Darkest. La Derniere Heure Silvia Reed

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Mon coloc, mes désirs et moi


Si vous m’aviez dit, il y a quelques mois, que j’allais intégrer l’école de mes
rêves, dans la ville de mes rêves, où habite justement ma meilleure amie, je ne
vous aurais pas cru.
Et pourtant ! Je suis bien là, à l’orée de ma vie, prête à affronter mon destin.
Alors quand j’ai trouvé la parfaite annonce du plus parfait des apparts, je n’ai
pas hésité une seconde. Et quand la colocataire prévue s’est transformée en un
séduisant mâle du nom d’Andreas, ni une ni deux j’ai fait mes valises.
Andreas, capitaine de navire le jour qui hante mes plus beaux rêves la nuit…
Réussirai-je à respecter la règle n° 1 de toute colocation : ne pas craquer sur son
coloc ?…

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(Im)parfait
Juliette chante l’amour tous les soirs dans son piano-bar. Sans trop y croire.
Quand la jeune artiste parisienne se retrouve à la rue, elle accepte une drôle de
mission : jouer les dames de compagnie pour une grand-mère guindée et mal en
point, en lui chantant tous ses airs préférés. Mais une nuit, un inconnu vient
s’installer juste sous les toits, au dernier étage de cet hôtel particulier perché sur
les hauteurs de Montmartre : un mystérieux brun aux cheveux longs, à la barbe
mal taillée, au regard noir et au verbe rare.
Entre Juliette, la chanteuse libre et romantique, Suzanne, la vieille dame snob et
attachante, et Laszlo, le ténébreux aussi sexy que dangereux, cette colocation
forcée s’annonce… compliquée. Et parfaitement imparfaite.

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Attractive Target
Jusqu’à ce qu’elle rencontre Vince, Caroline Beaulme n’avait jamais éprouvé de
désir. Alors quand elle apprend qu’il va devenir son patron, elle sait qu’elle
devrait arrêter, mais… Comment résister ? Pour ressentir à nouveau du plaisir,
elle est prête à tout… Sauf à ce qui l’attend. Car si Vince est un parfait amant,
c’est aussi un homme meurtri, bien décidé à ne pas commettre la même erreur
que son frère : perdre la tête pour une femme manipulatrice. Or, pour lui,
Caroline est la pire de toutes.
Et si, en acceptant cette relation, elle venait de donner à Vince le feu vert pour
détruire sa vie ?

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Teach Me Everything
Quand Ash découvre la « petite sœur » de Ben, son meilleur ami, il est sous le
choc. Alors qu’il imaginait une gamine de 10 ans avec des couettes, il est face à
une jeune femme troublante.
Mais pourquoi s’habille-t-elle comme une vieille fille ? Et pourquoi cet air
coincé ? Qu’a-t-elle à cacher ? De quoi se protège-t-elle ?
Ash serait bien tenté de s’occuper d’elle et de lui apprendre les plaisirs de la vie,
mais il ne peut pas… Ben lui a bien répété cent fois : « Ne touche pas à ma petite
sœur, Ash, ou je te tue ! »
OK… Mais comment résister ?

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À corps brisés
Le cœur en miettes, Jeanne se noie dans le travail pour oublier que son fiancé
vient de la quitter. Au château, où elle officie comme kiné, elle doit s’occuper
d’un nouveau patient, le ténébreux Adam Champdor. Le corps brisé par un grave
accident de moto, il est persuadé de ne plus jamais remarcher. Son séjour au
château est sa dernière chance. Entre Jeanne et Adam, naît une passion torride et
tourmentée, dans laquelle chacun essaie de se reconstruire. Mais bientôt, la jeune
femme doit faire face à un terrible choix, sans doute le plus important de toute
son existence…

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Silvia Reed
DARKEST
LA DERNIÈRE HEURE
Prologue

Ryder

Aucun remords. Aucune pitié. On me donne des ordres, j’obéis. Rien ne peut
m’atteindre.

Les personnes à qui j’ai fait du mal sont innombrables. J’ai anéanti des
familles entières en leur enlevant un proche. Mais je m’en fous. Je suis né pour
accomplir ces missions. Je suis une machine à tuer. Du moins, c'est ce que je
croyais…
1

Ryder

Je me réveille en sursaut et trempé de sueur. Je fais des cauchemars mais,


comme d’habitude, je n’en ai aucun souvenir. Je ne sais pas si c’est normal ou
pas. Tout ce que je sais, c’est que ça a toujours été ainsi. Je regarde l’heure : sept
heures. Je ne me rappelle même pas m’être endormi. Je me lève pour aller me
servir un café et me passer de l’eau sur le visage. Puis j’enfile un survêtement,
avale mon café d’une traite et sors de chez moi pour aller courir. J’évite les lieux
publics. Une fois, des gamins se sont amusés à faire exploser des pétards et je
me suis planqué derrière un arbre parce que je croyais que l’on me tirait dessus.
Tout le monde m’a regardé bizarrement, comme si j’étais cinglé. C’est peut-être
le cas, d’ailleurs. Depuis, je ne me dépense qu’à travers les bois ou à la salle de
sport.

Quand je rentre de mon footing, je constate que ma porte est déverrouillée


alors que je suis le seul à posséder la clé et que je la ferme chaque fois que je
pars. Mon instinct de traqueur m’informe effectivement d’une présence intruse
quand je pousse la porte. L’appartement est plongé dans le noir, les volets fermés
et les rideaux tirés. OK, il veut jouer à cache-cache. Il n’a pas la moindre idée de
l’homme à qui il se frotte. J’avance à pas prudents et avec une dextérité et une
rapidité issues de plusieurs années de combat, je parviens à neutraliser le gars
avant même qu’il ait le temps de pointer son flingue contre ma tempe. Il vole à
travers le salon. Je peux voir sa silhouette massive se relever et foncer droit sur
moi.

Pendant plusieurs minutes, il n’y a que des bruits de coups qui perturbent le
silence. Je lui assène uppercuts et coups de pied, il réplique mais il me rate plus
souvent qu’il ne m’atteint. Je finis par l’attraper par la taille et le passe par-
dessus mon épaule, me fichant complètement de le tuer ou non. Un fracas
énorme se fait entendre. Le con, il a pété ma table basse.
– Toujours aussi réactif, me dit la voix qui me semble familière.

J’allume la lumière et découvre Duncan assis au milieu des débris de verre, le


visage tuméfié.

– Qu’est-ce que tu fous chez moi ? grogné-je en allant à la cuisine pour me


prendre une bière.

Je lui en lance une qu’il rattrape au vol. Il la pose sur sa joue droite
douloureuse avant de l’ouvrir et de boire une gorgée.

– Papa m’a donné une mission dans le coin, j’ai pensé à te rendre une petite
visite en repartant.

Au même moment, on entend les sirènes de police passer dans ma rue. Je


m’allume une cigarette avant de m’asseoir près de lui.

– Pourquoi il ne m’a pas appelé moi ? demandé-je en recrachant la fumée. Je


suis plus près.

Il hausse les épaules, cramant une clope à son tour.

– Il m’a seulement dit qu’il avait une autre mission pour toi. Il ne devrait pas
tarder à t’appeler.

Je hoche la tête. Cela fait plusieurs jours que mon père ne m’a pas demandé
de buter quelqu’un. D’habitude, nous ne restons pas aussi longtemps sans
contact. J’imagine qu’il n’avait pas de mission suffisamment laborieuse pour
mettre l’un de ses meilleurs tueurs sur le coup.

– Tu comptes repasser à la Maison bientôt ? Il y a des nouveaux.


– Ouais, je vais sûrement y faire un tour pour entraîner les gamins.

Nous continuons à discuter et à fumer jusqu’à ce que nos bières soient vides,
puis Duncan finit par partir.

Je suis sous la douche lorsque mon téléphone sonne. Je sors en vitesse en


sachant qu’il n’y a qu’une poignée de personnes à avoir mon numéro.
– Ryder.
– Salut, fiston, comment va ?
– La routine.
– Tu pourrais venir à la Maison ?
– Tout de suite.

Il raccroche. Les échanges avec mon père sont brefs, mais il a ses raisons. Et
en bon fils que je suis, je ne pose pas de questions. Je me prépare en vitesse,
attrape mes clés de voiture et sors. Mon père n’est pas réputé pour sa patience,
aussi aime-t-il que l’on soit ponctuel. Je fais vrombir ma Mustang et démarre en
trombe. Je respecte tout de même les limitations, car il déteste devoir nous faire
sortir du commissariat. C’est déjà arrivé à deux de mes frères et on ne les a plus
jamais revus, mon père les ayant chassés de la Maison.

J’ai toujours été un gamin obéissant. C’est pour cela qu’il me fait autant
confiance aujourd’hui et qu’il m’a laissé de l’indépendance. Il sait que je ne me
retournerai jamais contre lui.

J’arrive à la Maison avec de l’avance. Je salue mes quelques frères et sœurs


en entrant et me dirige vers le bureau de mon père. Je toque à la porte et pénètre
dans la pièce une fois que j’en ai eu l’autorisation. Il est assis dans son fauteuil
en cuir, un garde du corps de chaque côté. Mon père est un businessman très
influent. C’est un magnat de la finance, d’après le peu que je sais de lui. Il a
beaucoup d’amis, et d’ennemis plus encore. Des ennemis qu’il nous charge de
liquider.

– Assieds-toi, fiston, me dit-il en tirant sur son cigare hors de prix.

J’obtempère et il sort une photo de son tiroir.

– J’ai une mission pour toi.

Le traqueur en moi est déjà dans les starting-blocks. Le cliché montre une
jeune femme à la peau d’ivoire couvant l’objectif de son regard bleu lagon, un
sourire radieux aux lèvres. Le cliché a été pris dans un champ de blé et ses
cheveux blonds coupés au carré se fondent parfaitement dans le décor. Elle est
plutôt jolie, mais rien de transcendant. De toute façon je m’en tape. Si mon père
m’a donné ça, c’est parce que c’est ma prochaine cible.
– Quand dois-je la tuer ? m’enquiers-je en reposant la photo.
– Pas tout de suite, répond-il en joignant le bout de ses doigts d’un air de
conspirateur. Elle détient quelque chose que j’aimerais récupérer. Je voudrais
que tu l’enlèves et que tu lui fasses cracher le morceau sur l’endroit où elle cache
cet objet. Si elle ne parle pas, torture-la.

Je suis étonné de sa requête. D’habitude, il m’appelle toujours pour tuer des


gens à distance. Les kidnappings et les tortures, ce sont les spécialités de
Duncan. Mais je suis un bon fils, je garde donc les questions pour moi.

– Et une fois l’information obtenue, je la bute.

Mon père sourit largement.

– Tu es le meilleur, mon fils. Elle est à l’université en ce moment même. Elle


suit des cours de psychologie, tu ne peux pas la rater. Traque-la pendant
quelques jours et une fois que tu sens que c’est le bon moment, qu’elle est sans
témoins, kidnappe-la.

Je hoche la tête avant de sortir du bureau. Je décide de faire un tour au sous-


sol, transformé en camp d’entraînement pour les nouvelles recrues. Les gamins
que mon père ramène n’ont jamais plus de 4 ans. Ce sont des enfants orphelins
ou abandonnés par leurs bâtards de parents. Quand je vois le nombre de gosses
que mon paternel sauve en les amenant ici et en leur apprenant à se battre, je ne
peux qu’être fier de lui. Mon père est un homme bien. Ça fait bien trois semaines
que je n’ai pas mis les pieds ici. Ça m’aurait sûrement manqué si j’étais doté
d’émotions. Des cris résonnent dans le grand gymnase. Je me souviens d’avoir
passé toute mon enfance dans ces sous-sols avec les gamins de ma génération
tels que Duncan. Contrairement aux autres, lui et moi sommes les enfants
génétiques de mon père. Nous nous entraînions tous les jours pour devenir ce
que nous sommes aujourd’hui. Mon père nous répétait sans cesse que tuer est la
seule manière de survivre dans ce monde. Et il a raison. Nous sommes
invincibles.

Duncan avait vu juste, il y a des nouveaux. Ils sont encore pleins d’émotions,
mais plus pour longtemps. Mon père va bientôt les rendre comme nous. Il dit que
les sentiments, c’est pour les personnes faibles. Et, là encore, il a totalement
raison. Je leur apprends quelques techniques de combat avant de partir pour la
fac.

L’avantage, avec ce campus, c’est qu’on peut participer aux cours en


candidats libres. Un ami de mon père, génie de l’informatique, s’est déjà occupé
de la paperasse administrative, je n’ai donc plus qu’à me pointer. J’ai pris soin
d’arriver avant les autres pour ne pas attirer l’attention et me cacher derrière un
cahier. Le cours est d’un barbant pas possible. Je balaie l’amphithéâtre du regard
et c’est là que je la vois. Elle est de dos, assise au deuxième rang, mais je sais
que c’est elle.
2

Evy

– Le sujet du cours d’aujourd’hui devrait en intéresser plus d’un, annonce M.


Cromwell, notre prof de psychologie, avec un sourire éloquent sous sa
moustache blanche. Les addictions. Quelqu’un peut-il me donner des exemples
d’addictions pouvant avoir un impact sur la santé mentale ?

Quelques mains se lèvent pour mentionner les principales, tels l’alcool, la


drogue ou les jeux d’argent.

– L’addiction au sexe ! s’exclame fièrement Jason Collins, provoquant


quelques ricanements dans l’assistance.

Jason est l’archétype de l’idiot de service. Je me demande s’il n’est pas la


source des blagues sur les blondes, des fois que… Il est aussi blond à l’extérieur
qu’à l’intérieur. Son seul atout est sûrement son regard bleu qui doit en faire
tomber plus d’une, si tant est que l’on aime ce type de mecs. Mais question
neurones, ses parents ont dû louper une étape en le concevant. S’il y a une
connerie à dire ou à faire, vous pouvez être sûr qu’il s’en charge avec
enthousiasme.

– Qu’est-ce qui vous fait dire que le sexe peut influencer notre cerveau,
monsieur Collins ? l’interroge le prof. La plupart des êtres humains aiment le
sexe sans pour autant y être accros.

Nous nous retournons tous vers Jason qui arbore maintenant un sourire mi-
énigmatique, mi-lubrique.

– Eh bien, une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer. N’est-ce pas,
Lydia ? ajoute-t-il en braquant son regard sur ma voisine.

Oh, l’enfoiré, il n’a pas osé ! À côté de moi, ma meilleure amie a l’air peinée
et serre les dents. Elle a refusé de remettre le couvert après une nuit avec lui,
l’année dernière, ayant eu un coup de cœur pour un autre. Malheureusement,
Will et Jason étaient potes, à l’époque. Visiblement, cette préférence lui est
restée en travers de la gorge.

Lydia est une fille gentille et pleine d’empathie. Trop, même. Elle n’est pas
très douée pour affronter les gens qui ne sont pas corrects avec elle.
Heureusement, je suis tout le contraire et elle peut compter sur moi pour rentrer
verbalement dans le lard de ce prétentieux à deux balles. Je lui crache :

– Ce n’est pas parce que tu es nul au pieu qu’il faut t’en prendre à elle.

Je n’ai pas peur de lui. Si l’on veut me chercher des ennuis, je sais très bien
où frapper.

– Qu’est-ce que tu dis, toi ? m’agresse-t-il.

Je lui lance un clin d’œil et un sourire ironique.

– Fais gaffe, la masturbation rend sourd, à ce qu’il paraît.

Les rires moqueurs à l’encontre de ce pauvre Jason se font plus forts et celui-
ci est rouge de rage. Ou de honte. Dans tous les cas, ça m’est égal. M. Cromwell
demande le silence avant de s’adresser à moi.

– Mademoiselle Merten, puisque vous avez l’air d’avoir une bonne repartie,
donnez-nous donc un autre exemple d’addictions pouvant altérer notre système
psychologique.

Je réfléchis un instant et réponds :

– L’addiction aux jeux vidéo.


– Très bien. Développez.
– La cyberaddiction est le trouble psychologique obsessionnel le plus
dangereux, selon moi.
– Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec vous sur ce point-là, objecte le prof.
Vous insinuez que l’addiction à Internet est plus importante que celle à l’alcool
ou à la drogue ?
– Tout à fait, monsieur. L’accès à l’alcool et à la drogue est davantage
contrôlé, via l’âge légal minimum pour leur consommation ou l’appui des forces
de l’ordre. En revanche, personne n’interdit ou ne limite le temps passé sur la
Toile ou les jeux vidéo. Nous sommes donc plus enclins à tomber dans la
cyberdépendance.

M. Cromwell médite ma réponse.

– D’accord. Mais, de nos jours, il est tellement facile de se procurer de faux


papiers pour consommer de l’alcool, par exemple.
– Et les faux papiers, comment les fait-on, à votre avis ? Je ne remets pas en
question la dangerosité des autres addictions, elles ont leurs caractéristiques
spécifiques. Mais Internet est partout. On parle Internet, pense Internet, respire
Internet. Au point d’en oublier nos activités sociales, les sorties entre amis…
Même pendant les repas de famille, il se trouve toujours au moins une personne
scotchée à son téléphone.
– Il suffit d’éteindre.
– Sauf que le téléphone est à la base un moyen de communication. À moins
que vous n’envoyiez des lettres ou des hiboux, c’est votre choix, mais
aujourd’hui tout est plus rapide et instantané. Conçu pour une utilisation pratique
et rapide, le téléphone est devenu un mini-ordinateur. Et les taux d’addiction ont
augmenté avec l’arrivée des smartphones.

Le prof me scrute avec un demi-sourire et je me rends compte qu’il teste mon


sens de la repartie et du débat.

– Tout ce que je veux dire, continué-je, c’est que, dorénavant, avec le Wi-Fi
gratuit dans presque tous les lieux publics, la société se perd dans un gouffre
sans fond. Les gens en mal-être se réfugient dans des jeux fictifs, s’imprégnant
d’un avatar qu’ils ont créé comme étant une version idéalisée d’eux-mêmes. La
confiance en soi diminue. Les interdépendants se renferment chaque jour un peu
plus, oubliant toute sociabilité. Ils ne jurent que par ces jeux, même quand ils n’y
jouent pas. La plupart des jeux en réseau sont sans fin et se poursuivent même
lorsque le joueur n’est pas connecté. Celui-ci est donc davantage préoccupé par
ce qui est susceptible de se passer dans son univers virtuel que par ce qui se
passe autour de lui, dans la vie réelle. Dans les cas les plus extrêmes, cette
addiction peut entraîner de graves problèmes psychologiques tels que le manque
de discernement entre réalité et fiction.
Satisfait de mon discours, M. Cromwell continue sa séance et, à côté de moi,
Lydia me souffle :

– J’ai adoré ce que tu as répondu à ce petit con. J’aimerais tellement avoir ton
franc-parler.
– T’inquiète, ma bichette. Je serai toujours là pour te défendre.

Les cours terminés, je quitte Lydia qui rentre à l’appartement et me dirige


vers la bibliothèque du campus afin de continuer mes recherches pour ma thèse.
Il ne me reste que quelques mois pour la finir et je n’ai, c’est le moins que l’on
puisse dire, pas choisi un thème facile : la schizophrénie. Il y a environ trois
semaines, j’ai pu récolter des témoignages de personnes atteintes de cette
maladie dans un centre psychiatrique. Cela m’a énormément aidée à comprendre
ce trouble et à écrire une bonne partie de mon mémoire.

Je suis très investie dans mon domaine et je compte bien obtenir mon diplôme
avec une mention en bonus. Certains pourraient penser que je suis une intello qui
ne jure que par ses études, moi je dirais que je suis une passionnée de la vie
humaine. J’adore savoir le pourquoi du comment. Pourquoi certaines personnes
sont-elles atteintes d’un trouble quelconque alors que d’autres, non ? Que
ressentent-elles, enfermées dans leur propre esprit ? Qu’est-ce qui les pousse à
commettre des actes dont elles n’ont pas forcément conscience ? Comment
gèrent-elles leurs crises, jusqu’à quel point peuvent-elles les supporter ? Cela
peut paraître bizarre, mais l’esprit – le comportement psychologique – humain
me fascine. Le cerveau est tout un amoncellement d’informations et de
découvertes totalement impressionnantes.

En arrivant dans le grand bâtiment de style victorien, je salue Marysa, la


bibliothécaire. Quand on passe autant de temps que moi dans cet endroit aux
mille et une merveilles, on finit par se lier d’amitié avec le personnel. Marysa,
Amérindienne d’une trentaine d’années, a de longs cheveux noirs et fins, noués
en deux tresses sur les côtés. En dépit de leur couleur sombre, ses yeux dégagent
une bienveillance rare. Je m’assieds à une table, sors mon bloc-notes et mon
ordinateur lorsque Marysa m’apporte une tasse de café fumant. Quand je vous
dis que cette femme est l’incarnation parfaite de la gentillesse !

– Tu avances bien ? s’enquiert-elle, penchée par-dessus mon épaule.


– J’en suis à la moitié. Quand je pense que je suis restée trois jours entiers
devant ma page vierge, au début, je suis plutôt satisfaite.

Ses lèvres fines arborent un sourire chaleureux.

– Tu vas y arriver, je suis confiante. Je te laisse travailler, ma belle.


– Merci, Marysa.

Je me lève pour aller dénicher un bouquin et, alors que je suis en train
d’examiner un ouvrage épais, je sens comme une présence non loin de moi. Je
tourne la tête vers la droite et j’ai juste le temps d’apercevoir une silhouette noire
à capuche avant qu’elle ne disparaisse derrière un rayon. Je ne m’en formalise
pas. Depuis plusieurs années, les gens d’ici me regardent bizarrement avant de se
cacher. Il faut dire que je ne fais pas partie d’une famille exemplaire, et
maintenant que je suis la seule encore en vie, tous se demandent sûrement de
quelle façon je vais mourir à mon tour. Mais quelques minutes plus tard, la
même silhouette passe furtivement dans l’allée centrale, tout près de moi, me
faisant sursauter.

Je referme brutalement le livre que je tiens en main, bien décidée à découvrir


qui est cette personne. Ce n’est pas que j’aie peur, mais il faut avouer que ce
comportement mystérieux est pour le moins étrange. Or, lorsque je me retrouve
dans l’allée principale pour regarder où est passée cette personne facétieuse – et
inquiétante –, l’endroit est désert. Je reste plantée là une minute ou deux, au cas
où il réapparaîtrait, mais rien ne se passe. Le silence règne toujours dans la
bibliothèque, seulement perturbé par les battements frénétiques de mon cœur. Il
faut vraiment que j’arrête de regarder des films d’horreur avec Lydia, moi.

Je me sens également épiée, un peu plus tard, alors que je fais des courses au
supermarché. Là, ça commence à bien faire. Si j’arrive à le choper, il va savoir le
fond de ma pensée et ça risque de ne pas être plaisant pour lui. Je ne saurais
expliquer ce que je ressens exactement, mais ce sont comme des picotements
dans la nuque, très désagréables. Lorsque je me retourne, l’homme au sweat à
capuche noir est déjà en train de se faufiler entre les rayons et prend la tangente
avant que je ne puisse le rattraper. Cette fois j’en suis sûre. Il était bien réel et me
suivait bien, moi. Et je commence vraiment à baliser.

– Comment sais-tu que c’était un homme ? me demande Lydia après que je


lui ai raconté l’histoire de la bibliothèque et du supermarché.
Elle est occupée à faire tenir ses quelques mèches rousses avec des épingles
tandis que j’enfile ma tenue. Je n’ai jamais vraiment approuvé l’uniforme
réglementaire du Sphinx, à savoir un minishort à strass qui en dévoile plus qu’il
n’en couvre et un T-shirt moulant blanc à l’effigie du bar de nuit. Mais je ne
peux pas me plaindre, c’est le seul endroit dont les horaires sont convenables
puisque nous n’y travaillons que les week-ends et pendant les vacances, pour un
salaire qui nous permet de régler les factures. Il est situé à la sortie de la
bourgade, loin du quartier où nous vivions, avec ma famille, mais ça ne me
dérange pas car ici, c’est un peu comme ma deuxième maison. Je n’y suis pas
montrée du doigt comme dans le centre-ville. Je ne suis qu’Evy, la serveuse
grande gueule et délurée. Heureusement, les talons sont facultatifs. Si Lydia est à
l’aise pour marcher pendant plusieurs heures d’affilée perchée sur du dix
centimètres, c’est loin d’être mon cas. C’est pour cette raison que j’ai opté pour
des Converse.

Quoi qu’il en soit, le bar n’est peut-être pas le mieux famé, niveau clientèle,
entre les ivrognes et les mecs en chaleur, mais il y a une très bonne ambiance et
on s’y habitue.

– Parce qu’il était trop grand et trop baraqué pour être une femme, réponds-je
à ma meilleure amie.

Je me dandine comme un pingouin sur sa banquise pour enfiler mon short. Il


faut dire que mon physique est aux antipodes de celui de Lydia. J’envie ses
hanches fines, ses longues jambes et sa poitrine ni trop grosse ni trop petite. Elle
est d’une beauté naturelle qui a le don de faire tomber les hommes comme des
mouches. Me concernant, je n’ai eu qu’une seule longue relation, mais il s’est
retrouvé avec mon genou dans les parties.

– C’est flippant. Tu crois que ça pourrait être Jason ? Après la façon dont tu
l’as descendu en cours, il a un bon mobile pour te faire peur.
– Non, je ne pense pas. Il est trop bête pour penser à faire un truc pareil.

Et si c’était quelqu’un qui me voulait vraiment du mal, et non un plaisantin à


la mords-moi-le-nœud ? Avec la mort tragique de Jared, ce serait plausible.
Dois-je vraiment m’inquiéter ?

Anthony, le patron du bar, nous interrompt en frappant à la porte.


– Magnez-vous, les filles, ça commence à se remplir.

Et il s’en va. Anthony Stryder est un mec charismatique, avec ses cheveux
noirs toujours plaqués en arrière, son visage carré, ses yeux bruns légèrement
bridés issus des origines asiatiques de sa mère. Il n’est pas très grand, mais c’est
le genre de mec à qui il ne faut pas se frotter. Il est clean avec la justice, n’a
même jamais fumé de sa vie, mais il ne faut pas trop l’enquiquiner, sous peine de
perdre quelques dents. Il fait un peu genre mafieux avec son éternel cure-dents
dans la bouche et son air supérieur, un peu comme « Le Parrain ». Mais au fond,
il a un cœur d’or. Il nous a prises tout de suite, Lydia et moi, lorsqu’on lui a
expliqué que nous étions vraiment dans le besoin.

Nous retrouvons Robbie au bar. Cette petite tête blonde au sourire flambeur
est notre troisième acolyte. Il n’a pas fait de grandes études, mais il rêve de
retourner dans son pays natal, l’Australie. Nous le charrions encore pas mal sur
son accent, d’ailleurs. Mais il adore ça. Bien qu’il y ait eu un vague flirt entre lui
et moi, avec échange de baisers, nous nous sommes vite rendu compte que
l’amitié était ce qui nous convenait le mieux, comme relation.

Nous prenons notre service tout en jouant à notre jeu favori, le « Qui boit
quoi ? ». Le principe est simple : tout en observant le comportement de nos
clients, nous devons deviner la boisson qu’il s’apprête à commander. Cela amuse
Robbie et la clientèle. Quant à Lydia et moi, ça développe notre acuité visuelle,
nécessaire pour notre avenir professionnel. Les paris sur le gagnant sont lancés
au départ et le vainqueur remporte les mises cumulées tout au long de la soirée.
Robbie perd plus que nous mais s’amuse beaucoup.

La soirée se passe bien, je me sens un peu comme chez moi, ici, en plus…
bruyant. L’ambiance est au top, comme d’habitude. Certains clients nous paient
des bières – Anthony nous autorise à en accepter, mais nous devons stopper au
moins deux heures avant la fermeture, question de santé et de légalité -, Lydia et
moi nous déhanchons sur des rythmes endiablés sous les yeux admiratifs des
habitués. Pour faire preuve d’équité envers les quelques femmes présentes,
Robbie fait même tomber la chemise, dévoilant son buste musclé qui n’a
absolument rien à envier aux mannequins présents sur les couvertures des
magazines. Si certains clients ayant bu le verre de trop se permettent quelques
mains baladeuses sur nos shorts, un seul avertissement de Gandhi suffit à calmer
leurs ardeurs. Il s’appelle Darren, en réalité, mais ce Cubain géant à la
musculature monstrueuse est doté d’une énorme sagesse, qu’il garde secrète à la
vue des clients, bien sûr.

Malgré moi, je ressens une sorte de tension en mon for intérieur. Comme une
sorte… d’appréhension. Je ne peux m’empêcher de surveiller l’éventuelle
présence de l’homme au sweat noir. Mon petit côté pétocharde est soulagé de ne
pas avoir affaire à lui, mais la part téméraire, plus imposante, est frustrée de ne
pouvoir découvrir qui se cache sous cette foutue capuche. Il faudra que je pense
à vérifier le bon verrouillage des portes et des fenêtres en rentrant. Et mieux
vaudra deux fois qu’une.

La nuit touche à sa fin et, comme je suis de fermeture, je suis de corvée de


nettoyage dans tout le bar.

– Je t’attends ? me demande Lydia qui sort des vestiaires, habillée en civil,


alors que je balaie le sol.
– Oh, non, pas la peine. Je dois voir… quelqu’un.

Voilà plusieurs jours que je mens à ma meilleure amie. Du moins, je lui cache
quelque chose et je culpabilise. Lydia s’appuie sur une jambe et pose ses mains
sur ses hanches, la tête sur le côté et sa bouche faisant claquer une bulle de
chewing-gum.

– Comment il s’appelle ?

Je soupire.

– Allez, Evy, ça fait des mois que j’essaie de te caser avec un mec et
maintenant que tu en as un, tu ne me dis rien ? Je croyais qu’on était meilleures
amies !
– Mais on l’est !
– Les amies se disent tout.

Je soupire encore une fois avant de poser le balai et de me planter devant elle.

– OK, tu veux vraiment savoir ? David me retrouve ici dans quelques


minutes. Il veut seulement parler et je crois que je l’ai assez fait ramer.
– Tu es sérieuse ? David ? Evy, dois-je te rappeler ce que ce connard t’a fait il
y a un an ? À quelques jours de votre m…
– Je sais, la coupé-je, agacée. Je sais ce qu’il m’a fait, je ne suis pas près de
l’oublier, celle-là. Mais je veux l’oublier, lui. Je veux faire une croix définitive
sur notre histoire. Et je crois que j’ai besoin d’entendre ses excuses. De
comprendre pourquoi, ce que j’ai fait de mal, ce qu’elle a de plus que moi…

Voyant que je suis sur le point de craquer, Lydia me prend par les épaules et
me force à la regarder.

– Aucune femme n’est meilleure que toi, bichette, tu entends ? Tu es belle,


intelligente, débrouillarde, à l’écoute des autres… Je pourrais facilement en faire
une bible, de tes qualités. Si tu penses que tu as besoin d’entendre ce qu’il a à te
dire pour pouvoir tourner la page, alors fais-le. Mais tu le connais, Evy, il est
plutôt doué pour séduire les femmes. Ne retombe pas dans ce piège.
– Je n’y compte pas, dis-je, catégorique.
– Tu es sûre que tu ne veux pas que je reste avec toi, au cas où ?
– Rentre, tu es crevée. Promis, je te rejoins.

Lydia n’a pas l’air décidée, mais je lui assure que tout ira bien et je suis limite
obligée de la pousser pour qu’elle sorte de ce foutu bar. Une fois seule, je
termine le nettoyage, me change et sors dans la nuit légèrement colorée par
l’aube qui annonce doucement son arrivée. Je ferme le bar et attends que David
daigne arriver, adossée au mur du bâtiment.

Cinq minutes passent. Dix, je vérifie mon téléphone, aucun message de sa


part. Quinze minutes. Je décide de l’appeler. Ce n’est pas que je ne sois pas
patiente, mais je suis crevée. Je tombe sur sa messagerie. Bordel, c’est bien lui,
ça. Jamais à l’heure. Au bout d’une demi-heure, mon portable, fatigué, finit par
s’éteindre et je me décide à partir. Tant pis pour lui, il a raté une occasion de
parler. Tout en marchant jusqu’à ma voiture, je cherche désespérément les clés
dans mon sac à main. Lui qui est d’ordinaire si bien rangé, je peux compter sur
ma bordélique de colocataire pour le retourner dans tous les sens juste pour un
chewing-gum. Non seulement elle me pique les miens, mais en plus elle sait très
bien qu’ils sont rangés dans la poche de devant. Si je ne l’aimais pas autant, je
l’aurais lâchée. Je trouve enfin mes clés lorsque j’arrive devant mon véhicule,
mais elles me glissent des mains et tombent dans une flaque d’eau.

– Eh merde, pesté-je.
Je les récupère et, en me relevant, je sursaute en apercevant une silhouette
noire derrière moi, dans le reflet de la vitre. Pendant une fraction de seconde, je
crois que c’est mon ex qui s’est enfin pointé. Puis je reconnais ce sweat. Cette
capuche sur la tête de l’homme. Tout juste ai-je le temps de faire le
rapprochement avec le mec qui m’a suivie toute la journée que je me retrouve
emprisonnée dans un étau de muscles. La panique me saute à la gorge et je n’ai
pas l’occasion de hurler avant que l’homme me plaque un morceau de tissu sur
le visage. Une odeur âcre et désagréable s’insinue dans ma gorge et mes cavités
nasales. Mon cœur bat à s’en rompre et je tente de me débattre dans un élan de
survie. Mais il est trop fort. Mon cerveau se met à tourner au ralenti au fur et à
mesure que le produit chimique s’immisce dans mon organisme. Je parie sur du
chloroforme. J’ai vu assez de films pour en reconnaître les effets. Je me vois déjà
morte, mon cadavre déposé dans une benne à ordures. Non, pas ça. Je refuse de
crever. Ni maintenant ni dans ces conditions. Je m’agite autant que je peux. J’ai
l’impression que mes muscles sont en coton. Ou pèsent une tonne, plutôt. Ma
vue se brouille et mes poumons me font mal. Mes jambes vont me lâcher, je le
sens. Mon corps est tout engourdi. Mes paupières finissent par se fermer d’elles-
mêmes, je sens les larmes couler sur mes joues, mais je n’ai plus de forces. Je
tente un dernier essai de lucidité avant de sombrer dans l’inconscience.

***

J’ai un mal de crâne horrible et me sens nauséeuse. J’ouvre les paupières avec
difficulté pour regarder l’heure. C’est bizarre, je ne me souviens pas de m’être
endormie. Et, plus important encore, mon appartement sent le renfermé, la
poussière et une once de tabac. Je suis une maniaque née et je ne fume pas. Mes
yeux finissent par s’acclimater à la pénombre. La lumière du soleil se reflète sur
une fenêtre opaque sans poignée. Je suis allongée sur un matelas posé à même le
sol en béton, les murs sont en pierre et dépourvus de décoration. Au-dessus de
moi pendent des fils électriques dénudés, sans ampoule et il fait un froid de
canard. Un élan de panique me submerge et il s’accroît lorsque je m’aperçois
que mes mains sont menottées et un de mes pieds attaché à une chaîne, elle-
même reliée à un anneau fixé dans le sol. Je me sens encore un peu dans les
vapes, mais je parviens tout de même à comprendre ce qui est en train de
m’arriver.

Je suis prisonnière.
J’ai été enlevée.

Puis des souvenirs me reviennent en mémoire, tels des pièces de puzzle qui se
rassemblent pour ne faire qu’un. J’ai envie de pleurer, mais aucune larme ne me
vient. Je crois que je suis encore sous le choc. J’ai du mal à respirer et ma gorge
m’irrite, sans doute à cause de la substance chimique.

Que fais-je ici ? Qui m’a enlevée ? Depuis combien de temps suis-je
enfermée ? Suis-je la seule ? Je n’y crois pas, j’ai été kidnappée. Je fouille dans
mes poches mais, bien évidemment, pas de portable. Lydia doit se faire un sang
d’encre en ne me voyant pas dans l’appartement. Il faut que j’arrive à me sortir
de là. Et le premier réflexe qui me vient à l’esprit, c’est de crier. Alors je hurle à
pleins poumons et à m’en déchirer les cordes vocales. Avec un peu de chance,
quelqu’un viendra me sauver. À peine ai-je le temps de crier une deuxième fois
que la porte en métal s’ouvre brusquement, claquant contre le mur derrière,
laissant apparaître un homme. Environ un mètre quatre-vingts, à peine plus âgé
que mes 22 ans, des cheveux bruns coupés court relevés de façon négligée mais
stylée sur le dessus et formant des bouclettes. Son visage sans défaut est
accentué par une barbe de quelques jours. Un corps svelte mais athlétique. Il se
tient droit, comme les militaires. Il porte un T-shirt gris anthracite laissant
apparaître un morceau de tatouage sur son biceps droit. Sous ses sourcils
froncés, son regard ocre est… flippant. Sans âme. J’aime observer les gens et
analyser leur regard. C’est scientifique. Je sais que c’est lui qui m’a enlevée –
qui d’autre ? – et il ne semble même pas ressentir une once de remords ou de
pitié. Ses traits sont neutres, ses prunelles semblent vides de tout sentiment. Je
pourrais avoir une statue de pierre face à moi, ce serait exactement pareil – si ce
n’est qu’une statue est immobile. J’en ai des frissons.

– Tu peux crier autant que tu veux, personne ne t’entend.

Sa voix est tout autant dénuée d’émotion. Cet homme me donne la chair de
poule.

– Qu’est-ce que vous me voulez ?

Malgré la peur qui me tord le ventre, j’ai réussi à parler avec assurance. Je ne
suis pas le genre de fille à montrer mes faiblesses et à me laisser impressionner.
Or, là, je n’ai pas affaire à un petit étudiant ou à un ivrogne un peu trop tactile.
Ce type est un psychopathe. Je suis terrifiée. J’ai envie de pleurer, de le supplier
de me laisser partir. Ou, du moins, ne pas me faire de mal. Je me pose un tas de
questions sur ses intentions et j’en tremble. Ce mec est un sadique, je le vois. Je
n’ai aucun moyen de me libérer et personne ne sait où je suis. Est-ce que Lydia a
alerté la police ?

– Il faut que j’aille au petit coin, couiné-je à mon geôlier qui n’a même pas
daigné répondre à ma question.
– Il y en a un là-bas, me répond-il en désignant le fond de la pièce.

Je lève un sourcil. Il est con ou il le fait exprès ?

– Chez nous le petit coin ce sont les toilettes, précisé-je.


– Oui et je viens de te répondre.
– Je ne vais quand même pas faire pipi contre le mur ! Je ne suis pas un
chien !

Je me tais en me rendant compte que je parle à mon potentiel meurtrier.


Merde, pourquoi je n’arrive pas à la fermer lorsque je suis nerveuse et, en
l’occurrence, tétanisée ? C’est là que je découvre un premier rictus se former sur
ses lèvres fines. Un petit sourire en coin qui me fait penser que, peut-être, il ne
fait que blaguer. Que tout cela est une mise en scène, une caméra cachée pour la
télévision ou un truc du genre. Mais mon espoir est réduit à néant quand il
déclare simplement :

– Pour moi, si.

Et il sort en claquant la porte, me laissant seule, choquée, terrorisée et la


vessie pleine. Je regarde autour de moi. Je tire sur mes chaînes, comme si j’avais
assez de force pour les enlever. Quand on est dans ma situation, tous les moyens
sont bons, même les plus ridicules. Le cerveau ne tourne plus très rond et on a
tendance à croire en l’impossible. Mais, comme je le craignais, c’est du solide,
ces merdes. Je me résigne à me diriger tant bien que mal, à cause de mes pieds
étroitement enchaînés, vers un coin de la pièce que j’estime suffisamment
éloigné du matelas. Je ne peux plus tenir et je refuse de tacher mon lit de fortune.

***
Trois jours passent durant lesquels je passe mon temps à pleurer. Mon
ravisseur ne revient même pas. J’entends parfois le son de ses pas quand il passe
devant ma porte et les seules fois où il l’ouvre, c’est pour me balancer une
bouteille d’eau que je bois systématiquement d’une seule traite. Je suis affamée.
Ce n’est pas faute de hurler en le suppliant d’au moins me donner à manger,
mais il ne répond pas. J’ai terriblement peur et je suis triste, aussi. Je pense tout
le temps à ma vie avant mon kidnapping. À Lydia qui doit être morte
d’inquiétude. Je me demande si je réussirai à sortir d’ici en vie. La nuit, j’ai
l’impression d’entendre sa voix. Puis j’ouvre les yeux et me rends compte que ce
n’est qu’un rêve. Seul le silence total m’accompagne dans cet enfer. Mon
organisme me transmet sa faiblesse en me faisant divaguer. J’ai tellement faim
que j’en ai l’estomac qui se retourne. Heureusement, l’odeur d’urine est
enfermée dans les bouteilles en plastique vides que j’ai gardées. Autrement, en
plus des effluves de tabac et de moisi, l’atmosphère aurait été proprement
irrespirable.

Je suis désemparée, désespérée, terrifiée. Je me sens atrocement seule, aussi.


Si je ne l’entendais pas et si je n’avais pas mon unique bouteille d’eau de la
journée, je penserais qu’il m’a laissée là. Chaque fois qu’il m’apporte mon eau,
je tente une approche. Je lui demande pourquoi il me fait cela. Qui est-il ?
Pourquoi moi ?

Mais à chaque fois, il ressort sans m’adresser le moindre mot.

***

À travers la fenêtre opaque, je contemple la douzième lune depuis que je suis


séquestrée ici. Douze jours. Et personne n’est venu me secourir. J’ai tenté tout ce
que je pouvais pour me libérer. Mais rien n’y a fait. J’ai compris que je ne
tirerais absolument rien de cet homme. Il ne ressent rien, ne se soucie de rien
d’autre que de lui. Je ne sais toujours pas pourquoi je ne suis ici ni ce qu’il
compte faire de moi à part m’affamer. Alors j’ai arrêté de lui hurler des questions
auxquelles je n’aurai jamais aucune réponse et me suis murée dans un silence
profond, rempli de chagrin, de peur, de solitude. De désespoir.

J’ai dû perdre au moins cinq kilos. J’aurais été sans nul doute heureuse de
cette nouvelle si j’avais été chez moi et que cette perte de poids était due à un
régime efficace. Mais je ne suis pas heureuse de cet amaigrissement. Parce qu’il
est douloureux et abominable. Mon estomac criant famine est la seule chose qui
perturbe le silence étouffant de mes journées. Je n’ai même plus la force de me
lever. Je ne dors pour ainsi dire pas de la nuit non plus.

Je suis une dure à cuire, d’habitude, je n’ai pas froid aux yeux. Mais là,
comment prétendre être une femme de caractère alors que l’on a un mur en face
de soi ? Je n’ai plus la force de chercher à m’échapper ni de défier mon geôlier.
Après douze jours de captivité, le seul fait de respirer me demande déjà
beaucoup d’efforts.

Je ne me demande même plus si ma disparition a été signalée. Peut-être l’a-t-


elle été, mais je sais que, là où je suis, perdue au milieu de nulle part, personne
ne pourra me retrouver. Je vais sûrement finir au fond du lac et mon corps ne
sera jamais découvert.

Je me pose la question de plus en plus souvent, ces derniers temps : dois-je


me laisser mourir, ou, au contraire, y a-t-il encore assez d’espoir pour que je me
batte ? Aujourd’hui, sous cette douzième lune, je me dis que non. J’ai beau
vouloir me raccrocher à la vie de toutes mes forces, celles-ci me manquent
cruellement et mon corps faiblit de minute en minute. Les nuits précédentes, je
m’endormais avec la peur au ventre. La peur de mourir. J’ai toujours vécu ma
vie à fond, parce que trop de gens sont morts autour de moi. Mes parents, mon
frère jumeau, toute ma famille. Chaque jour, le soleil me réveillait et je voyais
cela comme un signe du destin. Une sorte de lueur d’espoir.

Mais depuis quelques jours, j’éprouve l’envie de me laisser mourir. Je n’en


peux plus de souffrir, aussi bien physiquement que mentalement. Cette nuit, je
veux m’endormir en me disant que je ne me réveillerai jamais. En m’imaginant
peut-être revoir ma famille, anéantie elle aussi par des gens sans aucune pitié.
Mes parents, dans un accident de voiture causé par un mec sous l’emprise de
l’héroïne, et Jared, tué par balle dans mes bras. Peut-être est-ce la terrible
destinée de la famille Merten. Mourir assassiné.

En tout cas, je ne veux plus avoir peur. Je veux juste dormir et ne plus jamais
me réveiller.
3

Ryder

Je m’occupe du nettoyage de mes armes d’un air distrait. D’habitude, je suis


concentré sur mes manœuvres, mais depuis quelques jours, les gémissements et
les pleurs provenant de la chambre commencent à me taper légèrement sur le
système. Je m’emmerde sec dans cette baraque, et si en plus ma cible se met à
chialer comme une gosse, ça ne va pas le faire. Je me lève pour aller me préparer
un sandwich dans la cuisine. La planque a été ravitaillée par les hommes de main
de mon père, quelques jours avant que je n’arrive avec la fille.

Je ne l’ai pas nourrie depuis que je l’ai enlevée, il y a presque deux semaines.
C’est la phase numéro un de mon plan de torture. Je ne m’y connais pas
tellement dans le genre parce que d’ordinaire, je ne garde pas mes cibles en vie
bien longtemps, mais j’ai tout de même quelques notions grâce à Duncan. Je
l’affame pendant plusieurs jours, histoire qu’elle se rende compte que je ne suis
pas un rigolo.

Le premier jour, mon père m’a appelé pour me demander si j’avais bien suivi
les instructions de base. Voiture immergée dans le lac, sac à main contenant ses
papiers d’identité brûlés. Ce qui m’a surpris, c’est que mon père me demande
d’aller carrément chez elle pour faire croire à un départ précipité et essayer de
trouver une clé USB qu’il souhaite à tout prix récupérer. Ça, je n’avais jamais
fait. Ma devise est : pas de nom, pas d’adresse, juste du sang. Mais si mon
paternel m’a donné cet ordre, je dois obéir en bon fils que je suis. Il nous a tous
élevés ainsi et nous devons respecter chacune de ses instructions. Et puis, en la
traquant pendant plusieurs jours à la fac, j’ai fini par connaître son nom, je
n’étais plus à ça près. Je suis monté à l’appartement et j’ai forcé la serrure. La
première chose qui m’a frappé a été la déco. Des couleurs criardes partout dans
les pièces, des murs jusqu’à la chambre, en passant par les éléments de cuisine
rouge sang. Seule la deuxième chambre était épurée et j’ai constaté qu’elle
appartenait à Evangeline grâce aux photos encadrées posées sur les quelques
meubles. J’ai d’abord pris soin d’emballer quelques vêtements dans une petite
valise avant de m’attaquer à la recherche de cette fameuse clé dont l’étui est en
forme de coccinelle, d’après mon père. J’ai tout fouillé sans foutre le bordel.
Mais je n’ai absolument rien trouvé. J’étais bien décidé à y passer la journée s’il
le fallait quand j’ai entendu le cliquetis de la serrure. Je me suis immédiatement
caché derrière la porte, mon couteau dans la main. Une petite rouquine est
passée devant moi sans me voir. Elle a lâché son sac et a couru jusque dans la
chambre de sa copine en hurlant :

– EVY !!! Evy, je sais que tu es là, la porte était ouverte !!

Elle a parcouru l’appartement de long en large, l’air paniqué. Heureusement


pour elle, elle ne m’a pas vu, auquel cas j’aurais été obligé de la tuer. Elle est
sortie de l’appartement en claquant la porte. J’ai attendu un moment avant de me
décider à sortir de ma planque, attraper la valise que j’avais cachée sous le lit
d’Evangeline et me barrer vite fait, oubliant complètement la clé USB.

Maintenant, je suis face à la porte renfermant ma captive, mon sandwich et


une bouteille d’eau dans les mains. J’entre et lui balance la boisson, comme
d’habitude. Recroquevillée sur elle-même, Evangeline se relève et saute sur la
bouteille. Je jette un œil aux autres bouteilles entassées dans un coin, remplies de
pisse. Un autre que moi l’aurait sûrement prise en pitié. Mais je ne connais pas
ce sentiment, ni aucun autre. Je m’assois dans un coin éloigné d’elle et croque
dans mon sandwich sans le moindre scrupule. Je ne l’ai pas vue depuis que je
l’ai enfermée ici. Jusqu’à maintenant, je me contentais de lui jeter de l’eau sans
lui prêter la moindre attention. Mais maintenant que je suis là, devant elle, je
peux voir ses joues creusées, ses cheveux crasseux et son visage, autrefois
légèrement rosé, aussi blanc qu’un cachet d’aspirine. Ses vêtements sont
poisseux et couverts de poussière. Ses doigts présentent des écorchures et, en
tournant la tête, je peux voir des petites traces de sang séché sur la seule vitre de
la pièce. Elle a essayé de la casser et ses mains en ont payé le prix.

La fille me regarde manger et je pourrais presque la voir saliver. Ses yeux


sont brillants d’envie devant la nourriture, mais quand elle les relève sur moi, ils
sont emplis d’une émotion que j’ai déjà vue chez plusieurs de mes victimes. La
haine. Si les regards pouvaient tuer, je baignerais dans mon propre sang, à
l’heure actuelle. Mais je ne cille pas. J’ai été formé toute ma vie pour ne pas me
laisser impressionner par des gros bras armés jusqu’aux dents, ce n’est
certainement pas une gonzesse qui va faire changer les choses.

– Sais-tu pourquoi tu es là ?

Elle semble surprise d’entendre ma voix après deux semaines sans que je lui
aie adressé un mot. Elle me défie du regard avant de répondre.

– Parce que vous êtes un psychopathe ?

Je lui lance un regard noir. Je n’aime pas trop le fait qu’elle me prenne pour
un cinglé et encore moins le ton avec lequel elle a parlé.

– Un psychopathe aime tuer. Moi, je le fais parce qu’il le faut.

Je me relève et m’avance vers elle en croquant encore dans mon pain. Elle
déglutit en fixant mon repas. Les gargouillis de son estomac affamé brisent le
silence. Je m’accroupis et croise son regard bleu.

– Je ne te poserai la question qu’une seule fois. Où est la clé USB ?

Pendant un instant, Evangeline a l’air surprise et ouvre ses grands yeux. Puis
elle affiche une expression neutre.

– Je ne vois pas de quoi vous parlez.

J’ai aussi été formé pour déceler les mensonges et elle ment comme elle
respire.

– Mauvaise réponse.

Je prends une bouchée de mon casse-croûte et mâche lentement devant ses


yeux qui me dévorent de jalousie.

– Cela fait combien de temps que tu n’as pas mangé ? Dix, quinze jours ?
Heureusement pour toi que tu avais de la réserve sinon je n’aurais retrouvé que
tes os.

Je ne suis pas gentil, loin de là. Et je ne compte pas l’être un jour. Evangeline
déglutit à nouveau et une larme solitaire coule le long de sa joue.
– Si vous me laissez crever de faim, vous ne risquez pas de retrouver quoi que
ce soit.
– Donc tu sais où elle est.

Elle se rapproche alors de moi, de façon à ce qu’il ne reste que quelques


malheureux centimètres entre nos visages. Ses prunelles d’un bleu incroyable
sondent les miennes et, pendant un instant, je jurerais qu’il se passe un truc en
moi. Mais je me reprends et la défie sans bouger.

– Mon frère est mort à cause de cette merde. Vous pourrez me faire les pires
horreurs qui vous passent par la tête, je ne parlerai jamais.

D’un geste brusque, je lui attrape la tête et presse ses joues si fort qu’elle
gémit de douleur. Elle est si amaigrie que je peux sentir ses os.

– Tu n’as plutôt pas intérêt à jouer à la maligne avec moi, ma belle, la


menacé-je. Tu n’as même pas idée de ce que je pourrais te faire.

Puis, sans que je m’y attende, un truc humide s’écrase sur ma joue. Je rêve !
Elle vient de me cracher à la gueule ?! La rage s’insinue en moi. Je n’arrive plus
à me contenir. Je la pousse contre le matelas si brutalement qu’elle a un hoquet
de surprise. À califourchon sur elle, je lui interdis le moindre mouvement. Elle
tente de se débattre, mais je suis plus massif et nettement plus en forme qu’elle.
Penché au creux de son oreille, je lui murmure doucement :

– Tu ne peux pas m’échapper. Personne ne le peut. Je vais te faire vivre un


enfer jusqu’à ce que tu me dises ce que je veux savoir. Sois-en sûre.

Puis je sors de la chambre, non sans claquer la porte. Je retourne au salon


après avoir verrouillé la pièce et reprends le nettoyage de mes armes. Cette
femme m’insupporte. Elle est tenace et n’a pas froid aux yeux. J’étais pourtant
certain que la phase un de mon plan allait marcher. Je l’ai laissée affamée deux
semaines pour être sûr qu’elle finirait par céder. Mais elle est plus coriace que ce
que je pensais. Et ça m’énerve, putain !

J’ai hâte de terminer cette mission et de baiser la première pouffiasse que je


croiserai ensuite. Sans que je sache pourquoi, cette nana m’a… argh, je déteste
penser ça. Mais elle m’a excité. Elle n’est pas du tout le genre de gonzesse que je
me tape d’habitude, mais je mentirais si je disais que je n’ai pas eu envie de
coller mon corps dans le sien lorsque je l’ai plaquée sur le matelas. En dépit de
sa dénutrition, ses seins ont gardé un beau volume et je les voyais bien entre mes
dents. Sa bouche en forme de cœur qui ferait sûrement des merveilles à ma
queue et ses yeux de biche d’un bleu lagon dans lesquels n’importe quel homme
pourvu d’une âme pourrait se noyer. Heureusement, je suis sans âme. Il est hors
de question que je fasse quoi que ce soit avec une de mes cibles, si ce n’est la
tuer. Je me sens bizarre tout à coup. Je crois que, finalement, je ne vais pas
pouvoir attendre la fin de la mission pour baiser. Je n’ai pas l’habitude de
manquer à mes principes de base, mais là, j’en ai besoin. Vraiment.

***

– Oh oui ! Continue, Jeffrey… oooh !!!!

La nana que je baise est un putain de moulin à paroles. En plus de m’avoir


affublé du prénom de son ex, elle ne peut pas s’empêcher de brailler. Après
l’épisode Evangeline, il me fallait une dose de sexe. Je n’arrive toujours pas à
croire qu’elle m’ait craché à la figure. Personne n’avait jamais osé me défier.
Sauf Duncan, mais il en paye les conséquences à chaque fois et s’il ne se
ramasse qu’un œil au beurre noir, c’est qu’il a de la chance.

Cette fille a du cran. Soit elle adore jouer avec le feu, soit elle est stupide. À
en croire notre conversation de ce matin, je pencherais pour la première
hypothèse. Elle est loin d’être conne, au contraire. Elle sait très bien que je ne
peux pas la buter parce qu’il me faut ses infos. Et merde, pourquoi je pense à
elle ?

Je comprends que je n’arriverai pas à finir avec cette fille qui s’égosille et
décide de m’en aller.

– Qu’est-ce que tu fais ? s’étonne la fausse blonde en voyant que je me


rhabille.
– Je me barre.
– Mais…

Je me tire en claquant la porte avant qu’elle n’ait pu terminer sa plainte.


Je suis au volant de ma voiture, réfléchissant au meilleur moyen de faire
parler ma prisonnière, lorsque je la vois. Une fumée noire. Provenant de la forêt.
Je tape sur le volant.

– Merde !

Je déteste les imprévus. C’est signe d’emmerdes. Et vu l’intensité de la


fumée, ce n’est pas un simple feu de camp et il se rapproche de la cabane. Je me
gare à l’orée des bois et fonce en courant à travers les arbres. Sur le chemin, je
suis stoppé par un homme en uniforme vert foncé.

– Bonjour, monsieur, je suis Glen Harrison, garde forestier.

Il me tend sa main, que je serre afin de n’éveiller aucun soupçon.

– Bonjour, un problème ?
– En effet, un incendie a été déclaré à une centaine de mètres et il progresse
dangereusement. Vous devriez partir, je ne voudrais pas que vous vous
retrouviez à l’hôpital, ou pire. Si vous aviez l’intention de dormir à la belle étoile
ce soir, je vous conseillerais d’aller ailleurs.
– D’accord, soupiré-je. Laissez-moi juste retourner prendre mes affaires à
mon campement, dans ce cas.
– Ce ne serait pas prudent, il va vite.
– Il faut absolument que je les récupère, j’ai… des affaires sentimentales…

Le mensonge n’est pas mon fort, mais il semble y croire. Il a plutôt intérêt,
sous peine de se retrouver avec mon couteau dans le cou.

– Revenez entier, me recommande-t-il.

Il s’en va à bord de son pick-up et je me mets à courir jusqu’à la vieille


cabane abandonnée tout en scrutant les horizons. Le soleil commence à décliner
et la pénombre se fait peu à peu présente. La fumée a déjà envahi l’air
environnant et il fait chaud à en crever. Quand j’entre dans la maison, les cris de
la fille se font entendre mais les murs sont assez épais pour les camoufler.
Evangeline est en train d’essayer de tirer sur la chaîne qui retient ses pieds.

– J’ai vu des flammes au loin, c’est quoi ce bordel ? s’écrie-t-elle, les yeux
rivés sur la fenêtre.
Je la libère avant de déchirer un morceau de mon T-shirt.

– Mais… qu’est-ce que vous faites ?!


– Simple mesure de précaution, dis-je. Il faut que tu me fasses confiance.
– C’est l’hôpital qui se fout de la charité, là ! Vous m’enlevez sans aucune
pitié et je devrais…

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que je la bâillonne avant de la hisser
sur mon épaule. Elle est aussi légère qu’une plume, après toutes ces journées
sans bouffer. Elle continue de hurler à pleins poumons à travers le tissu. Je lui
tape la fesse pour la faire taire et sors de la chambre.

– Tu vas la fermer, oui, ou je te pends à un arbre pour te laisser rôtir, grogné-


je.

Je vérifie que j’ai bien mon flingue d’appoint dans mon pantalon et mon
couteau dans la poche avant de sortir de la maison. Merde, l’incendie s’est
vachement rapproché. Il ne va pas tarder à engloutir la baraque et il faut que je
nous tire de là avant que nous finissions en grillades. Il fait encore jour mais plus
pour longtemps. J’entends des cris au loin. Sûrement les pompiers. Je tape un
sprint le long du sentier. S’ils nous voient, je suis foutu. J’ai beau savoir me
battre et connaître la plupart des disciplines de combat, je ne pourrais rien contre
tout un groupe de musclés. Quelques centaines de mètres plus loin, je m’arrête
un instant pour regarder derrière moi. Personne. Je pose Evangeline par terre et
ses yeux s’ancrent immédiatement aux miens. Elle est terrorisée.

Par moi ? J’espère bien.


4

Evy

J’ai toujours été aventureuse. J’adore tout ce qui peut me procurer une dose
d’adrénaline. Quand j’étais plus jeune, avec mes amis, nous sautions des falaises
pour nous faire peur. Nous, les filles, partions d’à peu près la moitié alors que les
garçons, plus courageux, se lançaient de tout en haut. Je me souviens qu’un jour,
j’ai voulu les imiter. J’avais besoin de plus d’adrénaline, de plus de frayeur. J’ai
alors rejoint les mecs et ai fait la connerie de regarder en bas. Mon cœur battait
tellement que je l’entendais jusque dans mes oreilles et mes jambes flageolaient.
Mais je ne pouvais pas me défiler. Mes potes m’encourageaient en tapant dans
leurs mains. Lydia et Jared tentaient de me dissuader de sauter. Ils avaient peur
que je me réceptionne mal. Il faut dire que si l’on se rate, de là-haut, on n’en sort
pas indemne. Mais je les ai rassurés en leur disant que si les garçons pouvaient le
faire, alors moi aussi. J’ai toujours rejeté l’hypothèse d’une pseudo-infériorité
des femmes par rapport aux hommes. Si, dans la plupart des esprits, l’égalité est
un fait entendu, certains sont encore coincés au Moyen Âge. Je voulais leur
montrer que les femmes aussi étaient capables de prendre des risques. Alors j’ai
pris mon courage à deux mains et, après une grande inspiration, j’ai sauté.

J’ai eu la peur de ma vie. En effet, je n’avais pas pris assez de souffle et le


courant était ce jour-là plus fort que nous le croyions. J’ai cru me noyer, mais
j’ai réussi à remonter à la surface au moment où mon frère a plongé pour me
repêcher. Lorsque je suis sortie de l’eau, mes potes m’ont dit que je n’étais pas
passée loin des rochers et que j’avais eu de la chance. Depuis ce jour affreux,
plus aucun de nous n’a sauté de ces falaises, en tout cas pas moi. Et Jared est
devenu hyper protecteur.

Mais je crois que mon saut du haut de la falaise n’est rien en comparaison de
ce que j’endure aujourd’hui. D’abord, j’ai profité de mes longs instants de
solitude pour trouver un moyen de m’échapper. Malgré le peu de forces qu’il me
reste et la faim qui me tiraille le ventre, j’ai essayé de m’enfuir. Sauf que je ne
suis pas MacGyver, moi, c’est à peine si je sais crocheter une serrure ! Soudain,
j’ai entendu une sorte de détonation. J’étais seule, livrée à moi-même, sans
aucun moyen de me délivrer. Paniquée, j’ai usé de tous les moyens possibles
pour retirer cette foutue chaîne qui emprisonnait ma jambe et me suis mise à
hurler à pleins poumons. Soudain, mon ravisseur s’est pointé, essoufflé et en
sueur. Je me suis bientôt retrouvée à plat ventre sur son épaule, transportée
comme un sac de farine.

J’ai entendu une voix grave qui semblait donner des directives, les pompiers,
certainement. J’aurais aimé qu’ils nous voient et viennent mettre fin à mon
cauchemar. Mais mon ravisseur a réussi à ne pas nous faire repérer,
malheureusement.

Nous sommes désormais sur la route, dans sa Mustang noire, depuis une
bonne demi-heure et aucun de nous deux n’a pipé mot. Seuls les bruits de mon
estomac douloureux perturbent le silence, et cela semble agacer mon kidnappeur.
Il a pris soin d’accrocher mes menottes à la poignée pour être sûr que je ne tente
pas de m’emparer du volant. Il est moins con que je ne le croyais. Il roule, les
yeux rivés en face de lui, et son visage est impassible. Il n’exprime vraiment
aucune émotion, comme insensible à ce que je peux ressentir. Sait-il seulement
que je suis terrifiée ?

– Où va-t-on ? m’enquiers-je finalement.


– Loin de la forêt.

Je lève les yeux au ciel. C’est sûr que ça m’aide beaucoup.

– Est-ce que j’ai le droit à un prénom ou dois-je encore vous considérer


comme « l’homme qui m’a délibérément arrachée à la civilisation » ?

Je ne sais pas trop ce qui me prend, à vouloir ainsi lui faire la causette. Il est
aussi glacial qu’une banquise. Je crois que le manque de nourriture commence
vraiment à avoir raison de mon état mental.

– Pas de nom, répond-il sur le même ton morne.


– OK. Moi c’est Evy.

Il serre les mâchoires et soupire.


– Vous allez me garder longtemps prisonnière ?

Il tourne la tête pour me fusiller du regard.

– Tu vas arrêter avec tes questions ou est-ce que je dois te bâillonner encore
une fois ?
– Je veux juste faire la conversation pour passer le temps, me renfrogné-je.

Je n’y peux rien si je suis une vraie pipelette quand j’ai peur !

– Ouais, bah, je n’aime pas parler, alors discute dans ta tête.


– J’avais cru comprendre.

Je croise les bras sur ma poitrine et regarde dehors. Je ne connais pas la ville
que nous traversons. En revanche, j’ai une bonne mémoire, ainsi j’imprime dans
un coin de ma tête chaque détail qui me paraît important, au cas où. Est-ce que je
suis loin de chez moi ? Pourquoi les criminels ont-ils constamment cet air froid
sur le visage ? Comme s’ils haïssaient le monde entier. C’est vrai, même dans les
films, je n’ai jamais vu de « méchant » rigolo. À part les psychopathes qui rient
quand ils découpent leurs victimes. Un frisson me gagne soudain. Est-ce qu’il va
me tronçonner les membres ? Me faire boire de l’acide ? Punaise, j’ai la gerbe
rien que d’y penser. Je le détaille du coin de l’œil, en espérant être assez discrète.
C’est un bel homme, je dois le reconnaître. Je ne sais pas quoi penser de lui. Et
ça m’énerve parce que d’habitude, je sais exactement quoi penser des gens.

Nous sortons de la ville et arrivons sur une nationale. Je mémorise son nom
sur le panneau, au cas où j’arriverais à me faire la malle. La nuit est tombée,
maintenant. Les vitres de la Mustang sont teintées. Aucun automobiliste ne jette
un œil vers moi et ne remarque ma détresse. Je prie pour qu’il y ait un contrôle
de police et que je sois enfin sauvée.

Mais mon vœu ne s’exaucera jamais, parce que nous bifurquons à la


prochaine sortie. Je connais la ville dans laquelle nous entrons – seulement de
nom, car je n’ai jamais mis les pieds hors de ma bourgade natale. C’est à une
heure de chez moi. Je vais avoir beaucoup de mal à revenir si j’arrive à
m’échapper. En admettant que je réussisse à lui filer entre les mains, rien ne me
dit que je ne tomberai pas sur pire que lui au retour. Et je n’ai évidemment aucun
moyen de contacter mes amis.
Nous nous arrêtons devant un grand immeuble en briques rouges. Il n’est pas
neuf mais ne semble pas non plus trop délabré. Le quartier est désert. L’homme
tire le frein à main et descend de la voiture en grognant quelque chose que je ne
capte pas. Il ouvre ma portière et me libère de la poignée. Alors qu’il est sur le
point de rattacher mon poignet droit, je lui assène un grand coup de pied bien
placé. Il se plie en deux de douleur et je prends mes jambes à mon cou. Je cours
tout en criant à l’aide. Malheureusement, je n’ai pas fait dix mètres qu’il me tire
par les cheveux et me plaque contre lui, sa main obstruant ma bouche. Il me
regarde dans les yeux et j’ai de nouveau la trouille de lui. Je me prépare à
recevoir une gifle pour avoir tenté de m’échapper, mais il me surprend en me
portant une nouvelle fois sur son épaule. Je me résigne à me laisser guider
jusqu’à un ascenseur. Je ne vois pas sur quel bouton il appuie, mais nous
montons assez longtemps, sans doute jusqu’au dernier étage. Encore une fois,
mes chances de m’échapper sont très minces, à moins que je survive
miraculeusement à une défenestration.

Il entre une clé dans une serrure et finit par me poser sur le sol. Je contemple
le petit appartement et ne tarde pas à deviner à qui il appartient. L’ambiance est
aussi froide que lui et la décoration est… quasi inexistante. Tout est neutre.
Comme lui. Il y a seulement un grand canapé gris et deux fauteuils assortis. Un
tapis blanc est placé juste devant, comme s’il y avait eu un autre meuble dessus,
auparavant. Contre le mur, un écran de télévision poussiéreux sur une console en
bois blanc. Même les rideaux n’ont pas d’âme. Ils sont gris et on ne peut plus
simples. Je m’avance à petits pas et continue mon inspection. Sur la droite se
trouve un couloir avec trois portes, sans doute des chambres et la salle de bains.
À gauche, il y a une grande cuisine équipée, dans les mêmes tons gris et blanc du
salon. C’est tout de même plus propre que dans la maison dans laquelle je me
suis réveillée les jours derniers. Je réalise qu’il est toujours à côté de moi alors
que je sens son souffle dans mon cou.

– La prochaine fois que tu tentes de t’échapper, je te tue, me menace-t-il à


l’oreille.

Un frisson me parcourt tout le long de la colonne vertébrale.

– Et je te déconseille de crier, aussi, ajoute-t-il en s’éloignant. Mes voisins


sont vieux et sourds. Et quand bien même, on ne découvrirait que ton cadavre.
Pigé ?
Je hoche la tête en déglutissant. Il m’amène à la table et m’oblige à m’asseoir.
Il s’éloigne ensuite vers la cuisine et ouvre le frigo, en sort une barquette qu’il
déballe et fait tourner au micro-ondes. S’il compte me faire saliver encore une
fois, je jure que je pète un câble. Mais, à ma grande surprise, il reprend la
barquette chaude, dépose une fourchette dedans et la pose devant moi. Je ne me
fais pas prier, jette la fourchette sur le côté et mange directement le riz en sauce
et les morceaux de poulet avec les doigts. Chaque ingurgitation est douloureuse,
parce que je mange trop vite, mais ça me fait un bien fou en même temps. Mon
estomac resté trop longtemps à jeun se retourne, mais je ne m’arrête pas pour
autant. Qui sait dans combien de temps je pourrai avoir droit à ne serait-ce
qu’une miette de pain ?

Quand je relève la tête, après avoir englouti la dernière goutte de crème, je


croise le regard de mon ravisseur. Il ne semble pas choqué par un tel
acharnement sur un plat. En même temps, je ne m’attendais pas à ce qu’il
ressente quoi que ce soit. Ce mec est une pierre. Dépourvue de cœur. Il
débarrasse ma barquette et la jette à la poubelle.

– Est-ce que j’ai au moins le droit de me servir de mes deux mains ?

Il se retourne.

– Pour quoi faire ? fait-il avant de boire une grande gorgée d’eau.
– Prendre une douche, ce ne serait pas du luxe.

Je sais que c’est prendre le bras alors qu’il ne m’a offert qu’un doigt, mais qui
ne tente rien n’a rien. Il me jauge un instant, tentant certainement de déceler une
entourloupe, mais là, je suis sincère. Depuis des jours, je baigne dans la
poussière et le moisi. Il faut vraiment que je me lave, surtout s’il compte me
garder encore longtemps. Il finit par revenir vers moi, sa petite clé en main, et
détache mes menottes. Je me masse les poignets avec soulagement. Il pointe un
doigt sous mon nez.

– N’essaie même pas de te la jouer fine avec moi.

Je ne dis rien et attends qu’il m’indique la direction de la salle de bains. Mais,


au lieu de cela, il attrape une pomme dans la corbeille à fruits, me saisit le
poignet et m’emmène directement dans la pièce. Le couteau qu’il tient sous ma
gorge me dissuade de le défier encore une fois. Comme ce que j’ai pu voir de
l’appartement jusque-là, la pièce est dénuée de couleurs, elle aussi. Les murs
sont peints en blanc et des zones carrelées gris foncé sont disposées au niveau de
la baignoire et du lavabo. Les toilettes font également partie de la pièce. Je n’ai
jamais compris ce concept, d’ailleurs. Des toilettes là où on se lave. Mais qui a
inventé ça ?

– Allez, prends ta douche, m’ordonne le criminel.

Il est appuyé contre le lavabo, son attention portée sur la pomme qu’il coupe
avant d’en engloutir un morceau. Je le regarde sans bouger. Il finit par relever les
yeux.

– Quoi ? fait-il d’un ton bourru.


– J’ai besoin d’intimité, si ce n’est pas trop vous demander.

Je crois que mon ventre à moitié plein vient de me faire reprendre du poil de
la bête.

– Tu rêves. Tu es détachée et les fenêtres sont accessibles. Alors, soit tu te


douches en ma présence, soit tu restes dans tes vêtements crasseux.

Je jette un œil à mon jean taché et à mon chemisier plus vraiment blanc
auquel manquent les deux boutons du haut. Je relève des yeux paniqués vers lui.

– Je n’ai même pas de vêtements de rechange.

Il est de nouveau intéressé par son fruit et se contente de hausser les épaules.

– On te trouvera quelque chose. De toute façon, tu ne survivras pas assez


longtemps pour avoir l’occasion de faire du shopping.

Cette révélation me glace le sang. Il a vraiment l’intention de me supprimer.


Je n’ai plus la force de jouer la dure qui ne craint rien. J’ai une trouille bleue de
ce gars, de ce qu’il compte me faire. Je pleure de désespoir, en espérant qu’il ait
pitié de moi et me laisse partir.

Il jette la pomme qu’il vient de dévorer en quelques minutes dans la poubelle


et je déglutis. Je vais devoir faire profil bas si je ne veux pas finir avec la même
tête.

Pour la liberté, je peux toujours rêver.


5

Ryder

Je regarde l’eau descendre le long des courbes généreuses d’Evangeline en


tentant de rester impassible. Son corps s’est aminci, mais elle reste voluptueuse.
Elle, je peux voir que cette situation l’embarrasse au plus haut point, car elle
tourne la tête de temps en temps en me fusillant du regard. Qu’elle arrête de se
plaindre, on ne voit presque rien, avec la buée qui recouvre quasi entièrement la
paroi. Mais j’en vois suffisamment, pensé-je avec un sourire.

– Je n’ai même pas mon gel douche, peste-t-elle. Je déteste me laver sans mon
gel douche.

Si j’étais un homme banal, je rirais de sa nervosité. Elle finit par se rabattre


sur le mien. Soit cette fille est bonne comédienne, soit elle a une araignée au
plafond. Je viens de lui dire que je comptais la buter, elle a pleuré un coup et,
voyant que cela ne me faisait absolument rien, voilà qu’elle se plaint du
shampooing. Le monstre qui fait partie intégrante de moi salive déjà à l’idée de
la voir souffrir. Mais pas ce soir, je suis trop crevé et j’ai grand besoin de me
lever une gonzesse. Surtout avec la vue que j’ai là…

– Vous ne pouvez pas au moins vous retourner ?


– J’en ai vu d’autres.

En la regardant, elle, je me rends compte que je ne me suis jamais envoyé que


des sacs d’os. Evangeline a tout de naturel. Du moins ce que je peux discerner,
puisqu’elle est de dos. J’ignore si c’est parce que je n’ai pas baisé depuis plus de
vingt-quatre heures – je ne compte pas la gonzesse de tout à l'heure, je ne suis
même pas allé jusqu'au bout – ou si c’est du fait de ses fesses rondes et rebondies
que je n’arrive pas à quitter des yeux, mais je me sens tout à coup à l’étroit dans
mon pantalon. Je détourne les yeux, mais mes pensées restent fixées sur ce
corps. Je tente de calmer mes pulsions. Il est hors de question que j’y cède, ce
n’est pas dans ma politique et encore moins dans mes règles de base. Un
raclement de gorge me fait reprendre mes esprits et je vois le reflet de ma
prisonnière, enveloppée dans une serviette, derrière moi.

– Je ne vais quand même pas dormir comme ça, dit-elle avec une pointe de
sarcasme dans la voix.

Ce n’est pas moi que ça dérangerait le plus. Je n’ai pas envie de prendre le
risque de la laisser seule pour aller chercher sa valise de vêtements. Elle va donc
se démerder avec ce que j’ai pour ce soir.

– Passe devant, lui ordonné-je, mon couteau toujours à la main.

Elle me regarde d’un air condescendant avant de se décider à sortir. Je ne lui


fais aucunement confiance et je ne veux pas la savoir derrière moi. Je n’aime pas
particulièrement son air hautain, comme si elle se fichait de crever et qu’elle
avait l’intention de me compliquer la tâche jusqu’à la fin. Mais je me dis qu’elle
peut en profiter tant que c’est encore possible. Demain, c’est moi qui vais la
regarder de haut en train d’agoniser…

– Stop, fais-je en ouvrant la porte de ma chambre.

Elle avance et je la suis, tout en continuant de la mater. Je suis seul avec une
fille nue sous une de mes serviettes, dans ma chambre, avec mon grand lit à
seulement un mètre… J’aurais peut-être dû la laisser sur le pas de la porte.
Maintenant j’ai mal. Je me dirige vers mon armoire en évitant son regard et lui
jette une de mes chemises à la figure.

– Je n’ai que ça. J’espère qu’elle n’est pas trop petite pour toi.

Elle me fusille du regard.

– Qu’est-ce que vous insinuez, là ? gronde-t-elle, ses sourcils blonds froncés,


visiblement vexée.

Je ne réponds pas. La réponse est évidente, non ? J’enlève mon T-shirt pour
en passer un propre. Je sens son regard sur moi mais je n’y fais pas attention. Je
préfère me cantonner à sa haine envers moi, c’est plus facile à gérer, je crois.

Je me retourne face à elle et mes pulsions me reprennent. Ma chemise lui va


parfaitement et je peux voir les contours de ses tétons à travers le tissu mouillé.
Le vêtement lui arrive à mi-cuisses. Et dire qu’elle ne porte même pas de
culotte… Je commence à la prendre par le bras, mais elle se dégage vivement.
Sérieusement ?

– Ne me touchez pas, peste-t-elle, rageuse.

OK, je l’ai blessée. Je l’ai implicitement critiquée sur son poids, mais elle ne
va quand même pas me chier une pendule pour quelques kilos en trop ! Je
soupire, agacé par tout ce merdier sans queue ni tête. Puis je croise le regard de
cette blondinette au sang chaud. Elle me fixe, comme si elle essayait de
décrypter quelque chose sur mon visage que je ne capte pas moi-même. Je me
souviens alors qu’elle prend des cours de psycho.

Oh non, ma belle, ne cherche même pas à déceler quoi que ce soit chez moi.
La seule qui a un problème, c’est toi. Et un gros, même.

– Montrez-moi juste ma chambre.

Si j’avais été un mec lambda, j’aurais probablement ressenti des remords à


cause des propos que j’ai eus à son égard. Mais je ne ressens absolument rien. Ni
regrets, ni déception, ni même de satisfaction. Ça m’est complètement égal. Je
l’invite de nouveau à passer et, cette fois, je n’arrive pas à regarder autre chose
que son cul qui se dandine sous mes yeux. C’est plus fort que moi, je ne vois que
ça. Pas dans le sens où il est un peu plus gros que la moyenne, mais parce que
mon esprit voit déjà mes mains dessus, pressant sa chair avec force. Il faut que
j’arrête d’avoir ce genre de pensées. Parce que, d’une part, j’ai le pantalon qui va
exploser, mais surtout parce que c’est contraire à mon éthique. Mon but est de lui
faire cracher le morceau et de la buter ensuite. Pas de la baiser.

J’ai cambriolé, j’ai tué à distance, mais je n’avais encore jamais kidnappé
quelqu’un. Et encore moins une femme. Je ne sais pas pourquoi mon père m’a
assigné cette tâche, à moi. Mais s’il l’a fait, c’est que cette nana est d’une
importance capitale à ses yeux. Voire vitale. Alors il est hors de question de
jouer au con.

– Arrête-toi là, lui ordonné-je face à la porte la plus proche du salon.


Je l’ouvre et elle met un moment à réagir. Quand elle le fait enfin, elle me
regarde avec des yeux ronds, visiblement choquée. Une ride se forme sur son
front quand elle fronce les sourcils.

– Mais c’est un placard ! s’exclame-t-elle, effarée.

Je me contente de hausser nonchalamment les épaules.

– C’est soit ça, soit dans la cave avec les rats.


– Avec vous, on a toujours le choix, à ce que je vois, bougonne-t-elle. Est-ce
que je peux avoir une couverture ou devrai-je me contenter de sacs plastique ?

Je veux la défier du regard, mais mes yeux tombent automatiquement sur sa


poitrine. Argh, saleté de bonne femme à gros seins !

– Tu n’as pas intérêt à bouger, la menacé-je. De toute façon tu n’irais pas très
loin.

Je la vois serrer le poing mais elle ne me frappe pas, bloquée par la peur. Elle
a raison. Je n’ai encore jamais frappé de femme, mais à partir du moment où l’on
est violent avec moi, je rends les coups sans même faire la différence entre les
sexes. J’ai été éduqué ainsi. Avec l’idée que chaque inconnu est un potentiel
ennemi.

Je reviens dans ma chambre et prends deux plaids et un oreiller. Elle n’a pas
bougé d’un millimètre, même pas pour intégrer sa nouvelle « chambre ». Je lui
balance les couvertures et lui ordonne d’entrer. Elle ne bronche pas et
obtempère, puis je referme la porte à clé. Mon placard est dépourvu de fenêtre.
Elle est coincée comme une souris dans une cage. Il lui est impossible de
m’échapper et demain, je compte bien la faire parler. En attendant, j’ai besoin
d’une dose. Je file vite fait sous la douche, puis me fais chauffer une part de
pizza que j’engloutis au volant de ma voiture. J’arrive à la sortie de la ville
quelques minutes plus tard et rentre dans le bar. Il est bondé, comme d’habitude.
Les mecs dépensent des centaines de dollars pour regarder une fille se
déshabiller autour d’une barre en métal alors que moi, j’arrive à les serrer gratos
après leurs shows. Bande d’amateurs. Je commande une bière et pars ensuite en
repérage. Une strip-teaseuse attire tout de suite mon attention. Ses cheveux de
feu captent tous les regards. Celle-là, c’est une vraie rousse, j’en suis sûr. Je la
fixe et elle finit par se tourner vers moi. Les yeux dans les miens, elle retire
lentement son soutien-gorge et le laisse tomber sur la scène. Elle a des seins bien
ronds et ils ont l’air fermes. Dommage qu’ils ne soient pas d’origine, mais je
m’en contenterai pour ce soir. Elle me sourit et je sais à ce moment-là que c’est
dans la poche.

Et j’ai raison, parce qu’une heure plus tard, elle est allongée sur la table de sa
loge, empalée sur mon sexe.

Quand je rentre chez moi, vers trois heures du matin, la valise d’Evangeline
dans la main, je vais tout de suite vérifier que la porte est encore verrouillée. Elle
ne s’est pas enfuie. Je m’apprête à aller me coucher quand j’entends des petits
bruits. Des reniflements. Sérieux, elle chiale ? Je ne lui ai rien fait, pourtant,
aujourd’hui ! Je lui ai même filé à bouffer ! Enfin, bon, j’ai peut-être été un peu
méchant, mais c’est dans ma nature. Je suis méchant. Avec tout le monde. Et
comparé à ce que je lui réserve pour demain, aujourd’hui était une bonne journée
pour elle.

Je vais à la cuisine pour me préparer un sandwich. C’est que j’étais assez


pressé, tout à l’heure, et je n’ai pas pu manger à ma guise. Je coupe mes tomates
en tentant d’ignorer les sanglots qui proviennent du placard. Elle compte
s’arrêter un jour ou vais-je devoir user de la force plus tôt que prévu ? Soudain,
sans que je m’en aperçoive, je me retrouve face à cette porte close, le sandwich
fait et posé sur une assiette. À quel moment ai-je quitté la cuisine, exactement ?
Je me surprends à frapper. J’ai l’impression que mon corps et mon esprit sont en
train de se battre en duel. Le premier me dit que le repas de tout à l’heure n’était
pas suffisant après quasi deux semaines de jeûne, tandis que le second ne pense
qu’à la mission et à lui mettre une balle dans la tête. Evangeline ne répond pas,
pleurant encore et encore. Je déverrouille la porte et reste sur mes gardes quand
je rentre. Les femmes sont de vraies comédiennes, elles peuvent pleurnicher et
vous mettre un coup dans le dos la seconde d’après. Mais Evangeline est
allongée par terre, une couverture lui servant de matelas et l’autre sur elle. Elle
ne tourne même pas la tête, mais elle a cessé de pleurer. Je lui dépose l’assiette
avec le sandwich et la bouteille d’eau qui était coincée sous mon bras, mais elle
garde les yeux rivés sur mes étagères presque vides. Je sors du placard et
verrouille la porte. Une fraction de seconde après, j’entends un grand fracas et je
grogne en comprenant qu’elle a jeté l’assiette. Pour la première fois de ma vie,
j’ai fait un truc pour quelqu’un d’autre que moi, et voilà comment elle me
remercie ? Une chose est sûre : elle va le regretter.
6

Evy

Je ne dors pas de la nuit. Je n’y arrive pas. D’une, parce que mon lit de
fortune est encore pire que celui que j’avais hier, de deux, les cris de mon
ravisseur, sûrement pris dans un violent cauchemar, m’empêchent de dormir.
Mais surtout parce que mon hôte est un psychopathe. Réussiriez-vous à fermer
l’œil en sachant qu’un seul mur vous sépare d’un tueur et qu’il peut à tout
moment déverrouiller votre porte pour vous liquider ?

Lydia doit être morte de trouille, elle qui ne m’a pas vue depuis deux
semaines.

Une partie de moi ne peut s’empêcher d’espérer qu’au fond, sous son air froid
et sans cœur, ce type n’est peut-être pas si méchant que ça. Après tout, il aurait
pu me laisser sans couvertures. Ou encore m’enfermer dans la cave, comme il
m’en avait menacée. Et, enfin, il aurait pu ne pas se donner la peine de me faire à
manger. Je regrette d’avoir tout jeté par terre. Le riz ne m’a pas rassasiée. Je n’ai
aucun moyen de savoir l’heure qu’il est et je me demande combien de temps
encore je vais rester piégée ici.

Lydia me manque. Robbie aussi. Quand je pense que nous devions nous
retrouver le soir même de ma disparition. Me cherchent-ils ? Ont-ils alerté la
police ? Même s’il est plutôt mince, je préfère garder un tout petit espoir que
l’on vienne me sauver des mains de ce décérébré sans états d’âme. Je le hais
tellement que j’espère qu’il va croupir en prison pour le restant de sa misérable
vie. Je me mets alors à repenser à mes dernières vacances à Miami avec Lydia.
M. Cromwell nous a enseigné qu’il est bénéfique de se remémorer de bons
souvenirs lorsque nous sommes au bord de la crise de nerfs. Or, là, je la touche
du bout des doigts. Alors je ferme les yeux et me replonge quelques mois en
arrière, allongée sur un transat au bord de l’Atlantique, avec Lydia, en train de
siroter des cocktails.
Soudain, la porte s’ouvre, me faisant sursauter. C’est lui. Au lieu de me tapir
dans l’ombre, terrifiée, comme le ferait n’importe quelle femme dotée de bon
sens, je me redresse. Je refuse de lui donner la satisfaction de me voir apeurée. Je
veux le défier. Je veux qu’il sente que je n’ai pas peur de lui, même si ce n’est
pas vrai. Il entre sans un mot et me jette une pile de vêtements.

– Habille-toi.

Et il ressort en verrouillant la porte, évidemment. J’examine les fringues :


elles me paraissent familières. Mais c’est à moi, ce jean ! Et ce pull que Robbie
m’a offert ! Oh, bordel, il est entré dans mon appartement. Une panique
monstrueuse m’envahit tandis que traverse mon esprit l’image de cet homme
faisant face à Lydia, avec un couteau à la main et ce sourire carnassier qui me
donne des frissons. Ma meilleure amie, horrifiée, le suppliant de l’épargner, et
lui, secouant la tête et brandissant son couteau pour… Oh, non ! Non, non, pas
ça ! Par pitié ! Je me lève d’un bond et frappe comme une tarée à la porte, les
larmes coulant sur mes joues. Il finit par ouvrir violemment et son regard me
glace le sang.

– Ça ne va pas bien, ou quoi ?!


– Dites-moi que vous ne l’avez pas tuée ! m’écrié-je, la gorge nouée par
l’angoisse.
– Tu devrais plutôt t’inquiéter pour toi.
– Dites-moi juste que Lydia est encore en vie.

Il soupire.

– Tu n’as pas besoin de le savoir, t’en as plus pour longtemps. Mais si tu


continues à me casser les couilles, ton sang coulera sur mes mains plus tôt que
prévu.

Et il referme la porte en la claquant.

J’ignore comment je parviens à m’habiller, tant l’angoisse me hante. S’il l’a


assassinée, je ne me le pardonnerai jamais. L’homme revient et m’entraîne en me
tirant par le bras, encore une fois. Il me fait asseoir sur une chaise au milieu de
son salon. Je ne réalise pas tout de suite ce qu’il se passe, jusqu’à ce que je le
voie me ligoter. Je tente de me débattre, je lui donne des coups de pied et le
griffe, mais il me maîtrise en un rien de temps.

– Je vais vraiment finir par m’énerver et ce ne sera pas beau à voir, gronde-t-
il, son visage déformé par la colère à quelques centimètres du mien.

Je me suis trompée. Il ressent bien des émotions. Mais des émotions qui
s’apparentent à de la haine et qui poussent au meurtre. Je soutiens son regard. Je
refuse qu’il voie ma vulnérabilité. Mais il n’a pas l’air le moins du monde
impressionné. Il prend une chaise à roulettes et s’assied en face de moi. Mon
cœur rate un battement lorsque ses yeux couleur d’or me scrutent, intenses et
déterminés. À moins que ce ne soit à cause du couteau qu’il agite devant moi. Il
écarte mes jambes pour se placer entre elles, se retrouvant ainsi plus près de moi.
Beaucoup trop près.

– Est-ce que vous allez me… commencé-je, la gorge sèche.

J’ai l’impression d’avoir avalé du sable. Il fait glisser la lame de son couteau
le long de ma joue, jusqu’à ma mâchoire, et j’ai la respiration qui s’accélère.

– Te quoi, Evangeline ?

C’est la première fois qu’il utilise mon prénom en entier, alors que je ne lui ai
donné que l’abréviation. Depuis combien de temps me surveillait-il, au juste ?
Mon cœur est prêt à exploser ; la bile qui me monte à la gorge m’étouffe. Une
tonne d’images, toutes plus atroces les unes que les autres, défilent dans ma tête
et des larmes de panique me brouillent la vue.

– S’il vous plaît, murmuré-je d’une voix suppliante et désespérée. Je vous en


prie…

Rien ne passe dans son regard caramel. Pas de pitié, aucune compassion et
encore moins de remords. Ce mec n’a donc aucun cœur ? Il est bien humain, au
moins ?

