PDF of Le Livre de Tous Les Livres 1St Edition Roberto Calasso Full Chapter Ebook

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Le livre de tous les livres 1st Edition

Roberto Calasso
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Du monde entier
ROBERTO CALASSO

LE LIVRE
DE TOUS LES LIVRES
Traduit de l’italien
par Jean-Paul Manganaro

GALLIMARD
« Ainsi, livre après
livre, le livre de tous les
livres nous a été donné
pour que nous tentions d’y
entrer comme dans un
second monde où nous
nous perdons, nous nous
éclairons et nous nous
perfectionnons. »

GOETHE
I

LA TORAH
AU CIEL
Neuf cent soixante-quatorze générations avant que le monde fût
créé, la Torah fut écrite. Comment ? Avec du feu noir sur du feu
blanc. C’était la fille unique de Yahvé. Le Père voulut qu’elle vive dans
une terre étrangère. Les Anges officiants lui dirent : « Pourquoi ne
reste-t-elle pas au ciel ? ». Yahvé répondit : « En quoi est-ce que cela
vous importe ? ». Vint un roi qui prit sa fille pour épouse. Yahvé lui
dit : « La fille que je t’ai donnée est mon unique fille. Je ne peux pas
m’en séparer. Mais je ne peux pas non plus te dire de ne pas la
prendre, parce qu’elle est ton épouse. Accorde-moi cela seulement :
où que vous alliez, qu’il y ait une chambre pour moi ».

Dans la solitude qui avait précédé la Création, Yahvé ne fut


assisté que de sa fille. Elle était la Torah, la Loi, et elle était la
Hokhmah, la Sagesse. Elle était la conseillère, mais elle œuvrait aussi
comme artisan : elle calculait les mesures, elle pourvoyait à sceller les
eaux, elle traçait des frontières de sable, soudait les jointures des
cieux. Et elle était parfois le plan décousu de la Création. Yahvé la
contemplait alors en silence.

La Sagesse fut artisan, elle fut le plan, elle fut l’instrument. Mais
plus souvent encore, elle fut l’assistante, aux côtés de Yahvé. Quand
elle fut enfantée, « l’abîme n’était pas encore ». Les eaux ne
jaillissaient pas encore. Et les cieux devaient encore être accrochés et
suspendus. Chaque fois, quand quelque chose apparaissait et se
transformait, « j’étais à ses côtés et je composais toutes les choses »,
« cum eo eram, cuncta componens », dit la Sagesse. Personne ne
connaîtrait jamais plus grande fierté ni plus grande stupeur. Alors que
le cycle des merveilles approchait de son terme, la Sagesse jouait
tout le temps par terre, toujours devant Yahvé. Ce fut alors le
moment le plus heureux de la Création, un plaisir ininterrompu
(« delectabar per singulos dies »), dont l’émanation se transmit,
affaiblie et contrefaite, aux fils des hommes.

Avec l’expiation, l’Éden, la Géhenne, le trône de la majesté, le


Temple, le nom du Messie, la Torah fut l’une des sept choses créées
avant que le monde ne le fût. L’Éden, qui était un jardin, planait dans
un lieu qui précédait l’espace. Et de même la Géhenne, qui était une
vallée. Leur présence était indispensable, mais on ne comprenait pas
comment et où elles pouvaient résider avant que le monde fût. Alors
que pour la Torah il était indifférent que le monde existât ou non. Elle
se tenait sur les genoux du Père et chantait avec les Anges officiants.
Des centaines de générations plus tard, certains parmi eux, en
regardant vers le bas, virent un homme qui gravissait péniblement
une montagne. Ils furent transpercés par l’élancement d’une
nostalgie qui anticipait la perte et ils dirent au Père : « Pourquoi
veux-tu donner ce joyau bien gardé à un être de chair et de sang ? ».
Mais il était déjà trop tard.

Que la Torah fût écrite avec du feu noir sur du feu blanc faisait,
selon Nachmanides, kabbaliste de Gérone, qu’elle pouvait être lue de
deux manières antithétiques : soit comme une écriture continue, non
divisée en mots — c’est ce qu’exige la nature du feu —, soit de façon
traditionnelle, en tant qu’elle se compose de préceptes et de récits.
Dans le premier cas, l’écriture continue devenait une séquence de
noms. Les préceptes et les récits s’évanouissaient. Mais d’autres
kabbalistes de Gérone poussèrent les choses plus loin. Pourquoi
garder cette pluralité de noms ? La Torah tout entière devait être lue
comme un seul nom, le Nom du Saint. Azraël se hasarda à dire que la
descendance d’Ésaü, énumérée dans Genèse, 36, et généralement
tenue pour un passage superflu, ne devait pas être considérée
comme fondamentalement distincte du Décalogue. C’étaient les
parties singulières d’un même édifice, toutes indispensables.

La Sagesse sortit de la bouche du Père sous la forme d’un


nuage. « Comme une nuée je recouvris la terre ». Avant que le
monde fût créé, elle avait dressé sa tente dans les cieux et là, elle
attendait. Elle rejoignait le Père dans la « colonne de nuée », où se
trouvait son trône. Tente et colonne de nuée : elles réapparaîtraient
ensemble un jour, lorsque Moïse, devant les Hébreux stupéfaits, se
retira dans la « Tente de la Rencontre » dont aussitôt après une
colonne de nuage ferma l’entrée. C’est ainsi que Yahvé avait voulu
parler à Moïse, « face à face, comme un homme parle à son voisin ».
La Sagesse, au contraire, passait de l’intérieur de la tente à l’intérieur
de la colonne de nuage. Ce fut le premier pas, le début d’un voyage
incessant. Depuis lors la Sagesse visita tous les coins du cosmos.
« Seule, j’ai fait le tour du cercle des cieux, / j’ai parcouru les
profondeurs des abîmes. / Dans les flots de la mer, sur toute la terre,
/ chez tous les peuples et toutes les nations je me suis enrichie ».
Partout la Sagesse trouvait une substance dont se nourrir. Mais elle
pensait toujours à sa tente. Elle voulait trouver un autre lieu où la
dresser. Un jour le Père lui fit un signe. « C’est ainsi qu’en Sion je me
suis établie », dit la Sagesse, en concluant son récit. Dans la même
terre, un jour, le Fils, qui était son frère, ne trouvera « où reposer la
tête ».
II

SAÜL ET SAMUEL
Saül apparut alors qu’il allait à la recherche d’ânesses qui
s’étaient égarées. Accompagné d’un serviteur de la maison, il marcha
longtemps. Mais ils ne retrouvaient pas les ânesses. Quand ils
arrivèrent à Çuph, Saül dit au serviteur : « Mon père désormais ne
pense plus aux ânesses, mais il va s’inquiéter de nous ». Ils avaient
marché trois jours, pour ces ânesses. Ils avaient dépassé la
montagne d’Éphraïm, traversé le pays de Shalisha, puis le pays de
Shaalim. Ils ne trouvaient pas les ânesses. Et à présent ils se
sentaient perdus, hésitants sur le chemin à emprunter pour le retour.
Le serviteur dit alors qu’il avait entendu parler d’un voyant qui
habitait à Çuph. Peut-être pourrait-il les aider. Saül était d’accord,
mais ils n’avaient même plus un morceau de pain dans leurs besaces.
Qu’auraient-ils pu offrir au voyant ? Le serviteur dit : « J’ai retrouvé
dans mes mains un sheqel [sicle] d’argent. Nous pourrions le donner
au voyant et lui demander le chemin ». Le texte biblique ajoute des
mots explicatifs : « Autrefois, en Israël, quand un homme allait
consulter Élohim, il s’exprimait ainsi : “Allons donc chez le voyant !”.
Celui qu’aujourd’hui on appelle “prophète”, était appelé autrefois
“voyant” ».
Un groupe de jeunes filles était sorti par la porte de Çuph pour
puiser l’eau du puits. C’est ainsi qu’ont lieu les rencontres fatales,
autour d’un puits. Comme avec Rébecca, comme avec Rachel,
comme avec Déméter à Éleusis. Cette fois encore il y avait un essaim
de jeunes filles. Elles virent les deux étrangers qui gravissaient la
montée vers la porte de la ville. « Le voyant, est-il là ? »
demandèrent les deux inconnus. Les jeunes filles répondirent avec
empressement : ils le rencontreraient d’un moment à l’autre, mais ils
devaient se hâter, parce qu’il allait sortir de la ville. Vous devez le
rencontrer — dirent-elles — « avant qu’il ne monte au haut lieu pour
manger, car le peuple ne mangera pas avant qu’il n’arrive. C’est lui en
effet qui bénit le sacrifice, après quoi les invités mangent ». Peu
après, à la porte de Çuph, Saül vit un homme qui sortait des
remparts et il lui demanda : « Je te prie de m’indiquer où se trouve la
maison du voyant ». Samuel répondit : « Le voyant c’est moi ». Et il
invita aussitôt Saül à le suivre sur le haut lieu : « Vous mangerez
avec moi aujourd’hui ». Puis il ajouta : « Quant aux ânesses que tu
as égarées il y a trois jours, elles ont été retrouvées ». Pour un prêtre
comme Samuel la première des exigences est de sacrifier et de
partager les morceaux de viande du sacrifice qui se mangent. Saül
eut la meilleure portion et Samuel dit : « Voilà ce qui reste, ils l’ont
placé devant toi : mange ! Ils l’ont gardé exprès pour toi, quand j’ai
invité le peuple à la fête ». La portion est moîra, « destin ». Le destin
de Saül était déjà prêt, mis de côté pour lui. Ils l’avaient attendu.

Pour qui ne le sait pas — et tous ne le savent pas —, les ânesses


égarées sont ce qui permit la rencontre entre Saül et Samuel. Si le
père de Saül n’avait pas ordonné à son fils de les retrouver, Saül
serait resté dans sa famille, dans la plus petite tribu d’Israël. C’était
un beau jeune homme, plus grand d’une tête que ses compagnons et
il n’avait aucunement donné le signe d’une quelconque vocation
particulière. Grâce aux ânesses égarées, il se trouva un jour loin de
chez lui, ignorant le chemin du retour. Il était prêt à payer d’une
pièce d’argent celui qui le lui indiquerait.
Telle est la situation dans laquelle Yahvé lui fit rencontrer
Samuel. Les ânesses égarées étaient l’artifice qui rendrait possible la
rencontre. Et ces ânesses seraient retrouvées. Non par Saül, mais
— on ne sait comment — par Samuel lui-même, le voyant qui allait
faire de Saül le premier roi d’Israël. Yahvé était aussi un allégoriste.
Les ânesses égarées et retrouvées étaient aussi le peuple qui désirait
ardemment un roi mais qui n’aurait pas été en mesure de le choisir, si
Samuel le voyant ne l’avait pas oint avec l’huile qu’il gardait dans une
fiole.

Après la fête sacrificielle ils regagnèrent la ville. Samuel fit


préparer un lit pour Saül sur le toit de sa maison. Puis il le réveilla
dès l’aurore et lui dit : « Lève-toi, je vais te renvoyer ». Ils sortirent
ensemble de la ville. Samuel dit à Saül de faire passer le serviteur
devant eux. Lui, en revanche, il devait s’arrêter. Il devait entendre la
parole de Dieu. Samuel prit la fiole d’huile et la versa sur la tête de
Saül. Il dit que Yahvé l’avait oint « comme chef de son peuple ». Ils
étaient seuls, juste après l’aurore. Puis Samuel dit à Saül de se
mettre en chemin. Et il fit allusion à trois épisodes qui allaient
survenir. Le premier concernait les ânesses égarées. À Tseltsach, près
de la tombe de Rébecca, deux inconnus lui diraient que les ânesses
avaient été retrouvées. C’est ce qui eut lieu. Le père, dirent-ils, n’y
pensait plus, mais il s’inquiétait pour son fils, qui ne revenait pas.
Les autres épisodes prédits s’accomplirent eux aussi, rapidement.
C’étaient les « signes », avait dit Samuel. Et il avait ajouté :
désormais « tu agiras suivant ce qui s’offrira à toi ». C’était une règle
puissante. Les signes se manifestèrent et Saül comprit ce que Samuel
lui avait dit : « Tu seras transformé en un autre homme ».
Ceux qui l’avaient connu auparavant étaient incrédules. Était-il
possible que Saül, le fils de Qish, le beau, le grand, se comportât à
présent comme un nabi, un « prophète » ? Qu’il dansât et parlât aux
sons des harpes et des tambourins ? Ils disaient : « Mais qu’est-il
arrivé au fils de Qish ? Saül est-il aussi parmi les prophètes ? ». C’est
ainsi que naquit un proverbe légèrement moqueur, encore en usage :
« Saül est-il aussi parmi les prophètes ? ».
Quand Saül eut fini de prophétiser, il rencontra son oncle. Il
semblait être redevenu l’homme d’avant. Rien ne le distinguait de
celui qu’il était quand il était parti. L’oncle voulait simplement savoir
où Saül était allé, avec son serviteur. « Chercher les ânesses »,
répondit Saül. « Mais on ne les trouvait pas », ajouta-t-il. « Alors
nous sommes allés chez Samuel ». « Et que t’a dit Samuel ? » insista
l’oncle. « Que les ânesses avaient été retrouvées », dit Saül. « Mais il
ne lui révéla pas le discours de la royauté », précise le texte biblique.

Seul Samuel savait que Saül était le roi d’Israël. Il fallait


maintenant que le peuple le sût. Samuel le convoqua à Mizpah. Il
rappela à tous qu’ils avaient demandé un roi et que par là même ils
avaient repoussé Yahvé, « celui qui vous sauve de tous vos maux et
de toutes vos angoisses ». Ils avaient osé lui dire : « Tu dois établir
un roi sur nous ». « Et alors, présentez-vous à Yahvé », avait ajouté
Samuel, brusque.
Toutes les tribus étaient présentes. Ils tirèrent au sort, car tel
était le jugement de Yahvé. La tribu de Benjamin fut désignée. Ils
devaient maintenant tirer au sort la famille. La famille de Matri fut
désignée. Il fallait à présent tirer au sort un membre de la famille. Ils
étaient tous là, alignés. Mais Saül n’était pas là. Ils demandèrent à
Yahvé s’il manquait quelqu’un. Yahvé dit : « Il est caché au milieu des
bagages ». Saül alors se présenta. Il était plus grand que tous ceux
qui l’entouraient. Samuel dit : « Il n’a pas son pareil dans tout le
peuple ». Aussi le peuple poussa-t-il des acclamations en faveur de
Saül. Il fut le premier roi d’Israël.

