Mémoire DU Éthique 2019 VF

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Année universitaire 2018 – 2019

Mémoire pour l’obtention du Diplôme Universitaire d’Éthique Médicale

DÉLIBÉRATION ÉTHIQUE AUTOUR D’UNE MÉDECINE ÉCO-


RESPONSABLE : SANTÉ INDIVIDUELLE OU BIEN ÊTRE
COLLECTIF ?

Dr Valentin DAVID,
Pharmacien hospitalier
Assistant de recherche en cancérologie fondamentale – EA3842 CAPTuR – Faculté de médecine de Limoges
Étudiant en médecine – Faculté de médecine de Limoges

Co-écrit avec le Docteur vétérinaire Pierre DUFOUR

Responsable scientifique : Pr Alain VERGNENÈGRE


Coordonnateur pédagogique : Dr Maryse FIORENZA-GASQ
TABLE DES MATIERES

Remerciements ......................................................................................................................... 3
Liste des abréviations .............................................................................................................. 4
Note aux lecteurs ...................................................................................................................... 5
Introduction .............................................................................................................................. 7
Quel lien peut-on faire entre la santé et l’environnement ? ............................... 9
L’activité de soins n’est pas dénuée d’impact écologique ....................................... 9
L’inflation des maladies environnementales .......................................................... 11
Droit individuel à la santé versus devoir de santé publique : une injonction
contradictoire ? .................................................................................................................. 14
Que nous disent les textes ? .................................................................................... 14
Comment les textes sont-ils appliqués sur le terrain ? ........................................... 18
Soigner l’environnement pour se soigner soi-même.......................................... 19
L’Homme est le pire ennemi de l’Homme ............................................................. 19
La technologie peut-elle tout résoudre ? ................................................................ 20
Une « médecine durable » pour mieux vivre demain ............................................. 21
Conclusion .............................................................................................................................. 24
Bibliographie .......................................................................................................................... 26
Liste des tableaux ................................................................................................................... 29

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REMERCIEMENTS

À Isabelle DORDAN, professeur agrégée de lettres modernes à l’université de Bordeaux;


Annelise ROUX, écrivain;
Fleur DORDAN, juriste diplômée de l’université Paris I Panthéon Sorbonne;
Merci pour votre relecture attentive.

À l’ensemble de l’équipe pédagogique de ce diplôme universitaire pour leurs enseignements


bienveillants.

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LISTE DES ABREVIATIONS

DASRI : Déchets d’Activité de Soins à Risques Infectieux


GES : Gaz à Effets de Serre
OMS : Organisation Mondiale de la Santé

4 sur 29
NOTE AUX LECTEURS

Nous avons souhaité co-écrire ce mémoire de diplôme universitaire avec le Docteur


vétérinaire Pierre DUFOUR. Il nous a semblé que la médecine vétérinaire apportait une vision
complémentaire à la médecine humaine sur les sujets que nous allons traiter. En effet, la
médecine des populations animales et des écosystèmes, comme la santé publique, sont au cœur
des missions du vétérinaire.

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À tous les malades d’aujourd’hui et de demain, auxquels j’ai pensé durant toute
l’écriture de ce mémoire; et pour lesquels je m’efforcerai de toujours témoigner d’un
dévouement sans faille, dans le respect de leur dignité.

« Le résultat ne compte guère. Ce qui compte c’est l’esprit. Non pas ce qui a été fait, mais
comment on l’a fait, non pas ce qui a été atteint, mais le prix qu’on y a mis »

L’archipel du Goulag, Alexandre Soljenitsyne (1973)

6 sur 29
INTRODUCTION

« D’abord ne pas nuire, ensuite soigner » écrivait Hippocrate dans le traité des
Épidémies daté de 410 av. J.-C. Ce dogme s’articule autour de trois entités indissociables
formant le « triangle hippocratique » : le malade, la maladie et le médecin. Le soignant a le
devoir de tout mettre en œuvre pour prodiguer le meilleur soin (obligation de moyens1) à un
être humain dont le droit fondamental est de posséder le meilleur état de santé qu’il est capable
d’atteindre2. Cet ensemble de valeurs médicales place l’individu malade au cœur de l’objectif
médical, mobilisant un ensemble de ressources dont la finalité sera le plus souvent son bénéfice
individuel.
Dans une logique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins, la
médecine est de plus en plus technique. Sa pratique nécessite du matériel et des infrastructures
de haute technologie faisant appel à une quantité croissante de ressources (Hancock, 2001).
Même si des efforts sont réalisés en termes d’« éco-conception » des soins, elle génère une
quantité considérable de polluants. Le soin prodigué à un individu est à l’origine d’une
empreinte écologique non négligeable et participe à l’altération de l’environnement (Kaiser et
al., 2001).
Pourtant, les preuves ne cessent de s’accumuler pour mettre en cause l’impact de la
dégradation de l’écosystème sur la santé humaine, animale et végétale et alerter sur ses
conséquences déjà observables (maladies environnementales, sixième extinction de masse,
phénomènes météorologiques extrêmes) et à craindre (augmentation de maladies infectieuses
émergentes et ré émergentes, famines, guerres, etc.) Autant de catastrophes qui menacent la
santé des populations dans le monde entier (Haines & Ebi, 2019).
Il existe donc un véritable dilemme éthique entre la morale sociale au bénéfice collectif
(principe de responsabilité pour la préservation de l’écosystème et de la santé des générations
actuelles et à venir) et le devoir du soignant de tout mettre en œuvre pour optimiser la prise en
charge de son malade. « En effet, [la médecine] a, en tant qu’art, à prendre en charge le corps
singulier d’un patient qui souffre et à le respecter. Mais en tant que recherche scientifique, elle
doit considérer ce corps de manière exclusivement objective et agir sur lui en vue d’améliorer
la vie des générations futures. Or, ces deux obligations peuvent ne pas être compatibles. »
(Pommier, 2012). Quels sont alors les éléments nous permettant de penser que la prise en charge

