Le Monde - 25 09 2020

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 42

DE DE

ETN°1 -
MIERE
TE DE LE MONDE DE MAIGRET – N°N°99
ET»En vente
ent en France MAIGRETLOGNON
MAIGRET,
À L’ÉCOLE
taine

ET LES GANGSTERS
EN VENTE UNIQUEMENT
EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

ERRI DE LUCA
SUPPLÉMENT

EDDY L. HARRIS LE MONDE


SOLDE LES ANNÉES DE PLOMB DU MISSOURI À LA CHARENTE DES LIVRES
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 · 76E ANNÉE · NO 23549 · 3,00 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Covid­19 : le gouvernement durcit les restrictions


▶ Le ministre de la santé, ▶ Dans les 69 départe­ ▶ La métropole Aix­ ▶ Comme en PACA ou à ▶ Des scientifiques regret­
Olivier Véran, a annoncé ments en « zone d’alerte », Marseille et la Guadeloupe, Paris, de nombreux élus tent également qu’aucune
un durcissement des de nouvelles limitations territoires où bars et res­ locaux critiquent des me­ amélioration de la politi­
mesures de lutte contre des rassemblements taurants seront fermés à sures « punitives » pour que de dépistage et de
l’épidémie, qui regagne et de la « bulle sociale » partir de lundi, sont parti­ les habitants et déplorent tests n’ait été proposée
du terrain en France seront mises en place culièrement concernées l’absence de concertation PAGE S 8- 9

Etats­Unis JULIETTE GRÉCO, LIBERTÉ FRANÇAISE Débat sur la 5G :


Cour suprême : pour sortir des caricatures
Muse de l’après­guerre,
Trump déterminé femme aux multiples vies, ▶ La nouvelle norme ▶ Conséquences pra­
la chanteuse et actrice est
à imposer sa juge morte, mercredi 23 septembre,
de téléphonie mobile
en cours de déploie­
tiques, économiques,
environnementales,
à Ramatuelle ment est l’objet d’une sanitaires, politiques :
Le président devrait nom­
mer samedi celle qui rem­ PAGE S 2 2 -2 3 vive polémique quelques réponses
placera Ruth Bader Gins­ ▶ Partisans et oppo­ aux questions que se
burg. Il peut compter sur sants de cette techno­ pose le grand public
le soutien des républicains logie se lancent des ▶ Quatre points de
pour mener ensuite la pro­
cédure au pas de charge anathèmes, à l’image vue sur les enjeux
PAGE 2 des critiques du chef démocratiques
de l’Etat sur les de la 5G
« amish » écologistes P. 16 À 18 – ID É E S P. 28- 29

Politique
Edouard Philippe, « Charlie », Hyper Cacher Retour
une rentrée par sur trois semaines de procès
« petites touches » blessés, familles et amis des
morts, policiers, se sont succédé à
L’ancien premier ministre la barre de la cour d’assises spé­
participe à de nombreux ciale de Paris, qui juge les atten­
événements, en assurant tats de janvier 2015. Les récits so­
bres et glaçants des survivants
ne pas vouloir gêner
ont fait revivre de l’intérieur cette
Emmanuel Macron semaine terrible. Pascale Robert­
PAGE 11 Diard et Henri Seckel reviennent
sur les mots des témoins, qui ont
restitué au plus juste l’atmos­

1
phère d’effroi.
PAGE S 14- 15 OLIVIER DANGLA

ÉDI TO R IA L
EUROPE ET MIGRANTS Société Biélorussie
LA NÉCESSITÉ L’Etat face à L’investiture
D’UN COMPROMIS la prostitution en catimini
PAG E 31
A Bobino, à Paris, novembre 1951.
STUDIO LIPNITZKI/ROGER-VIOLLET
des mineures de Loukachenko
PAGE 13 PAG E 4

LE REGARD DE PLANTU

TIME
INSTRUMENTS
FOR URBAN
EXPLORERS
BR 05 collection
Instrument du temps pour explorateurs urbains
Boutique Paris +33 (0)1 73 73 93 00
bellross.com

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
INTERNATIONAL
0123
2| VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Trump veut
imposer sa
juge à la Cour
suprême
Le président mène au pas
de charge la nomination
d’une nouvelle magistrate pour
remplacer Ruth Bader Ginsburg
avant l’élection du 3 novembre
washington ­ correspondant quer le juge nommé par Barack
Obama, Merrick Garland, prési­

A
l’automne 2017, les dent de la prestigieuse cour d’ap­
membres de la Fede­ pel du district de Columbia,
ralist Society, la plus après le décès brutal de l’ultra­
puissante des organi­ conservateur Antonin Scalia, en
sations de juristes conserva­ février. Il fallait alors entendre
teurs, avaient reçu à l’occasion de la voix des électeurs qui allaient
leur congrès annuel un objet des­ se prononcer huit mois plus tard.
tiné à leur faire oublier les débuts En 2020, à un peu plus de six
mouvementés du mandat de semaines de la présidentielle, et
Donald Trump marqués par les alors que les opérations de vote
controverses et les limogeages à anticipé ont déjà commencé
répétition : une balle antistress dans certains Etats, cet impératif
rouge. Elle était frappée de l’effi­ n’est plus à l’ordre du jour chez
gie de Neil Gorsuch, premier juge les républicains.
nommé par le président à la Cour L’issue de la procédure de
suprême, avec les mots « but confirmation ne fait pas l’ombre
Gorsuch ». Aux yeux de la droite d’un doute. Le GOP dispose en ef­
américaine, cette victoire valait fet des 51 voix nécessaires pour
absolution pour tous les excès confirmer la juge que Donald
du trumpisme et ses entorses Trump devrait nommer samedi
aux principes du Parti républi­ 26 septembre en remplacement
cain en matière de libre­échange de l’icône progressiste. Le sus­
ou d’équilibre budgétaire. pense a été levé le 22 septembre,
Cette obsession vis­à­vis de la lorsque le sénateur républicain
Cour suprême, de nouveau illus­ de l’Utah Mitt Romney, élu
trée en 2018 lors de l’âpre bataille en 2018, a indiqué qu’il était favo­
pour la nomination de Brett rable à ce que la procédure suive
Kavanaugh, affaibli par une accu­ son cours. Auparavant, deux
sation qu’il démentait d’agres­ sénatrices, Susan Collins (Maine)
sion sexuelle remontant à son et Lisa Murkowski (Alaska),
adolescence, explique pourquoi avaient indiqué qu’elles s’en tien­
le Grand Old Party (GOP) s’est draient, elles, à la règle défendue
rassemblé en un temps record par les républicains en 2016.
autour du chef de la majorité au
Sénat, Mitch McConnell (Ken­ Eclipser la crise sanitaire
tucky), après le décès, le 18 sep­ La confirmation promet d’être
tembre, de la juge progressiste obtenue au pas de charge. Ce pro­ Le cercueil de Ruth Bader Ginsburg, exposé devant la Cour suprême, à Washington, mercredi 23 septembre. A gauche, Leslie
Ruth Bader Ginsburg. Le GOP est cessus dure en moyenne soixan­ Welk et Kathleen Norman, venues de Phoenix (Arizona). « “RGB” est une héroïne pour notre famille. Elle a beaucoup œuvré
en passe de renforcer la majorité te­neuf jours, mais les républi­ pour l’égalité de genre », indique Leslie Welk. A droite, Mildred M. Hall, de Washington : « Elle nous manquera, c’était l’une
conservatrice de la plus haute cains n’en disposeront que de des femmes les plus fortes à avoir été nommée à la Cour suprême. » ANDRÉ CHUNG POUR « LE MONDE ».
instance juridique des Etats­Unis trente­huit s’ils veulent, comme
en la faisant passer de cinq à six le souhaite Donald Trump,
juges sur neuf. qu’une Cour suprême complète buster. Son successeur républi­ ricains de moins que la mino­ En 2016, la perspective de voir
Cette majorité renforcée vaut statue sur d’éventuels conten­ cain, Mitch McConnell, a étendu
Les deux camps rité démocrate. les progressistes devenir majo­
bien le reniement des paroles tieux électoraux après le 3 no­ la mesure aux juges de la Cour su­ affirment Les deux camps affirment que la ritaires au sein de la Cour su­
prononcées en 2016 pour blo­ vembre. Certes, trois nominés prême, ouvrant la voie à des bataille de confirmation à venir prême avait incontestable­
ont été confirmés encore plus ra­ confirmations étroites. Le der­
que la bataille renforcera la mobilisation de leurs ment mobilisé l’électorat répu­
pidement par le passé – John Paul nier juge confirmé, Brett Kava­ de confirmation électeurs. Une poignée d’élus ré­ blicain. La confirmation d’un
Stevens, Sandra O’Connor et Ruth naugh, en 2018, n’a obtenu le sou­ publicains seront aux premières nouveau juge conservateur
à venir
LE CONTEXTE Bader Ginsburg –, mais il s’agis­
sait de personnalités unanime­
tien que de 50 sénateurs sur 100,
dont un seul démocrate. renforcera
loges pour la mesurer : Thom Tillis
(Caroline du Nord), Cory Gardner
avant le 3 novembre aurait un
impact différent.
ment reconnues qui avaient ob­ Cette impuissance démocrate (Colorado), Joni Ernst (Iowa) et En 2018, la bataille de la confir­
tenu respectivement 98, 99 et est compensée par une suren­
la mobilisation Lindsey Graham (Caroline du mation de Brett Kavanaugh,
NOMINATION 96 voix sur 100. chère à propos de la composition de leurs lecteurs Sud), qui préside la commission achevée le 6 octobre, un mois
Le président sortant voit deux de la Cour, dont le nombre de ju­ des affaires judiciaires chargée de avant les élections de mi­man­
La candidate de Trump avantages à tenter de déplacer le ges, nommés à vie, n’est pas pré­ la procédure de confirmation. Il dat, avait produit des résultats
Donald Trump présentera, sa- débat présidentiel sur le terrain cisé par la Constitution mais par bre, il s’est efforcé, au contraire, s’agit des sénateurs aux prises contrastés. Le Parti républicain
medi 26 septembre à 17 heures, de la Cour suprême : il est assuré une loi, le Judiciary Act, adoptée de plaider pour un retour aux avec une réélection incertaine, et avait en effet gagné deux sièges
une candidate pour succéder à de disposer d’un Parti républi­ en 1869. Pendant la campagne normes qu’il avait expérimenté qui sont désormais lestés par des de sénateurs dans ses bastions.
la progressiste Ruth Bader Gins- cain rassemblé et peut espérer des primaires, des candidats dé­ lorsqu’il présidait la commission accusations de double langage. Mais il avait essuyé une déroute à
burg à la Cour suprême, fort que la querelle de la confirma­ mocrates ont déjà plaidé pour des affaires juridiques. « Nous de­ Leurs adversaires diffusent déjà la Chambre des représentants,
d’une majorité consolidée au Sé- tion éclipse une crise sanitaire une augmentation du nombre vons désamorcer [la crise], pas ali­ des publicités de campagne dans qui a privé Donald Trump de tout
nat, bien décidée à voter sur sa dont la gestion lui vaut les juge­ de juges – qu’ils pourraient obte­ menter l’escalade », a­t­il plaidé. lesquelles ils opposent leurs décla­ levier législatif. 
confirmation sans attendre l’is- ments sévères de ses conci­ nir à condition d’être majoritai­ rations de 2016 et celles de 2020. gilles paris
sue de la présidentielle du 3 no- toyens. Le nombre de morts res dans les deux Chambres. Un Double langage
vembre. Parmi les favorites figu- liées au Covid­19 a dépassé le cap précédent ne plaide pas en fa­ Joe Biden s’oppose également
rent, en tête, Amy Coney Barrett, des 200 000, mardi, et les cas de veur de cette suggestion. En 1937, pour l’instant à une autre me­ A Louisville, une décision de justice
48 ans, et une magistrate d’ori- contamination sont une nou­ Franklin D. Roosevelt avait tenté sure de rétorsion, la suppression
gine cubaine, Barbara Lagoa, velle fois repartis à la hausse de­ de porter à quinze le nombre de du filibuster pour les tâches relance la colère aux Etats-Unis
52 ans, née en Floride. puis la mi­septembre. juges, mais il s’était heurté non législatives, qui suppose là aussi Des manifestants en colère sont descendus, mercredi 23 sep-
Face à la majorité républicaine seulement à l’opposition des ju­ de faire basculer le Sénat le 3 no­ tembre, dans les rues de plusieurs grandes villes américaines
Commission judiciaire qui s’est dessinée au Sénat pour ges, mais surtout aux réticences vembre. La pression de son aile pour dénoncer un traitement judiciaire, selon eux, bien trop
C’est le Sénat qui a le pouvoir de cette troisième confirmation en du Congrès, pourtant dominé gauche ne va cependant pas bais­ clément visant les policiers qui ont tué en mars l’infirmière
confirmer, à la majorité simple, moins de quatre ans, les démo­ par les démocrates. ser en intensité avec la procédure afro-américaine Breonna Taylor à Louisville, où deux agents
les juges à la Cour suprême. Le crates sont à court d’options. Joe Biden, parvenu à la vice­pré­ de confirmation à marche forcée ont été blessés par balles dans la soirée. Dans la journée,
chef républicain de la commis- En 2013, pour contourner les sidence en 2008 après plus de qui s’annonce. Nommée par un le procureur général du Kentucky avait annoncé qu’aucun
sion judiciaire, Lindsey Graham, manœuvres d’obstruction des ré­ trois décennies passées au Sénat, président qui a nettement perdu des trois agents qui avaient fait irruption chez la jeune femme,
fixera la date de l’audition de la publicains à propos de juges fédé­ est hostile à cette forme de repré­ le vote populaire en 2016, la en enfonçant la porte de son domicile, ne sera poursuivi pour
candidate. Ses 22 membres raux, le chef démocrate de la ma­ sailles. Réagissant à la perspective juge choisie par Donald Trump homicide. Deux des policiers ne seront pas poursuivis car
voteront ensuite pour ou contre jorité sénatoriale Harry Reid avait d’une confirmation précipitée, sera confirmée par une majo­ l’usage qu’ils ont fait de la force était, selon le parquet, justifié.
la transmission de son dossier supprimé la majorité qualifiée à moins de six semaines de l’élec­ rité républicaine qui représente Le troisième policier sera poursuivi pour avoir mis en danger
en séance plénière au Sénat. requise pour contourner le fili­ tion présidentielle du 3 novem­ des dizaines de millions d’Amé­ la vie des voisins de la victime.
0123
4 | international VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Révolte après
l’investiture
secrète de
Loukachenko
L’UE et les Etats­Unis ont indiqué
ne pas reconnaître la légitimité
du président biélorusse
minsk ­ correspondance puisque le président avait, légale­
ment, jusqu’au 9 octobre pour

L
es rues de Minsk vibrent prêter serment. C’est désormais
dans la nuit. La capitale chose faite, et tant pis si cette céré­
n’est plus qu’un long et monie en catimini risque avant
lancinant bruit de tout d’apparaître comme un nou­
klaxons. L’ancien drapeau de la veau signe de faiblesse.
Biélorussie, devenu l’étendard of­ L’intronisation d’Alexandre Lou­
ficiel de la contestation qui se­ kachenko à la tête de ce pays de
coue le pays depuis le 9 août, 9,5 millions d’habitants n’a pas été Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, lors de son investiture, mercredi 23 septembre, à Minsk. BELTA/VIA REUTERS
flotte sur les ponts, les bâtiments retransmise en direct à la télévi­
et les épaules des milliers de ma­ sion et à la radio comme c’est habi­
nifestants qui marchent dans le tuellement le cas. La confirma­ Borrell, évoquant une « pseudo­ amis dans le centre­ville, en début Viasna évoquait 116 arrestations
centre­ville. tion, après coup, est venue des investiture ». Les Etats­Unis ont de soirée. Lui et sa compagne évo­
La violence de la au milieu de la nuit.
C’est un mouvement désor­ agences de presse étatiques. fait de même de leur côté, disant quent une « grande frustration », répression a suffi Vers 22 heures, alors que les ma­
donné, constitué de plusieurs « Nous n’avons pas seulement élu « ne pas considérer Alexandre Lou­ même si, pour eux, les cordons de nifestants tentent par tous les
groupes de quelques centaines de un président, nous avons défendu kachenko comme le président légi­ militaires et le secret gardé autour
pour éviter la moyens de se rassembler, et d’évi­
personnes, qui s’empare de la ville nos valeurs, la paix, la souveraineté timement élu » de la Biélorussie. de cette inauguration sont la constitution d’un ter les forces de l’ordre, un groupe
ce mercredi 23 septembre. La ré­ et l’indépendance », a déclaré Les implications de ces prises de preuve que M. Loukachenko « n’a se réfugie dans un café ouvert.
ponse des forces de l’ordre est bru­ l’homme au pouvoir depuis vingt­ position ne sont toutefois pas en­ aucune légitimité ». « Ce n’est défi­
cortège principal « J’ai commencé ma journée en ap­
tale. Mobilisés depuis des semai­ six ans, devant quelques centaines core complètement claires, et nitivement plus le président », prenant qu’un ami a été arrêté »,
nes pour réprimer un mouve­ de soutiens du régime. Certains seule la Lituanie affirme pour souffle Anna, qui parle de sa fierté raconte Artiom, 22 ans, qui ob­
ment de contestation inédit, ils d’entre eux ont raconté avoir été l’heure reconnaître l’ancienne d’être biélorusse aujourd’hui. restations par les forces antié­ serve avec inquiétude le bout de la
courent après les protestataires et convoqués au dernier moment, candidate Svetlana Tsikhanovs­ « C’est la première fois que le peu­ meute, les OMON. Commence rue qui donne sur la station de
les arrêtent violemment. L’atmos­ sans savoir où ils allaient. kaïa comme présidente du pays. ple est aussi uni », explique­t­elle alors un féroce jeu du chat et de la métro Nemiga. Sur l’inaugura­
phère et les images des Biélorus­ Celle­ci, contrainte à l’exil, en entrant dans le bus. « Un souris qui durera une grande par­ tion dans la journée, lui aussi con­
ses blessés rappellent à certains « Opéra russe kitsch » comme de nombreuses person­ homme qui aurait obtenu 80 % ne tie de la nuit. sidère que « ça prouve qu’il n’est
les premiers rassemblements qui Les pays occidentaux, assez pru­ nalités de l’opposition, a estimé ferait pas d’inauguration de ce La stratégie des forces de l’ordre pas le président ».
ont bouleversé le pays les 9, 10 et dents depuis le scrutin du 9 août, qu’Alexandre Loukachenko ve­ genre », renchérit Larissa. qui consiste à éviter les grands Normalement, pour ce genre
11 août. Cette nuit aussi, la révolu­ ont eux aussi franchi un cap, ce nait de « s’emparer du pouvoir ». Les automobilistes coincés dans rassemblements a été maintenue d’événement, « il y a une retrans­
tion semble vivre un tournant. mercredi. A la suite de plusieurs Les réactions des Biélorusses op­ les rues bloquées sortent des voi­ toute la soirée. Et la violence de la mission en direct. Au lieu de ça, on
Quelques heures plus tôt, dans capitales, c’est l’Union euro­ posés à la réélection de l’homme tures pour saluer les manifestants répression a suffi pour éviter la a eu un opéra russe kitsch à la télé.
la matinée, la cérémonie officielle péenne (UE) dans son ensemble fort de Minsk ne se sont pas fait et lever les doigts en l’air. En plus constitution d’un cortège princi­ Ils ne voulaient pas l’annoncer car
d’investiture d’Alexandre Louka­ qui a indiqué ne pas reconnaître attendre. Les appels à une protes­ des couronnes de carton sur les tê­ pal, plus difficile à diviser. En plus ils savaient que ça allait finir en
chenko pour un sixième mandat la « légitimité démocratique » tation massive, à partir de 18 heu­ tes des protestataires, clin d’œil de l’utilisation de canons à eau et protestations ». L’inquiétude de
s’est tenue dans le plus grand se­ d’Alexandre Loukachenko. « L’UE res, dans les centres­villes, ont moqueur à la cérémonie mati­ de gaz lacrymogène, les forces an­ certains manifestants est de voir
cret, pour éviter qu’elle soit per­ réaffirme que l’élection présiden­ très vite été partagés sur les ré­ nale, une femme tient une pan­ tiémeute se sont également in­ une recrudescence de la violence
turbée par des manifestations. tielle du 9 août en Biélorussie seaux sociaux et les principales carte sur laquelle est inscrit à la troduites dans certains quartiers des forces de l’ordre. « Ils doivent
Les images du passage éclair du n’était ni libre ni équitable, et ne re­ chaînes de l’application de mes­ peinture rouge « Je suis la reine, et afin de mener des arrestations. se sentir plus puissants mainte­
convoi présidentiel dans les artè­ connaît pas ses résultats falsifiés », sagerie cryptée Telegram. toi, t’es qui ? » Les groupes descen­ D’autres villes du pays ont été le nant que Loukachenko a été offi­
res de la capitale bloquées par les écrit dans un communiqué le « On ne s’attendait pas à ça ce dus des quartiers tentent de con­ théâtre de violences, comme ciellement élu président », soupire
forces de l’ordre avaient com­ haut représentant des Vingt­Sept matin », confiait Roman, 30 ans, verger vers le centre, courant régu­ Grodno ou Brest. L’ONG de dé­ Artiom. 
mencé de créer des soupçons, pour la politique étrangère, Josep avant de chercher à rejoindre des lièrement pour échapper aux ar­ fense des droits de l’homme thomas d’istria

Lobbying des Etats­Unis à l’ONU contre les causes progressistes


Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a tenté sans succès, mercredi, de rallier les diplomates européens à sa croisade conservatrice

new york (nations unies) ­ ce mercredi 23 septembre, en tement, ou des droits LGBT. » De­ votes. Même Israël n’est pas de leur ment, mais ça n’est pas mentionné
correspondante marge de l’Assemblée générale des
La façon dont puis l’accession de Donald Trump côté », dit le premier diplomate. en toutes lettres – cela a malgré
Nations unies, le secrétaire d’Etat Washington à la Maison Blanche, les diploma­ Ils n’hésitent pas non plus dé­ tout bloqué la négociation. » Les

M ike Pompeo aura tout


fait pour organiser un
événement réussi.
Pour être sûr d’être rejoint par le
plus grand nombre de diplomates,
américain avait choisi un motif en
apparence consensuel – la célébra­
tion de la Déclaration universelle
des droits de l’homme de 1948 – et
fait envoyer les invitations dans
avance ses pions
sur des sujets
de droits
tes américains ne sont plus aussi
prévisibles qu’avant au sein de la
Troisième commission de l’ONU,
celle où se négocient les résolu­
tions relatives aux droits hu­
sormais à tordre le bras de pays
qui étaient traditionnellement
des alliés lorsqu’il s’agissait des
droits humains. Un épisode a
marqué les esprits à New York, au
représentants américains ont me­
nacé d’y opposer leur veto si le
texte était présenté en l’état. Fina­
lement, les rédacteurs ont opté
pour une astuce diplomatique : ils
chaque capitale par le biais des humains inspire mains. « Tout cela semblait télé­ printemps 2019, alors que l’Alle­ ont enlevé la mention des SDSR,
missions américaines à l’étranger, guidé par la mouvance très chré­ magne présidait le Conseil de sé­ mais ont cité en référence un
deux semaines à l’avance.
la méfiance des tienne conservatrice du vice­prési­ curité et a présenté une résolu­ texte dans lequel ces droits sont
Alertés par des ONG que le chef Européens et dent, Mike Pence », analyse un tion très progressiste en matière explicitement nommés.
- CESSATIONS DE GARANTIE de la diplomatie américaine vou­ deuxième diplomate. de droits des victimes de crimes « Sous l’administration Obama,
lait profiter de l’événement pour
des pays libéraux Fin 2018, un an après le début du sexuels dans les conflits. Les di­ les Etats­Unis avaient été parmi les
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678
faire la promotion de la commis­ mouvement #metoo, la France et plomates allemands proposaient plus progressistes à l’époque en
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 sion sur les droits inaliénables les Pays­Bas portent la première la reconnaissance de la responsa­ soutien à la résolution 1325, dit
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense qu’il a créée en 2019, soupçonnée Ce n’est pas la première fois que résolution de l’Assemblée géné­ bilité des coupables et de faire cette diplomate, en référence au
– Tour A – 110, Esplanade du Général de
Gaulle – 92931 La Défense Cedex ( RCS
d’être un véhicule pour faire recu­ la façon dont Washington avance rale, qui condamne le harcèle­ avancer la cause de la santé et des texte qui appelait à inclure les
Nanterre 842 689 556), succursale de QBE ler les droits des femmes ou ceux ses pions sur des sujets de droits ment sexuel et mentionne les droits sexuels et reproductifs, femmes dans les processus de
Europe SA/NV société de droit belge, de la communauté LGBT, les diplo­ humains inspire la méfiance des droits sexuels et reproductifs. « Les « SDSR » dans le jargon onusien. paix. Et là, c’était un exemple fla­
son siège social est situé 37, boulevard
du Régent, 1000 Bruxelles - Belgique, les mates européens et britanniques Européens et des pays libéraux au Etats­Unis ont demandé à amen­ grant de leur retour en arrière sur
garanties financières dont bénéficiait la : se sont gardés d’envoyer des am­ sein des Nations unies. « Pour cette der le texte et à retirer ces éléments Retour en arrière ce qui touche aux droits humains. »
AEDIFI HABITAT bassadeurs au rendez­vous, juste administration, les droits civils et de langage, et, devant le refus des La résolution est applaudie par M. Pompeo n’était pas seul mer­
120 Allee du Mistral
Zone Artisanale la Cigaliere Iv des observateurs par politesse di­ politiques – en particulier le droit à rédacteurs, se sont retrouvés à vo­ des membres de la société civile credi. Il s’était entouré d’un imam
84250 LE THOR plomatique. Côté européen, la la religion et à la liberté d’expres­ ter aux côtés de l’Arabie saoudite », impliqués sur le sujet, tels que la indonésien et d’un ancien dissi­
SIREN : 835202359 Hongrie, la Pologne et la Rouma­ sion – comptent plus que les droits souligne le deuxième diplomate. Yézidie Nadia Murad, ancienne es­ dent chinois. « Il est en train de lier
depuis le 12 Mars 2019 pour ses activités
de : Transactions sur Immeubles et Fonds nie ont fait sécession et signé la dé­ économiques, sociaux et culturels – Même scénario l’année sui­ clave sexuelle de l’organisation son agenda interne de liberté reli­
de commerce Avec Perception de Fonds, claration conjointe proposée par droit à la santé, à l’éducation ou au vante : sur instruction de Etat islamique, le docteur Denis gieuse à son agenda externe sur
Ont cessées au 31 Décembre 2019. Les M. Pompeo. Les autres ont orches­ logement », explique un diplo­ Washington, les diplomates amé­ Mukwege, ce gynécologue congo­ les persécutions religieuses, ana­
créances éventuelles se rapportant à ces
opérations devront être produites dans les tré une campagne coordonnée sur mate européen. « L’idée des droits ricains ont attaqué toutes les réso­ lais connu pour son travail de ré­ lyse le premier diplomate. En cas
trois mois de cette insertion à l’adresse de les différents comptes Twitter des inaliénables de Mike Pompeo, c’est lutions des trois mois de session – paration des femmes victimes de de réélection, on peut s’attendre à
l’Etablissement garant sis Cœur Défense pays membres à l’heure même de qu’il y a trop de droits réclamés par y compris deux européennes, fai­ viol ou d’excision, ou encore l’avo­ ce que l’administration Trump 2
– Tour A – 110, Esplanade du Général de
Gaulle – 92931 La Défense Cedex. Il est l’événement. « Il n’y a pas de hiérar­ trop de groupes différents, et il faut sant référence aux droits repro­ cate engagée Amal Clooney. « La devienne plus offensive aux Na­
précisé qu’il s’agit de créances éventuelles chie entre droits humains, aucune donc revenir aux bases, analyse ductifs et sexuels. Et les Améri­ SDSR recouvre des notions très lar­ tions unies, et de façon plus large
et que le présent avis ne préjuge en rien du subordination de l’un sur un Louis Charbonneau, directeur de cains de voter aux côtés de pays ul­ ges de médecine auxquelles pour­ que sur les droits reproductifs et
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en autre », pouvait­on lire sur le plaidoyer auprès de l’ONU à Hu­ traconservateurs, ou même de rait avoir recours une femme vio­ sexuels. En attaquant de front
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la compte de l’ambassadeur français man Rights Watch. C’est une façon s’isoler. « Ils n’arrivent à mobiliser lée, précise une autre diplomate Chine et Russie, certainement. » 
Société AEDIFI HABITAT. à l’ONU, Nicolas de Rivière. de se débarrasser du droit à l’avor­ que 10 à 15 soutiens, et perdent les européenne. Y compris l’avorte­ carrie nooten
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 international | 5

« Maintenant, c’est Poutine contre Navalny »


L’opposant est sorti de l’hôpital et l’hypothèse de son retour en Russie est un casse­tête pour le Kremlin

moscou ­ correspondant il l’a dit lui­même à M. Macron. Le Mme Sobol, « le plan reste le même : valny. Le Kremlin a prouvé qu’il tour de M. Navalny posera un pro­
Avant même nom de M. Navalny a aussi été cité faire battre les candidats du pou­ était prêt à tout, Navalny aussi. Et blème important au pouvoir, « si

S
i l’avion qui le transpor­ son retour, plusieurs fois à la tribune de l’As­ voir aux élections législatives de puis, il y a ce trait russe : on aime tant est que celui­ci retrouve 100 %
tait à Moscou n’avait pas semblée générale des Nations l’année prochaine, auxquelles on ceux qui ont souffert. » Pour de ses forces ». Mais contraire­
atterri en urgence, le
cet opposant unies. Le ministre des affaires ne nous laisse pas participer, et lut­ M. Kracheninnikov, le pouvoir ment à d’autres observateurs,
20 août au matin, malgré supposément étrangères, Sergueï Lavrov, se voit ter pour qu’Alexeï puisse être candi­ pourrait être tenté d’avancer au Mme Stanovaya ne voit pas dans la
une alerte à la bombe opportu­ obligé de répéter jour après jour dat à la présidentielle de 2024. » mois de mars 2021 les élections médiatisation accrue du cas Na­
nément annoncée à l’aéroport
inexistant les mêmes arguments : si empoi­ Le politiste Fiodor Krachenin­ législatives programmées à valny une garantie de sécurité :
d’Omsk, en Sibérie, Alexeï Na­ perturbe jusqu’à sonnement il y a eu, celui­ci est nikov estime lui aussi que M. Na­ l’automne pour éviter au maxi­ « Les enjeux sont devenus trop im­
valny serait peut­être mort. Celui intervenu après le départ de Rus­ valny a d’ores et déjà acquis une mum que l’opposant puisse s’en­ portants pour que le pouvoir le
dont Vladimir Poutine se refuse à
l’agenda sie de Navalny, quand bien même stature nouvelle : « Maintenant, gager dans la campagne. laisse tranquille, estime­t­elle.
prononcer le nom aurait bel et international celui­ci était déjà dans le coma. aux yeux des Russes comme de Selon la politiste Tatiana Stano­ La pression sur lui et sur sa famille
bien été effacé de la scène politi­ Autrement dit, et avant même l’étranger, c’est Poutine contre Na­ vaya, du think tank R.Politik, le re­ va encore augmenter, et sa vie en
que russe – un mauvais moment
de la Russie son retour, cet opposant supposé­ Russie deviendra encore plus dif­
à passer pour le Kremlin, mais ment inexistant perturbe jusqu’à ficile, avec des poursuites judiciai­
un souci de moins.
Un mois plus tard, c’est lui, Quand Le Monde a révélé, mardi
l’agenda international de la
Russie, et pourrait être la cause de
Moscou élargit la liste d’Européens res relancées. S’il est passé à tabac
en bas de chez lui, il y aura des pro­
Alexeï Navalny, qui dicte l’ordre 22 septembre, que Vladimir Pou­ nouvelles sanctions. interdits sur le territoire russe testations… Et alors ? »
du jour – politique, médiatique, tine avait, dans un entretien télé­ « Le mythe du Kremlin selon le­ La Russie a annoncé mercredi 23 septembre élargir sa liste des Mercredi, interrogé après la
diplomatique. Cloîtré dans l’hô­ phonique avec Emmanuel Ma­ quel Navalny est un marginal ne ressortissants de l’Union européenne (UE) interdits de territoire sortie de l’hôpital d’Alexeï Na­
pital berlinois de la Charité, l’op­ cron, évoqué entre autres hypo­ tient plus, note Lioubov Sobol, russe, une décision présentée comme une réponse à de récentes valny, le porte­parole du Kremlin,
posant empoisonné était déjà in­ thèses celle d’un auto­empoison­ l’une de ses alliées. Tout le monde démarches « hostiles » sur fond de critiques européennes accrues Dmitri Peskov, a souhaité au « pa­
contournable. Sa sortie de cet éta­ nement, M. Navalny a commenté a vu que le pouvoir le craignait, et depuis l’empoisonnement présumé de l’opposant Alexeï tient » de guérir rapidement.
blissement, mercredi 23 septem­ avec humour : « J’ai fait cuire le maintenant sa notoriété est encore Navalny. « Plus d’une fois, nous avions prévenu l’Union euro- « Quant à son retour à Moscou,
bre, rend encore un peu plus Novitchok dans ma cuisine, j’ai plus importante. L’intérêt et l’em­ péenne du caractère destructeur de leur comportement », a dit comme tout citoyen de la Russie, il
délicate la confrontation du pou­ avalé le contenu de ma flasque pathie pour son action ont aug­ le ministère russe des affaires étrangères, annonçant que la liste est libre de le faire à tout mo­
voir russe avec son nouveau dans l’avion et je suis tombé dans menté, à lui de transformer cela des individus et des organisations européennes bannies ment », a précisé M. Peskov. 
« problème Navalny ». le coma. Mon plan astucieux était en soutien, après son retour. » Pour avait été élargie pour être « à parité » avec celle de l’UE. benoît vitkine
Le retour au pays n’est toutefois de mourir dans un hôpital d’Omsk
pas encore d’actualité : si les mé­ où, à la morgue, l’autopsie aurait
decins allemands qui ont an­ conclu : “Cause de la mort : a assez
noncé que M. Navalny avait pu vécu.” » L’ancien avocat se pose
quitter l’hôpital jugent « possi­ aussi comme le premier enquê­
ble » une guérison complète, ils teur sur son propre empoison­
restent prudents quant à d’éven­ nement : lundi, il a réclamé que
tuelles conséquences de long la Russie lui rende ses habits,
terme. L’opposant lui­même, âgé sur lesquels pourrait être trouvé
de 44 ans, a posté sur les réseaux du poison.
sociaux une photo de lui dans Ces sorties donnent un aperçu
un parc, amaigri, regard hagard du casse­tête que constituera,
et cerné : « Dans l’immédiat, les à terme, le retour en Russie de
plans sont simples, écrit­il. Phy­ cet opposant déterminé et maî­
siothérapeute, rééducation. Tenir trisant les codes de la commu­
sur une jambe. Retrouver le nication.
contrôle de mes doigts. » Celui­ci, qui a toujours su se
Quelques jours plus tôt, M. Na­ mettre en scène dans ses rigou­
valny avait déjà fait part de sa fai­ reuses enquêtes sur la corruption,
blesse physique, mais aussi de continue aussi de le faire. Il y a
celle de son cerveau, de sa diffi­ quelques jours, il dédiait un post à
culté à nommer les choses et les sa femme, pour leurs vingt ans de
personnes. La chronique de son mariage. Au­delà des mots
rétablissement est suivie avec d’amour, l’épisode rappelle deux
ferveur sur les réseaux sociaux ; choses : que M. Navalny est de
ses publications récoltent régu­ la race, inexistante en Russie, des
lièrement plus d’un million politiciens modernes ; qu’il est
de « j’aime ». prêt à retourner contre ses
auteurs le harcèlement perma­
Au centre du jeu nent dont il a fait l’objet, ces dix
Chacune d’elles vient annihiler dernières années, jusque dans
la stratégie du Kremlin consis­ sa vie privée.
tant à faire comme s’il n’y avait Dans le même temps, le tabou
pas d’affaire Navalny, pas plus Navalny a sauté dans l’espace mé­
qu’il n’aurait existé un opposant diatique. Certes, les « experts » in­
nommé Navalny. La justice russe vités à discourir à la télévision sur
refuse même d’ouvrir une en­ son cas le font en avançant des
quête, arguant que rien dans versions toujours plus farfelues
ce qui lui est arrivé ne laisse sup­ ou en présentant des versions
poser un crime. truquées de ses vidéos, mais le
Mercredi 23 septembre, la por­ fait est là : le phénomène Navalny
te­parole du ministère des affai­ ne peut plus être ignoré. Son re­
res étrangères a aussi assuré que tour achèvera de le mettre
ni l’URSS ni la Russie n’avaient dé­ au centre du jeu, alors que les Rus­
veloppé une substance de type ses ont toujours eu la dent dure
Novitchok, le poison utilisé contre leurs émigrés, quelles que
contre M. Navalny, selon des soient les causes de l’exil.
laboratoires allemand, suédois et Le constat est similaire s’agis­
français. Jusqu’à présent, les offi­ sant de la diplomatie. On ne peut
ciels russes, y compris le patron qu’imaginer l’irritation de Vladi­
du renseignement extérieur, une mir Poutine face aux questions
semaine plus tôt, expliquaient du président français concernant
plutôt que les stocks de ce poison celui qu’il ne considère guère plus
avaient été détruits. que comme un agitateur, comme

COR É E D U N O R D C A M B O D GE
Pyongyang abat Sept opposants
un Sud-Coréen en mer au régime condamnés
Les forces nord­coréennes pour trahison
ont abattu un Sud­Coréen Sept Cambodgiens ont été
avant d’asperger son corps condamnés pour
d’essence pour le brûler par « trahison » après avoir
crainte d’une contamination publié en ligne des articles
au Covid­19, a indiqué jeudi favorables à un des chefs
24 septembre l’armée sud­ de l’opposition en exil
coréenne. L’homme, un offi­ en France, Sam Rainsy.
ciel du ministère de la pêche Quatre personnes,
du Sud, avait disparu en fuite, et une cinquième,
du patrouilleur qui naviguait déjà en détention, ont été
près de l’île frontalière condamnées à sept ans
de Yeonpyeong. Il portait de prison. Deux autres,
un gilet de sauvetage, et les qui ont depuis rallié le parti
circonstances laissent penser au pouvoir, ont reçu
qu’il voulait faire défection. une peine de cinq ans
Il a été localisé par les forces avec sursis. Depuis fin juillet,
nord­coréennes et interrogé vingt­quatre militants
depuis un bateau, avant d’être ont été arrêtés, selon l’ONU.
abattu dans l’eau. – (AFP.) – (AFP.)
0123
6 | international VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Au Liban, la tentation du repli communautaire


Ebranlés par les crises, les chefs politiques agitent la peur de l’autre pour s’assurer le soutien de leur base

REPORTAGE pour maintenir leurs soutiens


dans la dépendance.
beyrouth ­ correspondance
Nader Jurdi et sa « L’équation est simple : plus

