LL-Le Jeu de L'amour Et Du Hasard
LL-Le Jeu de L'amour Et Du Hasard
LL-Le Jeu de L'amour Et Du Hasard
➢ Le marivaudage
1. Le nom de Marivaux a donné naissance au verbe « marivauder » qui signifie « échanger des propos
galants et d’une grande finesse, afin de séduire un homme ou une femme » -badinage amoureux-.
2. Par extension a été créé le mot « marivaudage » désignant une forme trop raffinée d'analyse morale.
3. Mais le mot désigne aussi un style, que Jean-François de La Harpe définit, à la fin du siècle, en insistant
sur le mélange des registres opposés : « Marivaux se fit un style si particulier qu’il a eu l’honneur de
lui donner son nom ; on l’appela « marivaudage ».
LE RENOUVEAU DU THÉÂTRE AU XVIIIème SIÈCLE.
Désormais, au théâtre, les auteurs se montrent moins préoccupés de peindre des types
grotesques (dans la comédie) ou des rois en proie à des passions inhumaines (dans la
tragédie) que de refléter les travers ou les vertus de l’homme contemporain, c’est-à-dire le
bourgeois. La tendance générale est donc à une vision plus réaliste et plus contemporaine
des êtres et des situations. Au point de vue de la langue, les vers, jugés trop artificiels, cèdent
la place à la prose, plus proche de la vie quotidienne.
La tragédie paraît un genre « périmé » après Corneille et Racine, et le public se désintéresse
des intrigues religieuses et mythologiques trop éloignées du présent de leur actualité et
surtout de la réalité sociale. Quant à la comédie, les auteurs cherchent à se débarrasser de
la caricature des bourgeois telle que Molière a pu la pratiquer. Ils redoutent un rire trop
subversif, à une époque où il faut rendre à la société civile ses lettres de noblesse et éduquer
les esprits au beau et à l'honnête. Le « comique » devient un enjeu moral et politique : le
théâtre doit « éduquer » une nouvelle classe moyenne en cours de constitution. La comédie
perd un peu de sa franche gaieté et gagne un côté « moralisateur ».
Marivaux invente la comédie « psychologique » : la psychologie de la femme y tient une
place importante. Ses thèmes de prédilection sont la naissance du sentiment amoureux, les
complications liées aux préjugés dus à la naissance, le manque de confiance, le mariage
contrarié (comme chez Molière, mais chez Marivaux, "obstacle n'est plus la barrière sociale,
mais celle de la psychologie, du sentiment).
Beaumarchais reprend ce thème traditionnel : Dans Le Barbier de Séville où le mariage de
Rosine et du Comte Almaviva est menacé par les projets du docteur Bartholo, type du vieux
barbon. Il renouvelle ce thème en en faisant l'enjeu principal du Mariage de Figaro avec le
mariage des valets.
On observe donc une redéfinition des genres, les personnages n'incarnent pas le ridicule ni
des vices particuliers : il s'agit de rire devant un spectacle avant tout galant.
La pièce : Le Jeu de l’amour et du hasard
Le CNED vous propose le lien suivant pour découvrir l’intrigue :
https://gallica.bnf.fr/essentiels/marivaux/jeu-amour-hasard
L’intrigue : Silvia décide d’espionner l’époux que son père Monsieur Orgon lui propose en se
déguisant en sa femme de chambre Lisette. Dorante, le futur époux, a choisi de faire de
même. Monsieur Orgon et le frère de Silvia, Mario sont au courant des deux stratagèmes.
• L’acte I est consacré à la mise en place de l’intrigue, les maîtres et les valets se
travestissent et commencent à jouer leurs rôles, Arlequin est comique, il joue mal le
maître.
➔ Travestissement
• Dans l’acte II, Silvia (en réalité Lisette) et Dorante (en réalité Arlequin) se déclarent leur
amour, puis Bourguignon (en réalité Dorante) déclare son amour à Lisette (en réalité
Silvia) qui ne le rejette pas. Lisette (qui est en réalité Silvia) déteste Dorante (qui est en
réalité Arlequin).
➔ Amour
• Dans l’acte II toujours, Silvia et Lisette deviennent alors rivales : Lisette pense épouser
un homme d’une condition plus élevée que la sienne, alors que Silvia, sans même se
l’avouer, comprend qu’elle aime un homme d’une condition sociale inférieure à la
sienne.
➔ Rivalités
Lisons le passage :
Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ?
Silvia, avec feu. : Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée !
J’essuie des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un
langage inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant
5 Bourguignon qui m’a dégoûtée. C’est tout ce qu’il vous plaira, mais je n’y entends rien.
Mario : Pour le coup, c’est toi qui es étrange. À qui en as-tu donc ? D’où vient que tu es si fort
sur le qui-vive ? Dans quelle idée nous soupçonnes-tu ?
