’autres objets qui peuvent renvoyer le son, créant des échos, ou au
contraire l’absorber et l’arrêter.
Subtile, discrète, cachée derrière le large paravent des variations
temporelles et d’amplitude, la phase joue néanmoins un rôle
essentiel dans la génération, la propagation et la réception sonore.
La phase est une propriété temporelle un peu plus difficile à intégrer
car elle s’exprime dans une unité étrange, le radian, et avec le
nombre d’or π. La phase s’utilise pour définir des sons périodiques,
c’est-à-dire des sons avec des motifs temporels répétés, cycliques.
La phase est un descripteur de position qui renseigne où se trouve
l’onde dans le cycle sonore qui est une forme de cercle.
Arrive enfin le critère peut-être le plus connu du son : la fréquence
qui correspond au nombre de cycles parcourus par une onde sonore
en une seconde, nombre exprimé en hertz (Hz). Plus le nombre de
cycles est important, plus le son est aigu, et inversement. Les sons
qui nous entourent sont très rarement composés d’une seule
fréquence mais sont de véritables éventails sonores couvrant un
large spectre de fréquences, depuis des fréquences basses de l’ordre
de quelques hertz à des fréquences très aiguës, de plusieurs milliers
de hertz. Les sons inaudibles par les humains sont qualifiés
d’infrasons lorsque les fréquences passent sous les 20 hertz et
d’ultrasons quand elles dépassent les 20 000 hertz.
Puisque la métaphore musicale est inévitable dès que l’on traite du
son, il est possible de voir l’amplitude comme les nuances,
pianissimo, forte, fortissimo, la durée comme la figure des notes,
croche, noire, ronde, et la fréquence comme la hauteur des notes,
do, ré, mi. Seule la phase, éternelle oubliée, ne semble pas avoir
d’équivalent dans le système de notation musicale occidental, même
si elle est bien présente dans la facture des instruments et toute
l’ingénierie de l’enregistrement et de la restitution sonore.
Amplitude, durée, fréquence et phase ne sont pas des propriétés
indépendantes, l’amplitude se mesure sur une fenêtre temporelle
prédéfinie, la fréquence est l’inverse d’une période temporelle, la
durée est un temps délimité et la phase est une caractéristique à la
fois d’amplitude et de temps. Le temps est donc la dimension
fondamentale du son.
Entendre, c’est écouter le temps qui passe.
Doux ou violent, court ou prolongé, grave ou aigu, le son n’arrive
pas de nulle part : il sort d’un objet vibrant.
Les rainettes vertes (Hyla arborea) sont des grenouilles aux airs
sympathiques qui évoquent des formes rondes, un sourire au bord
de l’eau, une mouche coincée comme un sandwich dans la gueule,
une peau verte comme une pomme granny smith. La rainette est
aussi faite de sauts en extension au-dessus de nénuphars grands
comme des soucoupes volantes et de coassements tout aussi
intenses qu’incompréhensibles.
Personnage habituel des contes, la petite grenouille verte aux
doigts adhérents occupe une place de choix dans notre imaginaire.
Mais si la rainette coasse beaucoup dans les histoires du soir, peu
d’entre nous partent la nuit l’écouter sur le bord d’un chemin
détrempé ou d’une mare. Il est vrai qu’il faut un peu de courage
pour éteindre les écrans et sortir dans le noir salir ses bottes dans
l’eau boueuse. Et pourtant, le spectacle est tout à la fois
attendrissant et enrichissant. Faire un effort, chercher pendant un
certain temps entre les herbes, sur les cailloux, ou dans la terre
mouillée ce petit animal recroquevillé comme un chat avant sa
sieste, et enfin le trouver concentré sur son travail de nuit : appeler,
appeler encore, appeler toujours en gonflant sa gorge au risque de
la faire éclater pour déclamer sa soif d’amour aux étoiles qui
tournent au-dessus de sa petite tête fragile.
La rainette mâle est un infatigable chanteur. Comme tous les
vertébrés, elle chante grâce à la mise en vibration de fines
membranes attachées au larynx, l’équivalent de nos cordes vocales.
Elle commence par inspirer puis, en contractant ses muscles
abdominaux, elle expulse l’air des poumons vers la bouche. L’air
passe alors à travers le larynx et force les cordes vocales à vibrer.
Tandis que la majeure partie des animaux terrestres chanteurs
prennent leur respiration entre deux vocalises, la rainette fonctionne
en vase clos. L’air des poumons traverse le larynx et les cordes
vocales, passe la glotte et débouche dans la cavité buccale que le
mâle maintient totalement close, mâchoires serrées et narines
fermées. L’air repart alors en sens inverse vers les poumons, et ainsi
de suite selon un va-et-vient permanent. Ce système de ventilation
fermé permet à la rainette de chanter longtemps sans changer d’air,
évitant des mouvements fatigants d’inspiration et d’expiration avec
l’extérieur1.
La rainette ne se dégonfle donc jamais quand elle appelle, l’air
dilate en alternance les poumons et la bouche. Le palais de la
bouche est percé ventralement de deux petites ouvertures qui
débouchent sur une membrane fine et élastique qui forme la gorge.
Sous la pression de l’air venant des poumons, cette membrane, le
sac vocal, enfle comme une baudruche. Affublée d’un étrange
double menton, la grenouille prend des airs aristocratiques bien
étranges. Le sac vocal joue en fait un rôle capital dans la production
sonore puisqu’il participe à l’amplification en facilitant le passage des
vibrations du corps de la grenouille à l’air, au timbre en concentrant
l’énergie sonore sur quelques fréquences et au rayonnement
acoustique en projetant le son dans toutes les directions. Sans le sac
vocal, le son de la rainette serait dénaturé, plus faible, plus difficile à
localiser et probablement moins agréable à écouter sur le bord du
chemin.
Le sac se gonfle, il vibre. Notre œil n’est malheureusement pas
assez rapide, mais on pourrait presque voir les vibrations à la surface
de la membrane tendue, à l’interface entre le corps amphibien et
l’air. C’est là que naît le son aérien, la vague sonore qui nous atteint.
Si, par hasard, la rainette est postée dans l’eau, le son peut aussi
passer du sac vocal à l’eau et c’est alors que se forment des
vaguelettes régulières qui se répandent en figures concentriques. Le
son devient visible, il se disperse autour de la grenouille.
Voir le son dans la gorge blanche d’une rainette assise dans une
flaque d’eau et tenter de comprendre la mécanique et la raison d’un
son animal. La grenouille gueule, puisque c’est bien sa gueule qui
fait le travail, déforme son corps pour déformer l’air, l’eau ou le sol
qui l’entourent, en prendre le contrôle pour un temps. Chanter est
un sport de compétition.
Pour que le coassement ait un sens, pour qu’il puisse être le
résultat d’un processus évolutif, il faut évidemment qu’il soit perçu,
détecté, reconnu, identifié, localisé et qu’il ait une fonction autre que
celle de se faire repérer par les prédateurs. Seule une excellente
raison peut expliquer un tel comportement. Cette raison est simple :
se reproduire, survivre dans sa descendance. Comme presque tous
les animaux, la rainette vocalise à l’heure des amours, quand il est
temps de se rencontrer. Le mâle émet un signal de communication
dans lequel se mélangent de nombreuses informations
essentiellement adressées aux femelles des alentours. Dans un
coassement guttural se trouvent ainsi des indices d’identité – je suis
une rainette verte –, de genre – je suis un mâle –, d’état – je suis
volontaire pour me reproduire –, de localisation – je suis ici – et de
qualité – je vous jure que vous aurez de beaux têtards avec moi.
Cette communication est essentielle à la vie de la rainette : le
coassement est la clef de voûte de son cycle de vie. Couper le son
conduirait à la perte de l’espèce.
Le son existe par lui-même mais il prend une valeur, une fonction
comportementale, sociale ou écologique lorsqu’il est perçu et
interprété par un être vivant doué du sens de l’audition et d’un
système nerveux intégrateur qui est capable de le lire, de déchiffrer
l’information codée dans les propriétés d’amplitude, de temps, de
fréquence et de phase. La première étape de tout processus auditif
est le transfert du son qui doit passer de l’extérieur à l’intérieur d’un
corps, qu’il soit celui d’un humain, d’un dauphin rose ou d’une
rainette. Le problème physique rencontré ici est que l’air offre peu
de résistance au son, en d’autres termes l’impédance de l’air est
relativement faible, alors que les tissus biologiques de la grenouille,
essentiellement constitués d’eau et de corps gras, montrent une
certaine résistance au son, leur impédance est élevée. Passer de l’un
à l’autre n’est pas chose aisée. Une solution pour que la transmission
de l’extérieur vers l’intérieur se fasse plus facilement est de diminuer
l’impédance du corps récepteur, notamment en réduisant au
maximum l’épaisseur des tissus extérieurs. La rainette possède une
membrane très fine, le tympan, derrière laquelle se cache une cavité
emplie d’air. Fin, léger, libre de ses mouvements, le tympan reçoit les
vibrations sonores de l’air, laissant ainsi entrer le son.
L’audition des grenouilles, comme celle de la plupart des espèces
animales, est composée d’une succession d’étapes mécaniques et
physiologiques. Les déformations de l’air sont transformées en
mouvements du tympan, qu’il transmet à la columelle, osselet
équivalent de notre étrier, qui est elle-même en contact avec la
fenêtre ovale de la cochlée de l’oreille interne. Les vibrations
mécaniques sont alors transformées en potentiels d’action électrique,
la base du message nerveux, dans un faisceau de neurones
sensoriels dont l’ensemble constitue le nerf auditif. Le nerf auditif se
projette alors dans le cerveau, notamment dans un noyau appelé le
torus semicircularis, qui traite les informations codées dans les
paramètres de temps, d’amplitude, de fréquence et de phase du
coassement. La grenouille qui reçoit le chant est ainsi capable de
