Darkest. La Derniere Heure Silvia Reed
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Attractive Target
Jusqu’à ce qu’elle rencontre Vince, Caroline Beaulme n’avait jamais éprouvé de
désir. Alors quand elle apprend qu’il va devenir son patron, elle sait qu’elle
devrait arrêter, mais… Comment résister ? Pour ressentir à nouveau du plaisir,
elle est prête à tout… Sauf à ce qui l’attend. Car si Vince est un parfait amant,
c’est aussi un homme meurtri, bien décidé à ne pas commettre la même erreur
que son frère : perdre la tête pour une femme manipulatrice. Or, pour lui,
Caroline est la pire de toutes.
Et si, en acceptant cette relation, elle venait de donner à Vince le feu vert pour
détruire sa vie ?
Teach Me Everything
Quand Ash découvre la « petite sœur » de Ben, son meilleur ami, il est sous le
choc. Alors qu’il imaginait une gamine de 10 ans avec des couettes, il est face à
une jeune femme troublante.
Mais pourquoi s’habille-t-elle comme une vieille fille ? Et pourquoi cet air
coincé ? Qu’a-t-elle à cacher ? De quoi se protège-t-elle ?
Ash serait bien tenté de s’occuper d’elle et de lui apprendre les plaisirs de la vie,
mais il ne peut pas… Ben lui a bien répété cent fois : « Ne touche pas à ma petite
sœur, Ash, ou je te tue ! »
OK… Mais comment résister ?
À corps brisés
Le cœur en miettes, Jeanne se noie dans le travail pour oublier que son fiancé
vient de la quitter. Au château, où elle officie comme kiné, elle doit s’occuper
d’un nouveau patient, le ténébreux Adam Champdor. Le corps brisé par un grave
accident de moto, il est persuadé de ne plus jamais remarcher. Son séjour au
château est sa dernière chance. Entre Jeanne et Adam, naît une passion torride et
tourmentée, dans laquelle chacun essaie de se reconstruire. Mais bientôt, la jeune
femme doit faire face à un terrible choix, sans doute le plus important de toute
son existence…
Ryder
Aucun remords. Aucune pitié. On me donne des ordres, j’obéis. Rien ne peut
m’atteindre.
Les personnes à qui j’ai fait du mal sont innombrables. J’ai anéanti des
familles entières en leur enlevant un proche. Mais je m’en fous. Je suis né pour
accomplir ces missions. Je suis une machine à tuer. Du moins, c'est ce que je
croyais…
1
Ryder
Pendant plusieurs minutes, il n’y a que des bruits de coups qui perturbent le
silence. Je lui assène uppercuts et coups de pied, il réplique mais il me rate plus
souvent qu’il ne m’atteint. Je finis par l’attraper par la taille et le passe par-
dessus mon épaule, me fichant complètement de le tuer ou non. Un fracas
énorme se fait entendre. Le con, il a pété ma table basse.
– Toujours aussi réactif, me dit la voix qui me semble familière.
Je lui en lance une qu’il rattrape au vol. Il la pose sur sa joue droite
douloureuse avant de l’ouvrir et de boire une gorgée.
– Papa m’a donné une mission dans le coin, j’ai pensé à te rendre une petite
visite en repartant.
– Il m’a seulement dit qu’il avait une autre mission pour toi. Il ne devrait pas
tarder à t’appeler.
Je hoche la tête. Cela fait plusieurs jours que mon père ne m’a pas demandé
de buter quelqu’un. D’habitude, nous ne restons pas aussi longtemps sans
contact. J’imagine qu’il n’avait pas de mission suffisamment laborieuse pour
mettre l’un de ses meilleurs tueurs sur le coup.
Nous continuons à discuter et à fumer jusqu’à ce que nos bières soient vides,
puis Duncan finit par partir.
Il raccroche. Les échanges avec mon père sont brefs, mais il a ses raisons. Et
en bon fils que je suis, je ne pose pas de questions. Je me prépare en vitesse,
attrape mes clés de voiture et sors. Mon père n’est pas réputé pour sa patience,
aussi aime-t-il que l’on soit ponctuel. Je fais vrombir ma Mustang et démarre en
trombe. Je respecte tout de même les limitations, car il déteste devoir nous faire
sortir du commissariat. C’est déjà arrivé à deux de mes frères et on ne les a plus
jamais revus, mon père les ayant chassés de la Maison.
J’ai toujours été un gamin obéissant. C’est pour cela qu’il me fait autant
confiance aujourd’hui et qu’il m’a laissé de l’indépendance. Il sait que je ne me
retournerai jamais contre lui.
Le traqueur en moi est déjà dans les starting-blocks. Le cliché montre une
jeune femme à la peau d’ivoire couvant l’objectif de son regard bleu lagon, un
sourire radieux aux lèvres. Le cliché a été pris dans un champ de blé et ses
cheveux blonds coupés au carré se fondent parfaitement dans le décor. Elle est
plutôt jolie, mais rien de transcendant. De toute façon je m’en tape. Si mon père
m’a donné ça, c’est parce que c’est ma prochaine cible.
– Quand dois-je la tuer ? m’enquiers-je en reposant la photo.
– Pas tout de suite, répond-il en joignant le bout de ses doigts d’un air de
conspirateur. Elle détient quelque chose que j’aimerais récupérer. Je voudrais
que tu l’enlèves et que tu lui fasses cracher le morceau sur l’endroit où elle cache
cet objet. Si elle ne parle pas, torture-la.
Duncan avait vu juste, il y a des nouveaux. Ils sont encore pleins d’émotions,
mais plus pour longtemps. Mon père va bientôt les rendre comme nous. Il dit que
les sentiments, c’est pour les personnes faibles. Et, là encore, il a totalement
raison. Je leur apprends quelques techniques de combat avant de partir pour la
fac.
Evy
– Qu’est-ce qui vous fait dire que le sexe peut influencer notre cerveau,
monsieur Collins ? l’interroge le prof. La plupart des êtres humains aiment le
sexe sans pour autant y être accros.
Nous nous retournons tous vers Jason qui arbore maintenant un sourire mi-
énigmatique, mi-lubrique.
– Eh bien, une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer. N’est-ce pas,
Lydia ? ajoute-t-il en braquant son regard sur ma voisine.
Oh, l’enfoiré, il n’a pas osé ! À côté de moi, ma meilleure amie a l’air peinée
et serre les dents. Elle a refusé de remettre le couvert après une nuit avec lui,
l’année dernière, ayant eu un coup de cœur pour un autre. Malheureusement,
Will et Jason étaient potes, à l’époque. Visiblement, cette préférence lui est
restée en travers de la gorge.
Lydia est une fille gentille et pleine d’empathie. Trop, même. Elle n’est pas
très douée pour affronter les gens qui ne sont pas corrects avec elle.
Heureusement, je suis tout le contraire et elle peut compter sur moi pour rentrer
verbalement dans le lard de ce prétentieux à deux balles. Je lui crache :
– Ce n’est pas parce que tu es nul au pieu qu’il faut t’en prendre à elle.
Je n’ai pas peur de lui. Si l’on veut me chercher des ennuis, je sais très bien
où frapper.
Les rires moqueurs à l’encontre de ce pauvre Jason se font plus forts et celui-
ci est rouge de rage. Ou de honte. Dans tous les cas, ça m’est égal. M. Cromwell
demande le silence avant de s’adresser à moi.
– Mademoiselle Merten, puisque vous avez l’air d’avoir une bonne repartie,
donnez-nous donc un autre exemple d’addictions pouvant altérer notre système
psychologique.
– Tout ce que je veux dire, continué-je, c’est que, dorénavant, avec le Wi-Fi
gratuit dans presque tous les lieux publics, la société se perd dans un gouffre
sans fond. Les gens en mal-être se réfugient dans des jeux fictifs, s’imprégnant
d’un avatar qu’ils ont créé comme étant une version idéalisée d’eux-mêmes. La
confiance en soi diminue. Les interdépendants se renferment chaque jour un peu
plus, oubliant toute sociabilité. Ils ne jurent que par ces jeux, même quand ils n’y
jouent pas. La plupart des jeux en réseau sont sans fin et se poursuivent même
lorsque le joueur n’est pas connecté. Celui-ci est donc davantage préoccupé par
ce qui est susceptible de se passer dans son univers virtuel que par ce qui se
passe autour de lui, dans la vie réelle. Dans les cas les plus extrêmes, cette
addiction peut entraîner de graves problèmes psychologiques tels que le manque
de discernement entre réalité et fiction.
Satisfait de mon discours, M. Cromwell continue sa séance et, à côté de moi,
Lydia me souffle :
– J’ai adoré ce que tu as répondu à ce petit con. J’aimerais tellement avoir ton
franc-parler.
– T’inquiète, ma bichette. Je serai toujours là pour te défendre.
Je suis très investie dans mon domaine et je compte bien obtenir mon diplôme
avec une mention en bonus. Certains pourraient penser que je suis une intello qui
ne jure que par ses études, moi je dirais que je suis une passionnée de la vie
humaine. J’adore savoir le pourquoi du comment. Pourquoi certaines personnes
sont-elles atteintes d’un trouble quelconque alors que d’autres, non ? Que
ressentent-elles, enfermées dans leur propre esprit ? Qu’est-ce qui les pousse à
commettre des actes dont elles n’ont pas forcément conscience ? Comment
gèrent-elles leurs crises, jusqu’à quel point peuvent-elles les supporter ? Cela
peut paraître bizarre, mais l’esprit – le comportement psychologique – humain
me fascine. Le cerveau est tout un amoncellement d’informations et de
découvertes totalement impressionnantes.
Je me lève pour aller dénicher un bouquin et, alors que je suis en train
d’examiner un ouvrage épais, je sens comme une présence non loin de moi. Je
tourne la tête vers la droite et j’ai juste le temps d’apercevoir une silhouette noire
à capuche avant qu’elle ne disparaisse derrière un rayon. Je ne m’en formalise
pas. Depuis plusieurs années, les gens d’ici me regardent bizarrement avant de se
cacher. Il faut dire que je ne fais pas partie d’une famille exemplaire, et
maintenant que je suis la seule encore en vie, tous se demandent sûrement de
quelle façon je vais mourir à mon tour. Mais quelques minutes plus tard, la
même silhouette passe furtivement dans l’allée centrale, tout près de moi, me
faisant sursauter.
Je me sens également épiée, un peu plus tard, alors que je fais des courses au
supermarché. Là, ça commence à bien faire. Si j’arrive à le choper, il va savoir le
fond de ma pensée et ça risque de ne pas être plaisant pour lui. Je ne saurais
expliquer ce que je ressens exactement, mais ce sont comme des picotements
dans la nuque, très désagréables. Lorsque je me retourne, l’homme au sweat à
capuche noir est déjà en train de se faufiler entre les rayons et prend la tangente
avant que je ne puisse le rattraper. Cette fois j’en suis sûre. Il était bien réel et me
suivait bien, moi. Et je commence vraiment à baliser.
Quoi qu’il en soit, le bar n’est peut-être pas le mieux famé, niveau clientèle,
entre les ivrognes et les mecs en chaleur, mais il y a une très bonne ambiance et
on s’y habitue.
– Parce qu’il était trop grand et trop baraqué pour être une femme, réponds-je
à ma meilleure amie.
– C’est flippant. Tu crois que ça pourrait être Jason ? Après la façon dont tu
l’as descendu en cours, il a un bon mobile pour te faire peur.
– Non, je ne pense pas. Il est trop bête pour penser à faire un truc pareil.
Et il s’en va. Anthony Stryder est un mec charismatique, avec ses cheveux
noirs toujours plaqués en arrière, son visage carré, ses yeux bruns légèrement
bridés issus des origines asiatiques de sa mère. Il n’est pas très grand, mais c’est
le genre de mec à qui il ne faut pas se frotter. Il est clean avec la justice, n’a
même jamais fumé de sa vie, mais il ne faut pas trop l’enquiquiner, sous peine de
perdre quelques dents. Il fait un peu genre mafieux avec son éternel cure-dents
dans la bouche et son air supérieur, un peu comme « Le Parrain ». Mais au fond,
il a un cœur d’or. Il nous a prises tout de suite, Lydia et moi, lorsqu’on lui a
expliqué que nous étions vraiment dans le besoin.
Nous retrouvons Robbie au bar. Cette petite tête blonde au sourire flambeur
est notre troisième acolyte. Il n’a pas fait de grandes études, mais il rêve de
retourner dans son pays natal, l’Australie. Nous le charrions encore pas mal sur
son accent, d’ailleurs. Mais il adore ça. Bien qu’il y ait eu un vague flirt entre lui
et moi, avec échange de baisers, nous nous sommes vite rendu compte que
l’amitié était ce qui nous convenait le mieux, comme relation.
Nous prenons notre service tout en jouant à notre jeu favori, le « Qui boit
quoi ? ». Le principe est simple : tout en observant le comportement de nos
clients, nous devons deviner la boisson qu’il s’apprête à commander. Cela amuse
Robbie et la clientèle. Quant à Lydia et moi, ça développe notre acuité visuelle,
nécessaire pour notre avenir professionnel. Les paris sur le gagnant sont lancés
au départ et le vainqueur remporte les mises cumulées tout au long de la soirée.
Robbie perd plus que nous mais s’amuse beaucoup.
La soirée se passe bien, je me sens un peu comme chez moi, ici, en plus…
bruyant. L’ambiance est au top, comme d’habitude. Certains clients nous paient
des bières – Anthony nous autorise à en accepter, mais nous devons stopper au
moins deux heures avant la fermeture, question de santé et de légalité -, Lydia et
moi nous déhanchons sur des rythmes endiablés sous les yeux admiratifs des
habitués. Pour faire preuve d’équité envers les quelques femmes présentes,
Robbie fait même tomber la chemise, dévoilant son buste musclé qui n’a
absolument rien à envier aux mannequins présents sur les couvertures des
magazines. Si certains clients ayant bu le verre de trop se permettent quelques
mains baladeuses sur nos shorts, un seul avertissement de Gandhi suffit à calmer
leurs ardeurs. Il s’appelle Darren, en réalité, mais ce Cubain géant à la
musculature monstrueuse est doté d’une énorme sagesse, qu’il garde secrète à la
vue des clients, bien sûr.
Malgré moi, je ressens une sorte de tension en mon for intérieur. Comme une
sorte… d’appréhension. Je ne peux m’empêcher de surveiller l’éventuelle
présence de l’homme au sweat noir. Mon petit côté pétocharde est soulagé de ne
pas avoir affaire à lui, mais la part téméraire, plus imposante, est frustrée de ne
pouvoir découvrir qui se cache sous cette foutue capuche. Il faudra que je pense
à vérifier le bon verrouillage des portes et des fenêtres en rentrant. Et mieux
vaudra deux fois qu’une.
Voilà plusieurs jours que je mens à ma meilleure amie. Du moins, je lui cache
quelque chose et je culpabilise. Lydia s’appuie sur une jambe et pose ses mains
sur ses hanches, la tête sur le côté et sa bouche faisant claquer une bulle de
chewing-gum.
– Comment il s’appelle ?
Je soupire.
– Allez, Evy, ça fait des mois que j’essaie de te caser avec un mec et
maintenant que tu en as un, tu ne me dis rien ? Je croyais qu’on était meilleures
amies !
– Mais on l’est !
– Les amies se disent tout.
Je soupire encore une fois avant de poser le balai et de me planter devant elle.
Voyant que je suis sur le point de craquer, Lydia me prend par les épaules et
me force à la regarder.
Lydia n’a pas l’air décidée, mais je lui assure que tout ira bien et je suis limite
obligée de la pousser pour qu’elle sorte de ce foutu bar. Une fois seule, je
termine le nettoyage, me change et sors dans la nuit légèrement colorée par
l’aube qui annonce doucement son arrivée. Je ferme le bar et attends que David
daigne arriver, adossée au mur du bâtiment.
– Eh merde, pesté-je.
Je les récupère et, en me relevant, je sursaute en apercevant une silhouette
noire derrière moi, dans le reflet de la vitre. Pendant une fraction de seconde, je
crois que c’est mon ex qui s’est enfin pointé. Puis je reconnais ce sweat. Cette
capuche sur la tête de l’homme. Tout juste ai-je le temps de faire le
rapprochement avec le mec qui m’a suivie toute la journée que je me retrouve
emprisonnée dans un étau de muscles. La panique me saute à la gorge et je n’ai
pas l’occasion de hurler avant que l’homme me plaque un morceau de tissu sur
le visage. Une odeur âcre et désagréable s’insinue dans ma gorge et mes cavités
nasales. Mon cœur bat à s’en rompre et je tente de me débattre dans un élan de
survie. Mais il est trop fort. Mon cerveau se met à tourner au ralenti au fur et à
mesure que le produit chimique s’immisce dans mon organisme. Je parie sur du
chloroforme. J’ai vu assez de films pour en reconnaître les effets. Je me vois déjà
morte, mon cadavre déposé dans une benne à ordures. Non, pas ça. Je refuse de
crever. Ni maintenant ni dans ces conditions. Je m’agite autant que je peux. J’ai
l’impression que mes muscles sont en coton. Ou pèsent une tonne, plutôt. Ma
vue se brouille et mes poumons me font mal. Mes jambes vont me lâcher, je le
sens. Mon corps est tout engourdi. Mes paupières finissent par se fermer d’elles-
mêmes, je sens les larmes couler sur mes joues, mais je n’ai plus de forces. Je
tente un dernier essai de lucidité avant de sombrer dans l’inconscience.
***
J’ai un mal de crâne horrible et me sens nauséeuse. J’ouvre les paupières avec
difficulté pour regarder l’heure. C’est bizarre, je ne me souviens pas de m’être
endormie. Et, plus important encore, mon appartement sent le renfermé, la
poussière et une once de tabac. Je suis une maniaque née et je ne fume pas. Mes
yeux finissent par s’acclimater à la pénombre. La lumière du soleil se reflète sur
une fenêtre opaque sans poignée. Je suis allongée sur un matelas posé à même le
sol en béton, les murs sont en pierre et dépourvus de décoration. Au-dessus de
moi pendent des fils électriques dénudés, sans ampoule et il fait un froid de
canard. Un élan de panique me submerge et il s’accroît lorsque je m’aperçois
que mes mains sont menottées et un de mes pieds attaché à une chaîne, elle-
même reliée à un anneau fixé dans le sol. Je me sens encore un peu dans les
vapes, mais je parviens tout de même à comprendre ce qui est en train de
m’arriver.
Je suis prisonnière.
J’ai été enlevée.
Puis des souvenirs me reviennent en mémoire, tels des pièces de puzzle qui se
rassemblent pour ne faire qu’un. J’ai envie de pleurer, mais aucune larme ne me
vient. Je crois que je suis encore sous le choc. J’ai du mal à respirer et ma gorge
m’irrite, sans doute à cause de la substance chimique.
Que fais-je ici ? Qui m’a enlevée ? Depuis combien de temps suis-je
enfermée ? Suis-je la seule ? Je n’y crois pas, j’ai été kidnappée. Je fouille dans
mes poches mais, bien évidemment, pas de portable. Lydia doit se faire un sang
d’encre en ne me voyant pas dans l’appartement. Il faut que j’arrive à me sortir
de là. Et le premier réflexe qui me vient à l’esprit, c’est de crier. Alors je hurle à
pleins poumons et à m’en déchirer les cordes vocales. Avec un peu de chance,
quelqu’un viendra me sauver. À peine ai-je le temps de crier une deuxième fois
que la porte en métal s’ouvre brusquement, claquant contre le mur derrière,
laissant apparaître un homme. Environ un mètre quatre-vingts, à peine plus âgé
que mes 22 ans, des cheveux bruns coupés court relevés de façon négligée mais
stylée sur le dessus et formant des bouclettes. Son visage sans défaut est
accentué par une barbe de quelques jours. Un corps svelte mais athlétique. Il se
tient droit, comme les militaires. Il porte un T-shirt gris anthracite laissant
apparaître un morceau de tatouage sur son biceps droit. Sous ses sourcils
froncés, son regard ocre est… flippant. Sans âme. J’aime observer les gens et
analyser leur regard. C’est scientifique. Je sais que c’est lui qui m’a enlevée –
qui d’autre ? – et il ne semble même pas ressentir une once de remords ou de
pitié. Ses traits sont neutres, ses prunelles semblent vides de tout sentiment. Je
pourrais avoir une statue de pierre face à moi, ce serait exactement pareil – si ce
n’est qu’une statue est immobile. J’en ai des frissons.
Sa voix est tout autant dénuée d’émotion. Cet homme me donne la chair de
poule.
Malgré la peur qui me tord le ventre, j’ai réussi à parler avec assurance. Je ne
suis pas le genre de fille à montrer mes faiblesses et à me laisser impressionner.
Or, là, je n’ai pas affaire à un petit étudiant ou à un ivrogne un peu trop tactile.
Ce type est un psychopathe. Je suis terrifiée. J’ai envie de pleurer, de le supplier
de me laisser partir. Ou, du moins, ne pas me faire de mal. Je me pose un tas de
questions sur ses intentions et j’en tremble. Ce mec est un sadique, je le vois. Je
n’ai aucun moyen de me libérer et personne ne sait où je suis. Est-ce que Lydia a
alerté la police ?
– Il faut que j’aille au petit coin, couiné-je à mon geôlier qui n’a même pas
daigné répondre à ma question.
– Il y en a un là-bas, me répond-il en désignant le fond de la pièce.
***
Trois jours passent durant lesquels je passe mon temps à pleurer. Mon
ravisseur ne revient même pas. J’entends parfois le son de ses pas quand il passe
devant ma porte et les seules fois où il l’ouvre, c’est pour me balancer une
bouteille d’eau que je bois systématiquement d’une seule traite. Je suis affamée.
Ce n’est pas faute de hurler en le suppliant d’au moins me donner à manger,
mais il ne répond pas. J’ai terriblement peur et je suis triste, aussi. Je pense tout
le temps à ma vie avant mon kidnapping. À Lydia qui doit être morte
d’inquiétude. Je me demande si je réussirai à sortir d’ici en vie. La nuit, j’ai
l’impression d’entendre sa voix. Puis j’ouvre les yeux et me rends compte que ce
n’est qu’un rêve. Seul le silence total m’accompagne dans cet enfer. Mon
organisme me transmet sa faiblesse en me faisant divaguer. J’ai tellement faim
que j’en ai l’estomac qui se retourne. Heureusement, l’odeur d’urine est
enfermée dans les bouteilles en plastique vides que j’ai gardées. Autrement, en
plus des effluves de tabac et de moisi, l’atmosphère aurait été proprement
irrespirable.
***
J’ai dû perdre au moins cinq kilos. J’aurais été sans nul doute heureuse de
cette nouvelle si j’avais été chez moi et que cette perte de poids était due à un
régime efficace. Mais je ne suis pas heureuse de cet amaigrissement. Parce qu’il
est douloureux et abominable. Mon estomac criant famine est la seule chose qui
perturbe le silence étouffant de mes journées. Je n’ai même plus la force de me
lever. Je ne dors pour ainsi dire pas de la nuit non plus.
Je suis une dure à cuire, d’habitude, je n’ai pas froid aux yeux. Mais là,
comment prétendre être une femme de caractère alors que l’on a un mur en face
de soi ? Je n’ai plus la force de chercher à m’échapper ni de défier mon geôlier.
Après douze jours de captivité, le seul fait de respirer me demande déjà
beaucoup d’efforts.
En tout cas, je ne veux plus avoir peur. Je veux juste dormir et ne plus jamais
me réveiller.
3
Ryder
Je ne l’ai pas nourrie depuis que je l’ai enlevée, il y a presque deux semaines.
C’est la phase numéro un de mon plan de torture. Je ne m’y connais pas
tellement dans le genre parce que d’ordinaire, je ne garde pas mes cibles en vie
bien longtemps, mais j’ai tout de même quelques notions grâce à Duncan. Je
l’affame pendant plusieurs jours, histoire qu’elle se rende compte que je ne suis
pas un rigolo.
Le premier jour, mon père m’a appelé pour me demander si j’avais bien suivi
les instructions de base. Voiture immergée dans le lac, sac à main contenant ses
papiers d’identité brûlés. Ce qui m’a surpris, c’est que mon père me demande
d’aller carrément chez elle pour faire croire à un départ précipité et essayer de
trouver une clé USB qu’il souhaite à tout prix récupérer. Ça, je n’avais jamais
fait. Ma devise est : pas de nom, pas d’adresse, juste du sang. Mais si mon
paternel m’a donné cet ordre, je dois obéir en bon fils que je suis. Il nous a tous
élevés ainsi et nous devons respecter chacune de ses instructions. Et puis, en la
traquant pendant plusieurs jours à la fac, j’ai fini par connaître son nom, je
n’étais plus à ça près. Je suis monté à l’appartement et j’ai forcé la serrure. La
première chose qui m’a frappé a été la déco. Des couleurs criardes partout dans
les pièces, des murs jusqu’à la chambre, en passant par les éléments de cuisine
rouge sang. Seule la deuxième chambre était épurée et j’ai constaté qu’elle
appartenait à Evangeline grâce aux photos encadrées posées sur les quelques
meubles. J’ai d’abord pris soin d’emballer quelques vêtements dans une petite
valise avant de m’attaquer à la recherche de cette fameuse clé dont l’étui est en
forme de coccinelle, d’après mon père. J’ai tout fouillé sans foutre le bordel.
Mais je n’ai absolument rien trouvé. J’étais bien décidé à y passer la journée s’il
le fallait quand j’ai entendu le cliquetis de la serrure. Je me suis immédiatement
caché derrière la porte, mon couteau dans la main. Une petite rouquine est
passée devant moi sans me voir. Elle a lâché son sac et a couru jusque dans la
chambre de sa copine en hurlant :
– Sais-tu pourquoi tu es là ?
Elle semble surprise d’entendre ma voix après deux semaines sans que je lui
aie adressé un mot. Elle me défie du regard avant de répondre.
Je lui lance un regard noir. Je n’aime pas trop le fait qu’elle me prenne pour
un cinglé et encore moins le ton avec lequel elle a parlé.
Je me relève et m’avance vers elle en croquant encore dans mon pain. Elle
déglutit en fixant mon repas. Les gargouillis de son estomac affamé brisent le
silence. Je m’accroupis et croise son regard bleu.
Pendant un instant, Evangeline a l’air surprise et ouvre ses grands yeux. Puis
elle affiche une expression neutre.
J’ai aussi été formé pour déceler les mensonges et elle ment comme elle
respire.
– Mauvaise réponse.
– Cela fait combien de temps que tu n’as pas mangé ? Dix, quinze jours ?
Heureusement pour toi que tu avais de la réserve sinon je n’aurais retrouvé que
tes os.
Je ne suis pas gentil, loin de là. Et je ne compte pas l’être un jour. Evangeline
déglutit à nouveau et une larme solitaire coule le long de sa joue.
– Si vous me laissez crever de faim, vous ne risquez pas de retrouver quoi que
ce soit.
– Donc tu sais où elle est.
– Mon frère est mort à cause de cette merde. Vous pourrez me faire les pires
horreurs qui vous passent par la tête, je ne parlerai jamais.
D’un geste brusque, je lui attrape la tête et presse ses joues si fort qu’elle
gémit de douleur. Elle est si amaigrie que je peux sentir ses os.
Puis, sans que je m’y attende, un truc humide s’écrase sur ma joue. Je rêve !
Elle vient de me cracher à la gueule ?! La rage s’insinue en moi. Je n’arrive plus
à me contenir. Je la pousse contre le matelas si brutalement qu’elle a un hoquet
de surprise. À califourchon sur elle, je lui interdis le moindre mouvement. Elle
tente de se débattre, mais je suis plus massif et nettement plus en forme qu’elle.
Penché au creux de son oreille, je lui murmure doucement :
***
Cette fille a du cran. Soit elle adore jouer avec le feu, soit elle est stupide. À
en croire notre conversation de ce matin, je pencherais pour la première
hypothèse. Elle est loin d’être conne, au contraire. Elle sait très bien que je ne
peux pas la buter parce qu’il me faut ses infos. Et merde, pourquoi je pense à
elle ?
Je comprends que je n’arriverai pas à finir avec cette fille qui s’égosille et
décide de m’en aller.
– Merde !
– Bonjour, un problème ?
– En effet, un incendie a été déclaré à une centaine de mètres et il progresse
dangereusement. Vous devriez partir, je ne voudrais pas que vous vous
retrouviez à l’hôpital, ou pire. Si vous aviez l’intention de dormir à la belle étoile
ce soir, je vous conseillerais d’aller ailleurs.
– D’accord, soupiré-je. Laissez-moi juste retourner prendre mes affaires à
mon campement, dans ce cas.
– Ce ne serait pas prudent, il va vite.
– Il faut absolument que je les récupère, j’ai… des affaires sentimentales…
Le mensonge n’est pas mon fort, mais il semble y croire. Il a plutôt intérêt,
sous peine de se retrouver avec mon couteau dans le cou.
– J’ai vu des flammes au loin, c’est quoi ce bordel ? s’écrie-t-elle, les yeux
rivés sur la fenêtre.
Je la libère avant de déchirer un morceau de mon T-shirt.
Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que je la bâillonne avant de la hisser
sur mon épaule. Elle est aussi légère qu’une plume, après toutes ces journées
sans bouffer. Elle continue de hurler à pleins poumons à travers le tissu. Je lui
tape la fesse pour la faire taire et sors de la chambre.
Je vérifie que j’ai bien mon flingue d’appoint dans mon pantalon et mon
couteau dans la poche avant de sortir de la maison. Merde, l’incendie s’est
vachement rapproché. Il ne va pas tarder à engloutir la baraque et il faut que je
nous tire de là avant que nous finissions en grillades. Il fait encore jour mais plus
pour longtemps. J’entends des cris au loin. Sûrement les pompiers. Je tape un
sprint le long du sentier. S’ils nous voient, je suis foutu. J’ai beau savoir me
battre et connaître la plupart des disciplines de combat, je ne pourrais rien contre
tout un groupe de musclés. Quelques centaines de mètres plus loin, je m’arrête
un instant pour regarder derrière moi. Personne. Je pose Evangeline par terre et
ses yeux s’ancrent immédiatement aux miens. Elle est terrorisée.
Evy
J’ai toujours été aventureuse. J’adore tout ce qui peut me procurer une dose
d’adrénaline. Quand j’étais plus jeune, avec mes amis, nous sautions des falaises
pour nous faire peur. Nous, les filles, partions d’à peu près la moitié alors que les
garçons, plus courageux, se lançaient de tout en haut. Je me souviens qu’un jour,
j’ai voulu les imiter. J’avais besoin de plus d’adrénaline, de plus de frayeur. J’ai
alors rejoint les mecs et ai fait la connerie de regarder en bas. Mon cœur battait
tellement que je l’entendais jusque dans mes oreilles et mes jambes flageolaient.
Mais je ne pouvais pas me défiler. Mes potes m’encourageaient en tapant dans
leurs mains. Lydia et Jared tentaient de me dissuader de sauter. Ils avaient peur
que je me réceptionne mal. Il faut dire que si l’on se rate, de là-haut, on n’en sort
pas indemne. Mais je les ai rassurés en leur disant que si les garçons pouvaient le
faire, alors moi aussi. J’ai toujours rejeté l’hypothèse d’une pseudo-infériorité
des femmes par rapport aux hommes. Si, dans la plupart des esprits, l’égalité est
un fait entendu, certains sont encore coincés au Moyen Âge. Je voulais leur
montrer que les femmes aussi étaient capables de prendre des risques. Alors j’ai
pris mon courage à deux mains et, après une grande inspiration, j’ai sauté.
Mais je crois que mon saut du haut de la falaise n’est rien en comparaison de
ce que j’endure aujourd’hui. D’abord, j’ai profité de mes longs instants de
solitude pour trouver un moyen de m’échapper. Malgré le peu de forces qu’il me
reste et la faim qui me tiraille le ventre, j’ai essayé de m’enfuir. Sauf que je ne
suis pas MacGyver, moi, c’est à peine si je sais crocheter une serrure ! Soudain,
j’ai entendu une sorte de détonation. J’étais seule, livrée à moi-même, sans
aucun moyen de me délivrer. Paniquée, j’ai usé de tous les moyens possibles
pour retirer cette foutue chaîne qui emprisonnait ma jambe et me suis mise à
hurler à pleins poumons. Soudain, mon ravisseur s’est pointé, essoufflé et en
sueur. Je me suis bientôt retrouvée à plat ventre sur son épaule, transportée
comme un sac de farine.
J’ai entendu une voix grave qui semblait donner des directives, les pompiers,
certainement. J’aurais aimé qu’ils nous voient et viennent mettre fin à mon
cauchemar. Mais mon ravisseur a réussi à ne pas nous faire repérer,
malheureusement.
Nous sommes désormais sur la route, dans sa Mustang noire, depuis une
bonne demi-heure et aucun de nous deux n’a pipé mot. Seuls les bruits de mon
estomac douloureux perturbent le silence, et cela semble agacer mon kidnappeur.
Il a pris soin d’accrocher mes menottes à la poignée pour être sûr que je ne tente
pas de m’emparer du volant. Il est moins con que je ne le croyais. Il roule, les
yeux rivés en face de lui, et son visage est impassible. Il n’exprime vraiment
aucune émotion, comme insensible à ce que je peux ressentir. Sait-il seulement
que je suis terrifiée ?
Je ne sais pas trop ce qui me prend, à vouloir ainsi lui faire la causette. Il est
aussi glacial qu’une banquise. Je crois que le manque de nourriture commence
vraiment à avoir raison de mon état mental.
– Tu vas arrêter avec tes questions ou est-ce que je dois te bâillonner encore
une fois ?
– Je veux juste faire la conversation pour passer le temps, me renfrogné-je.
Je n’y peux rien si je suis une vraie pipelette quand j’ai peur !
Je croise les bras sur ma poitrine et regarde dehors. Je ne connais pas la ville
que nous traversons. En revanche, j’ai une bonne mémoire, ainsi j’imprime dans
un coin de ma tête chaque détail qui me paraît important, au cas où. Est-ce que je
suis loin de chez moi ? Pourquoi les criminels ont-ils constamment cet air froid
sur le visage ? Comme s’ils haïssaient le monde entier. C’est vrai, même dans les
films, je n’ai jamais vu de « méchant » rigolo. À part les psychopathes qui rient
quand ils découpent leurs victimes. Un frisson me gagne soudain. Est-ce qu’il va
me tronçonner les membres ? Me faire boire de l’acide ? Punaise, j’ai la gerbe
rien que d’y penser. Je le détaille du coin de l’œil, en espérant être assez discrète.
C’est un bel homme, je dois le reconnaître. Je ne sais pas quoi penser de lui. Et
ça m’énerve parce que d’habitude, je sais exactement quoi penser des gens.
Nous sortons de la ville et arrivons sur une nationale. Je mémorise son nom
sur le panneau, au cas où j’arriverais à me faire la malle. La nuit est tombée,
maintenant. Les vitres de la Mustang sont teintées. Aucun automobiliste ne jette
un œil vers moi et ne remarque ma détresse. Je prie pour qu’il y ait un contrôle
de police et que je sois enfin sauvée.
Il entre une clé dans une serrure et finit par me poser sur le sol. Je contemple
le petit appartement et ne tarde pas à deviner à qui il appartient. L’ambiance est
aussi froide que lui et la décoration est… quasi inexistante. Tout est neutre.
Comme lui. Il y a seulement un grand canapé gris et deux fauteuils assortis. Un
tapis blanc est placé juste devant, comme s’il y avait eu un autre meuble dessus,
auparavant. Contre le mur, un écran de télévision poussiéreux sur une console en
bois blanc. Même les rideaux n’ont pas d’âme. Ils sont gris et on ne peut plus
simples. Je m’avance à petits pas et continue mon inspection. Sur la droite se
trouve un couloir avec trois portes, sans doute des chambres et la salle de bains.
À gauche, il y a une grande cuisine équipée, dans les mêmes tons gris et blanc du
salon. C’est tout de même plus propre que dans la maison dans laquelle je me
suis réveillée les jours derniers. Je réalise qu’il est toujours à côté de moi alors
que je sens son souffle dans mon cou.
Il se retourne.
– Pour quoi faire ? fait-il avant de boire une grande gorgée d’eau.
– Prendre une douche, ce ne serait pas du luxe.
Je sais que c’est prendre le bras alors qu’il ne m’a offert qu’un doigt, mais qui
ne tente rien n’a rien. Il me jauge un instant, tentant certainement de déceler une
entourloupe, mais là, je suis sincère. Depuis des jours, je baigne dans la
poussière et le moisi. Il faut vraiment que je me lave, surtout s’il compte me
garder encore longtemps. Il finit par revenir vers moi, sa petite clé en main, et
détache mes menottes. Je me masse les poignets avec soulagement. Il pointe un
doigt sous mon nez.
Il est appuyé contre le lavabo, son attention portée sur la pomme qu’il coupe
avant d’en engloutir un morceau. Je le regarde sans bouger. Il finit par relever les
yeux.
Je crois que mon ventre à moitié plein vient de me faire reprendre du poil de
la bête.
Je jette un œil à mon jean taché et à mon chemisier plus vraiment blanc
auquel manquent les deux boutons du haut. Je relève des yeux paniqués vers lui.
Il est de nouveau intéressé par son fruit et se contente de hausser les épaules.
Ryder
– Je n’ai même pas mon gel douche, peste-t-elle. Je déteste me laver sans mon
gel douche.
– Je ne vais quand même pas dormir comme ça, dit-elle avec une pointe de
sarcasme dans la voix.
Ce n’est pas moi que ça dérangerait le plus. Je n’ai pas envie de prendre le
risque de la laisser seule pour aller chercher sa valise de vêtements. Elle va donc
se démerder avec ce que j’ai pour ce soir.
Elle avance et je la suis, tout en continuant de la mater. Je suis seul avec une
fille nue sous une de mes serviettes, dans ma chambre, avec mon grand lit à
seulement un mètre… J’aurais peut-être dû la laisser sur le pas de la porte.
Maintenant j’ai mal. Je me dirige vers mon armoire en évitant son regard et lui
jette une de mes chemises à la figure.
– Je n’ai que ça. J’espère qu’elle n’est pas trop petite pour toi.
Je ne réponds pas. La réponse est évidente, non ? J’enlève mon T-shirt pour
en passer un propre. Je sens son regard sur moi mais je n’y fais pas attention. Je
préfère me cantonner à sa haine envers moi, c’est plus facile à gérer, je crois.
OK, je l’ai blessée. Je l’ai implicitement critiquée sur son poids, mais elle ne
va quand même pas me chier une pendule pour quelques kilos en trop ! Je
soupire, agacé par tout ce merdier sans queue ni tête. Puis je croise le regard de
cette blondinette au sang chaud. Elle me fixe, comme si elle essayait de
décrypter quelque chose sur mon visage que je ne capte pas moi-même. Je me
souviens alors qu’elle prend des cours de psycho.
Oh non, ma belle, ne cherche même pas à déceler quoi que ce soit chez moi.
La seule qui a un problème, c’est toi. Et un gros, même.
J’ai cambriolé, j’ai tué à distance, mais je n’avais encore jamais kidnappé
quelqu’un. Et encore moins une femme. Je ne sais pas pourquoi mon père m’a
assigné cette tâche, à moi. Mais s’il l’a fait, c’est que cette nana est d’une
importance capitale à ses yeux. Voire vitale. Alors il est hors de question de
jouer au con.
– Tu n’as pas intérêt à bouger, la menacé-je. De toute façon tu n’irais pas très
loin.
Je la vois serrer le poing mais elle ne me frappe pas, bloquée par la peur. Elle
a raison. Je n’ai encore jamais frappé de femme, mais à partir du moment où l’on
est violent avec moi, je rends les coups sans même faire la différence entre les
sexes. J’ai été éduqué ainsi. Avec l’idée que chaque inconnu est un potentiel
ennemi.
Je reviens dans ma chambre et prends deux plaids et un oreiller. Elle n’a pas
bougé d’un millimètre, même pas pour intégrer sa nouvelle « chambre ». Je lui
balance les couvertures et lui ordonne d’entrer. Elle ne bronche pas et
obtempère, puis je referme la porte à clé. Mon placard est dépourvu de fenêtre.
Elle est coincée comme une souris dans une cage. Il lui est impossible de
m’échapper et demain, je compte bien la faire parler. En attendant, j’ai besoin
d’une dose. Je file vite fait sous la douche, puis me fais chauffer une part de
pizza que j’engloutis au volant de ma voiture. J’arrive à la sortie de la ville
quelques minutes plus tard et rentre dans le bar. Il est bondé, comme d’habitude.
Les mecs dépensent des centaines de dollars pour regarder une fille se
déshabiller autour d’une barre en métal alors que moi, j’arrive à les serrer gratos
après leurs shows. Bande d’amateurs. Je commande une bière et pars ensuite en
repérage. Une strip-teaseuse attire tout de suite mon attention. Ses cheveux de
feu captent tous les regards. Celle-là, c’est une vraie rousse, j’en suis sûr. Je la
fixe et elle finit par se tourner vers moi. Les yeux dans les miens, elle retire
lentement son soutien-gorge et le laisse tomber sur la scène. Elle a des seins bien
ronds et ils ont l’air fermes. Dommage qu’ils ne soient pas d’origine, mais je
m’en contenterai pour ce soir. Elle me sourit et je sais à ce moment-là que c’est
dans la poche.
Et j’ai raison, parce qu’une heure plus tard, elle est allongée sur la table de sa
loge, empalée sur mon sexe.
Quand je rentre chez moi, vers trois heures du matin, la valise d’Evangeline
dans la main, je vais tout de suite vérifier que la porte est encore verrouillée. Elle
ne s’est pas enfuie. Je m’apprête à aller me coucher quand j’entends des petits
bruits. Des reniflements. Sérieux, elle chiale ? Je ne lui ai rien fait, pourtant,
aujourd’hui ! Je lui ai même filé à bouffer ! Enfin, bon, j’ai peut-être été un peu
méchant, mais c’est dans ma nature. Je suis méchant. Avec tout le monde. Et
comparé à ce que je lui réserve pour demain, aujourd’hui était une bonne journée
pour elle.
Evy
Je ne dors pas de la nuit. Je n’y arrive pas. D’une, parce que mon lit de
fortune est encore pire que celui que j’avais hier, de deux, les cris de mon
ravisseur, sûrement pris dans un violent cauchemar, m’empêchent de dormir.
Mais surtout parce que mon hôte est un psychopathe. Réussiriez-vous à fermer
l’œil en sachant qu’un seul mur vous sépare d’un tueur et qu’il peut à tout
moment déverrouiller votre porte pour vous liquider ?
Lydia doit être morte de trouille, elle qui ne m’a pas vue depuis deux
semaines.
Une partie de moi ne peut s’empêcher d’espérer qu’au fond, sous son air froid
et sans cœur, ce type n’est peut-être pas si méchant que ça. Après tout, il aurait
pu me laisser sans couvertures. Ou encore m’enfermer dans la cave, comme il
m’en avait menacée. Et, enfin, il aurait pu ne pas se donner la peine de me faire à
manger. Je regrette d’avoir tout jeté par terre. Le riz ne m’a pas rassasiée. Je n’ai
aucun moyen de savoir l’heure qu’il est et je me demande combien de temps
encore je vais rester piégée ici.
Lydia me manque. Robbie aussi. Quand je pense que nous devions nous
retrouver le soir même de ma disparition. Me cherchent-ils ? Ont-ils alerté la
police ? Même s’il est plutôt mince, je préfère garder un tout petit espoir que
l’on vienne me sauver des mains de ce décérébré sans états d’âme. Je le hais
tellement que j’espère qu’il va croupir en prison pour le restant de sa misérable
vie. Je me mets alors à repenser à mes dernières vacances à Miami avec Lydia.
M. Cromwell nous a enseigné qu’il est bénéfique de se remémorer de bons
souvenirs lorsque nous sommes au bord de la crise de nerfs. Or, là, je la touche
du bout des doigts. Alors je ferme les yeux et me replonge quelques mois en
arrière, allongée sur un transat au bord de l’Atlantique, avec Lydia, en train de
siroter des cocktails.
Soudain, la porte s’ouvre, me faisant sursauter. C’est lui. Au lieu de me tapir
dans l’ombre, terrifiée, comme le ferait n’importe quelle femme dotée de bon
sens, je me redresse. Je refuse de lui donner la satisfaction de me voir apeurée. Je
veux le défier. Je veux qu’il sente que je n’ai pas peur de lui, même si ce n’est
pas vrai. Il entre sans un mot et me jette une pile de vêtements.
– Habille-toi.
Il soupire.
– Je vais vraiment finir par m’énerver et ce ne sera pas beau à voir, gronde-t-
il, son visage déformé par la colère à quelques centimètres du mien.
Je me suis trompée. Il ressent bien des émotions. Mais des émotions qui
s’apparentent à de la haine et qui poussent au meurtre. Je soutiens son regard. Je
refuse qu’il voie ma vulnérabilité. Mais il n’a pas l’air le moins du monde
impressionné. Il prend une chaise à roulettes et s’assied en face de moi. Mon
cœur rate un battement lorsque ses yeux couleur d’or me scrutent, intenses et
déterminés. À moins que ce ne soit à cause du couteau qu’il agite devant moi. Il
écarte mes jambes pour se placer entre elles, se retrouvant ainsi plus près de moi.
Beaucoup trop près.
J’ai l’impression d’avoir avalé du sable. Il fait glisser la lame de son couteau
le long de ma joue, jusqu’à ma mâchoire, et j’ai la respiration qui s’accélère.
– Te quoi, Evangeline ?
C’est la première fois qu’il utilise mon prénom en entier, alors que je ne lui ai
donné que l’abréviation. Depuis combien de temps me surveillait-il, au juste ?
Mon cœur est prêt à exploser ; la bile qui me monte à la gorge m’étouffe. Une
tonne d’images, toutes plus atroces les unes que les autres, défilent dans ma tête
et des larmes de panique me brouillent la vue.
Rien ne passe dans son regard caramel. Pas de pitié, aucune compassion et
encore moins de remords. Ce mec n’a donc aucun cœur ? Il est bien humain, au
moins ?
Sa voix est d’une douceur machiavélique. Il n’a pas posé la question comme
s’il s’inquiétait pour moi, mais plutôt comme s’il espérait que je réponde qu’il
est l’objet de ma torpeur. C’est le cas. Mais je refuse de l’admettre à voix haute.
– Est-ce que vous comptez me violer ?
J’expire alors dans un soupir bruyant tout l’air que j’ai retenu. Si je suis
soulagée de voir qu’il n’est pas du genre détraqué, je n’en suis pas rassurée pour
autant.
Je relève les yeux vers lui, horrifiée. Quoi ? Lui me regarde avec un sourcil
haussé, l’air de dire : « Ça te pose un problème ? » Bien sûr que ça me pose un
problème, Ducon, comment pourrait-il en être autrement ?