N
ichée sur une colline fille Nour, dans l’Etat central est fragile, plus l’an­
du mont Liban, la leur appartement goisse et l’incapacité à voir s’ouvrir
bourgade chrétienne de Basatine, des horizons sont fortes, et plus des
de Kahalé ne goûte village situé sur segments de la société s’accro­
plus à son habituelle tranquilité. le mont Liban, chent aux appartenances primai­
Les soubresauts politiques qui agi­ fin août. res », ajoute M. Chaoul. Dans les
tent Beyrouth, à une quinzaine de DALIA KHAMISSY moments de fort sentiment d’in­
kilomètres, l’ont rattrapée. « On va POUR « LE MONDE » sécurité, « les relations familiales,
vers un repli. L’entraide entre l’appartenance à une commu­
familles s’est renforcée, autour de nauté religieuse et l’ancrage dans
l’église ou des volontaires lo­ une région », reprennent du poil
caux. Le sentiment d’appartenance de la bête. Le sociologue estime
[communautaire] l’emporte sur les toutefois que ce « repli nihiliste
divergences d’opinions politiques », disparaîtra dès que le moment
observe Tony, ingénieur informa­ sera propice à des alternatives ».
tique de 54 ans. Lors du soulève­ Dans le quartier de Gemmayzé,
ment contre le pouvoir à l’autom­ meurtri par l’explosion, un pan­
ne 2019, il avait été décidé neau a été accroché avec cette
« qu’aucune manifestation dans la phrase : « Laisse ta confession aux
lignée de la contestation ne se tien­ portes de Beyrouth. » L’espoir de
drait [à Kahalé] pour préserver dépasser les appartenances com­
l’harmonie, car tout le monde ne munautaires vit encore parmi la
pense pas pareil », poursuit­il. La jeune génération, fer de lance du
bourgade se replie davantage sur soulèvement de 2019. « Ceux qui
elle­même, depuis l’explosion au ont toujours vécu au Liban disent,
port de Beyrouth, le 4 août, alors “c’est comme ça, le pays n’évoluera
que les tensions politiques s’exa­ pas.” Moi, je ne m’y résigne pas. Je
cerbent au Liban et que l’effondre­ veux des droits civils. Si on ne
ment économique s’accélère. change pas maintenant, quand le
La fracture est devenue béante fera­t­on ? », dit Zeyad Issa, 26 ans,
entre le camp réuni autour du serveur dans un bar de ce quartier.
Hezbollah et ses adversaires poli­ Des différences générationnel­
tiques. Le débat a été relancé sur les s’expriment, comme celles en­
les armes du parti­milice chiite, et tre Nour et son père, Nader Jurdi.
l’épreuve de force entre les Etats­ chefs politiques communautai­ majorité chiite attenant au centre­ ban », abonde Nader S, un com­ Lorsque sa fille de 25 ans, ralliée à
Unis et l’Iran, parrain du Hezbol­
« On se sent res (les six principaux étant Mi­ ville de Beyrouth, commence par merçant de 38 ans des souks la contestation et désormais affi­
lah, avive ces clivages, compli­ aujourd’hui chel Aoun et Samir Geagea chez dire qu’il « rejette le confessionna­ d’Aley, une ville du mont Liban à liée au parti communiste liba­
quant la formation du nouveau les chrétiens, Walid Joumblatt lisme ; d’ailleurs [ma] femme est majorité druze. « Mais tout le nais, affirme ne plus vouloir d’un
gouvernement. Les incidents in­
encore chez les druzes, Hassan Nasrallah sunnite. » Mais il « n’accepte pas monde doit changer, pas juste chef confessionnel, le druze de
ter­ ou intracommunautaires se appartenir et Nabih Berri chez les musul­ que l’on touche à un cheveu d’Has­ nous [les druzes]. Les leaders doi­ Qabr Chamoun ne bronche pas. Il
succèdent dans le pays. Les der­ mans chiites, Saad Hariri chez les san Nasrallah ou de Nabih Berri. Si vent être écartés, mais on ne y perçoit une erreur de jeunesse.
niers en date ont opposé, mi­sep­
à sa secte, plus musulmans sunnites), n’ont ja­ le Hezbollah est désarmé, on ne peut pas commencer par le nôtre « Dans quelques années, elle me
tembre, des partisans des deux qu’à un pays » mais semblé douter ni de la force l’acceptera jamais. On sera humi­ [Walid Joumblatt] », ajoute­t­il, dira que j’ai raison. »
« frères ennemis » chrétiens, Mi­ des peurs ataviques comme frein liés ». Non loin de Qabr Chamoun, comme s’il redoutait qu’un bou­ Mais beaucoup de jeunes son­
IBRAHIM SEIDANI
chel Aoun, le président, et Samir au changement, ni de la fidélité dans la montagne druze, Nader leversement signe un affaiblisse­ gent à partir. A 32 ans, Firas Sayed
un sunnite engagé dans une
Geagea, le chef du parti des Forces de leurs soutiens. Cette loyauté, Jurdi, 73 ans, considère, lui, que ment de sa communauté. Hussein a postulé pour émigrer
association de bienfaisance
libanaises. Dans ce climat incen­ ils l’ont le plus souvent acquise Walid Joumblatt assure la « dignité au Canada. Les démonstrations
diaire, Tony n’est pas le seul à pro­ par le clientélisme et l’image de [des druzes]. Nous sommes une Différences générationnelles identitaires qu’il observe depuis
nostiquer un repli communau­ « protecteur » de leur commu­ minorité. Il est fort en politique « Il y a une forme de bipolarité, sa pharmacie située dans une
taire, à rebours des aspirations au nite engagé dans une association nauté dans un pays multiconfes­ et fort sur la scène internationale. voire de schizophrénie, chez une ruelle de Zarif, à Beyrouth, le met­
changement et au renversement de bienfaisance de Ras Al­Nabaa, sionnel. Ils se sont forgé un statut Je cesserai de le soutenir le jour où partie des Libanais, qui consiste à tent mal à l’aise. Des hommes du
du système confessionnel por­ un quartier central de Beyrouth. par leur rôle en temps de guerre, il y aura un Etat », dit cet ancien dire “on sait que nos leaders sont parti chiite Amal font le guet,
tées, à l’automne 2019, par de La peur de l’inconnu, déplore­t­il, par l’héritage politique ou le fonctionnaire, aujourd’hui culti­ corrompus, voire criminels, mais leurs drapeaux quadrillent le pé­
nombreux Libanais. est le plus grand obstacle au chan­ poids traditionnel de leur famille. vateur sur une terre qu’il s’est juré vu qu’il n’y a pas d’Etat, on a be­ rimètre. « Je n’ai confiance ni dans
« Les chefs communautaires gement. N’oublions pas que nous Ils savent jouer de l’histoire, invo­ de « défendre. » soin d’eux pour survivre” », dé­ les partis au pouvoir ni dans la rue.
nous laissent vivre dans la peur, la avons vécu quinze ans de guerre quant au besoin un passé révolu Bien que leurs vues politiques crypte le sociologue Melhem Je désespère d’un changement,
peur de “l’autre” qui va venir nous civile [1975­1990]. Malheureuse­ de puissance ou, à l’inverse, de soient opposées, tous deux criti­ Chaoul. Conserver l’Etat en posi­ confie le jeune chiite. La majorité
tuer. Il y a toujours un “autre”. De­ ment, on se sent aujourd’hui en­ marginalisation. quent la faillite du système liba­ tion de faiblesse est un « objectif des Libanais restent affiliés, d’une
puis l’explosion du 4 août, nous core appartenir à sa secte, plus Leurs partisans les voient nais, comme le font de nombreux stratégique » pour ces mêmes manière ou d’une autre. Que peut
avons vu les troubles ou les infor­ qu’à un pays. » comme les garants de leur « hon­ autres partisans de chefs commu­ chefs, qui utilisent le piston poli­ la minorité qui ne pense pas
mations anxiogènes s’enchaîner, Conspués, ébranlés par des neur ». Bilal A., 41 ans, un habitant nautaires. « Bien sûr que le sys­ tique – pour un emploi public, comme eux ? » 
déplore Ibrahim Seidani, un sun­ mois de fronde populaire, les de Khandak El­Ghamik, quartier à tème politique doit changer au Li­ une place à l’hôpital ou à l’école – laure stephan

Malgré son coût, le gouvernement israélien durcit le confinement


Face à la pandémie de Covid­19, l’activité économique du pays est réduite aux services essentiels jusqu’au 11 octobre

jérusalem ­ correspondant ménage une population de plus les juifs ultraorthodoxes, mena­ appel : aucun segment de la so­ et maintenant ils n’ont plus peur, derniers mois, qu’il a paru céder
en plus encline à la désobéissance. çaient de le lâcher. ciété israélienne n’en sort grandi. s’alarme le directeur du principal aux intérêts particuliers des juifs

O n ferme. Après trois jours


de débat, le gouverne­
ment israélien a décidé,
jeudi 24 septembre, d’intensifier le
confinement en place depuis une
Le premier ministre, Benyamin
Nétanyahou, a retrouvé durant ce
débat les accents de fin du monde
qui étaient les siens durant la pre­
mière vague, au printemps. En ac­
Selon les données du service
public de l’emploi, 150 000 per­
sonnes ont déjà été renvoyées ou
mises en congé sans solde de­
puis le début du confinement.
Il y a eu les combines trouvées par
chacun pour se réunir en famille
durant la fête de Roch Hachana. Il
y a eu les défis politiques, comme
ce repas organisé en plein air par
hôpital de Gallilée, Masad Ba­
rhoum. La police impose un cou­
vre­feu la nuit ? Ils décalent les ma­
riages à 3 heures de l’après­midi !
Cela a rendu ce temps de confine­
orthodoxes, qu’il a mal expliqué
son action, a tranché dans la dou­
leur et à la dernière minute, déci­
dant ainsi de fermer les écoles
sans donner vingt­quatre heures
semaine. L’activité économique cord avec les sondages d’opinion, L’organisation caritative Leket Is­ des manifestants de gauche anti­ ment absolument inutile. » aux parents pour s’y préparer.
est réduite aux services essentiels il entendait briser l’exemple de dé­ rael estime par ailleurs que Nétanyahou, durant le couvre­ Il faut pourtant relativiser cette Par nature, le système politique
durant les fêtes religieuses de Kip­ sobéissance aux règles sanitaires 145 000 personnes ont plongé feu du 18 septembre. apparence de chaos. Encore une israélien oblige le gouvernement à
pour et Soukkot, jusqu’au 11 octo­ que donnent, selon lui, les milliers dans l’insécurité alimentaire de­ Il y a eu ces rassemblements de fois, Israël est confronté en satisfaire ses alliés minoritaires, et
bre. Un scénario catastrophe selon de manifestants de tout bord, qui puis mars. Quant à la banque juifs ultraorthodoxes hostiles au avance à un dilemme qui se pose laisse fort peu de place à l’expres­
le ministre de l’économie, Israel se rassemblent chaque week­end centrale, elle craint une chute du reconfinement, et celui organisé à la planète entière. Seul un mini­ sion du bien commun. C’est aussi
Katz, qui pourrait coûter plus de depuis juin pour exiger sa démis­ PIB de 7 % sur l’année. sur une plage de Tel­Aviv, en défi mum d’accord entre les directi­ l’usage qu’en fait un premier mi­
7 milliards d’euros au pays. « Il était sion, sous les fenêtres de sa rési­ à l’interdiction de fouler le sable. ves gouvernementales et l’opi­ nistre en lutte avec la justice, tout
possible de prendre des mesures dence, rue Balfour, à Jérusalem. La saison des mariages Il faut dire que les joggeurs cou­ nion publique peut rendre ce d’alarmisme et de tension, qui
pour endiguer la maladie, sans por­ Dans le même temps, il fallait se Or, selon le ministère de la santé, le rent au coude­à­coude sur la cor­ confinement utile. Or, la con­ rend l’« union nationale » impos­
ter un coup mortel aux usines et résigner, disait­il, à interdire aux reconfinement peut bien stabili­ niche voisine, et cela est légal… Il fiance est brisée. Parce que le sible. Le confinement doit se ter­
aux entreprises qui ne reçoivent fidèles de se réunir en masse dans ser un taux d’infection qui bat des y a eu ces bars qui refusaient de gouvernement a trop louvoyé ces miner avec les fêtes religieuses,
pas le public, et qui adhèrent stric­ les synagogues, pour Kippour. records mondiaux depuis trois se­ fermer, et ces conseillers de mais cela n’est pas assuré. M. Né­
tement aux règles du ministère de M. Nétanyahou peut se satis­ maines, mais il ne les réduira pas M. Nétanyahou qui ont brisé leur tanyahou a évoqué une période
la santé », a regretté jeudi M. Katz. faire : aucun manifestant rési­ forcément. Le nombre de morts quatorzaine, imposée après un d’ouvertures et fermetures « en ac­
De fait, le ministre avait le sou­ dant à plus d’un kilomètre ne sera demeure certes limité (plus de retour de l’étranger. L’un d’eux a La confiance cordéon ». Il faudra attendre no­
tien du coordinateur de la lutte autorisé à troubler ses samedis 1 300), et les hôpitaux peuvent en­ été filmé alors qu’il tentait de vembre, au mieux, pour que l’ar­
contre le coronavirus, le docteur soirs. Quant aux synagogues, el­ core tenir, mais ils manquent d’in­ jouer incognito les agents provo­
est brisée : mée mette en place un système de
Ronni Gamzu, qui luttait publi­ les resteront finalement ouver­ firmiers et les équipes s’épuisent. cateurs, dans une manifestation le gouvernement tests et d’enquête épidémiologi­
quement ces derniers jours pour tes. Cet arbitrage ouvre un boule­ Depuis une semaine, le reconfi­ près de la rue Balfour… que. D’ici là, un nouveau pro­
ne réduire que de moitié l’activité vard aux accusations de partialité nement israélien, une première Il y a, enfin, la saison des maria­
a trop louvoyé gramme de soutien à l’économie a
du secteur privé, et pour faire qui pleuvent déjà sur un premier parmi les économies dévelop­ ges, qui bat son plein chez les Ara­ et a paru céder été adopté, qui encourage les en­
mieux appliquer les restrictions ministre poursuivi en justice pées, avait pris la forme d’un im­ bes citoyens d’Israël. « Ils avaient treprises à ne pas mettre leurs em­
en place. La police se montrait to­ pour corruption, et dont les alliés, mense test de solidarité natio­ respecté les règles pendant la pre­
aux intérêts des ployés au chômage. 
lérante depuis une semaine : elle les partis politiques représentant nale. Le constat d’échec est sans mière vague, ils ont eu peu de morts juifs orthodoxes louis imbert
PUBLICITÉ

Madame, Monsieur, vous qui êtes salariés de Suez,

Je souhaite toujours agir en transparence et c’est la raison pour laquelle, avant même la réalisation des
différentes étapes nécessaires, je souhaite m’adresser à vous directement car vous êtes naturellement
concernés par le projet historique de rapprochement entre Suez et Veolia que nous souhaitons bâtir.

Les grands changements suscitent légitimement de grandes interrogations. Je prends ainsi solennellement,
vis-à-vis de vous, les engagements suivants, et je serai à la disposition de vos représentants syndicaux s’ils
souhaitaient m’auditionner pour pouvoir les détailler, dans le plein respect de la législation applicable.

Mon premier engagement est de préserver l’ensemble de vos emplois et de vos acquis sociaux. Cet
engagement est valable aussi bien pour les salariés amenés à intégrer le nouveau groupe que pour ceux qui
resteraient chez Suez Eau France. Nous créerons, par ailleurs, un comité paritaire avec des représentants de
Suez et de Veolia, y compris des représentants des salariés, qui veillera à ce que cet engagement s’applique
de la même manière pour les quelques autres activités que nous aurions à céder en application des règles de
la concurrence. Ce comité sera chargé de vérifier le respect de quatre critères de sélection, qui s’appliqueront
aux candidats à la reprise de ces activités :
– D’abord, justement, la garantie de l’emploi et de tous les avantages sociaux. Si cette condition n’est pas
remplie d’emblée, la discussion n’ira pas plus loin.
– Ensuite, le projet industriel, c’est-à-dire la capacité à investir et à innover.
– Puis l’acceptabilité par les clients, et la capacité à développer une concurrence réelle et sérieuse sur
le marché.
– Enfin, et seulement enfin, le prix.

Ce ne sont pas des paroles en l’air : vos collègues d’Osis, que nous accueillons chez Veolia, ont déjà publiquement
confirmé que ces engagements étaient tenus. Je vous invite à en discuter avec eux si vous le souhaitez.

Cet engagement, je le prends avec d’autant plus de conviction que le projet que je vous propose est un projet
de développement de nos activités réunies, qui nécessitera même de développer l’emploi et les compétences.
Certainement pas de nous séparer de salariés, bien au contraire!

Pour les mêmes raisons, mon deuxième engagement est de céder le moins d’actifs possible. Pour satisfaire aux
règles de la concurrence, nous aurons à céder environ quatre milliards d’euros d’actifs à l’échelle du nouveau
groupe, c’est-à-dire moins que ce que Suez prévoit de céder à lui seul. Rien qu’au cours des derniers mois, ce sont
déjà près de 15000 salariés de Suez qui ont changé d’actionnaire, au gré des cessions annoncées.

Mon troisième engagement est de bâtir un encadrement équilibré entre les dirigeants issus de Suez et de Veolia,
depuis le management des différents pays jusqu’au comité exécutif du nouveau groupe. La sélection des profils
sera faite avec un cabinet indépendant pour en garantir l’objectivité.

Madame, Monsieur, ces engagements sont sans précédent et sans équivalent dans des opérations comme celle
que je propose. Parce que sans vous, ce projet n’aurait aucun sens.

En définitive, vous n’avez rien à perdre dans ce projet, et, ensemble, nous avons tout à y gagner!

Antoine Frérot
Président-directeur général de Veolia

Ressourcer le monde
PLANÈTE
0123
8| VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

C R I S E S A N I TA I R E

Soixante-neuf départements en alerte

Lille

Rouen

Covid­19 : avalanche
de nouvelles
Rennes

restrictions Paris et petite couronne

Saint-Etienne
Lyon

Alors que le système de tests est défaillant, Grenoble

le gouvernement s’en remet à des mesures Bordeaux


différenciées selon les territoires pour freiner
la propagation de l’épidémie Nice

Toulouse
Montpellier

Métropole

P
lusieurs nuances de rouge pour d’anniversaire, communions, etc.) auront
décrire les différentes facettes une jauge établie à moins de 30 personnes Aix-Marseille
d’une même réalité : la propa­ que devront respecter les salles polyvalentes,
gation du SARS­Cov­2 continue salles des fêtes et autres établissements rece­
de s’accélérer en France. Sur la vant ce type d’événements.
carte présentée par le ministre
Guadeloupe Martinique Mayotte La Réunion Guyane
de la santé, Olivier Véran, mercredi 23 sep­ « RISQUE ÉCONOMIQUE IMMENSE »
tembre, 69 départements ont désormais Parmi ces territoires, certains ont été classés
franchi le seuil d’alerte fixé par le gouverne­ en « zone d’alerte renforcée » en raison de leur
ment et enregistrent un taux d’incidence taux d’incidence chez les personnes âgées,
supérieur à 50 nouveaux cas pour 100 000 qui franchit le seuil des 50 cas pour 100 000
habitants. Ces territoires, où la circulation du habitants. Il s’agit des métropoles de Lille,
virus est plus active que dans le reste du pays, Toulouse, Saint­Etienne, Rennes, Rouen, Gre­
Infographie Le Monde
et où les préfets sont autorisés à prendre des noble, Montpellier, Paris et les départements
mesures pour limiter le nombre de contami­ de la petite couronne. Là, une série de mesu­
nations, sont désormais divisés en trois caté­ res vont être appliquées dès samedi, après
gories correspondant à autant de nouvelles concertation des préfets et élus locaux qui y sienne. « Il faut tout mettre en œuvre, dans Provence et de Marseille, qui dénoncent
interdictions : « zone d’alerte », « zone apporteront des précisions : abaissement de une concertation totale, pour prévenir la re­ notamment une décision « unilatérale, ina­
d’alerte renforcée » et « zone d’alerte maxi­ la jauge des rassemblements à 1 000 person­ crudescence du Covid­19, explique­t­elle dans daptée et injuste ». « Je pense que c’est la mort
male ». Si plus de 60 % des lits de réanima­ nes, interdiction des grands événements un message publié sur Twitter. Mais il est ca­ de la Guadeloupe », a déclaré de son côté Ary
tion disponibles sont occupés par des déclarés (fêtes locales, fêtes étudiantes), inter­ pital que les mesures soient proportionnées Chalus, le président du conseil régional de
patients Covid, les territoires concernés pas­ diction des rassemblements de plus de 10 per­ avec soin pour la vie sociale, le sport, la culture. Guadeloupe, sur France Inter. Quelle que soit
seraient en « état d’urgence sanitaire ». sonnes dans l’espace public (plages, parcs), Engageons la discussion avec la Préfecture de la zone, les enterrements ne sont pas concer­
« Des mesures supplémentaires », donc, que fermeture des salles de sport et gymnases. police et les professionnels. » Outre la ferme­ nés par les nouvelles restrictions.
le gouvernement ne prend « pas de gaieté de Mais aussi à partir de lundi : fermeture des « ON SE DEMANDE SI ture des bars, l’interdiction des grands événe­
cœur », selon les mots du ministre, qui est re­ bars au plus tard à 22 heures et fermeture de ments constitue un sujet de préoccupation à « C’EST UNE GABEGIE »
venu sur le devant de la scène la semaine pré­ toutes les salles des fêtes et salles polyvalentes ON NE SE TROMPE l’Hôtel de ville. Cette mesure signifie­t­elle « On se demande si on ne se trompe pas de ci­
cédente, lors de son premier point épidémio­ pour les activités festives et associatives. Les qu’il faut stopper le tournoi de tennis de ble, interroge Yves Buisson, président de la cel­
logique de la rentrée. Les chiffres de Santé restaurants ne sont à ce stade pas concernés. PAS DE CIBLE. Roland­Garros, à peine commencé ? Ou lule Covid de l’Académie nationale de méde­
publique France sont égrainés dans un effort A la Mairie de Paris, Anne Hidalgo et son EST­CE QUE C’EST abandonner l’édition 2020 de la Nuit blan­ cine. Est­ce que c’est dans les bars que se font les
de pédagogie pour dessiner les contours de équipe ont assez mal pris ces annonces. Une che, prévue pour le 3 octobre, avec vingt ins­ contaminations ? On sait que ça se fait beau­
la situation actuelle : le taux de reproduction, réunion préparatoire avait bien eu lieu lundi DANS LES BARS tallations dans des musées de la ville, et qua­ coup plus en milieu privé. » L’épidémiologiste
qui désigne le nombre de nouveaux cas avec l’autorité régionale de la santé d’Ile­de­ rante­deux autres propositions culturelles ? rappelle que « la première chose à faire, c’est
qu’une seule personne infectieuse va géné­ France et la Préfecture de police. La maire QUE SE FONT LES Les « zones d’alerte maximale », enfin, se mettre son masque ». « On n’a jamais trouvé
rer en moyenne, est toujours supérieur à 1, le socialiste n’en a pas moins été surprise par les concentrent sur la Guadeloupe et la métro­ mieux contre les virus respiratoires depuis la
taux de positivité aux tests est passé de 5 % à décisions issues du conseil de défense. En
CONTAMINATIONS ? » pole d’Aix­Marseille, qui se caractérisent, en grippe espagnole » en l’absence de vaccin.
6 % en une semaine, et la part des patients at­ particulier la fermeture des bars au plus tard YVES BUISSON plus des autres indicateurs, par un taux d’oc­ Alors que l’ensemble de la population est
teints du Covid­19 en service de réanimation à 22 heures, un couperet jugé trop violent président de la cellule Covid cupation des lits de réanimation par des ma­ appelé à réduire sa « bulle sociale », Olivier Vé­
est de 19 % au niveau national. pour un secteur économique en pleine de l’Académie nationale lades du Covid­19 supérieur à 30 %. Les nou­ ran a insisté une fois encore sur la nécessité
Sans nouvelles annonces concernant un convalescence. Le premier adjoint de la Mai­ de médecine velles interdictions y sont drastiques : ferme­ pour les personnes âgées et vulnérables de
dispositif de tests défaillant, aujourd’hui au rie de Paris, Emmanuel Grégoire, a déclaré ture totale des bars et restaurants, fermeture « se protéger particulièrement ». Les Ehpad, où
cœur de toutes les critiques, le gouverne­ mercredi que cette mesure présentait « un ris­ des établissements recevant du public, ex­ les mesures de protection doivent être ren­
ment s’en remet donc au troisième pilier de que économique immense », estimant que « le ceptés les théâtres, musées et cinémas, où forcées, sont notamment poussés à rétablir
sa stratégie : des mesures différenciées selon risque maximum est dans les espaces privés ». existe déjà un protocole sanitaire strict. Le des visites sur rendez­vous et à dépister plus.
les territoires. Dans les 69 départements Anne Hidalgo demande donc qu’un dialo­ télétravail est vivement recommandé là où il Malgré cette avalanche de mesures, aucune
classés en « zone d’alerte », les fêtes (maria­ gue s’engage au plus vite avec la Préfecture, est possible. Les réactions sont très vives de­ mention n’est faite d’une éventuelle évolu­
ges, tombolas, événements associatifs, fêtes pour adapter les décisions à la situation pari­ puis mercredi soir parmi les élus d’Aix­en­ tion de la stratégie des tests, pour lesquels Oli­

A Aix et Marseille domine le sentiment d’être « injustement punis »


Dans les Bouches­du­Rhône, les nouvelles limitations sont très largement condamnées. Des actions de contestation sont annoncées

marseille ­ correspondant prendre », pour la maire EELV de nouvelle méthode de dialogue du des parasols. Nous imposer une haut de la Canebière (1er arrondis­ personnes hospitalisées dans
Marseille, Michèle Rubirola ; « vé­ gouvernement, portée à Mar­ fermeture est une solution de faci­ sement), Fabien Rugi se sent « dé­ toute la ville, s’étonne­t­elle dans

L es annonces du ministre de
la santé, Olivier Véran, font
l’effet d’une bombe dans la
région de Marseille. Quinze jours
après que le premier ministre,
ritable catastrophe économique »,
selon la présidente LR de Métro­
pole Aix­Marseille­Provence,
Martine Vassal ; « quasi­reconfine­
ment » et « punition collective »,
seille par le préfet Christophe Mir­
mand. Aujourd’hui, ils ressentent
un sentiment de trahison.

« L’Etat ne nous respecte pas »


lité pour un ministre qui n’arrive
pas à résoudre son problème sani­
taire », tempête Bernard Marty, le
président de l’UMIH des Bouches­
du­Rhône. « Nous représentons
pité et injustement puni ». « Dans
mon établissement, j’ai enlevé des
tables pour respecter les distances,
j’ai installé du gel à toutes les en­
trées, je sers les clients avec un mas­
La Provence. Le rôle du gouverne­
ment est de protéger, de prévenir,
voire de sanctionner, mais pas
d’instaurer un climat anxiogène !
Là, on dérape, et moi je dis : “Fer­
Jean Castex, a prôné la concerta­ aux yeux du président LR de la ré­ Les professionnels n’en pensent 7 500 entreprises dans le départe­ que, énumère­t­il. On va payer les me­la, Véran !” La haute adminis­
tion avec les collectivités et les ac­ gion, Renaud Muselier. Ou « vio­ pas moins. Au siège départemen­ ment et nous apprenons par BFM pots cassés d’un été où les autori­ tration est en train de devenir
teurs économiques locaux, la dé­ lence inacceptable » pour le pre­ tal de l’Union des métiers et des que nous devons fermer. L’Etat ne tés ont laissé faire n’importe quoi. » folle. » « Les maires préparent des
cision unilatérale de renforcer les mier adjoint PS, Benoît Payan. industries de l’hôtellerie (UMIH), nous respecte pas et va nous tuer, A quarante kilomètres de là, à actions collectives », précise sa
mesures sanitaires et de fermer Tous deux s’étonnent, chiffres sur le cours Julien, dans le 6e ar­ mais nous n’allons pas mourir Aix­en­Provence, où les signaux fille, l’ex­sénatrice UDI Sophie
notamment les bars et les restau­ officiels à l’appui, que ce renforce­ rondissement de Marseille, plu­ sans nous battre », prévient déjà le sont moins critiques qu’à Mar­ Joissains, qui, comme d’autres
rants dès le samedi 26 septembre ment des contraintes intervienne sieurs dizaines de professionnels patron des cafetiers du départe­ seille, la stupeur est encore plus élus locaux, ne comprend pas
déclenche la colère unanime des alors que le taux d’incidence et le se sont réunis spontanément, ment, qui réfléchit, avec ses adhé­ grande. Avec sa truculence habi­ « qu’on ne fasse aucune différen­
élus de tout bord – parlementai­ taux de positivité sont en baisse mercredi 23 septembre. Et l’acca­ rents et leurs fournisseurs, à des tuelle, la maire LR, Maryse Jois­ ciation entre les territoires, dans
res et cadres LRM exceptés – et des depuis une semaine dans le dé­ blement a cédé le pas à la tension. « actions coup de poing ». sains, interpelle directement le une métropole où les situations
professionnels. « Décisions politi­ partement. Le week­end dernier, « Le gouvernement ouvre des pa­ Patron de La Boîte à sardines, un ministre de la santé. « Nous avons sont très diverses ». 
ques que personne ne peut com­ les élus provençaux louaient la rapluies qui sont plus grands que restaurant de poissons sis tout en cinq malades en réanimation, dix gilles rof
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 planète | 9

Classement des territoires au 23 septembre :


Alerte (53 départements)
Taux d’incidence supérieur à 50 pour 100 000 habitants
Alerte renforcée (14 territoires)
Taux d’incidence supérieur à 150 pour 100 000 habitants,
et taux d’incidence pour les personnes âgées supérieur à 50
Alerte maximale (2 territoires)
Taux d’incidence supérieur à 250 pour 100 000 habitants, et taux
d’incidence pour les personnes âgées supérieur à 100, part des patients
Covid dans la réanimation au niveau régional supérieur à 30 %
Etat d’urgence sanitaire (0 territoire)

Hors zone d’alerte (32 départements)


Devant les sénateurs, Agnès Buzyn tente
Taux d’incidence
Nombre de cas testés positifs pour 100 000 habitants, moyenne sur sept jours
de clore son « procès en incompétence »
100 Les auditions de l’ancienne ministre de la santé et de l’ancienne porte­parole
du gouvernement Sibeth Ndiaye ont été émaillées de tensions
75 94,87

50

C’ POUR L’EX­MINISTRE,
est la voix grippée, ment guidée par son « intuition », été bien fait ». « A aucun moment
et l’air fatigué, s’est appliquée à retracer au jour vous ne pouvez avoir 20/20, ce
25 qu’Agnès Buzyn s’est le jour son action. L’ORIGINE DU PROBLÈME n’est pas l’école, a­t­elle ironisé, il y
présentée, mercredi « On ne va pas aujourd’hui re­ a eu des choses moins bien réus­
23 septembre, devant les séna­ prendre toute l’histoire de l’épidé­ EST À CHERCHER DU CÔTÉ sies, et je l’ai reconnu. »
0 teurs de la commission d’enquête mie dans tous ses aspects sinon le DE SANTÉ PUBLIQUE Sur le fond, l’audition de Sibeth
Juin Juillet Août Septembre sur la crise du Covid­19. [vice­] président [de la commis­ Ndiaye, qui ne s’est jamais laissé
Après un premier round à l’As­ sion d’enquête] Savary va rester FRANCE, CHARGÉE déstabiliser, a semblé laisser les
Taux de positivité semblée nationale, où elle a été là jusqu’à demain matin », a in­ sénateurs sur leur faim. « Mme Co­
Nombre de cas positifs pour 100 personnes testées auditionnée le 30 juin, l’ancienne sisté le corapporteur Bernard Jo­ NOTAMMENT DES STOCKS hen capitule », a ainsi lancé René­
ministre de la santé a défendu mier (apparenté PS, Paris) avant STRATÉGIQUES D’ÉTAT Paul Savary, alors que la sénatrice
7,5 pendant plus de trois heures et de recentrer l’audition sur les communiste renonçait à poser
6,14 % demie son « bilan ». Face à des sé­ masques, avec une question cen­ une nouvelle question. « Il ne
nateurs décidés à obtenir des « ré­ trale : pourquoi la France a­t­elle s’agit pas de capitulation mais de
ponses précises », elle est revenue abordé l’épidémie avec seule­ tants », ou semblé « s’adapter aux la limite de l’exercice, même sous
5,0
sur les origines de la pénurie de ment 100 millions de masques capacités [de masques et de tests, serment », a soupiré l’élue du Val­
masques, le calendrier de ses déci­ dans le stock stratégique au lieu notamment] disponibles », a re­ de­Marne.
sions, et le contexte d’incertitude du milliard recommandé par les levé M. Savary. L’ex­secrétaire Interrogée ensuite par la séna­
2,5 dans lequel celles­ci ont été pri­ experts ? d’Etat, qui avait à plusieurs repri­ trice PS de Paris, Marie­Pierre de
ses. « J’espère ainsi clore très solen­ Agnès Buzyn a assuré n’avoir ses découragé les Français de por­ la Gontrie, sur des propos rappor­
nellement devant la représenta­ découvert le problème que le ter un masque, s’est contentée de tés au début du quinquennat
tion nationale cette forme de pro­ 24 janvier, lorsque le directeur gé­ rappeler la position de l’Organisa­ (« J’assume de mentir pour proté­
0 cès en incompétence que je res­ néral de la santé, Jérôme Salo­ tion mondiale de la santé qui, fin ger le président »), Sibeth Ndiaye a
Juin Juillet Août Septembre sens », a­t­elle d’emblée annoncé mon, lui a présenté un état des mars, n’établissait « pas de preuve dû s’expliquer une nouvelle fois
aux parlementaires. lieux. Elle a alors lancé de nouvel­ de l’utilité du masque en popula­ devant les sénateurs, rappelant
Source : Santé publique France
Dès les premières questions de les commandes, mais « trop tard » tion générale ». qu’elle avait en effet dissimulé
la corapporteure Catherine Dero­ pour échapper à la pénurie mon­ aux journalistes une escapade de
che (Les Républicains, LR, Maine­ diale, la quarantaine qui avait été Exaspération M. Macron pour une « partie de
vier Véran reconnaissait pourtant il y a une et­Loire) au sujet des données décrétée à Wuhan le 23 janvier Vantant la « transparence », tennis privée ». « Ça n’a rien à voir
semaine de « réelles difficultés organisation­ dont elle disposait pour affirmer ayant aussitôt paralysé les nom­ Mme Ndiaye s’est défendue d’avoir avec une éventuelle décision de
nelles ». Un silence qui pousse l’épidémiolo­ – le 24 janvier – que le risque d’im­ breuses usines de la région. eu une communication « autori­ mentir sur des décisions que pour­
giste Catherine Hill à qualifier ces annonces portation de cas depuis Wuhan Pour l’ex­ministre, l’origine du taire » et assuré qu’elle avait dit la rait prendre le gouvernement », a­
de « mesurettes ». « On ne s’attaque pas au pro­ (Chine) était « pratiquement nul », problème est à chercher du côté « vérité » tout au long de la crise. t­elle plaidé, assurant qu’au cours
blème, on n’a jamais cherché à contrôler la cir­ l’ex­ministre apparaît à cran. « La de Santé publique France (SpF), Ce mot est revenu à plusieurs re­ de la crise du Covid­19, elle avait
culation du virus », s’exaspère la chercheuse, diffusion permanente de propos chargée notamment des stocks prises dans la bouche des séna­ « systématiquement relayé l’infor­
pour qui une stratégie efficace consisterait à tronqués a grandement contribué stratégiques d’Etat. Elle a ainsi teurs, qui ont souligné les contra­ mation » à sa disposition. « Les
réaliser encore plus de tests que le million par aux menaces de mort dont j’ai fait souligné que l’agence de sécurité dictions entre certaines déclara­ gens auraient voulu entendre qu’il
semaine actuel. « Il faut tester tout le monde, l’objet sur les réseaux sociaux de­ sanitaire avait mis « dix­huit mois tions des membres du gouverne­ n’y avait pas assez de masques
très largement, pour trouver et isoler les puis six mois » sur fond d’antisé­ à auditer le stock » de masques ment, notamment sur l’absence pour la population et qu’il fallait
asymptomatiques avant qu’ils contaminent mitisme, a­t­elle lâché, souli­ après la saisine de la direction gé­ de pénurie des équipements de les garder pour les soignants,
autour d’eux », notamment grâce aux tests gnant qu’elle avait bien précisé nérale de la santé (DGS) protection, et la réalité du terrain. ils auraient pu le comprendre », a
groupés, une technique consistant à tester un alors : « Cela peut évidemment d’avril 2017, puis qu’il s’était passé « Dire la vérité sur ce qu’on sait ou insisté une sénatrice.
mélange d’échantillons et qui divise les scien­ évoluer dans les prochains jours. » « neuf mois » entre la lettre de la pas en temps de crise est primor­ « Aujourd’hui, je vois que le port
tifiques. Dans un avis du 11 septembre, le « Je ne voudrais pas, parce que je DGS ordonnant la commande de dial, a insisté l’ex­secrétaire d’Etat, du masque n’a plus aucun secret
Haut Conseil de la santé publique a cepen­ vous pose des questions, être taxée 100 millions de masques en octo­ qui a quitté le gouvernement en pour vous et je m’en réjouis », a
dant réitéré son opposition à cette technique. d’antisémitisme, madame », a aus­ bre 2018 et la commande effec­ juillet. C’est ce à quoi nous nous glissé le sénateur (LR, Français de
Pour Catherine Hill, l’effort de dépistage ac­ sitôt rétorqué la sénatrice. tive, en juillet 2019. sommes attachés. l’étranger) Damien Regnard, évo­
tuel est inutile, puisqu’il ne faudrait pas ana­ Selon elle, la pénurie de masques – Etes­vous sûre ?, a insisté le vi­ quant un propos polémique de la
lyser les prélèvements de plus de quarante­ Guidée par son « intuition » est plus généralement le résultat ce­président, en évoquant les secrétaire d’Etat qui avait indiqué,
huit heures. En effet, une fois les symptômes Agnès Buzyn a cependant admis d’une décennie de « défauts d’ap­ masques. le 20 mars sur BFM­TV, qu’elle ne
apparus, les malades ne sont généralement que son affirmation reposait sur préciation ». « Pourquoi la ministre – Bien sûr, a répondu Mme Ndiaye, savait pas utiliser un masque. « Je
plus contagieux au bout de cinq jours. Pour une modélisation qui s’est, de­ que je suis ne sait pas ? Eh bien nous avons dit ce que nous savions, pourrais dire : je suis ministre, je
être utiles, les résultats doivent être rendus puis, révélée erronée. « J’appren­ quand on arrive au pouvoir, on et établi une doctrine d’emploi mets un masque. Mais en fait, je ne
bien avant. « C’est une gabegie. On perd énor­ drai quelques jours plus tard (…) considère que les collègues ont tra­ [avec une] priorité aux personnels sais pas l’utiliser », avait­elle dé­
mément d’argent à ne pas faire ce qu’il faut que cette étude n’a pas pris en vaillé », lance­t­elle. Le vice­prési­ des hôpitaux. A aucun moment claré. La boutade l’a fait sourire.
pour la santé », conclut­elle. Une semaine compte les liens très particuliers de dent de la commission d’enquête, on ne m’a demandé de mentir sur Plus tard, dans l’après­midi,
plus tôt, Olivier Véran annonçait pourtant la la France avec la ville de Wuhan (…) René­Paul Savary (LR, Marne), in­ la situation des masques et à réagissant à une autre boutade,
commande de 5 millions de tests antigéni­ qui font que nous avons de nom­ siste : « Dans la chaîne, il y a quel­ aucun moment je ne l’ai fait. » lancée cette fois à Agnès Buzyn
ques, qui permettent d’obtenir un résultat breux vols directs entre Paris et qu’un qui n’a pas fait son travail ! » Devant l’exaspération de cer­ par Catherine Deroche – qui assu­
plus rapidement, pour début octobre, en Wuhan », a­t­elle détaillé, préci­ Plus tôt dans la journée, l’an­ tains sénateurs, qui lui ont repro­ rait que si l’exécutif aurait peut­
complément des tests RT­PCR aujourd’hui sant que l’étude avait été corrigée cienne porte­parole du gouverne­ ché son absence d’« autocritique », être du mal à trouver le prochain
réalisés dans les laboratoires français. « Ces par la suite. ment, Sibeth Ndiaye, a défendu l’ex­porte­parole a rappelé qu’elle DGS, il n’aura aucun mal à trou­
tests antigéniques permettraient d’avoir une Comme devant la commission devant la même commission la avait fait 90 apparitions médiati­ ver un nouveau ministre de la
nouvelle stratégie, souligne Yves Buisson. Si d’enquête de l’Assemblée natio­ communication du gouverne­ ques en six mois et reconnu des santé – l’ex­titulaire du poste s’est
on continue à ne rien faire d’efficace, on va nale, l’ex­ministre de la santé, ment pendant la crise. « erreurs » et des « phrases mala­ mise à pleurer. 
être contraint au reconfinement. »  soucieuse de démontrer qu’elle Un exécutif qui a « envoyé des si­ droites, alambiquées ». Elle a con­ chloé hecketsweiler
denis cosnard et delphine roucaute avait très tôt anticipé, notam­ gnaux contradictoires ou flot­ cédé qu’« évidement, tout n’a pas et solenn de royer

COMMENT PENSER L’AVENIR DU LIBAN ?


Week-end exceptionnel En
partenariat

dès vendredi 25 septembre, 18h. avec

Artistes, penseurs, chercheurs et experts


répondent à la question.
© DR
0123
10 | planète VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Climat : charbon à 1,2 milliard de tonnes par


an. Or en 2018, elle en a consommé
4,84 milliards de tonnes. Donc les
« La Chine
va devoir
gement, « c’est un signal politique
extrêmement positif pour relan­
cer un multilatéralisme sur le cli­
accroître les efforts des Etats. En
effet, leurs engagements pris
en 2015 mettent la planète sur

les nouvelles
promesses pour 2060… », résume mat, très affaibli ces dernières an­ une trajectoire de réchauffement
François Godement, spécialiste de
se poser nées », estime Lucile Dufour, res­ de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle, bien
l’Asie à l’Institut Montaigne. la question ponsable des négociations inter­ plus que le maximum de 2 °C, ou
Néanmoins, il est évident que la nationales au Réseau Action 1,5 °C, prévu par l’accord de Paris.
question climatique préoccupe
de ses projets Climat. Elle voit dans cette an­ Cinq ans après l’adoption du

ambitions les dirigeants chinois. Xi Jinping


parle fréquemment de « civilisa­
tion écologique ». Il exerce réguliè­
rement une forte pression sur les
de centrales
à charbon »
RICHARD BARON
nonce « un signal prometteur »
quant à la capacité du binôme
Chine­Union européenne (UE) à
prendre le leadership en matière
traité international, les Etats doi­
vent relever, avant la fin de l’an­
née, leurs objectifs de réduction
des émissions de gaz à effet de

de la Chine dirigeants locaux sur ce thème.