détecter, d’identifier, de localiser et de décrypter le message de la
grenouille qui émet, la base de tout système de communication et
donc de socialisation.
Mais le son ne passe pas toujours par le grand portail tympanique.
D’autres parties du corps peuvent le capter et le transmettre au
cerveau. La rainette verte américaine (Dryophytes cinereus), cousine
de la rainette verte européenne, emploie non seulement ses oreilles
mais également ses poumons pour écouter ses congénères. Le son
atteint les tympans par leur surface extérieure via une voie directe et
leur surface intérieure par un chemin détourné, viscéral. Le son peut
en effet se faufiler par les poumons, la glotte, la bouche et les
trompes d’Eustache pour faire vibrer la surface interne des tympans.
Un des plus petits amphibiens au monde, la grenouille des
Seychelles, Sechellophryne gardineri, ne possède ni oreilles externes
ni oreilles internes, donc ni tympans ni columelle. À première vue,
elle ne peut donc entendre. Et pourtant, elle chante. Des
expériences conduites sur l’île paradisiaque Silhouette et des
analyses morpho-anatomiques ont démontré qu’elle réagissait très
bien au chant de son espèce et que le son prenait un autre chemin.
Cette fois, la réception sonore passe par la cavité buccale qui joue le
rôle de résonateur. Les ondes parcourent ensuite les os de la
mâchoire et atteignent l’oreille interne2.
Ainsi, certaines grenouilles entendent avec leur corps, leurs
poumons ou leur gueule. Les modalités de réception ou d’émission
sonore chez les animaux sont multiples. Les mouches et les
moustiques entendent avec leurs antennes, qui sont aussi leur nez,
les cigales diffusent leur chant dans la garrigue brûlante avec leurs
tympans, les poissons entendent avec leur vessie natatoire qui joue
les ballasts pour la navigation verticale, les rats-kangourous
discutent en tapant des pieds et les crustacés écoutent avec des
sensilles, sortes de poils sensoriels qui couvrent leur corps. L’entrée
dans le monde de la vie acoustique animale demande d’oublier tout
a priori sur les processus d’émission ou de réception des sons que
nous utilisons, d’éviter tout transfert entre notre anatomie, nos
capacités vocales, nos propriétés auditives et celles des animaux qui
nous entourent. Le son n’est pas a fortiori une voix, les oreilles ne
sont pas forcément sur la tête.
Mais qu’entendent les grenouilles ? Sans entrer dans les détails
neurobiologiques, les grenouilles, comme les autres animaux,
n’entendent pas comme nous, et c’est une chose bien difficile
d’imaginer leur perception sonore. Chez elles, les capacités auditives
peuvent sembler plus étroites car leur sensibilité fréquentielle, c’est-
à-dire les fréquences qu’elles perçoivent le mieux, est le plus
souvent limitée à une fenêtre qui correspond aux fréquences du
chant, de telle manière qu’il existe une forme de correspondance
entre les fréquences émises et les fréquences perçues, assurant une
forme d’exclusion aux sons qui n’ont pas d’intérêt pour la survie.
L’oreille, depuis le tympan jusqu’aux noyaux cérébraux, fonctionne
en partie comme une succession de filtres qui ne laissent passer que
les fréquences qui portent une information et qui permettent de
réagir aux déclarations de l’émetteur, par exemple son identité – je
suis une rainette verte. Ce qui existe pour les fréquences existe aussi
pour la structure temporelle des signaux. Les neurones
périphériques de l’oreille et les neurones centraux du cerveau ne
s’activent que si le rythme des vocalisations ou des impulsions qui
les constituent correspondent à un taux de répétition de référence,
par exemple 30 pulsations émises par seconde. Filtres fréquentiels et
filtres temporels participent ainsi au décodage des informations
cachées dans les coassements.
Chaque grenouille, chaque espèce, mais aussi chaque individu,
perçoit donc son environnement à sa manière, et cette manière est
bien différente de la nôtre, ce qui nous interdit toute généralisation
de notre propre perception acoustique et, de fait, tout
anthropomorphisme et anthropocentrisme.
Le son est une onde mécanique universelle qui traverse les espaces
sans laisser de traces mais des informations et des sensations
propres à chaque être vivant. Faible par ses mouvements
particulaires, difficilement visible, l’onde sonore possède des effets
essentiels sur la rainette et, bien sûr, sur toutes les espèces sonores.
La rainette profite du son au moment de la reproduction dans un
effort de rencontre de l’autre sexe mais, on le verra ensuite, le son
intervient dans de nombreuses autres situations : dans les liens
entre les parents et leurs jeunes, dans la cohésion des groupes
familiaux, dans la recherche d’une proie ou dans la fuite face à un
prédateur.
Comment pouvons-nous écouter le son animal, nous qui sommes
aussi animaux, avec nos propres capacités auditives, nos corps, nos
expériences de vie, nos sensibilités ? Deux formes d’écoute des sons
de la nature, non opposables, coexistent : une écoute esthétique où
les sensations priment et une écoute analytique où le
questionnement et la connaissance prennent le pas. On peut écouter
un concerto ou une symphonie sans les comprendre et on peut les
déchiffrer, les analyser, les commenter selon les règles de la
musicologie. Il en est de même pour les sons de la nature : se
laisser emporter par le son d’une forêt sans rien comprendre, puis
tout décortiquer pour appréhender au mieux.
Le naturaliste et philosophe nord-américain Henry David Thoreau
jalouse la naïveté de l’oreille des enfants qui savent aimer un son
pour ce qu’il est, pour sa valeur intrinsèque3. Il faut être sensible au
son seul, nu, sans aucun artifice de mise en musique ou
d’orchestration, comme le chuintement de la neige écrasée, le
bruissement des feuilles d’un peuplier blanc, et le déchirement d’un
éclair. Avant tout aimer le son pour le son, quel qu’il soit. Aimer le
son pour sa forme, son contour, son relief, son épaisseur, sa finesse,
sa puissance, sa discrétion et enfin accepter son aspérité, parfois sa
rugosité. Aimer le son pour ses dérives, ses rebondissements, ses
battements, ses changements d’humeur et ses surprises. Ça grince,
ça siffle, ça craque, ça tambourine, c’est mélodique, c’est rythmé,
c’est flûté. Prendre le son en pleine face, dressé, les poumons
gonflés, sur la crête de la montagne ou dans le lit de la rivière.
Recevoir pour jouir du son total et englobant qui émane de tout un
paysage. Aller chercher les détails, les éléments finis. Profiter des
galopades, des trilles, des vibratos, des glissandi, des pointes ou des
duvets sonores. Écouter le tout et chercher les sons individuels, se
baisser pour cueillir les petits sons de la litière et se dresser pour
toucher les sons de la frondaison. Écouter le son ainsi, c’est
appliquer le principe de l’écoute réduite de Pierre Schaeffer, c’est
oublier les raisons du son et se concentrer sur son unique
apparence.
Et puis on peut écouter en fronçant les sourcils, en tournant la tête,
en créant des paraboles avec les mains autour des oreilles, en
utilisant des équipements sophistiqués et onéreux. Écouter pour aller
plus loin, pour pêcher le son dans l’arbre ou les fougères. Être
attentif, alerte, ne pas se laisser emmener dans un flot sonore, ne
pas croire que le son est uniforme, aller chercher ses variations en
temps, amplitude, fréquence. Écouter pour démêler et tenter de
comprendre. Développer une écoute analytique, décompositionnelle,
pour assouvir sa curiosité, sa soif de connaissances. Rechercher
l’explication dans l’observation, l’expérimentation et l’inférence.
Reprendre les lois de la mathématique et de la mécanique, appeler
les grands du son : Hermann von Helmholtz, Jean Baptiste Joseph
Fourier, David Hilbert, Harry Nyquist, Claude Shannon. Lier avec les
sciences du comportement, relire Jean-Henri Fabre, Jakob von
Uexküll, Nikolaas Tinbergen, Konrad Lorenz, Karl von Frisch. Appeler
les plus belles théories des sciences de l’évolution que sont la
sélection naturelle et la sélection sexuelle de Charles Darwin, la reine
rouge de Van Valen, le beau geste de John Krebs, ou le cher ennemi
de James Fisher. Pour élargir son point d’écoute, entrer dans
l’écologie des populations, des communautés, des écosystèmes ou
des paysages avec, entre autres, Ernst Haeckel, George Hutchinson,
Edward O. Wilson. Aller aussi dans les corps qui vibrent comme des
émetteurs ou des récepteurs, demander de l’aide à la biomécanique,
à la physiologie, à la génétique, à la biologie moléculaire. Choisir
ainsi une écoute scientifique, prendre son canif et décrire, analyser
et expérimenter en jouant toujours comme des gosses dans le fond
d’un jardin sans clôture.
Finalement et surtout, combiner les deux écoutes pour aller tout à
la fois vers un amour, la part sensible, et une curiosité, la part
analytique, des sons de la nature. Tendre ainsi vers l’audiobiophilie,
c’est-à-dire une double attraction, l’une pour les sons, l’autre pour la
nature. L’audiophilie est une attention renforcée pour les sons de
qualité, non pollués, dits de haute-fidélité. La haute-fidélité est
essentiellement associée à l’écoute musicale par des équipements de
restitution de grande qualité, mais elle peut aussi se concevoir
comme l’écoute des sons et des silences des espaces naturels qui
eux-mêmes peuvent être de haute qualité4. La biophilie est “la
tendance innée à se concentrer sur la vie et les processus
biologiques5”, elle marque donc un intérêt fondamental pour
l’histoire naturelle, intérêt qui serait alors plus ou moins entretenu au
cours de notre existence selon notre éducation et nos expériences.
L’audiobiophilie est donc un intérêt précoce et profond pour les sons
de la nature qui mérite d’être entretenu au cours de nos vies par un
contact régulier avec les êtres vivants, leurs mouvements, leurs
formes, leurs couleurs et, bien sûr, leurs habits sonores.
CHAPITRE 3