Le souvenir de cette affreuse soirée où mon jumeau est mort se fixe dans mon
esprit et mes yeux s’emplissent de larmes. Connaissait-il mon frère ? Je sais que
ce n’est pas lui qui a tiré. La tête de l’enfoiré est un peu floue dans ma mémoire,
à cause du choc, mais je pense pouvoir le reconnaître. Si mon kidnappeur n’a pas
tué Jared, cela ne veut pas dire qu’il n’était pas au volant du pick-up.
Et moi qui croyais que j’avais affaire à un détraqué mental… En fait, il bosse
pour quelqu’un. C’est un tueur à gages. Jared m’a dit de ne donner la clé USB à
personne, sous aucun prétexte. Tout comme je ne devais faire confiance qu’à
moi et surtout pas aux flics. Je lance un regard meurtrier à mon ravisseur. La
peur me parasite toujours, mais la colère la rattrape. Maintenant que je sais que
je suis face à l’un des assassins de Jared, je n’ai qu’une envie : me battre jusqu’à
mon dernier soupir pour venger la mort de mon frère adoré.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez, grondé-je.
Ils tiennent absolument à récupérer cette clé qui contient je ne sais quoi. Et ils
doivent me faire parler s’ils la veulent. Donc, tant que je ne cracherai pas le
morceau, je resterai en vie. Ah, la bonne blague. Qui aurait cru que ma vie
tiendrait à un misérable petit objet ?
Je tourne la tête pour le voir prendre un chiffon sur l’îlot de la cuisine. Puis il
revient et m’en bâillonne. Je hurle de rage, mais, bien sûr, le tissu étouffe ma
voix. Il reprend place et brandit le couteau sous mes yeux.
Il baisse mon bâillon pour que je puisse répondre. Mais je prends un temps,
préférant le défier du regard, lui montrer que je suis plus forte que ça.
Je ne réponds pas. Je me serai déjà barrée avant même qu’il ait eu le temps de
refermer la porte derrière la voisine. Il me tourne le dos et j’en profite pour
couper mes liens. Une fois sûre que son attention est concentrée sur Mme
Grayson, avec qui il parle sur le palier, je libère mes pieds et me rue vers la
fenêtre la plus proche. Waouh, c’est haut ! Mais il y a une gouttière le long du
mur et une benne à ordures ouverte en bas. Avec un peu de chance, je devrais
pouvoir descendre un peu et sauter pour atterrir dans la poubelle. Je m’accroche
donc au tuyau en priant pour qu’il supporte mon poids et frémis quand il flanche
un peu. Seigneur, qu’est-ce que je viens de faire ? Quand j’estime que la hauteur
ne me sera pas fatale, je prends une grande respiration et me rappelle mon saut
de la falaise. Je dois y arriver ! C’est moins haut et je ne risque pas de me noyer.
– Hey !
– Ne t’avise plus jamais de me faire un coup comme ça. Je ne suis pas gentil,
Evangeline, crois-moi. J’ai des ordres à respecter, mais je peux les enfreindre s’il
y a le moindre risque.
Je tourne mon visage, qui se retrouve dès lors à quelques centimètres du sien,
et le défie du regard.
Ryder
C’est ce qui s’appelle se tirer une putain de balle dans le pied. Mais qu’est-ce
qui m’a pris de faire ça ? Je n’arrive pas à décrocher mes lèvres des siennes. J’ai
l’impression qu’elles sont collées. Je crois qu’elle ne réalise pas tout de suite ce
qui se passe, car elle ne se dégage pas. Du moins jusqu’à ce que l’ascenseur
s’arrête. Elle me pousse alors violemment et sa main vient claquer ma joue,
laissant le couple à côté de nous bouche bée. Alors que la femme s’engage dans
le couloir, l’homme se tourne vers nous et me lance un regard réprobateur.
– Jeune homme, il faut y aller en douceur avec les femmes, me dit-il avec un
demi-sourire avant de sortir à son tour.
Une sonnerie annonce que nous sommes arrivés à notre étage et je la sors en
la tirant par le bras. Il saigne encore mais ce n’est pas abondant. J’irai plus
profondément, la prochaine fois.
– Avance.
Une fois dans l’appartement, je la jette sur sa chaise et fais les cent pas en me
prenant la tête entre les mains.
Je serre les poings. Non seulement elle connaît désormais mon nom, mais en
plus elle prend trop vite la confiance, celle-là. Elle a failli réussir à s’échapper,
elle se sent pousser des ailes. Je lui lance un regard noir avant de m’approcher
d’elle pour qu’elle voie bien à quel point je suis sérieux.
Je jette un coup d’œil derrière moi pour m’assurer qu’elle ne tente pas encore
une fuite.
– J’y travaille.
– Nous n’avons pas beaucoup de temps. Je viendrai te voir à mon retour.
J’espère que la mission sera accomplie, fiston. Je compte sur toi.
– Hum, il y a eu comme un petit problème.
Je peux visualiser son air contrarié à l’autre bout du fil. Mon père déteste les
imprévus, tout comme moi.
– Je vais devoir y aller plus fort si tu ne coopères pas, lui dis-je. Alors parle :
où est la clé USB ?
– Tu peux toujours courir. Mon frère a donné sa vie pour ce foutu engin,
jamais je ne parlerai.
– Tu serais prête à te retrouver comme lui juste pour un petit truc ?
– S’il me l’a confiée, ce n’est pas pour rien. Pourquoi la voulez-vous,
d’ailleurs ? Que contient-elle ?
Je soupire. Je ne sais absolument pas quoi faire d’elle. J’ai sous-estimé son
intelligence. Elle ne lâchera rien, même si je la torture. Et si je la tue tout de
suite, on peut dire adieu à la clé. Il faut que je réfléchisse à tout cela. Que je
sache comment m’y prendre pour l’inciter à me filer le tuyau. Et vite, car le
boulot doit être fait avant que mon père ne vienne. J’ai besoin de me vider la
tête. J’attrape Evangeline par le bras et la tire jusqu’au placard.
– Qu’est-ce que vous faites ? s’écrie-t-elle.
– J’ai besoin d’être seul pendant un moment.
– Quoi encore ?
– Je n’ai presque rien mangé…
– Ce n’est pas mon problème, tu n’avais qu’à pas foutre le sandwich en l’air.
Et je referme la porte.
***
Du coup, le boulot n’avance pas. Je n’ai rien pu tirer d’elle jusque-là et mon
père n’est pas content du tout. Je me demande de plus en plus s’il ne s’est pas
trompé de gars pour cette mission. D’habitude, je réussis tout ce que
j’entreprends. Mais là, je commence à douter de mes capacités, chose qui ne
m’était jamais arrivée. Je la remets au placard, verrouille la porte et replace la
planche sur les crochets que j’ai fixés de chaque côté de l’encadrement pour être
sûr qu’elle ne puisse pas s’échapper à nouveau. Puis j’enfile un jogging et pars
m’aérer un peu l’esprit. J’en ai bien besoin après une heure entière consacrée à la
passer sous l’eau toutes les deux secondes pour la faire parler, sans succès. Je
cours sans but précis. Une vitrine enfermant des écrans de télévision attire mon
attention. Une alerte enlèvement a été lancée et le visage d’Evangeline y
apparaît. Putain de merde ! J’aurais dû tuer sa salope de colocataire quand j’en ai
eu l’occasion. Maintenant, le temps joue encore plus contre moi. Ces dernières
semaines ont été assez éprouvantes. L’intimidation ne fonctionne pas sur elle, il
faut que je me rende à l’évidence. Et je n’ai rien d’autre en stock. Je commence à
croire que Duncan serait plus apte à accomplir la mission. Il a déjà commis des
enlèvements, il connaît. Je compose son numéro et il répond tout de suite.
– Duncan.
– T’es occupé ?
– En train de mater deux gonzesses prendre du bon temps. Je ne vais pas
tarder à participer. Tu veux te joindre à nous ?
– Une prochaine fois peut-être. J’aurais plutôt besoin de toi, en fait.
– Pourquoi ?
– Pour faire parler quelqu’un.
– Ah ça, c’est mon domaine.
– Je sais, c’est pour ça que je te le demande. Tu pourrais passer chez moi,
disons dans une heure ?
– Pas de problème.
– Ah, c’est une gonzesse ! s’exclame Duncan avec un large sourire avant de
se frotter les mains comme s’il savait déjà ce qu’il allait lui faire pour l’obliger à
parler. De mieux en mieux.
Sans hésiter, il s’approche d’elle, mais elle recule. Elle ne peut pas aller bien
loin, stoppée par le mur. Quand Duncan l’attrape, elle se débat de toutes ses
forces en criant, mais il est beaucoup plus fort qu’elle.
– Oh, dis donc ma jolie, on n’est pas contente de me voir ? Mon cher frère
m’a dit que tu étais une vilaine fille. Voyons voir si je peux te rendre un peu
plus… docile.
Mais Duncan la prend par le cou et la plaque contre le mur. La fille a l’air un
peu sonnée par la force du coup et se tait tout de suite. Il la force à avancer
jusqu’au salon où il l’allonge carrément sur ma table.
– Qu’est-ce que tu fous ? demandé-je en voyant qu’il lui attache les membres
aux pieds du meuble.
Il lui déboutonne ensuite son jean. Evangeline tente de se débattre mais les
liens l’en empêchent. Elle commence à crier plus fort, alors Duncan lui assène
une gifle avant de la bâillonner avec sa ceinture.
Je crois entendre la prisonnière implorer la pitié et des larmes coulent sur ses
joues.
– Duncan, dis-je en posant une main sur son bras. Tu es sûr de ce que tu fais,
là ?
– Absolument certain, répond-il en enlevant son propre pantalon. Elle va
tellement avoir mal qu’elle va finir par cracher le morceau.
Je n’aime pas ça. Nous ne procédons pas comme ça, d’habitude. Du moins
pas moi. Ce n’est pas dans mon éthique. Je jette un œil à la fille allongée. Je
peux voir le désespoir et la souffrance dans ses yeux. Je ne sais pas ce qu’il se
passe en moi à ce moment-là, mais il se passe quelque chose. C’est ce qui me
pousse à arrêter Duncan alors qu’il s’apprête à retirer la culotte d’Evangeline.
– Stop, ordonné-je. Je ne suis pas d’accord.
Je serre les mâchoires. Il a raison. J’ai déjà buté un tas d’ennemis de mon
père, je ne devrais pas m’opposer à mon frère, je devrais le laisser faire. Ainsi,
elle finira par comprendre que si elle ne parle pas, il recommencera. Et la
mission sera finie, je n’aurai plus qu’à la buter, papa sera fier de nous. Je relâche
sa main et me retourne dos à eux. Je ne veux pas voir ça. Je me passe encore la
main dans les cheveux. Je trouve que je fais ça un peu trop souvent depuis que
j’ai enlevé Evangeline. D’habitude, rien ne m’atteint. Mais les cris étouffés de la
fille me poussent à revenir vers mon frère, juste à temps avant qu’il ne
commence sa besogne. Sans réfléchir une seconde, je lui envoie un coup de
poing en plein dans le nez. Il titube mais ne tombe pas.
Ma voix est dure et sans appel. J’ai des principes. Et je suis prêt à défoncer la
gueule du premier qui osera tenter de m’en détourner.
– Une clé USB ? Ce ne serait pas son frère ou son copain qui la lui aurait
confiée, par hasard ?
– Tu m’en dois une, Ryder. Ne te perds pas en chemin, petit frère, papa te
tuerait toi aussi.
***
Il est près de minuit. Je suis couché sur mon lit, les bras derrière la tête et je
regarde le plafond. Je n’arrive pas à trouver le sommeil. J’ai encore les images
de ce qu’il s’est passé cet après-midi avec Duncan. Je ne pensais pas qu’il
déconnait autant avec ses victimes. Je savais qu’il était plus instable que nous
autres, mais je ne me doutais pas que c’était à ce point. J’avais l’impression
d’être face à quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas le pire. Non, le pire c’est la
dernière phrase qu’il m’a dite avant de s’en aller. « Ne te perds pas en chemin,
papa te tuerait toi aussi ». Comment ça, que je ne me perde pas ? Et que voulait-
il dire par « toi aussi » ? Je n’ai pas l’intention de changer ou d’être gentil. C’est
juste que, sans que je sache pourquoi, cette façon de torturer me donne la gerbe.
Il y a d’autre moyen de lui faire cracher le morceau.
Quelque chose en moi finit par me pousser à aller voir Evangeline. Elle est
traumatisée et je peux la comprendre. Duncan n’a pas vraiment été tendre, aussi
bien dans ses propos que dans ses gestes. Je toque, mais personne ne répond.
Alors j’ouvre. La pièce est plongée dans le noir total. Pourtant j’avance sans
craindre de me faire attaquer. Je suis persuadé qu’elle dort ou qu’elle est trop
faible psychologiquement pour me mettre en rogne. Elle a peur de moi, aussi. Le
plus doucement possible, je me laisse glisser le long du mur et ferme les yeux. Je
ne sais pas ce que je fais là, honnêtement. Mais j’en ai envie. Presque besoin.
– Non, réponds-je.
Je sens une main se poser sur ma jambe et je sursaute. Je ne la vois pas, elle
peut me sauter à la gorge à tout moment, donc je reste sur le qui-vive.
Evy
Ce matin, je suis réveillée par des cris. Par Ryder en train de hurler sur
quelqu’un, pour être exacte. Et à en juger par les multiples pauses de sa voix,
j’en déduis qu’il est certainement au téléphone. Avec Duncan ? Repenser à ce
mec me tord les tripes. Si je pensais que Ryder était un psychopathe terrifiant,
son frère est un véritable malade mental.
J’ai vraiment été sincère, hier soir. Je suis reconnaissante envers mon
ravisseur. Je ne l’aurais jamais cru, d’ailleurs, mais sans lui, il me serait arrivé
une chose horrible. Qu’est-ce que Duncan faisait là ? Son visage balafré m’a
paru familier quand je l’ai vu entrer dans le placard, mais je ne me souvenais
plus d’où je l’avais déjà vu. Jusqu’à ce que Ryder parle de la clé USB. Là, tout
m’est revenu dans la tête tel un tsunami. J’ai été littéralement submergée par le
souvenir de cette nuit d’horreur. La nuit où ils ont tué mon jumeau, dans mes
propres bras.
– Et tu te crois malin, en plus ?! Tu n’avais pas à faire ça, c’est tout… Non, je
ne cautionne pas ce genre de comportement et papa non plus… Quoi ?
Il parle bien avec Duncan. À ce moment-là, j’entends un bruit sourd tout près
de moi qui me fait sursauter.
– Il ne peut pas faire ça, continue Ryder. S’il m’a donné cette mission à moi,
c’est parce que toi tu es trop instable… Arrête, à chaque fois qu’une de tes
missions tourne mal, tu t’arranges toujours pour tirer l’histoire à ton avantage.
Mais on sait tous que c’est toi qui merdes… Non, toi, écoute : tu touches à un
seul de ses cheveux et je te fais regretter d’être venu au monde. Elle est à moi,
pigé ?
Puis je n’entends plus rien. Soudain, quelque chose en verre se brise. Mais je
suis encore sous le choc de ce que Ryder vient de dire. Apparemment, son frère
veut prendre la relève pour pouvoir finir ce qu’il a commencé, mais mon
kidnappeur refuse. « Tu touches à un seul de ses cheveux et je te fais regretter
d’être venu au monde. » Est-ce qu’il a dit cela pour me protéger ou par pur
égoïsme ? Je trouve qu’il a quelque peu changé depuis son baiser dans
l’ascenseur. Mon cœur se met à battre la chamade à ce souvenir. Je mentirais si
je disais que je n’ai rien ressenti. Au début, je croyais que c’était à cause de la
peur. Mais, au fil des jours, je ne sais plus trop si c’est de la crainte ou… du désir
que j’ai éprouvé ce jour-là. C'est complètement tordu, je sais, mais c'est pourtant
la réalité. Et je suis morte de honte à l'idée de ressentir ça. Car, en dépit des
tortures qu’il m’a fait subir ces derniers jours, lorsque c’était fini, il me
regardait… bizarrement. Pas des regards chaleureux, mais pas glacials non plus
comme au début. Je ne sais pas trop comment expliquer cela, mais j’ai
l’impression qu’il se sent obligé de me faire endurer cela. Comme s’il se sentait
redevable. Comme si sa vie en dépendait. Voue-t-il une telle vénération à son
père, pour être prêt à tuer ainsi pour lui ? Je ne vois pas d’autre explication. Et
son frère qui lui met des bâtons dans les roues… Je n’aime pas trop ça. J’entends
le cliquetis de la porte et Ryder entre. Il a l’air totalement vidé. Son regard
m’hypnotise instantanément. C’est vraiment un très bel homme. Je ne l’avais pas
forcément remarqué jusque-là, car j’étais trop focalisée sur sa part sombre. Sur le
criminel. Or, là, tandis qu’il se tient droit devant moi, je me rends compte que
mon cœur battant n’est plus alimenté par la peur, mais par le désir. Ou quelque
chose qui s’en approche, en tout cas. Et ça me fait un peu flipper. Je suis
complètement débile de ressentir de l’attirance pour mon futur meurtrier. Mais il
faut bien avouer qu’il m’a évité la mort. Car je suis sûre que ce fumier m’aurait
étranglée aussitôt après m’avoir violée, je le voyais dans ses yeux remplis de
haine.
Je sais que je ne devrais pas me sentir redevable envers lui. Après tout, il me
torture et va certainement me tuer. Mais quelque chose me dit que ce n’est pas le
vrai Ryder que j’ai en face de moi depuis le début. J’ai l’impression que je dois
creuser un peu plus en lui pour faire surgir… je ne sais pas, un homme bien ?
Qui ne passe pas son temps à tuer ? Ryder ne répond pas, se contentant de poser
ma valise dans un coin de la pièce minuscule.
– Prends des affaires propres, je t’amène à la douche.
Je m’active donc à choisir une tenue pour la journée dans le fouillis que sont
devenues mes fringues. Il va falloir que je remette de l’ordre dans tout ça, la
maniaque en moi pleure à chaudes larmes.
– Tu as encore crié, cette nuit, risqué-je avec un petit coup d’œil furtif dans sa
direction.
– C’est bon ? Tu as fini de pleurnicher sur ta misérable vie ? Je n’ai pas que
ça à faire.
Je sèche mes larmes et me lève avec mes vêtements dans les mains. Je n’ai
pas envie de lui répondre, ni même de le fusiller du regard. Je ne pense même
pas qu’il s’en rendrait compte. Je le suis jusqu’à la salle de bains. Il ne me
malmène plus comme au début, avec sa main serrant ma nuque. Il sait que je ne
compte plus m’enfuir. Je n’ai aucune envie de tomber sur Duncan pendant ma
cavale. Même si mon désir de tuer celui-ci après ce qu’il a fait est très présent, je
sais que je n’aurai aucune chance face à lui s’il me tombe dessus. Bizarrement,
je me sens plus en sécurité qu’en danger avec Ryder, depuis hier. J’entre dans la
salle de bains et entreprends de me déshabiller, sans plus me soucier de sa
présence dans la pièce. À force de me surveiller dans la douche depuis près
d’une semaine, il connaît mon corps en long, en large et en travers. Aujourd’hui,
je ressens comme un frisson qui me parcourt l’échine en sentant son regard sur
moi. J’entre sous l’eau et me lave tout en évitant de le regarder. Il n’a peut-être
pas tant confiance que cela pour rester pendant ma douche. Ou alors il aime me
regarder. Je me surprends à espérer que la deuxième hypothèse soit la bonne. Je
ne sais pas ce qui m’arrive, je ne comprends pas. En dépit des circonstances et
de son comportement… une part de moi le désire. Certains diront que je suis
atteinte du syndrome de Stockholm. Peut-être que oui. Mais, pour le moment, je
préfère attribuer cela au fait que je lui dois beaucoup après ce qu’il vient de se
passer. Ouhais, on se raisonne comme on peut, hein, raille la voix sarcastique de
ma conscience. Je finis par couper l’eau, et voilà que des pensées obscènes
m’assaillent.
Ses yeux sont fixés sur ma poitrine énorme. Il ne prend même pas la peine de
détourner le regard alors que je viens de le prendre sur le fait. Un homme
normalement constitué se serait empressé de s’excuser avec un sourire. Lui, non.
Il me reluque sans aucune gêne, sans un rictus. Et je dois être bien barrée, parce
que ça me trouble plus que ça ne m’inquiète. Puis il s’en va sans même me
répondre. Je réalise que c’est la première fois qu’il ose me laisser seule dans une
pièce. Est-ce que je dois y voir un message ? Je me tourne vers la petite fenêtre
placée en hauteur, au-dessus des toilettes. Ce serait tellement facile de m’enfuir !
Je prendrais mes jambes à mon cou en alertant le quartier et irais me réfugier
dans le commissariat le plus proche. Mais l’image de Duncan me ramène sur
terre. Il est vraiment resté sur sa faim, hier. Il attend peut-être quelque part
dehors, espérant que je m'enfuie pour pouvoir m'attraper avant que Ryder ne se
rende compte de mon absence. Je suis sans doute parano, mais au point où j'en
suis, ce serait fort possible. Duncan n'est pas le genre de mec à qui l'on dit non.
Je l'ai vu dans ses gestes et dans son regard lorsque Ryder a pointé son arme sur
lui. J'ai l'impression d'être une brebis au milieu d'une meute de loups. Le plus
étrange, c’est que le frère de Ryder n’est pas la seule raison pour laquelle je
décide de rester. Je crois que j’ai envie de connaître davantage mon ravisseur. Ce
ne sera sans doute pas facile, mais je suis persuadée que je pourrai l’obliger à se
livrer. Si ça se trouve, il n’est même pas conscient de ses actes tortionnaires et
meurtriers. Je termine de m’habiller et de me maquiller – Dieu merci, il a pensé
à ma trousse de toilette – et entreprends de nettoyer la salle de bains avec les
quelques produits que je trouve sous le lavabo. Il faut que je me change les
idées. Que je fasse quelque chose d'anodin pour m'éviter de trop penser à ce qui
m'arrive. Si je reste prostrée sur moi-même, je vais finir par devenir
complètement dingue. Et puis avec un peu de chance, si je suis gentille et
serviable avec lui, il sera un peu plus conciliant avec moi... L’appartement n’est
pas ce que j’appellerais un endroit propre. Bon, il n’est pas aussi sale que la
maison dans laquelle j’ai vécu les premiers jours, mais c’est un logement de
mec, quoi. La maniaque que je suis tape dans ses mains, heureuse de pouvoir
enfin se rendre utile. J’astique le miroir, les toilettes. Je suis en train de nettoyer
la baignoire lorsque la voix de Ryder me fait sursauter.
Et ton frère est sûrement tapi dans l'ombre, pas loin, à attendre le moment
propice pour terminer ce qu'il a commencé, pensé-je sans le dire à voix haute,
cependant.
– Tu te débrouilles bien.
– Oh ! Un mot gentil ! Redis-le pour voir ?
Je me suis rendu compte que me crêper le chignon avec lui ne servait à rien.
Cela ne faisait que le rendre encore plus violent. Alors j’essaie la méthode plus
douce : la gentillesse. Il lève les yeux au ciel et je jurerais avoir vu un rictus
amusé presque imperceptible au coin de sa bouche. Alors que je crois qu’il va
s’en aller, il me surprend en s’asseyant sur la cuvette des toilettes. Il a les coudes
posés sur ses jambes écartées et, penché vers moi qui suis à quatre pattes pour
gratter quelques taches tenaces par terre, il me scrute avec le plus grand sérieux
du monde.
Je secoue la tête.
– Pour me faire tuer juste après ? Merci mais non. Et d’abord, qu’y a-t-il là-
dedans qui vaille que j’y perde la vie ?
– Je n’en sais rien, ce n’est pas moi qui donne les ordres. Mais tu pourras
plaider cette cause, ça pourrait te sauver.
– Tu sais que je vais devoir te torturer jusqu’à ce que tu parles, n’est-ce pas ?
– Et tu sais que je ne dirai jamais rien, le défié-je.
Cela dit, moi aussi ça me fait éprouver des choses. Ça me donne envie de la
mordre moi-même, cette lèvre… Et plus encore… Je détourne le regard et
m’intéresse à ma tâche ménagère en espérant qu’il n’ait pas remarqué mes joues
rouges. Il finit par se relever et sort de la salle de bains, non sans m’ordonner
avant :
***
Je sens le regard de Ryder peser sur moi tandis que je dépoussière les
quelques meubles. Il est assis sur son canapé, la télévision allumée devant lui. Je
m’affaire tout en me forçant à ne pas le regarder. Mais au bout d’un moment, je
ne peux pas résister et je me retourne. Il est là, avachi sur son canapé, ses
grandes jambes écartées, une bière dans une main, une cigarette coincée dans sa
bouche si désirable. Il n’est pas vraiment musclé, mais il n’est pas sec non plus.
Sa peau légèrement bronzée recouverte de tatouages présente néanmoins
plusieurs traces blanches par endroits, des cicatrices, je suppose. Que lui est-il
arrivé ? Pourquoi est-il ainsi ? J’aimerais bien le savoir, mais je doute que ce soit
le bon moment pour lui demander ce genre de chose. Ce que je sais, c’est que
plus je passe de temps avec lui, plus il m’intrigue. Je devrais le haïr comme au
début, voire plus encore, après les tortures qu’il m’a fait subir. Mais c’est tout le
contraire, étrangement. Parce que je suis convaincue par mon idée : il n’agit pas
parce qu’il aime ça. Mais parce qu’il se sent obligé de le faire. Je me demande
depuis combien de temps il fait ce « travail ». Combien de personnes innocentes
sont-elles mortes à cause de lui et de son frère ? D’ailleurs, sont-ils les deux
seuls à faire ça ? Ou y en a-t-il d’autres ? Pourquoi leur père les oblige-t-il à faire
ça ? Tellement de questions auxquelles je n’aurai sans doute jamais de réponse.
Plus les jours passent, plus ma vie d’avant me manque. Je rêverais de pouvoir
appeler Lydia – si tant est qu’elle soit bien vivante – pour lui dire où je suis. La
police viendrait et je serais sauvée. Mais je n’ai pas confiance en eux. De plus,
ils arrêteraient Ryder et, bizarrement, cette idée me fait mal au cœur. Il est clair
qu’il mérite d’aller en prison, je ne le défends pas. Mais il ne fait qu’obéir à des
ordres. Une autre hypothèse m’est venue à l’esprit, ces derniers jours. Si ça se
trouve, il a été élevé pour tuer. Comme ces enfants des milices, dans certains
pays reculés de la planète. C’est complètement fou, mais ça pourrait coller avec
son déni total des émotions éprouvées par ses victimes. Depuis plus d’un mois
que je suis là, personne n’est venu perquisitionner l’appartement de Ryder. J’ai
peu d’amis, mais je pense compter assez à leurs yeux pour qu’ils signalent ma
disparition soudaine. Au moins Lydia qui est ma meilleure amie. Voilà encore
une raison qui pourrait me prouver que Ryder l’aurait… J’éprouve encore de la
haine pour lui bien qu’il m’attire physiquement. S’il a touché ne serait-ce qu’un
cheveu de Lydia, je jure que je fais un carnage. Il a peut-être raison, cela dit.
Peut-être que si je plaide l’ignorance quant au contenu de la clé, je m’en sortirai
vivante. Hélas, rien ne me garantit que ce sera le cas.
J’ai été enlevée par un mec froid mais ultra sexy qui m’a entaillée au couteau,
s’est servi de moi comme cendrier, m’a presque noyée et, pas plus tard qu’hier, il
s’est essayé à la brûlure au fer rouge. Tout cela pour une clé USB. Sans compter
qu’il a fait couler ma voiture, détruit mes papiers d’identité, il est entré dans mon
appartement, a sans doute tué ma meilleure amie et je suis la prochaine sur la
liste. Pourtant, en dépit de la haine que j’éprouve à son égard, une partie de moi
– une infime partie – est attirée par lui. Irrésistiblement. Si je m’en sors vivante,
je serai sûrement bonne à être enfermée.
9
Ryder
Je suis largué avec cette femme. Je lui ai fait subir les pires douleurs,
physiques et psychologiques, et elle ne lâche toujours rien. Elle est maso ou
quoi ? Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle est… gentille. J’ai découvert
récemment qu’elle était du genre maniaque, donc autant qu’elle se rende utile en
faisant le ménage. Par précaution, je reste toujours à côté, avec un œil sur ses
moindres faits et gestes. Et sur son cul aussi, j’avoue. Cette façon qu’elle a de le
dandiner et son pantalon qui le moule un peu plus quand elle se baisse…
Seigneur, je dois me faire violence à chaque fois pour ne pas aller le croquer.
Elle ne cherche plus à s’enfuir, je crois. Elle a compris qu’elle n’avait aucune
chance avec moi. Mais je pense qu’elle a aussi peur de tomber sur Duncan. Car
elle s’est bien calmée avec moi depuis que je l’ai tirée des pattes de mon malade
de frangin. En parlant de lui, il veut balancer à mon père ce qu’il s’est passé la
dernière fois. Je me suis engueulé avec lui la semaine dernière. Il me menace de
dire que je suis passé de l’autre côté de la barrière. Que je suis devenu un faible.
Tout ça parce que je l’ai empêché de violer Evangeline. Il n’a plutôt pas intérêt à
aller raconter ces conneries parce que je lui fais avaler ses dents une par une. Je
ne suis pas faible, putain. J’ai des principes, c’est tout. Et il devrait s’en donner
aussi s’il ne veut pas se faire virer de la Maison comme nos deux autres frères.
Je cours depuis environ une heure sur le tapis de course, Breaking Benjamin
dans les oreilles, et cette métisse brune me regarde depuis vingt minutes au
moins. On s’est repérés en même temps en entrant dans la salle de sport. Je lui
fais mon regard charmeur auquel aucune femme ne résiste et elle me sourit
timidement. C’est tellement facile, parfois, que cette tactique commence à
m’ennuyer profond. Mais c’est la première étape avant de conclure, alors je ne
vais pas faire la fine bouche. Ma proie mord à l’hameçon. En même temps, je
n’en attendais pas moins d’elle. Dommage que les douches soient surveillées, je
l’aurais bien prise là, tout de suite.
Heureusement, elle m’attend à l’entrée, comme si elle savait déjà comment
allait se passer la suite de sa journée. Sans préambule, je la plaque contre le mur
du gymnase et la dévore à pleine bouche.
– On va chez toi, j’ai mon salaud de mari à la maison, me dit-elle tandis que
je lui lèche le cou.
Pour lui faire comprendre que c’est non, je l’entraîne dans la ruelle qui jouxte
le gymnase et la plaque une nouvelle fois contre le mur. Une pluie battante nous
trempe en un rien de temps, mais ça n’a pas l’air de la déranger. Je lui relève la
jupe, déboutonne mon jean, enfile une capote et m’enfouis en elle. Elle a un
hoquet de surprise mais ne semble pas mécontente, au contraire. Je la pilonne
comme un malade. J’ai trop envie de baiser. J’étais déjà sexuellement hyperactif
avant Evangeline, mais depuis qu’elle est là, que je la vois nue dans la
baignoire… ma faim de sexe ne fait que s’accroître. Ça craint.
Evangeline doit sûrement encore être en train de pleurer dans son placard.
Elle pleure souvent quand elle pense que je ne l’entends pas. Ce matin, elle s’est
rasé les jambes dans la douche et ça m’a grave mis les nerfs. Pas parce qu’elle
mettait plus de temps que d’habitude, mais parce que, putain, ses courbes sexy,
son cul à damner un saint et sa façon de me regarder tout en se lavant… Je ne
sais pas comment j’ai fait pour avoir la force de me détourner d’elle. Je n’avais
qu’une envie, c’était de la rejoindre.
Mais je refuse de jouer avec le feu. C’est beaucoup trop risqué et ça pourrait
compromettre la confiance que mon père a en moi. Cette femme est un véritable
péché. Je me sens faible à chaque fois que je réalise que je brûle de désir pour
elle. Je ressens des choses. Des choses que je n’avais jamais ressenties avant
parce que je refusais d’éprouver la moindre émotion. J’ai été élevé ainsi. Sans
émotion, sans âme. Et pourtant, plus les jours passent en compagnie
d’Evangeline, plus je sens que quelque chose change en moi.
Il faut que je mette un terme à toute cette merde. À ces émotions à la con qui
me perturbent de jour en jour. Et comme elle refuse de parler, il va falloir que
j’emploie les grands moyens. Je dois la tuer. Elle est en train de bousiller tous
mes principes, elle brise mes défenses. Elle anéantit des années de travail rien
qu’avec un regard et ça me ronge. Tant pis pour la clé, de toute façon, d’après ce
qu’elle m’a dit, elle est la seule à savoir où elle est. Personne ne la retrouvera.
Mais cette mission est trop risquée. Elle va me faire courir à ma perte.
Je finis par jouir avec l’image du corps nu d’Evangeline dans la tête. Qu’est-
ce que je disais ? Je vais droit dans le mur.
***
Quand j’arrive chez moi, tout est calme. Trop calme, même. D’habitude je
l’entends pleurer. Soit elle a fini par filer, soit Duncan est venu l’enlever pour
finir ce qu’il avait commencé. Il sait crocheter les serrures les plus complexes, ce
con, et il est tellement barge que cette possibilité est plus que plausible. Je vais
aussitôt vérifier. Elle dort, je retrouve mon calme. Sa respiration est paisible et
régulière. J’aurais presque envie de lui caresser les cheveux. Je referme la porte
et vais prendre une douche, histoire de me débarrasser de cette séance de sport –
ces, devrais-je plutôt dire – et de me changer les idées. Je ne suis pas bien, en ce
moment. Je ne me sens pas moi. J’ai l’impression d’avoir changé depuis qu’elle
est là. Je fais tout pour la mépriser, mais… elle m’obsède. Pourtant, elle est
comme les autres. Elle n’a rien qui devrait m’attirer. Elle ne vaut pas mieux que
celle que je me suis tapée il y a une heure, ou celle d’avant-hier. Que dalle. Et je
vais le prouver.
Ah, je l’avais oubliée, celle-là. Elle lève un peu la tête et j’ai le malheur de
croiser son regard bleu turquoise. Je hausse les épaules.
Evy
J’ai attendu la mort. Pendant trente-sept jours. Je savais que c’était ce qui
m’attendait au bout du compte, que j’avoue tout ou rien. Bien que j’aie eu une
minuscule lueur d’espoir, tout au fond de moi, elle s’est éteinte quand j’ai
entendu le barillet tourner et senti le canon sur ma tempe.
Clac. Pas de détonation. Pas de douleur. Pourtant je l’ai bien entendu appuyer
sur la gâchette. J’ouvre les yeux. Je suis toujours allongée sur ma couverture.
Toujours vivante. Mon cœur retrouve maintenant un rythme presque normal.
Je suis vivante. Il ne m’a pas tuée. Ma respiration est encore un peu hachée,
mais je sens que le soulagement a remplacé la terreur et l’angoisse.
Je ne suis pas morte.
– Ryder !
Sa mâchoire bouge et je sais que j’ai raison, mais il refuse de l’admettre. J’ai
envie de le pousser dans ses retranchements. Je veux lui faire ressentir des
choses. J’ai essayé la colère, mais c’est ma peau qui en a fait les frais. Il faut que
je tente autre chose. Quelque chose que je n’aurais jamais fait s’il avait tué
Lydia. Il est rouge de rage et il fonce vers moi. Je ne tressaille pas quand il prend
mon visage dans sa main, pressant douloureusement mes joues, tandis que le
canon de l’arme est de nouveau pointé sur ma tête. L’or de ses prunelles s’est
assombri. Il est contrarié à l’idée que je lui tienne tête, mais je peux aussi déceler
de la frustration et peut-être même une pointe de désir. Je crois.
– Je peux t’assurer que la balle est bien dedans, maintenant, persifle-t-il, son
visage à un centimètre du mien.
Il secoue la tête, l’air désabusé, en levant les yeux au ciel. Ouais, je suis
sûrement en train de devenir folle. Mais il y a une chose dont je suis sûre : j’ai
terriblement envie de cet homme. Oui, cet homme qui m’a fait croire qu’il avait
l’intention de me tuer il y a deux minutes.
Son regard est incandescent et mon cœur tressaille encore. Il louche sur mes
seins, comme d’habitude. En même temps, ceux-ci sont tellement gros que tout
le monde a du mal à garder les yeux sur mon visage. C’est vraiment un
problème, cette poitrine. Quant à moi, je ne peux détacher mon regard de ce
corps de dieu, comme s’il avait été sculpté dans du granit. Des abdos dessinés et
en relief, son V d’Apollon qui fait vibrer mon bas-ventre. Même le tatouage
gravé sur son cœur est sexy : « Never give up ». Ne jamais abandonner. Oh, ça
non, je ne vais pas abandonner. Il me ramène au salon et me pousse légèrement
jusqu’à la « chaise de torture » pour me montrer qu’il contrôle la situation. Ou
peut-être pour s’en convaincre lui-même.
– Parce qu’il le faut, répond-il en fronçant les sourcils, visiblement agacé par
la question.
Dans tous les cas, je suis prête à tout pour sauver ma peau.
La torture a été douloureuse, mais j’ai résisté. Chaque fois qu’il me
questionnait, je lui répondais qu’il n’avait pas à agir ainsi. Je lui expliquais les
belles et bonnes choses de la vie, qu’on pouvait faire autre chose que tuer des
gens. Je le poussais dans ses retranchements. Et à chaque fois, il activait le Taser
et m’administrait cinquante mille volts dans le corps. Il prenait soin, malgré tout,
que les décharges ne durent pas longtemps et entrent par les cuisses – trop
longues ou délivrées près des organes vitaux, elles peuvent être fatales.
Je n’ai pas flanché. Jamais. Et ça l’a énervé. Au bout du compte, il m’a jetée
comme une malpropre dans le placard et je ne l’ai pas revu de toute la journée.
Une douleur terrible me prend soudain dans le bas du ventre. Oh non, pas ça.
Pas maintenant ! Je fais un rapide calcul mental et j’en viens à la conclusion que
j’avais déjà cinq jours de retard, sans doute causés par le stress. Eh merde. Puis
je me souviens que j’ai ma trousse de toilette. J’y glisse toujours des protections,
au cas où. Mon côté maniaque du contrôle a finalement quelques avantages. Je
me lève tant bien que mal et frappe à la porte avec mes poings. Ryder s’arrête
soudain de parler et la porte s’ouvre quelques secondes plus tard. Il me regarde
de haut, les sourcils froncés, le visage fermé.
– Un problème ?
Je le suis jusqu’à la cuisine. Cela m’étonne qu’il m’autorise à manger avec lui
alors que d’habitude je n’ai droit qu’à une assiette dans ma « chambre », mais je
ne fais aucun commentaire. Je m’assois sur l’un des tabourets de l’îlot central et
étouffe une plainte quand une nouvelle douleur menstruelle m’assaille. Occupé à
prendre des plats tout prêts, Ryder se tourne vers moi.
– OK, j’ai compris. Disons que, nous, les femmes, avons des périodes où
notre corps se régénère. Une fois par mois. Et pour certaines d’entre nous, dont
moi, les premiers jours de cette période sont très douloureux.
– Merci.
Le micro-ondes sonne et Ryder part chercher son repas tandis que je siffle la
moitié de ma bière d’une traite. L’acidité et la fraîcheur du breuvage descendent
le long de mon œsophage comme une cascade et ça fait du bien. Nous
commençons à manger en silence. Ce n’est pas de la grande cuisine, ça sort tout
droit d’usine, mais à cheval donné, on ne regarde pas la bouche. Tout comme on
ne se plaint pas d’un plat réchauffé quand on a été longtemps privé de nourriture.
– La prochaine fois, c’est moi qui me colle aux fourneaux. Il paraît que je…
– Tu es ma prisonnière, pas ma femme, me coupe Ryder d’une voix
tranchante qui ne laisse place à aucun commentaire.
OK. Bon, pour les échanges cordiaux, on repassera un peu plus tard.
Je baisse la tête vers mon assiette et obtempère. Nous ne pipons mot de tout le
reste du repas et je déguste le reste de ma bière, ne sachant pas quand est-ce que
j’aurais droit d’en boire une autre. Je jette les barquettes à la poubelle et nettoie
nos fourchettes tandis qu’il fouille dans un placard. Il pose un cachet et une
bouteille d’eau près de moi. Je lève les yeux vers lui.
– J’ai juste pas envie de t’entendre chialer toute la nuit. J’ai besoin de dormir.
Autrement dit : « je te ramène au placard ». Je prends l’ibuprofène et le suis
en traînant des pieds.
– Je peux aller me brosser les dents avant ? quémandé-je alors que nous
sommes dans le couloir.
– Je suis bénévole dans un centre pour SDF et savoir qu’ils ont un toit pour la
nuit, que je les rends… heureux me… rend heureuse… aussi.
– C’est aussi ça, être bien, Ryder ! Aider les autres et non leur faire du mal !
Je m’humecte les lèvres. J’ai la gorge sèche, tout à coup. Et j’ai chaud.
– Je… je voudrais…
Je suis incapable de faire une phrase cohérente. Il est trop près. Beaucoup trop
près.
Ne le lâchant pas du regard afin qu’il voie à quel point je suis sincère, je
réponds :
Je peine à le suivre tant il marche vite et me fait mal, mais je mets cela sur le
compte de la contrariété. Il voit que j’ai touché une corde sensible et il tente de
se convaincre du contraire en jouant les gros durs. C’est la preuve que je n’arrive
pas encore à trouver un juste milieu entre ses sensations négatives et les toutes
nouvelles émotions qu’il est censé ressentir. Il va falloir que je travaille là-
dessus, dorénavant. Il me jette dans mon placard mais ne referme pas la porte
tout de suite. Son regard d’ambre est ancré au mien.
Ryder
C’est une putain de mauvaise blague. Moi, un cœur tendre ? Si elle m’avait
dit que le Père Noël existait, je n’aurais pas autant ri. Sérieusement, elle croyait
vraiment ce qu’elle a dit ? Cette fille a vraiment un grain. Ce doit être le fait de
ne pas avoir vu la lumière du jour depuis bientôt deux mois qui la pousse à
raconter des inepties pareilles. Même si je le voulais, je ne pourrais pas la faire
sortir de l’appartement. Les flics la recherchent et sa tête est dans les journaux de
tous les kiosques que je croise. Mon père m’a passé un putain de savon l’autre
jour en découvrant l’alerte enlèvement. Je ne comprends pas. J’ai fait
exactement ce qu’il fallait. Pourquoi une enquête a-t-elle été ouverte ? Si les flics
me coincent, je suis foutu. Je serai mis à la porte, renié par mon père. Je n’aurai
plus nulle part où vivre et plus de famille. C’est tout ce qui me rattache à la vie.
Sans mon père, je ne suis rien. Je suis comme un loup élevé par les hommes et
qu’ils finissent par abandonner à la vie sauvage. Je ne sais rien faire d’autre que
me battre pour obtenir ce que je veux. Je tue pour survivre. C’est ce que l’on
nous enseigne depuis qu’on est gamins, putain !
Mon cœur fait une chute libre. Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Et comment est-
elle sortie du placard ?! Je grimpe le reste des marches quatre à quatre et c’est
essoufflé que j’arrive au moment où ma voisine d’en face referme sa porte. Mon
regard meurtrier accroche immédiatement celui, surpris, d’Evangeline. Je serre
les dents et les poings. Puis je me précipite vers elle et la pousse à l’intérieur de
l’appartement en la tenant par les épaules. Je referme la porte avant de mettre un
coup de poing rageur dedans.
– Ryder, je…
– Tais-toi ! grondé-je. La ferme, je ne veux pas t’entendre.
Je fais les cent pas en fourrageant dans mes cheveux. Eh merde, pourquoi je
fais ça ? Pourquoi suis-je nerveux et plus sûr de moi ni de mes compétences ? Je
me passe une main sur le visage et frotte ma barbe rugueuse. Il faut que je
réfléchisse. Que je me ressaisisse. J’ai l’impression de ne plus avoir le contrôle
sur la situation et ça me fout les nerfs. Je prends un moment pour calmer mes
pulsations avant de me tourner vers ma prisonnière. Je pointe un doigt menaçant
sur elle.
– Tu as de la chance qu’elle soit sénile parce que sinon j’aurais été obligé de
la tuer.
Son visage se tord de peur. Je me dirige vers la cuisine et ouvre le frigo pour y
prendre une bouteille d’eau. Je la vide en quelques secondes. Je m’appuie des
deux mains sur l’îlot central et contrôle ma respiration. Evangeline ne bouge pas
d’un poil. Je lève les yeux vers elle. Elle porte un short en jean qui dévoile ses
jambes charnues, désirables en dépit des cicatrices que j’y ai laissées. Mon esprit
tordu les imagine enserrant ma taille pendant que… Putain ! Je me détourne pour
remplir ma bouteille d’eau qui, je l’espère, va m’aider à garder les idées claires.
– Ryder…
Reprends-toi, Ryder !
Elle baisse la tête. Sa main effleure la mienne par inadvertance. Mon cœur
rate un battement.
Evangeline croise les bras et, comme s’ils ne pouvaient s’en empêcher, mes
yeux louchent immédiatement sur ses nibards qui se sont légèrement remontés.
Je me force à les relever vers son visage.
– Elle est venue frapper à la porte parce qu’elle n’arrivait plus à retrouver ses
clés, alors je l’ai aidée à remettre la main dessus. Bref, on a un peu discuté et on
en est venues à parler des membres de ma famille qui meurent les uns après les
autres, des gens qui connaissaient mon père et du fait qu’il n’était en réalité pas
le héros qu’on croyait. Elle m’a alors raconté qu’elle aussi avait vécu l’enfer
dans le quartier résidentiel de sa jeunesse. Sa petite sœur était atteinte du
syndrome d’Asperger et, en ce temps-là, les gens ne connaissaient pas cette
forme d’autisme. C’est à peine s’ils connaissaient l’autisme tout court. Bref, les
voisins ont commencé à raconter n’importe quoi au sujet du handicap de sa sœur
et à colporter le fait que ses parents, incapables de gérer les troubles de la petite,
les avaient laissées livrées à elles-mêmes tandis que Mme Grayson n’avait que
16 ans. Elle a essuyé toutes les critiques et les ragots avec force et dignité,
comme je le faisais chaque jour avant d’arriver ici. Jusqu’à ce que sa sœur mette
fin à ses jours, quelques mois plus tard, à l’âge de 14 ans. Mme Grayson en a
beaucoup souffert, puis elle a rencontré un soldat américain tout juste rentré de
France. Elle est partie vivre avec lui à l’autre bout du pays et ils ont passé toute
leur vie ensemble.
Elle ricane.
– Non, je dis juste que ça fait du bien de ne plus entendre de rumeurs à mon
sujet, même si, dans mon cas, je ne risque pas d’entendre quoi que ce soit
puisque je suis coincée ici.
– Quoi qu’il en soit, tu n’as rien à faire ici. Retourne dans ta chambre.