1
Arrêt Mercier du 20 mai 1936.
2
Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé adoptée par la Conférence Internationale de la Santé en 1946.
7 sur 29
d’un individu dans sa globalité mettrait en péril la vie du groupe, ou représenterait une perte de
chance pour une prise en charge ultérieure ?
Après avoir réalisé un état des lieux des conséquences écologiques connues des activités
de soins et de l’altération de l’environnement sur la santé humaine, nous tenterons de concilier
l’exercice d’une médecine personnelle avec la préservation de l’environnement, profitable au
bien-être et à la santé de tous, sans concession. L’analyse des valeurs et textes règlementaires
inhérents à la pratique médicale sera étayée par une réflexion éthique et philosophique pour des
soins éco-responsables.

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Quel lien peut-on faire entre la santé et l’environnement ?

En l’espace d’un siècle, l’évolution de la pratique médicale a considérablement


augmenté l’espérance de vie (Alexandre, 2019) : vaccination, anticancéreux, traitement de la
tuberculose, du VIH, techniques de suppléance d’une fonction organique comme la dialyse, etc.
Pourtant, la médecine moderne participe à la destruction de l’environnement et pourrait
contribuer, in fine, à générer plus de maladies qu’elle n’en guérit car le système de santé
participe lui-même à l’émergence de problèmes de santé liés à l’environnement (Azar et al.,
2015).

L’activité de soins n’est pas dénuée d’impact écologique

La plupart des établissements de santé ont un fonctionnement continu et génèrent un


impact écologique majeur sur l’environnement.
Le transport de biens et de personnes, le chauffage et le fonctionnement de tous les
appareils électriques entraînent une consommation massive d’énergies variées tout en émettant
une grande quantité de gaz à effets de serre [GES] (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise
de l’Énergie, 2012; Connor et al., 2011; Kaiser et al., 2001; Pencheon, 2009; Salem Szklo et
al., 2004) (Tableau 1).

Tableau 1 : consommation énergétique des établissements de santé dans le monde (eau, électricité, gaz et autres
combustibles)
Kaiser et al., Les hôpitaux américains sont les 2e plus gros consommateurs d’énergie
2001 après l’industrie et consomment proportionnellement deux fois plus
d’énergie qu’un bâtiment conventionnel.
Salem Szklo et La santé au Brésil nécessite plus de 10% de la production totale d’énergie
al., 2004 du pays.
Pencheon, 2009 Le National Health Service au Royaume-Uni rejette 25 millions de tonnes
de carbone par an et consomme 25% de la production totale de gaz dans le
pays.
ADEME*, 2012 La consommation d’énergie par le système de santé français représente
15% de l’énergie destinée au tertiaire; une journée d’hospitalisation
nécessite 400 à 1 200 L d’eau (consommation du domicile : 150 à 200
L/jour).
Connor et al., Trois séances de dialyse par semaine pendant un an rejettent 3,8 tonnes
2011 d’équivalent CO2.
*Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie

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Les pays développés utilisent de plus en plus de matériel à usage unique pour réaliser
les actes de soins générant un volume de déchets croissant. Les déchets d’activité de soins à
risques infectieux (DASRI) doivent subir une inactivation dans des incinérateurs avant de
rejoindre le circuit des déchets ménagers. Cette étape supplémentaire est coûteuse en énergie et
participe au rejet de toxiques dans l’atmosphère (Morris et al., 2013; Stall et al., 2013; World
Health Organization & Health Care Without Harm, 2009) (Tableau 2).

Tableau 2 : production de déchets par les établissements de santé dans le monde


Stall et al., Huit milliards de kg de déchets de soins sont produits tous les ans aux États-
2013 Unis, faisant du secteur de la santé le 2e plus gros utilisateur de sites
d’enfouissement (après l'agro-alimentaire).
OMS1, Sur une moyenne de 150 établissements, un CHU Taïwanais produit environ
2009 267,8 tonnes de DASRI2 par an (70,3 tonnes pour un hôpital périphérique), soit
de 2,41 à 3,26 kg de déchets généraux éliminés par journée d’hospitalisation,
dont 0,19 à 0,88 kg de DASRI. L’incinération des DASRI est l’un des 4
principaux producteurs de mercure et de dioxines (perturbateurs endocriniens)
retrouvés dans l'atmosphère.
Morris et Une opération de la cataracte par phacoémulsification au Royaume-Uni produit
al., 2013 180 kg équivalent CO2 en GES3.
Stall et al., En France, 13,3 kg de déchets sont générés par arthroplastie de genou (71 000
2013 actes en 2013).
1
Organisation Mondiale de la Santé
2
Déchets d’activité de soins à risques infectieux
3
Gaz à effet de serre

Les solvants utilisés pour la recherche ou la fabrication de médicaments ainsi que les
effluents hospitaliers rejoignant le circuit des eaux usées véhiculent des substances chimiques
retrouvées dans les sols, les boues de stations d’épuration ou l’air atmosphérique, et ceci partout
dans le monde (Jackson et al., 2019; Ory et al., 2019; Stockholm County Council, 2015)
(Tableau 3).