Saül se cacha au milieu des bagages, semblable en cela à Harpo


Marx, parce qu’il avait été frappé par la terreur de l’élection. Une
terreur que plus qu’aucun autre son peuple éprouverait à travers
l’histoire. C’était la terreur du hasard, du sort qui pourrait dans un
instant décider de son élection. Mais Saül savait que l’élection avait
déjà eu lieu à l’instant où Samuel l’avait oint. Mais alors ils étaient
seuls. Personne ne les avait vus. Personne ne savait. Le hasard et le
destin se superposaient en lui. Soudure accablante. Il ne respirerait
plus sans penser à rien, comme lorsqu’il marchait sur des chemins
inconnus à la recherche des ânesses de son père, ennuyé, distrait. De
temps à autre, il échangeait quelques mots avec son serviteur. Rien
de plus. Rien de semblable n’arriverait désormais dans sa vie.

L’élection de Saül comme roi d’Israël fut extrêmement rapide, un


simple tirage au sort. Mais le roi s’appuyait sur le vide. Alors Samuel
« dit au peuple le droit du roi ». Mais cela ne suffisait pas. Il fallait
écrire le droit. Aussi Samuel « l’écrivit-il dans le livre qu’il déposa
devant Yahvé ». Des actes convulsifs, indispensables. Et tout finissait
en un livre.

Dernier des Juges, Samuel était aussi un prêtre prototypique et


prophète avant les prophètes. Enfanté par une mère désespérée de
sa stérilité, il fut destiné avant même sa naissance à la fonction
sacerdotale. À l’âge de douze ans il entendit la voix de Yahvé et ne la
reconnut pas. Il dormait dans la pénombre du temple. Il crut avoir
entendu la voix d’Éli, le chef des prêtres. Il courut jusque chez lui et
dit : « Me voilà ». Éli leva les yeux et dit : « Ce n’était pas moi, va te
coucher ». Cela arriva encore à deux reprises. Les mêmes mots, les
mêmes gestes. Il était difficile de penser que la voix fût celle de
Yahvé. C’était une époque où « la parole de Yahvé était rare, sa
vision peu fréquente ». Mais le vieux prêtre Éli, père de deux fils
impies, comprit que c’était Yahvé qui avait parlé. Alors il dit au jeune
Samuel : « Si tu entends qu’on t’appelle, dis : Parle, Yahvé, ton
serviteur t’écoute ». En silence, pour la troisième fois, Samuel se
retira. Il se produisit alors un événement que l’Écriture décrit en ces
termes : « Yahvé entra et s’arrêta en l’appelant comme chaque fois :
“Samuel, Samuel !”. Et Samuel dit : “Parle, ton serviteur t’écoute” ».
Yahvé expliqua aussitôt qu’il provoquerait la ruine de la lignée d’Éli,
du prêtre avec lequel Samuel avait grandi et qui lui avait appris les
gestes du culte. La honte n’avait pas été la sienne, mais celle de ses
fils. Ils agressaient avec des fourches à trois dents quiconque
s’approchait du temple avec des offrandes et lui arrachaient les
meilleurs morceaux, en utilisant des « manières de brigands ». Et à
plusieurs reprises ils avaient violé les « femmes qui se tenaient
autour de la Tente de la Rencontre ». D’autres disaient qu’ils avaient
simplement l’habitude de « les séduire avec des présents ». Éli était
vieux et lourd, il avait été le juge d’Israël quarante ans durant, mais
ses paroles n’étaient pas entendues par ses fils. Yahvé annonça que
bientôt lui aussi serait brisé. C’est ce qui arriva peu après. À
l’annonce de la mort de ses fils lors d’un combat contre les Philistins,
Éli tomba de son siège avec un bruit sourd. Son gros corps resta en
travers de la porte. Il mourut la nuque brisée.
Samuel écouta les paroles de Yahvé. Puis il s’endormit
profondément, jusqu’au matin. Et alors, conformément à ses
attributions quotidiennes, il ouvrit les portes de la Maison de Yahvé. Il
craignait seulement que le vieil Éli ne lui demande ce qu’il avait
entendu par la voix de Yahvé, dès qu’ils seraient seuls.

Lorsque les anciens d’Israël se présentèrent à lui en demandant


d’avoir un roi, Samuel en fut contrarié. Il savait que ses fils étaient
indignes, bien que lui-même les eût nommés juges. Il se rappelait les
horreurs commises par les fils d’Éli, eux aussi élus par leur père. Mais
cela ne suffisait pas pour considérer favorablement l’idée d’avoir un
roi. De l’avis de Samuel, les Hébreux se faisaient une idée fausse de
ce qu’était un roi. Un roi c’est quelqu’un qui prend plus qu’il ne
donne. C’était cette même pensée que Yahvé lui avait transmise. Le
peuple voulait un roi parce qu’il ne voulait plus que Yahvé règne. Et
pourtant Yahvé l’avait accepté. Il avait dit : « Écoute leur voix ».
C’était une sorte d’abdication, comme il l’avait précisé : « Ce n’est pas
toi que nous refusons, mais c’est moi qu’ils refusent, pour que je ne
règne plus sur eux ». Yahvé renonçait donc à régner, même sur ce
peuple minuscule. Mais il voulait d’abord expliquer à Samuel ce que
signifiait « le droit du roi », qui n’était pas une bonne chose. Il fallait
que le peuple le sache : « Il prendra vos filles comme parfumeuses,
cuisinières et boulangères. Il prendra les meilleurs de vos champs, de
vos vignes, de vos oliveraies et les donnera à ses serviteurs ». Avant
même de les protéger, le roi pille ses sujets. Voilà le droit que le
peuple préférait à celui de Yahvé. Samuel répéta point par point ce
que Yahvé lui avait dit. Mais il ne convainquit personne. Ils écoutaient
Samuel avec impatience, parce qu’ils étaient fascinés par un mirage.
Ils dirent qu’ils voulaient être « comme toutes les nations ». Elles
avaient toutes un roi. Pourquoi seul Israël devait-il ne pas en avoir ?
« Notre roi nous jugera et sortira à notre tête, il combattra nos
batailles ». C’était ce qu’ils voulaient. Un homme, visible, tangible,
peut-être avide, peut-être prédateur, mais quelqu’un que le peuple
puisse suivre. « Il combattra nos batailles ». Samuel les congédia
aussitôt. Il dit qu’il les rappellerait lorsqu’il aurait trouvé qui pouvait
être leur roi.
Il se produisit à ce moment précis quelque chose d’irréversible,
dans l’histoire d’Israël et dans les rapports de Yahvé avec Israël. Ce
ne serait plus un peuple sacerdotal, guidé par ceux qui administraient
la justice, gouvernaient les sacrifices et gardaient l’Arche. Ils ne
seraient plus qu’une nation parmi les autres, avec les avantages et
les malheurs, les plaisirs et les souffrances qui découlent du fait
d’être un royaume, où tout converge vers un être singulier : le
souverain.

Désormais blanchi, Samuel demanda si, en administrant la


justice « tous les jours de sa vie », il avait quelquefois lésé ou
maltraité quelqu’un ou s’il s’était laissé corrompre par quelqu’un. Tout
le monde témoigna en sa faveur. Mais Samuel voulut aussi rappeler
quelques traits essentiels du passé. Et, pour Israël, l’essentiel était
l’Égypte. C’est de là qu’il commença. Tous devaient avoir bien présent
à l’esprit que Yahvé avait « fait monter [leurs] pères de l’Égypte ». Et,
depuis lors, nombreux furent « les bienfaits que Yahvé [leur] a
prodigués ». Samuel en énuméra quelques-uns, mais, comme
toujours, il fut bref et dépouillé. Il s’empressa d’aboutir au point
conclusif : « Sachez alors et considérez combien grand est le mal que
vous avez commis aux yeux de Yahvé en demandant un roi pour
vous ! ». Pourtant le roi n’était tel que parce que Samuel lui-même
l’avait oint. Samuel voulait réaffirmer que le roi était en soi un mal.
Vouloir un roi signifiait vouloir un mal. Yahvé envoya le tonnerre et la
pluie pour confirmer les paroles de Samuel. À partir de ce moment,
l’histoire d’Israël serait scandée par une succession de rois, comme
l’histoire de tous les peuples à l’entour. Mais il demeurerait toujours
quelqu’un pour rappeler les paroles de Samuel, qui considérait la
royauté comme une dégradation, bien qu’il l’eût instaurée de ses
propres mains.

D’un côté Yahvé, de l’autre son peuple. Et, à tour de rôle,


certains hommes qui connaissaient la loi, appliquaient la loi,
célébraient les sacrifices. Les rois ? Une faiblesse. Quelque chose
dont les autres avaient besoin. C’est ce que pensait Samuel, ce qu’on
lisait dans ses yeux. Ces pensées accompagnèrent toujours les rois
d’Israël, comme une ombre corrosive.
Mais qu’auraient-ils dû faire, si tout était à ce point gâché ? se
demandèrent quelques-uns. Samuel secoua la tête. Vous ne serez
pas pour autant repoussés. La fidélité envers Yahvé suffira. Il ajouta :
« Ne vous en écartez pas, car ce serait pour suivre des choses de
rien, qui ne valent rien et qui ne sauvent pas, parce qu’elles ne sont
rien ». On pouvait donc encore parler de salut. Tous se sentirent
soulagés. Et se tournèrent à nouveau vers le roi à peine élu.

Yahvé exigeait avant tout le détachement, imposait de se séparer


de ce que faisaient les nations, qu’elles fussent d’Égypte ou de
Canaan. Le sillon de la différence devait être gravé le plus
profondément possible, tout en sachant qu’il y aurait d’innombrables
rechutes dans les coutumes anciennes. C’est la raison pour laquelle
introduire un roi en Israël fut aussi torturant. Avoir un roi signifiait se
conformer à tous les autres. Mais le peuple hébraïque le désirait
ardemment. La royauté fut une diminution que le prêtre Samuel
accorda à contrecœur. Et, quoi qu’il en soit, l’onction reviendrait aux
prêtres, tout comme dans l’Inde védique les kṣatriya devaient être
engendrés par les brahmanes.
Dans les lieux et les temps les plus disparates la royauté fut
perçue favorablement par les dieux et considérée comme un
intermédiaire nécessaire vers eux. C’est pourquoi elle fut dite sacrée.
Il n’en fut pas ainsi pour Israël. Yahvé l’accepta avec regret,
uniquement parce que le peuple voulait être « comme toutes les
nations ». Et, dès le premier règne, Yahvé « s’était repenti d’avoir fait
de Saül le roi d’Israël ». Toute l’histoire à venir d’Israël est traversée
par cette fêlure, tantôt considérable, tantôt presque imperceptible.

Il n’existe aucun récit des débuts du règne de Saül. Jusqu’à ce


qu’un jour son fils Jonathan frappe l’un des chefs des Philistins et le
tue. Le bruit se répandit : « Israël s’est rendu odieux aux Philistins ».
C’était le point de départ d’une guerre, mais Israël n’était pas prêt.
« Les gens se cachaient dans des grottes, des bosquets, des failles
de rocher, des cryptes et des citernes ». Saül attendait, car Samuel
lui avait dit d’attendre sept jours. Les jours passaient et Samuel
n’apparaissait pas. Saül vit que les siens se débandaient. Il décida de
célébrer l’holocauste qu’il aurait dû célébrer avec Samuel. Avant de
combattre dans une guerre incertaine il se souciait d’« adoucir le
visage de Yahvé ».
Mais aussitôt après Samuel apparut. Cette fois encore il avait
matière à se plaindre. « Tu t’es comporté comme un insensé », dit-il.
« Tu n’as pas obéi à l’ordre que Yahvé, ton Dieu, t’avait donné, après
que Yahvé avait établi ta royauté sur Israël pour toujours. Mais
maintenant ta royauté ne tiendra pas ». Il dit cela et il partit. Toute
forme d’accord avec Samuel était désormais exclue.

« Il arriva que le jour de la bataille personne de ceux qui se


trouvaient avec Saül et Jonathan n’eût en main ni épée ni lance. Il y
en avait seulement pour Saül et Jonathan, son fils ». Entre-temps, un
détachement de Philistins avançait dans la vallée des Hyènes.
Jonathan s’éloigna de son père sans rien dire, avec un jeune homme
qui portait ses armes. Ils rejoignirent la troupe des Philistins dans un
défilé rocheux. « Voici les Hébreux qui sortent des trous où ils se
cachaient », dirent les Philistins qui les avaient repérés. Pendant ce
temps, Jonathan grimpait sur les rochers. Lorsqu’il se trouva devant
ses ennemis, il les abattit l’un après l’autre. Derrière lui, son
compagnon les achevait. Il ne resta plus qu’une vingtaine de corps
amassés dans un petit espace. La nouvelle du massacre frappa
d’effroi les avant-gardes des Philistins. Beaucoup d’Hébreux qui
s’étaient alliés aux Philistins se ravisèrent, « firent défection pour se
joindre eux aussi aux Israélites qui étaient avec Saül et Jonathan ».

