Revue Intégrale 2022 Num 7 6ed1e5

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REVUE

CONSTITUTION ET
RCC CONSOLIDATION
DE L’ÉTAT DE DROIT DE LA DÉMOCRATIE ET
DES LIBERTÉS FONDAMENTALES EN
AFRIQUE

ÉDITORIAL

DOCTRINE

Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique Subsaharienne.


Serge François SOBZE, Agrégé des facultés de droit Université de Douala (Cameroun) (Page 9)
L’instruction dans le procès constitutionnel. réflexion à partir des États d’Afrique noire
francophone.
Alain Ghislain EWANE BITEG, Docteur PHD en droit public, Assistant à la Faculté
des sciences juridiques et politiques, Université de Yaoundé II SOA (Page 63)
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée par la Cour
constitutionnelle béninoise.
Aïssata DABO, Maître-assistante en droit privé, Université Thomas Sankara (Burkina Faso) (Page 115)

Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun.


Joseph Valerie EVINA, Docteur Ph.D en droit public, Université de Douala (Cameroun) (Page 157)

TRIBUNE LIBRE

L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire.


Simplice Comlan DATO, Avocat au Barreau du Bénin, Doctorant à l’Ecole doctorale Sciences
Juridique, Politique et Administrative de l’Université de Parakou (Bénin) (Page 225)

L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance des sociétés


coopératives OHADA.
Mouniratou SARE MIZI, Doctorante à l’Ecole doctorale sciences juridique,
politique et Administrative de l’Université de Parakou (Bénin) (Page 281)

JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE

DECISION DCC 21-169 DU 08 JUILLET 2021 (Page 305)

DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021 (Page 309)

DECISION DCC 21-223 DU 09 SEPTEMBRE 2021 (Page 317)

DECISION DCC 21-230 DU 16 SEPTEMBRE 2021 (Page 323)

ACTUALITÉS DES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES

340

2022 N° 7 / SEMESTRIEL COUR CONSTITUTIONNELLE


RÉPUBLIQUE
République
République DUBénin
du Bénin
du BÉNIN

COUR CONSTITUTIONNELLE
Cour Cour
Constitutionnelle
Constitutionnelle

REVUE REVUE
C O NCSOT N
I TSUT TI T
IOUN T IETO N ET
RCC
RCC C O NCSOONL SI D
ET L’ÉTAT DE
DES LIBERTÉS
O AL TI D
ET L’ÉTAT
DROIT, DE
I OA N
TION
DE DROIT,
LA DÉMOCRATIE
DES FONDAMENTALES
DE LA DÉMOCRATIE
LIBERTÉS FONDAMENTALES
EN AFRIQUE
ET
EN AFRIQUE
ET

Doctrine
DOCTRINE;
DOCTRINE
Tribune
CHRONIQUES libre ;
CHRONIQUES
JURISPRUDENCE
JURISPRUDENCE
CONSTITUTIONNELLE
CONSTITUTIONNELLE
Cour constitutionnelle
Cour constitutionnelle Jurisprudence
ACTUALITÉ
ACTUALITÉ ;
DES JURIDICTIONS
DES JURIDICTIONS
CONSTITUTIONNELLES
CONSTITUTIONNELLES
Actualité des juridictions constitutionnelles.

2022
2019 N°2019
00 N°00
13/N° 713
/ /Semestriel
Semestriel
Semestriel
1
Copyright :
Cour constitutionnelle

Mise en pages & Impression :


Imprimerie COPEF
+229 61 61 :65
Copyright 38 /Constitutionnelle
Cour 229 95 84 34 34 du Bénin
[email protected]
Cotonou - Bénin
Mise en page et impression
BEDI CONSUTING
ISSN
00229:96 1840-9687
47 40 21
Dépôt légal
Cotonou - Bénin: n° 11573
du 30 Décembre 2020
ISSN : 1840-9687
3eme trimestre Bibliothèque Nationale du Bénin
Dépot légal : n° 11573 du 30 août 2019
3ème trimestre Bibliothèque Nationale
Distribution : 00229 21 31 14 59
Distribution :+00229 21 31 14 59

Droits de reproduction, de traduction, d’adaptation réservés pour tout pays.


(Loi n° 2005-30 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins
en République du Benin)

24
EDITORIAL

L a sixième mandature de la Cour constitutionnelle a décidé


consacrer une revue scientifique destinée à la diffusion des
droits fondamentaux garantis par la constitution et dont le juge
constitutionnel assure la protection par les décisions qu’il rend.
Cette activité scientifique est consubstantielle à la conscience
de la Constitution dont la Cour est garante de la protection et la
suprématie par les décisions rendues. Pour ce faire, il est nécessaire,
dans une approche constructive et participative, de soumettre ces
décisions rendues au regard critique de la collectivité des sachants
pour nourrir la saine émulation de l’édification de l’Etat de droit.
Sous l’impulsion du Professeur Joseph DJOGBENOU, ex Président
de la Cour constitutionnelle et Directeur de publication de la revue
constitution et consolidation de l’Etat de droit de la démocratie et
des libertés fondamentales en Afrique (RCC), plusieurs numéros
ont été publiés en offrant une tribune de qualité aux chercheurs de
différents rangs et horizons d’apporter leur touche scientifique à
la qualité de l’office du juge constitutionnel. Le Professeur Joseph
DJOGBENOU n’a pas manqué, avec hardiesse et abnégation, de
mobiliser un comité scientifique exceptionnel par rapport à la qualité
de ses membres de générations scientifiques successives variées et
d’origines diverses assurant ainsi une rigueur éditoriale avec l’appui
de son comité de lecture. Le Professeur Joseph DJOGBENOU a su

3
ÉDITORIAL

imprimer avec noblesse un caractère singulier à la revue en l’inscrivant


en lettre d’or dans les annales de la communauté scientifique. En effet,
elle a été une tribune offerte aux différents contributeurs pour leur
promotion et leur épanouissement scientifique. C’est d’ailleurs ce
que témoigne la fidélité et l’assiduité de certains contributeurs dont
l’un, hissé au palmarès du dernier concours d’agrégation du Conseil
africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) offre,
en reconnaissance à la revue, sa première publication d’enseignant
de rang magistral. La Revue RCC a ainsi, en si peu de temps, gagné
une légitimité parmi les moyens de diffusion du Droit et des droits
sous la direction du Professeur Joseph DJOGBENOU que le cœur
ne suffira pas à étreindre mais que la raison n’arrêtera pas de solliciter.
Ce numéro commence par une exquise sur l’émergence de la
justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne. L’auteur
constate que la justice para-constitutionnelle est cette justice qui
bien que n’ayant pas un ancrage constitutionnel, se déploie dans
l’environnement de la Constitution pour assurer l’organisation des
pouvoirs publics en période de crise. Elle se rapproche mais sans
se confondre de la justice transitionnelle. A ce titre, constituent
le terreau de l’émergence de cette justice para-constitutionnelle :
les conventions de la Constitution, les accords politiques ou
constitutionnels, ou enfin l’intervention du Conseil de sécurité des
Nations Unies dans l’ordre constitutionnel des Etats en vue d’une
tentative de règlement des crises politiques.
A la suite, il est proposé une réflexion sur l’instruction dans le procès
constitutionnel. L’auteur estime que le procès constitutionnel est un
procès comme les autres en ce sens qu’il repose sur une pluralité de

4
ÉDITORIAL

phases classiques au rang desquelles, on peut citer l’instruction. Il


constate à cet égard que l’instruction est un « temps clé du procès
constitutionnel » en ce qu’il permet au juge de réunir les éléments
de faits et de droit qui lui permettent de rendre la décision. Dans
cette perspective il s’intéresse à la manière dont les législations
d’Afrique noire francophone aménagent l’instruction dans le procès
constitutionnel.
Aussi, il est soumis un commentaire de la décision DCC 21-
269 du 21 octobre 2021 relative à l’inégalité entre l’homme et
la femme dans les effets familiaux du nom récusée par la Cour
constitutionnelle béninoise. L’auteur constate à ce propos que la
Cour constitutionnelle du Bénin a rendu une décision audacieuse.
En effet, l’auteur développe qu’au nom de l’égalité, « tous les
hommes doivent être équitablement traités par la loi et dans
l’application de celle-ci », ce qui implique qu’ils aient les mêmes
droits et les mêmes obligations. A cet égard, elle apprécie la question
soumise au juge constitutionnel béninois auquel il a été demandé
de rechercher si les articles 6 et 12 du Code des personnes et de la
famille, en ne respectant pas le principe d’égalité entre l’homme et
la femme garanti par la Constitution (à son article 26, alinéas 1 et 2)
et la Charte africaine (en ses articles 3 et 18, alinéa 3) ne leur étaient
pas contradictoires et, par conséquent, insusceptibles de continuer
à recevoir application ?
Il est également soumis à la publication un article sur les marchés de
conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun.
L’auteur propose une réflexion sur les nouveaux modes de contrats
publics dont la conception-réalisation est une forme. Il s’intéresse

5
ÉDITORIAL

au régime juridique proposé par le droit camerounais pour apprécier


s’il est suffisant pour encadrer les marchés de conception-réalisation.
La direction de publication offre sa tribune à deux jeunes chercheurs
pour préparer leurs armes dans l’arène de la réflexion scientifique.
Ainsi, le premier propose une réflexion sur l’incursion du juge
constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire. Quant au second,
il s’intéresse à L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et
l’indépendance des sociétés coopératives OHADA.
Toutes ces différentes contributions s’inscrivent dans l’œuvre
d’édification de l’Etat de droit et de démocratie par la critique
constructive sous le contrôle averti du comité scientifique qui
ne ménage aucun effort pour assurer la qualité des souscriptions
proposées. C’est le lieu de leur exprimer la gratitude de l’équipe de
publication.
Razaki AMOUDA ISSIFOU,
Président par intérim de la Cour constitutionnelle
Directeur de publication

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DOCTRINE

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EMERGENCE DE LA JUSTICE
PARA-CONSTITUTIONNELLE EN AFRIQUE
SUBSAHARIENNE

Par
Serge François SOBZE
Agrégé des Facultés de Droit
Université de Douala (Cameroun)
« Les processus de sortie de crise dans certains Etats africains
ont mis en évidence des procédés para-constitutionnels de
production de la normativité constitutionnelle ».
Yédoh Sébastien LATH, « La production constitutionnelle en
période de crise dans les Etats d’Afrique : crise du constitutionalisme
ou constitutionalisme de crise », in Djedro Francisco MELEDGE,
Martin BLEOU et François KOMOIN, (dir.), Mélanges dédiés
au Doyen Francis VANGAH WODIE, Presse de l’Université
Toulouse 1 Capitole, 2016, 568 p. (spec. p. 354).

« L’Etat africain est à refaire »1. Et si l’une des raisons actuelles était la
fumée qu’il dégage provenant des coups d’Etat?2 Ce phénomène
pose les problématiques de la garde de l’ordre constitutionnel3 et
de la légitimité de la justice constitutionnelle en crise en Afrique.

1 K. AHADZI-NONOU , Les défis du gouvernement démocratique en Afrique subsaharienne depuis


1990, Paris, l’Harmattan, 2020, 308 p. (spec. p. 232).
2 Cette formule est inspirée de : « Laïcité : et si ce mot sentait l’encens » de Pierre-Antoine TOMASI,
« Nouvelle bénédiction du juge administratif pour une laïcité pacificatrice », AJDA, 2022, p. 363.
L’auteur reprenait une expression de Jean RIVERO (Laïcité : le mot sent de la poudre), in La notion
juridique de laïcité, D. 1949. 137.
3 Qui est le gardien de l’ordre constitutionnel en Afrique en période de crise et peut-il se passer de
la Constitution ? H. KELSEN, Qui doit être le gardien de la constitution ? Paris, M. HOUDIARD
éd., Coll. Les sens du droit, 2006, p. 63 ; C. MOMO, « Le gardien de la Constitution en Afrique
subsaharienne francophone », RRJ, 2017-1, 39 p.

9
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

A ce titre, l’idée d’une justice para-constitutionnelle en émergence


suscite sans doute l’étonnement tant elle emporte un son de cloche
dissonant et s’apparente au juridiquement correct. Elle est incongrue
tant le spectacle qui s’offre à l’Afrique ressemble davantage à un
immense désordre qu’à un ordre constitutionnel même émergent.
A l’image des nuages traversées par des éclipses4, le constitutionalisme
africain traverse, après le printemps des « conférences nationales »5,
« le printemps arabe »6, celui des « arrangements a-constitutionnels
»7et aujourd’hui, celui des « conflits politiques »8 qui apparaît comme
le nouveau marqueur à l’aune duquel évaluer les transformations9 de
sa justice constitutionnelle.
En effet, sous le prisme des crises politiques mettant à mal l’orga-
nisation constitutionnelle10, il se fabrique11 progressivement dans
l’ordre constitutionnel africain et à l’image du droit administratif
4 R. Carré de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Dalloz, Vol II, 640 p. (spec. p.
420).
5 M. KAMTO, « Les conférences nationales africaines ou la création révolutionnaire des
constitutions », in D. DARBON et J. Du B. de GAUDUSSON (dir.) La création du droit en Afrique,
Paris, Karthala, 1997, p.177-195; F. E. BOULAGA, Les conférences nationales en Afrique noire- une
affaire à suivre, Karthala, 1993, p. 65- 67.
6 J. B. VERON, « Quelles retombées des printemps arabes sur l’Afrique subsaharienne ? Introduction
thématique » Afrique contemporaine, n° 245, 2013, p. 13 et s ; X. PHILIPPE, « Les processus
constituants après les révolutions du printemps arabe. L’exemple de la Tunisie : rupture ou
continuité ? », in Mélanges en l’honneur de Jean du Bois de GAUDUSSON, Espace du service public,
Tome 1, Presse universitaire de Bordeaux, Pessac, 2013, p. 33 sq.
7 F. J. AÏVO, « La crise de la normativité de la Constitution en Afrique », RDP, n°1, 2012, p. 141-180.
8 C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les Etats
francophones d’Afrique noire », RFDC, n° 63, 2005, pp. 451-491 ; G. N. TCHOUGLI, « Le juge
constitutionnel face aux conflits politiques en Afrique noire francophone », RJPEF 2012, p. 239.
9 L. DUGUIT, Les transformations du droit public, Librairie A. Colin, Paris, 2013, 279 p ; M.
ONDOA et E. ABANE ENGOLO (dir.), Les transformations contemporaines du droit en Afrique,
L’Harmattan, 2018, 216 p.
10 P. LEROY, L’organisation constitutionnelle et les crises, Paris, LGDI, 1966, 328 p. (spec. p. 21.)
11 B. LATOUR, La fabrique du droit. Une ethnologie du conseil d’Etat, Paris, La Découverte Poche,
2004, p. 292 ; S. F. SOBZE, « La fabrication du droit en Afrique : contribution à la consolidation

10
Serge François SOBZE

au-delà de l’Etat12, ou d’une justice parallèle13, « un droit constitution-


nel en dehors du droit constitutionnel »14. De cette ingénierie consti-
tutionnelle15 inédite16 est née la para-légalité constitutionnelle17,
source de la justice para-constitutionnelle très souvent mise en place
lors que la Constitution est suspendue18 ou abrogée19.

de l’autonomie des droits africains », Revue juridique et politique des Etats francophones, vol.70, p.
471-497.
12 C. MONEMBOU, « Le Droit administratif au-delà de l’État. Réflexions sur les transformations
récentes du droit public dans les États d’Afrique noire francophone », in Droit administratif
: convergence ou concurrence des disciplines juridiques ? Mél. en l’honneur de Demba SY, Toulouse,
Presses de l’Université de Toulouse 1 capitole, 2020, p. 705-720. Ceci nous rappelle la formule
sibylline et riche de Jean Foyer employée le 24 octobre 1961, à l’occasion d’un déjeuner offert
en son honneur par la Revue Penant : « par le droit français, mais au-delà du droit français », J.
FOYER, « Les destinées du droit français en Afrique », Penant, 1962, p. 1-16 (spec. p. 10).
13 P. NKOU MVONDO, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations
camerounaises à la crise de la justice de l’Etat », « Droit et société » 2002/2 n°51-52, p. 369-381.
14 M. B. EKELLE NGONDI, « Le droit constitutionnel en dehors du droit constitutionnel :
réflexion sur le constitutionalisme en Afrique noire », Revue Africaine de Droit Public, vol. VII, n°
14, supl. 2018, p. 229-250.
15 D. F. MELEDJE, Ingénierie constitutionnelle, Les éditions abc, 2020, 225p ; S. ANDZOKA
ATSIMOU, L’ingénierie constitutionnelle, solution de sortie de crise en Afrique ? Les exemples de
l’Afrique du Sud, de la République du Congo, du Burundi et du Congo Brazzaville, Paris, L’Harmattan,
2016, 600p.
16 P. MAMBO, « Les rapports entre la Constitution et les accords politiques dans les Etats africains :
réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise », Revue de droit McGill, 2012, pp. 922-949 ;
J. L. ATANGANA AMOUGOU, « Les accords de paix dans l’ordre juridique interne en Afrique », RRJ-
DP, 2008, p. 1722.
17 A. F. ONDOUA, « La nécessité en droit constitutionnel. Etude à partir de quelques expériences
africaines », in M. ONDOA et P. E. ABANE ENGOLO, (dir.), L’exception en droit, Mélanges en
l’honneur de Joseph OWONA, L’Harmattan, 2021, p. 67.
18 La suspension renvoie à la neutralisation momentanée d’une ou des dispositions constitutionnelles. C.
SCHMITT, Théorie de la Constitution, Paris, PUF, Collection Léviathan, 1993, 573 p. (spec. p. 239) ; O.
JOUAJEAN « La suspension de la constitution de 1793 », Droits n°17, La révolution française et le droit,
1993, p. 125-138 (spec. 127). C. TUEKAM TATCHUM, « La normativité des actes de suspension de
la Constitution dans les Etats d’Afrique francophone : les cas de la Tunisie, du Burkina Faso, de la Côte
d’Ivoire et de la République centrafricaine », RDP, 2018, n°2, p.573. J. P. B. BIDIAS à BASSA, « La
suspension des Constitutions dans les Etats africains en crise », RADSP, Vol. 3 n°6, juil.-Déc. 2015, p.
87-115.
19 L’abrogation de la Constitution renvoie à l’effacement ou à l’annulation de la Constitution
en vigueur tout en préservant le pouvoir constituant qui la fonde. V. F. MODERNE Réviser la
constitution. Analyse comparative d’un concept indéterminé, Dalloz, 2006, 106 p. (spec. 7).

11
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

On dirait que l’ordre constitutionnel africain20est pris au piège21, qu’il


est confronté à sa propre survie22 ou qu’il devient le théâtre d’une
nouvelle vague du constitutionalisme23où la para-constitutionalité
se présente comme une nouvelle « valeur »24 ou « le marqueur
profond du constitutionalisme africain francophone »25.
De 1960 à 1990, l’Afrique s’est offerte comme terre de prédilection des
régimes autoritaires et unanimistes et, de 1990 à nos jours, elle s’est
transformée en un camp d’institutionnalisation des coups d’Etat comme
mode de droit commun d’accession au pouvoir d’Etat26.

20 O. NAREY, « L’ordre constitutionnel », in Mélanges dédiés au Doyen Francis V. VODIE, F. M.


DJEDJRO, M. BLEOU et F. KOMOIN (dir.), Toulouse, Presses de l’Université Toulouse I,
Capitole, 2016, pp. 399-421.
21 D. BARANGER, « Le piège de droit constitutionnel », Autour de la notion de Constitution, Jus
Politicum, n° 3-2009, p. 1 sq.
22 F. MELEDJE DJEDJRO, Droit constitutionnel, Les éditions ABC, Abidjan, 2014, p. 396.
23 A. CABANIS et M. L. MARTIN, Le constitutionalisme de la troisième vague en Afrique francophone,
Louvain-La –Neuve, Bruylant, 2010, p.128. Le premier cycle (1960-1964), marque le
constitutionalisme africain d’inspiration libérale et caractérisé par le mimétisme vis- à vis de
l’occident. Le deuxième cycle (1964-1990), est caractérisé par l’apparition de gouvernements
autoritaires. Le troisième qui débute en 1990 correspond au retour du constitutionalisme libéral.
On a l’impression de vivre une nouvelle vague marquée par la crise de la justice constitutionnelle
et l’émergence d’une nouvelle forme de justice dite para-constitutionnelle.
24 R. OGIEN, « Normes et Valeurs » in M. CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire d’éthique et de
philosophie morale, t. 2, 4e édition revue et augmentée, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2004, p. 1354-1368 ;
F. HOURQUEBIE, « Libre propos sur le juge constitutionnel et les valeurs », Les Cahiers de la justice,
2022/1n°1, pp. 7-14 ; Pour une étude africaine sur les valeurs, lire B. KANTE, « Comment intégrer les
valeurs africaines dans nos institutions », sept/oct. 2016, www.wathi.org, consulté le 6 avril 2022 ; E.
M. NGANGO YOUMBI, « Valeurs et Constitution. Etude de cas à partir de quelques constitutions
africaines », RRJ, 2021-1, pp. 335-372.
25 F. HOURQUEBIE, « Le sens d’une constitution vu de l’Afrique », Les cahiers du conseil constitutionnel,
Autour du monde, n°1 –septembre 2018, p. 5. Selon le professeur, « c’est peut-être la distorsion de la notion
même de constitution qui devient le marqueur profond du constitutionalisme africain francophone ». p. 5.
26 Les cas récents du Mali, de la Guinée Conakry, du Burkina Faso viennent s’ajouter aux coups
d’Etats militaires (Algérie, Burundi, Centrafrique, Comores, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée
Bissau, Niger…), à des insurrections ou rébellions armées (Côte d’Ivoire, Sierra Léone, Libéria,
RDC, République Centrafricaine…) ou à la radicalisation de l’opposition politique (Kenya,
Guinée, Togo, Zimbabwe…).

12
Serge François SOBZE

Sous la pression des crises politiques, l’option extraconstitutionnelle


semble s’installer comme le paradigme qui fait recette27.
De cette pratique28se dégage une fracture29 entre la justice consti-
tutionnelle orthodoxe30 et la nouvelle justice dite « atypique »31ou
« invisible »32 qui s’inspire des sources de normation33 développées
autour de la Constitution.
S’agit-il d’une révolution34, d’une autre tendance du constitutionnalisme
africain35, d’une crise de la justice constitutionnelle ou d’une justice
constitutionnelle de crise ?

27 Lire les décisions contradictoires du 8 février 2022 rendues par le Conseil constitutionnel
burkinabé : Décision « constatation de la vacance de la présidence du Faso » et portant « dévolution
des fonctions du Président du Faso ». Y. S. LATH, « La production constitutionnelle en période de
crise … », op. cit. p. 339 sq ;
28 K. DOSSO, « Les pratiques constitutionnelles dans les Etats d’Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », RFDC, 2012, p. 57-85.
29 F.-J. AÏVO, « La fracture constitutionnelle. Critique pure du procès en mimétisme », in La constitution
béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice AHANHANZO-
GLELE, Edition l’Harmattan, 2014, p. 744.
30 F. MODERNE, « Les juridictions constitutionnelles en Afrique », in G. CONAC, (dir.), Les Cours
suprêmes en Afrique, t. II, Paris, Economica, 1983, p. 3 ; J.-F. WANDJI K., La justice constitutionnelle
au Cameroun, Edition MENAIBUC, 2015, 242 p.
31 D. SY, « De quelques dispositions atypiques dans les Constitutions africaines », in Frédéric Joël AÏVO
(dir.) La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges, op cit. p. 273-274.
32 M.-C. PONTHOREAU, « De la constitution invisible à la constitution évanescente : la loi
fondamentale de la Hongrie à la lumière des expériences européennes », Mélanges en l’honneur
de Pierre Bon, Paris, Dalloz, 2014, p.404-418 ; A. GARAPON, « La révolution invisible », LPA, 9
nov. 1998, n°134, p. 4 ; E. TONI, « La constitution invisible de la république du Bénin », RFDC,
2022/1 n°129, p.111- 126.
33 A. SOMA, « L’utilité comme critère normatif du droit », Revue CADI, n°018/ décembre, 2021, pp. 1-32.
34 K. PICARD, « La notion de révolution juridique à l’aune de la justice transitionnelle », Les Cahiers
Portalis, 2021/ 1, n°8, pp. 55-72 ; J.-P. ROSIER, « Qu’est-ce qu’une révolution juridique ? Le point
de vue de la théorie du droit », RFDC, 2005/ 2 n° 102, p. 391-404.
35 K. AHADZI NONOU, « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le cas des Etats
d’Afrique noire francophone », Afrique juridique et politique, Volume 1, juillet-décembre 2001, p.
35- 86 ; F.-J. AÏVO, « Les tendances émergentes du nouvel ordre constitutionnel en Afrique »,
Revue du Conseil constitutionnel d’Algérie, n°4, 2014, p. 289-309.

13
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Nolens volens, la justice constitutionnelle africaine est résolument à


l’épreuve de la démocratie36et de la légitimité37.
L’hétérodoxie juridictionnelle38qui émerge heurte frontalement les
décisions audacieuses issues de l’office offensif des juges constitutionnels
et célébrées avec enthousiasme par la doctrine africaniste. Il s’agit, pour
le juge tanzanien, de (la présomption de constitutionalité)39, béninois, du
(consensus national)40, nigérien, du (serment supra constitutionnel)41 et
malgache, de (l’ordonnance transitionnelle)42.
Pour remettre la justice constitutionnelle africaine « sur ses pieds »43 ou
la sortir de la « situation de chaos » occasionnée par les crises ou par
36 B. GUEYE, « La démocratie en Afrique : Succès et résistances », in La démocratie en Afrique,
Pouvoirs n°129, p.18 sq; B.-R. GUIMDO, « Les constitutions des Etats d’Afrique noire
francophone à l’épreuve de la démocratie », Revue Africaine et Malgache des Recherches Scientifiques,
n° spécial Janv. 2021, p. 1-37 ; J. F. BAYART, « La démocratie à l’épreuve de la tradition en Afrique
subsaharienne », Pouvoirs, vol. 2, n°129, 2009, p.33 ; P. QUANTIN, « La démocratie en Afrique à
la recherche d’un modèle », Pouvoirs, 2009/2 n°129, p. 65-76.
37 D. ROUSSEAU, « La jurisprudence constitutionnelle : quelle «nécessité démocratique»?, MOLFESSIS
et ALII (dir.), La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1999, pp. 363-
376 ; L. FAVOREU, « La légitimité du juge constitutionnel » in Revue internationale de droit comparé,
vol. 46 n° 2, avril-juin 1994, p. 557-581 ; I. DIALLO, « La légitimité du juge constitutionnel africain »,
site lecames.org, vol.1, 2015, consulté le 13 avril 2022 à 14h ; A. KPODAR, « Quand les colloques nous
font nous rencontrer !!! Certaines idées fortuites sur le juge constitutionnel et le pouvoir politique en
Afrique », in A. SALL et I. M FALL (dir.), Mélanges Babakar KANTE, Actualité du droit public et de
la science politique en Afrique, p. 288.
38 L’expression est empruntée à Paterne MAMBO, « Les rapports entre la Constitution et les accords
politiques dans les Etats africains : réflexion sur la légalité constitutionnelle en période de crise »,
Revue de droit McGill, 2012, pp. 922-949. Le Professeur parle de l’hétérodoxie normative, source
de l’affaiblissement de la constitution.
39 Décision de 2002, Affaire Ndynabo v. Attoney General. Selon ce principe, la charge de la preuve
d’inconstitutionnalité d’une loi incombe au plaignant et la charge de la justification de la
constitutionalité de la restriction légale d’une liberté fondamentale incombe à ses auteurs.
40 DCC 06-074 du 8 juillet 2006 de la Cour constitutionnelle béninoise, remise en cause par la
décision de 2018.
41 Avis n° 02/CC du 25 mai 2009 de la juridiction nigérienne.
42 Décision n° 03-HCC/D2 du 23 avril 2009 concernant des requêtes relatives à la situation de
transition.
43 Cette expression est empruntée à Babacar KANTE, Préface in I. M. FALL, (dir.), Les décisions et avis
du Conseil constitutionnel du Sénégal, Dakar, Credila, 2008, p. 13.

14
Serge François SOBZE

le silence de la Constitution44, les acteurs politiques dans l’impossibilité


de négocier45, sont tenus par l’obligation de « constituer »46 par défaut,
afin de garantir la continuité des pouvoirs publics47 créant ainsi une
sorte de bizarrerie constitutionnelle48 voire juridictionnelle. De leurs actes
normateurs va naître la justice para-constitutionnelle qui constitue l’une
des aventures les plus passionnantes du constitutionalisme africain.
Cependant, parce que la science a horreur des contresens et des
imprécisions, il est nécessaire de procéder à des clarifications
terminologiques.
L’émergence49, du latin emergere signifie l’apparition soudaine d’une
idée, d’un fait social, politique ou économique. Le petit Larousse
l’illustre par la formule dite de l’émergence du bioterrorisme au
XXIème siècle50. Cette notion stratégique51, qui appartient moins
au vocabulaire juridique classique qu’à celui des sciences sociales,
44 F. J. AÏVO, « Le silence des constitutions en Afrique », Communication au colloque sur « L’Afrique et
l’internationalisation du constitutionnalisme : actrice ou spectatrice ? », Lomé, les 16 et 17 juin 2010, p. 1-29 ;
A. S. ADOUA-MBONGO, « Le juge constitutionnel africain et le silence de la constitution », Revue
Africaine et Malgache des Recherches Scientifiques, n° spécial Janvier 2021, p. 70-105.
45 F. MELEDJE DJEDJRO, Droit constitutionnel, Les éditions ABC, Abidjan, 2014, p. 396.
46 A. KPODAR, « Constituer en droit constitutionnel », in M. ONDOA et P. E. ABANE ENGOLO,
(dir.), L’exception en droit, Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, L’Harmattan, 2021, p. 29-44.
47 L. FAVOREU, « Le Conseil constitutionnel régulateur de l’activité normative des pouvoirs
publics », RDP, 1967, p. 5-120. V. Décision du 14 nov. 2018 du juge constitutionnel gabonais et
relative à l’indisponibilité temporaire du Président de la république. E. NGANGO YOUMBI « La
décision de la Cour constitutionnelle gabonaise n° 219/CC du 14 novembre 2018 : splendeur ou
stupeur ? », Politeia, n° 34, 2018, p. 183-200.
48 F. De P. TETANG, « De quelques bizarreries constitutionnelles relatives à la primauté du droit
international dans l’ordre juridique interne : la côte d’ivoire et « l’affaire de l’élection présidentielle »,
RFDC, 2012/3, n°91, p. 45-66. F. LUCHAIRE, Douze bizarreries – bien françaises », Le nouveau
constitutionnalisme Mélanges en l’honneur de Gérard Conac, Economica, 2001, pp. 151-164 (spéc., p. 152).
49 Le petit Larousse illustré définit le concept émergence comme la sortie d’un liquide, d’un fluide,
d’un rayonnement hors d’un milieu. Cf. Le petit Larousse illustré, éd. 2014, p. 426.
50 Ibid.
51 H. JUVIN, « L’émergence, une notion stratégique ». Intervention au Colloque « Les Etats
émergents : vers un basculement du monde ? » du 10 décembre 2012, Fondation Res Publica-WWW.
fondation-res-publica.org.

15
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

est occidentale et plus précisément issue du monde de la gestion


financière52. Elle est mise sous le feu des projecteurs grâce à la
transformation économique et extrêmement rapide et brutale qui
a vu le jour dans plusieurs régions du monde, d’où l’expression
« économie émergente ». Plus tard, les termes de pays et de marchés
émergents vont faire leur apparition dans la littérature, désignant les
pays les plus dynamiques parmi ceux en voie de développement
et les mieux intégrés dans l’économie désormais mondialisée, sans
qu’une définition exacte soit élaborée.
Bien cerné, le concept d’émergence apporte une contribution à
la théorie du développement53 et à l’évolution de la justice d’où
l’émergence des nouvelles formes de justice. En revanche, si le
concept émergence et son champ lexical n’appartiennent pas
réellement au langage du droit ou ne constituent à proprement
parler une catégorie juridique, force est de relever leur ancrage
progressif au jargon spécifique du droit. L’émergence fait
l’objet d’une mobilisation graduelle tant en théorie du droit54,
en droit international55, en droit administratif56, en droit de

52 B. HAUDEVILLE, « L’émergence : une interprétation en termes d’économie de la connaissance »,


Revue mondes en développement, 2012/2 n°158, p. 13-24.
53 A. PIVETEAU et E. ROUGIER, « Emergence, l’économie du développement interpellée », Revue
de la régulation, 1er semestre 2010, 13 p.
54 M. DELMAS-MARTY, L’émergence d’un ordre juridique mondial : pathologie ou métamorphose ? mis
en ligne sur Cairn. Info le 08 novembre 2015, 296 p. consulté le 4 mars 2022 à 14 h.
55 J. D’ASPREMONT, « Emergence et déclin de la gouvernance démocratique en droit
international », Revue québécoise de droit internrtational, 2009, p. 57-80.
56 B. KINSBURY, N. KRISCH, R. B. STEWART, « L’émergence du droit administratif global »,
Revue internationale de droit économique, 2013, t. XXVII, p. 37-58.

16
Serge François SOBZE

l’environnement57 et il serait incongru de nos jours, de l’exclure de


la réflexion en droit constitutionnel58.
Du fait des crises politiques, il s’émerge un modèle africain de justice
constitutionnelle59 dont la para-constitutionnalité est la grande tendance
contemporaine60.
La justice du latin justicia est un principe moral qui exige le respect du
droit et de l’équité ; défendre l’idée de justice et rendre la justice consiste
essentiellement à dire ce qui est juste dans l’espace concret soumis au
tribunal61. C’est pourquoi le droit et la justice sont intimement liés et
constituent d’ailleurs les deux visages de la juridicité62.
L’organisation de la justice distingue de façon classique deux ordres
de juridiction : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. On assiste
depuis la traversée de l’Etat légal à l’Etat de droit63, à la naissance d’une
justice chargée d’assurer la suprématie de la Constitution64 sur les
57 O. BARRIERE, « De L’émergence d’un droit africain de l’environnement face au pluralisme
juridique », in Eberhard C. (ed.), G. Vernicos (ed.), La quête anthropologique du droit : autour de la
démarche d’Etienne le Roy, Paris : Karthala, 2006, p. 147-172. (Cahiers d’Anthropologie du droit).
58 Th. HOLO, « Emergence de la justice constitutionnelle », in Pouvoirs n° 129, 2009, p.101-114 ; M.
DIAKHATE, L’émergence du droit électoral dans les Etats de l’Afrique subsaharienne francophone. Les
cas du Benin, du Mali et du Sénégal, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2012, 500 p.
59 J. F. WANDJI K., « Le contrôle de constitutionnalité au Cameroun et le modèle africain
francophone de justice constitutionnelle », Politéia, n°11, 2007, p. 303-331.
60 L’histoire a permis de dégager deux grands modèles de justice constitutionnelle, le modèle
américain et le modèle européen ou kelsenien. Ils ont connu l’un et l’autre des variations infinies. V.
Ch. EISENMANN, La justice constitutionnelle et la Haute Cour d’Autriche, préface H. KELSEN, Paris,
1928 ; M. FROMONT, La justice constitutionnelle dans le monde, Paris, Dalloz, « Connaissance du
droit », 1996. p. 45 sq.
61 G. MANGIN, « Quelques points de repère dans l’histoire de la justice en Afrique », in Jean
du Bois de GAUDUSSON et G. CONAC, (dir), La justice en Afrique, Paris, La Documentation
française, 1990, p. 13 sq.
62 A. AKAM AKAM, Les deux visages de la juridicité. Ecrits sur le droit et la justice en Afrique,
L’Harmattan, 2020, 438 p.
63 M.-J. REDOR, De l’Etat légal à l’Etat de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste
française, Paris, Economica, 1879-1914, p. 383.
64 Le Professeur F. RUBIO LLORENTE définit la juridiction constitutionnelle comme étant « celle
qui connaît de l’ensemble de l’activité des pouvoirs publics au regard de la Constitution …»,

17
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

autres normes juridiques65, ou de rendre la justice moins superflue66


comme c’en est le cas pour la justice para-constitutionnelle, c’est-à-
dire tantôt intra, tantôt ultra constitutionnelle67.
La justice para-constitutionnelle est cette justice qui bien que n’ayant
pas un ancrage constitutionnel, se déploie dans l’environnement
de la Constitution avec pour objet d’assurer l’organisation des
pouvoirs publics en période de crise68. Elle n’est pas synonyme de la
justice transitionnelle69. A ce titre, constituent le terreau de l’émergence
de cette justice para-constitutionnelle : les conventions de la Constitution70,
les accords politiques71ou constitutionnels72, ou enfin l’intervention du

in Tendances actuelles de la juridiction constitutionnelle en Europe, Annuaire international de justice


constitutionnelle, 1996, Vol. XII, Économica, Presses universitaires d’Aix Marseille, 1997, p.11.
65 D. ALLAND et S. RIALS, (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, 1ère éd. 2003, p. 902.
66 D. HUME, Traité de la nature humaine, 1739-1740. Rendre la justice superflue c’est « [mettre] à sa
place des vertus beaucoup plus nobles et des dons plus estimables », comme l’amour du prochain.
67 Ces formules sont empruntées à Gilles BADET, Contrôle intra normatif et contrôle ultra normatif
de constitutionalité. Contribution à l’identification des sous catégories du modèle kelsénien de justice
constitutionnelle à partir des systèmes belge et béninois, Thèse, Université de Louvain, 2012, pp. 242 sq.
68 J. D. B. GAUDUSSON, L’accord de Marcoussis, entre droit et politique, Afrique contemporaine, n°206, 2003,
p. 41 sq ; A. KPODAR, « Politique et ordre juridique : les constitutionnels posés par l’accord de Linas
Marcoussis du 23 janv. 2003, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, n°4 (II), p. 2502 sq.
69 La justice transitionnelle peut être contra constitutionem ou para constitutionem. Il s’agit d’un
ensemble de processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des
exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice
et de permettre la réconciliation.
70 Y. MENY, « Les conventions de la Constitution », Pouvoirs, 50, 1789-1989 ; C. BIDEGARAY,
« Pierre Avril à la recherche des « Conventions de la Constitution » in RFSP, 48e année, n°5,
1998. p. 664-672 ; P. AVRIL, Les conventions de Constitution. Normes non écrites du droit politique,
Paris, PUF, 1997, p.1.
71 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « L’accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique
contemporaine, 2003/2 n°206. p. 45-46; F. MELEDJE DJEDJRO, « Les arrangements politiques
et la constitution : le droit constitutionnel de crise », in Droit constitutionnel, 9eédition,
édition ABC, Abidjan, 2012, p.237. L’Accord d’Arusha par exemple consacre la primauté de ses
dispositions sur celles de la Constitution en cas de conflit.
72 L. SINDJOUN, « Le gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle
de l’Etat en crise ou en reconstruction », in Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation. Mélanges
en l’honneur de Slobodan MILACIC, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 995 sq;

18
Serge François SOBZE

Conseil de sécurité des Nations Unies dans l’ordre constitutionnel des


Etats73 en vue d’une tentative de règlement des crises politiques74.
Dès lors, aborder la question de l’émergence d’une justice para-
constitutionnelle dans un ordre constitutionnel africain en crise
conduit nécessairement à la construction d’une problématique
saisissante : en quoi l’émergence d’une justice para-constitutionnelle
contribue-t-elle à la restauration de l’ordre constitutionnel dans
les Etats d’Afrique subsaharienne ? L’hypothèse retenue est
celle d’une contribution mitigée car, comme janus75, ce Dieu
prométhéen à deux visages, la justice para-constitutionnelle
intervient dans un contexte précis et vise la restauration de l’ordre
constitutionnel déstabilisé, mais peut aussi devenir un instrument
de déconstruction ou de destruction76 de l’ordre constitutionnel.
La justice para-constitutionnelle est un objet du droit constitutionnel
digne d’intérêt.
L’étude de cette justice constitutionnelle parallèle concurrente constitue
une contribution théorique à la construction d’un statut normatif
de la justice para-constitutionnelle dans l’ordre constitutionnel
des Etats africains77. Cette innovation participe à l’implantation
d’une justice constitutionnelle d’exception78, axée sur la
73 Y. S. LATH, « La production constitutionnelle en période de crise dans les Etats d’Afrique … »,
op.cit. p. 157.
74 A. GADJI, « L’ONU et la crise ivoirienne », in Djedjro, F. MELEDJE, Martin BLEOU et F.
KOMOIN, (dir.), Mélanges dédiés au Doyen Francis Vangah WODIE, Presse de l’Université de
Toulouse I, p. 195-229.
75 B.-R. GUIMDO, « La région en droit public camerounais : quel Janus juridique?, Afrilex, déc. 2021, 21 p.
76 Ces expressions sont empruntées à F. MELEDJE DJEDJRO, « Droit constitutionnel », op. cit. p. 396.
77 J. PINI, « Simples réflexions sur le statut normatif de la jurisprudence constitutionnelle», CCC,
n°6, 2008, p. 5.
78 L’expression est empruntée à J. OWONA in « L’institutionnalisation de la légalité d’exception
dans le droit public camerounais », Revue camerounaise de droit, n°6, juillet-décembre 1974, p. 116.

19
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

« nécessité »79car, la justice para-constitutionnelle qui émerge


comme par hasard80permet aux acteurs politiques de proposer des
solutions immédiates à la résolution des crises politiques.
Il se dégage donc une théorie de la justice81exceptionnellement
para-constitutionnelle comme solution africaine aux crises
politiques ou encore comme une nouvelle identité82 de la
« démocratie judiciaire »83africaine.84On en infère qu’en période
de crises politiques, le constitutionalisme de crise permet de
se passer de Constitution85 et de s’inspirer de la sociologie du
droit constitutionnel86pour bâtir un ordre politico-juridique
79 M. MEDHAT EL –NAHRY, Contribution à la théorie de la nécessité en droit constitutionnel : étude comparée
de la théorie de la nécessité dans les régimes occidentaux et en Egypte, Thèse de doctorat d’Etat en droit,
Université de Clermont-Ferrand, 1, 1983, 559p ; P. WAFEU TOKO, Le hasard et la nécessité en droit
constitutionnel, Paris, L’Harmattan, coll. Etudes africaines, 2018, p. 16. La nécessité est basée ici sur la
sauvegarde du principe de la continuité de l’Etat et plus précisément sur le service public de la justice.
80 G. VEDEL, « Le hasard à la nécessité », Pouvoirs, n° 50, sept., 1989, p. 15. Pour le Doyen : « c’est
le hasard qui engendre les Constitutions, mais c’est la nécessité qui les fait vivre » ; J. GICQUEL,
« Les Etats de nécessité », in Droit constitutionnel et droit de l’homme : rapports français au IIè
congrès mondial de l’Association internationale de droit constitutionnel, Paris-Economica, Aix-en
Provence-PUAM, coll, Droit public positif, 1987, p. 173 ; A. F. ONDOUA, « La nécessité en
droit constitutionnel. Etude à partir de quelques expériences africaines », in M. ONDOA et P.
E. ABANE ENGOLO, (dir.), op. cit. p. 57-81 ; M. CAPPELLETTI, « Nécessité et légitimité de la
justice constitutionnelle », Revue internationale de Droit comparé, n° 2-1981, p. 625-657.
81 J. RAWLS, A theory of justice, Havard Univ. Press, 1971, Trad. fr. C. AUDARD, Paris, Seuil, 1987,
560p ; R. KAST, La théorie de la décision, Nouvelle édition, Paris, La découverte, 2002, 120 p.
82 E. M. NGANGO YOUMBI et R. NGANDO SANDJE, « Existe-il une identité constitutionnelle
africaine? » Revue du droit public, n°5, 2021, pp. 1315-1350 ; O. N. MBAYE, l’identité du droit
africain. Le socle de l’Egypte antique, PUD, L’Harmattan-Sénégal, 2022. p. 2.
83 A. BLANC, « La justice pénale entre nouvelle démocratie judiciaire et nouveaux savoirs »,
Droit et société, 2013/1 n°83 pp.203-212. C’est le passage de la démocratie constitutionnelle à la
démocratie imposée par le juge.
84 S. BOLLE, « Des constitutions « made in » Afrique », Communication au VI° Congrès Français
de Droit Constitutionnel, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005, p.9.
85 M. SLOBODAN, « Peut-on se passer de Constitution ? », La réponse est non, mais quelle est la
question ? Constitution, Constitutions : Revue de droit constitutionnel appliqué, Paris, Dalloz, 2017, p. 359.
86 J. CHEVALIER, « Pour une sociologie du droit constitutionnel », in L’architecture du droit.
Mélanges en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Economica, 2006, pp. 281-297.

20
Serge François SOBZE

imposé par des événements imprévus87. Cette transition bien


que provisoire atteste de ce que le droit constitutionnel africain
est en mutation88 et la justice constitutionnelle, en survivance89.
Par ailleurs, l’étude est une contribution pratique à l’appréhension
de la justice issue des différents mécanismes de résolution de crise
diversement qualifiés de Constitution intérimaire90 ou de transition,
de petites Constitutions91, variation qui déteint sur le droit produit92.
Elle participe à l’aménagement de la précarité de la justice para-
constitutionnelle et à l’encadrement de sa finalité qui consiste à
mettre un terme à une période de vive tension et de faire naître
une justice apaisée ou en harmonie avec la Constitution et la
vie politique93. Elle contribue à l’enracinement en Afrique d’un
« constitutionalisme global »94.

87 Cf. La convention de Philadelphie qui élabora la première grande Constitution fédérale de


l’époque moderne.
88 J.-B. DUCLECQ, Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, coll. Bibl. de droit constitutionnel et science politique, LGDL, 2015 ; P. CAPS, «
Les mutations de la notion de Constitution et le droit constitutionnel », Civitas Europa, 2001, n°
6, p. 39 sq.
89 G. BURDEAU, « Une survivance : la notion de constitution », L’Évolution du droit public. Études
en l’honneur d’Achille Mestre, Sirey, 1956, p. 53 sq; D. ROUSSEAU, « Une résurrection : la notion
de constitution », RDP, 1-1990, p. 5.
90 A. J. BULLIER, « La constitution intérimaire de l’Afrique du sud », Afrique contemporaine, n°170,
2ème trimestre, 1994, p. 41 sq.
91 M. ZAKI, « Petites constitutions et droit transitoire en Afrique », RDP, n°6-008, 2012, p.1667;
CARTIER, « Les petites constitutions : contribution à l’analyse du droit constitutionnel
transitoire », RFDC, 2007, n°529, p. 529 sq.
92 V. Les formules : droit transitoire, droit expérimental, droit transitionnel, droit circonstanciel, droit
intérimaire.
93 S. F. SOBZE, « Vie politique et Constitution en Afrique francophone », Cahiers de l’Association
Française des Auditeurs de l’Académie Internationale de Droit (Politeia), n° 36, 2019, p. 71-102.
94 M.-C. PONTHOREAU, « ‘’Global Constitutionalism’’, un discours doctrinal homogénéisant.
L’apport du comparatisme critique », Juspoliticum, n° 19, consulté le 12 mai 2022.

21
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Dans la perspective d’apporter les éléments de réponse à l’interrogation


formulée, l’approche du positivisme qui commande par principe
une analyse reposant sur l’exégèse95 mais aussi de la « sociologie des
normes »96 donnerait à l’analyse une part de sa complétude.
Les expériences tirées du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso
et de Madagascar sont à cet égard, illustratives97. Dès lors, « l’espace
constitutionnel »98 s’est considérablement enrichi de nouveaux
objets tels que la lustration99, la nécessité100 , l’animal101 et la justice
para-constitutionnelle. Cette dernière n’est donc pas un tabou102 mais
un objet du droit constitutionnel contemporain mue par l’objectif de
sauvegarde de l’ordre constitutionnel en crise (I), mais qui nécessite
d’être encadrée au regard de son impact sur la rationalisation de la
justice constitutionnelle orthodoxe en Afrique subsaharienne (II).

95 H. KELSEN, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1062 ; Du même auteur, Théorie générale des normes,
Paris, PUF, « Léviathan », 1996, 604 p. P. REMY, « Le rôle de l’exégèse dans l’enseignement du
droit au dix-neuvième siècle », Annales d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1985,
n°2, pp. 91-105 ; Lire également, P. REMY, « Eloge de l’exégèse », Droits, 1985, n°1, pp. 115-123.
96 J. CHEVALIER, « Pour une sociologie du droit constitutionnel », op. cit. p. 281-297.
97 Quatre (4) États ont été judicieusement choisis comme cadre géographique de l’étude. Il s’agit du
Mali, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et du Madagascar. Le choix de ces États n’est ni fortuit,
ni gratuit. Une analyse cursive des jurisprudences y référentes rendues par leurs juridictions
constitutionnelles permet de comprendre qu’elles font partie des Cours qui expriment au mieux
l’émergence en Afrique d’une justice para-constitutionnelle.
98 P. PACTET, « Réflexions sur le droit constitutionnel et son enseignement », RDP, 2010, n°1, p. 161.
99 D. E. ADOUKI, « La lustration dans le constitutionalisme contemporain », Revue française de
droit constitutionnel, 2022/1, n° 129, p. 1-17.
100 A. F. ONDOUA, « La nécessité en droit constitutionnel… », op. cit. p. 57 -81.
101 O. GOSSIOT, « L’animal, nouvel objet du droit constitutionnel », in H. ROUSSIGNOL, X.
BIOY, S. MOUTON (dir.), Les nouveaux objets du droit constitutionnel, Presse de l’Université des
Sciences Sociales de Toulouse, 2006, p. 79 – 121.
102 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Les tabous du constitutionnalisme en Afrique. Introduction
thématique », in Afrique contemporaine, Vol.2, n°242, 2012, p. 53-58.

22
Serge François SOBZE

I. La sauvegarde discutée de l’ordre constitutionnel


La justice constitutionnelle peut-elle se dire en dehors de la Constitution
?103 La question est en apparence iconoclaste tant l’office du juge
constitutionnel repose sur « la constitution, rien que la constitution,
toute la constitution »104. Dans l’ordre constitutionnel africain actuel
profondément imprégné des crises politiques105, parler d’une justice
para-constitutionnelle n’est plus un crime de lèse-légitimité106 à la justice
constitutionnelle ou de « lèse-constitution »107.
En effet, il peut arriver que le gardien de l’ordre constitutionnel soit
dans l’incapacité de répondre aux exigences constitutionnelles et
procède à la rupture ou à la menace de rupture de l’ordre en question
à la suite d’un coup d’Etat, d’une guerre ou d’une révolution108. Il
procédera par des opérations a-constituantes (A) dans l’optique de
défaire pour refaire109 un nouvel ordre constitutionnel adapté aux
revendications sociales ou sociétales du pays (B).

103 M. B. EKELLE NGONDI, « Le droit constitutionnel en dehors du droit constitutionnel », op. cit.
p. 229 sq.
104 Lire la formule proposée par François Mitterrand à la veille de la première cohabitation de 1986, issue de
son message adressé au parlement, à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire, sur les pouvoirs
respectifs du Président de la République, du Gouvernement et du parlement, Paris, 8 avril 1986.
105 El Hadj MBODJ, « La Constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique. L’exemple de
la République démocratique du Congo », RDP, n° 2, 2010, p. 441 ; T. O. TAMA AYINDA, Constitution
et crises en Afrique : Réflexion sur l’encadrement constitutionnel des crises dans les Etats d’Afrique noire
francophone, Thèse de Doctorat/Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II, 2018, 465 pages.
106 F. HOURQUEBIE, « Libre propos sur le juge constitutionnel et les valeurs », op. cit. p. 9. Le Professeur
s’interroge sur le recours implicite ou explicite aux valeurs, qu’elles soient morales, politiques ou
idéologiques par le juge constitutionnel, s’il constitue un crime de lèse-légitimité de ce dernier ?
107 O. BEAUD, La puissance de l’Etat, Coll. Léviathan, 1994, éd. PUF, 512 p. (spec. p. 258).
108 O. NAREY, « L’ordre constitutionnel », op. cit. p. 405.
109 F. Meleddje DJEDJRO, « Faire, défaire et refaire la constitution en Côte d’Ivoire : un exemple d’instabilité
chronique », in Fombad (Ch.), Murray (Ch.), Fostering constitutionalism in Africa, Pretoria University Law
Press, 2010, p. 309-339.

23
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

A. La sauvegarde par des opérations a-constituantes


Il faut entendre par opération a-constituantes110 , toute opération qui
concoure soit à la mise entre parenthèse, soit à la désacralisation de la
Constitution comme les arrangements ou les accords politiques111qui
constituent une catégorie normative en plein essor en Afrique112.
En effet, comment le juge constitutionnel fait-il face aux dérives du
pouvoir politique, aux entreprises toujours plus imaginatives, de
contournement de la norme supposément la plus haute et de nature
constitutionnelle, pour réécrire à la baisse, voire plus, la garantie
de l’ordre politique démocratique? Cette question pertinente de
Laurent Sermet113 cadre bien avec l’actualité constitutionnelle
africaine tant les situations de crise, dans lesquelles le juge
semble demeurer l’un des derniers remparts, sont nombreuses.
La réponse réside dans l’entre deux: le recours à un « tout-au-
constitutionnel » ou à une «foulée aux pieds de la Constitution »114.
110 En référence à l’expression « arrangements a-constitutionnels » utilisée par la doctrine pour marquer
l’invasion des accords politiques dans le champ constitutionnel africain. F. J. AÏVO, « La crise de la
normativité de la Constitution en Afrique », RDP, n°1, 2012, p. 141-180.
111 Il s’agit, pour reprendre Jean Louis ATANGANA AMOUGOU, de « tout accord conclu entre les
protagonistes d’une crise politique interne ayant pour but de la résorber, quel que soit sa dénomination », «
les accords de paix dans l’ordre juridique en Afrique », in RRJ-Droit prospectif, 2008, n°3, p.1723 ;
A. KPODAR, « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l’Accord de
Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », in RRJ Droit prospectif, vol 30, n°110, 2005, p. 2504.
112 Ch. TUEKAM TATCHUM « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnel des Etats d’Afrique
noire francophone : étude à partir des exemples du Burkina Faso et de la république centrafricaine »,
Revue CAMES/SJP, n°001/2016, p. 25-50.
113 L. SERMET « Réflexions sur la notion de droit constitutionnel transitionnel à la lumière de la jurisprudence
des cours constitutionnelles des Comores et de Madagascar », https//dulluhomarinstutute. org.za, 11p,
consulté le 19 avril 2022 à 15h.
114 Ibid. Il est question pour le juge à affirmer, à défaut d’une constitutionnalité irréprochable, une
constitutionnalité pragmatique prise entre deux tenants extrêmes : celle d’un « tout-au-constitutionnel »
qui suppose une légalité parfaite, certes, mais abstraite car non susceptible d’application ; et celle
d’une foulée aux pieds de la Constitution par un pouvoir exécutif trop faible et, dans les deux cas,
antidémocratique.

24
Serge François SOBZE

La justice para-constitutionnelle en gestation en Afrique penche


pour la seconde hypothèse car elle s’arrime tantôt à la suspension
(1) tantôt à l’abrogation (2) de la loi fondamentale115.
1. La suspension de la Constitution
La suspension de la Constitution qui débouche après
négociation sur l’adoption des accords de sortie de crise
est la conséquence d’une « rupture de l’ordre constitutionnel
routinier »116. Elle peut revêtir un caractère licite117 ou illicite118.
Il s’agit dans le présent exercice, d’une suspension illicite du fait
des crises politiques119.
La justice para-constitutionnelle est la preuve de ce qu’il est
possible de forger une justice sans et contre la Constitution ?120
115 M. AHANHANZO GLELE, « La Constitution ou loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de
l’Afrique, Tome 1, l’Etat et le droit, les nouvelles éditions africaines, 1982, p. 21.
116 L. SINDJOUN, « Le gouvernement de transition… », op. cit. p. 995. Ces accords visent le
rétablissement de la normalité constitutionnelle. G. CORNU, Vocabulaire juridique PUF, 2012,
1095 p. (spec. p. 998-999).
117 La suspension est ici formellement prévue par la Constitution en vigueur et opérée en observation
des dispositions constitutionnelles y relatives. A ce titre, la Constitution peut être suspendue dans
le cadre de la gestion des circonstances exceptionnelles (état d’urgence, état de nécessité, état
d’exception, état de guerre, état de siège),
118 La suspension peut être simplement frauduleuse ; dans ce cas, elle ne viole pas la lettre de la Constitution
mais son esprit. Cf. 35 de la Constitution ivoirienne. La suspension s’effectue ici soit en ignorance de
la procédure prévue à cet effet, soit en absence de toute disposition qui la prévoit expressément. C.
SCHMITT, Théorie de la Constitution, Paris, op. cit. p. 74; F. MODERNE Réviser la constitution. op. cit. p.
239.
119 Sur le plan formel, la suspension peut être explicitement décrétée par l’autorité qui en prend
l’initiative. C’est le cas après un coup d’Etat militaire, (Côte d’Ivoire, 1999), (Guinée Conakry,
2008), (Niger, 2010), (RCA, 2003, 2013, (Mali, 2014) ; ou par une Charte de transition
consensuellement adoptée par les protagonistes de la crise (Cas de la RCA). Sur le plan matérielle,
la suspension peut être déduite de l’adoption d’une Constitution transitoire (Accords de Linas
-Marcoussis du 23 janvier 2003, Charte de transition de Madagascar du 09 août 2009…).
120 M.-F. VERDIER, « La démocratie sans et contre le peuple », De ses dérives. Démocratie et liberté :
tension, dialogue, confrontation, in Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Bruxelles, Bruylant,
2008, p. 1073.

25
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Cette réponse paraît paradoxale, tant la légitimité de la justice


constitutionnelle dans la tradition française121 et même
africaine122, découle de sa loyauté à l’endroit de la Constitution.
La justice para-constitutionnelle remet en cause l’orthodoxie
juridictionnelle et certaines théories développées par les tenants
du positivisme classique123. En effet, il est difficile de croire que les
dirigeants, dans un Etat qui se veut de droit124, puissent statuer en
dehors d’un minimum de valeurs-références contextuelles, c’est-à-
dire à des considérations extraconstitutionnelles125. Mais la justice
para-constitutionnelle contribue à bouleverser les certitudes126
et semble devenir une source de « relativisme constitutionnel »127.
En dépit du fait que la suspension de la Constitution provoque
de fortes perturbations sur les normes constitutionnelles et infra
constitutionnelles existantes, elle constitue l’amorce de solution
à un nombre non négligeable de crises politiques en Afrique.
Elle est certes l’élément déclencheur de la crise de la normativité
constitutionnelle mais aussi, l’affirmation extraconstitutionnelle de
la résolution des crises en Afrique noire francophone.
121 P. BASTID, L’idée de constitution, Economica, Paris, 1985, p. 32 ; J. ROSSETO, Recherche sur la
notion de Constitution et l’évolution des régimes constitutionnels, Thèse, Poitiers, 1982, p. 23.
122 O. OURAGA, Droit constitutionnel et science politique, 4ème édition, ABC, Abidjan, 2011, p. 44.
123 La théorie kelseniene et plus précisément le normativisme est la plus indiquée, elle qui place la
Constitution au sommet de la pyramide des normes.
124 L. DONFACK SOKENG, « L’Etat de droit en Afrique », in La revue du CERDIP, Vol.1, n°2, Juillet-
Décembre 2002, p.87-125 ; voir également O. JOUANJAN, (dir.), Les figures de l’Etat de droit, Institut de
recherches Carré de MALBERG, Coll. de l’université Robert Schumann, 2001, p.6-52.
125 F. HOURQUEBIE, « Libre propos sur le juge constitutionnel et les valeurs », op. cit. p. 7.
126 La constitution est de moins en moins appréhendée comme la charte fondamentale au sens où
l’entendrait Hans Kelsen et le juge constitutionnel, son interprète authentique. C. MOMO, « Le
gardien de la Constitution en Afrique subsaharienne francophone », RRJ, 2017-1, p. 3.
127 P.-F. GONIDEC, « À quoi servent les Constitutions africaines ? Réflexion sur le constitutionnalisme
africain », RJPIC, oct.-déc. 1988, n° 4, p. 849 ; F. J. AÏVO, « Le silence des constitutions … », op.
cit. p. 1-29.

26
Serge François SOBZE

En théorie constitutionnelle, les normes constitutionnelles


produites au moyen des pouvoirs de crise sont des normes de
nature infra-constitutionnelle et ne peuvent donc pas aboutir à
une révision de la Constitution ou même à une remise en cause
des dispositions constitutionnelles.
A ce titre, la Constitution du Gabon du 26 mars 1991 prescrit que les
mesures exceptionnelles édictées par le président de la République en
période de crise relève du domaine de la loi et qu’en conséquence, de
telles mesures ne peuvent avoir pour objet de dissoudre l’Assemblée
nationale ou même de réviser la Constitution128.
En revanche, les arrangements politiques129 modifient la lecture de la
Constitution, compliquent la définition de cette notion promise ainsi
à des incertitudes. En période de crise, le concept de Constitution
condamne et conduit à une définition introuvable130. Le professeur
Martin Bléou conclura que la crise est un baromètre indiquant les limites
de la Constitution131 et précisément, de sa suprématie ainsi que celles
de l’ordre constitutionnel qui sont des valeurs reconnues par la Charte
Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance132.

128 L. SINDJOUN, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, Bruxelles, Bruylant,
2009, p. 351.
129 J. L. ATANGANA AMOUGOU « Les accords de paix dans l’ordre juridique interne en Afrique »,
Revue de la recherche juridique, 2008, Droit prospectif, pp. 1723-1743. Il s’agit selon l’auteur, des
conventions conclues entre les protagonistes d’une crise interne dans le but de la résorber.
130 F. MELEDJE, « Faire, défaire et refaire la constitution en Côte d’Ivoire… », op. cit. p. 335 et s.
131 M. BLEOU, « La révision de la Constitution ivoirienne », Revue ivoirienne de droit, 2008-41, p.
153-1725.
132 V. Art. 2 (2) de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.

27
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Dès lors, la faible crédibilité de la Constitution133 et de la justice


constitutionnelle, expliquerait cette tendance à les réviser pour
recourir à la para-légalité constitutionnelle.
A ce titre, l’expérience du Burkina Faso est assez illustrative. On fait
référence à l’acte fondamental du Mouvement patriotique pour
la sauvegarde et la restauration élaboré le 29 janvier 2022 et plus
particulièrement son article 36 qui rappelle que dès sa signature, l’acte
fondamental lève la suspension de la Constitution du 02 juin 1991134 qui
s’applique à l’exception de ses dispositions incompatibles avec le présent
Acte135. Par ailleurs, l’article 26 dudit Acte rappelle que le Mouvement
patriotique assure la continuité de l’Etat en attendant la mise en place
des organes de transition. Il assure la continuité et la gestion des affaires
de l’Etat, même en cas d’indisponibilité du Gouvernement136. Il faut
rappeler que la Charte de transition élaborée le 1er mars 2022 abroge
les dispositions de cet Acte fondamental137 et qu’en cas de contrariété

133 Les révisions intempestives des Constitutions en Afrique ont conduit le professeur Jean Du Bois de
GAUDUSSON à qualifier le texte constitutionnel de « nid à contentieux », « Défense et illustration du
constitutionalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in Roux et al. Renouveau du droit
constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, p. 609-617.
134 Lire les considérants 14 et 15 de la Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de
Prédisent du Faso. Art.1 : Monsieur Paul Henri Sandaogo DAMIBA, Lieutenant –Colonel des Forces
Armées Nationales, est le Président du Faso pour compter du 24 janvier 2022 : « Considérant qu’en
levant la mesure de suspension de la Constitution du 02 juin 1991, l’Acte fondamental est apparu comme
une norme juridique provisoire à valeur constitutionnelle… ». De même, « Qu’en rétablissant la
Constitution dans la perspective d’un retour progressif à la légalité constitutionnelle, l’Acte fondamental
s’est posé en norme de référence en complément de la Constitution. (Considérant n°15).
135 Article 36 al.2 de l’Acte Fondamental du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la
Restauration (MPSR) élaboré le 29 janvier 2022 au Burkina Faso.
136 Article 26 al.2 de l’Acte Fondamental du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la
Restauration (MPSR) élaboré le 29 janvier 2022 au Burkina Faso.
137 Cf. les articles 37 et 38 de la Charte de transition élaborée au Burkina Faso et entrée en vigueur le
1er mars 2022. Art. 37 : « Le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la Restauration (MPSR)
cesse d’exister dès la mise en place effective des organes de la Transition ». Art. 38 : « Dès son entrée en
vigueur, la présente Charte abroge l’Acte fondamental du 29 janvier 2022 ».

28
Serge François SOBZE

entre la Charte de la Transition et la Constitution du 02 juin 1991, les


dispositions de la Charte s’appliquent138.
La para-légalité constitutionnelle est désormais la source première de
nombreuses décisions constitutionnelles très controversées. On se
réfère ici aux décisions du 8 février 2022 du Conseil constitutionnel
portant constatation de la vacance de la présidence du Faso, prises
après la démission de Monsieur Roch Christian Marc Kaboré de ses
fonctions de Président du Faso,139 et celle relative à la dévolution des
fonctions de Président du Faso140.
Cependant, si par la première décision, le juge constitutionnel prend
acte de la démission de Monsieur Roch Kaboré de ses fonctions
de Président du Faso ou en fait « une parole constituante »141 et
constate officiellement la vacance de la présidence du Faso142,
celle portant sur la dévolution des fonctions du Président du Faso
présente quelques ambiguïtés en ce qu’elle valide le coup d’Etat,
considéré par le juge comme un autre mode constitutionnel et
démocratique de dévolution des fonctions de Président du Faso143.
La justice qui en découle est qualifiée de para-constitutionnelle puisque
bien que s’inspirant de la Constitution, elle lui fait dire ce qu’elle n’a
pas dit, à savoir la légitimation constitutionnelle des coups d’Etat.

138 Art. 35 de la Charte de Transition du Burkina Faso du 1er mars 2022.


139 Décision n°2022-003/CC portant constatation de la vacance de la Présidence du Faso.
140 Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de Prédisent du Faso.
141 C. MONEMBOU, « La parole constituante du président de la république dans les états d’Afrique noire
francophone », Afrilex, 2020, p. 1-23 ;
142 Décision n°2022-003/CC portant constatation de la vacance de la Présidence du Faso. Art. 1 : le Conseil
constitutionnel prend acte de la démission de monsieur Roch Christian KABORE de ses fonctions de Président
du Faso et constate officiellement la vacance de la présidence du Faso pour compter du 24 janvier 2022.
143 Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de Président du Faso. Art.1 : Monsieur Paul
Henri Sandaogo DAMIBA, Lieutenant –Colonel des Forces Armées Nationales, est le Président du Faso
pour compter du 24 janvier 2022.

29
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Cette décision a été qualifiée par la doctrine africaine de « catastrophe


constitutionnelle »144, car la dévolution par décision du Conseil
constitutionnel des fonctions de Président du Faso, sans autres formalités
démocratiques, dans la démarche utilisée entache la décision d’une
irrégularité grossière. Cette production juridictionnelle est une véritable
« anomalie démocratique »145, une « hérésie juridique »146, aussi bien
pour la démocratie, pour la Constitution que pour l’autorité du Conseil
constitutionnel lui-même147.
Dans la même veine, la Haute Cour constitutionnelle malgache, saisie
de la conformité des deux ordonnances à la Constitution, (ordonnance
n°2009-001 du 17 mars 2009 et ordonnance n°2009-002 du 17 mars
2009)148 va rendre le 23 avril 2009, une décision qui étonne car elle
retient une notion encore inconnue du paysage constitutionnel à savoir
« l’ordonnance transitionnelle ». En l’espèce, la Cour démontre que
l’ordonnance incriminée ne rentre dans aucune des six hypothèses
constitutionnelles préétablies149, et notamment celle de l’article 60 qui
144 Lire le commentaire de Abdoulaye SOMA sur la décision du 8 février 2022 et relative à la
dévolution des fonctions de Président du Faso, https://m.facebook;com/story;php?story_fbid=
493743348764887&id=&1000 43876792092, consulté le 01 avril 2022 à 13h.
145 A. KPODAR, « Quand les colloques nous font nous rencontrer !!! Certaines idées fortuites sur le
juge constitutionnel et le pouvoir politique en Afrique », in A. SALL et I. M FALL (dir.), Mélanges
Babakar KANTE, Actualité du droit public et de la science politique en Afrique, p. 285-295. (spec. p. 288).
146 L’expression est empruntée à EL Hadj MBODJ, La succession du Chef d’État en droit constitutionnel
africain, Thèse pour le doctorat d’État en droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 536 p.
147 Sur l’influence des crises sur l’ordre politique de l’Etat, lire A. SOMA, « Réflexion sur le changement
insurrectionnel au Burkina Faso », Revue du CAMES, Sciences Juridiques et Politiques, 001/2015, p. 1.
148 La période transitionnelle à Madagascar s’ouvre avec la fuite à l’étranger du Président Ravalomanana,
le 17 mars 2009, plongeant à nouveau le pays dans une profonde crise. L’ordonnance n°2009-001
du 17 mars 2009 a transféré les pouvoirs à un comité militaire, qui lui-même, soucieux de ne
pas exercer cette responsabilité politique ultime, a transféré ces fonctions à Andry Rajoelina par
ordonnance n°2009-002 du 17 mars 2009.
149 Parmi ces conditions, on note que « l’ordonnance n°2009-001 du 17 mars 2009 qui ne répond pas
aux conditions et forme fixées par la Constitution ; son objet qui ne relève pas du domaine de la loi
mais de celui de la Constitution ; elle n’a pas été soumise au contrôle de constitutionnalité avant sa
promulgation ». En clair, cet acte anticonstitutionnel est : « une manifestation unilatérale de volonté
du Président de la République qui ne saurait être conforme aux dispositions constitutionnelles »

30
Serge François SOBZE

les autorise en cas de situation d’exception proclamée, après avis des


trois Présidents de l’Assemblée Nationale, du Sénat et de la Haute Cour
Constitutionnelle150. Ces deux ordonnances ont été approuvées par la
Cour par une simple lettre du 18 mars 2009151, laquelle n’a pas à être
l’objet d’un contrôle de constitutionnalité152.
Avec la décision du 23 avril 2009, la Haute Cour
Constitutionnelle malgache va utiliser l’étonnante qualification de
« déconstitutionnalisation »153 du pouvoir exécutif, qui désormais, fera
partie de sa politique jurisprudentielle154. La « déconstitutionnalisation
» en question vise la réduction en norme légale des normes
anciennement constitutionnelles. Il s’agit là d’un détricotage, mieux
d’une réduction de la norme constitutionnelle passant par sa négation
même, ainsi que par une légalité constitutionnelle reconstruite155. Le
recours fréquent à ces instruments infra constitutionnels montre
à quel point la règle constitutionnelle peut être écartée et qui plus
est abrogée au motif du « constat des circonstances » 156, mêmes
validées par le principe de continuité de l’Etat.
150 Selon le juge, « l’ordonnance n°2009-001 du 17 mars 2009 ne répond pas aux conditions et forme
fixées par la Constitution ».
151 Décision n° 03-HCC/D2 du 23 avril 2009 concernant des requêtes relatives à la situation de transition.
Voir aussi : Décision n° 04- HCC/D2 relative à une requête en exception d’inconstitutionnalité de
l’ordonnance n°2009-003 du 18 mars 2009 portant suspension du Parlement.
152 Décision n° 04-HCC/D2 relative à une requête en exception d’inconstitutionnalité de l’ordonnance
n°2009-003 du 18 mars 2009 portant suspension du Parlement.
153 La notion de « déconstitutionnalisation » fait allusion à la théorie permettant de décrire
la survivance des dispositions de l’ordre constitutionnel antérieur en cas d’insurrection, de
révolution, dès lors qu’elles apparaissent compatibles avec le nouveau régime et qu’elles ne sont
pas directement liées à la forme de gouvernement. M. PRELOT et J. BOULOUIS, Institutions
politiques et droit constitutionnel, Précis Dalloz, 1980.201
154 Décision n° 03-HCC/D2 du 23 avril 2009 concernant des requêtes relatives à la situation de transition.
155 L. SERMET « Réflexions sur la notion de droit constitutionnel transitionnel… », op. cit. p. 4.
156 N. PERLOT, « Les constitutions provisoires, une catégorie normative au cœur des transitions
constitutionnelles », www.droit constitutionnel .org/congrès Lyon, communication au 9ème Congrès
français de droit constitutionnel, Lyon, 26, 27, 28 juin 2014, p. 9, consulté le 15 mai 2022 à 20h.

31
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

2. L’abrogation de la Constitution
L’abrogation renvoie de façon générale à la suspension
d’une règle de droit par une nouvelle disposition qui lui est
substituée pour l’avenir157. Cette sortie de vigueur158 ou de
l’ordonnancement juridique met fin à l’application d’une ou de
plusieurs dispositions de loi.
En théorie, l’institution d’une procédure de « révision »
constitutionnelle est perçue par les constituants comme un
moyen d’éviter une éventuelle abrogation159, car la Constitution,
« comme le ruban des Tuileries, n’est que l’habillage formel d’une
réalité sociale qui est déterminante »160.
Durant la période de contestation et de convulsion politique,
la pratique constitutionnelle africaine va générer une justice
a-constitutionnelle qui se démarque des cadres classiques de la justice
constitutionnelle et donc, du droit constitutionnel. S’agissant du
phénomène d’abrogation de la Constitution, sous le prisme des accords
politiques portant arrangements constitutionnels, les expériences sont
diverses161 et celle de Madagascar retiendra notre attention. En effet,
c’est dans le contexte de la revendication démocratique des années 1990
et plus exactement le 31 octobre 1991 qu’une convention fut signée
157 Lexiques des termes juridiques, 22ème éd. Dalloz 2014-2015, p. 2.
158 L’entrée en vigueur désigne « la date à partir de laquelle une loi ou un règlement s’impose au respect de
tous ». S. GUINCHARD et Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques, op. cit, p. 887.
159 A. Le PILLOUER, « ”De la révision à l’abrogation de la constitution ” : les termes du débat », Jus
politicum, n° 3, 2009, p. 6 et 7.
160 G. BURDEAU, « Une survivance : la notion de constitution », op. cit. cité par G. H. MFOYOUOM,
Changements constitutionnels et institutions administratives au Cameroun, Thèse de doctorat,
université de Yaoundé II, 2015, 594 p. (spec. p. 4).
161 Par exemple, alors que la transition démocratique, en république Sud-Africaine et à Madagascar,
s’est effectuée en totalité par un accord entre les habitants de ces pays, celles de la Côte d’Ivoire, de
la République Démocratique du Congo, du Burundi, de la sierra Leone et du Libéria recelaient des
éléments d’extranéité.

32
Serge François SOBZE

entre le Premier ministre constitutionnel nouvellement nommé (Guy


Razanamazy), le « chef de gouvernement des forces vives » (Albert
Zafy) et des représentants du parti au pouvoir et de l’opposition. Ce
texte abroge partiellement ou mieux « amende » profondément la
Constitution, supprime certaines instances politiques tels le conseil
suprême de la révolution et l’Assemblée nationale populaire tout en
créant une « haute autorité pour la transition vers la troisième république »
présidée par Albert Zafy. Cette convention est devenue, et en son temps,
la vitrine du juge constitutionnel malgache d’où l’idée d’une justice para-
constitutionnelle.
En période de crise, les autorités politiques recourent très
souvent à la suppression ou à l’abrogation de la Constitution.
C’est pourquoi les périodes de transition politique162 sont des
moments singuliers de l’histoire chaotique des Etats africains163 ;
elles sont marquées par la déconstruction de l’ordre constitutionnel
existant qui génère une situation de fait à laquelle succède, à plus
ou moins brève échéance, un ordre constitutionnel transitoire,
expression du constitutionalisme de crise164. Cette période est très
souvent marquée par la mise à l’écart de la justice constitutionnelle
classique et l’émergence d’une justice atypique.

162 R. RAMBAUD, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 2019, J. P. QUANTIN
(dir.) Transitions démocratiques africaines (1990-1994), Paris, Karthala, 2000 ; B. KANTE, « Le
constitutionalisme à l’épreuve de la transition démocratique en Afrique », in C. ZOETHOUT
(dir), Constitutionalism in Africa, Ed. Sander Institut, 1996, pp. 17-32 ; pour une actualisation, lire
D. E. ADOUKI, « La lustration dans le constitutionalisme contemporain », Revue française de
droit constitutionnel, 2022/1, n° 129, p.4.
163 F. D. MELEDJE « Faire, défaire et refaire la constitution en Côte d’Ivoire : un exemple d’instabilité
chronique », in Ch. FOMBAD, Ch. MURRAY, Fostering constitutionalism in Africa, Pretoria Univer-
sity Law Press, 2010, p. 309-339.
164 J.-F. AÏVO, « La crise de la normativité de la Constitution en Afrique », RDP., n° 1- 2012, pp. 141-170.

33
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Cette mutation165 du constitutionalisme va entrainer la


redéfinition du concept de Constitution166 et par conséquent,
celle de la justice constitutionnelle.
La décision du juge constitutionnel burkinabé rendue le 18 mars
2022 et relative à l’exception d’inconstitutionnalité des articles
313-1 et 313-2 du code pénal est assez symptomatique167. Le juge
procède par des motivations intéressantes, en rappelant que le
coup d’Etat constitue une infraction d’attentat à la sureté de l’Etat,
consistant en un changement par la violence d’un régime légal,
prévue et punie par l’article 313-1 et suivant du code pénal ; que
cette décision consacre la prise de pouvoir par la force comme un
mode constitutionnel de dévolution du pouvoir ; qu’elle rend par
conséquent les articles 313-1 et 313-2 du code pénal contraires
à la Constitution et l’infraction désormais inexistante168.
Cependant, il se contredit dans son vingtième considérant lorsqu’il
rappelle que c’est à tort que les requérants soutiennent que la
décision n°2022-004/ CC du 08 février 2022 sur la dévolution
des fonctions du Président du Faso est une reconnaissance
par le Conseil constitutionnel du coup d’Etat comme mode
constitutionnel d’accès au pouvoir d’Etat169.
165 Sur le concept de mutation, lire M. DIAGNE, « La mutation de la justice constitutionnelle en Afrique
: l’exemple du Conseil constitutionnel sénégalais », AIJC, XII, 1996, pp. 99-122. En droit administratif,
lire utilement G. MARCOU, (dir)., Les mutations du droit de l’administration, Paris, L’Harmattan, Coll. «
Logiques juridiques », 1995 ; CURAPP, Le droit administratif en mutation, Paris, PUF, 1993 ; AJDA, n° du
cinquantenaire, « Le droit administratif : bilan et perspectives d’un droit en mutation », 20 juin 1995.
166 P. BASTID, L’idée de Constitution, Economica, 1985. La Constitution selon l’auteur, est victime
d’« arythmie », c’est-à-dire, d’une sorte d’irrégularité définitionnelle qui l’entoure.
167 Déc. n°2022-005/CC sur les requêtes de messieurs M. ALDIOUMA Jean pierre PALM, Tibi
OUEDRAOGO et TRAORE Bossobé en exception d’inconstitutionnalité des articles 313-1 et
3132 du Code pénal.
168 Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de Prédisent du Faso. (Considérant n°3).
169 Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de Prédisent du Faso. (Considérant n°20).