SOUS LES TROPIQUES


De la terre humide, rouille et chaude de Guyane émerge un
sentiment ambivalent de découverte tropicale et de déjà-vu
européen. Ici se mélangent les cultures, les histoires et les peuples –
Créoles, Noirs marrons, H’mongs, Amérindiens, Brésiliens – sous
l’égide du seul sceau français. Dès l’arrivée à Cayenne, la forêt
tropicale se fait voir, massive et forte, mais accueillante comme une
grand-tante aux rondeurs câlines. La chaleur et l’humidité tropicales
donnent, dès l’ouverture des portes de l’avion, un sentiment de bien-
être qui relâche les muscles, détend les mâchoires. Sur la route
embouteillée qui mène de l’aéroport au centre de Cayenne, un front
de pluie se fait entendre et martèle déjà les toits de tôle. Ce n’est
certainement pas la pluie fine et froide de Paris, l’air est ici bien
différent. Nous sommes en Amérique du Sud. On s’attend alors à
rencontrer une vie frissonnante, un bouillonnement de vendeurs et
de musiciens de rue, comme on les imagine au Brésil ou en
Colombie par exemple, mais les rues de Cayenne, des villes et des
villages sont étonnamment calmes, en dehors de la saison du
carnaval où tout devient fête. Pour une raison injustifiée,
probablement due à une envie de déracinement, on pense atterrir
depuis Paris dans une contrée étrangère, mais on s’étonne de se
retrouver dans un paysage connu, habituel, fait de routes, de ronds-
points, de panneaux de signalisation, de magasins, de publicités, de
centres commerciaux en tous points identiques à ceux des banlieues
métropolitaines. Nous sommes en France. La Guyane est un
morceau tropical d’Amérique du Sud européanisé où des radars
contrôlent la vitesse en lisière de forêt dans laquelle dorment des
paresseux et feulent des jaguars, où on achète des Vache qui Rit et
du lait de Normandie en même temps que des mangues et du jus de
prune de Cythère.
Depuis ma première visite en 2008, alors intimidé à l’idée d’entrer
dans cette forêt imaginée dangereuse, au sein de laquelle nous
allions installer un réseau d’une vingtaine de microphones
enregistrant le grondement de la forêt, j’ai pu revenir plusieurs fois
en Guyane avec chaque fois un sentiment d’attachement
grandissant. Aujourd’hui, chaque jour gris de banlieue, je rêve aux
couleurs de la Guyane et à son trésor végétal, cette immense forêt,
admirable fouillis de criques sombres, de plantes vernissées et
d’animaux taquins et, l’été, je m’allonge pieds nus dans mon hamac
guyanais pour faire semblant d’y être.
La Guyane est un des terrains de jeu préférés des écologues,
éthologues et autres historiens de la nature français. Faisant suite à
une première implantation du Muséum national d’histoire naturelle,
le Centre national de la recherche scientifique créa en 1986 une
station de recherche aujourd’hui au cœur de la plus grande réserve
de France, la réserve naturelle des Nouragues. C’est dans ce
laboratoire à ciel ouvert que l’on cherche depuis plus de trente ans à
décrire et comprendre la structure et le fonctionnement de la
biodiversité tropicale. Serpents, grenouilles, oiseaux, insectes,
arbres, mousses, parasites, bactéries, champignons, tout y est
scruté aux jumelles, au microscope ou au séquenceur à ADN.
C’est donc aux Nouragues que nous sommes allés avec les
collègues plusieurs fois pour prendre le pouls de la forêt. La station
de recherche est intentionnellement isolée, le plus proche village se
situant à plusieurs dizaines de kilomètres. L’atteindre depuis
Cayenne peut se faire par les airs en quelques coups de rotor
d’hélicoptère piloté au ras de la canopée par un ancien officier de
l’armée française qui vous raconte ses faits d’armes dans l’ancienne
Yougoslavie, ou par la terre et l’eau en rejoignant tout d’abord
Régina, petit village de quelques centaines d’habitants mais au
territoire aussi vaste qu’un département métropolitain, puis en
remontant en pirogue le fleuve Approuague.
Cette fois-ci, courant février 2019, nous faisons le trajet de
plusieurs heures à bord d’une longue pirogue en bois pilotée par
Agaci, un piroguier au sourire enjôleur venu du Brésil. Nos sacs et
nos valises, dans lesquels se mélangent nos habits et nos
équipements, à l’image de nos vies de chercheurs qui mêlent sans
cesse vie privée et vie professionnelle, sont arrimés et protégés dans
le fond du bateau par de grandes bâches bleues imperméables. Ce
voyage fluvial initie une petite aventure à la station de recherche où
nous partons à quatre pour étudier la propagation des sons à travers
le sous-bois et pour installer une station permanente
d’enregistrement des sons forestiers. Les sauts – ces changements
d’humeur dans le fond du fleuve qui créent des petits rapides – sont
facilement franchis grâce à l’adresse d’Agaci et seule une petite pluie
brouille le ciel et rince nos visages heureux de métropolitains qui
émergent de l’hiver européen et cherchent le soleil tropical.
La navigation fluviale est une merveilleuse stratégie pour approcher
la nature : il suffit d’emprunter une barque pour laisser naviguer son
corps et son esprit le long de l’eau et des rives. Les cours d’eau sont
des passages à découvert où les migrateurs d’un jour ou de l’année
se laissent voir en pleine lumière et les berges sont des lisières
foisonnantes où se posent les animaux en manque d’eau ou de
soleil. Toute la vie des eaux est à portée de regard si l’on sait se
laisser aller avec la rivière sans se faire entendre.
L’utilisation d’un moteur diesel de plusieurs dizaines de chevaux ne
permet pas cette discrétion. Si Agaci ne peut absolument rien
entendre de ce qui se passe autour de lui – ni les possibles cris des
oiseaux, ni nos impossibles discussions sous le vent chaud –, il nous
démontre sa grande expérience du paysage. En un seul geste
inattendu, il ralentit, change de direction et se dirige en ligne droite
vers un des bords encombrés de troncs de l’Arataye, petit affluent de
l’Approuague emprunté par les chercheurs d’or illégaux, que nous
venons tout juste de commencer à remonter. Il coupe le moteur,
nous faisant entrer dans un édredon de calme et de volupté humide.
À quelques mètres, sur un vieux tronc noir, philosophe un jeune
caïman gris (Paleosuchus trigonatus) qui offre au soleil sa rugosité
fascinante et se baigne dans le silence retrouvé.
Le bruit du diesel reprend vite car le temps est compté sur ces
fleuves et mieux vaut arriver avant la nuit qui tombe comme un
rideau de théâtre, sans prévenir et en un coup sec. Après cinq
heures de navigation, nous arrivons à la station de recherche, un
lieu merveilleux occupé toute l’année par des universitaires chanceux
et géré au quotidien par une équipe attentionnée d’ingénieurs et de
techniciens. Le camp est un regroupement de carbets reliés par des
passages et des escaliers en bois. Les carbets sont de grandes
constructions ouvertes permettant de se protéger de la pluie et de
se bercer dans des hamacs colorés. Dans ce camp ne séjournent
que des chercheurs aguerris, réfléchis, sérieux, ayant bâti des
projets de recherche évalués et vérifiés, manipulant des instruments
fragiles et onéreux, mais à les voir évoluer dans cet environnement,
ils semblent des petits enfants décoiffés aux genoux écorchés dont
les parents auraient construit des cabanes magiques au fond d’un
jardin luxuriant. Les chercheurs ne travaillent pas, ils jouent.
Nous débarquons nos sacs avec l’aide des résidents et avant
qu’Agaci ne redémarre son moteur pour rejoindre un autre site, nous
fouillons nos affaires pour lui offrir un de nos casques rouges de
protection acoustique que nous avions prévu d’utiliser pour nos
expériences de propagation des sons. Il nous remercie avec un
immense sourire dont nous gardons encore la lumière en mémoire.
Se protéger du bruit pour entrer dans une forme de silence n’est
assurément pas un luxe.
La forêt tropicale est le sommet de la biodiversité terrestre. Les
conditions climatiques y ont favorisé la multiplication des espèces
végétales et animales comme nulle part ailleurs. Pour prendre un
seul exemple, nous avons décidé d’installer notre station
d’enregistrement dans un petit triangle isocèle de 186 mètres de
côté délimitant une surface de 1,5 hectare. Dans ce petit morceau
géométrique de forêt poussent 172 espèces d’arbres, volent 213
espèces d’oiseaux et sautent 26 espèces d’amphibiens. À différents
temps de la journée, de la nuit, des saisons et des années, ces
oiseaux et ces grenouilles accompagnent par leurs chants et leurs
cris les sons des singes, des chauves-souris, des sauterelles, des
criquets, des grillons et des cigales. De cette multiplicité de sons naît
une ambiance sonore intense et unique. Décrire ce paysage sonore
n’est pas aisé, Chateaubriand renonce à le faire lorsqu’il évoque
dans le prologue d’Atala les forêts alluviales du Mississippi : “alors il
sort de tels bruits du fond des forêts, il se passe de telles choses aux
yeux, que j’essaierais en vain de les décrire à ceux qui n’ont point
parcouru ces champs primitifs de la nature1”. La forêt n’a
évidemment rien de primitif, notre regard de scientifique est bien
différent de celui illuminé de Chateaubriand, mais la difficulté est
pareille, voire pire puisque la diversité sonore amazonienne est
encore plus grande que celle des bords du Mississippi.
Il ne faut cependant pas s’imaginer non plus un capharnaüm
acoustique assourdissant, la voix de la forêt s’éteint rarement mais il
existe des temps calmes, comme en milieu d’après-midi, où elle
semble reprendre son souffle.
Après plusieurs jours de repérage, de tests et d’installation de notre
matériel, la tension de notre travail de terrain se relâche. Je prends
un temps de solitude à l’aube pour écouter et enregistrer la forêt se
réveiller. Sortir de son hamac tôt, ce jour-ci à cinq heures, est un
petit effort. Il faut anticiper le réveil dans la nuit, contrôler ses
mouvements et le halo blanc de sa lampe frontale pour ne pas
réveiller les corps qui se reposent encore dans les cocons de
moustiquaire, chausser ses bottes, récupérer discrètement le
matériel préparé la veille, attraper un talkie-walkie de sécurité et
enfin s’enfoncer seul dans la forêt. Tout cela est mille fois
récompensé : avoir le camp puis la forêt pour soi est un privilège
dont on aurait bien tort de se priver.
Le chemin est court, quelques centaines de mètres, presque aussi
bref que dans le massif de la Chartreuse. Je prépare mon matériel
d’enregistrement, me trompant un peu comme toujours entre les
boutons, et je ne bouge plus. Il fait encore nuit, quelques insectes et
grenouilles en retard continuent à chanter. Je suis enfin seul avec les
sons de la forêt, et c’est cela que je veux. M’éloigner pour mieux
entendre. Entendre tout d’abord ce bruit sourd, grave que j’ai déjà
connu ici en Guyane mais aussi au Mexique, cette force acoustique
qui traverse et fait vibrer les corps. Cette masse sonore est bien
connue de tous ceux qui ont la chance de parcourir les forêts
centraméricaines ou sud-américaines mais toujours, sans lassitude,
cette vocalisation lancée à toute la forêt impressionne. Les singes
hurleurs gueulent au-dessus des arbres et font vibrer tous les corps
alentour. Comment et pourquoi faire un tel raffut ? La puissance de
leurs hurlements, une des plus élevées pour les animaux terrestres,
est due à la mise en vibration d’un sac vocal logé dans un os hyoïde
ventral en forme inhabituelle de cuvette. Ce sac laryngé grandit la
gorge abaissant les fréquences et augmentant le volume sonore.
Comme la grenouille de La Fontaine, le singe chercherait à paraître
plus gros qu’il n’est, probablement dans un effort coûteux pour
marquer son territoire, éviter les groupes voisins ou régler des
rivalités. Quelle qu’en soit la raison, ces cris sont des souvenirs
sonores ineffaçables. Les singes ne sont pas seuls, loin de là. Des
multitudes de sons sortent d’en haut et d’en bas. Dans une seule
minute d’enregistrement, il est possible d’entendre aux côtés des
singes plusieurs espèces de grenouilles et d’oiseaux et, surtout,
oubliés et méconnus, une dizaine d’insectes – probablement des
grillons et des sauterelles – dont les sons s’entassent entre 4 et 10
kilohertz. Ces insectes inconnus sont l’aura sonore de la forêt.
Le jour se lève, plus doucement que la nuit n’est tombée la veille.
Je m’apprête à repartir vers le camp avec plusieurs enregistrements
dans la poche quand, soudain, des bruits de feuilles et des
craquements de branches non maîtrisés se font entendre sur ma
droite. C’est étonnant dans un milieu où le déplacement furtif est
plutôt la règle. Cela s’agite encore et cette fois les causes du trouble
s’accompagnent d’aboiements secs et intenses. Je crois entendre
des chevreuils de la forêt de Rambouillet. Ce sont en fait deux petits
cervidés, probablement des daguets rouges (Mazama americana). Ils
se courent après, bondissent au-dessus des plantes du sous-bois.
Leurs mouvements sont imprévisibles et je ne sais où me mettre,
pris dans une forme de ballet dont je ne connais pas la
chorégraphie. Sur l’enregistrement, j’entendrai ma respiration
s’accélérer pourtant ce n’était rien, ce n’était pas un jaguar, un
éléphant, un tigre, un ours ou un monstre, juste deux élégants
cervidés qui faisaient des pointes sur le sol humide de la forêt.
En redescendant vers les carbets, je me rends compte que j’ai été
pendant ce frémissement de temps dans un calme presque absolu.
Dans cette forêt, les bruits au petit matin sont rares : aucun
hélicoptère ravitailleur, aucune pirogue au loin, aucun chercheur
bavard. Loin des humains, loin des machines, dans le manège
sonore de la forêt tropicale, j’avais été ici aussi, à plus de
7 000 kilomètres de la neige des Alpes, dans un autre silence.
CHAPITRE 4