Elle obtempère et je la suis pour verrouiller la porte. Cette fois, je vérifie que
je fais les choses comme il faut. Je reste un moment planté devant et pose ma
tête contre le bois. À quel moment ai-je commencé à mettre un pied dans le côté
obscur ? Pourquoi je n’arrive pas à me l’enlever de la tête ? Que m’arrive-t-il,
putain ?
Je finis par regagner ma chambre et m’allonge sur mon lit ; mains derrière la
tête, je contemple le plafond blanc. D’habitude, je trouve toujours quelque chose
à faire pour m’occuper. Aujourd’hui, j’ai juste envie de rester là, à ne rien faire.
Je n’ai même pas envie de la torturer. Je me remémore le moment où j’ai
entendu sa voix cristalline dans la cage d’escalier. Et je me rends compte qu’en
réalité, ce n’est pas parce qu’elle aurait pu se faire repérer que je me suis énervé
contre elle. Non, en fait, j’ai eu peur qu’elle se tire.
Evy
Cinquante-trois jours.
Cinquante-trois jours sans voir la lumière du jour autrement qu’à travers les
fenêtres de l’appartement.
Et j’ai passé une grande partie de ces cinquante-trois jours à éprouver du désir
pour lui.
Plus le temps passe, moins j’ai envie de partir. Je rêve de liberté, bien sûr,
mais, d’une certaine façon, je me sens plus libre ici que là-bas. Je n’ai plus
l’impression que l’on murmure dans mon dos, je ne vois plus ces regards
méprisants dans ma direction. D’une certaine manière, Ryder m’a sauvée en me
kidnappant. Certes, ce n’est pas le nouveau départ que j’espérais, mais c’est
toujours mieux que rester là-bas, à supporter ces commérages tous plus aberrants
les uns que les autres. Je crois que le pire de tous a été lorsque l’on m’a
carrément accusée d’avoir tué mes parents et mon frère. Horrible mensonge
d’autant plus absurde, et cruel, que Jared est mort dans mes bras.
La porte s’ouvre sur Ryder et je me redresse. Ses cheveux sont plus courts
que d’habitude et lissés sur le dessus. Sa barbe est plus fine et mieux taillée. Il
porte un T-shirt blanc sous sa veste à capuche noire et un jean brut. Il est à
tomber. Il incline la tête sur le côté avant de s’en aller. Je me lève pour le suivre.
Une bonne odeur de pâtes embaume l’air tandis que j’entre dans la cuisine.
Ryder est déjà attablé et s’apprête à manger. Une barquette de tagliatelles à la
carbonara m’attend en face de lui et je prends place. En bruit de fond, je peux
entendre une musique qui m’est familière, « Demons » d’Imagine Dragons. Je ne
sais pas s’il a choisi celle-là pour me faire passer un message ou seulement par
hasard, histoire de combler le silence.
– Je ne sais pas.
– Pardon ?
– L’autre jour, tu m’as demandé ce que tu faisais ici, à manger avec moi au
lieu d’être enfermée dans le placard. Je ne sais pas, Evangeline. (Il lève les yeux
vers moi et son regard semble totalement perdu, comme s’il se sentait dans un
monde inconnu.) J’en ai juste envie.
Il hausse une épaule avant de baisser à nouveau la tête vers son assiette et de
manger. Moi, je reste immobile pendant un moment, retenant le cri de joie qui
menace de franchir mes lèvres. Mon cœur gonfle et quelque chose me chatouille
dans le ventre. Il a envie de partager ses repas avec moi. Il aime ma compagnie.
Il ressent les choses et mon plan commence à se consolider.
Nous restons silencieux durant tout le reste du repas. J’ai une tonne de
questions à lui poser, comme la raison pour laquelle il a fait l’impasse sur la
torture aujourd’hui – quoique j’en sois grandement soulagée. Il n’est plus
vraiment le même depuis qu’il m’a sortie des pattes de Duncan et cela
m’intrigue.
– Merci, fais-je pour donner le change et briser ce silence plus que gênant. Un
peu plus et je me…
À peine ai-je fini ma phrase que Ryder se précipite sur moi. Pendant une
fraction de seconde, je crois qu’il va me prendre par le cou, histoire de me
montrer qu’il n’est pas le genre de mec avec lequel on joue, mais au lieu de ça, il
écrase sa bouche contre la mienne.
Je suis prête.
– Seigneur…
Je reste immobile sur mon lit de fortune, épuisée et vidée de toute émotion
néfaste. C’est complètement stupide, ce que je vais dire, mais je me sens… bien.
Après plusieurs mois sans aucun rapport sexuel, j’ai l’impression de planer et
j’ai énormément de mal à redescendre. Mon cerveau a conscience que je ne fais
cela que pour mieux m’en sortir. En revanche, mon corps est un peu trop
enthousiaste face à la situation. Ryder se retire de mon antre et, aussitôt, une
sensation de vide s’empare de moi. Non ! Il faut que je remette les choses dans
leur contexte. Je dois faire comme Ryder : ne rien ressentir. Je suis presque
certaine que c’est un air qu’il se donne. C’est une sorte de carapace. Avec ce
qu’on vient de vivre, son absence d’émotions, je n’y crois pas des masses. Je
pense qu’il veut juste me faire peur et qu’en réalité, il est aussi inoffensif qu’un
bébé chat. Il me l’a prouvé ce soir. S’il était réellement celui qu’il prétend être, il
n’aurait même pas pris la peine de me faire jouir. Sans compter qu’il m’aurait
laissée mourir dans la forêt ou aurait encouragé son frère à me violer… Or il n’a
rien fait de tout cela. Je sens Ryder se relever à côté de moi, mais je ne bouge pas
d’un cil. Lorsque j’entends la porte se refermer derrière lui, je finis par craquer.
J’étouffe mes sanglots dans la couverture, et le pire c’est que je ne sais même
pas réellement pourquoi je pleure. Est-ce un sentiment de culpabilité ? Parce que
je me suis laissé entraîner dans les abîmes de l’orgasme alors que je m’étais juré
de ne pas le faire ? Parce que j’ai aimé ça ? Ou peut-être parce qu’il est parti sans
m’adresser un mot ? Ma tête est un véritable chantier et mon corps réclame de
nouveau Ryder.
J’ai besoin d’une douche. Toutes ces sensations m’ont donné chaud. Je me
lève le plus doucement possible et tourne la poignée de la porte. Elle n’est pas
verrouillée. A-t-il encore oublié ou l’a-t-il fait intentionnellement, cette fois ?
J’ouvre, le cœur battant à l’idée qu’il puisse me voir et ne redevienne le Ryder
du début. Heureusement, j’arrive dans la salle de bains sans encombre et décide
de m’octroyer un bain. Il n’est que vingt-deux heures et j’ai besoin de me
détendre. Je pourrais m’enfuir. Je pourrais chercher les clés de la porte et partir
sans faire de bruit. Je pourrais même m’assurer que Ryder ne puisse plus faire de
mal à qui que ce soit en attrapant un couteau dans la cuisine. Et pourtant, je ne
fais rien de tel. Déjà parce que Jared m’a formellement déconseillé de frayer de
près ou de loin avec la police. J’ignore pourquoi, mais il a vraiment insisté là-
dessus. Si j’en crois mon instinct, je dirais que des policiers du comté ont
quelque chose à voir avec cette histoire de clé USB. De deux, je ne suis pas une
meurtrière, alors l’idée du couteau est à proscrire d’emblée. De trois, je n’ai ni
papiers d’identité ni argent sur moi et je ne saurais même pas où aller, à pied,
seule et en pleine nuit, de surcroît. Sans parler du risque de tomber sur Duncan…
Mais la principale raison est que Ryder me fait quelque chose. Quoi ? Je ne sais
pas vraiment encore, mais c’est fort. Il faut que je le sauve comme je n’ai pas
réussi à sauver mon frère. J’ai l’impression d’être en mission, moi aussi. J’arrive
à le faire changer pendant quelques minutes à chaque fois. Si je continue sur
cette lancée, j’arriverai à le faire changer totalement, j’en suis sûre. Certes, ma
vie d’avant me manque. Lydia et Robbie me manquent. Mais Ryder m’a juré
qu’il n’avait pas touché à ma meilleure amie. Ils vont bien, je suis rassurée. Je
m’immerge dans le bain. Je suis bien. Plus que bien, même. J’ai l’impression que
ça fait au moins dix ans que je ne me suis pas sentie aussi détendue. Ce qui est
complètement fou quand on pense qu’à la base, je suis la captive d’un criminel.
Un tueur. C’est là que je me rends compte que mon enlèvement m’aura appris au
moins une chose : avant, je n’avais pas conscience que j’étais une âme solitaire.
Lydia était obligée de me forcer à sortir. Mes journées se résumaient à étudier,
courir, travailler, manger et dormir. Je ne sortais jamais en soirée, ce qui est
plutôt ironique quand on sait que je bosse comme barmaid. Je me rends compte
aujourd’hui que je n’ai pas assez profité de ma vie et je le regrette amèrement.
Elle va sûrement se terminer prématurément. Je décide de mettre cette idée –
cette certitude – dans un coin de ma tête pour ne penser qu’au présent. Je ferme
les yeux. Bien que je ne l’invite pas à le faire, mon esprit me rappelle les mains
de Ryder sur mon corps nu. À sa bouche dévorant la mienne. À ses coups de
reins qui m’ont emmenée au septième ciel en un temps record alors que j’étais
déterminée à ne pas y mettre un orteil. J’ai fait l’amour avec mon ravisseur et
pourtant, je n’en ai aucun remords. Il n’a même pas eu à me forcer !
Je suis vraiment atteinte.
Je réalise que je me suis endormie comme une larve lorsque je sens l’eau
devenue froide. Je sors, me sèche et enfile mon pyjashort. Je me brosse les dents
et les cheveux avant de sortir de la salle bains à pas de velours. Je ne sais pas s’il
dort encore où s’il s’est aperçu que j’ai encore une fois filé. J’ai peur de
retrouver, demain matin, le Ryder froid et distant. Je suis en train de marcher le
long du couloir pour regagner le placard lorsque j’entends des gémissements
provenant de la chambre de Ryder. La raison me hurle de ne pas m’en
préoccuper. Avec la chance que j’ai, il va me prendre pour un méchant de son
cauchemar et, cette fois, je vais vraiment finir morte. Mais c’est plus fort que
moi, je ne l’écoute pas. J’arrive dans la chambre, faiblement éclairée par la lune,
et découvre Ryder emmêlé dans les draps. Il s’agite en marmonnant des paroles
incompréhensibles. Depuis la première nuit, j’ai droit à ses cris déchirants, sans
pouvoir aller le calmer puisque j’étais enfermée. Aujourd’hui, je suis libre et je
compte bien essayer de comprendre ce qui le tourmente tant. Je m’approche
doucement de lui et tends l’oreille.
– Papa…
Je fronce les sourcils. Il rêve de son père ? Celui-là même qui lui ordonne de
tuer ? J’approche ma main pour lui remettre une mèche rebelle en place. Il est
trempé de sueur. Il crie encore et je me sens mal pour lui. Impuissante, je ne sais
pas quoi faire pour le calmer. Va-t-il sursauter si je le touche ? Je tente de lui
caresser la joue mais, au même moment, il bondit. En une fraction de seconde, je
me retrouve le dos plaqué contre le matelas, sa main serrant ma gorge et son
regard noir me transperçant. Je ne bouge pas, tétanisée. La pression de sa main
autour de mon cou m’empêche de respirer et mon cerveau commence à en
souffrir. Sitôt qu’il comprend que c’est moi, il me relâche. L’air entre à nouveau
dans mes poumons et me fait tousser. Il s’assoit au bord du lit et se passe la main
dans les cheveux.
– Tu as fait un cauchemar.
– Ça arrive à tout le monde. Ça ne te concerne pas.
Ryder
– « Papa, maman… Pourquoi ils ne bougent plus ? » Ce sont tes propres mots.
Je serre les dents. Elle veut me braquer contre mon père. Elle sait que je bosse
pour son compte et elle veut tourner la situation à son avantage. Il y a encore une
heure, elle m’excitait comme jamais aucune femme ne l’a fait et là, elle me fout
juste les nerfs. Je me rapproche dangereusement d’elle, le regard noir et
percutant.
– Tu sais aussi bien que moi que c’était plus que ça.
C’est qu’elle en a dans le froc, en plus ! J’ai beau la menacer, la torturer aussi
bien moralement que physiquement, elle ne se démonte pas. Et, même si je
refuse de l’admettre, c’est ce que j’aime le plus chez elle. Sa ténacité, sa
spontanéité. Le truc, c’est qu’elle a réussi à percer quelque chose en moi. Je ne
sais pas quoi, mais je sais que ça me rend faible et vulnérable. Et me sentir ainsi,
c’est comme la laisser pointer un flingue chargé sur ma tempe.
Hors de question.
Nous continuons à nous défier du regard sans qu’aucun de nous deux n’ait
l’envie de céder. Je baisse finalement les yeux et sors de la chambre, les poings
serrés. C’était soit ça, soit je la balançais encore une fois sur le lit pour la prendre
dans tous les sens. Et je ne veux surtout pas que ça se reproduise. Il faut que je
me ressaisisse et que je reprenne le contrôle sur ma mission. Sauf que j’ai beau
me creuser pour trouver un autre moyen de torture, je ne suis pas très doué dans
ce domaine. Comme je l’ai dit, moi, c’est les morts rapides, ma spécialité. Pas de
chichis, pas de bla-bla, je bute, point. Il y a forcément un moyen de la faire
parler. La méthode forte ne fonctionne pas. Et je dois me bouger le cul parce que
mon père rentre bientôt et il ne serait pas content de la voir encore vivante. Je me
suis déjà pris une soufflante quand il m’a appelé hier pour prendre des nouvelles.
C’est rare que mon père me gueule dessus. D’habitude, il n’a rien à redire à mon
travail. Je me demande si je vais réussir cette putain de mission. De rage, je
balaie la table de la salle à manger. Tout ce qui s’y trouvait se fracasse par terre,
mais je m’en fous. J’ouvre ensuite la baie vitrée qui mène à mon balcon et
respire l’air frais de la nuit avant de m’allumer une clope. J’inhale le poison et ça
me détend immédiatement. J’écoute le silence de la ville et tente de me remettre
les idées en place. J’ai merdé, ce soir. Je lui ai cédé comme un gamin de 15 ans
en pleine exubérance hormonale. Il faut que je mette un terme à cette putain
d’emprise qu’elle a sur moi. Un bruit me fait me retourner. Je découvre
Evangeline à genoux par terre en train de ramasser les morceaux de verre.
– Pourquoi tu fais ça ?
– Parce que je suis maniaque et je déteste quand…
– Non, je veux te parler de ça, la coupé-je en nous désignant tous les deux.
Pourquoi ? Est-ce que c’est pour mieux me planter un couteau dans le dos
ensuite ?
– Je suis un tueur, Evy. Je n’ai aucun scrupule à ôter la vie des gens. Et je
n’aurai aucun scrupule à te priver de la tienne.
J’essaie d’être le plus convaincant possible. Autant pour elle que pour moi.
Est-ce que je suis crédible ? Son regard bleu me dit que non. Pas du tout. Elle
prend mon visage dans ses mains en coupe et je ferme les yeux en m’efforçant
d’ignorer mon cœur qui bat à fond et cette envie irrépressible de parcourir
chaque parcelle de sa peau avec ma bouche.
Elle colle son front au mien et j’ose enfin ouvrir les yeux.
– Laisse tomber.
J’ai retrouvé mon visage de meurtrier. Celui qui n’éprouve aucune émotion.
Ça a été compliqué et j’ai cru ne pas y arriver pendant un moment, mais c’est
fait. Je la prends par le bras et la tire brutalement derrière moi pour la jeter dans
la petite pièce qui lui sert de chambre.
***
Je suis vraiment à bout de nerfs. J’ai failli la faire crever, putain ! Cette fille
serait prête à mourir pour garder son foutu secret. Je l’ai enfermée dans son
placard avant de partir pour la Maison. Il me faut entraîner les nouvelles recrues
et aussi demander une autre mission. Je m’ennuie à mort, il me faut une tête à
exploser.
Adrianna est une petite rousse qui fait au moins dix ans de moins que son âge
réel. Mon père l’a ramassée dans la rue, un soir d’hiver. Elle a été abandonnée
par ses parents sur un trottoir alors qu’elle avait à peine 3 ans. Je ne m’en
souviens pas, je n’en avais que cinq, mais apparemment elle était dans un sale
état. Aujourd’hui elle se bat comme un ninja et tire à l’arbalète. On a déjà fait
quelques coups ensemble et elle déboîte. Cette fille file comme le vent tant elle
est rapide. Même si elle n’en a pas besoin, je suis davantage protecteur envers
elle que n’importe qui d’autre. En combat, c’est une sacrée teigne. C’est
d’ailleurs avec elle que je vais entraîner les petits nouveaux.
Ils n’ont pas plus de 5 ans, les mômes. Certains ont déjà fait taire leurs
émotions, mais d’autres sont assez récalcitrants. Pour eux, mon père a sa
méthode, bientôt ils seront comme nous. Ils tueront sans réfléchir.
Nous commençons par des techniques de combat à mains nues et Adrianna
réussit à m’allonger une bonne paire de fois. Elle me pète l’arcade et me tord le
bras, mais je me défends comme je peux. Il faut dire que j’ai un peu la tête
ailleurs. J’ai beau les refouler autant que je peux, je ressens des choses à l’égard
d’Evangeline. De la culpabilité après l’avoir torturée. Du plaisir à baiser chaque
parcelle de son corps. Pour l’instant, ce sont les deux sensations qui me viennent
à l’esprit. Mais c’est déjà deux de trop. Je ne peux pas me permettre de ressentir
quoi que ce soit. Ni pour elle ni pour personne. Adrianna me fait une clé de bras
avant de tirer dessus, m’obligeant à faire un salto et à atterrir lourdement sur le
dos. Elle pose un genou sur mon thorax et me regarde avec un sourire.
Autour de nous, les gosses nous regardent avec attention et on peut déjà voir
la détermination et la soif de sang émaner de leurs yeux. Je désarçonne ma sœur
et la bascule pour me retrouver sur elle.
Je n’ai pas vu mon frère depuis qu’il a tenté de violer Evangeline. Je ressens
une drôle de sensation en repensant à cet épisode. Elle me tord les tripes, ce n’est
pas agréable du tout.
À peine ai-je fini ma phrase que quelque chose me frappe au niveau des
chevilles et me fait tomber sur le dos. Duncan me surplombe et me frappe au
visage. La mâchoire, le menton, les joues, les tempes… il ne m’épargne pas. Je
tente de me dégager comme je peux mais, même s’il est plus jeune, il a le gabarit
de notre père, contrairement à moi. Ma vue se brouille et il arrête juste à temps
avant que je ne succombe à une commotion. L’enfoiré. Il me gratifie d’un grand
sourire couvert de sang avant de s’adresser aux jeunes.
Duncan et moi nous regardons longuement. Nous savons tous les deux qu’il
n’y avait rien de factice là-dedans…
– Ryder.
– Dixon, le salué-je en retour. Je voulais savoir si tu n’avais pas sous la main
une autre mission pour moi.
– Tu as récolté les informations et éliminé ta cible ? me demande-t-il sans
lever les yeux du dossier qu’il consulte.
– Disons que c’est plus compliqué que prévu. Je la séquestre, elle ne devrait
pas tarder à craquer, ajouté-je sans grande conviction.
– Si elle ne lâche rien d’ici la fin de la semaine, ton père veut que tu la tues.
On trouvera un autre moyen de mettre la main sur la clé.
– Que contient cette clé pour que ça vaille la vie d’une pauvre fille
innocente ?!
Les mots ont dépassé ma pensée. Dixon relève subitement la tête et me scrute,
les sourcils haussés. Et il y a de quoi, parce que ce n’est pas une question à poser
ici. Le règlement stipule que nous ne pouvons en aucun cas poser des questions.
Mais, je ne sais pas ce qui s’est passé, c’est sorti tout seul. Je crois que mon
esprit a déraillé. D’autant plus que je viens de qualifier ma cible d’innocente, ce
qui aggrave encore mon cas.
Dixon plisse les yeux, suspicieux. Je m’apprête à sortir du bureau, mais mon
supérieur m’interpelle.
– Ryder ?
Je me retourne.
– Depuis combien de temps n’as-tu pas passé du temps avec ton père ?
– On a eu une séance il y a trois mois.
Evy
Cet homme est taré. Il a une tarentule au plafond !! Il est planté là devant moi
depuis au moins dix minutes, son flingue à la main. Il a la tête méchamment
amochée. Je ne sais pas avec qui il s’est battu, mais ce n’était certainement pas
un tendre. Son arcade sourcilière est défoncée, son œil gauche est gonflé au
point d’être presque fermé, sa lèvre est fendue et il a des bleus au niveau de la
mâchoire. Il me scrute de son œil valide avec ce regard que je n’ai pu apercevoir
qu’une seule fois : juste après qu’il avait braqué le pistolet sur ma tempe. C’est
une sorte de mélange de détermination et d’indécision. Je reste alors sur mes
gardes, parce qu’il peut aussi bien se ruer sur moi pour me refaire l’amour que
pour me coller une balle dans la caboche. Et il est hors de question qu’il me
touche. Je ne le permettrai plus. Pas après ce qu’il m’a fait. Je serais folle à lier si
j’acceptais de recoucher avec un mec qui a bien failli me tuer et qui passe son
temps à me torturer. Il doit être bipolaire, ce n’est pas possible autrement. Ou
alors il touche à la drogue dure. Enfin bref, tout ce que je sais, c’est que je refuse
de continuer à faire des efforts. J’ai voulu essayer de lui faire ressentir des
choses, je n’ai pas réussi, j’abandonne. Il n’y a plus rien à sauver en lui.
– Fais-le, réponds-je, le regard haineux et les larmes coulant sur mes joues.
Pourquoi tu ne m’as pas fait crever ce matin ?
Puis, dans un élan de rage contre lui et contre le monde entier, je me hisse
jusqu’à lui en dépit de mes membres encore engourdis du choc électrique.
J’attrape sa main qui tient le revolver et pointe moi-même le canon sur mon
front, plus déterminée que jamais.
Je hurle tout en pleurant. J’ai peur de mourir, je ne le nie pas. Mais si c’est ma
seule échappatoire, si je suis condamnée à rester séquestrée toute ma vie, alors
autant en finir maintenant. Je sens la main de Ryder trembler légèrement dans la
mienne et c’est ce qui me fait lever la tête. Parce que Ryder est un tueur. Il m’a
lui-même dit qu’il avait déjà assassiné un tas de gens. Et un tueur, ça ne tremble
pas. Son regard s’est radouci, mais sa mâchoire est toujours serrée. J’ai
l’impression qu’un combat fait rage dans sa tête. Il semble perdu, tout à coup. Il
m’arrache l’arme des mains et s’agenouille à ma hauteur. Il pose le flingue
derrière lui avant de prendre mon visage entre ses mains et d’essuyer de ses
pouces mes larmes traîtresses.
– Dis-moi que toi aussi tu l’as ressenti, me supplie-t-il. Dis-moi que c’était
réel. Que ce qui s’est passé l’autre nuit entre nous deux a compté pour toi.
Puis je lui montre mes bras couverts de cicatrices et la marque qu’a laissée sa
main autour de mon cou lorsqu’il s’est réveillé de son cauchemar.
– Mais je ne peux pas oublier tout ça. Je ne peux pas passer outre. Ne compte
pas sur moi pour te pardonner, Ryder.
– Je sais, murmure-t-il d’une voix douloureuse.
– Pourquoi tu ne me tues pas ? C’est l’ordre que ton père t’a donné, non ?
C’est pour ça que tu es entré, ici à la base.
– Avant, je n’avais aucun mal à obéir aux ordres, dévoile-t-il. J’ai été élevé
ainsi. Pour obéir sans poser de questions. J’avais vraiment l’intention de te tuer,
au début, tu sais ?
– Et aujourd’hui ?
Il secoue la tête.
– J’ai essayé de trouver un prétexte, mais en réalité, je n’en ai juste pas envie.
Tu m’as fait ressentir de la colère, de la rage, de la frustration, de l’agacement,
de la contrariété, du plaisir, de l’envie, de la culpabilité… toutes ces choses que
je n’avais jamais ressenties. Et en un rien de temps, en plus ! J’ai tenté de les
repousser en te torturant davantage. Mais c’était encore pire.
Un long silence accueille sa tirade. Je ne sais pas trop quoi dire. Ses
révélations me font chaud au cœur, mais qui me dit que ce n’est pas une ruse
pour me buter plus facilement et avoir la conscience tranquille ?
Il hoche la tête sans broncher. Une demi-heure plus tard, il m’apporte mon
dîner.
***
Je suis réveillée par quelque chose ayant buté sur mon pied. Ryder est assis
par terre, les genoux relevés, son visage seulement éclairé par une petite lampe
torche diffusant une faible lumière.
– Que fais-tu là ?
Voilà deux jours que je ne l’ai pas vu. Je ne sais pas si c’est le fait de m’être
habituée à lui faire face ou autre chose, mais je me rends compte en le voyant
qu’il m’a manqué durant ces deux jours. Quarante-huit heures durant lesquelles
je ne me suis pas lavée, étant donné que je ne suis pas sortie de cette pièce. Il
m’apportait mes repas mais prenait soin de ne pas ouvrir la porte en entier de
façon à ce que l’on ne se voie pas. Comme au début, dans la baraque en bois. Je
suppose que quelque chose l’a effrayé dans ce que je lui ai dit l’autre soir. Ou l’a
fait réfléchir, puisqu’il est de nouveau là.
– Tu as bu ?
Il relève la tête pour me dévoiler ses yeux injectés de sang, encore marqués
par les coups qu’il a reçus. Un sourire goguenard fend ses lèvres parfaites tandis
qu’il rapproche son pouce et son index :
– Ta bouche. Tes seins. Ton corps tout entier. Je n’arrête pas d’y penser, Evy.
Ça me bouffe de l’intérieur, je me dis que je ne devrais pas ressentir ce manque,
mais, au fond, j’adore ça. J’adore ressentir ça.
Ses traits sont durcis, comme si cela lui coûtait beaucoup de me révéler ça.
Comme si lui-même ne réalisait pas ce qu’il dit. Je hausse les sourcils.
Je suis légèrement piquée au vif, mais je me dis qu’il n’a pas conscience de ce
qu’il dit. Demain, ce sera déjà oublié. De plus, il a précisé « d’habitude ». Avec
un peu de chance, je suis l’exception.
Son regard prend une teinte espiègle et un sourire mi-figue mi-raisin étire ses
belles lèvres, me faisant comprendre qu’il est bien plus goujat que je ne le
pensais. J’ose à peine imaginer le nombre de femmes qui ont dû passer avant
moi sans même se rendre compte qu’elles couchaient avec un tueur en série.
Remarque, moi c’est pire, je l’ai laissé me faire l’amour en toute connaissance
de cause. Je suis aussi barge que lui.
– Un seul, finis-je par avouer, embarrassée. Ça a duré sept ans. J’ai eu un flirt
après lui, mais on n’a pas…
Il ne paraît même pas surpris.
Je soupire.
Je déteste parler de cet épisode de ma vie. Mais le pire est qu’il n’y a pas que
ces mauvais souvenirs qui refont surface. Il y a aussi tous ces merveilleux
moments que j’ai passés avec lui, à nous promener main dans la main, nous
cajoler le matin au réveil avant de nous lever, le jour où nous avons enfin
emménagé ensemble, ce projet de mariage et ce bébé que nous avions prévu de
faire après mon master… Bref, les bons souvenirs sont souvent les pires quand
tout est terminé. Ryder est impassible, là aussi. Parce qu’il n’a jamais vécu cela.
Il n’a jamais rien ressenti avant, donc le cœur brisé, il ne sait pas ce que c’est.
Hein ?! Il est sérieux ? Je scrute son visage sans émotions, celui-là même avec
lequel je l’ai connu. Je suis horrifiée. Mais soudain il éclate de rire et mon
palpitant repart. Je soupire de soulagement.
– Tu m’as fait peur ! m’écrié-je en lui donnant une petite tape sur l’épaule.
Il hausse les épaules pour toute réponse. Je crois qu’il est encore perdu dans
ses pensées. Il doit sûrement peser le pour et le contre et c’est plutôt une bonne
chose : il doute, ce qui veut dire qu’on avance dans l’odyssée de ses émotions.
– Je ne veux pas changer, hurle-t-il soudain. J’étais bien comme j’étais avant,
mais… il a fallu que tu arrives et… tout s’est écroulé. Bam ! D’un coup !
– Je ne veux pas changer, répète-t-il plus durement. Tu. Ne. Me. Feras.
Jamais. Changer. Pigé ? Je te torturerai jusqu’à ce que tu me dévoiles ce secret et
ensuite, je…
Il ne finit pas sa phrase. Je le regarde droit dans les yeux sans ciller. Je n’ai
pas peur. Plus maintenant. Parce que je sais comment le faire réagir. Là, il va
partir en claquant la porte et passer la nuit à réfléchir. À se demander s’il doit se
laisser aller ou non.
Ryder
Putain, dans quoi je me suis fourré, moi ? Je suis dans la merde jusqu’au cou.
On m’a ordonné de la tuer et je ne peux pas le faire. Je ne veux pas le faire. Que
risque-t-on lorsque l’on ne parvient pas à achever une mission ? Cela ne m’est
jamais arrivé, mais je sais que mon père ne va pas être content. La situation a
déjà atteint la limite du supportable, là.
Elle a aimé notre partie de baise. Je ne sais pas si elle était sincère en me
l’avouant, mais je pense que ses joues légèrement rougies, son minuscule sourire
au coin de ses lèvres pulpeuses et cette petite étincelle dans son regard
hypnotique sont sûrement des expressions de sincérité.
Cette bouche que je rêve de voir enroulée autour de ma queue… Merde. Voilà
que je me tape une gaule d’enfer en pleine séance de sport. Bordel, c’est la
première fois que ça m’arrive. Et je ne parviens pas à me retirer toutes les
pensées obscènes qui m’envahissent.
Sucer ses seins magnifiques, posséder son cul de malade, caresser sa peau
d’ivoire si douce, sentir son odeur naturelle enivrante, lécher sa petite boule de
chair dressée rien que pour moi… Putain, je déraille. Il a suffi que je pense
simplement à sa bouche pour que tout parte en vrille dans ma tête. Même songer
à ma vieille voisine, Mme Grayson, ne parvient pas à me faire débander. Je suis
atteint. Il faut que je rentre, et vite.
– Je t’en veux toujours, me dit-elle. Mais j’ai encore plus envie de toi.
– Pardon.
Je ne m’excuse pas seulement de lui avoir fait mal à la tête. Mais pour toutes
les fois où je lui ai fait mal. Les tortures, les insultes implicites, les sarcasmes…
je veux arrêter tout ça. Je ne veux plus la faire souffrir, elle ne mérite pas ça. Je
crois qu’elle comprend l’importance de ce tout petit mot, car elle m’embrasse
plus profondément, tirant sur mes cheveux et pressant son corps un peu plus
contre le mien. Il ne m’en faut pas davantage pour recommencer à bander
comme un cheval. Ma main gauche malaxe son sein lourd de désir tandis que la
droite se faufile entre ses parois si tentatrices. Elle gémit quand j’y insère deux
doigts et ses jambes flageolent.
Je veux baiser cette femme dans tous les sens. Et c’est ce que je vais faire. Je
me retire de son antre pour couper l’eau. Puis je nous entraîne, encore mouillés,
dans ma chambre sans quitter sa bouche une seule seconde. Je nous allonge sur
le lit, la surplombant. Je lui embrasse la mâchoire, le cou et descends jusqu’à ses
seins parfaits sur lesquels je m’attarde. Je fais tourner ma langue tout autour de
ses tétons tandis que ma main s’immisce de nouveau dans sa chair humide. Je
titille sa bille gorgée de désir avec mon pouce. Evangeline se cambre en
gémissant de plaisir. Est-ce que cela ferait de moi un connard si je disais que
toutes les autres filles que je me suis tapées dans ma vie sont bien fades
comparées à Evy ? Probablement. Mais c’est la putain de vérité. Je n’ai jamais
pris autant de plaisir à baiser une femme jusqu’à aujourd’hui.
Jusqu’à elle.
Elle me fait complètement vriller avec ces petits sons témoignant de l’effet
que je lui fais, j’adore ça. Elle est beaucoup plus entreprenante et réceptive que
la première fois. Si je ne la prends pas maintenant, je vais avoir les couilles si
douloureuses que je ne vais même pas pouvoir m’asseoir pendant des jours.
Mais j’ai d’autres projets en tête, là, tout de suite. Comme lui lécher la chatte
jusqu’à ce qu’elle hurle mon nom en jouissant. Je fais descendre mes lèvres
jusqu’à son ventre, mais elle m’arrête net.
Bébé ?! Depuis quand je me mets à attribuer des surnoms aux femmes avec
qui je baise ? ,Mais Evy n’est pas n’importe quelle femme, me susurre une petite
voix intérieure. Elle me sourit timidement et j’embrasse chaque centimètre carré
de son ventre, mordillant même ses poignées d’amour. Elle a des formes divines
et j’en suis complètement accro. Je ne pense plus à rien d’autre qu’à ses courbes
voluptueuses dont je recouvre le moindre espace de mes lèvres. Je descends
encore et Evy écarte un peu plus ses jambes. J’embrasse son pubis totalement
épilé et elle se cambre en émettant un son exquis. Je souris. Elle sait déjà ce qui
l’attend. Puis, enfin, je m’attaque à son clitoris en faisant tourner le bout de ma
langue autour, d’abord, avant de l’aspirer, provoquant chez elle un très long
gémissement.
– Ryder… halète-t-elle.
Comprenant que j’ai son feu vert, je ne me fais pas prier et la lape doucement,
puis de plus en plus vite. Elle ne retient plus ses cris et me griffe même les
épaules. Je sens ses jambes flageoler au niveau de mes bras et je la savoure
davantage. J’insère même un doigt en elle tout en torturant délicieusement son
point culminant. Si je n’avais pas joui une première fois dans la douche, je crois
que je l’aurais fait là, alors que je suis en train de lui faire le cunnilingus le plus
langoureux de l’histoire des cunnis.
Elle ne tient plus en place, son clitoris est de plus en plus gonflé mais je ne
m’arrête pas pour autant, je veux sentir son désir sur ma langue.
À peine suis-je sorti de mes pensées qu’elle se met à crier mon nom et un
liquide chaud et savoureux se déverse dans ma bouche. Satisfait, je la lape
jusqu’à la dernière goutte avant de remonter vers elle. Elle a les joues rouges, ses
yeux sont dotés d’une lueur brûlante de passion et un sourire radieux étire ses
lèvres.
– Waouh, a-t-elle juste le temps de dire avant que je n’écrase mes lèvres
contre les siennes.
Elle enserre ses jambes autour de mes hanches et, alors que je suis aux portes
de mon paradis personnel, un détail me frappe.
– La capote.
Je lui dépose un baiser chaste sur les lèvres avant de me lever pour m’emparer
d’un morceau de latex dans le tiroir de ma table de chevet. J’aimerais la prendre
sans rien. La sentir chair contre chair. Mais c’est trop risqué, pour l’instant. Voilà
que je me mets à faire des plans sur la comète, moi, maintenant. Je deviens
barge. Mais, pour le moment, je m’en tape. J’ai d’autres chats à fouetter. Une
chatte divine, en l’occurrence. Ma queue armée de son chapeau, je me retourne
et découvre qu’Evangeline est à plat ventre. J’ai l’impression que cela faisait une
éternité. J’admire son corps comme si c’était la première fois que je le voyais. Je
suis fasciné par autant de rondeurs qui dégagent en même temps autant de sex-
appeal. Avant, pour moi, une femme grosse était juste grosse. Evy, elle, est ronde
et parfaite. Je la pousse doucement sur le côté, l’obligeant à se remettre sur le
dos.
– J’ai envie de te voir, aujourd’hui, dis-je d’une voix rauque emplie de désir
pour cette femme. Je veux voir ton visage rayonner au moment de l’orgasme.
Je veux graver cette image dans ma tête parce que je sais qu’au fond, tout cela
n’est que temporaire. Je l’embrasse passionnément et la pénètre doucement en
même temps. Elle pousse un soupir de plaisir contre ma bouche et je fais de
doux va-et-vient. Un frisson brûlant me parcourt toute la colonne vertébrale. Elle
est définitivement la meilleure femme que j’aie jamais baisée. Je ne m’en suis
pas trop rendu compte la première fois parce que j’ai été sauvage et bestial. Là,
je décide de prendre mon temps, je veux sentir chacune des sensations, chaque
flamme de désir qui nous brûle de l’intérieur. J’ai l’impression que chaque
cellule de mon corps crame au fur et à mesure que je sors et rentre dans son
intimité trempée. J’enfouis mon nez dans son cou tout en grognant de plaisir.
Elle ondule des hanches sous moi, ce qui attise encore plus l’incendie qui fait
rage entre nos deux corps. Les minutes passent et j’y vais de plus en plus fort.
Autant j’ai aimé lui faire l’amour, autant j’adore encore plus la baiser. J’adore
voir ses énormes seins se balancer au rythme de mes coups de reins. J’ai mis ses
jambes sur mes épaules et je la pilonne tout en l’admirant en train de prendre son
pied. Bordel, ce qu’elle est sublime ! J’en ai presque la tête qui tourne. Elle me
rend dingue, putain. Je n’arrive pas à m’arrêter. Je sens pourtant l’orgasme se
pointer, surtout en voyant cette magnifique lueur dans ses yeux, ces flammes de
plaisir, et en entendant ses gémissements qui me supplient de continuer. Mais je
fais tout mon possible pour retarder l’échéance. Je veux continuer à l’admirer
telle qu’elle est, terriblement excitée. Je ne veux pas que ça s’arrête. Hélas,
toutes les bonnes choses ont une fin et je finis par succomber à l’orgasme au
moment où elle relâche son troisième. Je m’écroule à côté d’elle, épuisé et
haletant. Je ferme les yeux un instant, ne réalisant pas encore ce qui vient de
m’arriver.
Moi qui avais l’intention de la baiser juste pour assouvir mes pulsions, je me
rends maintenant compte que je la baise parce que j’ai besoin d’elle. Parce que
j’ai envie d’elle. Tout le temps. Je sens le matelas bouger et je tourne la tête pour
voir Evangeline debout en tenue d’Ève. Je la rattrape par la main.
Je la regarde dans les yeux et, pour la première fois de ma vie, je fais quelque
chose que je n’aurais jamais, ô grand jamais, pensé faire.
Evy
En même temps, une part de moi meurt d’envie de s’allonger sur un bon
matelas aux côtés d’un bel Apollon tel que Ryder. Il ne l’a pas fait exprès et s’est
excusé plusieurs fois, me murmure cette part de moi à l’oreille. Mes yeux
s’attardent sur son torse, sur les courbes de ses abdos parfaitement dessinés, sur
ses hanches formant un V extrêmement sexy… et le reste est caché par les draps,
mais je sais déjà ce qui s’y trouve. Je finis par arrêter de tergiverser et capitule en
me rallongeant. Je ne fais aucun geste vers lui, je ne veux pas qu’il pense que je
deviens accro. Ça ne ferait que gonfler davantage son ego surdimensionné. Et
j’ai une fierté à garder. Contre toute attente, c’est lui qui vient à moi en passant
son bras sous ma nuque tandis que son autre bras se pose sur mon sein. Son nez
est enfoui dans mes cheveux et je ne peux m’empêcher de me mettre sur le côté
pour l’embrasser et me lover un peu plus contre lui. Je sais, je suis faible. Mais,
punaise, ce mec est un véritable appel au péché et à la damnation. Je m’endors
avec cette image et ce corps chaud et sécurisant collé contre moi.
***
Les choses ont évolué entre Ryder et moi. Nous n’en sommes pas non plus au
point de former un couple, mais nous sommes liés d’une certaine façon. Nous
discutons plus aisément, il m’autorise à regarder la télévision avec lui de temps
en temps, mais lorsqu’il doit s’absenter, je dois impérativement retourner dans
mon placard jusqu’à ce qu’il revienne. Ou, du moins, jusqu’à ce qu’il se sente
trop seul et daigne venir me chercher…
Je l’ai entendu rentrer il y a une heure et toujours pas de Ryder en vue. L’idée
que son côté sombre et meurtrier ait repris le dessus me traverse et la peur
commence à s’immiscer en moi. Mon plan est en bonne voie et, même si je me
dis le contraire, je dois admettre que je commence à y prendre goût. Je suis
consciente que c'est un piège complètement tordu que j'ai imaginé. Mais quand
on n'a plus d'espoir, on tente le tout pour le tout. Quitte à consentir aux caresses
de son agresseur. Ce n’est pas le moment d’abandonner, la brèche est tout juste
en train de se transformer en trou. Je sens que son armure se craquelle de jour en
jour, je ne dois pas flancher.
Je suis horrifiée de voir une telle horreur sur son si beau visage. Mais qui a
bien pu l’amocher autant ? Il m’a révélé que pas mal de mecs pas clairs
voulaient sa peau. Serait-il tombé dans un guet-apens ? Non, je ne peux pas y
croire. Ryder se méfie de tout le monde, il est trop prudent pour se faire
appréhender.
– J’ai… besoin de… toi, articule-t-il avec difficulté.
Il tourne les talons quand, soudain, son corps chancelle et il a juste le temps
de se rattraper au mur pour éviter de s’écrouler. Par réflexe, je le soutiens au
niveau du buste et il se met alors à grogner de douleur.
– Ne me tiens pas par là ! Argh… je crois que… j’ai des côtes pétées,
m’explique-t-il en peinant à respirer.
– Non.
– Mais tu ne peux pas rester comme ça !
Son ton est sans appel et ne laisse place à aucun débat. Je prends sur moi
malgré mon envie de le rabrouer et l’aide à s’allonger sur le divan. Il geint
encore de douleur mais encaisse tout de même. Je dépose un coussin sous ses
jambes avant de soulever précautionneusement son T-shirt afin de déterminer
son état. Je ne suis pas médecin, mais j’ai pratiqué quelques cours de secourisme
où l’on nous a appris à manipuler un corps accidenté.
Il hausse une épaule, mais la douleur lui arrache une grimace. Je secoue la
tête d’un air désabusé avant de m’affairer à déterminer si, oui ou non, ses
blessures nécessitent une opération. Dans ce cas, il n’aura pas d’autre choix que
d’aller à l’hôpital et je l’y emmènerai, de gré ou de force.
Je lève les yeux pour voir un semblant de sourire se dessiner sur ses lèvres
défoncées. Ça a plus l’image d’une grimace que d’un rictus mais à voir sa tête, je
ne pense pas qu’il puisse faire mieux.
– Tu as bien des côtes fracturées. Je crois qu’aucun organe n’a été touché,
mais je ne suis pas médecin, Ryder, je ne peux pas l’assurer. On devrait vraiment
aller à l’hôp…
– Est-ce que tu as déjà volé, Evy ?
Je me fige.
– Je te demande pardon ?
– Est-ce que tu as déjà participé à un cambriolage ? me répète-t-il plus
distinctement.
Alors là, je suis complètement larguée. Je crois que l’adrénaline lui a grillé
quelques neurones. Voyant que je ne réponds pas, il me regarde avec insistance.
Difficile de décrypter ses expressions avec tous ces gonflements.
– Eh bien… disons qu’il nous est arrivé de dérober quelques bonbons quand
on était petits, Jared et moi, mais je doute que ce soit considéré comme des
cambriolages. Plutôt du chapardage, non ?
– Eh bien, tu vas devoir « chaparder » quelques trucs pour moi, dit Ryder, me
ramenant à l’instant présent.
– Je ne suis pas sûre de bien comprendre.
***
Je n’arrive pas à croire que j’aie accepté de lui rendre ce service stupide et
dangereux. Je savais qu’il était fou, mais pas à ce point. Ceci dit, je n’en mène
pas large, moi non plus, puisque j’ai dit oui. Saleté d’empathie, un jour, elle me
perdra.
Vêtue d’un jogging et du fameux sweat à capuche noir dans lequel Ryder m’a
traquée avant de m’enlever, j’entre dans le hall de l’hôpital, le cœur battant et la
tête rentrée dans les épaules. La chance est de mon côté – pour le moment –
lorsque je vois qu’il n’y a pas beaucoup de monde présent dans ce secteur. Un
couple de personnes âgées est assis en salle d’attente, un homme de forte
corpulence est occupé à la machine à café et une adolescente en fauteuil roulant
avec une clope éteinte au bec passe à côté de moi sans me jeter un regard. À la
réception, une femme en blouse blanche a les yeux rivés sur son écran
d’ordinateur. Il lui suffirait de relever un peu la tête pour qu’elle me voie. Je
baisse les yeux vers le sol et m’apprête à filer dans le long couloir désert en face
lorsqu’elle m’interpelle.
Eh merde… Je ne sais pas comment fait Ryder pour être aussi discret. Je suis
persuadée qu’il serait passé facilement incognito, lui. Je tourne la tête vers elle
tout en cherchant un prétexte pour justifier mon arrivée lorsqu’au même
moment, une voix d’homme crie à l’entrée des portes automatiques.
J’attends encore quelques minutes et, une fois que mon cœur a retrouvé un
rythme à peu près normal, je me relève et entrouvre la porte. L’endroit est désert.
Je sors de ma cachette et passe par un escalier de secours pour monter les quatre
étages. Moi qui avais l’intention de reprendre le sport, je suis servie. J’arrive
enfin aux soins intensifs et sursaute en entendant des pas précipités qui se
rapprochent. J’ai juste le temps de me planquer dans un coin pour voir deux
infirmières courir dans le couloir. Elles ne m’ont pas remarquée. Une fois hors
de vue, je relâche ma respiration et me décolle du mur. Bon sang, comment fait
Ryder pour rester aussi calme dans des moments pareils ? Je jette un œil
alentour. Personne. Je marche vite jusqu’à la pharmacie. La porte est
évidemment verrouillée et ne s’ouvre que grâce à un badge. Je sors celui que
Ryder m’a donné de la poche du sweat et le passe sur le scanner. Je ne veux
même pas savoir comment il se l’est procuré. J’entre et me dirige vers l’armoire
en verre contenant différentes fioles et ampoules. Celle-ci est fermée par un
simple tour de clé. Je rabats ma capuche et enlève les deux épingles de mes
cheveux. Voyons voir si j’ai bien compris les explications de Ryder. Un
sentiment d’excitation vient se mêler à mon stress. Bon sang, je suis en train de
voler dans un hôpital ! Ryder a beaucoup changé en deux mois, mais alors là,
moi, je suis passée de l’ange au démon. Je ne me reconnais plus.
Ouais, pas très convaincant, tout ça. Je le fais pour lui, tout simplement. Parce
que…
Un coup de klaxon derrière moi me fait sursauter. OK. J’ai l’occasion de m’en
sortir. Je peux retrouver ma liberté et échapper à une mort certaine.