34
Serge François SOBZE

Cette justice constitutionnelle à deux vitesses est la résultante de la


suspension de la Constitution, censée être la boussole du juge. Face
à ce vide constitutionnel, les motivations du juge sont de plus en
plus influencées par l’environnement170 et par les sources connexes
desquelles il tire son raisonnement171. Dans le cas d’espèce, il s’agit du
Code pénal burkinabé qui est bien une norme infra-constitutionnelle.
En conséquence, le juge va se dire et se dédire dans sa décision finale,
notamment dans les articles 1er et 3 de sa décision en déclarant les
requêtes en déclaration d’inconstitutionnalité des articles 313-1 et
313-2 du code pénal conformes à la Constitution d’une part172, et
rejetées comme étant non fondées d’autre part173. Une mystification
en clair-obscur de la part du juge constitutionnel où l’obscur flirte
avec la clarté, certes, mais où la pénombre et le flou dominent.
La décision du juge malgache tirée du principe de continuité de
l’Etat s’inscrit dans la même veine174 et constitue une violation au

170 M. TROPER, La philosophie du droit, paris, LGDJ, 2003, p. 129 ; P. BRUNET, « Le juge
constitutionnel est-il un juge comme un autre ? » Dalloz, 2005, p. 115. Décision du 12 mai 2016
du juge constitutionnel congolais (RDC).
171 Pour la doctrine, lire J.-M. CARBASSE, « Le juge entre la loi et la justice : approches médiévales
», in J.-M CARBASSE, L. DEPAMBOUR-TARRIDE (dir.), La conscience du juge dans la tradition
juridique européenne, ouvrage coll., PUF, 1999, p. 67 et s ; N. DION, « Le juge et le désir du juste »,
D. 1999, Cron., p. 195. A. AKAM AKAM, « Le juge entre la loi et sa conscience », Cahiers Juridiques
et Politiques, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Ngaoundéré, 2010, p.
9-34.
172 Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de Prédisent du Faso. Art. 1er : les requêtes
en déclaration d’inconstitutionnalité des articles 313-1et 313-2 du Code pénal de messieurs Mory
Aldiouma Jean Pierre PALM, Tibo OUEDRAOGO et Bossobé TRAORE sont recevables.
173 Décision n°2022-004/ CC sur la dévolution des fonctions de Prédisent du Faso.Art. 3 : les requêtes
en déclaration d’inconstitutionnalité des articles 313-1et 313-2 du Code pénal de messieurs Mory
Aldiouma Jean Pierre PALM, Tibo OUEDRAOGO et Bossobé TRAORE sont rejetées comme étant non
fondées.
174 A Madagascar, le principe de continuité de l’État pour légitimer un coup d’État a été utilisé par le
juge lors de la crise de 2009. Avis de la haute Cour du 31 juillet 2009.

35
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

principe de l’Etat de droit fondé sur le respect et la suprématie de la


constitution et de l’ordre constitutionnel.
Dans l’ensemble, ces décisions fragilisent l’autorité jugée175ou
décidée176 des décisions constitutionnelles177 et affectent par
ailleurs leur légitimité178avec ses composantes classiques que sont
l’indépendance179et l’impartialité180 attendues des juges.
Cependant, la justice para-constitutionnelle s’est imposée dans certains
circonstances alors que la Constitution était restée en veuille. C’est le cas
de la Côte d’Ivoire où le Conseil constitutionnel, dans une décision du
6 décembre 2006 rendue en période de crise politique, a procédé à un
contrôle de constitutionalité de la résolution 1721 adoptée par le Conseil
de sécurité des Nation unies dans le cadre du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies. Il a estimé que « sont déclarées contraires à la Constitution
ivoirienne les dispositions ci-après de la Résolution 1721 du Conseil de sécurité

175 Art. 87 de la Constitution de la République islamique de Mauritanie de 2006 : « Les décisions du Conseil
constitutionnel sont revêtues de l’autorité de la chose jugée ». En République du Congo, le principe de l’autorité
de la chose jugée est réaffirmé par la Cour constitutionnelle dans sa décision n°065/DCC/EL/L du 26
octobre 2012 sur le recours en annulation des résultats de l’élection législative dans la circonscription
électorale unique de Dongou, scrutin du 5 août 212. (Source : site www.cour-constitutionnel.cg).V. A.
ADELOUI, « L’autorité de la chose jugée par les juridictions constitutionnelles en Afrique », RTSJ 2012,
n° 002, p. 54 ; A. ISSOUFOU, « L’autorité des avis du juge constitutionnel en Afrique francophone »,
Afrilex u-bordeaux 4, fr., 2020, 39p.
176 R. SCHWARTZENBERG, L’autorité de la chose décidée, LGDJ, 1969.
177 D. E. ADOUKI, « Contribution à l’étude de l’autorité des décisions du juge constitutionnel en
Afrique », RFDC, n°95, 2013, p. 611-638.
178 L. FAVOREU, « La légitimité du juge constitutionnel » in Revue internationale de droit comparé,
vol. 46 n° 2, avril-juin 1994, pp. 557-581 ; I. DIALLO, « La légitimité du juge constitutionnel
africain », site lecames.org, vol.1, 2015, consulté 2 avril 2022 à 8h.
179 F. VANGAH WODIE, « Les garanties de l’indépendance du juge constitutionnel », Association
des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF), Le statut du juge
constitutionnel, Actes de la sixième conférence des Chefs d’institution de l’ACCPUF, Niamey,
Niger, 3-4 novembre 2011, Bulletin n°10, décembre 2014, p.69.
180 M.-A. FRISON –ROCHE, L’impartialité du juge, Recueil Dalloz, 1999, Chronique, p. 3.

36
Serge François SOBZE

des Nations unies du 1er novembre 2006 ; l’alinéa 11 du préambule, les


paragraphes 1 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 15 et 22 de la Résolution »181.
Mais le Conseil finira par relativiser le principe de supériorité
de la Constitution sur les textes internationaux en décidant
que « les normes et dispositions internationales, acceptées par les
organes nationaux compétents, ont une autorité supérieure à celle
des lois et des décisions juridictionnelles internes, sous réserve de
leur application par l’autre partie »182.
La justice para-constitutionnelle africaine s’explique donc par
la mise de la justice constitutionnelle ordinaire à l’épreuve des
conflits politiques183 d’où son ouverture à de nouveaux challenges
pour un néo-constitutionalisme184 garant du rétablissement de
l’ordre constitutionnel et de l’Etat de droit judiciaire en Afrique185.
B. Les finalités ambivalentes du rétablissement de l’ordre
constitutionnel
L’émergence d’une justice alternative apparaît comme une technique
complémentaire ou supplémentaire de régulation de l’ordre
181 L. SINDJOUN, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine. Droit constitutionnel
jurisprudentiel et Politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruylant, Bruxelles,
2009, p. 305.
182 Décision n° CI-2011-EP-036/04-05/CC/SG du 4 mai 2011 portant proclamation de M. Alassane
OUATTARA en qualité de président de la République de Côte d’Ivoire. V. F. Melèdje DJEDJRO,
Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne, Centre Nationale de Documentation
Juridique, Abidjan, 2012, p. 594.
183 B. KANTE, « Le constitutionalisme à l’épreuve de la transition démocratique en Afrique », in C.
M. ZOETBOUT et al. Constitutionalism in Africa. A quest for autochtomous principles », 1996,
Rotterdam, Sanders institute ; G. N. TCHOUGLI, « Le juge constitutionnel face aux conflits
politiques en Afrique noire francophone », RJPEF, 2012, p. 239.
184 G. CONAC, (dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, 1993, Economica. p. 12.
185 J.-M. PONTIER, l’irrémédiable imperfection de l’Etat de droit, Revue de la Recherche Juridique,
Presse Universitaire d’Aix-Marseille, 2008-2, p. 741.

37
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

constitutionnel en crise. En suivant la thèse du réalisme judiciaire186,


elle emprunte un « chœur à deux voix »187 : la déstabilisation de
l’ordre constitutionnel classique dont l’inadaptation s’avérait
flagrante188 (1), et la rationalisation de l’ordre constitutionnel
nouveau, « plus adapté au constitutionalisme africain en crise »189 (2).
1. La déstabilisation de l’ordre constitutionnel existant
Lorsqu’une crise politique éclate, l’ordre constitutionnel se
fragilise nécessairement, le régime constitutionnel se trouve être
en vacance et les mécanismes ordinaires de production des normes
constitutionnelles, inopérants190. Pendant cette période, il est donc
normal que les procédés ordinaires deviennent inappropriés dans la
production des normes constitutionnelles191 et même inadaptés à la
fabrication de la justice constitutionnelle.
En effet, avec la montée en puissance des conflits politiques, l’effacement
de l’ordre juridique ancien se produit progressivement192, et la justice
186 Le réalisme est une approche tendant à décrire la norme juridique telle qu’elle est réellement
vécue et non telle qu’elle devrait être. Il est constitué d’un ensemble de thèses sur la nature qui
rend redevable la validité des décisions judiciaires non pas à leur conformité à la logique théorique
mais à la réalité des faits. La voie du réalisme juridique (legal realism » et judiciaire est entendue
ici au sens de la mobilisation d’une sorte de pragmatisme qui conduirait à introduire un critère
de nécessité de la mesure dans le raisonnement suivi. D. LABETOULLE, « le réalisme en droit
constitutionnel », Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2007/22, p. 123-124; M. TROPER, « Le
réalisme et le juge constitutionnel », Cahiers du Conseil Const. n° 22,2007, p. 125.
187 Expression empruntée à L. FAVOREU, Du déni de justice en droit public français, Paris, LGDJ, 1994,
321 p.
188 P. SOGLOHOUN, « Le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans les États africains en
période de crise », in Revue Burkinabé de droit, n°52, janvier-juin 2007, p. 207-245
189 J. M. BRETON, L’évolution historique du constitutionalisme africain : Cohérences et incohérences,
Recht in Afrika n°1-20, 2003, p. 1-20.
190 Y. S. LATH, « La production constitutionnelle en période de crise… », op. cit. p. 342.
191 El. H. MBODJ, « La Constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique », Revue de
droit public et de la science politique en France et à l’Etranger, 2010, p. 190-191.
192 M. ONDOA, « La constitution duale : recherches sur les dispositions constitutionnelles
transitoires au Cameroun », RASJ, vol. 12, Yaoundé, 2000, p. 22.

38
Serge François SOBZE

constitutionnelle traditionnelle se voit sacrifiée à l’autel de la recherche


de solutions de sortie de crise. Il émerge alors une justice para-
constitutionnelle à légitimité encore douteuse voire controversée.
S’agissant de la controverse, les obsédés constitutionnels soutiennent que
la para-constitutionnalité est pleine d’incongruité, parce qu’elle s’écarte
du contrat social de l’Etat pour reprendre Jean Jacques Rousseau193.
Les tenants d’un pragmatisme judiciaire et constitutionnel quant-
à-eux, relèvent que considérer les facteurs externes à la Constitution
n’en est pas moins indispensable au bon fonctionnement du système
juridique en crise, dans la mesure où ils en constituent une sorte
d’accessoire nécessaire, que Hart qualifie de « règles secondaires »194 et
Mac Cormick de « justifications de second ordre »195.
En revanche, si la production des normes constitutionnelles
de crise a suscité des positions variables dans la doctrine
constitutionnelle africaine196, il en est de même de l’émergence
d’une justice para-constitutionnelle qui est encore à la recherche
de sa voie. On s’accorde à dire que l’émergence de cette forme de
justice, participe à l’affirmation d’un constitutionalisme de crise
dans les Etats africains connaissant un conflit politique. La crise
de la justice constitutionnelle n’est donc qu’une conséquence
de la crise du droit et de la crise de la politique197.
193 J. J. ROUSSEAU, Du contrat social ou principes du droit politique, Ed. Flammarion, 1762, 173 p.
194 H. L. A. HART, Le concept de droit, Publications des Facultés universitaires de Saint-Louis,
Bruxelles, 1976, p. 119.
195 N. Mc CORMICK, Raisonnement juridique et théorie du droit, PUF, Les voies du droit, 1996, p. 117.
196 Ces divergences doctrinales gravitent autour d’une problématique fondamentale relative à la
juridicité des accords politiques portant arrangements constitutionnels. Lire utilement Y. S. LATH,
« La production constitutionnelle en période de crise dans les Etats d’Afrique », op.cit. p. 129.
197 El. H. O. DIOP, « La crise des commissions électorales africaines », in Mélanges en l’honneur de
J. du B. de GAUDUSSON, Espace du service public, Tome 1, Presses universitaires de Bordeaux,
Pessac, 2013, p. 175 sq ; D. F. MELEDJDE, « De l’impossible service public électoral en Côte

39
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

En d’autres termes, la justice constitutionnelle suis generis198


qui émerge est un signe clinique qui atteste de ce que le droit
constitutionnel africain est un droit vivant199.
La justice para-constitutionnelle peut donc enthousiasmer car
elle montre la plasticité du juge face aux situations de crise,
mais elle peut aussi susciter les plus expresses réserves tant elle
s’éloigne du pacte constitutionnel. Elle situe nécessairement
l’analyse sur le terrain de la transgression du droit constitutionnel200.
De toute évidence, s’il apparaît difficile d’établir une justice
constitutionnelle démocratiquement et juridiquement acceptable
dans un contexte de crise politique consécutif à un coup d’Etat
militaire201, l’aménagement de l’ordre constitutionnel devrait
contribuer à la rationalisation du pouvoir issu de ces coups d’Etat202.
d’ivoire », in Mélanges en l’honneur de J. du B. de GAUDUSSON, Espace du service public, op. cit. p.
455 sq. Il existe donc un lien consubstantiel entre crise politique et crise du droit comme le souligne
Y.S. LATH, « La production constitutionnelle en période de crise dans les Etats d’Afrique : crise
du constitutionalisme ou constitutionalisme de crise », op.cit. p. 348.
198 S. PINON, Le nouveau droit constitutionnel à travers les âges, VIIème Congrès français du droit
constitutionnel (50 ans de la Constitution de 1958), Atelier 2 : « Constitution, enseignement et
doctrine », Paris, 2008.
199 La doctrine du droit vivant a été développée par la Cour constitutionnelle italienne dès les années
cinquante (Cf. sa sentence n°3 de 1956). Lire G. ZAGREBELKY, La doctrine du droit vivant, AIDC,
n°2, 1986, pp. 56-77. La pratique constitutionnelle africaine rend suffisamment compte. Lire Y.-S.
LATH, Les évolutions des systèmes constitutionnels africains à l’ère de la démocratisation, Thèse de
Doctorat, Université de Cocody, 2008 ; J. MIRANDA, « Les systèmes constitutionnels des pays
africains de langue portugaise », RFDC, n°56, 2003, p. 862 ; M.E. PIETERMAAT-KOS, (dir.),
Vers la renaissance du constitutionalisme en Afrique, Gorée, Dakar, 2000, 1998 ; G. CONAC (dir.),
L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Economica, Paris, 1993.
200 Sur la notion, lire Sylvie Torcol, « Transgresser pour le peuple, par le peuple. La volonté contre
la norme ? », in actes du colloque, La transgression, Toulon, 24, 25 nov. 2011, (dir.), J-J. SUEUR,
P. RICHARD, Bruxelles, BRUYLANT, 2013, pp. 225-259. L’auteur évoque, en se fondant sur
l’expérience constitutionnelle française, une distinction entre les transgressions raisonnables et les
transgressions inacceptables.
201 G. CONAC, « Succès et échecs des transitions démocratiques en Afrique sub-saharienne », in
Mélanges Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002, p. 29-33.
202 Il s’agit de toute « tentative réussie ou non de conquête ou de reformation du pouvoir politique de nature inconsti-
tutionnelle ou illégale, fondée sur l’usage ou la menace de la force ». G. HERMET, B. BADIE, P. BIRNBAUM,
P. BRAUD, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Armand Colin, Paris, 1994.

40
Serge François SOBZE

2. La rationalisation de l’ordre constitutionnel établi


L’émergence d’une justice para-constitutionnelle illustre
l’incapacité de la justice classique ou orthodoxe à maintenir
le fonctionnement régulier et harmonieux des institutions de
l’État203. Elle augure le retour à un ordre constitutionnel nouveau
même si elle prend beaucoup de liberté avec la normativité
constitutionnelle204 ou est susceptible de donner naissance
à un ordre a-constitutionnel où instabilités sociopolitiques et
incertitudes constitutionnelles font très bon ménage.
Il est question de « rendre l’ordre [juridictionnel africain] plus juste
et plus acceptables »205. C’est la raison pour laquelle, le professeur
Djedjro Francisco MELEDJE a estimé que « c’est dans l’état de crise
que le concept de droit peut montrer son utilité, la fragilité dans laquelle
se trouvent l’État et les institutions mettent en effet le droit en position
de ressource majeure206 ». Les constituants gabonais207 et béninois208
ont saisi l’enjeu de cette injonction. Le constituant béninois se
veut plus explicite lorsqu’il dispose : « qu’en cas de coup d’Etat,
de putsch, d’agression par des mercenaires ou de coup de force
quelconque, tout membre d’un organe constitutionnel a le droit et
le devoir de faire appel à tous les moyens pour rétablir la légitimité
constitutionnelle, y compris le recours à la coopération militaire ou de
défense existants.
203 F. MELEDJE DJEDJRO, « Les arrangements politiques et la constitution… », op. cit. p. 237.
204 F. J. AIVO, « La crise de la normativité de la Constitution en Afrique », RDP, n° 1- 2012.
205 A. KPODAR, « politique et ordre juridique… », op. cit. p. 2523.
206 D. F. MÉLÈDJE, « L’État de droit, nouveau nom du constitutionnalisme en Afrique ? », in
Mélanges en l’honneur de Maurice AHANHANZO-GLELE, précité, p. 591-592.
207 Art. 26 in fine de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991.
208 Il s’agit des articles 65, 66, et 67 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 qui évoquent
les crises politiques résultant des coups d’Etat.

41
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Dans ces circonstances, pour tout béninois, désobéir et s’organiser


pour faire échec à l’autorité illégitime constituent le plus sacré des
droits et le plus impératif des devoirs »209.
Par ailleurs, les crises politiques sont des phénomènes
préjudiciables à la cristallisation de la démocratie. Dans la
majorité des cas, les Constitutions de transition sont élaborées
sur la base des accords de paix210 dont elles constituent le
prolongement nécessaire et indispensable dans le processus de
rétablissement de l’ordre constitutionnel211.
La justice para-constitutionnelle parce qu’elle s’écarte des normes
constitutionnelles, demeure une justice en quête de légitimité.
Elle contribue à justifier que la Constitution n’est peut-être plus
à elle seule suffisante pour fonder la décision du juge et qu’il
faudrait recourir aux instruments complémentaires, autonomes et
extérieurs à la Constitution pour restaurer la paix constitutionnelle
déstabilisée et sauvegarder les acquis212. Et la doctrine de renchérir :
« que le juge puisse justifier ses normes en utilisant une disposition
juridique identifiée comme telle ou par un principe tiré de la
morale ou dont la « juridicité » est douteuse importe peu »213.

209 Art. 66 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.


210 Ces accords sont considérés par la doctrine africaine comme « des formes alternatives de règlement
des questions constitutionnelles », (K. DOSSO « Les pratiques constitutionnelles… op. cit » p.
73) ou comme des étalons de « l’émergence d’un champ para-constitutionnel » (A. KPODAR,
« Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l’Accord de Linas-
Marcoussis du 23 janvier 2003 », op. cit. p. 18).
211 V. La Constitution de transition du Soudan signé le 9 juillet 2005 dans le cadre de l’Accord de paix
global du 9 janvier 2005.
212 D. KOKOROKO, « L’apport de la jurisprudence constitutionnelle africaine à la consolidation des
acquis démocratiques », Revue béninoise des sciences juridiques et administratives, 2007, n°18, p. 87-128.
213 P. BRUNET, La constitutionnalisation des valeurs par le droit, in Les droits de l’homme ont-ils ‘’constitutionalisé
le monde’’ ? (S. HENNETTE VAUCHEZ et J. M. SOREL (dir.), De BOECK, p. 245-260, 2011, cité par F.
HOURQUEBIE, « Lire propos sur le juge constitutionnel et les valeurs », op. cit. p. 11.

42
Serge François SOBZE

C’est donc la finalité qui compte, il s’agit ici des pistes supposées
apporter un début de solution au rétablissement d’un nouvel ordre
constitutionnel en Afrique noire francophone214.
Cependant, les pouvoirs du juge constitutionnel en période de crise
sont aussi importants et sensibles qu’il est urgent de les encadrer215
si on envisage un retour à la normale ou à la re-constitutionnalisation
de l’ordre juridique transitionnel.
II. L’exigence recherchée d’une justice constitutionnelle
orthodoxe
Dans l’hémistiche d’un vers cité à sa propre gloire, à propos de
l’armée au sein de l’Etat, Cicéron employait cette formule sibylline :
« les armes doivent céder à la toge ». « Cedant arma togae »216.
Dit autrement, les gouvernements militaires, matérialisés par les
armes et la violence physique ou institutionnelle, doivent faire
place au gouvernement civil symbolisé par la toge. C’est dire
que le retour à la justice orthodoxe ou à l’ordre constitutionnel
légitime217 est conditionné par la réconciliation avec la Constitution
214 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques »,
Afrique contemporaine, n° spécial, 4e trim., 1996, p. 251-256 ; B. GENEVOIS, « Les solutions
possibles », in G. CONAC, D. MAUS, L’exception d’inconstitutionnalité, Paris, Éditions STH,
Collection « les grands colloques », Les Cahiers constitutionnels de Paris I, 1990, p. 97-111.
215 D. De BECHILLON, « Comment encadrer le pouvoir normatif du juge constitutionnel », Cahier du
Conseil constitutionnel, n°24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel), juillet 2008, p. 1-3.
216 CICÉRON, De Officis, (Des devoirs, I, 22), 45 av. J-C. « Cedant arma togae, (Que les armes cèdent à
la toge) ».
217 M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris Sirey, 12e éd., 1933, p. 37 sq., L.
DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, La théorie générale de l’Etat, Paris, E. de Boccard, 2e éd., Tome
III, 1923, p. 99-110 ; G. VEDEL, Manuel de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, réédition présentée par
Guy CARCASONNE et Olivier DUHAMEL, 2002, p. 2 sq ; MÉLIN-SOUCRAMANIEN (F.), Droit
constitutionnel, Sirey, 36e éd., 2017, p. 12 sq. ; F. D. MELEDJE, Droit constitutionnel, Les éd. ABC, 2014,
p. 189 sq. ; A. LOADA et IBRIGA L. M. Droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou,
Collection Précis de Droit Burkinabé, 2007, p. 223.

43
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

et précisément par l’encadrement des pouvoirs normatifs du juge


constitutionnel218(A), si on aspire à une justice constitutionnelle
axée sur « les nécessités objectives de l’ordre social »219 (B).
A. L’encadrement des mécanismes para-constitutionnels
imposés
« Dans les situations de crise politique dont la gravité est à la limite de la
déconstruction (destruction) du système politique, le Droit constitutionnel
se trouve plus que d’ordinaire confronté à sa propre survie […] dans une
telle circonstance, les acteurs politiques doivent rechercher les solutions
à travers les accords politiques… »220. Ces propos du doyen Melèdje
attestent de l’étendue des pouvoirs des acteurs politiques ou judiciaires
en cas de crises menaçant l’ordre constitutionnel. Dès lors, pour éviter un
excès de pouvoir au sens de Montesquieu221, il est nécessaire de les mettre
sous contrôle222, notamment par le mécanisme de l’autolimitation223 (1)
ou les soumettre aux exigences de la légitimité constitutionnelle (2).

218 D. De BECHILLON, « Comment encadrer le pouvoir normatif du juge constitutionnel », Cahier du


Conseil constitutionnel, n°24 (Dossier : le pouvoir normatif du juge constitutionnel), juillet 2008, pp. 1-3.
219 Selon la Haute Cour Constitutionnelle malgache, « la légitimité de la transition est fondée sur les
nécessités objectives de l’ordre social ». Avis n°02-HCC/AV du 31 juillet 2009 sur l’interprétation
de l’article 53 de la Constitution.
220 F. MELEDJE DJEDJRO, Droit constitutionnel, Les éditions ABC, Abidjan, 2014, p. 396.
221 Depuis John LOCKE et MONTESQUIEU, il est connu qu’un pouvoir sans contrôle est un
pouvoir potentiellement dangereux. Et pour le dernier, tout homme qui a du pouvoir est porté
a en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites, Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XI,
Chapitre VI, p. 226.
222 A. TARDIEU : le « souverain captif », cité par B. PAUVERT, « Le peuple dans la pratique
institutionnelle de la Ve République. Du pouvoir invoqué au contre-pouvoir évincé », Politeia,
n° 26, 2014, p. 494 ; St. CAPORAL, « Le peuple : un souverain sous contrôle », VIIe Congrès
français de droit constitutionnel, 2008.
223 L’autolimitation, un concept dont Georg Jellinek n’est pas l’inventeur mais qui lui permet de
limiter le pouvoir de l’Etat et de lier le souverain au droit. Cf. La Théorie de « l’autolimitation de
l’Etat ».

44
Serge François SOBZE

1. L’autolimitation des pouvoirs des autorités de


transition
En Afrique, on observe un recours systématique à la fabrication
de la loi constitutionnelle dès que des dirigeants autoproclamés
investissent les instances gouvernantes à la suite d’un coup d’Etat.
Ces derniers mettent sur pied de nouveaux instruments qui
deviennent la vitrine du juge constitutionnel au détriment de la
Charte fondamentale. Si la justice para-constitutionnelle qui s’y
dégage contribue à sauvegarder les acquis constitutionnels224, elle
détourne la justice constitutionnelle africaine de son lit. D’où le
nécessaire encadrement des pouvoirs des autorités instituées.
Cette autolimitation est perceptible dans le raisonnement du
juge constitutionnel malgache225 qui rappelle que le mouvement
de « déconstitutionnalisation » qui est légitimé par la justice para-
constitutionnelle peut être compensé, par un mouvement inverse
de « re-constitutionnalisation »226. Il s’agit, de la conservation des
principes fondamentaux de la République ou, pour reprendre le
juge constitutionnel béninois, des « options fondamentales »227 telles
que « la séparation des pouvoirs, l’intégrité du territoire national, la
forme républicaine de l’Etat », qui demeurent intangibles.

224 A. B. FALL, « Le juge constitutionnel béninois, avant-garde du constitutionalisme africain ? in


Joël Frédéric AÏVO (dir.), La constitution béninoise du 11 décembre 1990. Un modèle pour l’Afrique
? Mélanges en l’honneur de Maurice AHANHANZO-GLELE, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 717-
728 ; B. KANTE, « Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en
Afrique », in Constitutions et pouvoirs, Mélanges Jean GICQUEL, Paris, Montchrestien, 2008, p. 265-276.
225 Décision du 23 avril 2009. Malgré la transition et le changement organique et formel de l’organisation de
l’Etat que suscite la transition, les principes fondamentaux de la République demeurent intangibles.
226 L. SERMET, op. cit. p.5.
227 Cour constitutionnelle du Benin, Décision DCC 11-058 du 25 août 2011.

45
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Dans le même sens, on peut recourir au discours prononcé au


Tribunat (actuel tribunal) le 5 janvier 1800 par Benjamin Constant
de Rebecque et dans lequel il affirmait qu’« une constitution est
par elle-même un acte de défiance, puisqu’elle prescrit des limites
à l’autorité, et qu’il serait inutile de lui prescrire des limites si vous la
supposiez douée d’une infaillible sagesse et d’une éternelle modération ».
Cette dynamique sera reprise des années plus tard par Jean Rivero
et son Huron demandant de cesser de chanter des louanges
au Conseil d’Etat français et de lui faire savoir ses limites228.
Elle permet un encadrement des pouvoirs des autorités
et du juge constitutionnel surtout en période de crise
politique afin que la justice para-constitutionnelle, ce « nouvel
avatar [juridictionnel] »229 qui émerge en Afrique reste une justice de
transition ou mieux une justice transitoire230 dont la légitimité doit
être négociée et limitée par la durée de la crise.
2. L’institution d’une légitimité des mécanismes institués
Une justice constitutionnelle n’est garante de l’ordre constitutionnel
que dans la mesure où elle est intériorisée par les acteurs politiques
et par l’ensemble des citoyens. C’est dire que la justice même para-
constitutionnelle, n’est légitime que si elle vise l’établissement

228 J. RIVERO, « le huron au palais royal ou réflexion naïves sur le recours pour excès de pouvoir »,
Dalloz, Ch. VI. 1962, p. 37-40.
229 J. I. SIENOU, « Le nouvel avatar démocratique en Afrique : l’obsession du second », RFD const.
sept. 2016, n°107, p. 633-652.
230 Sur cette dynamique, lire P. BRUNET, « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les
autres ? », Dalloz, 2005, p. 115 ; D. GNAMOU, « La cour constitutionnelle en fait-elle trop ? », in
La Constitution béninoise du 11 dec. 1900 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de M. A.
GLELE, Paris, L’Harmattan, 2014, pp. 687-715 ; P. BLACHER, « Le Conseil constitutionnel en
fait-il trop ? », Pouvoirs, n°105, 2003, p. 17-28.

46
Serge François SOBZE

ou encore le retour d’une nouvelle justice constitutionnelle231. A


ce titre, elle doit prendre en compte le consensus national que la
doctrine qualifie de conscience nationale.
En général, le contexte de crise est marqué par la nécessité
de construire un consensus entre les différentes forces
politiques en présence. C’est dans cette logique que s’est
inscrite la procédure d’établissement de la Constitution de
transition de la République du Congo. Dans ce dernier cas
de figure, la procédure utilisée était bien plus singulière.
En effet, la Constitution de la transition de la RDC, a été approuvée
et adoptée par les délégués des composantes et entités au Dialogue
inter-congolais de Sun City, du 25 février au 12 avril 2002, et à
l’accord global et inclusif sur la transition en RDC signé à Pretoria
le 17 décembre 2002232.
Il faut noter que dans une telle procédure, le pouvoir constituant a
été exercé directement par les acteurs politiques qui ont participé au
Dialogue inter-congolais. Le peuple se trouve à l’issu de ce procédé,
dépouillé de son autorité souveraine233. Il y’a certainement une
entorse à la démocratie puisque la Constitution est adoptée à l’issue
d’une procédure excluant toute intervention du peuple ou de ses
représentants élus. Les opérations constituantes engagées dans le cadre

231 G. DRAGO, B. FRANCOIS et N. MOLFESSIS (dir.), La légitimité de la jurisprudence du Conseil


constitutionnel, Paris, Economica, 1999, 415 p.
232 Si ces accords sont relativement récents en Afrique, (Accord de Sun city, Accord de Linas
Marcoussis du 24 janvier 2003 ; Accord d’Accra III du 30 juillet 2004 ; Accord de Pretoria du 6
avril 2005pour la Côte d’Ivoire) il faut dire que les accords de Dayton pour la Bosnie Herzégovine,
le cas du Kosovo attestent de la vétusté de la pratique.
233 M. NGUELE ABADA, « Du constitutionnalisme de transition en Afrique : réflexions sur l’évolution
constitutionnelle en République démocratique du Congo », RRJ, n° 1, 2008, p. 501-536.

47
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

de cette transition s’inscrivent dans une procédure atypique et ne


peuvent donner lieu qu’a une justice atypique. Il se dégage donc
une distanciation entre la justice para-constitutionnelle et la justice
constitutionnelle orthodoxe. La montée en puissance du premier
anémie la seconde.
En revanche, au Togo, les accords de paix du 12 juin 1991 conclus
entre le pouvoir en place et l’opposition avaient été repris par le
décret présidentiel de convocation de la Conférence n° 91/179
du 25 juin 1991. Cette reprise dénote une crise de légitimité
des accords politiques initiaux et fragilise l’illustration de ces
derniers comme recette systématique dans la résolution des
crises politiques en Afrique.
Les accords politiques mal négociés portent en même temps,
les ferments possibles de l’instabilité constitutionnelle et
juridictionnelle.
Le défi de restauration d’une justice constitutionnelle orthodoxe
est donc plus relevé lorsque le juge constitutionnel s’inspire d’un
instrument a-constitutionnel et à légitimité contestée.
B. Les défis de l’établissement d’une justice
constitutionnelle en période crise
Les défis qui s’imposent à la justice para-constitutionnelle
sont pratiquement les mêmes que ceux qu’on attend d’un droit
transitionnel234. En effet, la justice para-constitutionnelle forme un
ordre juridictionnel et prétend être dotée de la contrainte juridique.

234 Expression de la Haute Cour constitutionnelle malgache pour marquer l’ordre constitutionnel en

48
Serge François SOBZE

Elle se rapproche de la justice applicable en temps de crise, de


circonstances exceptionnelles, mais, se distingue des clauses
constitutionnelles habituelles, car elle n’en respecte ni le formalisme,
ni la substance. Enfin, elle est sinon contra constitutionem, du moins
para constitutionem, en raison de l’accompagnement même du
juge constitutionnel qui témoigne ainsi de son acquiescement
au moins partiel au non-respect de la Constitution. Au regard de
ces développements, les écueils suivants sont à éviter : le risque
d’implantation d’une « a-justice »235 constitutionnelle (1) et
l’avènement d’un gouvernement des juges constitutionnels (2).
1. Le risque d’implantation d’une « a-justice »
constitutionnelle
Il peut s’agir d’une « a-justice » dérivant du recours de plus en
plus fréquent aux accords politiques ou encore de celle dérivant du
rétablissement inconstant de l’ordre constitutionnel déstabilisé236. Le
risque est grand de voir émerger une crise d’effectivité et même d’autorité
des Constitutions en Afrique noire237. La re-constitutionalisation de l’ordre
constitutionnel en période de transition est donc un défi important pour
le juge garant du retour à la normalité constitutionnelle. Ce procédé
qui caractérise le constitutionalisme négro-africain en crise vise a priori
à protéger l’ordre constitutionnel et à garantir la bonne gouvernance
politique prise ici comme un nouveau paradigme étatique238.

crise.
235 L’expression est empruntée à L. ROULET, « Pratique du tri et de la collégialité dans le cadre des
référés-libertés « Covid-19 » : l’écueil d’une « a-justice » administrative ? », Revue du droit public
- n°3, 2022, p.757.
236 Ibid.
237 F. J. AÏVO, « Crise d’effectivité et crise d’autorité des constitutions africaines », Communication
au colloque sur « La problématique des remises en cause de l’ordre constitutionnel en Afrique: quels
risques pour la démocratie? », Ouagadougou, les 10 et 11 août 2010, p. 1-26.
238 J. CHEVALLIER, « La gouvernance un nouveau paradigme Etatique ? » Revue française

49
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Il vise à restaurer un ordre juridictionnel nouveau, un Etat de droit


juridictionnel239 en procédant par la répression des changements
anticonstitutionnels de gouvernement qui constituent l’une des
causes essentielles d’insécurité, d’instabilité, de crise et même de
violents affrontements en Afrique240.
La Haute Cour constitutionnelle malgache a bien saisi le jeu et
même l’enjeu241. En effet, à de nombreuses reprises, la Cour a
montré que la hauteur de la protection juridique transitionnelle était
moindre qu’en période normale. Ainsi dans l’affaire de l’immunité
parlementaire des parlementaires de la transition, elle a rendu une
importante décision concernant leurs droits et privilèges242.
Après avoir explicité les deux composantes de celles-ci, comme
exception à l’égalité devant la loi et exception momentanée à la
séparation des pouvoirs (irresponsabilité et inviolabilité), elle s’est
refusée à étendre les dispositions du droit commun contenues
à l’article 73 de la Constitution. Elle s’est contentée d’estimer
que l’ordonnance portant règlement intérieur de la transition
(ordonnance du 8 octobre 2010, validée par la HCC le 7 octobre
2010) ne visait que le seul régime de l’irresponsabilité parlementaire.

d’administration publique, 2003/1-2, n° 105-106, p.203 ; J. P. GAUDIN, Pourquoi la gouvernance ?


Presse de sciences politique, 2002, (bibliothèque du citoyen), p. 9.
239 R. ARNOLD, « L’État de droit comme fondement du constitutionnalisme européen », RFDC,
2014/4 n° 100, p. 769-776.
240 Préambule de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Démocratie de 2007.
241 A. S. OULD BOUBOUTT, « Les juridictions constitutionnelles en Afrique : évolutions et enjeux
», in B. KANTE et M. E. PIETERMAAT-KROS (dir.), Vers la renaissance du constitutionnalisme en
Afrique, Gorée Institute, 1998, p. 91-108 ;
242 Avis n°01-HCC/AV du 15 juillet 2009 portant interprétation des dispositions de l’article 73 de la
Constitution relatives à l’immunité parlementaire.

50
Serge François SOBZE

C’est donc une immunité partielle qui est reconnue en période


transitionnelle, exception étant faite de l’inviolabilité parlementaire.
La Cour a été à la fois plus précise et plus large sur cette légalité de
substitution, dans son avis du 31 juillet 2009. Aussi dira-t-elle pour droit :
« durant la transition, bien que la Constitution ne puisse être appliquée en
toutes ses dispositions, demeurent applicables les principes généraux de droit,
les principes généraux de droit à valeur constitutionnelle, les engagements
internationaux régulièrement acceptés, les valeurs spirituelles et culturelles
propres à la nation, (…) »243. La survivance de ces dispositions empêche
l’implantation d’un ordre anticonstitutionnel.
La justice para-constitutionnelle même en période transitoire, doit
donc rendre compte de la Constitution même si cette dernière
ne peut pas être appliquée dans sa totalité244. Cette invitation au
respect des normes constitutionnelles consiste pour le juge à ne
pas se détacher entièrement du légalisme juridique et donc de la
Constitution pour se livrer aux exigences morales, car outrepasser la
Charte fondamentale c’est aussi trahir son serment245 y compris certaines
« formules sacramentelles indivisibles »246 et entretenir l’hypertrophie du
pouvoir judiciaire247 que la doctrine qualifie de gouvernement des juges.

243 Avis n°02-HCC/AV du 31 juillet 2009 sur l’interprétation de l’article 53 de la Constitution.


244 Décision n° 15-HCC/D3 du 26 décembre 2011, concernant la loi n°2011-014 portant insertion
dans l’ordonnancement juridique interne de la feuille de Route signée par les acteurs politiques
malgaches le 17 septembre 2011.
245 O. NAREY, « Le serment en droit constitutionnel », Revue Solon, Revue africaine de parlementarisme
et de démocratie, vol. II n° 11, décembre 2015, p. 7-46. V. également l’Art. 8 de la loi béninoise n° 91-
009 du 4 mars 1991 qui dispose que : « Tout manquement [au serment prévu par l’article 7] constitue
un acte de forfaiture et sera puni conforment à la législation en vigueur ».
246 Voir dans ce sens les décisions suivantes de la Cour constitutionnelle du Benin : décision DC-96-
017 du 5 avril 1996 et décision DCC 11-058 du 25 août 2011.
247 F. MODERNE, Préface in E. LAMBERT, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation
sociale aux Etats-Unis, L’expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionalité des lois,

51
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

2. Le spectre du gouvernement des juges


constitutionnels
Si la notion de gouvernement des juges a fait l’objet des
développements intéressants dans les écrits d’Edouard Lambert,
il faut dire qu’elle apparaît déjà dans les termes de l’article 10 de
la loi des 16 au 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire où il est
précisé que : « les tribunaux ne pourront prendre directement ou
indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher
ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif, sanctionnés par
le Roi, à peine de forfaiture ».248 Le juge constitutionnel n’est pas
épargné249 car l’enracinement de la justice para-constitutionnelle
conduit à l’amenuisement de la normativité constitutionnelle et
à la transformation du juge en un constituant « négatif »250 pour
reprendre cette formule de Hans Kelsen.
C’est dire que la justice constitutionnelle mise en place en
période de transition ne doit pas s’éloigner des exigences
démocratiques. Il ne peut en être autrement, dans la mesure où
les Constitutions de transition assurent une fonction sociale
et politique, qui justifie par ailleurs le recours fréquent à des
procédés para-constitutionnels. En effet, avec la justice para-
constitutionnelle, la démocratie, plus encore que la Constitution,
est en danger. Le paradoxe est grand. En période normale, toute
violation constitutionnelle est expulsée de l’ordre juridique.
Paris, Dalloz, 2005, 276 p.
248 Article 10 de la loi des 16 au 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire.
249 J. RIVERO, « Le Conseil constitutionnel : Des juges qui ne souhaitent pas gouverner », AJDA,
1975, p. 134-138.
250 Selon la formule du « législateur négatif » du Maître de Vienne. H. KELSEN, « La garantie
juridictionnelle de la Constitution », RDP, t. XLV, 1928, p. 226.

52
Serge François SOBZE

En période de crise, la transgression est reçue, analysée et


souvent acceptée. Le recul de la garantie juridique, le recul
de l’Etat de droit sont manifestes. Le recul de la légalité est
doublé d’une légitimité donnée au pouvoir juridictionnel251.
Le juge constitutionnel de transition se comporte comme un sage252
ou, pour reprendre Edouard Lambert, « en arbitre suprême de la
politique sociale et économique des Etats »253.
La décision du juge constitutionnel burkinabé du 8 février 2022
portant « dévolution des fonctions du Président du Faso » est très
indicative en ce qu’elle marque l’empiètement du juge constitutionnel
sur les pouvoirs politiques254 donnant ainsi raison à Yves Meny pour
qui, par la force imposante de la justice constitutionnelle, comme
moyen de réalisation de la démocratie [en Afrique], on assiste à «
l’invasion du politique par le juridique jurisprudentiel »255.
251 E. MANZANI, Les accords politiques dans la résolution des conflits, armés interne en Afrique, Thèse,
Université La Rochelle et Université de Cocodi Abidjan, 2011, p. 258 ;
252 C. EMERI, « Gouvernement des juges et veto des sages ? », RDP, 1990, p. 335-358.
253 E. LAMBERT, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale, op. cit. p. 2. La littérature sur le
« gouvernement des juges » est abondante, cette expression utilisée pour une première fois par Olivier
DEPEROUX, est devenue commode, imagée et employée avec des significations et dans des contextes
différents. V. M. TROPER et O. PFERSMANN, « Existe-il un concept de gouvernement des juges ? »,
in Gouvernement des juges et démocratie S. BRONDEL, N. FOULQUIER et L. HEUSCHLING, (dir.),
Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 21 sq ; D. de BECHILLON, « Le gouvernement des juges :
une question à dissoudre », D. 2002, Doct., p. 937 sq ; R. CHIROUX, « Libre propos sur le Conseil
constitutionnel : le spectre du gouvernement des juges ? », Rev. pol. et parlem., mai-juin 1977, p. 15 sq ; M.
TROPER , « Du bon usage des spectres. Du gouvernement des juges au gouvernement par les juges »,
Le nouveau constitutionnalisme, Mél., en l’honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, p. 49-65.
254 Il s’agit d’une violation de l’article 16 DDHC du 26 août 1789 : « toute société dans laquelle la garantie
des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution ». Selon
Karl POPPER, c’est cette déclaration qui, en France, permettra le passage d’une société fermée à une
société ouverte.
255 Y. MENY, « Révolution constitutionnelle et démocratie : chances et risques d’une nouvelle
définition de la démocratie », Cahiers du Conseil constitutionnel, hors-série -Colloque
du Cinquantenaire, 3 novembre 2009, disponible sur le site du CC, https://www.conseil-
constitutionnel.fr, p. 2.

53
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Le Conseil constitutionnel, par excès de pouvoir valide en


l’espèce le coup d’État en l’érigeant en une technique d’accès au
pouvoir au détriment des mécanismes classiques d’organisation
des élections256 encadrés par les constitutions et entérinés par
la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la
Gouvernance adoptée le 30 janvier 2007257.
En clair, l’établissement d’un nouvel ordre constitutionnel peut
prendre les allures d’une dictature pour les autorités, au regard des
dérives politiques d’une opération constituante non conforme aux
exigences démocratiques dans un contexte de crise politique258, mais
aussi d’un gouvernement des juges constitutionnels259 qui, parce
que détenant désormais les clés de sortie de crise, se comportent en
juges législateurs260.

256 A. EYINGA, Cameroun, 1960-1990. La fin des élections. Un cas d’évolution régressive de la démocratie,
paris, L’Harmattan, 1990, p 7 ; Du même auteur, Mandat d’arrêt pour cause d’élection. De démocratie
au Cameroun, 1970-1978, Paris, l’Harmattan, 1978, p. 251.
257 V. Art. 23 (2) de la CADEG qui inscrit au rang des changements anticonstitutionnel de
gouvernement, tout putsch ou coup d’Etat contre un gouvernement démocratiquement élu.
258 M. D. BLEOU, « La révision de la Constitution ivoirienne », Revue ivoirienne de droit, n°41, 2010, p. 157
sq, cité par Y.S. LATH, « La production constitutionnelle en période de crise dans les Etats d’Afrique :
crise du constitutionalisme ou constitutionalisme de crise », op.cit. p. 346. On fait allusion au Président
Mamadou TANDJA du Niger qui organisa le 4 août 2009, un referendum constituant très controversé
dans un contexte de crise politique d’où l’adoption d’une nouvelle constitution et la prolongation de trois
ans de son mandat.
259 J. WALINE, « Existe-t-il un gouvernement du juge constitutionnel en France ? » in Renouveau du
droit constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, p. 487-510.
260 M. CAPPELLETTI, « Des juges législateurs ? », in Le pouvoir des juges, Paris, Economica, PUAM, Coll.
Droit public, 1990, p. 23-113, M. WALINE, « Le pouvoir normatif de la jurisprudence » in Mélanges
G. Scelles, III, F. WODIE VANGAH, « Régimes militaires et constitutionnalisme en Afrique », Penant,
n°803, juin-sept., 1990, p.195-204.

54
Serge François SOBZE

CONCLUSION
« A l’évidence l’Afrique cherche. L’Etat cherche ses institutions, la démocratie
son expression, la justice [constitutionnelle] son éthique (…) »261.
C’est par ce constat fort saisissant de Raynal que l’on peut comprendre
les différentes épreuves que traverse le constitutionalisme africain
et la nécessité d’une justice para-constitutionnelle prise ici comme
une justice des sorties de crise en Afrique noire francophone262.
Par épreuves, on fait allusion ici au phénomène « pivot » qui
constituent le reflet du « mal être » du constitutionnalisme négro-
africain : le « constitutionnalisme rédhibitoire »263, le « reflux du
constitutionnalisme »264, le « désenchantement constitutionnel »265, le
« constitutionalisme global »266 et le « déclin du constitutionnalisme »267.
261 J. J. RAYNAL, « Le renouveau démocratique béninois : modèle ou mirage », Afrique contemporaine, n° 160,
1991, p. 25 ; I. DIALLO, « A la recherche d’un modèle africain de justice constitutionnelle », AIJC, XX,
2004, p. 93-120.
262 F. J. AÏVO, « Le droit des sorties de crise: Règles et procédures applicables aux ruptures de légalité
constitutionnalité », Communication au colloque international sur « La constitution et les crises en
Afrique », Cotonou, les 7 et 8 décembre 2015, p. 1-27.
263 J. OWONA, « l’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire : étude de quelques «
constitutions Janus », Mélanges en l’honneur de Pierre François GODINEC, LGDJ, 1985, p. 235-243.
264 J. MOUANGUE KOBILA, « peut-on parler d’un reflux du constitutionnalisme au Cameroun ? »,
in Recht in Africa, 2010, p. 38-82.
265 P. Avril, « Enchantement et désenchantement constitutionnels sous la Ve République », Pouvoirs, vol.
126, n° 3, 2008, p. 5-16. Ces phénomènes sont récurrents dans la pratique constitutionnelle africaine.
Voire K. DOSSO, « les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire (…) », op.cit. p.17.
266 L’expression est de Marie-claire PONTHOREAU, ««Global Constitutionalism», un discours
doctrinal homogénéisant, op.cit. Le « constitutionnalisme global » est cette tendance du
constitutionalisme selon laquelle les Constitutions des Etats ne sont plus suffisantes à réguler
l’ensemble des activités du gouvernement et que la société internationale gagnerait à utiliser les
concepts du constitutionnalisme pour mieux organiser son activité. Il a été critiqué du fait de
l’absence de l’Etat, de la population cohérente et des organes étatiques. En outre, les instances
internationales ne sont que le résultat de la volonté conventionnelle des Etats souverains. La
puissance des juridictions internationales ne permet pas, à elle seule, la construction d’un
constitutionalisme global.
267 M. AHANHANZO GLELE, « La Constitution ou loi fondamentale », in Encyclopédie juridique
de l’Afrique, Abidjan Dakar-Lomé, Les nouvelles Éditions africaines, p. 33-34.

55
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

La recrudescence des crises politiques268 marque l’entrée en


scène de la crise de la justice constitutionnelle qui à peine
célébrée269, est en perte de majesté.
Elle « inaugure la seconde mort de la Constitution »270 et confirme la
présence de la crise de la normativité et de la juridicité dans l’ordre
constitutionnel africain.
La justice constitutionnelle classique connaît donc du fait des coups
d’Etat, une certaine plasticité et la monté en puissance de la justice
para-constitutionnelle271 « attenue la fondamentalité de la norme
constitutionnelle »272, même s’il faut reconnaitre qu’elle participe
aussi à l’affirmation d’un modèle de justice constitutionnelle afri-
caine273 en période de crise politique274. Elle s’enracine dans l’évolu-
tionnisme juridique qui exige « l’adaptabilité constante de la justice
constitutionnelle aux transformations sociopolitiques »275.
268 P. BARBAKOUA (P.), La constitution à l’épreuve des accords politiques dans le nouveau
constitutionnalisme africain, Mémoire DEA, Université de Lomé, 2008, p. 9.
269 J. du Bois de GAUUSSON, « Victoire ou disgrâce des cours constitutionnelles en Afrique : les
tourments d’un professeur juge constitutionnel », in Mélanges en l’honneur du Président Robert
DOSSOU, Frédéric Joël AÏVO, Jean du Bois De GAUDUSSON, Christine DESOUCHES et
Joseph MAÏLA (dir.), L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie,
l’Harmattan, 2020, 1086 p. (spec. p. 231-247).
270 K. DOSSO, « Les pratiques constitutionnelles … », op. cit. p. 73.
271 P. LAMBERT, « La montée en puissance du juge », in Les Cahiers de l’institut d’Etude sur la justice,
Le rôle du juge dans la cité, Bruxelles Bruylant, 2002, p. 4.
272 A. KPODAR, « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l’accord de Linas
Marcoussis du 23 janvier 2003 », Revue juridique et politique des Etats francophones n°4, 2005, p. 2502 sq.
273 E. TIKONIMBE KOUPOKPA, Le modèle constitutionnel des Etats d’Afrique noire francophone dans
le cadre du renouveau constitutionnel : le cas du Bénin, du Niger et du Togo, Thèse de doctorat en droit
public, Université de Lomé, 2011, p.10.
274 L. SINDJOUN, « Le gouvernement de transition : élément pour une théorie politico-
constitutionnelle de l’Etat en crise ou reconstruction », in Mélanges en l’honneur de Slobodan
Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 972 et s ;
E.-H. MBODJ, « La Constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique », Revue de
droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2010, p. 441 sq.
275 Y.S. LATH, Les évolutions des systèmes constitutionnels africains à l’ère de la démocratisation, Thèse de
Doctorat, Université de Cocody, 2008.

56
Serge François SOBZE

Comment donc sortir la justice constitutionnelle africaine du


charybde de l’instabilité et du scylla de l’inconstitutionnalité?276
Comment empêcher l’enracinement d’une guerre des juges
constitutionnels en période de crises politiques en Afrique
noire francophone ?277
La justice para-constitutionnelle participe au comblement du vide laissé
par la disparition de l’ordre constitutionnel positif. Elle permet au juge
constitutionnel d’être non seulement un juge « dans le temps »278 mais
de rester un juge « de son temps »279, le temps de turbulences juridico-
politiques que rencontre l’ordre constitutionnel africain280.
De tout évidence, l’Afrique « adopte, remet en cause, suspend, abroge,
puis renouvelle [sa justice constitutionnelle] ; elle cherche sa voie… »281.
276 J. P. GRIDEL, « La motivation aux défis de la modernité-Entre charybde de l’hermétisme et
le scylla du bavardage », in La semaine juridique générale, n°5, 3 février 2020, doctrine. 141. En
effet, du fait des crises politiques, le constitutionalisme africain évolue dans un champ fermé à la
Constitution tout en se livrant au vaste mouvement d’inconstitutionnalité.
277 G. DRAGO, « La « guerre des juges » n’aura pas lieu », JCP A, 2, février 2007, n° 14, p. 29-35.
278 D. G. LAVROFF, « La constitution et le temps » in Droit à la croisée des cultures, Mélanges en
l’honneur de Philippe Ardant, LGDJ, Paris, 1999, p.208 ; J. BIKORO MERMOZ, Le temps dans le
droit constitutionnel africain : le cas des Etats africains d’expression française, Thèse de doctorat Ph/d,
Université de Yaoundé II, 2017, p.10
279 Cette formule est empruntée à F. HOURQUEBIE, « Libre propos sur le juge constitutionnel…
», op. cit. p. 14. La suspension de la Constitution par exemple, met nécessairement en lumière la
question de l’application et du changement dans le temps des normes juridiques. Sur le rapport entre
l’écoulement du temps et l’évolution du droit, lire : F. OST, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob,
1999, 376p ; C. JAUFFRET-SPINOSI, « Le temps et le droit », Conférence inaugurale Chaire
Jean-Louis Baudoin en droit civil, Montréal, Les éditions, 2005, p. 1-18. S. DIEBOLT, Le droit en
mouvement. Éléments pour une compréhension constructiviste des transformations complexes des
systèmes juridiques, Thèse de doctorat en droit. Université de Paris X Nanterre, 2000, p. 9.
280 S. PIERRE-CAPS, « Les révisions de la constitution de la Ve république : temps, conflits et
stratégies », RDP, n°2, 1998, p. 409.
281 Cette formule est du professeur AHANHANZO GLELE cité par K. AHADZI-NONOU, « Les
nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le cas des Etats d’Afrique noire francophone », La
revue du CERDIP, volume 1, n° 2, Juillet-décembre 2002, p. 35.

57
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

Cette recherche ne sera fructueuse que si l’émergence en question


de la justice para-constitutionnelle s’opère en respect de l’esprit
des Constitutions africaines282 sinon elle ne serait que ruine
du constitutionalisme283 et de l’Etat de droit284 dans les ordres
constitutionnels des Etats d’Afrique noire francophone.

282 S. PIERRE-CAPS, « L’esprit des constitutions », in Mélanges en l’honneur de Pierre PACTET, Paris,
Dalloz, 2003 ; D. KOKOROKO, « L’idée de constitution en Afrique », Afrique contemporain,
n°242, 2012, p. 117.
283 J. D. B. De GAUDUSSON, « Constitution sans culture constitutionnelle n’est que ruine du
constitutionalisme », in : Mélanges en l’honneur de Slobodan MILACIC, Démocratie et liberté :
tension, dialogue, confrontation, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 333-348.
284 M. AHANHANZO-GLELE, « Pour un État de droit en Afrique », in Mélanges offerts à Pierre
François Gonidec, L’État moderne Horizon 2000, aspects interne et externe, Paris, LGDJ, 1985,
pp.181-193.

58
Serge François SOBZE

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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insurrectionnel au Burkina Faso », Revue du CAMES,
001/2015.
2. Alexis ESSONO OVONO, « Armée et démocratie en Afrique,
une relation ambivalente à normaliser », Afrique contemporaine,
2012/2 n° 242, pp. 120 sq.
3. Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique : Succès et
résistances », in La démocratie en Afrique, Pouvoirs, n°129, p. 18 sq.
4. Célestin KEUTCHA TCHAPNGA, « Droit constitutionnel
et conflits politiques dans les Etats francophones d’Afrique
noire », RFDC, n° 63, 2005, p. 451-491.
5. Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, « Les solutions
constitutionnelles des conflits politiques », Afrique
contemporaine, n° spécial, 4e trimestre, 1996, p. 251-256.
6. Jean RIVERO, « Le Conseil constitutionnel : Des juges qui ne
souhaitent pas gouverner », AJDA, 1975, p. 134-138.
7. Jean WALINE, « Existe-t-il un gouvernement du juge
constitutionnel en France ? » in Renouveau du droit
constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz,
2007, p. 487-510.

59
Emergence de la justice para-constitutionnelle en Afrique subsaharienne

8. Joël-Fréderic AÏVO, « La crise de la normativité de la


constitution en Afrique », Revue du droit public et de la science
politique en France et à l’étranger, n°1, 2012, p. 141 sq.
9. Karim DOSSO, « Les pratiques constitutionnelles dans les Etats
d’Afrique noire francophone : cohérences et incohérences »,
RFDC, 2012, p. 57-85.
10. Marie-Madeleine MBORANTSUO, La contribution des Cours
constitutionnelles à l’Etat de droit en Afrique, Paris, Economique,
2007, 366 p.
11. Michard Bériot EKELLE NGONDI, « Le droit constitutionnel
en dehors du droit constitutionnel : réflexion sur le
constitutionalisme en Afrique noire », Revue Africaine de Droit
Public, vol. VII, n° 14, supplément 2018, p. 229-250.
12. Oumarou NAREY, « L’ordre constitutionnel », in Mélanges
dédiés au Doyen Francis V. VODIE, D. F. MELEDJE, M. BLEOU
et F. KOMOIN (dir.), Toulouse, Presses de l’Université
Toulouse I, Capitole, 2016, p. 399-421.
13. Paterne MAMBO, « Les rapports entre la Constitution et
les accords politiques dans les Etats africains : réflexion sur la
légalité constitutionnelle en période de crise », Revue de droit
McGill, 2012, p. 922-949.
14. Théodore HOLO, « Emergence de la justice constitutionnelle »,
Pouvoirs, 2009/2n°129, p. 101-114.

60
Serge François SOBZE

15. Yédoh Sébastien LATH, « La production constitutionnelle


en période de crise dans les Etats d’Afrique : crise du
constitutionalisme ou constitutionalisme de crise », in Djedro
Francisco MELEDGE, Martin BLEOU et François KOMOIN,
(dir.), Mélanges dédiés au Doyen Francis VANGAH WODIE,
Presse de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, p. 337-359.

61
62
L’INSTRUCTION DANS LE PROCÈS
CONSTITUTIONNEL. RÉFLEXION À PARTIR DES
ÉTATS D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

Par
Alain Ghislain EWANE BITEG
Docteur/PHD en droit public,
Assistant à la Faculté des sciences juridiques
et politiques, Université de Yaoundé II SOA

L e procès constitutionnel est un procès comme les autres1en ce


sens qu’il repose sur une pluralité de phases classiques au rang
desquelles, on peut citer l’instruction. Il s’agit d’un « temps clé du
procès constitutionnel »2 en ce qu’il permet au juge de réunir les
éléments de faits et de droit qui lui permettent de rendre la décision.
Si elle est d’apparition récente en Afrique, l’instruction a une certaine
antériorité historique dans le constitutionnalisme français. En effet,
sous la IIIe République en France, il existait déjà une procédure

1 BRUNET (P.), « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? Réflexions méthodologiques
sur la justice constitutionnelle », in JOUANJAN O. et al., la notion de justice constitutionnelle, 2005,
Dalloz, PP.115-135. Pour l’auteur : « le juge constitutionnel ne serait pas un juge comme les autres parce que
l’interprétation de la Constitution exigerait des méthodes d’interprétation spécifiques, elles-mêmes justifiées par
le fait que la Constitution ne serait pas un texte comme un autre». Toutefois, le procès constitutionnel est
un procès comme les autres dans la mesure où il relève l’existence d’un différend lie à l’application d’une
disposition législative, un jugement de ce différend selon les principes du contradictoire, de la publicité,
de l’oralité, de l’impartialité du tribunal et une décision bénéficiant de l’autorité de la chose jugée. De plus,
les éléments constitutifs du procès sont réunis dans le procès constitutionnel à savoir : un ensemble de
critères formels et matériels. Pour un approfondissement, lire utilement ROUSSEAU (D.), « Le procès
constitutionnel », Revue Pouvoirs, n°137, 2011, PP. 47-57.
2 AKEREKORO (H.), « Le procès constitutionnel au Bénin », ABJC, 2013, P.85.

63
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

d’instruction suivie devant le SÉNAT et la Haute Cour de Justice.3


Depuis longtemps, elle constitue une procédure préparatoire4, une phase
déterminante pour dire le droit et trancher le litige.5 C’est la raison pour
laquelle, le Professeur Olivier GOHIN la qualifie de : « temps fort »6du
procès en ce qu’elle respecte un formalisme qui vise l’établissement de la
véracité des faits et le prononcé d’une décision sur une question de droit
posée. Loin d’être ignorés dans les États d’Afrique noire francophone,
les textes organiques régissant les juridictions constitutionnelles du
Sénégal,7 de la RCA,8du Cameroun,9des Comores10 et du Congo11la
prévoient en déclinant son déroulement.
En droit processuel, instruire le procès, c’est mettre l’affaire en l’état
d’être jugée.12 Instruire, c’est aussi connaître le procès.

3 La loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, article 12, section 5 portait : « une loi déterminera le
mode de procéder pour l’accusation, l’instruction et le jugement du Président de la République et les
ministres devant le SÉNAT constitué en cour de justice pour crimes commis dans l’exercice de leurs
fonctions », voir DUGUIT (L.), Manuel de droit constitutionnel : Théorie générale de l’État, le droit et
État, les libertés publiques, l’organisation politique de la France, E. de BOCCARD, 1923, P. 493.
4 C’est une procédure au cours de laquelle : « le président assigne chacune des affaires qui se présentent à
l’un des rapporteurs permanents ». EISENMANN (Ch.), La justice constitutionnelle et la Haute Cour
constitutionnelle d’Autriche, Economica, PUF, 1928, P.201.
5 D’AMBRA (D.), L’objet de la fonction juridictionnelle : Dire le droit et trancher les litiges, LGDJ, Coll.
« Bibliothèque constitutionnelle de droit privé- Tome 236 », 1994, 339P.
6 GOHIN (O.), La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, LGDJ, 1988, P.159.
7 Loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel du Sénégal.
8 Loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle de la RCA.
9 Loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel.
10 Loi organique n°004-001 du 30 juin 2004 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle des Comores.
11 Loi organique n°28-2018 du 7août 2018 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle du Congo.
12 MAGNON (x.), « Qu’est-ce ‘’instruire’’ le procès constitutionnel ? », Xavier MAGNON, Pierre
ESPLUGES-LABATUT, Wanda MASTOR, Stéphane MOUTON. Les pouvoirs d’instruction des
Cours constitutionnelles et la formation de l’intime conviction des juges constitutionnels, les Cahiers de
l’Institut Louis FAVOREU, PUAM, 2016, P.4.

64
Alain Ghislain EWANE BITEG

Il est nécessaire de connaître les éléments d’un litige pour


pouvoir le résoudre. Ainsi, il existe une part de subjectivité dans
l’instruction en l’occurrence l’intime conviction du juge.13 En effet,
celle-ci, face à deux argumentations contradictoires pro et contra
sur la constitutionnalité d’une disposition infra constitutionnelle à
réunir tous les éléments susceptibles d’éclairer la solution à prendre
pour résoudre le conflit normatif. La notion d’instruction renvoie
donc au procès et se conçoit comme l’ensemble des formalités
nécessaires pour qu’une affaire soit en état d’être jugée. C’est
également la phase de l’instance qui permet au juge saisi d’établir
le fondement et la véracité des faits allégués. Cette notion se définit
également en fonction de type de procédure mise en cause. Dans
la procédure civile et administrative par exemple, elle est la phase
de l’instance au cours de laquelle les parties précisent et prouvent
leurs prétentions pendant que le tribunal réunit des éléments qui
lui permettent de statuer. Elle est par ailleurs considérée dans la
procédure pénale comme une sorte d’avant-procès qui permet
l’établissement de l’infraction et du caractère probant des charges.14
Au surplus, la procédure d’instruction est principalement écrite et
secrète. Elle varie selon qu’on se trouve en droit privé ou en droit
public. La procédure civile est accusatoire et fondée sur le régime
légal de preuve. Ici, on parle de l’administration légale de la preuve
puisqu’il existe un juge chargé de conduire les affaires. À l’inverse,
dans le contentieux administratif,

13 L’intime conviction ou preuve morale. Le juge apprécie en toute liberté les preuves qui lui sont
soumises.
14 DEBARD (Th.), GUINCHARD (S.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 27ème édition, 2019,
P.578.

65
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

la procédure est dite inquisitoriale et le régime de la preuve est


libre. L’instruction est assurée au travers de la communication
établie entre les parties. Le Professeur Olivier GOHIN écrit à cet
égard que : « l’instruction écrite consiste dans la communication faite
par des agents respectifs au membre du tribunal et la partie adverse des
mémoires et contre-mémoires, et au besoin des répliques et dupliques…
».15Sans extrapoler, l’instruction ouvre la voie au déroulement
matériel de l’instance, puisqu’elle permet aux parties d’établir les
faits allégués et au juge la véracité de ceux-ci. Le déroulement de
l’instruction en contentieux constitutionnel est certes différent de
celui qui existe en droit privé, il convient cependant d’observer
que les caractères généraux de la procédure d’instruction s’y
appliquent à l’instar des principes relatifs à l’information des
parties, notamment le principe du contradictoire.
Dans le langage courant, « le procès » peut désigner le moment où
les juges procèdent publiquement à l’instruction contradictoire des
faits avant de trancher le litige. De plus, le procès fait référence à un
litige soumis à une juridiction. Le vocable « procès constitutionnel »
vise principalement le contrôle de constitutionnalité. C’est la raison
pour laquelle le Professeur Guillaume DRAGO le définit comme :
« une procédure de contestation de la constitutionnalité de la loi pouvant
conduire à la censure de tout ou partie de celle-ci… » Mais, dans le procès
constitutionnel, il ne s’agit pas que de la loi ; le litige constitutionnel
peut aussi porter sur les actes réglementaires. C’est pourquoi ce
procès est considéré par Monsieur Hilaire AKEREKORO comme :
« l’ensemble procédural et des mécanismes visant à permettre au juge

15 GOHIN (O.), La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, LGDJ, 1988, P.14.

66
Alain Ghislain EWANE BITEG

constitutionnel de rendre la justice en matière constitutionnelle ».16En


matière électorale, il s’agit des litiges portés contre le processus
électoral. Il désigne l’ensemble des recours réalisés à l’encontre des
résultats des élections, des campagnes électorales ou des inscriptions
sur les listes électorales à cause d’une erreur ou d’une irrégularité.
Le procès constitutionnel est l’ensemble des règles procédurales
permettant au juge de rendre la décision. Cette définition du procès
constitutionnel fait du juge constitutionnel un juge spécial dans la
plupart des États d’Afrique noire francophone.
On parle des États d’Afrique noire francophone pour désigner les
États africains ayant en partage la langue française. Il s’agit d’une
communauté linguistique et de la convergence des modèles ou
systèmes juridiques. Le choix des États africains ayant en partage
l’usage de la langue française facilite l’analyse des textes juridiques
et de la jurisprudence constitutionnelle. De plus, il existe une
convergence d’option dans les réformes juridiques des différents
États africains. Pour l’essentiel, on peut dire que le recours à
l’expression États d’Afrique noire francophone permet de désigner
les États issus de la décolonisation17c’est-à-dire ceux ayant fait
l’objet de colonisation française ou belge, laquelle colonisation
s’exerçait soit au nom « d’un titre de souveraineté propre dans le cas des
territoires annexés à une métropole »,18 soit sur la base d’un mandat
international dans le cas des territoires sous tutelle.19
16 AKEREKORO (H.), « Le procès constitutionnel au Bénin », ABJC, 2013, P.64.
17 CONAC (G.), « L’évolution constitutionnelle des États d’Afrique noire francophone et la
République démocratique malgache », CONAC (G.) (dir.), Les institutions politiques des États
d’Afrique noire francophone et de la République malgache, Paris, Economica, 1979, P.1.
18 On peut citer dans cette logique, des États tels que : Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, RDC,
République du Congo, Gabon, Mali, Sénégal ou encore le Tchad.
19 C’est dans ce sens qu’il convient de situer le Cameroun et le Togo.

67
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

En réalité on peut se rendre compte d’une grande proximité entre


ces États en ce qui concerne les options et les développements
constitutionnels. On peut en déduire que l’Afrique noire
francophone est un espace d’isomorphisme constitutionnel.20
Les Constitutions des années 1960 à 1990 avaient prévu des
mécanismes de contrôle de constitutionnalité confiés à des
chambres spécialisées des Cours suprêmes. Mais, leur effectivité
se trouvait hypothéquée par le monolithisme des régimes d’alors.21
L’environnement économique caractérisé par les situations
de sous-développement, ainsi que les vicissitudes auxquelles
étaient inévitablement exposés de jeunes États, encore fragiles,
ne donnaient guère l’occasion d’expérimenter un authentique
procès constitutionnel. Ce qui signifie qu’on ne pouvait envisager
l’existence de l’instruction en matière constitutionnelle. Toutefois,
avec l’émergence du contentieux constitutionnel des années 1990,
l’on note également l’accentuation du procès constitutionnel dont
l’une des phases est l’instruction. Elle varie selon le niveau de
juridictionnalisation de la justice constitutionnelle. D’ailleurs, les
lois régissant les Cours et conseils constitutionnels dans les États
d’Afrique noire francophone ont prévu une phase d’instruction
dans le procès constitutionnel. Sans être exhaustif, c’est le cas

20 Dans les Etats d’Afrique noire francophone on note une convergence des modèles constitutionnels.
Lire dans ce sens : CABANIS (A.), et MARTIN ( J.-L.), « Un espace d’isomorphisme
constitutionnel : l’Afrique francophone », in Mouvement du droit public, Mélanges en l’honneur de
Franck MODERNE, Paris, Dalloz, 2005, PP.343-357.
21 Sur ces points lire utilement, CONAC (G.), « Le juge constitutionnel en Afrique, censeur ou
pédagogue ? In Conac (G.), Les Cours suprêmes en Afrique, tome II, Paris, Economica, 1989, P.VI et ss. Voir
aussi MODERNE (F.), « Les juridictions constitutionnelles en Afrique », in Conac (G.), op.cit., P.3 et ss.

68
Alain Ghislain EWANE BITEG

des pays tels que les Comores22, le Burundi23et le Burkina Faso24.


Ces illustrations suscitent une réflexion autour de la procédure
d’instruction dans le procès constitutionnel. Dans cette perspective
on peut formuler la question suivante : comment les législations
d’Afrique noire francophone aménagent-elles l’instruction dans
le procès constitutionnel ? À partir de la mobilisation des textes
juridiques et de la jurisprudence constitutionnelle, le constat qui se
dégage est que l’instruction est une phase décisive au déroulement
du procès constitutionnel. L’intérêt de cette étude est dual. Du point
de vue théorique, cette étude permet de vulgariser la procédure
contentieuse devant le juge constitutionnel. Au plan pratique, elle
peut offrir des canaux utiles aux usagers du service public de la
justice constitutionnelle à travers la maitrise des intervenants et la
structuration de la procédure d’instruction. Les législations d’Afrique
noire francophone aménagent l’instruction de manière duale : en
l’autonomisant (I) et en articulant ces phases (II).
I- L’AUTONOMISATION DE L’INSTRUCTION
La phase d’instruction est interne à la juridiction constitutionnelle.
C’est ainsi que les règles de procédures devant elles font l’objet
d’une règlementation cohérente. L’on note l’aménagement de la
procédure d’instruction dans les législations des États d’Afrique
noire francophone. De sorte que l’autonomisation de l’instruction
est à la fois avérée (A), et justifiée (B).

22 Loi organique n°004-001 du 30 juin 2004 portant organisation et fonctionnement de la Cour


constitutionnelle des Comores.
23 Lire la loi n°1/018 du 19 décembre 2002 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle ainsi que la procédure applicable devant elle.
24 Voir la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation,
attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et la procédure applicable devant lui.

69
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

A- UNE AUTONOMISATION AVÉRÉE


L’instruction est diligentée par la juridiction constitutionnelle.
Elle applique les règles et procédures qui lui sont propres. Ainsi,
la juridiction constitutionnelle n’a pas besoin de faire recours à
une autre juridiction pour l’instruction. C’est le président de la
juridiction qui désigne le rapporteur (1), et l’on note également
une diversification des pouvoirs du juge rapporteur (2).
1- La désignation du rapporteur par le président de la
juridiction constitutionnelle
Dans les États d’Afrique noire francophone, il revient au président
de la juridiction constitutionnelle de désigner le rapporteur. À titre
d’illustration, la loi portant organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle du Congo dispose que : « À l’occasion
de l’examen de chaque affaire dont la Cour constitutionnelle est
saisie, le président nomme un rapporteur parmi les membres de
la Cour ».25Des dispositions analogues existent au Bénin,26 au
Niger27 et en Côte d’Ivoire.28 La pertinence de la désignation du
rapporteur par le président de la juridiction réside dans le fait que ce

25 Lire l’article 21 de la loi organique n°28-2018 du 7 août 2018 portant organisation et


fonctionnement de la Cour constitutionnelle du Congo.
26 L’article 29 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle stipule que : « le dossier de la
procédure est affecté à un rapporteur désigné par le président ».
27 L’article 22 de la loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation et le
fonctionnement de la Cour constitutionnelle et de la procédure suivie devant elle énonce que :
« le Greffier en chef transmet aussitôt au Président de la Cour la requête accompagnée d’un projet
d’ordonnance pour la désignation d’un Conseiller rapporteur. Le Président prend une ordonnance
de désignation du rapporteur en lui fixant une date pour déposer son rapport …»
28 L’Article 22 la loi n°22/95/ADP du 18 mai 1995 portant Règlement intérieur du Conseil
constitutionnel ivoirien stipule que : « le Greffier en chef transmet aussitôt au président du Conseil la
requête accompagnée d’un projet d’article d’ordonnance pour la désignation d’un conseiller rapporteur ».

70
Alain Ghislain EWANE BITEG

dernier est le gestionnaire des procédures29au sein de la juridiction


constitutionnelle. Dès que la requête est réceptionnée au Secrétariat
général ou au greffe de la juridiction, elle est orientée vers le
président de l’institution qui la lie afin de désigner le conseiller
rapporteur.30Ainsi, verra-t-on des décisions dont le rapporteur est un
magistrat31, le recours étant relatif à une question pendante devant
les juridictions de droit commun, ou encore des décisions dont le
rapporteur est une personnalité32, ancien préfet, ancien ministre du
Travail33; la question à trancher dans le recours étant relative à la
gestion de la carrière d’un citoyen ; ou même le rapporteur est un
enseignant d’Université,34 ancien secrétaire général de la présidence
de la République. Cette étape est décisive, car du choix du rapporteur
peut dépendre la solution.

29 AÏVO (F-J.), « Le président de la juridiction constitutionnelle. Portrait négro-africain », RDP, 2019, n°3,
P.786.
30 Idem.
31 Bénin, Cour constitutionnelle 7 janvier 2016, n° DCC 16-007 : Recueil Cour constitutionnelle, Vol.1,
P.71 et s.
32 Certains juges sont désignés par les autorités de nomination en cette qualité. Ils ne sont pas
forcément juristes, mais siègent dans la juridiction en raison de leur réputation professionnelle et
de leur expérience au service de l’État.
33 Cour constitutionnelle 11 février 2016, n° DCC 16-040 : Recueil Cour constitutionnelle, Vol.1, P.289 et s.
34 Au Cameroun, dans l’affaire Entreprises Publiques : le dossier de 18 Directeurs généraux devant le
Conseil constitutionnel, le président de cette juridiction a désigné le Professeur Joseph OWONA
comme rapporteur.

71
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

L’acte de désignation du juge rapporteur est généralement une


ordonnance.35À titre de rappel, l’ordonnance est une décision prise
par un juge, dans certains cas où ce dernier statue seul dans son cabinet
en l’absence de toute procédure contradictoire. L’on peut se poser la
question de savoir si l’ordonnance de désignation du rapporteur est
contrôlable ? Le juge constitutionnel ne peut contrôler un tel acte,
car, il n’entre pas dans ses attributions constitutionnelles. Il s’agit au
surplus d’un acte interne à un pouvoir public constitutionnel qui ne
fait l’objet d’un recours juridictionnel, parce que couvert par une
immunité. On peut donc qualifier l’ordonnance de désignation du
rapporteur comme étant un acte injusticiable.
À l’analyse de certains textes juridiques qui régissent les
juridictions constitutionnelles, l’autorité qui désigne le
rapporteur en cas d’empêchement du président de la juridiction
n’est pas identifiée. C’est dire qu’en cas d’empêchement du
président de la juridiction les textes ne désignent pas l’autorité
compétente pour le remplacer dans ce domaine. De même, en
période de crise l’autorité qui désigne le rapporteur n’est pas
identifiée. Mais, il est possible de déduire l’autorité compétente
pour remplacer le président en cas d’empêchement, à partir des
textes juridiques et de la jurisprudence constitutionnelle.