LA NATURE DES SONS


Je n’étais que deux petites oreilles perdues dans un coin de forêt
chaude. Le temps d’un lever de soleil, j’étais entré sans le savoir
dans un paradoxe, une autre forme de silence, un silence plein,
intense, riche de sons biologiques – des hurlements, des cris, des
chants, des bruissements de feuilles. C’est l’absence de sons
humains qui taillait ici une forme de vide bienfaiteur. Ce silence était
un silence pour la nature, un silence pour le naturaliste, à nouveau
seul et immobile.
Dans une vision holistique, à l’image des concepts de biosphère ou
d’écosphère qui intègrent tous les niveaux d’organisation des
systèmes vivants, la sonosphère inclut tous les sons terrestres, au
sens planétaire, quels que soient leurs lieux d’émergence et de
dissipation. Dans ce vaste ensemble pullulent tous les sons, de
gauche et de droite, du bas et du haut, de devant et de derrière,
d’avant, de maintenant et d’après. Une multitude frissonnante que
l’on peut chercher à organiser – le naturaliste est un adepte du
rangement et du classement étiqueté – selon différents critères : le
support de leur propagation (gazeux vs liquide vs solide), leur
essence (biotique vs non biotique), leur origine (animal vs végétal vs
minéral, humain vs non humain), leur fonction (indicateur des états
de l’environnement, révélateur du statut de l’autre, établissement
d’un lien social), ou encore leurs propriétés physiques (temps,
amplitude, fréquence, phase). Depuis quelques années, la
sonosphère des paysages naturels, ou paysages sonores, est rangée
en trois catégories dont la définition des limites repose
essentiellement sur la nature des sources sonores : la biophonie, qui
regroupe tous les sons biotiques d’origines animales et végétales, la
géophonie, qui est l’ensemble des sons abiotiques mais naturels, et
l’anthropophonie, qui couvre tous les sons d’origine humaine1.
Lister les sons de la biophonie est inutile, car, a priori, tout être
vivant mobile ou mis en mouvement est sonore puisque le son naît
d’une déformation de l’environnement, donc d’un mouvement. À
l’origine, le son issu du mouvement de tout ou partie d’un corps
n’est ni intentionnel, ni contrôlé, ni structuré, mais il existe, il occupe
une place dans la sonosphère, dans le paysage sonore.
La patelle (Patella vulgata) est un mollusque gastéropode connu de
tous les enfants qui fournaquent dans les rochers à marée basse.
Installée comme une pyramide égyptienne indélogeable, la patelle
semble immobile, elle-même rocher, impassible résistante aux
bourrasques et au ressac. C’est une apparence trompeuse car la
patelle défend un territoire dans des combats de coquilles partant à
l’assaut des intrus et s’engage dans des excursions de plusieurs
dizaines de centimètres pour paître ailleurs mais revenant toujours à
son point de départ. Comme une vache dans son pré gras, la patelle
passe plusieurs heures lors des marées ascendantes et descendantes
à brouter les algues vertes qui couvrent les rochers noirs. Le
gastéropode arrache les algues grâce au mouvement répété de la
radula, une sorte de langue râpeuse couverte de denticules. Dures
et résistantes, les denticules raclent la roche pour collecter le film
algal et génèrent ainsi un son râpeux qui se transforme en un
picotement sonore continu lorsque les patelles sont nombreuses sur
le rocher.
Le son de la patelle est totalement incidentel et ne semble pas
avoir de rôles dans la biologie du mollusque ou d’autres animaux
marins. La patelle n’est évidemment pas la seule à montrer une
certaine impolitesse en faisant du bruit quand elle mange. Presque
tous les animaux génèrent des sons lorsqu’ils se nourrissent ou se
déplacent, il suffit de penser à la larve d’insecte xylophage qui vrille
le bois, au léopard qui boit à la mare, au mouton qui arrache l’herbe,
au poisson-perroquet qui broute le corail, au grillon qui s’enfuit sur
une feuille morte, au dauphin qui saute, à l’oiseau qui bat des ailes
ou au cheval qui galope. Tout mouvement est son et emplit l’air de
ses vibrations. Ces sons fonctionnent comme des indices révélant un
changement d’état de l’environnement, comme l’arrivée de
congénères, le passage d’une proie appétissante ou, au contraire, la
présence d’un prédateur malintentionné. Un seul son peut
déclencher un comportement de fuite, d’attaque ou de recherche du
partenaire. Le son, par son importance vitale, émerge tout à coup du
fond sonore, il devient net, sa tête dépasse tout à coup du groupe.
Cette saillance sonore peut marquer le début d’une communication
acoustique et de la production intentionnelle de sons.
Quelle que soit leur origine, les sons de la communication sont des
sons de la survie. Leur mécanisme peut dériver de celui des sons
incidents mais le mouvement des corps devient intentionnel et la
production sonore contrôlée et structurée. Le mouvement est
déclaré, exposé, révélé à tous, il n’est plus un épiphénomène mais
un acte, une extension du soi, et cela change tout.
Si les signaux sonores intentionnels ne semblent pas exister chez
les plantes – on ne connaît pas encore d’espèces végétales capables
de produire des sons délibérément2 – , la communication sonore est
apparue au cours de l’évolution plusieurs fois indépendamment chez
différents groupes animaux : les arthropodes (les insectes, les
araignées, les scorpions, les crustacés), les poissons, les amphibiens,
les reptiles, les oiseaux et les mammifères.
L’évolution a abouti à toutes sortes de manières de produire du
son. La solution la plus simple est celle du mouvement du corps.
Bouger peut suffire à créer des vibrations. De battements alaires, les
drosophiles et les moustiques font une chanson d’amour et les
pigeons des signaux d’alarme indiquant un mouvement de fuite.
Certains insectes, comme les chrysopes, ces délicats insectes verts
aux ailes dentelées, tremblent comme des feuilles sur les tiges des
plantes. Ce frisson corporel, ou trémulation, engendre des vibrations
dans le tissu végétal qui sont perçues par les pattes de leurs
congénères. Chez les fulgores, cicadelles, membracides et autres
cousins phytophages des cigales, les mouvements du corps sont
issus de replis des trachées, dont la déformation produit des
vibrations. Produire du son se fait aussi très intuitivement par simple
percussion, le choc du corps contre un solide produit un son à
l’interface de deux milieux. Les éléphants tapent du pied pour leurs
congénères situés à des kilomètres, les baleines à bosse giflent la
mer avec leurs nageoires pectorales ou dorsales, les chimpanzés
tambourinent les troncs d’arbres, les perles ou plécoptères percutent
leur abdomen contre les pierres des bords de rivières, les araignées
sauteuses claquent le sol avec leurs pattes avant, les crabes
violonistes battent le sable avec leurs pinces surdimensionnées, les
vrillettes “horloges de la mort” qui rognent nos meubles cognent leur
tête contre le bois, et certaines cigales heurtent discrètement les
branches avec leurs ailes diaphanes. Chez les insectes, plus de
200 000 espèces produiraient des sons par vibration du support.
C’est tout un monde sonore insoupçonnable qui bat la mesure à
travers les plantes de nos prairies3.
Prendre son propre corps comme un tambour est aussi possible,
mais beaucoup plus rare : certains papillons de nuit d’Australie
(Hecatesia spp.) jouent des castagnettes avec les bords renforcés
des nervures de leurs ailes, le paon bleu (Pavo cristatus) émet des
sons très graves en agitant les plumes de sa traîne, les crotales
(Crotalus spp.) secouent et entrechoquent les anneaux de leur
cascabelle – nom aux origines latines et ibériques qui évoque
faussement une sonnette car l’organe de ces vipères n’est en rien
une sonnette mais plutôt un hochet sans grelot –, et les gorilles des
plaines occidentales (Gorilla gorilla gorilla) frappent leur poitrine et
tapent des mains dans les profondeurs de leurs forêts africaines.
La stridulation est un mécanisme proche de la percussion
corporelle, elle consiste non pas à frapper deux parties du corps
mais à les frotter, l’une jouant le rôle de peigne dentelé et l’autre de
plectre ou grattoir. Cette modalité requiert des pièces dures qui
peuvent assurer le choc du plectre contre le peigne, elle est donc
très présente chez les arthropodes dont le corps chitineux est rigide.
Différentes parties du corps sont utilisées : les ailes comme chez les
grillons et les sauterelles, les pattes chez les criquets, mais aussi la
tête chez certaines punaises terrestres, le thorax chez les
coléoptères, l’abdomen chez les fourmis, la queue chez les
écrevisses, les antennes chez les homards, les fémurs chez les
araignées, les chélicères chez les scorpions. Chaque partie du corps
est susceptible de devenir un support de stridulation, il faut encore
ici oublier nos références et chercher des endroits improbables
comme le pénis millimétrique de certaines punaises aquatiques
(Micronecta spp.). La stridulation est beaucoup plus rare chez les
vertébrés. Le manakin à ailes blanches (Machaeropterus deliciosus),
oiseau des Andes colombiennes, fait le malin devant les femelles en
faisant la courbette selon l’étiquette, courbant ses ailes au-dessus du
corps, et, dans un frisson de séduction extatique, diffuse un son
harmonique d’une beauté désarmante. La pureté du son des plumes
est due à la stridulation de quelques rémiges modifiées qui
résonnent de concert. Sous l’eau, les poissons savent aussi striduler
en bruxant ou en frottant les os du crâne, des branchies, des
nageoires ou de certaines vertèbres.
C’est d’ailleurs chez les poissons osseux que s’observe un autre
mécanisme de production bien étonnant. La majorité des espèces
produit des sons en serrant et relâchant leur vessie natatoire à l’aide
de muscles spécialisés qui peuvent se contracter rapidement. C’est
donc en faisant pression sur cette poche remplie de gaz que les
poissons mugissent au fond de l’eau, émettant des sons pulsés,
graves, caverneux.
Plusieurs insectes se font entendre en déformant une partie de leur
corps rigide, souvent sous forme d’une baguette faite de chitine et
de résiline, des molécules qui assurent résistance et flexibilité. Ainsi
crépite l’œdipode bleue (Oedipoda caerulescens), criquet très
commun, quand il fuit sous nos pieds immenses, dévoilant en même
temps ses ailes turquoise. Chez le paon-du-jour (Inachis io), papillon
de jour européen aux ocelles bleus soulignés de rouge, et
probablement chez le craqueur variable (Hamadryas feronia),
papillon sud-américain aux ailes marbrées, des nervures se
déforment et produisent des clics, ultrasonores chez le paon-du-jour,
dans le domaine de l’audible chez le craqueur. Le mécanisme est un
peu similaire au clic que l’on génère en déformant une barrette à
cheveux : clic quand on l’ouvre, clic quand on la ferme. Un principe
similaire existe dans des constructions anatomiques un peu plus
élaborées car au fonctionnement totalement dédié à la production
sonore. Certains papillons de nuit possèdent une paire de cymbales
cachée dans l’abdomen. Ces cymbales sont constituées d’une
membrane tendue, parfois striée de replis, et maintenue dans un
cadre rigide. De puissants muscles dorsaux déforment le cadre et la
membrane, produisant ainsi des clics ultrasonores utilisés lors des
comportements de séduction ou dans la lutte contre les chauves-
souris. Chez les cigales, les cymbales sont des organes uniques, plus
ou moins exposés sur le côté des premiers segments de l’abdomen.
Ces cymbales sont des membranes en forme de ballon de rugby
soutenues par une série de baguettes longues et courtes. Ce sont
deux muscles hypertrophiés qui tirent dessus, déclenchant un clic à
chaque déformation de baguette. Des trains de clics sortent ainsi des
cigales comme d’un tunnel qui traverse les montagnes blanches de
la Provence et ainsi naît la “rumeur cuivrée” si chère à Marcel
Pagnol.
Les crevettes-pistolets (Alpheus spp. et autres genres de la famille
des Alpheidae) doivent leur nom à l’une de leurs pinces
hypertrophiée, dont la taille peut atteindre la moitié de leur corps et
dont la fermeture subite produit un claquement sonore extrêmement
intense. La répétition par des milliers d’individus de ces véritables
détonations crée un crépitement sous-marin que l’on perçoit presque
partout dans le monde dès que l’on plonge la tête à proximité de
rochers immergés. Cette pince est constituée de deux parties
mobiles et emboîtables, un piston et une cavité. La fermeture de la
pince est si intense et rapide, de l’ordre de 100 kilomètres par heure,
que l’eau présente dans la cavité est expulsée par l’entrée du piston.
