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La protection du consommateur par le droit de la

concurrence : analyse civiliste et pratique des positions


canadienne et européenne
Benjamin Lehaire
Dans Revue internationale de droit économique 2016/3 (t. XXX), pages 289 à 313
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 9782807390614
DOI 10.3917/ride.303.0289
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LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR
PAR LE DROIT DE LA CONCURRENCE :
ANALYSE CIVILISTE ET PRATIQUE
DES POSITIONS CANADIENNE ET EUROPÉENNE

Benjamin LEHAIRE1

Résumé : L’objet de la présente contribution est de mener une recherche explo-


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ratoire sur les liens entretenus par le droit de la concurrence et la protection des
consommateurs dans les systèmes juridiques canadien et européen à la suite de
l’introduction de la directive 2014/104 relative aux actions privées. En effet, il
est généralement reconnu que le droit de la concurrence contribue à la protec-
tion du consommateur. Le droit européen de la concurrence a notamment démontré
ce lien particulier entre la protection du consommateur et le droit de la concur-
rence. En cela, la récente directive européenne sur le private enforcement du droit
de la concurrence et l’introduction en France d’une action de groupe en droit de
la concurrence ne sont qu’un aboutissement. Cependant, la situation européenne
amène à des réflexions sur ce sujet au Canada. Le droit de la concurrence doit per-
mettre au consommateur de jouer son rôle d’acteur de l’économie sans préjudice
lors de ses transactions. Pourtant, ces liens ne sont pas évidents au Canada. En
effet, ce pays connaît un système juridique fédéraliste et bijuridique (c’est-à-dire
alliant le droit civil et la Common law) qui ne favorise pas la protection du consom-
mateur ou, à tout le moins, un rapprochement entre le droit de la consommation et le
droit de la concurrence. Le présent article propose d’explorer le contexte juridique
canadien qui explique cette situation afin de constater la différence d’approche
entre l’Union européenne et le Canada. Plus particulièrement, s’agissant du droit
civil, l’analyse du droit québécois démontre qu’il serait possible d’aller plus loin
dans la protection du consommateur en utilisant pleinement le pouvoir constitution-
nel des provinces en matière de droit civil, notamment pour favoriser l’indemnisa-
tion du préjudice concurrentiel à l’image de ce qui se fait en Europe. Cette étape a
été franchie dans l’Union européenne et notamment en France depuis l’introduction
de l’action de groupe en droit de la concurrence français. La directive européenne
2014/104 s’inscrit également dans ce mouvement.

1. Docteur en droit, Professeur, École des sciences de l’administration, TÉLUQ, Université du Québec.
L’auteur tient à remercier son assistante de recherche, Madame Nora Dagnan, étudiante à la Faculté de
droit de l’Université Laval, pour son aide dans les recherches documentaires ayant abouti à cette étude.

Revue Internationale de Droit Économique – 2016 – pp. 289-313 – DOI: 10.3917/ride.303.0289


La protection du consommateur par le droit de la concurrence 290

1 Introduction
2 La vision européenne de la protection du consommateur en droit de la concurrence
3 La protection du consommateur et le droit de la concurrence au Canada : antagonisme
ou complémentarité ?
3.1 Un antagonisme constitutionnel
3.2 Une complémentarité judiciaire
4 La protection du consommateur en droit civil : regard sur les initiatives européennes,
canadiennes et québécoises dans le domaine de la concurrence
4.1 La directive européenne 2014/104 et la protection du consommateur en Europe
4.2 L’avancée française en faveur des actions collectives en droit de la concurrence
4.3 L’action privée canadienne initiée par l’article 36 de Loi sur la concurrence
4.4 Les initiatives permettant la protection du consommateur en droit civil québécois
5 Conclusion

1 INTRODUCTION
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La protection du consommateur par la politique antitrust est le résultat d’une
approche théorique de la concurrence par le législateur, mais qui n’est pas sans
répercussions pratiques.
Aux États-Unis, pays de naissance du droit antitrust, le débat fait rage pour
savoir quels sont les objectifs du Sherman Act de 1890. En effet, selon l’école de
pensée étudiée, on perçoit une conception différente du rôle du droit antitrust. Si
chacun s’accorde sur le fait qu’il veut un marché robuste pour les États-Unis2, il
demeure que cet objectif emprunte des chemins différents selon les auteurs.
La fameuse École de Chicago et son mouvement Law & Economics sont à
l’origine d’un débat intarissable3. Cette école de pensée a façonné le droit de la
concurrence pendant tout le XXe siècle. Sous l’influence de Robert Bork4, ce cou-
rant de pensée estime que la politique de concurrence ne doit pas être contrai-
gnante. Selon ses adeptes, seule l’efficience économique constitue l’objectif d’une
politique antitrust. Le bien-être total, c’est-à-dire le bien-être du consommateur
additionné au bien-être du producteur, est l’instrument à utiliser pour observer une
situation de concentration du pouvoir économique. Il en résulte que si cette concen-
tration augmente le bien-être du producteur, mais nuit au bien-être du consom-
mateur, cet état de fait n’est pas forcément négatif au regard du bien-être total.
Elle valorise donc la concentration économique. Cette vision a été contredite par
l’École de Harvard. Selon elle, l’efficience n’est pas l’unique objectif du droit de la

2. E.M. Fox, « Against Goals », Fordham Law Review, 81/5, 2013, p. 2161.
3. Voir, par exemple, J.B. Kirkwood, « The Essence of Antitrust: Protecting Consumers and Small
Suppliers from Anticompetitive Conduct », Fordham Law Review, 81, 2013, p. 2425 ; R.H. Lande,
« A Traditionnal and Textualist Analysis of the Goals of Antitrust: Efficiency, Preventing Theft from
Consumers, and Consumer Choice », Fordham Law Review, 81, 2013, p. 2349.
4. R. Bork, The Antitrust Paradox: A Policy at War with Itself, New York, Basic Books, 1978.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 291

concurrence. Il y a de multiples buts au droit de la concurrence. La souveraineté du


consommateur dans ses choix illustre ce point de vue5.
En Europe, l’École de Fribourg et l’ordolibéralisme allemand ont plutôt
influencé le droit de la concurrence de l’Union européenne. L’intégration des pays
européens dans un marché unique6 ainsi qu’un idéal de justice au détriment de
l’efficience économique comme buts de la concurrence ont gouverné les positions
européennes sur la question7. La régulation de la concurrence n’est donc pas mau-
vaise aux yeux des Européens, alors que les tenants de l’École de Chicago la voient
comme un problème et un obstacle à la libre concurrence.
En cela, le Canada se rapproche des États-Unis. Historiquement, le Canada est
favorable aux monopoles. La grandeur du territoire, combinée à une faible popu-
lation, a nécessité au XIXe siècle que certains monopoles soient accordés afin de
permettre le développement économique du pays8. L’efficience économique est
par conséquent un objectif assumé du droit de la concurrence canadien, et même
une nécessité. Mais il présente une particularité. Au Canada, la prise en compte
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du consommateur dans la régulation de la concurrence est affirmée dans l’article
introductif de la Loi sur la concurrence canadienne9 (ci-après la Loi ou L.c.).
L’article 1.1 de la Loi dispose :
« La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada
dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’amé-
liorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant
simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la
petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie cana-
dienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et
un choix dans les produits » [nos italiques].

L’objectif d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans


les produits démontre que la Loi cherche à réglementer l’acte de consommation10.
Le droit de la concurrence canadien fait ainsi de la PME un acteur du marché
qui doit pouvoir y accéder sans embûche. De plus, le consommateur doit béné-
ficier des meilleurs prix possibles. Cela a pu faire dire à la Cour suprême que

5. N.W. Averitt et R.H. Lande, « Consumer Sovereignty: A Unified Theory of Antitrust and Consumer
Protection Law », Antitrust L.J., 65, 1997, p. 713.
6. E. Buttigieg, « Consumer Interests under the EC’s Competition Rules on Collusive Practices »,
European Business Law Review, 2005, p. 647.
7. K.J. Cseres, Competition Law and Consumer Protection, Kluwer Law International, 2005, p. 29.
8. R.S. Khemani et W.T. Stanbury, Historical Perspectives on Canadian Competition Policy, Halifax,
The Institute for Research on Public Policy, 1991, p. 2.
9. Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34.
10. Jean Calais-Aulois relevait lui-même cette fonction du consommateur en matière de concurrence :
« [les consommateurs] contribuent à développer la concurrence, [...] en exerçant leur choix sur
le marché », v. J. Calais-aulois, « L’ordonnance du 1er décembre 1986 et les consommateurs »,
D. 1987, chron. p. 137.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 292

la loi canadienne avait une portée sociale. Dans l’arrêt Times de 201211, la Cour
suprême a eu l’occasion de rappeler l’objectif social de la Loi12, en citant la déci-
sion R. c. Colgate-Palmolive13, rendue par la Cour de comté de l’Ontario :
« Cette loi [la Loi sur la concurrence] est l’expression d’un objectif social, à savoir
l’établissement de pratiques de commerce plus saines visant à mieux protéger le
consommateur »14.