– De quoi as-tu peur, Evangeline ?

Sa voix est d’une douceur machiavélique. Il n’a pas posé la question comme
s’il s’inquiétait pour moi, mais plutôt comme s’il espérait que je réponde qu’il
est l’objet de ma torpeur. C’est le cas. Mais je refuse de l’admettre à voix haute.
– Est-ce que vous comptez me violer ?

Ma voix n’est qu’un chuchotis terrorisé, mais il l’entend. Le même rictus


terrifiant creuse sa joue et il baisse son regard sur mes jambes.

– C’est tentant, mais je ne compte pas abuser de toi.

J’expire alors dans un soupir bruyant tout l’air que j’ai retenu. Si je suis
soulagée de voir qu’il n’est pas du genre détraqué, je n’en suis pas rassurée pour
autant.

– Je vais te faire bien pire.

Je relève les yeux vers lui, horrifiée. Quoi ? Lui me regarde avec un sourcil
haussé, l’air de dire : « Ça te pose un problème ? » Bien sûr que ça me pose un
problème, Ducon, comment pourrait-il en être autrement ?

– Sauf si tu me dis où elle est, ajoute-t-il en s’intéressant maintenant à la


pointe de l’arme blanche.
– Où est quoi ? réussis-je à articuler.
– Ne fais pas l’ignorante, je ne suis pas réputé pour ma patience. C’est déjà
une chance que tu aies tenu aussi longtemps, alors tu ferais mieux de parler.

Le souvenir de cette affreuse soirée où mon jumeau est mort se fixe dans mon
esprit et mes yeux s’emplissent de larmes. Connaissait-il mon frère ? Je sais que
ce n’est pas lui qui a tiré. La tête de l’enfoiré est un peu floue dans ma mémoire,
à cause du choc, mais je pense pouvoir le reconnaître. Si mon kidnappeur n’a pas
tué Jared, cela ne veut pas dire qu’il n’était pas au volant du pick-up.

– L’homme pour qui je travaille aimerait bien la récupérer, continue-t-il. Et il


m’a autorisé à te faire autant de mal que nécessaire.

Et moi qui croyais que j’avais affaire à un détraqué mental… En fait, il bosse
pour quelqu’un. C’est un tueur à gages. Jared m’a dit de ne donner la clé USB à
personne, sous aucun prétexte. Tout comme je ne devais faire confiance qu’à
moi et surtout pas aux flics. Je lance un regard meurtrier à mon ravisseur. La
peur me parasite toujours, mais la colère la rattrape. Maintenant que je sais que
je suis face à l’un des assassins de Jared, je n’ai qu’une envie : me battre jusqu’à
mon dernier soupir pour venger la mort de mon frère adoré.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez, grondé-je.

Ils tiennent absolument à récupérer cette clé qui contient je ne sais quoi. Et ils
doivent me faire parler s’ils la veulent. Donc, tant que je ne cracherai pas le
morceau, je resterai en vie. Ah, la bonne blague. Qui aurait cru que ma vie
tiendrait à un misérable petit objet ?

Mon kidnappeur secoue alors la tête et approche la lame de mon bras.

– Tu aimes avoir mal, on dirait.

Je serre les dents en criant lorsqu’il appuie sur le couteau, m’entaillant


l’avant-bras sur presque toute la longueur. Aussitôt, une coulée de sang se
déverse sur le sol et j’ai de plus en plus peur.

– Je pense que tu y vas fort en décibels, dit-il avant de se lever.

Je tourne la tête pour le voir prendre un chiffon sur l’îlot de la cuisine. Puis il
revient et m’en bâillonne. Je hurle de rage, mais, bien sûr, le tissu étouffe ma
voix. Il reprend place et brandit le couteau sous mes yeux.

– Où est cette foutue clé ?

Il baisse mon bâillon pour que je puisse répondre. Mais je prends un temps,
préférant le défier du regard, lui montrer que je suis plus forte que ça.

– Dans ton cul, souris-je diaboliquement.

Je sais, c’est puéril et ça va me valoir une seconde entaille. Mais je ne dirai


rien. Je peux voir un soupçon d’exaspération dans son regard à couper le souffle.
Il remet le foulard dans ma bouche et approche la lame vers mon bras, prêt à le
taillader de nouveau. Je ferme les yeux, attendant le châtiment. Au même
moment, on frappe à la porte et je respire de nouveau. L’homme devant moi
serre les mâchoires, puis se lève pour aller ouvrir. D’après ce que je peux
entendre, c’est la voix d’une vieille dame qui lui demande un peu de sucre en
poudre. Je tente de crier pour attirer son attention, mais elle ne me voit pas et
doit sûrement être un peu sourde, comme l’a mentionné mon ravisseur. Punaise,
ce n’est pas vrai ! Quand vais-je me sortir de cette misère ? L’homme passe
devant moi et se dirige vers la cuisine. Comme il me voit à peine, derrière la
cloison, je ne perds pas de temps et me hisse tant bien que mal vers le buffet
voisin, sur lequel trône un vase en cristal. Je me demande ce qu’il fout là,
puisqu’il n’y a même pas de fleurs dedans. Mettons que ce soit un signe. Je vais
le casser, me délivrer de mes liens et m’échapper ! Je jette un coup d’œil à la
cuisine, il cherche toujours entre ses boîtes. Le vase tombe, tout comme moi,
d’ailleurs, et se brise.

– Tout va bien, mon petit Ryder ?

L’homme fonce vers moi en me lançant un regard noir. Heureusement, j’ai eu


le temps de choper un morceau de verre, que je cache dans ma main avant qu’il
ne me relève et ramasse les autres débris.

– Oui, tout va bien, madame Grayson ! crie-t-il à l’adresse de la vieille dame.


Toi, tu ne perds rien pour attendre, gronde-t-il ensuite en me fusillant des yeux.

Je ne réponds pas. Je me serai déjà barrée avant même qu’il ait eu le temps de
refermer la porte derrière la voisine. Il me tourne le dos et j’en profite pour
couper mes liens. Une fois sûre que son attention est concentrée sur Mme
Grayson, avec qui il parle sur le palier, je libère mes pieds et me rue vers la
fenêtre la plus proche. Waouh, c’est haut ! Mais il y a une gouttière le long du
mur et une benne à ordures ouverte en bas. Avec un peu de chance, je devrais
pouvoir descendre un peu et sauter pour atterrir dans la poubelle. Je m’accroche
donc au tuyau en priant pour qu’il supporte mon poids et frémis quand il flanche
un peu. Seigneur, qu’est-ce que je viens de faire ? Quand j’estime que la hauteur
ne me sera pas fatale, je prends une grande respiration et me rappelle mon saut
de la falaise. Je dois y arriver ! C’est moins haut et je ne risque pas de me noyer.

– Hey !

C’est Ryder qui vient de m’apercevoir sur la gouttière. Je m’élance dans le


vide avant qu’il n’ait le temps de me rattraper. Je me fais mal au bras en tombant
et étouffe une plainte, mais je survivrai. Je me hisse hors de la benne puante et
cours jusqu’au grillage, à une cinquantaine de mètres. Une pluie torrentielle
s’abat sur moi, mais je n’en ai cure. Je cours vers ma liberté. Je m’accroche enfin
au grillage et commence à grimper en y mettant toutes mes forces et ma volonté,
lorsque des mains se referment sur moi. Oh non, merde ! Je me retrouve
lourdement plaquée au sol, sur le dos, Ryder au-dessus de moi. Il est rouge de
rage et trempé, lui aussi. Alors que je crois avoir signé mon arrêt de mort, il me
relève et m’entraîne de force à sa suite.

– Mais lâchez-moi ! Au secours !!! m’écrié-je en me débattant.


– Tu as intérêt à te calmer ou je te jure que je te brise la nuque et te jette dans
la poubelle.

La rue est déserte, bizarrement, et personne ne semble m’entendre. Nous


faisons le tour jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Il me jette contre la paroi de
l’ascenseur et je me rattrape de justesse contre la rambarde. L’appareil se
referme sur nous deux. Je me sens confinée, terrifiée et vulnérable.
Physiquement, j’ai un point de côté atroce et j’ai du mal à respirer.

– Ne t’avise plus jamais de me faire un coup comme ça. Je ne suis pas gentil,
Evangeline, crois-moi. J’ai des ordres à respecter, mais je peux les enfreindre s’il
y a le moindre risque.

L’ascenseur s’arrête au premier et un couple de quadragénaires entre. Ryder et


moi sommes derrière eux et je le sens se raidir. Il me serre le bras. Il s’approche
de mon oreille et me chuchote :

– Si tu cries, je leur tords le cou.

Je tourne mon visage, qui se retrouve dès lors à quelques centimètres du sien,
et le défie du regard.

– Et comment expliqueras-tu ça, quand ils te verront faire ? dis-je en


désignant l’appareil juste au-dessus de nous.

Il semble soudain contrarié. J’ai l’impression que je viens de creuser une


petite brèche dans son armure. Pendant qu’il regarde la caméra, je prends une
grande inspiration pour hurler qu’il y a un tueur dans l’ascenseur. Mais je n’ai
pas le temps d’émettre le moindre son : la bouche de Ryder se plaque sur la
mienne, faisant mourir mon cri, et décupler ma détresse par la même occasion.
7

Ryder

C’est ce qui s’appelle se tirer une putain de balle dans le pied. Mais qu’est-ce
qui m’a pris de faire ça ? Je n’arrive pas à décrocher mes lèvres des siennes. J’ai
l’impression qu’elles sont collées. Je crois qu’elle ne réalise pas tout de suite ce
qui se passe, car elle ne se dégage pas. Du moins jusqu’à ce que l’ascenseur
s’arrête. Elle me pousse alors violemment et sa main vient claquer ma joue,
laissant le couple à côté de nous bouche bée. Alors que la femme s’engage dans
le couloir, l’homme se tourne vers nous et me lance un regard réprobateur.

– Jeune homme, il faut y aller en douceur avec les femmes, me dit-il avec un
demi-sourire avant de sortir à son tour.

Les portes se referment et l’ascenseur commence sa montée. Evangeline me


fusille du regard avec une telle puissance que je serais mort si les yeux pouvaient
tuer. Mais ça ne m’impressionne pas pour autant.

– Plus jamais ça ! grogne-t-elle hors d’elle avant d’essuyer sa bouche du


revers de la main.
– Au moins, ça a eu le don de te la boucler. Et tu n’avais qu’à pas t’enfuir.

Je ne pensais pas qu’elle aurait eu l’occasion de se barrer. J’aurais pu claquer


la porte au nez de ma vieille voisine, mais je dois me comporter comme un mec
normal pour ne pas éveiller les soupçons. Il suffit que l’on voie mon vrai
tempérament pour découvrir le pot aux roses et faire tomber mon père.

– Vous n’aviez pas à faire ça !


– J’ai tous les droits, en ce qui te concerne.

Une sonnerie annonce que nous sommes arrivés à notre étage et je la sors en
la tirant par le bras. Il saigne encore mais ce n’est pas abondant. J’irai plus
profondément, la prochaine fois.
– Avance.

Une fois dans l’appartement, je la jette sur sa chaise et fais les cent pas en me
prenant la tête entre les mains.

– Mais qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ?

Je m’adresse à elle autant qu’à moi-même.

– Tu as aimé ça, hein, Ryder ? Le baiser, me pique-t-elle avec un rictus aux


lèvres.

Je serre les poings. Non seulement elle connaît désormais mon nom, mais en
plus elle prend trop vite la confiance, celle-là. Elle a failli réussir à s’échapper,
elle se sent pousser des ailes. Je lui lance un regard noir avant de m’approcher
d’elle pour qu’elle voie bien à quel point je suis sérieux.

– Je n’ai absolument rien ressenti, sifflé-je. Et je ne te parle pas de ça, mais de


ta fuite. Tu viens de faire rugir le monstre en moi et si j’étais toi, je ferais profil
bas.

Nous nous défions du regard jusqu’à ce que mon téléphone sonne. Je


m’éloigne d’elle pour prendre l’appel de mon père.

– Elle a parlé ? me demande-t-il sans préambule.

Je jette un coup d’œil derrière moi pour m’assurer qu’elle ne tente pas encore
une fuite.

– J’y travaille.
– Nous n’avons pas beaucoup de temps. Je viendrai te voir à mon retour.
J’espère que la mission sera accomplie, fiston. Je compte sur toi.
– Hum, il y a eu comme un petit problème.

Je peux visualiser son air contrarié à l’autre bout du fil. Mon père déteste les
imprévus, tout comme moi.

– Quel genre de problème ?


– J’ai dû quitter la cabane à cause d’un feu de forêt. J’ai donc dû aviser sur le
moment.
– Et ?
– Elle est chez moi, avoué-je. Mais ne t’en fais pas, je gère la situation.
Personne ne soupçonne ce qui se passe.
– Tu sais ce que ça implique, Ryder. Il faut que tu reprennes le contrôle, et
vite.
– Oui, papa.

Il raccroche et je soupire en me passant la main dans les cheveux. Puis je me


retourne vers Evangeline qui n’a pas bougé, bizarrement.

– Je vais devoir y aller plus fort si tu ne coopères pas, lui dis-je. Alors parle :
où est la clé USB ?

Elle me regarde droit dans les yeux, pleine de détermination et de haine, me


semble-t-il.

– Tu peux toujours courir. Mon frère a donné sa vie pour ce foutu engin,
jamais je ne parlerai.
– Tu serais prête à te retrouver comme lui juste pour un petit truc ?
– S’il me l’a confiée, ce n’est pas pour rien. Pourquoi la voulez-vous,
d’ailleurs ? Que contient-elle ?

Je fronce les sourcils.

– Tu n’as pas regardé ?


– Non. Le simple fait de la détenir me met déjà dans la merde jusqu’au cou.
– Tu sais ce qu’il va t’arriver si tu ne me dis pas où elle est.
– Ce sera encore pire si je vous le dis, répond-elle. Me taire est mon moyen de
survie.

Je soupire. Je ne sais absolument pas quoi faire d’elle. J’ai sous-estimé son
intelligence. Elle ne lâchera rien, même si je la torture. Et si je la tue tout de
suite, on peut dire adieu à la clé. Il faut que je réfléchisse à tout cela. Que je
sache comment m’y prendre pour l’inciter à me filer le tuyau. Et vite, car le
boulot doit être fait avant que mon père ne vienne. J’ai besoin de me vider la
tête. J’attrape Evangeline par le bras et la tire jusqu’au placard.
– Qu’est-ce que vous faites ? s’écrie-t-elle.
– J’ai besoin d’être seul pendant un moment.

Je m’apprête à refermer la porte mais elle s’interpose avec son pied.

– Quoi encore ?
– Je n’ai presque rien mangé…
– Ce n’est pas mon problème, tu n’avais qu’à pas foutre le sandwich en l’air.

Et je referme la porte.

***

Voilà trois semaines que je la séquestre et que je la torture. Je l’affame encore,


je lui confectionne de nouvelles entailles, parfois même sur ses plaies à peine
cicatrisées, ce qui accentue la douleur. Mais j’en suis toujours au point mort. Elle
est tenace. Cette fille a plus de couilles que n’importe quel mec. Même lorsque
je me sers de sa peau comme d’un putain de cendrier, elle ne lâche rien. Ça me
met en rogne, mais je dois quand même avouer que ça m’impressionne. Moi qui
ai toujours été dénué d’émotions, on peut dire que j’en ai eu pour mon grade
depuis qu’elle est là.

Du coup, le boulot n’avance pas. Je n’ai rien pu tirer d’elle jusque-là et mon
père n’est pas content du tout. Je me demande de plus en plus s’il ne s’est pas
trompé de gars pour cette mission. D’habitude, je réussis tout ce que
j’entreprends. Mais là, je commence à douter de mes capacités, chose qui ne
m’était jamais arrivée. Je la remets au placard, verrouille la porte et replace la
planche sur les crochets que j’ai fixés de chaque côté de l’encadrement pour être
sûr qu’elle ne puisse pas s’échapper à nouveau. Puis j’enfile un jogging et pars
m’aérer un peu l’esprit. J’en ai bien besoin après une heure entière consacrée à la
passer sous l’eau toutes les deux secondes pour la faire parler, sans succès. Je
cours sans but précis. Une vitrine enfermant des écrans de télévision attire mon
attention. Une alerte enlèvement a été lancée et le visage d’Evangeline y
apparaît. Putain de merde ! J’aurais dû tuer sa salope de colocataire quand j’en ai
eu l’occasion. Maintenant, le temps joue encore plus contre moi. Ces dernières
semaines ont été assez éprouvantes. L’intimidation ne fonctionne pas sur elle, il
faut que je me rende à l’évidence. Et je n’ai rien d’autre en stock. Je commence à
croire que Duncan serait plus apte à accomplir la mission. Il a déjà commis des
enlèvements, il connaît. Je compose son numéro et il répond tout de suite.

– Duncan.
– T’es occupé ?
– En train de mater deux gonzesses prendre du bon temps. Je ne vais pas
tarder à participer. Tu veux te joindre à nous ?
– Une prochaine fois peut-être. J’aurais plutôt besoin de toi, en fait.
– Pourquoi ?
– Pour faire parler quelqu’un.
– Ah ça, c’est mon domaine.
– Je sais, c’est pour ça que je te le demande. Tu pourrais passer chez moi,
disons dans une heure ?
– Pas de problème.

Je raccroche puis me remets à courir. Quand je rentre, je vérifie comme


d’habitude que la fille ne s’est pas enfuie. Je prends ensuite une douche et enfile
des vêtements propres avant de me poser devant un match de base-ball. Je suis
toujours occupé à nettoyer mes flingues lorsqu’on frappe à la porte.

– Alors, on a besoin de tonton Duncan ? fait mon frère d’un air


diaboliquement jovial une fois que j’ai ouvert. Il est où ?

Je l’invite à me suivre jusqu’au placard. Ça me fait royalement chier de


demander l’aide de mon frère, mais je ne sais pas quoi faire d’autre. Duncan est
plus doué pour ça. Du haut de ses 24 ans, il a déjà accompli un nombre
incalculable de missions de ce genre. J’ouvre la porte et nous découvrons tous
deux Evangeline recroquevillée en chien de fusil sur sa couverture, encore
mouillée après notre dernière séance de torture. Elle lève la tête et, à en juger par
ses yeux rougis, je peux voir qu’elle a pleuré.

– Ah, c’est une gonzesse ! s’exclame Duncan avec un large sourire avant de
se frotter les mains comme s’il savait déjà ce qu’il allait lui faire pour l’obliger à
parler. De mieux en mieux.

Sans hésiter, il s’approche d’elle, mais elle recule. Elle ne peut pas aller bien
loin, stoppée par le mur. Quand Duncan l’attrape, elle se débat de toutes ses
forces en criant, mais il est beaucoup plus fort qu’elle.
– Oh, dis donc ma jolie, on n’est pas contente de me voir ? Mon cher frère
m’a dit que tu étais une vilaine fille. Voyons voir si je peux te rendre un peu
plus… docile.

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j’ai l’impression de déceler un double


sens dans ses paroles. Je ne m’inquiète pas, je sais qu’il fera ce qu’il faut pour
qu’elle cède.

– Lâchez-moi, bordel !! crache Evangeline.

Mais Duncan la prend par le cou et la plaque contre le mur. La fille a l’air un
peu sonnée par la force du coup et se tait tout de suite. Il la force à avancer
jusqu’au salon où il l’allonge carrément sur ma table.

– Qu’est-ce que tu fous ? demandé-je en voyant qu’il lui attache les membres
aux pieds du meuble.

Il lui déboutonne ensuite son jean. Evangeline tente de se débattre mais les
liens l’en empêchent. Elle commence à crier plus fort, alors Duncan lui assène
une gifle avant de la bâillonner avec sa ceinture.

– Tu sais, les femmes, il faut leur apprendre la discipline, dit-il en faisant


glisser le pantalon d’Evangeline le long de ses jambes. Elles croient que tout leur
est acquis. Il faut leur faire comprendre que c’est toi qui commandes et pas elles.

Je crois entendre la prisonnière implorer la pitié et des larmes coulent sur ses
joues.

– Duncan, dis-je en posant une main sur son bras. Tu es sûr de ce que tu fais,
là ?
– Absolument certain, répond-il en enlevant son propre pantalon. Elle va
tellement avoir mal qu’elle va finir par cracher le morceau.

Je n’aime pas ça. Nous ne procédons pas comme ça, d’habitude. Du moins
pas moi. Ce n’est pas dans mon éthique. Je jette un œil à la fille allongée. Je
peux voir le désespoir et la souffrance dans ses yeux. Je ne sais pas ce qu’il se
passe en moi à ce moment-là, mais il se passe quelque chose. C’est ce qui me
pousse à arrêter Duncan alors qu’il s’apprête à retirer la culotte d’Evangeline.
– Stop, ordonné-je. Je ne suis pas d’accord.

Mon frère se tourne vers moi.

– Tu m’as demandé de t’aider, non ?


– Pas comme ça.
– Et comment crois-tu que je fais d’habitude ? Tu as oublié que nous sommes
des tueurs ? Aucune pitié, Ryder.

Je serre les mâchoires. Il a raison. J’ai déjà buté un tas d’ennemis de mon
père, je ne devrais pas m’opposer à mon frère, je devrais le laisser faire. Ainsi,
elle finira par comprendre que si elle ne parle pas, il recommencera. Et la
mission sera finie, je n’aurai plus qu’à la buter, papa sera fier de nous. Je relâche
sa main et me retourne dos à eux. Je ne veux pas voir ça. Je me passe encore la
main dans les cheveux. Je trouve que je fais ça un peu trop souvent depuis que
j’ai enlevé Evangeline. D’habitude, rien ne m’atteint. Mais les cris étouffés de la
fille me poussent à revenir vers mon frère, juste à temps avant qu’il ne
commence sa besogne. Sans réfléchir une seconde, je lui envoie un coup de
poing en plein dans le nez. Il titube mais ne tombe pas.

– Mais qu’est-ce qui te prend ? hurle-t-il.


– J’ai dit : pas comme ça. Maintenant, merci, mais dégage de chez moi, je
trouverai un autre moyen de la faire parler.

Ma voix est dure et sans appel. J’ai des principes. Et je suis prêt à défoncer la
gueule du premier qui osera tenter de m’en détourner.

– Tu déconnes ?! Je commençais tout juste à m’amuser !

Il s’apprête à revenir à la charge sur Evangeline, mais j’attrape un de mes


flingues et lui pointe le canon sur la tempe.

– Je suis sérieux Duncan, grondé-je. Si tu ne pars pas tout de suite, je


t’explose la tête.

Il me regarde avec des yeux ronds comme des soucoupes. Je peux le


comprendre, je ne me reconnais pas moi-même. Je ne suis même pas sûr de ce
que je suis en train de faire. Tout ce que je sais, c’est que je refuse que l’on
touche à mes cibles de cette façon. Il finit par s’éloigner.
– Pourquoi tu ne la butes pas directement ?
– Papa veut récupérer une clé USB qu’elle cache.

Il fronce les sourcils, ma réponse semble le faire tiquer.

– Une clé USB ? Ce ne serait pas son frère ou son copain qui la lui aurait
confiée, par hasard ?

Evangeline, qui entend tout, se met à se débattre plus vigoureusement et ses


yeux s’agrandissent, comme si elle connaissait Duncan. Je comprends aussitôt.

– C’est vous qui l’avez buté ?


– Ouais, on le traquait depuis un bon moment, ce putain de flic. Merde alors,
le hasard fait bien les choses.
– Quoi qu’il en soit, je n’aime pas tes méthodes. Je vais me débrouiller.

Duncan finit par s’éloigner, non sans me lancer un avertissement avant de


quitter l’appartement :

– Tu m’en dois une, Ryder. Ne te perds pas en chemin, petit frère, papa te
tuerait toi aussi.

***

Il est près de minuit. Je suis couché sur mon lit, les bras derrière la tête et je
regarde le plafond. Je n’arrive pas à trouver le sommeil. J’ai encore les images
de ce qu’il s’est passé cet après-midi avec Duncan. Je ne pensais pas qu’il
déconnait autant avec ses victimes. Je savais qu’il était plus instable que nous
autres, mais je ne me doutais pas que c’était à ce point. J’avais l’impression
d’être face à quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas le pire. Non, le pire c’est la
dernière phrase qu’il m’a dite avant de s’en aller. « Ne te perds pas en chemin,
papa te tuerait toi aussi ». Comment ça, que je ne me perde pas ? Et que voulait-
il dire par « toi aussi » ? Je n’ai pas l’intention de changer ou d’être gentil. C’est
juste que, sans que je sache pourquoi, cette façon de torturer me donne la gerbe.
Il y a d’autre moyen de lui faire cracher le morceau.

Quelque chose en moi finit par me pousser à aller voir Evangeline. Elle est
traumatisée et je peux la comprendre. Duncan n’a pas vraiment été tendre, aussi
bien dans ses propos que dans ses gestes. Je toque, mais personne ne répond.
Alors j’ouvre. La pièce est plongée dans le noir total. Pourtant j’avance sans
craindre de me faire attaquer. Je suis persuadé qu’elle dort ou qu’elle est trop
faible psychologiquement pour me mettre en rogne. Elle a peur de moi, aussi. Le
plus doucement possible, je me laisse glisser le long du mur et ferme les yeux. Je
ne sais pas ce que je fais là, honnêtement. Mais j’en ai envie. Presque besoin.

– Tu vas finir son travail ?

Sa voix n’est qu’un murmure à peine audible, cassé par la terreur.

– Non, réponds-je.

Je l’entends se lever au son du froissement de l’oreiller.

– Alors pourquoi es-tu là ?

Je mets un moment avant d’avouer sincèrement.

– Je n’en ai pas la moindre idée.

Un silence pesant s’installe ensuite et je décide de le briser.

– Je ne savais pas qu’il avait l’intention de te violer. Je ne le connaissais pas


comme ça.
– C’est pourtant ton frère, si j’ai bien compris.
– Il faut croire que les apparences sont trompeuses, même au sein d’une
famille.
– Et vous bossez tous les deux pour le compte de ton père. Tu vas avoir des
problèmes si ton frère lui dit ce qu’il s’est passé.
– Ça, ce ne sont pas tes oignons. Tu en sais beaucoup trop sur moi, d’ailleurs.
Je devrais te tuer rien que pour ça.

Je sens une main se poser sur ma jambe et je sursaute. Je ne la vois pas, elle
peut me sauter à la gorge à tout moment, donc je reste sur le qui-vive.

– Alors pourquoi ne le fais-tu pas ? De toute façon je ne sortirai jamais d’ici


vivante, je le sais.
Je finis par me relever et ouvre la porte pour sortir, lorsque je sens sa main
serrer la mienne. Je suis surpris pour la seconde fois en à peine cinq minutes. Je
me tourne vers elle. Son visage est éclairé par la faible lueur du couloir et je
peux voir quelque chose de nouveau dans son regard.

– Merci, murmure-t-elle en me scrutant droit dans les yeux.

Je la fixe un moment avant de refermer la porte du placard sans répondre.


8

Evy

Ce matin, je suis réveillée par des cris. Par Ryder en train de hurler sur
quelqu’un, pour être exacte. Et à en juger par les multiples pauses de sa voix,
j’en déduis qu’il est certainement au téléphone. Avec Duncan ? Repenser à ce
mec me tord les tripes. Si je pensais que Ryder était un psychopathe terrifiant,
son frère est un véritable malade mental.

J’ai vraiment été sincère, hier soir. Je suis reconnaissante envers mon
ravisseur. Je ne l’aurais jamais cru, d’ailleurs, mais sans lui, il me serait arrivé
une chose horrible. Qu’est-ce que Duncan faisait là ? Son visage balafré m’a
paru familier quand je l’ai vu entrer dans le placard, mais je ne me souvenais
plus d’où je l’avais déjà vu. Jusqu’à ce que Ryder parle de la clé USB. Là, tout
m’est revenu dans la tête tel un tsunami. J’ai été littéralement submergée par le
souvenir de cette nuit d’horreur. La nuit où ils ont tué mon jumeau, dans mes
propres bras.

Je tends l’oreille afin de décerner qui il peut bien enguirlander.

– Et tu te crois malin, en plus ?! Tu n’avais pas à faire ça, c’est tout… Non, je
ne cautionne pas ce genre de comportement et papa non plus… Quoi ?

Il parle bien avec Duncan. À ce moment-là, j’entends un bruit sourd tout près
de moi qui me fait sursauter.

– Il ne peut pas faire ça, continue Ryder. S’il m’a donné cette mission à moi,
c’est parce que toi tu es trop instable… Arrête, à chaque fois qu’une de tes
missions tourne mal, tu t’arranges toujours pour tirer l’histoire à ton avantage.
Mais on sait tous que c’est toi qui merdes… Non, toi, écoute : tu touches à un
seul de ses cheveux et je te fais regretter d’être venu au monde. Elle est à moi,
pigé ?
Puis je n’entends plus rien. Soudain, quelque chose en verre se brise. Mais je
suis encore sous le choc de ce que Ryder vient de dire. Apparemment, son frère
veut prendre la relève pour pouvoir finir ce qu’il a commencé, mais mon
kidnappeur refuse. « Tu touches à un seul de ses cheveux et je te fais regretter
d’être venu au monde. » Est-ce qu’il a dit cela pour me protéger ou par pur
égoïsme ? Je trouve qu’il a quelque peu changé depuis son baiser dans
l’ascenseur. Mon cœur se met à battre la chamade à ce souvenir. Je mentirais si
je disais que je n’ai rien ressenti. Au début, je croyais que c’était à cause de la
peur. Mais, au fil des jours, je ne sais plus trop si c’est de la crainte ou… du désir
que j’ai éprouvé ce jour-là. C'est complètement tordu, je sais, mais c'est pourtant
la réalité. Et je suis morte de honte à l'idée de ressentir ça. Car, en dépit des
tortures qu’il m’a fait subir ces derniers jours, lorsque c’était fini, il me
regardait… bizarrement. Pas des regards chaleureux, mais pas glacials non plus
comme au début. Je ne sais pas trop comment expliquer cela, mais j’ai
l’impression qu’il se sent obligé de me faire endurer cela. Comme s’il se sentait
redevable. Comme si sa vie en dépendait. Voue-t-il une telle vénération à son
père, pour être prêt à tuer ainsi pour lui ? Je ne vois pas d’autre explication. Et
son frère qui lui met des bâtons dans les roues… Je n’aime pas trop ça. J’entends
le cliquetis de la porte et Ryder entre. Il a l’air totalement vidé. Son regard
m’hypnotise instantanément. C’est vraiment un très bel homme. Je ne l’avais pas
forcément remarqué jusque-là, car j’étais trop focalisée sur sa part sombre. Sur le
criminel. Or, là, tandis qu’il se tient droit devant moi, je me rends compte que
mon cœur battant n’est plus alimenté par la peur, mais par le désir. Ou quelque
chose qui s’en approche, en tout cas. Et ça me fait un peu flipper. Je suis
complètement débile de ressentir de l’attirance pour mon futur meurtrier. Mais il
faut bien avouer qu’il m’a évité la mort. Car je suis sûre que ce fumier m’aurait
étranglée aussitôt après m’avoir violée, je le voyais dans ses yeux remplis de
haine.

– Salut, fais-je timidement.

Je sais que je ne devrais pas me sentir redevable envers lui. Après tout, il me
torture et va certainement me tuer. Mais quelque chose me dit que ce n’est pas le
vrai Ryder que j’ai en face de moi depuis le début. J’ai l’impression que je dois
creuser un peu plus en lui pour faire surgir… je ne sais pas, un homme bien ?
Qui ne passe pas son temps à tuer ? Ryder ne répond pas, se contentant de poser
ma valise dans un coin de la pièce minuscule.
– Prends des affaires propres, je t’amène à la douche.

Je m’active donc à choisir une tenue pour la journée dans le fouillis que sont
devenues mes fringues. Il va falloir que je remette de l’ordre dans tout ça, la
maniaque en moi pleure à chaudes larmes.

– Tu as encore crié, cette nuit, risqué-je avec un petit coup d’œil furtif dans sa
direction.

Il ne répond rien. Son masque d’homme froid et dénué d’émotions est de


nouveau apparu.

– Tu cries beaucoup. Est-ce que tu fais des cauchemars ?


– Occupe-toi plutôt de tes fesses.
– Je te dis ça parce que j’en fais, moi aussi. Enfin, ce sont plutôt des
souvenirs. Je revois encore le visage de Duncan, tout souriant au-dessus de
l’arme, et le sang de mon frère sur mes mains. Son corps sans vie dans mes
bras…

Je ravale les larmes qui menacent encore de couler. Jared me manque.


Terriblement. Et savoir qu’il est mort pour rien accroît mon désir de vengeance.

– C’est bon ? Tu as fini de pleurnicher sur ta misérable vie ? Je n’ai pas que
ça à faire.

Je sèche mes larmes et me lève avec mes vêtements dans les mains. Je n’ai
pas envie de lui répondre, ni même de le fusiller du regard. Je ne pense même
pas qu’il s’en rendrait compte. Je le suis jusqu’à la salle de bains. Il ne me
malmène plus comme au début, avec sa main serrant ma nuque. Il sait que je ne
compte plus m’enfuir. Je n’ai aucune envie de tomber sur Duncan pendant ma
cavale. Même si mon désir de tuer celui-ci après ce qu’il a fait est très présent, je
sais que je n’aurai aucune chance face à lui s’il me tombe dessus. Bizarrement,
je me sens plus en sécurité qu’en danger avec Ryder, depuis hier. J’entre dans la
salle de bains et entreprends de me déshabiller, sans plus me soucier de sa
présence dans la pièce. À force de me surveiller dans la douche depuis près
d’une semaine, il connaît mon corps en long, en large et en travers. Aujourd’hui,
je ressens comme un frisson qui me parcourt l’échine en sentant son regard sur
moi. J’entre sous l’eau et me lave tout en évitant de le regarder. Il n’a peut-être
pas tant confiance que cela pour rester pendant ma douche. Ou alors il aime me
regarder. Je me surprends à espérer que la deuxième hypothèse soit la bonne. Je
ne sais pas ce qui m’arrive, je ne comprends pas. En dépit des circonstances et
de son comportement… une part de moi le désire. Certains diront que je suis
atteinte du syndrome de Stockholm. Peut-être que oui. Mais, pour le moment, je
préfère attribuer cela au fait que je lui dois beaucoup après ce qu’il vient de se
passer. Ouhais, on se raisonne comme on peut, hein, raille la voix sarcastique de
ma conscience. Je finis par couper l’eau, et voilà que des pensées obscènes
m’assaillent.

– Est-ce que tu vas me faire du mal, aujourd’hui ? demandé-je d’une voix à


peine audible en enfilant mon soutien-gorge.

Ses yeux sont fixés sur ma poitrine énorme. Il ne prend même pas la peine de
détourner le regard alors que je viens de le prendre sur le fait. Un homme
normalement constitué se serait empressé de s’excuser avec un sourire. Lui, non.
Il me reluque sans aucune gêne, sans un rictus. Et je dois être bien barrée, parce
que ça me trouble plus que ça ne m’inquiète. Puis il s’en va sans même me
répondre. Je réalise que c’est la première fois qu’il ose me laisser seule dans une
pièce. Est-ce que je dois y voir un message ? Je me tourne vers la petite fenêtre
placée en hauteur, au-dessus des toilettes. Ce serait tellement facile de m’enfuir !
Je prendrais mes jambes à mon cou en alertant le quartier et irais me réfugier
dans le commissariat le plus proche. Mais l’image de Duncan me ramène sur
terre. Il est vraiment resté sur sa faim, hier. Il attend peut-être quelque part
dehors, espérant que je m'enfuie pour pouvoir m'attraper avant que Ryder ne se
rende compte de mon absence. Je suis sans doute parano, mais au point où j'en
suis, ce serait fort possible. Duncan n'est pas le genre de mec à qui l'on dit non.
Je l'ai vu dans ses gestes et dans son regard lorsque Ryder a pointé son arme sur
lui. J'ai l'impression d'être une brebis au milieu d'une meute de loups. Le plus
étrange, c’est que le frère de Ryder n’est pas la seule raison pour laquelle je
décide de rester. Je crois que j’ai envie de connaître davantage mon ravisseur. Ce
ne sera sans doute pas facile, mais je suis persuadée que je pourrai l’obliger à se
livrer. Si ça se trouve, il n’est même pas conscient de ses actes tortionnaires et
meurtriers. Je termine de m’habiller et de me maquiller – Dieu merci, il a pensé
à ma trousse de toilette – et entreprends de nettoyer la salle de bains avec les
quelques produits que je trouve sous le lavabo. Il faut que je me change les
idées. Que je fasse quelque chose d'anodin pour m'éviter de trop penser à ce qui
m'arrive. Si je reste prostrée sur moi-même, je vais finir par devenir
complètement dingue. Et puis avec un peu de chance, si je suis gentille et
serviable avec lui, il sera un peu plus conciliant avec moi... L’appartement n’est
pas ce que j’appellerais un endroit propre. Bon, il n’est pas aussi sale que la
maison dans laquelle j’ai vécu les premiers jours, mais c’est un logement de
mec, quoi. La maniaque que je suis tape dans ses mains, heureuse de pouvoir
enfin se rendre utile. J’astique le miroir, les toilettes. Je suis en train de nettoyer
la baignoire lorsque la voix de Ryder me fait sursauter.

– Tu préfères faire le ménage plutôt que d’essayer de t’enfuir ?

Je hausse les épaules.

– À quoi bon ? Tu me rattraperais comme la dernière fois.

Et ton frère est sûrement tapi dans l'ombre, pas loin, à attendre le moment
propice pour terminer ce qu'il a commencé, pensé-je sans le dire à voix haute,
cependant.

Il inspecte la pièce, les bras croisés, tel un inspecteur de l’hygiène contrôlant


un restaurant, le bloc-notes en moins.

– Tu te débrouilles bien.
– Oh ! Un mot gentil ! Redis-le pour voir ?

Je me suis rendu compte que me crêper le chignon avec lui ne servait à rien.
Cela ne faisait que le rendre encore plus violent. Alors j’essaie la méthode plus
douce : la gentillesse. Il lève les yeux au ciel et je jurerais avoir vu un rictus
amusé presque imperceptible au coin de sa bouche. Alors que je crois qu’il va
s’en aller, il me surprend en s’asseyant sur la cuvette des toilettes. Il a les coudes
posés sur ses jambes écartées et, penché vers moi qui suis à quatre pattes pour
gratter quelques taches tenaces par terre, il me scrute avec le plus grand sérieux
du monde.

– Il faut que tu me dises où est cette clé, Evangeline.

Je secoue la tête.

– Pour me faire tuer juste après ? Merci mais non. Et d’abord, qu’y a-t-il là-
dedans qui vaille que j’y perde la vie ?
– Je n’en sais rien, ce n’est pas moi qui donne les ordres. Mais tu pourras
plaider cette cause, ça pourrait te sauver.

Je cesse de gratter le calcaire et me tourne vers lui.

– Et qu’est-ce que tu en as à faire, toi, de ma vie ? Tu passes ton temps à me


torturer et tu comptes me tuer. Et quelque chose me dit que quoi que je puisse
dire, j’aurai toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Il soupire en se passant la main dans les cheveux.

– Tu sais que je vais devoir te torturer jusqu’à ce que tu parles, n’est-ce pas ?
– Et tu sais que je ne dirai jamais rien, le défié-je.

Il se mord la lèvre et je souris intérieurement à l’idée de lui faire ressentir une


nouvelle émotion, la frustration, en l’occurrence.

C’est ça, ressens les choses, Ryder.

Cela dit, moi aussi ça me fait éprouver des choses. Ça me donne envie de la
mordre moi-même, cette lèvre… Et plus encore… Je détourne le regard et
m’intéresse à ma tâche ménagère en espérant qu’il n’ait pas remarqué mes joues
rouges. Il finit par se relever et sort de la salle de bains, non sans m’ordonner
avant :

– Rends-toi donc utile et nettoie le reste de l’appartement. Ça te fera faire du


sport.

Je lui lance un regard glacial, mais il est déjà parti. Enfoiré !

***

Je sens le regard de Ryder peser sur moi tandis que je dépoussière les
quelques meubles. Il est assis sur son canapé, la télévision allumée devant lui. Je
m’affaire tout en me forçant à ne pas le regarder. Mais au bout d’un moment, je
ne peux pas résister et je me retourne. Il est là, avachi sur son canapé, ses
grandes jambes écartées, une bière dans une main, une cigarette coincée dans sa
bouche si désirable. Il n’est pas vraiment musclé, mais il n’est pas sec non plus.
Sa peau légèrement bronzée recouverte de tatouages présente néanmoins
plusieurs traces blanches par endroits, des cicatrices, je suppose. Que lui est-il
arrivé ? Pourquoi est-il ainsi ? J’aimerais bien le savoir, mais je doute que ce soit
le bon moment pour lui demander ce genre de chose. Ce que je sais, c’est que
plus je passe de temps avec lui, plus il m’intrigue. Je devrais le haïr comme au
début, voire plus encore, après les tortures qu’il m’a fait subir. Mais c’est tout le
contraire, étrangement. Parce que je suis convaincue par mon idée : il n’agit pas
parce qu’il aime ça. Mais parce qu’il se sent obligé de le faire. Je me demande
depuis combien de temps il fait ce « travail ». Combien de personnes innocentes
sont-elles mortes à cause de lui et de son frère ? D’ailleurs, sont-ils les deux
seuls à faire ça ? Ou y en a-t-il d’autres ? Pourquoi leur père les oblige-t-il à faire
ça ? Tellement de questions auxquelles je n’aurai sans doute jamais de réponse.

Plus les jours passent, plus ma vie d’avant me manque. Je rêverais de pouvoir
appeler Lydia – si tant est qu’elle soit bien vivante – pour lui dire où je suis. La
police viendrait et je serais sauvée. Mais je n’ai pas confiance en eux. De plus,
ils arrêteraient Ryder et, bizarrement, cette idée me fait mal au cœur. Il est clair
qu’il mérite d’aller en prison, je ne le défends pas. Mais il ne fait qu’obéir à des
ordres. Une autre hypothèse m’est venue à l’esprit, ces derniers jours. Si ça se
trouve, il a été élevé pour tuer. Comme ces enfants des milices, dans certains
pays reculés de la planète. C’est complètement fou, mais ça pourrait coller avec
son déni total des émotions éprouvées par ses victimes. Depuis plus d’un mois
que je suis là, personne n’est venu perquisitionner l’appartement de Ryder. J’ai
peu d’amis, mais je pense compter assez à leurs yeux pour qu’ils signalent ma
disparition soudaine. Au moins Lydia qui est ma meilleure amie. Voilà encore
une raison qui pourrait me prouver que Ryder l’aurait… J’éprouve encore de la
haine pour lui bien qu’il m’attire physiquement. S’il a touché ne serait-ce qu’un
cheveu de Lydia, je jure que je fais un carnage. Il a peut-être raison, cela dit.
Peut-être que si je plaide l’ignorance quant au contenu de la clé, je m’en sortirai
vivante. Hélas, rien ne me garantit que ce sera le cas.

Je suis totalement perdue.

J’ai été enlevée par un mec froid mais ultra sexy qui m’a entaillée au couteau,
s’est servi de moi comme cendrier, m’a presque noyée et, pas plus tard qu’hier, il
s’est essayé à la brûlure au fer rouge. Tout cela pour une clé USB. Sans compter
qu’il a fait couler ma voiture, détruit mes papiers d’identité, il est entré dans mon
appartement, a sans doute tué ma meilleure amie et je suis la prochaine sur la
liste. Pourtant, en dépit de la haine que j’éprouve à son égard, une partie de moi
– une infime partie – est attirée par lui. Irrésistiblement. Si je m’en sors vivante,
je serai sûrement bonne à être enfermée.
9

Ryder

Je suis largué avec cette femme. Je lui ai fait subir les pires douleurs,
physiques et psychologiques, et elle ne lâche toujours rien. Elle est maso ou
quoi ? Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle est… gentille. J’ai découvert
récemment qu’elle était du genre maniaque, donc autant qu’elle se rende utile en
faisant le ménage. Par précaution, je reste toujours à côté, avec un œil sur ses
moindres faits et gestes. Et sur son cul aussi, j’avoue. Cette façon qu’elle a de le
dandiner et son pantalon qui le moule un peu plus quand elle se baisse…
Seigneur, je dois me faire violence à chaque fois pour ne pas aller le croquer.

Elle ne cherche plus à s’enfuir, je crois. Elle a compris qu’elle n’avait aucune
chance avec moi. Mais je pense qu’elle a aussi peur de tomber sur Duncan. Car
elle s’est bien calmée avec moi depuis que je l’ai tirée des pattes de mon malade
de frangin. En parlant de lui, il veut balancer à mon père ce qu’il s’est passé la
dernière fois. Je me suis engueulé avec lui la semaine dernière. Il me menace de
dire que je suis passé de l’autre côté de la barrière. Que je suis devenu un faible.
Tout ça parce que je l’ai empêché de violer Evangeline. Il n’a plutôt pas intérêt à
aller raconter ces conneries parce que je lui fais avaler ses dents une par une. Je
ne suis pas faible, putain. J’ai des principes, c’est tout. Et il devrait s’en donner
aussi s’il ne veut pas se faire virer de la Maison comme nos deux autres frères.

Je cours depuis environ une heure sur le tapis de course, Breaking Benjamin
dans les oreilles, et cette métisse brune me regarde depuis vingt minutes au
moins. On s’est repérés en même temps en entrant dans la salle de sport. Je lui
fais mon regard charmeur auquel aucune femme ne résiste et elle me sourit
timidement. C’est tellement facile, parfois, que cette tactique commence à
m’ennuyer profond. Mais c’est la première étape avant de conclure, alors je ne
vais pas faire la fine bouche. Ma proie mord à l’hameçon. En même temps, je
n’en attendais pas moins d’elle. Dommage que les douches soient surveillées, je
l’aurais bien prise là, tout de suite.
Heureusement, elle m’attend à l’entrée, comme si elle savait déjà comment
allait se passer la suite de sa journée. Sans préambule, je la plaque contre le mur
du gymnase et la dévore à pleine bouche.

– On va chez toi, j’ai mon salaud de mari à la maison, me dit-elle tandis que
je lui lèche le cou.

Pour lui faire comprendre que c’est non, je l’entraîne dans la ruelle qui jouxte
le gymnase et la plaque une nouvelle fois contre le mur. Une pluie battante nous
trempe en un rien de temps, mais ça n’a pas l’air de la déranger. Je lui relève la
jupe, déboutonne mon jean, enfile une capote et m’enfouis en elle. Elle a un
hoquet de surprise mais ne semble pas mécontente, au contraire. Je la pilonne
comme un malade. J’ai trop envie de baiser. J’étais déjà sexuellement hyperactif
avant Evangeline, mais depuis qu’elle est là, que je la vois nue dans la
baignoire… ma faim de sexe ne fait que s’accroître. Ça craint.

La métisse s’accroche à moi tandis que je la baise violemment à côté des


poubelles. La rue est déserte, personne ne peut nous voir. Même si je pourrais
baiser une gonzesse comme ça en pleine rue bondée sans aucune pudeur, je
préfère éviter de me mettre des flics au cul, ce serait mauvais pour mes affaires.
Ce n’est pas l’endroit idéal pour faire ça, mais je m’en tape. Ce n’est pas comme
si j’allais la revoir. Je me soulève des filles comme elles quasi tous les jours, je
me fous complètement de l’endroit où je les fais jouir.

Evangeline doit sûrement encore être en train de pleurer dans son placard.
Elle pleure souvent quand elle pense que je ne l’entends pas. Ce matin, elle s’est
rasé les jambes dans la douche et ça m’a grave mis les nerfs. Pas parce qu’elle
mettait plus de temps que d’habitude, mais parce que, putain, ses courbes sexy,
son cul à damner un saint et sa façon de me regarder tout en se lavant… Je ne
sais pas comment j’ai fait pour avoir la force de me détourner d’elle. Je n’avais
qu’une envie, c’était de la rejoindre.

Mais je refuse de jouer avec le feu. C’est beaucoup trop risqué et ça pourrait
compromettre la confiance que mon père a en moi. Cette femme est un véritable
péché. Je me sens faible à chaque fois que je réalise que je brûle de désir pour
elle. Je ressens des choses. Des choses que je n’avais jamais ressenties avant
parce que je refusais d’éprouver la moindre émotion. J’ai été élevé ainsi. Sans
émotion, sans âme. Et pourtant, plus les jours passent en compagnie
d’Evangeline, plus je sens que quelque chose change en moi.

Il faut que je mette un terme à toute cette merde. À ces émotions à la con qui
me perturbent de jour en jour. Et comme elle refuse de parler, il va falloir que
j’emploie les grands moyens. Je dois la tuer. Elle est en train de bousiller tous
mes principes, elle brise mes défenses. Elle anéantit des années de travail rien
qu’avec un regard et ça me ronge. Tant pis pour la clé, de toute façon, d’après ce
qu’elle m’a dit, elle est la seule à savoir où elle est. Personne ne la retrouvera.
Mais cette mission est trop risquée. Elle va me faire courir à ma perte.

Je finis par jouir avec l’image du corps nu d’Evangeline dans la tête. Qu’est-
ce que je disais ? Je vais droit dans le mur.

***

Quand j’arrive chez moi, tout est calme. Trop calme, même. D’habitude je
l’entends pleurer. Soit elle a fini par filer, soit Duncan est venu l’enlever pour
finir ce qu’il avait commencé. Il sait crocheter les serrures les plus complexes, ce
con, et il est tellement barge que cette possibilité est plus que plausible. Je vais
aussitôt vérifier. Elle dort, je retrouve mon calme. Sa respiration est paisible et
régulière. J’aurais presque envie de lui caresser les cheveux. Je referme la porte
et vais prendre une douche, histoire de me débarrasser de cette séance de sport –
ces, devrais-je plutôt dire – et de me changer les idées. Je ne suis pas bien, en ce
moment. Je ne me sens pas moi. J’ai l’impression d’avoir changé depuis qu’elle
est là. Je fais tout pour la mépriser, mais… elle m’obsède. Pourtant, elle est
comme les autres. Elle n’a rien qui devrait m’attirer. Elle ne vaut pas mieux que
celle que je me suis tapée il y a une heure, ou celle d’avant-hier. Que dalle. Et je
vais le prouver.

Je sors de la salle de bains avec ma serviette autour de la taille pour seul


vêtement et entre dans ma chambre. J’ouvre mon grand sac de sport caché sous
une planche du parquet. Je prends le revolver, enlève le cran de sûreté et fonce
droit vers mon placard. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure tandis que j’ai mon
arme braquée sur la tempe d’Evangeline, mais c’est l’adrénaline. Ça ne peut être
que ça. Elle a les yeux ouverts. Elle m’a entendu tourner le barillet.

– On va jouer à un jeu, lui murmuré-je. Tu connais la roulette russe ? J’ai mis


une seule balle dans cette arme et je n’ai absolument aucune idée d’où elle est.
Je baisse le chien et la vois tressaillir. Une larme coule le long de son nez,
mais je m’en tamponne. Il faut qu’elle comprenne que c’est moi qui ai le
contrôle.

– Avant de tirer… dis-moi juste… dis-moi seulement qu’elle est encore en


vie. J’ai besoin de savoir… S’il te plaît.

Ah, je l’avais oubliée, celle-là. Elle lève un peu la tête et j’ai le malheur de
croiser son regard bleu turquoise. Je hausse les épaules.

– Elle a eu de la chance, réponds-je simplement, et Evangeline semble


soupirer de soulagement.

Puis j’appuie sur la détente.


10

Evy

J’ai attendu la mort. Pendant trente-sept jours. Je savais que c’était ce qui
m’attendait au bout du compte, que j’avoue tout ou rien. Bien que j’aie eu une
minuscule lueur d’espoir, tout au fond de moi, elle s’est éteinte quand j’ai
entendu le barillet tourner et senti le canon sur ma tempe.

Ça ne m’a pas réveillée en sursaut, car je ne dormais pas vraiment. Pendant


un moment, j’ai cru que j’aurais pu le sauver. De lui-même. Parce que je sais
qu’il n’est pas comme ça en réalité. Je suis très observatrice. Quel genre
d’homme prétendument dénué d’émotions sauverait sa cible de la mort ? Je
refusais de croire que c’était parce qu’il préférait me tuer lui-même. Je me suis
bien trompée. Sur toute la ligne. Alors que j’ai le canon de l’arme contre ma
tempe, je me demande ce que ça fait de mourir. Est-ce que c’est immédiat ou, au
contraire, sent-on la douleur de la balle entrant dans notre tête, jusqu’à ce qu’elle
finisse par faire exploser notre cerveau ? Ensuite, notre cœur s’arrête-t-il
instantanément ou essaie-t-il de se raccrocher à la vie ? Le mien est en train de
battre à tout rompre. Qu’y a-t-il après la mort ? Je me souviens que maman était
très intéressée par la réincarnation. Quand j’étais petite, je me disais que je
voudrais être réincarnée en aigle et voler dans les airs, libre et majestueuse.
Maintenant, je ne suis plus sûre de rien. Est-ce que les gens qui se font tuer vont
au paradis ou est-ce un endroit exclusivement réservé aux morts naturelles ?

Clac. Pas de détonation. Pas de douleur. Pourtant je l’ai bien entendu appuyer
sur la gâchette. J’ouvre les yeux. Je suis toujours allongée sur ma couverture.
Toujours vivante. Mon cœur retrouve maintenant un rythme presque normal.

– Toi aussi tu as eu de la chance, on dirait, dit Ryder en se relevant. Ça aurait


fait trop de bruit de toute façon.

Je suis vivante. Il ne m’a pas tuée. Ma respiration est encore un peu hachée,
mais je sens que le soulagement a remplacé la terreur et l’angoisse.
Je ne suis pas morte.

Je ne sens plus sa présence au-dessus de moi et j’ose un coup d’œil par-dessus


mon épaule. Mon Dieu, il est nu. Enfin, je veux dire, une serviette cache ses
parties les plus intimes mais je peux facilement voir le reste. Du moins son dos.
Il n’est pas large mais pas étroit non plus. Ses omoplates saillantes ressortent et
ses biceps tatoués sont contractés. Il est… à tomber. Je n’en oublie pas qu’il a
voulu me tuer, mais il est vraiment canon. Il y a tout juste quelques secondes,
j’éprouvais de l’effroi à l’idée de mourir. Et là, je me retrouve… excitée ?
Aurais-je un dérèglement hormonal ? Ou un problème psychologique ?

– Ryder !

Il a un léger mouvement de sursaut, comme s’il ne s’attendait pas à ce que


j’aie retenu son nom. Manque de pot pour lui, j’ai une bonne mémoire. Il se
retourne lentement et me fusille du regard.

– Tu savais que la balle n’était pas engagée. Tu n’avais pas l’intention de me


tuer.

Sa mâchoire bouge et je sais que j’ai raison, mais il refuse de l’admettre. J’ai
envie de le pousser dans ses retranchements. Je veux lui faire ressentir des
choses. J’ai essayé la colère, mais c’est ma peau qui en a fait les frais. Il faut que
je tente autre chose. Quelque chose que je n’aurais jamais fait s’il avait tué
Lydia. Il est rouge de rage et il fonce vers moi. Je ne tressaille pas quand il prend
mon visage dans sa main, pressant douloureusement mes joues, tandis que le
canon de l’arme est de nouveau pointé sur ma tête. L’or de ses prunelles s’est
assombri. Il est contrarié à l’idée que je lui tienne tête, mais je peux aussi déceler
de la frustration et peut-être même une pointe de désir. Je crois.

– Je peux t’assurer que la balle est bien dedans, maintenant, persifle-t-il, son
visage à un centimètre du mien.

Mon cœur s’accélère de nouveau, la panique reprenant possession de moi.


Cette fois, je vois vraiment qu’il a l’intention de me supprimer. Ne serait-ce que
parce que j’ai osé le défier. Je veux profiter des quelques secondes qu’il me reste
pour me sentir en vie. Une dernière fois. Alors, prenant mon courage à deux
mains, je vais jusqu’au bout de mon idée. J’attrape sa nuque et réduis la distance
qui sépare nos lèvres. C’est comme un jour de tempête. Non, un ouragan. Tout se
met à se chambouler en moi. Les émotions s’entrechoquent, mon corps se tend
instinctivement vers lui, le réclame. Comme dans l’ascenseur, je lutte contre ces
sentiments qui naissent en moi. C’est un criminel qui me fait du mal. N’importe
quelle femme sensée éprouverait de la haine pour son tortionnaire, mais je n’y
arrive pas. Tout se bouscule dans mon esprit et je ne parviens pas à faire le tri,
tout va tellement vite ! J’ai envie d’écouter mon cœur et de me laisser aller, de
l’embrasser encore et encore. Quant à lui, il semble surpris, mais je m’en fiche.
Je veux lui faire ressentir autre chose que la haine et la colère qui l’habitent
depuis trop longtemps. Je veux lui apprendre à se laisser aller, lui aussi. Mais
Ryder n’est pas réceptif, car il me repousse. Si violemment que je me cogne
contre le mur derrière moi.

– Ne recommence jamais ça.

Et là, sans pouvoir me contrôler, j’éclate de rire. Impossible de m’arrêter. Je


ne sais pas si c’est le premier signe qui prouve que je suis en train de virer
dingue, mais c’est plus fort que moi. Ryder me regarde, les sourcils haussés
comme s’il se demandait si j’allais bien.

– Qu’est-ce qui t’arrive ? grogne-t-il.


– La dernière fois, c’est moi qui t’ai dit ça, réponds-je en riant comme une
hystérique. Putain, il faut que j’aille faire pipi.

Il secoue la tête, l’air désabusé, en levant les yeux au ciel. Ouais, je suis
sûrement en train de devenir folle. Mais il y a une chose dont je suis sûre : j’ai
terriblement envie de cet homme. Oui, cet homme qui m’a fait croire qu’il avait
l’intention de me tuer il y a deux minutes.

Ryder est appuyé contre le mur quand je ressors de la salle de bains. Il ne


porte qu'un jean brut déchiré au niveau des genoux. Je ravale la déception qui
s’empare de moi. C’est complètement absurde.

– Tu en as mis du temps, raille-t-il.


– J’en ai profité pour faire un brin de toilette, je déteste sentir la poussière.

Son regard est incandescent et mon cœur tressaille encore. Il louche sur mes
seins, comme d’habitude. En même temps, ceux-ci sont tellement gros que tout
le monde a du mal à garder les yeux sur mon visage. C’est vraiment un
problème, cette poitrine. Quant à moi, je ne peux détacher mon regard de ce
corps de dieu, comme s’il avait été sculpté dans du granit. Des abdos dessinés et
en relief, son V d’Apollon qui fait vibrer mon bas-ventre. Même le tatouage
gravé sur son cœur est sexy : « Never give up ». Ne jamais abandonner. Oh, ça
non, je ne vais pas abandonner. Il me ramène au salon et me pousse légèrement
jusqu’à la « chaise de torture » pour me montrer qu’il contrôle la situation. Ou
peut-être pour s’en convaincre lui-même.

– Pourquoi fais-tu ça, Ryder ?

Je geins alors qu’il m’attache les poignets et les chevilles.

– Parce qu’il le faut, répond-il en fronçant les sourcils, visiblement agacé par
la question.

Il se redresse et s’allume une clope. Il souffle la fumée dans mon visage et je


tousse. Je ne parviens pas à détacher mon regard de son torse nu.

– Cela te plaît de me voir souffrir ?

Il s’appuie sur le dossier de son siège et joue avec le bout de sa cigarette


contre le rebord du cendrier posé sur la table, à côté du couteau et d’un Taser.
Mon cœur fait un bond à la vue de cette arme.

– Rien ne me fait plaisir, Evangeline. Je ne ressens rien, ne l’oublie pas.

Je le fixe intensément et je peux affirmer que ce qu’il dit est du pipeau. Je le


vois dans son regard et à la façon dont sa mâchoire s’est serrée lorsqu’il a
répondu. Il éprouve des choses mais refuse de l’admettre. Je vois en cette brève
analyse une carte à jouer. Il va falloir y aller avec des gants, mais le plan qui
germe dans ma tête – même s’il ne m’enthousiasme pas tant que ça – me semble
être un bon moyen de m’en sortir. En tout cas, c’est le seul qui me paraisse
judicieux et j’espère qu’il fonctionnera. J’ai tenté la façon forte en essayant de
lui filer entre les mains, en vain. Avec un peu de chance, la méthode douce
pourrait faire son effet.

Dans tous les cas, je suis prête à tout pour sauver ma peau.
La torture a été douloureuse, mais j’ai résisté. Chaque fois qu’il me
questionnait, je lui répondais qu’il n’avait pas à agir ainsi. Je lui expliquais les
belles et bonnes choses de la vie, qu’on pouvait faire autre chose que tuer des
gens. Je le poussais dans ses retranchements. Et à chaque fois, il activait le Taser
et m’administrait cinquante mille volts dans le corps. Il prenait soin, malgré tout,
que les décharges ne durent pas longtemps et entrent par les cuisses – trop
longues ou délivrées près des organes vitaux, elles peuvent être fatales.

Je n’ai pas flanché. Jamais. Et ça l’a énervé. Au bout du compte, il m’a jetée
comme une malpropre dans le placard et je ne l’ai pas revu de toute la journée.

Je peux voir la lumière du couloir allumée sous la porte de ma « chambre ».


C’est comme ça que je sais si nous sommes en journée ou en pleine nuit. Je
l’entends parler au téléphone, assez fréquemment, ces derniers jours, mais je ne
comprends jamais ce qu’il raconte. J’ai très faim et suis assoiffée. Il ne s’est pas
pointé une seule fois et je commence à avoir l’impression qu’il m’a réellement
oubliée.

Une douleur terrible me prend soudain dans le bas du ventre. Oh non, pas ça.
Pas maintenant ! Je fais un rapide calcul mental et j’en viens à la conclusion que
j’avais déjà cinq jours de retard, sans doute causés par le stress. Eh merde. Puis
je me souviens que j’ai ma trousse de toilette. J’y glisse toujours des protections,
au cas où. Mon côté maniaque du contrôle a finalement quelques avantages. Je
me lève tant bien que mal et frappe à la porte avec mes poings. Ryder s’arrête
soudain de parler et la porte s’ouvre quelques secondes plus tard. Il me regarde
de haut, les sourcils froncés, le visage fermé.

– J’ai besoin d’aller aux toilettes d’urgence, expliqué-je.

Il me jauge un instant avant de s’écarter et je cours à la salle de bains sans


même prendre la peine de fermer la porte. Je ressors des toilettes et découvre
Ryder adossé contre le mur d’en face, bras croisés, les yeux rivés sur moi. La
douleur de mes règles est telle que j’ai du mal à me tenir debout sans flancher.

– Un problème ?

Je ne décèle pas d’inquiétude dans sa voix. C’est une simple question.


– Ça va, mens-je.

Je commence à prendre la direction du placard lorsque sa main se referme sur


mon bras. Je me retourne vers lui, surprise.

– Il est l’heure de manger.

Je le suis jusqu’à la cuisine. Cela m’étonne qu’il m’autorise à manger avec lui
alors que d’habitude je n’ai droit qu’à une assiette dans ma « chambre », mais je
ne fais aucun commentaire. Je m’assois sur l’un des tabourets de l’îlot central et
étouffe une plainte quand une nouvelle douleur menstruelle m’assaille. Occupé à
prendre des plats tout prêts, Ryder se tourne vers moi.

– Qu’est-ce qu’il t’arrive ?


– Rien, j’ai juste des… règles très douloureuses. Enfin, je ne vais pas te faire
un dessin, tu sais ce que c’est.
– Non.

Il actionne le micro-ondes et vient près de moi. Je le fixe un instant. Il


semble… perdu.

– Est-ce que tu t’intéresses aux femmes ou seulement à leur corps ?

Il me lance un regard éloquent et, paradoxalement, je me sens rougir.

– OK, j’ai compris. Disons que, nous, les femmes, avons des périodes où
notre corps se régénère. Une fois par mois. Et pour certaines d’entre nous, dont
moi, les premiers jours de cette période sont très douloureux.

Il me fixe, un sourcil haussé. Nous nous scrutons pendant un moment, tentant


de lire l’un dans l’autre. Je veux savoir pourquoi je suis ici, dans cette cuisine
avec lui, alors que je devrais être dans mon placard avec la solitude pour seule
amie. Quant à lui, ses prunelles ocre font la navette entre mes yeux et ma
bouche. Mon cœur bat la chamade. Tout à coup, le micro-ondes sonne et je
sursaute. Ryder ne bouge pas, ses yeux toujours arrimés aux miens. Puis, comme
s’il revenait de loin, il se redresse et, sans un mot, va sortir la barquette du four
pour ensuite faire tourner la seconde. Il plante une fourchette dans l’assiette
chaude et la pose devant moi. Mon estomac gronde d’enthousiasme. Mon
kidnappeur – qui n’a soudain plus l’air d’en être un, d’ailleurs - sort deux
bouteilles de bière du frigo. Serait-ce mon anniversaire ? Ce n’est que dans
plusieurs mois, pourtant. J’accueille la boisson avec un sourire. Le premier
depuis bien longtemps.

– Merci.

Le micro-ondes sonne et Ryder part chercher son repas tandis que je siffle la
moitié de ma bière d’une traite. L’acidité et la fraîcheur du breuvage descendent
le long de mon œsophage comme une cascade et ça fait du bien. Nous
commençons à manger en silence. Ce n’est pas de la grande cuisine, ça sort tout
droit d’usine, mais à cheval donné, on ne regarde pas la bouche. Tout comme on
ne se plaint pas d’un plat réchauffé quand on a été longtemps privé de nourriture.

– La prochaine fois, c’est moi qui me colle aux fourneaux. Il paraît que je…
– Tu es ma prisonnière, pas ma femme, me coupe Ryder d’une voix
tranchante qui ne laisse place à aucun commentaire.

OK. Bon, pour les échanges cordiaux, on repassera un peu plus tard.

– Pourquoi suis-je assise ici, Ryder ?

Il relève la tête et me lance son regard glacial.

– Tu veux retourner dans le placard ?


– Non.
– Alors mange.

Je baisse la tête vers mon assiette et obtempère. Nous ne pipons mot de tout le
reste du repas et je déguste le reste de ma bière, ne sachant pas quand est-ce que
j’aurais droit d’en boire une autre. Je jette les barquettes à la poubelle et nettoie
nos fourchettes tandis qu’il fouille dans un placard. Il pose un cachet et une
bouteille d’eau près de moi. Je lève les yeux vers lui.

– Pour tes douleurs abdominales.

Je le remercie avec un sourire, il se contente de hausser les épaules.

– J’ai juste pas envie de t’entendre chialer toute la nuit. J’ai besoin de dormir.
Autrement dit : « je te ramène au placard ». Je prends l’ibuprofène et le suis
en traînant des pieds.

– Je peux aller me brosser les dents avant ? quémandé-je alors que nous
sommes dans le couloir.

Il soupire mais me fait signe d’entrer dans la salle de bains. Il attend


patiemment que je finisse et je sens son regard incandescent le long de mon dos.
Mon corps se met à chauffer et les hormones n’arrangent rien. Je ferme les yeux
un instant et tente de contrôler ma respiration.

Ça va, Evy, ce n’est qu’un regard d’homme. Un homme incroyablement


sexy… mais un criminel…

Les jours suivants, je perçois une certaine réticence de la part de Ryder


lorsqu’il me torture. Soit il commence à s’en lasser, soit c’est moi qui m’y suis
habituée, car elles me paraissent moins douloureuses et moins longues.

– Où est-elle ? me répète-t-il encore et encore depuis des semaines.


– Les gens bien aident les autres, tu sais ? Je…

Il remonte le bâillon et une nouvelle décharge électrique dans la cuisse me fait


tressaillir. J’ai les larmes aux yeux, mais je ne cède pas. Ma tactique semble
marcher. À chaque torture, je lui explique ce que signifie être quelqu’un de bien.
Je crois qu’il n’a jamais appris à faire la différence entre le bien et le mal. Il se
contente d’obéir à des ordres sans se poser de questions. Il a dû subir une sorte
de lavage de cerveau. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est lui-même pas conscient de
la gravité de ses actes et quelque chose me dit qu’il a besoin d’aide. De mon
aide.

Je ne ressens plus de haine à son égard. Seulement de la compassion. Je suis


prête à être patiente et encaisser les douleurs jusqu’à ce qu’il me laisse venir
jusqu’à lui. Je veux creuser un peu plus dans son esprit. Le manipuler et lui faire
apparaître ma vision des choses. La vision des choses des personnes on ne peut
plus normales. Il m’enlève le foulard de la bouche et me fixe, me questionnant
silencieusement.

– Je suis bénévole dans un centre pour SDF et savoir qu’ils ont un toit pour la
nuit, que je les rends… heureux me… rend heureuse… aussi.

Il tente de me remettre le tissu mais je secoue la tête. Il abdique et, à la place,


me fusille du regard.

– C’est aussi ça, être bien, Ryder ! Aider les autres et non leur faire du mal !

Il se lève brusquement et sa chaise se renverse, me faisant sursauter. Il tourne


en rond tout en se tirant les cheveux et en soupirant bruyamment. Ça l’agace
mais ça le fait réfléchir en même temps. Ma méthode de psychologie porte ses
fruits. Ce n’est pas encore gagné, mais ce n’est pas non plus voué à l’échec. J’ai
entrouvert une brèche en lui et je compte bien la creuser.

Il arrête de tourner comme un lion en cage et se rapproche, ses mains posées


sur les accoudoirs de ma chaise. L’une d’elles frôle la mienne et un frisson
électrique qui n’a rien à voir avec la sensation du Taser me parcourt la colonne
vertébrale jusque dans le bas-ventre. Ses yeux expriment la froideur mais je peux
aussi y déchiffrer de l’incompréhension. Ses lèvres sont si proches qu’il me
suffirait d’un minuscule mouvement de tête pour les effleurer. Mon souffle est
saccadé et mon cœur palpite. Bon sang, que m’arrive-t-il ?

– À quoi est-ce que tu joues ? me chuchote-t-il, son haleine enveloppant mon


visage.

Je m’humecte les lèvres. J’ai la gorge sèche, tout à coup. Et j’ai chaud.

– Je… je voudrais…

Je suis incapable de faire une phrase cohérente. Il est trop près. Beaucoup trop
près.

– Tu voudrais quoi, Evangeline ?

Mon cœur fait un nouveau bond. Sa façon de prononcer mon prénom de sa


voix grave et suave à la fois me trouble à chaque fois.

– Je voudrais que tu voies en toi ce que moi je vois.

Il se rapproche de quelques millimètres. Je suis au bord du précipice. Le


souvenir de nos deux baisers échangés n’arrange rien. Je veux le goûter encore
une fois. Juste une fois. Je suis ligotée à une chaise, face à mon kidnappeur qui
me torture au Taser, tout cela pour une stupide clé USB dont je me souviens à
peine, et la seule chose que je désire, c’est qu’il m’embrasse ? C’est officiel : je
suis devenue dingue. Mon cerveau a subi un court-circuit.

– Et que vois-tu en moi ? insiste Ryder, me ramenant à la réalité.

Ne le lâchant pas du regard afin qu’il voie à quel point je suis sincère, je
réponds :

– Un cœur tendre sous un masque de fer.

Il me fixe pendant plusieurs secondes et, soudain, se redresse et éclate de rire.


Jamais je n’aurais imaginé lui arracher ne serait-ce qu’un sourire, et le voilà qui
rit aux éclats ! Je voulais me la jouer philosophe, mais je crois que ça a planté. Je
pouffe aussi. Il semble lui-même surpris, car il s’arrête aussitôt. Comme si c’était
la première fois qu’il riait de bon cœur et qu’il en avait honte. J’ai l’impression
que l’on se découvre un peu plus. Mes progrès pour pénétrer un peu plus dans
son âme – dont il est persuadé d’être dépourvu – se poursuivent doucement.
Ryder enfile à nouveau sa cape de méchant et détache mes liens avant de me
tirer brutalement par le bras.

Je peine à le suivre tant il marche vite et me fait mal, mais je mets cela sur le
compte de la contrariété. Il voit que j’ai touché une corde sensible et il tente de
se convaincre du contraire en jouant les gros durs. C’est la preuve que je n’arrive
pas encore à trouver un juste milieu entre ses sensations négatives et les toutes
nouvelles émotions qu’il est censé ressentir. Il va falloir que je travaille là-
dessus, dorénavant. Il me jette dans mon placard mais ne referme pas la porte
tout de suite. Son regard d’ambre est ancré au mien.

– Tu te trompes, ma belle. Je n’ai pas de cœur du tout.


11

Ryder

C’est une putain de mauvaise blague. Moi, un cœur tendre ? Si elle m’avait
dit que le Père Noël existait, je n’aurais pas autant ri. Sérieusement, elle croyait
vraiment ce qu’elle a dit ? Cette fille a vraiment un grain. Ce doit être le fait de
ne pas avoir vu la lumière du jour depuis bientôt deux mois qui la pousse à
raconter des inepties pareilles. Même si je le voulais, je ne pourrais pas la faire
sortir de l’appartement. Les flics la recherchent et sa tête est dans les journaux de
tous les kiosques que je croise. Mon père m’a passé un putain de savon l’autre
jour en découvrant l’alerte enlèvement. Je ne comprends pas. J’ai fait
exactement ce qu’il fallait. Pourquoi une enquête a-t-elle été ouverte ? Si les flics
me coincent, je suis foutu. Je serai mis à la porte, renié par mon père. Je n’aurai
plus nulle part où vivre et plus de famille. C’est tout ce qui me rattache à la vie.
Sans mon père, je ne suis rien. Je suis comme un loup élevé par les hommes et
qu’ils finissent par abandonner à la vie sauvage. Je ne sais rien faire d’autre que
me battre pour obtenir ce que je veux. Je tue pour survivre. C’est ce que l’on
nous enseigne depuis qu’on est gamins, putain !

Je sors de la forêt dans laquelle je courais et m’arrête à un kiosque pour


acheter un journal. Plus j’en saurai sur l’enquête, mieux j’arriverai à agir en cas
de pépin. Je lis la page concernant Evangeline. Erreur. J’en découvre plus sur
elle que ce que je suis censé savoir. Le journaliste parle d’une « malédiction sur
la famille Merten ». Le père était un flic corrompu et lui et sa femme sont morts
dans un accident de voiture alors que leurs jumeaux avaient seulement 18 ans.
D’après ce que j’apprends, le frère, Jared, a été flic avant de se mettre soudain à
péter les plombs. Il racontait à tous ses collègues que ses parents avaient été tués,
que leur voiture avait été trafiquée. Mais aucune preuve n’appuyait ses
spéculations. Il était dépressif et a passé un an dans un centre de convalescence
avant d’être placé sous la tutelle d’Evangeline.

Apparemment, pas de témoins. Personne ne m’a vu la kidnapper. C’est plutôt


rassurant.

Je jette le journal dans la première poubelle venue et reprends mon chemin en


courant. Je croise des flics à cheval, mais aucun d’eux ne fait attention à moi. Je
n’ai jamais été arrêté. Je suis l’auteur de plusieurs meurtres non élucidés,
pourtant personne ne nous a jamais soupçonnés. En même temps, mon père a le
bras aussi long que le canal du Mozambique. Son réseau s’étend sur plusieurs
pays, dont certains européens. Nous sommes intouchables.

Je monte l’escalier de mon immeuble et m’arrête lorsque j’entends une voix


familière dans le couloir de l’entrée :

– Avec plaisir, madame Grayson, je le lui dirai.

Mon cœur fait une chute libre. Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Et comment est-
elle sortie du placard ?! Je grimpe le reste des marches quatre à quatre et c’est
essoufflé que j’arrive au moment où ma voisine d’en face referme sa porte. Mon
regard meurtrier accroche immédiatement celui, surpris, d’Evangeline. Je serre
les dents et les poings. Puis je me précipite vers elle et la pousse à l’intérieur de
l’appartement en la tenant par les épaules. Je referme la porte avant de mettre un
coup de poing rageur dedans.

– Ryder, je…
– Tais-toi ! grondé-je. La ferme, je ne veux pas t’entendre.

Je fais les cent pas en fourrageant dans mes cheveux. Eh merde, pourquoi je
fais ça ? Pourquoi suis-je nerveux et plus sûr de moi ni de mes compétences ? Je
me passe une main sur le visage et frotte ma barbe rugueuse. Il faut que je
réfléchisse. Que je me ressaisisse. J’ai l’impression de ne plus avoir le contrôle
sur la situation et ça me fout les nerfs. Je prends un moment pour calmer mes
pulsations avant de me tourner vers ma prisonnière. Je pointe un doigt menaçant
sur elle.

– Tu as de la chance qu’elle soit sénile parce que sinon j’aurais été obligé de
la tuer.

Son visage se tord de peur. Je me dirige vers la cuisine et ouvre le frigo pour y
prendre une bouteille d’eau. Je la vide en quelques secondes. Je m’appuie des
deux mains sur l’îlot central et contrôle ma respiration. Evangeline ne bouge pas
d’un poil. Je lève les yeux vers elle. Elle porte un short en jean qui dévoile ses
jambes charnues, désirables en dépit des cicatrices que j’y ai laissées. Mon esprit
tordu les imagine enserrant ma taille pendant que… Putain ! Je me détourne pour
remplir ma bouteille d’eau qui, je l’espère, va m’aider à garder les idées claires.

– Ryder…

La voix d’Evangeline n’est qu’un murmure et elle m’atteint comme la caresse


d’une plume. Une main se pose sur mon épaule et je me tends instantanément. Je
n’aime pas que l’on me touche. Et encore moins quand c’est elle. Parce qu’elle
est belle, sexy et douce. Bordel, je ne comprends plus rien. Je suis censé ne rien
ressentir. Qu’est-ce qu’il m’arrive tout à coup ? Je me retourne face à elle et la
scrute d’une froideur digne de l’Arctique.

– Comment t’es-tu échappée ?

Elle hausse ses sourcils blonds. Seigneur, ces yeux…

Reprends-toi, Ryder !

– Je ne me suis pas échappée, répond-elle. Tu as oublié de verrouiller la porte.

Quoi ? Comment est-ce possible ? Je n’ai jamais oublié de verrouiller la


porte ! Elle ment, elle a crocheté la serrure ! Mais, quand bien même, si j’avais
ajouté la planche et les loquets, elle n’aurait pas pu sortir. Quel con ! Je deviens
négligent. Et c’est à cause d’elle.

– Et tu t’es dit que tu pouvais te faire la malle ?

Elle baisse la tête. Sa main effleure la mienne par inadvertance. Mon cœur
rate un battement.

– Si j’avais voulu m’enfuir, tu aurais retrouvé l’appartement vide depuis


longtemps, tu ne crois pas ?

Je fronce les sourcils. Je suis complètement paumé.

– Tu sais, ma famille n’était pas une famille exemplaire, explique-t-elle.


Avant que tu… enfin, avant que l’on se rencontre, j’étais la fille du flic pourri et
la jumelle d’un taré. Maintenant que je suis là, loin de tous ces gens qui
murmuraient entre eux tout en me lançant des regards en coin, je me sens…
libre. Libre des ragots. Libre des insultes. En me kidnappant, tu m’as permis de
prendre un nouveau départ, Ryder. Et ça, je ne m’en suis rendu compte qu’à
travers les paroles de cette gentille Mme Grayson.
– Je ne comprends rien à ce que tu me racontes.

Evangeline croise les bras et, comme s’ils ne pouvaient s’en empêcher, mes
yeux louchent immédiatement sur ses nibards qui se sont légèrement remontés.
Je me force à les relever vers son visage.

– Elle est venue frapper à la porte parce qu’elle n’arrivait plus à retrouver ses
clés, alors je l’ai aidée à remettre la main dessus. Bref, on a un peu discuté et on
en est venues à parler des membres de ma famille qui meurent les uns après les
autres, des gens qui connaissaient mon père et du fait qu’il n’était en réalité pas
le héros qu’on croyait. Elle m’a alors raconté qu’elle aussi avait vécu l’enfer
dans le quartier résidentiel de sa jeunesse. Sa petite sœur était atteinte du
syndrome d’Asperger et, en ce temps-là, les gens ne connaissaient pas cette
forme d’autisme. C’est à peine s’ils connaissaient l’autisme tout court. Bref, les
voisins ont commencé à raconter n’importe quoi au sujet du handicap de sa sœur
et à colporter le fait que ses parents, incapables de gérer les troubles de la petite,
les avaient laissées livrées à elles-mêmes tandis que Mme Grayson n’avait que
16 ans. Elle a essuyé toutes les critiques et les ragots avec force et dignité,
comme je le faisais chaque jour avant d’arriver ici. Jusqu’à ce que sa sœur mette
fin à ses jours, quelques mois plus tard, à l’âge de 14 ans. Mme Grayson en a
beaucoup souffert, puis elle a rencontré un soldat américain tout juste rentré de
France. Elle est partie vivre avec lui à l’autre bout du pays et ils ont passé toute
leur vie ensemble.

Je me surprends à boire ses paroles. À moins que ce ne soit sa bouche


tentatrice qui m’ait empêché de l’interrompre. Je n’ai fait que regarder ses lèvres
depuis le début et ça me rend dingue.

– Est-ce que tu es en train d’insinuer que je serais le soldat et toi, Mme


Grayson ?

Elle ricane.
– Non, je dis juste que ça fait du bien de ne plus entendre de rumeurs à mon
sujet, même si, dans mon cas, je ne risque pas d’entendre quoi que ce soit
puisque je suis coincée ici.

Ses prunelles me sondent et je me sens couler à l’intérieur. Je détourne la tête


avant de finir par m’y noyer.

– Quoi qu’il en soit, tu n’as rien à faire ici. Retourne dans ta chambre.

Elle obtempère et je la suis pour verrouiller la porte. Cette fois, je vérifie que
je fais les choses comme il faut. Je reste un moment planté devant et pose ma
tête contre le bois. À quel moment ai-je commencé à mettre un pied dans le côté
obscur ? Pourquoi je n’arrive pas à me l’enlever de la tête ? Que m’arrive-t-il,
putain ?

Je finis par regagner ma chambre et m’allonge sur mon lit ; mains derrière la
tête, je contemple le plafond blanc. D’habitude, je trouve toujours quelque chose
à faire pour m’occuper. Aujourd’hui, j’ai juste envie de rester là, à ne rien faire.
Je n’ai même pas envie de la torturer. Je me remémore le moment où j’ai
entendu sa voix cristalline dans la cage d’escalier. Et je me rends compte qu’en
réalité, ce n’est pas parce qu’elle aurait pu se faire repérer que je me suis énervé
contre elle. Non, en fait, j’ai eu peur qu’elle se tire.

J’ai eu peur qu’elle ne me quitte.


12

Evy

Je trace le trait indiquant mon cinquante-troisième jour de captivité sur le mur


avec un crayon que j’ai trouvé dans ma trousse de toilette.

Cinquante-trois jours.

Cinquante-trois jours sans voir la lumière du jour autrement qu’à travers les
fenêtres de l’appartement.

Cinquante-trois jours à subir les différentes tortures de mon geôlier.

Cinquante-trois jours à tenter de regarder sous son masque de criminel.

Et j’ai passé une grande partie de ces cinquante-trois jours à éprouver du désir
pour lui.

Plus le temps passe, moins j’ai envie de partir. Je rêve de liberté, bien sûr,
mais, d’une certaine façon, je me sens plus libre ici que là-bas. Je n’ai plus
l’impression que l’on murmure dans mon dos, je ne vois plus ces regards
méprisants dans ma direction. D’une certaine manière, Ryder m’a sauvée en me
kidnappant. Certes, ce n’est pas le nouveau départ que j’espérais, mais c’est
toujours mieux que rester là-bas, à supporter ces commérages tous plus aberrants
les uns que les autres. Je crois que le pire de tous a été lorsque l’on m’a
carrément accusée d’avoir tué mes parents et mon frère. Horrible mensonge
d’autant plus absurde, et cruel, que Jared est mort dans mes bras.

La porte s’ouvre sur Ryder et je me redresse. Ses cheveux sont plus courts
que d’habitude et lissés sur le dessus. Sa barbe est plus fine et mieux taillée. Il
porte un T-shirt blanc sous sa veste à capuche noire et un jean brut. Il est à
tomber. Il incline la tête sur le côté avant de s’en aller. Je me lève pour le suivre.
Une bonne odeur de pâtes embaume l’air tandis que j’entre dans la cuisine.
Ryder est déjà attablé et s’apprête à manger. Une barquette de tagliatelles à la
carbonara m’attend en face de lui et je prends place. En bruit de fond, je peux
entendre une musique qui m’est familière, « Demons » d’Imagine Dragons. Je ne
sais pas s’il a choisi celle-là pour me faire passer un message ou seulement par
hasard, histoire de combler le silence.

– Je ne sais pas.

Le son de sa voix me surprend. Nous partageons nos repas ensemble depuis


pas mal de temps déjà et jusque-là, nous n’échangions pas une seule parole. Pas
un seul mot.

– Pardon ?

La tête toujours dans son assiette, il me répond :

– L’autre jour, tu m’as demandé ce que tu faisais ici, à manger avec moi au
lieu d’être enfermée dans le placard. Je ne sais pas, Evangeline. (Il lève les yeux
vers moi et son regard semble totalement perdu, comme s’il se sentait dans un
monde inconnu.) J’en ai juste envie.

Il hausse une épaule avant de baisser à nouveau la tête vers son assiette et de
manger. Moi, je reste immobile pendant un moment, retenant le cri de joie qui
menace de franchir mes lèvres. Mon cœur gonfle et quelque chose me chatouille
dans le ventre. Il a envie de partager ses repas avec moi. Il aime ma compagnie.
Il ressent les choses et mon plan commence à se consolider.

Nous restons silencieux durant tout le reste du repas. J’ai une tonne de
questions à lui poser, comme la raison pour laquelle il a fait l’impasse sur la
torture aujourd’hui – quoique j’en sois grandement soulagée. Il n’est plus
vraiment le même depuis qu’il m’a sortie des pattes de Duncan et cela
m’intrigue.

Mais je me tais et me contente de manger. Ce n’est pas encore le moment


propice pour ce genre de conversation. Un pas après l’autre. Une fois nos
assiettes finies, Ryder se lève pour les débarrasser. Je termine ma bière avant de
sortir de table à mon tour. Je passe derrière lui afin de jeter ma bouteille vide et il
se retourne au même moment. Il me percute et je me serais sans doute fracassé le
crâne contre le coin de l’îlot si son bras ne m’avait pas instinctivement retenue
par la taille. Le temps semble soudain s’arrêter. Nos corps sont collés l’un à
l’autre et nos regards se fouillent mutuellement, à la recherche de la moindre
émotion. Dans ses iris caramel, je découvre un sentiment d’appréhension mêlé à
un désir profond. Son parfum boisé pénètre mes narines et affole mes sens
jusque dans mon sexe. Mon palpitant pulse dans ma poitrine. Notre premier
baiser dans l’ascenseur a été si abrupt que je n’ai pas pu déchiffrer son visage.
Le deuxième, nous étions dans la quasi-obscurité. Or là, je peux détailler chacun
de ses traits. Et ils m’invitent clairement à venir poser mes lèvres sur les siennes.
Je fixe cette bouche séductrice avec envie. Je ferais mieux de céder à cette
tentation dévorante si je ne veux pas que mon plan tombe à l’eau. Je me
rapproche de quelques millimètres lorsque son regard change soudain et que ses
sourcils noirs s’incurvent vers l’intérieur. Merde, il m’échappe. Il me redresse
d’un geste habile et finit par me tourner le dos. Je peux voir ses épaules tendues
alors qu’il fait couler l’eau du robinet pour nettoyer nos couverts. Je touche mes
joues. Elles sont brûlantes et mon cœur n’a pas ralenti sa cadence. Bon sang,
qu’est-ce qu’il m’arrive ? Suis-je en train de perdre la tête ? Je me reprends et
jette ma bouteille dans la poubelle en prenant soin, cette fois, de rester
suffisamment loin de lui.

– Merci, fais-je pour donner le change et briser ce silence plus que gênant. Un
peu plus et je me…

À peine ai-je fini ma phrase que Ryder se précipite sur moi. Pendant une
fraction de seconde, je crois qu’il va me prendre par le cou, histoire de me
montrer qu’il n’est pas le genre de mec avec lequel on joue, mais au lieu de ça, il
écrase sa bouche contre la mienne.

Puis avant que je ne me rende compte de ce qui se passe, je me retrouve sur la


couverture qui me sert de matelas, à plat ventre. Je ne me souviens même pas
d’avoir quitté la cuisine. Il relève ma jupe encore plus haut et me met une claque
sur la fesse. Je sens la brûlure de la douleur, aussitôt remplacée par celle du désir.
C’est terriblement excitant. Et grisant. Je n’avais jamais vraiment compris
pourquoi les hommes se sentaient presque obligés de fesser les femmes et encore
moins pourquoi elles aimaient ça. Mais aujourd’hui, je révise mon jugement.
Ryder a dû le comprendre dans mon gémissement, car il recommence sur l’autre
fesse. En une seconde, mon string n’est plus qu’un lambeau. Il me l’a
littéralement arraché. Il est maintenant à califourchon sur moi et j’entends le son
de l’emballage qu’on déchire.

Je suis prête.

Enfin, prête à le rendre plus malléable pour le convaincre de me laisser partir


ensuite. Je vais y perdre ma dignité, mais, au moins, je serai encore en vie.
J’écarte les jambes pour lui faciliter l’accès, mais il les resserre.

