Cahiers Du Cinema 228

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cahiers du

CINEMA Dziga Vertov : Textes


Christian Metz : Cinema et ideographie
Entretien avec P. et V. Taviani
P. Kane : "Sous le signe du Scorpion"
J.-L. Comolli : Le realisateur a vingt tetes
J.-P. Oudart : L'effet de reel

numéro 228 mars-avril 1971 6 francs


Si vous ne connaissez pas encore la collection

"CINEMA
D’AUJOURD’HUI"
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IIIV U L U IV IC ü POUR /Dr égales de 2 7 F b l t A I U N ; cinéma grec”
(en cas de règlement c o m pta nt)

Titres dis ponibles :


1. MÉLIÈS, par G e o r g e s S a d o u l •
2. A N T O N I O N I , par P ierre L e p r o h o n •
4. B U N U E L , par A d o K y r o u •
7. T A T I . j par A .J . C o u li e z
8. B R E S S O N , par M . Estèva
9. F R I T Z L A N G , p ar Luc M o u lle t •
11. L O S E Y , par C h r is tia n Ledieu •
12. V A D I M , par M a u r ic e F ry d la n d
13. F E L L I N I , par G ilb e r t Salachaa •
17. R E N E C L A I R , par B a rth é lé m y A m o n g u a l •
18. GODARD, par Je a n C o lle t
21. VtSCONTI, p a r G iu a e p p a F orrara •
23. E I S E N S T E I N , par Léon W ouss nac
24 L O U I S M A L L E , par H e n ry C h a p le r
27. C O C T E A U , p a r René G ilaon •
32. F L A H E f l T Y . par H e n ri A g e l
35. C A R N E , par R o b e r t Ch azal
37. P A B S T , par B a rt h é lé m y A m e n g u a l
38. M A X L I N O E R , par C h a rle s Ford
40. P O U D O V K I N E . par L et J. S c h n itz e r ->*
41. M A C K S E N N E T T . par D a v id T j r c o n i
42. D O N 8 K O I, par A lbert C e rvon i
44. H U S T O N , par R o b e rt B e n a y o u n
45. V O N S T E R N B E R G . par H e rm an G. W e ln b e r g
47. L E S P R E V E R T , par G é ra rd G u il lo t
48. C L É M E N T , p a r A n d r é Farwagi
50. VI.GO, par P ie r re L h e r m in ie r
51. GÉRARD PHILIPE, par G e o r g e s S a d o u l
52 F R A N J U , par G abrie l V iall e
53 C E C I L B. D E M I L L E , par M ic h e l M o u r le t
54 HITCHCOCK, par N o ël S im s a lo
55 D R E Y E R , par C la u d e Perrm
56. C L O U Z O T , par P h ilip p e Pilard
57. CAYATTE, p a r G u y B r a u c o u rt
58 GREMILLON, par He nri A g e l
59. JERRY LEWIS, par G é ra rd Recaaena
60. D O V J E N K O i p a r B a rth é lé m y A m e n g u e l *
61. M I C H E L S I M O N , par J a c q ues Fansten
62. BERGMAN, par J o r n D o n n e r et G. B r a u c o u rt
63. W A L S H , par M ic h e l M a rm m
64. D I S N E Y , par M a u r ic e B e s s y
65. M A L R A U X . par D e n is M a rio n v ,
66. H A R O L D L L O Y D , par Roland L e c o u rb e
• R é é d it io n m is e à jo u r, n o u v e ll e p r é s e n t a t i o n

QUI I CTIM I1C P n iU in JIA M n C à dé co up e r ou à r e c o p ie r et à adre sse r avec votre rè g le m e n t aux CAHIERS
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Je règle comptant 75 F par chèque bancaire / chèque postal / mandat / ci-joint(J) et je recevrai par consé­
quent en outre, à titre gratuit, “ DÉCOUVERTE DU CINÉMA GREC".
Je préfère régler en 3 mensualités, soit 27 F ci-joint par chèque bancaire / chèque postal / mandatn;; 27 F
que je m’engage à régler dans un mois; 27 F que je m'engage à régler dans deux mois m.
D a te :---------------------------- - ----- S ig n a tu re :
( 1) R a y er les m ent ion s mutiles.

C et te o ff r e est va la b le e x c lu s iv e m e n t so u s la fo rm e indiquée.
cahiers du CINEMA.
No 228_____________________________________________________________MARS-AVRIL 1971
Editorial
CHRISTIAN METZ
Cinéma et idéographie, par Christian Metz
5

6
DZIGA VEBTOV
et V. Tavlenl Instructions provisoires aux cercles « Ciné-œil »_________ 12
• Sous la signej
du Scorpion L'importance du cinéma non joué 17
.ilaubtr Rocha : CINEMA ET REALITE
Tfites coupées »
(Cinémas L’effet de réel, par Jean-Pierre Oudart 19
Associés).
« SOUS LE SIGNE DU SCORPION - DE P. ET V. TAVIANI
Entretien avec Paolo et Vittorlo Taviani ______________ 28
Sur « Le signe du Scorpion -, par Pascal Kané 42
S.M. EISENSTEIN____________________________________________________________________
Le réalisateur à vingt têtes, par Jean-Louis Comolli 46
INFORMATIONS / NOTES / CRITIQUES
Entretien avec Christian Zarifian 51
- Soupçons », par Pascal Kané 56
- L a Faute de l'Abbé Mouret», par Jean-Pierre Oudart ___________ _______________ 57
« Sirocco », par Pascal Kané______________________________________________________ 59
« Which way to the fro n t? » , par Serge Daney 60
« Camarades », par Pascal Bonitzer________________________________________________61
« The private life of Sherlock Holmes », par Pascal Kané 62
Nouvelles de l'idéologie dominante 63
Lettre de lecteur__________________________________________________________________ 64
Sur le « Roman Polanski » de P. Kané, par Pierre Baudry 64
Liste des films sortis à Paris du 28 octobre 1970 au 9 février 1971 65

CAHIERS OU CINEMA. Revue mensuelle de Cinéma. 39, rue C o q u illlire , P a rls -I" - Administration-
Abonnements : 236-00-37. Rédaction-Publicité : 236-02-93.

Comité de rédaction : Jacques Donlol-Valcroze, Pierre Kast, Jacques Rivette. Rédaction en chef :
Jean-Louis Comolli, Jean Narfaoni. Administration : lacques Aumont. Documentation : Sylvie Pierre,
Bernard Eisenschltz. Rédaction : Jacques Aumont, Pierre Baudry, Pascal Bonitzer, Serge Daney, Ber­
nard Eisenschitz, Pascal Kané, lean-Plerre Oudart, Sylvie Pierre. Les manuscrits ne sont pas rendus.
Tous droits réservés. Copyright by Les Editions de l'Etoile.

3
LES CAHIERS
PUBLIERONT
TEXTES
Relecture du cinéma américain classique (collectif) :
« Intolerance » de D.W. Griffith
« Honeymoon » de Léo McCarey
« Under Capricorn » d’A. Hitchcock
« Sylvia Scarlett » de G. Cukor
Economie et politique du cinéma français (collectif)
Entretien avec Bernardo Bertolucci sur «Le Conformiste»
Fonction critique, par J. Narboni
Idéologie de la technique (collectif)
Le détour par le direct (3 ), par J.-L. Comolli
Le film historique, par Sylvie Pierre
Fonctions du montage, par J. Aumont

NUMEROS SPECIAUX
Jean Rouch
«Groupe Dziga Vertov» (J.-L. Godard, J.-P. Gorin)
Cinéma français
F.W. Murnau

LIVRES
Dans la collection 1 0 /1 8 :
Ecrits de Dziga Vertov
Aux Editions Christian Bourgois :
S.M. Eisenstein : Œuvres
ÉDITORIAL

1. Pour un anniversaire dance rédactionnelle, nous nous trouvions, du même


Nos lecteurs se rappellent qu’en novembre 1969 coup, privés de l'appui qu'avait représenté un groupe
un conflit éclatait entre la rédaction des Cahiers et de presse important, ayant assuré efficacement la
le groupe Filipacchi, qui était alors le propriétaire gestion des Editions de l'Etoile, et représenté une
largement majoritaire des Editions de l'Etoile. Inquiété garantie financière appréciable. Rien n’était donc joué,
par l’évolution de la revue, par la ligne politique et et certains, même parmi nos amis, doutèrent que nous
théorique de plus en plus explicite qu’elle entendait puissions, par nos propres moyens, en assurant nous-
suivre, Daniel Filipacchi et son état-major se mirent mêmes la gestion, et sans concessions « commer­
« en grève » pour y faire obstacle. L’une de leurs ciales », continuer à faire paraître la revue normale­
« revendications * était que la rédaction accepte un ment. Jusqu’à présent, du fait de notre propre travail
comité de patronage-surveillance largement éclectique — mais aussi de l’appui constant de nos lecteurs — ,
et comprenant une dizaine de critiques parisiens de les résultats sont encourageants :
tous bords — dont la plupart, d’ailleurs, se récusèrent.
Nous refusions évidemment cette formule qui ne pou­ En un an (du 1,r mars au V mars) nous avons fait
vait viser qu’à liquider — sous couvert d’objectivité paraître dix numéros, au lieu de onze à douze habi­
et d' « ouverture » — le travail théorique/politique tuellement. (Chacun de ces numéros — imprimé très
entrepris par la revue. Les positions de la rédaction serré — contient une quantité de texte bien supérieure
d’une part (soutenue par les anciens rédacteurs des à celle des numéros des années précédentes.)
Cahiers figurant au Comité de rédaction) et du pro­ Durant la même période, le nombre de nos abonnés,
priétaire d’autre part, devenant alors totalement in­ qui n’a que très peu varié, est passé de 4 375 (n° 217)
compatibles, il fut évident que, désormais, il ne serait à 4 540 (n° 228). Le nombre moyen d'exemplaires ven­
plus possible de continuer à tenir, à l’intérieur du dus dans le mois suivant la parution de chaque numéro
Groupe Filipacchi une ligne rédactionnelle aussi indé­ est passé de 4 766 en 1969 à 5 021 en 1970 (2 000
pendante que pendant les cinq années précédentes. numéros supplémentaires étant vendus dans les mois
La seule solution, pour nous, était la séparation. Daniel suivant chaque parution) légères augmentations dont
Filipacchi en fut d'accord, mais fixa alors pour la cession nous nous gardons bien de nous tenir assurés pour
de ses parts un prix excédant de beaucoup les possi­ l'avenir.
bilités réunies de la rédaction. Il nous a donc fallu
trouver de l’aide, ce qui se fit de plusieurs façons : Faut-il le préciser? Si nous attirons l’attention de
par l’achat de parts, par des prêts, par des avances nos lecteurs, après un an de fonctionnement autonome,
correspondant à de la publicité ou à des droits de sur ces considérations d’ordre économique, ce n'est
traduction. Nous remercions ici à nouveau ceux qui évidemment pas pour nous décerner un satisfecit qui
nous ont alors soutenus de leur appui financier et/ou serait pour le moins hâtif. Ce n'est pas non plus
moral. (comme on nous en a bêtement et aigrement accusés)
C'est ainsi que nous avons pu, dès mars 1970, par vanité de « possédants » (I), ni par « écono­
reparaître, notre liberté rédactionnelle étant garantie misme » : simplement, devant assurer la marche de la
par le fait que la rédaction, dans son ensemble, détient revue sur tous les plans à la fois, les « questions
désormais 44,5 % des parts de Editions de l'Etoile, et d'argent » sont pour nous vitales, pratiquement et
surtout par le fait qu’il fut clairement entendu avec les théoriquement. Il nous semble y avoir cohérence abso­
autres actionnaires de notre revue qu'ils n'y exerce­ lue entre la responsabilité de la rédaction et de la
raient évidemment aucun « droit de regard •. G’est donc,' -gestion des Cahiers; et la même’ cohérence,.à deman­
avec la signature dans le courant du mois de février der à nos lecteurs à la fois leur soutien pratique (en
des derniers actes officiels, cet anniversaire que signale s’abonnant, en diffusant ia revue, en organisant ren­
cet éditorial. contres, projections et débats) et leur soutien théorique
(par un travail de lecture que nous ne nous sous-esti-
2. Un peu d'économie mons pas, par des lettres et des avis qui nous sont
Au moment où nous assurions ainsi notre indépen­ indispensables). — La Rédaction.
5
Cinéma et idéographie
par Christian Metz

Ce texte est le chapitre 6 de la section X I (intitulée rinHuence p roi onde qu’avaient eue sur le théoricien
« Cinéma et écriture ») de Langage et cinéma, à paraî­ soviétique les représentations de théâtre Kabuki don­
tre en avril 1971 aux Editions Larousse, dans la col­ nées en 192S par une troupe japonaise de tournée en
lection « Langue et langage » dirigée par Jean Dubois. Russie ; de la culture japonaise, Eisenstein est passé
N ous reviendrons dans un prochain numéro sur les à l’idéogramme, par une assimilation un peu rapide,
points soulevés par Christian M e t z dans cet important comme il lui arrive parfois. L ’écriture japonaise,
texte. estime-t-il, parvient à signifier une notion abstraite, qui
ne saurait être dessinée, par l’association convenable
de deux idéogrammes représentant chacun un objet
perceptible par un signe figuratif (cette vue de l’idéo­
E n poursuivant l’examen des comparaisons multi­
graphie est un peu simplifiée). L ’auteur donne quel­
formes que l'on établit (ou que l’on pourrait établir,
ques exemples : « oreille » + « porte » = « écou­
comme en XI. 5.) entre le cinéma et l’écriture, on
ter », « cœur » + « couteau » = « chagrin ». Le
rencontre celle qui revient le plus souvent chez les
cinéma procède de même, poursuit-il, qui ne peut que
théoriciens du film. Elle consiste à rapprocher, sélec­
rapprocher par le montage des fragments toujours
tivement, le cinéma de l’écriture idéographique et d ’elle
figuratifs, puisque photographiques.
seule.
Dans son Bréviaire du cinéma4, Charles Ford a
Le thème a fait son apparition de bonne heure. Dès
dressé une liste des commentateurs qui de très bonne
1919. dans un article du Crapnuillot, Victor P errot
heure, dès les années 1920, ont vu dans le cinéma un
s’écriait à propos du cinéma : « C ’est une écriture,
langage : il est frappant que pour nombre d ’entre eux
l’ancienne écriture idéographique ! ». Au long d ’une
cette notion de « langage » se précise dans le cas du
série d ’études publiées dans Ciné-France et Stars et
films entre 1932 et 1937, Georges D am as (qui signe cinéma en « écriture idéographique ». Voilà donc un
parfois Georges d ’Avdie) mettait en regard l’évolu­ thème assez, répandu.
tion du cinéma et celle de l’idéographie ancienne ; l’es­ On voit bien ce qui le rend tentant, et qui a été
sai intitulé R ythm es dit monde apportait des conclu­ brièvement indiqué plus haut (chap. XI. 1.) : alors
sions générales : « L ’image cinématographique est 1111 que l’écriture phonétique, dans la mesure où elle est
signe de la pensée d ’un auteur au même titre que l’ont vraiment telle, note le code phonologique, l’idéographie
été les premiers dessins à l’ocre sur les grottes préhis­ et le cinéma ont ceci de commun de n’être pas des
toriques, un signe comme les hiéroglyphes égyptiens, codes substitutifs, de ne pas référer à la langue arti­
comme les caractères chinois, comme les écritures pri­ culée ; ils paraissent noter directement un objet de la
mitives de TArnérique ». Plus près de nous, le même perception, une pensée, une image mentale, un état de
rapprochement est repris, avec moins d ’insistance, par conscience : « d i re c te m e n t» , c’est-à-dire du moins
Marcel M a r t i n 1 et Jean-R. Debrix2. M ais c’est Eisen- « hors l’analyse des sons », pour reprendre une for­
stein qui a poussé le plus loin la comparaison, notam­ mule de Ricciotto Canudo dans usine aux images''’.
ment dans ses articles de 19293. Dans l’accent mis cette Formule qui évoque ce que disait Antonin Artaud dans
année-là sur le problème de l’idéogramme, on retrouve I’ « Avant-propos »‘1 qu’il avait rédigé pour La coquille
et le clergyman (film de Germaine Dulac auquel il
(1) Le langage, cinéma ( . 0 graphique (op. cit.), p. 28. avait collaboré) — , ainsi que la théorie de Bela Balazs
(2) Les fondem ent a de l'art cinématographique (Paris. Ed.
du Cerf, I960), p. 10. (4) Paris, Jacques Melot. l r" éd. 1945.
(3) D’une p a rt « The filmic fo urth dimension », in Kino (5) P a r is (Ed. Etienne Chiron) et Genève (Office Central
(Moscou), 27 aoû t 1929. D ’a u tre p a r t « The cinematographic d’E dition). 1927.
principle and the ideogram », post-face à Yaponskoye (6) Ce texte ne figu re pas dans le tome I I I des Œ uvres
Kino ( = « Le cinéma japonais ») de N. Kaufman, Moscou, complètes publiées p a r Gallimard, (ce tome, paru en 1961.
1929. — Repris l’un et l’a u tre dans Film form (op. cit.). — regroupe entre a utres les principaux écrits cinématogra­
Passages cités : respectivement p. 65-66 et p. 29-30 + phiques d'A rtaud.) On en trouve un e x tr a it dans l’antholo­
35-36 (pagination de l’édition globale avec The film sense, gie de P ie r re Lherminier, L ’art du cinéma (Paris, Seghers,
op. cit.). 1960), p. 57-59.
&
dans D e r sichtbarc M cnsch oder die Kultur des Films': même moment ; on sait qu’au cours de l’évolution his­
le cinéma nous a ré-appris à lire le visage humain, torique des écritures à dominance idéographique, la
devenu inintelligible depuis qu’on n’écoute plus que sa proportion de ces graphèmes phonétiques s’est peu à
voix. (La position de Balazs, malheureusement, est liée peu accrue (voir p a r exemple Gustave Guillaume0, J .J .
à l’idée qu’il aurait existé, à époque ancienne, quelque Gelb]ü, et les historiens de l’écriture).
langage gestuel absolument complet et fonctionnant à M ais inversement, dans nos écritures modernes à
lui seul comme un vernaculaire, en l'absence de toute dominance phonétique et « substitutive », certains g r a ­
expression phonique ; c’est de là que l’humanité serait phèmes notent directement une opération intellectuelle,
passée ensuite aux langues; on sait qu’en linguistique ou introduisent line précision qui échappe au détour
même, M a r r et Van Gînneken ont soutenu des idées p a r la phonie et n’a aucun équivalent dans l’énoncé
un peu semblables, mais qu’elles ont été abandonnées oral : astérisques, accolades, parenthèses ( = c’est le
p a r les recherches ultérieures, faute d ’un minimum d ’in­ discours phonique qui, p a r rétro-action, dit quelquefois
dices convergents). « entre p a re n th è s e s » ) , crochets et tirets, certains guil­
lemets, l’accent grave sur le « à » préposition (qui est
Les rapprochements entre le cinéma et l’idéographie, ainsi distingué, par écrit mais non oralement, du « a »
dont on voit bien le fondement, laissent évidemment v e rb e ) 11, dualité du point-virgule et du point (qui cor­
de côté l’élément verbal des films parlants. C ’est d ’ail­ respondent oralement à une même pause), etc. Ces
leurs à l’époque où le cinéma était muet qu’ont eu signes, d'une certaine façon, sont idéographiques.
lieu la plupart des commentaires semblables à ceux La situation est donc moins simple que ne le pen­
qu’on vient de citer. Entre temps, il est devenu sonore, saient ceux qui assimilaient le cinéma à une écriture
ce que n’est pas l’idéogramme : importante différence idéographique, et l’existence de cette dernière en un
dans la matière de l’expression. M ais qui ne saurait tel sens — qui, pour soutenir le rapprochement au
emporter une conclusion à elle seule, car il reste les niveau où il était posé, devrait consister par exemple
principes de composition et d ’agencement. E t aussi en une séquence homogène de morphogrammes — n’a
parce que certaines données sonores comme le bruit — jamais pu être attestée par les recherches. On ne sau­
le bruit qui au cinéma est du côté de l’image, presque rait comparer le cinéma à une écriture idéographique
« dans » elle — pourraient, si les commentateurs « pure » qui n’existe pas, et dont ce qui se rapproche
avaient raison, être plus ou moins analogues à l’idéo­ le plus est justement la bande-images du cinéma lui-
gramme sur le plan structural, malgré la transposition même (ainsi que certaines autres productions iconiques
sensorielle. Ce n ’est donc pas là qu’est le centre de modernes) — , bande-images qui toujours représente
la question. « directement » l’objet de la perception (— photo­
grammes) ou désigne directement une opération de
Ce qui est plus important, c’est qu'il n’existe aucune pensée (comme dans le fondu au noir, évoquant l’idée
écriture qui soit aussi pleinement « idéographique » que d'une séparation forte), restant « idéographique » dans
l'est, dans cette conception, la bande-images du cinéma un cas comme dans l'autre, et -lors-même qu’elle’cesse
lui-même. Les écritures connues mêlent des graphèmes d ’être photographique (un fondu n’est pas une photo­
de plusieurs sortes. Les écritures idéographiques ne graphie). On a l’impression que certains commenta­
sont formées qu’en partie de caractères Idéographiques; teurs se représentaient l’idéographie sur le <modèle du
ce sont par exemple les morphogrammes ou les picto­ cinéma, et comparaient le cinéma à lui-même. D ’autre
grammes, représentations simplifiées mais reconnaissa­ part, la bande-images comporte des mentions écrites,
bles d ’un objet perceptible (un arbre, un cheval...). et ces dernières recourent tantôt à l’écriture phoné­
Mais on y trouve aussi des exposants relationnels direc­ tique, tantôt à l’écriture idéographique, selon le pays
tement abstraits. Et également des « dactylogrammes », producteur du film. L a « comparaison », décidément,
comme l’ont montré les recherches de Tc ha ng Tcheng n’est pas de tout repos...
M in g K : ces derniers ne notent pas le contour « stylisé »
de l’objet, mais représentent schématiquement le geste Il reste évidemment que le cinéma pourrait ressem­
qui désignait l’objet dans un code gestuel qu’utilisait bler, sinon aux écritures idéographiques telles qu’elles
la même ethnie : ce sont des notations de second existent ou ont existé, du moins à ce qu’il y a en elles
degré, qui se retrouvent à cet égard sur le même plan de vraiment idéographique. U n rapprochement reste
que les caractères alphabétiques, même si le code qu’ils possible entre le langage cinématographique et le prin­
relayent est gestuel et non phonique ; en un sens, ils cipe idéographique lui-même.
ne sont pas « idéographiques », puisqu'ils n’écrivent Ici surgissent de nouvelles difficultés. Les plus véri-,
pas 1’ « idée ». Les écritures idéographiques comportent
aussi des graphèmes phonétiques (ou parfois mixtes, (9) Compte rendu de La reconstruction typologique des
langues archaïques de l'humanité (ouvrage de Van Ginne­
et en voie de phonétisation), qui réfèrent à certains
ken, 1939) dans le tome X L du Bulletin de la Société de
éléments de la langue que parlait la communauté au Ling uistiq ue de Paris, daté de 1938. paru plus tard.
(10) A study of w ritin g , the foundation of grammatology,
(7) Vienne, 1924, D eutsch-Osterreichischer Verlag. 1952, Chicago (University of Chicago Pre ss) et Londres
(8) L'écriture chinoise et le geste humain, Paris, 1937, (Routledge and Kegan P a u l) . — Délcin p ro gre ssif du
thèse de doctorat. C’est s u r cet ouvrage que s'appuyait la « sémasiographique » ( = notation non phonétique) au p ro ­
théorie de Van Ginneken dont on a parlé plus haut, et qui fit du « phonographique » (— é criture en relation avec la
n ’est plus acceptée aujourd'h ui. Mais les fa its apportés p a r phonie).
Tchang Tcheng Ming restent. (11) Déjà noté p a r Buyssens (op. cit.), p. 49-52.
7
tables, d ’ailleurs, ne sont pas celles qui pourraient venir technologiques (notamment télévisuelles) et par les
à l’esprit, et que l’on trouve clairement exposées (ou théories informationnelles de la perception, que l’image
simplement soupçonnées, selon les cas) chez d ’autres la plus fidèlement figurative est analysable en un certain
théoriciens du film, hostiles pour leur p a rt à la concep­ nombre d ’éléments discrets et géométriques (points,
tion idéographique du cinéma. Il n’est pas certain, en spots, « l ig n e s » , etc.); Abraham Moles a réalisé des
effet, qu’il faille opposer le schématisme propre à films expérimentaux où la chose est mise en évidence
Pidéogramme — l’idéogramme qui, comme on sait, avec humour. Les recherches modernes, tant en sémio­
n’est pas le dessin, qui désigne tous les arbres par un logie qu’en psychologie de la perception, en anthropo­
graphème unique, aux contours « normalisés », figurant logie culturelle ou même en esthétique (Pierre Fran-
la notion générale d ’arbre sans représenter aucun arbre castel), ne permettent plus d ’opposer aussi simplement
particulier — à la richesse concrète de l’image cinéma­ qu’à Pépoque de Saussure le conventionnel au non-
tographique, qui ne peut nous montrer que des arbres conventionnel, le schématique au non-schématique. Elles
singuliers avec les nodosités de leur tronc et tout le aboutissent plutôt à distinguer des modes et des degrés
détail frémissant de leur feuillage. On sépare un peu de schématisation ou au contraire d ’iconicité (« degrés
trop, parfois, le visuel-concret (image filmique) du d ’iconicité » chez Abraham Moles, par exemple).
visuel-abstrait (idéogramme) ; les travaux de Jean
Mitry, qui échappent aux critiques qui vont suivre,
n’échappent pas entièrement à celle-ci. Ailleurs, on Mais ce sont justement ces degrés et ces modes qui
oppose trop brutalement l’idéogramme comme signe différencient l’image cinématographique de Pidéo­
conventionnel (bien que non arbitraire) à l’image fil­ gramme. Leur écart est chose importante. Il n’est pas
mique donnée pour non-conventionnelle et purement indifférent que la notation porte sur les traits perti­
analogique, pour une « imprimerie de la réalité » ou nents de la reconnaissance et sur eux seuls, éliminant
un « langage d ’objets » comme disait André Bazin12, ainsi Yinscription matérielle des autres, comme c’est en
principal représentant de la tendance (dite parfois gros le cas dans le morphogramme — , ou au contraire
« cosmophanique ») qui accorde au langage cinéma­ le « texte » lui-même, comme il en va au cinéma, n’of­
tographique la toute-puissance du « naturel ». Car fre au regard les traits d'identification que mêlés à
lorsque c’est ainsi que l’on réfute la nature idéogra­ tous les autres, et sans indication explicite de leur
phique du cinéma, on s’expose à un danger qui, à cer­ emplacement : il est vrai que le spectateur, aussi long­
tains égards, est Pinversc de celui qui guettait les théo­ temps qu’il comprend l’image, fera lui-même Fidéo­
riciens du muet friands d'idéographie : on se trompe gramme, mais il est vrai aussi que c’est à lui de le
moins qu’eux sur le compte de Pidéogramme, mais on faire, alors que Pidéographie (par des voies d ’ailleurs
s’illusionne beaucoup sur celui du cinéma. très variables) le lui présente tout fait. Le trajet, au
Dans L e langage cl la pensée” , le psychologue Henri cinéma, est un peu plus long, il est aussi moins sûr :
Delacroix remarquait que l’idéogramme, s’il ne note l’objet est reconnu plus ou moins vite, plus ou moins
pas le mot de la langue phonique, note cependant un bien, il y a des fausses pistes et des surprises, qui n’ont
concept qui, par ailleurs, a un nom dans cette langue pas leur équivalent morphogrammatique mais que cer­
(c’est sa théorie de 1’ « idée-mot», qui insistait sur-ce tains films exploitent électivement (films fantastiques,
que Pidéogramme a de conventionnel et de codifié) : films d ’horreur, certains films à « s u s p e n s e » , etc.).
mais ne retrouve-t-on pas un phénomène du même De façon plus générale, si on ne prend pas en compte
genre au cinéma et dans toutes les images « concrètes ». la différence entre les schématismes de Pidéogramme et
avec les codes de nomination iconiques dont nous avons ceux qui permettent la perception de l’image filmique,
parlé plus haut, et qui associent latéralement la langue on ne peut pas comprendre le potentiel polysémique
à l'identification des objets visuels ? De l’absence maté­ propre à cette dernière (dont la lecture, lors même
rielle de la langue, il ne faut pas conclure trop vite à qu’elle ne s’ « égare » pas décidément, peut hésiter ou
son absence codique. Paradoxalement, elle est plus se répartir entre plusieurs séries simultanées), ni ses
présente dans les images concrètes qu’en idéographie. trucages (dont on ne se donne la peine que parce que
Le schématisme, qui est un principe mental et notam­ le trucage plus fondamental des segments non-truqués
ment perceptif, déborde de beaucoup le champ des n’apparaît pas, et c’est pourquoi nul ne truque un
schémas au sens courant du terme ( = schémas maté­ schéma ostensible), ni tous ses jeux sur [impression de
rialisés, comme Pidéogramme), et la vision la plus réalité { = mystifications réalistes et irréalistes).
concrète est un processus classificatoire. L'image ciné­ Il n’est pas sans objet, à cet égard, de rappeler les
matographique, ou photographique, n’est lisible (intelli­ ressemblances partielles de la perception filmique avec
gible) que si on v reconnaît des objets (comme y insis­ la perception de la vie quotidienne (dite parfois « per­
tait encore Antonin A rtaud à propos de L a coquille ception r é e lle » ) , ressemblances que certains auteurs
et le clergym an), et « reconnaître», c’est ranger dans (dont nous) ont parfois mal interprétées. Elles ne
une classe, de telle sorte que l’arbre-comme-concept, tiennent pas à ce que la première est naturelle, mais
qui ne figure pas explicitement dans l’image, s’y trouve à ce que la seconde ne Pest pas ; la première est codée,
ré-introduit p a r le regard. On sait aussi, p a r les études mais ses codes sont en partie les mêmes que ceux de
la seconde. L'analogie, comme l'a montré clairement
(12) Dans « Le langage de notre temps », contribution à U m berto Eco14, n’est pas entre l’effigie et son modèle,
Regards n e u fs sur le cinéma (ouvrage collectif dirigé par
Jacques Chevallier, P a ris, Seuil, l r* éd. 1953). (14) La stru ttura as^ente (op. cit.'h chap. B. 1.11.3. ; en
(13) Paris, Alcan, 1924, p. 342. français, dans Communications, n° 15, 1970 : p. 14-15.
8
mais elle existe bien — tout en restant partielle — esthéticiens du cinéma15, vont à l’encontre de l’impres­
entre les deux situations perceptives, entre les modes de sion de réalité ; or il n’existe pas, en matière de son
déchiffrement qui amènent la reconnaissance de l’objet filmique, des distorsions manifestes de même impor­
en situation réelle et ceux qui amènent sa reconnais­ tance (cela tient en partie à ce que l’ancrage spatial
sance en situation iconique, dans l’image fortement d ’un son est plus faible et plus vague que celui d ’une
figurative comme celle du film (mais non comme l’idéo­ donnée visuelle).
g ram m e). Avec le son, d ’autre part, c’est la parole qui envahit
le film ; la parole non-ccrite, si l’on ose dire. E t avec
la parole, la langue, que contourne justement l’idéogra­
A ceci se rattache une autre différence. L ’image ciné­ phie : différence codique, qui est évidemment de grande
matographique, est-il besoin de le rappeler, ne peut portée.
désigner directement que des objets visuels. Il est vrai, La même remarque s’applique à la musique. On sait
et les esthéticiens du cinéma l’ont dit, qu’elle parvient pourtant que les représentations muettes étaient régu­
à suggérer des impressions sensorielles d ’ordre non- lièrement accompagnées p a r un pianiste ou un petit
visuel, en présentant des objets visibles qui leur sont orchestre. M ais cette musique, qui agrémentait le spec­
habituellement associés dans l’expérience courante. E t tacle de l’extérieur, n’était pas intégrée au texte du
aussi que le film — le film plutôt que l’image — peut film ; c’était un élément cinématographique non-filmi­
arriver, p a r des associations convenables de « plans » que, alors que la série musicale du film sonore est ciné-
(ou de « motifs » à l’intérieur du plan), à orienter matographique-filmique. Le changement est donc impor­
l’esprit du spectateur vers des objets idéaux et non- tant ; la musique ne participe plus seulement à l’insti­
sensoriels, comme des notions abstraites ou des raison­ tution cinématographique, mais au discours cinémato­
nements de divers ordres ; ce « montage intellectuel », graphique lui-même.
on le sait, était un des grands rêves d ’Eisenstein. Mais E t puis, bien sûr, il y a la différence physique men­
on voit du même coup que, pour les données extra- tionnée plus haut, et qui tient pour sa p a rt à la bande
visuelles ou abstraites, l’image filmique recourt à des sonore dans son entier : le texte global du cinémato­
désignations en quelque sorte latérales, qui précèdent graphe, dans sa matérialité, s’adresse aussi à l’oreille,
soit par métonymie ( = éléments sensoriels autres que alors que l’idéographie n ’a pas de « volet » auditif. Au
visuels), soit par périphrase et suggestion discursive total, et comme il est normal, l’avènement du « p a r ­
( = éléments non-sensoriels). Dans l’idéographie, au lant » a éloigné le cinéma de l’idéographie.
contraire, il arrive que certains de ces éléments soient M ais plus curieusement, c’est aussi (et peut-être sur­
directement dénotés par un graphème dont c’est là la tout) pour des raisons visuelles qu’il l’en a éloigné. La
seule fonction, et qui ne se contente pas d ’orienter présence du son a rétro-agi sur l’image, et en a écarté
l’attention vers eux mais les convoque expressément, certaines formes de construction, recherchées p a r les
à la façon dont le ferait, dans la langue phonique, une films muets les plus inventifs, et qui évoquaient un peu
nomination. l’idéographie. L ’absence de la parole et du bruit obli­
geait, ou en tout cas encourageait, à des ingéniosités
Ces écarts de codage entre le cinéma et l’idéographie combinatoires qu’a abandonnées le cinéma moderne, et
s’accroissent sensiblement lorsqu’on passe de la bande- dont le principe général est à peu près celui qu’indi­
images du film à sa bande sonore. Ce n’est pas exacte­ quait Eisenstein dans la citation qui figure plus haut
ment, et pas seulement, parce que cette bande est (« cœur » -}- « couteau » = « chagrin », etc.). Ainsi
sonore alors que l’idéogramme est visuel, car le degré ce montage dû à Eisenstein lui-même, au début de La
de schématisation pourrait demeurer analogue ou voi­ Ligne générale (« L ’ancien et le nouveau »), film qui
sin par-delà la différence sensorielle. Mais c’est que, date justement de l’année 1929, où l’auteur s’intéres­
dans les faits, il ne le demeure pas ; les technologies sait vivement à l’écriture idéographique. Lors d ’un p a r ­
cinématographiques autorisent des reproductions sono­ (15) lia tienn ent une grande place dans les écrits de Rudolf
res d ’une plus haute fidélité que les reproductions A R N H E IM , Bela BALAZS, Jea n MITRY, dans L ’univers
visuelles, et donc d ’un degré moindre de schématisa­ film iqu e (ouvrage collectif déjà cité), etc. — , et d’a u tr e
tion ; le fonctionnement de la perception filmique et p a r t dans l’ensemble des prem iers numéros de la Revue
celui de la perception réelle se ressemblent davantage internationale de Filmologie ('articles de M IC H O T T E VAN
D E N BERCK, Cesare L. M U SA TTI, Yves G A L IF R E T ,
pour le son que pour l’image ; à l’écoute <t naïve », René ZAZZO, R.C. O L D F IE L D , etc.) ainsi que dans L ’cspe-
il y a peu de différence phénoménale entre le son rienza cinematografiea de Dario F. ROMANO (1966) ; nous
enregistré et le son directement entendu, si du moins en avons parlé nous-même dans « A propos de l’impression
les techniciens s’en sont donné la peine. de réalité au cinéma », prem ier texte des Essais sur la
Les modes de schématisation interviennent aussi. signification au cinéma.
Ils sont revenus à l’ordre du jo u r depuis 19G8-69, avec
Dans l’image, certains éléments sont ouvertement l’intervention de la revue Cinéthique (Paris) et, à sa suite,
codés : le rectangle écranique, l’absence de ce que les de l’équipe Collectif Quazar (Bruxelles), qui voudraient
psychologues appellent la « troisième dimension réelle » renouveler la problématique en m o n tr a n t que l’impression
( = binoculaire), et donc la régulière supplétion par de réalité est en elle-même une idéologie. A notre avis, il
l’impression dite de profondeur ( = perspective mono­ y a certainem ent quelque chose de juste dans cette position,
mais ses te na nts la p résen tent sous une forme trop mono­
culaire -j- mouvement) n’échappe pas à celui même
lithique, insuffisamment technique et circonstanciée
qui supplée sans effort, etc. ; les faits de ce genre, qui ( = sous-estimation des autonomies relatives et des média­
ont été étudiés de près p a r la filmologie et par certains tions).
9
tage d ’héritage, deux frères scient en deux leur misé­ sage du dessin à Fécriture (idéographique), intervenu
rable isba ; la femme de l’un d ’eux les regarde avec beaucoup plus tôt dans l’évolution humaine ; parallé­
consternation ; le montage fait alterner systématique­ lisme qu’exprime assez bien la phrase de Georges
ment les gros plans de la scie et ceux du visage de D am as (« mécanisme de la transposition du sens »,
l’épouse : « Scie » « visage » = « consternation », « conquête progressive du symbolisme »), mais dont
pourrait-on dire. On voit d ’ailleurs que la ressemblance on voit du même coup qu’il concerne seulement la ten­
de cette idéographie avec la véritable restait approxi­ dance générale. Si le fait même de la juxtaposition de
mative (Bela Balazs16 considérait la séquence de l’isba plusieurs idéogrammes dans une chaîne écrite évoque
comme le décalque d ’une métaphore verbale : « fendre génériquement l’activité syntagmatique qui préside au
le cœur », etc.). M ais le problème, pour nous, n’est pas montage cinématographique — et si l’un et l’autre ont
là : l'idéographie du cinéma ne peut être qu’approxi­ pour effet de dégager des signifiants suprasegmentaux
mative, et l’influcncc inconsciente de la langue (si (Chap. IX. 6.), d ’autoriser des sélections réciproques
Balazs a raison) n’est que trop compréhensible ; ce entre éléments rapprochés, de provoquer diverses sor­
qui reste, dans les montages de ce genre — dont on tes de contraintes à distance (Chap. V III. 7.), etc.,
a beaucoup parlé à propos des notions et des querelles multipliant ainsi le symbolisme initial de chaque élé­
du « montage intellectuel », du « montage des attrac­ ment par celui qui tient à leur multiplicité même — ,
tions », etc. — , c'est une sorte d ’inspiration idéogra­ les trajets spécifiques qu’emprunte cette commune pous­
phique, d ’ordre évidemment assez général, mais qui est sée du sens demeurent différents de l'idéographie au
en recul dans le cinéma parlant, car elle tenait pour cinéma, et on ne discerne pas ce qui, dans la première,
une p a rt à ce que l’image, réduite à elle-même, explo­ correspondrait exactement aux mouvements d ’appareil,
rait plus systématiquement toutes ses virtualités inter­ aux variations d ’incidence angulaire entre images conti-
nes. Ces problèmes ont été souvent abordés par les guës, au passage d ’un plan éloigné à un plan plus rap­
esthéticiens du cinéma, et par nous-mêmes dans un proché (ou l’inverse), à la profondeur de champ, aux
autre ouvrage17. effets optiques comme modalités d ’enchaînement (fondu-
enchaîné, etc.), à la multiplication de la séquentialité
Avec l’exemple tiré du film d ’Eisenstein, on touche elle-même — . deuxième multiplication — par la
déjà aux modes d ’enchaînement des images successives. confrontation de plusieurs séries distinctes (paroles,
La comparaison du cinéma et de l’idéographie ne se bruits, etc.), en bref à une partie importante des for­
réduit pas à celle de l’image cinématographique et de mes proprement cinématographiques de la « conquête
l’idéogramme ; il faut aussi mettre en regard les deux progressive du symbolisme ».
types de séquentialité. C ’est d ’ailleurs à ce niveau que
le rapprochement, dans certains cas, a été proposé. Les rapports d ’images dont on vient de parler
L ’étude de Georges D am as mentionnée au début de étaient svntagmatiques. Il y a aussi les relations p a ra ­
ce chapitre constate, dans un autre passage, que « le digmatiques. Sur ce point, les différences entre le
mécanisme de la transposition du sens [au cinéma], la cinéma et l’idéographie sont particulièrement visibles.
conquête progressive du symbolisme et de l’accès à Les principales nous semblent être au nombre de deux.
l’abstraction est actuellement visible » ; de même, i° Il existe plusieurs écritures idéographiques, qui
lorsque Eisenstein nous dit qu’ « oreille » 4 ~ « porte » sont aussi séparées les unes des autres et qui appellent
= « écouter », il met l’accent sur la relation des la « traduction » de façon aussi impérieuse que le font
images autant que sur le statut idéographique de cha­ les langues. Le phénomène de {'idiome a une sorte
cune d ’elles. d ’équivalent en idéographie. Au cinéma, il n’en a pas
Toutefois, le mouvement est absent des enchaîne­ (si ce n’est pour les paroles, bien sûr). Certes, les
ments idéographiques, alors qu’il joue au cinéma un images filmiques sont loin de constituer 1 « esperanto
rôle très important : différence dans la matière de visuel » ou le « langage international » qu'on a parfois
l’expression, mais aussi dans les systèmes de l'enchaî­ voulu y voir ; leur organisation interne, leur déchiffre­
nement eux-mêmes : les configurations cinématogra­ ment par le spectateur varient considérablement d ’une
phiques qui forment le montage reposent autant sur culture à une autre : que l'on songe à l’embarras du
la mouvance que sur la séquentialité proprement dite, spectateur occidental devant certaines images des films
comme on l’a vu ailleurs. japonais (ou du moins de ceux d ’entre eux qui n’ont
Cette dernière reste en facteur commun aux deux pas été préfabriqués en vue de l’exportation et des
modes d ’expression, mais aussi à beaucoup d ’autres festivals internationaux), devant certaines images des
qu’eux (séquences d ’images ou de dessins, tableaux nouveaux films qui commencent à nous venir d ’Afrique
ordonnés en série, etc.). Il est vrai qu’il y a dans N o ire. M a is ces perplexités et ces contre-sens ne sont
l’histoire du cinéma, partie de la simple photographie pas de l’incompréhension absolue, comme il en va pour
animée ou du « tableau vivant » pour conquérir peu l’usager « natif » d'une écriture idéographique qui est
à peu des formes spécifiques de liaison discursive, quel­ placé devant un texte rédigé dans une autre écriture
que chose qui n ’est pas sans ressemblance avec le pas­ idéographique qu’il n’a pas spécialement apprise. Les
différences culturelles qui se répercutent dans le codage
(16) Theory of ihe film (Londres. Dennis Dobson. 1952). des images filmiques ne vont pas jusqu’à créer une
p. 127. pluralité d ’idiomes iconiques, opaques les uns aux autres
(17) Cf. tout le début du texte n° 3 (« Le cinéma : langue
ou langage ? », p. 39-93) des Essais sur la signification au et séparés par des frontières tranchées. C ’est que la
cinéma, (op. cit.). p a rt des codifications arbitraires (au sens saussurîen

du terme) est plus forte dans l’idéographie que dans phie, une différence de fonction sociale. P a r rapport à
l’image de cinéma, et plus forte au cinéma la part la communication explicitement informative, ces deux
des codifications liées à l’iconicité ; ces dernières devien­ moyens d ’expression n’occupent pas la même place. Le
nent moins vite et moins complètement inintelligibles cinéma fut d’emblée écriture d’ « art » (même lorsque
d ’une partie du monde à une autre : elles ont davan­ les films étaient mauvais), il fut lié à la fiction et au
tage d'assise dans des organisations psycho-physiolo­ spectacle avant d ’avoir cu le temps de servir à autre
giques (comme la perception) dont la variation « cross- chose ; il'fut, en quelque sorte, happé dès sa naissance
culturelle », même importante, est cependant moins par l’esthétique, en tant que cette dernière désigne un
radicale qu’elle ne le devient pour certains autres secteur particulier de l’activité sociale ; ce n’est que
codes1p. par la suite, et dans une très faible proportion, qu’il
2° On peut dire que chaque écriture idéographique s’est fait didactique, scientifique, etc. L ’idéographie, qui
s'organise en un code (un seul), dans la mesure où se prolonge en écriture littéraire et dont les effets se
les diverses relations paradigmatiques entre graphèmes font sentir très loin autour d ’elle, est néanmoins une
y sont « intégrées » (plus ou moins bien selon les cas) écriture au sens que donnent à ce terme les historiens,
au sein d ’un sur-système. A cet égard, une écriture les linguistes, les anthropologues comme Leroi-Gourhan,
idéographique ressemble à une langue : chaque langue les grammatologues de l’école de J.J. Gelb : ce n’est
est un système de systèmes (puisque les personnes du pas au spectacle narratif et au délassement qu’elle est
verbe forment déjà un système, le « tableau » des d ’abord liée, mais à d ’autres pratiques sociales, qui
occlusives un autre, etc.), mais ces systèmes partiels vont de la communication quotidienne aux transmis­
sont articulés les uns sur les autres avec assez de pré­ sions guerrières, aux rituels religieux, aux prescriptions
cision pour qu’on soit fondé à parler de la langue de palais, etc. ; elle est, plus que le cinéma, soumise
comme d ’//// système. On ne peut en dire autant des aux contraintes de la communication proprem ent dite,
codes de l’image filmique, dont les articulations mu­ qui exige un minimum d ’univocité. Ceci n’est pas sans
tuelles — au moins dans l’état actuel de nos connais­ rapport avec son degré supérieur de schématisme et
sances — ne « raccordent » pas avec la même rigueur : son organisation plus stricte.
rien ne permet d ’entrevoir, pour l’instant, l’existence
de quelque sur-code qui coifferait les diverses configu­
rations de l’image cinématographique. En ce sens, cette Que conclure, sinon que la comparaison véritable
dernière, dont on vient de dire qu’elle ne forme pas entre le cinéma et l’idéographie reste à faire ? Ce n’est
plusieurs idiomes, ne forme pas non plus un idiome. pas non plus ce chapitre qui l'a faite : il voulait sim­
plement en montrer la complexité, que l’on sous-estime
parfois beaucoup.
Les différences entre le cinéma et l’écriture idéogra­ Certains faits idéographiques et certains faits ciné­
phique, qui n’excluent pas diverses analogies, semblent matographiques s’imposent à un rapprochement : 1W/-
tenir à deux grands ordres de circonstances, qui ren­ tement de la langue (fût-il partiel), l’accès de formes
voient les unes et les autres à la sociologie et à l’his­ visuelles à une organisation langagière et discursive.
toire. Il y a d ’abord le poids de la technologie : celle Mais on ne peut s’en tenir là. La comparaison ne
qui a permis le cinéma est d ’une autre époque, elle deviendra effective que si elle s’étend au détail des
repose sur un état plus avancé de la science, elle rend configurations, celles du cinéma comme celles de l’idéo­
possibles des reproductions qui mettent davantage en graphie. De plus, il faudra renoncer à les isoler
jeu les codes mêmes de P icon ici té ; le degré de sché­ toutes deux dans un tête-à-tête imaginaire, comme
matisation est plus faible, moins apparent, la machine on l’a trop fait jusqu’ici, et replacer leur confron­
est devenue capable de simuler partiellement le fonc­ tation dans un contexte plus vaste, auquel appartien­
tionnement de la perception, elle s’efforce d ’ « optima­ nent aussi des « idéogrammes modernes » autres que
liser » le rendement final de cette ressemblance. I.,'idéo­ ceux du cinéma (teouismes de divers ordres, techno­
gramme, au contraire, se trace à la main : ce fait tout logie télévisuelle, schémas et autres « icônes logiques »
simple a son importance. C ’est aussi le progrès tech­ au sens de Peirce, « symboles » de la publicité
nique qui a permis de réunir en un même texte des et du tourisme, code graphique-cartographique analysé
configurations inscrites dans une grande variété de p a r Jacques Rertin, etc.) et, de l’autre côté, les
matières de l’expression (mouvement, son, etc.), intro­ manifestations de l’idéographie autres que récriture
duisant ainsi des codes dont la seule présence éloigne idéographique proprement dite, dans la littérature, la
le cinéma de l’idéographie. Des arts plus anciens, peinture, les mécanismes. « primaires » de l’inconscient
comme l’opéra, avaient déjà ce caractère « polypho­ (voir travaux de Jacques Derrida, Julia Kristeva, Jean-
nique ». mais n’en permettaient pas la fixation : leur Louis Schcfer, François Lyotard, etc.). C a r il y a
texte s’évanouissait après chaque représentation ; celui quelque chose d ’artificiel et de bizarre dans la façon
du film est enregistré (Chap. XL I .) , et c’est pourquoi dont certains théoriciens du film comparent sélective­
on a l’idée de le comparer au texte idéographique, ment l’idéographie au sens strict avec le cinéma et lui
même quand c’est pour marquer leur écart. seul : pourquoi ces deux manifestations précises, et non
11 y a en second lieu, entre le cinéma et l’idéogra- d ’autres ? On risque ainsi de confondre le générique
avec le spécifique, de méconnaître l’exact degré de
(18) Cu fa it comporte des implications pédagogiques, dont généralité de chaque « ressemblance » relevée.
nous avons parlé dans « Images et pédagogie x> (Communi­
cations, n° 15, 1970, p. 162-168). Christian M E T Z .
11
Dfciga Vertov :
T extes

Ces deux textes, ainsi que ceux que nous avions déjà publiés dans notre n° 2 2 0 / 2 2 1 , font partie des œuvres de
Vertov, parues en U.R.S.S. voici quelques années. L’ensemble de ces œuvres paraîtra en mai 1971 , en un volume
de la collection 10/18 (Christian Bourgois E d ite u r), dans la traduction qui a été établie pour nous par Andrée
Robel et Sylviane Mossé, et avec une préface de Jean Narboni.