L’objectif de protection du consommateur donne à la Loi une portée consumé-


riste. Le constat est alors que le droit canadien a peut-être plus à voir avec le droit
européen de la concurrence qu’avec le droit antitrust européen. Sans rentrer dans ce
débat théorique, nous avons souhaité étudier d’un point de vue pratique comment
le droit de la concurrence protège les consommateurs au Canada et en Europe, en
se concentrant principalement sur le droit d’origine civiliste. La fonction de protec-
tion du consommateur de la Loi sur la concurrence est mal connue. Les dévelop-
pements récents des recours collectifs en ce domaine15 ont pourtant démontré que
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la Loi pouvait remplir une fonction de justice corrective dans son application aux
consommateurs16. La réparation des préjudices des consommateurs à la suite d’une
entente apparaît comme la manifestation la plus visible de cet objectif. L’Union
européenne a pris conscience de cette réalité au sein du marché unique au début
des années deux mille17 et a alors entrepris une réflexion remarquable sur le rôle du

11. Richard c. Time Inc., [2012] 1 R.C.S. 265 (ci-après Time).


12. La décision a surtout marqué par la définition du « consommateur-moyen » qu’elle propose, v. à ce
sujet, A.-C. Beauchemin et H. Sibre, « L’affaire Richard c. Time : jusqu’où peut aller le publicitaire
pour éblouir le consommateur ? », in P.-C. Lafond, La publicité, arme de persuasion massive :
les défis de l’encadrement législatif, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2012, p. 23 ; M. Lacoursière,
« Richard c. Time Inc. : à la recherche de la définition du “consommateur-moyen” ! », La revue
du Barreau canadien, 2012, vol. 90/2, pp. 495-510. La Cour suprême retient la définition d’un
consommateur « crédule et inexpérimenté », ce qui rend, selon nous, le consommateur plus vulné-
rable qu’il ne l’est. Nous partageons en ce sens le point de vue de l’auteur dans cet article.
13. [1970] 1 C.C.C. 100. V. aussi R. c. Miller’s TV. Ltd., (1969) 56 C.P.R. 237 (C. Mag. Man.) ;
R. c. Simpsons-Sears Ltd., (1969) 58 C.P.R 56 (P.C. Ont.).
14. Richard c. Time Inc., op. cit., note 10, p. 40.
15. B. Lehaire, « La collectivisation du recours privé en droit de la concurrence : réalité canadienne
et perspectives françaises », Bulletin de droit économique, 2013, vol. 1, p. 1. De plus, la juris-
prudence récente démontre que le droit de la concurrence fédéral tend de plus en plus à protéger
les consommateurs dans le cadre des recours en réparation suite à une violation de la Loi, v. les
décisions de la Cour suprême, Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59,
Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, Sun-Rype Products Ltd. c. Ar-
cher Daniels Midland Company, 2013 CSC 58 et Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66.
16. La Loi joue un rôle indéniable également en matière de justice distributive dans le contentieux
économique, v. K. Diawara, « L’intégration des objectifs économiques et sociaux dans l’apprécia-
tion de l’exception d’efficience », Les Cahiers de droit, 2012, vol. 53, p. 257 ; du même auteur,
« A social Approach to the Goals of Competition Law in Developing Countries – Comment on
Bakoum », in D. Zimmer (ed.), The Goals of Competition Law, Cheltenham, Edward Elgar, 2012,
chap. 23, pp. 439-450.
17. Même si, en réalité, la prise en compte des consommateurs s’est manifestée dès les années
soixante-dix, voir D. Calisti, « Quelles propositions de l’Union européenne pour une meilleure
réparation des dommages concurrentiels ? », in M. Chagny (dir.), La réparation des dommages
concurrentiels en France et en Europe : état des lieux et changements à venir, colloque, Paris,
13 mai 2014, Concurrences n° 3-2014, p. 46.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 293

private enforcement en droit de la concurrence pour le consommateur. Par consom-


mateur, nous entendons dans cette étude la personne physique qui acquiert un bien
ou souscrit à un service à des fins personnelles. Au Canada, les objectifs attribués
à la concurrence semblent revêtir un aspect plus économique que social. La pro-
tection du consommateur est principalement confiée aux provinces canadiennes, le
droit de la concurrence fédéral se contentant, pour des raisons constitutionnelles,
d’instaurer un système répressif contre les actes portant atteinte au consommateur
en tant que destinataire des produits et services, c’est-à-dire en tant que consomma-
teur final. Il s’agit de mettre en place un ordre public concurrentiel dont l’objectif
principal est la protection des conditions de concurrence sur le marché18 et non la
protection directe du consommateur. Cette approche s’explique par des considéra-
tions constitutionnelles liées aux compétences du parlement fédéral.
L’approche européenne n’est pas gênée par ces problématiques constitution-
nelles relevant à proprement parler du fédéralisme19. Le marché unique n’est pas
un État fédéral et l’Union peut imposer des réformes du droit interne des États
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membres par le biais de directives. La protection du consommateur a été affirmée
de longue date par les textes fondateurs du marché unique européen. Cette vocation
du droit de l’Union a permis des avancées considérables en pratique dans la pro-
tection du consommateur, principalement en droit substantiel. D’abord, la Cour de
justice a affirmé un droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles
dans les célèbres arrêts Courage20 et Manfredi21. Ensuite, le processus consultatif
européen s’est amorcé pour adopter des règles favorables à ce droit à réparation
des victimes de pratiques anticoncurrentielles22. Ce virage en matière de droit sub-
jectif a permis d’aboutir à une directive en 201423 qui contraint les États membres
à introduire un certain nombre de règles favorables à l’action en réparation des

18. Par exemple, la récente proposition de loi du gouvernement canadien : Loi sur la transparence en
matière de prix, projet de loi n° C-49 (dépôt et 1re lecture – 9 décembre 2014), 2e sess., 48e légis
(Can.). Ce projet a pour objectif de permettre au Commissaire de la concurrence d’enquêter sur
les différences de prix entre le Canada et les États-Unis. De cette manière, le gouvernement
canadien espère redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs en supprimant les différences
de prix injustifiées entre les deux pays au détriment des consommateurs canadiens. Sur ce sujet,
v. B. Lehaire, « Le projet de loi C-49 et la transparence des prix entre les États-Unis et le Canada »,
Bulletin de droit économique, Blogue Concurrence et Consommation, 18 décembre 2014, en ligne :
<http://www.droit-economique.org/?p=2873>.
19. Voir cependant l’analyse de H.-W. Micklitz, N. Reich et St. Weatherill, « EU Treaty Revision and
Consumer Protection », Journal of Consumer Policy, 27, 2004, p. 367.
20. CJCE, 20 septembre 2001, Courage Ltd. c. Bernard Crehan et Bernard Crehan c. Courage Ltd. et
autres, aff. C-453/99, Rec. 2001, p. I-6297, § 36 (ci-après Courage).
21. CJCE, 13 juillet 2006, Manfredi, aff. jointes C-295-298/04, Rec. 2006, p. I-6619, § 61.
22. Commission européenne, Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux
règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2005) 0672 ;
Commission européenne, Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante du 2 avril 2008,
COM(2008) 165 final.
23. Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à
certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions
aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, JOUE
L 349/1, 5 décembre 2014, (ci-après « la directive de 2014 » ou « la directive 2014/104 »).
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 294

victimes de pratiques anticoncurrentielles. Partie de la volonté de concrétiser le


droit substantiel à réparation du préjudice concurrentiel des consommateurs, la
directive a en réalité créé une véritable procédure civile concurrentielle. Dans le
même mouvement, la France a introduit spécifiquement une action de groupe en
droit de la concurrence24. Paradoxalement, si ces changements s’amorcent dans les
textes de loi en Europe, c’est par la voie judiciaire que la mutation semble s’opérer
au Canada.
Le private enforcement a pris son envol ces dernières années au Canada alors
qu’il est resté longtemps en sommeil. En effet, le système civiliste de la province du
Québec connaît un attrait croissant pour les procédures d’actions collectives contre
les cartels25. Ces avancées juridiques posent donc la question de savoir comment
le droit de la concurrence protège les consommateurs, notamment dans le cadre
du private enforcement. En effet, cette évolution du droit au Canada remet-elle en
cause le principe selon lequel « [c]e n’est que par ricochet que le consommateur est
atteint et peut bénéficier des effets de [la Loi sur la concurrence] »26.
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Dans ce contexte, la présente étude vise à rappeler les aspects de la Loi cana-
dienne qui sont en faveur du consommateur. Il est vrai que par son nom, la « Loi
sur la concurrence », elle semble destinée davantage au milieu des affaires qu’aux
consommateurs, entendus au sens du droit de la consommation. Nous aurons de
cette manière l’occasion de clarifier les liens mal connus qui existent entre le droit
de la concurrence et le droit de la consommation au Canada27. Le droit européen
offrira à ce titre l’avantage de démontrer les bienfaits ou au moins les pistes qui
permettent de faire du consommateur un acteur du droit de la concurrence. Ainsi,
nous espérons pouvoir rappeler que le droit de la concurrence n’est pas seulement
un droit économique déconnecté des enjeux de la protection du consommateur.
Dans un premier temps, nous présenterons la vision européenne de la pro-
tection du consommateur. Celle-ci se manifeste non seulement dans les traités
européens, mais aussi dans des textes spéciaux comme la directive 2014/104
(2). Dans un second temps, il sera question de l’étude du droit de la concurrence
canadien, celui-ci faisant une place relative au consommateur lors de sa mise en
œuvre en raison d’un obstacle constitutionnel (3). Le droit européen et plus par-
ticulièrement l’exemple du droit français témoignent, quant à eux, d’une orienta-
tion favorable à la protection du consommateur en droit de la concurrence au sein

24. D. Mainguy, L’action de groupe en droit français après la Loi Hamon du 17 mars 2014, Paris,
Gazette du Palais, Lextenso Éditions, 2014.
25. E. Vallières, « Recours collectifs au Québec : le droit de la concurrence à toutes les sauces », in
Colloque national sur les recours collectifs : développements récents au Québec, au Canada et
aux États-Unis, Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 380, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2014, p. 447.
26. P.-C. Lafond, Droit de la protection du consommateur : théorie et pratique, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2015, p. 43.
27. Ces liens ont déjà été étudiés en Europe, v. M.-St. Payet, Droit de la concurrence et droit de la
consommation, Thèse, Paris, Dalloz, 2001. V. aussi l’ouvrage remarquable de C. Lucas de Leyssac
et G. Parleani, Droit du marché, Paris, PUF, 2002.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 295

de l’Union européenne. Cette protection offerte en droit français est intéressante,


car elle s’inscrit dans un droit civil longtemps critiqué pour son inertie à l’endroit
des consommateurs en matière de préjudice concurrentiel. Il a ainsi anticipé la
réforme proposée par la directive 2014/104. De son côté, la province du Québec
témoigne elle aussi, en droit civil, d’une faculté d’adaptation remarquable en droit
de la concurrence pour favoriser la protection du consommateur (4).