Ryder
Putain, mais qu’est-ce qu’elle fout ? Ça fait trois plombes que je l’attends,
mes côtes et mes membres me font souffrir le martyre et le soleil débute sa
révérence, laissant place à une nuit pluvieuse. Je commence à me demander si
elle n’a pas fini par filer à l’anglaise. Après tout, je lui ai offert une belle
occasion de se faire la malle. La garce, elle s’est tirée. Et avec ma bagnole, en
plus ! La rage et un sentiment de trahison me foudroient le cœur. Putain, j’étais
prêt à lui faire confiance. Je l’ai laissée partir. Ce que je peux être con ! Qu’est-
ce que je croyais ? Qu’elle allait revenir ? Qu’elle éprouvait assez d’attirance
pour moi pour tirer un trait sur sa vie d’avant et revenir dans mes bras ? J’ai agi
comme un putain de débutant et si je ne succombe pas à la douleur, mon père va
me faire pire que ce qu’il m’a infligé là.
Dixon lui a rapporté notre entrevue, ce connard. Mon père a fait un break
dans son voyage d’affaires pour revenir me mettre une raclée avec ses sbires à la
con et me faire comprendre ce qu’est la vie réelle. J’ai mangé des coups jusqu’à
ce qu’il soit convaincu de ma loyauté envers lui. Il m’a sans cesse répété ce qu’il
nous a appris durant toute notre enfance. Que tuer, c’est sauver notre peau. Que
la société nous fait crever à petit feu alors que nous, nous sommes plus radicaux
et efficaces. Que le but de notre vie, c’est de supprimer tous les obstacles qui se
tiennent devant nous.
Les coups servent à nous endurcir. À faire enrager le monstre tapi en nous.
Ligoté debout, j’ai encaissé les coups de poing et la douleur infligée par la batte
jusqu’à ce que je ne crie plus. Et plus je leur disais d’arrêter, plus mon père leur
donnait l’ordre de frapper. Lorsqu’il a enfin eu le monstre en face de lui, dans
mon regard, il m’a libéré des liens et je n’ai pas attendu deux secondes avant de
briser la nuque du gars qui s’était éclaté sur moi avec la batte de base-ball. Mon
père a souri, a applaudi et m’a dit qu’il était fier de moi. Il m’a ordonné de me
rhabiller et de le suivre jusqu’à son bureau. J’ai obéi sans rechigner, l’adrénaline
alimentée par la rage du monstre m’empêchant de ressentir les douleurs après
coup. Une fois dans le bureau, nous avons parlé de ma mission et il a commencé
à décréter que j’avais besoin d’une pause après ce que je venais de subir. Qu’il
allait mettre Duncan sur le coup. Mais j’ai refusé catégoriquement.
Ce n’est que lorsque je me suis garé devant mon immeuble que l’adrénaline
est retombée et que j’ai commencé à vraiment ressentir la douleur. Je suis monté
presque en rampant tant je souffrais. Je me suis assis tant bien que mal après
m’être servi un verre de whisky pour chasser ces putains de souffrances. J’en ai
repris un deuxième, un troisième. Au bout du sixième, j’ai percuté que l’alcool
ne me serait d’aucun secours, car j’avais toujours aussi mal. Je me suis alors
dirigé vers la salle de bains en pensant qu’une douche me soulagerait peut-être,
mais les craquements dans mes flancs m’ont fait flancher et je suis tombé à
genoux dans le couloir, juste à côté du placard. J’ai respiré lentement et
calmement pendant quelques secondes avant de me relever et d’ouvrir la porte.
Evangeline était allongée sur ses couvertures, l’air perdue dans ses pensées.
Lorsqu’elle a vu l’état dans lequel j’étais, elle s’est précipitée vers moi, inquiète.
Mais le monstre était en moi et je ne voulais pas qu’elle le voie. Je ne voulais pas
croiser son regard et foutre la bête dans sa cage. J’ai douillé pour la faire sortir,
hors de question de laisser à Evangeline l’occasion de la remettre derrière les
barreaux.
Ça a été plus fort que moi et j’ai fini par relever les yeux pour les ancrer dans
les siens, si bleus, si beaux, si envoûtants. Comme si c’était son point faible, le
monstre a aussitôt courbé l’échine, faisant presque la révérence à ces deux billes
océaniques. En dépit de ma volonté de le relever, Evy a tout de même réussi à lui
claquer la porte au nez avec le son de sa voix. Tout chez elle est si doux et
déstabilisant que je commence à me demander où sont passées mes foutues
couilles. J’en suis à ce point-là, ouais. J’ai commencé à mettre un pied dans ce
regard marin en me disant que je n’irais jamais plus loin et, résultat, je suis en
train de m’y noyer sans aucune envie de remonter à la surface.
– Salut.
Je fais un bond sur le canapé tout en ayant le réflexe de chercher mon couteau
sous le coussin alors qu’il n’y en a pas. Ces deux mouvements brusques me
valent un grognement de douleur dans tout le corps, plus intense au niveau des
côtes.
– Evy…
Elle se tient debout devant moi, mon sweat sur son corps délicieux et trempé
jusqu’aux os. Ses cheveux sont humides et emmêlés. Son visage d’ange présente
des traînées noires le long des joues et je suis presque sûr que ce n’est pas
seulement à cause de la pluie. Elle pose le sac à dos, dont le contenu émet un
bruit de verre, avant de s’accroupir près de moi. Sa main se pose sur mon torse et
je la recouvre de la mienne en fermant les yeux. Je ne saurais décrire ce que
j’éprouve à ce moment-là, parce que je n’avais encore jamais ressenti ça.
– Comment te sens-tu ?
Ce n’est pas vrai. Cette raclée a été la plus douloureuse de toutes celles que
j’aie connues, mais je veux la rassurer. Elle ne devrait pas s’inquiéter pour moi
mais plutôt pour elle. J’ai beau me creuser le crâne, je ne trouve pas de solution
qui pourrait lui laisser la vie sauve. Mon père a été clair. Il la veut morte. Et
personne ne discute ses décisions, sous peine d’en payer le prix fort. J’ai donc le
cul entre deux chaises. Mais ce soir, je n’ai pas envie de penser à ça. Une autre
question en suspens me brûle les lèvres.
Elle détenait une occasion en or pour me planter. N’importe quel autre otage
l’aurait fait sans aucune hésitation. Pourquoi pas elle ? Qu’est-ce qui l’a poussée
à revenir ? Je l’ai torturée durant des semaines entières, j’ai été le pire homme
sur terre avec elle. Alors pourquoi ? Un sourire timide étire les lèvres roses
d’Evy et elle me couve de son regard bienveillant.
Si j’ai bien appris une chose en deux mois grâce à elle, c’est d’observer et de
tenter de décrypter les émotions. Je ne les connais pas toutes et je sais que je ne
suis qu’un débutant dans ce domaine, mais là, je vois qu’elle ment. Du moins en
partie. Elle me cache quelque chose et je compte bien savoir ce que c’est. Je m’y
attarderai plus tard. Pour le moment, j’ai besoin d’une dose de morphine et de
serrer ma belle blonde dans mes bras. Comme si elle lisait dans mes pensées,
Evy ouvre le sac, en sort une fiole et une seringue neuve.
Elle insère l’aiguille dans l’opercule du flacon et tire sur la seringue d’un air
concentré.
Parfois, certaines missions tournaient mal et nous devions nous battre pour
nous en sortir. Je me souviens d’une nuit avec Duncan et Austin, un de nos frères
d’armes, nous devions buter des motards qui avaient mis une carotte à mon père.
Les gars ont senti le coup venir, malgré notre discrétion, et ils se sont défendus.
Je m’en suis sorti avec une fracture ouverte du tibia et Duncan m’a shooté à la
morphine. Evy me sangle le bras avant d’en tapoter le creux pour faire ressortir
la veine.
Son regard noir m’indique qu’elle n’aime pas trop ma plaisanterie, mais je
souris. Bordel, voilà que je me mets à la taquiner, maintenant ! Qu’on me mette
la corde au cou, tant qu’on y est.
– On devrait peut-être t’allonger sur ton lit, ce serait plus confortable, non ?
Je hoche la tête sans pour autant ouvrir les paupières. J’ai l’impression d’être
sur un nuage. Après quelques secondes, je me résigne à bouger et Evangeline
m’aide à me relever. C’est loin d’être la meilleure solution pour guérir, mais il
est vrai que le canapé n’est pas très confortable. Mon bras autour de ses épaules,
je m’appuie sur elle tandis qu’elle m’aide, ses mains posées sur mes hanches.
Nous y allons à petits pas, mais j’arrive enfin à bon port et Evy arrange les
oreillers de façon à m’assurer le meilleur confort. Je suis subjugué face à autant
d’altruisme. Je lui ai fait vivre un enfer et elle est là, à prendre soin de moi.
Evy revient quelques minutes plus tard avec ma trousse de premiers soins. Je
la regarde panser mes blessures, me délectant du contact de ses doigts sur ma
peau. Pourquoi suis-je si sensible avec elle ? Je me suis envoyé un tas de femmes
depuis que j’ai goûté au sexe pour la première fois. Jamais je n’ai ressenti autant
de plaisir charnel qu’avec Evy. Qu’a-t-elle de plus que les autres ?
En fait, si. J’ai envie de savoir. Je m’intéresse à elle. Je ne devrais pas, mais
c’est plus fort que moi.
Son regard s’arrime au mien et elle n’a pas besoin de parler, je connais déjà la
réponse. Avant que je ne m’en rende réellement compte, ma main s’est posée sur
sa joue. Il faut vraiment que j’apprenne à contrôler mes gestes, sous peine de me
transformer en putain de guimauve. Evy ne prononce toujours pas un mot mais
son visage parle pour elle.
Mon père va me bannir. Mais, bizarrement, cette idée ne me fait plus aussi
peur qu’avant. Pourquoi ? Je n’en sais foutre rien. Je ne comprends que dalle à
ce qui m’arrive. C’est comme si j’avais ma main posée à plat sur une plaque
chauffante. Ça brûle, c’est douloureux, je sais que je devrais la retirer. Mais je
n’y arrive pas. Je ne veux pas. Je suis attiré par cette sensation de brûlure qui
incendie ma main. Je suis accro aux sensations que me procure Evy. À son
regard captivant, ensorcelant. À sa grâce charmante. À sa ténacité déroutante. À
son altruisme hors pair.
Je suis largué.
Largué… et accro.
***
Un peu plus tard, Evy frappe à ma porte pour m’apporter une assiette. Cela
faisait un bon moment qu’une odeur succulente embaumait l’air de mon
appartement, mais la morphine me fait tellement planer que je pensais à des
hallucinations olfactives. Elle entre timidement et mon cœur rate plusieurs
battements. Je me suis endormi avant qu’elle ne soit sortie de sa douche. Elle
s’est changée et porte maintenant un débardeur au décolleté panoramique sur sa
poitrine et lui arrivant juste au-dessus du nombril. Son jean brut taille haute est
presque collé à sa peau, faisant ressortir la forme de ses jambes et de ses fesses.
Une fièvre monte instantanément en moi. Et dire que je ne pourrai rien lui faire
avant un putain de moment… Je peux presque entendre ma queue pleurer à
chaudes larmes.
Elle me scrute comme si des cornes m’étaient soudain poussées sur la tête.
– Tu ne connais pas les lasagnes ? C’est l’un des meilleurs plats de tous les
temps, s’offusque-t-elle après que j’ai secoué la tête.
Sans hésiter, elle enfourne le morceau dans sa bouche. Je fixe ses lèvres se
refermer sur le morceau de métal et la fièvre s’intensifie dans le bas de mon
corps. Lorsqu’elle se relève, une trace de sauce tache le coin de sa bouche et je
me surprends à avoir envie de la lécher pour la faire disparaître. Mais elle
anéantit mon fantasme en l’essuyant d’un doigt.
J’ouvre de grands yeux. Quinze heures ?! Merde, j’ai dormi toute la nuit ?
– Mon téléphone.
– Il n’a pas arrêté de sonner depuis ce matin et je doute que tu aurais apprécié
que je réponde.
J’ouvre la bouche pour lui répondre que je compte le faire dès que je serai
guéri, mais aucun son ne sort. Mes cordes vocales sont comme paralysées et mes
yeux restent posés sur l’assiette de lasagnes. Evy est encore là alors qu’elle
pourrait s’enfuir.
Elle a cambriolé un hôpital et m’a soigné alors que je suis responsable de ses
propres cicatrices…
Elle m’a fait à manger alors qu’elle aurait pu m’affamer comme je l’ai fait au
début avec elle.
Elle est gentille alors que j’ai été le pire connard avec elle.
Elle aurait pu me laisser crever comme un chien. Elle aurait dû ! Mais elle est
là. Près de moi. Pourquoi ? Qu’est-ce qui la pousse tellement à me venir en aide
alors que je ne mérite pas sa sollicitude ? Elle est si généreuse. Et si belle,
putain. Quelque chose explose en moi à la simple pensée de cette femme. C’est
euphorisant et déroutant à la fois. Je ne sais même pas si je dois en être content
ou, au contraire, repousser ces sensations.
Je prends une profonde inspiration et mon cœur s’affole. Je ne sais pas quelle
est cette émotion mais je ne l’aime pas du tout. Je ferme les yeux pour appeler le
monstre. J’ouvre la porte dans ma tête et il y entre d’un pas certain pour
s’enrouler autour de mon esprit complètement déstructuré. Je rouvre les yeux et
assène, d’une voix qui ne laisse aucune place à l’émotion :
Un long silence ponctue mon mensonge. Puis je peux presque voir le sourire
satisfait de mon géniteur quand je l’entends.
Evy
Chassez le naturel, il revient au galop. Je sais que ce n’est pas bien d’écouter
aux portes, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Toute la journée, j’ai fixé cet
écran de téléphone, ce « Papa » qui me narguait. Cette envie dévorante de savoir
ce qu’il pouvait bien vouloir à Ryder. Mais j’ai résisté. Parce que je savais que
c’était la pire idée à avoir. En revanche, je n’ai pas pu repousser la curiosité de
savoir à travers les paroles de Ryder.
« Oui, je l’ai tuée. Elle gît au fond du lac. » J’ai tout de suite reconnu la voix
du monstre. L’angoisse s’est insinuée en moi comme une coulée de lave. J’ai dû
plaquer ma main sur ma bouche pour étouffer mon sanglot.
Ryder a menti à son père. Pourquoi ? Je n’en sais rien. En revanche, je sais
que ma mort est plus qu’imminente, désormais. Mon ravisseur n’a plus d’autre
choix que de me faire disparaître. Sa révélation a marqué mon arrêt de mort et je
m’attends au pire dans les prochaines heures.
Je pourrais m’enfuir. Je devrais prendre mes jambes à mon cou. Mais quelque
chose m’en empêche : les sentiments que j’éprouve à l’égard de Ryder. Je refuse
de le laisser entre les mains de ce psychopathe qui lui sert de paternel. Si j’avais
assez de force physique, je le kidnapperais à mon tour et m’enfuirais avec lui à
l’autre bout du monde pour le protéger.
– Evy !
J’ai terriblement envie de savoir qui lui a infligé toutes ces blessures. J’ai
connu la partie sombre de Ryder, sans états d’âme, il n’y a pas longtemps encore.
Mais la personne qui l’a mis dans cet état doit être encore pire. Il n’y est pas allé
avec le dos de la cuillère. Je suis même étonnée qu’il soit encore conscient étant
donné la violence inouïe avec laquelle on l’a frappé. J’en ai mal au cœur.
– Pourquoi n’as-tu pas essayé de t’enfuir ? Pourquoi ne le fais-tu pas, là, tout
de suite ?
– Je n’en sais rien, Ryder, finis-je par répondre, les larmes aux yeux. J’en ai
envie, pourtant, mais je…
Je ne parviens pas à terminer ma phrase, trop accablée par les sentiments qu’il
fait naître en moi. Je n’ai jamais ressenti un truc pareil. Ça me fait du bien autant
que ça me fait peur. Ryder replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et
mes joues s’empourprent en même temps que mon cœur s’accélère. Pourquoi
mon corps réagit-il ainsi à son contact ?
Sa voix est douce et sensuelle. Je fixe sa bouche avec envie. Je veux la goûter.
Encore et encore.
Ryder fronce les sourcils et laisse tomber mollement son bras. Cet
éloignement soudain m’angoisse.
– Me protéger de quoi ?
– De tout ça, soupiré-je en désignant l’espace autour de nous. Tu es quelqu’un
de bien, Ryder, je le sens ! J’ai essayé de m’enfuir, tu sais ? Quand je suis sortie
de l’hôpital, je suis retournée là-bas. Là où je vivais. Je m’inquiétais pour Lydia
et j’avais besoin de savoir comment elle allait. Elle ne va pas bien, je l’ai vue
devant la fac. Elle a besoin de moi autant que j’ai besoin d’elle.
– Alors pourquoi es-tu revenue ?
– Parce que je me suis rendu compte que toi aussi tu avais besoin de moi. Je
ne pouvais pas te laisser agoniser comme ça. Et puis en plus, je venais de
cambrioler un hôpital, je refusais d’avoir fait ça pour rien.
Bien sûr, je n’ai pas du tout songé à cette dernière phrase. Mais si je ne l’avais
pas dite, cela revenait à lui dire que j’ai des sentiments pour lui et il est hors de
question de le lui avouer. J’ai déjà du mal à l’admettre moi-même… Cela dit, j’ai
fait un signe à Lydia. Maintenant que je sais comment crocheter une serrure, je
suis entrée dans notre appartement et ai laissé un indice qui lui prouvera que je
suis passée et que je pense à elle chaque jour qui passe.
– Mais je sais que j’aurais eu des regrets si je t’avais laissé comme ça. Tu as
commis beaucoup d’erreurs, Ryder. Des erreurs impardonnables pour certains,
mais rattrapables selon moi.
– Elle te manque ?
Il passe une main sur son visage. Je peux voir un tas d’émotions se bousculer
dans son regard ocre, mais je n’arrive pas à les déchiffrer.
– Qui t’a fait ça ? murmuré-je en touchant ses bleus du bout des doigts.
Je refuse de le regarder dans les yeux. Je ne veux pas qu’il voie ce que
j’éprouve réellement, ce qui me pousse à rester près de lui.
– Je lui ai dit que j’avais accompli ma mission, Evy. Il faut que tu partes.
Je relève les yeux vers lui et lui lance un sourire contrit. Il devine que je suis
déjà au courant de ce détail et soupire.
Deuxième soupir.
– Disons que tu sais parler aux gens. Tu m’as fait comprendre des choses.
Avant, je ne pensais qu’à ôter la vie des gens. Je trouvais cela normal puisque
c’était mon père qui me l’ordonnait. Il a passé plus de vingt ans à m’élever ainsi
et toi, il ne t’a fallu que quelques mois pour remettre en question l’éducation
qu’il m’a donnée. Je ne sais pas si je dois t’en vouloir ou te remercier. Parce que,
même si je montre le contraire, j’aime l’homme que je suis en ce moment.
– J’ai peur de… M’attacher à toi ne ferait que compliquer les choses et c’est
ce qu’il risque d’arriver si tu restes. J’aime trop ta proximité, la preuve, je
n’avais encore jamais dormi avec qui que ce soit et ça me rend vulnérable. Tu
dois partir, Evangeline. Tu dois t’en aller et sortir complètement de ma vie.
Crois-moi, c’est le mieux à faire.
***
Je ne suis pas partie. Ryder a râlé en me voyant arriver pour lui apporter son
petit déjeuner, le lendemain, mais je l’ai ignoré. J’ai changé ses pansements, lui
ai fait ses piqûres d’analgésiques. J’ai cependant dû me battre avec lui pour ce
qui est de la douche, mais j’ai fini par avoir gain de cause lorsqu’il est tombé
alors qu’il voulait se débrouiller seul.
À ces souvenirs, mon ventre se contracte. J’ai beau avoir déjà vu son corps
nu, je n’en ressens pas moins autant de sensations que si c’était la première fois.
J’ai dû me faire violence pour ne pas me déshabiller moi aussi et lui montrer à
quel point j’ai envie de lui. Cependant, j’ai vu à son regard lubrique que mon
corps me trahissait et qu’il était autant frustré que moi de ne pas pouvoir aller
plus loin. En somme, j’ai joué la parfaite infirmière et il a fini par s’y habituer.
Deux semaines ont passé et je suis toujours là, au grand dam de Ryder. Il a
repris du poil de la bête, si je puis dire, et même s’il a encore un peu de mal, il
parvient à se tenir debout et ne dépend presque plus de moi. Ses douleurs s’étant
atténuées, nous sommes passés à la codéine. Je suis en train de nettoyer la
cuisine lorsque je sens son regard peser dans mon dos. Je me retourne pour le
découvrir vêtu d’un seul bas de jogging. Les plaies sur son visage se sont
refermées et les ecchymoses sur son torse nu et sur son dos ont pris une teinte
jaunâtre. On pourrait croire que cela – ajouté à ses cicatrices plus anciennes et
dont je devine désormais la provenance – enlaidit son corps, mais ce n’est pas le
cas. Il reste physiquement parfait malgré les stigmates. Immédiatement, je
vérifie dans ses yeux à qui j’ai affaire. C’est devenu une habitude avec le temps,
un automatisme. Est-il l’homme ou la bête, aujourd’hui ? Il me sourit, creusant
cette petite fossette que j’aime sur sa joue mal rasée. Je suis soulagée de voir que
le monstre est absent.
– Bien dormi ?
– J’ai envie de toi.
Je continue de frotter mon éponge sur le plan de travail, mais je sens le regard
ténébreux de Ryder derrière moi et cela me perturbe. Je me sens fébrile, j’ai du
mal à me concentrer sur ma tâche.
Mais je n’y arrive pas. Comme si mon corps voulait rester. Sale traître, il a
goûté une fois aux performances de Ryder, il ne peut plus s’en passer. Mes yeux
se ferment d’eux-mêmes et ma tête se pose sur son épaule pour lui donner libre
accès à ma peau. Je suis consciente d’avoir déjà passé la ligne rouge, mais je ne
peux pas résister. Il est beaucoup trop fort pour que je puisse le faire. Ses mains
remontent sur mes seins et les pressent avec envie. Je peux sentir dans le bas de
mon dos à quel point son abstinence forcée lui a été pénible, ces deux dernières
semaines. Et comme si mon cerveau était en veille, mon corps se colle un peu
plus contre celui de Ryder, réclamant toujours plus de caresses, toujours plus de
sensations. Il me retourne face à lui et prend possession de ma bouche. Il
s’immisce à l’intérieur sauvagement, comme si je lui appartenais. Comme si
j’étais sienne. Je lui rends chaque coup de langue, réponds à ses assauts. Bientôt,
je me retrouve coincée entre son torse sculptural et le rebord de l’îlot. Je n’ai
plus aucune échappatoire. Ai-je réellement envie de m’écarter ? Non.
Je réalise que c’est moi qui ai dit cela à voix haute lorsque les prunelles or
sombre de Ryder se plantent dans les miennes. Merde, mais qu’est-ce qui m’a
pris ? Il faut croire que ma ténacité s’est barrée avec son baluchon sur l’épaule.
Ses lèvres fondent de nouveau sur les miennes et ni lui ni moi ne répondons plus
de rien. Je m’accroche à lui comme si ma vie en dépendait. Le feu en moi brûle,
il est le seul capable de l’éteindre. Il arrache mes vêtements en un temps record
et les siens ne tardent pas à s’envoler également. La passion, le manque, la
fureur de jouir… nos corps prennent littéralement le contrôle. Nous les laissons
se dévorer, se redécouvrir, se consumer à nouveau. Seuls nos halètements brisent
le calme et la quiétude de l’appartement. Son sexe est fièrement dressé contre
mon ventre, prêt à empaler mon antre. Mon amant me hisse sur lui et, d’un seul
coup de reins, me possède entièrement. Je suis incapable de retenir mon cri
d’extase et les sensations m’incendient de toutes parts. Il me porte comme si je
ne pesais rien, alors que je ne dois pas être très loin de son propre poids, et nous
entraîne dans sa chambre. Sans nous décrocher l’un de l’autre, nous nous
allongeons sur le lit encore défait et je m’agrippe aux draps tandis qu’il me
pilonne sans vergogne. C’est puissant, bestial, fulgurant, à tel point que j’en ai
les larmes aux yeux. Je ne sais pas si je pleure de déception parce que j’ai faibli
ou parce que les sensations sont trop fortes et irradiantes. Est-ce parce que ma
vie d’avant me manque ou parce que je n’arrive pas à trouver la force de laisser
Ryder tout en sachant que je risque un peu plus ma peau en restant ? En tout cas,
j’ai besoin d’évacuer. J’ai besoin de faire sortir ma détresse, ne serait-ce que
pour cet instant-là. Je suis revenue parce que mon corps et mon cœur réclamaient
Ryder. Je dois me rendre à l’évidence.
***
Je suis réveillée par de douces caresses sur ma cuisse. J’ouvre les yeux pour
découvrir Ryder, tout sourire, ses doigts parcourant mon corps nu de sa main
habile. Je suis ravie d’avoir à nouveau affaire au Ryder humain. Je commence à
me demander si la bête en lui n’a pas définitivement fermé la porte. Il a les
cheveux mouillés et est vêtu d’un T-shirt noir. Il doit sûrement sortir de la
douche après avoir fait son jogging.
– Ça ne va pas ? s’inquiète-t-il.
– J’ai encore mal aux fesses, révélé-je en rougissant d’embarras.
Il rit dans mon cou. Je ne me lasserai jamais de ce son, j’ai bien l’impression.
– Ça, ça veut dire que ça a été bien fait, même si je n’avais aucune raison d’en
douter.
Je lui donne une petite tape sur l’épaule en riant. La modestie, ce n’est pas
trop son truc. Je ne sais pas si son nouveau comportement va durer et j’avoue
que je me ronge les sangs à l’idée qu’il puisse changer en un claquement de
doigts. J’espère de tout mon cœur qu’il restera comme ça.
Ryder et moi passons le reste de la journée dans les bras l’un de l’autre. Je
n’ai aucune idée de la véritable nature de notre relation, à présent, ni d’où cela
va nous mener. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai aucune envie d’être ailleurs
et je crois que lui non plus. J’ai laissé mes craintes sortir pendant notre étreinte.
Je crois que, si je suis encore là aujourd’hui, c’est qu’il manque une pièce du
puzzle. Une étape à ma mission. Et aussi parce que mon cœur n’est pas décidé à
oublier le charmant jeune homme qui se trouve contre moi et qui me surprend de
jour en jour avec ses nouvelles facettes. Fini les tortures, cette histoire de clé
USB, je crois même qu’il en a oublié sa propre mission. Je pense que j’ai réussi
à lui faire découvrir quelque chose en lui dont il ne soupçonnait même pas
l’existence jusque-là. Et je me sens d’autant plus fière. Après avoir remis le
couvert, nous voilà derrière les fourneaux, cuisinant un plat typique de mon
Canada natal, la poutine.
– Que les frites ne sont pas assez cuites, réponds-je du tac au tac.
Il remet le panier dans la machine avant de me regarder avec insistance, une
expression dubitative dans les yeux.
Je veux continuer à parler au Ryder que j’ai face à moi. Ce Ryder rieur et
plaisantin, doux et habile de ses mains et de son corps. J’ai mis trois mois à le
faire sortir mais j’y suis arrivée. Et je ne pense pas que j’aurais la force de me
battre encore contre ce foutu démon en lui.
***
Le seul fait qu’il éprouve de l’intérêt pour mes pensées me prouve qu’il est en
train de changer radicalement. Il est dans une sorte de phase de métamorphose.
Le monstre est présent, mais il reste silencieux.
Je ne pense pas que ce soit le moment idéal pour lui parler de mon projet.
Il me gratifie d’un clin d’œil puis dépose un baiser sur le coin de mes lèvres.
Oh ! Nous nous regardons avec la même expression sur le visage : de la surprise.
Je ne le pensais pas aussi affectueux alors que je ne suis même pas sa copine et
je crois qu’il vient de découvrir lui aussi une autre facette de lui-même. Un
silence gênant s’installe entre nous et il l’interrompt en faisant demi-tour pour se
diriger vers la salle de bains.
Je rougis davantage et plonge ma tête dans mon assiette. Moi qui suis plutôt
une femme de caractère, qui adore d’habitude avoir le dernier mot, j’avoue me
sentir un peu sans défense.
Je relève la tête et fais face à son regard insistant, celui qui dit « je te
harcèlerai jusqu’à ce que tu me dévoiles le fond de tes pensées ». Je me résigne à
être sincère.
– Ne m’oblige pas à redevenir celui qui fait mal, Evy, gronde-t-il. Ce n’est pas
parce que tu m’as fait changer d’opinion sur toi que je suis devenu docile et
facile à manipuler. Trois mois, Evy. C’est le temps qu’il t’a fallu pour remettre
mes convictions en question. Fais attention qu’il ne faille pas moins longtemps à
mes vieux démons pour ressurgir, OK ?
Je reste bouche bée. Je ne sais pas quoi répondre, à vrai dire, parce qu’il a
raison. Son esprit est encore habité par le tueur et je crois que je n’arriverai
jamais à le faire totalement disparaître. Il fait partie de lui. C’est un peu comme
deux personnes dans le même corps qui ne peuvent se dissocier.
– Tu me rends barge.
– Et c’est un compliment ou un reproche ?
– Je n’en sais rien pour l’instant, finit-il par avouer. Mais je te promets de te
mettre au courant dès que je le saurai.
***
Piquée au vif, je referme mon cahier d’un coup sec et m’apprête à me lever
quand Ryder me rattrape par le poignet. Son regard est plus doux et une lueur de
culpabilité brille à l’intérieur. Je reste immobile face à lui, encore agacée.
– Je suis désolé, je ne voulais pas te dire ça comme ça, s’excuse-t-il. Je… J’ai
encore du mal à… gérer mon tempérament. Reste avec moi.
– Tu n’aurais pas pu choisir un autre truc qu’un film porno ? fais-je, au bord
des larmes.
– Tu m’as demandé un nombre, je n’y peux rien.
Son rire, je ne m’en lasserai donc jamais ? Chaque fois que je l’entends, mon
cœur bondit un peu plus. Il a du mal à s’y accoutumer, car il stoppe net et reporte
son attention sur la télé, comme si c’était un acte tabou pour lui.
Merde, pourquoi j’ai fait ça ? Nous ne sommes pas censés être aussi
affectueux en dehors du lit. Je vais pour me remettre à ma place, gênée, mais il
passe son bras autour de mes épaules et me caresse la peau. Un frisson parcourt
tout mon corps.
Comme par hasard, le film vient de commencer, ce qui veut dire que l’on va
avoir droit à la totale pendant quarante-cinq minutes environ.
– Non, réponds-je. C’est ma mère qui a eu cette idée. Jared et moi nous
chamaillions tout le temps pour la télécommande, alors ma mère nous a conseillé
de choisir un nombre chaque jour, chacun notre tour, avec interdiction d’en
changer avant le lendemain.
– On dirait bien que je ne suis pas le seul à être excité, par ici.
– Tu m’excites tout le temps.
Je me mords la langue. Bon sang, je n’y crois pas, il suffit de coucher une fois
avec ce dieu vivant pour se sentir pousser des ailes et dévoiler ses secrets les
plus intimes. Ryder ouvre de grands yeux surpris. Il est trop tard pour revenir en
arrière, de toute façon, il a entendu et son sourire s’élargit. Il plonge la tête dans
mon cou, me faisant basculer sur le dos. Sa barbe de deux jours frotte ma peau et
une chaleur intense me parcourt instantanément.
Ryder dépose une myriade de baisers sur ma poitrine. Je sens mes tétons se
dresser à l’extrême dans mon soutien-gorge. De mon côté, je déboutonne son
pantalon et plonge ma main à l’intérieur. Bordel, il est dur comme du marbre. Il
grogne sous mes va-et-vient et je lui mordille le cou pour pimenter mon petit jeu
de séduction.
Ryder
C’est le pied, putain ! Elle me suce comme une reine. Je crois que de toutes
les pipes auxquelles j’ai eu droit dans ma vie, Evy détient le record de la
meilleure. Elle gagnerait même un Oscar s’il existait une cérémonie pour ça. Je
me vois bien en maître de cérémonie annoncer : « Et l’Oscar de la meilleure
fellation est attribué à… Evangeline Merten !!! » Non, sérieux, c’est l’extase
totale. Je dois me faire violence pour ne pas jouir tout de suite comme un gamin
à peine dépucelé. Elle fait délicieusement tourner sa langue autour de ma hampe
tout en me massant les bourses… Bordel, où a-t-elle appris à faire ça ? C’est une
putain de déesse du sexe. La preuve, je n’ai sauté aucune gonzesse depuis que
j’ai couché avec Evy. Les autres me paraissent fades, en comparaison. Je n’ai
envie que d’elle. Et ça, c’est un putain de problème. Parce que nos chemins vont
bientôt prendre deux directions différentes. Mais je préfère pas y penser pour
l’instant. Surtout pas avec la tête d’Evy entre mes jambes.
Je fais aller et venir mon sexe entre ses obus, j’ai la tête et tout le corps en
ébullition. Bordel, ce que c’est bon. Et ajoutant à ça Evy qui me titille le gland
du bout de sa langue. Je ne tiens plus et jouis comme un dingue sur sa poitrine
voluptueuse et toute en courbes. Je m’affale ensuite sur le canapé, essoufflé.
Evangeline se relève et me dépose un baiser sur la joue.
Voir mon sperme glisser le long de son décolleté me rend encore plus fébrile.
Cette femme est une vraie bombe. C’est dommage qu’elle n’en ait pas
conscience. Ses kilos superflus sont bien répartis et je ne la vois pas autrement.
Elle se dirige vers la salle de bains topless et roulant du cul. Elle me provoque
encore. Cette femme est un appel à la tentation. J’attends d’entendre l’eau couler
pour la rejoindre. Je me glisse à côté d’elle et l’embrasse sans préambule en la
plaquant contre le mur carrelé. Je ne peux m’empêcher de la toucher, de la
caresser. J’aime les sons qui sortent de sa bouche délicieuse. J’aime sentir sa
peau frémir sous mes doigts avides.
– À mon tour de jouer avec toi, lui susurré-je entre deux baisers.
J’embrasse chaque parcelle de son buste, titille son nombril avec ma langue
en insérant directement deux doigts en elle. Elle est déjà chaude comme la
braise. C’est incroyable l’effet que je lui fais en si peu de temps et je ne peux en
tirer que de la satisfaction. Je me savais irrésistible mais pas à ce point. Avant de
m’aventurer dans son intimité avec ma bouche, je lève la tête et croise son
regard assombri de désir et d’excitation.
– Tu vas jouir tellement fort que les appareils auditifs de mes voisins vont
griller, lui promets-je et un large sourire se dessine sur ses magnifiques lèvres.
***
Ça doit faire au moins un quart d’heure que je suis planté devant le rayon sans
savoir quoi prendre. C’est qu’il y a une tonne de marques pour ces machins-là.
Je suis un homme, je ne m’intéresse pas à ce genre de trucs. Le Ryder d’avant ne
se serait même pas fait chier à entrer dans le magasin. Sérieux, où sont passées
mes couilles ? Mais en même temps, si je veux pouvoir continuer à la baiser, je
peux bien mettre ma fierté de côté cinq minutes. Je suis encore en train de
réfléchir quand une jolie petite blonde m’accoste.
– Bonjour, est-ce que je peux vous aider ? Vous avez l’air perdu.
Je suis perdu dans le rayon, mais je suis aussi perdu dans ma tête. Et savoir
que la cause est une nana me déstabilise encore plus.
– Euh… ce n’est pas… enfin elle et moi on… Le premier, les tiges, là.
– Ah, enfin ! J’ai cru que tu n’allais jamais revenir et que j’allais finir ma vie
sur le trône !
– Tu peux te la mettre derrière l’oreille pendant les cinq prochains jours. Hors
de question que tu t’approches de près ou de loin de mon vagin, réplique-t-elle.
Et, pour la deuxième fois de la journée, mon corps réagit plus vite que mon
cerveau et mes lèvres se posent sur les siennes. Je ne sais pas ce qui me prend,
putain, j’ai tout le temps envie de l’embrasser ! Je sors le dernier article du sac
en papier.
Je la regarde avec la vague impression qu’elle n’a pas l’air très ravie de
recouvrer sa liberté. J’ai toujours du mal à comprendre son revirement. Pourquoi
reste-t-elle ? Qu’attend-elle de moi ? Je lui ai fait subir des horreurs, je l’ai
enlevée, alors pourquoi ? Serait-elle capable de me tendre un piège ? Est-elle de
mèche avec les flics ? Non, mon père n’aurait pas pris ce risque.
Elle hoche la tête mais je peux néanmoins voir ses yeux briller de larmes. Je
récupère une perle salée qui vient de s’échapper.
Evy
Il y a trois sortes d’individus dans le monde. Il y a ceux qui sont sûrs d’eux,
qui savent où ils vont et décident eux-mêmes de leur destin. Ceux qui préfèrent
suivre le vent et voir où ça les mènera tout en gardant un minimum de contrôle.
Et puis il y a ceux qui, comme moi, survivent. Après avoir perdu mes parents et
Jared, voilà que je dois quitter l’homme dont je suis tombée amoureuse.
Ryder s’est renfermé sur lui-même. Heureusement, il n’est pas redevenu celui
qu’il était avant. Enfin, je ne crois pas. Il a été appelé, tout à l’heure – par son
père, je suppose –, et il est parti en claquant violemment la porte. Nous savons
aussi bien l’un que l’autre que mon dernier jour de captivité a sonné. Moi qui
avais peur d’être tuée, au début, voilà que je redoute le moment de ma remise en
liberté.
Il a décidé que je repartirais demain. Il m’a dit que plus on passait de temps
ensemble, plus c’était risqué. Je ne sais pas s’il voulait parler de nos vies ou de
nos sentiments en disant ça. Quoi qu’il en soit, il a raison : c’est risqué. Nous
nous sommes bercés d’illusions ces dernières semaines. Nous étions dans une
sorte de bulle invisible rien qu’à nous et avons oublié que des gens malhonnêtes
ou des circonstances pouvaient la faire éclater. J’aimerais que les choses se
soient déroulées autrement, ainsi, peut-être, aurais-je eu le courage de lui avouer
mes sentiments. Le plaisir charnel est bien là et il est on ne peut plus
extraordinaire. Mais j’en veux davantage. Je ne sais pas si Ryder a conscience de
ce qu’est l’amour. En fait, je ne me suis jamais vraiment posé la question. Certes,
il est doux et attentionné, mais sa motivation n’est peut-être pas la même que la
mienne.
J’aimerais pouvoir dire que tout va s’arranger, mais je ne veux pas me mentir
à moi-même. Plus rien dans ma vie ne redeviendra comme avant. Cette
expérience m’aura au moins appris deux choses : les gens peuvent changer. Et le
bourreau n’est pas toujours celui que l’on croit. Ryder n’est qu’une victime de
son père.
Ryder est parti depuis trois bonnes heures et il me manque terriblement. J’ai
décidé de le surprendre, ce soir. Je lui ai concocté un petit dîner aux chandelles.
Je suis sûre que personne ne lui a encore jamais fait ça et je veux marquer le
coup. Je ne veux pas l’abandonner et je ne m’en remettrais pas s’il m’oubliait.
J’arrange ma coiffure une dernière fois. Une couleur auburn a remplacé ma
blondeur naturelle. Ça me fait bizarre de me voir ainsi, j’ai l’impression d’être
une autre personne. Mes cheveux ont poussé jusqu’à mes épaules depuis que je
suis arrivée ici et nous craignions trop de faire un carnage capillaire s’il s’était
amusé avec les ciseaux. Alors je les ai laissés comme ça et je dois avouer
qu’après un petit brushing, le résultat est plutôt concluant. Me voilà fin prête
lorsqu’il revient enfin.
– Tu as l’air fatigué, dis-je en caressant les cernes qui se sont formés sous ses
yeux envoûtants.
– Je le suis.
Il a l’air mal en point, autant moralement que physiquement à en juger par ses
mains écorchées et les marques de coups sur ses bras. Je fronce les sourcils.
L’idée que l’on ait pu encore lui faire du mal me tord les tripes. Il s’éloigne
soudain de moi et remarque alors la table décorée.
– C’est quoi, ça ?
Il veut éluder la conversation, mais je suis têtue. Je veux savoir ce qu’il s’est
passé et ce qu’il fait de ses journées quand il n’est pas là. Je commence à en
avoir assez de ses secrets et je refuse de partir sans savoir.
– Moi, si, répliqué-je. Je veux savoir ce que tu fais quand tu n’es pas ici.
Pourquoi te renfermes-tu comme ça ?
Soudain, il balaie la table d’un revers de main, envoyant valser les verres et
les assiettes. Je sursaute.
– Et moi je t’ai dit que je ne voulais pas en parler ! hurle-t-il. Et tu crois faire
quoi en me sortant le dîner aux chandelles ? Tu veux te la jouer romantique ? Tu
t’es gourée de gars, Evy. Moi je baise, je ne tombe pas amoureux. T’es pas ma
gonzesse, tu n’as rien à savoir de moi !
Alors là, si je me posais la question tout à l’heure sur ce qu’il pensait de notre
relation, j’ai maintenant une réponse simple et claire. Terriblement blessée, je me
dirige vers le placard et claque la porte avant de m’effondrer sur le lit. J’entends
la porte d’entrée claquer à son tour quelques minutes plus tard. Me réfugier dans
ma « cellule » me ramène à des souvenirs douloureux, mais je ne me voyais pas
m’enfermer dans la chambre de Ryder.
Je suis en colère de n’avoir été qu’un jouet sexuel pour lui. Une sorte de pis-
aller pour assouvir ses besoins naturels. Mais, paradoxalement, je me dis aussi
qu’au moins, je suis vivante. Ce rapprochement m’a permis de me sauver. Mais
pourquoi me laisse-t-il en vie s’il n’éprouve rien pour moi ? Pourquoi me laisse-
t-il partir ? Je pourrais très bien aller le dénoncer, lui et sa famille. Je pourrais
dévoiler tout ce que je sais. Me fait-il confiance à ce point-là ? Je n’arrive pas à
savoir ce qu’il a dans la tête et ça, c’est très déroutant. Si j’ai fait ça, ce soir,
c’était pour lui avouer ce que je ressentais pour lui. Or, maintenant, il n’y a plus
rien à dire parce qu’il m’a blessée.
Mon côté maniaque finit par me tirer du lit et je retourne dans le séjour pour
ramasser la vaisselle cassée avec l’espoir que ça me changera les idées. Mais ça
ne fonctionne pas et je me remets à pleurer. Une fois les débris de verre jetés à la
poubelle et la table débarrassée et nettoyée, je vais à la salle de bains afin de me
démaquiller. J’enfile un T-shirt et un short, me brosse les dents et retourne dans
le placard. Demain je pars et c’est peut-être mieux comme ça. Son contact va
terriblement me manquer. Il va me manquer, tout court.
– FBI !!!
La panique m’envahit. Bon sang, mais que se passe-t-il ?! Le FBI. Que font-
ils ici ? S’ils me découvrent et me reconnaissent, ils vont m’embarquer et arrêter
Ryder. Il est hors de question que cela arrive. Ryder a changé. Notre dernière
conversation était houleuse, mais il ne mérite pas d’aller en taule pour autant. Je
regarde autour de moi, le cœur cognant fort dans ma cage thoracique. Je les
entends se rapprocher et la porte s’ouvre dans un fracas au moment où je me
faufile derrière l’étagère. Je passe tout juste, mais je suis à couvert.
Du moins je l’espère.
Je bloque l’air dans mes poumons tandis que j’entends les pas des hommes
envahir l’appartement. Mon sang martèle dans mes oreilles et je prie tous les
dieux qui puissent exister pour ne pas être découverte.
Mais mon karma est bidon parce que soudain, un homme vêtu de l’uniforme
avec le sigle écrit en grosses lettres jaunes sur le torse et armé entre dans ma
pièce. Je me pince les lèvres afin d’éviter tout son qui pourrait
malencontreusement franchir mes lèvres. J’ai les mains moites et mes jambes
sont sur le point de flancher. Tandis qu’il évolue dans la pièce, mon regard est
fixé sur ses mouvements ; tout à coup, il pivote et ses yeux verts se plantent dans
les miens. Je suis tétanisée. Je suis cuite, ils vont m’emmener. Je me vois déjà
dans la salle d’interrogatoire, menottes aux poignets, à subir les questions des
enquêteurs. Mais l’intrus me surprend en se retournant et en criant à ses
collègues un « R.A.S. ! » sonore. Puis il referme la porte en sortant, me laissant
dans le noir total, paralysée de stupeur et surtout énormément surprise.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée cachée dans ce foutu placard,
mais lorsque le silence revient et que je sors de derrière ma planche étroite, j’ai
l’impression d’avoir été piétinée par un semi-remorque tellement j’étais serrée.
Je sors de la pièce, prête à inspecter les dégâts. Nom de Dieu. On dirait qu’une
tornade a traversé l’appartement. Tout est retourné. Du canapé jusqu’aux
assiettes, en miettes sur le sol de la cuisine, en passant par les produits dans la
salle de bains et le lit de Ryder. Ils n’y sont pas allés de main morte. Que
cherchaient-ils ? Ryder a-t-il des problèmes ? Est-ce pour cela qu’il est aussi
absent ? Remplit-il des missions derrière mon dos ? Son père me croit morte, il
l’a sûrement mis sur d’autres affaires.
Sa voix grave me donne la chair de poule. Mon rythme cardiaque ne tient plus
en place et je recule tandis qu’il avance. Je tente de me raisonner en me disant
que Ryder ne va pas tarder à arriver, qu’il va virer son frère à coups de pied au
cul. Mais j’ai beau regarder derrière Duncan, à la recherche de la silhouette de
Ryder, je ne le vois pas arriver. Et, avant que je puisse esquisser le moindre
mouvement, Duncan se jette littéralement sur moi. Il me prend par le cou et me
soulève contre le mur derrière, si haut que mes pieds ne touchent même plus le
sol. Il est si imposant et dans son regard brillent les flammes de l’enfer. La
pensée d’une mort lente et particulièrement douloureuse me traverse l’esprit et
me tétanise encore plus. Je tente de remplir mes poumons d’air, mais la main de
Duncan me serre tellement fort que je suffoque et le sang commence à me
monter au cerveau. Je tente vainement de me débattre, puis je parviens à le
griffer au visage. Mon geste le fait reculer et il se tient la joue. Un mince filet de
sang dégouline de son visage et, alors que je ne pensais pas cela possible, ses
pupilles s’assombrissent davantage. Dans un élan de survie, je m’enfuis à toutes
jambes en direction de la porte. Il faut que je me tire d’ici, Dieu sait ce qu’il
compte me faire. Je n’ai pas le temps d’atteindre la poignée. Duncan
m’empoigne les cheveux et tire dessus, m’arrachant un cri de douleur et me
faisant tomber à terre. Il me traîne telle une poupée de chiffon, j’ai l’impression
que ma tête va se décrocher de mon corps.