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Tableau 3 : rejet de toxiques dans l'environnement par les établissements de santé
Le Quotidien du La production de l'usine Sanofi de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques) a été
Médecin3 suspendue en 2018. En cause, le rejet dans l’air d’une quantité supérieure
à 7 000 fois la norme de 5 composés organiques dont les effets
cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques ne sont plus à démontrer
(bromopropane, toluène, isopropanol, valéonitrile, propène).
Stockholm De nombreux métabolites médicamenteux s'accumulent dans le sol et les
County Council, nappes phréatiques puis sont retrouvés dans la viande, les légumes voire
2015 l'eau d'adduction car tous ne sont pas filtrés par les stations d'épuration.
Jackson et al., Certaines de ces substances peuvent avoir des conséquences néfastes sur
2019 la biodiversité en se comportant par exemple comme des perturbateurs
endocriniens : les œstrogènes décelés dans les eaux fluviales sont ainsi
responsables de troubles endocriniens et de féminisation des poissons
mâles.
Ory et al., 2019 Des bactéries résistantes aux carbapénèmes* ont été retrouvées dans les
effluents du CHU de Clermont-Ferrand en amont du réseau collectif
d’eaux usées. Ces résistances sont facilement transférables dans
l'environnement et pourraient conférer la résistance des bactéries à la
majorité des familles d'antibiotiques.
*famille d’antibiotiques la plus puissante utilisée en milieu hospitalier pour le traitement
d’infections documentées à bactéries multi-résistantes ou en probabiliste lors d’infections
menaçant le pronostic vital.

Les activités de soins ont donc une empreinte écologique et environnementale


importante qu’il n’est pas possible de nier. Paradoxalement, l’altération de la qualité de
l’environnement est, entre autres, génératrice de maladies environnementales qui ne font
qu’augmenter la demande de soins, constituant alors un cercle vicieux.

L’inflation des maladies environnementales

L’activité humaine a des conséquences dévastatrices sur l’environnement touchant à la


fois le climat mais également la santé humaine, animale et végétale. Le nombre de décès associé
aux maladies environnementales, essentiellement de causes cardio-vasculaires et de cancers4,
est estimé à 6,5 millions par an dans le monde (Bowe et al., 2019; Chevrier et al., 2011;
Landrigan et al., 2018; Santé Publique France, 2018; Spinder et al., 2019). En Europe, 422 000
décès prématurés (dont 35 800 en France) seraient liés à l’inhalation de particules fines (Agence

3
https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/breve/2018/07/10/sanofi-le-site-de-mourenx-arrete-en-raison-de-rejets-
toxiques_859755
4
Cancers du poumon, accidents vasculaires cérébraux, maladie rénale chronique, cardiopathies, pneumopathies chroniques
obstructives.
11 sur 29
européenne de l’environnement, 2018). Si on ne s’intéresse qu’à celles émises par le trafic
routier, les frais de santé engagés se situent entre 66,7 et 79,8 milliards d’euros chaque année5.
Les changements climatiques mettent également en péril les ressources essentielles à
une bonne santé, en premier lieu dans les pays en difficulté où les conditions de vie sont déjà
difficiles : l’eau, la nourriture et le logement. Ils pourraient générer des épisodes de famines et
des épidémies gravissimes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’entre 2030
et 2050, ils seront responsables d’environ 250 000 décès supplémentaires chaque année. Pour
survivre, des mouvements de population massifs vers les zones géographiques plus tempérées
obligeraient les populations locales à partager leurs ressources, situation pouvant générer des
conflits géopolitiques majeurs (Haines & Ebi, 2019; Landrigan et al., 2018) (Tableau 4).

Tableau 4 : conséquences du réchauffement climatique et de la pollution environnementale sur la santé humaine


Réchauffement Catastrophes Réfugiés climatiques, destruction des habitats,
climatique (Haines naturelles inondations, épidémies, famines.
& Ebi, 2019; Réfugiés climatiques, guerres, famines, migration des
Sécheresse
Landrigan et al.,
vecteurs de maladies infectieuses.
2018)
Fonte du Amplification du réchauffement climatique (libération
permafrost de CO2 et de CH4) (Schuur et al., 2015).
Libération de micro-organismes ancestraux inconnus
constituant une menace infectieuse (Houwenhuyse et al.,
2018).
Pollution GES*, Maladies cardio-vasculaires, cancers (Bowe et al., 2019;
environnementale particules Landrigan et al., 2018).
fines
Pesticides Perturbateurs endocriniens : baisse de la fertilité
masculine, cancers, RCIU*, MAP**, troubles du
développement neurocognitif (Chevrier et al., 2011;
Santé Publique France, 2018; Spinder et al., 2019).
Médicaments Perturbateurs endocriniens, antibiorésistance (Jackson et
al., 2019; Ory et al., 2019).
*Retard de croissance intra-utérin
**Menace d’accouchement prématuré

5
https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2018/11/28/pollution-automobile-entre-667-et-798-milliards-deuros-
de-frais-de-sante-chaque-annee-en-europe_863444

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La prise en charge de ces pathologies liées à l’environnement nécessite des activités de
soins régulièrement réalisées dans des structures de santé de taille industrielle (hôpitaux,
cliniques) qui, en plus de nécessiter des ressources importantes pour fonctionner (eau,
électricité, dérivés pétroliers, nourriture), rejettent des volumes de déchets astronomiques,
entretenant ainsi la dégradation de l’environnement et donc de la Vie. La double crise de la
santé publique et celle de l'environnement se confondent, la confluence des deux amplifiant la
puissance destructrice de chacune : il n’y a pas de politique de santé publique cohérente sans
prendre en compte la problématique environnementale. Parce que la politique et le juridique
s’articulent ensemble pour déterminer un cadre, voyons maintenant comment les textes officiels
sont rédigés au sujet du droit à la santé dans le monde.