2 LA VISION EUROPÉENNE DE LA PROTECTION DU


CONSOMMATEUR EN DROIT DE LA CONCURRENCE
La conception des objectifs du droit de la concurrence, et plus généralement de
la politique antitrust d’un pays, explique pour beaucoup certains choix faits par
le législateur en faveur de la protection du consommateur. En Europe, la décision
Courage a marqué un tournant décisif en acceptant que le consommateur ne soit pas
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simplement un spectateur de la régulation de la concurrence, mais bien un acteur de
ce jeu en réclamant la juste indemnisation qui résulte d’un acte anticoncurrentiel.
La directive de 2014 n’est que l’aboutissement de ce point de vue sur le droit de la
concurrence. L’objectif social, c’est-à-dire la prise en compte des plus faibles par le
droit, et non simplement économique, du droit de la concurrence européen véhiculé
par la directive, démontre que le private enforcement est le témoin de cette évolu-
tion. En acceptant que le consommateur final ait un droit de regard effectif sur le
processus concurrentiel dès lors qu’il en résulte pour lui un préjudice, le législateur
européen donne à sa politique de concurrence une portée sociale. Pourtant, cette
portée sociale n’a pas toujours été admise par la Commission européenne. En effet,
elle a pu considérer à tort28 que l’intérêt général, le bon fonctionnement du marché
et surtout le marché unique29 étaient les objectifs ultimes de la politique européenne
de concurrence. Pourtant, selon les juridictions européennes, l’intérêt du consom-
mateur et sa protection sont des objectifs de premier plan en Europe, mais pas seu-
lement30. En effet, comme il est affirmé à l’article 12 du TFUE31 : « Les exigences
de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition
et la mise en œuvre des autres politiques et actions de l’Union. » Cette disposition
ne peut donc être ignorée de la politique européenne de concurrence. Le règlement

28. K.J. Cseres et J. Mendes, « Consumers’ Access to EU Competition Law Procedures: Outer and
Inner Limits », Common Market Law Review, vol. 51, 2014, p. 489.
29. A. Albors-Llorens, « Competition and Consumer Law in the European Union: Evolution and
Convergence », Yearbook of European Law, vol. 33, n° 1, 2014, p. 166.
30. La politique du marché intérieur peut primer sur la protection du consommateur de manière à
n’offrir finalement qu’une protection européenne inférieure à celle du droit national, voir CJCE,
13 mai 1997, République fédérale d’Allemagne c. Parlement européen et Conseil de l’Union
européenne, aff. C-233/94, pp. I-2405.
31. Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE C 326, 26 octobre 2012, pp. 0001-
0390.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 296

1/200332 a décentralisé l’application des règles issues des articles 101 et 102 TFUE,
contribuant à rapprocher le droit de la concurrence européen de ses destinataires, à
savoir les entreprises et les consommateurs. Cependant, on peut considérer que les
entreprises sont davantage les destinataires de la directive que les consommateurs.
Dans le texte du TFUE, le Titre XV est réservé explicitement à la protection
du consommateur par l’Union européenne. Pourtant, cette disposition ne figure pas
dans les considérants de la directive 2014/104 alors qu’elle nous semble répondre
aux exigences de l’article 169(1) TFUE dans ce Titre XV33. Il dispose :
« Afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d’assurer un niveau élevé de
protection des consommateurs, l’Union contribue à la protection de la santé, de la sécu-
rité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu’à la promotion de leur
droit à l’information, à l’éducation et à s’organiser afin de préserver leurs intérêts34. »

Les intérêts économiques des consommateurs cadrent pourtant avec la politique


de concurrence menée dans l’Union35. Cependant, ces cinq objectifs fondamentaux
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sont ceux d’un droit de la consommation européen36. On perçoit là une scission
entre le droit de la concurrence européen et un droit de la consommation euro-
péen. La politique de concurrence permettrait indirectement de satisfaire l’intérêt
du consommateur et la protection effective du consommateur ressortirait d’autres
dispositions spéciales. Pourtant, la directive 2014/104 contredit ce scénario. Elle
vient en théorie protéger effectivement le consommateur dans l’antre de la concur-
rence. À tout le moins, les spécialistes étaient en droit d’attendre de la directive
cette vocation protectrice pour le consommateur. Pour cette raison, l’absence de
renvoi à l’article 169 TFUE dans les considérants de la directive démontre le choix
du législateur européen de ne pas inscrire cette directive en faveur du consomma-
teur, mais plutôt en direction du milieu des affaires. D’ailleurs, l’abandon de la
procédure de recours collectif dans la directive illustre cette position. À ce titre, le
premier considérant de la directive tranche avec d’autres directives explicitement

32. Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles
de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.
33. Cet article n’a finalement été que très peu utilisé, voir S. Weatherill, EU Consumer Law and
Policy, Cheltenham, Edward Elgar Publishing Limited, 2013, pp. 16 et s.
34. Nous soulignons.
35. Par exemple, la directive 2005/29/ce du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 sur les
pratiques commerciales déloyales, JOUE L 149/22, 11 juin 2005, citait l’article 153, c’est-à-dire
l’ancienne numérotation de l’article 169 TFUE en tant que premier considérant. On peut citer
aussi la récente directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre
2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, le troisième considérant
énonce : « L’article 169, paragraphe 1, et l’article 169, paragraphe 2, point a), du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne prévoient que l’Union doit contribuer à la réalisation d’un
niveau élevé de protection des consommateurs par des mesures adoptées en application de l’article
114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne […] », JOUE L 326/1, 11 décembre
2015. Nous soulignons.
36. A. Albors-Llorens, « Competition and Consumer Law in the European Union: Evolution and
Convergence », op. cit., note 28, pp. 174-175.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 297

en faveur du consommateur et qui font de l’article 169 un élément présent dès les
premiers considérants :
« Les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relèvent
de l’ordre public et il y a lieu de pourvoir à leur application effective dans l’ensemble
de l’Union, afin d’éviter que la concurrence ne soit faussée sur le marché intérieur37. »

La réalisation du marché intérieur est ainsi le seul horizon indépassable de la


directive 2014/104. Il n’y a finalement qu’une convergence des objectifs entre les
deux politiques.
Cette convergence se traduit par l’évolution récente du droit européen qui
voit l’avènement d’un public enforcement centralisé face à un private enforcement
décentralisé dont le règlement 1/2003 constituait la première pierre et dont la direc-
tive 2014/104 vient marquer l’achèvement de l’édifice38. Mais est-ce vraiment la
fin de cette construction propre à l’Union ? D’aucuns s’accordent pour dire que la
directive « action privée » est conservatrice39 et qu’elle reste timorée comparati-
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vement au modèle américain40. Une évolution à venir pourrait résider dans l’adop-
tion d’un modèle européen d’action collective dans le domaine de la concurrence
puisque ce rendez-vous a été manqué par la directive 2014/10441. Cette voie a déjà
été amorcée par la Commission avec son « paquet private enforcement »42 dans
lequel figure une recommandation aux États membres sur la question des actions
collectives43. Dans cette recommandation, si les considérants ne rappellent pas
l’article 169 TFUE, le considérant n° 3 vient néanmoins rappeler pudiquement que
les actions collectives ont été évoquées par la Commission concernant les actions
en réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles. Il s’agit là d’une
prise en compte du consommateur au niveau de l’application pratique des règles

37. Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à


certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions
aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, op. cit.,
note 22.
38. R. Cisotta, « Some Considerations on the Last Developments on Antitrust Damages Actions and
Collective Redress in the European Union », The Competition Law Review, vol. 10, n° 1, 2014,
p. 103.
39. Ibid., p. 98.
40. R.H. Lande, « The Proposed Damages Legislation: Don’t Believe the Critics », Journal of Euro-
pean Competition Law & Practice, January 31, 2014 ; R.H. Lande, « The Proposed Damages
Directive: the Real Lessons frond the United States », CPI Antitrust Chronicle, March 2014 (2).
41. La protection du consommateur en Europe en droit de la concurrence ne prend que la forme des
actions en réparation individuelles ou collectives depuis la décision Courage, voir H.-W. Micklitz,
« Consumers and Competition – Access and Compensation under EC Law », European Business
Law Review, 2006, p. 8.
42. L’expression figure dans C. Prieto et D. Bosco, Droit européen de la concurrence. Ententes et
abus de position dominante, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 1424.
43. Commission européenne, Recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des prin-
cipes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans
les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union, 2013/396/UE,
JOUE L 201/60, 26 juillet 2013.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 298

et non au niveau de la régulation44. La protection du consommateur au niveau de


la régulation de la concurrence consiste à l’inclure dans la définition des pratiques
anticoncurrentielles afin qu’il soit pris en compte dans l’analyse de l’acte anticon-
currentiel. On peut citer, par exemple, l’article 102 b) TFUE qui qualifie d’abusive
la pratique consistant à « limiter la production, les débouchés ou le développement
technique au préjudice des consommateurs ». Ainsi, il y a bien un double palier de
protection du consommateur, l’un ressortissant de la régulation de la concurrence,
l’autre, plus pratique, ressortissant de la mise en œuvre du droit à réparation des
consommateurs victimes de pratiques anticoncurrentielles par la voie judiciaire.
Ce double palier se retrouve également au Canada et trouve même une expression
concrète dans la répartition des compétences entre les paliers fédéral et provincial.