Il se forme alors une bulle d’air par cavitation, c’est-à-dire par un
phénomène de dépression très intense. C’est l’implosion, non
l’explosion, de la bulle qui produit l’impulsion sonore si
caractéristique des fonds océaniques.
Arrivent enfin les modes de productions sonores pensés comme
plus classiques, car utilisés par les humains, à savoir le passage d’air
à travers un tube ou un orifice aux propriétés parfois résonnantes.
Le sifflement consiste donc simplement à expulser de l’air sous
pression et à mettre en vibration une cavité. Très peu d’insectes ont
cette pratique, mais les mâles de certaines blattes de Madagascar
(Gromphadorhina spp., Elliptorhina spp.) sifflent avec élégance les
femelles qui passent devant eux. Les trachées du premier segment
abdominal apparaissent modifiées, plus larges, plus longues que les
autres, et s’ouvrant sur l’extérieur par une valve, un spiracle,
beaucoup plus grand. La compression de la trachée évacue l’air
qu’elle contient à travers le spiracle produisant des sons sifflés
délicats. Les chenilles du sphinx du noyer (Amorpha juglandis)
procèdent de même quand elles sont attaquées. Les sifflements des
serpents, peu structurés, sans véritable organisation temporelle ou
fréquentielle, résultent d’une simple hyperventilation, leur larynx de
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Peter always took note of everything new and important that he
saw. Vitsen had to take him everywhere—to the hospitals, the
foundling asylums, and the prayer meetings of different religious
sects. He found great pleasure in the anatomical cabinet of the
celebrated Ruisch, who had greatly advanced the art of preserving
corpses from decomposition by injections. It was with difficulty that
the czar could be got out of the room. He stood there transfixed and
as it were unconscious, and he could not pass before the body of a
child, that seemed to smile as if it were alive, without kissing it. His
taste for being present at surgical operations went so far that at his
request a special door was made in the wall of the St. Peter Hospital,
by which he could enter it with Ruisch from the embassy,
unobserved and unmolested by the curious. It was this doctor who
recommended to him the surgeons for the new Russian naval and
military troops.
After a stay of two months the Russian embassy went to the
Hague, where it had long been expected. The entry was even more
magnificent than at Amsterdam. Peter wished to attend the formal
audience of his embassy in strict incognito. Vitsen, accompanied by
two gentlemen, fetched him in his carriage. The czar wished to take
along his dwarf, and when told that space was lacking, he replied:
“Very well, then, he will sit on my lap.” At his command a drive was
taken outside the town. At every one of the many mills that he
passed, he asked what it was for; and on being told that one before
which there were no stores was a grinding-mill, he jumped out of the
carriage, but it was locked. On the road to Haarlem he observed a
small water-mill for irrigating the land. It was in vain that they told him
it was encompassed by water. “I must see it,” was the reply. The czar
satisfied his curiosity and returned with wet feet. Twilight was already
setting in, and the Dutch escort of the czar were rejoicing that the
sight-seeing was at an end. But alas! before entering the Hague,
Peter felt the carriage give a sharp jolt. “What is it?” he inquired. He
was told that the carriage had driven on to a ferry-boat. “I must see
it,” said he, and by lantern light the width, length, and depth of the
ferry-boat had to be taken. Finally, at eleven at night, one of the best
hotels in the Hague was reached. The czar was given a beautiful
bedroom with a four-post bed. He preferred a garret. After midnight it
occurred to him to spend the night at the hotel where his
ambassadors were. Looking there for a place to sleep in, he found a
Russian servant snoring on a bear skin. With a few kicks he
awakened him. “Go away, go away, I am going to sleep here.” At last
he found a comfortable resting place.
On the day of the audience, Peter dressed himself as an ordinary
nobleman in a blue garment not overladen with gold lace, a large
blond wig, and a hat with white feathers. Vitsen led him to the
anteroom of a hall where soon the members of the states general
and many distinguished spectators assembled. As some time
passed before the retinue of his embassy arrived, and meanwhile all
eyes in the hall were turned towards the ante-chamber where the
czar was, he became extremely restless. “It takes too long,” he said
and wanted to depart. But Vitsen represented to him that he would
have to pass through the hall where the states general were already
assembled. Thereupon he demanded that the lords should turn their
backs to him as he passed through the room. Vitsen replied that he
could command the lords nothing, as they were the representatives
of the sovereignty of the land, but that he would ask them. The reply
brought back was that the lords would stand up as the czar passed
through the room, but would not turn their backs. Peter then drew his
great wig before his face and ran at full speed through the assembly
room and down the porch.
In the Hague also Peter had several informal meetings with the
stadholder, King William; he became personally acquainted with the
eminent statesmen Heinsius, Van Slingerland, Van Welde, Van
Haven, and with the recorder of the states general, Franz Flagel. He
besought the latter to find him someone who would know how to
organise the Russian chancellery on the Dutch model. He also
entered into connection with the celebrated engineer, General
Coehorn, and on his recommendation took many Dutch engineering
officers into the Russian service.
As Peter next undertook a journey to Leyden, the great scientist
Leeuwenhoek had to come on board his yacht. He brought some of
his most beautiful apparatus and a microscope with him. Peter
conversed with him for two hours, and manifested much pleasure in
the observation of the circulation of the blood in fishes. Boerhaave
took him to the Botanical Gardens and to the anatomical lecture-
room. On observing that one of his suite could not hide his aversion
for a body which seemed to him particularly worthy of observation on
account of its exposed sinews, he ordered him to tear out one of
these sinews with his teeth.
From Leyden, Peter returned to Amsterdam. Here he often joined
in the work on the galley which had been commenced at his request.
In the name of the town Vitsen requested the czar to accept this ship
as a present. Peter gave it the name Amsterdam, and in the
following year, laden with wares bought by Peter himself, it started
on its first journey to Archangel. From Amsterdam Peter often made
excursions to Zaandam, ever keen and confident, although his
Russian attendants trembled and quaked at the threatening dangers.
On market days he was greatly entertained by the quacks and tooth
drawers. He had one of the latter brought to him, and with great
dexterity soon acquired the knack necessary for this profession. His
servants had to provide him with opportunities for practising the
newly acquired art.
Through Vitsen the Dutch Jews petitioned the czar to permit their
nation, which had been banished by Ivan IV from Russia, to re-enter
it, and they offered to prove their gratitude by a present of 100,000
gulden. “My good Vitsen,” replied Peter, “you know my nation and
that it is not yet the time to grant the Jews this request. Tell them in
my name that I thank them for their offer, but that their condition
would become pitiable if they settled in Russia, for although they
have the reputation of swindling all the world in buying and selling, I
am afraid they would be greatly the losers by my Russians.”
During his sojourn in Amsterdam Peter received the joyful news of
two successful engagements against the Tatars in July and August.
To celebrate this victory he gave a brilliant fête to the authorities and
merchants of the town. The brilliant victory of Prince Eugene at
Zenta was yet more decisive for the issue of the war against the
Turks.
On the 9th of November Peter, accompanied only by Lefort,
returned to the Hague, where he informed King William III of his
desire to see England. The king preceded him, and sent three men
of war and a yacht under the command of Admiral Mitchel to conduct
the czar. On the 18th of January, 1698, accompanied by Menshikov
and fifteen other Russians of his suite, he set sail at Hellevoetsluis.
Soon after the first days of his arrival in England, he exchanged the
dwelling assigned to him in the royal castle of Somerset for the
house of Mr. Evelyn at Deptford in the neighbourhood of the
admiralty works, whence he could enter the royal construction yards
unseen. There he learned from the master builders how to draw up
the plan according to which a ship must be built. He found extreme
pleasure in observing the cannon at the Tower, and also the mint,
which then excelled all others in the art of stamping.
In his honour Admiral Carmarthen instituted a sham sea fight at
Spithead on the 3rd of April which was conducted on a greater scale
than a similar spectacle given for him in Holland. He often visited the
great cathedrals and churches. He paid great attention to the
ceremonial of English church worship; he also visited the meeting-
houses of the Quakers and other sects. At Oxford he had the
organisation and institutions of the university shown him. As in
Holland, he preferred to pass most of his time with handicraftsmen
and artists of every kind; from the watchmaker to the coffin maker, all
had to show him their work, and he took models with him to Russia
of all the best and newest. During his stay he always dressed either
as an English gentleman or in a naval uniform.
In Holland the English merchants had presented the czar with a
memorial through Count Pembroke on the 3rd of November, 1697, in
which they had petitioned for permission to import tobacco (which
had been so strongly forbidden under the czars Michael and Alexis),
and offered to pay a considerable sum of money for the privilege.
The marquis of Carmarthen now again broached the subject, and on
the 16th of April a treaty was signed with the Russian ambassador
Golovin for three years, which authorised Carmarthen’s agents to
import into the Russian Empire in the first year three thousand
hogsheads (of five hundred English pounds each), and in each of the
following two years four thousand hogsheads, against a tax of 4
kopecks in the pound. Twelve thousand pounds were paid down in
advance. This money placed the czar in a position to make still
greater purchases, as well as to engage a greater number of
foreigners in his service; amongst them the astronomer and
professor of mathematics Ferguson of Scotland, the engineer
Captain Perry, and the shipbuilders John Dean and Joseph Ney.f
King William made Peter a present of the
[1698 a.d.] Royal Transport, a very beautiful yacht, which
he generally used for his passage over to
Holland. Peter went on board this vessel, and got back to Holland in
the end of May, 1698. He took with him three captains of men-of-war,
five-and-twenty captains of merchant ships, forty lieutenants, thirty
pilots, thirty surgeons, two hundred and fifty gunners, and upwards
of three hundred artificers. This colony of ingenious men in the
several arts and professions sailed from Holland to Archangel on
board the Royal Transport; and were sent thence to the different
places where their service was necessary. Those whom he engaged
at Amsterdam took the route of Narva, at that time subject to
Sweden.
While the czar was thus transporting the arts and manufactures
from England and Holland to his own dominions, the officers whom
he had sent to Rome and Italy succeeded so far as also to engage
some artists in his service. General Sheremetrev, who was at the
head of his embassy to Italy, made the tour of Rome, Naples,
Venice, and Malta; while the czar proceeded to Vienna with the other
ambassadors. All he had to do now was to observe the military
discipline of the Germans, after seeing the English fleet and the
dockyards in Holland. But it was not the desire of improvement alone
that induced him to make this tour to Vienna, he had likewise a
political view; for the emperor of Germany was the natural ally of the
Russians against the Turks. Peter had a private audience of
Leopold, and the two monarchs stood the whole time of the
interview, to avoid the trouble of ceremony.
EXECUTION OF THE STRELITZ BY COMMAND OF PETER
THE GREAT