– C’est mieux comme ça, fais-moi confiance, me susurre-t-il d’une voix


rauque, terriblement sexy.

Et il entre en moi si violemment que nous poussons un cri à l’unisson. Je


passe en mode spectatrice de mon propre corps. Je suis là sans vraiment être
présente. Je dois admettre que celui-ci réagit plutôt bien à cette intrusion. Il trahit
mon cerveau qui, lui, reste sur l’idée de la psychologie inversée. Je me concentre
sur cette idée. Mon plan de départ. Il faut que ça marche. Je le sens partout. Il me
met des coups violents et j’agrippe le plaid de toutes mes forces. Il me titille le
clitoris tout en me pilonnant et je crie dans l’oreiller déjà marqué par quelques
larmes. Ryder est couché sur moi et son souffle dans mon cou me donne des
frissons. Il finit par se relever et, alors que je crois qu’il va me retourner sur le
dos, il ne fait que relever mes fesses. Me voilà donc à quatre pattes, à sa merci.
Mes seins se balancent vertigineusement tandis que Ryder me transperce
littéralement de l’intérieur. C’est incroyable, à chaque fois que je me dis qu’il ne
peut pas aller plus loin, il le fait. Je sens déjà la sueur descendre le long de ma
nuque. Il est rapide et fort. Tout ce que je n’avais jamais connu jusque-là.

Soudain, il tire sur ma queue-de-cheval et je me retrouve sur les genoux, mon


dos collé à son torse, son sexe toujours en moi. Il arrache les boutons de mon
chemisier qui voltigent à travers la pièce et détache mon soutien-gorge. Sa main
gauche malaxe mon sein et sa bouche mord la chair fine de mon cou.

– Seigneur…

Je presse mes lèvres l’une contre l’autre afin de m’empêcher de parler. Je ne


veux pas gémir. Aimer ce qu’il me fait n’est pas mon but. Il me lâche les
cheveux pour descendre vers mon clitoris. Sa barbe frotte mon cou, son doigt
titille ma boule sensible, son autre main torture ma poitrine encore et encore et
son sexe me pilonne brutalement.
Je me refuse à jouir. Je ne veux pas aller jusque-là. Or, mon corps est en
désaccord avec ma tête. Il laisse le feu – que je tente désespérément de retenir –
me consumer.

Pas d’orgasme, pas d’orgasme, pas d’orgasme…

Mais c’est comme si j’essayais d’empêcher un mur de s’écrouler à mains


nues. Il est là, je le sens. Il m’incendie les veines et je n’ai plus la force de me
battre. Alors je le laisse me terrasser. Je crie en me contractant. Bordel, c’est
puissant. Ça me prend partout. Et lui aussi, je crois, à en juger par la façon dont
il s’agrippe à mes hanches. C’est assez douloureux, mais je suis trop occupée à
me laisser happer par ce tourbillon de sensations pour m’en soucier.

Je reste immobile sur mon lit de fortune, épuisée et vidée de toute émotion
néfaste. C’est complètement stupide, ce que je vais dire, mais je me sens… bien.
Après plusieurs mois sans aucun rapport sexuel, j’ai l’impression de planer et
j’ai énormément de mal à redescendre. Mon cerveau a conscience que je ne fais
cela que pour mieux m’en sortir. En revanche, mon corps est un peu trop
enthousiaste face à la situation. Ryder se retire de mon antre et, aussitôt, une
sensation de vide s’empare de moi. Non ! Il faut que je remette les choses dans
leur contexte. Je dois faire comme Ryder : ne rien ressentir. Je suis presque
certaine que c’est un air qu’il se donne. C’est une sorte de carapace. Avec ce
qu’on vient de vivre, son absence d’émotions, je n’y crois pas des masses. Je
pense qu’il veut juste me faire peur et qu’en réalité, il est aussi inoffensif qu’un
bébé chat. Il me l’a prouvé ce soir. S’il était réellement celui qu’il prétend être, il
n’aurait même pas pris la peine de me faire jouir. Sans compter qu’il m’aurait
laissée mourir dans la forêt ou aurait encouragé son frère à me violer… Or il n’a
rien fait de tout cela. Je sens Ryder se relever à côté de moi, mais je ne bouge pas
d’un cil. Lorsque j’entends la porte se refermer derrière lui, je finis par craquer.
J’étouffe mes sanglots dans la couverture, et le pire c’est que je ne sais même
pas réellement pourquoi je pleure. Est-ce un sentiment de culpabilité ? Parce que
je me suis laissé entraîner dans les abîmes de l’orgasme alors que je m’étais juré
de ne pas le faire ? Parce que j’ai aimé ça ? Ou peut-être parce qu’il est parti sans
m’adresser un mot ? Ma tête est un véritable chantier et mon corps réclame de
nouveau Ryder.

J’ai besoin d’une douche. Toutes ces sensations m’ont donné chaud. Je me
lève le plus doucement possible et tourne la poignée de la porte. Elle n’est pas
verrouillée. A-t-il encore oublié ou l’a-t-il fait intentionnellement, cette fois ?
J’ouvre, le cœur battant à l’idée qu’il puisse me voir et ne redevienne le Ryder
du début. Heureusement, j’arrive dans la salle de bains sans encombre et décide
de m’octroyer un bain. Il n’est que vingt-deux heures et j’ai besoin de me
détendre. Je pourrais m’enfuir. Je pourrais chercher les clés de la porte et partir
sans faire de bruit. Je pourrais même m’assurer que Ryder ne puisse plus faire de
mal à qui que ce soit en attrapant un couteau dans la cuisine. Et pourtant, je ne
fais rien de tel. Déjà parce que Jared m’a formellement déconseillé de frayer de
près ou de loin avec la police. J’ignore pourquoi, mais il a vraiment insisté là-
dessus. Si j’en crois mon instinct, je dirais que des policiers du comté ont
quelque chose à voir avec cette histoire de clé USB. De deux, je ne suis pas une
meurtrière, alors l’idée du couteau est à proscrire d’emblée. De trois, je n’ai ni
papiers d’identité ni argent sur moi et je ne saurais même pas où aller, à pied,
seule et en pleine nuit, de surcroît. Sans parler du risque de tomber sur Duncan…
Mais la principale raison est que Ryder me fait quelque chose. Quoi ? Je ne sais
pas vraiment encore, mais c’est fort. Il faut que je le sauve comme je n’ai pas
réussi à sauver mon frère. J’ai l’impression d’être en mission, moi aussi. J’arrive
à le faire changer pendant quelques minutes à chaque fois. Si je continue sur
cette lancée, j’arriverai à le faire changer totalement, j’en suis sûre. Certes, ma
vie d’avant me manque. Lydia et Robbie me manquent. Mais Ryder m’a juré
qu’il n’avait pas touché à ma meilleure amie. Ils vont bien, je suis rassurée. Je
m’immerge dans le bain. Je suis bien. Plus que bien, même. J’ai l’impression que
ça fait au moins dix ans que je ne me suis pas sentie aussi détendue. Ce qui est
complètement fou quand on pense qu’à la base, je suis la captive d’un criminel.
Un tueur. C’est là que je me rends compte que mon enlèvement m’aura appris au
moins une chose : avant, je n’avais pas conscience que j’étais une âme solitaire.
Lydia était obligée de me forcer à sortir. Mes journées se résumaient à étudier,
courir, travailler, manger et dormir. Je ne sortais jamais en soirée, ce qui est
plutôt ironique quand on sait que je bosse comme barmaid. Je me rends compte
aujourd’hui que je n’ai pas assez profité de ma vie et je le regrette amèrement.
Elle va sûrement se terminer prématurément. Je décide de mettre cette idée –
cette certitude – dans un coin de ma tête pour ne penser qu’au présent. Je ferme
les yeux. Bien que je ne l’invite pas à le faire, mon esprit me rappelle les mains
de Ryder sur mon corps nu. À sa bouche dévorant la mienne. À ses coups de
reins qui m’ont emmenée au septième ciel en un temps record alors que j’étais
déterminée à ne pas y mettre un orteil. J’ai fait l’amour avec mon ravisseur et
pourtant, je n’en ai aucun remords. Il n’a même pas eu à me forcer !
Je suis vraiment atteinte.

Je réalise que je me suis endormie comme une larve lorsque je sens l’eau
devenue froide. Je sors, me sèche et enfile mon pyjashort. Je me brosse les dents
et les cheveux avant de sortir de la salle bains à pas de velours. Je ne sais pas s’il
dort encore où s’il s’est aperçu que j’ai encore une fois filé. J’ai peur de
retrouver, demain matin, le Ryder froid et distant. Je suis en train de marcher le
long du couloir pour regagner le placard lorsque j’entends des gémissements
provenant de la chambre de Ryder. La raison me hurle de ne pas m’en
préoccuper. Avec la chance que j’ai, il va me prendre pour un méchant de son
cauchemar et, cette fois, je vais vraiment finir morte. Mais c’est plus fort que
moi, je ne l’écoute pas. J’arrive dans la chambre, faiblement éclairée par la lune,
et découvre Ryder emmêlé dans les draps. Il s’agite en marmonnant des paroles
incompréhensibles. Depuis la première nuit, j’ai droit à ses cris déchirants, sans
pouvoir aller le calmer puisque j’étais enfermée. Aujourd’hui, je suis libre et je
compte bien essayer de comprendre ce qui le tourmente tant. Je m’approche
doucement de lui et tends l’oreille.

– Papa…

Ses doigts s’agrippent aux draps dans un geste désespéré.

– Papa, maman… Pourquoi ils ne bougent plus ?

Je fronce les sourcils. Il rêve de son père ? Celui-là même qui lui ordonne de
tuer ? J’approche ma main pour lui remettre une mèche rebelle en place. Il est
trempé de sueur. Il crie encore et je me sens mal pour lui. Impuissante, je ne sais
pas quoi faire pour le calmer. Va-t-il sursauter si je le touche ? Je tente de lui
caresser la joue mais, au même moment, il bondit. En une fraction de seconde, je
me retrouve le dos plaqué contre le matelas, sa main serrant ma gorge et son
regard noir me transperçant. Je ne bouge pas, tétanisée. La pression de sa main
autour de mon cou m’empêche de respirer et mon cerveau commence à en
souffrir. Sitôt qu’il comprend que c’est moi, il me relâche. L’air entre à nouveau
dans mes poumons et me fait tousser. Il s’assoit au bord du lit et se passe la main
dans les cheveux.

– Qu’est-ce que tu fous là ? grogne-t-il.


Et voilà, ce que je craignais vient d’arriver. Le Ryder glacial et constamment
en colère est de retour.

– Je… hum… on a… enfin, tous les deux…

Je ne sais pas par où commencer, je suis encore sous le choc.

– Je sais ce qu’on a fait, je ne suis pas stupide. Ça ne me dit pas pourquoi tu


n’es pas restée dans le placard.

Cette pique me blesse, mais je me maîtrise et ne laisse rien paraître. J’aurais


dû m’en douter.

– Tu as crié et j’ai voulu t’aider.


– Je n’ai pas besoin d’aide, dit-il en se levant.

Je contemple son corps d’Apollon, m’imprégnant de chaque centimètre carré


pour m’en souvenir au moment où le canon contre ma tempe annoncera la fin de
mon existence. Je ne veux pas oublier ça. Je ne veux pas l’oublier, lui. Merde, je
divague encore.

– Tu as fait un cauchemar.
– Ça arrive à tout le monde. Ça ne te concerne pas.

Il m’attrape brutalement par le bras et me jette contre la porte de la chambre.


Je retiens mes larmes. Il est en colère parce que je l’ai surpris dans un moment
d’intimité qu’il ne voulait pas partager. J’ouvre la porte et me retourne pour le
regarder avant de sortir de la pièce.

– Et est-ce que ça arrive à tout le monde de rêver du meurtre de ses parents


alors qu’on a parlé à son père au téléphone pas plus tard que la veille ?
13

Ryder

Je la regarde, un sourcil haussé. Qu’est-ce qu’elle me raconte encore ?

– Tu ne sais pas de quoi tu parles, bougonné-je.

Je fais des cauchemars, oui. Mais je n’y ai jamais accordé d’importance, je ne


m’en souviens même pas. Même si je sais que ce que vient de me balancer
Evangeline est complètement débile, une part de moi a envie d’y croire. C’est
absurde. Mon père est bien vivant et en parfaite santé.

– « Papa, maman… Pourquoi ils ne bougent plus ? » Ce sont tes propres mots.

Je serre les dents. Elle veut me braquer contre mon père. Elle sait que je bosse
pour son compte et elle veut tourner la situation à son avantage. Il y a encore une
heure, elle m’excitait comme jamais aucune femme ne l’a fait et là, elle me fout
juste les nerfs. Je me rapproche dangereusement d’elle, le regard noir et
percutant.

– N’essaie pas de me manipuler, persiflé-je. On a peut-être couché ensemble,


mais ça ne change rien entre nous. Pour moi, tu n’es qu’une putain de cible.

Sa bouche s’ouvre en grand et elle me lance un regard horrifié. Une petite


voix à l’intérieur de moi se marre et me demande qui j’essaie de convaincre. Moi
ou elle ? Allez au diable. Ce n’était qu’une pulsion qu’il me fallait assouvir. Je
sais que ce n’est pas vraiment ça, parce que j’ai baisé une inconnue pas plus tard
que ce matin, mais il faut pourtant que je trouve une autre excuse que la véritable
raison : elle m’attire inexorablement. Et ce n’est pas bon du tout.

– Tu sais aussi bien que moi que c’était plus que ça.

C’est qu’elle en a dans le froc, en plus ! J’ai beau la menacer, la torturer aussi
bien moralement que physiquement, elle ne se démonte pas. Et, même si je
refuse de l’admettre, c’est ce que j’aime le plus chez elle. Sa ténacité, sa
spontanéité. Le truc, c’est qu’elle a réussi à percer quelque chose en moi. Je ne
sais pas quoi, mais je sais que ça me rend faible et vulnérable. Et me sentir ainsi,
c’est comme la laisser pointer un flingue chargé sur ma tempe.

Hors de question.

Nous continuons à nous défier du regard sans qu’aucun de nous deux n’ait
l’envie de céder. Je baisse finalement les yeux et sors de la chambre, les poings
serrés. C’était soit ça, soit je la balançais encore une fois sur le lit pour la prendre
dans tous les sens. Et je ne veux surtout pas que ça se reproduise. Il faut que je
me ressaisisse et que je reprenne le contrôle sur ma mission. Sauf que j’ai beau
me creuser pour trouver un autre moyen de torture, je ne suis pas très doué dans
ce domaine. Comme je l’ai dit, moi, c’est les morts rapides, ma spécialité. Pas de
chichis, pas de bla-bla, je bute, point. Il y a forcément un moyen de la faire
parler. La méthode forte ne fonctionne pas. Et je dois me bouger le cul parce que
mon père rentre bientôt et il ne serait pas content de la voir encore vivante. Je me
suis déjà pris une soufflante quand il m’a appelé hier pour prendre des nouvelles.
C’est rare que mon père me gueule dessus. D’habitude, il n’a rien à redire à mon
travail. Je me demande si je vais réussir cette putain de mission. De rage, je
balaie la table de la salle à manger. Tout ce qui s’y trouvait se fracasse par terre,
mais je m’en fous. J’ouvre ensuite la baie vitrée qui mène à mon balcon et
respire l’air frais de la nuit avant de m’allumer une clope. J’inhale le poison et ça
me détend immédiatement. J’écoute le silence de la ville et tente de me remettre
les idées en place. J’ai merdé, ce soir. Je lui ai cédé comme un gamin de 15 ans
en pleine exubérance hormonale. Il faut que je mette un terme à cette putain
d’emprise qu’elle a sur moi. Un bruit me fait me retourner. Je découvre
Evangeline à genoux par terre en train de ramasser les morceaux de verre.

– Pourquoi tu fais ça ?
– Parce que je suis maniaque et je déteste quand…
– Non, je veux te parler de ça, la coupé-je en nous désignant tous les deux.
Pourquoi ? Est-ce que c’est pour mieux me planter un couteau dans le dos
ensuite ?

Elle se relève et pose les débris sur la table. Je parviens à la trouver


magnifique même en pyjama et démaquillée. C’est insensé. Je ne devrais pas. Je
n’arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens, mais je sais que je ne
devrais pas. Je suis censé ne rien éprouver, merde ! Elle réduit encore la distance
entre nous et pose sa main sur mon torse en me regardant dans les yeux. Putain,
ce qu’elle est belle…

– Non, Ryder, murmure-t-elle. Je veux seulement te faire retrouver ton


humanité.

Je tire longuement sur ma clope avant de recracher la fumée dans une


expiration tout aussi longue.

– Je suis un tueur, Evy. Je n’ai aucun scrupule à ôter la vie des gens. Et je
n’aurai aucun scrupule à te priver de la tienne.

J’essaie d’être le plus convaincant possible. Autant pour elle que pour moi.
Est-ce que je suis crédible ? Son regard bleu me dit que non. Pas du tout. Elle
prend mon visage dans ses mains en coupe et je ferme les yeux en m’efforçant
d’ignorer mon cœur qui bat à fond et cette envie irrépressible de parcourir
chaque parcelle de sa peau avec ma bouche.

– Laisse-toi aller, Ryder, me murmure-t-elle. Laisse-moi entrer. Je vais te


sortir de là, je te le promets, mais pour ça il faut que tu m’aides un peu.

Elle colle son front au mien et j’ose enfin ouvrir les yeux.

– Dis-moi simplement où est cette clé USB, qu’on en finisse.


– Je ne peux pas, rétorque-t-elle. Je sais qu’à la seconde où je te le dirai, je
serai morte.
– Ça pourrait être pire pour nous deux si tu ne me le dis pas.

Elle fronce les sourcils.

– Qu’est-ce qui pourrait être pire que ça ?

Tomber amoureux de toi, pensé-je. Ça, ça signerait clairement notre arrêt de


mort. À tous les deux. Avec le nombre de meurtres que j’ai commis et en dépit
de ma discrétion, des gens savent. J’ai un tas d’ennemis. Je dors avec un flingue
sous l’oreiller. Il est hors de question que j’implique qui que ce soit dans le
bordel qu’est ma vie. Et puis même, je ne dois rien ressentir d’autre que la
détermination de tuer. Je ne dois penser à rien d’autre qu’à mes missions. Rien
ne doit m’intéresser, et encore moins une de mes cibles.

– Laisse tomber.

J’ai retrouvé mon visage de meurtrier. Celui qui n’éprouve aucune émotion.
Ça a été compliqué et j’ai cru ne pas y arriver pendant un moment, mais c’est
fait. Je la prends par le bras et la tire brutalement derrière moi pour la jeter dans
la petite pièce qui lui sert de chambre.

– Ryder ! souffle-t-elle, visiblement choquée par mon changement d’humeur


soudain.

Mais je l’ignore et referme la porte en la claquant. Personne ne me fera


changer. Jamais. Je suis comme ça, point.

***

Je suis vraiment à bout de nerfs. J’ai failli la faire crever, putain ! Cette fille
serait prête à mourir pour garder son foutu secret. Je l’ai enfermée dans son
placard avant de partir pour la Maison. Il me faut entraîner les nouvelles recrues
et aussi demander une autre mission. Je m’ennuie à mort, il me faut une tête à
exploser.

– Salut, Ryder ! s’exclame Adrianna.

Adrianna est une petite rousse qui fait au moins dix ans de moins que son âge
réel. Mon père l’a ramassée dans la rue, un soir d’hiver. Elle a été abandonnée
par ses parents sur un trottoir alors qu’elle avait à peine 3 ans. Je ne m’en
souviens pas, je n’en avais que cinq, mais apparemment elle était dans un sale
état. Aujourd’hui elle se bat comme un ninja et tire à l’arbalète. On a déjà fait
quelques coups ensemble et elle déboîte. Cette fille file comme le vent tant elle
est rapide. Même si elle n’en a pas besoin, je suis davantage protecteur envers
elle que n’importe qui d’autre. En combat, c’est une sacrée teigne. C’est
d’ailleurs avec elle que je vais entraîner les petits nouveaux.

Ils n’ont pas plus de 5 ans, les mômes. Certains ont déjà fait taire leurs
émotions, mais d’autres sont assez récalcitrants. Pour eux, mon père a sa
méthode, bientôt ils seront comme nous. Ils tueront sans réfléchir.
Nous commençons par des techniques de combat à mains nues et Adrianna
réussit à m’allonger une bonne paire de fois. Elle me pète l’arcade et me tord le
bras, mais je me défends comme je peux. Il faut dire que j’ai un peu la tête
ailleurs. J’ai beau les refouler autant que je peux, je ressens des choses à l’égard
d’Evangeline. De la culpabilité après l’avoir torturée. Du plaisir à baiser chaque
parcelle de son corps. Pour l’instant, ce sont les deux sensations qui me viennent
à l’esprit. Mais c’est déjà deux de trop. Je ne peux pas me permettre de ressentir
quoi que ce soit. Ni pour elle ni pour personne. Adrianna me fait une clé de bras
avant de tirer dessus, m’obligeant à faire un salto et à atterrir lourdement sur le
dos. Elle pose un genou sur mon thorax et me regarde avec un sourire.

– Bah alors, tu commences à rouiller, grand frère ? se moque-t-elle.

Autour de nous, les gosses nous regardent avec attention et on peut déjà voir
la détermination et la soif de sang émaner de leurs yeux. Je désarçonne ma sœur
et la bascule pour me retrouver sur elle.

– Ce ne sera toujours pas pour aujourd’hui, ma belle.

Je me relève au moment où Duncan entre dans la salle. Son arcade sourcilière


a l’air d’avoir bien morflé, mais je doute que ce soit à cause d’un entraînement.

– Tu nous fais enfin l’honneur de ta présence, me dit-il. Ça fait un bail.

Je n’ai pas vu mon frère depuis qu’il a tenté de violer Evangeline. Je ressens
une drôle de sensation en repensant à cet épisode. Elle me tord les tripes, ce n’est
pas agréable du tout.

– Tu t’es fait ça tout seul ? m’enquiers-je en désignant sa tête amochée.


– Disons qu’un agent de la sécurité de ma cible était un peu trop prétentieux.
Et toi, ta gonzesse ?

Je hausse un sourcil. Voyant que je ne comprends pas où il veut en venir, il


mime d’un geste de gros seins.

– Elle a fini par céder ou tu as dû terminer ce que j’avais commencé ?

Je me fais violence pour ne pas m’énerver. Je n’ai jamais laissé le monstre


prendre possession de moi face à un membre de ma famille. Mais je dois avouer
que là, il tape lourdement à la porte de mon esprit.

– Aucun des deux. Tu es venu pour te battre ou pour causer chiffons ?

Il me met une droite, je riposte avec un uppercut. Adrianna s’est éloignée et


tous les regards sont tournés vers nous. Nous nous battons comme si nous étions
de réels ennemis. C’est ce que l’on a appris dès notre plus jeune âge. J’ai eu ma
première fracture du nez à l’âge de 6 ans.

– T’en as pas marre de cette mission ? Je peux prendre ta place, si tu veux, ça


irait bien plus vite.
– Même pas en rêve, grogné-je.
– Quoi, tu as peur que je casse ta poupée ? se moque-t-il. Ne me dis pas que
tu te l’es faite !

Je lui fonce dessus, le renverse et le massacre à coups de poing bien réels. Je


ne sais pas pourquoi je réagis ainsi alors que je devrais n’en avoir rien à foutre.
Je lui inflige une tannée devant les yeux impassibles des gosses. Je ne m’arrête
que lorsque les jointures de mes doigts commencent à être vraiment
douloureuses et me tourne vers les gamins.

– Règle numéro un : quand on a le dessus, ne jamais abandonner avant que la


cible perde connaissance. Ou mieux, meure.

À peine ai-je fini ma phrase que quelque chose me frappe au niveau des
chevilles et me fait tomber sur le dos. Duncan me surplombe et me frappe au
visage. La mâchoire, le menton, les joues, les tempes… il ne m’épargne pas. Je
tente de me dégager comme je peux mais, même s’il est plus jeune, il a le gabarit
de notre père, contrairement à moi. Ma vue se brouille et il arrête juste à temps
avant que je ne succombe à une commotion. L’enfoiré. Il me gratifie d’un grand
sourire couvert de sang avant de s’adresser aux jeunes.

– Règle numéro deux : toujours surveiller ses arrières.

Il me tend la main pour m’aider à me relever et me donne une accolade


comme si notre bagarre n’était qu’une chamaillerie de morveux. Je saigne de
partout. Il m’a sûrement pété l’arcade et la lèvre.

– Eh ben, commente Adrianna. Si vous n’étiez pas frères, on pourrait penser à


une vraie bagarre entre ennemis.

Duncan et moi nous regardons longuement. Nous savons tous les deux qu’il
n’y avait rien de factice là-dedans…

À la fin de l’entraînement, je me dirige vers le bureau de Dixon. Quand mon


père n’est pas là, c’est lui qui prend les commandes de la Maison. Il est son bras
droit et c’est un peu comme mon oncle. Je frappe à la porte et entre quand il m’y
autorise.

– Ryder.
– Dixon, le salué-je en retour. Je voulais savoir si tu n’avais pas sous la main
une autre mission pour moi.
– Tu as récolté les informations et éliminé ta cible ? me demande-t-il sans
lever les yeux du dossier qu’il consulte.
– Disons que c’est plus compliqué que prévu. Je la séquestre, elle ne devrait
pas tarder à craquer, ajouté-je sans grande conviction.
– Si elle ne lâche rien d’ici la fin de la semaine, ton père veut que tu la tues.
On trouvera un autre moyen de mettre la main sur la clé.
– Que contient cette clé pour que ça vaille la vie d’une pauvre fille
innocente ?!

Les mots ont dépassé ma pensée. Dixon relève subitement la tête et me scrute,
les sourcils haussés. Et il y a de quoi, parce que ce n’est pas une question à poser
ici. Le règlement stipule que nous ne pouvons en aucun cas poser des questions.
Mais, je ne sais pas ce qui s’est passé, c’est sorti tout seul. Je crois que mon
esprit a déraillé. D’autant plus que je viens de qualifier ma cible d’innocente, ce
qui aggrave encore mon cas.

– Je veux dire, me rattrapé-je, d’accord. Je la tue.

Dixon plisse les yeux, suspicieux. Je m’apprête à sortir du bureau, mais mon
supérieur m’interpelle.

– Ryder ?

Je me retourne.

– Depuis combien de temps n’as-tu pas passé du temps avec ton père ?
– On a eu une séance il y a trois mois.

Il me jauge encore quelques instants avant de hocher la tête.

– Très bien. Tu peux y aller. Je t’appelle s’il y a du nouveau.

Je sors de la Maison, perturbé. L’ordre a été clair. Je dois la tuer. Je n’obéis


pas directement à mon oncle, mais il fait passer les messages de mon père. La
torturer davantage est inutile, elle ne crachera rien.

Il faut que je la tue.

C’est mon devoir de fils.

Alors pourquoi, lorsque je rentre à mon appartement et que je la trouve


allongée sur son pseudo-lit, en train de fredonner une chanson, l’envie d’obéir
me quitte-t-elle soudain ?
14

Evy

Durant le reste de la journée, j’ai tenté de me remettre de ma presque mort. Je


sais que mon silence le met en rogne et j’ai bien failli en payer le prix, ce matin.
J’ai senti que c’était la fin à l’instant où la décharge a parcouru mon corps. Elle a
commencé au bout de mes orteils et j’ai eu l’impression que mon cerveau grillait
littéralement.

Cet homme est taré. Il a une tarentule au plafond !! Il est planté là devant moi
depuis au moins dix minutes, son flingue à la main. Il a la tête méchamment
amochée. Je ne sais pas avec qui il s’est battu, mais ce n’était certainement pas
un tendre. Son arcade sourcilière est défoncée, son œil gauche est gonflé au
point d’être presque fermé, sa lèvre est fendue et il a des bleus au niveau de la
mâchoire. Il me scrute de son œil valide avec ce regard que je n’ai pu apercevoir
qu’une seule fois : juste après qu’il avait braqué le pistolet sur ma tempe. C’est
une sorte de mélange de détermination et d’indécision. Je reste alors sur mes
gardes, parce qu’il peut aussi bien se ruer sur moi pour me refaire l’amour que
pour me coller une balle dans la caboche. Et il est hors de question qu’il me
touche. Je ne le permettrai plus. Pas après ce qu’il m’a fait. Je serais folle à lier si
j’acceptais de recoucher avec un mec qui a bien failli me tuer et qui passe son
temps à me torturer. Il doit être bipolaire, ce n’est pas possible autrement. Ou
alors il touche à la drogue dure. Enfin bref, tout ce que je sais, c’est que je refuse
de continuer à faire des efforts. J’ai voulu essayer de lui faire ressentir des
choses, je n’ai pas réussi, j’abandonne. Il n’y a plus rien à sauver en lui.

– Je dois te tuer, finit-il par dire.

La peur s’insinue de nouveau en moi, tel un poison. J’ai l’impression d’être


revenue deux mois en arrière, lorsque je n’arrivais pas encore à percer sa
carapace. La bile me monte à la gorge et mon cœur s’accélère, je suis terrifiée.
Un tas de questions me taraudent en cet instant. Est-ce qu’il va vraiment le faire,
cette fois ? Je suis paralysée par la trouille. Ses yeux sont braqués partout sauf
sur moi. Il me fuit. Pourquoi ?

– Fais-le, réponds-je, le regard haineux et les larmes coulant sur mes joues.
Pourquoi tu ne m’as pas fait crever ce matin ?

Puis, dans un élan de rage contre lui et contre le monde entier, je me hisse
jusqu’à lui en dépit de mes membres encore engourdis du choc électrique.
J’attrape sa main qui tient le revolver et pointe moi-même le canon sur mon
front, plus déterminée que jamais.

– FAIS-LE !! VAS-Y RYDER ! TUE-MOI !

Je hurle tout en pleurant. J’ai peur de mourir, je ne le nie pas. Mais si c’est ma
seule échappatoire, si je suis condamnée à rester séquestrée toute ma vie, alors
autant en finir maintenant. Je sens la main de Ryder trembler légèrement dans la
mienne et c’est ce qui me fait lever la tête. Parce que Ryder est un tueur. Il m’a
lui-même dit qu’il avait déjà assassiné un tas de gens. Et un tueur, ça ne tremble
pas. Son regard s’est radouci, mais sa mâchoire est toujours serrée. J’ai
l’impression qu’un combat fait rage dans sa tête. Il semble perdu, tout à coup. Il
m’arrache l’arme des mains et s’agenouille à ma hauteur. Il pose le flingue
derrière lui avant de prendre mon visage entre ses mains et d’essuyer de ses
pouces mes larmes traîtresses.

– Dis-moi que toi aussi tu l’as ressenti, me supplie-t-il. Dis-moi que c’était
réel. Que ce qui s’est passé l’autre nuit entre nous deux a compté pour toi.

Je suis dans la plus totale incompréhension. Bien entendu, je sais qu’il me


parle de la nuit que nous avons passée dans le corps l’un de l’autre. Mais
pourquoi ? Pourquoi veut-il ressasser ce souvenir ? Pourquoi s’inflige-t-il cela ?
Pourquoi m’inflige-t-il ça à moi ? J’ai envie de lui répondre. Mais avant,
j’aimerais mettre les choses au clair avec lui. Je veux lui témoigner toute la haine
que j’éprouve pour lui depuis une dizaine d’heures. Depuis qu’il a manqué de
peu de m’ôter la vie.

– Tu as voulu me tuer. Et tu me tortures tous les jours. Que crois-tu que je


ressente pour toi, Ryder ? De la haine. Rien d’autre.
Mensonge ! me hurle ma conscience en me pointant du doigt. Bordel, mais
qu’est-ce qu’il attend pour me la coller, cette putain de balle ?! Il sait très bien
que je ne dirai rien. Il passe sa main sur son visage, l’air complètement dans le
flou.

– Mais tu as aimé, non ? Que je te caresse. Que je te possède.

À ces mots, ma conscience se déshabille en roulant des hanches, prête à


remettre le couvert. Mes yeux plantés dans les siens, je pourrais lui mentir et lui
dire que non. Qu’il a tout imaginé, que je me suis servie de lui, cette nuit-là. Il
me tuerait et tout serait enfin terminé. Mais il a l’air tellement… abattu. Comme
s’il regrettait ce qu’il m’a infligé. C’est déroutant à quel point son comportement
peut changer du tout au tout en une fraction de seconde.

– Oui, avoué-je, finalement. J’ai aimé.

Puis je lui montre mes bras couverts de cicatrices et la marque qu’a laissée sa
main autour de mon cou lorsqu’il s’est réveillé de son cauchemar.

– Mais je ne peux pas oublier tout ça. Je ne peux pas passer outre. Ne compte
pas sur moi pour te pardonner, Ryder.
– Je sais, murmure-t-il d’une voix douloureuse.
– Pourquoi tu ne me tues pas ? C’est l’ordre que ton père t’a donné, non ?
C’est pour ça que tu es entré, ici à la base.

Son silence confirme ce que j’ai déjà deviné.

– Avant, je n’avais aucun mal à obéir aux ordres, dévoile-t-il. J’ai été élevé
ainsi. Pour obéir sans poser de questions. J’avais vraiment l’intention de te tuer,
au début, tu sais ?
– Et aujourd’hui ?

Il secoue la tête.

– J’ai essayé de trouver un prétexte, mais en réalité, je n’en ai juste pas envie.
Tu m’as fait ressentir de la colère, de la rage, de la frustration, de l’agacement,
de la contrariété, du plaisir, de l’envie, de la culpabilité… toutes ces choses que
je n’avais jamais ressenties. Et en un rien de temps, en plus ! J’ai tenté de les
repousser en te torturant davantage. Mais c’était encore pire.
Un long silence accueille sa tirade. Je ne sais pas trop quoi dire. Ses
révélations me font chaud au cœur, mais qui me dit que ce n’est pas une ruse
pour me buter plus facilement et avoir la conscience tranquille ?

– Tu dois avoir faim, dit-il finalement. Ça te dit de manger avec moi ?

Sérieusement ? Une part de moi trouve son attention plutôt touchante et


j’aurais sûrement accepté si je n’avais pas frôlé la mort à cause de lui ce matin
même. Je préfère rester dans mon coin. Je n’arriverais pas à le regarder en face
après ce qu’il m’a fait, même si ce n’était pas intentionnel.

– Je vais me contenter d’un sandwich dans cette luxueuse chambre, ironisé-je.


Mais tu devrais te rafistoler un peu avant, ce n’est pas très beau à voir.

Il hoche la tête sans broncher. Une demi-heure plus tard, il m’apporte mon
dîner.

– Merci, murmuré-je tout de même.


– Désolé.

Et il repart, me laissant dans une incompréhension totale. Je suis perdue. Par


deux fois, j’ai pensé que je ne pourrais pas le sauver de lui-même tellement il
était tyrannique. Et quelques minutes après, il devient l’homme que j’aime qu’il
soit. Doux et attentionné. C’est déroutant. Surréaliste.

***

Je suis réveillée par quelque chose ayant buté sur mon pied. Ryder est assis
par terre, les genoux relevés, son visage seulement éclairé par une petite lampe
torche diffusant une faible lumière.

– Que fais-tu là ?

Voilà deux jours que je ne l’ai pas vu. Je ne sais pas si c’est le fait de m’être
habituée à lui faire face ou autre chose, mais je me rends compte en le voyant
qu’il m’a manqué durant ces deux jours. Quarante-huit heures durant lesquelles
je ne me suis pas lavée, étant donné que je ne suis pas sortie de cette pièce. Il
m’apportait mes repas mais prenait soin de ne pas ouvrir la porte en entier de
façon à ce que l’on ne se voie pas. Comme au début, dans la baraque en bois. Je
suppose que quelque chose l’a effrayé dans ce que je lui ai dit l’autre soir. Ou l’a
fait réfléchir, puisqu’il est de nouveau là.

– Je ne sais pas trop.


– C’est la deuxième fois que tu me dis ça, remarqué-je.

Je me rapproche de lui jusqu’à toucher sa jambe. Nos yeux se croisent et,


malgré le peu de luminosité, je crois déceler de la douleur dans son regard. Et de
l’incompréhension.

– Qu’attends-tu de moi, Ryder ?


– Je n’en sais rien, répond-il après un moment. Mais je ne veux pas te tuer. Et
je ne veux pas non plus que tu partes.

OK, je crois qu’il déraille légèrement, là.

– Tu as bu ?

Il relève la tête pour me dévoiler ses yeux injectés de sang, encore marqués
par les coups qu’il a reçus. Un sourire goguenard fend ses lèvres parfaites tandis
qu’il rapproche son pouce et son index :

– Un tout petit peu.

Je lève les yeux au ciel.

– Que veux-tu exactement ?

Son regard se pose sur mes lèvres et descend au fur et à mesure.

– Ta bouche. Tes seins. Ton corps tout entier. Je n’arrête pas d’y penser, Evy.
Ça me bouffe de l’intérieur, je me dis que je ne devrais pas ressentir ce manque,
mais, au fond, j’adore ça. J’adore ressentir ça.

Rectification : il déraille complètement, c’est sûr. L’idée d’être en plein rêve


me traverse l’esprit, mais je pencherais plutôt pour l’état d’ébriété. C’est l’alcool
qui parle, c’est certain.
– Pourquoi tu me dis tout ça ?
– Peut-être parce que je veux atténuer la haine que tu éprouves à mon égard.
Parce que je regrette et je crois que je… t’apprécie ?

Ses traits sont durcis, comme si cela lui coûtait beaucoup de me révéler ça.
Comme si lui-même ne réalisait pas ce qu’il dit. Je hausse les sourcils.

– Tu couches avec des femmes que tu « apprécies » ?

Il esquisse un sourire et mon cœur rate un battement. Même si je suis


vraiment en colère contre lui, je ne peux pas nier qu’il me fait toujours de l’effet.

– Je couche avec des femmes dont je me fous totalement, d’habitude.

Je suis légèrement piquée au vif, mais je me dis qu’il n’a pas conscience de ce
qu’il dit. Demain, ce sera déjà oublié. De plus, il a précisé « d’habitude ». Avec
un peu de chance, je suis l’exception.

– Rassure-moi, tu connais leur nom, au moins ?


– Seulement le tien.

Son regard prend une teinte espiègle et un sourire mi-figue mi-raisin étire ses
belles lèvres, me faisant comprendre qu’il est bien plus goujat que je ne le
pensais. J’ose à peine imaginer le nombre de femmes qui ont dû passer avant
moi sans même se rendre compte qu’elles couchaient avec un tueur en série.
Remarque, moi c’est pire, je l’ai laissé me faire l’amour en toute connaissance
de cause. Je suis aussi barge que lui.

– Je vois, dis-je en rougissant.


– Et toi ?
– Quoi, moi ?
– Combien d’hommes as-tu eus dans ta vie ?

Ouh là, généralement, quand on apprend à connaître quelqu’un on évite les


sujets épineux tels que les ex, non ?

– Un seul, finis-je par avouer, embarrassée. Ça a duré sept ans. J’ai eu un flirt
après lui, mais on n’a pas…
Il ne paraît même pas surpris.

– Comment cela s’est terminé ?


– Ce n’est pas très intéressant, décliné-je en secouant la tête.

Parler de David est bien la dernière chose dont j’aie envie.

– Ça m’intéresse, moi, insiste-t-il.

Je soupire.

– Il m’a trompée. Avec ma cousine, une semaine avant notre mariage.

Je déteste parler de cet épisode de ma vie. Mais le pire est qu’il n’y a pas que
ces mauvais souvenirs qui refont surface. Il y a aussi tous ces merveilleux
moments que j’ai passés avec lui, à nous promener main dans la main, nous
cajoler le matin au réveil avant de nous lever, le jour où nous avons enfin
emménagé ensemble, ce projet de mariage et ce bébé que nous avions prévu de
faire après mon master… Bref, les bons souvenirs sont souvent les pires quand
tout est terminé. Ryder est impassible, là aussi. Parce qu’il n’a jamais vécu cela.
Il n’a jamais rien ressenti avant, donc le cœur brisé, il ne sait pas ce que c’est.

– Tu veux que je le tue ?

Hein ?! Il est sérieux ? Je scrute son visage sans émotions, celui-là même avec
lequel je l’ai connu. Je suis horrifiée. Mais soudain il éclate de rire et mon
palpitant repart. Je soupire de soulagement.

– Tu m’as fait peur ! m’écrié-je en lui donnant une petite tape sur l’épaule.

Nous rions pendant quelques minutes et j’avoue que j’adore. C’est la


première fois que je le vois plaisanter et rire ainsi. Et je crois qu’il en est de
même pour lui.

– Tu devrais te soûler plus souvent, tu es plus… réceptif quand tu es ivre,


blagué-je.
– Je suis désolé pour l’autre matin, me dit-il plus sérieusement. Je ne voulais
pas aller jusque-là.
Je ressens encore de la colère à son égard. Mais je vois qu’il fait des efforts et
qu’il a l’air sincère.

– Je vais être honnête avec toi, commencé-je. Je ne sais pas si j’arriverai à


passer au-dessus de tout ça, un jour. Mais j’ai l’impression que tu as envie de
changer.

Il hausse les épaules pour toute réponse. Je crois qu’il est encore perdu dans
ses pensées. Il doit sûrement peser le pour et le contre et c’est plutôt une bonne
chose : il doute, ce qui veut dire qu’on avance dans l’odyssée de ses émotions.

– Je ne sais pas ce qui se passe, avoue-t-il. C’est un putain de bordel dans ma


tête et tu n’arranges pas les choses. Au début, j’avais même l’intention de te tuer
parce que tu me fais ressentir des choses que je ne dois pas ressentir.
– Ryder, tu ne peux pas tuer quelqu’un seulement parce que tu es contrarié.
– Pourquoi ?! Pour moi c’est normal de tuer !
– Parce que c’est mal. Ce n’est pas normal de tuer, c’est… immonde. Immoral
et cruel. Pourquoi crois-tu que c’est normal ?

Il se contente de hausser les épaules.

– Parce que j’ai toujours été ainsi. Je suis né pour tuer.


– Tu n’es pas né comme ça, Ryder. Tu as changé, ces derniers jours. Tu peux
changer encore.

Il se lève brusquement, me faisant sursauter.

– Je ne veux pas changer, hurle-t-il soudain. J’étais bien comme j’étais avant,
mais… il a fallu que tu arrives et… tout s’est écroulé. Bam ! D’un coup !

Je reste un instant ébahie devant ce soudain revirement de situation, avant de


comprendre. Quand il se rend compte que je parviens à creuser un peu plus dans
sa carapace pour chercher l’homme bien en lui, il se braque. Il se penche vers
moi, si près que nos lèvres se touchent presque, ses yeux assombris de colère et
d’ivresse plantés dans les miens. Il ne m’impressionne pas le moins du monde.

– Je ne veux pas changer, répète-t-il plus durement. Tu. Ne. Me. Feras.
Jamais. Changer. Pigé ? Je te torturerai jusqu’à ce que tu me dévoiles ce secret et
ensuite, je…
Il ne finit pas sa phrase. Je le regarde droit dans les yeux sans ciller. Je n’ai
pas peur. Plus maintenant. Parce que je sais comment le faire réagir. Là, il va
partir en claquant la porte et passer la nuit à réfléchir. À se demander s’il doit se
laisser aller ou non.

Il se redresse et sort de la pièce. En claquant la porte. Je souris dans le noir. À


demain, petit Ryder, tueur au cœur d’artichaut.
15

Ryder

Je me triture les cheveux en serrant les dents. Putain. Elle a le don de me


mettre les nerfs en pelote. Mais, en même temps, elle sait parler. Ses mots
m’ont… touché. Presque ému, même. Je suis un tueur. Apparemment c’est mal
et pourtant, elle continue à me parler sans aucune once de peur dans les yeux
quand il m’arrive de sortir de mes gonds. C’est-à-dire de plus en plus souvent, en
fait.

Putain, dans quoi je me suis fourré, moi ? Je suis dans la merde jusqu’au cou.
On m’a ordonné de la tuer et je ne peux pas le faire. Je ne veux pas le faire. Que
risque-t-on lorsque l’on ne parvient pas à achever une mission ? Cela ne m’est
jamais arrivé, mais je sais que mon père ne va pas être content. La situation a
déjà atteint la limite du supportable, là.

Je n’ai pas eu le courage de courir, ce matin. J’ai mis ça sur le compte de ma


gueule de bois, après avoir bu comme un trou hier soir pour essayer d’oublier.
En réalité, je me prenais trop la tête et je craignais que courir seul n’empire les
choses. Alors je suis allé directement à la Maison pour entraîner les gamins.
Même si Adrianna est très douée en tant que prof, j’excelle dans les cours de tir
à distance. J’y ai passé toute la journée en essayant de ne pas me soucier d’Evy.
C’est une grande fille, elle peut bien sauter un repas. Je suis rentré vers dix-huit
heures, je lui ai préparé un sandwich et me voilà en train de me défouler en
courant à travers la forêt. Hélas, comme je le pensais, ça ne m’aide pas à me
poser les bonnes questions. J’ai été élevé dans l’optique que tuer était une chose
bien. Que j’étais fait pour cela. Or, je viens de découvrir qu’apparemment ce
n’est pas le cas. Dit-elle la vérité ? Je ne lui fais pas confiance. Elle est un otage,
après tout, et les otages sont prêts à tout pour s’en sortir. Quitte à nous caresser
dans le sens du poil et à nous faire douter de nos propres choix.

Elle a aimé notre partie de baise. Je ne sais pas si elle était sincère en me
l’avouant, mais je pense que ses joues légèrement rougies, son minuscule sourire
au coin de ses lèvres pulpeuses et cette petite étincelle dans son regard
hypnotique sont sûrement des expressions de sincérité.

Cette bouche que je rêve de voir enroulée autour de ma queue… Merde. Voilà
que je me tape une gaule d’enfer en pleine séance de sport. Bordel, c’est la
première fois que ça m’arrive. Et je ne parviens pas à me retirer toutes les
pensées obscènes qui m’envahissent.

Je repense à sa douche de ce matin à laquelle j’ai assisté comme d’habitude.


Je sais qu’elle ne compte pas s’enfuir. Mais elle est tellement sexy que je ne me
prive pas de jouer les voyeurs. Et elle aime certainement ça aussi, car elle ne
prend même plus la peine de me tourner le dos en se lavant, mais expose son
corps librement. Si elle savait à quel point j’ai envie de recommencer à la baiser.

Sucer ses seins magnifiques, posséder son cul de malade, caresser sa peau
d’ivoire si douce, sentir son odeur naturelle enivrante, lécher sa petite boule de
chair dressée rien que pour moi… Putain, je déraille. Il a suffi que je pense
simplement à sa bouche pour que tout parte en vrille dans ma tête. Même songer
à ma vieille voisine, Mme Grayson, ne parvient pas à me faire débander. Je suis
atteint. Il faut que je rentre, et vite.

Je tape un sprint jusqu’à mon immeuble et, comme d’habitude, vérifie en


rentrant qu’elle est toujours là. Grave erreur, aujourd’hui. Pourquoi ? Parce
qu’au moment où j’ouvre la porte du placard, elle est debout, les nichons à l’air,
un soutien-gorge à la main. Je reste planté là pendant quelques secondes, les
yeux rivés sur ses deux obus qui me saluent fièrement.

Je sors enfin de ma torpeur et referme la porte. Génial, mon pantalon va


exploser, maintenant. Je pourrais prendre ma voiture et sauter la première
gonzesse venue, mais je crois que je n’aurais pas le temps de tenir. Je m’enferme
dans la salle de bains, me déshabille à la vitesse de la lumière et fais couler de
l’eau froide sur mon corps en sueur et terriblement tendu. Mais, contrairement à
ce que je pensais, la faible température ne m’aide pas non plus, en ce qui
concerne ce qui se passe au sud de mon anatomie. J’empoigne alors ma queue et
commence à faire des va-et-vient tout en pensant à la fille à côté. Ma respiration
se fait haletante et mon cœur bat la chamade.
Je visualise son corps de déesse sous le mien, son regard brûlant de désir pour
moi, sa peau colorée de rouge sous l’effet du plaisir et la chaleur dévorante qui
nous anime. Je me rends compte que j’aimerais la prendre comme ça. Les yeux
dans les yeux, son souffle se mêlant au mien. Je râle lorsque je sens l’orgasme
arriver. Je m’appuie de toutes mes forces contre la paroi carrelée au-dessus de la
baignoire tandis que je continue de me caresser avec mon autre main. Je suis tout
près de venir lorsque je sens deux autres mains sur mes hanches. Mon cœur
saute en chute libre quand je comprends qu’elle est là, derrière moi, ses seins nus
pressés contre mon dos.

– Je t’en veux toujours, me dit-elle. Mais j’ai encore plus envie de toi.

Sa main remplace alors la mienne et je me laisse faire en poussant un


grognement de plaisir brut, complètement à sa merci. C’est carrément ça, ouais.
Je suis à sa putain de merci. Je devrais la repousser rien que pour ça, d’ailleurs.
Parce que je domine. Je prends le contrôle. Mais, bizarrement, je n’en ai aucune
envie avec elle. Alors je la laisse faire. Elle m’embrasse le dos tout en me
branlant d’une main experte. Putain, ce qu’elle est douée ! Je râle, je gronde au
fur et à mesure que les portes du paradis orgasmique s’ouvrent à moi. Et je finis
par jouir comme un gamin de 15 ans qui se fait masturber pour la première fois.
Je ne reprends pas mon souffle. Je me tourne face à Evy et l’embrasse si
sauvagement qu’elle se cogne contre le mur.

– Pardon.

Je ne m’excuse pas seulement de lui avoir fait mal à la tête. Mais pour toutes
les fois où je lui ai fait mal. Les tortures, les insultes implicites, les sarcasmes…
je veux arrêter tout ça. Je ne veux plus la faire souffrir, elle ne mérite pas ça. Je
crois qu’elle comprend l’importance de ce tout petit mot, car elle m’embrasse
plus profondément, tirant sur mes cheveux et pressant son corps un peu plus
contre le mien. Il ne m’en faut pas davantage pour recommencer à bander
comme un cheval. Ma main gauche malaxe son sein lourd de désir tandis que la
droite se faufile entre ses parois si tentatrices. Elle gémit quand j’y insère deux
doigts et ses jambes flageolent.

Je veux baiser cette femme dans tous les sens. Et c’est ce que je vais faire. Je
me retire de son antre pour couper l’eau. Puis je nous entraîne, encore mouillés,
dans ma chambre sans quitter sa bouche une seule seconde. Je nous allonge sur
le lit, la surplombant. Je lui embrasse la mâchoire, le cou et descends jusqu’à ses
seins parfaits sur lesquels je m’attarde. Je fais tourner ma langue tout autour de
ses tétons tandis que ma main s’immisce de nouveau dans sa chair humide. Je
titille sa bille gorgée de désir avec mon pouce. Evangeline se cambre en
gémissant de plaisir. Est-ce que cela ferait de moi un connard si je disais que
toutes les autres filles que je me suis tapées dans ma vie sont bien fades
comparées à Evy ? Probablement. Mais c’est la putain de vérité. Je n’ai jamais
pris autant de plaisir à baiser une femme jusqu’à aujourd’hui.

Jusqu’à elle.

Elle me fait complètement vriller avec ces petits sons témoignant de l’effet
que je lui fais, j’adore ça. Elle est beaucoup plus entreprenante et réceptive que
la première fois. Si je ne la prends pas maintenant, je vais avoir les couilles si
douloureuses que je ne vais même pas pouvoir m’asseoir pendant des jours.
Mais j’ai d’autres projets en tête, là, tout de suite. Comme lui lécher la chatte
jusqu’à ce qu’elle hurle mon nom en jouissant. Je fais descendre mes lèvres
jusqu’à son ventre, mais elle m’arrête net.

– Non… attends, Ryder… dit-elle, haletante et je relève la tête pour la


regarder dans les yeux. Mon ventre n’est pas… enfin je ne suis pas…
– Tu es magnifique, bébé.

Bébé ?! Depuis quand je me mets à attribuer des surnoms aux femmes avec
qui je baise ? ,Mais Evy n’est pas n’importe quelle femme, me susurre une petite
voix intérieure. Elle me sourit timidement et j’embrasse chaque centimètre carré
de son ventre, mordillant même ses poignées d’amour. Elle a des formes divines
et j’en suis complètement accro. Je ne pense plus à rien d’autre qu’à ses courbes
voluptueuses dont je recouvre le moindre espace de mes lèvres. Je descends
encore et Evy écarte un peu plus ses jambes. J’embrasse son pubis totalement
épilé et elle se cambre en émettant un son exquis. Je souris. Elle sait déjà ce qui
l’attend. Puis, enfin, je m’attaque à son clitoris en faisant tourner le bout de ma
langue autour, d’abord, avant de l’aspirer, provoquant chez elle un très long
gémissement.

– Ryder… halète-t-elle.

Comprenant que j’ai son feu vert, je ne me fais pas prier et la lape doucement,
puis de plus en plus vite. Elle ne retient plus ses cris et me griffe même les
épaules. Je sens ses jambes flageoler au niveau de mes bras et je la savoure
davantage. J’insère même un doigt en elle tout en torturant délicieusement son
point culminant. Si je n’avais pas joui une première fois dans la douche, je crois
que je l’aurais fait là, alors que je suis en train de lui faire le cunnilingus le plus
langoureux de l’histoire des cunnis.

– Oh… putain, Ryder… je vais… Oh !!!

Elle ne tient plus en place, son clitoris est de plus en plus gonflé mais je ne
m’arrête pas pour autant, je veux sentir son désir sur ma langue.

Vas-y bébé, laisse-toi aller.

À peine suis-je sorti de mes pensées qu’elle se met à crier mon nom et un
liquide chaud et savoureux se déverse dans ma bouche. Satisfait, je la lape
jusqu’à la dernière goutte avant de remonter vers elle. Elle a les joues rouges, ses
yeux sont dotés d’une lueur brûlante de passion et un sourire radieux étire ses
lèvres.

– Waouh, a-t-elle juste le temps de dire avant que je n’écrase mes lèvres
contre les siennes.

Elle enserre ses jambes autour de mes hanches et, alors que je suis aux portes
de mon paradis personnel, un détail me frappe.

– La capote.

Je lui dépose un baiser chaste sur les lèvres avant de me lever pour m’emparer
d’un morceau de latex dans le tiroir de ma table de chevet. J’aimerais la prendre
sans rien. La sentir chair contre chair. Mais c’est trop risqué, pour l’instant. Voilà
que je me mets à faire des plans sur la comète, moi, maintenant. Je deviens
barge. Mais, pour le moment, je m’en tape. J’ai d’autres chats à fouetter. Une
chatte divine, en l’occurrence. Ma queue armée de son chapeau, je me retourne
et découvre qu’Evangeline est à plat ventre. J’ai l’impression que cela faisait une
éternité. J’admire son corps comme si c’était la première fois que je le voyais. Je
suis fasciné par autant de rondeurs qui dégagent en même temps autant de sex-
appeal. Avant, pour moi, une femme grosse était juste grosse. Evy, elle, est ronde
et parfaite. Je la pousse doucement sur le côté, l’obligeant à se remettre sur le
dos.

– J’ai envie de te voir, aujourd’hui, dis-je d’une voix rauque emplie de désir
pour cette femme. Je veux voir ton visage rayonner au moment de l’orgasme.

Je veux graver cette image dans ma tête parce que je sais qu’au fond, tout cela
n’est que temporaire. Je l’embrasse passionnément et la pénètre doucement en
même temps. Elle pousse un soupir de plaisir contre ma bouche et je fais de
doux va-et-vient. Un frisson brûlant me parcourt toute la colonne vertébrale. Elle
est définitivement la meilleure femme que j’aie jamais baisée. Je ne m’en suis
pas trop rendu compte la première fois parce que j’ai été sauvage et bestial. Là,
je décide de prendre mon temps, je veux sentir chacune des sensations, chaque
flamme de désir qui nous brûle de l’intérieur. J’ai l’impression que chaque
cellule de mon corps crame au fur et à mesure que je sors et rentre dans son
intimité trempée. J’enfouis mon nez dans son cou tout en grognant de plaisir.
Elle ondule des hanches sous moi, ce qui attise encore plus l’incendie qui fait
rage entre nos deux corps. Les minutes passent et j’y vais de plus en plus fort.
Autant j’ai aimé lui faire l’amour, autant j’adore encore plus la baiser. J’adore
voir ses énormes seins se balancer au rythme de mes coups de reins. J’ai mis ses
jambes sur mes épaules et je la pilonne tout en l’admirant en train de prendre son
pied. Bordel, ce qu’elle est sublime ! J’en ai presque la tête qui tourne. Elle me
rend dingue, putain. Je n’arrive pas à m’arrêter. Je sens pourtant l’orgasme se
pointer, surtout en voyant cette magnifique lueur dans ses yeux, ces flammes de
plaisir, et en entendant ses gémissements qui me supplient de continuer. Mais je
fais tout mon possible pour retarder l’échéance. Je veux continuer à l’admirer
telle qu’elle est, terriblement excitée. Je ne veux pas que ça s’arrête. Hélas,
toutes les bonnes choses ont une fin et je finis par succomber à l’orgasme au
moment où elle relâche son troisième. Je m’écroule à côté d’elle, épuisé et
haletant. Je ferme les yeux un instant, ne réalisant pas encore ce qui vient de
m’arriver.

Moi qui avais l’intention de la baiser juste pour assouvir mes pulsions, je me
rends maintenant compte que je la baise parce que j’ai besoin d’elle. Parce que
j’ai envie d’elle. Tout le temps. Je sens le matelas bouger et je tourne la tête pour
voir Evangeline debout en tenue d’Ève. Je la rattrape par la main.

– Qu’est-ce que tu fais ? m’enquiers-je.


Elle paraît surprise de ma question.

– Je… Enfin, je suppose que je dois retourner dans le placard, alors…

Je la regarde dans les yeux et, pour la première fois de ma vie, je fais quelque
chose que je n’aurais jamais, ô grand jamais, pensé faire.

– Reste avec moi. S’il te plaît.


16

Evy

Je reste abasourdie par la requête de Ryder pendant un long moment. À tel


point que je me demande si je n’ai pas rêvé. Mais l’expression dans ses yeux me
confirme que non et qu’il est sincère. Il veut vraiment que je reste avec lui. Il y a
encore quelques jours, j’aurais dit oui sans hésiter. Parce que j’étais persuadée
qu’il était quelqu’un de bien, au fond de lui. Mais après ce qu’il m’a fait… je ne
sais pas. OK, il m’a sauvée. Et, oui, j’ai recouché avec lui. Mais faire l’amour
avec quelqu’un et dormir avec lui, ce sont deux choses bien distinctes. Je suis
allée le voir dans la douche parce que je n’en pouvais plus d’imaginer ce qu’il
faisait là-dedans. Je l’entendais râler de plaisir et il fallait que j’aille voir par
moi-même. Heureusement, il n’avait pas fermé mon placard à clé – il le fait de
moins en moins souvent, d’ailleurs, j’ai remarqué. Je l’ai fait parce que j’aime
son corps et que s’il est le dernier homme que je dois voir sur terre avant de tirer
ma révérence, autant qu’il me fasse du bien.

En même temps, une part de moi meurt d’envie de s’allonger sur un bon
matelas aux côtés d’un bel Apollon tel que Ryder. Il ne l’a pas fait exprès et s’est
excusé plusieurs fois, me murmure cette part de moi à l’oreille. Mes yeux
s’attardent sur son torse, sur les courbes de ses abdos parfaitement dessinés, sur
ses hanches formant un V extrêmement sexy… et le reste est caché par les draps,
mais je sais déjà ce qui s’y trouve. Je finis par arrêter de tergiverser et capitule en
me rallongeant. Je ne fais aucun geste vers lui, je ne veux pas qu’il pense que je
deviens accro. Ça ne ferait que gonfler davantage son ego surdimensionné. Et
j’ai une fierté à garder. Contre toute attente, c’est lui qui vient à moi en passant
son bras sous ma nuque tandis que son autre bras se pose sur mon sein. Son nez
est enfoui dans mes cheveux et je ne peux m’empêcher de me mettre sur le côté
pour l’embrasser et me lover un peu plus contre lui. Je sais, je suis faible. Mais,
punaise, ce mec est un véritable appel au péché et à la damnation. Je m’endors
avec cette image et ce corps chaud et sécurisant collé contre moi.
***

Les choses ont évolué entre Ryder et moi. Nous n’en sommes pas non plus au
point de former un couple, mais nous sommes liés d’une certaine façon. Nous
discutons plus aisément, il m’autorise à regarder la télévision avec lui de temps
en temps, mais lorsqu’il doit s’absenter, je dois impérativement retourner dans
mon placard jusqu’à ce qu’il revienne. Ou, du moins, jusqu’à ce qu’il se sente
trop seul et daigne venir me chercher…

Je l’ai entendu rentrer il y a une heure et toujours pas de Ryder en vue. L’idée
que son côté sombre et meurtrier ait repris le dessus me traverse et la peur
commence à s’immiscer en moi. Mon plan est en bonne voie et, même si je me
dis le contraire, je dois admettre que je commence à y prendre goût. Je suis
consciente que c'est un piège complètement tordu que j'ai imaginé. Mais quand
on n'a plus d'espoir, on tente le tout pour le tout. Quitte à consentir aux caresses
de son agresseur. Ce n’est pas le moment d’abandonner, la brèche est tout juste
en train de se transformer en trou. Je sens que son armure se craquelle de jour en
jour, je ne dois pas flancher.

Je me sens tellement impliquée dans ma mission de faire changer Ryder que


je ne sais plus si j’ai envie de recouvrer ma liberté.

Au bout de ce qu’il me semble être une éternité, la porte de mon placard


s’ouvre enfin. Et l’état dans lequel je découvre Ryder me glace le sang. Il a le
visage tuméfié, ses cheveux partent dans tous les sens et il a l’air vraiment mal
en point. Je me précipite aussitôt vers lui afin d’examiner les dégâts, mais il
s’éloigne légèrement en se tenant au chambranle de la porte, comme s’il peinait
à tenir debout. Il baisse la tête vers le sol, mais je peux entendre son
gémissement de douleur.

– Mon Dieu, Ryder…

Je suis horrifiée de voir une telle horreur sur son si beau visage. Mais qui a
bien pu l’amocher autant ? Il m’a révélé que pas mal de mecs pas clairs
voulaient sa peau. Serait-il tombé dans un guet-apens ? Non, je ne peux pas y
croire. Ryder se méfie de tout le monde, il est trop prudent pour se faire
appréhender.
– J’ai… besoin de… toi, articule-t-il avec difficulté.

Je réponds sans hésitation aucune.

– Oui, bien sûr.

Il tourne les talons quand, soudain, son corps chancelle et il a juste le temps
de se rattraper au mur pour éviter de s’écrouler. Par réflexe, je le soutiens au
niveau du buste et il se met alors à grogner de douleur.

– Ne me tiens pas par là ! Argh… je crois que… j’ai des côtes pétées,
m’explique-t-il en peinant à respirer.

Seigneur, c’est encore pire que ce que je croyais.

– Il faut aller à l’hôpital.

Je le tiens par le bras pour l’aider à marcher jusqu’au canapé.

– Non.
– Mais tu ne peux pas rester comme ça !

Il s’arrête brusquement et me lance un regard meurtrier.

– J’ai dit : NON !

Son ton est sans appel et ne laisse place à aucun débat. Je prends sur moi
malgré mon envie de le rabrouer et l’aide à s’allonger sur le divan. Il geint
encore de douleur mais encaisse tout de même. Je dépose un coussin sous ses
jambes avant de soulever précautionneusement son T-shirt afin de déterminer
son état. Je ne suis pas médecin, mais j’ai pratiqué quelques cours de secourisme
où l’on nous a appris à manipuler un corps accidenté.

– Comment es-tu rentré ? le questionné-je pour le distraire tandis que je palpe


doucement son thorax.
– En voiture.

Je relève la tête vers lui, la surprise peinte sur mon visage.


– Tu as réussi à conduire dans cet état ?!

Il hausse une épaule, mais la douleur lui arrache une grimace. Je secoue la
tête d’un air désabusé avant de m’affairer à déterminer si, oui ou non, ses
blessures nécessitent une opération. Dans ce cas, il n’aura pas d’autre choix que
d’aller à l’hôpital et je l’y emmènerai, de gré ou de force.

– Quel est le diagnostic, docteur ?

Je lève les yeux pour voir un semblant de sourire se dessiner sur ses lèvres
défoncées. Ça a plus l’image d’une grimace que d’un rictus mais à voir sa tête, je
ne pense pas qu’il puisse faire mieux.

– Tu as bien des côtes fracturées. Je crois qu’aucun organe n’a été touché,
mais je ne suis pas médecin, Ryder, je ne peux pas l’assurer. On devrait vraiment
aller à l’hôp…
– Est-ce que tu as déjà volé, Evy ?

Je me fige.

– Je te demande pardon ?
– Est-ce que tu as déjà participé à un cambriolage ? me répète-t-il plus
distinctement.

Alors là, je suis complètement larguée. Je crois que l’adrénaline lui a grillé
quelques neurones. Voyant que je ne réponds pas, il me regarde avec insistance.
Difficile de décrypter ses expressions avec tous ces gonflements.

– Eh bien… disons qu’il nous est arrivé de dérober quelques bonbons quand
on était petits, Jared et moi, mais je doute que ce soit considéré comme des
cambriolages. Plutôt du chapardage, non ?

Je me souviens de ce jour où nos parents n’avaient pas voulu nous donner de


l’argent pour nous acheter des bonbons. Jared a eu l’idée d’en voler quelques-
uns dans la supérette du coin et lorsque le vigile nous a surpris et nous a
emmenés dans le bureau dédié aux voleurs, je me suis mise à pleurer tellement
fort que tout le magasin m’a entendue. Papa et maman sont finalement arrivés
pour nous récupérer après que nous eûmes rendu notre butin, évidemment, et je
me souviendrai toute ma vie de la soufflante que notre père nous a infligée. J’ai
tellement été traumatisée par cette journée que je n’ai jamais recommencé.

– Eh bien, tu vas devoir « chaparder » quelques trucs pour moi, dit Ryder, me
ramenant à l’instant présent.
– Je ne suis pas sûre de bien comprendre.

Il tente de se redresser sur ses coudes, mais la douleur l’empêche de faire le


moindre geste et je me précipite vers lui pour le dissuader de bouger. Sa main
chaude se referme sur la mienne.

– Est-ce que je peux te faire confiance, Evangeline ? J’ai vraiment besoin de


toi, sur ce coup-là.

Si je ne le connaissais pas aussi bien, j’aurais pensé qu’il est en train de me


supplier. Nos regards s’arriment et mon cœur se met à battre plus fort. Je ne sais
pas si c’est à cause de mon amant ou si c’est de l’appréhension pour ce qu’il
s’apprête à me demander.

– Pourquoi ai-je l’impression que ta requête ne va pas me plaire du tout ? le


questionné-je, dubitative.
– Parce qu’il y a de grandes chances pour que ce soit le cas.

***

Je n’arrive pas à croire que j’aie accepté de lui rendre ce service stupide et
dangereux. Je savais qu’il était fou, mais pas à ce point. Ceci dit, je n’en mène
pas large, moi non plus, puisque j’ai dit oui. Saleté d’empathie, un jour, elle me
perdra.

Vêtue d’un jogging et du fameux sweat à capuche noir dans lequel Ryder m’a
traquée avant de m’enlever, j’entre dans le hall de l’hôpital, le cœur battant et la
tête rentrée dans les épaules. La chance est de mon côté – pour le moment –
lorsque je vois qu’il n’y a pas beaucoup de monde présent dans ce secteur. Un
couple de personnes âgées est assis en salle d’attente, un homme de forte
corpulence est occupé à la machine à café et une adolescente en fauteuil roulant
avec une clope éteinte au bec passe à côté de moi sans me jeter un regard. À la
réception, une femme en blouse blanche a les yeux rivés sur son écran
d’ordinateur. Il lui suffirait de relever un peu la tête pour qu’elle me voie. Je
baisse les yeux vers le sol et m’apprête à filer dans le long couloir désert en face
lorsqu’elle m’interpelle.

– Excusez-moi, puis-je vous aider ?

Eh merde… Je ne sais pas comment fait Ryder pour être aussi discret. Je suis
persuadée qu’il serait passé facilement incognito, lui. Je tourne la tête vers elle
tout en cherchant un prétexte pour justifier mon arrivée lorsqu’au même
moment, une voix d’homme crie à l’entrée des portes automatiques.

– Que quelqu’un vienne m’aider !

Aussitôt, l’infirmière me quitte du regard et ma curiosité me pousse à me


retourner. L’homme tient une jeune femme inconsciente dans ses bras.
L’infirmière qui s’est précipitée vers lui commence à lui expliquer qu’ici, ce ne
sont pas les urgences, mais l’homme ne l’écoute pas et lui raconte avoir renversé
la jeune femme, qui avait déboulé sur la route avant qu’il n’ait eu le temps de
freiner.

– Aidez-moi, je vous en prie ! continue-t-il de crier.

La seconde suivante, cinq ou six personnes en blouse blanche déboulent de je


ne sais où avec un brancard pour se ruer sur l’homme en détresse. Je vois cet
imprévu comme un signe et en profite pour filer à l’anglaise, direction la
pharmacie. Ryder m’a donné un plan de l’hôpital et m’a obligée à le mémoriser
afin que je ne me perde pas. La trouille me tord le ventre, mais, comme il me l’a
si bien dit, « c’est comme voler des bonbons : tu rentres, tu prends, tu ressors ».
Ouais, facile quand on est cloué sur un canapé. Je ne sais pas s’il m’a dit cela
pour me rassurer ou juste pour se moquer, mais je ne suis ni confiante ni
d’humeur à en rire. Il a de la chance que je fasse assez preuve de compassion
envers les gens en difficulté – quels qu’ils soient – pour lui venir en aide, sachant
que je risque la prison si je me fais choper.

J’ai trop peur.

Je m’engouffre dans un placard à balais et m’adosse un moment à la porte


pour reprendre mon souffle. Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ? Et puis
pourquoi je fais ça ? Je suis en train d’enfreindre la loi pour sauver un criminel.
Je ne suis pas seulement atteinte, à ce stade-là, je suis au summum de la névrose
obsessionnelle ! J’ai sa voiture, je pourrais aisément m’enfuir. Mais au lieu de
ça, je suis dans ce foutu hôpital en train d’essayer de me rassurer et de calmer les
battements frénétiques de mon cœur qui n’est pas décidé à ralentir sa cadence. Je
ne comprends toujours pas cette obstination à vouloir le sauver de lui-même,
mais c’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’en empêcher.

J’attends encore quelques minutes et, une fois que mon cœur a retrouvé un
rythme à peu près normal, je me relève et entrouvre la porte. L’endroit est désert.
Je sors de ma cachette et passe par un escalier de secours pour monter les quatre
étages. Moi qui avais l’intention de reprendre le sport, je suis servie. J’arrive
enfin aux soins intensifs et sursaute en entendant des pas précipités qui se
rapprochent. J’ai juste le temps de me planquer dans un coin pour voir deux
infirmières courir dans le couloir. Elles ne m’ont pas remarquée. Une fois hors
de vue, je relâche ma respiration et me décolle du mur. Bon sang, comment fait
Ryder pour rester aussi calme dans des moments pareils ? Je jette un œil
alentour. Personne. Je marche vite jusqu’à la pharmacie. La porte est
évidemment verrouillée et ne s’ouvre que grâce à un badge. Je sors celui que
Ryder m’a donné de la poche du sweat et le passe sur le scanner. Je ne veux
même pas savoir comment il se l’est procuré. J’entre et me dirige vers l’armoire
en verre contenant différentes fioles et ampoules. Celle-ci est fermée par un
simple tour de clé. Je rabats ma capuche et enlève les deux épingles de mes
cheveux. Voyons voir si j’ai bien compris les explications de Ryder. Un
sentiment d’excitation vient se mêler à mon stress. Bon sang, je suis en train de
voler dans un hôpital ! Ryder a beaucoup changé en deux mois, mais alors là,
moi, je suis passée de l’ange au démon. Je ne me reconnais plus.

Allez, du calme, Evy, tu peux le faire. Il souffre et tu le fais parce que tu


détestes voir les gens souffrir.

Ouais, pas très convaincant, tout ça. Je le fais pour lui, tout simplement. Parce
que…

Un bruit dans le couloir interrompt mes divagations. Des voix me


parviennent. Merde. Au même moment, les goupilles de la serrure cèdent aux
mouvements des épingles. Punaise, j’ai réussi. J’ouvre la vitrine et attrape des
flacons de morphine et de codéine que je fourre dans mon sac à dos. Quelques
seringues stériles viennent s’y ajouter et je referme vite. J’ai juste le temps de me
cacher sous le bureau avant d’entendre le bip du scanner autorisant l’ouverture
de la porte. Quelqu’un entre et mon cœur est sur le point d’exploser dans ma
poitrine. Je ne respire plus. J’entends le bruit d’un tiroir, le froissement de
papiers, je ne bouge pas un cil.

Après un moment qui me semble durer une éternité, le son de la porte me


parvient à nouveau et le silence reprend ses droits. J’expire l’air que j’ai retenu
et la boule dans mon ventre se fait plus petite. Je ne suis pas encore sortie
d’affaire, il me reste le plus gros à faire, à savoir, ressortir avec le sac sans me
faire repérer. J’ai une pression de dingue. Je sors de la pharmacie en catimini.
J’ai l’impression que les battements de mon cœur s’entendent dans tout l’hôpital.
Je prends la direction de l’escalier de secours, tête baissée, lorsque tout à coup,
je fonce dans quelqu’un. Les papiers que tenait l’infirmière s’éparpillent sur le
sol. En tant normal, je me serais excusée et l’aurais aidée à tout ramasser. Mais
là, je ne chuchote qu’un faible « désolée ».

– Vous n’avez rien à faire dans cette partie du bâtiment.


– Je me suis perdue, mais c’est bon maintenant, réponds-je avant de filer à la
vitesse de l’éclair.

Je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie. J’arrive au rez-de-chaussée en une


minute à peine, essoufflée et avec un point de côté. Il faut que je sorte de là, je ne
sais pas si la femme a appelé la sécurité – si c’est le cas, je suis foutue. Je sors de
l’hôpital comme si j’avais le diable aux trousses et ne relâche la pression qu’une
fois à l’abri dans la Mustang. Les mains agrippées au volant, je suis toute
tremblante. J’ai commis un délit. Je n’y crois toujours pas. Je ne l’ai pas fait pour
moi, mais je l’ai quand même fait. La culpabilité me prend à la gorge. Je devrais
retourner là-dedans et tout rendre. Non. Ryder en a besoin. Il souffre trop. Mes
tremblements s’amenuisent et je me décide à démarrer. Lorsque j’arrive à la
sortie du parking, un choix s’offre à moi : à gauche, Ryder souffrant et mon
placard m’attendent. En tournant à droite, je pourrais retrouver ma vie d’avant
avec Lydia qui est sûrement morte d’inquiétude, voire désespérée de ne pas me
revoir. Je regarde les différentes directions, le cerveau chamboulé comme jamais
il ne l’a été. Je fais quoi ? Je vais où ? J’ai tissé un lien bizarre avec Ryder, ces
dernières semaines. Notre relation a changé du tout au tout après un seul baiser,
un seul regard passionné. J’éprouve des sentiments inexplicables pour cet
homme qui avait pour but premier de me tuer mais qui ne se résigne pas à le
faire.
De l’autre côté, il y a cette amitié indéfectible que j’entretiens avec Lydia
depuis tant d’années ! La connaissant, elle a sûrement placardé des affiches avec
mon portrait sur tous les murs de la ville. Je ne peux pas la laisser dans
l’ignorance plus longtemps. Je m’en voudrais toute ma vie. Je ne sais pas si c’est
à cause de la pression mais j’ai soudain chaud. Je retire le sweat imprégné de
l’odeur enivrante de Ryder. Une douleur enserre mon cœur quand je vois les
cicatrices sur mes bras et les ecchymoses laissées par les menottes autour de mes
poignets. Les souvenirs des jours de torture me reviennent en pleine face et mes
yeux s’embuent de larmes. Ryder est émotionnellement instable. J’ai peut-être
réussi à le faire changer un peu, cependant une petite voix me rappelle que le
monstre en lui est capable de reprendre possession de son esprit à tout moment.
Et je ne veux plus revivre avec le tueur. Je ne le supporterais pas. Je suis
totalement perdue. Je n’arrive plus à savoir si j’agis ainsi parce qu’il a besoin de
mon aide ou si je le fais parce que j’éprouve des sentiments pour lui. Ce n’est
pas comme s’il n’avait jamais tué personne. Il a décimé beaucoup de familles,
est à l’origine de tellement de deuils ! Comment puis-je être attirée par un
homme tel que lui ? Qui assassine des gens sans aucun état d’âme ? Même si je
sais qu’il ne le fait pas par plaisir, il le fait tout de même sans se poser de
questions.

Un coup de klaxon derrière moi me fait sursauter. OK. J’ai l’occasion de m’en
sortir. Je peux retrouver ma liberté et échapper à une mort certaine.

Je prends alors une grande bouffée d’air et enclenche la première avant de


tourner à droite, laissant mes sentiments sur le parking de cet hôpital.
17

Ryder

Putain, mais qu’est-ce qu’elle fout ? Ça fait trois plombes que je l’attends,
mes côtes et mes membres me font souffrir le martyre et le soleil débute sa
révérence, laissant place à une nuit pluvieuse. Je commence à me demander si
elle n’a pas fini par filer à l’anglaise. Après tout, je lui ai offert une belle
occasion de se faire la malle. La garce, elle s’est tirée. Et avec ma bagnole, en
plus ! La rage et un sentiment de trahison me foudroient le cœur. Putain, j’étais
prêt à lui faire confiance. Je l’ai laissée partir. Ce que je peux être con ! Qu’est-
ce que je croyais ? Qu’elle allait revenir ? Qu’elle éprouvait assez d’attirance
pour moi pour tirer un trait sur sa vie d’avant et revenir dans mes bras ? J’ai agi
comme un putain de débutant et si je ne succombe pas à la douleur, mon père va
me faire pire que ce qu’il m’a infligé là.

J’ai morflé, putain.

Dixon lui a rapporté notre entrevue, ce connard. Mon père a fait un break
dans son voyage d’affaires pour revenir me mettre une raclée avec ses sbires à la
con et me faire comprendre ce qu’est la vie réelle. J’ai mangé des coups jusqu’à
ce qu’il soit convaincu de ma loyauté envers lui. Il m’a sans cesse répété ce qu’il
nous a appris durant toute notre enfance. Que tuer, c’est sauver notre peau. Que
la société nous fait crever à petit feu alors que nous, nous sommes plus radicaux
et efficaces. Que le but de notre vie, c’est de supprimer tous les obstacles qui se
tiennent devant nous.

Les coups servent à nous endurcir. À faire enrager le monstre tapi en nous.
Ligoté debout, j’ai encaissé les coups de poing et la douleur infligée par la batte
jusqu’à ce que je ne crie plus. Et plus je leur disais d’arrêter, plus mon père leur
donnait l’ordre de frapper. Lorsqu’il a enfin eu le monstre en face de lui, dans
mon regard, il m’a libéré des liens et je n’ai pas attendu deux secondes avant de
briser la nuque du gars qui s’était éclaté sur moi avec la batte de base-ball. Mon
père a souri, a applaudi et m’a dit qu’il était fier de moi. Il m’a ordonné de me
rhabiller et de le suivre jusqu’à son bureau. J’ai obéi sans rechigner, l’adrénaline
alimentée par la rage du monstre m’empêchant de ressentir les douleurs après
coup. Une fois dans le bureau, nous avons parlé de ma mission et il a commencé
à décréter que j’avais besoin d’une pause après ce que je venais de subir. Qu’il
allait mettre Duncan sur le coup. Mais j’ai refusé catégoriquement.

Pas pour Evangeline.

À ce moment-là, je suis redevenu le prédateur assoiffé de sang. Ma punition a


porté ses fruits et les émotions ont quitté mon corps comme la fumée d’un feu.
J’ai décliné par pur égoïsme. Cette mission est à moi et à personne d’autre. C’est
moi qui la tuerai et rien ne pourra m’empêcher de le faire. Je lui ai dit que j’avais
trouvé une méthode pour la faire parler plus rapidement. Et c’est vrai. En partie.
Il a finalement capitulé et m’a laissé partir.

Ce n’est que lorsque je me suis garé devant mon immeuble que l’adrénaline
est retombée et que j’ai commencé à vraiment ressentir la douleur. Je suis monté
presque en rampant tant je souffrais. Je me suis assis tant bien que mal après
m’être servi un verre de whisky pour chasser ces putains de souffrances. J’en ai
repris un deuxième, un troisième. Au bout du sixième, j’ai percuté que l’alcool
ne me serait d’aucun secours, car j’avais toujours aussi mal. Je me suis alors
dirigé vers la salle de bains en pensant qu’une douche me soulagerait peut-être,
mais les craquements dans mes flancs m’ont fait flancher et je suis tombé à
genoux dans le couloir, juste à côté du placard. J’ai respiré lentement et
calmement pendant quelques secondes avant de me relever et d’ouvrir la porte.
Evangeline était allongée sur ses couvertures, l’air perdue dans ses pensées.
Lorsqu’elle a vu l’état dans lequel j’étais, elle s’est précipitée vers moi, inquiète.
Mais le monstre était en moi et je ne voulais pas qu’elle le voie. Je ne voulais pas
croiser son regard et foutre la bête dans sa cage. J’ai douillé pour la faire sortir,
hors de question de laisser à Evangeline l’occasion de la remettre derrière les
barreaux.

Mais j’ai été faible.

Ça a été plus fort que moi et j’ai fini par relever les yeux pour les ancrer dans
les siens, si bleus, si beaux, si envoûtants. Comme si c’était son point faible, le
monstre a aussitôt courbé l’échine, faisant presque la révérence à ces deux billes
océaniques. En dépit de ma volonté de le relever, Evy a tout de même réussi à lui
claquer la porte au nez avec le son de sa voix. Tout chez elle est si doux et
déstabilisant que je commence à me demander où sont passées mes foutues
couilles. J’en suis à ce point-là, ouais. J’ai commencé à mettre un pied dans ce
regard marin en me disant que je n’irais jamais plus loin et, résultat, je suis en
train de m’y noyer sans aucune envie de remonter à la surface.

La sentence n’a finalement pas été si efficace que cela.

– Salut.

Je fais un bond sur le canapé tout en ayant le réflexe de chercher mon couteau
sous le coussin alors qu’il n’y en a pas. Ces deux mouvements brusques me
valent un grognement de douleur dans tout le corps, plus intense au niveau des
côtes.

– Evy…

C’est un murmure plein d’espoir et de soulagement.

Elle est là.

Elle est revenue.

Elle se tient debout devant moi, mon sweat sur son corps délicieux et trempé
jusqu’aux os. Ses cheveux sont humides et emmêlés. Son visage d’ange présente
des traînées noires le long des joues et je suis presque sûr que ce n’est pas
seulement à cause de la pluie. Elle pose le sac à dos, dont le contenu émet un
bruit de verre, avant de s’accroupir près de moi. Sa main se pose sur mon torse et
je la recouvre de la mienne en fermant les yeux. Je ne saurais décrire ce que
j’éprouve à ce moment-là, parce que je n’avais encore jamais ressenti ça.

– Comment te sens-tu ?

Sa voix cristalline enveloppe mon cœur et il se met à battre la chamade. Soit


c’est à cause de mon piteux état, soit je suis vraiment en train de me ramollir.
Dans tous les cas, ça ne sent pas bon pour mes affaires. Elle me scrute de ses
prunelles turquoise, attendant ma réponse.
– J’ai connu pire.

Ce n’est pas vrai. Cette raclée a été la plus douloureuse de toutes celles que
j’aie connues, mais je veux la rassurer. Elle ne devrait pas s’inquiéter pour moi
mais plutôt pour elle. J’ai beau me creuser le crâne, je ne trouve pas de solution
qui pourrait lui laisser la vie sauve. Mon père a été clair. Il la veut morte. Et
personne ne discute ses décisions, sous peine d’en payer le prix fort. J’ai donc le
cul entre deux chaises. Mais ce soir, je n’ai pas envie de penser à ça. Une autre
question en suspens me brûle les lèvres.

– Pourquoi es-tu revenue ?

Elle détenait une occasion en or pour me planter. N’importe quel autre otage
l’aurait fait sans aucune hésitation. Pourquoi pas elle ? Qu’est-ce qui l’a poussée
à revenir ? Je l’ai torturée durant des semaines entières, j’ai été le pire homme
sur terre avec elle. Alors pourquoi ? Un sourire timide étire les lèvres roses
d’Evy et elle me couve de son regard bienveillant.

– Parce que tu as besoin de moi, répond-elle simplement et je fronce les


sourcils.

Si j’ai bien appris une chose en deux mois grâce à elle, c’est d’observer et de
tenter de décrypter les émotions. Je ne les connais pas toutes et je sais que je ne
suis qu’un débutant dans ce domaine, mais là, je vois qu’elle ment. Du moins en
partie. Elle me cache quelque chose et je compte bien savoir ce que c’est. Je m’y
attarderai plus tard. Pour le moment, j’ai besoin d’une dose de morphine et de
serrer ma belle blonde dans mes bras. Comme si elle lisait dans mes pensées,
Evy ouvre le sac, en sort une fiole et une seringue neuve.

– Je préfère te prévenir, je n’ai jamais fait ça.

Elle insère l’aiguille dans l’opercule du flacon et tire sur la seringue d’un air
concentré.

– Ce n’est pas aussi difficile que ça en a l’air.

Mon commentaire la surprend.

– À t’entendre, tu y as déjà eu recours, dit-elle avec une once de reproche


dans la voix.

Je commence à lire en elle comme dans un livre ouvert.

– Pas pour me défoncer, en tout cas, la rassuré-je.

Parfois, certaines missions tournaient mal et nous devions nous battre pour
nous en sortir. Je me souviens d’une nuit avec Duncan et Austin, un de nos frères
d’armes, nous devions buter des motards qui avaient mis une carotte à mon père.
Les gars ont senti le coup venir, malgré notre discrétion, et ils se sont défendus.
Je m’en suis sorti avec une fracture ouverte du tibia et Duncan m’a shooté à la
morphine. Evy me sangle le bras avant d’en tapoter le creux pour faire ressortir
la veine.

– On dirait que tu as fait ça toute ta vie.

Son regard noir m’indique qu’elle n’aime pas trop ma plaisanterie, mais je
souris. Bordel, voilà que je me mets à la taquiner, maintenant ! Qu’on me mette
la corde au cou, tant qu’on y est.

– Tu ne le vois pas mais je suis paniquée à l’idée de te rater, là.

Heureusement pour moi, je n’ai pas à souffrir davantage et je sens


immédiatement les effets de la morphine en train de couler dans mes veines. Je
me détends et ferme les yeux tandis que mes douleurs s’atténuent peu à peu. Elle
ne m’a pas donné une grosse dose, juste assez pour me soulager.

– On devrait peut-être t’allonger sur ton lit, ce serait plus confortable, non ?

Je hoche la tête sans pour autant ouvrir les paupières. J’ai l’impression d’être
sur un nuage. Après quelques secondes, je me résigne à bouger et Evangeline
m’aide à me relever. C’est loin d’être la meilleure solution pour guérir, mais il
est vrai que le canapé n’est pas très confortable. Mon bras autour de ses épaules,
je m’appuie sur elle tandis qu’elle m’aide, ses mains posées sur mes hanches.
Nous y allons à petits pas, mais j’arrive enfin à bon port et Evy arrange les
oreillers de façon à m’assurer le meilleur confort. Je suis subjugué face à autant
d’altruisme. Je lui ai fait vivre un enfer et elle est là, à prendre soin de moi.

– Pourquoi ? Pourquoi fais-tu tout ça alors que…


Je n’arrive pas à finir ma phrase, rongé par les remords. Elle devrait m’en
vouloir à mort, avoir envie de me tuer. N’importe quoi mais pas être ici à me
couver comme une mère face à son gosse malade. Pour toute réponse, Evy se
penche vers moi et dépose un chaste baiser sur mes lèvres amochées. J’en reste
coi. Ça, je ne m’y attendais pas du tout. Puis elle se lève en déclarant, le rouge
aux joues :

– Je vais te chercher de la glace et de quoi désinfecter tes plaies.

Elle sort de la chambre presque en courant. Je ne sais pas pourquoi, mais je


sens de plus en plus que quelque chose cloche chez elle. Son attitude n’est pas la
même que d’habitude, elle semble… presque distante. Elle ne m’a même pas
demandé qui m’avait fait ça. Je profite de son absence pour me demander à quel
moment j’ai dérapé. Quand ai-je commencé à éprouver des sentiments pour
elle ? Mais j’ai beau me remémorer le maximum de souvenirs depuis qu’elle est
là, je n’arrive pas à trouver celui qui m’a fait flancher.

Evy revient quelques minutes plus tard avec ma trousse de premiers soins. Je
la regarde panser mes blessures, me délectant du contact de ses doigts sur ma
peau. Pourquoi suis-je si sensible avec elle ? Je me suis envoyé un tas de femmes
depuis que j’ai goûté au sexe pour la première fois. Jamais je n’ai ressenti autant
de plaisir charnel qu’avec Evy. Qu’a-t-elle de plus que les autres ?

– Pourquoi es-tu toute trempée ? demandé-je, davantage pour effacer les


fantasmes qui polluent ma tête tandis qu’elle me touche que par réel intérêt.