Instructions
provisoires aux cercles
“ Ciné-œil ”

I. Introduction pas le capital. La bourgeoisie a eu l’idée diabolique


Noire œil voit très mal et très peu, alors les hommes d ’utiliser ce nouveau jouet pour amuser les masses
ont imaginé le microscope pour voir les phénomènes populaires ou, plus exactement, pour détourner l ’atten­
invisibles, ils ont inventé le télescope pour voir et tion des travailleurs de leur objectif fondamental, la
explorer les mondes lointains inconnus, ils ont mis au lutte contre leurs maîtres.
point la caméra pour pénétrer plus profondément dans Dans l’opium électrique des salles de cinéma, les
le monde visible, pour explorer et enregistrer les faits prolétaires plus ou moins affamés et les chômeurs des­
visuels, pour ne pas oublier ce qui se passe et dont serraient leurs poings de fer et, sans s’en apercevoir,
il sera nécessaire de tenir compte par la suite. se soumettaient à l’influence démoralisante du cinéma
Mais la caméra n ’a pas; eu de chance. Elle a été de leurs maîtres. Les théâtres sont chers, ils n'ont pas
inventée alors qu’il n'existait nul pays où ne régnât beaucoup de places. Et les maîtres obligent la caméra
I2
à répandre les réalisations théâtrales où l’on voit les a) Le kinok-observateur scrute attentivement le milieu
bourgeois aimer, souffrir, « s ’occuper» de leurs et les gens qui l’entourent et s’efforce de rattacher entre
ouvriers, où l’on voit ces êtres supérieurs, cette aris­ eux des faits hétérogènes en fonction de caractéristiques
tocratie, se différencier des êtres inférieurs (ouvriers, générales ou spécifiques. Le thème est fourni par le
paysans, etc.). dirigeant à l’observateur-kinok.
Dans la Russie d ’avant la Révolution, le cinéma b) Le dirigeant du cercle, ou ciné-éclaireur, distribue
des maîtres remplissait le même rôle. Après la Révo­ les thèmes aux observateurs et, au début, il aide chaque
lution d ’Octobre, le cinéma a eu la difficile tâche de observateur à faire un résumé de ses observations.
s’adapter à la vie nouvelle : les acteurs qui incar­ Quand le dirigeant a recueilli tous les résumés, il les
naient des fonctionnaires du tsar se mirent à incarner groupe à son tour pour faire permuter les données
des ouvriers, les actrices qui jouaient des dames de séparées jusqu’à ce que la structure du thème soit
la Cour, font maintenant des grimaces dans le style suffisamment claire.
soviétique. On peut en gros classer en trois catégories les thèmes
Mais bien peu d ’entre nous ont encore réalisé que à donner à un observateur débutant :
toutes ces grimaces restent pour l ’essentiel dans les 1) observation sur un lieu (exemple : le club de
limites de la technique et de la forme bourgeoises du lecture rural, la coopérative) ;
théâtre. Nous connaissons nombre d ’adversaires du 2) observation de personnes ou d'objets en mouve­
théâtre contemporain qui dans le même temps se mon­ ment (exemple : son père, un pionnier, le facteur, le
trent de chauds partisans du cinéma sous sa forme tramway, etc.) ;
présente. 8) observation sur un thèm e, indépendamment d'une
Bien peu encore voient clairement que le cinéma personne ou d'un lieu déterminé (exemple de thème :
non théâtral (à l ’exception des actualités et de quelques l ’eau, le pain, les chaussures, les parents et les enfants,
films scientifiques) n’existe pas. la ville et la campagne, les larmes, le rire, etc.).
Toutes les représentations théâtrales et tous les films Le dirigeant du cercle doit s’efforcer d’apprendre à
de cinéma sont bâtis exactement de la même façon : manier un appareil de photo (et par la suite une camé­
un dramaturge ou un scénariste, puis un metteur en ra) pour photographier les événements de l ’observation
scène ou un réalisateur, puis des acteurs, des répéti­ les plus frappants en vue du journal mural.
tions, des décors et une représentation devant le public.
Le journal mural Ciné-œil sort mensuellement, ou
Le principal, au théâtre, c’est le jeu de l ’acteur de
toutes les deux semaines ; il illustre par des photos la
sorte que chaque film bâti sur un scénario et sur le
vie de la fabrique, de l’usine ou du village, appelle à
jeu constitue une représentation théâtrale; voilà pour­
des campagnes, met le plus possible en évidence la vie
quoi il n’y a pas de différence entre les réalisations
environnante, fait de l’agitation et de la propagande
des metteurs en scène de nuances diverses.
et organise. Le dirigeant de cercle détermine son tra­
Tout cela concerne le théâtre en gros et en détail,
vail en accord avec la cellule des kinoks rouges et
indépendamment du courant et de l’orientation, indé­
dépend directement du Conseil du ciné-œil.
pendamment de l’attitude envers le théâtre en tant
que tel. c) Le Conseil du ciné-œil est à la tête de toute
Tout cela n a rien à voir avec ce qui fait la véri­ l’organisation. Y participent un représentant de chaque
table vocation de la caméra. ù savoir : l’exploration cercle de kinoks-observateurs, un représentant des
des faits vivants. kinoks inorganisés et provisoirement trois représentants
des kinoks-producteurs.
La kinopravda a fait clairement comprendre qu’on
peut travailler en dehors du théâtre au même pas que Dans son travail pratique quotidien, le Conseil du
la révolution. Le « ciné-œil » continue Vœuvre de créa­ ciné-œil s’appuie sur l’appareil technique que constitue
tion d*un cinéma soviétique rouge commencée par la la cellule des kinoks rouges.
Kinopravda. La cellule des kinoks rouges doit être considérée
comme une fabrique parmi d ’autres où la matière pre­
II. Le travail du ciné-œil mière fournie p a r les kinoks-observateurs est transfor­
Sur la base des rapports des ciné-observateurs, le mée en ciné-œuvres.
Conseil du ciné-œil élabore le plan d’orientation et La cellule des kinoks rouges doit être considérée éga­
d ’attaque des caméras clans le milieu vivant en perpé­ lement comme un atelier d ’enseignement et de démons­
tuelle transformation. Le travail des caméras rappelle tration grâce auquel les cercles de pionniers et de
celui des agents de la Guépéou qui ne savent pas ce komsomols seront entraînés au travail de production.
qui les attend mais qui ont pour mission bien définie Tous les cercles de kinoks-observateurs seront, en
d ’extraire du tréfonds de l’imbroglio de la vie tel ou particulier, entraînés à produire les futures séries de
tel problème, telle ou telle affaire et de les tirer au ciné-œil. Ce sont eux qui seront les auteurs-créateurs
clair. de toutes les ciné-œuvres à venir.
13
Ce passage de la création par un seul auleur ou un 5 ) Le coup d ’œil (chasse aux morceaux de montage),
groupe de personnes à la création de masse conduira orientation instantanée dans n ’importe cjuel milieu vi­
aussi, pensons-nous, à accélérer le naufrage du cinéma­ suel pour saisir les images de liaison nécessaires. Fa­
tographe artistique bourgeois et de ses attributs : culté d ’attention exceptionnelle. Règle de guerre :
l’acteur grimacier, la fable-scénario et les jouets coû­ coup d ’œil, vitesse, pression.
teux que sont les décors et le grand-prêtre-réalisateur. 6) Le montage défin itif, mise en évidence des petits
thèmes cachés sur le même plan que les grands. Réor­
III. Mots d ’ordre élémentaires ganisation de tout le matériau dans la succession la
1. Le ciné-drame est l’opium du peuple. meilleure. Mise en relief du pivot du film. Regroupe­
2. A bas les rois et reines immortels de l ’écran. ment des situations de même nature et, enfin, calcul
Vivent les mortels ordinaires filmés dans la vie pen­ chiffré des groupements de montage.
dant leurs occupations habituelles. Quand les conditions de tournage ne permettent pas
3 . A bas les fables-scénarios bourgeoises ! Vive la vie l ’observation préalable, dans le cas où, par exemple,
comme elle est. la caméra prend en filature ou filme à l’improviste, on
saute les deux premiers points et on applique les points
4 . Le ciné-drame et la religion sont des armes mor­
3 ou 5 .
telles entre les mains des capitalistes. P a r la démons­
tration de notre quotidien révolutionnaire, nous a rra ­ Pour tourner les scènes de petit métrage et pour les
cherons ces armes des mains de l’ennemi. tournages urgents, il est permis de faire fusionner
plusieurs points.
5 . Le drame artistique actuel est un vestige du
vieux monde. C’est une tentative pour couler notre Dans tous les autres cas, que Ton tourne sur un
réalité révolutionnaire dans des formes bourgeoises. thème ou sur plusieurs, tous les points doivent être
respectés, le montage est ininterrompu, depuis la pre­
6. A bas la mise en scène de la vie quotidienne ;
mière observation jusqu’au film définitif.
filmez-nous à l’improviste tels que nous sommes.
7. Le scénario est une fable inventée à notre sujet
par un homme de lettres. Nous vivons notre vie sans V. Les kinoks et le scénario
nous soumettre aux inventions de quiconque. Il est ici tout à fait à propos de parler du scénario.
8. Dans la vie, chacun de nous vaque à ses affaires Appliqué au système de montage défini ci-dessus, le
sans empêcher les autres de travailler. L’affaire des scénario littéraire en annule d ’emblée le sens et l’im­
kinoks, c’est de nous filmer sans nous empêcher de portance. La raison en est que c’est le montage, l’orga­
travailler. nisation du matériau vécu qui construisent nos films,
9. Vive le ciné-œil de la révolution prolétarienne ! contrairement aux drames artistiques que construit la
plume de l’homme de lettres.
IV. Les kinoks et le montage Cela signifie-t-il que nous travaillons au petit bon­
Dans le cinématographe artistique, il est convenu heur, sans réflexions ni plans ? Rien de pareil.
de sous-entendre par montage le collage de scènes fil­ Mais si nous voulons comparer notre plan préalable
mées séparément, en fonction d ’un scénario plus ou au plan d ’une commission qui enquête, par exemple,
moins élaboré par un metteur en scène. sur le logement des chômeurs, c’est au récit de cette
Les kinoks donnent au montage une signification enquête rédigée avant qu’elle ait été menée, que le scé­
absolument différente et l’entendent comme l’orgAmsa- nario doit être comparé.
tion du monde visible. Comment dans ce cas se comporte le cinéma artis­
Les kinoks distinguent : tique et comment se comportent les kinoks ?
1 ) Le montage au moment de Vobservation : orien­ Les kinoks organisent leur film sur la base des ciné-
tation de l ’œil désarmé dans n’importe quel lieu, à documents réels relatifs à l ’enquête.
n’importe quel moment. Après avoir mis au point un scénario littéraire à
2) Le montage après /’observation : organisation grand effet, les metteurs en scène y plaqueront des
mentale de ce qui a été vu en fonction de tels ou tels ciné-illustrations récréatives, deux baisers, trois larmes,
indices caractéristiques. un meurtre, des nuées fuyant sous la lune et une co­
3 ) Le montage pendant le tournage : orientation de lombe. Ils inscriront à la fin : « Vive!... », et tout
l ’œil armé de la caméra dans le lieu inspecté au point 1. finira par l ’internationale.
Adaptation du tournage à quelques conditions qui se Tels sont, à quelques variantes près, nos ciné-
sont modifiées. drames de propagande.
4) Le montage après le tournage, organisation Quand un film s’achève par l’internationale, d ’ordi­
grosso modo de ce qui a été filmé en fonction d’indices naire la censure le laisse passer, mais le spectateur se
de base. Recherche des morceaux manquants dans le sent toujours un peu mal à l ’aise en entendant l’hymne
montage. prolétarien dans une ambiance aussi bourgeoise.
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Le scénario est l’invention d ’une seule personne ou 2 ) les kinoks-opérateurs,
d ’un groupe de personnes : c’est une histoire que ces 3 ) les kinoks-constructeurs,
personnes désirent faire vivre à l’écran. 4 ) les kinoks-monteurs (hommes et femmes),
Nous ne trouvons pas ce dcsir criminel, mais que 5 ) les kinoks-techniciens de laboratoire.
l’on hisse ceLte sorte de travail au rang.de tâche essen­ Nous n’enseignons nos procédés de ciné-travail qu’aux
tielle du cinéma, que l ’on supplante les vrais films par komsomols et aux pionniers, remettant ainsi notre savoir
ces ciné-histoires, qu’on étouffe toutes les possibilité0 et notre expérience technique entre les mains sûres
merveilleuses de la caméra au nom du culte à rendre de la jeunesse ouvrière montante.
au dieu du drame artistique, c’est ce que nous ne pou­ Nous ne craignons pas d ’assurer aux metteurs en
vons comprendre et que, bien entendu, nous n’acceptons scène respectables et non respectables que la ciné-
pas. révolution ne fait que c o m m e n c e r.
Ce n’est pas pour nourrir de contes les nepmans Nous tiendrons bon, nous ne lâcherons aucune de
mâles ou femelles qui se prélassent dans les loges de nos positions aussi longtemps que la relève d ’acier
nos meilleures salles que nous sommes entrés dans le de la jeunesse ne sera pas en place, et dès lors, pas­
cinéma. sant par-dessus la tcte du cinéma artistique bourgeois,
Ce n ’est pas pour calmer les masses laborieuses avec nous marcherons tous ensemble vers le cinéma de
de nouveaux hochets et amuser leur conscience que l’Union soviétique, vers le cinéma universel, nous m ar­
nous jetons à bas le cinéma artistique. cherons vers Octobre.
Nous nous sommes mis au service d’une classe déter­
minée, la classe des ouvriers et des paysans, qui n’est VI. Le ciné-œil et sa première mission de reconnaissance
pas encore engluée dans la toile d’araignée douce­
Le montage de la première série du Ciné-œil a été
reuse du drame artistique.
mené , conformément au schéma de montage indiqué
Nous sommes venus montrer le monde tel qu’il est dans le chapitre précédent du présent article.
et dévoiler aux travailleurs la structure bourgeoise du Mentionnons les thèmes suivants de la première
monde. série :
Nous voulons donner aux travailleurs une conscience 1 . « N o u v e a u » et « A n c i e n » . 2. Enfants et adultes.
claire des phénomènes qui les concernent et qui les 3 . Coopératives et marchés. 4 . Ville et campagne. 5 .
entourent. Nous voulons donner à chaque travailleur Thème du pain. 6 . Thème de la viande. 1. Le grand,
à sa charrue ou à son établi la possibilité de voir tous thème : gnole, cartes, bière, affaires louches, « Ernia-
ses frères qui travaillent en même temps que lui dans kovka », cocaïne, tuberculose, fo lie , mort. C’est un
les divers points du monde, et de voir aussi leurs enne­ thème que j ’ai d u mal à définir d’un seul mot mais
mis, les exploiteurs. que j ’oppose ici au thème de ce qui est sain et revigo­
Nous faisons nos premiers pas dans le domaine du rant.
cinéma et c’est pourquoi nous nous appelons les Kinoks. C’est, si vous voulez, cette partie du terrible héri­
Le cinéma actuel, conçu comme une activité commer­ tage que nous a laissé le régime bourgeois et que notre
ciale, de même que le cinéma conçu comme un sec­ révolution n’a pas encore eu le temps, n’a pas encore
teur de l’art, n’a rien de commun avec le travail qui eu la possibilité de balayer.
est le nôtre. Outre le montage des thèmes (leur coordination et
Même dans le domaine de la technique, nous n’avons celui de chaque thème en particulier), l’on a procédé
que partiellement affaire avec ce qu’on appelle le au montage des scènes séparées (attaque du camp,
« cinéma artistique », car l’exécution des tâches que appel à l ’aide, etc.).
nous nous sommes posées exige une conception autre Comme exemple de scène non limitée dans le temps
de la technique. ou l ’espace et obtenue p a r montage, je veux citer la
Nous n ’avons pas le moindre besoin d ’immenses danse de femmes saoules dans la première partie du
ateliers, de décors grandioses, non plus que de met­ Ciné-œil.
teurs en scène « g r a n d i o s e s » , de « g r a n d s » artistes et Elles ont été filmées à différents moments, dans dif­
de femmes photogéniques, « sensationnelles ». férents villages et montées en un tout unique.
P ar contre, il nous faut absolument : C’est de la même façon qu ’ont été montés le débit
1) des moyens de transport rapides, de boisson, le marché, comme tout le reste d ’ailleurs...
2 ) de la pellicule à haute sensibilité, Comme modèle de montage d'un instantané limité
3 ) des petites caméras à main ultra-légères, dans le temps et dans Vespace, je peux citel l’envoi des
4 ) des appareils d ’éclairage tout aussi légers, couleurs le jour de l’ouverture du camp.
5 ) une équipe de ciné-reporters ultra-rapides, Cinquante-trois vues collées les unes aux autres [las­
6) une armée de kinoks-observateurs. sent ici sur une longueur de 17 mètres. En dépit de
Dans notre organisation, nous distinguons : la succession très rapide des sujets sur l’écran (chaque
1 ) les kinoks-observateurs, sujet n’y reste pas plus d ’un quart de seconde), la
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présentation de ce fragment est convenablement perçue La plus importante de toutes les positions techniques
et ne fatigue pas la vue (vérifié sur un spectateur que nous avons dû négliger provisoirement est le tour­
o u v rie r). nage des dessins animés (filmage de chaque image sépa­
Les défauts de la première série du Ciné-œil rément). Il y a longtemps que nous nous occupons
d ’animation, nous nous y sommes mis après les premiers
Le défaut principal à relever est la longueur exces­
numéros de la Kinopravda, car nous estimons que c’est
sive du film.
une arme essentielle dans la lutte contre le cinéma
Il ne faut pas oublier qu’à leur début les films
artistique.
artistiques n’avaient qu’un ou deux actes, et que leur
Pour nous entraîner, nous avons filmé par ce procédé
longueur n ’a été augmentée que progressivement.
différentes choses, nécessaires ou non, tels qu’inter-titres
Le domaine du ciné-œil est un domaine neuf, et il lumineux, cartes, bulletins, caricatures, réclames, ta­
faut élargir avec prudence la portion offerte au spec­ bleaux, etc.
tateur pour ne pas le fatiguer et ne pas le pousser
Nous n’avons cessé de déclarer dans les assemblées
dans les bras du drame artistique.
et dans la presse que ce que nous faisions dans ce
Comptant nous ouvrir une brèche dans les grandes domaine servait seulement à nous entraîner et à nous
salles de cinéma, nous nous sommes soumis à l’exi­ préparer à une entreprise sérieuse dans un autre
gence de donner un film en six actes et... nous avons domaine indispensable.
commis une erreur que nous devons reconnaître. Il Quand les kinoks passaient des nuits blanches à
faudra à l’avenir corriger cette erreur et faire des filmer des caricatures, des dessins humoristiques, etc.,
petits films de différents types qu’on pourra, si on le dans des conditions extrêmement pénibles, il leur fallait
désire, montrer séparément ou groupés en programme. s’accrocher à l ’espoir que désormais il n’y aurait plus
On peut aussi considérer comme un défaut la trop longtemps à attendre, que très très bientôt nous passe­
grande envergure de la première série, le trop grand rions au vrai travail d ’animation entrant dans le plan
nombre de thèmes entrecroisés au détriment de l’appro­ des kinoks.
fondissement de chacun d ’eux.
Nous avons obstinément préparé la jonction des
Cette manière de procéder pour la première série actualités et du film scientifique, et le dessin animé
n’est pas due au hasard, elle nous a été dictée en est un procédé qui doit jouer ici un rôle décisif. « Des
partie par l’intention que nous avions de présenter ici dessins en mouvement, des croquis en mouvement, la
une large exploration et, avec les prochaines séries, théorie de la relativité à l’écran », telle était la direc­
de pénétrer plus profondément dans la vie à partir tive donnée dans le premier manifeste des kinoks rédigé
de cette exploration. Cette manière de procéder a été fin 1919 , avant même que fût présenté à l’étranger le
aussi, en partie, rendue inévitable du fait que pour film La Théorie de la Relativité d'Einstein.
aller au bout de chacun des thèmes du ciné-œil il fal­ Du fait que nous étions accaparés par le travail sur
lait dépenser beaucoup de temps, beaucoup d’éclairages la première série du Ciné-œil. il s’est trouvé que notre
artificiels, et tourner beaucoup de dessins animés. premier film scientifique, U avortement, auquel le kinok
La dépense de temps entraînait une grande dépense Béliakov a pris une part importante, n’a pas été lié
d’argent, l ’éclairage artificiel boîtait des deux pieds et au matériau documentaire figurant dans notre plan mais
la table d ’animation était si souvent occupée qu’on a été à une petite histoire d ’amour de second ordre.
forcés de se contenter d ’une caricature de 10 mètres Comme il fallait s’y attendre, la jonction du cinéma
et d ’une dizaine d ’inter-titres lumineux. scientifique et du drame ne s’est pas produite.
Je cite seulement ces défauts, non qu’il n ’y en ait Le matériau dramatique prend un air minable et
d ’au 1res, mais parce que c’est précisément de ces insuf­ pâle à côté des prises de vue scientifiques. Le carac­
fisances et de ces erreurs qu’il faut tenir compte au tère scientifique même d ’un tel film paraît sujet à
premier chef et parce qu’il faut en tirer les conclu­ caution du fait de ce voisinage « artistique ».
sions pour notre travail ultérieur. Il est clair que s’il n'y avait pas eu le travail sur
Ce que nous avons perdu et ce que nous avons gagné le ciné-œil. nous n’aurions pas perdu celte position et
en sortant la première série. aurions mis à profit une occasion aussi magnifique pour
Nous avons perdu temporairement quelques position? créer un film sain, intéressant, et d’un bon niveau
sur le plan de l’organisation et de la technique. Nos culturel.
réunions communes se sont faites plus rares et quel­ Bien entendu. nous tic céderons pas cette position
ques-uns tles membres du groupe ont quasiment lâché que nous avons conquise.
le travail et se sont démoralisés ; la direction centrale Que ce soit par la voie d ’un accord avec la section
s’est affaiblie et le pivot de l ’organisation de toute des films scientifiques qui s’est constituée sur notre base
l’affaire s’est en quelque sorte faussé. technique, ou en reprenant tout à zéro, nous continue­
Ces pertes sur le plan de l’organisation ont à l’heure rons ce travail.
présente presque toutes été compensées. La Kinopravda et les ciné-calendriers ont quelque
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peu souffert, mais là encore nous avons résorbé nos Mais si l ’on peut pardonner au correspondant ouvrier
pertes à 80 du journal Komnr (*) d ’avoir signé « Le ciné-œil »
Le monde du cinéma commercial a accueilli avec les petites scènes qu’il a observées à la dérobée, on
hostilité la première série du ciné-œil, pour la plus ne peut par contre pardonner au cinéma « Ciné-œil »
grande joie des metteurs en scène, des acteurs et de de n’avoir pas marqué son inauguration par la projec­
toute la caste des ciné-grands-prêtres. Les grandes salles tion de la première série du Ciné-œil mais par Le Tom ­
de cinéma n’ont même pas entrouvert leur porte à cette beau. hindou ou quelque chose dans ce genre.
« chose infâme ». Bien q u ’il nous ait arrachés au travail d ’organisa­
La popularité du mot d ’ordre « ciné-œil » n ’en con­ tion et nous ait privés de quelques positions techniques,
tinue pas moins à augmenter. Une foule d’articles le tournage de la première série du Ciné~œil a enrichi
consacrés à la première série s’est taillée une place nos connaissances et notre expérience.
dans toute la presse communiste, soviétique, théâtrale Au cours de ce travail nous nous sommes surtout
et cinématographique. vérifiés nous-mêmes. Nous avons vu plus clairement,
On voit surgir des cercles « ciné-œil », « photo-œil », plus concrètement ce que seront nos prochaines tâches.
etc. - Nous avons vu de plus près les difficultés auxquelles
Chaque jour, en quittant une salle de cinéma après nous aurons affaire, et bien que nous ne les ayons pas
avoir vu un film artistique, quelqu’un se met pour la entièrement surmontées, nous les connaissons désormais
première fois à cracher de dégoût et à repenser au et nous concevons la manière d ’en venir à bout. Nous
ciné-œil. avons beaucoup appris dans ce combat et la leçon ne
sera pas perdue.
A mesure que se propage le mot d ’ordre « ciné-œil »,
la popularité de celte appellation grandit. Nous avons cesse d ’être seulement des expérimenta­
teurs, nous assumons déjà nos responsabilités devant
Des correspondants ouvriers de différents organes
la personne du spectateur prolétarien et, face aux
de presse décrivent les faits de la vie quotidienne
commerçants et aux spécialistes qui nous boycottent et
et signent « Le ciné-œil » ; à Iaroslav une salle de
nous pourchassent, nous serrons aujourd'hui les rangs
cinéma s’est ouverte sous le nom de « Ciné-reil », à
dans l'attente d ’un rude combat.
Moscou 011 a vu apparaître sur des affiches un « ciné-
(Publié dans le recueil Sur les chemins de l ’art, édi­
œil » dans une queue de paon, les entrefilets et les
tion du Proletkult, Moscou 1926 .)
caricatures au sujet du ciné-œil sont devenus choses
cou rantes... * Komar : Le Moustique (NDT).

L’importance
du cinéma non-joué
Nous affirmons que malgré l’existence relativement Le cinéma d ’hier et d ’aujourd’hui est une affaire
longue du concept « cinématographie », malgré la mul­ uniquement commerciale. Le développement de la ciné­
titude des drames psychologiques, pseudo-réalistes, matographie est dicté uniquement par des considéra­
pseudo-historiques et policiers mis en circulation, mal­ tions de profit. Et il n ’y a rien d ’étonnant à ce que
gré le nombre infini de salles de cinéma en activité, le gros commerce des films-illustrations de romans, de
il n’existe pas de cinématographie sous sa forme véri­ romances et de feuilletons pinkertonieris — ait ébloui
table et que ses tâches fondamenatles n’ont pas été les producteurs et les ait attirés à lui.
comprises. Chaque film n’est rien qu’un squelette littéraire enve­
Nous osons lancer celle affirmation en nous référant loppé dans u n e ,ciné-peau.
aux renseignements dont nous disposons quant aux Dans le meilleur des cas, il pousse sous cette peau
travaux et recherches menés chez nous et à l’étranger. de la ciné-graisse et de la ciné-viande. Mais nous ne
voyons jamais de ciné-ossature. Notre film n ’est autre
A quoi cela tient-il ? que le fameux « morceau sans os » piqué sur un pieu
Cela tient à ce que la cinématographie continue d ’être en bois de tremble, sur une plume d ’oie d’homme de
sur la mauvaise voie. lettres.
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Je résume ce que je viens de dire : il n’y a pas la caméra qui expérimente l’espace et le temps.
d ’œuvres cinématographiques. Il y a concubinage des Le champ visuel, c’est la vie ;
ciné-illustralions avec le théâtre, la littérature, la musi­ le matériau de construction pour le montage, c’est
que, avec qui et quoi on voudra, quand et aussi long­ la vie ;
temps qu’on voudra. les décors, c’est la vie ;
Comprenez-moi bien. Nous saluerions de tout notre les artistes, c’est la vie.
cœur l’utilisation du cinéma au profit de toutes les Certes, nous n ’empêchons et ne pouvons pas empê­
branches du savoir humain. Mais nous définissons ces cher les peintres de peindre leurs tableaux, les musi­
possibilités du cinéma comme des fonctions annexes ciens de composer pour le piano et les poètes de
et illustratives. Nous n’oublions pas un instant que la composer pour les dames. Laissons-les donc s’amuser...
chaise est faite avec du bois et non avec la laque Mais il s’agit de jouets (même s’ils sont fabriques
qui la recouvre. Nous savons parfaitement que la botte avec talent) et non d ’une affaire sérieuse.
est faite avec du cuir et non avec le cirage qui la fait Une des principales accusations qu’on nous porte
reluire. est de n’être pas accessible aux masses.
M ais le scandale, la bévue irréparable, c’est que vous En admettant même que certains de nos travaux
considériez encore que votre mission est de passer du soient difficiles à comprendre, faut-il en déduire que
cirage cinématographique sur les godillots littéraires nous ne devons plus faire le moindre travail sérieux,
des uns et des autres (si c’est un film à grand spectacle, la moindre recherche ?
disons que ce sont des souliers français à talon haut).
S’il faut aux masses de faciles brochures d ’agitation,
Récemment, lors, je crois de la présentation de la faut-il en déduire qu’elles n ’ont que faire des articles
dix-septième Kinopravda, un quelconque cinéaste a sérieux d ’Engels et de Lénine ? Vous avez peut-être
déclaré : « Quelle horreur ! Ce sont des cordonniers aujourd’hui parmi vous un Lénine du cinématographe
et non des cinéastes. » Le constructiviste Alexeï Gan, russe et vous ne le laissez pas travailler sous prétexte
qui ne se trouvait pas loin, a répliqué pertinemment : que les produits de son activité sont neufs et incom­
« Donnez-nous davantage de cordonniers de ce genre préhensibles...
et tout ira bien. »
Mais les choses n’en sont pas là en ce qui concerne
Au nom de l’auteur de la Kinopravda, j’ai l’honneur nos travaux. En fait, nous n’avons rien fait qui soit
de déclarer qu’il est très flatté de cette appréciation plus inaccessible aux masses que n’importe quel ciné-
sans réserve touchant la première œuvre cordonnière drame. Au contraire, en établissant un lien visuel bien
de la cinématographie russe. précis entre les sujets, nous avons considérablement
Ça vaut mieux que d ’être un « artiste de la cinéma­ diminué l’importance des inter-titres et nous avons du
tographie russe ». coup rapproché de l’écran de cinéma des spectateurs
Ça vaut mieux que d ’être un « metteur en scène peu instruits, ce qui est d ’une importance particulière
artistique ». dans le moment présent.
Au diable le cirage. Au diable les bottes en cirage. Et comme pour tourner en dérision leurs nounous
Qu’on nous donne des bottes en cuir. Alignez-vous sur littéraires, voilà qu’ouvriers et paysans se montrent plus
les kinoks, premiers ciné-cordonniers russes. intelligents que leurs nourrices mal venues...
Nous, cordonniers du cinématographe, nous vous On se trouve ainsi face à deux points de vue ex­
disons à vous, cireurs de bottes : nous ne vous recon­ trêmes.
naissons aucune ancienneté dans la fabrication des Le premier est celui des kinoks qui se sont fixé
ciné-œuvres. Et si on peut généralement parler de pour but l’organisation de la vie réelle.
l’ancienneté comme d'un privilège, alors ce droit nous L’autre est l ’orientation vers le drame artistique
revient entièrement. d ’agitation avec sensations fortes ou aventures.
Mais le tout petit peu que nous avons pratiquement Tous les capitaux d ’Etat et privés, tous les moyens
réalisé est tout de même plus que votre rien, produit techniques et matériels sont aujourd’hui jetés à tort
de tant d ’années. dans le deuxième plateau de la balance, dans le pla­
Nous avons été les premiers à faire des films de teau « artistico-propagandiste ».
nos mains nues, des films peut-être maladroits, patauds, Quant à nous, comme auparavant, nous nous accro­
sans éclat, des films peut-être un peu défectueux, mais chons au labeur les mains nues et nous attendons avec
en tout cas des films nécessaires, indispensables, des confiance que vienne notre tour de nous emparer de
films tournés vers la vie et exigés par la vie. la production et de remporter la victoire.
Nous définissons l’œuvre cinématographique en deux (Sténogramme abrégé de Vintervention de D. Vertov
mots : le montage du « ]e vois ». lors d ’un débat à V A K hR R * le 26 septembre 1<)23 .)
L’œuvre cinématographique est l ’étude achevée de
la vue perfectionnée, précisée et approfondie par tous * AKhRR : Association des Travailleurs du Cinéma
les instruments optiques existants et principalement par révolutionnaire (NDT).
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L’effet de réel
par Jean-Pierre Oudart

Celle analyse de l'inscription île ce que nous n o m m e ­ « Scénographie d ’un tableau » de Jean-Louis Scliefer),
rons l’effet de réel dans la pe in tu re occidentale a p o u r et q u ’à la m êm e é poque est égalem en t codifiée, p a rtic u ­
b u t im m é d ia t d ’aider à concevoir ce qui a u j o u r d ’hui, liè re m e nt dans lu p e in tu re italienn e et celle des Pays-Bas,
po ur nous spectateur» de filma, est le plus malaisé à la figuration des reflets (l’œil, l’eau, les tissus, etc.) et
faire : (pie cet effet (ce que Barthes ap pelle l’éire-là des des ombres.
choses, au cin ém a), quelle que soit l’illusion analogique Le r a p p o r t stru c tu ra l e n tre ces deux productions s’éclaire
qui, au cinéma, fait persister sa méconnaissance, est le déjà de la référence qui fut fnite, à cette époq ue, aux
p ro d u it d’un travail qui s’est effectué dans le système, spéculations et expérim entations optiq ues dans le p re m ie r
ou plutôt dans la transform ation du système représen­ cas (l’œil comm e centre du m o n d e chez Vinci, l’invention
tatif de la p ein tu re occidentale, ju s q u ’à sa récenle sub­ du système de la perspective m o n o c u la ire ), et dans le
version. Comme tout produit, pu isq u’il s’agit enfin de second, corrélativem ent, à une source unit/tic de lu m ière
le considérer u n iq u e m e n t comme tel, l’effet de réel .ne éc la ira nt ég alem ent tous les o bjets (procédé systématisé
saurait être abstrait d ’un système de production figura­ dans les natures mortes de verreries hollandaises), ainsi
tive dans lequel seul il a une valeur, et «l’un procès de que de l’exem ple d ’œuvres com m e Le Changeur et sa
production, abstrait du quel il n’est pas pensable en f e m m e de Q uen tin Metsys (musée du L ouvre), où figure,
tant (pie p ro d u it scriptural. A plus long te rm e, il s’agira, devant le couple représenté de face et fron talem ent, un
comme c’est esquissé ici, de c o m p r e n d r e com m ent est en m iro ir dans le reflet duqu el on distingue la source He
cause, dans un lel travail, l’inscription du sujet. Non pas lum ière de cette scène (une fen être ) et un personnage,
le sujet de l'énoncc. celui po ur (pii (comme dans le cas inclus ainsi dans un espace im agin aire qui c om p re nd la
de la représentation picturale, le spectateur) le p rod uit place du spectateur, et s u r to u t Les M énines de Vêlas-
constitue un effet de sens, mais ce signifiant dont l'inscrip ­ quez commentées p a r Michel Fou ca u lt dans « Les mots
tion m éconnue dans la s tru c tu re du discours déterm ine et les choses», où les figurants font très ex plicitem ent face
de production. On peut dire que dans le système à deux personnages exclus de la représentation, et sembla-
rep résentatif de la peinture occidentale com m e dans celui, b le m e n t situés im ag in a ire m e n t à la place du spectateur
(pii le perpétue, du cinéma, sont sim u ltaném en t mécon­ p a r l’inscription de leur reflet, visible dans le m iroir
nues : situé au centre du tab lea u , au fond de la pièce.
1) la figuration (nous dirons l’effet de réalité) com m e A l ’ép o q u e de la Renaissance a donc lieu, dans un
p ro duit de c o d e s 'p ic tu r a u x spé c ifiqu e s; système pictural re p ré se n ta tif qui préexistait d’ailleurs
2) la représentation qui la constitue comme fiction en à la scène du Q ua ttro ce n to e t qui im p liq u a it donc tléjà
v incluant le spe c ta teu r (nous dirons l’effet de réel) comm e de m anière latente le sp e c ta te u r dans son espace, une
déterm inée, en sa stru c tu re spatiale et en toutes ses varia­ inscription manifeste de ce s p e c ta te u r dans l'espace de la
tions et transform ations aussi bien q u ’en ses m oindres représentation qui s’effectue d ’nbord sous la form e du
effets figuratifs, p a r l’inscription, ou plutôt le re-marquage r e d o u b lem e n t de son dispositif scénique. Ainsi, dans le
du sujet dans les systèmes figuratifs issus du Q uattrocento. tableau de Velasquez, les figurants s’adressent à des a b ­
Effet de réel et effet de réalité sont d ’ailleurs strictement sents im aginaires (pii ont place dans la représentation sous
corrélatifs, dans l’inscription de la figuration pictu rale la forme d ’un leurre, l ’effigie en m iroir du Roi et de
de la Renaissance au xixe siècle, et donnent à cette figu­ la Reine. Ce le u rre in tro d u it la scène dans une dimension
ration u n statut q u ’elle n ’avait jamais en a u p ara v a n t, dans nouvelle, celle du réel, dans la mesure où, re-m arquant
la mesure où ils désignent les figures comme ayant dans le dispositif scénique de la représentation, il la constitue
la réalité le u r ré fèrent, et subsu m en t un ju g e m e n t d ’exis­ en un spectacle visé p a r un sp ectateur exclu de son
tence dont la d é te rm in a tio n idéologique pèse plus que ch am p, le reflet étant le te rm e dont il se re-m arque lui-
ja m ais a u jo u r d 'h u i sur le cinéma. Noiis exam inerons ainsi, m êm e en tant (pie su je t, c’est-à-dire l’indice de son exis­
en nous en tenant à ses grandes articulations historiques, tence. A p a r tir de cette époque, un ju g e m e n t d'existence.
le processus de leur production. im p liq u é p a r la s tru ctu re subjective nouvelle de la r e p ré ­
sentation picturale, est ainsi porté sur ses figurants. J u s ­
q u ’à la fin du X I X " siècle, l’idéologie et la p ratiq u e p ictu ­
rales en seront déterminées.
Mari pions d’abo rd d ’un bref rappel chronologique que La m ultiplic atio n des effets d e réel, consistant essentiel­
c’est au Q u a ttro ce n to q u ’a lieu la norm alisation des codes le m en t en effets d ’ombres, de reflets, de décrochem ents
spatiaux utilisés dans le nystème de la rep ré se n ta tio n p ic tu ­ spatiaux qui n ’o n t eu initialem ent rien à voir avec l’exp é­
rale, sur le modèle de la scène th é â tra le vitruvienne (cf. rience oculaire objective (p our au ta n t toutefois que cette
19
Vclasqunz : Les M enines (Pli. Anderson-G irnndon).