Durant les jours qui suivirent, et « pendant tous les jours de


Saül », il y eut la guerre contre les Philistins. Mais il y avait aussi un
autre ennemi, presque du même sang, parce qu’il descendait d’Ésaü.
À propos de ce peuple Yahvé avait une fois prononcé des paroles qui
avaient marqué au fer rouge les mémoires : « Souviens-toi de ce que
t’a fait Amalec, sur le chemin, quand vous sortiez d’Égypte ». Certes,
ils se souvenaient : les Amalécites lui avaient coupé la route, quand
Israël était « épuisé et exténué ». Beaucoup parmi les plus mal en
point étaient restés en arrière et s’étaient perdus pour toujours. À ce
moment-là, les Hébreux avaient pensé que les Amalécites voulaient
tous les tuer, faire disparaître cette caravane de la face de la terre.
Samuel réapparut devant Saül. C’était l’homme de la mémoire. Il
rappela à Saül qu’il était roi uniquement parce qu’il avait été oint par
lui. Il rappela les paroles de Yahvé à propos d’Amalec. Et il dit :
« Maintenant va, frappe Amalec et voue-le à l’anathème, ḥerem, avec
tout ce qu’il possède : sois sans pitié pour lui et tue hommes et
femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et
ânes ». Même les ânes ne devaient pas lui échapper.
Saül mit en rang son armée. Avançant vers Amalec, il intima aux
Qénites l’ordre de s’éloigner, c’était la seule manière de se sauver,
leur fit-il savoir. Car rien ne resterait indemne. Puis il battit les
Amalécites en tous lieux et captura leur roi Agag. Il ordonna de tous
les exterminer, et les passa « au fil de l’épée ». Ne demeurèrent
vivants que le roi et « le meilleur du petit et du gros bétail, les bêtes
grasses et les agneaux, tout ce qu’il y avait de bon ». Tandis que les
animaux les plus maigres et faibles avaient été exterminés. Que faire
des animaux qui avaient survécu ? Saül et les siens décidèrent de
sacrifier à Yahvé ces « prémices de l’anathème ». Ils pensaient qu’il
leur en saurait gré. Après tout, le résultat aurait été le même :
l’extermination, non seulement des Amalécites, mais aussi de leurs
animaux.
Saül commit alors une erreur lourde de conséquences. Il aurait
dû raisonner en théologien ou en métaphysicien. Mais il n’était qu’un
guerrier. Il ne comprit pas l’énorme différence entre ce que Yahvé
avait ordonné et ce que lui-même se proposait de faire. Tandis que
Saül sacrifiait les animaux les plus beaux et les plus gras du butin
d’Amalec, Samuel réapparut. Saül sursauta. Samuel se planta devant
Saül, qui éprouva aussitôt le besoin de se justifier et dit : « J’ai
exécuté l’ordre de Yahvé ». On aurait dit que Samuel n’avait pas
entendu ces paroles. Il regardait autour de lui semblant se demander
quelque chose. Il dit : « Qu’est-ce que c’est que ces bêlements de
petits animaux qui viennent à mes oreilles et ces meuglements de
grands animaux ? ». Saül lui expliqua que ces animaux avaient été
épargnés de l’extermination. Et il voulut préciser : « Le reste, ils l’ont
exterminé ».
C’était ce que Samuel savait déjà et avait voulu entendre de la
bouche même de Saül. Sa fureur augmentait. Avec obstination
Samuel voulut rappeler que Saül n’était pas grand-chose avant de
devenir roi par la volonté de Yahvé. Pourquoi alors lui avait-il
désobéi ? Pourquoi n’avait-il pas été au bout de l’extermination ?
Saül, cédant à l’ancien vice des souverains, se retrancha derrière le
peuple. Il dit : « J’ai ramené Agag, le roi d’Amalec, et j’ai voué
Amalec à l’anathème. Mais le peuple a pris du butin des animaux
petits et grands, prémices de l’anathème, pour les sacrifier à Yahvé, à
ton Dieu, sur le Guilgal ». Samuel lui répondit par des mots qui
enfoncèrent un coin dans la substance du temps : « Yahvé se plaît-il
aux holocaustes et aux sacrifices comme dans l’obéissance à la voix
de Yahvé ? Attention, l’obéissance vaut plus qu’un sacrifice et la
docilité plus que la graisse des béliers ! ». Puis il ajouta : « Puisque
tu as rejeté la parole de Yahvé, Yahvé te rejette de la royauté ».
C’étaient des paroles qui impliquaient la répudiation. Saül essaya
de dire la vérité : « J’avais peur des gens et j’ai suivi leur voix ». Il
voulait le pardon, mais Samuel ignorait le pardon. Il avait déjà tourné
le dos. Saül s’accrocha à son manteau, et l’arracha. Samuel lui dit :
« Aujourd’hui Yahvé t’a arraché la royauté d’Israël ». Mais Israël
pouvait-il rester sans roi ? Saül admit toutes ses erreurs et supplia
Samuel de ne pas l’abandonner devant son peuple. Sans un mot,
Samuel revint sur ses pas et « Saül se prosterna devant Yahvé ».
Mais ce n’était pas fini. Samuel dit : « Amène-moi Agag, le roi
d’Amalec ! ». Agag vint vers lui, en boitant. Il savait qu’il était déjà
mort. Il dit seulement que pour lui, dans la mort, il n’y avait
désormais pas d’« amertume ». Samuel ne rata pas l’occasion
d’énoncer ses motifs : « Comme ton épée a privé certaines femmes
de leurs enfants, de même ta mère entre les femmes sera privée de
son fils ». Et aussitôt le vieux Samuel « égorgea Agag en présence de
Yahvé sur le Guilgal ».
Il ne restait plus qu’à se séparer. Samuel alla à Ramah, Saül
revint à Gibéa. Ce fut leur dernière rencontre. « Samuel ne revit plus
Saül jusqu’au jour de sa mort, car Samuel était affligé à cause de
Saül, après que Yahvé s’était repenti d’avoir fait de Saül le roi
d’Israël ».

Dans le Deutéronome on lit : « Souviens-toi de ce qu’Amalec t’a


fait ». Des mots qui résonneront pendant des siècles aux oreilles des
Hébreux, fâcheux avertissement. Mais nulle part il n’est écrit :
« Souviens-toi de ce que tu as fait à Amalec ». Et ce n’était pas peu
de chose, qu’aucun être vivant n’eût été épargné. Quant à Agag, leur
roi, il eut le privilège d’être égorgé par les mains du prêtre Samuel,
qui avait consacré le premier roi d’Israël.

La parole décisive contre le sacrifice, celle qui marque une


césure par rapport à toute époque et à toute conception sacrificielle
antérieures, fut prononcée par Jésus citant Osée : « Si vous saviez ce
qu’est : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, jamais vous
n’auriez condamné des innocents ». Jésus avait coutume de
présenter une nouveauté bouleversante comme un ajout très bref à
une citation de l’Écriture. Dans le cas présent, il était déjà frappant
d’isoler ces paroles d’Osée, qui préfigurent un refus radical du
sacrifice, comme si un ordre de la « miséricorde » pouvait se
substituer à l’ordre du sacrifice. Mais ce qui ébranle encore
davantage, ce sont les mots qui suivent : « Jamais vous n’auriez
condamné des innocents ». Personne ne s’était jamais hasardé à
parler de façon aussi directe de l’éventuelle innocence des victimes
sacrificielles. De surcroît, en assimilant le sacrifice à la condamnation
à mort d’un innocent. Depuis le temps d’Abraham, une victime
pouvait être, tout au plus, épargnée. Mais la question de son
innocence ne se posait même pas. Cela n’était envisageable que si le
langage juridique (la condamnation, l’innocence) se superposait
entièrement au langage sacrificiel (l’offrande, le meurtre). Les
conséquences d’un tel événement eussent été incalculables — et se
propageraient dans le temps en cercles concentriques, sans fin.
Immense est la distance entre les paroles dites par Samuel à
Saül et les paroles d’Osée, à l’égal de celle entre les paroles d’Osée et
les paroles de Jésus. Samuel avait dit à Saül de préférer l’anathème
au sacrifice, parce que l’extermination aurait été accomplie en
obéissant à Yahvé. C’était déjà une manière de saper l’ordre du
sacrifice, en montrant qu’il n’était pas nécessairement une action
pieuse. Aussi bien la pure cruauté que la pure pitié peuvent être des
manières de s’évader du sacrifice, une pratique pieuse-impitoyable et
telle inextricablement. Aussi bien Samuel — qui condamne à mort les
animaux des ennemis au même titre que les ennemis eux-mêmes, et
ne les accepte pas en tant que victimes sacrificielles — que Jésus
— qui définit le sacrifice comme une condamnation incessante
d’innocents — œuvrent contre le sacrifice, depuis des versants
opposés. Et l’un et l’autre, en même temps, continuaient à utiliser le
langage du sacrifice et sa liturgie.

Ce fut un choix fatal, qui se répercute dans le temps, et n’a pas


fini d’agir, que celui opéré par les Septante, quand ils traduisirent
ḥerem « extermination », par anáthēma, « offrande votive ». Et une
équivoque supplémentaire s’ajouta lorsque « anathème » prit le sens
de « malédiction » et, pour les catholiques, d’« excommunication ».
Mais ces distorsions et ces altérations, si on les considère dans leur
ensemble, composent une forme. Et même, le tableau dans lequel
s’est déroulée cette partie de l’histoire qui avait eu son origine dans
des mots utilisés à Athènes, à Jérusalem et là où les deux villes se
mélangèrent, à Alexandrie.
La traduction de ḥerem avec anáthēma est erronée, mais
métaphysique. Elle met en évidence un nœud non résolu, peut-être
impossible à résoudre. La traduction des biblistes actuels avec
interdit, Verbot, Bann est au contraire élusive et déroutante.
L’interdit, la défense, le ban impliquent la prohibition et l’exclusion,
pas le meurtre. Alors que ḥerem est une injonction à accomplir une
action jusqu’au bout, à exterminer, anéantir ce qui est voué au
ḥerem.

Différence entre le ḥerem hébraïque et l’anáthēma grec :


l’anáthēma peut être le butin de guerre déposé dans un temple, pour
y être gardé (mais ce peut être aussi le trépied, la couronne ou le
vase qu’un athlète a gagnés, comme aussi les vêtements que celui
qui devait être initié portait durant l’initiation) ; le ḥerem est le butin
de guerre qui doit être détruit — choses et personnes —, car sinon
« ce serait un piège pour toi ». « Anatithénai ne signifie jamais un
rite qui aboutit à la destruction de l’objet consacré ».
À l’opposé, dans le ḥerem la destruction totale est la seule
manière d’éviter le danger de l’imitation — ou de l’assimilation
graduelle. Cette même image du piège apparaissait dans l’injonction
aux Hébreux de « ne pas conclure une alliance avec l’habitant du
pays où tu vas entrer, de peur qu’elle ne devienne un piège entre
vous ».

À qui s’adressait la menace du ḥerem ? À l’ennemi le plus


proche, dirait-on. Mais ensuite la voix d’Isaïe tint à préciser : « Car la
colère de Yahvé s’adresse contre toutes les nations, / et sa fureur
contre toute leur armée ; / il les a vouées à l’extermination, il les a
livrées à l’égorgement ». Mais cela ne suffisait pas. La fureur divine
s’adressait aussi au cosmos : « Toute l’Armée des Cieux se
décomposera. Les cieux se refermeront comme un rouleau
d’écriture ». Le but du ḥerem est de faire le vide. Ne resteront,
dispersés, que certains animaux sauvages. Sur la terre s’étendront
« la corde du néant / et les fils à plomb du vide ».
Isaïe n’était pas le seul à s’acharner contre « l’Armée des
Cieux ». Jérémie annonçait lui aussi que « ce jour-là », le dernier
jour, les tombes s’ouvriraient et les ossements des rois comme ceux
des prêtres et des faux prophètes, comme ceux de tous les habitants
de Jérusalem seraient exposés « au Soleil et à la Lune, / et à toute
l’Armée des Cieux, / qu’ils ont aimés, qu’ils ont servis, / et derrière
lesquels ils ont marché, / qu’ils ont consultés et devant lesquels ils se
sont prosternés ». Une dernière fois, ces ossements seraient
contraints de regarder le ciel. Et voués à rester sans sépulture, sur la
surface de la terre, avant de devenir engrais.

Les tell, ces protubérances du terrain qui constellent le Moyen-


Orient et accordent parfois de stupéfiantes découvertes
archéologiques, se formèrent souvent à partir d’amas de ruines,
recouvertes ensuite par les sables et le terreau. Certains prirent sans
doute leur origine dans l’observance d’un précepte : « Tu amasseras
toutes les dépouilles au milieu des places et incendieras la ville avec
toutes ses dépouilles, et cela pour Yahvé, ton Dieu ; ce sera un tell
pour toujours, il ne sera plus reconstruit. Et rien du ḥerem ne restera
attaché à ta main ».

Tout ce qui arrivait à Saül était la conséquence de ses fautes.


Outre l’acte de désobéissance par lequel il avait évité d’infliger
l’extermination aux Amalécites, un autre épisode l’oppressait. Au
commencement de son règne, Saül « avait expulsé les
nécromanciens et les devins du pays ». La mesure d’un souverain
sage et dévot. Mais ensuite, quand les Philistins menacèrent Israël, et
après que Yahvé ne s’était pas soucié de lui répondre, « ni à travers
les rêves ni avec les Ourim ni à travers les prophètes », Saül avait été
pris de panique et avait dit à ses serviteurs : « Cherchez-moi une
nécromancienne et j’irai la consulter ». Quelques-unes étaient sans
doute restées, méfiantes et clandestines. Comment pourrait-il se
présenter en demandant de l’aide à ceux-là mêmes qu’il avait
pourchassés ? Il décida alors de se camoufler et partit vers Endor,
accompagné de deux serviteurs. La sorcière lui dit : « Tu sais ce que
Saül a fait à tous les nécromanciens et aux devins ». Et elle voulait
dire : « Pourquoi as-tu préparé un piège pour moi, pour me faire
mourir ? ». Saül n’avait même plus la force de feindre. Il jura qu’il ne
lui arriverait rien de mal. Sobre et expéditive, la sorcière dit : « “Qui
dois-je évoquer pour toi ?”. Saül répondit “Évoque Samuel” ». La
sorcière eut alors la certitude d’avoir Saül devant elle. Car rien
n’arrivait dans la vie de Saül sans que Samuel gouverne chacun de
ses gestes. Saül était roi et en même temps il vivait dans la terreur.
Qui d’autre pouvait vivre dans un tel état d’asservissement vis-à-vis
de Samuel ? Et l’évocation agissait déjà. « Un vieillard avec un
manteau » apparaissait. Saül se prosterna.
Le spectre parlait avec les mêmes âpreté et brusquerie que
celles dont il avait usé sa vie durant. Il dit à Saül : « Pourquoi m’as-tu
dérangé en me faisant remonter ? ». Saül répondit qu’il n’arrivait plus
à entrer en contact avec Yahvé et que les Philistins l’attaquaient. « Tu
n’as pas écouté la voix de Yahvé et tu n’as pas exercé l’ardeur de sa
colère contre Amalec » fut la réponse de Samuel. Lequel ajouta ces
quelques mots plus terrifiants encore : « Yahvé s’est éloigné de toi et
est devenu ton adversaire ». Cela suffisait. Yahvé ne répondrait plus,
et en outre il ne pardonnerait pas à Saül ce geste désespéré
consistant à avoir eu recours à une nécromancienne pour retrouver le
chemin vers lui. Quoi qu’il fît, Saül était condamné et devait
s’attendre à ce que sa tête fût affichée dans le temple de Dagon.
Quand la voix de Samuel se fut évanouie, Saül « s’effondra face
contre terre ; il éprouva une grande crainte à cause des paroles de
Samuel et il était sans force, parce qu’il n’avait rien mangé de toute
la journée et la nuit ». La sorcière intervint enfin et dit : « Ta
servante a entendu ta voix : j’ai exposé ma vie et j’ai écouté les
paroles que tu m’as dites. Et à présent daigne écouter toi aussi la
voix de ta servante : que je puisse mettre devant toi un morceau de
pain ! ». Mais Saül s’obstinait dans son refus. Puis il se leva et
s’étendit sur un lit. C’est alors que la sorcière prit un veau qu’elle
avait chez elle et « s’empressa de l’immoler ». Cette fois Saül accepta
de manger, en compagnie de ses serviteurs. Et ils s’en allèrent la nuit
même.