3 LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR


ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE AU CANADA :
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ANTAGONISME OU COMPLÉMENTARITÉ ?
Au Canada, la protection du consommateur revient aux provinces canadiennes. En
effet, la Loi constitutionnelle canadienne confère à celles-ci le soin de légiférer sur
les questions de droit civil et de propriété45. Selon cette disposition, le parlement
fédéral n’intervient pas dans les relations privées entre les particuliers. Le droit
privé est une compétence provinciale. De cette situation, nous pouvons consta-
ter un antagonisme constitutionnel entre les deux disciplines (3.1), mais aussi une
complémentarité sur le plan judiciaire (3.2).

3.1 
Un antagonisme constitutionnel

Le droit de la consommation, élément de droit privé, régit les relations entre le consom-
mateur et l’entreprise avec laquelle il contracte. De nature éminemment contractuelle,
le droit de la consommation est donc légitimement l’objet de législations spéciales
comme on peut le constater dans la province du Québec. La Loi sur la protection du
consommateur46, votée en 1978, a été l’une des premières législations consuméristes47.
D’un point de vue constitutionnel, le parlement fédéral est compétent pour
légiférer auprès du fabricant d’un produit ou de l’importateur de celui-ci pour tout
ce qui est relatif à la sécurité des produits et leur qualité rappelant ainsi l’article 169
TFUE. De plus, « [l]e caractère antisocial de certaines pratiques est également de

44. H. Vedder, « Competition Law and Consumer Protection: how Competition Law can be Used to
Protect Consumers even Better – or not? », European Business Law Review, 2006, p. 86.
45. Art. 92.13, Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.).
46. Loi sur la protection du consommateur, R.L.R.Q., ch. P-40.1.
47. À titre d’exemple, le Code de la consommation français est entré en vigueur en 1993.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 299

son ressort par le biais du droit pénal »48. L’aspect répressif du droit fédéral appa-
raît notamment dans la Loi sur la concurrence. En effet, « [l]e droit criminel et la
compétence sur le commerce “en général” constituent les justifications les plus
importantes de l’intervention du Parlement fédéral en droit de la consommation,
notamment en ce qui a trait à la Loi sur la concurrence »49. Cette dernière seg-
mente le droit de la concurrence canadien en deux parties : d’un côté, les pratiques
faisant l’objet d’une répression forte sous forme de condamnation à des amendes
ou à des peines d’emprisonnement résultant du pouvoir du parlement canadien en
matière de droit criminel, et, d’un autre côté, les pratiques non criminelles ou, selon
l’expression consacrée par la Loi, « les affaires que le Tribunal [de la concurrence]
peut examiner »50 qui relèvent du pouvoir d’Ottawa en matière de commerce en
général51. En effet, un tribunal spécial, le Tribunal de la concurrence52, existe pour
les infractions de moindre importance qualifiées de « civiles » dans la Loi. Ce
tribunal prononce des injonctions et des amendes administratives. Les infractions
relatives à la concurrence sont quant à elles considérées comme les plus graves et
sont traitées comme des infractions au Code criminel au même titre qu’un assassi-
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nat ou qu’une escroquerie. Par conséquent, les participants à une entente anticon-
currentielle sont jugés devant les juridictions de droit commun.
On comprend dès lors que le consommateur canadien ne reçoit qu’une protec-
tion indirecte de la part du droit fédéral, c’est-à-dire qu’il prévoit des dispositions
pénales ou criminelles pour dissuader et, en cas d’infraction, châtier l’auteur de
l’infraction au même titre que l’État veille à la sécurité des citoyens. La protection
« directe » ne relève pas du droit fédéral. Le consommateur ne trouve de protection
« directe » que dans le droit provincial à condition que le législateur de la province
ait été proactif en ce domaine. Le Québec fait ici figure d’exemple avec sa Loi sur
la protection du consommateur. Cependant, on ne retrouve pas dans cette loi de dis-
positions visant directement la concurrence. Cette dernière relève essentiellement
du droit fédéral. Là encore, le droit constitutionnel vient expliquer cet état du droit.

3.2 
Une complémentarité judiciaire

Pendant tout le XXe siècle, la compétence du parlement fédéral en matière de


concurrence a été critiquée53. Il a fallu attendre la réforme de 1986 et un litige

48. N. L’Heureux et M. Lacoursière, Droit de la consommation, Cowansville, Éditions Yvon Blais,


2011, p. 9. Voir aussi, art. 91(27), Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) sur la
compétence criminelle du parlement canadien.
49. P.-C. Lafond, Droit de la protection du consommateur : théorie et pratique, op. cit., note 25,
p. 46, § 105.
50. Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, Partie VIII.
51. Art. 91(2), Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.).
52. Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985), ch. 19 (2e suppl.).
53. C. Bouchard, Droit de l’entreprise, t. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 330, § 322 ;
K. Diawara, « Introduction au droit de la concurrence », in JurisClasseur Québec, coll. « Droit des
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 300

relatif au droit d’action des victimes de pratiques anticoncurrentielles, consacré


à l’article 36 de la Loi54, pour que la compétence du parlement fédéral soit enfin
assise sur le plan constitutionnel55. La Cour suprême du Canada trancha en faveur
d’une compétence du parlement fédéral en matière d’échanges et de commerce
pour tout ce qui ressort de la concurrence. À l’occasion de ce contentieux constitu-
tionnel, le Québec a fait valoir une compétence en matière de concurrence pour ce
qui concerne le commerce interne aux provinces. Cette position fut rejetée, refer-
mant définitivement la porte à un encadrement provincial de la concurrence. Pour
cette raison, si dans d’autres droits étrangers, la protection du consommateur et le
droit concurrence dialoguent comme en Europe, il n’en est rien au Canada. Les
deux matières continuent de se vouvoyer. Au droit fédéral revient le soin de punir56,
au droit provincial revient le soin d’offrir des voies de recours aux consommateurs
et d’encadrer leurs relations contractuelles. En droit civil, le droit de la consom-
mation est une déclinaison protectrice du droit des contrats57. Il s’agit là d’une
protection directe. De même, la violation du droit de la consommation québécois
offre la possibilité d’un recours en dommages et intérêts et même en dommages
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et intérêts punitifs58. Exception au droit civil, le droit de la consommation va plus
loin dans les mesures de « réparation-sanction » de nature privée. Il y a donc une
relative complémentarité entre le droit provincial québécois et le droit fédéral de
la concurrence. L’un assure une protection directe du consommateur, l’autre une
protection indirecte en veillant sur les mécanismes du marché. Il persiste ainsi un
antagonisme réel entre ces deux droits : ils n’émanent pas du même législateur et
n’ont pas la même mission. Le droit fédéral assure la sécurité du consommateur
alors que le droit provincial encadre ses relations contractuelles. Néanmoins, l’évo-
lution de ces dernières années montre que le droit de la concurrence assure une
protection des consommateurs par l’entremise du recours collectif et de l’article 36
de la Loi sur la concurrence59.
Ainsi, le droit de la concurrence n’a pas seulement pour fonction de maintenir
et de développer la concurrence, il cherche aussi, en limitant les abus de puissance

affaires », Droit de la consommation et de la concurrence, fasc. 31, Montréal, LexisNexis Canada,


feuilles mobiles, p. 24/1.
54. À cette époque, la numérotation de l’article était 31.1.
55. General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641 et Québec Ready
Mix Inc. c. Rocois Construction Inc., [1989] 1 R.C.S. 695.
56. Le propos est toutefois à nuancer avec le processus de civilisation du droit de la concurrence au
Canada qui permet depuis 1976 la poursuite administrative, dite civile au Canada, du refus de
vendre et des pratiques verticales. Voir, à ce sujet, C. Bouchard, Droit de l’entreprise, t. 2, op. cit.,
note 52, p. 332, § 325.
57. Le Code civil du Québec joue un rôle supplétif en droit de la consommation québécois, v. P.-C. Lafond,
Droit de la protection du consommateur : théorie et pratique, op. cit., note 25, p. 77, § 22.
58. Art. 272, Loi sur la protection du consommateur, R.L.R.Q., ch. P-40.1.
59. S. Bourque et C. Lamarre-Dumas, « Canada : Les recours collectifs en matière de dommage
concurrentiel », Concurrences n° 1-2006, p. 207 ; S. Côte et D. Tournier, « De l’évaluation des
dommages suivant la résiliation des contrats de service et les contraventions à la Loi sur la concur-
rence », in Les dommages en matière civile et commerciale, Service de la formation continue du
Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 301

économique, à protéger le consommateur. Nous allons maintenant voir comment


se construit la protection du consommateur dans la législation relative à la concur-
rence et comment certaines initiatives prises en droit civil québécois favorisent
cette protection.