Les observateurs sont divisés.
Certains n’y voient qu’une simple
rhétorique sans effet, d’autres
directeur exécutif de
la 2050 Pathways Platform
climatique, et à remplacer le cou­
ple sino­américain qui s’était
formé avant l’adoption de l’ac­
cord de Paris, en 2015.
serre. Or, pour l’instant, seuls
treize pays, qui ne représentent
que 3,6 % des émissions mondia­
les, ont déposé leurs nouveaux
L’objectif de neutralité carbone sont au contraire convaincus que
la Chine veut également prendre
exécutif de la 2050 Pathways Plat­
form, une ONG qui travaille avec
L’annonce chinoise intervient
après un sommet virtuel UE­
plans auprès de l’ONU, selon le dé­
compte du think tank américain
en 2060 annoncé par Xi Jinping le leadership international sur les
questions environnementales,
des pays pour les aider à cons­
truire leurs stratégies climati­
Chine, le 14 septembre, et surtout
alors que la Commission euro­
World Resources Institute. Avec la
Chine et l’Europe, ce sont deux des
relance la diplomatie climatique notamment pour favoriser ses in­
dustries innovantes.
ques de long terme. Mais la Chine
va devoir se poser la question de
péenne a également proposé, mi­
septembre, d’accroître les efforts
principaux pollueurs de la planète
qui pourraient aller plus loin.
La Chine produit déjà la plupart ses projets de centrales à charbon, des Vingt­Sept dans la lutte con­ Manquent désormais à l’appel
des batteries ion­lithium, des pan­ qui n’auront bientôt plus de viabi­ tre le dérèglement climatique : les Etats­Unis, qui doivent sortir
neaux solaires et des éoliennes lité économique. Cela nécessite un elle préconise une baisse des de l’accord de Paris le 4 novembre,
pékin ­ correspondant breuses centrales au charbon. dans le monde, et elle est le pays où gros changement, car sa relance émissions de gaz à effet de serre au lendemain de l’élection prési­
« La Chine envisage actuellement la part de marché des véhicules économique a beaucoup consisté d’au moins 55 % d’ici à 2030 par dentielle. Le scrutin du 3 novem­

C’
est une lueur d’es­ d’augmenter ses capacités de pro­ électriques est la plus importante. à investir dans l’industrie lourde rapport à 1990, quand il était jus­ bre sera, en ce sens, crucial : le can­
poir dans un ciel duction des centrales au charbon « Il y a de vraies contradictions en­ et les infrastructures. » qu’ici question d’un recul de 40 %. didat démocrate, Joe Biden, a pro­
obscurci par les ca­ à hauteur de 249,6 gigawatts tre la rhétorique et l’action, mais le « C’est l’annonce la plus impor­ L’UE – à l’exception de la Polo­ mis qu’en cas de victoire, son pays
tastrophes climati­ [GW] ; 97,8 GW sont en construc­ discours de mardi est important. tante en termes de politique clima­ gne – s’est également fixé pour réintégrerait le traité et viserait la
ques. Pour la première fois, mardi tion et 151,8 GW en préparation. (…) Il peut signaler que le pays se tique mondiale depuis au moins objectif de devenir neutre sur le neutralité carbone en 2050. Dans
22 septembre, la Chine s’est fixé Une augmentation de 21 % par prépare à mettre en place des politi­ cinq ans, et elle était impensable il y plan climatique d’ici à 2050. ce cas, avec un engagement des
un objectif de neutralité carbone, rapport à fin 2019 (205,9 GW) », ques d’émissions plus strictes, a quelques années », juge le clima­ trois premiers émetteurs mon­
à l’horizon 2060. notaient, en juin, le Global même si elles ne sont pas suffisan­ tologue allemand Niklas Höhne, « Redonner confiance » diaux, qui représentent 45 % des
L’annonce en a été faite par le Energy Monitor et le Centre for tes pour atteindre l’objectif de fondateur de l’Institut NewCli­ « Les dirigeants de Pékin, de émissions, « l’objectif de ne pas dé­
président Xi Jinping, lors de son Research on Energy and Clean 2060 », note James Temple dans mate, à Cologne. Selon le Climate Bruxelles et des capitales du passer 1,5 °C de réchauffement se­
intervention, par visioconfé­ Air (CREA) dans une étude intitu­ un article en ligne de la MIT Tech­ Action Tracker, un groupe d’ex­ monde en développement nous re­ rait clairement à portée », selon
rence, au cours de la 75e session lée « Un nouveau boom du char­ nology Review du 23 septembre. perts spécialiste de l’évaluation donnent confiance avant la Bill Hare, le directeur du centre de
de l’Assembée générale des Na­ bon en Chine ». A titre de compa­ Le 14e plan quinquennal (2021­ des politiques climatiques, l’at­ COP26, l’année prochaine », se féli­ recherche Climate Analytics.
tions unies (ONU). Le premier raison, aux Etats­Unis, les centra­ 2025), qui devrait être partielle­ teinte par Pékin de la neutralité cite Laurence Tubiana, directrice Plus largement, la Chine et l’Eu­
pollueur mondial, responsable les au charbon ont une capacité ment rendu public en octobre, carbone d’ici à 2060 entraînerait de la Fondation européenne pour rope peuvent entraîner d’autres
d’un quart des émissions de gaz à de 246,2 GW et en Inde de 229 GW. constituera une indication im­ une baisse des prévisions de ré­ le climat et ancienne ambassa­ pays. « Cela va obliger certains pays
effet de serre, s’engage égale­ portante. Selon Bloomberg, il de­ chauffement de 0,2 °C à 0,3 °C à drice de la France pour les négo­ pollueurs, comme l’Australie, l’Indo­
ment à atteindre un pic de ses re­ « Civilisation écologique » vrait prévoir de réduire la part du l’horizon 2100, la plus grande ré­ ciations climatiques. nésie ou le Vietnam, à questionner
jets de CO2 avant 2030 – et non C’est pourquoi l’annonce du prési­ charbon dans la consommation duction pour un seul pays jamais La 26e conférence des Nations leur modèle économique fondé sur
plus « autour » de 2030, comme dent chinois laisse certains spécia­ d’énergie de 57,5 % cette année à calculée par ces instituts. unies sur le climat, qui devait se des émissions toujours croissantes
indiqué lors de son précédent listes de la Chine sceptiques. « Xi 52 % en 2025. Au­delà de l’effet bénéfique tenir en novembre à Glasgow s’ils veulent continuer à exporter
plan climat. Jinping laisse la question climati­ « La neutralité carbone est abso­ pour le climat, l’annonce sur­ (Ecosse), mais qui a été repoussée leurs produits vers l’Europe et la
L’annonce a surpris. Ne se­ que aux générations futures. Déjà, lument faisable tant du point de prise de Xi Jinping relance une di­ d’un an en raison de la pandémie Chine », avertit Richard Baron. 
rait­ce que parce que la Chine à la fin du XXe siècle, la Chine vou­ vue technique qu’économique, as­ plomatie climatique mise à mal de Covid­19, est considérée audrey garric (à paris)
continue de construire de nom­ lait ramener sa consommation de sure Richard Baron, directeur par la crise du Covid­19. Plus lar­ comme un moment crucial pour et frédéric lemaître

Un des avocats anti­Monsanto


condamné à deux ans de prison
Timothy Litzenburg a tenté d’extorquer 200 millions de dollars
HORS-SÉRIE à une entreprise produisant l’un des composants du Roundup

new york ­ correspondant Licencié dans la foulée du pro­ d’un accord global ou final avec
cès par son employeur qui l’ac­ moi, cela va certainement enfler

D u justicier au maître
chanteur, il est un pas
que Timothy Litzenburg
a franchi. L’avocat américain de
38 ans, qui avait été à la pointe des
cusait de vouloir piller le dossier
Roundup, M. Litzenburg est alors
à son compte et affirme représen­
ter quelque 800 plaignants con­
tre Monsanto. Le 16 octobre 2019,
au point de devenir une menace
existentielle pour [Nouryon] »,
met en garde Litzenburg.
Plus tard, il évoque « une chute
de 40 % de l’action », et vante un
poursuites contre Monsanto et les M. Litzenburg indique à l’avocat investissement « très raisonna­
effets cancérigènes allégués du de Nouryon qu’il va déposer sa ble » de 200 millions pour éviter
Roundup, a été condamné, ven­ plainte à moins qu’un arrange­ des pertes encore pires et « un
dredi 18 septembre, à deux ans de ment puisse être trouvé. Deux cauchemar en matière de rela­
prison par un tribunal fédéral de jours plus tard, il demande un dé­ tions publiques ». L’avocat expli­
Virginie pour avoir tenté d’extor­ dommagement de 5 millions de que qu’il pourrait, aux côtés de
quer 200 millions de dollars dollars pour son client et exige la l’entreprise, « faire du chiqué »
(172 millions d’euros) à une entre­ signature d’un « contrat de con­ pendant le témoignage d’un ex­
prise produisant l’un des compo­ sultant » pour lui et son associé pert en toxicologie, pour saper
sants du Roundup. Le tribunal ne Daniel Kincheloe à hauteur de les mérites d’un procès. Le 15 no­
nomme pas la victime mais il 200 millions de dollars. Un « mi­ vembre, il précise que 150 mil­
s’agit, selon le Wall Street Journal, nimum », assure M. Litzenburg, lions de dollars doivent aller à
de Nouryon, l’ex­division chimi­ qui précise plus tard ses exigen­ une entité qu’il contrôle et
que d’AkzoNobel, dont le siège est ces par e­mail. « Le procès [Nou­ 50 millions à son associé. Fin no­
à Amsterdam. L’avocat avait ryon] sur le lymphome non hodg­ vembre, il envoie un « projet de
plaidé coupable en juin « d’utilisa­ kinien que nous préparons sera le contrat de consulting ». Le 17 dé­
tion de communications interéta­ “Roundup 2”, et je suis impatient cembre 2019, l’avocat est arrêté.

GOUVERNER
tiques à des fins d’extorsion », ainsi de mener la charge de nouveau. M. Litzenburg fut à la pointe du
que son associé Daniel Kincheloe, Cette fois­ci, à mon grand bénéfice combat contre Monsanto – il ap­
condamné à un an de prison. L’in­ financier », écrit l’avocat, qui en­ paraît à la tribune du procès fac­
vocation des communications in­ tend ne pas verser un dollar aux tice de La Haye en 2016, organisé
terétatiques est le moyen juridi­ clients qu’il est censé représenter. par des ONG – et de la défense
que qui a permis à la justice fédé­ du jardinier Johnson. Toutefois,
De Périclès à Xi Jinping rale de poursuivre le cas. « Faire du chiqué » à l’approche du procès, en
Tout commence en septem­ Sauf que Nouryon ne cède pas au juin 2018, le dossier au sein du ca­
bre 2019. M. Litzenburg envoie à chantage et dépose plainte le binet Miller lui aurait été retiré
Nouryon un « projet de plainte » au 29 octobre au ministère de la jus­ en raison de sa consommation
nom d’un client qu’il dit représen­ tice américain, qui met l’avocat de drogue. Dans une plainte, son
Quand on fait plancher des historiens, en particulier de l’Antiquité ou du Moyen Age, ter. L’avocat se prévaut de sa vic­ sur écoute. Celles­ci sont édifian­ employeur le décrit comme un
toire dans le procès Monsanto en tes. M. Litzenburg explique collaborateur de second rang au
sur l’art de gouverner, on s’aperçoit que les problématiques d’hier sont pour une bonne Californie : il avait été, au sein des qu’une fois connu l’accord de comportement erratique. Toute­
part aussi celles d’aujourd’hui. Et que l’horizon indépassable de l’Etat-nation et de la équipes du cabinet Miller, un des consulting il pourrait dissuader fois, M. Litzenburg s’est exprimé
défenseurs du jardinier Dewayne ses clients de poursuivre l’entre­ dans les médias au moment du
démocratie est en train de s’obscurcir.
Johnson, atteint d’un cancer (un prise. Surtout, M. Litzenburg se verdict en août 2018. Dans une
lymphome non hodgkinien). Ce trouvera dans un conflit d’inté­ lettre de décembre 2018, le jardi­

GOUVERNER dernier avait obtenu d’un jury cali­


fornien 289 millions de dollars de
rêts qui l’empêchera d’attaquer
Nouryon. « Entrer dans un accord
nier Johnson écrit que M. Lit­
zenburg « était mon avocat prin­
dommages et intérêts en août de consulting permettra d’éviter le cipal depuis le début de l’affaire »
Un hors-série du « Monde » 2018, indemnité réduite en octo­ défilé des horreurs qu’il y a eu dans mais note que « plus on avançait
100 pages - 8,50 €
bre suivant à 78,5 millions par un le procès du Roundup pour Bayer­ dans le procès, plus sa présence
Chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
juge puis, en appel en juillet 2020, Monsanto. Et il y a une autre chose s’estompait ». 
à 20,4 millions. que je peux garantir : en l’absence arnaud leparmentier
FRANCE
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 | 11

Edouard Philippe, la stratégie de la carte postale


L’ancien premier ministre participe à de nombreux événements, mais assure ne pas vouloir gêner Macron

le neubourg (eure) ­ envoyé spécial

U
n hangar battu par la
pluie, de grosses bot­
tes de lin et des riffs de
guitare pour fond so­
nore. Voilà le décor original choisi
par Edouard Philippe, mercredi
23 septembre, pour poursuivre sa
rentrée médiatique d’ex­premier
ministre. Le maire du Havre
(Seine­Maritime) sème des petits
cailloux depuis qu’Emmanuel
Macron a choisi, début juillet, de
se passer de ses services à Mati­
gnon. Un jour en racontant à la ra­
dio son goût pour la musique
classique ; un autre en prévenant,
lors d’une réunion électorale,
qu’une « tempête économique, sa­ Edouard
nitaire, sociale, peut­être politi­ Philippe,
que » risque de frapper la France. à Deauville
Ce mercredi soir, au Neubourg (Calvados), le
(Eure), il est officiellement ques­ 4 septembre.
tion d’« amitié ». Celle qui le lie LOÏC VENANCE/AFP
au ministre des outre­mer, Sébas­
tien Lecornu, candidat dans le dé­
partement aux élections sénato­
riales du 27 septembre. En 2017, les
deux hommes se sont éloignés du
parti Les Républicains (LR) pour
rejoindre l’ex­ministre de l’écono­
mie de François Hollande. Avant
de franchir le pas, raconte M. Phi­
lippe, M. Lecornu lui a rappelé les
mots de Winston Churchill, qui
« a changé de parti politique deux
fois » : « Il est préférable de changer
de parti pour rester fidèle à ses
idées plutôt que de changer d’idées
pour rester fidèle à son parti. »
Voilà pour la politique natio­
nale, dont l’ancien chef du gou­
vernement assure ne plus vouloir n’y a pas d’agenda caché, que ça Il n’a d’ailleurs pas de propos as­ Avant la rentrée, l’entourage du Selon son entourage, le maire
parler. « J’aimais peu, lorsque n’est pas le début de structuration sez durs contre Les Républicains,
« Philippe reste maire du Havre se montrait divisé du Havre a l’intention de faire
j’étais premier ministre, les com­ d’une écurie politique », justifie le son ancienne famille politique, dans le paysage quant à l’opportunité de le voir valoir son bilan à Matignon. Ses
mentateurs, les responsables poli­ maire d’Angers et fondateur de qui l’a exclue en 2017. « Je suis plu­ réapparaître sur le devant de la anciens conseillers guettent avec
tiques qui, lors de leurs interven­ l’association, Christophe Béchu. tôt mieux à l’extérieur », vante­t­il.
par petites scène. Pas besoin de s’épuiser dans impatience la sortie du troisième
tions, se bornaient à commenter la Une manière d’écarter la possibi­ touches, il est la course de fond censée l’amener volet de la série documentaire
vie politique. Je n’aime toujours En surplomb lité de porter les couleurs de ce à l’élection présidentielle… de Edouard mon pote de droite que
pas beaucoup », lâche­t­il devant Le député européen Gilles Boyer, parti à la présidentielle de 2022,
politique jusqu’au 2027. « Il n’y a pas de petit manuel lui consacre son ami de lycée, le
les 250 grands électeurs venus proche d’Edouard Philippe, colore hypothèse caressée par certains bout des doigts du bon ancien premier ministre, réalisateur Laurent Cibien. Ce der­
l’écouter. Le maire du Havre a néanmoins ce rendez­vous en au sein de LR au regard de la santé avec le bon timing. C’est un homme nier a filmé pendant trois ans les
conscience que le moindre de ses rappelant que, parmi la centaine insolente affichée par l’ex­pre­
de pied », sourit libre », rétorque Gilles Boyer. coulisses de Matignon, et accu­
propos peut être retenu contre de maires attendus dans la préfec­ mier ministre dans les sondages. une ministre mulé des dizaines d’heures d’en­
lui. Une partie de la Macronie a eu ture de Maine­et­Loire, « certains M. Philippe cultive cette position Chiens de faïence tretiens en face­à­face avec l’ex­
du mal à avaler ses déclarations se sont vus opposer des candidats en surplomb. Jeudi, il devait s’affi­ Les philippistes répètent que leur premier ministre. Il a bon espoir
de « prophète de malheur » (dixit marcheurs aux municipales ». « Il y cher au côté de la maire socialiste désormais « insensible ». La « Phi­ champion, âgé de 49 ans, n’a pas de voir son œuvre diffusée à la té­
un dirigeant de la majorité) sur le a un peu de désarroi, c’était décon­ de Paris, Anne Hidalgo, dans le lippie » ne fait même plus mine l’intention de se présenter en 2022 lévision en janvier ou février 2021.
climat de « tempête » qui plane certant. Pour Edouard, La Républi­ cadre d’un forum économique d’attendre qu’Emmanuel Macron contre Emmanuel Macron ; seule­ Un livre cosigné par MM. Phi­
sur le pays. « Il ne l’a pas fait sciem­ que des maires était une manière organisé au Havre. Les deux élus précise les contours du poste de ment d’incarner, le cas échéant, un lippe et Boyer, à la fois récit de cette
ment », jure un de ses proches. de continuer à élargir la majorité, ont prévu de se retrouver dans la coordinateur de la majorité que le recours en cas de renoncement du expérience du pouvoir et essai sur
Son programme, depuis, s’est qui était et reste son objectif », capitale, le 29 septembre, cette fois président de la République avait chef de l’Etat. « Edouard Philippe la politique, devrait sortir en librai­
tout de même (un peu) adapté. souligne M. Boyer. Hasard ou né­ pour un échange consacré au évoqué, début juillet, pour son n’est pas un audacieux, tranche un rie la même année. Promis, jurent
Les organisateurs de la réunion cessité, la plupart des membres Grand Paris. L’ex­premier minis­ ancien chef du gouvernement. proche du président de la Républi­ les philippistes, il ne faudra pas y
de La République des maires, une de ce club sont issus de la droite… tre a par ailleurs signé un courrier Cette stratégie de la carte pos­ que. Il faut être fou pour être candi­ lire un acte de défiance à l’égard
association d’élus locaux pro­Ma­ Le maire du Havre veut néan­ commun avec le maire PS de tale amuse ou irrite au sein de dat, il n’a pas ça. Il prendrait quoi d’Emmanuel Macron à un an de
cron, ont ainsi décidé que leurs moins prouver qu’il n’est tenu par Rouen, Nicolas Mayer­Rossignol, l’exécutif. « Philippe est habile, il comme voix de toute façon ? Il n’y a l’élection présidentielle. Même si,
travaux prévus à Angers, vendredi, aucun camp. Comme Emmanuel adressé à son successeur, reste dans le paysage par petites que 24 % à se partager. » Depuis comme l’écrivait Edouard Philippe
se dérouleraient à huis clos. Macron, l’ancien directeur géné­ Jean Castex, pour lui proposer de touches, il est politique jusqu’au leur séparation, début juillet, dans une chronique pour Libéra­
Edouard Philippe doit s’y expri­ ral de l’UMP assure ne jurer que travailler de concert dans le cadre bout des doigts de pied », sourit M. Philippe et M. Macron, qui tion, en 2017, « chez un homme po­
mer au sujet de la crise sanitaire. par le « dépassement » des cliva­ du plan de relance. Les affaires par­ une ministre. « C’est 36 15 j’existe », n’ont toujours pas repris langue, litique, rien n’est jamais neutre ». 
« C’est une manière de montrer qu’il ges et des structures partisanes. tisanes, clame­t­il, le laisseraient raille de son côté un macroniste. se regardent en chiens de faïence. olivier faye

Congé paternité : le patronat veut un aménagement du dispositif


Les organisations d’employeurs craignent que le passage de 14 à 28 jours déstabilise les petites entreprises, déjà malmenées par la crise

U ne voix légèrement
discordante s’est élevée
dans le concert de louan­
ges qui a accompagné l’annonce,
mercredi 23 septembre par
autres étant assumés par la bran­
che famille de la Sécurité sociale.
Demain, l’effort financier
réclamé aux entreprises restera
inchangé : le surcoût lié à l’allon­
cueille avec bienveillance cette
réforme. Ainsi, du côté du Medef,
on pointe « une évolution positive
de la société » qui « répond à une
attente des parents ». « C’est au
tion des entreprises reste fragile et
incertaine ? », s’interroge­t­on au
Medef. M. Asselin estime, lui
aussi, que la « temporalité » d’une
telle décision pose question : tout
car il faut que la priorité soit don­
née « à l’élaboration de mesures de
sauvetage et de relance, et non pas
à l’ajout en urgence de nouveaux
acquis sociaux ».
non pas pris sur une seule période,
en fonction de l’activité des entre­
prises », déclare M. Asselin. Le pré­
sident de la CPME est également
soucieux des « délais de préve­
Emmanuel Macron, du double­ gement du congé – environ bénéfice des enfants », ajoute­t­on. se passe comme si « on ne compre­ Pour étayer leurs réserves, les nance » : à ses yeux, les dirigeants
ment du congé paternité. Alors 500 millions d’euros à partir de « Notre regard est plutôt positif, nait pas ce qui est en train de se leaders patronaux mettent de sociétés doivent être informés
que ce droit accordé au père ou 2022 – sera couvert par la « Sécu ». enchaîne Michel Picon, président produire dans l’économie », juge­ notamment en avant les « problè­ suffisamment à l’avance de l’ab­
au deuxième parent va être porté Les changements apportés au de l’Union nationale des profes­ t­il, en faisant allusion aux socié­ mes d’organisation » induits par sence de leur collaborateur pour
de quatorze à vingt­huit jours mécanisme feront l’objet de sions libérales. Si la mesure incite tés qui sont « au bord du gouffre » l’absence, pendant vingt­ pouvoir s’adapter.
– avec l’obligation de prendre au dispositions dans le prochain les salariés à jouer leur rôle de père, ou confrontées à mille et une huit jours, d’un salarié qui tra­ Au ministère du travail, on indi­
moins sept jours –, plusieurs or­ projet de loi de financement de la nous avons tous à y gagner sur demandes de « remboursements ». vaille dans une société de petite que que les discussions avec les
ganisations patronales se disent Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, le plan sociétal. » Pour les parents taille. Une personne en moins partenaires sociaux vont se pour­
partagées : elles saluent la me­ en vue d’une entrée en vigueur comme pour les enfants, « c’est Congé « fractionné » dans les effectifs peut, de surcroît, suivre pour délimiter la nouvelle
sure, tout en exprimant des in­ en juillet 2021. Une amende de une bonne nouvelle », confie Fran­ Le ton est encore plus tranché, à entraîner une baisse passagère de version du congé paternité. Des
quiétudes sur ses incidences. 7 500 euros est par ailleurs envi­ çois Asselin, président de la l’Union des entreprises de proxi­ la production qui crée des « coûts « marges de manœuvre » existent
Le gouvernement a pourtant sagée pour contraindre les Confédération des petites et mité (artisans, commerçants, pro­ indirects », souligne M. Picon. sur certains paramètres, précise­
pris soin de ne pas – trop – les employeurs à respecter la « part moyennes entreprises (CPME). fessions libérales). Selon elle, cette C’est la raison pour laquelle les t­on, en mentionnant le délai de
brusquer. Actuellement, le dispo­ obligatoire » – c’est­à­dire l’arrêt Mais il y a tout de même un hic, mesure, synonyme de « réglemen­ organisations d’employeurs veu­ prévenance et le découpage du
sitif se décompose en trois jours de travail de sept jours, au mini­ pour plusieurs mouvements tation rigide et inappropriée aux lent que le dispositif soit amé­ congé en plusieurs séquences. 
de « congé de naissance », à la mum, auquel le salarié a droit. d’employeurs. « Fallait­il l’annon­ TPE­PME », doit intervenir « après nagé. « Nous souhaitons que le raphaëlle besse desmoulières
charge de l’employeur – les onze Globalement, le patronat ac­ cer maintenant alors que la situa­ le combat pour sortir de la crise », congé puisse être fractionné, et et bertrand bissuel
0123
12 | france VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Le Rassemblement A Paris, la nouvelle vie


national de retour
devant la justice des perdants aux municipales
Le parti comparaît vendredi à Nanterre, après Trois mois après le scrutin dans la capitale, plusieurs candidats
son assignation en liquidation judiciaire
LRM battus ont été nommés à de nouvelles fonctions par l’exécutif

A udience à risque pour le


Rassemblement national
(RN). Alors que le parti de
Marine Le Pen pensait éviter ce
nouveau face­à­face avec la
paiement de près de 15 000 euros
« sur les 22 845,72 euros que le RN
avait été condamné à lui payer »,
précise le jugement.
Cette créance étant désormais A
gnès Buzyn n’a pas
participé, lundi 21 sep­
tembre, au conseil du
17e arrondissement de
La campagne
pugnace
au conseil régional d’Ile­de­
France, auprès du groupe LR.
Malgré leur fiasco, les soutiens
d’Emmanuel Macron ne se sont
lâcher la campagne après la divul­
gation d’une vidéo à caractère
sexuel, l’ex­candidat LRM, tou­
jours député de Paris, a repris le
justice, il comparaîtra bien, ven­ honorée, M. Ehrminger et son Paris. Depuis les élections muni­
de Rachida Dati pas non plus tous retrouvés sans chemin de l’Assemblée. Deux mis­
dredi 25 septembre, devant le tri­ avocate se sont désistés de la pro­ cipales, c’est le troisième conseil a ragaillardi rien. L’écrivain Karim Amellal, sions successives lui ont été con­
bunal de Nanterre, après son assi­ cédure. Mais le tribunal a décidé, d’arrondissement pour lequel tête de liste LRM dans le 10e ar­ fiées par le gouvernement, l’une
gnation en liquidation judiciaire le 3 juillet, de reconvoquer le RN et elle se fait porter pâle. Si elle n’a
les militants rondissement, a été nommé fin sur la « base industrielle et techno­
par Mickaël Ehrminger, un ex­sa­ son ancien salarié « pour que les assisté à aucune séance, elle n’a et l’a fait revenir juillet ambassadeur, délégué in­ logique de défense », la suivante
larié. Et ce malgré le désistement parties soient entendues sur les pas démissionné pour autant. terministériel à la Méditerranée. sur l’alimentation des jeunes.
de ce dernier, après le paiement conditions du paiement de la Signe, sans doute, d’une hésita­
au cœur du jeu Il avait déjà été repéré avant les Grand rival de Benjamin
d’environ 15 000 euros que le créance invoquée au regard de la tion. Dans les derniers jours de sa municipales par le président de la Griveaux, Cédric Villani est lui
parti lui devait encore. situation financière » du parti. campagne, fin juin, la tête de liste République, qui lui avait confié, aussi revenu au Palais­Bourbon,
« La créance a été parfaitement de La République en marche Rachida Dati n’a pas détrôné la ainsi qu’à deux autres personnali­ où il a quitté les rangs de LRM
payée, c’est du jamais­vu », s’agace Situation financière piteuse (LRM) à Paris avait promis qu’elle maire sortante. Mais, seule maire tés, une mission pour mieux lut­ pour cofonder en mai le groupe
le trésorier du RN, Wallerand Un coup dur pour le RN, dont la n’abandonnerait pas le combat d’arrondissement réélue dès le ter contre la haine sur Internet. Ecologie démocratie solidarité. Si­
de Saint­Just, qui dénonce un situation financière piteuse va de parisien, malgré l’échec qui se premier tour, l’ancienne ministre tuation étonnante pour le mathé­
« acharnement du procureur à nouveau être exposée au grand profilait : « J’ai quitté un très beau sarkozyste a réussi à faire entrer « Un point de chute » maticien, à la fois député de l’Es­
l’égard d’un parti politique ». Pas jour. Depuis plusieurs années, le poste pour faire de la politique, ce 55 de ses candidats dans l’hémicy­ Autre bénéficiaire d’un coup de sonne et conseiller d’arrondisse­
tout à fait, « au regard de la situa­ parti de Marine Le Pen court n’est pas pour arrêter de sitôt », cle, au lieu de 25 à la fin de la man­ pouce élyséen, Frédérique Calan­ ment à Paris, dans le 14e. Deux
tion financière » du parti, précise après ses propres dettes. L’exer­ affirmait­elle. Elle se voyait déjà dature précédente. Alors que dra, l’ancienne maire du 20e ar­ mandats de proximité, mais dans
le jugement du 3 juillet reconvo­ cice 2018 de ses comptes affichait en chef de l’opposition, puis beaucoup la voyaient battue rondissement. Cette ex­socialiste deux lieux distincts. Et, contraire­
quant le RN et son ancien salarié : des dettes grimpant à 24,4 mil­ en candidate enfin victorieuse : d’avance, sa campagne pugnace a de 57 ans avait été la seule édile de ment à Agnès Buzyn, il a parti­
« Le tribunal ne dispose d’aucun lions d’euros, une perte de « Dans six ans, ce sera moi ! » ragaillardi les militants de la l’équipe d’Anne Hidalgo à se cipé, lui, au premier conseil du 14e.
élément de nature à vérifier que 2,4 millions sur l’année et de Son score désastreux au second droite classique, et l’a fait revenir présenter sous les couleurs de Deux autres figures de la campa­
l’association ne se trouve pas en 19,2 millions en cumulé sur sept tour l’a amenée à revoir ses plans. au cœur du jeu dans son camp. Au LRM. Une évolution sanctionnée gne, un temps alliés, fréquentent
cessation de ses paiements et que ans. Cette année, 4,2 millions Ni maire de Paris ni même point qu’elle envisage une candi­ par les électeurs : elle n’a obtenu désormais les studios des médias,
le demandeur n’a pas été privilégié d’euros ont été directement ponc­ conseillère municipale, Agnès dature à la présidentielle, malgré que 9,2 % des voix au second tour, faute d’avoir été élues. Tout en
par rapport à d’autres créances. » tionnés par l’Etat sur les 5 mil­ Buzyn s’est retrouvée simple l’enquête ouverte par la justice et n’a été réélue ni maire ni même reprenant ses cours de communi­
L’enjeu de l’audience de ven­ lions d’euros de dotation publi­ conseillère d’arrondissement sur les centaines de milliers conseillère de Paris. Cet été, le cation et en relançant une société
dredi – qui sera très probable­ que du RN, afin de rembourser le dans un quartier qui n’est pas le d’euros qu’elle a perçus de Re­ gouvernement l’a nommée délé­ de conseil, Gaspard Gantzer débat
ment mise en délibéré – sera de prêt octroyé par le microparti de sien – elle y avait été parachutée nault­Nissan sans contrepartie guée interministérielle à l’aide chaque semaine chez Cyril Ha­
décider si, après le désistement de Jean­Marie Le Pen, Cotelec, en vue au dernier moment, pour assurer évidente à ce stade. aux victimes. nouna sur C8. Isabelle Saporta in­
M. Ehrminger, le parquet peut de la présidentielle de 2017. la relève de Benjamin Griveaux. Autre faux perdant, Philippe « Il lui fallait un point de chute, le tervient, elle, dans « Les Grandes
poursuivre la procédure en se Autre créance de taille : le prêt Goujon. Candidat dissident au gouvernement la nomme pour Gueules » sur RMC. En sens in­
constituant partie principale et russe de 9,6 millions d’euros. Si Rentré dans le rang premier tour, le maire Les Répu­ services rendus à LRM, cingle son verse, le passage de Jean­Marie
requérir lui­même l’ouverture un accord à l’amiable a été trouvé Dans ces conditions, doit­elle blicains (LR) du 15e arrondisse­ adversaire Danielle Simonnet, de Bigard du spectacle vers la politi­
d’une procédure en liquidation et annoncé le 3 juin par la Cour continuer la politique locale, reve­ ment était arrivé derrière la liste La France insoumise. C’est une que s’est révélé un échec total. La
judiciaire. Ce qui lui donnerait d’arbitrage de Moscou, le RN a dû nir à la médecine, bifurquer ? Le LR officielle menée par Agnès honte, alors qu’en tant que maire liste sur laquelle il figurait dans le
alors la possibilité d’examiner verser aussitôt 1 million d’euros, Canard enchaîné a évoqué cet été Evren. Au second tour, la députée elle a toujours refusé d’entendre la 6e arrondissement n’a réuni que…
certains aspects des comptes du puis 390 000 euros, et devra ver­ la possibilité qu’Emmanuel Ma­ européenne menait leur liste parole des victimes. » L’attaque fait 56 voix. Nul triomphalisme non
Rassemblement national. ser encore 8 millions d’euros d’ici cron lui confie la présidence fusionnée, et aurait donc dû deve­ bondir l’intéressée. Si elle n’est pas plus pour Serge Federbush, le can­
à la fin 2028, par tranches de d’Universcience, l’établissement nir maire. Après la victoire, elle a magistrate comme la précédente didat soutenu par le Rassemble­
Condamné aux prud’hommes 322 000 euros tous les trois mois. public qui regroupe le Palais de la néanmoins laissé la mairie à son déléguée, l’ex­maire affirme avoir ment national. Revenu à son
L’affaire Ehrminger débute en A cela s’ajoutent les condamna­ découverte et la Cité des sciences allié rentré dans le rang, comme quelques compétences pour aider poste, le magistrat écrit un livre
janvier 2018, lorsque l’ancien tions et risques judiciaires qui et de l’industrie de Paris. le prévoyait leur accord d’entre­ les victimes d’attentats terroristes, sur la crise et fait ses comptes.
chargé de mission, proche de l’ex­ pèsent toujours sur le parti d’ex­ Trois mois après le second tour deux­tours. Lui aussi dissident, de crashs aériens, etc., notamment N’ayant obtenu que 1,5 % des suf­
numéro 2 du parti Florian Philip­ trême droite. Si le jugement l’a des élections municipales, que dans le 18e, le principal soutien grâce à son expérience passée de frages, il ne sera pas remboursé de
pot, raconte à Mediapart et Buzz­ soulagé dans l’affaire Riwal – le sont devenus les participants pa­ parisien de Valérie Pécresse, médiatrice de la Ville de Paris. ses frais : « Ce sera pour ma poche
Feed News la guerre interne et RN n’a été condamné qu’à une risiens à cette compétition ? Prin­ Pierre Liscia, a, de son côté, perdu Benjamin Griveaux n’a pas été et celle de mes colistiers. » 
l’« amateurisme » auxquels il amende de 18 750 euros en juin, cipale adversaire d’Anne Hidalgo, l’élection, mais retrouvé un poste oublié non plus. Après avoir dû denis cosnard
avait assisté lors de la campagne Jeanne, le microparti de Marine
présidentielle de 2017. Le parti Le Pen, a été condamné à une
d’extrême droite le poursuit alors amende de 300 000 euros dans
aux prud’hommes pour violation
de sa clause de confidentialité et
lui réclame 100 000 euros de
cette affaire, dont la moitié avec
sursis. Sans compter les 6,8 mil­
lions d’euros que réclame
Anne Hidalgo double les subventions
accordées aux associations LGBT
dommages et intérêts. Con­ toujours le Parlement européen
damné à payer 1 euro symbolique dans l’affaire des assistants parle­
– « le préjudice invoqué n’étant ni mentaires européens.
démontré ni caractérisé », selon le Devant une telle situation
conseil de prud’hommes –, financière et face aux refus des La maire de Paris veut aussi ouvrir une maison des cultures LGBT + et un centre d’archives
M. Ehrminger obtient en retour, banques de lui accorder des prêts,
le 2 avril 2019, que le parti soit le parti de Marine Le Pen a fini par
sommé de lui payer, entre autres, lancer un « grand emprunt » aux
des heures supplémentaires et la
requalification de son contrat en
CDI. Un an après cette condamna­
tion du RN aux prud’hommes,
l’ex­salarié attendait encore le
Français en début d’année, avec
un taux d’intérêt très avantageux
de 5 %, qu’il faudra bien, lui aussi,
finir par rembourser. 
lucie soullier
A nne Hidalgo l’avait pro­
mis durant la campagne
des municipales : en cas
de victoire, elle comptait bien
prolonger le « coup de foudre en­
lanoë, à partir de 2001, et Anne Hi­
dalgo a amplifié le mouvement. »
A présent, Jean­Luc Romero­Mi­
chel entend aller plus loin encore.
« Paris n’est pas la ville qui donne le
concerne la création, à Paris, d’un
centre d’archives LGBT. Vingt ans
que le chantier est évoqué sans se
concrétiser. Faut­il privilégier
l’histoire récente, autour de l’asso­
tégrée dans son programme sans
fixer de date. Cette « maison », qui
pourrait s’installer dans un local
vacant rue Malher (4e), aurait vo­
cation à valoriser les cultures
tre Paris et les LGBTQI », selon ses plus d’argent aux associations de ciation Act Up et de la lutte contre LGBT, leur donner davantage de
termes. Réélue en juillet, la maire ce type, loin de là », argumente­t­il. le sida, ou remonter plus loin ? visibilité, notamment à travers
de Paris se prépare à passer à l’acte Choisir une approche militante des expositions. Son articulation
en faveur des homosexuels, « Toujours plus d’argent » ou plus scientifique ? Confier les avec le futur centre d’archives,
bisexuels, personnes transgen­ Ce grand coup de pouce aux LGBT clés aux associations, ou aux ins­ ainsi qu’avec le Centre LGBT Paris­
res, queers, intersexes. Au conseil risque de faire tousser certains, titutions publiques, type Archives Ile­de­France, reste à affiner.
municipal d’octobre, des subven­ alors que la politique de la Ville en nationales ? Autant de débats qui « Faut­il vraiment mettre des

CULTURESMONDE. tions de 382 650 euros vont être


attribuées à vingt­cinq associa­
tions LGBT, comme le Centre
matière de subventions fait l’ob­
jet de critiques récurrentes. Mardi
22 septembre, les élus Les Répu­
ont freiné le projet, et incité cer­
tains à monter des structures d’ar­
chivage indépendantes. « La Mai­
moyens sur un énième lieu d’expo­
sition, alors que tant d’associations
actuelles sont dans la détresse ? »,
du lundi LGBT Paris­Ile­de­France, l’Inter­ blicains ont encore dénoncé rie câline les associations, mais s’interroge Marame Kane, la
LGBT, qui organise la « marche de « petits arrangements entre veut tout contrôler, ce n’est pas ac­ coprésidente du Centre LGBT.
au vendredi des fiertés », Le Refuge, ou encore amis ». « Au conseil de Paris, on ceptable », dénonce un militant. Devant ces difficultés, Anne Hi­
11H – 11h50 SOS Homophobie. D’autres pro­ nous fait maintenant voter sur des Aujourd’hui, « la création de ce dalgo s’apprête à confier une mis­
© Radio France/Ch. Abramowitz

jets avaient été votés dès juillet. paquets agglomérant des dizaines centre d’archives constitue une sion de quelques mois à un spécia­
Florian Au total, « nous doublons notre d’associations, certaines à l’utilité priorité, affirme Jean­Luc Romero­ liste du sujet. Ancien président de
Delorme soutien financier, qui va passer publique incontestable, d’autres Michel. Et comme il a une vocation SOS Homophobie et artisan de la
d’environ 200 000 euros à 400 000 beaucoup moins, par exemple nationale, son financement devra campagne de la candidate Hidalgo
euros par an », annonce au Monde lorsqu’elles favorisent des replis s’appuyer aussi sur l’Etat et la dans le monde homosexuel, Joël
Jean­Luc Romero­Michel, mili­ communautaires, peste Nelly région. » Selon l’accord passé entre Deumier devra présenter des pro­
tant homosexuel historique et Garnier, une élue proche de Ra­ les socialistes, les communistes et positions concernant le futur cen­
désormais adjoint d’Anne Hi­ chida Dati. Cette méthode est les écologistes avant le second tre d’archives, la Maison des cultu­
dalgo chargé des droits humains, symptomatique de la politique de tour, les associations et les person­ res LGBT + et l’avenir du Centre
de l’intégration et de la lutte con­ Paris envers les associations : tou­ nes concernées seront associées, LGBT, aujourd’hui à l’étroit dans
tre les discriminations. jours plus d’argent, distribué de « d’une manière ou d’une autre », à ses murs. En commençant par
« Il fallait envoyer un signe fort, façon toujours plus obscure. » la gestion du centre d’archives. écouter toutes les associations.
pour rattraper le retard, explique Les militants LGBT ne sont pas Second dossier sur la table, Joël Deumier a bien en tête le pro­
L’esprit le nouvel élu de Paris. A l’époque
de la droite, il n’y avait pas un cen­
non plus tous tendres à l’égard de
la Mairie. Certains l’accusent de
l’ouverture d’une « Maison des
cultures LGBT + » au cœur du Ma­
blème : « L’histoire LGBT s’est en
partie construite sur des luttes
En partenariat d’ouver- time pour les associations LGBT. clientélisme, de double discours, rais, le principal quartier gay de la contre les pouvoirs publics, si bien
avec
ture. Les premières actions, les premiè­ ou encore de « pinkwashing ». capitale. L’équipe d’Anne Hidalgo qu’il y a parfois des incompréhen­
res subventions sont arrivées avec Deux dossiers cristallisent le l’avait d’abord annoncée pour jan­ sions, des dissensions à aplanir. » 
[le maire socialiste] Bertrand De­ mécontentement. Le premier vier 2020 « au plus tard », puis in­ de. c.
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 france | 13

La prostitution des mineures dans le viseur de l’Etat


Un groupe de réflexion chargé de lutter contre ce fléau doit entamer ses travaux, mercredi 30 septembre