« L’esprit de Yahvé se retira de Saül et un mauvais esprit, suscité


par Yahvé, le secoua de peur ». Yahvé donne, Yahvé reprend. C’était
toujours ses esprits qui agissaient. Mais cela n’absolvait pas ceux qui
les subissaient.
Saül vivait la royauté comme une condamnation. Sur lui pesait
l’exécration de Samuel, le seul auquel il devait son investiture. Sur lui
pesait le sentiment constant qu’un jour il serait chassé par David, ce
berger roux venu de Bethléem, jeune et beau, qui était aussi le seul
capable de chasser « le mauvais esprit », quand il jouait de la
cithare. Mais en d’autres circonstances le « mauvais esprit » le visait
pour le tuer. Cela se produisit plusieurs fois. Quand David osa
demander la main de sa fille Mical, Saül lui ordonna aussitôt de
disparaître. Il devait partir combattre contre les Philistins et ne se
présenter de nouveau que s’il ramenait cent de leurs prépuces.
C’était une manière de le contraindre à se faire tuer. Un autre jour il
avait jeté sa lance contre lui, pendant que David jouait de la cithare.
« Je clouerai David au mur », avait dit Saül, mais il avait échoué. Et
pourtant, il appelait David « mon fils ». Saül pressentait qu’il allait à
la rencontre, pas à pas, d’une fin horrible. Dans la même journée
trois de ses fils furent tués au combat et Saül se tua en se
transperçant avec son épée, craignant d’être fait prisonnier. Quand ils
le trouvèrent, les Philistins lui tranchèrent la tête, firent don de ses
armes au temple d’Astarté et accrochèrent sa tête dans le temple de
Dagon. Le corps puissant de Saül fut pendu sur la muraille de Beth-
Shean. Par la suite les habitants de Jabesh le détachèrent, le
brûlèrent et enterrèrent ses ossements sous un tamaris.
Il existe une autre version du suicide de Saül. Saül ne se serait
pas tué lui-même, mais aurait demandé de le tuer à un Amalécite
fugitif, qui raconta ensuite cette histoire à David et lui remit un
diadème et un bracelet de Saül, pour preuve de son récit. C’est
comme si Saül avait mené à son terme le ḥerem par procuration, en
le mettant à exécution contre lui-même, et en laissant la vie à un
Amalécite qui avait osé « lever la main pour faire mourir l’oint de
Yahvé ». En dépit du fait que l’oint de Yahvé lui-même le lui avait
demandé.

Quand Saül ordonna à David d’aller combattre les Philistins,


David savait que ces paroles équivalaient à une condamnation à
mort. Mais il ne laissa rien transparaître. Puis il s’éloigna avec ses
hommes. Saül ne le revit que le jour où David se présenta à lui avec
deux cents prépuces de Philistins. David avait voulu surenchérir pour
qu’apparaisse clairement à quel point son amour pour Mical était
grand. Sur un plateau imposant étaient disposés ces lambeaux de
chair broyés. Saül avait un aspect torve. Un ténébreux délire s’était
depuis longtemps emparé de lui. Aussi avait-il rêvé que sur ce
plateau on lui montrait la tête de David lui-même. « La main des
Philistins, la main des Philistins… », l’avait-on souvent entendu
murmurer. Il désirait ardemment que cette main tranchât un jour la
tête de David, comme David avait tranché celle de Goliath.

Les élus ne sont jamais simplement ceux qui accumulent des


mérites. S’il en était ainsi, le monde serait une interminable et
assommante leçon de morale. À travers sa concentration
obsessionnelle sur ce qu’implique d’être élu, la Bible dégage une très
haute tension romanesque. L’élu est celui qui fait avancer les histoires
— et l’histoire. Mais cela ne garantit pas que les élus fassent toujours
le bien ni même qu’ils s’allient entre eux. Saül et David étaient l’un et
l’autre des élus, mais Saül tenta longtemps, et de différentes
manières, de tuer David. Tout en étant pourtant irrésistiblement attiré
vers lui.

Dès le début, Saül avait vu en David un intrus. Il discernait mal


ce très jeune berger aux cheveux roux parmi ses hommes, qui se
rangeaient en cercles concentriques autour de lui, comme dans
n’importe quelle cour. David était isolé dans une gaine invisible, grâce
à la protection occulte de Samuel. Et surtout se dégageait de lui
quelque chose d’alarmant, qu’on n’osait pas nommer. David n’était
pas un être singulier. Il était déjà une lignée.

David, lui aussi, aima Saül qui avait tenté de le tuer. Et il aima
son fils Jonathan, qui aimait David « comme lui-même ». Lorsque
père et fils moururent le même jour, en combattant, David les pleura
ensemble — et composa une plainte funèbre qui est l’un des premiers
textes poétiques hébraïques. Il les appela « aimables et chers, /
jamais séparés dans la vie et dans la mort ». Mais ce n’est que de
Jonathan qu’il dit : « Ton amour était pour moi merveilleux / plus que
l’amour des femmes ».
Entre David et Saül, et entre leurs fils, ce qui l’emportait de
l’amour ou de la haine n’était jamais certain. Saül était déjà mort
depuis longtemps et David venait à peine d’enterrer son fils Absalon,
qui avait essayé de le détrôner. Quand les Gabaonites déclarèrent
qu’ils attendaient encore de se venger de Saül et de sa maison, David
voulut aussitôt leur donner satisfaction, parce qu’il souhaitait les avoir
comme alliés. Il fit capturer les sept fils de Saül et les remit aux
Gabaonites « qui les pendirent sur la montagne, devant Yahvé ».
Mais quand David sut que Rizpah, la concubine de Saül et la
mère de deux de ses enfants, s’était souciée de recouvrir les corps
des sept pendus, afin que les rapaces et les bêtes nocturnes ne
puissent les mettre en pièces, il voulut que leurs ossements soient
réunis avec ceux de leur père Saül et de Jonathan. Il apporta lui-
même toutes ces dépouilles dans le pays de Benjamin et les déposa
dans la tombe du père de Saül, Qish, qui, un jour, avait ordonné à
son fils d’aller à la recherche des ânesses égarées.
III

DAVID
Samuel ne cessait de s’affliger en pensant à Saül qui avait
désormais perdu la royauté. Mais Yahvé le secoua. Il lui dit d’emplir
sa corne d’huile pour l’onction et d’aller à Bethléem, chez Jessé. « J’ai
choisi un roi parmi ses fils », ajouta Yahvé.
Samuel était scrupuleux. Il dévisagea l’un après l’autre les sept
fils de Jessé qui se présentèrent à lui. Mais chaque fois il sut qu’il
n’avait pas en face de lui le bon. Il n’y en a pas d’autres ? demanda
Samuel. Restait le plus jeune, qui se trouvait dans les pâturages avec
les troupeaux de petits animaux. Il s’appelait David, « il était roux, un
garçon au beau regard et de belle tournure ». Yahvé intima aussitôt à
Samuel : « Lève-toi, donne-lui l’onction, car c’est lui ! ». Une fois de
plus, l’élection était instantanée et sans motif déclaré. « À partir de
ce jour-là l’esprit de Yahvé s’empara de David ». Jusqu’à cet instant,
David n’avait pas su ce qu’était « l’esprit de Yahvé ».

Saül était tourmenté par le « mauvais esprit ». Il n’aspirait qu’à


écouter une certaine musique. Quand David fut devant lui, ce très
jeune berger au « beau regard » et aux cheveux roux, avec sa
cithare, instantanément « il l’aima beaucoup » et le nomma son
écuyer. Mais il arriva ensuite que David disparût de son esprit. Il était
trop proche ou inexistant. Un jour David se présenta à lui avec
« dans sa main la tête du Philistin », qui s’appelait Goliath, et Saül lui
dit : « Jeune homme, de qui es-tu le fils ? ». C’était comme s’il le
voyait pour la première fois.

Abigaïl était belle et avisée : « prudentissima et speciosa »


d’après la Vulgate, épouse de Nabal, homme brutal et dur, qui
s’obstinait à ignorer le monde au-delà des pâturages de ses trois
mille moutons et mille chèvres. De temps à autre David pensait à
l’époque où il menait la vie d’un berger. On lui dit que Nabal préparait
une fête pour la tonte des moutons. David envoya en reconnaissance
dix jeunes hommes pour qu’ils soient reçus comme des hôtes. Ces
jeunes gens voulurent rappeler à Nabal que ses bergers avaient eu
affaire à d’autres bergers, parmi lesquels il y avait David, leur maître,
et qu’ils n’avaient pas eu à s’en plaindre. C’était un expédient pour
renouveler une entente entre bergers, de manière amicale et
subtilement menaçante. Nabal les regarda de travers. Qui est ce
David ? demanda-t-il. Et il ajouta en bougonnant : « Il y a aujourd’hui
trop de serviteurs qui se sauvent de chez leurs maîtres ». Pourquoi
devrait-il partager son pain et sa viande avec eux ? Il répéta par huit
fois « moi » et « mon ». Les dix jeunes hommes que Nabal avait
insultés et maltraités lui tournèrent le dos et revinrent chez David.
Abigaïl fut informée par un serviteur des paroles qui avaient été
dites et comprit aussitôt qu’un massacre inconsidéré était en train de
se préparer. Elle fit rassembler « deux cents pains, deux outres de
vin, cinq moutons déjà apprêtés, cinq boisseaux de blé rôti, cent
gâteaux avec du raisin sec, deux cents gâteaux avec des figues et les
fit charger sur des ânes. Puis elle dit à ses serviteurs : “Passez devant
et je vous suivrai”. Elle ne dit pas un mot à Nabal ». Entre-temps
David se dirigeait déjà avec ses hommes vers Nabal. Il dit : « Que
Dieu me maudisse si de tout ce que cet homme possède je laisserai
demain matin ne serait-ce qu’un seul homme qui pisse contre un
mur ! ».
Il y avait une montagne à mi-chemin entre David et Abigaïl.
Deux colonnes avançaient l’une face à l’autre, sans se voir : les
guerriers de David et les ânes d’Abigaïl répandaient une senteur de
nourriture. Soudain, David apparut à Abigaïl. Et Abigaïl « se hâta de
descendre de son âne et de se prosterner, face contre terre vers
David ». Puis elle se mit aussitôt à parler, aux pieds de David,
s’attribuant toutes les fautes ainsi qu’à son vaurien de mari (de nom
et de fait, dit-elle, car Nabal signifiait « sot »). Aussi soudainement
qu’Abigaïl était tombée de son âne, David avait décidé de renoncer à
son entreprise. Il dit que les paroles d’Abigaïl étaient bénites. Il
pouvait désormais rentrer tranquillement chez lui. Et il ajouta une
phrase apparemment sans nécessité : « J’ai honoré ton visage »,
« honoravi faciem tuam ».
Abigaïl rentra chez elle et raconta ce qui s’était passé. Pendant
que Nabal l’écoutait, « son cœur mourut et devint comme une
pierre ». Une dizaine de jours plus tard, il était mort pour de bon.
Quand on lui rapporta cette nouvelle, « David envoya dire à Abigaïl
qu’il la prendrait pour épouse ». Ayant entendu ce message, Abigaïl
« se prosterna la face contre terre ». Puis elle monta sur un âne et se
mit en chemin, suivie de cinq de ses servantes et précédée des
messagers de David. « Elle devint sa femme. David avait aussi pris
pour épouse Akhinoam de Yizréel et il les eut toutes deux pour
femmes. Et alors Saül avait donné sa fille Mical, femme de David, à
Palti, fils de Layish, qui était de Gallim ».
Il arriva plusieurs fois que David frappe les âmes comme il avait
frappé Goliath avec son lance-pierre : sur le front. C’était arrivé tout
d’abord avec Saül, quand David, qui était à ce moment-là un jeune
berger, jouait de la cithare — et Saül alors, sans cesse torturé par le
mauvais esprit, « se sentait soulevé et allait mieux : le mauvais esprit
s’écartait de lui ». Mais cela arriva aussi avec le fils de Saül,
Jonathan, qui « se lia à l’âme de David et l’aima comme lui-même ».
Puis il advint que « Mical, fille de Saül, aima David » — et fut enfin
approuvée par son père, même si David continuait alors à se sentir
« pauvre et méprisé ».
David avait un pouvoir singulier : celui de désarçonner, le pouvoir
de rendre amoureux subitement et fatalement. Et cela ne fut jamais
aussi évident qu’à l’instant où la très prudente et avisée Abigaïl vit
David et tomba de son âne, entourée des autres ânes, chargés de
victuailles soigneusement choisies. L’entente fut immédiate. David le
fit comprendre quand en prenant congé d’Abigaïl il dit : « J’ai honoré
ton visage ».
La souveraineté royale échut à Israël comme une sombre
nécessité due au cours du temps. Quelque chose de trouble, de
convulsif et d’opaque accompagna ce pouvoir dans ses premières
manifestations, chez Saül et David. Quoi qu’ils fissent, les
conséquences que cela entraînait étaient funestes. Et il s’agissait
parfois de tentatives d’obéir à des injonctions de Yahvé. Le
grincement le plus fort eut lieu à l’occasion du recensement. Yahvé
l’avait ordonné avec des mots impérieux : « Va, fais le recensement
d’Israël et de Juda ! ». Mais pour quelle raison Yahvé avait-il voulu
ordonner le recensement ? « La colère de Yahvé s’enflamma encore
contre les Israélites et il excita David contre eux ». Le recensement
était donc un grand mal à travers lequel Yahvé avait voulu frapper les
Hébreux. C’était une façon de les obliger à être coupables. David
avait aussitôt obéi, bien que Joab, le chef de l’armée, lui eût fait
remarquer que cette entreprise avait un caractère impie. À double
titre. Toute énumération signale un vivant aux puissances du mal, en
l’isolant comme cible. C’est donc une invitation au meurtre. En outre,
étant donné qu’aucune énumération ne peut être complète, ce qui lui
échappe devient un danger. C’est ainsi qu’un jour un enfant né dans
le lieu même où David avait grandi échapperait à un recensement et
par conséquent à l’ordre en vigueur. Mais l’œil de David ne pouvait
aller si loin. Il ne voulait qu’obéir à Yahvé. Neuf mois et vingt jours
plus tard, quand le recensement fut achevé et que les chiffres
— faux — lui furent remis, David sentit que cette entreprise était une
abomination. Il tenta d’obtenir le pardon de Yahvé pour lui avoir obéi.
Mais il savait que c’était inutile.
Dès le matin suivant le voyant Gad lui apparut pour lui
transmettre la parole de Yahvé. Il y avait trois possibilités — et la
liberté de choix était accordée à David. Sept ans de famine ou trois
mois de défaite par la main des ennemis ou trois jours de peste.
David répondit aussitôt qu’il valait mieux mourir de la main de Yahvé
que de la main des hommes. Il choisit la peste. Ils furent soixante-dix
mille à mourir.
Ce fut alors que David vit un Ange descendre du ciel l’épée
dégainée dont il transperça quatre de ses fils. « Ils sont à présent
sept, mes fils morts », pensa David. Au même moment l’Ange
frappait Gad ainsi que les anciens qui se trouvaient près de lui. Mais
l’horreur se niche toujours dans un détail. L’Ange voulut nettoyer son
épée ensanglantée en se servant d’un vêtement de David. Dès cet
instant David ressentit un tremblement dans tous ses membres qui
ne cessa qu’avec sa mort.