Je crie, je hurle, je tente de lui échapper mais il est beaucoup trop fort. Mes
émotions sont mélangées entre colère, haine, peur, détermination… un vrai
capharnaüm. Mon cœur bat à tout rompre et les larmes, intarissables, dévalent
sur mes joues. Je tente de me raccrocher au battant de la porte de la chambre.
Voyant que je résiste, Duncan m’attrape le visage entre ses doigts et m’oblige à
lâcher prise en me tirant violemment en arrière. J’atterris rapidement et
lourdement sur le matelas de Ryder encore au sol, mon agresseur à califourchon
sur moi. Je sais déjà ce qui va se passer et la pression monte. Il me maintient
fortement avec ses jambes et, de ses mains libres, il enlève sa ceinture pour me
lier les poignets au radiateur au-dessus de moi. Je me débats comme je peux, je
m’époumone, je le supplie, mais il se contente de m’adresser un sourire
carnassier, une lueur moqueuse et amusée dansant dans ses yeux.
– Pitié… gémis-je. Je ferai tout ce que vous voudrez… Je vous donne la clé
USB, mais je vous en supplie, lâchez-moi…
– Et tu crois que j’en ai quelque chose à foutre de ta clé USB ? Tout ce que je
veux, c’est te posséder jusqu’à l’extase. Te baiser jusqu’à ce qu’il ne reste plus
rien de toi, sale garce ! Tu as corrompu mon frère, tu mérites une bonne punition
dont tu te souviendras toute ta vie ! Du moins ce qu’il en reste.
Je m’agite dans tous les sens dans l’espoir de le faire chanceler alors qu’il fait
sauter le bouton de son pantalon. Il parvient à baisser le mien ainsi que ma
culotte. Il bloque un moment sur mon intimité en se léchant les lèvres.
De peur.
De chagrin.
De douleur.
De désespoir.
– Maintenant tu vas être une gentille fille et te laisser faire, sinon je vais être
obligé de te tuer. Et Dieu sait que j’adore ça.
21
Ryder
Je suis fou. Dans tous les sens du terme. Avant j’étais fou tout court. Je butais
des gens sans aucune pitié pour eux ni pour les familles qui les attendaient.
J’avais vraiment foi en cette conviction : tuer pour survivre.
Et elle est arrivée, elle, avec ses cheveux couleur d’or, ses yeux océan et son
corps voluptueux. Elle a tout remis en question. Tout ce à quoi je croyais, tout ce
que l’on m’avait inculqué depuis mon enfance. Elle a tout balayé avec un seul
regard. Un seul baiser.
Je suis tombé fou d’amour pour elle. Fou de désir. Fou de passion.
D’incompréhension. De colère. D’abnégation. Ses yeux céruléens, sa bouche
pulpeuse, son corps de déesse, sa gentillesse, sa ténacité, ses mains sur moi. Tout
en elle est un appel à la luxure et à l’amour. Comme un fruit défendu auquel on
ne résiste pas. Dans lequel on n’hésite pas à croquer à pleines dents. On prend le
risque d’être empoisonné, mais on ne peut pas faire autrement, l’envie de le
dévorer nous consume et on a l’impression de mourir si on n’y touche pas.
Evy est ce fruit défendu. Pendant des jours et des jours, j’ai essayé de la
repousser, de ne pas transgresser mes limites. Mais comme n’importe quel
homme, même moi qui me croyais dépourvu d’âme, j’ai cédé. J’ai capitulé et je
n’arrive pas à me débarrasser de ce poison appelé Amour. Je ne veux pas.
Aujourd’hui, tout est différent. Je viens de tomber de mon petit nuage auquel
je m’étais attaché grâce à elle. On vient tous deux de se fracasser au sol. Les
ailes qui nous avaient poussés dans le dos nous ont été coupées. Mon enfoiré de
frère a tout brisé.
Mais quand je suis arrivé, aujourd’hui, rien de tout cela. J’avais cette
impression farouche d’aller dans l’inconnu. Je ne reconnaissais plus rien. Je
savais que c’était chez moi, mais je n’avais plus la sensation d’y être à ma place.
Comme si j’étais un étranger.
Un outsider.
Un putain d’imposteur.
Ça m’a grisé mais je suis entré malgré tout et suis directement allé au camp
d’entraînement. Les gamins que j’avais fait travailler quelques mois plus tôt ont
fait taire leurs émotions définitivement. Le monstre est en eux. Je me suis
souvenu de certains visages et quelques-uns présentaient des marques de
violences. Deux gamines se battaient au milieu des tapis, supervisées par
Adrianna. Les coups étaient violents et la blonde a finalement eu le dessus en
mettant la rouquine KO. J’ai salué ma sœur, on a discuté un peu et je lui ai
demandé où était Duncan. Quand je veux évacuer mon stress et ma colère, je sais
que je peux compter sur lui. Il saisit chaque occasion pour essayer de me mettre
une raclée et il est pour moi un adversaire de taille. Mais Adi m’a répondu qu’il
n’était pas là et qu’il ne lui avait rien dit de l’endroit où il était ni quand il
rentrerait. Une chose que j’aimais lorsque je vivais ici, c’est que nous étions
assez libres. Nous pouvions sortir tant que nous le voulions, dès lors que nous
nous présentions aux sessions psychologiques mensuelles de mon père – ou du
gars qui le remplace quand il n’est pas sur place – et que nous n’avions pas de
problèmes avec les flics.
J’ai fait le point sur mes sentiments à l’égard d’Evy tout en sillonnant les rues
à la recherche de mon petit frère. Il m’a fallu une bonne quinzaine de minutes
avant de me dire que, quoi que je fasse, mes idées seront toujours aussi floues.
Elle me rend dingue, ça, c’est indéniable. Mais ma vie est trop compliquée, trop
dangereuse pour elle. Elle ne peut pas rester et plus je passe de temps avec elle,
plus c’est difficile de me détacher.
J’ai entendu les cris avant de découvrir la poignée de ma porte cassée. Sans
hésitation, j’ai chopé mon couteau, que je garde toujours sur moi, et suis entré.
Evy criait toujours et le monstre en moi a montré les crocs, comme si lui non
plus ne supportait que l’on fasse du mal à cette femme. Je crois que lui aussi
s’est pris d’affection pour elle. La première chose que j’ai aperçue, c’est le
visage paniqué d’Evangeline. Elle était allongée sur mon lit, les mains ligotées,
un homme en noir sur elle. Quand j’ai compris que c’était Duncan qui la
maltraitait, son couteau à la main, je lui ai foncé dessus avec une telle force que
j’en ai perdu mon arme. Un voile rouge s’est posé devant mes yeux. Je ne voyais
plus rien. Seule l’expression terrifiée d’Evy clignotait dans ma tête. J’ai frappé
sans but précis, me fichant complètement de le tuer. Tout ce que je voulais,
c’était lui enlever ce putain de sourire machiavélique que ses lèvres arboraient.
Je savais qu’il allait revenir tôt ou tard. Que le fait que je lui aie repris celle qu’il
avait considérée comme un jouet lui restait encore en travers de la gorge. Je l’ai
vu dans ses yeux la dernière fois que nous nous sommes battus, au camp
d’entraînement. Mais je ne pensais pas qu’il comprendrait que j’avais menti sur
la mort d’Evy. Entre nous, le mensonge est rédhibitoire.
Nous sommes allongés sur mon lit, la tête d’Evy sur mon torse, là où mon
cœur bat à toute vitesse. L’adrénaline a du mal à redescendre. Mon œil droit me
lance, cadeau du poing de Duncan. Je peux encore sentir l’angoisse émaner
d’elle.
Je dois admettre que je suis moi-même surpris par les envies de meurtre à
l’égard de mon frère qui s’insinuent sournoisement en moi. Dans la famille, nous
ne nous montons pas les uns contre les autres. Au contraire, on est soudés et
prêts à prendre une balle pour nos frères. Or, là, le monstre en moi rêve de
grignoter la chair de Duncan et ça me fait bizarre. Si mon père apprend qu’Evy
est vivante, il la tuera lui-même et moi je serai banni à jamais de tout de ce que
j’ai connu jusque-là. Renié par ma famille. Tout ce que je ne me souhaite pas.
Il faut que je la déplace, il n’y a pas d’autre solution. On accumule les erreurs
depuis plusieurs semaines déjà. Au lieu de nous éloigner, nous nous
rapprochons. Je me lève d’un bond sans même me soucier de la tête d’Evy qui
retombe sur le matelas. Je vais dans le placard et reviens dans la chambre avec sa
valise que je jette sur le lit avant d’y engouffrer ses fringues.
– Qu’est-ce que tu fais ? s’étonne Evy d’une voix rauque. Je croyais que je
repartais demain.
– Trop risqué, fais-je sans m’arrêter de remplir le bagage.
– Mon frère t’a vue et il ne va pas hésiter à en parler à mon père. Si tu restes
là, ils vont te tuer pour de bon.
– Et toi ?
– Quoi, moi ?
– Que vont-ils te faire, à toi ?
Je soupire.
Je fronce les sourcils. Décidément, elle est bien plus perspicace que je ne le
croyais. Et elle continue de s’en faire pour ma gueule.
– Comment sais-tu ça ?
– Je suis désolée, Ryder. C’est à cause de moi s’ils t’ont fait ça. Ce sera
encore à cause de moi s’ils recommencent.
Elle fond en larmes et je m’empresse de prendre son visage entre mes mains,
cherchant son regard qu’elle s’évertue à cacher.
Elle relève enfin ses yeux bleus vers les miens et esquisse un faible sourire.
– Je le ferai, Ryder. Avec le temps, ces marques deviendront une force et non
plus une forme de torture. D’ailleurs, la plupart sont parties, ajoute-t-elle en
faisant tourner ses bras comme pour me le prouver.
Je lui dépose un baiser sur le front tout en luttant contre les larmes qui
menacent de dévaler. Sois fort, mec. Elle a besoin de ton assurance. Il faut
t’éloigner ou elle n’aura jamais la force de s’en aller.
Un silence se fait. Je jette des coups d’œil à ma belle de temps à autre afin
d’essayer de sonder son esprit, mais elle a la tête tournée vers le paysage qui
défile.
Pas envie de me faire chier avec la politesse, elle ne doit même pas connaître
ce mot. La mégère nous regarde enfin et pose son magazine.
Eh ben, si on me dit que cet hôtel accueille plus de cinq cents clients par an,
moi je suis puceau.
– Simple.
– Quel nom ?
Merde, je n’avais pas pensé à ça. Hors de question de donner nos vraies
identités.
– Smith.
Elle continue de nous scruter avec suspicion avant de hausser les épaules et de
taper sur son ordinateur. Après avoir payé en liquide, j’aide Evy à monter, une
main autour de ses épaules, l’autre tenant la valise. Les marches de l’escalier
craquent sous nos pas. La chambre est désuète et pas très propre. Si elle était en
état de le faire, je suis persuadé qu’Evy aurait déjà enfilé des gants de ménage.
Mais elle est tellement chamboulée qu’elle ne remarque rien, je crois. Je la pose
sur le lit qui grince bruyamment avant de lui donner un verre d’eau qu’elle boit
d’une traite.
– J’ai… besoin d’une douche, dit-elle en se levant pour aller fouiller dans sa
valise.
Je m’allonge sur le matelas, un bras sur mes yeux. Je devrais partir tout de
suite, pendant qu’elle est occupée.
Je me rends compte que je ne connais même pas cette femme. Je lui fais
l’amour, je l’aime comme un dingue mais je ne sais absolument rien d’elle, si ce
n’est qu’elle est orpheline et que, petite, elle se chamaillait avec son frère jumeau
pour la télécommande. J’ignore tout d’elle.
J’ai longtemps refoulé ce qui pour moi était inconnu alors que pour elle,
c’était évident.
Elle est le soleil illuminant les ténèbres qui envahissaient ma vie depuis bien
trop longtemps.
Il y a encore trois mois, j’étais persuadé que ce que je faisais était normal.
Légitime. J’obéissais tel un soldat, sans me rendre compte qu’en réalité j’étais un
psychopathe criminel. J’étais une ombre, un fantôme. J’existais sans exister.
Pourquoi mon père nous a-t-il élevés ainsi ? Pourquoi ai-je soudain l’impression
d’avoir vécu une vie qui n’était pas la mienne ? Que vais-je faire ensuite ? Car il
est évident que je ne peux pas rester près d’elle. Je suis bien trop impliqué dans
des affaires de meurtres pour risquer de la faire chuter avec moi.
Je l’aime, putain.
Mais elle mérite tellement mieux. Un gars qui aurait un casier vierge, une
bonne situation. Un gars qui l’aimerait comme elle est malgré sa ténacité
pouvant parfois mettre nos nerfs à rude épreuve et sa tendance à toujours
nettoyer derrière nous. Je ricane. Quand j’y pense, elle m’a plus d’une fois donné
l’envie de l’étrangler à force de me tenir tête comme elle l’a fait. Personne ne s’y
était risqué jusqu’à présent. Ce qui prouve bien que cette fille est spéciale. L’idée
qu’un autre puisse l’embrasser, toucher les zones de son corps que j’ai déjà eu la
chance d’explorer… Ça me met les nerfs à vif et je serre les poings.
Comment doit-on faire lorsqu’on est amoureux d’une personne mais que l’on
est incapable de lui donner ce qu’elle mérite ? Je n’y comprends pas grand-
chose, je suis novice dans ce domaine. Je n’ai jamais eu à m’attacher à qui que
ce soit parce qu’aucune des personnes que j’avais rencontrées jusqu’alors n’en
valait la peine.
Elle m’a littéralement envoûté. Elle m’a amené au bord du précipice… et j’ai
plongé.
Elle a blanchi la noirceur de mon cœur, le rendant plus beau, plus étincelant,
et elle y a construit son petit nid douillet sans vraiment me laisser le choix.
Je n’y crois pas, me voilà en train de parler comme une gonzesse. Mais bon
sang, je n’arrive plus à contrôler les émotions qui me submergent, m’inondent.
Je l’aime. Et je ne veux que son bonheur. Mais il y a une grande marge entre
vouloir et pouvoir. Un fossé insurmontable. Ma belle est comme enfermée dans
une tour et je ne sais même pas si je suis le prince charmant venu la délivrer…
ou la bête qui la garde prisonnière.
Le tueur en moi existe encore. Il est toujours là. Caché dans l’ombre, mais
encore présent. Et il se manifeste davantage, s’alimentant des images de Duncan
sur Evy afin d’augmenter ma soif de vengeance et de sang. Je ne pense pas
pouvoir le faire disparaître un jour.
Je ne peux l’annihiler.
Sans souffrance.
Sans peur.
Sans moi.
C’est le mieux à faire. Je ne peux pas lui promettre de devenir un gars normal
alors que je suis loin d’en être un. Malgré mes efforts, je ne pourrai jamais
changer, je le sais.
Elle secoue la tête en me serrant un peu plus fort, comme si elle savait que
j’allais devoir partir. La nuit poursuit son chemin. Ni elle ni moi ne parlons,
laissant le silence dire les choses. À mon insu, mes doigts viennent caresser la
peau douce du bras d’Evy. Elle frissonne et relève la tête pour chercher mes
lèvres. Lorsque nos bouches se rejoignent enfin, Evy se redresse sans rompre le
baiser et se pose à califourchon sur moi tandis que sa langue s’introduit dans ma
bouche. Ses mains fourragent dans mes cheveux. J’ai posé les miennes sur ses
hanches, ne sachant pas trop quoi en faire. Est-ce que je dois lui empoigner le
cul ? Est-elle prête pour ça après ce qu’elle vient de vivre ? Elle répond à ma
question en pressant son corps contre le mien qui commence à se tendre au
niveau de mon boxer.
– Tu es sûre ?
Elle ne veut que moi. Cela va rendre notre séparation plus difficile que je ne
le croyais. Mais, en même temps, je me sens… flatté ? En tout cas, cette
confidence me fait sourire. Alors je me rue sur ma belle, la basculant sous moi
afin de lui faire l’amour doucement et tendrement. Comme elle le mérite.
***
Evy dort paisiblement, son corps nu et chaud blotti contre le mien. Mes doigts
caressent ses cheveux d’un geste tendre. Même si cette nouvelle couleur lui va
bien, le blond me manque. C’est le moment de prendre la tangente, mais je
n’arrive pas à me résigner à me lever. Je n’ai aucune envie de la quitter. Surtout
après ce qu’elle vient de me dire. Putain, jamais personne ne m’avait dit qu’il
m’aimait. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle le fasse. Pas elle. Pas après tout ce
que je lui ai fait endurer. Elle m’a complètement fait chavirer. Si au début je
détestais celui qu’elle m’a fait devenir, aujourd’hui, la donne a changé. J’ai
l’impression de savoir enfin qui je suis. D’être dans un corps qui m’appartient
réellement et ne plus avoir cette sensation de vide en moi, de noirceur constante.
Je me sens bien. Grâce à elle.
Mais pour sa protection, nos chemins doivent se séparer. Elle doit mener sa
nouvelle vie. Quant à moi, je ne sais pas trop où je vais aller ni ce qui m’attend à
mon retour, mais une chose est sûre, je vais faire un détour chez Duncan. C’est
ce qui me motive à bouger. Je m’habille, écris un mot à Evy et lui laisse assez de
liquide pour lui permettre de tenir un moment. Puis je dépose un baiser long
mais non moins douloureux sur son front avant de filer.
Duncan, j’espère pour toi que tu as fait le plein d’énergie parce que moi, je
suis remonté à bloc.
22
Ryder
Je mets mon super maillot des Red Sox que papa m’a offert pour mes
5 ans. Je suis trop content. Aujourd’hui, il a décidé de ne pas aller
travailler. D’habitude, il travaille toujours dans son bureau. C’est un
homme important, mon papa. Il dit que lui et ses copains aident à
protéger le monde des méchants. Il adore le base-ball et moi aussi. Et
il m’emmène à mon premier match pour soutenir mon équipe préférée. J’ai
pas dormi tout de suite hier, parce que j’avais peur qu’il ne tienne pas
sa promesse. Des fois, papa me promet des trucs et après il change
d’avis à cause de son boulot. Mais aujourd’hui, il a tenu sa promesse.
Je descends les marches très vite et saute dans ses bras en bas. Il me
fait tourner et je ris. J’adore mon papa même si je lui dis que je le
déteste, parfois, à cause des promesses pas tenues. Mais au fond, je ne
le pense pas. J’aime mes parents plus haut que le ciel. Maman est dans
la cuisine en train de préparer le petit déjeuner. Je lui fais un câlin
et embrasse son ventre rond comme une citrouille d’Halloween. Papa le
fait souvent. Parce que, si j’ai bien compris, ma petite sœur grandit à
l’intérieur. Je ne sais pas trop comment elle s’est retrouvée là-dedans
ni comment elle va en sortir, mais maman m’assure qu’elle sera bientôt
là, dans une semaine. Je ne sais pas non plus combien de temps ça fait,
une semaine, mais tant que c’est bientôt, alors je suis content. Je
m’assois à table et elle m’apporte des pancakes à la banane, mes
préférés.
Maman lui donne un coup de torchon sur l’épaule et papa rit encore.
Elle est super belle, ma maman, avec ses cheveux de la même couleur
que le feu. Ils sont très longs et j’adore les coiffer. Ils sont
tellement doux que je m’endors dessus le soir quand elle me lit mon
histoire. Elle sent la vanille, maman, tout le temps. J’ai les mêmes
yeux qu’elle, marron. Mais j’ai les mêmes cheveux noirs que papa. Lui,
il n’est pas aussi beau que maman, mais c’est normal, je pense. Les
filles sont plus belles que les garçons. Il est grand, et ça, c’est
super pour faire peur aux méchants. Il dit qu’il va changer le monde
pour le rendre plus beau et plus… en paix, ou quelque chose comme ça, je
n’ai pas trop compris. En tout cas, mon papa, c’est un héros.
– Ceinture, champion ?
– Attachée, mon capitaine ! réponds-je avec excitation.
Papa démarre et klaxonne à maman qui nous fait des signes de la main.
Sur le trajet jusqu’au stade, papa et moi chantons, parlons de nos
joueurs préférés, rions à ses blagues et je gigote de plus en plus à
mesure que nous approchons de mon rêve.
– Ce n’est pas moi qui l’ai fait, mon garçon, me répond le monsieur.
C’est mère Nature.
– Mère Nature ?
– Oui, c’est elle qui décide qui doit être noir ou blanc.
– Ah, d’accord ! m’exclamé-je. Ça va, elle ne t’a pas fait trop
moche.
– Waaah, je suis super content, papa, merci, merci, merci !!! crié-je
en lui sautant au cou. Je t’aime, papa !
– Je t’aime aussi, mon fils.
***
Je ferme les yeux pour tenter de me souvenir. Mais c’est tout noir.
Je ne sais plus rien. Je secoue encore la tête.
Evy
Pas moi.
Parce qu’il m’a sauvé la vie à maintes reprises et que je lui serai éternellement
reconnaissante. Sans doute l’a-t-il fait pour se dédouaner de ses actes de torture,
mais je ne sais pas, mon intuition me dit que c’est beaucoup plus que cela. Je me
trompe peut-être, j’ai un peu perdu les pédales, je crois. Je dois cesser de me
morfondre. Il est parti, c’était à prévoir, il ne m’a jamais rien promis et il m’offre
ma liberté. L’opportunité de vivre une nouvelle vie, loin de Duncan, de son père.
De lui.
Le taxi se gare devant mon immeuble et l’anxiété s’accroît en moi. J’ai peur
de retrouver mon appartement. De refaire face à la Evy d’avant. Cela fait à peine
quelques heures et Ryder me manque déjà. Est-il possible d’être en manque de
quelqu’un au point de ne plus vouloir rentrer chez soi ? Ces trois mois de
captivité auront eu raison de mon pauvre cerveau. Je me rends compte que je ne
peux pas rentrer chez moi, car toutes les affaires personnelles que j’avais en ma
possession lors de mon enlèvement ont été détruites par Ryder.
***
Nous sommes assises autour de la table du salon, un café fumant entre les
mains. La déco de l’appartement a été refaite, mais ma chambre est restée
intacte, comme si elle savait que j’allais finir par me repointer. J’ai pourtant
l’impression d’être une étrangère dans ma propre vie.
– Il m’a sauvée, Lydia, lui assuré-je. Il a peut-être mal agi au début, mais
comme je te l’ai expliqué, il ne fait qu’obéir à des ordres, il a été élevé ainsi. J’ai
réussi à le faire changer et c’est grâce à lui que je suis ici pour te parler
aujourd’hui.
Je suis consciente qu’évoquer mon enlèvement avec Lydia est risqué. Mais je
ne peux plus garder ça pour moi. Il faut que j’en parle à quelqu’un. Et ma
meilleure amie est la seule en qui j’aie réellement confiance.
– Je comprends, mais avoue que c’est quand même glauque comme histoire.
Tu as subi le syndrome de Stockholm, reste à savoir si c’est une bonne chose ou
pas…
– Que veux-tu dire par là ?
– Et si ce n’était qu’un test pour voir si tu vas tout déballer à la police et qu’en
réalité, il t’a dans son viseur en ce moment même ?
Elle accentue sa question en regardant à travers la fenêtre. Je ne l’imite pas,
car je sais que Ryder ne ferait jamais ça.
– Tu te trompes sur lui, dis-je avec un peu d’amertume dans la voix. Il ne veut
plus tuer.
– Il te l’a dit ?
– Non, mais je l’ai lu dans ses yeux.
– Tu ne crois pas que ton amour pour la psychologie te fait voir des choses
qui ne sont pas forcément vraies ?
Si elle savait à quel point la psychologie n’a rien à voir là-dedans. Je l’ai vu
parce que je connais Ryder. Parce que je l’aime comme je n’ai jamais aimé
personne. Plus que David. Mon Dieu, tellement plus que ce crétin !
Quand j’ai dit que je lui ai tout raconté sans rien épargner, j’ai peut-être
« oublié » quelques détails, en fait… Je la fixe et mon silence parle pour moi. La
bouche pulpeuse et enduite de rouge de Lydia forme un O parfait et ses yeux
s’agrandissent.
– Alors là, tu t’es foutue dans une sacrée merde, ma pauvre. Comment vas-tu
expliquer ça aux flics ? Parce qu’il peut y avoir conflit d’intérêts et ton
témoignage peut perdre de sa crédibilité, surtout si son avo…
– Je ne compte pas témoigner contre Ryder, la coupé-je et ça a le don de lui
clouer le bec. Je suis amoureuse de lui, Lydia.
– Mais qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dans cette foutue clé ? murmure-t-elle
tandis que je fais tourner distraitement ma cuillère dans ma tasse.
Je ne peux retenir mes larmes devant les tombes de mes parents et de mon
frère. Cela fait quatre mois que je n’ai pas remis les pieds ici et j’ai l’impression
que ça fait une éternité. Ils me manquent terriblement. Un vide s’est creusé en
moi quand j’ai compris que, désormais, je devrais avancer seule. Et maintenant,
en plus de l’absence de Ryder, c’est devenu carrément un gouffre intersidéral. Je
me sens perdue au fond de ce néant. J’ai l’impression que le pire peut m’arriver
à tout moment, encore plus qu’auparavant. Cette impression d’être constamment
surveillée ne me quitte pas et je ne cesse de scruter les environs partout où je
passe, bien que la capuche du sweat-shirt de Ryder me garde à l’abri des regards
indiscrets. Je caresse le marbre froid des stèles avec une certaine émotion, puis je
m’accroupis devant celle de Jared. Mon grand frère. Ma moitié. Je ratisse un peu
la terre jusqu’à toucher la petite boîte à bijoux qu’il m’avait offerte pour mes
14 ans. À l’époque, j’étais un véritable garçon manqué et il savait très bien que
je détestais tout ce qui était rose, strass, paillettes, bijoux et maquillage. Mais il
m’avait quand même offert cette boîte pour me taquiner. Je l’avais laissée
longtemps au fond de mon armoire à prendre la poussière. Je la prends et
l’ouvre. Le pendentif de maman en forme de coccinelle est toujours là,
renfermant ma clé de survie. La chose pour laquelle Jared a donné sa vie et pour
laquelle j’étais prête à faire de même. Mais ce qui me surprend le plus, c’est le
petit mot griffonné sur un morceau de papier. Un ticket de caisse, pour être
exacte, où il est écrit :
– Comment ça ?
– Ils me croient morte. Ils savent où on habite. On doit partir, toi et moi. On
pourrait trouver refuge dans la maison de campagne de tes parents ? Tu sais,
celle qui est coupée du monde. Nous pourrions nous cacher là-bas en attendant
que l’affaire se tasse.
– Et comment va-t-on faire pour nos études, notre vie ?
Je m’assois sur le sofa et attrape mon ordinateur posé sur la table basse. Je
l’ouvre et tombe sur mon mémoire. Un sentiment d’échec s’empare de moi. Je
dois changer de vie. Ce qui veut dire que je peux dire adieu à mon master en
psychothérapie. Je reviens à la réalité et insère la clé USB dans le port prévu à
cet effet. S’affichent alors une centaine de dossiers. Tous comportent des noms et
des prénoms ainsi que des numéros de matricule. De plus en plus curieuse, je
clique sur certains dossiers et tombe sur des fiches d’état civil. Les photos
montrent des jeunes enfants âgés d’à peine 5 ans. Je fais descendre ma souris
jusqu’à un dossier particulièrement bouleversant. Il est intitulé « Darryl
Merten » : mon père. D’une main fébrile, je clique. Au fur et à mesure de ma
lecture, je me décompose.
Ryder
Je fais tourner les glaçons dans mon verre de whisky, complètement paumé
dans mes pensées. Je pense à Duncan que j’ai littéralement défiguré il y a dix
jours. Je l’ai trouvé à l’intérieur d’un entrepôt désaffecté transformé en squat
pour dealers et autres vermines addicts aux piquouses. Je l’ai frappé jusqu’à ce
que mes doigts n’en puissent plus. Le monstre en moi était comme un gamin le
matin de Noël. Les junkies à côté étaient beaucoup trop défoncés pour faire quoi
que ce soit, je me demande même s’ils ont remarqué la bagarre, d’ailleurs, tant
ils étaient perchés. Alors qu’il était à moitié conscient, je l’ai traîné jusqu’à ma
bagnole et l’ai foutu dans le coffre avant de l’emmener dans la forêt. Dans la
cabane abandonnée où j’ai fait vivre les premiers jours d’enfer à Evangeline et
qui a été épargnée par l’incendie deux mois plus tôt. Il me répétait sans cesse que
j’allais le regretter, que ma « petite pute » allait crever. Il fallait que je m’assure
qu’il ne divulgue mon secret à personne. Jamais. Je devais mettre Evy en
sécurité coûte que coûte. Je n’ai absolument rien ressenti en le ligotant à la
chaîne. Si ce n’est de la haine.
Il a fallu qu’il pose ses sales pattes sur elle pour que je ne puisse plus rien
contrôler. Pour que je me retourne contre ma propre famille.
Mon cœur pulsait dans ma poitrine et je craignais pour la survie de mes dents
tellement mes mâchoires étaient serrées. Duncan a tenté de me mettre un coup de
tête, mais je l’ai évité et ai riposté avec une droite.
– Elle t’a envoûté avec son chant de sirène, hein, Ulysse ? Elle t’a murmuré
des mots après avoir ouvert ses cuisses et te voilà plongé dans le côté obscur ?
Mais je ne pense pas m’être perdu en chemin, comme il me l’a dit. Je crois, au
contraire, que j’étais sur la mauvaise voie depuis le début et qu’Evy m’a fait
retrouver le bon chemin. Elle m’a servi de boussole. Je tape du poing sur le
comptoir. Evy ne devrait pas être dans ma tête. Je l’ai libérée, elle a changé
d’identité et a quitté la ville, d’après mon pote Asher. Il m’a prévenu dès qu’elle
a posé son joli cul sur la chaise de son bureau. Lui aussi a été charmé par cette
bombe, mais je l’ai tout de suite calmé.
Je ne devrais pas non plus me soucier d’elle. Et pourtant, il n’y a pas une
seule seconde depuis dix jours où je ne me suis pas demandé où elle était et ce
qu’elle pouvait bien faire en ce moment même. J’ai pensé à la prendre en
filature, mais ce serait trop risqué, tant pour elle que pour moi.
Mon père est rentré hier et a demandé à me voir, notamment pour savoir si
j’ai croisé Duncan ces derniers temps. Je suis encore étonné de la facilité avec
laquelle j’ai réussi à lui mentir. Encore.
Je n’ai pas encore trouvé la raison pour laquelle je n’ai pas pris cette foutue
boîte. J’ai compris où elle était cachée lorsqu’elle a parlé de ses parents et de son
frère morts. J’ai fait le rapprochement juste avant de la quitter. Je suis tout de
suite allé au cimetière après avoir abandonné Duncan. Un sentiment de curiosité
m’a envahi quand j’ai vu la clé. Une partie de moi voulait savoir ce qu’il y avait
dedans pour que ça vaille la mort de Jared et de sa sœur. Mais ma relation intime
avec Evangeline m’a déjà bien mis dans la merde, inutile de m’enfoncer. Alors
je l’ai reposée, non sans y laisser une trace. Je lui ai promis que je la
retrouverais. Mais je ne pense pas être capable de tenir cette promesse, car mon
père m’a redonné une mission. À la fin de la semaine, je devrai tuer un homme.
Je vais devoir faire ressurgir le meurtrier en moi, anéantissant ainsi tous les
efforts d’Evy pour me faire devenir quelqu’un de moins dangereux. Je me noie
dans l’alcool et commande un autre verre.
Adrianna n’aime pas les gens. Elle ne sort qu’en cas de mission. C’est plutôt
incroyable de la trouver là, car la Maison se situe à quelques kilomètres d’ici. Je
pense qu’elle tient cette antipathie quasi universelle du traumatisme d’avoir été
abandonnée dans la rue, seule, frigorifiée et mourant de faim. Elle était peut-être
toute petite et ne se souvient pas de cette période-là, mais le subconscient, lui,
revit cela chaque jour.
– Il l’avait cherché.
– Pourquoi ? insiste-t-elle.
– Et toi, pourquoi as-tu fait autant de kilomètres à pied en pleine nuit alors
que tu n’étais jamais sortie ?
– Qui te dit que j’étais à pied ? sourit-elle diaboliquement. Un mec en camion
a bien voulu m’amener. Mais j’ai dû lui trancher la gorge après qu’il a tenté de
me forcer à lui faire une pipe. Je déteste que l’on m’oblige à faire des choses que
je ne veux pas.
N’ayant pas l’habitude de foutre le nez dehors, Adi en oublie que nous
sommes dans un lieu public rempli de monde, aussi je jette un œil alentour pour
m’assurer que personne ne l’a entendue. Puis je secoue la tête en levant les yeux
au ciel. Cette fille est imprévisible. Tout comme… Non ! Il faut que j’arrête de
penser à elle.
Tout dépend de qui te fait ressentir des émotions, pensé-je, et aussitôt, son
visage d’ange et ses yeux bleu océan refont surface dans mon esprit. Il faut que
je me rende à l’évidence : elle est ancrée là-dedans et elle n’en sortira jamais.
Elle se contente de hausser les épaules avant de vider son verre de presque la
moitié de son contenu.
– Ce sont eux qui me l’ont dit, j’ai simplement indiqué le nom du bar au
chauffeur avant de le buter.
– Dis toujours.
– Est-ce que tu as déjà ressenti des émotions ? Ne serait-ce qu’une once de
sentiment ?
On tue des gens sans savoir s’ils sont innocents ou pas. J’ai failli tuer une
fille qui ne le méritait pas, tout ça pour obéir aux ordres.
– Oublie, je n’ai plus les idées très claires, je dois être à mon vingtième verre,
fais-je finalement.
Elle me suit.
Nous sortons du bar. Il fait nuit noire, les rues sont désertes et l’air s’est
rafraîchi à l’approche de l’hiver. Je retire ma veste pour la poser sur les épaules
de ma sœur. Elle me regarde en levant un sourcil et je me rends compte que je
viens de faire preuve de sollicitude à son égard. Je décide de me justifier.
Elle me regarde d’un air déterminé et me pousse sur le canapé. Sans trop
savoir pourquoi, je me laisse tomber. Elle s’assied à califourchon sur moi avant
de déchirer sauvagement mon T-shirt.
– On sait tous les deux que nous ne sommes pas frère et sœur, dit-elle. On n’a
pas le même sang, on ne fait rien de mal.
Adrianna a toujours été droite dans ses bottes. Cela m’étonne qu’elle soit si
spontanée et sauvageonne. Moi qui la voyais comme un ange, la voilà en train de
se transformer en véritable diablesse. Une partie de moi voudrait répondre à ses
caresses et ses baisers. Mais une autre reste campée sur ses positions : elle est
comme ma sœur. Et puis… il y a Evy.
– Je t’ai menti, tout à l’heure, avoue-t-elle en faisant descendre sa main
dangereusement vers la ceinture de mon jean. J’ai déjà ressenti une émotion. Je
la ressens en ce moment même. Je te désire, Ryder. J’ai envie de toi chaque fois
que je te vois et ça en devient obsessionnel.
Ses baisers sont divins. Pas aussi parfaits que ceux d’Evangeline, mais je ne
peux m’empêcher de les aimer. Je commence à perdre mon self-control et mes
mains finissent par se poser sur ses hanches fines et étroites. Je sais
pertinemment que je ne devrais pas. Je ne veux pas. Mais je souffre tellement
que je suis prêt à faire n’importe quoi pour parvenir à l’oublier. Sentant sans
doute que je capitule, Adrianna se redresse et enlève sa première couche de
vêtements. La voilà en simple soutien-gorge et shorty en dentelle. Sa jupe
recouvrait un porte-jarretelles. Je déglutis et mon corps se tend davantage. Je ne
peux pas le nier, elle est sacrément bandante. Je commence vraiment à être à
l’étroit dans ce foutu froc. Elle se remet sur moi pour continuer à m’allumer.
Son corps de déesse ajouté à l’alcool que j’ai ingurgité et qui circule dans
mon sang… je sombre de plus en plus dans la tentation…
25
Evy
Meghan Parker. Voilà mon nouveau nom officiel. Au début, je n’étais pas très
encline à changer d’identité. Mais ça, c’était avant que je ne découvre le contenu
de la clé USB. Putain, j’en fais encore des cauchemars depuis une semaine. Mon
père n’a jamais été un flic corrompu. C’était une couverture. Il faisait partie de la
NSA et il était en mission d’infiltration au sein d’un groupe de trafic d’enfants
lorsqu’il a été tué. Je n’ai pas eu le courage de savoir quel était le rapport entre
mon père et celui de Ryder.
Je n’arrive toujours pas à y croire. Jared avait raison. Nos parents ne sont pas
morts accidentellement. Quelqu’un a saboté les freins de la voiture.
Ils ont été assassinés. Jared a été le suivant, et la prochaine sur la liste, c’est
moi. D’un côté, j’ai envie de rouvrir mon ordinateur et de parcourir le reste des
dossiers. Quand j’ai lu celui de mon père, j’ai été si choquée et bouleversée que
j’ai refermé l’ordinateur en me jurant de ne jamais relire ce qu’il y avait sur cette
foutue clé. J’ai peur de ce que je pourrais découvrir d’autre. Mais aujourd’hui,
j’ai laissé passer une semaine et me voilà face à un cruel dilemme : soit je me
fais tuer sans savoir davantage pourquoi, soit je meurs en ayant toutes les
réponses. Dans tous les cas, je sais que je ne serai en sécurité nulle part. Ils
savaient déjà qui j’étais et ce que je faisais de mes journées. Il ne leur faudrait
pas beaucoup de temps pour comprendre que je suis encore en vie. J’espère
toutefois que Lydia avait tort et que je peux faire confiance à Ryder.
Je cherche aussi Ryder. Je ne fais pas que surveiller mes arrières. Je regarde
s’il est toujours là, à l’affût. Mais je ne le vois jamais. Et mon cœur se brise un
peu plus chaque fois.
La seule chose positive dans tout ce merdier, c’est que j’ai perdu
pratiquement six kilos. Je suis contente, moi qui me croyais condamnée à jamais
à porter du quarante-quatre, je suis maintenant forcée d’attacher mes jeans
préférés avec une ceinture. C’est un mal pour un bien, j’ai envie de dire. D’un
côté, je suis triste de cet amaigrissement parce que la raison n’en est pas
seulement mon angoisse de mourir. C’est surtout à cause de Ryder. Je ne mange
plus depuis qu’il est parti. J’ai le ventre noué à l’idée de devoir me passer de lui
jour et nuit, en me demandant s’il est redevenu celui d’avant ou si mes efforts
ont porté leurs fruits. S’il est encore en vie, aussi, qui sait. Il est peut-être un
tueur capable de se défendre, mais je n’ignore pas qu’il a une foule d’ennemis
qui veulent sa peau. Je m’inquiète énormément pour lui. Et bien que je sache que
l’on ne se reverra plus jamais, je n’arrive pas à annihiler les sentiments que
j’éprouve toujours pour lui. Je ne peux pas lui en vouloir de m’avoir libérée, il
l’a fait pour me protéger. J’aimerais pouvoir faire machine arrière, retourner
dans cette foutue chambre et l’empêcher de partir. L’aveu que je lui ai fait était si
vif et spontané que je ne suis pas sûre qu’il l’ait vraiment pris au sérieux. Ou
qu’il l’ait entendu, d’ailleurs. Je regrette et, désormais, les seules choses qu’il me
reste de lui, ce sont ce petit mot que j’ai trouvé dans la boîte et ces cicatrices
qu’il m’a infligées sur les bras, la poitrine, le ventre et les cuisses.
Pour certains, elles représenteraient les souvenirs d’un calvaire sans fin. Pour
moi, ces balafres sont les premiers témoins de ce qui aurait pu être ma plus belle
histoire d’amour.
26
Ryder
– Ryder.
– Salut, fiston. Tu es prêt pour demain ?
Je fronce les sourcils, étonné que mon père me dise ça. D’habitude il ne
m’appelle jamais pour me demander ce genre de choses, il se contente de me
filer le boulot, point.
– Euh, ouais. Comme d’habitude.
Depuis que je lui ai menti à propos d’Evy, j’ai un mal fou à lui parler sans
éprouver des remords. Alors c’est ça que l’on ressent quand on ment à quelqu’un
qu’on ne veut jamais décevoir ? Pourquoi n’ai-je tout simplement pas fait mon
boulot ? Rien ni personne ne m’avait arrêté jusque-là. Il lui a fallu quelques mots
et ses gros nichons pour me faire flancher. J’espère qu’elle se fait assez discrète
pour ne pas se faire repérer, sinon je risque de m’en mordre les doigts. Et elle
risque fort de perdre la boule, au sens propre du terme.
Je me rends soudain compte que je n’ai rien écouté de ce que mon père vient
de me dire. Saleté de bonne femme.
– Oui, papa ?
– Pourrais-tu passer un moment à la Maison demain matin ?
– J’allais justement venir entraîner les nouvelles recrues.
– Je ne suis pas là aujourd’hui. Tu sais que tu es mon meilleur homme, fiston.
Ne me déçois pas.
– Non, pas ces derniers temps. Tu le connais, il est sûrement en train de cuver
dans un squat quelque part dans la ville.
– Mouais, ce n’est pas vraiment son genre de ne pas répondre au téléphone,
surtout quand c’est papa qui l’appelle.
– Ryder, attends !
– Je m’excuse pour l’autre soir, dit-elle. Je n’étais pas dans mon état normal.
Je la fixe dans les yeux et les souvenirs d’elle et moi sur ce putain de canapé
refont surface.
Elle hoche la tête. Je lui dépose un baiser sur le front – je m’en tape que ce
soit un signe d’émotion, je n’ai plus rien à perdre.
Je suis en colère contre ma sœur, aussi. Elle n’avait pas à faire ce qu’elle a
fait. Heureusement que j’ai eu assez de lucidité pour la repousser au lieu de faire
la pire connerie de ma vie. J’aime cette fille. Je donnerais ma vie pour elle. Mais
c’est un amour fraternel et rien d’autre. Dans ma grande famille, on est là les uns
pour les autres et on éprouve une véritable vénération pour notre père, mais on
ne le montre pas.
J’ai un besoin vital de la voir. Ne serait-ce que pour vérifier qu’elle va bien,
qu’elle ne manque de rien.
***
Je ne sais absolument pas ce que je fous ici. Enfin si, je le sais, mais quelque
chose me dit que c’est une grosse connerie. Cela doit bien faire une plombe ou
deux que je suis garé devant le petit studio qui lui sert de planque. Je reconnais
ce quartier pour y avoir vécu quelques mois. Il y a des années, Duncan et moi
avons exceptionnellement été envoyés en mission ensemble. Je n’étais pas
d’accord, au début, car je me la joue toujours seul. Mais j’ai fini par accepter.
Grossière erreur. L’impulsivité et la stupidité de mon crétin de frère nous ont
presque valu l’arrestation. Ce con nous a fait repérer par les gardes du corps du
mec, il a voulu jouer les gros bras. J’ai quand même réussi à descendre la cible,
mais, au moment de repartir, ça a fini en fusillade et Duncan a tiré alors qu’un
gamin traversait la rue, paniqué. La balle l’a tué direct. Du coup, tout le quartier
a été alerté et on a échappé aux flics de justesse. Après que mon père a donné un
avertissement à Duncan sur sa façon d’agir – mon frère en porte encore la
cicatrice sur son visage –, il nous a fait cacher dans le studio qu’Evy occupe
actuellement. J’aurais pu la faire partir à l’autre bout du pays, mais mon père
l’aurait retrouvée en moins de deux. Alors que là, qui soupçonnerait qu’un
témoin se trouve dans l’un de ses propres appartements ? Parfois, au lieu de
dissimuler quelque chose loin du regard de l’adversaire, il vaut mieux le mettre
justement sous son nez. C’est risqué mais jusque-là, mon père n’y a pas pensé
puisqu’elle est encore là.
Oh, et puis merde, je n’ai pas fait tous ces putains de kilomètres pour repartir
sans un regard d’elle. Je sors de ma voiture et me dirige vers le portail de la
résidence. Je connais encore le code par cœur, le tape et la grande porte s’ouvre.
J’entre dans l’immeuble après avoir traversé la petite cour et monte l’escalier en
colimaçon jusqu’au quatrième étage.
À l’époque, papa avait bien veillé à ce que l’on soit à l’abri tout en étant à
même de se casser vite fait si on se faisait surprendre. C’est pour ça qu’il n’y a
pas d’ascenseur et que la fenêtre de la seule chambre donne sur le toit d’un
porche permettant de descendre très vite si nécessaire.
Mais Evy ne réagit pas, comme si elle ne croyait pas ce qu’elle voyait.
Là, tout de suite, maintenant – et Evy le voit parfaitement dans mes yeux -,
j’ai envie de tuer ce mec. J’ai envie de le tabasser, l’étriper, le démembrer et le
donner à bouffer aux clébards errants dans la rue.
27
Evy
Je reste interdite face à la situation. Voilà deux hommes que j’aurais cru ne
jamais revoir un jour, et en même temps, qui plus est. D’un côté, David, qui m’a
trompée juste avant ce qui aurait dû être le plus beau jour de ma vie. Et de
l’autre, Ryder, ce tortionnaire au visage froid mais qui s’est avéré être un amant
d’exception. Les deux seuls que j’aie jamais aimés profondément. Je ne sais pas
depuis combien de temps je reste figée là, mais eux, en tout cas, se regardent en
chiens de faïence et aucun n’a l’air décidé à détourner les yeux. C’est à celui qui
abdiquera le premier. Je fixe Ryder. La mâchoire et les poings serrés, les traits
durcis et le regard, si noir que j’en ai des frissons, rivé sur David, je ne sais pas
quoi faire. Je comprends que ses pulsions meurtrières sont en train de refaire
surface. Il faut que j’agisse, et vite, pour éviter qu’il ne fasse une connerie. Mais
avant que je puisse intervenir, le poing de Ryder vient brutalement s’écraser sur
le nez de David qui recule de deux bons mètres en titubant.
– Quoi, tu ne supportes pas que l’on touche à tes jouets ? ricane David et je
sens déjà le monstre en Ryder sortir de l’ombre. Figure-toi que j’ai été le premier
à jouer avec.
Là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ryder, rouge de colère,
s’apprête à bondir sur David et, sachant que je n’arriverai pas à l’arrêter et qu’il
le tuerait, j’opte pour la solution la plus facile. Je pousse mon ex – qui a eu
l’inconscience de se rapprocher – de toutes mes forces à l’intérieur de
l’appartement et ferme la porte. Pris dans son élan, Ryder se retrouve désormais
presque contre moi. Ses prunelles ocre ne sont plus que deux billes noires
enragées et prêtes à tuer. La peur s’empare de moi. Ryder l’assassin a ressurgi en
un tour de main. Mais je n’ai pas peur pour moi, bizarrement. C’est la vie de
David qui m’inquiète. Je prie pour qu’il reste derrière la porte et qu’il se calme.