(Painted for The Historians’ History of the World by


Thure de Thulstrup)

During his stay at Vienna, there happened nothing remarkable,


except the celebration of the ancient feast of “landlord and landlady,”
which Leopold thought proper to revive upon the czar’s account,
after it had been disused during his whole reign. The manner of
making this entertainment, to which the Germans gave the name of
Wirthschaft, was as follows: The emperor was landlord, and the
empress landlady; the king of the Romans, the archdukes, and the
archduchesses were generally their assistants; they entertained
people of all nations, dressed after the most ancient fashion of their
respective countries. Those who were invited as guests drew lots for
tickets; on each of which was written the name of the nation, and the
character to be represented. One had a ticket for a Chinese
mandarin, another for a Tatar mirza, another for a Persian satrap, or
a Roman senator; a princess might happen to be allotted the part of
a gardener’s wife, or a milkwoman; and a prince might act the
peasant or soldier. They had dances suited to these different
characters; and the landlord and landlady with their family waited at
table. On this occasion Peter assumed the habit of a Friesland boor,
and in this character was addressed by everybody, at the same time
that they talked to him of the great czar of Muscovy. “These indeed
are trifles,” says Voltaire, from whom the account is taken, “but
whatever revives the memory of ancient customs is, in some
measure, worthy of being recorded.”

THE INSURRECTION OF THE STRELITZ

Peter was preparing to continue his journey from Vienna to Venice


and Rome when he was recalled to his own dominions by news of a
general insurrection of the strelitz, who had quitted their posts on the
frontiers, and marched on Moscow. Peter immediately left Vienna in
secret, passed through Poland, where he had an interview with King
Augustus, and arrived at Moscow in September, 1698, before
anyone there knew of his having left Germany.e
When Peter I arrived from Vienna he found that his generals and
the douma had acted with too great leniency. He cherished an old
grudge against the strelitz; they had formed the army of Sophia
which had been arrayed against that of the czar, and in his mind was
still alive the memory of the invasion of the Kremlin, the murder of
his maternal relatives, the terrors undergone by his mother in Troitsa,
the plots that had well-nigh prevented his departure for the west, and
the check placed by the mutineers on the plans he had matured for
the good of his country during his journey through Europe. He
resolved to seize the opportunity thus placed in his hands to crush all
his enemies at one blow, and to inaugurate in old Russia a reign of
terror that should recall the days of Ivan IV. The particular point of
attack had been his taste for foreign fashions, for shaven chins, and
abbreviated garments. These therefore should be the rallying-sign of
the Russia of the future. Long beards had been the standard of
revolt; long beards must fall. He ordered all the gentlemen of his
realm to shave, and even performed that office with his own hand for
some of the highest nobles of his court. On the same day the Red
Square was covered with gibbets. The patriarch Adrian tried in vain
to divert the anger of the czar. “My duty is to protect the people and
to punish rebels,” was the only answer he received.
On the 10th of October a first consignment of two hundred
prisoners arrived in the Red Square, followed by their wives and
children, who ran behind the carts chanting funeral dirges. The czar
ordered several officers to assist the headsman in his work. Johann
Korb, an Austrian who was an eye-witness of the scene, relates that
the heads of “five rebels were struck off by the noblest hand in
Russia.” Seven more days were devoted to the executions, and in all
about a thousand victims perished. Many were previously broken on
the wheel or given up to other frightful tortures. The czar forbade the
removal of any of the bodies, and for five months Moscow was given
the spectacle of corpses hanging from the turrets of the Kremlin, or
exposed in the public squares. Two of Sophia’s female confidantes
were buried alive, and Sophia herself and the repudiated czarina,
Eudoxia Lapukhin, noted for her attachment to old customs, were
confined in monasteries. After the revolt of the inhabitants of
Astrakhan, who murdered their voyevod (1705), the militia was
abolished and the way was clear for the establishment of a new
army.g