référence n’est pas p u re m e n t id éologique), mais consti­ Lorrain, font de la représentatio n l’indice d ’autre chose,
tu ent, dans le c h a m p de la représentation, une inscription ou grâce à un dispositif scénique en chicanes caracté­
généralisée du leurre, au moyen d ’un dispositif lum ineux ristique des tab leau x d e Poussin qui fait de chaque
qui, com m e le m iro ir dans le tableau de Velasquez on élém ent figuratif le cache d’u n autre, constituent également
les jeu x d ’o m b re et de lu m ière dans les paysages du la trace de cette inscription du sujet dans le système
rep résen tatif de la pe in tu re européenne. Mais alors que représentation, et sur la rep ré se n ta tio n dans son ensemble,
dans le dispositif scénique de Velasquez la place du sujet a été dé te rm in é p a r cette inscription, manifeste à l ’époque
était seulem ent marquée* comme é tan t celle d’un specta­ de la Renaissance, refoulée au X I X e siècle, du sujet dans
te u r privilégié, cette place s’est trouvée, dans le paysage la représentation. On peu t dire ainsi que dans ce système
ro m a n tiq u e p a r exemple, indéfinim ent dép ortée vers autre figuratif, c’est dans la mesure où ça m a n q u e dans la
chose, vers un a u tre lieu dont tous les éléments figuratifs représentation, où la représentation est struc turée p a r ce
constituent l ’indice, et qui se trouve ainsi exclu tout en m an que, qu e p eut être porté, sur des figurants qui sont
é ta n t inclus dans la représentation. D ’où la nécessité tous des signifiants de ce m a n q u e (dans la mesure où
d’un parcours, d’une lecture fa n ta sm atiq u e de ces tableaux ils constituent, com m e dans le paysage, les uns p o u r les
dans la mesure où l’inscription des éléments de le u r figu­ autres un système de caches), un jugem ent d ’existence
ratio n s’articule d’un perpétue) d é p o rte m e n t (si manifeste qui, en faisant du spectateur le sujet d’un énoncé c o m p a­
dans la construction des tableau x de Poussin) de la posi­ rable à l ’énoncé litté ra ire assertif, p ro d u it ces figurants
tion qu e la scène frontale prim itive assignait au specta­ com m e les signes d 'u n discours qui s’adresse à lui. A u tre ­
teur. Cette im plication fa n ta sm a tiq u e d u sp ectateu r dans m ent d it encore, la po n c tu a tio n de ce discours figuratif
la représentation est paradoxale dans la mesure où, ins­ (l’o rd re des plans, la position des éléments constitutifs
tallé à u ne place privilégiée, il se trouve, de par la struc­ de sa figuration) est hom ologue de celle de la n a rra tio n
tu re spatiale de son dispositif scénique, mis sim ultaném ent assertive à la pre m iè re personne, où l ’effet de présence
en position de méconnaissance : s’il est en position de est égalem ent dé te rm in é y a r la répétition dans l ’énoncé,
bien voir, s’il est celui à qui le spectacle s’adresse soit d ’u n ap p e l de sens ( e o u . s la form e d ’une réitératio n du
im plicitem ent, soit e x plicitem ent comme dans Les je, mais aussi grâce à de nom breu x artifices rhéto riq ues:
Mcnines, c’est p arce que la représentation dispose à c’est alors q ue : ..., venant cela...). L’efTet de présence,
ses regards un je u de caches qui le signifient com m e spec­ dans la n a r r a tio n assertive, com me l’effet de réel dans
ta te u r privilégié. E t cette position n’est tenable, dans la représentatio n picturale, ne fonctionne que p a r sa
l ’exercice de la lecture du ta bleau, que précisément dans répétition, et consiste égalem ent en une m é to n y m ie qui
la mesure où est p e rp é tu e llem e n t réactivé, p a r son inscrip­ n’a pas d ’au tre fonction qu e de relancer le discours. Dans
tion généralisée dans la représentation, le m a n q u e qui la les deux cas, l'assignation d ’un ré fé ren t réel aux figurants
constitue com m e telle. de la représentation, comme la subsom ption d ’un événe­
Ainsi, exclu de la représentation, le spe c tate u r y est m e n t réel p a r le récit, sont fonction de l ’exclusion du sujet
im p liqué f a n ta sm a tiq u e m e n t pou r a u ta n t q u ’il y est m ain­ de la repré se n ta tio n et de son inscription dans le discours
te n a n t inscrit comme sujet au moyen d ’un dispositif de cette re p rés en ta tio n et de ce récit. Si le signe, comme
scénique qui m asquera de plus en plus son origine th é â ­ le figurant, présentifie la chose, c’est que dans la chaîne
trale» dans un système figuratif qui inscrira ses effets fie signifiante est im p liq u é u n sujet qui, de p a r son inscrip­
réel comme des effets de réalité o p tiq u e (reflets, ombres tion . m é to n y m iq u e dans cette chaîne, fa it de l’effet de
et lumières, décroch em ent des plans, etc.) qui constitue­ sens (la n a rra tio n , la figuration) le prédicat pourrait-on
ront les traces de l’inscription du sujet sous la forme dire d ’un sujet (le sujet de l’énoncé cette fois, p ro d u it
d ’un m anque. com me e f f e t , de la s tru ctu re du discours) q u i n ’amorce
Ce que son idéologie nous m asque c om plètem ent, c’est et ne clôture Vénoncé que dans la mesure où, en tant que
que ces effets de réalité, qui ont fini, au X t X n siècle, par signifiant, il est déjà inscrit m é to n y m iq u e m e n t dans toute
constituer l ’énoncé m a j e u r du discours figuratif qui s’ins- la chaîne. (2) Le su jet de Vénoncé est ainsi constitué
ta u re à p a rtir de la Renaissance, ont été engendrés par c omme tel p ar l’inscription d ’un signifiant dans la chaîne
l’inscription du sujet dans la représentation, et q u’ils do n t l’effet est que l ’énoncé consiste en une assertion
constituent les effets de sa transform ation . A u tr e m e n t dit, constituée de la méconnaissance de cette inscription. Aussi
l’idéologie réaliste nous dérobe l'a rtic ula tion sym b oliq ue bien dans cette p e in tu re que dans ce système n arratif,
de ce discours nouveau, le m a n q u e constitutif de sa struc­ cette inscription ne laisse pas de traces lisibles : elles
ture, l ’inscription du sujet sous la form e de ce m a n q u e : c onstituent le discours com m e lisible au regard d’un sujet
l’effet de réalité, dans la p e in tu re occidentale du X V e au qui, d ’être déjà inscrit dans le u r chaîne, halluciné litté ra le ­
X I X e siècle, n ’est pas d éte rm in é par la rep résen tation qui m e n t ses traces, en faisant passer les figurants et les
y est inscrite d ’éléments reprodu its su r 1111 m ode « a n a ­ signes (qui sont aussi ses signifiants) po ur les choses
logique » de la réalité op tique, ou plutôt, ces éléments mêmes. (3)
(dont la représentation idéologique q u ’on se fait comme
(2) Il est bien évident que po ur que le système r e p ré ­
des figurants « analogiques » q u ’ils ne sont n u lle m e n t n ’est
q u ’un effet d ’a près-coup) sont entrés dans le système de se ntatif du Q u a ttro ce n to p û t être p rodu it, il fallait que
la représentation, en toute méconnaissance de cause, non le sujet (disons le su jet oculaire) f û t déjà inscrit dans le
seulem ent com m e des représentants « analogiques » de système iconograpliique de la p ein tu re chrétienne, depuis
la réalité, mais comme des signifiants, au sens lacanien, le d é b u t du Moyen Age, le système de la représentatio n
m arques de l’inscription du su jet dans le discours figuratif. consistant en la tran sfo rm a tio n de cette inscription . (cf.
chez Giotto, la co nstitu tion du discours figuratif en véri­
E t c’est u n iq u e m e n t en ta n t q u ’ils ont constitué les signi­
fiants de cette inscription du sujet dans ce discours tables séquences d ram atiques, en référence directe aux
tran sform ations effectuées à son époque, dans l ’idéologie
qu e le u r inscription y a été dé te rm in a nte , et q u ’ils ont
p ro d u it u n effet de réel global. (1) religieuse).
Le ju g e m e n t d’existence porté sur les figurants de la (3) L’avènem ent h isto riq u e du sujet de la représentation
(le spe c tate u r), ou, si on préfère, d ’un discours figuratif
(1) Dans la tra d itio n du paysage extrême-oriental, au f o n c tio n n a n t comme le p ré d ic a t d’un sujet identifié au
contraire, les effets de réel sont hétérogènes à u n e figura­ spectateur, est corrélatif de l ’avènem ent du « su jet de la
tio n en aplats qui exclut les effets d ’o m b re et de lumière. science » (cf. Lacan) et du sujet logocentrique, et d e m a n ­
Ils consistent en fait à peu près exclusivement en effets derait à être é tu d ié dans le cadre d ’une tliéorie générale
de perspective dont le codage ne se réfère pas à u n sys­ du discours, au sens où l ’e nte nd Lacan, lorsq u’il définit
tè me monoculaire. un discours p a r la « position de ses élém ents au regard
Il convient d ’insister sur la structure m é to n y m iq u e des sens.
ef fets de réel. L ’effet de production consiste en une accentuation p u re ­
R em arqu ons d ’abord que la transform ation que l ’inscrip­ m ent m é to nym iqu e de la structure du discours, qui, pour
tion du sujet p rod uit non seulem ent dans la structure être méconnue, n’en consiste pas moins uniqu em ent en
générale de la représentation, mais aussi dans l'ensemble u n r a p p o rt d ’éléments dont la structuratio n a laissé des
du discours iconique qui s’v inscrit, est à mettre en traces (l’effet de réel). Les effets de sens, compte tenu
corrélation avec la transform ation du discours linguistique de la su rd éte rm in a tio n du discours, peuvent être multiples.
et de son idéologie : à l ’institution du signe, c’est-à-dire J u s q u ’au xixe siècle, mêm e chez un peintre comme Goya
de la correspondance te rm e à te rm e d ’un signifiant et (chez qui l’effet de réalité se trouve mis en question dans
d ’un signifié, correspond celle de Fanalogon. c’est-à-dire le cadre d ’une figuration tradition nelle p ar la substitu­
de la correspondance te rm e à te n n e égalem ent d’un figu­ tion, accréditée p a r la fidélité aux effets de réel, de figu­
rant à un réfèrent dans l’idéologie de la représentation. rants à réfèrent im aginaire à des figurants à réfèrent
Le jugem ent d ’existence p o rté sur le plan du discours réel), Teffet de p roduction reste semblable à ce qu’il
linguistique aussi bien que sur celui de la figuration pic­ était d éjà au temps de la Renaissance, com pte tenu de
turale, correspond à ce que Lacan nom m e « Finstitution la résistance idéologique du système figuratif, c’est-à-dire
(Fun réel qui v ie n t coiwrir la vérité ». de la persistance de ses valeurs figuratives réalistes. Pour
La vérité est que ce discours nouveau a été engendré que l ’effet de production puisse d o n n e r lieu à une nou ­
par l’inscription du sujet dans sa chaîne, et q u ’il y a velle inscription, il faut que les effets de sens dom inants
désormais dans le discours un m a n q u e constitutif de sa produits par l'ancienne inscription cessent de l’être, c’est-
nouvelle structure, dont, en ce qui concerne la peinture, à-dire qu ’ils aient été remplacés par d’autres. Alors seule­
ch aque effet de réel (c’est-à-dire, au xix- siècle, chez ment, après-coup, u ne nouvelle inscription devient pos­
Corot p a rticulièrem ent, c h a q u e trace figurative) constitue sible. dans la mesure où ce prétexte la rend pensable. Dans
la coup ure, suturée p a r l’effet de réalité p ro d u it par la le cas de la peinture, les spéculations littéraires de la fin
codification de tous les effets de réel. La réussite de du xixe et du débu t du XXe siècle ont jo ué un rôle d éte r­
l’op ération de suture doit en fait se penser à la fois en m in a n t dans la tran sform ation de la figuration, de la
term e de codes picturaux (à p a r tir de la Renaissance, tous m êm e m anière que le th é â tre a joué, et joue encore a u ­
les effets picturaux sont strictem ent codifiés), et de regis­ j o u r d ’hui, p a r r a p p o r t au cinéma, un rôle référentiel
tres figuratifs : n’entrent désormais dans le c ham p de figu­ décisif. P o u r tout système scriptural, il n’v a de référant
ration que des objets réels. c’est-à-dire des objets recon­ q u ’un a u tre système, et c’est dans la m esure où une
naissables dans la réalité, inscrits dans le tableau comme inscription a réussi dans l’un q u ’il est possible dans
le u r semblant. Mais encore une fois, la réussite de l ’effet l’au tre de procéder à une nouvelle inscription, pou r auta nt
de réalité doit beaucoup plus à l ’inscription répétitive de q u ’il n’y a pas de réinscription qui ne consiste en la
ces signifiants-maîtres du discours figuratif q u ’à la fidélité réécriture, au moyen d’autres codes, d’un discours cons­
analogique de leur figuration. titué en ses effets de sens majeurs.
L’avènement d’une figuration « bourgeoise » d om inante Ainsi, ju s q u ’à la fin du XIXe siècle, la pein tu re a été
(scènes d 'intérieu r, natures mortes, portraits, paysages), co nstam m ent (du moins chez ceux que noue nom m ons
corrélative de la disparition des sujets religieux et allé­ ses grands peintres, élection q u ’il fa u d rait d ’ailleurs inter­
goriques à ta Renaissance, est fonction d ’une tran sform a­ roger) à la lim ite de la disjonction entre ses effets de
tion généralisée de son discours. Une th éorie conséquente réel (son effet de pro ductio n) et ses effets de réalité (son
de ses systèmes figuratifs ne p o u rra it avoir place que dans effet de sens d o m in a n t). Cette disjonction était im pliquée
celle du fétichisme de ses valeurs : le fétichisme de sa par la structu re de son discours iconique : en effet, si
figuration tient, comme celui de l’argent, comme celui du la maîtrise sc ripturale est atteinte, dans ce système figu­
signe, à ce qu e le sujet, en ta n t que signifiant, s’y est ratif, p a r un effet de réalité pro d u it p a r un redo ublem en t
inscrit sous la forme d ’un m anqu e. La trace de cette d ’effets de réel, et si cet effet global fait m éconnaître
inscription, c’est-à-dire p ro p re m e n t son eff et d e production,
le u r production, ce système, de par son prin cipe scriptural
consiste en l’effet de réel dans la peinture, l ’accentuai ion lui-m êm e , c'est-à-dire de par Fef fet de p ro du ctio n q ue sa
de la plus-value argent dans le discours de l’idéologie pratique engendre, est am ené à produire son propre
capitaliste naissante (4), l’effet assertif du discours lin ­ re-marquage. Ce re-marquage est p ro d u it au point même
guistique. où s’inscrit dans la représentation l'effet de production,
Nous distinguerons ici ef fet d e production et ef fet de c’est-à-dire le redoublem ent m éton ym iqu e lui-même. On
s’aperçoit en effet q u ’à p a r tir du xvill" siècle, très systé­
tFune structure » telle que celles qui ont été produites au m a tiq u e m e n t, celte peinture, si elle ne se donne pas, de
cours de son sém inaire de l’année 1969-1970 (voir « Sci- p a r son idéologie naturaliste , comme une m é ta p h o re de
licet 2-3 »). la réalité, c’est-à-dire com m e une représentation codée,
La structure du système figuratif de la pein tu re euro­ est portée à accentuer les effets m éto nym iqu es dont la
péenne, au point de vue de sa terminologie, et compte connexion la constituent comme un effet de réalité glo­
tenu de ses transformations, a p p a ra ît comprise entre celle bal. Or, c’est du développem ent de cette accentuation,
du discours du Maître et celle du discours de l’hvstérique, de ce re-marquage, c’est du travail q u ’il constitue que
l’effet de production (auquel correspondrait théoriquem en t la chose picturale, c’est-à-dire la m atérialité du tableau
Vobjet a de la structure de ces discours) é ta nt d’a b o rd en tant q u ’il est constitué de ra p p o rts chrom atiqu es et
refoulé dans la représentation, puis progressivement valo­ plastiques, de rapp orts de couleurs et de pâtes qui pro­
risé comme fétiche. duisent l’effet figuratif par le jeu de leurs différences, m
(4) Lire à ce propos « L’E th iq u e protestante et l’esprit faire saillie. ju s q u ’à com prom et Ire l'effet de réel dont
du capitalisme » de Max Weber. La plus-value argent, dans ils constituent les signifiants. Chez des peintres de natures
le discours du capitaliste naissant, avant son refoulement mortes com m e C hardin, comme chez des paysagistes
dans le discours du capitaliste établi, fonctionne comme le com me Corot (et sans doute dans la mesure où le genre
signifiant dont se re-marque (à tous les sens du mot) le dans lequel ils travaillent est celui où a lieu la moindre
sujet de la Bourgeoisie avant sa prise de pouvoir. résistance à l’illusion figurative naturaliste — contraire-
22
Poussin : D iogcne jetant son écuellc (Musée du Louvre. Ph. Uogcr-Vîollcl).

nient au p o r t r a it) , sont p ro duits très systématiquement tutives de son code, et des effets de contraste qui, dans
des effets de cloisonnem ent, c’est-à-dire un re-marquage, un spectacle réel, p ro duise nt déjà cet effet à u n œil
dans le tableau, de la connexion m é tony m ique des élé­ formé p a r la p e in tu re à de tels contrastes. D 'où cette
m ents producteurs de ses figures. Il est pro bab le que po nctuation, plus réelle que natu re , et ce pe nd an t com plè­
c’est de ce re-m arquage que s’origine la subversion de tem ent codée, de ses feuillages et de ses herbes; qui les
la re présentation naturaliste qui, encore une fois, se paren t de tout le b rilla n t du le u rr e réaliste.
soutenait essentiellement de ces effets. Les plus puisaants Envisagée selon la logique de son développem ent, la
effels naturalistes pro duits l'ont d’ailleurs été, ce n'est p e in tu re cubiste constitue à son to u r 1111 re-m arquage de
pas hasard, p a r Corot, dans ses esquisses les plus « codées » celle-là, o péré dans deux directions :
(celle du Pont d e N a n ti p a r exem ple), où chaqu e touche, 1) d’une part, l’hypostase de l ’effet de réel p ro d u it par
c h a q u e effet de pâte, est tout à la fois dans un ra p p o rt le décro c h e m en t des plans, , inscrit, d a n s , les premiers
d'e x trêm e discrétion avec ses voisins, et constitue en ta b lea u x cubistes, sous la forme d ’une pu re connexion
m êm e temps la transcription picturale, la m éta p h o re la m é to n y m iq u e de plans a lte rn ativ e m e n t sombres et clairs
plus ha llu c in a to ire jam ais p rod uite d 'un effet réellement q u i divisent toute la surface du tableau et font saillir
observé. Chez Corot, l'effet de réel (dans Le Pont de une série id e n tiq u e de volumes im aginaires ;
N a rn i. l’eau, l'o m b re du pont, les accents de lum ière sur 2) d ’a u tre part, grâce en p a rtic u lie r à la technique du
les ruines, les lointains, etc.) dénonce le système des collage, l’accentuation de l’effet m é ta p h o r iq u e invisible
différences p u re m e nt pic turales qui l’a p ro d u it (la gamme dans la représentation naturaliste, c’est-à-dire de l’effet
très élaborée fie ses verts, par exemple, et son utilisation de fig ura tion p ro d u it non pas, com m e une illusion r é tro ­
dans ses tableaux, n 'o n t rien de réaliste ), en m êm e temps spective p ou rra it le faire croire, p a r la substitution du
qu'il se dérobe, en ta n t que m é tap hore , par l'illusion p ro d u it pictural à l’objet réel (Tanalogon pre na nt, selon
naturaliste q u ’il p rodu it, bien que le r a p p o r t à son réfè­ ce point de vue p ure m e n t idéologique, l’exacte place du
r e n t . réel n’ait en fait abso lum ent rien d'analogique et réfèrent réel), mais p a r la substitution, ou le recouvre­
qu'il constitue plutôt un choix de tout ce qui fait pour ment, dans le discours figuratif, d'un élément par un au tre
l’œil (pas d ’ailleurs un œil quelconque) saillie dans un p r o d u it par l'effet d’un a u tre code, ou ayant avec le
spectacle réel. L’effet de réel consiste ainsi chez ce peintre prem ier une différence qu alitative accentuée (les figures
en une double accentuation, invisible tant il est captivant, de W atteau, p a r exemple, sont hétérogènes à ses fonds,
à la fois du système des différences chro m atiques consti­ et Delacroix devant le paysage peint, fig u ra n t dans VAtelier
23
Corot : La ro u le d e Sèvres (Mu^ce du Louvre. Ph . Roper-Viollcl).

de C ourbet faisait re m a rq u e r l'hétérogénéité de cet élément de sa matière, ou plutôt dans la déroute que sa co n te m ­
figuratif p a r ra p p o r t au reste (lu tableau, disant que son plation suscite, dans la mesure où la figuration se confond
ciel ressemblait à un vrai ciel). La te c h n iq u e du collage co m plètem ent avec son sup port matériel, et où son insi­
représente sans doute un te rm e extrême du processus gnifiance, de p a r le rem arq u a g e q u ’en effectue le cadre,
scriptu ral de la p ein tu re eu ro péen ne dans la mesure où ré d u it cette présence matérielle à u n p u r effet de signi­
elle accentue la stru cture de la figuration en une série fiant, à u n a ppe l de sens auquel rien ne répond dans la
d’éléments discrets en même tem ps q u ’elle rend plus figuration sinon son d é fa u t de signifiance. Le fétichisme
évidente que toute autre à quel point l'effet m é ta p h o riq u e de la chose picturale s’inscrit ainsi comme la substitution
qui ja illit d 'u n e connexion formelle d'éléments figuratifs d'u n m a n q u e dans la représentatio n (l'effet de réel, qui
en m êm e temps que de le u r hétérogénéité matérielle doit s’inscrit to ujours logiquem ent comme une m éton ym ie), à
moins sa réussite à l'analogie e n tre les éléments figuratifs une représentation consistant, sur le plan sémantique,
et le u r réfèrent réel q u 'à le u r saillie dans l'espace imagi­ en u n p u r effet de m a n q u e , comblé eu m êm e temps
naire du tableau, c o m m e si F ejjet de réel ainsi prod uit q u ’accentué p a r un effet m é ta p h o riq u e en quelque sorte
engendrait l'effet de réalité lui-m êm e. E nco re une fois suspendu : la chose picturale (pâte, toile, ou tout autre
l'idéologie et la pra tiq u e d 'u n e pein tu re réaliste ont été m a té riau ) est toujours lisible comme la représentation
déterminées p a r une inscription généralisée d'effets de d’autre chose (la terre, 1111 m ur, n’im porte quo i), mais en
réel qui ne pouvaient avoir idéolog iq uem en t p o u r référents un simple simulacre de lecture qui ne prend app ui sur
{pie des spectacles réels. On voit d'aille urs les effets de aucune inscription véritable, qui ne consiste pas en un
réel persister bien au-delà d ’une représentation soi-disant vérita ble déchiffrement. C'est dans ce simulacre que se
analogique, dans le cubisme et dans la p ein tu re surréaliste, révèle encore, dans notre tra d itio n picturale, la toute-
et aussi dans une a u tre direction, ju sq u 'à l'hypostase de puissance de l’effet de réel, réduit ici à 1111 p u r leurre.
la chose pic turale elle-inême envisagée cette fois non plus Dans ce cas précis, l'inscription suscite, dans Texercice
comme la m atière d 'n n e représentatio n quelconque, c’est- de son impossible lecture, u n effet de substitution m é ta ­
à-dire com m e le moyen de pro d u ire des effets de réel p h o riq u e d 'u n réfèrent im aginaire à u n figurant réel qui
inscrits dans un e figuration codée, mais comme du réel à ne peut don n e r lieu à aucun effet de sens m é ta p h o riq u e
l’état de nature, si on peut dire, m a r q u é et e ncad ré comme sinon cette succession infinie et fantasm atiq ue de re p ré ­
tel, comme un objet esth étique dont l'u n iq u e valeur est sentations de la m êm e chose, indéfinim ent substituable à
d'ê tre u n pu r leurre, po ur au ta n t que son intérêt, au elle-même, mais dont le déchiffrement 11e peut donner
regard du spectateur, réside dans la totale insignifiance lieu à u n effet de sens que dans la mesure où sa repré-
24
senta lion ne prend plus réelleinenl a p p u i but sa figura­ sinon de leurs signifiants maîtres. 11 n’y a ainsi nul
tion. Le c i n é m a , bien plus d ’ailleurs q ue l a pe intu re , a le re-m arquage de la s tru ctu re du discours do n t ils font le
moyen «le re-m arquer, p a r son écriture, l ’effet m é ta p h o ­ prétexte de le u r inscription, mais cette stru c tu r e persiste
rique a u to m a tiq u e m e n t p r o d u it p a r le su p p o r t de sa figu­ dans le le u r à p ro d u ir e ses effets à le u r insu. L e ciném a
ration, c’est-à-dire par le c o n tin u u m lum ineux, en o pé ra n t n'a jam ais tant fêtichisé ses eff et s qu e d e p u is l'abandon
l'effacement et la substitution des figures dans le m êm e de sa structure scénique originelle.
plan (par exem ple dans la scène en tra in d u Conform iste 2) Inversem ent, le recours à cette structure, chez des
de B e r to lu c c i) . L’effet de réel, l ’effet de leurre, consiste cinéastes comme les frères Taviani, G o da rd , G la ube r
dans ce cas-limite, en la suspension m êm e de l’effet m é ta­ R ocha, dans u n seul b u t manifeste de lisibilité, le u r p e r ­
ph o riq u e , en 9on caractère éclipsant. met, grâce aux effets de réalité q u ’elle suscite autom atique-
Dans le cas de la p ein tu re dite informelle, l’effet de ment, de p ro d u ire un discours qui ne subit pas l ’effet féti­
réel est p r o d u it p a r l ’a b a nd on de tou te référence à aucun chiste de ce système rep ré se n ta tif dans la m esure où le u r
code, qui suscite, dans l’exercice de sa lecture (mais tou t inscription ne se p r o d u it pas dans sa structure, dont l ’effet
au tan t dans sa p ra tiq u e ) cette cascade de substitutions fétichiste est en fait re p c r a b le non pas au niveau de c h a ­
m é tap h o riq u e s d ’être chose à la chose picturale, qui que image, mais dans son articulation dans la fic tio n du
8e ré du it en fait à une répétition m é to n y m iq u e de l ’effet c iném a classique, grâce au dispositif de la « su ture », qui
de signifiant suscité p a r l’inscription du sujet et son réinscrit pe rpé tue lle m en t l’effet de réel com m e m oy en de
impossible recouvrem ent p a r la m é ta p h o r e du spectacle, félichiser les effets de présence a u to m a tiq u e m e n t obtenus
dans la mesure où Vabandon de la structure de la repré­ à la projection.
sentation a fa it disparaître de rin s c rip tio n le sujet de Si l ’inscrip tion d ’effets de réel constitue, dans l’histoire
l'énoncé, mais n'a pas p o u r a utant aboli la structure de de la figuration picturale occidentale, un saut qu alitatif,
Vénonciation. On p e u t dire ainsi q ue dans ce cas extrême, m êm e si, ju s q u ’à la fin du xixB siècle, son seul effet visible
la figuration est in n o m m a b le non pas (ou pas seulement) consiste a p p a r e m m e n t en u n surplus de réalité dans le
parce qu ’on ne lui reconnaît pas de référence, mais parce tab leau (alors q u ’avec les impressionnistes il finira p a r y
que le spe c ta te ur dans l ’exercice de sa lecture, ne p e u t en avoir de moins en moins, voire plus du to u t comme
pas se no m m er com m e tel. Un des effets constants de dans les derniers tableaux de Monet, d o n t le titre « im ­
la p ein tu re surréaliste consiste au co ntraire à p rodu ire pressions », ou « effets », m a r q u e bien, au regard m êm e
des effets de réalité qui Bont u n iq u e m e n t suscités p a r la du peintre, l ’a bolition de l’idéologie de la représentation
réussite d’effetB de réel et à d o n n e r ainsi le spectacle analo giqu e), c’est à ce que cette inscriptio n constitue
tout à fait fam ilier d’un im aginaire objectivé (la fenêtre l’effet d’u n re-m arquage du sujet dans la représen tation
des tableaux de M agritte, le recadrage des tableaux de dans lequel il fa u t voir la cause du travail qui, de la
Max E r n s t) , dans lequel l ’effet de reconnaissance n*a pas Renaissance au xx® siècle, a p ro d u it la subversion du sys­
lieu du figurant com m e conform e à aucun r é fè re n t réel, tè me re p ré sen tatif de la scène du Q uattrocento. Ceci
m ais du sujet comme spectateur. devrait pouv oir nous p erm ettre, dans ce d o m ain e d éte r­
Dans ces deux p rolongem ents divergents du système m in é to u t au moins, de cerner le procès d e p r odu c tion
rep ré se n ta tif issu de la Renaissance, qu e les critiques ont scripturale, et de saisir, dans le travail, l’effet de l’inscrip­
parfois opposé d ’une m a n iè re p u r e m e n t idéologique en tion du sujet. Cet effet, qui est u n p u r effet de signifiant,
n o m m a n t l’un « m atérialiste », l 'a u t re « idéaliste », on consiste, dans la pe intu re , en u n re d o u b le m e n t m é to n y ­
peut noter : m iq u e de la scène, et, p a r extension logique, en la mise
1) que dans le p r e m ie r cas, l’effet de p ro d u ctio n est en place d ’un e série de réseaux do n t la str u c tu r e est
a nnu lé dans la mesure où le p e in tr e renonce à la struc­ égalem ent p u re m e n t m é to n y m iq u e (l’articulatio n des p ay ­
tu re de la re présentation, mais l’effet fétichiste de réel sages de Poussin, les effets de p ointillé des ta b le au x de
persiste p a r le fait m ê m e du re noncem ent à la structure V erm e er). L a p ro d u c tio n de ces stru c tu res restera mécon­
de la représentation et du refus de tout effet de sens nu e ta n t q ue leurs effets (tas effets de réel) n ’a u r o n t pas
pro duit par un code ; été réinscrits ailleurs que dans le système figuratif du
2) que dans le second cas, l’effet de p ro d u c tio n est paysage, d e la scène de genre ou de la n a tu r e m orte,
annulé dans la mesure où le peintre hypostasie, dans un c’est-à-dire ta n t q u ’ils resteron t inscrits dans u n e figura­
système figuratif qui conserve la s tru c tu re de la re p ré sen ­ tion réaliste. Avec Cézanne, chez qui l’inscription de
tation, mais u n iq u e m e n t pou r provoquer, p a r u n e sorte l’effet de réel (ce q u ’il n o m m e sa « petite sensation »)
de précipité, la réussite des opérations m é ta p h o riq u e s qui finit p a r a bolir presque c o m p lè tem e n t to u te référence
o n t lieu dans son c h am p , e t qui ne p o u rra ie n t pas avoir réaliste, puis dans les tab leaux cubistes, ces structures
lieu si l’inscription des figurants dans ce c h a m p ne p ro ­ se tr o u v e ro n t dégagées, réduites à un p u r jeu de volumes
duisait pas un sem blant d ’effet dé réalité. identiques.
Ces deux rem arques p euvent s’a p p liq u e r in tégralem ent Le re d o u b le m e n t m é to n y m iq u e de la stru c tu re scénique,
au cinéma : dans la peinture, à p a r tir de la Renaissance, n ’est cepen­
1) chez les cinéastes qui refusent a u j o u r d ’hui le dispo­ d a n t qu’un des modes su r lesquels s’est effectuée l’inscrip­
sitif scénique de la représentation, qui sont d’ailleurs pres­ tion des effets de réel. O u plutôt, cette inscription s’est
que to ujo urs des fétichistes de la chose filmique, et p r é ­ trouvée pervertie, à la fin du xix® siècle, chez les im pres­
tendent co nstituer le u r discours de la m a té ria lité même sionnistes et su rto u t leurs successeurs immédiats. Chez
des images (c’est-à-dire des images com m e clichés, ce qui O dilon Redon, G augu in ou V an Gogh, voire chez Renoir,
en fait d é jà des m é ta p h o re s dans la mesure où, de par sa l ’oeil, le foyer lum ineu x, le soleil, la c h a ir do n t le reflet
m a térialité, une image filmique ne saurait être considérée fait saillie dans le tab leau constituent les élém ents m a je u rs
com me un c liché), ne se r e n d e n t pas co m p te q u ’ils cons­ d’u ne figuration qui trou ve ra son aboutissem ent dans les
titu ent en fait le u r discours fie signifiés m éta ph orique s dessins et les tab leau x de Masson, connexion m é to n y m iq u e
a u to m a tiq u e m e n t pro d u its p a r la lec tu re des images. Leur d ’yeux, de bouches, de sexes, de taches, de flammes.
p ra tiq u e sc rip turale se borne en fait à l’accentuation, dans Si donc l ’inscription d ’effets de réel dans la p e in tu re
le discours de leurs films, d’effets de sens déjà produits a paru longtem ps se lim ite r à une a ccentuation, dans le
sans q u ’il y ait réinscription v éritable de leurs signifiants. tableau, d’effets observables dans la réalité (Cézanne
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regardait ses paysages), l'insistance (le celte inscription On p eut d ire ainsi ([lie le travail qui a abouti à la
chez les peintres modernes a p p a ra ît comme la cause p r in ­ subversion de la représentation naturaliste sur le mode
cipale du travail de subversion de la représentation n a t u ­ d’une réinscription effective de son fétichisme latent n ’a
raliste. On constate cpie ce travail, c’esl-à-dire la succes­ cessé d ’en sub ir les effets. Mais, comme nous l’indiquions
sion historique des systèmes figuratifs qui se sont produits pré cé d em m e nt à propos de la pein tu re et du cinéma, il
les uns les autres, s’articule c h a q u e fois d’un m a n q u e dans est possible de concevoir u ne réinscription de l’effet de
la représentation qui constitue p o u r le peintre lui-même la réel ailleurs que dans u n système qui fétichisait cet effet
tache aveugle q u’il est intéressé à y inscrire, la cause dans la mesure où, dans le cadre p a rtic ulie r de sou écono­
même de son travail é ta n t l'intérêt q u ’il trouve à cette m ie signifiante, de son système de valeurs, il constituait la
inscription, quelle que soil l’idéologie qui le gouverne, m a rq u e d ’une inscription m éconnue du sujet. Dans la
q u ’il s’agisse pour Poussin de la reconstruction de la scène p e in tu re surréaliste fidèle à la structu re scénique, l’effet
de ses paysages, p o u r les impressionnistes de la trans­ de réel persiste au-delà de son inscription fétichiste. Il
cription d’un effet de lumière, p our Redon la représen­ devient un m oyen d’articuler les éléments figuratifs hors
tation en images d’une figure de rêve. Il faut voir dans du système de représentation idéologiquem ent « analo­
l’action insistante de celte tache aveugle l’effet de celle gique» qui l’inscrivait comme un effet de fétichisme. De
du sym bolique dans l ’im aginaire pour a u ta n t que chaque la m êm e m an ière dans Othon par exemple, le passage
fois la tache aveugle, le point sur lequel le peintre t r a ­ d ’un plan à un a u tre articule un discours cin ém atogra­
vaille el dont le travail e n tra în e la transform ation plus p h iq u e p ro d u it en dehors du système de l’éeonoinie signi­
ou moins radicale du système figurai if consiste, sans q u ’il fiante et des valeurs figuratives dans lequel il était produit
le sache, en ce q u ’il s’v inscrit comme sujet, que cette également comme un effet fétichiste. Le proh lèm ç de
inscription s’effectue sur un mode qu'on po u rra it qualifier l’inscription de l’effet de réel au cinéma, qui fera l'objet,
d’obsessionnel par un d éplacem ent indéfini de la position avec celui de l’inscription de la chose filmique, de nos
du spectateur dans la scène des paysages modernes, soit, prochaines études, est celui-ci : si l’enregistrement par
[dus tardivem ent, sur un mode pervers, par une opération la caméra et la projection d ’un film suscitent a u to m a ti­
m é ta p h o r iq u e qui consiste en la substitution de nouvelles q u e m e n t et sim ulta né m e nt un effet de réalité (particuliè­
images à cette représentation faite d ’absence, en re m ­ rem ent susceptible d'être reconnu com m e « analogique »)
placem ent fie ce (pii, dans la représentation, signalait un et un effet de réel, si ce double effet n’a jamais été, avant
manque, p a r des éléments figuratifs qui parfois d’ailleurs le cinéma con tem p orain , conçu comme le produ it d ’aucun
ne fo nt q u ’inverser ce r a p p o rt au manque. Ainsi chez travail scriptural (déjà p r o d u it) , quels ont été les effets,
Gauguin, la m é ta p h o re du foyer lum ineux prend la place dans l’inscription du discours cin ém atog raphiq ue, de la
de l’effet traditionnel d’o m bre cl de lum ière, en une a d m i­ stru c tu re méconnue de la représentation reconduite au
rab le inversion (pii lui fait substituer une o m bre prodnc• cinéma ? Quelle action m éconnue a eu le système de cette
tri ce de lu m iè re à une om bre ef f et de lumière, et chez représentation sur l’économie de ce discours ? Et com ment
R enoir, les zones érogènes du corps de ses baigneuses ce système s'est-il trouvé (lécoristruit (et dans quelle
saillent au point même où les jeux de la lumière dis­ mesure) par le travail des cinéastes ? En quoi consistent
posent leurs effets de leurre. Dans un cas comme dans les transform ations opérées dans sa stru c tu re ? C’est ce
l’autre, c’est bien là où ça m anqu e dans la représentation d o n t il sera question à propos de l'inscription des figures
(dans la mesure où le u r figuration est encore très fidèle au (on p ourrait dire des figurants-sujets) dans le cinéma clas­
système représentatif classique), c’est-à-dire là où dans sique et dans le de rn ie r film de Jeuu-Marie Strauh.
la représentation se signale une présence faite d’absence
(la lum iè re du soleil sur les objets) (pie s'effectue le Je an -P ierre OUDART.
travail (pii transform e la figuration. Ici et là, le produit
pictural consiste en une m é ta p h o re qui se substitue à
l’effet de coup ure d’un signifiant, trace de l'inscription,
dans la représentation, d’un sujet qui ne peu t logique­ (5) Nous étudierons ulté rie u rem en t, dans le cadre d’une
ment s’inscrire que com me un effet de manque. tentative d ’explication du fonctionnem ent de la lecture
Si donc l ’effet de réel est le prod uit de la réinscription (et du plaisir) esthétiq ue m oderne, dans lequel la p ratiqu e
du sujet dans le système de la représentation scénique th é o riq u e est im p liq u é e mais qu’elle n’a nullem ent sus­
de la pein tu re occidentale, d ’ab o rd sous la forme d ’un citée, l’accentuation et l’hvpostase progressive de l’effet
re-m arquage de la position du spectateur dans la r e p ré ­ de p roduction dans la p ein tu re moderne et au cinéma.
sentation dont est issue une tradition figurative qui p er­ Le p roblèm e essentiel posé par la transform ation et la
siste avec le cinéma, il doit être a u jo u r d ’hui reconnu réception de leur éc riture est c e rtain em en t celui du pour­
com m e un mode extrêm em ent pa rtic ulie r et transitoire quoi de celte mise en valeur. P o u rq u o i a-t-il été accordé
de l'inscription du sujet dans un système figuratif h isto­ 1111 tel prix à l’effet de réel, au point q u ’une peinture
riquem ent déterm iné. Et si on voit a u jo u r d ’hui l’effet de (pii n’en co m p o rte ra it pas se trouverait a u to m a tiq u e m e n t
réel persister au-delà de la disparition de cette figuration, exclue du m a rc h é artistique ? E n ce qui concerne le ciné­
c’est le plus souvent com m e une trace stéréotypée, r é p é ­ ma, l'esthétique et la c ritique mac-mahonie mie ont mis
titive et im productive dans la mesure où son inscription ne l’accent sur cet effet. Ces deux phénomènes ne seraient
fait (pie reconduire soit u n p u r effet de leurre, reconnu pensables que dans le cadre d’une théorie générale du
comme tel désormais (par exemple avec l’Optical A r t) , fétichisme de la v aleur qui a u r a it établi la corrélation
soit, à un au tre versant de son inscription qui, aussi e n tre la production des valeurs bourgeoises et l'inscription
opposé q u ’il soil au prem ier, n’en constitue pas moins aussi particulière du sujet dans le discours de la Bourgeoisie.
rhv postase d’un effet log iquem ent semblable, celui de Le pro blèm e est de savoir quel ra p p o rt il y a entre la
la pe in tu re dite informelle, décrochem ents spatia ux et valorisation progressive de l’effet de réel, c'est-à-dire l’effet
insignifiance de la m a tiè re suscitant la même déroute, par de production de la figuration bourgeoise, la position de
un effel de signifiant sem blablem ent méconnu. S’il y a plus en plus excentrique du p ro d u cte u r artistique dans
travail a u jo u r d ’hui, dans le d o m aine de la peinture, c’est la société bourgeoise, et la fétichisation de Tune et de
ailleurs q u ’il se produit. (5) l’a u tre a u j o u r d ’hui.
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L’art de la mise en scène - Entretien avec Carlos Diegues.
226/227 (janvier-février) : Spécial S.M. Eisenstein.

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Entretien avec
Paolo et Yittorio Taviani

CAHIKRS D epuis plusieurs m ois. on parle « nouveau d'une ration. La plus dangereuse : parce que c’e?t celle qui tend
crise du ciném a italien, mais dans un contexte très d i ffé ­ à isoler, à refuser une place au vrai cinéma de recherche.
rent des précédentes... Quels so nt, selon vous. les caractères E t la recherche est un risque. Risque (pie court l'a u te u r et
de cette « crise ». quelles sont ses déterm inations, politiqu es, rpie doit c o u rir le public (pourquoi donc le financier ne
économ iques, et. plus sp é c ifiq u e m e n t, ciném atographiques ? devrait-il jam ais le courir ? ). C’est une violence aux h a b i­
v i t t o r i o t a v i a n i Ma réponse sera peut-être imprécise. Le tudes, à la pacification, et à toutes les autres choses que
cinéma que, nous, nous faisons, et le cinéma que fait l’in­ nous savons.
dustrie a p p a r tie n n e n t à des mondes différents (même si le A ce cinéma on c ontinue de dire non : a u jo u r d 'h u i aussi
p rem ier est étouffé p ar le second). Je résume ce que je sais. au nom d u cinéma subversif-de-consommation qui assume
Il est vrai qu'en Italie, ces derniers temps, la crise du les apparences du cinéma de recherch e et garde sa nature
ciném a en général s'est aggravée. Le cinéma italien dépend de marchandise. (Avec cynisme 011 m o n tre du doigt dans
du capital américain. Les Américains, après avoir visé sur les bonnes recettes la valeur dém o cratique d’un jugem ent
les bas prix romains, ont m ain ten a nt découvert, ailleurs, esthé tiqu e; 011 confond, à dessein, niasse et classe, public et
des possibilités de prix encore plus bas. Ils sont partis. E t peuple, en en exaltant la « virginité du regard ». T andis
po u rtan t, un peu mystérieusement, eu Italie on continue de que presque tous les festivals représentent désormais le
produire. Mais n’est une p roduction hybride. Elle ne se m om ent de la sanctification « culturelle » de l'opération.)
base pas su r une organisation économico-industrielle. On se P o u r notre cinéma la situation devient encore [dus péni­
fie à de l’argent fluctuant, occasionnel, don né avec intérêts ble, car les rares instruments favorables prévus par la loi
au déparl. L’orie nta tion de la production officielle est au sur le cinéma (crédits, fonds spéciaux, etc.) sont en train
contraire, comme toujours, rigide : le profil ; il serait naïf fie devenir inopérants. Il faut une nouvelle loi. Et alors
de s'en étonner. notre lu tte p o u r notre cinéma devient lulte politique. Bien
Ce qui nous met plutôt très en colère, c’est le produit e n tend u, dans u n E ta t bourgeois, aucune loi ne pourra
comm ercial considéré comme d'avant-garde : celui qui est jam ais g a ra n tir un cinéma libre. Il s’agit plutôt d’imposer
disposé à tout accepter (des thèmes p olitiquem ent les plus certains instrum ents législatifs, qui p erm etten t ensuite de
« subversifs » aux expériences les plus « audacieuses » de conduire une bataille. Et la bataille sera incisive, dans la
l’a v an l-g ard e), à condition que la confection du tout ga ra n­ m esure où, à ce mom ent, dans le pays, le mouvement ou­
tisse le budget. C’est-à-dire la « recherche » comme pigment vrier sera fort.
au nouveau p ro d u it de consommation. De no m b reux cinéas­ paolo taviani II s’agit de se servir des contradictions de
tes. de bonne ou mauvaise foi, prêtent main-forte à l’o p é ­ l’E tat bourgeois : un Etat bourgeois, comme l’Etat italien,
Gi-dessus : Gian-Maria Volonté (/uns Un uomo tla hruciarc.
Page de (fauche : Paolo Taviani, Gian-Maria Volonté,
Vittorio Taviani et Lucia Base pendant le tournage, de Sotlo il segno dcllo scorpion»'.

non plus « p u r » , mais c on ditionné p a r la présence juste ­ v i t t o r i o t a v i a n i La télévision peu t présenter un au tre type

ment d'u n grand m ouvem ent ouvrier. de possibilité : com m e c ircuit de distrib ution , comme
Donc : lu tte p o u r une nouvelle loi sur le cincma, sur acquéreur, comme produ ctrice (même à une échelle
les lignes directrices : cinéma comme service public (orga­ réd uite). Déjà a u j o u r d ’hui il s’est passé quelque chose chez
nismes d ’Etat, circuits d ’Etat com m e alternative au cinéma nous, en Ita lie (les films de Bertolucci, d’Amico, de Straub,
de profit, prin c ip e de la « non-économicité » de la p ro d u c­ les projets presque opératifs avec Jancso, Bellocchio, avec
tion de recherche) ; lu tte p o u r l’ou ve rtu re de différents nous-mêmes. Et, si je ne me trom pe, en A llem agne les télé­
circuits (liés aux municipalités, à la décentralisation régio­ visions locales ont. c o p ro d u it des films com m e ceux de
nale, à de nouvelles réalités sociales de b a se ); pour une Rocha...). C’est une possibilité qui concerne su rto u t le
école différente, etc. futur, mais q u ’il faut vérifier dès m aintenant. Et, là encore,
Mais, en atte nd a nt, co m m e n t faire des films ? En élab o­ la force du m ouv em e nt ouvrier est dé term ina nte .
rant, q u a n d on peut, des opérations de larcin. Il faut voler. C A H I E R S La tentative d e coopérative a-t-elle changé q u el-
Fa ire passer en c o n treb a n d e pou r des opérations co m m e r­ que chose, ou était-ce sim p le m e n t un e autre fo r m e d e pro­
ciales des opérations qui ne le sont pas. Ce n ’est pas facile. duction à p e tit budget ?
E t ça fait p e rdre de l’énergie. Ou il faut c he rch er qui a de pa o lo taviani Une bonne p a rtie du je u n e cinéma italien
l’argent et est prêt à le p erdre seulem ent p arce q u’il aime s’est organisée en coopérative ou en production d u type
le cinéma que nous aimons. C’est encore pluB difficile. Il coopératif. La loi prévoit lin financement pa rtic u lie r de
est vaguement fou de c h e rc h e r dans notre âge a tom ique la Banca del Lavoro (liée à l’E ta t) . Mais en ce m o m e n t les
le mécénat du type de la Renaissance (d’a u tre p art l’a p p a ­ fonds sont épuisés. La loi ne dit pas cla ire m e nt s’ils doivent
reil policier technologique de la société capitalisle n ’a-t-il être réintégrés a n n u e lle m en t ou « una ta n tu m ». L’E tat ou
pas été mis en crise p a r des actions anachroniques, « cor­ l’industrie n’ont pas intérêt à éclaircir celle interrogation.
sa ires», com m e les d é tou rne m e nts et les enlèvements poli­ Et les coopératives se noient. La coopérative d em e u re de
tiques ? ). toute façon un des points de base dans l’action p o u r im p o ­
Mais tout ceci est lié au hasard. E t au hasard nous ne ser à l’E la t le cinéma com me service public. (Personnelle­
pouvons confier q u ’une p a rtie m in im e de nos énergies. m e n t nous avons presque toujours participé au coût du film.
Nous com ptons su r la lu tte politique. Même si no tre propos est particulier. Nous travaillons avec
29
Giulio Brot/i cl b'nbienna Fubnt dans I sovvcrsivi.