Établir un recensement était l’une des fautes les plus graves que
l’on pût commettre. Nul ne songeait à en justifier la raison. Mais la
répugnance était unanime. Et qui avait suggéré cette idée à David ?
Dans le deuxième livre de Samuel c’est Yahvé lui-même, dans le
premier livre des Chroniques c’est Satan : « Satan se dressa contre
Israël et incita David à recenser Israël ». Dans les deux cas, on
suppose que c’est « la colère de Yahvé » dont pourtant les motifs ne
sont pas indiqués. David était le coupable, mais un coupable poussé
par une main puissante et conscient de commettre une faute. Quand
Joab revint chez lui avec le résultat du recensement, David demanda
aussitôt pardon à Yahvé qui l’avait incité. « C’est un grand péché que
j’ai commis […]. Je me suis conduit comme un vrai fou ». David
n’avait rien dit de semblable quand il fit tuer Ourias le Hittite ou
quand il avait laissé pendre les sept fils de Saül.
La faute du recensement est une faute métaphysique. Elle
suppose que l’on puisse savoir ce qu’il ne faut pas savoir : la mesure
de la vie. De même qu’il serait un jour interdit de cultiver un champ
jusqu’à ses limites, il n’était pas davantage permis de connaître le
nombre total des vivants. On touchait là à un fondement si essentiel
qu’il n’était pas nécessaire de l’expliciter. Mais les conséquences
furent à la mesure.
Le présupposé ultime du recensement est énoncé en toute clarté
dans l’Exode : chacun des recensés devra payer un demi-sheqel
comme « rachat », kofer, de sa personne : « Toute personne soumise
au recensement, c’est-à-dire âgé de vingt ans ou au-dessus, devra
verser le prélèvement pour Yahvé. Le riche ne donnera pas plus, le
pauvre ne donnera pas moins d’un demi sheqel pour s’acquitter du
prélèvement dû à Yahvé, afin d’obtenir propitiation pour leurs
personnes ». C’était une manière de réaffirmer que chaque vie est
une dette et qu’elle doit être rachetée. Toujours dans la même
mesure, car c’est la vie en elle-même qui doit être rachetée — et cela
n’a rien à voir avec la richesse ou la pauvreté. C’est pour cette raison
que le recensement inspirait de la peur. Tous n’étaient pas en mesure
de se racheter eux-mêmes. Et s’ils n’y parvenaient pas ? La dette
pouvait se transformer en condamnation. Avec le recensement, il
était durement rappelé à chacun que sa vie était tenue par la bride
par un Autre, qui pouvait la relâcher quelque temps, puis
brusquement la resserrer — tel un nœud coulant.

Après la mort de Saül, David régna sur la maison de Juda à


Hébron, « pendant sept ans et six mois ». En ce temps-là il eut six
fils de six femmes différentes. Abigaïl fut la mère du deuxième,
Kiléab. Mais David n’avait pas oublié sa première épouse, Mical. Pour
l’obtenir de son père Saül, il avait dû lui offrir deux cents prépuces de
Philistins, comme David aimait à le rappeler avec obstination. Puis un
jour Saül lui avait repris Mical, comme un autre jour il la lui avait
donnée. Mical est la seule femme, dans la Bible, dont il est dit qu’elle
aima un homme : « Mical, fille de Saül, aima David ». Quand Abner,
redoutable guerrier, proposa une alliance à David pour qu’il puisse
chasser les fils de Saül du règne d’Israël, voici quelle fut sa réponse :
« Oui, mais tu ne seras pas admis en ma présence si tu ne m’amènes
pas Mical ». Celle-ci, entre-temps, était devenue la femme de Palti.
« Son mari partit avec elle ; il alla jusqu’à Bachurim en pleurant
derrière elle. Abner lui dit : “Va-t-en, retourne en arrière” et il s’en
retourna ». Quand il eut conquis Jérusalem, David ajouta plusieurs
concubines à ses femmes et en eut encore onze fils, parmi lesquels
Salomon.

Une obsession accompagna la vie de David. Il savait qu’il avait


été cherché et choisi quand il était encore un enfant qui faisait paître
les moutons. Et il savait aussi que de sa lignée naîtrait un jour le
Messie. Il savait que Yahvé le protégerait jusqu’au bout, comme un
bouclier. Et il sentait pourtant que Yahvé ne le placerait jamais aux
côtés des patriarches, qu’il ne prononcerait jamais son nom aux côtés
de ceux d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et David savait que cela était
juste. Un écart impossible à combler le séparait de ces ancêtres. Et
d’ailleurs, la vie elle-même était moins dense et moins longue. David
l’éprouvait dans sa chair. Il mourut à soixante-dix ans, comme
n’importe quel homme des temps nouveaux. Il était épuisé. Tout au
long de ses quarante ans de règne, plus que toute autre chose, il
avait désiré élever le Temple à Jérusalem. Mais Yahvé ne le lui avait
pas accordé. Tu peux en préparer la construction, avait-il dit. Tu peux
faire affluer des troncs du Liban. Mais tu ne bâtiras pas le Temple, car
tu ne pourras pas le mener à son achèvement. Cela reviendra à ton
fils Salomon. Toujours le temps. Et autre chose aussi, un doute
encore plus insidieux, car, après tout, Salomon érigerait le Temple en
seulement sept ans.
Un jour David osa demander à Yahvé pourquoi il le traitait ainsi.
Il voulait connaître la véritable différence entre les patriarches et lui.
Yahvé répondit : « Les patriarches, je les ai mis à l’épreuve. Toi, tu
n’as pas été mis à l’épreuve. Ton épreuve sera une femme ». À cette
époque David n’avait pas encore rencontré Bethsabée.

Les discussions étaient parfois serrées, entre David et Yahvé,


surtout quand il s’agissait de décisions militaires. Au moment où les
Philistins se rangèrent dans la plaine de Rephaïm, devant Jérusalem,
David demanda : « “Dois-je attaquer les Philistins ? Les livreras-tu
entre mes mains ?”. Et Yahvé dit : “Attaque, car je mettrai
assurément les Philistins entre tes mains” ». Il en fut ainsi, mais
bientôt les Philistins reprirent leur avancée, tenaces. Yahvé se
comporta alors comme un stratège et donna des indications précises
sur la manière de les battre, en se cachant derrière les micocouliers
et en attaquant par surprise. À la fin, une fois encore, les Philistins
furent battus.
Un jour, David s’était assis par terre sous la tente de l’Arche et
avait adressé à Yahvé une prière sous la forme d’un long monologue.
Cela résonnait comme si David voulait tout d’abord se convaincre lui-
même : la faveur de Yahvé, commençait-il à comprendre, ne
concernait pas uniquement un fragment du temps, mais s’étendait
au-delà, de telle sorte que, précise le roi, « la maison de David
subsistera en ta présence ». Jusqu’à quand ? Ce jour-là David osa
dire : « À travers ta bénédiction, la maison de ton serviteur sera
bénie pour toujours ». Pour toujours étaient les mots qu’il avait été
jusqu’alors, durant ces années de tourmente, impossible de penser.
C’est ainsi que dans l’esprit de David commença à s’esquisser
l’idée messianique. Il entrevoyait désormais que la faveur de Yahvé
pouvait non seulement être un rempart contre les voisins, nombreux
et hostiles, mais une fenêtre ouverte, au-delà des broussailles, sur
quelque chose d’immense et d’éblouissant, dont on ne voyait pas la
fin.

C’était l’un des premiers jours du printemps et David s’était


endormi sur le toit pendant la sieste. Puis il se leva et commença à
regarder autour de lui. Il entendait un gargouillement d’eau mais ne
comprenait pas d’où cela venait. Il se pencha et vit « une femme qui
se baignait et cette femme avait un très bel aspect ». Il demanda :
« N’est-ce pas Bethsabée, fille d’Éliam, femme d’Ourias le Hittite ? ».
Ils confirmèrent. Alors David envoya ses messagers la chercher.
Bethsabée se présenta aussitôt, elle s’unit à David et rentra chez elle.
Quelque temps plus tard, elle fit annoncer à David qu’elle était
enceinte.
David pensa aussitôt au mari de Bethsabée, Ourias, qui revenait
de la guerre. Il voulait qu’Ourias s’unisse au plus vite à Bethsabée et
soit convaincu qu’il était le père de l’enfant qui venait d’être conçu.
Mais Ourias feignait l’humilité, disant que ses soldats étaient campés
en rase campagne et qu’il voulait rester près d’eux : « Et moi, au
contraire, j’irais dans ma maison pour manger, boire et coucher avec
ma femme ? ». Ce n’était pas digne de lui. David s’irrita. Il invita de
nouveau Ourias et lui offrit à manger et à boire. Tout en s’excusant,
car — ne cessait-il de répéter — il était certain qu’Ourias avait hâte
de retrouver Bethsabée. Mais Ourias ne voulait pas rentrer chez lui. Il
dormit avec les serviteurs de David.
Le matin suivant, David imagina un autre plan. Il confia à Ourias
une lettre scellée qu’Ourias en personne devait remettre à son chef
Joab. Ce dernier lut ce message : « Mettez Ourias en première ligne,
au plus fort de la mêlée, puis reculez derrière lui pour qu’il soit frappé
et qu’il meure ». Joab exécuta l’ordre et Ourias fut tué. Lorsqu’il
l’apprit, David feignit la colère et envoya un message à Joab pour le
réconforter. Bethsabée pleura la mort d’Ourias pendant sept jours.
« Quand le deuil fut achevé, David l’envoya chercher et la recueillit
chez lui, elle devint sa femme et lui enfanta un fils, mais l’action que
David avait commise déplut à Yahvé ».

Dans la généalogie du Messie, qui devait appartenir à la lignée


de David, Mathieu ne nomma que trois femmes, sur quarante-deux
générations : Thamar, Ruth, Rahab. Une femme qui s’était déguisée
en prostituée, une servante moabite, une prostituée qui avait accueilli
deux espions. Mathieu fit ensuite référence à une autre femme, dont
il ne dit pas le nom : Bethsabée, mère de Salomon. Il dit seulement
d’elle qu’« elle était la femme d’Ourias ». Les Moabites, descendants
de l’inceste de Loth, étaient des parents ennemis. Rahab était une
femme de Canaan, la première que deux fils d’Israël, envoyés en
exploration, rencontrèrent au-delà du Jourdain, à Jéricho. Elle fut la
mère de Boaz qui s’unit par la suite à Ruth et engendra Obed, qui
engendra Jessé, père de David. Les trois femmes nommées par
Mathieu appartenaient aux générations qui avaient précédé David.
Après elles, ne venait que Bethsabée, l’innomée. C’était comme si,
dans son ascendance féminine, le Messie exigeait la plus haute
concentration de romanesque, d’exotique, d’érotique, de clandestin.

Des années plus tard, au temps de la dégénérescence d’Israël,


plusieurs fois Yahvé avait évoqué David en ces termes : « Il m’a suivi
de tout son cœur, ne faisant que ce qui est juste à mes yeux ». Et
cela suffisait pour l’opposer à l’indignité du présent. Ceux qui étaient
jeunes pouvaient imaginer l’époque de David, à peine révolue,
comme un règne de justice, gouverné par un souverain inflexible et
sûr. Rien de plus inexact. Pendant toute sa vie, David avait été affecté
par le doute. Il semblait être condamné à aimer surtout ceux qui
voulaient sa ruine. D’abord le roi Saül, ensuite son propre fils
Absalon. Ou bien il aimait ceux qui avaient fini par le mépriser,
comme Mical, la fille de Saül. Ou, au contraire, il était sauvé par
quelqu’un qu’il abhorrait, comme Joab.
Mais, derrière les massacres, les humiliations et les trahisons,
David savait parfaitement qu’un seul épisode se détachait, gravé dans
sa mémoire avec une lumière différente, net et précis plus que tout
autre. Yahvé lui-même fut contraint de le mentionner, quand, une fois
encore, il voulut rappeler que « David avait fait ce qui est juste aux
yeux de Yahvé et ne s’était pas écarté de tout ce qui lui avait été
ordonné tous les jours de sa vie ». Vraiment « tous les jours » ? Ici,
Yahvé sentit la nécessité d’ajouter : « Excepté l’affaire d’Ourias le
Hittite ».
Mais de cette « affaire », jamais Yahvé n’en avait parlé à David.
Quelque temps passa. Un jour le prophète Nathan rendit visite à son
roi. Il parlait de la pluie et du beau temps. Puis il commença à
raconter une histoire, sans raison apparente. Il y avait un homme
riche, dit-il, et un homme pauvre qui n’avait qu’une petite brebis. Il
l’avait achetée et « il la nourrissait et la laissait grandir avec ses
enfants, elle mangeait de son pain, buvait de sa coupe, était pour lui
comme une fille ». Arriva un voyageur, hôte de l’homme riche, lequel
n’avait aucune envie d’entamer son bétail. Il vola donc la brebis de
l’homme pauvre et l’offrit au voyageur, son hôte. David réagit à cette
histoire avec sa véhémence coutumière. Il dit que pareil homme
méritait la mort. « Alors Nathan dit à David : “Cet homme c’est toi” ».
Le fil tranchant de ces cinq mots et toute l’histoire qui les avait
précédés préfiguraient d’autres histoires qu’un jour encore lointain
raconterait Jésus — et qui étaient appelées paraboles.
David comprit qu’il serait condamné. Un malheur multiple allait
s’abattre sur lui. Il entendait la voix de Yahvé : « Je prendrai tes
femmes sous tes yeux et je les livrerai à ton voisin, qui couchera avec
tes femmes à la vue de ce soleil ». Mais Yahvé s’abstint de préciser
que ce « voisin » serait l’un des fils de David : le très bel Absalon, à
la chevelure sauvage.
Et cela ne suffisait pas : peu de temps après sa naissance, le fils
de David et Bethsabée tomba malade. David jeûnait et dormait par
terre, espérant que ses souffrances aideraient l’enfant. Mais sept
jours plus tard, il mourut. « David s’aperçut que ses serviteurs
chuchotaient entre eux et comprit que l’enfant était mort ».
Ceux de la maisonnée qui imaginaient David de plus en plus
désespéré se trompaient. David se parfuma, se prosterna dans la
Maison de Yahvé, ordonna qu’on lui serve un repas. Il semblait être
redevenu celui de toujours, il irradiait puissance et beauté. Ses
serviteurs ne le comprenaient pas. David dit que ses pleurs et le
jeûne avaient été une tentative pour sauver son fils. Mais à présent, à
quoi bon jeûner ? « Pourrais-je le faire revenir ? C’est moi qui m’en
vais le rejoindre, mais lui ne reviendra pas vers moi ». David parlait
en écrivain. « Puis David consola Bethsabée, sa femme, il alla vers
elle et coucha avec elle et elle engendra un fils, elle l’appela Salomon
et Yahvé l’aima ». Par l’entremise de Nathan Yahvé le fit savoir à
David qui décida de donner à Salomon un autre nom encore :
Yedidya, « aimé par Yahvé ».