WAR WITH SWEDEN


The external relations as well as the domestic
[1699 a.d.] circumstances of the empire were at this
juncture peculiarly favourable to the czar’s
grand design of opening a communication with the Baltic. He had
just concluded a treaty of peace for thirty years with the Turks, and
he found himself at the head of a numerous army, a portion, at least,
of which was well disciplined, and eager for employment. The death
of General Lefort, in 1699, at the early age of forty-six, slightly
retarded the progress of his movements; but in the following year he
prepared to avail himself of events that called other powers into
action and afforded him a feasible excuse for taking the field.
Charles XII, then only eighteen years of age, had recently
succeeded to the throne of Sweden. The occasion seemed to yield
an auspicious opportunity to Poland and Denmark for the recovery of
certain provinces that in the course of former wars had either been
wrested from them by Sweden, or ceded by capitulation. Augustus,
the elector of Saxony, called by choice to the throne of Poland, was
the first to assert this doctrine of restitution, in which he was quickly
followed by the Danish king. Livonia and Esthonia had been ceded
by Poland to Charles XI, and the provinces of Holstein and
Schleswig had been conquered from Denmark in the same reign,
and annexed to the Swedish territories. The object of the allies was
to recover those places. Sweden, thus assailed in two quarters,
presented an apparently easy victory to the czar, whose purpose it
was to possess himself of Ingria and Karelia, that lay between him
and the sea. A confederacy was, therefore, entered into by the three
powers for the specific view of recovering by war those provinces
that had previously been lost by war. But Peter miscalculated his
means. The arms of Sweden were crowned with triumphs, and her
soldiery were experienced in the field. The Russian troops, on the
contrary, were for the greater part but raw recruits, and, except
against the Turks and Tatars, had as yet but little practice in military
operations. The genius of Peter alone could have vanquished the
difficulties of so unequal a contest.
The preparations that were thus in course of organisation
awakened the energies of Charles. Without waiting for the signal of
attack from the enemy, he sent a force of eight thousand men into
Pomerania, and, embarking with a fleet of forty sail, he suddenly
appeared before Copenhagen, compelled the king of Denmark within
six weeks to sign a peace by which the possession of Holstein was
confirmed to the reigning duke, and a full indemnity obtained for all
the expenses of the war. He had no sooner overthrown the designs
of the Danish monarch than he turned his arms against Poland.
Augustus had laid siege to Riga, the capital of Livonia; but that city
was defended with such obstinacy by Count Dalberg that the Polish
general was glad to abandon the enterprise, upon the shallow
pretext that he wished to spare the Dutch merchandise which was at
that time stored in the port. Thus the confederation was dissolved,
and the struggle was left single-handed between the Russians and
the Swedes.
Peter, undismayed by the reverses of his allies, poured into Ingria
an army of sixty thousand men. Of these troops there were but
twelve thousand disciplined soldiers; the remainder consisted of
serfs and fresh levies, gathered from all quarters, rudely clad, armed
only with clubs and pikes, and unacquainted with the use of firearms.
The Swedish army, on the other hand, was only eight thousand
strong; but it was composed of experienced battalions, flushed by
recent successes, and commanded by able generals. The advanced
guards of the Russians were dispersed on their progress, in some
skirmishes with the Swedes; but the main body penetrated to the
interior, and intrenched itself before the walls of Narva, a fortified
place on the banks of the Narova, a river that flowed from Lake
Peipus into the Baltic Sea. For two months they lay before the town,
when Peter, finding it necessary to hasten the movements of some
regiments that were on their march from Novgorod, as well as to
confer with the king of Poland in consequence of his abandonment
of the siege of Riga, left the camp, delegating the command to the
duke of Croy, a Flemish officer, and prince Dolgoruki, the
commissary-general.
His absence was fatal to this undertaking.
[1701 a.d.] Charles, during a violent snow-storm, that blew
directly in the face of the Russians, attacked the
enemy in their intrenchments. The besiegers were filled with
consternation. The duke of Croy issued orders which the prince
Dolgoruki refused to execute, and the utmost confusion prevailed
amongst the troops. The Russian officers rose against the Germans
and massacred the duke’s secretary, Colonel Lyons, and several
others. The presence of the sovereign was necessary to restore
confidence and order, and, in the absence of a controlling mind the
soldiers, flying from their posts and impeding each other in their
attempts to escape, were slaughtered in detail by the Swedes. In this
exigency, the duke of Croy, as much alarmed by the temper of the
Russians as by the superiority of the enemy, together with almost all
the German officers in the service, surrendered to the victorious
Charles, who, affecting to despise his antagonist, contented himself
with retaining a few general officers and some of the Saxon
auxiliaries, as prisoners to grace his ovation at Stockholm, and
suffered the vanquished troops to return home. Thus failed the first
descent upon Ingria, which cost Russia, even on the statement of
the czar himself, between five thousand and six thousand men. The
loss of the Swedes is estimated by Peter at three thousand, but
Voltaire reduces the number to twelve hundred, which, considering
the relative positions of both armies, and the disadvantages of other
kinds under which the Russians were placed, is more likely to be
accurate.
This unpropitious event did not discourage Peter. “The Swedes,”
he observed, “will have the advantage of us for some time, but they
will teach us, at last, how to beat them.” If Charles, however, had
followed up his success, and pushed his fortunes into the heart of
Russia immediately after this victory, he might have decided the fate
of the empire at the gates of Moscow. But, elated with his triumphs in
Denmark, and tempted by the weakness of the Poles, he embraced
the more facile and dazzling project of concentrating his whole
power against Augustus, declaring that he would never withdraw his
army from Poland until he had deprived the elector of his throne. The
opportunity he thus afforded Peter of recruiting his shattered forces,
and organising fresh means of aggression, was the most remarkable
mistake in the whole career of that vain but heroic monarch.
RALLYING FROM DEFEAT

While Charles was engaged in Poland, Peter gained time for the
accomplishment of those measures which his situation suggested.
Despatching a body of troops to protect the frontiers at Pskov, he
repaired in person to Moscow, and occupied himself throughout the
ensuing winter in raising and training six regiments of infantry,
consisting of 1000 men each, and several regiments of dragoons.
Having lost 145 pieces of cannon in the affair at Narva he ordered a
certain proportion of the bells of the convents and churches to be
cast into field pieces; and was prepared in the spring of the year
1701 to resume hostilities with increased strength, and an artillery of
100 pieces of cannon, 142 field pieces, 12 mortars, and 13
howitzers.
Nor did he confine his attention to the improvement of the army.
Conscious of the importance of diffusing employment amongst his
subjects, and increasing their domestic prosperity, he introduced into
the country flocks of sheep from Saxony, and shepherds to attend to
them, for the sake of the wool; established hospitals, and linen and
paper manufactories; encouraged the art of printing; and invited from
distant places a variety of artisans to impart to the lower classes a
knowledge of useful crafts. These proceedings were treated with
levity and contempt by Charles, who appears all throughout to have
despised the Russians, and who, engrossed by his campaign in
Courland and Lithuania, intended to turn back to Moscow at his
leisure, after he should have dethroned Augustus, and ravaged the
domains of Saxony.
Unfortunately the divisions that prevailed in the councils of Poland
assisted to carry these projects rapidly into effect. Peter was anxious
to enter into a new alliance with Augustus, but, in an interview he
held with that prince at Birzen, he discovered the weakness of his
position and the hopelessness of expecting any effectual succour at
his hands. The Polish diet, equally jealous of the interference of the
Saxon and Russian soldiery in their affairs, and afraid to incur the
hostility of Charles, refused to sanction a league that threatened to
involve them in serious difficulties. Hence, Augustus, left to his own
resources, was easily deprived of a throne which he seemed to hold
against the consent of the people, while Peter was forced to conduct
the war alone. His measures were consequently taken with
promptitude and decision. His army was no sooner prepared for
action than he re-entered Ingria, animating the troops by his
presence at the several points to which he directed their movements.
In some accidental skirmishes with small bodies of the Swedes, he
reaped a series of minor successes, that inspired the soldiers with
confidence and improved their skill for the more important scenes
that were to follow. Constantly in motion between Pskov, Moscow,
and Archangel, at which last place he built a fortress called the New
Dvina, he diffused a spirit of enthusiasm amongst the soldiers, who
were now becoming inured to action.
An open battle at last took place in the
[1702 a.d.] neighbourhood of Dorpat, on the borders of
Livonia, when General Sheremetrev fell in with
the main body of the enemy on the 1st of January, 1702, and, after a
severe conflict of four hours, compelled them to abandon their
artillery and fly in disorder. On this occasion, the Swedes are said to
have lost three thousand men, while there were but one thousand
killed on the opposite side. General Sheremetrev was immediately
created a field-marshal, and public thanks were offered up for the
victory.
Following up this signal triumph, the czar equipped one fleet upon
Lake Peipus to protect the territory of Novgorod, and manned
another upon Lake Ladoga, to resist the Swedes in case they should
attempt a landing. Thus guarded at the vulnerable points, he was
enabled to prosecute his plans in the interior with greater certainty
and effect.
Marshal Sheremetrev in the meantime marched upon Marienburg,
a town on the confines of Livonia and Ingria, achieving on his
progress another triumph over the enemy near the village of
Humolova. The garrison at Marienburg, afraid to risk the
consequences of a siege, capitulated at once, on condition that the
inhabitants should be permitted a free passage, which was agreed
to; but an intemperate officer having set fire to the powder magazine,
to prevent the negotiation from being effected, by which a number of
soldiers on both sides were killed, the Russians fell upon the
inhabitants and destroyed the town.

THE ANTECEDENTS OF AN EMPRESS

Amongst the prisoners of war


was a young Livonian girl, called
Martha, an orphan who resided
in the household of the Lutheran
minister of Marienburg. She had
been married the day before to a
sergeant in the Swedish army;
and when she appeared in the
presence of the Russian general
Bauer, she was bathed in tears,
in consequence of the death of
her husband, who was
supposed to have perished in
the melée. Struck with her
appearance, and curious to Catherine I
learn the history of so interesting
a person, the general took her to (1679-1727)
his house, and appointed her to
the superintendence of his
household affairs. Bauer was an unmarried man, and it was not
surprising that his intercourse with Martha should have exposed her
to the imputation of having become his mistress; nor, indeed, is there
any reason, judging by the immediate circumstances as well as the
subsequent life of that celebrated woman, to doubt the truth of the
charge. Bauer is said to have denied the fact, which is sufficiently
probable, as it was evidently to his interest to acquit the lady of such
an accusation; but, however that may be, it is certain that Prince
Menshikov, seeing her at the general’s house, and fascinated by her
manners, solicited the general to transfer her services to his
domestic establishment; which was at once acceded to by the
general, who was under too many obligations to the prince to leave
him the option of a refusal.
Martha now became the avowed mistress of the libertine
Menshikov, in which capacity she lived with him until the year 1704,
when, at the early age of seventeen, she enslaved the czar as much
by her talents as by her beauty, and exchanged the house of the
prince for the palace of the sovereign. The extraordinary influence
she subsequently exercised when, from having been the mistress
she became the wife of the czar, and ultimately the empress
Catherine, developing, throughout the various turns of her fortune, a
genius worthy of consort with that of Peter himself, opens a page in
history not less wonderful than instructive. The marriage of the
sovereign with a subject was common in Russia; but, as Voltaire
remarks, the union of royalty with a poor stranger, captured amidst
the ruins of a pillaged town, is an incident which the most marvellous
combinations of fortune and merit never produced before or since in
the annals of the world.