Giuliani, un organisateur culturel plus q u ’un producteur. en tenter cent (pii sonl mauvais. 11 faut donc g aran tir une
CYftt G iuliani qui mène, sur les positions les plus avancées, zone de risque. M ême s’il n ’est pas facile île distinguer
la lui le p o u r un certain cinéma — p o u r u ne certaine l'expérience de recherche du je u, du caprice puéril, du
loi — ; et donc pour nos films. On doit, e n tre autres, à fuuamhulisnie et l’app ro x im atio n des différentes « nullités
Giuliani, la naissance de la coopérative « 21 marzo », struc­ gaiement a ttifé e s» (« needy nothing tr im m ’d in j o l lity » ) .
turée po u r faire d é b u te r les jeunes : les films <le Frezza, Jl existe peut-être une ligne de partage : la rigueur (sévérité
Ponzi... Mais, comme tu vois, nous parlons encore de p e r ­ et sacrifice) du moins à l’intérieur de la recherche p ro p re ­
sonnes, d'occasions heureuses ou malheureuses. Et ceci est ment d ite; la place délib éré m en t choisie dans un contexte
ab su rde !) non a rb itra ire, mais concret, collectif.
caHIERS J oiix fuiriez de ciném a de. recherche, mais unjottr- VITTOKIO T A V l A N l D 'au tre part, toute organisation sérieuse
(Vhuï on en est arrivé n un p oint tel que tout le m o n d e de production devrait g ara n tir le secteur de l’e xpé rim en ­
ou presque déclare faire plus ou /«oins du cinéma de tation...
recherche. Ce qui nous intéresse dans vos fil m s . c'esf le
fait que celte recherche n'est pas un travail form a liste. pa o lo Ta v ia m ... et alors j ’ai envie «le dire aussi que le
mais qu'elle se pense en fonction de c ha m p s historiques, bas prix, les limites économiques à l'in térie u r desquelles
politiques, voire m y th iq u e s . qu'elle pose la question de doit évoluer un certain type de cinéma, représentent des
savoir d 'où elle vient, où elle va. la question de sa pro- constructions imbéciles, en plus de répressives. Il y a des
blém atique. auteurs à qui peu d'éléments suffisent pour s'exprimer.
paoi .o taviam C.haque fois <pie nous disons cinéma fie D’autres non. Ils ont besoin des capitaux qu'il a fallu, que
recherche — l'expression est mésusée, je suis d ’accord avec sais-je, à Eisenstein pour son Ivan. D 'u n e pseudo-industrie
vous, mais elle sert po ur cpie nous nous comprenions —- com m e l’italienne il est im pensable de p ré te n d re obtenir
nous aurions envie d ’a jo u te r : un cinéma qui c herche et une telle prog ram m ation . Il n ’y a que la collectivité, l’Etat,
qui trouve. Qui trouve au moins les raisons de sa recherche, qui puissent la garantir. N oire lutte — en général dans
pour les confirm er ou les m e ttre en crise, ou pour les le pays, en pa rtic ulie r dans le cinéma — ne peut être, je
nier. P o u r un chem in qui s’ouvre finalem ent, il faut d ’abord le répète, que dans cette direction.
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Mais ceci est su rtout un défoulem ent. Le coût peu élevé p h iq u e : ils ne p réten den t pas se garantir de signifiés
de nos films est a u jo u r d ’hui un choix que nous faisons pour po litiques tranquilles. mais sont des questions posées à
nous libérer le plus possible îles conditionnem ents exté­ leurs signifiés p olitiques et à l'articulation de contenus
rieurs. Même si c'est un choix c haque fois pro blém atique. p olitiques dans un e pratique ciném atographique.
Le Scorpione — qui a q u a n d m êm e coûté peu — nous a
VITTORIO t a v i a n i ... Il m ’est toujours difficile de pa rle r en
coûté plus cher q ue les autres films. Un film de ce genre
général ; alors je prends un exemple. Regardons l’au tre
11e pouvait descendre au-dessous de certaines limites. Au­
cinéma : le cinéma de consommation, celui imposé par le
j o u r d ’hui nous payons de notre personne po ur tout ce
pouvoir constitué, par le système autoritaire. E t pas telle­
hasard.
m ent le cinéma de vieux modèle et de petite catégorie (les
c a h i k r s Ce qui nous intéresse dans vos films, c'est qu'ils histoires changent, les ingrédie nts changent selon la mode :
inscrivent la question de leur m o u v e m e n t à l'intérie ur de reste inaltéré le ry th m e du film : une espèce de berceuse
re m ouvem ent... collective). Regardons le cinéma qu e j ’appelle subversi f-de-
viTTomo t a v i a n i Le film n ’a d ’autres justifications que lui- consoinmation. Bien. Plus les thèmes traités sont désagréa­
même. Nous refusons le film qui m endie sa justification — bles, agressifs, plus les façons dont ils sont confectionnés
011 non sauvetage — en co m m u n iq u a n t 1111 message, un mot sont agréables et consolantes. Le pouvoir a u to rita ire donne
d 'o rd re qui a p p artie n n e n t à d ’aulres moments de l’activilé libre cours à l ’audace des contenus, mais déclare la guerre
de l'h o m m e (des hommes) : en partic ulie r au m om ent poli­ à ou tra nc e aux modes de com m unication. Dans le film de
tique. Un film de ce genre en va hit le c ha m p îles autres : consom m ation la recherche d’un r y th m e audiovisuel castra-
non pas en l'enrichissant, mais en l’encom brant. te u r est conduite avec une adresse et une op in iâ tre té exem ­
p a o l o ta v ia n i Je hais le soi-disant message parce que j'a im e plaires. C’est toujo urs l’ennem i qui nous indique les vrais
le cinéma. P a r c e que je n ’accepte pas que le cinéma se nœ uds du conflit. Dans ce cas il a rep éré le vrai dang er du
limite à servir de caisse de résonance à des résultats cinéma : sa spécificité, son langage. Alors le langage 11e
obtenus par d’autres avec d'a utres instruments. Car la peut être, a u j o u r d ’hui, que dur. im pitoyable, sévère ; il
soi-disant « hu m ilité » envers la politique, les masses, l’idéo­ doit briser les paradigm es régressifs qui paralysent la ca p a ­
logie. etc., 11’est a u tre chose que paresse ou lâchelé : la cité et les possibilités du regard ; il doit créer des yeux
m a n iè re de 11e pas engager dans l'œ uvre toutes ses propres nouveaux p o u r traverser l'épaisseur de? choses ; de n ou­
responsabilités. Le cinéma, en tant q u 'œ u v re d'art, penl veaux rythm es, des rythm es cardiaques, ouverts à tout,
représenter, com m e résultat m ax im u m , une forme d'auto- même à l'e rreur, mais pou r cela m êm e vitaux, chargés
conscience en r a p p o rt au m o n d e dans lequel il se situe. d ’impatience.
Mais avec, ses instrum ents spécifiques, en tenant compte Nous sommes en tra in de parler de langage : mais il est
de le u r particularité. Le cinéma a sa capacité autonom e évident q ue la capacité d’incision d'u n a u te u r est direc­
d'intervention. Il est évident que chaque a u te u r a sa propre tement p r o p o rtio n n e lle à to u t ce qui est d errière lui, en
vision des choses, son idéologie, il suit un certain type de am o n t du film : dans sa m a n ière de vivre parmi les autres,
praxis, etc. Mais tout ceci est en amont du film, avant le avec les autres, contre certains autres, et dans la réflexion
film. C’est la condition nécessaire, non pas suffisante. Certes sur celte façon de vivre. Plus ce b a c kg ro uud sera violent,
pas la condition dé te rm ina nte . 11 faut rpie tout cc p a tri­ plus le choc que l’a u te u r réussira à im p rim e r aux choses
moine-hase se transform e en activité créative : et ici se dans le c h a m p spécifique de son activité sera tra u m a tiq u e .
décle nche la spécificité des différents modes de co m m u n i­ (Ce n'est que de cette façon — je crois -— qu'on peut com­
cation. d ’expression; et ici il fau t c om pte r avec la nature pre n dre certaines affirmations, an orm ales et e m b a rra ssa n ­
fie l'homm e, avec les particularités de ch aqu e homme. P a r ­ tes pou r nous Européens, des Gardes Rouges. Il y a qu elqu e
la nt d’un m êm e h um us, d 'u n m êm e niveau, les hommes temps j'a i lu c ette nouvelle : un m alade grave ; 1111 m é d e ­
ensuite se divisent, p o u r ensuite a b o u tir à des résultats qui cin ; u n e opératio n difficile dans une situation difficile.
peuvent être de nouveau unitaires fou de toute façon dialec­ L’op ératio n réussit grâce aux enseignements du p e tit livre
tiques entre eux, interlocuteurs') : mais seulement dans la rouge. Voilà. Le petit livre rouge représente le bachground
mesure où chacun y a p p o r te ses prop res m atériaux spécifi­ de ce médecin, l’indication d 'u n e m anière d'être, d’agir :
ques. Un enrichissem ent récip roq ue ; une vérification aux mais que le médecin ne rend op é rato ire qu ’en la co ncré­
niveaux les plus divers : l’opposé en somme d 'u n e adhésion tisant dans la spécificité de son invention : dans sa façon
générique à la plate-forme de dép art. de m ener l'opération. C'est seulem ent ainsi (pie le patient
vittor to taviani Ceci veut d ire aussi — et il ' faut (pie ce n'est pas m o rt).
soit dit, clairem ent — qu’il faut d on n e r une nouvelle pa o lo t a v i a n i Le propos — cinéma et politique — se c om ­
dimension à la valeur et à la fonction du cinéma (comme plique peut-être (ou se s i m p l i f i e ? ) dans nos films parce
des autres arts). L ’art n’est pas le moment le plus totalisant (pie le u r m atière narra tiv e se présente c haq ue fois comme
de l’activité h u m a in e — comme le répète au contraire une d irectem ent politique. Nos protagonistes se réalisent dans
certaine cu ltu re bourgeoise. C’est une activité possible l’action politique, ils sont agis p a r et agitent des problèm es
parm i b eaucoup d'autres. Une des nombreuses façons de politiques. Ils représentent n o tr e tissu na rra tif, parce que
se m e ttre eu ra p p o r t avec les autres et avec les choses, pour le monde de l’activité politique est celui qui nous pas­
les tran sfo rm e r et être transform és (le style n’est peut-être sionne le plus, que nous connaissons !e mieux (tout comme
q u 'u n e façon d" « ê t r e » avec les autres). d'a utres sont stimulés par des histoires d ’a m o u r ou des
c a h i e r s II y a, en France. en Italie et. ailleurs, une co n fu ­ entrelacs de gangsters». Mais ceci justem en t est le tissu n a r ­
sion constante et massive, qui est celle de l'aplatissement r atif du film, un des m atériau x qui président à sa cons­
d 'u n niveau p o litique sur un niveau id é o lo g iq u e /fo rm el ; truction. Ils ne sont pas la poétique du film. Le sens du
avec c o m m e conséquence une mauvaise conscience de ceux film est a u tre : il p eut m êm e coïncider. Mais c'est alors un
qui travaillent dans le c h a m p du cinéma, et qui f o n t com m e hasard plus ou moins fortuit. C'est pou rq uoi id e n tifier le
s'ils traînaillaient d irec te m e n t dans le c h a m p de la politique. poids p olitiqu e du film avec le résultat auquel peut être
Dans leurs film s, Vaplatissement des d e u x instances noie arrivé le protagoniste ou l'antagoniste (qu'ils soient un indi­
com plètem ent, le prob lè m e sp écifique du cinéma. Vos film s vidu ou un groupe) signifie rester encore en dehors du film
m a in tie n n e n t l'au to no m ie relative du c h a m p cinématogra­ même. Combien de fois pou rtant, après la projection d'u n
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île nos films, nous a-t-nn dem a nd é : « Que devons-nous donc d'u ne prise de responsabilité sévère, soit po ur ranger une
faire ? Non? devons suivre l'indication du personnage ? conscience qui s’est salie ailleurs). Cinéma militant. Film
Vous croyez vraim ent comme le personnage K que... ? » comme instrum ent : réalisé dans le temps le plus court, sur
Les hras nous en tom bent. la hase d’un m ot d’o rd re surgi d’un certain moment de la
A propos de Sovversivi ou du Scorpione, par exemple, lutte, témoignage de la lutte même — en tant q u ’exemple
nous aurions envie de ré p o n d re : c’est vrai, dans Sovversivi de résultat à reproposer ailleurs, ou d’échec à éviter. P ro ­
il y a Toglialti et son e n terrem en t, dans le Scorpione le positions — tests sur certains problèmes concrets, pour sol­
personnage de Volonté se réfère à u n type précis de d ir i­ liciter des réponses non ciném atographiques, mais directes,
geant politique ancienne manière, de révolutionnaire en de la p art de rassem blée des spectateurs. Etc. Dans le
pension. Riais il est aussi vrai, alors, qu e Togliatti et Vo­ cinéma de p ropa ga n de — utilisable à la limite une seule
lonté dans les deux films sont, p o u r nous, aussi : une cer­ fois, pour cette seule occasion — la chose la moins im p o r­
taine façon de faire le cinéma : ils sont le néo-réalisme, tante est justem ent le cinéma. La figure de l’a u te u r n’a pas
voilà, qui nous a formés comme hom m es de cinéma, dans de sens. Les réalisateurs du film doivent tendre à coïncider
lequel nous avons cru, qui nous a donné des racines bien avec les protagonistes de la lutte elle-même (et le « techni­
terrestres. (Alors la complexité des niveaux de lecture cien du cinéma » sera seulement un in stru m e n t dans leurs
écarte la possibilité d ’une indication univoque, opérâtive, m a ins). Si ensuite un film de propagande, niellons comme
dans le c h a m p spécifique de la p olitiqu e). ceux de Solauas, a tte in t en certains m om ents aussi des résul­
v it t o r io taviani Ju ste m e n t : Volonté, Toglialti, comme tats poétiques, c’esl un fait accidentel. Un accident, d 'a il­
néo-réalisme. C’est toujours sous cet angle : dans VUomo leurs, assez rare. Les films de pro pa ga nd e q ue j'ai vus d e r ­
da bruciare vit encore, à travers Salvatore, la confiance en nièrem en t sont viciés par le triom p ha lism e ouvrier syndical,
un certain cinéma, même si l’enthousiasme est critique : s’autoconsolent dans le populisme.
cinéma qui est ensuite nié dans les autres films. Une néga­ pa o lo T A V I A N I J ’ai l’impression que ce discours sur le ci­
tion non pas comme perle sèche. Loin de là. La négation ném a et la p ropa ga n de a déjà q ue lqu e chose d’a n a c h ro ­
m êm e p a r laquelle on s’oppose à un père qui t'a élevé et nique. de forcé, de ligneux. Le vrai propos direct de
aidé à m a rch er. Mais que m a in te n a n t il fa u t dominer. Ou com m unication politique a dans la télévision son in stru­
plutôt, il faut lui m e ttre les pieds sur les épaules, sur la m ent le m ieux adapté. Dans la télévision. Dans les vidéo­
tête. Ce n ’est q u ’ainsi q u ’il p o u rra encore t ’être utile : là cassettes. La télévision, elle aussi, doit devenir un objectif
où lui ne peut plus voir, toi tu vois justem ent parce que concret de la lutte du mou veinent ouvrier (sans a ttendre
tu te tiens sur ses épaules (« Nous sommes des nains sur la palingénésie de la révolution totale).
les épaules du géant », disait Léonard, réfléchissant sur le v i t t o r i o t a v i a n i ... El puis, à la fin, à p a r tir dc tout cela
r a p p o rt avec le passé en tant que p a trim o in e et trad ition). se m e ttra en m o uve m e nt une série de rappo rts nouveaux,
pa o lo taviani Mais encore : Salvatore dans Un uom o da qui ne p o u rro n t pas ne pas changer le propos du cinéma en
bruciare est un syndicaliste. Certes. Un politicien. Et général...
po u rta n t, au départ, p o u r nous c’éta it au contraire un c a h i e r s A u jo u r d 'h u i en Italie, quelles sont, selon t ous. les
artiste. (Chaque p rem ier film est to u jo u rs effrontém ent possibilités d 'u n riném a m ilita nt ? En avez-vous eu une
a u to b io g ra p h iq u e ). A Iravers le travail « s p é c i f i q u e » de expérience dans le film collectif sur Venterrem ent de T o ­
Salvatore, nous éclairions notre travail spécifique, nous- gliatti ?
mêmes. Salvatore nous touchait parce que sa manière de
pa olo taviani C’est surtout à la base, dans certains sec­
faire de la politique coïncidait avec no tre façon de faire
teurs de la base, q u ’on pense aux possibilités d ’un cinéma
le cinéma (dans le film que nous pré pa ro ns — Sari M ichelc
d’intervention im médiate. Nous en avons aussi parlé avec
aveva un gallo — nous parlons encore u ne fois d ’un poli­
les frères Bertolucci (et aussi avec Zavattini pour ses
ticien. La façon dont ie protagoniste construit un cha pitre
Cinegiornali liberi). En Em ilie ils sont en train de pré­
pa rtic ulie r de sa vie est la m êm e dont nous sommes en
pa re r des initiatives de ce genre. La prem ière occasion
train de construire le film).
devrait être représentée par un film sur le travail féminin
V J T T O R I O T A v l a n i ... Peut-être parce que c’est comme dans
à domicile. La phase de réalisation du film peut déjà deve­
les mécanismes du rêve : p o u r arriver à c a p te r le fond le nir en soi l ’occasion p our politiser toutes ces femmes qui.
plus intim e d 'u n e chose, il fa u t que cette chose même sc faisant ju ste m e n t du travail à domicile pour l’industrie,
dissimule au contrôle du rationnel, sous le sim ulacre d'une n’ont pas de liens étroits avec les syndicats, ne reconnaissent
a utre chose. pas encore leur position de classe. Une fois réalisé, ensuite,
P A O L O t a v i a n i D ’autre pa rt les différents niveaux de lec­ un film de ce genre peut devenir instrum ent de débat dans
tu re ne signifient pas, ne doivent pas signifier un mélange d’autres régions, où le même problèm e se pose aussi, ou esl
hy b rid e et a rbitraire , l’approx im ation. Salvatore <VUn uomo sur le point de se poser (dans le Sud italien, p a r exemple,
da bruciare est direc te m en t inspiré de Salvatore Carnevale, où l ’industrie s’organise dans cette directio n). Bien sûr,
syndicaliste, qui a réellem ent existé, a réellement été tué nous croyons dans la possibilité, d ’un travail de ce genre.
par la mafia. Dans le film réapp araissent les faits, le milieu, Qui aura besoin de se lier aux m unicipalités, aux partis,
les personnages, même certaines attitudes, certaines phrases aux groupes de base, po ur trouver les modes d ’une distri­
qui fu ren t celles du Salvatore de la réalité sicilienne, avec bution capillaire. Personnellement nous nous sommes de­
ses résultats et ses erreurs politiques. C’est donc l’histoire m andés quel pouvait être notre rôle. P lu tô t que de devenir
de Salvatore Carnevale (mais c’est aussi no tre histoire, et les « réalisateurs » du film, Vittorio et moi pensons qu'il
l'histoire du film en tra in de se faire). Résultat : la mère est peut-être plus utile de co n trib u e r à la création de
de Salvatore Carnevale, q u a n d elle eut vu le film, nous in­ cadres « c in ém a tog ra ph ique s » parm i les intéressés directs à
tenta un procès. la lutte. M ettre à leur disposition les moyens p our c o m m u ­
V I T T O R I O T A V I A N I O u bien parlons du cinéma de p ro p a ­ n iq u e r avec le cinéma, au lieu «l’utiliser la parole ou les
gande. Nous sentons le besoin de red onn er une valeur au affiches.
mot. Ou p lutôt d ’a p p e le r chaque chose p a r son nom, po ur Q uant aux expériences passées, dans ce dom aine, nous eu
éviter les confusions (dont juste m e n t, com m e disait Nar- avons faites. Négatives. Exagération, de l’extérieur, du haut,
boni, certains profitent, soit p a r incapacité congénitale de mots d 'o rd re généraux. Même le film sur l'e nterrem ent
32
Pier-Paofo Capponi dans I sovversivi.

tle Togliatti, que nous avons tou rn é avec beaucoup d'a utres ap rès-guerre). Mais s’il esL vrai que l’o bjet aimé est tou­
réalisateurs, n ’a pas été au-delà d ’une d o cum en tation assez jou rs la p ro jectio n de soi-même, alors nous — à travers le
disparate. (C’est surtout à nous q u ’il a servi, po ur Sovver- film — nous avons embelli l ’a m o u re u x m êm e d’éléments
sivi.) qui ne lui étaient pas propres, nous l’avons lil)éré d’autres
c a h i e r s ? Du point de i.ue des problèm es jiropres nu cin ém a , que nous n ’aurions pas voulu trou ver en lui (en pra tiq u e :
quels sont c eux qui se sont posés à vous, de Un uomo da le refus du populisme, nié à travers le point de vue de
b ruciare à Sovversivi (en passant sur I fuorilegge del matri- l’ironie ; le refus des schémas naturalistes, p o u r un discours
m onio) et d e Sovversivi « Sotto il segno dello scorpione ? e lliptiq ue, qui se poserait comme re prése nta tion ). Au centre
pa o lo tavjani I I m ’est difficile de p arle r des différences du film, Salvatore : un protagoniste. Mais seulem ent parce
d’un de nos films à un autre, p arce que, sincèrement, moi que son destin personnel, très particulier, coïncidait avec
je les trouve tous pareils, un seul propos : à la rigueur en le deslin de son groupe. Ou mieux en était la conscience,
chapitres. Diversité dans la continuité. Un a u te u r répète surto ut inLuitive. Se réaliser soi-même coïncidait avec la
toujours le m êm e discours. Sinon que la réalité qui l'e n ­ réalisation d ’un saut qua lita tif des autres. Même si les
toure don ne à son propos des reto urnem en ts, des directions autres avaient du mal à le co m prend re. D ’où le caractère
différentes, souvent imprévues. De là le goût de vivre en exaltant-grotesque de Salvatore. Il fait souvent des réfé­
faisant du ciném a : le m iro ir de ses prop res variations en rences au Christ. Nous pourrions en faire à Cassandre. Son
r a p p o r t aux autres, aux choses. isolement an n o n ç a it les tem ps de deuil de Sovversivi.
En tout cas. p o u r récu p é re r du moins la chronologie des v i T T o i t ï b t a v i a n i Dans Sovversivi un grand nom b re de per­
divers chapitres, la prem ière chose qu e je ferais serait d’en sonnages comm e u n personnage unique. Com m e groupe.
c h e rc h e r les différences au niveau émotionnel-autobiogra- Un gro u p e dans un m o m e n t de crise, de passage. Un é q u i­
p hiq u e , c’est-à-dire dans le m a té ria u qui, com m e on disait libre disparaît et m enace d ’en tra în e r le groupe. D ’où la
to u t à l’heure, est en a m o n t des films. nécessité — av a nt to u t physiologique — d ’autres équilibres.
Un nonio da bruciare est u n acte d’a m o u r po ur le néo­ Avoir la force de d é tru ire (mais pas pour se to r t u r e r avec
réalisme (et pou r le moment agressif de la Résistance, pour les d é tritu s du m on de détruit, ni po ur s’identifier roman-
la naissance du m ouvem ent ouvrier et paysan de l'im m édiat t iq u e m e n t avec sa d estru ction ). Mais pou r avoir les mains
33
/ soituersiui.

libres p o u r recom m encer à chercher. Les funérailles de dépassement (et dans ces [tassages l'h om m e, au niveau indi­
Togliatti, je l'ai dit, sont l’en terrem en t rhi père (le père viduel ou comme groupe, vit ses drames, ses insuffisances
com m e m ythe, nomme père naturel, comme m o m e nt histo­ irré pa rab les). Ce n ’est peut-être pas p a r hasard que le
rique, comme néo-réalisme...’). Une entreprise funeste niais Scorpione se présente comme une parabole, comme un a p o ­
aussi libératric e. Disponibilité pour (le nouvelles d im e n ­ logue. Dans une réalité comme la nôtre, européenne, où il
sions : encore au niveau personnel, dans les personnages du n’est pas possible de penser ;\u m om ent de sa subversion,
film, mais comme sym ptôm e d ’une nécessité plus ample. sinon à de, longues échéances, le saut révolutionnaire. *e
« Il im p orte de se t ro m p e r » pourrait être le sous-titre de présente comme une fable, à la m anière de l’utopie. Une
Sovversivi. L’histoire limite est probablem ent celle de Giu- utopie. Non une évasion. Le besoin d ’opposer, à un pré­
lia, la fem m e qui découvre sa n ature homosexuelle. Contre sent qui risque de s’a p la tir sous la distance de la perspec­
les conseils eoercitifs dictés par un illuminisme mal compris tive, un fu tu r im aginaire et désiré. L ’imagination se concré­
(ou mieux par une téléologie historiciste consolatrice), Giu- tise sur le m ode de la fable : une histoire d’enfants, parce
lia accepte sa p ro pre nature. Un drame, bien sûr. Peut-être qu e c’est la [dus sim ple et la [dus reconnaissable (... nous
1111 saut dans l’obscurité. Mais île toute fa^on le saut : la nous m ettons à réfléchir à tout ceci a u jo u r d ’hui, en rep en­
sortie de 1’ « eau stagnante »... Eu som me le besoin de sant au film).
re m e ttre tout en jeu (nous parlons vraiment au niveau émo­ E t donc si le Scorpione se présente à la manière d’un
tionnel...). a pologue comme uto pie active, c’est au niveau tic son style
Puis le Scorpione. Si les personnages de Sovversivi ch e r­ que le fdm révèle son identité. C’est seulem ent à travers
chaient (comme nous cherchions en faisant le film sur eux), cette épaisseur q u ’il est possible de le c o m p re nd re et de
les protagonistes du Scorpione trouvent. Deux groupes s’af­ l’utiliser — pou r qui veut l'u tiliser — même pour un dis­
fron te nt : celui qui s’arrête au présent Imême s’il est le cours po litique à faire dans un certain contexte politique,
fruit d’une « invention » passée révolutionnaire) est destiné en dehors du film.
à se perdre. L’a u tre groupe — poussé p a r la nécessité ■— p a o l o t a v i a n i Je pourrais ajo u te r que le Scorpione, comme

trouve. Même si ce qu'il trouve n’a rien de définitif, de toutes les fables, cache un désir : en opposition à la pers­
consolant. Et contient déjà en soi-même les raisons de son pective que l’E urope devienne la Suisse du monde, la
34
recherche de quelle charges d’énergie, de quelles con tri­ t a v i a n i D errière le Scorpione il y a aussi Virgile :
v it t o r io

butions originales l’E u ro p e p o u rra it a p p o r te r au m om ent 1' « E néide », qui nous a enclianlés comme une fable dans
révolutionnaire. C’est en E u r o p e q u ’est né le marxisme, l'enfance, puis que j ’ai haïe fie toutes mes forces sur les
ici on a eu TOctobre soviétique, eu E u ro p e se sont consti­ bancs de l’école, et (pie j ’ai enfin de nouveau im m ensém ent
tués les premiers pays socialistes. Et p o u r ta n t a u j o u r d ’hui aimée, q u a n d j ’y ai cherch é de l'aide. On aim e et on com­
le socialisme, le communisme, reste .encore à inv enter : là prend seulem ent ces auteurs qui vous a ide n t dans les diffé­
justem ent où il s’est réalisé. P o u rq u o i tout reste-t-il à in­ rentes saisons de la vie. (P o u rta n t c’est tou jo u rs avec éto n ­
venter '! et en quels termes ? c’est peut-être à nous, ici, nem ent que, après avoir to urn é le Scorpione, en re to urna nt
en E u ro pe , de r é p o n d re : une façon im prévue de se ré in ­ dans notre maison paternelle en Toscane, nous avons re­
tégrer dans le m o uve m e n t de l’histoire. trouvé p arm i les livres d'enfance, quelques illustrations de
C’est dans re sens qu e me semble exacte la définition que 1’ « E néide » : certains plans d'e nsem ble de plages, avec
q u e lq u 'u n a donnée du Scorpione : « un film avant et après des h o m m e s microscopiques comme des insectes qui cou­
la révolution ». raient a u to u r de le u rs-b a rq u e s qui bridaient...).
v it t o r io taviani ... En fait, on avait dit pour Sovversivi : C A H I R R S Le Signe du Scorpion fo n c tio n n a un peu c o m m e un
« après et avant la révolution »... m odèle réduit. C'est, bien autre chose q u'un film « ouvert »
C A H i K R S Le fi ï m nous apparaît dialectique en tant q u ’il et « a m b i g u » . Peut-être ne répond-il ri aucune question,
porte sur des rapports de force, la lu tte de contraires, sans mais il les pose toutes et il intègre toutes les lectures in te r­
répit, sans résolution : toutes les interprétations politiques prétatives possibles. D'où les fa u x —■ et interm inables —
directes peu ven t y être inscrites mais il interdit qu'on le débats sur son « sens »...
lise d e façon univoque, qu'on y nuit te un terme. Le film pa olo taviani Co m m ent peut-on ré pon dre à des questions
appelle foutes les possibilités de lecture, les c o m p re n d et. aussi directes p a r des réponses également directes ? Cela
les lit à leur tour. me donne une inq uiétu de, une sensation d'imprécision, d 'a p ­
v j t t o k i o t a v i a n i U ne a u tre signification, qui n’a p p a r a ît proxim ation, de trop détaillé 011 de tro p général, de décom ­
pro b a b le m e n t pas au niveau n arratif, est peut-être pour poser — après le fihn — ce q u ’avant avec tant de peine, de
nous la plus souterraine. C’est le r a p p o rt e ntre l’im patience volonté et de hasard, 011 a composé en une unité (pii, en
de l’histoire et la patience de la n a tu r e ; en tre les temps les unifiant, a nn ule tous les éléments mêmes (pii la com­
courts de l’histoire et les temps longs de la natu re. L ’hom m e posent. Le résultat n e m ’a p p a ra ît pas comme une somme :
historique p a r r a p p o r t à l'hom m e biologique. Le contraste mais com m e une nouvelle entité, et une nouvelle donnée
en tre les deux rythm es de dé veloppem ent provoque des de départ. Le film, en effet, est défini comme u n film
interrogations, des exaspérations, des consolations, des p ro ­ difficile par une c ritiqu e facile. Parce que c'est un film
jets. etc. simple. Toutes les choses simples, selon moi. im pliquent
D’où, p ar exemple, le sens des temps et de l’espace dans toujours une m u ltiplicité de significations. Le Scorpione.
le Scorpione. Le temps, voici. Dans le film il arrive aux si é lém en taire dans sa structure, si sim ple dans la ligne
deux groupes en contraste de n om breu x accidents. Les deux narrative, a p p a ra ît comme 1111 film scandaleux. Parc e que
groupes font, en un temps bref, une très g ran de série d ’ex­ la sim plicité a u j o u r d ’hui fait scandale. On n’est pas h ab itué
périences traum atiques. Ils b rû le n t les étapes de leurs his­ à la simplicité. (Plus la réalité est sim ple et plus elle est
toires. En contraste avec cette pression des hommes, de m ystérieuse). On est h a b itu é à se m arty rise r avec le détail
leurs actions et réactions, en contraste avec les chaotiques — de quelque type qu’il soit — et 011 n’a pas la force,
liants et bas, le te m p s du Scorpione se scande égal, im p e r ­ le courage, d’accepter une certaine ligue qui sous-entend
tu rb a b le , sans variations : d'où le r y th m e des passages et renvoie à la complexité. (Cette com plexité qui est en
répétés du j o u r à la nuit, de la n u it au jo u r ; cette alter­ am o n t du film, et qui reste to ute à redécouvrir p ar celui
nance, qui nivelle, des lumières et des ombres. De m êm e qui voit le film : une sollicitation non pas à l’a rb itra ire
po ur l’espace. A la violence criée, aux mésaventures des 011 à la divagation, mais à 1111 effort, à une imagination
protagonistes (équilibres qui sont bouleversés, destins p e r­ c o n stru c tiv e ).
sonnels el collectifs annihilés ou projetés dans l ’aventure v it t o r io t a v i a n i ... Mais pourquoi, donc, avons-nous fait le
du futur'), à la m u ltitu d e des réactions personnelles, s’op­ Scorpione ? P ara d o x a le m e n t il m e vient l’envie de r é p o n ­
posent des plans d'ensemble, de grands espaces. Les p ro ­ dre : parce que nous avions envie de faire de la musique.
portions (ou disproportions) en tre l’expérience h u m a in e La musique, a u jo u r d ’hui, com m e langage historique, est
et le milieu dans lequel elle se situe s’établissent : ainsi agonisante. E t p o u r ta n t ce propos est inexact. La m usique
même la m ort d ’un chef (Volonté) occupe une place disparaît au niveau de la portée. Elle revit au niveau du
mic roscopique dans le plan. cinéma (de même, lorsque le cinéma aura épuisé sa fonc­
c a h i e r s En tant, q u ’il est un film sur la na tu re . c'est aussi tion, il reviendra sous d’autres formes pour nous a u j o u r ­
un film très culturel. Le th è m e de File étant un th è m e très d’hui im pensables). J 'a im e la musique. Le Scorpione est
chargé. vous le situez dans sa tradition culturelle m u lti­ une façon de c o n tin u e r à faire de la musique.
ple. q u e vous récrivez, que vous, réactivez. p a o l o t a v i a n i Justem ent, par paradoxe : le m élod ram e du

p a o l o t a v i a n i Le Scorpione ■— plus (pie nos autres films — X IX L‘ siècle est un pa trim oin e fond am ental de notre civili­
répond à un besoin de classicisme m éditerranéen . S’il faut sation. Et avant, la polyphonie, Palestrina... Les héritiers
que je trouve des références — m êm e si elles m e mettent de ce p a trim o in e ne sont pas les professionnels de la m u si­
toujours mal à l’aise — j ’in d iqu erai la p u re té elliptique que, mais les cinéastes. La vocation à une construction
de Giotto. Dans la stru c tu re classique nous trouvons la pos­ musicale est déjà latente dans nos autres films. Dans le
sibilité de nous lib é rer de toutes les contorsions psychologi­ Scorpione la s tru ctu re de type musical se pose com m e choix
ques irrationnalistes idéologiques, en les no yan t dans une conscient. D’où -— je crois — une des raisons de h e u rt avec
solarité ty p iq u e m en t italienne. C’est 1111 besoin instinctif (de le spectateur, h a b itu é aux modèles paralysants de n a r r a ­
faire de l’o rd re ), et aussi de form a tion culturelle (retour tion vulgaire. Un spectateur no rm al a u jo u r d ’hui est inca­
critiq u e aux origines) ; el puis d'émergence, en ce m o m en t pable d’e n tre r en contact avec le m o n d e des sentiments-
si enclin aux mystifications ou aux confusions ou à l’irres­ idées-mémoires-hypothèses d ’un film sinon à travers l’épiso-
ponsabilité... diq u e naturaliste. Jam ais à travers un rythme.
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CAHIERS M ê m e les critiques <}iii d é fe n d e n t le Scorpione lions ne connaîtrons ja m a is). Une idée, comme je disais
le lisent à travers une espèce de grille, soit de type litté ­ avant, sert de coagulant, soudain, quelquefois sans logique
raire. soit de type f ilm iq u e « m oderne », et laissent de côté apparente. P a r c e que cette idée n ’est pas un program m e
le m o u v e m e n t r y th m iq u e violent qui nous a frappés. idéologique ; cela peut être 1111 rythm e ; un geste de quel­
p ao lo t a v i a n i Je me souviens crime réponse crEisenstein,
q u ’un ; l ’aspect de quelq ue chose ; une provocation politi­
à propos de la charge fies chevaliers teutoniques flan? que : le souvenir d’un récit d'enfance, justement... Un sujet
A le x a n d re Nevski. Eisenstein (lit que le ry th m e du monta ge prend corps. Nous le m ettons à l’épreuve : nous vérifions
a la mêm e scansion «pie les battem ents (lu cœ ur, qui .aug­ si vraiment ce noyau, cette indication d ’une imaginai ion
mentent à mesure que le danger s’approche. Q u a n d j ’ai audiovisuelle possible pe rm e t de décharger nos émotions-
revu le film avec cette clé de lecture, j ’ai été ému : c’était idées-eolères ou am ours de ce moment. Nous faisons un
vraiment à travers ce r y t h m e (pie j ’arrivais à p a rtic ip e r scénario de fer. Non pas comme base sur laquelle déchaîner
à la séquence du film, avec une adhésion q u ’aucune clé ensuite les images.
narrative ou figurative ne m 'a u r a it permise. Mais comme le témoignage écrit d’une im agination très
concrète. Dans le scénario nous nous racontons un film dans
c a h ie r s Ce qui frappe, c'est le refus du coulé, Ui discon­
le m om ent où nous le voyons. Q uand nous arrivons à to u r ­
tinuité, de nature musicale — soit d 'u n e m usique très
ner, nous sommes certains d ’avoir d é jà vu et prévu le film.
m oderne, soit au contraire d 'u n e m usique très ancienne,
Au contraire, lorsque nous tournons, nous suscitons la sur­
polyp h o n iq u e...
prise de nos collaborateurs qui, le scénario en main, n ’a rr i­
VITTORIO taviani Les noirs, par exemple, se placent dans vent pas à nous suivre. T o u t semble im prévu. Nous passons
le film comm e relief de la m atiè re : in te rru p tio n s (comme au montage. Choc u lté rie u r de nos collaborateurs, aussi bien
distaneement ) de la long ue ur d ’une mesure musicale. Les par r a p p o r t au scénario que p a r rappo rt à ce qui a été
dialogues q u ’on ne com prend pas (el qui m e tte n t m a l à tourné. Et p o u rtan t, le film nous pa ra ît toujours être le
Taise le public qui proteste : « mais q u ’esl-ce qu ’ils b a r a ­ même. De façon évidente, le film, à travers les différents
gouinent ceux-là ? ») ont p our nous la valeur du son. dans rythm es représentés p a r scénario, tournage, montage, tirage,
un sens musical. Dans le fait sonore s’épuise aussi le m o ­ subit un processus de thèse, antithèse, synthèse. Quoi q u ’il
m ent narratif. Deux personnages -— un h o m m e et une en soit, à la fin. le film selon nous est exactem ent ce que
femme, nus, l’un à côté de l’autre — de quoi pourront-ils nous avions imaginé au départ.
jam ais p a rle r ? Que chacun imagine leurs ph rases d ’amour. P A O L O t a v i a n i Nous sommes m éthodiques, en principe, V it­
L’im p o rta n t est que le son de leurs voix, le r y th m e de leur torio et moi : nous travaillons tous les matins. D’autre part
langage restituent Je sens de le u r besoin de co m m uniquer. la situation de la production italienne nous offre beaucoup
Et qua n d les « étrangers » crient tous ensemble leurs de temps po ur imaginer, et nous fait « perdre » très peu de
aventures atroces ou lamentable s, nous avons écrit pour temps p o u r tourner...
chacun son p ro p re rôle (sa propre histoire). A c h aq ue ... Mais peut-être vouliez-vous une réponse d’un genre
acteur nous avons in d iq u é son jeu. Nous le lui avons fait tout à fait différent. Et peut-être avons-uous voulu mal com­
jouer. M aintenant, on ne com prend m êm e pas mi mot de prendre votre question... (Quelquefois nous sommes tentés
ce q u ’ils disent (ré c ritu re p o lyp hon ique , v e r t i c a l e ) M a i s il de revenir en pensée à ces affirm ations archaïques, et 1111
parvient au public un e d o ule ur d ’autant plus grande, ju s ­ peu folles, un peu artérioselérotiques, mais toujours éclai­
tement parce que le cri de tous cache les diverses histoires rantes, de Tolstoï sur l’art : « ... pour m arch er rap idem en t,
particulières, et en fait imaginer d ’autres encore plus d échi­ 11e vous perdez pas trop dans l’élude des règles de la méca­
rantes. E n art souvent la meilleure m anière de dire n'est nique (pii conditionnent votre m arche »...)
pas de m ontrer, mais de cacher.
c a h i e r s V ue autre d im e n sio n , dans vos d e u x premiers film s
c a h ie r s C'est p o u r ça qu'il n ’y a pas de personnage cen­ mais surtout dans celui-là. est celle d u théâtre. I l y a une
tral ? intégration de tous les éléments, y com pris m usicaux, dans
pa o lo taviani Les personnages sont les deux groupes. Le une représentation qui donne leur im porta n ce au corps,
film est confié au chœ ur. aux gestes. Une autre notion im portante est la n o tion de
c a h i e r s Comnien/- «res-fons conçu le récit ? simulacre.
v i t t o r i o t a v i a n i Nous nous reconnaissons un goût énorme
v i t t o r i o T A V I A N I Si le noyau de d é p a rt est en fait un sou­

venir (l’enfance, le récit de l ’enlèvement des Sahines par les de nous représenter (un exorcisme contre sa propre mort,
Romains... en définitive). La jouissance (pie nous donne le spectacle
est avant tout physiologique (même, un certain type de
c a h ie r s Un n o y a u 'm y th iq u e ?
chansonnette peut « m ’émouvoir » ju sq u'au x larm es !...).
v i t t o r i o t a v i a n i Je ne parlerais pas de mythe. Mais plutôt
Dans le Scorpione il y a une séquence significative, nie
de fable. La fable : p o u r son adhésion à la condition semble-t-il, dans cette direction : (piand le groupe des gar­
concrète et quotid ien ne de l’h om m e, de la collectivité : çons débarqués sur l’île représente aux autres (et à soi-
pour son refus d ’une ferm e tu re sacrale, intouchable, propre même) ce qui est arrivé.
au mythe...
c a h i e r s II y a d e u x groupes : l'u n , pour convaincre l'autre,
c a h i e r s C'est plus latin que grec ?
em ploie toutes les form es possibles d e re présentât ion (’s ) .
v i t t o r i o t a v i a n i Plus l a ti n ; mais je ne saurais pas exacte­
p a o l o t a v i a n i La façon dont le groupe essaie de convaincre
ment... les autres trouve son efficacité, son utilité, justem ent en
c a h i e r s A partir de là, c o m m en t est né le principe fo rm e l ? vertu du choix des façons, des formes utilisées po ur la
v it t o r io taviani 11 m ’est plus n atu rel de parler de notre représentation.
travail, en général : par exem ple en proc é da nt par étapes. C A H I E R S Dans Sovversivi et surtout dans Un uomo da b ru ­
Paolo et moi nous parlons continuellem ent entre nous. De ciare le théâtre intervenait u n peu c o m m e un coup de
tout. El de tout toujours en r a p p o r t au besoin (el donc aux force. de l'extérieur.
manières) de le dire aux autres île secret de tout se trouve v i t t o r i o t a v i a n i Dans le Scorpione le poids de la représen­

peut-être d ’ailleurs là : dans le désir «l’être aimés de p e r­ tation est déte rm ina nt. Mais, en repensant m ainte na n t
sonnes (pie nous 11e connaissons pas et (pie probablem ent l'Uom o da bruciare, parm i les choses (pie j ’aime le plus
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Sntto il segno d o llo s c o r p io n e .

il y a justem ent les scènes où Salvatore se représente (« non dans un vrai théâtre, au m ilieu des suggestions des réflec­
pas des rêves —• disions-nous alors — mais des actions d r a ­ teurs et des velours, que Salvatore vil un de ses moments
m atiq ues imaginées qui concrétisent ses pensées, qui m até ­ clé. Il est, avec d’autres syndicalistes, sur la scène. Au p a r­
rialisent ses i n tu i tio n s » ) . Il n ’y a que ce qui stimule Salva- terre, dans les loges, les paysans, les cam arades : un public
tore à se représenter, qui soit exté rie u r — la chansonnette, qui s’e x p rim e en ap plaudissan t ou en sifflant. Salvatore doit
le film en ba n d e dessinée, l’ic onographie rituelle religieuse. m e n er l’assemblée politique. Mais il la m ène en acteur.
Q uand Sulvatore a l'intuitio n de sa mort par la mafia — P o u r parler au pub lic il va vers l’avant-scène, vers la ram p e
comme destin personnel et com me acte politique — il cons­ (Leonora dans le « T rouvère » de V erdi-Yiseonti), il com pte
truit un film dont il est le protagoniste, avec les moyens sur une diction r y th m i q u e (« C ontadini che soffrite — che
que lui consentent sa form ation culturelle de sous-déve- alla te rra diritto avete... ») (« Paysans qui souffrez — qui
loppé. avez droit à la terre... »).
C a h i e r s Disons qu'il y n une ru pture de style qui disparaît PAOLO TAVIANI Dans un projet de film que nous sommes en
dans les antres film s. tra in de p r é p a r e r fa près que nous aurons réalisé San M i •
pa o lo taviani Je n'ai pas l'im pression : parce que, par chele avetia un gallo) et qui a un titre vaguement verdie:i.
exemple, dans Un uoino da hruciare le jeu sur lequel nous / / traditore, la stru c tu re n a ît directem ent du mélodrame.
sommes tombés d’accord avec Volonté est d ’un ty pe non Dans ce sens-là. Division en scènes, airs, récitatifs, duos,
réaliste : un jeu presq ue e n tiè re m e n t crié, h u rlé (chanté, etc. C h aqu e fois, po ur faire le p o int de la situation, les
aurions-nous voulu, à la lim ite : mais la chose s’avéra jus­ personnages dialoguent rie la façon la plus é lém entaire, à
te m ent à la lim ite ). V o lonté n ’avait jam ais fait de cinéma. tr a v e r s 'le s plus élémentaires chants-contrechants (récitatif
C’était un ac te ur de théâtre. Nous avons misé ju ste m e nt à l’italienne, en som m e). Après quoi e nc ha îne la romance :
sur sa th é â tra lité : dans sa façon de se présenter aux autres et le ry th m e mêle les personnages et la cam éra dans la dila ­
aussi bien q ue dans sa façon d ’a p p a r a ît r e à soi-même. Dans tation spectaculaire. Mais qui sait... Il est fu nè bre de p a r ­
les filins q u ’il s’invente, son jeu rétrograde en fait au niveau ler de ce qui n ’est pas encore arrivé, comm e si ça existait
des cabotins m éridionaux. déjà. Même p our nous ce doit cire un e découverte : a u ta n t
v it t o r io taviani Et c’est précisément dans un théâtre, q u ’elle soit pleine d ’imprévus...
Solln il scijiio (lullo scorpione ià (/anche, (iiim-Maria Yoloiüt').

c a h ie r s A p rès un cinéma « naturaliste » <fui prétendait quer. et q u ’ils finissent par ne plus maîtriser. La frontière
renvoyer « « la vie », puis un cinéma d e l'artifice qui s’ins­ reste toujours incertaine entre la mascarade et le dévoi­
tallait dans sas propres données. le Scorpione frappe, d ’in ­ lem e n t d ’une « vérité ».
terroger la notion de spectacle tout en restant une repré­ La propagande n ’est jamais m anipulée i m p u n é m e n t et
sentation an sens actif (/« constitution de ce qui repré­ cyn iq u e m e n t. <m est aussi jo ué par elle. On peut aussi lire
sente). le film comme, ça.
v itto r io taviani Plus le m até ria u de départ est complexe, pa olo taviani Le goût p o u r la représentation, Je goût de
plus nous nous sommes laissés aller à la lim ite iln défou ­ faire du théâtre, a sa légitimation quand ce n ’est pas une
lement viscéral, et plus cette espèce de coulée est violente, mystification. Le groupe des « scorpionide? », en se fiant
plus le besoin devient urgent de lu dominer. En la refroi­ à la représe nta tion (à la fiction), n'invente pas quelque
dissant (le dé ta c he m en t est légitime seulement s’il est opéré chose qui s’oppose à la réalité, qui cache leur identité. La
sur sa p ro p re pe au). De lu déta cher de l'indistinct, à t r a ­ force du spectacle est dans le fait qu'ils représentent leur
vers la découverte et la réflexion sur les façons de la ren­ pro p re force.
dre concrète, o pérante : de la placer dans un contexte pré­ C A H I E R S La pénétration des idées ne se fait pas sur le i n o t / u
cis, personnel et collectif, historien-culturel. Les façons qui rationnel ou logique, mais aussi sur le m o d e de la c ont a m i-
la révèlent sont précisément les mêmes qui lui dnnnent nation, de la contagion. Ce n ’est pas une co m m u n ic a tio n
une dim ension (lui r e don ne nt une dimension) : c’est en des discours. c’est une représentation des rnodes d e dis­
fait la m an iè re de faire le point sur nous-mêmes, d ’ « ir o ni­ cours. A u lieu de faire pénétrer des idées, ce sont des modes
ser » sur nous-mêmes {et ceci aussi a une force spectacu­ de représentation, qui obligatoirem ent am èneront à une
laire. Et c’est peut-être pourquoi Goethe insistait sur le c o m m u n a u té d ’idées.
déséquilibr e entre r im m e n s ité — et l'in dé te rm in ation — v i t t o r i o t a v i a n i Dans la représentation — je me rap porte
f i e l'impulsion personnelle initiale, et la limite e xtrê m e ­ encore à la même séquence -— c haq ue personnage réussit
ment circonscrite -— et concrète -— de l'œuvre réalisée). à éta blir un ra p p o rt avec celui qui Técoute, en vertu de sa
c a h ie r s II s’agit dans le film do, rapports de force basés pro p re capacité inventive. L’un se révèle sur le mode du
presque entièrem ent sur des jeux, des simulacres, des mas­ grotesque, l'a utre dans la lamentation. 1 autr e dans l’élo­
ques. el les personnages s’y laissent prendre, entrent dans quence gestuelle du mutism e, l ’autre dans le m oin dre show
des rapports q u ’ils ont to u lu d ’abord maîtriser et provo­ dra m atique. La représe ntatio n nous concerne qu and elle
■a une capacité inventive (répélitions, mollifications, eonfir* fusil. Une mort expéditive (comme dans un film de Ros­
jnation, renversement d’un certain pa trim oin e conum in), sellini, en somme...).
car la capacté inventive est la seule révélatrice de la force v i t t o r i o t a v i a n i Cet « en t r o p » qui caractérise certains de
objective qui la provoque (et qui a son tour en est m odi­ nos personnages est un « en trop » de signe presque to u ­
fiée). jo urs positif. C’est ce qui les fait se h e u r te r violemment aux
c a h ik k s Avez-vous investi d'un sans sym bolique <les clé- choses, en les révélant. Mais c'est justem ent à eause de
mort ts lais que le volcan ou l'île ? cet « eu trop » que nous sentons im m édiatem ent le besoin
viTTomo t a v i a n i Le choix de c haque élément n a rr a tif est de le u r re d o n n e r une dim ension, eu les confrontant à une
toujours — nous eu sommes plus ou moins conscients — dim ension objective (sociale, historique, de m ilieu), avec
c ha rgé de renvois qui ne sont pus de hasard. P o u r en venir les autres et les choses (je disais la nature, le h a sa rd ). Cette
au pratique, je ne dirais pas «pie nous avons cherché charpie am bivalence révèle, parfois au-delà de nos propres in te n ­
fois les éléments narratifs dans la mesure où ils ex prim a ie nt tions, des données objectives en r a p p o r t au m onde où vivent
le svinhole. A un certain moment a pris corps une certaine les personnages (où nous vivons), dans ses processus de
stru c tu re n arrativ e ry th m iq u e , un organisme avec sa pro pre développement, ou de sous-développement.
ca p a cité de parthénogenèse, de sélection (acceptation rie C A H I E R S N ou s pourrions voir aussi dans le Scorpione une
ce lout rpii entrait naturellem ent en corrélation avec le plot critique assez sévère d e l'illusion révolutionnaire telle q ue le
central ; refus de ci: qui l'a bâtardissait). Quelle est la m e­ Living , par e x e m p le , s'en fait de son propre travail (de ne
sure de sélection '( Je ne sais pas. Peut-être le goût de nous j>as fa ire une action théâtrale, mais u ne action qui serait
raconter une fable tra n sp a re n te el a m usante : le pari tout d ire c te m e n t politiq ue, qui d éboucherait dans la rue).
rationnel tic la résolution d'un théorèm e ; la comparaison v i t t o r i o t a v i a n i C’est toujours la grande ten tation de vou­
e n tr e le ryth m e rie notre respiration et celui du nouvel loir c onfé re r à l ’a rl cette totalité, celle préém inence dont
organisme, en croissance... Je ne sais pas. 011 a p arlé avant. Ne pus circonscrire l ’a rl dans ses moyens,
CAllirks II nous sem ble (pie le carton dit prologue a une dans ses particularités (une activité com m e b eau coup d ’a u ­
jo n ctio n : il interdit q u ’on lise le film sur le suspense. C’est tres, d iffé ren te dans les moyens, égale q u a n t à l’incidence)
le disetmrs du film el le film sera : co m m en t faire jmsser ce c om po rte une série d ’équivoques : l’artiste com m e a p p a r te ­
discours. nant à u n e race su pé rie ure : la vie comme art ; Tari comme
v i t t o r i o t a v i a n i ... Il reste ce pe n da nt le suspense du « com­ polit ique, etc.
ment ». J ’aime le suspense. Le choc. L ’élouuemeut. C’est une tentation constante. Un des personnages du
pa o lo taviani Lu lêle de scs nouvelles Boccaee écrit : Scorpione qui jo u e le spectacle aux hab itants de l’île la
« Comment Calandrino. après avoir fait ceci et cela, ren­ subit aussi. Un des deux frères à un certain moment se
contre... * Voilà, Ceci fait p artie de la tra d itio n de la litté­ perd dans une identification excessive ; il est [iris par son
r a tu r e narrative, en pa rtic ulie r italienne. La déclaration p ro p re récit ; ses larmes deviennent trop vraies. C’est-à-dire
prélim inaire, les laits antécédents anticipent ce qui va ar­ q u ’il perd le contrôle des moyens q u ’il utilise, la conscience
river : de façon à être ensuite en m esure de s’é ton ne r et de l’opé ra tio n q u ’il mène. L’effusion personnelle a des
réfléchir sur la façon dont ça se passera. Dans le fond c’est rythmes différents de ceux de la représentation : et an é a n ­
un hom m age au hasard, com m e moment de la nature., (pii tit ses capacités d ’intervention sur les autres. [I se trouve
rend toujours imprévisible — et c’est pourquoi s tim u la n t à dans une position am biguë et grotesque, sur laquelle iro­
vivre (le suspense dont parlait Vittorio) — même le p ro ­ nise son frère et sur laquelle nous, nous ironisons en tant
jet le plus planifié de l’homme. qu'auteurs.
C A H I E R S On p eu t voir dans vos film s, surtout les d e u x p re ­
c a h ie r s Nous n ’allons pas vous d e m a n d e r c o m m e n t vous
miers, une critique assez dure d 'u n e façon qu'ont- les per­ travaillez « deux, mais pourquoi vous travaillez à deux.

