2006 Chapitre NK Croyances
2006 Chapitre NK Croyances
2006 Chapitre NK Croyances
Nikos Kalampalikis
Nikos Kalampalikis
AFFRONTER LA COMPLEXITÉ :
REPRÉSENTATIONS ET CROYANCES
225
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 226
Nikos Kalampalikis
ce que ces recherches essaient actuellement d’établir avec, en plus, une appa-
rence évolutionniste.
Ce chapitre vise à problématiser l’idée du rapport représentations-croyances
et des tensions épistémiques qui s’observent dans l’étude du sens commun. Il
s’appuie sur quelques contrastes de la pensée sociale mis en évidence dans les
sciences humaines qui nous amènent à envisager la pluralité de la connaissance
au-delà de sa simple adéquation aux canons d’une vérité supposée. L’approche
des représentations sociales, théorie-clef de la psychologie sociale, nous offre
l’arsenal conceptuel indispensable pour penser la pluralité des registres d’ap-
propriation de l’action et de la cognition en phase avec les contextes culturels
de leur expression. À ce titre, nous proposons de renouer avec quelques hypo-
thèses inexplorées de cette approche, notamment celle de la polyphasie cogni-
tive, mais aussi la notion des primitifs représentationnels.
Hiatus et continuités
Rappelons-nous, pour débuter ce chapitre, une référence célèbre qui faci-
litera l’exposé. À la question « qu’est-ce qui différencie les primitifs des civili-
sés », Lévy-Strauss répond, lors d’un entretien (Charbonnier, 1961), de manière
métaphorique en prenant l’exemple de la machine. Plus précisément, celui de
l’horloge, associée aux sociétés primitives, et celui de la machine à vapeur,
associée aux sociétés modernes. Voici brièvement la métaphore : l’horloge
fonctionne de manière mécanique ; en utilisant l’énergie qu’on lui fournit au
départ elle peut, théoriquement, continuer à fonctionner ainsi indéfiniment.
Ce type de sociétés, les sociétés froides, produisent peu de désordre, se carac-
térisent par un bas degré d’entropie, et ont tendance à se maintenir dans leur
état initial, ce qui donne l’impression (et uniquement l’impression) d’un temps
figé et d’une société sans progrès et sans histoire 1. À l’inverse, la machine à
vapeur fonctionne de manière thermodynamique, se basant sur la différence
de température entre ses parties (le condenseur et la chaudière) ; elle
consomme son énergie en la détruisant progressivement. Ces sociétés, les
sociétés chaudes, consomment la différence pour exister sur le plan de l’or-
ganisation sociale et sur celui des relations humaines et utilisent le déséqui-
libre pour produire plus d’ordre, mais aussi plus de désordre.
Le conflit, au sens de Simmel (1908), est la force, l’énergie, qui fait mar-
cher les sociétés chaudes. Qui dit conflit, dit antagonismes manifestes ou
latents, luttes et différenciations sociales, majorités et minorités, groupes de
soi et groupes de l’autre, hiérarchies de valeurs.
1. Sans que cela soit interprété comme une sorte d’uniformité entre sociétés primitives. Lévi-
Strauss, en bon « psychologue social », écrit clairement que les différences (intra) entre deux
sociétés primitives, sont plus importantes que celles (inter) entre sociétés primitives et sociétés
modernes (Charbonier op. cit., p. 39).
226
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 227
227
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 228
Nikos Kalampalikis
SOCIÉTÉS
froides chaudes
conçues vécues
PENSÉE
stigmatique symbolique
228
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 229
avec les autres, soit avec les choses profanes. Marcel Mauss conclut son
Esquisse d’une théorie générale de la magie (1902) en affirmant que plus
qu’un chapitre de sociologie religieuse sa théorie contribue à l’étude des repré-
sentations collectives. Tandis que pour Maurice Halbwachs (1938), c’est le flot
des opinions communes qui seul porterait la marque du social, un social asso-
cié au vécu de l’expérience de nos participations à différents groupes sociaux.
Plus précisément :
« Après tout, la pensée sociale n’est peut-être qu’un mélange qui s’opère néces-
sairement entre deux logiques, affective et objective, et c’est pour cela qu’elle
est illogique essentiellement. […] Mais représentons-nous différentes régions
ou milieux, dans une société même, entre lesquels il y a bien des rapports, parce
qu’un grand nombre d’individus circulent et passent sans cesse de l’un à l’autre.
Alors on comprendra que, chez tel d’entre eux toutes les formes de pensée
logique ou illogique, à base de raison positive ou de données sentimentales,
puissent se heurter, s’opposer et se contredire, mais aussi s’organiser ensemble
et s’unifier, et qu’en particulier on puisse mettre au service d’une croyance ou
d’un sentiment toutes les ressources de dialectique que nous offrent les divers
groupes auxquels nous nous trouvons reliés. » (op. cit., p. 367)
229
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 230
Nikos Kalampalikis
3. Traduction : « Je pense qu’en tout état de cause il n’y a pas de mot dans le langage des Nuer
pouvant signifier “je crois”. »
230
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 231
231
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 232
Nikos Kalampalikis
4. Dans notre propre recherche, nous avons montré la force des traces de la mythologie dans la
conception identitaire du groupe national dans le présent dans des conditions de menace
(Kalampalikis, 2002).
5. Regardons par exemple la désuétude actuelle du débat pourtant extrêmement riche portant
sur les différences entre représentation et idéologie dans les années quatre-vingt.
232
22-nikos 18/07/06 16:34 Page 233
6. Simulacre (souvent une statuette de bois) délibérément grossier d’une divinité. Il est ce que l’on
ne peut ni ne doit voir, il donne une forme à l’invisible sans le dévoiler (cf. Lévi-Strauss, 1950).
233