D
es jeunes filles d’à des victimes de la prostitution.
peine 15 ans qui pro­ « Quand on les interpelle, elles n’hé­
posent leurs services sitent pas à nous prendre de haut et
sur des sites d’« es­ à nous dire d’arrêter de les embêter
cort », enchaînent les passes, trim­ en leur posant des questions péni­
ballées par des proxénètes à peine bles sur leurs proxénètes, poursuit
plus âgés qu’elles d’Airbnb en hô­ M. Dyevre. Elles sont convaincues
tels de seconde zone, des signale­ que c’est une association d’affaires.
ments portant sur des conduites C’est seulement quand elles se ren­
prostitutionnelles dès la classe de dent compte que leurs gains leur
5e… Alertés par l’inquiétante mais échappent, ce qui est fréquent, ou
mal connue progression de la quand elles sont frappées qu’il peut
prostitution des mineures, les y avoir une prise de conscience. »
pouvoirs publics ont décidé de se Quant au profil des proxénètes,
saisir du problème. il s’agit de jeunes délinquants, sou­
Un groupe de travail pluridisci­ vent très jeunes, tout juste ma­
plinaire dédié se réunira pour la jeurs, qui se tournent vers la pros­
première fois, mercredi 30 sep­ titution, plus lucrative et moins
tembre, au secrétariat d’Etat à dangereuse que le trafic de stupé­
l’enfance et aux familles. Autour fiants. « Mais depuis deux ou trois
de la table, des représentants des ans, comme il y a davantage de sen­
administrations de l’Etat (minis­ sibilisation des parquets, les pour­
tères de l’intérieur, justice, santé, suites sont beaucoup plus lourdes,
éducation…), des professionnels et ça devient plus dangereux péna­
de terrain (magistrats, conseillers lement de faire du proxénétisme
départementaux, gendarmes et sur mineures », observe le chef de la
policiers, psychologues), ainsi que BPM. Une tendance confirmée par
des associations. Simon Bénard­Courbon, substitut
L’ensemble sera piloté par la di­ du procureur au tribunal judi­
rection générale de la cohésion so­ ciaire de Bobigny, particulière­
ciale et par la direction de la pro­ ment mobilisé sur le sujet.
tection judiciaire de la jeunesse, « On a en effet une hausse du
sous la présidence de Catherine nombre de dossiers de proxéné­
Champrenault, la procureure gé­ mouvant et encore insuffisam­ prostituées ont connu des violen­ gnée d’euros, ou la pratique répan­ tisme sur mineures qui passent en
nérale près la cour d’appel de Paris. ment documenté. Jusqu’à présent,
« Nous allons ces sexuelles par le passé et elles due du « michetonnage ». jugement. On en a fait aboutir dix
Pendant six mois, ce groupe sera seules les remontées des services essayer de faire sont nombreuses à avoir été té­ Concernant le profil des victi­ en 2019, et quinze en 2020 ». Lui­
chargé d’appréhender les con­ de police et de gendarmerie et le moins de violences conjugales. mes, Vianney Dyevre, le chef de même participe à des formations
tours de la prostitution des mi­ travail des associations permet­
table rase « Beaucoup d’études ont effective­ service de la brigade de protection avec des cadres de l’aide sociale à
neures (en grande majorité des tent d’avoir quelques données. des idées ment tendance à lier les questions des mineurs (BPM) de Paris, est ca­ l’enfance et des agents de la cellule
jeunes filles) et proposera des le­ Le chiffre de 6 000 à 8 000 jeu­ prostitutionnelles et des événe­ tégorique. « Celles qui sont dans départementale de recueil de trai­
viers d’action pour lutter contre ce nes filles concernées, tiré d’une
préconçues » ments traumatiques tels que l’in­ nos dossiers sont très souvent des tement et d’évaluation (CRIP), con­
fléau. Le fruit de ses travaux sera étude de l’ACPE, est le plus souvent MÉLANIE DUPONT ceste, des expériences sexuelles pré­ filles en rupture scolaire ou fami­ frontés à ces situations, et note
présenté le 4 mars 2021. cité. « En même temps, la majorité psychologue à l’unité médico- coces, des négligences parentales, liale, ou alors des jeunes insérées « une vraie prise de conscience ».
des prostituées majeures disent judiciaire de l’Hôtel-Dieu ainsi que d’autres circonstances tel­ mais influençables, qui se font en­ Certains professionnels « sont
Cartographier le phénomène avoir débuté quand elles étaient les que le décrochage scolaire… », traîner par des copines, celles­ci les encore dans le déni », estiment ce­
Pour les associations, la prise de mineures », relève l’entourage dit l’ACPE dans son rapport 2020 appâtant avec l’illusion de se faire pendant plusieurs acteurs, qui
conscience du gouvernement sur d’Adrien Taquet, secrétaire d’Etat légale. Elles présenteront dans un sur l’exploitation et l’agression de l’argent facile ». Selon le policier, pointent en particulier l’attitude
ce sujet est une bonne nouvelle. chargé de l’enfance et des familles, second temps au groupe de travail sexuelles des mineurs en France, à « ce sont des jeunes pour qui l’édu­ de certains établissements, rétifs à
« C’est la première fois qu’un minis­ dont les services financent en pa­ des recommandations pour créer paraître fin septembre. cation à la sexualité passe par You­ mettre en œuvre les trois séances
tère s’engage à réfléchir et à réunir rallèle une « recherche­action » des outils de prévention adaptés. Toutefois, l’association insiste Porn et le modèle de réussite sociale annuelles d’éducation à la sexua­
une commission pour mieux com­ chapeautée par le Centre de victi­ Les chercheuses et le groupe de sur le fait que la prostitution des est celui de la téléréalité ». lité pourtant prévues dans la loi.
prendre comment faire travailler mologie pour mineurs pour dres­ travail ne s’engagent pas sur un mineures touche l’ensemble des La question de la formation des
ensemble les acteurs », salue Ar­ ser justement un état des lieux de terrain complètement en friche. classes sociales. « L’appréhension « Davantage de sensibilisation » acteurs en contact avec la jeunesse
melle Le Bigot­Macaux, prési­ la situation. « Nous allons essayer Certaines spécificités de cette du phénomène se fait majoritaire­ Les acteurs de terrain s’accordent à sera logiquement abordée dans les
dente d’Agir contre la prostitution de faire table rase des idées précon­ prostitution sont déjà identifiées. ment par le biais des procès et des dire que l’hypersexualisation des travaux du groupe de travail. Mais
des enfants (ACPE), membre du çues et voir comment les jeunes Notamment la forte prévalence, jeunes repérées parce qu’elles sont très jeunes filles, ainsi que le con­ celle, plus sensible encore, des
groupe de travail. L’association a parlent de ces conduites prostitu­ chez ces jeunes filles, des violen­ suivies par l’aide sociale à l’en­ tact précoce avec la pornographie, moyens alloués à la lutte contre la
développé sa propre expertise en tionnelles, afin de parvenir à com­ ces sexuelles. Selon une étude pré­ fance », insiste le secrétaire général facilité notamment par les ré­ prostitution des mineures. Dans
rencontrant des parents concer­ prendre comment des mineures sentée en novembre 2019 par l’Ob­ de l’association, Arthur Melon. seaux sociaux, sont à mettre en re­ un rapport de trois inspections ad­
nés et des travailleurs sociaux, et sont amenées à se prostituer », ex­ servatoire des violences envers les Mais « tout un tas d’actes passent lation avec la montée de la prosti­ ministratives sur la loi de 2016
en se constituant partie civile plique Mélanie Dupont, psycholo­ femmes en Seine­Saint­Denis, à sous les radars parce qu’ils ne sont tution des mineures. contre la prostitution, paru en
dans de nombreux procès pour gue à l’unité médico­judiciaire de partir de l’examen de dossiers ju­ pas judiciarisés ». Plusieurs acteurs Autre particularité : beaucoup de juin, le manque de financements
proxénétisme sur mineurs. l’Hôtel­Dieu, qui mènera cette diciaires et de signalements à la de terrain évoquent, par exemple, ces jeunes filles, dont la moyenne consacrés à cette politique publi­
L’un des enjeux sera d’établir étude avec deux autres chercheu­ protection de l’enfance dans ce dé­ des cas de fellation dans les établis­ d’âge tourne autour de 16 ans, re­ que était déjà pointé du doigt. 
une cartographie du phénomène, ses, sociologue et experte médico­ partement, 89 % des mineures sements scolaires contre une poi­ fusent de se considérer comme solène cordier

« Ce qui domine, c’est l’incompréhension »


Depuis dix mois, une mère se bat pour sortir sa fille, âgée de 17 ans, de la prostitution

TÉMOIGNAGE les jours, Isabelle consulte les sites


d’escort où sa fille se met en scène.
dont le regard s’embue. « Elle nous
demandait sans cesse de l’argent,
Mais les retrouvailles sont glacia­
les. « Au départ, elle n’a rien voulu

L a dernière fois que j’ai vu ma


fille, elle m’avait envoyé un
message pour me deman­
der d’aller la chercher à Tours, me
disant qu’elle souhaitait rentrer à
Visage d’enfant et string en den­
telle. « On me dit d’arrêter de regar­
der, mais je ne peux pas », souffle­t­
elle, avant de tirer une fois encore
le fil du récit familial. Celui d’un
nous mentait, nous envoyait pro­
mener. » Quelques semaines plus
tard, elle fugue. Inquiets, ses pa­
rents se rendent à la gendarmerie.
La jeune fille est localisée grâce à
nous dire, puis elle a raconté qu’elle
était enfermée dans une cave, ils la
sortaient quand un client arrivait. »
Selon les premiers éléments
de l’enquête judiciaire en cours
la maison. J’ai fait plus d’une heure couple « sans histoire ». son téléphone dans le nord de la en Belgique, il apparaît que Cora­
de voiture pour la retrouver. On a Les deux sont salariés dans le do­ France. « Au même moment, on lie a été vendue par des proxénè­
passé une heure ensemble à la maine des transports, propriétai­ était en contact avec elle grâce à tes de Blois à des Belges, pour
gare, mais finalement elle a refusé res de leur maison, dans la campa­ Snapchat, et elle nous disait de ne 2 000 euros.
de m’accompagner. Je suis repartie gne orléanaise. Mariés en 2004, ils pas nous inquiéter, qu’elle avait Le 14 janvier, elle repart. Depuis
seule. » Isabelle (tous les prénoms s’engagent dans un projet d’adop­ trouvé un petit boulot dans un res­ cette date, leur fille « vadrouille »
ont été modifiés) raconte les faits tion qui se concrétise avec l’arrivée taurant de Blois. » entre Strasbourg, Nancy, Bor­
d’une traite, les yeux d’abord secs, de deux petites filles, en 2006 : Co­ deaux, « même pendant le confine­
touchant à peine à la salade com­ ralie, âgée de 3 ans et demi, et sa « Enfermée dans une cave » ment ». Elle est rentrée une dizaine
mandée au buffet de la gare, pro­ grande sœur, un an de plus. La vie Pendant plusieurs semaines, c’est de fois, pour de brefs séjours. « A
che d’Orléans. Sa fille, Coralie, s’écoule, « normale », jusqu’à un grâce à ce réseau social, qui permet chaque fois qu’elle revient, on est
17 ans tout juste, se prostitue de­ samedi soir de novembre. Alors l’envoi de photos et de vidéos à la supercontents. Mais elle refuse de
puis dix mois aux quatre coins qu’elle se rend à une fête à Orléans, durée de vie éphémère, que ses pa­ nous parler, on n’arrive pas à savoir
du pays. Ses parents et sa sœur Coralie croise un groupe de jeunes rents glanent quelques nouvelles. ce qui se passe dans sa tête. » L’af­
aînée assistent, impuissants, à hommes, dont un qu’elle connaît. Mais ils ne parviennent pas à la faire est suivie par la brigade des
sa dérive. Ils la violent, la retenant jusqu’au convaincre de rentrer. « Jusqu’au mineurs d’Orléans, à qui Isabelle
« Ce qui domine, c’est l’incompré­ lendemain – ils ont depuis été jour où on a appris qu’elle se trou­ transfère tout : ses captures
hension. Pourquoi préfère­t­elle identifiés et sont sous le coup vait en Belgique. » Isabelle et son d’écran, le lien vers une vidéo You­
chaque fois retourner à ça plutôt d’une procédure judiciaire. mari se rendent sur place, alertent Tube où sa fille apparaît cagoulée
que d’être avec nous ? », s’interroge
sa mère, à la fois épuisée et en co­
La jeune fille refuse d’être suivie
psychologiquement, commence à
la police locale. « On leur a donné
toutes les infos dont on disposait :
et à moitié nue. Son seul espoir
aujourd’hui repose sur la possibi­ Pourquoi les faibles paient
lère. Alors que le gouvernement
lance, fin septembre, un groupe de
sécher les cours, s’habille de façon
de plus en plus provocante. A par­
son pseudo sur le site d’escort Quar­
tier­Rouge, la localisation de la
lité d’inscrire un jour Coralie à un
« séjour de rupture ». Elle s’y accro­ quand les autres négocient
réflexion sur la prostitution des tir de cette soirée, « Coralie nous di­ maison où elle était retenue… » En che. Et en attendant ? « On s’est ar­
mineures, la quinquagénaire et sait que son corps était de la quelques jours, les policiers belges rêtés de vivre », confie­t­elle dans
son époux se sentent bien seuls viande », elle exprimait « un dé­ parviennent à la retrouver, inter­ un sanglot.  CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX - 8,50 €
pour faire face à la situation. Tous goût d’elle », se souvient sa mère, pellant sept personnes au passage. s. cr
0123
14 | france VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

P R O C È S D E S AT T E N TAT S D E J A N V I E R 2 0 1 5

Dans la salle de rédaction


de « Charlie­Hebdo »,
le 7 janvier 2015.
ILLUSTRATIONS OLIVIER DANGLA

Trois semaines
RÉCIT
au cœur du fracas
rard Gaillard, qui lui avaient apporté un jam­
bon, Tignous demandant un baiser pour la
nouvelle année, Bernard Maris et Philippe

O
n ouvre les premières pages Lançon commentant le dernier Houelle­
du carnet et on les relit. becq, Soumission, Cabu grignotant un gâteau

des attentats
Comme il semble loin, ce marbré, Wolinski dessinant, Elsa Cayat écla­
mercredi 2 septembre où le tant de son rire tonitruant. Le « juste pen­
procès des attentats de jan­ dant » – une minute et quarante­neuf secon­
vier 2015 s’est ouvert devant des – de folie meurtrière. Et le pire, pour cha­
la cour d’assises spéciale de Paris. Ou plutôt, cun des survivants, le « juste après ». Avec

de janvier 2015
comme il nous a emmenés loin, depuis. On Laurent Léger, on identifiait les morts,
ne savait pas, on ne pouvait pas savoir, il valait comme le lui avait demandé le policier.
mieux ne pas savoir. Avec Alban Lebreton et Mathieu Bordes, on
Ce mercredi 2 septembre donc, la préoccu­ était plié en deux sous une pluie de verre dans
pation majeure était le masque. « Le port du leur véhicule de police faisant marche arrière
masque est obligatoire, y compris à la barre », à l’aveugle face aux tirs des Kouachi avant
a annoncé le président Régis de Jorna. Il ne d’assister, impuissants, à l’exécution de leur
fallait pas prendre « le risque » que la salle
d’audience « devienne un cluster ». « Cluster »,
Blessés, policiers, familles hie de cavaliers. Mais il n’y avait que des chif­
fres. Autour de l’Hyper Cacher de la porte de
collègue Ahmed Merabet sur le trottoir du
boulevard Richard­Lenoir. Avec Romain D., on
« risque », les mots rendaient un son bizarre,
désaccordé au lieu et à la tragédie qui allait y
et amis des morts se sont Vincennes et dans ses rayons, il y avait encore
beaucoup, beaucoup de cavaliers chiffrés.
courait tranquillement le long de la coulée
verte avant de s’effondrer au pied d’un pa­
être jugée. Indignation des avocats : « Vous
n’allez tout de même pas interroger les ac­
succédé à la barre de la Mais il y avait aussi quatre cavaliers avec des
lettres. Et du rouge.
villon, cinq balles dans le corps, en suppliant
en vain son occupante d’ouvrir la porte. Avec
cusés masqués ! Les règles sanitaires sont
contraires aux droits de la défense ! » Offre de
cour d’assises spéciale de « VOUS AVEZ LA PAROLE »
Michel Catalano, on voyait entrer les frères
Kouachi dans son imprimerie, on entendait
compromis du président : les accusés pour­
ront, s’ils le souhaitent, retirer leur masque
Paris qui juge les attentats Les masques n’arrêtent pas les mots. On a
commencé à le comprendre mardi 8 septem­
leurs pas dans l’escalier. Avec Lilian L., on rete­
nait son souffle et on ressentait la douleur et
lors de leur interrogatoire. Nouvelle tempête
d’avocats : « La cour va­t­elle obliger les avo­
depuis le 2 septembre. bre avec les survivants du 7 janvier, et ça ne
s’est plus jamais arrêté jusqu’au 23 septembre.
la terreur d’être enfermé durant huit heures
dans un placard sous l’évier, les frères Koua­
cats à plaider masqués ? Ce n’est pas possi­
ble ! » Parapluie sanitaire du président : « On
Leurs témoignages ont Ce « Vous avez la parole » adressé aux témoins
qui se présentaient à la barre, il nous semble
chi juste à côté.
Avec Laurent J., le chef d’équipe de la voirie
va demander l’avis de l’Agence régionale de la
santé. » L’avis revient, masque pour tout le
fait revivre l’effroi qu’il n’a jamais eu autant de sens que lors de
ces trois semaines de procès. La parole que
de Montrouge (Hauts­de­Seine), on agrippait
le poignet d’Amedy Coulibaly et la crosse du
monde, tout le temps.
Dans le prétoire, les dessinateurs de presse
des attaques terroristes l’on y a entendue tenait toute seule. Et sur­
tout, une fois qu’elle était prise, rien d’autre
fusil d’assaut avec lequel il venait d’abattre la
policière municipale Clarissa Jean­Philippe.
se demandent à quoi vont ressembler les il­
lustrations du « procès historique » tant an­
de « Charlie Hebdo », de qu’elle n’existait. Il n’y avait plus de cour, plus
d’avocats, plus d’accusés, plus de public, il n’y
Avec Zarie Sibony, on s’enterrait vivants pen­
dant quatre heures sous la menace d’un
noncé avec tous ces morceaux de coton ou de
tissu dévorant la moitié des visages. Les chro­
Montrouge et de l’Hyper avait que la parole de celle ou celui qui dépo­
sait et nous emportait.
Amedy Coulibaly surarmé derrière le rideau
métallique de l’Hyper Cacher, on enjambait
niqueurs s’inquiètent aussi. Oui, on avait
alors ces petits soucis.
Cacher Avec Jérémy Ganz, on entrait dans la loge
de gardien du 10, rue Nicolas­Appert, à Paris,
ceux qu’il avait tués et on comptait les trop
longues secondes pendant lesquelles le ri­
Les masques ne couvrent pas les yeux. Ils ne où il serrait dans ses bras son ami et collègue deau finissait par se relever sous l’assaut des
protègent pas des images qui s’affichent sur le de la maintenance, Frédéric Boisseau, mor­ policiers.
grand écran de la salle d’audience. La salle de tellement atteint par la première balle de ka­ A l’écrivain Yannick Haenel, qui tient la
rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. lachnikov des frères Cherif et Saïd Kouachi, chronique quotidienne pour Charlie Hebdo,
« Les cavaliers [les repères jaunes installés par le 7 janvier. Avec Corinne Rey, on descendait certains de ses amis survivants ont confié
la police sur les scènes de crime] avec les chif­ fumer une cigarette, on remontait l’escalier « la légèreté brûlante » qu’ils ont éprouvée
fres correspondent aux douilles. Ceux avec une avec une kalachnikov dans le dos et on com­ après leur déposition. Sans doute est­ce
lettre, à un corps », a prévenu le commissaire posait sous la terreur le code d’entrée des lo­ pour cela que chacun de nous pesait plus
de la brigade criminelle Christian Deau. F, Ber­ caux de Charlie Hebdo. Avec Sigolène Vinson, lourd au fil des jours.
nard Maris. D, Elsa Cayat. H, Cabu. C, Wolinski. Angélique Le Corre et Cécile Thomas, on Mais on savait aussi que, même lesté, on
E, Honoré. B, Charb, etc. Tout était rouge, on a voyait le « juste avant » : Simon Fieschi assis à restait sur le seuil. Que l’on ne faisait qu’entre­
fermé les yeux. L’imprimerie de Michel Cata­ son bureau, Mustapha Ourrad devant son voir ce qu’ils avaient vécu, et qu’il est une par­
lano, à Dammartin­en­Goële (Seine­et­ écran, sa souris d’ordinateur à la main, Cabu tie des ténèbres qui ne se dépose pas. Elle était
Marne), le 8 janvier 2015, était elle aussi enva­ riant avec ses invités Michel Renaud et Gé­ dans le silence et les sanglots qui, brusque­
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 france | 15

Placard de l’imprimerie
de Michel Catalano, dans
lequel s’est caché Lilian
L., à Dammartin­en­
Goële (Seine­et­Marne).

ment, submergeaient les mots. Dans le trem­ la ligne fixe du magasin et en retransmettant
blement soudain qui agitait à la barre le corps l’évolution de la situation en direct, sans ima­
de Laurent Sourisseau, dit Riss. Dans la fierté giner qu’à l’intérieur, Amedy Coulibaly pou­
de Simon Fieschi, l’un des plus grièvement vait en tirer profit.
blessés de la tuerie du 7 janvier, refusant le Il y a tant de choses dans les carnets. Ce
siège qui lui était proposé et le mot de « res­ mot, par exemple, « culpabilité ». Il revient
capé », « qui implique qu’on a échappé à ce qui souvent et, à chaque fois, ouvre sur des abî­
s’est passé », se méfiant de celui de « victime », mes. Il est la double peine de ceux qui ont
« il est exact mais il me déplaît. Il y a quelque survécu au pire et des familles qui pleurent
chose de passif », et lui préférant celui de « sur­ leurs morts. La force qu’il a fallu à la dessina­
vivant », conscient de « ses devoirs ». trice Coco pour prononcer la phrase que
toute la salle guettait : « Je me suis sentie cou­
UNE PARTIE DES TÉNÈBRES pable » et le silence vertigineux qui a accueilli
Cette part d’intransmissible se lisait aussi la suite : « Ça a été très dur de traverser ça.
dans les noms des absents de ce procès : Phi­ J’aurais voulu qu’on me pose des questions. J’ai
lippe Lançon, l’auteur du Lambeau ; Eric Por­ vécu un moment de solitude extrême et je
theault, le directeur financier de Charlie qui, crois que personne ne peut se mettre à ma
au dernier moment, a dû renoncer à témoi­ place à ce moment­là. » Les larmes de Zarie Si­
gner. Dans le refus, la peur, l’impossibilité de bony, lorsqu’elle a raconté combien elle s’en
certains des otages de l’Hyper Cacher, voulait d’avoir confondu les deux boutons mie S., infirmière, a changé de service parce l’autre n’étaient que deux invités de passage,
comme Andréa, l’autre caissière, de revivre de la porte et du rideau métallique et qu’à qu’elle ne supporte plus la vue du sang et venus de Clermont­Ferrand pour assister à la
le huis clos sanglant et les propos de haine cinq secondes près, elle aurait pu empêcher craint qu’à l’hôpital, on s’en prenne à elle à conférence de rédaction. La solitude en mi­
qui leur avaient été imposés. Dans la suppli­ Michel Saada d’entrer dans l’épicerie. Celles cause du nom à consonance juive qu’elle roir des compagnes et des épouses de ces vic­
cation adressée par Lilian L. aux médias de le de Valérie Braham, hantée par le souvenir des porte sur sa blouse. times tombées dans l’oubli : Gala Renaud,
laisser retourner à l’anonymat. reproches qu’elle a adressés à son mari parce On retrouve aussi dans nos carnets tous qui s’accrochait à la barre et parlait, parlait,
On n’a pas toujours été fiers de notre métier qu’il avait oublié des choses sur la liste des ces moments d’audience, gouttes d’eau sai­ parlait, ne voulait pas s’arrêter de parler du
de journaliste pendant ces trois semaines courses et qu’il est retourné à l’épicerie. sissantes ou cocasses échappées au flot des mari qu’elle aimait, tandis qu’on s’impatien­
d’audience. « L’aspect médiatique est peut­être LES MASQUES débats. Ces quelques secondes de musique tait égoïstement de voir lui succéder l’épouse
mon plus grand traumatisme », a dit Lilian L. « VICTIMES SANS BLESSURE APPARENTE » N’ARRÊTENT PAS classique diffusées à l’audience, la musique de Tignous ou la fille d’Honoré. Catherine
qui se souvient d’avoir été accueilli par la Autre phrase, jetée un jour au milieu du pré­ d’attente du Samu que Patrick Pelloux appe­ Gervasoni, venue témoigner du coup de fou­
lampe d’une caméra au domicile de ses pa­ toire : « Je fais partie des victimes sans bles­ LES MOTS. ON A lait depuis Charlie Hebdo tout en organisant dre de sa rencontre avec Frédéric Boisseau,
rents où il venait reprendre ses esprits, le sure apparente. » Cécile Thomas, qui travaille fébrilement les premiers soins au milieu de dans un train, dix­sept ans plus tôt et du bon­
9 janvier au soir. Le jeune graphiste de l’im­ toujours pour la maison d’édition de Charlie COMMENCÉ À LE l’horreur. Son décalage surréaliste : « Veuillez heur qui les unissaient depuis, « pour qu’on
primerie n’a pas pardonné aux chaînes d’in­ Hebdo, Les Echappés, répondait ainsi à une ne pas quitter, un assistant de la régulation sache que c’est quelqu’un de bien et qu’il ne
formation en continu qui ont annoncé, après maladresse du président Régis de Jorna, le­
COMPRENDRE MARDI médicale va vous répondre », disait une mérite pas d’être passé sous silence ».
la libération de son patron Michel Catalano, quel venait d’annoncer que la cour allait en­ 8 SEPTEMBRE AVEC douce voix préenregistrée par­dessus
que les Kouachi détenaient encore un otage tendre « les témoins qui n’ont pas été blessés d’apaisants violons tandis qu’à l’autre bout LE PIRE ET LE DRÔLE
alors qu’il se terrait sous son évier. Jérémy dans l’attentat du 7 janvier ». Les « sans bles­ LES SURVIVANTS DU du fil, celle de Patrick Pelloux, en transe, On emporte encore le frisson de Michel Cata­
Ganz, lui, en veut aux médias d’avoir parlé sure apparente » se réveillent presque toutes criait : « Mettez­le là ! Allongez­le là ! Ça va al­ lano lorsqu’il apprend après coup qu’au mo­
pendant des heures « des autres » mais pas de les nuits depuis cinq ans et demi, ne peuvent 7 JANVIER, ET ÇA NE ler mon Simon, ça va aller ! » ment où il faisait face aux frères Kouachi
son collègue Frédéric Boisseau, « le premier plus prendre les transports en commun, S’EST PLUS JAMAIS L’image de Riss, le corps plié en deux sur dans son imprimerie, des messages « Je suis
tué, le dernier enterré », sous prétexte qu’il guettent le moindre bruit et pour beaucoup son banc, tout au long de la déposition de Charlie » arrivaient sur le fax de son bureau.
était « seulement de la maintenance ». Fabrice ont quitté Paris. Sigolène Vinson ne s’assoit ARRÊTÉ JUSQU’AU Coco et de Sigolène Vinson, ne se redressant « S’ils étaient tombés là­dessus, ils auraient pu
Nicolino ne décolère pas contre les « grands plus dans un bistrot sans donner un coup de qu’au moment où, dans leurs récits, les frè­ s’énerver. » La prévenance de Claire Naturkrejt
esprits qui fignolent des éditos pour défendre talon sous la banquette pour vérifier s’il y a 23 SEPTEMBRE res Kouachi étaient repartis. La douleur de la qui, quelques secondes après s’être échappée
la liberté en Biélorussie mais s’en foutent qu’un de la place pour se cacher. Gérard Gaillard se mère de Charb, Denise Charbonnier, quit­ de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, répon­
journal vive en état de siège dans Paris ». Les met en bout de rangée au théâtre pour pou­ tant la salle d’audience après avoir entendu dait calmement à l’appel de sa mère de 85 ans
sœurs Merabet maudissent les chaînes de té­ voir partir plus rapidement. Cécile Thomas le président Régis de Jorna se tromper sur le au milieu du fracas et des sirènes de police.
lévision qui, tous les mois de janvier depuis sursaute quand une feuille d’arbre lui tombe prénom de son fils Stéphane. « Mais qu’est­ce qui se passe chez toi ? », lui de­
cinq ans, diffusent la vidéo de l’exécution de sur l’épaule à l’automne, et ne peut s’empê­ Le témoignage de Gérard Gaillard et de son mandait la vieille dame assise devant son
leur frère Ahmed. Même Christian Deau, cher de « chercher dans un visage complète­ immense solitude, le soir du 7 janvier, au mi­ poste de télévision en Belgique. « Tout va bien,
l’impassible enquêteur de la brigade crimi­ ment banal les traits de la folie ». La policière lieu des survivants de Charlie et de leurs pro­ ne t’inquiète pas », l’avait­elle rassurée. « Mais
nelle, n’a pas mâché ses mots pour dire com­ Géraldine Blanc, qui a assisté à la fusillade ches accourus. « Je ne connaissais personne. » qu’est­ce qu’il y a comme bruit autour de toi ! »,
bien les médias ont perturbé la gestion de la de la rue Nicolas­Appert, ne peut plus porter Il venait de perdre son « ami de quarante s’étonnait la mère. « Bah oui, c’est dans mon
prise d’otages de l’Hyper Cacher en saturant l’uniforme qui fait d’elle une cible. Noé­ ans », Michel Renaud, dans la tuerie. L’un et secteur que ça se passe, donc il y a beaucoup de
monde », lui a répondu sa fille. « Et donc ma
mère est décédée en ne sachant jamais que
j’avais failli mourir. »
Dans un rayon de On aurait voulu s’épargner, au beau milieu
l’Hyper Cacher de la de tout cela, les questions alambiquées, sou­
porte de Vincennes, vent confuses, du président Régis de Jorna.
le 9 janvier 2015. On a déjà effacé les mots vides de sens à force
d’être usés de la maire de Paris, Anne Hidalgo
venue témoigner à la demande de plusieurs
associations et contre la volonté de la défense
et de la majorité des parties civiles : « Je suis
Charlie, je l’ai toujours été », « Je suis préoccu­
pée par la montée de l’antisémitisme depuis le
meurtre d’Ilan Halimi », « Il faut respecter la li­
berté d’expression », « La République, c’est l’uni­
versalisme, c’est cela qu’il faut reconquérir ».
Mais on n’est pas près d’oublier la grâce de
Sigolène Vinson, mêlant dans un même
souffle le pire et le drôle, comme pour nous
préserver : « J’ai vu les corps d’Honoré et de
Bernard Maris emmêlés. Maris, ce jour­là,
portait un costume pied­de­poule que
j’aimais pas, je trouvais que la veste et le pan­
talon, ça faisait trop de pied­de­poule pour un
seul homme. J’ai vu des éclats d’os, c’étaient
des paillettes partout qui brillaient. Et de la
matière que j’ai identifiée comme de la cer­
velle. Quelques instants avant, c’était de la gé­
nérosité, de l’intelligence, de l’humanisme. »
Ni l’image de ces six adultes, réfugiés dans
la chambre froide au sous­sol de l’Hyper Ca­
cher, avec un bébé de 10 mois qu’il fallait à
tout prix empêcher de pleurer parce que Za­
rie Sibony avait convaincu Amedy Coulibaly
que tous les otages étaient remontés au rez­
de­chaussée. « On lui donne tout ce qu’on a
sous la main, s’est souvenue Noémie S.. On
lui donne nos clés, mais ça fait du bruit. On lui
donne des papiers. Il est d’un calme incroya­
ble, d’une patience extrême. On essaie de sou­
rire pour pas qu’il s’inquiète. Qu’il ne pleure
pas, c’est notre priorité pendant ces quatre
heures. » Il ne faut pas trop secouer nos car­
nets, ils sont pleins de larmes. 
pascale robert­diard
et henri seckel
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
16 | VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

TÉLÉPHONIE MOBILE

5G : les clés pour


dépasser la polémique
« Amish » ou « innovateur », impact économique
fantasmé ou réel, craintes sanitaires justifiées
ou exagérées ? Le déploiement de la nouvelle
norme de téléphonie mobile fait l’objet d’âpres
débats, parfois caricaturaux

L’
arrivée de la 5G en France (eau, électricité, trafic routier…). Une pers­
n’est plus qu’une question pective rendue possible en raison de sa capa­
de semaines. A partir du cité à gérer ces flux massifs d’information
29 septembre, les opérateurs (une seule antenne permet d’absorber les
télécoms vont livrer bataille, données d’un million d’objets connectés au
dans le cadre d’enchères, kilomètre carré), mais aussi à les traiter qua­
pour acquérir les fréquences qui leur per­ siment en temps réel. Un facteur indispensa­
mettront de déployer cette nouvelle techno­ ble pour toutes les technologies critiques,
logie de téléphonie mobile d’ici à fin 2020. comme la voiture autonome. Ces progrès ne
A l’approche de cette échéance, le débat est seront cependant possibles que lorsque la
vif entre partisans de la sobriété numérique bande des 26 GHz sera rendue disponible.
et promoteurs du progrès technologique,
entre « amish » et « innovateurs », pour re­ Peut­elle doper la croissance ? La question
prendre les mots polémiques d’Emmanuel fait l’objet de débats sans fin entre économis­
Macron. Quelle est l’utilité de cette technolo­ tes : les nouvelles technologies permettent­
gie pour les particuliers et pour l’économie elles vraiment d’engranger les gains de pro­
française ? Faut­il craindre son impact sani­ ductivité indispensables au dynamisme de la
taire et environnemental ? Demander un croissance ? Pas toutes, et pas toujours. « Dans
moratoire sur son déploiement, comme l’a les pays industrialisés, la dernière période de
fait la convention citoyenne pour le climat, croissance relativement dynamique fut celle
ou accélérer pour ne pas être distancé par où, entre 1995 et 2005, Internet a progressive­
des pays comme la Corée du Sud, la Chine ment transformé la façon de produire et de tra­
ou les Etats­Unis ? vailler des entreprises », rappelle Alexandre
Delaigue, économiste à l’université de Lille.
Qu’est­ce que la 5G ? Cette nouvelle généra­ Adieu fax, courriers, commandes par télé­
tion de communication mobile utilise une phone et formulaires papier : en moins
partie du spectre des ondes radio, celle si­ d’une décennie, elles ont dématérialisé leurs
tuée entre 3,4 et 3,8 gigahertz (GHz). Elle offre échanges et procédures. Si les innovations
une bande passante plus importante que la qui ont suivi (tablettes, smartphones, 3G…)
4G et permet donc un meilleur débit dans la ont modifié les usages des consommateurs,
transmission des données, de l’ordre de dix elles n’ont, en revanche, pas offert aux entre­
fois supérieur. Et ce n’est qu’un début : la prises des gains de productivité aussi impor­
bande des 26 GHz, qui va être mise à disposi­ tants. De fait, ces derniers stagnent depuis
tion, probablement en 2023, doit permettre quinze ans. « Toute la question est donc de sa­
à la 5G de délivrer toute sa puissance. voir si la 5G améliorera surtout l’expérience
L’arrivée de la 5G ne signe pas la fin de la des consommateurs ou si elle révolutionnera
4G, elle s’y ajoutera, et permettra d’éviter la la façon de produire des entreprises comme le
saturation du réseau actuel, qui pourrait in­ fit Internet », résume M. Delaigue.
tervenir d’ici « un ou deux ans », selon le pa­ Dans un rapport très optimiste sur le sujet,
tron d’Orange, Stéphane Richard. D’après daté de novembre 2019, le cabinet IHS Mar­
les données de l’Autorité de régulation des kit, supposant que tous les pays la déploient
communications électroniques et des pos­ progressivement, estime que la 5G et la
tes, la consommation des données des utili­ chaîne de ses fournisseurs en composants,
sateurs croît au rythme de 40 % par an. sous­traitants et autres opérateurs mobiles,
représenteraient 3 600 milliards de dollars termes nationaux au sein de l’Union euro­ moindre tarif. De l’avis de plusieurs observa­
S’apprête­t­elle à bouleverser le quoti­ (environ 3 068 milliards d’euros, au cours ac­ CETTE TECHNOLOGIE péenne, souligne M. Delaigue : « Les pays teurs, le lancement de cette nouvelle techno­
dien ? A en croire Eric Piolle, le maire écolo­ tuel) de chiffre d’affaires et 22,3 millions RENFERME membres en profiteront­ils pour s’entendre et logie ne devrait pas justifier une augmenta­
giste de Grenoble, la 5G servirait à « regarder d’emplois dans le monde en 2035. monter une infrastructure 5G européenne in­ tion sensible des prix (les Français dépen­
des films porno en haute définition dans l’as­ En tenant compte des gains générés dans LA PROMESSE tégrée, bâtie par des groupes européens ? » sent en moyenne 14,30 euros par mois pour
censeur » ou à « vérifier [à distance] si on a en­ tous les secteurs – communications, trans­ Plutôt que combattre (ou non) le groupe leur forfait mobile). D’autant que le bénéfice
core des yaourts dans son frigo ». Quoique port, santé, finance, culture… –, sa contribu­ D’UNE RÉVOLUTION chinois Huawei en ordre dispersé, les Euro­ perçu par les consommateurs pourrait se ré­
provocateur et caricatural, M. Piolle ne trahit tion totale à la croissance dépasserait les péens ont intérêt à joindre leurs forces s’ils véler bien maigre, au moins au début.
pourtant pas complètement la réalité. 13 000 milliards de dollars en 2035, avec un
INDUSTRIELLE : souhaitent assurer leur souveraineté indus­ Pour Marc Bourreau, professeur d’écono­
Contrairement à ce qu’ont pu apporter apport de 0,2 point de produit intérieur brut CELLE DE L’INTERNET trielle, et faire de leurs équipementiers mie à Télécom Paris, il s’agira davantage
les précédentes générations de téléphonie, par an entre 2020 et 2025. En Europe, un rap­ (Ericsson et Nokia) des champions suffisam­ pour les opérateurs d’orienter les consom­
qui ont permis de profiter pleinement de port de la Commission publié en 2016 esti­ DES OBJETS, ment armés pour ne pas perdre la bataille mateurs vers des abonnements premium.
l’Internet mobile, la 5G ne sera pas porteuse, mait que 2,3 millions d’emplois seraient face à l’Asie – un peu comme ils tentent dé­ Il rappelle qu’à l’époque du lancement de la
à son lancement, de nouveaux usages à des­ créés grâce à la 5G d’ici à 2025. D’UN MONDE sormais de le faire dans le secteur automo­ 4G, la facture des Français avait plutôt eu
tination du grand public. Elle permettra DU TOUT­CONNECTÉ bile, en montant une filière européenne de tendance à baisser en raison de l’arrivée
« juste » une amélioration du service exis­ L’Hexagone sera­t­il dépassé s’il ne s’y la batterie électrique. concomitante d’offres à bas prix. Nul doute
tant : téléchargement plus rapide des conte­ met pas ? Pour le secrétaire d’Etat au numé­ que les mêmes acteurs poursuivront cette
nus, meilleure expérience pour les adeptes rique, Cédric O, la 5G est « indispensable à la Est­ce une bonne affaire pour l’Etat ? politique agressive sur la 5G afin de conqué­
de jeux vidéo. Certains gagent aussi compétitivité de la France ». Impossible de La vente des fréquences va rapporter au rir des parts de marché.
qu’elle pourrait enfin donner sa pleine puis­ nous en passer « si nous souhaitons relocali­ moins 2,17 milliards d’euros à l’Etat. Une par­
sance à la réalité virtuelle, grande consom­ ser des activités stratégiques et réarmer l’éco­ tie des lots a été cédée à un prix fixe : les qua­ Représente­t­elle un danger pour la
matrice de données. nomie », assurait, de son côté, le patron tre opérateurs télécoms ont chacun pu ac­ santé ? « Il n’y a pas de risque sanitaire si on
Reste que le déploiement de cette nouvelle du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, dans quérir un bloc de 50 mégahertz (MHz) dans respecte les normes », assure, à l’unisson du
technologie sera très progressif. Il faudra Le Journal du dimanche du 16 août. la bande des 3,5 GHz pour un montant uni­ gouvernement, la ministre de la transi­
compter une dizaine d’années pour que tout Selon lui, le retard déjà pris par la France, taire de 350 millions d’euros. Restent onze tion écologique, Barbara Pompili. Pourtant,
le territoire soit couvert. Les opérateurs de­ s’il n’est pas comblé, aura pour conséquence lots de 10 MHz que les groupes se départage­ il y a trois mois, sa prédécesseure, Elisabeth
vraient toutefois proposer leurs premières de voir se creuser l’écart avec les pays mieux ront aux enchères, au prix minimum de Borne, et son collègue à la santé, Olivier Vé­
offres commerciales avant fin décembre. équipés en matière de croissance, mais 70 millions d’euros par bloc. De l’avis des ob­ ran, demandaient au premier ministre
aussi d’attractivité. Au risque que certaines servateurs, les enchères ne devraient pas d’alors, Edouard Philippe, d’attendre le rap­
Va­t­elle révolutionner l’industrie et les usines aillent s’installer ailleurs pour profi­ s’envoler comme cela a été le cas en Italie port d’évaluation des risques que l’Agence
services ? La 5G renferme la promesse d’une ter du bond technique permis par la 5G, as­ – plus de 6 milliards d’euros – en raison des nationale de sécurité sanitaire (Anses) doit
révolution industrielle : celle de l’Internet sure une partie du patronat – surtout s’il investissements massifs auxquels les opéra­ remettre à la fin du premier trimestre 2021
des objets. Un monde du tout­connecté qui s’agit de filiales de groupes souhaitant teurs sont aussi tenus dans la 4G et la fibre. avant de donner son feu vert au déploie­
permet, par l’analyse en temps réel des don­ connecter l’ensemble de leurs unités de pro­ A titre de comparaison, au Royaume­Uni, le ment de la 5G.
nées fournies par une kyrielle de capteurs, duction avec la même technologie. Pour coût estimé pour chaque opérateur pour Dans un rapport préliminaire publié fin
de bâtir des usines ou des plates­formes l’institut spécialisé Idate, la France doit accé­ couvrir l’ensemble du territoire est estimé janvier, l’Anses concluait à l’impossibilité
logistiques toujours plus automatisées, lérer si elle ne veut pas devenir « un domi­ à 46 milliards d’euros. d’évaluer les risques inhérents à la 5G en rai­
d’améliorer la maintenance des équipe­ nion des Etats­Unis ou de la Chine ». son d’« un manque important, voire à une ab­
ments, d’optimiser les productions agrico­ Une telle menace n’est sans doute pas à Sera­t­elle plus chère que la 4G pour les sence, de données scientifiques sur les effets
les, d’imaginer des villes « intelligentes » ca­ prendre à la légère. Reste que cela n’a pas de consommateurs ? Jusque­là, aucun opéra­ biologiques et sanitaires potentiels liés aux
pables de maximiser leurs infrastructures sens de poser le problème uniquement en teur français ne s’est risqué à avancer le fréquences autour de 3,5 GHz ».
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 économie & entreprise | 17