– Tu ne me connais pas.
– Assez pour savoir que tu es ici parce que je te manque.
Il remet une mèche rebelle derrière mon oreille. Son contact m’électrise de la
nuque jusqu’en bas du dos. Ça faisait si longtemps que je n’avais pas ressenti
ça…
Je me mets sur la pointe des pieds et lui dépose un baiser chaste sur la bouche.
Juste assez timide pour lui donner envie d’en avoir davantage. Et ça fonctionne,
car il attrape ma nuque et m’embrasse férocement. Mon cœur part au quart de
tour et je m’accroche à lui comme si ma vie en dépendait. Sa langue se fraie un
passage pour trouver la mienne. Elle est sauvage, possessive. Il me dévore et j’en
demande plus. Nos corps se moulent parfaitement l’un à l’autre, comme s’ils
étaient faits pour ne former qu’une seule et même personne.
Ses mains descendent le long de mon dos pour s’emparer avidement de mes
fesses un peu moins rondes.
J’ouvre la bouche pour enfin lui avouer ce que je ressens en bonne et due
forme, mais je suis interrompue par un raclement de gorge derrière moi. C’est
David. Je l’avais complètement oublié. Il a une belle marque au niveau du nez
mais ça n’a pas l’air cassé. Ryder se raidit à la vue de mon ex et s’avance d’un
pas vers lui. David recule instinctivement et je plaque une main sur le torse de
Ryder. Celui-ci ne quitte pas l’avocat des yeux.
– J’y vais, Evy, Kate m’attend. Je t’appelle.
Bizarrement, depuis que Ryder est arrivé dans ma vie, je ne ressens plus
aucune rancœur vis-à-vis du couple David/Kate auquel je souhaitais le pire
depuis presque un an.
J’acquiesce et il s’en va. À côté de moi, je sens Ryder encore plus tendu, si
cela est encore possible.
Du bout des doigts, je lui fais pivoter la tête vers moi et le fixe dans les yeux.
– Je ne vais pas me comporter en crevard, parce que tu mérites mieux que ça,
Evy, souffle-t-il. Alors je vais te préparer un merveilleux repas, nous allons
éventuellement regarder un film ensemble et, après, seulement après, je te ferai
l’amour comme il se doit.
Je suis ébahie face à ce nouveau comportement, mais je n’en reste pas moins
heureuse qu’il prenne ce genre d’initiative.
Même si l’on ne sort pas, de peur de nous faire repérer, je décide de me mettre
sur mon trente-et-un et opte pour une robe sobre mais élégante laissant mon dos
nu. À en croire son expression faciale, il est charmé et doit sûrement se faire
violence pour ne pas me sauter dessus. Penché sur le plan de travail, il pose le
couteau avec lequel il découpait des légumes et s’approche de moi lentement.
Même si j’aurais adoré qu’il assouvisse son désir maintenant, je ne vais pas
cracher sur mon premier rencard avec lui, d’autant plus que cette idée lui est
venue de son propre chef.
Son père doit être une personne très influente pour parvenir à changer ses
enfants de la sorte. Je ne connais pas cet homme, mais je ne l’aime pas. Déjà
parce que c’est lui qui a ordonné à Ryder de m’enlever. Mais j’ai l’impression
que je ne suis pas au bout de mes surprises…
Nous ne parlons pas pendant un long moment. Ryder se lève pour débarrasser
la salade et apporter le poulet et les légumes. C’est délicieux.
Je hoche la tête.
– Je t’ai traquée.
– Ah bon ?
– Pendant une semaine, avoue-t-il. Mon père m’a donné une photo de toi pour
que je te reconnaisse et m’a indiqué l’endroit où tu travaillais. Je t’ai suivie aussi
en cours, j’étais assis tout en haut à droite. Tu ne me voyais pas mais moi, si. Je
te surveillais. Jusqu’au moment propice.
Il s’interrompt et je l’encourage.
– Ce que quoi ?
Il se pince l’arête du nez. Je le connais maintenant assez bien pour savoir que
c’est un signe de nervosité, chez lui. Je pose ma main sur la sienne et l’oblige à
me regarder. Ryder me sourit.
Je note qu’il n’a pas répondu à ma question, mais je décide de ne pas insister
et lui rends son sourire avec un regard aguicheur.
– À ton avis ?
J’ai juste le temps de voir mon string en lambeaux dans sa main avant qu’il ne
le jette au loin. Puis il me reprend dans ses bras et sa queue s’enfonce
profondément en moi, nous faisant pousser un grognement de plaisir à l’unisson.
Mon cœur redouble sa cadence et mes joues prennent une teinte encore plus
vive. Je ne sais pas si c’est de l’excitation, de la gêne ou un peu des deux. Mais
une chose est sûre : moi aussi j’en ai envie. Ryder commence à se mouvoir en
moi et aucun de nous ne quitte le miroir des yeux. Mes doigts griffent le drap à
mesure qu’il accélère ses coups de reins et je gémis de plus en plus fort. À aucun
moment je ne regarde ailleurs que dans la psyché. C’est une vision tellement
érotique que mon premier orgasme est déjà sur le point d’arriver. La chaleur en
moi est insoutenable. Il me prend violemment tout en fixant le reflet de mon
visage et j’adore ça. C’est juste magique. Puis il m’incite à me mettre sur les
genoux de façon à pouvoir admirer ses grandes mains sexy malaxer ma poitrine
tout en s’enfonçant en moi. Dans le miroir, je vois sa main droite quitter mon
sein pour descendre sensuellement le long de mon ventre et titiller mon clitoris
ultrasensible. Oh, bon Dieu de merde. Je n’arrive plus à contenir mes cris.
Entre sa voix rauque empreinte de désir, son sexe me perforant l’intérieur, son
doigt faisant gonfler mon clitoris, sa main caressant le bout de mon sein et sa
bouche dévorant la base de mon cou juste à la jonction de mon épaule, je ne
peux plus tenir et me déverse telle une cascade. L’orgasme est si ravageur que je
lui plante mes ongles dans la nuque. Étourdie par la puissance de la délivrance,
je me laisse retomber à quatre pattes et Ryder me pilonne encore plus vite et
encore plus fort.
Ses coups de reins sont si rapides qu’ils en font hurler le lit. Nous allons
bientôt nous retrouver par terre. Mais c’est si bon, bordel ! Les minutes
s’égrènent avant qu’il ne s’immobilise à son tour.
– Oh putain, Evy…
Je ne sais pas ce qui le pousse à m’envoyer autant de fleurs, lui qui n’a jamais
exprimé le moindre sentiment, mais je les accueille à bras ouverts. Il embrasse
chacune des cicatrices qu’il m’a infligées d’une manière érotique et coupable à
la fois. Je crois qu’il me demande de lui pardonner, à sa façon. En faisant des
choses qu’il n’avait jamais faites telles que les compliments et les baisers emplis
de tendresse. C’est sa façon de se racheter mais aussi de me prouver qu’il tient à
moi. Qu’il m’aime. Je me retourne de façon à pouvoir le regarder de face. Je lui
caresse la joue tendrement en souriant et lui dis le plus sincèrement possible :
– Voilà une idée alléchante, ris-je tandis qu’il m’aide à me remettre debout.
– Pervers !
– Tu adores.
– Je t’aime, Ryder.
Les mots ont franchi mes lèvres avant que j’aie pu les filtrer. Embarrassée, je
pince les lèvres et finis par relever les yeux afin de jauger sa réaction. Je pensais
y déceler de la surprise et – avec un peu plus d’espoir – de la joie. Mais rien. Son
regard me scrute mais je n’arrive pas à déchiffrer ses émotions. Il n’exprime rien
et pendant une seconde, j’ai peur d’avoir fait ressurgir celui que j’ai connu au
début. Mais je suis vite rassurée quand il prend mon visage en coupe et qu’il
m’embrasse avec fougue.
28
Ryder
Je suis réveillé depuis un bon moment. L’heure sur le réveil digital indique six
heures quarante-sept. J’ai dormi à peine cinq heures, mais je suis habitué à ne
pas dormir beaucoup. Et puis ça en valait toutes les peines du monde. Evy, elle,
dort encore à poings fermés, en tenue d’Ève. Elle est sublime. C’est vrai que je
la préférais avec ses kilos en trop mais elle reste magnifique. Je pourrais la
regarder des heures durant. Hélas, je n’en ai pas le temps aujourd’hui. Mon père
rentre dans deux heures et je dois être dans son bureau quand il arrivera.
J’appréhende cet entretien. Je crains qu’il ne soit au courant de la vérité au sujet
d’Evy et une douleur me tord le ventre à l’idée qu’il puisse lui faire du mal. Je
serais prêt à me dresser contre mon propre père pour protéger cette femme. C’est
plus fort que moi. Je me suis tellement imprégné d’elle que je ne pense pas m’en
détacher un jour. Je ne le veux pas, en tout cas.
– À quoi tu penses ?
Je tourne la tête vers Evy qui a toujours les yeux fermés mais un sourire
radieux aux lèvres. Elle finit par ouvrir les paupières, telle une fleur en train
d’éclore. Le soleil levant donne des reflets à sa peau laiteuse, faisant briller ses
cicatrices, souvenirs de l’ancien Ryder.
– Disons que mon estomac était aussi noué que mon cœur était brisé.
– Je suis désolé, dis-je avec sincérité. Je pensais que c’était mieux pour nous
deux. Que tu t’en remettrais vite parce que nous n’avions pas passé assez de
temps ensemble pour te permettre de t’attacher à moi.
– Tu t’es trompé.
Je pose mes lèvres sur les siennes et mon cœur se met à cogner. Et, bien
entendu, il n’y a pas que lui qui réagit. Je suis en train de penser à la façon dont
je pourrais bien la prendre, ce matin, quand l’image de mon père et notre
discussion à venir me reviennent en mémoire. Je m’éloigne d’elle et la couve de
mon regard ténébreux.
Evangeline plisse les yeux. Son regard me fait légèrement flipper, car je sais
que ce qu’elle va me dire risque de ne pas trop me plaire.
Je soupire. Je sais qu’elle ne comprendra jamais le lien qui nous unit, mon
père et moi. Elle ne comprendra jamais que je lui dois tout, jusqu’à la vie.
J’enfile mon pantalon et mon T-shirt – tout plutôt que de la regarder dans les
yeux.
– Je veux juste comprendre, Ryder. Je croyais que tu avais changé !
– Eh bien, ce n’est pas totalement le cas, tu vois ? crié-je en me tournant vers
elle, le regard noir. J’ai des sentiments pour toi, est-ce que ça ne te suffit pas ?
Evy se lève, le drap tombe sur le sol et pendant un court instant, mon regard
s’adoucit et je suis déstabilisé par sa nudité. Elle, en revanche, n’en a rien à
foutre et se met à hurler.
– Bien sûr que non, ça ne me suffit pas ! Je veux retrouver l’homme que j’ai
connu alors que je croyais mourir ! Pourquoi te transformes-tu en machine à tuer
au moindre appel de ton père ? Qu’a-t-il fait pour mériter autant de vénération ?
Quand vas-tu comprendre que c’est un criminel qui va finir mort ou derrière les
barreaux !!
Elle entre sans y avoir été invitée et retire sa perruque qui laisse place à une
chevelure rousse tombant en cascade dans son dos. Ses yeux émeraude me fixent
avec interrogation. J’ai envie de rire. Est-ce qu’Evangeline lui a dit qu’elle a
manqué de peu de se faire trancher la gorge ? Probablement pas.
Je me tourne vers elle. Elle a passé un T-shirt un peu long et ne porte qu’un
boxer en guise de bas. Seigneur…
– Oh, je vois, s’écrie Lydia sur un ton taquin. On dirait que c’était le feu de
dieu dans ton corps, cette nuit.
– C’est Ryder.
Elle lance un regard entendu à son amie et je pivote vers Lydia qui me regarde
à présent d’un air plus glacial que jamais. Ma réputation me précède, on dirait.
Mon père est quelqu’un de très ponctuel et on ne peut plus organisé. Et Dieu
sait qu’il faut de l’organisation et de l’anticipation quand on est un homme aussi
influent que lui. Mais être important implique forcément de se faire des ennemis.
C’est là que nous intervenons et, généralement, tout se passe vite, proprement et
sans aucune trace.
Je suis assis sur la chaise en cuir devant la porte de son bureau depuis une
bonne demi-heure. Il m’a ordonné de venir avant lui et c’est ce que j’ai fait. Il a
pour principe de ne jamais attendre personne mais, au contraire, de se faire
attendre. Rien qu’avec ça, on sait qu’on n’a pas affaire à un mariole des bacs à
sable. Quelques gamins prenant la direction de la salle d’entraînement, au sous-
sol, viennent me saluer. Contrairement à ceux qui grandissent avec leurs parents,
ils ne me serrent pas dans leurs bras. Ils se contentent d’un hochement de tête ou
d’une poignée de main, par simple respect envers leurs aînés. Je surveille la
porte d’entrée.
Le chef de famille arrive, entouré de ses six gardes du corps armés jusqu’aux
dents. Je me lève et me tiens bien droit en fixant un point devant moi et mes
mains dans le dos lorsqu’il passe devant moi pour ouvrir la porte de son bureau.
Mon appréhension s’accroît. Même physiquement, mon père est une personne
que l’on craint facilement. Il est grand et massif, son crâne chauve accentue son
côté dur à cuire. Il fait jeune malgré sa cinquantaine d’années au compteur, et il
sait se battre. Je l’ai déjà vu casser le bras d’un mec d’une seule main. Il est la
seule personne au monde que je craindrais d’affronter. Une fois tout le monde
entré, je pénètre dans la pièce à mon tour. Toujours sans un mot, il s’assied
confortablement sur son grand fauteuil en cuir noir et pose enfin les yeux sur
moi.
– Alors, Ryder. Cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé, tous les deux.
Est-ce que ça va ? On ne te voit plus beaucoup ces derniers temps.
– Ouais, je… j’ai un peu de mal à me remettre de la dernière séance. Ils m’ont
pété des côtes.
Mon père se laisse aller contre le dossier de son fauteuil et croise ses doigts
sur son torse. Son regard me transperce mais je reste le plus impassible possible.
– C’est vrai qu’ils n’y sont pas allés de main morte, admet-il. Mais cela a
porté ses fruits, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas quoi dire. Je n’ai aucune excuse et quand bien même en aurais-
je eu une, ça n’aurait pas satisfait mon père. Il me regarde avec tellement de
suspicion que j’en ai la chair de poule. Bordel, d’habitude je ne suis pas aussi…
crispé en parlant à mon paternel.
– J’ai dit cela sans réfléchir. Mais j’ai fini par la tuer, cela n’a plus
d’importance, n’est-ce pas ?
– Rappelle-moi pourquoi vous faites ça, ordonne mon père, me tirant de mes
pensées.
– Parce que dans la société actuelle, notre seul moyen de survivre est de nous
défendre. Parce que tu es un père exemplaire qui mérite notre protection. Parce
que sans toi, nous ne serions pas en vie et en bonne santé.
– Bien, mon garçon. Tu es mon meilleur soldat, tu le sais, ça, n’est-ce pas ?
– Oui, papa.
– Regarde-moi dans les yeux lorsque tu me réponds.
J’obéis.
– Oui, papa.
– Tu sais que tu me décevrais énormément si tu venais à te retourner contre
moi.
– Je ne compte pas te décevoir, papa.
Je n’arrive pas à croire que je mens à mon propre père. Tout ça pour protéger
une femme. La femme que j’aime.
Il recroise ses doigts sur son bureau, l’air le plus sérieux du monde.
– Tout à l’heure, tu m’as dit qu’elle était morte suite à une de tes tortures. Or,
je t’avais ordonné de la tuer d’une balle dans la tête. Pourquoi ne l’as-tu pas
fait ?
Mon cœur bat la chamade. En effet, le soir où il m’a dit par téléphone de lui
coller une balle me revient en mémoire. Le soir où elle a pointé elle-même le
canon sur sa tête en me suppliant presque de la buter.
– J’ai pensé que le coup de feu aurait pu alerter les voisins. Je n’avais plus
mon silencieux, j’ai dû le perdre dans la forêt quand on est partis de la cabane.
Ce qui me fait penser que je dois rendre une petite visite à mon traître de
frère. Mon père garde encore une fois le silence durant plusieurs minutes. Quant
à moi, je meurs d’inquiétude à l’idée qu’ils aient découvert la vérité.
Question piège. Avoir hâte veut dire être impatient et donc éprouver quelque
chose.
Je sors du bureau de mon père et mon cœur retrouve peu à peu un rythme
normal, mais l’appréhension me gagne davantage. J’espère qu’Evy me
pardonnera…
29
Evy
– Je n’arrive pas à croire que cet enfoiré était chez toi, s’exclame Lydia.
Nous sommes dans la salle de bains et elle remet sa perruque noire en place
tandis que je prends ma douche. Je passe ma tête pleine de shampooing par le
rideau pour lui lancer un regard noir à travers le miroir.
– Quand vas-tu arrêter avec tes préjugés ? m’agacé-je. Ryder a changé. Pff,
laisse tomber, personne ne peut le comprendre à part moi.
– Attends, attends. Le gars, il te kidnappe, t’emmène je ne sais où, te torture,
t’insulte, menace de te tuer, pointe carrément le canon de son arme sur ta tempe,
il vient tout juste de manquer de te frapper dans la chambre et tu me parles de
préjugés ?
– Sauf qu’il n’est pas né ainsi. On lui a dicté sa conduite toute sa vie et il
pense que c’est comme cela qu’il faut procéder. Ryder n’est qu’une marionnette
dans les mains de son père. Le seul fautif dans cette histoire glauque, c’est lui.
Lydia fait la moue, mais elle sait que j’ai de bons arguments. Elle n’aime juste
pas avoir tort. Puis j’ajoute innocemment, tout en enfilant mon soutien-gorge :
Elle arbore des yeux ronds et je souris en rougissant. Je n’ai pas tellement
l’habitude de parler de mes aventures sexuelles avec Lydia. D’une part parce que
je n’avais connu qu’un seul partenaire jusqu’à présent, et d’autre part, David
n’était pas très… comment dire, trépidant. Alors qu’elle ne s’est jamais gênée
pour tout raconter ; je suis ravie aujourd’hui de pouvoir moi aussi me vanter.
– Comment ça, le dieu des dieux ? Genre Eric dans Trueblood, Tyler de
Remember Me ou Christian Grey ?
– Eric, sans hésiter. Le vampirisme en moins, évidemment.
– Aussi vite ?
– Aussi fort, affirmé-je.
Je suis heureuse de retrouver ma meilleure amie. Et dire que j’ai cru ne jamais
la revoir…
Ce qui est bien dans le shopping avec Lydia, c’est qu’elle me sert à la fois
d’amie et de styliste. Nous arpentons le centre commercial, cachées sous nos
accoutrements. Je suis consciente que c’est risqué, mais je nage dans tous mes
pantalons et puis je n’en peux plus de rester enfermée comme un lapin en cage.
J’étouffe, j’ai besoin d’air. On fait un peu tache dans le décor, mais au moins on
n’est pas repérées. Enfin, c’est ce que je vérifie toutes les deux secondes. Cette
fâcheuse habitude me suivra longtemps, je pense. À chaque tournant que nous
prenons dans l’immense galerie, je jette des coups d’œil autour de nous, à l’affût
du moindre geste suspect des passants. Nous sommes peut-être méconnaissables,
mais on n’est jamais trop prudent. Lydia, quant à elle, inspecte chaque vitrine
pendant que je veille à notre sécurité. Une vraie fashion victim dans l’âme. Elle
connaît mes goûts par cœur et sait exactement ce qui me va ou pas. De ce fait, je
n’ai pas besoin de me tracasser à choisir. Elle m’entraîne dans plusieurs
boutiques et nous ressortons toujours avec des sacs. Il faut savoir que ma
meilleure amie ne sort jamais d’un magasin les mains vides. Jamais. Et ça
m’oppresse aujourd’hui plus que n’importe quel autre jour parce que les
circonstances ne s’y prêtent pas. La peur reste accrochée à moi comme une
moule à son rocher. J’ai beau être cachée, j’ai cette horrible impression d’être
mise à découvert. Chaque regard que je croise accroît à mon angoisse.
– Pardon, je n’y avais plus pensé, se justifie-t-elle alors que nous arrivons
devant une énième boutique. Maintenant que je t’ai retrouvée, j’ai tendance à
croire que tout est redevenu comme avant…
Mon cœur se serre comme dans un étau. Je déteste voir ma meilleure amie
dans cet état. Je ne pensais pas qu’elle souffrait autant et je la prends dans mes
bras.
J’ai déjà perdu beaucoup trop de gens autour de moi. Je refuse de la perdre
aussi.
Mon regard quitte celui de ma meilleure amie pour se perdre alentour. Nous
sommes entrées dans le magasin sans même que je m’en rende compte.
– Ne pense même pas à me faire acheter un truc là-dedans ! dis-je sur un ton
catégorique.
– Même pas pour ton beau Roméo ? minaude-t-elle en papillonnant des cils,
ce qui me fait sourire malgré moi.
– On s’est disputés, je ne suis pas sûre qu’il va revenir, me confié-je avec une
douleur au cœur. Et puis je croyais que tu ne l’aimais pas.
– Disons que depuis que tu m’as vendu du rêve en me décrivant ses prouesses
sexuelles, je pense réviser la vision que j’ai de lui.
– T’es une bombe ! s’exclame Lydia qui vient de passer la tête par le rideau.
Si avec ça tu ne lui donnes pas la trique pendant au moins une semaine, je ne
comprends pas.
Je regarde mon téléphone. Rien. Asher m’a donné cet appareil prépayé au cas
où j’aurais besoin d’aide et les échanges sont évidemment intraçables. J’aime
bien Asher, même si c’est un type qui a l’air un peu bourru. Je suis persuadée
que c’est Ryder qui lui a dit de me filer un téléphone et qu’ainsi il a forcément le
numéro. Alors pourquoi ne m’appelle-t-il pas ? M’en veut-il encore pour ce
matin ? Il est clair que je ne cautionne pas sa mission. Mais je dois avouer qu’il
ne faut pas non plus que son père sache qu’il lui ment – il doit donc obéir aux
ordres. Bordel, j’ai hâte que David parvienne à mettre tout cela au clair et que
j’en vienne à témoigner contre cet homme répugnant et cruel qui sert de père à
Ryder. Je reviens à la réalité et secoue la tête pour répondre à la question de
Lydia.
– Tu sais quoi ? On va aller le trouver chez lui, décrète-t-elle et je m’arrête
net.
– Tu es folle ? Il va péter un plomb, si ça se trouve son père est là-bas ! Et
puis c’est à plus de deux heures d’ici !
– Et alors, Anthony peut très bien se passer de moi durant quelques heures.
Je fais non de la tête. Lydia me prend par les épaules et me voit au bord des
larmes.
– Evy, qu’est-ce qui te fait vraiment peur ? De tomber sur son père ou… de
retourner là où tout a commencé ?
Les souvenirs des premiers jours avec Ryder me frappent de plein fouet et j’ai
la lèvre qui tremble. Je me souviens de ma peur, de mon souhait d’en finir une
bonne fois pour toutes, des morsures du couteau sur ma peau…
Puis il prend la direction inverse, suivi des six armoires à glace aussi froides
que des icebergs.
– C’est qui, ce mec ? me chuchote Lydia alors que nous marchons au milieu
du parking.
– Je n’en sais rien, mais il m’a fait un drôle d’effet.
– Il fout les jetons. Trop glauque.
J’attrape mon sac et mes clés que j’ai posés sur la table.
– On y va.
Tant pis pour mes souvenirs douloureux. Je dois pouvoir les gérer, il faut juste
que j’oublie le Ryder d’avant et que je ne pense qu’à celui d’aujourd’hui. Mais je
dois m’assurer qu’il est encore en vie.
Deux heures plus tard, nous voilà devant l’immeuble de Ryder. Je reconnais
les murs en briques rouges parmi tous les autres à côté grâce aux graffitis dont ils
sont couverts. Lydia se met à ricaner en remarquant elle aussi le dessin.
– Peace and Love ? Plutôt ironique quand on sait que ces murs abritent un
tueur en série.
– Ça va, je rigole.
Je suis morte de trouille ! Je crains qu’il lui soit arrivé malheur mais je pense
aussi – dans la mesure où il aurait réussi sa mission – au fait qu’il vient de tuer
quelqu’un et j’ignore à quelle facette de lui je risque d’avoir affaire. L’ascenseur
s’immobilise enfin et je suis haletante à mesure que je m’approche de la porte de
son appartement. L’anxiété à l’idée de ne le trouver nulle part ou, au contraire,
de le découvrir à terre, en sang… ou de tomber sur son père me tord toujours le
ventre. Celui qui veut ma peau. Et s’il avait découvert la vérité à mon sujet ? Et
s’il s’en prenait à Ryder pour le punir de m’avoir protégée ? Lydia toque à la
porte avant que j’aie pu me ressaisir. Et là, surprise ! Une rousse époustouflante
aux yeux d’un bleu ciel envoûtant ouvre la porte. Et elle n’a qu’une serviette de
bain pour tout vêtement, en plus. Mon cœur s’écrase. Ma dignité s’en va en
pleurant à chaudes larmes.
Mon Dieu, je m’attendais à tout sauf à cela. Je pensais qu’il lui était arrivé un
pépin alors qu’en réalité, il… J’ai envie de m’enfuir, mais je sais que là n’est pas
la solution. Je veux des réponses. Des explications. Je ravale mes larmes et la
regarde la tête haute. Je veux parler, mais ma gorge est trop nouée. Je m’en
doutais un peu, au fond, mais j’espérais me tromper. Mon cœur se brise telle une
tasse en porcelaine sur du carrelage.
– Salut, je peux faire quelque chose pour vous ? demande la fille en posant
une main sur sa hanche.
Nous commençons à repartir, mais la fille attrape Lydia par le coude. J’ai à
peine le temps de réaliser ce qui se passe que la rouquine de Ryder a déjà collé
ma rouquine au mur. Elle regarde Lydia d’un air si menaçant que j’en ai la chair
de poule.
Sa main se resserre autour du cou de mon amie qui halète. J’ai l’impression
de voir Ryder. La même expression. La même façon de faire du mal. Est-ce
qu’elle aussi… Dans un élan de peur, de courage et d’adrénaline, je me jette sur
la fille.
– C’est quoi, ton problème, merde !! Tu crois pouvoir débarquer dans ma vie
comme une fleur et te taper toutes les putes que tu croises dans mon dos ?! Tu
n’es qu’un connard, un salaud imbu de sa personne, égoïste, arrogant et sans
cœur !!! Je t’ai dit que je t’aimais, bordel de merde, qu’est-ce que tu n’as pas
compris, hein ?! Tu crois que je suis un jeu ? Tu me prends pour une poupée que
tu peux baiser quand ça te chante et me jeter ensuite comme une vieille
chaussette ? Eh bien non, mon petit gars. Je suis loin d’être la fille docile qui
écarte ses jambes quand tu le demandes. Tu peux continuer à jouer aux
collectionneurs de putes, mais ce sera sans moi !
Je me retrouve encore plus essoufflée après avoir hurlé ma tirade d’une traite.
Je dois être rouge de rage et voir Ryder se contenter de me scruter, les bras
croisés, un petit rictus amusé aux lèvres, me fout encore plus les nerfs en pelote.
Et il ose se foutre de moi, en plus, non mais je rêve ! Je vais lui mettre une pêche
dans les dents, il va moins faire le malin.
Je suis consciente de passer pour une fille jalouse et hystérique mais, bordel,
il sait que j’ai déjà vécu plus ou moins la même chose ! Je n’en peux plus que
l’on me prenne pour la dernière des connes, merde ! Il empoigne mes mains dans
l’étau des siennes et me regarde dans les yeux en s’écriant :
– C’est ma petite sœur, merde ! Je ne couche pas avec ma sœur, Evy, ajoute-t-
il plus posément.
– J’ai eu peur qu’il… te soit arrivé quelque chose. Tu n’as pas mon numéro de
téléphone ?
– Bien sûr que si.
– Et il ne te viendrait pas à l’idée de me donner de tes nouvelles ? Je n’avais
aucune nouvelle de toi, je me suis fait un sang d’encre pour toi !
Ryder fronce les sourcils mais un sourire mi-figue, mi-raisin fend ses lèvres.
– Mon père ne ferait jamais ça, affirme-t-il. Il est violent seulement pour nous
inculquer la discipline, mais jamais il n’irait plus loin. Ça fait partie de notre
éducation.
Je suis horrifiée.
– Non, l’éducation ne consiste pas à battre ses gosses, Ryder. C’est ignoble.
Tu sais, je ne connais pas ton père mais ma haine envers lui est
incommensurable.
Il se contente de sourire.
La question me brûle les lèvres, mais je n’ose pas la poser. Ryder doit la lire
dans mes yeux car il répond d’un air grave :
– Tu regrettes ?
Il s’approche de moi, prend mon visage douloureux dans ses mains avec
précaution et me donne un baiser chaste sur les lèvres avant de poser son front
contre le mien.
Je reste figée face à cette révélation. Mon cœur rate plusieurs battements et
les papillons dans mon ventre s’envolent à nouveau. Il m’a enfin dit les trois
petits mots que j’attendais désespérément et j’ai envie de pleurer tellement je
suis émue.
– Je suis désolé de ne pas avoir donné de mes nouvelles. J’ai encore des
choses à apprendre. Je n’ai jamais connu ça et je ne sais pas trop comment gérer
ce qui m’arrive, je ne comprends même pas tout. Laisse-moi du temps pour…
aménager correctement ce bordel dans ma tête, OK ? Tu veux bien ?
Il desserre notre étreinte et attrape mon menton entre le pouce et l’index pour
me regarder dans les yeux.
– Parce que je tiens énormément à toi. Peut-être même plus qu’à mon propre
père. Et, crois-moi, c’est une chose que je n’avais jamais imaginée.
– Tu es la plus belle à mes yeux. Allez, voyons si elles ne se sont pas entre-
tuées durant notre absence, sourit-il en ouvrant la porte.
30
Ryder
Cette journée a vraiment été éprouvante pour moi. J’ai dû tuer cet homme.
Croyez-le ou non, je ne le voulais pas. Je voulais être l’homme que m’a fait
devenir Evy. Mais si je n’obéissais pas, mon père aurait compris et serait
remonté jusqu’à elle. J’ai préféré sacrifier la vie de ce magistrat plutôt que celle
de la femme que j’aime. C’est plutôt légitime, non ? Je n’ai tout de même pas à
me sentir coupable de ça. Evy l’a compris et je pense qu’elle l’accepte. Le
monstre a adoré tuer ce mec. Je l’admets parce que je sais qu’il sera toujours là,
ancré en moi. Il fait partie de ce que je suis, que je le veuille ou non. Qu’elle le
veuille ou non. Il me faudra encore du temps pour le forcer à rester caché. Ce
sentiment d’obligation, cette redevabilité que j’ai à l’égard de mon père restera
toujours là, je le sais. La bête est dans l’ombre quand je suis avec Evangeline et
je la repousserai chaque jour de toutes mes forces. Mais elle sera là. Et je ne
pourrai rien y faire. J’espère qu’Evy arrivera à vivre avec et à m’accepter tel que
je suis.
Elle fait de moi un homme meilleur à chaque moment que je passe avec elle.
Je vais persévérer et devenir celui qu’elle mérite.
Pour elle.
Mais j’ai fini par me rendre compte qu’il était déjà trop tard depuis
longtemps.
Nous voilà dans mon appartement, Lydia et Adi se sont expliquées pendant
que nous étions dehors et ma sœur, qui a eu la bienveillance de s’habiller, tient
un sachet de haricots congelés sur son œil – celui qu’Evy a tapé. Je souris en
voyant l’état d’Adi et elle me lance un regard noir.
Je lève les mains en signe de reddition, non sans pouffer de rire. Puis je me
tourne vers Evy qui semble soudain mal à l’aise. Je comprends pourquoi lorsque
je vois son regard s’attarder sur la cuisine, là où je l’ai torturée pendant plusieurs
jours, puis braquer le couloir droit vers la porte du placard. Un sentiment de
culpabilité et de colère contre moi-même me tord le ventre. Je l’ai laissée entrer
sans même penser qu’elle pourrait revivre ces mauvais souvenirs. Je l’attrape par
le menton et fais revenir ses yeux brillants de larmes vers moi.
– Non, c’est bon. J’ai mes plus beaux souvenirs ici aussi.
Je lui adresse un sourire mi-triste, mi-content. Moi aussi j’ai mes meilleurs
souvenirs ici et je voudrais en créer de nouveaux. Je la serre dans mes bras et
m’enivre de son odeur naturelle que j’aime tant. Un raclement de gorge nous fait
sortir de notre bulle intime et Adrianna nous désigne tous les deux.
– Donc, si je comprends bien, c’est la nana dont tu m’as parlé tout à l’heure et
qui t’a complètement chamboulé le ciboulot.
J’acquiesce.
– Je lui ai tout expliqué, dis-je à Evy. Elle est comme moi, comme j’étais
avant. Elle ne ressent pas d’émotions, nous avons été élevés ensemble avec
Duncan.
– Pour être honnête, j’ai déjà ressenti une émotion, objecte ma sœur et je
tressaille en comprenant ce qu’elle s’apprête à dire. Mais Ryder n’a pas voulu
coucher avec moi. Je comprends pourquoi, maintenant.
– Comme l’a dit ma très chère sœur qui est incapable de tenir sa langue, je l’ai
repoussée. C’était un peu après que je t’ai libérée, Adi est venue me chercher au
bar où je me lamentais sur ton absence. Elle venait de fêter ses 21 ans, elle a un
peu trop bu et elle a cru qu’elle pouvait faire de moi son dessert.
– Je me suis mise à poil devant lui, mais il n’a rien voulu savoir, renchérit Adi
comme si c’était tout à fait naturel de dire ce genre de choses devant la propre
copine de son frère. Sur le coup, je n’avais pas compris que c’était parce qu’il
était amoureux d’une fille. Il ne me l’a expliqué qu’aujourd’hui.
Je ne sais pas si j’ai bien fait de me confier à ma petite sœur. Mais lorsqu’elle
m’a avoué qu’elle ressentait du désir charnel pour moi depuis un bail, je me suis
dit qu’elle se sentirait mieux si moi aussi je lui disais que j’éprouvais des
émotions. Et ça a fonctionné. Nous sommes plus proches l’un de l’autre,
dorénavant. Et ça m’a fait du bien d’en parler. Nous sommes humains. Les
humains ressentent. Je l’ai compris grâce à Evy. Et j’essaie de faire de même
avec ma sœur. Elle tend une main vers Evy.
– Donc pour les présentations officielles, moi c’est Adrianna Powell, sœur
adoptive de Ryder Powell.
Evy semble surprise et je devine que c’est parce que c’est la première fois
qu’elle entend mon nom de famille. Elle scrute la main de ma sœur sans pour
autant la saisir. Elle coule un regard inquiet vers moi et je comprends son
message. Elle se méfie. Elle a conscience qu’elle est menacée de mort et elle ne
sait plus à qui faire confiance. Je la rassure en posant ma paume sur sa joue.
Finalement, elles échangent une poignée de main et Adi lui tend le sachet de
surgelés.
Je retiens un rire tandis qu’Evy accepte l’offrande, puis je me penche vers elle
alors que ma sœur se dirige vers la cuisine pour se servir un verre de vodka.
– Si tu penses que j’ai un ego aussi gros qu’une maison, le sien a la taille de
l’Empire State Building, ma belle.
Elle me fait signe du pouce en descendant son verre d’une traite. Lydia lance
alors à ma sœur :
– Je suis désolé pour Adi. Elle s’est sentie agressée alors elle a voulu se
défendre. C’est dans notre nature.
– Ne t’en fais pas, m’assure-t-elle. Heureusement que tu es intervenu sinon je
crois qu’elle aurait réussi à nous tuer toutes les deux.
– Sans vouloir te vexer, oui. Nous sommes entraînés depuis que l’on est tout
petits. Mais j’avoue que tu t’es sacrément bien défendue. Je suis fier de toi.
J’applique le coton sur la plaie de son arcade et elle siffle entre ses dents.
– Ryder ?
– Mmh ? dis-je, concentré sur mon boulot d’infirmier intérimaire.
– Est-ce que je dois m’inquiéter maintenant qu’elle connaît notre histoire ?
Je secoue la tête.
– Adi est une fille droite et je lui fais confiance. Et puis, avec tout l’alcool
qu’elle est en train de s’enfiler, elle ne s’en souviendra plus demain.
– Et il n’est que seize heures, maugrée-t-elle.
– Elle est devenue incontrôlable depuis qu’elle a eu l’âge légal pour boire. Tu
sais, elle a été maltraitée par ses parents biologiques junkies et ils l’ont
abandonnée seule dans la rue alors qu’elle n’avait que 3 ans. Cela faisait au
moins deux jours qu’elle était livrée à elle-même en plein hiver. Elle fouillait les
poubelles pour se nourrir quand mon père l’a trouvée. Elle ne s’en souvient pas
bien, mais parfois ses cauchemars la ramènent à cette période et à en croire son
comportement aujourd’hui, ça l’affecte de plus en plus.
– Oh, mon Dieu, gémit-elle. Personne n’a vu cette pauvre fillette dans la rue
pendant deux jours ?
– Si, mais ils s’en foutaient. Ils continuaient leur chemin comme si de rien
n’était, réponds-je avec une certaine amertume. Tu vois ? Comme quoi même les
gens « normaux » peuvent faire preuve de cruauté. Mon père n’est pas si
méchant que ça, Evy. Adi n’est pas la seule qu’il ait recueillie, il y en a toujours
de nouveaux, chacun avec sa propre histoire tragique.
Evy garde le silence pendant un long moment tandis que je panse ses plaies.
Elle semble réfléchir.
– D’accord, ton père fait peut-être de bonnes actions. Mais ça ne lui donne
pas le droit de faire de vous des machines à tuer.
– Il passait son temps dans son cabinet. Il est avocat. (Ah, j’avais vu juste dès
le premier coup d’œil sur ce mec trop propre sur lui.) Quand mon corps a
commencé à vraiment changer, il ne me touchait plus. Nous avions déjà planifié
notre mariage avant la mort de mes parents. J’ai pensé à l’annuler parce que je
ne voulais pas me marier sans eux, mais David fait partie d’une riche famille de
magistrats. J’aurais eu l’air de quoi si j’annulais ? Une semaine avant
l’évènement, je suis rentrée un peu plus tôt des cours. Je savais que ma cousine
devait venir de New York pour m’aider à choisir ma robe. Je les ai retrouvés tous
les deux sur le canapé… Bref, tu connais la suite.
Je serre les poings jusqu’à ce que mes jointures blanchissent. Evy pose sa
main dessus dans un geste d’apaisement et me regarde tendrement.
– Tout va bien, Ryder, c’était l’année dernière. Je ne souffre plus. Plus depuis
que je t’ai rencontré. Tu as été le pansement dont j’avais besoin. J’avais peur,
oui, quand tu me regardais. J’avais peur que tu sois dégoûté de ce que tu voyais.
Putain, je n’arrive pas à croire que je viens de dire un truc pareil. Je crois que
c’est mon instinct qui vient de parler. Elle me bouleverse tant et si bien que je ne
contrôle même plus ce que je dis. Je l’embrasse de nouveau, plus passionnément
cette fois. Ma langue part à la recherche de la sienne et quand elles se trouvent,
elles entament une danse endiablée.
– Parce que c’est la vie qui veut ça, répète-t-elle et j’acquiesce. Asher t’a pas
mal aidé, hein ?
Je pouffe de rire.
– Dans le mille, admets-je. Je ne savais mettre aucun mot sur les sentiments
que j’éprouvais pour toi et j’ai énormément parlé de nous à Asher. Il a tout
compris et m’a conseillé d’écouter mon cœur, ce petit truc enfoui au fond de moi
que tu as réussi à dénicher, pour reprendre ses propres mots.
Evy sourit, tel un putain de rayon de soleil. Elle me tue. Je me relève et retire
mes vêtements qui me collent à la peau. Le regard d’Evangeline balaie mon
corps et elle se mord la lèvre. Je souris comme un con chaque fois qu’elle fait
cette tête trop… craquante ?
– Tu veux prendre une douche avec moi, bébé ? lui proposé-je en lui tendant
la main comme pour l’inviter à danser.
J’actionne le jet d’eau et nous fais entrer tous les deux. Je caresse la peau de
son dos, ses hanches et lui embrasse la nuque tandis que mes doigts continuent
leur voyage sur son ventre. Elle tressaille quand ma queue vient gentiment se
positionner à l’orée de son intimité.
– Ryder, halète-t-elle.
– Mmh ? réponds-je en poursuivant mes baisers dans le creux de son épaule.
– Je veux qu’on fasse l’amour là où j’ai mes plus mauvais souvenirs. Je veux
transformer cet endroit où j’ai vécu seule presque toutes mes journées par une
nuit torride à deux où l’air serait obstrué par l’amour et la passion.
Je la scrute, impressionné par ses mots qui dégagent autant de beauté que de
sincérité. Je hoche la tête avant de l’embrasser langoureusement. J’ai
l’impression que nous passons notre temps à nous bécoter et à faire l’amour et
pourtant, j’ai aussi la sensation de ne jamais en avoir assez. Je n’ai jamais assez
de ses regards, de sa bouche, de sa peau, de ses seins… Je n’ai jamais assez
d’elle.
Nous sortons de la douche pour nous sécher. Je suis toujours aussi raide alors
que je viens de lui faire l’amour, c’est insensé. Cette femme au corps de déesse
va finir par me tuer pour de bon.
Adi est bien éméchée quand nous la découvrons en train de danser sur ma
nouvelle table basse. Elle a allumé ma stéréo, a branché son portable dessus et je
suis étonné de voir les vitres encore intactes tandis qu’elle hurle « Animals ».
– Je préfère la version des Maroon 5 ! nous crie Lydia, toujours au bar, pour
couvrir le son des basses.
Nous rejoignons Lydia et elle nous sert des cocktails faits maison. Je regarde
mon Long Island puis la rouquine en haussant les sourcils.
Elle lance un clin d’œil complice à Evy sans répondre avant de s’attaquer à
son propre verre.
Je bois une gorgée de mon verre et suis impressionné car je ne le fais jamais
aussi bon.
– Je parie que c’est toi qui gagnais tout le temps, deviné-je et elle sourit.
Adrianna finit par s’ennuyer à danser toute seule comme une folle et vient
donc me chercher. Je tente de m’accrocher au bar mais elle n’en démord pas et je
finis par capituler et me laisser entraîner, non sans prévenir Lydia :
Ce qui les fait bien sûr éclater de rire. Je dois admettre que je n’avais jamais
pensé à faire la fête. Généralement, avec Duncan, c’était surtout des soirées du
style bang, chicha, alcool et strip-teaseuse à domicile. Il adore ça mais moi j’ai
vite décroché. Là, c’est différent. Pas de fumée toxique, pas de sexe à l’air, que
de la musique, des rires, de la danse et Evy qui ne tarde pas à nous rejoindre.
Maroon 5 laisse place à une musique latino que je ne connais pas mais que l’on
peut facilement danser avec une partenaire aussi sexy que la mienne.
– Tu as l’air heureuse.
– Je le suis. Je ne me suis pas amusée comme ça depuis…
– Je vis toujours avec cette peur de me faire agresser. J’ai beau me dire que
personne n’est censé être au courant, je suis libre sans pour autant me sentir en
sécurité, j’ignore pourquoi.
– Je te protégerai, Evy. Quoi qu’il m’en coûte.
Qu’elle me maîtrise.
– Tu as de la chance qu’on ait des invités, sinon tu serais déjà à plat ventre sur
la table.
Quelques heures plus tard, nous avons le ventre plein des pizzas que nous
avons fait livrer et sommes en train de rire des déboires amoureux de Lydia. J’ai
encore du mal à me faire à mon propre rire, mais en voyant la façon dont Evy
semble fascinée en l’entendant, je pourrais rire pendant des heures. Je vois ma
sœur pliée en deux à côté d’elle et je commence à me demander si la présence
d’Evy n’est pas en train de la faire changer elle aussi. C’est la première fois que
j’entends rire Adi et ça fait un putain de bien. Autant pour moi que pour elle, je
pense, si ce n’est plus. Evy capte mon regard et me sourit. Elle aussi doit
sûrement se poser la question. Je lui prends la main gauche et embrasse chacune
de ses phalanges. J’aime cette femme.
Vers quatre heures du matin, je commence à ne plus savoir où sont les pièces
de mon propre appartement et je décide qu’il est temps de nous coucher. À peine
ai-je terminé ma phrase qu’Adrianna est en train de ronfler sur mon canapé alors
que Lydia – encore debout malgré les verres – s’évertue à déplier ledit sofa pour
qu’elles puissent toutes les deux dormir confortablement. Je l’aide à remettre ma
sœur debout qui s’appuie automatiquement sur Evy. Celle-ci est un peu pompette
mais elle semble surtout fatiguée. Lydia et moi faisons rapidement le lit et Evy y
balance littéralement ma petite sœur qui ne se réveille même pas.
C’est Evy qui nous dirige plus que moi vers le placard. En entrant, je la sens
sur le qui-vive mais elle m’assure que tout va bien quand je lui pose la question.
Après que nous avons réussi à nous entendre sur le sens dans lequel tourner mon
matelas, posé contre le mur quelques heures plus tôt, Evy se blottit contre moi et
je lui dépose un baiser sur le front.
– Ryder ?
– Mmh ?
– Combien de temps a duré ta relation la plus longue ?
– C’est quoi cette question ? souris-je, surpris.
– Réponds seulement.
– Avant toi je n’ai jamais eu de relation, c’étaient juste des coups d’un soir.
Je ne suis pas fier de lui avouer ça, mais je suis honnête. Je ne veux pas lui
mentir.
Je sens son regard sur moi mais, étant donné que nous sommes dans le noir
total, je ne peux vérifier si elle me croit ou pas.
– Un : ce n’est pas toi qui es venue, c’est moi qui t’ai amenée de force. Deux :
je t’ai déjà vue plus d’une fois au réveil et tu es un vrai rayon de soleil.
– Et si notre rencontre avait été « normale », tu m’aurais calculée si j’étais
venue débraillée ? insiste-t-elle.
– Tes questions font flipper.
– Réponds honnêtement.
– Non, soupiré-je finalement. Le Ryder d’avant ne t’aurait même pas ne
serait-ce que donné l’heure. Mais tu m’as changé, je te rappelle, et aujourd’hui,
si je te voyais en jogging, je te sauterais dessus.
– Pourquoi ?
– Parce que tu m’as appris que même si l’emballage est laid, on peut trouver
le plus beau des cadeaux à l’intérieur.