35 L’Article 22 la loi n°22/95/ADP du 18 mai 1995 portant Règlement intérieur du Conseil constitutionnel
ivoirien stipule que : « le Greffier en chef transmet aussitôt au président du Conseil la requête accompagnée
d’un projet d’article d’ordonnance pour la désignation d’un conseiller rapporteur ». L’article 24 de la loi portant
organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle de la République centrafricaine stipule
que : « le rapporteur est désigné parmi les membres de la Cour par ordonnance de son président ». Au Niger,
l’article 22 de la loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation et le fonctionnement
de la Cour constitutionnelle et de la procédure suivie devant elle énonce que : « Le Président prend une
ordonnance de désignation du rapporteur en lui fixant une date pour déposer son rapport …»

72
Alain Ghislain EWANE BITEG

Dans la première hypothèse, l’article 19 de la loi régissant la Cour


constitutionnelle du Congo prévoit que : « le vice-président supplée
le président en cas d’absence ou d’empêchement de celui-ci. En cas
d’empêchement du président et du vice-président, la suppléance est
assurée par le plus âgé des membres présents de la Cour constitutionnelle
».36Une disposition analogue est prévue au Bénin.37 Ainsi, en cas
d’empêchement du président, le vice-président ou le doyen d’âge
de la juridiction constitutionnelle peut désigner le rapporteur.
Dans la seconde hypothèse, les décisions du juge constitutionnel
nigérien précisent dans les visas que : « …Vu l’ordonnance n° 059/
PCC du 20 septembre 2016 de Monsieur le Vice-Président portant
désignation d’un Conseiller rapporteur… »38Le Niger, enseigne
que le vice-président de la Cour constitutionnelle peut désigner
le rapport en cas d’absence du Président. De même, en période
de transition, c’est le président du Conseil constitutionnel de
transition39qui est chargé de désigner le rapporteur.
On peut également se poser la question de savoir, qui peut remplacer
le rapporteur en cas d’empêchement de ce dernier ? En guise de
réponse et pour se limiter au cas de la Côte d’Ivoire, la loi organique
sur la juridiction constitutionnelle dispose que : « Au cours du
dernier trimestre de chaque année, le Conseil constitutionnel arrête une
liste de huit rapporteurs adjoints choisis parmi les magistrats,

36 Voir la loi organique n°28-2018 du 7août 2018 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle du Congo.
37 Lire les articles 4 et 15 de la loi N°91-009 du 4 mars 1991 portant loi organique sur la Cour
constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001.
38 Voir l’Arrêt n°005/CC/MC du 23 septembre 2016.
39 «…Vu l’ordonnance n°001/PCCT du 21 juin 2010 de Madame le Président du Conseil constitutionnel
de Transition portant désignation d’un Conseiller rapporteur… »

73
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

les avocats et les enseignants de Droit des Universités et des Grandes


Écoles dans les conditions déterminées par décret. Ces rapporteurs
sont proposés à raison de deux par le Premier président de la Cour de
cassation, trois par le garde des Sceaux, ministre de la Justice et trois
par le ministre chargé de l’Enseignement supérieur ».40Il en découle
qu’en cas d’absence du rapporteur désigné par le président de
la juridiction constitutionnelle, ce dernier peut être remplacé
par un rapporteur adjoint. Ce dernier peut prendre la figure
d’un avocat, d’un enseignant de Droit des Universités et des
grandes écoles. De plus, l’autorité qui désigne le rapporteur peut
également être : le premier président de la Cour de cassation,
le ministre de la Justice et celui de l’Enseignement supérieur.
Les textes qui régissent ces juridictions ne précisent pas si le président
dispose d’un pouvoir discrétionnaire ou alors d’une compétence
liée. Si le président peut désigner un rapporteur de son choix à
bien y regarder, il est contraint de désigner un rapporteur plutôt
qu’un autre dans toutes les affaires pour lesquelles la juridiction
constitutionnelle est saisie. Il n’est donc exagéré d’affirmer que le
président dispose d’un pouvoir discrétionnaire41 pour désigner un
rapporteur. Le rapporteur n’est pas toujours connu du public. C’est
à l’issue de l’instruction qu’on peut ou pas savoir le nom du juge
qui a mené l’instruction. Sans être exhaustive, la jurisprudence
40 Lire l’article 17 de la loi organique n°2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le
fonctionnement du Conseil constitutionnel.
41 On parle généralement du pouvoir discrétionnaire pour évoquer l’hypothèse selon laquelle « le
droit ne dicte pas à l’autorité administrative, le parti à prendre, ne lui impose pas sa conduite ». Ce qui
revient à dire que le pouvoir discrétionnaire repose sur la liberté de choix accordé à une autorité
au moment de l’exercice d’une compétence. Lire dans ce sens WALINE (M.), « Le pouvoir
discrétionnaire de l’administration et la limitation par le contrôle juridictionnel », RDP, 1930,
P.398 ; BOCKEL (A.), « Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnaire de l’administration »,
ADJA, 1978, P.356.

74
Alain Ghislain EWANE BITEG

constitutionnelle des États comme le Bénin42, le Congo43 et le


Niger44 enseigne que : toute décision est l’œuvre d’un rapporteur, le
nom du rapporteur est dévoilé au public.
Au-delà de la désignation stricto sensu, il est important de mettre la
focale sur le moment de sa désignation. Le rapporteur est designer
après l’enregistrement de la requête au Greffe ou Secrétariat général
de la juridiction. Il existe des cas où sa désignation est précédée
par un projet d’ordonnance qui sera confirmée ou infirmée par
le président de la juridiction constitutionnelle. Au surplus, le
rapporteur dispose d’un mandat qui est fixé par le président de la
juridiction constitutionnelle. La plupart des textes qui régissent
les juridictions constitutionnelles dans les États d’Afrique noire
francophone n’indiquent pas la date fixée pour la production d’un
rapport. Le délai pour produire le rapport n’est pas connu, il revient
ainsi au président de la juridiction de le déterminer. C’est dans
cette logique qu’au Niger, l’article 22 de la loi organique n° 2012-
35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation et le fonctionnement
de la Cour constitutionnelle et de la procédure suivie devant elle

42 Au Bénin, voir la Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011. Ici, le président de la juridiction et
le rapporteur sont nommément désignés tant au niveau des visas avec la formule suivante « …
OUÏ le Professeur Théodore HOLO en son rapport… » que du dispositif avec la formule qui suit :
« ….Le rapporteur, Professeur Théodore HOLO... Le Président, Robert S. M DOSSOU. »Pareille
formule se retrouve dans une autre décision. L’on peut lire au niveau des visas « …OUÏ Madame
ELISABETH K. POGNON en son rapport… » « …la rapporteure Elisabeth K. POGNON… La
Présidente Elisabeth K. POGNON ».
43 Voir l’Arrêt n°002/CC/MC du 22 mars 2016. Au Congo, le juge rapporteur n’est pas nommément
désigné. Néanmoins, il est fait du rapport dans les visas. C’est la formule suivante qui est la plus
usitée : « …le rapporteur ayant été entendu… » « … Vu l’ordonnance n°031/PCC en date du 14 mars
2016 de Madame le Président désignant un Conseiller rapporteur… »
44 «…vu l’ordonnance n°001/PCCT du 21 juin 2010 de Madame la Présidente du Conseil constitutionnel
de Transition portant désignation d’un Conseiller rapporteur… »

75
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

énonce que : « le Président prend une ordonnance de désignation du


rapporteur en lui fixant une date pour déposer son rapport. Le rapport
doit être remis aux Conseillers au moins vingt-quatre (24) heures avant
le début des délibérations ». Dans l’optique de la consolidation de la
qualité de la justice constitutionnelle, un délai aurait pu être fixé au
rapporteur pour la production de son rapport. Les textes juridiques qui
régissent les juridictions constitutionnelles dans les États d’Afrique
noire francophone aménagent des pouvoirs pour le rapporteur.
2. La diversification des pouvoirs du rapporteur
Les pouvoirs d’instruction sont de nature et d’ampleur variables.
Certaines juridictions constitutionnelles bénéficient de prérogatives
larges.45Le rapporteur se voit attribuer par la législation plusieurs
pouvoirs durant la phase d’instruction, et la liste de ces pouvoirs
n’est pas limitative. Il peut instruire des mesures d’expertise et
d’injonction à l’effet d’avoir les éléments nécessaires pour trancher
le litige. D’abord, pour certaines questions, le juge rapporteur peut
faire appel aux experts qui l’aideront par leur travail, à proposer
un projet de décision. Dans la plupart des États d’Afrique noire
francophone, le juge rapporteur peut commettre l’expertise. Les
législations qui régissent les juridictions constitutionnelles prévoient
la commission de l’expertise afin d’aider le juge sur des questions
présentant un caractère technique ; soit implicitement, c’est le cas

45 TUSSEAU (G.), Contentieux constitutionnel comparé. Une introduction critique au Droit constitutionnel
processuel constitutionnel, Paris, LGDJ, 2021, P. 1050. Pour l’auteur, les pouvoirs d’instruction peuvent se
résumer en ce qu’il qualifie de « l’enquête constitutionnelle ». Ainsi, au titre de leurs pouvoirs d’instruction,
les rapporteurs sont notamment autorisés à entrer en contact, outre avec les parties, auxquelles des
précisions ou des pièces complémentaires peuvent être demandées avec de nombreuses autorités,
institutions ou personnes extérieures à la juridiction, notamment des témoins ou des experts. Ils peuvent
sous peine de sanction, en obtenir des informations et des documents. Ibid., P. 1055.

76
Alain Ghislain EWANE BITEG

du Congo46, du Sénégal47, du Cameroun48 ; soit alors explicitement,


c’est le cas des Comores. Dans ce dernier cas, l’article 59 de la loi
qui régit la juridiction constitutionnelle prévoit que : « la Cour a
des pouvoirs d’instructions et d’investigation les plus étendus… Elle peut
notamment… commettre des experts ».49
La jurisprudence constitutionnelle de certains États d’Afrique noire
francophone est révélatrice du fait que le juge rapporteur peut
commettre l’expertise. En effet, au Congo, dans une décision50portant
désignation d’un collège de trois médecins assermentés chargé
de constater l’état de bien-être physique et mental des candidats
aux fonctions de Président de la République, scrutin du 20 mars
2016, le juge rapporteur a commis trois médecins en l’occurrence :
Professeur Thierry Alexis Raoul GOMBET (cardiologue et
médecine interne), Professeur agrégé Bebène DAMBA BANZOUZI
(neurologie), Docteur Raphaël ISSOÏBEKA (médecine générale).
Cet exemple n’est pas singulier, en Côte d’Ivoire,51 le juge
rapporteur a dû requérir la décision de Monsieur Young-Yin CHOI,

46 Lire l’article 22 de la loi organique n°28-2018 du 7 août 2018 portant organisation et


fonctionnement de la Cour constitutionnelle du Congo.
47 Voir l’article 14 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel du
Sénégal.
48 Lire l’article 57 alinéa 4 de la DÉCISION N°01/CC du 17 juillet 2009 portant adoption du Règlement
intérieur.
49 Voir article 59 de la loi organique n°04-001 du 30 juin 2004 portant organisation et fonctionnement
de la Cour constitutionnelle des Comores.
50 Voir Décision n°002/DCC/16 du 2 février 2016.
51 Après plusieurs reports, le peuple ivoirien a, le 31 octobre 2010, donné quitus aux candidats Laurent
GBAGBO et Alassane OUATTARA de s’affronter au second tour de l’élection présidentielle. Le juge
rapporteur en vertu de ses pouvoirs d’instructions fera appel à la communauté internationale à l’effet de
jouer le rôle d’expert de l’élection présidentielle.

77
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies,


certificateur des résultats électoraux afin que le Conseil
constitutionnel prenne la décision n°CI-2011 EC du 4 mai
2011 portant proclamation de Monsieur Alassane Dramane
OUATTARA Président de la République de Côte d’Ivoire. Les cas
du Cameroun52 et de la République centrafricaine53 permettent
également de mobiliser l’expertise.
Le juge rapporteur est libre d’ordonner l’expertise. La demande
d’expertise n’est jamais obligatoire. Ainsi, dans une affaire qui
nécessite l’intervention d’un expert, rien n’oblige le juge rapporteur
à commettre l’intervention de l’expertise. Ce qui peut avoir pour
conséquence le déséquilibre de la qualité du procès constitutionnel.
Il convient de préciser que, le juge rapporteur ne peut prescrire
une expertise, quelle qu’elle soit, que dans la mesure où celle-ci
est opportune ou utile à la solution du litige. Le juge rapporteur
peut décider de procéder d’office à l’expertise, en mentionnant
nommément les experts désignés, leurs professions ainsi que leurs
adresses. Par ailleurs, l’expertise est ordonnée en fonction de la
nature de l’affaire. En clair, le choix de l’expert dépend de la nature
de l’affaire soumise à l’attention du juge rapporteur.
La question de l’indépendance de l’expert mérite d’être soulevée
dans un contexte de politisation du juge constitutionnel
africain. Il est nécessaire qu’après la désignation des experts,
52 Au Cameroun, lors de l’élection présidentielle de 2018, c’est après la commission de l’expertise
que le juge rapporteur a rejeté les recours de Joshua OSIH et Maurice KAMTO pendant la
troisième journée d’examen du contentieux postélectoral.
53 En 2021, le juge rapporteur de la Cour constitutionnelle centrafricaine après une expertise a refusé
de donner son aval à la révision de la Constitution proposée par l’Assemblée nationale et portée
par les partisans du chef de l’État, Faustin Archange TOUADERA.

78
Alain Ghislain EWANE BITEG

ces derniers prêtent serment devant le président de la juridiction


constitutionnelle et qu’ils déposent leur rapport dans un délai
raisonnable. Ainsi, l’expert doit garder la possibilité de refuser
l’expertise qui lui est demandée par le juge rapporteur. En effet,
l’expert doit remplir sa mission en toute indépendance. Il ne doit
pas avoir en esprit d’être reconnaissant à l’égard de l’autorité qui la
désigné. Ainsi, tout au long des opérations l’expert doit garder un
esprit d’impartialité. C’est une obligation qui est consubstantielle
à la technicité de sa compétence. En outre, pour assurer le bon
déroulement de l’expertise, le juge rapporteur doit déterminer
les frais et les honoraires de l’expertise.54 Le rapport de l’expert
bénéficie d’une nature juridique. Celui-ci revêt, tout comme un
acte authentique d’une force probante. Le discours de l’expert est
assimilé aux actes certifiés et authentifiés. Par conséquent, il est
constitutif des faits établis et ne peut être contesté. Même si, le juge
rapporteur n’est pas tenu par l’avis de l’expert, il ne peut l’occulter,
car cet avis est considéré comme une preuve irréfutable.
Ensuite, parmi les pouvoirs d’instruction, il convient de souligner
le recours aux mesures d’injonction. La loi organique portant
organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle du
Congo dispose que : « le rapporteur instruit l’affaire. Il dispose des
pouvoirs d’investigation les plus étendus. Il peut, dans le respect des droits
de la défense, ordonner la communication des pièces… ».55

54 SCHRAMECK (O.), « Les aspects procéduraux des saisines », in vingt ans de saisine parlementaire
du Conseil constitutionnel, journée d’étude du 16 mars 1996, Paris, Aix-en-Provence, Economica,
PUAM, 1995, P.10.
55 Voir l’article 22 de la loi organique n°28-2018 du 7août 2018 portant organisation et
fonctionnement de la Cour constitutionnelle du Congo.

79
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Des dispositions analogues sont prévues au Sénégal56 et au Mali57.


Il convient de rappeler que le juge agit de manière directe au
travers de mesures d’injonction qui lui permettent de prendre
connaissance des éléments nécessaires au règlement du litige.
Si a priori, les mesures d’injonction se distinguent de celles
d’instruction quant à leur forme et aux garanties dont bénéficie
le défendeur.58Les mesures d’injonctions peuvent être considérées
comme l’ensemble d’actes que pose le juge constitutionnel en vue
de la manifestation de la vérité sur la solution du litige qui lui est
soumis. Ces mesures révèlent le pouvoir d’injonction du juge
rapporteur dans la procédure d’instruction.
En général, c’est le rapport du juge rapporteur qui constitue la
décision finale, on peut le qualifier de pouvoir d’injonction indirect.

56 L’article 14 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel


stipule que : « le Conseil constitutionnel prescrit toutes mesures d’instruction qui lui paraissent utiles et
fixes des délais dans lesquelles ces mesures devront être exécutées ».
57 L’article 37 de la loi n°97-010 du 11 février 1997 portant loi organique déterminant les règles
d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que de la procédure suivie
devant elle modifiée par la loi N°02-011 du 5 mars 2002 prévoit que : « le rapporteur peut, le cas
échéant, ordonner une enquête et se faire communiquer tout document et rapport. Il peut délivrer des
commissions rogatoires à tout fonctionnaire ou tout magistrat de l’ordre administratif ou de l’ordre
judiciaire, recevoir sous serment les déclarations des témoins et en dresser procès-verbal ».
58 FOULQUIER (C.), La preuve et la justice administrative française, Paris, L’Harmattan, 2013, P.733.

80
Alain Ghislain EWANE BITEG

La jurisprudence des États d’Afrique noire francophone tels


que le Gabon,59 le Bénin60 et le Niger61 permet d’étayer cette
affirmation. Le constat suivant mérite d’être fait : il est difficile
de dissocier les mesures d’instruction du pouvoir d’injonction
du juge constitutionnel africain.62De ce qui précède, il suit
que l’instruction est une phase diligentée par la juridiction
constitutionnelle, et préalable à la tenue du procès.
B- UNE AUTONOMISATION JUSTIFIÉE
La phase de l’instruction précède celle de la tenue du procès
constitutionnel. Durant cette phase, le rapporteur recense toutes les
preuves qui lui permettront de mettre l’affaire en l’état d’être jugé.
L’autonomisation de l’instruction est justifiée par la détermination
du timing de l’instruction (1) et par le conditionnement de la tenue
du procès par les résultats de l’instruction (2).
1- La détermination du timing de l’instruction
Le timing est fixé dans l’intérêt de la juridiction constitutionnelle.
Durant l’instruction, il y a prescription des délais par le juge rapporteur.

59 Au Gabon, la Cour Constitutionnelle a corrigé par son pouvoir d’injonction le comportement


des pouvoirs publics dans sa décision 022/CC du 30 avril 2018 en ordonnant la démission du
Gouvernement et la dissolution du Parlement.
60 Dans la décision DCC 03-077 du 07 mai 2003, le juge constitutionnel par cette décision,
sanctionne le comportement de la doyenne d’âge de l’Assemblée nationale tendant au blocage du
processus électoral.
61 Conseil Constitutionnel de Transition, Arrêt n°007/11/CCT/MC du 4 mai 2011, disponible sur
le site de la Cour Constitutionnelle du Niger : www.cour-constitutionnelle-niger.org. Le pouvoir
d’injonction du juge constitutionnel du Niger a permis de corriger le comportement du Bureau de
l’Assemblée nationale pour violation de l’article 89 de la Constitution.
62 Sur certains points l’instruction peut se distinguer de l’injonction. Alors que l’instruction est une
phase cruciale du procès, l’injonction quant à elle est le pouvoir qu’a le juge d’adresser des ordres
aux pouvoirs publics. Lire dans ce sens, EWANE BITEG (A.-G.), « Le pouvoir d’injonction du
juge constitutionnel africain », RARJP, N°1, Varia, mai 2020, PP. 86-118.

81
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Concrètement, ce dernier doit le faire suivant le timing qui lui est


fixé par le droit. Il y a ainsi une temporalité procédurale63à laquelle
obligation est faite à la juridiction constitutionnelle de se conformer.
Cela est consécutif au fait que l’instruction ne doit pas être
démesurément longue puisque toute décision de justice doit être
rendue dans un délai raisonnable.64À l’époque contemporaine, il est
admis que la justice prise dans sa globalité doit toujours statuer dans
un délai raisonnable. Elle ne doit pas se précipiter, mais elle ne doit
pas aussi s’éterniser à statuer sur une seule question. C’est dire que le
juge rapporteur ne peut pas prendre son temps dans l’exercice de ses
fonctions. C’est donc dans l’intérêt de la juridiction constitutionnelle
que l’instruction ne doit pas s’enliser ou du moins s’allonger.
Il convient de préciser qu’il se dégage apparemment un mutisme
des textes en ce qui concerne la durée de l’instruction dans le procès
constitutionnel. Les textes juridiques qui régissent les juridictions
constitutionnelles dans les États d’Afrique noire francophone ne
précisent pas le moment de l’instruction. À titre d’illustration,
l’article 180 du texte constitutionnel de la République du Congo
pose que : « Tout particulier peut, soit directement, soit par la
procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant
une juridiction dans une affaire qui le concerne, saisir la Cour
constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois et des traites ».65

63 SENAC (C.-E.), L’office du juge constitutionnel ; Etude du contrôle de constitutionnalité par les
juridictions françaises, Paris, LGDJ, 2015, P.165.
64 MAGENDIE ( J.-C.), Célérité et qualité de la justice, Rapport au garde de sceaux, ministre de la
Justice, Paris, la documentation française, 2004, P.19.
65 Lire la Constitution de la République du Congo adoptée par referendum le 25 octobre 2015.

82
Alain Ghislain EWANE BITEG

En République centrafricaine, le texte constitutionnel dispose en son


article 98 que : « Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle
sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure
de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant la juridiction dans
une affaire qui la concerne ».66Des dispositions analogues existent
également au Cameroun67et au Bénin68. Le mutisme des textes
constitutionnels sur la détermination du moment de l’instruction
est également constaté au niveau des textes infra constitutionnels. Au
Burkina Faso, l’article 18 de la loi qui régit le Conseil constitutionnel
prévoit que : « le Conseil constitutionnel se réunit selon les modalités
fixées par son règlement intérieur. Les décisions et avis sont rendus par
cinq membres au moins. Le Conseil constitutionnel décide à la majorité
des membres présents. En cas de partage des voix, celle du président
est prépondérante ».69Cette disposition n’est pas singulière, on
peut constater le mutisme dans la détermination du moment de
l’instruction dans les lois organiques qui régissent les juridictions
constitutionnelles du Burundi70et celle de Côte d’Ivoire.71

66 Lire la Constitution de la République centrafricaine du 30 mars 2016.


67 L’article 46 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 stipule que : « le Conseil constitutionnel est
l’instance compétente en matière constitutionnelle. Il statue sur la constitutionnalité des lois. Il est l’organe
régulateur du fonctionnement des institutions ».
68 L’article 122 de la Constitution du 11 décembre 1990 stipule que : « tout citoyen peut saisir la Cour
constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception
d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne… »
69 Voir la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation,
attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et la procédure applicable devant lui.
70 L’article 14 de la loi n°1/018 du 19 décembre 2002 portant organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure applicable devant elle stipule que : « la Cour
constitutionnelle ne peut valablement siéger que si au moins cinq de ses membres sont présents ».
71 L’article 15 de la loi organique n°2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le
fonctionnement du Conseil constitutionnel prévoit que : « les décisions du Conseil constitutionnel
sont rendues en audience publique sur rapport d’un de ses membres et ne sont susceptibles d’aucun
recours »

83
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

De ce mutisme des législations, il en résulte que le timing de


l’instruction est incertain. Cette lacune mérite d’être comblée
parce que la détermination du moment évite que le procès
constitutionnel ne s’allonge dans le temps. C’est dire que la
détermination du temps de l’instruction conditionne la durée du
procès constitutionnel. De plus, la détermination du moment de
l’instruction permet de rendre la justice dans les délais raisonnables.
Ainsi, les constituants des États d’Afrique noire francophone
devraient fixer dans le temps les délais de l’instruction à la fois
dans les textes constitutionnels qu’infra constitutionnels à l’effet
de garantir la qualité du procès constitutionnel.
Toutefois, l’on peut déduire la durée de l’instruction en procédant à
la déduction de la durée du procès constitutionnel. Dans la première
hypothèse, l’on peut déduire cette durée en matière de contrôle de
constitutionnalité et de régulation de la juridiction constitutionnelle.
À titre d’illustration, l’article 179 du texte constitutionnel du Congo
prévoit que : « La Cour constitutionnelle est saisie pour avis de conformité,
avant la promulgation des lois organiques ou la mise en application du
règlement intérieur de chaque chambre du Parlement. Dans ce cas, la
Cour constitutionnelle statue dans le délai d’un (1) mois. Toutefois, à la
demande expresse du requérant, ce délai peut être ramené à dix (10) jours
s’il y a urgence ».72En Guinée, l’article 104 de la Constitution stipule
que : « la Cour constitutionnelle doit statuer dans un délai d’un mois.

72 Lire la Constitution de la République du Congo adoptée par referendum le 25 octobre 2015. « En


cas d’exception d’inconstitutionnalité, la juridiction saisie surseoit à statuer et impartit au requérant un
délai d’un (1) mois à partir de la signification de sa décision pour saisir la Cour constitutionnelle ». Lire
l’article 180 de la même Constitution.

84
Alain Ghislain EWANE BITEG

Ce délai peut être réduit à huit (8) jours en cas d’urgence ».73Des
dispositions analogues sont prévues au Cameroun74 et au
Bénin.75À l’analyse des textes juridiques sus-évoqués, il en
ressort que la durée de l’instruction est comprise entre un mois
et deux semaines, et en cas d’urgence cette durée peut être
ramenée à huit jours, étant entendu que la durée de l’instruction
ne peut excéder celle du procès constitutionnel.
Dans la seconde hypothèse, l’on peut déduire la durée de
l’instruction en matière de contentieux électoral. Le texte organique
sur la juridiction constitutionnelle du Burundi dispose en matière
de contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ce qui
suit : « la Cour constitutionnelle ne peut être saisie que par une requête
écrite adressée au président de la Cour constitutionnelle. Cette requête
doit être reçue au greffe de la Cour constitutionnelle dans un délai de dix
jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin ».76 D’autres
États d’Afrique noire francophone prévoient également dans les
textes organiques régissant les juridictions constitutionnelles
la durée du procès constitutionnel en matière de contentieux

73 Lire la Constitution du 27 septembre 1992.


74 L’article 49 du texte constitutionnel du 18 janvier 1996 stipule que : « Dans tous les cas de session,
le Conseil constitutionnel statue dans un délai de quinze (15) jours. Toutefois, à la demande du président
de la République, ce délai peut être ramené à huit (8) jours ».
75 L’article 120 de la Constitution du 11 décembre 1990 stipule que : « La Cour constitutionnelle
doit statuer dans un délai de quinze jours après qu’elle a été saisie d’un texte de loi ou d’une plainte
en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques. Toutefois, à la demande du
Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours…».
76 Lire l’article 33 de la loi n°1/018 du 19 décembre 2002 portant organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure applicable devant elle.

85
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

électoral, c’est le cas du Cameroun77et du Congo78. Ici, il convient


de souligner que la durée du procès constitutionnel en matière de
contentieux électoral varie entre dix et quinze jours. Cette durée
est moins longue qu’en matière de contrôle de constitutionnalité.
C’est ce qui permet de déduire le moment de l’instruction du
procès constitutionnel, qui peut durer entre dix et quinze jours.
Au final, on peut s’appuyer sur le moment de la saisine de la
juridiction constitutionnelle pour déduire la durée de l’instruction
du procès constitutionnel. Ainsi, on peut déduire que l’instruction
débute après la saisine de la juridiction constitutionnelle, à condition
que la requête soit recevable. De ce qui précède, il en ressort que
la détermination du timing de l’instruction peut se faire à partir
de la déduction des textes juridiques, et de la durée du contrôle de
constitutionnalité. La détermination du moment de l’instruction
est suivie du conditionnement de la tenue du procès.
2- Le conditionnement de la tenue du procès par le résultat
de l’instruction
Avant la tenue du procès constitutionnel, certaines conditions
doivent être remplies. Premièrement, il est nécessaire de produire
une documentation juridique. On peut entendre par documentation

77 L’article 84 alinéa 1 de la DÉCISION N°01/CC du 17 juillet 2009 portant adoption du Règlement


intérieur de Conseil constitutionnel camerounais stipule que : « le Conseil constitutionnel statue
dans un de délai maximum de dix (10) jours suivant le dépôt de la requête ». ».
78 L’article 54 de la loi n°1- 2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle prévoit que : « L’élection du Président de la République peut être contestée
devant la Cour constitutionnelle dans les cinq jours qui suivent la publication des résultats provisoires
par le ministre en charge des élections. L’élection d’un député ou d’un sénateur peut être contestée devant
la Cour constitutionnelle dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats du scrutin par le
ministre en charge des élections. »

86
Alain Ghislain EWANE BITEG

juridique : l’ensemble des pièces produites lors de l’instruction


par des personnes internes à la juridiction constitutionnelle.
Cette dernière est déterminante dans la prise de décision du juge
constitutionnel.79 Elle est consubstantielle à l’instruction du procès
constitutionnel, car, il n’existe pas de décision constitutionnelle
sans recours à la documentation juridique. En l’absence de
cette dernière, il serait compliqué, voire impossible pour le juge
constitutionnel, d’instruire le procès constitutionnel. À l’analyse le
juge rapporteur mobilise d’abord la jurisprudence constitutionnelle.
À titre d’illustration, le juge constitutionnel nigérien s’appuie sur
sa propre jurisprudence dans l’instruction d’une affaire.80En effet,
la Cour Constitutionnelle statuant en matière constitutionnelle
considère que : « par arrêt N° 4/CC/MC du 12 juillet 2016, la Cour
Constitutionnelle, saisie par les mêmes parties par rapport au même
objet, a déclaré irrecevable la requête des parties pour avoir été introduite
hors délai… » Au Congo, le juge rapporteur mobilise une démarche
analogue qui vise à s’appuyer sur sa propre jurisprudence à l’effet
d’instruire le procès constitutionnel. Dans une décision relative
au contentieux électoral,81 le juge constitutionnel fait référence
à une décision antérieure : « Considérant que la Cour, par décision
n° 064 DCC/EL/L/ 12 du 26 octobre 2012, a annulé les résultats de
l’élection législative dans la circonscription dont s’agit, scrutin du 15
juillet 2012 ; Qu’il y a, par conséquent, autorité de la chose jugée ».

79 De LAMOTHE (D.), « les modes de décision du juge constitutionnel », Rapport français,


Séminaire international de justice constitutionnelle, organisé par le Centre d’études constitutionnelles et
administratives de l’Université Catholique de Louvain à Bruxelles les 6 et 7 décembre 2001.P. 11.
80 Arrêt n°006/CC/MC du 12 octobre 2016.
81 Décision n°065/DCC/EL/L/12 du 26 octobre 2012 sur le recours en annulation des résultats de
l’élection législative dans la circonscription électorale unique de DONGOU, département de la
LIKOULA, scrutin du 5 août 2012.

87
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Au Sénégal, le juge constitutionnel statuant en matière électorale82


au niveau des visas mobilise sa propre jurisprudence en ces termes:
« Vu la décision du Conseil Constitutionnel N° 1/E/2007 du 26
janvier 2007, arrêtant la liste des candidats à l’élection du Président
de la République ». À l’analyse de la jurisprudence susmentionnée,
la documentation juridique c’est-à-dire la jurisprudence
constitutionnelle guide la décision de constitutionnalité, car elle
conditionne le sort du procès constitutionnel.
À côté de la jurisprudence constitutionnelle, le juge rapporteur fait
recours à l’argument de droit comparé lors de l’instruction du procès
constitutionnel. Il peut s’agir des décisions de justice en relation avec
les questions abordées. C’est-à-dire la jurisprudence (administrative,
judiciaire et étrangère). Lorsque le traitement d’une question le
commande sont jointes au dossier, les décisions des Cours africaines
(Cour de justice communautaire) et les autres Cours constitutionnelles
d’Afrique. Les exemples du Congo et du Niger illustrent une forte
mobilisation de la jurisprudence administrative lors de l’instruction
du procès constitutionnel. Au Congo, dans une décision portant
sur un recours en exception d’inconstitutionnalité83on peut lire ce
qui suit : « Vu l’arrêt N° 007/GCS-2013 rendu par la Cour suprême
le 22 février 2013… » Au Niger, la jurisprudence administrative est
mobilisée dans les décisions de la juridiction constitutionnelle.84

82 Affaire 3/E/2007 sur la réclamation de CHEICK MAMADOU ABIBOULAYE DIEYE en


contestation de couleur et symbole.
83 Décision n°078/DCC/SVE/13 du 09 avril 2013 sur le recours en inconstitutionnalité, par
voie d’exception, de l’article 72 alinéa 1er de la loi N°1-63 du 13 janvier 1963 portant Code de
procédure pénale.
84 Arrêt n° 006/CC/MC du 12 octobre 2016 et l’arrêt n°005/CC/MC du 23 septembre 2016 dans
lequel le juge considère que : « par arrêt n°45/16 du 11 mai 2016, la Chambre du Contentieux du
Conseil d’État a sursis à statuer sur la requête en annulation pour excès de pouvoir introduite par les
requérants, jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle…»

88
Alain Ghislain EWANE BITEG

L’instruction de l’affaire révèle que : « pour justifier la nouvelle saisine


de la Cour, les requérants font dépendre leur droit de l’arrêt n° 61-16 du 21
septembre 2016 de la Chambre du Contentieux du Conseil d’État qui a
décidé le sursis à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle ». À
l’observation, la référence aux décisions des juridictions administratives
est justifiée, car, le recours en exception d’inconstitutionnalité est une
procédure indirecte qui appelle l’intervention de deux juridictions à
savoir : les juridictions ordinaires et la juridiction constitutionnelle.
C’est en cela que la décision de la juridiction administrative conditionne
l’instruction du procès constitutionnel.
Enfin, les débats parlementaires comme pièces fournies dans la
préparation de la décision servent de référentiel dans l’instruction
du procès constitutionnel. C’est ainsi que la juridiction
constitutionnelle prête une attention particulière aux débats
parlementaires ayant conduit à l’adoption des dispositions déférées,
et ce que soit le contentieux considéré.85Le recours du juge
constitutionnel aux travaux parlementaires est considéré comme
une source d’inspiration pour ce dernier.
Sans être exhaustif, au Sénégal, le juge constitutionnel fait
référence «… Aux pièces du dossier, notamment le procès-
verbal analytique de la séance du vendredi 16 décembre 2005 de
l’Assemble nationale… »86Le juge instructeur recourt aux débats
parlementaires dans l’interprétation d’une norme. Il recherche à
partir des propos explicites des parlementaires de sens à donner
à son instruction. Les débats parlementaires ne signifient pas ce

85 BONNEFOY (O.), Les relations entre le Parlement et le Conseil constitutionnel. Les incidences de la
question prioritaire de constitutionnalité sur l’activité normative du Parlement, Thèse de doctorat,
Université de Bordeaux, juin 2015, P. 212.
86 Affaire 3/C/2005.

89
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

que doit être une instruction. Ils ne font qu’illustrer le champ des
possibilités. La production de la documentation non juridique
permet également d’instruire le procès constitutionnel.
Deuxièmement, le juge rapporteur mobilise également une
documentation non juridique, il faut entendre, par cette
dernière, l’ensemble des pièces du dossier mobilisé par des
personnes extérieures à la juridiction constitutionnelle. Ladite
documentation est quasiment produite par des personnes
externes à la juridiction constitutionnelle c’est-à-dire par les
autorités habilitées à saisir le juge constitutionnel. La production
de la documentation non juridique permet d’instruire le
procès constitutionnel, en aidant le juge à prendre la bonne
décision, elle est un outil d’aide à la prise de décision par le juge
constitutionnel au surplus, elle postule la saisine de la juridiction
constitutionnelle par toute personne ayant un intérêt particulier.
Ainsi, toute personne ayant un intérêt peut adresser une
documentation non juridique à la juridiction constitutionnelle. Les
textes juridiques87et la jurisprudence constitutionnelle88africaine
87 Sans être exhaustif, l’article 27 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du Bénin du 16
septembre 2005 fait référence à une « requête ». L’article 21 de la loi n°22/95/ADP du 18 mai 1995
portant Règlement intérieur du Conseil constitutionnel ivoirien parle plus d’« un courrier ».
88 Au Congo, dans l’instruction d’un avis, sur la conformité du Règlement financier de l’Assemblée
nationale, le juge rapporteur fait référence à la lettre du Président de l’Assemble nationale. Voir, Avis
n°003 ACC-SVC 12 du 26 novembre 2012. En matière de contentieux électoral, le juge instructeur
mobilise : la liste des candidats aux élections législatives…, la correspondance du secrétaire général du
Parti congolais du Travail… Voir la Décision n°73/DCC/EL/LP/13 du 28 février 2013 sur le recours
en annulation des résultats de l’élection législative partielle dans la circonscription électorale unique de
Bouanela, département de la Likouala, scrutin du 2 décembre 2012. Au Niger, dans l’instruction d’une
décision, le juge rapporteur révèle qu’il a eu recours à une lettre. Il affirme que : «… dans le corps de sa
lettre, Monsieur Oumarou ATTIKOU n’invoque ni une disposition constitutionnelle ni une loi organique sur la
Cour constitutionnelle ». Au Sénégal, le juge rapporteur dans l’instruction d’une affaire au niveau des visas
mobilise également des lettres et d’autres pièces externes. Voir l’Affaire n°4/E/2007 sur la proclamation
des résultats du 1er tour du scrutin de l’élection présidentielle du 25 février 2007.

90
Alain Ghislain EWANE BITEG

renseigne sur la nature de la documentation non juridique à


produire avant la tenue du procès.
À l’analyse, les personnes externes peuvent saisir la juridiction
constitutionnelle par le biais d’un pli recommandé, d’une lettre,
d’une requête, d’un courrier voire même d’une correspondance. Il
est possible d’affirmer que la production de la documentation non
juridique peut se faire par tout moyen laissant trace écrite. Pour les
actes soumis obligatoirement au contrôle de constitutionnalité ;
les personnes appelées à produire des pièces au dossier sont
des autorités politiques ; qui peuvent transmettre une loi
organique à la juridiction avant promulgation et les règlements
des Assemblées parlementaires avant leur entrée en vigueur.
Ces autorités transmettent les actes à contrôler au juge constitutionnel.
De plus, sur demande du juge rapporteur, elles peuvent être
amenées à déposer d’autres pièces dans le cadre de l’instruction.89
Une fois que la documentation non juridique est rédigée par
toute personne ayant un intérêt particulier, elle est reçue par
les organes de la juridiction constitutionnelle. Au Bénin,
l’article 27 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle
stipule que : « la Cour Constitutionnelle est saisie par une requête.
Celle-ci est déposée au Secrétariat général qui l’enregistre suivant
la date d’arrivée ».90 Une disposition analogue est prévue en
Côte d’Ivoire, il s’agit de l’article 21 du Règlement intérieur
du Conseil constitutionnel qui énonce que : « Tout courrier
89 De LAMOTHE (D.), « les modes de décision du juge constitutionnel », Rapport français,
Séminaire international de justice constitutionnelle, organisé par le Centre d’études constitutionnelles et
administratives de l’Université Catholique de Louvain, op.cit., P. 3.
90 Voir le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du Bénin du 16 septembre 2005.

91
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

relatif aux questions juridictionnelles est directement enregistré


au Greffe de la Cour constitutionnelle ».91Dès réception de
cette documentation, elle est transmise aussitôt au Président
de la Cour accompagnée d’un projet d’ordonnance pour la
désignation d’un conseiller rapporteur.92 Outre les institutions,
les associations ou des particuliers peuvent spontanément adresser des
mémoires pour critiquer ou défendre la loi.
Ces interventions sont qualifiées de « portes étroites ». Suivant
la formule du Doyen Georges VEDEL, la « porte étroite » est
ouverte aux citoyens agissant isolément ou groupe « ce n’est ni
une saisine, ni une intervention au sens procédural du terme, mais une
simple information fournie par le bon citoyen ».93La vertu des « portes
étroites » ne réside pas du côté de la théorie juridique. L’intérêt
général attaché à cette théorie réside surtout du côté de la qualité
du travail de la juridiction constitutionnelle.94Dans le contexte
africain, toute personne physique ou morale peut adresser à la
juridiction constitutionnelle une observation dans un mémoire. Au
Niger l’article 44 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle
énonce que : en matière de contentieux électoral, la Cour peut

91 Voir la loi n°22/95/ADP du 18 mai 1995 portant Règlement intérieur du Conseil constitutionnel
ivoirien.
92 Lire l’article 22 la loi n°22/95/ADP du 18 mai 1995 portant Règlement intérieur du Conseil
constitutionnel ivoirien.
93 VEDEL (G.), « Réflexions sur les singularités de la procédure devant le Conseil constitutionnel »,
in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Roger PERROT, Paris, Dalloz,
1995, P.549. Les « portes étroites » permettent la démocratisation du contentieux constitutionnel
à travers une plus grande transparence et a une ouverture du Conseil constitutionnel pour le
rapprocher des citoyens. Lire utilement Garance NAVARRO-Ugé, « Les portes étroites », revue-
esprit, N°477, 2021/9, P.26.
94 De BECHILLON (D.) et CONNIL (D.), Réflexions sur le statut des « portes étroites » devant le
Conseil constitutionnel, Les notes du club des juristes, janvier 2017, P.26.

92
Alain Ghislain EWANE BITEG

«… se faire communiquer tout document et rapport ayant trait à


l’élection ».95 Aux Comores, l’article 55 de la loi régissant la Cour
constitutionnelle stipule que : « … toute personne justifiant d’un intérêt
peut adresser ses observations dans un mémoire à la Cour… ».96 Tout le
monde gagne à ce que la réflexion du juge soit la mieux éclairée possible.
L’envoi de document à la juridiction constitutionnelle est libre, et
il ne peut guère en être autrement, puisqu’aucune règle n’interdit
au juge instructeur de tirer enseignement d’une « porte étroite ».
De ce qui précède, il en ressort que la phase indispensable au
déroulement du procès se réalise par la juridiction constitutionnelle
et elle est préalable à la tenue du procès par la recherche des éléments
de preuve et la production des pièces. L’instruction du procès
constitutionnel permet de savoir qu’elle est une phase indispensable
au déroulement du procès et une phase décisive au dénouement du
procès à travers l’articulation des phases de l’instruction.
II- L’ARTICULATION DES PHASES DE L’INSTRUCTION
L’instruction est une phase au cours de laquelle le projet de
décision juridictionnel est confectionné par le juge rapporteur.
Ce dernier le fait à travers la Prévision de la phase relative à
la préparation de la rédaction de l’acte juridictionnel (A) et la
prévision de la rédaction du projet d’acte juridictionnel (B).

95 Voir la loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation et le fonctionnement


de la Cour constitutionnelle et de la procédure suivie devant elle.
96 Voir la loi organique n°004-001 du 30 juin 2004 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle des Comores.

93
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

A- LA PRÉVISION DE LA PHASE RELATIVE A LA


PRÉPARATION DE LA RÉDACTION DE L’ACTE
JURIDICTIONNEL
La recherche de la vérité juridictionnelle exige de dépasser les
arguments des parties afin d’établir une résolution du litige
acceptable.97L’organisation de l’instruction est l’occasion de
rechercher les éléments de faits et de droit d’une part (1), et de
la prise en compte du principe du contradictoire, même si dans
certains cas sa prise en compte demeure minimale (2).
1- La recherche des éléments de fait et de droit
L’analyse des textes juridiques qui régissent les juridictions
constitutionnelles dans les États d’Afrique noire francophone permet
de faire le constat selon lequel, le juge constitutionnel africain, lors
de l’instruction, mobilise les éléments de fait et de droit. À titre
d’illustration, au Cameroun, la décision portant Règlement intérieur du
Conseil Constitutionnel prévoit que : « le Conseil Constitutionnel est saisi
par une requête datée et signée du requérant. Cette requête doit être motivée
et comporter un exposé sommaire de fait et de droit qui la fondent ».98Une
disposition analogue est prévue au Bénin99et au Niger.100Dans ces deux
derniers cas, le texte ne prévoit pas explicitement que la requête doit
comporter les éléments de fait et de droit qui la fondent.

97 Idem.
98 Article 48 alinéa 1de la DÉCISION n°01/CC du 17 juillet 2019 portant adoption du Règlement intérieur.
99 L’article 27 du Règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle du Bénin stipule que : « la Cour
Constitutionnelle est saisie par une requête. Celle-ci est déposée au secrétariat général qui l’enregistre
suivant la date d’arrivée ».
100 L’article 21 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du Niger stipule que : « Tout
courrier relatif aux questions juridictionnelles est directement enregistre au Greffe de la Cour
constitutionnelle ».

94
Alain Ghislain EWANE BITEG

Quoi qu’il en soit, l’analyse des éléments de fait et de droit est


déterminante dans l’instruction en matière constitutionnelle.
Toutefois, certaines observations méritent d’être faites à la suite de ce
dispositif juridique régissant les juridictions constitutionnelles.
D’une part, la recherche des éléments de fait et de droit permet au
juge de confronter les allégations des parties. Dans la préparation
de la décision, il recourt aux faits pour justifier sa décision.
Il existe deux catégories de fait : les faits juridictionnels101 et les faits
législatifs.102Ils permettent tous d’informer le juge sur la solution du
litige. La jurisprudence du juge constitutionnel africain permet de
renseigner sur l’analyse des éléments de fait et de droit pour instruire
le procès constitutionnel. Au Bénin, dans une décision portant sur le
contentieux électoral,103 le juge constitutionnel analyse les éléments
de fait et droit à l’effet de confronter les allégations des parties.
L’instruction du recours relève les éléments de faits suivants :
« Monsieur Luc Sètondji ATROKPO, Blaise AHANHANZO GLELE
et Parfait HOUANGNI étaient candidats aux élections législatives

101 Ce sont l’ensemble des faits qui concernent uniquement les parties dans un litige particulier. Ce sont les
faits qui liés aux parties, à leurs activités, leurs biens, leurs affaires, leurs états d’esprit. Ce sont souvent les
faits qui sont à la base du litige. Les faits juridictionnels sont des faits qui permettent au juge d’exercer
sa fonction juridictionnelle et vont ainsi lui permettre de résoudre le litige qui est devant lui. Lire De
LAMOTHE (D.), « Les modes de décision du juge constitutionnel, Rapport français, séminaire
international de justice constitutionnelle, organisé par le Centre d’étude constitutionnelle et
administrative de l’Université Catholique de Louvain Bruxelles les 6 et 7 décembre 2001, P.9.
102 Les faits législatifs sont les faits qui informent le juge lorsqu’il exerce une fonction législative. Ici,
l’idée est que le juge crée le droit et qu’en exerçant cette fonction, il peut s’appuyer sur les faits
afin de déterminer et de comprendre le contenu, les bases et les objectifs d’une loi. Ces faits sont
ainsi généraux et ne concernent pas directement les parties au litige. Ce sont en quelque sorte des
données de portée générale qui, sans concerner les parties, sont pertinentes, car elles informent le
juge sur la solution du litige. Idem.
103 DÉCISION EL 11-021 du 7 juillet 2011.

95
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

sur la liste de l’Union fait la Nation (UN) dans la 23ème circonscription


électorale. Ils étaient respectivement premiers, deuxièmes et troisièmes de
ladite liste...» En Droit, « Monsieur Dominique ATCHAWE développe
au soutien de sa requête que certains responsables de l’Union fait la Nation
se seraient assis à côté des isoloirs, influençant ainsi les lecteurs dans le
choix de leurs candidats ; cependant que les logos de cette dernière alliance
de parts se trouvaient visibles non loin des bureaux de vote ». Au Congo,
le juge constitutionnel sur un recours en annulation des résultats de
l’élection législative, département de Pointe-Noire, scrutin du 15
juillet 2012104s’est appuyé sur les faits tels que : « l’absence des listes
d’émargement ; le refus par le président du bureau de vote d’afficher le
formulaire de transcription et de proclamation des résultats provisoires
et d’en donner copie aux représentants des candidats ; transhumance des
électeurs pour déclarer la requête irrecevable ».
D’autre part, le juge instructeur peut se montrer intransigeant sur
l’absence de preuve. Dans ce cas, le juge peut déclarer la requête
mal fondée. Lorsqu’un requérant ne rapporte pas la preuve de ses
allégations, sa requête est vouée à l’échec, en vertu d’un principe
de droit qui postule que, la charge de la preuve incombe à celui qui
allègue d’un fait. À titre d’illustration, au Bénin, dans l’affaire DCC
08-031 du 3 mars 2008, le requérant n’apporte pas la preuve de
ses affirmations. La haute juridiction affirme « en ce qui concerne
l’embarquement « dans la malle arrière » allégué par le requérant,
aucun élément du dossier ne permet d’en établir la matérialité ; qu’en
conséquence, il n’y a pas traitement inhumain et dégradant au sens de
l’article 18, alinéa 1 de la Constitution ».105 Dans la même veine,

104 Voir la décision n°041/DCC/EL/L/12 du 26 octobre 2012.


105 DCC 08-031 du 03 mars 2003.

96
Alain Ghislain EWANE BITEG

au Niger, le juge constitutionnel déclare la requête d’agent des


impôts irrecevable. La cour affirme « considérant que dans le
corps de sa lettre, Monsieur Oumarou ATTIKOU n’invoque ni une
disposition constitutionnelle ni celle de la loi organique sur la Cour
constitutionnelle pour justifier la recevabilité de sa requête ».106En
République du Congo, le juge constitutionnel s’appuie sur
l’absence de preuve pour déclarer une requête infondée.
Le juge affirme que : « les griefs articulés par monsieur
MIAKATSINDILA Antoine ne sont pas étayés d’aucune preuve ; qu’il
procède par de simples affirmations ; que, dans ces conditions, sa requête
n’est pas fondée et doit être rejetée ».
Au Cameroun, le juge constitutionnel déclare également à la suite
de l’instruction, la requête d’un justiciable irrecevable pour absence
de preuves. En effet, le candidat Maurice KAMTO lors de l’élection
présidentielle de 2018 introduit une requête devant le Conseil
constitutionnel aux fins de récusation de ses membres. En l’espèce,
le candidat du MRC107a émis des réserves sur l’indépendance et
l’impartialité de la juridiction constitutionnelle au regard de sa
composition qui, selon lui, est favorable au parti présidentiel.108Dans
sa démarche, la juridiction constitutionnelle camerounaise va
rappeler l’absence de fondement juridique de la requête de Maurice

106 Arrêt n°005/CC/MC du 23 septembre 2016.


107 Il s’agit d’une abréviation du parti politique « Mouvement pour la renaissance du Cameroun »
Maurice KAMTO en est le président.
108 Dans sa requête, le candidat Maurice KAMTO demande ce qui suit : « Faire droit à la récusation
de Messieurs Clément ATANGANA, Jean FOUMAN AKAM, Joseph Marie BIPOUN WOUM,
Emmanuel BONDE, Jean Baptiste BASKOUDA et Ahmadou TIDJANI comme inaptes, parce que
ni indépendants ni impartiaux, à veiller à la régularité, à la sincérité et à la transparence de l’élection
présidentielle du 07 octobre 2018, sauf leur départ volontaire », Lire utilement ; le recours N°350,
351, 352, 353, 354, 355/SRCER/G/SG/CC du 15 octobre 2018.

97
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

KAMTO. Elle affirme ainsi que « attendu que le requérant ne cite aucun
texte qui l’autorise à récuser des membres du Conseil constitutionnel ou
à demander le dessaisissement du Conseil constitutionnel lui-même ».109
Au surplus, le moyen prit de la violation de l’article 91, alinéa 1 et 5
concernant l’affichage et l’acheminement du matériel de campagne,
le candidat Maurice KAMTO souligne un affichage abusif de
l’image du candidat sortant Paul BIYA en violation de la législation.
Seulement sa requête ne contenant aucun élément de preuve110
le juge constitutionnel l’a simplement déclaré non fondé. De ce
qui précède, l’on relève que le juge instructeur est intransigeant sur
l’absence de preuve. Il rejette toute requête qui ne mobilise pas à la
fois les éléments de droit et de fait. La preuve s’apparente à un élément
factuel et donc à une proposition susceptible d’être déclarée vraie ou
fausse.111Le recours à un élément factuel ne garantit pas son caractère
décisif au moment de le prendre en compte. Pour trancher le litige
parce qu’il peut exister d’autres éléments factuels contradictoires.112Il
apparaît que l’analyse des éléments de droit et de fait dans l’instruction
préalable occupe une place importante, mais pas au même titre que le
principe du contradictoire, car ce dernier connaît une prise en compte
minimale dans le procès constitutionnel.

109 Décision n°024/CE/CC/2018 du 16 octobre 2018.


110 Le juge constitutionnel camerounais estime en effet qu’il n’a « reçu ni d’un candidat ni d’une municipalité,
une réclamation formelle relative à l’apposition anarchique et discriminatoire des affiches et matériels de
campagne ». Lire dans ce sens, la Décision n°29/G/SRCER/CC/2018 du 17 octobre 2018.
111 LAGARDE (X.), « Vérité et légitimité dans le droit de la preuve », Droits, 23, 1996, P.33.
112 MAGNON (x.), « Qu’est-ce ‘’instruire’’ le procès constitutionnel ? », op.cit., P.5. L’auteur affirme qu’il :
« existe une multitude d’éléments factuels qui contribuent de manière différenciée à la formation de l’intime
conviction du juge et que l’on peut donc assister à une pondération des différents éléments factuels en fonction de
leur lecture et parce que, dans tous les cas, chaque élément factuel est sujet à interprétation ».

98
Alain Ghislain EWANE BITEG

2- La prise en compte minimale du principe du


contradictoire
L’affirmation selon laquelle le principe du contradictoire est un
« Droit absolu durant la phase d’instruction »113mérite d’être relativisée.
D’abord, il existe une prise en compte avérée de ce principe.
Son introduction participe à la procédure de prise de décision. De
plus en plus, les juridictions constitutionnelles fonctionnent comme
des juridictions classiques avec ouverture des débats publics et
intervention des parties par l’intermédiaire de leurs avocats.114En
République centrafricaine, le caractère contradictoire est l’objet
de précision dans le cadre de la loi organique, avec faculté pour le
requérant de faire ou non-appel à un avocat ou à une autre personne
dûment mandatée,115avec la possibilité pour les parties, les avocats
et les représentants des parties d’avoir accès au prétoire le jour de
l’audience publique et d’y prendre la parole.116Ils peuvent également
se prononcer sur les griefs soulevés d’office soit oralement, soit en
versant des notes en délibéré. La loi organique précise qu’elle « statue
uniquement sur l’ensemble des moyens soulevés par les requérants »,
ajoutant cependant qu’elle « ne peut, hormis les cas de violation de la
Constitution ou des principes à valeur constitutionnelle, soulever des moyens
d’office. Elle statue en constitutionnalité et non point en opportunité ».117

113 DOSSOU SAKPONOU (N.), « Le respect du principe du contradictoire dans un procès »


(Dir.), Frédéric Joël AÏVO, Mélanges en L’honneur du Président Robert DOSSOU, L’amphithéâtre et le
prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie, L’Harmattan, 2020, P.555.
114 Bulletin de l’ACCPUF 2016-n°12 : conférence des chefs d’institution à Chisinau sur « L’organisation
du contradictoire ». Trente Cours ou Conseils francophones ont répondu à un questionnaire au
sujet du contradictoire : Mathieu Disant « Synthèse des réponses au questionnaire », PP.29-32.
115 Article 22 de la loi organique centrafricaine du 15 août 1995.
116 Ibid., Article 38.
117 Ibid., Article 39.

99
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Au Gabon, c’est la Constitution qui prévoit que : « la Cour


constitutionnelle statue, selon une procédure contradictoire »118,
au Congo, la lecture du rapport est éventuellement suivie par
l’audition des parties ou de leurs conseils, puis par les débats
entre membres de la Cour.119
Au Bénin, c’est la Cour constitutionnelle présidée par Robert
DOSSOU120 en juin 2018 qui modifia son Règlement intérieur
pour rendre accessibles ses audiences au public et y voir
contradictoirement se dérouler l’instance. En effet, la juridiction
constitutionnelle exerce son office dans le souci d’information
du public. Le déroulement de la procédure d’examen des
recours tel qu’il est prévu par les lois organiques demeure placé
sous le signe de la recherche objective d’une solution juridique,
comme devant une juridiction de droit commun.121
De ce qui précède l’on peut se poser les questions suivantes :
qu’adviendrait-il si le juge ne prend pas en compte le principe
du contradictoire ? Le rapporteur peut-il être sanctionné ? Dans
l’hypothèse de la politisation du juge constitutionnel, le principe du
contradictoire est-il pris en compte ? Le principe du contradictoire
étant une exigence de l’instruction du procès, sa prise en compte
est obligatoire dans l’instruction préalable. Toutefois, il peut arriver
lorsque la requête est manifestement irrecevable que la juridiction

118 Article 85 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991.


119 Article 43 de la loi organique congolaise du 17 janvier 2016.
120 DJOGBENOU ( J.), « L’accès à la justice constitutionnelle au Bénin », (Dir.), Frédéric Joël AÏVO,
Mélanges en L’honneur du Président Robert DOSSOU, L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des
droits de l’homme et de la démocratie, L’Harmattan, 2020, P.518.
121 CABANIS (A.), « L’accès des citoyens aux juridictions constitutionnelles », (Dir.), Frédéric Joël
AÏVO, Mélanges en L’honneur du Président Robert DOSSOU, L’amphithéâtre et le prétoire. Au service
des droits de l’homme et de la démocratie, op. cit., P. 338

100
Alain Ghislain EWANE BITEG

constitutionnelle statue par décision motivée sans instruction


contradictoire préalable.122Sans être exhaustive, la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle du Congo permet d’étayer ce propos.
Par un recours en annulation des résultats des élections législatives,
la Cour va déclarer les recours irrecevables pour cause d’autorité
de la chose jugée.123Le rapporteur qui ne remplit pas l’obligation
du contradictoire peut être sanctionné. Il peut s’agir des sanctions
disciplinaires ou de la perte de qualité de membre de la juridiction
constitutionnelle. À titre d’illustration, au Cameroun, le Conseil
Constitutionnel peut d’office ou à la demande de l’autorité de
désignation, mettre fin, aux fonctions d’un membre qui aurait
méconnu ses obligations.124Au Niger, des sanctions disciplinaires
sont applicables aux membres de la Cour Constitutionnelle qui ne
respectent pas les lois et règlements et de son serment. Ainsi, tout
manquement aux obligations telles que la prise en compte du principe
du contradictoire peut être suivi des sanctions disciplinaires.125
Ensuite, il faut préciser que le principe du contradictoire peut
se heurter au secret de l’instruction, on comprend pourquoi
au Sénégal, la loi constitutionnelle de 2016 dispose que : « la
procédure devant le Conseil constitutionnel n’est pas contradictoire »126.

122 Article 56 alinéa 1du Règlement intérieur du Conseil Constitutionnel camerounais.


123 DÉCISION n°065/DCC/EL/L/12 du 26 octobre 2012.
124 Article 28 alinéa 1du Règlement intérieur du Conseil Constitutionnel camerounais.
125 L’article 61 du Règlement intérieur stipule que : « les sanctions disciplinaires applicables aux
membres de la Cour constitutionnelle sont dans l’ordre croissant : la remontrance verbale ; l’avertissement
avec ou sans inscription au dossier ; la démission d’office… »
126 Article 14 de la loi constitutionnelle sénégalaise du 5avril 2016. Mais, cette affirmation relativisée
en ces termes : « toutefois, le Conseil constitutionnel, saisi conformément à l’article 74 de la Constitution
et en cas d’exception d’inconstitutionnalité, transmet pour information les recours au Président de la
République, au Premier ministre, au Président de l’Assemblée nationale. Ces derniers peuvent produire,
par un mémoire écrit, leurs observations devant le Conseil constitutionnel ».

101
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Le constat du difficile respect du contradictoire doit être


fait.127Quand on sait que le principe du contradictoire exige en effet
que l’argumentation d’une partie soit connue et discutée par son
adversaire, et qu’aucun document ne soit connu que du juge ou selon
des parties, il existe des
obstacles tenant à la nature de l’institution et celui relatif à la procédure
devant la juridiction constitutionnelle. Pour ce qui du premier obstacle,
il faut souligner le refus du parlement par le fait majoritaire. Le principe
du contradictoire n’étant pris en compte qu’en matière de conflits en
pouvoirs et en matière de contentieux électoral. Les autres normes de
contrôle intéressent le parlement, auteur des règlements d’assemblée ou
des lois, qu’elles soient organiques ou ordinaires. Dans cette hypothèse
il n’y a pas de débat contradictoire. Relativement à l’obstacle tenant à la
procédure devant la juridiction constitutionnelle, lorsqu’elle est saisie
pour un contrôle facultatif, elle avise les autorités politiques habilitées à
la saisir, ici il n’y a pas à proprement parler un débat contradictoire puisse
que la juridiction n’a pas besoin de prévenir l’autre partie de l’existence
d’un recours. En matière de contrôle des engagements internationaux,
l’auteur de l’acte contesté n’est pas assimilable à une partie, car les
signataires du traité ou de l’accord ne peuvent être appelés à défendre le
texte qui est ainsi déféré à la juridiction constitutionnelle. Le contentieux
de constitutionnalité présente un certain nombre de caractéristiques qui
vont douter de la réalité des parties devant la juridiction constitutionnelle.
En effet, l’avocat a l’obligation de respecter le secret de l’enquête et de
l’instruction, en s’abstenant de communiquer, sauf à son client pour
les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou

127 VERPEAUX (M.), Contentieux constitutionnel, Dalloz, 1re édition, 2016, P. 102.

102
Alain Ghislain EWANE BITEG

de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête


ou une information en cours. Le respect de ce principe est parfois
difficile à appliquer avec l’évolution du numérique et la liberté de
parole sur les ondes de certains avocats qui plaident le cas de leur
client par la presse en violation flagrante du secret de l’instruction.
L’exigence du contradictoire dans l’instruction préalable doit être
relativisée dans l’hypothèse d’une politisation du juge constitutionnel.
L’on est en droit de questionner l’indépendance du juge constitutionnel
africain, qui brille par son rapprochement avec l’autorité politique qui
l’a nommé.128 Au lieu d’avoir un juge ingrat à l’égard de l’autorité qui
l’a nommé, l’on n’a souvent un juge reconnaissant à l’égard de cette
autorité.129 Ainsi, le rapporteur qui instruit une affaire dans l’intérêt
de l’autorité de nomination peut le faire en violation du principe
du contradictoire et en toute impunité. Nonobstant ce fait, la prise
en compte des éléments de preuve préalable à la tenue du procès est
suivie par la production des pièces d’instruction avant la tenue du
procès. La recherche des éléments probants du procès débouche sur
la rédaction du projet de décision juridictionnelle.
B- LA PRÉVISION DE LA RÉDACTION DU PROJET
D’ACTE JURIDICTIONNEL
Les textes juridiques qui régissent les juridictions constitution-
nelles dans les États d’Afrique noire francophone attribuent la

128 SOMA (A.), « Le statut du juge constitutionnel africain », in Frédéric Joël AÏVO (dir), La
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de
Maurice AHANHANZO GLELE, Paris, L’Harmattan, 2014, P. 480.
129 KPODAR (A.), « Quand les colloques nous font nous rencontrer !!! Certaines idées fortuites
sur le juge constitutionnel et le pouvoir politique en Afrique », in Actualités du droit public et de la
science politique en Afrique, Mélanges en l’honneur de Babacar KANTE, L’Harmattan-Sénégal, 2017,
P.285.

103
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

charge de rédiger le projet de rédaction de la décision juridic-


tionnelle à l’issue de l’instruction au juge rapporteur.
Ainsi, ce dernier est chargé de donner un contenu au rapport
(1), son importance est avérée, car il sera probablement adopté
par les autres membres de la juridiction (2).
1- Le contenu de l’acte rédigé
À l’analyse des textes infra constitutionnels des États d’Afrique
noire francophone, la rédaction du rapport est réalisée par le juge
rapporteur d’ailleurs, en République centrafricaine, la lecture
orale du rapport devant les autres membres de la juridiction
constitutionnelle incombe au juge-rapporteur, 130auquel est annexé le
projet de rapport ou d’avis. Au Bénin, « Le rapporteur fait constituer le
dossier par le secrétaire général. Il fait rapport à la Cour constitutionnelle
après distribution de son rapport écrit aux autres membres de la Cour
Constitutionnelle »131. Ce texte n’est pas singulier, au Cameroun, « le
Rapporteur rédige un rapport dans lequel il rappelle le contenu de la
requête, analyse les moyens soulevés et énonce les points à trancher. Il
rédige également un projet de décision à soumettre à l’appréciation des
autres Membres du Conseil ».132 La rédaction du rapport n’intervient
que lorsque l’affaire est en l’état d’être jugée. Il s’agit d’établir un
bilan dans lequel le juge constitutionnel présente les résultats de
l’instruction. Saisi d’un dossier dont la phase de la mise en l’état est
achevée, « il procède à la lecture de toutes les pièces du dossier, les étudies,

130 Lire l’article 22 de la loi n°28-2018 du 7 aout 2018 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle du Congo.
131 Voir l’article 26 (3) de la loi organique n°1-2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et
fonctionnement de la Cour constitutionnelle du Bénin.
132 Lire l’article 58 de la DÉCISION n°01/CC du 17 juillet 2009 portant adoption du Règlement intérieur.

104
Alain Ghislain EWANE BITEG

procède aux recherches nécessaires quant à la compréhension des faits,


quant au droit applicable, quant à la jurisprudence pertinente ».133Le
dossier qui est soumis à l’appréciation du rapporteur constitue un
tout, un ensemble qu’il faut décomposer en vue de rétablir la vérité.
Le juge rapporteur dispose désormais de tous les éléments matériels
qui lui semblent nécessaires à la résolution du litige, il ne lui reste
plus qu’à confronter les faits et la règle de droit à l’appui des moyens
de preuve.134 C’est la raison pour laquelle l’analyse de l’affaire
commence par un résumé des faits avant l’analyse juridique.
La pratique de la Cour constitutionnelle du Gabon renseigne sur
le contenu du rapport.135 Le rapport du juge instructeur comprend
deux parties : l’exposé des faits et l’analyse des moyens de droit.
Pendant les délibérations, le juge rapporteur, après avoir rappelé
les faits et les prétentions des parties, soumet aux autres juges ainsi
que le rapporteur à qui la parole est donnée en premier, au vu des
déclarations des parties et des pièces produites du dossier, discute
et se prononce sur chaque point de droit à trancher. Lorsque les avis
convergent, l’autorisation est donnée au rapporteur pour la rédaction
du projet de décision. Lorsque les avis divergent, la discussion peut
donner lieu à un vote. Il est à souligner qu’au cours des délibérations,
l’observation n’est pas admise et les opinions dissidentes ne sont pas
rapportées dans la décision. Au moment de l’examen du projet de
décision, c’est chaque considérant qui est examiné et si possible
corrigé et reformulé en plénière. Cette pratique n’est pas singulière,

133 CONNIL (D.), L’office du juge administratif et le temps, Paris, Dalloz, 2012, P.50.
134 AWONO ELOUNDOU (E.), La fonction du juge rapporteur dans le contentieux administratif
camerounais, Mémoire de DEA, Université de Yaoundé 2, FSJP, 2009-2010, P. 69.
135 https://cdn.accf-rancophonie.org, bulletin-13-repertoire, avril-2019, Cour constitutionnelle du
Gabon, P. 300.

105
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

celle de la Cour constitutionnelle de la RDC permet également


d’étayer le contenu du rapport.136
Le Rapporteur procède à l’instruction de l’affaire en vue d’un
rapport écrit à soumettre à la juridiction constitutionnelle. Dans
certains États d’Afrique noire francophone, tels que le Niger137, le
Cameroun138, le Bénin,139et du Congo140, le rapport est destiné aux
Membres de la juridiction constitutionnelle. Le rapport est soumis
à la juridiction constitutionnelle dans un délai fixé par le Président
de ladite juridiction. La pertinence de la rédaction d’un rapport est
que ce dernier conditionne l’instruction contradictoire préalable.
Autrement dit, lorsque la requête est manifestement irrecevable,

136 Le rapport contient le résumé des faits, la procédure, l’objet de la demande, les moyens de
la demande, les fins de non-recevoir de la partie défenderesse. Quant à la note juridique, elle
contient la proposition de solution faite par le juge rapporteur et l’examen des points-ci après : la
compétence de la Cour en rapport avec l’objet du litige, la recevabilité de la requête, les propositions
de réponse aux moyens développés par la partie demanderesse. Le projet d’arrêt est élaboré en
onction de la solution proposée dans la note juridique. Tous ces documents doivent être distribués
aux juges constitutionnels plusieurs jours avant afin de leur permettre de faire des observations
écrites qui seront débattues en plénières. Ainsi, le rapport adopté sera lu à l’audience et le projet
d’arrêt également. https://cdn.accf-rancophonie.org, bulletin-13-repertoire, avril-2019, Cour
constitutionnelle de la RDC, P. 30.
137 L’article 22 de la loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation et le
fonctionnement de la Cour constitutionnelle et de la procédure suivie devant elle énonce que : «
Le Rapport doit être remis aux Conseillers au moins vingt-quatre (24) heures avant le début des
délibérations… ».
138 Selon l’article 58 de la DÉCISION n°01/CC du 17 juillet 2009 portant adoption du Règlement
intérieur : « … Le Rapporteur rédige également un projet de décision à soumettre à l’appréciation des
autres Membres du Conseil ».
139 L’article 29 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle stipule que : « … Le Rapporteur
procède à l’instruction de l’affaire en vue d’un rapport écrit à soumettre à la Cour ».
140 L’article 44 de la loi n°28-2018 du 7 août 2018 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle du Congo stipule que : « À l’issue de l’instruction, le rapporteur établit un
rapport et un projet de décision qui sont soumis à l’approbation de l’ensemble des membres de la
Cour constitutionnelle… »

106
Alain Ghislain EWANE BITEG

la juridiction constitutionnelle statue par décision motivée sans


instruction préalable.141 A contrario, l’absence d’un rapport pourrait
signifier que la requête est manifestement irrecevable et donc ne
mérite pas une instruction préalable.
La rédaction du rapport du juge constitutionnel commence par
le résumé des faits. Cet exercice consiste pour le juge à retenir les
éléments essentiels de l’affaire. Il a pour objet de ne pas surcharger le
dossier en s’encombrant des éléments jugés inutiles pour la solution
du litige. En toute état de cause, il ne s’agit pas encore d’analyser
les faits, encore moins de les apprécier. Il est plutôt question de
les restituer fidèlement. Mais, le résumé des faits peut poser de
sérieux problèmes en cas d’erreur, d’oubli ou de négligence d’un fait
apparemment banal, mais qui en réalité constituerait le nœud de
l’affaire. Dans une telle mesure, des répercussions peuvent subvenir
influençant gravement la décision du juge constitutionnel et par
ricochet des droits de la partie lésée à tort.
Il serait préférable pour le juge rapporteur, au lieu de résumer les faits,
de joindre les mémoires dans son rapport et de considérer les faits
authentiques, c’est-à-dire les faits dans leur originalité, leur intégrité et
dans leur intégralité sans modification du résumé. Cela permettra de
faire une meilleure analyse juridique de l’affaire. L’analyse juridique
de l’affaire consiste à analyser la demande sur la base des règles de
droit, le juge rapporteur n’est pas strictement tenu par elle, il peut
aller au-delà. Dans le cadre de l’analyse juridique, le juge rapporteur
examine la demande tant sur la forme que sur le fond.

141 Lire l’article 56 alinéa 1 de la DÉCISION n°01/CC du 17 juillet 2009 portant adoption du
Règlement intérieur de Conseil constitutionnel camerounais.

107
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Sur la forme le rapporteur examine les questions de compétence et


de recevabilité. La première question qu’examine le juge rapporteur
a trait à la compétence de la juridiction constitutionnelle. En
Afrique noire francophone, les textes constitutionnels et infra
constitutionnels règlent le domaine de compétence de la juridiction
constitutionnelle. En effet, l’incompétence prévaut sur toute autre
question. Quant à la recevabilité, les questions que posent le juge
constitutionnel portent, généralement entre autres, sur le point
de savoir si : le requérant a indiqué ses nom et prénom, sa date et
son lieu de naissance, sa profession et son adresse, un ensemble de
renseignements qui permet de l’identifier. Une fois ces questions
résolues, le juge constitutionnel examine l’affaire au fond.
Le Professeur Raymond ODENT affirme que : « abordant le
fond du litige, le rapporteur étudie successivement tous les moyens
invoqués au soutien de la requête et toutes les exceptions opposées en
défense à l’encontre des prétentions du requérant. En principe, il doit
examiner que les moyens et les exceptions expressément soulevées dans
l’instance… »142C’est donc un travail de « haute technicité » que
le rapporteur est appelé à faire.143Après l’examen du recours dans
la forme et le fond, l’on débouche sur l’établissement un projet de
décision par le juge rapporteur qui comprend les considérants et le
dispositif. La rédaction du projet relève du raisonnement du juge
constitutionnel. C’est sur la base du document rédigé par le juge
rapporteur que la décision finale sera probablement adoptée par les
autres membres de la juridiction constitutionnelle.

142 ODENT (R.), Contentieux administratif, tome 1, Fascicules 1 à 3, Paris, Dalloz, 2007, P. 951.
143 KAMDEM ( J.-C.), Cours polycopié de contentieux administratif, 3è année Licence, Université de
Yaoundé, FDSE, 1985-1986, tome1, P.237. (Inédit)

108
Alain Ghislain EWANE BITEG

2- L’importance de l’acte rédigé


L’importance du rapport d’instruction est avérée pour un certain
nombre de raisons. D’abord, le rapport oriente la décision finale
du juge constitutionnel, en ceci qu’il est censé indiquer le contenu
des grandes lignes de l’instruction. Le rôle du rapporteur varie
dans la pratique en fonction des États, les cas du Gabon144 et de
la RDC145 permettent de l’illustrer. Le rapporteur dispose des
pouvoirs d’investigations les plus étendus lui permettant d’orienter
la décision du juge. Ces pouvoirs d’instruction sont reconnus au
rapporteur dans la plupart des États d’Afrique noire francophone.
Aux Comores, « la Cour a des pouvoirs d’instructions et d’investigation
les plus étendus… Elle peut notamment correspondre directement avec
le président de l’Union, les présidents des Iles, avec les présidents des
Assemblées législatives, ainsi qu’avec toute autorité publique ; entendre
contradictoirement les parties et se faire communiquer par elles et par
toute autorité publique tous document et renseignement ayant trait
à l’affaire ; entendre toute personne dont elle estime l’audition utile ;
procéder sur les lieux à toute constatation ; commettre des experts ».146

144 Le rôle du rapporteur est globalement celui de mener l’instruction de l’affaire en vue de la manifestation
de la vérité. À cet effet, il instruit à charge et a décharge. Il doit se conformer aux procédures prévues par
la loi organique sur la Cour constitutionnelle, le règlement de procédure de la Cour constitutionnelle et
toutes autres normes qui en ont l’état. Il met à la disposition des autres juges les textes de loi en rapport
avec la question posée. À la fin de l’instruction, il rédige un rapport qu’il présente aux autres juges. Il
prend part à la décision. https://cdn.accf-rancophonie.org, bulletin-13-repertoire, avril-2019, Cour
constitutionnelle du Gabon, P. 300.
145 Le rapporteur prépare le rapport, la note juridique et le projet d’arrêt avec les membres de son cabinet.
Dès qu’il aura fini son travail, il va le distribuer a tous les membres de la Cour ainsi, qu’au secrétaire des
plénières qui préparera l’ordre du jour de la plénière durant laquelle l’a faire sera examinée. Les membres
de la Cour ont le droit de faire des observations sur le travail qui leur est distribué. https://cdn.accf-
rancophonie.org, bulletin-13-repertoire, avril-2019, Cour constitutionnelle de la RDC, P. 30.
146 Voir article 59 de la loi organique n°04-001 du 30 juin 2004 portant organisation et fonctionnement
de la Cour constitutionnelle des Comores.

109
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

Au Sénégal, « le Conseil constitutionnel prescrit toutes mesures


d’instruction qui lui paraissent utiles et fixe les délais dans lesquels ces
mesures devront être exécutées »147. Au Congo, il est prévu que : « le
rapporteur instruit l’affaire. Il dispose des pouvoirs d’investigations les
plus étendus. Il peut, dans le respect des droits de la défense, ordonner la
communication des pièces, entendre le requérant, la partie adverse, tout
sachant, d’une manière générale, prendre toutes mesures d’instructions
utiles ».148Ainsi, c’est le rapporteur qui dirige l’instruction du
procès constitutionnel, le rapport reflète les grandes orientations
de l’instruction. Au surplus, c’est le rapport qui détermine le sort
du procès constitutionnel.
L’importance du rapport réside également dans la facilitation de
l’instruction. Le rapport est mis à l’attention des autres membres
de la juridiction constitutionnelle pour qu’ils l’entérinent, ils
obtiennent ainsi le rapport sans réaliser un effort particulier,
car le rapporteur le présente sous forme de projet. C’est ce
projet de rapport qui sera distribué aux autres membres de la
juridiction constitutionnelle. Le projet de décision ou d’avis,
dont la rédaction va de pair avec celle du rapport, est élaboré
par le rapporteur avec le concours du Secrétariat général et du
service juridique. Il est communiqué aux autres membres, juge
de la juridiction constitutionnelle quelques jours avant la séance.

147 Voir l’article 14 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel
du Sénégal.
148 Voir l’article 26 de la loi n°1- 2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle de la République du Congo.

110
Alain Ghislain EWANE BITEG

À titre d’illustration l’article 26 du texte organique de la Cour


constitutionnelle du Congo prescrit que : « Le rapporteur fait
constituer le dossier par le secrétaire général. Il fait rapport à la Cour
constitutionnelle après distribution de son rapport écrit aux autres
membres de la Cour constitutionnelle ». D’autres États d’Afrique noire
francophone, tels que le Niger149, le Cameroun150, le Bénin,151 et du
Congo152prévoient pareilles dispositions.
En rédigeant le rapport, le juge instructeur contribue à sa légitimation.
L’acte rédigé est désormais considéré comme juste et équitable, par
le fait qu’il soit rédigé par le rapporteur, il est possible qu’il soit déjà
considéré comme le rapport final, car il s’appuie sur l’élément de
fait et de droit et même sur la prise en compte du contradictoire.
À titre d’illustration, au Cameroun, la décision portant Règlement
intérieur du Conseil Constitutionnel prévoit que : « le Conseil
Constitutionnel est saisi par une requête datée et signée du requérant.
Cette requête doit être motivée et comporter un exposé sommaire de fait
et de droit qui la fondent ».153Une disposition analogue est prévue

149 L’article 22 de la loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation et le


fonctionnement de la Cour constitutionnelle et de la procédure suivie devant elle énonce que : «
Le Rapport doit être remis aux Conseillers au moins vingt-quatre (24) heures avant le début des
délibérations… ».
150 Selon l’article 58 de la DÉCISION n°01/CC du 17 juillet 2009 portant adoption du Règlement
intérieur : « … Le Rapporteur rédige également un projet de décision à soumettre à l’appréciation des
autres Membres du Conseil ».
151 L’article 29 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle stipule que : « … Le Rapporteur
procède à l’instruction de l’affaire en vue d’un rapport écrit à soumettre à la Cour ».
152 L’article 44 de la loi n°28-2018 du 7 août 2018 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle du Congo stipule que : « À l’issue de l’instruction, le rapporteur établit un
rapport et un projet de décision qui sont soumis à l’approbation de l’ensemble des membres de la
Cour constitutionnelle… »
153 Article 48 alinéa 1de la DÉCISION n°01/CC du 17 juillet 2019 portant adoption du Règlement
intérieur.