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Droit individuel à la santé versus devoir de santé publique : une
injonction contradictoire ?
Que nous disent les textes ?

L’éthique puisant certains de ses fondements dans le droit, une analyse des différents
textes officiels dont le thème général est le droit à la santé aux échelles individuelle et collective
a été réalisée (Tableau 5). De façon générale, tous les écrits accordent un droit inaliénable à la
santé pour chaque homme vivant sur Terre. A ce compte-là, toutes sortes de ressources peuvent
être mobilisées pour la santé d’un individu sans que ne soit envisagée la notion de protection
environnementale. En même temps, il est aussi de notre devoir de protéger l’environnement
pour notre propre santé et celle des générations futures. Les dispositions sur le soin individuel
sont contraignantes et peuvent aboutir à des sanctions (disciplinaires, juridiques, pénales)
mettant en jeu la responsabilité médicale. Au contraire, le droit de l’environnement est un droit
complexe. Constitué de grands principes non circonstanciés donc difficilement invocables, il
est de surcroit parfois en contradiction avec des normes contraignantes. De plus, sa mise en
application pourrait avoir à court terme un coût économique de mise en conformité bien
supérieur à celui du recouvrement des amendes : il n’est donc pas toujours appliqué6. Cela met
en évidence un conflit de valeurs qui oppose le bien être individuel et la santé collective.
Pourtant, il ne peut y avoir de santé collective sans santé individuelle, et réciproquement.
En dehors de la Charte de l’environnement qui fait le lien entre santé et environnement,
les notions de droit à la santé individuelle et celles de droit à un environnement de qualité sont
le plus souvent traitées de façon dichotomique dans des paragraphes ou des articles
indépendants : par exemple, nous pouvons lire « l’intérêt [de l’être humain] prévaut sur le seul
intérêt de la société » et en même temps « les professionnels de santé ont le devoir de veiller à
la santé de la population mondiale et des générations futures ».
L’article L. 1110-5 du Code la Santé Publique est intéressant car il pourrait être lu de
deux façons. Qu’est-il entendu par « meilleure sécurité sanitaire » ? Il peut s’agir d’une vision
anthropocentrée : la sécurité sanitaire d’un établissement de santé doit permettre d’éviter les
infections nosocomiales (les antiseptiques et antibiotiques sont là pour répondre à ce problème);
ou bien d’une vision plutôt biocentrée : la sécurité sanitaire passe par une gestion rationnelle de
l’utilisation des biocides pour préserver l’environnement et conserver des armes thérapeutiques.

6
http://www.leparisien.fr/environnement/pollution-la-commission-europeenne-assigne-la-france-devant-la-cour-de-justice-
17-05-2018-7721139.php
14 sur 29
Si l’on s’intéresse maintenant à la Déclaration Universelle sur la bioéthique et les droits
de l’homme, il est possible de lire que les sciences et la technologie doivent favoriser l’accès à
des soins de qualité, mais qu’en même temps, il est nécessaire d’améliorer les conditions de vie
et de l’environnement pour avoir une alimentation et une eau adéquates. Que répondre quand
on sait que les solvants des industries pharmaceutiques sont retrouvés dans les eaux usées et
dans l’atmosphère, que la qualité nutritionnelle de nos vivres (donc la qualité de notre santé)
est dépendante de la pollution des nappes phréatiques (engrais, pesticides) et donc de notre eau
de boisson, que les œstrogènes utilisés pour la contraception féminisent les poissons que nous
mangeons, que la quantité de plastique utilisée pour les soins ou la recherche médicale menace
tout l’écosystème marin via l’acidification des océans, etc.

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Tableau 5 : analyse des textes officiels relatifs au droit à la santé individuelle et collective (santé publique)
Textes En faveur du droit à la santé individuelle En faveur du devoir de protection de la santé publique
Code international d'éthique Le médecin devra agir dans le meilleur intérêt du Le médecin devra s’efforcer d’utiliser de la meilleure façon
médicale (1949) patient lorsqu’il délivrera des soins. possible les ressources de santé afin d’en faire bénéficier les
patients et leurs communautés.
Déclaration d'Helsinki Promouvoir et préserver la santé de l'être humain.
(1964) Les intérêts [...] de la société ne doivent jamais
prévaloir sur le bien-être du sujet.
Art*.3 : La santé de mon patient prévaudra sur
toutes les autres considérations.
Art. 11 : La recherche médicale devrait être conduite de sorte qu’elle
réduise au minimum les nuisances éventuelles à
l’environnement.
Rapport Belmont (1979) Principe d'équité : les soins et traitements sont les mêmes pour tous
les malades au regard des ressources disponibles.
Déclaration Universelle sur Art. 2 : Primauté de l'être humain : son intérêt prévaut
la bioéthique et les droits de sur le seul intérêt de la société.
l'homme (1997)
Art. 14 : Les sciences et les technologies doivent Art. 14 : La promotion de la santé au bénéfice du peuple est un
favoriser l'accès à des soins de qualité. objectif fondamental.
Amélioration des conditions de vie et de l'environnement
Accès à une alimentation et à une eau adéquate.
Art. 16 : L'incidence des sciences de la vie sur les générations
futures […] devrait être dûment prise en considération.
Art. 17 : Rôle des êtres humains dans la protection de
l'environnement, de la biosphère et de la biodiversité.