4 LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR EN DROIT


CIVIL : REGARD SUR LES INITIATIVES EUROPÉENNES,
CANADIENNES ET QUÉBÉCOISES DANS LE DOMAINE
DE LA CONCURRENCE
L’Union européenne a, de son côté, pris une position tranchée en faveur de la pro-
tection des opérateurs économiques par le biais du private enforcement. Mais la
directive européenne 2014/104 est la démonstration de cette jonction plus que celle
d’un avènement, à proprement parler, du droit de la consommation européen dans
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le domaine de la concurrence (4.1). Cette position est intéressante pour les systèmes
civilistes, souvent accusés d’être de nature à pénaliser les initiatives privées tendant à
la réparation des préjudices concurrentiels. Au Canada, le droit civil de la province du
Québec, baigné dans un environnement de droit d’origine anglaise, semble pourtant
démontrer une capacité à répondre aux besoins des consommateurs en matière de
protection subjective de leurs droits. Par exemple, la Loi sur la protection du consom-
mateur pourrait avoir une portée renforcée dans le domaine de la concurrence en
utilisant le pouvoir législatif des provinces en droit civil, à l’image du projet de loi
26 du gouvernement du Québec relatif à la réparation du préjudice concurrentiel subi
par l’État québécois à la suite de fraudes dans les contrats publics (4.2).

4.1 
La directive européenne 2014/104 et la protection
du consommateur en Europe

L’Union européenne a, en quelque sorte, franchi le Rubicon qui jusque-là séparait


la protection du consommateur du droit de la concurrence. La directive 2014/104
vient prévoir des règles spéciales pour l’action en réparation des victimes de pra-
tiques anticoncurrentielles60. En somme, la directive vient imposer un niveau mini-
mum de garantie pour les consommateurs dans ce type de recours. Par là même,
chaque État membre doit s’interroger sur l’état de son droit interne sur cette ques-
tion et voter une loi de transposition qui met en œuvre ces injonctions européennes.

60. J. Grangeon, « La directive relative aux actions en réparation à la suite d’une pratique anticon-
currentielle : révolution ou évolution du private enforcement dans l’Union ? », RLDA, 101, février
2015, p. 59 ; X. Delpech, « Publication de la directive sur l’indemnisation des pratiques anticon-
currentielles », AJ Contrats d’affaires, Concurrence, Distribution, 2015, p. 4 ; R. Saint-Esteben,
« L’impact de la future directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques
anticoncurrentielles », AJ Contrats d’affaires, Concurrence, Distribution, 2014, p. 258.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 302

Cependant, la directive reste décevante dans la mesure où beaucoup de mesures


phares pour l’action privée sont restées lettre morte. Les dommages et intérêts
punitifs sont non seulement rejetés, mais aucune mesure ne peut permettre une
forme de peine privée. Quant à l’action collective, pièce maîtresse de l’action pri-
vée nord-américaine, elle disparaît finalement de la directive européenne au profit
d’une simple recommandation. Elle marque ainsi qu’elle est une directive davan-
tage tournée vers les entreprises que vers les consommateurs. Par conséquent, le
bilan de presque dix années de réflexion est loin d’amener le droit européen sur
les traces du private enforcement des États-Unis. Dans ce cas, quels sont les méca-
nismes utilisés par la directive pour améliorer le sort des consommateurs dans les
litiges de concurrence ?
D’abord, précisons que, conformément à la vision concurrentielle du consom-
mateur, l’article 1er de la directive vise les personnes physiques, morales, les pro-
fessionnelles et les consommateurs61. Il énonce en effet que « toute personne ayant
subi un préjudice » peut agir en réparation devant un tribunal. La protection du
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consommateur est alors large du point de vue ratione personae. La consécration
de ce droit ne vient qu’entériner les décisions de la Cour de justice sur cette ques-
tion62. En revanche, on réalise à la lecture de la directive qu’il s’agit bien plus d’un
problème de procédure civile que de la consécration d’un droit à réparation. Le
principal obstacle que rencontraient les victimes-consommateurs demeure à ce jour
la quantification du préjudice et de sa preuve63. La directive vient faciliter la tâche
des victimes en établissant un jeu de présomptions. Désormais, une décision défi-
nitive d’une autorité nationale de concurrence constatant l’infraction au droit de la
concurrence établit de manière irréfragable la faute civile des auteurs à condition
que l’action privée soit intentée dans l’État membre où la décision de l’autorité
nationale de concurrence a été prise64. Un certain courant jurisprudentiel français
avait introduit cette présomption65, s’inscrivant dans la lignée de ce qui existait
déjà dans le domaine de la concurrence déloyale66. Si la décision provient d’une
juridiction européenne étrangère, il s’agit d’une preuve prima facie 67. En ce qui a

61. R. Amaro, « La transposition de la directive 2014/104/UE en droit français », in La transposition


de la directive 2014/104/UE relative aux actions en dommages-intérêts pour violation du droit des
pratiques anticoncurrentielles, Concurrences n° 2-2015, § 2.
62. Ibid., § 6.
63. Paris, 5e ch., pôle 5, 2 juill. 2015, SA Electricité de France c. SAS Nexans France, RG n° 13/22609,
dite l’affaire des câbliers dans laquelle la Cour d’appel de Paris conclut à l’absence de démons-
tration d’un préjudice certain.
64. Art. 9, al. 1 de la directive.
65. T. com., 6e ch., Paris, 30 mars 2011, Numericable a. c. France Télécom, RG n° 2009/073089, CCE
2001, comm. 76, obs. M. Chagny. De même, toute forme de réparation forfaitaire est exclue, voir
Com. 23 nov. 2010, n° 09-71.665, non publié.
66. Com. 3 juill. 2001, Mondial Bracelets c. Cobra, n° 98-18.352, non publié.
67. Art. 9, al. 2 de la directive. Comme le notent certains auteurs, cela peut porter atteinte à l’ar-
ticle 47 de la Charte des droits fondamentaux quant à l’indépendance et l’impartialité des juges,
voir C. Brömmelmeyer, E. Jeuland et M. Serafimova, « Directive Private Enforcement : l’Union
européenne dépasse-t-elle les bornes ? », JCP E. 2015, doctr. 343, § 19.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 303

trait au préjudice, la directive ouvre la possibilité d’une estimation du préjudice68


dès lors « qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier
avec précision le préjudice sur la base des éléments de preuve disponibles ». La
directive porte ici un coup en droit civil au principe de la réparation intégrale qui
veut que seul le préjudice prouvé soit indemnisé69. En effet, la Cour de cassation est
claire, le préjudice ne peut faire l’objet d’une évaluation forfaitaire70. En France,
certaines décisions ont mis en évidence ces difficultés. Notamment, il est interdit
pour les juridictions du fond de se baser sur la gravité de la faute pour évaluer le
préjudice71. Comme l’ont remarqué certains auteurs français, cette ouverture de la
directive est la bienvenue et n’est pas tant en contradiction avec les principes du
droit civil continental72. Il peut néanmoins paraître contradictoire d’exclure toute
forme de peine privée en la matière et, dans le même temps, de laisser la possibilité
d’une estimation du préjudice, c’est-à-dire d’une approximation du préjudice.
En effet, la directive exclut totalement les dommages et intérêts punitifs et
même les dommages et intérêts restitutoires73 : ni punition ni restitution, mais
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bien une juste indemnisation, telle pourrait être la leçon à retenir de la directive.
Le choix est celui de la réparation. La directive rejette sans ambages toute autre
forme d’indemnisation à l’article 3, alinéa 3. La « réparation excessive » – le mot
« excessive » est lourd de sens et indique le point de vue des instances européennes
sur cette question – consiste en l’allocation de dommages et intérêts punitifs ou
multiples, renvoyant aux dommages triples du droit américain, ainsi qu’à tout
autre type de dommages et intérêts, comme, par exemple, les dommages et inté-
rêts restitutoires. La directive va ici peut-être trop loin. La protection des consom-
mateurs et un niveau suffisant de dissuasion militent pour qu’au moins les États
membres puissent aller au-delà de la réparation intégrale. De plus, l’estimation des
dommages et intérêts compensatoires va laisser place à une évaluation forfaitaire
des dommages et intérêts. À titre d’exemple, au Québec, les juges utilisent les
dommages et intérêts forfaitaires quand le préjudice existe, mais qu’il est difficile
à quantifier74. De l’approximation du préjudice à la peine privée, il n’y a qu’un

68. Art. 17, al. 1 de la directive.


69. Ce qui ne permet pas non plus de baser l’évaluation de la réparation sur l’économie réalisée par le
défendeur, Com. 21 févr. 2012, n° 10-27.966, non publié.
70. Com. 23 nov. 2010, n° 09-71.665, non publié.
71. T. com., Paris, 30 mars 2011, Numericable, op. cit., note 64.
72. S. Carval, « La réparation du dommage concurrentiel dans le droit français de la responsabilité :
le point de vue d’un civiliste », Concurrences n° 2-2014, p. 54, § 12. De la même auteure, « L’esti-
mation du montant des préjudices concurrentiels. Un possible apport de la directive n° 2014/104
au droit commun de la responsabilité civile », D. 2015, p. 1290. On peut aussi citer les travaux de
Muriel Chagny et du Laboratoire DANTE de l’Université de Versailles, notamment M. Chagny,
« Quelle(s) réforme(s) et adaptation(s) du droit français ? Approche critique et prospective », in
M. Chagny (dir.), La réparation des dommages concurrentiels en France et en Europe : État des
lieux et changements à venir, op. cit., note 16, p. 59.
73. Sur cette notion, on peut se référer à G. Viney, « Quelques propositions de réforme du droit de la
responsabilité civile », D. 2009, p. 2944.
74. J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile, t. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2014, § 1-372.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 304

pas. En cela, la directive offre un argument d’appel aux défendeurs qui jugeront
être civilement condamnés à une peine privée. Cette tendance se constatera aisé-
ment en France où le principe de la réparation intégrale est sacré. Gageons que
l’introduction de l’action de groupe en droit de la concurrence assouplisse la répa-
ration collective des victimes.