111
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

au Bénin154et au Niger.155Pour ce qui est de la prise en compte du


contradictoire, au Gabon, c’est la Constitution qui prévoit que : « la
Cour constitutionnelle statue, selon une procédure contradictoire »156, au
Bénin, c’est Cour constitutionnelle157en juin 2018 qui modifia son
Règlement intérieur pour rendre accessibles ses audiences au public
et y voir contradictoirement se dérouler l’instance. Il en découle
que l’importance du rapport est légitimée par la prise en compte
des éléments de droit et de fait, et du contradictoire.
Cette importance du rapport rédigé par le juge instructeur mérite
d’être relativisée, car lors du vote, les autres membres de la juridiction
constitutionnelle peuvent le modifier. Sans être exhaustif, le texte
juridique qui régit la juridiction constitutionnelle du Congo prévoit
que : « À l’issue de l’instruction, le rapporteur établit un rapport et un
projet de décision qui sont soumis à l’approbation de l’ensemble des
membres de la Cour constitutionnelle. Après lecture du rapport et,
éventuellement, l’audition des parties ou de leurs conseils, des débats
s’ouvrent entre les membres de la Cour constitutionnelle ».158Lorsque
le projet de décision est rédigé par le rapporteur, il fait l’objet
d’une discussion au sein de la juridiction constitutionnelle.

154 L’article 27 du Règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle du Bénin stipule que : « la


Cour Constitutionnelle est saisie par une requête. Celle-ci est déposée au secrétariat général qui
l’enregistre suivant la date d’arrivée ».
155 L’article 21 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du Niger stipule que : « Tout courrier
relatif aux questions juridictionnelles est directement enregistre au Greffe de la Cour constitutionnelle ».
156 Article 85 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991.
157 DJOGBENOU ( J.), « L’accès à la justice constitutionnelle au Bénin », (Dir.), Frédéric Joël AÏVO,
Mélanges en L’honneur du Président Robert DOSSOU, L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des
droits de l’homme et de la démocratie, L’Harmattan, 2020, P.518.
158 Lire l’article 44 de la loi n°1- 2003 du 17 janvier 2003 portant organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle de la République du Congo.

112
Alain Ghislain EWANE BITEG

Le président donne alors la parole aux membres de la juridiction


pour discussion générale. C’est à l’issue de cette discussion que
le rapporteur donne lecture du projet de décision ou d’avis, dont
chaque considérant est discuté et éventuellement adopté, avant le
vote final sur l’ensemble de la décision ou de l’avis.
Durant la phase des délibérations, les débats sont largement
ouverts et peuvent même conduire parfois à la discussion d’autres
dispositions que celles qui ont été exposées par le rapporteur. Les
discussions sont essentiellement orales, mais, lorsqu’un membre de
la juridiction constitutionnelle, autre que le rapporteur, présente une
solution contraire, il lui est loisible de présenter ses amendements par
oral ou écrits. Dans ce cas, rien ne s’oppose à ce que la rédaction du
rapport soit antérieure à la séance de délibération. Dans la pratique,
en RDC159et pour ce limiter à se seul cas, le président de la Cour
constitutionnelle déclare la séance ouverte et donne au rapporteur
la parole pour lecture de son rapport et de sa note juridique selon
l’ordre repris sur l’extrait de la plénière. Après cette lecture, la parole
est donnée aux juges qui ont fait des observations. Ensuite, débutent
les discussions sur la forme avant d’entamer les discussions sur
le fond du projet d’arrêt. Si la note juridique du rapporteur est
adoptée par la plénière, la parole du rapporteur est adoptée par la
plénière, la parole lui sera accordée pour lecture du projet d’arrêt
en vue des corrections éventuelles. Dans le cas contraire, il devra
rédiger un second projet d’arrêt selon les conclusions de la plénière
et le soumettre aux débats à la prochaine plénière pour adoption.

159 https://cdn.accf-rancophonie.org, bulletin-13-repertoire, avril-2019, Cour constitutionnelle de la


RDC, P. 37.

113
L’instruction dans le procès constitutionnel. Réflexion à partir des États d’Afrique noire francophone

C’est dire que le rapport est débattu au sein de la juridiction


constitutionnelle, et donc ce rapport peut être amendé par les autres
membres de la juridiction.
Enfin, l’articulation des phases de l’instruction a permis de
démontrer qu’il s’agit d’une étape décisive au dénouement du
procès constitutionnel, car elle permet d’une part, la recherche
des éléments probants et la rédaction du projet de décision de
l’acte juridictionnel d’autre part.

CONCLUSION
Au final, l’analyse de l’instruction dans le procès constitutionnel a
permis de déboucher sur sa considération en une phase cruciale du
procès en question. En effet, les textes qui régissent les juridictions
constitutionnelles dans les États d’Afrique noire francophone
aménagent l’instruction comme une phase autonome a la juridiction
constitutionnelle dans laquelle on retrouve un certain nombre
d’articulations. Il convient de souligner la pertinence de l’instruction
dans l’office du juge constitutionnel, à travers la recherche des
éléments probants, l’attribution des pouvoirs d’instruction au juge
rapporteur et la rédaction du projet de décision juridictionnelle.
Toutefois, l’instruction recèle des faiblesses dans un contexte
africain de politisation du juge constitutionnel et de prise en
compte minimal du principe du contradictoire. Partant, on peut se
demander si l’instruction dans le procès constitutionnel se déroule
toujours au sein de la juridiction constitutionnelle. Cette dernière
n’a-t-elle pas souvent eu recours à l’aide d’autres juridictions afin de
préparer le projet de décision d’acte juridictionnel.

114
L’INÉGALITÉ ENTRE L’HOMME ET LA FEMME
DANS LES EFFETS FAMILIAUX DU NOM RÉCUSÉE PAR
LA COUR CONSTITUTIONNELLE BÉNINOISE

Aïssata DABO
Maître-assistante en Droit privé
Université Thomas Sankara
(Burkina Faso)

Décision de la Cour constitutionnelle nº 21-269


du 21 octobre 2021

La Cour constitutionnelle,

S aisie d’une requête en date à Cotonou du 07 mai 2021,


enregistrée au secrétariat de la Cour constitutionnelle à la même
date sous le numéro 0791/178 /REC-21, par laquelle madame
Eucharistie KOTOUNOU, demeurant à Igolo, forme un recours
en inconstitutionnalité des articles 6 et 12 de la loi nº 2002-07
du 24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille en
République du Bénin ;
VU la Constitution ;
VU la loi n°° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur
la Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;

115
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Ensemble les pièces du dossier ;


Ouï monsieur Joseph DJOGBENOU en son rapport et Léonce
Oussou ADJADO, représentant le Garde des Sceaux, ministre de la
justice et de la législation en ses observations ;
Après en avoir délibéré,
Considérant que la requérante expose que les articles 6 et 12 de la loi nº
2002-07 du 24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille en
République du Bénin violent « le principe sacro-saint » d’égalité ; qu’elle
invoque à l’appui des articles 26 de la Constitution et 18 alinéa 3 de la
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la jurisprudence
de la haute Juridiction fondée, selon elle, sur trois règles : la règle selon
laquelle « à situations identiques, règles identiques » la règle selon
laquelle « à situations différentes, règles différentes » la troisième règle
enfin qui n’est rien d’autre que le principe de proportionnalité selon
lequel « le principe d’égalité serait violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe
aucune justification objective et raisonnable ; qu’il n’existe pas de
rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé » ; qu’elle en conclut, d’une part, que l’article 6 de la loi suscitée
viole les textes invoqués par le fait pour le législateur de « permettre au père
d’un enfant légitime de conférer son nom à l’enfant alors que cette possibilité
n’est pas donnée à la femme (qui, elle aussi, a contribué à la naissance de
l’enfant) ; permettre qu’en cas de reconnaissance simultanée de l’enfant née
hors mariage par les deux parents, le nom du père soit donné audit enfant au
détriment de celui de sa mère ; pire, si la mère avait reconnu préalablement
l’enfant né hors mariage et lui avait conféré son nom et que plus tard, le père
retardataire arrive à le reconnaître en dernière position, l’enfant perdra le nom
que lui avait conféré sa mère et prendra celui du père » ;

116
Aïssata DABO

Considérant qu’elle poursuit, sur les mêmes fondements, en


affirmant que l’article 6 viole les textes visés par le fait de « permettre,
en cas d’adoption par deux époux, au mari de donner son nom à l’adopté
au détriment de la femme » et demande au législateur de « permettre,
tout au moins, à l’homme comme à la femme bien évidemment, de
cumuler leur nom pour retenir un nom à leur enfant (c’est-à-dire que
le nom de l’enfant serait constitué de celui du père accompagné de celui
de la mère, comme cela se fait d’ailleurs dans d’autres pays sensibles au
respect du principe de l’égalité » ; qu’elle en conclut, d’autre part, que
l’article 12 de la loi portant Code des personnes et de la famille viole
également les textes visés par le fait pour le législateur « de disposer
que la femme mariée garde son nom de jeune fille auquel elle ajoute le
nom de son mari alors que cette possibilité n’est pas reconnue à l’homme
marié de garder son nom de jeune homme auquel il ajoute le nom de
sa femme » ; qu’elle allègue également que le même texte viole la
Constitution par le fait de « permettre autant à la veuve entre temps
mariée alors que cette possibilité n’est pas aussi offerte au veuf » et de
« permettre à la femme divorcée la faculté de porter le nom de son mari
alors que cette faculté n’est pas offerte aussi à l’homme divorcé » ;
Considérant que l’Assemblée nationale a, par l’organe de son
représentant, le Secrétaire général adjoint, conclu à l’irrecevabilité
du recours, motif pris de l’autorité de chose jugée tenant de
l’article 124 de la Constitution ; qu’il s’en remet en effet aux termes
de cette disposition, en raison de la déclaration de conformité de la
loi portant Code des personnes et de la famille à la Constitution ;
Considérant qu’à l’audience plénière du 21 octobre 2021, la
requérante n’a formulé aucune observation complémentaire et que

117
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

le représentant du Garde des Sceaux, ministre de la justice et de la


législation a déclaré s’en rapporter à la décision de la haute Juridiction ;
I - Sur la recevabilité du recours
Vu l’article 124 alinéas 2 et 3 de la Constitution ;
Considérant que suivant les termes de ce texte « Les décisions de la
Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles,
militaires et juridictionnelles » ;
Considérant que par décision DCC 04-083 du 20 août 2004, la haute
Juridiction a déclaré conforme à la Constitution la loi nº 2002-07 du
24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille ;
Considérant toutefois que l’application des dispositions de
l’article 124 alinéas 2 et 3 de la Constitution ne s’oppose pas à l’examen
d’une loi ou de certaines de ses dispositions dont l’application révèle
une contrariété à un droit fondamental ou à une liberté publique ;
que la Cour constitutionnelle peut revenir sur ses propres décisions
en ce qui concerne notamment le contrôle de constitutionnalité des
lois si un contrôle antérieur y a laissé subsister une atteinte sérieuse
à un droit fondamental garanti par la Constitution ou à une norme
de référence du contrôle de constitutionnalité, à condition que le
recours soit exercé a posteriori, par voie d’action ou d’exception,
dans les termes de l’article 122 de la Constitution, et que la loi en
question ait été préalablement adoptée par l’Assemblée nationale,
promulguée et publiée conformément à la Constitution afin que
son application en révèle les contrariétés dénoncées ;

118
Aïssata DABO

Considérant qu’en l’espèce, le recours élève à la connaissance de


la Cour constitutionnelle la violation d’un droit fondamental,
notamment le droit à l’égalité des sexes dans (c’est-à-dire dans le
contenu) et devant (c’est-à-dire dans l’application) la loi, par la loi nº
2002-07 du 24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille
en République du Bénin, votée par l’Assemblée nationale, promulguée
et publiée conformément à la Constitution et aux lois en vigueur ; que
ce recours qui est exercé devant la haute Juridiction sur le fondement
de l’article 122 de la Constitution, doit être déclaré recevable ;
II- Sur les violations alléguées
Vu les articles 26 alinéas 1 et 2 de la Constitution ; 3 et 18 alinéa 1
de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ;
Considérant que la requérante dénonce à la Cour, la contrariété à
la Constitution et à la Charte africaine des droits de l’Homme et
des peuples des articles 6 et 12 de la loi nº 2002-07 du 24 août 2004
portant Code des personnes et de la famille en République du
Bénin ; que l’article 26 alinéas 1 et 2 de la Constitution dispose :
« L’État assure à tous l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine,
de race, de sexe, de religion, d’opinion publique ou de position sociale.
L’homme et la femme sont égaux en droit » ;
Considérant par ailleurs que la Charte africaine des droits de
l’Homme et des peuples dispose en son article 3 que : « 1. Toutes
les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes
les personnes ont droit à une égale protection de la loi » ; puis en son
article 18 alinéa 3 que : « L’État a le devoir de veiller à l’élimination
de toutes discriminations contre la femme et d’assurer la protection des

119
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et


conventions internationales » ;
Considérant qu’au sens de l’article 26 alinéa 1 de la Constitution, le
sexe est l’appartenance à l’une des deux moitiés du genre humain,
constitutif de l’état des personnes ; que l’égalité prescrite par
l’article 26 alinéas 1 et 2 de la Constitution et l’article 3 de la Charte
africaine des droits de l’Homme et des peuples s’analyse comme
une règle selon laquelle les personnes se trouvant dans une même
situation juridique sont soumises à un traitement identique sans
discrimination, la loi devant être la même pour tous, aussi bien dans
son adoption que dans son application ;
Considérant toutefois, qu’il est admissible dans un régime
démocratique que l’égalité de toutes les personnes dans et
devant la loi peut être rompue lorsque les personnes qui sont
placées dans la même situation sont traitées différemment en
raison de ce que cette discrimination vise à satisfaire un principe
constitutionnel ou atteindre un objectif constitutionnel ou un
impératif constitutionnel supérieurs ;
Considérant que la règle édictée à l’article 18 alinéa 3 de la
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples élève
en priorité la protection de la femme lorsque sont en concours
plusieurs droits fondamentaux ;

120
Aïssata DABO

A- Sur la violation du droit à l’égalité par l’article 6 de loi nº


2002-07 du 24 août 2004 portant Code des personnes et
de la famille en République du Bénin
Considérant que l’article 6 de la loi nº 2002-07 du 24 août 2004
portant Code des personnes et de la famille en République du Bénin
dispose :
« L’enfant légitime porte le nom de famille de son père.
L’enfant né hors mariage porte le nom de celui de ses parents à
l’égard duquel sa filiation est établie.
En cas de reconnaissance simultanée des deux parents, l’enfant
porte le nom de son père.
Si le père reconnaît l’enfant en dernière position, l’enfant prendra
son nom. Mais s’il s’agit d’un enfant de plus de quinze (15) ans,
son consentement sera requis.
En cas de désaveu, l’enfant porte le nom de sa mère.
L’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté.
En cas d’adoption par les deux époux, l’adopté prend le nom
du mari » ;
Considérant qu’en déterminant dans les termes qui précèdent,
les conditions d’attribution de nom à l’enfant dans les différentes
hypothèses de la filiation, l’article 6 n’est pas conforme aux
articles 26 alinéas 1 et 2 de la Constitution, 3 et 18 alinéa 1 de la
CADHP ; qu’en effet, les règles qu’il posent ne confèrent pas un égal

121
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

pouvoir à la femme placée dans les mêmes conditions et situations


que l’homme et ne préservent pas le droit fondamental de l’enfant
à l’égale reconnaissance de la filiation de ses parents ; qu’aucun
principe constitutionnel, aucun objectif à valeur constitutionnel
encore moins un impératif constitutionnel ne justifie l’admission
d’une telle rupture de l’égalité dans ces situations ; que dans
ces conditions, il y a lieu de dire que l’article 6 de loi n° 2002-07
du 24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille en
République du Bénin est contraire à la Constitution ;
B- Sur la violation du droit à l’égalité par l’article 12 de
loi nº 2002-07 du 24 août 2004 portant Code des
personnes et de la famille en République du Bénin
Considérant que l’article 12 de la loi nº 2002-07 du 24 août 2004 portant
Code des personnes et de la famille en République du Bénin dispose :
« La femme mariée garde son nom de jeune fille auquel elle ajoute
le nom de son mari.
Il en va de même pour la veuve jusqu’à son mariage.
La femme divorcée peut continuer à porter le nom de son mari avec
le consentement de ce dernier ou sur autorisation du juge » ;
Considérant qu’en disposant ainsi, alors que l’article 26 al. 1 et 2
de la Constitution prescrit l’égalité de l’homme et de la femme
dans et devant la loi, et qu’aucune circonstance, aucun principe ni
objectif à valeur constitutionnel, encore moins aucun impératif
constitutionnel ne justifie la rupture de l’égalité consacrée, l’article 12
de la loi nº 2002-07 du 24 Août 2004 portant Code des personnes et

122
Aïssata DABO

de la famille en République du Bénin est contraire à la Constitution


et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

EN CONSEQUENCE,
Article 1er. - Dit que la requête de madame Eucharistie KOTOUNOU
est recevable.
Article 2.- Dit que les articles 6 et 12 de la loi nº 2002-07 du
24 août 2004 portant Code des personnes et de la famille sont
contraires à la Constitution ;
La présente décision sera notifiée à madame Eucharistie
KOTOUNOU, à monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la
Justice et de la Législation, à monsieur le Président de l’Assemblée
nationale, à monsieur le Président de la République, et publiée au
Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le vingt-et-un octobre deux mille vingt-et-un ;

123
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

L’égalité en droit, entre l’homme et la femme, résulte clairement de


la Déclaration universelle des droits de l’homme1, dont l’article 1er
dispose que « tous les hommes naissent libres et égaux en dignité
et en droits »2. À ce propos, la Cour constitutionnelle du Bénin a,
le 21 octobre 2021, rendu une décision audacieuse3, à l’occasion
d’un recours en inconstitutionnalité contre les articles 6 et 12 de
la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant Code des personnes et
de la famille (CPF) en République du Bénin. Il faut mentionner,
incidemment, que le CPF béninois a été retouché aussitôt après ce
verdict de la Cour constitutionnelle4.
La saisine de la Cour constitutionnelle est intervenue alors que la loi
n° 2002-07 du 24 août 2004 avait auparavant obtenu l’approbation
de la juridiction constitutionnelle5. Toutefois, avant cette étape,
le processus béninois de refondation du droit de la famille avait
connu un sérieux revers. Le point d’achoppement a été la polygynie,

1 Il est à noter qu’avant cet instrument, « l’égalité de droits des hommes et des femmes » a été
proclamée dans le préambule de la Charte des Nations Unies, signée à San Francisco, le
26 juin 1945.
2 Adoptée à Paris, le 10 déc. 1948, elle figure dans le bloc de constitutionnalité de bon nombre d’États,
parmi lesquels le Bénin, le Burkina Faso et le Mali, pour ne citer que ceux-là. Elle fait partie de la
Charte internationale des droits de l’homme qui comprend en outre : le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le
Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
3 Décision de la Cour constitutionnelle (DCC) nº 21-269 du 21 oct. 2021.
4 Par la loi nº 2021-13 du 21 oct. 2021 modifiant et complétant la loi n° 2002-07 du 24 août 2004
portant CPF.
5 V°DCC n° 04-083 du 20 août 2004. Il faut approuver cette possibilité, pour la Cour constitutionnelle, de
revenir sur la constitutionnalité d’une loi qu’elle a préalablement déclarée conforme, qui rend constant le
contrôle de constitutionnalité des textes légaux. Pour autant, l’occasion est bonne pour attirer l’attention
sur la nécessité d’effectuer des lectures approfondies des lois avant leur déclaration de conformité
constitutionnelle, qui ouvre la voie à leur adoption.

124
Aïssata DABO

qui était proposée en option aux futurs mariés6. La première


mouture du projet du Code, transmise à l’Assemblée nationale
en 1995 pour adoption7, avait suscité une forte controverse
dans le pays. Tandis que les uns jugeaient que le texte était trop
féministe, le dénommant ironiquement «code de la femme», les
autres estimaient que le CPF n’était pas aussi progressiste qu’il
était annoncé, à cause des discriminations à l’égard de la femme
qu’il recelait encore8. Sept ans plus tard, soit le 7 juin 2002, une
première version du Code fut adoptée.
Cependant, la reconnaissance légale de la polygamie mascu-
line a été paralysée par un recours en inconstitutionnalité, exer-
cé par la députée Rosine Soglo9, pour non-conformité du pro-
jet de CPF avec le principe d’égalité homme-femme figurant à
l’article 26, alinéa 2, de la Constitution béninoise10. Ce recours
a été accueilli par la Cour constitutionnelle, au nom du « même
droit de contracter mariage » pour l’homme et la femme11.

6 Art. 143-144 du projet de Code, à l’image du CPF burkinabè en vigueur (adopté par la zatu
[appellation donnée à la loi sous la révolution burkinabè] An VII/0013 du 16 nov. 1989, il est
entré en vigueur le 4 août 1990), art. 257-262.
7 Par décret n° 95-236 du 5 sept. 1995.
8 J. DJOGBENOU, « Les personnes et la famille en République du Bénin : de la réalité sociale à
l’actualité juridique », in La personne, la famille et le droit en République du Bénin : Contribution à
l’étude du Code des personnes et de la famille, éd. Juris Ouanilo, fév. 2007, p. 13 ; G. BOKO NADJO,
« Le Code des personnes et de la famille béninois, Forum des ONG d’Addis Abeba », oct. 2004,
consulté le 25 jan. 2022 sur http://jafbase.fr/docAfrique/Benin/PresentationCodeFam.pdf.
9 G. BADET, « Avant-propos », in La personne, la famille et le droit en République du Bénin :
Contribution à l’étude du Code des personnes et de la famille, op. cit., p. 3.
10 Selon lequel « l’homme et la femme sont égaux en droit ».
11 G. BADET, « Avant-propos », op. cit., p. 4.

125
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Le Code fut ainsi renvoyé devant l’Assemblée nationale, pour mise en


conformité avec la loi fondamentale12. Après le réexamen, une seconde
décision de la Cour constitutionnelle, n°04-083, du 20 août 2004, a
constaté la mise en conformité du CPF par rapport à la Constitution.
Le Code, purgé de ses dispositions relatives à la polygamie, put enfin
être voté le 14 juin 2004 et promulgué le 24 août suivant.
Mais, un auteur observait déjà, à l’époque, que le CPF béninois,
dans sa version finale, n’avait pas offert aux femmes « le meilleur
niveau de protection légale »13. Surtout, une analyse soulignait que
des dispositions discriminatoires avaient été validées par la Cour,
entre autres celles se rapportant au choix du domicile conjugal et à la
dévolution du nom de famille à l’enfant14. Justement, l’inégalité des
sexes dans la transmission du nom familial à l’enfant constitue l’un
des motifs ayant conduit à l’action devant la Cour constitutionnelle
et à sa décision qui retient notre attention.
Quelle compréhension faut-il avoir, au juste, du terme « égalité »,
qui se trouve au centre de l’analyse ? Il est accepté que « ce qui est
égal doit être traité de façon égale et ce qui est différent de façon
différente »15. Au nom de l’égalité, « tous les hommes doivent être
équitablement traités par la loi et dans l’application de celle-ci »16,

12 DDC 02-144 du 23 déc 2002. Stéphane BOLLE, commentant cette décision, affirme que « la déclaration
d’inconstitutionnalité la plus spectaculaire frappe la polygamie, déclarée contraire à l’égalité entre
l’homme et la femme » (S. BOLLE, « L’émancipation de la femme béninoise par la Constitution ? » in
La Voix de l’intégration juridique et judiciaire africaine, 2005, nos 5 & 6, p. 1).
13 S. BOLLE, op. cit., p. 6.
14 Cf. A. N. GBAGUIDI, « L’égalité dans les rapports personnels entre époux dans le nouveau code de la
famille du Bénin », in Recht in Afrika, vol. 2, 2003, p. 167-188.
15 A. N. GBAGUIDI, « Égalité des époux, Égalité des enfants et le projet de code de la famille et des
personnes du Bénin », in Revue béninoise des sciences juridiques et administratives, nº spécial, oct. 1995, p. 3.
16 Ibid.

126
Aïssata DABO

ce qui implique qu’ils aient les mêmes droits et les mêmes obligations.
Les articles 26, alinéas 1 et 2, de la Constitution béninoise et 3 de la
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP)17
s’inscrivent dans ce sens. Dans l’absolu, l’égalité n’est pas que
théorique. La décision rendue le rappelle par la mention expresse
de l’égalité « dans » la loi (à savoir dans son libellé) et « devant » la
loi (par rapport à l’application qui en est faite).
Le grief soulevé par la requérante, Eucharistie Kotounou, était
la violation, par les articles 6 et 12 du CPF, de la Constitution
béninoise et de la CADHP, en leurs dispositions consacrant
l’égalité entre l’homme et la femme. À cet égard, la CADHP
énonce, en son article 3, premièrement que « toutes les personnes
bénéficient d’une totale égalité devant la loi » et deuxièmement
que « toutes les personnes ont droit à une égale protection de la
loi ». L’article 18, alinéa 3, de la Charte africaine ajoute que « l’État
a le devoir de veiller à l’élimination de toutes discriminations
contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme
et de l’enfant tels que stipulé dans les déclarations et conventions
internationales ». Quant à la Constitution béninoise, elle
proclame, en son article 26, alinéas 1 et 2, que « l’État assure à
tous l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de race, de
sexe, de religion, d’opinion publique ou de position sociale » et
« l’homme et la femme sont égaux en droit ».

17 Adoptée par la 18e Conférence de l’Organisation de l’Unité Africaine, à Nairobi, le 27 juin 1981,
elle est entrée en vigueur le 21 oct. 1986. Elle a été ratifiée le 20 jan. 1986 et signée le 11 fév. 2004
par le Bénin.

127
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Au visa de ces textes, la requérante reprochait d’abord à l’article 6 du


CPF béninois18 de rompre l’égalité entre les sexes19, par le fait que
l’homme et la femme, placés dans les mêmes situations, n’avaient pas
les mêmes facultés en matière de transmission du nom de famille20
par le canal de la filiation ; puis, la requérante critiquait l’article 12 du
même code21, pour rupture de l’égalité entre l’homme et la femme
mariés, du fait de l’instauration du port du nom conjugal à l’endroit
de l’épouse, mais non de l’époux.
La partie défenderesse, l’Assemblée nationale, avait, par l’organe de
son représentant, conclu à l’irrecevabilité du recours en invoquant
l’autorité de chose jugée, sur le fondement de l’article 124 de la
Constitution, spécialement ses alinéas 2 et 322.

18 Aux termes duquel : « L’enfant légitime porte le nom de famille de son père.
L’enfant né hors mariage porte le nom de celui de ses parents à l’égard duquel sa filiation est établie.
En cas de reconnaissance simultanée des deux parents, l’enfant porte le nom de son père.
Si le père reconnaît l’enfant en dernière position, l’enfant prendra son nom. Mais s’il s’agit d’un enfant de
plus de quinze (15) ans, son consentement sera requis.
En cas de désaveu, l’enfant porte le nom de sa mère.
L’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté.
En cas d’adoption par les deux époux, l’adopté prend le nom du mari ».
19 Dans la DCC n° 21-269 du 21 oct. 2021, la Cour retient que « le sexe est l’appartenance à l’une des
deux moitiés du genre humain, constitutif de l’état des personnes » (v°II- Sur les violations alléguées,
3e considérant). Le terme sera employé dans la présente étude selon cet entendement.
20 Pour sa définition, le nom « est une appellation qui permet de désigner la personne. Il comprend
le nom de famille et le prénom. Le nom de famille rattache l’individu à sa famille […] le prénom
le distingue au sein de sa famille » (A. MARAIS, Droit des personnes, Dalloz, coll. « Cours », Paris,
juin 2021, n° 143).
21 Il en ressort que : « La femme mariée garde son nom de jeune fille auquel elle ajoute le nom de son mari.
Il en va de même pour la veuve jusqu’à son mariage.
La femme divorcée peut continuer à porter le nom de son mari avec le consentement de ce dernier ou sur
autorisation du juge ».
22 Lesquels disposent tour à tour que « les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles

128
Aïssata DABO

En effet, l’Assemblée nationale se reposait sur le fait que la


Cour constitutionnelle béninoise avait précédemment, par sa
décision n° 04-083 du 20 août 2004, déclaré la loi n°2002-07 du
24 août 2004 portant CPF conforme à la Constitution.
En substance, les juges de la haute juridiction étaient appelés à se
prononcer sur la conformité des articles 6 et 12 du CPF béninois,
respectivement relatifs à la dévolution du nom à l’enfant et à l’usage du
nom du conjoint, à l’article 26, alinéas 1er et 2e, de la Constitution, croisé
avec les articles 3 et 18, alinéa 3, de la CADHP. Concrètement, il leur
était demandé de rechercher si les articles 6 et 12 du CPF béninois, en
ne respectant pas le principe d’égalité entre l’homme et la femme garanti
par la Constitution (à son article 26, alinéas 1 et 2) et la Charte africaine
(en ses articles 3 et 18, alinéa 3) ne leur étaient pas contradictoires et, par
conséquent, insusceptibles de continuer à recevoir application ?
Dans l’examen préliminaire de la recevabilité, la Cour a reconnu
que l’article 124 de la Constitution ne s’oppose pas au contrôle de
constitutionnalité ultérieur d’une loi ou de certaines de ses dispositions
dont l’application contredit un droit fondamental ou une liberté publique,
pour peu que le recours soit exercé « a posteriori, par voie d’action
ou d’exception, dans les termes de l’article 122 de la Constitution23,

d’aucun recours » et qu’« elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires
et juridictionnelles ».
23 Aux termes duquel « tout citoyen peut saisir la Cour Constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois,
soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui
le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour Constitutionnelle
qui doit intervenir dans un délai de trente jours ». En marge, une décision de la Cour constitutionnelle
du Bénin (DCC n°09-087 du 13 août 2009) affirme que sa jurisprudence fait partie intégrante du bloc de
constitutionnalité. La conséquence en est que toute violation, par commission ou par omission, de cette
jurisprudence équivaut à une violation de la Constitution (v°T. HOLO, « Le citoyen : pierre angulaire
de la justice constitutionnelle au Bénin », consulté le 26 jan. 2022 sur https://cdn.accf-francophonie.

129
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

et que la loi en question ait été préalablement adoptée par l’Assemblée


nationale, promulguée et publiée conformément à la Constitution
afin que son application en révèle les contrariétés dénoncées »24. Les
conditions du réexamen étaient réunies en l’espèce, ce qui a permis aux
sages de la haute juridiction de se prononcer sur le fond de la demande,
qui était de faire abroger les dispositions des articles 6 et 12 du CPF
béninois instaurant des inégalités entre les sexes.
Les juges constitutionnels ont d’abord considéré le moyen de
la violation du droit à l’égalité entre l’homme et la femme par
l’article 6 de loi n° 2002-07 du 24 août 2004 dont est issu le CPF.
Au bout du compte, la Cour constitutionnelle a déclaré ce texte
de la loi querellée non conforme à la Constitution, dans la mesure
où il fixait inégalement, envers l’homme et la femme, les modes
de détermination du nom de l’enfant. Ensuite, les hauts magistrats
se sont penchés sur le moyen de la violation du droit à l’égalité
par l’article 12 du même CPF. Cette disposition a également été
qualifiée d’inconstitutionnelle, étant donné qu’elle n’autorisait pas
le port bilatéral du nom conjugal.

org/2019/03/8_holo.pdf ; D. DEGBOE, « Les vicissitudes de la protection des droits et libertés par la


Cour constitutionnelle du Bénin », Les Annales de droit, n° 10, 201, p. 119-138, consulté le 20 déc. 2021
sur https://doi.org/10.4000/add.336).
24 V° DCC n° 21-269 du 21 oct. 2021, I- Sur la recevabilité du recours, 3e considérant. La mise en œuvre
de l’accès large au juge constitutionnel béninois, directement par voie d’action ou indirectement
par voie d’exception (lire F. J. AIVO, « La Cour constitutionnelle du Bénin », Nouveaux cahiers
du Conseil constitutionnel, n°47, avr. 2015, p. 99-112), permet d’observer que le Bénin a un système
renforcé de protection des droits fondamentaux. En comparaison, le Burkina Faso consacre
un accès au juge des droits fondamentaux, dans les mêmes proportions (cf. art. 157, al. 2, de la
Constitution burkinabè du 2 juin 1991 [révisée par la loi n° 072-2015/CNT du 5 nov. 2015]), mais
celui-ci n’est pas exploité avec la même fréquence ni avec la même rigueur (infra, n 39, note 106).

130
Aïssata DABO

Ainsi, la Cour constitutionnelle a conclu à l’inconstitutionnalité de


l’inégalité des sexes dans la transmission du nom parental (I), de
même qu’à celle de leur inégalité dans le port du nom conjugal (II).
I. L’inconstitutionnalité de l’inégalité dans la transmission
du nom parental
Le recours exercé s’appuyait, pour commencer, sur la violation
du droit à l’égalité homme-femme par l’article 6 de loi n° 2002-
07 du 24 août 2004 portant CPF. Cet article fixait différemment
les règles de transmission du nom de famille à l’enfant, envers le
père et la mère. Le texte accordait, dans tous les cas, la priorité au
nom paternel. De ce fait, les hypothèses de dévolution du nom
maternel étaient plutôt restreintes. La Cour constitutionnelle a
donc constaté, d’une part l’inconstitutionnalité de la dévolution
prioritaire du nom du père (A) et d’autre part, l’inconstitutionnalité
de la dévolution subsidiaire du nom de la mère (B).
A. L’inconstitutionnalité de la dévolution prioritaire du
nom du père
Il est intéressant de remarquer que l’article 6 distingue les modalités
d’attribution du nom filial selon que l’enfant est né dans le mariage,
hors mariage ou qu’il a été adopté. Pour autant, le texte demeurait rivé
à la primauté masculine, toutes les fois que le père était connu et qu’il
n’avait pas désavoué l’enfant. L’on pouvait lire, aux alinéas 1 à 4 et 7, que :
« L’enfant légitime porte le nom de famille de son père.
L’enfant né hors mariage porte le nom de celui de ses parents à
l’égard duquel sa filiation est établie.

131
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

En cas de reconnaissance simultanée des deux parents, l’enfant


porte le nom de son père.
Si le père reconnaît l’enfant en dernière position, l’enfant prendra
son nom. Mais s’il s’agit d’un enfant de plus de quinze (15) ans, son
consentement sera requis.
[…]
En cas d’adoption par les deux époux, l’adopté prend le nom du
mari. »25
Sans conteste, le principe de dévolution du nom paternel26 avait la
faveur du Code béninois de personnes et de la famille. L’alinéa 1er
de l’article 6 sus-cité le consacrait pour l’enfant né dans le mariage27
et l’alinéa 2 pour l’enfant né de parents non mariés ou qui ne le
sont pas entre eux28. Les alinéas 3 et 4 de l’article 6 venaient faire
la part, pour l’enfant né hors mariage, entre celui qui obtient une
reconnaissance simultanée dans ses deux branches familiales et
celui qui est reconnu successivement par ses parents. L’alinéa 3, sans
surprise, faisait prédominer le nom du père.

25 V°, dans le même sens, art. 36-38 et 486 du CPF burkinabè et art. 31, al. 1er, 32, al. 2, et 496 du CPF
malien issu de la loi n° 11-080/AN-RM du 2 déc. 2011.
26 A. DABO, L’égalité de l’homme et de la femme dans le mariage : Étude comparée des droits du Bénin, du
Burkina Faso et du Mali, L’Harmattan, coll. « Études africaines – Série Droit », Paris, nov. 2018, nº 250 s.
27 La désignation ancienne d’« enfant légitime » est source de stigmatisation pour l’enfant né hors
mariage. Il faut lui préférer des expressions neutres. Le CPF malien conserve cette terminologie et
lui oppose celle d’« enfant naturel » (v° Titre II : De la filiation légitime [art. 468 s.] et Titre III : De
la filiation naturelle [art. 495 s.]).
28 Le CPF malien, curieusement, inverse l’habitude – sans être pour autant plus égalitaire vis-à-vis
des sexes – à son art. 32, al. 1 et 2 : « L’enfant né hors mariage porte le nom de sa mère.Il prend le nom
de son père en cas d’établissement de sa filiation à l’égard de celui-ci ».

132
Aïssata DABO

Tout de même, l’alinéa 4e ne manquait pas d’intriguer : si le père


reconnaissait l’enfant après la mère qui lui avait déjà donné son
nom, celui-ci était remplacé par le nom du père29. Le consentement
de l’enfant n’était requis que s’il était âgé de plus de quinze ans30.
Cependant, ne faudrait-il pas convenir qu’en cas de reconnaissance
tardive par le père, « l’ordre chronologique se recommande de l’intérêt
de l’enfant, à qui il ne serait pas bon d’imposer, en cours d’existence,
un changement d’identité »31 ? Cette solution est tenue en échec par
l’attribution préférentielle du nom du père en toutes circonstances.
Le recours s’attardait, en définitive, sur le caractère inconstitutionnel
de l’ensemble de ces dispositions, au regard des alinéas 1 et 2
de l’article 26 de la Constitution béninoise, en vertu desquels,
non seulement l’État est garant de l’égalité de tous devant la
loi, mais encore l’homme et la femme sont égaux en droit.
Madame Eucharistie Kotounou exposait qu’elles étaient aussi
discriminatoires par rapport à la CADHP, dont il résulte de
l’article 3 que toute personne bénéficie de l’égalité devant la loi, et
aussi que toute personne a droit à une égale protection de la loi.
L’article 18, alinéa 3, de la CADHP renchérit en chargeant l’État de
veiller à l’élimination de toutes les discriminations contre la femme
et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant.

29 Dans un sens approchant, en droit burkinabè, la reconnaissance ultérieure du père n’empêche


pas la substitution immédiate du nom matronymique déjà transmis par le nom patronymique,
sauf déclaration conjointe des parents devant le président du tribunal civil (art. 37, al. 2, du CPF
burkinabè ; v° aussi art. 497, al. 1er, du CPF malien).
30 Art. 37, al. 2, du CPF burkinabè ; au Mali, le seuil est fixé à 13 ans, selon l’art. 497, al. 2, du CPF
malien.
31 J. CARBONNIER, Droit civil : Introduction, Les personnes, La famille, L’enfant, Le couple, Paris,
Quadrige/PUF, 1re éd., 2004, nº 223.

133
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Ainsi, le recours constitutionnel reprochait, prima facie, au législateur


béninois de favoriser le père, s’agissant du droit de transmettre
un nom de famille par le canal de la parentalité, au détriment de
la mère « qui, elle aussi, a contribué à la naissance de l’enfant »32.
Effectivement, la vérité biologique n’exige-t-elle pas de traiter
également les deux parents ?
Les sages de la Cour constitutionnelle avaient la lourde responsabilité
de confronter l’article 6 du CPF, à la fois, à la Constitution béninoise
et à la CADHP « dont les dispositions font partie intégrante de
[cette] Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure
à la loi interne »33. Devant la contrariété manifeste des dispositions
de l’article 6, ceux-ci n’ont pu qu’admettre que le texte « n’est pas
conforme aux articles 26, alinéas 1 et 2, de la Constitution, 3 et 18,
alinéa 1, de la CADHP »34, ni dans sa lettre ni dans son esprit. En
effet, les règles qu’il pose « ne confèrent pas un égal pouvoir à la
femme placée dans les mêmes conditions et situations que l’homme
et ne préservent pas le droit fondamental de l’enfant à l’égale
reconnaissance de la filiation de ses parents »35. Il faut observer que,
face à ce recours, les juges auraient difficilement pu adopter un autre
point de vue, en s’en tenant uniquement au droit36.

32 DCC n° 21-269 du 21 oct. 2021, 1er considérant.


33 Cf. Préambule de la Constitution béninoise du 2 déc. 1990, modifiée par la loi nº 2019-40 du 7 nov. 2019,
point 4. En outre, elle figure à l’article 7 de la Constitution béninoise (H. AKEREKORO, « La cour
constitutionnelle et le bloc de constitutionnalité au Bénin », Afrilex, sept. 2016, p. 10-11 et 17, consulté
le 26 jan. 2022 sur http://afrilex.u-bordeaux.fr/wp-content/uploads/2021/03/Le_bloc_de_
constitutionnalite.pdf).
34 V° DCC n° 21-269 du 21 oct. 2021, II- Sur les violations alléguées, A- Sur la violation du droit à l’égalité,
2e considérant.
35 Ibid.
36 0

134
Aïssata DABO

Peut-être est-ce seulement l’inaction devant l’instance


constitutionnelle, avant cette date, qui a permis à la disposition
discriminatoire de rester longtemps en application ?
Dans une logique égalitaire, l’homme et la femme, qui sont parents
d’un enfant, devraient pouvoir lui transmettre leur nom de famille
respectif, et cela, à un même titre. Puis, l’enfant doit pouvoir porter
le nom de ses deux parents soit ensemble, soit en faisant le choix d’un
nom simple. Les juges le soulignent bien : toute entorse à la règle
doit être guidée par un impératif constitutionnel, si ce n’est la volonté
de respecter un principe constitutionnel ou un objectif à valeur
constitutionnelle. En l’occurrence, il n’était trouvé aucune justification
juridique à la dévolution principale du nom paternel à l’enfant. Un tel
choix reléguait d’office les applications du nom matronymique37, à
savoir le nom de famille transmis par la mère38. Ce constat a mené la
Cour constitutionnelle à retenir l’inconstitutionnalité de la dévolution
privilégiée du nom du père, laquelle induit l’inconstitutionnalité de la
dévolution subsidiaire du nom de la mère.
B. L’inconstitutionnalité de la dévolution subsidiaire du
nom de la mère
L’inconstitutionnalité résultant de la rupture de l’égalité entre
l’homme et la femme dans leur rapport à l’enfant est manifeste.
La mère ne peut transmettre son nom de famille à l’enfant auquel
elle donne naissance qu’à défaut d’établissement de sa filiation

37 De matronyme et -°ique ; du latin classique matris, génitif de mater, ‘mère’, et de l’affixe d’origine
grecque -°onyme, ‘nom’ (cf. Dictionnaire Antidote, v° Matronyme).
38 La consécration du système patriarcal produit indirectement l’effet de mettre à l’écart les règles de
dévolution du matronyme chez certaines minorités ethniques, comme cela avait cours au Burkina
Faso (A. DABO, op. cit., n° 257).

135
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

en ligne paternelle39. Étonnamment, sur les sept alinéas que


comptait l’article 6 du CPF béninois, qui envisageaient chacun un
mode de dévolution du nom familial, il n’y en avait que deux qui
faisaient une place à la transmission du nom de famille par la mère.
C’étaient les alinéas 5 et 6, qui disposaient :« En cas de désaveu,
l’enfant porte le nom de sa mère.L’adoption confère le nom
de l’adoptant à l’adopté. »40Ces dispositions fixaient ainsi les
hypothèses exceptionnelles de dévolution du nom de famille de la
mère à l’enfant. Quand bien même, la prééminence paternelle était
sous-jacente. Au fond, c’était à défaut de porter le nom du père ou
du mari, lorsque l’adoption est le fait de deux époux41, que l’enfant
portait le nom de la mère. Autrement, dans l’adoption, il fallait que
l’adoptante ne soit pas mariée pour que l’enfant porte son nom.
Le maintien, avant la modification de la loi42, de l’appellation
« nom patronymique »43 était d’ailleurs emblématique de la
régulation du nom dans les systèmes de droit africains44. À ce propos,
39 Même si elle résulte de l’adoption (art. 336 du CPF béninois).
40 V° aussi art. 36, in fine, et 486, al. 1er, du CPF burkinabè ; art. 31, al. 2, 34, al. 1er, et 541, al. 2, du CPF
malien.
41 Sachant que l’adoption n’est ouverte à un couple que si celui-ci est marié (art. 337, 1er tiret, du CPF
béninois ; l’art. 476 du CPF burkinabè précise même que « nul ne peut être adopté par plusieurs
personnes si ce n’est par deux époux », dans la même veine que l’art. 525, al. 1er, du CPF malien) ;
également, le mariage est forcément l’union entre un homme et une femme (v° art. 123 du CPF
béninois ; art. 237 du CPF burkinabè ; art. 280 du CPF malien).
42 Infra, n° 20.
43 L’étymologie du terme « patronymique » renvoie au mot « père ». Suivant le Dictionnaire Larousse,
le mot « patronymique » vient de « bas latin patronymicus, du grec patrônumikos, de patêr, -tros,
père, et onoma, nom » (consulté le 21 déc. 2021 sur https://www.larousse.fr/dictionnaires/
francais/patronymique/58724).
44 À ce titre, le législateur béninois dispose que « toute personne s’identifie par un ou plusieurs prénoms et
par un nom patronymique » (art. 5 du CPF béninois) ; aussitôt, il vient adoucir l’expression en ces termes :
« l’enfant légitime porte le nom de famille de son père » (art. 6, al. 1er, du béninois). Plus symboliquement,
le législateur burkinabè mentionne que « toute personne doit avoir un nom patronymique ou nom de
famille, et un ou plusieurs prénoms » (art. 31 du CPF burkinabè).

136
Aïssata DABO

il a pu être observé que « le nom patronymique est le dernier bastion


de la prépondérance maritale »45. La référence systématique au père
explique ensuite le « caractère résiduel de la transmission du nom
de la mère »46. Cette inclination du droit requérait un changement.
Au total, la première situation dans laquelle l’enfant était amené à
porter le nom de sa mère était celle dans laquelle il avait fait l’objet
d’un désaveu par le mari de la mère. Le désaveu est une faculté
ouverte au mari de la mère dans des circonstances singulières :
lorsque l’enfant n’est pas couvert par la présomption de paternité,
lorsque l’épouse a dissimulé la grossesse ou la naissance de l’enfant
ou encore lorsque l’époux peut rapporter la preuve scientifique qu’il
ne peut être le père de l’enfant47. Dans l’un quelconque de ces cas,
le père prétendu peut désavouer l’enfant par une action en justice48.
L’admission du désaveu de l’enfant né d’une femme mariée a pour
effet de lui faire perdre le nom du mari qu’il avait commencé à porter.
À ce moment, il est remédié à l’absence de nom patronymique par
l’attribution du nom matronymique, si toutefois l’enfant ne fait pas
l’objet d’une reconnaissance par un autre homme, auquel cas, il
prend prioritairement le nom de ce dernier.
Le cas échéant, l’on retombait dans l’attribution par principe du
nom du père et le nom de la mère ne venait qu’à titre supplétif.
Dans le droit de la famille béninois, la deuxième situation dans
laquelle un enfant peut porter le nom de famille de sa mère est celle
dans laquelle la filiation résulte de l’adoption par une personne de

45 J. CARBONNIER, op. cit., nº 554.


46 A. DABO, op. cit., nº 248.
47 Cf. art. 305 du CPF béninois ; v° art. 448-449 du CPF burkinabè ; art. 468-469 du CPF malien.
48 Art. 307-310 du CPF béninois ; v° art. 450-452 du CPF burkinabè ; art. 473-474 du CPF malien.

137
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

sexe féminin, non mariée, âgée d’au moins 35 ans49. Dans le cas où
l’adoptante est mariée, si l’adoption concerne l’enfant du conjoint,
le nom de l’enfant demeure celui du père acquis précédemment. À
l’opposé, l’adoption de l’enfant de l’épouse par l’époux fait prendre à
l’adopté le nom du mari, en présence d’une adoption plénière50. Ces
dispositions sont désormais plus ou moins affectées par le nouveau
régime béninois du nom, qui tient compte de la volonté parentale
dans l’attribution du nom de famille à l’enfant51.
Mais, en toute hypothèse, la mère ne peut transmettre que son nom
«patronymique», c’est-à-dire le nom de son propre père. Pour autant,
l’incohérence est appelée à se corriger d’elle-même, au bout de quelques
générations, sous l’effet d’une réforme légale permettant la transmission
indifférenciée, par les père et mère, du nom de famille à l’enfant.
Le réajustement de la loi béninoise n° 2002-07 du 24 août 2004
portant CPF n’était pas évitable, à partir du moment où le contrôle
de constitutionnalité avait abouti à affirmer que l’inégalité de
l’homme et de la femme dans la transmission du nom,
par la filiation, était inconstitutionnelle. En effet, cette inégalité ne
dérivait ni d’un principe constitutionnel ni d’un objectif à valeur
constitutionnelle, encore moins d’un impératif constitutionnel,
comme l’a souligné la Cour constitutionnelle dans sa décision du
21 octobre 2021. Conséquemment, la requérante plaidait pour
qu’au plan légal, le nom de l’enfant puisse être constitué du nom

49 Cf. art. 337, 3e tiret, du CPF béninois. V° dans le même sens, art. 471, al. 1er, du CPF burkinabè
qui fixe le seuil de l’âge à 30 ans, de même que l’art. 540 du CPF malien (à noter que, dans le cas
malien, l’adoption est expressément exclue pour toute personne homosexuelle, selon l’art. 522, al.
4, du même code).
50 En réalité, cela correspond au cas de l’art. 6, al. 4, du CPF béninois.
51 Art. 6 nouveau du CPF béninois.

138
Aïssata DABO

du père, accompagné de celui de la mère, sur le modèle de ce qui a


cours dans d’autres systèmes juridiques africains52.
Au demeurant, l’égalisation des droits des père et mère au niveau de la
transmission du nom ne passe pas nécessairement par le port de leurs
deux noms accolés. Le principe d’égalité serait encore respecté si l’enfant
pouvait recevoir un seul nom de famille, suivant des modalités de choix
qui ne donneraient pas la préférence à un sexe par rapport à l’autre53.
Le monopole masculin dans la transmission du nom a, de toute façon,
été révisé en partie. En effet, le jour même de la décision de la Cour
constitutionnelle, soit le 21 octobre 2021, le législateur béninois a adopté
une loi revisitant le CPF dans le sens de la requête54. L’article 6 nouveau
permet maintenant à la femme de transmettre son nom à l’enfant, en
cas de reconnaissance simultanée par les deux parents,même si les cas
d’application demeurent confinés55. Un nouvel article 6-1 du CPF
52 À l’image de la Côte d’Ivoire (v° loi nº 2020-490 du 29 mai 2020 relative au nom).
53 Ce n’est pas la direction prise par le législateur ivoirien qui a, par sa loi nº 2020-490 du 29 mai 2020 relative
au nom, réformé les modes de détermination du « nom de famille », mais n’a pas été jusqu’à instaurer
une parfaite égalité entre l’homme et la femme. En effet, sauf exception, l’enfant porte le seul nom paternel
ou de l’homme adoptant ou bien ce nom avec le nom de la mère ou de l’adoptante. Si les parents portent
déjà des noms doubles, ils ne peuvent transmettre à leurs enfants qu’un seul des deux, de sorte que toute
personne ne peut porter, au plus, que deux noms de famille.
54 Loi n° 2021-13 du 21 oct. 2021 modifiant et complétant la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant
CPF. Cette loi a été déclarée conforme à la Constitution par DCC n° 21-321 du 10 déc. 2021.
55 Article 6 nouveau (à rapprocher de l’art. 2 de la loi ivoirienne nº 2020-490 du 29 mai 2020 relative au
nom) : « Lorsque la filiation est établie à l’égard des deux parents dans les conditions prévues par le présent
code, ceux-ci choisissent le nom de famille dévolu à l’enfant : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit
leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Ce
choix est notifié au médecin accoucheur ou au centre de santé de naissance et dûment porté à la connaissance de
l’officier d’état civil. En l’absence du choix prévu à l’alinéa précédent, l’enfant prend le nom de celui des parents à
l’égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père, si sa filiation est établie simultanément
à l’égard de l’un et de l’autre. En cas de désaccord entre le père et la mère, signalé par l’un d’eux à l’officier d’état
civil dans les huit (08) jours après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend
leurs deux noms ; le nom du père, inscrit en première position, suivi de celui de la mère sans trait d’union. Le nom
précédemment choisi ou dévolu dans les conditions de la présente disposition pour un enfant commun vaut pour
tous les autres enfants communs. En cas de naissance à l’étranger d’un enfant dont l’un des parents au moins est
Béninois, les parents qui n’ont pas usé de la faculté de choix du nom dans les conditions des alinéas précédents,

139
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

béninois56 règle aussi la question de la détermination du nom de famille


lorsque la filiation n’est d’abord établie qu’en une seule branche57. Un
autre article 6-2 précise qu’« en cas de désaveu de paternité, l’enfant
porte le nom de sa mère ». À tout prendre, il n’était pas nécessaire de
faire ce complément58, étant compris que la mère ne dispose que de
l’action en contestation de maternité ou de paternité59.
Il n’est pas dénié que la loi modificative, par ces changements,
apporte une réponse, quoique imparfaite, aux drames familiaux
pouvant résulter de l’absence d’héritier mâle pour perpétuer
le nom familial. Cependant, l’on peut regretter qu’elle ait été
adoptée aussitôt après la décision constitutionnelle tranchant la
question dans le vif. Cet empressement peut faire penser à une
réforme insuffisamment mûrie, voire un changement législatif
d’importance sur fond de complaisance.

peuvent effectuer la déclaration adéquate lors de la transcription de l’acte ou à l’occasion de sa rectification ».


56 Issu de la loi n° 2021-13 du 21 oct. 2021 modifiant et complétant le CPF.
57 Dans le sillage de l’art. 3 de la loi ivoirienne n° 2020-490 du 29 mai 2020 relative au nom, ce passage du
droit béninois prévoit que : « Lorsque la filiation n’est établie qu’à l’égard d’un parent, l’enfant prend le nom
de ce parent. Lors de l’établissement du second lien de filiation, durant la minorité de l’enfant, les père et mère
peuvent, par déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil, choisir soit de lui substituer le nom du parent de
l’enfant à l’égard duquel la filiation a été établie en second lieu, soit d’accoler leurs deux noms, dans l’ordre choisi
par eux, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux lorsqu’il n’y aurait pas eu précédemment d’enfant
commun entre eux. Dans le cas contraire, le nom choisi doit être identique à celui du ou des enfants qu’ils ont
précédemment eus en commun. Le changement de nom est mentionné en marge de l’acte de naissance ».
58 S’agissant de l’expression « de paternité ».
59 Parallèlement à l’action en désaveu, propre au père, l’article 310, alinéa 2-3, du CPF béninois prévoit que
la mère peut contester la paternité du mari, à condition de divorcer et de se remarier au père véritable de
l’enfant avant que celui-ci n’ait atteint l’âge de 7 ans (v° aussi art. 453 du CPF burkinabè). L’incidence sur
le nom de l’enfant est désormais réglée par le nouvel article 6 issu de la loi modificative du CPF (supra,
n°20, spéc. note 55).

140
Aïssata DABO

En même temps, la décision de la Cour constitutionnelle venait


de rendre inapplicable l’article 6 du CPF béninois60, à la même
enseigne que l’article 12 du même code – ce point fera l’objet des
développements suivants – ce qui peut expliquer l’intervention
rapide du législateur. Il était, en effet, primordial de ne pas laisser dans
l’incertitude légale des questions cruciales comme la détermination
du nom filial, ni d’ailleurs celle du nom acquis par mariage.
Justement, dans la décision examinée, la haute juridiction a également
déclaré l’inconstitutionnalité de l’inégalité homme-femme dans le
port du nom conjugal.
II. L’inconstitutionnalité de l’inégalité dans le port du nom
conjugal
Le recours en inconstitutionnalité de madame Eucharistie
Kotounou s’appuyait également sur la violation du droit à l’égalité
entre l’homme et la femme par l’article 12 de la loi n° 2002-07 du
24 août 2004 portant CPF61.
Touchant au nom acquis par mariage, cette disposition prévoyait un
traitement différencié selon le sexe. Le port du nom marital n’était
institué que pour la femme, que ce soit pendant l’union matrimoniale ou
à la fin de celle-ci. Précisément, après avoir constaté l’inconstitutionnalité
de l’usage unilatéral du nom conjugal au cours du mariage (A), les juges
ont également relevé l’inconstitutionnalité de la conservation unilatérale
du nom conjugal lorsque celui-ci prend fin (B).

60 En vertu de l’article 124 de la Constitution béninoise, dont l’alinéa 1er dispose qu’« une disposition
déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application ».
61 Cet article a aussi été réécrit par la loi nº 2021-13 du 21 oct. 2021 modifiant et complétant la loi
n° 2002-07 du 24 août 2004 portant CPF (infra, n° 35).

141
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

A. L’inconstitutionnalité de l’usage unilatéral du nom


conjugal
Il ressortait de l’article 12, alinéa 1er, que « la femme mariée garde
son nom de jeune fille auquel elle ajoute le nom de son mari ». Dans
le même temps, il n’était pas prévu pour l’homme marié la possibilité
« de garder son nom de jeune homme auquel il ajoute le nom de
sa femme », tel que le mettait en exergue la requête. En outre, la
disposition ne semblait pas accorder le choix à la femme, quant à
faire usage ou non du nom de son époux62. Par voie de conséquence,
la femme seule changeait de nom d’usage à partir de la célébration
de l’union matrimoniale par un officier de l’état civil63.
Dans les faits, la femme continuait de porter son propre nom de famille,
qui était accolé au nom de famille, ou plutôt nom patronymique, de
l’époux. Ce qui est présenté comme une faveur accordée à la femme,
est « fondé sur une coutume enracinée (pratique et conviction) »64
calquée sur la France qui a, depuis lors, refondu son régime juridique
du nom65. Cette apparence de «droit» d’usage du nom conjugal ne
serait-elle pas, en réalité, l’expression de la vivacité de la puissance
maritale ? Pareille interprétation n’est pas démentie par l’inexistence
du même «droit» au profit de l’homme marié.

62 Comparer avec l’article 41, al. 1 et 2, du CPF du Burkina Faso : « La femme mariée conserve son nom.
Toutefois, il n’est pas dérogé à l’usage en vertu duquel elle porte, dans la vie courante, le nom de son mari ».V°
aussi art. 35, al. 1 et 2, du CPF du Mali : « La femme mariée conserve son nom.En outre, elle acquiert par le
mariage et le temps qu’elle reste veuve le droit d’user du nom de son mari ».
63 La seule forme de conjugalité reconnue par le Bénin, comme par beaucoup d’autres États africains du
reste.
64 G. CORNU, Droit civil : Introduction – Les personnes – Les biens, 12e éd., Paris, LGDJ, 2005, nº 591.
À ce titre, une femme mariée a pu demander réparation au mari ayant présenté sa concubine sous
son nom (France, TGI Briey, 30 juin 1966, J.C.P. 1967. 2. 15130).
65 F. LAROCHE-GISSEROT, « Nom de la femme mariée : le désordre s’installe », D. 2003, p. 633, nº 3.

142
Aïssata DABO

L’on a pu faire valoir que le fait, pour la femme, d’user du nom du mari
milite en faveur de l’unité familiale66. Ainsi est-il affirmé que « la coutume
a toujours permis à l’unité du mariage de se manifester par l’unité du
nom »67. En restant dans cette idée, il faudrait bien reconnaître que si
l’usage en était bilatéralisé, cela participerait d’autant plus à singulariser
les conjoints mariés entre eux et ipso facto la famille issue de leur mariage.
Pour bien faire, les époux pourraient même décider de porter leurs deux
noms de famille respectifs dans un ordre identique.
En marge, il ne faut pas perdre de vue que l’appellation de la
femme par le nom de l’époux est une pratique plutôt récente
dans le contexte africain68.
Elle est, en fait, contemporaine de la colonisation69 et elle est, en
plus, assez sélective. En effet, cette matérialisation est surtout
remarquée dans les milieux urbains et instruits à l’occidentale.
Dès lors, sa généralisation par les lois africaines sur la famille
interroge, d’autant qu’elle n’a pas d’incidence véritable sur la
solidité du lien conjugal. Au sens obvie, « le mariage n’oblige
pas à la fusion des deux personnalités »70. Alors, la liberté
matrimoniale doit trouver à s’exprimer à l’égard du nom également.

66 Pour ce qui concerne l’Afrique, l’explication de « la nécessité d’intégrer la femme dans la famille
du mari » (M. ILBOUDO, Droit de cité, Être femme au Burkina Faso, Montréal, Les éditions du
Remue-ménage, 2006, p. 101) paraît plus crédible.
67 G. CORNU, op. cit., nº 589. L’auteur ne manque pas de souligner, néanmoins, que « ce n’est pas
exactement de la même manière pour le mari et pour la femme. Le mari garde l’usage de son
nom […] Pour la femme mariée, on admet que, sans perdre son nom de jeune fille (son nom de
naissance), elle prend, par l’effet du mariage, l’usage du nom de son mari, nom marital » (ibid.).
68 A. DABO, op. cit., nº 233, spéc. note n° 818.
69 M. ILBOUDO, Droit de cité, Être femme au Burkina Faso, op. cit., p. 101.
70 Ibid., p. 100.

143
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Somme toute, le port du nom marital, dans sa version unilatérale, paraît


avoir été pensé comme un attribut de l’homme, « chef de famille »71.
En cette qualité, ce dernier donne son nom à l’épouse et éventuellement
aux enfants. Incontestablement, derrière l’affiche de l’unité conjugale, le
port du nom du mari contribue à asseoir la supériorité masculine dans
le mariage72. Autrement, l’inverse serait institué. Ce n’était pas le cas en
droit béninois, ainsi que le notait la requérante.
Au demeurant, le doyen Carbonnier exprimait clairement que le
nom est le prolongement de la puissance maritale, en désignant le
nom de la femme, fût-elle mariée, comme étant « le nom du mari
de sa mère »73. Cette réflexion met en lumière que, du moment où
le nom de l’enfant est donné par référence au père, le fait pour la
femme de conserver son nom de naissance ne résout qu’en partie le
problème de l’autonomie du nom, puisque elle-même tient ce nom
de son père74.
Dans les droits qui lui ouvrent cette faculté, la femme peut choisir de
porter seulement son propre nom patronymique75. La loi béninoise
allait cependant plus loin, car la femme qui entrait en mariage

71 Ces termes litigieux ont été expurgés de bien de Codes de la famille en Afrique, mais l’esprit n’en
continue pas moins de les imprégner (A. DABO, op. cit., nº 231).
72 M. ILBOUDO, Droit de cité, Être femme au Burkina Faso, op. cit., p. 101.
73 J. CARBONNIER, op. cit., nº 554.
74 La France aussi a, pendant longtemps, utilisé l’expression de « nom patronymique », puis elle
a opéré de profonds changements à partir de la loi n°85-1372 du 23 déc. 1985 relative à l’égalité
des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants
mineurs. Cette loi a remodelé l’ensemble des règles relatives au nom. Ensuite, les lois n° 2002-304
du 4 mars 2002 relative au nom de famille et n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique
sont intervenues pour remanier les règles d’attribution du nom d’origine ayant prévalu jusqu’à leur
adoption (cf. art. 311-21 s. du Code civil français).
75 Le CPF burkinabè prévoit en son article 41, alinéas 1 et 2, que « la femme mariée conserve son
nom », mais qu’« il n’est pas dérogé à l’usage en vertu duquel elle porte, dans la vie courante, le
nom de son mari ».

144
Aïssata DABO

portait systématiquement, non seulement le nom reçu de sa branche


paternelle, mais encore ce premier nom patronymique était associé
au deuxième qu’elle tenait de son époux. À s’en tenir à l’ancien libellé
de l’article 12, alinéa 1er, du CPF béninois, à savoir l’adjonction
obligatoire du nom marital, l’option n’apparaissait pas équitable pour
la femme. Effectivement, si l’on accepte que celle-ci est, de nos jours,
souvent appelée à travailler dans l’espace public, il faudrait, dans le
même ordre d’idées, admettre qu’elle a besoin de s’y faire connaître
sous un nom intangible. Or, l’identification par le nom marital,
même résultant du choix de la femme, quand choix il y a, n’est pas
une situation acquise une fois pour toutes. Elle est fonction de l’état
de la relation conjugale, par suite, susceptible de varier dans le temps.
La particularité du traitement réservé à la femme était, de ce point
de vue, constitutive de discrimination à son égard.
Les époux, suivant leur sexe, n’étaient pas placés sur un pied d’égalité
quant aux effets personnels du mariage sur le nom. La requérante
arguait, de ce fait, que l’article 12 du CPF béninois contredisait aussi
bien l’article 26, alinéas 1er et 2e, de la Constitution béninoise, que les
articles 3 et 18, alinéa 1er, de la CADHP. Les juges constitutionnels
ont acquiescé à son argumentaire.
Le sens dans lequel se sont prononcés les sages de la Cour
constitutionnelle, l’on s’en doute, peut ne pas recueillir l’adhésion du
plus grand nombre de citoyens béninois. Au moins, cette décision
aura mis à nu l’incohérence des dispositions du CPF béninois
querellées avec le principe constitutionnel d’égalité. Corrélativement,
cette jurisprudence est conforme à l’esprit juridique, détaché de

145
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

considérations socio-anthropologiques76. En effet, afin de rétablir


l’égalité comme il était demandé, le législateur béninois devait ou
bien supprimer l’institution du port automatique du nom conjugal à
l’endroit de la femme uniquement ou bien étendre la pratique aux deux
époux, afin de faire de l’usage du nom obtenu par mariage un «droit»
mutuel. Dans la dernière hypothèse, l’unité familiale, par renvoi de
part et d’autre à l’identité du conjoint, n’en serait que renforcée. Peut-
être est-ce cette logique qui se retrouve dans la nouvelle loi modifiant
et complétant la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant CPF77 ?
Pour finir, il faut se demander si des réflexions approchantes peuvent
être faites à propos de la conservation du nom conjugal après la
dissolution du mariage. De l’avis des juges constitutionnels,
l’inconstitutionnalité ne se limite pas à l’usage unilatéral du nom
de l’époux dans le mariage, mais s’étend aussi à la conservation
unilatérale du nom de l’époux à la fin du mariage.
B. L’inconstitutionnalité de la conservation unilatérale
du nom conjugal
À la suite de l’ancien alinéa 1er de l’article 1278 du CPF béninois,
relatif au nom double de la femme à dater du mariage, les alinéas 2
et 3 du même article disposaient que :
« Il en va de même pour la veuve jusqu’à son mariage.

76 Encore pourrait-il être posé la question de savoir s’il est possible, en matière législative ou jurisprudentielle,
de s’inscrire dans une vision rigoureuse du droit, sans interférence d’ordre culturel ?
77 Infra, n°35.
78 Supra, n° 23.

146
Aïssata DABO

La femme divorcée peut continuer à porter le nom de son mari avec


le consentement de ce dernier ou sur autorisation du juge. »79
L’on remarquera qu’il n’était pas fait cas du veuf, pas plus que de
l’homme divorcé. Au total, lorsque le lien matrimonial se dissolvait,
soit normalement pour cause de mort ou anormalement par
divorce, la puissance maritale continuait d’avoir quelque effet,
à travers le nom de défunt ou de l’ex-mari que la femme portait
par-delà. Cette coutume française, reprise sous le couvert des lois
africaines sur la famille, semble provenir de ce qu’il existe « comme
une forme de tabou » autour du nom de la femme, un « nom qu’il
faudrait dissimuler »80. Cette tradition contribue, pour le moins, à
l’invisibilisation de la femme mariée dans la société81.
De surcroît, le port du nom marital par la femme permet, plus
prosaïquement, de connaître sa situation matrimoniale ou, à tout
le moins, de savoir qu’elle a déjà été mariée. Pourtant, en tant que
« vestige d’un temps où la femme voyait sa capacité entamée par
le mariage, ce qui pouvait intéresser les tiers, la curiosité sur la
situation matrimoniale des femmes n’a plus lieu d’être et se trouve

79 Comparer avec l’art. 43 du CPF burkinabè : « Par le divorce, la femme perd l’usage du nom de son
mari.Toutefois, elle pourra le conserver, soit avec l’accord du mari, soit sur autorisation du juge si elle
justifie qu’un intérêt particulier s’y attache pour elle-même ou pour les enfants ».Pareillement, l’art. 35,
al. 2-5, du CPF malien dispose que « En outre [la femme mariée] acquiert par le mariage et le temps
qu’elle reste veuve le droit d’user du nom de son mari ; cette acquisition est anéantie par le divorce.
Néanmoins, la femme divorcée peut conserver l’usage du nom de son mari, avec l’accord de celui-ci, si elle
justifie d’un intérêt légitime particulier pour elle ou pour les enfants. La femme séparée de corps conserve
le droit d’user du nom de son mari.La veuve non remariée peut conserver l’usage du nom de son mari ».
80 Th. DUBAELE, Le nom de la femme mariée, Thèse de doctorat, Université de Lille II, déc. 1991, p. 6.
81 Une organisation de la société civile a mis en évidence que le nom des femmes est souvent effacé au
profit de leurs maris (cf. J.-L.D. avec AFP, « Féminisme : Une association dénonce l’invisibilisation
du nom des femmes », 20minutes.fr, 15 mars 2021, consulté le 14 jan. 2022 sur https://
www.20minutes.fr/societe/2999307-20210315-feminisme-association-denonce-invisibilisation-
nom-femmes).

147
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

même discriminatoire »82. La codification pourrait, sous cet angle,


contribuer à l’éclosion d’un nouveau paradigme.
Dans une autre perspective, la conservation du nom d’épouse par
la femme ayant divorcé ne fait pas obstacle à ce que l’ancien mari
transmette à nouveau son nom à une autre à travers le mariage.
En tout état de cause, l’usage du nom marital ne survit pas à
un remariage de la femme83. De même, la jurisprudence retient
traditionnellement que l’usage du nom du conjoint conservé après
la dissolution du précédent mariage se perd après un remariage84. Le
port du nom marital est donc contingenté et il apparaît, ainsi, qu’il
est source d’instabilité identitaire.
Au bout du compte, il s’avère difficile d’accueillir d’un côté « l’aspiration
pour les femmes à une identité propre, acquise hors du mariage, et la
volonté, déroutante dans ce contexte, pour de nombreuses femmes
divorcées de conserver le nom du mari »85. Tout bien considéré, le nom
de la femme mariée reste une question délicate86.
Au surplus, l’on a pu présenter la conservation du nom marital comme
un droit reconnu à la femme, qui est soit exercé avec l’accord du mari
dont elle a divorcé soit forcé avec le concours du juge. Le postulat veut
que la femme qui est plus connue sous le nom obtenu après mariage
puisse conserver celui-ci, afin de ne pas préjudicier à l’activité qu’elle
mènerait sous ce nom. Mais une telle issue se présenterait-elle si la
82 F. LAROCHE-GISSEROT, op. cit., nº 10.
83 V° spéc. art. 35, al. 5, du CPF malien.
84 M. LAMARCHE, « Nom d’usage et nom légal de la femme mariée, la confusion permise au nom
de l’intérêt légitime à changer de nom pour des motifs d’ordre affectif ou l’attribution du nom par
affection », LexisNexis, Droit de la famille, nº 2, fév. 2015, alerte 8.
85 F. LAROCHE-GISSEROT, op. cit., nº 7.
86 E. YEDEDJI-GNANVO, « Un exemple de droit écartelé entre tradition et modernité : le nom de la
femme mariée au Bénin », Revue béninoise des Sciences juridiques et administratives, nº 15, 2005, p. 33-60.

148
Aïssata DABO

femme, à l’image de l’homme, ne changeait pas de nom à partir du


mariage87 ? Le problème n’existerait plus tout simplement : ce qui n’a
jamais commencé n’a aucunement besoin d’être poursuivi !
Lorsque la femme est connue sous le nom du mari, dans l’éventualité
d’un divorce, elle subit inévitablement un préjudice si, pour une
raison ou une autre88, elle devait cesser de porter le nom marital
sous lequel elle s’est fait connaître dans sa profession.
La question est d’ailleurs à l’origine de nombreux litiges entre
conjoints divorçant89.Par anticipation, le législateur béninois, à
l’instar de son homologue burkinabè, a prévu que le juge peut
intervenir en cas de désaccord entre les époux sur la poursuite
du port du nom marital après le divorce90. Contrairement à eux,
le législateur malien ne permet la conservation de ce nom après
divorce qu’avec le seul accord de l’ex-mari91.
En l’occurrence, la requérante invoquait la discrimination, en
matière de nom, envers la femme veuve ou précédemment mariée.
La Cour constitutionnelle l’a suivie dans son raisonnement.
87 Sur le plan factuel, tant que le statut de femme mariée restera, en Afrique, socialement plus valorisé
que celui d’homme marié, l’affiche du nom du mari apparaîtra comme le moyen immédiat de
révéler son conformisme.
88 Soit qu’elle ait fait le choix de ne plus le porter, soit que l’usage de ce nom lui soit refusé par l’ex-
mari ou par le juge.
89 V° Sénégal, Cour de cassation, arrêt n° 75/2002, 15 mai 2002 : dans cette affaire, il a été donné acte
au mari de ce qu’il interdisait l’usage de son nom après divorce par l’ex-épouse ; Tchad, Cour suprême,
Chambre judiciaire, arrêt n°011/CS/CJ/SC/05, 17 févr. 2005 : en l’espèce, le divorce avait été prononcé
aux torts exclusifs de la femme. Ayant continué à porter le nom marital après la séparation, l’ancien époux
a agi, avec succès, en interdiction de l’usage de son nom patronymique par l’épouse divorcée ; Bénin,
Cour suprême, Chambre judiciaire, arrêt n° 10, 25 nov. 1970, où il a été fait défense à la femme de porter
désormais le nom du mari d’avec lequel elle avait divorcé. Ce florilège de décisions illustre le caractère
épineux de la conservation du nom marital après une séparation contentieuse.
90 Cf. art. 12, al. 3, du CPF béninois ; art. 43, al. 2, du CPF burkinabè.
91 V° art. 35, al. 3, du CPF malien. Cette disposition fait entièrement dépendre la conservation du
nom conjugal de l’avis de l’ex-époux, alors que ce dernier peut ne pas se montrer conciliant.

149
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

En effet, l’admission de la conservation du nom marital au


moment de la rupture du lien matrimonial, pour la femme et
non pour l’homme – lequel n’aura jamais pu commencer à le
porter d’ailleurs, en raison de la loi – n’était pas conforme aux
articles 26, alinéas 1 à 2, de la Constitution béninoise et aux
articles 3 et 18, alinéa 1er, de la CADHP. En conséquence, la loi
a été jugée inconstitutionnelle en cet article 12, autre siège de la
contrariété avec les textes juridiques encadrant le CPF béninois.
En réalité, la disposition de l’article 12 ne pouvait pas, plus que
celle de l’article 6 du même code92, s’interpréter comme étant
favorable à la femme, si toutefois l’on convient que le port du
nom du conjoint, lorsqu’il ne résulte pas de l’exercice d’une réelle
liberté, ne fonctionne pas comme un droit93. Dans la configuration
passée du droit béninois, l’usage du nom conjugal semblait plutôt
se décliner comme un devoir imposé à la femme. Expression de
la puissance maritale, ce «droit» était empreint d’unilatéralisme,
d’où l’inexistence d’une prescription réciproque à l’endroit du mari.
Ainsi compris, la loi n° 2021-13 du 21 octobre 2021 modifiant
et complétant la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant CPF est
quelque peu venue briser la tradition94. Indubitablement, l’article 12,
dans sa nouvelle rédaction, met fin à l’inégalité des époux dans
l’usage du nom conjugal, officiellement du moins, car le changement
législatif ne permet pas de préjuger de la pratique qui s’ensuivra.

92 Supra, n° 9 s.
93 Lire M. ILBOUDO, « La liberté matrimoniale », Revue burkinabè de droit, n° 32, 1997, p. 226-265,
spéc. p. 227.
94 S. K. HONVOU, Le principe d’égalité en droit béninois de la famille, Thèse de doctorat en Droit, Université
d’Abomey-Calavi – Université Paris-Est, 2016, 455 p. L’auteure y fait notamment la part entre « la
tradition comme obstacle à l’égalité en droit de la famille » (p. 51 s.) et « la loi comme ouverture à plus
d’égalité en droit béninois de la famille » (p. 137 s.).

150
Aïssata DABO

L’article 12 nouveau dispose que : « En cas de mariage, chaque


époux conserve son nom ou prend celui de son conjoint ou adjoint
le nom de celui-ci au sien. Il en va de même pour la veuve ou le veuf.
La personne divorcée peut continuer de porter le nom de son ancien
conjoint. »95 À présent, sur le fondement de la loi modifiée, chaque
époux peut ou conserver son nom ou prendre celui du conjoint ou
adjoindre à son nom le nom conjugal. Mais, parmi toutes, l’option
de «prendre le nom du conjoint» paraît ambiguë. En effet, serait-il
permis à une personne, au nom du mariage, de substituer purement
et simplement à son propre nom de famille celui du conjoint ? Si cela
était autorisé, ce nom pourrait-il alors se perdre en cas de désunion ?
L’on peut voir, à travers ces interrogations, qu’une telle orientation
installerait le désordre dans l’identification des individus, notamment
par rapport à leur ascendance96. Pour le reste, l’article 12 nouveau
prévoit qu’en cas de veuvage ou de divorce, chacun des conjoints
peut, à sa guise, continuer de porter le nom de l’ancien époux.
À l’effet de se prononcer sur les deux chefs de violation qui leur étaient
soumis, tel qu’ils l’ont fait, les sages de la Cour constitutionnelle ont
pris le soin de circonscrire les situations dans lesquelles une entorse
au principe d’égalité pouvait être caractérisée. Ainsi, la violation est
consommée « lorsqu’il est établi qu’il n’existe aucune justification
objective et raisonnable ; qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »97.

95 Dans sa réforme du régime du nom, la Côte d’Ivoire n’a pas opéré de changement au niveau du
nom marital (cf. loi nº 2020-490 du 29 mai 2020 relative au nom).
96 Dans cette hypothèse, l’on assisterait à une systématisation de vrais changements de nom au
mariage, plus vraisemblablement pour la femme. La situation pourrait être pire que celle de
l’adjonction du nom du mari.
97 DCC n° 21-269 du 21 oct. 2021, 1er considérant.