Silvia : Courage, mon frère ! Par quelle fatalité aujourd’hui ne pouvez-vous me dire un mot
qui ne me choque ? Quel soupçon voulez-vous qui me vienne ? Avez-vous des visions ?
10 Monsieur Orgon : Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce sont
apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle a fait.
Elle accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et, « madame,
nous a-t-elle dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore toute
surprise ». C’est sur ce mot de surprise que nous l’avons querellée ; mais ces gens-là ne
15 savent pas la conséquence d’un mot.
Silvia : L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me suis
fâchée par un esprit de justice pour ce garçon.
Mario : Je ne vois point de mal à cela.
Silvia : Y a-t-il rien de plus simple ? Quoi ! parce que je suis équitable, que je veux qu’on ne
20 nuise à personne, que je veux sauver un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès de
son maître, on dit que j’ai des emportements, des fureurs dont on est surprise ! Un moment
après un mauvais esprit raisonne ; il faut se fâcher, il faut la faire taire, et prendre mon parti
contre elle, à cause de la conséquence de ce qu’elle dit ! Mon parti ! J’ai donc besoin qu’on
me défende, qu’on me justifie ! On peut donc mal interpréter ce que je fais ! Mais que fais-
25 je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure ; cela est sérieux. Me joue-t-
on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille.
Réplique 1 :
« Mario : Quoi ! ce babillard qui vient de sortir ne t’a pas un peu dégoûtée de lui ? »
Mario joue avec sa sœur, il réagit à ses propos, il sait qu’elle aime Dorante et joue à le
traiter de « babillard » pour le rabaisser. Il emploie volontairement le verbe « dégoûter »
pour faire réagir Silvia et la contraindre à révéler l’amour qu’elle éprouve envers Dorante
travesti en valet. Il est provocateur tout en étant taquin avec sa sœur.
Réplique 2 :
« Silvia, avec feu. : Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui !
dégoûtée ! J’essuie des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses
inouïes, qu’un langage inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis
c’est le galant Bourguignon qui m’a dégoûtée. C’est tout ce qu’il vous plaira, mais je n’y
entends rien. »
- Prise au piège, Sylvia réagit vivement comme le montre la didascalie « avec feu ».
- « J’essuie des expressions bien étranges ; je n’entends plus que des choses inouïes, qu’un
langage inconcevable ; j’ai l’air embarrassé, il y a quelque chose ; et puis c’est le galant
Bourguignon qui m’a dégoûtée. » : Confusion de Sylvia révélée par la juxtaposition des
propositions sans rapport.
- « Que vos discours sont désobligeants ! m’a dégoûtée de lui ! dégoûtée » : Indignation
de Silvia notée par les phrases exclamatives qui se suivent ainsi que la répétition du
participe passé « dégoûtée » sur lequel elle revient avec colère.
➔ Le fait qu’elle souligne l’incongruité des propos de Mario, leur absurdité dans
cette situation lui permet de jouer le jeu de la personne qui ne comprend pas de
quoi parle son frère et donc d’éviter de se confronter à ce qu’il lui suggère, qu’elle
elle aime « Bourguignon » (qui est Dorante).
- Comme pour la réplique précédente, celle de Mario rebondit sur le mot de Silvia,
« étrange » ce qui confère de la rapidité à l’échange.
Mario avec ces trois questions, poursuit son jeu :
➢ Il prend plaisir à observer les réactions de sa sœur dans une intrigue dont elle ne
connait pas tous les ressorts. Le public n’est pas dupe et prend plaisir lui aussi à
observer Mario jouant avec Silvia.
➢ Le jeu observé sur la première réplique se poursuit, l’intuition d’un complot dont son
frère serait l’instigateur est perceptible au travers de l’emploi des modalisateurs «ne
pouvez-vous » ou encore « voulez-vous » ou du nom « soupçon ».
- Silvia montre qu’elle se doute qu’une intrigue se trame, comme si elle faisait partie
d’un jeu théâtral sans le savoir comme le montre l’emploi du terme « fatalité ».
➢ Elle emploie des phrases interrogatives pour montrer qu’elle est sûre que rien
en elle-même n’est à l’origine de son état, …
➢ …mais le nombre important de ces phrases interrogatives la trahit et souligne sa
confusion.
MOUVEMENT 2
Réplique 5 :
« Monsieur Orgon : Il est vrai que tu es si agitée que je ne te reconnais point non plus. Ce
sont apparemment ces mouvements-là qui sont cause que Lisette nous a parlé comme elle
a fait. Elle accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son maître, et,
« madame, nous a-t-elle dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en suis encore
toute surprise ». C’est sur ce mot de surprise que nous l’avons querellée ; mais ces gens-là
ne savent pas la conséquence d’un mot. »
De plus, pour prouver que les valets et les servantes sont de condition inférieure, M.