En fait, si. J’ai envie de savoir. Je m’intéresse à elle. Je ne devrais pas, mais
c’est plus fort que moi.

– J’ai marché un long moment sous la pluie, avoue-t-elle après un moment


d’hésitation.

Sa voix est penaude, limite triste.

– Tu avais ma voiture, pourtant.


– Disons que j’ai eu un moment de faiblesse.

Elle pince les lèvres, l’air nerveux. Je commence à savoir la déchiffrer et je ne


devine que trop bien ce qu’elle me cache.
– Tu as essayé de t’enfuir, je me trompe ?

Son regard s’arrime au mien et elle n’a pas besoin de parler, je connais déjà la
réponse. Avant que je ne m’en rende réellement compte, ma main s’est posée sur
sa joue. Il faut vraiment que j’apprenne à contrôler mes gestes, sous peine de me
transformer en putain de guimauve. Evy ne prononce toujours pas un mot mais
son visage parle pour elle.

– Va prendre une douche. On en parlera après.

Evangeline se relève, s’empare des compresses usagées et de la trousse de


soins avant de se diriger vers la salle de bains. Je soupire, ce qui m’arrache une
grimace de douleur. Ma punition n’a finalement servi à rien. Malgré toute ma
volonté à garder le contrôle sur le monstre, Evy parvient toujours à l’apprivoiser.
Elle a ce putain de pouvoir en elle, cette emprise qui m’empêche de mener à bien
ma mission.

Mon père va me bannir. Mais, bizarrement, cette idée ne me fait plus aussi
peur qu’avant. Pourquoi ? Je n’en sais foutre rien. Je ne comprends que dalle à
ce qui m’arrive. C’est comme si j’avais ma main posée à plat sur une plaque
chauffante. Ça brûle, c’est douloureux, je sais que je devrais la retirer. Mais je
n’y arrive pas. Je ne veux pas. Je suis attiré par cette sensation de brûlure qui
incendie ma main. Je suis accro aux sensations que me procure Evy. À son
regard captivant, ensorcelant. À sa grâce charmante. À sa ténacité déroutante. À
son altruisme hors pair.

Je suis largué.

Largué… et accro.

***

Un peu plus tard, Evy frappe à ma porte pour m’apporter une assiette. Cela
faisait un bon moment qu’une odeur succulente embaumait l’air de mon
appartement, mais la morphine me fait tellement planer que je pensais à des
hallucinations olfactives. Elle entre timidement et mon cœur rate plusieurs
battements. Je me suis endormi avant qu’elle ne soit sortie de sa douche. Elle
s’est changée et porte maintenant un débardeur au décolleté panoramique sur sa
poitrine et lui arrivant juste au-dessus du nombril. Son jean brut taille haute est
presque collé à sa peau, faisant ressortir la forme de ses jambes et de ses fesses.
Une fièvre monte instantanément en moi. Et dire que je ne pourrai rien lui faire
avant un putain de moment… Je peux presque entendre ma queue pleurer à
chaudes larmes.

– Je me suis dit que tu avais peut-être faim, dit-elle en posant le plateau-repas


sur ma table de chevet.

Je tente de me redresser, mais le moindre mouvement m’arrache la poitrine.


Je crois que j’ai besoin d’une autre dose.

– Je t’en ai administré une il y a à peine deux heures, on va peut-être attendre


un peu, objecte Evy, comme si elle avait lu dans mes pensées.

J’aime de plus en plus le fait qu’elle sache déchiffrer chacune de mes


expressions.

– Qu’est-ce que c’est ? lui demandé-je en désignant le plat dans l’assiette.

Elle me scrute comme si des cornes m’étaient soudain poussées sur la tête.

– Tu ne connais pas les lasagnes ? C’est l’un des meilleurs plats de tous les
temps, s’offusque-t-elle après que j’ai secoué la tête.

Je pique un morceau avec ma fourchette mais l’arrête à mi-chemin. Je ne


devrais pas accepter. Si ça se trouve, elle a mis de l’arsenic ou du cyanure, là-
dedans. Après tout, elle a tout un tas de raisons de vouloir ma mort et je ne fais
confiance à personne, encore moins à mon otage. Je la regarde de travers. Mon
attitude semble la rendre perplexe, mais elle ne fixe pas la fourchette comme
quelqu’un qui voudrait m’empoisonner en pensant « Allez, vas-y, avale cette
bouchée ». Non, on dirait qu’elle appréhende. Je lui tends tout de même la
fourchette et elle hausse les sourcils.

– Tu as peur que je t’empoisonne ?


– C’est exactement ce que je pense, oui.

Sans hésiter, elle enfourne le morceau dans sa bouche. Je fixe ses lèvres se
refermer sur le morceau de métal et la fièvre s’intensifie dans le bas de mon
corps. Lorsqu’elle se relève, une trace de sauce tache le coin de sa bouche et je
me surprends à avoir envie de la lécher pour la faire disparaître. Mais elle
anéantit mon fantasme en l’essuyant d’un doigt.

– Merci, dis-je sincèrement. Quelle heure est-il ?


– Quinze heures.

J’ouvre de grands yeux. Quinze heures ?! Merde, j’ai dormi toute la nuit ?

– Mon téléphone.
– Il n’a pas arrêté de sonner depuis ce matin et je doute que tu aurais apprécié
que je réponde.

Je le prends en la remerciant et l’angoisse m’attrape à la gorge lorsque je


découvre les nombreux appels manqués de mon père. Bon Dieu, je suis foutu. Je
regarde Evy d’un air éloquent. Elle comprend vite et disparaît de ma chambre. Je
compose aussitôt le numéro et la voix enragée de mon paternel se fait
immédiatement entendre.

– EST-CE QUE JE DOIS REVENIR POUR TE REMETTRE LES IDÉES


EN PLACE, RYDER ?? QU’EST-CE QUE TU FOUS, BORDEL ??
– Pardon, papa, balbutié-je. J’ai pris de la morphine et je crois que j’ai un peu
dépassé la dose.
– As-tu buté la fille ?

J’ouvre la bouche pour lui répondre que je compte le faire dès que je serai
guéri, mais aucun son ne sort. Mes cordes vocales sont comme paralysées et mes
yeux restent posés sur l’assiette de lasagnes. Evy est encore là alors qu’elle
pourrait s’enfuir.

Elle a cambriolé un hôpital et m’a soigné alors que je suis responsable de ses
propres cicatrices…

Elle m’a fait à manger alors qu’elle aurait pu m’affamer comme je l’ai fait au
début avec elle.

Elle est gentille alors que j’ai été le pire connard avec elle.

Elle aurait pu me laisser crever comme un chien. Elle aurait dû ! Mais elle est
là. Près de moi. Pourquoi ? Qu’est-ce qui la pousse tellement à me venir en aide
alors que je ne mérite pas sa sollicitude ? Elle est si généreuse. Et si belle,
putain. Quelque chose explose en moi à la simple pensée de cette femme. C’est
euphorisant et déroutant à la fois. Je ne sais même pas si je dois en être content
ou, au contraire, repousser ces sensations.

– Ryder ? grogne mon père, impatient au bout du fil.


– Oui.
– Quoi, « oui » ?

Je prends une profonde inspiration et mon cœur s’affole. Je ne sais pas quelle
est cette émotion mais je ne l’aime pas du tout. Je ferme les yeux pour appeler le
monstre. J’ouvre la porte dans ma tête et il y entre d’un pas certain pour
s’enrouler autour de mon esprit complètement déstructuré. Je rouvre les yeux et
assène, d’une voix qui ne laisse aucune place à l’émotion :

– Oui, je l’ai tuée. Elle gît au fond du lac.

Un long silence ponctue mon mensonge. Puis je peux presque voir le sourire
satisfait de mon géniteur quand je l’entends.

– Très bien, fiston.

Il raccroche et je reste un moment sans respirer. J’ai menti à mon père. Je


n’avais encore jamais fait ça. Ni aucun de mes frères et sœurs. Putain, qu’est-ce
que j’ai fait ? Mais, en même temps, j’aurais eu droit à une autre raclée de ses
sbires si je lui avais dit la vérité. Avec Dixon comme chef, étant donné que mon
père n’a pas le temps de se libérer encore une fois. Si mon père donne les ordres,
Dixon n’hésite pas à participer au festin. Et vu l’état dans lequel je suis, je ne
survivrais pas à une deuxième rasade de coups. Je suis solide, mais pas immortel
non plus.

Je fixe la porte, conscient de la présence d’Evy quelque part dans


l’appartement.

Je n’ai plus le choix, désormais.

Je dois faire en sorte que mon mensonge soit vrai.


18

Evy

Chassez le naturel, il revient au galop. Je sais que ce n’est pas bien d’écouter
aux portes, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Toute la journée, j’ai fixé cet
écran de téléphone, ce « Papa » qui me narguait. Cette envie dévorante de savoir
ce qu’il pouvait bien vouloir à Ryder. Mais j’ai résisté. Parce que je savais que
c’était la pire idée à avoir. En revanche, je n’ai pas pu repousser la curiosité de
savoir à travers les paroles de Ryder.

« Oui, je l’ai tuée. Elle gît au fond du lac. » J’ai tout de suite reconnu la voix
du monstre. L’angoisse s’est insinuée en moi comme une coulée de lave. J’ai dû
plaquer ma main sur ma bouche pour étouffer mon sanglot.

Ryder a menti à son père. Pourquoi ? Je n’en sais rien. En revanche, je sais
que ma mort est plus qu’imminente, désormais. Mon ravisseur n’a plus d’autre
choix que de me faire disparaître. Sa révélation a marqué mon arrêt de mort et je
m’attends au pire dans les prochaines heures.

Je pourrais m’enfuir. Je devrais prendre mes jambes à mon cou. Mais quelque
chose m’en empêche : les sentiments que j’éprouve à l’égard de Ryder. Je refuse
de le laisser entre les mains de ce psychopathe qui lui sert de paternel. Si j’avais
assez de force physique, je le kidnapperais à mon tour et m’enfuirais avec lui à
l’autre bout du monde pour le protéger.

Pour nous protéger.

– Evy !

Je sursaute en entendant mon nom, persuadée qu’il m’a découverte devant sa


porte à l’espionner. J’attends un moment et finis par entrer avec une certaine
appréhension. Il a l’assiette que je lui ai préparée posée sur les genoux et la
bouche pleine. Dans son regard, je ne vois que l’homme. Me voilà quelque peu
rassurée. Il tapote le matelas et je m’assois.

– Est-ce que ça va ? m’enquiers-je, réellement inquiète pour sa santé.

J’ai terriblement envie de savoir qui lui a infligé toutes ces blessures. J’ai
connu la partie sombre de Ryder, sans états d’âme, il n’y a pas longtemps encore.
Mais la personne qui l’a mis dans cet état doit être encore pire. Il n’y est pas allé
avec le dos de la cuillère. Je suis même étonnée qu’il soit encore conscient étant
donné la violence inouïe avec laquelle on l’a frappé. J’en ai mal au cœur.

– Pourquoi n’as-tu pas essayé de t’enfuir ? Pourquoi ne le fais-tu pas, là, tout
de suite ?

Parce que je ne peux pas. Je ne veux pas.

– Je n’en sais rien, Ryder, finis-je par répondre, les larmes aux yeux. J’en ai
envie, pourtant, mais je…

Je ne parviens pas à terminer ma phrase, trop accablée par les sentiments qu’il
fait naître en moi. Je n’ai jamais ressenti un truc pareil. Ça me fait du bien autant
que ça me fait peur. Ryder replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et
mes joues s’empourprent en même temps que mon cœur s’accélère. Pourquoi
mon corps réagit-il ainsi à son contact ?

– Mais quoi, Evy ?

Sa voix est douce et sensuelle. Je fixe sa bouche avec envie. Je veux la goûter.
Encore et encore.

– Je refuse de t’abandonner. Je ressens le besoin de te protéger.

Ryder fronce les sourcils et laisse tomber mollement son bras. Cet
éloignement soudain m’angoisse.

– Me protéger de quoi ?
– De tout ça, soupiré-je en désignant l’espace autour de nous. Tu es quelqu’un
de bien, Ryder, je le sens ! J’ai essayé de m’enfuir, tu sais ? Quand je suis sortie
de l’hôpital, je suis retournée là-bas. Là où je vivais. Je m’inquiétais pour Lydia
et j’avais besoin de savoir comment elle allait. Elle ne va pas bien, je l’ai vue
devant la fac. Elle a besoin de moi autant que j’ai besoin d’elle.
– Alors pourquoi es-tu revenue ?
– Parce que je me suis rendu compte que toi aussi tu avais besoin de moi. Je
ne pouvais pas te laisser agoniser comme ça. Et puis en plus, je venais de
cambrioler un hôpital, je refusais d’avoir fait ça pour rien.

Bien sûr, je n’ai pas du tout songé à cette dernière phrase. Mais si je ne l’avais
pas dite, cela revenait à lui dire que j’ai des sentiments pour lui et il est hors de
question de le lui avouer. J’ai déjà du mal à l’admettre moi-même… Cela dit, j’ai
fait un signe à Lydia. Maintenant que je sais comment crocheter une serrure, je
suis entrée dans notre appartement et ai laissé un indice qui lui prouvera que je
suis passée et que je pense à elle chaque jour qui passe.

– Tu sais très bien ce qui t’attend si tu restes ici.

Je hoche la tête et une larme m’échappe. Je l’essuie d’un revers de la main.

– Mais je sais que j’aurais eu des regrets si je t’avais laissé comme ça. Tu as
commis beaucoup d’erreurs, Ryder. Des erreurs impardonnables pour certains,
mais rattrapables selon moi.
– Elle te manque ?

Je hoche la tête en retenant de nouvelles larmes. Elle me manque


terriblement, avec Robbie.

– Tu aimerais les revoir ?

Je regarde Ryder avec surprise. Il a une expression indéchiffrable. Je n’arrive


pas à savoir s’il est peiné ou heureux de me donner la possibilité de revoir mes
amis.

– Oui, avoué-je après un moment.

Il passe une main sur son visage. Je peux voir un tas d’émotions se bousculer
dans son regard ocre, mais je n’arrive pas à les déchiffrer.

– OK. Je te laisserai t’en aller.

Le temps semble s’arrêter autour de moi. Je devrais sauter de joie, me sentir


enfin délivrée de trois mois de captivité. Je devrais même déjà courir dans mon
placard et y faire ma valise. Je devrais être fière que mon plan ait enfin
fonctionné. Alors pourquoi ne suis-je pas heureuse de cette nouvelle ? Tout
simplement parce que si je retrouve mes amis, ce sera la fin de mon kidnapping
et donc la fin de Ryder et moi.

– Qui t’a fait ça ? murmuré-je en touchant ses bleus du bout des doigts.

Je refuse de le regarder dans les yeux. Je ne veux pas qu’il voie ce que
j’éprouve réellement, ce qui me pousse à rester près de lui.

– Je lui ai dit que j’avais accompli ma mission, Evy. Il faut que tu partes.

Je relève les yeux vers lui et lui lance un sourire contrit. Il devine que je suis
déjà au courant de ce détail et soupire.

– Tu as menti à ton père pour me sauver. Pourquoi ?

Deuxième soupir.

– Disons que tu sais parler aux gens. Tu m’as fait comprendre des choses.
Avant, je ne pensais qu’à ôter la vie des gens. Je trouvais cela normal puisque
c’était mon père qui me l’ordonnait. Il a passé plus de vingt ans à m’élever ainsi
et toi, il ne t’a fallu que quelques mois pour remettre en question l’éducation
qu’il m’a donnée. Je ne sais pas si je dois t’en vouloir ou te remercier. Parce que,
même si je montre le contraire, j’aime l’homme que je suis en ce moment.

Je suis abasourdie par autant de franchise venant de lui. Je m’allonge à côté


de lui et pose ma tête au creux de son épaule en faisant attention à ne pas
appuyer sur son flanc avec mon bras. Il se raidit mais ne me repousse pas pour
autant.

– Je peux rester encore un peu, murmuré-je.


– Non, ne fais pas ça, Evy.
– Pourquoi ?
– Parce que mon père rentre bientôt et je ne veux pas qu’il te repère.

Je me redresse sur un coude pour capter son regard.


– Pourquoi j’ai l’impression que ton père n’est pas la seule raison ?

Il soupire d’exaspération, n’ayant pas l’habitude que quelqu’un lise en lui


comme dans un livre ouvert.

– J’ai peur de… M’attacher à toi ne ferait que compliquer les choses et c’est
ce qu’il risque d’arriver si tu restes. J’aime trop ta proximité, la preuve, je
n’avais encore jamais dormi avec qui que ce soit et ça me rend vulnérable. Tu
dois partir, Evangeline. Tu dois t’en aller et sortir complètement de ma vie.
Crois-moi, c’est le mieux à faire.

***

Je ne suis pas partie. Ryder a râlé en me voyant arriver pour lui apporter son
petit déjeuner, le lendemain, mais je l’ai ignoré. J’ai changé ses pansements, lui
ai fait ses piqûres d’analgésiques. J’ai cependant dû me battre avec lui pour ce
qui est de la douche, mais j’ai fini par avoir gain de cause lorsqu’il est tombé
alors qu’il voulait se débrouiller seul.

À ces souvenirs, mon ventre se contracte. J’ai beau avoir déjà vu son corps
nu, je n’en ressens pas moins autant de sensations que si c’était la première fois.
J’ai dû me faire violence pour ne pas me déshabiller moi aussi et lui montrer à
quel point j’ai envie de lui. Cependant, j’ai vu à son regard lubrique que mon
corps me trahissait et qu’il était autant frustré que moi de ne pas pouvoir aller
plus loin. En somme, j’ai joué la parfaite infirmière et il a fini par s’y habituer.

Deux semaines ont passé et je suis toujours là, au grand dam de Ryder. Il a
repris du poil de la bête, si je puis dire, et même s’il a encore un peu de mal, il
parvient à se tenir debout et ne dépend presque plus de moi. Ses douleurs s’étant
atténuées, nous sommes passés à la codéine. Je suis en train de nettoyer la
cuisine lorsque je sens son regard peser dans mon dos. Je me retourne pour le
découvrir vêtu d’un seul bas de jogging. Les plaies sur son visage se sont
refermées et les ecchymoses sur son torse nu et sur son dos ont pris une teinte
jaunâtre. On pourrait croire que cela – ajouté à ses cicatrices plus anciennes et
dont je devine désormais la provenance – enlaidit son corps, mais ce n’est pas le
cas. Il reste physiquement parfait malgré les stigmates. Immédiatement, je
vérifie dans ses yeux à qui j’ai affaire. C’est devenu une habitude avec le temps,
un automatisme. Est-il l’homme ou la bête, aujourd’hui ? Il me sourit, creusant
cette petite fossette que j’aime sur sa joue mal rasée. Je suis soulagée de voir que
le monstre est absent.

– Bien dormi ?
– J’ai envie de toi.

La surprise s’empare de moi et je suspends mon geste pour le scruter,


interloquée. Un feu crépite en moi, les souvenirs de nos étreintes précédentes me
reviennent et je serre les cuisses. Je tente de calmer ma respiration et les
battements de mon cœur qui se sont soudain accélérés.

– Eh bien, ça a le mérite d’être clair…

Je continue de frotter mon éponge sur le plan de travail, mais je sens le regard
ténébreux de Ryder derrière moi et cela me perturbe. Je me sens fébrile, j’ai du
mal à me concentrer sur ma tâche.

– Ce n’est pas ton cas, peut-être ?

Je sursaute en entendant sa voix si proche de mon oreille. Je ne l’ai pas


entendu se lever. Le brasier se propage dans mon corps tandis que je sens sa
main frôler ma hanche. Je m’évertue à nettoyer la surface déjà propre depuis un
moment. Ce qui ne devait être qu’un plan pour l’empêcher de me tuer s’est
transformé en quelque chose de beaucoup plus… profond. Je suis en train de me
perdre dans mes sentiments. Mon cœur et ma raison sont en train de se battre en
duel tandis que les lèvres de Ryder se posent à la base de mon cou et que ses
doigts se referment sur les miens, arrêtant les allers-retours de l’éponge. Je ne
bouge pas, bloque ma respiration. Un silence assourdissant plane au-dessus de
nous, seulement troublé par les battements de mon cœur. Son souffle sur ma
peau me donne des frissons. Le désir est on ne peut plus tangible.

– Il ne me suffit que de quelques mots, Evy… susurre-t-il avant de me


mordiller le lobe de l’oreille.

Le gémissement sort de ma gorge avant que j’aie pu le retenir. Ma peau


frissonne, contrairement à mon sang qui s’embrase dans mes veines. Il se
demande ce que je fais encore là. Franchement, moi aussi. Mon plan a marché, je
lui ai fait ressentir des sentiments, des émotions. Je devrais m’en tenir là et
décamper comme il me l’a si bien conseillé. Il est sur pied, il n’a plus besoin de
moi.

Mais je n’y arrive pas. Comme si mon corps voulait rester. Sale traître, il a
goûté une fois aux performances de Ryder, il ne peut plus s’en passer. Mes yeux
se ferment d’eux-mêmes et ma tête se pose sur son épaule pour lui donner libre
accès à ma peau. Je suis consciente d’avoir déjà passé la ligne rouge, mais je ne
peux pas résister. Il est beaucoup trop fort pour que je puisse le faire. Ses mains
remontent sur mes seins et les pressent avec envie. Je peux sentir dans le bas de
mon dos à quel point son abstinence forcée lui a été pénible, ces deux dernières
semaines. Et comme si mon cerveau était en veille, mon corps se colle un peu
plus contre celui de Ryder, réclamant toujours plus de caresses, toujours plus de
sensations. Il me retourne face à lui et prend possession de ma bouche. Il
s’immisce à l’intérieur sauvagement, comme si je lui appartenais. Comme si
j’étais sienne. Je lui rends chaque coup de langue, réponds à ses assauts. Bientôt,
je me retrouve coincée entre son torse sculptural et le rebord de l’îlot. Je n’ai
plus aucune échappatoire. Ai-je réellement envie de m’écarter ? Non.

– Dis-le, Evy… grogne Ryder, sa bouche survolant ma poitrine.

Je soupire d’excitation tandis que mes mains se perdent dans sa chevelure


d’ébène. Je voudrais avoir la force de résister, de me battre contre ces sentiments
qui n’ont pas lieu d’être. Je prends une grande inspiration pour lui demander de
s’écarter, lui dire que l’on ne peut pas continuer sur cette voie.

– J’ai envie de toi…

Je réalise que c’est moi qui ai dit cela à voix haute lorsque les prunelles or
sombre de Ryder se plantent dans les miennes. Merde, mais qu’est-ce qui m’a
pris ? Il faut croire que ma ténacité s’est barrée avec son baluchon sur l’épaule.
Ses lèvres fondent de nouveau sur les miennes et ni lui ni moi ne répondons plus
de rien. Je m’accroche à lui comme si ma vie en dépendait. Le feu en moi brûle,
il est le seul capable de l’éteindre. Il arrache mes vêtements en un temps record
et les siens ne tardent pas à s’envoler également. La passion, le manque, la
fureur de jouir… nos corps prennent littéralement le contrôle. Nous les laissons
se dévorer, se redécouvrir, se consumer à nouveau. Seuls nos halètements brisent
le calme et la quiétude de l’appartement. Son sexe est fièrement dressé contre
mon ventre, prêt à empaler mon antre. Mon amant me hisse sur lui et, d’un seul
coup de reins, me possède entièrement. Je suis incapable de retenir mon cri
d’extase et les sensations m’incendient de toutes parts. Il me porte comme si je
ne pesais rien, alors que je ne dois pas être très loin de son propre poids, et nous
entraîne dans sa chambre. Sans nous décrocher l’un de l’autre, nous nous
allongeons sur le lit encore défait et je m’agrippe aux draps tandis qu’il me
pilonne sans vergogne. C’est puissant, bestial, fulgurant, à tel point que j’en ai
les larmes aux yeux. Je ne sais pas si je pleure de déception parce que j’ai faibli
ou parce que les sensations sont trop fortes et irradiantes. Est-ce parce que ma
vie d’avant me manque ou parce que je n’arrive pas à trouver la force de laisser
Ryder tout en sachant que je risque un peu plus ma peau en restant ? En tout cas,
j’ai besoin d’évacuer. J’ai besoin de faire sortir ma détresse, ne serait-ce que
pour cet instant-là. Je suis revenue parce que mon corps et mon cœur réclamaient
Ryder. Je dois me rendre à l’évidence.

***

Je suis réveillée par de douces caresses sur ma cuisse. J’ouvre les yeux pour
découvrir Ryder, tout sourire, ses doigts parcourant mon corps nu de sa main
habile. Je suis ravie d’avoir à nouveau affaire au Ryder humain. Je commence à
me demander si la bête en lui n’a pas définitivement fermé la porte. Il a les
cheveux mouillés et est vêtu d’un T-shirt noir. Il doit sûrement sortir de la
douche après avoir fait son jogging.

– Quelle heure est-il ?


– Presque onze heures.

Je ne me rappelle pas à quand remonte ma dernière grasse matinée. Il faut dire


que je ne dors plus beaucoup en ce moment. En plus de la peur que quelqu’un
débarque pour me supprimer, j’ai dû me réveiller au moins trois fois par nuit, ces
deux dernières semaines, pour apaiser Ryder. Tantôt il était en plein cauchemar,
tantôt il souffrait. Je dépose un doux baiser sur ses lèvres et il l’approfondit en
mêlant sa langue à la mienne. Sa main remonte le long de mon buste pour
malaxer ma poitrine. Il me surplombe et je geins.

– Ça ne va pas ? s’inquiète-t-il.
– J’ai encore mal aux fesses, révélé-je en rougissant d’embarras.

Il rit dans mon cou. Je ne me lasserai jamais de ce son, j’ai bien l’impression.
– Ça, ça veut dire que ça a été bien fait, même si je n’avais aucune raison d’en
douter.

Je lui donne une petite tape sur l’épaule en riant. La modestie, ce n’est pas
trop son truc. Je ne sais pas si son nouveau comportement va durer et j’avoue
que je me ronge les sangs à l’idée qu’il puisse changer en un claquement de
doigts. J’espère de tout mon cœur qu’il restera comme ça.

Mais, comme on dit, il faut se méfier de l’eau qui dort…

Ryder et moi passons le reste de la journée dans les bras l’un de l’autre. Je
n’ai aucune idée de la véritable nature de notre relation, à présent, ni d’où cela
va nous mener. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai aucune envie d’être ailleurs
et je crois que lui non plus. J’ai laissé mes craintes sortir pendant notre étreinte.
Je crois que, si je suis encore là aujourd’hui, c’est qu’il manque une pièce du
puzzle. Une étape à ma mission. Et aussi parce que mon cœur n’est pas décidé à
oublier le charmant jeune homme qui se trouve contre moi et qui me surprend de
jour en jour avec ses nouvelles facettes. Fini les tortures, cette histoire de clé
USB, je crois même qu’il en a oublié sa propre mission. Je pense que j’ai réussi
à lui faire découvrir quelque chose en lui dont il ne soupçonnait même pas
l’existence jusque-là. Et je me sens d’autant plus fière. Après avoir remis le
couvert, nous voilà derrière les fourneaux, cuisinant un plat typique de mon
Canada natal, la poutine.

– Donc si je comprends bien, tu parles un peu le français ?


– Oui.
– OK, alors dis-moi un truc en français, me demande-t-il en sortant les frites
de la bassine d’huile.
– Si tu continues dans cette voie, je pourrais tomber amoureuse de toi.
– Ça veut dire quoi ?

J’hésite. J’ai dit cela comme ça et je ne me doutais pas qu’il m’en


demanderait la traduction. Je ne peux pas le lui dire. Parce que ma fierté en
prendrait un coup, mais aussi parce que si je lui révèle ce que je ressens
vraiment, j’ai peur qu’il ne se braque et ne redevienne celui d’avant.

– Que les frites ne sont pas assez cuites, réponds-je du tac au tac.
Il remet le panier dans la machine avant de me regarder avec insistance, une
expression dubitative dans les yeux.

– Quoi ? fais-je innocemment.


– Je ne te crois pas.
– Et pourtant c’est vrai.

Ma conscience me tire la langue en me traitant de menteuse. Je l’emmerde.


Ryder me scrute encore pendant quelques secondes avant de se résigner à laisser
tomber. Il commence à me connaître, il sait que je ne lâcherai rien.

Nous passons à table et nous discutons de moi, de ma vie. Ma vie d’avant.


J’ai un tas de questions à lui poser, moi aussi je voudrais en savoir davantage sur
lui. Mais je ne crois pas que ce soit le bon moment pour cela. Pas encore. Je reste
toujours sur mes gardes, je m’attends à ce que le démon en lui refasse surface. Il
est là, tapi dans l’ombre de l’âme de Ryder, à patienter, jusqu’au moment propice
où il bondira.

Ce que je ne veux surtout pas.

Je veux continuer à parler au Ryder que j’ai face à moi. Ce Ryder rieur et
plaisantin, doux et habile de ses mains et de son corps. J’ai mis trois mois à le
faire sortir mais j’y suis arrivée. Et je ne pense pas que j’aurais la force de me
battre encore contre ce foutu démon en lui.

***

Je suis en train de préparer le petit déjeuner lorsque Ryder rentre de son


footing. Ses côtes ont fini par se rétablir d’elles-mêmes et il a retrouvé sa forme
physique d’avant. Les marques de coups se sont estompées également et, bien
que j’en meure d’envie, je n’ai pas encore pris le risque de lui demander qui était
l’auteur de son passage à tabac. Je commence à m’habituer à ma vie ici. Je ne
crains plus Ryder même si je reste tout de même sur le qui-vive, au cas où le
monstre déciderait de refaire surface. Je ne me repose pas sur mes lauriers mais
je ne perds pas espoir non plus. La bête est restée enfermée encore toute la
semaine, ce qui est plutôt encourageant.

Il me plaît de plus en plus. Je crois que je suis en train de tomber amoureuse


de lui, mais je ne lui avouerai jamais. Il m’a peut-être fait du mal, autant
physiquement que moralement, mais il m’a aussi fait comprendre que j’étais plus
forte que je ne le pensais au début. J’ai su lui tenir tête alors que ma vie était
menacée.

J’ai réussi à changer un loup en agneau.

C’est pour cette raison que je me demande si je ne me suis pas trompée de


cursus. L’année dernière, j’ai choisi la psychothérapie en spécialité
professionnelle. Aujourd’hui, je me demande si je n’aurais pas mieux fait de
choisir la psychologie criminelle. Je pourrais éventuellement écrire mon
mémoire en rapport avec ma propre histoire, sans pour autant dire que c’est la
mienne. J’ai toujours eu de bonnes notes et je referai une année de licence s’il le
faut. Si je suis parvenue à changer Ryder alors qu’il a tué plein d’innocents,
peut-être pourrais-je faire de même avec d’autres criminels.

– À quoi tu penses ? me demande-t-il.

Le seul fait qu’il éprouve de l’intérêt pour mes pensées me prouve qu’il est en
train de changer radicalement. Il est dans une sorte de phase de métamorphose.
Le monstre est présent, mais il reste silencieux.

– Rien d’intéressant, réponds-je avec un sourire, espérant être convaincante.

Je ne pense pas que ce soit le moment idéal pour lui parler de mon projet.

Il me gratifie d’un clin d’œil puis dépose un baiser sur le coin de mes lèvres.
Oh ! Nous nous regardons avec la même expression sur le visage : de la surprise.
Je ne le pensais pas aussi affectueux alors que je ne suis même pas sa copine et
je crois qu’il vient de découvrir lui aussi une autre facette de lui-même. Un
silence gênant s’installe entre nous et il l’interrompt en faisant demi-tour pour se
diriger vers la salle de bains.

Je prépare la table du petit déjeuner quand il revient, fraîchement douché. Il


porte un T-shirt gris qui fait ressortir ses yeux dorés et un pantalon noir. Je n’ai
jamais vu un homme habillé normalement et pourtant aussi sexy.

– Pourquoi tu rougis ? demande-t-il en s’asseyant à côté de moi.


– Parce que tu es beau et je me demande ce que tu peux bien me trouver.
Il sourit avant d’enfourner une tranche de bacon dans sa bouche.

– Crois-moi, tu n’as rien à envier aux autres.

Je rougis davantage et plonge ma tête dans mon assiette. Moi qui suis plutôt
une femme de caractère, qui adore d’habitude avoir le dernier mot, j’avoue me
sentir un peu sans défense.

– Pourquoi as-tu l’air si pensive, en ce moment ?

Je hausse les épaules, la tête plongée dans mon assiette.

– Parce que je le suis, murmuré-je d’une petite voix.


– Raconte.

Je relève la tête et fais face à son regard insistant, celui qui dit « je te
harcèlerai jusqu’à ce que tu me dévoiles le fond de tes pensées ». Je me résigne à
être sincère.

– J’avais songé à commencer mon mémoire.


– Tu ne m’avais pas dit que tu l’avais presque terminé ?
– En fait, j’ai pensé à en refaire un. Ça risque d’être compliqué puisqu’il me
reste à peine deux mois, mais j’écris vite.
– Pourquoi veux-tu changer ?
– Parce que je veux écrire notre histoire et me réorienter vers la psychologie
criminelle.

Ses sourcils se froncent soudain et il en laisse tomber sa fourchette.

– J’espère que tu plaisantes, là ?


– J’ai pensé que ce serait bien que je change de cursus et notre histoire
pourrait jouer en ma faveur pour obtenir mon master sans repasser une licence
en psy criminelle.

Il frappe violemment sur la table, me faisant sursauter. Merde. Ma révélation


aurait-elle fait ressurgir la bête en lui ? Non, non, non, pas ça !

– Je refuse que tu parles de moi.


– Je ne mentionnerai aucun nom, Ryder !

Je me pince les lèvres pour m’empêcher de parler. Mais pourquoi je m’obstine


à insister ? Serais-je devenue suicidaire ? Il se lève si brusquement que la chaise
se renverse.

– Ne m’oblige pas à redevenir celui qui fait mal, Evy, gronde-t-il. Ce n’est pas
parce que tu m’as fait changer d’opinion sur toi que je suis devenu docile et
facile à manipuler. Trois mois, Evy. C’est le temps qu’il t’a fallu pour remettre
mes convictions en question. Fais attention qu’il ne faille pas moins longtemps à
mes vieux démons pour ressurgir, OK ?

Je reste bouche bée. Je ne sais pas quoi répondre, à vrai dire, parce qu’il a
raison. Son esprit est encore habité par le tueur et je crois que je n’arriverai
jamais à le faire totalement disparaître. Il fait partie de lui. C’est un peu comme
deux personnes dans le même corps qui ne peuvent se dissocier.

– D’accord, cédé-je. Je ne ferai rien, c’était une idée stupide.

Il me regarde, encore suspicieux, mais il peut me faire confiance. Je ne ferai


rien qui pourrait permettre de le faire redevenir comme avant. J’ai accepté des
semaines de torture pour le sauver de lui-même, je refuse de croire que cela
n’aurait servi à rien, tout cela pour une stupide clé USB. Ryder semble me
croire, car il se radoucit et se rassoit à table. Je lui prends aussitôt la main pour le
rassurer.

– Je vais continuer mon mémoire, dis-je d’une voix douce. Je me rappelle où


je me suis arrêtée.

Il me regarde de biais mais semble calme.

– Tu me rends barge.
– Et c’est un compliment ou un reproche ?

Il garde un moment de silence.

– Je n’en sais rien pour l’instant, finit-il par avouer. Mais je te promets de te
mettre au courant dès que je le saurai.
***

Ryder a réussi à me dégoter un cahier en revenant de je ne sais où. Je ne lui


pose pas de questions sur ses allées et venues, bien que cela me démange depuis
que je suis arrivée. Et plus encore depuis que nous sommes devenus plus…
proches. Un élan de jalousie me submerge quand je pense qu’il est peut-être avec
une autre. Ou des autres… Je suis en train d’essayer de me concentrer sur mon
travail, mais Ryder regarde un film d’horreur et je sursaute tout le temps.

– Tu ne veux pas mettre autre chose, je n’arrive pas à me concentrer sur ce


que j’écris…
– Va dans la chambre dans ce cas, dit-il sur un ton dur qui me surprend et me
vexe en même temps.

Piquée au vif, je referme mon cahier d’un coup sec et m’apprête à me lever
quand Ryder me rattrape par le poignet. Son regard est plus doux et une lueur de
culpabilité brille à l’intérieur. Je reste immobile face à lui, encore agacée.

– Je suis désolé, je ne voulais pas te dire ça comme ça, s’excuse-t-il. Je… J’ai
encore du mal à… gérer mon tempérament. Reste avec moi.

Je soupire avant de capituler. Je dois être patiente et prendre sur moi. Je me


rassieds et m’empare de la télécommande.

– Donne-moi un nombre entre 1 et 300.


– Je ne sais pas, 189 ?

Je mets la chaîne et nous éclatons de rire face au programme.

– Tu n’aurais pas pu choisir un autre truc qu’un film porno ? fais-je, au bord
des larmes.
– Tu m’as demandé un nombre, je n’y peux rien.

Son rire, je ne m’en lasserai donc jamais ? Chaque fois que je l’entends, mon
cœur bondit un peu plus. Il a du mal à s’y accoutumer, car il stoppe net et reporte
son attention sur la télé, comme si c’était un acte tabou pour lui.

– Tu ne devrais pas avoir honte de rire.


Il hausse les épaules.

– C’est nouveau pour moi.


– Je sais. Mais c’est normal et ça te va bien, dis-je en me lovant contre lui.

Merde, pourquoi j’ai fait ça ? Nous ne sommes pas censés être aussi
affectueux en dehors du lit. Je vais pour me remettre à ma place, gênée, mais il
passe son bras autour de mes épaules et me caresse la peau. Un frisson parcourt
tout mon corps.

– Tu viens d’inventer ce jeu ? me demande-t-il tandis que la nana commence


à se faire caresser.

Comme par hasard, le film vient de commencer, ce qui veut dire que l’on va
avoir droit à la totale pendant quarante-cinq minutes environ.

– Non, réponds-je. C’est ma mère qui a eu cette idée. Jared et moi nous
chamaillions tout le temps pour la télécommande, alors ma mère nous a conseillé
de choisir un nombre chaque jour, chacun notre tour, avec interdiction d’en
changer avant le lendemain.

Les choses commencent à s’intensifier derrière l’écran et une sensation


d’excitation s’empare de mon bas-ventre. J’ai l’impression que la température a
augmenté d’au moins cent degrés.

– Tu ne veux pas mettre autre chose ? suggéré-je.


– On ne peut pas, c’est la règle, s’amuse-t-il. Tu n’aimes pas ?
– Si, trop, justement.

Il se penche sur le côté pour pouvoir me regarder et affiche un grand sourire.

– On dirait bien que je ne suis pas le seul à être excité, par ici.
– Tu m’excites tout le temps.

Je me mords la langue. Bon sang, je n’y crois pas, il suffit de coucher une fois
avec ce dieu vivant pour se sentir pousser des ailes et dévoiler ses secrets les
plus intimes. Ryder ouvre de grands yeux surpris. Il est trop tard pour revenir en
arrière, de toute façon, il a entendu et son sourire s’élargit. Il plonge la tête dans
mon cou, me faisant basculer sur le dos. Sa barbe de deux jours frotte ma peau et
une chaleur intense me parcourt instantanément.

– Si tu savais à quel point tu es bandante, me murmure-t-il à l’oreille.

Les flammes du désir s’emparent de chaque cellule de mon corps. Il


s’immisce entre mes cuisses et son érection est déjà considérable, même à
travers nos jeans. L’alchimie entre nos deux corps est irrévocable. Et un lien
indescriptible s’est établi entre nos deux âmes. Il me manque à la seconde où il
passe la porte. C’est étrange quand on pense que je ne l’ai pas rencontré de mon
plein gré. Et pourtant, à l’heure d’aujourd’hui, je n’ai aucune envie de me
retrouver loin de lui.

Ryder dépose une myriade de baisers sur ma poitrine. Je sens mes tétons se
dresser à l’extrême dans mon soutien-gorge. De mon côté, je déboutonne son
pantalon et plonge ma main à l’intérieur. Bordel, il est dur comme du marbre. Il
grogne sous mes va-et-vient et je lui mordille le cou pour pimenter mon petit jeu
de séduction.

– Je ne vais pas tenir si tu continues, Evy, geint-il d’une voix empreinte de


désir.

Je souris tout contre lui.

– Laisse-moi te faire mieux, chuchoté-je.

Il me regarde comme s’il ne comprenait pas. Je me relève et l’incite à


s’asseoir. Là, j’attrape les pans de son jean que je descends avec son aide ainsi
que son boxer et enlève son T-shirt. Le voilà nu, devant moi. À ma merci. Ma
libido s’en lèche déjà les babines. Je me penche pour l’embrasser à pleine
bouche et il en profite pour pétrir mes seins encore couverts. Je fais descendre
mes lèvres sur son cou, son torse lisse…

– Oh, Evy… soupire-t-il en penchant la tête en arrière.

Son ventre doté de tablettes de chocolat à croquer. J’embrasse la fine ligne de


poils sous son nombril et arrive enfin là où je meurs d’envie de finir depuis un
sacré bout de temps. Il emmêle ses mains dans mes cheveux tandis que je le
prends en bouche. Ça fait un bon moment que je n’ai pas fait ça, j’espère que je
n’ai pas perdu le coup. Je l’engloutis jusqu’au plus profond de ma gorge et fais
tourner ma langue. Ryder adore, à en juger par ses gémissements et ses
encouragements. J’aime l’entendre exprimer son plaisir et je veux lui en donner
davantage. Je m’applique beaucoup. Je veux lui faire tourner la tête tellement
fort qu’il n’aura plus envie d’aller en voir d’autres. Je veux marquer mon
territoire. Être son centre de gravité. Moi, possessive ? Oui, carrément. Est-ce
que vous ne vous battriez pas, vous, si vous trouviez la seule tablette de chocolat
qu’il reste sur terre et que vous étiez des milliers à l’avoir vue ? On est d’accord.
Ryder et moi n’étions pas censés nous rencontrer. Nous n’étions pas censés nous
rapprocher ni coucher ensemble. Et je n’étais certainement pas censée tomber
amoureuse de lui.

Pourtant, c’est ce qui s’est passé.

Je m’étais élaboré un plan dans ma tête : user de mes maigres talents de


séduction pour l’obliger à ressentir des émotions. Au final, il est tombé dedans
mais il m’a entraînée avec lui dans sa chute.

Je suis incontestablement amoureuse de l’homme qui m’a enlevée et torturée


pendant plusieurs semaines.
19

Ryder

C’est le pied, putain ! Elle me suce comme une reine. Je crois que de toutes
les pipes auxquelles j’ai eu droit dans ma vie, Evy détient le record de la
meilleure. Elle gagnerait même un Oscar s’il existait une cérémonie pour ça. Je
me vois bien en maître de cérémonie annoncer : « Et l’Oscar de la meilleure
fellation est attribué à… Evangeline Merten !!! » Non, sérieux, c’est l’extase
totale. Je dois me faire violence pour ne pas jouir tout de suite comme un gamin
à peine dépucelé. Elle fait délicieusement tourner sa langue autour de ma hampe
tout en me massant les bourses… Bordel, où a-t-elle appris à faire ça ? C’est une
putain de déesse du sexe. La preuve, je n’ai sauté aucune gonzesse depuis que
j’ai couché avec Evy. Les autres me paraissent fades, en comparaison. Je n’ai
envie que d’elle. Et ça, c’est un putain de problème. Parce que nos chemins vont
bientôt prendre deux directions différentes. Mais je préfère pas y penser pour
l’instant. Surtout pas avec la tête d’Evy entre mes jambes.

– Oh… bébé… oui…

Je n’ai pas pu empêcher ce mot de sortir de ma bouche. Je sais que ce n’est


pas la meilleure idée du siècle mais ça a été plus fort que moi. Je suis au bord du
précipice, aussi je lui demande de se relever à genoux devant moi. Je lui retire
son haut et son soutien-gorge avant de venir poser ma bouche sur ses tétons
durcis. Puis je me place de façon à ce que ma queue soit entre ses seins et je
resserre ceux-ci. Ils sont si imposants que je n’ai aucun mal à les coller l’un à
l’autre. Le pied !

– J’ai toujours rêvé de faire ça, avoué-je.

Je fais aller et venir mon sexe entre ses obus, j’ai la tête et tout le corps en
ébullition. Bordel, ce que c’est bon. Et ajoutant à ça Evy qui me titille le gland
du bout de sa langue. Je ne tiens plus et jouis comme un dingue sur sa poitrine
voluptueuse et toute en courbes. Je m’affale ensuite sur le canapé, essoufflé.
Evangeline se relève et me dépose un baiser sur la joue.

– Je vais prendre une douche.

Voir mon sperme glisser le long de son décolleté me rend encore plus fébrile.
Cette femme est une vraie bombe. C’est dommage qu’elle n’en ait pas
conscience. Ses kilos superflus sont bien répartis et je ne la vois pas autrement.
Elle se dirige vers la salle de bains topless et roulant du cul. Elle me provoque
encore. Cette femme est un appel à la tentation. J’attends d’entendre l’eau couler
pour la rejoindre. Je me glisse à côté d’elle et l’embrasse sans préambule en la
plaquant contre le mur carrelé. Je ne peux m’empêcher de la toucher, de la
caresser. J’aime les sons qui sortent de sa bouche délicieuse. J’aime sentir sa
peau frémir sous mes doigts avides.

– À mon tour de jouer avec toi, lui susurré-je entre deux baisers.

J’embrasse chaque parcelle de son buste, titille son nombril avec ma langue
en insérant directement deux doigts en elle. Elle est déjà chaude comme la
braise. C’est incroyable l’effet que je lui fais en si peu de temps et je ne peux en
tirer que de la satisfaction. Je me savais irrésistible mais pas à ce point. Avant de
m’aventurer dans son intimité avec ma bouche, je lève la tête et croise son
regard assombri de désir et d’excitation.

– Tu vas jouir tellement fort que les appareils auditifs de mes voisins vont
griller, lui promets-je et un large sourire se dessine sur ses magnifiques lèvres.

Puis je laisse ma langue retrouver cette chair tendre et divine. Evangeline


emmêle ses doigts dans mes cheveux en haletant. Je connais son point sensible et
je mets toute ma volonté à le faire gonfler un maximum tandis que mes doigts
bougent entre ses parois trempées. Ses jambes tremblent au fur et à mesure des
minutes et sa voix se fait plus forte. Elle crie mon nom, ce qui me ravit
davantage et me pousse à aller plus vite et plus loin. Elle finit par m’inonder la
bouche en hurlant tellement fort que je suis sûr qu’on l’a entendue dans tout le
quartier.

Je fais remonter mes baisers jusqu’à sa bouche et l’embrasse passionnément.


Mon palpitant fait un raffut monstrueux dans ma poitrine et ma queue est de
nouveau au garde-à-vous. Bordel, elle me fait un tel effet que je pourrais lui faire
l’amour toute la journée. Mon visage enfoui dans son cou, je la pénètre
doucement. J’aime le son de nos deux corps qui claquent l’un contre l’autre avec
l’eau qui glisse entre nous. Nous gémissons à l’unisson, elle me mordille à la
jonction de mon cou et de mon épaule et putain, je viens de me rendre compte
que j’étais hyper sensible à ce niveau-là. Ça me procure un frisson monumental
tout le long de la colonne vertébrale jusque dans mon érection. Je me sens
comme un héroïnomane en train de prendre sa dose. Un alcoolique en train de
boire le meilleur whisky pur malt. Je suis accro à cette fille et je ne parviens pas
à m’en défaire. Chaque fois que je la goûte, j’en veux toujours plus. Elle est ma
putain d’addiction. Pourtant je sais que c’est une très mauvaise idée, la pire qui
soit, d’ailleurs. Mais, tel Icare, j’ai voulu m’approcher le plus possible du soleil
et me voilà en train de brûler.

Je me consume pour elle.

***

Jamais je n’aurais cru devoir faire face à ça un jour. Tout le monde me


regarde autour de moi et certaines femmes arborent des petits sourires de
connivence. Qu’est-ce qui leur prend, elles veulent ma photo ou quoi ?

Ça doit faire au moins un quart d’heure que je suis planté devant le rayon sans
savoir quoi prendre. C’est qu’il y a une tonne de marques pour ces machins-là.
Je suis un homme, je ne m’intéresse pas à ce genre de trucs. Le Ryder d’avant ne
se serait même pas fait chier à entrer dans le magasin. Sérieux, où sont passées
mes couilles ? Mais en même temps, si je veux pouvoir continuer à la baiser, je
peux bien mettre ma fierté de côté cinq minutes. Je suis encore en train de
réfléchir quand une jolie petite blonde m’accoste.

– Bonjour, est-ce que je peux vous aider ? Vous avez l’air perdu.

Tu n’as même pas idée, ma belle.

Je suis perdu dans le rayon, mais je suis aussi perdu dans ma tête. Et savoir
que la cause est une nana me déstabilise encore plus.

– Ouais, je n’y comprends rien.


– Je veux bien vous croire, c’est tout à votre honneur, dit-elle avec un sourire
amusé. Est-ce que votre femme préfère les tampons ou les serviettes ?

J’ai envie de disparaître de la surface de la Terre. Ma quoi ?!

– Euh… ce n’est pas… enfin elle et moi on… Le premier, les tiges, là.

La vendeuse éclate de rire.

– C’est un langage compliqué pour un homme, n’est-ce pas ? Je vous


conseille ceux-là, me dit-elle en prenant une boîte rose. Ils absorbent bien et…
– Super, merci, m’empressé-je de la couper avant qu’elle ne me fasse un
cours sur les menstruations.

Je marche jusqu’à la caisse en ignorant les regards tournés vers moi.


Franchement, ils n’ont que ça à foutre ? Ils n’ont jamais vu un mec acheter des
tampons, ou quoi ? L’hôtesse sourit aussi en voyant la boîte et j’ai l’impression
qu’elle fait exprès d’être lente. Mais bizarrement, je ne ressens aucune gêne. J’ai
même pris des capotes au passage. Je crois que l’on pourrait détenir le record du
monde de rapidité à vider une boîte de préservatifs. J’ai complètement oublié
d’en mettre une l’autre fois, dans la douche, mais, heureusement, il n’y a
visiblement pas eu de conséquences à cette entorse. Je reprends contenance et
tends les billets à la caissière sous les regards mi-amusés, mi-interloqués des
clients. S’ils sont embarrassés, ce n’est pas mon problème, je m’en tamponne. Je
sors du supermarché et conduis jusqu’à mon appartement où Evy m’attend
impatiemment. Aussitôt que j’entre dans la salle de bains, elle s’écrie :

– Ah, enfin ! J’ai cru que tu n’allais jamais revenir et que j’allais finir ma vie
sur le trône !

Je lui tends la boîte de tampons et ressors en riant. Avant de m’arrêter


aussitôt. Je ne m’y habituerai jamais, décidément. Evy sort enfin en se tenant le
ventre. Je vais à la salle de bains et lui prends un cachet avec un verre d’eau
qu’elle avale d’une traite.

– T’es sûre que tu ne veux pas que j’appelle un médecin ?


– Non, ça va passer, ce sont juste des règles, Ryder.

OK, bon, change de sujet, mec.


Je me lève pour prendre le sachet du magasin. Je lui montre la boîte de
capotes et elle rit.

– Tu peux te la mettre derrière l’oreille pendant les cinq prochains jours. Hors
de question que tu t’approches de près ou de loin de mon vagin, réplique-t-elle.

Je hausse les épaules.

– Ta bouche fait des merveilles, elle aussi.

Elle rit de plus belle tout en geignant de douleur.

– T’as toujours réponse à tout.


– Toujours, bébé, réponds-je.

Et, pour la deuxième fois de la journée, mon corps réagit plus vite que mon
cerveau et mes lèvres se posent sur les siennes. Je ne sais pas ce qui me prend,
putain, j’ai tout le temps envie de l’embrasser ! Je sors le dernier article du sac
en papier.

– Une coloration ? s’étonne-t-elle.


– Il faut commencer à changer ton apparence, expliqué-je en serrant les dents.
– Ah oui.

Je la regarde avec la vague impression qu’elle n’a pas l’air très ravie de
recouvrer sa liberté. J’ai toujours du mal à comprendre son revirement. Pourquoi
reste-t-elle ? Qu’attend-elle de moi ? Je lui ai fait subir des horreurs, je l’ai
enlevée, alors pourquoi ? Serait-elle capable de me tendre un piège ? Est-elle de
mèche avec les flics ? Non, mon père n’aurait pas pris ce risque.

– Je ne peux pas te garder indéfiniment et tu le sais.

Elle hoche la tête mais je peux néanmoins voir ses yeux briller de larmes. Je
récupère une perle salée qui vient de s’échapper.

Moi non plus, je ne veux pas que tu partes.


20

Evy

Il y a trois sortes d’individus dans le monde. Il y a ceux qui sont sûrs d’eux,
qui savent où ils vont et décident eux-mêmes de leur destin. Ceux qui préfèrent
suivre le vent et voir où ça les mènera tout en gardant un minimum de contrôle.
Et puis il y a ceux qui, comme moi, survivent. Après avoir perdu mes parents et
Jared, voilà que je dois quitter l’homme dont je suis tombée amoureuse.

Ryder s’est renfermé sur lui-même. Heureusement, il n’est pas redevenu celui
qu’il était avant. Enfin, je ne crois pas. Il a été appelé, tout à l’heure – par son
père, je suppose –, et il est parti en claquant violemment la porte. Nous savons
aussi bien l’un que l’autre que mon dernier jour de captivité a sonné. Moi qui
avais peur d’être tuée, au début, voilà que je redoute le moment de ma remise en
liberté.

Il a décidé que je repartirais demain. Il m’a dit que plus on passait de temps
ensemble, plus c’était risqué. Je ne sais pas s’il voulait parler de nos vies ou de
nos sentiments en disant ça. Quoi qu’il en soit, il a raison : c’est risqué. Nous
nous sommes bercés d’illusions ces dernières semaines. Nous étions dans une
sorte de bulle invisible rien qu’à nous et avons oublié que des gens malhonnêtes
ou des circonstances pouvaient la faire éclater. J’aimerais que les choses se
soient déroulées autrement, ainsi, peut-être, aurais-je eu le courage de lui avouer
mes sentiments. Le plaisir charnel est bien là et il est on ne peut plus
extraordinaire. Mais j’en veux davantage. Je ne sais pas si Ryder a conscience de
ce qu’est l’amour. En fait, je ne me suis jamais vraiment posé la question. Certes,
il est doux et attentionné, mais sa motivation n’est peut-être pas la même que la
mienne.

Pour la première fois de ma vie, je n’arrive pas à cerner totalement quelqu’un.

J’aimerais pouvoir dire que tout va s’arranger, mais je ne veux pas me mentir
à moi-même. Plus rien dans ma vie ne redeviendra comme avant. Cette
expérience m’aura au moins appris deux choses : les gens peuvent changer. Et le
bourreau n’est pas toujours celui que l’on croit. Ryder n’est qu’une victime de
son père.

Je ne suis pas tombée amoureuse de mon bourreau, non. Je suis tombée


amoureuse de mon sauveur. Parce que si ce n’était pas lui qui m’avait enlevée, je
ne serais sûrement pas une simple portée disparue comme aujourd’hui, mais une
victime dont le cadavre aurait été retrouvé au fond d’un fossé. En fait, même si
j’ai beaucoup souffert et qu’il a voulu me tuer, au début, je dois ma vie à Ryder.
Quand j’ai perdu les trois seuls membres de ma famille, j’ai appris à ne plus
avoir peur de la mort. Je n’avais plus vraiment goût à la vie. Je survivais, tout
simplement. Mais grâce à Ryder, j’ai de nouveau eu peur de mourir. Je me suis
rendu compte que, même si j’ai vécu l’enfer, ma vie est plus précieuse que je ne
le croyais.

Il m’a sauvée de moi-même, tout comme je l’ai sauvé de ses démons


assassins.

Ryder est parti depuis trois bonnes heures et il me manque terriblement. J’ai
décidé de le surprendre, ce soir. Je lui ai concocté un petit dîner aux chandelles.
Je suis sûre que personne ne lui a encore jamais fait ça et je veux marquer le
coup. Je ne veux pas l’abandonner et je ne m’en remettrais pas s’il m’oubliait.
J’arrange ma coiffure une dernière fois. Une couleur auburn a remplacé ma
blondeur naturelle. Ça me fait bizarre de me voir ainsi, j’ai l’impression d’être
une autre personne. Mes cheveux ont poussé jusqu’à mes épaules depuis que je
suis arrivée ici et nous craignions trop de faire un carnage capillaire s’il s’était
amusé avec les ciseaux. Alors je les ai laissés comme ça et je dois avouer
qu’après un petit brushing, le résultat est plutôt concluant. Me voilà fin prête
lorsqu’il revient enfin.

– Salut, fais-je en souriant.

Un grognement en guise de réponse. Voilà qui annonce la couleur.

– Tu as l’air fatigué, dis-je en caressant les cernes qui se sont formés sous ses
yeux envoûtants.
– Je le suis.
Il a l’air mal en point, autant moralement que physiquement à en juger par ses
mains écorchées et les marques de coups sur ses bras. Je fronce les sourcils.

– Est-ce que tu t’es battu ?

L’idée que l’on ait pu encore lui faire du mal me tord les tripes. Il s’éloigne
soudain de moi et remarque alors la table décorée.

– C’est quoi, ça ?

Il veut éluder la conversation, mais je suis têtue. Je veux savoir ce qu’il s’est
passé et ce qu’il fait de ses journées quand il n’est pas là. Je commence à en
avoir assez de ses secrets et je refuse de partir sans savoir.

– Je t’ai posé une question.


– Je n’ai pas envie d’en parler, bougonne-t-il.

Un élan de frustration et de colère me submerge. Je ne comprends pas ce qui


lui arrive.

– Moi, si, répliqué-je. Je veux savoir ce que tu fais quand tu n’es pas ici.
Pourquoi te renfermes-tu comme ça ?

Soudain, il balaie la table d’un revers de main, envoyant valser les verres et
les assiettes. Je sursaute.

– Et moi je t’ai dit que je ne voulais pas en parler ! hurle-t-il. Et tu crois faire
quoi en me sortant le dîner aux chandelles ? Tu veux te la jouer romantique ? Tu
t’es gourée de gars, Evy. Moi je baise, je ne tombe pas amoureux. T’es pas ma
gonzesse, tu n’as rien à savoir de moi !

Alors là, si je me posais la question tout à l’heure sur ce qu’il pensait de notre
relation, j’ai maintenant une réponse simple et claire. Terriblement blessée, je me
dirige vers le placard et claque la porte avant de m’effondrer sur le lit. J’entends
la porte d’entrée claquer à son tour quelques minutes plus tard. Me réfugier dans
ma « cellule » me ramène à des souvenirs douloureux, mais je ne me voyais pas
m’enfermer dans la chambre de Ryder.

Je suis en colère de n’avoir été qu’un jouet sexuel pour lui. Une sorte de pis-
aller pour assouvir ses besoins naturels. Mais, paradoxalement, je me dis aussi
qu’au moins, je suis vivante. Ce rapprochement m’a permis de me sauver. Mais
pourquoi me laisse-t-il en vie s’il n’éprouve rien pour moi ? Pourquoi me laisse-
t-il partir ? Je pourrais très bien aller le dénoncer, lui et sa famille. Je pourrais
dévoiler tout ce que je sais. Me fait-il confiance à ce point-là ? Je n’arrive pas à
savoir ce qu’il a dans la tête et ça, c’est très déroutant. Si j’ai fait ça, ce soir,
c’était pour lui avouer ce que je ressentais pour lui. Or, maintenant, il n’y a plus
rien à dire parce qu’il m’a blessée.

Parce qu’en réalité, il n’y a rien.

Mon côté maniaque finit par me tirer du lit et je retourne dans le séjour pour
ramasser la vaisselle cassée avec l’espoir que ça me changera les idées. Mais ça
ne fonctionne pas et je me remets à pleurer. Une fois les débris de verre jetés à la
poubelle et la table débarrassée et nettoyée, je vais à la salle de bains afin de me
démaquiller. J’enfile un T-shirt et un short, me brosse les dents et retourne dans
le placard. Demain je pars et c’est peut-être mieux comme ça. Son contact va
terriblement me manquer. Il va me manquer, tout court.

Un bruit assourdissant suivi de hurlements me fait bondir.

– FBI !!!

La panique m’envahit. Bon sang, mais que se passe-t-il ?! Le FBI. Que font-
ils ici ? S’ils me découvrent et me reconnaissent, ils vont m’embarquer et arrêter
Ryder. Il est hors de question que cela arrive. Ryder a changé. Notre dernière
conversation était houleuse, mais il ne mérite pas d’aller en taule pour autant. Je
regarde autour de moi, le cœur cognant fort dans ma cage thoracique. Je les
entends se rapprocher et la porte s’ouvre dans un fracas au moment où je me
faufile derrière l’étagère. Je passe tout juste, mais je suis à couvert.

Du moins je l’espère.

Je bloque l’air dans mes poumons tandis que j’entends les pas des hommes
envahir l’appartement. Mon sang martèle dans mes oreilles et je prie tous les
dieux qui puissent exister pour ne pas être découverte.

Mais mon karma est bidon parce que soudain, un homme vêtu de l’uniforme
avec le sigle écrit en grosses lettres jaunes sur le torse et armé entre dans ma
pièce. Je me pince les lèvres afin d’éviter tout son qui pourrait
malencontreusement franchir mes lèvres. J’ai les mains moites et mes jambes
sont sur le point de flancher. Tandis qu’il évolue dans la pièce, mon regard est
fixé sur ses mouvements ; tout à coup, il pivote et ses yeux verts se plantent dans
les miens. Je suis tétanisée. Je suis cuite, ils vont m’emmener. Je me vois déjà
dans la salle d’interrogatoire, menottes aux poignets, à subir les questions des
enquêteurs. Mais l’intrus me surprend en se retournant et en criant à ses
collègues un « R.A.S. ! » sonore. Puis il referme la porte en sortant, me laissant
dans le noir total, paralysée de stupeur et surtout énormément surprise.

C’est quoi ce bordel ? Pourquoi ne m’a-t-il pas dénoncée ? Je suis sous le


choc. Pas seulement à cause du comportement de l’officier, mais aussi parce que
son regard m’a paru familier. Son expression était froide, indéchiffrable.

Comme s’il… ne ressentait rien.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée cachée dans ce foutu placard,
mais lorsque le silence revient et que je sors de derrière ma planche étroite, j’ai
l’impression d’avoir été piétinée par un semi-remorque tellement j’étais serrée.
Je sors de la pièce, prête à inspecter les dégâts. Nom de Dieu. On dirait qu’une
tornade a traversé l’appartement. Tout est retourné. Du canapé jusqu’aux
assiettes, en miettes sur le sol de la cuisine, en passant par les produits dans la
salle de bains et le lit de Ryder. Ils n’y sont pas allés de main morte. Que
cherchaient-ils ? Ryder a-t-il des problèmes ? Est-ce pour cela qu’il est aussi
absent ? Remplit-il des missions derrière mon dos ? Son père me croit morte, il
l’a sûrement mis sur d’autres affaires.

Mon Dieu. Et s’il avait l’ordre de tuer à nouveau ? Et si le Ryder meurtrier


avait ressurgi ?

La porte claque violemment et je me retourne pour faire face à un homme en


sweat noir dont la capuche est rabattue sur sa tête. Je pousse un soupir de
soulagement et me retiens de lui sauter dans les bras.

– Oh, Ryder… Tu n’imagines pas ce qui vient de m’a…

Je me stoppe net dans mon élan et l’effroi s’empare brutalement de moi


lorsque celui que je pensais être mon amant relève sa capuche et me sourit d’un
air goguenard, ses prunelles abyssales me déshabillant.

– Eh non, perdu, ma beauté.

Sa voix grave me donne la chair de poule. Mon rythme cardiaque ne tient plus
en place et je recule tandis qu’il avance. Je tente de me raisonner en me disant
que Ryder ne va pas tarder à arriver, qu’il va virer son frère à coups de pied au
cul. Mais j’ai beau regarder derrière Duncan, à la recherche de la silhouette de
Ryder, je ne le vois pas arriver. Et, avant que je puisse esquisser le moindre
mouvement, Duncan se jette littéralement sur moi. Il me prend par le cou et me
soulève contre le mur derrière, si haut que mes pieds ne touchent même plus le
sol. Il est si imposant et dans son regard brillent les flammes de l’enfer. La
pensée d’une mort lente et particulièrement douloureuse me traverse l’esprit et
me tétanise encore plus. Je tente de remplir mes poumons d’air, mais la main de
Duncan me serre tellement fort que je suffoque et le sang commence à me
monter au cerveau. Je tente vainement de me débattre, puis je parviens à le
griffer au visage. Mon geste le fait reculer et il se tient la joue. Un mince filet de
sang dégouline de son visage et, alors que je ne pensais pas cela possible, ses
pupilles s’assombrissent davantage. Dans un élan de survie, je m’enfuis à toutes
jambes en direction de la porte. Il faut que je me tire d’ici, Dieu sait ce qu’il
compte me faire. Je n’ai pas le temps d’atteindre la poignée. Duncan
m’empoigne les cheveux et tire dessus, m’arrachant un cri de douleur et me
faisant tomber à terre. Il me traîne telle une poupée de chiffon, j’ai l’impression
que ma tête va se décrocher de mon corps.

– Je savais qu’il te gardait en vie, ricane-t-il tout en me trimballant à bonne


distance de la porte. Je n’ai pas cru une seule seconde à son putain de baratin. Tu
n’es pas contente de me voir, poupée ? Ma queue et moi, on l’est.

Je crie, je hurle, je tente de lui échapper mais il est beaucoup trop fort. Mes
émotions sont mélangées entre colère, haine, peur, détermination… un vrai
capharnaüm. Mon cœur bat à tout rompre et les larmes, intarissables, dévalent
sur mes joues. Je tente de me raccrocher au battant de la porte de la chambre.
Voyant que je résiste, Duncan m’attrape le visage entre ses doigts et m’oblige à
lâcher prise en me tirant violemment en arrière. J’atterris rapidement et
lourdement sur le matelas de Ryder encore au sol, mon agresseur à califourchon
sur moi. Je sais déjà ce qui va se passer et la pression monte. Il me maintient
fortement avec ses jambes et, de ses mains libres, il enlève sa ceinture pour me
lier les poignets au radiateur au-dessus de moi. Je me débats comme je peux, je
m’époumone, je le supplie, mais il se contente de m’adresser un sourire
carnassier, une lueur moqueuse et amusée dansant dans ses yeux.

– T’imagines pas le nombre de fois où je me suis branlé en pensant à ta


bouche de petite salope, dit-il, son visage à quelques centimètres du mien. Ryder
m’a mis très en rogne avec son putain d’esprit chevaleresque. Il aurait dû me
laisser aller au bout. Parce que je n’ai toujours pas digéré son affront et
malheureusement pour toi, tu vas en payer le prix fort.

Il arrache mon haut et sa langue passe sur ses lèvres à la découverte de ma


poitrine.

– Qu’est-ce qu’ils m’ont manqué…

Il presse mes seins et la terreur habite chacune de mes cellules. Je pleure à


n’en plus finir.

– Pitié… gémis-je. Je ferai tout ce que vous voudrez… Je vous donne la clé
USB, mais je vous en supplie, lâchez-moi…

Je suis tétanisée, humiliée, blessée, horrifiée. Duncan cesse ses malaxages et


me regarde dans les yeux. Il éclate de rire. Ce connard se marre !

– Et tu crois que j’en ai quelque chose à foutre de ta clé USB ? Tout ce que je
veux, c’est te posséder jusqu’à l’extase. Te baiser jusqu’à ce qu’il ne reste plus
rien de toi, sale garce ! Tu as corrompu mon frère, tu mérites une bonne punition
dont tu te souviendras toute ta vie ! Du moins ce qu’il en reste.

Je m’agite dans tous les sens dans l’espoir de le faire chanceler alors qu’il fait
sauter le bouton de son pantalon. Il parvient à baisser le mien ainsi que ma
culotte. Il bloque un moment sur mon intimité en se léchant les lèvres.

– Tu ne seras jamais aussi bon que lui, aboyé-je. RYDER !! RYDER !!

Je hurle à pleins poumons.

De peur.
De chagrin.

De douleur.

De désespoir.

Soudain, je vois l’éclat brillant de la lame. Je m’arrête net. Sa main gauche


presse mes joues tandis que la droite approche le couteau à un centimètre de mon
œil. Je le fixe, la respiration hachée par le mélange d’horreur et d’adrénaline qui
déferle dans mon corps, me rendant fébrile et en pleine tachycardie. Doucement,
Duncan fait glisser la pointe de son canif le long de ma tempe, dans mon cou,
jusqu’à la naissance de mon sein, là où mon cœur palpite à toute vitesse.

– Maintenant tu vas être une gentille fille et te laisser faire, sinon je vais être
obligé de te tuer. Et Dieu sait que j’adore ça.
21

Ryder

Je suis fou. Dans tous les sens du terme. Avant j’étais fou tout court. Je butais
des gens sans aucune pitié pour eux ni pour les familles qui les attendaient.
J’avais vraiment foi en cette conviction : tuer pour survivre.

Et elle est arrivée, elle, avec ses cheveux couleur d’or, ses yeux océan et son
corps voluptueux. Elle a tout remis en question. Tout ce à quoi je croyais, tout ce
que l’on m’avait inculqué depuis mon enfance. Elle a tout balayé avec un seul
regard. Un seul baiser.

Je suis tombé fou d’amour pour elle. Fou de désir. Fou de passion.
D’incompréhension. De colère. D’abnégation. Ses yeux céruléens, sa bouche
pulpeuse, son corps de déesse, sa gentillesse, sa ténacité, ses mains sur moi. Tout
en elle est un appel à la luxure et à l’amour. Comme un fruit défendu auquel on
ne résiste pas. Dans lequel on n’hésite pas à croquer à pleines dents. On prend le
risque d’être empoisonné, mais on ne peut pas faire autrement, l’envie de le
dévorer nous consume et on a l’impression de mourir si on n’y touche pas.

Evy est ce fruit défendu. Pendant des jours et des jours, j’ai essayé de la
repousser, de ne pas transgresser mes limites. Mais comme n’importe quel
homme, même moi qui me croyais dépourvu d’âme, j’ai cédé. J’ai capitulé et je
n’arrive pas à me débarrasser de ce poison appelé Amour. Je ne veux pas.

Aujourd’hui, tout est différent. Je viens de tomber de mon petit nuage auquel
je m’étais attaché grâce à elle. On vient tous deux de se fracasser au sol. Les
ailes qui nous avaient poussés dans le dos nous ont été coupées. Mon enfoiré de
frère a tout brisé.

J’ai mal réagi à son initiative. Un dîner aux chandelles, sérieusement ?


Pourquoi ? Après tout ce que je lui ai fait comme vacheries ? Après la façon dont
je l’ai traitée ? Était-ce un moyen de me faire culpabiliser encore plus ? Eh bien,
elle a réussi. Ça m’a foutu en pétard et plutôt que de m’en prendre à elle, j’ai
préféré me casser. J’avais besoin d’air, de remettre mes idées en place. Il me
fallait frapper fort sur quelque chose. Je suis donc allé à la Maison. Ça m’a fait
bizarre parce que, avant, j’entrais avec la bête en moi et je me sentais réellement
chez moi. L’endroit de mon enfance, là où j’ai appris à me battre, à tirer et à
devenir un homme que tout le monde craint.

Mais quand je suis arrivé, aujourd’hui, rien de tout cela. J’avais cette
impression farouche d’aller dans l’inconnu. Je ne reconnaissais plus rien. Je
savais que c’était chez moi, mais je n’avais plus la sensation d’y être à ma place.
Comme si j’étais un étranger.

Un outsider.

Un putain d’imposteur.

Ça m’a grisé mais je suis entré malgré tout et suis directement allé au camp
d’entraînement. Les gamins que j’avais fait travailler quelques mois plus tôt ont
fait taire leurs émotions définitivement. Le monstre est en eux. Je me suis
souvenu de certains visages et quelques-uns présentaient des marques de
violences. Deux gamines se battaient au milieu des tapis, supervisées par
Adrianna. Les coups étaient violents et la blonde a finalement eu le dessus en
mettant la rouquine KO. J’ai salué ma sœur, on a discuté un peu et je lui ai
demandé où était Duncan. Quand je veux évacuer mon stress et ma colère, je sais
que je peux compter sur lui. Il saisit chaque occasion pour essayer de me mettre
une raclée et il est pour moi un adversaire de taille. Mais Adi m’a répondu qu’il
n’était pas là et qu’il ne lui avait rien dit de l’endroit où il était ni quand il
rentrerait. Une chose que j’aimais lorsque je vivais ici, c’est que nous étions
assez libres. Nous pouvions sortir tant que nous le voulions, dès lors que nous
nous présentions aux sessions psychologiques mensuelles de mon père – ou du
gars qui le remplace quand il n’est pas sur place – et que nous n’avions pas de
problèmes avec les flics.

Je ne sais pas comment fait Adrianna pour s’occuper d’autant de gosses. La


plupart n’ont même pas encore 4 ans. Je sais que j’en serais tout bonnement
incapable. Les gosses, ce n’est pas ma came.

J’ai fait le point sur mes sentiments à l’égard d’Evy tout en sillonnant les rues
à la recherche de mon petit frère. Il m’a fallu une bonne quinzaine de minutes
avant de me dire que, quoi que je fasse, mes idées seront toujours aussi floues.
Elle me rend dingue, ça, c’est indéniable. Mais ma vie est trop compliquée, trop
dangereuse pour elle. Elle ne peut pas rester et plus je passe de temps avec elle,
plus c’est difficile de me détacher.

J’ai entendu les cris avant de découvrir la poignée de ma porte cassée. Sans
hésitation, j’ai chopé mon couteau, que je garde toujours sur moi, et suis entré.
Evy criait toujours et le monstre en moi a montré les crocs, comme si lui non
plus ne supportait que l’on fasse du mal à cette femme. Je crois que lui aussi
s’est pris d’affection pour elle. La première chose que j’ai aperçue, c’est le
visage paniqué d’Evangeline. Elle était allongée sur mon lit, les mains ligotées,
un homme en noir sur elle. Quand j’ai compris que c’était Duncan qui la
maltraitait, son couteau à la main, je lui ai foncé dessus avec une telle force que
j’en ai perdu mon arme. Un voile rouge s’est posé devant mes yeux. Je ne voyais
plus rien. Seule l’expression terrifiée d’Evy clignotait dans ma tête. J’ai frappé
sans but précis, me fichant complètement de le tuer. Tout ce que je voulais,
c’était lui enlever ce putain de sourire machiavélique que ses lèvres arboraient.
Je savais qu’il allait revenir tôt ou tard. Que le fait que je lui aie repris celle qu’il
avait considérée comme un jouet lui restait encore en travers de la gorge. Je l’ai
vu dans ses yeux la dernière fois que nous nous sommes battus, au camp
d’entraînement. Mais je ne pensais pas qu’il comprendrait que j’avais menti sur
la mort d’Evy. Entre nous, le mensonge est rédhibitoire.

Je l’ai littéralement défiguré avant de le foutre dehors. Il n’arrivait presque


plus à rester debout. Son regard vitreux et injecté de sang s’est posé sur moi et
j’y ai vu une menace silencieuse. Puis un sourire ressemblant plus à une grimace
à cause de sa gueule amochée s’est formé sur ses lèvres tuméfiées. Nous avons
grandi ensemble et je le connais assez bien pour savoir qu’il va élaborer un plan.
Soit pour finir ce qu’il a commencé avec Evy, soit pour nous nuire à tous les
deux.

Nous sommes allongés sur mon lit, la tête d’Evy sur mon torse, là où mon
cœur bat à toute vitesse. L’adrénaline a du mal à redescendre. Mon œil droit me
lance, cadeau du poing de Duncan. Je peux encore sentir l’angoisse émaner
d’elle.

Evy. Mon Evy.


Cet ange qui s’est sacrifié pour me sortir des ténèbres et pour qui je suis prêt à
y retourner pour la venger.

Je dois admettre que je suis moi-même surpris par les envies de meurtre à
l’égard de mon frère qui s’insinuent sournoisement en moi. Dans la famille, nous
ne nous montons pas les uns contre les autres. Au contraire, on est soudés et
prêts à prendre une balle pour nos frères. Or, là, le monstre en moi rêve de
grignoter la chair de Duncan et ça me fait bizarre. Si mon père apprend qu’Evy
est vivante, il la tuera lui-même et moi je serai banni à jamais de tout de ce que
j’ai connu jusque-là. Renié par ma famille. Tout ce que je ne me souhaite pas.

Il faut que je la déplace, il n’y a pas d’autre solution. On accumule les erreurs
depuis plusieurs semaines déjà. Au lieu de nous éloigner, nous nous
rapprochons. Je me lève d’un bond sans même me soucier de la tête d’Evy qui
retombe sur le matelas. Je vais dans le placard et reviens dans la chambre avec sa
valise que je jette sur le lit avant d’y engouffrer ses fringues.

– Qu’est-ce que tu fais ? s’étonne Evy d’une voix rauque. Je croyais que je
repartais demain.
– Trop risqué, fais-je sans m’arrêter de remplir le bagage.

Un tour dans la salle de bains pour ranger ses affaires de toilette.

– Mon frère t’a vue et il ne va pas hésiter à en parler à mon père. Si tu restes
là, ils vont te tuer pour de bon.

Je suis en train de refermer la valise lorsque sa main se pose sur la mienne,


m’arrêtant dans mon geste. Je relève les yeux pour rencontrer les siens,
paniqués.

– Et toi ?
– Quoi, moi ?
– Que vont-ils te faire, à toi ?

Je soupire.

– As-tu entendu ce que je viens de te dire ? Ils vont te liquider et toi, tu


t’inquiètes pour moi ?
– Est-ce que tu vas subir le traitement qu’ils t’ont administré la dernière fois
et qui t’a valu des côtes endommagées ?

Je fronce les sourcils. Décidément, elle est bien plus perspicace que je ne le
croyais. Et elle continue de s’en faire pour ma gueule.

– Comment sais-tu ça ?

Elle hausse les épaules.

– Je ne le savais pas, mais tu viens de me donner la réponse.

Je grogne. Putain de psychologie inversée !

– Je suis désolée, Ryder. C’est à cause de moi s’ils t’ont fait ça. Ce sera
encore à cause de moi s’ils recommencent.

Elle fond en larmes et je m’empresse de prendre son visage entre mes mains,
cherchant son regard qu’elle s’évertue à cacher.

– Hey, je t’interdis de culpabiliser, OK ? Surtout pas après tout ce que moi, je


t’ai fait subir, lui dis-je en désignant les nombreuses cicatrices sur ses bras et son
torse. Tu n’imagines même pas à quel point je regrette, Evy. J’espère qu’un jour
tu auras la force de me pardonner.

Elle relève enfin ses yeux bleus vers les miens et esquisse un faible sourire.

– Je le ferai, Ryder. Avec le temps, ces marques deviendront une force et non
plus une forme de torture. D’ailleurs, la plupart sont parties, ajoute-t-elle en
faisant tourner ses bras comme pour me le prouver.

Je lui dépose un baiser sur le front tout en luttant contre les larmes qui
menacent de dévaler. Sois fort, mec. Elle a besoin de ton assurance. Il faut
t’éloigner ou elle n’aura jamais la force de s’en aller.

– Il faut y aller, la nuit est tombée.

Je l’aide à se relever et l’enveloppe dans mon sweat à capuche. Manquerait


plus qu’on la reconnaisse. Lorsqu’elle m’a dit tout à l’heure que le FBI avait
donné l’assaut chez moi et qu’elle s’était cachée, j’ai réfléchi à la personne qui
aurait bien pu la balancer. Puis je me suis souvenu de ce couple dans l’ascenseur
qui nous a surpris en train d’échanger notre premier baiser. Je sais que ce sont
eux ; Mme Grayson n’a même pas la télé chez elle et elle n’a jamais quitté son
appartement depuis que je suis ici.

Evy planquée derrière moi, nous descendons et sortons de mon immeuble


discrètement et je la fais asseoir dans la voiture. Elle est encore en état de choc
alors je lui attache sa ceinture avant de prendre place au volant après avoir fourré
la valise dans le coffre.

– Où m’emmènes-tu ? me demande-t-elle d’une petite voix tandis que j’avale


les kilomètres depuis au moins vingt minutes.
– Dans un hôtel, assez loin d’ici. Tu ne peux pas retourner chez toi pour le
moment, ils savent où tu habites.

Un silence se fait. Je jette des coups d’œil à ma belle de temps à autre afin
d’essayer de sonder son esprit, mais elle a la tête tournée vers le paysage qui
défile.

Il pleut des cordes lorsque je me gare sur le parking du motel mitoyen. La


peinture de la façade est défraîchie, la porte du hall d’accueil aurait besoin d’un
peu d’huile de coude, quant au décor, il est… modeste. Et désuet. Au comptoir,
une bonne femme rondelette aux cheveux grisonnants feuillette un magazine sur
les meilleures façons de garder la ligne. Je retiens un rire. Elle ne lève même pas
les yeux quand nous arrivons devant elle.

– Auriez-vous une chambre de libre ?

Pas envie de me faire chier avec la politesse, elle ne doit même pas connaître
ce mot. La mégère nous regarde enfin et pose son magazine.

– Double ou simple ? demande-t-elle, revêche.

Eh ben, si on me dit que cet hôtel accueille plus de cinq cents clients par an,
moi je suis puceau.

– Simple.
– Quel nom ?
Merde, je n’avais pas pensé à ça. Hors de question de donner nos vraies
identités.

– Smith.

La nana me dévisage, l’air de se demander dans quoi je trempe pour utiliser


un nom d’emprunt. Je reste impassible, serre Evy un peu plus fort contre moi,
cachée sous la capuche. Le regard de la réceptionniste se tourne vers elle. Si elle
la reconnaît, je serai obligé d’user de mon couteau planqué dans ma poche. Evy
m’en voudra à mort, mais je préfère sacrifier la vie de cent personnes plutôt que
la sienne.

– Je vous préviens, je ne veux pas de toxico ici.


– Elle est seulement triste, réponds-je sur un ton sans appel.

Elle continue de nous scruter avec suspicion avant de hausser les épaules et de
taper sur son ordinateur. Après avoir payé en liquide, j’aide Evy à monter, une
main autour de ses épaules, l’autre tenant la valise. Les marches de l’escalier
craquent sous nos pas. La chambre est désuète et pas très propre. Si elle était en
état de le faire, je suis persuadé qu’Evy aurait déjà enfilé des gants de ménage.
Mais elle est tellement chamboulée qu’elle ne remarque rien, je crois. Je la pose
sur le lit qui grince bruyamment avant de lui donner un verre d’eau qu’elle boit
d’une traite.

– J’ai… besoin d’une douche, dit-elle en se levant pour aller fouiller dans sa
valise.

Je m’allonge sur le matelas, un bras sur mes yeux. Je devrais partir tout de
suite, pendant qu’elle est occupée.

Je me rends compte que je ne connais même pas cette femme. Je lui fais
l’amour, je l’aime comme un dingue mais je ne sais absolument rien d’elle, si ce
n’est qu’elle est orpheline et que, petite, elle se chamaillait avec son frère jumeau
pour la télécommande. J’ignore tout d’elle.

Je suis fou amoureux d’une inconnue.

Si ce n’est pas de l’ironie, ça ! L’idée d’aller trouver mon frère et de le tuer de


mes propres mains me taraude, me martèle, la bête s’en lèche déjà les babines,
mais je ronge mon frein. Je veux d’abord m’occuper d’Evy. Je connais toutes les
planques de Duncan, il attendra son tour. Pour le moment, elle seule m’importe.

J’ai longtemps refoulé ce qui pour moi était inconnu alors que pour elle,
c’était évident.

Elle est ma lumière au bout du tunnel.

Mon issue de secours, ma porte de sortie.

Ma bouée de sauvetage, mon pilier.

Elle est le soleil illuminant les ténèbres qui envahissaient ma vie depuis bien
trop longtemps.

Elle est ma rédemption.

C’est incroyable la quantité de choses dont on peut se rendre compte quand


tout s’éclaire. Un peu comme quand on remplit un ballon d’eau et qu’on le lâche
d’un coup. Tout explose. Comme les émotions que l’on m’a forcé à contenir
pendant plus de vingt ans – soudain, grâce à une personne en particulier, tout
éclate comme une bombe à eau. C’est simultané, envahissant, oppressant,
presque étouffant. Mais au final, ça te paraît tellement évident que tu te
demandes comment tu as pu passer devant autant de choses, comment tu as pu
t’empêcher de ressentir tout cela alors que ce sont justement les émotions qui te
font vivre et exister.

Il y a encore trois mois, j’étais persuadé que ce que je faisais était normal.
Légitime. J’obéissais tel un soldat, sans me rendre compte qu’en réalité j’étais un
psychopathe criminel. J’étais une ombre, un fantôme. J’existais sans exister.
Pourquoi mon père nous a-t-il élevés ainsi ? Pourquoi ai-je soudain l’impression
d’avoir vécu une vie qui n’était pas la mienne ? Que vais-je faire ensuite ? Car il
est évident que je ne peux pas rester près d’elle. Je suis bien trop impliqué dans
des affaires de meurtres pour risquer de la faire chuter avec moi.

Je tiens à elle. Énormément.

Je l’aime, putain.
Mais elle mérite tellement mieux. Un gars qui aurait un casier vierge, une
bonne situation. Un gars qui l’aimerait comme elle est malgré sa ténacité
pouvant parfois mettre nos nerfs à rude épreuve et sa tendance à toujours
nettoyer derrière nous. Je ricane. Quand j’y pense, elle m’a plus d’une fois donné
l’envie de l’étrangler à force de me tenir tête comme elle l’a fait. Personne ne s’y
était risqué jusqu’à présent. Ce qui prouve bien que cette fille est spéciale. L’idée
qu’un autre puisse l’embrasser, toucher les zones de son corps que j’ai déjà eu la
chance d’explorer… Ça me met les nerfs à vif et je serre les poings.

Comment doit-on faire lorsqu’on est amoureux d’une personne mais que l’on
est incapable de lui donner ce qu’elle mérite ? Je n’y comprends pas grand-
chose, je suis novice dans ce domaine. Je n’ai jamais eu à m’attacher à qui que
ce soit parce qu’aucune des personnes que j’avais rencontrées jusqu’alors n’en
valait la peine.

Aujourd’hui, tout a changé. Evy m’a perturbé, chamboulé. Sa beauté m’a


terrassé, son obstination m’a fait flancher. Son regard m’a ravagé, son corps m’a
donné un aller simple pour le paradis.

Elle m’a littéralement envoûté. Elle m’a amené au bord du précipice… et j’ai
plongé.

Elle a blanchi la noirceur de mon cœur, le rendant plus beau, plus étincelant,
et elle y a construit son petit nid douillet sans vraiment me laisser le choix.

Je n’y crois pas, me voilà en train de parler comme une gonzesse. Mais bon
sang, je n’arrive plus à contrôler les émotions qui me submergent, m’inondent.

Je contemple son corps nu sous la douche. À quel moment me suis-je levé du


lit, moi ? Je n’ai vraiment pas les idées claires.

Je l’aime. Et je ne veux que son bonheur. Mais il y a une grande marge entre
vouloir et pouvoir. Un fossé insurmontable. Ma belle est comme enfermée dans
une tour et je ne sais même pas si je suis le prince charmant venu la délivrer…
ou la bête qui la garde prisonnière.

Le tueur en moi existe encore. Il est toujours là. Caché dans l’ombre, mais
encore présent. Et il se manifeste davantage, s’alimentant des images de Duncan
sur Evy afin d’augmenter ma soif de vengeance et de sang. Je ne pense pas
pouvoir le faire disparaître un jour.

Il est en moi depuis ma naissance, comme un morceau du diable.

Je ne peux l’annihiler.

Je ne peux pas le détruire.

Evy a réussi à le dompter mais là, après ce qu’il vient de se passer, il a


ressurgi, plus féroce que jamais. Je revois Duncan sur elle, la violentant, lui
arrachant ses vêtements. L’obligeant à écarter les cuisses en la menaçant de son
couteau. Je suis dans un tel état de haine que je serre le poing, enfonçant mes
ongles dans ma paume. Mes veines ressortent. Une clope. Il me faut une clope.
Dix, même. Cela ne calmera en rien ma rage, mais ça m’occupera.

Sur le petit balcon, la fraîcheur de la nuit ne me fait même pas frissonner.


J’allume une cigarette et contemple chaque nuage de fumée que je recrache. Elle
va s’en sortir, il ne peut en être autrement. Je vais m’en aller en lui laissant
suffisamment d’argent et ma voiture pour lui permettre de prendre un nouveau
départ. Elle retrouvera une vie normale.

Sans souffrance.

Sans peur.

Sans moi.

C’est le mieux à faire. Je ne peux pas lui promettre de devenir un gars normal
alors que je suis loin d’en être un. Malgré mes efforts, je ne pourrai jamais
changer, je le sais.

Que fera-t-elle lorsque je fracasserai à mort le premier mec qui la regardera de


façon indécente ? Parce que je sais que je ne m’arrêterai pas. Je n’ai aucune
limite et elle est mon putain de point faible. Aucune voix ne me dit d’arrêter de
frapper. Et plus il y a de sang, plus je cogne. Donc, comment fera-t-elle pour
vivre seule, tandis que je serai coincé dans une combinaison orange derrière des
barreaux ?
Ce n’est certainement pas la vie que je lui souhaite. Elle sort enfin de la salle
de bains et, après un lavage express, je la rejoins au lit. Elle se love contre moi et
mon cœur pulse dans ma poitrine. Je ravale la bile qui m’obstrue la gorge.
J’aimerais tellement lui avouer mes sentiments, lui témoigner ma gratitude pour
ce qu’elle a fait pour moi. Mais les mots restent coincés.