151
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Plus exactement, la règle « à situations identiques, règles identiques »98,


avec son pendant « à situations différentes, règles différentes »99,
cesse d’être impérative « lorsque les personnes qui sont placées dans
la même situation sont traitées différemment en raison de ce que
cette discrimination vise à satisfaire un principe constitutionnel ou
atteindre un objectif constitutionnel ou un impératif constitutionnel
supérieurs »100. Pour déroger au principe d’égalité strictement posé, il
faut pouvoir justifier de l’une de ces raisons au moins.
Ce n’était pas le cas de la loi n° 2002-07 du 24 août 2004 portant
CPF, raison pour laquelle elle était à nouveau convoquée devant
la juridiction constitutionnelle. Sur un tout autre plan, il faut
concéder que la tâche des juges a été relativement facilitée par
le fait qu’ils n’avaient pas à arbitrer un conflit entre le droit à
l’égalité entre tous et un droit d’importance égale. Néanmoins,
si la situation s’était présentée, ils n’auraient pas pu se prononcer,
ainsi qu’ils se sont plu à le rappeler101, contrairement à l’article 18,
alinéa 3, de la CADHP, lequel élève en priorité la protection de la
femme lorsque plusieurs droits fondamentaux sont en concours.
CONCLUSION
La décision de la Cour constitutionnelle du Bénin, si elle est
conforme à la Constitution et aux engagements internationaux

98 Pour aller plus loin, lire G. BADET, Les attributions originales de la Cour constitutionnelle du Bénin, Friedrich-
Ebert-Stiftung, Cotonou, 30 avr. 2013, p. 42 s.
99 Ibid., p. 47 s.
100 DCC n° 21-269 du 21 oct. 2021, II- Sur les violations alléguées, 4e considérant.
101 Ibid., 5e considérant.

152
Aïssata DABO

souscrits par l’État, n’en demeure pas moins avant-gardiste102,


par comparaison avec la jurisprudence constitutionnelle d’autres
États de l’Afrique francophone103. Pourrait-on estimer, par suite,
que «la Cour constitutionnelle du Bénin en fait trop»104 ? Pour
certain, cette décision ne saurait être résumée à « une fantaisie
de plus »105. Au risque d’être taxée d’opportuniste, la décision
a, au moins, le mérite de crever l’abcès des normes inférieures à
la Constitution – et quelques fois même postérieures – qui lui
sont contraires et que personne n’ose déférer à la censure de la
juridiction constitutionnelle106. Cette décision permet, une fois de
plus, à la juridiction constitutionnelle de jouer son rôle de gardien
juridictionnel de la Constitution, en réaffirmant la suprématie de la loi
fondamentale sur toutes les normes nationales qui lui sont inféodées.

102 Cette Cour constitutionnelle avait auparavant tranché, dans la même veine (vº DCC nº 09-081 du 30
juil. 2009), une exception d’inconstitutionnalité soulevée à l’occasion d’une instance de divorce devant
le Tribunal de première instance de Cotonou, à propos de l’inégalité homme-femme dans la répression
de l’adultère d’un conjoint marié, tel qu’organisée par les art. 336 à 339 du Code pénal en vigueur en
République du Bénin. Ceux-ci punissaient plus sévèrement la femme, par rapport à l’homme convaincu
d’adultère.
103 Lire H. AKEREKORO, op. cit., p. 15 s. ; S. BOLLE, « Les leçons de Giessen », in Le défi de la
démocratisation et le rôle des Cours Constitutionnelles – La justice constitutionnelle en Afrique de l’Ouest
francophone, Franz von Liszt-Institute, Justus Liebig University, Giessen, 24-25 mai 2013, p. 1-2.
104 D. GNAMOU, « La Cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? », in Joël Aïvo (dir.), La
Constitution du Bénin du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de
Maurice Ahanhanzo Glèlè, Paris, L’Harmattan, coll. « Études Africaines », 2014, p. 687-715.
105 J. DJOGBENOU, « Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : une fantaisie de plus ? »,
Afrilex, avr. 2014, 27 p.
106 Le CPF burkinabè représente un cas flagrant. Il consacre un certain nombre de dispositions contradictoires
des valeurs constitutionnelles (par exemple, l’option de polygamie [art. 257 du CPF burkinabè], le
principe de la dévolution du nom du père à l’enfant [art. 36 s. du CPF burkinabè], la priorité de l’homme
dans le choix du domicile conjugal [art. 294 du CPF burkinabè]), mais n’en est pas moins appliqué depuis
1990 sans heurts. Adopté par la zatu An VII/0013 du 16 nov. 1989 et entré en vigueur le 4 août 1990,
le CPF du Burkina Faso n’a pas été modifié encore. En fait, le projet de révision en cours butte sur les
dispositions en faveur de l’égalité des sexes, spécifiquement le rehaussement de l’âge matrimonial féminin
et son uniformisation à 18 ans pour l’homme et la femme.

153
L’inégalité entre l’homme et la femme dans les effets familiaux du nom récusée
par la Cour constitutionnelle béninoise

Au reste, la rapide modification de la législation critiquée afin


de la conformer à la Constitution – quoique inachevée à cause
des inégalités qui demeurent – est une manifestation du respect
par les pouvoirs publics de l’autorité des décisions des juges
constitutionnels. Il est possible d’en inférer que le Bénin a un
système plutôt performant de protection des droits fondamentaux,
consolidé par une justice constitutionnelle plus dynamique
qu’ailleurs sur le continent africain107.
Pour le reste, il n’est pas nié que l’action progressiste de tout
législateur africain achoppe sur des obstacles socioculturels
difficiles à surmonter. Mais, le propre de la norme juridique n’est-
il pas, justement, de réguler les comportements afin de tendre
vers une société plus juste ? Il est probable que la réforme du nom
filial sera reçue avec moins de réserve que celle du nom conjugal,
pour lequel les nouvelles dispositions prendront sans doute du
temps à rentrer dans les habitudes. De fait, en droit français où
le port bilatéral du nom conjugal est consacré depuis 2004108, il
n’est pas remarqué que beaucoup d’hommes usent du double
nom. Cet état de fait peut laisser croire à l’inutilité de l’équivalent
masculin. En outre, dans le contexte africain, prévoir l’usage
réciproque du nom marital pourrait convaincre que l’œuvre
législative est à la recherche d’une sorte d’égalitarisme qui ne
serait pas la meilleure traduction de l’égalité homme-femme.

107 H. AKEREKORO, op. cit., p. 15.


108 Par les lois nº 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce (art. 264 du Code civil français) et
nº 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (art. 225-
1 du même code).

154
Aïssata DABO

Par conséquent, il faut peut-être relativiser la portée de la DCC


n° 21-269 du 21 octobre 2021 et de la loi qu’elle a inspirée, la loi
n° 2021-13 du 21 octobre 2021, quant à un renversement du vécu
des citoyens béninois.
Tout de même, l’évolution récente du droit béninois marque une
avancée certaine vers l’égalisation des sexes en matière juridique,
particulièrement dans leur rapport au nom de famille.

155
156
LES MARCHÉS DE CONCEPTION-RÉALISATION EN
DROIT DES MARCHÉS PUBLICS AU CAMEROUN

Joseph Valerie EVINA


Docteur Ph.D en droit public,
Université de Douala (Cameroun)

En général et au Cameroun en particulier, le droit des marchés


publics1 est un droit particulièrement instable2, un droit évolutif3, un
droit en construction4 ou en mouvement5, un droit dynamique6 ou
un droit mutant7. Cet état de chose montre qu’il ne s’agit pas d’un
droit statique8 mais d’un droit qui est sous l’influence de plusieurs
réformes9 et qui par conséquent subit une inflation10 normative.

1 BRACONNIER (S), Précis du droit des marchés publics, édition le moniteur, 8 août 2012, 578 P.
2 OST (F), VAN DE KERCHOVE (M), Le système juridique entre ordre et désordre, PUF, Coll. Les
voies du droit, 1ère édition, septembre 1988, 254 P.
3 DUGUIT (L), « Les transformations du droit public-conclusion » in Revue générale du droit, 31 janvier
1913, N°17448, P 17448.
4 RICCI ( J-C), Introduction à l’étude du droit, Hachette, Coll. Les fondamentaux : la Bibliothèque de
l’étudiant, Paris, 2007, p. 59.
5 DIEBLOT (S), Le droit en mouvement : Eléments pour une compréhension constructive des
transformations complexes des systèmes juridiques, Thèse, université de Paris X-Nanterre, 2000, p. 97.
6 MOOR (P), Dynamique du système juridique, une théorie générale du droit, LGDJ, mars 2010, 337 P.
7 COLLECTIF sous la direction de QUINIOU (M) et RICHARD (D), Droits en mutations :
ouvrage commun des docteurs en droit, Les éditions de l’immatériel, voir ‘’première partie’’, 19 juin
2018, 236 P.
8 TRUCHE (D), « A propos de l’évolution du droit administratif : loi d’extension et loi de divergence » in
CHAPUS (R) (Mel), Droit administratif, Montchrestien, Paris, 1992, p. 633. L’auteur en question qualifie
de statique tout ce qui est ‘’figé’’.
9 SAUTEL (O), Réformer le droit, LexisNexis, Coll. Colloques et débats, mars 2007, 120 P.
10 MACKAAY (E), « L’inflation normative » in Lex electronica, Vol 23, 2018, pp. 30-51. Ici, l’auteur
montre que l’inflation normative est une pathologie systématique de l’Etat.

157
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Cette dernière crée généralement un désordre11 normatif qui peut


s’avérer peu productif. On peut par exemple prendre le cas du
Cameroun qui va de codes en codes pour encadrer les marchés
publics. Bien avant, ce sont les décrets de 2004 et ceux issus de
la réforme de 2012 qui réglementaient le domaine des marchés
publics. Mais désormais et dès à présent, nous avons assisté à la
mise en place d’une nouvelle réglementation des marchés publics à
travers l’entrée en vigueur du décret de 2018 qui a apporté plusieurs
mutations12. Ces mutations ont généralement pour but d’améliorer
le système des marchés publics afin de le rendre plus performant13
et plus efficient14. Elles participent donc aux exigences15 de la
bonne gouvernance16. Au Cameroun, ces mutations ont donc
participé à la mise en place ou à la naissance de nouveaux types
de marchés publics qu’on ne connaissait pas avant surtout
quand on observait les lignes des anciennes réglementations.

11 LUISIN (B), « Le mythe de l’Etat de droit, l’Etat de droit, respectivement » in CIVITAS EUROPA,
N°37, 2016, voir ‘’2- Toute production de la norme introduit le désordre’’, pp. 155-182.
12 Parmi ces mutations, on peut citer la création d’un comité en charge de l’examen des recours en cas
de conflits entre soumissionnaires et acheteurs publics, la mise en place des principes d’intégrité
et de bonne gestion des deniers publics, les personnes morales de droit privé exerçant les missions
de service public pouvant désormais être des maîtres d’ouvrage au même titre que les mandataires
des personnes publiques…
13 COLLECTIF sous la direction de Nathalie Albert, Performance et droit administratif, LexisNexis,
Coll. Colloques et débats, 16 avril 2010, 306 P.
14 MARAVAL (P) sous la direction de HOLEMAN (R), Management public, Dunod, Coll. ‘’Hors
collection’’, 2014, Voir ‘’chapitre 4’’, pp. 89-130. Dans cet ouvrage, l’auteur nous montre que les
mécanismes d’attribution des marchés publics sont un moyen d’optimisation de la performance
économique.
15 PITSEYS ( J), « Le concept de gouvernance » in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, Vol
65, 2010, pp. 207-228. Les exigences de gouvernance sont généralement liées à la transparence, à
l’éthique, à l’efficacité de l’action publique.
16 AYHAN (B), ÜSTÜNER (Y), « La gouvernance dans les marchés publics : La réforme du système
turc de marchés publics » in Revue internationale des sciences administratives, N°81, 2015, pp.679-
701.

158
Joseph Valerie EVINA

Parmi ces nouveaux types de marchés publics, on peut citer les


marchés de conception-réalisation, les accords-cadres17, les
marchés réservés18, les marchés pluriannuels et à tranches19. On
les appelle encore les marchés publics spécifiques à les différencier
des marchés publics classiques.
Les marchés de conception-réalisation puisqu’il s’agit du thème
abordé ici, sont une nouvelle forme de marchés publics pas assez
connue du public mais qui vient transformer ou muter20 le secteur
du droit de la construction des bâtiments publics et des ouvrages
d’infrastructures. Généralement, les marchés publics les plus
connus sont les marchés de travaux21, les marchés de fournitures22
et les marchés de services23 ou de prestations intellectuelles24.

17 GERY (P, DE), SCHMIDT (P), Les accords-cadres, Le Moniteur, Coll. Guides juridiques, 25
juillet 2007, 261 P. Les accords-cadres sont des marchés qui portent sur les fournitures et services
courants dont le volume de la commande ne peut être maîtrisé à l’avance. Autrement dit, l’accord-
cadre c’est deux choses : les bons de commande et les marchés à commandes subséquents. Les
accords-cadres sont donc des marchés qui définissent les règles relatives à l’émission des bons de
commandes tout en fixant la quantité des prestations à réaliser et qui lorsque ladite quantité n’a pas
été suffisamment précisée se voit complétés par les marchés à commandes subséquents.
18 Voir article 70 du décret N°2018-366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés publics.
Les marchés réservés sont des marchés qui ne sont que réservés aux artisans, aux petites et moyennes
entreprises, aux organisations de la société civile et aux organisations communautaires à la base.
19 THOMAS (L), « Les marchés à tranches » in Recherches économiques de Louvain, Vol 67, 2001, pp. 437-
451. Les marchés à tranches sont des marchés publics qui peuvent être divisés ou fractionnés en deux :
d’une part on a les marchés à tranche ferme et d’autre part on a les marchés à tranche optionnelle.
20 AUBERT (F), « La conception-réalisation : une mutation profonde du secteur de la construction?
Etude des cas britanniques et français » in Annales des mines-gérer et comprendre, N°129, 2017, p. 3-12.
21 COURCELLE (L), Traité administratif des travaux publics, édition Dunod, Paris, 1937, 619 P.
22 ARRIGUI (P), Essai sur le caractère administratif des marchés de fournitures, thèse, Paris, 1945, 215 P.
23 Le décret de 2018 portant code des marchés publics au Cameroun distingue deux types de marchés
de service : les marchés de services quantifiables et les marchés de services non quantifiables.
24 DOMERGUE (G), Les marchés publics de prestations intellectuelles, thèse, LGDJ, 1992, Paris 2, 336 P.

159
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Mais au Cameroun, parler des marchés de conception-réalisation


relève d’un fait nouveau.
En France les marchés de conception-réalisation ont existé bien
avant leur réglementation au Cameroun surtout avec l’entrée
en vigueur de plusieurs textes juridiques à savoir : l’ordonnance
N°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et la loi
N°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique
et à ses rapports avec la maîtrise d’ouvrage privée.
Pour mener toute recherche scientifique, la définition des concepts
clés du sujet est fondamentale pour une meilleure compréhension
de la thématique. L’étude des concepts liée au sujet abordé doit donc
être rigoureuse25. C’est la raison pour laquelle le célèbre sociologue
Emile DURKHEIM disait en son temps que ‘’le savant doit d’abord
définir les choses dont il traite afin que l’on sache et qu’il sache bien
de quoi il est question’’26. Tout ceci pour éclairer non seulement
l’opinion scientifique mais aussi l’opinion publique. Il est donc
évident que le thème poussera à définir deux concepts essentiels à
savoir : les marchés de conception-réalisation et le droit des marchés
publics. Contrairement au droit camerounais qui ne se limite qu’à
un seul texte27 pour définir les marchés de conception-réalisation, le
droit français les a définis par le biais de plusieurs textes juridiques28.

25 LOUBET DES BAYLE ( J.L), Initiation aux méthodes des sciences sociales, l’Harmattan, Paris-
Montréal, 2000, 272 P, P. 240.
26 DURKHEIM (E), Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1895, P. 95.
27 Il s’agit du décret N°2018-366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics qui définit pour
la première fois les marchés de conception-réalisation au Cameroun.
28 Il s’agit de la loi de 2019 portant code français de la commande publique, de l’ordonnance de 2015
relative aux marchés publics et de la loi de 1985 relative à la maîtrise de l’ouvrage publique et à ses
rapports avec la maîtrise d’œuvre privée.

160
Joseph Valerie EVINA

En effet, conformément à l’article L2171-2 de la loi du 1er avril 2019


portant code de la commande publique en France, un marché de
conception-réalisation29 est un marché de travaux qui permet à un
acheteur public de confier à un opérateur économique une mission
portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des
travaux. Il s’agit donc d’une sorte de marché public mixte qui
associe à la fois les marchés de maîtrise d’œuvre30 ou de prestations
intellectuelles aux marchés de travaux. Les marchés de conception-
réalisation rapprochent donc le rôle du maître d’œuvre31 à celui de
l’entrepreneur pour réaliser un marché public de travaux. Autrement
dit un seul opérateur économique et particulièrement l’entrepreneur
doit porter ou supporter à lui seul deux charges : l’étude du
marché de travaux et sa réalisation. L’une des dispositions32 de
l’ordonnance N°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés
publics en France a également procédé à la même définition
énoncée plus haut par le code de la commande publique de 2019
en ajoutant quelques ingrédients. Ceci grâce à la formulation
suivante : ‘’La conception-réalisation est un type particulier de
marché dans lequel le maître d’ouvrage confie simultanément
la conception (études) et la réalisation (exécution des travaux)
d’un ouvrage à un groupement d’opérateurs économiques ou un
seul opérateur économique pour les ouvrages d’infrastructures’’.

29 COSSALTER (P), Le dialogue compétitif, la conception-réalisation et le partenariat public-privé, Territorial


Editions, 1er janvier 2010, 90 p.
30 CANTAT (C), ROBERT (A-F), Les marchés de maîtrise d’œuvre et les contrats associés. Aspects
financiers et comptables, Territorial éditions, Coll. Dossier d’experts, 26 septembre 2019, 222 p.
31 WYCKOFF (P, G), Pratique du droit de la construction : Marchés publics-marchés privés, voir
‘’présentation de l’éditeur’’, Eyrolles, 7e édition, 18 juin 2015, 564 P. Dans cet ouvrage, l’auteur
s’interroge entre autres sur les éléments de missions du maître d’œuvre dans la pratique du droit
de la construction aussi bien dans les marchés publics que dans les marchés privés.
32 Voir article 33 de l’ordonnance N°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics en France.

161
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Lorsqu’on observe cette définition, l’on constate que le titulaire du


marché ne se résume plus à un seul opérateur économique comme
c’était énoncé plus haut mais peut aller jusqu’aux groupements
d’opérateurs économiques. Autrement dit les entrepreneurs ne sont
plus les seuls titulaires de ce type de marché car s’ajoutent aussi les
maîtres d’œuvre33. Les maîtres d’œuvre et les entrepreneurs peuvent
donc aussi s’associer pour former à eux seuls un groupement
d’entreprises pour passer et réaliser un marché de conception-
réalisation. Les maîtres d’œuvre et les entrepreneurs s’assistent donc
mutuellement et sont donc en parfaite collaboration pour mener à
bien la conception-réalisation d’un marché public de travaux. L’on
constate que les marchés de conception-réalisation sont des marchés
de travaux qui dérogent au principe de la séparation entre le maître
d’ouvrage, le maître d’œuvre et les entrepreneurs titulaires du marché34.
Il existe donc deux aspects qui nous permettent de définir un marché
de conception-réalisation. Le premier aspect réside sur le fait qu’un
seul entrepreneur supporte à lui seul la conception et la réalisation
d’un marché public de travaux. Le second aspect s’explique par le
fait que les maîtres d’œuvre et les entrepreneurs s’associent pour
former un groupement d’opérateurs économiques afin de conduire
à bien la conception et la réalisation d’un marché public de travaux.
Dans le premier cas, l’opérateur économique à qui on a confié la
tâche devient le concepteur-réalisateur dans les marchés de travaux.

33 HUET (M), L’architecte maître d’œuvre, Le Moniteur, 2e édition, 14 octobre 2004, 304 P.
34 Voir article 7 de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à
ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée. Cette disposition pose le principe selon lequel une
mission de maîtrise d’œuvre est distincte ou séparée de celle de l’entrepreneur pour la réalisation
d’un ouvrage d’infrastructures.

162
Joseph Valerie EVINA

Les marchés de conception-réalisation deviennent donc une sorte


de marché de travaux ayant un objet mixte. Dans ces marchés,
le maître d’ouvrage se met directement en relation avec un
entrepreneur sans associer le maître d’œuvre puisque l’entrepreneur
joue simultanément le rôle de la conception et de la réalisation de
l’ouvrage. Dans le second cas, si le maître d’œuvre veut s’associer au
marché de conception-réalisation, ce dernier doit obligatoirement
former un groupement avec l’entrepreneur. C’est la raison pour
laquelle la loi35 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage
publique a procédé de la manière suivante : ‘’le titulaire du marché
de conception-réalisation d’un bâtiment doit être un groupement
d’opérateurs économiques alors que celui d’un marché pour un
ouvrage d’infrastructures peut être un seul opérateur économique’’.
Autrement dit les groupements d’opérateurs économiques ne
peuvent qu’intervenir dans la conception et la réalisation d’un
bâtiment public. Le groupement doit donc être composé d’un
architecte et d’un entrepreneur. L’architecte a pour rôle d’élaborer
un projet d’architecture36 d’un ouvrage soumis à la législation
du permis de construire le bâtiment. Et c’est sur la base de la
conception proposée par l’architecte que l’entrepreneur procèdera
à la réalisation des bâtiments publics. Par contre, lorsqu’on a
affaire à un ouvrage d’infrastructures, le marché de conception-
réalisation est obligatoirement confié à un seul opérateur
économique en l’occurrence l’entrepreneur qui supportera à
lui seul les charges du maître d’œuvre et ceux d’entrepreneur.

35 Voir article 18 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports
avec la maîtrise d’œuvre privée.
36 Ceci conformément à la loi n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture en France.

163
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Ici, on ne parle plus de groupement car l’opérateur économique doit


avoir une double expertise. Celle de la conception et de la réalisation
de l’ouvrage d’infrastructures.
De manière plus claire et brève, un marché de conception-réalisation
est un marché de travaux qui oblige un seul entrepreneur à exercer à
la fois la conception et la réalisation d’un ouvrage d’infrastructures.
C’est aussi un marché de travaux qui oblige le maître d’œuvre à
s’associer à l’entrepreneur pour former un groupement d’opérateurs
économiques afin de concevoir et de réaliser un bâtiment public.
Le second concept à définir aussi c’est le droit des marchés publics37.
Ce dernier est une branche du droit public des affaires38 ou du droit
de la commande publique39, du droit des contrats administratifs40 et
même du droit des finances publiques41 puisque les marchés publics
sont également un échantillon du circuit de la dépense publique42.
C’est donc un droit qui touche plusieurs disciplines du droit public.
Il porte ainsi les germes de la pluridisciplinarité. Techniquement,

37 BIAKAN ( J), Droit des marchés publics au Cameroun. Contribution à l’étude des contrats publics,
l’Harmattan, Coll. Droits africains et malgache, 9 novembre 2011, 130 p.
38 NICINSKI (S), Droit public des affaires, LGDJ, Coll. Précis Domat, Sous-collection ‘’Public’’, 7e
édition, 20 août 2019, 880 P.
39 CLAMOUR (G), DELELIS (P), DEVILLIER (P), Le droit de la commande publique, LGDJ,
éditeur : LexisNexis, décembre 2016, 220 P.
40 RICHER (L), LICHERE (F), Droit des contrats administratifs, LGDJ, Coll. Manuel, Sous-
collection. Droit public, 11e édition, 17 septembre 2019, 768 P.
41 DUVERGER (M), Finances publiques, PUF, Coll. Thémis, 1er janvier 1956, P. 135. L’engagement
de la dépense publique est du ressort des ordonnateurs et la passation des marchés publics fait
partie de l’engagement de la dépense publique.
42 MAGNET ( J), Eléments de comptabilité publique, 3e édition, LGDJ, Coll. Systèmes : finances
publiques, 1er janvier 1996, P. 63. Voir article 66 (1) du décret de 2013 portant règlement général
de la comptabilité publique au Cameroun.

164
Joseph Valerie EVINA

le droit des marchés publics c’est l’ensemble des règles juridiques et des
institutions qui encadrent les marchés publics quel que soit leur nature.
Pour cela, cette discipline a pour objet d’encadrer la préparation43
des marchés publics, leur passation44, leur exécution45, les
responsabilités46 liées à leur exécution, leur fin ou extinction et
même les litiges47 qui sont rattachés aux marchés publics. Le droit
des marchés publics s’occupe aussi du contrôle48 de la passation,
de l’exécution et du système des marchés publics. C’est donc une
discipline qui étudie et encadre l’univers des marchés publics.
Toute recherche scientifique doit être menée sur un espace
géographique bien précis. Il est donc nécessaire de préciser
l’espace dans lequel le travail scientifique sera fait et expliquer
pourquoi. C’est pourquoi PROTIERE Guillaume a affirmé
que « le droit est incontestablement un phénomène spatial »49.
Le champ géographique50 peut être un Etat précis, un système

43 LA GUERRE (A), Concurrence dans les marchés publics, éditeur : BERGER-LEVRAUULT, BNF,
1989, P. 90.
44 HACHE (O), Réussir la passation des marchés publics, 2e édition, édition Le Moniteur, 8 juillet
2004, 191 p.
45 MARTINEZ (B), SERR (F), Exécution des marchés publics, mise en œuvre administrative et financière,
édition Le Moniteur, 16 novembre 2016, 408 p.
46 TERNEYRE (P), La responsabilité contractuelle en droit administratif, LGDJ, sous-collection
‘’Bibliothèque de droit public’’, février 2014, 614 p.
47 BOISSY (X), CROS (N), Les litiges des marchés publics, 1ère édition, éditeur : Berger-Levrault,
Collection ‘’pratiques locales’’, octobre 2010, 170 p.
48 YUKINS (C), SCHWARTZ, SCHOONER (S.L), GORDON, FOLLIOT-LALLIOT (F), sous la
direction de Marcou (G), Le contrôle des marchés publics, édition IRJS, collection ‘’Bibliothèque de
l’institut de recherche juridique de la Sorbonne’’, novembre 2009, 440 p.
49 PROTIERE (G), Espaces du droit et droits des espaces, édition : l’harmattan, Collection :
« administration et aménagement du territoire », octobre 2009, voir « résumé », 194 p.
50 ROMI (R), Méthodologie de la recherche en droit, 2e édition, édition : LEXISNEXIS, Collection :
‘’objectif droit’’, sous-collection : « cours », Janvier 2011, 142 p.

165
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

juridique51 ou alors plusieurs systèmes juridiques52 mais il peut


aussi couvrir deux53 ou plusieurs Etats. Il est donc clair que le
thème intitulé « les marchés de conception-réalisation en droit
des marchés publics au Cameroun » ait principalement pour
champ géographique le Cameroun mais aucune recherche ne
saurait être fermée. Elle doit s’ouvrir au monde. C’est pourquoi
l’on doit recourir au droit étranger54 de manière secondaire.
C’est une thématique qui présente un intérêt scientifique dans la
mesure où elle n’a jamais été traitée comme un article. C’est un sujet
intéressant parce qu’il permet de comprendre que les missions de
maître d’œuvre et d’entrepreneur ne sont pas toujours séparées les
unes des autres pour réaliser un marché de travaux. Elles peuvent
également être associées, groupées ou fusionner et mettre donc
en avant la notion de groupement d’opérateurs économiques55
ou de groupement d’entreprises. Une notion qui est intimement
liée à la cotraitance56. La notion de groupement d’entreprises est

51 VAN DE KERCHOVE (M), OST (F), Le système juridique entre ordre et désordre, PUF, Coll. Voies
du droit, 1ère édition, septembre 1988, 254 P.
52 CUNIBERTI (G), Grands systèmes de droit contemporains : introduction au droit comparé, LGDJ,
Coll. Manuel, Sous-collection ‘’Droit privé’’, 4e édition, août 2019, 444 p. JALUZOT (B),
« Méthodologie du droit comparé : bilan et prospective » in Revue internationale de droit comparé,
Vol 57, N°1, 2005, pp.28-48.
53 SEROUSSI (R), Introduction au droit étranger, Dunod, Coll. Gestion Sup, 3e édition, avril 2008,
222 p.
54 PONTHOREAU (M-C), « Droits étrangers et droit comparé : des champs scientifiques
autonomes ? » in Revue internationale de droit comparé, 67-2, 2015, pp. 299-315. CERQUEIRA
(G), NORD (N), La connaissance du droit étranger. A la recherche d’instruments de coopération
adaptés, T. 46, Société de législation comparée, Coll. Colloques, 1ère édition, janvier 2021, 268 p.
55 BABANDO (J-P), Groupement d’entreprises et cotraitance, 3e édition, édition Le Moniteur, Collection
Guides juridiques, voir ‘’résumé’, 250 p. L’auteur définit un groupement d’entreprises comme un
groupement momentané de plusieurs entreprises, créé en vue d’entretenir entre elles des liens juridiques,
économiques et financiers.
56 LATRECHE (A), La cotraitance et la sous-traitance des marchés publics, Territorial Editions, 1er
janvier 2011, 102 p.

166
Joseph Valerie EVINA

très employée dans l’exécution des marchés publics de travaux57


surtout lorsqu’on a affaire aux marchés de conception-réalisation.
Elle est également présente dans les marchés internationaux58. Les
entreprises groupées peuvent être conjointes ou solidaires. Elles
sont conjointes59 lorsque les prestations sont divisées en lots et
chacune des entreprises est engagée par le lot qui lui a été assigné.
C’est exactement ce qui se passe dans les marchés de conception-
réalisation où parmi les entreprises groupées, certaines sont
uniquement présentes pour la maîtrise d’œuvre et d’autres sont pour
la réalisation de l’ouvrage. Elles sont solidaires60 lorsque chacune
des entreprises est engagée pour la totalité du marché et doit pallier
une éventuelle défaillance de ses prestataires.
Ce sujet interpelle aussi sur le fait qu’un marché public de travaux
peut avoir un objet mixte à savoir la conception et réalisation
de l’ouvrage. A ce niveau l’entrepreneur n’a plus seulement pour
mission de réaliser l’ouvrage. Un seul entrepreneur peut donc être
titulaire d’un marché public de travaux pour accomplir à lui seul sa
maîtrise d’œuvre et sa réalisation. Cette thématique révolutionne
même la notion d’entrepreneur puisque l’entrepreneur ne se
limite plus à un titulaire de l’exécution d’un marché public de
travaux. Il peut aussi être le titulaire de la conception d’un marché
public de travaux61. Une sorte de substitut du maître d’œuvre.

57 PAREYDT (C, E), EYGASIER ( J), Exécution des marchés publics de travaux : CCAG Travaux, Sa
Lamy, 5 janvier 2011, 407 p.
58 DUBISSON (M), Les groupement d’entreprises pour les marchés internationaux, Edition du
Moniteur, 1er janvier 1979, 343 p.
59 Voir article 136 (3) du décret de 2018 portant code des marchés publics au Cameroun.
60 Voir article 136 (2) du décret de 2018 portant code des marchés publics au Cameroun.
61 DEMBELE (M), Comment réussir un chantier de travaux publics ? : Conception, réalisation, gestion et
management, Editions L’Harmattan, 20 juillet 2018, 318 p.

167
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Ce thème dégage aussi un intérêt scientifique dans la mesure où les


marchés de conception-réalisation participent à la simplification
des procédures de consultation afin de réaliser les marchés de
travaux. Ces marchés permettent donc d’alléger la tâche du maître
d’ouvrage dans la procédure de consultation car au lieu de consulter
plusieurs équipes à savoir les maîtres d’œuvre et les entrepreneurs,
le maître d’ouvrage va consulter une seule équipe constituée soit
d’un seul entrepreneur soit d’un seul groupement d’opérateurs
économiques. Le maître d’ouvrage procède donc par conséquent
à une seule et unique consultation pour réaliser un marché de
conception-réalisation. A ce niveau, la phase de l’étude ou de la
conception de l’ouvrage et celle de sa réalisation fusionnent pour
devenir une seule procédure. On assiste donc à une accélération62
de la procédure de consultation des équipes de la conception-
réalisation d’un marché public de travaux. Ainsi, les marchés de
conception-réalisation constituent une dérogation à la séparation
entre les procédures de conception et celles de la réalisation de
l’ouvrage et par conséquent portent en eux des germes de célérité63
puisque l’objectif est de suivre une seule procédure de consultation.
Et qui dit une seule procédure de consultation dit une seule équipe
représentative pour la réalisation du marché public de travaux.
Cette thématique dégage aussi un intérêt pratique dans la mesure où
elle participe à la performance64 des titulaires du marché puisque les

62 CHEVALLIER ( J), « L’accélération de l’action administrative » in Presse de l’université Saint-


Louis, 2000, PP. 489-508.
63 CHOLET (D), La célérité en droit processuel, Thèse, LGDJ, Juillet 2006, 736 p.
64 GUAY (M-M), Performance et secteur public : réalités, enjeux et paradoxes, Presses de l’université du
Québec, 3 mai 2000, 397 P.

168
Joseph Valerie EVINA

marchés de conception-réalisation obligent à un seul entrepreneur


d’avoir une double expertise à savoir la maîtrise d’œuvre de l’ouvrage
et sa réalisation. Ce thème éclaire aussi les acteurs de la commande
publique sur le fait que les opérateurs économiques peuvent s’unir
pour réaliser un marché public de travaux. Ces marchés de conception-
réalisation participent aussi à l’association de plusieurs expertises
des opérateurs économiques pour finaliser un marché de travaux.
Ils permettent donc de joindre la compétence de l’architecte à celle
de l’entrepreneur à partir de la phase de la conception de l’ouvrage.
Aborder la problématique65 d’un sujet de recherche revient à poser
une question centrale qui découlera d’un problème juridique précis.
Ainsi, notre étude sur les marchés de conception-réalisation en droit
des marchés publics au Cameroun nous amène à débattre sur la
qualité66 de leur régime juridique. Nous avons remarqué que le régime
juridique proposé par le droit camerounais pour encadrer les marchés
de conception-réalisation est assez limitatif, pauvre et donc très peu
fourni. Autrement dit la taille du régime juridique relatif aux marchés
de conception-réalisation est réduite. Ce régime juridique ne se
limite qu’à définir uniquement les marchés de conception-réalisation.
Or encadrer les marchés de conception-réalisation c’est les définir,
donner leurs conditions de recours, préciser une pluralité de
procédures y relatives…

65 BEAUD (M), L’Art de la thèse, édition : La découverte, 2003, p. 38. Michel BEAUD définit la
problématique comme un ensemble construit autour da problématique comme un « ensemble construit
autour d’une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d’analyse qui permettront de
traiter le sujet choisi ».
66 ABANE ENGOLO (P, E), « La notion de qualité du droit » in RDSP, Vol 1, N°01, Juin 2013, PP. 88-110.

169
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Il est donc urgent pour nous d’élargir ou d’agrandir la taille de


leur régime afin de préserver les principes67 relatifs à la commande
publique. C’est cet état de chose qui va nous pousser à poser la
question suivante : le régime juridique proposé par le droit
camerounais est-il assez suffisant pour encadrer les marchés
de conception-réalisation ?
Face à cette interrogation, nous répondons directement par la
négative car l’on soutient l’idée selon laquelle la taille du régime
juridique applicable aux marchés de conception-réalisation au
Cameroun est limitée puisqu’il ne se limite qu’à définir les marchés
de conception-réalisation en ignorant leurs conditions de recours
et la diversité des procédures y relatives. Il sera donc question ici
de démontrer que c’est un régime insuffisant sous deux angles :
une insuffisance par la limitation d’encadrement à la définition
des marchés de conception-réalisation et une insuffisance par
l’absence de consécration des conditions de recours aux marchés de
conception-réalisation et de la pluralité des procédures y relatives.
Toute démarche scientifique ne saurait être entamée sans méthodes68
de recherche. En droit, parler de méthodes69 revientà dégager deux

67 DELFORGE (C), POLET (K), RENDERS (D), Principes élémentaires du droit des marchés publics,
édition : Larcier, 2 juin 2020, 132 p. Parmi ces principes, on peut citer le principe de liberté d’accès
à la commande publique, le principe d’égalité de traitement des candidats, le principe d’intégrité,
le principe de la transparence des procédures, le principe d’efficacité.
68 GRAWITZ (M), Méthodes en sciences sociales, 7e édition, Paris, Dalloz, 2001, P. 361. L’auteur
définit la méthode comme une conception intellectuelle qui coordonne un ensemble d’opérations,
en général plusieurs techniques réunies.
69 BOUDON (R), LAZARFEL (P), in Le Vocabulaire des sciences sociales, concepts et indices, Paris, La
Haye, Mouton, 1965, 310 P.

170
Joseph Valerie EVINA

aspects à savoir le courant70 de pensée juridique auquel on appartient


et les différentes techniques à utiliser pour défendre notre point
de vue par rapport au sujet traité. L’objectif ici est d’aboutir à une
vérité scientifique vérifiée71. Albert BRIMO a présenté plusieurs
courants de la pensée juridique de la philosophie du droit et de
l’Etat. Parmi eux, on a le courant rationaliste72 où la raison et
le droit naturel73 fondent le droit, le courant antirationaliste et
antinaturaliste74 fondé sur le positivisme75, le courant humaniste76
fondé sur la théorie de l’institution77, le courant phénoménologique
fondé sur la critique des philosophies antérieures ou sur le
constructivisme78 et le courant marxiste79 fondé sur une remise en
question des phénomènes sociaux de la notion de droit et de l’Etat.
Au vue de cette panoplie de courants de pensée, nous allons recourir
au courant positiviste et particulièrement au positivisme juridique80
70 BRIMO (A), Les grands courants de la philosophie du droit et de l’Etat, Pedone, nouvelle édition
entièrement refondue, Coll. Philosophie comparée du droit et de l’Etat, février 2018, 534 P.
71 GRAWITZ (M), Méthodes de recherche en sciences sociales, Dalloz, Paris, 11e édition, 2001, 1019 P, P. 35.
72 BRIMO (A), op.cit., P.16.
73 COUJOU ( J-P), Principes du droit naturel, Dalloz, mars 2007, 492 p.
74 BRIMO (A), op.cit., P.17.
75 BLIGH (G), Les bases juridiques du positivisme juridique de H.L.A., Hart, T. 148, Institut universitaire
Varenne, Coll. Thèses, Décembre 2017, 870 P.
76 ANCEL (M), « L’humanisme et le droit » in Bulletin de l’association Guillaume Budé, Vol 3, 1947,
pp. 38-45.
77 MILLARD (E), « Hauriou et la théorie de l’institution » in Droit et société, Vol 30-31, 1995,
pp.381-412.
78 GESLIN (A), « L’importance de l’épistémologie pour la recherche en droit » in Presse de
l’université Toulouse 1 Capitole, PP.79-130.
79 MANAÏ (D), « Les juristes marxistes occidentaux face au phénomène juridique » in déviance et
société, Vol 3-3, 1979, pp. 279-295.
80 KELSEN (H), Théorie générale du droit et de l’Etat. Doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, LGDJ,
Coll. Pensée juridique, Janvier 1997, 517 P. Il y a plusieurs variantes du positivisme juridique. Parmi elles,
on peut citer le positivisme étatique, le positivisme normativiste, le positivisme exégétique, le positivisme
analytique, le positivisme logique et le positivisme pragmatique. Pour le positivisme logique, voir
BRENNER (A), « Le positivisme logique : le cas du cercle de Vienne » in Revue interdisciplinaire d’études
juridiques, Vol 67, 2011, PP. 119-133. Pour le positivisme pragmatique, voir BRIMO (A), op.cit., P.271.

171
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

orienté sur le normativisme kelsénien81 car ce courant de pensée


nous permet non seulement de s’appuyer sur la norme pour faire nos
analyses mais d’apporter aussi des correctifs aux insuffisances que
dégage la norme. Cette théorie qui décrit le droit tel qu’il est82 s’oppose
au positivisme sociologique83 qui décrit le droit tel qu’il devrait être84.
Nous choisissons également le positivisme normativiste parce que
pour Hans KELSEN, il n’y a pas de vide juridique85. Si la norme est
obscure86 ou imprécise sur une question juridique il faut créer le
droit pour l’appliquer. Le normativisme se caractérise donc par la
clarté87 des dispositions normatives. Les dispositions normatives
ne sauraient donc être floues88 ou imprécises mais intelligibles.
A côté du courant de pensée choisi et présenté, il est maintenant
question pour nous de dégager les différentes techniques qui
seront employées. Il s’agit entre autres principalement de la

Pour le positivisme étatique, voir GUIHEUX (G), « La théorie générale de l’Etat de Raymond Carre de
Malberg » in Revue juridique de l’Ouest, 1999, pp. 81-90.
81 BRIMO (A), op.cit., P.301.
82 KELSEN (H), Théorie pure du droit, Dalloz, Paris, 1962, p. 7. C’est ce que Hans KELSEN appelle
le ‘’Sein’’ c’est-à-dire l’être ou le droit tel qu’il est.
83 DEFOURNY (M), « Le rôle de la sociologie dans le positivisme » in Revue philosophique de Louvain, Vol
36, 1902, pp. 478-501.
84 COPPENS (P), « Introduction à l’article de Hans Kelsen » in Droit et société, Vol 22, 1992, p. 536.
C’est ce que Hans KELSEN appelle le ‘’Sollen’’ ou le droit tel qu’il devrait être.
85 HO DINH (A-M), « Le vide juridique et le besoin de loi. Pour un recours à l’hypothèse du non-
droit » in L’année sociologique, Vol 57, 2007, PP. 419-453.
86 PERELMAN (CH), « Le problème des lacunes en droit, Essai de synthèse » in Le problème des
lacunes en droit, Bruxelles, Bruyland, 1968, pp.537-552.
87 ROBBE (S), « La clarté des lois dans la sécurité juridique » in Revue du notariat, Vol 110, N°2, septembre
2008, PP.337-358.
88 MACKAAY (E), « Les notions floues en droit ou l’économie de l’imprécision » in Langage, 1979, PP.33-
50.

172
Joseph Valerie EVINA

dogmatique89, de la méthode comparative ou méthode du


droit étranger90 et très accessoirement de la casuistique91.
La dogmatique c’est l’interprétation authentique et réaliste
des textes juridiques92. La méthode du droit étranger c’est
cette méthode qui consiste à confronter les différents ordres
juridiques93 nationaux pour faire jaillir la vérité scientifique.
Cela veut dire que la recherche ne doit pas être fermée mais
ouverte à tout ordre juridique94. Les textes juridiques français, les
textes juridiques de certains pays d’Afrique noire francophone
seront donc évoqués dans notre thème pour les confronter
aux textes juridiques camerounais. Ceci pour voir s’il y a un
niveau d’attachement95 ou un niveau d’éloignement entres ces

89 Voir TERRE (F), Introduction générale au droit, Dalloz, réédition, 2003, Paris, PP.4-35. L’auteur nous
fait comprendre que la dogmatique est l’école de l’exégèse qui se caractérise par l’interprétation
authentique des textes juridique et aussi par leur interprétation réaliste ou doctrinale. Pour
l’interprétation authentique, voir aussi COHENDET (M-A), Méthodes de travail en droit public,
Paris, Montchrétien, 3e édition, 1998, P.29.
90 LAUVAUX (P), MASSOT (J), L’application du droit étranger, Vol 36, Société de législation comparée,
Coll. Colloques, 1ère édition, mai 2018, 168 P. La méthode du droit étranger est beaucoup plus utilisée
pour affirmer l’identité des ordres juridiques nationaux par rapport à d’autres.
91 SERIAUX (A), Le commentaire de textes juridiques : arrêts et jugements, Ellipses, Paris, 1997, P.3.
Lire aussi RIPERT (G), Les forces créatrices du droit, 2e édition, LGDJ, 1955, p. 25. Voir aussi
KELSEN (H), Théorie pure du droit (trad. Charles Eisenmann), Dalloz, Paris, 1962, p. 460.
92 Les textes juridiques peuvent être une constitution, une loi, un règlement. Dans le cas d’espèce,
le décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics fera l’objet sur lequel s’appuiera
notre analyse puisque c’est ce texte réglementaire qui a fait naître les marchés de conception-
réalisation.
93 COLLECTIF, sous la direction de Baptiste BONNET, Traité des rapports entre les ordres juridiques,
LGDJ, Coll. Hors collection, 1ère édition, novembre 2016, 1824 P.
94 CHEVALLIER ( J), L’Etat post-moderne, T.35, LGDJ, 3e édition, 261 P. Selon l’auteur, l’ordre
juridique symbolise l’ordre social.
95 ONDOA (M), Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement : contribution à
l’étude de l’originalité des droits africains, Tome 1, Thèse de doctorat d’Etat en droit public, université
de Yaoundé II-SOA, p. 34.

173
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

différents ordres juridiques nationaux96. La casuistique juridique97


qui sera très peu employée ici est une méthode qui consiste pour le
doctrinaire à commenter fidèlement les décisions de justice.
Démontrer que la taille du régime juridique camerounais
est insuffisante pour encadrer les marchés de conception-
réalisation revient à montrer d’une part qu’il y a une restriction
de l’encadrement à la seule définition de ces marchés (I) et à
montrer d’autre part qu’il y a une limitation d’encadrement
par l’absence de consécration des conditions de recours à ces
marchés et d’une pluralité des procédures y relatives (II).
I- La restriction de l’encadrement à la seule définition des
marchés de conception-réalisation
Si la taille du régime juridique français est assez fournie ou
grande pour encadrer les marchés de conception-réalisation,
celle proposée par le droit camerounais est réduite voire minime
quant à leur encadrement. Cela remet donc en cause la qualité98
du régime juridique ou de la norme99 mis en place par le droit
camerounais pour encadrer ce type de marché public de travaux100.

96 COLLECTIF, sous la direction de Baptiste BONNET, op.cit., 1824 P.


97 BONFILS (P), BRUSCHI (M), SERIAUX (A), Le commentaire des textes juridiques. Arrêts et jugements,
Editeur : ELLIPSES, Coll. Méthodologies et exercices juridiques, 4 e éditions, 8 janvier 2019, 154 p.
98 BONIS (E), MALABAT (V), La qualité de la norme. L’élaboration de la norme, Mare et Martin, Coll.
Droit et Science politique, 26 mai 2016, voir ‘’Résumé ‘’, 426 P. Pour appuyer notre argumentation
étayée plus haut, l’auteur parle même d’une perte de qualité de la norme.
99 COLLECTIF sous la direction de Marthe Fatin-rouge Stefanini, Laurence Gay et Joseph Pini,
Autour de la qualité des normes, Bruylant, 1er juillet 2010, 328 P.
100 MONNIER (F), Les marchés de travaux publics dans la généralité de Paris au XVIIIe siècle, T. 11,
LGDJ, Coll. Thèse, Sous-collection ‘’Bibliothèque de science administrative’’, janvier 1984, 435
P. L’article L.1111-2 du code de la commande publique française de 2019 présente les marchés de
conception-réalisation comme un marché public de travaux particulier.

174
Joseph Valerie EVINA

Autrement dit le droit camerounais est assez timide. Cette timidité


s’explique par le fait que le régime juridique camerounais ne se
limite qu’à définir les marchés de conception-réalisation pour les
réglementer. C’est la raison pour laquelle l’on parle d’une restriction
de l’encadrement à la définition des marchés de conception-
réalisation puisque les règles ne sont que limitées à leur notion.
Or réglementer un marché public et particulièrement un marché
de conception-réalisation c’est fixer sa préparation101, sa notion,
ses conditions de recours, sa passation102 ou les procédures103 y
relatives, son exécution104, son extinction ou alors des éventuels
litiges pouvant naître entre titulaires du marché et acheteurs publics.
Visiblement, lorsqu’on observe les lignes de la réglementation
camerounaise, l’on remarque que la définition des marchés de
conception-réalisation proposée se rapproche de celle énoncée
par le droit français. C’est donc d’une part un marché d’étude
préalable des travaux publics (A) et d’autre part il s’agit d’un marché
d’exécution des travaux publics (B).
A- Les marchés de conception-réalisation comme un
marché d’études préalables des travaux publics
Aux termes de l’article 64 du décret N°2018/366 du 20 juin 2018
portant code camerounais des marchés publics, un marché de

101 BERNARD-BOUSSIERE ( J), Expression du besoin et cahier des charges fonctionnel-Elaboration et


rédaction, Eyrolles, 3e édition, 3 janvier 2013, 186 P.
102 EVINA ( J, V), La passation des marchés publics en urgence au Cameroun, Thèse de doctorat/Ph.D en
droit public, Université de Douala, 15 janvier 2021, PP.46-47.
103 LINDITCH (F), Le droit des marchés publics, Dalloz, février 2015, 6e édition, voir ‘’Résumé’’, 150
p. L’auteur en question présente le droit des marchés publics comme un « droit des procédures ».
104 DURVIAUX (A, L), La passation et l’exécution des marchés publics : secteurs classiques et spéciaux,
Larcier, 6 septembre 2013, 192 P.

175
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

conception-réalisation est un marché de travaux qui permet


au maître d’ouvrage de confier à un groupement d’opérateurs
économiques ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructures, à
un seul opérateur économique, mission portant à la fois sur la
réalisation des études et l’exécution des travaux. Au vue de cette
définition proposée par cette disposition, l’on constate donc que
les marchés de conception-réalisation sont d’abord des marchés
publics de travaux105 qui ont un objet mixte à savoir la conception
de ces travaux et leur exécution. Il s’agira d’abord de présenter
le contenu des études préalables des travaux publics(1), de faire
ressortir ensuite le rôle des études préalables (2).
1- Le Contenu des études préalables des travaux publics
L’étude préalable d’un marché de travaux c’est la pensée du projet
en fait. C’est la phase au cours de laquelle toutes les opérations de
réflexion se font pour un bon accomplissement des travaux. Cette
étape est beaucoup plus assurée par le maître d’œuvre ou l’architecte.
Mais lorsqu’on a affaire aux marchés de conception-réalisation, cette
étape associe l’entrepreneur ou fait ressortir la fusion entrepreneur-
architecte dans la pensée du projet. A ce niveau, le maître d’œuvre
n’est plus le seul penseur du projet comme ça se fait dans les
marchés classiques. Il se fait soit assister par l’entrepreneur soit
il se fait remplacer par l’entrepreneur. A ce niveau, les marchés de
conception-réalisation deviennent une exception puisque le maître
d’oeuvre ne fait plus la loi dans cette étape. Il se fait concurrencé
par l’entrepreneur dans la pensée de la réalisation de l’ouvrage.

105 BESSMANN (P, G), Le mémento des marchés publics de travaux : intervenants, passation et exécution,
Eyrolles, 30 juin 2005, 162 P.

176
Joseph Valerie EVINA

Avant de présenter le contenu des études préalables, il sera d’abord


question de présenter un marché de conception-réalisation comme
un marché de travaux public. En tant que marché public106, un marché
de conception-réalisation107 est d’abord un marché de travaux
publics108 qui porte sur des études préalables109 avant de porter
sur l’exécution des marchés. En effet, conformément à l’une110 des
dispositions du décret de 2018 portant code des marchés publics,
un marché de travaux est un « marché conclu avec des entrepreneurs
en vue de la réalisation des opérations de construction, reconstruction,
démolition, réparation, rénovation de tout bâtiment ou ouvrage, y
compris la préparation du chantier, les travaux de terrassement,
l’installation d’équipement ou de matériels, la décoration et la finition,
ainsi que les services accessoires aux travaux si la valeur de ces services ne
dépasse pas celle des travaux eux-mêmes ». Sous d’autres prismes, ces
marchés de travaux peuvent même s’étendre jusqu’à la concession

106 KAHN (J), « La notion juridique des marchés publics » in marchés publics, octobre 1968, PP.37-51.
Voir aussi l’article 5 (W) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics. Cette
disposition définit un marché public comme « un contrat écrit passé conformément aux dispositions
du présent code, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de service s’engage envers
l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser des travaux soit
à fournir des biens ou des services moyennant un prix. Voir aussi le jugement N°62/94-95 du 29 juillet
1995 de la chambre administrative de la cour suprême du Cameroun dans l’affaire The Big Brothers
trading company C/ Etat du Cameroun (MINDIC). Dans cette affaire, le contrat administratif et
particulièrement les marchés publics se caractérisent par les clauses exorbitantes de droit commun. Un
marché public se caractérise aussi par l’équilibre financier du contrat. Pour appuyer cette idée, voir aussi le
jugement N°139/04-05 du 27 juillet 2005 de la chambre administrative de la cour suprême concernant
l’affaire Société SOTRACOME C / Etat du Cameroun. Le marché public se caractérise aussi par son
critère financier et donc par la rémunération. Pur cela, voir ZOGO NKADA (S-P) dans son article
intitulé « Le critère financier de la commande publique » un RASP, N°10, 2013, PP. 203-226.
107 Voir article 64 du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés publics.
108 ENOU (L), Traité théorique et pratique de droit administratif, tome 1 : ‘’Les travaux publics’’, thèse, édition
Pédone, 1896, Paris, 167 p.
109 Voir article 55 du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics.
110 Voir article 5 (bb) du décret N°2018/366 du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des
marchés publics.

177
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

de service public111 qui est une composante de la délégation de


service public112. Puisque techniquement, on peut parler d’une
concession des travaux publics113. Les marchés de travaux publics
peuvent également s’étendre jusqu’aux contrats de partenariat
public-privé114 puisqu’une personne publique peut confier à un
opérateur économique une mission globale qui porte à la fois sur
la construction, la transformation, l’entretien, l’exploitation et la
gestion d’un bâtiment public ou des ouvrages d’infrastructures.
Cette série de définitions des marchés de travaux peut donc nous
conduire à faire ressortir le contenu des études préalables. En effet,
lorsqu’on observe cette longue définition juridique des marchés de
travaux115 citée plus haut, on constate donc que les études préalables
de ces marchés doivent porter sur l’étude des opérations de
construction, de reconstruction, de réparation, de démolition et de
rénovation de tout bâtiment public ou ouvrage. Les études préalables
portent aussi sur la conception de la préparation des chantiers, celle
des travaux de terrassement, celle de l’installation des équipements
ou de matériels, celle de la décoration et de la finition des travaux.

111 AUBY (J-F), Les contrats de gestion du service public, LGDJ, Coll. Systèmes, 1ère édition, 2 novembre 2016,
184 P. Voir aussi NICINSKI (S), Droit public des affaires, LGDJ, Coll. Précis Domat, Sous-collection.
Public, 7e édition, 20 août 2019, P. 608.
112 MAUVAIS (F), « La délégation de service public, un mode de gestion des services d’eau potable
et d’assainissement original et efficace » in Revue des sciences de l’eau, Vol 21, 2008, PP. 143-153.
113 DREYFUS (A), Etude juridique de la concession de travaux publics, thèse, édition Pédone, 1896,
Paris, 167 p.
114 BREVILLE (A), Les contrats de partenariat public-privé : guide pratique, Editions du secteur public, Coll.
Comprendre la gestion publique, 22 octobre 2008, 158 P. Voir aussi BIAKAN (J), « La délégation des
services publics en droit camerounais », p.222.
115 VILLARD (M), BACHELOT (Y), ROMERO (J-M), Droit et pratique des marchés publics de travaux :
Passation, exécution, financement (Collection Actualité juridique), Editions du Moniteur, 1er janvier 1981,
426 p.

178
Joseph Valerie EVINA

Elles peuvent aussi porter sur les études d’entretien, de


transformation ou de gestion d’un bâtiment public ou d’un ouvrage
d’infrastructures.
Les études préalables sont obligatoires116 dans les marchés de
conception-réalisation et même dans les marchés publics en
général117 car avant le lancement d’un appel à la concurrence ou d’une
consultation, le maître d’ouvrage est obligé de réaliser une étude pour
déterminer la nature et l’étendue des besoins à satisfaire. Et comme
nous savons tous que le maître d’ouvrage n’a pas généralement la
compétence de l’étude118 des marchés publics, le code des marchés
publics119 lui permet de se référer à une expertise externe c’est-à-
dire soit au maître d’œuvre ou alors à un groupement d’opérateurs
économiques. Dans les marchés publics de travaux, l’étude
préalable des marchés constitue même un droit120 pour l’architecte.

116 Voir article 55 (2) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
117 Voir article 54 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés publics.
L’étude des marchés ne concerne pas seulement les marchés de travaux. Elle concerne aussi les marchés
de fournitures et les marchés de prestations intellectuelles. En ce qui concerne les marchés de fournitures,
l’étude porte sur la performance des biens ou des équipements à acquérir, les normes applicables et les
contraintes de livraison en vue de l’élaboration des calendriers de livraison. Pour l’étude des marchés de
fournitures, voir article 55 (6) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des
marchés publics. Pour les marchés de prestations intellectuelles, l’étude du marché porte sur le contexte,
l’étendue des prestations envisagées, les objectifs et résultats attendus, les compétences spécifiques et
la qualification des experts à mobiliser, le chronogramme et le coût prévisionnel des prestations. Pour
l’étude des marchés de prestations intellectuelles, voir article 55 (5) du décret N°2018/366 du 20 juin
2018 portant code camerounais des marchés publics.
118 VACHAL ( J-M), L’étude de prix dans les marchés de travaux publics. La méthode, un exemple, Presses
de l’école nationale des ponts et chaussées, 31 mars 2011, 170 p.
119 Voir article 54 (2) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
120 HUET (M), Droit de l’architecture, Economica, 3e édition, 25 janvier 2002, 963 P.

179
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

2- Le rôle des études préalables


Conformément à l’une121 des dispositions du décret
N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des
marchés publics, les études préalables ont pour rôle de définir
les spécifications et la consistance des prestations objet du
marché. Elles ont également pour rôle de produire un avant-
projet définissant toutes les caractéristiques de l’ouvrage à
réaliser. Les études préalables sont en d’autres termes une
phase de définition d’un projet de réalisation d’un marché
public. D’ailleurs, le maître d’œuvre qui intervient beaucoup
plus dans cette phase, est le chef du projet d’un marché public
puisque c’est lui qui participe à la conception du marché public.
Les études préalables doivent tenir compte des destructions des
biens122, la nue-propriété, des déplacements des réseaux (eau,
électricité, téléphone, etc), de la libération du site retenu, de
l’indemnisation des personnes évincées123 et des conditions d’accès
lorsqu’il s’agit des marchés de travaux. Les études préalables
doivent aussi tenir compte de l’approche handicap124 pour les
projets d’infrastructures. Elles doivent également tenir compte de

121 Voir article 55 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
122 Voir article 55 (2a) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
123 LATRECHE (A), Marchés publics : les droits des opérateurs économiques évincés, Territorial Editions, 1er mai
2016, 120 p. FRANK (A), Le droit de la responsabilité administrative à l’épreuve des fonds d’indemnisation,
Editions L’Harmattan, 1er septembre 2008, 464 p.
124 Voir article 55 (2b) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.

180
Joseph Valerie EVINA

la promotion de l’emploi125 à travers la valorisation des ressources


locales telles que la main-d’œuvre, le matériel et les matériaux
locaux par l’approche technique de haute intensité de main
d’œuvre (HIMO) notamment, conformément à la réglementation
en vigueur. Les études préalables doivent aussi tenir compte du
respect des normes sécuritaires126 en particulier celles relatives aux
édifices relevant du public. Elles doivent également tenir compte
du respect des normes environnementales127. Elles doivent aussi
prendre en compte la dimension128 ou l’allotissement129 du projet
de manière à ressortir les prestations devant être exécutées par
les petites et moyennes entreprises nationales et les organisations

125 Voir article 55 (2c) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
126 Voir article 55 (2-d) du décret N°2018/366 u 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
127 COLLECTIF, Faire respecter les normes environnementales : Tendances et bonnes pratiques (Agriculture
et alimentation-Environnement), OECD, 19 mai 2009, 240 p. FONBAUSTIER (L), Manuel de droit de
l’environnement, Presses universitaires de France, Coll. Droit fondamental, Sous-collection. Manuels, 2e
édition, voir ‘’Partie 1 : paradigmes et sources du droit de l’environnement-Leçon 4 : l’étagement des
normes nationales de protection de l’environnement’’, 3 juin 2020, 338 p. BETAILLE (J), « Répression
et effectivité de la norme environnementale » in Revue juridique de l’environnement, 2014, pp. 47-59.
Voir également l’article 55 (2 e) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des
marchés publics.
128 Voir article 55 (2-f) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des
marchés publics.
129 Aux termes de l’article 10 du code français des marchés publics de 2006, l’allotissement est un principe
selon lequel le pouvoir adjudicateur est libre de diviser un marché public en plusieurs lots pour répondre
à des besoins distincts. Voir aussi l’arrêt du Tribunal administratif du 28 juin 2007 dans l’affaire Société
MIELE. D’après la juriste RIVIERE Marjolaine, l’allotissement est un principe qui favorise l’égal accès
à commande publique. Plus techniquement, on parle souvent de fractionnement des marchés publics.
Conformément à l’article 58 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des
marchés publics, on parle d’allotissement lorsque la division des prestations en lots est susceptible de
présenter des avantages techniques, financiers ou organisationnels pour la réalisation des marchés de
travaux, de fournitures ou de services.

181
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

communautaires à la base d’une part et d’autre part celles susceptibles


d’être sous-traitées aux entreprises nationales. Pour ce qui
concerne les marchés d’entretien130, de réhabilitation des routes,
d’ouvrage d’art, de réfection d’édifices ou d’équipements, les études
préalables131 portent sur le relevé des dégradations et indiquent le
niveau du service recherché. En ce qui concerne les travaux neufs132
et les acquisitions de nouveaux équipements, les études préalables
sont réalisées jusqu’au niveau de l’avant-projet détaillé pour les
routes ainsi que leurs acquisitions et au niveau du projet d’exécution
des ouvrages pour les bâtiments et autres infrastructures.
Aux termes de cette analyse sur l’étude préalable des marchés
publics de travaux, un constat est clair : celui de faire savoir à
l’opinion publique et scientifique que les études préalables sont
fondamentales et obligatoires pour la réalisation d’un marché de
conception-réalisation. Cependant, elles ne suffisent pas car à côté
d’elles s’ajoute aussi l’exécution des travaux publics (B).
B- Les marchés de conception-réalisation comme des
marchés d’exécution des travaux publics
L’exécution des marchés de travaux c’est la phase opératoire ou
pratique des marchés de conception-réalisation. Techniquement,
l’on parle d’opération des travaux publics133. Elle constitue la

130 Voir article 55 (3) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
131 CARILLO (P), Conception d’un projet routier : Guide technique, Eyrolles, 1ère édition, 5 février 2015, 102 p.
132 Voir article 55 (4) du décret N°2018 /366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
133 EYGASIER (J), PAREYDT (C), Exécution des marchés publics de travaux, Lamy, Coll. Axe droit, voir
‘’résumé’’ de l’ouvrage, 5 janvier 2011, 408 p.

182
Joseph Valerie EVINA

mise en œuvre134 de tous les éléments préparés avant et pendant


la préparation d’un marché public de travaux en particulier et
d’un marché public en général. C’est aussi la phase pratique135
de la passation des marchés publics en général et des marchés de
conception-réalisation en particulier. L’exécution des marchés de
travaux se fait après la signature du marché136.
Plusieurs conditions s’imposent pour exécuter un marché public de
travaux. Pour qu’un marché de travaux se fasse exécuter, il faut au
préalable la notification du contrat137. Par conséquent, tout marché
de conception-réalisation qui se fait exécuter avant la notification
du contrat est jugée irrecevable138. Par la suite, le maître d’ouvrage
doit délivrer l’ordre de service139 de démarrage des travaux ou des
prestations au titulaire du marché dans un délai maximum de 15
jours140. Le maître d’ouvrage a aussi l’obligation de transmettre la
copie d’ordre de service à l’organe de régulation des marchés publics
et au ministère des marchés publics dans un délai maximum de 7
jours. Enfin, il faut l’obtention d’un document unique contenant les

134 SERR (F), MARTINEZ (B), Exécution des marchés publics, édition le Moniteur, voir ‘’résumé de
l’ouvrage’’, 23 octobre 2013, 376 p.
135 JOSSAUD (A), Guide pratique de la passation des marchés publics, Editions Formation Entreprise, 1er
janvier 2004, 490 p.
136 EVINA ( J, V), La passation des marchés publics en urgence au Cameroun, Thèse déjà citée, P. 48.
137 Voir article 123 (3) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
138 Voir article 123 (4) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
139 GAUDEMET (Y), Droit administratif des biens, LGDJ, Lextenso éditions, voir ‘’quatrième partie : les
travaux publics - chapitre 2 : l’exécution du contrat de travail public – section 3- Les ordres de service’’, 4
février 2014, 704 p. L’ordre de service comme son nom l’indique est un ensemble d’instructions relatives
aux modalités d’exécution du marché que le maître d’ouvrage ou les agents techniques de l’administration
adressent à l’entrepreneur titulaire qu’il doit obligatoirement respecter.
140 Voir article 123 (5) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.

183
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

pièces suivantes141 : la soumission ou l’acte d’engagement, le cahier


de clauses administratives particulières, le bordereau des unitaires, le
sous-détail des prix et le cahier de clauses administratives générales.
Il existe 3 dimensions dans l’exécution des marchés de travaux
publics142 : l’exécution administrative (1), l’exécution technique et
l’exécution financière (2).
1- L’exécution administrative des marchés de travaux
Plusieurs éléments caractérisent l’exécution administrative des
marchés de travaux publics. Parmi eux, on peut citer le contenu
ou les pièces du marché, le cahier de charges143, l’avenant144 en cas
des difficultés d’exécution du marché145, la sous-traitance146 et la
cotraitance147. Le contenu des marchés de travaux doit posséder
les éléments suivants : objet et numéro du marché, l’indication des
moyens de financement de la dépense et de la rubrique budgétaire
d’imputation, l’indication des parties contractantes, l’indication du
maître d’ouvrage ou du maître d’ouvrage délégué, les obligations

141 Voir article 124 (g) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
142 FEDERATION NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS, Abrégé des marchés publics de travaux
2019, édition Le Moniteur, Coll. Hors collection, 2e édition, 18 septembre 2019, 126 p.
143 Voir article 129 du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés publics.
144 PELLET (S), L’avenant au contrat, édition IRJS, Collection : Bibliothèque de l’institut de recherche
juridique de la Sorbonne, 2010, 628 p.
145 BRENET (F), « Les difficultés d’exécution des marchés publics de communication » in
LEGICOM, N°2004, 2004, PP. 103-114.
146 MODERNE (F), La sous-traitance des marchés publics, édition Dalloz, 1995, 296 p.
147 LATRECHE (A), op.cit., 102 p. L’auteur fait une belle distinction entre la cotraitance et la sous-traitance.
La première offre aux entreprises ou aux petites et moyennes entreprises un accès direct à la commande
publique. La seconde en offre un accès indirect.

184
Joseph Valerie EVINA

fiscales et douanières148, le délai et le lieu d’exécution, la date


de notification du marché, la juridiction compétente et le
droit applicable. Le marché de travaux peut aussi contenir des
clauses d’exécution environnementales pour un développement
durable149. Les acteurs de la rédaction de ces documents
définitifs constitutifs du marché sont le maître d’ouvrage ou le
maître d’ouvrage délégué150.
Le cahier de charges caractérise aussi l’exécution administrative
des marchés publics de travaux. Le cahier de charges comporte des
documents généraux, des documents particuliers et de tous autres
cahiers techniques qui définissent les travaux. Il comporte un cahier
de clauses administratives générales fixant les dispositions relatives
à l’exécution et au contrôle des marchés publics de travaux151. Le
cahier de charges comporte aussi un cahier de clauses administratives
particulières152 qui a pour objectif de fixer les dispositions
administratives et financières propres au marché de travaux.
L’avenant, la sous-traitance et la cotraitance sont aussi une
matérialisation de l’exécution administrative d’un marché de travaux.

148 QUEROL (F), « L’intermédiation fiscale et douanière » in Presse de l’université de Toulouse 1 Capitole,
P.65-86.
149 DE BAYSER (X), VELASCO (C), Le petit livre du développement durable : 10 mots pour changer la planète,
L’Archipel, 6 mai 2009, 118 p.
150 Voir article 125 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
151 Voir article 129 (a) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
152 Voir article 129 (b) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.

185
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

En effet, l’avenant153 constitue l’expression des possibilités de


modification du marché initial lorsque l’économie et l’objet du
marché sont remis en cause. En ce qui concerne la sous-traitance154,
il s’agit d’un contrat par lequel le titulaire d’un marché cède à des
tiers l’exécution d’une partie de ce marché. En fait c’est un contrat
dans un contrat déjà signé c’est-à-dire un sous-contrat155. Dans
le cadre des marchés de travaux ou de conception-réalisation,
c’est l’entrepreneur qui cède à un tiers l’exécution d’une partie
de la réalisation des prestations. L’entrepreneur peut sous-traiter
l’exécution de certaines parties du marché de travaux mais à
condition d’y avoir été autorisé par le pouvoir adjudicateur156.
Quant à la cotraitance, c’est une matérialisation des groupements
d’entreprises pour exécuter les marchés de travaux. On la retrouve
particulièrement dans les marchés de conception-réalisation lors de
la fusion entre entrepreneurs et maîtres d’œuvres.
2- L’exécution technico-financière des marchés de
travaux
L’exécution technique des marchés publics de travaux se caractérise
d’une part par la présence des droits et obligations de l’entrepreneur
ou du groupement d’opérateurs économiques. D’autre part par
l’existence des droits et obligations du maître d’ouvrage.

153 PEYRICAL (J-M), Les avenants aux contrats publics, Le Moniteur, Coll. Guides juridiques, 3e édition, 24
mars 2005, 192 p.
154 SABLIER (B), CARO ( J-E), ABBA TUCCI (S), La sous-traitance dans la construction, édition Le
Moniteur, 7e édition, juin 2012, voir ‘’définition de la sous-traitance’’, 438 p.
155 AHLIDJA (M), « Le sous-contrat en droit public » in RFDA, 2018, N°5, P. 915-928.
156 Voir article 131 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.

186
Joseph Valerie EVINA

Les titulaires de la conception-réalisation des travaux ont droit


à la rémunération157 suite à la réalisation de leurs prestations. Le
prix158 rémunère le cocontractant de l’administration159. Il peut
être forfaitaire ou unitaire. Il est forfaitaire160 lorsqu’il rémunère
l’entreprise pour un ensemble de ses prestations, un ouvrage
ou une partie de l’ouvrage tel que défini dans le marché. Il est
unitaire161 lorsqu’il s’applique à une prestation élémentaire, à une
nature ou à un élément de l’ouvrage dont les quantités ne sont
pas indiquées au marché qu’à titre prévisionnel. L’entrepreneur a
aussi droit à être indemnisé en cas de sujétions imprévues162. Les
sujétions imprévues sont des difficultés matérielles rencontrées
pendant l’exécution d’un marché de travaux présentant des
germes à caractère exceptionnel, imprévisible lors de la conclusion
du contrat et dont les causes sont extérieures aux parties163.
Les entrepreneurs et groupements d’opérateurs économiques
ont aussi des obligations dans la conception-réalisation du
marché de travaux. Ils doivent respecter les délais d’exécution
du marché. Ils doivent obéir aux ordres de service et veiller à la
bonne exécution technique des travaux publics.
157 PONTIER (J-M), « Catégories en miroir : subventions, délégations de service public, marchés
publics », Mélanges Richer, LGDJ, 2013, p. 263. Voir aussi COLLECTIF, Contrats publics, octobre 2019
N°202. Dossier : modalités de paiement des marchés publics, Le Moniteur, Coll. Contrats publics - l’actualité
de la commande et des contrats publics, 31 octobre 2019, 74 p.
158 VACHAL ( J-M), L’étude de prix dans les marchés de travaux publics. La méthode, un exemple, Presses
de l’école des ponts et chaussées, 31 mars 2011, 170 p.
159 Voir article 144 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics.
160 Voir article 144 (2a) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics.
161 Voir article 144 (2b) du décret précité.
162 DESMURS-MOSCET, « Théorie des sujétions imprévues et le CCA » in Revue le Moniteur, N°48, 5
décembre 1977, PP. 97-98.
163 KIRAT (T), « Le risque dans le contrat administratif ou la nécessaire reconnaissance de la
dimension économique du contrat » in Revue internationale de droit économique, 2005/3, PP. 291-
318.

187
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

En cas de non-respect aux ordres de service, les soumissionnaires


s’exposent aux mesures coercitives prévues au marché. Ils ont aussi
une obligation d’exécution personnelle164 du contrat.
Les droits et obligations ne sont pas seulement une affaire du co-
contractant de l’administration mais concernent aussi les maîtres
d’ouvrage. Le maître d’ouvrage dispose plusieurs prérogatives
pendant l’exécution des marchés de travaux. Il a un droit de
propriété165 sur ses biens. Le pouvoir de direction des travaux est
exercé par le maître d’ouvrage. Ce pouvoir lui permet de s’ingérer
dans les modalités du marché en imposant aux soumissionnaires
certains choix relatifs aux matériaux et aux procédés de
construction. Le maître d’ouvrage dispose aussi d’un pouvoir de
contrôle sur le marché. Ce pouvoir se traduit par une surveillance
générale du marché pendant son exécution et à l’occasion de leur
réception. Les pouvoirs de contrôle et de direction sont prévus
dans les documents contractuels. Ils peuvent être délégués soit au
maître d’œuvre soit au maître d’ouvrage délégué. Ces pouvoirs se
traduisent par la pratique des ordres de service. Le maître d’ouvrage
dispose également d’un pouvoir de modification unilatérale dans le
marché. Les documents contractuels fixent les limites du pouvoir de
modification unilatérale pour ce qui est du prix du bouleversement
de l’économie166 générale du contrat et de l’objet du contrat initial.
Le pouvoir de sanction167 s’exerce aussi par le maître d’ouvrage.

164 MONTMERLE, Passation et exécution des marchés de travaux publics, 1967, p.69 et S.
165 ROUX (C), Droit administratif des biens, Dalloz, Coll. Mémentos, sous-collection. Droit public, 1ère
édition, février 2019, voir ‘’Résumé de l’ouvrage’’, 226 p.
166 HOUSSARD (E), « L’économie du contrat » in Revue juridique de l’Ouest, 2002, pp. 7-65.
167 EVINA ( J, V), La passation des marchés publics en urgence au Cameroun, thèse, université de Douala,
janvier 2021 p. 54.

188
Joseph Valerie EVINA

L’administration peut infliger des sanctions aux entrepreneurs


en cas d’un manque à leurs obligations contractuelles. Ces
sanctions168 peuvent être pécuniaires, coercitives ou caractérisées
par une résiliation du marché. En effet, les sanctions pécuniaires
s’expliquent par les pénalités de retard169. Les pénalités de retard
sont des sanctions que le maître d’ouvrage inflige à l’entrepreneur
lorsque ce dernier a dépassé le délai contractuel fixé par le
marché. Ils se produisent après mise en demeure170 préalable du
titulaire du marché. Les mesures coercitives171 s’imposent aussi
comme sanction du soumissionnaire en cas de défaut d’exécution
du marché. Le maître d’ouvrage peut aussi utiliser comme
sanction la résiliation172 en cas de défaillance du soumissionnaire.
Le maître d’ouvrage dispose aussi des obligations dans les marchés
de travaux. Il doit financer l’opération en prélevant soit dans le
budget de l’Etat soit en faisant recours aux fonds d’aide extérieure.
C’est lui qui doit définir le programme d’exécution du marché.
Le maître d’ouvrage doit créer des conditions173 nécessaires à la
bonne exécution du contrat. Il doit fournir toutes informations174
d’ordre juridique, administratif ou technique nécessaire à la bonne
réalisation des travaux. Il ne doit pas commettre une faute dans

168 RICCARDI (D), Les sanctions contractuelles en droit administratif, Dalloz, Coll. Nouvelle bibliothèque de
thèses, avril 2019, 502 p.
169 Voir article 168 (1) du décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés
publics.
170 Voir article 180 (1) du même décret précité.
171 Voir article 77 de l’ancien code des marchés publics de 2004.
172 Voir article 182 (e) du même décret.
173 CHABANOL, Le régime juridique des marchés publics, Droits et obligations des signatures des marchés
de travaux, édition le Moniteur, Coll. Analyse juridique, 2007, 595 p.
174 FABRE-MAGNAN (M), De l’obligation d’information dans les contrats. Essai d’une théorie, LGDJ, Coll.
Anthrologie du droit, décembre 2014, 596 p.

189
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

l’exercice du pouvoir de direction et de contrôle175. Ce qui veut


dire que la négligence dans les opérations de contrôle est interdite.
Il ne devrait donc pas avoir complicité entre le maître d’ouvrage
et l’entreprise pendant le contrôle de l’exécution des travaux.
L’exécution des marchés de travaux est aussi financière. Ce type
d’exécution est composé de plusieurs éléments. Il s’agit des
bases de l’exécution financière, des modalités de financement et
le règlement des marchés de travaux. Les bases de l’exécution
financière se caractérisent par les obligations d’ordre comptable,
le prix du marché et les garanties financières. En ce qui concerne
les obligations d’ordre comptable, elles s’imposent aussi bien aux
personnes publiques qu’aux co-contractants de l’administration.
Le co-contractant de l’administration est obligé d’ouvrir et de
mettre à jour un document comptable spécifique au marché. Il
doit aussi faire ressortir les différentes sources de financement, les
états des sommes effectuées et réglées. Il doit également ouvrir
et mettre à jour un état des déclarations fiscales et douanières
relatives au marché176. Le co-contractant de l’administration
doit retracer la comptabilité de ses opérations se rapportant au
marché. Ces opérations concernent les dépenses afférentes aux
approvisionnements, à l’acquisition des matériaux177, les frais relatifs
à la main d’œuvre employée et toutes autres dépenses ou charges
individualisées y compris le bordereau des quantités exécutées.

175 Voir article 107 de l’ancien code camerounais des marchés publics de 2004.
176 Voir article 126 (1-b) du décret de 2018 portant code des marchés publics.
177 Voir article 127 (a) du même décret précité.