4.2 
L’avancée française en faveur des actions collectives
en droit de la concurrence

Prenant acte de la volonté européenne de favoriser la réparation du préjudice


concurrentiel des consommateurs75, le législateur français a finalement mis fin
à plusieurs décennies de débats en introduisant l’action de groupe en droit de la
concurrence et en droit de la consommation. Bien que l’Union européenne ait
finalement renoncé à imposer aux États membres cette solution pour remédier à
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l’inertie du private enforcement européen, la France a su faire preuve d’une audace
mesurée en prévoyant une action privée collective spécifique au domaine de la
concurrence76. Désormais, la loi Hamon du 17 mars 2014 offre aux consommateurs
la possibilité de s’unir par l’entremise d’une association de consommateurs agréée
pour obtenir la réparation de leur préjudice concurrentiel77. Il s’agit d’une révolu-
tion en droit français, droit de tradition civiliste, qui répugnait jusque-là à copier
les initiatives nord-américaines pour améliorer le sort des victimes de pratiques
anticoncurrentielles78. En effet, lors des réflexions françaises menées au début des
années deux mille sur le Livre vert européen relatif aux actions privées, lequel
inaugurait la phase de gestation de la directive européenne 2014/104, l’accueil du
droit américain comme source d’inspiration d’une réforme à ce sujet avait été vive-
ment critiqué. Mais déjà Monsieur Guy Canivet reconnaissait l’intérêt du modèle
civiliste québécois pour réformer le droit civil français79. Sans entrer dans le détail

75. Voir § 4.1.
76. Pour des commentaires en France sur ce sujet, v. N. Homobono, « L’introduction d’une procédure
d’action de groupe en France », Concurrences n° 3-2013, p. 54 ; C. Prieto, « Atermoiements récur-
rents sur l’action de groupe », Concurrences n° 3-2013, p. 5, ou encore l’avis de l’autorité de concur-
rence française rendu en 2006 par le Conseil de la concurrence : Avis du Conseil de la concurrence
relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, 21 sep-
tembre 2006, en ligne : <http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/classactions.pdf>.
77. M. Bacache, « Action de groupe et responsabilité civile », RTD civ. 2014, p. 450 ; F. Brunet,
A. Dupuis et E. Paroche, « L’action de groupe : l’indemnisation des consommateurs favorisée au
détriment de la détection des cartels ? », D. 2014, p. 1600 ; J. Catala Marty, « Réflexions autour
de l’action de groupe en droit de la concurrence », Gaz. Pal. 2014, p. 11 ; E. Claudel, « Action de
groupe et autres dispositions concurrence de la loi sur la consommation : un dispositif singulier »,
RTD com. 2014, p. 339.
78. Assemblée nationale, Rapport d’information déposé par la délégation de l’Assemblée nationale
pour l’Union européenne, sur le Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction
aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2005) 672
final/E 3047, et présenté par Marc Laffineur, n° 3200 (2005-2006), 28 juin 2006.
79. Ibid., p. 45.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 305

de la loi Hamon désormais transcrite dans le Code de la consommation, ni dans


les décrets et autres circulaires pris consécutivement à l’entrée en vigueur de la
loi, l’action de groupe française est la matérialisation procédurale de ce lien qui
unit la protection du consommateur au droit de la concurrence. La concurrence
n’est pas une fin, mais un moyen au service du consommateur. Il apparaît alors
cohérent de faire bénéficier le consommateur d’une protection contre les préjudices
générés par la lutte concurrentielle. Cependant, cette protection est destinée au seul
consommateur personne physique et non aux PME dont la vulnérabilité n’est plus à
démontrer80. Le private enforcement, en tant que représentation de la protection du
consommateur par le droit de la concurrence, n’est pas conçu en France comme un
outil bénéficiant au consommateur final, donc aussi aux entreprises. Il reste l’apa-
nage du consommateur personne physique. Pratiquement, la jonction entre le droit
de la consommation et le droit de la concurrence n’est pas complète. Cette situation
est caractéristique d’un droit français hésitant dans le domaine des actions collec-
tives. Si les commentateurs relèvent volontiers la limitation matérielle de l’action
de groupe aux droits de la consommation et de la concurrence, il convient aussi de
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signaler sa limitation relativement aux destinataires de cette action. L’entreprise,
peu importe sa taille, n’est pas que l’auteur d’actes contraires au droit de la concur-
rence ; elle peut aussi être la victime de ces pratiques. Il est vrai qu’en droit civil,
l’action en concurrence déloyale permet déjà d’appréhender un certain nombre de
comportements néfastes pour le marché, mais son champ d’intervention est limité
au droit de la concurrence et non aux situations où la concurrence s’exerce au
mépris du droit81. À ce titre, les consommateurs personnes physiques ne peuvent
pas se prévaloir de cette action particulière offerte aux commerçants.

4.3 
L’action privée canadienne initiée par l’article 36 de Loi
sur la concurrence

L’article 36 de la Loi sur la concurrence permet la poursuite privée en réparation


des pratiques criminelles contraires à la concurrence82. Il dispose :

80. R. Becker, in J.-P. Delevoye (dir.), Les PME face au droit de la concurrence, Chambre de com-
merce de Paris, colloque du 22 juin 2011, RLC 2011/29, p. 169 : « Les toutes petites entreprises
n’ont simplement aucune chance, étant donné les coûts assez complexes d’une action en droit de
la concurrence ». L’expert ajoute : « Lorsque l’on s’intéresse aux différents groupes de victimes,
ce sont incontestablement le groupe des PME, ainsi que celui des consommateurs finals, qui sont
les moins protégés » ; J. Riffaut-Silk, in J.-P. Delevoye (dir.), Les PME face au droit de la concur-
rence, ibid., p. 174 : « [...] les PME se trouvent dans une situation tout à fait différente de celle des
consommateurs. Elles, elles ont à craindre d’une action en justice et des représailles qui peuvent
s’ensuivre, tel un déréférencement qui les condamnerait à mort, tout simplement. »
81. On parle alors de concurrence illégale, voir J. Passa, « Domaine de l’action en concurrence déloyale »,
J.-Cl. civ., fasc. 240, p. 7, § 22.
82. D. Gascon, E.C. Lefebvre et F. Wilson, « Recours et procédure en matière de concurrence », Juris-
Classeur Québec, coll. « Droit des affaires », Droit de la consommation et de la concurrence,
fasc. 31, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, p. 31/20 ; Y. Bériault, M. Renaud et
Y. Comtois, Le droit de la concurrence au Canada, Scarborough, Carswell, 1999, p. 99.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 306

« (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :
a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI ;
b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le
Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,
peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu
un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant
de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme
supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de
toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent
article. »

Par exemple, le domaine des ententes anticoncurrentielles est particulièrement


fertile. Le Canada a connu un phénomène procédural intéressant pour le consom-
mateur au début des années deux mille. Si, jusque-là, seul le Québec s’était doté
d’un recours collectif pour assurer la protection des citoyens les plus faibles sur
un plan économique, l’intégralité des provinces canadiennes s’est dotée désormais
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d’une telle procédure. Aujourd’hui, tous les Canadiens peuvent se prévaloir de
cette voie d’action collective. En droit civil québécois, le recours collectif était
une exception curieuse. D’inspiration américaine, ce recours avait notamment fait
couler beaucoup d’encre en France. Pourtant, la France elle-même a fini par adop-
ter un tel recours dans le domaine précis du droit de la concurrence en 201483. Ce
mariage heureux du droit de la concurrence et du recours collectif s’est également
opéré au Canada, mais de manière tacite. En effet, dans les années soixante-dix, le
gouvernement fédéral avait tenté d’introduire une action collective en droit de la
concurrence84. Il s’agissait de la seconde étape venant après l’adoption d’un droit à
réparation pour violation des règles de concurrence prévues par la Loi. Néanmoins,
cette démarche a périclité alors que cette procédure aurait ressemblé peu ou prou à
la procédure d’action de groupe française en vigueur aujourd’hui, à ceci près que la
procédure canadienne était ouverte à tous et non pas uniquement aux associations
de consommateurs. De plus, la procédure ne connaissait pas la phase de déclaration
de responsabilité du professionnel, mais bien une phase de certification selon le
modèle nord-américain. Malgré cet échec, la revitalisation du recours collectif au
Canada dans les années deux mille a donné un second souffle à l’article 36 de la
Loi85. Jusque-là, il était peu invoqué par les entreprises victimes de pratiques anti-
concurrentielles et inutilisé par les consommateurs victimes des mêmes pratiques
dans un recours collectif. Les recours se sont multipliés par la suite. Le cartel de