– Est-ce que tu as faim ?

Elle secoue la tête en me serrant un peu plus fort, comme si elle savait que
j’allais devoir partir. La nuit poursuit son chemin. Ni elle ni moi ne parlons,
laissant le silence dire les choses. À mon insu, mes doigts viennent caresser la
peau douce du bras d’Evy. Elle frissonne et relève la tête pour chercher mes
lèvres. Lorsque nos bouches se rejoignent enfin, Evy se redresse sans rompre le
baiser et se pose à califourchon sur moi tandis que sa langue s’introduit dans ma
bouche. Ses mains fourragent dans mes cheveux. J’ai posé les miennes sur ses
hanches, ne sachant pas trop quoi en faire. Est-ce que je dois lui empoigner le
cul ? Est-elle prête pour ça après ce qu’elle vient de vivre ? Elle répond à ma
question en pressant son corps contre le mien qui commence à se tendre au
niveau de mon boxer.

– Fais-moi l’amour, Ryder.

Sa voix n’est qu’un souffle mais résonne comme une supplique.

– Tu es sûre ?

Son regard lagon plongé dans le mien, elle hoche la tête.

– Je veux que tu m’enlèves ses traces… Je ne veux que toi, Ryder.

Elle ne veut que moi. Cela va rendre notre séparation plus difficile que je ne
le croyais. Mais, en même temps, je me sens… flatté ? En tout cas, cette
confidence me fait sourire. Alors je me rue sur ma belle, la basculant sous moi
afin de lui faire l’amour doucement et tendrement. Comme elle le mérite.

***

Evy dort paisiblement, son corps nu et chaud blotti contre le mien. Mes doigts
caressent ses cheveux d’un geste tendre. Même si cette nouvelle couleur lui va
bien, le blond me manque. C’est le moment de prendre la tangente, mais je
n’arrive pas à me résigner à me lever. Je n’ai aucune envie de la quitter. Surtout
après ce qu’elle vient de me dire. Putain, jamais personne ne m’avait dit qu’il
m’aimait. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle le fasse. Pas elle. Pas après tout ce
que je lui ai fait endurer. Elle m’a complètement fait chavirer. Si au début je
détestais celui qu’elle m’a fait devenir, aujourd’hui, la donne a changé. J’ai
l’impression de savoir enfin qui je suis. D’être dans un corps qui m’appartient
réellement et ne plus avoir cette sensation de vide en moi, de noirceur constante.
Je me sens bien. Grâce à elle.

Mais pour sa protection, nos chemins doivent se séparer. Elle doit mener sa
nouvelle vie. Quant à moi, je ne sais pas trop où je vais aller ni ce qui m’attend à
mon retour, mais une chose est sûre, je vais faire un détour chez Duncan. C’est
ce qui me motive à bouger. Je m’habille, écris un mot à Evy et lui laisse assez de
liquide pour lui permettre de tenir un moment. Puis je dépose un baiser long
mais non moins douloureux sur son front avant de filer.

Duncan, j’espère pour toi que tu as fait le plein d’énergie parce que moi, je
suis remonté à bloc.
22

Ryder

Vingt ans plus tôt.


– Tu es prêt, mon garçon ?

Je mets mon super maillot des Red Sox que papa m’a offert pour mes
5 ans. Je suis trop content. Aujourd’hui, il a décidé de ne pas aller
travailler. D’habitude, il travaille toujours dans son bureau. C’est un
homme important, mon papa. Il dit que lui et ses copains aident à
protéger le monde des méchants. Il adore le base-ball et moi aussi. Et
il m’emmène à mon premier match pour soutenir mon équipe préférée. J’ai
pas dormi tout de suite hier, parce que j’avais peur qu’il ne tienne pas
sa promesse. Des fois, papa me promet des trucs et après il change
d’avis à cause de son boulot. Mais aujourd’hui, il a tenu sa promesse.
Je descends les marches très vite et saute dans ses bras en bas. Il me
fait tourner et je ris. J’adore mon papa même si je lui dis que je le
déteste, parfois, à cause des promesses pas tenues. Mais au fond, je ne
le pense pas. J’aime mes parents plus haut que le ciel. Maman est dans
la cuisine en train de préparer le petit déjeuner. Je lui fais un câlin
et embrasse son ventre rond comme une citrouille d’Halloween. Papa le
fait souvent. Parce que, si j’ai bien compris, ma petite sœur grandit à
l’intérieur. Je ne sais pas trop comment elle s’est retrouvée là-dedans
ni comment elle va en sortir, mais maman m’assure qu’elle sera bientôt
là, dans une semaine. Je ne sais pas non plus combien de temps ça fait,
une semaine, mais tant que c’est bientôt, alors je suis content. Je
m’assois à table et elle m’apporte des pancakes à la banane, mes
préférés.

– Ne partez pas trop tard, il va y avoir beaucoup de monde, nous dit


maman.
– Ne t’en fais pas, ma chérie, on sera à l’heure, lui répond papa en
buvant son café tout en lisant le journal.

Elle se penche vers lui et pose sa bouche sur la sienne. Je fais la


grimace.

– Beurk, c’est dégoûtant !

Ils rigolent tous les deux et mon père me dit :


– Tu verras, quand tu seras grand tu feras pareil. Et bien plus,
aussi…

Maman lui donne un coup de torchon sur l’épaule et papa rit encore.

– Liam, ne lui dis pas ça, c’est encore un bébé.


– Non, je ne suis plus un bébé, moi, je suis un grand garçon ! me
plains-je.

Maman me pose un baiser sur le front.

– Tu seras toujours mon bébé à moi.

Elle est super belle, ma maman, avec ses cheveux de la même couleur
que le feu. Ils sont très longs et j’adore les coiffer. Ils sont
tellement doux que je m’endors dessus le soir quand elle me lit mon
histoire. Elle sent la vanille, maman, tout le temps. J’ai les mêmes
yeux qu’elle, marron. Mais j’ai les mêmes cheveux noirs que papa. Lui,
il n’est pas aussi beau que maman, mais c’est normal, je pense. Les
filles sont plus belles que les garçons. Il est grand, et ça, c’est
super pour faire peur aux méchants. Il dit qu’il va changer le monde
pour le rendre plus beau et plus… en paix, ou quelque chose comme ça, je
n’ai pas trop compris. En tout cas, mon papa, c’est un héros.

Mon petit déjeuner avalé, j’enfile vite mes nouvelles baskets et


maman me noue mon écharpe des Red Sox autour du cou. Elle m’embrasse une
dernière fois, puis papa et moi partons à la voiture.

– Ceinture, champion ?
– Attachée, mon capitaine ! réponds-je avec excitation.

Papa démarre et klaxonne à maman qui nous fait des signes de la main.
Sur le trajet jusqu’au stade, papa et moi chantons, parlons de nos
joueurs préférés, rions à ses blagues et je gigote de plus en plus à
mesure que nous approchons de mon rêve.

Quand nous arrivons, j’ai la bouche grande ouverte et mes yeux ne


savent plus où regarder tellement le stade est grand. Waouh ! C’est
fantastique ! Je suis papa dans la longue file qui nous sépare de
l’entrée. Je commence à m’impatienter et mon père me rassure en me
disant qu’ils n’ont pas le droit de commencer sans nous. Nous avançons
comme des escargots, ça m’agace. Après beaucoup, beaucoup de minutes,
nous nous trouvons enfin devant un grand monsieur qui pourrait
facilement faire peur au monstre sous mon lit. Il nous salue et pendant
qu’il regarde nos tickets, je lui pose la question qui me trotte dans la
tête.

– Pourquoi tu as peint ta peau en noir ?

L’homme et papa se regardent avant de rire.

– Ce n’est pas moi qui l’ai fait, mon garçon, me répond le monsieur.
C’est mère Nature.
– Mère Nature ?
– Oui, c’est elle qui décide qui doit être noir ou blanc.
– Ah, d’accord ! m’exclamé-je. Ça va, elle ne t’a pas fait trop
moche.

Papa et le monsieur noir rient de nouveau et je boude un peu parce


que je n’aime pas trop que l’on se moque de moi. L’homme rend nos
billets à papa et nous souhaite un bon match en nous laissant entrer.

– Pourquoi tu t’es moqué de moi, papa ?

Il sourit tandis que nous prenons place dans les tribunes.

– Je ne me suis pas moqué, champion, mais parfois tu dis les choses


tellement spontanément que ça nous fait rire. Tu dis ce que tu penses à
voix haute et ça peut être une bonne chose. Surtout quand tu seras
adulte.

Je me sens un peu plus rassuré, maintenant. Je saute comme un fou


quand je réalise que nous sommes placés tout devant et je peux déjà voir
les joueurs sur le terrain. Je n’arrive pas à y croire, je ne les avais
vus qu’à travers les autocollants que je collectionne dans mes magazines
de base-ball. Mo Vaughn est mon préféré.

– Waaah, je suis super content, papa, merci, merci, merci !!! crié-je
en lui sautant au cou. Je t’aime, papa !
– Je t’aime aussi, mon fils.

Je m’assieds sur mon siège et regarde le match qui commence, des


étoiles plein les yeux.

– Tu as vu ce home run de fou, papa ?! Et quand il a rattrapé la


balle alors qu’elle était presque sur la ligne ! Et t’as vu, j’ai réussi
à attraper la balle et Mo Vaughn me l’a signée, j’y crois pas !!!!

Je saute partout dans la voiture sur le chemin du retour et papa rit.


Je me sens fatigué parce que j’étais trop excité pour dormir la nuit
dernière, mais je suis surtout heureux d’avoir passé cette journée
géniale ! Je fais tourner ma balle signée par presque tous les joueurs
pendant que mon père conduit et je finis par fermer les yeux, me voyant
moi aussi en star du base-ball.

C’est papa qui me réveille. Nous sommes devant la maison et il a un


doigt sur sa bouche comme pour me dire « chut ». Je ne comprends pas
trop ce qui se passe mais j’obéis. Je peux voir sa main tenant quelque
chose et je fais les gros yeux en découvrant son arme. Je sais qu’il a
toujours un pistolet dans la voiture parce que le travail de papa
l’oblige à en avoir un, mais je ne l’ai encore jamais vu s’en servir.

– Ne bouge pas, Logan. Compris ?


Quand il m’appelle par mon prénom, c’est qu’il ne rigole pas. J’ai
peur, soudain. J’ai envie de lui demander ce qu’il se passe mais il part
déjà vers la maison, l’arme pointée devant lui. Je le regarde entrer et
je sens mon cœur battre très vite. J’ai envie de pleurer, mais je me
retiens parce que je ne suis plus un bébé. Tout à coup, j’entends des
bruits dans la maison et ça me fait sursauter. Je me couche par terre
entre les sièges pour ne pas me faire prendre. Je comprends qu’il y a
des méchants dans la maison. J’ai tellement peur, je tremble et je
n’arrive plus à retenir mes sanglots. Il y a des coups de feu et des
bruits de verre qu’on casse. Puis je pense à maman. Depuis combien de
temps étaient-ils dans la maison avant que papa et moi n’arrivions ? Oh
non, maman, j’espère qu’elle va bien. Il faut que j’y aille. Si ça se
trouve, elle est blessée et a besoin de moi parce que papa est trop
occupé à se bagarrer avec les méchants. Sans réfléchir, je sors de la
voiture et cours vers la maison. Quand j’ouvre la porte, c’est l’horreur
devant moi. Maman est allongée sur le côté, par terre, le dos plein de
sang. À côté, papa est à genoux et un monsieur tient une arme pointée
sur sa tête. Tout autour d’eux, des hommes. Ils me regardent et ma peur
grandit. Papa tourne soudain sa tête vers moi et me crie :

– Va-t’en, Logan !!! Cours !!!

Le méchant tire avant qu’il n’ait le temps d’ajouter quoi que ce


soit. Ça fait un si grand bruit que je sursaute et mes oreilles se
mettent à siffler. Ça fait très mal. Et juste après, papa s’écroule sur
le sol. Je ne comprends rien à ce qui se passe, mais quelque chose me
dit que c’est très grave. Je n’arrive plus à bouger, je suis comme cette
statue qu’il y a devant mon école.

– Attrapez le gamin ! crie le monsieur.

C’est là que je me décide à courir comme papa me l’a dit. Un des


méchants arrive à attraper ma main qui tient la balle de base-ball, mais
je réussis à me dégager sans pouvoir sauver la balle. Je cours aussi
vite que je peux et arrive à passer sous le portail fermé. Maman déteste
que je fasse ça parce qu’il y a la route juste à côté, mais là, je suis
obligé. Les hommes ne sont pas aussi petits que moi alors ils ne peuvent
pas me suivre. Par contre, ils peuvent escalader le portail alors je
détale encore une fois sans regarder où je vais. Il fait tout noir, la
pluie s’est mise soudainement à tomber. Je suis trempé et je ne vois
rien. Je suis surpris par une grande lumière jaune qui me fait mal aux
yeux. Quelque chose me rentre dans le ventre et je me sens voler dans
les airs avant de comprendre que la lumière provenait des phares d’une
voiture. J’ai mal, j’ai très mal. À la tête, aux oreilles, à la bouche,
au dos, à la poitrine, aux bras, aux jambes… partout. J’entends
quelqu’un crier, une femme, sans doute celle qui conduisait, puis un
autre coup de feu. J’essaie de rester éveillé, mais c’est dur. Mes yeux
veulent se fermer comme ceux de papa et maman. Le sang coule dans ma
bouche et je m’étouffe presque en avalant. Puis je sens que l’on me
soulève. Je gémis de douleur. J’ai du mal à parler mais j’essaie quand
même. J’ai besoin de savoir.

– Papa, maman… Pourquoi ils ne bougent plus ?

Je n’ai pas le temps d’entendre la réponse que mes yeux se ferment et


je ne sens plus rien…

***

Je me réveille. J’ai mal à la gorge et à la tête. Je ne sais pas où


je suis et j’ai peur. Une dame se penche sur moi avec un petit sourire.

– Eh ben, on peut dire que tu as une bonne étoile, toi, me dit-elle


d’une voix douce.

Quelque chose dans ma bouche me gêne et m’empêche de parler. La dame


ne tarde pas à me l’enlever et me donne un peu d’eau. Ça fait du bien,
mais j’ai encore mal. Puis entre un homme en blouse blanche. Il a un
truc autour du cou, comme des écouteurs. Il me sourit lui aussi.

– Bonjour, petit, me dit-il. Je suis le docteur Harper. Est-ce que tu


sais quel jour on est ?

Je réfléchis pendant un moment avant de secouer la tête. Le docteur


note quelque chose.

– Te souviens-tu de ce qu’il t’est arrivé ?

Je ferme les yeux pour tenter de me souvenir. Mais c’est tout noir.
Je ne sais plus rien. Je secoue encore la tête.

– Sais-tu quel est ton nom ?

Je commence à pleurer quand je me rends compte que non. Je ne me


rappelle rien du tout. Le médecin comprend et me caresse gentiment la
tête.

– Ce n’est pas grave, petit. Tu vas t’en sortir. Tu as eu un


accident. Ton papa arrive.

Au même moment, un autre homme entre dans la chambre et aussitôt, son


regard se plante dans le mien. Alors c’est lui, mon papa ? Il est grand,
costaud comme Superman. Ses cheveux noirs sont tirés en arrière et ses
yeux verts me fixent comme s’il ne croyait pas que je suis vivant.
Pourquoi je ne me souviens pas de lui ? Je suis perdu, je ne comprends
rien. Normalement on sait qui sont nos parents, non ? Alors pourquoi moi
je ne sais plus rien du tout ?

– Monsieur Powell, commence le médecin. Votre fils souffrait d’une


commotion cérébrale sévère. Nous l’avons opéré afin de lui retirer
l’œdème qui s’était formé à cause du choc. Honnêtement, nous ne pensions
pas qu’il se réveillerait de son coma. Mais il l’a fait. En revanche, il
a totalement perdu la mémoire.

Mon papa hausse les sourcils.

– La mémoire ? dit-il en ne me quittant pas des yeux et je suis sûr


d’avoir vu un petit sourire sur ses lèvres avant qu’il ne disparaisse.
– Oui, monsieur. Il souffre d’une forme d’amnésie qui l’empêche de se
rappeler jusqu’à son nom.
– Et… est-ce qu’il risque de… enfin, doit-on s’attendre à ce qu’il la
retrouve, sa mémoire ? demande mon père.

Le médecin semble réfléchir un moment avant de répondre.

– Écoutez, il y a encore une heure, je vous aurais dit que non, il


n’y a aucune chance. Mais il est sorti du coma alors que je n’y croyais
pas non plus. Donc, franchement, il y a peu d’espoir qu’il recouvre la
mémoire un jour, mais je viens d’apprendre qu’il ne faut jamais dire
jamais…
– Très bien. Merci, docteur.

Le médecin et l’infirmière sortent de la chambre et mon papa


s’approche de moi. Il me caresse les cheveux et m’adresse un doux
sourire.

– J’ai… j’ai peur… papa… gémis-je. Et j’ai mal…

Papa ne dit rien pendant un moment puis répond :

– Ne t’inquiète pas, fiston. Je vais faire de toi un homme qui n’aura


plus peur de rien ni de personne. Je te le promets… Ryder.
23

Evy

Je n’arrive plus à bouger. Je suis comme paralysée. Mon cœur vient de se


briser en un million de particules. Je relis les quelques lignes jusqu’à ce qu’elles
s’impriment dans mon crâne et que je finisse par fondre en larmes.

« Je te demande pardon. Pour tout. Va voir cet homme, il saura t’aider. Je te


donne l’opportunité de recommencer une nouvelle vie, ne la refuse pas. R. »

En dessous est inscrite l’adresse d’un certain Asher.

Je savais que ça allait arriver et je pensais pouvoir le supporter. Mais je me


suis leurrée. Je n’étais pas prête. Avec la tristesse, une certaine rancœur s’installe
dans mon esprit. Une sorte de petite voix mesquine dans ma tête qui me dit qu’il
ne veut pas que je fasse partie de sa vie. Après tout, il n’a rien répondu lorsque
les trois petits mots sont sortis de ma bouche. Je les lui ai dits dans le feu de
l’action, mais je les pensais vraiment. Je l’aimais. Je l’aime. Je suis parvenue à
craquer pour un homme qui m’a torturée et blessée au plus haut point. N’importe
quelle femme normalement constituée aurait été plus qu’heureuse de recouvrer
sa liberté.

Pas moi.

Parce que je l’ai dans la peau.

Parce qu’il m’a sauvé la vie à maintes reprises et que je lui serai éternellement
reconnaissante. Sans doute l’a-t-il fait pour se dédouaner de ses actes de torture,
mais je ne sais pas, mon intuition me dit que c’est beaucoup plus que cela. Je me
trompe peut-être, j’ai un peu perdu les pédales, je crois. Je dois cesser de me
morfondre. Il est parti, c’était à prévoir, il ne m’a jamais rien promis et il m’offre
ma liberté. L’opportunité de vivre une nouvelle vie, loin de Duncan, de son père.
De lui.

Je me sens vulnérable maintenant qu’il n’est plus là. Bizarrement, je me


sentais davantage en sécurité avec lui à côté de moi.

Le taxi se gare devant mon immeuble et l’anxiété s’accroît en moi. J’ai peur
de retrouver mon appartement. De refaire face à la Evy d’avant. Cela fait à peine
quelques heures et Ryder me manque déjà. Est-il possible d’être en manque de
quelqu’un au point de ne plus vouloir rentrer chez soi ? Ces trois mois de
captivité auront eu raison de mon pauvre cerveau. Je me rends compte que je ne
peux pas rentrer chez moi, car toutes les affaires personnelles que j’avais en ma
possession lors de mon enlèvement ont été détruites par Ryder.

Arrivée devant le campus, cachée sous le sweat à capuche encore imprégné de


l’odeur de Ryder, j’attends Lydia, le cœur battant. Je suis dissimulée derrière un
pylône, suffisamment éloigné des badauds qui passent. L’heure de fin des cours
arrive et de nombreux étudiants sortent. Je scrute chacun d’eux, autant pour
essayer de dénicher Lydia que pour me protéger. Depuis que je suis sortie de cet
hôtel, j’ai la peur constante de me faire à nouveau enlever. C’est oppressant. Ça
tire limite vers la paranoïa. Je devrais peut-être consulter. Mais cela m’obligerait
à donner mon identité, ce que je ne souhaite surtout pas. Je ne sais pas encore
comment je vais procéder, de ce point de vue là. Lydia arrive enfin. Elle a l’air
abattue et je m’en veux à l’idée c’est peut-être à cause de moi. Alors qu’elle
parvient à ma hauteur, je l’attrape par la manche de sa veste. Elle commence à
vouloir hurler et à se débattre, mais je lui plaque ma main sur la bouche. Je crois
que Ryder a un peu déteint sur moi. Ses yeux s’agrandissent alors qu’elle me
reconnaît et, sans crier gare, elle me serre dans ses bras en sanglotant.

– Mais qu’est-ce que tu fous là ? Où étais-tu ?


– Chut, tais-toi, tu vas rameuter tout le monde, chuchoté-je en jetant des
coups d’œil inquiets autour de nous.
– Tu as été enlevée par un malade et tu as réussi à t’échapper, c’est ça ? Et
c’est quoi ces fringues ? Tu as l’air toute fatiguée et, mon Dieu, combien de kilos
as-tu perdus ? Mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
– Lydia, je t’en prie, arrête de me tripoter ! Rentrons à la maison, je
t’expliquerai tout.

Elle me serre de nouveau dans ses bras menus.


– Bon sang, j’ai cru que je ne te reverrais jamais, que tu étais… mais j’ai vu
ton mot et je t’ai cherchée partout !

Le mot que je lui ai laissé après le cambriolage. Avant de retourner chez


Ryder pour le soigner. Je refusais de repartir sans au moins rassurer ma meilleure
amie.

– Qu’as-tu fait de la feuille ?


– Brûlée, comme tu me l’as écrit. Et je n’ai prévenu personne.
– OK. Allez, viens, j’ai pas mal de choses à te raconter.

***

– Si je comprends bien, tu t’es fait enlever, torturer et tu es tombée amoureuse


de ton bourreau ? Es-tu sûre que tu ne veux pas aller à l’hôpital ?

Nous sommes assises autour de la table du salon, un café fumant entre les
mains. La déco de l’appartement a été refaite, mais ma chambre est restée
intacte, comme si elle savait que j’allais finir par me repointer. J’ai pourtant
l’impression d’être une étrangère dans ma propre vie.

– Il m’a sauvée, Lydia, lui assuré-je. Il a peut-être mal agi au début, mais
comme je te l’ai expliqué, il ne fait qu’obéir à des ordres, il a été élevé ainsi. J’ai
réussi à le faire changer et c’est grâce à lui que je suis ici pour te parler
aujourd’hui.

Je suis consciente qu’évoquer mon enlèvement avec Lydia est risqué. Mais je
ne peux plus garder ça pour moi. Il faut que j’en parle à quelqu’un. Et ma
meilleure amie est la seule en qui j’aie réellement confiance.

– Je comprends, mais avoue que c’est quand même glauque comme histoire.
Tu as subi le syndrome de Stockholm, reste à savoir si c’est une bonne chose ou
pas…
– Que veux-tu dire par là ?

Elle se contente de hausser les épaules en sirotant son cappuccino.

– Et si ce n’était qu’un test pour voir si tu vas tout déballer à la police et qu’en
réalité, il t’a dans son viseur en ce moment même ?
Elle accentue sa question en regardant à travers la fenêtre. Je ne l’imite pas,
car je sais que Ryder ne ferait jamais ça.

– Tu te trompes sur lui, dis-je avec un peu d’amertume dans la voix. Il ne veut
plus tuer.
– Il te l’a dit ?
– Non, mais je l’ai lu dans ses yeux.

Lydia me regarde en haussant un de ses sourcils roux.

– Tu ne crois pas que ton amour pour la psychologie te fait voir des choses
qui ne sont pas forcément vraies ?

Si elle savait à quel point la psychologie n’a rien à voir là-dedans. Je l’ai vu
parce que je connais Ryder. Parce que je l’aime comme je n’ai jamais aimé
personne. Plus que David. Mon Dieu, tellement plus que ce crétin !

– Arrête, grondé-je en la regardant de travers. Tu es mon amie, tu devrais me


comprendre.
– J’essaie, Evy, je t’assure ! Tu as couché avec lui ?

Quand j’ai dit que je lui ai tout raconté sans rien épargner, j’ai peut-être
« oublié » quelques détails, en fait… Je la fixe et mon silence parle pour moi. La
bouche pulpeuse et enduite de rouge de Lydia forme un O parfait et ses yeux
s’agrandissent.

– Alors là, tu t’es foutue dans une sacrée merde, ma pauvre. Comment vas-tu
expliquer ça aux flics ? Parce qu’il peut y avoir conflit d’intérêts et ton
témoignage peut perdre de sa crédibilité, surtout si son avo…
– Je ne compte pas témoigner contre Ryder, la coupé-je et ça a le don de lui
clouer le bec. Je suis amoureuse de lui, Lydia.

Lydia manque de s’étouffer avec son breuvage.

– T’es pas sérieuse là, dit-elle, la voix pleine de reproche.

Mes joues s’empourprent. Je devrais avoir honte, je sais. Tomber amoureuse


d’un tueur, de son ravisseur qui plus est, c’est complètement tordu. Mais c’est
pourtant vrai.
– J’ai compris que le mettre en colère ne servait à rien, expliqué-je en
espérant qu’elle comprenne, cette fois. Alors j’ai décidé d’opter pour la méthode
de séduction. Je me suis dit qu’en lui faisant éprouver de l’attirance physique
pour moi, il changera. Et ça a marché. Il est tombé dans mon piège. Mais...
– Mais il t’a entraînée dans sa chute, devine mon amie et je hoche la tête en
refoulant mes larmes.
– Je ne l’avais pas prévu, Lydia, je te jure. Et maintenant au lieu de me sentir
libre, je me sens... abandonnée.

Mon amie me prend la main et ce geste me réconforte quelque peu.

– Mais qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dans cette foutue clé ? murmure-t-elle
tandis que je fais tourner distraitement ma cuillère dans ma tasse.

Puis je relève les yeux vers elle.

– Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir.

Je ne peux retenir mes larmes devant les tombes de mes parents et de mon
frère. Cela fait quatre mois que je n’ai pas remis les pieds ici et j’ai l’impression
que ça fait une éternité. Ils me manquent terriblement. Un vide s’est creusé en
moi quand j’ai compris que, désormais, je devrais avancer seule. Et maintenant,
en plus de l’absence de Ryder, c’est devenu carrément un gouffre intersidéral. Je
me sens perdue au fond de ce néant. J’ai l’impression que le pire peut m’arriver
à tout moment, encore plus qu’auparavant. Cette impression d’être constamment
surveillée ne me quitte pas et je ne cesse de scruter les environs partout où je
passe, bien que la capuche du sweat-shirt de Ryder me garde à l’abri des regards
indiscrets. Je caresse le marbre froid des stèles avec une certaine émotion, puis je
m’accroupis devant celle de Jared. Mon grand frère. Ma moitié. Je ratisse un peu
la terre jusqu’à toucher la petite boîte à bijoux qu’il m’avait offerte pour mes
14 ans. À l’époque, j’étais un véritable garçon manqué et il savait très bien que
je détestais tout ce qui était rose, strass, paillettes, bijoux et maquillage. Mais il
m’avait quand même offert cette boîte pour me taquiner. Je l’avais laissée
longtemps au fond de mon armoire à prendre la poussière. Je la prends et
l’ouvre. Le pendentif de maman en forme de coccinelle est toujours là,
renfermant ma clé de survie. La chose pour laquelle Jared a donné sa vie et pour
laquelle j’étais prête à faire de même. Mais ce qui me surprend le plus, c’est le
petit mot griffonné sur un morceau de papier. Un ticket de caisse, pour être
exacte, où il est écrit :

Tu me rends barge. Et pour répondre à ta question, je sais maintenant que c’est


un compliment. Je te retrouverai.

Je reconnais immédiatement l’écriture de Ryder. Mon cœur fait une embardée


et une lueur d’espoir renaît en moi. Comment a-t-il su ? J’ai sous-estimé cet
homme. Il est bien plus intelligent et coriace que je ne le pensais. Mais il n’a pas
pris l’objet que son père convoite tant. Pourquoi ? Étant donné que c’était sa
mission initiale et que je suis censée être morte, il aurait très bien pu la prendre
et la donner à son père et basta, je n’aurais plus eu à craindre pour ma vie. J’ai
l’impression de le connaître sans vraiment savoir qui il est. Je me relève en ayant
l’impression que mon cœur pèse trois tonnes, fais un baiser sur ma main que je
pose sur les trois tombes avant de repartir avec Lydia.

– Tu n’as pas peur que ce qu’il y a dedans te foute dans la merde ?


– J’y suis déjà, réponds-je, déterminée à en découdre une bonne fois pour
toutes.
– Justement.
– Si je dois risquer ma vie, autant savoir pour quoi.

Lydia conduit en silence pendant un long moment.

– Tu ne peux pas juste, je ne sais pas, la jeter dans le lac ?


– Jared me l’a confiée, ce n’est pas pour rien. Si ça n’avait été qu’un truc sans
réelle importance, il s’en serait débarrassé lui-même.

Nous arrivons devant notre immeuble et je suis Lydia jusqu’à notre


appartement.

– Comment vas-tu expliquer ta résurrection ? me demande mon amie alors


que nous nous affalons sur le canapé.
– Je ne vais pas le faire. Il faut d’ailleurs que je parte d’ici.

Lydia se retourne vers moi, perplexe.

– Comment ça ?
– Ils me croient morte. Ils savent où on habite. On doit partir, toi et moi. On
pourrait trouver refuge dans la maison de campagne de tes parents ? Tu sais,
celle qui est coupée du monde. Nous pourrions nous cacher là-bas en attendant
que l’affaire se tasse.
– Et comment va-t-on faire pour nos études, notre vie ?

Je hausse les épaules.

– On avisera. Pour l’instant je ne me soucie que de ça, dis-je en montrant ma


boîte.

Je m’assois sur le sofa et attrape mon ordinateur posé sur la table basse. Je
l’ouvre et tombe sur mon mémoire. Un sentiment d’échec s’empare de moi. Je
dois changer de vie. Ce qui veut dire que je peux dire adieu à mon master en
psychothérapie. Je reviens à la réalité et insère la clé USB dans le port prévu à
cet effet. S’affichent alors une centaine de dossiers. Tous comportent des noms et
des prénoms ainsi que des numéros de matricule. De plus en plus curieuse, je
clique sur certains dossiers et tombe sur des fiches d’état civil. Les photos
montrent des jeunes enfants âgés d’à peine 5 ans. Je fais descendre ma souris
jusqu’à un dossier particulièrement bouleversant. Il est intitulé « Darryl
Merten » : mon père. D’une main fébrile, je clique. Au fur et à mesure de ma
lecture, je me décompose.

– Oh, mon Dieu, souffle Lydia penchée sur mon épaule.


24

Ryder

Je fais tourner les glaçons dans mon verre de whisky, complètement paumé
dans mes pensées. Je pense à Duncan que j’ai littéralement défiguré il y a dix
jours. Je l’ai trouvé à l’intérieur d’un entrepôt désaffecté transformé en squat
pour dealers et autres vermines addicts aux piquouses. Je l’ai frappé jusqu’à ce
que mes doigts n’en puissent plus. Le monstre en moi était comme un gamin le
matin de Noël. Les junkies à côté étaient beaucoup trop défoncés pour faire quoi
que ce soit, je me demande même s’ils ont remarqué la bagarre, d’ailleurs, tant
ils étaient perchés. Alors qu’il était à moitié conscient, je l’ai traîné jusqu’à ma
bagnole et l’ai foutu dans le coffre avant de l’emmener dans la forêt. Dans la
cabane abandonnée où j’ai fait vivre les premiers jours d’enfer à Evangeline et
qui a été épargnée par l’incendie deux mois plus tôt. Il me répétait sans cesse que
j’allais le regretter, que ma « petite pute » allait crever. Il fallait que je m’assure
qu’il ne divulgue mon secret à personne. Jamais. Je devais mettre Evy en
sécurité coûte que coûte. Je n’ai absolument rien ressenti en le ligotant à la
chaîne. Si ce n’est de la haine.

En vingt ans, je n’avais jamais haï mon frère.

Pas même lorsqu’il me poussait à bout.

Il a fallu qu’il pose ses sales pattes sur elle pour que je ne puisse plus rien
contrôler. Pour que je me retourne contre ma propre famille.

– Tu vas le regretter, Ryder, je te le garantis ! a-t-il vociféré tandis que je lui


attachais les mains dans le dos.

Mon cœur pulsait dans ma poitrine et je craignais pour la survie de mes dents
tellement mes mâchoires étaient serrées. Duncan a tenté de me mettre un coup de
tête, mais je l’ai évité et ai riposté avec une droite.
– Elle t’a envoûté avec son chant de sirène, hein, Ulysse ? Elle t’a murmuré
des mots après avoir ouvert ses cuisses et te voilà plongé dans le côté obscur ?

Je n’ai pas relevé et me suis contenté de le bâillonner. Il s’est débattu mais je


n’ai eu aucun mal à le faire taire. Il s’est mis à hurler lorsque je me suis dirigé
vers la sortie.

Je devrais ressentir de la culpabilité. Enfermer mon propre frère comme un


animal en cage, sans aucune intention de revenir, devrait m’affecter. Mais la
seule culpabilité que je ressens est pour Evy. Je regrette de lui avoir fait du mal.
Je regrette de l’avoir quittée sans possibilité d’au revoir. Tout en contemplant
mon énième verre de scotch, assis dans ce bar miteux, je repense aux paroles
prononcées par Duncan quand je l’ai fait venir pour faire parler Evy. Jusque-là,
je ne comprenais pas le sens de sa phrase, mais désormais tout est clair. Je me
suis laissé charmer par ma cible et je l’ai même encouragée à continuer par la
suite.

J’ai succombé au chant de la sirène.

Elle a réussi à dompter la bête que j’étais.

Mais je ne pense pas m’être perdu en chemin, comme il me l’a dit. Je crois, au
contraire, que j’étais sur la mauvaise voie depuis le début et qu’Evy m’a fait
retrouver le bon chemin. Elle m’a servi de boussole. Je tape du poing sur le
comptoir. Evy ne devrait pas être dans ma tête. Je l’ai libérée, elle a changé
d’identité et a quitté la ville, d’après mon pote Asher. Il m’a prévenu dès qu’elle
a posé son joli cul sur la chaise de son bureau. Lui aussi a été charmé par cette
bombe, mais je l’ai tout de suite calmé.

Elle ne risque plus rien. Du moins je l’espère.

Je ne devrais pas non plus me soucier d’elle. Et pourtant, il n’y a pas une
seule seconde depuis dix jours où je ne me suis pas demandé où elle était et ce
qu’elle pouvait bien faire en ce moment même. J’ai pensé à la prendre en
filature, mais ce serait trop risqué, tant pour elle que pour moi.

J’ai du mal à comprendre ce que je ressens, et surtout, pourquoi elle ? On


n’était même pas ensemble. On a baisé quelques fois, je ne lui ai jamais rien
promis pour autant, je ne vais pas en faire un plat. C’est l’alcool qui parle, je
sais. Parce que, sobre, j’aurais pensé à quel point elle me manque et combien son
absence me déchire les tripes. Sobre, je me serais senti vide, comme s’il me
manquait un morceau de mon cœur. Mais je suis bourré. Et je compte le rester un
bon bout de temps. Je refuse d’admettre que je suis en train de souffrir de son
absence. Putain, non. Elle n’a pas réussi à me changer à ce point.

Mon père est rentré hier et a demandé à me voir, notamment pour savoir si
j’ai croisé Duncan ces derniers temps. Je suis encore étonné de la facilité avec
laquelle j’ai réussi à lui mentir. Encore.

Je n’ai pas encore trouvé la raison pour laquelle je n’ai pas pris cette foutue
boîte. J’ai compris où elle était cachée lorsqu’elle a parlé de ses parents et de son
frère morts. J’ai fait le rapprochement juste avant de la quitter. Je suis tout de
suite allé au cimetière après avoir abandonné Duncan. Un sentiment de curiosité
m’a envahi quand j’ai vu la clé. Une partie de moi voulait savoir ce qu’il y avait
dedans pour que ça vaille la mort de Jared et de sa sœur. Mais ma relation intime
avec Evangeline m’a déjà bien mis dans la merde, inutile de m’enfoncer. Alors
je l’ai reposée, non sans y laisser une trace. Je lui ai promis que je la
retrouverais. Mais je ne pense pas être capable de tenir cette promesse, car mon
père m’a redonné une mission. À la fin de la semaine, je devrai tuer un homme.
Je vais devoir faire ressurgir le meurtrier en moi, anéantissant ainsi tous les
efforts d’Evy pour me faire devenir quelqu’un de moins dangereux. Je me noie
dans l’alcool et commande un autre verre.

– Tu devrais freiner un peu la cadence, beau gosse, me prévient la barmaid


tout en me resservant.
– Et qu’est-ce que ça peut te foutre ?
– À moi, rien, tu remplis ma caisse. Mais la fille là-bas te regarde depuis au
moins un quart d’heure et elle n’a pas l’air d’approuver le nombre de verres que
tu t’enfiles.

Elle me désigne du menton l’entrée derrière moi. Je me retourne et mon cœur


rate un million de battements. Ses cheveux auburn encadrent parfaitement son
visage en forme de cœur. Sa peau d’ivoire brille d’un éclat incandescent sous les
lumières vives du bar. Sa bouche pulpeuse et magique est cependant serrée en
une fine ligne désapprobatrice et ses yeux d’ordinaire d’un bleu hypnotisant ont
ici presque perdu de leur couleur. Putain, si les regards pouvaient tuer, je serais
déjà raide mort. Elle s’avance de sa démarche féline et gracieuse, dont elle n’a
même pas conscience, faisant bouger ses formes voluptueuses auxquelles je rêve
jour et nuit. Elle est en colère mais je m’en fous, en fait. Elle est là, c’est tout ce
qui compte. Et plus elle s’avance vers moi, plus mon cœur cogne dans ma
poitrine. Et plus ma queue se tend dans mon jean.

– Que fais-tu là, Ryder ?

La voix me ramène à la réalité. Ce n’est pas la sienne. Je cligne plusieurs fois


des paupières et celle que j’avais prise pour Evangeline s’avère être en fait
Adrianna. Mon cœur se brise à nouveau.

– Adi, c’est plutôt à moi de te demander ça.

Adrianna n’aime pas les gens. Elle ne sort qu’en cas de mission. C’est plutôt
incroyable de la trouver là, car la Maison se situe à quelques kilomètres d’ici. Je
pense qu’elle tient cette antipathie quasi universelle du traumatisme d’avoir été
abandonnée dans la rue, seule, frigorifiée et mourant de faim. Elle était peut-être
toute petite et ne se souvient pas de cette période-là, mais le subconscient, lui,
revit cela chaque jour.

– Je… je… Ça ne te regarde pas, ce que je fais dans le coin, se renfrogne-t-


elle. Tu es passé en coup de vent hier. Tu n’es même pas venu entraîner les
gamins et je me demandais pourquoi. Enfin, on se demandait tous pourquoi.

Elle s’assied sur le tabouret voisin et boit un peu de mon whisky.


Immédiatement, je lui reprends le verre en la morigénant.

– Tu n’as pas le droit de boire.


– J’ai eu 21 ans avant-hier. Tu t’en serais rendu compte si tu étais venu.

Un sentiment de culpabilité m’envahit soudain. Contrairement à moi, Adi n’a


pas l’air déçue comme une personne normale devrait l’être, parce qu’elle ne
ressent aucune émotion. Alors que moi, si. Je remets mon masque d’insensibilité
pour ne pas éveiller les soupçons. Ils sont persuadés que les émotions, c’est le
mal et je risque de me faire balancer à mon père. Je n’ai pas envie d’être renié
par lui, bien que je le mérite.

– J’ai oublié, réponds-je finalement.


Pour la peine, je demande à la serveuse de lui servir une bière. Elle lui
demande sa carte d’identité et Adi la lui tend avec un sourire de connivence. Une
fois nos verres remplis, je trinque avec elle.

– Bon anniversaire, petite sœur.


– Qu’est-ce qui t’arrive, Ryder ? dit-elle après avoir bu sa première gorgée de
bière. Tu es… différent. J’ai bien vu que tu avais changé la dernière fois que tu
es venu. Tu t’es réellement battu avec Duncan, ce n’était pas qu’un
entraînement, n’est-ce pas ?

Je soupire en me cachant derrière mon verre de scotch.

– Il l’avait cherché.
– Pourquoi ? insiste-t-elle.
– Et toi, pourquoi as-tu fait autant de kilomètres à pied en pleine nuit alors
que tu n’étais jamais sortie ?
– Qui te dit que j’étais à pied ? sourit-elle diaboliquement. Un mec en camion
a bien voulu m’amener. Mais j’ai dû lui trancher la gorge après qu’il a tenté de
me forcer à lui faire une pipe. Je déteste que l’on m’oblige à faire des choses que
je ne veux pas.

N’ayant pas l’habitude de foutre le nez dehors, Adi en oublie que nous
sommes dans un lieu public rempli de monde, aussi je jette un œil alentour pour
m’assurer que personne ne l’a entendue. Puis je secoue la tête en levant les yeux
au ciel. Cette fille est imprévisible. Tout comme… Non ! Il faut que j’arrête de
penser à elle.

– Tu t’inquiétais pour moi ? insisté-je.


– L’inquiétude est une émotion, Ryder, répond-elle. Et tu sais que les
émotions nous sont néfastes.

Tout dépend de qui te fait ressentir des émotions, pensé-je, et aussitôt, son
visage d’ange et ses yeux bleu océan refont surface dans mon esprit. Il faut que
je me rende à l’évidence : elle est ancrée là-dedans et elle n’en sortira jamais.

– C’est papa qui t’a envoyée ? deviné-je.


– Oui.
– Comment as-tu su que j’étais là ?

Elle se contente de hausser les épaules avant de vider son verre de presque la
moitié de son contenu.

– Ce sont eux qui me l’ont dit, j’ai simplement indiqué le nom du bar au
chauffeur avant de le buter.

Je fronce les sourcils.

– Comment ont-ils su que j’étais ici ?

Adrianna hausse de nouveau les épaules.

– Papa sait tout, je ne t’apprends rien.

Je grogne un « mouais » peu convaincu. C’est tout de même bizarre, quand on


y pense. Jusque-là, je n’y ai pas prêté attention parce que j’étais toujours là où
mon père voulait que je sois. Mais ce petit écart de ce soir m’a permis de
comprendre que je ne suis peut-être pas aussi libre que je le croyais…

– Adi, est-ce que tu me répondrais franchement si je te posais une question ?

Elle me regarde en plissant les yeux.

– Dis toujours.
– Est-ce que tu as déjà ressenti des émotions ? Ne serait-ce qu’une once de
sentiment ?

Elle garde le silence pendant un long moment. Si longtemps que la barmaid a


le temps de revenir vers nous et de remplir à nouveau le verre d’Adrianna,
qu’elle descend d’une traite.

– Non, Ryder. Je n’ai jamais ressenti la moindre émotion. Pourquoi cette


question ?
– Simple curiosité, mens-je. Pourquoi on tue ?
– Parce que papa nous le demande.
– Oui, mais pourquoi ?
– Pourquoi toutes ces questions ? Mets-tu les décisions de papa en doute ?
Est-ce que tu penses qu’il n’est pas un homme bien ?
– Non, pas du tout, me récrié-je. C’est juste que…

On tue des gens sans savoir s’ils sont innocents ou pas. J’ai failli tuer une
fille qui ne le méritait pas, tout ça pour obéir aux ordres.

– Oublie, je n’ai plus les idées très claires, je dois être à mon vingtième verre,
fais-je finalement.

Adrianna semble se calmer un peu.

– Viens, je te ramène, dis-je en me levant de mon tabouret et en laissant une


liasse de billets sur le comptoir.

Elle me suit.

– Tu n’es pas en état de conduire et je n’ai pas le permis.

Je me retourne pour la regarder et lui décoche un sourire en coin.

– Qui a dit que je te ramenais à la Maison ? Je veux te montrer où je vis.

Nous sortons du bar. Il fait nuit noire, les rues sont désertes et l’air s’est
rafraîchi à l’approche de l’hiver. Je retire ma veste pour la poser sur les épaules
de ma sœur. Elle me regarde en levant un sourcil et je me rends compte que je
viens de faire preuve de sollicitude à son égard. Je décide de me justifier.

– Papa me tuerait si tu attrapais un rhume par ma faute.

Elle ne répond rien et nous continuons à marcher – un peu bringuebalants


sous les effets de l’alcool – jusqu’à arriver au pied de mon immeuble. Je pousse
la porte et nous montons dans l’ascenseur, toujours sans un mot. J’aimerais
pouvoir lui parler d’Evy, me confier sur la nature de mes sentiments nouveaux.
Mais j’ai trop peur qu’elle ne puisse pas garder le secret. Mon père a un don
pour savoir quand une personne ment ou pas, on ne peut rien lui cacher. Je dois
avoir un don pour avoir réussi à lui faire avaler mes couleuvres. Et je refuse
d’impliquer ma petite sœur là-dedans. Quand nous entrons dans mon
appartement, Adrianna regarde autour d’elle mais n’exprime rien, évidemment.
– Pourquoi as-tu décidé de quitter la Maison ? s’enquiert-elle.

Je hausse les épaules.

– Je n’ai jamais vraiment aimé la collectivité. Tu me connais, je suis un loup


solitaire. Je voulais mon indépendance.

Elle me rend ma veste que je pose sur le dossier du canapé.

– Ce n’est pas très spacieux, alors je vais te laisser ma chambre et me


contenter du div…

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’Adrianna se jette littéralement


sur moi et que ses lèvres s’écrasent sur les miennes. Je suis sur le cul. Je ne sais
pas comment réagir, sous le choc, mais je finis par la repousser gentiment.

– Adi, qu’est-ce que tu fais ?

Elle me regarde d’un air déterminé et me pousse sur le canapé. Sans trop
savoir pourquoi, je me laisse tomber. Elle s’assied à califourchon sur moi avant
de déchirer sauvagement mon T-shirt.

– On sait tous les deux que nous ne sommes pas frère et sœur, dit-elle. On n’a
pas le même sang, on ne fait rien de mal.

Elle s’empare de nouveau de ma bouche et sa langue force le passage pour y


rencontrer la mienne. Je mentirais si je disais qu’elle ne me fait aucun effet, ma
queue tendue dans mon pantalon en témoigne. Mais je n’ai pas le droit de faire
ça. Mes mains sont levées en l’air et j’évite ses baisers du mieux que je peux.

– Qu’est-ce qui te prend, ça ne te ressemble pas… haleté-je tandis qu’elle


m’embrasse le cou.

Adrianna a toujours été droite dans ses bottes. Cela m’étonne qu’elle soit si
spontanée et sauvageonne. Moi qui la voyais comme un ange, la voilà en train de
se transformer en véritable diablesse. Une partie de moi voudrait répondre à ses
caresses et ses baisers. Mais une autre reste campée sur ses positions : elle est
comme ma sœur. Et puis… il y a Evy.
– Je t’ai menti, tout à l’heure, avoue-t-elle en faisant descendre sa main
dangereusement vers la ceinture de mon jean. J’ai déjà ressenti une émotion. Je
la ressens en ce moment même. Je te désire, Ryder. J’ai envie de toi chaque fois
que je te vois et ça en devient obsessionnel.

Elle se déhanche sensuellement sur moi tout en enlevant ma ceinture. Je me


sens impuissant devant son attitude. Je ne veux pas coucher avec elle mais je
n’ai pas le courage de la repousser non plus.

– J’en rêve tout le temps, continue-t-elle. Et je me dis que si je couche


réellement avec toi, je n’y penserai plus ensuite.

Ses baisers sont divins. Pas aussi parfaits que ceux d’Evangeline, mais je ne
peux m’empêcher de les aimer. Je commence à perdre mon self-control et mes
mains finissent par se poser sur ses hanches fines et étroites. Je sais
pertinemment que je ne devrais pas. Je ne veux pas. Mais je souffre tellement
que je suis prêt à faire n’importe quoi pour parvenir à l’oublier. Sentant sans
doute que je capitule, Adrianna se redresse et enlève sa première couche de
vêtements. La voilà en simple soutien-gorge et shorty en dentelle. Sa jupe
recouvrait un porte-jarretelles. Je déglutis et mon corps se tend davantage. Je ne
peux pas le nier, elle est sacrément bandante. Je commence vraiment à être à
l’étroit dans ce foutu froc. Elle se remet sur moi pour continuer à m’allumer.

Son corps de déesse ajouté à l’alcool que j’ai ingurgité et qui circule dans
mon sang… je sombre de plus en plus dans la tentation…
25

Evy

Meghan Parker. Voilà mon nouveau nom officiel. Au début, je n’étais pas très
encline à changer d’identité. Mais ça, c’était avant que je ne découvre le contenu
de la clé USB. Putain, j’en fais encore des cauchemars depuis une semaine. Mon
père n’a jamais été un flic corrompu. C’était une couverture. Il faisait partie de la
NSA et il était en mission d’infiltration au sein d’un groupe de trafic d’enfants
lorsqu’il a été tué. Je n’ai pas eu le courage de savoir quel était le rapport entre
mon père et celui de Ryder.

Je n’arrive toujours pas à y croire. Jared avait raison. Nos parents ne sont pas
morts accidentellement. Quelqu’un a saboté les freins de la voiture.

Ils ont été assassinés. Jared a été le suivant, et la prochaine sur la liste, c’est
moi. D’un côté, j’ai envie de rouvrir mon ordinateur et de parcourir le reste des
dossiers. Quand j’ai lu celui de mon père, j’ai été si choquée et bouleversée que
j’ai refermé l’ordinateur en me jurant de ne jamais relire ce qu’il y avait sur cette
foutue clé. J’ai peur de ce que je pourrais découvrir d’autre. Mais aujourd’hui,
j’ai laissé passer une semaine et me voilà face à un cruel dilemme : soit je me
fais tuer sans savoir davantage pourquoi, soit je meurs en ayant toutes les
réponses. Dans tous les cas, je sais que je ne serai en sécurité nulle part. Ils
savaient déjà qui j’étais et ce que je faisais de mes journées. Il ne leur faudrait
pas beaucoup de temps pour comprendre que je suis encore en vie. J’espère
toutefois que Lydia avait tort et que je peux faire confiance à Ryder.

Il me manque. Terriblement. Mon cœur s’est brisé à l’instant où j’ai compris


qu’il ne reviendrait pas. Mais c’est peut-être mieux comme ça. Il fallait que je
change de vie. J’habite maintenant à presque cent bornes de Lydia et Robbie.
Asher, l’homme qui m’a fourni ma nouvelle identité, m’a dit qu’il était risqué de
rester dans le même État quand on était en cavale, mais je lui ai répondu que je
n’avais pas peur. C’est faux, bien entendu, je meurs de trouille. Mais, de toute
façon, s’ils veulent vraiment me trouver ils y parviendront, que je change de
pays ou pas. Je suis des cours par correspondance et j’ai profité de mon nouveau
nom pour changer de cursus et opter pour la psychologie criminelle. Je sais,
j’avais promis à Ryder de ne pas parler de nous. Mais c’est plus fort que moi, il
faut que je raconte mon histoire. D’un commun accord, Lydia et moi avons pris
nos distances. Égoïstement, je l’ai mise en danger elle aussi en lui parlant de ma
captivité. Nous nous sommes éloignées, au moins le temps que je parvienne à
éclaircir cette histoire louche. Elle aussi a déménagé, par précaution. Je ne sors
plus de mon petit appartement, à peine plus grand que mon ancienne salle de
bains. Asher m’a aidée sur ce point aussi. Il m’a dégoté ce petit studio en me
disant que j’y serais bien et qu’ils n’iraient pas me trouver là-bas. Je n’ai pas trop
compris sur le coup et lui ai demandé s’il était au courant de ce que Ryder
faisait. Il m’a simplement répondu oui, m’a filé les papiers et m’a littéralement
chassée de chez lui. Sur le pas de sa porte, il m’a bien spécifié qu’il avait fait sa
part du boulot et que désormais il fallait que je l’oublie, jusqu’à son nom. Voilà
au moins une promesse que je peux tenir. Je refuse d’impliquer davantage de
monde dans la merde dans laquelle je m’enfonce peu à peu.

Je ne travaille pas non plus. Après trois mois de recherches infructueuses,


l’enquête sur ma disparition a été classée sans suite. À la mort de nos parents,
Jared et moi avons hérité de leurs économies : trois cent mille dollars chacun. Et
quand mon frère est mort à son tour, j’ai eu sa part. Jusqu’à ce jour, je refusais
d’y toucher. Je me sentais trop coupable à l’idée de me servir de la mort de ma
famille pour vivre. J’ai donc travaillé au bar. Mais aujourd’hui, je n’ai plus
d’autre choix que d’être dehors le moins possible. À chaque fois que je pars faire
mes courses, par exemple, je ne peux m’empêcher de regarder derrière moi
toutes les trente secondes. Je me demande si le mec en train de manger son
sandwich sur le banc n’est pas l’un de ceux qui veulent ma mort. Idem pour cette
femme poussant la poussette. Ou ces gamins faisant du skate au square, ou
encore ces deux femmes qui font leur jogging. Il ne se passe pas un instant où je
ne crains pas de me faire enlever… ou pire. Si ça continue, je vais vraiment faire
un burn-out. Avoir peur chaque matin en me réveillant, devoir me barricader
tous les soirs avant de me coucher et vérifier chaque pièce (heureusement que ce
n’est pas grand) armée d’une batte de base-ball chaque fois que je rentre chez
moi, ce n’est pas une vie. Je devrais être paisible, vivre en paix et ne me soucier
que de mes cheveux impossibles à démêler ou de la tenue que je vais porter. Au
lieu de cela, je me demande combien de temps il me reste à vivre avant qu’ils ne
me retrouvent.

Je cherche aussi Ryder. Je ne fais pas que surveiller mes arrières. Je regarde
s’il est toujours là, à l’affût. Mais je ne le vois jamais. Et mon cœur se brise un
peu plus chaque fois.

La seule chose positive dans tout ce merdier, c’est que j’ai perdu
pratiquement six kilos. Je suis contente, moi qui me croyais condamnée à jamais
à porter du quarante-quatre, je suis maintenant forcée d’attacher mes jeans
préférés avec une ceinture. C’est un mal pour un bien, j’ai envie de dire. D’un
côté, je suis triste de cet amaigrissement parce que la raison n’en est pas
seulement mon angoisse de mourir. C’est surtout à cause de Ryder. Je ne mange
plus depuis qu’il est parti. J’ai le ventre noué à l’idée de devoir me passer de lui
jour et nuit, en me demandant s’il est redevenu celui d’avant ou si mes efforts
ont porté leurs fruits. S’il est encore en vie, aussi, qui sait. Il est peut-être un
tueur capable de se défendre, mais je n’ignore pas qu’il a une foule d’ennemis
qui veulent sa peau. Je m’inquiète énormément pour lui. Et bien que je sache que
l’on ne se reverra plus jamais, je n’arrive pas à annihiler les sentiments que
j’éprouve toujours pour lui. Je ne peux pas lui en vouloir de m’avoir libérée, il
l’a fait pour me protéger. J’aimerais pouvoir faire machine arrière, retourner
dans cette foutue chambre et l’empêcher de partir. L’aveu que je lui ai fait était si
vif et spontané que je ne suis pas sûre qu’il l’ait vraiment pris au sérieux. Ou
qu’il l’ait entendu, d’ailleurs. Je regrette et, désormais, les seules choses qu’il me
reste de lui, ce sont ce petit mot que j’ai trouvé dans la boîte et ces cicatrices
qu’il m’a infligées sur les bras, la poitrine, le ventre et les cuisses.

Pour certains, elles représenteraient les souvenirs d’un calvaire sans fin. Pour
moi, ces balafres sont les premiers témoins de ce qui aurait pu être ma plus belle
histoire d’amour.
26

Ryder

J’y ai pensé un nombre incalculable de fois depuis le début de la semaine. J’ai


même failli prendre la direction de sa planque juste pour m’assurer qu’elle va
bien. Mais lorsque je me suis confié à Asher – le seul à qui je peux dire ces
choses-là -, il m’a conseillé de la laisser tranquille. Et il a raison, elle a une
nouvelle vie, elle n’a pas besoin que je la perturbe encore une fois. Asher est
l’un des seuls mecs en qui je puisse avoir confiance. Il arrive à la fin de la
quarantaine et c’est un génie de l’informatique. C’est lui qui cracke les
informations personnelles de nos cibles. Il a accepté de bosser pour mon père à
condition de garder sa petite vie tranquille dans sa maison et de ne pas être mêlé
aux conséquences. C’est-à-dire les flics en cas de pépin. Asher a beau travailler
pour le compte de mon paternel, il a davantage confiance en moi qu’en lui. J’ai
pris un risque en envoyant Evy le trouver, mais je n’avais que lui sous la main
pour l’aider et je savais qu’il garderait le secret. Il n’a pas vraiment aimé que je
l’implique dans cette évasion, mais il sait que je ne laisserai jamais personne
s’en prendre à lui. Il est pour moi comme un deuxième père. Et, au moins, ça lui
a permis de se foutre de ma gueule quand je lui ai raconté mes états d’âme. Ça
me fait chier, putain. Je devrais me foutre d’elle, je devrais pouvoir passer à
autre chose.

Peut-être que redevenir le tueur que j’étais me permettra de me remettre les


idées en place. Je n’y ai pas vraiment pensé mais je crois que, ouais, buter
quelqu’un me fera guérir. Je suis en train de manger quand mon téléphone sonne.

– Ryder.
– Salut, fiston. Tu es prêt pour demain ?

Je fronce les sourcils, étonné que mon père me dise ça. D’habitude il ne
m’appelle jamais pour me demander ce genre de choses, il se contente de me
filer le boulot, point.
– Euh, ouais. Comme d’habitude.

Depuis que je lui ai menti à propos d’Evy, j’ai un mal fou à lui parler sans
éprouver des remords. Alors c’est ça que l’on ressent quand on ment à quelqu’un
qu’on ne veut jamais décevoir ? Pourquoi n’ai-je tout simplement pas fait mon
boulot ? Rien ni personne ne m’avait arrêté jusque-là. Il lui a fallu quelques mots
et ses gros nichons pour me faire flancher. J’espère qu’elle se fait assez discrète
pour ne pas se faire repérer, sinon je risque de m’en mordre les doigts. Et elle
risque fort de perdre la boule, au sens propre du terme.

– Ryder, mon garçon ?

Je me rends soudain compte que je n’ai rien écouté de ce que mon père vient
de me dire. Saleté de bonne femme.

– Oui, papa ?
– Pourrais-tu passer un moment à la Maison demain matin ?
– J’allais justement venir entraîner les nouvelles recrues.
– Je ne suis pas là aujourd’hui. Tu sais que tu es mon meilleur homme, fiston.
Ne me déçois pas.

Et il raccroche. Je reste hébété après sa dernière phrase. Pourquoi ai-je


l’impression qu’il se doute de quelque chose ? Je termine de manger en vitesse,
attrape ma veste en cuir et mes clés et m’engouffre dans ma Mustang. Je roule à
toute allure, énervé et préoccupé. Je sais que je me suis foutu dans un merdier
monumental. Mais, quand on y pense, ce n’est pas Evy qui a lancé les hostilités,
c’est son crétin de frère. Si cet abruti n’avait pas volé cette clé USB et s’il avait
fermé sa gueule, Evy ne serait pas coincée entre quatre murs à prier chaque
seconde pour ne pas mourir.

Putain de vie de merde.

J’arrive dans l’allée de la Maison et entre sans frapper. Je tombe directement


sur Adrianna, dans la cuisine.

– Salut, fait-elle, mâchant une banane.


– Salut.
– Duncan est passé chez toi ? Papa le cherche depuis des jours.
Eh merde, je l’avais complètement oublié, celui-là. Je devrais peut-être
m’assurer qu’il est bien resté là où je l’ai enfermé.

– Non, pas ces derniers temps. Tu le connais, il est sûrement en train de cuver
dans un squat quelque part dans la ville.
– Mouais, ce n’est pas vraiment son genre de ne pas répondre au téléphone,
surtout quand c’est papa qui l’appelle.

Je commence à traverser la pièce pour me rendre dans le centre


d’entraînement, mais Adrianna me court après.

– Ryder, attends !

Je grogne, sachant déjà ce qu’elle va me dire.

– Je m’excuse pour l’autre soir, dit-elle. Je n’étais pas dans mon état normal.

Je la fixe dans les yeux et les souvenirs d’elle et moi sur ce putain de canapé
refont surface.

– C’est oublié, Adi, réponds-je. Mais je te conseille de ne plus jamais


recommencer,car la prochaine fois, je serai beaucoup moins doux.

Elle hoche la tête. Je lui dépose un baiser sur le front – je m’en tape que ce
soit un signe d’émotion, je n’ai plus rien à perdre.

Pendant les deux heures qui suivent, j’apprends de nouvelles techniques de


combat aux gosses qui ont déjà fait taire leurs émotions. Ils ne doivent pas avoir
plus de 15 ans et sont plus déterminés que jamais. Je décide de faire profil bas,
pour le moment. Si mon père découvre la vérité, je suis cuit. Je me demande ce
qu’il me veut. J’ai déjà eu les infos concernant ma prochaine cible et je doute
qu’il me fasse subir une autre séance d’endurcissement. Il ne prendrait pas le
risque de m’envoyer en mission avec la gueule amochée. Il va sûrement me
rabâcher l’importance de savoir se défendre, les méfaits des émotions sur notre
état psychique et la reconnaissance que nous devons lui témoigner après tout ce
qu’il fait pour nous. Rétablir l’humanité et la société en supprimant tous ceux qui
la gangrènent, telles des tiques sur un chien.

Je suis en colère contre ma sœur, aussi. Elle n’avait pas à faire ce qu’elle a
fait. Heureusement que j’ai eu assez de lucidité pour la repousser au lieu de faire
la pire connerie de ma vie. J’aime cette fille. Je donnerais ma vie pour elle. Mais
c’est un amour fraternel et rien d’autre. Dans ma grande famille, on est là les uns
pour les autres et on éprouve une véritable vénération pour notre père, mais on
ne le montre pas.

Et enfin, je suis en rogne contre Evy. Je déteste qu’elle me manque à ce point.


Me souvenir de nos étreintes charnelles, de la chaleur de son intimité, de son
parfum enivrant, de ses yeux céruléens pénétrant au plus profond de mon âme.
Je déteste éprouver des sentiments pour elle, mais en même temps… j’adore ça.
Putain, ce que ça me les casse ! Je comprends maintenant pourquoi on se refuse
à ressentir des émotions. On se sent perdu, sinon à la dérive. Je me sens ainsi en
ce moment même.

J’ai un besoin vital de la voir. Ne serait-ce que pour vérifier qu’elle va bien,
qu’elle ne manque de rien.

Et qu’elle ne m’a pas oublié.

***

Je ne sais absolument pas ce que je fous ici. Enfin si, je le sais, mais quelque
chose me dit que c’est une grosse connerie. Cela doit bien faire une plombe ou
deux que je suis garé devant le petit studio qui lui sert de planque. Je reconnais
ce quartier pour y avoir vécu quelques mois. Il y a des années, Duncan et moi
avons exceptionnellement été envoyés en mission ensemble. Je n’étais pas
d’accord, au début, car je me la joue toujours seul. Mais j’ai fini par accepter.
Grossière erreur. L’impulsivité et la stupidité de mon crétin de frère nous ont
presque valu l’arrestation. Ce con nous a fait repérer par les gardes du corps du
mec, il a voulu jouer les gros bras. J’ai quand même réussi à descendre la cible,
mais, au moment de repartir, ça a fini en fusillade et Duncan a tiré alors qu’un
gamin traversait la rue, paniqué. La balle l’a tué direct. Du coup, tout le quartier
a été alerté et on a échappé aux flics de justesse. Après que mon père a donné un
avertissement à Duncan sur sa façon d’agir – mon frère en porte encore la
cicatrice sur son visage –, il nous a fait cacher dans le studio qu’Evy occupe
actuellement. J’aurais pu la faire partir à l’autre bout du pays, mais mon père
l’aurait retrouvée en moins de deux. Alors que là, qui soupçonnerait qu’un
témoin se trouve dans l’un de ses propres appartements ? Parfois, au lieu de
dissimuler quelque chose loin du regard de l’adversaire, il vaut mieux le mettre
justement sous son nez. C’est risqué mais jusque-là, mon père n’y a pas pensé
puisqu’elle est encore là.

La lumière du salon est allumée et je souris comme un idiot. L’idée de la


revoir me tord le ventre et, en même temps, l’excitation me gagne. Je devrais
peut-être faire demi-tour. Si ça se trouve, elle ne veut plus me voir, après la façon
dont je l’ai laissée tomber.

Oh, et puis merde, je n’ai pas fait tous ces putains de kilomètres pour repartir
sans un regard d’elle. Je sors de ma voiture et me dirige vers le portail de la
résidence. Je connais encore le code par cœur, le tape et la grande porte s’ouvre.
J’entre dans l’immeuble après avoir traversé la petite cour et monte l’escalier en
colimaçon jusqu’au quatrième étage.

À l’époque, papa avait bien veillé à ce que l’on soit à l’abri tout en étant à
même de se casser vite fait si on se faisait surprendre. C’est pour ça qu’il n’y a
pas d’ascenseur et que la fenêtre de la seule chambre donne sur le toit d’un
porche permettant de descendre très vite si nécessaire.

Je me sens maintenant comme un con devant cette porte en bois à moitié


écaillée. Est-ce que je dois sonner ou frapper ? J’aurais peut-être dû apporter un
bouquet de fleurs, non ? Pourquoi j’ai les mains toutes moites et le cœur qui bat
à fond les ballons ? Je passe une main nerveuse dans mes cheveux. Un vrai
gamin, putain. J’entends sa voix qui émoustille instantanément mes oreilles et,
déterminé, je frappe trois fois à la porte. Le silence se fait à l’intérieur et
j’entends des pas. La porte s’ouvre enfin et je fais face à la plus belle femme
qu’il m’ait été donné de voir. Evangeline – enfin, Meghan – a l’air choquée. Elle
est figée, les yeux comme des soucoupes et la bouche entrouverte. Je lui fais
mon petit sourire à fossette et mon regard doux.

– Salut, murmuré-je timidement.

Mais Evy ne réagit pas, comme si elle ne croyait pas ce qu’elle voyait.

– Evy, qui est-ce ? demande soudain une voix masculine.

Ou plutôt comme si elle ne s’attendait pas du tout à me voir débarquer…


J’interroge la beauté du regard et derrière elle s’avance un mec en costard-
cravate, aux cheveux blond cendré peignés avec la raie sur le côté. Il est un peu
plus grand que moi mais il ne m’impressionne pas. Il doit sûrement bosser dans
le droit, une connerie comme ça. C’est le genre de mec qui se la raconte avec son
Audi ou sa Mercedes, qui doit ses brillantes études à papa et maman et qui ne
sait même pas faire cuire un œuf. Je le toise de haut en bas en me retenant de lui
rire au nez tellement il est ridicule avec son air hautain. Il me tend une main si
blanche et propre que je me demande s’il n’a pas ce toc qui consiste à se laver
les mains chaque fois que l’on touche quelque chose. Je la regarde sans bouger.

– Je suis David, le copain d’Evangeline. Et vous êtes ?

Là, tout de suite, maintenant – et Evy le voit parfaitement dans mes yeux -,
j’ai envie de tuer ce mec. J’ai envie de le tabasser, l’étriper, le démembrer et le
donner à bouffer aux clébards errants dans la rue.
27

Evy

Je reste interdite face à la situation. Voilà deux hommes que j’aurais cru ne
jamais revoir un jour, et en même temps, qui plus est. D’un côté, David, qui m’a
trompée juste avant ce qui aurait dû être le plus beau jour de ma vie. Et de
l’autre, Ryder, ce tortionnaire au visage froid mais qui s’est avéré être un amant
d’exception. Les deux seuls que j’aie jamais aimés profondément. Je ne sais pas
depuis combien de temps je reste figée là, mais eux, en tout cas, se regardent en
chiens de faïence et aucun n’a l’air décidé à détourner les yeux. C’est à celui qui
abdiquera le premier. Je fixe Ryder. La mâchoire et les poings serrés, les traits
durcis et le regard, si noir que j’en ai des frissons, rivé sur David, je ne sais pas
quoi faire. Je comprends que ses pulsions meurtrières sont en train de refaire
surface. Il faut que j’agisse, et vite, pour éviter qu’il ne fasse une connerie. Mais
avant que je puisse intervenir, le poing de Ryder vient brutalement s’écraser sur
le nez de David qui recule de deux bons mètres en titubant.

– Ça, c’est parce que tu es un putain de connard infidèle, crache Ryder.

Eh merde, je savais que je n’aurais jamais dû parler de mon mariage avorté à


Ryder. Mais je pensais qu’étant donné l’alcool qu’il avait ingurgité, il ne se
souviendrait pas de cet épisode. Visiblement, sa mémoire est plutôt étanche.
Mon ex se tient le nez et sa main ne tarde pas à être ensanglantée.

– Quoi, tu ne supportes pas que l’on touche à tes jouets ? ricane David et je
sens déjà le monstre en Ryder sortir de l’ombre. Figure-toi que j’ai été le premier
à jouer avec.

Là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ryder, rouge de colère,
s’apprête à bondir sur David et, sachant que je n’arriverai pas à l’arrêter et qu’il
le tuerait, j’opte pour la solution la plus facile. Je pousse mon ex – qui a eu
l’inconscience de se rapprocher – de toutes mes forces à l’intérieur de
l’appartement et ferme la porte. Pris dans son élan, Ryder se retrouve désormais
presque contre moi. Ses prunelles ocre ne sont plus que deux billes noires
enragées et prêtes à tuer. La peur s’empare de moi. Ryder l’assassin a ressurgi en
un tour de main. Mais je n’ai pas peur pour moi, bizarrement. C’est la vie de
David qui m’inquiète. Je prie pour qu’il reste derrière la porte et qu’il se calme.

– Pousse-toi, Evy, gronde Ryder.

Mon cœur bat la chamade. Il m’a tellement manqué !

– Non, répliqué-je sur le même ton.

Sa main s’abat violemment sur la porte à deux centimètres de ma tête et me


fait sursauter.

– Ne m’oblige pas à te refaire du mal.


– Tu ne me feras rien.

Un rictus démoniaque étire le coin de ses lèvres.

– Tu ne me connais pas.
– Assez pour savoir que tu es ici parce que je te manque.

Sa respiration est haletante et je ne sais pas si c’est à cause de l’adrénaline


stimulée par la haine ou bien par l’excitation. Il reste là à me scruter froidement
avant de tourner les talons et de se diriger vers l’escalier d’un pas furibond.

– Tu m’as manqué aussi, Ryder.

Il se fige net, comme si je l’avais électrocuté.

– Il a menti, nous ne sommes pas ensemble, il voulait juste te provoquer.


C’est un vrai calvaire sans toi, je te cherche partout où je vais et j’espérais que tu
frapperais à la porte parce que je te manquais trop. J’ai aussi pensé que je ne te
reverrais jamais. Mais je n’ai pas une seule seconde pensé à te remplacer, Ryder.

Il se retourne et pointe le doigt vers mon studio.

– Alors pourquoi est-il là ?!


– Parce que j’ai besoin de lui.
– Tu as plus besoin de lui que de moi ?

Sa question résonne comme un reproche et il me regarde intensément pendant


assez longtemps. Je me sens blessée mais je préfère le rassurer plutôt que de le
rabrouer. Après ces semaines interminables à me morfondre de son absence, me
disputer avec lui n’en vaut pas la chandelle.

– Tu sais bien que non. Je te demande seulement de me faire confiance.

Il remet une mèche rebelle derrière mon oreille. Son contact m’électrise de la
nuque jusqu’en bas du dos. Ça faisait si longtemps que je n’avais pas ressenti
ça…

– Je ne faisais confiance qu’à mon père, jusqu’à présent. Jusqu’à ce que tu


entres dans ma vie.

Je me mets sur la pointe des pieds et lui dépose un baiser chaste sur la bouche.
Juste assez timide pour lui donner envie d’en avoir davantage. Et ça fonctionne,
car il attrape ma nuque et m’embrasse férocement. Mon cœur part au quart de
tour et je m’accroche à lui comme si ma vie en dépendait. Sa langue se fraie un
passage pour trouver la mienne. Elle est sauvage, possessive. Il me dévore et j’en
demande plus. Nos corps se moulent parfaitement l’un à l’autre, comme s’ils
étaient faits pour ne former qu’une seule et même personne.

Une seule âme.

Ses mains descendent le long de mon dos pour s’emparer avidement de mes
fesses un peu moins rondes.

– Tu as maigri, me dit-il entre deux baisers voraces.


– Tu aimes ?
– Je préférais tes formes. Mais tu es toujours aussi belle.

J’ouvre la bouche pour enfin lui avouer ce que je ressens en bonne et due
forme, mais je suis interrompue par un raclement de gorge derrière moi. C’est
David. Je l’avais complètement oublié. Il a une belle marque au niveau du nez
mais ça n’a pas l’air cassé. Ryder se raidit à la vue de mon ex et s’avance d’un
pas vers lui. David recule instinctivement et je plaque une main sur le torse de
Ryder. Celui-ci ne quitte pas l’avocat des yeux.
– J’y vais, Evy, Kate m’attend. Je t’appelle.

Bizarrement, depuis que Ryder est arrivé dans ma vie, je ne ressens plus
aucune rancœur vis-à-vis du couple David/Kate auquel je souhaitais le pire
depuis presque un an.

Oui, Ryder m’a sauvée de beaucoup de choses…

J’acquiesce et il s’en va. À côté de moi, je sens Ryder encore plus tendu, si
cela est encore possible.

– Tu ne vas quand même pas me faire une crise de jalousie ?

Ryder ne quitte pas l’angle du couloir du regard.

– Tu n’as pas vu la façon dont il te regardait, grogne-t-il.

Du bout des doigts, je lui fais pivoter la tête vers moi et le fixe dans les yeux.

– Il ne me regarde pas comme toi. Lui et moi c’est du passé, Ryder.


Désormais, c’est toi que je veux.

Sa bouche fond sur la mienne et j’en oublie comment respirer. Il s’éloigne et


colle son front contre le mien.

– Je ne vais pas me comporter en crevard, parce que tu mérites mieux que ça,
Evy, souffle-t-il. Alors je vais te préparer un merveilleux repas, nous allons
éventuellement regarder un film ensemble et, après, seulement après, je te ferai
l’amour comme il se doit.

Je suis ébahie face à ce nouveau comportement, mais je n’en reste pas moins
heureuse qu’il prenne ce genre d’initiative.

– Est-ce que c’est un rencard ?


– Parfaitement, sourit-il en me couvant de son regard désarmant.

Même si l’on ne sort pas, de peur de nous faire repérer, je décide de me mettre
sur mon trente-et-un et opte pour une robe sobre mais élégante laissant mon dos
nu. À en croire son expression faciale, il est charmé et doit sûrement se faire
violence pour ne pas me sauter dessus. Penché sur le plan de travail, il pose le
couteau avec lequel il découpait des légumes et s’approche de moi lentement.

– Tu veux me tuer ? grogne-t-il en posant ses mains sur mes hanches.


– Je n’oserais pas, le taquiné-je en me mordant la lèvre inférieure pour plus
d’effet.

Il siffle entre ses dents comme s’il souffrait.

– Tu devrais t’installer avant que je ne finisse par ne plus pouvoir me


contrôler, grimace-t-il en désignant son entrejambe.

Même si j’aurais adoré qu’il assouvisse son désir maintenant, je ne vais pas
cracher sur mon premier rencard avec lui, d’autant plus que cette idée lui est
venue de son propre chef.

Il tire ma chaise et je suis impressionnée par ce nouvel aspect de sa


personnalité. Le monstre a encore une fois disparu et je n’en suis que plus ravie.
Ryder sort le plat du four, apporte la salade et nous commençons à dîner.

– Que veux-tu savoir, Evy ?

Je le regarde avec tendresse et un sourire fend mes lèvres. Enfin, nous y


sommes.

– Tout, murmuré-je. Je veux tout savoir de toi, Ryder.

Il ne parle pas pendant un moment, se contentant de manger la première


bouchée, l’air perdu dans ses pensées.

– Tu risques de ne pas aimer certaines choses.


– Je m’en fiche.

Je t’aime, toi, c’est tout ce qui compte, pensé-je. Il soupire avant de


commencer son récit tandis que je l’écoute attentivement tout en mangeant.

– Je suis né il y a vingt-six ans, dans le Nebraska. Ma mère est morte peu


après la naissance de Duncan, je n’ai aucun souvenir d’elle. Mon père nous a
élevés à la dure, comme on dit. Du moins quand il était à la maison. La plupart
du temps, c’est la gouvernante qui s’occupait de nous parce qu’il était toujours
en déplacement. Au fil des années, il a commencé à nous apprendre à nous
battre. Il disait que l’on survivait comme ça dans la société d’aujourd’hui. Et il
continue inlassablement à nous rappeler – à sa façon (le souvenir de son passage
à tabac qui m’a valu un cambriolage me revient et je retiens la colère qui monte
en moi) - que tuer nos ennemis est le meilleur moyen de survivre et de se faire
respecter. Si tu ne te défends pas, tu te fais bouffer. Les émotions aussi sont très
importantes : elles ne doivent pas exister. Pas les positives, en tout cas. Seules la
haine, la rage et la détermination peuvent nous habiter. Parce qu’elles alimentent
l’animal féroce qui sommeille en nous. Toutes les autres nous rendent
vulnérables. Et être vulnérable, c’est être une proie facile pour nos ennemis.
Aucune pitié n’est tolérée.

Son père doit être une personne très influente pour parvenir à changer ses
enfants de la sorte. Je ne connais pas cet homme, mais je ne l’aime pas. Déjà
parce que c’est lui qui a ordonné à Ryder de m’enlever. Mais j’ai l’impression
que je ne suis pas au bout de mes surprises…

– J’ai tué ma première cible à l’âge de 14 ans. C’était un politicien à deux


balles qui faisait mordre la poussière à mon père. S’il avait été élu, il nous aurait
anéantis. Il avait de mauvaises intentions.

Nous ne parlons pas pendant un long moment. Ryder se lève pour débarrasser
la salade et apporter le poulet et les légumes. C’est délicieux.

– Je croyais que tu ne savais pas cuisiner, fais-je remarquer.


– Je suis très observateur, répond-il avec un sourire lubrique.
– Comment as-tu su que c’était moi ?

Il prend le temps de mâcher sa viande avant de répondre.

– Tu veux vraiment que je réponde à ça ?

Je hoche la tête.

– Je t’ai traquée.
– Ah bon ?
– Pendant une semaine, avoue-t-il. Mon père m’a donné une photo de toi pour
que je te reconnaisse et m’a indiqué l’endroit où tu travaillais. Je t’ai suivie aussi
en cours, j’étais assis tout en haut à droite. Tu ne me voyais pas mais moi, si. Je
te surveillais. Jusqu’au moment propice.

J’accuse le coup sans broncher. Je voulais absolument savoir. Je ne sais pas ce


qui est le pire entre être épiée pendant une semaine sans en avoir conscience et
connaître la vérité quatre mois plus tard.

– À quoi penses-tu ? s’inquiète-t-il comme je ne réponds rien.


– Je me disais juste que les choses se seraient sûrement passées différemment
si je t’avais remarqué dans l’amphithéâtre.

Ryder secoue la tête.

– Ça aurait précipité ta mort, je pense. Je me serais senti démasqué et je


n’aurais pas ressenti ce que…

Il s’interrompt et je l’encourage.

– Ce que quoi ?

Il se pince l’arête du nez. Je le connais maintenant assez bien pour savoir que
c’est un signe de nervosité, chez lui. Je pose ma main sur la sienne et l’oblige à
me regarder. Ryder me sourit.

– Tu préfères un dessert comestible ou charnel ?

Je note qu’il n’a pas répondu à ma question, mais je décide de ne pas insister
et lui rends son sourire avec un regard aguicheur.

– À ton avis ?

Ryder se lève de sa chaise, prend ma main et me colle à lui avant de me


donner un baiser sauvage et impatient. Je me raccroche à lui et il me hisse sur lui
où je sens déjà un renflement presser mon entrejambe. Il nous amène habilement
dans la chambre, referme la porte du pied et me pose sur la coiffeuse que je me
suis offerte. Il arrache mon chemisier et je lui enlève rapidement son T-shirt.
Nous nous déshabillons mutuellement à la vitesse de la lumière, nos bouches ne
se séparant que brièvement. En enlevant mon pantalon, je heurte de mon dos le
miroir blanc accroché derrière moi et celui-ci se fracasse sur le sol.

– Sept ans de malheur t’attendent, plaisante Ryder.


– Je m’en fiche, tant que c’est avec toi.

J’ai juste le temps de voir mon string en lambeaux dans sa main avant qu’il ne
le jette au loin. Puis il me reprend dans ses bras et sa queue s’enfonce
profondément en moi, nous faisant pousser un grognement de plaisir à l’unisson.

– Je vais prendre ça pour un compliment, sourit-il avant de capturer ma


bouche et en nous amenant vers le lit.

Sans se retirer de mon corps, il m’allonge sur le matelas et me dévore le cou.


La pleine lune reflète le caramel de ses yeux et je suis complètement ensorcelée.
Le désir qu’il éprouve accentue ses traits parfaits et je suis particulièrement fan
de la petite fossette qui se creuse au coin de sa joue mal rasée chaque fois qu’il
pousse dans mon intimité. Son regard se lève quelque part au-dessus de moi et il
sourit. Si je ne le connaissais pas, je me demanderais ce qui lui arrive. Mais là, je
sais qu’il a une idée derrière la tête. Et mon hypothèse se confirme quand il me
dit de me retourner. Je me mets donc à quatre pattes et comprends la raison de ce
sourire. Le grand miroir en pied que j’ai acheté avec la coiffeuse nous fait face,
renvoyant le reflet de notre position. Je me suis dit que cet appartement manquait
cruellement de féminité, raison pour laquelle j’ai choisi ce miroir – je pense que
les femmes devraient toutes pouvoir s’admirer de la tête aux pieds. Du moins,
c’est devenu ma philosophie depuis que Ryder m’a dit que j’étais magnifique. Je
fixe toujours le miroir et Ryder, à genoux derrière moi, les mains posées sur mes
reins, se penche pour me murmurer à l’oreille :

– Je veux que l’on se regarde en train de faire l’amour.

Mon cœur redouble sa cadence et mes joues prennent une teinte encore plus
vive. Je ne sais pas si c’est de l’excitation, de la gêne ou un peu des deux. Mais
une chose est sûre : moi aussi j’en ai envie. Ryder commence à se mouvoir en
moi et aucun de nous ne quitte le miroir des yeux. Mes doigts griffent le drap à
mesure qu’il accélère ses coups de reins et je gémis de plus en plus fort. À aucun
moment je ne regarde ailleurs que dans la psyché. C’est une vision tellement
érotique que mon premier orgasme est déjà sur le point d’arriver. La chaleur en
moi est insoutenable. Il me prend violemment tout en fixant le reflet de mon
visage et j’adore ça. C’est juste magique. Puis il m’incite à me mettre sur les
genoux de façon à pouvoir admirer ses grandes mains sexy malaxer ma poitrine
tout en s’enfonçant en moi. Dans le miroir, je vois sa main droite quitter mon
sein pour descendre sensuellement le long de mon ventre et titiller mon clitoris
ultrasensible. Oh, bon Dieu de merde. Je n’arrive plus à contenir mes cris.

– J’aime tes hurlements, me susurre-t-il à l’oreille. Tu es tellement bandante,


Evangeline. Je ne peux plus me passer de toi.

Entre sa voix rauque empreinte de désir, son sexe me perforant l’intérieur, son
doigt faisant gonfler mon clitoris, sa main caressant le bout de mon sein et sa
bouche dévorant la base de mon cou juste à la jonction de mon épaule, je ne
peux plus tenir et me déverse telle une cascade. L’orgasme est si ravageur que je
lui plante mes ongles dans la nuque. Étourdie par la puissance de la délivrance,
je me laisse retomber à quatre pattes et Ryder me pilonne encore plus vite et
encore plus fort.

– Oui… Ryder, encore !!!

Ses coups de reins sont si rapides qu’ils en font hurler le lit. Nous allons
bientôt nous retrouver par terre. Mais c’est si bon, bordel ! Les minutes
s’égrènent avant qu’il ne s’immobilise à son tour.

– Oh putain, Evy…

Son visage au moment de l’orgasme est juste parfait. Sa fossette se creuse


davantage, ses sourcils bruns se rejoignent presque tellement ils sont froncés,
son regard devient brillant, presque éblouissant, et une veine se forme sur son
front. Sans parler des muscles de ses bras qui sont bandés à l’extrême, faisant
danser les tatouages sur sa peau. Il s’agrippe tellement fort à mes hanches que
j’en gémis de douleur et de plaisir en même temps. Mon bas-ventre me lance
furieusement et mon deuxième orgasme arrive en même temps que le sien.

Essoufflée et épuisée, je me laisse tomber à plat ventre comme une loque.


Ryder dépose une myriade de baisers le long de mon dos jusqu’à mes fesses.
Puis il remonte de la même façon, me procurant un frisson dans toute la colonne
vertébrale. Cet homme est un putain de dieu. Il sait exactement où me toucher et
de quelle façon, c’est juste incroyable. Extraordinaire. Il se penche à mon oreille,
lèche le lobe avant de me murmurer de sa voix suave et diablement sexy :

– Tu possèdes le plus beau cul que la Terre ait jamais porté.

Je ne sais pas ce qui le pousse à m’envoyer autant de fleurs, lui qui n’a jamais
exprimé le moindre sentiment, mais je les accueille à bras ouverts. Il embrasse
chacune des cicatrices qu’il m’a infligées d’une manière érotique et coupable à
la fois. Je crois qu’il me demande de lui pardonner, à sa façon. En faisant des
choses qu’il n’avait jamais faites telles que les compliments et les baisers emplis
de tendresse. C’est sa façon de se racheter mais aussi de me prouver qu’il tient à
moi. Qu’il m’aime. Je me retourne de façon à pouvoir le regarder de face. Je lui
caresse la joue tendrement en souriant et lui dis le plus sincèrement possible :

– Et toi, tu as la plus belle âme que la Terre ait jamais portée.

Il me rend mon sourire avant de m’embrasser passionnément.

– Allons prendre une douche, propose-t-il finalement et je souris de sa


tentative de changer de sujet.

Il n’est pas encore prêt et je peux le comprendre. Je suis patiente.

– Voilà une idée alléchante, ris-je tandis qu’il m’aide à me remettre debout.

Il m’invite à passer devant lui, non sans me claquer malicieusement la fesse.


Je le scrute d’un regard faussement désapprobateur.

– Pervers !
– Tu adores.

Nous entrons dans la salle de bains et il fait couler l’eau. Un frisson me


parcourt quand la cascade déferle sur mon corps nu par endroits. Certaines
cicatrices ont disparu, mais d’autres sont plus résistantes. Ryder m’enlace par-
derrière et je ferme les yeux pour savourer ce moment le plus longtemps
possible. Il me lave les cheveux et le corps avec des gestes tendres et minutieux,
comme si j’étais une petite chose fragile qu’il fallait manipuler avec la plus
grande délicatesse, sous peine de la casser. Je suis physiquement fissurée mais
mon cœur, lui, a retrouvé tous ses morceaux et bat comme au premier jour. Son
attitude contraste totalement avec son côté sauvage lors de nos parties de jambes
en l’air. Je ne sais pas ce que je préfère. Je crois que j’aime les deux aspects –
combinés, ils forment le Ryder que j’aime tant.

J’étale du shampooing sur mes mains et entreprends de m’occuper de lui. Au


moment où j’arrive à son entrejambe, sa queue déjà raide réagit davantage. Je le
regarde dans les yeux tout en le caressant. Puis j’embrasse ses pectoraux, ses
biceps, son cou. Son pouls bat à toute allure contre mes lèvres et je me sens
flattée que ce soit uniquement grâce à moi. J’aime cet homme du plus profond
de mon cœur. Du plus profond de mon âme.

– Je t’aime, Ryder.