190
Joseph Valerie EVINA

Le maître d’ouvrage, le maître d’ouvrage délégué ou alors l’agence


de régulation des marchés publics ont aussi des obligations d’ordre
comptable. Ils doivent accéder au document comptable du co-
contractant de l’administration pour le vérifier jusqu’à un délai
maximum de 3 ans178 à compter de la date de réception définitive
des prestations ou de celle de la dernière livraison relative au marché
concerné. Les opérations d’exécution du budget appartiennent
aux ordonnateurs et aux comptables publics. Les fonctions des
ordonnateurs sont séparées179 de celles des comptables pour ce
qui est de l’exécution des recettes et de l’exécution des dépenses.
Le prix du marché et les garanties financières180 font aussi
partie de l’exécution financière des travaux. Le prix concerne
le règlement de la rémunération. Les garanties financières
concernent le cautionnement définitif et la retenue de garantie.
Le cautionnement définitif c’est un cautionnement qui garantit
l’exécution intégrale des prestations181. La retenue de garantie est
un cautionnement qui garantit la bonne exécution du marché et
le recouvrement des sommes dont il serait reconnu débiteur182. La
retenue de garantie exigée des titulaires des marchés de travaux,
est destinée à couvrir les réserves à la réception des prestations.

178 Voir article 126 (2) du même décret.


179 BIAKAN (J), « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi portant
régime financier de l’Etat » in L’administration camerounaise à l’heure des réformes, l’harmattan, 2010, PP.
9-28.
180 COSSALTER (P), La gestion administrative et financière des marchés publics-Du management à la
modification du marché, Territorial éditions, 22 janvier 2018, 96 p.
181 Voir article 137 (a) du décret de 2018 portant code des marchés publics.
182 Voir article 137 (b) du même décret précité.

191
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

L’exécution financière du marché de travaux se caractérise aussi


par les modalités de financement183 et de règlement. Il existe
donc 2 types de financement : un financement administratif et un
financement bancaire. Le financement administratif s’opère par des
avances, des acomptes, du décompte final, des intérêts moratoires184.
Les avances185 ont pour but de faciliter l’exécution des marchés
et d’assurer l’égalité d’accès aux marchés entre les entreprises
qui disposent d’une trésorerie suffisante et celles qui n’en ont pas
comme les petites et moyennes entreprises. Les acomptes186 sont
versés pour des prestations effectuées en cours d’exécution du
marché c’est-à-dire qu’ils rémunèrent après service déjà fait187.
Les acomptes concernent aussi le paiement des sous-traitants188.
Le décompte final c’est le montant total des sommes concernant
l’exécution des prestations. On parle d’intérêts moratoires lorsque
le maître d’ouvrage, le maître d’ouvrage ou le comptable assignataire
ont favorisé un défaut de paiement dans les délais fixés par le cahier de
clauses administratives. Ce sont donc des intérêts qui donnent droit
au titulaire du marché de bénéficier des intérêts calculés depuis le jour
de la délivrance de l’avis dit de règlement du comptable assignataire189.
Le financement bancaire justifie aussi l’opération de l’exécution
financière des marchés publics en général et des marchés de
travaux en particulier.

183 BRECHON-MOULENES (C), Le financement des marchés publics, Dalloz, 1er janvier 1987, 218 p.
184 RIPERT (G), Recherche sur les intérêts moratoires, Tome 21, Défrénois, Coll. Doctorat et notariat,
octobre 2006, 696 p.
185 Voir article 161 du décret de 2018 portant code des marchés publics.
186 Voir article 162 du même décret précité.
187 Voir article 91 de l’ancien code français des marchés publics de 2006.
188 Voir articles 163 (1) et (2) du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
189 Voir article 166 du décret précité.

192
Joseph Valerie EVINA

Il s’explique par deux éléments : le nantissement et la cession de


créance. On entend par nantissement « un contrat par lequel un
débiteur remet une chose à son créancier pour sureté de sa dette »190.
Le nantissement191 s’opère sous forme d’un acte ou d’un contrat
synallagmatique192 appelé créancier nanti. Ce dernier est
généralement les banques qui vont procéder à la sécurité d’une dette
pesant sur le titulaire du marché. Quant à la cession de créance193, il
s’agit d’une convention par laquelle une personne appelée cédant
peut transmettre sa créance sur son débiteur appelé cédé à une autre
personne appelée cessionnaire. Lorsque la cession est gratuite, on
parle de donation194. Mais lorsqu’elle est payante, on parle de vente.
En marchés publics, le titulaire cédant c’est l’entreprise adjudicatrice,
le cessionnaire c’est l’établissement de crédit c’est-à-dire la banque,
et le cédé c’est le pouvoir adjudicateur ou maître d’ouvrage.
Au demeurant, et à la lecture des lignes de la réglementation
camerounaise, les marchés de conception-réalisation ont un objet
mixte à savoir l’étude préalable des marchés de travaux et l’exécution
desdits marchés. Il est aussi important de dire que ces deux opérations
se font en une seule étape afin de déroger à la lenteur provoquée
par la séparation habituelle entre l’étude et la réalisation du projet.

190 Voir article 2071 du code civil.


191 JULIENNE (M), Le nantissement de créance, Economica, Coll. Recherches juridiques, novembre
2012, 524 p.
192 Voir article 150 (2) du décret de 2018 portant code des marchés publics.
193 HANQUIER (C), Les cessions de créances à titre de garantie : la cession Dailly et la fiducie sûreté,
éditions universitaires européennes, 10 mai 2016, 56 p.
194 DONZEL-TABOUCOU (C), La donation des valeurs mobilières, T. 64, IRJS Editions, Coll.
Bibliothèque de l’institut de recherche juridique de la Sorbonne-André Tunc, novembre 2015,
870 p.

193
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Cependant, l’encadrement des marchés de conception-réalisation


ne saurait se limiter à leur définition. C’est un tout c’est-à-dire les
conditions de recours à ces marchés, la pluralité des procédures y
relatives… On constate donc une limitation d’encadrement par
l’absence de consécration des conditions de recours à ces marchés
et de la pluralité des procédures y relatives (II).
II- La limitation d’encadrement par l’absence de
consécration des conditions de recours à ces marchés et
de la pluralité des procédures y relatives
Dans le but195 d’apporter la sécurité juridique196, le droit à travers le
pouvoir constituant, le législateur ou le pouvoir réglementaire est
dans l’obligation de créer un cadre idéal capable de résoudre toutes
les situations juridiques possibles. Mais lorsqu’une loi, un texte
réglementaire ou une constitution sont incomplets, obscures ou
imprécis pour organiser une situation juridique, le droit se plonge
donc dans une situation de crise197 ou d’insécurité juridique198 qui
fragiliserait l’Etat de droit199 ou qui entraînerait une limitation dans
l’encadrement de ladite situation. Dans ce cas soit le juge crée une

195 RADBRUCH (G), Le but du droit, in Annuaire international de philosophie du droit et de la sociologie
juridique, Paris, 1938, P.53-54.
196 COLLECTIF sous la direction de Bernard BEIGNIER, La sécurité juridique, Defrenois, 10 mars 2009,
630 p.
197 ALBERTINI (P), La crise de la loi : déclin ou mutation ?, LexisNexis, 1ère édition, 5 février 2015, 366 p.
198 VAN DE KERCHOVE (M), La doctrine du sens clair des textes et de la jurisprudence de la cour de
cassation de la Belgique, in L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, Nemesis, Bruxelles, 1988,
P.21. Pour l’auteur, l’insécurité juridique est liée à l’incertitude, à une zone de pénombre par rapport à une
situation de droit précise.
199 MOYRAND (A), « Réflexions sur l’introduction de l’Etat de droit en Afrique » in Revue
internationale de droit comparé, 1991, 43-4, P.855. Ici, l’auteur nous montre que lorsque l’Etat de droit
est menacé, l’Etat devient prédateur. Voir aussi DARBON (D), « L’Etat prédateur » in Politique
africaine, 1990, n°39, pp. 37-45. BERTHIER (L), NEGRON (E), PAULIAT (H), Justice et Etat de
droit, LGDJ, 12 mars 2020, 204 p.

194
Joseph Valerie EVINA

norme jurisprudentielle200 pour combler le vide201, le silence202


ou les insuffisances des textes juridiques soit alors le doctrinaire
apporte ses éclairages pour améliorer l’état de la réglementation.
C’est exactement cette situation troublante qui se présente lorsqu’on
parle de l’encadrement juridique des marchés de conception-
réalisation au Cameroun. Un encadrement fragile qui s’est d’abord
expliqué par la délimitation à la seule définition des marchés de
conception-réalisation. Une fragilisation de l’encadrement qui s’est
ensuite expliquée par l’absence de consécration des conditions de
recours à ces marchés (A). Un encadrement fragile qui s’explique
enfin par l’inexistence des procédures applicables aux marchés de
conception-réalisation (B).
A- L’inexistence de la mise en place des conditions de
recours aux marchés de conception-réalisation
Nulle part il n’est inscrit dans le code camerounais actuel des marchés
publics des conditions pour recourir aux marchés de conception-
réalisation. A ce niveau, c’est pratiquement le clair-obscur203. Cet
état de chose est également visible dans certains pays d’Afrique
noire francophone. Parmi ces pays victimes de cette obscurité, on

200 SEVE (R), La création du droit par le juge-Tome 50 : archives de la philosophie du droit, Dalloz, 10
janvier 2007, 480 p.
201 HO DINH (A-M), « Le vide juridique et le besoin de loi. Pour un recours à l’hypothèse du non-
droit » in L’année sociologique, Vol.57, 2007, PP. 419-453.
202 BORDES (E), Le silence et le droit : Recherches sur une métaphore, Presses Université Laval, 1er janvier 2018,
voir ‘’Résumé’’, 230 p. L’auteur fait une belle distinction entre le silence du droit et le silence dans le droit.
203 CHAMPEIL-DESPLATS (V), « Les clairs-obscurs de la clarté juridique » in WAGNER Anne et
CACCIAGUIDI-FAHY Sophie (dir), Legal language and search for clarity, Bern, Peter Lang, 2006, p. 36.

195
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

peut citer : le Congo-Brazzaville204, la Guinée conakry205, le Bénin206.


Cependant, seule la France207 a procédé à une consécration208
véritable des conditions de recours aux marchés de conception-
réalisation que le Cameroun devrait urgemment adapter. En effet,
l’article 37 (2) de l’ancien code français des marchés publics de 2006 a
posé les conditions de recours aux marchés de conception-réalisation
pour déroger au principe de l’interdiction d’associer l’entreprise
à la conception de l’ouvrage. Ceci en procédant à la formulation
suivante : « Les pouvoirs adjudicateurs soumis aux dispositions de la
loi du 12 juillet 1985 susmentionnée ne peuvent, en application du I de
l’article 18 de cette loi, recourir à un marché de conception-réalisation,
quel qu’en soit le montant, que si des motifs d’ordre technique rendent
nécessaires l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. Sont
concernées des opérations dont la finalité majeure est une production dont
le processus conditionne la conception, la réalisation et la mise en œuvre
ainsi que des opérations dont les caractéristiques, telles que des dimensions
exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire
appel aux moyens et à la technicité propres des opérateurs économiques ».
Au vue de cette longue formulation, l’on constate que pour recourir
aux marchés de conception-réalisation, il faut des motifs techniques
liés à la destination ou à la mise en œuvre technique de l’ouvrage.

204 Le décret de 2009 portant code des marchés publics en république du Congo manifeste son silence
dans la consécration des conditions de recours aux marchés de conception-réalisation.
205 Le décret de 2012 portant code des marchés publics et de délégation de service public de la
république de Guinée manifeste aussi son silence pour consacrer les conditions de recours aux
marchés de conception-réalisation.
206 La loi de 2017 portant code des marchés publics au Bénin manifeste aussi son indifférence pour
consacrer les conditions de recours aux marchés de conception-réalisation.
207 Les conditions de recours aux marchés de conception-réalisation sont fixées et encadrées par
l’article 37 du code français des marchés publics de 2006.
208 Voir la circulaire n°95-58 du 9 août 1995 relative à la conception-réalisation en France.

196
Joseph Valerie EVINA

Autrement dit, il faut que l’ouvrage soit complexe à réaliser, il faut


qu’il ait une dimension exceptionnelle et des difficultés techniques
particulières. Il faut enfin que le recours aux marchés de conception-
réalisation soit conditionné par un engagement contractuel sur un
niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique. A ce niveau, les
marchés de conception-réalisation sont assimilés aux contrats de
performance énergétique209.
A la lecture de toutes les conditions qui ont été énumérées par le
droit français, visiblement le droit camerounais ne s’y retrouve
pas et manifeste son indifférence qui entrainerait un ralenti de la
réglementation relative aux marchés de conception-réalisation. Et
lorsque le droit est au ralenti, il devient « ridicule »210. En droit
camerounais, ce ralentissement s’explique par 2 grands points
à savoir : l’absence des motifs techniques liés à la technicité de
l’ouvrage (1), et l’inexistence de l’engagement contractuel sur un
niveau de l’amélioration de l’efficacité énergétique (2).
1- L’inexistence des motifs liés à la technicité de l’ouvrage
En droit français211, pour qu’un marché de conception-réalisation
soit possible, il faut respecter les motifs techniques liés à la
destination de l’ouvrage. Ces motifs sont au nombre de deux à

209 NICINSKI (S), « Les contrats de performance énergétique » in Annuaire des collectivités locales,
2013, p.148. Selon l’auteur, les contrats de performance énergétique remplissent 3 fonctions à
savoir : la garantie de la performance énergétique après réhabilitation d’un ouvrage, l’utilisation de
l’économie d’énergie pour financer la rénovation énergétique, externaliser les investissements.
210 NJOYA YONE (C), « L’autorité des marchés publics au Cameroun » in RADSP, Vol IV, n° XI,
Janvier-juin 2018, p. 148. Voltaire en son temps affirmait que « quand les besoins ont changé, les
lois qui sont demeurées, sont devenues ridicules ».
211 Voir article R2171-1 du code français de la commande publique de 2019.

197
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

savoir : la complexité de l’ouvrage212 et la globalité de l’ouvrage.


Par contre, le droit camerounais ne montre aucune volonté de
consacrer ces deux motifs en manifestant son silence213. Ce silence
se manifeste par l’absence de consécration de la complexité
de l’ouvrage comme motif technique de recours aux marchés
de conception-réalisation. Il s’explique aussi par le manque de
consécration du caractère global de l’ouvrage comme motif technique.
En droit français, pour recourir aux marchés de conception-
réalisation, l’ouvrage doit être complexe214. Autrement dit, les
marchés de conception-réalisation sont des marchés publics
complexes215. En effet, un marché public est complexe, lorsque le
pouvoir adjudicateur n’est pas objectivement en mesure de définir
seul et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses
besoins. Il est aussi complexe, lorsque le maître d’ouvrage n’est pas
en mesure d’établir le montage juridique ou financier d’un projet216.
La complexité du marché est donc soit d’ordre technique soit d’ordre
financier pour les contrats de partenariat217. En ce qui concerne les
marchés de conception-réalisation, la complexité de l’ouvrage est
essentiellement technique. Le droit camerounais par contre accuse
un retard par rapport au droit français dans l’encadrement juridique
des marchés de conception-réalisation et opte pour le silence.

212 SYMCHOWICCZ (N), PROOT (P), Traité des contrats publics complexes, 4e édition, Le Moniteur,
Coll. Référence juridique, 29 novembre 2017, 700 p.
213 NGAH NOAH (M, U), « Quelques réflexions sur le silence et le droit : essai de systématisation »
in Les cahiers de droit, voir ‘’l’incomplétude ou la discontinuité du droit comme facteur justificatif
des silences du droit’’, Vol 56, N°3-4, septembre-décembre 2015, pp. 575-613.
214 Voir l’arrêt du conseil d’Etat français du 11 mars 2013.
215 Voir article 36 du code français des marchés publics de 2006.
216 EVINA ( J, V), op.cit., p. 455.
217 RICHER, op.cit. , p. 672.

198
Joseph Valerie EVINA

Un silence qui crée un vide juridique. Vide parce nulle part il est
inscrit dans le code actuel des marchés publics la complexité
technique de l’ouvrage comme condition de recours aux marchés de
conception-réalisation. Ce vide accentue la liberté pour le pouvoir
adjudicateur de recourir à ces marchés. Et plus l’administration
n’est pas suffisamment encadrée sur une situation donnée, plus
elle tombe dans le piège de l’arbitraire et des abus. Rappelons
que le recours aux marchés de conception-réalisation ne peut être
accepté qu’à titre dérogatoire. En droit camerounais, la complexité
de l’ouvrage est beaucoup plus consacrée pour expliquer les
conditions de recours aux contrats de partenariat218. Il y a donc
une marginalisation de la prise en compte de la complexité de
l’ouvrage dans les marchés de conception-réalisation. Or, les
contrats de partenariat ne sont pas les seuls contrats publics
complexes. S’ajoutent aussi les marchés de conception-réalisation.
En fin de compte, il n’y a aucune traçabilité de la complexité
de l’ouvrage comme motif technique de recours aux marchés
de conception-réalisation au Cameroun. Tout ceci montre
que le pouvoir réglementaire a choisi le silence. Un silence
négatif puisqu’il continue son bout de chemin avec le manque
de consécration du caractère global de l’ouvrage comme motif
technique de recours aux marchés de conception-réalisation.
En droit français219, pour recourir aux marchés de conception-
réalisation, l’ouvrage doit avoir un caractère global c’est-à-dire que

218 Voir article 6 (1) et (2) de la loi n°2006/012 du 29 décembre 2006 portant régime général des
contrats de partenariat.
219 Voir article L2171-1 du code français de la commande publique de 2019.

199
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

le marché doit avoir plusieurs objets pour être réalisé et sa


réalisation doit être faite sans fractionnement. Autrement dit, les
marchés de conception-réalisation sont des marchés globaux220
au même titre que les contrats de partenariat, les marchés globaux
de performance et les marchés globaux sectoriels221. Ils sont
des marchés globaux parce que l’ouvrage porte à la fois sur sa
conception, sa réalisation et sa mise en œuvre222. Les groupements
d’opérateurs économiques ou l’entrepreneur doivent avoir plusieurs
missions pour mener à terme les travaux publics. Les marchés de
conception-réalisation sont aussi des marchés globaux parce
qu’ils sont passés en un seul lot et dérogent ainsi au principe
d’allotissement. Si l’ouvrage en question ne présente pas un
caractère global, la dérogation sera refusée par le juge administratif223.
Le droit camerounais par contre accuse un retard par rapport au
droit français dans la consécration du caractère global de l’ouvrage
comme motif technique de recours aux marchés de conception-
réalisation. Cet état de chose fait en sorte que l’administration
camerounaise et les opérateurs économiques ignorent même la
nature des marchés de conception-réalisation qui sont des marchés
globaux. Par conséquent, il peut avoir risque de confusion entre les
marchés de conception-réalisation et les autres types de marchés
publics puisqu’il n’est inscrit nulle part dans le code camerounais
des marchés publics que ces marchés doivent être faits en lot unique.

220 BEZANCON (X), CUCCHIARINI (C), DYCKMANS (S), Mémento des contrats globaux, édition
Le Moniteur, voir ‘’présentation de l’éditeur’’, 19 juin 2019, 132 p.
221 Voir article L.2171-1 du code français de la commande publique de 2019.
222 Voir article R.2171-1 du code français de la commande publique de 2019.
223 Voir Arrêt du 3 décembre 2012 du conseil d’Etat français n°360333, Syndicat mixte de Besançon
SYBERT c/société CEGELEC NORD-EST et société TRADIM.

200
Joseph Valerie EVINA

Pire encore aucune disposition n’identifie les différents


marchés qui peuvent déroger au principe d’allotissement. On
assiste donc à une situation d’insécurité juridique, d’obscurité
ou d’opacité224. Ce manque de consécration du caractère global
de l’ouvrage accentue la liberté des maîtres d’ouvrage à recourir
aux marchés de conception-réalisation car on risque de tomber
dans l’adage « tout ce qui n’est pas interdit, est permis »225. Un
adage qui est péjoratif car il laisse le choix aux maîtres d’ouvrages
en particulier et aux citoyens en général de définir les règles.
En fin de compte, il n’y a aucune visibilité du caractère global de
l’ouvrage comme motif technique de recours aux marchés de
conception-réalisation au Cameroun. Tout ceci montre que le
pouvoir réglementaire a choisi l’opacité. Une opacité négative
puisqu’elle continue son bout de chemin avec l’inexistence des
motifs liés à la mise en œuvre technique de l’ouvrage.
En droit français, pour qu’un marché de conception-réalisation soit
possible, il faut respecter les motifs liés à la mise en œuvre technique
de l’ouvrage226. Ces motifs sont au nombre de deux à savoir : les
dimensions exceptionnelles de l’ouvrage et les difficultés techniques
particulières de l’ouvrage. Par contre, le droit camerounais montre
son indifférence dans la consécration de ces deux motifs.

224 GUILLET ( J-L), « Secret, opacité et transparence » in Les cahiers de la justice, N°3, 2014/3, p.
341. L’auteur définit l’opacité est liée au secret c’est-dire ce « qui n’est pas divulgué, que l’on tient
caché ». C’est une situation de zone d’ombre en fait.
225 Voir article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
226 Voir Décret n°93-1270 du 29 novembre 1993 portant application du I de l’article 18 de la loi n°85-704 du
12 juillet 1985 modifiée relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre
privée.

201
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Une indifférence qui se matérialise par son silence227. Ce silence


se manifeste par l’absence de consécration des dimensions
exceptionnelles de l’ouvrage comme motif technique de recours
aux marchés de conception-réalisation. Il s’explique aussi par le
manque de consécration des difficultés techniques particulières
de l’ouvrage comme motif technique.
En droit français228, pour recourir aux marchés de conception-réalisation,
les dimensions de l’ouvrage à réaliser doivent être exceptionnelles. Elles
sont exceptionnelles lorsqu’elles dépassent les dimensions normales
de l’ouvrage. En effet, Les dimensions de la longueur et de la largeur
de l’ouvrage doivent être plus volumineuses que les dimensions
habituellement connues pour recourir aux marchés de conception-
réalisation. D’après le juge administratif français, les ouvrages ayant
des dimensions exceptionnelles sont les suivants : les ouvrages en
souterrains exceptionnels, les ouvrages d’art routiers229, les ouvrages d’art
ferroviaires, les ouvrages d’art fluviaux. Autrement dit, ce sont des grands
travaux publics ou des travaux de grande construction230. Lesdits travaux
qui nécessitent l’association de l’entrepreneur à la maîtrise d’œuvre.
Cependant, si l’ouvrage a une superficie importante dont les dimensions
ne sont pas exceptionnelles, le recours au marché de conception-
réalisation sera refusé par le juge administratif.
Le droit camerounais par contre accuse un retard par rapport au
droit français dans la consécration des dimensions exceptionnelles

227 NGAH NOAH (M, U), op.cit., voir ‘’l’incomplétude ou la discontinuité du droit comme facteur
justificatif des silences du droit’’, pp.575-613.
228 Voir TA. Strasbourg, 14 novembre 2000, Daniel Delrez c/ville de Metz, N°99-39999.
229 PARKSTONE, Les ouvrages d’Art : les ponts, Parkstone, 24 juin 2010, 192 p.
230 DUFAU ( J), Droit des travaux publics, PUF, 1er novembre 1998, 701 p.

202
Joseph Valerie EVINA

de l’ouvrage comme motif technique de recours aux marchés


de conception-réalisation. On assiste donc à un ralenti de la
réglementation camerounaise qui entraînerait une ignorance
de la part des acteurs de la commande publique sur le fait que les
dimensions exceptionnelles de l’ouvrage font partie des motifs
techniques de recours aux marchés de conception réalisation. Il y
a donc une inadaptation des règles de la commande publique aux
marchés de conception-réalisation au Cameroun puisqu’elles sont
presque inexistantes. A ce niveau, la commande publique peut
manquer d’efficacité231 et peut rendre la conception-réalisation fragile.
En droit français232, pour recourir aux marchés de conception-
réalisation, l’ouvrage doit rencontrer des difficultés techniques
particulières. Autrement dit, l’ouvrage doit présenter des
contraintes techniques particulières ou exceptionnelles. On peut
par exemple citer des bâtiments à processus industriels233. Ce
sont de vastes constructions dont les équipements techniques
coûtent extrêmement chers et qui exigent simultanément leur
conception et leur réalisation. Parmi ces bâtiments industriels,
on peut citer ceux qui portent sur le traitement des déchets, la
blanchisserie, la stérilisation, le traitement de l’eau et de l’énergie...
Il est important de faire une différence fondamentale entre les
difficultés techniques particulières précités et celles issues des
sujétions techniques imprévues234.

231 SAUSSIER (S), TIROLE ( J), « Renforcer l’efficacité de la commande publique » in Notes du
conseil d’analyse économique, N°22, 2015, pp. 1-12.
232 Voir arrêt de la cour administrative d’appel du 29 mai 2008 dans l’affaire Sociétés FAYAT
compagnie financière et VILQUIN SA c/ maire de la ville de Lyon.
233 BROTO (E), Bâtiments industriels : innovation et architecture, Links, 1ère édition, 26 juin 2008, 298 p.
234 CE, 30 juillet 2003, Commune de Lens, N°223445, Lebon T.P.862.

203
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

Les premières résultent d’un dimensionnement vaste dépassant le


dimensionnement normal d’un ouvrage. Elles résultent aussi de
la cherté des équipements de l’ouvrage, de son industrialisation
ou de sa complexité qui conditionneraient une collaboration
entre le maître d’œuvre et l’entrepreneur. Par contre, les secondes
découlent d’un aléa technique235 ou matériel constaté pendant
l’exécution d’un marché public de travaux.
Le droit camerounais par contre accuse toujours un retard par rapport
au droit français dans la consécration des difficultés techniques
particulières de l’ouvrage comme motif de recours aux marchés de
conception-réalisation. On assiste donc à une situation d’opacité236
puisqu’il n’est inscrit nulle part dans le code camerounais des marchés
publics ce genre de condition. C’est donc un clair-obscur qui continue
son bout de chemin en créant davantage des situations d’insécurité
juridique et même de confusion entre la pratique des marchés de
conception-réalisation et celle des marchés habituellement connus.
En fin de compte, il n’y a aucune traçabilité des motifs liés à la
mise en œuvre technique de l’ouvrage pour recourir aux marchés
de conception-réalisation au Cameroun. Tout ceci montre que le
pouvoir réglementaire camerounais a choisi le silence. Un silence
négatif puisqu’il continue son bout de chemin avec le manque
de consécration de l’engagement contractuel sur le niveau de
l’amélioration de l’efficacité énergétique. Un engagement qui
constituerait également un motif de recours aux marchés de
conception-réalisation.

235 LLORENS (F), Contrat d’entreprise et marché de travaux publics, LGDJ, 1981, p.244 et s.
236 GUILLET ( J-L), op.cit., p.341.

204
Joseph Valerie EVINA

2- L’inexistence de l’engagement contractuel sur un


niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique
En droit français, pour recourir à un marché de conception-réalisation,
il faut la présence d’un engagement sur un niveau d’amélioration
de l’efficacité énergétique. A ce niveau, les marchés de conception-
réalisation deviennent des contrats de performance énergétique237.
Dans le langage des marchés publics, l’on parle précisément des
marchés globaux de performance238. En effet, ce sont des marchés
qui permettent à l’acheteur public d’associer l’exploitation ou la
maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation des
prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance239.
Le droit camerounais par contre accuse toujours un retard par
rapport au droit camerounais dans la consécration de l’engagement
contractuel sur un niveau de l’amélioration de l’efficacité
énergétique comme motif de recours aux marchés de conception-
réalisation. En effet, il n’est inscrit nulle part dans le code actuel240
des marchés publics un engagement contractuel sur l’amélioration

237 ORTEGA (O), MAURUS (P), Les contrats de performance énergétique, LexisNexis, 1ère édition,
voir ‘’présentation de l’éditeur’’, 16 mars 2017, 156 p. Les auteurs de cet ouvrage définissent le
contrat de performance énergétique comme « un contrat conclu entre un maître d’ouvrage et un
opérateur d’efficacité énergétique visant à garantir, par une situation de référence contractuelle,
une diminution des consommations énergétiques du bâtiment, vérifiée et mesurée dans la
durée ». Voir aussi ROUDAUT (P), BADUEL (Y), BOUGRAIN (F), Etablir et mettre en œuvre un
contrat de performance : Les contrats de performance énergétique, mode d’emploi, voir ‘’présentation
de l’éditeur’’, CSTB, 1ère édition, 27 mars 2014, 182 p. Les auteurs de cet ouvrage nous montrent
que le but de ce contrat est la réduction de la consommation énergétique puisque les bâtiments
construits consomment excessivement de l’énergie. Voir aussi, NICINSKI (S), op.cit., P.147.
238 Voir article L.217-3 du code français de la commande publique de 2019.
239 NICINSKI (S), op.cit., p. 152.
240 Le décret N°2018/366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des marchés publics.

205
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

de l’efficacité énergétique comme condition de recours aux


marchés de conception-réalisation. Le pouvoir réglementaire
camerounais manifeste son inertie241 pour mettre en place ce
genre de condition. On assiste donc à un silence qui crée un vide
juridique242. Ce vide juridique accentue la liberté des acteurs de
la commande publique à recourir aux marchés de conception-
réalisation puisque visiblement aucune trace de ses conditions de
recours n’est mentionnée dans le code actuel des marchés publics.
En fin de compte, le droit camerounais montre son insuffisance
dans l’encadrement des marchés de conception-réalisation. Cette
insuffisance s’explique par l’absence de consécration des conditions de
recours aux marchés de conception-réalisation. Parmi ces conditions
qui ne se retrouvent pas dans le code des marchés publics, on a les motifs
liés à la destination et à la mise en œuvre technique de l’ouvrage243 et
l’engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité
énergétique244. Cependant, cette limitation dans l’encadrement ne
s’arrête pas là. Elle s’étend aussi jusqu’aux procédures applicables aux
marchés de conception-réalisation (B).
B- L’inexistence d’une pluralité des procédures
applicables aux marchés de conception-réalisation
Nulle part il n’est inscrit dans le code camerounais actuel des marchés
publics une pluralité des procédures applicables aux marchés de

241 Le dictionnaire Linternaute définit l’inertie comme l’état de ce qui est inerte, qui ne bouge pas.
Autrement dit, on assiste plutôt à un statu quo au détriment du dynamisme.
242 HO DINH (A-M), op.cit., pp.419-453.
243 Voir article L2171-2 du code français de la commande publique.
244 CABINET GB2A, Contrats de performance énergétique : outils juridiques et solutions de financement,
voir ‘’présentation de l’éditeur’’, Le moniteur, 23 octobre 2013, 198 p.

206
Joseph Valerie EVINA

conception-réalisation. A ce niveau, c’est pratiquement l’opacité


avérée245. Ce phénomène est aussi présent dans certains pays
d’Afrique noire francophone246. Au Cameroun, une seule procédure
a été consacrée pour les marchés de conception-réalisation. Il s’agit
de l’appel d’offres avec concours247. Cependant, seule la France a
procédé à une consécration véritable des procédures relatives aux
marchés de conception-réalisation248. Effet, le droit français a fixé
4 procédures applicables aux marchés de conception-réalisation :
l’appel d’offres restreint249, la procédure infructueuse, le dialogue
compétitif et la procédure adaptée250.
A la lecture de toutes les procédures qui ont été énumérées par le
droit français, le droit camerounais ne s’y retrouve pas et manifeste
son indifférence qui entraînerait un ralenti de la réglementation
relative aux marchés de conception-réalisation. Ce ralentissement
s’explique par 2 grands points à savoir : l’inexistence de l’adaptation
des procédures de consultation aux marchés de conception-
réalisation (1) et la consécration d’une procédure d’appel d’offres
avec concours adaptée à la conception-réalisation (2).
1- L’inexistence d’une adaptation des procédures de
consultation aux marchés de conception-réalisation
En droit français, deux procédures habituelles sont adaptées aux
marchés de conception-réalisation. Il s’agit de l’appel d’offres restreint

245 GUILLET ( J-L), op.cit., p.341.


246 Le Benin, la république du Congo, la Guinée Conakry n’ont pas consacré les procédures applicables
aux marchés de conception-réalisation.
247 Voir article 80 du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
248 Voir l’ancien code français des marchés publics de 2006.
249 COSSALTER (P), L’appel d’offres restreint, Territorial Editions, 23 mai 2016, 116 p.
250 COSSALTER (P), Les marchés à procédure adaptée, Territorial Editions, 1er février 2010, 94 p.

207
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

et la procédure infructueuse. Par contre, le droit camerounais ne


montre aucune volonté de consacrer ces deux procédures adaptées
aux marchés de conception-réalisation en manifestant son silence.
Ce silence s’explique par le manque de consécration d’un appel
d’offres restreint adapté aux marchés de conception-réalisation.
Il s’explique aussi par l’inexistence d’une procédure infructueuse
adaptée à ces marchés.
En droit français251, les marchés de conception-réalisation peuvent
se passer selon la procédure d’appel d’offres restreint sous réserve de
certaines dispositions dérogatoires à savoir l’intervention d’un jury
et l’audition des candidats252. Pour mieux comprendre l’application
de la procédure d’appel d’offres restreint dans les marchés de
conception-réalisation, 3 éléments fondamentaux seront étudiés
et examinés. Il s’agit de la composition du jury de sélection, de la
sélection des candidatures et de l’examen des offres et audition
des candidats. Le jury de la procédure de conception-réalisation
est composé selon les conditions fixées dans le code français des
marchés publics de 2006253. Un tiers au moins de ses membres sont
des maîtres d’œuvre désignés par le maître d’ouvrage. Ces maîtres
d’œuvre doivent remplir deux conditions cumulatives pour être
désignés. Ils doivent être indépendants des candidats. Ils doivent
être compétents au regard de l’ouvrage à concevoir et de la nature
des prestations à fournir pour sa conception. La circulaire N°95-58
du 9 août 1995 relative à la conception-réalisation signale

251 Voir article 69-I du code français des marchés publics de 2006.
252 EVINA ( J, V), op.cit., p.452.
253 Voir l’article 24 du code français des marchés publics.

208
Joseph Valerie EVINA

également à ce sujet que « cette règle conduit à exclure des maîtres


d’œuvre qui seraient des préposés du maître d’ouvrage ». Par décision
du 25 janvier 2006254, le conseil d’Etat français a considéré qu’en
principe, afin notamment d’éviter le risque d’une rupture d’égalité
entre les candidats, un jury appelé à donner un avis sur le choix du
titulaire d’un marché, tel que le marché de conception-réalisation,
ne peut voir sa composition modifiée au cours de la procédure
aboutissant à ce choix. La personne publique peut toutefois, dans
les cas où cette procédure se décompose en phases différentes, choix
de candidatures d’une part et choix des offres d’autre part, ce qui est
l’hypothèse en procédure de conception-réalisation, procéder en
ces deux phases au remplacement du ou des membres du jury ayant
démissionné ou fait savoir qu’ils étaient dans l’impossibilité de siéger.
En ce qui concerne la sélection des candidatures, le jury examine les
candidatures et formule un avis motivé sur la liste des candidats à
retenir. Au vu de cet avis, le pouvoir adjudicateur dresse la liste des
candidats admis à présenter une offre. Les pièces de la consultation
doivent être remises gratuitement aux candidats sélectionnés255. Le
dossier de consultation comporte en dehors des pièces habituelles,
le programme de l’opération qui doit être détaillé et précis.
En ce qui concerne l’examen des offres et l’audition des candidats,
les candidats doivent remettre une offre comprenant : un avant-
projet sommaire pour un ouvrage de bâtiment ou un avant-projet
pour un ouvrage d’infrastructures, la définition des performances

254 Voir Communauté urbaine de Nantes, Req N°257978.


255 Ceci par dérogation à l’article 41 du code français des marchés publics de 2006.

209
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

techniques de l’ouvrage. Le jury examine les offres remises et doit


auditionner les candidats avant de formuler un avis motivé. Il n’y a
pas une disposition spécifique qui précise les modalités d’audition
des candidats. Celles-ci doivent être indiquées dans le règlement
de la consultation et respecter les principes256 de transparence257 et
d’égalité des candidats258. Aucune phase de dialogue n’est prévue
entre le jury et les candidats. Seul le pouvoir adjudicateur pourra
ensuite éventuellement demander aux candidats de clarifier,
préciser ou compléter leur offre sans pouvoir en modifier ses
caractéristiques principales. Le marché est ensuite attribué par le
maître d’ouvrage pour les marchés de l’Etat, des établissements
publics sociaux ou socio-médicaux, des établissements publics de
santé ou par la commission d’appel d’offres pour les collectivités
territoriales et les autres établissements publics locaux259.
Le droit camerounais par contre accuse un retard par rapport
au droit français dans la consécration d’une procédure d’appel
d’offres restreint adaptée aux marchés de conception-réalisation.
Autrement dit, bien qu’il y ait une consécration de la procédure
d’appel d’offres restreint260 au Cameroun, celle adaptée aux marchés
de conception-réalisation n’existe pas. A ce niveau, cette situation
d’opacité provoque une violation du principe de la transparence

256 CORNU (G), « Principe » in Vocabulaire juridique, 13e édition, PUF, 8 janvier 2020, 1136 p. Il définit le
mot principe comme ‘’une règle juridique établie par un texte en termes assez généraux destinée à inspirer
diverses applications et s’imposant par une autorité supérieure’’.
257 PEYRICAL ( J-M), « La transparence dans les marchés publics » in Constructif, N°51, 2018, P.16.
258 FRANK (C), « Le principe d’égalité » in Annuaire internationale de justice constitutionnelle, 1987, pp. 191-
197.
259 Analyse proposée par la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie en France.
260 Voir les articles 76, 77 et 78 du décret N°2018-366 du 20 juin 2018 portant code camerounais des mar-
chés publics.

210
Joseph Valerie EVINA

des procédures261. Le principe de la liberté de concurrence262 est


également violé puisque l’absence d’un appel d’offres restreint
adaptée aux marchés de conception-réalisation crée un flou ou
un embarras pour les candidats qui souhaiteraient postuler afin
de gagner ces marchés. Le flou continue de persister car l’on peut
supposer que c’est l’appel d’offres à deux étapes263 qui pourrait
s’appliquer aux marchés de conception-réalisation au Cameroun
en raison des motifs264 de recours à cette procédure. Cependant, il
n’est pas clairement dit que c’est cette procédure qui s’applique aux
marchés de conception-réalisation.
En fin de compte, il n’existe pas une procédure d’appel d’offres restreint
adaptée aux marchés de conception-réalisation au Cameroun. Tout
ceci montre que le pouvoir réglementaire camerounais a choisi le
silence pour définir de manière claire une procédure adaptée aux
marchés de conception-réalisation. Un silence négatif puisqu’il
continue son bout de chemin avec l’inexistence d’une procédure
infructueuse adaptée aux marchés de conception-réalisation.
En droit français265, la procédure infructueuse peut s’appliquer
dans les marchés de conception-réalisation. Techniquement, on

261 NELL (P), « Transparence dans les marchés publics » in Revue internationale de droit économique,
2004/3, T. XVIII, Vol 3, pp. 355-379.
262 HUBERT (P), CASTAN (A), « Droit constitutionnel et liberté de concurrence » in Les nouveaux
cahiers du conseil constitutionnel, 2015, N°49, pp. 15-27. La liberté de concurrence constitue à cet
effet un droit constitutionnel.
263 Voir les articles 83 et 84 du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
264 Aux termes de l’article 83 du code camerounais des marchés publics, l’acheteur public fait recours
à l’appel d’offres en deux étapes lorsqu’il souhaite baser son choix sur les critères de performance,
de contrainte d’exploitation et du coût économique en lieu et place de simples spécifications
techniques détaillées et qu’il n’est pas en mesure de définir les moyens permettant de satisfaire ses
besoins ou d’évaluer les solutions techniques et financières disponibles.
265 Cette procédure a été prévue à l’article 35-I-10 du code français des marchés publics de 2006.

211
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

l’appelle aussi la procédure concurrentielle avec négociation266.


Elle est infructueuse parce que lors du lancement de la procédure
d’appel d’offres restreint, l’on a constaté qu’il y avait des offres
irrégulières ou inacceptables, qu’aucune offre n’avait été remise ou
lorsqu’il y avait des offres inappropriées. Dans ce cas, le pouvoir
adjudicateur est obligé de passer un marché négocié avec mise en
concurrence pour sauver la procédure d’appel d’offres de départ
relatif à la conception-réalisation. C’est donc une exception au
principe d’interdiction à la négociation dans les marchés publics
surtout pendant le lancement des procédures d’appels d’offres.
Le droit camerounais par contre accuse un retard par rapport au droit
français dans la consécration d’une procédure infructueuse adaptée
aux marchés de conception-réalisation. Autrement dit, bien qu’il y
ait une consécration de la procédure infructueuse267 au Cameroun,
celle adaptée aux marchés de conception-réalisation n’existe pas. A ce
niveau, cette situation d’opacité met le pouvoir adjudicateur dans un
embarras car en même temps la procédure infructueuse est consacrée,
en même temps il n’est mentionné dans aucune disposition que ladite
procédure peut s’adapter aux marchés de conception-réalisation.
En fin de compte, il n’existe pas au Cameroun une pluralité des
procédures relatives aux marchés de conception-réalisation.
Cela s’explique par l’inexistence des procédures habituelles de
consultation adaptées à la conception-réalisation que sont : l’appel
d’offres restreint et la procédure infructueuse.

266 Voir article 64-III du code français des marchés publics de 2006.
267 Voir article 103 (1) à (10) du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.

212
Joseph Valerie EVINA

Cependant, ce manque de pluralité des procédures ne s’arrête pas.


Elle continue jusqu’aux procédures inhabituelles de consultation.
En droit français, deux procédures inhabituelles sont adaptées aux
marchés de conception-réalisation. Il s’agit du dialogue compétitif
et de la procédure adaptée. Par contre, le droit camerounais ne
montre aucune volonté de consacrer ces deux procédures adaptées
aux marchés de conception-réalisation en manifestant son silence.
Un silence qui s’explique par le manque de consécration d’un
dialogue compétitif adapté aux marchés de conception-réalisation.
Il s’explique aussi par l’inexistence la procédure adaptée.
En droit français, le dialogue compétitif268 peut s’appliquer dans
les marchés de conception-réalisation. C’est une procédure269 qui
permet au maître d’ouvrage de dialoguer avec les candidats admis
à y participer afin de définir ou de développer plusieurs solutions
de nature à répondre à ses besoins et sur la base desquelles les
participants au dialogue seront invités à remettre une offre. En
réhabilitation, les marchés de conception-réalisation peuvent être
passés selon la procédure du dialogue compétitif si les conditions270
de recours à cette procédure sont remplies. En effet, pour que le
dialogue compétitif271 soit possible dans les marchés de conception-
réalisation, il faut que le maître d’ouvrage ne soit pas objectivement

268 AUBIN (L), AMBLARD (E), « Dialogue compétitif », J,-Cl, CMP, fasc. 64-10.
269 MENEMENIS (A), RICHER (L), « Dialogue et négociation dans la procédure de de dialogue
compétitif », CP-ACCCP, juin 2005, n°45, p.33.
270 Voir article 36 du code français des marchés publics de 2006.
271 CHARREL (N), «Dialogue compétitif et conception-réalisation», CP-ACCCP, mars 2004, n°31, p. 83.

213
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

en mesure de définir seul et à l’avance les moyens techniques


pouvant répondre à ses besoins. Il faut aussi que l’acheteur public272
ne soit pas objectivement en mesure d’établir le montage juridique
ou financier d’un projet. La procédure de dialogue compétitif est
alors organisée conformément aux dispositions273 du code français
des marchés publics de 2006. En effet, un avis d’appel public à la
concurrence est publié dans les conditions prévues à l’article 40 du
même code. Dans cet avis, les besoins et les exigences sont définis
par le maître d’ouvrage. Les modalités du dialogue sont définies
dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de
consultation. Le maître d’ouvrage peut décider de limiter le nombre
de candidats qui seront admis à participer au dialogue. Il mentionne
cette décision dans l’avis d’appel public à la concurrence. Il fixe dans
cet avis un nombre minimum de candidats admis à présenter une
offre et peut également fixer un nombre maximum. Ce nombre
maximum peut être fixé à 3. Quand le nombre de candidats
satisfaisant aux critères de sélection des candidatures est inférieur au
nombre minimum, le maître d’ouvrage peut continuer la procédure
avec les seuls candidats sélectionnés. Au cours du dialogue, chaque
candidat sélectionné est entendu dans les conditions d’égalité274. Le
pouvoir adjudicateur ne peut pas donner à certains candidats des
informations susceptibles de les avantager par rapport à d’autres.
Il ne peut relever aux autres candidats des solutions proposées
ou des informations confidentielles communiquées par un
candidat dans le cadre de la discussion, sans l’accord de celui-ci.

272 LAUZANNE (T), LEROY (C), Guide pratique de l’achat public, Edition du Puits Fleuri, novembre 2020,
200 p.
273 Voir article 67 du code français des marchés publics de 2006.
274 FRANK (C), « Principe d’égalité », op.cit., pp. 191-197.

214
Joseph Valerie EVINA

Le maître d’ouvrage fixe aussi la date et le lieu du déroulement


du dialogue. Il est également important de rappeler qu’avant la
sélection des candidats, le délai de réception des candidatures au
dialogue compétitif est de 37 jours, l’ouverture des plis n’est pas
publique c’est-à-dire n’est pas ouverte aux candidats et les candidats
sélectionnés sont invités par écrit à participer au dialogue.
Le droit camerounais par contre accuse un retard par rapport au droit
français dans la consécration d’une procédure de dialogue compétitif
adaptée aux marchés de conception-réalisation. Autrement dit, cette
procédure n’existe pas au Cameroun car elle n’est pas nommément
désignée. Elle est plutôt confondue à la procédure d’appel d’offres
à 2 étapes surtout au niveau de ses motifs de recours275 et parfois
même au niveau déroulement de la procédure276. Comme celle
qui a été présentée précédemment par le droit français. En plus
de tout ça, aucune disposition ne mentionne clairement que cette
procédure d’appel d’offres à deux étapes s’applique aux marchés de
conception-réalisation. On peut juste supposer que cette procédure
peut s’appliquer aux marchés de conception-réalisation au regard des
indices qu’elle présente. Mais la supposition ne veut pas dire que la
procédure d’appel d’offres à deux étapes s’applique automatiquement
aux marchés de conception-réalisation. Ce manque de précision
pousse les acteurs de la commande publique à fournir plusieurs
interprétations par rapport à cette procédure en rapport avec
la conception-réalisation. Ce qui n’est pas bon. Plus loin encore,

275 Voir article 83 (1) du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
276 Voir article 84 (a) à (b) du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.

215
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

la procédure d’appel d’offres à deux étapes, qui est confondue au


dialogue compétitif, ne peut être utilisée qu’après autorisation
spéciale du ministre des marchés publics277.
Au demeurant, il n’existe pas une procédure du dialogue compétitif
adapté aux marchés de conception-réalisation car elle n’est pas
nommément désignée par le code camerounais des marchés publics
et est même parfois confondue à la procédure d’appel d’offres à
deux étapes. Cependant, cette insuffisance ne s’arrête pas là. Elle
s’explique aussi par l’inexistence de la procédure adaptée.
En droit français278, la procédure adaptée peut également s’appliquer
dans les marchés de conception-réalisation. En effet, on utilise
la procédure adaptée lorsque les montants sont inférieurs aux
montants prévus dans les procédures formalisées. Dans la procédure
adaptée279, le pouvoir adjudicateur fixe librement les modalités en
fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire,
en fonction du nombre ou de la localisation des opérateurs
économiques susceptibles d’y répondre ainsi qu’en fonction des
circonstances de l’achat. Le droit camerounais par contre accuse
un retard par rapport au droit français dans la consécration de la
procédure adaptée applicable aux marchés de conception-réalisation.
Autrement dit, la procédure adaptée n’existe pas au Cameroun. A ce
niveau, cette situation d’opacité plonge les acteurs de la commande
publique dans une ignorance de l’existence de certaines procédures
qui pourraient s’appliquer aux marchés de conception-réalisation.

277 Voir article 83 (2) du décret précité.


278 Voir article 69-III du code français des marchés publics de 2006.
279 Voir article 146 du code français des marchés publics de 2006.

216
Joseph Valerie EVINA

En fin de compte, il n’existe pas une pluralité des procédures


applicables aux marchés de conception-réalisation au Cameroun
car il n’y a ni un appel d’offres restreint adapté à ces marchés, ni une
procédure infructueuse, ni la procédure adaptée ou encore la précision
d’un dialogue compétitif. Il existe plutôt une seule procédure qui
s’applique aux marchés de conception-réalisation au Cameroun. Il
s’agit de la procédure d’appel d’offres avec concours (2).
2- L’existence d’une procédure d’appel d’offres avec
concours adaptée aux marchés de conception-
réalisation
Il y a une seule procédure qui existe et qui s’applique automatiquement
aux marchés de conception-réalisation au Cameroun. Il s’agit de
l’appel d’offres avec concours280. En effet, cette procédure porte
soit sur la conception d’un projet281, soit à la fois sur la conception
d’un projet et la réalisation de l’étude y afférente282. Elle peut aussi
porter à la fois sur la conception et la réalisation de l’étude et le
suivi ou le contrôle de sa réalisation283. Enfin, cette procédure
porte à la fois sur la conception et la réalisation du projet lorsqu’il
s’agit d’un marché de conception-réalisation prévu à l’article 64
du code camerounais des marchés publics de 2018284. A ce niveau,
il est clairement dit que c’est la procédure d’appel d’offres avec
concours qui s’appliquent aux marchés de conception-réalisation
au Cameroun. Les prestations qui peuvent faire l’objet de concours

280 Voir article 79 du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
281 Voir article 80 (1a) du code camerounais des marchés publics.
282 Voir article 80 (1b) du code précité.
283 Voir article 80 (1c) du même code camerounais des marchés publics.
284 Voir article 80 (1-d) du même code camerounais.

217
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

concernent les projets architecturaux285, les œuvres artistiques, les


domaines de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et des
prestations qui font l’objet de marché de conception-réalisation.
L’appel d’offres avec concours s’applique selon la procédure d’appel
d’offres ouvert286. Par déduction, l’appel d’offres ouvert peut aussi
s’appliquer aux marchés de conception-réalisation au Cameroun.
Les compétences techniques et artistiques sont évaluées par un jury
pendant le déroulement de cette procédure287
CONCLUSION
En définitive, il a été question pour nous de savoir si le régime
juridique proposé par le droit camerounais est assez suffisant pour
encadrer les marchés de conception-réalisation. Autrement dit, notre
étude sur les marchés de conception-réalisation en droit des marchés
publics au Cameroun nous a poussés à débattre sur la qualité288 de
leur régime juridique. Cette préoccupation est née du fait que le
régime juridique proposé par le droit camerounais pour encadrer
les marchés de conception-réalisation est assez limitatif, pauvre
et très peu fourni. En d’autres termes, ce régime ne se limite qu’à
définir les marchés de conception-réalisation et à leur attribuer une
seule procédure. Or, encadrer les marchés de conception-réalisation
c’est un tout c’est-à-dire procéder à leur définition, leur fixer des
conditions de recours et leur appliquer une pluralité de procédures.

285 TRIC (O), Conception et projet en architecture, Editions L’Harmattan, 1er avril 1999, 320 p.
286 COSSALTER (P), L’appel d’offres ouvert, Territorial Editions, 1er avril 2012, 96 p. Voir aussi l’article
80 (6) du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
287 Voir article 80 (4) du décret de 2018 portant code camerounais des marchés publics.
288 ABANE ENGOLO (P, E), op.cit., pp. 88-110.

218
Joseph Valerie EVINA

Cette remise en cause de la réglementation camerounaise nous a


poussés à répondre par la négative à la principale question posée de
notre thématique. Car l’on a soutenu l’idée selon laquelle le régime
juridique applicable aux marchés de conception-réalisation au
Cameroun est insuffisant. Cette insuffisance s’est expliquée sous deux
angles : une insuffisance par la délimitation d’encadrement à la seule
définition des marchés de conception-réalisation et une insuffisance
par l’absence de consécration des conditions de recours aux marchés
de conception-réalisation et d’une pluralité des procédures y relatives.
L’encadrement des marchés de conception-réalisation au Cameroun
est délimité à leur unique définition car le régime juridique camerounais
définit ces marchés comme des marchés d’études préalables et des
marchés d’exécution des travaux publics. Autrement dit, ce sont des
marchés qui dérogent au principe de la séparation entre la phase
de conception et la phase de réalisation de l’ouvrage. Ces marchés
font intervenir le maître d’œuvre et l’entrepreneur dans une même
équipe et forcent leur collaboration. Cette équipe est techniquement
appelée un groupement d’opérateurs économiques conjoint289.
L’encadrement juridique des marchés de conception-réalisation au
Cameroun est limité par l’absence des conditions de recours aux
marchés de conception-réalisation et par l’absence d’une pluralité
des procédures y relatives. En effet, au vu du droit français, pour
recourir aux marchés de conception-réalisation, il faut respecter
les motifs techniques liés à la destination de l’ouvrage et à sa
mise en œuvre technique. Ce sont donc des marchés complexes,

289 LATRECHE (A), op.cit., 102 p.

219
Les marchés de conception-réalisation en droit des marchés publics au Cameroun

globaux, des contrats aux dimensions exceptionnelles et aux


difficultés techniques particulières. Pour recourir aussi aux marchés
de conception-réalisation, il faut un engagement contractuel
sur l’amélioration d’un niveau d’efficacité énergétique. Ces
marchés sont aussi des contrats de performance énergétique.
Par contre, en droit camerounais, ces conditions de recours aux
marchés de conception-réalisation n’existent pas et créent une
situation embarrassante pour les acteurs de la commande publique.
En ce qui concerne les procédures relatives aux marchés de conception-
réalisation, le droit français en a fixé 4 à savoir : l’adaptation d’un
appel d’offres restreint, d’une procédure infructueuse, du dialogue
compétitif et l’application de la procédure adaptée. Par contre
le droit camerounais a consacré une seule procédure adaptée aux
marchés de conception-réalisation en excluant celles proposées
par le droit français. Il s’agit de la procédure d’appel d’offres avec
concours. Le droit camerounais fait aussi une confusion entre la
procédure du dialogue compétitif à celle de l’appel d’offres en deux
étapes. On suppose que l’appel d’offres en deux étapes pourrait
s’appliquer aux marchés de conception-réalisation au vu des motifs
de recours à cette procédure. Mais rien ne précise clairement que
cette procédure est automatiquement applicable à la conception-
réalisation des travaux publics.
Face à tous ces manquements que pose la réglementation des
marchés de conception-réalisation au Cameroun, des solutions
doivent être urgemment prises pour une préservation des principes
de la commande publique. Il faut élargir la taille du régime juridique
applicable aux marchés de conception-réalisation au Cameroun.

220
Joseph Valerie EVINA

Cet agrandissement de la réglementation passe par la consécration


des conditions de recours aux marchés de conception-réalisation et la
mise en place d’une pluralité des procédures qui pourraient s’adapter
à ce type de marché. Pour les conditions de recours aux marchés de
conception-réalisation, il faut consacrer au sein du code actuel des
marchés publics les motifs techniques liés à la destination et à la mise
en œuvre technique de l’ouvrage. Autrement dit, il faut consacrer le
caractère complexe, global des marchés de conception-réalisation. Il
faut aussi consacrer les dimensions exceptionnelles et les difficultés
techniques particulières de l’ouvrage comme motif technique des
marchés de conception-réalisation. Il faut aussi consacrer au sein du
même code un engagement contractuel sur l’amélioration du niveau
d’efficacité énergétique comme autre motif de recours à ces marchés.
Pour les procédures relatives aux marchés de conception-réalisation,
en plus de la procédure d’appel d’offres avec concours qui s’applique à
ces marchés au Cameroun, il faut consacrer au sein du actuel code des
marchés publics 4 procédures qui leur seront adaptées. Il s’agit de la
consécration d’un appel d’offres restreint adapté à ces marchés, d’une
procédure infructueuse adaptée, d’un dialogue compétitif adapté
et enfin de la procédure adaptée appliquée en France. C’est toutes
ces suggestions qui contribueront à l’élargissement de la taille du
régime juridique applicable aux marchés de conception-réalisation au
Cameroun. Elles contribueront également à créer un cadre suffisant voire
idéal pour organiser les marchés de conception-réalisation. Un cadre qui
transformera le régime juridique camerounais applicable aux marchés de
conception-réalisation en un régime de qualité. Tout ceci passera par la
mise en place d’un règlement qui viendra compléter les dispositions du
code actuel des marchés publics camerounais.

221
222
TRIBUNE LIBRE

223
224
L’INCURSION DU JUGE CONSTITUTIONNEL DANS
LE DOMAINE DU JUGE ORDINAIRE

Simplice Comlan DATO,


Avocat au Barreau du Bénin
Doctorant à l’Ecole doctorale sciences juridique,
politique et administrative
de l’Université de Parakou (Bénin)

« La Cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? »1, se


demandait le professeur Dandi GNAMOU-PETAUTON, il y a
quelques années. Son interrogation rejoint celle de son collègue
français le professeur Philippe Blacher : « Le Conseil constitutionnel
en fait-il de trop ? »2. Ce sujet de préoccupation semble vider
la réflexion sur les faiblesses de l’office du juge constitutionnel
au Bénin, pourtant, cela reste d’actualité dans un contexte où
la Cour constitutionnelle ne cesse de réaliser de nouvelles
« conquêtes » juridictionnelles, élargissant manifestement ses
compétences, alors que celles-ci semblent bien définies juridiquement.
Le cycle constitutionnel du Bénin, de 1959 à 1989 (soit de la veille
de l’Indépendance à celle du Renouveau démocratique), a été
caractérisé par de nombreux Constitutions et textes constitutionnels.

1 GNAMOU-PETAUTON (D.), « La Cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? », in


Revue Béninoise des Sciences Juridiques et administratives (RBSJA), n° spécial, Année 2013, pp. 5-41.
2 BLACHÈR (Ph.), « Le Conseil constitutionnel en fait-il trop ? », in Pouvoirs, n° 105, 2003, pp. 17-28.

225
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

En effet, on peut noter au total cinq Constitutions3 et quatre


textes constitutionnels4, au cours de ces trois décennies. Pour
la doctrine, cette « instabilité certaine »5 est « due à la recherche
constante d’institutions adaptées aux besoins et au niveau de
développement économique, social et culturel des Africains »6. La
Constitution du 11 décembre 19907 sonnera le glas de cette
instabilité en fixant des règles claires de dévolution du pouvoir
au sein de l’État, avec des ingrédients propres au contexte
politique du Renouveau démocratique.
En 1990, le Haut Conseil de la République, embryon décisif et
très puissant de La Cour constitutionnelle actuelle, est l’une des
« Institutions » issues de cette réforme constitutionnelle. Elle a
été consacrée pour assurer la garantie de la Constitution, en tant
que juridiction spécialisée dans le règlement des contentieux
liés à la Constitution8.

3 Il s’agit des Constitutions suivantes : Constitution du 28 février 1959, Constitution du 26 novembre


1960, Constitution du 11 février 1964, Constitution du 28 avril 1968 et la Loi Constitutionnelle n°
84-003 du 06 mars portant amendement de la Loi Fondamentale du 7 septembre 1977.
4 Les textes constitutionnels regroupent : la Charte du 1er septembre 1960 organisant le régime
militaire du Général SOGLO, l’Ordonnance n° 69-53 du 26 décembre 1969, l’Ordonnance n°
70-34 du 7 mai 1970 portant Charte du Conseil présidentiel et l’Ordonnance n° 74-68 du 18
novembre 1974 portant structure du pouvoir sous le Gouvernement Militaire Révolutionnaire
(GMR).
5 AKEREKORO (H.), Histoire politique et constitutionnelle du Bénin, Cotonou, ODOPAT Editions,
3ème édition mise à jour, 2017, p. 33.
6 AHANHANZO-GLELE (M.), « La Constitution ou la Loi fondamentale », in GONIDEC (P.-
F.), AHANHANZO-GLELE (M.) (dir.), Encyclopédie Juridique de l’Afrique. Tome 1 – L’Etat et le
Droit, Abidjan, Dakar, Lomé, Les Nouvelles Editions Africaines, 1982, p. 52.
7 Il s’agit de la Loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin
modifiée par la Loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019.
8 SALAMI (I. D.), GANDONOU (D. O. M.), Droit constitutionnel et institutions du Bénin, Cotonou,
Edition CeDAT, 2014, p. 344.

226
Simplice Comlan DATO

De ce fait, ses compétences sont déterminées conformément à la


Constitution et aux textes organiques régissant son organisation9.
Pour ainsi dire, la Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction
de l’État en matière constitutionnelle, juge de la constitutionnalité
de la loi, garante des droits fondamentaux de la personne humaine
et des libertés publiques, et l’organe régulateur du fonctionnement
des institutions et de l’activité des pouvoirs publics10. À cet effet,
elle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des textes
à divers échelons : les lois organiques avant leur promulgation,
les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale, de la Haute
Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et du Conseil
Economique et Social avant leur mise en application, les lois et actes
réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la
personne humaine et aux libertés publiques en général. Elle statue
également sur la violation des droits de la personne humaine, les
conflits d’attributions entre les institutions de l’État11. Elle veille à
la régularité de l’élection du duo Président de la République et Vice-
Président de la République, se prononce aussi sur les contentieux
éventuels de l’élection de ces derniers et sur ceux des élections
législatives12. On peut donc dégager limitativement comme grands
domaines de compétences du juge constitutionnel béninois, la
constitutionnalité des lois et des actes, la régulation

9 Il s’agit notamment de la Loi n° 91-009 portant Loi organique sur la Cour constitutionnelle
modifiée par la loi du 31 mai 2001 et du Règlement Intérieur de la Cour constitutionnelle tel que
modifié par l’Assemblée Générale des conseillers en date du 11 juin 2018.
10 Article 114 de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019.
11 Article 117-nouveau de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 07
novembre 2019.
12 Ibidem.

227
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

du fonctionnement des institutions et les compétences électorales


visant l’élection présidentielle et les élections législatives. En ce qui
concerne le premier domaine indiqué, le Constituant béninois a disposé
clairement : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif
contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout
citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les
lois, textes et actes présumés inconstitutionnels »13.
À l’analyse donc, on peut constater que le domaine de compétence
du juge constitutionnel béninois est nettement différent des
compétences attribuées aux autres ordres juridictionnels. La
Constitution fait de lui le « Maître » du contentieux constitutionnel,
ce qui le soustrait du pouvoir judiciaire ordinaire. D’ailleurs,
le statut même de la Cour constitutionnelle témoigne de cette
soustraction. D’abord, le Bénin a fait l’option du modèle kelsénien
de justice constitutionnelle à l’opposé du modèle américain14. Ce
qui met la Cour constitutionnelle dans une spécialisation matérielle
et organique. Ensuite, tirant conséquence de cette option, la
Constitution béninoise a logé formellement la Cour constitutionnelle
en dehors de l’appareil judiciaire ordinaire. Ainsi, constate-t-on dans
la Constitution que le statut de la Cour constitutionnelle est prévu
au titre V pendant que le pouvoir judiciaire a été traité dans le titre
VI. Ce qui n’est pas le cas dans tous les États d’Afrique francophone15.

13 Article 3-nouveau de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 07 novembre
2019.
14 Lire à ce propos, GNAMOU-PETAUTON (D.), loc. cit., pp. 9-10.
15 Au Sénégal, par exemple, le Conseil constitutionnel est considéré comme faisant partie du pouvoir
judiciaire. L’article 88 de la Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001 révisée par la loi
n° 2021-41 du 20 décembre 2021 dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du
pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des comptes et les cours et
tribunaux ». Cela ne signifie pas pour autant que le juge constitutionnel se confond au juge ordinaire.

228
Simplice Comlan DATO

Enfin, la Constitution délimite très clairement la compétence du


pouvoir judiciaire ordinaire en lui confiant les matières administrative
et judiciaire16. Le pouvoir judiciaire est sous le contrôle de la Cour
suprême qui est la plus haute juridiction en matière administrative
et judiciaire et dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun
recours17. On peut donc retenir de ces différents textes que le juge
constitutionnel est bien circonscrit dans ses compétences et n’est
pas censé interférer dans le domaine du juge ordinaire.
Jusqu’alors, le juge constitutionnel s’est illustré comme un véritable
instrument de sauvegarde de la démocratie et un réel protecteur de
l’Etat de droit au Bénin. Ce qui lui a valu des mérites par la doctrine.
On a pu dire du juge constitutionnel béninois qu’il « a assuré
l’oxygénation de tout le système politique »18 ou encore que sa
pratique est généreuse en ce sens « qu’en vingt ans de pratique des
droits fondamentaux, … sa jurisprudence a, de façon remarquable,
étendu et enrichi le bassin des libertés »19. Il est aussi démontré que
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle est dynamique20 et

16 Article 131-nouveau de de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 07


novembre 2019.
17 Ibidem.
18 AÏVO (F. J.), « Le juge et les droits fondamentaux : Retour sur un quart de siècle de jurisprudence (trop
active) de la Cour constitutionnelle du Bénin », in Démocratie en questions - Mélanges en l’honneur du
Professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2017, p. 453.
19 Idem, p. 461.
20 CONAC (G.), « Succès et crises du constitutionnalisme africain », in Les constitutions africaines publiées
en langue française, Tome 2, Paris, Bruylant, 1998, pp. 15-17, cité par AÏVO (F. J.), « Le juge et les droits
fondamentaux : Retour sur un quart de siècle de jurisprudence (trop active) de la Cour constitutionnelle
du Bénin », loc. cit., p. 461.

229
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

que « les décisions du juge constitutionnel béninois révèlent une certaine


prise en main de sa mission dans le processus de démocratisation »21.
Mieux, il est admis que les décisions de ce juge ont contribué, dans
une large mesure, à renforcer l’État de droit et surtout à assagir un
personnel politique frondeur22. Toutes choses qui conduisent à
affirmer que le juge constitutionnel béninois constitue « un contrepoids
légitime indispensable à l’équilibre et à la modération des pouvoirs »23.
Mais, avec le temps, cette effervescence fonctionnelle du juge
constitutionnel béninois, bien que fortement saluée, semble
avoir propulsé celui-ci dans des sentiers hors de sa compétence.
Il est de notoriété publique que les institutions, quoique
démocratiques, ne sont pas toujours appréciées à la même jauge
que ce soit par la doctrine ou par la société. Cependant, l’office
du juge constitutionnel béninois appelle particulièrement
une attention critique.Certaines décisions de la Cour
constitutionnelle peuvent être perçues comme un excès de
pouvoir juridictionnel tant en matière de constitutionnalité des

21 SOGLOHOUN (P.), « Le juge constitutionnel béninois et la régulation du processus électoral »,


in Démocratie en questions - Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses de
l’Université Toulouse Capitole, 2017, p. 384.
22 AÏVO (F. J.), « La Cour constitutionnelle du Bénin », in Revue française de droit constitutionnel, n° 99,
2014, p. 716.
23 HOLO (Th.), « Emergence de la justice constitutionnelle », in Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 113 cité
par SOGLOHOUN (P.), loc. cit., p. 384.

230
Simplice Comlan DATO

lois24 que face à la classe politique25. Si, néanmoins, cet excès peut se
comprendre en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des lois
ou des actes et la régulation du fonctionnement des institutions, il est
surprenant de constater l’interférence du juge constitutionnel dans les
fonctions du juge ordinaire, étant donné que les deux juridictions ont
des attributs différents et que chacune d’elles jouit d’une indépendance
constitutionnellement garantie. En effet, après s’être longuement abstenu
du contrôle des décisions du juge ordinaire, le juge constitutionnel a fini
progressivement par s’y reconnaître une compétence qui surprend tout
bon observateur. Ainsi, la Cour constitutionnelle a pu opérer, sans coup
férir, le contrôle de constitutionnalité des décisions du juge ordinaire,
débouchant, dans nombre de cas, à la constatation de la violation de la
Constitution par celles-ci26.
L’une des plus importantes des décisions ayant attiré la verve acerbe
des doctrinaires fut la décision de la Cour constitutionnelle DCC
09-087 du 13 août 2009, par laquelle la Haute juridiction a proclamé
que l’arrêt n°13/CT-CJ-CT du 24 novembre 2006 de la chambre

24 Pour Abdoulaye Gounou, « la participation de la Cour constitutionnelle à la rédaction de la loi constitue, …,


une intrusion de la haute juridiction dans l’exercice même de l’attribut fondamental de l’Assemblée nationale
qu’est la loi ». GOUNOU (A.), « L’intelligibilité de la loi devant le juge constitutionnel béninois »,
in Démocratie en questions - Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses de
l’Université Toulouse Capitole, 2017, p. 579.
25 « Tantôt adulée, tantôt clouée au pilori, la Cour constitutionnelle du Bénin dérange la classe politique dont les
décisions sont déclarées contraires à la Constitution. La forme la plus violente d’expression de l’exaspération a été
celle de Mme Rosine SOGLO, épouse de l’ancien président de la République et député à l’Assemblée nationale,
le lundi 13 septembre 2010 à l’occasion des déclarations d’inconstitutionnalité prononcées par la Haute
juridiction contre l’essentiel des innovations prévues par les lois électorales adoptées en août 2010 : Cette Cour
constitutionnelle, nous allons la balayer » ». SALAMI (I. D.), GANDONOU (D. O. M.), op. cit., p. 345.
26 Cf. par exemple, Cour constitutionnelle, Décision DCC 04-051 du 18 mai 2004, Recueil des décisions et
avis, 2004, pp. 221-223 ; Cour constitutionnelle, Décision DCC 06-076 du 27 juillet 2006, Recueil des
décisions et avis, 2006, pp. 221-223 ; Cour constitutionnelle, Décision DCC 13-082 du 09 août 2013,
Recueil des décisions et avis, 2013, volume 1, pp. 571-576 ; Cour constitutionnelle, Décision DCC 16-022
du 28 janvier 2016, Recueil des décisions et avis, 2016, volume 1, pp.185-194.

231
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

judiciaire de la Cour suprême est contraire à la Constitution27.


Critiquant cette décision, qui casse avec la jurisprudence
constante de la Cour, le professeur Joseph DJOGBENOU fait
remarquer qu’à partir de cette audace, il y a l’avènement d’une
juridiction des juridictions28. À contrario, le professeur Hilaire
AKEREKORO souligne qu’il ne faut pas poser un antagonisme
entre la Cour constitutionnelle et le pouvoir judiciaire, car les deux
« Institutions », contribuent à la protection de la démocratie et
de l’Etat de droit. Cette observation s’appuie sur la primauté de la
jurisprudence constitutionnelle dans le domaine de la protection
des droits humains fondamentaux ; en effet, lorsque la matière
fait référence aux droits de l’Homme, il y a soumission du pouvoir
judiciaire à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle29. Cette
analyse peut convaincre jusqu’au moment où l’on considère que les
décisions de la Cour suprême sont insusceptibles de recours30, tout
comme celles de la Cour constitutionnelle31. Et que par conséquent,
faire primer l’une de ces deux juridictions sur l’autre reviendrait à
remettre en cause le caractère « insusceptible de recours » de la
juridiction ainsi mise en subordination.
En confrontant les différentes positions et les jurisprudences
constantes, il est à soulever le problème de l’incursion du juge
constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire.

27 Décision DCC 09-087 du 13 août 2009, Recueil des décisions et avis, 2009, pp. 432-446.
28 DJOGBENOU (J.), « Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : une fantaisie de
plus ? », in Revue Afrilex.u-bordeaux, 2014, 27 p.
29 AKEREKORO (H.), « La Cour constitutionnelle et le pouvoir judiciaire au Bénin : une approche
fonctionnelle », in Revue Afrilex.u-bordeaux, 22 p.
30 Article 131-nouveau de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7
novembre 2019.
31 Article 124 de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7 novembre 2019.

232
Simplice Comlan DATO

Incursion, qui s’entend comme une invasion, une irruption, une


occupation dans le domaine du juge ordinaire, voire comme une
agression de celui-ci par le juge constitutionnel. On pourrait même
parler de violation des compétences du premier par le second.
On en vient donc à se demander si le juge constitutionnel ne se
dédie pas, étant donné que lui-même défend, dans sa jurisprudence,
l’immixtion d’un organe institué par la Constitution dans les
prérogatives d’un autre organe, ou s’il n’y a pas un risque élevé
de dérive32, ou encore s’il n’y a pas un élargissement incontrôlé
de la compétence du juge constitutionnel au détriment du juge
ordinaire, voire un gouvernement du juge constitutionnel où ce
dernier est érigé en « cour suprême du système juridictionnel »33.
Les préoccupations peuvent se multiplier au fur et à mesure
qu’on appréhende les conséquences d’une telle incursion du juge
constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire. Elles peuvent
s’étendre même à l’appréciation de l’autorité de la chose jugée du
juge ordinaire et la détermination de la relation juridictionnelle entre
le juge constitutionnel et le juge ordinaire. La question principale
qui va guider la présente réflexion est donc de savoir quels sont les
fondements et les effets de l’incursion du juge constitutionnel dans
le domaine du juge ordinaire ?

32 TONI (E.), « Les principes non écrits dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin », in
Revue Afrilex.u-bordeaux, pp. 22-24.
33 Évoquant le cas du Conseil constitutionnel français, Dominique ROUSSEAU, Pierre-Yves GAHDOUN
et Julien BONNET pensent que « le point d’interrogation s’impose … le Conseil a accompli une mutation
« génétique » qui lui ouvre la possibilité de devenir la Cour suprême d’un paysage juridictionnel profondément
modifié par l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité ». Ils estiment également que « le
Conseil constitutionnel va devenir, est devenu « plus important que le Conseil d’État et la Cour de cassation
» ». ROUSSEAU (D.), GAHDOUN (P.-Y.), BONNET (J.), Droit du contentieux constitutionnel, Paris,
LGDJ, 11ème édition, 2016, pp. 89, 95.

233
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

Le juge constitutionnel étant bien identifié et ses compétences


précisées supra, il conviendra, dans les lignes qui suivent, de situer le
juge ordinaire et son environnement institutionnel.
Selon la théorie bien connue et attribuée à Montesquieu, l’Etat
de droit doit opérer une séparation entre le Pouvoir Exécutif, le
Pouvoir Législatif et le Pouvoir judiciaire. Si le premier s’entend
du gouvernement et le second du parlement, le troisième, quant à
lui, fait référence aux institutions et/ou organes dont la fonction
est d’appliquer la règle de droit, ou plus exactement de « juger »34.
Le pouvoir judiciaire peut donc se comprendre comme l’ensemble
des organes qui exercent la fonction judiciaire35. Dans un sens large
donc, le juge constitutionnel peut être classé au sein du pouvoir
judiciaire36. Mais, le modèle de justice constitutionnelle au Bénin
étant un modèle concentré et non un modèle diffus37, la juridiction
constitutionnelle est rendue spécifique et donc mise hors de
l’appareil judiciaire classique. À partir de là, on distingue le juge
constitutionnel, qui « désigne la juridiction indépendante du pouvoir
judiciaire ordinaire et constitutionnellement investie pour connaître des
affaires relevant de la matière constitutionnelle »38, du juge ordinaire

34 Aux termes de l’article 125 alinéa 1er la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40
du 7 novembre 2019, « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ».
35 GUINCHARD (S.) et alii., Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2009, p. 410.
36 Il faut néanmoins souligner que cette position est discutée. Pour certains, en effet, la nature
même du contentieux constitutionnel ne répond pas au classicisme des contentieux au judiciaire.
D’autres soulignent que les méthodes, les techniques et les normes de référence usitées par le juge
constitutionnel se distinguent de celles appliquées par le juge judiciaire. Enfin, il faut évoquer que
l’orientation organique de certains juges constitutionnels sont antinomiques avec la fonction de
juger stricto sensu ; c’est le cas des Conseils constitutionnels qui ont un pouvoir juridictionnel
réduit.
37 Lire à propos des modèles de justice constitutionnelle : FAVOREU (L.) et alii., Droit constitutionnel,
Paris, Dalloz, 2019, pp. 253-272.
38 AKEREKORO (H.), loc. cit., p. 3.

234
Simplice Comlan DATO

qui officie dans l’appareil judiciaire classique39. Pour ainsi dire, le « juge
ordinaire » désigne l’ensemble des organes chargés de dire le droit
dans les matières autres que constitutionnelles, à savoir, les matières
administrative, civile, commerciale, … Au Bénin, les juridictions
ordinaires sont placées sous l’autorité de la Cour suprême40 et regroupent
les Cours et tribunaux créés conformément à la Constitution41.
Dans un contexte où la jurisprudence constitutionnelle béninoise
connaît beaucoup de mutations et est sujette à beaucoup de
commentaires42, la présente étude vient relancer le débat sur la
compétence du juge constitutionnel. Si des réflexions ont été
constamment menées sur les rapports entre le juge constitutionnel
et le juge ordinaire43, la question n’est toutefois pas vidée. En effet, la
plupart des études relèvent des insuffisances et des critiques face à
l’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire.

39 Il convient de préciser qu’à l’aune de la révision constitutionnelle de 2019, il a été créé une Cour
des comptes, qui est également une Cour spécialisée. La Cour des comptes est la plus haute
juridiction en matière de contrôle des comptes publics et l’institution supérieure de contrôle des
finances publiques. Cf. article 134-4 de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-
40 du 7 novembre 2019.
40 Article 131-nouveau de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7
novembre 2019.
41 Article 125 de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7 novembre 2019.
42 Lire par exemple : KPODAR (A.), « L’Évangile de la Cour constitutionnelle selon St. Joseph : les
premières décisions », Bénin médias, 2018.
43 Entre autres : DJOGBENOU (J.), « Le contrôle de constitutionalité des décisions de justice :
une fantaisie de plus ? », in Revue Afrilex.u-bordeaux, 2014, 27 p. ; AKEREKORO (H.), « La
Cour constitutionnelle et le pouvoir judiciaire au Bénin : une approche fonctionnelle », in
Revue Afrilex.u-bordeaux, 22 p. ; SALAMI (I. D.), « Le contrôle de constitutionnalité des actes
administratifs au Bénin », in Démocratie en questions - Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore
HOLO, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2017, pp. 429-444. ; TCHAPNGA
(C. K.), « Le juge constitutionnel, juge administratif au Bénin et au Gabon ? », in Revue française
de droit constitutionnel, n° 75, 2008/3, pp. 551-583. ; AVLESSI (J. D.), La protection juridictionnelle
du citoyen à l’égard de l’administration au Bénin, Thèse de droit public, Orléans, 1987.