▶▶▶

14 septembre, concluant à « une augmenta­


tion modérée des expositions aux ondes »
pour les bandes autour de 3,5 MHz.
En Corée du Sud, un déploiement
Est­ce une technologie énergivore ? « Il est
erroné d’affirmer que la 5G permettra des ef­
forts en matière d’énergie. Après la première
mené à marche forcée
année de déploiement, la consommation Le pays d’Asie a été le premier à avoir adopté cette nouvelle norme
énergétique de tous les opérateurs affichera
une augmentation importante. » Cette affir­ de téléphonie mobile, en avril 2019, et réfléchit déjà à la 6G
mation ne vient ni d’un édile écologiste ni
d’un membre de la convention citoyenne.
L’aveu émane du président de Bouygues
Telecom, Olivier Roussat, lors de son audi­ tokyo ­ correspondance Pour autant, la 5G ne fait pas l’una­
tion, en juin, devant la commission de l’amé­ L’OBJECTIF nimité. « Pour l’instant, je reste à
nagement du territoire et du développe­
ment durable du Sénat.
Les gains d’efficacité énergétique attendus
par le passage à la 5G – antennes plus « intel­
ligentes » qui n’émettront plus en continu
T iré par des contenus de plus
en plus divers et malgré des
réserves sur la qualité de l’of­
fre, rien n’arrête le développement
de la 5G en Corée du Sud. Le pays
DU GOUVERNEMENT
EST D’ATTEINDRE UNE
COUVERTURE NATIONALE
la 4G », explique une jeune femme
inquiète des plaintes récurrentes
des utilisateurs de la nouvelle
technologie et qui rappelle que
l’abonnement coûte 20 000 wons
dans toutes les directions, meilleure maî­ d’Asie de l’Est, qui fut le premier D’ICI À 2022. (14,6 euros) de plus chaque mois. Un
trise de la consommation, développement à passer le cap de cette nouvelle jeune homme cité par l’agence Yon­
d’utilisations moins énergivores, comme les norme de téléphonie mobile en POUR CE FAIRE, hap explique avoir « rencontré des
visioconférences… – risquent d’être annihi­ avril 2019, comptait, fin juil­ problèmes de connexion dans certai­
lés par l’accroissement des usages qui en dé­ let 2020, 7,86 millions d’utilisa­ LES TROIS OPÉRATEURS nes zones » et déplore encore « la fai­
coulera. Le groupe de réflexion The Shift Pro­ teurs – soit près d’un demi­million blesse des contenus spécialisés ». Un
ject, qui étudie les impacts environnemen­ de plus que le mois précédent.
ONT PROMIS D’INVESTIR autre reconnaît avoir souscrit à la 5G
taux du numérique, estime que la consom­ Plus de 11 % des abonnements mo­ 18,8 MILLIARDS D’EUROS parce qu’il n’avait pas le choix.
mation d’énergie des opérateurs mobiles biles sont en 5G. « Tous les nouveaux modèles de télé­
sera multipliée par 2,5 à 3 dans les cinq ans, Pour les fans de base­ball, sport phones haut de gamme ne sont ac­
soit une augmentation de 2 % de la consom­ populaire, la fédération locale pro­ cessibles qu’avec ce service. »
mation en électricité du pays. pose une diffusion des rencontres tions les consultations à distance Plusieurs milliers d’utilisateurs
sur le réseau 5G de l’opérateur mais, pour l’instant, les médecins ont d’ailleurs obtenu le rembourse­
Va­t­elle pousser à la (sur)consomma­ LG Uplus. « Nous avons installé s’y opposent. ment de leur abonnement, les pro­
tion ? C’est l’une des autres critiques émises 60 caméras 4K au stade Jamsil [à Le Centre médical Samsung, situé messes de performance n’étant pas
par les opposants à la 5G : elle va entraîner Séoul] où jouent les LG Twins et les dans le quartier chic de Gangnam tenues. La vitesse de télécharge­
une hyperconsommation numérique, à re­ Doosan Bears », explique Henry à Séoul et le premier entièrement ment moyenne des trois opérateurs
bours des objectifs de modération suivis Chon, de la société de diffusion équipé de 5G, a adopté le système s’élevait, en juillet, à 656,6 mégabits
pour atténuer le dérèglement climatique. Le 4D Replay. Chaque utilisateur peut Sync Cam de l’opérateur KT, qui par seconde, selon une étude fina­
passage à cette nouvelle norme impliquera, alors regarder un match selon l’an­ transmet des images en haute défi­ lisée en août par le ministère des
pour les consommateurs, de changer de gle souhaité. nition d’opérations chirurgicales ou sciences et des technologies. C’est
smartphone. Or, le rythme de renouvelle­ Des concerts de K­pop utilisant la d’examens. Un médecin peut ainsi certes quatre fois plus rapide que la
ment des téléphones est déjà très rapide, de 5G ont également été organisés, envoyer des images à un gigaoctet 4G, mais on est loin des vingt fois
l’ordre de dix­huit à vingt­quatre mois. Les permettant une variété d’angles et par seconde, permettant à ses collè­ plus rapide promis.
constructeurs espèrent d’ailleurs que la 5G un travail sur la réalité virtuelle. gues de différents services de les vi­ Faute d’un déploiement d’anten­
dopera des ventes en berne ces derniers Des leçons de golf sont disponibles sualiser rapidement. Ce service fait nes suffisant, les téléphones fonc­
temps. Son déploiement va donc à l’encon­ et la vente en ligne est rendue gagner du temps et réduit les be­ tionnent souvent avec la « simple »
tre de la stratégie qui consiste à limiter l’ob­ plus pratique avec le recours à la soins de déplacement. 4G. « Il y a encore beaucoup d’en­
solescence (programmée ou désirée) des réalité augmentée. droits, y compris des environnements
smartphones. Son développement devrait En janvier, LG Uplus fut le premier Performances moindres fermés, non couverts par le réseau.
par ailleurs stimuler fortement la croissance opérateur à lancer, en partenariat Dans ce pays hyperconnecté, où les Nous voulons que les opérateurs ga­
des objets connectés dont le traitement des avec Nvidia, un service de jeux bap­ questions environnementales et rantissent une qualité de connexion
données, réalisé dans le cloud (l’informati­ tisé « GeForce NOW ». Son concur­ sanitaires ne se posent pas dans ce qui réponde aux attentes », explique
que dématérialisée), va mécaniquement rent KT travaille sur un projet simi­ domaine, la transition vers la 5G se Hong Jin­bae, du ministère des
alourdir l’empreinte carbone du numérique. laire avec le spécialiste taïwanais poursuit à un rythme régulier. sciences et des technologies.
Ubitus, et SK Telecom s’est associé à L’objectif du gouvernement est Malgré ces réserves, les analystes
A l’étranger, les consommateurs sont­ils Microsoft pour tester xCloud, ser­ d’atteindre une couverture natio­ s’attendent à ce que les abonne­
conquis ? En Allemagne, au Royaume­Uni, vice de jeux en streaming du géant nale d’ici 2022. Pour ce faire, les ments augmentent avec la com­
en Irlande ou en Corée du Sud, où les réseaux américain. trois opérateurs SK Telecom, LG mercialisation de nouveaux termi­
5G sont bâtis sur des choix techniques pro­ La pandémie de Covid­19 ayant Uplus et KT ont promis d’investir naux comme, en août, le Galaxy
ches des nôtres, les médias semblent dubita­ contraint nombre d’écoles à fermer, 25 700 milliards de wons (18,8 mil­ Note 20 de Samsung et l’iPhone 12
tifs. Si le téléchargement de documents très des projets sont en cours pour des liards d’euros). La « stratégie 5G+ » d’Apple, attendu cet automne. Et
lourds est plus rapide, les bénéfices de cette services d’enseignement à distance du gouvernement vise à favoriser Samsung travaille déjà sur la 6G, ta­
technologie sont rarement perceptibles au par le biais de la 5G. Dans le secteur la réalité augmentée, des véhicules blant sur une commercialisation,
quotidien lors d’un usage ordinaire, souli­ de la santé, le gouvernement a auto­ autonomes ou encore des villes au plus tôt, en 2028. 
ADRIA FRUITOS gnent­ils. D’autant que la couverture de la 5G risé, en février, sous certaines condi­ « intelligentes ». philippe mesmer
est inférieure à celle de la 4G, et particulière­
ment mauvaise en intérieur. L’amélioration
En 2011, le Centre international de recher­ du temps de réponse – point­clé pour nom­
che sur le cancer a classé les radiofréquences bre d’applications –, n’est « pas perceptible
comprises entre 30 kilohertz et 300 GHz pour le moment », constate Ian Fogg, ana­ PERTES & PROFITS | TECHNOLOGIE
comme cancérogène possible pour lyste chez OpenSignal. Selon lui, la 5G mettra
p a r p h i l i p p e e s ca n d e
l’homme. « Aujourd’hui, il y a des incertitudes « des années » à atteindre son plein potentiel.
sur les effets à long terme d’une utilisation in­
tensive du téléphone portable. Certaines étu­
des montrent des excès de risques pour les
cancers ou les tumeurs du cerveau », relève
Le mouvement anti­5G est­il propre à la
France ? C’est une fronde qui a émergé au
Royaume­Uni et aux Pays­Bas, qui s’est im­
De la friture sur les ondes
Olivier Merckel, chef d’unité d’évaluation plantée en Suisse, et qui gagne désormais la
des risques liés aux agents physiques à l’An­ France. De plus en plus de citoyens, organi­ Que se passe­t­il ? Tout à coup, un libéré l’individu en mettant un té­ tion et le marché décideront des
ses. Les effets sont­ils les mêmes à 3,5 GHz ? sés au sein de collectifs, d’associations ou de acronyme obscur devient le récep­ léphone dans sa poche, et non plus applications qui changeront la vie
C’est l’une des questions auxquelles l’agence partis politiques, s’opposent au déploiement tacle de toutes les peurs, les dans le salon familial. Evénement des gens. Comme dans le cas du
doit tenter de répondre. de la 5G. Un mécontentement pouvant pren­ rancœurs et de tous les espoirs du considérable, comparable à l’essor smartphone qui, aujourd’hui, ne
dre diverses formes : mobilisations citoyen­ monde. Elle est, ici, l’arme d’un de l’automobile avant et après la sert presque plus à téléphoner. Car
Pourquoi le gouvernement a­t­il rejeté nes, demande de moratoire, débats, mais combat géopolitique entre les ti­ seconde guerre mondiale. ce sont les usages qui transforment
l’idée d’un moratoire ? Les 150 membres de aussi destruction d’antennes­relais. tans américain et chinois, ailleurs, En 2000, le GSM fait place à la 3G, la société, pas les infrastructures.
la convention citoyenne pour le climat ont Dans l’Hexagone, ce qui fut longtemps la figure d’un cavalier de l’Apoca­ qui permet de transmettre des ima­ Restent les questions sécuritaire,
beau avoir demandé un moratoire sur la l’apanage de collectifs radicaux se réclamant lypse apportant la mort et la déso­ ges et des logiciels. Pour quoi faire ? sanitaire, environnementale et po­
mise en œuvre de la 5G en France (proposi­ du luddisme (un mouvement opposé au ma­ lation. Il conviendrait peut­être de Apple, en lançant l’iPhone et son litique. La peur des ondes invisibles
tion relayée par l’appel de 70 élus de gauche chinisme, au début de la révolution indus­ revenir sur Terre pour relativiser le magasin d’applications en 2008, a est plus ancienne que celle de
et écologistes), l’exécutif est passé outre. Il a, trielle) et du courant « technocritique » est phénomène : la 5G n’est ni une ré­ fourni la réponse : mettre un ordi­ l’atome. Téléphone, télévision, mi­
par la voix du ministre de l’économie, Bruno aujourd’hui repris par des partis et des mou­ volution ni un choix de société. nateur et l’accès au monde entier cro­ondes, Internet : nous vivons
Le Maire, mis en avant « l’enjeu de compétiti­ vements politiques à vocation majoritaire Tous les cinq à dix ans, les cher­ dans la main des utilisateurs. La 4G, dans un univers saturé de signaux
vité et de souveraineté technologique » et comme Europe Ecologie­Les Verts et La cheurs font émerger une nouvelle en 2014, accélère le phénomène en électromagnétiques dont on
vanté « un formidable levier pour la transi­ France insoumise. Sans aller jusqu’à vouloir génération de téléphones mobiles. multipliant la rapidité de transmis­ connaît mal les effets à long terme
tion écologique » – selon les mots de Cédric O, renverser « le monde­machine », ces forma­ L’histoire débute le 6 mars 1983 à sion. A présent, 95 % des Français sur la santé. Aucune technologie
le secrétaire d’Etat au numérique. tions mettent en avant les risques sanitaires, New York, quand Motorola pré­ ont un téléphone mobile, en majo­ n’est neutre. Chacune, en appor­
Ce qui ne convainc guère les opposants, l’impact environnemental et énergétique, sente le premier téléphone mobile. rité un smartphone. tant une solution, crée un nouveau
telle Delphine Batho, députée (Ecologie, Dé­ mais aussi l’inanité de cette technologie, Une invention jugée sans grand problème. Comme Dédale, l’archi­
mocratie, Solidarité) des Deux­Sèvres, qui alors même que la France compte encore de avenir commercial, visant les pro­ Univers saturé de signaux tecte de la mythologie grecque
voit dans la décision du gouvernement nombreuses zones blanches. Elles s’alignent fessionnels et les PDG dans leur La 5G, à côté de ces mutations pro­ dont chaque invention géniale, tel
une « faute grave ». « La décision sur la 5G sur la proposition de la convention ci­ voiture. Quelques années plus tard, fondes, ne changera pas nos habi­ le labyrinthe, se retourne contre lui
concentre tous les éléments du débat sur la toyenne pour le climat, qui réclamait un les Européens inventent la norme tudes. Tout juste promet­elle en­ et le condamne à innover davan­
croissance, sans limite ou sobriété. De plus, « moratoire » sur la 5G.  GSM (la 2G) qui démocratise l’outil core plus de débit. Et, comme pour tage pour sortir du piège qu’il a lui
la 5G présente un grave problème de souve­ rémi barroux, et constitue la brique élémentaire la 3G, son usage est encore incer­ même créé. A l’image de Dédale,
raineté et de cybersécurité. » marie charrel, de toutes les innovations suivantes tain. On imagine que le coût faible notre société ne peut arrêter le
Le gouvernement s’appuie sur le rapport vincent fagot, dans ce domaine, y compris la 5G. de la transmission permettra de re­ cours du temps et prendre le risque
réalisé notamment par l’Inspection générale stéphane mandard, S’il fallait encenser ou vouer aux lier entre elles toutes les machines, de sortir de l’Histoire en devenant
des affaires sociales et l’inspection générale abel mestre gémonies une découverte, ce serait industrielles ou domestiques, ainsi spectatrice et victime des change­
des finances, demandé en juillet et remis le et nicolas six cette innovation fin de siècle qui a que les automobiles. Mais l’innova­ ments du monde. 
0123
18 | économie & entreprise VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

TÉLÉPHONIE MOBILE

La classe FACE AUX GÉANTS


CHINOIS ET AMÉRICAINS,
LA FRANCE ET L’EUROPE
politique JOUENT
LEUR INDÉPENDANCE

divisée sur la 5G NUMÉRIQUE

Partis et personnalités politiques accentue les inégalités entre les ter­


ritoires, alors cela sera un échec »,
prennent position sur prévient Damien Abad, chef de file
des députés Les Républicains qui
la technologie et ses usages souhaite comme d’autres que
l’exécutif accélère l’installation de
pour en faire un débat de société la couverture numérique et de la
fibre dans les zones rurales. « On
doit contraindre les opérateurs à
investir dans nos réseaux en con­

D
epuis plusieurs mois, san de la décroissance ou du pro­ trepartie de la signature des con­
le déploiement de la grès ? La fracture est ouverte entre trats », suggère Jean­Christophe
5G en France agite les Emmanuel Macron et une partie Lagarde, président de l’Union des
mairies écologistes et des écologistes. Et depuis, c’est démocrates et des indépendants.
les groupes politiques de tout l’ensemble de la classe politique Autre question soulevée : celle
bord. Le 12 septembre, une tri­ qui semble s’y engouffrer. de la souveraineté. Face aux
bune dans Le Journal du diman­ A gauche, les conséquences géants chinois et américains lan­
che a relancé le débat. Signée par environnementales et sociétales cés dans la course à la 5G voire la
une soixantaine d’élus de gauche du passage à la 5G sont davantage 6G, la France et l’Europe jouent
et écologistes, dont Jean­Luc Mé­ mises en avant que le débat leur indépendance numérique.
lenchon, président de La France sur les éventuels dangers sani­ « Toutes ces données qui vont être
insoumise (LFI), Yannick Jadot dé­ taires des ondes. « Il faut stopper utilisées, par qui seront­elles utili­
puté européen Europe Ecologie­ cette spirale consumériste. C’est sées ? Quel est le contrôle que nous
Les Verts (EELV), ou encore la l’inconséquence du gouverne­ avons dessus ? (…) Là, encore une
maire écologiste de Marseille, Mi­ ment : nous pousser à consommer fois, l’Union européenne a été dé­
chèle Rubirola, tous demandent toujours plus d’énergie, des pro­ faillante », fustigeait Marine Le
un moratoire « au moins jusqu’à duits connectés inutiles et à l’ob­ Pen, la présidente du Rassemble­
l’été 2021 » sur le déploiement de solescence toujours plus rapide », ment national, sur BFM­TV tout en
la 5G, rappelant qu’elle est « l’une argue Loïc Prud’homme, député se disant « plutôt pour » cette nou­
des [146] propositions de la con­ LFI de Gironde. velle norme de téléphonie mobile.
vention citoyenne pour le climat, Les demandes en faveur d’un dé­
que le président de la République La droite favorable bat public se multiplient. Mais les
s’est engagé à étudier ». Opposés au déploiement de la 5G, avis divergent sur sa forme : mora­
Le 14 septembre, deux jours beaucoup s’interrogent sur la no­ ADRIA FRUITOS toire, référendum ou encore débat
après cet appel, la réponse du chef tion de progrès et l’utilité d’une parlementaire. « On voit pour la
de l’Etat, Emmanuel Macron, est telle innovation face à l’urgence ficace ni rester compétitif sans uti­ médecine, de transports ou pour Paula Forteza souhaite aller plus première fois des partis, des person­
cinglante. « La France va prendre climatique et à la diminution des liser les technologies et notam­ le télétravail. loin : « Un changement sociétal nalités politiques qui prennent po­
le tournant de la 5G », a t­il assuré ressources naturelles. « Les obscu­ ment les objets connectés qui s’ap­ Au Parti socialiste (PS), la posi­ d’une telle envergure ne peut pas sition sur la technologie elle­même
devant des dizaines d’entrepre­ rantistes sont ceux qui croient en puient sur la 5G », défend la dépu­ tion se veut plus nuancée. En se faire sans consulter le Parle­ et, ça, c’est nouveau », constatait, le
neurs de la French Tech avant la technologie quoiqu’il en coûte, tée d’Eure­et­Loir Laure de La principe, pas d’opposition fron­ ment. Il faut une réforme pour ins­ 16 septembre, Sébastien Soriano,
d’ironiser sur les partisans du sans jamais questionner son usage Raudiere (Agir ensemble), auteure tale à la 5G mais le débat public taurer une gouvernance des in­ le président de l’Arcep, le régula­
« modèle amish » et du « retour à la et ses finalités », a ainsi lancé, di­ de rapports sur la couverture mo­ doit s’imposer. « La question des frastructures numériques. » teur des télécoms, conscient que le
lampe à huile ». Levée de boucliers manche, M. Bayou lors d’un dis­ bile et numérique en France. « On usages est centrale. Est­ce que la Du coté de la droite, les élus se di­ sujet est devenu politique. Une
chez EELV et LFI. Julien Bayou, le cours adressé aux militants EELV. ne met pas assez dans la balance ce 5G a réellement vocation à être sent « favorable[s] » au déploie­ seule certitude : le calendrier. Les
secrétaire national des Verts, dé­ Face à ces arguments, les élus de que la 5G va représenter en termes une technologie grand public ou à ment de la 5G, mais souhaitent, en premières enchères pour l’attribu­
nonce « un passage en force », là la majorité cherchent à convain­ d’économies au­delà de l’améliora­ n’être seulement réservé qu’à cer­ échange, garanties et contrepar­ tion des fréquences débutent dès
où Clémentine Autain, députée cre du bien­fondé de cette nou­ tion des services », ajoute Eric Bo­ tains domaines ? », interroge le ties du gouvernement ainsi que le 29 septembre avant l’apparition
LFI de Seine­Saint­Denis, accuse velle génération de réseau mo­ thorel, député la République en porte­parole du PS et député des des opérateurs. « La question de la des premières offres commercia­
M. Macron « d’avoir fermé le débat bile. « On ne pourra pas avoir de marche des Côtes­d’Armor citant Landes, Boris Vallaud. La députée fracture territoriale et numérique les d’ici fin 2021. 
avec arrogance et mépris ». Parti­ transition écologique rapide et ef­ des avancées en matière de télé­ Ecologie, Solidarité, Démocratie doit être la priorité absolue. Si la 5G mariama darame

La critique du progrès n’est pas forcément obscurantiste


Les écologistes sont souvent accusés de prôner un retour en arrière. Or, de nombreux penseurs alertent sur les dégâts du progrès

ANALYSE partie stratégique : Emmanuel Macron a


compris qu’en 2022, il aurait au moins deux
rouge (néogauchiste). Un comble, car si une
partie des écologistes est bien issue du gau­
Or, depuis la seconde guerre mondiale, les
Lumières se sont tamisées. Et le progrès ne

E n France, le tournant écologique fait


souffler un petit vent de panique sur
la vie intellectuelle et politique. L’es­
sor de la sensibilité pour la nature heurte
l’ancienne cléricature et entraîne une cas­
adversaires sur sa route, le Rassemblement
national et les Verts, porteurs de deux récits
concurrents, l’un axé sur l’affirmation natio­
naliste et identitaire, l’autre sur la transition
écologique et le souci planétaire.
chisme de Mai 68, l’écologie est une alterna­
tive au récit productiviste et progressiste qui
a structuré aussi bien le libéralisme que le so­
cialisme, le capitalisme que le communisme.
M. Macron reproche, quant à lui, à certains
cesse d’être questionné. Des penseurs éclairés
par les sombres temps du XXe siècle et les ca­
tastrophes du XXIe, ont mis en garde contre
« le progrès [qui] sépare littéralement les hom­
mes » (Horkheimer et Adorno), insisté sur la
cade de railleries et d’injures. On ne compte Mais ce « haro sur les écolos » révèle une TOUTE HÉSITATION écologistes d’être obscurantistes, anti­Lumiè­ nécessité de « rompre avec l’idéologie de la
plus, en effet, les élus et les éditorialistes qui crainte plus profonde que ne laissent enten­ res et de prôner un retour en arrière. Une criti­ croissance » (André Gorz), invité à critiquer le
s’en prennent à la « Terreur verte », à « l’écolo­ dre ces petites piques. Ce que réalise le per­
SUR UNE AVANCÉE que paradoxale puisque les alertes sur le ré­ « mythe de la machine » (Lewis Mumford) et le
gie punitive », aux « Khmers verts » ou aux sonnel politique, c’est que la transition écolo­ TECHNOLOGIQUE chauffement climatique et les luttes environ­ « système technicien » (Jacques Ellul). D’autres
« ayatollahs de l’écologie ». Emmanuel Ma­ gique ne pourra être ni parcellaire ni cosméti­ nementales s’appuient sur les rapports des ont proposé d’imaginer une autre relation au
cron vient d’ajouter un sobriquet de plus à que, assure le philosophe Dominique Bourg, RELÈVERAIT chercheurs : « Vous avez le devoir d’écouter les monde afin de résister à cette « accélération »
cette litanie, en ironisant sur ceux qui préfé­ mais qu’« elle signifie un véritable change­ scientifiques », lançait Greta Thunberg aux dé­ du temps qui caractérise nos sociétés (Hart­
reraient « le modèle amish » et le « retour à la ment de civilisation et de modèle économi­
D’UNE TENTATION putés français, le 29 juillet 2019. Or, qu’est­ce mut Rosa) et même d’opérer une « bifurca­
lampe à huile » au modèle français incarné que ». L’écologie est un projet global qui pose, NOSTALGIQUE, que les Lumières, sinon la définition qu’en tion », comme le disait le philosophe Bernard
par « les Lumières » et « l’innovation ». dans tous les domaines, les questions de pro­ donnait Emmanuel Kant en 1784 : « Ose sa­ Stiegler, notamment afin d’échapper à l’éco­
La rhétorique anti­écologique la plus som­ duction et d’utilité sociale. L’écologie n’est pas TOUTE voir ! » Sans compter qu’il est assez réducteur nomie de la disruption numérique qui, selon
maire et disqualifiante repose tout d’abord intrinsèquement totalitaire, mais essentielle­ de ranger tous les philosophes du XVIIIe siècle lui, façonne nos émotions, capte et détruit no­
sur l’idée que les Verts seraient des « rouges » ment totalisante : elle repense la totalité de INTERROGATION du côté des partisans du progrès. C’est tre attention. Sans oublier les syndicats qui,
masqués et les suppôts d’un gauchisme dé­
guisé. D’où la métaphore de la pastèque, ré­
l’existence, mettant au jour nos multiples
interdépendances (avec le vivant, le territoire
SUR UNE TECHNIQUE, d’ailleurs pourquoi Voltaire écrivit à Rous­
seau, après la parution de son Discours sur
comme la CFDT, se sont penchés sur « les dé­
gâts du progrès » (Le Seuil, 1977).
currente, notamment à l’extrême droite : les et les écosystèmes). D’UNE POSSIBLE l’origine et les fondements de l’inégalité parmi Questionner la pertinence d’une technique,
écologistes seraient verts à l’extérieur et rou­ les hommes (1755) où l’on peut en conclure que c’est aussi s’inscrire dans l’héritage des Lu­
ges à l’intérieur. Mais l’idée d’un « totalita­ Modernisme technophile RÉGRESSION l’homme n’aurait pas dû quitter l’état de na­ mières qui prônaient un usage de la raison
risme vert » s’est répandue bien au­delà de la C’est ce qui explique, en partie, la rhétorique ture : « Il prend envie de marcher à quatre pat­ critique. C’est pourquoi la 5G n’est pas qu’une
fachosphère. « Je me suis toujours battu antitotalitaire qui lui est opposée, lorsqu’elle tes quand on lit votre ouvrage. » La lampe à question sanitaire, mais aussi un choix de
contre les Khmers rouges, je ne plierai pas ne cherche pas plus prosaïquement à la dis­ huile et les amish ne sont pas si loin. La philo­ société. « Une technologie est un pharmakon,
aujourd’hui devant les Khmers verts ! », disait, créditer. Sans compter que les risques de dé­ sophie du progrès, portée par Condorcet, terme grec qui désigne ce qui est à la fois poi­
en 2011, l’ancien maire de Lyon Gérard Col­ rives existent, comme le rappellent les dé­ s’est transformée en progressisme. Et parfois son et remède », aimait dire Bernard Stiegler.
lomb, avant d’être battu en 2020 par Grégory bats autour du malthusianisme ou la tenta­ même en un modernisme technophile : il ne A quel genre de remède et de poison appar­
Doucet, membre d’Europe Ecologie­Les tion primitiviste de certains survivalistes. faudrait pas être en retard, ni d’un train ni tient la 5G ? Le président semble avoir tran­
Verts (EELV). Le résultat électoral des élec­ D’où la crainte que l’écologie ne devienne d’une guerre. Toute hésitation sur une avan­ ché, alors que progrès aurait peut­être para­
tions municipales est sans doute l’une des une nouvelle religion. Signe des temps : cée technologique relèverait d’une tentation doxalement consisté à soumettre cette ques­
raisons de cette surenchère polémique. Et la après avoir été accusée d’être brune (écofas­ nostalgique, toute interrogation sur une tech­ tion à l’ensemble de la société. 
charge du président de la République est en ciste), voici qu’on lui reproche plutôt d’être nique, d’une possible régression. nicolas truong
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 économie & entreprise | 19

Suez administre une « pilule Valeo propose un accord


emplois contre austérité
empoisonnée » à Veolia à ses salariés
Refusant l’OPA du numéro un mondial des services à l’environnement, Les syndicats de l’équipementier automobile
se prononceront d’ici au 29 septembre
Suez a placé son activité eau en France dans une fondation aux Pays­Bas sur un projet d’« accord de performance »

T D
out se complique dans société », a expliqué son prési­ sion d’activités (Allemagne, ernière ligne droite so­
le raid lancé fin août par dent, Philippe Varin.
Cette manœuvre Suède, Etats­Unis…) que Veolia ciale pour Valeo. La direc­
Les employés
Veolia sur Suez, qui pré­ Elle ne prive pas pour autant avait déjà été voulait conserver au sein du tion de l’équipementier devront accepter
voit de racheter les Veolia de marges de manœuvre : groupe fusionné, a­t­il justifié. automobile (dans le top 10 mon­
29,9 % détenus par le groupe le numéro un mondial du secteur
utilisée, en 2006, Pour M. Varin, ce calendrier trop dial et premier français, au coude­
un gel des
d’énergie Engie avant de lancer peut céder une partie de sa propre par l’aciériste serré interdit toute contre­offre à­coude avec Faurecia) a présenté salaires pendant
une offre publique d’achat (OPA) activité eau dans l’Hexagone, afin avec des fonds, notamment fran­ ses dernières propositions, lors
sur le solde du capital. Objectif : de répondre aux exigences des
Arcelor, çais, alors qu’il veut « coconstruire d’une ultime réunion de négocia­
deux ans
créer un « champion français de autorités de la concurrence à Paris alors cible d’une avec Engie » un projet préservant tions avec les syndicats sur la ré­ et renoncer à des
taille mondiale » dans les services et à Bruxelles – les deux groupes l’intégrité de Suez. « Je ne vois pas duction de ses coûts salariaux en
à l’environnement (eau, déchets). combinés possédant 60 % de
OPA de Mittal pourquoi Engie, dont l’Etat est ac­ France, mercredi 23 septembre. Le
primes parfois
Les positions sont irréconcilia­ parts de marché –, ou lancer une tionnaire à 23,6 %, accepterait un groupe avait indiqué, fin juillet, à importantes
bles entre les deux rivaux histo­ OPA sur la totalité de Suez pour un ultimatum de quatre semaines sur ses équipes françaises qu’elle sou­
riques, et la « proie » cherche prix estimé à plus de 10 milliards main sur Arcelor. Mais cette un sujet aussi fondamental », a es­ haitait, face à la « crise exception­
par tous les moyens à échapper d’euros. « Ce coup fourré », qu’An­ structure juridique interne avait timé le président de Suez. Il a égale­ nelle » provoquée par la pandé­ CGC. Il va falloir écouter, discuter
à son prédateur qui a monté toine Frérot a qualifié de « pitoya­ empoisonné pendant des années ment indiqué avoir saisi l’Autorité mie de Covid­19, négocier un ac­ pour arriver à dégager un consen­
une opération « aberrante », se­ ble », « n’est pas de nature à me dé­ la gestion d’ArcelorMittal, les des marchés financiers et l’Autorité cord de performance consistant à sus, quel qu’il soit. Mais en tant que
lon les mots de Suez, et « fu­ courager », a­t­il réagi, jeudi, sur Pays­Bas s’avérant très protec­ européenne de la concurrence diminuer de 10 % (soit un gain ré­ coordinateur, je ne me vois pas si­
neste » pour la France. BFM Business. Il s’est même dit teurs des fondations. Et lorsque pour contester la structure en current de 100 millions d’euros gner l’accord si la moitié de mes
Le conseil d’administration de prêt à relever son offre initiale les conseils d’Arcelor et Mittal deux étapes de l’offre de Veolia. par an) ses frais de personnel adhérents est contre. Simplement,
Suez, réuni mercredi 23 septem­ (15,50 euros par action Suez). avaient demandé à la fondation La bataille se poursuit aussi sur pour ses trente sites de l’Hexa­ il faut bien avoir en tête que la di­
bre, a annoncé qu’il allait étudier Cette manœuvre avait déjà été de se dissoudre, elle avait refusé. le front de l’emploi, le plus sensi­ gone, totalisant 13 400 salariés. rection fait une grosse concession
« une ouverture du capital de Suez utilisée en 2006, lors d’une des Mercredi matin, lors de leurs ble. Selon Suez, l’OPA entraînera la L’accord, révélé par Les Echos et en renonçant à tout PSE. Chez
Eau France aux salariés ». Il a sur­ batailles boursières les plus épi­ auditions par les députés, les diri­ destruction de 4 000 emplois en confirmé au Monde par le princi­ Valeo, c’est une première ! Il y a
tout décidé de sanctuariser ces ques de l’histoire de la place de Pa­ geants des deux entreprises ont France et de 10 000 dans le pal syndicat de l’entreprise, la probablement plus à perdre à ne
activités, que Veolia avait l’inten­ ris. L’aciériste Arcelor, cible d’une encore confirmé le fossé infran­ monde. « Sur les 90 000 salariés, CFE­CGC, consiste, après plus de pas signer qu’à signer. »
tion de céder au fonds de gestion OPA de l’anglo­indien Mittal, chissable qui les sépare. Le PDG de 13 000 ont été vendus depuis un deux mois de discussions serrées,
d’infrastructures Meridiam. Elles avait placé dans une fondation de Veolia a refusé tout report de la mois et demi, a répliqué M. Frérot. à échanger une cure d’austérité Amère potion
ont été placées pour au moins droit néerlandais sa filiale cana­ date limite de son offre à Engie, Combien en restera­t­il à Noël ? », salariale contre l’engagement, Parmi ceux qui ont le plus à per­
quatre ans dans une fondation de dienne Dofasco, que Mittal pré­ fixée au 30 septembre. « Il y a ur­ invitant à « arrêter cette politique pendant deux ans, de ne procéder dre figurent certains sites comme
droit néerlandais « administrée voyait de céder à l’allemand Thys­ gence à décider », a souligné An­ de la terre brûlée ». Dans une lettre à aucun plan social d’entreprise celui de Laval (Mayene), qui pro­
par une majorité de représentants senKrupp. Cela n’avait pas empê­ toine Frérot. D’autant plus que aux salariés de son entreprise, (PSE), ce qui écarte a priori une duit des systèmes thermiques (re­
ou d’anciens représentants du ché l’anglo­indien de mettre la Suez est en train d’accélérer la ces­ jeudi, il réitère sa volonté de « pré­ éventuelle fermeture de site. Les froidissement moteur, chauffage
corps social de Suez ». server l’ensemble des emplois et délégués centraux des quatre d’habitacle) et qui se trouve en
des acquis sociaux ». principales organisations repré­ surcapacité. La branche systèmes
« Pitoyable » Quatre candidats pour la direction Pour séduire les marchés, Suez a sentatives de l’entreprise (CFE­ thermiques est d’ailleurs la seule
Cette structure aura pour mis­ annoncé, mardi, une accélération CGC, CGT, CFDT et FO) allaient, à afficher un excédent d’exploita­
sion de « préserver l’intégrité de générale d’Engie de ventes d’actifs non stratégi­ dans les heures à venir, lancer une tion (Ebitda) négatif au premier
l’activité Eau France au sein du Quatre prétendants sont en lice pour prendre la succession ques pour 4 milliards, 1,2 milliard consultation de leurs mandants semestre 2020. L’absence de PSE
groupe Suez », indique celui­ci. « Il d’Isabelle Kocher, la directrice générale d’Engie évincée en février (contre 1 milliard) d’économies pour savoir s’ils acceptent les ter­ pendant deux ans pour cette
suffit de mettre une seule action après un long bras de fer. Le conseil d’administration de l’énergéti- annuelles à partir de 2023 et mes de l’accord. Mardi 29 sep­ usine serait une bouffée d’oxy­
dans cette structure pour que l’en­ cien devra choisir avant la fin du mois entre Gwenaëlle Avice-Huet, le versement de 2 milliards aux tembre, les syndicats feront sa­ gène. Sur d’autres sites, en revan­
semble soit inaliénable », expli­ directrice générale adjointe d’Engie, chargée des énergies renou- actionnaires d’ici à fin 2022, dont voir s’ils signent ou non. che, moins affectés par la crise,
que une source proche de la com­ velables, Catherine Guillouard, PDG de la RATP, Laurent Guillot, un « dividende exceptionnel » Et l’histoire est encore loin l’amère potion salariale risque de
pagnie. Elle interdit toute ces­ directeur général adjoint de Saint-Gobain et, enfin, Catherine d’un milliard au premier semes­ d’être terminée. Car si la direction susciter plus d’opposition.
sion, « sauf décision contraire du MacGregor, membre de la direction de Technip. Cette dernière, tre 2021. « C’est le capitalisme fi­ a cédé sur l’absence de PSE – la li­ Du côté des opposants farou­
conseil d’administration de Suez qui fait figure de favorite, est entrée tardivement dans la course. nancier du XXe siècle », ironise Oli­ gne à ne pas franchir pour tous les ches à l’accord, la CGT évoque la
au cours de cette période ». Cette Cette centralienne a passé vingt-trois ans dans le groupe de vier Brousse, directeur de la stra­ syndicats –, les salariés devront volonté de diviser cadres­ingé­
sorte de « pilule empoisonnée » services pétroliers Schlumberger avant de rejoindre TechnipFMC tégie de Veolia, dans un entretien accepter un gel des salaires pen­ nieurs et employés, la direction
« permet au conseil d’administra­ en juillet 2019, afin de prendre la tête de l’entité basée à Paris à L’Usine nouvelle.  dant deux ans et renoncer à des ayant renoncé à son projet initial
tion de Suez de revenir au centre issue d’une prochaine scission du parapétrolier. Mais cette opéra- jean­michel bezat primes (médaille du travail, d’augmenter le temps de travail
des décisions sur l’avenir de la tion a pris beaucoup de retard. et isabelle chaperon « prime de progrès » liée à l’amé­ des cadres (215 à 218 jours an­
lioration des performances du nuels) sans hausse de salaire. « La
site) parfois importantes. plupart des sites ont un carnet de
La CGT (deuxième syndicat avec commandes qui leur permet
27 % des voix contre 32 % pour la d’avoir un horizon à plus de deux

Total ferme sa raffinerie de Grandpuits CFE­CGC) a annoncé qu’elle ne si­


gnerait pas. D’autant que le projet
d’accord n’interdit pas les sup­
ans, affirme la CGT dans un tract
du 22 septembre. Les mesures tou­
chant les cadres ont été amenui­
pressions d’emplois. Les départs sées et, pourtant, c’est dans leurs

et promet une plate­forme « zéro pétrole » sur la base du volontariat, les rup­
tures conventionnelles collecti­
ves (au niveau d’un établisse­
secteurs d’activité que la charge de
travail n’est pas au rendez­vous. »
« Il est vrai que l’activité repart,
Le groupe prévoit, sans licencier, de maintenir 250 emplois sur les 400 du site seine­et­marnais ment) ou individuelles peuvent concède M. Phan. Ce mois­ci, elle
être enclenchés. Un peu moins de est en hausse de 10 % à 15 % par
2 000 emplois ont déjà été suppri­ rapport à septembre 2019, et l’em­
més au premier semestre 2020 en ploi ne devrait plus baisser en cette

T otal a confirmé, jeudi


24 septembre au matin,
son intention de cesser le
raffinage sur son site historique
de Grandpuits, en Seine­et­
500 millions d’euros pour se con­
sacrer, à l’horizon 2024, à la pro­
duction de biocarburants desti­
nés aux secteurs aérien et routier.
Cela se fera à partir de graisses
ciement, mais plutôt des départs
à la retraite non remplacés et des
mobilités vers d’autres sites du
groupe. Mais les syndicats rappel­
lent que, lors des reconversions
fois les difficultés du raffinage en
France. Depuis 2010, quatre raffi­
neries importantes ont fermé
leurs portes. Le site de La Mède,
près de Marseille, a été reconverti
France (4 000 en Europe et 12 000
dans le monde), essentiellement
des intérimaires et des contrats
courts pour l’Hexagone.
La situation est donc complexe
fin d’année. Mais ce n’est peut­être
qu’un rattrapage. Nous man­
quons totalement de visibilité
pour la suite. » Valeo a enregistré
une perte de 1,2 milliard d’euros
Marne. Le groupe a détaillé aux animales, d’huiles de cuisson et des sites de Carling (Moselle) ou dans les biocarburants, mais fait et les débats d’ici au 29 septembre sur les six premiers mois de 2020
syndicats, lors d’un comité social d’huiles végétales, « à l’exception de La Mède (Bouches­du­Rhône), l’objet d’une vive polémique à s’annoncent mouvementés. et un recul de sa trésorerie d’un
et économique central (CSEC) qui de l’huile de palme », précise Total. des licenciements secs avaient eu cause de son utilisation massive « Rien n’est fait, insiste Pascal montant presque équivalent. 
s’est tenu au siège du groupe, à la Une usine de « bioplastique », fa­ lieu chez des sous­traitants. « On d’huile de palme importée, criti­ Phan, coordinateur central CFE­ eric béziat
Défense, son projet de reconver­ briqué à partir de sucre, biodégra­ craint aussi des mutations forcées, quée pour son impact sur la défo­
sion de la raffinerie. dable et recyclable, sera égale­ puisque, dans le département, il restation. Il reste dans l’Hexagone
Le sort du site état en suspens ment implantée. Enfin, Grand­ n’y a pas beaucoup d’autres em­ sept raffineries de brut, dont cinq
depuis l’annonce, en 2019, d’un puits verra s’installer une usine plois », note Adrien Cornet, délé­ gérées par Total.
audit sur l’oléoduc qui alimente la de recyclage de plastique et deux gué CGT, qui souligne que les syn­ Le raffinage français a long­ CONJO NCTU RE INTERNET
raffinerie depuis le port du Havre, centrales photovoltaïques. dicats ont l’intention de deman­ temps été considéré comme En France, le moral TikTok se tourne vers
le Pipeline d’Ile­de­France (PLIF). der une expertise afin de démon­ étant en surcapacité, notamment des patrons s’améliore la justice américaine
Après une première fuite en 2014, Crainte de « mutations forcées » trer la viabilité de la raffinerie. parce qu’il produit beaucoup d’es­ lentement TikTok a demandé à un juge
il a été le théâtre un nouvel inci­ Les activités de raffinage de­ L’argument du virage climati­ sence plutôt que du diesel. Il faut Le climat des affaires en américain de suspendre un
dent en février 2019, qui a conduit vraient prendre fin dès le début que de Total laisse de marbre le donc importer du diesel de raffi­ France a poursuivi en décret de l’administration
à interrompre le transport de de l’année 2021, et le stockage de principal syndicat du site. « Total neries à l’étranger, et exporter en­ septembre son amélioration Trump qui prévoit d’interdire
brut. Total estime que remplacer produits pétroliers, fin 2023. L’ap­ essaie de se repeindre en vert, mais viron 40 % de la production d’es­ amorcée depuis la fin du le téléchargement de l’applica­
le PLIF pourrait coûter environ provisionnement de la capitale et ce qu’ils font concrètement, c’est dé­ sence. Dans un marché mondial confinement, en mai, mais à tion aux Etats­Unis à partir du
600 millions d’euros. La raffine­ des aéroports de Roissy et d’Orly localiser la production au Moyen­ très concurrentiel, Total a préféré un rythme plus lent du fait dimanche 27 septembre. Dans
rie de Grandpuits devait en outre sera désormais assuré par la raffi­ Orient, là où les normes environne­ miser sur ses sites côtiers, comme des incertitudes sur les pers­ une motion déposée auprès
connaître en 2021 un « grand ar­ nerie de Donges (Loire­Atlanti­ mentales sont moins hautes qu’en ceux du Havre (Seine­Maritime) pectives d’activité des chefs d’un tribunal de Washington,
rêt » – une sorte de révision géné­ que). Le projet prévoit de mainte­ France », dénonce M. Cornet. « Ce et de Donges, ou encore sur sa pla­ d’entreprise, a rapporté le réseau social, filiale de l’en­
rale qui intervient tous les sept nir 250 postes sur les 400 que qu’ils veulent sauver, c’est leurs pro­ te­forme d’Anvers, en Belgique. l’Insee, jeudi 24 septembre, treprise chinoise ByteDance,
ans et nécessite un arrêt complet compte aujourd’hui Grandpuits. fits, pas la planète. D’ailleurs, s’ils y Surtout, l’avenir des sites de raffi­ dans un communiqué. L’indi­ affirme qu’une telle interdic­
des installations. Le groupe assure en outre que le croyaient vraiment, ils arrêteraient nage sera déterminé par la vitesse cateur synthétique mesurant tion ne serait pas conforme à
Le groupe a donc décidé de chantier créera 1 000 emplois au de forer dans des parcs naturels de la transition vers le véhicule le climat des affaires s’est re­ la Constitution des Etats­Unis.
transformer l’activité du site plu­ niveau local au cours des trois an­ au Mozambique [où l’entreprise électrique : les besoins en carbu­ dressé de 2 points sur un Une audience devait se tenir
tôt que de faire réparer le tuyau. nées à venir. dirigée par Patrick Pouyanné in­ rant vont mécaniquement dimi­ mois, à 92, très en dessous de jeudi dans un tribunal fédéral
Son projet, intitulé « Galaxie », Avant même d’avoir été infor­ vestit dans un grand projet ga­ nuer, alors que la France entend sa moyenne de long terme de Washington. La plate­
consiste à créer sur place une mée en CSEC, la CGT s’est inquié­ zier] », ajoute­t­il. mettre fin à la vente de véhicules (100), et encore plus de son forme avait déjà engagé une
« plate­forme zéro pétrole ». tée des effets sur l’emploi. Total Le choix de reconvertir le site de thermiques en 2040.  niveau d’avant la crise du procédure judiciaire, fin août,
Le groupe prévoit d’investir affirme qu’il n’y aura aucun licen­ Grandpuits illustre une nouvelle nabil wakim Covid­19 (105), précise l’Insee. en Californie – (AFP.)
20 | management 0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