Les mots ont franchi mes lèvres avant que j’aie pu les filtrer. Embarrassée, je
pince les lèvres et finis par relever les yeux afin de jauger sa réaction. Je pensais
y déceler de la surprise et – avec un peu plus d’espoir – de la joie. Mais rien. Son
regard me scrute mais je n’arrive pas à déchiffrer ses émotions. Il n’exprime rien
et pendant une seconde, j’ai peur d’avoir fait ressurgir celui que j’ai connu au
début. Mais je suis vite rassurée quand il prend mon visage en coupe et qu’il
m’embrasse avec fougue.
28

Ryder

Je suis réveillé depuis un bon moment. L’heure sur le réveil digital indique six
heures quarante-sept. J’ai dormi à peine cinq heures, mais je suis habitué à ne
pas dormir beaucoup. Et puis ça en valait toutes les peines du monde. Evy, elle,
dort encore à poings fermés, en tenue d’Ève. Elle est sublime. C’est vrai que je
la préférais avec ses kilos en trop mais elle reste magnifique. Je pourrais la
regarder des heures durant. Hélas, je n’en ai pas le temps aujourd’hui. Mon père
rentre dans deux heures et je dois être dans son bureau quand il arrivera.
J’appréhende cet entretien. Je crains qu’il ne soit au courant de la vérité au sujet
d’Evy et une douleur me tord le ventre à l’idée qu’il puisse lui faire du mal. Je
serais prêt à me dresser contre mon propre père pour protéger cette femme. C’est
plus fort que moi. Je me suis tellement imprégné d’elle que je ne pense pas m’en
détacher un jour. Je ne le veux pas, en tout cas.

Je ne sais pas comment expliquer ce que je vais faire de ma journée à


Evangeline. Avant que je ne la libère, elle m’avait reproché de ne rien lui
raconter, de ne pas lui dire ce que je faisais quand je n’étais pas chez moi. Je
n’étais pas prêt à tout lui dévoiler. Aujourd’hui, si. Sa déclaration d’amour hier
soir dans la douche m’a fait comprendre que j’étais plus important pour elle que
je ne le croyais. Elle est amoureuse de moi. Et je crois que c’est réciproque.
Même si je sais que notre relation risque d’être très difficile à cacher, voire
qu’elle est vouée à l’échec à cause de ce que je suis et du fait qu’elle risque la
mort, je ne peux m’empêcher d’imaginer mon avenir avec elle à mes côtés. Plus
je passe de temps avec elle, plus m’est difficile l’idée de l’avoir loin de moi.

– À quoi tu penses ?

Je tourne la tête vers Evy qui a toujours les yeux fermés mais un sourire
radieux aux lèvres. Elle finit par ouvrir les paupières, telle une fleur en train
d’éclore. Le soleil levant donne des reflets à sa peau laiteuse, faisant briller ses
cicatrices, souvenirs de l’ancien Ryder.

– Je me demandais de quoi pouvait provenir cette perte de poids, éludé-je.

Ce n’est pas vraiment un mensonge, j’y ai vraiment songé. Le visage d’Evy se


ferme et elle me regarde d’un air triste.

– Disons que mon estomac était aussi noué que mon cœur était brisé.

Un sentiment de culpabilité m’envahit lorsque je comprends que, là encore,


c’est par ma faute que son corps a changé. Décidément, je ne suis vraiment pas
doué pour ces trucs-là.

– Je suis désolé, dis-je avec sincérité. Je pensais que c’était mieux pour nous
deux. Que tu t’en remettrais vite parce que nous n’avions pas passé assez de
temps ensemble pour te permettre de t’attacher à moi.
– Tu t’es trompé.

Je pose mes lèvres sur les siennes et mon cœur se met à cogner. Et, bien
entendu, il n’y a pas que lui qui réagit. Je suis en train de penser à la façon dont
je pourrais bien la prendre, ce matin, quand l’image de mon père et notre
discussion à venir me reviennent en mémoire. Je m’éloigne d’elle et la couve de
mon regard ténébreux.

– J’ai des choses à faire, aujourd’hui, lui confié-je.

Evangeline plisse les yeux. Son regard me fait légèrement flipper, car je sais
que ce qu’elle va me dire risque de ne pas trop me plaire.

– Est-ce que ces choses consistent à… comment dire… loger un objet en


métal cuivré dans la boîte crânienne de quelqu’un ?

Je soupire. Je sais qu’elle ne comprendra jamais le lien qui nous unit, mon
père et moi. Elle ne comprendra jamais que je lui dois tout, jusqu’à la vie.

– J’aimerais que tu arrêtes de me juger, me braqué-je.

J’enfile mon pantalon et mon T-shirt – tout plutôt que de la regarder dans les
yeux.
– Je veux juste comprendre, Ryder. Je croyais que tu avais changé !
– Eh bien, ce n’est pas totalement le cas, tu vois ? crié-je en me tournant vers
elle, le regard noir. J’ai des sentiments pour toi, est-ce que ça ne te suffit pas ?

Evy se lève, le drap tombe sur le sol et pendant un court instant, mon regard
s’adoucit et je suis déstabilisé par sa nudité. Elle, en revanche, n’en a rien à
foutre et se met à hurler.

– Bien sûr que non, ça ne me suffit pas ! Je veux retrouver l’homme que j’ai
connu alors que je croyais mourir ! Pourquoi te transformes-tu en machine à tuer
au moindre appel de ton père ? Qu’a-t-il fait pour mériter autant de vénération ?
Quand vas-tu comprendre que c’est un criminel qui va finir mort ou derrière les
barreaux !!

Soudain, je n’arrive plus à contenir ma rage. Je traverse le lit en une


enjambée, me retrouvant face à Evy qui a reculé contre le mur. À cet instant, j’ai
envie de la faire taire, elle et sa psychologie à la con. Mais alors que j’aurais déjà
réduit en bouillie la tête de toute autre personne qui aurait dit ça, je me contente
d’abattre mon poing contre le mur juste à côté d’Evy. Un trou énorme orne
maintenant la paroi de la chambre et mes jointures saignent. Un silence
assourdissant plane entre nous. J’ai l’impression que la Terre a arrêté de tourner.
Quand je me rends compte de ce que je viens de faire et surtout de ce que j’ai
voulu faire juste avant, je m’en veux terriblement. Je peux voir la peur dans les
yeux bleus d’Evangeline. Elle a le même regard que lorsqu’elle m’a vu pour la
première fois. Terrifié. Je l’effraie, putain. C’est bien la dernière chose que je
souhaitais en venant la retrouver. Il faut que je parte et vite. J’ai besoin d’air. Elle
me rend dingue, je n’arrive plus à penser. J’attrape mon blouson, mes clés et,
alors que j’ouvre la porte pour m’en aller précipitamment, je me retrouve
confronté à une chevelure noire. Elle a le poing en l’air comme si elle s’apprêtait
à frapper à la porte et ses yeux cachés par des lunettes de soleil sont braqués sur
moi. Un large sourire fend ses lèvres peintes en rouge foncé. Elle porte un long
manteau camel avec le col relevé, comme si elle voulait se cacher.

– Salut, beau gosse, claironne-t-elle d’une voix guillerette qui me semble


vaguement familière.

Elle entre sans y avoir été invitée et retire sa perruque qui laisse place à une
chevelure rousse tombant en cascade dans son dos. Ses yeux émeraude me fixent
avec interrogation. J’ai envie de rire. Est-ce qu’Evangeline lui a dit qu’elle a
manqué de peu de se faire trancher la gorge ? Probablement pas.

– Lydia ! fait la voix d’Evy derrière moi.

Je me tourne vers elle. Elle a passé un T-shirt un peu long et ne porte qu’un
boxer en guise de bas. Seigneur…

– Oh, je vois, s’écrie Lydia sur un ton taquin. On dirait que c’était le feu de
dieu dans ton corps, cette nuit.

Je lève les yeux au ciel. Je peux me barrer ou comment ça se passe ?

– Tu aurais dû me dire qu…

Mais Evy interrompt Lydia la pipelette, Dieu merci.

– C’est Ryder.

Elle lance un regard entendu à son amie et je pivote vers Lydia qui me regarde
à présent d’un air plus glacial que jamais. Ma réputation me précède, on dirait.

– Alors c’est toi, l’enfoiré qui a kidnappé et torturé ma meilleure copine ?!


fulmine-t-elle. De quel droit oses-tu te pointer ici !
– Je te signale que c’est grâce à moi qu’elle est encore en vie. C’est moi qui
lui ai trouvé cette planque alors que j’étais censé la buter. Je te prierai de garder
tes sermons pour toi et de ne pas me chauffer !

Puis je me tourne vers Evy.

– Sérieux, tu comptes amener combien de potes à toi, ici ? Tu as cru que


c’était un moulin ? Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans « se faire passer
pour mort » ?!
– Hé, j’ai été prudente, je vous signale, intervient la rouquine alors qu’Evy et
moi nous fusillons du regard. Je me suis déguisée et j’ai pris quatre bus en
faisant un détour de trente bornes. Je ne suis pas stupide, quand même !
– Et toi, reprend Evangeline en ignorant sa copine, qu’est-ce que tu ne
comprends pas dans « tuer est un acte criminel qui peut te faire passer le reste de
ta vie en taule » ? Question leçons de morale, tu peux repasser.
L’ambiance a changé en une fraction de seconde. S’endormir en étant bercé
par les endorphines et se réveiller pour finalement se crêper le chignon, ça craint.
Mais ce n’est pas parce que je suis amoureux de cette femme que je vais la
laisser faire ce qu’elle veut de moi pour autant. Je reste un homme avant tout et
je suis libre de mes choix. Elle l’accepte, tant mieux, sinon tant pis. Énervé et
quelque peu vexé, j’écarte Lydia de mon passage, qui proteste, et m’engouffre
dans l’escalier menant à la sortie.

Mon père est quelqu’un de très ponctuel et on ne peut plus organisé. Et Dieu
sait qu’il faut de l’organisation et de l’anticipation quand on est un homme aussi
influent que lui. Mais être important implique forcément de se faire des ennemis.
C’est là que nous intervenons et, généralement, tout se passe vite, proprement et
sans aucune trace.

Je suis assis sur la chaise en cuir devant la porte de son bureau depuis une
bonne demi-heure. Il m’a ordonné de venir avant lui et c’est ce que j’ai fait. Il a
pour principe de ne jamais attendre personne mais, au contraire, de se faire
attendre. Rien qu’avec ça, on sait qu’on n’a pas affaire à un mariole des bacs à
sable. Quelques gamins prenant la direction de la salle d’entraînement, au sous-
sol, viennent me saluer. Contrairement à ceux qui grandissent avec leurs parents,
ils ne me serrent pas dans leurs bras. Ils se contentent d’un hochement de tête ou
d’une poignée de main, par simple respect envers leurs aînés. Je surveille la
porte d’entrée.

Le chef de famille arrive, entouré de ses six gardes du corps armés jusqu’aux
dents. Je me lève et me tiens bien droit en fixant un point devant moi et mes
mains dans le dos lorsqu’il passe devant moi pour ouvrir la porte de son bureau.
Mon appréhension s’accroît. Même physiquement, mon père est une personne
que l’on craint facilement. Il est grand et massif, son crâne chauve accentue son
côté dur à cuire. Il fait jeune malgré sa cinquantaine d’années au compteur, et il
sait se battre. Je l’ai déjà vu casser le bras d’un mec d’une seule main. Il est la
seule personne au monde que je craindrais d’affronter. Une fois tout le monde
entré, je pénètre dans la pièce à mon tour. Toujours sans un mot, il s’assied
confortablement sur son grand fauteuil en cuir noir et pose enfin les yeux sur
moi.

– Salut, fiston. Je t’en prie, prends place, dit-il en me désignant le fauteuil en


face de lui.
Il est bien trop calme, à mon goût, mais j’obtempère et il fait signe à ses
gorilles de sortir. Une fois que nous sommes seuls, il joint ses mains sur le
bureau en bois massif et me sourit. Mon père n’a jamais un sourire joyeux. C’est
soit un sourire méprisant, soit un sourire qui dit « je vais m’occuper de toi ».

– Alors, Ryder. Cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé, tous les deux.
Est-ce que ça va ? On ne te voit plus beaucoup ces derniers temps.

Nous y voilà. Je me racle la gorge avant de me justifier.

– Ouais, je… j’ai un peu de mal à me remettre de la dernière séance. Ils m’ont
pété des côtes.

Mon père se laisse aller contre le dossier de son fauteuil et croise ses doigts
sur son torse. Son regard me transperce mais je reste le plus impassible possible.

– C’est vrai qu’ils n’y sont pas allés de main morte, admet-il. Mais cela a
porté ses fruits, n’est-ce pas ?

J’acquiesce. Il se redresse pour s’accouder à son bureau.

– Fiston, il se trouve que nous rencontrons quelques problèmes avec ta


mission. Si je t’ai demandé de tuer la cible, c’est parce que les flics étaient sur
une piste sérieuse. Bien sûr, ceux qui travaillent avec nous ont rendu leur tâche
difficile, mais ils tenaient quelques choses et je ne voulais pas prendre le risque
de te faire arrêter. Cependant, je suis assez contrarié que l’on n’ait pas pu obtenir
ce que nous cherchions. Es-tu certain d’avoir absolument tout essayé pour la
faire parler ?
– Elle ne savait rien, mens-je avec assurance. Une de mes tortures a eu raison
d’elle, j’y suis allé un peu trop fort, je crois. Je ne maîtrise pas bien ce domaine
et je…

Mon père m’arrête dans ma tirade en levant sa main.

– Ce qui m’intrigue également, c’est la façon dont tu as parlé à Dixon.

Je commence à être de plus en plus mal à l’aise. Cet interrogatoire ne me dit


rien qui vaille. Je tente de la jouer fine, en espérant le convaincre.
– Je ne sais pas ce qui m’a pris, ce n’est pas ce que je voulais dire.

Ouais, on voit que je suis novice dans le domaine de la manipulation. Putain,


je me suis fourré dans une merde pas possible. Il lève un sourcil blanc
interrogateur.

– Et que voulais-tu dire, mon garçon ?


– Je…

Je ne sais pas quoi dire. Je n’ai aucune excuse et quand bien même en aurais-
je eu une, ça n’aurait pas satisfait mon père. Il me regarde avec tellement de
suspicion que j’en ai la chair de poule. Bordel, d’habitude je ne suis pas aussi…
crispé en parlant à mon paternel.

– J’ai dit cela sans réfléchir. Mais j’ai fini par la tuer, cela n’a plus
d’importance, n’est-ce pas ?

Mon père me considère en silence pendant un long moment.

– C’est vrai, répond-il finalement en enlevant une poussière imaginaire de son


bureau immaculé. Tu as raison. Personne ne saura jamais où est la clé puisque la
cible est… morte. Je suis content, tu as fait du bon boulot. Tu es obéissant et
loyal. Tu mérites une prime.

Il sort une enveloppe de la poche intérieure de sa veste et la fait glisser vers


moi. Mon père subvient à nos besoins à tous. Il paie mon loyer, mes factures, les
cours par correspondance des gamins et nous donne de l’argent pour tout ce qui
est nourriture et vêtements. En échange, nous tuons. Et il nous arrive parfois
d’avoir un petit bonus lorsque nous avons atteint un objectif particulièrement
rude. Je regarde l’enveloppe sans y toucher. Une sensation bizarre m’envahit.
J’ai l’impression que je ne mérite pas cet argent. Evy n’est pas morte. Et le pire,
c’est que je suis tombé amoureux d’elle.

– Rappelle-moi pourquoi vous faites ça, ordonne mon père, me tirant de mes
pensées.
– Parce que dans la société actuelle, notre seul moyen de survivre est de nous
défendre. Parce que tu es un père exemplaire qui mérite notre protection. Parce
que sans toi, nous ne serions pas en vie et en bonne santé.
– Bien, mon garçon. Tu es mon meilleur soldat, tu le sais, ça, n’est-ce pas ?
– Oui, papa.
– Regarde-moi dans les yeux lorsque tu me réponds.

J’obéis.

– Oui, papa.
– Tu sais que tu me décevrais énormément si tu venais à te retourner contre
moi.
– Je ne compte pas te décevoir, papa.

Je n’arrive pas à croire que je mens à mon propre père. Tout ça pour protéger
une femme. La femme que j’aime.

– Et pourtant, tu l’as déjà fait, mon garçon.

La panique m’envahit. Merde, il a découvert le pot aux roses. Si ça se trouve,


ils savent qu’Evy est encore en vie, qu’elle est planquée et ils sont sûrement à sa
recherche. S’ils ne l’ont pas déjà trouvée. Connaissant mon père, il a des
hommes aux quatre coins de la ville, voire du pays.

– Je… je ne comprends pas… feins-je alors que la panique commence à me


gagner.

Il recroise ses doigts sur son bureau, l’air le plus sérieux du monde.

– Tout à l’heure, tu m’as dit qu’elle était morte suite à une de tes tortures. Or,
je t’avais ordonné de la tuer d’une balle dans la tête. Pourquoi ne l’as-tu pas
fait ?

Mon cœur bat la chamade. En effet, le soir où il m’a dit par téléphone de lui
coller une balle me revient en mémoire. Le soir où elle a pointé elle-même le
canon sur sa tête en me suppliant presque de la buter.

Le soir où je me suis rendu compte que plus jamais je n’arriverais à me tenir


loin d’elle.

– J’ai pensé que le coup de feu aurait pu alerter les voisins. Je n’avais plus
mon silencieux, j’ai dû le perdre dans la forêt quand on est partis de la cabane.
Ce qui me fait penser que je dois rendre une petite visite à mon traître de
frère. Mon père garde encore une fois le silence durant plusieurs minutes. Quant
à moi, je meurs d’inquiétude à l’idée qu’ils aient découvert la vérité.

– Bonne déduction, admet-il. C’est vrai, j’avais oublié que tu as dû la


séquestrer chez toi. Elle ne te manque pas trop ?

Je hausse les épaules.

– Pas le moins du monde, affirmé-je en essayant d’être le plus convaincant


possible. Elle n’était rien d’autre qu’une cible, j’ai suivi tes ordres et je l’ai tuée.
– Tu as hâte d’avoir ta prochaine cible ? s’enquiert-il.

Question piège. Avoir hâte veut dire être impatient et donc éprouver quelque
chose.

– J’attends seulement les instructions.


– Très bien, mon garçon. Dixon va te donner le lieu de la mission, j’ai un
coup de fil urgent à passer, me congédie-t-il.

Je sors du bureau de mon père et mon cœur retrouve peu à peu un rythme
normal, mais l’appréhension me gagne davantage. J’espère qu’Evy me
pardonnera…
29

Evy

– Je n’arrive pas à croire que cet enfoiré était chez toi, s’exclame Lydia.

Nous sommes dans la salle de bains et elle remet sa perruque noire en place
tandis que je prends ma douche. Je passe ma tête pleine de shampooing par le
rideau pour lui lancer un regard noir à travers le miroir.

– Quand vas-tu arrêter avec tes préjugés ? m’agacé-je. Ryder a changé. Pff,
laisse tomber, personne ne peut le comprendre à part moi.
– Attends, attends. Le gars, il te kidnappe, t’emmène je ne sais où, te torture,
t’insulte, menace de te tuer, pointe carrément le canon de son arme sur ta tempe,
il vient tout juste de manquer de te frapper dans la chambre et tu me parles de
préjugés ?

Je sors de la douche et essore mes cheveux. Entre ma meilleure amie et moi, il


n’est aucunement question de pudeur, elle est comme ma sœur. Je sèche ma
tignasse tout en m’expliquant.

– En attendant, il a empêché son frère de me violer, a menti à son propre père


pour me libérer, m’a dégoté une planque le temps que David mène son enquête
et demande un procès.
– Mais ça ne veut rien dire, tout ça ! s’écrie-t-elle, butée. Ryder est un tueur.
Et un tueur restera toujours un tueur.

Je baisse la tête en me mordant la lèvre inférieure. Elle a raison, c’est un


meurtrier. Il s’apprête même à ôter la vie de quelqu’un à cet instant. Et j’espère
de tout mon cœur qu’il repensera à mes mots et qu’il se ravisera.

– Sauf qu’il n’est pas né ainsi. On lui a dicté sa conduite toute sa vie et il
pense que c’est comme cela qu’il faut procéder. Ryder n’est qu’une marionnette
dans les mains de son père. Le seul fautif dans cette histoire glauque, c’est lui.
Lydia fait la moue, mais elle sait que j’ai de bons arguments. Elle n’aime juste
pas avoir tort. Puis j’ajoute innocemment, tout en enfilant mon soutien-gorge :

– Et puis, si tu veux tout savoir, au lit, c’est le dieu des dieux…

Elle arbore des yeux ronds et je souris en rougissant. Je n’ai pas tellement
l’habitude de parler de mes aventures sexuelles avec Lydia. D’une part parce que
je n’avais connu qu’un seul partenaire jusqu’à présent, et d’autre part, David
n’était pas très… comment dire, trépidant. Alors qu’elle ne s’est jamais gênée
pour tout raconter ; je suis ravie aujourd’hui de pouvoir moi aussi me vanter.

– Comment ça, le dieu des dieux ? Genre Eric dans Trueblood, Tyler de
Remember Me ou Christian Grey ?
– Eric, sans hésiter. Le vampirisme en moins, évidemment.

Sa bouche s’agrandit tellement que je m’inquiète un instant pour sa mâchoire.


Et ses yeux semblent vouloir sortir de leurs orbites.

– Aussi vite ?
– Aussi fort, affirmé-je.

Elle fait la grimace.

– Je plains ton utérus.


– T’inquiète, ris-je. Il sait aussi être doux avec ses autres outils, si tu vois ce
que je veux dire.
– Oh, bordel, ça doit être le pied, dommage que tu ne sois pas prêteuse.
– N’y pense même pas.

Nous rions encore tandis que je me prépare et Lydia me donne un coup


d’épaule.

– Ça change de David « je-me-la-pète-mais-je-ne-sais-pas-baiser », hein ? me


taquine-t-elle.
– Je ne peux pas me permettre de le juger. Il était mon premier, après tout, il
n’était pas nul non plus, mais bon, Ryder c’est…
– Escalade de rideau au premier coup de langue, termine-t-elle à ma place et
je souris pour confirmer. Il y en a qui ont de la chance, grogne-t-elle. Tu lui as
posé les trois questions ?
Oh ! Je n’y ai jamais pensé. C’est vrai que j’aurais dû les lui poser avant notre
premier baiser, mais ce jour-là j’avais une arme pointée sur le crâne et je n’avais
qu’une idée en tête : lui faire ressentir des émotions. Alors les fameuses
questions étaient logées dans un coin bien profond de ma tête.

– Je les lui poserai quand on se reverra, même si je me doute un peu des


réponses.
– Elles sont importantes, Evy. Primordiales.
– Ouais, quand on voit où ça te mène à chaque fois, c’est à se demander si
elles servent vraiment à quelque chose.
– Hé, ho, c’est moi qui me lasse d’eux, je n’y peux rien !

Je ris tellement que j’en ai du mal à me maquiller.

– Je ne pourrai jamais te remplacer, toi. J’aurais aimé que tu sois ma sœur.


– Oh, moi aussi, me dit-elle en me serrant dans ses bras.

Je suis heureuse de retrouver ma meilleure amie. Et dire que j’ai cru ne jamais
la revoir…

Ce qui est bien dans le shopping avec Lydia, c’est qu’elle me sert à la fois
d’amie et de styliste. Nous arpentons le centre commercial, cachées sous nos
accoutrements. Je suis consciente que c’est risqué, mais je nage dans tous mes
pantalons et puis je n’en peux plus de rester enfermée comme un lapin en cage.
J’étouffe, j’ai besoin d’air. On fait un peu tache dans le décor, mais au moins on
n’est pas repérées. Enfin, c’est ce que je vérifie toutes les deux secondes. Cette
fâcheuse habitude me suivra longtemps, je pense. À chaque tournant que nous
prenons dans l’immense galerie, je jette des coups d’œil autour de nous, à l’affût
du moindre geste suspect des passants. Nous sommes peut-être méconnaissables,
mais on n’est jamais trop prudent. Lydia, quant à elle, inspecte chaque vitrine
pendant que je veille à notre sécurité. Une vraie fashion victim dans l’âme. Elle
connaît mes goûts par cœur et sait exactement ce qui me va ou pas. De ce fait, je
n’ai pas besoin de me tracasser à choisir. Elle m’entraîne dans plusieurs
boutiques et nous ressortons toujours avec des sacs. Il faut savoir que ma
meilleure amie ne sort jamais d’un magasin les mains vides. Jamais. Et ça
m’oppresse aujourd’hui plus que n’importe quel autre jour parce que les
circonstances ne s’y prêtent pas. La peur reste accrochée à moi comme une
moule à son rocher. J’ai beau être cachée, j’ai cette horrible impression d’être
mise à découvert. Chaque regard que je croise accroît à mon angoisse.

– On devrait peut-être arrêter là et rentrer, chuchoté-je à Lydia alors que nous


montons un escalator, les bras déjà chargés.
– Tu rigoles ? On est arrivées il n’y a même pas deux heures !
– Ouais, mais figure-toi que je risque ma vie, persiflé-je. Et toi aussi, si jamais
on te voit avec moi.

Lydia prend alors un air peiné.

– Pardon, je n’y avais plus pensé, se justifie-t-elle alors que nous arrivons
devant une énième boutique. Maintenant que je t’ai retrouvée, j’ai tendance à
croire que tout est redevenu comme avant…

Mon cœur se serre comme dans un étau. Je déteste voir ma meilleure amie
dans cet état. Je ne pensais pas qu’elle souffrait autant et je la prends dans mes
bras.

– On a décidé de prendre de la distance, Lydia, lui rappelé-je. Ce n’est pas


pour rien. Tu es en danger, toi aussi, si on nous voit ensemble et je m’en
voudrais toute ma vie s’il t’arrivait malheur.

J’ai déjà perdu beaucoup trop de gens autour de moi. Je refuse de la perdre
aussi.

Mon regard quitte celui de ma meilleure amie pour se perdre alentour. Nous
sommes entrées dans le magasin sans même que je m’en rende compte.

– Ne pense même pas à me faire acheter un truc là-dedans ! dis-je sur un ton
catégorique.
– Même pas pour ton beau Roméo ? minaude-t-elle en papillonnant des cils,
ce qui me fait sourire malgré moi.
– On s’est disputés, je ne suis pas sûre qu’il va revenir, me confié-je avec une
douleur au cœur. Et puis je croyais que tu ne l’aimais pas.
– Disons que depuis que tu m’as vendu du rêve en me décrivant ses prouesses
sexuelles, je pense réviser la vision que j’ai de lui.

Je lui donne une petite tape sur l’épaule en riant.


– Perverse !
– Et j’assume, contrairement à toi. Allez, ressaisis-toi il va revenir, tu verras.
Les hommes ne résistent pas à l’appel du sexe.

Convaincue, je finis par me laisser entraîner et examine les différentes tenues


coquines qui figurent sur les portants. Lydia me choisit des petits ensembles
sexy, mais je ne les sens pas. Il y a de la ficelle partout, j’ai trop peur de
ressembler à un gros saucisson prêt à passer à la casserole. Et c’est exactement
l’effet qu’ils me font lorsque je les essaie. J’ai maigri mais je n’ai pas non plus
une taille de guêpe. J’opte pour un bustier en dentelle noir qui fait ressortir ma
peau ivoire et dont le décolleté plonge jusqu’à la taille, laissant un espace dénudé
le long du ventre. Je n’aurais jamais pu mettre une chose pareille avec mon poids
d’avant. Le porte-jarretelles et les bas noirs assortis subliment la tenue.

– T’es une bombe ! s’exclame Lydia qui vient de passer la tête par le rideau.
Si avec ça tu ne lui donnes pas la trique pendant au moins une semaine, je ne
comprends pas.

Je rougis en me contemplant dans le grand miroir de la cabine. Il va adorer,


j’en suis sûre. Je retire la lingerie, remets mes vêtements et sors de la cabine
pour payer mes achats.

– Toujours aucune nouvelle ? m’interroge Lydia en sortant de la boutique


sexy.

Je regarde mon téléphone. Rien. Asher m’a donné cet appareil prépayé au cas
où j’aurais besoin d’aide et les échanges sont évidemment intraçables. J’aime
bien Asher, même si c’est un type qui a l’air un peu bourru. Je suis persuadée
que c’est Ryder qui lui a dit de me filer un téléphone et qu’ainsi il a forcément le
numéro. Alors pourquoi ne m’appelle-t-il pas ? M’en veut-il encore pour ce
matin ? Il est clair que je ne cautionne pas sa mission. Mais je dois avouer qu’il
ne faut pas non plus que son père sache qu’il lui ment – il doit donc obéir aux
ordres. Bordel, j’ai hâte que David parvienne à mettre tout cela au clair et que
j’en vienne à témoigner contre cet homme répugnant et cruel qui sert de père à
Ryder. Je reviens à la réalité et secoue la tête pour répondre à la question de
Lydia.
– Tu sais quoi ? On va aller le trouver chez lui, décrète-t-elle et je m’arrête
net.
– Tu es folle ? Il va péter un plomb, si ça se trouve son père est là-bas ! Et
puis c’est à plus de deux heures d’ici !

J’ai une bonne mémoire, je me rappelle parfaitement le chemin. Mais je ne


veux pas y aller…

– Et alors, Anthony peut très bien se passer de moi durant quelques heures.

Je fais non de la tête. Lydia me prend par les épaules et me voit au bord des
larmes.

– Evy, qu’est-ce qui te fait vraiment peur ? De tomber sur son père ou… de
retourner là où tout a commencé ?

Les souvenirs des premiers jours avec Ryder me frappent de plein fouet et j’ai
la lèvre qui tremble. Je me souviens de ma peur, de mon souhait d’en finir une
bonne fois pour toutes, des morsures du couteau sur ma peau…

– Je ne peux pas, Lydia. Je suis désolée, je ne peux pas.

Sentant que je vais fondre en larmes d’une seconde à l’autre, je me retourne


pour courir vers la sortie. Il me faut de l’air, j’ai peine à respirer. Dans ma
précipitation, je ne fais pas attention et heurte une épaule. Mon sac contenant ma
lingerie tombe et ma tenue coquine s’en échappe. Génial, maintenant cette
personne va savoir ce que je compte faire de ma soirée… Je m’apprête à ranger
mon bustier, mais des mains calleuses et vieillies s’en emparent avant moi. Je
lève les yeux et découvre un homme approchant la cinquantaine, je crois. Son
crâne est aussi poli qu’une pierre. Il a un visage ovale, des yeux un peu enfantins
d’un vert sombre ornés de ridules sur les côtés. Sa bouche est tellement fine
qu’elle forme une simple ligne. Il contemple ma lingerie comme un
collectionneur examinerait une pierre précieuse afin de savoir si elle est
authentique ou pas. Puis il me regarde et je me sens soudain rapetisser. Il est
grand et mince mais a l’air du gars qui te couche en moins de deux en dépit de
son âge.

– Eh bien, on dirait qu’une invitation à dîner n’est plus d’actualité, ma chère,


dit-il sur un ton doucereux et malicieux en me tendant ma tenue que je
m’empresse de ranger.

Je scrute l’homme et ceux qui l’accompagnent – tous vêtus de noir et portant


une oreillette (des gardes du corps ?) - et mon cœur palpite dans ma poitrine.
Sans que je sache pourquoi, il me fait une peur bleue.

Je ne réponds rien, me contentant de baisser la tête, intimidée. Même sa voix


me donne la chair de poule. Heureusement, Lydia me rejoint et me tire par le
bras pour m’entraîner vers la sortie.

– Au plaisir, mesdames, sourit-il en inclinant un chapeau imaginaire, comme


dans les westerns.

Puis il prend la direction inverse, suivi des six armoires à glace aussi froides
que des icebergs.

– C’est qui, ce mec ? me chuchote Lydia alors que nous marchons au milieu
du parking.
– Je n’en sais rien, mais il m’a fait un drôle d’effet.
– Il fout les jetons. Trop glauque.

Lorsque nous arrivons devant l’immeuble abritant mon studio, la déception


m’envahit. Pas de Mustang noire le long du trottoir. Pas de trace de mon Apollon
non plus devant ma porte. Il est midi, il devrait avoir fini sa… mission, non ?
L’angoisse me prend soudain à la gorge. Et s’il lui était arrivé quelque chose ? Je
prends mon téléphone, l’allume. Pas de message. Mon cœur panique.

– Chérie, ça ne va pas ? s’inquiète Lydia.


– Et si ça s’était mal passé ? J’ai peur qu’il ait eu un problème et qu’il…

La bile me tord l’estomac et mes yeux s’embuent de larmes à la simple idée


de le perdre. Je ne cautionne certes pas ce qu’il fait, mais je l’aime et tiens
énormément à lui. Putain, je me prends la tête, mais d’une force !

J’attrape mon sac et mes clés que j’ai posés sur la table.

– On y va.
Tant pis pour mes souvenirs douloureux. Je dois pouvoir les gérer, il faut juste
que j’oublie le Ryder d’avant et que je ne pense qu’à celui d’aujourd’hui. Mais je
dois m’assurer qu’il est encore en vie.

Deux heures plus tard, nous voilà devant l’immeuble de Ryder. Je reconnais
les murs en briques rouges parmi tous les autres à côté grâce aux graffitis dont ils
sont couverts. Lydia se met à ricaner en remarquant elle aussi le dessin.

– Peace and Love ? Plutôt ironique quand on sait que ces murs abritent un
tueur en série.

Je lui lance un regard noir et elle lève les yeux au ciel.

– Ça va, je rigole.

Nous descendons de la voiture et entrons dans la bâtisse.

Je suis morte de trouille ! Je crains qu’il lui soit arrivé malheur mais je pense
aussi – dans la mesure où il aurait réussi sa mission – au fait qu’il vient de tuer
quelqu’un et j’ignore à quelle facette de lui je risque d’avoir affaire. L’ascenseur
s’immobilise enfin et je suis haletante à mesure que je m’approche de la porte de
son appartement. L’anxiété à l’idée de ne le trouver nulle part ou, au contraire,
de le découvrir à terre, en sang… ou de tomber sur son père me tord toujours le
ventre. Celui qui veut ma peau. Et s’il avait découvert la vérité à mon sujet ? Et
s’il s’en prenait à Ryder pour le punir de m’avoir protégée ? Lydia toque à la
porte avant que j’aie pu me ressaisir. Et là, surprise ! Une rousse époustouflante
aux yeux d’un bleu ciel envoûtant ouvre la porte. Et elle n’a qu’une serviette de
bain pour tout vêtement, en plus. Mon cœur s’écrase. Ma dignité s’en va en
pleurant à chaudes larmes.

Mon Dieu, je m’attendais à tout sauf à cela. Je pensais qu’il lui était arrivé un
pépin alors qu’en réalité, il… J’ai envie de m’enfuir, mais je sais que là n’est pas
la solution. Je veux des réponses. Des explications. Je ravale mes larmes et la
regarde la tête haute. Je veux parler, mais ma gorge est trop nouée. Je m’en
doutais un peu, au fond, mais j’espérais me tromper. Mon cœur se brise telle une
tasse en porcelaine sur du carrelage.

– Salut, je peux faire quelque chose pour vous ? demande la fille en posant
une main sur sa hanche.

Putain, même sa voix est magnifique. Qu’est-ce que je croyais, au bout du


compte ? Je ne fais absolument pas le poids face à toutes ces femmes. Ce que
j’ai pu être naïve ! La colère m’envahit, mais la peine m’étreint plus fort. J’ai de
la peine d’avoir cru en cet homme qui ne le mérite peut-être même pas.

– Laisse tomber, tu en as déjà assez fait, réplique ma meilleure amie sur un


ton acerbe.

Nous commençons à repartir, mais la fille attrape Lydia par le coude. J’ai à
peine le temps de réaliser ce qui se passe que la rouquine de Ryder a déjà collé
ma rouquine au mur. Elle regarde Lydia d’un air si menaçant que j’en ai la chair
de poule.

– Je te déconseille de jouer avec moi, ma petite, menace l’inconnue. Tu ne


sais pas de quoi je suis capable. Je peux te réduire en bouillie avant même que tu
aies le temps de réaliser ce qui t’arrive.

Sa main se resserre autour du cou de mon amie qui halète. J’ai l’impression
de voir Ryder. La même expression. La même façon de faire du mal. Est-ce
qu’elle aussi… Dans un élan de peur, de courage et d’adrénaline, je me jette sur
la fille.

– Laisse-la tranquille, espèce de salope ! crié-je tout en essayant de rester sur


son dos tandis qu’elle se débat.

Elle parvient je ne sais comment à me faire basculer en avant. J’atterris sur le


sol tandis qu’à côté, Lydia se tient la gorge en tentant de recouvrer ses esprits.
L’intruse me monte dessus et commence à me mettre des coups dans la figure.
Cette femme est un bulldozer. Elle est peut-être petite et menue mais, bordel, elle
sait cogner. Je me débats en la griffant comme je peux, mais elle est forte. Par je
ne sais quel miracle, j’arrive à nous faire pivoter de façon à prendre le dessus.
Là, j’agrippe sa tignasse et me mets à la cogner par terre. Je suis dans une rage
folle. Non seulement parce qu’elle s’en prend à ma meilleure amie totalement
gratuitement, mais aussi parce qu’elle se tape mon copain !! Je n’ai jamais été
violente. J’ai grandi dans une famille pacifiste et ma mère m’a toujours appris
que la violence ne résolvait rien, bien au contraire. Mais là, c’est trop.
Psychologiquement et émotionnellement parlant, je n’en peux plus. Entre le fait
de devoir me cacher parce que des psychopathes veulent ma mort, la peur de me
faire encore kidnapper qui ne me quitte jamais, Ryder qui souffle le chaud et le
froid en permanence et maintenant cette garce qui ose se mettre entre nous, je dis
stop. Il faut que j’extériorise toute cette frustration, cette colère et cette hargne
qui me rongent de jour en jour. Malheureusement pour elle, elle a fait le geste de
trop. Je m’acharne sur la fille comme une hystérique quand, soudain, je suis
prise dans l’étau de bras puissants. La décharge électrique qui me parcourt le
corps jusqu’à l’entrejambe m’indique l’identité de mon assaillant. Je déteste
cette sensation de désir que j’éprouve toujours pour lui. Je ne veux plus rien
ressentir pour lui, pas après ce que je viens de découvrir. Il m’éloigne de la
pétasse mais je me débats, bien décidée à en finir. La rouquine s’apprête à
charger, sans doute pour m’étrangler, mais Lydia s’interpose en lui faisant la
prise de l’ours. Mon amie est petite mais elle est costaude. L’autre garce est sur
le point de perdre sa serviette et Lydia l’amène de force dans l’appartement de
Ryder. Furieuse, je me tourne vers lui et me mets à le pousser tout en lui criant
dessus.

– C’est quoi, ton problème, merde !! Tu crois pouvoir débarquer dans ma vie
comme une fleur et te taper toutes les putes que tu croises dans mon dos ?! Tu
n’es qu’un connard, un salaud imbu de sa personne, égoïste, arrogant et sans
cœur !!! Je t’ai dit que je t’aimais, bordel de merde, qu’est-ce que tu n’as pas
compris, hein ?! Tu crois que je suis un jeu ? Tu me prends pour une poupée que
tu peux baiser quand ça te chante et me jeter ensuite comme une vieille
chaussette ? Eh bien non, mon petit gars. Je suis loin d’être la fille docile qui
écarte ses jambes quand tu le demandes. Tu peux continuer à jouer aux
collectionneurs de putes, mais ce sera sans moi !

Je me retrouve encore plus essoufflée après avoir hurlé ma tirade d’une traite.
Je dois être rouge de rage et voir Ryder se contenter de me scruter, les bras
croisés, un petit rictus amusé aux lèvres, me fout encore plus les nerfs en pelote.
Et il ose se foutre de moi, en plus, non mais je rêve ! Je vais lui mettre une pêche
dans les dents, il va moins faire le malin.

– C’est bon, tu as fini ? me demande-t-il avec un calme olympien avant de


désigner la porte du doigt. La fille en serviette que tu viens de rencontrer et que
tu viens d’amocher, c’est Adrianna…
– Et en plus tu as retenu son prénom !! vociféré-je en lui assenant des coups
de poing sur le torse, les larmes dévalant mes joues.

Je suis consciente de passer pour une fille jalouse et hystérique mais, bordel,
il sait que j’ai déjà vécu plus ou moins la même chose ! Je n’en peux plus que
l’on me prenne pour la dernière des connes, merde ! Il empoigne mes mains dans
l’étau des siennes et me regarde dans les yeux en s’écriant :

– C’est ma petite sœur, merde ! Je ne couche pas avec ma sœur, Evy, ajoute-t-
il plus posément.

J’ouvre la bouche et la referme comme un poisson hors de l’eau. Ah, merde.


Je me sens toute conne, soudain. Il a une sœur. Cette idée ne m’avait jamais
traversé l’esprit.

– Je… Je… Tu aurais pu me parler d’elle, aussi ! me défends-je tandis qu’il


me relâche pour me prendre dans ses bras. Comment voulais-tu que je le sache,
moi ! Elle s’en prend à Lydia sans compter qu’elle nous a ouvert à poil !
– Vous l’avez sûrement dérangée sous sa douche. À propos, dit-il sur un ton
plus sérieux et réprobateur, je crois que je vais devoir te donner un cours
particulier sur la façon de se faire passer pour morte. Que fais-tu chez moi ?

Je me mords l’intérieur de la joue. Aïe, j’ai le visage qui me fait mal


maintenant que l’adrénaline est redescendue.

– J’ai eu peur qu’il… te soit arrivé quelque chose. Tu n’as pas mon numéro de
téléphone ?
– Bien sûr que si.
– Et il ne te viendrait pas à l’idée de me donner de tes nouvelles ? Je n’avais
aucune nouvelle de toi, je me suis fait un sang d’encre pour toi !

Il hausse les sourcils de surprise.

– Tu t’es inquiétée pour moi ?


– Bien sûr que oui, tu n’es pas le seul à te faire du mouron, je te signale.

Il écrase sa bouche contre la mienne et mon cœur part au quart de tour.

– Tu sais que tu es bandante quand tu es en colère ? se moque-t-il, ce qui lui


vaut une tape sur l’épaule.
– J’ai eu peur que ton père ait découvert le pot aux roses et qu’il soit venu te
faire la peau.

Ryder fronce les sourcils mais un sourire mi-figue, mi-raisin fend ses lèvres.

– Mon père ne ferait jamais ça, affirme-t-il. Il est violent seulement pour nous
inculquer la discipline, mais jamais il n’irait plus loin. Ça fait partie de notre
éducation.

Je suis horrifiée.

– Non, l’éducation ne consiste pas à battre ses gosses, Ryder. C’est ignoble.
Tu sais, je ne connais pas ton père mais ma haine envers lui est
incommensurable.

Il se contente de sourire.

– Peu de gens apprécient mon père.

La question me brûle les lèvres, mais je n’ose pas la poser. Ryder doit la lire
dans mes yeux car il répond d’un air grave :

– Oui, Evy. Je l’ai fait.


– Pourquoi ? Qu’a-t-il fait pour mériter ça ?
– J’étais posté en haut de l’immeuble en face du tribunal. Ça devait être un
juge, je crois, et il a dû un peu trop fouiner dans les affaires financières de mon
père, je ne sais pas. Je ne pose pas de questions. Eh merde, je ne comprends
même pas pourquoi je te raconte ça, tu n’as pas le droit de savoir ! s’emporte-t-il
soudain.
– Tu assassines des gens sans savoir pourquoi ? m’indigné-je en ignorant sa
remarque.
– Moins je m’intéresse à mes cibles, moins j’ai de problèmes. La preuve, je
me suis intéressé à toi et voilà où ça nous mène.

Je fronce les sourcils, piquée au vif et un peu blessée.

– Tu regrettes ?

Il s’approche de moi, prend mon visage douloureux dans ses mains avec
précaution et me donne un baiser chaste sur les lèvres avant de poser son front
contre le mien.

– Tu sais bien que non, me murmure-t-il de sa voix tendre et suave. Je t’aime.


N’en doute jamais.

Je reste figée face à cette révélation. Mon cœur rate plusieurs battements et
les papillons dans mon ventre s’envolent à nouveau. Il m’a enfin dit les trois
petits mots que j’attendais désespérément et j’ai envie de pleurer tellement je
suis émue.

– Je suis désolé de ne pas avoir donné de mes nouvelles. J’ai encore des
choses à apprendre. Je n’ai jamais connu ça et je ne sais pas trop comment gérer
ce qui m’arrive, je ne comprends même pas tout. Laisse-moi du temps pour…
aménager correctement ce bordel dans ma tête, OK ? Tu veux bien ?

J’acquiesce. Je lui en demande beaucoup trop et je pense comprendre la


distance qu’il met entre nous. Ce n’est pas seulement pour me protéger. C’est
pour se protéger, lui aussi. Il a peur de ce qu’il ressent parce que c’est nouveau
pour lui. Il n’a jamais rien connu d’autre que la haine, la rage, le sang et la
violence. Alors l’amour, c’est un sacré tournant à trois cent soixante degrés. Il
m’aime. C’est tout ce que je dois retenir pour le moment. Il me serre dans ses
bras et je m’imprègne de son odeur post-footing, son parfum naturel de mâle
accentué par l’effort physique.

– Je voudrais que tu arrêtes, Ryder. Tu sais que ce n’est pas bien.


– Laisse-moi du temps aussi pour ça, m’implore-t-il. J’ai toujours connu cette
façon de vivre, je ne peux pas en changer en un claquement de doigts.
– Tu as bien changé pour moi.

Il desserre notre étreinte et attrape mon menton entre le pouce et l’index pour
me regarder dans les yeux.

– Parce que je tiens énormément à toi. Peut-être même plus qu’à mon propre
père. Et, crois-moi, c’est une chose que je n’avais jamais imaginée.

Je m’appuie sur la pointe des pieds et l’embrasse plus passionnément en dépit


de la douleur causée par ma lèvre inférieure. Ryder me rend mon baiser et la
température monte tellement entre nos deux corps en parfaite alchimie qu’elle
pourrait faire exploser un thermomètre. C’est instantané entre lui et moi. Un seul
contact physique et pouf, c’est le brasier. Il lèche mon entaille qui saigne un peu
et me sourit, aussi essoufflé que moi.

– Et si on rentrait pour soigner ton joli visage ?


– Elle ne m’a pas ratée, grommelé-je. C’est étonnant que tes voisins n’aient
pas appelé les flics, d’ailleurs.
– Je te l’ai dit, ils sont vieux et sourds. À cette heure-là, ils ont retiré leur
sonotone et roupillent comme des marmottes.
– Je crois que je lui dois des excuses.
– Si tu veux mon avis, j’ai adoré te voir lui mettre une raclée. Si je n’avais pas
été aussi paniqué, je pense que je vous aurais laissées encore un peu. C’est très
excitant pour un homme de voir deux femmes se battre pour lui, rit-il, ce qui lui
vaut une nouvelle tape sur l’épaule.
– Espèce d’enflure de macho ! Je dois avoir une tête à faire peur à un
fantôme.

Il me caresse la joue en me couvant de son regard magnifique.

– Tu es la plus belle à mes yeux. Allez, voyons si elles ne se sont pas entre-
tuées durant notre absence, sourit-il en ouvrant la porte.
30

Ryder

Cette journée a vraiment été éprouvante pour moi. J’ai dû tuer cet homme.
Croyez-le ou non, je ne le voulais pas. Je voulais être l’homme que m’a fait
devenir Evy. Mais si je n’obéissais pas, mon père aurait compris et serait
remonté jusqu’à elle. J’ai préféré sacrifier la vie de ce magistrat plutôt que celle
de la femme que j’aime. C’est plutôt légitime, non ? Je n’ai tout de même pas à
me sentir coupable de ça. Evy l’a compris et je pense qu’elle l’accepte. Le
monstre a adoré tuer ce mec. Je l’admets parce que je sais qu’il sera toujours là,
ancré en moi. Il fait partie de ce que je suis, que je le veuille ou non. Qu’elle le
veuille ou non. Il me faudra encore du temps pour le forcer à rester caché. Ce
sentiment d’obligation, cette redevabilité que j’ai à l’égard de mon père restera
toujours là, je le sais. La bête est dans l’ombre quand je suis avec Evangeline et
je la repousserai chaque jour de toutes mes forces. Mais elle sera là. Et je ne
pourrai rien y faire. J’espère qu’Evy arrivera à vivre avec et à m’accepter tel que
je suis.

Elle fait de moi un homme meilleur à chaque moment que je passe avec elle.
Je vais persévérer et devenir celui qu’elle mérite.

Pour elle.

L’amour que je lui porte dépasse le réel.

Quand je la regarde, j’ai l’impression d’être indestructible. Elle me rend


invincible. J’ai l’impression que je peux absolument tout réussir et je lui en serai
éternellement reconnaissant. Quand elle me touche, mon cœur bat tellement fort
que j’ai la sensation qu’il va finir par me faire exploser. Elle a cette emprise sur
moi, c’est incroyable. Je me suis battu longtemps avec cette attraction qui nous
liait. Je me torturais plus que je ne la torturais. En réalité, je lui faisais
physiquement mal pour repousser cette alchimie que je voyais naître entre nous,
avant même que je lui fasse l’amour pour la première fois. Je savais déjà que je
tombais amoureux et je voulais m’en défaire avant qu’il ne soit trop tard.

Mais j’ai fini par me rendre compte qu’il était déjà trop tard depuis
longtemps.

Et aujourd’hui, chacune de ces cicatrices me ramène à ce connard égoïste et


sans cœur que j’ai été. Je passerai les trente, cinquante, soixante prochaines
années à me racheter et à lui prouver chaque jour que mon amour est bien
sincère et vrai. Je sais que je vais parfois la détester, avec son caractère de merde
et sa manie presque maladive de toujours tout ranger. Mais je sais que je vais
l’aimer chaque jour davantage. Elle est celle que j’attendais.

Elle est celle que je veux pour le restant de ma vie.

Nous voilà dans mon appartement, Lydia et Adi se sont expliquées pendant
que nous étions dehors et ma sœur, qui a eu la bienveillance de s’habiller, tient
un sachet de haricots congelés sur son œil – celui qu’Evy a tapé. Je souris en
voyant l’état d’Adi et elle me lance un regard noir.

– Je t’interdis de te foutre de moi, me prévient-elle.

Je lève les mains en signe de reddition, non sans pouffer de rire. Puis je me
tourne vers Evy qui semble soudain mal à l’aise. Je comprends pourquoi lorsque
je vois son regard s’attarder sur la cuisine, là où je l’ai torturée pendant plusieurs
jours, puis braquer le couloir droit vers la porte du placard. Un sentiment de
culpabilité et de colère contre moi-même me tord le ventre. Je l’ai laissée entrer
sans même penser qu’elle pourrait revivre ces mauvais souvenirs. Je l’attrape par
le menton et fais revenir ses yeux brillants de larmes vers moi.

– Je suis désolé, murmuré-je. On peut aller ailleurs, si tu le souhaites. Où tu


veux.

Mais elle sèche ses larmes en secouant la tête.

– Non, c’est bon. J’ai mes plus beaux souvenirs ici aussi.

Je lui adresse un sourire mi-triste, mi-content. Moi aussi j’ai mes meilleurs
souvenirs ici et je voudrais en créer de nouveaux. Je la serre dans mes bras et
m’enivre de son odeur naturelle que j’aime tant. Un raclement de gorge nous fait
sortir de notre bulle intime et Adrianna nous désigne tous les deux.

– Donc, si je comprends bien, c’est la nana dont tu m’as parlé tout à l’heure et
qui t’a complètement chamboulé le ciboulot.

J’acquiesce.

– Je lui ai tout expliqué, dis-je à Evy. Elle est comme moi, comme j’étais
avant. Elle ne ressent pas d’émotions, nous avons été élevés ensemble avec
Duncan.

Je la sens se raidir à la mention de mon frère. Je ne me suis toujours pas


décidé à aller le voir depuis plusieurs jours. Il faudrait tout de même que j’y
pense, ne serait-ce que pour m’assurer qu’il n’a pas crevé de faim. Mais j’ai peur
de ce que je pourrais lui faire. L’épisode avec Evy n’est pas près de quitter ma
mémoire et je crains de me faire piétiner par le monstre en moi si je le revois. Je
retarde l’échéance mais je sais que, tôt ou tard, je devrai lui faire face. Mon père
et ses hommes se posent des questions et ça commence à être un sujet récurrent
au sein de la Maison.

– Pour être honnête, j’ai déjà ressenti une émotion, objecte ma sœur et je
tressaille en comprenant ce qu’elle s’apprête à dire. Mais Ryder n’a pas voulu
coucher avec moi. Je comprends pourquoi, maintenant.

Evy tourne son regard suspicieux vers moi et je décide de me justifier en


fusillant Adi des yeux.

– Comme l’a dit ma très chère sœur qui est incapable de tenir sa langue, je l’ai
repoussée. C’était un peu après que je t’ai libérée, Adi est venue me chercher au
bar où je me lamentais sur ton absence. Elle venait de fêter ses 21 ans, elle a un
peu trop bu et elle a cru qu’elle pouvait faire de moi son dessert.
– Je me suis mise à poil devant lui, mais il n’a rien voulu savoir, renchérit Adi
comme si c’était tout à fait naturel de dire ce genre de choses devant la propre
copine de son frère. Sur le coup, je n’avais pas compris que c’était parce qu’il
était amoureux d’une fille. Il ne me l’a expliqué qu’aujourd’hui.

Je ne sais pas si j’ai bien fait de me confier à ma petite sœur. Mais lorsqu’elle
m’a avoué qu’elle ressentait du désir charnel pour moi depuis un bail, je me suis
dit qu’elle se sentirait mieux si moi aussi je lui disais que j’éprouvais des
émotions. Et ça a fonctionné. Nous sommes plus proches l’un de l’autre,
dorénavant. Et ça m’a fait du bien d’en parler. Nous sommes humains. Les
humains ressentent. Je l’ai compris grâce à Evy. Et j’essaie de faire de même
avec ma sœur. Elle tend une main vers Evy.

– Donc pour les présentations officielles, moi c’est Adrianna Powell, sœur
adoptive de Ryder Powell.

Evy semble surprise et je devine que c’est parce que c’est la première fois
qu’elle entend mon nom de famille. Elle scrute la main de ma sœur sans pour
autant la saisir. Elle coule un regard inquiet vers moi et je comprends son
message. Elle se méfie. Elle a conscience qu’elle est menacée de mort et elle ne
sait plus à qui faire confiance. Je la rassure en posant ma paume sur sa joue.

Finalement, elles échangent une poignée de main et Adi lui tend le sachet de
surgelés.

– Tiens, tu en as plus besoin que moi.

Je retiens un rire tandis qu’Evy accepte l’offrande, puis je me penche vers elle
alors que ma sœur se dirige vers la cuisine pour se servir un verre de vodka.

– Si tu penses que j’ai un ego aussi gros qu’une maison, le sien a la taille de
l’Empire State Building, ma belle.

Evangeline glousse en faisant la grimace à cause de sa joue douloureuse.

– Et au fait, Adi, lui crié-je, ne t’avise plus de toucher à ma copine.

Elle me fait signe du pouce en descendant son verre d’une traite. Lydia lance
alors à ma sœur :

– Hey, Adrianna, je suis barmaid, tu ne veux pas plutôt que je te prépare un


super cocktail ? La vodka pure va te donner la gerbe pendant plusieurs jours.
– Oh, toi, tu vas devenir ma nouvelle meilleure amie, s’exclame ma sœur.
– Tu n’as pas d’amis, crié-je alors que j’emmène Evy dans la salle de bains
pour la soigner.
– Va te faire foutre, Ryder ! réplique-t-elle et nous rions comme des gosses.
Je fais asseoir Evy sur la vasque et entreprends de nettoyer ses plaies.

– Tu commences à t’habituer à ton rire, on dirait, se moque-t-elle gentiment.

Je secoue la tête, l’air gêné.

– Je suis désolé pour Adi. Elle s’est sentie agressée alors elle a voulu se
défendre. C’est dans notre nature.
– Ne t’en fais pas, m’assure-t-elle. Heureusement que tu es intervenu sinon je
crois qu’elle aurait réussi à nous tuer toutes les deux.

Je souris en imbibant un coton d’alcool.

– Sans vouloir te vexer, oui. Nous sommes entraînés depuis que l’on est tout
petits. Mais j’avoue que tu t’es sacrément bien défendue. Je suis fier de toi.

J’applique le coton sur la plaie de son arcade et elle siffle entre ses dents.

– Ryder ?
– Mmh ? dis-je, concentré sur mon boulot d’infirmier intérimaire.
– Est-ce que je dois m’inquiéter maintenant qu’elle connaît notre histoire ?

Je secoue la tête.

– Adi est une fille droite et je lui fais confiance. Et puis, avec tout l’alcool
qu’elle est en train de s’enfiler, elle ne s’en souviendra plus demain.
– Et il n’est que seize heures, maugrée-t-elle.
– Elle est devenue incontrôlable depuis qu’elle a eu l’âge légal pour boire. Tu
sais, elle a été maltraitée par ses parents biologiques junkies et ils l’ont
abandonnée seule dans la rue alors qu’elle n’avait que 3 ans. Cela faisait au
moins deux jours qu’elle était livrée à elle-même en plein hiver. Elle fouillait les
poubelles pour se nourrir quand mon père l’a trouvée. Elle ne s’en souvient pas
bien, mais parfois ses cauchemars la ramènent à cette période et à en croire son
comportement aujourd’hui, ça l’affecte de plus en plus.
– Oh, mon Dieu, gémit-elle. Personne n’a vu cette pauvre fillette dans la rue
pendant deux jours ?
– Si, mais ils s’en foutaient. Ils continuaient leur chemin comme si de rien
n’était, réponds-je avec une certaine amertume. Tu vois ? Comme quoi même les
gens « normaux » peuvent faire preuve de cruauté. Mon père n’est pas si
méchant que ça, Evy. Adi n’est pas la seule qu’il ait recueillie, il y en a toujours
de nouveaux, chacun avec sa propre histoire tragique.

Evy garde le silence pendant un long moment tandis que je panse ses plaies.
Elle semble réfléchir.

– D’accord, ton père fait peut-être de bonnes actions. Mais ça ne lui donne
pas le droit de faire de vous des machines à tuer.

Je me contente de hausser les épaules. Elle ne le déteste plus autant qu’avant


et ça me rassure.

– Je m’en veux de lui mentir, avoué-je.

Elle me caresse la joue et je plonge dans le lagon de ses prunelles, me sentant


tout de suite apaisé.

– Je sais. Et je t’en serai éternellement reconnaissante. Je n’étais pas prête à


mourir. Et je t’aurais hanté jusqu’à la fin de ta vie.

J’aime sa façon de dédramatiser les choses en plaisantant. Je souris en même


temps qu’elle puis son regard se perd sur un point derrière moi. Je suis sa
trajectoire en me retournant.

– Je me souviens de ma première douche ici, murmure-t-elle. Ça fait partie


des bons souvenirs.
– J’avais une trique d’enfer à chaque fois. C’était un véritable supplice de te
voir là, à ma portée, sans pouvoir rien faire. J’ai pensé mille et une fois à venir te
savonner le dos et toutes les autres parties de ton corps. J’étais comme un camé
en voie de guérison devant une dose d’héroïne.

Evy rougit et je lui rends son sourire.

– Est-ce que tu avais peur ? risqué-je avec une certaine appréhension.


– Oui, admet-elle. Au début. Mais plus tu me regardais et plus… je me sentais
en confiance. Je n’ai jamais accepté mon corps, tu sais ? C’est au décès de mes
parents que j’ai commencé à me consoler avec la nourriture. Je mangeais leurs
plats préférés ou faisais les délicieux cookies géants aux pépites de chocolat
blanc de ma mère. Je m’imaginais que c’était elle qui les avait préparés et quand
je les dégustais, je fermais les yeux et nous voyais tous les quatre partageant un
repas dominical. C’était une sorte de thérapie. Parfois j’avais des accès de
déprime et je m’empiffrais de tout ce qu’il y avait dans les placards devant la
télé. David essayait de m’en empêcher en cachant les chips et autres conneries,
mais je pétais un plomb. Je savais que je devais cesser de me goinfrer, mais la
douleur était trop forte et la nourriture était mon seul pansement.
– David ne t’a pas aidée ?

Elle secoue la tête et la haine que j’éprouve déjà à l’égard de ce bouffon


s’amplifie.

– Il passait son temps dans son cabinet. Il est avocat. (Ah, j’avais vu juste dès
le premier coup d’œil sur ce mec trop propre sur lui.) Quand mon corps a
commencé à vraiment changer, il ne me touchait plus. Nous avions déjà planifié
notre mariage avant la mort de mes parents. J’ai pensé à l’annuler parce que je
ne voulais pas me marier sans eux, mais David fait partie d’une riche famille de
magistrats. J’aurais eu l’air de quoi si j’annulais ? Une semaine avant
l’évènement, je suis rentrée un peu plus tôt des cours. Je savais que ma cousine
devait venir de New York pour m’aider à choisir ma robe. Je les ai retrouvés tous
les deux sur le canapé… Bref, tu connais la suite.

Je serre les poings jusqu’à ce que mes jointures blanchissent. Evy pose sa
main dessus dans un geste d’apaisement et me regarde tendrement.

– Tout va bien, Ryder, c’était l’année dernière. Je ne souffre plus. Plus depuis
que je t’ai rencontré. Tu as été le pansement dont j’avais besoin. J’avais peur,
oui, quand tu me regardais. J’avais peur que tu sois dégoûté de ce que tu voyais.

Je prends son si joli visage dans mes mains et l’embrasse.

– Jamais je ne me lasserai de te regarder, Evy, lui promets-je. Bien au


contraire, tu es belle, tu es magnifique. Tu aurais très bien pu avoir les pieds
palmés ou des cornes sur la tête, je t’aurais aimée quand même. Parce que les
sentiments ne se contrôlent pas. Parce que c’est la vie qui veut ça.

Putain, je n’arrive pas à croire que je viens de dire un truc pareil. Je crois que
c’est mon instinct qui vient de parler. Elle me bouleverse tant et si bien que je ne
contrôle même plus ce que je dis. Je l’embrasse de nouveau, plus passionnément
cette fois. Ma langue part à la recherche de la sienne et quand elles se trouvent,
elles entament une danse endiablée.

– Parce que c’est la vie qui veut ça, répète-t-elle et j’acquiesce. Asher t’a pas
mal aidé, hein ?

Je pouffe de rire.

– Dans le mille, admets-je. Je ne savais mettre aucun mot sur les sentiments
que j’éprouvais pour toi et j’ai énormément parlé de nous à Asher. Il a tout
compris et m’a conseillé d’écouter mon cœur, ce petit truc enfoui au fond de moi
que tu as réussi à dénicher, pour reprendre ses propres mots.

Evy sourit, tel un putain de rayon de soleil. Elle me tue. Je me relève et retire
mes vêtements qui me collent à la peau. Le regard d’Evangeline balaie mon
corps et elle se mord la lèvre. Je souris comme un con chaque fois qu’elle fait
cette tête trop… craquante ?

– Tu veux prendre une douche avec moi, bébé ? lui proposé-je en lui tendant
la main comme pour l’inviter à danser.

Elle se lève et je commence à la déshabiller tout doucement, histoire de bien


faire durer le plaisir. Ses tétons sont déjà dressés à l’extrême quand je lui retire
son soutien-gorge.

– Magnifique, murmuré-je lorsqu’elle est entièrement nue devant moi.

J’actionne le jet d’eau et nous fais entrer tous les deux. Je caresse la peau de
son dos, ses hanches et lui embrasse la nuque tandis que mes doigts continuent
leur voyage sur son ventre. Elle tressaille quand ma queue vient gentiment se
positionner à l’orée de son intimité.

– Ryder, halète-t-elle.
– Mmh ? réponds-je en poursuivant mes baisers dans le creux de son épaule.
– Je veux qu’on fasse l’amour là où j’ai mes plus mauvais souvenirs. Je veux
transformer cet endroit où j’ai vécu seule presque toutes mes journées par une
nuit torride à deux où l’air serait obstrué par l’amour et la passion.

Je la scrute, impressionné par ses mots qui dégagent autant de beauté que de
sincérité. Je hoche la tête avant de l’embrasser langoureusement. J’ai
l’impression que nous passons notre temps à nous bécoter et à faire l’amour et
pourtant, j’ai aussi la sensation de ne jamais en avoir assez. Je n’ai jamais assez
de ses regards, de sa bouche, de sa peau, de ses seins… Je n’ai jamais assez
d’elle.

Dans le salon, nous entendons soudain la musique à fond et les cris de ma


sœur en train de chanter. D’essayer de chanter, du moins.

– On devrait cacher les bouteilles d’alcool, rit Evy, encore légèrement


essoufflée de son orgasme.
– Ouais, si elle ne les a pas déjà toutes descendues.

Nous sortons de la douche pour nous sécher. Je suis toujours aussi raide alors
que je viens de lui faire l’amour, c’est insensé. Cette femme au corps de déesse
va finir par me tuer pour de bon.

Adi est bien éméchée quand nous la découvrons en train de danser sur ma
nouvelle table basse. Elle a allumé ma stéréo, a branché son portable dessus et je
suis étonné de voir les vitres encore intactes tandis qu’elle hurle « Animals ».

– Je préfère la version des Maroon 5 ! nous crie Lydia, toujours au bar, pour
couvrir le son des basses.

Nous rejoignons Lydia et elle nous sert des cocktails faits maison. Je regarde
mon Long Island puis la rouquine en haussant les sourcils.

– Comment as-tu su que je buvais ça ?

Elle lance un clin d’œil complice à Evy sans répondre avant de s’attaquer à
son propre verre.

– On a un jeu, au bar, enfin on avait, m’explique Evy avec une certaine


nostalgie dans la voix. Lydia, Robbie et moi devions essayer de deviner la
boisson de chaque client qui entrait selon leur personnalité.

Je bois une gorgée de mon verre et suis impressionné car je ne le fais jamais
aussi bon.
– Je parie que c’est toi qui gagnais tout le temps, deviné-je et elle sourit.

Adrianna finit par s’ennuyer à danser toute seule comme une folle et vient
donc me chercher. Je tente de m’accrocher au bar mais elle n’en démord pas et je
finis par capituler et me laisser entraîner, non sans prévenir Lydia :

– Cache les bouteilles !!

Ce qui les fait bien sûr éclater de rire. Je dois admettre que je n’avais jamais
pensé à faire la fête. Généralement, avec Duncan, c’était surtout des soirées du
style bang, chicha, alcool et strip-teaseuse à domicile. Il adore ça mais moi j’ai
vite décroché. Là, c’est différent. Pas de fumée toxique, pas de sexe à l’air, que
de la musique, des rires, de la danse et Evy qui ne tarde pas à nous rejoindre.
Maroon 5 laisse place à une musique latino que je ne connais pas mais que l’on
peut facilement danser avec une partenaire aussi sexy que la mienne.

– Tu as l’air heureuse.
– Je le suis. Je ne me suis pas amusée comme ça depuis…

Elle baisse la tête en soupirant. Depuis que je l’ai kidnappée.

– Je vis toujours avec cette peur de me faire agresser. J’ai beau me dire que
personne n’est censé être au courant, je suis libre sans pour autant me sentir en
sécurité, j’ignore pourquoi.
– Je te protégerai, Evy. Quoi qu’il m’en coûte.

À l’idée de la perdre, la bête féroce en moi hérisse son poil enflammé. Le


regard d’Evy s’arrime au mien et, soudain, c’est comme si l’océan de ses
prunelles envoyait une vague d’eau sur le monstre, éteignant son brasier et
l’obligeant à se recoucher dans l’ombre de ma tête. C’est comme ça qu’elle
procède.

Qu’elle me maîtrise.

C’est comme ça qu’elle m’aime.

En repoussant la bête tout en acceptant celui que je suis.

Nous nous enflammons dans un collé-serré très sensuel et je ne tarde pas à


sentir mon pantalon se tendre. Evy se déhanche contre moi et je lui murmure à
l’oreille.

– Tu as de la chance qu’on ait des invités, sinon tu serais déjà à plat ventre sur
la table.

Et je lui mordille le lobe de l’oreille, histoire d’accentuer le message


subliminal, ce qui la fait gémir.

Quelques heures plus tard, nous avons le ventre plein des pizzas que nous
avons fait livrer et sommes en train de rire des déboires amoureux de Lydia. J’ai
encore du mal à me faire à mon propre rire, mais en voyant la façon dont Evy
semble fascinée en l’entendant, je pourrais rire pendant des heures. Je vois ma
sœur pliée en deux à côté d’elle et je commence à me demander si la présence
d’Evy n’est pas en train de la faire changer elle aussi. C’est la première fois que
j’entends rire Adi et ça fait un putain de bien. Autant pour moi que pour elle, je
pense, si ce n’est plus. Evy capte mon regard et me sourit. Elle aussi doit
sûrement se poser la question. Je lui prends la main gauche et embrasse chacune
de ses phalanges. J’aime cette femme.

Ma lumière dans mon monde de ténèbres…

Vers quatre heures du matin, je commence à ne plus savoir où sont les pièces
de mon propre appartement et je décide qu’il est temps de nous coucher. À peine
ai-je terminé ma phrase qu’Adrianna est en train de ronfler sur mon canapé alors
que Lydia – encore debout malgré les verres – s’évertue à déplier ledit sofa pour
qu’elles puissent toutes les deux dormir confortablement. Je l’aide à remettre ma
sœur debout qui s’appuie automatiquement sur Evy. Celle-ci est un peu pompette
mais elle semble surtout fatiguée. Lydia et moi faisons rapidement le lit et Evy y
balance littéralement ma petite sœur qui ne se réveille même pas.

– Bonne nuit, les filles ! dis-je en même temps qu’Evy.


– Bonne bourre ! nous répond Lydia.

C’est Evy qui nous dirige plus que moi vers le placard. En entrant, je la sens
sur le qui-vive mais elle m’assure que tout va bien quand je lui pose la question.
Après que nous avons réussi à nous entendre sur le sens dans lequel tourner mon
matelas, posé contre le mur quelques heures plus tôt, Evy se blottit contre moi et
je lui dépose un baiser sur le front.

– Ryder ?
– Mmh ?
– Combien de temps a duré ta relation la plus longue ?
– C’est quoi cette question ? souris-je, surpris.
– Réponds seulement.
– Avant toi je n’ai jamais eu de relation, c’étaient juste des coups d’un soir.

Je ne suis pas fier de lui avouer ça, mais je suis honnête. Je ne veux pas lui
mentir.

– Réponds sans réfléchir : la première chose que tu regardes chez une


femme ?
– Le cul. Bah quoi ? fais-je après qu’elle m’a mis une claque sur l’épaule. Tu
me demandes, je réponds du tac au tac ! Et c’est de la triche, je ne suis pas
vraiment sobre.
– Ça compte quand même, ça veut dire que tu es capable de mater un cul alors
qu’on pourrait se promener ensemble.
– Bébé, je peux regarder autant de culs féminins qui passeront devant moi, je
ne veux en posséder qu’un seul : le tien.

Je sens son regard sur moi mais, étant donné que nous sommes dans le noir
total, je ne peux vérifier si elle me croit ou pas.

– La dernière, maintenant : si j’étais venue en jogging, les cheveux en pétard


et pas maquillée, tu m’aurais abordée ?

Là, j’éclate de rire. Je ne comprends absolument rien à ses questions mais je


joue le jeu.

– Un : ce n’est pas toi qui es venue, c’est moi qui t’ai amenée de force. Deux :
je t’ai déjà vue plus d’une fois au réveil et tu es un vrai rayon de soleil.
– Et si notre rencontre avait été « normale », tu m’aurais calculée si j’étais
venue débraillée ? insiste-t-elle.
– Tes questions font flipper.
– Réponds honnêtement.
– Non, soupiré-je finalement. Le Ryder d’avant ne t’aurait même pas ne
serait-ce que donné l’heure. Mais tu m’as changé, je te rappelle, et aujourd’hui,
si je te voyais en jogging, je te sauterais dessus.
– Pourquoi ?
– Parce que tu m’as appris que même si l’emballage est laid, on peut trouver
le plus beau des cadeaux à l’intérieur.

Elle sourit et son nez se retrousse. J’adore.

– Tu vas m’expliquer pourquoi ces questions, maintenant ?


– Un truc avec Lydia pour savoir si ça peut coller avec un mec ou pas.
– Et j’ai réussi le test ?
– J’aurais donné un zéro pointé au Ryder d’avant. Mais je suis tombée
amoureuse donc ça n’a plus vraiment d’importance, c’était juste un petit jeu.
– Un petit jeu, hein ? J’en ai un moi aussi.

Et je me mets à la chatouiller comme un fou. Elle se tortille dans tous les sens
en hurlant des insanités que je préfère ne même pas énoncer. Affectueusement,
ceci dit. Puis je la surplombe et touche son visage à tâtons jusqu’à trouver le
bout de son nez que j’embrasse.

– C’était une super soirée, susurré-je, la voix un peu rocailleuse.


– Mmh, marmonne Evy. Elle a mal commencé mais elle a bien fini.
– Non, elle n’est pas finie. On va d’ailleurs la terminer en beauté.

Je l’embrasse plus passionnément avant de m’attaquer à son cou, en prenant


soin de frotter ma barbe sur sa peau de pêche. Je sais qu’elle en raffole. Ma
queue se tend davantage dans mon boxer lorsqu’en passant ma main sous sa jupe
crayon grise je sens des jarretelles. Je relève la tête d’un coup, ébahi. Devinant
sans doute mon expression, Evy pouffe de rire.

– C’est ce que je crois ?


– À toi de vérifier, minaude-t-elle.

Je ne me fais pas prier et envoie valdinguer ses vêtements superflus avant


d’activer la fonction lampe torche de mon smartphone. Là, ma respiration se
coupe quand je me retrouve devant le plus bel emballage cadeau de tous les
temps. Je fais descendre la lumière le long de son corps et mon cœur s’accélère
au fur et à mesure de ce que je vois. Cette guêpière lui fait des seins de malade,
souligne sa silhouette à croquer et je ne parle pas des jambes… Oh, Seigneur ! Je
reviens à sa bouche que j’embrasse avec passion et amour.

– Tu m’as sauvé de moi-même. Je t’aime, Evy.


– Je t’aime, Ryder, souffle-t-elle, déjà haletante.

Puis nous faisons du cauchemar d’Evy un souvenir tendre et sensuel.

***

Je suis réveillé vers six heures par une envie de boire monstrueuse. Je ne sais
pas si c’est à cause du nombre de verres d’alcool ingurgités ou de l’air assez sec
de la pièce, mais ma gorge est terriblement aride. Ce n’est qu’au retour de la
cuisine que je trébuche sur le sac à main d’Evy, posé près de l’îlot central.
Quelque chose en sort et la lumière de la lune filtrée par la grande fenêtre du
séjour se reflète sur l’objet qui devient brillant.

Une coccinelle.

Je me frotte les yeux et la ramasse. C’est le pendentif renfermant la clé USB.


Je regarde le bijou pendant un long moment sans savoir quoi faire. Mon
sentiment de curiosité est trop fort. J’allume mon ordinateur et insère la clé à
l’intérieur. Ce que j’y découvre dépasse de loin mon imagination. Je m’attendais
à des codes secrets, des virus illégaux, à la rigueur du blanchiment d’argent étant
donné que mon père est un pro de la finance. Tout mais certainement pas ça. À
mesure que mon cerveau assimile les intitulés des différents fichiers, je me rends
compte que je ne sais plus trop à qui j’ai affaire. Les dossiers sont dans le
désordre. D’abord je clique sur le premier nom qui m’est familier : Darryl
Merten. Je lis et apprends que c’était un agent de la NSA infiltré. Il se faisait
passer pour un flic corrompu au service de mon père. Ce sont des notes qui
démontrent comment il est mort et par qui. En l’occurrence, un sabotage des
freins fait par l’un de mes frères. De plus en plus inquiet, je descends le curseur
de la souris et clique sur les noms de mes frères et sœurs. Plus je lis, plus j’ai la
gerbe. Mes deux frères qui ont soi-disant été chassés de la Maison parce qu’ils se
sont fait prendre par les flics ne sont en réalité jamais partis. Sur leur photo est
écrit, en grosses lettres rouge sang : EXÉCUTÉ. Adrianna et tous les autres dont
je lis les dossiers n’ont jamais été abandonnés et recueillis par mon père. Il les a
enlevés ! Tout cela n’est que du trafic d’enfants. Je finis par cliquer sur mon
propre dossier malgré la peur qui me tord le ventre. Evy avait raison : mon père
n’est rien d’autre qu’un criminel.

Il ne nous aide pas à nous défendre.

Il crée une putain d’armée.

La colère et la haine montent sournoisement en moi. Ce n’est pas vrai. Ce


n’est pas possible, il n’a pas pu faire ça. Tel un volcan, je rentre en irruption.
J’ouvre la porte et le monstre ne tarde pas à se poster au centre de mon esprit. Je
sens la rage faire bouillir chacune de mes cellules. Ma respiration se fait de plus
en plus difficile à mesure que la bête prend possession de moi. Putain, je vais le
tuer. Je vais tous les buter !!!
31

Evy

Je me réveille un peu nauséeuse et avec l’impression que l’on gonfle un pneu


dans mon crâne. J’aurais pensé à une gueule de bois si je n’avais pas déjà vécu
cette sensation il n’y a pas si longtemps. L’arrière-goût du chloroforme me colle
encore à la langue et la panique m’envahit. J’ouvre immédiatement les yeux et
tente de me lever, mais je réalise que je suis ligotée à une chaise. Une impression
de déjà-vu s’empare de moi. Oh non, ça ne va pas recommencer ! Je m’agite
dans tous les sens, le cœur battant à toute allure et les larmes aux yeux. Bordel,
ce n’est pas possible. J’ai de nouveau été kidnappée. Je regarde autour de moi.
La pièce est froide, sombre, faiblement éclairée par une lampe accrochée au
plafond et un miroir sans tain occupe l’un des murs latéraux. On dirait une salle
d’interrogatoire. Suis-je au commissariat ? Me suis-je fait enlever par un policier
ripou ? Jared m’avait fortement conseillé d’éviter les flics, on ne pouvait pas leur
faire confiance.

– Evy ?

Je tourne la tête le plus possible et découvre avec stupeur que c’est Lydia qui
vient de m’appeler. Mais que fait-elle ici ? Pourquoi s’en sont-ils pris à elle ?
L’effroi m’étrangle tandis que je regrette de l’avoir trop impliquée dans cette
histoire. C’est à cause de moi et de ma langue trop pendue qu’elle se retrouve
ligotée comme moi. Elle pleure et j’aimerais pouvoir la prendre dans mes bras
pour la consoler, mais je ne peux me défaire de mes liens.

– Je suis là, Lydia, ne t’inquiète pas, ça va aller.

J’avoue que je ne sais pas si c’est elle que j’essaie de convaincre ou bien moi.
Peut-être les deux. Elle n’aurait jamais dû se retrouver au milieu de tout ça. Je
n’aurais jamais rien dû lui révéler. Mais, d’un autre côté, elle aurait tout deviné
tôt ou tard. Elle aussi maîtrise la psychologie et elle est aussi douée que moi.
Elle aurait tout de suite vu que quelque chose n’allait pas.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? J’étais en train de dormir et soudain, je ne sais
pas, j’ai senti un truc et je me suis réveillée là. On s’est fait enlever, c’est ça ? Ils
vont nous tuer et nous découper en morceaux ? Et s’ils font des expériences
scientifiques sur nous comme dans les séries glauques ?

Quand elle panique, Lydia s’imagine mille et un scénarios, des plus plausibles
aux plus improbables. Mais je peux la comprendre. Bien que j’aie déjà vécu cela
il y a plusieurs mois, je suis moi aussi morte de trouille.

– C’est Ryder qui nous a livrées, je suis sûre, poursuit Lydia. Ou sa sœur,
tiens. Après tout, tu ne l’avais jamais vue, elle !

Je ferme les yeux pour mieux réfléchir. C’est vrai que je ne connais pas
Adrianna. Ryder ne m’avait jamais parlé d’elle et il est possible qu’elle ait joué
un double jeu. Cependant, même un habitué de l’alcool n’aurait pas tenu debout
avec tous les verres qu’elle s’est enfilés. Comment aurait-elle pu avoir la force
de nous intoxiquer, sachant que j’étais encore lucide, qui plus est ? Quant à
Ryder, je ne le vois pas me faire ça. Pas après tout le chemin qu’il a parcouru. Il
m’aime sincèrement, je le sais du plus profond de mon âme. Ça ne tient pas
debout. Nous aurait-on suivis ? Personne à part nous, Robbie et David ne sait
que je suis encore en vie. Ça ne peut pas être mon ancien collègue à l’origine de
ce guet-apens. Sinon, pourquoi aurait-on envoyé Ryder m’enlever alors que
Robbie était là, juste sous mon nez, et qu’il aurait très bien pu m’emmener de
mon plein gré ? Et puis je le connais depuis plus d’un an, bien avant que mon
frère me confie ce cadeau empoisonné. David, lui, n’est pas le genre de mec à
avoir des couilles. Toujours propre sur lui et impeccable, il prend son boulot
d’avocat très à cœur. Il l’aimait d’ailleurs plus que moi, il ne risquerait pas sa
carrière. Non, c’est forcément quelqu’un à l’intérieur du cartel. Quelque chose a
dû faire douter le père de Ryder. J’ai tout fait pour éviter que l’on me
reconnaisse. J’ai déménagé loin de la ville, je sortais rarement et déguisée, de
surcroît, je faisais attention à ne regarder personne dans les yeux, je ne
m’attardais jamais quelque part… Je ne comprends donc pas ce que je fais ici, et
encore moins pourquoi Lydia est là aussi, elle qui n’a absolument rien à voir
dans cette histoire. Et Ryder ? Où est-il ? Que lui ont-ils fait ? Ont-ils découvert
qu’il a menti pendant tout ce temps ?

– On va s’en sortir, Lydia. Ryder va venir nous sauver, j’ai confiance en lui.
Je sais de quoi il est capable. Durant ma captivité, j’ai appris énormément de
lui. Il ne laissera jamais personne me faire du mal. Je suis à lui et il se battrait
pour moi comme je le ferais pour lui. Nous sommes liés par l’amour, tous les
deux, et rien ni personne ne pourra se dresser entre nous. Il faut que je garde
espoir. Il va venir nous délivrer. Si ça se trouve, il est déjà en train de chercher
un plan pour venir nous chercher.

– Je n’ai pas envie de mourir, Evy, sanglote Lydia. Je suis trop jeune, j’ai
encore plein de projets, je ne suis pas prête.

Je tire sur mes liens, ne serait-ce que pour la prendre dans mes bras, mais il
n’y a rien à faire, c’est trop serré.

– On ne va pas mourir, dis-je sur un ton que j’espère convaincant. Je suis déjà
passée par là et je m’en suis plutôt bien sortie.
– Parce que ton ravisseur est tombé amoureux de toi entre-temps. Je ne suis
pas sûre que celui qui nous a kidnappées se montre aussi compréhensif que ton
Roméo.

Elle marque un point, c’est vrai. Je tourne la tête vers le miroir, me sentant
soudain observée. Je ne peux rien voir de ce qui se passe de l’autre côté,
évidemment, mais je suis persuadée que quelqu’un se tient là, derrière, dans
l’ombre. Il est sûrement en train de sourire de nous voir tétanisées. Je chuchote à
Lydia, en espérant qu’en plus de nous voir il ne nous écoute pas :

– Arrête de pleurer, ça ne ferait que les satisfaire. Ne regarde pas, mais je suis
certaine que quelqu’un nous surveille derrière le miroir. Ne lui donne pas le
plaisir de tes larmes.

Lydia renifle en hochant la tête et retient ses larmes. Je reporte mon regard sur
le miroir et arbore une expression de défi.

– Toi qui es derrière cette putain de vitre, crié-je. Viens donc nous regarder en
face si tu as des couilles, pauvre merde.

Mon amie me murmure que je suis folle mais je l’ignore. Finalement, au bout
de deux minutes environ, la porte en métal s’ouvre et je sursaute de terreur en
voyant le visage devant moi. Ma détermination se recroqueville dans un coin
caché de mon esprit et je me sens soudain toute petite. Il affiche un sourire
narquois, diabolique. Je n’en crois pas mes yeux. C’est bon, là, je suis tétanisée.
Tout mais pas lui.

– Duncan, soufflé-je.

Son sourire s’élargit et ses yeux ont une lueur malicieuse. Des marques jaunes
ornent son œil droit et sa mâchoire. Son nez est de travers et il lui manque des
dents.

– Salut, ma belle blonde, ricane-t-il. Ou ma belle brune, devrais-je dire. Ravi


que tu te souviennes de moi, je t’ai fait de l’effet, on dirait.

Il s’approche dangereusement de moi et je me raidis. Ses doigts viennent


caresser ma joue et je me dégage comme je peux. Je remarque des contusions
autour de ses poignets. Comme s’il avait été ligoté… Je n’ai aucun moyen de lui
échapper et mon cœur cogne dans ma poitrine. Je suis terrifiée mais je ne dois
pas le lui montrer. J’ai assez donné en matière de peur.

– J’aurais dû me douter que c’était toi, grogné-je en lui lançant le regard le


plus noir de mon répertoire.

Il me prend au dépourvu en éclatant de rire.

– Ce n’est pas moi qui t’ai enlevée, chérie, même si j’en aurais été ravi. Moi,
j’ai pris Ryder. Il n’a rien vu venir, ce con. Il le méritait bien, ce coup-là, après
m’avoir refait le portrait et enfermé dans cette putain de cabane. Une semaine !
tonne-t-il, nous faisant sursauter. Il m’a laissé crever pendant une semaine avant
que le garde forestier ne me retrouve et me libère. Je tiens ma vengeance, ajoute-
t-il en affichant un sourire carnassier rendu affreux par ses dents manquantes.

Il sort un couteau de chasse de sa poche, identique à ceux que possèdent les


gardes forestiers. Pauvre homme… Je devrais me sentir satisfaite que Ryder lui
ait démonté la tête, mais l’évocation de mon petit ami ligoté, voire pire, quelque
part provoque chez moi une nouvelle vague de panique.

– Où est-il ?
– En train de se prendre la raclée du siècle, répond-il nonchalamment. Tu ne
devrais pas t’inquiéter pour lui, il n’a que ce qu’il mérite. En revanche, tu
devrais te soucier de ce que je vais faire de toi…

J’ai envie de vomir et les larmes me montent aux yeux. Je sais très bien ce
qu’il a en tête et je resserre les cuisses du mieux que je peux en dépit des liens à
mes pieds. Il s’accroupit devant moi et me caresse le genou en se léchant la lèvre
et en me lançant un regard de prédateur. Je ferme les yeux et un couinement
m’échappe.

– Ne la touche pas ! hurle soudain Lydia.

La main de Duncan disparaît et je rouvre les yeux. Je le vois me contourner


pour s’adresser à ma meilleure amie. Non, non, non !

– Tu as quelque chose à dire, la rouquine ? Tu veux peut-être te joindre à


nous ? Les plans à trois ne me dérangent pas, bien au contraire. Je suis un adepte
de ces jeux.

Je me dévisse le cou pour voir ce qui se passe.

– Va te faire foutre.

Et elle lui crache à la figure. Duncan sourit et essuie sa joue.

– Dans ce cas, laisse parler papa et maman, veux-tu ? lui dit-il avant de lui
assener une grande gifle qui la fait tomber de sa chaise.
– Lydia !! crié-je, terrorisée.

Mais sa tête a cogné le sol et elle ne répond pas. Quand Duncan se rapproche
de moi, je lui adresse alors le regard le plus assassin dont je suis capable. Il se
frotte le visage avant de se pencher de nouveau vers moi. L’adrénaline et la rage
prennent possession de mon corps. J’ai envie de le tuer ! Nous cachons tous un
démon meurtrier en nous, mais nous le canalisons dès le plus jeune âge grâce à
l’éducation que nous donnent nos parents. Ryder et les autres, eux, ont été élevés
avec ce démon. Aujourd’hui, j’ai envie de laisser sortir le mien pour qu’il ne
fasse qu’une bouchée de Duncan. Il s’appuie sur mes cuisses et enfouit son nez
dans mes cheveux pour en humer l’odeur.

– Tu dois être sacrément bonne au lit pour avoir réussi à piéger mon frère, dit-
il sur un ton suave qui fait peur.
Sa main remonte le long de ma cuisse sous mon short en coton et je tressaille.
J’ai envie de fondre en larmes mais je me retiens. Un psychopathe tel que lui
prendrait cela pour un encouragement.

– Il m’a cassé mon coup. Deux fois. L’autre jour j’étais à deux doigts,
pourtant, persifle-t-il. Je n’ai pas compris pourquoi, au début, et puis il est venu
ici quelque temps plus tard pour entraîner les gosses. Je suis arrivé, je l’ai titillé à
ton sujet et il m’a littéralement sauté dessus comme un lion enragé. Il m’a
humilié. Tu imagines sûrement ce que j’ai pensé à l’instant où j’ai su que tu étais
retenue ici.

Ses doigts sont maintenant en haut de ma cuisse et taquinent ma culotte. Je


n’arrive plus à respirer et bien sûr, il prend cela pour de l’excitation. Il me
mordille le cou, la mâchoire, mais mon attention reste sur sa main enfouie sous
mon short qui commence à s’immiscer là où je ne veux surtout pas qu’elle aille.
Je me sens impuissante, faible, vulnérable et honteuse lorsqu’il écarte ma culotte
et qu’il réussit à introduire un doigt en moi, puis un deuxième. Mes poumons se
bloquent automatiquement et mon cœur cogne comme un fou dans ma poitrine.
La bile me monte à la gorge mais je suis trop effrayée et choquée pour vomir. Je
ferme les yeux et me force à dissocier mon esprit de mon corps. Comme je l’ai
fait avec Ryder la première fois. Je suis spectatrice, rien d’autre. Je m’imagine
ailleurs, loin. À des milliers de kilomètres avec mes amis et mon amoureux. Je
ne suis pas là. Personne ne me veut de mal. Je suis en sécurité. Loin… Dans les
bras de Ryder. Je ne sens rien d’autre que son corps protecteur autour de moi et
son souffle empli d’amour contre mon cou.