235
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

La présente réflexion veut d’abord faire ressortir les fondements


de cette incursion avant d’en étudier les effets. Il ne s’agira pas
d’un historique, mais le sujet conduira à faire l’état des lieux et
à apprécier l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle sur
le contrôle des décisions de justice. Ce cheminement permettra
de relever la politique jurisprudentielle ainsi que la dynamique
de l’analyse du juge constitutionnel afin de faire un examen sur
l’avenir de cette compétence improvisée.
Il en découle qu’au plan théorique, il s’agit de mettre en
lumière les différents mouvements jurisprudentiels qui
peuvent expliquer l’incursion du juge constitutionnel dans le
domaine du juge ordinaire. Au plan pratique, le dialogue entre
le juge constitutionnel et le juge ordinaire peut connaître une
amélioration ; toutes choses qui serviront au renforcement de la
garantie juridictionnelle de l’Etat de droit et de la démocratie.
Au plan social, les droits des justiciables peuvent être mieux
protégés par un dialogue intelligible et opportun entre les juges.
Le domaine du juge ordinaire comprend beaucoup de matières.
Si pour l’ensemble des décisions du juge ordinaire, le juge
constitutionnel a fini par consacrer un contrôle constitutionnel,
le cas des actes administratifs, relevant en principe du juge
administratif, présente une particularité saisissante. Pour répondre
donc à la problématique posée, il conviendra d’étudier d’un côté, le
contrôle constitutionnel des décisions du juge ordinaire (I), et d’un
autre côté, le contrôle de légalité des actes administratifs (II).

236
Simplice Comlan DATO

I. Le contrôle constitutionnel des décisions du juge ordinaire


La Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40
du 07 novembre 2019 dispose que le pouvoir judiciaire « est exercé
par la Cour suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la
présente Constitution »44. L’exercice du pouvoir judiciaire consiste,
pour les juridictions régulières que sont la Cour suprême, les cours
et les tribunaux, à juger, c’est-à-dire à dire le droit ou à concilier,
dans les différentes matières qui relèvent de leurs compétences
respectives. L’alinéa 2 de l’article 125 indique la structure pyramidale
des juridictions. Au sommet se trouve la Cour suprême, ensuite
viennent les cours et à la base il y a les tribunaux.
La lecture combinée et croisée des dispositions de l’alinéa 2 de l’article
125 avec celles de l’article 131 nouveau de la Constitution évoquées
ci-dessus implique que les décisions des juridictions ordinaires ne
sont soumises qu’à la Cour suprême. Ainsi, la Cour constitutionnelle,
juge de la constitutionnalité et non de la légalité, s’est déclarée
incompétente par principe pour connaître des décisions rendues
par les juridictions ordinaires (A). Toutefois, par revirement de
jurisprudence, elle s’est autoproclamée compétente et a contrôlé les
arrêts et jugements censés porter atteinte aux droits de l’homme (B).
A- Une incompétence de principe
Depuis l’introduction du concept des droits de l’Homme dans la
plupart des Constitutions, il semble difficile désormais de rendre

44 Article 125 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 07
novembre 2019.

237
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

une décision de justice qui ne froisse pas un tant soit peu les droits
et libertés fondamentaux. La Cour constitutionnelle, gardienne de
la Constitution et chargée de la protection des droits fondamentaux
ne sera compétente pour contrôler la conformité à la Constitution
des décisions de justice que si elle est habilitée à le faire. A priori, au
regard de la Loi fondamentale, la Cour est incompétente (1) pour
effectuer un contrôle de constitutionnalité des décisions de justice.
Par ailleurs, cette incompétence de la Cour constitutionnelle a été
temporairement attestée dans sa jurisprudence (2).
1. Une incompétence affirmée dans la Loi fondamentale
Contrairement aux Cours suprêmes, les juridictions constitutionnelles
sont généralement saisies du contrôle spécifique de la
constitutionnalité des décisions de justice par une attribution de
compétence expresse de la Constitution45. Conformément à l’article
3 al. 3 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 qui
énonce que « toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif
contraires à ces dispositions sont non avenus. En conséquence, tout citoyen
a le droit de se pourvoir devant la cour constitutionnelle contre les lois,
textes et actes présumés inconstitutionnels », la Cour constitutionnelle
dispose du pouvoir de contrôler la constitutionnalité des normes et
dans des cas réguliers, la constitutionnalité des actes portant atteinte
aux droits fondamentaux. Dans la même veine, l’article 117 al. 1er
tiret 1. 3 de ladite Constitution dispose que la Cour

45 STEFANINI (M. F-R.) et SEVERINO (C.), Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : une
nouvelle étape après la QPC?, Confluence des droits [en ligne]. Aix-en-Provence : Droits International,
Comparé et européen, 2017, p. 135.

238
Simplice Comlan DATO

« statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois et des actes


réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la
personne humaine et aux libertés publiques et, en général, sur la violation
des droits de la personne humaine ».
Formellement, le regard de la Cour constitutionnelle sur les
cas de violation des droits de l’Homme n’est possible que
lorsqu’il est transporté devant la juridiction, les lois et les actes
réglementaires. Dans l’une de ses décisions, la juridiction
constitutionnelle a rappelé elle-même que les décisions de justice
sont exclues des actes sous contrôle de constitutionnalité46. Déjà,
aux débuts de ses fonctions et conformément à l’article 131 de
la Constitution, la Cour constitutionnelle, a reconnu n’être pas
compétente pour connaître du contrôle de constitutionnalité
des décisions rendues par les juridictions de droit commun (de
l’ordre judiciaire ou administratif) y compris la Cour suprême47.
L’incompétence constitutionnelle de la Cour d’opérer
un contrôle de constitutionnalité des décisions de justice
n’empêche pas celles-ci d’être soumises aux voies de recours
appropriées. En tout cas, pour ce qui concerne les juridictions
judiciaires, tout contrôle s’exerce dans le cadre des voies de
recours, ordinaires et extraordinaires (cassation par exemple)48.

46 « Il résulte de cette disposition que la Cour constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des
lois, textes réglementaires et actes administratifs ; que les décisions de justice ne figurent pas dans
cette énumération ; […] en conséquence, la Cour est incompétente », Décision DCC 00-031 du
05 avril 2000.
47 KADJO (D.), « Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice par les juridictions
constitutionnelles africaines », Rapport du Colloque international sur thème central : La problématique
du contrôle de constitutionnalité des décisions de justice, décembre 2014, p. 7.
48 VERDUSSEN (M.), « Le contrôle des décisions de justice par la Cour constitutionnelle belge », p. 206.

239
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

A travers ces recours, les Cours d’appel de l’ordre judiciaire sont


les juges compétents et, en dernière instance, il revient à la Cour
Suprême et/ou la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA)
de trancher les éventuelles divergences d’interprétation et d’assurer
la bonne application de la loi et de la règle de droit.
2- Une reconnaissance jurisprudentielle de
l’incompétence
La Cour constitutionnelle a, au départ, rejeté sa propre compétence
pour effectuer le contrôle de constitutionnalité des décisions du
juge ordinaire.
En effet, le Haut Conseil de la République, siégeant en qualité
de Cour constitutionnelle49, a été saisi d’une requête d’un
ancien ministre, jugé et condamné en Cour d’assises. Ce
dernier demandait au Haut Conseil de la République qu’il lui
soit appliqué l’article 136 de la Constitution qui dispose que
« La Haute Cour de Justice est compétente pour juger le président
de la République et les membres du Gouvernement à raison de faits
qualifiés de haute trahison, d’infractions commises dans l’exercice
ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, ainsi que pour juger
leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’État.
Les juridictions de droit commun restent compétentes pour les infractions
perpétrées en dehors de l’exercice de leurs fonctions et dont ils sont
pénalement responsables. ». Le requérant estimait qu’en sa qualité

49 Article 159, alinéa 3, de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7
novembre 2019.

240
Simplice Comlan DATO

d’ancien ministre, il ne pouvait pas être jugé par une Cour d’assises,
mais plutôt par la Haute Cour de Justice prévue par l’article 136
susvisé de la Constitution. Le Haut Conseil de la République, juge
constitutionnel provisoire a constaté d’abord que la Cour d’assises
de Cotonou a déjà rendu un arrêt condamnant le requérant à huit
années de travaux forcés ; que cet arrêt est susceptible d’autres voies
de recours judiciaires et « ne constitue pas un acte réglementaire au
sens de l’article 117 de la Constitution, permettant la saisine au fond de
la Cour constitutionnelle ».
Ensuite, le Haut Conseil de la République, juge constitutionnel
provisoire, a dit et jugé qu’elle « n’est pas compétente pour réformer
les décisions de justice »50.
Le juge constitutionnel provisoire a ainsi implicitement indiqué au
requérant que la contestation de cet arrêt rendu par la Cour d’assises
doit se faire à la Cour suprême, et non à la Cour constitutionnelle.
Par ailleurs, le Haut Conseil de la République, juge constitutionnel
provisoire, a été saisi par Maître Agnès CAMPBELL, membre de
la Commission Béninoise des droits de l’Homme pour contrôle de
constitutionnalité de l’arrêt n° 93-06/CJ-P rendu le 22 avril 1993
par la Cour suprême relatif à la levée de son immunité. L’assemblée
plénière de la Cour suprême, en application de l’article 14 de la
loi n° 89-004 du 12 mai 1989 portant création de la Commission
Béninoise des droits de l’Homme a décidé, par l’arrêt querellé, de
lever l’immunité dont bénéficie la requérante.

50 Cour constitutionnelle, Décision n° 13 DC du 28 octobre 1992, Recueil des décisions et avis 1991,
1992 et 1993, pp. 65-67.

241
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

Il convient de rappeler que cet article dispose qu’« aucun membre


de la commission ne peut être arrêté, interné, ni poursuivi pour crime
ou délit pendant qu’il la qualité de membre de la commission et douze
mois après la perte de celle-ci qu’avec l’autorisation préalable de la Cour
suprême siégeant en assemblée plénière ».
Le juge constitutionnel provisoire a constaté que la requête de
Maître Agnès CAMPBELL est dirigée contre l’arrêt de la Cour
suprême pour violation de la Constitution qui garantit les droits
de la personne humaine et la Charte africaine des droits de
l’Homme et des peuples en son article 7. Il a en outre constaté que
la violation des droits de l’Homme dont se plaint la requérante
aurait été réalisée par l’arrêt querellé. Après avoir constaté sa
compétence exclusive pour statuer sur les violations des droits de
la personne humaine que lui confère les articles 117 alinéa 4, 120
et 121 alinéa 2, de la Constitution et évoqué l’article 131 alinéas 3
et 4 de la même Constitution51, le juge constitutionnel provisoire
s’est déclaré incompétent52 pour connaître de ce cas concret.

51 Article 117 alinéa 4 de la Constitution dispose : « La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur
(….) *la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux
de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, sur la violation des droits de la personne humaine
». Article 120 dispose : « La Cour constitutionnelle doit statuer dans le délai de quinze jours après qu’elle a été
saisie d’un texte de loi ou d’une plainte en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques.
Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours. Dans ce cas, la saisine
de la Cour Constitutionnelle suspend le délai de promulgation de la loi ». Article 121 al. 2 dispose : « Elle se
prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte réglementaire censés porter atteinte aux droits
fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Elle statue plus généralement sur les violations
des droits de la personne humaine et sa décision doit intervenir dans un délai de huit jours ». Article 131 al. 3 et 4
disposent : « Les décisions de la Cour Suprême ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent au Pouvoir
Exécutif, au Pouvoir Législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions ».
52 Cour constitutionnelle, Décision DCC 11-94 du 11 mai 1994, Recueil des décisions et avis, 1994, pp.
37-39.

242
Simplice Comlan DATO

La Cour constitutionnelle a été, à nouveau, saisie par la Commission


Béninoise des droits de l’Homme contre l’arrêt n° 93-06/CJ-P du
22 avril 1993 de la Cour suprême. La requérante expose que leur
plainte n’est pas dirigée contre l’arrêt de la Cour suprême, mais que
l’arrêt querellé a été rendu sans que Maître Agnès CAMPBELL n’ait
été informée ni entendue ; que la procédure de levée d’immunité est
une procédure judiciaire et comme telle, obéit au principe de la règle
du contradictoire et du respect des droits de la défense qui n’est rien
d’autre que le respect des droits de la personne humaine ; qu’ainsi, le
droit à la défense de Maître Agnès CAMPBELL a été violé.
La haute juridiction constitutionnelle a d’abord rappelé que la requête
de la Commission Béninoise des droits de l’Homme est dirigée aussi
bien contre la procédure que contre l’arrêt lui-même qui ne peut être
détaché de la procédure. La Cour constitutionnelle a considéré que
la question de levée de l’immunité de Maître Agnès CAMPBELL
relève du domaine de compétence du pouvoir judiciaire de la Cour
suprême ; que la haute juridiction constitutionnelle ne saurait sans
violer l’article 131 de la Constitution, statuer sur la conformité à la
Constitution dudit arrêt. Ainsi, elle a confirmé son incompétence.
Cependant, la Cour constitutionnelle a ajouté que si elle était
compétente, elle aurait jugé que les droits de la défense sont affirmés
et protégés par la Constitution, ces droits impliquant, entre autres,
que toute personne fasse entendre sa cause ; que le respect de cette
obligation par toute autorité administrative et juridictionnelle
s’impose pour toute mesure qui, même si elle ne constitue pas
une sanction, est prise en considération de la personne qui en fait
l’objet ; qu’en l’espèce, Maître Agnès CAMPBELL n’a été entendue

243
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

à aucun moment de la procédure de levée de son immunité,


qu’ainsi, ses droits de la défense ont été violés53. Seuls les articles
3 alinéa 3 et 131 alinéa 3 et 4 expliquent ce comportement de la
haute juridiction constitutionnelle.
En 1997, le raisonnement de la Haute juridiction constitutionnelle
n’a pas changé puisqu’elle se déclare toujours incompétente à
contrôler les décisions de justice au motif que « le contrôle de la
régularité des décisions de justice relève de la compétence en dernier ressort
de la Cour suprême ; que l’arrêt déféré est une décision juridictionnelle de
la Cour d’Appel ; que dans le cas d’espèce, la Cour constitutionnelle ne
saurait en connaître »54. En 1998, la Cour constitutionnelle a encore
réaffirmé son incompétence à connaître d’un arrêt rendu par la Cour
suprême55. Le 27 février 2003, l a C o u r a, cette fois-ci, rappelé les
normes susceptibles de recours individuels devant elle telles qu’elles
apparaissent à l’article 3, alinéa 3, de la Constitution du 11 décembre
1990, à savoir, « les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ».
Pour justifier son incompétence dans l’affaire en cause, elle précise
que « le jugement incriminé » 5 6 en particulier et « les décisions
de justice [en général] ne figurent pas dans cette énumération »57.

53 Cour constitutionnelle, Décision DCC 95-001 du 6 janvier 1995, Recueil des décisions et avis, 1995, pp.
7-10.
54 Cour Constitutionnelle, Décision DCC 97-025 du 14 mai 1997, Recueil des décisions et avis, 1997, pp.
107-109.
55 Cour constitutionnelle, Décision DCC 98-021 du 11 mars 1998, Recueil des décisions et avis,
1995, pp. 101-104.
56 Cour constitutionnelle, Décision DCC 03-023 du 27 février 2003, pp. 105-107.
57 Cf. Cour constitutionnelle, entre autres Décisions DCC 03-055 du 18 mars 2003, DCC 03-79 du 14
mai 2003, DCC 03-089 du 28 mai 2003, DCC 03-123 du 20 août 2003.

244
Simplice Comlan DATO

Stéphane BOLLE affirme que « commandée par une interprétation


littérale de la loi fondamentale, la solution de principe de la Cour
constitutionnelle nuisait au justiciable et à l’autorité de la justice
constitutionnelle »58.
Un petit espoir apparaît toutefois dans la décision DCC 03-166
du 11 novembre 2003. Donnant l’impression de confirmer sa
position sur la question, la Cour constitutionnelle ouvre en réalité
une brèche dans sa propre jurisprudence. Elle affirme que « la
Cour a fixé sa jurisprudence en ce qui concerne les décisions de justice.
(…) à travers plusieurs de se s décisions, elle a jugé que les décisions
de justice n’étaient pas des actes au sens de l’article 3, alinéa 3, de
la Constitution, pour autant qu’elles ne violent pas les droits de
l’homme »59. Autrement dit, le caractère non justiciable des décisions
de justice devant le juge constitutionnel ne tient plus lorsque ces
décisions sont censées violer les droits de l’Homme. Ainsi, les
arrêts et jugements ont été contrôlés et sanctionnés par la Cour
constitutionnelle du fait de sa compétence autoproclamée.
B- Une compétence autoproclamée
Si préalablement, le juge constitutionnel considérait que l’exception
d’inconstitutionnalité doit porter sur une loi et non sur une
décision de justice60, son avis sur le contrôle de constitutionnalité
des décisions de justice va connaître une révolution à travers sa
jurisprudence évolutive où il se ravise sur la question en déclarant

58 BOLLE (S.), « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », http://www.
la-constitution-en-afrique.org/6-categorie-10195442.html, consulté le 22 mai 2020.
59 Cour constitutionnelle, DCC 03-166 du 11 novembre 2003, Recueil des décisions et avis, 2003, pp.
673-676.
60 Cour constitutionnelle, Décision DCC 04-091 du 08 octobre 2004, Recueil 2004, p. 415.

245
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

sa compétence en la matière. Bien que la Constitution installe


et rende souveraine chacune des juridictions suprêmes dans son
domaine de compétence61, la juridiction constitutionnelle est de
plus en plus sollicitée en matière de contrôle de constitutionnalité
des décisions rendues par les juridictions de droit commun qui
ont pour instance supérieure la Cour suprême. Les décisions de
la Cour suprême étant insusceptibles de recours, on en déduit
que la Cour constitutionnelle n’est pas habilitée à connaître des
décisions juridictionnelles, encore moins des arrêts rendus par
la haute juridiction judiciaire62. Finalement, ce n’est qu’en 2006
que l’audacieuse63 Cour constitutionnelle va, comme le dit le
Professeur DJOGBENOU, s’offrir le trophée du contrôle de
constitutionnalité des décisions de justice (1)64. Cette irruption
forcée du juge constitutionnel dans le contrôle de constitutionnalité
des décisions de justice n’est pas sans conséquences (2).
1. La proclamation progressive de la compétence
En 2004, la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de mettre en
œuvre sa suprématie de « la plus Suprême des Cours Suprêmes en
matière de droits de l’Homme ». En effet, la haute juridiction a été
saisie pour violation de la loi et des règles de procédure dans l’affaire RG
66/97 objet de l’arrêt n° 167/98 de la Cour d’appel de Cotonou.

61 Alinéa 1 de l’article 131 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990 : « La Cour suprême est
la plus haute juridiction de l’État en matière administrative, judiciaire et des comptes de l’État. »
62 DEGBOE (D.), « Les vicissitudes de la protection des droits et libertés par la Cour
constitutionnelle du Bénin », op cit, p. 128.
63 LOADA (A.), « L’audace du juge constitutionnel en question », contribution au colloque de Cotonou
des 8, 9 et 10 août 2012 sur « La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : Un modèle pour
l’Afrique ? », en hommage au Professeur Maurice AHANHANZO GLELE.
64 DJOGBENOU (J.), « Le contrôle de constitutionalité des décisions de justice : une fantaisie de plus ? »,
op cit, p. 3.

246
Simplice Comlan DATO

Il s’agissait de la prorogation au 8 janvier 1999 de tous les délibérés


qui devraient être vidés le 04 décembre1998. Le 8 janvier 1999, le
requérant s’est rendu à l’audience, mais son affaire n’a pas été évoquée.
Le 11 janvier 1999, il s’est rendu au greffe de la Cour d’appel pour
s’enquérir de son dossier. Il a été informé ce jour que le délibéré a été
vidé le 11 décembre 1998 en son absence par une composition qui n’a
pas connu du dossier. Le requérant soutient qu’aussi indispensable que
puisse paraître la modification de la composition de la Cour, la nouvelle
composition devait les écouter avant de prononcer son arrêt. Il affirme
que la non maîtrise de la date de délibération peut jouer négativement
sur les délais de pourvoi en cassation.
La Cour constitutionnelle, après instruction du dossier, a relevé que
« les investigations ont révélé que malgré la prorogation de tous les
délibérés au 08 janvier 1999, le délibéré Lazare KAKPO contre
Thomas KOUGBAKIN a été ramené au 11 décembre 1998 à l’insu du
requérant, l’empêchant ainsi d’exercer les voies de recours dans les délais
; qu’un tel changement de date sans en aviser les parties constitue une
fraude au droit de la défense garanti par la Constitution et la Charte
africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; que, dès lors, il échet
de dire et juger que la formation de la Cour d’Appel de Cotonou siégeant
en matière civile traditionnelle qui a rendu l’arrêt n° 167/98 du 11
décembre 1998 a violé la Constitution »65.
Cette décision qui est un pas dans la nouvelle direction ne
suffisait pas néanmoins à afficher nettement la nouvelle position de
la haute juridiction constitutionnelle à l’égard des décisions

65 Cour constitutionnelle, Décision DCC 04-051 du 18 mai 2004, Recueil des décisions et avis, 2004,pp.
221-223.

247
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

de justice pour la double raison qu’elle ne porte pas sur le fond


de l’arrêt rendu par le juge ordinaire ( une Cour d’appel) et que
cette décision ne provient pas de la Cour suprême qui, comme
la Cour constitutionnelle, si l’on s’en tient à une interprétation
littérale de la Constitution, rend des décisions non susceptibles
du moindre recours.
Saisie par ailleurs, contre l’arrêt n° 013/CJ-CT rendu par la Cour
suprême pour violation de l’article 124 de la Constitution, la Cour
constitutionnelle, dans sa décision DCC 06-076 du 27 juillet 2006,
avait dit et jugé que « le coutumier ne peut servir de base légale à une
décision judiciaire ; (…) aucune juridiction ne saurait asseoir sa décision
sur une loi, un texte réglementaire, ou un acte administratif censé porter
atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés
publiques ; (…) il s’ensuit que les décisions … du tribunal de première
Instance de Ouidah et de la cour d’appel de Cotonou qui ont invoqué
une disposition du coutumier qui fait état du statut d’esclave d’une des
parties au procès violent la Constitution » et a décidé que « les décisions
n° 185/2000 du 10 avril 2000 et 75/2001 du 04 décembre 2001 sont
contraires à la Constitution »66. Cette décision avait été notifiée à la
chambre judiciaire de la Cour suprême par lettre du 03 août 2006
alors que l’affaire était en délibéré pour le 04 août 2006. Advenue
cette date, le délibéré a été rabattu, la décision DCC 06-076 du 27
juillet 2006 versée au dossier, et après les conclusions de l’avocat
général, l’affaire a été remise en délibéré pour le 24 novembre 2006,
date à laquelle a été rendu l’arrêt n° 13/CJ-CT dont s’agit.

66 Cour constitutionnelle, Décision DCC 06-076 du 27 juillet 2006, Recueil des décisions et avis, 2006,pp.
221-223.

248
Simplice Comlan DATO

Malgré les termes explicites de l’article 2 du dispositif de la décision


DCC 06-076 susvisée, l’arrêt rendu par la Cour suprême affirme :
« que les demandeurs développent que les règles énoncées par le coutumier
ne sont pas des articles de code ; que le point 203 du coutumier n’était
plus d’application à la date de l’arrêt attaqué ; que le juge aurait pu
recourir à l’application des règles du coutumier demeurées compatibles
avec l’ordre public béninois notamment le point 205 ;
Mais attendu que le motif tiré du point 203 du coutumier, qui du reste, est
un motif surabondant, ne constitue pas le motif déterminant sur lequel la
Cour d’appel a fondé sa décision, s’agissant du droit de propriété ; que
le moyen tend à soumettre à nouveau à la haute juridiction l’examen
au fond du litige ; que la haute juridiction n’est pas un troisième degré
de juridiction et ne juge pas les faits dont les juges du fond ont l’entière
souveraineté ; que le moyen ne peut être accueilli ».
La Cour constitutionnelle réaffirme que « les décisions de justice ne
sont pas des actes susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle
pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens
et les libertés publiques ». Elle poursuit plus clairement qu’« en
matière des droits de l’homme, les décisions de la Cour constitutionnelle
priment celles de toutes les autres juridictions ». En l’espèce, elle avait
constaté que, contrairement à ce que prétend la Cour suprême
dans son arrêt, le « moyen soumis à la chambre judiciaire [de la Cour
suprême] ne tend pas à faire apprécier des faits mais pose un problème
de droit s’analysant comme une atteinte à la dignité humaine garantie
par la Constitution ; qu’en s’abstenant de tirer toutes les conséquences
de la Décision DCC 06-076 du 27 juillet 2006 ayant déclaré contraire
à la Constitution l’arrêt n° 75/2001 du 04 décembre 2001, la chambre

249
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

judiciaire [de la Cour suprême] a, dans l’arrêt n° 13 CJ-CT querellé,


méconnu l’autorité de la chose jugée attachée à la Décision DCC 06-
076 précitée de la Cour constitutionnelle ». Par conséquent, la haute
juridiction constitutionnelle a décidé que « l’arrêt n° 13/CJ-CT du
24 novembre 2006 de la chambre judiciaire de la Cour suprême rendu
dans l’affaire opposant les consorts ATOYO Alphonse aux consorts
Sophie AÏDASSO est contraire à la Constitution »67.
Pour le professeur Joseph DJOGBENOU, « l’admission du contrôle de
constitutionnalité des décisions de justice par la juridiction constitutionnelle
apparaît, aussi bien dans la méthode que dans la finalité, comme un passage
forcé. »68 . Ce qui justifie le constat du contrôle de constitutionnalité
des décisions de justice par les juridictions constitutionnelles à travers
sa jurisprudence. On constate également avec Stéphane BOLLE
que « désormais, tout Béninois en litige devant une juridiction a, non
seulement la faculté de se plaindre devant la Cour constitutionnelle de
tout acte juridictionnel qui méconnaîtrait les droits de l’homme, mais peut
encore escompter la sanction par elle de tout abus caractérisé du pouvoir
judiciaire. Un progrès de taille »69.
La Cour constitutionnelle a été saisie en outre contre l’arrêt n° 95/98
du 16 juin 1998 de la Cour d’appel de Cotonou pour violation des
articles 26 et 34 de la Constitution du 11 décembre 1990, 3 alinéa
1er et 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

67 Cour constitutionnelle, Décision DCC 09-087 du 13 aout 2009, Recueil des décisions et avis, 2009,
pp. 432-446.
68 DJOGBENOU (J.), « Le contrôle de constitutionalité des décisions de justice : une fantaisie de plus ? »,
in Revue Afrilex.u-bordeaux, 2014, p. 10.
69 BOLLE (S.), « Constitution, dis-moi qui est la plus suprême des cours suprêmes », sur http://www.
la-constitution-en-afrique.org/6-categorie-10195442.html, consulté le 27 mai 2020.

250
Simplice Comlan DATO

La demande des requérants tendant en réalité à faire censurer


par la Cour constitutionnelle l’arrêt rendu par la Cour d’appel
de Cotonou, la haute juridiction constitutionnelle rappelle qu’il
découle des dispositions de l’article 3 alinéa 3 de la Constitution
du 11 décembre 1990 que « les décisions de justice, lorsqu’elles
violent les droits de la personne humaine, n’échappent pas au contrôle
de constitutionnalité ». Après avoir également rappelé l’article 158
de la même Constitution, elle considère que « tout texte de loi,
tout règlement, tout principe général de droit, toute règle coutumière
appliqués par les juridictions, les institutions, les citoyens ou évoqués par
les justiciables postérieurement à la Constitution du 11 décembre 1990,
sont inopérants dès lors qu’ils sont contraires à la Constitution du 11
décembre 1990 »70. La Cour constitutionnelle considère également
que dans ses Décisions DCC 96-063 du 26 septembre 1996, DCC
06-076 du 24 juillet 2006 et DCC 09-087 du 13 août 2009, elle a dit
et jugé que « le Coutumier du Dahomey fixé par la circulaire A.P. 128
du 19 mars 1931 ne peut servir de base légale à une décision judiciaire et
aucune juridiction ne saurait asseoir sa décision sur un principe ou règle
censé porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine
». Constatant que l’arrêt querellé « Annule le jugement entrepris
pour : - absence d’indication de la coutume appliquée ; - absence de
représentation et inapplication des coutumes des parties (….) », la
haute juridiction a considéré « qu’en fondant ainsi sa décision sur les
règles coutumières, la Cour d’appel a méconnu la Constitution en ses
articles 26, 34 et de la Charte africaine des droits de l’homme et des

70 Cour constitutionnelle, Décision DCC 13-082 du 09 août 2013, Recueil des décisions et avis, 2013,
volume 1, pp. 571-576.

251
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

peuples en article 3 qui prescrit sans équivoque l’égalité de tous devant


la loi, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion et affirme
que l’homme et la femme sont égaux en droit » et a décidé que
« l’arrêt n° 95/98 du 16 juin 1998 de la Cour d’appel de Cotonou est
contraire à la Constitution »71.
Par contre, saisie contre l’arrêt n° 15/CA/ECML rendu le 28 juin 2015
contre la chambre administrative de la Cour suprême pour violation
du droit à la défense, la Cour constitutionnelle ayant constaté, après
instruction du recours que « le requérant même, qui ne nie pas avoir été
convoqué, n’a pas daigné se présenter à l’audience comme indiqué ; qu’il
en résulte qu’il a été mis en mesure de faire valoir ses moyens de défense
; qu’il ne saurait donc se prévaloir, sinon à tort, de son abstention pour
soutenir la violation de son droit à la défense ; que, dès lors, il y a lieu
pour la Cour de dire et juger que l’arrêt n° 50/CS/CA rendu par la Cour
suprême le 28 juin 2015 ne viole pas la Constitution »72.
2- Les conséquences mitigées de la compétence
Le contrôle de constitutionnalité des décisions du juge ordinaire
n’est pas sans laisser de lourdes conséquences d’un point de vue
procédural et économique. Du point de vue procédural, le Professeur
Joseph DJOGBENOU considère que « l’admission du contrôle de
constitutionnalité des décisions de justice induit la création implicite d’un
nouveau degré de juridiction qui laisse à douter de la pertinence des voies

71 ibid.
72 Cour constitutionnelle, Décision DCC 16-022 du 28 janvier 2016, Recueil des décisions et avis, 2016,
volume 1, pp.185-194.

252
Simplice Comlan DATO

de recours classiques »73. Ceci dit, lorsque le juge constitutionnel


se déclare compétent pour connaître de la constitutionnalité des
décisions de justice, il met en péril les moyens ordinaires de recours
permettant d’interjeter appel en mettant en place implicitement
une voie de recours. C’est pour éviter de faire obstacle à ces voies
de recours judiciaire que le juge constitutionnel provisoire dans sa
décision N°13 DC du 28 octobre 1992 a déclaré son incompétence
pour réformer les décisions de justice aux fins de ne pas faire obstacle
aux voies de recours. Pour le juge constitutionnel de l’époque, toute
décision de justice devrait être contestée grâce aux voies de recours74
ordinaires ou extraordinaires. Le Professeur AIVO quant à lui va
jusqu’à évoquer la possibilité d’existence d’une pluralité d’ordres
juridictionnels, au-delà des ordres habituellement connus, en disant
que « l’ordre juridictionnel devient à géométrie variable, car fonction
de la nature et de l’objet du procès. Lorsque le procès a pour objet la
sauvegarde des droits fondamentaux, l’ordre juridictionnel s’unifie et
la cour constitutionnelle s’érige au sommet de la hiérarchie des juges
compétents en la matière. A contrario, lorsque le procès échappe aux
droits humains et se loge, par exemple, en matière commerciale, en droit
des investissements ou appelle l’interprétation d’un contrat d’exploitation
minière, l’ordre juridictionnel se dédouble et la cour suprême reprend sa
suprématie avec l’autorité absolue attachée à ses arrêts. ».75

73 DJOGBENOU (J.), « « Le contrôle de constitutionalité des décisions de justice : une fantaisie de


plus ? », op cit, p. 20.
74 BADET (G.), Les attributions originales de la Cour constitutionnelle, op cit, pp. 109-110.
75 AÏVO (F. J.), « Contribution à l’étude de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux :
Retour sur vingt ans de jurisprudence constitutionnelle (trop active) au Bénin », in afrilex.u-bor-
deaux4, 2016, p. 28.

253
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

L’existence même de deux ordres juridictionnels pour la même


matière conduit nécessairement à des variations d’application
d’un même principe constitutionnel, parce que le droit législatif
qui fonde la décision du juge ordinaire est différent, parce que
son objet, sa matière et sa compétence le sont76. En effet, le
principe de hiérarchie développé par Serge GUINCHARD77
découle du principe du double degré de juridiction78 qui admet
des voies de recours vers une juridiction supérieure contre une
décision rendue par une juridiction de degré inférieur.
Au final, le problème se posera au niveau de la stabilité de la
chose décidée79 en raison de la force juridique des décisions du
juge constitutionnel créant des normes applicables par les juges
ordinaires sans leurs consentements. Ce faisant, la décision du juge
constitutionnel risquerait dans son application de se heurter à un refus
ou à un report de la Cour suprême dans le respect de ladite décision.

76 DRAGO (G.), Contentieux constitutionnel français, Paris, Presses Universitaires Française, Thémis droit,
3ème édition, 1998, p. 650.
77 GUINCHARD (S.), MONTAGNIER (G.), VARINARD (A.), DEBARD (Th.), Institutions
juridictionnelles, Paris, Dalloz, 11è éd., 2011, n°133 et s.
78 SOLUS (H) et PERROT (R), Droit judiciaire privé, introduction aux notions fondamentales, organisation
judiciaire. Cité par ROETS, P174 ; l’art 14-5 du pacte international relatif aux droits civil et politiques
(PIDCP) de 1966.
79 La règle dite de la «chose décidée» est un principe du droit administratif qui se réfère à la théorie du
retrait et de l’abrogation des actes administratifs. Elle s’applique aux décisions prises par les Caisses de
sécurité sociale. Selon cette règle toute décision d’une caisse modifiant une décision antérieure créant
des droits individuels au profit d’un assuré ne lui est applicable qu’à la date où elle est prise et ce, sans effet
rétroactif. (Chambre sociale 10 février 2004, pourvoi n°01-45328,

254
Simplice Comlan DATO

Cette attitude posera donc le problème de la sécurité juridique au


regard des effets des arrêts sur question préjudicielle80. Un constat
d’inconstitutionnalité suite à une question préjudicielle n’a pas
l’effet erga omnes d’un arrêt d’annulation d’un acte administratif81 .
Cependant, la source de l’insécurité judiciaire proviendrait dans les
remises en cause de la prévisibilité normative ou jurisprudentielle
liée à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi.
Le juge constitutionnel doit donc assurer la stabilité des situations
juridiques individuelles dans le temps et veiller à la clarté et la
prévisibilité des normes82. C’est pour cela que René CHAPUS
va considérer « qu’en absence d’un mécanisme juridique assurant la
prééminence matérielle des décisions de constitutionnalité sur les arrêts
de la Cour suprême, la primauté constitutionnelle se ramène ici à un
« respect dû mais non sanctionné »83.
Le second niveau où se manifeste la conséquence de la compétence du
juge constitutionnel sur les violations des droits fondamentaux par les
décisions judiciaires se situe au niveau du point de vue économique.

80 DELPEREE (F.), RASSON-ROLAND (A.), VERDUSSEN (M.), « Belgique », In: Annuaire


international de justice constitutionnelle, 15- 1999, 2000, Constitution et sécurité juridique – Droit
constitutionnel, droit communautaire et droit européen, p. 124 ; SUETENS (L.P.) et LEYSEN (R.),
« Les questions préjudicielles : cause d›insécurité juridique ? », in La sécurité juridique, Actes du colloque
organisé par la. Conférence libre du Jeune Barreau de Liège, le 14 mai 1993, Liège, éd. du. Jeune
Barreau de Liège, 1993, pp. 35-68 ;
81 La jurisprudence récente a admis, tant pour les décisions réglementaires que pour les décisions
individuelles, qu’à titre exceptionnel, il peut être dérogé à ce principe de la rétroactivité des annulations
pour excès de pouvoir eu égard aux inconvénients excessifs des effets de la rétroactivité sur les situations
juridiques.
82 TOGBE (P. E.), « La justice constitutionnelle béninoise à l’épreuve des revirements de
jurisprudence », in AIVO (F. J.) (dir.), La Constitution du Benin du 11 décembre 1990, un modèle
pour l’Afrique ?, Paris, L’harmattan, 2014, p. 681.
83 CHAPUS (R.), « Actualité bibliographique », Revue Française de Droit Administratif, 1988, p. 713.

255
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

L’aspect économique s’analyse sur la question de l’allongement des


procès conduisant les parties dans une procédure où la décision
du juge et son exécution se fera dans un délai déraisonnable. Bien
qu’il soit de principe que « l’Etat de droit a l’obligation positive
d’organiser la justice de telle sorte que les jugements soient rendus et
exécutés dans des délais raisonnables »84.
II- Le contrôle de légalité des actes administratifs
Il est de coutume que l’administration, dans l’adoption d’un acte
administratif, doit faire respecter la légalité en tenant compte du
principe du respect des droits acquis85. Ainsi, en raison du but
poursuivi86 les actes juridiques de l’administration sont en principe
soumis à un régime exorbitant du droit commun. La soumission de
l’administration au droit répond à la volonté de protéger les individus
contre l’arbitraire auquel ils seraient exposés si l’administration
n’était liée par aucune règle préalable87. En effet, même si l’on
admet qu’un Etat de droit repose sur la conviction que « les règles
sont indispensables pour limiter le pouvoir et protéger les individus
contre l’arbitraire »88, c’est au juge administratif qu’il est confié le
rôle de contrôle de légalité des règles adoptées par l’administration

84 FRIGERO (N.), « Délai raisonnable », in CADIET (L.) (Dir.), Dictionnaire de la Justice, Paris, PUF,
2004, p. 304.
85 Lié à l’exigence de sécurité juridique et à la protection des intérêts des administrés, le terme «droits
acquis» est rencontré en droit positif actuel en matière de principe de non-rétroactivité, de retrait
et d’abrogation des actes administratif, ainsi qu’en matière d’interprétation des lois au sens de non-
rétroactivité ; SALAMI (I. D.), Droit Administratif, Cotonou, CeDAT, 2ème édition, 2021, p. 64.
86 Le but poursuivi dans le cadre de cette recherche est l’intérêt général.
87 WALINE (J.), Droit administratif, Paris, Dalloz, 27ème Edition, 2018, p. 311.
88 LECLERCQ (C.), Libertés publiques, Litec, Paris, 4ème Ed. p. 310.

256
Simplice Comlan DATO

et d’en prononcer des sanctions contre les violations des droits des
administrés89. Cette fonction, a priori, impossible à exercer par le
juge constitutionnel (A) se trouve quelques fois exercée par elle (B).
A. Un contrôle a priori impossible
Il est de principe qu’un juge ne peut pas refuser de statuer sur un
litige relevant de sa compétence90. Dans le cadre de sa compétence,
le juge administratif est régulièrement saisi dans les contentieux
pour excès de pouvoir où il doit déclarer un acte administratif
contraire à la norme supérieure. Ayant pour but d’éviter la
naissance d’un grief lié à l’illégalité d’un acte administratif, l’on
observe la persistance du contrôle a priori qui peut être selon le
Professeur Ismaïla Madior FALL, « source de lenteurs pour la mise
en œuvre des décisions des organes »91 administratifs. Face à cela,
la préférence est accordée au contrôle a posteriori qui intervient
après l’entrée en vigueur de l’acte administratif. Par ce moyen, le
respect de la légalité par l’acte administratif est présumé92 jusqu’à
ce qu’il en soit décidé autrement / tant qu’il n’en est pas décidé
autrement par le juge93. Entrée donc en vigueur sans contrôle de
légalité, le juge s’évertuera lorsqu’il est saisi à un contrôle de légalité.

89 MAKOUGOUM (A.), Ordre public et libertés publiques en droit public camerounais. Contribution à
l’étude de la construction de l’Etat de droit au Cameroun depuis 1990, Thèse Université de Yaoundé
II, 2015, 746p, cité par
90 LEMOYNE DE FORGES (J. M.), « Le contrôle juridictionnel des actes unilatéraux
infraconstitutionnels », Zbornik radova Pravnog fakulteta u Splitu, god. 54, 1/2017., pp. 35.-53, p. 42
91 FALL (I. M.), « Le contrôle de la légalité des actes des collectivités locales au Sénégal », in :
afrilex.u-bordeaux4, n°5, p. 86.
92 BETANCUR (M. C.), « Le contrôle de la légalité des actes administratifs en Colombie ou
L›application Outre-Atlantique du modèle français », In: Revue internationale de droit comparé,
Vol. 51 N°3, Juillet-septembre 1999, pp. 633-648, p. 635.
93 Voir la jurisprudence constante dans ce sens, CE., 85. rec, 20 juin du juge 1960. e.

257
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

Ce type de contrôle relève de la compétence exclusive du juge


administratif (1), ce qui exclut le juge constitutionnel à connaître
de la légalité des actes administratifs (2).
1. L’exclusivité de compétence du juge administratif en
matière de légalité
Toute juridiction administrative peut statuer sur la légalité d’un
acte administratif unilatéral contre lequel l’exception d’illégalité est
invoquée, même si elle n’est pas compétente pour connaître d’un
recours direct en annulation contre cet acte94. Le juge administratif
connaît de multiples recours et partant, de contentieux divers95 ; il
peut statuer sur la légalité d’un acte administratif unilatéral contre
lequel l’exception d’illégalité est invoquée96. Lorsque la liberté
individuelle est mise en cause par des mesures administratives97,
le juge administratif a la compétence de s’affirmer comme un
protecteur des droits fondamentaux en assurant la soumission de
l’administration au principe de légalité98. Dans le contexte d’un
Etat de droit, le Professeur Ibrahim David SALAMI considère que
« le principe de légalité décline la règle fondamentale selon laquelle
l’administration doit agir conformément à la loi lato sensu, au droit

94 SALAMI (I. D.), Droit Administratif, op cit, p. 65.


95 LELLIG (W.), L’office du juge administratif de la légalité, Thèse de Doctorat en Droit, Université de
Montpellier, 2015, p. 24.
96 SALAMI (I. D.), Droit Administratif, op cit, p. 65.
97 ARMAND (G.), « Juge administratif et autorité judiciaire : quelles fonctions dans la sauvegarde de la
liberté individuelle après la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives »,
Revues C.R.D.F., n°1, 2002, p. 12.
98 SAUVE (J-M.), « Le juge administratif et les droits fondamentaux », Introduction à l’occasion de la
première édition des entretiens du contentieux, Conseil d’Etat, https://www.conseil-etat.fr/actualites/
discours-et-interventions/le-juge-administratif-et-les-droits-fondamentaux-premiers-entretiens-du-
contentieux.

258
Simplice Comlan DATO

en général. ».99 L’article 131 nouveau de la Constitution du 11


décembre 1990 révisée dispose que « la Cour suprême est la haute
juridiction de l’Etat en matière administrative et judiciaire ». Au regard
de cette disposition, la Chambre administrative de la Cour suprême
est celle qui connaît de l’ensemble des contentieux de l’Etat et des
collectivités territoriales. A cet effet, elle contrôle la validité des actes
administratifs par la procédure du recours pour excès de pouvoir. Le
recours pour excès de pouvoir constitue « un recours contentieux par
lequel toute personne intéressée peut demander au juge administratif
d’annuler, en raison de son irrégularité, une décision d’une autorité
administrative »100. Pour le Professeur Gaston JEZE, le recours pour
excès de pouvoir est « la plus merveilleuse création des juristes, l’arme
la plus efficace, la plus économique, la plus pratique qui existe au monde
pour défendre les libertés »101. Dans l’Affaire Dame LAMOTTE, le
Conseil d’Etat inaugure la voie à une haute protection du droit au
recours juridictionnel102 en estimant que le recours pour excès de
pouvoir « est un recours qui est ouvert même sans texte contre tout
acte administratif, et qui a pour effet d’assurer, conformément aux
principes généraux du droit, le respect de la légalité »103.

99 SALAMI (I. D.), Droit Administratif, op cit., p. 60 ; TABET (M.), « Le juge administratif et la légalité »,
La Revue administrative, 52e Année, No.5, Numéro spécial 5: Les juridictions administratives dans le monde
France - Liban (1999) , pp.67-88, p. 67.
100 DUPUIS (G.), GUEDON (M.-J.), CHRETIEN (P.), Droit administratif, 8e éd., Paris, Armand Colin,
2002, p. 572.
101 JEZE (G.), cité par FLAMME (A.- M.), Droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 613. ; JEZE
(G.), « Les libertés individuelles », Annuaire de l’Institut international de droit public, 1929, pp. 162-
189, spéc. p. 180.
102 ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.), « La protection des libertés, fondement de la compétence
du juge administratif ? », Revue générale du droit, Chronique de droit des libertés, 2019, p. 12.
103 CE., Ass., 17 février 1950, Ministre de l’Agriculture c. Dame Lamotte, Rec. 110, Revue de Droit Public publ.
1951, p. 478.

259
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

Ce recours, qui ne peut être fondé que sur des moyens de légalité,
ne peut aboutir qu’à une annulation ; le juge qui en est saisi ne peut
par exemple réformer l’acte, condamner l’administration à une
prestation ou lui adresser une injonction104.
A travers ce type de recours, force est de constater que le juge
administratif s’est affirmé au côté du juge judiciaire et bien
évidemment du juge constitutionnel en fervent défenseur des droits
de l’Homme. En matière de protection des droits fondamentaux, le
juge administratif a, selon le doyen RIVERO, situé l’essentiel de son
action au niveau des normes105. En effet, en tant que juge spécifique
de l’Administration et dans l’exercice de son office de juge du
contrôle de légalité des actes et des actions de l’Administration,
le juge administratif applique les sources du droit administratif.
Dans leur diversité, ces sources intègrent les libertés des individus
qu’il appartient au juge administratif de faire respecter par
l’Administration106. C’est pour cela qu’en France par exemple, le
juge administratif intervient traditionnellement pour protéger
les libertés individuelles en période normale et les atteintes plus
importantes en période de guerre ou de crise107. Du droit à la vie
au droit au travail en passant par le respect de la vie familiale ou la

104 AUBY (J-M.), FROMONT (M.), « Les recours juridictionnels contre les actes administratifs
spécialement économiques dans le droit de Etats membres de la CEE », Commission des Communautés
Européennes, Rapport final, 1971, pp. 7-8.
105 RIVERO (J.), « Dualité de juridictions et protection des libertés », Revue Française de Droit Administratif,
1990 p.736.
106 ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.), « La protection des libertés, fondement de la compétence
du juge administratif ? », Revue générale du droit, Chronique de droit des libertés, 2019, p. 7.
107 MASSOT (J.), « Le juge administratif protecteur de la liberté individuelle », Zbornik radova
Pravnog fakulteta u Splitu, god. 54, 1/2017., pp. 1-11, p. 3.

260
Simplice Comlan DATO

liberté d’entreprendre, nombreuses ont été les décisions récentes


qui ont dû définir les lignes d’un équilibre entre les droits garantis
par les normes les plus élevées et les intérêts publics légitimement
poursuivis par l’Administration108. Dans une des situations relatives
à la vie familiale, le juge administratif était intervenu dans un cas
qui concernait certains agents publics dont le mariage était soumis
à une autorisation.
2. L’exclusion de compétence du juge constitutionnel en
matière de légalité
A côté des litiges constitutionnels proprement dits, les juridictions
constitutionnelles peuvent connaître d’un recours constitutionnel
fondé sur une atteinte à un des droits garantis par la Constitution109.
Déjà, l’on sait que tous les actes administratifs sont susceptibles
d’être soumis au contrôle de constitutionnalité ; mais on tend
à considérer que beaucoup d’entre eux ne peuvent l’être en fait,
parce qu’ils sont couverts par la loi sur laquelle ils se fondent, en
vertu de la théorie de la loi-écran110.
Après avoir effectivement contribué à abolir la puissance souveraine
et infaillible de la loi, le juge constitutionnel empêche désormais
quotidiennement que le pouvoir réglementaire, en raison de
l’inefficacité de la justice administrative, « devienne à son tour

108 Voir « Le juge administratif et les droits fondamentaux », Présentation du Colloque.


109 AUBY (J-M.), FROMONT (M.), « Les recours juridictionnels contre les actes administratifs
spécialement économiques dans le droit de Etats membres de la CEE », Commission des
Communautés Européennes, Rapport final, 1971, p. 10.
110 FAVOREU (L.), RENOUX (T. S.), Le contentieux constitutionnel des actes administratifs, Paris,
Editions Sirey, 1992, p. 15.

261
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

le vecteur d’un nouvel absolutisme de l’Exécutif au Bénin111.


L’incursion du juge dans le contrôle du pouvoir réglementaire ne
peut se faire que grâce à un contrôle de constitutionnalité et non par
un contrôle de légalité. Charles EISENMANN soutient que « tout
comme le principe de légalité signifie en dernière analyse que seule la loi
peut déroger à la loi, le « principe de constitutionnalité » signifie que
seule une loi constitutionnelle peut déroger à une loi constitutionnelle ».
Partant de ce postulat, il est normal d’affirmer que la Cour
constitutionnelle du Bénin fait preuve de frilosité en ne cessant de
rappeler, sans convaincre, qu’elle est « juge de la constitutionnalité et
non de la légalité des actes réglementaires »112.
S’habillant de son manteau de juge de constitutionnalité et non de
légalité, le juge constitutionnel s’exclut lui-même du domaine du
contrôle de légalité des actes administratifs. C’est ainsi que la Cour,
saisie d’une affaire par M. SOUZA Serge pour faire reconnaître son
droit de propriété sur une parcelle de terrain illégalement occupé par
M. GUEDEGUE , elle répondit, au regard des pièces administratives
mises à sa disposition, « qu’il résulte de l’analyse des différents éléments
du dossier que le requérant ne fait état d’aucune expropriation pour
cause d’utilité publique, mais plutôt qu’un conflit domanial entre privés
; qu’un tel litige relève du domaine de la légalité ; qu’il échet donc de dire
et juger que la Cour constitutionnelle, juge de la constitutionnalité et non
de la légalité est incompétente pour en connaître »113.

111 MOUDOUDOU (P.), « Réflexions sur le contrôle des actes règlementaires par le juge constitutionnel
africain : cas du Bénin et du Gabon », Annales de l’Université Marien NGOUABI, 2011-2012 ; 12-13 (3),
pp. 65-91, p. 70.
112 Ibid, p. 70.
113 Décision DCC 03-008 du février 2003, Rec. précité, p. 41. Voir également, Décision DCC 96- 049 du 12
août 1996, à propos de la légalité d’un arrêté.

262
Simplice Comlan DATO

Ceci dit, dans cette affaire, le juge constitutionnel en répondant


ainsi fait constater son incompétence à connaître des attributions
octroyées au juge de la légalité. La Cour constitutionnelle a
maintenu cette position dans l’affaire AYATO Ahoudjèzo où il a
été demandé à demandait à la Cour de contrôler la conformité à la
loi de l’Arrêté n°118/MISAT/DC/DAI/SAAP-PP du 03/12/1999
portant enregistrement du Parti du Renouveau Démocratique.
A cette requête, la Cour a jugé que « la requête tend en réalité à
faire contrôler par la Cour constitutionnelle la conformité à la loi de
l’enregistrement du parti dénommé Parti du Renouveau Démocratique
Arc-en-ciel ; qu’il s’agit d’une question qui relève du contrôle de légalité
dont la Cour constitutionnelle, juge de la constitutionnalité, ne saurait
connaître »114. Par conséquent la Cour s’est déclarée incompétente.
Mais la timidité du juge constitutionnel à intervenir dans le contrôle
de la légalité n’ira pas loin car comme le constate M. MOUDOUDOU,
la Cour constitutionnelle se fonde sur des règles constitutionnelles
pour connaître de la légalité mais en s’appuyant sur le contrôle de
constitutionnalité115. Ce fut le cas dans l’affaire ADAGBE ou le
requérant se plaignait de la situation discriminatoire qui lui a été
faite lors de la réintégration de sa promotion dans l’armée béninoise.
Le requérant alléguait s’être retrouvé dans un cas de violation des
droits de l’Homme : une discrimination par rapport à ses collègues
de promotion de l’armée. Dans l’espèce, le juge considéra qu’au

114 Décision DCC 03-019 du 19 février 2003, Rec. précité, p.89 ; voir également Décision DCC 03-
016 du même jour, RADJI-ALI O. Habib, Rec. Précité, p.77.
115 MOUDOUDOU (P.), « Réflexions sur le contrôle des actes règlementaires par le juge constitutionnel
africain : cas du Benin et du Gabon », op cit, p. 73.

263
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

regard des dires et des éléments de preuves notamment la liste des


éléments de la classe 95/1 par département, par ordre de mérite et par
bataillon ; qu’il ressort des éléments du dossier que le requérant n’est
pas victime d’une mesure discriminatoire comme il prétend ; qu’en
conséquence, il n’y a pas violation de l’article 26 de la constitution 116.
Dans d’autres cas, la Cour s’érige en juge de plein contentieux pour
ordonner la réparation des préjudices causés par l’Administration117.
On peut donc considérer qu’en matière de responsabilité
administrative, le constitutionnel tient désormais l’administratif en
l’état. De façon plus significative, ce n’est qu’après la consécration par
le juge constitutionnel du principe de la réparation d’un préjudice
causé par l’Administration que le juge administratif saisi par la
victime pourra, le cas échéant, lui allouer des dommages et intérêts118.
B. Un contrôle rendu possible
Tout comme le juge constitutionnel gabonais, le juge constitutionnel
béninois a commencé par laisser apparaître ce sentiment de vouloir
contrôler tous les actes réglementaires, y compris ceux n’ayant
aucun caractère de droits fondamentaux constitutionnels119. On
observe donc un excès de pouvoir de la part du juge constitutionnel
béninois, mais qui passe par la démonstration de la permissivité
qu’offrent les instruments aux mains de ce juge lorsqu’il doit statuer120.
116 Décision DCC 03-014 du 19 février 2003, Rec. précité, p.67.
117 DCC 02-058 du 4 juin 2002.
118 KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « Le juge constitutionnel, juge administratif au Bénin et au
Gabon ? », Revue française de droit constitutionnel, 2008/3 (n° 75), p. 551-583, p. 562.
119 ONDOUA (J.Z.), « La répartition du contentieux des actes juridiques entre les juges
constitutionnel et administratif au Gabon », Afrique Juridique et Politique, La Revue du CRDIP,
Vol.3, n°1 et 2, Janvier-Décembre 2008, p.93.
120 GNAMOU (D.), « La Cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? », in AIVO (F. J.) (dir.), La
Constitution du Benin du 11 décembre 1990, un modèle pour l’Afrique ?, Paris, L’harmattan, 2014, p. 694.

264
Simplice Comlan DATO

Ces excès de pouvoir ont permis une extension jurisprudentielle des


attributions de la Cour constitutionnelle lui permettant de s’illustrer
dans des contrôles dès lors que les droits fondamentaux sont en
péril. Une reprécision des compétences du juge constitutionnel (2)
s’impose dans la mesure où on observe de plus en plus un contrôle
implicite de la légalité (1) de la part de ce juge.
1- La possibilité de contrôle implicitement admis
« Il arrive fréquemment que les citoyens adressent leurs recours aussi
bien à la Cour constitutionnelle qu’à la Cour suprême espérant mettre
ainsi toutes les chances de gagner de leur côté. Parfois, quand ils
n’ont pas eu gain de cause au niveau de la Cour suprême, la Cour
constitutionnelle devient le dernier rempart »121.
En effet, face à l’ouverture anarchique des écoles privées de formation
des agents de santé et sous la pression du bureau provisoire de
l’ordre des médecins, des syndicats et associations des personnels
de santé, le ministère de l’Education nationale et de la recherche
scientifique et le ministère de la santé publique ont pris certaines
mesures à l’encontre de ces écoles privées de formation des agents
de santé. Il s’agit du redoublement des élèves en troisième année de
formation, du reversement de ces élèves dans les instituts de l’Etat,
de la fermeture immédiate des écoles non encore autorisées et la
fermeture programmée des écoles INFOGES (Institut de formation
en organisation et gestion sociale) et LOLOYA déjà enregistrés.

121 OUINSOU (C. D.), « Communication de la Cour constitutionnelle du Bénin » au Colloque sur «
Les contrariétés de décisions entre les hautes juridictions constitutionnelle, administrative et judiciaire »,
Bamako, 15-17 juillet 2004, in Les Actes du colloque, cahiers de l’association africaine des hautes juridictions
francophones, Cotonou, 2004, p. 125.

265
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

Les responsables des écoles INFOGES et LOYOLA avaient


saisi la chambre administrative de la Cour suprême contre les
décisions des deux ministères pour excès de pouvoir122. La chambre
administrative de la Cour suprême a considéré que « les décisions
implicites et explicites relatives aux écoles INFOGES et LOYOLA
sont annulées avec toutes les conséquences de droit »123.
Les responsables des mêmes écoles avaient é ga l e m e n t saisi
la Cour constitutionnelle contre les mêmes décisions des deux
ministères, pour violation des articles 3, 8, 14, 34 et 98 de la
Constitution. Ils soutiennent que les mesures prises à l’encontre
des écoles privées de formation des agents de santé « obéissent
aux pressions des syndicats qui font la loi en lieu et place des autorités
légales », et que « l’incapacité d’accueil de l’INMES et l’ENIIAB ne
permet pas le recrutement d’un nombre suffisant de jeunes béninois et
béninoises qui désirent s’employer dans le domaine de la santé ». Ils
développent que les autorités « veulent restreindre le domaine de la
formation et de l’éducation, établi par l’article 14 de la Constitution,
et le réduire à un monopole d’Etat en ce qui concerne la santé ». Ils
affirment que l’Administration des deux ministères est en complicité
avec les syndicats violant ainsi l’article 34 de la Constitution et qu’en
décidant de fermer leurs écoles et reverser leurs élèves à l’INMES
de Cotonou et à l’INIIAB de Parakou, les ministères incriminés
« opèrent une prise en charge, comme sous le régime dictatorial, une
nationalisation en violation de l’article 98 de la Constitution ».

122 La chambre administrative de la Cour suprême d’alors statuait en premier et dernier ressort en matière de
recours pour excès de pouvoir.
123 Cour suprême, arrêts n° 68/CA du 07 octobre 1999 et 55/CA du 20 septembre 2000.

266
Simplice Comlan DATO

La Cour constitutionnelle, a procédé à l’analyse du recours


en examinant les éléments du dossier au regard des textes
de la Constitution dont la violation est alléguée. Ainsi,
rappelant l’article 3 alinéa 1 er de la Constitution qui dispose
que « la souveraineté appartient au peuple. Aucune fraction
du peuple (…) aucune corporation (…) aucune organisation
syndicale (…) ne peut s’en attribuer l’exercice », elle considère
que « les pressions évoquées par les requérants dans la prise des
mesures administratives susmentionnées ne peuvent être assimilées
à une forme d’exercice de la souveraineté nationale par les
syndicats, l’ordre des médecins et les associations des personnels
de santé au sens de l’article 3 précité ; qu’en conséquence, le
moyen tiré de la violation de l’article 3 alinéa 1 er est inopérant » ;
puis, statuant sur la prétendue violation de l’article 8 de la
Constitution qui énonce que l’Etat assure à ses « citoyens l’égal
accès à la santé … à la formation professionnelle et à l’emploi », la
Cour constitutionnelle relève que « l’incapacité de l’Institut
national médico-social (INMES) et de l’Ecole nationale des
infirmiers et infirmières adjoints du Bénin (ENIIAB) d’accueillir
et de recruter un ‘’ nombre suffisant de jeunes béninois et
béninoises qui désirent s’employer dans le domaine de la santé’’,
et le fait que ‘’seuls quelques privilégiés diplômés de l’INMES et de
l’ENIIAB prennent part au concours de recrutement à la fonction
publique’’, ne sauraient être interprétés comme une atteinte à ce
principe constitutionnel » et a décidé qu’il n’y a pas violation
de l’article 8 de la Constitution.
En outre, poursuivant l’examen des griefs articulés par les
requérants, la Cour constitutionnelle rappelant l’article 14

267
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

de la Constitution aux termes desquels « Les écoles privées, laïques


ou confessionnelles, peuvent être ouvertes avec l’autorisation et le
contrôle de l’Etat », précise qu’« il découle de cette disposition, qu’à
tout moment et selon les circonstances, l’Etat peut décider de l’ouverture
ou de la fermeture d’un établissement à condition de respecter les lois et
règlements de la République ; », a dit « qu’en espèce, les éléments
du dossier révèlent que la fermeture des écoles en cause a été
faite en vertu de ce pouvoir constitutionnel ; que ladite fermeture
concerne tous les établissements de la même catégorie ; que dans
le reversement des effectifs dans les structures de l’Etat, il n’est
apparu aucune discrimination, » et a jugé « que dès lors, le moyen
tiré de la violation de l’article 14 ne peut pas prospérer ».
Analysant les éléments du dossier au regard de l’article 34 de la
Constitution124, la haute juridiction a considéré qu’il en ressort
que « les autorités concernées ont agi dans le respect des lois et
règlements de la République. »
En ce qui concerne la violation prétendue de l’article 98 de la
Constitution, la Cour , après avoir défini la nationalisation comme
étant « l’action de transférer à la collectivité, la propriété de certains
biens ou moyens de production appartenant à des entreprises privées »,
et précisé que cette action de transfert doit respecter les conditions
de « nécessité publique et d’indemnisation juste et préalable » ; a
indiqué que la fermeture des écoles privées de formation des agents
de santé et le reversement des effectifs dans des structures d’Etat
ne sauraient s’analyser comme une nationalisation et a décidé
124 L’article 34 de la Constitution dispose : « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter,
en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la
République ».

268
Simplice Comlan DATO

enfin que « les mesures administratives prises par le ministère de


l’éducation nationale et de la recherche scientifique et le ministère
de la santé publique, relatives aux écoles privées d’agents de santé,
ne violent pas la Constitution »125.
La décision de la Cour constitutionnelle est approuvée du fait qu’elle
a apprécié la conformité à la Constitution de la mise en œuvre des
pouvoirs constitutionnels de contrôle des écoles par l’Administration.
Cependant, le fait de considérer que les deux ministères ont agi dans
« le respect des lois et règlements de la République » pour justifier la
conformité à la Constitution de leurs décisions est pour le moins
discutable. On pourrait se demander finalement quel est le juge le
mieux placé pour s’assurer du respect par les autorités concernées
des lois et règlements de la République entre la plus haute juridiction
administrative, juge de la légalité, et la juridiction constitutionnelle, juge
de la constitutionnalité, sachant que les décisions de chacune d’elles
sont sans recours. Pour éviter qu’il y ait des décisions contradictoires,
il faudrait repréciser les compétences du juge constitutionnel.
2. La nécessaire reprécision des compétences du juge
constitutionnel
Les matières qui forment le domaine de la loi sont limitativement
énumérées par l’article 98 de la Constitution du 11 décembre
1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7 novembre 2019. Cette liste
distingue deux niveaux différents d’intervention du législateur
puisque la loi est habilitée à fixer les règles et à déterminer les
principes fondamentaux. Le Parlement dispose d’après les termes

125 Cour constitutionnelle, Décision DCC 01-106 du 19 décembre 2001, Recueil des décisions et avis, 2001,
pp. 429-433.

269
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

de cet article 98, d’une plus grande marge d’intervention pour les
premières que pour les secondes. De la première catégorie, relèvent
les droits civiques et les libertés publiques, l’état et la capacité
des personnes, les crimes et les délits, le régime fiscal…. Pour
la deuxième catégorie, la loi se contente en principe de fixer les
grandes lignes (de l’organisation de la défense nationale, de la libre
administration des collectivités territoriales, de l’enseignement et
de la recherche scientifique, du régime de la propriété, des droits
réels et des obligations civils et commerciales …). Des décrets
d’application doivent compléter la loi dans ces matières.
Le pouvoir législatif étant cantonné dans les limites prévues par
la Constitution, les autres règles de droit doivent être édictées par
le Pouvoir Exécutif. L’article 100 qui forme un tout avec l’article
98 dispose en effet dans son alinéa 1er : « Les matières autres que
celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».
Le domaine du règlement n’est pas limité et est constitué de tout ce qui
n’est pas attribué à la loi. Ainsi, le règlement, œuvre du Pouvoir Exécutif,
intervient en dehors du domaine de la loi, et sans qu’une loi soit nécessaire.
Ce type de règlement appelé règlement autonome est distinct du règlement
d’application destiné à assurer l’exécution d’une loi. Il s’appuie sur une loi
et ne peut l’enfreindre. Le règlement autonome est, quant à lui, directement
subordonné à la Constitution, mais non à la loi126.La protection du
domaine réglementaire contre d’éventuels empiétements du
Parlement est organisée de manière efficace et rapide et passe par les

126 Cf. MATHIEU (B.) et VERPEAU (M.), Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ,
2002, pp. 349-351. Cf. également CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 881 ; GUINCHARD
(S.), DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 887.

270
Simplice Comlan DATO

interventions de la Cour constitutionnelle. Dans l’hypothèse où un


règlement est pris dans le domaine de la loi, seule la Cour suprême
est, en principe, compétente pour l’annuler, rétroactivement,
après un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ce
règlement et exercé par toute personne qui a un intérêt à agir.
Cependant il faut distinguer le contrôle de constitutionnalité des
actes réglementaires, prévu par l’article 3 alinéa 3 de la Constitution,
du contrôle de la légalité relevant du juge administratif. En effet,
l’article 3 alinéa 3 de la Constitution dispose : « Toute loi, tout texte
réglementaire et tout acte administratif contraire à ces dispositions sont
nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir
devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés
inconstitutionnels ». Mieux, la Constitution fait obligation à la Cour
constitutionnelle de statuer sur « la constitutionnalité des lois et des
actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la
personne humaine et aux libertés publiques et en général, sur la violation
des droits de la personne humaine ». Ainsi, la Cour constitutionnelle,
autant que la Cour suprême, peut contrôler les règlements autonomes
ou d’application. « Un acte administratif peut être illégal comme il peut
être inconstitutionnel. Tout l’art du travail de juge constitutionnel consiste
alors, en pareil cas, à ne pas se mettre à faire le travail de juge de la légalité
à sa place et à ne faire que son travail de contrôle de constitutionnalité »127.
L’article 117 alinéa 3 de la Constitution béninoise dispose
que la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur « la
constitutionnalité (…) des actes réglementaires censés porter atteinte

127 BADET (G.), Thèse citée, p. 115.

271
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés


publiques en général, sur la violation des droits de la personne humaine
». Disposant d’un pouvoir de contrôle des actes réglementaires, les
activités en matière de contrôle du respect des droits fondamentaux
par l’Administration ont été tout aussi importantes128.
La Cour constitutionnelle, saisie de la fermeture des écoles privées
de formation des agents de santé par les requérants arguant que les
autorités n’ont pas respecté les lois et règlements de la République,
aurait mieux fait en se déclarant incompétente. Elle aurait pu statuer
uniquement sur le droit qu’a l’Etat, en vertu des dispositions de
l’article 14 de la Constitution, de contrôler le fonctionnement et de
procéder à la fermeture des écoles privées, comme le mentionne le
septième considérant de sa décision DCC 01-106 du 19 décembre
2001 sous étude. Elle aurait pu renvoyer les requérants au juge de
la légalité, comme elle le fait dans de nombreuses autres affaires
en se déclarant incompétente129. Voulant répondre aux arguments
des requérants selon lesquels les autorités auraient aussi méconnu
les lois et règlements de la République, c’est-à-dire, l’article 34 de
la Constitution, la Cour a été obligée de dire et juger qu’il n’y a pas
violation dudit article parce que les autorités concernées auraient

128 AIVO (F.J.), Le juge constitutionnel et l’Etat de droit en Afrique. L’exemple du modèle béninois, Paris,
L’Harmattan, 2006 ; MOUDOUDOU (P.), « Réflexions sur le contrôle des actes règlementaires par
le juge constitutionnel africain : cas du Bénin et du Gabon », Annales de l’Université Marien NGOUABI,
2011-2012 ; 12-13 (3), pp. 65-91, p. 66.
129 Cf. entre autres Cour constitutionnelle, Décision DCC 97-008 du 02 avril 1997, Recueil des décisions
et avis, 1997, pp. 35-39. - Décision DCC 06-026 du 14 février 2006, Recueil des décisions et avis, 2006,
pp. 117-123. - Décision DCC 06-107 du 11 aout 2006, Recueil des décisions et avis, 2006, pp. 563-566. -
Décision DCC 09-003 du 15 janvier 2009, Recueil des décisions et avis, 2009, vol. 1, pp. 65-70. - Décision
DCC 13-009 du 22 janvier 2013, Recueil des décisions et avis, 2013, vol. 1, pp. 109-112.

272
Simplice Comlan DATO

agi dans le respect des « lois et règlements de la République ». Une


meilleure attitude aurait consisté pour le juge constitutionnel à
analyser les agissements des autorités au prisme des pouvoirs de
contrôler des conditions de fonctionnement des écoles privées et
de procéder à leur fermeture, puisant ainsi ses éléments d’analyse
dans l’article 14 de la Constitution, puis dire et juger que les
autorités concernées ont agi dans le respect de l’article 34 de la
Constitution sans faire ressortir l’aspect concernant le respect des
« lois et règlements de la République ». En faisant ressortir l’aspect
« lois et règlements », la Cour constitutionnelle tend à être juge
du contrôle de la légalité et non de la Constitutionnalité.
L’enjeu ici porte d’abord sur la compétence de la juridiction. Le
juge constitutionnel, pour rester dans le cadre de la question de
constitutionnalité que peut soulever un recours, est tenu de s’armer
d’une méthodologie impliquant la recherche d’éléments d’analyse
des faits provenant des pièces soutenant le recours. Il lui est également
nécessaire d’opter pour une technique de rédaction de sa réponse, de
sa décision ou de son arrêt concernant le recours en question.
Il est donc question d’une technique de rédaction et de recherche
d’éléments d’analyse issus des faits et pièces soutenant le recours.
En effet, sans une telle double démarche, il est à craindre que le
juge constitutionnel, alors qu’il n’en a ni les moyens ni les techniques,
conclue, un peu rapidement, que telle ou telle autorité a respecté,
ou n’a pas respecté les lois et règlements. Sans une méthodologie
éprouvée, il est difficile au juge constitutionnel de montrer
au justiciable de manière indiscutable dans quelle partie de
sa décision il a effectué le contrôle de constitutionalité o u du

273
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

respect des lois et règlements de la République avant d’affirmer


que les textes ont été respectés. En l’occurrence, la Cour dit « qu’il
ressort des éléments du dossier que les autorités concernées ont agi
dans le respect des lois et règlements de la République » sans montrer
comment ces autorités ont respecté les lois et règlements qu’elle
devrait aussi citer pour les rappeler.
Ce qui apparaît clairement dans la décision de la Cour, c’est que les autorités
administratives en question, ont le droit, conformément à l’article 14 de la
Constitution, de contrôler les conditions de fonctionnement des écoles
privées et de procéder à leur fermeture. Ce faisant, la Cour a parfaitement
raison puisqu’elle effectue un contrôle de constitutionnalité et se réfère à
une disposition constitutionnelle de référence. Toutefois, elle n’a pas cité
les lois et règlements qui encadrent le secteur, ni les conditions de fond
ou de forme dont le respect est imposé aux autorités administratives
pour la fermeture des écoles privées de formation des agents de santé,
avant de conclure que celles-ci « ont agi dans le respect des lois et règlements
de la République ». Il faut faire remarquer que si elle le faisait, elle aurait
révélé expressément une analyse fondée sur un contrôle de légalité, or, le
juge administratif suprême, s’adonnant à l’exercice qui est sa spécialité,
à savoir, le contrôle du respect, par l’autorité administrative, des lois et
règlements de la République, a décidé de l’annulation des actes pris par
ces autorités, pour « illégalité ».
En conséquence, la haute juridiction constitutionnelle ne
doit condamner que les seuls reproches d’inconstitutionnalité
évoqués par les requérants ou constatés par elle, mais en
aucun cas, elle ne doit examiner, elle-même, le respect par
telle ou telle autorité administrative, des lois et règlements de

274
Simplice Comlan DATO

la République. Ainsi, tout requérant qui se plaint de la violation


des « lois et règlements de la République » doit apporter la preuve,
établie par un juge de la légalité. La Cour constitutionnelle pourrait
examiner par elle-même le respect, par les autorités administratives,
des lois et règlements de la République, au cas où les droits
fondamentaux consacrés par la Constitution sont censés avoir été
violés. Elle pourrait également le faire en cas de violation supposé
d’une disposition constitutionnelle ou en cas de violation du
bloc de constitutionnalité dont la loi ou le règlement ne constitue
qu’une mise en œuvre130, ou dans une situation mélangeant les deux
hypothèses131. Dans ces trois cas, il s’agit bel et bien de contrôle de
constitutionnalité et non de contrôle de légalité.
Répondant au requérant, dans la décision DCC 03-90 du 28 mai
2003, la Cour constitutionnelle a annulé le décret n° 94-9 du 25
janvier 1994 portant destitution de grade d’un officier des Forces
Armées Aériennes Béninoises, suite au recours du requérant qui
soutient que le décret n° 94-9 du 25 janvier 1994 portant destitution
de grade d’un officier des Forces Armées Aériennes Béninoises
viole à la fois les articles 26132 de la Constitution et 3 de la Charte
Africaine des droits de l’Homme et des Peuples133, la Cour déclara
qu’« il est établi que, s’agissant des mêmes fautes, absence illégale du

130 Cf. Cour constitutionnelle, Décision DCC 06-065 du 20 juin 2006, Recueil des décisions et avis, 2006,
pp. 319-322.
131 Cour constitutionnelle, Décision DCC 98-030 du 27 mars 1998, Recueil des décisions et avis, 1998, pp.
145-149.
132 « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion
politique ou de position sociale » (art.26).
133 « Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi » (article 3 de la Charte).

275
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

corps et résidence à l’étranger sans autorisation, imputées à une même


catégorie de personnels militaires régis par la même loi, il a été fait au
requérant un traitement différent ; qu’il y a lieu de dire et juger que
le décret n° 94-9 du 25 janvier 1994 portant radiation du lieutenant
Olivier Mahoudo FASSINOU est contraire à la constitution et à la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples »134.

CONCLUSION
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle n’a de cesse d’étonner
de par des décisions qui, au fil de l’évolution, montrent des signes de
hardiesse et d’audace. Le contrôle constitutionnel des décisions du
juge ordinaire et le contrôle de légalité des actes administratifs par
le juge constitutionnel s’analysent comme une incursion de celui-
ci dans le domaine du juge ordinaire. Cela prend la forme d’une
hégémonie du juge constitutionnel sur le pouvoir judiciaire. Or,
c’est pour prévenir cette éventualité que la Constitution garantit
l’indépendance dudit pouvoir135 à l’égard non seulement des autres
pouvoirs136 mais aussi vis-à-vis de la juridiction constitutionnelle137.
En somme, le juge constitutionnel tire conséquence de la suprématie
des droits de l’Homme et des droits fondamentaux pour fonder une
jurisprudence qui le conduit à s’arroger des compétences qui ne lui

134 Décision DCC 03-90 du 28 mai 2003, Recueil des décisions et avis de la Cour constitutionnelle, 2004,
p.369.
135 Article 125 alinéa 1er la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du 7 novembre
2019.
136 Ibidem.
137 Articles 124 et 131-nouveau de de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du
07 novembre 2019.

276
Simplice Comlan DATO

sont pas au départ reconnues. Son office s’étend pendant que celui
du juge ordinaire s’amenuise et se fait supplanter. C’est peut-être à
raison que le juge constitutionnel s’y prend-il ainsi.
En effet, on ne peut nier la nécessité de protéger les droits
de l’Homme. Vue donc par le prisme de cette protection,
l’incursion ici pourfendue n’aurait plus de sens. Si d’une part, le
respect des droits de l’Homme est un impératif constitutionnel
retenu par le constituant138, et que d’autre part, la garantie
des droits fondamentaux s’inscrit parfaitement au cœur de la
mission du juge constitutionnel139, c’est de toute bonne logique
que le juge constitutionnel soit porté sur le respect strict desdits
droits, quel que soit le support ou la cause de la violation. Telle
est la position constante qu’adopte le juge constitutionnel pour
justifier son intrusion progressive dans l’office du juge ordinaire.
Ainsi, jadis rebutant le contrôle des décisions de justice, le juge
constitutionnel a progressivement mué en une reconnaissance de sa
compétence en la matière. De même, sa réserve d’antan par rapport
au contrôle de légalité des actes administratifs a fini par céder
à son audace de vérifier la constitutionnalité de ces actes ; il s’est
ainsi substitué au juge administratif, ou du moins il est devenu un
véritable concurrent de celui-ci.

138 Le préambule de la Constitution exprime l’idée de cet impératif en ces termes : « Nous, peuple béninois,
…, Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de
démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la
personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement
véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle… ».
Voir également les articles 7 à 40 de la Constitution du 11 décembre 1990 révisée par la loi n° 2019-40 du
7 novembre 2019.
139 AÏVO (F. J.), « Le juge et les droits fondamentaux : Retour sur un quart de siècle de jurisprudence (trop
active) de la Cour constitutionnelle du Bénin », loc. cit., p. 447.