L’épidémie de Covid­19 bouscule CARNET DE BUREAU


CHRONIQUE PAR ANNE RODIER
l’aménagement des bureaux L’incertitude favorise
Le caractère collaboratif de l’espace de travail a été renforcé depuis le confinement
les salaires à la carte
D
evant la Maison de la nitaire pour respecter des condi­ retracer qui était présent dans la
Avant une

L’
radio, dans le 16e ar­ tions d’hygiène qui permettent salle. Si, au sein des locaux de Re­ épidémie de Covid­19 devrait favoriser l’indivi­
rondissement de Pa­ de limiter la propagation de l’épi­ réunion, il faut gus, certaines salles de réunion dualisation des rémunérations en 2021. « La
ris, Mathias Wargon, démie. Tout en appelant à télétra­ ont été transformées en bureaux crise sanitaire a suscité énormément de ré­
le chef des urgences de l’hôpital vailler le plus possible, le minis­
enregistrer individuels pour permettre aux flexions dans les entreprises sur l’évolution de
Delafontaine, à Saint­Denis (Sei­ tère du travail a publié le 31 août sa présence salariés de tomber le masque, leur stratégie et sur les groupes de collaborateurs nécessai­
ne­Saint­Denis), est bien embêté. des règles à respecter pour amé­ chez Sodexo, elles gardent toute res à la réussite future. Le Covid a mis un grand coup d’accé­
Pour entrer dans le bâtiment qui nager les espaces de travail. Après
pour pouvoir leur importance. « Les salariés re­ lérateur à la définition de cette stratégie et au référence­
accueille la radio publique, il est avoir modifié notre rapport à la retracer qui tournent au bureau pour se voir et ment des compétences­clés », affirme Bruno Rocquemont,
obligé d’attraper la poignée de la présence au bureau, l’épidémie collaborer, remarque Stéphane directeur du département gestion des talents chez Mer­
porte sans avoir pu se désinfecter due au nouveau coronavirus
occupait la salle Roger. Les entreprises doivent cer. Pour certains, le référencement des compétences de
les mains au préalable. « Ça ne change en profondeur notre con­ donc pouvoir leur proposer des es­ l’entreprise était déjà en chantier dans la perspective de la
sert à rien de ne pas se serrer les ception de l’espace en entreprise. paces pour échanger. Le restau­ transformation numérique qui a également été accélérée
mains pour tous la mettre sur une Pour accéder à son bureau en manière d’appréhender le danger. rant d’entreprise est bien souvent par la généralisation du télétravail.
porte où il n’y a pas de gel hydroal­ sortant de l’ascenseur, Christo­ L’objectif, c’est que chacun se sente le lieu où l’on peut retisser des Le cabinet de conseil Mercer, qui publiera, fin septembre,
coolique, ni avant ni après », dit­il phe Burckart, le directeur général en sécurité », dit­elle. liens avec ses collègues et renfor­ son enquête annuelle menée d’avril à juillet auprès de
quelques minutes plus tard au France de Regus, une entreprise L’habitude du mètre est aussi cer la cohésion d’équipe parfois 644 grandes entreprises sur les politiques de rémunéra­
micro de Léa Salamé et de Nicolas de location de bureaux et d’espa­ difficile à prendre dans la fonction mise à mal par le télétravail. » tions 2020­2021, annoncera, sans surprise, une augmenta­
Demorand sur France Inter. ces de coworking, doit désormais publique. Nadine Gerst, représen­ Les réfectoires sont un défi tion de la pratique de gel des salaires : 2 % des entreprises
Depuis que les entreprises peu­ faire un détour. Son bureau est à tante syndicale de la CFDT Finan­ pour faire respecter les mesures avaient l’intention d’y recourir pour 2020, elles ont finale­
vent de nouveau accueillir leurs quelques mètres, mais un sens de ces publiques, reconnaît que la sanitaires : ils brassent de nom­ ment été 11,3 % et elles seront 13,2 % en 2021.
salariés et le public, elles ont dû circulation est imposé dans les distanciation sociale n’est pas tou­ breuses personnes et sont un lieu Mais « les entreprises qui font du gel de
mettre en place un protocole sa­ couloirs. Ce patron doit donc al­ jours respectée. « Les couloirs ne de contact avec les plats à disposi­ salaire conserveront une réserve pour ré­
longer son parcours pour éviter sont pas toujours très larges. tion. Il n’est plus question de COMME APRÈS compenser les compétences­clés et ne
de croiser ses collaborateurs. D’autant que nous sommes assez plonger la main dans un bac pour LA CRISE DE 2008, pas voir partir à la concurrence les sala­
nombreux. Alors que le ministère en sortir une fourchette, les pla­ riés considérés comme des piliers pour
LES CHIFFRES Un protocole à signer du travail préconise de travailler teaux sont dressés en amont, les LA PRÉSERVATION aborder le monde d’après. Après 2009, les
Dans les bureaux qu’il loue, tout depuis chez soi, 6 % des agents plats sont servis sans libre­ser­ entreprises ont compris qu’il valait
a été repensé pour limiter au étaient en télétravail le 14 septem­ vice et les espaces à table ont été DE L’EMPLOI mieux ne pas geler totalement les salai­
maximum les contacts, et le pro­ bre, contre 22 % le 3 juin », expli­ réduits de 30 % pour permettre la res et être très sélectif dans le cadre d’une
9% tocole sanitaire a été certifié par que­t­elle, avant de regretter un distanciation. Si 85 % des canti­
VA S’INVITER petite enveloppe budgétaire », analyse
des salariés travaillent dans un organisme indépendant. Des difficile accès au gel hydroalcooli­ nes gérées par Sodexo ont rou­ À LA TABLE DES Bruno Rocquemont.
une entreprise dont l’activité panneaux de plexiglas ont été que dans certaines directions. vert, l’entreprise propose désor­ Dans le contexte de la pandémie de
est arrêtée ou a diminué de plus installés entre les bureaux. Dans Sans être passé à une logique de mais également un service à des­ NÉGOCIATIONS Covid­19, « la très forte hausse de l’incer­
de la moitié, en juillet, selon la les salles de réunion, une place « flexdesk », où les bureaux ne tination des télétravailleurs, avec titude dans l’entreprise renforce la bas­
Dares. Ce chiffre était de 13 % en sur deux est condamnée autour sont pas attitrés à une personne, un système de livraison et de SALARIALES cule vers plus d’intelligence artificielle et
juin, de 27 % en mai et de 45 % des tables pour respecter un mè­ lorsqu’un poste est vide pour mise à disposition de repas. l’importance des profils high­tech deve­
en avril. En juillet, 1 % tre de distance entre les partici­ cause de congé, de maladie, de té­ Dans les espaces de détente, le nus toujours plus prisés », illustre Sylvain Duranton, direc­
des salariés travaillaient encore pants. Le patron de Regus le re­ létravail ou autre, il peut être uti­ mobilier risque de changer. Les teur général monde de BCG Gamma, l’entité du Boston
dans une entreprise dont l’acti- connaît, « le plus dur à faire res­ lisé par un autre agent. matériaux poreux sont rempla­ Consulting Group consacrée à l’intelligence artificielle.
vité est totalement arrêtée. pecter, c’est la distanciation cés par d’autres, plus facilement L’incertitude et le brouillard sur le Covid­19, comme sur
sociale. Sans s’en rendre compte, Le défi des réfectoires lavables. Exit le canapé en tissu, les perspectives économiques, sont aussi importants
on a tendance à ne pas respecter Les bureaux flexibles étaient déjà qui est remplacé par un fauteuil aujourd’hui que la nécessité pour l’entreprise d’avoir une vi­
50 % À 70 % un mètre de distance lorsqu’on en place au sein de la Sodexo en skaï. Fini le sèche­mains souf­ sion claire de ses priorités.
c’est le taux d’occupation discute avec quelqu’un. Il faut avant l’apparition de la pandémie. flant, supplanté par la simple A la veille d’aborder les négociations annuelles obliga­
des bureaux, selon une étude du alors montrer l’exemple et faire de Depuis, des sous­mains sont utili­ feuille de papier. Terminé les sys­ toires, cet aveuglement plonge un certain nombre d’entre­
cabinet Deloitte publiée en juin. la pédagogie ». sés et retournés pour indiquer tèmes de ventilation qui ne font prises dans l’indécision et l’attentisme. « Alors que 382 en­
Ce taux s’explique par le recours Pour avoir plus de légitimité qu’un poste a été utilisé et qu’il que réutiliser l’air présent dans treprises se sont exprimées sur leur politique de rémunéra­
au télétravail mais aussi lorsqu’elle reprend un salarié qui doit être désinfecté. « Les agents une pièce, remplacés par ceux tion en 2020, seule une centaine ont pu se prononcer sur
par les congés, les déplacements ne respecte pas les gestes barriè­ d’entretien sont devenus de vérita­ qui aspirent l’air extérieur. « On leur budget d’augmentation pour 2021, tout simplement
professionnels et les réunions. res, Priscilla Marchand, à la tête de bles collègues », assure Stéphane voit déjà que des grandes entrepri­ parce qu’elles ne savent pas encore ce qu’elles feront », con­
Madame Marchand, une PME de Roger, le directeur général de l’ac­ ses ont modifié leurs demandes firme M. Rocquemont.
savonnerie installée dans l’Aisne, tivité des services en entreprises. pour avoir des bureaux plus cloi­ Mais celles qui ont répondu sont plutôt volontaristes.
46 % a demandé à ses équipes de signer Ses employés ont reçu un crochet sonnés, des salles de réunion qui « La sélectivité va augmenter, affirme­t­il, ainsi que la part
c’est le recul de la commercialisa- le protocole. Cette dirigeante a pour ouvrir les portes et action­ ne dépassent pas dix personnes et extra­monétaire des rémunérations (qualité de vie au tra­
tion de bureaux entre le premier d’ailleurs impliqué ses cinq sala­ ner les interrupteurs sans les tou­ davantage d’espaces d’échanges », vail, flexibilité dans l’organisation, etc.) pour compenser la
semestre 2020 et celui de 2019, riés dans son élaboration en leur cher directement. La direction remarque Eliel Arnold, à la tête de faiblesse des hausses de salaire. »
selon la société de conseil en im- demandant de faire des recher­ souhaite aussi se doter d’un appa­ son cabinet d’architectes d’inté­ Aucune des entreprises interrogées par Mercer ne pré­
mobilier JLL : 365 900 m² ont été ches et de proposer le nouvel reil qui permettrait de désinfecter rieur spécialisé dans les bureaux. voit de repousser les négociations salariales. Mais, comme
commercialisés sur les six pre- aménagement de l’espace. « Dans les masques jetables pour pouvoir Si les usages ont profondément à la sortie de la crise financière de 2008, la préservation
miers mois de 2020 (hors Paris). une entreprise à taille humaine, les réutiliser. évolué, l’architecte en est sûr : de l’emploi va s’inviter à la table des négociations sala­
Nantes, Bordeaux et Toulouse c’est important d’impliquer les sa­ Avant une réunion, il faut enre­ « Le bureau n’est pas mort .»  riales. Un hôte qui pourrait détourner les débats du
sont les villes les plus touchées. lariés. Chacun est différent dans sa gistrer sa présence pour pouvoir nicolas scheffer champ des compétences. 

Les entreprises veulent instaurer une organisation hybride du travail


Les Rencontres RH ont réuni une dizaine de responsables des ressources humaines pour débattre d’une réorganisation durable post­Covid

pellé Isabelle Barth, professeure Christophe Le Bars, DRH du sur ce qu’il fallait garder ou aban­ tion de donner carte blanche à ses démêler ce qui est productif et
en sciences de gestion à l’univer­ groupe Cegos. Les rites, le sym­ donner sur le télétravail, la gou­ directeurs généraux pour inven­ improductif, explique Isabelle
sité de Strasbourg. bole, la gestuelle, c’est aussi la clé vernance, les réunions, la prise de ter le mode de travail hybride. Barth. « Il faut que l’on apprenne à
Dans une sorte d’unanimité, de l’organisation de l’entreprise. » décision. « On a cherché à faire un En cette rentrée, tout le monde nos personnels à trouver le sens du
des secteurs de l’assurance, de la BNP Paribas Asset Management retour progressif avec des jours de est centré sur la performance, travail au bureau et le sens du tra­

L e Covid­19 est parmi nous,


certes, mais l’activité doit
se poursuivre, et même
continuer de se développer. En
cette rentrée de septembre, tou­
banque, de la publicité, de l’agroa­
limentaire, du luxe, de l’action
sociale et de la formation profes­
sionnelle, la dizaine de DRH pré­
sents ont témoigné « d’une pé­
et la Caisse nationale d’assurance
vieillesse (CNAV) aussi ont misé
sur l’importance du délibératif et
pris le pouls des salariés pour pré­
parer la rentrée en mode « hy­
présence obligatoire en mainte­
nant le télétravail. Sur site avec le
masque six à sept heures par jour,
c’est compliqué », reconnaît Jé­
rôme Friteau, son DRH.
mais le contexte Covid a instauré
une nouvelle organisation du tra­
vail, à la fois en présentiel et à dis­
tance, avec des présents qui ne
sont pas toujours les mêmes et
vail à la maison », développe
Diane Deperrois, d’Axa.
« Le fait d’être confiné, on ne
travaille pas de la même façon.
L’investissement immatériel
tes les entreprises n’ont pas re­ riode de retour d’expériences ». bride » (présentiel et distanciel). un environnement de travail à aura forcément un retour. Da­
trouvé leur effectif complet au « On avait mené des enquêtes pen­ Deux ou trois jours par semaine domicile qui est celui de la vie pri­ vantage qu’une contrainte, la
bureau. Elles doivent élaborer « Rites, symbole, gestuelle » dant le confinement sur la cohé­ Plusieurs points posent pro­ vée. « Les temps modernes sont crise est une opportunité pour
une nouvelle organisation du tra­ Pour l’assureur Axa, la phase sion d’équipe, la communication blème : « Les réunions en mode hy­ terminés : on a redécouvert que innover et travailler autre­
vail, tenant compte des incertitu­ d’écoute des salariés est ouverte entre équipe et manageur. Quand bride donnent plus de poids à ceux les salariés sont des aidants, qu’ils ment », estime M. Le Bars. La
des qui demeurent. jusque fin octobre : « La prise de tout le monde part en télétravail, qui sont sur site. En conséquence, ont une vie de famille. Les salariés quête du mode d’emploi du tra­
Les Rencontres RH, le rendez­ recul est indispensable. On a de­ revient, puis repart, la question est les salariés hors chaîne de décision et les DRH ont été mobilisés par vail hybride redonne la main à
vous mensuel de l’actualité du mandé à nos équipes ce que l’on “comment maintenir le lien so­ se désengagent, ceux qui sont de­ leur vie personnelle », souligne l’innovation managériale. 
management organisé par peut garder de ce que l’on a vécu, cial ?” On a demandé aux mana­ dans utilisent tous les modes d’ex­ M. Le Bars. Le rôle du DRH est de anne rodier et jules thomas
Le Monde en partenariat avec pour faire un bilan de ces derniers geurs et aux directeurs généraux de pression écrite dont ils disposent
Leboncoin, ont tenu leur dixième mois, nourrir les formations et tous les pays quelle devrait être la pour faire entendre leur voix. Ré­
édition, mardi 15 septembre, aux identifier les rituels d’un mode de norme de télétravail, de quels sup­ sultat, on est noyé sous les mails, Ont participé aux Rencontres RH du 15 septembre : Marion Azuelos,
Jardins Saint­Dominique, à Paris, travail hybride. On a besoin d’une ports ils auraient besoin, et nous explique­t­il. Les contributions ré­ DRH de BNP Paribas Asset Management ; Isabelle Barth, professeure en
pour en débattre. vie sur site, on a besoin de rechar­ avons adressé un questionnaire à coltées vont servir à lancer dès sciences de gestion de l’université de Strasbourg ; Christine Caldeira, secré-
« Depuis la sortie du confine­ ger nos collectifs. Les nouveaux en­ l’ensemble des collaborateurs pour cette semaine la négociation avec taire générale de l’Association nationale des directeurs des ressources
ment, les entreprises font du yoyo. trants ont besoin de partager une mesurer leur rapport au temps, au les partenaires sociaux, sur une humaines (ANDRH) ; Diane Deperrois, DRH d’Axa France ; Jérôme Friteau,
La vérité du lundi n’est pas celle du certaine mixité », a expliqué Diane travail et nourrir la réflexion sur le proposition de télétravail deux à DRH de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse ; Christophe Le Bars, DRH
mardi, ni celle du mercredi. La Deperrois, la DRH d’Axa France. télétravail. Ce qu’on en fera va dé­ trois jours par semaine accessible de Cegos ; Sabrina Loger, responsable des ressources humaines des mai-
question est comment sortir du « C’est tout ce qui est autour de la pendre des pays », explique la DRH dès l’embauche, avec un principe sons Montblanc, Jaeger-LeCoultre, Panerai, Baume & Mercier et Chloé ; Cé-
yoyo ? En parlant solutions ? En transmission qui construit le col­ de BNP Paribas Asset Manage­ de réversibilité. Notre accord télé­ line Merle-Beral, DRH groupe Havas ; Caroline Perinetti, responsable RH
cherchant des issues différentes ? lectif », souligne Céline Merle­Be­ ment Marion Azuelos. travail 2018 était obsolète. » d’ITS Group ; Rachida Saraka, DRH Kellogg’s ; Sophie Uzan, DRH d’APAX
En écoutant les salariés ? En ren­ ral, la DRH groupe Havas. « C’est la La CNAV a posé des questions L’heure est à l’innovation ma­ Partners ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote,
forçant le rôle du DRH ? », a inter­ fin du 100 % télétravail, affirme ouvertes à l’ensemble des salariés nagériale. Kellogg’s a ainsi l’inten­ directeur délégué, Le Monde.
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 sports | 21

« La réussite des JO se jugera en Seine­Saint­Denis »


Stéphane Troussel ne veut pas que le département qu’il préside soit « la variable d’ajustement » de Paris 2024

ENTRETIEN Je vous rappelle que le centre


aquatique olympique de Saint­De­
J’ai eu le premier ministre en vi­
sioconférence. Il m’a assuré qu’il
« Le village accélérateurs de transforma­
tion urbaine. Est­ce l’ambition
Il faudra qu’on nous démontre
qu’il y a une meilleure solution

D
es élus de Seine­Saint­ nis n’est absolument pas remis en n’était pas question de remettre des médias, c’est de Paris 2024 ? qu’une cérémonie au stade olym­
Denis ont protesté cause [il accueillera les épreuves de en cause l’héritage des Jeux en Quand on veut savoir si Londres pique. Bien évidemment, il ne
contre la révision de la plongeon, de la natation synchro­ Seine­Saint­Denis. J’ai donc bon
notre ligne rouge. ou Barcelone ont réussi leurs faut jamais avoir peur de casser
carte des sites olympi­ nisée et de water­polo]. En revan­ espoir que des arbitrages raison­ Il y a un pôle Jeux, on ne va pas visiter Buckin­ les codes, mais parfois les tradi­
ques envisagée – pour cause de Co­ che, les bassins de course seraient nables et favorables soient pris. Je gham Palace ou la Sagrada Fami­ tions ont du bon.
vid­19 – par le comité d’organisa­ installés provisoirement à La Dé­ pense que nous arriverons à un
à développer lia. On va à Stratford pour voir si
tion des Jeux, avec, par exemple, le fense Arena pour éviter d’avoir à terrain d’entente dans les pro­ autour Londres a réussi l’intégration de La Seine­Saint­Denis devrait
déplacement des épreuves de vol­ construire des tribunes. C’est une chains jours. ses quartiers populaires périphé­ être destinataire de 1 milliard
ley et de natation. Alors que Paris déception parce que les épreuves
du Bourget » riques. On va à la Vila Olimpica d’euros sur le 1,3 milliard de
2024 doit présenter ses nouvelles de natation donnent une forte vi­ Vendredi, lors de sa visite pour voir si Barcelone a réussi son crédits publics au total pour les
pistes d’économies en conseil sibilité. Mais ces bassins revien­ dans le département ? ouverture sur la mer. A Paris, Jeux. Vos craintes ne sont­elles
d’administration le 30 septembre, dront après en Seine­Saint­Denis. Il va venir de manière plus large. que ce soit réussi et que la Seine­ dans trente ans, on n’ira pas à la pas un caprice de votre part ?
Stéphane Troussel, le président du Sur le volley, j’ai trouvé l’an­ Nous sommes quasiment à un an Saint­Denis participe. Mais, plus tour Eiffel. On ira au village des Je suis le président du départe­
conseil départemental de Seine­ nonce un peu prématurée. Puis­ du déplacement d’Edouard Phi­ qu’aucun autre, je suis soucieux athlètes à Saint­Ouen, à la piscine ment le plus jeune de France mé­
Saint­Denis, rappelle l’importance qu’il n’y aurait peut­être pas les li­ lippe sur le plan « L’Etat plus fort des trente ans d’héritage. Le dé­ de Saint­Denis, à Dugny pour voir tropolitaine et qui est l’avenir de
des JO pour son territoire. gnes 16 et 17 jusqu’au Bourget, en Seine­Saint­Denis ». Donc il ne partement est en train de se le nouveau quartier… C’est en Sei­ l’Ile­de­France. 30 % de la popula­
alors il fallait déplacer le volley. viendra pas que pour les JO, mais transformer. Il y a des projets par­ ne­Saint­Denis que se jouera la tion a moins de 20 ans. Ici, c’est le
Vous avez fait part, le 10 sep­ J’ai demandé une contre­exper­ je n’imagine pas qu’il ne dise pas tout : transports, équipements, réussite des Jeux. Dans trente ans, concentré de tous les défis que la
tembre, de vos inquiétudes tise, qui semble un peu plus un mot sur le sujet. quartiers, installations d’entre­ c’est là que l’héritage de Paris société française doit affronter.
sur la révision du projet nuancée que cette décision caté­ prises. C’est pour cela que nos col­ 2024 se jugera. Si collectivement, grâce à des
des Jeux de Paris 2024. gorique. En échange, on obtient le Avez­vous le sentiment lectivités se sont engagées autant. projets de cette ampleur, on ne
Etes­vous depuis rassuré ? rugby à VII et l’escalade. C’est inté­ que la Seine­Saint­Denis Ce serait un contresens total de Il n’y aurait pas de cérémonie réussit pas, c’est à désespérer de
On a pu dire nos craintes quant ressant car le site sera pérenne et reste la grande perdante ? ralentir ces investissements. d’ouverture au Stade de France, la République. 
à la place que la Seine­Saint­Denis il y a une forte demande pour Ce qui me préoccupe, c’est de mais un concept qui « casserait propos recueillis par
doit avoir dans les Jeux de 2024. cette discipline. Mais je ne serais réussir les trente jours de compé­ Depuis Barcelone 1992, les codes », selon une expres­ emeline cazi
J’ai toujours dit que je n’avais pas contre une troisième épreuve. tition. Je veux que ça soit la fête, les Jeux sont vus comme des sion chère à Tony Estanguet… et nicolas lepeltier
aucune difficulté à ce qu’il y ait de Pourquoi pas le skate, mais je ne
la sobriété dans la période que suis pas figé. Et si, pour faire de
l’on connaît. Mais il faut exami­ belles photos, l’épreuve a lieu à tel
ner toutes les pistes d’économies, endroit, mais que l’équipement
notamment sur ce qui pourrait est installé ici après, je prends.
apparaître comme du superflu et
du bling­bling. Reste le point de crispation salon du livre
Par « bling­bling »,
autour du village des médias…
Le village des médias, c’est notre
débats
qu’entendez­vous ? ligne rouge. Nous sommes con­ cinéma
Il y a quelques mois, il y a eu des
débats entre Lamotte­Beuvron et
vaincus qu’il y a un pôle à déve­
lopper autour du Bourget. Il y a un
expositions
le château de Versailles [pour or­ alignement des planètes, en ce
ganiser les épreuves d’équitation]. moment, sur ce secteur avec la ré­
Je sais ce que représente le grand novation du Musée de l’air et de
patrimoine pour attirer les spon­ l’espace, bientôt desservi par le
sors, mais il n’y a pas de raison métro, la rénovation du Parc des
que les économies s’adressent expositions du Bourget, l’arrivée
seulement à la Seine­Saint­Denis.
Le département a donné du sens à
du Grand Paris Express. Ce nou­
veau quartier peut irriguer toute
23e rendez-vous de l’histoire

Gouverner
la candidature. On a rappelé la né­ la Seine­Saint­Denis. Or on nous
cessité pour la France de renouer parle d’une réduction drastique
avec ce territoire qui est le plus du village des médias, ça n’est pas
marqué par des fractures sociales acceptable.
et territoriales. La Seine­Saint­De­
nis ne peut pas être le faire­valoir Le projet prévoit dans
pendant la candidature et la varia­ un premier temps 300
ble d’ajustement ensuite. ou 400 logements, au lieu des

Qu’attendez­vous du conseil
1 300 envisagés initialement…
Je ne suis pas fermé à un
7  11 oct. 2020
d’administration phasage du projet, mais il me faut
du comité d’organisation des garanties fermes : un nombre

0123
(COJO), le 30 septembre ? plus important de logements, des
Je veux des engagements garan­ garanties financières pour que
tissant la participation de la Sei­ l’ensemble du projet se réalise et,
ne­Saint­Denis aux Jeux, et leur enfin, l’assurance que des équipe­
héritage, quelle que soit la révi­ ments – gymnases, crèches, com­ RENCONTRES PILOTÉES ET MODÉRÉES
sion du projet. Nous, collectivités merces – soient là dès la fin des PAR DES JOURNALISTES DE LA RÉDACTION
du 93, avons mis quasiment Jeux. Il faut que cela devienne im­ DU JOURNAL LE MONDE
autant que Paris et la région. Les médiatement un quartier et non
attentes des habitants sont fortes. une cité­dortoir.

Avez­vous obtenu des avancées Vous vous êtes récemment en­ samedi 10 octobre
depuis le dernier bureau tretenu à ce sujet avec le pre­
exécutif ? mier ministre, Jean Castex… f 11 h 15 - 12 h 45 / Salle des conférences, Château Royal de Blois
CRISE DU COVID-19 :
FAUT-IL LAISSER LES MÉDECINS GOUVERNER ?
R U G BY joueur du PSG Angel Di Ma­ Avec Jean-François DELFRAISSY, Didier HOUSSIN,
Fin de garde à vue ria. Celui­ci avait craché en di­ Marisol TOURAINE
pour Bernard Laporte rection d’un joueur de l’Olym­ Animée par Franck NOUCHI.
et Mohed Altrad pique de Marseille, Alvaro
Après quasiment deux jours Gonzalez, sans l’atteindre, du­ f 14 h 30 - 16 h / Salle des conférences, Château Royal de Blois
de garde à vue à la brigade de rant le match remporté par
répression de la délinquance les Marseillais le 13 septembre LA PLACE DE L’HISTOIRE ET DES HISTORIENS DANS LE
économique, à Paris, le prési­ (0­1). Cette sanction prend ef­ DÉBAT INTELLECTUEL & CITOYEN FRANÇAIS
dent de la Fédération fran­ fet le 29 septembre.
çaise de rugby, Bernard La­ Avec Marcel GAUCHET, Pierre NORA, Krzysztof POMIAN
porte, et l’homme d’affaires T E N N IS Animée par Jean BIRNBAUM.
LORRAINE TURCI /HANS LUCAS  BELLEVILLE 2020

Mohed Altrad, propriétaire Roland-Garros attend


du club de Montpellier mais d’être fixé sur le nombre f de 14 h 15 à 15 h 45 / Amphi Rouge du Campus de la CCI
aussi sponsor des Bleus, sont de spectateurs autorisés
ressortis libres mercredi Le ministre de la santé, PANDÉMIE ET MONDIALISATION :
23 septembre. Le Parquet na­ Olivier Véran, a annoncé, mer­ LE RETOUR DE L’ÉTAT SOUVERAIN ?
tional financier doit décider credi 23 septembre, que la
quels prolongements il donne jauge maximale pour les Avec Jean-Marie CARDEBAT, Élisabeth LAVILLE,
à l’enquête préliminaire grands événements va être Laure QUENOUELLE-CORRE, Elvire RÉGNIER-LUSSIER
ouverte en 2017 portant sur abaissée à 1 000 personnes, Animée par Antoine REVERCHON.
un soupçon de favoritisme contre 5 000 jusqu’ici, dans
entre MM. Laporte et Altrad. onze métropoles en zone
d’alerte Covid­19 « renforcée »,
FO OT B AL L dont Paris. Cette mesure, qui
Quatre matchs s’appliquera à compter du
de suspension 26 septembre, devrait concer­
ENTRÉE LIBRE DANS LE RESPECT DES MESURES SANITAIRES
pour le joueur du PSG ner Roland­Garros. M. Véran a
PLUS D’INFORMATIONS SUR WWW.RDV-HISTOIRE.COM
Angel Di Maria précisé qu’il y aura « une con­
La commission de discipline certation entre le préfet de po­
de la Ligue de football profes­ lice de Paris et les élus locaux
sionnel a infligé une suspen­ pour déterminer les conditions
sion de quatre matchs au d’application ».
22 | disparitions 0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Juliette Gréco
Chanteuse et actrice

Q
u’avons­nous donc tant aimé que américaine était alors interdite »,
chez Gréco pour que sa dispa­ confiait­elle au Monde lors de la parution de
rition nous atteigne autant ? Sa son album de reprises, enregistré à New York
voix, son élégance, sa force et ses après la mort de l’un de ses principaux
mains, sûrement, qui volaient, arrangeurs, François Rauber en 2003.
virevoltaient ! Juliette enfant s’était­elle La jeune Juliette veut devenir actrice.
peut­être ainsi rêvée, longue et forte dans un Béatrix Dussane, puis Solange Sicard, lui
fourreau noir, les mains aériennes, habillant enseigne les rudiments de l’art dramatique.
J’arrive (Jacques Brel/Gérard Jouannest) Elle joue pour la première fois au Théâtre
d’une aura de peines lumineuses et de décla­ français, un rôle de figuration dans Le Soulier
rations d’injustice – la mort, suprême de satin, de Paul Claudel. Sans le sou, elle
incompréhension. S’était­elle vue badinant commence son exploration de la vie de
sur un texte hallucinatoire d’Etienne Roda­ bohème du quartier Rive gauche de Saint­
Gil mis en musique par le Brésilien Caetano Germain­des­Prés, flirte un moment avec les
Veloso, Mickey travaille, ou sur Jolie môme, jeunesses communistes. En mai 1945,
de Léo Ferré ? Avait­elle imaginé incarner à ce Juliette retrouve sa mère et sa sœur resca­
point, dans le monde entier, une France pées de Ravensbrück, puis du camp de
résistante et cultivée ? Holleischen, près de la frontière tchécoslova­
Nous aimions Gréco avec tous ses « dé­ que. « Sans paraître la voir, sa mère lui de­
fauts », ses trous de mémoire, son trac et mande : “Où est Antoinette ?” », se souvient
son art : « Cette femme est faillible, et faillible Juliette Gréco dans Jujube (Stock, 1982), son
par courage, alors qu’il serait si simple de fi­ autobiographie écrite à la troisième per­
ger pour toujours son interprétation de Paris sonne : « Elle ne veut que la personne qu’elle
Canaille et de repasser chaque soir sur ses aime. Elle ne pense qu’à elle. Pas un mot pour
marques », a écrit le critique Bertrand Dicale la petite idiote. Jujube [son surnom] com­
dans une biographie très justement intitu­ mence à mourir. » La mère de Juliette Gréco
lée Juliette Gréco. Les Vies d’une chanteuse s’engage illico dans la marine, part pour
(Jean­Claude Lattès, 2001). l’Indochine, laissant ses filles derrière elle.
Les intenses appétits et la curiosité inson­
dable de cette interprète identifiée à la liberté Refaire son éducation
française lui ont à jamais laissé sa place de Gréco entreprend de refaire son éducation
muse de Saint­Germain­des­Prés, mythe de dans les bistrots de Saint­Germain. C’est au
la modernité, de la liberté de l’après­guerre bar du Montana qu’elle croise pour la pre­
toujours planétairement vivace. « Gréco rose mière fois Jean­Paul Sartre et Simone de
noire des préaux. De l’école des enfants pas sa­ Beauvoir, à la Rhumerie martiniquaise
ges », selon le poète Raymond Queneau. « La qu’elle discute avec Albert Camus, et au bar
Gréco », est morte le 23 septembre, à Rama­ du Pont­Royal, avec Maurice Merleau­
tuelle (Var). Elle était âgée de 93 ans. Juliette Ponty. Elle partage une chambre d’hôtel
Gréco disait, en 2008 : « Pour résister à l’ap­ avec Charlotte, vivant des mandats expé­
proche de la fin, il faut aimer ce qu’on fait, à la diés par sa mère, qui cesseront de lui par­
folie, aimer son métier comme je l’aime moi, venir quand sa sœur se marie. Elle collabore
c’est­à­dire de façon démesurée, hors normes, avec Jean Tardieu, qui présente une
en allant chanter aussi dans des petites salles émission de radio consacrée à la poésie,
de banlieue en matinée et savourer qu’un tard dans la nuit. Elle s’essaie aux petits
jeune homme ait dit à la fin du tour de chant : boulots, on lui refuse les travaux de
“Elle est bonne, hein, Gréco !” » ménage, elle s’installe dans un hôtel de la
Les vies de Juliette Gréco avaient com­ rue de Seine, La Louisiane, et rencontre le
mencé le 7 février 1927 à Montpellier (Hé­ metteur en scène Michel de Ré, qui lui offre
rault). Enfant solitaire et taciturne, elle vit un rôle dans la pièce de Roger Vitrac, Victor
des rapports chaotiques avec sa mère. Le ou les enfants au pouvoir (âgée de 19 ans, elle
père, Corse et commissaire de police, est tient le rôle d’une mère de 30 ans).
parti. Leur première fille s’appelle Charlotte, Il y a cette très jolie photo, un peu floue,
comme la grand­mère maternelle, la prise au Vieux­Colombier, à Saint­Germain­
seconde, Juliette, comme sa mère. « Quelle des­Prés. Nous sommes en 1948. Le Duke (El­
imagination ! », commente Juliette (la fille) à lington) fait son entrée dans la cave voûtée ;
propos de Juliette (la mère). Femme de Boris Vian est dans l’encoignure de la porte ;
gauche, anticonformiste viscérale, elle est l’égérie du cabaret le Tabou, Anne­Marie Ca­
l’« amie de cœur » du critique d’art Elie Faure, zalis, l’amie, « la sœur jumelle, blonde et
puis la compagne d’Antoinette Soulas, elle­ rieuse », rencontrée au Bal nègre de la rue
même mère de deux enfants. Blomet, épaule nue, ose un geste de salut.
Entre les deux, une jeunesse au sourire fin
La guerre et la prison pose la main sur le bras du prince du jazz.
Un temps installées rue de Seine à Paris avec C’est Gréco, costume croisé, cravate à car­
leur mère, les deux enfants sont ensuite reaux, cheveux plaqués en arrière, avec son
confiées à leur grand­père. « J’ai un vieux fond « pantalon chéri », dessiné par Christian
révolutionnaire solide, constant, confiait la Bérard, un tissu écossais avec le bas bordé de
chanteuse. Mon grand­père Jules était compa­ fourrure. « A l’époque, je ne connaissais pas le
gnon, donc sans doute franc­maçon. Il portait vison, Bébé m’a dit : “Tu apprendras vite.” »
des bottines, et j’adorais les lui délacer le soir. Il Mais c’est une autre photographie qui la
mettait sa main sur ma tête, comme cela [elle rend célèbre, publiée le 3 mai 1947 en « une »
fait le geste], légèrement. C’était un homme de de l’hebdomadaire Samedi­Soir : on voit la
bien, architecte à Bordeaux. Il pensait encore nouvelle égérie du Tabou discutant avec
qu’un ouvrier était une personne d’impor­ Roger Vadim à l’entrée du cabaret. L’article 7 FÉVRIER 1927
tance, ce que l’on apprend dans la magnifique explique comment vivent les « troglodytes » sœur m’avait parlé de Sartre, et j’étais intri­ Naissance à Montpellier ses amis, Marc Doelnitz, décide de rouvrir le
école du compagnonnage… J’ai toujours de Saint­Germain et développe le concept guée. “L’homme doit faire et faisant ce faire (Hérault) célèbre cabaret Le Bœuf sur le toit, créé
entendu des propos républicains dans mon d’existentialisme : « Le mot est lâché, et n’être que ce qu’il se fait”. Ça, ça m’intéressait, 1946 Joue dans la pièce en 1921 et repaire de Jean Cocteau. Anne­
enfance. Mais, à l’âge de 3 ans, j’ai assisté à une comme un animal sauvage commence sa puisque j’en étais là : il fallait que je me fasse… « Victor ou les enfants au Marie Cazalis et Marc Doelnitz parviennent à
scène terrible, ahurissante : ma grand­mère a course folle à la recherche de sa véritable iden­ Puis j’ai connu Jean­Paul Sartre et Simone de pouvoir », de Roger Vitrac la convaincre d’y chanter. Mais elle ne sait
mis à la porte une domestique, et avant qu’elle tité », écrit­elle dans Jujube. Puis, c’est au tour Beauvoir, j’étais jeune et conne, mais ter­ 1951 Chante « Je suis pas quoi. Sartre lui soumet plusieurs poè­
quitte son service, déjà avec sa robe de voyage, de l’hebdomadaire Dimanche­Soir de livrer riblement attentive et comblée. Ils me comme je suis », mes, parmi lesquels elle choisit Si tu t’imagi­
sa valise, elle lui a fait laver les marches du aux lecteurs une photo, où Gréco apparaît voyaient comme un enfant intéressant, une composé par Prévert nes, de Raymond Queneau, et L’Eternel
perron, et j’ai été complètement révoltée. » allongée aux côtés d’Annabel Buffet. Petit jeune fille bizarre, fort peu sociable. » et Kosma féminin, de Jules Laforgue. Sartre lui offre La
Revenues dans la capitale à la mort de Jules, parfum de scandale, magnétisme personnel, 1965 Tient la vedette Rue des Blancs­Manteaux, écrit pour Huis
les deux filles sont placées dans une pension amitiés solides : l’idée de la rébellion et de la Personnages mythiques dans le feuilleton télévisé clos, mais jamais utilisé. Il lui présente son
catholique rigoureuse. Juliette voudrait liberté des mœurs selon Gréco est lancée. Dans la vie de Juliette Gréco croisent tant de « Belphégor » ami le compositeur Joseph Kosma.
devenir danseuse. Elle est petit rat à l’Opéra Après les années travail­famille­patrie, personnages mythiques qu’il est impossible 1982 Publie Cinq jours plus tard, Juliette Gréco fait ses
de Paris quand éclate la seconde guerre après les horreurs de la guerre, la jeune géné­ d’en faire le tri : Maurice Merleau­Ponty, « Jujube » (Stock), débuts officiels devant un public de choix
mondiale. La famille Gréco se réfugie en Dor­ ration veut désobéir. « Je me demandais ce Jean­Paul Sartre, Françoise Sagan ; Jean­ son autobiographie (Sartre, Beauvoir, Cocteau, Camus, Marlon
dogne, où la mère entre en résistance. Elle est qu’était un existentialiste, raconte le composi­ Pierre Wimille, pilote de course, premier 2013 Sort l’album Brando). Elle ajoute ensuite à son jeune
arrêtée en 1943, ses deux filles s’enfuient teur brésilien Caetano Veloso. Un ami m’a dit : amour fou de Juliette, mort sur le circuit de « Gréco chante Brel » répertoire La Fourmi, de Robert Desnos, et
avant d’être reprises par la police française à “Un philosophe parisien qui fait tout, mais Palermo en Argentine en 1949 ; Miles Davis, 23 SEPTEMBRE 2020 Les Feuilles mortes, de Prévert (musiques de
Paris. La mère et Charlotte sont déportées. absolument tout ce qu’il veut.” J’étais fasciné. » rencontré à Paris – il a 23 ans, elle en a 22, ils Mort à Ramatuelle (Var) Kosma). Après un été passé à peaufiner son
Juliette est emmenée à la prison de Fresnes « J’ai passé ma vie à poser des questions. Ma s’aimeront longtemps ; Philippe Lemaire, le image sur la Côte d’Azur, elle est invitée à
où elle passe trois semaines avant d’être relâ­ mère n’y répondait pas. Comme elle vivait bel acteur, mari de Juliette pour un temps et chanter à la Rose rouge, cabaret célèbre tenu
chée, sauvée par son jeune âge (16 ans). dans la différence, elle n’assumait rien, sur­ père de son unique fille, Laurence­Marie, née par Nico Papatakis et où se produisent les
« Ma mère et ma sœur étaient en route vers tout pas ses enfants, surtout pas moi. J’ai en mars 1954 ; Darryl Zanuck, le producteur Frères Jacques ou Marcel Marceau.
Ravensbrück. Je suis sortie de prison et je me commencé à vivre le jour où, dans un café du de cinéma qui voulait la séduire ; Irmeli Jung, Son succès l’amène au Brésil pour trois
suis retrouvée à Saint­Germain­des­Prés, sur pont Royal, un homme, un client comme moi, photographe d’origine finnoise, la fidèle ; mois, invitée par l’Office culturel français.
la petite place, à côté de la pension de famille qui sans doute me trouvait jolie, intéressante, Michel Piccoli, le deuxième mari ; le compo­ Gréco se bâtit une stature d’artiste culte.
où j’étais installée – il y avait l’actrice Hélène désirable peut­être, m’a répondu. La porte du siteur et pianiste Gérard Jouannest, qui, dès En 1951, elle enregistre son premier album,
Duc, Pierre Riche, un comédien masqué, une paradis s’est entrouverte tout à coup… J’avais la fin de la carrière de Jacques Brel, dont il où figure Je suis comme je suis, une de ses
dame spécialiste de la lèpre, un monsieur tou­ trouvé une sorte de père, en tout cas un être était l’accompagnateur, et le compositeur, chansons fétiches (Prévert/Kosma). En 1954,
jours en costume et cravate qui habitait dans humain à réponse. [L’homme était le philo­ travaille avec elle, puis l’épouse. elle reçoit le Grand prix de la Sacem pour Je
un réduit sous l’escalier. Alors je me suis mise à sophe Maurice Merleau­Ponty. La question Mais Gréco ne se contentera jamais de hais les dimanches, une chanson de Charles
chanter Over the Rainbow, parce que la musi­ était : “Qu’est­ce que l’existentialisme ?”] Ma n’être qu’une personnalité. En 1949, un de Aznavour. A cette époque, l’existentialisme
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 disparitions | 23

gnée de jeunes talents (Orly Chap, Olivia


Ruiz, Adrienne Pauly, Miossec et Abd al Ma­
lik) pour l’écriture, et de Gérard Jouannest
au piano et Jean­Louis Matinier, à l’accor­
déon ; une formule en trio qu’elle a inaugu­
rée dans une série de concerts menés d’une
voix intacte, du Théâtre du Châtelet à celui
des Champs­Elysées.
En 2012 paraît Ça se traverse et c’est beau,
hymne aux ponts de Paris, ceux des poètes et
des jeunes gens pressés, les ponts des amou­
reux et des suicidés, une collection de
chansons écrites par des auteurs de prestige,
de Marie Nimier à Philippe Sollers, qu’elle
chante aussi en duo avec Melody Gardot,
Marc Lavoine ou Féfé.