Et je me mets à la chatouiller comme un fou. Elle se tortille dans tous les sens
en hurlant des insanités que je préfère ne même pas énoncer. Affectueusement,
ceci dit. Puis je la surplombe et touche son visage à tâtons jusqu’à trouver le
bout de son nez que j’embrasse.
***
Je suis réveillé vers six heures par une envie de boire monstrueuse. Je ne sais
pas si c’est à cause du nombre de verres d’alcool ingurgités ou de l’air assez sec
de la pièce, mais ma gorge est terriblement aride. Ce n’est qu’au retour de la
cuisine que je trébuche sur le sac à main d’Evy, posé près de l’îlot central.
Quelque chose en sort et la lumière de la lune filtrée par la grande fenêtre du
séjour se reflète sur l’objet qui devient brillant.
Une coccinelle.
Evy
– Evy ?
Je tourne la tête le plus possible et découvre avec stupeur que c’est Lydia qui
vient de m’appeler. Mais que fait-elle ici ? Pourquoi s’en sont-ils pris à elle ?
L’effroi m’étrangle tandis que je regrette de l’avoir trop impliquée dans cette
histoire. C’est à cause de moi et de ma langue trop pendue qu’elle se retrouve
ligotée comme moi. Elle pleure et j’aimerais pouvoir la prendre dans mes bras
pour la consoler, mais je ne peux me défaire de mes liens.
J’avoue que je ne sais pas si c’est elle que j’essaie de convaincre ou bien moi.
Peut-être les deux. Elle n’aurait jamais dû se retrouver au milieu de tout ça. Je
n’aurais jamais rien dû lui révéler. Mais, d’un autre côté, elle aurait tout deviné
tôt ou tard. Elle aussi maîtrise la psychologie et elle est aussi douée que moi.
Elle aurait tout de suite vu que quelque chose n’allait pas.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? J’étais en train de dormir et soudain, je ne sais
pas, j’ai senti un truc et je me suis réveillée là. On s’est fait enlever, c’est ça ? Ils
vont nous tuer et nous découper en morceaux ? Et s’ils font des expériences
scientifiques sur nous comme dans les séries glauques ?
Quand elle panique, Lydia s’imagine mille et un scénarios, des plus plausibles
aux plus improbables. Mais je peux la comprendre. Bien que j’aie déjà vécu cela
il y a plusieurs mois, je suis moi aussi morte de trouille.
– C’est Ryder qui nous a livrées, je suis sûre, poursuit Lydia. Ou sa sœur,
tiens. Après tout, tu ne l’avais jamais vue, elle !
Je ferme les yeux pour mieux réfléchir. C’est vrai que je ne connais pas
Adrianna. Ryder ne m’avait jamais parlé d’elle et il est possible qu’elle ait joué
un double jeu. Cependant, même un habitué de l’alcool n’aurait pas tenu debout
avec tous les verres qu’elle s’est enfilés. Comment aurait-elle pu avoir la force
de nous intoxiquer, sachant que j’étais encore lucide, qui plus est ? Quant à
Ryder, je ne le vois pas me faire ça. Pas après tout le chemin qu’il a parcouru. Il
m’aime sincèrement, je le sais du plus profond de mon âme. Ça ne tient pas
debout. Nous aurait-on suivis ? Personne à part nous, Robbie et David ne sait
que je suis encore en vie. Ça ne peut pas être mon ancien collègue à l’origine de
ce guet-apens. Sinon, pourquoi aurait-on envoyé Ryder m’enlever alors que
Robbie était là, juste sous mon nez, et qu’il aurait très bien pu m’emmener de
mon plein gré ? Et puis je le connais depuis plus d’un an, bien avant que mon
frère me confie ce cadeau empoisonné. David, lui, n’est pas le genre de mec à
avoir des couilles. Toujours propre sur lui et impeccable, il prend son boulot
d’avocat très à cœur. Il l’aimait d’ailleurs plus que moi, il ne risquerait pas sa
carrière. Non, c’est forcément quelqu’un à l’intérieur du cartel. Quelque chose a
dû faire douter le père de Ryder. J’ai tout fait pour éviter que l’on me
reconnaisse. J’ai déménagé loin de la ville, je sortais rarement et déguisée, de
surcroît, je faisais attention à ne regarder personne dans les yeux, je ne
m’attardais jamais quelque part… Je ne comprends donc pas ce que je fais ici, et
encore moins pourquoi Lydia est là aussi, elle qui n’a absolument rien à voir
dans cette histoire. Et Ryder ? Où est-il ? Que lui ont-ils fait ? Ont-ils découvert
qu’il a menti pendant tout ce temps ?
– On va s’en sortir, Lydia. Ryder va venir nous sauver, j’ai confiance en lui.
Je sais de quoi il est capable. Durant ma captivité, j’ai appris énormément de
lui. Il ne laissera jamais personne me faire du mal. Je suis à lui et il se battrait
pour moi comme je le ferais pour lui. Nous sommes liés par l’amour, tous les
deux, et rien ni personne ne pourra se dresser entre nous. Il faut que je garde
espoir. Il va venir nous délivrer. Si ça se trouve, il est déjà en train de chercher
un plan pour venir nous chercher.
– Je n’ai pas envie de mourir, Evy, sanglote Lydia. Je suis trop jeune, j’ai
encore plein de projets, je ne suis pas prête.
Je tire sur mes liens, ne serait-ce que pour la prendre dans mes bras, mais il
n’y a rien à faire, c’est trop serré.
– On ne va pas mourir, dis-je sur un ton que j’espère convaincant. Je suis déjà
passée par là et je m’en suis plutôt bien sortie.
– Parce que ton ravisseur est tombé amoureux de toi entre-temps. Je ne suis
pas sûre que celui qui nous a kidnappées se montre aussi compréhensif que ton
Roméo.
Elle marque un point, c’est vrai. Je tourne la tête vers le miroir, me sentant
soudain observée. Je ne peux rien voir de ce qui se passe de l’autre côté,
évidemment, mais je suis persuadée que quelqu’un se tient là, derrière, dans
l’ombre. Il est sûrement en train de sourire de nous voir tétanisées. Je chuchote à
Lydia, en espérant qu’en plus de nous voir il ne nous écoute pas :
– Arrête de pleurer, ça ne ferait que les satisfaire. Ne regarde pas, mais je suis
certaine que quelqu’un nous surveille derrière le miroir. Ne lui donne pas le
plaisir de tes larmes.
Lydia renifle en hochant la tête et retient ses larmes. Je reporte mon regard sur
le miroir et arbore une expression de défi.
– Toi qui es derrière cette putain de vitre, crié-je. Viens donc nous regarder en
face si tu as des couilles, pauvre merde.
Mon amie me murmure que je suis folle mais je l’ignore. Finalement, au bout
de deux minutes environ, la porte en métal s’ouvre et je sursaute de terreur en
voyant le visage devant moi. Ma détermination se recroqueville dans un coin
caché de mon esprit et je me sens soudain toute petite. Il affiche un sourire
narquois, diabolique. Je n’en crois pas mes yeux. C’est bon, là, je suis tétanisée.
Tout mais pas lui.
– Duncan, soufflé-je.
Son sourire s’élargit et ses yeux ont une lueur malicieuse. Des marques jaunes
ornent son œil droit et sa mâchoire. Son nez est de travers et il lui manque des
dents.
– Ce n’est pas moi qui t’ai enlevée, chérie, même si j’en aurais été ravi. Moi,
j’ai pris Ryder. Il n’a rien vu venir, ce con. Il le méritait bien, ce coup-là, après
m’avoir refait le portrait et enfermé dans cette putain de cabane. Une semaine !
tonne-t-il, nous faisant sursauter. Il m’a laissé crever pendant une semaine avant
que le garde forestier ne me retrouve et me libère. Je tiens ma vengeance, ajoute-
t-il en affichant un sourire carnassier rendu affreux par ses dents manquantes.
– Où est-il ?
– En train de se prendre la raclée du siècle, répond-il nonchalamment. Tu ne
devrais pas t’inquiéter pour lui, il n’a que ce qu’il mérite. En revanche, tu
devrais te soucier de ce que je vais faire de toi…
J’ai envie de vomir et les larmes me montent aux yeux. Je sais très bien ce
qu’il a en tête et je resserre les cuisses du mieux que je peux en dépit des liens à
mes pieds. Il s’accroupit devant moi et me caresse le genou en se léchant la lèvre
et en me lançant un regard de prédateur. Je ferme les yeux et un couinement
m’échappe.
– Va te faire foutre.
– Dans ce cas, laisse parler papa et maman, veux-tu ? lui dit-il avant de lui
assener une grande gifle qui la fait tomber de sa chaise.
– Lydia !! crié-je, terrorisée.
Mais sa tête a cogné le sol et elle ne répond pas. Quand Duncan se rapproche
de moi, je lui adresse alors le regard le plus assassin dont je suis capable. Il se
frotte le visage avant de se pencher de nouveau vers moi. L’adrénaline et la rage
prennent possession de mon corps. J’ai envie de le tuer ! Nous cachons tous un
démon meurtrier en nous, mais nous le canalisons dès le plus jeune âge grâce à
l’éducation que nous donnent nos parents. Ryder et les autres, eux, ont été élevés
avec ce démon. Aujourd’hui, j’ai envie de laisser sortir le mien pour qu’il ne
fasse qu’une bouchée de Duncan. Il s’appuie sur mes cuisses et enfouit son nez
dans mes cheveux pour en humer l’odeur.
– Tu dois être sacrément bonne au lit pour avoir réussi à piéger mon frère, dit-
il sur un ton suave qui fait peur.
Sa main remonte le long de ma cuisse sous mon short en coton et je tressaille.
J’ai envie de fondre en larmes mais je me retiens. Un psychopathe tel que lui
prendrait cela pour un encouragement.
– Il m’a cassé mon coup. Deux fois. L’autre jour j’étais à deux doigts,
pourtant, persifle-t-il. Je n’ai pas compris pourquoi, au début, et puis il est venu
ici quelque temps plus tard pour entraîner les gosses. Je suis arrivé, je l’ai titillé à
ton sujet et il m’a littéralement sauté dessus comme un lion enragé. Il m’a
humilié. Tu imagines sûrement ce que j’ai pensé à l’instant où j’ai su que tu étais
retenue ici.
Je sonde son regard et vois à quel point il est sincère dans ses paroles. Il va le
faire, il n’y a aucun doute là-dessus. Alors je garde le silence quand il
déboutonne son pantalon. J’ai l’estomac qui se retourne et des larmes
m’échappent.
J’ai envie de lui dire que Ryder m’aime, une chose que lui ne connaîtra
jamais, mais je prends sa menace au sérieux. Je ne veux pas sacrifier Lydia qui
gît toujours au sol, inconsciente. Il sort son sexe tendu devant moi et je détourne
le regard. Je ne veux pas y penser, je refuse de me laisser anéantir de la sorte.
Duncan se penche vers moi et déchire mon débardeur en deux, dévoilant mes
seins. Ses yeux arborent une lueur sombre et son sourire s’élargit.
– Ça, ce sont des nibards, ma belle. Ryder va être fou quand il va découvrir
que tu as pris ton pied et tu vas tellement aimer que tu ne voudras plus jamais de
lui.
– Tu veux jouer la dure mais je vais te montrer qui commande, sale petite
pute.
– Je n’en ai pas fini avec toi, me dit-il avant de suivre son « frère ».
C’est là que je lâche toute la pression que j’ai retenue jusque-là. Je pleure
toutes les larmes de mon corps. Des larmes de peur, d’effroi, de terreur, mais
aussi de soulagement. J’ai encore quelques minutes de sursis et il n’a pas eu ce
qu’il voulait. Sa rage doit cependant être à son paroxysme pour avoir été
interrompu trois fois. Puis j’essaie de réveiller Lydia. Je l’appelle d’une voix
tremblotante et désespérée et au bout d’une minute, elle me répond enfin.
Oh, non, c’est moi qui vais le tuer, je le garantis. Il a fait surgir le démon en
moi et il va en subir les conséquences.
32
Ryder
Je ne pourrais pas vous dire combien de coups j’ai reçus dans la gueule depuis
que je suis ici. J’ai arrêté de compter au bout du dixième. Ils m’ont pris par
surprise, ces fils de putes. Ceux que je considérais comme mes frères et ces
gorilles qui lui servent de gardes du corps. Quand j’ai eu fini de parcourir la clé
USB, je suis sorti de l’appartement comme un boulet de canon. Puis, devant
l’ascenseur, je me suis rendu compte que je pouvais le faire tomber.
Je suis venu ici avec l’idée de tuer celui que je croyais être mon père. Celui en
qui j’avais une confiance aveugle depuis plus de vingt ans. Celui qui m’avait
élevé dans le seul but de faire de moi une machine à tuer. Je comprends tout,
maintenant. Je sais faire la différence entre le bien et le mal. J’ai vécu presque
toute ma vie en répandant le mal autour de moi, mais c’est fini, tout ça. Je
voulais tuer le meurtrier de mes véritables parents, la nuit où je me suis fait
renverser par cette voiture et où j’avais oublié jusqu’à mon propre nom. Les
souvenirs sont apparus pendant que je conduisais jusqu’à la maison. Il a profité
de mon trouble de la mémoire pour changer mon identité et faire de moi son fils.
Son soldat.
Evy avait raison. Je rêvais du meurtre de mes parents sans avoir conscience
qu’en réalité, c’était un souvenir. Malgré l’heure matinale, ils me sont tombés
dessus. Ils étaient au moins une dizaine sur moi, sous les ordres de James
Powell, ce bâtard qui a détruit ma vie. Ils avaient anticipé ma venue. Ils m’ont
neutralisé et ligoté à une chaise dans le bureau de James. Celui-ci est arrivé, un
sourire aux lèvres et les mains dans le dos. Il marchait nonchalamment, comme
si tout était normal. Il a fait sortir Jimmy et Phillip, deux de mes « frères » - sans
doute pour ne pas qu’ils entendent la vérité –, avant de s’asseoir à moitié sur son
bureau et il m’a regardé, les bras croisés.
– Qui t’a élevé durant ces vingt dernières années ? Qui a fait de toi un
homme ? Je me suis battu pour faire de vous des hommes et des femmes
invincibles et supérieurs. J’ai fait de vous des héros !
– Tu as fait de nous des tueurs et rien d’autre !! ai-je hurlé. Tu n’es qu’un
minable qui nous a endoctrinés pour tuer ceux qui voulaient te dénoncer, toi et
ton putain de trafic de gosses dont nous avons été victimes !
J’ai bien insisté sur le dernier mot avec une intonation de mépris pour qu’il
comprenne bien qu’il n’est plus rien pour moi désormais. J’ai bien sûr menti
quant à la façon dont j’ai trouvé la clé. Il n’est peut-être pas au courant qu’Evy
est encore en vie et je ne compte pas l’emmener sur cette piste. J’espère qu’elle
est en sécurité, elle au moins, chez elle, n’importe où pourvu que personne ne la
trouve jamais.
Et c’est là que ses armoires à glace ont commencé à me mettre des coups.
Cela fait deux bonnes heures qu’ils essaient de savoir à qui j’ai donné une
copie de la clé puisqu’ils ont pris l’original sur moi. Mais je ne crache rien.
J’espère juste que celui à qui je l’ai envoyée est digne de confiance et qu’il saura
quoi en faire. Je lui ai donné toutes les infos nécessaires, y compris l’adresse de
la maison de l’horreur. J’ai mal partout et j’ai sûrement un bras cassé, mais je
lutte. C’est là que je comprends ce qu’a enduré Evy pendant sa captivité et je
m’en veux tellement, putain.
Je crache un jet de sang sur son parquet d’ordinaire impeccable avec une
certaine satisfaction avant de répliquer :
Au péril de ma vie.
Duncan ? Il est là, lui ? Est-ce qu’ils l’ont récupéré ? Pourquoi veut-il qu’il
soit présent ? Il ne sait rien de l’affaire, pourtant. J’ai le sentiment que je ne suis
pas au bout de mes surprises…
Deux minutes plus tard, Duncan passe enfin la porte. Il a encore les stigmates
de ma fureur présents sur son visage et il porte un mouchoir à son nez. Mais il
n’est pas ligoté et n’a pas l’air d’être captif. Au contraire, il salue James et me
gratifie d’un grand sourire. Celui qu’il réserve d’habitude à ses victimes avant de
les exécuter, bien qu’une lueur de rage et de frustration brille dans son regard.
Jessee et Chester sont les deux gars qui ont été tués et dont James nous a fait
croire qu’ils étaient en exil.
– Je sais que Duncan ne se mettra jamais en travers de mon chemin, lui plus
que n’importe qui d’autre. Parce que lui, c’est mon enfant biologique. Et, comme
on dit, tel père, tel fils. Tu ne trouves pas qu’on se ressemble ?
Je n’y avais jamais trop fait attention, mais il est vrai que certains détails
physiques sont similaires chez les deux hommes. Les mêmes yeux en amande et
le même nez, bien que celui de Duncan soit de travers et sanguinolent. Je ne sais
pas qui lui a fait ça, mais il ne l’a pas raté. Comment ai-je pu passer à côté de
ça ? Celui que je croyais être mon meilleur ami, mon frère, m’a embobiné durant
toutes ces années. Je crois que c’est lui que je vais tuer en premier, tout compte
fait.
– On pourrait faire tout un film avec ça, ricane James. Tu ne croyais quand
même que j’allais te laisser entièrement libre, j’espère. Je ne savais pas si je
pouvais vraiment te faire confiance, Ryder. Alors cette garce a été mon moyen
de tester ta loyauté. Et au vu des images que j’ai regardées au moins un million
de fois, on ne peut pas dire que tu aies beaucoup fait preuve de dévouement.
– Bravo, répond-il.
– J’ai adoré te voir la torturer, s’esclaffe Duncan. Mais tu t’y prenais tellement
mal. Je comprends pourquoi elle a réussi à te mettre le grappin dessus.
– Et moi je vais adorer te voir agoniser dans ton propre sang quand je t’aurai
perforé le cœur, persiflé-je en l’assassinant du regard avec mon seul œil encore
valide puisque l’autre est coincé sous un coquard.
James, qui durant la bagarre a été mis dans un coin de la pièce par l’un de ses
gardes du corps, se rapproche de son fils et lui fait baisser l’arme.
– Pas maintenant, mon garçon. Patience. Tout vient à point à qui sait attendre.
Duncan se laisse faire mais ne me quitte pas du regard pour autant. Moi non
plus, d’ailleurs. Je ne compte pas abandonner tant que je n’aurai pas son putain
de cœur au creux de ma main. Maintenant que je sais qu’Evy est ici et qu’il l’a
touchée – peut-être même plus –, ma haine et mes envies de meurtre sont
décuplées. Je serre les poings si fort que le sang coule de mes paumes.
Je ne vais sans doute pas sortir indemne de cette guerre, mais je vais les tuer
tous, un par un, à commencer par Duncan.
Je n’obéis pas. Il peut toujours courir, jamais je ne lui ferai cet honneur de
plein gré. Il lance alors un bref regard à l’un de ses dobermans derrière moi et
une douleur atroce m’assaille au niveau des mollets quand ce bâtard me donne
un grand coup de matraque. Mes jambes cèdent sous la douleur et je me retrouve
à genoux. James et Duncan me regardent tous deux d’un air hautain, comme s’ils
étaient les rois du monde et que je n’étais qu’un voleur qui leur a subtilisé un
morceau de pain.
– Tu m’as peut-être mis à genoux, mais une chose est sûre : tu n’auras plus
jamais aucun contrôle sur moi, grondé-je.
– Ton père était un connard d’espion, tout comme celui de ta chère et tendre.
Ils faisaient tous les deux partie de la même boîte, d’ailleurs, la « prestigieuse »
NSA. Je n’ai eu aucun mal à dénicher Liam. En revanche, Darryl m’a donné
beaucoup de fil à retordre, il était beaucoup plus méfiant que son coéquipier.
Mais j’ai fini par l’avoir. Puis, quand j’ai su par l’une de mes taupes au
commissariat que le fils était du genre fouineur et qu’il avait réussi à nous voler
nos précieuses archives, ton frère l’a liquidé.
– Te rends-tu compte que tu nous as fait tuer des tas d’innocents durant toutes
ces années ?
La culpabilité est telle que j’en ai les larmes aux yeux. J’ai tué durant plus de
dix ans juste pour protéger un père qui n’était même pas le mien. J’ai tué parce
que je pensais qu’il fallait que je le fasse.
Evy… c’est toi qui m’as ouvert les yeux sur le monde et je t’en serai
éternellement reconnaissant.
– La plupart, oui. Leurs parents nuisaient aussi à mes affaires et j’avais besoin
de gamins assez jeunes pour être formés et devenir mes soldats. J’ai eu de la
chance avec toi, tu sais ? Parce que je ne devais pas les prendre trop vieux. Ils
devaient être suffisamment jeunes pour ne plus se souvenir de leur plus tendre
enfance, jusqu’à 3 ou 4 ans. Or toi, tu en avais 5, je crois. Puis la voiture t’a
percuté et tu as perdu la mémoire. Une aubaine pour moi, car je savais que tu
allais être un grand soldat.
– Je suis là, bébé, je suis là. Que t’a fait cet enfoiré ? grogné-je en découvrant
son T-shirt arraché, révélant la moitié de sa poitrine.
– Rien, me ment-elle. Il n’a pas réussi.
Je suis surpris de découvrir une trace de sang sur son front. C’est donc elle
qui a bastonné Duncan. En d’autres circonstances, j’aurais ri en la félicitant face
à autant de courage. Je lui embrasse la joue encore rouge de sa bagarre avec ma
sœur, puis ses lèvres qui m’ont tant manqué depuis hier.
– Vous êtes répugnants, s’exclame James. Allez, tous à genoux, il est temps
de régler nos comptes.
33
Evy
***
Aujourd’hui, huit ans plus tard, c’est moi qui me retrouve dans cette
situation. David, l’homme que je croyais être l’amour de ma vie et avec
qui j’étais depuis sept ans, m’a larguée l’année dernière. Pas pour un
homme, cependant, mais pour ma cousine. Ma cousine, putain ! Quel
enfoiré ! Et elle n’est pas en reste non plus. Dire qu’elle me léchait
les bottes en me disant que nous formions un couple parfait. Je suis
attentive aux gens, mais alors pour le coup, je n’ai rien vu venir…
Bref, j’ai du mal à m’en remettre. Et même si Lydia m’a ressorti ma
phrase du collège, c’est très dur. David a été mon premier pour tout, il
était mon pilier. Je croyais vraiment en notre amour.
Foutue famille.
Quand elle ne meurt pas, elle te fout des coups de couteau dans le
dos.
Lydia est comme qui dirait une vraie tornade. Elle court à travers
les pièces du petit appartement que nous partageons comme si elle avait
le diable aux trousses. Elle se brosse les cheveux tout en buvant son
café latte tandis que je mets trois plombes à enfiler mes bottes. Je
n’ai aucune envie d’aller bosser. Depuis quelques mois, je travaille
tous les vendredis et samedis dans la même boîte de nuit que ma
meilleure amie. Je ne suis pas fêtarde du tout mais j’en avais marre de
passer tous mes week-ends à la maison. Donc, dès que j’ai eu 21 ans,
elle m’a fait rencontrer Anthony, le patron du bar. Au début c’était
très dur de jongler entre les cours la semaine et le travail nocturne le
week-end. Mais je m’y suis faite.
– La bière serait trop douce pour toi et la vodka pas assez brûlante.
Et si j’en crois les clés dans les mains de ton pote, continué-je en
désignant le costaud, ce n’est pas toi qui conduis ce soir, donc tu es
décidé à te mettre une mine.
La soirée bat son plein, la musique met bien l’ambiance et, comme
d’habitude, nous dansons tout en bossant. Je me demande même pourquoi je
ne parviens pas à maigrir avec tout ce que je transpire. Lydia avale
quelques verres offerts par des clients. Enfin, par un, surtout, mais je
suis prête à parier qu’il est marié. Il suffit de voir la marque blanche
autour de son annulaire gauche pour comprendre que l’alliance est bien
planquée sur lui ou dans sa voiture. Mais je ne m’en fais pas pour ma
copine, elle sait gérer ce genre de lourdingues.
– C’est lequel ?
Elle désigne un beau brun ténébreux assis à une table. Ah, ouais, pas
mal.
– Il a réussi.
– Allô ?
– Jared ? Est-ce que ça va ? Tu as l’air super essoufflé.
– Vivi, dis-moi que tu vas bien.
– Euh, oui… pourquoi ça n’irait pas ?
– J’ai trouvé quelque chose. Sur la mort de papa et maman. Tu ne vas
jamais le croire.
– Jared, je t’adore mais je t’ai déjà dit un million de fois
d’arrêter de…
– Ce ne sont pas des conneries, Vivi ! me coupe-t-il soudain,
visiblement énervé. Écoute, je ne peux pas trop te parler, ils sont là.
Je passe te chercher.
– Quoi ? Mais je ne termine pas avant trois heures ! Et puis qui ça,
« ils » ? Jared ? Allô, Jared ?
– Il faut que j’y aille, les gars, Jared s’est fourré dans la merde.
– Encore ?
– Ouais, il n’a pas compris la première fois, apparemment, dis-je,
les dents serrées.
Anthony ne va pas être content, mais mon frère avait vraiment l’air
d’aller mal. Je les remercie avant d’enfiler ma veste et de prendre mon
sac ; je sors du club au moment précis où le pick-up de Jared arrive. Il
descend et se rue vers moi.
– Écoute, Vivi, je n’ai pas trop le temps, là, ils peuvent arriver
d’une minute à l’autre. Garde ça bien caché.
– Jared, je ne comprends p…
– Ja… Jared ?
Elle me prend dans ses bras mais je la sens à peine, elle aussi. Mon
cœur vient de se briser pour la troisième fois en deux ans. Je finis par
m’effondrer à nouveau, tout espoir de ramener Jared à la vie envolé.
Elle me serre dans ses bras et nous laissons libre cours à notre
chagrin pendant plusieurs minutes.
Ryder
Nous avons chacun un flingue pointé sur la tête. Phillip est debout au-dessus
de Lydia qui pleure à chaudes larmes, Jimmy tient Evy en joue qui tremble de
peur, quant à moi, c’est bien entendu Duncan qui a le doigt sur la détente. À
moins d’un miracle, notre sort est scellé. Je crois qu’être exécuté d’une balle
dans la tête, à genoux face à son meurtrier, est l’une des pires façons de mourir.
Ils n’ont même pas les couilles de nous laisser les mains libres. Bande de lâches.
Pour la première fois de ma vie, j’ai les jetons. Je n’ai pas vraiment peur de
mourir, parce qu’à bien y réfléchir, je préfère ça plutôt que de croupir en taule et
peut-être même de subir une injection létale, à cause de toutes ces conneries.
Non, j’ai peur pour Evy. Elle va mourir sous mes yeux et je ne pourrai rien faire
pour elle. Ils vont m’enlever la femme que j’aime et je sens une larme couler le
long de ma joue. Elle ne mérite pas ça. Je ne méritais pas ça non plus, à 5 ans.
J’ai peur pour Lydia et pour ma sœur aussi. D’ailleurs, je suis étonné de ne pas la
voir ici avec nous. Même si c’est l’une des dernières choses que je souhaite, ils
ont tout de même vu les images d’hier et les précédentes.
– Pourquoi ce n’est pas toi qui tiens l’arme sur ma tête ? Tu n’as pas les
couilles de le faire ?
– Duncan en mourait d’envie. Il t’en veut plus que moi.
Evy soupire.
– J’ai rencontré cet homme hier, en allant faire du shopping avec Lydia. (Je
grogne en comprenant qu’une fois encore, elle n’a pas suivi mes directives quant
à son obligation de rester cachée.) Je lui suis rentrée dedans mais je ne savais pas
que c’était ton père. Jusqu’à maintenant.
– Il n’est pas mon père, Evy. Il ne l’a jamais été, tu avais raison : il a tué mes
parents.
– Je t’ai reconnue dès le premier regard, ma jolie. Tu avais beau avoir changé
de couleur de cheveux et d’identité, des yeux d’un bleu si hypnotisant, ça ne
s’oublie pas.
Nos bourreaux enclenchent leurs balles en même temps dans leurs flingues et
le son résonne dans toute la pièce.
– C’est simple, Logan, répond-il en accentuant mon vrai prénom. C’est toi,
bête comme tu es, qui m’as amené à elle. Grâce à une petite merveille de la
technologie d’aujourd’hui qui s’appelle « micropuce GPS » et que j’ai fait
installer discrètement dans la voiture que je t’ai offerte. Comme je te l’ai dit un
peu plus tôt, tu ne croyais quand même pas que j’allais te laisser entièrement
libre ! Je savais que les caméras chez toi ne suffiraient pas et j’ai eu raison,
comme toujours. Si elle est là aujourd’hui, dit-il en désignant Evy, c’est
purement et simplement à cause de toi, Logan. Tu me l’as carrément amenée sur
un plateau d’argent et j’en suis plus que ravi.
Je serre les poings en grinçant des dents. Putain de merde. Je savais qu’il ne
fallait pas que j’aille la retrouver. J’ai toujours écouté mon instinct et ce soir-là,
il m’a dit de ne pas y aller. Or, depuis quelque temps, mon cœur avait pris le
dessus et c’est lui que j’ai suivi. Quel con ! Le corps tremblant et les larmes aux
yeux, je me tourne lentement vers Evy et lui murmure :
– Qu’est-ce que c’est que ça, bordel de merde !!! se met à hurler James.
La bête en moi rugit. Il se jette sur moi et je me mets à le cogner selon une
technique de combat que je maîtrise à la perfection grâce à plus de vingt ans
d’entraînement. Le gars encaisse mes droites, mes uppercuts, mes crochets et
bientôt il ne ressemble plus à rien. Il me touche parfois, mais, la plupart du
temps, j’arrive à esquiver ses coups. Je le cogne pendant plusieurs minutes. Je ne
l’épargne pas, je me défoule sur lui comme un malade. La haine est telle que je
ne réponds plus de rien. Au moment où il réussit à s’emparer de son arme, je
ramasse le couteau qu’il a laissé tomber un peu plus tôt et lui tranche la gorge
sans aucune pitié. Du sang gicle sur mon T-shirt et sur mon visage. Le gars se
tient le cou, les yeux exorbités et respirant à peine. Il tombe à genoux puis à plat
ventre, raide mort. Je me retourne vers les filles, qui se recroquevillent sur elles-
mêmes en me voyant dans cet état, imprégné de sang et le regard empli de haine
et de rage. Je m’approche en les rassurant.
– Je t’aime, Logan !
Je m’arrête net et me retourne pour croiser son regard bleu lagon désarmant,
empli d’amour et de soulagement. L’entendre m’appeler par mon vrai nom me
procure un bonheur et une force de combattre incommensurables. Je m’en vais
au front avec courage et détermination, tel un soldat. Exactement comme me
qualifiait James. Sauf que je suis le soldat qui compte bien l’anéantir, lui. Je fais
dormir Logan et laisse la place à Ryder, le tueur sans aucun état d’âme, sans
aucune pitié. Il va tuer cet enfoiré qui a fait de ma vie un tissu de mensonges. Un
putain d’enfer.
Bientôt, je ne vois plus rien, les forces me manquent, je suis épuisé. Dans un
ultime effort, je parviens à choper le chandelier et lui en donne un coup sur la
tête. Il retombe sur le côté, sonné.
– Tout vient à point à qui sait attendre, n’est-ce pas ?
– Fiston, halète-t-il, voyant qu’il n’a plus aucune chance de s’en sortir.
Elle tremble et son visage est noyé par les larmes. Elle est morte de peur et je
la rassure autant que je peux. Je l’enlace, l’embrasse partout sur le visage, le
cœur rempli de soulagement. Elle est là. Elle est vivante, putain. Et elle m’a
sauvé la vie. Encore. Nous regardons le corps inerte de celui que je considérais
comme mon véritable frère. Un certain sentiment de regret s’empare de moi.
J’aurais voulu qu’il soit comme moi. Que quelqu’un lui ouvre les yeux comme
Evangeline l’a fait avec moi. Ainsi, peut-être serait-il encore en vie aujourd’hui.
En dépit de la douleur atroce que me procurent mon poignet et mon épaule
blessés, je parviens à enlever mon T-shirt et me dépêche de l’enfiler à Evy.
– Je refuse que qui que ce soit puisse encore mater tes seins, me justifié-je,
tandis qu’elle admire mon torse nu comme si c’était la première fois qu’elle le
voyait.
– On a failli mourir et la seule chose qui t’inquiète, c’est que l’on voie mes
seins ?
– Ils sont à moi. Que d’autres puissent les mater m’est insupportable.
– Tu n’as pas abandonné, murmure-t-elle en caressant le tatouage ornant ma
poitrine.
Puis nos regards se baissent vers les deux corps à nos pieds.
Je crois qu’elle réagit ainsi parce qu’elle est en état de choc. Une personne
normale aurait vomi ou serait tombée dans les pommes. Mais pas mon Evy. Elle
est beaucoup plus forte qu’elle ne le croit. Lorsqu’elle a tiré sur Duncan, j’ai pu
déceler une lueur monstrueuse dans le bleu de ses yeux. Elle a fait sortir sa
propre bête durant quelques secondes.
Ryder
– Il se réveille.
– Tu crois ?
– Ses paupières bougent.
Un soupir.
– Evy, ses paupières bougent depuis un mois et il ne s’est pas réveillé pour
autant.
Les voix sont à peine distinctes mais un seul mot retient toute mon attention.
Evy.
Mon Evy.
Cette voix qui me fait vriller à chaque fois. Une main se pose sur la mienne.
Sa main. Mon cœur s’emballe. Le bip-bip qui brise le silence devient irrégulier.
Allez, abruti, ouvre les yeux ! Tu es resté assez longtemps dans les vapes.
Ils pèsent une tonne. Encore un effort, j’y suis presque. Une lumière vive me
perfore les rétines et oblige mes paupières à se refermer automatiquement. Mais
je suis plus borné. Je ne veux pas seulement entendre sa voix. Je veux la
regarder. Lui sourire. La toucher. La deuxième tentative est plus productive et
j’arrive à cligner des yeux.
Je veux parler mais ma gorge est affreusement sèche. Des doigts touchent
mon visage. Ses doigts. Ce que c’est bon de la sentir !
– Logan.
Le nom est doux dans la voix d’Evy, mais il m’atteint telle une gifle. Logan.
C’est moi. J’ai grandi en étant Ryder, mais je suis né Logan. Un râle sort de ma
gorge. Mes yeux rencontrent les siens. Ce bleu si envoûtant, si captivant. Si
fascinant. Je m’y perds, je me noie à l’intérieur de ce lagon inondé de larmes. Un
verre d’eau atterrit dans sa main mais ni elle ni moi ne détournons le regard. Elle
approche le verre de mes lèvres et je bois à petites gorgées sans la lâcher. J’ai
peur qu’elle ne disparaisse si je romps le contact. L’eau me brûle mais c’est une
brûlure vivifiante. Je suis en vie, putain. Et elle aussi. Je suis en vie et je l’aime.
– Em… brasse-moi.
Doucement, ses lèvres se posent sur les miennes et une puissante sensation de
bien-être me submerge. Mon cœur gonfle et tape un sprint, résonnant à travers la
machine. Je voudrais pouvoir lever le bras pour sentir ses cheveux entre mes
doigts. Son baiser se fait plus pressant et j’accueille sa langue avec plaisir. Elle
caresse ma barbe et colle son front contre le mien, le sourire aux lèvres.
– Je t’aime, murmuré-je.
– Nous aussi, nous t’aimons, Logan.
Je ne relève pas. Smith, des chasseurs… Je vois que les filles ont établi un
plan pendant que j’étais en train de flirter avec la faucheuse. Le médecin note
des choses dans son dossier et me souhaite un prompt rétablissement avant de
s’en aller. À peine a-t-il refermé la porte que j’interroge les filles.
J’ai encore un peu de mal à parler, mais je suppose que c’est normal après
avoir été en mode veille pendant un mois.
Mon regard reste rivé sur celui d’Evy. Ses pommettes sont légèrement rouges
et elle se mord les lèvres.
– Que vont-ils devenir ? murmuré-je en regardant les gosses que James a fait
enlever pour les transformer en machines à tuer.
– Les plus petits sont en vie, tente de me rassurer Evy. Ils n’ont pas participé
au combat car ils n’étaient pas prêts et Adrianna les a cachés jusqu’à ce qu’ils
viennent les sauver. Ils vont subir des années de thérapie pour ressentir à
nouveau, explique Evy. Ils vont ensuite retrouver leurs familles. Grâce à toi.
Je ne suis pas d’accord, c’est beaucoup trop facile. Si cela ne tenait qu’à moi,
je les torturerais jusqu’à la fin de leurs misérables vies.
Elle a raison. Tout est fini. Nous pouvons tout recommencer à zéro. Les
gosses vont redevenir normaux et retrouver leurs familles. Evy me dépose un
baiser sur le front.
– Smith ?
– Et lui.
Je fais la navette entre ses yeux et son ventre que ma main touche. Evy hoche
la tête, les larmes aux yeux.
Son expression en dit long. Le treize juillet. Il y a vingt ans, à cette date-là,
mes parents mouraient et je me faisais enlever par un homme qui s’est ensuite
fait passer pour mon père. Qui m’a transformé en monstre.
La porte s’ouvre sur une infirmière, faisant éclater notre bulle intime.
Lydia est presque obligée de la tirer par la main pour qu’elle me lâche enfin.
Ma rédemption.
Et je me retrouve seul.
– C’est l’heure de vos médicaments, monsieur Smith.
***
– Arrête, on va finir dans le décor, rit-elle en me donnant une tape sur la main,
prête à plonger sous sa jupe.
Il faut dire que ces deux dernières nuits à lui faire l’amour quasi non-stop
n’ont pas encore compensé mon manque d’elle durant mon mois de coma. Et je
crois que rien ne pourra jamais me rassasier d’elle. J’admire son profil alors
qu’elle nous conduit je ne sais où. Apparemment c’est une surprise. Bizarrement,
lorsqu’elles viennent d’elle, je suis certain d’être heureux.
À défaut de pouvoir caresser son entrejambe, je pose ma main sur son ventre.
Là où un nouveau cœur bat. Là où se trouve une partie de moi. J’ai encore un
peu de mal à réaliser que je vais devenir père. Et dire qu’il y a encore six mois,
ma plus grande obsession était de rendre mon « père » fier de moi. Aujourd’hui,
c’est de les rendre heureux : elle et notre bébé. Rien ne m’importe plus que ça.
Je me suis débarrassé de mes armes. Non seulement pour effacer toute trace
pouvant m’incriminer, mais surtout en signe de rédemption. J’ai tourné la page.
Et David, aussi. Ouais, même si je ne le porte pas vraiment dans mon cœur
parce qu’il est l’ex de ma copine, je dois dire que je lui dois une fière chandelle.
Sans lui, nous serions morts. Incontestablement.
J’aurais voulu que Carter reste le patronyme officiel mais ce n’est plus
possible. Ce qui compte, c’est que dans nos cœurs, le nom de mon père restera le
mien. Et celui de mon enfant. Je souris largement.
– Très bon choix, chérie. Et si c’est une fille ? Sarah, comme ta mère ?
Je suis perplexe.
– Pourquoi Helen ?
Mais Evy se contente de pincer les lèvres, comme si elle voulait me dire
quelque chose mais qu’elle se refusait à me le divulguer. Est-ce en rapport avec
ma surprise ?
La Mustang – la seule chose matérielle que j’aie gardée de mon ancienne vie,
ça aurait été trop con de se débarrasser d’un si beau bolide – ralentit et Evy se
gare le long du trottoir d’un quartier résidentiel. Tout est parfaitement entretenu.
On se croirait dans le film Edward aux mains d’argent, si ce n’est que les
maisons ont des couleurs moins criardes.
– Mademoiselle…
Une lueur brûlante danse dans ses prunelles et ses joues se colorent de rose.
Je suis sur ses talons et nous nous arrêtons devant une porte blanche avec une
clochette au-dessus.
– Logan.
Pour moi.
Je ne comprends pas comment cela peut être possible, mais pour l’instant je
m’en tape. Tout ce que je veux, là, c’est la serrer dans mes bras et retrouver le
parfum vanillé de mon enfance.
De ma véritable enfance.
Et c’est ce que je fais sans hésiter. Elle me rend mon étreinte et nous laissons
libre cours à nos émotions. Derrière elle, Lydia a les mains sur ses joues et
pleure à chaudes larmes. Evy la prend dans ses bras. Nous restons un moment
ainsi jusqu’à ce que ma mère nous invite à entrer. La maison n’est pas celle que
j’ai connue, mais cela se comprend. Ce que je ne comprends pas, en revanche,
même si j’en suis très heureux, c’est comment elle a réussi à s’en sortir. Je l’ai
tout de même vue morte ! Nous nous asseyons dans le salon design et elle nous
apporte du café avec une assiette où trônent…
Le mot est étrange, sortant de ma bouche. J’avais 5 ans la dernière fois que je
l’ai prononcé. C’est bizarre… mais agréable. Elle pose sa main sur la mienne et
me gratifie d’un sourire attendrissant.
– Ton père et toi étiez au match depuis environ une heure lorsque… lorsque
ces hommes sont arrivés. J’ai été prise par surprise. Au début, ils avaient prévu
de me prendre en otage, mais je n’avais qu’une idée en tête : protéger ta petite
sœur.
Mon regard se pose sur Lydia qui me sourit chaleureusement. J’ai une vraie
sœur. Je n’en crois pas mes oreilles. Ma mère prend une pause pour reprendre le
contrôle de ses émotions. Elle garde les yeux rivés sur la table basse ronde,
plongée dans ce souvenir douloureux.
– J’ai réussi à courir jusqu’à la porte avant que l’un des assaillants ne me tire
dans le dos. Je suis restée inconsciente pendant longtemps. Des voisins ont alerté
les autorités et les secours. Je me suis réveillée à côté de ton père, des médecins
partout autour de moi, et comme je perdais du sang, ils ont dû me faire
accoucher sur place, à côté… de ton père. J’étais terrifiée à l’idée de perdre
Lydia, mais, heureusement, malgré l’horreur, elle a poussé son premier cri.
– Les années ont passé, mais je gardais toujours espoir que tu sois là, en vie et
en bonne santé. Je t’imaginais dans une bonne famille, insouciant et heureux.
Parce que c’est ce qui m’aidait à fermer l’œil la nuit. À défaut de t’avoir avec
moi, j’espérais que tu étais comblé et épanoui. Je restais forte pour ta sœur.
– Et moi, je n’arrive pas à croire que j’avais mon frère sous le nez durant tout
ce temps, que je l’ai traité de con, de macho, d’enfoiré, qu’Evy m’a donné des
détails croustillants sur votre vie au lit et que j’ai même voulu coucher avec toi
juste pour voir si c’était vraiment comme elle le décrivait ! s’exclame Lydia, ce
qui a le don de détendre l’atmosphère et nous faire éclater de rire.
Si elle savait ce que j’ai failli lui faire, moi, six mois plus tôt. Et je suis bien
content de ne pas avoir eu à me servir de ce couteau contre elle.
Quelques heures plus tard, nous sommes tous assis sur le canapé et maman a
ressorti les albums photo. Je découvre mon père, Liam, dont il me reste hélas
très peu de souvenirs, mis à part ce jour où nous sommes allés voir les Red Sox.
Cette journée idyllique pour le gamin de 5 ans que j’étais avant que tout ne vire
au cauchemar. Je ne peux décrire le bonheur que j’éprouve à cet instant. J’ai
retrouvé ma mère, j’ai enfin découvert le visage de ma petite sœur que
j’attendais avec impatience, je vais être père et je suis plus amoureux que jamais
d’Evy.
Nous dînons chez ma mère avant qu’elle ne nous propose carrément de passer
les fêtes de fin d’année chez elle. Je sais que c’est surtout pour m’avoir sous le
même toit qu’elle, par peur de me laisser encore une fois et je ne peux pas lui en
vouloir. Et je ne peux pas non plus refuser. Elle me veut près d’elle avant que
l’on ne doive partir pour un temps indéterminé. En effet, Dixon a sûrement parlé
de nous aux enquêteurs et Evy refuse de devoir me rendre visite dans un hôpital
psychiatrique. Je dois admettre que cette idée ne m’enchante guère non plus.
Quant à elle, on l’a laissée pour morte et elle compte le rester.
J’interroge Evy du regard. Après tout, c’est une décision à prendre à deux,
même si ce n’est qu’une banalité. Elle hoche la tête en souriant.
– Pas trop loin, maman. Et tu seras la bienvenue chez nous. Toi aussi, Lydia.
– CHAMPAGNE !!! s’écrie-t-elle avant de sortir du salon en sautillant de
bonheur, sans doute pour aller chercher une bouteille.
– Bois un verre pour moi, me murmure-t-elle avant de sceller ses lèvres aux
miennes.
***
Evangeline me frotte le dos et je me tourne vers elle pour la serrer dans mes
bras et, sans que je puisse me contrôler, je fonds en larmes. Le chagrin, c’est
nouveau pour moi et, putain, ça fait un mal de chien.
Evy desserre notre étreinte pour planter son regard dans le mien.
– Ne dis surtout pas ça. Tu étais encore un enfant, tu ne pouvais rien faire. Ce
n’est pas ta faute.
Je hoche la tête. Je sais qu’elle a raison, mais je n’arrête pas de me dire que si
nous étions restés à la maison, ce jour-là… Peut-être que… Ou peut-être pas, je
n’en sais rien. Je serre de nouveau Evy dans mes bras. Mon réconfort.
Ma planche de salut.
Celle devant qui je peux éprouver des émotions sans me sentir jugé.
Ma rédemption.
– Merci, murmuré-je dans son cou humide de mes larmes de tristesse mais
aussi de joie.
Je passe un bras sous sa nuque et elle se blottit contre moi, sa tête au creux de
mon épaule.
Elle dessine des petits cercles sur mon torse nu et ma queue se dresse dans
mon boxer. Je grogne de plaisir et me tourne sur le côté pour la regarder dans les
yeux. Je replace une mèche de ses cheveux qui lui barre le front avant de
l’embrasser sur le bout du nez.
– Tu es tellement belle.
Je la vois sourire dans le clair de lune et mon cœur palpite. Elle pose sa main
sur ma joue et m’embrasse. Je lui rends son baiser avec bon cœur, sa langue se
mêlant à la mienne. Je sens déjà ses tétons durcir à travers son débardeur. La
température de nos corps commence à augmenter et je me sens de plus en plus à
l’étroit, en bas. Je fais descendre ma main vers ses fesses rebondies et les palpe
avec passion. Evy bouge pour se mettre à califourchon sur moi. Mon érection
frotte contre son pubis et elle gémit dans ma bouche. Nos mains se baladent sur
nos corps puis Evy se redresse.
– Attends une minute, m’intime-t-elle.