Peu de temps avant de mourir, David composa un chant qui


s’achevait avec la liste des « preux de David » (et devint ensuite le
Psaume 18). Pour un grand nombre de ces preux, étaient décrites en
détail les entreprises les plus glorieuses. D’autres, on ne donnait, à la
fin, que leurs noms. Ils étaient en tout trente-sept. Le dernier de la
liste était Ourias le Hittite, le mari de Bethsabée, que David lui-même
avait fait tuer.

Depuis Saül jusqu’à la mort de David, la guerre était perpétuelle,


extérieure et intestine. Comme si une incessante tempête de vent
enveloppait la vie des deux premiers rois qui avaient reçu l’onction.
C’étaient des « hommes de sang », l’un comme l’autre, chargés de
fautes, mais cela ne suffisait pas à justifier le tourbillon qui les
accompagnait. Pendant quarante ans David avait voulu édifier un
temple, parce que son peuple n’en avait jamais eu, et sacrifiait
encore sur « les hauts lieux ». Mais cela ne lui fut pas accordé. Yahvé
l’avait averti : il ne pourrait qu’entamer les travaux. Quelque chose de
violent le dissuaderait chaque fois de poursuivre. Pour le même
arbitre impérieux, tout parut se calmer dès que Salomon devint roi.
Les peuples ennemis qui faisaient pression et encerclaient s’étaient
dissous. Salomon eut même la hardiesse de prendre pour épouse la
fille du Pharaon d’Égypte, comme si cette alliance avec l’oppresseur
primordial était quelque chose d’obvie qui ne méritait pas même un
commentaire. Et Salomon commença enfin l’édification du Temple,
bâti avec du bois de cèdre et des pierres intactes, non travaillées.
« Dans la Maison, pendant la construction, on n’entendit ni marteaux
ni cisailles ni d’autres instruments de fer ».

David fut celui qui devait préparer le Temple de Yahvé mais non
le bâtir, de même que Moïse devait montrer du doigt la Terre promise
sans jamais y poser le pied. Durant des années David amassa des
matériaux à Jérusalem : de grosses pierres, « des clous pour les
battants des portes et pour les crampons », du bois de cèdre et du
métal, surtout du bronze, « en quantité incalculable ». David disait à
tout le monde : « Mon fils Salomon est un jeune homme délicat et la
Maison de Yahvé doit être grandiose […] c’est pour cela que
j’apprêterais les préparatifs pour lui ». Mais David savait parfaitement
que ce n’était pas là le motif pour lequel il ne se risquait pas à
construire. Et un jour il l’avoua à Salomon : « Mon fils, j’ai désiré bâtir
une Maison au nom de Yahvé, mon Dieu ; mais la parole de Yahvé
me fut adressée pour dire : Tu as versé une quantité de sang et tu as
fait de grandes guerres : tu ne bâtiras pas de Maison à mon nom, car
tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi ». David ne
fit pas valoir qu’il avait versé tout ce sang au nom et sur l’ordre de
Yahvé. Il ajouta simplement que Yahvé lui avait annoncé la naissance
de celui avec lequel il était en train de parler et lui avait également dit
qu’il serait « un homme de pacification ». C’est pour cela que le père
ne pouvait rien faire d’autre qu’amasser des pierres et des clous. Et
attendre. Mais il ne manqua pas de faire à son fils, avec fierté, le
décompte des talents d’or et d’argent dont il pourrait disposer. Puis
David prit congé de son fils « délicat ».

L’Arche était terrorisante. La déplacer d’un lieu à l’autre était une


entreprise toujours risquée. On le vit quand David décida de la
transporter depuis Baalath jusqu’à Jérusalem. Uzza conduisait le
chariot. Autour de l’Arche une clameur de sistres et de tambourins.
David et « toute la maison d’Israël » dansaient. Mais soudain les
bœufs qui tiraient le chariot se détachèrent et Uzza dut soutenir
l’Arche pour qu’elle ne tombe pas. C’en fut trop, pour Yahvé. L’Arche
ne devait pas être touchée. Aussi Uzza fut-il frappé par Yahvé, il
s’effondra sur le sol et mourut là, à côté de l’Arche. David comprit
qu’il valait mieux être plus prudent. L’Arche s’arrêta chez Obed-Édom.
Mais trois mois plus tard, David voulut essayer à nouveau de la faire
monter jusqu’à Jérusalem. Les danses et les clameurs reprirent.
David dansait en tournoyant sur lui-même ceint d’un pagne de lin.
Quand, enfin, l’Arche entra dans Jérusalem, « Mical, fille de Saül,
regarda par la fenêtre et vit le roi David qui se tordait et tournoyait
devant Yahvé et, dans son cœur, elle le méprisa ». Il y eut des
holocaustes et des sacrifices de communion. Et viandes et gâteaux
distribués à tout le monde, pour festoyer. Enfin David rentra chez lui.
Mical l’accueillit avec le sarcasme d’une princesse. Elle ne trouvait pas
décent qu’un roi dansât au milieu de tous, avec un pagne autour des
hanches, continuellement dénudé « aux yeux de ses servantes et de
ses serviteurs ». David était furieux et répondit qu’il s’était découvert
devant Yahvé. Et Yahvé l’avait choisi — voulut-il préciser — en « me
préférant à ton père ». Quant aux servantes, David n’avait aucune
difficulté à s’abaisser jusqu’à elles. Et il aurait même d’autres fils avec
elles. Et jamais plus avec Mical, qui « n’eut plus de fils jusqu’au jour
de sa mort ».

À Jérusalem, David eut une maison en bois de cèdre, comme


Yahvé le lui avait promis : « Je te bâtirai une maison ». David était
perplexe : le roi avait une maison, mais pas son Dieu, car l’Arche était
encore sous une tente. Cela, pourtant, ne devait pas le troubler.
Yahvé clarifia ses idées aussitôt, en apparaissant dans la nuit au
prophète Nathan : « Le fait est que je n’ai jamais habité de maison
depuis le jour où j’ai fait monter d’Égypte les fils d’Israël jusqu’à
aujourd’hui ; mais je circulais sous une tente à l’intérieur d’un abri ».
Et Yahvé ne s’en était jamais plaint. Sous une tente ou dans une
maison en bois de cèdre, cela ne faisait aucune différence. La vraie
question était le moment. Pendant le règne de David, le moment
n’était pas encore arrivé pour que Yahvé eût une maison. Mais ce
temps approchait. La tâche reviendrait à l’un des fils de David. Yahvé
ne le nomma pas, mais c’était la première fois qu’il faisait allusion à
Salomon.

Un jour les Jébuséens, qui habitaient à Jérusalem et qui étaient


les descendants des fils de Hêth, dirent que leurs ancêtres avaient
cédé la grotte de Machpélah à Abraham uniquement à la condition
que leurs descendants ne seraient jamais chassés de Jérusalem.
David dut se souvenir de tout cela, lorsqu’il attaqua Jérusalem.
L’aventureuse et prodigieuse conquête militaire ne lui suffit pas. Il
voulut répéter le geste d’Abraham. Il offrit de l’argent pour l’autre
terrain qui était la ville entière : six cents shéquel. Chaque tribu
d’Israël contribua pour sa part. Et les Jébuséens remirent à David en
mains propres un reçu pour preuve de la vente.
Jérusalem est le contraire de la ville originaire des Hébreux.
Jérusalem est la ville que les Hébreux ont achetée aux Jébuséens.
Mais de manière analogue à ce qui s’était passé pour la grotte de
Machpélah, où se trouvait à présent la tombe de Sarah, les
propriétaires précédents avaient demandé à ne jamais être chassés
de Jérusalem. Jérusalem ne pouvait donc être qu’une société mixte,
où se mélangeaient les propriétaires présents et passés.

Les quarante années de son règne furent pour David


angoissantes et glorieuses. Le tourment surpassait la gloire.
Combattre contre les Philistins signifiait recommencer à combattre
contre les Philistins. Il n’y eut jamais de répit. Chaque victoire était
une pause entre deux affrontements. Les fils étaient nombreux et
étaient aimés. Potentiellement tous comploteurs contre le père. Le
plus dangereux était le plus beau : Absalon. David sentit croître la
faveur dont jouissait Absalon auprès de ses gens et sa propre
défaveur. Quelque chose de très semblable était arrivé à Saül quand il
poursuivait David en vain. Mais David ne poursuivit pas Absalon. Il
préféra l’humiliation extrême : quitter volontairement Jérusalem, « la
tête voilée et les pieds nus », suivi de ses derniers fidèles. Le fils qu’il
avait choisi pour lui succéder, Salomon, était encore trop jeune et
avait remplacé un autre fils, qui était mort à sa naissance parce que
sur lui s’était déversée la colère de Yahvé. Ce fils, dont on ne connaît
même pas le nom et que David, dans un premier temps, n’aurait pas
voulu reconnaître, était lié à l’action la plus abjecte de sa vie, quand il
remit à Ourias le Hittite une lettre scellée contenant les instructions
pour qu’Ourias lui-même fût tué. Ourias était un soldat vaillant et
respectueux, jamais il n’aurait soupçonné le motif de cette lettre,
jamais il ne l’aurait descellée, jamais il n’aurait prêté à son seigneur
David la seule pensée qui l’obsédait — celle de lui ravir sa femme,
Bethsabée. Qui était devenue ensuite la mère de Salomon, comme
pour effacer l’autre fils mort et tout ce qui était arrivé précédemment.
Tout cela constituait les prémisses de l’incipit du premier livre des
Rois, l’un des plus puissants qui aient jamais été écrits : « Le roi
David était un vieillard avancé en âge. On lui mit des couvertures
sans qu’il pût se réchauffer ».

Absalon chevauchait un mulet, seul. Sa chevelure épaisse,


broussailleuse, s’accrocha à la ramure d’un chêne imposant. Le mulet
continua d’avancer. Absalon ne parvenait pas à se libérer, il restait
suspendu en l’air. Un détachement de ses ennemis le rejoignit. Ils le
transpercèrent avec des lances et des flèches, comme un fantoche
dont on se sert pour s’exercer à bien viser.
Quand on apporta à David la nouvelle de la mort d’Absalon, on
pensait autour de lui que le roi se sentirait allégé, en sécurité. Une
guerre incertaine et sanglante s’achevait. Au lieu de quoi, David se
mit à pleurer. Il marchait de long en large en disant : « Absalon, mon
fils, mon fils Absalon, que ne suis-je mort à ta place, Absalon, mon
fils, mon fils ! ». Il regardait avec haine tous ceux qui l’entouraient.
L’un après l’autre, tous ceux qui s’étaient battus pour David, et lui
avaient sauvé la vie, s’éclipsèrent, comme s’ils avaient honte. Seul
Joab, le puissant soldat, eut le courage de l’affronter et lui dit : « Je
sais aujourd’hui que si Absalon était vivant et nous tous morts,
aujourd’hui tu trouverais cela très bien ! »
Rentré à Jérusalem, David prit une décision au sujet des dix
concubines qu’il avait laissées pour garder le palais et qu’Absalon
s’était appropriées « à la vue de tout Israël ». David installa les dix
concubines dans une maison en bordure de la ville. Il ne voulait plus
les avoir sous les yeux. « Il pourvut à leur entretien, mais il
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CHAPTER VI.
THE DISCOVERY OF THE GREAT LAKES OF CANADA AND OF THE HEADWATERS OF
THE MISSISSIPPI.

W
HILE the English were firmly establishing themselves in New
England, and the Dutch and Swedes were struggling for the
mastery in the present states of New York and Delaware,
discoveries of vital importance were being made by the French in
Canada, or as it was then called, New France. We have already
mentioned Samuel Champlain, who accompanied both Pontgravé
and De Monts in their early expedition to Maine, and was the author
of the first scientific map of the St. Lawrence. It was this Champlain,
a true hero of geographical discovery, who paved the way for the
establishment of French power in Canada, and to whom we, as the
successors of the French, owe an undying debt of gratitude.

In the winter of 1604, when the little settlement at Port Royal was
struggling in that feeble infancy destined to be its only existence,
Champlain made it the starting point for many a trip to the South,
visiting Cape Cod—which his men named Cape Blanc, from its far-
stretching white sands—long before the landing of the Pilgrim
Fathers. In 1608, when Pourtrincourt, the successor of De Monts,
had returned to France in disgust, and Henry Hudson was preparing
for the great voyage resulting in the discovery of the river named
after him, Champlain was starting with a few faithful followers on an
overland journey through perfectly untrodden districts watered by the
St. Lawrence.
On the 3d July, after crossing the whole of Maine in a north-
westerly direction, so far as we can make out from fragmentary
records of his work, Champlain reached Stadacona, where, it will be
remembered, Cartier spent his first winter on the St. Lawrence, and
at once set to work to erect a fort, to which the name of Quebec was
given, either then or very shortly afterward.

THE FIRST HOUSE ERECTED IN QUEBEC.