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Charte de l'environnement Art. 1 : Chacun a le droit de vivre dans un environnement
(2004) équilibré et respectueux de la santé.
Accord de Paris sur le Climat Les professionnels de la santé ont le devoir de veiller à la santé de
(2015) la population mondiale et des générations futures.
Code de la Santé Publique Art. L. 1110-5 : Toute personne a […] droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont
(mise à jour 2019) l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.
Art. L. 1411-1 : La nation garantit le droit à la Art. L. 1411-1 : La politique de santé tend à assurer la promotion
protection de la santé de chacun. de conditions de vie favorables à la santé, l'amélioration de l'état
de santé de la population […] et l'accès effectif de la population à la
prévention et aux soins.
L'identification des principaux déterminants de l'état de santé de la
population s'appuie sur le concept d'exposome, entendu comme
l'intégration sur la vie entière de l'ensemble des expositions qui
peuvent influencer la santé humaine.
*Article

17 sur 29
Comment les textes sont-ils appliqués sur le terrain ?

En pratique, l’enjeu écologique de la médecine moderne n’est rien comparé à celui de


la qualité et de la sécurité des soins. Bien sûr, on pourrait parler de ces « hôpitaux verts » (Azar
et al., 2015; Blau et al., 2016) qui adoptent des attitudes écologiques (politique d’achat,
réduction de la consommation énergétique, réduction du volume et tri des déchets, etc.), mais
la logique au chevet du patient n’est pas à l’économie de plastique car le personnel soignant
doit également assurer, et heureusement, une sécurité et une qualité de soins optimales.
Du point de vue éthique, il est aujourd’hui difficilement concevable de faire rentrer le
concept d’impact écologique dans nos décisions de soins, lors de la rédaction des consensus de
prise en charge ou encore pendant des comités d’éthique. Il n’est pas envisageable de récuser
un patient de 85 ans en bon état général pour une opération de la cataracte au motif que les 180
kg d’équivalent CO2 rejetés par l’intervention sont démesurés pour une chirurgie non
vitale (Morris et al., 2013); d’arrêter les dialyses à 75 ans car 3 séances par semaines
représentent une empreinte carbone de 3,8 tonnes d’équivalent CO2 par an et consomment une
quantité très élevée d’eau (Connor et al., 2011; Vuignier et al., 2013); ou encore de supprimer
ce « surgant » ou ce deuxième champ opératoire stérile ajouté par sécurité : la médecine
moderne n’accorde que peu d’importance à une gestion éco-responsable des ressources utilisées
pour un soin.
D’un autre côté, il est prouvé que la surconsommation des ressources et la pollution
menacent la vie humaine. « Nous sommes en danger permanent d’autodestruction collective »,
écrivait en 1979 Hans Jonas dans Principe responsabilité (Jonas, 2013). Pour contribuer à
l’amélioration de la santé de certains, il est nécessaire d’encourager des activités
potentiellement délétères pour la santé de la planète … et donc de l’Humanité. Peut-on choisir
entre une éthique de santé individuelle et une éthique de santé publique ? Est-il éthique de faire
rentrer la notion de coût environnemental dans nos choix thérapeutiques ? En d’autres termes,
peut-on privilégier le maintien de la vie d’un individu quand on a toutes les raisons de croire
que nos pratiques mettent en jeu la vie de plusieurs autres ? Toutes ces questions, in fine, nous
invitent à redéfinir ce qu’est la médecine d’aujourd’hui et de demain.

18 sur 29
Soigner l’environnement pour se soigner soi-même
L’Homme est le pire ennemi de l’Homme

Si l’on remonte au XVIIe siècle, la moitié des enfants mourrait avant l’âge de dix ans et
l’espérance de vie atteignait péniblement 30 à 40 ans. Les progrès de la science, de la
technologie et de la médecine étaient considérés, à juste titre, comme le seul moyen d’enrayer
les épidémies causant des millions de morts chaque année. Ainsi, Descartes, dans sa vision
humaniste, imaginait la science comme « l’invention d’une infinité d’artifices qui pourraient
nous permettre de jouir sans nulle difficulté des fruits de la Terre et de tous ses biens, mais aussi
principalement pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le
fondement de tous les autres biens de cette vie. » A cette fin l’Homme doit devenir « comme
maître et possesseur de la nature » (Discours de la méthode, 1637).
En 2019, Philippe Bihouix7 écrivait ainsi : « L’homme est devenu une forte géologique
altérant l’équilibre climatique [et] modifiant profondément les cycles géochimiques » (Bihouix,
2019). Parce que la nature a longtemps été considérée comme « au service » de la société,
« altérable à volonté » par la technologie, et non perçue comme un écosystème en harmonie
dont fait partie l’Humain, nous vivons aujourd’hui dans un environnement menacé
(réchauffement climatique, catastrophes naturelles, diminution des ressources, maladies
réémergentes, etc.) et menaçant pour la vitalité de tous les êtres vivants (Dale & Hill, 2001). En
effet, la période que nous vivons correspond à la 6e extinction de masse sur Terre avec à ce jour
plus de 58% de populations d’animaux vertébrés disparus au cours des 42 dernières années8.
Ce déséquilibre menace non seulement la chaîne alimentaire mais surtout toute vie possible sur
Terre : que deviendrions-nous sans la pollinisation assurée par les abeilles ? Il est temps de
prendre conscience de l’urgence écologique car il n’est pas sûr que nous trouvions demain les
conditions de possibilité de notre survie.
Certes, le fonctionnement des établissements de santé n’est pas responsable à lui seul
de la destruction environnementale et de son impact sur la santé humaine. Pour René Dubos9,
la somme des petites initiatives est nécessaire pour espérer un changement à grande échelle :
« Penser globalement, agir localement ». Si les professionnels de santé sont les garants de la
santé de tous, il serait possible d’invoquer leur devoir d’exemplarité pour alerter et donner
l’exemple. Chacun doit mener une réflexion sur les conséquences pour autrui de ses actes et se