MILITARY SUCCESS: FOUNDATION OF ST. PETERSBURG

The most important operations of the campaign in the year 1702


were now directed to the river Neva, the branches of which issue
from the extremity of Lake Ladoga, and, subsequently reuniting, are
discharged into the Baltic. Close to the point where the river flowed
from the lake was an island, on which stood the strongly fortified
town of Rottenburg. This place, maintaining a position that was of
the utmost consequence to his future views, Peter resolved to
reduce in the first instance; and, after laying siege to it for nearly a
month, succeeded in carrying it by assault. A profusion of rewards
and honours were on this occasion distributed amongst the army,
and a triumphal procession was made to Moscow, in which the
prisoners of war followed in the train of the conqueror. The name of
Rottenburg was changed to that of Schlüsselburg, or city of the key,
because that place was the key to Ingria and Finland. The
solemnities and pomp by which these triumphs were celebrated
were still treated with contempt by Charles, who, believing that he
could at any moment reduce the Russians, continued to pursue his
victories over Augustus. But Peter was rapidly acquiring power in the
very direction which was most fatal to his opponent, and which was
directly calculated to lead to the speedy accomplishment of his final
purpose.
The complete occupation of the shores of the Neva was the first
object to be achieved. The expulsion of the enemy from all the
places lying immediately on its borders and the possession or
destruction of all the posts which the Swedes held in Ingria and
Karelia were essential to the plans of the czar. Already an important
fortress lying close to the river was besieged and reduced, and two
Swedish vessels were captured on the lake by the czar in person.
Further successes over the Swedish gunboats, that hovered near
the mouth of the river, hastened his victorious progress; and when
he had made himself master of the fortress of Kantzi, on the Karelian
side, he paused to consider whether it would be advisable to
strengthen that place, and make it the centre of future operations, or
push onwards to some position nearer to the sea. The latter proposal
was decided upon; and a marshy island, covered with brushwood,
inhabited by a few fishermen, and not very distant from the
embouchure of the Neva, was chosen as the most favourable site for
a new fortress. The place was, by a singular anomaly, called Lust
Eland, or Pleasure Island, and was apparently ill adapted for the
destinies that in after-times surrounded it with glory and splendour.
On this pestilential spot, Peter laid the foundations of the fortress of
St. Petersburg, which gradually expanded into a city and ultimately
became the capital of the empire.
The country in the neighbourhood of this desolate island, or cluster
of swamps, was one vast morass. It did not yield a particle of stone,
and the materials with which the citadel was built were derived from
the ruins of the works at Nianshantz. Nor were these the only
difficulties against which Peter had to contend in the construction of
the fortifications. The labourers were not furnished with the
necessary tools, and were obliged to toil by such expedients as their
own invention could devise. So poorly were they appointed for a
work of such magnitude that they were obliged to carry the earth,
which was very scarce, from a considerable distance in the skirts of
their coats, or in bags made of shreds and matting. Yet the fortress
was completed within five months, and before the expiration of a
year St. Petersburg contained thirty thousand houses and huts of
different descriptions.
So gigantic an undertaking was not accomplished without danger,
as well as extreme labour. Peter, who could not be turned aside from
his purposes by ordinary obstacles, collected a vast concourse of
people from a variety of countries, including Russians, Tatars,
Kalmucks, Cossacks, Ingrians, and Finlanders; and employed them,
without intermission, and without shelter from an inclement climate of
sixty degrees of latitude, in deepening the channels of the rivers and
raising the general level of the islands which were in the winter
seasons usually sunk in the floods. The severity of the labour, and
the insufficiency of provisions, caused a great mortality amongst the
workmen. A hundred thousand men are said to have perished in the
first year. While this fort was in progress of erection, Peter
despatched Menzikov to a little island lying nearer to the mouth of
the river, to build another fortress for the protection of the entrance.
The model of the fortress was made by himself in wood. He gave it
the name of Kronstadt, which, with the adjacent town and buildings,
it still retains. Under the cannon of this impregnable fortress the
largest fleet might float in shelter.
The establishment of a new city on so unfavorable a site, and the
contemplated removal of the seat of government, received
considerable opposition from the boyars and upper classes, as well
as from the inferior grades, who regarded the place with terror, in
consequence of the mortality it had already produced. The
discontent of the lower orders broke out in loud complaints during
Peter’s temporary absence. No measures short of the most despotic
could have compelled the inhabitants of Moscow to migrate to the
bleak and dismal islands of the Neva, and Peter was not slow to
carry such measures into effect.
If the people could have looked beyond the convenience of the
moment into the future prospects of the empire, they must at once
have perceived the wisdom of the change. The paramount object of
Peter’s policy was the internal improvement of Russia. The
withdrawal of the nobility, the merchants, and the artisans from their
rude capital in the interior, to an imperial seat on the gulf of Finland,
by which they would be brought into closer intercourse with civilised
Europe, and acquire increased facilities for commercial enterprise,
was evidently calculated to promote that object, which was distinctly
kept in view in the place upon which the city was built. Peter had not
forgotten the practical lessons he had learned during his residence in
Holland. That country, the inhabitants of which in Pliny’s time were
described to be amphibious, as if it were doubtful to which element,
the land or the sea, they really belonged, had been redeemed from
the ocean by the activity and skill of the people; and Peter, profiting
by their experience, adopted Amsterdam as his model in securing
the foundations of St. Petersburg. He employed several Dutch
architects and masons; and the wharfs, canals, bridges, and
rectilineal streets, planted with rows of trees, attest the accuracy with
which the design was accomplished. To a neighbouring island, which
he made a depot for timber, he gave the name of New Holland, as if
he meant to leave to posterity an acknowledgement of the
obligations he owed to that country.
The speculations of the czar were rapidly fulfilled in the
commercial relations invited by the establishment of St. Petersburg.
Five months had scarcely elapsed from the day of its foundation
when a Dutch ship, freighted with merchandise, stood into the river.
Before the expiration of a year, another vessel from Holland arrived;
and the third vessel, within the year, that entered the new port was
from England. These gratifying facts inspired confidence amongst
those who had been disposed to look upon the project with such
hasty distrust; and Peter, whose power was now rapidly growing up
on all sides, was enabled to extend his operations in every direction
over Ingria. The variety of affairs which, at this juncture, occupied his
attention sufficiently proves the grasp of his capacity and the
extraordinary energy of his mind. At nearly the same time that he
founded a new capital he was employed in fortifying Pskov,
Novgorod, Kiev, Smolensk, Azov, and Archangel; and in assisting the
unfortunate Augustus with men and money. Cornelius van Bruyer, a
Dutchman, who at that period was travelling in Holland, states that
Peter informed him that, notwithstanding all these undertakings, he
had 300,000 roubles remaining in his coffers, after providing for all
the charges of the war.
The advances that the czar was thus making in strengthening and
civilising the empire were regarded with such contempt by Charles
that he is reported to have said that Peter might amuse himself as he
thought fit in building a city, as he should soon find him to take it from
him and set fire to his wooden houses. The Porte, however, did not
look with indifference upon his movements, and sent an ambassador
to him to complain of his preparations; but Peter replied that he was
master of his own dominions, as the Porte was of his, and that his
object was not to infringe the peace, but to render Russia
“respectable” upon the Euxine.

RENEWED HOSTILITIES

The time was now approaching when the


[1704 a.d.] decision of the disputes in Poland enabled
Charles to turn back upon Ingria, where Peter
was making so successful a stand. On the 14th of February, 1704,
the primate of Warsaw threw off his allegiance to Augustus, who was
in due form deposed by the diet. The nomination of the new king was
placed in the hands of Charles, who proposed Stanislaus
Leszczynski, a young nobleman distinguished for his
accomplishments, who was accordingly declared king of Poland and
grand duke of Lithuania. But Lithuania had not as yet sent in her
adherence to either side; and Peter, still taking a deep interest in the
fortunes of Augustus, whose Saxon troops were every day suffering
fresh discomfitures from the Swedish army, sent that monarch a
reinforcement of twelve thousand men to support his claims in the
undecided province. The military force of Russia had now become a
formidable body, highly disciplined, and fully equipped; and Peter,
without loss of time, in the spring of 1704, disposed the remainder of
his army into two divisions, one of which he sent under the command
of Field-Marshal Sheremetrev, to besiege Dorpat, while he took in
person the conduct of the other against Narva, where he had
formerly endured a signal defeat.
Dorpat, which is better known by this siege than by the university
which Gustavus Adolphus had previously established there, was
forced to capitulate by a ruse de guerre. It was necessary in the first
instance to become master of Lake Peipus, for which purpose a
Russian flotilla was placed at the entrance of the Embach. Upon the
advance of a Swedish squadron a naval battle ensued, which ended
in the capture or destruction of the whole of the enemy’s fleet. Peter
now sat down before Dorpat, but, finding that the commandant held
out for six weeks, he adopted an ingenious device to procure
entrance into the town. He disguised two regiments of infantry and
one of cavalry in the uniforms of Swedish soldiers, giving them
Swedish standards and flags. These pretended Swedes attacked the
trenches, and the Russians feigned a fight. The garrison of the town,
deceived by appearances, made a sortie, when the false attackers
and the attacked reunited, fell upon the troops, and entered the
town. A great slaughter ensued, and, to save the remainder of the
garrison, the commandant surrendered.
At Narva Peter was equally successful. The siege was conducted
under his own personal command. Sword in hand, he attacked three
bastions that offered the strongest points of defence, carried them
all, and burst into the town. The barbarities that ensued were of a
nature to revolt even the czar himself. Pillage, slaughter, and lustful
excesses were committed by the infuriated men; and Peter, shocked
at the cruelties he witnessed, threw himself amongst the barbarians
who refused to obey his orders and slew several of them in the
public streets. A number of the unfortunate citizens had taken refuge
in the hôtel de ville; and the czar, appearing in the midst of them,
cast his bloody sword on the table, declaring that it was stained not
with the blood of the citizens but of his own soldiers, which he had
shed to save their lives.
These victories were decisive of the position of Peter. He was now
master of all Ingria, the government of which he conferred upon
Menzikov, whom he created a prince of the empire and major-
general in the army. The elevation of Menzikov, through the various

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