sonnages de se représenter la p o litique el leur rapport à la v i t t o r i o t a v i a n i C’est un hasard. Nous ne nous sentons pas

politique, de les vivre de façon théâtrale, chrisiiqne, maso­ en m esure de d onn er à notre expérience particu liè re la
chiste. com plaisante, etc. valeur d ’un exemple, ni de ten ter une systématisation théo ­
pa o lo tavia ni C ritiq u e ? nous, im p ro p re m e n t peut-être, rique. Nous pourrions dire que nous avons les mêmes pul­
nous l’appelons ironie. Ironie p a r r a p p o r t à c h a q u e proje t sations sanguines (nous sommes frères el presque du même
de l’h om m e : non pas com me a ttitu d e passive ou cynique, â g e ); la même form ation familiale, les mêmes chocs de
c ’est évident, mais com m e une façon de rétablir les p ro p o r­ milieu, puis historiques-cullurels-politiques. Mais to u t ceci
tions entre l’h om m e el les choses, les autres (une garonlie ne suffit pas. Fa ire un film est q u elq ue chose de tro p déli­
anlim é lap hysiqiie ). Nous avons une a ltitu d e agressive en­ cat. C’est com m e respirer : ta n t (pie nos poumons, mysté­
vers !e m on de qui nous a précédé et d’où nous venons rieusement, respireront au m êm e rythme, nous ferons des
(envers une partie de nous-mêmes, même : pour la dépas­ films ensemble. P o u r l’inslant c’est une croissance et une
ser). L’ironie dans nos films est constante ; et peut-être consolation : mais néanmoins ça reste une interrogation
dans une plus grande mesure p a r r a p p o r t aux personnages po ur nous-mêmes, avec toute la ch arge de curiosité et de
q u e nous aimons le plus (pour ne pas être entraînés dans danger (pie ren ferm e une interrogation. Nous pouvons seu­
leur destin, mais pour si; servir du leur p o u r inventer le lement a jo u t e r que si tout ceci est 1111 hasard, nous veillons
no tre). sur le hasard.
C A H i F . R S f'o tre m éfian ce à l’égard de l’inflation des signi­
C A H I E R S i l y a dans Salvatore une façon de vivre la poli-
litpte : chrétienne.... fications / politiques / dans les film s est aussi une prise
de parti politique.
pa o lo t a v i a n i Salvatore, dans la dernière partie, im agine sa

inorl sur des cadences typ iquem ent christologiques. La ca­ pa o lotaviani A ce propos... Vous savez com m ent le Scor­
dence de la réalité sera ensuite toute différente... pion e a divisé le c h a m p en amis et ennemis. Il y a ceux
qui l’ont beaucoup aimé. Ceux rpii le refusent. Le m a n q u e
v it t o r io taviani Dans la form e plutôt (pie dans la subs­ rie réactions interm édiaires ne s’est jam ais vérifié aussi
tance...
violem m ent po ur nos autres films. P a r m i les jeunes, surtout
paolo taviani Une course ; une fuite ; une décharge de ceux de l’extrême-gauche, ex trap arlem ento ire, quelques-uns
39
oui pris le film com me un résultat à utiliser. D’autres, tou­ Ba{liou « la tra d itio n m a r x i s te : « L 'œ u v r e est f a p p a ra ître
jours «le l’extrême-gauche, nous ont critiqués comme aute urs id é o lo g iq u e d u t h é o r iq u e , le n on -vrai c o m m e e n v e l o p p e d u
d 'u n cincma d ’élite. Alors je m e dis : ils re prochent de vrai. »...
faire des films q ue le public ue voit ou ne suit pas, et qui V 1T T O Rio t a v i a n iSi j ’ai bien compris, au « non-vrai » dont
donc ne « servent » pa 6 . Et eux '{ Q u ’est-ce q u ’ils fout ? Ils parle Badiou, à la bâtardise, 011 p ou rra it ram ener un des
p arlent au nom de la classe ouvrière, p o u r la classe motifs récurrents de nos films : l’exagérai ion. Salvatore
ouvriè re; et la classe ou vriè re — dans son ensemble — ne est 1111 exagéré : pou r se c o m p re n d re et se faire c o m p re n ­
les com p ren d pas. De plus, elle ne les accepte pas. Elle les dre il grandit d ém esu rém en t l’image de lui-même et de
mel en marge. P o u r ta n t leur présence est f o n da m e n ta le : la lu tte commune. Dans Sovversivi le personnage du Véné­
directem en t (parce q u ’ils am ènent au niveau de la cons­ zuélien, qui retournera à la guérilla au milieu des in tem ­
cience «les éléments propres à la classe ouvrière que Ja pérances et des contradictions, cric : « Vivent les exagérés,
classe ou vriè re ne réussit pas encore à e x prim er ; parce si à travers l’exagération ils réussissent à faire sortir le
qu 'ils s’unissent à des groupes exigus mais m ilitants d ’o u­ sens des choses ! ». « Exagérez », dit encore l’un des frères
vriers) ; in d irectem en t (parce q u ’ils obligent la gauche tr a ­ 5Corpionides, en faisant d é m a r re r le spectacle qui doit
ditionnelle, les partis communistes, les syndicats, à ne pas tra u m a tise r les hab itants de l’île.
se compla ire dans le présent). Le spectacle, la représentation «ont peut-être vraim ent
P o u r ta n t si nous devions ju ger le ur travail d ’après les cette « exagération », qui en garantit l’efficacité.
résultats concrets, de cause cl effet, nous devrions conclure
c a h ie r s Straub a dit. c/’O thon : « C'est un film politi<fne
à l’échec. Il en est ainsi pour nos films.
jMirce que c’est le contraire d ’un film d'agitation ». Seriez-
c a h i e r s Ce genre d'articulation — cinéma de « recherche » vous d'accord pour vos film s ?
et avant-garde p o litiqu e — vous pensez qu'elle se pose P A O L O t a v i a m C’est une boutade. Mais il y a du vrai.
seu lem en t dans ce sens, ou d ’une façon plus spécifique ? Ou bien non. Le film polithpie aussi, dans l'acception
«pi’on disait, peut devenir instrum ent d’agitation. V ittorio
viTTonio taviam Elle s’articule aussi au niveau de la rec h e r­
et moi nous nous sommes proposes de faire circuler le
che, comprise comm e étu de du présent pur rapport an
Scorpione parmi les publics les plus démunis, même poli­
passé et aux hy poth èses sur le futur. Comme toute activité
tiquem ent. Gomme provocation. Insulte à leur ignorance.
d ’approfondit*senu;nl et d ’interrogation, la rech erch e p ré s u p ­
Pour le u r faire to uch er du doigt, à travers le film et
pose de lentes m atu ratio n s et d ’encore plus lentes assimila­
leur répulsion au film, l’abysse qui, par l’injustice de
tions. Elle recueille scs fruits non pas im m éd iatem en t, mais
classe, les exclut de la cu ltu re (pour c o m p re n d re l'art,
peu à peu, dans le temps, parmi les bénéficiaires les plus
disait Marx, il faut être éd u q u é à l’a rt). 11 ne s'agit pas
divers et les plus éloignes entre eux. (« Le Manifeste c o m m u ­
de confier au fil 111 eu soi la lâche de stupéfier le public.
niste » eut une incidence im m éd iate et violente, q u alitative
Mais de se transforiiK^r, en c«;tte occasion, d ’auteurs ciné-
et quantitative. « Le Capital » est une source à laquelle on
m a togra pbiq ue s en m ilitants politiques. UlHiser le film
continue de s’abreuver, mais à des niveaux spécialisés, qui
non pas du point «le vue du film même, mais comme
cent ans après ne sont pas encore ceux de la classe ouvriè re
m a té ria u b r u t p our provoquer le choc (dans le public, et
comm e masse). Ce n ’est pas par hasard qu ’a u j o u r d ’hu i, en
en nous-mêmes par rappo rt à ce public).
Italie, les groupes «le rextr êin e-ganche suivent deux dir ec­
tions différentes : celle d ’un activisme spontanéiste, d’une CAHIKHS Q uelle im portance donnez-vous au gestuel -—
avant-garde brise-glace, et celle justem en t de la recherche, donc « l’élém ent physique, voix, asynchronisme, etc. ?
de l’é tu de (relèvement de faits, hypothèses, contradictions, P A O L O t a v i a m Nous avons déjà ind iq ué l’écriture verticale
vérifications au niveau «le la praxis, à nouveau interroga­ (les voix superposées) tvpi«pie de la polyphonie. Mais
tive, etc.). prenons encore la séquence des « m ainnmtones ». Le
g rou pe des scorpionides s'a b an don ne à la danse pou r e x p ri­
C A H I E R S II y a une tendance à valoriser. ou à surestimer,
mer son succès et sa joie. La danse des sonnailles, en Sar-
le registre « indirect ». Pensez-vous qu e le processus artis­
daigne, est une explosion de vitalité : une manifestation
tique doive être fo n d é sur le décalage q u ’un tel discours
de caractère religieux, qui est la fa«;on de rem ercier la
indirect im poserait au conten u ? Ceci dans la m esure où un
divinité des moissons qui a fait germ er le blé. Mais ce
ty p e d'excès contraire am ène à ju stifie r le caractère m é ta ­
r y th m e de danse ne sert pas seulem ent au groupe de nos
p h o riq u e d 'u n f i l m f>arce q u’il serait vulgaire, ou trop
personnages. H nous sert. C’est le rvthiue même du m o n­
facile, de parler directem ent, par exem ple, du Vietnam .
tage, du calibrage de l’image, du rappo rt de forces, d’atti­
paolo TAvIan t D’abor«l il ne s’agit pas, selon moi, de dis­ tudes, à l’in té rie u r du plan. Il perm et les césures (et l’in­
cours indirect. Mais de faire un discours cin é m a to g ra p h iq u e te r ru p tio n d ’un geste provoque d'a utres gestes). Il nous
direct, qui soit ensuite utilisé, po ur sa charge spécifiq ue de libère de passages narratifs, des explications idéologiques,
connaissance, com me m atériau. J e ne crois pas non plus des retard s psychologi«iues... (Par ailleurs nous avons su,
q u ’il soit « vulgaire » de p arler dans un film du Vie tn am. p a r la suite, que ce type de danse se retrouve dans d’autres
Il est certain qu ’il ne s’agit pas d ’utiliser le cinéma p o ur régions de la côte m éd ite rran é en ne , en Grèce par exem ­
communi«pier «pielques données d 'in fo rm a tio n sur le V ie t­ ple).
nam. Mais plu tôt, au m om e n t même où on parle du Viet­ C A H I E R S N ous n 'a v o n s pas p a rlé d e la c o u l e u r d u Scor-
nam, de vietnam iser le langage du film. Bref, l’u tilité d ’un pione...
film n’existe pag hors «le cette modification q u ’il est capa­ l * A O L O t a v i a m Le Scorpione. nous l’avons dit, naît comme
ble d ’a p p o r t e r chez les autres dans son c h a m p spécifique, fable m éditerran éen ne. Italienne. Paysanne. En ce sens
enrichissant de nouvelles possibilités le u r a p p a re il au d io ­ les couleurs s’autosélectionncnt, com m e un fait de lumière,
visuel (et, je le répète, seulement pour (pii se reconnaît de m e r : les bleus clairs, nocturnes. Les verts pourris
dans le moyen cin é m a to g ra p h iq u e ; ou voulons-nous a u tr e ­ com m e fait de terre — la fécondité et l’opacité de la terre.
m ent je te r à la m e r la discrim ination matérialiste des « affi­ Ainsi po ur les costumes, le paysage. La q uotid ie nne té du
nités électives » ?). travail. Les ha bits du Scorpione peuvent çe retrouver
CAHIERS ... ou dans un autre d o m a in e , pro voq uer des d é fi­ encore a u j o u r d ’hui dans certaines régions de la Sicile, de
nitions tout aussi excessives que celle-ci. attribu ée par la Sardaigne, à l'intérieu r de la M areinma toscane. Le
40
Sotlo il scfino deïlo scorpione.

paysage est celui de la civilisation paysanne : dans les mes formés dans l'enfance à p a r tir de l'opéra, dans l’ado­
habitation s, dans le tra ite m e n t du terrain : pâturages, lescence à p a r tir du néoréalisme. C’est peut-être de là que
cultures agricoles potagère*. Nous avons écarté tout ce naît n o tr e vocation à p re n dre un geste (comme agrandis­
qui, dans ce sens, a pparaissait anormal. Au d é p a r t nous sem ent physique de la passion, au niveau individuel ou
avions considéré la civilisation des « mirughe » (Sardaigne). de groupe) p o u r l’éloigner tout de suite après dans un
Mais q u a n d nous nous- sommes mis avec Skarra, l'a r c h i­ espace (comme n a tu r e ) qui le redimensionne...
tecte, à dessiner les hab itations, nous nous sommes trouvés c a h i e r s ...Vous êtes-vous posés le problè m e du film histo­
devant dès constructions tro p particulières, comme juste­ rique, e n tant que p ro d u c tio n « populaire dans un sens
ment les nuraghe, espèces de tours. Nous avons reconstruit étroit. », d o n t l’absence en littérature avait été com pensée
un village paysan (ou à la lim ite de pécheurs) facilement par Fopéra, pré c isé m e n t, « qui en un certain sens est le
identifiable. ro m a n p opulaire mis en m usique » (Gramsci) ?
v i t t o r i o T A V I A N I II est vrai que Gramsci parle de l ’opéra
c a h ie r sC ette im portance accordée aux c o r p s , aux gestes
c o m m e un dessin, c o m m e une force, cela vient pour vous comme ro m a n p o p u la ire en m usique. Mais il est aussi
d 'u n e trad itio n culturelle théâtrale, oie d'autres sources, vrai que sa p o p u la r ité (mue p op ularité, a ttention , tou jours
Vopéra... relative, si elle est rap p o rté e au m o m e n t de la sortie des
œuvres) était le reflet d’une situation p ré ré volu tionn aire
v it t o r io taviani En Sardaigne on trouve la danse (les (c’est to u jo u rs Gram sci qui l’affirme, si je n e nie tr o m p e ) .
« m am m uton es ». Les N apolitains et les Italiens en général A u j o u r d ’hui dans une société comme la nôlre — non
gesticulent beaucoup. Le m elo d ra m m a italien est ponctua- homogène, aux périodes longues de subversion, traversée
lisé p a r les gestes (désormais codifiés : la m alédiction ; de c ontradictions au sein m ê m e de la classe ouvrière —
l’adieu ; la promesse d ’a m o u r ; le combat...). T o u t est là, a u j o u r d ’hui, disais-je, ce type de p o p u la r ité ne peut pas
peut-être. se présenter, sinon com m e renvoi actif, souvenir qui ne
c a h ie r s Les références — les origines culturelles — du devienne pas regret, mais qui se charge de la force de
f i l m sont d o n c le m e lo d ra m m a d u dix -ne uviè m e siècle et l’utopie.
le néoréalisme... (Propos recueillis au m a g nétophone p a r Pascal B onitzer,
v it t o r io taviani ...J e ne parlerais pas en partic ulie r du B e rn a rd E isenschitz et Jean N arboni, récrits par Paolo
Scorpione. Mais dans le sens qu e Paolo et. moi nous som­ et V ittorio Taviani et. traduits p a r T in a M ichelino.)
SOTTO IL SEGNO DELLO SCORPIONE.
« Sous le signe du Scorpion » :
présentation
par Pascal Kané

m e n t concilier la pression « endoxale » (1) (l’exigence de


I. crédibilité) et la pression du réfèrent (l’exigence rie
vérité) ?
Discours et Dans un p rem ier temps, les nouveaux venus tenteront
donc celte conciliation : faire d ’un discours « vrai » un

puissance discours qui soit aussi vraisemblable. Ce discours, c’est celui


de l ’exagération (de la catastrophe, de la p an ique et des
souffrances engendrées). Mais exagérer, c’est encore d é p e n ­
dre d ’u ne origine, c’est se référer à un déjà-vécu contra i­
gnant. Discours p risonn ie r donc, privé de to ute invention
Deux groupes d ’individus, identiques p a r la race, la cul­
véritable (celle qui ne dép e n d pas du réfèrent lui-m ême),
ture, les rapporta sociaux, le mode de subsistance, l'h a b ita t,
castré des ressources du langage. Et en m êm e temps, dis­
l'insularité, se trouvent, à la suite d’une é ru p tio n volca­
cours déformé, a rb itra ire , de part en p art investi p ar «les
nique, mis en présence. Le groupe réfugié — quelques h o m ­
sujets empiriques. Discours non viable, parce q ue coincé
mes — fort de son expérience tragique, a décidé, quel q u ’en
en tre fieux censures contradictoires «pii le paralysent : celle
soit le prix, de r ejo in d re la seule terre non volcanique
du réfèrent réel, celle du public. La première, d’ordre
connue de lui : le continent. Mais pou r cela, il lui faut
« scientifique », dénonce, en toute évocation de l ’événement,
d ’abo rd convaincre le groupe autoc hto ne qui peut seul,
l’infléchissenient subjectif, le récit. La seconde, à l’opposé,
parce q u ’il dispose des em barcations et des femmes, per­
impose à cette parole une psychologie, une crédibilité, un
m e ttre la réalisation du projet.
ordre, extérieurs à son « d i r e » originel.
Dans la nécessité de convaincre qui s’impose à eux, les
P o u r sortir de cette impuissance, il faut donc f r an c h ir
nouveaux venus ne disposent que d’une seule arm e : le dis­
un pas : c’est celui du mensonge. Plus rien, dès lors, qui
cours. A ucune preuve, aucun indice (hormis leur présence)
s’oppose au tr io m p h e du vraisembla ble, pour peu rpie le
sur lesquels a p p u y e r ce discours : c’est à l’expérience la
discours se tou rn e enfin vers lui-même, s’onvre à ce travail
plus radicale et la plus nue du langage q u ’ils vont se tr o u ­
de m an ip u la tio n dont la nécessité se fait ici p o u r la pre­
ver,. de m an ière tota le m en t im p ro m p tu e, confrontés. N on
mière fois sentir et qui s’appelle — sans q u ’il le sache lui-
plus expérience du langage de la « mimésis », seulem ent
m ê m e — la rh étorique. Ce qui est a b and onn é, en c o ntre ­
préoccupé de son réfèrent, mais d ’un langage allant au
partie, c’est l’innocence du langage, par cette im posture et
devant de l’in terlocuteur, — et d ’un in te rlo c u te u r d é te r­
ce cynisme suprêm es de ne se pa re r des a ttrib u ts « en-
miné (culturellement, « idéologiquem ent ») — pensant sa
rloxaux *> d’une société que pour l’inciter à accom plir l ’acte
vérité mais aussi l'effet p ro d u it sur son récepteur, c’eet-à-
de r u p tu r e le plus radical et le plus extérieur à elle-même
dire la validité de ses modes. Parole m êm e rie la stratégie,
(qu’on ne peut justem en t pas im ag ine r sans modification de
de l’efficacité, et qui bénéficie ici de l ’a tout m a je u r de
connaître son milieu et son destinataire. ] ) Ce néologisme est e m p r u n té an cours de R. Barthes de
Mais com m ent, p r a tiq u e m e n t, ou vrir un discours, au l’Ecole P r a tiq u e des Hautes Etudes. Il désigne le discours
d é p art sincère, à cette écoute du plus grand n o m b re ? C o m ­ d o m in an t, celui du vraisemblable.
43
la d o x a ), q u ’une civilisation puisse produire. Acte un iq u e a u tre difficulté : ce centre à p a r tir duqu el le pouvoir élit
et fond ateu r, acte impensable, seulement a p p ré b e n d a b le de et valorise ses représentations privilégiées et qui serait
m a niè re m y th iq u e , q u ’il s’agisse de le concevoir p o u r les censé les con ten ir toutes, est introuvable. L ’atte n ta t sera
uns ou po u r les autres d'en faire l ’éloge. donc p e rp é tré su r un acte symbolique qui en paraît êlre
le tenant-lieu le plus proch e : le rituel du culte. (Autre­
»» m e n t dit, tout va dorénavant se j o u e r sur un te rra in m y th i­
q ue). (L’a u tre solution, la suppression du tenant-lieu ma­
Parallèlem ent à cette activité discursive, le travail de jeur, le chef, sera, par un m énagem ent de la violence,
conviction va aussi p o rte r su r ce qui véhicule le message repoussée à plus ta r d ) . Ainsi, les objets du rituel (de lo u r­
p ro p re m e n t dit : Ion, inflexion de la voix, débit... 11 ne des sonnailles dont les habitants, immobiles el agenouillés,
s’agil plus ici de convaincre p a r des raisonnem ents (de type se ceignent), réutilisés p our un tout a u tre rite à l’a p p a ­
syllogistique : toutes les îles volcaniques doivent êlre a b a n ­ rence « b a rb a r e » (p robablem ent spontané bien q u ’il se
données ; or nous sommes sur une île volcanique ; donc...) do nne lui aussi com m e issu d ’une tra d itio n ), se trouveront
mais de sim uler l’un des possibles indices ou preuves désacralisés, pris dans un nouveau système tout entier
absents qui v iendraient confirmer le tableau brossé. Ne plus pensé comme rup tu re de charme.
offrir à l’interrogation u n « dit » — quel qu ’il soit — mais Système (pii ne fait au fond que substituer à l’ancienne
un « d i r e » qui laisserait tra n sp a ra ître p a ra g ram m a tiq u e- une nouvelle mystification (mais seulement si on le consi­
ment (« l ’autre texte » étan t celui du p athétiq ue, de l ’émo­ dère m é ta p h o r iq u e m e n t comme un langage : nous verrons
tion) ce q u ’il ne peut dém on trer. Ce qui se constitue là, que ce n ’est pas la seule possibilité) et qui fonctionne un
c’est le discours com m e « b r u i t » , comme texture sonore, peu à la m anière de l ’ironie : jo u a n t à la fois comme méla-
faisant déjà un pas vers le geste, l’a p p r o c h a n t p a r une système, p u isqu ’il se don ne com m e variation c ritique d ’un
m êm e « m a t é r i a l i t é » qui lui donne la vale ur d’u ne sorte système p re m ie r d o n t il bloque, p a r cet enserrem enl, la
de « Lenant-lieu » de preuve (le m ode de l’énoncé n ’é tant prolifération, el comme système langagier p rem ier dans
[dus alors le constat if mais le p erfo rm atif). l’im pression du sacré qui s’en dégage.
S’il jou e aussi comme langage et métalangage, le nou­
*
** veau rite ne leur est pas réductible : sa force prégnante
serait, grâce au travail gestuel dans sa spécificité (ce q u ’Ar-
Du travail de conviction effectué par les arrivants, on ta u d ap p e lait son « in tellectualilé nouvelle et plus p ro ­
a vu que la tactique générale consistait à s’a p p u y e r s u r un f o n d e » ) (3), de pouvoir atte n te r radicalem ent aux re p ré ­
certain vraisemblable com m un à tous les h abitan ts de l’île. sentations dom inantes telles q u ’elles sont vécues dans l’île,
Or, ce faisant, le groupe en térine forcément le système clans la mesure où il attente, de p a r sa n a tu r e (ce (pie ne
do nné des représentations qui fonde ce vraisem blable, et fait pas le langage) à toute représentatio n constituée : « la
qui préside à 1’ « endoxalité » des langages. D’où l'im passe gestualilé plus que le discours (phonétique) ou l’image
à laquelle il abou tit : comment se Bervir du langage idéo­ (visuelle) est susceptible d ’être étudiée comme une activité
logique d’u ne société sans souscrire forcém ent à ses r e p ré ­ dans le sens d ’une dépense, d ’une productivité antérieure
sentations dom inantes ? H y a u ra it là, semble-t-il, une au produit, donc an térieure à la représentation com m e p h é ­
contradictio n irréductib le en tre les objectifs du discours n om èn e de signification dans le circuit com m u nic a tif : il
« subversif », et les moveus jusque-là utilisés p a r l u i (2). est donc possible de ne pas étu d ie r la gestualité comme
D’où la nécessité qui se fait jo u r d ’a tta q u e r les re p ré se n ­ une représentation qui est « u n m o tif d’action, mais ne
tations dom inantes elles-mêmes, de saper les fondem ents touche en rien la n a tu r e de l’a c tio n » (Nietzsche), mais
idéologiques sur lesquels le pouvoir asseoit Bon autorité. comme une activité a n té rie u re au message représenté et
P o u r cela, plusieurs voies sont ouvertes : représentable . E videm m ent, le geste tran sm e t un message
— Une prem ière, fon dam en tale, consisterait à te n ir un dans le cadre d ’un groupe, et n ’est « langage » que dans
discours « scientifique », à re m p la ce r leB systèmes de re p ré ­ ce sens ; mais plus qu e ce message d é jà là, il est (et il
senta tion d om inants p a r des connaissances. T âch e écrasante, peut ren d re concevable) Félaborai ion du message, le tra­
el a ba n don né e dès que commencée, on c om pre nd facilement vail qui précède la constitution du signe (du sens) dans la
pour quels im pératifs stratégiques et tem porels (voir ci- c o m m u n ic a tio n » (4).
dessus). A tte n ta n t donc au « déjà là » du sens, à l’anté rio rité non
— Une a u tre voie, encore discursive, se profile à p a rtir discutée des représenta tions dominantes, en retrouvant ce
de la précédente : il s’agirait po ur les nouveaux venus stade a n té rie u r de l’acte de la c om m unication où le sens
d ’a b a n d o n n e r la rh é to riq u e en place, et de forger la leur, n ’est pas encore un prod uit figé, coupé de son histoire, l’ac­
qui aurait, elle, l’avantage de ne pas être inféodée au po u­ tion gestuelle des nouveaux venus é b ra n le au plus profond
voir. M ais cette possibilité a p p a re n te n ’en est, au fond, pas le système des re présentations en place. La prem ière réac­
un e : le discours rh é to riq u e im p liq u e to u jo u rs une ré cep­ tion est l’adhésion d ’un e p artie de la popu latio n a u to c h ­
tivité de l’écoute (il n ’est pas même concevable sans cela) tone : (il f a u d ra it dégager, p a rm i les diverses régions
forcément absente ici, c’est-à-dire dans une société consli- — croyances, affects... — atteintes par la danse, ce qui a
luée com m e celle-ci d’une seule classe, d é p e n d a n te d’un tra it au sexuel, vu la force de l ’im pact en ce point :
chef, et unifiée par une idéologie dom inante. l’ébran le m e nt suscité serait à m e ttre en relation avec la
— Une troisième voie — c’est celle choisie — a p p a r a ît violence érogène du rituel, l’a tte n ta t au sens, et aussi avec
alors, qui consiste à substituer en leur lieu même de n o u ­ ce q u ’il révèle du désir méconnu — voir plus loin).
velles représentations aux anciennes. Mais surgit alors une
•*»

2) On voit peut-être l’imm ensité du c h a m p qui p r e n d place


dans l’espace de cette question : signalons seulem ent à quel 3) Cité p ar J u lia Krîsteva.
point tant d’œuvres, ap p a re m m e n t « subversives » (et ju ste ­ 4) J u lia K risleva : Le geste, pratique ou co m m u n ic a tio n ?
m ent appelées par les Taviani « subversives »-de-conaomma- « Recherches p our une Sémanalyse », p. 93. Coll. « Tel
tion) sont im puissantes à en fra n c h ir le cap. Quel ».
44
. Submergé jusque-là p a r une a tta q u e d o n t il n'avait prévu Mais revenons un peu sur le fait m cm e rte cette indéci-
ni la force ni la forme, et sur le succès de laqu elle il d ou­ 'd a b ilité . Q u’u n discours in surrectionn el trio m p h e de l’ordre
tait, le pouvoir n’avait p u qu e laisser faire. Son in terven­ e n place pa rc e q u ’une expérience a n té rieu re en a ra dic a ­
tion b ru tale à ce m o m e n t modifie, d ou b le m e n t la n a tu re lem ent déplacé le lieu, en quoi cela cautionne-t-il de quel­
du conflit ; au travail de conviction rh é to riq u e du groupe qu e m an ière « la vérité » de ce discours ? Car c’est bien
réfugié, il n’oppose pas d ’emblée u n contre-discours mais cette question de la vérité que ne m a n q u e r a pas de se poser
sa force, m anifestant ainsi : le spectateur, incité à cela p a r la forme-fable du récit, et
— son refus de p e rdre des bras pro ductifs p o u r son éco­ p a r la justification qui semble résulter de la fiction. Mais
nomie, la « v é r i t é » d’un discours est-elle m o n t r a b l e ? Quelle a u to ­
— son désir d’uliliser ses avantages acquis : la puissance rité — non théologique — . p o u rr a it valoriser un discours
de se9 armes. au d é tr im e n t d ’u n autre, s’a p p u y e r sur des critères qui ne
Ce faisant, la logique de l’action se conform e en tous soient pas illusoires ? Celte difficulté, les Taviani l’ont
points nu schéma d’Engels sur la d é te rm in a tio n en d e rniè re a d m ir a b le m e n t assumée. A l’opposition a rb itra ire de deux
instance p a r l’économique, que celui-ci lisait déjà dans paroles, ils ont substitué u n e relation to tale entre celles-ci,
« Robinson Crusoë » : tout comme c’est la possession p a r si bien que, se définissant l’une p a r r a p p o r t à l ’autre, c’est
Robinson de l’épée, c’est-à-dire d’un in stru m e n t de p uis­ la vérité de le u r jeu dialectique qui a p p a r a ît, sans que,
sance superlatif, et d ’une certain e infra-structure économi­ jamais, aucun fra g m e n t soit doté d’une signification au to ­
que, qui lui p erm et d ’asservir V endredi. (5), ici, c’est l’avan- nome.
lage de la possession qui in te rd it aux autochtones de tr a ite r
les nouveaux venus comme leurs égaux, comme ce sont P o u r définir ce jeu, revenons au caractère de l’id e n tité
d’autres im p ératifs économiques (la perte de bras) qui les e th n iq u e et culturelle des deux groupes, et plus encore à
poussent à faire usage de la violence. L ’iden tité des te c h ­ la sim ilarité de leu r situation face au danger.
niques de p roduction et du degré d ’évolution des deux On reconn aîtra d’abord une certaine homogénéité des
groupes en ce dom aine n’e m p êch e donc pas que survienne deux discours l’un à l ’au tre (ils parlent de la m êm e chose).
un différend (pure m e nt contingent) d’o rd re « p o l i t i q u e » A bsolum ent divergents, certes, postulant chacun, au plus
où chacun des deux groupes croit voir u ne divergence d ’in­ profond, la m o rt de l’autre, mais pris néanm oins dans un
térêts, et où surtout, a p p a ra ît au second (les autochtones) . to u rn iq u e t où l’un n’ém erge q u ’en enfonçant sou vis-à-vis,
le risque d ’un asservissement : « nous risquerions de les où chacun ne tire sa positivité que de nier l’autre, dévoilant
voir to u jou rs devant nous » dit G.M. Volonté des nouveaux ainsi à quel p o in t il est consitué p ar lui (Volonté révélant
venus. Ce qui signifie : 1) q u ’il recon naît im p licite m en t les l’existence en lui-même de ce discours et son refoulement,
chances de réussite de l’entreprise, mais 2) q u ’il re dou te sur lequel s’est ' édifié le discours « d o m in a n t » ; les no u­
pa r dessus tout un éclatem ent de la structu re p atriarc a le veaux venus reconnaissant dans le discours tenu p a r le pou­
un ita ire qui est la leur, c’est-à-dire u n passage au pluralism e voir auto c h to n e le u r p ro p re situation a n té rie u r e ). Ainsi, de
en ce qui concerne l’idéologie et les intérêts du groupe. l’ém ergence de ce discours insurrectionnel, de ce discours
(Vouloir faire dire « plus » à la fable, c’est-à-dire la tra n s­ précis et pas d ’un autre, on p eut dire q u ’elle devait adve­
later de la logique conflictuelle contingente q u ’elle s’assigne n i r -— quels q u ’en soient les agents — celui-ci n ’é ta n t pas
au niveau d’une parabole qui en r e n d ra it le message tr a n ­ sim ple m e nt p arole m arg inale et variable de tel ou tel, mais
sitif, ne p o u rra it aller sans réductions et aplatissements des bien discours in scrit au revers du précédent, le produ isant
lectures,, ce dont les T aviani se sont au contraire to u t du com m e il est p ro d u it p a r lui, c’est-à-dire discours de l ’A utre,
long gardés. En re nd an t indécidable son énoncé, le film de cet a u tre de soi q u ’e s t , l’inconscient, discours toujours
préserve le non-m arquage p a r le sp ectateu r d ’une position porté en soi, et d o n t on c o m p re n d mieux, dès lors, le sens
de lecture privilégiée, au profit d’une constante réversi­ et la portée du retour.
bilité).
Discours du désir donc, pu isqu e c’est la définition m êm e
.du d é sir.q u e d’être le discours de l’Autre, puisque c’est en
ta n t q u ’A u tre que le sujet désire, qu e le désir est toujours
l’a u tre de soi (011 re tro uve là cet « a u t r e » caractère de la
danse ritue lle ). Discours qui se trouve ju s te m e n t être celui
des « fils » d o n t le « père » est m ort, tenu à ceux-là mêmes
5) « R o b in so n , « Vêpée à la m a i n » , fa it de V end re d i son
qui subissent encore son au to rité (qui règlent le u r désir à
esclave. Mais p o u r y parvenir, R obin so n a besoin d'autre
sa Loi), et qui n e p e u t pas ne pas re n c o n trer en ceux-ci
chose encore que d e Fépée. Un esclave ne fa it pas l'affaire
plus q u ’un écho, un assentim ent profond, et d’a u ta n t plus
de tout le m onde. P o u r pouvoir en utiliser u n , il fa u t d is­
p rofo nd que d ’être ju ste m e n t tenu p a r d’ « autres » iden­
poser de d e u x choses : d 'abord des outils et des objets
tiques (assentiment qui ne va pas sans « résistances » : cf.
nécessaires au travail de Vesclave et, d e u x iè m e m e n t, des
les diverses attitudes suicidaires de certains, ou le leurre
m oyens d e Ventretenir petitem e n t. (...) L a violence n ’est pas
in tr o d u it p a r Volonté, sous forme de la « parole du plus
un sim p le acte d e v o lo nté, mais exige p o u r sa m ise en
in te llig e n t» ) .
œ u v r e des conditions préalables très réelles, n o ta m m e n t des
instrum ents, d o n t le plus parfait r e m p o r te sur le m oins par­ Q ue cette double identification 11e propose pas une fin
fait : q u ’en outre ces in strum ents do ive n t être p ro d u its. ce (sacralisation du discours démystificateur face à la mystifi­
qui signifie aussi q u e le produc teur d ’in strum ents de vio­ cation 011 (pire) trio m p h e du désir sur la répression), le
lence plus parfaits, grossièrement parlant des armes, Vem- travail r h é to r iq u e ci-dessus décrit com m e les déterm inatio ns
p orte sur le p ro d u c te u r des moins parfaits et q u ’en u n mot économiques qui ne s’exercent q u’à p a rtir de le u r indivi­
la victoire d e la violence repose sur la production d ’arm es, d u a tio n le justifient assez. Mais q u ’elle oppose un e parole
et celle-ci à son tour sur la pro d u ctio n en général, donc... constituée à un e a u tre se constituant, un discours clos à lin
sur la « puissance é co n o m ique », sur V « état économ ique », discours in term in able, c’est ce qui peu t nous d o n n e r les
sur les m oyens m atériels qui sont mis à la disposition de la moyens d’aller plus avant' dans le travail de dép lacem en t
violence. » (F. Engels : « L’A n(i-D ühring », livre II, c h a ­ que le film opère sur la m étap hore, (à suivre).
pitre II.) Pascal KANE.
45
La pratique didactique de S.M.E. (II)
« Le réalisateur à vingt têtes »
par Jean-Louis Comolli

9 ( s u i t 6 ^ j cj^ jj f,lut revenir en a rrière (ce lexle fait rialisine dialectique au niveau des pratiques signifiantes
suite à celui paru dans noire n um éro 226-227, pages 111 (face au travail de Straub — la très grande m a jo rité de
à 114) : l'entrée du m até rialism e dialectique dans la scène la critique a fait m ontre de son idéalisme d og m a tiqu e ),
(le la théorie esthétique d ’Eisenstein se fait à l’occasion ou se satisfont de la seule inscription verbale du m até­
et p a r le biais de son enseignement, dans le dialogue avec rialisme dialectique (dans les programmes, ou les décla­
ses étud iants qui la lui, littéra le m e nt, a p p ren n e n t : « Mes rations et intentions) saris aller voir ce qu'il en est dans
élè ves en art, à mon grand étonnem ent, attirent brusque­ le procès même de la pra tiq u e signifiante. Les films
m e n t m o n a ttention sur ce que, dans Valphabet île l’art, « rouges», les films « m ilita n ts » et « ré volu tionn a ire s»
je leu r enseigne selon la m ê m e m éth o d e q u 'em p lo ie dans quelle pratiq ue (eux qui veulent ne penser q u’en termes
la salle à côté le professeur d'instruction politique pour de « p r a t i q u e m ilita n te » ) du m atérialism e dialectique
les questions sociales. Cette im pulsion extérieure est s u ffi­ manifestent-ils au lieu même de leur travail spécifique,
sante pour q u e le m atérialism e dialectique t'ienne remplacer au niveau de le u r pro pre m atérialité signifiante ?
Uestliétique sur ma table de travail. » (1) Il faut relire
ces fieux phrases (c’est pourquoi je les cite ici une seconde D 'a utres questions lèvent.
fois) tant» à son tour, doit être « grand » notre « é to n ­ Celles, tout à fait centrales dans le marxisme-léninisme,
nem ent » : ce ne serait donc pas avant qu’Eisenstein ait de l’articulation p r a tiq u e /th é o rie . « La connaissance com­
commencé d ’enseigner à l’Ecole de Cinéma d ’E tat — c’est- mence avec la pra tiq u e ; q uan d on a acquis par la pra­
à-dire pas avant la fin de 1928 : trois ans après Le C ui­ tiq ue des connaissances théoriques, on doit encore retour­
rassé P o te m k in e ! — que cet événem ent (décrit comme tel n e r à la pratique. Le rôle actif de la connaissance ne
p a r S.M.E.). que l’on aurait pu croire en beau cou p de s’ex p rim e pas seulem ent dans le bond actif de la connais­
sens p re m ie r. se produit. Le cinéaste Eisenstein a déjà sance sensible à la connaissance rationnelle, mais encore,
réalisé La Crève, le P o te m k in e et Octobre, il n déjà statut ce qui est plus im p ortan t, il doit s’ex p rim e r dans le bond
do cinéaste officiel de la je u n e Union Soviétique (Lénine de la connaissance rationnelle à la p ra tiq u e révolution­
est m ort depuis qu atre ans), il a déjà écrit quelques-uns naire. » (2) Ce qui vaut dans le c h a m p social et p o u r
de ses textes théoriques essentiels, et n o ta m m e n t « Sur la la p ra tiq u e révolutionnaire, la re m a rq u e d ’Eisenstein l’ins­
question d’une a pproc he matérialiste de la f o r m e » , de crit dans le c h a m p des pratiques signifiantes et de leur
1925 — et le m atérialism e dialectique n ’a pas encore théorie : «... dans l'alphabet de l'art, je leur enseigne
totalem ent pénétré la pensée de S.M.E. ! selon la m ê m e m é th o d e q u ’em p lo ie dans la salle à côté
« A m o n grand éto n n e m en t »... « b rusquem ent »... « cette le professeur d'instruction politique... » : c’est l'enseigne­
im pulsion extérieure »... -— cela souligne bien quelque m e n t qui vient ici p ro d u ire la « connaissance rationnelle »
chose sur quoi il ne serait pas inutile que non seule ment d’un « alph abet de l’art » appris et m an ié dans la pratique
les éludes eisensteiniennes, mais plus généralem ent la même, et qui produ it cette connaissance en vue de son
réflexion marxiste sur les pratiques signifiantes s’in te r­ retour-saut dans la pra tiq u e à nouveau. Ainsi se note un
rogent : q u ’il doit et q u ’il peut exister une p ratiq ue m até ­ point fond am ental : les théories d’Eisenstein ne sont pas
rialiste-dialectique de la forme à l'état p ra tiq u e , dans le — c o n tra ire m e n t aux légendes acclimatées ici et là par
seul travail sur le m atériau el les techniques signifiantes, ceux qui, n ’ayant pas dépassé le stade p rim itif d’une p ra ­
a n té rie u re m en t et m êm e in d é p e n d a m m e n t de la théori- tique em p iriq ue, redo utent toute intervention de la th éo­
sation de celle p ra tiq u e et de ces techniques, avant même rie dans leur c h a m p comme ce qui m e ttra it fin à la
et sans que le matérialisme dialectique soit venu « r e m ­ « vie » : en fait, qui dévoilerait les bornes de le u r p r a ­
placer l’esthétique ». Cela ne va pas sans conséquences : tiqu e — des « constructions intellectuelles » : c'est bien
non seule ment le m atérialism e dialectique pou rrait jo u e r d’une pra tiq u e qu'elles se p roduisent et q u ’elles produisent
dans les pratiques spécifiques à l'insn (lu praticien (« je la connaissance, et c’est en vue d ’une pratique. Sans la
leur etiseigne selon la m ê m e m é th o d e »), mais encore ce visée de cette place centrale en elles de la pra tiq u e eisen-
serait là, dans ces pratiques, qu’il se trouverait jo ue r plei­ steinienne, d ’u ne p ra tiq u e spécifique du cinéma, il n’v
nem ent, sa prise en charge th éo riq u e étant la réflexion a u r a it rien à faire de ces théories; et sans cette première
de sa p ra tiq u e « spontanée » (inconsciente — ou, plus pré­ articulation p r a tiq u e /th é o r ie , l’enseignement pratiq u e et
cisément, non form ulée). A u d é tou r de ces deux phrases, théoriqu e du cinéma par Eisenstein ne serait pas non
c’est l'édifice du dogmatisme esthétique qui est m in é : plus possible : « La constante préoccupation de ne pas
le maté rialism e dialectique n ’est qu’un m o t d'ordre s’il ne laisser se perdre le plus pe tit grain d ’expérience collective,
travaille pas la m atérialité signifiante elle-même, et réci­ la scrupuleuse volonté de mettre, à la portée de tous les
p ro q u e m e n t les critiques et théoriciens sont aussi (à leur créateurs du ciném a chaque étincelle de jtensée dans le
insu) dogm atiques s'ils ne savent lire ce travail du maté-
21 Mao Tsetoung : De la pratiq u e (1937), in Quatre essais ph iloso-
l.t Cahiers n° 226-227, p. 8. p h iq u e s, Editions en langues élrangèrcs, Pé kin, p. 16.