7
Ingénieur centralien auteur d’essais sur les questions environnementales.
8
Déclaration de Sir David ATTENBOROUGH, naturaliste et écrivain, le 04 avril 2019.
9
Agronome, biologiste et écologue américain d’origine française.
19 sur 29
demander jusqu’où ses choix engagent ceux des autres, dans une forme de conception
jonassienne de l’éthique « responsabilité pour autrui » et « devant l’avenir » (Jonas, 2013).
Selon lui, parce que la technologie a un pouvoir exorbitant sur la nature et la vie dans son
ensemble, nous devons nous considérer co-responsables du devenir de ces entités « fragiles »,
de façon non réciproque, à l’égard d’un avenir qui n’existe pas et auquel nous ne demanderons
pas de compte. Comme le lien d’un adulte (fort) à un nouveau-né (fragile), cette relation n’est
pas juridique – elle est éthique –, car fondamentalement asymétrique. Selon Hans Jonas et
Emmanuel Levinas, le propre de l’éthique est de commander sans rien promettre en
échange (Hansen-Love, 2006) : le respect de l’Humanité, c’est-à-dire que des hommes uniques
soient possibles, qu’ils puissent encore naître et vivre bien. « Nous n’héritons pas de la
Terre, nous l’empruntons à nos enfants »10.

La technologie peut-elle tout résoudre ?

C’est probablement l’héritage des Lumières qui explique la « fascination pour le progrès
technique »11 , toujours prêt à venir au secours et capable de réparer nos dommages. Selon
Bihouix, « les progrès techniques, époustouflants et bien réels, donnent des ailes à la fiction qui
les projettent d’un futur possible, tandis que cette dernière vient nourrir les réflexions et les
rêves des gens « sérieux », comme les entrepreneurs, les politiciens, les scientifiques ou les
inventeurs ». Cette fiction d’une technologie futuriste, dystopique ou non, nourrit un imaginaire
collectif aussi bien dans le monde de la littérature (Le meilleur des mondes, Aldous Huxley
(1931); 1984, George Orwell (1949); Les furtifs, Alain Damasio (2019)), du cinéma (Soleil
Vert, Richard Fleisher (1973); Bienvenue à Gattaca, Andrew Niccol (1997), Black Mirror (série
créée par Charlie Brooker)) ou encore de la santé (transhumanisme, robotisation) : « Qui serait
contre les implants neuronaux, s’ils peuvent refaire marcher les paraplégiques et rendre la vue
aux aveugles ? » (Bihouix)
Pour autant, le progrès n’est peut-être pas la réponse à tout en ce sens qu’il nécessite de
nombreuses ressources dont l’exploitation massive peut conduire à la raréfaction : « Les êtres
humains ont consenti et collaboré à la disparition de nombre de choses auxquelles pourtant ils
tenaient : tel était le prix à payer pour le progrès. » (Rey, 2018). Non seulement, iridium,
indium, platine et autres terres rares sont nécessaires pour la fabrication de nouvelles
technologies dont la santé est dépendante, mais en plus leur extraction se fait au prix de rejets

10
Proverbe indien repris par Antoine de Saint Exupéry dans Le Petit Prince.
11
Guillaume Lachenal, historien des sciences et maître de conférence à l’université Paris Diderot.
20 sur 29
toxiques par les usines qui les exploitent (Pitron, 2018). « Les gains d’efficacité [sont alors]
annihilés ou surpassés […] par l’accroissement du volume de consommation. » (Bihouix)
Ainsi, la réponse à l’augmentation de la population et à la société d’abondance a été la culture
intensive qui aujourd’hui menace la fertilité de nos sols et la vie des insectes pollinisateurs. Au
lieu de réfléchir aux causes humaines de leur disparition, il est envisagé la fabrication de drones
pollinisateurs qui grèveront d’autant plus les ressources de notre planète (piles au lithium,
plastique). Dans le domaine de la santé, l’épidémie du virus Ebola a montré que « les drones et
les smartphones étaient inutiles sans infirmier ni eau de javel »12. La montée en puissance de
l’intelligence artificielle suscite de nombreuses questions éthiques : quel statut juridique lui
attribuer ? Comment encadrer la manipulation/édition du génome humain à l’aide du ciseau
moléculaire Crispr-Cas9 (Tang et al., 2017) ? Peut-on avoir recours à l’utilisation d’implants
cérébraux pour augmenter les capacités intellectuelles de l’homme ? La frontière
homme/machine devient alors ténue…