Un grognement de satisfaction quand il sent mes parois me fait revenir à la


terrible réalité. J’ai envie de hurler. De hurler au secours, mais aussi pardon vis-
à-vis de Ryder. Tandis que lui se fait sans doute frapper quelque part, moi je me
fais toucher par son enfoiré de frère. Les larmes finissent par couler et ma gorge
se noue de plus en plus, m’étouffant presque. Je ne peux rien faire et pourtant,
Dieu seul sait que j’aimerais pouvoir me défendre. Je suis certaine qu’avec la
rage que j’ai emmagasinée ces derniers jours, j’aurais eu le dessus face à
Duncan. Je l’aurais au moins défiguré. Il se décide enfin à se retirer de mon antre
et lèche ses doigts.

– Mmh, je comprends Ryder, maintenant, s’extasie-t-il. Tu m’as donné envie


de te baiser comme la chienne que tu es.
Il agite la lame de son couteau sous mon nez. Mes yeux s’agrandissent de
terreur et je tremble comme une feuille.

– Si tu cries ou que tu prononces ne serait-ce qu’un seul mot, je n’hésiterai


pas à égorger ta copine devant toi. Tu n’aimerais pas que je lui fasse du mal, si ?

Je sonde son regard et vois à quel point il est sincère dans ses paroles. Il va le
faire, il n’y a aucun doute là-dessus. Alors je garde le silence quand il
déboutonne son pantalon. J’ai l’estomac qui se retourne et des larmes
m’échappent.

– Je ne vais pas prendre le risque de me faire sucer, tu pourrais me broyer la


bite par vengeance. Mais tu vas me montrer à quel point tu l’excites pour qu’il
soit resté avec toi.

J’ai envie de lui dire que Ryder m’aime, une chose que lui ne connaîtra
jamais, mais je prends sa menace au sérieux. Je ne veux pas sacrifier Lydia qui
gît toujours au sol, inconsciente. Il sort son sexe tendu devant moi et je détourne
le regard. Je ne veux pas y penser, je refuse de me laisser anéantir de la sorte.
Duncan se penche vers moi et déchire mon débardeur en deux, dévoilant mes
seins. Ses yeux arborent une lueur sombre et son sourire s’élargit.

– Ça, ce sont des nibards, ma belle. Ryder va être fou quand il va découvrir
que tu as pris ton pied et tu vas tellement aimer que tu ne voudras plus jamais de
lui.

J’aimerais que le sol m’engouffre, m’évaporer, n’importe quoi, même mourir


d’une crise cardiaque ou d’une rupture d’anévrisme, mais pas ça, par pitié !
Cette fois, je sais que je n’y échapperai pas. Personne ne pourra venir me sortir
de là. Si j’en crois Duncan – et il n’aurait pas menti sur ça, trop enthousiaste à
l’idée de me faire du mal -, Ryder est en train de se faire tabasser Dieu sait où. Il
écarte alors mes cuisses et commence à approcher sa queue de mon entrejambe.
Dans un ultime réflexe de défense, je lui assène un grand coup de tête dans le
nez. Sonné, il recule en se tenant le visage. Du sang ne tarde pas à couler entre
ses doigts et un certain sentiment de satisfaction me submerge. Mais la terreur
reprend le dessus lorsque son regard se fait plus assassin. Et je regrette d’avoir
été si stupide parce que maintenant, c’est Lydia qui va en faire les frais. Sauf
qu’il ne s’en prend pas à Lydia. Il m’envoie un coup au visage si violent que j’en
tombe de ma chaise. Mon crâne cogne contre le béton et ma vision se trouble. Je
gémis de douleur mais Duncan ne me laisse aucun répit. Il me retourne sur le dos
et me surplombe de toute sa hauteur, plus enragé que jamais. J’étouffe, je
suffoque quand sa grande main se resserre autour de mon cou.

– Tu veux jouer la dure mais je vais te montrer qui commande, sale petite
pute.

Je tente de hurler, mais il m’étrangle au point que mon cerveau commence à


manquer d’air. Les larmes dévalent sur mes joues. Soudain, la porte s’ouvre à la
volée. Mon cœur fait un bond et Duncan se relève en rangeant son matos. Celui
que je croyais être Ryder, sur le coup, est en fait un homme d’une vingtaine
d’années. Tous mes espoirs s’envolent encore une fois. Plutôt costaud, les
cheveux noirs coiffés en arrière, ce sont cependant ses yeux d’un vert étincelant
qui sont à l’origine de ma surprise. Je les reconnaîtrais entre mille. C’est le gars
du FBI qui m’a vue quand ils ont perquisitionné l’appartement de Ryder. Les
pièces du puzzle s’assemblent peu à peu dans mon esprit. Je comprends enfin
pourquoi il ne m’a pas dénoncée. Il fait partie des traîtres. Comment un gars tel
que lui a bien pu entrer au sein du FBI sans se faire repérer ?

– Papa te demande, dit simplement l’inconnu sur un ton neutre.

Pas d’hésitation. Pas d’émotions. Duncan se tourne vers moi.

– Je n’en ai pas fini avec toi, me dit-il avant de suivre son « frère ».

C’est là que je lâche toute la pression que j’ai retenue jusque-là. Je pleure
toutes les larmes de mon corps. Des larmes de peur, d’effroi, de terreur, mais
aussi de soulagement. J’ai encore quelques minutes de sursis et il n’a pas eu ce
qu’il voulait. Sa rage doit cependant être à son paroxysme pour avoir été
interrompu trois fois. Puis j’essaie de réveiller Lydia. Je l’appelle d’une voix
tremblotante et désespérée et au bout d’une minute, elle me répond enfin.

– Est-ce que tu vas bien ?


– Un peu mal au crâne mais je survivrai, si on sort d’ici, dit-elle d’une voix
faiblarde. Et toi ? Il t’a fait quelque chose ? s’écrie-t-elle ensuite.
– Non, mens-je pour ne pas l’inquiéter davantage.
Elle ne me croit pas.

– Je vais le tuer, ce bâtard.

La détermination refait enfin son apparition dans mon esprit.

Oh, non, c’est moi qui vais le tuer, je le garantis. Il a fait surgir le démon en
moi et il va en subir les conséquences.
32

Ryder

Je ne pourrais pas vous dire combien de coups j’ai reçus dans la gueule depuis
que je suis ici. J’ai arrêté de compter au bout du dixième. Ils m’ont pris par
surprise, ces fils de putes. Ceux que je considérais comme mes frères et ces
gorilles qui lui servent de gardes du corps. Quand j’ai eu fini de parcourir la clé
USB, je suis sorti de l’appartement comme un boulet de canon. Puis, devant
l’ascenseur, je me suis rendu compte que je pouvais le faire tomber.

Je suis venu ici avec l’idée de tuer celui que je croyais être mon père. Celui en
qui j’avais une confiance aveugle depuis plus de vingt ans. Celui qui m’avait
élevé dans le seul but de faire de moi une machine à tuer. Je comprends tout,
maintenant. Je sais faire la différence entre le bien et le mal. J’ai vécu presque
toute ma vie en répandant le mal autour de moi, mais c’est fini, tout ça. Je
voulais tuer le meurtrier de mes véritables parents, la nuit où je me suis fait
renverser par cette voiture et où j’avais oublié jusqu’à mon propre nom. Les
souvenirs sont apparus pendant que je conduisais jusqu’à la maison. Il a profité
de mon trouble de la mémoire pour changer mon identité et faire de moi son fils.

Son soldat.

Evy avait raison. Je rêvais du meurtre de mes parents sans avoir conscience
qu’en réalité, c’était un souvenir. Malgré l’heure matinale, ils me sont tombés
dessus. Ils étaient au moins une dizaine sur moi, sous les ordres de James
Powell, ce bâtard qui a détruit ma vie. Ils avaient anticipé ma venue. Ils m’ont
neutralisé et ligoté à une chaise dans le bureau de James. Celui-ci est arrivé, un
sourire aux lèvres et les mains dans le dos. Il marchait nonchalamment, comme
si tout était normal. Il a fait sortir Jimmy et Phillip, deux de mes « frères » - sans
doute pour ne pas qu’ils entendent la vérité –, avant de s’asseoir à moitié sur son
bureau et il m’a regardé, les bras croisés.

– Salut, fiston, a-t-il commencé et je l’ai regardé de travers en entendant ce


putain de surnom qui n’a plus aucun sens pour moi. Je crois qu’on a une petite
discussion à avoir.
– Je vais te tuer, ai-je répliqué, la haine affluant dans toutes les cellules de
mon corps.

Il a eu un rire étouffé et a secoué la tête.

– Tu ne peux pas tuer ton père, voyons.


– Tu n’es pas mon père. Tu ne l’as jamais été.

Son visage a soudain changé d’expression et il m’a fusillé du regard.

– Qui t’a élevé durant ces vingt dernières années ? Qui a fait de toi un
homme ? Je me suis battu pour faire de vous des hommes et des femmes
invincibles et supérieurs. J’ai fait de vous des héros !
– Tu as fait de nous des tueurs et rien d’autre !! ai-je hurlé. Tu n’es qu’un
minable qui nous a endoctrinés pour tuer ceux qui voulaient te dénoncer, toi et
ton putain de trafic de gosses dont nous avons été victimes !

Il a reculé, sans doute surpris que je sache la vérité.

– Eh ouais, ai-je ajouté. Je savais où était la clé et j’ai regardé ce qu’elle


contenait pour savoir pourquoi elle valait autant de vies. J’ai tout découvert,
papa.

J’ai bien insisté sur le dernier mot avec une intonation de mépris pour qu’il
comprenne bien qu’il n’est plus rien pour moi désormais. J’ai bien sûr menti
quant à la façon dont j’ai trouvé la clé. Il n’est peut-être pas au courant qu’Evy
est encore en vie et je ne compte pas l’emmener sur cette piste. J’espère qu’elle
est en sécurité, elle au moins, chez elle, n’importe où pourvu que personne ne la
trouve jamais.

– Tu ne vivras pas assez longtemps pour me dénoncer, m’a-t-il défié.

Je l’ai regardé avec un sourire narquois.

– Qui te dit que ce n’est pas déjà fait ?

Et c’est là que ses armoires à glace ont commencé à me mettre des coups.
Cela fait deux bonnes heures qu’ils essaient de savoir à qui j’ai donné une
copie de la clé puisqu’ils ont pris l’original sur moi. Mais je ne crache rien.
J’espère juste que celui à qui je l’ai envoyée est digne de confiance et qu’il saura
quoi en faire. Je lui ai donné toutes les infos nécessaires, y compris l’adresse de
la maison de l’horreur. J’ai mal partout et j’ai sûrement un bras cassé, mais je
lutte. C’est là que je comprends ce qu’a enduré Evy pendant sa captivité et je
m’en veux tellement, putain.

– Tu vas bien finir par parler, Ryder. Je te le garantis.

Je crache un jet de sang sur son parquet d’ordinaire impeccable avec une
certaine satisfaction avant de répliquer :

– Logan. Je m’appelle Logan, enfoiré.

Un nouveau coup de la part d’un gorille m’atteint à la mâchoire. Tout cela va


sûrement finir pour moi par des semaines à l’hôpital ou dans le coma ou même
dans un cercueil, mais si je parle, ça pourrait mettre Evy en danger. Et je veux
plus que tout la protéger.

Au péril de ma vie.

– Tu serais prêt à crever pour des putains de dossiers ? se moque James.


– Non, je serais prêt à crever pour te faire tomber. Ça oui, avec plaisir.

Il me considère pendant un long moment en se frottant le menton et parfois en


se passant la main sur son crâne chauve. Puis il s’adresse à l’un de ses gorilles.

– Dites à Jimmy de m’amener Duncan, ordonne James et aussitôt, le garde le


plus proche de la porte sort du bureau au pas de course pour s’adresser à mon
ancien frère de l’autre côté de la porte (bien sûr, il ne met jamais plus de deux
mètres de distance entre ses mastodontes et lui).

Duncan ? Il est là, lui ? Est-ce qu’ils l’ont récupéré ? Pourquoi veut-il qu’il
soit présent ? Il ne sait rien de l’affaire, pourtant. J’ai le sentiment que je ne suis
pas au bout de mes surprises…

Deux minutes plus tard, Duncan passe enfin la porte. Il a encore les stigmates
de ma fureur présents sur son visage et il porte un mouchoir à son nez. Mais il
n’est pas ligoté et n’a pas l’air d’être captif. Au contraire, il salue James et me
gratifie d’un grand sourire. Celui qu’il réserve d’habitude à ses victimes avant de
les exécuter, bien qu’une lueur de rage et de frustration brille dans son regard.

– Salut, frérot, claironne-t-il fièrement. Alors, on a fait des bêtises ? Tu te


doutes sûrement que tu vas finir comme Jessee et Chester. Ils étaient au mauvais
endroit au mauvais moment, malheureusement pour eux.

Jessee et Chester sont les deux gars qui ont été tués et dont James nous a fait
croire qu’ils étaient en exil.

– Alors tu es au courant de tout, toi ? m’étonné-je. Depuis le début ?

Duncan hoche la tête en souriant et James l’attrape par les épaules.

– Je sais que Duncan ne se mettra jamais en travers de mon chemin, lui plus
que n’importe qui d’autre. Parce que lui, c’est mon enfant biologique. Et, comme
on dit, tel père, tel fils. Tu ne trouves pas qu’on se ressemble ?

Je n’y avais jamais trop fait attention, mais il est vrai que certains détails
physiques sont similaires chez les deux hommes. Les mêmes yeux en amande et
le même nez, bien que celui de Duncan soit de travers et sanguinolent. Je ne sais
pas qui lui a fait ça, mais il ne l’a pas raté. Comment ai-je pu passer à côté de
ça ? Celui que je croyais être mon meilleur ami, mon frère, m’a embobiné durant
toutes ces années. Je crois que c’est lui que je vais tuer en premier, tout compte
fait.

– Comment avez-vous su ? demandé-je. Quand je suis arrivé, ils m’ont sauté


dessus comme s’ils avaient anticipé ma venue. Vous m’attendiez ?

James ricane et Duncan l’imite. Puis le patriarche me montre une tablette


tactile. Ce que je découvre me sidère. Ce sont des images de toutes les pièces de
mon appartement. Les enregistrements datent d’il y a quatre mois et demi et sur
la caméra de ma chambre, je peux nous voir, Evy et moi, en train de faire
l’amour. Une boule monstrueuse se forme dans ma gorge. Les fils de putes…

– On pourrait faire tout un film avec ça, ricane James. Tu ne croyais quand
même que j’allais te laisser entièrement libre, j’espère. Je ne savais pas si je
pouvais vraiment te faire confiance, Ryder. Alors cette garce a été mon moyen
de tester ta loyauté. Et au vu des images que j’ai regardées au moins un million
de fois, on ne peut pas dire que tu aies beaucoup fait preuve de dévouement.

Soudain, toutes les pièces du puzzle se mettent en place.

– La cabane et l’incendie n’étaient qu’une diversion pour que je ne soupçonne


rien. En fait, vous vouliez que je l’amène dans mon appartement.

James applaudit, faisant mine d’être impressionné.

– Bravo, répond-il.

Je n’en crois pas mes oreilles. Je suis en plein cauchemar.

– J’ai adoré te voir la torturer, s’esclaffe Duncan. Mais tu t’y prenais tellement
mal. Je comprends pourquoi elle a réussi à te mettre le grappin dessus.
– Et moi je vais adorer te voir agoniser dans ton propre sang quand je t’aurai
perforé le cœur, persiflé-je en l’assassinant du regard avec mon seul œil encore
valide puisque l’autre est coincé sous un coquard.

Duncan rit et la soif de vengeance me brûle à vif. Il s’avance vers moi et me


met sa main sous le nez.

– Sens-moi ça, fait-il. Ça ne te rappelle pas quelque chose ?

J’inspire par le nez et soudain, l’odeur me frappe de plein fouet. Me ramenant


à toutes les fois où je me suis enivré de cette fragrance entre les cuisses d’Evy.
Incapable de retenir la bête enragée en moi, je me fais basculer en avant et donne
un grand coup d’épaule à Duncan au niveau du ventre. Propulsé par la haine, je
lui fais heurter le bord du bureau et j’entends un craquement émanant de lui. Je
crois que je lui ai défoncé la hanche. En un rien de temps, les gorilles de James
me font voler en arrière et je tombe. Sous la puissance du choc, la chaise en bois
se fracasse. Ma respiration se coupe un instant, mais je finis par me relever pour
revenir à la charge. Mais à peine ai-je fait un pas que le canon d’un pistolet me
touche le front. Et c’est Duncan derrière la crosse. Celui-ci me fixe d’un air
assassin. Le même regard que celui avec lequel j’ai grandi. De son autre main, il
se tient la hanche et je lui adresse un petit rictus à demi satisfait.

James, qui durant la bagarre a été mis dans un coin de la pièce par l’un de ses
gardes du corps, se rapproche de son fils et lui fait baisser l’arme.

– Pas maintenant, mon garçon. Patience. Tout vient à point à qui sait attendre.

Duncan se laisse faire mais ne me quitte pas du regard pour autant. Moi non
plus, d’ailleurs. Je ne compte pas abandonner tant que je n’aurai pas son putain
de cœur au creux de ma main. Maintenant que je sais qu’Evy est ici et qu’il l’a
touchée – peut-être même plus –, ma haine et mes envies de meurtre sont
décuplées. Je serre les poings si fort que le sang coule de mes paumes.

Je vais les tuer.

Je ne vais sans doute pas sortir indemne de cette guerre, mais je vais les tuer
tous, un par un, à commencer par Duncan.

– Mets-toi à genoux devant ton père, m’ordonne James.

Je n’obéis pas. Il peut toujours courir, jamais je ne lui ferai cet honneur de
plein gré. Il lance alors un bref regard à l’un de ses dobermans derrière moi et
une douleur atroce m’assaille au niveau des mollets quand ce bâtard me donne
un grand coup de matraque. Mes jambes cèdent sous la douleur et je me retrouve
à genoux. James et Duncan me regardent tous deux d’un air hautain, comme s’ils
étaient les rois du monde et que je n’étais qu’un voleur qui leur a subtilisé un
morceau de pain.

– Tu vois, quand tu veux, sourit James.

Je le fixe droit dans les yeux.

– Tu m’as peut-être mis à genoux, mais une chose est sûre : tu n’auras plus
jamais aucun contrôle sur moi, grondé-je.

James ne se départit pas de son sourire diabolique.

– Duncan, fiston, tu veux bien aller la chercher ?

Le traître sourit diaboliquement sans cesser de me regarder.

– Avec grand plaisir, papa.


Puis il sort, nous laissant seuls, son père et moi.

– Tu sais au moins que tu n’obtiendras pas gain de cause, n’est-ce pas ?


– Dommage, tu ne seras plus là pour le savoir, répond-il.
– Pourquoi eux ? demandé-je, finalement. Pourquoi moi ?

Il hausse les épaules.

– Ton père était un connard d’espion, tout comme celui de ta chère et tendre.
Ils faisaient tous les deux partie de la même boîte, d’ailleurs, la « prestigieuse »
NSA. Je n’ai eu aucun mal à dénicher Liam. En revanche, Darryl m’a donné
beaucoup de fil à retordre, il était beaucoup plus méfiant que son coéquipier.
Mais j’ai fini par l’avoir. Puis, quand j’ai su par l’une de mes taupes au
commissariat que le fils était du genre fouineur et qu’il avait réussi à nous voler
nos précieuses archives, ton frère l’a liquidé.
– Te rends-tu compte que tu nous as fait tuer des tas d’innocents durant toutes
ces années ?

La culpabilité est telle que j’en ai les larmes aux yeux. J’ai tué durant plus de
dix ans juste pour protéger un père qui n’était même pas le mien. J’ai tué parce
que je pensais qu’il fallait que je le fasse.

Et désormais, j’ai tout perdu.

Si je parviens à me sortir de là, je finirai ma vie en prison. Et je sais que je


serai incapable de faire subir ça à Evy.

Evy… c’est toi qui m’as ouvert les yeux sur le monde et je t’en serai
éternellement reconnaissant.

– Je n’ai fait que protéger mes fesses, mon garçon.


– Arrête de m’appeler comme ça, fulminé-je. Et les autres, tu as aussi tué
leurs parents ?

Il hoche la tête et mon estomac se retourne.

– La plupart, oui. Leurs parents nuisaient aussi à mes affaires et j’avais besoin
de gamins assez jeunes pour être formés et devenir mes soldats. J’ai eu de la
chance avec toi, tu sais ? Parce que je ne devais pas les prendre trop vieux. Ils
devaient être suffisamment jeunes pour ne plus se souvenir de leur plus tendre
enfance, jusqu’à 3 ou 4 ans. Or toi, tu en avais 5, je crois. Puis la voiture t’a
percuté et tu as perdu la mémoire. Une aubaine pour moi, car je savais que tu
allais être un grand soldat.

Je transpire de colère et de haine. Si seulement je pouvais détacher ces liens


de merde, je détruirais tout ce qui se trouve dans cette pièce. Je ferais un putain
de bain de sang. La porte s’ouvre et le premier visage que je vois fait bondir mon
cœur. Je me lève et me rue sur Evy en dépit de la douleur dans mes jambes.
Nous ne pouvons évidemment pas nous étreindre, mais le seul fait d’enfouir mon
nez dans son cou m’apporte le premier rayon de soleil de cette journée merdique.
Elle pleure contre moi et je la rassure autant que je peux.

– Je suis là, bébé, je suis là. Que t’a fait cet enfoiré ? grogné-je en découvrant
son T-shirt arraché, révélant la moitié de sa poitrine.
– Rien, me ment-elle. Il n’a pas réussi.

Je suis surpris de découvrir une trace de sang sur son front. C’est donc elle
qui a bastonné Duncan. En d’autres circonstances, j’aurais ri en la félicitant face
à autant de courage. Je lui embrasse la joue encore rouge de sa bagarre avec ma
sœur, puis ses lèvres qui m’ont tant manqué depuis hier.

– Vous êtes répugnants, s’exclame James. Allez, tous à genoux, il est temps
de régler nos comptes.
33

Evy

Dix-huit mois plus tôt.


Quand j’étais petite, ma mère me répétait sans cesse d’arrêter de me
mêler des affaires des « grandes personnes ». Je lui répondais que si on
était dotés d’oreilles, c’était pour écouter, non ? Elle souriait alors
en me disant que j’étais très intelligente pour mes 6 ans. Je n’y peux
rien si j’aime fourrer mon nez partout. Ce n’est pas que je sois trop
curieuse ou adepte des commérages, mais j’adore parler, sociabiliser et
écouter les problèmes des gens. Je compte d’ailleurs en faire mon
métier, je suis en première année de master en psychothérapie. Je suis
très observatrice, empathique et j’essaie au mieux de rendre les gens
plus heureux. C’est d’ailleurs grâce à ma capacité à trouver les mots
que j’ai rencontré Lydia, ma meilleure amie et colocataire.

Nous étions au collège et elle était en train de pleurer seule sur un


banc. Je me suis assise à côté d’elle et l’ai laissée sangloter pendant
quelques minutes jusqu’à ce qu’elle se décide à parler d’elle-même. Il
ne faut pas brusquer quelqu’un qui est mal, mais, au contraire, le
laisser venir à nous sinon c’est cuit, il se braque et ne parle pas.
Quand elle m’a dévoilé que son petit ami l’avait quittée pour un autre
homme, j’ai tout de suite pensé que se faire larguer pour un mec, ça
craint. Mais je lui ai posé une main sur l’épaule et lui ai répondu sur
un ton convaincant et rassurant :

– Pas la peine de pleurer pour un bouffon, ma belle, des mecs, il y


en a des millions.

Elle a alors éclaté de rire et c’est à partir de ce moment-là que


nous sommes devenues les meilleures amies du monde.

***

Aujourd’hui, huit ans plus tard, c’est moi qui me retrouve dans cette
situation. David, l’homme que je croyais être l’amour de ma vie et avec
qui j’étais depuis sept ans, m’a larguée l’année dernière. Pas pour un
homme, cependant, mais pour ma cousine. Ma cousine, putain ! Quel
enfoiré ! Et elle n’est pas en reste non plus. Dire qu’elle me léchait
les bottes en me disant que nous formions un couple parfait. Je suis
attentive aux gens, mais alors pour le coup, je n’ai rien vu venir…
Bref, j’ai du mal à m’en remettre. Et même si Lydia m’a ressorti ma
phrase du collège, c’est très dur. David a été mon premier pour tout, il
était mon pilier. Je croyais vraiment en notre amour.

Apparemment, j’étais la seule.

Bien que Lydia tente de me convaincre du contraire, je suis sûre que


c’est ma faute. Quand j’ai perdu mes parents, il y a deux ans, je me
suis consolée avec la nourriture. Je ne faisais plus de sport, préférant
me cacher derrière des tablettes de chocolat et dans des pots de glace
au caramel. Au final, j’ai pris beaucoup de poids, à tel point que j’ai
dû faire retoucher ma robe de mariée. C’est pour cela qu’il a préféré
aller voir ailleurs. Et Kate était dans les parages à ce moment-là.

Foutue famille.

Quand elle ne meurt pas, elle te fout des coups de couteau dans le
dos.

Heureusement, j’ai Lydia, Robbie et mon frère jumeau, Jared. Depuis


que papa et maman sont morts, nous sommes devenus très proches, même si
je le trouve un peu bizarre, ces temps-ci. Tout comme moi, il a du mal à
faire son deuil. Sauf que lui, il est devenu un peu dingue, voire
paranoïaque. Il est persuadé que l’accident de nos parents n’était pas
un simple accident. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a intégré l’école de
police. Il est certain que les freins n’ont pas lâché comme ça. Je tente
de lui faire entendre raison mais il est buté, comme moi.

– Allez, ma grosse, on va être à la bourre.

Lydia est comme qui dirait une vraie tornade. Elle court à travers
les pièces du petit appartement que nous partageons comme si elle avait
le diable aux trousses. Elle se brosse les cheveux tout en buvant son
café latte tandis que je mets trois plombes à enfiler mes bottes. Je
n’ai aucune envie d’aller bosser. Depuis quelques mois, je travaille
tous les vendredis et samedis dans la même boîte de nuit que ma
meilleure amie. Je ne suis pas fêtarde du tout mais j’en avais marre de
passer tous mes week-ends à la maison. Donc, dès que j’ai eu 21 ans,
elle m’a fait rencontrer Anthony, le patron du bar. Au début c’était
très dur de jongler entre les cours la semaine et le travail nocturne le
week-end. Mais je m’y suis faite.

Ma meilleure amie blablate durant tout le trajet sur sa dernière


conquête.

– Je ne sais pas depuis combien de temps il n’avait pas pris de


douche, mais la dernière ne datait pas d’hier.

Je ris face à ses mésaventures sentimentales. Si moi je ne suis pas


encore prête à me remettre avec quelqu’un depuis David, Lydia, elle,
collectionne les mecs. Elle veut s’assurer qu’elle est encore désirable
et qu’elle plaît aux hommes. Il faut avouer que c’est rare de se faire
plaquer par son mec pour un autre. Mais je suis confiante. Elle est
belle, ma rouquine. Elle n’est pas aussi grande que moi, mais elle au
moins est mince et ses yeux verts sont capables de faire des ravages.

Nous arrivons devant le bar encore désert de clients et prenons place


derrière le comptoir. Robbie fait son apparition et je le salue.

– Comment va ma princesse préférée ? sourit-il.


– Super, et toi alors, avec Louna ou Léa ?
– Léana, me corrige-t-il. Et tu me connais, je déteste les filles
capricieuses.

Je lève les yeux au ciel. Tout comme Lydia, il ne reste jamais


longtemps avec la même personne. Si ça continue, je vais être la seule
de nous trois à monter au paradis.

Les premiers fêtards arrivent vers vingt et une heures. C’est un


groupe de jeunes venus sans doute décompresser après une semaine de
cours éprouvante. Les jeunes clients arrivent et, bien entendu, nous
leur demandons leur carte d’identité. Nous savons que les ados sont
doués pour trafiquer ce genre de papiers, mais, heureusement pour nous,
nous ne sommes pas responsables si jamais ils ont été falsifiés. Nous
vérifions et nous servons. Comme d’habitude, les paris sont lancés pour
notre jeu. Je m’adresse au jeune métis de la bande qui arbore un sourire
charmeur. Lydia s’occupe de la blondinette aux airs d’ange mais qui
cache en elle une alcoolique invétérée et Robbie se charge du grand
costaud.

– Laisse-moi deviner ce que tu vas prendre, dis-je à mon client en


plissant les yeux, telle une conspiratrice. Tu as l’air sûr de toi
constamment, tu croques la vie à pleines dents et tu n’as peur de rien.

Je m’active alors à lui faire la boisson que je le soupçonne de


commander habituellement.

– La bière serait trop douce pour toi et la vodka pas assez brûlante.
Et si j’en crois les clés dans les mains de ton pote, continué-je en
désignant le costaud, ce n’est pas toi qui conduis ce soir, donc tu es
décidé à te mettre une mine.

Il me sourit, visiblement curieux de savoir si je vais gagner au jeu.


À côté, Lydia et Robbie, shakers en main, s’affairent également à la
tâche. Entre-temps, d’autres clients arrivent ; heureusement, nous
sommes rapides et efficaces.

– Et voilà un Long Island !

Je dépose le verre sur le comptoir et il hausse les sourcils avec un


grand sourire, visiblement impressionné.
– Eh ben, tu es douée, c’est mon cocktail préféré.

Je regarde mes amis, satisfaite. Lydia a vu juste elle aussi, mais


Robbie s’est gouré. Néanmoins, le gars ne lui en veut pas et accepte le
verre. Nous encaissons la note et le jeune métis me donne même un petit
pourboire.

– Tu lui as tapé dans l’œil, me titille Lydia entre deux clients.


– Tu parles, je suis sûre qu’il n’est même pas encore à la fac. Leurs
papiers d’identité, c’est de la merde en boîte.

La soirée bat son plein, la musique met bien l’ambiance et, comme
d’habitude, nous dansons tout en bossant. Je me demande même pourquoi je
ne parviens pas à maigrir avec tout ce que je transpire. Lydia avale
quelques verres offerts par des clients. Enfin, par un, surtout, mais je
suis prête à parier qu’il est marié. Il suffit de voir la marque blanche
autour de son annulaire gauche pour comprendre que l’alliance est bien
planquée sur lui ou dans sa voiture. Mais je ne m’en fais pas pour ma
copine, elle sait gérer ce genre de lourdingues.

– Je vais prendre ma pause, me dit Lydia au bout de quelques heures.


– OK, pas trois plombes ! crié-je à mon tour pour couvrir le son des
basses.

Je la connais, elle. Une fois qu’elle est en pause, on a du mal à la


revoir. Je fais mon travail comme à mon habitude et Lydia revient avec
une expression coupable sur le visage.

– Qu’est-ce que tu as foutu encore ? J’espère que tu n’as pas cassé


un nouveau truc dans la réserve parce qu’Anthony va te tuer, là.

La dernière fois, elle était tellement bourrée qu’elle s’est pris le


pied dans une caisse d’alcool – je ne vous raconte pas les dégâts et la
fureur d’Anthony qui a du coup perdu pas mal d’argent.

– Non, c’est juste que je ne rentre pas ce soir, avoue-t-elle.

Je soupire. J’aurais dû me douter qu’elle se serait dégoté un beau


mec pendant sa pause.

– C’est lequel ?

Elle désigne un beau brun ténébreux assis à une table. Ah, ouais, pas
mal.

– Tu lui as posé les trois questions ?

Elle hoche la tête.

– Il a réussi.

Lydia et moi avons une règle d’or depuis l’université et on s’est


promis de ne jamais la transgresser. La règle des trois questions est
primordiale pour nous.

– OK, je vais m’arranger avec Jared.

Robbie habitant à l’opposé de chez nous, je ne peux compter que sur


mon frère pour me dépanner en cas d’imprévu. Je prends donc ma pause
pour l’appeler. Mais je tombe sur sa messagerie. Bizarre. D’habitude, il
me répond même en plein milieu de la nuit. Je rappelle et cette fois il
décroche.

– Allô ?
– Jared ? Est-ce que ça va ? Tu as l’air super essoufflé.
– Vivi, dis-moi que tu vas bien.
– Euh, oui… pourquoi ça n’irait pas ?
– J’ai trouvé quelque chose. Sur la mort de papa et maman. Tu ne vas
jamais le croire.
– Jared, je t’adore mais je t’ai déjà dit un million de fois
d’arrêter de…
– Ce ne sont pas des conneries, Vivi ! me coupe-t-il soudain,
visiblement énervé. Écoute, je ne peux pas trop te parler, ils sont là.
Je passe te chercher.
– Quoi ? Mais je ne termine pas avant trois heures ! Et puis qui ça,
« ils » ? Jared ? Allô, Jared ?

Mais seule la tonalité de fin d’appel me répond. Il a raccroché. Ou


alors il est dans un sacré pétrin. Il chuchotait et avait l’air paniqué.
Sans perdre une seconde, je retourne au bar et préviens mes amis.

– Il faut que j’y aille, les gars, Jared s’est fourré dans la merde.
– Encore ?
– Ouais, il n’a pas compris la première fois, apparemment, dis-je,
les dents serrées.

Mon frère jumeau est un casse-cou. Et sa parano concernant la mort de


nos parents commence réellement à me taper sur les nerfs, il faut que je
lui dise les choses pour de bon. Les habitants de la ville lui ont déjà
collé l’étiquette du fou à lier bon à enfermer, mais il n’a pas encore
percuté le degré de sa divergence. Il y a un mois, il a été mis à pied
par son capitaine parce qu’il a été surpris à fouiller dans un dossier
classé confidentiel. Je ne sais pas ce qu’il cherche, à la fin, mais ça
commence à bien faire.

– OK, on te couvre, me promet Lydia.

Anthony ne va pas être content, mais mon frère avait vraiment l’air
d’aller mal. Je les remercie avant d’enfiler ma veste et de prendre mon
sac ; je sors du club au moment précis où le pick-up de Jared arrive. Il
descend et se rue vers moi.

– Est-ce que ça va ? Tu n’as rien ? s’écrie-t-il en m’inspectant sous


toutes les coutures.
– Mais non enfin, Jared, qu’est-ce qui t’arrive ?

Je suis exaspérée de son comportement complètement barré. Puis il me


serre fort dans ses bras. Je le repousse en le fusillant du regard.
C’est là que je découvre vraiment son visage et je plaque ma main sur ma
bouche. Il a un œil au beurre noir et la joue méchamment amochée.

– Mon Dieu, Jared… gémis-je, les larmes aux yeux.

Il regarde derrière lui comme s’il avait peur d’être poursuivi.

– Écoute, Vivi, je n’ai pas trop le temps, là, ils peuvent arriver
d’une minute à l’autre. Garde ça bien caché.

Il sort un objet de sa poche. Ses mains sont elles aussi écorchées.


Avec qui s’est-il battu ? Il me prend le poignet et dépose dans ma paume
un pendentif en forme de coccinelle. Celle-ci est argentée, agrémentée
de petits strass rouge rubis. C’est le bijou de maman. Je manque
d’éclater de rire, sur le coup. Est-ce qu’il me fait une farce ? Tout ce
cirque est-il une mise en scène dont le but est de me faire flipper ?
Non, parce que Jared a toujours été ainsi avec moi, depuis que nous
sommes petits. Il trouvait toujours une farce à me faire, ça me rendait
folle et amusait nos parents.

– Ne la montre à personne, Vivi, insiste-t-il en me regardant droit


dans les yeux. Ne fais confiance qu’à toi-même et ne va surtout pas voir
les flics.
– Quoi ? Mais qu’est-ce que tu ra…
– Crois-moi, je te dis ! C’est la clé, Evy. Protège-la comme ta
propre vie.

OK, ça commence à vraiment me faire flipper, là. Quand mon frère


n’utilise pas le surnom qu’il m’a attribué quand nous étions gosses,
c’est que c’est sérieux. Sa panique commence à déteindre sur moi. Il n’y
a aucune farce là-dessous.

– Jared, tu me fais peur, murmuré-je comme si les gens autour de nous


qui entrent et sortent du bar pouvaient nous entendre. Est-ce que tu es
en danger ?
– Tout ce que je peux te dire, c’est que j’avais raison. Ce n’était
pas un accident.

J’ouvre de grands yeux.

– Jared, je ne comprends p…

Il me prend au dépourvu en me serrant fort dans ses bras.

– Je vais devoir m’absenter quelque temps. Garde ça en lieu sûr,


Vivi, je t’en prie, c’est très important.
Puis il me dépose un baiser sur le front. J’adore mon frère. Plus que
tout au monde. Mais là, j’ai vraiment peur pour lui.

– Je t’aime, petite sœur.


– Je t’aime auss…

Je suis interrompue par des crissements de pneus assourdissants et


tout se passe en une seule seconde. Je vois d’abord ce type blond,
jeune, un sourire démoniaque aux lèvres, passer la tête à travers la
fenêtre du grand camion noir qui traverse le parking. Il sort une arme
et se met à tirer dans notre direction. J’entends des cris autour de
moi, mais je suis trop surprise pour bouger car le gars me regarde dans
les yeux. Puis le fourgon disparaît dans la nuit noire et je me rends
compte que j’ai un poids très lourd sur les bras. Je baisse la tête pour
découvrir avec horreur mon frère affalé contre moi, le dos criblé de
balles.

– Ja… Jared ?

C’est le chaos autour de moi. Je suis tétanisée, choquée. Jared ne me


répond pas et je me laisse tomber à genoux. Je le mets sur le dos, toute
tremblotante. Je sens quelque chose sur mes mains. Je les retire de sous
mon frère et mon cœur s’arrête. Je ne respire plus. J’ai les mains
ensanglantées. Non… Non, non, non, non, non, pas ça ! Pas lui ! Je
m’effondre sur le corps de Jared en pleurant lorsque je réalise avec
effroi qu’il ne me répondra plus jamais. Je crie, je hurle à pleins
poumons. Plusieurs personnes viennent nous secourir mais je sens à peine
leurs mains sur moi. Je tente un massage cardiaque dans l’espoir qu’il
revienne à lui et me mets même à lui frapper le torse, persuadée
qu’ainsi, son cœur repartira.

– Evy !! crie la voix de Lydia. Oh, mon Dieu, Evy.

Elle me prend dans ses bras mais je la sens à peine, elle aussi. Mon
cœur vient de se briser pour la troisième fois en deux ans. Je finis par
m’effondrer à nouveau, tout espoir de ramener Jared à la vie envolé.

Une ambulance et la police finissent par arriver et on m’arrache à


mon frère de force. Je me débats mais ils n’en démordent pas. Je me
retrouve donc à l’écart et un médecin m’ausculte. Je ne fais que
pleurer, pleurer et pleurer tout en regardant les médecins légistes
recouvrir mon jumeau d’un drap blanc.

Mais que s’est-il passé, bordel ? Je n’ai rien vu venir ! Je ne peux


pas le croire, il n’est pas mort. C’était un cauchemar. Un horrible
cauchemar. Voyant que je suis en état de choc, la femme médecin
m’allonge sur un brancard et me donne un calmant par perfusion. Je
voudrais me lever et retrouver mon frère. La moitié de mon cœur. Mais je
n’ai plus la force de rien.

Je me sens désespérément vide.


Je continue à répéter le nom de mon frère en pleurant, mais bientôt
le sédatif commence à faire effet. Je m’endors en quelques secondes.

Je suis morte, moi aussi.

À mon réveil, la panique me submerge de nouveau lorsque je comprends


que je n’ai pas rêvé. Je suis bien à l’hôpital et mon frère est mort. Je
commence à suffoquer quand une main se pose sur la mienne. C’est Lydia.
Robbie est à côté, le visage fermé. Jared était son meilleur ami. Mes
sanglots reviennent.

– Evy, chérie, je suis tellement désolée, pleure-t-elle à son tour.

Elle me serre dans ses bras et nous laissons libre cours à notre
chagrin pendant plusieurs minutes.

– Est-ce que vous… avez vu… demandé-je, la gorge nouée.

Ils secouent la tête.

– On était à l’intérieur, répond Robbie. Putain, c’est un cauchemar.

Je voudrais bien que ça en soit un, moi aussi.

– Tiens, j’ai trouvé ça près du c… près de Jared, me dit Lydia. Les


médecins n’y ont pas fait attention mais j’ai pensé que c’était à toi.

Elle me tend le pendentif en forme de coccinelle. Je le prends d’une


main tremblante, puis l’ouvre.

Une clé USB.

Jared s’est fait tuer pour une putain de clé USB…


34

Ryder

Nous avons chacun un flingue pointé sur la tête. Phillip est debout au-dessus
de Lydia qui pleure à chaudes larmes, Jimmy tient Evy en joue qui tremble de
peur, quant à moi, c’est bien entendu Duncan qui a le doigt sur la détente. À
moins d’un miracle, notre sort est scellé. Je crois qu’être exécuté d’une balle
dans la tête, à genoux face à son meurtrier, est l’une des pires façons de mourir.
Ils n’ont même pas les couilles de nous laisser les mains libres. Bande de lâches.
Pour la première fois de ma vie, j’ai les jetons. Je n’ai pas vraiment peur de
mourir, parce qu’à bien y réfléchir, je préfère ça plutôt que de croupir en taule et
peut-être même de subir une injection létale, à cause de toutes ces conneries.
Non, j’ai peur pour Evy. Elle va mourir sous mes yeux et je ne pourrai rien faire
pour elle. Ils vont m’enlever la femme que j’aime et je sens une larme couler le
long de ma joue. Elle ne mérite pas ça. Je ne méritais pas ça non plus, à 5 ans.
J’ai peur pour Lydia et pour ma sœur aussi. D’ailleurs, je suis étonné de ne pas la
voir ici avec nous. Même si c’est l’une des dernières choses que je souhaite, ils
ont tout de même vu les images d’hier et les précédentes.

– Qu’avez-vous fait d’Adrianna ? demandé-je, la gorge serrée.


– Elle est encore en vie pour l’instant, elle tente de s’échapper du sous-sol,
répond James. Je m’occupe de vous d’abord et ensuite, je me charge de son sort.

Je lève les yeux vers lui. Il faut que je gagne du temps…

– Pourquoi ce n’est pas toi qui tiens l’arme sur ma tête ? Tu n’as pas les
couilles de le faire ?
– Duncan en mourait d’envie. Il t’en veut plus que moi.

Comme pour approuver, l’intéressé fait glisser l’arme le long de ma joue


jusqu’à mes lèvres. Je grogne en le fusillant du regard. La bête est dans la même
situation que moi : les poings liés. Le feu de la rage coule dans mes veines, me
brûle. Si je parviens à me libérer, ce n’est pas seulement un bain de sang que je
vais faire, mais un putain de carnage d’une puissance inouïe.

– J’aurais dû vous tuer quand j’en ai eu l’occasion, menace soudain Evy et je


fronce les sourcils.

Comment ça, elle en a eu l’occasion ? A-t-elle déjà rencontré James ? Celui-ci


se marre.

– Ah oui ! Une très belle rencontre, s’esclaffe-t-il. Je suppose que tu ne l’as


pas racontée à Ryder.
– Logan, crié-je. Je m’appelle Logan ! Evy, de quoi parle-t-il ? demandé-je
ensuite à ma copine.

Evy soupire.

– J’ai rencontré cet homme hier, en allant faire du shopping avec Lydia. (Je
grogne en comprenant qu’une fois encore, elle n’a pas suivi mes directives quant
à son obligation de rester cachée.) Je lui suis rentrée dedans mais je ne savais pas
que c’était ton père. Jusqu’à maintenant.
– Il n’est pas mon père, Evy. Il ne l’a jamais été, tu avais raison : il a tué mes
parents.
– Je t’ai reconnue dès le premier regard, ma jolie. Tu avais beau avoir changé
de couleur de cheveux et d’identité, des yeux d’un bleu si hypnotisant, ça ne
s’oublie pas.

Evangeline hoquette et moi je ferme les yeux.

– Allez, finissons-en, j’ai des choses plus importantes à faire.

Nos bourreaux enclenchent leurs balles en même temps dans leurs flingues et
le son résonne dans toute la pièce.

– Une dernière question, quémandé-je.

James lève les yeux au ciel.

– D’accord, mais après tu crèves, dit-il tout naturellement.


– Depuis combien de temps saviez-vous qu’Evy était encore en vie ?
Il éclate alors d’un rire tonitruant en tapant une fois dans ses mains, comme si
ma question était la blague du siècle.

– C’est simple, Logan, répond-il en accentuant mon vrai prénom. C’est toi,
bête comme tu es, qui m’as amené à elle. Grâce à une petite merveille de la
technologie d’aujourd’hui qui s’appelle « micropuce GPS » et que j’ai fait
installer discrètement dans la voiture que je t’ai offerte. Comme je te l’ai dit un
peu plus tôt, tu ne croyais quand même pas que j’allais te laisser entièrement
libre ! Je savais que les caméras chez toi ne suffiraient pas et j’ai eu raison,
comme toujours. Si elle est là aujourd’hui, dit-il en désignant Evy, c’est
purement et simplement à cause de toi, Logan. Tu me l’as carrément amenée sur
un plateau d’argent et j’en suis plus que ravi.

Je serre les poings en grinçant des dents. Putain de merde. Je savais qu’il ne
fallait pas que j’aille la retrouver. J’ai toujours écouté mon instinct et ce soir-là,
il m’a dit de ne pas y aller. Or, depuis quelque temps, mon cœur avait pris le
dessus et c’est lui que j’ai suivi. Quel con ! Le corps tremblant et les larmes aux
yeux, je me tourne lentement vers Evy et lui murmure :

– Je suis tellement désolé, bébé. J’ai essayé. Je te demande pardon. Je t’aime.

Elle me regarde aussi, les yeux inondés également.

– Je ne t’en veux pas. Je t’aime.

Puis je ferme les yeux en attendant la sentence. Un énorme coup de feu


retentit soudain et me fait sursauter. J’ouvre immédiatement les yeux en
imaginant le pire. Mais Evy est encore là. Le coup venait d’en bas, je crois. Et
mon doute se confirme lorsque nos assaillants sont pris de panique et regardent
par les fenêtres.

– Qu’est-ce que c’est que ça, bordel de merde !!! se met à hurler James.

Duncan soulève un rideau et s’écrie :

– Les fédéraux !!!

James se tourne vers Jimmy et lui lance un regard furibond.


– Je croyais t’avoir dit de les mener sur une fausse piste !
– C’est ce que j’ai fait, s’insurge ce traître d’agent du FBI.

Je pousse un soupir de soulagement et tout va très vite. James hurle à Duncan,


Phillip et Jimmy d’aller les affronter. Il ordonne à ses gardes du corps de
l’emmener en sécurité, sauf un qui doit nous buter. Putain, quelle aubaine ! Il
était temps que mon acolyte fasse venir les troupes. C’est la cohue dans le hall,
les cris et les coups de feu fusent. Le grand black censé nous tuer n’a pas l’air
bien. Il braque son arme sur nous mais, même blessé, je suis prêt à gagner cette
bataille. Je fais une roulade droit sur ses jambes, ce qui le déstabilise. Son arme
glisse vers Evy qui met un coup de pied dedans juste avant que le mec ne
l’attrape. Ne pouvant pas me servir de mes mains ligotées dans mon dos, je
m’acharne à lui défoncer le visage avec mes pieds. Malgré les coups, il se relève
et sort un couteau de sa poche. Au moment où l’arme fend l’air pour essayer de
me lacérer, je me retourne et dirige la corde de mes liens droit sur sa trajectoire.
Ça n’a duré qu’une seconde et je me retrouve libre de mes mains, malgré une
petite entaille sur le poignet. Je brandis les poings devant moi tandis que les
filles se réfugient dans un coin de la pièce pour éviter de recevoir des coups.

– À moi de jouer, mon pote, dis-je en faisant craquer ma nuque, un sourire


satisfait aux lèvres.

La bête en moi rugit. Il se jette sur moi et je me mets à le cogner selon une
technique de combat que je maîtrise à la perfection grâce à plus de vingt ans
d’entraînement. Le gars encaisse mes droites, mes uppercuts, mes crochets et
bientôt il ne ressemble plus à rien. Il me touche parfois, mais, la plupart du
temps, j’arrive à esquiver ses coups. Je le cogne pendant plusieurs minutes. Je ne
l’épargne pas, je me défoule sur lui comme un malade. La haine est telle que je
ne réponds plus de rien. Au moment où il réussit à s’emparer de son arme, je
ramasse le couteau qu’il a laissé tomber un peu plus tôt et lui tranche la gorge
sans aucune pitié. Du sang gicle sur mon T-shirt et sur mon visage. Le gars se
tient le cou, les yeux exorbités et respirant à peine. Il tombe à genoux puis à plat
ventre, raide mort. Je me retourne vers les filles, qui se recroquevillent sur elles-
mêmes en me voyant dans cet état, imprégné de sang et le regard empli de haine
et de rage. Je m’approche en les rassurant.

– C’est moi. Je suis moi, Evy, je ne vous ferai jamais de mal.


Je les délivre et Evy me saute au cou. Je lui demande pardon au moins cent
fois et elle m’embrasse au moins autant de fois. Je voudrais pouvoir rester là à
l’enlacer et lui dire combien je l’aime, mais je dois arrêter ce massacre. Je
l’embrasse une dernière fois avant de courir vers la porte.

– Je t’aime, Logan !

Je m’arrête net et me retourne pour croiser son regard bleu lagon désarmant,
empli d’amour et de soulagement. L’entendre m’appeler par mon vrai nom me
procure un bonheur et une force de combattre incommensurables. Je m’en vais
au front avec courage et détermination, tel un soldat. Exactement comme me
qualifiait James. Sauf que je suis le soldat qui compte bien l’anéantir, lui. Je fais
dormir Logan et laisse la place à Ryder, le tueur sans aucun état d’âme, sans
aucune pitié. Il va tuer cet enfoiré qui a fait de ma vie un tissu de mensonges. Un
putain d’enfer.

En bas du double escalier en colimaçon, c’est un vrai champ de bataille. Les


gars du FBI, le SWAT, tous se battent contre ceux que je voyais comme mes
frères et sœurs. J’éprouve une certaine pitié envers ceux-ci qui, en réalité, ne
sont que des pauvres gosses innocents, mourant les uns après les autres sous
l’assaut des forces de l’ordre. J’ai envie de leur dire de cesser le feu, mais à quoi
cela servirait-il ? Les gamins n’éprouvent plus aucune émotion, aucune pitié et
ils n’hésiteront pas à les tuer. Alors c’est avec une haine féroce que je me dirige
vers les appartements du commanditaire de tout ce merdier. J’ai une raison de
plus de le tuer.

Mon instinct de traqueur me mène jusqu’à sa suite luxueuse dans laquelle


personne n’avait le droit d’entrer. Sauf que maintenant que je sais qui je suis
réellement, les droits, je me les donne moi-même. Je casse quelques gueules sur
mon passage. Deux flics tentent de me neutraliser sans savoir que je suis dans
leur camp et je les assomme avec un chandelier que j’ai décroché du mur. Certes,
ce n’est pas une arme redoutable mais elle me sert bien. Toujours armé de ma
massue de fortune, je poursuis mon ascension jusqu’à arriver à la double porte
en bois vernis sertie de dorures. Je flanque un énorme coup de pied dedans et
tombe directement sur les colosses de mon père. Je souris déjà d’avance. Ils
sortent leurs flingues mais je suis plus rapide. J’attrape le couteau que j’ai mis
précieusement dans ma poche et le plante direct dans la tête d’un gorille. Je me
sers de la grande table pour me protéger des balles. Je compte celles-ci au fur et
à mesure qu’ils tirent. Trois, deux, une… Je profite du fait que le plus proche est
en train de changer son chargeur pour lui sauter dessus et m’en servir de bouclier
au moment où ses acolytes me mitraillent. Le garde du corps tombe et je me
retrouve deux secondes à découvert. Deux secondes qui suffisent à ce que je
prenne une balle dans l’épaule. Je grogne de douleur mais parviens à me
planquer derrière un mur. Les coups de feu cessent. Non loin de moi se trouve un
miroir dans lequel je peux voir que l’un d’eux arrive, son arme bien en joue. J’ai
toujours le chandelier dans ma main et m’en sers au moment où je vois sa main
dépasser du mur. Elle se retrouve coincée entre les bougeoirs. Je tourne l’objet
d’un coup sec. Son poignet fait un tour complet. Le mec hurle en lâchant son
flingue. J’attrape l’arme et lui tire une balle en plein cœur. Au même moment, je
sens une présence derrière moi et me retourne pour voir le quatrième mec prêt à
tirer. Mais j’agis plus vite que lui. Une balle dans le genou, une dans la tête, fini.
Le cinquième me prend par surprise et tente de m’étrangler avec son bras. J’ai de
plus en plus de mal à respirer et malgré mes coups de coude, il ne lâche pas.
J’opte alors pour les bijoux de famille et cela fonctionne. Il est plié en deux et
j’en profite pour lui assener un grand coup de coude dans la nuque, si fort que
son cou se brise. Aucune chance. Je devine sans mal que le dernier se trouve
dans la salle de bains avec James. Je m’empare d’un flingue et mets un coup de
pied dans la porte avant de me réfugier contre le mur. Comme je l’avais prévu, le
mec ouvre le feu et avant qu’il ait le temps de tirer une deuxième balle, il s’en
prend une en pleine tête, le faisant tomber dans la baignoire. James se jette sur
moi et nous tombons tous les deux. Sous le choc, le revolver se perd quelque
part. James se tient au-dessus de moi et m’assène coup sur coup. Je peux sentir
sa rage sortir de lui pour venir m’agresser. Mais je ne suis pas en reste et le fais
basculer sur le côté pour prendre le dessus. Je m’acharne sur lui de toutes mes
forces. Pour tout le mal qu’il a fait à ces pauvres gosses et à leurs parents, à moi
et à mes parents, à la famille d’Evy, à Evy, Lydia, Jessee, Chester et tous les
autres qu’il a sûrement tués sans que nous le sachions ! Je ne lui épargne rien. Il
finit par trouver mon point faible et appuie fortement sur mon épaule blessée. Je
hurle de douleur et il en profite pour revenir sur moi et me battre avec force.

– Tu en as mis du temps, crache-t-il avec un rictus carnassier.

Bientôt, je ne vois plus rien, les forces me manquent, je suis épuisé. Dans un
ultime effort, je parviens à choper le chandelier et lui en donne un coup sur la
tête. Il retombe sur le côté, sonné.
– Tout vient à point à qui sait attendre, n’est-ce pas ?
– Fiston, halète-t-il, voyant qu’il n’a plus aucune chance de s’en sortir.

Et c’est là que je l’achève. Je lui défonce le crâne avec le chandelier en


hurlant de rage et de soulagement en même temps.

– JE. NE. SUIS. PAS. TON. FILS !!!

Je frappe encore et encore, sans relâche, le monstre en moi est déchaîné. Le


sang gicle autour de moi, James est mort depuis longtemps mais je m’en tape,
j’enchaîne les coups. Quand je suis vidé de mes forces, je me rends compte des
dégâts et constate avec effroi mais aussi avec une certaine satisfaction que sa
cervelle est tellement éparpillée autour de lui que je ne suis pas sûr que le
médecin légiste arrivera à l’identifier. Je me suis acharné sur lui comme jamais
je ne l’ai fait sur quiconque. Comme il le méritait, tout simplement. Je finis par
fondre en larmes parce qu’une partie de moi regrette qu’il n’ait pas été le père
que je croyais. Le petit garçon en moi déverse toute sa peine et sa déception de
ne pas avoir eu une enfance normale et d’avoir assisté à l’assassinat de ses
pauvres parents. Toutes les émotions dont James m’a privé durant vingt ans
refont surface simultanément et je ne sais plus quoi ressentir. Je pleure, je ris, je
soupire de soulagement… Je ne sais pas combien de temps je reste à genoux
devant le cadavre de James, mais une fois calmé, j’entends un cri derrière moi.

– ESPÈCE DE FILS DE PUTE !!!

Je me retourne et découvre Duncan, le visage tuméfié et les vêtements


presque entièrement tachés de sang. Il est debout, à moitié boiteux, les yeux
rivés sur moi, un flingue chargé à la main. Son visage exprime de la pure haine
comme je n’en ai jamais vu. Je sais qu’il va me tuer si je reste là, mais je n’ai
plus la force de bouger. Mes jambes me font souffrir, j’ai sans doute un poignet
cassé, un traumatisme crânien et une balle dans l’épaule, je ne suis plus capable
de me défendre. Je me dis que c’est donc là que je vais crever, à deux doigts de
la fin, lorsqu’une multitude de détonations et un hurlement déchirent le silence.
Duncan s’écroule sur le sol, les yeux grands ouverts et le dos criblé de balles.
Derrière lui se tient Evy, un pistolet braqué devant elle, le canon projetant encore
de la fumée. Elle s’avance lentement vers moi et s’arrête devant le corps de
Duncan. Elle lui tire la dernière balle dans la tête. Je suis stupéfait. Puis elle
lâche l’arme et me prend dans ses bras. Je grimace de douleur et elle s’éloigne.
– Pardon.

Elle tremble et son visage est noyé par les larmes. Elle est morte de peur et je
la rassure autant que je peux. Je l’enlace, l’embrasse partout sur le visage, le
cœur rempli de soulagement. Elle est là. Elle est vivante, putain. Et elle m’a
sauvé la vie. Encore. Nous regardons le corps inerte de celui que je considérais
comme mon véritable frère. Un certain sentiment de regret s’empare de moi.
J’aurais voulu qu’il soit comme moi. Que quelqu’un lui ouvre les yeux comme
Evangeline l’a fait avec moi. Ainsi, peut-être serait-il encore en vie aujourd’hui.
En dépit de la douleur atroce que me procurent mon poignet et mon épaule
blessés, je parviens à enlever mon T-shirt et me dépêche de l’enfiler à Evy.

– Je refuse que qui que ce soit puisse encore mater tes seins, me justifié-je,
tandis qu’elle admire mon torse nu comme si c’était la première fois qu’elle le
voyait.
– On a failli mourir et la seule chose qui t’inquiète, c’est que l’on voie mes
seins ?
– Ils sont à moi. Que d’autres puissent les mater m’est insupportable.
– Tu n’as pas abandonné, murmure-t-elle en caressant le tatouage ornant ma
poitrine.

Je la regarde dans les yeux.

– Et je n’abandonnerai jamais, lui promets-je.

Puis nos regards se baissent vers les deux corps à nos pieds.

– Tu ne l’as pas raté.


– C’est comme ça qu’il a tué Jared. Dans le dos. Je lui devais ça. Toi non plus,
tu n’as pas fait semblant, dit-elle en désignant la tête écrasée de James.
– Il l’a mérité aussi. Tu m’as sauvé, Evy. Encore une fois.
– Il fallait bien que quelqu’un sauve la princesse en détresse, plaisante-t-elle
comme s’il n’y avait pas deux cadavres à nos pieds.

Je crois qu’elle réagit ainsi parce qu’elle est en état de choc. Une personne
normale aurait vomi ou serait tombée dans les pommes. Mais pas mon Evy. Elle
est beaucoup plus forte qu’elle ne le croit. Lorsqu’elle a tiré sur Duncan, j’ai pu
déceler une lueur monstrueuse dans le bleu de ses yeux. Elle a fait sortir sa
propre bête durant quelques secondes.

Je prends son visage angélique entre mes paumes et l’embrasse


langoureusement. Nos langues se retrouvent, se mélangent, s’aiment
passionnément, autant que nos deux cœurs. Puis je colle mon front contre le sien.

– Je t’aime, Evangeline Merten.


– Je t’aime, Logan… Logan comment, d’abord ?
– Carter. Logan Carter.

La tête me tourne soudain brusquement et mes jambes sont de plus en plus


flageolantes.

– Evy, je crois que…

Je n’ai pas le temps de m’asseoir et m’écroule sur le carrelage, à côté des


corps de James et Duncan.
35

Ryder

– Il se réveille.
– Tu crois ?
– Ses paupières bougent.

Un soupir.

– Evy, ses paupières bougent depuis un mois et il ne s’est pas réveillé pour
autant.

Les voix sont à peine distinctes mais un seul mot retient toute mon attention.

Evy.

Mon Evy.

Cette voix qui me fait vriller à chaque fois. Une main se pose sur la mienne.
Sa main. Mon cœur s’emballe. Le bip-bip qui brise le silence devient irrégulier.

– Tu crois qu’on devrait appeler quelqu’un ? commence-t-elle à paniquer.

Allez, abruti, ouvre les yeux ! Tu es resté assez longtemps dans les vapes.

Ils pèsent une tonne. Encore un effort, j’y suis presque. Une lumière vive me
perfore les rétines et oblige mes paupières à se refermer automatiquement. Mais
je suis plus borné. Je ne veux pas seulement entendre sa voix. Je veux la
regarder. Lui sourire. La toucher. La deuxième tentative est plus productive et
j’arrive à cligner des yeux.

– Evy, regarde ça.

Je veux parler mais ma gorge est affreusement sèche. Des doigts touchent
mon visage. Ses doigts. Ce que c’est bon de la sentir !

– Logan.

Le nom est doux dans la voix d’Evy, mais il m’atteint telle une gifle. Logan.
C’est moi. J’ai grandi en étant Ryder, mais je suis né Logan. Un râle sort de ma
gorge. Mes yeux rencontrent les siens. Ce bleu si envoûtant, si captivant. Si
fascinant. Je m’y perds, je me noie à l’intérieur de ce lagon inondé de larmes. Un
verre d’eau atterrit dans sa main mais ni elle ni moi ne détournons le regard. Elle
approche le verre de mes lèvres et je bois à petites gorgées sans la lâcher. J’ai
peur qu’elle ne disparaisse si je romps le contact. L’eau me brûle mais c’est une
brûlure vivifiante. Je suis en vie, putain. Et elle aussi. Je suis en vie et je l’aime.

– Evy… parviens-je à articuler non sans difficulté.

Elle se rapproche pour mieux m’entendre et sourit chaleureusement. Mon


premier rayon de soleil depuis que j’ai ouvert les yeux.

– Em… brasse-moi.

Doucement, ses lèvres se posent sur les miennes et une puissante sensation de
bien-être me submerge. Mon cœur gonfle et tape un sprint, résonnant à travers la
machine. Je voudrais pouvoir lever le bras pour sentir ses cheveux entre mes
doigts. Son baiser se fait plus pressant et j’accueille sa langue avec plaisir. Elle
caresse ma barbe et colle son front contre le mien, le sourire aux lèvres.

– Tu m’as manqué, souffle-t-elle.

Oh, ma belle, si tu savais à quel point toi aussi ! Je t’entendais mais je


n’arrivais pas à sortir de ce trou noir. Je n’aspirais qu’à ouvrir les yeux pour te
revoir, mais c’était comme si j’étais emprisonné dans mon propre esprit.

– Je t’aime, murmuré-je.
– Nous aussi, nous t’aimons, Logan.

Je n’ai pas le temps de percuter que la porte de ma chambre s’ouvre sur un


homme sans âge, un peu bourru et vêtu d’une blouse blanche. Son crâne est
dégarni, n’y subsistent que quelques cheveux poivre et sel sur les côtés, sa
moustache blanche recouvre entièrement sa bouche. Il tient un dossier entre ses
mains quand il entre.

– Bonjour, monsieur Smith.

J’interroge discrètement Evy du regard en me rendant compte que c’est le


nom que j’ai utilisé pour payer la chambre d’hôtel. Elle me sourit en me
gratifiant d’un clin d’œil. OK, les questions, plus tard.

– Bonjour, docteur, réponds-je d’une voix rauque en tentant de me lever, ce


qui m’envoie une décharge de douleur dans l’épaule.
– Oh, n’essayez pas de bouger, vous venez de vous réveiller d’un mois de
coma. Votre œdème cérébral s’est résorbé. Quant à la balle qui vous a amoché
l’épaule, elle est heureusement ressortie.
– Quand est-ce que je pourrai sortir ?
– On vous garde encore quelques jours en observation afin d’être sûrs qu’il
n’y ait pas de récidive, déclare le médecin. Dorénavant, vous ferez gaffe avant
de vous promener en forêt, certains chasseurs ont la gâchette facile.

Je ne relève pas. Smith, des chasseurs… Je vois que les filles ont établi un
plan pendant que j’étais en train de flirter avec la faucheuse. Le médecin note
des choses dans son dossier et me souhaite un prompt rétablissement avant de
s’en aller. À peine a-t-il refermé la porte que j’interroge les filles.

– Vous pouvez… m’expliquer ?

J’ai encore un peu de mal à parler, mais je suppose que c’est normal après
avoir été en mode veille pendant un mois.

– Personne ne doit savoir que nous étions là-bas, commence Lydia.

Mon regard reste rivé sur celui d’Evy. Ses pommettes sont légèrement rouges
et elle se mord les lèvres.

– Tu ne mérites pas d’aller en prison, Logan, explique-t-elle, émue. Ce n’était


pas ta faute.
– Je… je ne suis pas sûr de comprendre.

Lydia s’empare de la télécommande sur la tablette amovible et allume la télé.


Les informations parlent d’un procès. Celui de Dixon Deacons et de tous les
potes de James ayant survécu à l’assaut des fédéraux.

– Que vont-ils devenir ? murmuré-je en regardant les gosses que James a fait
enlever pour les transformer en machines à tuer.

La journaliste parle d’enfants morts, de secte, d’endoctrinement. La tristesse


me serre le cœur. Ce n’étaient que des gosses, putain.

– Les plus petits sont en vie, tente de me rassurer Evy. Ils n’ont pas participé
au combat car ils n’étaient pas prêts et Adrianna les a cachés jusqu’à ce qu’ils
viennent les sauver. Ils vont subir des années de thérapie pour ressentir à
nouveau, explique Evy. Ils vont ensuite retrouver leurs familles. Grâce à toi.

Je tourne mon regard vers elle.

– Grâce à toi, surtout. Si tu ne m’avais pas changé, rien de tout ça ne se serait


passé, Evy. Tout ça, c’est uniquement grâce à toi.

Putain, je suis tellement fier d’elle. De sa ténacité, sa détermination, sa


persévérance. Elle nous a tous sauvés.

– Et les autres ? m’enquiers-je.


– Ça varie entre quinze ans de taule pour les trafiquants et trente ans de
réclusion pour Dixon, répond Lydia qui a gardé les yeux rivés sur la télé nous
montrant la sortie des parties de la défense.

Je ne suis pas d’accord, c’est beaucoup trop facile. Si cela ne tenait qu’à moi,
je les torturerais jusqu’à la fin de leurs misérables vies.

Je scrute le visage de Dixon sur l’écran et mes poings se serrent


automatiquement. Aussitôt, des doigts frais se posent dessus et Evy me couve
d’un regard rassurant.

– C’est fini, Logan. Nous sommes tous libres.

Elle a raison. Tout est fini. Nous pouvons tout recommencer à zéro. Les
gosses vont redevenir normaux et retrouver leurs familles. Evy me dépose un
baiser sur le front.
– Smith ?

Elle hausse les épaules.

– Au moins on ne risque pas de nous retrouver. Asher s’est occupé de tout.


Une fois que tu seras rétabli, nous partirons très loin d’ici. Toi, moi…

Elle s’empare de ma main et la pose sur son ventre.

– Et lui.

J’ouvre la bouche, la referme, l’ouvre à nouveau sans qu’aucun son ne sorte.


On dirait un poisson hors de l’eau.

– Est-ce que tu… tu…

Je fais la navette entre ses yeux et son ventre que ma main touche. Evy hoche
la tête, les larmes aux yeux.

– Depuis quand ? Je… waouh !!

Mon cœur s’emballe à nouveau et une onde de bonheur pur m’enveloppe


l’âme. Putain, alors c’est ça ! Toutes ces émotions dont on m’a privé toute ma
vie : l’amour, le bonheur… Je suis vraiment en train de ressentir tout ça. Je suis
heureux, putain.

– Je vais entamer la neuvième semaine. Il est pour le treize juillet.

Son expression en dit long. Le treize juillet. Il y a vingt ans, à cette date-là,
mes parents mouraient et je me faisais enlever par un homme qui s’est ensuite
fait passer pour mon père. Qui m’a transformé en monstre.

Le treize juillet de cette année ne me renverra pas vers un souvenir horrible. Il


me fera vivre le plus beau jour de ma vie. De ma nouvelle vie. Mon cœur
explose de joie. Et d’appréhension aussi, je dois dire. Je n’avais encore jamais
pensé à être père un jour. J’ai été élevé dans la violence, l’intolérance et
l’impartialité. Je n’ai aucune notion de ce qu’est la paternité et je mentirais si je
disais que je n’ai pas peur. Je suis terrifié. Mais je sais que je peux compter sur
ma femme pour m’enseigner ça également. Tout comme elle m’a enseigné la vie.
Elle est très douée pour ça.

– C’est une merveilleuse nouvelle, dis-je, empli d’émotions.

Une larme solitaire s’échappe de mon œil et Evy la récupère du pouce.

– Je trouve aussi, approuve-t-elle, son sourire étincelant faisant palpiter mon


cœur.

La porte s’ouvre sur une infirmière, faisant éclater notre bulle intime.

– Il va falloir vous en aller, M. Smith doit se reposer.


– Je viens seulement de me réveiller, bougonné-je en fusillant du regard la
bonne femme aux boucles brunes.

Evy pose ses lèvres sur mon front.

– Je reviens demain, me promet-elle.

Elle commence à s’éloigner mais je la retiens par le poignet et la ramène à


moi jusqu’à ce que nos lèvres se rejoignent pour un baiser langoureux. Mes
membres sont moins engourdis, je suis donc ravi de pouvoir enfin caresser à
nouveau ses cheveux tout en explorant sa divine bouche avec ma langue. Un
raclement de gorge. Saleté d’infirmière. Evy s’éloigne mais colle son front
contre le mien. C’est si bon de l’avoir près de moi ! J’ai hâte de pouvoir enfin
me tirer et de m’endormir dans ses bras pour contempler son visage parfait à
mon réveil.

– Tu m’as sauvé, murmuré-je. Je t’aime tellement.


– Je t’aime.

Lydia est presque obligée de la tirer par la main pour qu’elle me lâche enfin.

La porte se referme sur ma femme.

Ma rédemption.

Et je me retrouve seul.
– C’est l’heure de vos médicaments, monsieur Smith.

Je grogne. Enfin, presque seul…

***

Putain, ce que ça fait du bien ! Respirer l’air de la ville, sentir le cuir de ma


voiture, regarder les paysages défiler, voir la neige tomber sur le pare-brise et
surtout, surtout, pouvoir serrer Evy dans mes bras comme bon me semble. Exit
les odeurs de sang, d’antiseptiques et autres médocs, je peux enfin m’enivrer
pleinement de son parfum si délicieux.

– Arrête, on va finir dans le décor, rit-elle en me donnant une tape sur la main,
prête à plonger sous sa jupe.

Il faut dire que ces deux dernières nuits à lui faire l’amour quasi non-stop
n’ont pas encore compensé mon manque d’elle durant mon mois de coma. Et je
crois que rien ne pourra jamais me rassasier d’elle. J’admire son profil alors
qu’elle nous conduit je ne sais où. Apparemment c’est une surprise. Bizarrement,
lorsqu’elles viennent d’elle, je suis certain d’être heureux.

Je nage dans le bonheur, putain.

Elle me fait vriller.

À défaut de pouvoir caresser son entrejambe, je pose ma main sur son ventre.
Là où un nouveau cœur bat. Là où se trouve une partie de moi. J’ai encore un
peu de mal à réaliser que je vais devenir père. Et dire qu’il y a encore six mois,
ma plus grande obsession était de rendre mon « père » fier de moi. Aujourd’hui,
c’est de les rendre heureux : elle et notre bébé. Rien ne m’importe plus que ça.

Je me suis débarrassé de mes armes. Non seulement pour effacer toute trace
pouvant m’incriminer, mais surtout en signe de rédemption. J’ai tourné la page.

Je ne suis plus Ryder Powell, tueur professionnel sans états d’âme.

J’ai pris le contrôle du monstre en moi. J’ai fait en sorte de le laisser à


couvert, quelque part loin dans mon esprit. Tout n’est pas encore gagné quant à
le faire disparaître, mais je compte bien me donner les moyens d’y parvenir. Et je
compte sur Evy pour m’y aider, comme elle l’a toujours fait… Ne serait-ce que
par respect pour ceux qui ont contribué à mon changement. Je parle évidemment
d’Evy, sans qui je ne serais pas l’homme que je suis aujourd’hui, mais aussi
Asher, qui nous a créé de nouvelles identités pour nous permettre de
recommencer une nouvelle vie.

Et David, aussi. Ouais, même si je ne le porte pas vraiment dans mon cœur
parce qu’il est l’ex de ma copine, je dois dire que je lui dois une fière chandelle.
Sans lui, nous serions morts. Incontestablement.

Je repense aussi à Adrianna. En dépit de la vérité, elle reste ma sœur. Evy et


Lydia l’ont libérée pendant que je m’occupais de James. Elles l’ont prise sous
leur aile pendant que j’étais à l’hôpital. Elle a également changé d’identité et
s’est entichée de Robbie, l’ami d’Evy. Elle a du mal à se faire à la civilisation
mais j’ai confiance en elle. Elle y arrivera. Une nouvelle vie l’attend, elle aussi.

– Tu as déjà pensé au prénom ? me demande Evangeline, me tirant de mes


pensées.
– Est-ce qu’on ne doit pas d’abord connaître le sexe avant de se décider sur
son nom ?

Elle hausse les épaules.

– Moi, je vois bien Jared Liam Smith, si c’est un garçon.

J’aurais voulu que Carter reste le patronyme officiel mais ce n’est plus
possible. Ce qui compte, c’est que dans nos cœurs, le nom de mon père restera le
mien. Et celui de mon enfant. Je souris largement.

– Très bon choix, chérie. Et si c’est une fille ? Sarah, comme ta mère ?

Elle fait mine de réfléchir.

– Sarah Helen Smith, ça peut le faire.

Je suis perplexe.

– Pourquoi Helen ?
Mais Evy se contente de pincer les lèvres, comme si elle voulait me dire
quelque chose mais qu’elle se refusait à me le divulguer. Est-ce en rapport avec
ma surprise ?

La Mustang – la seule chose matérielle que j’aie gardée de mon ancienne vie,
ça aurait été trop con de se débarrasser d’un si beau bolide – ralentit et Evy se
gare le long du trottoir d’un quartier résidentiel. Tout est parfaitement entretenu.
On se croirait dans le film Edward aux mains d’argent, si ce n’est que les
maisons ont des couleurs moins criardes.

– Ne bouge pas, dis-je à Evangeline.

Je descends de la voiture, fais le tour et ouvre la portière côté passager. Je ne


suis pas tout à fait remis de mes blessures, mais je survivrai. Je tends la main à
Evy dans un geste de galanterie.

– Mademoiselle…

Elle la prend en souriant largement et descend de la voiture à son tour. Je la


fais tourner sur elle-même avant d’écraser mes lèvres sur les siennes quand elle
se retrouve collée à moi.

– Dis donc, tu es en forme, toi, aujourd’hui.


– Tu veux voir l’état de la bête ? réponds-je en la gratifiant d’un regard
lubrique.

Une lueur brûlante danse dans ses prunelles et ses joues se colorent de rose.

– Obsédé, me taquine-t-elle avant de se retourner pour traverser la rue.

Je suis sur ses talons et nous nous arrêtons devant une porte blanche avec une
clochette au-dessus.

– Tu ne peux pas m’en vouloir, après plusieurs semaines sans ta merveilleuse


petite chatte autour de ma qu…

La porte s’ouvre soudain et je sursaute tandis qu’Evy étouffe un éclat de rire.


Face à nous, une femme d’âge mûr pleine d’allure. Je regarde l’inconnue plus
attentivement. Ses cheveux roux lui arrivent aux épaules, disciplinés en un
brushing élégant avec quelques mèches blanches au niveau des tempes. Ses yeux
couleur ambre me scrutent avec une lueur de stupéfaction dans les pupilles et
elle est pâle comme un cachet d’aspirine. Pourquoi cette femme m’est-elle aussi
familière ? Comme si je l’avais déjà vue quelque part… Et ce parfum de vanille
qui émane d’elle…

– Logan.

Sa voix cristalline me donne la chair de poule. J’arrête de respirer. Je me


demande si je ne suis pas en plein rêve, mais à voir sa tête et le sentiment
maternel qu’exprime son regard, je sais que je suis bien dans la réalité.

– Maman, dis-je dans un souffle.

Elle s’approche lentement de moi et me touche la joue. Ce contact suffit à me


confirmer que c’est bien elle. Elle avait l’habitude de me caresser ainsi le soir, au
coucher, après avoir vérifié qu’il n’y avait pas de monstres dans mon placard ni
sous mon lit. Mon cœur bat la chamade et se gonfle comme un ballon de
baudruche. Elle a les yeux brillants de larmes et je souris comme un parfait idiot.
De nouvelles sensations me submergent. J’ai l’impression de vivre à nouveau.
De renaître. Comme s’il m’avait jusque-là manqué une pièce de puzzle et que,
par miracle, je la retrouvais. Un miracle qui se tient à présent à côté de moi,
nommé Evy.

Elle a fait ça.

Pour moi.

Je ne comprends pas comment cela peut être possible, mais pour l’instant je
m’en tape. Tout ce que je veux, là, c’est la serrer dans mes bras et retrouver le
parfum vanillé de mon enfance.

De ma véritable enfance.

Et c’est ce que je fais sans hésiter. Elle me rend mon étreinte et nous laissons
libre cours à nos émotions. Derrière elle, Lydia a les mains sur ses joues et
pleure à chaudes larmes. Evy la prend dans ses bras. Nous restons un moment
ainsi jusqu’à ce que ma mère nous invite à entrer. La maison n’est pas celle que
j’ai connue, mais cela se comprend. Ce que je ne comprends pas, en revanche,
même si j’en suis très heureux, c’est comment elle a réussi à s’en sortir. Je l’ai
tout de même vue morte ! Nous nous asseyons dans le salon design et elle nous
apporte du café avec une assiette où trônent…

– Des pancakes à la banane, murmuré-je à voix haute et ma mère me sourit


chaleureusement.
– Tes préférés. Il pouvait en engloutir au moins une dizaine chaque matin, rit-
elle, les larmes aux yeux, en s’adressant aux filles qui l’imitent tandis que des
images de mon enfance remontent à la surface.
– Maman… commencé-je sans pouvoir continuer.

Le mot est étrange, sortant de ma bouche. J’avais 5 ans la dernière fois que je
l’ai prononcé. C’est bizarre… mais agréable. Elle pose sa main sur la mienne et
me gratifie d’un sourire attendrissant.

– J’ai rêvé tellement de fois d’entendre ce mot ressortir de ta bouche, dit-elle,


émue. Je sais ce que tu vas me demander, mon chéri, et je vais t’expliquer.

Elle boit une gorgée de thé avant de se lancer.

– Ton père et toi étiez au match depuis environ une heure lorsque… lorsque
ces hommes sont arrivés. J’ai été prise par surprise. Au début, ils avaient prévu
de me prendre en otage, mais je n’avais qu’une idée en tête : protéger ta petite
sœur.

Mon regard se pose sur Lydia qui me sourit chaleureusement. J’ai une vraie
sœur. Je n’en crois pas mes oreilles. Ma mère prend une pause pour reprendre le
contrôle de ses émotions. Elle garde les yeux rivés sur la table basse ronde,
plongée dans ce souvenir douloureux.

– Tu n’es pas obligée… la rassuré-je en posant ma main sur son bras.

Mais elle reprend tout de même.

– J’ai réussi à courir jusqu’à la porte avant que l’un des assaillants ne me tire
dans le dos. Je suis restée inconsciente pendant longtemps. Des voisins ont alerté
les autorités et les secours. Je me suis réveillée à côté de ton père, des médecins
partout autour de moi, et comme je perdais du sang, ils ont dû me faire
accoucher sur place, à côté… de ton père. J’étais terrifiée à l’idée de perdre
Lydia, mais, heureusement, malgré l’horreur, elle a poussé son premier cri.

Elle soupire. Ma gorge se serre à la simple idée de ce qu’elle a vécu. De la


façon dont elle a vécu la naissance de son second enfant.

– J’ai demandé où tu étais et comme personne ne me répondait, je me suis


mise à faire une crise d’angoisse. J’étais tellement hystérique qu’ils ont dû
m’injecter une dose de somnifère. Ce n’est que le lendemain, à l’hôpital, Lydia
dormant paisiblement dans son berceau, que l’on m’a dit que tu avais disparu.
Tout le village a participé aux recherches. Une fois sortie de la maternité, je les
ai suivis, j’ai accroché ton portrait partout. Au bout de trois semaines, la police a
cessé de chercher. Mais pas moi, Logan, dit-elle en soudant son regard au mien.
Je n’ai jamais cessé. J’ai engagé un détective privé qui est parvenu je ne sais
comment à remonter jusqu’ici. Sans perdre une seconde, j’ai pris les valises et
j’ai emménagé dans cette maison grâce à l’assurance-vie. J’ai essayé de
mobiliser la police du comté pour reprendre l’enquête. Ils n’ont pas tenu
longtemps non plus et je me suis donc retrouvée seule à essayer de te retrouver.

Elle souffle dans le mouchoir qu’Evy vient de lui donner.

– Les années ont passé, mais je gardais toujours espoir que tu sois là, en vie et
en bonne santé. Je t’imaginais dans une bonne famille, insouciant et heureux.
Parce que c’est ce qui m’aidait à fermer l’œil la nuit. À défaut de t’avoir avec
moi, j’espérais que tu étais comblé et épanoui. Je restais forte pour ta sœur.

Je me sens bizarre. À la fois heureux de la retrouver et triste parce qu’elle a


vécu dans la peur et le doute durant plus de vingt ans. Et malgré cela, elle n’a
jamais cessé de me chercher. J’ai grandi en croyant que ma mère était morte à la
naissance de Duncan. Je croyais avoir commencé ma vie sans présence
maternelle alors qu’en fait elle me cherchait partout. Comment ne pas
culpabiliser en apprenant que pendant qu’elle se battait bec et ongles pour me
retrouver, moi, je m’entraînais à tuer ?

– Tu m’as donné naissance avec l’idée de faire de moi un homme bien et à


cause d’un enfoiré comme James, je suis devenu un criminel sans états d’âme,
dis-je d’une voix enrouée par le chagrin.

Je sens la main d’Evy me caresser les épaules dans un geste rassurant.


– Mais Evy a repris ce rôle, me dit doucement ma mère. Elle a fait de toi un
homme bien, comme je le souhaitais.
– Comment as-tu su que c’était moi ?
– Tu te rappelles quand tu m’as dit ton véritable nom de famille : Carter ?
intervient Evy.
– Oui.
– C’est le même que celui de Lydia. Pendant que tu étais à l’hôpital, j’ai parlé
à Helen et c’est là qu’elle m’a parlé de son petit garçon disparu à l’âge de 5 ans.
Je lui ai demandé le nom de son fils et elle a dit ton prénom. Je l’ai donc amenée
à l’hôpital avant que tu ne te réveilles.

Je me tourne vers ma mère.

– Pourquoi n’es-tu pas revenue quand j’étais de nouveau conscient ?


– Tu étais encore en état de choc, je ne voulais pas te bouleverser davantage,
alors on a décidé qu’il serait mieux que l’on se retrouve une fois toute cette
histoire terminée.

Je hoche la tête, comprenant leur décision.

– Je n’arrive pas à y croire, murmuré-je.

C’est complètement surréaliste, mais c’est tellement génial !

– Et moi, je n’arrive pas à croire que j’avais mon frère sous le nez durant tout
ce temps, que je l’ai traité de con, de macho, d’enfoiré, qu’Evy m’a donné des
détails croustillants sur votre vie au lit et que j’ai même voulu coucher avec toi
juste pour voir si c’était vraiment comme elle le décrivait ! s’exclame Lydia, ce
qui a le don de détendre l’atmosphère et nous faire éclater de rire.

Si elle savait ce que j’ai failli lui faire, moi, six mois plus tôt. Et je suis bien
content de ne pas avoir eu à me servir de ce couteau contre elle.

Quelques heures plus tard, nous sommes tous assis sur le canapé et maman a
ressorti les albums photo. Je découvre mon père, Liam, dont il me reste hélas
très peu de souvenirs, mis à part ce jour où nous sommes allés voir les Red Sox.
Cette journée idyllique pour le gamin de 5 ans que j’étais avant que tout ne vire
au cauchemar. Je ne peux décrire le bonheur que j’éprouve à cet instant. J’ai
retrouvé ma mère, j’ai enfin découvert le visage de ma petite sœur que
j’attendais avec impatience, je vais être père et je suis plus amoureux que jamais
d’Evy.

Son incroyable intelligence m’a permis de reformer ma famille. Nous faisons


ensuite des photos tous les quatre afin de remplir un peu plus cet album de
famille. Puis maman nous emmène au cimetière afin que nous nous recueillions
sur la tombe de mon père. Un sentiment de tristesse me submerge quand je vois
la stèle. Je ne sais plus trop quoi ressentir. Tout se mélange entre bonheur et
chagrin. J’ai du regret, aussi. Je regrette de m’être laissé berner par James durant
vingt ans, sans voir que toute ma vie n’était qu’un putain de mensonge. Mais j’ai
beau réfléchir, je ne vois aucun moment durant lequel j’aurais pu me douter de
quelque chose. Tout me paraissait normal avec lui, je croyais que c’était comme
cela que l’on vivait parce qu’il m’avait élevé ainsi.

Nous dînons chez ma mère avant qu’elle ne nous propose carrément de passer
les fêtes de fin d’année chez elle. Je sais que c’est surtout pour m’avoir sous le
même toit qu’elle, par peur de me laisser encore une fois et je ne peux pas lui en
vouloir. Et je ne peux pas non plus refuser. Elle me veut près d’elle avant que
l’on ne doive partir pour un temps indéterminé. En effet, Dixon a sûrement parlé
de nous aux enquêteurs et Evy refuse de devoir me rendre visite dans un hôpital
psychiatrique. Je dois admettre que cette idée ne m’enchante guère non plus.
Quant à elle, on l’a laissée pour morte et elle compte le rester.

– J’ai redécoré la troisième chambre exactement comme celle que tu avais


dans le Nebraska, explique ma mère. Et au fil des années, je la changeais en
fonction de ton âge. Au cas où tu reviendrais.

J’interroge Evy du regard. Après tout, c’est une décision à prendre à deux,
même si ce n’est qu’une banalité. Elle hoche la tête en souriant.

– D’accord, accepté-je. On en serait ravis, maman.


– Vous avez déjà trouvé où vous allez vous installer ? Pas trop loin, j’espère.

Evy et moi échangeons un regard entendu.

– Pas trop loin, maman. Et tu seras la bienvenue chez nous. Toi aussi, Lydia.
– CHAMPAGNE !!! s’écrie-t-elle avant de sortir du salon en sautillant de
bonheur, sans doute pour aller chercher une bouteille.

Son extravagance la fait encore plus ressembler à notre mère et sa joie de


vivre est contagieuse. Je pose la main sur le ventre de ma femme. Je crois que ça
va devenir une habitude durant les prochains mois.

– Bois un verre pour moi, me murmure-t-elle avant de sceller ses lèvres aux
miennes.

Mon cœur explose.

***

Quand j’entre dans ma chambre, un sentiment de nostalgie me submerge,


surtout quand je découvre cette balle de base-ball posée sur une étagère, signée
par Mo Vaughn et ses coéquipiers. Evy me regarde la faire tourner entre mes
doigts en m’interrogeant du regard.

– Lorsque… le drame est arrivé, je rentrais d’un match de base-ball à Boston


avec mon père. J’étais super content parce que, pour une fois, il avait tenu sa
promesse. Cette balle, c’est mon dernier souvenir de lui. Ma mère a dû la
retrouver sur la pelouse du jardin quand un des sbires de James a voulu
m’attraper. Il me manque, avoué-je, la gorge serrée.

Evangeline me frotte le dos et je me tourne vers elle pour la serrer dans mes
bras et, sans que je puisse me contrôler, je fonds en larmes. Le chagrin, c’est
nouveau pour moi et, putain, ça fait un mal de chien.

– J’aurais dû le sauver ou au moins tenter quelque chose.

Evy desserre notre étreinte pour planter son regard dans le mien.

– Ne dis surtout pas ça. Tu étais encore un enfant, tu ne pouvais rien faire. Ce
n’est pas ta faute.

Je hoche la tête. Je sais qu’elle a raison, mais je n’arrête pas de me dire que si
nous étions restés à la maison, ce jour-là… Peut-être que… Ou peut-être pas, je
n’en sais rien. Je serre de nouveau Evy dans mes bras. Mon réconfort.
Ma planche de salut.

Celle devant qui je peux éprouver des émotions sans me sentir jugé.

Ma rédemption.

– Merci, murmuré-je dans son cou humide de mes larmes de tristesse mais
aussi de joie.

Je ne veux plus y penser.

Je ne veux plus souffrir.

– Tu crois qu’elle réalise ce qui vient de se passer ? me demande Evy en se


couchant à côté de moi.

Je passe un bras sous sa nuque et elle se blottit contre moi, sa tête au creux de
mon épaule.

– Je ne sais pas, réponds-je lascivement. Pour le moment, moi-même j’ai un


peu de mal.
– C’est vrai que ça doit faire un sacré choc.
– Tu n’as même pas idée.