46
d o m a in e d e la création ciném atographique, nous ont o bli­ Ceci pose deux ordres de questions : les questions p r in ­
gés, nous antres, les artisans du cinéma soviétique, et ce cipales du « re m pla c em e nt » de l ’esthétique p ar le m a té­
d epu is le p re m ie r jo u r de son existence, à brosser, aussi rialisme dialectique, c’est-à-dire d ’une « esthétiqu e » m a té ­
bien dans nos films (3) que dans nos articles et nos rialiste-dialectique — et son degré de constitution dans le
études , le tableau le plus a m p le et le plus détaillé possible travail eisensteinien. Mais la question aussi de savoir
de ce q ue nous cherchons , de ce que nous trouvons, de c o m m en t les élèves ont pu voir (lire) un r a p p o r t que le
ce à quoi nous aspirons. » (4) « Aussi bien dans nos m a ître lui-même n’avait pas vu, el ceci dans sa pro pre
films... » : non seulement il s’agissait de pro d u ire une pratique. A u tre m e n t dit, la question de la réalité de
connaissance rationnelle des pratiques c iném ato graph iques cette substitution dans la p ra tiq u e did a c tiq u e d ’Eisenstein.
el de la diffuser (de l ’enseigner), mais c’est à l’état p r a ­
Le « P ro g ra m m e d’enseignement » (rédigé en p a rtie à la
tique, dans les filins eux-mêmes, q u ’encore une fois cette
fin des années 20, mais p u b lié en 1933 seulement) fournit
théorie éta it présente, et q u e l l e pouvait se lire.
évidem m ent de constants signes de cet usage d 'instru m e nt
« Dès le p re m ie r jo u r » — c’est-à-dire avant m êm e
thé oriqu e dévolu à la dialectique m atérialiste : ne se-
d ’écrire sur le cinéma, d’enseigner le cinéma, pra tique
raient-ce que les citations de Lénine qui l'in a u g u re n t —
et théorie sont im plirjuées l’une p a r l’autre, se p ro d u i­
tirées des « Cahiers sur la dialectique de Hegel ». Mais ce
sent et s’étayent. La pra tiq u e c in é m a to g rap h iq u e devait
p ro g ra m m e est forcém ent u n p ro d u it de la p ra tiq u e didac­
pro d u ire sa connaissance — pour être enseignée : on ne
tique même d ’Eiseiistein, une élab oration thé oriq ue d’e n ­
pouvait pas se c onten ter de « faire des films » (mot d’ordre
semble — résultat au moins au ta n t que p oin t de d é p a rt ;
du cinéma bourgeois : f a b r iq u e r des p ro duits sans se
sans c o m p te r q ue l’évidence m êm e de la place conférée
pré oc c upe r de la connaissance de l ’utilité et de ' l ’utili­
à Lénine pé rim e la question de la perspicacité des élèves
sation de ces produits, de le u r in scription sociale). P r o ­
(ou, corrélativem ent, de l’inscription réelle, non verbale,
du ire — mais aussi in sé p ara ble m en t pro d u ire la connais­
du m até rialism e dialectique dans la p r a tiq u e ) . C’est donc
sance de ce p roduit, de ses conditions et techniques de
p lu tôt du côté des cours eux-mêmes, de la p ra tiq u e did ac­
production, et ce non seulem ent pour « pe rfe c tion ne r »
tique en ta n t q ue telle, c’est-à-dire en ta n t q u ’elle doit
ces techniques. niaiB pour, les connaissant, changer ces
produire des connaissances, el non les inc ulq ue r (« Je ne
conditions. P a r quoi s’affirme un e position p o litiq u e : que
p e u x , rien vous enseigner, disait S.M.E. à ses premiers
les films ne doivent pas se con te nte r de r e p r o d u ir e leurs
cours, mais vous p o u v e z apprendre ») (5), q u ’il faut c h e r ­
c onditions de produ ction (et circuler ainsi en circuit fermé,
cher ce qui en elle a pu ainsi a le rte r les aud iteu rs
c h a q u e film en p e rm e tta n t en d ro it un autre, dans un d’Eisenstein.
é puisem ent spécu laire), mais q u’il doit y avoir progrès,
c’est-à-dire tran sform ation de ces conditions, saut q u alitatif Je vais donc tâ c he r de m o n tr e r — à p a r tir des deux
qui modifie la relation des films à la société et à l’idéo­ cours (dont l’un en brefs fragments) trad uits en français :
logie. P o in t n’est besoin d ’insister p o u r re m a r q u e r la Le retour d u soldat du fr o n t (1933) et Stalingrad de
régression que le dogmatisme esth étique (les codes n o r ­ Nékrassov (1946) (6) — ce qui au niveau m êm e de la
m atifs du « réalisme socialiste ») a fait su bir au cinéma, p r a tiq u e d id a c tiq u e inscrit le m a térialism e dialectique.
soviétique : en figeant le ra p p o r t t h é o r i e / p r a tiq u e , c’est Cette lecture — évidem m ent inform ée — ne vise é videm ­
le ra p p o rt dialectique du cinéma et de la société qui se m e n t pas à r e p r o d u ir e la lecture des élèves dans son
trouvait blo qué (régression redoublée par, envers complice, procès de reconnaissance et d’a p p r o p r ia tio n du m a té r ia ­
le réalisme capitaliste hollywoodien). lisme dialectique ; il s’agit plutôt en un p r e m ie r tem ps
Im p liqué e s l’une p ar l’a u tre « d è s le p rem ier j o u r » de m o n tre r com m ent certaines lois de la dialectique m a té ­
(signe que cela se jou e dans le marxisme-léninisme et sous rialiste sont à l’oeuvre — sans être désignées comme telles
ses effets) — p ra tiq u e el théorie. Et p o u r ta n t il a fallu — dans le procès didactiq ue lui-même. Et p a r là — en
q u a tr e ans après ce p re m ie r jo u r, et q u ’Eisenstein passe un second temps — de tester la p ertin ence de l’a p p li­
p a r l’enseignement (y passe aussi com m e élève : ce sont cation de ces lois à la p ra tiq u e cin é m ato g ra p h iq u e. De
ses élèves qui « a ttiren t son attention... ») pou r (pie l’en­ savoir, a u tr e m e n t dit, si « l’im pulsion ex térieure » ap p o rtée
semble de son enseignement : théorie el p ra tiq u e du à S.M.E. p a r ses élèves était réellem ent « suffisante »...
cinéma, en vienne à se connaître comme matérialisle-dia-
leclique. Avançons que c’est précisément ce retour-saut 10 Se pose p a r exemple, à un certain p oint du travail.
dans la pra tiq u e — une autre p ra tiq u e : la d id actiqu e — collectif (le réalisateur à vingt têtes) d’élab oration
qui a perm is cette identification : le couple p r a tiq u e de la scène du R e to u r d u soldat, la question du tr a i te ­
c in é m a to g r a p h iq u e /th é o r ie du cinéma révèle son inscrip­ m ent du personnage en accord avec le genre p a th é tiq u e :
tion dans le marxisme-léninisme et sa philosophie, le on commence p a r installer le prin c ip e de la contradiction
m a térialism e dia lectique, en s’enrichissant d’u ne nouvelle dans le co m p o rte m e n t de ce personnage (« dans le p re m ie r
p ra tiq u e qui a précisément à charge de les formuler. Ce cas — m é lodram e — le rendrons-nous m auvais du c o m m e n ­
q u ’Eisenstein décrit comme un événem ent (à m o n grand c e m e n t à la fin ? E t dans la seconde version — p a th é tiq u e
éto n n e m en t, b rusquem ent, im p ulsio n extérieure suffisante) — en ferons-nous une pein tu re à Veau de rose d e la p r e ­
c’est bien le saut q u a lita tif même qui pro d u it une n o u ­ mière scène à la dernière ? ») (7) ; sur ce jeu de la c ontra ­
velle phase de la connaissance et de la p r a tiq u e : ce diction, je reviens un peu plus loin, m e co ntentant de
qui était à l’œ uvre dans l ’ensem ble du travail eisensteinien, note r au passage q u ’elle est ici donnée d ’emblé e comme
c’était en propres termes le m a térialism e dialectique, et m ouvante. Ainsi s’obtient la figure dialectique de base :
non une esthétiqu e éta nc he « aux questions sociales ». Le « Un brave gars... Puis catastrophe. I l réagit v io le m m e n t
cours d’Eisenstein saute litté ra le m en t « dans la salle à de façon négative. Mais cela ne Vem pêche pas de repenser
côté », celle d ’instruction politique ; et le m atérialism e ensuite sa conduite et de surm onter son p r e m ie r m o u v e ­
dialectique saute à la place de l’esthétiqu e su r la table m e n t. » (7) Unité, contradiction, négation de la négation
de travail.
5) Cité par Serge Youlkévilch dans la préface à l1édiliori russe de
3l Souligné p ar moi. V la d im ir N ijny : Lessons ivith Eisenstein, op. cit., p. 11.
4) Avant-propos (1946) à R éflex io n s d 'un cinéaste, Ed. d u Progrès, 6 1) Cf. Cahiers n" 225, p. 2842, el Cahiers 11“ 226*227, p. 103-110.
M osro u, p. 6. 7) Cahiers n° 225, p. 39.
47
{A u flie b u n g : dépassement, relève : « surm onte r x>) : noue un « portrait parlé ». E n deux-trois traits, on p eu t saisir
sommes dans le strict m o uvem ent de la dialectique h ég é­ l'essentiel d ’un visage h u m ain, fix e r son expressivité, son
lienne. A quoi on p eut faire venir en com m entaire, dans caractère — l'expression p h y siognom onique du visage. Mais
le cours su r Stalingrad. « La construction des œ uvres clas- pour y arriver, il fa u t p re m iè r e m e n t : savoir pa rfa ite­
siques repose presque toujours sur la lu tte des contraires m e n t déceler les élém ents d éterm inants typ iq u es et. secon­
liés dans Funité d u co n flit.» (8), et cette r e m a rq u e de d em ent. savoir tout aussi p a rfa ite m e n t les assembler, en
Lénine su r Hegel : « Briè vement, on peut définir la dia­ sorte qu'ils puissent donner une exacte impression du tout
lectique com m e la do ctrin e de l ’u nité des contradictoires. — les « m o n te r », au sens que d o n n e n t à ce term e les ate­
P a r là on saisira le noyau de la dia lectique, mais celte liers de m ontage mécanique. (...) Vous saurez trouver dans
définition exige des explications et des d é veloppe­ la com p le x ité des traits d'un visage ce « noyau » « partir
ments. » (9) d u q u e l il est possible de reconstituer et de reproduire
Donc — p ro d u ite dans le procès didactique, une « tech­ l'impression de l'aspect du personnage. » Et encore : « L 'im ­
nique » de com position : « dialectiser » u n personnage — portant, ce sont les signes distinctifs dom inants. » (10)
tech nique spécifiquem ent inscrite dans u n « p roblèm e » Il faut faire interven ir ici deux types de références.
à résoudre (ici : le passage du m é lo d ra m a tiq u e au p a th é ­ Celles du théâtre, et celles d’abord du Pro g ra m m e. où ce
tique, mais ce n ’est évidem m ent pas le seul cas où S.M.E. principe de la d é te rm ina tio n prin cip ale (le « noyau ») est
sollicite la solution par la co n tradiction) ; mais aussi, la posé comme base même de la pra tiq u e cin ém a to g ra p h iq u e :
form u lation -confirm ation thé o rique de cette tec h n iq u e p a r ­ « Le fo n d e m e n t de ra c tiv ité du réalisateur consiste à d é ­
ticulière pur la production, en un autre m o m e n t didacti­ couvrir, dévoiler et structurer dans des contradictions (11)
que, de la généralité de son principe, de sa n a tu re de loi. les figurations et les phén o m è n e s d 'u n e réalité comprise
Notons provisoirem ent que cette universalité de la m éth o d e et reflétée dans un esprit de classe. » (12) A u tre m e n t dit :
dialectique englobe et vise ici les p ratiq ues signifiantes découvrir, dévoiler et s tru c tu re r dans des contradictions
au même litre que les faits sociaux; en effet la part (celles du réel) la contradiction principale, déterm in ante,
essentielle du travail th éo rique-didactique d’Eisenstein a qui rend com pte de la situation concrète en un moment
consisté en le r e m a rq u a g e d ’un grand n o m b re d ’œuvres donné. Se m a rq u e là l’intervention de la loi léniniste d e
« classiques » — et de ses propres films — com m e régis d é v e lo p p e m e n t inégal des contradictions. (Rappelons-en
par « la lu tte des contraires dans l’unité du conflit » (cf. la définition par Mao : « Dans un processus de dévelop­
no ta m m e n t les textes sur la construction et le m ontage — pe m e nt complexe d ’une chose ou d’un p hénom ène, il existe
thèses et exemples — dans Le Cuirassé P ote m k in e , mais toute u ne série de contradictions; l’une d’elles est néces­
aussi bien l’ensemble de ses rem arques sur P o u c h k in e ) . sairem ent la c ontradiction principale, dont l’existence et
Dison9 que dans celte prem iè re (première dans m on ex­ le d é ve lop pe m e nt d é te rm in e n t l ’existence et le développe­
posé) inscription de la dialectique dans l’enseignement m ent des autres contradic tions ou agissent su r eux. (...)
eisensteinien, d om inent deux axes : d ’un e p a rt une image P a r conséquent, dans l ’é tu d e de to u t processus complexe
du procès dialectiqu e fidèle à Hegel, d ’a u tr e p a rt l ’exten­ où il existe deux contradictions ou davantage, nous devons
sion du c h a m p de la c ontradiction et du dévelop pem ent nous efforcer de tro u v e r la contradiction principale. Lors­
dialectique aux formes de l’art. Mais la nouveauté du que celle-ci est trouvée, tous les problèmes se résolvent
second est telle — faire de la dialectique aussi la « loi aisément. ») (13).
de connaissance » des pro duits esthétiques — que la On peu t se souvenir alors comment Eisenstein, non seu­
fo r m e hégélienne de la dialectique (la triade) ne peut pas le m ent p ra tiq u e l’analyse des contradictions, leur artic u la ­
y servir a u tre m e n t q u ’en telle expérience très simple, tion en principale et secondaires dès q u ’il s'agit de carac­
schém atique, comme l ’est p a r endroits Le retour du soldat, tériser « l e processus de d éveloppem ent c o m p le x e » d ’une
et q u ’Eisenstein est c o n tra in t de m ettre en œ u v re d ’autres situation d ra m a tiq u e p a r exemple, mais aussi comment il
lois, celles précisément de la transform ation matérialiste sait expérim entalem ent, faire varier la valeur respective
de la dialectique hégélienne. de ces contradictions en proposant à ses élèves la trans­
form a tion de la m êm e situation fictionnelle d ’un genre
11 Ce sera mon second exemple. Plus d’une fois (sur en un au tre : ce qui, dans le genre m élo dra m a tiqu e p a r
un corpus très restreint : quelques fragm ents de exemple, éta it d om inan t, devient dom iné dans le p a th é ­
cours, une vingtaine de pages) S.M.E. affron te ses élèves n tique, allant ju s q u ’à construire une éebelle de ces varia­
une p roblé m a tiq ue du choix : c’est n o ta m m e n t le cas tions de la contradiction du réalisme à l’expressionnisme,
po ur tout ce (pii concerne Je typage d'un personnage. On et de celui-ci au « s u r r é a l i s m e » ( « l ’aspect principal et
p a rt d ’une désignation : un soldat, une ordonnance. P a r l'aspect secondaire de la contradiction se convertissent l’un
un patient travail d ’oppositions, de disjonctions, d ’exclu­ en l’au tre et le caractère (14) des phénom ènes change en
sions, les « im ages» extrêm em ent floues qui venaient recou­ co nséquence» (15)) : « A in s i, nous avons couru d 'u n pôle
vrir et brouiller ce type se disciplinent, cela non p ar la à l'autre, passant par toutes les possibles interprétations
confrontation forcém ent sans fin des « points de vue » stylistiques de notre thèm e. Et il s'est avéré q u e toutes
m ultiples des élèves, mais p a r l’ap plicatio n d ’un p rincipe ces versions différentes se basent sur les rapports de la
général : le d iscernem ent des d éterm inations (physiques, loi de la structuration et de l'apparence extérieure des
psychologiques, etc.) dom inantes : celles qui, seules, opè­ formes.' (...) A u centre, sous le signe d u réalisme, dem eure
rent la mise en forme du typage. « P arm i la m u ltitu d e ce à quoi nous travaillons présentem ent -— le stade de
des visages et la m u ltitu d e des traits d ’un visage, il faut l'interpénétration équivalente de d e u x fa d e u r s : la véra­
savoir déceler, « capter » le contour correspondant à cité figurative et. indissolublem ent liée à elle, la n etteté
l'im age d e vos vagues désirs. (...) P re m iè re m e n t : a p p r e n ­ d e la construction des form es scéniques. E n partant de là,
dre à voir et déceler les signes caractéristiques et les par­ 10) Hegissoura (L'art de la m ise en scène) in Cahiers n" 225, p. 28*42.
ticularités d 'u n visage. S e co n d em e n t : a p prendre à faire 11) Souligné p ar moi.
une description concise et très dense de ce visage — faire 12) Program m e (Tenseignement, Cahiers n° 222, p. 7.
13) Mao Tse îo ung : De la contradiction (1937) in Quatre essais p h i­
8) Cahiers n “ 226-227, p. 104. losophiques, op. cit., p. 57, 60.
9) Cahiers philosophiques : édition française : Cahiers sur la dialec­ 14) àouligné par moi.
tiq u e de H egel, Idées-N.R.F., p. 289. 15) Mao T se îo ung : De la contradiction, op. cit., p. 61.

48
il est possible d e verser dans n 'im p o rte quelle branche de la m até ria lité signifiante (Julia Kristeva : « La contra­
stylistique. Par le je u de l'intensification de Fu n de ces diction se révèle comme la m atrice de base de toute signi­
d e u x facteurs, il vous est possible d'atteindre n 'im p o r te fiance, ou si l ’on veut de toute p r a tiq u e sig nifiante» ) (20),
quelle réalisation s ty listiq u e. T elle est, disons, la dialec­ où les faits esthétiques, ramenés à leu r place dans le tout
tiqu e du m o u v e m e n t intérieur des styles. E l telle est la social, p e u v e n t e n fin ê tre pris en charge p a r l’analyse
dialectique historique d u d é v e lo p p e m e n t de ces styles. marxiste (sans d og m atism e), p arce que 1’ « art » et l ’es­
Passant, par ces trois points stylistiques d é te rm in a n ts (ex- th é tiq u e sont b rusque m e nt déchus, sa u ten t à bas du piédes­
pressionnisme-réalisme-abstraction), les oscillations suivent tal où l ’idéalisme bourgeois soigneusement les tenait pro­
in é lu c ta b le m e n t la voie des retours cycliques, mais dans tégés.
une élévation q u a lita tiv e m en t nouvelle. » (16) Mais ce n’est pas de fron t q ue je veux en venir à cette
Nous étudierons plus en détail (dans la suite de ce pr o b lé m a tiq u e d ’u n e « e s th é tiq u e » marxiste à l’œ uvre dans
texte) les ra p p o rts d ’homologie entre la dialecticpie des et p a r les pratiq u e s eisensteiniennes (à la question de ses
styles ainsi mise en place et les modèles qui lui servent conditions, de ses fondements théoriques, de son travail
dans la dialectique de la n a tu re (Engels) comme dans effectif et de ses résultats) : p a r u n long détour, plutôt,
celle de l’histoire. A u tre m e n t dit, la question qui se posera p a r l’analyse du r a p p o r t d’Eisenstein (pratiq ue einémato-
est celle de la n a tu re de la dialectique eisensteinieniie, grapliique-théorique-didaclique) au th éâtre. D ’abord, parce
c’est-à-dire de sa pertinen ce à ce nouvel o bjet de l’analyse q u ’il fa u t régler le p roblè m e de l’historicité du rôle dévolu
marxiste que devient 1* « a rt ». à la contrad ic tio n dans la p r a tiq u e signifiante eisenstei­
P o u r le m om e nt contentons-nous d’insister sur le fait n ie n n e : dans la m esure (on Va noté) où il y a eu le
que cette prise en com pte p ar Eisenstein des aspects p rin ­ m o m e n t d’un saut, passage à la théorie, et où la p ra tiq u e
c ipa ux et secondaires de la contradiction, de sa valeur d ida c tique à la fois constitue Foccasinn de ce saut et en
do m in a n te ou dominée, et du passage de Fune à Fautre, r e p ro d u it Fhistoire, il faut c h e rc h e r d’où vient — de
im p liq u e et signale l’entrée dans le m odèle dialectique quelles conditions spécifiques, de quel travail, de quelles
hégélien du m a térialism e : la transform ation de ce modèle contradictions en jeu déjà dans le « tout com plexe déjà
pa r et en vue de la connaissance du « tout complexe pos­ do nné » — le caractère m o te u r que la con tra d ictio n prend
sédant l’u n ité d ’u ne structu re articulée à do m in a n te » ici. D ’où ? D ’une certaine p ra tiq u e du th é â tre ; d’une
(A lthusser). U ne telle prise en c o m p te dans la p ra tiq u e réflexion de cette pratique.
th é o riq u e eisensteinienne de la dialectique m até rialiste E nsuite parce q u ’il fa u t traverser, s’agissant d’une in te r ­
pose au niveau des pratiqu es signifiantes la question fon­ rogation de la mise en place d ’une « esthétiq ue » marxiste,
da m e n tale de la connaissance scientifique du « tout le travail de B re c h t (et la p o lém iq u e qui l’oppose à
com plexe » — dont les produ its de l ’a rt fo n t partie. La Lukacs sur form aiisnie /ré alism e ). Cette traversée n’est pas
lecture p a r Eisenstein des Cahiers p h ilosophiqu es de nécessaire seulem ent po ur déployer l ’a m p le u r de la ques­
L énine ne lui a en q u elq ue sorte pas laissé d’autre choix : tion ; Eisenstein a lui-mêm e affaire à la lu tte idéologique
« ... l’idée du lien universel, m ultilatéral, viv a n t de tout dans le c am p socialiste, au dogm atisme et a u x accusations
avec tout, d u reflet de ce lien — Hegel renversé maté- de «formalisme », et sa défense sur ce point trouve (ou
rialistem ent — dans les concepts h u m a in s qui eux aussi retrouve : en l’état des études eisensteiniennes, on ne
doivent être affûtés, travaillés, souples, mobiles, relatifs, sait pas quels et que furent les rap ports des deux plus
liés e n tre eux, unis dans les oppositions, afin d ’em brasser im p orta nts artistes-théoriciens m atérialistes !) les plus
l’univers. La contin uatio n de l ’œ uvre de Hegel et de Marx décisives positions de Brecht. J ’en voudrais à peine in d i­
doit consister dans l’élabo ratio n dialectique de l ’histoire q u e r la mesure en r a p p r o c h a n t deux citations : l’une de
de la science, de la tec h n iq u e et de la pensée hu m ain es. » B re ch t : « Ce que beauco up n ’ont pas encore saisi, c’est
(17) N ul do ute q u ’il y ait eu chez Eisenstein la tentative ceci : face aux exigences to u jo u rs nouvelles d’un environ ­
— incomplète, in te rm in a b le — de soum ettre l’activité artis­ nem ent social en constante tra nsfo rm a tion, s’en ten ir aux
tiq ue et ses pro duits com me les lois classiques de l’esthé­ formes anciennes et conventionnelles, cela aussi, c’est du
tiqu e à l ’analyse m atérialiste-dialectique (ce (pie nous formalisme. » (21) Et l ’a u tre d ’Eisenstein : « Si l'œ u vre
connaissons de « La non-indifférente n a tu re » prolongerait suit des règles no n conform es au x lois générales d e la réa­
au niveau des techniques et p ratiq ues signifiantes la Dia­ lité, lois qui d é te r m in e n t son contenu, elle sera toujours
lectique de la nature engelsienne) p o u r en p ro d u ire les considérée c o m m e une œ u v r e imaginaire, stylisée, fo r­
lois de connaissance et le u r vérification dans la pratique. melle. » (2 2 )
Le m o m e n t du « saut dans la salle d’à côté », du « re m ­ S’il s’agit a u jo u r d ’hui, selon l’une des notes de Y A c h a t
pla ce m e nt de l’esthétiq ue p a r le m a té ria lism e dialectique » d u cuivre, de « signaler l’a p p aritio n de la dialectique m a té ­
est le m o m en t où dans toute son a m p le u r théorique cette rialiste dans la théo rie » des systèmes esthétiques — des
tâ che a p p a r a ît : c’est très précisément celui chez Eisens­ pra tiq u e s signifiantes — c’est q u ’à la fois cette dialectiqu e
tein lui-même du bon d q u a lita tif qui sépare une p r a tiq u e m a térialiste y joue, y est fortem e nt im pliquée, et à la fois
spo ntanée de la dialectique de sa fo rm ula tio n et de son que, parce q u ’elle y est si c onstam m ent et fo rte m e n t im p li­
application systématique au c h a m p spécifique des p ra ti­ quée, elle n’a pas encore été to u t à fait aperçue, recon­
ques signifiantes; p o u r re p re n d re la form ule de Christine nue. Méconnaissance idéologique do n t les effets négatifs
G lucksm ann : « l’analyse m arxiste im p liq u e celle de (toujours à l’o rd re du jo u r ) ex p liq u e n t et le « re ta rd » de
tous (18) les procès contradictoires (antagonistes et non la réflexion m arxiste su r les « arts » et la dénégation (le
antagonistes, p r in c ip a u x et secondaires...) et est, en ce com b lem ent) de ce re ta rd p a r le dogmatisme. R e ta rd :
sens, et en ce sens seulement, « une a u tre dialectique * celui-même do n t le « g ra n d é to n n e m e n t » d’Eisenstein —
(que l ’hégélienne). > (19) q u a n d il a p p r e n d êlre à son insu « sorti » de l’esthétique
C’est le m o m e n t où, parm i « tous les procès con tradic­ idéaliste et « e n tré » dans le m atérialism e dialectique ,—
toires », vient se ranger com m e l’un d ’en tre eux le procès est le symptôme. (A suivre) — Jean-Louis COMOLLI.
16) Cahiers n° 225, p. 35. 20) M atière, sens, d ialectique , in T e l Q uel n® 44, p. 27.
17) Cahiers philosophiques, op. cil., p. 204. 21) Le débat sur l'express ionnisme (1938) in S u r le réalisme, L'arche,
18) Souligné p ar moi, p. 81.
19) Hegel el le M arxism e, in La N o u v e lle C ritique, n" 33, p. 33. 22) Cahiers n" 226-227, p. 104.

49
Le Groupe de Recherches Théâtrales de l'Université de
Caen, dont l’activité est double, puisqu’elle articule un
travail scénique et une réflexion théorique, nous signale
la revue qu’il publie, « L’autre scène » ; on trouve dans le
second numéro, outre un ensemble de propositions théo­
riques et une réflexion sur la Bérénice de Racine, un article
intitulé « Le texte, l’acteur, l’autre », qui se donne pour
objet «de poser les premiers éléments d’une étude théori­
que de la fonction du comédien, qui doit être menée
conjointement au travail scénique». Sont annoncés pour
les prochaines parutions : un « Travail sur la Traumdeutung»
d’Edoardo Sanguineti, des textes sur Bertolt Brecht,
«Nietzsche et le problème de la représentation», etc. Par
ailleurs, le groupe nous écrit se situer « sur le « bord » que
signale la lettre signée conjointement par les Cahiers, Tel
Quel et Cinéthique », et ajoute : « L'absence de toute tenta­
tive de ce genre dans le champ du théâtre nous renforce
dans l’idée de la nécessité et de l’urgence de la mise en
place de ce front critique, tel que vous l’avez défini depuis
le n° 216 des Cahiers».
Nous signalons donc à l’attention de nos lecteurs cette
revue dont le travail devrait combler une lacune impor­
tante dans le champ décisif de la théorie des pratiques
signifiantes (2, place de la République, 14-Caen).

50
INFORMATIONS
NOTES
CRITIQUES

presque tout de suite pris la form e d’é num érer les problèmes qui les in té ­
Entretien d'un travail collectif ?
z a r i f i a n C’est normal : il ne f a u t pas
ressent, et on s’est aperçu que ce qui
les intéressait, massivement, c’est le
considérer les films q u ’on f a i t comme problème, des loisirs, et celui des r a p ­
avec une activité annexe, pilote où je ne
sais quoi, mais comme l’un dos aspects
p orts avec les parents, tous les a u tr e s
é tan t trè s m in eurs par ra p p o rt à ces
d ’une activité globale. Ceci répond dé­ deux-là. P a r t a n t de là, on a spécifié
Christian j à en p a rtie à votre question ; il f a u t
a jo u te r un pro jet personnel dont on
« l o i s i r s » en 1 ") surpris e-partie, 2 °)
camping, etc., et de même po u r « r a p ­
n ’est sûrem ent pas les premiers à avoir p orts avec les parents ».
Zarifian l’idée et dont le principe est de t r a ­
vailler collectivement. Disons que le
CAHIERS V'ows avez donc commencé le
tournage avec un scénario complète­
cinéma d ’a u te u r est vraim ent mort. On m e n t écrit.
s’est jetés à l’eau... zarifian Oui, c’é ta it complètement
c a h i e r s C'est évidem m ent cette espèce écrit. Avec évidemment un gros a p ­
de « contradiction » entre le p r o je t col­ port, au tourn age, des techniques du
lectif et to?i projet propre qui nous direct. Mais to ute la stru c tu re du
intéresse. Est-ce que tu p e u x vous ra­ film était complètement écrite. Il y a.
conter plus précisément, par exemple, bien sûr, des choses q u ’on n’a pas pu
la genèse des deux film s, de leur scé­ t ourner comme elles étaient prévues.
cah iers -4 quoi répond, à Vintérieur nario, etc.? P a r exemple, un gars qui essayait de
d'une Maison de la Culture, la création z a r i f i a n Cette contradiction, selon les d ra g u e r une fille, et la fille lui répon­
d ’une « Unité Cinéma » comme celle gens avec qui on travaille, est princi­ dait « non, je peux pas, ma mère va
que vous animez, Vincent Pinel et toi? pale ou secondaire. Dans le pre m ie r m ’engueuler si je rentre en retard ».
CHRISTIAN z a r i f i a n Rapide historique: cas, ça ne peu t rie n produire, ça blo­ P o u r le second film, évidemment, le
la Maison de la Culture du H avre a que très rapidem ent ; dans le second, principe éta nt le même, le travail a été
toujours eu une activité ciném ato gra­ au contraire, un r a p p o rt dialectique complètement différent. C’est la même
phique, disons traditionnelle, et un peu c réateu r s ’établit entre le groupe et le démarche de ma p a r t dans les deux
au second plan p a r ra p p o rt aux m a n i­ cinéaste. D’un point de vue plus p er­ cas. Le travail collectif c’est qu and
festa tions « vra im e n t culturelles ». Vin­ sonnel. je pense que le cinéaste évidem­ une idée émise p ar l’un des p a rtic i­
cent Pinel s’occupait du cinéma, mais m ent ne doit pas utiliser le groupe pour pants est prise en cha rge complètement
aussi d ’une dizaine d ’a u tre s choses, « f a i r e p a s s e r » des choses à lui. mais p a r les autres, devient motrice, mobi­
comme c’est souvent le cas ; p ourtant aussi et su rto u t qu ’il ne doit pas s 'e f­ lisatrice ; c’est quand on finit p a r ne
il a une formation exclusivement ciné­ facer, s'oublier ni se m e ttr e passive­ plus savoir qui a eu l’idée.
matographique. Lorsque je suis arrivé, m ent à la disposition des au tre s. C’est c a h i e r s Quel était ton rôle dans les
la « Maison » é ta it en ébullition; chan­ difficile, mais p a r f a ite m e n t soluble. P a r discussions sur le scénario?
gement de locaux, de directeur, étoffe- ailleurs, investir ce qu'on est dans un ZARIFIAN Je jouais un rôle d’anim ateur,
m e n t du personnel. La nouvelle équipe p ro je t collectif c’est v ra im e n t pour moi si on veut. Quand il y avait un blo­
a rapidem ent conclu à l'impossibilité la démarche, celle qui ou v rira la voie cage, je relançais le débat s u r un a u ­
d’appliquer le principe de la polyva­ au cinéma de demain. tre point ; ou bien lorsque des oppo­
lence et a créé deux « unités » spécia­ P o u r le prem ier film, On voit bien sitions naissaient, j ’essayais d ’a id e r
lisées chargées de mener le travail en qu'c’est pas toi, on s ’est réuni trois à les résoudre, et puis je prenais des
profondeur dans deux secteurs, dont fois p a r semaine pendant tr ois semai­ notes. C’était, un rôle aussi peu direct if
le cinéma. Ce choix est complètement nes dans un foyer de jeunes, avec une que possible. Donner une impulsion,
empirique : simplement il y avait quinzaine du gars : des séances de parce q u’il leur a r r i v a i t souvent de se
deux « cinéastes » dans l’équipe, donc travail très longues. On a commencé bloquer. P a r exemple, lorsqu’on discu­
on a confié à Vincent Pinel la respon­ bêtement a u to u r d’une table à se de­ ta it du détail d ’une séquence du film,
sabilité de m onter une « Unité Ciné­ mander c qu ’est-ce q u ’on va f a ir e ? ». et q u ’on essayait de l’imaginer. Mon
ma ». P o u r nous, ça voulait dire p a s ­ La première tenta tion po ur le groupe rôle éta it alors, soit d’essayer de re ­
ser des films dans une ville de 250 000 en question, a été de re produire très lancer la discussion sur cette séquence,
hab itan ts où les pro gram m es sont exactement ce qu'ils connaissent du soit de proposer de passer à a u t r e
particulièrement consternants, m ettre cinéma : western, ou policier : mais chose, ce qui p e rm e tta it de revenir
en place tout un système d ’information ça n'a pas duré longtemps. T rè s ra p i­ plus ta rd à la séquence en question.
(on a larg ement pillé les « Cahiers », dement. ils se sont rendu compte que Ça bloquait, p a r exemple, sur la te n e u r
ça sert à ça, non?) et de formation, ce n 'é ta it pas ça qui les concernait et des dialogues de telle ou telle sé­
et aussi faire des films qui s ’inscrivent ils sont arriv és trè s naturellement à quence. La préoccupation générale
dans l’ensemble de notre travail. dire que c’était d’eux-mêmes qu ’il fal­ étant, quand même, que les dialogues
CAHIERS E t pratiquement, ces film s ont lait parler. On leur a donc demandé soient les plus justes possibles.