83. D. Mainguy, L’action de groupe en droit français après la Loi Hamon du 17 mars 2014, op. cit.,
note 23.
84. R.S. Reid, « Class Actions: Deference, Redress, or Legal Nightmare? », in J.W. Rowley et
W.T. Stanbury (eds.), Competition Policy in Canada: Stage II, Bill C-13, Montréal, Institute for
Research on Public Policy, 1978, pp. 205-233 ; J.R.S. Prichard et M. Trebilcock, « Class Action
and Private Law Enforcement », University of New Brunswick Law Journal, vol. 27, 1978, p. 5.
85. S. Bourque et C. Lamarre-Dumas, « Canada : Les recours collectifs en matière de dommage
concurrentiel », op. cit., note 58.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 307

l’essence au Québec a donné lieu à un vaste recours collectif de consommateurs qui


se plaignaient d’une hausse du prix de l’essence à la pompe à la suite d’une enquête
ouverte par le Bureau de la concurrence. Cette enquête a donné lieu à des pour-
suites criminelles pour entente anticoncurrentielle86. Les consommateurs ont alors
pris la suite de cette action publique pour ouvrir dans le même temps un volet privé
afin d’obtenir réparation du surcoût payé. Une telle procédure a été rendue possible
par le recours collectif fondé sur l’article 36 de la Loi lequel est toujours invoqué au
Québec avec l’article 1457 du Code civil du Québec87. Or, dans ce contexte précis,
le droit de la consommation québécois était totalement inopérant.
Cette carence n’est pas l’apanage du droit de la consommation québécois. En
droit français, la violation des dispositions interdisant les ententes anticoncurren-
tielles dans le Code de commerce ou dans le traité européen fonde l’action en
réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles, y compris des consom-
mateurs, par le truchement d’une action en responsabilité civile tirée de l’article
1382 du Code civil88. Au sujet des actions privées en réparation du préjudice
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concurrentiel, le recours collectif combiné au droit de la concurrence permet seul
la protection des consommateurs89. Cette protection n’est alors plus le seul fait du
droit de la consommation, le droit de la concurrence assure également cette pro-
tection. Le Canada, et le Québec ne font pas exception. Le recours collectif vient
même jouer un rôle dans la protection de la concurrence. En effet, la Cour suprême
du Canada a récemment affirmé au sujet du recours des acheteurs indirects, qu’en
l’absence de poursuite publique d’une infraction au droit de la concurrence, le
recours collectif et l’action en réparation qu’il véhicule sont les seuls moyens de
sanctionner l’infraction en question90. La Cour suprême vient non seulement recon-
naître que les actions des consommateurs régulent la concurrence, mais également
que cette action a une portée punitive en l’absence de procédure publique. L’action
du consommateur, entendue ici au sens large (entreprises et consommateurs), est
complémentaire du recours public.
L’article 36 de la Loi est donc une anomalie constitutionnelle et conceptuelle
dans le paysage juridique canadien. Si son anomalie constitutionnelle a été rachetée
par la Cour suprême en décidant que cette disposition prise manifestement en droit

86. Par exemple, la décision Pétrolière Impériale c. Jacques, op. cit., note 14.
87. C’est-à-dire le droit général à réparation en droit civil québécois.
88. L. Idot, « L’application du droit européen des pratiques anticoncurrentielles par les juridictions
de droit commun, la situation en France », XXIVe congrès de la Fédération internationale de droit
européen, en ligne : <www.fide2010.eu/multisites/fide2010/templates/yoo_beyond/pdf/France/
France-2.PDF> ; L. Idot (dir.), « Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infrac-
tion aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante », colloque de
l’Institut de droit comparé de l’Université Paris II, 13 juin 2008, Concurrences n° 2-2009, p. 38 ;
J.-Cl. Fourgoux, « La réparation du préjudice des entreprises victimes de pratiques anticoncur-
rentielles », JCP E. 1999, p. 2005 ; D. Fasquelle, « La réparation des dommages causés par les
pratiques anticoncurrentielles », RTD com. 1998, p. 778.
89. L’introduction de l’action de groupe en France en droit de la concurrence l’atteste.
90. Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, § 141.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 308

civil était tout de même de la compétence du parlement fédéral91, dans les faits, son
anomalie conceptuelle persiste. Elle offre un droit à réparation au consommateur
dans un domaine relevant par nature de la compétence fédérale. C’est ici le seul
moment où se recoupent le droit de la concurrence, droit protecteur du marché, et
le droit consommation, droit protecteur du consommateur. Point d’ancrage d’une
protection directe du droit fédéral de la concurrence, cette disposition fait écho aux
objectifs de la Loi de manière incidente. En effet, la Loi sur la concurrence a pour
objectif en son article 1.1 une forme particulière de protection du consommateur.
Au-delà de la sécurité physique du consommateur, la loi se soucie de sa protection
quant aux prix et au choix des produits mis à sa disposition. Il s’agit d’un autre
point révélateur de la protection du consommateur par le droit de la concurrence
canadien en dehors du droit de la consommation.

4.4 
Les initiatives permettant la protection du consommateur
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en droit civil québécois

Au titre de l’appareil répressif de la Loi, et dans le contexte précis du droit civil


québécois92, les victimes, qu’elles soient des consommateurs ou des entreprises,
peuvent obtenir réparation des infractions aux règles de concurrence93, sur le fon-
dement de l’article 36 de la Loi vu précédemment. Le cumul avec le droit à répa-
ration provincial est possible en se fondant également sur l’article 1457 du Code
civil du Québec94. Contrairement à la Lpc95, le droit fédéral ne prévoit pas de dom-
mages et intérêts punitifs96. Seule une réparation intégrale est autorisée. Il apparaît
que ce choix du législateur fédéral nuit à la popularité de son recours pour les
consommateurs97. On peut regretter que des dommages et intérêts punitifs ne com-
plètent pas les sanctions pénales alors que les contraventions à la Loi concernant
des infractions graves pour l’économie nécessitent une sanction pénale dissuasive

91. C. Bouchard, Droit de l’entreprise, t. 2, op. cit., note 52, p. 331, § 324.
92. Au Canada, seule la province du Québec a un droit privé civiliste. Le reste du Canada est régi par
la Common law. Dans cette étude, nous étudierons seulement le droit civil québécois, notamment
pour permettre une comparaison avec le droit français.
93. Il s’agit de la Partie VI de la Loi, c’est-à-dire les ententes anticoncurrentielles, la publicité trom-
peuse, la documentation trompeuse, le télémarketing, etc.
94. Équivalent en France à l’article 1382, l’article 1457 du Code civil québécois dispose : « Toute
personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages
ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. »
95. Art. 272 Lpc.
96. Il n’encadre pas non plus directement les rapports contractuels entre les entreprises et les consom-
mateurs.
97. Alors que conjugué au recours collectif, ils formeraient une alliance intéressante dans la lutte
contre ces pratiques qui viendraient assister le Bureau de la concurrence dont les ressources limi-
tées supposent des choix dans les poursuites, voir F. Lebeau, « Le recours collectif et la publicité
trompeuse », in P.-C. Lafond, La publicité, arme de persuasion massive : les défis de l’encadre-
ment législatif, op. cit., note 11, pp. 173-195.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 309

et exemplaire98. C’est là une carence du recours privé du droit fédéral en droit de la


concurrence canadien. On peut noter que cette position est aussi celle du droit euro-
péen puisque la directive 2014/104 rejette toute forme de peine privée. Cependant,
bien que le droit de la consommation québécois autorise les dommages et inté-
rêts punitifs dans un litige de consommation99, ce droit reste limité aux infractions
classiques du droit de la consommation ; rien n’est prévu en matière de pratiques
anticoncurrentielles comme pour les ententes et les abus de position dominante100.
Une solution serait d’envisager que le législateur québécois introduise le droit à des
dommages et intérêts punitifs dans la Lpc en cas de violation des dispositions cri-
minelles et civiles de la Loi sur la concurrence fédérale. De cette manière, l’entente
anticoncurrentielle pourrait donner lieu à des actions privées punitives et l’abus de
position de dominante, jusque-là non couvert par le recours de l’article 36, donne-
rait droit, comme en France, à un recours privé101. Sur le modèle de la jeune action
de groupe française, le parlement québécois pourrait éviter les abus de procédure
en exigeant une condamnation préalable de l’auteur de l’infraction par une juridic-
tion répressive canadienne102 afin d’éviter les actions abusives. De cette manière, le
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consommateur québécois recevrait une protection légitime de la part de son droit
civil, le tout sans obstacle constitutionnel puisque, contrairement à l’intervention
législative fédérale dans le cadre de l’article 36 L.c., le parlement de Québec a une
compétence exclusive en matière de droit civil.
Cette compétence a été utilisée récemment pour servir ses intérêts et indi-
rectement les intérêts des contribuables. Le Québec a connu ces dernières années
des scandales liés à la corruption de fonctionnaires, notamment dans la ville de
Montréal, lors de la passation de marchés publics. Certains entrepreneurs se sont
entendus pour proposer en concertation des offres répondant aux marchés publics.

98.  R. c. Construction GTRL (1990) Inc., 2012 QCCS 4755. Le juge Gagnon rappelle, au par. 43 : « En
1999, le législateur fédéral a cru bon de modifier substantiellement ces règles pour, entre autres
choses, augmenter les peines sanctionnant les comportements économiques déloyaux, à saveur de
fraude, pour qu’ils soient punis pour ce qu’ils sont : des crimes. Ces amendements visaient, faut-il
le rappeler, le télémarketing, un phénomène alors en émergence. » Il reprend les décisions sui-
vantes sur la fonction dissuasive et exemplaire des infractions à la concurrence : R. c. Paré, Brière
et Caron, C.S. d’Arthabaska, n° 415-73-000001-071, 29 janvier 1997 et R. c. Darby, 2012 QCCS
26, § 49. Plus récemment, R. c. Maxzone Auto Parts (Canada) Corp., (2012) CF 1117, au par. 56 :
« Par conséquent, les ententes de cartel injustifiables, telles que les accords de fixation des prix,
doivent être traitées au moins aussi sévèrement, sinon plus, que la fraude et le vol. »
99.  Article 272 Lpc.
100. Cette dernière infraction ne donne pas droit à un recours en réparation sur le fondement du droit
fédéral, car au Canada, contrairement à la France, l’abus de position dominante est considéré da-
vantage comme une pratique restrictive ne donnant pas lieu à une sanction criminelle. Seule une
sanction administrative est permise. En l’occurrence, le Tribunal de la concurrence demandera
une amende. Depuis 2009, il y a un mouvement de décriminalisation du droit de la concurrence
canadien, v. M.L. Aitken, « The 2009 Amendments to the Competition Act: Reflecting on Their
Implementation and Enforcement and Looking Toward the Future », Revue canadienne de droit
de la concurrence, 2012, vol. 25/2, p. 659.
101. En France, la violation des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ouvre un droit à
réparation du préjudice concurrentiel.
102. Les actions de groupe en droit de la concurrence français sont autorisées seulement après une
condamnation dans le cadre de l’action publique, v. art. L. 423-17 C. consom.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 310