Une « médecine durable » pour mieux vivre demain

Pourtant, la réponse à la question posée par Hans Jonas : « Avons-nous le droit de


devenir inhumains pour que des humains restent sur Terre ? » (Jonas, 2013) est bien
évidemment non. Il n’est pas question ici de défendre le bien commun au détriment du droit à
la santé de chaque individu, mais simplement de s’interroger sur les possibles pour une
médecine plus performante sur le plan collectif tout en conciliant les bénéfices de la médecine
individuelle. Un médecin doit s’assurer de ne pas soigner ses patients en rendant d’autres
personnes malades. Pour cela, il importe de changer de paradigme : « d’un système qui mine le
futur de notre environnement, il doit devenir un système qui guérit dans chacune de ses
activités : économiques, sociales et écologiques. » (Zigby, 2006)13)
En traitant les causes des maladies (médecine préventive) plutôt que leurs conséquences
(médecine curative), la prévention pourrait constituer un axe puissant pour réduire l’activité de
soins et le coût de santé publique sans pour autant grever la santé individuelle. Il est un domaine
où l’on accepte volontiers de privilégier le bénéfice collectif au bénéfice individuel : la
vaccination. Ce procédé, essentiellement altruiste et accepté de tous les professionnels de santé,
consiste à administrer une dose d’un médicament (par définition, pouvant être pourvoyeur

12
Guillaume Lachenal, historien des sciences et maître de conférence à l’université Paris Diderot.
13
Jean Zigby est un médecin canadien spécialiste en soins palliatifs, membre fondateur et président de Santé Synergie
Environnement, président de l’association canadienne des médecins pour l’environnement et président du comité
environnemental du collège québécois des médecins de famille.
21 sur 29
d’effet(s) indésirable(s)) à un ensemble d’individus, dont l’objectif principal est de protéger
ceux qui ne peuvent l’être pour des raisons de (mauvaise) santé. Voici un exemple très répandu
où le bénéfice collectif de santé publique est placé au-dessus du bénéfice individuel, et où le
devoir d’exemplarité est même défendu par le Dr Patrick Bouet14, soutenant « une mesure qui
vise à la rendre obligatoire » au sujet du vaccin antigrippal administré à tous les professionnels
de santé 15 . Sur la base de ce principe de prévention, n’est-ce pas également de notre
responsabilité que de garantir l’accès à une sécurité sanitaire pour l’Humanité toute entière,
c’est-à-dire l’accès à l’eau potable et aux latrines ?
La « médecine globale des causes » est une médecine vertueuse. Limiter le matériel
utilisé pour les soins d’un patient sans lui faire courir un risque supplémentaire paraît
difficilement réalisable. Pour les malades, le travail doit donc se faire en amont via une politique
d’achat éco-responsable et le choix de matériel réutilisable quand c’est possible (autres
exemples dans le Tableau 6), le but étant de viser le meilleur rapport sobriété/efficacité sans
pour autant diminuer le rapport bénéfice/risque. Pour les non malades, la prévention des
maladies et l’éducation des populations est la meilleure des façons de limiter l’impact
environnemental de soins qui n’auront pas lieu. « Si des enfants toujours plus nombreux
semblent présenter un trouble de déficit de l’attention, la prescription de méthylphénidate
(Ritaline®) augmente, tandis que les appels à la modération sur l’usage des outils numériques
par les tout-petits restent encore trop discrets. » (Bihouix). Pourquoi ne pas diminuer nos
émissions de GES plutôt que d’allonger la file active de patients atteints de bronchites
chroniques ? Utiliser les alternatives de production agricoles qui permettraient de mieux
produire tout en protégeant nos sols, nos abeilles et notre santé ? Deux remarques peuvent alors
être formulées : (1) la limitation de l’émission des GES ou de l’utilisation des pesticides est-
elle du ressort des professionnels de santé, ou plutôt d’un ordre politique mondial ? et (2), ces
obligations ne constituent-t-elles pas une atteinte aux libertés individuelles ?

14
Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins.
15
https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/19335-Vaccination-obligatoire-l-Ordre-des-medecins-favorable-
pour-les-soignants
22 sur 29
Tableau 6 : autres propositions pour une transition écologique de la médecine (certaines, au moins en partie, sont déjà en
place)
Éco- Trier et recycler les déchets.
conception
Retraiter les dispositifs à usage unique*.
d'un hôpital
Déchiqueter et traiter les déchets biomédicaux par micro-ondes*.
Traiter les eaux usées par oxydation hydrothermale*.
Traiter la matière organique par un déshydrateur thermique*.
Limiter les dépenses d'énergie (informatique, éclairage, chauffage).
Favoriser les alternatives aux déplacements motorisés.
Promotion Promouvoir une alimentation éco-responsable au cœur des soins et du bien-
de la santé être au sein des établissements de santé.
Renforcer la sensibilisation sur les facteurs de risque liés aux maladies cardio-
vasculaires et aux cancers.
Développer les médecines alternatives ayant fait leurs preuves :
hypnothérapie versus gaz halogénés en anesthésie par exemple*.
Faire de l'éducation à la santé et de la prévention une vraie priorité de santé
publique.
*Propositions de Synergie Santé Environnement, groupe de professionnels canadiens issus du
monde de la santé qui agit pour la limitation des impacts sanitaires et environnementaux de nos
activités de soins.

On voit bien la contradiction entre la conception qui permet « à chacun de produire et


consommer le plus possible » et « la sauvegarde de ces nouveaux bien publics que sont la
stabilité du climat ou l’intégrité des services écologiques » (Bourg & Whiteside, 2010).
L’individu a toujours été placé au centre de l’écosystème, libre de ses choix et de ses actions,
dans un système politique libéral gouverné par le court terme. Parce que l’éthique est aussi « la
reconnaissance de notre responsabilité envers tout ce qui vit » (Albert Schweitzer), tout le
travail est d’arriver à emmener les hommes à abandonner d’eux-mêmes un mode de vie
suicidaire, sans quoi il nous faudra déplorer la survenue d’une tragédie humaine évitable. Est-
ce à dire qu’il faut les y obliger pour la survie de tous ?