277
L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire

L’incursion du juge constitutionnel dans le domaine du juge


ordinaire emporte des effets juridiques qui mettent à mal la
sécurité juridique et judiciaire au sein de l’Etat. Le professeur
Ibrahim SALAMI traduit l’insécurité ainsi créée en ces termes :
« Même si la Cour constitutionnelle ne connaît que du contrôle des
actes qui portent atteinte aux normes garanties par la Constitution,
même si le juge administratif ordinaire ne peut connaître que du
contrôle de la légalité de ces actes, il y a théoriquement concurrence
entre les deux types de contentieux. À l’origine de cette concurrence,
un double recours contre un acte administratif au même moment ;
donc un même recours devant deux juges différents qui se déclareront
compétents pour en connaître, sur des fondements différents »140.
Au terme de l’analyse, ne pourrions-nous pas penser qu’il faudrait
limiter les « ardeurs » du juge constitutionnel ? Les pistes seraient-
elles favorables dans un contexte du droit constitutionnel où le
juge constitutionnel ne tire sa compétence que de la Constitution
et sa légitimité du constituant ? Pour certains, l’incursion du juge
constitutionnel dans le domaine du juge ordinaire « témoigne d’une
effectivité des dispositions de la Constitution… [Elle] participe à la
normalisation des rapports entre juridictions en général et entre les hautes
juridictions en particulier, s’agissant précisément de la Cour Suprême et
de la Cour Constitutionnelle. L’avenir des relations entre les deux organes
ne saurait s’assombrir, pour peu que le pouvoir judiciaire tire profit des
bonnes orientations jurisprudentielles de la Cour Constitutionnelle dont
la « double casquette » fait d’elle à la fois la gardienne de la Constitution

140 SALAMI (I. D.), loc. cit., p. 441.

278
Simplice Comlan DATO

et le maître de son interprétation, laquelle s’impose dans l’ordre juridique.


Dans ce sens, la réception des décisions de la Cour Constitutionnelle et leur
mise en œuvre par le pouvoir judiciaire sont à saluer »141. Dans tous les
cas, il s’agit d’éviter le risque que le juge ordinaire soit une victime du
juge constitutionnel. Dans cette veine, deux solutions sont possibles
pour éviter ou pour mettre fin à ces incursions. La première consiste à
instaurer explicitement dans la Loi fondamentale, une impossibilité
pour la Cour constitutionnelle d’interférer dans le domaine du juge
ordinaire. La mise en œuvre de cette solution passe indubitablement
par une révision constitutionnelle. Pour la seconde solution, il peut
être utile d’étudier les possibilités d’un dialogue constructif entre le
juge constitutionnel et le juge ordinaire. Un tel dialogue permettra
de situer chaque juridiction dans son champ de compétence.

141 AKEREKORO (H.), loc. cit., p. 21.

279
280
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et
l’indépendance des sociétés coopératives OHADA

Mouniratou SARE MIZI


Doctorante à l’Ecole doctorale sciences juridique,
politique et administrative
de l’Université de Parakou (Bénin)

S i les dévastations causées par la révolution industrielle (baisse de


salaire, croissance de la pauvreté, exclusion sociale, etc.) avaient
amené certains auteurs à penser à la forme d’organisation sociale
basée sur la coopération des individus, cette forme d’organisation
s’est vue plusieurs fois, détourner de son objectif de départ1. D’abord,
par les colonisateurs comme instrument stratégique permettant
de regrouper les populations pour mieux contrôler les peuples
colonisés et de collecter des produits nécessaires à l’économie
de la métropole. Et ensuite, par les gouvernements fraichement
indépendants pour atteindre des buts macroéconomiques alors que
la forme coopérative est censée répondre aux besoins de base de ses
membres en plaçant l’économie au service de l’humain2. En cette
période de crise sanitaire, avec toutes les conséquences qu’elle peut
engendrer à savoir : l’accentuation de la pauvreté, le chômage, etc.,

1 ESPAGNE F., « Des modèles originels à un modèle original », in remémoration de l’histoire du statut et
des outils des sociétés coopératives, 12 janvier 2009, p 3.
2 TCHAMI G., Manuel sur les Coopératives à l’usage des organisations des travailleurs, éd. BIT, Genève,
2004, p 22.

281
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

il urge de faire recours à l’arsenal juridique institué par le


législateur OHADA qui consacre une grande liberté contractuelle
aux coopérateurs afin qu’ils puissent s’auto employer, s’autogérer,
s’autofinancer et élaborer des stratégies socio économiques
basées sur le bien être de la communauté. Ce qui nous intéresse
c’est d’étudier l’impact de cette liberté contractuelle consacrée par
le législateur OHADA sur l’application ou le respect du principe de
l’autonomie et de l’indépendance des coopératives. Le principe de
l’autonomie et de l’indépendance des coopératives est le 4e principe
coopératif universellement reconnus par la déclaration sur l’identité
coopérative de l’Association Coopérative Internationale3.
Aux termes de l’article 4alinéa 1 AUDSCOOP, « la société
coopérative est un groupement autonome de personnes
volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins
économiques, sociaux et culturels communs, au moyen d’une
entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où
le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes
coopératifs »4. Elle peut être aussi définie comme une association
de personnes qui se sont volontairement regroupées pour atteindre
un but commun par la constitution d’une entreprise dirigée
démocratiquement en fournissant une quote-part équitable du
capital nécessaire, et en acceptant une juste participation aux
risques et aux fruits de cette entreprise, au fonctionnement de
laquelle, les membres participent activement5.

3 Déclaration sur l’identité coopérative : Déclaration entérinée par l›assemblée générale de l›Alliance
coopérative internationale lors du congrès de Manchester – septembre 1995.
4 Voir art. 4 al 1 AUDSCOOP.
5 Voir la Recommandation 127 de l’OIT adoptée en 1966.

282
Mouniratou SARE MIZI

La coopérative est l’usage particulier de la notion de coopération.


La coopération peut être définie comme un processus social dans
lequel des individus œuvrent ensemble à la réalisation d’un objectif
ou d’un but commun6. Elle est l’action de coopérer. La coopération
est présente à tous les âges de l’humanité même les plus anciens.
Dans la plupart des cas, la coopération survient lorsqu’il y a des
difficultés qui menacent un certain nombre d’individus. En fait,
la coopérative se fonde sur les principes de la coopération, ce qui
implique que, la coopérative suppose la coopération entre les
personnes. Par contre, la notion de coopération ne se résume pas
forcement à la coopérative, elle peut être aussi envisagée comme
une contribution ou une aide apportée par les pays industrialisés
aux pays en voie de développement7. Quant à la liberté, elle peut
prendre plusieurs connotations. Elle peut être définie comme
la situation garantie par le droit, dans laquelle chacun est maître
de soi-même et exerce comme il le veut toutes ses facultés8. La
liberté est parfois appréhendée comme toute faculté de faire, tout
droit de faire ou d’accomplir un acte. Parfois encore, on l’utilise
comme synonyme d’absence de réglementation, de taxation, etc9.
En ce qui nous concerne ce travail, nous la percevons la liberté
contractuelle comme la liberté des statuts, c’est-à-dire, la liberté que
le législateur accorde aux coopérateurs de définir par eux même et
dans une large dimension, des règles statutaires qui vont s’appliquer

6 TCHAMI G., Opcit. , p 2.


7 Voir LAROUSSE Dictionnaire de Français : 60000 mots, définition et exemples, éd. Larousse
2008, p.92.
8 CORNU G., Vocabulaire juridique, 9e éd. Quadrige, Paris, 2011, p.608.
9 CORNU G. Op.cit. p,.

283
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

au fonctionnement de la société qu’ils ont créés pour résoudre leurs


propres problèmes.
La liberté consacrée par le législateur sous-tend, non seulement que
les coopérateurs possèdent une sphère d’autonomie, une sphère
de libre détermination, mais aussi que celle-ci est reconnue par
l’Etat. Il y a donc connexion entre les facultés d’agir des membres
coopérateurs et l’autorisation d’agir qui émane de l’Etat, laquelle
implique la négation des ordres et des interdictions arbitraires de
sa part. D’ailleurs, de plus en plus d’Etats comprennent que les
mesures d’ajustement structurel, les obligent à réduire leur rôle
dans la sphère économique, à passer de l’économie planifiée à une
économie de marché et à équilibrer l’évolution des différents secteurs
de leur économie. Sans le développement et le renforcement des
organismes fondés sur l’autopromotion et l’auto-responsabilité, ces
mesures s’avèreront inopérantes. Par conséquent, les coopératives
sont de plus en plus souvent à nouveau considérées comme un
moyen dont les membres disposent pour atteindre des objectifs que
les entreprises capitalistes ne jugent pas suffisamment rentables et
que les Etats ne peuvent ou ne souhaitent plus réaliser.
Selon la philosophie initiale du mouvement coopératif, seuls les
membres de la coopérative peuvent bénéficier de ses services. Ce
n’est qu’après la déclaration internationale sur l’identité coopérative
de 1995 qu’une dimension communautaire a été ajoutée à la
coopérative avec pour conséquence le devoir de penser au bien être
de sa communauté d’appartenance10.

10 HIEZ D., TADJUDJE W., « présentation du nouveau droit coopératif OHADA », Université de Luxem-
bourg, 2012, p.11.

284
Mouniratou SARE MIZI

Ce devoir de service à la communauté se trouve clairement consacré


dans l’acte uniforme portant droit des sociétés coopératives (art.
6 AUSCoop) même s’il n’y figure aucune précision sur ce qu’on
entend par « engagement volontaire envers la communauté ».Tout
compte fait, de façon générale, il revient aux coopératives d’adopter
les mesures internes pour que la communauté puisse bénéficier
des retombés des investissements de ses membres. Ce principe de
l’engagement envers la communauté « est conforté par l’importance
de l’ancrage territoriale des coopératives qui, contrairement aux
sociétés commerciales classiques, ne peuvent être délocalisées,
étant entendu qu’elles visent l’amélioration des conditions
socioéconomiques des personnes vivant dans une localité »11.
L’objet de la coopérative est de permettre à des individus de se
regrouper et de réunir leurs moyens afin d’atteindre un objectif
commun qui leur serait difficile d’atteindre individuellement.
En d’autres termes, l’objet de la coopérative est de permettre
par exemple à celui qui n’a que cinq kilos d’une marchandise
donnée, de la vendre, de la transporter ou de la transformer
à moindre coût et dans les meilleures conditions. Une telle
alternative permet à son auteur de bénéficier d’économies
d’échelle et ainsi de réduire ses coûts par sa simple association
avec d’autres personnes à la constitution d’une entreprise.
En tant qu’organisations autonomes d’entraide, les accords
qu’elles concluent avec d’autres organisations, y compris des
gouvernements, ou la recherche de fonds à partir de sources

11 HIEZ D., TADJUDJE W. idem.

285
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

extérieures, doit se faire dans des conditions qui préservent


le pouvoir démocratique des membres et maintiennent leur
autonomie et indépendance économique et financière. Cela cible
principalement la relation des coopératives avec les gouvernements
nationaux et les organisations intergouvernementales, même s’il
a également une incidence sur la relation entre les coopératives
et d’autres entités commerciales tels que les organismes de crédit
qui fournissent des capitaux aux coopératives, les fournisseurs et
autres acteurs en position dominante dans la chaîne de valeur.
C’est ainsi que notre analyse aura pour objectif de mettre l’accent
sur l’incidence de la marge de manœuvre contractuelle octroyée
aux coopérateurs dans l’acte uniforme portant droit des sociétés
coopératives sur le respect du principe de l’autonomie et de
l’indépendance des coopératives. De ce principe émancipateur
dépendra bien entendu, la compétitivité, la productivité, la
rentabilité et la viabilité des sociétés coopératives dans cette
période de crise pandémique.
Notre analyse se focalisera sur deux axes : d’abord envisager la liberté
contractuelle comme moyen d’émancipation des sociétés coopératives
du pouvoir de l’Etat (I), puis comme un moyen d’organisation des
relations économiques des sociétés coopératives avec les tiers (II).
I/ - Une liberté comme moyen d’émancipation des sociétés
coopératives du pouvoir de l’Etat
La participation et l’adhésion au sein de la coopérative contribuent
sans doute au processus d’autonomisation. Pour que la société
coopérative ait une réelle autonomie, il faut d’abord que ses

286
Mouniratou SARE MIZI

membres soient autonomes, et pour que les membres soient


autonomes il faut qu’ils participent activement au processus de
prise de décision au sein de l’organisation et même en dehors de
l’organisation lorsqu’ils négocient avec des acteurs extérieurs. Une
surface de liberté octroyée à cette société permettra non seulement
aux membres d’acquérir leur autonomie (1.1), mais aussi de
restreindre l’action de l’Etat sur la société (1.2)
1.1/ - L’autonomisation des membres coopérateurs de la
société coopérative
La crédibilité d’une entreprise s’apprécie déjà à partir du degré
d’implication de ses membres dans le fonctionnement de ladite
entreprise. Plus ils s’y donnent, et plus la société a de chance
de prospérer et de produire de résultats satisfaisants12. La
coopérative d’aujourd’hui se trouve à même de satisfaire à cette
condition dans la mesure où elle dispose d’une grande liberté
permettant aux membres non seulement d’adhérer librement
à la coopérative (1.1.1), mais aussi d’exprimer librement leur
volonté dans les statuts de la société (1.1.2)
1.1.1/ - L’adhésion libre et volontaire à la société
coopérative
L’adhésion libre aux coopératives s’inscrit dans la philosophie selon
laquelle personne ne devrait être forcée d’adhérer à une coopérative.
La volonté d’appartenir à une coopérative est un acte de décision
pour lequel seul le futur membre a la responsabilité. C’est de

12 VIDAL D., Droit des sociétés, 3e éd., LGDJ, Paris, 2001, p.76 .

287
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

cette volonté que peut dépendre la participation active de chaque


membre aux activités de la coopérative. Toute personne, physique
ou morale qui souhaite utiliser les services d’une coopérative et
déterminée à prendre ses responsabilités en tant que membre,
peut demander à entrer librement dans la coopérative sans aucune
autorisation préalable . La coopérative est une organisation fondée
13

sur le volontariat. Déjà par sa définition, il apparait clairement que


la société coopérative se constitue sur la base de la volonté des
personnes autonomes de se réunir dans un but de satisfaire leur
besoins et aspirations communs au moyen d’une entreprise dont
la propriété est collective et au sein de laquelle le pouvoir s’exerce
de façon démocratique. Cette volonté de s’unir autour d’une œuvre
commune constitue une des clés de leur motivation.
Les membres sont donc libres d’entrer et de sortir de la coopérative
à tout moment. Ce premier Principe exprime le droit à la liberté
d’association à savoir, le droit de s’unir ou de refuser de s’unir
à d’autres personnes pour poursuivre des objectifs communs.
Il est l’un des droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme des Nations Unies14 et dans le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations
unies de 196615. Ce principe revendique le droit de toute personne
à décider librement de rejoindre ou de quitter une coopérative, et
d’agir collectivement pour servir les intérêts économiques, sociaux
et culturels communs de ses membres.
13 Art. 4 AUSCoop.
14 V Art. 20 de la DUDH des Nations Unies Du 10 décembre 1948 : « toute personne a droit à la liberté de
réunion et d’association pacifique. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association. »
15 V. Art. 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies de 1966, « Toute
personne a le droit de s’associer librement à d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y
adhérer pour la protection de ses intérêts .»

288
Mouniratou SARE MIZI

Ainsi, « l’Etat ne pourra plus forcer ou avoir un droit de regard sur


les membres admis dans les coopératives comme c’était le cas dans
la législation coopérative béninoise, par exemple, visible surtout à
travers les coopératives d’aménagement rural »16. Dans l’histoire des
coopératives, les cas d’inobservation du Principe d’association
volontaire sont nombreux. En effet, les textes nationaux qui
régissaient les coopératives au Bénin avaient prévu la création
de « coopératives agricoles obligatoires 17 » dont l’appellation a été
remplacée par « coopératives d’aménagement rural » suite à la
modification de la loi 61-27 du 10 Août 1961portant statut de la
coopération agricole par l’ORDONNANCE N°61 PR/MDRC du
28 décembre 1966. Qu’elles émanent de l’initiative de la puissance
publique ou des particuliers, ces coopératives étaient créées par
arrêté du Ministère de l’Agriculture et de la Coopération, emportant
l’adhésion obligatoire de toutes les personnes physiques et morales
ayant des droits de propriété sur les terrains situés à l’intérieur
de la partie de périmètre attribuée à la société18. De même, l’Etat
ne devra plus s’immiscer à la séance de l’Assemblée générale
constitutive des coopératives, ou encore dans la constitution du
capital social de départ, tel que le permettait par exemple l’ancienne
loi togolaise à son article 10 en vertu duquel le montant est fixé
sur accord expresse du ministère de tutelle19 après vérification des
aptitudes de la future coopérative. Le législateur OHADA semble
rectifier le tir en mettant le volontariat au cœur de la création des
16 GNING T., LARUE F., Le nouveau modèle coopératif dans l’espace OHADA : un outil pour la
professionnalisation des organisations paysannes ?, éd. FARM (Fondation pour l’agriculture et la ruralité
dans le monde), 2014, p.47.
17 Art. 13 de la loi 61-27 du 10 Août 1961 portant statut de la coopération agricole.
18 Art. 13 al 2 Loi 61-27 du 10 Août 1961 portant statut de la coopération agricole du Bénin.
19 V Art 10 l’Ordonnance n°13 du 12 avril 1967 portant statut de la coopération.

289
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

coopératives à travers la reconnaissance du principe de l’adhésion


volontaire et l’ouverture de la coopérative à tous. Dorénavant, le
contrat instituant la société coopérative est un contrat consensuel
qui requiert le consentement des futurs coopérateurs en guise
de manifestation de leur volonté de collaborer. Cette volonté
de collaborer est incompatible avec toute tentative d’imposer
certaines personnes comme membres dans une société coopérative.
Si la gestion de la société coopérative exige une participation
active des membres en toute liberté, que pouvons-nous penser
de la stratégie à mettre en œuvre pour rendre effectif cette gestion
autonome des sociétés coopératives ? La meilleure façon que le
législateur a trouvée pour rendre aux coopératives, leur autonomie
et leur indépendance, a été de réserver une latitude de liberté à leurs
membres pour qu’ils fassent les choses à leur façon.
1.1.2/ - La liberté comme moyen d’expression de la
volonté des membres dans les statuts de la société
Les statuts représentent l’acte constitutif de toute société20. Ils
contiennent les règles consensuelles acceptées par toutes les
personnes qui ont participé à l’Assemblée générale constitutive ;
c’est un contrat. Ils permettent, conformément aux dispositions de
l’acte uniforme, à chaque membre de savoir à tout moment, ce qu’il
doit ou ne doit pas faire à l’endroit des autres membres, ou vis-à-
vis de l’organisation coopérative elle-même, et aussi ce qu’il peut
attendre de sa coopérative. Les statuts ont pour objectif, de définir,
dans les limites établies par la loi, les règles de la coopération.

20 CABRILLAC R., Op.cit., p 381.

290
Mouniratou SARE MIZI

Contrairement à ceux des sociétés commerciales, les statuts des


sociétés coopératives font l’objet d’une grande manifestation de
la volonté des membres. L’acte uniforme confère aux membres,
certaines de ses compétences pouvant leur permettre de conserver
une certaine marge de manœuvre identitaire, permettant d’assurer
peut-être des transitions culturelles afin de s’adapter à leur milieu.
Aux termes de l’article dix huit (18) AUDSCOOP, les membres sont
seuls habileté à définir le lien commun qui les réunit. C’est à eux de
définir, dans les statuts, le nombre précis ou les nombres (minimal
et maximal) de leurs administrateurs ou membres du comité de
gestion, ainsi que toutes dispositions portant limitation de leurs
pouvoirs21. Il revient aussi aux membres de fixer la durée du mandat
des membres du comité de gestion ou du conseil d’administration,
du comité de surveillance ou du conseil de surveillance22. A eux
de déterminer toute limite relative au pourcentage maximal de
parts sociales que peut détenir un seul membre23, le montant du
capital social, ainsi que les limitations minimales et maximales y
afférentes. La valeur nominale des diverses catégories de parts,
les conditions précises de leur émission ou souscription doivent
aussi être mentionnées24. Sont également définis, les stipulations
relatives à la répartition du résultat et notamment, des excédents
et des réserves25, l’étendue des transactions avec les usagers non
coopérateurs, tout en ayant en vue, la sauvegarde de l’autonomie
de la société coopérative26.
21 Voir article 18 alinéa 7 et 8 AUDSCOOP.
22 Voir article 18 alinéa 9 ibid.
23 Article 18 al 10 ibid.
24 Article 18 al 14 ibid.
25 Article 18 al 15 ibid.
26 Article 18 al 18 ibid.

291
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

Le législateur a aussi réservé une responsabilité complémentaire aux


membres de déterminer d’autres dispositions statutaires. Quoique
facultatives, ces dispositions sont loin d’être les moins importantes. Il
s’agit de définir le taux de rendement maximal qui peut être appliqué
aux prêts et aux épargnes des membres ; le taux de rémunération
maximale qui peut être appliqué aux parts des membres, et toute
limite imposée aux activités commerciales de la société coopérative27.
Le fonctionnement des organes statutaires dépend des dispositions
prévues dans les statuts à cet effet. L’idée de liberté sous-tend, non
seulement que les individus possèdent une sphère d’autonomie,
une sphère de libre détermination, mais aussi que celle-ci est
reconnue par l’Etat28. Il y a donc connexion entre les facultés d’agir
de l’individu et l’autorisation d’agir qui émane de l’Etat, laquelle
implique la négation des ordres et des interdictions arbitraires de sa
part, dans cette sphère d’autonomie29. Il convient donc de protéger
la sphère d’autonomie et d’indépendance des coopératives contre
les ingérences de l’Etat, pour pouvoir préserver leur compétitivité.
1.2/ - La restriction de l’ingérence étatique dans la gestion
des sociétés coopératives
L’interventionnisme historique de l’Etat dans les coopératives à
travers l’octroie des avantages à celles-ci, s’est avéré comme un
frein pour leur compétitivité30. Un interventionnisme qui, de
surcroit va à l’encontre des valeurs et principes coopératifs, car il
justifie souvent l’usurpation de l’autonomie et de l’indépendance
27 Article 18 alinéa 19 AUDSCOOP.
28 BERNARD L., « La révolution coopérative », éd. PUF, Paris, 1949, 382p.
29 MELANGE, Hommage au Doyen Gérard Cohan-Jonathan : Liberté, Justice, Tolérance, éd
Bruylant, vol 1, Bruxelles, 2004, 210 p.
30 SEGUIN M., Op.cit., p 7.

292
Mouniratou SARE MIZI

des coopératives. Le principe de l’autonomie des coopératives


est une règle qui consacre la maturité des coopérateurs, qui sont
désormais maîtres des stratégies économiques et financières qu’ils
souhaitent mettre en place pour leur propre épanouissement. La
situation actuelle des coopératives au Bénin montre que celles-
ci souffrent d’une dépendance vis-à-vis du pouvoir étatique.
Il n’existe aucune coopérative au Bénin pouvant clamer son
indépendance financière31. Cette situation s’explique par le fait que
l’arsenal juridique qui gouvernait les coopératives dahoméennes,
avait prévu un Fonds d’Aide et de soutien aux coopératives. Ce
qui a fait d’ailleurs, l’objet du Décret n°522 PR/MDRC, portant
création et fixant l’administration d’un Fonds d’aide et de soutien
aux coopératives du Dahomey. Ce Fonds d’aide créé, était destiné
à aider les coopératives dans leur organisation, ou au cours de leur
fonctionnement32. Ces aides peuvent être sous forme matérielle,
sous forme d’aval en vue de garantir des prêts bancaires pouvant
être obtenus par la coopérative intéressée, sous forme d’aide en
nature (paiement des factures d’achat des biens de consommation,
de biens meubles ou d’équipements…), etc33.
De plus, l’encadrement dont ont fait l’objet, les coopératives
d’aménagementruraleetautresgroupementsàvocationcoopérative,créés
par l’Etat, pour fournir les matières premières aux industries naissantes,
a suscité le sentiment d’injustice de la part des autres coopératives. A ce
jour, toutes ces coopératives qui n’ont bénéficié de subventions de la part
de l’Etat réclament à ce qu’il y ait un traitement équitable entre elles.

31 SEGUIN M., Op.cit., p 8.


32 Cf Article premier du Décret n°522 PR/MDRC, portant création et fixant l’administration d’un
Fonds d’aide et de soutien aux coopératives du Dahomey.
33 Cf Article 11 ibid.

293
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

Cette politique de la main tendue est malheureusement encrée dans les


mentalités des coopérateurs et, constitue l’un des handicaps majeurs
à l’épanouissement des coopératives. Aujourd’hui, le modèle de
développement en vigueur dans nos pays repose sur la liberté, tant
économique que politique. Il sera admit que l’Etat adopte une
véritable politique économique qui ne sera pas préjudiciable aux
sociétés coopératives, en ne manifestant aucune discrimination
positive ou négative à leurs égard34. Le rôle de l’Etat dans une
économie de marché se résume à un devoir de non-ingérence
dans les affaires économiques des organisations économiques35.
L’Etat doit à présent, jouer son rôle de régulateur de l’économie
vis-à-vis des coopératives36. L’Acte uniforme vient restreindre
l’intervention de l’Etat dans les affaires internes des coopératives,
afin de promouvoir l’entrepreneuriat coopératif qui est une notion
presque absente dans la politique de gestion des coopératives.
Les relations des coopératives avec les gouvernements présentent un
défi majeur lorsque le gouvernement considère le développement
des coopératives comme un outil politique clé, par exemple pour
fournir des services dans certains secteurs économiques, ou comme
un outil de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Dans
de nombreux pays, les coopératives ont été intégrées aux stratégies
nationales de réduction de la pauvreté en raison de leur capacité
éprouvée à mobiliser économiquement les plus démunis.

34 HENRY H., Op.cit., p 12.


35 NICINSKI S., Droit Public des Affaires : l’Etat régulateur de l’économie, 3e éd. Montchrestien,
Paris, 2012, p. 19.
36 NICINSKI S., idem, p 20.

294
Mouniratou SARE MIZI

Néanmoins, il existe toujours un risque que les cadres règlementaires


créent des conditions susceptibles de compromettre l’autonomie et
l’indépendance des coopératives en tant qu’organisations détenues
et gérées par leurs membres.
S’il est raisonnable, et la plupart du temps souhaitable, de mettre
en place des protections lorsque des biens publics sont transférés
à de nouvelles coopératives, ces protections ne doivent pas
compromettre les droits et responsabilités qui incombent aux
membres. C’est dans ce sens que La Recommandation 193 de
l’OIT a stipulé clairement que : « Les gouvernements devraient
prendre, s’il y a lieu, des mesures d’appui en faveur des activités
des coopératives qui concernent certains objectifs des politiques
sociales et publiques tels que la promotion de l’emploi ou la mise en
œuvre d’activités qui s’adressent aux groupes ou régions défavorisés.
Ces mesures pourraient inclure, entre autres et autant que possible,
des avantages fiscaux, des prêts, des dons, des facilités d’accès aux
programmes de travaux publics et des dispositions spéciales en
matière de marchés publics »37. Mais ce soutien gouvernemental
des coopératives ne doit pas égaler le contrôle gouvernemental
des coopératives. L’autonomie et l’indépendance des coopératives,
ainsi que les droits démocratiques des membres à gérer leurs
coopératives, doivent toujours être respectés par les gouvernements.
II/ - Une liberté comme outil d’organisation des transactions
économiques des sociétés coopératives avec les tiers
Comme toutes les entreprises commerciales, les coopératives
ont besoin de capital pour financer et développer leurs activités.
37 ACI, Notes d’orientation pour les principes coopératifs, éd. Coop, 2013, p. 56.

295
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

Certains préconisent la levée de fonds auprès des membres, mais la


rémunération des parts sociales de base des membres qui confèrent
des droits de vote doit être limitée. Cependant, une coopérative
peut avoir besoin de fonds autres que ceux qu’elle peut lever
avec les parts sociales de base avec droits de vote des membres.
Le moyen à privilégier pour lever des fonds supplémentaires,
est de permettre aux membres qui le veulent et le peuvent de
souscrire des parts supplémentaires sans droits de vote, mais
également de réaliser des transactions ou partenariats avec les
tiers non coopérateurs. Le contrat est le meilleur moyen qui
puisse permettre aux coopératives d’aménager leurs relations
économiques avec les tiers non coopérateurs (2.1) et aussi
d’anticiper sur les risques de perte de leur autonomie (2.2).
2.1/ -La faculté d’aménagement contractuel des relations
économiques avec les tiers non coopérateurs
L’un des principes originaux des premières coopératives dénommées
« Pionniers de Rochdale » stipulait que le capital social des membres
devait être rémunéré avec un taux d’intérêt limité38. L’objectif était
d’éviter les adhésions purement motivées par un investissement en
capital-risque dans une coopérative39. Il est certes récurrent que les
coopératives se retrouvent dans la difficulté de trouver des fonds pour
financer leur développement ou rester compétitives sur un marché
qui nécessite un niveau élevé d’investissements, ce qui les conduit
dans le besoin de faire appel à des sources externes. Au départ,
le principe était que les coopératives sont une société fermée40.

38 ACI, Op. cit., p. 12.


39 ACI, Ibid.
40 BAUVERT P., SIRET N., Droit des sociétés et autres Groupements, 2e éd., ESKA, Paris, 2010, p. 443.

296
Mouniratou SARE MIZI

C’est-à-dire que leurs membres étaient les seuls bénéficiaires de


leurs produits ou services. Elles n’effectuaient les transactions rien
qu’avec leurs membres qui sont en même temps, coopérateurs et
usagers41. Aucun usager non membre n’était accepté dans une
coopérative. Ce pendant, avec la modernisation de la structure
coopérative, des pondérations ont été faites. En effet, l’article 4 al
2 de l’AUDSCOOP prévoit que la société coopérative peut, en plus
de ses coopérateurs qui en sont les principaux usagers, traiter avec
des usagers non coopérateurs à condition de ne pas compromettre
son autonomie et son indépendance vis-à-vis des ces derniers.
2.2/ La possibilité d’anticipation sur les risques de perte
de l’autonomie et de l’indépendance des coopératives
Une coopérative fortement dépendante des sources de capitaux
externes pour le financement de ses opérations s’expose au
risque de violer le 4 e Principe d’autonomie et d’indépendance,
en raison des obligations financières et de conformité imposées
par les organismes de crédit ou les investisseurs en capital-risque.
Les coopératives doivent être conscientes des risques que cela
présente pour leur autonomie et leur indépendance L’équilibre
entre capitaux de source interne et capitaux de source externe
doit être attentivement surveillé par les membres. Une trop forte
dépendance à l’égard des capitaux externes peut conduire à une
perte d’autonomie, d’indépendance et de pouvoir démocratique.
Cela a trop souvent conduit à une perte progressive du pouvoir par
le biais d’engagements financiers. Les membres peuvent ainsi perdre

41 Il s’agit du principe de la double qualité du coopérateur qui recommande que l’associé, en plus
d’être membre de la société, doit être soit un client, soit un fournisseur, ou soit un investisseur.

297
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

leur pouvoir au profit des investisseurs. Le risque est d’autant plus


grand lorsqu’il s’agit d’échanges commerciaux entre les petites ou
nouvelles coopératives et leurs fournisseurs ou clients. Il arrive
en effet que des gros producteurs exigent de leurs fournisseurs
qu’ils leur reversent un pourcentage de la valeur du contrat afin
de pouvoir rester leurs fournisseurs agréés. Ces accords posent
de gros problèmes aux coopératives et autres petits producteurs
qui approvisionnent ces énormes entreprises en position
dominante sur le marché. Aussi, certaines difficultés de collecte
ou de commercialisation auxquelles sont souvent confrontées
les coopératives peuvent les pousser à opérer avec des personnes
extérieures non membres. En outre, certains auteurs tels que
HAGEN Henrÿ 42considèrent que les excédents tirés des transactions
effectuées avec les non-membres sont à transférer intégralement
dans la réserve générale ; ce qui pourrait assurer à la coopérative de
nouvelles recettes.43 L’attrait de telles pratiques devrait être mesuré
pour ne pas mettre en péril l’équilibre de la coopérative si celle-ci
dépend trop largement des transactions effectuées avec les tiers44.
C’est pour éviter cette domination qu’il est demandé de faire
mention dans les statuts, l’étendue des transactions avec les usagers
non coopérateurs tout en ayant en vue la sauvegarde de l’autonomie
et de l’indépendance de la coopérative. Selon l’Acte uniforme,
les statuts sont libres de déterminer la part des transactions que
la coopérative peut mener avec des personnes non-membres
parallèlement aux opérations avec les associés coopérateurs.
42 HENRŸ H., Guide de législation coopérative, Deuxième édition, revue et corrigée, OIT, Genève,
2006, p 5.
43 GNING T. LARUE F., Le nouveau modèle coopératif dans l’espace OHADA : un outil pour la
professionnalisation des organisations paysannes ?, éd. FARM, 2014, p 74.
44 GNING T. LARUE F., idem.

298
Mouniratou SARE MIZI

Il faut, pour ce fait que les statuts ne fixent pas un taux de transaction
élevé de sorte que cela ne suscite une confusion de la coopérative à
une société purement capitaliste visant le profit. Autrement dit, ce
taux de transaction doit être relativement minime pour préserver son
indépendance financière. Ainsi certains auteurs recommandent une
proportion maximale comprise entre 20 % et 30 % des opérations
de la société coopérative afin de limiter tout risque de dépendance.45

45 HIEZ D., A propos des modèles de statuts-types SCOOPS et SCOOP-CA disponible sur le site :http://
www.recma.org/sites/default/files/modele_de_statuts_scoops.pdf et http://www.recma.org/sites/
default/files/modele_de_statuts_scoopca.pdf (dernière consultation Août 2020).

299
L’impact de la liberté contractuelle sur l’autonomie et l’indépendance
des sociétés coopératives OHADA

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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DEHARO G., Ingénierie contractuelle et performance de
l’entreprise : perspective et dynamique économique du droit
des affaires, éd. HAL, Montréal, 2011,20p.
ESPAGNE F., « Des modèles originels à un modèle original »,
in remémoration de l’histoire du statut et des outils des sociétés
coopératives, 12 janvier 2009,
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http://www.recma.org/sites/default/files/modele_de_
statuts_scoopca.pdf
HIEZ D., TADJUDJE W., « présentation du nouveau droit
coopératif OHADA », Université de Luxembourg, 2012, p.11
GNING T., LARUE F., Le nouveau modèle coopératif dans
l’espace OHADA : un outil pour la professionnalisation
des organisations paysannes ?, éd. FARM (Fondation pour
l’agriculture et la ruralité dans le monde), 2014, p.47

300
Mouniratou SARE MIZI

HENRŸ H., Guide de législation coopérative, Deuxième


édition, revue et corrigée, OIT, Genève, 2006, p 5
MELANGE, Hommage au Doyen Gérard Cohan-Jonathan :
Liberté, Justice, Tolérance, éd Bruylant, vol 1, Bruxelles, 2004,
210 p.
NICINSKI S., Droit Public des Affaires : l’Etat régulateur de
l’économie, 3e éd. Montchrestien, Paris, 2012, p 19
TCHAMI G., Manuel sur les Coopératives à l’usage des
organisations des travailleurs, éd. BIT, Genève, 2004,
VIDAL D., Droit des sociétés, 3e éd., LGDJ, Paris, 2001, p.76

301
302
JURISPRUDENCE
CONSTITUTIONNELLE

303
304
DECISION DCC 21-169
DU 08 JUILLET 2021

DECISIONS ADMINISTRATIVES : Recours en inconstitution-


nalité d’une note de service
Invocations de l’article 7.1.c) de la CADHP
La requérante n’ayant pas eu l’occasion de se défendre par elle-même
ou de se faire assister par un défenseur de son choix, le président de
la FENAPEB a violé ses droits de la défense. Par conséquent, il y a
violation de la Constitution
Violation de la Constitution (OUI).

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête en date à Cotonou du 09 juillet 2020,


enregistrée à son secrétariat le 03 septembre 2020, sous le numéro
1630/487/REC-20, par laquelle madame Florence A. GUEZODJE,
forme un recours en inconstitutionnalité de la note de service
n°09/FENAPEB/AE du 29 octobre 2018 prise par le président
de la Fédération nationale des Associations des Parents d’élèves et
d’étudiants du Bénin (FANAPEB) ;

305
DECISION DCC 21-169 DU 08 JUILLET 2021

VU la Constitution ;
VU la loi n°91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la
Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Sylvain Messan NOUWATIN en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Considérant que la requérante expose que par la note de service
précitée, elle a été suspendue de ses fonctions de trésorière
générale du bureau de l’Association des parents d’élèves du collège
d’Enseignement général le Nokoué sans avoir été entendue ; qu’elle
demande en conséquence à la Cour de déclarer cette note de service
contraire à la Constitution pour violation de ses droits à la défense ;
Considérant qu’à l’audience du 10 novembre 2020, le requis,
monsieur Epiphane AZON, président de la FENAPEB, s’est fait
représenter par monsieur Gilbert AKPO, actuel président de
l’association des parents d’élèves du CEG le Nokoué qui a déclaré
toutefois ne pas détenir une procuration de son mandant ; que
l’examen du recours a été reporté au 24 novembre 2020, puis au
22 décembre 2020 pour une représentation régulière du requis ;
que ni celui-ci ni son représentant ne s’est présenté et n’a ni fait
d’observations ;
Vu l’article 7.1 c) de la Charte africaine des droits de l’Homme et
des peuples (CADHP) ;

306
DECISION DCC 21-169 DU 08 JUILLET 2021

Considérant qu’aux termes de l’article 7.1 c) de la CADHP : « Toute


personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : …
le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur
de son choix » ;
Considérant qu’en ne donnant pas à la requérante l’occasion de se
défendre par elle-même ou se faire assister par un défenseur de son
choix, le président de la FENAPEB a violé ses droits de la défense ;
qu’il échet, dès lors, de déclarer qu’il y a violation de la Constitution ;

EN CONSEQUENCE,
Dit qu’il y a violation de la Constitution.
La présente décision sera notifiée à madame Florence A. GUEZODJE,
à monsieur Epiphane AZON et publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le huit juillet deux mille vingt-et-un,


Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
Razaki AMOUDA ISSIFOU Vice-Président
Madame C. Marie José de DRAVO ZINZINDOHOUE Membre
Messieurs André KATARY Membre
Fassassi MOUSTAPHA Membre
Sylvain M. NOUWATIN Membre
Rigobert A. AZON Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Sylvain Messan NOUWATIN. - Joseph DJOGBENOU.

307
308
DECISION DCC 21-171
DU 08 JUILLET 2021

DROITS ECONOMIQUES ET SOCIAUX : Recours en réclama-


tion de droits
Invocations des articles 3, 26 et 117 de la Constitution
Les personnes placées sous le même statut juridique ont les mêmes
droits. Dans le cas d’espèce, le refus du paiement de ces droits à l’une
d’entre elles crée une rupture de l’égalité et viole la Constitution.
Violation de la Constitution (OUI).

La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Cotonou du 20 août 2020, enregistrée
à son secrétariat le 07 octobre 2020 sous le numéro 1804/514/REC-
20, par laquelle monsieur Robert M. Z. HOUNDONOUGBO,
forme un recours en réclamation de droits au profit des ayants droit
de feu Prudence HOUNDONOUGBO ;
VU la Constitution ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la
Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Sylvain Messan NOUWATIN en son rapport ;

309
DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021

Après en avoir délibéré,


Considérant que le requérant expose que son feu père Prudence
HOUNDONOUGBO, engagé à la police nationale le 1er décembre
1976 en qualité d’élève gardien de la paix, a gravi les échelons jusqu’à
sa nomination au grade de sous-brigadier de paix par décision n°049/
S1/BE/EMG/FAP du 24 juin 1987 ; qu’il développe que, radié des
effectifs du commandement des commissariats des forces de sécurité
publique pour compter du 13 janvier 1988, l’intéressé est décédé le
10 février 1994 ; qu’il poursuit que par décision n°155/MISAT/DC/
DGPN/DAP/SPRH/SA du 07 novembre 1994, il a été réhabilité
et réintégré avec trois autres fonctionnaires de police mais avant sa
mise en œuvre, cette décision a été annulée par une autre décision
du Conseil des ministres en date du 03 mai 1995 ; qu’il ajoute que,
saisie, la Cour suprême a annulé la décision du conseil des ministres
au motif qu’il y avait des droits acquis au profit des requérants et a
même instruit le procureur de la République aux fins de prélever
les frais à eux imputables sur leurs droits ; qu’il précise que les trois
autres fonctionnaires de police ont repris service et ont obtenu un
rappel de douze (12) millions de francs CFA chacun ; qu’il affirme
que les ayants droit de Prudence HOUNDONOUGBO ont écrit au
ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique puis au directeur
général de la police nationale (DGPN) pour réclamer leurs droits
sans aucune suite favorable ;
Considérant qu’en réponse, l’Agent judiciaire du trésor demande à
la Cour, d’une part, de se déclarer incompétente aux motifs que les
articles 114 et 121 de la Constitution qui fixent ses attributions ne
l’habilitent pas à intervenir dans une succession pour la réclamation

310
DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021

de ses droits ni à connaître des décisions administratives à moins


que celles-ci ne violent les droits humains, puis, au cas où elle se
déclarerait compétente, de juger le recours mal fondé aux motifs
que Prudence HOUNDONOUGBO étant décédé et n’ayant pu ni
saisir la Cour suprême ni reprendre service à l’instar de ses autres
collègues, il ne se retrouve pas dans la même situation juridique que
ces derniers et qu’il n’y a donc aucune discrimination à son égard ;
Considérant que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique
demande lui aussi à la Cour de se déclarer incompétente au motif
qu’en vertu des articles 114 et 117 de la Constitution, elle ne
saurait se prononcer sur la légalité de la radiation de Prudence
HOUNDONOUGBO des effectifs de la police ; qu’au demeurant,
le recours est mal fondé en ce que, décédé, ni l’intéressé lui-même
ni ses ayants droit n’ont pu saisir la Cour suprême dans le délai
du recours contentieux pour excès de pouvoir pour prétendre
bénéficier de l’arrêt de cette juridiction au même titre que ses trois
autres collègues ;
Considérant qu’en réplique, le requérant affirme qu’au moment
où les trois autres collègues de son père saisissaient la Cour
suprême, ses ayants droit étaient tous mineurs et leur oncle
Adolphe HOUNDONOUGBO ne savait pas qu’il pouvait saisir
cette juridiction dans un délai précis au nom des ayants droit ;
qu’il précise que c’est finalement le 16 juin 2016 qu’un recours a
été adressé au président de la Cour suprême et à l’audience du 23
septembre 2016, le juge leur a clairement expliqué que Prudence
HOUNDONOUGBO est bien rétabli dans ses fonctions au même
titre que ses trois autres collègues et qu’il allait instruire le procureur

311
DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021

de la République pour défalquer sur leurs droits les charges de la


procédure qui leur sont imputables ; qu’il allègue que, l’avocat
général quant à lui, a instruit le greffier en chef aux fins de leur
délivrer une copie de la décision n°155/MISAT/DC/DGPN/
DAP/SPRH/SA du 07 novembre 1994 ;
Vu les articles 3, 26 et 117 de la Constitution ;
Considérant que le recours de monsieur Robert M. Z.
HOUNDONOUGBO tend à faire déclarer que le refus de l’Etat
béninois de faire bénéficier l’arrêt de la Cour suprême n°042/CA du
20 juillet 2000 aux ayants droit de Prudence HOUNDONOUGBO
au même titre que ses trois autres collègues radiés des effectifs de la
police nationale est discriminatoire ;
Sur la compétence de la Cour
Considérant qu’aux termes des articles 3 et 114 de la Constitution, «
Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à
ses dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le
droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes
et actes présumés inconstitutionnels » ; « La Cour constitutionnelle est la
plus haute Juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge
de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux
de la personne humaine et les libertés publiques » ; qu’il résulte de ces
dispositions que la Cour est compétente pour se prononcer sur la
violation d’un droit fondamental de l’Homme ;
Considérant que l’article 26 de la Constitution dispose que
« l’État assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de

312
DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021

race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale » ;


qu’il en résulte que le droit à l’égalité est un droit garanti par la
Constitution ; que le recours porte sur la violation de ce droit et non
sur l’appréciation d’une décision administrative ou sur la légalité
d’une radiation qui a déjà été l’objet de l’arrêt de la Cour suprême ;
que la Cour constitutionnelle est par conséquent compétente pour
en connaître ;
Sur la discrimination alléguée
Considérant qu’il résulte de l’article 26 de la Constitution sus
cité que l’égalité de traitement de tous devant la loi garantie par la
Constitution est rompue et le droit qui la porte violé lorsque des
citoyens, placés dans la même situation, sont traités différemment
et que cette discrimination ne vise pas à satisfaire un principe ou à
atteindre un objectif ou un impératif constitutionnel ;
Considérant qu’ en l’espèce, il ressort des éléments du dossier que
Prudence HOUNDONOUGBO, radié des effectifs de la police
nationale par mesure disciplinaire au même titre que ses collègues
Lucien TCHATCHABLOUKOU, Orou Boni YERIGUI et Latifou
LAWANI, est décédé le 10 février 1994 ; que par décision n°155/
MISAT/DC/DGPN/DAP/SPRH/SA du 07 novembre 1994, les
quatre fonctionnaires de police ont été réhabilités et réintégrés dans
la police nationale ; que cette réintégration a été toutefois annulée
par une décision du conseil des ministres en date du 03 mai 1995 ;
que sur saisine de ses trois collègues encore en vie, cette décision
du conseil des ministres a été à son tour annulée par arrêt n°042/
CA de la Cour suprême du 20 juillet 2000 ; que les trois collègues
de Prudence HOUNDONOUGBO ont pu ainsi reprendre service ;

313
DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021

qu’il s’ensuit que, n’étant plus en vie et ne pouvant donc pas


reprendre service, Prudence HOUNDONOUGBO n’est pas dans
la même situation juridique que ses trois autres collègues en ce qui
concerne les droits attachés à la carrière de ces derniers ;
Considérant qu’en revanche, en raison de l’indivisibilité des effets
des droits acquis par l’effet de la décision de la Cour suprême, le fait
de n’avoir pas saisi cette juridiction ne saurait priver ses ayants droit
du bénéfice des rappels résultant de la réintégration de ses autres
collègues, puisque ces rappels résultent de l’exécution de ladite
décision ; que l’arrêt de la Cour suprême annulant la décision du
Conseil des ministres et le rétablissement des intéressés dans leurs
droits qui s’en est suivi est une situation objective qui concerne aussi
bien les trois autres que Prudence HOUNDONOUGBO à travers
ses ayants droits ; que Prudence HOUNDONOUGBO a droit au
rappel au même titre que ses trois collègues en ce qui concerne les
droits acquis avant son décès ; que le refus de paiement de ces droits
crée une rupture de l’égalité des personnes placées sous le même
statut juridique ; qu’il échet, dès lors à la Cour de déclarer qu’il y a
violation de la Constitution ;
EN CONSEQUENCE,
Article 1er : Se déclare compétente.
Article 2 : Dit qu’il y a violation de la Constitution.
La présente décision sera notifiée à monsieur Robert M. Z.
HOUNDONOUGBO, à monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la
Sécurité publique, à monsieur l’Agent judiciaire du trésor et publiée
au Journal officiel.

314
DECISION DCC 21-171 DU 08 JUILLET 2021

Ont siégé à Cotonou, le huit juillet deux mille vingt-et-un,


Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
Razaki AMOUDA ISSIFOU Vice-Président
Madame C. Marie José de DRAVO ZINZINDOHOUE Membre
Messieurs André KATARY Membre
Fassassi MOUSTAPHA Membre
Sylvain M. NOUWATIN Membre
Rigobert A. AZON Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Sylvain Messan NOUWATIN.- Joseph DJOGBENOU.-

315
316
DECISION DCC 21-223
DU 09 SEPTEMBRE 2021

DECISIONS ADMINISTRATIVES : Recours en inconstitution-


nalité d’un arrêté.
Invocation des articles 25 et 98 al.1 de la Constitution.
L’arrêté prescrit une interdiction générale et absolue des libertés
d’association de réunion de cortège et de manifestation. Dès lors il y
a violation de la Constitution.
Violation de la Constitution (OUI).

La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une première requête en date à Cotonou du 30 octobre
2020, enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro
1983/567/REC-20, par laquelle monsieur Towanou Yannick
Ghislain DEDOKOTON, 03 BP 4215 Cotonou, forme un recours
en inconstitutionnalité de l’arrêté municipal année 2020 n° 114/
MCOT/SG/SGA/SA du 28 octobre 2020 portant interdiction
provisoire de tout rassemblement et de toutes manifestations
festive, revendicative et politique dans la ville de Cotonou ;
Saisie d’une deuxième requête en date à Abomey-Calavi du 30
octobre 2020, enregistrée à son secrétariat le 02 novembre 2020
sous le numéro 1992/573/REC-20, par laquelle madame Miguèle

317
DECISION DCC 21-223 DU 09 SEPTEMBRE 2021

HOUETO et messieurs Romaric Jésukpégo ZINSOU et Landry


Angelo ADELAKOUN, 06 BP 1618 Cotonou, forment un recours
en inconstitutionnalité du même arrêté ;
Saisie d’une troisième requête en date à Cotonou du 27 juillet
2020, enregistrée à son secrétariat le 05 novembre 2020 sous le
numéro 2033/587/REC-20, par laquelle monsieur Lionel Richard
M. M. WHANNOU, BP 032217 Cotonou, forme un recours en
inconstitutionnalité du même arrêté ;
Saisie d’une quatrième requête en date à Abomey-Calavi du 14
décembre 2020, enregistrée à son secrétariat à la même date sous
le numéro 2333/657/REC-20, par laquelle monsieur Mahoulomè
Samuel TOGNIZIN, BP 1344 Abomey-Calavi, forme un recours en
inconstitutionnalité du même arrêté ;
Saisie d’une cinquième requête en date à Cotonou du 22 décembre
2020, enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro
2399/664/REC-20, par laquelle monsieur Elvis Octave Mindéssè
AÏKPE, BP 2077 Cotonou, forme un recours en inconstitutionnalité
du même arrêté ;
VU la Constitution ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la
Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Joseph DJOGBENOU en son rapport ;

318
DECISION DCC 21-223 DU 09 SEPTEMBRE 2021

Après en avoir délibéré,


Considérant que les requérants exposent que l’arrêté querellé
interdit, jusqu’à nouvel ordre, sur toute l’étendue du territoire de la
commune de Cotonou, tout rassemblement et toutes manifestations
festive, revendicative et politique ; qu’ils soutiennent que cet
arrêté viole les libertés de réunion et de manifestation consacrées
par la Constitution, les instruments juridiques internationaux de
protection des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle ; qu’ils sollicitent de la Cour qu’elle déclare ledit
arrêté contraire à la Constitution ;
Considérant qu’en réponse, maître Alexandrine F. SAÏZONOU-
BEDIE, conseil du maire de Cotonou, indique que l’arrêté querellé
est d’abord, fondé sur les pouvoirs de police générale dont le maire est
investi dans le cadre de ses missions de sécurité, de tranquillité et de
salubrité publiques, ensuite, justifié par le contexte de la propagation
de la pandémie du coronavirus, enfin, destiné à préserver la santé
publique et le droit à la vie ;
Considérant qu’en réplique, madame Miguèle HOUETO et
messieurs Romaric Jésukpégo ZINSOU et Landry Angelo
ADELAKOUN relèvent que l’arrêté en cause ne comporte aucune
motivation corroborant le contexte de la pandémie du coronavirus
évoqué par le maire de Cotonou ; qu’ils récusent ensuite le bien-
fondé dudit arrêté en ce qu’il interdit l’exercice d’une liberté
fondamentale ;

319
DECISION DCC 21-223 DU 09 SEPTEMBRE 2021

Vu les articles 25 et 98 alinéa 1 de la Constitution ;


Considérant que les cinq recours portent sur le même objet et
tendent aux mêmes fins ; qu’il y a lieu de les joindre pour y être
statué par une seule et même décision ;
Considérant que selon les articles 25 et 98 alinéa 1 de la Constitution,
« L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la
loi, la liberté d’aller et de venir, la liberté d’association, de réunion,
de cortège et de manifestation » ; « Sont du domaine de la loi, les
règles concernant : - la citoyenneté, les droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques ; les sujétions imposées, dans l’intérêt de la défense nationale
et la sécurité publique, aux citoyens en leur personne et en leurs
biens » ; qu’il en résulte que les libertés d’association, de réunion, de
cortège et de manifestation sont garanties par les dispositions visées
de la Constitution et que seule la loi peut réglementer leur exercice, ou
les limiter ; que s’il est admis dans une société démocratique que pour
des causes supérieures de santé et de sécurité publiques, la satisfaction
continue des libertés soient suspendues par les autorités publiques
habilitées, et dans un but de protection de l’intérêt général, c’est
à la condition que les mesures de suspension, qui ne sauraient être
générales, soient proportionnelles et nécessaires, et que les actes qui
les édictent en contiennent les motivations précisent ; qu’en l’espèce
où l’arrêté prescrit une interdiction générale et absolue des libertés
d’association, de réunion, de cortège et de manifestation, il y a lieu de
dire qu’il est contraire à la Constitution ;

320
DECISION DCC 21-223 DU 09 SEPTEMBRE 2021

EN CONSEQUENCE,
Dit que l’arrêté municipal année 2020 n° 114/MCOT/SG/SGA/
SA du 28 octobre 2020 portant interdiction provisoire de tout
rassemblement et de toutes manifestations festive, revendicative et
politique dans la ville de Cotonou est contraire à la Constitution.
La présente décision sera notifiée à madame Miguèle HOUETO,
à messieurs Towanou Yannick Ghislain DEDOKOTON, Romaric
Jésukpégo ZINSOU, Landry Angelo ADELAKOUN, Lionel Richard
M. M. WHANNOU, Mahoulomè Samuel TOGNIZIN et Elvis
Octave Mindéssè AÏKPE, à maître Alexandrine F. SAÏZONOU-
BEDIE et publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le neuf septembre deux mille vingt-et-un,


Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
André KATARY Membre
Fassassi MOUSTAPHA Membre
Rigobert A. AZON Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Joseph DJOGBENOU.- Joseph DJOGBENOU.-

321
322
DECISION DCC 21-230
DU 16 SEPTEMBRE 2021

DROITS ECONOMIQUES ET SOCIAUX : Recours en incons-


titutionnalité de la gestion du patrimoine successoral d’un défunt.
Invocation des articles 26 al.1 de la Constitution et 18 al.3 de la
CADHP.
La requérante n’est pas entrée en possession de ses droits suite au
décès de son époux conformément aux dispositions visées. Dès lors,
il y a violation de la Constitution.
Violation de la Constitution (OUI).

La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Cotonou du 05 novembre 2020,
enregistrée à son secrétariat le 16 novembre 2020, sous le
numéro 2106/605/REC-20, par laquelle madame Victorine A.
DAHUI épouse SOGLO, C/1877 Yénawa Fifadji Cotonou, forme
un recours en inconstitutionnalité de la gestion du patrimoine
successoral de son défunt époux ;
VU la Constitution ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la
Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;

323
DECISION DCC 21-230 DU 16 SEPTEMBRE 2021

Ensemble les pièces du dossier ;


Ouï monsieur Razaki AMOUDA ISSIFOU en son rapport ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant que la requérante affirme que Antoine Z. SOGLO, son
époux, a, à son décès le 27 mars 2004, laissé plusieurs biens dont
des immeubles et de la liquidité dans deux banques ; que monsieur
Claude N. SOGLO, l’un des fils de son époux, a, par des manœuvres
frauduleuses, réussi à s’approprier indûment lesdits biens ; qu’elle
conclut que toutes les démarches entreprises, tant en famille
que devant les juridictions pour faire cesser les abus dont se rend
coupable monsieur Claude N. SOGLO n’ont jamais prospéré ;
Considérant qu’en réponse, le requis, monsieur Norbert Claude
SOGLO indique que la requérante, première épouse de son père, a
rompu la vie commune avec ce dernier depuis 1979 que c’est suite
au décès de son père, qu’elle a tenté vainement de s’accaparer du
patrimoine successoral, avec la complicité des chefs de collectivité ;
que selon lui, le présent recours ne remplit pas la condition de fond,
de détermination de l’objet du litige, prescrite par l’article 5 alinéas 1
et 2 de la loi portant code de procédure civile, commerciale, sociale,
administrative et des comptes pour être examiné par la Cour ;
Considérant qu’en réplique, madame Victorine A. DAHUI conteste
avoir rompu avec son époux ; qu’elle affirme détenir un acte de
mariage attestant de son union avec son époux jusqu’à son décès ;
qu’elle souhaite, en sa qualité d’épouse légitime, voir liquider le
patrimoine successoral, en prendre sa part, de même que ses enfants ;

324
DECISION DCC 21-230 DU 16 SEPTEMBRE 2021

Vu les articles 26 alinéa 1 de la Constitution et 18 alinéa 3 de la


Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ;
Considérant qu’aux termes de l’article 26 alinéa 1 de la Constitution
« L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine,
de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale » ;
que l’article 18 alinéa 3 de la Charte africaine des droits de l’Homme
et des peuples, édicte également que « L’Etat a le devoir de veiller à
l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer
la protection des droits de la femme et de l’enfant… » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que dans le domaine
de la succession, que la femme, à raison de son genre encore moins
à raison de son statut de veuve ne saurait être exclue de l’accès aux
droits successoraux ni de leur exercice ou de leur jouissance ;
Considérant qu’il résulte des éléments du dossier que la succession
de feu Antoine Z. SOGLO qui est ouverte à son décès le 27 mars
2004, soit depuis plus de seize (16) ans, n’est pas clôturée à la date
de la saisine de la haute Juridiction, alors qu’aucune provision
n’est constituée au profit de la requérante, conjoint survivant ;
qu’en outre, celle-ci alors qu’elle est fondée en droit du fait de son
statut matrimonial non contesté, est privée d’accès à la succession
et de jouissance de ses droits successoraux par monsieur Claude
N. SOGLO à raison de son genre et de sa qualité de veuve en
violation des dispositions visées ;

325
DECISION DCC 21-230 DU 16 SEPTEMBRE 2021

EN CONSEQUENCE,
Dit qu’il y a violation de la Constitution.
La présente décision sera notifiée à madame Victorine A. DAHUI
épouse SOGLO, à monsieur Claude N. SOGLO et publiée au
Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le seize septembre deux mille vingt-et-un,


Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
André KATARY Membre
Fassassi MOUSTAPHA Membre
Rigobert A. AZON Membre

Le Rapporteur, Le Président,
Razaki AMOUDA ISSIFOU Joseph DJOGBENOU.-

326
ACTUALITÉS DES JURIDICTIONS
CONSTITUTIONNELLES

327
328
I- Les activités majeures de la Cour constitutionnelle du
Bénin
• 30ème anniversaire de la justice constitutionnelle et
de la première rencontre des hautes juridictions
constitutionnelles de l’espace CEDEAO
Les journées du 7, 8 et 9 juin 2022 se sont tenus au palais des congrès
de Cotonou les manifestations marquant le troisième anniversaire de
la justice constitutionnelle au Bénin ainsi que la première rencontre
des juridictions ouest africaines en charge du contentieux électoral.
Le premier jour a été consacré à la célébration du trentième
anniversaire de la justice constitutionnelle au Bénin. Cet anniversaire
a été organisé autour de trois activités, précédées de la cérémonie
d’ouverture desdites manifestations.
D’abord, la première activité a été consacrée à la remise officielle
des études en l’honneur des deuxième et troisième mandatures
de la Cour constitutionnelle présidée par Conceptia Liliane
DENIS OUINSOU. Cette activité a été placée sous la présidence
de Monsieur Ousmane BATOKO, Président honoraire de la Cour
suprême après avoir présenté le contenu et les contributeurs des
ouvrages, le Secrétaire général de la Cour constitutionnelle a rappelé
que ces études ont été initiées par la sixième mandature de la haute
juridiction pour célébrer ces prédécesseurs.
Ensuite, la deuxième activité a été dédiée à la remise du prix de
thèses « Maurice AHANHANZO-GLELE ». Elle a été dirigée
par le Professeur Alioune Bandara FALL, président du jury du

329
Les activités majeures de la Cour constitutionnelle du Bénin

prix de thèse. Œuvre de la sixième mandature, le prix de thèse a été


initié pour célébrer la recherche scientifique tout en honorant le
Professeur AHANHANZO-GLELE pour sa contribution au renouveau
démocratique et à l’édification de l’Etat de droit au Bénin. En effet, la
sixième mandature de la Cour constitutionnelle, en organisant le prix de
thèse, vise la stimulation d’une saine émulation scientifique en rapport
avec l’office de la justice constitutionnelle béninoise. Ainsi, tous les
deux ans, il est prévu de récompenser les travaux des jeunes chercheurs
qui sont d’intérêts pour la justice constitutionnelle du Bénin. Au titre
de l’édition 2020, le prix de thèse a été décerné à monsieur Issaou
SOUMANOU, docteur en droit public, auteur de la thèse intitulée
« Légitimité et légitimation de la justice constitutionnelle en Afrique
noire francophone : le cas du Bénin » soutenue à l’université du Québec
à Montréal (Canada) en automne 2019. Quant à l’édition 2022, le
prix de thèse a été décerné monsieur Roméo Kossi FANGNINOU,
docteur en droit public, auteur de la thèse intitulée « Les changements
anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique » soutenue à
l’université d’Abomey-Calavi le 19 février 2021.
Enfin, les rideaux se sont levés, en ce qui concerne le troisième
anniversaire de la justice constitutionnelle, par une table ronde
sur les rapports entre les juridictions constitutionnelles et les
juridictions communautaires en Afrique. Dans sa communication
introductive au débat sur la question, madame la Professeure Dandi
GNAMOU a mis en exergue les difficultés relatives aux rapports
entre les juridictions constitutionnelles et celles communautaires
en relevant qu’il y a un croisement périlleux des normes
constitutionnelles et celles communautaires. Ce péril tient, d’une
part, des logiques opposées qui animent les acteurs juridictionnels

330
30ème anniversaire de la justice constitutionnelle et de la première rencontre des hautes
juridictions constitutionnelles de l’espace CEDEAO

constitutionnels et communautaires et, d’autre part, l’embarras des


acteurs juridictionnels résultant du choix d’affirmer l’autonomie
et la souveraineté de leurs ordres respectifs. La professeure Dandi
GNAMOU en a conclu que c’est ce double fondement qui explique le
conflit des juridictions constitutionnelles et celles communautaires.
Pour pallier ces difficultés, elle a suggéré un certain nombre d’outils
conceptuels d’articulation des rapports inter-normatifs. Il s’agit,
d’une part, du respect du « noyau constitutionnel identitaire » qui
échappe à toute remise ne cause par l’ordre communautaire et, d’autre
part, la nécessité d’une perspective d’ouverture des juridictions
nationales en prenant en compte positivement l’identité de l’autre.
Cela permettra d’imaginer les mécanismes d’articulation des
relations intersystémiques dans une logique d’horizontalité en cas de
contrariété entre les textes nationaux et les normes communautaires.
En définitive, il ressort du débat qu’il revient aux acteurs
juridictionnels de forger les mécanismes de la régulation
harmonieuse des rapports entre les juridictions constitutionnelles
et celles communautaires dans une logique de gestion pluraliste
des ordres juridiques. L’on retiendra essentiellement de cette table
ronde que les rapports entre les juridictions constitutionnelles et
celles communautaires ne sont pas vouées à demeurer aporétiques.
Il existe des passerelles dont la mise en œuvre effective dépendra de
la volonté des acteurs juridictionnels.
Quant à la première rencontre des hautes juridictions en charge
du contentieux électoral, elle a occupé les deux jours suivants.
Cette rencontre a été organisée par la Cour constitutionnelle
conjointement avec la CEDEAO. Cette rencontre a permis, d’une

331
Les activités majeures de la Cour constitutionnelle du Bénin

part, de partager les expériences des juridictions francophones,


anglophones et lusophones en termes de gestion du contentieux
électoral dans l’espace CEDEAO et, d’autre part, de présenter les
enjeux et défis de la création d’un réseau des hautes juridictions
africaines en charge du contentieux électoral dans l’espace CEDEAO.
La déclaration de Cotonou, ci-après présentée, a sanctionné la fin
de ces assises.
DECLARATION DE COTONOU
PREMIERES RENCONTRES DES HAUTES JURIDICTIONS
OUEST-AFRICAINES EN CHARGE DU CONTENTIEUX
ELECTORAL
Du 7 au 9 Juin 2022 se sont tenues à Cotonou les PREMIERES
RENCONTRES DES HAUTES JURIDICTIONS OUEST-
AFRICAINES EN CHARGE DU CONTENTIEUX ELECTORAL.
Étaient présentes la Cour Constitutionnelle du Benin, la Cour
Suprême de la Sierra Leone, la Cour Constitutionnelle du Niger, la
Cour Suprême du Liberia, la Cour Constitutionnelle du Togo, la Cour
Suprême du Ghana, le Conseil Constitutionnel de Cote d’Ivoire, la
Cour suprême de la Gambie et la Cour Suprême de la Guinée Bissau.
A l’issue des travaux, auxquels étaient conviés les Organes de
gestions des élections du Bénin, de la Côte d’ivoire, du Niger,
du Togo, de la Sierra Léone, du Libéria, de la Gambie, de la Gui-
née Bissau et du Nigéria ainsi que des experts ayant une expé-
rience avérée dans la gestion du contentieux électoral des pays
anglophones, des pays francophones et des pays lusophones,

332
30ème anniversaire de la justice constitutionnelle et de la première rencontre des hautes
juridictions constitutionnelles de l’espace CEDEAO

NOUS,
Juridictions constitutionnelles en charge du contentieux électoral
en Afrique de l’Ouest présentes retenons par consensus ce qui suit :
1. La création d’un réseau des juridictions constitutionnelles
ouest africaines en charge du contentieux électoral.
2. La mise en place d’un comité de suivi composé des
juridictions membres des différents espaces linguistiques
composé comme suit :
Président : Cour Constitutionnelle du Benin,
Membres :
• Conseil Constitutionnel de Cote d’Ivoire
• Cour Suprême du Ghana
• Cour Suprême de Sierra Leone
• Cour suprême de Guinée Bissau
Le mandat de ce Comité est, en liaison avec la CEDEAO, de designer
une équipe de consultants pour rédiger les textes fondamentaux
(statuts et règlements intérieur) et recueillir les observations du
groupe d’experts provenant des différents espaces linguistiques ainsi
que de toutes les juridictions constitutionnelles de l’espace CEDEAO.
Ce Comité aura enfin à préparer et à convoquer les deuxièmes
rencontres des juridictions constitutionnelles en charge du
contentieux électoral en vue de l’approbation des textes.

333
Les activités majeures de la Cour constitutionnelle du Bénin

Fait à Cotonou, le 09 Juin 2022


• Passation de charge à la Cour constitutionnelle
Le mercredi 13 a eu lieu la cérémonie de passation de charges entre le
Président sortant de la Cour constitutionnelle, le Professeur Joseph
DJOGBENOU et le Vice-président, Monsieur Razaky AMOUDA-
ISSIFOU, Président par intérim de la Cour constitutionnelle. En
effet, le mardi 12 juillet 2022, le Professeur Joseph DJOGBENOU
a remis sa lettre de démission en sa qualité de conseiller et
consécutivement de Président de la haute juridiction.
II- L’actualité des cours membres de l’association des cours
constitutionnelles francophones
• 9ème congrès triennal de l’Association des cours
constitutionnelles francophones
Les 31 mai et 1er juin 2022, les membres de l’Association des cours
constitutionnelles francophones se sont rassemblés à Dakar pour
le 9e congrès triennal de l’Association, organisé avec le soutien du
Conseil constitutionnel du Sénégal.
Sous la présidence de Monsieur Richard Wagner, Juge en chef du
Canada et président de l’ACCF, les échanges ont porté sur trois
thématiques :
• Droits de l’homme, État de droit et démocratie ;
• les méthodes et techniques juridictionnelles de protection
des droits de l’homme ;

334
30ème anniversaire de la justice constitutionnelle et de la première rencontre des hautes
juridictions constitutionnelles de l’espace CEDEAO

• les droits de l’homme en contexte : droits de l’homme et


circonstances exceptionnelles.
L’Assemblée générale, qui se réunit tous les trois ans sur convocation
du Bureau, s’est tenue en marge du congrès le 1er juin 2022.
Plusieurs points étaient à l’ordre du jour et soumis au vote des
membres à jour de leurs cotisations : 30 institutions se sont donc
exprimées.
• Le rapport moral triennal présenté par Monsieur Richard
Wagner, Président sortant de l’ACCF et Juge en chef du
Canada et le rapport financier triennal exposé par Monsieur
Joseph Djogbenou, Trésorier sortant de l’ACCF et Président
de la Cour constitutionnelle du Bénin ont été approuvés par
consensus.
• Soumise au vote de l’Assemblée générale, la demande
d’adhésion à l’ACCF de la Cour constitutionnelle du Kosovo
en tant que membre observateur a été rejetée par une
majorité de 16 voix contre, 13 voix pour et 1 abstention.
• L’Assemblée générale s’est également prononcée, en
vue du bureau de la conférence mondiale sur la justice
constitutionnelle (WCCJ), en faveur de la suspension
de la qualité de membre des Cours constitutionnelles de
la Fédération de Russie (15 voix pour, 7 voix contre et 8
abstentions) et du Bélarus (14 voix pour, 8 voix contre et 8
abstentions).

335
Les activités majeures de la Cour constitutionnelle du Bénin

• Par 17 voix pour, 5 voix contre et 8 abstentions, l’Assemblée


générale s’est prononcée en faveur de l’adoption de
la résolution présentée par le président de la Cour
constitutionnelle italienne réaffirmant les valeurs de la
conférence mondiale au bureau de la WCCJ.
• À cette occasion, l’ensemble du bureau a été renouvelé par
consensus, comme suit :
– Conseil constitutionnel du Sénégal, élu Président
– Cour constitutionnelle de Roumanie, élue à la Vice-présidence
– Cour constitutionnelle du Gabon, élue comme trésorier
– Cour constitutionnelle de Belgique, Cour constitutionnelle du
Bénin, Conseil constitutionnel du Royaume du Cambodge,
Conseil constitutionnel de Djibouti, Tribunal fédéral suisse
élus comme membres
– Cour suprême du Canada et Conseil constitutionnel français,
comme membres de droit
Lors de cette assemblée générale, le Juge en chef du Canada
Monsieur Richard Wagner a transmis la présidence de l’association
au président du Conseil constitutionnel du Sénégal, Monsieur
Papa Oumar Sakho dont le programme triennal 2022-2025 a été
approuvé par consensus.

336
30ème anniversaire de la justice constitutionnelle et de la première rencontre des hautes
juridictions constitutionnelles de l’espace CEDEAO

• Cour constitutionnelle de Roumanie : nouvelle


composition et nouveau président
Un tiers des membres de la Cour constitutionnelle de Roumanie ont
été récemment renouvelés conformément à l’article 142, paragraphe
5, de la Constitution.
Ainsi, M. Valer DORNEANU, M. Daniel Marius MORAR et
Mme Mona-Maria PIVNICERU, dont le mandat a expiré le 9 juin
2022, ont été remplacés par trois nouveaux juges, Mme Mihaela
CIOCHINĂ, Mme Laura-Iuliana SCÂNTEI et M. Dimitrie-
Bogdan LICU, nommés pour un mandat de neuf ans.
Conformément à l’article 142, alinéa 4 de la Constitution, le 11 juin
2022, les juges de la Cour constitutionnelle, dans sa composition
renouvelée, ont élu M. Marian ENACHE, comme président de la
Cour constitutionnelle de Roumanie, pour un mandat de trois ans.
• Conseil constitutionnel de Djibouti : nomination d’un
nouveau Président
Le 20 avril 2022, M. Abdi Ismael Hersi a été nommé président
du Conseil constitutionnel de Djibouti par le président de la
République, M. Ismaïl Omar Guelleh. M. Abdi Ismael Hersi est
membre du Conseil constitutionnel depuis le 17 décembre 2017. Il
remplace à la présidence de l’institution M. Abdi Ibrahim Absieh.
M. Hassan Idriss Samrieh, M. Ahmed Osman Hachi et Mme
Saïda Ahmed Abdallah ont également été nommés membres du
Conseil constitutionnel.

337
Les activités majeures de la Cour constitutionnelle du Bénin

• Un nouveau président pour la Cour suprême


constitutionnelle d’Égypte
Le juge Boulos Fahmy, nommé par le président de la République
Abdel Fattah al-Sissi comme nouveau président de la Cour suprême
constitutionnelle égyptienne, a prêté serment le 9 février 2022.
Magistrat de carrière, M. Fahmy a occupé une première fois les
fonctions de vice-président de la Cour suprême constitutionnelle
en 2010, poste qu’il retrouvera de 2014 à nos jours.
Le nouveau président M. Boulos Fahmy succède au président Said
Marei Amr qui a démissionné.
• Conseil constitutionnel de Mauritanie : nouvelle
composition
Le mercredi 02 février 2022, quatre nouveaux membres du
Conseil constitutionnel de Mauritanie ont prêté serment
devant le président de la République. Il s’agit de Madame
Hawa Tandia et Messieurs Ikebrou Mohamed Sidigh, Gali
Mahmoud Abeid et Bilal Ould Dick qui avaient été nommés
par décret le 14 décembre 2021.
Le mandat de Monsieur Bilal Ould Dick, nommé pour remplacer
un membre, s’achèvera en décembre 2024. Les autres membres sont
nommés pour un mandat de 9 ans non renouvelable.

338
30ème anniversaire de la justice constitutionnelle et de la première rencontre des hautes
juridictions constitutionnelles de l’espace CEDEAO

• CJCA : Tenue du 6ème Congrès du 21 au 24 novembre au


Maroc
La Conférence des Juridictions Constitutionnelles d’Afrique (CJCA)
et la Cour Constitutionnelle du Royaume du Maroc organisent le
Sixième Congrès à Rabat - Maroc, les 22 et 23 novembre 2022 sur
le thème : « Les Cours Constitutionnelles Africaines et Droit
International ».

339
DIRECTION DE LA PUBLICATION
Directeur : Razaki AMOUDA ISSIFOU / Secrétaire : Gilles BADET (Assisté de Josué CHABI KPANDE )
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Maurice AHANHANZO GLELE
Président d’honneur Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, ancien membres de la Cour
constitutionnelle du Bénin, ancien Président de la Haute cour de justice du Bénin (BENIN)
Théodore HOLO
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, ancien Président de la Cour
constitutionnelle du Bénin, ancien Président de la Haute cour de justice du Bénin (BENIN)
Présidents Joseph DJOGBENOU
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit privé, Directeur du centre de recherche et d’étude en droit et
institutions judiciaires en Afrique/ Université d’Abomey-Calavi (Bénin) Avocat, ancien Président de la Cour
constitutionnelle du Bénin (BENIN)
Koffi AHADZI-NONOU
Vice-Président Agrégé des facultés de Droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, ancien membre de la cour
constitutionnelle du Togo (TOGO)
Robert DOSSOU
Ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats du Bénin, Doyen honoraires de la faculté des sciences juridiques économiques et
politiques de l’Université nationale du Bénin, ancien ministre, ancien Président de la Cour constitutionnelle du Bénin (BENIN)
Martin BLEOU
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, ancien ministre (CÔTE D’IVOIRE)
Babacar KANTE
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, Doyen honoraire de la faculté de droit de
l’Université Gaston Berger de Saint Louis, ancien Vice-président du Conseil constitutionnel (SÉNÉGAL)
Dorothé C. SOSSA
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit privé , Doyen honoraire de la faculté de droit et de sciences politiques, Université
d’Abomey-Calavi, ancien Secrétaire permanent de l’OHADA.
Noël A GBAGUIDI
Agrégé des facultés de droit , Professeur de droit privé, ancien Titulaire de la Chaire UNESCO des droits de l’homme et de la
démocratie, Université d’Abomey-Calavi (BENIN)
Fabrice HOURQUEBIE
Professeur de droit public, Université Bordeaux, Directeur du CERCCLE (FRANCE)
Adama KPODAR
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, ancien Vice-président de l’Université de Kara
(TOGO), Directeur général de l’Ecole nationale d’administration (ENA) de Lomé (TOGO)
Dodzi KOKOROKO
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public et de sciences politiques, Président de l’Université de Lomé (TOGO)
Ibrahim David SALAMI
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de droit public, ancien Vice-doyen de la faculté de Droit et de sciences politiques de
l’Université d’Abomey-Calavi (BENIN)
Dandi GNAMOU
Agrégé des facultés de droit , Professeure de droit public, Université d’Abomey-Calavi, Président de chambre à la Cour des
comptes du Bénin (BENIN)
Mahaman TIDJANI ALOU
Agrégé en Sciences politiques, Professeur de science politique à l’Université Abdou MOUMOUNI de Niamey (NIGER)
Membres Hygin KAKAÏ
Agrégé de science politique, Professeur de science politique, Vice-doyen de la faculté de Droit et de science politique à
l’Université d’Abomey-Calavi (BENIN)
Brusil Miranda METOU
Agrégée des facultés de droit, Professeure de droit public, ancienne Vice-Recteur chargé de la recherche, de la coopération et des
relations avec le monde des entreprises Université de DSCHANG (CAMEROUN),
Victor P. TOPANOU
Maître de conférences en science politique, Professeur de science politique, ancien Directeur de l’école doctorale Sciences
juridiques, politiques et administratives, Université d’Abomey-Calavi (BENIN)
Arsène-Joël ADELOUI
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public, Directeur de l’école doctorale de sciences juridiques politiques et
administratives, Université d’Abomey-Calavi (BENIN)
Paterne MAMBO
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, Professeur associé
au Centre d’Excellence Africain Mine et Environnement Minier de l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny de
Yamoussoukro, Doyen honoraire de la faculté de droit de l’Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (République de COTE
D’IVOIRE)
Robert MBALLA OWONA
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public, Doyen de la faculté de droit de Bertoua, Université de Yaoundé II Soa
(CAMEROUN)
Moktar ADAMOU
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit privé, Doyen de la Faculté de droit et science politique de l’Université de
Parakou (BENIN)
Igor GUEDEGBE
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit privé, Titulaire de la Chaire UNESCO des droits de l’homme et de la démocratie
à l’Université d’Abomey-Calavi (BENIN)
Djibrihina OUEDRAOGO
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public, Université Thoma Sankara (BURKINA FASO)
Eric NGANGO YOUMBI,
Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit public, Université de NGAOUNDERE (CAMEROUN)

340
COMITÉ DE LECTURE
Président : M. Razaki AMOUDA ISSIFOU, Président de la Cour constitutionnelle
Membres : Dr. Gilles BADET, Maître-assistant de droit public ; Dr. Prudent SOGLOHOUN, Maître-assistant de droit public ;
Dr. Eric HOUNTONDJI, Maître-assistant de droit public ; Dr. Thomas D. YONLI, Maître-assistant de droit public ; Dr. Fidèle AYENA,
Maître-assistant de science politique ; Dr Aboudou Latif SIDI, Directeur de la recherche et de la documentation à la Cour constitutionnelle.

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