sur ceux qui le fo n t ? Est-ce que tu
le referais de la- même façon !
z a r i f i a n J ’avais une vague idée de
l’effet possible s u r le groupe de ré a ­
lisation. Mais je ne savais pas du tout
quelles s eraient les réactions publi­
ques. J ’ai un peu l’impression d’avoir
joué l’a pprenti sorcier. Si j ’avais l’oc­
casion de le refaire, je ferais d u re r
la préparation beaucoup plus, en espé­
r a n t qu ’ils a rriv e n t à se voir sans
avoir besoin du film pour ça. Mais si
je devais faire un second film à p a r t i r
de celui-ci, alors les bases existent
pour un tra vail beaucoup plus appro ­
fondi. Bien sûr, il s e ra it souhaitable
de faire un second film avec ce même
groupe. Cela dit. tout cela est à envi­
s ag er globalement par ra pp o rt à ce
qu'on fait au Havre. Est-ce qu’il fa u t
s ’a tta c h e r à un groupe et aller ju s ­
q u ’au bout, ou doit-on essayer au con­
tra ire d'essaimer ? Là, je ne peux pas
répondre, je ne sais pas encore.
De toute façon, eux ont une
envie très forte d ’en refair e un. Trois
d’entre eux ont envie de « faire du
On no i l bien (/u'c'esl pas lui. cinéma » — mais en dehors des heures
de travail (ils n ’envisagent pas de
g ag n er leur vie avec : ça n’a pas du
CAHIERS Pour le premier, pourquoi as- absolument refusé p a r le film. tout conduit à des « vocations de ci­
tu pensé à faire ce fi lm avec eux, y c a h i e r s E n particulier, les étudiants néastes »). Ils envisagent de former
a-t-il une raison au d é p a r t? parisiens qui se confrontent à ce film une sorte de petite coopérative, où
z a r i f i a n Dans le travail q u ’on fait sont littéralement atterrés par Vidée chacun met un peu d’a rg e n t ; je leur
c ’est un des groupes qui m ’intéresse le que le « rayonnement t de Mai 6 8 , un ai passé ma caméra, et on va les
plus. Il y a évidemment des raisons an après, en province, donne, ce genre aider au maximum, évidemment. Mais
politiques à ça... de choses. moi. je pense me re t ir e r complètement,
c a h i e r s C’est d'ailleurs sur le plan z a r i f i a n En particulier, oui d’accord. c'est-à-dire les aider matériellement au
politique que les résistances au film Mais le film est rejeté aussi violem­ maximum, et les laisser faire le film
ont été les plus fortes; on lui reproche ment p a r d ’autres, qui ne se réfèrent tout seuls.
de n'apporter aucun message révolu­ pas à Mai... CAHIERS Est-ce que tu pourrais nous
tionnaire ni de révolte. C'était en tous c a h i e r s Comment s'est passée la pré­ dire quelques m o ts sur les problèmes
cas les réactions lors du passage au sentation du film au H avre ? économiques de ces film s Ÿ Comment
Studio Parnasse, avec Camarades, en z a r i f i a n Comme p a rto u t ailleurs. Pas sont-ils fa its, avec quel argent, etc. ?
avant-première. de surprise. V raim ent le rejet. Le soir z a r i f i a n Ils sont faits avec des som­
z a r i f i a n C’est une réaction générale; de la présentation, il y avait évidem­ mes que certains ju g e n t « monstrueu­
ç'a été comme ça un peu partout. La ment des gars du film qui étaient dans ses i>, et que moi je trouve monstrueu­
réponse est évidente, il n ’v a pas chez la salle, et qui se sont accrochés très ses dans l’a u tre sens ! C’est de l’a r ­
eux de formation politique. On ne pou­ violemment avec quelqu’un qui disait gent qui vient du budget de l'Unité
vait donc pas s ’a tten d re à ce q u ’il y que le film é tait une supercherie. Ils Cinéma, lequel est de l’ordre de 4 mil­
a it un discours politique. Les gens qui l’ont tr a ité de sale bourgeois et tout ; lions anciens p a r an, plus les recettes
atte n d a ie n t d ’eux un discours poli­ ça a été assez épique. Ça m’embête q u ’on fait. Chacun des deux films a
tique explicite se réfé ra ie n t à une un peu d’avoir à en p arler moi-même, coûté un peu plus d ’un million, en
idée m ythique de la classe ouvrière. mais je crois que les gars assument comptant le salaire de l’opéra te ur
Pour aller plus dans le détail : au complètement le film, de façon diffé­ fpuisqu’à chaque fois on a pris un
départ, il y en avait parmi eux. deux, rente selon les cas. En tou t cas, je opérate ur extérieur), mais sans comp­
je crois, qui avaient la volonté de te nir n ’en connais pas un seul qui rejette t e r le salaire des gens de chez nous
un discours politique. E t puis, finale­ le film. Chez quelques-uns. cinq ou six, qui ont travaillé s u r le film, salaire
ment. ils se sont laissé censurer p a r ça a provoqué une réelle prise de cons­ inclus dans le budget de fonctionne­
les autres. cience. Les autres ont dit : « c’est m ent de la M.C.H.
CAHIERS C'est un film très historique­ nous >■, et c’est to ut ; on a f a it tout c a h i e r s Est-ce que tu envisages mie
m ent daté, fl se. passe e?i juin-juillet récemment un petit débat, q u’on a sortie de ces deux film s dans un cir­
69. vn an après mai 6 8 . E t un des filmé, donc un an et demi plus tard, cuit commercial ?
cléments de la grande force du film où on a fait un peu le bilan du film. z a r i f i a n Si ça intéresse quelqu’un,
est qu'on ne peut pas ne pas penser, C’est très net : ils disent « on s’em­ évidemment.
en le voyant, à mai 6 8 . merde parce q u ’il n’y a pas de raison CAHIERS Le. -problème, alors serait la.
ZARIFIAN Oui, c’est un des buts du de s’amuser, parce que rien n’est fait quasi-impossibilité de projeter ce film
film : savoir quelle trace le mois de pour nous sans q u ’il soit accompagné d'un appa­
Mai 6 8 a pu laisser un an après, dans Mais il y en a s u r qui ça n’a rien reil, siyion d'explication, du moins de
cette classe à laquelle on se réfère f a i t du tout. discussion . . pour éviter les réactions
tout le temps, et qu ’on ignore complè­ CAHIERS Quand tu as commencé c.e hostiles du type de celles que tu décri­
tement. Il y a tout un processus que film , tu n ’avais pas d'idées sur l'effet vais à Vinstant.
les gen s .a tte n d a ie n t du film, processus qu'il produirait : et m a in te n a n t, que z a r i f i a n Oui. il y a lin problème de
fie « bonne-conscientisation qui est penses-tu de l'action q u ’il peut, avoir lecture du film : quelqu’un qui a les
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yeux ouverte ne peut pas ne pas voir
que le fondement du film c’est son
constant mouvement de fuite en avant,
ja m ais théorisé ni même formulé, mais
qui existe to ut au long. Tout le mou­
vement du film c’est : une situation,
un encerclement progressif, et puis à
la fin on se barre, « on va ailleurs ».
c’est une des phrases favorites du film.
Ailleurs » ça va être la même chose,
c’est évident, c'est sûr, le film le mon­
tre clairement, mais il y a ce mouve­
ment...
Au départ, je pensais que ce film
ne p o u r r a it être diffusé que dans un
circuit « parallèle » : maisons de je u ­
nes, etc. Mais je n ’ai pas pensé à la
catégorie sociale visée p a r le film :
plutôt aux stru c tu re s qui p o urraient
accueillir et diffuser le film. Ça impli­
que un public qui n ’est q u’approxima-
tïvenient celui des acteurs du film. Les
maisons de jeunes, par exemple, sont
fréquentées massivement par des ly­
céens et des étudiants. Il f a u t dire que
le film a déjà été pas mal vu en
France, environ par 10 0 0 0 personnes,
de façon pratiquem ent clandestine, un On noi t bi vn qu' c' val fias toi.
peu partout. E t ça va continuer. Il y
a des organismes de type culturel, que q u ’il est évident q u’ils sont profo n ­ mécanisme d ’auto-censure, au moins
ça intéresse de prendre le film en dément réactionnaires, purement « éja- dans cette fra n g e plus ou moins o r g a ­
charge pendant une période donnée, et culateurs », fru s tré s si un film ne les nisée des jeunes ouvriers. Ils gagnent
de faire un travail avec dans leur agresse pas, ne les vise pas sous la déjà un peu de fric ; ils sont déjà sur
ville. Le film, dans ces cas-là, est to u ­ ceinture. De plus, au cinéma on voit le point de basculer dans la toute petite
jours prése nté et commenté ; c’est in­ ce q u ’on veut voir, on voit ce qu'on bourgeoisie. Ils ont parfois une voi­
dispensable. C’est une chose s u r la­ est. Les films qui n ’obéissent pas à la ture, etc., et politiquement, ils se cen­
quelle je comptais beaucoup dès le loi de l’offre et de la demande obligent s u r e n t beaucoup. S u r quinze, il y en
départ. Je n’avais pas tellement de le spectateur à se démasquer. avait deux qui avaie nt envie de p a rle r
contacts, mais je savais que ça ne c a h i e r s La chanson de la fi n du film, de politique, une dizaine qui étaient
pouvait q u ’intéresser des tas de gens dont le refra in est « Révolution », plus ou moins d ’accord, et cinq ou six
qui font à peu près le même boulot prend une grande, violence, bien q u ’elle qui étaie nt absolument contre.
que nous en France. Mais honnête­ soit anodine et sentimentale, et j u s t e ­ L’a u tre versant politique du film,
ment, et je m ’en fais le reproche, m e n t m êm e dans cette m esure où elle c’est celui du rapport avec les parents.
je ne m ’attendais pas aux réactions est anodine et sentimentale. Je crois q u ’ils fonctionnent sur une
q u ’il y a eues, à des réactions d’une zarifian C’est vraim ent l’évidence idée un peu mythique de la famille,
pareille violence. Il y a évidemment même, pour eux. de chanter ça. Ils eux aussi. La famille, c’est le mons­
des gens qui défendent le film ; qui n ’ont besoin d’y m e ttre aucune em­ tre ; les p a re n ts sont a b ru tis p ar la
se rendent bien compte q u ’il n ’est pas phase, aucun contenu passionnel. Ils télé. etc. : ça ne leur a posé aucun
un « regard :> neutre... c hante nt ça tout naturellement. problème. Vous avez peut-être r e m a r ­
Mais si des étudiants, issus de la C’est une des choses très manifestes qué que ces séquences sont vraim ent
petite bourgeoisie, par exemple, dans le débat filmé, c’est que lorsque traitées à l’emportc-pièce, c’est pres­
avaient l’occasion de voir et d ’aim er je leur pose directement la question que un peu parodique ; finalement, ça
ce film grâce à une sortie commer­ de leur position poli tique, certa ins ne me p a ra is sa it pas très intéressant.
ciale. ce s erait important... disent « c’est même pas la peine de C’est du re je t p ur et simple.
c a h i e r s L ’expérience de la -projection répondre ; même pas la peine d ’en Il y a d ’ailleurs de grandes diffé­
au « Parnasse » n était, évidem m ent pas parle r ». Ils sont tellement contre le rences, au tournage, entre les deux
très encourageante. J'ai m êm e entendu régime exis ta nt que ce n’est pas la scènes « familiales ». La première,
dans la salle ce soir-là des réflexions peine d'en parler. celle avec le père devant la télé, a été
dit genre : « ils n mit qu'à *e m ontrer C’est là qu’on touche du doigt le tournée en une prise, on lui avait
leur film entre eux, et ne pas nous problème du film : c’est que à l’inver­ donné le texte le m atin et on est venu
causer les pieds avec ». C’est-à-dire à se, dans la petite bourgeoisie, toute to u rn e r le soir (on a eu une veine énor­
la fois : une réaction au refus, dans expression de révolte ne peut se f o r ­ me, d ’ailleurs, il y avait ju stem ent
ton film , de certaines va n n a s « esthé­ muler que violemment, em phatique­ Pompidou à la télévision), et il avait
tiques » ; un rejet « de classe » incons­ ment, et sur le mode sentimental. appris son texte, et il l’a reproduit tel
cient mais brutal ; et aussi, probable­ c a h ie rs Est-ce q u’on peut rattacher quel sans problème d’aucune sorte.
ment., un refu s latent du phénomène ça à ce que tu d i s a i s 't o u t à Vheure Dans l’a u tre cas, le père qui fout
m êm e que -représentent les maisons de sur le fa it qu'à la préparation du film , son fils à la porte, ça a été tr ès très
la culture. il y avait deux d'entre eux qui vou­ difficile et d ’ailleurs, c’est assez mau­
z a r i f i a n Rien à a j o u t e r , s i n o n q u ’il laient faire intervenir la 'politique, et vais. Il a eu du mal à jo uer ça. et
f a u d r a i t développer, s u r t o u t s u r l'a s­ que les autres ont. refusé ? Est-ce que pourtant, ça lui est arrivé, ça fait
p e c t « r e f u s de classe » qui me sem ble c'est à cause de cette « évidence » de. p a rtie de son expérience... Il é ta it tout
le p l u s d é t e r m i n a n t . Je m e d e m a n d e leur position politique qu'ils ont r e fu ­ à fa it d ’accord, que ça lui rappelait
quelle révolution veulent faire ces sé ? ce qui éta it arrivé peu de temps avant
gens-là : fo rm u la tio n h y p o c rite parce z a r i f i a n Non. Il y a quand même un avec son fils aîné, il ne fa isa it aucune
53
CAHIERS Com m ent les as-tu choisies,
ces filles ?
z a r i f i a n Je ne les ai pas choisies. Je
connaissais une de leurs professeurs,
qui s’occupait vaguement du ciné-club,
et qui a été très intéressée quand je
lui ai raconté ce qu’on faisait. Quel­
ques mois plus tard, j ’ai vu les filles
se pointer et me dire « voilà, on veut
faire un film ».
Elles, elles avaient des idées très
très précises, qui ont d ’ailleurs été fou­
tues en l’a ir très rapidement. Pas tel­
lement par mon fa it que p ar leur t r a ­
vail propre. Elles voulaient f a ir e un
film-gag. un film gai, un film poétique.
Il en reste quand même, bien sûr. Mais
dans les deux cas le travail de p ré p a ­
ration a suscité une série d’in te rro g a ­
tions et donc relégué à l’arrière-plan
une gaieté physique lice: à leur û£e et
au conditionnement idéologique (jeu­
ne = gai).
c a h i e r s Quelles ont été les différences
essentielles dans le travail avec les
deux groupes ?
.4 sui vr e. z a r i f i a n C’est évident : s’agissant de
lycéennes qui accomplissent journelle­
réserve quant, au contenu de la scène... à la fin — pas tellement d’ailleurs. E t ment, disons, un travail de réflexion,
Evidemment, on n ’a pas f a i t jouer le à chaque fois, je leur soumettais le le travail de préparation du film,
rôle du fils p a r son fils ; on ne croit résultat, on fa isa it une projection. d’abord, a duré infiniment plus long­
pas beaucoup au psychodrame... Mais évidemment il ne faut pas s ’illu­ temps, il a duré deux-trois mois, et il
sionner, dans le détail, au niveau des a pu être poussé beaucoup plus loin ;
c a h i e r s Quelle a été la participation
raccords, le travail vient de moi. E t c’est-à-dire que pratiquement chaque
exacte des acteurs au tournage, à la plan du film a été pensé collectivement,
façon m êm e de tourner un plan — à de Vincent, qui m’a beaucoup aidé
pour le montage. E u x n ’avaient, à ce en sachant à peu près ce que ça va
ce. q u ’on appelle en général « m ise en
stade, q u ’un rôle d’approbation ou de produire, ce que ça veut dire. etc. Le
■scène » ?
dénégation. film est complètement dominé.
z a k i k i a n L eu r participation est s u r ­ CAHIERS Est-ce quelles représentent un
tout au niveau de la façon de jouer. c a h i e r s E t ils n'ont jam ais eu le sen­ groupe social déterminé, ou bien est-ce
La « mise en scène », je l’ai prise tim en t que tu travaillais dans ton coin, un groupe très hétérogène de ce point
complètement en charge. T out ce q u ’on à l’écart d'eux ? de vue ?
peut dire qu ant à leur « in terpréta- z a r i f i a n J e ne crois pas. non. Je crois z a r i f i a n Elles form aie nt un groupe
tion », c’est que ça s’est fa it sans q u ’ils n'ont jam ais cessé de considérer entre HIes, groupe qui a éclaté d ’ail­
aucun problème à aucun moment. Sauf que le film é tait leur film, vraiment. leurs à la suite du film. Elles étaient
un plan, qui é ta it assez important, et très très copines, se voyaient tout, le
qu ’on a été obligé de couper, parce c a h i e r s P our replacer le film, dans le
cadre général de votre travail à VUnité temps. De ces groupes comme il s’en
que la fille qui jouait ce plan n'v a r r i ­ forme dans les classes de lycée. Socia­
vait pas. Mais pour les autres, le fa it Cinéma, est-ce que tu penses que c’est
aussi une sorte de « form ation » « cul­ lement. elles ap partiennent à la petite
de reproduire un comportement connu ou moyenne bourgeoisie.
ne leur a posé aucun problème ; ils turelle » ?
c a h i e r s A u ssi d iffé re n ts soient-ils, les
n ’ont jam ais été gênés p a r les camé­ z a r i f i a n Oui, c’est ce que je vous deux film s ont en commun de. mettre,
ras. disais au début : on ne conçoit pas de à nu, plus ou moins explicitement, des
CAHIERS .4 ce propos, u n détail : pen­ passer p u rem en t et simplement des x appareils idéologiques » bien précis.
dant la plus grande partie, du film , la films, ou de se livrer uniquement à Disons, pour être rapide. : l'appareil
caméra se laisse oublier comme telle, des débats théoriques. Notre travail idéologique familial dans le premier
et tout d'un coup, au moment de la est conséquent et va ju s q u ’au bout film , l'A.I. scolaire, danx le second.
partie de camping, il y a u n clap dans dans la mesure où on produit des films z a r i f i a n Oui, ce qui fa isa it le point,
le champ, qui vient « inscrire le film en même temps. C’est absolument commun entre ces filles, c’é tait d’une
comme film », comme on dit. indissociable. p a r t leur vie onirique, et d’autre part,
ZARIFIAN Ce n’é tait évidemment pas du Ça démystifie le cinéma, d’abord. évidemment, la classe, ou disons, l’en­
to ut prévu ; ça s ’est passé exactement Lorsque tu fabriques quelque chose seignement. E t si le film a une s tru c ­
comme tu le vois s u r l’écran ; celui toi-même, que tu te heurtes à la ma­ tu re évolutive, c’est vers une prise de
qui était cha rgé du clap était en train tière même image-et-son, tout un t r a ­ conscience, un début d ’analyse ; ça
de danser. Au montage, je l’ai gardé vail théorique s’opère immédiatement ; commence de façon assez cafouilleuse,
parce que ça évoquait leur participa­ travail qui est complètement f o rm a ­ assez molle, pour évoluer vers un début
tion au to urnage et parce que ça fai­ teur. De ce point de vue là, il est évi­ d’analyse de ce que c’est que l’ensei­
sait gag de m ettre dans le film cette dent que ça a été très importa nt pour gnement et de ce que c’est que le
chose qui est très tarte-à-la-crème en les jeunes en question ; m ainte nant, lycée. Toutes choses dont elles
ce moment. quand ils vont au ciné, ils ne voient n’avaient absolument pas conscience
CAHIERS Le travail de montage a éga­ plus du tout les films de la même lorsqu’on a commencé le travail.
lement été f a i t en commun ? façon. Mais ça, c’est allé beaucoup plus Q uant à la séquence de discussion
z a r i f i a n On faisait des projections loin avec le deuxième film, .4 suivre : politique, c’est elles qui avaient, le désir
successives. J ’élaguais peu à peu, je parce que chez les filles qui l’ont fait, d’une telle séquence de discussion
faisais basculer des séquences du début il y avait déjà un début de formation. libre, improvisée ; elles avaient convo­
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qué tout le monde, tous ceux qui vou­
laient y participer, sur le thème de
« Mai 70 ». Il é tait prévisible que le
groupe de la Ligue Communiste, le
groupe « Rouge », qui est implanté au
lycée, y participerait, et monopolise­
rait pratiquem ent la parole. Ce qui a
paru inté ressant là-dedans, c’est que
les gars se sont absenté à un moment,
et qu’elles se sont retrouvées seules,
f a isa n t a p p a ra ître leurs oppositions,
et leur incapacité de te n ir un discours
politique à elles. C’é ta it d ’ailleurs
prévu aussi que la discussion allait
avorter.
Mais po ur le « g r o u p e d ir ig e a n t» ,
les 7 qui sont à l’origine du film, le
travail s u r le film a été l’occasion d ’une
prise de conscience politique. A mon
avis, elles sont arrivées à un point de
non-retour.
CAHIERS Le grand absent du film , cent,
le sexe. Ou du moins, le sexuel rient
pan i n s c r i t aussi n e tte m e n t que le poli­
tique.
Z a r i f i a n Le problème a é t é p o s é a u
cours de la préparation. C’est moi qui
leur ai dit « q u ’est-ce qui se passe, on M sui vr e.
parle de tout sauf de ça ». E t elles ont
dit que ça ne les intéressait pas. C’est cahiers A suivre est évidem m ent bien m ais de ne pas donner en dernière
complètement censuré. Alors j ’ai été plus séduisant (avec ce que le terme instance la responsabilité du travail à
obligé de leur forcer un peu la main ; comporte de réserves). Mais il est u n s u je t et à scs fan ta sm es, ce qui,
p a r exemple, le plan où il y en a une assez secondaire, je crois, de porter un actuellement, est forcém ent réaction­
qui mange une bougie, au montage ju g e m e n t d iffé re n tie l sur ces deux naire. E t u n travail comme le tien est
elles éta ient étonnées que je garde ça; film s. Ce qui est important, c’est qu'ils évidem m ent très m e u rtr ie r pour une
mais quand je leur ai expliqué, elles prouvent, en bloc, la possibilité aujour­ telle conception.
ont été d’accord. d'hui d'un travail d a n s /s u r les appa­ z a r i f i a n J e pense, d ’une certaine façon,
Une chose importante, à mon avis, reils idéologiques eux-mêmes, concomi­ a r r iv e r à prouver que la notion d’a u ­
c’est que dan* A suivre la spécificité tant à un travail dans f sur une teur, et d ’a r tiste plus généralement, ne
de ces filles imposait une écritu re pratique spécifique, ici le cinéma — et peut plus que relever de la mystifica­
« idéaliste », par opposition au p r e ­ que ce double travail est susceptible tion totale. Mais en fait, le problème
mier qui est très concret. Je m ’excuse d'avoir une répercussion au niveau des qui se pose à nous est trè s concret :
de cette terminologie, en a tte n d a n t masses. on fa i t ces films-là, un peu en apprenti-
mieux... z a r i f i a n E n fait, notre problème est sorcier, comme je vous le disais, et on
c a h i e r s Est-ce que, de m êm e que leur un peu le même que le vôtre : qui ressent donc le besoin très f o r t de les
participation à la préparation a été est-ce qu'on peut viser massivement, théoriser, parce q u’on travaille de
plus poussée que pour le prem ier film, c’est la petite bourgeoisie intellectuelle. façon isolée, parce q u ’on tâtonne.
elles ont aussi participé davantage au E t, de façon beaucoup moins massive, De toute façon, j'a i constaté positi­
tournage ? une certain e avant-garde de la classe vement :
z a r i f i a n Oui, oui. constamment. P a r ouvrière. C’est tout ce qu’on peut — que des jeunes pas du to ut ciné­
exemple, la séquence dans les couloirs espérer. philes pren n en t en charge des films en
de l’école était très précisément décrite N o tre travail repose s u r deux p r é ­ r u p t u r e avec le système de représen­
s u r le papier. J ’ai eu un peu de « mise supposés. savoir : 1 °) il n’y a pas tation bourgeois ;
en scène » à faire vers la fin de la « a r t i s t e s » et « n o n - a r t i s t e s » ; 2 ") il — que leur travail m et immédiate­
séquence, mais tout le reste était existe sûrement, potentiellement, dans ment en cause un certain nombre
complètement prévu, et vraim ent col­ les masses, une idéologie autre que d ’idées, de comportements ju s q u ’alors
lectivement. Mais c’est vrai de presque l’idéologie dominante. « évidents » ;
tous les plans, qui étaient très prévus CAHIERS E n ce qui concerne le prem ier — q u ’il est possible et passio nnant
à l’avance. Là où j ’ai eu un rôle plus point, c’est très im portant aujourd’hui de tr availler collectivement sans pour
important, c’est au niveau du montage. de d é fin ir la pratique q u ’on a dite a u t a n t b r im e r personne du groupe. Il
Bien q u ’elles aie nt aussi contrôlé le * artistique » comme travail ; c’est y a dans to u t groupe une dynamique
montage beaucoup plus que le groupe une chose qu'on ressasse, m ais qui créatrice et libératrice pour tous, c’est-
du prem ie r film. Elles éta ient souvent reste encore à fa ire admettre, par à-dire aussi bien po ur les éléments
là, par-dessus mon épaule. Elles ont exemple à toute une partie de la cri­ « avancés » que pour les a u tre s qui.
beaucoup plus de temps libre, beau­ tique « de gauche » (j'emploie ici une même s’ils sont un moment déroutés,
coup plus de disponibilité intellectuelle. expression très vague, mais il r i est finissent p a r se reconnaître.
C’est sensible dans la construction pas indispensable de spécifier, nous en CAHIERS Pour en venir au second de
même du film. avons beaucoup parlé récemment dans tes « présupposés » de tout à l’heure,
CAHIERS Est-ce que les gens d'un les € Cahiers ») : critique encore m a s­ il est certain qu'en bonne doctrine, il
groupe ont vu le f i l m de l’autre s ivem ent déterminée par la notion y a effectivem ent, luttant l'une contre
groupe ? d ’expressivité, de génie créateur. Il ne l'autre : l’idéologie bourgeoise et l’idéo­
Z a r i f i a n Les filles o n t beaucoup aimé s'agit pas, bien sûr, de vouloir su p pri­ logie prolétarienne. Mais il nous paraît
On voit bien qu*c’est pas toi. Mais A m e r l ’ « im agination », commn nous en non moins certain qu'il ne f a u t pas
suivre n’a pas encore été passé, et nous accusent bêtement certains (encore que s'attendre à trouver miraculeusement,
n ’avons donc pas eu de réactions. le m ot soit, lui, plus que suspect) — sous l'idéologie dominante, une autre
ss
idéologie toute constituée. Cette autre Partant de ce petit récit crapuleux —
idéologie (l'idéologie prolétarienne) est
à constituer, ù partir des luttes actuel-
Soupçons assez exemplairement hitchcockien — le
film (son anecdote) ne semble d’abord
les dans le champ idéologique, et en autoriser, en fait de discours critique,
liaison avec la pratique politique de la que celui issu d’im savoir social courant
lutte des classes. E t de ce point de et de certains codes romanesques : la
vue, il est clair que tes film s ont une découverte de l'imposture et des inten­
fonction, très prégnante, de « révéla­ tions meurtrières du mari par la femme,
teurs idéologiques » : ce qui implique sou impossibilité de le quitter malgré les
aussi, comme nous l ’avons déjà dit, preuves qu'elle croit découvrir (l'ambiva­
qu'ils ne puissent être efficaces qu en­ lence même tic ces preuves), son atti­
tourés d'un appareil « critique •» — par SUSPICION (SOUPÇONS) Fj Im américain rance morbide pour ce danger qu'elle ne
exemple cet entretien... en noir d'Alfred Hitchcock. Scénario : Sam- cherche pas vraiment à écarter... Der­
z a r i f i a n Po u r ce q u i concerne préci­ son Raphaelson, Joan Harrison, Aima Reville, rière l'anecdote, on déchiffrera aussi un
d 'a p r è s le roman de Francis Iles « Before Thème : l'irruption de Tailleurs (.l’Etran-
sément leur rapport à l’idéologie, et. the Fact ■. Images : Harry Stradling. M usi­
si l’on définit celle-ci comme « la façon que : Franz Waxman. Décors : Van Nest
ger) dans l'ici, la fascination par ce qui,
dont les gens vivent leurs rapports à P olgase (art dir.). Montage : William Hamil- de la manière la plus irréductible, est
leurs conditions réelles d ’existence ». il ton. Son : John E. Tnbby Assistant réalisa­ Autre et qui se trouve être ici idéalement
est évident que ces films tendent à teur : Dewey Starkey. Interprétation : Cary (non métaphoriquement) le sexe. Ce tra­
réduire l’écart entre « la façon dont » Grant (John Aysgarth), Joan Fontaine (Lina vail de lecture se soutient de la potentialité
et les conditions réelles d’existence et McKinlaw), Nigel Bruce (Beaky), Sir Cedric du texte hitchcockien et des personnages
à recentrer l’idéologie po ur l'empêcher Hardwicke (gênerai McKinlaw), Dame May qui le remplissent à être très fortement
Whitty (Mrs McKinlaw), Isabel Jeans (Mrs conjugués par leur lecteur : l'alterité de
de masquer les rapports de production. Newsham), Léo G. Carrol, Heather Angel,
Pour revenir aux films et pour Auriol Lee, Reginald Sheffield. Production :
l'autre lie pouvant se poser qu'à partir
répondre à une de vos premières ques­ Alfred Hitchcock, R.K.O., 1942. Distribution d'une identification préalable avec l'un
tions. ju voudrais dire deux mots de (réédition) : Les C iném as Associés. Durée : (et vice versa).
quelque chose qui me p a r a it vraim ent 1 h 39 mn. Ce centrage apparent du sujet (qui
essentiel dans ce travail : c'est le prin* peut lui-même se définir en tant qu’ « ae-
cipe de « ligne de masse », que je f o r ­ tant », parce qu’il est eu ouétc de la
mule sûrem ent assez mal. qui consiste Vérité), outre qu’il introduit à cette com­
en un double mouvement : é tant donné plexe dialectique hitclicockiennc de l'iden-
un groupe, il y a des choses qui s ’en titc et de l'alterité, met en place un dou­
dégagent spontanément ; à ce moment- ble rapport permanent : le rapport du
là, il y a quelqu’un qui essaie de les L'histoire de Soupçons, c’est celle d'un sujet à sou monde, entièrement placé sous
formuler, de les critiquer et de théo­ saisissement : la découverte par mie le signe du désir de connaissance (de la
riser à p a r ti r de ça, et qui les re-sou- jeune femme du plaisir sexuel. De cette clarté à apporter), et celui du spectateur
m et ensuite à la critique du groupe. révélation et de l'esclavage amoureux au sujet, central et absolument fixe, en
Cette « ligne de masse » fonde abso­ qui s’ensuit, l’homme (Cary Cirant) tirera, tant qu’il s’agit pour lui (le spectateur)
lument tout mon travail. P o u r l’avenir, en épousant la fille, tout le profit sordide de l'unique source de savoir du seul che­
je ne sais pas du tout, on a pas mal i|n'il pourra (l’argent futur des beaux- min vers la vérité.
de projets... Il y a une chose qui est parents, leur réputation...) jusqu’à ce Or, si cette place et cette fonction de
très fortem en t ressentie p a r nous, c’est qu’une garantie plus substantielle (une sujet ne peuvent être reconsidérées en
la nécessité, dans notre travail et en assurance-vie) le décide à se débarrasser fonction d’un savoir courant -— celui
général dans toute pratique esthétique, d'elle. dont disposait le spectateur américain de
d ’opérer la liaison avec la théorie. En
gros on travaille trè s empiriquement, Suspicion, de Alfred Hikiientk (Joan K o n l a i n e . C.;ny ( I r j i n t ).
et je sens qu ’on va bloquer : c’est
pour ça que les textes et les week-
ends ries « Cahiers » sont vraim ent
utiles, au meilleur sens. Il est aussi
vital que ce type d’expérience ne reste
pas isolé, cantonné au Havre ou ail­
leurs, sinon ça reste ju stem ent expéri­
mental. P a r contre, si ces pratiques se
développent, se généralisent et se
confrontent, en France ou ailleurs, on
va a ssiste r à un prodigieux boulever­
sement des s tru c tu re s idéologiques, de
la notion de cinéma. On va rapide­
ment m e ttre en cause toute une série
de critères : intérêt, qualité, beauté,
rapport film-spectateur, etc.
P a r contre, il est prévisible que
c’est la porte ouverte au c n’importe
quoi-n’importe comment » si le travail
n ’est pas sous-tendu par une nécessité
que je ne peux pas formuler mais qui
est beaucoup plus fa rte que dans un
travail individuel. Au risque de p a r a î­
tre délirant, j'ai le sentim ent q u ’on
devrait parvenir à des films ir r é fu ­
tables.
E n registré le 2 janvier 1971, avec la
participation de Jacques A u m o n t,
Pascal Bonitzer, Jean-Louis Comolli.
56
l’époque — les savoirs qu’intègre une lec­ dans le monde réel, qui est toujours en requise. Le tableau général de la repré­
ture « moderne » (en l'occurrence la psy­ trop, déplacé. sentation, s’il n’en est pas pour cela tota­
chanalyse et l’analyse structurale du ré­ C'est eu cela que le personnage hitch- lement subverti, s’en trouve néanmoins
cit), commencent par une remise en cockien se trouve toujours déphasé par gravement perturbé. Ainsi, l'effacement
cause de ce rapport naturel, direct et rapport à son milieu (la myopie de JF du sujet psychologique, trait essentiel de
constant qui s'établissait entre le specta­ en fournissant un contrepoint permanent) la modernité cinématographique (et ro­
teur et Joan Fontaine d ’une part, entre ne disposant que de la seule ressource de manesque) commença paradoxalement par
celle-ci et son milieu d'autre part. C'est son imaginaire pour compenser symboli­ son inscription excessive : c'est parce que
ce désir de lumière du sujet et ce qui se quement ce dont il a été initialement ex­ chez Hitchcock le sujet pense de trop,
masque derrière, et la manière dont le clu (c’est-à-dire de la connaissance excède sa fonction, que son regard n’est
spectateur doit se satisfaire de ce savoir sexuelle dont on écarte traditionnellement plus fiable et que sa place commence à
imparfait (puisque c’est l'imperfection les enfants. Voir la scène où Beakey a r ­ faire problème. — Pascal KANF.
même de sa connaissance qui pose le sujet rête net l’histoire « pour adultes » qu’il
en tant que tel) qu’il faut interroger en était en train de raconter). Déphasage
premier lien, car c'est dans ce désajuste- repérable dans les scènes où la mère de
ment que prend véritablement corps la JF ne peut comprendre les réactions sou­
fiction liitclicockienne, comme c’est clans daines que celle-ci manifeste et qui sont
la lecture du rapport de méconnaissance le terme de tout un parcours mental, cl
que le sujet entretient avec son univers plus généralement dans le décalage sys­
que le spectateur pourra mettre en cause tématique qui s’introduit entre elle et
ce que cette fonction de personnage cen­
tral ordonne : une lecture psychologique
l’événement et qui ne lui permet de se
rendre compte de ce qui se passe qu'après
La Faute
du monde où, la méconnaissance étant
bannie, le savoir du personnage et celui
du spectateur se confondent absolument.
coup (de la même manière dont elle est
toujours en retard d’un mensonge de CG,
et cela de manière tellement systématique
de l'Abbé
que sa mort finit par s'eu trouver « pro­
grammée » à la fin du film). M ou r et
Ce qui caractérise cette compensation
On s’arrêtera d ’abord sur la situation symbolique dont nous venons de voir à
de 11; au moment de sa rencontre avec quelle nécessité elle correspondait, c’est LA FAUTE DE L'ABBE MOURET Film français
CG. Ce qui s'effectue alors, c’est son in­ l’effet de leurre qu'elle produit pour le de G e o r g e s Franju. Scénario : Jean Ferry et
clusion dans l'ordre du désir à travers la sujet — qui la reconduit ce faisant ; G e o r g e s Franju, d 'a p r è s le roman de Emile
conscience qu’elle acquiert de son corps striicturalement, il est aussi possible de Zola. Images : Marcel Fradetal. Son : B e r­
comme instrument de jouissance, comme nard Aubouy. Montage : Gilbert Natot. Aasls-
renverser la proposition et de dire que la tant-réalisatour : Bernard Q u e y sa n n e. Inter­
corps érogène. Dès lors, le milieu fami­ problématique hitchcockienne du sujet prétation : Francis Hus ter (Serge), Gillian
lial apparaît, dans la sccne où elle sur­ commence (et prend tout son intérêt) par Hills (Albine), André Lacombe (Archangias).
prend les résolutions prises pour elle, l'introduction d ’une dysharmonie (d’un Margo Lion (La Teuse). Lucien Barjon (Bam-
comme le lieu où celte jouissance est leurre) entre celui-ci et le monde à partir b ouase), Hugo Fausto Tozzi (Jeanbenat). Tlno
prohibée, le père étant montré comme la de quoi le champ de l’imaginaire pourra C arraro (Docteur Pascal). Production : Ste-
principale figure castratrice (déjà claire­ venir exemplairement s’articuler (la fonc­ phan Film, Les Films du C a r r o s s e , Valoria
ment évoquée par sou nom : Général Filma (Paria) - E. Amatl (Rome), 1970. Durée :
tion de méconnaissance se définissant 1 h 35 mn.
Headlaw). Ce passage qui occupe tant bien par ce qu’elle produit des représen­
Hitchcock entre l’enfance et l’âge adulte tations — imaginaires — qui compensent
— c’est-à-dire la maturité sexuelle — la production du manque), ce qui signifie
(moment de In diffrrunec du dé*ir en ce bien la mort du sujet psychologique. Ce Une lecture de La Faute de VAbbc
sens que son objet, d’imaginaire, devient qui importe essentiellement dans un film Mourct peut s’appuyer d’abord sur l'ana­
rcel, ce qui oriente son accomplissement comme celui-là (et dans tons les films lyse des signifiants icouiques constitutifs
dans la voie du détour) sera, sur le mode d’Hitchcock qui mettent ainsi en jeu un de son discours, signifiants entre lesquels
métaphorique le ressort central de la fic­ sujet, de Rebecca à Marnie, à partir d’un peuvent se repérer des différences qua­
tion. Ainsi la culpabilité que font éprou­ manque constitutif), c’est cet obscurcis­ litatives évidentes, dont le cinéaste a pro­
ver à J F les écarts de conduite de son sement, ce décentrage de la fonction su­ duit les effets de sens majeurs de ce
mari est bien d ’ordre sexuel, c'est-à-dire jette qui, tout à la fois, produit la fiction discours.
liée à la transgression de l’interdit pater­ en fonction même de cette position en Apparaît d'emblée, à un simple niveau
nel. Toutes les autres figures paternelles éclipse et se trouve désignée dans cette de perception (qui constitue d’ailleurs
du film (l'employeur de CG, l'inspecteur place par elle, et en même temps, laisse déjà une lecture) du film, un clivage
de police, Beakey) provoquent d’ailleurs voir au spectateur ce décentremcnt où entre deux séries de figurants, l’une se
d'une manière où d’une autre sa culpa­ s’introduit la fonction imaginaire. Dans donnant d'emblée comme * aimable * (la
bilité, Beakey eu particulier, J F vivant le cinéma classiquc_ le personnage-sujet, statue de la Vierge, le visage de l’abbé
la relation triangulaire qui l'unit à CG (héritier d’une longue tradition romanes­ Mouret — du moins son premier masque,
et à lui sur un mode purement œdipien que) n’était qu'une tenant-lieu médiateur celui de la jeune fille), l’autre comme
(eti ce sens le meurtre de Beakey est absolument transparent que le regard du répulsive (la statue du Christ, le mas­
« évident » pour elle). spectateur traversait innocemment pour que vampirique de l’abbé après l’idylle,
La transgression de la Loi et la culpa­ s'appliquer au monde diégétique (cette le visage de l’autre prêtre). Le travail
bilité qui résultent de l'inclusion du sujet transparence illusoire recouvrant bien sur du cinéaste a en fait consisté, à partir
dans l’ordre sexuel mettent d’emblée ce­ un mode de lecture précis pris dans le de cette double série :
lui-ci « en défaut s», le marquent défini­ système global de la représentation). Avec 1) à produire un rapport analogique
tivement d’un handicap qu’il s'efforcera Hitchcock, c’est cette transparence qui se entre un figurant dont le réfèrent est
en vain tout le long de combler. F.n vain, trouve mise en cause le personnage réel (l’abbé) et un autre (la statue de
sa situation ne pouvant en effet se clari­ commence à « bouger », il n’est plus une la Vierge) dont le réfèrent est imagi­
fier puisqu'il dispose d’un savoir à la fois simple lentille laissant passer la lumière naire, mais dont le caractère aimable est
« excessif » par rapport au monde fami­ selon des lois connues ; tout un jeu de semblable (analogie, répétons-le, exclusi­
lial (d'où sa culpabilité) et en même caches intervient qui fait buter les rayons, vement ancrée dans l'ordre iconique) :
temps insuffisant (d’où ce handicap à se met à les diffracter de manière abso­ 2 ) à traiter l’épisode de l’idylle de
combler), c’est-à-dire en fin de compte, lument nouvelle, tant et si bien que c’est façon exactement inverse de celle de
d’un savoir qui ne trouve pas à s’indure une nouvelle manière d'accomoder qui est l'abbé regardant, au début du film, la
57
et b) leur appartenance à un système
iconique déterminé (photographie et ci­
néma publicitaire) et leur ancrage réfé­
rentiel.
Ainsi, dans La Faute de l'Abbc Mou-
ret, l’oblitération ou au contraire l’insis­
tance sur la matérialité des objets pro-
filmiques au moyen d’une double batterie
de clichés et des effets filmiques ici
désignes semblent imposer à une fiction
dont ces effets surdéterminent le discours
la logique de son développement, à tel
point que dans les dernières scènes, c’est
la matérialité même soit des figurants
(les deux masques de l’abbé), soit des
signifiants icouiques dans leur globalité
(les plans), d'abord conçus comme des
caches filtrant le reflet de la matérialité
des objets profilmiqucs produit par leurs
figurants, puis finalement dégagés de
tonte référence autre que celle de leur
système iconique (le dernier plan du
film), qui ont charge de signifier Je
conflit qui déchire le prêtre.
De sorte que plutôt que de pratique
matérialiste du cinéma, 011 pourrait par­
ler, à propos de ce film, de discours
t.a F a i l l e <le l ’A b b é M o u r e t . d e ( I c u r R c s Fran.ju {(ïillian Hil ls ).
idéologique et névrotique sur sa maté­
rialité. Névrotique dans la mesure où son
discours sur l'interdit du désir s'effectue
statue de la Y’ierge : la regardant comme souvenir désormais idéal de ses rapports de telle manière que ce qui est signifié,
une femme réelle (c’est-à-dire confondant amoureux s’inscrit significativement une ou du moins s’impose au spectateur an
figurant et réfèrent réel), taudis que dernière fois comme un cliché de roman- terme de son travail de lecture, n'est
Franju filme l’idylle dans le style pho­ photo. jamais l'interdit qui pèse sur les choses
tographique de « Marie-Claire » ou des La différence entre un cinéma comme et sur les pratiques réelles, mais toujours
bandes publicitaires (c'est-à-dire en don­ celui d’Eisenstein à ses débuts et celui-ci une opposition tranchée par le contexte
nant à un épisode réel de la fiction une est que le premier confond, à la limite, théologique de la fiction et 'formulée
garantie purement imaginaire) ; sur le plan de l'image, signifiant, figurant comme un partage mystérieux, ineffable,
3 ) à produire un second rapport entre et réfèrent. Pour le jeune Eisenstein, la entre des objets et des actes érotiques
des figurants dont le réfèrent peut être matérialité iconiquc consiste essentielle­ filmiquement beaux à voir et d’autres
imaginaire ou réel, mais qui sont en ment en celle de figurants qui ne sont laids (beaux 011 laids selon que le jeu
tous cas affectés d’un caractère répulsif, jamais, la plupart du tumps, que le reflet, de caches et de masques filmiques mis
en opposition avec les précédents (sensa­ voulu aussi transparent que possible, de en œuvre impose, dans le champ d’un
tion de propreté, de netteté, pourrait-on celle de leurs référents réels (une image même fantasme, une plus ou moins
dire, rassurante en 1, oblitération du ré­ de boue, par exemple, étant choisie de grande distance entre quelque Chose qui
fèrent réel par une photographie « lé­ telle manière qu'elle restitue le plus fidè­ est toujours Autre, qui ne consiste ja ­
chée > en 2 ) ; lement possible l’effet visuel de la consis­ mais ni bien sûr en la chose réelle, ni en
4 ) à ponctuer le discours du film snr tance de la boue dans la réalité). Tandis son reflet analogique, ni en la trace lumi-
l'interdit de la chair et 1’ « idéalisme » que chez Lang, Renoir, Antonioni, Go­ neuse-support de ce reflet, mais en l'effet
de l’abbé Mouret par des plans imprévus, dard, 011 très explicitement dans ce film de leur diffcrancc, et un spectateur mis
traumatisants, où la matérialité des objets qui en thématisc et en maîtrise les effets, en position permanente d'effraction et
profilmiques semble plus présente, et lit­ tendent à être mis en jeu des rapports d’interdit), ces signifiés ultimes de beauté
téralement plus proche que dans les de différante : et de laideur n’étant à leur tour nulle­
autres images (le premier couple, la 1) entre figurant filmique et réfèrent ment interrogés, portés qu'ils sont par le
morte, la fin de l’idylle sous la pluie), profilmique : au-delà du figurant iconi- plus mièvre discours post-surréaliste
pour ensuite relancer la relation signi­ que, l'effet de prise de vue introduit 1111 (comparer à Peau d'Ane où Dcmy fait
fiante produite entre l’aspect aimable d’un effet de signifiance supplémentaire donné, ressentir de la manière la plus trou­
figurant signifiant l’érotisme sans péché dans le discours du film, comme accusa­ blante l'impossibilité d ’inscrire matériel­
et la matérialité sinon répulsive du moins tion de la présence coupable, impure, des lement sur l’écran, dans le cadre d’une
déplacée d ’un réfèrent signifiant un éro­ choses réelles : d’autre part, la double telle fiction, une représentation d’objets
tisme coupable. Cette relance consiste série des figures de l’abbé Mouret est dont même .les substituts métaphoriques
en ce tjne. par exemple, l’abbé repentant produite comme un effet de masque, la n ’ont pas le droit d’accéder à la repré­
se voit affligé d’un masque repoussant première masquant la seconde, le figurant sentation : les excréments de l'âne par
(mais qui révèle, comme une photogra­ étant en fait conçu comme masque du exemple). Idéologique dans la mesure où
phie « réaliste », la matérialité du visage réfèrent. il ne réfléchit et ne propose comme
de l’acteur), et que son discours sur le 2 ) Entre signifiant iconique et figu­ signifiés majeurs que ces paradigues, en
refus de la chair est produit, dans la rant : dans la mesure où le cinéaste joue restant aveugle à tout ce que ces clichés,
scène où il repousse la femme, sur un de la qualité plastique de la photographie de par leur matérialité, de par les diffé­
fond tic muraille et à proximité d’un pour effacer ou accentuer le reflet de la rents contextes de leur inscription, actua­
crucifix matériellement particulièrement matérialité réelle des référents des figu­ lisent d’effets de sens dont le cinéaste
insistant, alors qu’en retour, dans la rants, ces derniers sont, dans leur champ semble avoir fait sans le savoir l’unique
scène de l’enterrement, sa sérénité re­ iconique, soumis à une perpétuelle distor­ valeur d'échange d’un film dont toutes
couvrée sc marque par la réapparition sion entre a) leur rôle de masque et les images signifient la qualité (exacte­
de son masque primitif, tandis que le celui de reflet analogique des référents, ment comme les clichés publicitaires, et
58
tout l’cpisodc de l’idylle apparaît comme ment de son discours politique. C’est la plupart du temps) de la fonction de
un insert publicitaire pour produit de cette triple définition de la Scène, poli­ sujet, fait de l’appropriation du langage
beauté), constituent les signifiants d’un tique-historique (référentielle), stratégi­ une imposture. Si donc, A h ! ça ira ! pre­
cinéma de qualité non pas satisfait mais que (le jeu exemplaire du Pouvoir), et nait encore en charge les énoncés idéo­
honteux qui thématise ainsi sur un mode symbolique (le recouvrement de celle-ci logiques que sa fiction accueillait, Siroc­
névrotique une opposition entre un cliché par une « Autre scène » à travers la di­ co, voulant réduire tout discours indivi­
lisse, propre, beau, imposant à l'écran mension ludique du travail de Jancso) duel dans 1’ « Histoire », en arrive à
des figurants jeunes et beaux figés dans qui interdisait, de l'intérieur de cette refuser toute identification avec quelque
1111 rapport idyllique, et un cliché « réa­ problématique, tout reproche formaliste discours que ce soit, résolvant ainsi
liste » où les figures abstraites du Mal à l’égard du film. exemplairement (par l'insolubilité), la
s’impriment indifféremment dans la plus De cette stratification, Sirocco écarte question à l'œuvre dans tout véritable
grande confusion. Cette opposition per­ délibérément la détermination stratégi­ procès artistique, celle du « qui- parle ? ».
pétue un manichéisme qui trouve avec que : i) en faisant du lieu un décor Q u a n t à la t o n a l i t é p a r o d i q u e d u . f i l m ,
toutes ces figures des références cultu­ a f f i r m a t i o n d e la d i s t a n c e e n t r e l’a c t i o n
neutre, une toile de fond et non un point
relles et réelles précises (nu Père anar­ r éel le e t sa f i g u r a t i o n , m a i s a us si ( c o n ­
névralgique; 2 ) en passant de l’affronte­
chiste, un couple hippy et un curé-flic) t r a i r e m e n t à c e q u e j ’é c r i v a i s d a n s le
ment de groupes (même si chaque élé­
sur l’implication idéologique desquelles nu m éro 2 tp ) c o nfirm a tion du scepticisme
ment pouvait s'v individualiser) à des
le cinéaste est resté complètement aveu­ j a n c s i e n , c ’e st ce qui v i e n t n i v e l e r en
rapports individuels de force, île mé­
gle, et que Franju, pour avoir prétendu d e r n i è r e i n s t a n c e t o ns les c o d e s à l’œ u v r e
fiance, d'attirance...; 3 ) en confinant l'épi­
en opérer un simple remarquage « poéti­ d a n s le film. « D é v a l o r i s a t i o n » d o n t l ’i m ­
sode que décrit le film dans une volon­
que > terme à terme, se borne à réacti­ peccable m odernité stru c tu ra le ne dis­
taire i 11signi fiance. (Cette «dévalorisa­
ver. — Jean-Pierre OUDART. p e n s e p a s d ' i n t e r r o g e r , s u r so n a u t r e v e r ­
tion » étant encore accentuée par les
bandes d’actualité qui précèdent le récit . s a n t , ce r ô l e u n peu t r o p c o m m o d e a s s i ­
gné par Ja n c so au sim ulacre : pourquoi
et qui relatent des épisodes politiques es­
e n effet, c o n v o q u e r t a n t de r é f é r e n t s
sentiels).
po l it iq ues , b â t i r la s c è n e cu f o nc t i o n d e
En réduisant de cette manière les dé­ l e u r s c o n t r a d i c t i o n s , si ce n ’est q u e p o u r
terminations de la scène. Sirocco appa­ m i m e r u n t r a v a i l d i a l e c t i q u e ? A quoi
raît beaucoup plus vulnérable que son bon réin staller l'érogene a u x pre m iè res
prédécesseur à une critique antiforma­
Sirocco liste, d’autant que le travail même de
formalisation de Jancso (l'extrême durée
l oges de c e t t e m ê m e sc è ne , si c ' es t p o u r
le f a i r e j o u e r contre le p o li ti q ue , et donc ,
d ’u n e c e r t a i n e m a n i è r e , r e f o u l e r e n c o r e
des plans, la mobilité de la caméra, le u n e fois cel ui -ci ? — P a s c a l KANE.
chassé-croisé des acteurs) s’y trouve (1) S u r le c o n c e p t de m a j o r i t é s i l e n ­
SIROCCO (SIROCCO D’HIVER) Film h o n ­ reconduit et approfondi sans pouvoir c ie us e, cf. y C h a r l i c H c b d o » 11° 5.
grois de Jan cso Miklos. Scénario : Janc- «bénéficier» cette fois d ’une' lecture
so Miklos, Hernadi Guyla. Dramaturge : Blro (2) P a r a g r a m m a t i s m e : « S u r i m p r e s s i o n
paragrammanque de la stratégie ( 2 ). icn double écoute) de deux langages
Yvette. Adaptation française : Ja c q u es Rouf-
fio, Francis Girod. Images : Ke nde Janos Pourtant, ce report sur la seconde dé­ ' O r d i n a i r e m e n t f o r c lo s l'un p a r l’a u t r e »
(scope, couleur). Musique : Vajicscic Tha- termination scénique (celle, symbolique, (Bartlies).
mer. Décors : Banovitch Tamas. Montage : qui fait (entre autres) de la scène l’image
Fark as Zoltan. Assistant-réalisateur Kezdi- d'un discours se constituant — cf. « Ca­
Kovacs Zsolt. Interprétation : Marina Vlady hiers » nn 2 1 9 ) de la totalité du travail
(Maria), Jacques Charr ie r (Lazar Marko), Eva jancsien, n’est pas scidancnt simple ap­
Sw ann (llona), M a d a ras Jozsef (Markovics),
Bujtor Istvan (Tarro), Banffy Gyôrgy (Ante),
pauvrissement des données, refus de
Philippe March (Capitaine Kovacs), Kosak tout travail dialectique. Les caractères
An dras (Farkas), Pasc al Aubier, Michel Dela- qui permettent aux cléments scéniques
haye, S z a bo Lazlo, Françoise Prouvost. Pro­ d'être ordonnés comme les parcelles d ’ 1111
duction : Studio N° 1 de Mafilm (Budapest), discours visualisé par un «locuteur» re­
Les Films M arqui se (Paris), 1970. Durée :
1 h 19 mn.
vêtu par intermittence de la fonction de
sujet (c'est-à-dire qui peut sélectionner,
D'accord
Ah ! fu ira .' représentait, du commen­
agencer, articuler des cléments suivant
certaines lois « syntaxiques ») ne sont
pas simplement reconduits dans Sirocco.
ou pas
cement à son aboutissement provisoire, Plus encore que dans Ah ! ça ira ! la pu­
un épisode historique de la lutte révo­ reté combinatoire, celle du « discours
lutionnaire en Hongrie, celui où la situa­ NQl
tion de force d’une minorité oblige une
« majorité silencieuse » (un collège de
jésuites) à choisir son camp (i). Moment
conscient » est sans cesse obscurcie par
l'affleurement de fantasmes erotiques
dont 011 s'aperçoit qu’ils participent, dans
un incessant tourniquet, du mécanisme
•cm] liMilr iii iiA
sjr L p*.) ihjnrfKw
concret et exemplaire d’une lutte, choisi même du récit. Or ces fantasmes,' jamais \ d i '<'<rtri
æ
Ita lie 19711
de manière que sa temporalité et que donnés comme tels (jamais origines), aspects 1
du l'jpiidlK nu des luttes ‘
le lien de son déroulement sc superpo­ n’appartiennent à personne d'autre qu’an \ k h lr ill l. politiques. 1
sent rigoureusement au travail scénique film lui-même. Ils sont le produit de I 1114 i p i
dîliH iili
h h

du film, de sorte que l’enjeu politique son « travail », au sens où l'on dit, à I r ti f l IllI'IllUftllV.

et stratégique apparaissent sans cesse propos de l’élaboration psychique, que


sous-jacents à cette formalisation. Le lien « ça travaille » : activité incessante qui Arihilciiiifc
devenait donc idéalement (sans violences se trouve ici figurée par le perpétuel 1-11>'.|||I'|ÜV
réductrices et abstractisantes) double mouvement de la caméra, en ce que
théâtre d'opérations (le récit d'une lutte ce déplacement accueille puis décentre K io iq u s i - Librairies : fl F.
et le récit de sa théâtralisation). Ht le toute subjectivité particulière au profit Abonnamanl - 1 an : 50 F ■ 6 m. 27 F
lent investissement de l’espace par une de sa seule mécanique. Ce 1 passage per­ Spéc. Atud. - 1 an : 30 F - d m. : 15 F
caméra toujours mobile, pouvait se don­ pétuel du conscient à l'inconscient est ce
C.C.P. Pana 6956.23
ner — dans le présent de la performance qui brouille la question de l'assignation
filmique — comme le véritable travail d’une origine de rénonciation. C'est ce La N.C. - 19. rue Sl-Gsorgea - Paris ÿ -
stratégique du film, comme l'aboutisse­ qui désinvestit le « locuteur » (Charrier
59
2. Rejeté p a r quoi ? P a r un système possibilité de langage) et puisq u ’il
Which (l’arm ée) qui n ’a aucun besoin de
noms illustres, mais bien de corps (au
n’est que son Nom, il va a g ir dans le
sens de ce Nom : acheteur, il va ache­
Way to the sens de « chair à pâtée ») pour fair e
la guerre. Or, et c’est là la nouveauté
décisive de Which Way To The F ront
ter.
3. A p a r ti r de là, la fiction va p ro ­
g resser avec une assez grande logique.
Front dans la problématique lewisienne, le
Lewis de ce dernier film est réduit
(Signalons, sans trop nous y a tta rd e r,
que l’analogie Lewis/film à faire-
à un mot, une image de marque, un B y e r s /g u e r r e à faire ne cesse de fonc­
Nom. A u tre m e n t dit, « s’accepter », tionner to ut au long du film. De la
a i r lewisien connu, veut dire : renon­ g uerre ne sont retenus et montrés que
cer à son corps et ne plus être que les éléments qui peuvent aussi évoquer
son nom, ce que ce nom promet, s’il la fabricatio n d ’un film : confection
prom et quelque chose. Or, « Byers » des costumes, choix et achat des ac­
se prononce comme « Buycrs » qui cessoires, rôles à apprendre, répéti­
signifie « Acheteurs » (pluriel qui tions, etc., sans parler de l’utilisation
indique que le dédoublement, pour p a r Byers des films documentaires
WHICH WAY TO THE FRONT (YA YA MON
n ’être plus visible, n ’en subsiste pas q u ’il projette à bord de son yacht).
GENERAL) Film américain de Jerry Lewis. moins quelque part, et le masque ci­ Fiction à peu près incroyable, invrai­
Scénario : Gerald Gardner, Dee Caru so , Ri­ reux, tr a g iqu e du Lewis des premiers semblable, mais d ’une incrédibilité
chard Miller, d ’a p r è s une histoire de Gerald plans est là po u r l’a t te s te r ) . D ’a u tre d ’un style nouveau chez Lewis : non
G a rd ner et Dee Caruso . Images : W. Wallace part, ce Byers porte le numéro trois, pas la disposition minutieuse et « réa­
Kelley. Musique : Lou Brown. Décors : John c’est-à-dire que de ce Nom. il ne fait liste » d'un dispositif que seule l’ir­
Beckman (a.d ), Ralph S. Hurst. Montage : q u ’h ériter — insignifiant lui-même en ruption de Lewis-acteur va faire peu
Russel Wiles. Son : Al Overton. Costumes :
t a n t que corps — ainsi que d ’une à peu basculer dans la folie, mais
Guy Verhille. Producteur associé : Joe Sta-
bile. Interprétation : Jerry Lewis (Brendan fortune si colossale q u’il ne peut plus plutôt une invraisemblance fil v audrait
Bye rs III), Jan Murray (Sid Hackle), John que la g é r e r (en fa i t la dilapider). mieux dire : discontinuité) qui semble
W oo d (Finkel), S teve Franken (Peter Bland), Dans ses films précédents. Lewis ob­ également ré p a rtie entre tous les élé­
Dack Rambo (Terry Love), Robert Middleton tenait, au terme de la fiction, qu'on ments de la fiction (par exemple, la
(Colonico), Willie Davis (Lincoln), Kaye Bal- (les femmes, les puissants, le public) présence d'un N o ir en uniforme alle­
lard (la femme du maire), Harold i. S to ne le prenne en considération en ta n t que mand ne f a i t pas problème). Non seu­
(Général Luther Buck), Paul Winchell Corps, suje t, intériorité, intimité, etc. lement Lewis ne semble plus s’inquié­
(Schroeder), Sidney Miller (Hitler), Kathy
Freeman (mère de Bland), Neil Hamilton (le
Ici, rien de tel : il ne fa i t q u ’appren­ te r des articulations de son récit (non
chef d ’équipe), Milton Frome (un executive), dre à se conduire selon les règles d’un plus empêché, mais contourné, évité,
Bob Lauher (le sergent), Artie Lewis ( S S J. jeu qui n ’est plus seulement le sien ; ignoré) mais c’est le principe même
Levitch), Bobo Lewis (femme de Bland), Mic- puisq u ’à proprem ent parler, il n ’a plus de toute diégèse q u ’il semble laisser
key M anners (un SS), G e o rg e Takei (Yama- de corps (celui-ci é tan t « joué » p a r le au hasard, la question : comment (de
shita). Fritz Feld (von Runstadt), Martin Kos- trio. Byers III = les trois « Byers » quel droit) passer d ’une chose à une
leck (com mandant du sous-marin allemand), = Hackle, Bland, Love), il ne va pas a u tre ? Cette question, il se la posait
Bill Wellman Jr, Benny Rubin. Production :
Jerry Lewis, W a r n e r Brothers. Distribution :
répéter son e r r e u r (se présenter à la avec force dans les films précédents
W a r n e r Bros. Durée : 96 mn. visite médicale de l’armée, se proposer parce . q u’elle n ’é tait alors qu’un cas
comme corps et perdre ainsi toute p artic ulier d’un a u tre passage, celui