The winter was spent in winning the friendship of the Algonquin


Indians, chief of the three races then occupying the basin of the St.
Lawrence, and in learning from them the capabilities of their country.
In a terrible struggle then going on between the Algonquins and their
neighbors, the Iroquois, or Five Nations, Champlain was able to give
both advice and material assistance, and, as a reward, he was
escorted by the former, in the spring of 1610, up the St. Lawrence as
far as its junction with the Iroquois, now the Richelieu River,
ascending which he discovered Lake Peter, and came, after some
little difficulty with the rapids, so characteristic of the tributaries of the
great river, to the beautiful sheet of water now bearing his own
name, and which has so often figured in the history of the struggle
between the French and English in Canada.
Though prevented by the hostility of the Iroquois, or Five Nations
—occupying the whole of the South-west of Canada—from actually
visiting them, Champlain, on this trip, approached very nearly the
sources of the Hudson in the lofty Adirondack Mountains, on the
south-west of the great lake, and in the north-eastern corner of the
present State of New York, thus connecting his own work with that of
his great Dutch contemporary.

The discovery of Lakes Peter and Champlain may be said to


have closed the first chapter of our energetic hero’s career. On his
return to Quebec, he found that De Monts’s commission, under
which he had been acting, was revoked, compelling him to return to
France to obtain fresh powers. In this he was unsuccessful; but he
agreed with De Monts to persevere in his undertaking without royal
patronage, and in 1610 we find him again on the St. Lawrence,
prevented from pursuing his geographical researches by the fierce
struggles still going on between the two native tribes, but binding the
Algonquins yet further to his service by the efficient aid he was able
to render to their cause.

QUEBEC.
On the restoration of peace in 1611, Champlain, after having paid
a second flying visit to France for supplies, ascended the St.
Lawrence as far as its junction with the Ottawa, and founded the
modern city of Montreal, near the hill which had been named Mont
Royal by his predecessors. In 1613, leaving both his infant
settlements in a flourishing condition, he started, accompanied by
several Frenchmen and an Indian escort, on an exploring expedition
up the Ottawa, having heard rumors that it came from a lake
connected with the North Sea.

The early part of the voyage up the great tributary of the St.
Lawrence was full of difficulty, owing to the number and force of the
cataracts and rapids impeding navigation; but, now carrying their
canoes through the woods, now dragging them with ropes through
the foaming current, the explorers reached the home of a friendly
chief, named Tessouant, only to learn from him that the information
on which they had acted was false.

Returning to Quebec after this disappointing trip, Champlain


again sailed to France in the hope of obtaining fresh recruits for his
infant colonies. Aided by the powerful co-operation of the Prince of
Condé, he succeeded in equipping a little fleet of four vessels.
These, filled with emigrants—including four fathers of the Recollet
order, the first missionaries to settle in Canada—all well provided
with supplies for the ensuing winter, arrived safely at the mouth of
the St. Lawrence early in May 1615, and on the 25th of that month
we find the indefatigable explorer pushing on with a few picked men
to the Lachine rapids, which had been fixed on as the rendezvous of
the Indian tribes, who were again about to push forward against the
Iroquois, encamped among the Great Lakes on the west, never yet
visited by a European.

Here was an opportunity not to be lost, and Champlain at once


offered to aid the Algonquins and Hurons in making the best
disposition of their forces, if they on their part would allow him to join
them. The compact was made, and, surrounded by the wild redskins
in their picturesque war-paint and other martial trappings, the white
men marched in a north-westerly direction—first up the Ottawa, and
then, turning due west, past a number of small lagoons—till they
came to Lake Nipissing (N. lat. 46° 16’ W. long. 80°), where the
natives received them with eager hospitality.

After a rest of a couple of days, the dusky warriors and their pale-
faced guests resumed their march, and following the course of a
stream now known as the French river, they came to the present
Georgian Bay, forming the eastern side of the great Lake Huron,
called by the French traders of more modern times the Mer Douce,
on account of the remarkable freshness and clearness of its waters.
Crossing Georgian Bay in the native canoes near the island of Great
Manitoulin, or the Sacred Island, running parallel with the western
half of the northern coast, the invaders landed, and, marching
northward, were soon joined by a fresh body of Algonquin warriors,
with whom they passed several days in feasting and dancing, after
which the combined forces turned their steps southward, reaching
Lake St. Clair, lying between Lakes Huron and Erie, near the modern
city of Detroit, in a few days. Here they came in sight of the first
Iroquois fort, a primitive but well-built structure, skillfully defended by
rows of modern palisades.

A fierce struggle ensued, in which Champlain was twice


wounded, and the Iroquois warriors defended their town with such
skill and bravery that the Canadian Indians were compelled to
retreat. In this retreat Champlain suffered terribly, having been
carried, as was each of the disabled warriors, in a small basket, his
body being bound into a circular form with strong cords to make it fit
into the cramped space. Released from this unusual position on
arrival in the friendly Huron country, our hero and his men begged to
be provided with guides and canoes for the return journey to
Quebec; but they were refused, and the white men had to spend the
whole of the winter among the frozen lakes.

In the spring of 1616, after making themselves well acquainted


with the resources of the neighborhood in the frequent hunting
excursions in which they took part, the little band of explorers
managed to effect their escape, and, accompanied by a few friendly
natives, made their way back to Quebec, where, for a time,
Champlain had to give all his attention to the internal affairs of the
colonies, now large communities, holding within their heterogeneous
elements many a seed of discord. Trip after trip to France for
supplies resulted in the arrival of many new emigrants, but it was
long before peace was sufficiently established for any fresh exploring
expeditions to be undertaken. Moreover, the Mohawks, Oneidas,
Onondagas, Senecas, and Cayugas, the five nations forming the
great Iroquois confederacy, elated by their victory, in spite of the well-
organized expedition against them, advanced from their quarters on
Lakes Erie and Champlain to within a short distance of the French
outposts, resolving to involve the Algonquins and their white allies in
one common doom.

In 1626 a noble, but, as it turned out, mistaken attempt at


conciliation, made by Champlain, resulted in a terrible tragedy. Some
captive Iroquois, who were about to be tortured by the Algonquins,
were sent back to their own people uninjured, accompanied by an
Algonquin chief and a Frenchman named Magnan, who had
instructions to negotiate a peace between the rival tribes. This did
not, unfortunately, suit the Algonquins, who had hoped with the aid of
the French to exterminate the Iroquois, and they therefore sent a
message to the latter, warning them that treachery was intended,
and that the Frenchman and his companion were spies.

Arrived at the Iroquois camp, the two unlucky emissaries found a


large pot boiling over a fire, and were invited to be seated. The chief
was then asked if he was hungry, and on his saying yes, a number of
armed Iroquois rushed upon him, cut slices from his body, and threw
them into the pot. This awful torture was continued till he died in the
greatest agony, when the Frenchman was put to death with torture,
though of a somewhat less revolting form.
INDIAN WARRIORS.

Gladly would Champlain, convinced of the fatal mistake he had


made, have taken summary vengeance on the savage warriors, but,
alas! he was powerless to do so. The few settlements at Ladoussac,
Three Rivers, and other advanced points on the St. Lawrence, would
have presented an easy prey to the Iroquois, and there were no
forces at Quebec or Montreal fit to cope with the thousands who
would have swept down upon the whites from the Lakes, at the first
sign of weakness among them. At this very time, too, the English
were casting longing eyes at the rich fur-yielding grounds of the
Canadian backwoods, and would gladly have shared in the cod and
whale fisheries of the Gulf of St. Lawrence. A Huguenot refugee,
named Kirk, actually obtained a commission from Charles I. to
conquer Canada, and for that purpose anchored a little squadron at
the mouth of the St. Lawrence in the summer of 1628, sending a
summons to Quebec to surrender.

As a matter of course, Champlain, although literally driven to bay,


with the Indians on one side and the English on the other, returned a
spirited answer of defiance, which, to his surprise, resulted in the
withdrawal of his enemies, who were totally ignorant of the real state
of affairs. A year later, however, Kirk returned, this time sailing up the
St. Lawrence, and casting anchor off Quebec. Resistance was
hopeless, and Champlain was compelled to surrender his “capital;”
but, struck by the noble bearing of his opponent, and by the courage
with which he had evidently so long been waging a hopeless contest
with the natives, Kirk granted the most liberal terms to the French,
who were allowed to remain undisturbed in their homes, which were,
moreover, now secured to them by English troops from the raids of
the savages.

In the autumn of the year of the taking of Quebec, Kirk left that
city under the charge of his brother Lewis, and returned to England,
accompanied by Champlain, who hoped to obtain by diplomacy what
he had been unable to gain by force; and so earnestly did he plead
his cause with the French ambassador in London, that the affairs of
New France were brought before the then all-powerful Cardinal
Richelieu.

Convinced of the vast importance to his country of the fur-trade


and fisheries of Canada, the French Minister negotiated with the
English Court for the restoration of Canada, Acadia, and Cape
Breton, and after much discussion they were transferred to the
French Crown by the treaty of St. Germain de Sage, which put off for
more than a century the establishment of the British dominion in
Canada.

A year or two before this event, so auspicious to French interests


in the West, a new association had been formed in France, known
as the “Company of the Hundred Associates,” to whom Louis XIII.
had given the whole of Canada and of Florida—though the latter, as
we are aware, was already claimed by Spain—together with a
monopoly of the fur-trade. The cod and whale fisheries of the Gulf of
St. Lawrence, however, the French monarch reserved for himself.

The joy of the Company of the Hundred Associates, on the


restoration of the privileges which had so suddenly been snatched
away from them by Kirk, may be imagined. They at once elected
Champlain Governor of New France, and he returned to his old
home at Quebec in 1633, taking with him a large party of new
settlers, including many Jesuits, who were to form the nucleus of a
college for the education of the youth of Canada, from which
missionaries were to be sent forth for the conversion of the natives.

Having patched up something of a peace with the Indians, and


founded his college, Champlain prepared to continue that part of his
work which was nearest his heart—the further exploration of the
country; but before he could organize an expedition to the West, his
career was cut short by death. He expired in December, 1635,
having sown the seeds of the future greatness of Canada, and
inaugurated a new era of geographical discovery.

Champlain was succeeded as Governor of Canada by M. de


Montonaguy, a man of a very different stamp, who, while displaying
great ability and address in his management of the internal affairs of
the colony and his dealings with the treacherous Iroquois, did little to
extend our knowledge of the country under his charge.

To continue our narrative of the progress of discovery in French


America, we must leave the ruling powers to join two obscure Jesuit
missionaries, named Brébœuf and Daniel, the advance guard of that
heroic band of laborers for the faith of Christ who led the way in
every early expedition from Canada, and with whose names is
associated the origin of every great town on the vast inland seas
which are now among the proudest possessions of England.

Brébœuf and Daniel, who had both already done good work
among the natives, left Quebec on their joint mission in 1634, with a
party of Huron Indians, and after just such another arduous journey
through the forest and up the Ottawa as that taken by Champlain a
few years before, they arrived safely on the banks of Georgian Bay.
Here they pitched their tents, and in a short time they gathered about
them a little band of converts to the Roman Catholic faith, for whose
use a little chapel, built of the trunks of trees, was presently erected,
which was dedicated to St. Joseph.
To this little center of civilization in the wilderness flocked many
natives and Europeans alike, who were eager to lead a new life—the
former won over by the hopes held out to them for the future, the
latter eager to forget the past. First one and then another Christian
village arose on the banks of the stream connecting Lakes Huron
and Ontario, from which every now and then some worn father of the
faith would pay a flying visit to Quebec, to return with fresh recruits.
Such was the origin of St. Louis, St. Ignatius, St. Mary’s, and many
another now flourishing town of Canada, which were yet in their
infancy when the news of the great work going forward in the West
reached the ears of the Pope himself. Struck by the vast field thus
opened for the extension of the Roman Catholic religion, the Holy
Father expressed his loving approval of the work of his children in
the land of their exile. The King of France followed suit; the
enthusiasm spread to his nobles, and, eager to win the favor of the
heads of their church and of their native land, numbers of young
French gentlemen of rank joined the missionary band, and devoted
their wealth to its cause. The result was what might have been
expected. Montreal became the headquarters of the Indian church,
St. Mary’s, lying about half-way between it and Lake Huron, the
rendezvous of the missionaries from distant points, who met three
times a year to give an account of their progress.

Six years after the first arrival of Fathers Brébœuf and Daniel on
Lake Huron, the missionary outposts had extended as far west as
Green Bay, on the north-west of Lake Michigan; and though the iron
belt of the Five Nations still kept the French from the shores of Lakes
Ontario and Erie, Brébœuf was able in 1641, accompanied by Father
Joseph Marie Chaumonot, to visit the Onguiaharas, a neutral tribe
living on a river of the same name, now the Niagara.

The Onguiaharas—who appear to have acted as mediators


between the Iroquois and the Hurons and Algonquins, members of
the rival tribes meeting in peace in their huts—informed Brébœuf
that they were themselves at deadly war with a fierce nation living on
the west, which they called the Fire Nation, and described as so
reckless of human life, that the French did not care to venture among
them while so much still remained to be done around the Great
Lakes.

Though so near on this occasion to the now world-famous Falls


of Niagara, Brébœuf does not appear either to have heard of them or
to have visited them. He collected, however, a good deal of
information respecting the habits of the natives, which are embodied
in the charming Relations des Jesuites, from which the greater part
of our early knowledge of the Canadian Indians is derived. In the
same year (1641) of this first visit to the Niagara River, two
missionaries, named Charles Raymbault and Claude Pigart, made
their way to Lake Nipissing—the most north-westerly point reached
by Champlain—arriving there just in time to witness a grand native
ceremony in honor of the dead, which they describe as extremely
imposing.

NIAGARA FALLS.

Lake Nipissing was on this occasion almost covered with the


canoes of the warriors, moving solemnly toward that point of the
shore where the souls of the departed were to be fêted. Under a
long, rough shed, in coffins of bark, wrapped in costly furs, lay the
decaying bones of those who had gone to the other world; and over
them a song, half of triumph, half of regret, was sung by the warriors,
the women accompanying them with a wailing cry, full of unutterable
melancholy.

INDIAN BURIAL GROUND.

When these heathen rites were over, the Jesuit fathers, who, with
that earnestness and thoroughness which characterized their whole
body, had prepared themselves for their mission by the study of the
Nipissing language and the Nipissing mode of thought, came forward
and addressed the assembled multitudes. They spoke of the Saviour
of the white man and of the red, who came back from the grave after
laying down His life for all mankind: and so worked upon the already
melting mood of the hardy warriors of the West, that they obtained
permission to dwell on the shores of Lake Nipissing—nay, more, an
eager invitation from some Chippeway guests to visit them in their
own homes beyond Lake Superior.