Hommage à son ami Jacques Brel


En 2013, Juliette Gréco consacre un album à
son ami Jacques Brel (1929­1978), douze
titres drôlement arrangés par le pianiste
Bruno Fontaine avec Gérard Jouannest. De
Brel, elle disait alors avec son effronterie
habituelle : « Le salaud ! C’est épouvantable
ce qu’il dit. D’une logique, d’une lucidité, d’un
dépouillement, d’une mise à nu, d’une
cruauté ! J’ai compris pourquoi je l’aimais
tant : à cause de cette vision sans fioriture
aucune. Curieusement, Amsterdam est l’une
des chansons les plus tendres – “Ils ouvrent
leurs braguettes”, tant pis, youpi ! ; “Ça sent
la morue jusque dans le cœur des frites”, ça
va ; mais dans Ces gens­là, Le Tango funèbre,
tout est abominable ! »
En 2015, elle initie, en lâcheuse sublime, une
tournée intitulée « Merci », dont elle disait
qu’elle serait la dernière sans qu’on la croie
Juliette Greco, entourée par Boris Vian et la journaliste Anne­Marie Cazalis, félicite Duke Ellington, lors d’un gala vraiment. Au Printemps de Bourges, où elle
organisé en l’honneur du musicien américain, à Paris, le 19 juillet 1948. KEYSTONE-FRANCE avait lancé « Merci », la chaleur intense
régnant sur la scène l’avait mise K.­O. avant
qu’elle ne puisse chanter J’arrive, une chanson
de Brel qu’elle avait créée en scène en 1971,
A Montpellier, des rôles dans des films de qualité très inéga­ des musiques soyeuses et perverses. Com­ interpellation effrontée de la mort. En coulis­
en 1966. les, dont Les Racines du ciel, de John Huston, plice de la jeune génération (on l’a vue photo­ ses, après coup, elle était fumasse. Ce qui ne
ROGER PIC/ADOC-PHOTOS en 1958, et Drame dans un miroir (1960), de graphiée aux côtés du rappeur M.C. Solaar en l’empêcha en rien de poursuivre sa route.
Richard Fleischer, avec Orson Welles. couverture d’Actuel), comme en 2008 avec le Le 7 février 2016, elle fêtait triomphale­
L’aspect commercial des ambitions de celui slameur Abd al Malik, Juliette Gréco reprend ment son 89e anniversaire au Théâtre de la
qui est devenu son compagnon ne saurait son itinéraire d’icône. En grande comé­ Ville à Paris, après un concert d’exception
satisfaire Juliette Gréco. La rupture est inévi­ dienne, elle triomphe en 1999 à l’Odéon, un donné au Musée du Louvre devant la
table. Si on la revoit ensuite fréquemment au théâtre où elle avait toujours rêvé d’entrer par Victoire de Samothrace. Le 24 mars, elle est
cinéma, notamment dans La Nuit des géné­ « GRÉCO, CE BEAU la petite porte, celle du côté, celle des artistes. victime d’un AVC dans un hôtel à Lyon.
raux, d’Anatole Litvak (1966), ou Lily aime­ POISSON MAIGRE En 1998, Jean­Claude Carrière lui habille Un Privée de la parole, atteinte par le décès de sa
moi, de Maurice Dugowson (1975), c’est son jour d’été et quelques nuits, qui contient Une fille Laurence, et celui en mai 2018 de son
rôle de schizophrène mystérieuse dans ET NOIR, N’A PAS Nuit, un train, en référence au fascisme « tou­ époux Gérard Jouannest, Juliette Gréco
Belphégor, l’un des feuilletons les plus jours aux aguets », une chanson devenue lutta pour récupérer l’intense appétit de vie
célèbres de la télévision, diffusé à partir de BESOIN DE SAUCE pilier de son récital, avec Le Temps des Cerises qui l’a animée dès l’enfance.
1965, qui fera d’elle une vedette populaire. et J’arrive. En 2003, elle est servie par la jeune Qui était Gréco ? Une sorte d’animal, écri­
POUR PASSER. génération – Miossec, Benjamin Biolay – et vait François Mauriac dans son Bloc­notes :
Itinéraire d’icône GRÉCO FOURNIT des antimodèles (Gérard Manset) pour un « Gréco, ce beau poisson maigre et noir, n’a
Un an après une tentative de suicide, en sep­ album d’une très grande qualité, Aimez­vous pas besoin de sauce pour passer. Gréco fournit
tembre 1965, elle épouse l’acteur Michel ELLE­MÊME les uns les autres… ou bien disparaissez. Elle est elle­même les câpres ! Noire et blanche, c’est la
Piccoli. Elle renouvelle son répertoire de en grande forme artistique, mais sa santé est reine de la nuit. Son personnage est composé
chansons. Guy Béart (Il n’y a plus d’après), LES CÂPRES ! » faible : elle est cardiaque, est opérée d’un can­ avec une science qui ne doit rien au hasard.
Gainsbourg (Accordéon, La Javanaise), Pierre FRANÇOIS MAURIAC cer, s’évanouit sur un quai de gare, manque de Qu’elle est belle ! Et peut­être était­elle laide au
Mc Orlan (Le Pont du Nord, Tendres promes­ dans son « Bloc-notes » mourir dans une chambre de l’hôtel Lutetia à départ. C’est une statue d’ivoire et de jais.
ses). En 1961, elle chante à Bobino, l’année Paris, et donne des récitals d’une fabuleuse Même les pommettes, on dirait qu’elle les a
suivante à l’Olympia, et triomphe en 1966 énergie dans des salles de prestige (Théâtre elle­même modelées. Beaucoup de chanteu­
avec Brassens au TNP. En 1968, alors que la du Châtelet, Théâtre des Champs­Elysées), ses sont interchangeables. Gréco est le
France veut faire sa révolution, elle continue comme en rase campagne. Infatigable. chef­d’œuvre unique de Gréco. Elle ne sera ja­
la sienne en chantant Déshabillez­moi (Nyel/ Après un album enregistré à New York (Le mais prise pour une autre et aucune ne pourra
Verlor). Elle bâtit alors son répertoire sur des Temps d’une chanson), elle publie, en 2009, jamais l’imiter. » 
chansons qui deviendront des classiques, Je me souviens de tout, entourée d’une poi­ véronique mortaigne
signés d’auteurs­compositeurs comme Léo
est en train de perdre son aura sulfureuse. Ferré (Jolie Môme) ou Jacques Brel (J’arrive), et
En 1952, elle a débuté à New York dans la
revue April in Paris, au Waldorf Astoria. Puis
de poètes, Aragon, Desnos, Allais, Seghers,
Eluard : théâtrale et somptueusement sobre,
Le trac, un éternel compagnon
commence une longue tournée en France, jouant des mains et du rideau rouge, sil­
en vedette américaine de Robert Lamou­ houette pâle, frondeuse et têtue, affirmant la c’était le 7 février 2016. Juliette Mais ce 7 février, elle était en ainsi l’année précédente à la Fête de
reux. En 1954, elle est à l’Olympia. liberté du féminin. Juliette Gréco se trouvait Gréco fêtait ses 89 ans sur une grande forme et se souciait peu de L’Humanité. Gérard Jouannest lui
Tandis qu’elle chante, Juliette Gréco fait moche et s’est fait rectifier le nez, trois opéra­ scène parisienne qu’elle aimait ses 89 ans. Comme toujours, elle avait fait remarquer en riant que ce
aussi du cinéma. On la voit en 1949 dans tions symptomatiques, selon Bertrand depuis longtemps, le Théâtre de la craignait que la salle ne soit pas n’était pas le bon endroit pour prier.
Orphée, de Jean Cocteau, dans Au royaume Dicale « du goût ou de l’absence de goût qu’elle Ville. La veille, elle avait chanté au pleine – elle l’était, on avait refusé Elle avait répondu : « Je ne prie pas, je
des cieux, de Julien Duvivier, dans Sans laisser éprouve pour son apparence physique ». musée du Louvre, devant la du monde –, et elle avait son éter­ me concentre. » Pourtant, parfois,
d’adresse, de Jean­Paul Le Chanois. Mais elle Après avoir passé plus de trente ans chez Victoire de Samothrace, exac­ nel trac. Elle souscrivait au mot au théâtre, juste avant d’entrer,
obtient son premier vrai rôle dans un film de Philips, Juliette Gréco rejoint le label Barclay tement comme en 1953. qu’Edwige Feuillère répétait sou­ terrifiée, en scène, elle esquissait un
Jean­Pierre Melville, Quand tu liras cette let­ en 1972, alors que, cinq ans après un concert En soixante­sept ans de carrière vent : « Ceux qui n’ont pas le trac rapide signe de croix.
tre, en 1954, aux côtés de l’acteur Philippe mémorable donné à Berlin avec l’Orchestre elle avait connu des hauts et des n’ont aucune imagination. » Une anecdote dit tout de cette
Lemaire, qu’elle épouse quelque temps plus philharmonique où 60 000 fans se pressent, bas, mais depuis le début des peur qui ne la quittait pas. A l’Olym­
tard avant d’en divorcer en 1956. Elle tourne et d’innombrables tournées mondiales, sa années 1990, il n’y avait plus que Mains jointes, tête baissée pia, au début des années 1990
Elena et les hommes, de Jean Renoir, avec carrière semble s’étouffer en France. Après des hauts, des salles pleines, des Même ses rituels, ses petits talis­ – bien avant qu’elle n’accepte le
Ingrid Bergman et Jean Marais (1955), puis La un passage chez RCA Victor, puis chez Meys standing ovations à répétition. Elle mans – mini­ours en peluche, prompteur, qui était pour elle « un
Châtelaine du Liban, de Richard Pottier (1956), en 1982, elle intègre le label Phonogram était devenue un monument du objets donnés par des amis – soi­ effaceur de mémoire » –, elle avait eu
et L’Homme et l’enfant, de Raoul André (1956), (aujourd’hui Universal Music). Revenue à la patrimoine qu’il fallait venir voir gneusement alignés sur la table de un trou au milieu de la chanson de
fait du théâtre (Anastasia, de Marcelle scène à l’Espace Cardin en 1983, ces années avant qu’il ne soit trop tard. Elle maquillage, laissaient le trac intact. Jacques Brel, J’arrive, un dialogue
Maurette, 1955), chante à la Villa d’Este. 1980, branchées, sont des années noires s’en amusait : « Mais oui, je suis un Elle arrivait au théâtre toujours avec la mort. Ses musiciens lui
Repartie à New York pour une nouvelle pour Gréco en France, tandis qu’à l’étranger mythe, ou une mite, qui sait ? » vers 17 heures. Les très proches conseillaient de passer à la chanson
saison d’April in Paris, elle y triomphe en on l’érige en monument de la culture Elle allait entamer une longue avaient le droit de lui rendre visite. suivante. Elle avait refusé : « Je la re­
interprétant Prévert et Kosma, mais aussi française. Juliette Gréco prend du champ. tournée, la dernière, « pour dire Mais à 19 heures, tout le monde fais. » Au risque de s’arrêter au
Françoise Sagan (Le Jour, Sans vous aimer), En 1988, elle achète une maison à Rama­ merci et pour ne pas faire le concert dehors. Et porte fermée, elle atten­ même endroit. Non, elle avait
Francis Blanche, Charles Trenet. Alors que tuelle, se marie avec Gérard Jouannest. Trois de trop », qui devait la mener dait le moment d’entrée en scène. chanté la chanson en entier et toute
Guy Béart lui compose des chansons, elle ans plus tard, elle revient à l’Olympia. notamment au Japon, une fois de Derrière le rideau, pendant que la salle s’est levée pour l’applaudir.
tourne aux côtés d’Ava Gardner Le Soleil se En 1993, elle confie la réalisation de son plus – depuis longtemps, elle y Gérard Jouannest, son pianiste et Après le tour de chant, dans sa loge,
lève aussi, d’Henry King (1957), produit par nouvel album au parolier Etienne Roda­Gil. allait tous les ans et demi –, à Lon­ mari, jouait l’introduction, elle elle confiait : « C’était affreux, j’ai cru
Darryl Zanuck, pilier du cinéma hollywoo­ Gérard Jouannest, les Brésiliens Caetano dres, en Allemagne… La tournée a avait les mains jointes et la tête bais­ qu’ils s’en allaient. » 
dien, qui veut en faire une star en lui offrant Veloso et Joao Bosco, Julien Clerc, lui offrent été interrompue par la maladie. sée. Un photographe l’avait saisie josyane savigneau
0123
24 | disparitions VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Pierre Troisgros
Chef étoilé

A
vec son frère, Jean j’entrevoyais me convenait parfai­ Parmi les plats, préparés à l’ins­
Troisgros (1926­1983), tement. Ma mère rêvait pour moi tant avec des produits frais, qui
il avait formé un duo d’un autre métier de bouche, puis­ permettront à la maison d’être
qui avait fait de qu’elle voulait que je sois dentiste ! couronnée d’une troisième étoile
Roanne (Loire) l’un des pôles créa­ Les circonstances et la guerre en en 1968 : la pièce de bœuf au fleu­
tifs de la « nouvelle cuisine » et ont décidé autrement. » rie et à la moelle, le navarin de ho­
une destination­phare de la gas­ CAP en poche, les frères Trois­ mard aux petits légumes et l’iconi­
tronomie mondiale. Un peu plus gros s’en vont parfaire leur ap­ que escalope de saumon de Loire à
de deux ans après la disparition prentissage, souvent au même en­ l’oseille, créée en 1963. Pierre Trois­
de son vieux complice, Paul Bo­ droit. Pierre, qui passe à l’Hôtel du gros, en stage chez Maxim’s, dans
cuse (1926­2018), le chef Pierre Golf, à Etretat, à l’Hôtel d’Angle­ les années 1950, avait retenu la fa­
Troisgros est mort mercredi terre, à Saint­Jean­de­Luz, retrouve çon dont le chef Alex Humbert dé­
23 septembre, au Coteau, près de son frère au Pavillon d’Armenon­ coupait et aplatissait ses tranches
Roanne, à l’âge de 92 ans. ville, puis chez Lucas­Carton, à Pa­ de filet de saumon.
« Pierre Troisgros était un grand ris, où les Roannais croisent pour Précurseurs des cuissons rac­
cuisinier, mais aussi un humaniste la première fois la route de Paul courcies pour le poisson, les Roan­
d’une bonhomie et d’une simpli­ Bocuse. Ils retrouvent leur copain nais choisissent ainsi de saisir
cité campagnardes », nous confie lyonnais à Vienne (Isère), dans les – 20 secondes sur une face, 15 se­
Michel Guérard, inventeur de la cuisines de la Pyramide, où officie condes de l’autre –, dans une poêle
« grande cuisine minceur » et der­ le mythique Fernand Point, dont la antiadhésive, la large mais fine es­
nière figure de cette « bande à Bo­ sensibilité était proche de celle de calope , avant de la poser sur une
cuse » (les frères Haeberlin, Roger Jean­Baptiste Troisgros. réduction d’échalotes, de sancerre,
Vergé, Jacques Pic, Alain Chapel, de vermouth et de crème double,
Louis Outhier…), qui renouvela la Apparente simplicité dans laquelle s’évanouit une poi­
gastronomie française à l’époque Dans la préface de leur premier li­ gnée d’oseille. Voluptueusement
des « trentes glorieuses ». vre, Cuisiniers à Roanne (Robert acidulée, cette spécialité sera un tel
Né le 3 septembre 1928, à Chalon­ Laffont, 1977), Jean et Pierre Trois­ marqueur de l’époque que, dans
sur­Saône (Saône­et­Loire), le frère gros expliquaient comment leur les années 1980, la gare de Roanne
cadet de Jean déménage deux ans père avait été un précurseur anti­ sera repeinte à ses couleurs, rose
après à Roanne avec toute sa fa­ conformiste : « Il n’aimait pas les pour la charpente, vert pour les
mille. D’abord cafetiers à Chalon, fonds de sauce passe­partout que huisseries. Pour servir cette spé­
ses parents, Jean­Baptiste et Marie l’on utilisait alors dans les plus cialité, les Troisgros avaient fait fa­
Troisgros, viennent d’acheter grands restaurants et nous les fit briquer une assiette et une cuillère
l’Hôtel des Platanes, face à la gare supprimer ainsi que toutes les adaptées à ce plat. « Les Troisgros
de Roanne, rebaptisé Hôtel Mo­ liaisons à base de féculents. Il avaient plein d’idées pour les con­
derne lorsque les chambres béné­ n’aimait pas les plats terminés en fections culinaires, mais aussi pour
ficient enfin de l’eau chaude. Avec salle (…). Il n’aimait pas non plus les le service », rappelle Michel Gué­
le père en salle et la mère peaufi­ garnitures traditionnelles (…). Mais rard. « Ce sont eux qui, les premiers,
nant blanquette, jambon persillé il aimait les bons produits… » ont, par exemple, imposé le service
ou pieds de veau vinaigrette, l’éta­ Armés de ces principes et d’un à l’assiette ». Le chef trois étoiles
blissement jouit d’une excellente impressionnant bagage techni­ d’Eugénie­les­Bains (Landes) offi­
réputation dans la ville. que, les frangins cuisiniers, réqui­ ciait à l’époque dans un bistrot, Le
Après l’Occupation, Jean­Bap­ sitionnés par le papa en 1954, font Pot­au­feu, à Asnières (Hauts­de­ En 1990. SOULOY/SIPA
tiste Troisgros impose une ambi­ rapidement des étincelles dans Seine) : « Je m’étais déplacé à
tion culinaire à ses fils, pour qui une maison désormais rebaptisée Roanne pour leur demander la per­ 3 SEPTEMBRE 1928 Nais- mant un des talents les plus origi­ rique de Roanne (l’hôtel­restau­
cette voie tracée n’apparaît pas Les Frères Troisgros. Une première mission d’utiliser moi aussi ce prin­ sance à Chalon-sur-Saône naux de sa génération, ce dernier rant n’appartenait pas à la famille)
comme une contrainte. « Je n’ai ja­ étoile Michelin les récompense cipe de service à l’assiette. Ils 1955 Première étoile finira par prendre les commandes pour Ouches, à 8 kilomètres de là,
mais pensé à faire autre chose, con­ en 1955. Excellent saucier, Jean s’af­ avaient dû me trouver touchant, au « Michelin » pour des cuisines. En 1995, Pierre Trois­ dans une ancienne ferme­ma­
fiait Pierre Troisgros dans le Grand firme en maître des cuissons des car j’étais reparti avec un cadeau de Les Frères Troigros, gros tombe sa veste de cuisinier. noir, réaménagée par l’architecte
dictionnaire des cuisiniers et cuisi­ produits que Pierre sélectionne douze grandes assiettes. » à Roanne « Un jour, avec simplicité, Michel Patrick Bouchain, n’avait sans
nières (Page d’écriture, 2011), de avec un flair aiguisé. En 1965, un Inconditionnels de la maison, 1968 Troisième étoile m’a fait comprendre qu’il serait doute pas laissé insensible le pa­
Jean­François Mesplède. Le diman­ deuxième macaron célèbre une Gault et Millau la proclament, au « Michelin » bien que je m’éloigne. Tout s’est fait triarche. Mais on l’imaginait aussi
che midi, autour d’un poulet rôti et esthétique culinaire goûteuse, en 1972, « meilleur restaurant du 1995 Laisse les rênes naturellement et je suis parti en fier de ces trois étoiles préservées
de la purée, j’ai souvent écouté dont le tranchant, l’apparente sim­ monde ». La mort brutale de Jean de la maison Troisgros douceur et sans regret », expli­ depuis cinquante­deux ans, de
l’éloge que mon père faisait de cette plicité et les trouvailles allégées co­ Troisgros, en 1983, alors qu’il à son fils Michel quait­il, en minimisant sans la réussite de Michel, rejoints dé­
profession. Bien sûr, il y avait une fondent une « nouvelle cuisine » jouait au tennis, ne mettra pas fin 23 SEPTEMBRE 2020 Mort doute la douleur qu’avait été cette sormais par ses fils, César et Léo,
arrière­pensée de sa part, mais incarnée médiatiquement par leur à l’aventure familiale. Car Pierre au Coteau (Loire) mise à la retraite. Le déména­ incarnations d’une exemplaire
j’avoue que ces contacts avec les ami « Paulo des bords de Saône » demande alors à son fils, Michel gement, en 2017, de la maison transmission familiale. 
clients, cette liberté d’action que (trois étoiles la même année). Troisgros, de le rejoindre. Affir­ Troisgros, quittant son site histo­ stéphane davet

Pierre Nahon
Galeriste

L
es marchands d’art, rianne, il y montre que l’argent nard (Paris 4e). Les Nahon parient Au boom du marché succède
dit­on, se prennent tant au dominait l’art dans l’exercice de alors sur l’ouverture du Centre toutefois, en 1991, une crise fou­
sérieux qu’ils finissent par leur métier. Pompidou, programmée en 1977, droyante qui lamine nombre de
se croire supérieurs aux Pourtant, les souvenirs du mar­ qui métamorphose le quartier. galeries. Les Nahon sont trop
artistes et se parent des plumes du chand déclinés en trois volumes Leur style ? L’éclectisme. Dado, exaltés pour renoncer. En 1993,
paon. Cette arrogance (…) ne me aux éditions La Différence ne res­ Kudo (1935­1990), l’hyperréa­ ils achètent un château du
paraît pas tout à fait injustifiée. Ce semblent pas à un livre de comp­ lisme, mais aussi Georges Ma­ XIXe siècle, Notre­Dame­des­
n’est là qu’une façade, dont l’avan­ tes. Il n’y est pas question de prix thieu (1921­2012), Klossowski Fleurs, à Vence (Alpes­Mariti­
tage est de permettre à l’artiste de mais de valeur, artistique cela (1905­2001) et Wols (1913­1951)… mes). Une folie, alors que le mar­
travailler au calme. » Regard rieur, s’entend, et surtout d’amitiés. Leur profession de foi ? La ché est au plus bas : 1 000 m2 de
souvent moqueur, Pierre Nahon « Pierre était un homme fidèle et scène française. surface d’exposition ceinturés
n’était pas avare en aphorismes généreux avec les artistes », d’un parc de 3 hectares où seront
sur son métier, qu’il a décrit avec se souvient Martin Guesnet, di­ Arman et César installées des sculptures de Niki
une rare précision dans deux recteur Europe d’Arcturial, qui Arman (1928­2005), acheté chez de Saint Phalle ou d’Arman. L’his­
ouvrages, Les Marchands d’art en dirigea pendant onze ans sa gale­ leur confrère Daniel Templon, et toire leur donne raison : les col­
France. XIXe et XXe siècles (La Diffé­ rie à Vence. César (1921­1998) deviendront lectionneurs français s’y attar­
rence, 1998) et Pour la galerie les deux piliers de la galerie. dent, s’y fréquentent et cèdent à
(Plon, 1993). Défenseur fidèle de la Son style ? L’éclectisme En 2014. M. ROUGEMONT/OPALE/LEEMAGE « Les nouveaux réalistes, comme la tentation d’acheter.
scène française, des nouveaux Né le 30 décembre 1935 à Oran, d’autres mouvements majeurs, Mais le couple, au tournant des
réalistes à l’artiste singulier Dado en Algérie, Pierre Nahon se dé­ montrent le pop art et les nou­ traversaient une période difficile 70 ans, se dit lassé et remonte à
(1933­2010), le marchand est mort couvre très tôt un goût pour veaux réalistes, le couple est sé­ dans les années 1970, rappelle le Paris. En 2004, ils vendent une
le 10 septembre à Vence (Alpes­ le mouvement dada. A l’âge de 30 DÉCEMBRE 1935 duit, mais sans acheter. « On les galeriste Georges­Philippe Val­ partie du stock chez Sotheby’s
Maritimes), à l’âge de 84 ans. 15 ans seulement, il achète sa Naissance à Oran (Algérie) voyait, on les aimait, on savait lois, grand promoteur de ce pour 8,8 millions d’euros, gardant
« Il a la mauvaise réputation première œuvre, une aquarelle 1973 Ouverture de la Galerie qu’il s’agissait d’art… Mais on mouvement. Pierre et Marianne leur collection personnelle jus­
de n’être pas aimé », a dit de lui, de Picabia. Puis il fréquente assi­ Beaubourg, à Paris n’avait pas l’impression qu’on Nahon, avec Patrice Trigano, ont qu’en 2019, qu’ils cèdent alors
non sans tendresse, le critique dûment les galeries de Pierre 1993 Ouverture de la galerie pouvait les acheter », raconte su concilier ambition commer­ pour 13 millions d’euros. A Lamar­
d’art Bernard Lamarche­Vadel Loeb, Daniel Cordier, Sami Ta­ de Vence Pierre Nahon, dont on sent le re­ ciale, financière et artistique, pour che­Vadel, Pierre Nahon avait
(1949­2000) dans la revue Cimaise rica ou encore la galerie J de Jea­ 10 SEPTEMBRE 2020 Mort gret, dans L’Histoire de la galerie une génération d’artistes encore confié : « A la frontière des dimen­
en 1986. Le portrait qu’en fit ainsi nine Restany. à Vence (Alpes-Maritimes) Beaubourg (La Différence, 2009). dérangeants. » C’est seulement sions de mon affaire, il y a la vie,
le documentariste Jean­Luc Léon En 1960, il épouse Marianne En 1972, le couple saute le pas. dans la décennie 1980 que le ma famille, le temps de lire un ro­
dans Un marchand, des artistes et Bayet, son âme sœur et compa­ Adieu la pub, ils ouvrent un an couple réussira à les imposer man, d’être chez soi ; toute exten­
des collectionneurs, en 1996, fut gne de toute une vie. La publicité plus tard, avec Patrice Trigano, la comme des classiques, poussant sion de l’affaire serait au détriment
tout sauf flatteur : accompagnant est son travail, mais l’art reste sa galerie Beaubourg, d’abord rue parfois ces artistes à un surcroît de cette vie qui n’a pas de prix. » 
Pierre Nahon et sa femme, Ma­ passion. Dans les galeries qui Pierre­au­Lard, puis rue du Re­ de production. roxana azimi
CULTURE
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 | 25

Speranza
Scappucci,
une Romaine
au Capitole
Avec « Cosi fan tutte », la chef
d’orchestre dirige pour la première
fois au théâtre toulousain

MUSIQUE nie, la composition et l’histoire de


la musique. « A 19 ans, je me suis
toulouse ­ envoyée spéciale
présentée en piano à la Juilliard

E
lle aurait dû faire ses School de New York. Il y avait cinq
débuts dans la fosse de cents candidats pour vingt places.
l’Opéra de Paris en juin J’ai toujours la lettre d’acceptation,
pour la reprise du arrivée un mois plus tard. Et je re­
Rigoletto, de Verdi, mis en scène mercie mes parents. Ils étaient très Speranza Scappucci, à Milan, en 2018. SILVIA LELLI
par Claus Guth. Mais la baguette ouverts, ils m’ont laissée partir »,
de Speranza Scappucci a cessé de s’exclame­t­elle. Elle se rappelle
battre en mars. Pas moins de six ces « monstres du piano » qui n’ont t­elle. Il y a des traditions qu’il faut D’autant qu’elle connaît Concert au Théâtre + Cinéma,
productions d’opéra annulées en pas eu l’heur de la décourager. garder, d’autres non. » C’est ainsi
« La musique n’est Alexander Neef, le nouveau Scène nationale Grand
six mois. « Tout ce qui va arriver Déjà, ses amis chanteurs la solli­ qu’elle a débarrassé Tosca de l’em­ pas seulement patron de la « Grande Boutique » Narbonne, à Narbonne (Aude).
maintenant sera vécu comme un citent sur les partitions d’opéras phatique « rallentando » qui pa­ parisienne, pour qui elle a dirigé à Vendredi 25 septembre,
cadeau », souffle dans un sourire italiens : elle passe sans regret « de thétise le suicide final de l’hé­
un métier, c’est Toronto un Barbier de Séville à 20 heures.
la chef d’orchestre. Tombé du ciel soliste à chef de chant », travaillant roïne, enjoignant à ses musiciens aussi une passion. d’avant­Covid­19. N’a­t­elle pas en De 10 euros à 27 euros.
effectivement, ce Cosi fan tutte, d’emblée dans les plus grandes de respecter le « con slancio » outre reçu en prénom de baptême Cosi fan tutte, de Mozart.
de Mozart, mis en scène par Ivan maisons, au New York City Opera, (avec de la vitesse) noté par
Si je ne dirige pas, la vertu théologale de l’espérance ? Théâtre du Capitole,
Alexandre, qu’elle dirigera, du à Chicago, Santa Fé, puis au Metro­ Puccini. Cette fois, c’est la musi­ je ne brûle pas » « J’ai des rêves. Mais je vis ma vie au à Toulouse. Du 26 septembre
26 septembre au 11 octobre, au politan Opera, au Festival de Glyn­ que elle­même qui semble se pré­ jour le jour », confie­t­elle.  au 11 octobre.
SPERANZA SCAPPUCCI
Théâtre du Capitole à Toulouse, debourne, ainsi qu’à l’Opéra de cipiter dans le vide. marie­aude roux De 10 euros à 109 euros.
et qui a opportunément rem­ Vienne. C’est là qu’elle rencontre Speranza Scappucci était à
placé celui qu’elle devait diriger à en décembre 2005 Riccardo Muti. Liège, pour La Sonnambula, de
San Francisco. Le maestro vient de claquer la Bellini, vendredi 13 mars, quand
Une énergie solaire se dégage de porte de la Scala de Milan. Il dirige tout s’est arrêté. Elle a sauté dans
l’Italienne, dont l’abondante che­ Mozart et… Cosi fan tutte ! « J’étais un avion pour Vienne. Elle devait
velure botticellienne affiche les la seule Italienne dans l’équipe y diriger, fin mai, des Noces de Fi­
origines d’une mère piémontaise. viennoise et j’ai été désignée d’of­ garo pas encore annulées. Le con­
En cette fin de matinée du 11 sep­ fice pour travailler avec lui. On s’est finement l’a rattrapée. « Je me suis
tembre, la maestra Scappucci a tout de suite compris et entendus. » remise au piano et ça m’a fait du
quelque chose d’une guerrière an­ Suivent neuf ans de collabora­ bien, maximise la musicienne. J’ai
tique, que souligne la sobre tenue tion au Festival de Salzbourg, du­ aussi commencé à apprendre le
de répétition, liquette, legging rant lesquels la jeune femme suc­ russe en ligne, car je dois diriger un
noir et sneakers. Son français sou­ combe peu à peu à sa vocation. grand opéra russe l’année pro­
tenu a été perfectionné auprès de « J’ai vraiment débuté la direction chaine, à Liège. Et j’ai appris à cui­
l’Orchestre de l’Opéra royal de à 38 ans, raconte­t­elle. Tout le siner ! » Speranza Scappucci mon­
Wallonie­Liège, dont elle est di­ monde me poussait depuis pas tre avec fierté des photos prises
rectrice musicale depuis 2017, une mal de temps, mais je ne me sen­ sur son portable : carrot cake,
des rares femmes à la tête d’une tais pas prête. » La maestra n’a gnocchis au pesto, tourte aux épi­
grande maison d’opéra. Après jamais rencontré de sexisme nards. Sportive, passionnée de
plus de dix ans au piano comme quand elle était au piano, mais le football et fan de la Juventus de
chef de chant, la Romaine est fina­ fait d’être une femme n’est sûre­ Turin, elle a aussi pratiqué le jog­
lement passée à l’acte en 2012 ment pas anodin. Elle a d’ailleurs ging et le vélo.
avec des étudiants de la Yale toujours veillé à détourner l’at­
School of Music. Sur le pupitre, tention du public de sa personne Une période difficile
déjà Cosi fan tutte. physique. « Au début, c’était une Le sentiment d’une période diffi­
obsession. Je ne voulais pas qu’on cile demeure. « Le locked down
« Monstres du piano » parle de mes cheveux [elle les atta­ m’a appris à relativiser le stress lié
Rien n’a altéré la fièvre mozar­ che en une queue­de­cheval à mon mode de vie. Mais j’ai aussi
tienne de Speranza Scappucci : tressée à la manière des lipizzans touché du doigt à quel point la mu­
l’absence de chanteur italien dans de Vienne]. Cela ne veut pas dire sique n’est pas seulement un
la distribution toulousaine rend que je me sens moins féminine. » métier, c’est aussi une passion. Si je
encore plus fondamental le En peu d’années, sa carrière s’est ne dirige pas, je ne brûle pas », dit­
travail sur le texte. « Tous les réci­ envolée. Débuts très remarqués, elle, risquant la double allusion
tatifs des opéras de Mozart et de dès 2016, avec La Traviata et La physiologique et spirituelle.
son librettiste, Da Ponte, particu­ Cenerentola, de Rossini, au Comme nombre d’artistes, elle a
lièrement dans Cosi, possèdent Staatsoper de Vienne, première déploré que les gouvernements
plusieurs niveaux de lecture, no­ femme à diriger l’ouverture du aient mis si longtemps à s’intéres­
tamment des sous­entendus Wiener Opernball, en février 2017, ser à la culture. « Jusqu’en mai, per­
sexuels », explique­t­elle. Ainsi avant le triomphe de Don Pas­ sonne n’en parlait, comme si nos
lorsque les deux fiancés, fausse­ quale, de Donizetti, quelques métiers ne faisaient pas partie de
ment partis à la guerre, revien­ mois plus tard. Zurich, Liège, l’économie. La France a sans doute
Théma #37

Passion bleue
nent déguisés en Albanais auprès Rome, Turin, Dresde, Washing­ été l’un des pays les plus protec­
de leurs belles. « Les paroles poéti­ ton, partout, le charme opère. teurs, mais en Italie, on n’a payé
ques, la mélodie proche du mé­ Générosité, vivacité, énergie, personne. » C’est pourquoi elle a
lisme grégorien… Sous les “pa­ Speranza Scappucci sait ce qu’elle rejoint le projet Momentum,
pillons qui volettent”, une proposi­ veut. Ainsi ces mauvaises habitu­ lancé par sa consœur Barbara
tion très crue : “Voliamo” exprime des d’interprétation qu’elle en­ Hannigan. Une initiative pour
un désir “par devant et par tend combattre, à l’instar de aider des jeunes dont le début de
derrière” –, d’où la réaction vio­
lente des jeunes femmes. »
l’éthique Riccardo Muti. « La mu­
sique affirme une jouissance qui
carrière a été stoppé net. Speranza
Scappucci a déjà choisi son pro­
Toulon • 24 sept. — 19 déc.
L’Italienne dramaturge, qui vit ne doit pas trahir le goût, affirme­ tégé, un jeune chef italien qui a
entre Vienne et New York, est née à été son assistant à Yale. Elle le pré­
Films Expositions Installations Tables rondes Conférences Spectacles
Rome, il y a 47 ans. Un père rédac­ sentera au public liégeois et lui
Crédit photo : Yann Arthus-Bertrand

teur en chef à la Radio vaticane, donnera une partie de son cachet.


fou d’opéra, une mère professeure
Speranza La maestra s’est déjà produite en Infos et réservations Rejoignez-nous !
d’anglais au Liceo Mamiani, la pe­ Scappucci est France, à Nancy, à Saint­Denis, à 04 98 00 56 76 – 04 94 22 02 02
tite Speranza est la deuxième Lyon, à Bordeaux, à Paris (une chateauvallon-liberte.fr
d’une fratrie de quatre. A 4 ans, elle
la première version de concert de Maria
assiste aux cours de piano que femme à diriger Stuarda, de Donizetti, au Théâtre
Conception : trafik.fr

prend sa grande sœur, Gioia. des Champs­Elysées, le 6 décem­


L’aînée traîne des pieds, mais la
l’ouverture bre 2018), et maintenant à
petite joue d’oreille ce qu’elle en­ du « Wiener Toulouse. Avec l’Orchestre de
tend. Le conservatoire Santa Ceci­ l’Opéra de Paris, Speranza
lia de Rome s’impose. Speranza
Opernball », Scappucci ne cache pas que
Scappucci apprend aussi l’harmo­ en février 2017 d’autres rendez­vous se profilent.
0123
26 | culture VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

La collecte du chasseur­cueilleur Jean­Jacques Lebel


A Nantes, « Archipel » associe Duchamp, Artaud, les surréalistes et un goût prononcé pour la transgression

EXPOSITION voisin à Greenwich Village, il tra­


vaille à la première monogra­
commentaires de l’époque insis­
tent sur la frénésie et la violence
lée « Présenter l’irreprésenta­
ble ». Puis il s’est consacré à la
La légende révolutions) et les coups de cœur
(Artaud – « le bouleversement »,