I. Dans Which Way To The Front,


quelque chose qui était à l’œuvre dans ff'hich ff'ay to the Front, de J erry L a v is (K athleen F reem an et Steve F ranken).
les films précédents de Lewis trouve
enfin à se réaliser, d ’où ce film p a r ti ­
culièrement strid e n t et peu agréable
où rien ne subsiste des atte n d risse ­
ments passés. Il est clair que Jerôme
Levitch. est en train de fr a n c h ir un
cap. et de ce rêve impossible (n’être
qu ’un, se rassembler et/ou se choisir,
ne plus se dédoubler) il est a u jo u r­
d’hui plus près que jamais. Seulement,
il n ’a pas choisi d ’être une fois pour
toutes la victime humaine, trop h u­
maine que des films comme The N u t t y
P ro f essor ou The Ladies Man valori­
saient in extremis, il a préféré — et
ce choix ne devrait s u rp re nd re p e r ­
sonne — être l'homme fort, le self-
made-man, le « prodneer » J e r r y
Lewis. L ’époque des dédoublements
dont il é tait si facile, jubilatoire, de
jouer, de démonter les mécanismes,
s'éloigne irrémédiablement. Le désert
s ’accroît. E t s ’il est vrai que Lewis
(s’)offre encore quelques grimaces, ce
n ’est plus tellement po ur r a s s u r e r son
public car on n'a pas assez remarqué
que ces cris, grimaces et borborygme»
n ’intervenaient que deux fois dans le
film, au début, en réponse au mot
Rejcctr.d.
60
d'une instance à l’a u t r e d ’une person­ est indicible (1) : sa Parole est d’or : Précisément, j ’avais écrit que Cama­
nalité divisée (d'où des morceaux de (deutsch) Mark M y Words. rades appelait ce genre de commentaire
bravoure tels que la tr a n sfo rm a tion Serge DANEY. esth é tisa n t et formaliste, q u’un tel
à vue de Love en Dr. J e r r y à la fin de film (fondé s u r le refus de principe
The N u t t y Prof e sso r). Or, ce dédou­ ( 1 ) Le drame du sujet dans le Verbe de critiqu er son lieu d’inscription)
blement n ’est plus le su je t explicite c’est q u’il fait l’épreuve de son m a n ­ ava it inévitablement pour effet « de
de Which Way Ta The Front, ni le que à être (Lacan). sép arer ce que le spectateur croit être
resso rt de sa fiction. le « contenu » (politique) du film et
ce qu'il croit être la « fo r m e » (esthé­
4. Mais pourquoi un tel app arent tiq u e ) ». E t de les séparer sans retour
relâchement ? C’est que Lewis-Byers dialectique. Cette mutilation de lecture
a pria son rôle au sérieux. Que veut- qui est la règle de toute critique em­
on de lui ? Ce q u ’il peut donner : son pirique (s’épuisant dans le va-et-vient
Nom, d onc/et l’A rg e n t que ce Nom
promet, la possibilité pour lui infinie
d ’échanger (plans de monnaies é t r a n ­
Camarades entre la « forme » et le « contenu »)
se vérifie p a r ailleurs dans l’aveugle­
ment de cette critique à toute a u tr e
gères et de femmes chargées à bord
du yacht). Le récit ne progresse plus
linéairement dans un espace homogène,
(suite) analyse : d ’un texte donc où je
m ’efforçais de dénoncer cette division
mécaniste form e/c onte nu, idéologique/
mais uniquement p a r l’intermédiaire esthétique, voici la leçon que tire Guy
de l’un de ces équivalents généraux : Hennebelle : « Mais ce n ’est pas seu­
le langage, l’argent. Aucun film de lement le contenu idéologique du film
Lewis n ’avait a u ta n t ,ioué s u r le lan­ CAMARADES Film français de Marin Kar-
mitz. Scénario Marin Karmitz, Jean-Paul qu'on a contesté avec iin d ig n a tio n ver­
gage. les mots et leurs je u x ; aucun tueuse dont je parlais plus haut. M arin
Giquel, Lia Wajntal. Images : Pierre-William
film de Lewis n ’avait si ouvertement Glenn (Eastmancolor). Son : Bernard Aubouy. K arm itz serait encore coupable de
parlé de l’a r g e n t et du pouvoir qu ’il Musique : Jacky Moreau, Sylvain Gaude lette . graves fa utes sur le plan esthétique.
donne (il f a u d r a i t plus longuement in­ Décors : ■ Charlotte Fraisae, Henri Brichetti. Il aurait « englué le travail des signi­
te r r o g e r tous les caractères de « ju- Montage : Thierry Derocles. Interprétation :
fian ts politiques, le travail politique
daïté » enfin affirmés dans le film et Jean-Paul Giquel (Yan), Juliet Berto (Juliet),
des sig nifiants, dans un glacis de si­
dans deux sens opposés : apparence Dominique Labourier (Jeanne), André Julien
(le père), Gilette Barbie r (la mère). C h r is­ gnifiés m oralisate urs ». Tel quel (...).
physique de B yers/N o m d ’un soldat Voilà bien du « gauchisme esth éti­
tian Bouillette. Gérard Zimmerman, Favre-
allemand décoré : Levitch). Aucun Bertin, Michel Ferrand, Michel Duplex, Jean- que », par exemple ! Il ne s'agit pas
film n ’avait été aussi près de désigner Pierre Mellec. Production : Daniel Riche, a contrario, c'est clair (sic), de nier
leur complicité : la parole est d ’or. M.K 2 Productions, R e g gan e Films, Les la nécessité d'une révolution p e rm a ­
5. C’est donc grâce au pouvoir Films 13, Les Productions de la Guéville.
nente des formes. On conviendra vo­
Distribution : NEF. Durée : 85 mn.
t r a n s f o r m a te u r des mots que Lewis- lontiers (sic) q u ’une certaine dram a­
Byers se fraie un chemin vers et «à turgie traditionnelle est a u jourd’hui
travers le Front. C’est (maître du Si je reviens un peu sur un film dépassée. Mais, à condition de la lire
langage, il dispose d’archives) à la qui, malgré un relatif succès com­ d'une manière dialectique, je crois
fois en les nommant et en les pay an t mercial, n’a semble-t-il en fin de q u ’est ju s te la form ule de Jean-Louis
qu'il s’assure les collaborations (le j a ­ compte guère pu faire illusion s u r le Bory qui dit : « La culture popu­
ponais, J’ancien du Gardénia Bleu puis plan politique (la floraison des films laire, c'est le savoir bourgeois plus la
Love/Hackle et Bland auxquels il donne type Z a échaudé pas mal d ’optimis­ voix populaire ».
un chèque après les avoir appelés p ar mes militants, qu ant à l’aspect « po­ Il est inutile, je pense, d ’insister
leur nom). C’est en p a rla n t le même s itif » du tra ite m e n t « grand public » s u r de telles déclarations, non plus
langage que le général Buck (en se de « sujets politiques à caractè re p ro ­ que sur des formules du genre « révo­
conte nta nt de répéter ses phrases ) gressiste »), c’est su rto u t en raison lution permanente des formes » qui se
qu'il le dupe (Buck = Dollar). Au de quelques réactions (attendues) que dénoncent d'elles-mêmes. Il va sans
royaume des mots, nulle résistance ma lecture de Camarades dans le nu­ dire que les « faute s » dont K arm itz
possible ou même pensable, aucune méro 222 des Cahiers (« Film/politi­ s ’est rendu « coupable » n ’ont stric te ­
consigne ou mot de passe qui tienne. que ») a suscitées de la p a r t de c r it i ­ m ent rien à voir avec quelque « plan
Mais il suffit q u ’on se trompe de Nom ques professionnels. Il est normal que esthétique ». Répétons-le : c’est la
pour que la réalité crue de la guerre les résistances principales à toute mise critique idéaliste qui a tout in térêt à
fasse irruptio n (Anzio plutôt que Na~ eh question radicale de ce type de m a in te n ir disjoints et étanches un
pies). E t cette réalité, il n'est pas film (mise en question par exemple « contenu idéologique » (ou politique)
question d'oublier que c'est celle des de l’idéologie de « l’expression a r t i s ­ et une « forme esth étiq ue ». On le
Corps, ce corps que Lewis semble avoir tique » s u r laquelle il se fonde, et de vérifie ra en chaque occasion.
définitivement perdu et contre (au­ son économie) viennent, une fois en­ E t puisque l’accusation . qui nous est
quel) le film est dirigé (dédié). Si core. de critiques couvrant d’une p h r a ­ portée (par Cinéma 71, P ositif, etc.),
Kessel ring est vaincu, c’est q u ’il se de gauche une activité profession­ à propos entre autres de notre analyse
n’est q u ’un corps fd’ou la difficulté nelle résolument empirique, esthéti- de Camarades !, est celle précisément
pour Byers-Kesselring de fa ire face à sante, antiscientifique et an tim arxiste , de formalisme, rappelons à la suite de
son rôle : whisky et bière avant le et dont le vernis phraséologique (cita­ Brecht (rappelons-le entre autres à
conseil d ’état-major, ir rup tio n d’une tions de Brecht. Lénine, etc.), ne peut P ositif, très empressé à le citer, ainsi
femme en chaleur). Si H itler est vain ­ m anquer assez vite de craquer, sur, que d ’a u tre s classiques marxistes, si
cu, au terme d’une scène magnifique, p a r exemple, ceci : « J'aime la tra n ­ c’est de manière analogique, menson­
c’est q u ’il n ’est q u ’un Corps, d ’où le quillité sereine, de la narration, le gère et régressive, comme tel f r a g ­
ballet, la référence faite à Eva, à la r y th m e du récit, cc style intim iste m ent de « S u r le réalisme », p. 81,
cuisine, le masochisme affiché, etc.. rehaussé d ’envolées épiques, cette ten ­ s erv an t d ’exergue à Tarticle de MM.
Byers - Kesselring - Lewis - Levitch tative de fusion entre le « discours-»~ Ciment et Seguin dans le n “ 122, et
peut bien d ’une manière insupporta ­ et le « vécu ». la beauté des couleurs dont nous restituons ici le contexte) :
blement grinçante mim er ces corps en en profonde harmanie avec les préoc­ a) « Quand on veut parler au peu­
folie, c’est pour les d é tru ire (pour cupations de Vauteur (le gonflage à ple, il fa u t se fa ire comprendre de lui.
combien de temps ?). Il a désormais p a rtir du 16 est très réussi )■». etc. Mais là encore ce n ’est pas a ffa ire de
gagné, c’est-à-dire que ce q u ’il a perdu (Guy Hennebelle / Cinéma 71, février.) form e. Le peuple ne comprend pas
61
seulement les form es anciennes. Pour ments de ceux qui le défendent (c’est Que le film de Billy Wilder dupe
dévoiler la causalité sociale, Marx, E n ­ bien cela, en effet. « sauver les for­ d ’abord tous ceux qui a tte n d e n t révé­
gels, Lénine n'ont pas cesse de recou­ mes »). Les uns et les autres, dans lations indiscrètes et scandales mon­
r ir à des fo rm es nouvelles. Lénine ne le champ spécifique du cinéma, a p p a r ­ dains d ’une histoire se donnant osten­
disait pas seulement autre chose que tiennent au même camp idéologique : siblement comme l’envers d ’un décor
Bismarck, il le disait a u tr e m e n t. Au celu i qu i se regroupe au tou r de la d ’où la « b a g a t e ll e » U’érogène) avait
vrai, il ri entendait parler ni dans les conception : cinéma = a r t populaire, été dès l’origine un peu trop exclue
fo rm es anciennes, ni dans les form es a r t de masse, a r t de la plus grande pour q u ’on ne s ’y p ermette pas au ­
nouvelles : il parlait dans la form e lisibilité. Conception dont on sait ce j o u r d ’hui. p a r la plus conventionnelle
appropriée » ; que politiquement elle recouvre : la des transgre ssions de genre, de l’affi­
cher enfin, voilà qui n'étonnera guère,
b) « Des changements qui ne sont, défense de Yéconomie (à tous les sens
pas des changements, des changements du mot) du cinéma de type hollywoo­ venant de la p a r t d ’un a u te u r chez qui
« de fo rm e des d e s c rip tio n s qui ne
dien — et dont nous critiquerons sys­ chaque sujet, po ur toujours et trop
tématiquement le caractère réaction­ tapageuse ment promettre, n ’en f r u s tr e
r e s t i t u e 7 i t q u e l’e x t é r i e u r d e s c h o s e s ,
naire. — Pascal BONITZER. pas moins systématiquement, et avec
sans qu'on puisse form er un ju gem ent,
toute la perversion requise, son specta­
un comportement formel, une action
teur. Au niveau de la promesse non
qui ne fa it que satisfaire aux formes,
s a u v e r les f o r m e s , des créations qui
tenue d ’abord, mais aussi à celui de la
restent, sur le papier, les adhésions du représentation du personnage, toujours
bout des lèvres, c'est tout cela, le e xté rieur au champ « érogène » qui
formalisme. Dans l’emploi de certaines l’entoure : jamais « dans le coup ».
notions en littérature, on devrait ne et plutôt malhabile à p ra tiq u e r les
pas trop s'éloigner de la. signification règles du jeu truquées dont son c ra ­
qu'elles ont dans d'autres domaines » puleux entoura ge ne se prive pas
d ’abuser. (On comprendra peut-être
(id . p. 106. C’est m o i q u i s o u l i g n e . )
mieux, dès lors, pourquoi la critique,
Ceci posé, qui n ’est pas inutile, j ’en répu g n an t à reconnaître cette systé­
viens au point décidément névralgique matique. s’est accrochée avec cette
de la critique que j ’avais faite, dans
« Film/Politique », de Camarades ! :
The énergie désespérée à ce qui touche à
l’homosexualité du héros, quelque peu
a y a n t écrit que ce film, é ta n t donné
son su je t (.les luttes en usine), se p r i ­
vait de toute possibilité d ’être pris au
Priva te « anecdotique » et « pittoresque »
que soit p o u rta n t l’épisode en ques­
tion.)
sérieux du fait d ’une carence fonda­
mentale : « l'absence radicale de toute Life o f Appliquée au personnage de Sher­
lock Holmes, cette constante de l’ina­
réference, aux syndicats ouvriers »,
P o sitif m ’accuse du « mensonge le
plus grossier ». Cinéma 71 (on y est
Sherlock daptation au milieu se trouve, nous
semble-t-il, affectée d ’une efficacité qui
dépasse nettement l’effet de gag.
plus serein) d ’inexactitude. P o u r Po­
sitif, <i il en est question (des syndi­
cats) à plusieurs reprises Po u r Ci­
Holmes Condamné, p ar l'image référentielle
du personnage, à faire de Holmes ce­
néma 71, si, « à Yan qui s'interroge lui qui déchiffre des messages illisibles
sur la portée de l'action des syndicats pour tout autr e, celui qui ne cesse de
actuels, un m ilitant à l’accent, étranger t i r e r parti (de trouver un sens) d'indi­
répond par une éloquente citation de THE PRIVATE LIFE OF SHERLOCK HOLMES ces apparemm ent sans pertinence,
Lénine qui vaut son pesant d'or ! » (LA VIE PRIVEE DE SHERLOCK HOLMES). Wilder va jo uer « a contrario » de
cependant, « il est certain que Kar- Film anglais de Billy Wilder. Scénario : Billy cette « compulsion herméneutique »
viitz est plutôt discret sur ce tape Wilder, I.A.L. Diamond, d 'a p r è s le p e r s o n ­ po ur aveugler son héros s u r toute au­
d ’organisation dans la France de 1970. n ag e d'Arthur Conan Doyle. Images : Chris- tre réalité. Ainsi chaque indice repéré
Faut-il expliquer pourquoi ? N'est-il t o p her Challis (Panavision, Technicolor). Mu­ p a r lui, loin d’être le signe « a u th e n ti­
sique : Miklos Rozsa. C o ncerto pour violon
pas évident que c'est parce (qu'il esti­ et o rc h estr e de Miklos Rozsa. Décors :
que ï qui va le rapprocher de la
m e) qu'il n'y a plus cnn ver g en ce en­ Alexandre Trauner (prod. des.), Tony Inglis « Vérité ». est-il au contraire pré a la ­
tre la cause du peuple et la cause des (art dir.). Montage : Ernest Walter. Son : blement disposé p a r d'autr es en vue de
appareils ? » Cette argum entation est J.W.N. Daniel, Dudley M e ss en g e r, Gordon K. sa lecture isoit pour fe mystifier, soit
désarmante. Mais c’est se faire plus McCallum. Assistant réalisateur : Tom Pevs- pour utiliser son travail déductif).
candide que n a tu re (ou croire ses lec­ nor. Générique : Maurice Binder. Directeur C’est-à-dire (pie la « réalité » à la­
teu rs plus candides que nature), que de production : I.A.L. Diamond. Interpréta­ quelle se he urte Holmes n'est que le
tion : Robert S t e p h e n s (Sherlock Holmes),
de prétendre faire passer pour une Colin Blakely (Dr John H. Watson), Irene
produit d'une mise en scène, totale­
« référence » à l’existence peu esca­ Handl (Mrs Hudson), C hristo ph er Lee (My- ment insuspectable p a r lui qui se
motable des syndicats ouvriers dans croft Holmes), Gen ev ie v e' Pag e (Gabrielle trouve prisonnier de son personnage,
les usines [contradiction spécifique du Valadon), Olive Revil] (Rogozhin), Tamara comme (de p a r sa méthode déductive)
gauchisme dans ces mêmes usines, et Toumanova (Petrova), G e o rg e Benson (Ins­ du lieu textuel ("de la diégèse) à l’in­
p a r conséquent question qui ne sa ura it p e c te u r Lestrade). C ath erine Lacey (la vieille térieu r duquel il évolue (il ne décou­
être éludée p a r un film tr a ita n t, d’un dame), Moilie Ma ureen (la reine Victoria), v rira la supercherie du eous-marin
P e te r M adden (Von Tirpitz), Robert Cawdron
point de vue gauchiste, des luttes con­ q u ’en en rapprochant analogiquement
(le directeu r de l'hôtel), Michael Elwyn (C as-
tre les cadences, les contremaîtres, sidy), Michael Balfour (le ministre), Graham le camouflage de l'image du Lac des
etc.) une vague pleurnicherie et une Armitage (Wiggins), Stanley Holloway (pre­ Cygnes). Quant à « l'adversaire » —
citation de Lénine, proférée sente n­ mier foss oyeur), Eric Francis (second f o s­ l’Allemagne — , guère réductible aux
cieusement en guise d ’analyse con­ soyeur), Ina De La Haye (femme de c ham ­ normes manichéistes, et plus averti
crète, p a r un « militant » sorti de bre de Petrova), Kynaston Re ev e s (vieil s u r la p a r t de mensonge que contient
nulle p a r t : détournée, donc, dans un homme), Anne Blake (* M adame »), Ismet le réel, s ’il met à profit l’enfermement
sens moralisant. Une fois de plus. Mais Hass an, Charle Young Atom, Teddy Kiss
Atom, Willie S h e a r e r (équip age du so us-
de la lecture holmesienne, il sera néan­
la mollesse idéologique du film ne peut marin). Production : Billy Wilder, Phalanx moins joué à son tour p a r une instance
q u ’être confirmée p a r la veulerie (et Production, 1969. Distribution : Pa ra mount/ supérieure (le contre-espionnage a n ­
précisément le formalisme) des a r g u ­ Transamerica. Durée : 130 mn. glais) dont on ne s’apercevra que plus
62
ta rd à quel point elle contrôlait le jeu
et ses mystères.
Que ccs systèmes décrochés s’en g lo­
bant successivement réintroduisent
insidieusement la dimension politique COLLECTION DE POCHE ILLUSTRÉE
en pointant le gigantesque effet de leur­
re auquel une lecture in te rpré ta tive de
l’univers diégétique (celle qui croit à
l’innocence de la réalité) se voit con­
duite. cela fait peut-être de « La vie
Points
privée de Sherlock Holmes » l’une des
œuvres limites du cinéma hollywoodien Les film s classiques et c o n te m p o ra in s
actuel. L’une des seules qui ne réin­ les plus marquants publiés en c o lle ctio n de poche
troduisent pas seulement le politique
« p a r force », c’est-à-dire parce que
de p a r ses multiples contradictions,
S. M. Eiücnsteiri
:;i;f-;i : ;i.
EISENSTEIN
ce cinéma se trouve pris a u jo u r d ’hui, Octobre
; O cto b re/ .
dans un procès qui en exhibe m é ta ­
phoriquement le refoulement, mais
> " Ükoupeg» "j
RENOIR
aussi, plus profondément, parce qu ’il La grande illusion
réussit à faire ém erger dans son
« conscient » ce qui n’a p p a rte n a it ORSON WELLES
j u s q u ’à lors q u ’au domaine de sa s u r ­ Le procès
détermination (ce qui est pro grammé
dans le film au trav ers de la pro g re s­
sive mise en lumière des forces ano­
BUNUEL
Journal d’une
nymes, avouant leur nom à la fin : le
retour du signifié, cara ctéristique du femme de chambre
cinéma classique, s’excusant ici comme
F
retour du politique) (1).
Si l’on revient m a in te n a n t à ce que
nous disions plus h a u t de I’ « ouver­
tu re érogène » que le film promet, on
peut voir que cette inscription s’ef­ EDITIONS DU SEUIL/AVANT SCENE
9
fectue elle aussi de bout en bout
contre Holmes, en t a n t que sa lecture
— dirigée, transitive — du monde
(des indices) est d ’emblée condamnée
lon), et avec l’appui de complices
à la monosémie, donc le rend impuis­
sant à symboliser. Ainsi, dans le temps
même où il oblige son spectateur à
Nouvelles empressés dans les officines critiques
parisiennes et provinciales. C’est ainsi
faire de la transgre ssio n de la lecture
holmesienne la condition de l’accession de l'idéologie que dans Hebdo Témoignage Chrétien
du 28 ja n v ie r 1971, Gaston H austrate,
qui se défin it par ailleurs comme « cri­
à la jouissance que celui-ci ba rre (l’es-
pace du désir é ta n t bien celui de la
symbolie) — et qui tr a n s p a r a ît pour­
dominante tique de gauche non p a r t i s a n » (?)
(■Cinéma 71 n" 151) écrit, avec une
ta n t de toutes p a rts — (cf. le « jeu h arg n e à peine contrôlée, et sous un
polysémique » si bien réussi p a r l’es­ t it r e que son ton d’aliéniste rend r é ­
pionne, ou bien Watson combinant troactivement inquié tant (« Le Cas
homo et hétérosexualité) le film s’ou- Strau b »), un article que nous repro­
vre à une approche polysémique dont duisons inté gra le ment :
ce n ’est pas le moindre mérite que de « Nous nous serions bien dispensés
pouvoir faire enfin justice du mythe d’une quelconque ligne' sur « Othon »
de la littéralité et de l’univocité du le dernie r film de Je an-M arie Straub,
sens dans lequel baignent encore la si nous n ’avions assisté, depuis, à une
m ajo rité des œuvres. — Pascal KANE. de ces opérations de snobisme intel­
lectuel qui fa it parfois désespérer du
(i) Encore s ’a ^ i r a i t - i l de savoir de bon sens et de l’intelligence f r a n ­
q u e ll e « p o l i t i q u e » il e st ici q u e s t i o n . L a La campagne de dénonciations dé­ çaise.
s c è n e ( de m é n a g e ) e n t r e V i c t o r i a et le clenchée contre nous p a r P o sitif à « L ’imposture Straub. ce poulain-
f r è r e d e H o l m e s ne c o n t r i b u e r a i t g u è r e , propos d ’Othon (qui f a i t figure, dans victime des « Cahiers du Cinéma », de
m a l h e u r e u s e m e n t , q u ' à a s s u r e r la p é r e n ­ l'opération, de catalyseur et de pré­ leur marxisme-léninisme de chambre,
n i té d e l ' i m a g e « s u r m e s u r e » et r a s s u ­ texte névralgique), a tte in t a u jo u r d ’hui de leur ésotérisme pathologique est
r a n t e , u n e fois p o u r t o u t e s p r o d u i t e p a r à un niveau de généralisation et de manifeste.
l 'i dé o lo gi e h o l l y w o o d i e n n e ( m ê m e si, en déchaînement hystériques. Evidem­ « F a u te de pouvoir espérer de la
l ' o c c u r r e n c e , elle a p p a r a î t a s s e z v r a i ­ ment bornée p a r ses étroites limites critique une presse favorable, on lui
semblable). théoriques (nous supposons ce point force la main en l’a lim enta nt de tex­
démontré dans notre dernie r numéro), tes explicatifs (les seules choses clai­
l'« argum enta tion » développée contre res de S tr a u b ) , sortes de mode d ’em­
nous, incapable de progression consé­ ploi d’un film qui sans ça (et même
quente, trouve cependant à se répéter, avec . ça d ’ailleurs') est d ’une « lec­
se rééditer, grâce à la mise en place t u r e » pas seulement douloureuse mais
d'une chaîne de relais-fantoches com­ soporifique.
plaisants (dont P a t r i c k Séry, dans Le « Des confrères tombent dans le
Monde, constitue le plus récent mail­ panneau et c’est dommage.
63
« Qu’on nu nous accuse pas de méro spécial Eisenstein, « très lisi­
conservatisme aveugle et de paresse
intellectuelle. Nous avons accordé su f­
Une ble » (!.), recevez, etc.»

fisamment de place, ici, aux recher­


ches des uns et des autres, pour
qu ’on nous épargne ce reproche. E n ­
lettre Le s p o i n t s s o u l e v é s d a n s c e t t e l et t re
a p pe l l en t , p a r l e ur i m p o r t a n c e , u n e r é ­
p o n s e qui bi en é v i d e m m e n t e x c é d e r a i t
core faut-il que la sincérité et le le c a d r e d e c e t t e r u b r i q u e : le p r o b l è m e
talent des a u teu rs se m anifestent ou M. Dominique P aïni (A ubervilliers) central a u jou rd'h ui pour toute avant-
se laissent espérer. Je doute que, dans nous écrit : g a r d e t h é o r i q u e se r é c l a m a n t du m a t é ­
le cas de Straub, il y a it là a u tre « Je viens de lire le dernier numéro r i a l i s m e h i s t o r i q u e et du m a t é r i a l i s m e
chose que le f r u it sec d’une confusion de « Jeune Cinéma » (février. n d 52, d i a l e c t i q u e e st b i en celui de l ' a r t i c u l a t i o n
mentale exploité par les profession­ dern ières pages de Jean Delmas). d e s ou t r a v a i l spécif ique à la p r a t i q u e
nels des circuits parallèles de la pen­ J e crois utile de vous assu rer que, s oci al e, d o n c an c h a m p p ol it ique. C ’est
sée cinématographique. » — G.H. membre du P a r t i Communiste F r a n ­ à p r é c i s e r c e t t e a r t i c u l a t i o n q u e vi se d e
çais, j ’éprouve le plus vif intérêt pour pl us en pl us n o t r e t r a v a i l : c e u x qui
Nouvelle étape, donc, dans la remon­ vos travaux dont je suis solidaire lions l i s e n t n e p e u v e n t et n e p o u r r o n t
tée picardienne, à laquelle t i o u s oppo­ q u an t à leur base méthodologique de m a n q u e r de s ' e n a p e r c e v o i r . N o u s r e ­
serons très normalement ce fragment d épart : le matérialisme historique et t i e n d r o n s s e u l e m e n t a u j o u r d ' h u i , de la
de Critique et Vérité de Barthes qui dialectique. l e t t r e de D. P a i n i , o u t r e le s o u t i e n qu' il
comprend, prévoit et ruine l’article Votre « passé Filipacchesque » ne n o u s a p p o r t e , la r é f é r e n c e qu' il f a i t à
cité : « Ce qui frappe, dans les a tta­ vous honore que plus ; votre choix c e u x qui, «i? n o u s Us a nt pas, s ’a u t o r i s e n t
ques lancées récemment, contre la nou­ (politique) a été sans concession. n é a n m o i n s à falsifier n os po si t ion s.
velle critique, c'est, leur caractère im ­ Les divergences qui peuvent p a r ­ Il s ' a g i t en l ' o c c u r r e n c e d e J e a n Del -
m édiatem ent et comme naturellement fois survenir dans tel ou tel de vos m a s d a n s J e u n e C i n é m a (.pii. s o r t a n t de
collectif. Quelque chose de -primitif et textes, avec mes propres idées, ne la r e t r a i t e où le c a n t o n n e h a b i t u e l l e m e n t
de nu s'est mis à bouger là-dedans. m ’empêchent pas (« en mon âme et son d i s c o u r s cf(li)iqtie, e m b o î t e le pas,
On aurait cru asssiter à quelque rite conscience >0. au contraire, de p ré­ les tél ici t a n t , a u x B e n a y o u n , S e g u i n ,
d ’exclusion mené dans une com m u­ senter ou de me ré f é r e r à vos tra v a u x C i m e n t { nous lui s i g n a l o n s é g a l e m e n t
nauté archaïque contre un sujet dan­ dans les ciné-clubs que je suis appelé, A n d r é C o r n a n d d a n s I m a g e et S o n ,
gereux. D'où un étrange lexique de assez souvent, à animer. Gaston H austrate dans Témoignage
l’exécution. (...) B r e f I n e x é c u t i o n » Ceci pour dém entir les atta ques C h rétien, Patrick Séry dans Le Monde,
de la nouvelle critique apparait com­ calomnieuses ("surtout bêtifiantes) de etc.). I n u t i l e de r e v e n i r s u r l’i n é l u c t a b l e
me une tâche d'hygiène publique, qu'il « Jeune Cinéma », soudain respec­ réédition du m êm e discours borné (voir
fallait oser et dont la réussite sou­ tueux des « révisos du P.C. », les pré­ d a n s ce n u m é r o , p. 6 j ) , ni d o n c de r e l e ­
lage... Provenant d'un groupe limité, senta nt pleins de suspicion envers v e r les i n j u r e s , c a l o m n i e s , s ot tis es , etc.,
ces attaques ont une sorte de marque votre revue. Nous étions les tr a îtr e s d o n t ce d i s c o u r s se c o ns t i t u e . N o u s s i ­
idéologique, elles plongent dans cette de la « Révolution de 1968 ». Nous gnalons sim plem ent à nos lecteurs, pour
région ambiguë de la culture où quel­ serions clairvoyants en 1971. l'intelligence du p rem ier point de la
que chose d'indéfectiblement politique, Mes divergences mêmes avec vos l e t t r e de D. P a ï n i , le g e s t e à ' i n d i c a t e u r
indépendant des options du mom ent, travaux, incitant en fa i t à plus de qui d a n s le m ê m e t e m p s où il n o u s d é s i ­
pénètre le ju g em ent et le langage. réflexion, les attaques hargneuses gne comme éta nt servilem ent aux ord re s
Sous le Second Em pire, la nouvelle dont vous êtes l’objet de « tous les d e M o s c o u e t / o u de M a r c h a i s , n o u s
critique aurait eu son procès : ne bords » (dévoilant toutes leurs p ré­ d é n o n c e a u x m i l i t a n t s du P a r t i C o m m u ­
blesse-t-elle pas la raison? (...) Ne supposés idéologiques) sont pour moi niste F ra n ç ais pour notre « dé shon ora nt
choque-t-elle pas la morale? (...) À;e les meilleures garanties de votre juste p a s s é f i l ip acc hes qu e : « P o u r un c o m ­
discrédite-t-elle pas nos institutions travail. m u n i s t e . p o u r u n m i l i t a n t réel, ce p a ss é
jiationales aux yeux de l'étrariger? (...) Deuxième point. f i l i p a c c h e s q u e ( m ê m e a~\'e u n e i n d é p e n ­
[La pensée régressive] vit en effet- Pourta nt, puisq u’on vous reproche d a n c e t a n t b ien q u e m a l d é f e n d u e ) n e
dans la peur (d'où l'unité des images « Marchais et Narboni, main dans la peut gu ère être une bonne référence. »
de destruction) ; elle craint toute no­ main », pouvez-vous, lors d’un pro­ P o u r n o t r e p a r t , c o n t e n t o n s - n o u s d ’i n ­
vation, dénoncée chaque, fois comme chain numéro des Cahiers, préciser d i q u e r celle (la r é f é r e n c e ) du d i s c o u r s
« vide x> (c'est en général tout ce vos positions qu an t à la politique cul­ de D e l m a s : l ' a n t i c o m m u n i s m e fossile
qu'on trouve à dire du n o u v ea u ). Ce­ turelle (donc cinématographique aussi) q u a n d , j o i n t a u r a d o t a g e « c r i t i q u e », il
pendant cette peur traditionnelle est des communistes français ? e st p o u s s é à sa d e r n i è r e e x t r é m i t é .
compliquée aujourd'hui d'une peur J ’espère que pour vous aussi le
contraire, celle de paraître anachro­ point suivant est clair (« P o s itif »,
nique La régression se fa it au­ loin de toute appréhension dialectique
jo u r d ’hui honteuse, tout comme le ca­
pitalisme. D'où de singuliers à-coups:
des choses, ne peut bien s û r le conce­
voir) : Un livre
on fe in t un certain temps d’encaisser — Positions d ’un P a rti de classe,
les œuvres modernes, dont il fa u t par­ en regard de l’étape historique ac­ Des films réalisés p ar Roman Po-
ler, puisqu'on en parle; puis, brus­ tuelle du capitalisme monopoliste lanski, on peut dire q u ’ils possèdent
quement, une sorte de m esure étant, d’E tat. tous un double caractè re : d’une part,
atteinte, on passe à l'exécution collec­ — Travail d ’avant-garde de grou­ les fictions qu’ils développent respec­
tive. » pes tels que le vôtre (ou « Tel Quel »). te n t les règles du genre auquel elles
On demande donc à M. H a u stra te : Cette demande ne dénote pas chez e m pru nte nt leurs thèmes, et donnent
à quand l'appsl officiel aux excom­ moi un besoin de sécurisation, é ta n t ainsi une « postérité » au récit ciné­
munications, aux procès de ceux qui je vous l’ai dit membre du P a r t i Com­ matographique qu’il est convenu d’ap­
font « parfois désespérer du bon sens muniste. Mais puisque « soupçon de peler « classique » ; mais, d’au tre
et de l'intelligence française » (retour connivence * il y a, il f a u t répondre. part, cette faculté d ’opérer l’ordre du
du national-chauvinisme poujadiste). (Vos réponses à « P ositif » étaient classicisme cinématographique s’exer­
à l’internement des maniaques de bienvenues). ce grâce à l’organisation et au con­
l’ésotérisme, au redressement des Ma demande sera j ’espère oppor­ trôle d’un savoir (dont la région, ap­
« circuits parallèles de la pensée ciné­ tune. proxim ativement, est celle de la psy­
matographique. » ? -— La Rédaction. E n vous félicitant pour votre n u ­ chanalyse).
64
Cette ambiguïté des filma de Po­ Remparts d’argile, d e Je an-Claude Bertucelli,
lanski, de prendre les apparences de a v ec Leila Chenna.
1’ « hollywoodisme » sans pour a u ta n t Liste des Road to Salina (La Route de Salina), de
G e o rg e Lautner, a vec Mimsy Farmer, Robert
se te n ir s u r ses prémisses, c’est bien W alker Jr, Rita Hayworth.
ce que l’essai de Pascal Kané. paru films sortis Le Territoire des autres, de François Bel,
aux Editions du Cerf, s ’attache à G éra rd Vienne, Michel Fano.
définir, p a r une série d’analyses déli­ en exclusivité Tumuc Humac, de Jean-Marie Périer, avec
bérém ent discontinues : en effet, il ne Marc Porel, Dani Grauile.
pouvait être question d ’imposer aux à Paris Une fille libre, d e C laud e Pierson, avec
Christine Davray, Be rnard Verley.
films signés Polanski une unité illu­
Le Voyou, de Claude Lelouch, a v ec Jean-
soire p a r le renvoi idéologiquement du 28 octobre 1970 Louis Trintignant, C h a rle s Denner, Danièle
plus que suspect à 1’ « originalité » Delorme.
omnipotente de leur auteur. au 9 février
L ’étude a donc deux directions :
— elle s’attache en prem ier à dé­ 1971 30 fiims américains
crire ce que P. Kané appelle le texte Bloody Marna (Bloody Marna), de Roger Cor-
hollywoodien, et sa réinscription dans man, a v ec Shelley W in ters, Pa t Hingle.
le cinéma de Polanski : les effets des The Boatniks (Du ve nt d a n s les voiles), de
méthodes de production, les références Norman Tokar, a v ec Robert Morse, Stefan ie
de genres ; cette notion de « genre » Powers, Phil Silvers.
é ta n t des plus floues, le travail s’as­ 36 films français The Body Snatcher ( R é cu p é rate u rs de c a d a ­
vres), de Robert Wise, avec Boris Karloff,
signe de le préciser pour lui redonner L'Alliance, d e Christian de Chalonge, avec Bela Lugosl.
une valeur opératoire : « Un genre Anna Karina, Jean-Claude Carrière. Cannon For Cordoba (Les C a n o n s de Cor-
est une catégorie de récit qui tire son A noua deux France, d e Dési ré Ecaré, avec doba), de Paul W end k os, a vec G e o rg e
originalité d ’un certain nombre d’élé­ Pierre Garnier, Marie Gabrielle. Pe ppard, Giovanna Ralli.
ments invariants dont l’emploi systé­ L’Araignée d’eau, de .Jean-Daniel Verhaeghe, Catch 22 (Catch 22), de Mike Nichols, avec
matique crée à la longue une conven­ avec Eiisabeth Wiener, Marc Eyraud. Alan Arkin, O rson Welles.
tion particulière au genre, et qui Camarades. Voir numéro 222, p. 34-37 The Eagle and the Hawk (L'Aigle et le v a u ­
( ■ Film/potitique •), et d a n s ce numéro, p. 61. tour), de Lewis R. Foster, a v ec John Payne,
constitue son vraisemblable •». Grâce Rhonda Fleming.
Céleste, de Michel Gaet, a vec Jean Roche-
à une telle définition, on peu t désor­ fort, Deborah Duarte. Getting Straight (Campus ), de Richard Rush,
mais décrire les films de Polanski Le Cinéma de Papa, de Claude Berri, avec avec Elliot Gould, C an dic e Bergen.
comme des jeux com binât oi-rcs, et a n a ­ Yves Robert, Claude Berri. Hello-Goodbye (Hello-Goodbye), de Jean
lyser leur inscription, et leur travail, Le Clair de terre, de Guy Gilles, a vec P a ­ N egulesco, a v ec Michael Crawford, Curd
dans la perspective d’une histoire des trick Jouané, Edwige Feuillère, Annie Gi­ Jurgens.
« modèles » cinématographiques. rardot. Hell's Angola (Les D é m o n s de la violence),
Comptes à reboura, d e Roger Pigaut, avec de Lee Madden, a v ec Jeremy Slate.
— D ’a u tre part, elle analyse com­ Hill of Death (A ssaut colline 408), de Pe ter
S e r g e Reggiani, Michel Bouquet.
m ent le cinéma de Polanski « c r iti­ Le Distrait, d e Pierre Richard, a v ec Pierre Lazag, a v ec Amalia G ad e, Tony Leblanc. •
que » le processus esthétique-idéolo- Richard, Marie-Christine Barrault. In Search of Gregory (A la re c h e r c h e de
gique de la fascination en demandant Elise ou la vraie vie, d e Michel Drach, avec Gregory), de P e te r Wood, a v ec Julie Chnst ie,
à son spectateur un travail de type Marie-José Nat, Mohamed Chouikh. Michael Sarrazin.
nouveau : « Polanski ne se sert pas L'Escadron Volapük, de René Gilson, avec The Killing of Sister George (Faut-il tuer
du spectacle comme d’un simple Olivier Husse not, André Thorent. S i s t e r G e o rg e ?). de Robert Aldrich, avec
moyen, il est avant tout a tte n tif à Etes-vous fiancée à un marin grec ou à un Béryl Reid. S u s a n n a h York.
pilote de ligne?, d e Jean Aurel, avec Jean Kiss Me Quick (La Vie se xue lle de Fran-
ce « saut » qua lita tif effectué p a r le Yanne, Franç oise Fabian, Francis Blanche. kenstein), de Harry Novak, a v ec Sexton
film : la tra nsform atio n du monde Fantasia chez les ploucs, de G éra rd Pirès, Friendhi, Claudia Banles.
réel en spectacle de ce monde, c'est- a v ec Mireille Darc, Lino Ventura, Jean Yanne. The Laat Escape (La Dernière Evasion), de
à-dire à ce que l’image et le son en Le Gendarme en balade, de Jean Girault, W alter Grauman, a v ec Stuart Whitman.
figurent... Nous sommes aux antipodes a vec Louis de Funès, Michel Galabru. The Last W arrlor (L'Indien), de Carol Reed,
de la naturalisation du spectacle. » Le Genou de Claire, de Eric Rohmer, avec avec Anthony Quinn, C laud e Akins.
Ces analyses perm ette n t dès lors de Je an-Claude Brialy, Aurora Cornu. Lions Love (Lions Love), d 'A g n è s Varda,
La Grande Java, de Philippe Clair, av ec a v ec Viva I, Jim Rado, Gerry Ragni. Voir nu­
lire chacun des films dans leur dou­ méro 214, p. 27 (petit journal).
Francis Blanche, les Chariots,
ble détermination, et de dévoiler ce lis, d e Jean-Daniel Simon, av ec Michel Du- A Man Cailed Sledge (Un nom mé Sledge),
qui, dans leur fonctionnement, fa it ch ausso y , Charles Vanel, Ale xandra Stewart. d e Vie Morrow, a vec James Garner, Dennis
appel à une place spécifique, celle de La Liberté en croupe, d'E douard Mollnaro, W eaver.
l’ « a u te u r », de Polanski continua­ a vec Maria Mauban, Juliette Vil lard. The Man W ith the X-Ray Eyea (L'horrible c a s
te ur-critique rusé d ’un cinéma révolu. Love Positions, réalisation CIDAV. du D oc teu r X), de Roger Corman. avec Ray
C’est bien pourquoi le livre de P a s ­ Macédoine, (de Jacques Scandelari), av ec Mllland, Harold J. Stone.
Michèle Mercier, Pierre Brasseur. Monte Walsh (Monte Walsh), de William A
cal Kané décrit moins les perm anen­
Madly, de Roger Kahane, av ec Alain Delon, Fraker, a v ec Lee Marvin, Jeanne Moreau,
ces thématiques, ou une spécificité de Mireille Darc. Jack Palance.
« l’a r t polanskien », que son dehors Le Monde des animaux sauvages, d'E ugène Move (Move). de Stu a rt R o senberg, av ec
historique et théorique, et p a r là, a r ­ Sc hum ac her. Elliot Gould, Paula Prentiss.
rive à cerner quelle est la m odernité Mont-Dragon, d e Jean Valère, a v ec Ja cques Murphy's W ar (Murphy), de P e te r Yates.
d ’un cinéma tel que le pra tiq u e P o ­ Brel, Carole André. a v ec P e te r O'Toole, Philippe Noiret.
lanski ; modernité d’a u t a n t plus d if­ M ourir d'aimer, d'André Cayatte, a v ec Annie Naked Angels (Les Ange a nus), de Bruce
ficile à clarifier que, justem ent, ces Girardot, Bruno Pradal. Clark, a v ec Michael G reen e, Jennifer Gan.
The Night Visltors (De la part d e s copains), On a Cloar Day You Can See Forever (Me-
films « m im ent » le classicisme. Il va d e T ere nce Young, a vec C h a rle s Bronson, linda), de Vinc ente Minnelli, a v ec Barbra
sans dire que le procès de désignation- James Ma son, Llv Ullmann. Streisand, Yves Montand.
critique engagé p a r Polanski de cer­ Les Novices, de Guy Casaril, a v ec Brigitte The Pickup ( C o u p s fourrés), de Robert L.
tains codes et genres n’est à aucun Bardot. Annie Girardot. Frost, a vec W ea d on Bishop, Stefan Sem a.
moment suffisant à en su b v e rtir vala­ Peau d'âne, de Jacques Demy a vec Catherine Promise at Dawn (La P r o m e s s e de l'aube),
blement la problématique. Qu’il reste, Deneuve, Jean Marais, Jacques Perrln. d e Jules Dassin, a vec Melina Mercouri, As-
p a r là-même, irréductiblem ent clôturé. Picasso, un portrait, d'Edward Quinn. s a f Dayan.
Pollux, film d'animation de S e r g e Danot. Tha Rtbald Taies of Robin Hood (Les Aven­
Une fois encore : revendiquer le cer­ Le Portrait de Marianne, de Daniel Golden- t ures a m o u r e u s e s de Robin d e s bois), d e
cle n ’est pas en sortir. berg, avec Karen Blanguernon, Claude Richard Kanter, a v e c Ralph Jenklns, Daniela
P ie r r e BAUDRY. Brasseur. Larsen.
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Ryan’s Daughter (La Fille de Ryan), de Da ­ héros), de Henry Manckiewicz, avec Jack Neurosis (W eek-end pour Elena), de Julio
vid Lean, avec Robert Mitchum, S a ra h Miles. Palance, John Gramack. Diamante, a v e c Gérard Barray, Valérie La-
Tell Me You Love Me Junie Moon (Dis-moi La vendetta è il mio perdono (La V e ng e an c e grange.
que tu m'aimes, Junie Moon), d'Otto Premin- e st mon pardon), de Roberto Mauri, avec
ger, avec Liza Minnelli, Ken Howard. Erika Blanc, Piero Lulli. 2 films danois
Tillie and Gus (Tillie and Gus). de Francis
Eur det gick fo r Kyrkoherden (Les Brebis du
Martin, a v ec W.C. Fields, Alison Skipworth. 11 films anglais révérend ), de Torgny Wickman, a vec Jarl
Which Way to the Front (Ya ya mon g é n é ­
B orss en, Diana Kjaer.
ral) Voir d a ns ce numéro p. 60. Devils of Darkness (Orgies sa taniques), de Tumult (Minette de cinq à sex), de Hans An-
Lance Comfort, a vec William Sylvester. Hu­ d e rsso n , avec Bjorn Puggaard-Müller, Gertie
bert Noël. Jung.
20 films italiens The D rifter ( C h a s s e u r de filles), d'Alex Mat-
ter, a v ec John Tracy, Sadja Marr.
Figures in a Landscape (Deux h om mes en
2 films grecs
Amore questo sconosciuto (Le S e x e cet in­
connu), de Max Hunter. fuite), de Joseph Losey, avec Robert Shaw, Agapi kai ema (Quand les colts s o n ne nt le
Black Joe (Black Joe), de Gianfranco Bal- Malcolm McDowell. glas), de Nicos Foskolos, avec Jenny Karezi,
danello, a v ec Robert W o o d s, Lucienne The Kelly Brothers (Ned Kelly), de Tony Ri- C o s t a s Kazakos.
Bridou. chard son, avec Mick Jagger, Clarissa Kaye. Lady Désir, d e Harry Newman, avec Margarel
Ciak Mull (Le Bâtard de D odge City), de Performance (Performance), de Donald Cam- Taylor, John Heston.
E.B. Clucker, avec Léonard Mann, Peter mell et Nicolas Roeg, a v ec Ja mes Fox, Mick
Martell. Jagger. 2 films suédois
Django il bastardo (La Horde d e s s a l o ­ The Prime of Miss Jean Brodie (Les belles Moi un corps, d'Arne Mattsen, avec And ers
pards), de Se rgio Ga rrone, avec Anthony A nnées de Miss Brodie), de Ronald Neame, Henrikson, Eva Dahlbeck.
Steffen, Paolo Gozlini. a v ec Maggie Smith, Robert S tephens. Vindingevals (Noces suéd oises), d'Ake Falk,
Don Giovanni (Don Giovanni), de Carmelo The Private Life of Sherlock Holmes (La Vie a v ec Kent Anderss on, Mona An derss on.
Bene, avec Carmelo Bene, Lydia Manci- privée de She rlock Holmes) Voir d a n s ce n u ­
méro p. 62.
nelli.
Scream and Scream Again (Lâchez les m o n s­
1 film algérien
E Dio disse a Caino (Et le vent app orta la
violence), d ’Anthony Dawson, avec Klaus tres), de Gordon Hessler, a vec Vincent Eldridge Cleaver in Exile (Eldridge Cleaver,
Krnsky, P e te r Carsten. Price, Pe ter Cushing, C h ristop h er Lee. Black Panther), de William Klein.
...e divenne il più spietato bandito del Sud Two Gentlemen (Two Gentlemen), de Ted
(L'Homme qui a tué Billy le Kid), de Kotcheff, avec Robin Phillips, Judy G eeson . 1 film argentin
J. Buchs, a v ec Peter Lee Lawrence, Fausto W onder Wall (W o nd er Wall), de Joe Massot, Invasion (Invasion), de Hugo Santiago, avec
Tozzi. avec Jack McGowran, Jane Birkin. Olga Zubarry, Lautaro Murna.
Ho trovato Martin Bormann (Le Retour de s Zeta One (Zeta One), de Michael Cort, avec
Jame3 Ro be rtson Justice, Dawn Addams.
loups), de John Huxley, a v ec Robert Kent, 1 film belge
Liana Orfei.
Macchie di belletto (Exécutions), de Romolo 4 films allemands La Bataille des dix millions, de Chris
Guerrieri, avec Franco Nero, Adolfo Celi. Marker.
Il magnifico texano (Le magnifique Texan), Engelchen liebt kreuz und quer (Douze filles
de Lewis King, avec Glenn Saxon, John pou r un homme), de Marran Gosov, avec 1 film brésilien
Barracuda. Harald Leipnitz, Sibylle Marr. Os Herdeiros (Les Héritiers). Voir numéro
Il noatro agente a Casablanca (Deux g a r c e s rKomm nur, mein liebstes Vôgeîein (Viens 225, p. 44-56 (Entretien avec Carlo s Die-
et un tueur), de Tullio Demicheli, avec Lang mon petit oiseau), de Rolf Thiele, avec M a­ gues).
Jeffries, Thea Fleming. ria Brockerhoff, Tanja Gruber.
Queimada (Queimada), de Gillo Pontecorvon, Von Haut zu Haut (Pornossimo), de Michael
avec Marlon Brando, Evaristo Marquez. Verhoeven, avec Mario Adorf, Gila von 1 film hongrois
Requiescant (Requiescant), de Carlo Lizzani, W eitershau se n. Sirocco (Sirocco d'hiver). Voir d a ns ce nu­
avec Lou CasteI, Mark Damon, Pier Paolo Les Yeux ne veulent pas en tout temps se méro, p age 59.
Pasolini. fermer ou Peut-être qu’un jour Home se per­
Gli schiavi più forti del mondo (Les Gladia­ mettra de choisir à son tour. Voir numéro 1 film iranien
teurs les plus forts du monde), de Michele 218, p. 43 (« Othon et Jean-Marie Stra ub *), The Invincible Six (Les Hé ros de Yucca), de
Lupo, avec Roger Browne, Gor don Mitchell. numéro 223, p. 48-58 (Entretien avec Jean- lean Negules co, avec Stuart Whitman, Elke
Showdown (Le Tueur Frappe trois fois), de Marie Straub et Daniéle H uillet), nu méro Sommer.
Massimo Dallamano, avec John Milia, Lucia- 224, p. 40-48 (Questions à Jean-Marie
na Paluzzi. Straub : ■ La vicarianc e du pouvoir ■). 1 film panaméen
S trogoff (Michel Strogoff), d'Eriprando Vis-
Sweet Hunters (Tendres ch as se u rs ), de Ruy
conti. a v ec John Phillip Law, Mimsy Farmer. 3 films espagnols Guerra, avec Ma ureen McNally, S u s an Stras-
Uccidi o muori (Ringo c ontre Jerry Colt), de
René C a rdona, avec Robert Mark, Gordon El asesino loco y el sexo (Se x Monster), de berg. Sterling Hayden.
Mitchell. René Cardona, avec Joachim Cordero, Régine
Un uomo, un cavallo, una pîstola (Un h o m ­ Torne. 1 film soviétique
me, un cheval, un pistolet), de Vanc e Lewis, La isla de la muerte (Le Baron vampire), de W aterloo (Waterloo), de Serguei Bonda rt'
avec Tony Anthony, Dan Vadis. Mel Wells, av ec C am ero n Mitchell, Kay chouk, a v ec Rod Steiger, Christophe.
L’urlo dei giganti (Pas de pitié pour les Fischer. Plummer.

TABLE DES MATIERES


Nous sommes en train de terminer la rédaction de la Table des Matières des numéros 160 à 199 (novembre 1964
à mars 1968) des Cahiers du Cinéma. Comme les précédentes, cette Table comportera des classements par auteurs,
par réalisateurs, par titres de films, et une dizaine d’autres rubriques permettant un usage rapide et commode.
Afin de fixer le chiffre de tirage de cette Table des Matières, nous demandons à nos lecteurs de bien vouloir nous
faire savoir (sans engagement de leur part) s'ils sont, ou non, intéressés par cette publication (dont le prix se
situera sans doute aux alentours de 15 F).
(A découper ou à recopier et à nous renvoyer)
□ .Je suis intéressé ]
par cette Table des Matières
□ Je ne suis pas intéressé )
NOM ................................................................................................. Prénom ............................................................................................
Adresse ............................................................................................ ................................................................................................ ...............
E d ité p ar tes E d itio n s d e l'E to ile - S .A .R .L. au c a p ita l d e 2 0 0 0 F - R.C. Seine 57 B 19 3 7 3 - D é p ô t à la d a t e de p a r u t io n - C o m m is s io n p a r it a ir e n» 2 2 3 5 4
I m p r im é p a r P .P .I., 26, rue C la v e l. P a r i s - 19* - Le d i r e c t e u r de la p u b lic a t io n : Jacques D o n lo l- V a lc r o z e .
P R IN T E D I N FRANCE
NAISSANCE D ’UNE ÉDITION
CONSACRÉE AU

CINÉMA
D IR IG EE PAR HENRI ET G EN EV IEV E AGEL
avec la ftarticipalion des étudiants de la
F A C U L T E DES L E T T R E S DE M O N T P E L L IE R (Section Cinéma)

P E R S P E C T IV E S : AUTEURS :

• E TU D E S DE T H E M E S E T D E ST R U C T U R E S : A LA FOLS DES E C R IV A IN S DE C INEM A D E JA


• ESSAIS C O M P A R A T IF S ; CONNUS, DES T IT U L A IR E S DE D O C T O R A T
• M E T H O D O L O G IE S D’IN V E S T IG A T IO N ; DE 3* CYCLE OU DE M A IT R IS E (travaux
• TR A D U C T IO N S P E R M E T T A N T DES E C H A N ­ individuels ou de groupe) P E R M E T T A N T AUX
GES ETROITS AVEC LES U N IV E R S IT E S E T U D IA N T S DE PU BLIER LE F R U IT DE
ETRANGERES. LEURS R E F L E X I O N S ET DE LEURS ECHANGES.

P R E M IE R S T IT R E S : B U L L E T I N D 'A D H É S I O N :
A pa ra îlre en 1971-1972 A RENVOYER A L'ADRESSE CI-DESSOUS

Je soussigné
Dans l'ordre :
• LE CINEMA EXPRESSIO NNISTE
ALLEMAND : déclarr souscrire ù l’un des ubunncmenls suivants
UN LA N G A G E METAPHORIQUE A .................................................... , le .......................... 197..
P A R M IC H A E L H E N R Y Signature :
Assistant à Nan terre

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