Elle s’approche d’un pas félin et monte sur le lit pour me chevaucher. Je ne
perds pas une seconde pour me redresser et embrasser chaque parcelle de sa
peau dénudée. Ses doigts s’emmêlent dans mes cheveux et elle se déhanche sur
moi, me faisant grogner de plaisir. Je défais la fermeture de son bustier, que je
jette dans un coin de la pièce. Je contemple sa poitrine voluptueuse avant d’en
sucer les pointes. Evy rejette la tête en arrière en gémissant. Je détache son
porte-jarretelles et la bascule précautionneusement sur le dos pour le lui enlever
ainsi que son string.
– Je veux te faire l’amour avec tes bas et tes chaussures, murmuré-je d’une
voix rocailleuse et elle hoche la tête.
Mes doigts glissent le long de son buste, suivant le léger renflement de son
ventre. Je réprime un sourire en me souvenant de la première fois que nous
avons fait l’amour après mon réveil.
– Le bébé…
– Le bébé est protégé, chéri, m’a-t-elle coupé d’emblée. Il ne sentira
absolument rien.
– Tu es sûre ?
Je n’avais pas très envie que ma progéniture subisse mes assauts en même
temps que sa mère, tout de même.
Elle m’empoigne la queue alors que j’insère un premier doigt en elle. Elle est
incroyablement chaude et trempée. Bordel, je vais exploser. Mais je veux
savourer chaque instant en même temps. Je fais alors descendre ma bouche le
long de son cou, sa poitrine lourde de désir, son ventre. Elle se cambre de plaisir
en me griffant les épaules. J’ai le corps en feu. Je finis par arriver à mon endroit
préféré de son anatomie et la lape doucement, tendrement. Elle écarte un peu ses
jambes qu’elle replie sur moi et ses talons appuient sur mon dos. C’est
terriblement excitant. Je fais tourner ma langue autour de son clitoris gorgé de
désir tandis qu’elle tire sur mes cheveux et que ses gémissements se font plus
forts et plus aigus. J’insère deux doigts en elle en même temps.
Je tourne de plus en plus vite et elle finit par jouir dans une cascade chaude et
sucrée à l’intérieur de ma bouche. Je remonte le long de son corps. Sa respiration
est haletante et moi je n’en peux plus. Je plaque mes lèvres sur les siennes avant
de la pénétrer doucement, centimètre par centimètre. Elle me serre fort contre
elle et mes coups de reins se font de plus en plus dynamiques. Je grogne dans
son cou, ma queue gonfle en elle, je me sens déjà au bord du précipice. Je sens la
chaleur de sa chatte magique qui se contracte autour de moi, ce qui me pousse à
y aller toujours plus fort, toujours plus profondément. Nos halètements se font de
plus en plus bruyants et, honnêtement, je me tape totalement que l’on puisse
nous entendre. De toute façon, elles ne sont pas bêtes, elles savent parfaitement
que nous sauter dessus est la première chose que nous avions prévu de faire une
fois dans la chambre.
Son cri de jouissance emplit la pièce tandis que son corps se tend et que les
parois de son intimité se resserrent autour de mon sexe.
Je ne tarde pas à la rejoindre et me répands en elle dans une explosion de
bonheur.
– Je t’aime, chérie.
– Je t’aime, répète-t-elle.
Elle caresse le nouveau tatouage que je me suis fait faire dans le dos. J’avais
besoin de transcrire ma renaissance. Et quoi de mieux qu’un énorme phénix en
flammes pour la représenter ? Désormais, le monstre n’est plus en moi, mais
seulement dessiné sur ma peau. J’ai douillé mais j’en suis fier. Nous nous
endormons dans les bras l’un de l’autre.
***
Mon premier Noël depuis vingt ans s’est merveilleusement bien passé. Adi
est venue avec son petit ami. Elle était toute pimpante et souriante, j’ai eu
beaucoup de mal à la reconnaître. Comme moi, elle a fait sa rédemption. Maman
nous a gâtés en nourriture et en cadeaux et nous nous sommes embrassés sous le
gui.
Désormais, il est temps pour Evy et moi de prendre le large. Nous sommes
près de la voiture et nous faisons nos adieux pour quelque temps. Ma mère ne
parvient pas à desserrer notre étreinte. Elle est en larmes mais elle est consciente
que c’est ce qu’il y a de mieux pour nous.
Elle se résigne à me lâcher pour prendre ma femme dans ses bras tandis que je
fais de même avec Adrianna.
– Prends soin de mes bébés, entends-je ma mère confier à Evy en lui caressant
le ventre.
Ma femme hoche la tête en souriant.
David – qui a fait le chemin avec sa femme Kate, la cousine d’Evy – me serre
la main.
Une dernière embrassade collective et nous voilà partis pour notre nouvelle
destination, à environ cinq heures de route.
Nous ne voulions pas être trop loin de ma mère et de Lydia, sans rester trop
près non plus. L’affaire James Powell a été classée définitivement, mais nous
préférons ne pas prendre de risque.
Evy a passé son examen par correspondance avec brio. Sa thèse relatant notre
histoire lui a valu une mention et elle a décroché un job de criminologue. Quant
à moi, je m’y connais en voitures, je ne devrais pas avoir trop de mal à me
convertir en mécano.
Un silence apaisant plane au-dessus de nous tandis que la Mustang avale les
kilomètres. La voix d’Evangeline me ramène sur terre.
– Logan ?
– Mmh ?
– Comment imagines-tu notre avenir ?
Elle coule un regard attendrissant vers moi et un sourire illumine son si beau
visage.
– Absolument.
– Mmh, pas mal, comme idée.
– Est-ce que ça veut dire oui ?
– Absolument.
FIN
Playlist
Courrier – « Between »
Skillet – « Monster »
Maroon 5 – « Animals »
ZKAT_001
Prologue
Kitty
J’ai toujours pensé que Kat et moi vivrions toutes nos premières fois
ensemble. Évidemment, il y en a eu quelques-unes – notre première gueule de
bois, notre premier baiser, la première fois où nous avons fait le mur, et bien
d’autres encore. Mais je n’aurais jamais cru qu’elle irait à la fac sans moi.
Surtout, je n’aurais jamais imaginé la rage que mon absence allait faire naître
en elle. Ce flot de colère qui allait la pousser bien au-delà de l’autodestruction.
Et je la vois, de mois en mois, se diriger vers le pire des chemins, sans pouvoir la
dissuader de le faire.
Chacune de ses visites me rappelle à quel point c’était bien avant. Chacune
des larmes qu’elle me cache témoigne que tout est ma faute. Chacun de ses
tatouages me raconte notre histoire.
Mon erreur a ruiné trois vies, enfin quatre, mais la mienne ne compte pas. Et
je ne tiens pas compte de tous les dommages collatéraux.
Cet homme dont elle me parle viendra sans doute allonger la liste, je le sens.
Elle, qui ne me parle jamais de personne, vient de débarquer pour discuter de lui.
Je le vois, elle aussi est épuisée ; elle a tout gâché, me dit-elle ! J’en doute.
J’ai fait d’elle cette bombe à retardement, devenue justicière par vengeance.
Je m’inquiète pour elle, je voudrais qu’elle arrête, je voudrais qu’elle vive.
J’aimerais lui crier que je ne désire aucune vengeance, seulement son bonheur.
J’aimerais la serrer encore une fois dans mes bras et la faire rire aux éclats.
J’aimerais qu’elle cesse de m’attendre.
1.
Grayson
Je crois que c’est lui qui m’a donné le goût de la philosophie, parce que
franchement, à 14 ans, cette phrase n’avait pas grand sens pour moi. Aujourd’hui
en revanche, presque six ans après, je sais qu’il avait raison. Mais j’ai fini de
pleurer sur mon sort, je compte travailler dur pour obtenir mon diplôme. Aucune
distraction ne sera tolérée, sauf Colin, de temps en temps, pour boire une bière.
Colin, c’est le genre de mec qui ne pose aucune question, mais si je l’appelle
à quatre heures du matin pour lui demander de venir, il viendra. C’est mon
meilleur ami, le seul et l’unique. C’est pourquoi, même si je préférais largement
être dans mon appartement à étudier, j’ai accepté qu’il me traîne dans ce bar
bondé. Un soir de semaine, pour couronner le tout. Il a beau me dire que
l’avantage de sortir le jeudi, c’est qu’on est l’avant-dernier jour avant le week-
end, je reste sceptique.
Une blonde le dépasse afin de nous conduire à une table. Elle roule
généreusement des hanches. Je trouve cela vulgaire, mais Colin, lui, semble
apprécier.
Tous deux échangent des regards complices. Je comprends cette fille, Colin
est un bel homme. 22 ans, brun à la peau mate, un mètre quatre-vingts pour
quatre-vingts kilos de muscles, c’est sûr qu’il a tout pour plaire. À côté, je fais
bien pâle, filiforme, un mètre soixante-quinze pour soixante-sept kilos, plutôt le
genre d’homme qui passe inaperçu.
Mon teint est d’une blancheur cadavérique, mes cheveux sont un méli-mélo
de boucles blondes que je ne tente même plus de dompter. Je ressemble
beaucoup plus à l’acteur Benedict Cumberbatch qu’à une gravure de mode, mais
cela me convient.
De plus, je sais que certaines filles aiment ça ; j’ai du charme, mais le genre
« croqueuse d’hommes » ne me porte généralement aucune attention. C’est
mieux ainsi.
Je plante mon regard azur dans celui de Colin, plus sombre. Il me sourit avec
innocence, mais je ne suis pas dupe. Il commande deux bières et la blonde
plantureuse disparaît enfin, nous laissant un peu d’air.
La musique est trop forte, et pas du meilleur goût en plus. Je ne suis encore
jamais venu dans ce lieu, mais je sais d’avance que ce sera l’unique fois. La
blonde réapparaît et dépose deux pintes entre nous. Nous trinquons.
– Hors de question.
– Tu m’épuises !
– Je sais.
Nous rions de bon cœur. C’est ce que j’apprécie chez Colin : jamais il ne me
fait de reproche, jamais il ne me juge, jamais il ne pose de question. Il a été là
durant deux ans, à sa manière discrète, il me soutenait, souvent à grand renfort
de bières et de pizzas, à sa manière à lui. Je l’observe tandis qu’il note son
numéro sur la serviette en papier posée sur la table.
À 18 ans, je pensais surtout à draguer la plus belle fille de la soirée, seul son
physique importait. Je passais la nuit avec elle et ne la rappelais jamais.
J’ai changé.
Je n’ai pas touché une femme depuis deux ans et je ne m’en porte pas plus
mal. Les fêtes, l’alcool et les filles ont perdu de leurs charmes. J’essaye pourtant,
mais aucune femme ne parvient à me faire ressentir ce frisson, ce désir et cette
envie d’aller plus loin. Pas même cette fille à la fac qui s’assoit à mes côtés à
chaque cours. Je vois bien qu’elle tente de m’approcher, mais je feins
l’ignorance. Ce n’est pas qu’elle soit repoussante, c’est juste qu’elle ne m’attire
pas. Plus personne ne m’attire et j’ose espérer que la prochaine femme que je
ferai entrer dans ma vie en vaudra la peine.
Lorsque la serveuse revient pour une deuxième tournée, j’observe le petit jeu
de Colin qui lui glisse la serviette en papier sur la table. Elle s’en saisit et lui
adresse un sourire. J’aimerais être capable de séduire une femme, être de
nouveau ce jeune homme qui échange des regards complices avec une femme.
Mais je ne le suis plus, et cette scène m’incommode.
– Grayson, enchanté.
– Dylan.
Dylan me désigne son pote, je lui offre un signe de tête mesuré. Le tout est de
gagner la confiance de ces deux-là afin d’obtenir l’info que je désire. Pourquoi ?
Même moi en cet instant je ne le sais pas !
C’est évidemment Joey qui prend la parole. Je lui offre un sourire amusé,
tandis que mes pensées filent dans tous les sens. Je réfléchis à toute vitesse afin
de trouver une raison valable, quand, finalement, je décide de jouer franc jeu et
réponds :
Dylan acquiesce d’un énergique signe de tête, tandis que Joey semble me
jauger une fois encore. Je lui laisse le temps de prendre la température. Nous
restons quelques instants silencieux, Dylan, un sourire sincère pendu aux lèvres,
Joey me dévisageant, et moi tentant de la jouer relax et rester serein.
Joey prononce ces mots avec une certaine gravité dans la voix, Dylan, lui,
acquiesce de la tête. De toute évidence, elle est connue dans le milieu, reste à
savoir quel milieu.
Je m’en serais douté, pas besoin de le dire. Je mets en route mes méninges.
Joey se méfiait, il trempe donc dans le milieu, et s’il me répond, c’est que j’ai
gagné assez de points pour entrer dans ce cercle privé moi aussi.
– Où ?
– Eh bien disons qu’ils ne laissent pas entrer n’importe qui, si tu vois ce que
je veux dire.
Je réfléchis vite afin de justifier ma tenue, non, je ne pourrai pas. Dans ce cas,
comment justifier mon envie de voir un tel combat ? Une idée me vient.
– C’est pour mon pote. Il fête ses 20 ans et il est plus du genre combat que
moi. Je me dis que ça pourrait être sympa que je lui offre un si beau spectacle
pour son anniversaire.
Ils s’exécutent.
– Pas de problème. J’imagine que je n’ai pas l’allure de ceux qui viennent à
ce genre de combat.
– C’est clair, mais ton pote, lui, entrerait sans problème.
– Alors aidez-moi à le rendre heureux pour son anniversaire. On n’a 20 ans
qu’une fois après tout.
– Les combats ont lieu dans une salle de boxe, à deux pas de Main Street. Tu
t’y rends pour vingt et une heures et tu présentes ton invitation.
– Comment je récupère une invit’ ?
– File-moi ton numéro de téléphone, je te l’envoie par SMS.
Je m’exécute sans broncher. Une voix dans ma tête me dit d’arrêter tout de
suite mes bêtises, mais une autre voix, plus bruyante, me dit que je dois foncer,
que je dois faire exactement ce dont j’ai envie, sans regret, parce que le temps
nous est à tous compté. Évidemment, je me fie à cette voix, la voix de celui que
j’ai perdu trop tôt. Depuis que j’ai accepté sa mort, j’ai aussi accepté de vivre, et
cela à tout prix, sans regarder en arrière, sans me poser trop de questions, sans
regretter ce qui ne sera pas. En cet instant, je suis serein, amusé même, car
l’ancien Grayson aurait vendu père et mère pour se rendre dans ce genre de
combat. Finalement, me retrouver ici ce soir est une bonne chose, l’occasion de
renouer avec toutes les personnalités qui me composent.
Il se saisit du billet et hoche la tête, sans se soucier du ton ironique que j’ai
utilisé.
J’acquiesce d’un signe tête, ces deux-là ont des allures de vrais durs, mais au
fond je ne pense pas que ce soit le cas. Comme quoi, les apparences sont
trompeuses.
Je range mon téléphone dans ma poche après avoir vérifié que j’ai bien reçu
l’invitation, puis je quitte les sanitaires. Je ne devrais pas me rendre à ce combat,
mais j’en ai envie. Toute cette violence, toute cette rage, je veux voir de mes
propres yeux cette fille se battre.
– Eh bien, il s’avère que oui, et j’ai une invitation pour ce soir. Mais le
premier combat est à vingt et une heures, donc…
– Putain, qu’est-ce que tu attends, on bouge !
Colin ne me laisse même pas le temps de finir ma phrase que, déjà, il attrape
sa veste en cuir, prêt à bondir. Je le reconnais bien là, prêt à partir à l’aventure et
excité par de nouvelles découvertes ! Je souris intérieurement, comme au bon
vieux temps.
– Putain, mec, ça va être top. Depuis deux ans que je suis là, je n’ai jamais
réussi à obtenir une invitation, et toi tu débarques et déjà tu en as une !
– Que veux-tu, c’est mon charme qui veut ça.
Nous échangeons un regard complice avant de pouffer de rire comme des
enfants.
Colin se tortille sur son siège d’impatience. Je dois bien avouer que cela me
fait plaisir de le voir ainsi. Nous ne sommes qu’à quelques rues de l’adresse
indiquée, lorsque mon ami me conseille de me garer.
Il a raison, nous avons toujours fait ainsi, chacun ayant les clefs du véhicule
de l’autre. Je me souviens des matins où je frappais au carreau de sa Ford afin de
le réveiller. Souvent, l’un de nous dormait dans la voiture, tandis que le
deuxième passait la nuit avec une fille. Parfois même, en pleine nuit, alors que je
venais me réfugier dans ma voiture, je le trouvais endormi, roulé dans un sac de
couchage.
– Évidemment.
– Toi, tu assures !
Nos kits de survie sont en fait deux sacs de couchage, deux oreillers, des
caleçons et deux trousses de toilette pour les nuits trop courtes. À cela s’ajoutent
la pharmacie, aspirine et autres, ainsi que beaucoup de bouteilles d’eau.
Nous avançons droit sur lui, confiants autant que nous pouvons l’être. À sa
hauteur, impossible de ne pas remarquer ses bras tatoués, sa barbe négligée, son
visage fermé, du genre impassible et blasé. C’est si cliché que j’en rirais si je ne
désirais pas ardemment entrer dans cette salle.
– Deux.
– Je ne rends pas la monnaie.
– Je n’y comptais pas.
– Invitation.
J’ouvre le SMS et lui colle sous le nez. Colin tente de conserver son sérieux,
mais la situation l’amuse, il connaît mon caractère explosif et se doute que
donner une leçon à ce videur ne me ferait nullement peur. Mais c’est inutile, le
gros bras se saisit de mon billet et fait un pas de côté afin de nous libérer le
passage. Je devance Colin.
Une fois à l’intérieur, il passe son bras autour de mes épaules et plaque une
bise sonore sur ma joue.
– T’es le meilleur !
– Je sais.
– Installe-toi, je vais nous chercher deux verres.
La salle est grande mais bondée. C’est une salle de sport comme les autres, un
parquet ciré et des gradins, rien de bien exceptionnel. Je repère des places
disponibles sur la gauche et prends cette direction.
À peine ai-je retiré ma veste que Colin vient me rejoindre, deux grands
gobelets en plastique dans les mains. Il me tend l’un d’eux et prend place à mes
côtés.
L’organisation est simple, chaque combat, qui dure quinze minutes, est
découpé en cinq manches de trois minutes. Si à la fin du délai imparti aucun des
deux n’a rendu les armes, c’est au public d’élire le vainqueur à l’applaudimètre.
Une dizaine de combats sont programmés, sept entre hommes, deux entre
femmes, et enfin, celui qui se définit selon le présentateur comme le combat du
mois, celui entre le Titan et la Tigresse évidemment, en fin de soirée. Il précise
que la Tigresse est la seule femme à concourir dans la catégorie mixte et qu’elle
est actuellement dans une série de neuf victoires consécutives. Deux femmes
s’avancent sur le ring et entament leur match. Colin se penche vers moi.
Je souris. C’est vrai que je m’habille plutôt BCBG, mais je ne pense pas que
des vêtements puissent définir qui je suis en totalité. Tout comme mon quatre-
quatre ou mon appartement ne font pas de moi un fils à papa, même si cela y
ressemble. J’ai de l’argent pour financer mes études, et même assez pour me
faire plaisir. Mais cela n’a rien à voir avec une rente versée par ma famille. Cet
argent, je l’ai gagné durement.
Lorsque la Tigresse fait son entrée, la salle se lève pour l’acclamer. Moi-
même, je frappe dans mes mains et l’encourage.
Elle est plus petite que son adversaire, un mètre soixante-dix, et ne pèse que
soixante-cinq kilos, ce qui ne semble inquiéter personne. Les bras de cet homme
doivent faire deux fois ceux de la fille et je ne peux m’empêcher d’être inquiet
pour elle. Elle porte un jean simple et un débardeur blanc. Du blanc ? Pour un
combat, c’est un peu risqué, non ? Elle a recouvert son visage d’une peinture
grise, sans doute pour masquer son identité. Elle porte aussi un bandeau sur les
yeux, mais dans son regard je lis la détermination. Je frissonne d’être en sa
présence. Je me reconnais en elle, je me revois deux années plus tôt, j’observe
ses gestes, sa détermination et admire sa manière de contenir ses émotions. Je
suis happé par ce moment unique, et m’y abandonne, confiant.
Je ne peux détacher mon regard d’elle, elle sautille sur place. Son corps est fin
et élancé, elle fait frêle à côté de son adversaire. C’est peut-être ça le truc, elle
semble si fragile que les hommes ne se méfient pas d’elle. Mais j’en doute, après
neuf victoires, les personnes qui l’affrontent doivent bien savoir à quoi
s’attendre. Elle est brune, ses cheveux sont bouclés, je pense, vu la manière dont
des mèches rebiquent de son chignon. Ils doivent lui arriver aux épaules. Son
regard est vert, profond ; même à vingt mètres de distance, je suis subjugué.
Le début du combat est donné et la Tigresse se jette sur son adversaire. Elle
lui donne plusieurs coups de poing en pleine figure, suivis de coups de pied dans
les tibias. L’homme riposte avec une violente gifle, cela a pour effet de couper la
lèvre de la Tigresse. Elle essuie le sang sur son visage d’un revers de main,
semblant presque insensible à la douleur. Le Titan se jette sur elle et tente de
l’étrangler. Elle a le dos collé à son torse, il a enroulé son avant-bras autour de
son cou.
La foule est en délire, pas moi. Je retiens mon souffle en priant intérieurement
pour qu’elle parvienne à se libérer. Je suffoque presque à sa place. J’ai peur, une
peur viscérale.
Pourquoi me soucier de cette fille que je ne connais pas ? Je n’en sais rien,
mais elle me fascine. Étrangement, elle ne se débat pas, elle se laisse faire. Puis,
comme un serpent s’enroule autour de sa proie sans lutter, la Tigresse replie ses
jambes et donne deux violents coups de pied dans les genoux du Titan. Il la
lâche et tombe au sol, plié de douleur.
Le cri que le Titan pousse est presque animal. La Tigresse, elle, tourne autour
de lui en faisant des mouvements de bras, invitant la foule à faire plus de bruit.
L’effet est immédiat, tous semblent ravis de ce spectacle. L’homme tente de se
relever, mais aussitôt elle le saisit par les cheveux et lui murmure quelque chose
à l’oreille. Le Titan acquiesce puis lève une main en l’air en baissant son pouce
vers le sol. Le présentateur prend la parole.
Le Titan, toujours au sol, est secouru par deux hommes qui passent leurs bras
sous ses épaules pour l’aider à quitter le ring. Je reste figé par le déchaînement
de violence dont je viens d’être le témoin. Elle lui a brisé un genou sans
sourciller. Colin est en transe à mes côtés. J’observe la Tigresse qui remet sa
veste et quitte le ring en tenant sa paume de main contre son sourcil. Il me
semble que durant le combat, l’homme lui a donné un coup à cet endroit. Lui
aurait-il ouvert l’arcade ?
Elle traverse le gymnase et se dirige vers les vestiaires. Un homme l’y attend.
Je veux la voir de plus près, j’en ai besoin. Je veux lui parler. Cette fille vient de
faire renaître une flamme en moi, j’ai besoin de l’approcher avant que la flamme
ne s’éteigne.
2.
Katherine
– Je crois que j’ai besoin d’un point ou deux au niveau de l’arcade. Cet abruti
avait une chevalière.
– Pas de problème, je te fais ça. Et ta lèvre, ça va ?
– Un peu de glace et ça ira.
Jason prend place sur le banc face à moi et ouvre la trousse de secours. Je
saisis ma bouteille d’eau et bois la moitié d’un litre. Il désinfecte mon arcade, je
ne ressens même pas la morsure du désinfectant sur la plaie.
Jason suture mon arcade sans se défaire de son air niais. Ça fait presque un an
que je l’ai rencontré. Il est le gérant d’une salle de boxe en ville. J’ai poussé sa
porte un peu par hasard, j’avais besoin d’en découdre. Très vite, il a repéré mon
potentiel et m’a inscrite à mon premier combat, ici même, la semaine suivante.
Les règles sont simples, je lui envoie un SMS le mardi si je veux combattre, il
se charge de trouver les adversaires. Il paye l’inscription et prend les paris. À la
fin du combat, il s’occupe de récupérer notre argent, il me soigne et surtout il me
fout la paix.
Nous ne sommes pas amis, juste partenaires en affaires. Je lui dis quoi faire
de mon fric et il obéit.
Quant aux autres mecs, je passe une heure ou deux avec eux, puis je me tire.
Je n’ai pas le temps pour toutes ces conneries de rendez-vous. Je n’ai pas envie
de faire connaissance. J’ai juste envie, parfois, de boire une bière et de baiser.
Mais une fois la partie de jambes en l’air finie, chacun reprend sa vie et on ne se
connaît plus. Je ne donne mon numéro à personne et personne ne me le réclame.
– À ton avis ?
– Un truc dans le genre « si tu te relèves, je t’explose le deuxième genou » ?
– Ouaip, en gros c’est ça.
Je me souviens avoir passé un moment agréable avec eux. Jason m’a toujours
présentée comme une étudiante fréquentant sa salle, et personne n’a jamais posé
de question. Jason, de toute façon, n’a pas la tête du menteur : petite quarantaine,
bel homme, propre sur lui. Il fait plutôt père de famille modèle que coach pour
des combats clandestins. C’est aussi pour cela que j’ai accepté qu’il s’occupe de
moi.
Jason me protège quand un des gars menace de porter plainte, comme le con
de ce soir à qui j’ai dû péter le genou. Ces mecs viennent se battre contre moi, ils
signent une décharge et pensent pouvoir être les premiers à me vaincre. Ils
pourraient ainsi épater la galerie. Mais cela ne se passe pas comme ils le rêvent
la plupart du temps. Après le combat, ils finissent minables et veulent me faire
payer leurs déculottées.
Mais Jason couvre mes arrières, il fait en sorte qu’aucun de ces gars ne puisse
me retrouver ou connaître mon identité. Ça fonctionne bien, nous n’avons jamais
eu de problème majeur. Sauf pour ce mec à qui j’ai mis un coup de pied dans le
dos. Je lui ai cassé deux côtes et il a été en incapacité de travail pendant des
semaines. Afin qu’il la ferme, j’ai payé ses soins. Ce mec l’avait cherché, il
connaissait les risques, pourtant il n’a pas hésité à monter sur le ring pour en
découdre.
Depuis, Jason fait signer des décharges à tous ceux qui m’affrontent, ce qui a
deux fonctions, la première, nous protéger, la deuxième, perpétuer le mythe.
Je surprends parfois, dans les couloirs de la fac, des personnes parler de mes
exploits. C’est toujours amusant.
Je pense au match que je viens de gagner. Le Titan, encore un de ces mecs
persuadés que ses muscles allaient venir à bout de moi. Lorsque j’ai senti son
bras serrer ma gorge, j’ai su que j’allais le mettre à terre.
Ma rage est mon seul moteur, elle cristallise mes douleurs pour les déverser
sur ceux qui ont le malheur de croiser ma route. C’est mon exutoire.
Lorsque je l’ai vu tenter de se relever, j’ai su que s’il le faisait, j’allais sans
doute le laisser dans un état minable. Au moment où j’ai saisi ses cheveux, j’ai
hésité entre cogner sa tête contre le sol ou lui laisser une chance. Mais j’ai lu la
terreur dans ses yeux. « Si tu te relèves, je te promets que tu sortiras de cette
salle les deux pieds devant ». Je lui ai chuchoté ces mots avec conviction,
tellement de conviction qu’il a abandonné le combat. C’était sans doute mieux
ainsi, car s’il s’était relevé, je crois que je l’aurais tué…
3.
Grayson
Le regard que je lui lance semble être convaincant, car ses épaules se
détendent légèrement.
– Cinq cents.
Il regarde les billets, puis moi, puis de nouveau les billets et s’en saisit avant
de s’écarter d’un pas.
– Comme d’habitude.
La voix de cette fille contraste avec sa violence. Une voix douce, presque
chantante. Ses quelques mots expriment une certaine lassitude, alors que tout son
être clame la détermination.
– Prends cet argent et fais-toi plaisir, je ne sais pas, moi, passe ton permis,
pars en vacances.
La voix de cet homme est toujours égale. Il tente un pas vers elle, mais elle se
recule. Un geste qui calme ma jalousie, bien que je sache que cette même
jalousie est totalement déplacée.
Un ex ? La pire catégorie selon moi. Mon regard suit cette conversation avec
avidité, tentant de déceler chez la Tigresse le moindre mouvement de cils me
permettant de découvrir qui elle est vraiment.
Même si les mots qu’elle emploie sont durs, la Tigresse a du respect pour cet
homme, je n’en doute pas. Cette remarque sonne la fin de la discussion. Je
décide de me plaquer contre le mur afin qu’ils ne me remarquent pas. J’aimerais
l’écouter parler encore. Je sais qu’espionner est mal, mais cette fille a un sacré
caractère et je doute que l’approcher soit une chose facile. Le silence retombe
dans la pièce, je retiens mon souffle.
La Tigresse est ironique, même sans la voir, je peux le deviner au ton qu’elle
emploie. L’homme, Jason, est le premier à quitter la pièce. Il m’aperçoit, me
dévisage de la tête aux pieds avant de sourire. Il se retourne et lance en direction
de la fille :
Jason repose son regard sur moi, toujours aussi amusé par la situation et ma
présence. Je me demande si c’est à cause de mon allure, ou du fait qu’il m’ait
surpris en train de les espionner.
– Tu devrais filer avant qu’elle ne sorte. Si tu l’as vue combattre, tu sais déjà
qu’il ne faut pas la contrarier.
Jason m’adresse ces mots sur le ton de la confidence, tout en jetant des
regards vers le vestiaire.
Mes mots sont prononcés avec détermination. Je croise même les bras sur ma
poitrine, histoire de me donner une contenance.
– On ne pourra pas te dire que je ne t’ai pas prévenu. Mais si elle te laisse
pour mort dans ce couloir, il ne faudra pas venir te plaindre.
Jason me lance ces mots et disparaît. Je patiente encore un petit moment avant
qu’elle ne sorte du vestiaire. Je suis nerveux, impatient et tente de me calmer en
effectuant les cent pas. Il ne faut que quelques minutes pour qu’enfin la Tigresse
quitte son antre. Elle file à vive allure en me tournant le dos. Sa tenue
quelconque, presque passe-partout, me surprend, tout comme le fait qu’elle ait
rabattu la capuche de son sweat sur son visage. De toute évidence, l’approcher
ne sera pas aussi facile que je l’envisageais. Pourtant, je ne peux la laisser filer
ainsi. Mon cerveau cherche encore une solution lorsque mon corps, lui, décide
d’agir seul. Je tente de la rattraper et lance :
– Attends.
Mon ton est implorant, mais cela fonctionne. La Tigresse s’arrête et tourne
son regard dans ma direction. Seulement un quart de seconde, mais assez
longtemps pour que son regard me transperce. Ses yeux sont comme je les
imaginais, vert intense malgré son regard dur. Son visage est fin, en tout cas, de
ce que je peux en voir sous cette capuche. Elle a défait ses cheveux et ses
boucles brunes retombent sur ses épaules. Elle est belle, vraiment très belle. Je
m’aperçois qu’elle est dans mes âges. Elle me lance un regard blasé avant de me
tourner le dos et de s’éloigner dans le couloir.
Je tente une note d’humour mais de toute évidence cela ne fonctionne pas. La
Tigresse poursuit son chemin, s’éloignant de moi. Si je ne trouve pas quelque
chose à lui dire et vite, elle va disparaître et je ne la verrai plus jamais. Je ne sais
pas pourquoi, mais le fait de ne plus la revoir me serre les entrailles, je ne
connais même pas cette fille, c’est ridicule. Le destin semble se liguer contre
moi, parce que la voix d’un homme résonne dans le couloir.
– Étudiant, je présume.
– Oui.
– Quelle spécialité ?
– Droit.
– Il faut vraiment être stupide pour venir ici prendre des risques insensés
lorsqu’on envisage de devenir avocat comme papa.
– Mon père est banquier et ma mère comptable.
– Je vois.
Ses lèvres esquissent un sourire puis elle reprend son chemin. Je devrais me
mettre à courir comme un fou afin de trouver une issue mais au lieu de ça, je
reste planté comme un idiot à la regarder s’éloigner. Elle dégage plus de
sensualité que toutes les femmes que j’ai connues. La morsure de son sourire est
encore gravée dans ma mémoire et je sens naître un sentiment diffus de joie en
moi.
– Si tu ne veux pas que ton nom soit mentionné dans un rapport de police, je
te conseille de me suivre.
La Tigresse me lance ces mots sans même se retourner. Je ne mets pas deux
secondes à me décider et m’élance après elle. Elle tourne à gauche puis s’engage
dans des escaliers.
[Compris.]
Je rédige ma réponse tout en posant mon regard sur les fesses de cette fille qui
grimpe les marches devant moi. Moulées dans ce jean, elles sont sacrément sexy.
– Tu devrais éteindre ton téléphone, la police peut détecter tous les mobiles
présents dans un rayon d’un kilomètre.
Sa remarque me fait sortir de ma transe, je lui obéis car la manière dont elle
prononce ces mots me laisse supposer qu’elle sait de quoi elle parle. Elle est
confiante, et sa confiance déteint sur moi. Nous atteignons le toit. Elle tire un
trousseau de sa poche et déverrouille la porte. Le toit est désert, mais l’agitation
qui règne dans la rue nous parvient.
Elle verrouille la porte derrière moi puis se dirige vers une sorte de passerelle
entre notre toit et le toit voisin. Elle marche d’un pas tranquille et ne semble pas
inquiète par la présence de la police, quatre étages plus bas.
– Nous avons dix minutes pour éteindre cette lumière. La police ne monte pas
sur le toit avant trente minutes, en général.
Sur ces mots, ma partenaire retire sa veste. Puis elle s’assied sur le lit pour
défaire les lacets de ses chaussures.
Je me sens ridicule mais j’obéis. Elle retire son jean, me dévoilant un shorty
en dentelle noir. Je détourne le regard et me concentre sur mes pieds afin de
calmer le désir ardent qui monte en moi. Elle retire son débardeur, puis son
soutien-gorge et remet le premier. J’ai à peine le temps d’admirer ses tatouages.
Elle en a plusieurs. Je suis frustré par le peu qu’elle me dévoile d’elle-même. Je
ne désire qu’une chose, admirer son corps, le couvrir de baisers et de caresses.
Le désir qui me pousse vers elle est puissant, je ne peux pas lutter. À quoi bon ?
Mon corps la réclame autant que mon être. Je me sens impuissant et prisonnier.
Prisonnier parce qu’elle vole mon cœur chaque seconde un peu plus, impuissant
parce qu’elle ne semble même pas se rendre compte que j’existe. Elle se saisit de
ses vêtements et les pose dans un coin sombre que je ne distingue pas.
– Allez, enlève tes fringues, je ne vais pas te violer.
Sa remarque sonne durement, tandis que son regard amusé me dit tout autre
chose.
La Tigresse me lance ces mots, tout en prenant place dans le lit contre le mur.
Son regard est joueur, elle me déroute. Je retire mes chaussettes et mon jean.
Puis ma veste et ma chemise. Je laisse le tout au sol, en cet instant je me moque
de mes vêtements. La situation est étrange mais j’adore ça, je suis même excité
par cette étrangeté.
– Mon premier cours est à neuf heures demain, ça ira pour toi ?
– Pardon ?
– Tu es le genre de garçon à se sentir redevable après un tel service, donc vu
que je ne vais pas accepter que tu m’aides, cela va te torturer et tu vas chercher
durant des semaines, voire des mois comment régler ta dette.
– Qu’est-ce que cela t’apporte ?
– Une distraction.
– Je vois.
– D’autres questions ?
– Oui, toujours.
– Je t’en prie, interroge-moi. Mais garde toujours en mémoire qui je suis et ce
dont je suis capable.
Ces mots ne sonnent pas comme une menace, plutôt comme un jeu. Je souris
et me détends.
– Où sommes-nous ?
– Dans l’abri de jardin d’un habitant de l’immeuble.
– Tu viens souvent ici ?
– Après chaque combat, c’est pour cela que je ne me suis jamais fait prendre.
– Malin.
Un mot, un seul, puis une douce chaleur envahit mon cœur. Il n’y a que moi,
moi et moi seul. Je ne sais pas pourquoi je me sens si fier d’être le seul, mais je
le suis !
– Katherine, et effectivement donner son nom est une bonne dissuasion contre
le meurtre ! Tu vas être un avocat du tonnerre, Gray !
Je souris, Gray, c’est étrange, cela fait bien longtemps que plus personne ne
me surnomme ainsi. Ceux qui ont tenté, d’ailleurs, ont été gentiment remerciés,
mais je ne lui ferai aucune remarque, à elle. Au contraire, sur ces lèvres, ce
surnom retrouve toute sa joie de vivre et sa tendresse. Je pourrais l’écouter
m’appeler ainsi des heures. Je me demande même ce que je ressentirais si elle
me le susurrait à l’oreille. Je me ressaisis.
Je me fige, évidemment que je connais cette fille, cela fait un semestre qu’elle
est en cours avec moi. Les pièces du puzzle se mettent enfin en place et je reste
stupéfait par ma bêtise.
Elle m’a demandé de dormir mais je ne peux pas, dans mon esprit je repasse
chaque image de Kat à la fac que j’ai en mémoire. Toujours dans ses jeans et ses
Converse usées. Elle porte des lunettes en cours, c’est peut-être pour cela que je
n’ai pas fait le rapprochement. Cette fille est la discrétion même. Elle ne prend
jamais la parole, pas même dans notre groupe de débat. Pourtant elle est
intelligente, les professeurs citent souvent certains de ses devoirs. Elle est
inscrite en fac de droit mais suit aussi des cours en auditrice libre en psychologie
ou en médecine.
J’ai du mal à croire que c’est la même fille que j’ai vue ce soir casser le genou
d’un homme. C’est incroyable, et pourtant cela me plaît. J’ai vu la rage en elle,
mais aussi la douceur.
J’aime les reliefs dans la vie, j’aime les antithèses et les opposés, j’aime les
énigmes insolubles et je crois qu’elle aussi je l’aime bien.
Katherine
Je l’avais déjà reconnu dans le couloir des vestiaires, mais j’ai bien vu que lui,
non. Ce garçon est l’un des rares à ne pas être barbant, dans notre classe de droit.
Il a toujours des idées novatrices et des arguments originaux pendant les cours de
débat. J’aime bien ça.
J’ai adoré sa tête lorsqu’il a entendu que la police arrivait. C’était drôle. Je
n’ai pas menti, je l’ai aidé parce que je sens que pour lui, ne pas pouvoir régler
sa dette auprès de moi va être une torture. Il va passer des semaines à se creuser
les méninges après que j’aurai refusé les dîners et autres plans rasoir qu’il
m’aura soumis.
Je ne coucherai pas avec lui, même si je dois reconnaître qu’il est attirant. Je
ne couche pas de toute façon, je baise et je ne pense pas que lui en soit capable.
J’aurais voulu voir sa tête lorsque je lui ai donné mon prénom. Il devait se
décomposer sur place. Et puis il y a la manière dont il me surnomme, Kat, je
devrais lui interdire d’utiliser ce nom, je devrais, mais je ne le ferai pas. Cela fait
si longtemps que je rêve de l’entendre.
Elle doit me revenir, elle doit encore m’appeler Kat et me faire rire. Je refuse
que tout se termine ainsi. Je refuse d’accepter. Je me suis promis de tout faire
pour la ramener, je me suis promis que ce serait mon seul objectif, mais je crois
que je peux m’autoriser juste un peu de détente.
Je n’ai aucun ami ici, et c’est mieux ainsi, avoir un ami compromettrait mes
plans et mettrait en danger mon secret. Je ne peux pas me le permettre. Avec lui,
je ne risque rien. Je doute qu’il cherche plus, il se lassera d’ici quelque temps et
je retrouverai ma solitude. Je veux juste m’accorder une distraction pendant
quelques semaines, un mois maximum, et après je remets le plan en marche,
pour toi, Kit. Je ne t’abandonnerai pas, je viendrai te chercher, où que tu sois.
Ensemble, Kit, ensemble, je te le promets. Je t’attends.
Grayson
Elle s’est endormie rapidement. Je le sais parce que sa respiration est lente et
profonde.
Katherine Kavanah.
Kat.
Elle n’a pas protesté à ce surnom, tout comme je n’ai pas protesté à Gray. Ces
surnoms signent-ils une quelconque entente entre nous ? Une certaine
complicité ? Après tout, elle m’a aidé alors qu’elle n’y était pas obligée. Elle n’a
pas l’air d’être le genre de fille à aider tout le monde.
La Katherine que je connais à la fac, oui, mais pas Kat, pas cette folle furieuse
qui a déchaîné sa colère sur cet homme jusqu’à le mettre à terre. Ce qu’elle était
sexy pendant son combat !
Je lève mon bras gauche, Kat se rapproche de nouveau. Sa tête se pose contre
ma poitrine, sa jambe gauche s’enroule autour de ma taille et son bras se pose
contre moi. Je manque un battement de cœur mais la laisse prendre place au
creux de mon corps.
Sa main se pose juste sous mon cou, chacun de ses doigts contre ma peau nue.
Je passe mon bras gauche dans son dos et la serre contre moi. À cet instant,
quelque chose en moi se brise, tandis que quelque chose renaît.
Deux ans qu’aucune femme n’a dormi contre moi, deux ans que mon désir
faisait grève.
Et là, dans ce lit trop petit d’un cabanon de jardin, sur le toit d’un immeuble
inconnu, je suis heureux. Je crois que je peux même entendre mon frère me dire :
« Tu sais, Gray, une fille comme ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Elle
va sûrement te rendre fou, te mener en bateau ou même t’attirer des ennuis, mais
tu oublieras tous ces tracas en t’allongeant auprès d’elle chaque soir ».
J’aime beaucoup Molly, et aussi ma nièce Amy qui a eu 6 ans, ainsi que son
frère Edyson qui aura 3 ans cette année. J’aimerais les voir plus souvent. Mes
parents sont en froid avec Molly, j’aurais cru qu’avec le temps ça leur passerait,
mais non.
C’est pire depuis deux ans. Ils la jugent en permanence sur l’éducation des
enfants, sur ses choix. Je déteste ça. Molly est une mère exemplaire, et même si
elle a choisi un mode de vie qui ne leur convient pas, ils n’ont pas à la juger.
Amy et Edyson sont des enfants heureux, aimés et qui ne manquent de rien. Il
n’y a rien à ajouter. C’est une vraie bonne mère, elle mérite notre respect.
***
Le son d’un réveil me tire de mon sommeil. Kat est contre moi, elle ne bouge
pas. Je tends la main pour m’emparer de la cause de ce vacarme. Je me saisis du
réveil métallique, ouvre les yeux et appuie sur le poussoir pour stopper la
sonnerie. Je le repose sur ce que je peux enfin identifier comme étant un bureau.
Je tourne mon regard vers son visage. En cet instant, ses traits sont
parfaitement détendus, c’est agréable de la regarder. C’est le plus beau spectacle
que j’ai vu en ce monde. Elle caresse ma poitrine, je ne dis rien. Elle sourit et
respire ma peau. Comme un chat elle se love contre moi.
Je suis prêt, prêt à aimer encore, prêt à vivre. Je n’avais pas conscience que
ma colère m’avait rendu hermétique aux sentiments. Kat m’a rendu cette partie
de moi-même, la meilleure. C’est pourquoi je ne lutterai pas, j’appartiens à Kat,
et je donnerais tout pour qu’elle m’appartienne en retour.
J’aimerais prolonger ce moment encore des heures, des jours, voire des
semaines, mais Colin m’attend sûrement à la voiture, et si je ne me montre pas
avant huit heures trente, il risque de partir sans moi.
– Kat ? Kat ?
– Hum…
– Kat, il est l’heure de se réveiller si tu veux aller en cours.
À cet instant, elle ouvre les yeux et son sourire disparaît. Son visage devient
dur, elle réfléchit quelques secondes. J’imagine qu’elle cherche à se remémorer
la raison de ma présence ici. Elle soupire et se détache de moi : elle se souvient.
Elle murmure ces mots pour elle-même. Je me lève et passe mes vêtements.
Elle reste sous les draps.
Kat s’enroule dans une couverture et se lève. Je suis presque déçu, j’aurais
aimé voir sa peau en pleine lumière. Je suis prêt. Elle enfile ses Converse et
m’ouvre la porte, je la talonne sur ce toit. Le jardin que je découvre est
magnifique. Les rosiers grimpants sont en fleur, créant des arches au-dessus de
nos têtes. Le sol est dallé de pierres, c’est un bel endroit. Je n’aurais jamais
imaginé qu’on puisse trouver un si beau jardin sur le toit d’un immeuble. Nous
arrivons déjà devant la porte qui mène aux escaliers, elle la déverrouille.
Je lui lance un regard taquin, elle esquisse un sourire discret tout en remuant
la tête. Je m’avance pour m’engager dans la cage d’escalier mais au dernier
moment, je m’arrête. Je refuse de partir comme ça. Je veux plus. Je ne peux pas
juste lui tourner le dos et disparaître. Je fais volte-face, elle n’a pas bougé. Je
m’avance vers elle et la serre dans mes bras.
Elle dépose un baiser sur ma joue et je sais que c’est le signal que j’attendais
inconsciemment. Je me détache d’elle, et cette fois, lui tourne le dos pour de bon
et quitte le toit. J’entends la porte se refermer derrière moi et souris. Quatre
étages plus bas, je retrouve la rue, la ville, l’animation, mais en moi le calme
règne. Je rallume mon téléphone. Aucun appel. Colin doit encore dormir. Je me
repère assez facilement. J’ai même la chance de passer devant un coffee shop et
j’en profite pour commander deux cafés. Un noir serré pour Colin, un écrémé
pour moi.
– Café ?
– Avec plaisir.
Il saisit le gobelet en carton et le porte à ses lèvres. Les cernes sous ses yeux
m’apprennent que sa nuit a dû être courte.
Je porte mon café à mes lèvres et plonge mon regard vers un point imaginaire,
loin du regard inquisiteur de Colin.
– Oh non, ne me dis pas que tu as passé la nuit avec une fille et que tu ne l’as
même pas touchée.
– Si, exactement.
– Tu as vraiment besoin de te faire soigner, Grayson.
– Il n’y a pas que le sexe dans la vie.
– À notre âge, si. Le sexe, les fêtes, l’alcool, il n’y a que ça de vrai.
– Pas pour moi, je veux plus.
– Tu n’es pas lui, Grayson, et si tu ne rencontres pas la femme de ta vie tout
de suite, ce n’est pas grave.
– Je sais.
Mes mots fusent et marquent la fin de cette discussion. Je n’aime pas que
Colin évoque Liam de la sorte et il le sait. Mon regard distant et mon ton sec le
dissuadent d’ajouter quoi que ce soit. Nous finissons nos cafés dans un silence
religieux. Je décide de mettre la radio afin de combler ce silence.
Je veux la revoir.
À suivre,
dans l'intégrale du roman.
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Mars 2018
ISBN 9791025742686
ZMIS_001