The eagerness with which this opening was seized may be


imagined. The Chippewayans, or Athabascas, one of the four
families of the great Finnish nation, occupied that great lone land
stretching away beyond the north-western banks of Hudson Bay,
which has even yet not been fully explored. In those vast solitudes,
though the missionaries knew it not, dwelt many a strange tribe,
living out its destiny in unconscious simplicity. There roamed the
Copper, the Horn Mountain, and the Beaver Indians; the Strong-
bows, the Dog-ribs, the Hares, the Red Knives, the Sheep, the
Sarsis, the Brushwood, the Nagailer, and the Rocky Mountain
Indians, waiting the advent of the fur-trader, from whom they were to
receive their distinctive appellations, and to whom they were to yield
up the treasures of their deserts and of their mountain fastnesses.

Taking a Jesuit named Isaac Jogues, as his companion, and


leaving Pigart to continue his work among the Nipissings, Raymbault
started for the North-west, and, crossing Lake Huron in a native
canoe, the voyage occupying seventeen days, he arrived safely at
the mouth of the straits connecting it with Lake Superior, where two
thousand natives were eagerly awaiting his arrival.

The point of land on Lake Superior where the white men first
stepped ashore appears to have been near the rapid known as the
Sault Ste. Marie, at the beginning of the river St. Mary, through which
the waters of Lake Superior flow into Lake Huron; and it was
probably within sight of the gray and red sandstone cliffs called the
Pictured Rocks, which now look down upon the boundary-line
between British America and the United States, that Father
Raymbault took up his abode, to begin his ministrations among the
Chippewayans. Unfortunately, however, his health began to fail him
before he had been at work a year, and, after a farewell visit to the
Nipissing converts, he retired to Quebec to die.

Jogues, meanwhile, on whom his superior’s mantle should


naturally have fallen, was working out a very different mission; and
though the Chippewayans were not forgotten, and we find Ste. Marie
again a missionary station a few years later, it was the fierce Iroquois
who were next to receive a Christian minister among them. Sent
down the St. Lawrence on a message connected with Raymbault’s
work, the second missionary, a friendly Huron chief named
Ahasisteri, two young French laymen, and some twenty-six Hurons,
fell into the hands of a party of Mohawks, who had long been eager
for a feast of human flesh, and looked upon the whites and their
escort as lawful prey. To quote the quaint Father who sent home an
account of the matter, if peace could not be made with the Iroquois,
no Frenchman would be safe from “finding a tomb in the stomachs of
these savages.”

That Jogues this time escaped this awful fate was indeed little
short of a miracle. He was marched with his companions in
misfortune through three Mohawk villages; he saw Ahasisteri burned
to death, and one of his own young Indian converts tomahawked for
making the sign of the cross on a baby’s forehead; yet, for some
reason unexplained, his own life was spared, and having managed
to get away from his party, he wandered about in the woods, carving
the name of Christ on the bark of the trees, till he came in sight of
the Dutch fort at Albany, and was received by its commandant, Van
Cuyler, having been the first white man to cross the northern half of
the present state of New York.

From Albany, Jogues was unable to return direct to Canada,


either by sea or by land, and he therefore took ship for England,
whence, after suffering many things at the hands of Falmouth
wreckers, he managed to get back to the land of his adoption. Here
he found all the French stations in a state of horror-struck
excitement, owing to the increasing hostility of the Iroquois. A Father
Bressain, who had fallen into one of their ambushes, had seen his
Huron comrades killed and eaten, and had himself been rescued
only at the last moment by Dutch traders. Other horrors, too terrible
to be related, had been inflicted on the native converts to
Christianity, and in 1645 a solemn assembly of all the French
authorities was held at Three Rivers, with a view to the negotiation of
peace with the terrible enemy. After much private consultation
among themselves, and many a picturesque palaver with the Indian
sachems, who came to the meeting decked out in all their finery, the
French were cheered by the conclusion of “eternal peace” with the
Five Nations. This peace actually lasted a whole year, and at the end
of that year seemed so little likely to be broken, that Jogues, in spite
of all his previous sufferings, resolved to venture again to the south
of the St. Lawrence, and try to win over some of the Iroquois to
Christianity.

In June, 1646, we find the heroic Jesuit embarking on the


Iroquois, now the Richelieu, escorted by four warriors of that nation
and two young Algonquins, his object being to found a church
among the Onondagas. He arrived safely at a little village at the
head of a small sheet of water connected with Lake Champlain,
called by the natives Andiatarocté, or the Gate of the Lake, to which
he gave the name of St. Sacrement. After a short cruise on the
“Gate,” and the presentation of gifts to the Iroquois chiefs and elders
who happened to be assembled on its banks, Jogues returned to the
St. Lawrence to report progress, and in September of the same year
—this time accompanied by a young Frenchman—he once more
visited the Iroquois, intending to settle among them and teach them
Christianity.

All went well at first, but at the beginning of 1647 Jogues received
instructions from his superiors to go to the Mohawk country, with a
view to insuring peace with its savage warriors, who were showing
signs of breaking the solemn treaty made at Three Rivers. The
Jesuit obeyed, though he is reported to have said, “I shall go, but I
shall never return.” He was right. He had scarcely set foot among the
Mohawks, before he and his fellow-countryman were taken
prisoners, charged with having blighted the corn and caused a
famine. Stripped half naked, they were dragged into a neighboring
village and there put to death. Not until long afterward did any details
of the tragedy reach Quebec. A Mohawk prisoner, taken in a struggle
with the French on the St. Lawrence, and condemned to death for
his share in an ambush into which the white men and some of their
Algonquin allies had fallen, confessed before his torture began that
he had himself killed Jogues, and another member of his tribe the
missionary’s companion.

No more vivid picture of the struggle between savagery and


civilization in the early days of Canada could be conceived, than the
account sent home by a Jesuit of the young Mohawk’s death. This
Mohawk had told how he and another had invited Jogues to supper,
and when he arrived in the half-naked state to which he had been
reduced, a savage, who had hidden behind the door of the tent
where supper was prepared, started out and struck off the head of
the unsuspecting guest. The head was stuck on the palisades of the
village, as a warning to all other Europeans, and on the following day
that of the young French layman was placed beside it.

One would have thought that, after this frank acknowledgment of


his own share in the murder, no mercy would have been shown to
the Mohawk. But here the true character of the Jesuits came out. Die
he still must, and that at the hands of the Algonquins, with all the
subtle cruelties in which they were adepts; but there was no reason
for him to die in his sins. The short time before the execution was to
take place was devoted to converting him to Christianity; and just
before he was given up to the native chief who was to preside at his
death, he was baptized Isaac, in memory of the man he had helped
to martyr. Poor Isaac is said to have cried again and again on our
Saviour in his agony, and to have said, when dying, “I have to thank
Antaiok” (so he called the Frenchman who had taken him prisoner)
“that I am going to heaven; I am very glad.”

The murder of Jogues was the signal for another Indian war; and
for a time the French missionaries and laymen alike were absorbed
in the primary duty of the defense of their own lives and of those
dear to them. Through all the tumult and confusion which ensued,
however, the geographical student may, by eager searching, trace
the continuous opening up of new districts, and on the blank map
which was spread out before us when we began our narrative, we
may ♦ jot down the names of many a river and lake almost
unconsciously discovered by the white men, in the very height of
their struggle.

♦ ‘dot’ replaced with ‘jot’

The storm broke first on the village of St. Joseph, now almost
entirely Christianized. The able-bodied members of the community
were away at the chase; the women and children fell an easy prey to
the Mohawk warriors. Father Daniel, the head of the mission, while
administering the last rites of the church to the dying and the dead,
fell at last beneath the poisoned arrows of the Iroquois, and was
finally dispatched by a blow from a hatchet. Next St. Ignatius and
then St. Louis were overpowered, and in the latter our old friend
Brébœuf and his companion Sallemand met their death, the first
after three, the second after seventeen hours of torture.

From St. Louis, the tide of invasion swept westward to Georgian


Bay, where the Hurons had made a feeble effort to rally. Again they
were defeated, and in their despair they sent a message by Father
Dreuillette, a zealous missionary who had long been at work among
the north-west tribes, to New England, with an entreaty for succor.
But, as we shall presently see when we return to the colonies on the
coast, the energies of the newly-formed federation were all required
to meet the necessities of home defense, and no help came to the
sufferers in the north. Dreuillette worked his way back by a new
route to the St. Lawrence, that was all. Three years of almost
constant massacres, in which many a noble death was met, alike by
native converts and their teachers, were at last succeeded by a lull.
The Iroquois were sated with bloodshed; or, as some of the French
authorities tell us, their hearts had been touched by the teaching of
some of their prisoners. In any case, peace was made in 1650, and it
was scarcely concluded, before a missionary was ready to risk his
life by making a fresh effort to convert the men at whose hands his
brethren had already suffered so much.

A certain Father Le Moyne, who had been the envoy intrusted by


the Hurons with the ratifications of peace, pitched his tent on the
Mohawk River, and a little later an Italian priest named Dablon, and a
French missionary named Chaumonot, settled at Onondaga, chief
village of the tribe of the same name dwelling on the banks of the
Oswego, a river of the modern state of New York flowing into Lake
Ontario. Wonderful to relate, they not only escaped death, but were
received with eager welcome. A chapel sprang up as if by magic,
and Chaumonot soon found himself in a position to visit the
Senecas, the most powerful of the Five Nations, who lived far away
in the west of the present State of New York, on a lake named after
them, which is connected with Lake Ontario by the rivers Oswego
and Seneca. Here, as at Onondaga, the natives seemed glad to
receive the good tidings of the Gospel; but, as they declined to
interpret “peace on earth” beyond the limits of their own tribe, and
persecuted their neighbors the Eries with reckless cruelty, their
missionary soon found himself at issue with them.

Disputes now arose, and of a little body of fifty Frenchmen who


had settled on the Oswego, thinking the days of the old horrors were
over, several were murdered. This, of course, aroused the terror and
indignation of the survivors, who were compelled to make their
escape as best they could, reluctantly accompanied by the
missionaries. So ended the second attempt at converting the
Iroquois; but not all the good seed sown was lost, and now and
again, afterward, some fierce warrior of the Five Nations gave
touching proof that he had not forgot the teaching of the good white
men.

Meanwhile, the work of the missionaries in opening up the


districts about the Great Lakes was being largely supplemented by
energetic fur-traders, and in 1656 two young Frenchmen,
accompanied by a number of Ottawas, appeared at St. Louis,
astonishing their countrymen in that now flourishing settlement by
the accounts they gave of yet other inland seas far away in the West,
and yet other native tribes, differing in almost every respect, alike
from the Hurons, Algonquins, and the Iroquois.

Here was a new field for missionary effort, and Dreuillette, the
unsuccessful messenger to Maine, and Gareau, a Huron missionary,
were chosen to lead the way in this fresh spiritual campaign.
Accompanied by some of the Ottawas already mentioned, they were
ascending the Ottawa, when they were attacked by the Mohawks,
and Gareau was killed. Dreuillette, however, escaped, and advanced
into the present Ontario, making his way thence to the banks of the
Saguenay, long since discovered by Cartier, whence he undertook
several short trips to the North-east, of which, however, few details
have been preserved, though they greatly paved the way for the
advance of the fur-trade.

While Dreuillette was laboring in the North, René Mesnard, who


had been one of the missionaries to the Iroquois, excited by the
accounts given by two fur-traders, who had spent a winter on the
banks of Lake Superior, started to found a church among the fierce
Sioux, or Dacotahs, dwelling in those remote districts. He reached
the southern shores of Lake Superior in the autumn of 1660, and in
the spring of the following year began his journey toward the modern
state of Minnesota, which lies between the south-western extremity
of the great lake and the Dakota territory. Letters describing his
progress were occasionally received at Quebec, but they suddenly
ceased; and after much anxiety on his account, rumors were brought
in by traders that he had become separated from his companions,
and lost his way in the forests on the south of the Bay of
Chagwamegan, and must have perished miserably. The event
proved that they were right. Mesnard’s body was found in the forest
by a native, who long concealed the fact, lest he should be accused
of the murder of the white man. The cassock and breviary of
Mesnard having, however, been preserved as amulets by the Sioux,
led to inquiries being made, and the truth was discovered.

In 1665, a fresh impulse was given to missionary effort in Canada


by the transference of the country to a new West Indian Company,
under the direct patronage of Louis XIV., who, recognizing the
importance of the rich fur-yielding districts of New France, sent out a
regiment to protect the traders. True, about this time New Netherland
was conquered by the English, who thus became very formidable
rivals to the French; but the Iroquois still separated the two European
nations, and yet a little longer the evil day of the loss of Canada was
deferred.

The first hero to go forth under the new government was Father
Allouez, who, following in the footsteps of Mesnard, arrived on the
banks of Lake Superior early in September, 1666. Embarking on its
waters in a native canoe, he reached the village of Chagwamegan,
on the bay of the same name, where members of no less than ten
different native races were assembled, discussing how best to
prevent a threatened war between the Sioux and the Chippewas.

Scarcely pausing to rest after his long journey, Allouez advanced


into the very midst of the dusky crowd, and, partly by promises of
present help against the common enemy, partly by his eloquent
description of the joys of eternity to the true believer, he quickly
made many converts. He had, as it were, dropped down from the
skies, straight from the home of the Good Spirit. He was invited to
remain; and accepting the hospitality tendered to him, he founded
the mission of St. Esprit, to which, in an incredibly short space of
time, flocked Hurons and Ottawas, with members of distant western
tribes whose very names had never before been heard of; the
Potawatomies, or worshipers of the sun, the Illinois, the Sacs, the
Foxes, and many another race, sinking their differences for a time in
their common eagerness to share the good tidings of great joy which
the white man was said to have brought.

Now, for the first time, were heard whispers of the existence, not
very far away from St. Esprit, of the great Father of Waters, the
Mesipi, which flowed on and on forever to the south between vast
prairies, where roamed the buffalo and the deer, where forests were
almost unknown, and the wind swept unchecked over the tall
whispering grasses.

Convinced that, from all he heard, the people on the Mesipi were
ripe for the reception of the Gospel, and little dreaming of the identity
of this great river with that of which the mouth had been discovered
by De Soto so many years before, Allouez paid a visit to Quebec in
1668 to win recruits to go forth into the prairies. As usual, there were
plenty of volunteers. Three short days after his arrival at the capital
he was on his way back to Chagwamegan, accompanied by Louis
Nicholas, and followed by Claude Dablon and James Marquette,
who, as a preliminary step for the work before them, founded the
mission of St. Mary’s on the Falls, between Lakes Superior and

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