Elle dessine des petits cercles sur mon torse nu et ma queue se dresse dans
mon boxer. Je grogne de plaisir et me tourne sur le côté pour la regarder dans les
yeux. Je replace une mèche de ses cheveux qui lui barre le front avant de
l’embrasser sur le bout du nez.

– Tu es tellement belle.

Je la vois sourire dans le clair de lune et mon cœur palpite. Elle pose sa main
sur ma joue et m’embrasse. Je lui rends son baiser avec bon cœur, sa langue se
mêlant à la mienne. Je sens déjà ses tétons durcir à travers son débardeur. La
température de nos corps commence à augmenter et je me sens de plus en plus à
l’étroit, en bas. Je fais descendre ma main vers ses fesses rebondies et les palpe
avec passion. Evy bouge pour se mettre à califourchon sur moi. Mon érection
frotte contre son pubis et elle gémit dans ma bouche. Nos mains se baladent sur
nos corps puis Evy se redresse.
– Attends une minute, m’intime-t-elle.

Elle se lève et j’admire sa silhouette se diriger vers la salle de bains. Elle


revient quelques minutes plus tard et j’en reste bouche bée. Elle arbore une
guêpière noire transparente qui lui va à la perfection. Je lui fais signe de faire un
tour sur elle-même et elle obtempère, me dévoilant son cul magnifique dans ce
string rouge. Elle porte des chaussures à talons dont les lanières sont lacées
jusqu’aux mollets. J’en bande davantage et je retire mon boxer. Elle se retourne
pour me voir en train de me caresser. Elle mord sa lèvre inférieure et son regard
est empli de désir, à l’instar du mien.

– Viens par là, grondé-je.

Elle s’approche d’un pas félin et monte sur le lit pour me chevaucher. Je ne
perds pas une seconde pour me redresser et embrasser chaque parcelle de sa
peau dénudée. Ses doigts s’emmêlent dans mes cheveux et elle se déhanche sur
moi, me faisant grogner de plaisir. Je défais la fermeture de son bustier, que je
jette dans un coin de la pièce. Je contemple sa poitrine voluptueuse avant d’en
sucer les pointes. Evy rejette la tête en arrière en gémissant. Je détache son
porte-jarretelles et la bascule précautionneusement sur le dos pour le lui enlever
ainsi que son string.

– Je veux te faire l’amour avec tes bas et tes chaussures, murmuré-je d’une
voix rocailleuse et elle hoche la tête.

Mes doigts glissent le long de son buste, suivant le léger renflement de son
ventre. Je réprime un sourire en me souvenant de la première fois que nous
avons fait l’amour après mon réveil.

– Le bébé…
– Le bébé est protégé, chéri, m’a-t-elle coupé d’emblée. Il ne sentira
absolument rien.
– Tu es sûre ?

Je n’avais pas très envie que ma progéniture subisse mes assauts en même
temps que sa mère, tout de même.

– Logan, j’ai les hormones en folie à cause de ma grossesse et j’ai passé un


mois sans toi, alors je t’en supplie, fais-moi l’amour.

J’ai souri avant de fondre sur sa bouche.

Et je ne me suis plus arrêté.

Elle m’empoigne la queue alors que j’insère un premier doigt en elle. Elle est
incroyablement chaude et trempée. Bordel, je vais exploser. Mais je veux
savourer chaque instant en même temps. Je fais alors descendre ma bouche le
long de son cou, sa poitrine lourde de désir, son ventre. Elle se cambre de plaisir
en me griffant les épaules. J’ai le corps en feu. Je finis par arriver à mon endroit
préféré de son anatomie et la lape doucement, tendrement. Elle écarte un peu ses
jambes qu’elle replie sur moi et ses talons appuient sur mon dos. C’est
terriblement excitant. Je fais tourner ma langue autour de son clitoris gorgé de
désir tandis qu’elle tire sur mes cheveux et que ses gémissements se font plus
forts et plus aigus. J’insère deux doigts en elle en même temps.

– Oh oui, Logan… Continue… Oh…

Je tourne de plus en plus vite et elle finit par jouir dans une cascade chaude et
sucrée à l’intérieur de ma bouche. Je remonte le long de son corps. Sa respiration
est haletante et moi je n’en peux plus. Je plaque mes lèvres sur les siennes avant
de la pénétrer doucement, centimètre par centimètre. Elle me serre fort contre
elle et mes coups de reins se font de plus en plus dynamiques. Je grogne dans
son cou, ma queue gonfle en elle, je me sens déjà au bord du précipice. Je sens la
chaleur de sa chatte magique qui se contracte autour de moi, ce qui me pousse à
y aller toujours plus fort, toujours plus profondément. Nos halètements se font de
plus en plus bruyants et, honnêtement, je me tape totalement que l’on puisse
nous entendre. De toute façon, elles ne sont pas bêtes, elles savent parfaitement
que nous sauter dessus est la première chose que nous avions prévu de faire une
fois dans la chambre.

– Evy… Oh, bébé…


– Logan, souffle-t-elle.

Son cri de jouissance emplit la pièce tandis que son corps se tend et que les
parois de son intimité se resserrent autour de mon sexe.
Je ne tarde pas à la rejoindre et me répands en elle dans une explosion de
bonheur.

Essoufflé et le cœur battant à vive allure, je me retire de son antre, embrasse


son ventre et m’allonge. Evy se lève pour aller se nettoyer, enlève ses chaussures
et ses bas avant de venir s’allonger à côté de moi en tenue d’Ève. J’embrasse ses
lèvres parfaites. Je suis fou de cette femme. Putain, oui, je le suis complètement.
Elle m’a pris dans son piège, mais elle m’a aussi délivré de mes démons.

– Je t’aime, chérie.
– Je t’aime, répète-t-elle.

Elle caresse le nouveau tatouage que je me suis fait faire dans le dos. J’avais
besoin de transcrire ma renaissance. Et quoi de mieux qu’un énorme phénix en
flammes pour la représenter ? Désormais, le monstre n’est plus en moi, mais
seulement dessiné sur ma peau. J’ai douillé mais j’en suis fier. Nous nous
endormons dans les bras l’un de l’autre.

***

Mon premier Noël depuis vingt ans s’est merveilleusement bien passé. Adi
est venue avec son petit ami. Elle était toute pimpante et souriante, j’ai eu
beaucoup de mal à la reconnaître. Comme moi, elle a fait sa rédemption. Maman
nous a gâtés en nourriture et en cadeaux et nous nous sommes embrassés sous le
gui.

Désormais, il est temps pour Evy et moi de prendre le large. Nous sommes
près de la voiture et nous faisons nos adieux pour quelque temps. Ma mère ne
parvient pas à desserrer notre étreinte. Elle est en larmes mais elle est consciente
que c’est ce qu’il y a de mieux pour nous.

– J’aurais tellement aimé que vous puissiez rester, se lamente-t-elle.


– On viendra te rendre visite, maman, promets-je.

Elle se résigne à me lâcher pour prendre ma femme dans ses bras tandis que je
fais de même avec Adrianna.

– Prends soin de mes bébés, entends-je ma mère confier à Evy en lui caressant
le ventre.
Ma femme hoche la tête en souriant.

– Donne des nouvelles, hein.


– Pas de problème, petite sœur. Je t’adore.
– Je ne sais pas encore trop ce que ça veut dire, mais moi aussi, je crois,
répond-elle, ce qui me fait rire.

David – qui a fait le chemin avec sa femme Kate, la cousine d’Evy – me serre
la main.

– Merci encore pour tout, mec.


– Avec plaisir, Logan.

Une dernière embrassade collective et nous voilà partis pour notre nouvelle
destination, à environ cinq heures de route.

Notre nouvelle vie.

Nous ne voulions pas être trop loin de ma mère et de Lydia, sans rester trop
près non plus. L’affaire James Powell a été classée définitivement, mais nous
préférons ne pas prendre de risque.

Evy a passé son examen par correspondance avec brio. Sa thèse relatant notre
histoire lui a valu une mention et elle a décroché un job de criminologue. Quant
à moi, je m’y connais en voitures, je ne devrais pas avoir trop de mal à me
convertir en mécano.

Un silence apaisant plane au-dessus de nous tandis que la Mustang avale les
kilomètres. La voix d’Evangeline me ramène sur terre.

– Logan ?
– Mmh ?
– Comment imagines-tu notre avenir ?

Je ne réponds pas tout de suite, réfléchissant à une formulation romantique.

– Pourquoi pas un « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » ?

Elle coule un regard attendrissant vers moi et un sourire illumine son si beau
visage.

– Est-ce que c’est une demande en mariage ?

Je souris à mon tour et réponds sans hésitation :

– Absolument.
– Mmh, pas mal, comme idée.
– Est-ce que ça veut dire oui ?
– Absolument.

FIN
Playlist

Bob Marley – « Redemption Song »

Courrier – « Between »

Breaking Benjamin – « Angels Fall »

Anberlin – « Enjoy The Silence »

Skillet – « Monster »

Imagine Dragons – « Thunder »

Maroon 5 – « Animals »

3 Doors Down – « Here Without You »

James Arthur – « Naked »

Bon Jovi – « You Give Love a Bad Name »

Creed – « One Last Breath »

Evanescence – « Bring Me to Life »

Guns N’ Roses – « Knockin on Heaven’s Door »

The Cranberries – « Zombie »

Linkin Park – « Good Goodbye »

Skillet – « Feel Invincible »

Welshly Arms – « Legendary »


Imagine Dragons – « Believer »

Like A Storm – « I Love The Way You Hate Me »

Three Days Grace – « I Hate Everything About You »

Limp Bizkit – « Behind Blue Eyes »

Nickelback – « She Keeps Me Up »

Imagine Dragons – « Demons »

Three Days Grace – « I Am Machine »

Nickelback – « Trying Not to Love You »

The Used – « The Bird and The Worm »

One Republic – « Unbroken »

Kerrie Roberts – « Rescue Me »


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HATE & REVENGE
Extrait des premiers chapitres

ZKAT_001
Prologue

Kitty

J’ai toujours pensé que Kat et moi vivrions toutes nos premières fois
ensemble. Évidemment, il y en a eu quelques-unes – notre première gueule de
bois, notre premier baiser, la première fois où nous avons fait le mur, et bien
d’autres encore. Mais je n’aurais jamais cru qu’elle irait à la fac sans moi.

Qu’elle prendrait son envol loin de moi.

Surtout, je n’aurais jamais imaginé la rage que mon absence allait faire naître
en elle. Ce flot de colère qui allait la pousser bien au-delà de l’autodestruction.
Et je la vois, de mois en mois, se diriger vers le pire des chemins, sans pouvoir la
dissuader de le faire.

Chacune de ses visites me rappelle à quel point c’était bien avant. Chacune
des larmes qu’elle me cache témoigne que tout est ma faute. Chacun de ses
tatouages me raconte notre histoire.

Je m’en veux de l’avoir conduite à être dans le mépris de tout. Je ne pourrai


jamais me pardonner de lui avoir volé sa vie. J’aimerais lui dire, mais je n’y
parviens pas. Je ne peux pas, je ne peux plus. Je suis fatiguée de la voir foutre sa
vie en l’air pour une erreur que j’ai commise. On fait tous des erreurs, mais
certaines ont des conséquences plus dramatiques que d’autres.

Mon erreur a ruiné trois vies, enfin quatre, mais la mienne ne compte pas. Et
je ne tiens pas compte de tous les dommages collatéraux.

Cet homme dont elle me parle viendra sans doute allonger la liste, je le sens.
Elle, qui ne me parle jamais de personne, vient de débarquer pour discuter de lui.
Je le vois, elle aussi est épuisée ; elle a tout gâché, me dit-elle ! J’en doute.

Si cet homme est aussi merveilleux qu’elle me le raconte, il lui pardonnera.


Mais avant qu’il puisse lui pardonner, il faudra qu’elle-même se pardonne.

Si je pouvais remonter le temps, je ne changerais rien, hormis le fait de


croiser la route de Kat. Je l’ai détruite, moi et mon égoïsme, moi et mon
insouciance.

J’ai fait d’elle cette bombe à retardement, devenue justicière par vengeance.
Je m’inquiète pour elle, je voudrais qu’elle arrête, je voudrais qu’elle vive.
J’aimerais lui crier que je ne désire aucune vengeance, seulement son bonheur.
J’aimerais la serrer encore une fois dans mes bras et la faire rire aux éclats.
J’aimerais qu’elle cesse de m’attendre.
1.

Grayson

Je viens enfin de remettre ma vie sur les bons rails.

Après deux ans de traversée du désert, j’ai le sentiment d’avoir repris ma


respiration. Un nouveau souffle dont je profite depuis un semestre. Je suis en
faculté de droit et j’avance vers mon objectif. Rien ne pourra m’en détourner.

Petit, je m’imaginais, comme tout môme, vétérinaire ou pompier. Vers


l’adolescence, je me suis sérieusement penché sur les possibilités de devenir
batteur professionnel. Vers l’âge de 17 ans, j’ai commencé à me rêver professeur
de philosophie, je me passionnais pour les débats de tous siècles et passais des
heures à échanger sur de vastes sujets avec mon frère.

Et puis, après le drame, après la peine, après la perte, l’amertume, la rancœur


et ce sentiment d’injustice qui était devenu mon seul compagnon, j’ai changé de
voie. La faculté de droit, pas pour réclamer justice, mais pour faire quelque
chose qui ait un sens dans ce monde.

Il m’a fallu deux ans pour traverser ce désert de douleur incommensurable.


Deux ans pour apprendre à respirer sans lui.

Mais même encore aujourd’hui, il arrive parfois que je manque d’air.


J’avance, avec ou sans lui. Il aurait désapprouvé que j’abandonne. Il me disait
souvent : « Tu sais, Gray, la vie continue, avec ou sans toi. Tu peux faire une
pause, mais le temps que tu passes à attendre éloigne de toi toutes les possibilités
que tu aurais pu saisir ».

Je crois que c’est lui qui m’a donné le goût de la philosophie, parce que
franchement, à 14 ans, cette phrase n’avait pas grand sens pour moi. Aujourd’hui
en revanche, presque six ans après, je sais qu’il avait raison. Mais j’ai fini de
pleurer sur mon sort, je compte travailler dur pour obtenir mon diplôme. Aucune
distraction ne sera tolérée, sauf Colin, de temps en temps, pour boire une bière.

Colin, c’est mon meilleur ami depuis le lycée. Il a commencé la faculté de


médecine il y a deux ans et je dois avouer que je ne pensais pas qu’il tiendrait
deux semaines ! Pourtant, il a tenu bon et est entré en troisième année, alors que
je débarquais pour ma première année de droit.

Colin, c’est le genre de mec qui ne pose aucune question, mais si je l’appelle
à quatre heures du matin pour lui demander de venir, il viendra. C’est mon
meilleur ami, le seul et l’unique. C’est pourquoi, même si je préférais largement
être dans mon appartement à étudier, j’ai accepté qu’il me traîne dans ce bar
bondé. Un soir de semaine, pour couronner le tout. Il a beau me dire que
l’avantage de sortir le jeudi, c’est qu’on est l’avant-dernier jour avant le week-
end, je reste sceptique.

Il faut avouer que je ne me sens pas à ma place au milieu de cette fête


étudiante. Je dénote dans ma chemise vert pomme, mon jean basique et mes
chaussures de ville.

J’observe Colin : il porte un tee-shirt blanc col V, un jean slim et des


Converse. Il rayonne, dans ce bar. Sourit à toutes les demoiselles. Prend même
des allures de maître des lieux.

Une blonde le dépasse afin de nous conduire à une table. Elle roule
généreusement des hanches. Je trouve cela vulgaire, mais Colin, lui, semble
apprécier.

Tous deux échangent des regards complices. Je comprends cette fille, Colin
est un bel homme. 22 ans, brun à la peau mate, un mètre quatre-vingts pour
quatre-vingts kilos de muscles, c’est sûr qu’il a tout pour plaire. À côté, je fais
bien pâle, filiforme, un mètre soixante-quinze pour soixante-sept kilos, plutôt le
genre d’homme qui passe inaperçu.

Mon teint est d’une blancheur cadavérique, mes cheveux sont un méli-mélo
de boucles blondes que je ne tente même plus de dompter. Je ressemble
beaucoup plus à l’acteur Benedict Cumberbatch qu’à une gravure de mode, mais
cela me convient.
De plus, je sais que certaines filles aiment ça ; j’ai du charme, mais le genre
« croqueuse d’hommes » ne me porte généralement aucune attention. C’est
mieux ainsi.

Je plante mon regard azur dans celui de Colin, plus sombre. Il me sourit avec
innocence, mais je ne suis pas dupe. Il commande deux bières et la blonde
plantureuse disparaît enfin, nous laissant un peu d’air.

La musique est trop forte, et pas du meilleur goût en plus. Je ne suis encore
jamais venu dans ce lieu, mais je sais d’avance que ce sera l’unique fois. La
blonde réapparaît et dépose deux pintes entre nous. Nous trinquons.

– Détends-toi, Grayson, profite !


– Plus facile à dire qu’à faire.
– Tu te prends trop la tête, il est là ton problème. Fais comme moi, vis au jour
le jour.
– Ouais.
– Et pour l’amour de Dieu, ramène une fille dans ton appart ce soir.

À cette remarque, je lance un regard noir à mon ami.

– Hors de question.
– Tu m’épuises !
– Je sais.

Nous rions de bon cœur. C’est ce que j’apprécie chez Colin : jamais il ne me
fait de reproche, jamais il ne me juge, jamais il ne pose de question. Il a été là
durant deux ans, à sa manière discrète, il me soutenait, souvent à grand renfort
de bières et de pizzas, à sa manière à lui. Je l’observe tandis qu’il note son
numéro sur la serviette en papier posée sur la table.

– C’est pour qui ?


– La serveuse.
– Tu as vraiment l’intention de la revoir ?
– Bien sûr, tu as vu son fessier !
– Il n’y a pas que le physique dans la vie, Colin.

Je secoue la tête en signe de désapprobation. Je ne suis pas d’accord avec ces


clichés ; je ne le suis plus, je l’ai été avant.

À 18 ans, je pensais surtout à draguer la plus belle fille de la soirée, seul son
physique importait. Je passais la nuit avec elle et ne la rappelais jamais.

Mais tout a changé.

J’ai changé.

Je n’ai pas touché une femme depuis deux ans et je ne m’en porte pas plus
mal. Les fêtes, l’alcool et les filles ont perdu de leurs charmes. J’essaye pourtant,
mais aucune femme ne parvient à me faire ressentir ce frisson, ce désir et cette
envie d’aller plus loin. Pas même cette fille à la fac qui s’assoit à mes côtés à
chaque cours. Je vois bien qu’elle tente de m’approcher, mais je feins
l’ignorance. Ce n’est pas qu’elle soit repoussante, c’est juste qu’elle ne m’attire
pas. Plus personne ne m’attire et j’ose espérer que la prochaine femme que je
ferai entrer dans ma vie en vaudra la peine.

Lorsque la serveuse revient pour une deuxième tournée, j’observe le petit jeu
de Colin qui lui glisse la serviette en papier sur la table. Elle s’en saisit et lui
adresse un sourire. J’aimerais être capable de séduire une femme, être de
nouveau ce jeune homme qui échange des regards complices avec une femme.
Mais je ne le suis plus, et cette scène m’incommode.

– Je vais aux toilettes, je reviens.

Colin me gratifie d’un signe de tête. Cela l’arrange que je m’éclipse, il va


pouvoir se vanter auprès de sa nouvelle amie de ses études en classe de
médecine et de son incroyable talent pour la médecine néonatale. C’est faux,
évidemment, mais cela plaît aux filles d’imaginer un homme sauvant la vie des
nouveau-nés. Il sort avec environ deux filles par week-end, et il faut bien
reconnaître que ces filles-là sont incroyablement crédules. À croire qu’il a un
détecteur à filles crédules.

Je me lève et me dirige vers la gauche de la scène afin de rejoindre les


sanitaires. J’ai envie de rentrer chez moi, je ne suis pas dans mon élément ici. Je
consulte ma montre, cela ne fait que vingt minutes que nous sommes arrivés.
Dans les WC, deux garçons, la vingtaine, tatoués, bien bâtis et surtout bien
alcoolisés, sont accoudés au lavabo et regardent une vidéo sur leur mobile. Je ne
leur prête aucune attention. J’entends juste l’un dire à l’autre, d’une voix trop
forte :

– Elle sera là ce soir, elle combat le Titan.

Je soulage ma vessie et rejoins le lavabo afin de me laver les mains. Je ne


peux m’empêcher de jeter un regard par-dessus l’épaule du garçon à ma gauche.
Son mobile dernier cri peine à capter la 4G.

Je prends le temps de savonner ma peau, je suis curieux de savoir de qui ils


parlent.

Soudain, l’écran s’anime. C’est une vidéo YouTube, on y distingue une


femme se battre à mains nues contre un homme deux fois plus musclé qu’elle.
L’image n’est pas de bonne qualité, pourtant un détail me frappe. Un tatouage
sur l’épaule frêle de la fille. Un papillon. Je suis sûr de l’avoir déjà vu quelque
part, mais j’ai beau chercher, impossible de me souvenir où. Je ne trouve pas.
Sur le ring, on peut clairement voir que cette fille malmène l’homme. Même une
fois qu’il se trouve à terre, elle continue de lui infliger de violents coups de pied
dans les côtes. Je suis fasciné par le spectacle, si bien que je ne remarque même
pas qu’on me fixe. Lorsqu’enfin je lève les yeux, mes camarades d’urinoir
semblent m’observer avec méfiance.

– Qui est cette fille ? leur demandé-je.


– Personne.

Je perçois l’hostilité dans la voix de mon interlocuteur, son camarade, lui,


semble moins sur la défensive. Je plante mon regard dans le sien en ignorant son
ami.

– Grayson, enchanté.
– Dylan.

Le jeune homme me tend une main que je serre sans hésitation.

– Et lui, c’est Joey.

Dylan me désigne son pote, je lui offre un signe de tête mesuré. Le tout est de
gagner la confiance de ces deux-là afin d’obtenir l’info que je désire. Pourquoi ?
Même moi en cet instant je ne le sais pas !

– Alors, vous allez me dire qui est cette fille ?


– Pourquoi veux-tu le savoir ?

C’est évidemment Joey qui prend la parole. Je lui offre un sourire amusé,
tandis que mes pensées filent dans tous les sens. Je réfléchis à toute vitesse afin
de trouver une raison valable, quand, finalement, je décide de jouer franc jeu et
réponds :

– Simple curiosité. Elle se bat bien.

Dylan acquiesce d’un énergique signe de tête, tandis que Joey semble me
jauger une fois encore. Je lui laisse le temps de prendre la température. Nous
restons quelques instants silencieux, Dylan, un sourire sincère pendu aux lèvres,
Joey me dévisageant, et moi tentant de la jouer relax et rester serein.

– La fille, c’est la Tigresse.

Joey répond d’un ton neutre. Intérieurement, je jubile et pourrais exécuter la


danse de la pluie, mais extérieurement je demeure détaché.

– Elle porte bien son nom.

Ma remarque est d’une banalité affligeante, pourtant cela semble fonctionner


sur mes comparses.

– Elle ne plaisante pas, cette nana.

Joey prononce ces mots avec une certaine gravité dans la voix, Dylan, lui,
acquiesce de la tête. De toute évidence, elle est connue dans le milieu, reste à
savoir quel milieu.

– Où est-ce qu’on peut la voir combattre ?

Mes camarades se figent, échangent un regard hésitant et paraissent tenir une


discussion ensemble, sans même prononcer un mot. Je ne compte pas me laisser
impressionner. Tous deux semblent parvenir à un accord tacite et Joey reprend la
conversation.

– Ce sont des combats clandestins.

Je m’en serais douté, pas besoin de le dire. Je mets en route mes méninges.
Joey se méfiait, il trempe donc dans le milieu, et s’il me répond, c’est que j’ai
gagné assez de points pour entrer dans ce cercle privé moi aussi.

– Où ?
– Eh bien disons qu’ils ne laissent pas entrer n’importe qui, si tu vois ce que
je veux dire.

Joey se marre et lance un regard amusé en désignant ma tenue du menton.


C’est vrai que j’ai plus l’air premier de la classe que fan de combats clandestins,
mais je veux voir cette tigresse. Quelques minutes de combat m’ont convaincu,
cette fille est mon alter ego. Elle possède une rage en elle, une rage destructrice
et salvatrice à la fois, et je ne connais que trop bien cette rage. Celle qui peut
vous détruire autant que vous élever. Ce sentiment m’a tenu compagnie durant
deux ans, devenant ma seule camarade, ma seule confidente et mon exutoire
secret. Je reconnais désormais ce sentiment entre mille, pourtant, je n’avais
jamais vu une personne exprimer sa colère avec tant de beauté et de violence.
J’admire la rage que cette fille contient en elle, car bien qu’ayant choisi de
laisser la mienne derrière moi, je ne peux nier son existence encore nichée dans
les recoins sombres de mon cœur. J’aimerais seulement m’approcher d’elle,
découvrir ce qui peut avoir meurtri cette fille au point qu’elle décide de laisser
libre cours à sa colère. J’aimerais apaiser sa rage autant que l’attiser, afin, peut-
être, que nos colères communes se tiennent compagnie l’une l’autre. J’aimerais
trouver une personne capable de me comprendre, car personne ne peut jamais
comprendre ce que c’est que de vivre avec sa rage pour seule compagnie.
Personne, sauf ceux qui ont choisi d’accepter, et ils sont rares. Cette fille me
ressemble, trop peut-être, ou plus du tout désormais, mais qu’importe, je dois la
rencontrer, ou au moins la voir combattre.

Je réfléchis vite afin de justifier ma tenue, non, je ne pourrai pas. Dans ce cas,
comment justifier mon envie de voir un tel combat ? Une idée me vient.

– C’est pour mon pote. Il fête ses 20 ans et il est plus du genre combat que
moi. Je me dis que ça pourrait être sympa que je lui offre un si beau spectacle
pour son anniversaire.

Les deux amis échangent un regard, je reprends.

– Ouvrez la porte, il est à la table en face.

Ils s’exécutent.

– C’est celui qui discute avec la serveuse blonde.


– Ah ouais, désolé, mais enfin tu sais, je ne pouvais pas savoir que tu
fréquentais ce genre de mec. Tu aurais pu être un flic en civil.

Cette remarque me fait sourire.

– Pas de problème. J’imagine que je n’ai pas l’allure de ceux qui viennent à
ce genre de combat.
– C’est clair, mais ton pote, lui, entrerait sans problème.
– Alors aidez-moi à le rendre heureux pour son anniversaire. On n’a 20 ans
qu’une fois après tout.
– Les combats ont lieu dans une salle de boxe, à deux pas de Main Street. Tu
t’y rends pour vingt et une heures et tu présentes ton invitation.
– Comment je récupère une invit’ ?
– File-moi ton numéro de téléphone, je te l’envoie par SMS.

Je m’exécute sans broncher. Une voix dans ma tête me dit d’arrêter tout de
suite mes bêtises, mais une autre voix, plus bruyante, me dit que je dois foncer,
que je dois faire exactement ce dont j’ai envie, sans regret, parce que le temps
nous est à tous compté. Évidemment, je me fie à cette voix, la voix de celui que
j’ai perdu trop tôt. Depuis que j’ai accepté sa mort, j’ai aussi accepté de vivre, et
cela à tout prix, sans regarder en arrière, sans me poser trop de questions, sans
regretter ce qui ne sera pas. En cet instant, je suis serein, amusé même, car
l’ancien Grayson aurait vendu père et mère pour se rendre dans ce genre de
combat. Finalement, me retrouver ici ce soir est une bonne chose, l’occasion de
renouer avec toutes les personnalités qui me composent.

– Tu te présentes avec ce SMS et vingt euros par personne pour payer


l’entrée. C’est une invitation valable seulement pour ce soir, si tu veux continuer
à aller voir les combats, je peux t’enregistrer dans mes contacts.
Un air de défiance accompagne cette proposition. Il pense que je vais refuser.
Je fouille dans ma poche et lui tends un billet de vingt euros.

– Enregistre-moi, je suis sûr que je vais apprécier le spectacle.

Il se saisit du billet et hoche la tête, sans se soucier du ton ironique que j’ai
utilisé.

– Juste un truc, tu ne m’appelles jamais, de toute façon je change de numéro


tous les mois.
– Bien sûr. Donc je présume que vous n’êtes pas seulement deux spectateurs,
pour pouvoir distribuer des invitations comme ça.
– Disons qu’on se bat nous aussi de temps à autre.
– Contre la Tigresse ?
– Non, tu es fou ! Il n’y a que les malades pour combattre contre elle. Nous,
on tient à rentrer chez nous en un seul morceau à la fin de la soirée.

J’acquiesce d’un signe tête, ces deux-là ont des allures de vrais durs, mais au
fond je ne pense pas que ce soit le cas. Comme quoi, les apparences sont
trompeuses.

– Bon eh bien, merci les gars.

Je range mon téléphone dans ma poche après avoir vérifié que j’ai bien reçu
l’invitation, puis je quitte les sanitaires. Je ne devrais pas me rendre à ce combat,
mais j’en ai envie. Toute cette violence, toute cette rage, je veux voir de mes
propres yeux cette fille se battre.

Je rejoins Colin, qui demande à sa copine de disparaître. Ils échangent un


regard amouraché que je tente de ne pas voir. Je vérifie l’heure en prenant place
sur la banquette, il est vingt heures vingt, le combat débute à vingt et une heures.
Si je veux y être, je vais devoir partir maintenant. Je me demande si Colin aurait
envie de venir. Je crois que cela nous ferait du bien, à lui et moi. En deux ans, il
m’a vu changer, et notre amitié s’est modifiée. Nous étions toujours fourrés
ensemble, les soirées, les bêtises et les meilleurs moments de nos vies, nous les
vivions ensemble. Mais tout a changé et durant deux années, il est devenu mon
auxiliaire de vie, celui qui veillait sur moi, celui qui occultait mes silences. Je lui
dois beaucoup. Renouer avec notre lien passé permettrait de nous retrouver
comme au bon vieux temps, même si cela ne dure qu’une soirée.

– Colin, ça te tente un truc fou ?


– Genre ?

Ses yeux pétillent. Je me souviens encore de la dernière fois où je lui ai fait ce


genre de proposition. C’était pour nos 18 ans, je venais juste d’avoir mon permis
et mon frère m’avait offert un beau quatre-quatre tout neuf. J’avais débarqué à
minuit pile chez lui, le jour de son anniversaire, et lui avais dit exactement la
même chose. Il m’avait suivi sans broncher dans un road trip d’une semaine.
Alcool, filles et même drogues, nous avions tout fait. Sept jours plus tard, nous
rentrions dans un sale état mais des souvenirs plein la tête.

– Genre combat clandestin.


– Sérieux ?
– Ouais, comme au bon vieux temps, toi et moi, partant à l’aventure sans peur
et sans souci.
– Mais tu sais où ont lieu ces combats, toi ?

Le ton de Colin est sarcastique, mais je ne m’en formalise pas.

– Eh bien, il s’avère que oui, et j’ai une invitation pour ce soir. Mais le
premier combat est à vingt et une heures, donc…
– Putain, qu’est-ce que tu attends, on bouge !

Colin ne me laisse même pas le temps de finir ma phrase que, déjà, il attrape
sa veste en cuir, prêt à bondir. Je le reconnais bien là, prêt à partir à l’aventure et
excité par de nouvelles découvertes ! Je souris intérieurement, comme au bon
vieux temps.

Nous quittons le bar en moins de cinq minutes et rejoignons mon quatre-


quatre, je n’en ai pas changé depuis trois ans. Colin s’installe sur le siège
passager, tandis que je passe derrière le volant. Je règle le GPS sur l’adresse
indiquée et nous filons rejoindre le périphérique.

– Putain, mec, ça va être top. Depuis deux ans que je suis là, je n’ai jamais
réussi à obtenir une invitation, et toi tu débarques et déjà tu en as une !
– Que veux-tu, c’est mon charme qui veut ça.
Nous échangeons un regard complice avant de pouffer de rire comme des
enfants.

– Tu m’avais manqué, Grayson.


– Toi aussi.

Colin se tortille sur son siège d’impatience. Je dois bien avouer que cela me
fait plaisir de le voir ainsi. Nous ne sommes qu’à quelques rues de l’adresse
indiquée, lorsque mon ami me conseille de me garer.

– Mesure de sécurité, au cas où la police débarquerait. De plus, laisser ton joli


quatre-quatre dans ce genre de quartier n’est pas une bonne idée, si tu comptes
repartir avec tes quatre roues.
– Tu as raison.
– Si on est séparés au cours de la soirée, on fait comment ?
– Prends le double de mes clefs et on se retrouve ici.
– Comme au bon vieux temps !

Il a raison, nous avons toujours fait ainsi, chacun ayant les clefs du véhicule
de l’autre. Je me souviens des matins où je frappais au carreau de sa Ford afin de
le réveiller. Souvent, l’un de nous dormait dans la voiture, tandis que le
deuxième passait la nuit avec une fille. Parfois même, en pleine nuit, alors que je
venais me réfugier dans ma voiture, je le trouvais endormi, roulé dans un sac de
couchage.

– Tu as toujours nos kits de survie dans le coffre ?

Colin interrompt mon moment nostalgie.

– Évidemment.
– Toi, tu assures !

Nos kits de survie sont en fait deux sacs de couchage, deux oreillers, des
caleçons et deux trousses de toilette pour les nuits trop courtes. À cela s’ajoutent
la pharmacie, aspirine et autres, ainsi que beaucoup de bouteilles d’eau.

Je n’ai jamais pu me résoudre à jeter nos affaires, et d’année en année, j’ai


continué à renouveler les stocks régulièrement. De toute évidence, j’ai bien fait.
Nous quittons ma voiture et remontons les rues désertes à pied. Lorsque nous
nous engageons enfin dans la bonne rue, je suis étonné par le calme ambiant. Je
pourrais même croire que je me suis trompé d’adresse, si je ne distinguais pas la
silhouette d’un videur devant l’entrée de ce qui doit être une salle de sport.

Nous avançons droit sur lui, confiants autant que nous pouvons l’être. À sa
hauteur, impossible de ne pas remarquer ses bras tatoués, sa barbe négligée, son
visage fermé, du genre impassible et blasé. C’est si cliché que j’en rirais si je ne
désirais pas ardemment entrer dans cette salle.

Il pose à peine un regard sur Colin, mais me dévisage. Je ne me laisse pas


impressionner, je sors mon téléphone et un billet de cinquante euros que je lui
tends.

– Deux.
– Je ne rends pas la monnaie.
– Je n’y comptais pas.
– Invitation.

J’ouvre le SMS et lui colle sous le nez. Colin tente de conserver son sérieux,
mais la situation l’amuse, il connaît mon caractère explosif et se doute que
donner une leçon à ce videur ne me ferait nullement peur. Mais c’est inutile, le
gros bras se saisit de mon billet et fait un pas de côté afin de nous libérer le
passage. Je devance Colin.

Une fois à l’intérieur, il passe son bras autour de mes épaules et plaque une
bise sonore sur ma joue.

– T’es le meilleur !
– Je sais.
– Installe-toi, je vais nous chercher deux verres.

Colin disparaît dans la foule, me laissant me questionner sur la manière dont


il va trouver deux verres dans une salle de sport. Mais je me garde bien de faire
la remarque. Colin trouverait de la bière dans le désert, alors j’imagine qu’en
dénicher ici n’est pas si compliqué pour lui.

La salle est grande mais bondée. C’est une salle de sport comme les autres, un
parquet ciré et des gradins, rien de bien exceptionnel. Je repère des places
disponibles sur la gauche et prends cette direction.

Au milieu de la salle, je distingue le ring dressé pour l’occasion. Deux


hommes semblent s’échauffer. Ils trottinent sur place dans leurs jeans et marcels
moulants. Le stéréotype des gros bras, tout comme le videur. Pourquoi ne suis-je
pas surpris ? Je prends place sur un banc inconfortable, mais qui a l’avantage
d’être près du ring. Premier rang évidemment, je veux la voir de près.

À peine ai-je retiré ma veste que Colin vient me rejoindre, deux grands
gobelets en plastique dans les mains. Il me tend l’un d’eux et prend place à mes
côtés.

Le premier combat débute, je reste bouche bée, stupéfait par le déchaînement


de violence dont font preuve les deux hommes sur le ring. Apparemment il n’y a
aucune règle dans ces combats, c’est au premier qui s’écroulera ou déclarera
forfait.

Parmi la foule, certains semblent parier sur les gagnants, ou le nombre de


manches qu’ils tiendront. L’ambiance est survoltée dans la salle et même Colin
semble se prendre au jeu en criant le nom des combattants.

L’organisation est simple, chaque combat, qui dure quinze minutes, est
découpé en cinq manches de trois minutes. Si à la fin du délai imparti aucun des
deux n’a rendu les armes, c’est au public d’élire le vainqueur à l’applaudimètre.

Une dizaine de combats sont programmés, sept entre hommes, deux entre
femmes, et enfin, celui qui se définit selon le présentateur comme le combat du
mois, celui entre le Titan et la Tigresse évidemment, en fin de soirée. Il précise
que la Tigresse est la seule femme à concourir dans la catégorie mixte et qu’elle
est actuellement dans une série de neuf victoires consécutives. Deux femmes
s’avancent sur le ring et entament leur match. Colin se penche vers moi.

– On dit que la Tigresse est un missile humain, certains de ses adversaires


sont sortis des combats sur des brancards.
– Vraiment ?

Cette révélation me laisse songeur.


– Ouais, c’est en partie pour la voir que les foules se déplacent. Et de grosses
sommes d’argent sont misées sur elle. On dit aussi qu’elle étudierait dans notre
fac. Tu imagines, une fille comme ça dans notre fac ? Si je tombe sur elle, je te
promets que je l’épouse !
– Tu n’aurais pas peur qu’elle t’étouffe dans ton sommeil ?
– Je suis prêt à prendre tous les risques pour elle, et tu comprendras lorsque tu
la verras.
– Je croyais que tu n’étais jamais venu ? Comment sais-tu tout ça ?
– Je n’ai jamais eu d’invitation, mais je visionne les combats sur YouTube, et
cette fille, elle vaut le détour ! À la fac, tous ceux qui n’ont pas un balai où je
pense connaissent la Tigresse. Elle est mythique, dans le coin.
– Rassurant, cela signifie que je ne suis pas une cause perdue.
– Tu ne l’as jamais été. Même si ces derniers temps tu te conduis bizarrement,
te fringues comme un plouc et refuses de t’amuser comme avant.

Je souris. C’est vrai que je m’habille plutôt BCBG, mais je ne pense pas que
des vêtements puissent définir qui je suis en totalité. Tout comme mon quatre-
quatre ou mon appartement ne font pas de moi un fils à papa, même si cela y
ressemble. J’ai de l’argent pour financer mes études, et même assez pour me
faire plaisir. Mais cela n’a rien à voir avec une rente versée par ma famille. Cet
argent, je l’ai gagné durement.

Les combats s’enchaînent et je me prends au jeu. Lorsque, vers vingt-trois


heures cinquante, le présentateur nous annonce le combat de la soirée, mon cœur
est sur le point d’exploser.

Le premier à monter sur le ring est le Titan, un mètre quatre-vingts pour


quatre-vingt-dix kilos de muscles. Je dois avouer que même moi je ne m’y
frotterais pas. Il doit avoir 25 ans, arbore de nombreux tatouages et exhibe ses
muscles comme des trophées.

Lorsque la Tigresse fait son entrée, la salle se lève pour l’acclamer. Moi-
même, je frappe dans mes mains et l’encourage.

Elle est plus petite que son adversaire, un mètre soixante-dix, et ne pèse que
soixante-cinq kilos, ce qui ne semble inquiéter personne. Les bras de cet homme
doivent faire deux fois ceux de la fille et je ne peux m’empêcher d’être inquiet
pour elle. Elle porte un jean simple et un débardeur blanc. Du blanc ? Pour un
combat, c’est un peu risqué, non ? Elle a recouvert son visage d’une peinture
grise, sans doute pour masquer son identité. Elle porte aussi un bandeau sur les
yeux, mais dans son regard je lis la détermination. Je frissonne d’être en sa
présence. Je me reconnais en elle, je me revois deux années plus tôt, j’observe
ses gestes, sa détermination et admire sa manière de contenir ses émotions. Je
suis happé par ce moment unique, et m’y abandonne, confiant.

Elle retire sa veste, dévoilant le tatouage sur son épaule. Ce papillon. Je


connais ce tatouage, j’en suis certain.

Je ne peux détacher mon regard d’elle, elle sautille sur place. Son corps est fin
et élancé, elle fait frêle à côté de son adversaire. C’est peut-être ça le truc, elle
semble si fragile que les hommes ne se méfient pas d’elle. Mais j’en doute, après
neuf victoires, les personnes qui l’affrontent doivent bien savoir à quoi
s’attendre. Elle est brune, ses cheveux sont bouclés, je pense, vu la manière dont
des mèches rebiquent de son chignon. Ils doivent lui arriver aux épaules. Son
regard est vert, profond ; même à vingt mètres de distance, je suis subjugué.

Le début du combat est donné et la Tigresse se jette sur son adversaire. Elle
lui donne plusieurs coups de poing en pleine figure, suivis de coups de pied dans
les tibias. L’homme riposte avec une violente gifle, cela a pour effet de couper la
lèvre de la Tigresse. Elle essuie le sang sur son visage d’un revers de main,
semblant presque insensible à la douleur. Le Titan se jette sur elle et tente de
l’étrangler. Elle a le dos collé à son torse, il a enroulé son avant-bras autour de
son cou.

La foule est en délire, pas moi. Je retiens mon souffle en priant intérieurement
pour qu’elle parvienne à se libérer. Je suffoque presque à sa place. J’ai peur, une
peur viscérale.

Pourquoi me soucier de cette fille que je ne connais pas ? Je n’en sais rien,
mais elle me fascine. Étrangement, elle ne se débat pas, elle se laisse faire. Puis,
comme un serpent s’enroule autour de sa proie sans lutter, la Tigresse replie ses
jambes et donne deux violents coups de pied dans les genoux du Titan. Il la
lâche et tombe au sol, plié de douleur.

– Elle lui a cassé au moins une rotule, c’est du délire.


Colin crie cela tout en semblant vraiment excité par cette nouvelle. Je suis en
revanche dérouté par la violence du geste. L’homme est au sol, plié de douleur,
mais elle ne lui laisse pas de répit pour autant, enchaînant plusieurs coups de
pied en plein dans l’estomac.

Le cri que le Titan pousse est presque animal. La Tigresse, elle, tourne autour
de lui en faisant des mouvements de bras, invitant la foule à faire plus de bruit.
L’effet est immédiat, tous semblent ravis de ce spectacle. L’homme tente de se
relever, mais aussitôt elle le saisit par les cheveux et lui murmure quelque chose
à l’oreille. Le Titan acquiesce puis lève une main en l’air en baissant son pouce
vers le sol. Le présentateur prend la parole.

– Saluons tous la dixième victoire de la Tigresse, encore un record puisqu’elle


vient de venir à bout de son adversaire en deux minutes et quarante-cinq
secondes ! Messieurs dames, restez avec nous pour les combats amateurs. Qui
que vous soyez, venez, vous aussi, sur ce ring vous mesurer à nos champions !

Le Titan, toujours au sol, est secouru par deux hommes qui passent leurs bras
sous ses épaules pour l’aider à quitter le ring. Je reste figé par le déchaînement
de violence dont je viens d’être le témoin. Elle lui a brisé un genou sans
sourciller. Colin est en transe à mes côtés. J’observe la Tigresse qui remet sa
veste et quitte le ring en tenant sa paume de main contre son sourcil. Il me
semble que durant le combat, l’homme lui a donné un coup à cet endroit. Lui
aurait-il ouvert l’arcade ?

Elle traverse le gymnase et se dirige vers les vestiaires. Un homme l’y attend.
Je veux la voir de plus près, j’en ai besoin. Je veux lui parler. Cette fille vient de
faire renaître une flamme en moi, j’ai besoin de l’approcher avant que la flamme
ne s’éteigne.
2.

Katherine

Je quitte la salle et rejoins le vestiaire où Jason m’attend. Il m’adresse un


large sourire, le combat a dû lui rapporter un bon bonus. Je le dépasse sans un
mot et me dirige vers le banc, je dois m’asseoir et retrouver mes esprits.

– Je crois que j’ai besoin d’un point ou deux au niveau de l’arcade. Cet abruti
avait une chevalière.
– Pas de problème, je te fais ça. Et ta lèvre, ça va ?
– Un peu de glace et ça ira.

Jason prend place sur le banc face à moi et ouvre la trousse de secours. Je
saisis ma bouteille d’eau et bois la moitié d’un litre. Il désinfecte mon arcade, je
ne ressens même pas la morsure du désinfectant sur la plaie.

– Tu as été incroyable ce soir.


– Dommage que le mec n’ait pas tenu la distance. J’avais encore pas mal de
colère à déverser.
– En attendant, tes deux minutes quarante-cinq nous ont rapporté plus que tes
trois derniers combats réunis.
– C’est pour ça que tu souris comme un imbécile heureux ?
– Certainement.

Jason suture mon arcade sans se défaire de son air niais. Ça fait presque un an
que je l’ai rencontré. Il est le gérant d’une salle de boxe en ville. J’ai poussé sa
porte un peu par hasard, j’avais besoin d’en découdre. Très vite, il a repéré mon
potentiel et m’a inscrite à mon premier combat, ici même, la semaine suivante.

J’ai dû exploser le crâne d’une dizaine de filles avant qu’on me laisse


combattre en mixte. Cette catégorie n’existait même pas, ils l’ont créée pour
moi.
Depuis, Jason est devenu mon coach, conseiller fiscal et infirmier à temps
partiel. Je lui donne vingt-cinq pour cent sur tout ce que je gagne, en échange, il
fait exactement ce que je lui demande de faire. Je le laisse aussi faire ses propres
paris, cela me garantit sa loyauté. Je n’ai pas le temps de douter de ceux qui
m’entourent, et vu qu’il en fait partie, je dois m’assurer qu’il me restera fidèle et
intègre.

Les règles sont simples, je lui envoie un SMS le mardi si je veux combattre, il
se charge de trouver les adversaires. Il paye l’inscription et prend les paris. À la
fin du combat, il s’occupe de récupérer notre argent, il me soigne et surtout il me
fout la paix.

Nous ne sommes pas amis, juste partenaires en affaires. Je lui dis quoi faire
de mon fric et il obéit.

Jusqu’à présent, notre duo fonctionne plutôt bien. Il se charge même de me


trouver de la distraction quand j’en ai besoin. J’ai toujours été claire avec Jason,
entre nous, jamais de sexe. C’est impératif pour garder des rapports sains.

Quant aux autres mecs, je passe une heure ou deux avec eux, puis je me tire.
Je n’ai pas le temps pour toutes ces conneries de rendez-vous. Je n’ai pas envie
de faire connaissance. J’ai juste envie, parfois, de boire une bière et de baiser.
Mais une fois la partie de jambes en l’air finie, chacun reprend sa vie et on ne se
connaît plus. Je ne donne mon numéro à personne et personne ne me le réclame.

C’est à prendre ou à laisser.

– Tu lui as dit quoi à ce mec, pour qu’il abandonne le combat ?

Jason me fixe avec avidité. Il aime ce genre de détail, il est accro à ma


bestialité ; pas seulement parce qu’elle lui rapporte gros, je suis une espèce de
drogue pour lui. Il se nourrit de ma rage par procuration.

– À ton avis ?
– Un truc dans le genre « si tu te relèves, je t’explose le deuxième genou » ?
– Ouaip, en gros c’est ça.

Jason me sourit. Avant de me rencontrer, il avait deux poulains qu’il coachait


pour ce genre de combat. Mais depuis qu’il m’a prise sous son aile, il ne se
consacre qu’à moi. Je lui rapporte tellement d’argent qu’il a ouvert une
deuxième salle de boxe à l’autre bout de la ville.

Ses revenus ont triplé et il a pu offrir à sa femme une belle maison en


périphérie du centre. Dans le fond, je l’aime bien, Jason. L’année dernière, il m’a
invitée à passer le Nouvel An avec sa femme et ses deux enfants. C’était assez
agréable, sa femme a 35 ans, elle est comptable et plutôt sans chichi.

Je me souviens avoir passé un moment agréable avec eux. Jason m’a toujours
présentée comme une étudiante fréquentant sa salle, et personne n’a jamais posé
de question. Jason, de toute façon, n’a pas la tête du menteur : petite quarantaine,
bel homme, propre sur lui. Il fait plutôt père de famille modèle que coach pour
des combats clandestins. C’est aussi pour cela que j’ai accepté qu’il s’occupe de
moi.

Il n’a pas la tête de l’emploi, ce qui nous permet d’échapper à la vigilance de


la police. Je refuse que mon casier judiciaire soit entaché par ces combats.

Jason me protège quand un des gars menace de porter plainte, comme le con
de ce soir à qui j’ai dû péter le genou. Ces mecs viennent se battre contre moi, ils
signent une décharge et pensent pouvoir être les premiers à me vaincre. Ils
pourraient ainsi épater la galerie. Mais cela ne se passe pas comme ils le rêvent
la plupart du temps. Après le combat, ils finissent minables et veulent me faire
payer leurs déculottées.

Mais Jason couvre mes arrières, il fait en sorte qu’aucun de ces gars ne puisse
me retrouver ou connaître mon identité. Ça fonctionne bien, nous n’avons jamais
eu de problème majeur. Sauf pour ce mec à qui j’ai mis un coup de pied dans le
dos. Je lui ai cassé deux côtes et il a été en incapacité de travail pendant des
semaines. Afin qu’il la ferme, j’ai payé ses soins. Ce mec l’avait cherché, il
connaissait les risques, pourtant il n’a pas hésité à monter sur le ring pour en
découdre.

Depuis, Jason fait signer des décharges à tous ceux qui m’affrontent, ce qui a
deux fonctions, la première, nous protéger, la deuxième, perpétuer le mythe.

Je surprends parfois, dans les couloirs de la fac, des personnes parler de mes
exploits. C’est toujours amusant.
Je pense au match que je viens de gagner. Le Titan, encore un de ces mecs
persuadés que ses muscles allaient venir à bout de moi. Lorsque j’ai senti son
bras serrer ma gorge, j’ai su que j’allais le mettre à terre.

Ma rage est mon seul moteur, elle cristallise mes douleurs pour les déverser
sur ceux qui ont le malheur de croiser ma route. C’est mon exutoire.

Lorsque je l’ai vu tenter de se relever, j’ai su que s’il le faisait, j’allais sans
doute le laisser dans un état minable. Au moment où j’ai saisi ses cheveux, j’ai
hésité entre cogner sa tête contre le sol ou lui laisser une chance. Mais j’ai lu la
terreur dans ses yeux. « Si tu te relèves, je te promets que tu sortiras de cette
salle les deux pieds devant ». Je lui ai chuchoté ces mots avec conviction,
tellement de conviction qu’il a abandonné le combat. C’était sans doute mieux
ainsi, car s’il s’était relevé, je crois que je l’aurais tué…
3.

Grayson

Je traverse la salle à grandes enjambées et me dirige vers le vestiaire.


Évidemment, un gorille me barre la route, mais je ne compte pas me laisser si
facilement démonter. Je me poste face à lui et le défie du regard, même s’il fait
deux têtes de plus que moi.

– J’aimerais rencontrer la Tigresse.


– Personne ne passe.

Cet homme ne m’impressionne pas. Je le sais d’expérience, dans la vie, la


plupart des personnes ont un point faible, qui en général gravite autour de
l’alcool, les femmes, ou l’argent. Ne pensant pas pouvoir lui mettre à disposition
les deux premières solutions, je tente la troisième option et tire de ma poche mon
portefeuille. J’en sors un billet de cinquante et lui tends. L’homme me dévisage
un quart de seconde avant d’éclater de rire. Je patiente, penaud et incertain, mais
lorsque le vigile reprend son calme, je comprends à son regard que je ne passerai
pas. Je décide pourtant de ne pas m’arrêter là. Je fouille dans mon portefeuille et
cette fois en tire un billet de cent. Le vigile ne rit plus, il croise ses bras sur sa
poitrine et m’observe de toute sa hauteur.

– Dégage avant que je ne perde patience.


– Combien ?

Je tente de parler d’un ton neutre et détaché, comme si la situation m’était


naturelle, alors qu’elle ne l’est pas. Comme si je ne trépignais pas d’impatience à
l’idée que mon alter ego se trouve seulement à quelques mètres de moi.

– Laisse tomber petit, tu n’as pas les moyens.


– Dis toujours.

Le regard que je lui lance semble être convaincant, car ses épaules se
détendent légèrement.

– Cinq cents.

Ne pas montrer ma surprise, ni même ma stupéfaction, voilà ce que je me


répète en préparant les billets. Je cache ma nervosité en prenant le temps de
ranger mon portefeuille, avant de tendre l’argent au vigile. J’exécute ces gestes
tout en sentant mon sang pulser dans mes veines.

Il regarde les billets, puis moi, puis de nouveau les billets et s’en saisit avant
de s’écarter d’un pas.

J’avance dans le couloir, et m’autorise enfin à reprendre mon souffle que je


retenais depuis l’instant où j’ai offert à cet homme une somme indécente sans
même avoir la certitude de pouvoir parler à la Tigresse. Dans le couloir, je croise
des hommes et des femmes qui ont déjà combattu quelques heures plus tôt.

Certains m’ignorent, d’autres me lancent des regards amusés. Je n’y prête


aucune attention. Je longe le mur, jetant un œil dans chaque pièce pour la
retrouver. J’arrive à l’avant-dernière porte sur la droite, je glisse un œil : elle est
là, en pleine discussion avec un homme.

– Comme d’habitude.

La voix de cette fille contraste avec sa violence. Une voix douce, presque
chantante. Ses quelques mots expriment une certaine lassitude, alors que tout son
être clame la détermination.

– Tu as déjà réglé un an de prise en charge, ils ne veulent plus de tes avances.

L’homme s’adresse à elle de manière protectrice, presque paternelle, je


n’aime pas vraiment cela. Ce comportement titille mes instincts, mes désirs.

– C’est du grand n’importe quoi, qu’ils prennent ce fric et l’utilisent pour


embaucher du personnel.

Le ton de la Tigresse ne laisse pas place à la plaisanterie. Elle est de biais,


mais je perçois que son visage a retrouvé une couleur plus naturelle, ses
pommettes sont saillantes, d’un ton pêche, elles tressaillent sous le coup de la
colère qu’elle contient. Elle tente de paraître inébranlable, pourtant son visage
reflète chacun de ses sentiments. Sa bouche se veut dure, mais ses lèvres
expriment la douceur. Son regard se veut distant, mais exprime de la peine. Son
corps lui-même, instrument de violence, semble, de plus près, plus enclin à la
sensualité qu’au combat. En moi naissent des sentiments contradictoires, l’envie
de bousculer cette fille afin de faire éclater sa colère, mais aussi celle de la serrer
contre moi et de lui dire que tout finira par aller mieux.

– Prends cet argent et fais-toi plaisir, je ne sais pas, moi, passe ton permis,
pars en vacances.

La voix de cet homme est toujours égale. Il tente un pas vers elle, mais elle se
recule. Un geste qui calme ma jalousie, bien que je sache que cette même
jalousie est totalement déplacée.

– Tu me fatigues. Je n’ai pas besoin de cet argent.


– Si tu n’utilises pas cet argent, je peux toujours investir dans une salle.
L’immobilier est une valeur sûre qui te rapportera une rente non négligeable.
– Non merci. Écoute, dépose le tout dans une enveloppe à mon nom chez
Benjamin.

Benjamin ? Un petit ami ? Un frère ? Un père ? Ma jalousie me salue tandis


que mon cerveau tente d’analyser la manière dont la Tigresse a prononcé ce
prénom, afin d’en déduire qui est cet homme. Peine perdue, et comportement
irrationnel que je ne tente pas de réprimer.

– Tu vis toujours là-bas ?


– Bien sûr.
– Il serait peut-être temps de trouver autre chose, non ?

Un ex ? La pire catégorie selon moi. Mon regard suit cette conversation avec
avidité, tentant de déceler chez la Tigresse le moindre mouvement de cils me
permettant de découvrir qui elle est vraiment.

– Lâche-moi Jason, je gère ma vie comme je l’entends.


– J’avais remarqué.

Même si les mots qu’elle emploie sont durs, la Tigresse a du respect pour cet
homme, je n’en doute pas. Cette remarque sonne la fin de la discussion. Je
décide de me plaquer contre le mur afin qu’ils ne me remarquent pas. J’aimerais
l’écouter parler encore. Je sais qu’espionner est mal, mais cette fille a un sacré
caractère et je doute que l’approcher soit une chose facile. Le silence retombe
dans la pièce, je retiens mon souffle.

– Je te tiens au courant pour jeudi prochain.


– Comme d’habitude.

La Tigresse est ironique, même sans la voir, je peux le deviner au ton qu’elle
emploie. L’homme, Jason, est le premier à quitter la pièce. Il m’aperçoit, me
dévisage de la tête aux pieds avant de sourire. Il se retourne et lance en direction
de la fille :

– T’as de la visite, Princesse !


– Je ne veux voir personne.

Jason repose son regard sur moi, toujours aussi amusé par la situation et ma
présence. Je me demande si c’est à cause de mon allure, ou du fait qu’il m’ait
surpris en train de les espionner.

– Je vais l’attendre quand même.

Je ressens le besoin de me justifier face à cet homme. Sans doute à cause de


sa prestance, ou du regard amusé qu’il pose sur moi. En tout cas, qu’importe ce
qu’il peut me dire, je ne me découragerai pas.

– Tu devrais filer avant qu’elle ne sorte. Si tu l’as vue combattre, tu sais déjà
qu’il ne faut pas la contrarier.

Jason m’adresse ces mots sur le ton de la confidence, tout en jetant des
regards vers le vestiaire.

– Merci du conseil, mais je reste.

Mes mots sont prononcés avec détermination. Je croise même les bras sur ma
poitrine, histoire de me donner une contenance.

– On ne pourra pas te dire que je ne t’ai pas prévenu. Mais si elle te laisse
pour mort dans ce couloir, il ne faudra pas venir te plaindre.

Jason me lance ces mots et disparaît. Je patiente encore un petit moment avant
qu’elle ne sorte du vestiaire. Je suis nerveux, impatient et tente de me calmer en
effectuant les cent pas. Il ne faut que quelques minutes pour qu’enfin la Tigresse
quitte son antre. Elle file à vive allure en me tournant le dos. Sa tenue
quelconque, presque passe-partout, me surprend, tout comme le fait qu’elle ait
rabattu la capuche de son sweat sur son visage. De toute évidence, l’approcher
ne sera pas aussi facile que je l’envisageais. Pourtant, je ne peux la laisser filer
ainsi. Mon cerveau cherche encore une solution lorsque mon corps, lui, décide
d’agir seul. Je tente de la rattraper et lance :

– Attends.

Mon ton est implorant, mais cela fonctionne. La Tigresse s’arrête et tourne
son regard dans ma direction. Seulement un quart de seconde, mais assez
longtemps pour que son regard me transperce. Ses yeux sont comme je les
imaginais, vert intense malgré son regard dur. Son visage est fin, en tout cas, de
ce que je peux en voir sous cette capuche. Elle a défait ses cheveux et ses
boucles brunes retombent sur ses épaules. Elle est belle, vraiment très belle. Je
m’aperçois qu’elle est dans mes âges. Elle me lance un regard blasé avant de me
tourner le dos et de s’éloigner dans le couloir.

– Je ne signe pas d’autographe.


– Je ne suis pas là pour ça.
– Je ne baise pas non plus avec les fans.
– Encore loupé.

Je tente une note d’humour mais de toute évidence cela ne fonctionne pas. La
Tigresse poursuit son chemin, s’éloignant de moi. Si je ne trouve pas quelque
chose à lui dire et vite, elle va disparaître et je ne la verrai plus jamais. Je ne sais
pas pourquoi, mais le fait de ne plus la revoir me serre les entrailles, je ne
connais même pas cette fille, c’est ridicule. Le destin semble se liguer contre
moi, parce que la voix d’un homme résonne dans le couloir.

– Les flics sont à la porte.


– Chiotte.
Je lâche ce juron sans même m’en rendre compte. Si je suis emmené au poste,
cela sera porté à mon casier et je ne peux vraiment pas me le permettre. Avoir un
casier n’est pas compatible avec mon choix de carrière. La Tigresse s’arrête à
l’angle du couloir et se tourne vers moi.

– Étudiant, je présume.
– Oui.
– Quelle spécialité ?
– Droit.

Ma réponse semble l’amuser.

– Il faut vraiment être stupide pour venir ici prendre des risques insensés
lorsqu’on envisage de devenir avocat comme papa.
– Mon père est banquier et ma mère comptable.
– Je vois.

Ses lèvres esquissent un sourire puis elle reprend son chemin. Je devrais me
mettre à courir comme un fou afin de trouver une issue mais au lieu de ça, je
reste planté comme un idiot à la regarder s’éloigner. Elle dégage plus de
sensualité que toutes les femmes que j’ai connues. La morsure de son sourire est
encore gravée dans ma mémoire et je sens naître un sentiment diffus de joie en
moi.

– Si tu ne veux pas que ton nom soit mentionné dans un rapport de police, je
te conseille de me suivre.

La Tigresse me lance ces mots sans même se retourner. Je ne mets pas deux
secondes à me décider et m’élance après elle. Elle tourne à gauche puis s’engage
dans des escaliers.

– On ne devrait pas tenter de fuir plutôt que de monter sur le toit ?


– Toi tu fais ce que tu veux, moi je monte sur le toit, mais si tu n’es pas
totalement idiot, tu me feras confiance.

Je ne sais pas quoi répliquer, alors je garde le silence et me contente de la


suivre. Mon téléphone vibre dans ma poche de jean, je l’attrape. C’est un SMS
de Colin.
[Flics. Demain au RDV.
J’ai rencontré une belle brune.]

[Compris.]

Je rédige ma réponse tout en posant mon regard sur les fesses de cette fille qui
grimpe les marches devant moi. Moulées dans ce jean, elles sont sacrément sexy.

– Tu devrais éteindre ton téléphone, la police peut détecter tous les mobiles
présents dans un rayon d’un kilomètre.

Sa remarque me fait sortir de ma transe, je lui obéis car la manière dont elle
prononce ces mots me laisse supposer qu’elle sait de quoi elle parle. Elle est
confiante, et sa confiance déteint sur moi. Nous atteignons le toit. Elle tire un
trousseau de sa poche et déverrouille la porte. Le toit est désert, mais l’agitation
qui règne dans la rue nous parvient.

Elle verrouille la porte derrière moi puis se dirige vers une sorte de passerelle
entre notre toit et le toit voisin. Elle marche d’un pas tranquille et ne semble pas
inquiète par la présence de la police, quatre étages plus bas.

Le toit voisin a été aménagé en potager ou en jardin ; dans la pénombre, je ne


peux rien affirmer. De chaque côté de la passerelle, deux portes métalliques
condamnées par des cadenas. Je ne suis même pas surpris lorsqu’elle
déverrouille la première avec son trousseau.

La passerelle fait presque un mètre de long et même si je n’ai pas le vertige, la


perspective de monter dessus ne me rassure pas.

C’est à ce moment qu’elle me prend la main sans un mot et me tire vers la


passerelle. L’espace est étroit, son corps est donc collé au mien pendant qu’elle
referme à clef. Mon souffle se fait court, mon cœur semble ralentir sa course
instinctivement, comme s’il savait que nous étions en sécurité. Des émotions
longtemps oubliées refont surface, le désir, la passion, la douceur et peut-être
aussi l’amour, pas celui qui conduit à faire des folies, mais l’amour protecteur,
celui qui nous rend meilleurs. Je suis heureux et apaisé, comme lorsque j’avais
10 ans et que mon frère venait dormir avec moi parce que j’avais fait un
cauchemar. Il prenait ma main et me jurait que tout irait bien. Ce sentiment, je ne
l’avais plus ressenti depuis bien longtemps ; pourtant, la main de cette fille, bien
que plus fine que celle de mon frère, me fait ressentir une fois ancrée à la mienne
la même paix intérieure. Nous avançons toujours main dans la main vers la
deuxième porte, là encore, elle a la clef. À présent que je suis sur ce toit, je me
rends compte que ce n’est pas un potager mais bel et bien un jardin. Des
palissades accueillent des fleurs suspendues, des roses, je dirais. J’entends le son
d’une fontaine et distingue un banc en bois.

Mon inconnue me tire par la main jusqu’à un abri de jardin. Elle le


déverrouille et m’attire à l’intérieur. Une fois que nous sommes entrés, elle lâche
ma main, laisse tomber son sac de sport au sol et allume une bougie. Je reste
planté dos à la porte, je ne sais pas vraiment comment réagir. Je ne distingue pas
non plus l’endroit où nous sommes. Seule la présence d’un lit une place attire
mon regard.

– Nous avons dix minutes pour éteindre cette lumière. La police ne monte pas
sur le toit avant trente minutes, en général.

Sur ces mots, ma partenaire retire sa veste. Puis elle s’assied sur le lit pour
défaire les lacets de ses chaussures.

– On va passer la nuit ici ?


– Ouaip.
– Tu vas passer la nuit avec moi ?
– Ouaip, enlève tes chaussures.

Je me sens ridicule mais j’obéis. Elle retire son jean, me dévoilant un shorty
en dentelle noir. Je détourne le regard et me concentre sur mes pieds afin de
calmer le désir ardent qui monte en moi. Elle retire son débardeur, puis son
soutien-gorge et remet le premier. J’ai à peine le temps d’admirer ses tatouages.
Elle en a plusieurs. Je suis frustré par le peu qu’elle me dévoile d’elle-même. Je
ne désire qu’une chose, admirer son corps, le couvrir de baisers et de caresses.
Le désir qui me pousse vers elle est puissant, je ne peux pas lutter. À quoi bon ?
Mon corps la réclame autant que mon être. Je me sens impuissant et prisonnier.
Prisonnier parce qu’elle vole mon cœur chaque seconde un peu plus, impuissant
parce qu’elle ne semble même pas se rendre compte que j’existe. Elle se saisit de
ses vêtements et les pose dans un coin sombre que je ne distingue pas.
– Allez, enlève tes fringues, je ne vais pas te violer.

Sa remarque sonne durement, tandis que son regard amusé me dit tout autre
chose.

– Et tu n’as pas peur que, moi, je te viole ?


– Si tu as vu mon combat, je doute que tu tentes quoi que ce soit, à moins
d’être suicidaire !

La Tigresse me lance ces mots, tout en prenant place dans le lit contre le mur.
Son regard est joueur, elle me déroute. Je retire mes chaussettes et mon jean.
Puis ma veste et ma chemise. Je laisse le tout au sol, en cet instant je me moque
de mes vêtements. La situation est étrange mais j’adore ça, je suis même excité
par cette étrangeté.

– Enlève aussi ton débardeur et viens t’allonger.


– Pourquoi ?
– Simple précaution, la police monte parfois sur ce toit. Si cela venait à être le
cas ce soir, nous devons passer à leurs yeux pour un couple sagement endormi et
qui n’a pas la moindre idée de ce qu’il peut se passer. Je refuse d’être mêlée de
près ou de loin aux combats. Maintenant, viens t’allonger.

Elle m’ordonne cela d’une voix douce, tout en profitant allégrement du


spectacle. Je lui tourne le dos, retire mon tee-shirt et m’avance vers le lit en
tentant de masquer l’érection grandissante dans mon boxer. Je prends place sur
ce minuscule matelas, en lui tournant le dos. Elle passe un bras par-dessus moi,
règle un réveil, un vieux modèle qui fonctionne sans pile, et souffle sur la
bougie. Son corps frôle le mien, je lutte pour ne pas me retourner et caresser ses
formes.

– Mon premier cours est à neuf heures demain, ça ira pour toi ?

Je suis presque amusé par cette question.

– Oui, merci. Je pourrai te déposer si tu veux.


– Je n’ai besoin de personne pour me rendre à la fac.
– Mais j’ai une dette envers toi.
– Ça, c’est ton problème, pas le mien.
Elle se tourne vers le mur. Dans cet espace réduit, nos fesses sont collées.
Mon érection grandit. Deux ans que je n’ai pas désiré une femme et il faut que je
désire la seule que je laisse insensible ! Mais au-delà du désir, j’ai besoin de
comprendre. Comprendre pourquoi cette fille m’a laissé monter avec elle ici.
Pourquoi elle m’a aidé, alors qu’elle semble indifférente au monde qui l’entoure.

– Pourquoi tu m’as aidé ?


– Pour te torturer.

Je manque de m’étouffer en respirant de travers.

– Pardon ?
– Tu es le genre de garçon à se sentir redevable après un tel service, donc vu
que je ne vais pas accepter que tu m’aides, cela va te torturer et tu vas chercher
durant des semaines, voire des mois comment régler ta dette.
– Qu’est-ce que cela t’apporte ?
– Une distraction.
– Je vois.
– D’autres questions ?
– Oui, toujours.
– Je t’en prie, interroge-moi. Mais garde toujours en mémoire qui je suis et ce
dont je suis capable.

Ces mots ne sonnent pas comme une menace, plutôt comme un jeu. Je souris
et me détends.

– Où sommes-nous ?
– Dans l’abri de jardin d’un habitant de l’immeuble.
– Tu viens souvent ici ?
– Après chaque combat, c’est pour cela que je ne me suis jamais fait prendre.
– Malin.

Je suis sincère, cette fille force mon admiration. Je décide de poursuivre.

– Et la personne à qui appartient ce cabanon est un ami à toi ?


– Non, mais je lui rends service en échange de la clef et de la mise à
disposition de ce lieu.
– Que fais-tu pour lui ?
– Cela ne te regarde pas.
– Dis-moi juste que tu ne lui donnes pas d’avantages en nature.

Je suis presque horrifié à l’idée qu’elle monnaie ce cabanon en échange de


services sexuels. Ma réflexion la fait rire.

– Jamais de la vie, mais j’aimerais beaucoup voir ta tête horrifiée en cet


instant !
– Très drôle. Tu ramènes souvent des inconnus ici pour te payer leur tête ?
– Jamais.

Un mot, un seul, puis une douce chaleur envahit mon cœur. Il n’y a que moi,
moi et moi seul. Je ne sais pas pourquoi je me sens si fier d’être le seul, mais je
le suis !

– Je m’appelle Grayson, au fait. Grayson Scott, je te dis ça au cas où tu aurais


envie de me trucider dans la nuit ; j’ai lu que donner son nom pouvait éviter de
se faire tuer.

Je raconte n’importe quoi pour masquer ma nervosité, mais cela semble


marcher car ma partenaire glousse.

– Katherine, et effectivement donner son nom est une bonne dissuasion contre
le meurtre ! Tu vas être un avocat du tonnerre, Gray !

Je souris, Gray, c’est étrange, cela fait bien longtemps que plus personne ne
me surnomme ainsi. Ceux qui ont tenté, d’ailleurs, ont été gentiment remerciés,
mais je ne lui ferai aucune remarque, à elle. Au contraire, sur ces lèvres, ce
surnom retrouve toute sa joie de vivre et sa tendresse. Je pourrais l’écouter
m’appeler ainsi des heures. Je me demande même ce que je ressentirais si elle
me le susurrait à l’oreille. Je me ressaisis.

– Eh bien, Katherine, sache que je suis des plus enchantés. Et je ne manquerai


pas à mon rôle de distraction au cours des prochaines semaines !
– J’y compte bien. Mais garde toujours à l’esprit le combat que tu as vu ce
soir, afin de ne jamais oublier que si tu révèles à quiconque qui je suis ou ce que
je fais, je pourrai te faire très mal.
– Aucun risque, Kat, je vais te garder pour moi seul.
– Maintenant dors, notre premier cours est à neuf heures, et le droit pénal,
c’est rasoir.

Je me fige, évidemment que je connais cette fille, cela fait un semestre qu’elle
est en cours avec moi. Les pièces du puzzle se mettent enfin en place et je reste
stupéfait par ma bêtise.

– Katherine Kavanah, je savais bien que je te connaissais.


– Ouaip, tu es juste un peu long à la détente, Sherlock ! Maintenant, dors ou je
te bâillonne.
– Bonne nuit Kat.
– Bonne nuit Gray.

Elle m’a demandé de dormir mais je ne peux pas, dans mon esprit je repasse
chaque image de Kat à la fac que j’ai en mémoire. Toujours dans ses jeans et ses
Converse usées. Elle porte des lunettes en cours, c’est peut-être pour cela que je
n’ai pas fait le rapprochement. Cette fille est la discrétion même. Elle ne prend
jamais la parole, pas même dans notre groupe de débat. Pourtant elle est
intelligente, les professeurs citent souvent certains de ses devoirs. Elle est
inscrite en fac de droit mais suit aussi des cours en auditrice libre en psychologie
ou en médecine.

J’ai du mal à croire que c’est la même fille que j’ai vue ce soir casser le genou
d’un homme. C’est incroyable, et pourtant cela me plaît. J’ai vu la rage en elle,
mais aussi la douceur.

J’aime les reliefs dans la vie, j’aime les antithèses et les opposés, j’aime les
énigmes insolubles et je crois qu’elle aussi je l’aime bien.

Deux ans de solitude et voilà que j’éprouve ce fameux frisson, ce fameux


désir, pour une jeune femme aussi violente que moi. La seule différence c’est
qu’elle laisse la rage sortir, tandis que j’ai appris à la dompter, à l’enfermer. Mais
elle me plaît, et je ne sais pas jusqu’où cette attirance me mènera.
4.

Katherine

Je l’avais déjà reconnu dans le couloir des vestiaires, mais j’ai bien vu que lui,
non. Ce garçon est l’un des rares à ne pas être barbant, dans notre classe de droit.
Il a toujours des idées novatrices et des arguments originaux pendant les cours de
débat. J’aime bien ça.

J’ai adoré sa tête lorsqu’il a entendu que la police arrivait. C’était drôle. Je
n’ai pas menti, je l’ai aidé parce que je sens que pour lui, ne pas pouvoir régler
sa dette auprès de moi va être une torture. Il va passer des semaines à se creuser
les méninges après que j’aurai refusé les dîners et autres plans rasoir qu’il
m’aura soumis.

Je mérite un peu de distraction, et lui va devenir mon amusement quotidien.

Je ne coucherai pas avec lui, même si je dois reconnaître qu’il est attirant. Je
ne couche pas de toute façon, je baise et je ne pense pas que lui en soit capable.

J’aurais voulu voir sa tête lorsque je lui ai donné mon prénom. Il devait se
décomposer sur place. Et puis il y a la manière dont il me surnomme, Kat, je
devrais lui interdire d’utiliser ce nom, je devrais, mais je ne le ferai pas. Cela fait
si longtemps que je rêve de l’entendre.

Elle doit me revenir, elle doit encore m’appeler Kat et me faire rire. Je refuse
que tout se termine ainsi. Je refuse d’accepter. Je me suis promis de tout faire
pour la ramener, je me suis promis que ce serait mon seul objectif, mais je crois
que je peux m’autoriser juste un peu de détente.

Lui uniquement m’appellera Kat et on se croisera dans les couloirs de la fac,


mais ce sera tout.

Je n’ai aucun ami ici, et c’est mieux ainsi, avoir un ami compromettrait mes
plans et mettrait en danger mon secret. Je ne peux pas me le permettre. Avec lui,
je ne risque rien. Je doute qu’il cherche plus, il se lassera d’ici quelque temps et
je retrouverai ma solitude. Je veux juste m’accorder une distraction pendant
quelques semaines, un mois maximum, et après je remets le plan en marche,
pour toi, Kit. Je ne t’abandonnerai pas, je viendrai te chercher, où que tu sois.
Ensemble, Kit, ensemble, je te le promets. Je t’attends.

Je ferme les yeux sur cette promesse et sombre dans le sommeil.


5.

Grayson

Elle s’est endormie rapidement. Je le sais parce que sa respiration est lente et
profonde.

Personnellement, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Je tente de


redessiner les courbes de son corps dans mon esprit. Son corps à la fois frêle et
sensuel. Ses tatouages ensorcelants, à peine éclairés à la lueur de la bougie. Un
papillon sur son épaule, une phrase sous son bras gauche au niveau de son buste.
Sur ses mollets, des motifs ; j’aimerais tant les admirer en pleine lumière.

Cette fille me fascine.

Katherine Kavanah.

Kat.

Elle n’a pas protesté à ce surnom, tout comme je n’ai pas protesté à Gray. Ces
surnoms signent-ils une quelconque entente entre nous ? Une certaine
complicité ? Après tout, elle m’a aidé alors qu’elle n’y était pas obligée. Elle n’a
pas l’air d’être le genre de fille à aider tout le monde.

La Katherine que je connais à la fac, oui, mais pas Kat, pas cette folle furieuse
qui a déchaîné sa colère sur cet homme jusqu’à le mettre à terre. Ce qu’elle était
sexy pendant son combat !

Je secoue la tête, je dois me ressaisir. Je perçois un mouvement contre moi,


Kat se tourne et m’enlace par-derrière. Aucun doute, elle dort. Sa main se pose
sur mon ventre en douceur, je retiens mon souffle. Le mouvement de sa poitrine
qui monte et descend au rythme de sa respiration me procure des frissons dans
toute la colonne vertébrale.
Je pose ma main sur la sienne. Sa peau est douce, je me prends à rêver de
caresser son corps. Lentement, en douceur, j’esquisse un mouvement afin de me
tourner et m’allonger sur le dos. Son corps semble accepter ma présence,
puisqu’il me laisse prendre place en reculant contre le mur.

Je lève mon bras gauche, Kat se rapproche de nouveau. Sa tête se pose contre
ma poitrine, sa jambe gauche s’enroule autour de ma taille et son bras se pose
contre moi. Je manque un battement de cœur mais la laisse prendre place au
creux de mon corps.

Sa main se pose juste sous mon cou, chacun de ses doigts contre ma peau nue.

Je passe mon bras gauche dans son dos et la serre contre moi. À cet instant,
quelque chose en moi se brise, tandis que quelque chose renaît.

Deux ans qu’aucune femme n’a dormi contre moi, deux ans que mon désir
faisait grève.

Il a suffi d’une seconde à Kat pour me ramener à la vie.

Et là, dans ce lit trop petit d’un cabanon de jardin, sur le toit d’un immeuble
inconnu, je suis heureux. Je crois que je peux même entendre mon frère me dire :
« Tu sais, Gray, une fille comme ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Elle
va sûrement te rendre fou, te mener en bateau ou même t’attirer des ennuis, mais
tu oublieras tous ces tracas en t’allongeant auprès d’elle chaque soir ».

Il parlait de Molly, mais ce principe s’applique à Kat. Liam a rencontré Molly


au lycée, il avait 18 ans, elle 20. Lui savait exactement où il allait, elle non. Lui
avait un plan de carrière, elle n’avait même pas un plan de métro ! Il était tombé
fou amoureux d’elle à la seconde ou il l’avait vue en rade sur cette route de
campagne. Je me souviens encore lorsqu’il me parlait d’elle : « Gray, cette fille
est la bonne, elle me rend fou, elle ne rebouche jamais le lait, elle laisse traîner
ses fringues partout et elle ne sait même pas cuisiner. Pourtant, je sais qu’il n’y a
qu’auprès d’elle que je veux me coucher le soir. »

J’aime beaucoup Molly, et aussi ma nièce Amy qui a eu 6 ans, ainsi que son
frère Edyson qui aura 3 ans cette année. J’aimerais les voir plus souvent. Mes
parents sont en froid avec Molly, j’aurais cru qu’avec le temps ça leur passerait,
mais non.

C’est pire depuis deux ans. Ils la jugent en permanence sur l’éducation des
enfants, sur ses choix. Je déteste ça. Molly est une mère exemplaire, et même si
elle a choisi un mode de vie qui ne leur convient pas, ils n’ont pas à la juger.
Amy et Edyson sont des enfants heureux, aimés et qui ne manquent de rien. Il
n’y a rien à ajouter. C’est une vraie bonne mère, elle mérite notre respect.

En tout cas, je comprends en cet instant ce que Liam pouvait ressentir


lorsqu’il s’allongeait aux côtés de Molly chaque soir. Serrer Kat contre moi,
c’est comme être envahi par une vague de sérénité. Je ne sais rien d’elle, mais
mon corps, lui, paraît tout savoir. Mon cœur a l’air d’avoir tout compris et mon
cerveau semble ne pas avoir envie de lutter. Je suis bien et, pour la première fois
en deux ans, je me sens à ma place. Je ferme les yeux et me laisse emporter par
le sommeil, au rythme des battements du cœur de Kat que je perçois contre ma
peau.

***

Le son d’un réveil me tire de mon sommeil. Kat est contre moi, elle ne bouge
pas. Je tends la main pour m’emparer de la cause de ce vacarme. Je me saisis du
réveil métallique, ouvre les yeux et appuie sur le poussoir pour stopper la
sonnerie. Je le repose sur ce que je peux enfin identifier comme étant un bureau.

Je balaye la pièce du regard. Bien que ce soit un cabanon de jardin, je ne


repère aucun outil. Au lieu de ça, je découvre des étagères remplies de livres. Un
lavabo dans un coin, surmonté d’une glace face à la porte. Un poêle occupe le
centre de la pièce, c’est étrange pour un point de chute de trouver tant de choses.
Mais je n’ai pas le temps de me questionner, Kat remue contre moi.

Je tourne mon regard vers son visage. En cet instant, ses traits sont
parfaitement détendus, c’est agréable de la regarder. C’est le plus beau spectacle
que j’ai vu en ce monde. Elle caresse ma poitrine, je ne dis rien. Elle sourit et
respire ma peau. Comme un chat elle se love contre moi.

Le bien-être me submerge, comme un raz de marée. Sans prévenir, je ressens


une vague de douceur m’envahir. Je donnerais tout ce que je possède pour
demeurer auprès de cette femme jusqu’à mon dernier souffle. Ce sentiment me
prend au dépourvu, me désarme et me fait renoncer à la raison qui me chuchote
de me tenir loin d’elle, car elle est aussi brisée que j’ai pu l’être jadis. C’est
pourtant bien cela qui m’a conduit à elle au départ, cette rage mêlée à une
fragilité certaine que j’ai devinée. Je me suis reconnu en elle, et à présent, me
voilà lié à elle, sans que je puisse lutter, sans que je puisse me débattre. C’est
toujours ainsi, non ? On ne choisit pas les êtres qui nous possèdent, on ne choisit
pas qui aimer. Et cette fille me possède déjà ; sans même avoir tenté de me
séduire, elle a capturé toute la douceur, tout l’amour et toute la tendresse que je
réservais au fond de moi. Je suis esclave de ces sentiments, des sentiments que je
croyais morts, mais qui sont aussi réels que l’air que je respire. Lentement,
silencieusement, une larme s’échappe du coin de mon œil gauche. Une unique
larme, symbole de mon acceptation.

Je suis prêt, prêt à aimer encore, prêt à vivre. Je n’avais pas conscience que
ma colère m’avait rendu hermétique aux sentiments. Kat m’a rendu cette partie
de moi-même, la meilleure. C’est pourquoi je ne lutterai pas, j’appartiens à Kat,
et je donnerais tout pour qu’elle m’appartienne en retour.

J’aimerais prolonger ce moment encore des heures, des jours, voire des
semaines, mais Colin m’attend sûrement à la voiture, et si je ne me montre pas
avant huit heures trente, il risque de partir sans moi.

– Kat ? Kat ?

Je murmure son nom et c’est agréable.

– Hum…
– Kat, il est l’heure de se réveiller si tu veux aller en cours.

À cet instant, elle ouvre les yeux et son sourire disparaît. Son visage devient
dur, elle réfléchit quelques secondes. J’imagine qu’elle cherche à se remémorer
la raison de ma présence ici. Elle soupire et se détache de moi : elle se souvient.

– Oui, c’est vrai.

Elle murmure ces mots pour elle-même. Je me lève et passe mes vêtements.
Elle reste sous les draps.

– Quelle heure est-il ?


– Sept heures quarante-cinq.
– Très bien, je vais t’ouvrir les escaliers pour que tu puisses y aller.
– Tu ne veux pas…
– Non, je te l’ai déjà dit, je suis une grande fille.

Kat s’enroule dans une couverture et se lève. Je suis presque déçu, j’aurais
aimé voir sa peau en pleine lumière. Je suis prêt. Elle enfile ses Converse et
m’ouvre la porte, je la talonne sur ce toit. Le jardin que je découvre est
magnifique. Les rosiers grimpants sont en fleur, créant des arches au-dessus de
nos têtes. Le sol est dallé de pierres, c’est un bel endroit. Je n’aurais jamais
imaginé qu’on puisse trouver un si beau jardin sur le toit d’un immeuble. Nous
arrivons déjà devant la porte qui mène aux escaliers, elle la déverrouille.

– Tu descends et en bas tu pourras sortir sans clef.


– Merci.
– Tu vas réussir à retrouver ta voiture ?
– Oui, je suis un grand garçon.

Je lui lance un regard taquin, elle esquisse un sourire discret tout en remuant
la tête. Je m’avance pour m’engager dans la cage d’escalier mais au dernier
moment, je m’arrête. Je refuse de partir comme ça. Je veux plus. Je ne peux pas
juste lui tourner le dos et disparaître. Je fais volte-face, elle n’a pas bougé. Je
m’avance vers elle et la serre dans mes bras.

– Merci Kat, je trouverai un moyen de régler ma dette.


– Bonne chance Gray.

Elle dépose un baiser sur ma joue et je sais que c’est le signal que j’attendais
inconsciemment. Je me détache d’elle, et cette fois, lui tourne le dos pour de bon
et quitte le toit. J’entends la porte se refermer derrière moi et souris. Quatre
étages plus bas, je retrouve la rue, la ville, l’animation, mais en moi le calme
règne. Je rallume mon téléphone. Aucun appel. Colin doit encore dormir. Je me
repère assez facilement. J’ai même la chance de passer devant un coffee shop et
j’en profite pour commander deux cafés. Un noir serré pour Colin, un écrémé
pour moi.

Je rejoins la voiture ; Colin est enroulé dans un sac de couchage sur la


banquette arrière. Je souris. J’entre dans mon quatre-quatre et claque la porte, ce
qui a pour effet de réveiller Colin en sursaut.

– Café ?
– Avec plaisir.

Il saisit le gobelet en carton et le porte à ses lèvres. Les cernes sous ses yeux
m’apprennent que sa nuit a dû être courte.

– Alors, cette brune ?


– Une vraie furie, il a fallu que je vienne dormir ici ou elle ne m’aurait pas
laissé fermer l’œil !

Je secoue la tête en souriant. Colin passe de l’arrière du véhicule à l’avant en


escaladant le frein à main. Il ne porte que son boxer et un débardeur noir.

– Et toi alors ? Où étais-tu passé ? Tu as forcément rencontré une fille pour ne


revenir qu’à cette heure-là !
– Oui c’est vrai, mais pas comme tu l’imagines.

Je porte mon café à mes lèvres et plonge mon regard vers un point imaginaire,
loin du regard inquisiteur de Colin.

– Oh non, ne me dis pas que tu as passé la nuit avec une fille et que tu ne l’as
même pas touchée.
– Si, exactement.
– Tu as vraiment besoin de te faire soigner, Grayson.
– Il n’y a pas que le sexe dans la vie.
– À notre âge, si. Le sexe, les fêtes, l’alcool, il n’y a que ça de vrai.
– Pas pour moi, je veux plus.
– Tu n’es pas lui, Grayson, et si tu ne rencontres pas la femme de ta vie tout
de suite, ce n’est pas grave.
– Je sais.

Mes mots fusent et marquent la fin de cette discussion. Je n’aime pas que
Colin évoque Liam de la sorte et il le sait. Mon regard distant et mon ton sec le
dissuadent d’ajouter quoi que ce soit. Nous finissons nos cafés dans un silence
religieux. Je décide de mettre la radio afin de combler ce silence.

Sur le chemin du retour, je ne peux m’empêcher de penser à elle. Je dois la


surprendre si je veux la revoir. Elle ne se contentera pas d’un dîner ou d’un ciné.
Cette fille veut de l’aventure et des surprises. Elle avait raison, je vais me creuser
la tête, mais pas par besoin absolu de régler ma dette.

Non, je me creuse la tête parce que je ne veux pas la laisser filer.

Je veux la revoir.

À suivre,
dans l'intégrale du roman.
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Hate & Revenge


Kat est étudiante le jour et boxeuse la nuit, dans des combats illégaux.
Emplie de haine et de désir de vengeance, elle refuse de perdre.
Mais sa rencontre avec Grayson va tout bouleverser…
Il est le seul à faire tomber ses défenses, à la rendre vulnérable.
Baisser les armes n’a jamais été aussi dangereux !

Tapotez pour télécharger.


Également disponible :

Infiltrée - Sex, Drugs & Danger


Sous ses dehors de flic irréprochable, Cecilia dissimule bien des secrets, que
personne ne soupçonne. Mais ça, c’était avant Nathan Sachs. Ancien militaire, il
n’a qu’une règle : c’est lui qui décide. Jamais personne ne l’a contredit… jusqu’à
Cecilia. Quand ils doivent collaborer pour coincer le plus gros trafiquant de
drogue du continent américain, tout bascule. Projetés dans une mission aux
enjeux mortels, ils doivent relever le plus grand des défis : se faire confiance.

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(alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par
quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par
les articles 425 et suivants du Code pénal. »

© EDISOURCE, 100 rue Petit, 75019 Paris

Mars 2018

ISBN 9791025742686

ZMIS_001

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