23 sur 29
CONCLUSION

Une réflexion éthique est mesurée, nécessite de la hauteur, à la croisée des disciplines,
elle se doit d’être rationnelle et de ne pas céder aux passions. C’est sans doute la recherche d’un
bien général, celui de l’Humanité, qui anime cette réflexion, et ce bien évolue avec l’histoire
de nos valeurs, de nos croyances et celle de nos découvertes. De nombreux concepts admis dans
le passé s’avèrent aujourd’hui des impostures et modifient notre manière de penser. Quand on
s’intéresse au vivant par exemple, qui aurait pu penser qu’il est aujourd’hui évident que les
plantes communiquent entre elles, que les animaux sont doués d’émotions16 ou encore que les
nouveaux-nés prématurés sont sensibles à la douleur ? Mais est-ce que cette pensée évolue
grâce à une recherche toujours plus poussée, capable de mettre en évidence de nouveaux
phénomènes grâce à des appareils de mesure toujours plus sophistiqués, ou s’agit-il plutôt d’une
réflexion introspective qui consiste à ne pas considérer comme vrai tout ce qui l’est a priori, à
la recherche d’un bon sens intuitif et commun, comme une déconstruction de nos certitudes :
« Ce qui a été cru partout, par tous et pour toujours, a toutes les chances d’être faux » (Tel Quel,
Paul Valéry (1941)).
La question croisée de l’écologie et de la médecine est finalement peut-être plus un
questionnement pratique qu’éthique, mais se résume-t-elle à un savant calcul mêlant ressources
et coût de la vie, à un rapport bénéfice/risque ? Les droits de l’homme ont reconnu l’égalité des
hommes pour ce qu’ils sont, ne se souciant guère de considérations rationnelles, ou finalistes :
c’est une évidence, intuitive, rien n’est plus intolérable que l’injustice. Pourquoi n’en est-il pas
de même pour ce que nous appelons la nature ? Nature que nous avons opposée d’emblée à
l’Homme, à la culture, à la civilisation. Mais la nature n’est autre que nous-mêmes, comme le
corps est esprit, et l’imaginaire d’un Éden intouché et pur n’est que fabulations. La nature de
notre fait, peu à peu se meurt, car en ayant peur de mourir, nous mourrons aussi avec elle.
Cependant, la hauteur d’une telle réflexion est parfois détachée de la réalité. Plus
concrètement, comment faire comprendre à son patient qu’on ne peut le soigner pour le bien de
tous, voire celui de la « Nature » : comment ne pas faire de lui une victime ? Il faudrait qu’il ait
une bien haute estime de la collectivité, ou bien un lien très fort avec la nature, pour l’accepter.
Alors quelles solutions s’offrent au soignant ? Mentir ? Dans un monde où chacun – et on ne
peut que s’en réjouir – est de mieux en mieux informé ? Où la confiance en la médecine

16
Descartes, dans sa théorie de l’animal machine, n’hésitait pas à déclarer que les hurlements poussés par un animal lors d’une
vivisection n’étaient rien de plus que le « timbre d’un pendule ».
24 sur 29
diminue ? Comment ne pas sombrer dans une dictature écologique, où seuls les méritants à
l’hygiène de vie normée pourraient espérer un traitement, comme on pourrait être tenté de
refuser de traiter le cancer du poumon d’un fumeur ? Comment ne pas sombrer dans un système
d’effort de guerre où par manque de ressources, la nécessité fait loi ? Mais surtout, comment
répondre aux enjeux majeurs de santé publique de demain avec un système à bout de souffle ?
Au fond, qu’est-ce qui explique que cela nous choque tant ? La méconnaissance de la
catastrophe écologique déjà en marche, ou le déni et l’espoir d’une solution in extremis comme
on sort un as de sa manche ? Ou est-ce fondamentalement le refus de mourir, le refus de savoir
que tous les moyens n’ont pas été mis en œuvre pour sa survie, le refus de penser sa mort et sa
vie au niveau des autres formes de vie, car l’Humain prévaut toujours, mais qu’est-ce qu’être
humain si rien ne vit autour ? Si nous avons un devoir de responsabilité envers la nature, les
animaux, comme un fort sur un faible, peut-on imaginer la même logique avec le médecin et
son patient ? Les autres formes du vivant ne sont-elles pas la preuve d’une incroyable forme
d’intelligence en s’adaptant à leur environnement sans le dominer ni le détruire ?
Finalement, après la blessure narcissique de Copernic, Darwin, Freud, la prochaine
n’est-elle pas écologique ? Car c’est bien la nature qui est au centre, la survie d’un homme ne
peut valoir celle du milieu dans lequel il vit, et intuitivement, n’est-ce pas une évidence ?

25 sur 29
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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : consommation énergétique des établissements de santé dans le monde (eau,


électricité, gaz et autres combustibles) ...................................................................................... 9
Tableau 2 : production de déchets par les établissements de santé dans le monde.................. 10
Tableau 3 : rejet de toxiques dans l'environnement par les établissements de santé ............... 11
Tableau 4 : conséquences du réchauffement climatique et de la pollution environnementale sur
la santé humaine ....................................................................................................................... 12
Tableau 5 : analyse des textes officiels relatifs au droit à la santé individuelle et collective (santé
publique) .................................................................................................................................. 16
Tableau 6 : autres propositions pour une transition écologique de la médecine (certaines, au
moins en partie, sont déjà en place) ......................................................................................... 23

29 sur 29