Orgon a recours à l’argument en lien avec le langage.
Monsieur Orgon : […] Elle accusait ce valet de ne t’avoir pas entretenue à l’avantage de son
maître, et, « madame, nous a-t-elle dit, l’a défendu contre moi avec tant de colère que j’en
suis encore toute surprise ». C’est sur ce mot de surprise que nous l’avons querellée ; mais
ces gens-là ne savent pas la conséquence d’un mot. »
➔ Autrement dit, Lisette ne maîtrise pas les codes nécessaires pour utiliser certains
mots.
➔ Cet extrait invite aussi à réfléchir sur l’usage que nous faisons du langage et sur la
façon dont cet usage détermine notre appartenance à un groupe social.
Réplique 6 :
Silvia : L’impertinente ! y a-t-il rien de plus haïssable que cette fille-là ? J’avoue que je me
suis fâchée par un esprit de justice pour ce garçon.
(Comment la colère de Silvia envers Lisette est-elle perceptible dans la réplique 6 ? Quel
type de relation entre Silvia et Lisette cette colère traduit-elle ?)
➔ La colère de Silvia est perceptible au travers des phrases exclamatives, son mépris au
travers de l’emploi du terme « impertinente » qui souligne encore que Lisette n’est pas
à sa place, ce qui est le cas mais à la demande de Silvia.
➔ Elle est également perceptible au travers de l’adjectif « haïssable » et du groupe nominal
avec l’emploi d’un démonstratif composé péjoratif « cette fille-là », qui fait écho à celui
de son père et qui renvoie Lisette à sa condition.
➔ Cette colère montre la rivalité entre les deux jeunes femmes. À la fin de la réplique, Silvia
justifie son emportement par l’argument de l’équité pour cacher son amour pour le valet
Bourguignon-Dorante.
Réplique 7 :
Mario : Je ne vois point de mal à cela.
(À quoi Mario ne voit-il « point de mal » ? Quel est son objectif en prononçant une telle
parole ? Comment est-il exprimé ?)
➔ Mario l’encourage à poursuivre dans cette voie de la confidence sur Dorante dans le but
de forcer Silvia à se révéler et à révéler aux autres qu’elle l’aime.
Réplique 8 :
« Silvia : Y a-t-il rien de plus simple ? Quoi ! parce que je suis équitable, que je veux qu’on
ne nuise à personne, que je veux sauver un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès
de son maître, on dit que j’ai des emportements, des fureurs dont on est surprise ! Un
moment après un mauvais esprit raisonne ; il faut se fâcher, il faut la faire taire, et prendre
mon parti contre elle, à cause de la conséquence de ce qu’elle dit ! Mon parti ! J’ai donc
besoin qu’on me défende, qu’on me justifie ! On peut donc mal interpréter ce que je fais !
Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure ; cela est
sérieux. Me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille. »
➢ Dans cette réplique, Silvia cherche à convaincre son frère et son père que la crise
qu’elle vit est provoquée par sa domestique.
- D’abord Silvia exprime son besoin de se justifier pour masquer l’amour qu’elle porte
à Bourguignon (Dorante en réalité).
- L’argument qu’elle développe est celui de la justice et de l’équité mis en avant à
travers une série de trois propositions subordonnées circonstancielles de Cause :
« parce que je suis équitable, que je veux qu’on nuise à personne, que je veux sauver
un domestique du tort qu’on peut lui faire auprès de son maitre »…
- … et de termes renvoyant à la justice dont « équitable », « nuise » à la forme
négative et « sauver du tort ».
➢ De plus, dans cette réplique, la colère de Silvia à l’égard de Lisette est perceptible
- à travers l’emploi du pronom indéfini « on » qui désigne Lisette de façon péjorative,
- puis au travers des pronoms « la » et « elle » employés sans référent depuis la
réplique de Monsieur Orgon.
- La répétition de « il faut » montre la force de la volonté de Silvia à convaincre sa
famille que les tensions proviennent de Lisette et à réintégrer la famille.
➢ Pour finir, cette réplique montre le trouble intérieur de Silvia dû à l’amour ressenti pour
Dorante.
- Elle ne maîtrise plus le jeu auquel elle a choisi de jouer comme le prouve le champ
lexical du jeu dont « interpréter », « joue » et « moque » présents dans les trois
phrases interrogatives finales.
- Ses réactions excessives sont soulignées par les phrases exclamatives
- Les dernières lignes s’enchainent sans lien apparent « On peut donc mal interpréter
ce que je fais ! Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en
conjure ; cela est sérieux. Me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas
tranquille. » : Ce qui montre encore sa confusion.
POUR EN SAVOIR PLUS / Lien pour visionner toute la représentation théâtrale de la pièce :
https://www.youtube.com/watch?v=SJ1PK1cdpNg