La règle étant celle du plus bas soumissionnaire, les entrepreneurs ont manœuvré
pour que chacun ait une part des marchés publics. Les offres proposées aux villes
n’étaient pas faites indépendamment par chaque entrepreneur, mais étaient organi-
sées par les acteurs du secteur. Cette manœuvre répond à l’infraction criminelle de
truquage des offres, prévue par l’article 47(1) L.c.
La victime de cette infraction contraire aux règles d’une saine concurrence est
le contribuable. En utilisant l’argent public pour répondre à ces offres truquées,
le gouvernement du Québec a subi un préjudice en payant plus par rapport à la
situation dans laquelle les soumissionnaires ne se seraient pas entendus. Ainsi,
pour réparer son préjudice, le législateur québécois n’a pas hésité à faire usage
de son pouvoir en matière de droit civil. Le projet de loi 26 contenait cette ini-
tiative originale103. S’inspirant d’une expérience hollandaise, le gouvernement du
Québec donne aux auteurs d’un truquage des offres la possibilité de se présenter
volontairement auprès de l’administrateur d’un programme de remboursement des
sommes perçues à la suite des manœuvres frauduleuses ou dolosives dans le cadre
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des contrats publics104. En somme, le fautif répare spontanément le préjudice105. À
défaut d’une participation au programme, le projet de loi prévoit une action en res-
ponsabilité civile contre les auteurs de ces infractions, adaptée aux contraintes pro-
batoires liées à l’environnement du droit de la concurrence. Ainsi, le gouvernement
utilise un certain nombre d’outils qui lui sont favorables pour obtenir une répara-
tion. Par exemple, la loi crée une présomption réfragable de préjudice en faveur du
gouvernement, une responsabilité solidaire entre les différents responsables, une
prescription de 20 ans pour ces actions ou encore le traitement en urgence de ces
demandes par le juge saisi.
Le projet de loi 26 illustre donc qu’au Québec l’utilisation du pouvoir consti-
tutionnel des provinces en matière de droit civil peut permettre une meilleure répa-
ration du préjudice concurrentiel. Il est regrettable que le parlement fédéral, de son
côté, n’améliore pas l’article 36 pour bonifier l’action privée des consommateurs.
Dès lors, c’est à la jurisprudence de tailler sur mesure le costume procédural du
private enforcement canadien. Par exemple, la Cour supérieure du Québec a ainsi
jugé que les victimes d’une pratique anticoncurrentielle ne peuvent être condam-
nées à payer les coûts de la communication des preuves demandées pour les fins

103. Québec, Assemblée nationale, Projet de loi 26 : Loi visant principalement la récupération de


sommes obtenues à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats
publics, 1re sess., 41e légis.
104. D. Lemieux et P. Giroux, « Projet de loi n° 26 : récupération par les organismes publics de
sommes obtenues par des contractants à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives », Nou-
velles, CCHOnline, Collection municipale, Intelliconnect, Wolters Kluwer, le 23 février 2015.
105. En cela, le projet de loi s’inscrit dans la même philosophie que le programme de clémence en
droit de la concurrence, v. A.N. Campbell, M.G. Masse et E. Saucier, « Le projet de loi 26 :
une approche novatrice pour récupérer les sommes dont les contribuables ont été privés par les
fraudes ou manœuvres dolosives dans le cadre des contrats publics », McMillan, Bulletin en droit
de la concurrence, décembre 2014.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 311

de leur dossier à l’autorité publique de poursuite106. C’est à cette autorité, déten-


trice des preuves, de payer les coûts de cette communication. Cette décision fait
suite à la décision de 2014 de la Cour suprême dans laquelle elle considère qu’une
partie à un recours civil peut demander que lui soient communiqués des enregistre-
ments de conversations privées interceptées par l’État dans le cadre d’une enquête
pénale. Bien que l’article 29 de la Loi sur la concurrence énonce la confidentialité
du dossier d’enquête constitué par le Bureau de la concurrence, il n’interdit pas la
communication des conversations privées interceptées en vertu de la partie VI du
Code criminel, car celles-ci ne font pas partie des éléments mentionnés aux alinéas
29(1) a) à e)107. C’est donc au fil de la jurisprudence que le régime de l’article 36
s’éclaircit.

5 CONCLUSION
Après cette étude comparative de la situation de la protection du consommateur par
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le droit de la concurrence dans les systèmes de droit civil européens et canadiens, on
peut conclure que la protection du consommateur se traduit de deux façons. D’une
certaine manière, le consommateur est protégé directement par le droit national en
Europe et par le droit provincial au Canada. En somme, la relation contractuelle
du consommateur est un domaine de droit civil qui ressort exclusivement du droit
interne des États. L’action en justice du consommateur utilise le biais de l’action en
responsabilité contractuelle, mais aussi extracontractuelle pour réparer un éventuel
préjudice. À ce sujet, on constate que la protection directe du consommateur, assu-
mée spontanément par les instances nationales du lieu de sa résidence, émane ces
dernières années toujours du droit national, mais cette fois sous l’impulsion d’un
droit supranational. Alors que les instances européennes et le parlement fédéral
canadien avaient d’abord pour mission la protection indirecte du consommateur,
c’est-à-dire principalement assurer sa sécurité physique et des conditions de saine
concurrence sur le marché, cette mission s’est lentement déplacée vers une protec-
tion plus directe afin d’instrumentaliser la protection du consommateur aux fins de
la régulation de la concurrence. Le private enforcement traduit cette position des
droits européens et canadiens. Que ce soit l’article 36 de la Loi canadienne ou la
directive 2014/104, l’objectif est de permettre la réparation du préjudice concur-
rentiel par la voie de l’action en responsabilité civile extracontractuelle. Dans ce
mouvement, il faut alors bien distinguer la notion de « protection du consomma-
teur » de celle de « droit de la consommation ». Le droit de la consommation,
dans sa forme actuelle, est un droit interne qui régit des relations contractuelles
des consommateurs. Mais l’idée de protection du consommateur est décloisonnée.
Elle dépasse le simple droit de la consommation pour venir imprégner de plus en

Jacques c. Pétroles Therrien inc., EYB 2015-256175, (C.S.).


106. 
Pétrolière Impériale c. Jacques, op. cit., note 14.
107. 
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 312

plus la régulation de la concurrence. Dans ce contexte, cette évolution semble ne


pas pouvoir se passer d’un partenaire procédural important : l’action collective.
L’exemple du Québec et de la France démontre que cet outil de procédure civile
est incontournable dans les actions privées. Elle permet de faire la jonction entre
la protection du consommateur en droit de la concurrence et le droit de la consom-
mation. En ce sens, la loi française illustre parfaitement que cet outil inspiré par la
protection du consommateur irradie non seulement le droit de la consommation,
mais aussi le droit de la concurrence. Elle est le point commun entre la protection
du consommateur vue par le droit de la consommation et cette même protection
vue par le droit de la concurrence. Cette évolution traduit un rapprochement entre
ces deux droits qui devrait se concrétiser en Europe par l’adoption d’une directive
sur ce sujet. Quant au droit canadien, bien qu’il soit plus avancé sur la question de
l’action collective, il gagnerait à s’inspirer de la directive 2014/104 pour moder-
niser le recours proposé aux consommateurs à l’article 36 de la loi fédérale sur la
concurrence.
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SUMMARY
Competition law contributes to protect the consumers. European competition law
proves the link between competition law and consumer law. The single market needs
a protection of the European consumers. Nonetheless, all the occidental countries
don’t know this link between the consumer law and the competition law. Canadian
competition law illustrates this issue. Indeed, constitutionals barriers explain this
difficulty. The Canadian parliament has a legislative power in the regulation of
trade and commerce, but also in criminal law. So the Canadian competition law
has been taking under the power in regulation of trade and in criminal law.
In Canada, the consumer protection is provided by the provinces who can take a
law to protect the consumer’s contracts. This power is based on the power of the
Canadian provinces in civil law. The Quebec civil code and the consumer pro-
tection Act of this province shows this competence. There is, in Canada, a direct
protection of the consumers by the provinces, like in Quebec, and an indirect pro-
tection by the federal competition law. For example, the misleading advertising
is punishing under the criminal rules of the competition law. Another aspect of
this subject is the private enforcement of the competition law. The section 36 of
the competition law permits to the consumer to sue the person who had a conduct
that was contrary to any provision of the criminal part of the law. The constitutio-
nal validity of this section was disputing at the Canadian Supreme Court. For the
court, the section 36 was constitutional. Consequently, this section protects directly
the consumer against a violation of the competition law. This paper tries to identify
how the civil law, particularly in Quebec, can be used to improve the protection
of consumers in the area of competition. The competition damages is one of the
solutions can be explored.
La protection du consommateur par le droit de la concurrence 313

In this context, the comparison is made with European law. The Directive 2014/104
shows that consumer protection can take place in competition law. In a civil law
system, such as France, the introduction of collective redress demonstrates that
there may be a link between consumer law and competition law. This article final-
ly shows that consumer protection occurs at two levels. The supranational law
ensures healthy competition in the market and consumer safety. National law pro-
tects consumers in contractual relations. We find this situation in Canada and in
the European Union. But in these two legal systems reconcile consumer law and
competition law is done by the private enforcement of competition law. The article
explores this new reality.

Mots clés : Droit de la concurrence, protection du consommateur, actions privées,


Union européenne, Canada

Keywords: Competition law, civil law, consumer protection, private enforcement,


European Union, Canada
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