U
n escalier à vis (vi­ phie (elle sera publiée en 1959) de ses toiles. transformation de sa collection raconte que affirme­t­il –, mais aussi Picabia
ces ?) et à double révo­ sur Marcel Duchamp. Dans son En 1960, avec le poète Alain (très) particulière en fonds de ou Brauner), il y a également,
lution (révolutions ?), entourage, d’autres surréalistes Jouffroy, il conçoit la première dotation, qui en fait un ensem­
Jean-Jacques beaucoup, les copains. Ceux du
chef­d’œuvre minia­ en exil, comme Max Ernst, An­ d’une série d’expositions surréa­ ble inaliénable (aujourd’hui un Lebel aurait sauté groupe Fluxus, comme Ben,
ture réalisé par un compagnon dré Masson, Isabelle et Patrick listes, mais à tendance révolu­ millier d’œuvres, dont environ Allan Kaprow et Yoko Ono, le
menuisier anonyme, mais qui fut Waldberg : le petit Jean­Jacques tionnaire, baptisée « Anti­pro­ 180 sont montrées ici), dont une
sur les genoux compagnon de route Alain Fleis­
offert par Picasso à Dora Maar : est élevé à leurs mamelles, et la cès », prônant l’insoumission à la présentation – la première, avant tant de Duchamp cher, Camilla Adami et ses nus
s’il fallait choisir un objet qui légende raconte qu’il aurait guerre d’Algérie. la création du fonds, fut organi­ somptueux. Et enfin Erro,
résume, peu ou prou, l’exposition sauté sur les genoux tant de Il récidive à Venise, puis à Mi­ sée en 2009 par La Maison
que de Breton auquel le lient soixante années
« Archipel », consacrée par le Duchamp que de Breton. lan. C’est dans cette dernière rouge, à Paris – avait déjà eu lieu de complicité et d’amitié vraie.
Musée d’arts de Nantes à la col­ ville qu’il réalise, avec Baj, à Nantes, en 2017.
lection réunie par l’artiste Jean­ Collection (très) particulière Crippa, Dova, Erro et Recalcati, le pas un jour voir la grande rétros­ Cauchemar de bourrelier
Jacques Lebel, ce serait celui­ci. De retour en France, le jeune Grand Tableau antifasciste col­ Ensembles monographiques pective qu’elle mérite –, un autre De Jean­Jacques Lebel lui­même,
Lebel, en chineur invétéré, han­ Jean­Jacques, 20 ans à peine, lectif. Saisie par la police ita­ L’exposition s’ouvre, dans le pa­ encore à Antonin Artaud, ma­ pas grand­chose. Enfin si, une
tant dès potron­minet les bro­ publie une revue (une affiche, en lienne, la toile de 30 m² fut remi­ tio du musée, sur un gigantesque nière de rappeler aussi l’amitié de œuvre, une seule – si on excepte
cantes et les vide­greniers du fait) intitulée Front unique, cosi­ sée à la préfecture de Milan, qui échafaudage, un peu comme le Lebel avec Gilles Deleuze et Félix un clin d’œil dans la salle consa­
monde entier, préfère parler de gne le tract « Hongrie, soleil la restitua vingt­quatre ans plus symbole d’une collection tou­ Guattari, comme son intérêt crée à Duchamp –, mais elle est
collecte plutôt que de collection : levant », que les surréalistes tard. Elle est aujourd’hui accro­ jours en chantier. Y sont accro­ pour l’antipsychiatrie… monumentale (pas loin de 3 mè­
il est sans doute un des derniers publient en 1956 pour protester chée à Nantes, en marge du par­ chées des œuvres, disposées Parmi les thèmes, on ne s’éton­ tres, déployée), une sculpture de
chasseurs­cueilleurs. contre l’invasion soviétique de cours de l’exposition. comme autant d’enseignes signa­ nera pas de trouver une salle – lanières de cuir entrelacées, en­
Né en 1936 à Paris, il a 4 ans Budapest, milite dans les mou­ Pourquoi Nantes ? Peut­être lant les salles attenantes, où déconseillée aux mineurs – con­ chevêtrées, cauchemar de bour­
quand ses parents, fuyant le na­ vements libertaires. L’année parce que la ville lui a toujours d’autres sont regroupées par thè­ sacrée à la sexualité, considérée relier ou rêve sadomasochiste,
zisme, se réfugient à New York, suivante, il fait sa première fait bon accueil : en 2014, avec mes ou par ensembles monogra­ sous ses aspects les plus, disons… qui projette au mur des ombres
en 1940. Son père, Robert (1901­ exposition à Paris, à la galerie Alain Fleischer et Danielle Schir­ phiques : l’un est consacré à Mar­ révolutionnaires. Lebel, on s’en de lianes, intitulée, en forme
1986), est critique d’art et un peu d’Iris Clert, l’égérie d’Yves Klein man, il avait monté, au Hangar à cel Duchamp, un autre à Isabelle souvient, avait organisé avec Vic­ d’hommage à Manet, Le Ruban
marchand. Ami de Breton, son et des nouveaux réalistes. Les bananes, une exposition intitu­ Waldberg – dont on ne détesterait toria Combalia, en 1999 à Barce­ au cou d’Olympia. On en con­
lone, une exposition entière sur clura qu’Olympia, selon Lebel, en
le sujet : intitulée « Jardin avait un gros.
d’Eros », elle explorait certes Mais, avant tout, c’est l’étendue
l’érotisme, mais surtout les des centres d’intérêt de Lebel –
transgressions et subversions qu’en France, où on aime les éti­
qu’il peut impliquer, dans la li­ quettes, on ne lui pardonne guère
gnée de Sade, auquel une œuvre – qui étonne : de Johann Heinrich
de Danielle Schirman, Les Méca­ Füssli (1741­1825) à Kader Attia, de

PRIX LITTÉRAIRE
nismes du plaisir. Un théâtre pour Gustav Klimt à Daniel Pomme­
la main, à la fois maquette et reulle, de Guillaume Apollinaire à
film, rend ici hommage. Jacques Villeglé, d’un objet reli­
On y retrouve aussi des témoi­ gieux sculpté dans les tranchées
gnages filmés des happenings de la première guerre mondiale
américains dont Lebel fut l’in­ par un poilu à partir d’une
troducteur en France (à l’Ameri­ douille d’obus à ce chef­d’œuvre
can Center, où il avait créé le de menuisier, dont il était ques­
Festival de la libre expression) tion plus tôt, l’exposition rend ici
avec, notamment, le mythique hommage à la fabrique du regard,
Meat Joy, réalisé en 1964 par comme à l’intelligence de la

2020
Carolee Schneemann avec, main. Et réciproquement, voire
parmi les participantes, Annina vice versa. 
Noseï, qui fut ensuite galeriste à harry bellet
New York et la première à repé­
rer un jeune artiste nommé Archipel. Fonds de dotation
Jean­Michel Basquiat. Epoque Jean­Jacques Lebel, au Musée
heureuse qui vit se développer d’arts de Nantes, 10, rue Georges­
des personnalités aussi libres, Clemenceau, Nantes. Du lundi
battantes et fantastiques. au dimanche, de 11 heures
Outre les hommages (Sade, Du­ à 19 heures, le jeudi de 11 heures
champ, les écrivains artistes – il à 21 heures. Jusqu’au 18 octobre.
y manque l’ami Jouffroy – et les Entrée de 4 à 8 euros. Catalogue
artistes poètes, dada et le surréa­ de l’exposition, éditions Silvana
lisme, l’inconscient – avec Ernst Editoriale, 294 p. 30 euros.
et Michaux –, les révoltes et les Museedartsdenantes.fr

HISTO IRE tembre, la maison de ventes


A Bristol, le Colston Hall Artcurial. Tous les lots ont été
devient le Bristol Beacon vendus. Il s’agissait de ma­
Une salle de spectacle répu­ nuscrits provenant de la suc­
tée de Bristol, qui portait le cession de Fred Mella, ténor
nom du marchand d’esclaves et soliste des Compagnons de
Edward Colston a été rebapti­ la chanson, mort en 2019, ami
sée, après des mois de con­ proche de Brassens. Les docu­
troverse sur les liens de la ments de la Supplique pour
ville de l’ouest de l’Angleterre être enterré à la plage de Sète
avec ce personnage. ont remporté le plus haut
Le Colston Hall est devenu le prix, à 54 600 euros, frais
Bristol Beacon (le « phare de inclus, soit plus de trente­six
Bristol »), après une consulta­ fois leur estimation. – (AFP.)
tion publique, ont annoncé,
mercredi 23 septembre, le MUS ÉES
maire de la ville, Marvin Rees, L’Athéna du Louvre
et la responsable du Bristol retrouve sa blancheur
Music Trust, Louise Mitchell, La « Pallas de Velletri », statue
qui a salué un « symbole d’Athéna qui avait fasciné
d’espoir ». Début juin, la sta­ Napoléon Bonaparte lors de
tue d’Edward Colston, qui la campagne d’Italie, a été res­
faisait controverse depuis des taurée au Louvre, retrouvant
années, avait été déboulon­ la blancheur étincelante de
née puis jetée à l’eau, lors son marbre à cristaux. De
de manifestations du mouve­ 3,05 mètres de hauteur, repré­
ment Black Lives Matter sentant la déesse avec le
Anne Carrière après le décès, fin mai, de
George Floyd, un Américain
casque et l’égide ornée de la
tête de la Gorgone, elle fait
noir tué par un policier aux face à la Vénus de Milo.
Etats­Unis. – (AFP.) Depuis sa restauration,
en 1992, la statue était encras­
VENTE sée. La surface a été nettoyée,
Des manuscrits les bouchages, altérés pour la
de Brassens adjugés plupart, ont été retouchés,
cinq fois leur estimation des fissures comblées.
Vingt­deux manuscrits origi­ Découverte près de Rome lors
naux de Georges Brassens de la campagne militaire
DIALOGUEZ AVEC FRANCESCA SERRA JEUDI 24 SEPTEMBRE ont été adjugés aux enchères française en 1797, elle est
pour un montant total de la réplique romaine datant
À 16 HEURES EN DIRECT SUR LEMONDE.FR/LIVRES 377 650 euros, frais inclus, soit du Ier siècle d’un original grec
cinq fois leur estimation glo­ en bronze créé autour
bale, a annoncé, mardi 22 sep­ de 430 avant J.­C. – (AFP.)
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 télévision | 27

L’Iran à travers les yeux d’une espionne VOTRE


SOIRÉE
TÉLÉ
La série « Téhéran » met en scène Tamar, une agente du Mossad aux identités multiples

APPLE TV+ VENDREDI 25 SEPTEMBRE


À LA DEMANDE
SÉRIE TF1
21.05 Koh-Lanta : les 4 Terres

Q
uels que soient le ter­ Jeu présenté par Denis Brogniart.
ritoire ou les circons­ Episode 5.
tances, il ne faut 23.30 Vendredi, tout est permis
jamais croiser son avec Arthur
chemin. Pourtant Divertissement présenté par Arthur.
Tamar (ou Shira, ou l’un ou l’autre
de ses alias) est une femme intelli­ France 2
gente, (parfois) drôle, belle aussi. 21.05 Candice Renoir
Mais, au fil des huit épisodes de la Série. Avec Cécile Bois, Raphaël
série d’espionnage israélienne Lenglet (Fr., 2019).
Téhéran, elle ne laisse dans son 22.55 Taratata 100 % live
sillage que mort et destruction. Divertissement présenté par Nagui.
On commencera, dès la première Avec Jane Birkin, Zucchero, Asaf
séquence du premier épisode, par Avidan, Grand Corps Malade…
un couple de jeunes routards qui
croyaient faire des économies en France 3
embarquant à Amman plutôt 21.05 300 chœurs chantent
qu’à Lod pour arriver jusqu’en Les Plus Belles Chansons
Inde. Mauvaise idée : une escale de Joe Dassin. Divertissement.
imprévue à Téhéran va gâcher Invités : Patrick Bruel, Louane, Axelle
leur quête spirituelle. Red, Patrick Fiori, Boulevard des Airs,
Tamar (Niv Sultan) est une Vincent Niclo, Chimène Badi,
agente du Mossad. Le service de Agustin Galiana…
renseignement israélien n’a pas 23.25 Laurent Gerra, le miroir
lésiné pour lui permettre de re­ de son époque
trouver son pays natal. Tamar est Documentaire de Léa Coyecques
aussi iranienne : enfant, elle a (Fr., 2017, 125 min).
suivi ses parents dans leur exil,
après la révolution, après la Canal+
guerre contre l’Irak. Niv Sultan dans le rôle de l’espionne israélo­iranienne Tamar. APPLE TV+ 21.00 Boxe
Il n’est jamais simple d’évoquer Réunion de Paris. En direct de Paris
une histoire d’espionnage. Com­ La Défense Arena : Estelle Yoka
ment faire l’éloge de l’architecture crate du renseignement. Si le nement quelque chose de la na­ officier iranien un tortionnaire Mossely-Aurélie Froment ;
du récit sans percer l’identité des jeune et séduisant hackeur Milad ture du régime en place. En atten­
« Téhéran » fragile, un mari aimant, mais Lyad Tormos-Nayan Deslion.
agents doubles ? Comment appré­ (Shervin Alenabi) se trouve pris dant, elles procurent à qui veut ra­ évoque un genre, aussi un pion dans un jeu dont il 22.15 Boxe
cier le jeu des acteurs sans mettre entre ces deux forces animées par conter un récit issu de l’histoire ne possède pas – contrairement à Tony Yoka-Johann Duhaupas.
en jeu ce qu’ils cachent et ce que le la raison d’Etat, c’est qu’il est dan­ de la République islamique un
les films ce qu’il croit – toutes les règles.
scénario les autorise à révéler ? gereux de vivre aux marges d’une étonnant réservoir d’acteurs. Les d’espionnage Il semble que Téhéran, malgré France 5
société régie par des principes producteurs de Téhéran ne sont son succès public, ait suscité en 20.50 La Maison France 5
Envoûtante brutalité aussi rigides que l’Etat iranien. pas les premiers à s’en apercevoir.
américains Israël quelques critiques relatives Magazine présenté
Pour éviter ces pièges, voici L’un des exploits à mettre au On retrouvera ici des visages vus des années à la vraisemblance des derniers par Stéphane Thebaut.
quelques généralités sur cette crédit de Téhéran est de donner à aussi bien dans Homeland (Shaun épisodes (en Iran, des organes de 22.20 Silence, ça pousse !
série d’une envoûtante brutalité. cette configuration – ici grossière­ Toub) que dans Le Bureau des
1960 et 1970 presse proches du régime se sont Magazine présenté par Stéphane
Elle s’appuie sur deux faits histo­ ment esquissée – une consis­ légendes (Shervin Alenabi), une indignés de sa seule existence). Marie et Carole Tolila.
riques avérés : la volonté inflexi­ tance. On se doute bien que les espèce d’internationale de la Cette embardée scénaristique, qui,
ble d’Israël d’empêcher l’Iran producteurs de la série, mandatés fiction d’espionnage, version acquis sa renommée internatio­ de fait, s’éloigne de la logique ini­ Arte
d’acquérir un arsenal nucléaire ; par une chaîne privée israélienne, farsi. Un scénario assez méticu­ nale grâce à Fauda, va jusqu’au tiale, embarque la série dans une 20.55 Commerce mortel
la nécessité pour le régime arrivé n’étaient pas en mesure de de­ leux dans ses observations sur bout des conséquences de ses autre dimension, celle de la tragé­ Téléfilm d’Urs Egger.
au pouvoir après le renverse­ mander des autorisations de l’Iran contemporain cristallise ces actions sur des gens ordinaires. die. On attend avec curiosité de Avec Corinna Harfouch, Florian
ment de la monarchie d’apparaî­ tournage au ministère de la moyens en une entreprise dont il Malgré l’extrême brutalité de cer­ savoir comment elle se déploiera Stetter (All., 2019, 110 min).
tre comme l’avant­garde de la culture et de l’orientation islami­ faut évoquer les fins. taines séquences (hélas pour les au long de la deuxième saison.  22.25 Janis
lutte contre le sionisme. que. Cette impossibilité a conduit Si Téhéran évoque un genre, victimes, Tamar n’est pas seule­ thomas sotinel Documentaire d’Amy Berg
Si Tamar se retrouve à Téhéran, les créateurs de la série à confier le c’est bien celui des films d’espion­ ment experte en krav maga), il y a (EU, 2015, 100 min).
c’est pour préparer une opération rôle de la capitale iranienne à nage américains des années 1960 quelque chose de pacifiste dans Téhéran, créée par Moshe
israélienne contre un site nu­ Athènes, à recourir à bon escient à et 1970, au moment où la convic­ cette histoire qui observe le bour­ Zonder, Dana Eden et Maor M6
cléaire iranien. Si Faraz (Shaun des stock­shots (des vues généri­ tion anticommuniste cédait le geonnement infini de la violence. Kohn. Avec Niv Sultan, Shaun 21.05 Bull
Toub) la poursuit, c’est un peu ques, vendues par des agences pas aux doutes nés de la dialecti­ Ces interrogations n’ont rien de Toub, Navid Negahban, Shervin Série. Avec Michael Weatherly,
grâce au hasard qui lui a fait spécialisées) et surtout à une que de la fin et des moyens. A théorique. Les acteurs sont là pour Alenabi, Liraz Charhi (Isr., 2020, Freddy Rodriguez (EU, 2019).
prendre conscience de sa pré­ distribution étonnante. chaque pas, et à chaque faux pas les ancrer dans une réalité hu­ 8 × 50 min). Trois épisodes 22.50 Bull
sence, et surtout en raison de son La masse et la diversité de la de sa formidable héroïne, le scé­ maine, à commencer par le formi­ diffusés le 25 septembre, Série. Avec Geneva Carr,
inflexible vocation de bureau­ diaspora iranienne disent certai­ nariste Moshe Zonder, qui a dable Shaun Toub, qui fait de son puis un épisode chaque vendredi. Chris Jackson (EU, 2018).

0123 est édité par la Société éditrice


HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société :

I. Entraîne dans la continuité et la


SUDOKU 99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
GRILLE N° 20 - 224
PAR PHILIPPE DUPUIS
poursuite. II. Echaufferas les cœurs et N°20­224 Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
les esprits. N’est plus dans le circuit. Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
III. Point décisif sur le tatami. Grat- 8 7 1 2 3 5 4 6 9

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 2 4 3 8 6 9 7 5 1 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71


tent et bouchent. IV. Dans les angles.
5 9 6 7 1 4 3 8 2 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
I
Vaches ou chameaux. Démonstratif. 5 9 6 5 4 7 8 1 2 3 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
V. Née du dérèglement climatique. 4 8 2 3 9 1 5 7 6 Par courrier électronique :
[email protected].
II Dans le pot. VI. Envoyées se faire 5 8 3 1 3 7 5 2 6 9 4 8
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
6 2 4 1 5 3 8 9 7
voir ailleurs. VII. Tous les associés en 7 1 8 9 4 2 6 3 5 Courrier des lecteurs
III
réduction. Trouveront toujours à re-
5 1 3 5 9 6 8 7 2 1 4 Par courrier électronique :
[email protected]
dire. VIII. Note. Tenue de maître. 3 6 2
IV Difficile
Frappe de façon inattendue. IX. En- Médiateur : [email protected]
Complétez toute la
V traîne vers la sortie. Ne manque pas 9 7 6 grille avec des chiffres
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
d’intérêt. X. Isoleras et enfermeras. allant de 1 à 9.
VI 8 4 5 6 Chaque chiffre ne doit Collection : Le Monde sur CD-ROM :
VERTICALEMENT CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
être utilisé qu’une
VII 1. Très familier, même s’ils sont 3 6 7 1 8 seule fois par ligne, Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60

incultes et grossiers. 2. Claire et pré- 7 6 2 5 par colonne et par La reproduction de tout article est interdite
VIII carré de neuf cases. sans l’accord de l’administration. Commission
cise. 3. Musique de la rue. Un vieillard paritaire des publications et agences de presse
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
dans les grandes eaux. Sur l’étiquette. n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
IX
4. Concis pour mieux frapper. Croix
X de Saint-Antoine. 5. Gros fumeur
européen. Roué hier, il fait rire au-
LE MOYEN-ORIENT
HORS-SÉRIE
jourd’hui. 6. Cale à l’atelier. Mettent Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
2020

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 223 l’ensemble en mouvement. 7. Ca- LE

MOYEN-ORIENT
EN CARTES
67-69, avenue
pable de redressement. 8. Facilite la Pierre-Mendès-France

CARTES
EN

75013 PARIS
HORIZONTALEMENT I. Productivité. II. Lésas. Emaner. III. Ultras. Il. Ie. pousse des pois. Pour tirer droit. Cité Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
IV. Réinsertions. V. Agée. Rias. Ti. VI. La. Savates. VII. Ite. Sinistré. d’Abraham. 9. Divine famille germa-
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
VIII. Sida. STO. IX. Toile. Enflée. X. Entêtassions. nique. Forme d’avoir. 10. Une capitale Un hors-série 93290 Tremblay-en-France
pour l’Empire assyrien. 11. Précède 124 pages - 12€ Montpellier (« Midi Libre »)
VERTICALEMENT 1. Pluraliste. 2. Relégation. 3. Ostie. Edit. 4. Darnes. Ale.
le genre quand il est bon. Partit sans Chez votre marchand de journaux
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
5. Usas. As. Et. 6. Servis. 7. Té. Riantes. 8. Imitations. 9. Valises. Fi. 10. In. et sur Lemonde.fr/boutique Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
but. 12. Leurs coups sont souvent des durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Stylo. 11. Teint. En. 12. Erésipèles.
coups de maître. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

20 - 224 daté vendredi 25 septembre.indd 1 14/09/20 12:13


IDÉES
0123
28 | VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

LA 5G À TOUT PRIX ?
Le gouvernement entend développer cette nouvelle technologie.
Trop rapidement, estiment certains, pour qui la marche vers le progrès
ne peut plus se faire sans évaluation ni concertation démocratique

Marceau Coupechoux
Derrière la 5G, un enjeu démocratique
Le professeur d’informatique observe que, européenne, la France a privatisé son Alors, Huawei nous espionne­t­il ? croître. Pour tenir les promesses, il est
opérateur historique et ouvert le mar­ A­t­il installé dans ses antennes ces prévu de déployer de nombreuses pe­
au­delà des questions techniques, il y a un défi à relever : ché à des concurrents. Les télécoms fameuses backdoors, des portes logi­ tites antennes dans les lieux publics,
reprendre le contrôle de technologies laissées devaient devenir un service commer­ cielles cachées qui lui permettraient dans les bâtiments, pour servir les uti­
cial comme les autres et toute la régu­ d’observer les données à distance et lisateurs au plus près. L’utilisation de
à la merci du marché et des rivalités géopolitiques lation du secteur être refondue à l’insu de l’opérateur ? Mais n’y a­t­il fréquences bien plus élevées qui se
pour assurer une concurrence « libre pas aussi des backdoors dans les rou­ propagent moins loin, mais offrent de

E
et non faussée ». Dans ce contexte, les teurs Cisco qui aiguillent le trafic In­ très haut débit, nécessite des puissan­
consommateurs bénéficient d’offres ternet mondial ? Au­delà des aspects ces de transmission et un nombre
n avril, des attaques contre départ pour répondre aux attentes de alléchantes et de smartphones der­ techniques, il convient de s’interro­ d’antennes accru par site. La 5G vien­
des pylônes de téléphonie secteurs aussi divers que la santé, les nier cri, mais des salariés souffrent et ger sur les conséquences de la libéra­ dra en outre se superposer aux ré­
mobile se sont multipliées transports ou l’énergie. Partout, des se suicident sur leur lieu de travail. lisation du marché des télécoms sur seaux existants, de la 2G à la 4G, tou­
au Royaume­Uni, des anten­ terminaux, des capteurs, des robots, A ce petit jeu, Huawei finit par la sécurité et la souveraineté natio­ jours en activité. A contrario, ce que
nes ont été dégradées ou in­ des véhicules, des drones communi­ avoir une longueur d’avance grâce nales. Comment ne pas affirmer la 5G pourrait apporter à la réduc­
cendiées. Selon certains, le queront par ondes radio pour amé­ au soutien de l’Etat chinois et à une l’impérieuse nécessité de reprendre tion de la consommation énergéti­
Covid­19 se propage grâce aux ondes liorer la productivité, développer de main­d’œuvre bien formée, en appa­ le contrôle démocratique et souve­ que d’autres secteurs reste à évaluer.
5G, dont les premiers déploiements nouveaux marchés et recueillir à des rence docile et peu coûteuse. rain de ces infrastructures essentiel­ On a en tout cas du mal à imaginer
ont commencé outre­Manche. Cette fins de publicité et de marketing les L’ouverture des frontières commer­ les pour nos vies ? comment le marché, soutenu par la
opinion n’est à ce jour fondée sur traces numériques laissées par les ciales aidant, l’entreprise de Shen­ publicité, pourrait nous inciter à une
aucune étude scientifique un tant consommateurs. Pas étonnant que zhen est devenue un mastodonte. Construire un avenir désirable nécessaire sobriété numérique, com­
soit peu sérieuse. Ce qui n’a pas em­ M. Macron puisse affirmer sans bar­ Elle fait la course en tête dans l’in­ Mais il n’y a pas que dans le domaine ment la course au profit pourrait nous
pêché le très légitime Institut natio­ guigner, après avoir pris les précau­ frastructure 5G et vient titiller le de la souveraineté que le marché a aider à distinguer collectivement les
nal de la santé et de la recherche mé­ tions d’usage sur la nécessaire péda­ géant américain Cisco sur le marché failli. La 5G est devenue le symbole usages socialement utiles. Il faut au
dicale de publier un communiqué de gogie à adopter, que « la France va des routeurs Internet. Alcatel, lui, a de ces nouvelles technologies dont contraire se réapproprier les usages de
presse démentant tout lien connu à prendre le tournant de la 5G ». été racheté et est en train d’être petit on ne sait plus très bien si elles nous la technologie, peut­être en réinven­
ce jour entre Covid­19 et ondes élec­ Circulez, il n’y a rien à voir. à petit démantelé par Nokia ; il a re­ sont réellement utiles, si elles ne tant un service public d’un type nou­
tromagnétiques. C’est dire à quel joint la liste des « champions » sacri­ causent pas plus de dégâts qu’elles veau, plus démocratique, associant ci­
point ces éruptions anti­5G sont pri­ Dérégulation des télécoms fiés sur l’autel de la théorie des avan­ n’en réparent. D’après le think tank toyens tirés au sort, chercheurs, syndi­
ses au sérieux par les organismes of­ Dans cette logique de compétition in­ tages comparatifs. The Shift Project, expert de la transi­ cats, associations environnementales
ficiels et les gouvernements. ternationale, il y a un pays qui a déjà tion, l’empreinte énergétique des et de consommateurs, afin que les en­
Si on ignore encore si le Covid­19 pris ce tournant, c’est la Chine. A la technologies de l’information s’ac­ jeux environnementaux et sociaux
nous a été transmis par la chauve­ charnière des années 2000, chez Alca­ croît de 9 % par an. L’explosion du puissent être pris en compte. L’enjeu
souris ou le pangolin, il ne fait en re­ tel, on raillait encore le nouveau venu trafic vidéo nécessite un accroisse­ n’est pas d’opposer la croissance et la
vanche pas de doute que la 5G est des constructeurs de télécom, le chi­ ment de la capacité des réseaux et de compétitivité à tout prix au mode de
d’origine humaine. Cela fait bien une nois Huawei. On moquait son retard, la production de serveurs. Pour bé­ vie amish, mais de construire démo­
dizaine d’années qu’ingénieurs et
chercheurs s’activent à définir ce que
on le soupçonnait à demi­mot de co­
pier les technologies occidentales.
IL FAUT SE néficier des avantages de la 5G, il
faudra bien changer son téléphone,
cratiquement un avenir désirable et
soutenable. Le défi est immense, mais,
sera la prochaine génération de télé­ Pourtant, le fleuron de l’industrie RÉAPPROPRIER même si celui­ci contient des mé­ pour le coup, la 5G représenterait un
phonie mobile. L’enjeu est de taille. française, lui, souffre déjà. Il n’a pas su taux rares extraits dans des condi­ véritable « tournant » par rapport à
Le consommateur sera gâté : il pourra anticiper le tournant de l’Internet, LES USAGES DE tions sociales et environnementales notre façon d’appréhender les nouvel­
télécharger un film HD en quelques même s’il a encore de bonnes posi­ déplorables à l’autre bout du monde. les technologies. 
secondes ; les films qu’il regardait en tions en téléphonie mobile. Il a sur­
LA TECHNOLOGIE, La 5G inclut certes des avancées per­
une qualité somme toute médiocre, il tout pris de plein fouet le mouvement PEUT-ÊTRE EN mettant de consommer moins
les visionnera en 8K ; il fera l’expé­ de libéralisation du secteur. d’énergie par unité d’information
rience du « temps réel » pour ses jeux La naissance de la téléphonie mo­ RÉINVENTANT transportée. Pourtant, c’est un effet
vidéo ou ses immersions dans la réa­ bile est en effet concomitante de rebond de grande ampleur qui se pré­
lité virtuelle. Mais ce n’est pas l’essen­ l’abandon pas à pas, depuis la fin des UN SERVICE PUBLIC pare. Car les nouveaux usages seront Marceau Coupechoux est
tiel. La 5G doit irriguer toute l’écono­ années 1980, de l’idée que les télé­ D’UN TYPE bien plus gourmands en débit, de telle professeur d’informatique
mie. Contrairement aux générations coms sont un service public, un bien sorte que la consommation énergéti­ à Télécom Paris et à l’Ecole
précédentes, la 5G a été conçue dès le commun. Sous l’impulsion de l’Union NOUVEAU que totale risque fortement de s’ac­ polytechnique

Quelques questions des qu’on ne pouvait pas « relever la com­


plexité des problèmes contemporains en
revenant à la lampe à huile ».
Comment s’assurer que les antennes­re­
lais et l’infrastructure de ce nouveau
réseau ne seront pas confiées à un équi­
moment des solutions beaucoup plus sa­
tisfaisantes sur le plan de la vie privée et
de l’efficacité. Les meilleures idées ne

« amish du numérique »
Nous ne sommes pas opposés par prin­ pementier américain ou chinois, au pré­ viennent pas forcément de l’Elysée ni des
cipe à la 5G. Nous souhaitons juste qu’un judice de notre souveraineté ? grandes organisations publiques ou pri­
débat ait lieu, que les Français soient trai­ Contrairement à ce que feint de croire vées. Est­ce qu’un peu plus de délibéra­
tés en adultes responsables, capables le président de la République, nous, tion collective sur le « modèle amish » ne

au président
d’entendre des arguments rationnels. « amish du numérique », ne récusons en serait pas nécessaire pour éviter à la 5G
Qu’il soit donc permis à quelques rien l’innovation, mais nous croyons à la le même fiasco ? 
« amish du numérique » de poser quel­ réflexion en commun, préalable à
ques questions. l’adoption d’une nouvelle technologie
qui engage la collectivité. Alors que
5G, StopCovid, même combat certains considèrent que toute innova­
Quatre anciens conseillers politiques et juristes, En quoi le déploiement de la 5G sera­t­il tion technologique est bonne par
plus efficace que celui de la 4G, alors que essence, nous nous demandons : est­ce Adrienne Brotons est ancienne
experts du numérique, demandent une « délibération de nombreuses zones du territoire natio­ que cette innovation va nous aider à conseillère numérique à l’Elysée
collective » pour que la 5G ne tourne pas au fiasco nal n’ont toujours même pas accès à un mieux vivre ensemble ou bien est­ce (2015-2017), membre de la Fondation
réseau mobile ? N’est­il pas légitime de de­ qu’elle risque de nous désunir ? Jean-Jaurès, membre du mouvement

L’
mander si le déploiement de la 5G ne ris­ Nous étions déjà taxés d’être des amish Engageons-nous ;
absence de stratégie visible de dé­ que pas de contribuer au réchauffement en avril, lorsque nous dénoncions l’ineffi­ Paul Christophle est ancien
veloppement pour le numérique climatique, en raison d’antennes qui con­ cacité prévisible de l’application StopCo­ conseiller numérique en cabinet
en France et en Europe devrait invi­ somment plus d’énergie et de millions vid. Selon les derniers chiffres de la direc­ ministériel (2015-2016) ;
ter à la modestie et à la prudence. de smartphones qu’il va falloir remplacer tion générale de la santé, l’application n’a Jean-Philippe Derosier est
Lundi 14 septembre, pourtant, devant les sans garantie de recyclage ? En quoi la 5G déclenché que 180 notifications, pour un constitutionnaliste, professeur de
acteurs de la French Tech réunis à l’Elysée, pourrait­elle soutenir nos industries et budget annuel annoncé entre 1,2 et 3,6 mil­ droit public, membre de l’Institut
Emmanuel Macron a affirmé sa volonté créer des emplois sur notre territoire lions d’euros, soit un coût situé entre 6 500 universitaire de France ;
d’un passage de la France à la techno­ alors que la France et l’Europe man­ et 20 000 euros par notification. C’est un Jean-Baptiste Soufron est avocat,
logie 5G. Ecartant toute objection, il a quent toujours cruellement d’acteurs échec stratégique et technique, alors que ancien secrétaire général du Conseil
stigmatisé le « modèle amish » ajoutant mondiaux dans les services numériques ? des entrepreneurs proposaient au même national du numérique (2012-2015)
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 idées | 29

Bruno Latour Le train du progrès


n’emprunte pas qu’une seule voie
L
e train du progrès a­t­il des Pour le philosophe, reprendre aujourd’hui le cliché possibles, en particulier à celles de l’his­
aiguillages ? Apparemment, pour toire des techniques, à toutes les pro­
notre président, il s’agit d’une d’une « voie unique » vers le progrès, c’est messes d’innovation, tous ces « mons­
voie unique. Si vous n’allez pas refuser de tirer les leçons de la crise climatique tres prometteurs » que les chercheurs et
tout droit, vous ne pouvez que « revenir les ingénieurs aiment à chérir et à faire
en arrière », ce qui veut dire « régres­ et de voir les ruines qu’elle laisse derrière elle proliférer, du moins quand on ne les
ser », et, comme il l’a récemment force pas à monter dans le train du pro­
affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile ». grès « sous peine de rester sur le quai ».
Que cet argument soit encore considéré On peut encore comprendre que cet
comme imparable, au moment même déconfiner tout à fait de cette idée verts » ne pèse jamais beaucoup. L’écolo­ inusable cliché ait pu servir avant la
où le monde brûle parce que le « train d’une voie unique vers le progrès. gie, c’est la suspicion générale portée sur crise climatique, au cours du XXe siècle,
du progrès » nous a menés au désastre, Progresser oui, mais dans toutes les toutes les décisions prétendument irré­ pour donner du courage à ceux qui
a quelque chose de désespérant. directions à la fois. Pas dans une seule. versibles pour permettre justement de allaient malgré tout de l’avant, mais
Jusqu’à quand va­t­on faire passer Le plus étonnant, c’est que ce cliché reculer devant leurs conséquences délé­ comment le répéter en septembre de
pour un mouvement irrésistible les dé­ sur la voie unique prouve à quel point le tères. Pouvoir revenir en arrière est donc l’année la plus chaude jamais enregis­
cisions prises par quelques centaines de président et les siens ont bien mal saisi essentiel pour profiter de l’expérience et trée, quand tout indique qu’il faut juste­
personnes en lieu et place des millions la crise climatique, tout en prétendant changer de trajectoire. Comment le faire ment apprendre à revenir sur une
d’autres directement concernées ? Le s’en occuper jour et nuit. Contraire­ si ne plus foncer en avant est aussitôt multitude de décisions toutes jugées en
président ferait bien de se renseigner un ment à ce qu’on veut nous faire croire, compris comme une régression ? Fau­ leur temps aussi « irréversibles » que
peu sur « le modèle amish » qu’il a cru l’écologie ne porte pas seulement sur drait­il cesser de vouloir apprendre ? « profitables » ? Surtout, comment le
bon de ridiculiser, car il a au moins l’agriculture, les forêts, les espèces Faudrait­il s’aveugler volontairement ? répéter quand tous les ennemis géopo­
l’avantage de faire discuter la commu­ menacées, elle est exactement aussi litiques de l’Europe se servent exacte­
nauté concernée sur l’ajout ou non de pertinente pour parler des villes, des Inusable cliché ment de cet argument pour limiter
telle ou telle innovation. Mais la lecture industries, des circuits commerciaux, Il y a dans cette panique devant le risque l’éventail des possibles à quelques choix
du livre Agir dans un monde incertain, des innovations les plus pointues. de régression une vraie dimension supposés « décisifs » et « irréversibles »
de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Ce n’est pas un domaine particulier psychosociale qu’il faut essayer de cer­ qui leur permettront de dominer par
Yannick Barthe (Seuil, 2001), lui aurait qu’il faudrait mettre en balance avec le ner. Tout se passe comme si les tenants un effet de cliquet qui rendra impossi­
montré que l’une des règles pour développement économique, en cou­ de ce cliché progressiste ne voyaient der­ ble de revenir dessus ? Ceux qui
survivre – et non pas seulement rant le danger que ce panier de « trucs rière eux que le vide. Et c’est vrai qu’ils aujourd’hui peuvent vibrer à ce cri
progresser –, c’est de faire buissonner les ont fait le vide en imitant ces conqué­ d’« En avant ou la mort ! » ne sont sûre­
innovations au maximum et de les rants qui ont brûlé leurs vaisseaux der­ ment pas des gens recommandables.
discuter toutes avec soin. C’est à cela que rière eux pour ne plus être tentés de A force de continuer comme si le train
se juge la qualité d’une civilisation. revenir en arrière. Courageux, héroïque du progrès n’avait qu’une seule voie,
même, mais stupide quand ils se privent ces gens­là vont finir par nous faire
Suspicion générale ainsi de pouvoir changer de trajectoire vivre pour de vrai dans des caves éclai­
Il est d’autant plus extraordinaire de
voir ressusciter ce vieux cliché d’avant
CEUX QUI en cas d’échec patent. S’ils sont obligés
de reprendre ce cliché de l’inévitable ré­
rées à la bougie – et c’est alors que nous
regretterons « le modèle amish » autant
la crise du Covid­19, alors que, depuis AUJOURD’HUI gression chaque fois qu’on les conteste, que « la lampe à huile ». 
six mois, tous les Français se deman­ c’est parce qu’ils ont décidé d’ignorer les
dent au contraire s’ils ne pourraient pas PEUVENT VIBRER conséquences de leurs actions.
se désintriquer de l’irréversible train du Le vide n’est donc pas chez ceux qu’ils
progrès. Au moment même où chacun
À CE CRI accusent de « retourner à la bougie »,
d’entre eux se met à comprendre que D’« EN AVANT mais il est en eux : quand ils se tournent
chaque médicament, chaque aliment, vers le passé, ils n’y voient rien que des Bruno Latour est philosophe et
chaque habit, chaque moyen de trans­ OU LA MORT ! » ruines – avec peut­être, dans une caisse anthropologue des sciences. Il a no-
port fait l’objet d’une vive controverse défoncée laissée sur le rivage, des bou­ tamment écrit « Les Microbes. Guerre
et offre des marges de manœuvre qui NE SONT SÛREMENT gies et une lampe à huile ! Mais ceux et paix », suivi de « Irréductions »
permettent de bel et bien « renverser » PAS DES GENS qu’ils croient ainsi flétrir et paralyser ne (Métailié, 1984) et « Où atterrir ?
ce qui paraissait inévitable. Si le confi­ sont pas aussi démunis qu’ils le pen­ Comment s’orienter en politique »
nement a eu un effet, c’est de nous RECOMMANDABLES sent. Ils s’éclairent à toutes les lumières (La Découverte, 2017)

Philip Meissner L’Europe ne doit pas avoir peur de l’avenir


Pour le professeur de stratégie, l’Europe comme le rêve américain, il s’agit la promesse d’un avenir meilleur, la nues les plus grandes entreprises et d’avenir. Sans vision, comment sus­
d’une éthique nationale. L’Améri­ promesse du progrès, d’un rêve l’épine dorsale des économies du citer l’émotion et l’adhésion que de­
ne peut qu’être distancée par la Chine que s’est épanouie et a attiré les européen. Nous devons arrêter de pays. Mais l’Europe ne semble pas mandent les grands projets com­
et les Etats­Unis si elle n’adhère plus meilleurs et les plus brillants élé­ gonfler les prix de l’immobilier et en mesure de tenir le rythme. Tou­ muns ? Personne ne regardera le
ments du monde entier sur la base commencer à investir dans l’avenir. tes les entreprises de l’Euro Stoxx lancement en livestream du cloud
à l’idée de progrès technique de ce rêve : une vision de liberté, de Où est la grande idée pour l’avenir 50 réunies valent à peu près autant européen Gaia­X, quand des mil­
mobilité sociale ascendante et la de l’Europe et la stratégie pour la qu’Apple et Amazon. En Allemagne, lions de personnes ont assisté au
promesse que chacun peut y arri­ mettre en œuvre ? l’âge moyen des cinq plus grandes lancement de la première mission

T
ver s’il travaille dur. Aux Etats­Unis et en Chine, la voie entreprises est de 114 ans, en Chine habitée de Space X vers la station
rop souvent, l’Union euro­ à suivre semble claire. Elle est cen­ il zqr de 34 ans et aux Etats­Unis de spatiale internationale. 325 000 per­
péenne se contente de séan­ « It’s the economy, stupid ! » trée sur la technologie et son poten­ 30 ans. L’Europe ne semble pas se sonnes ont précommandé la nou­
ces nocturnes qui aboutis­ Qu’en est­il de l’Europe ? L’ouver­ tiel pour améliorer la vie et la ri­ renouveler à la même vitesse que velle Tesla Model 3 lors de son an­
sent à un compromis mini­ ture des frontières ne semble plus chesse de leurs citoyens. D’ancien­ d’autres pays ou régions. nonce en 2016. Quel est le rapport
mal. L’Europe est perçue comme suffire aux citoyens. Sur tout le nes start­up, comme Alibaba, avec le rêve européen ? Les gens
stagnante à une époque où les gens continent, nous assistons à une Tencent, Google et Tesla, sont deve­ Approche disparate aiment le progrès. Les gens aiment
veulent progresser. Quel est l’idéal montée du populisme et de l’eur­ Dans le cadre d’un récent projet du les idées audacieuses. Les gens
européen, la vision en laquelle nous oscepticisme. Mais pourquoi ? Centre européen pour la compé­ aiment voir les idées devenir réalité.
pouvons croire ? Comment l’Europe Quand on regarde les faits, nous titivité numérique, nous avons Les gens aiment être inspirés et se
offrira­t­elle des opportunités, de la avons tous les ingrédients pour analysé les stratégies et projets sentir partie intégrante de quelque
liberté, du progrès et un meilleur construire un grand avenir. L’Eu­ numériques lancés par les vingt­sept chose de plus grand qu’eux. Ce sont
avenir à ses citoyens ? Il est temps rope est le foyer d’entrepreneurs et chefs d’Etat et de gouvernement les ingrédients du rêve européen.
de renouer avec le rêve européen. de scientifiques passionnés, la Ban­ AUX ÉTATS-UNIS européens. Les résultats ont montré Ce dont l’Europe a besoin, c’est
« Net City » est le nom d’un projet
du géant chinois de l’Internet Ten­
que centrale européenne a élargi sa
politique monétaire bazooka et,
ET EN CHINE, LA VOIE qu’il n’y avait pas de stratégie unifiée
autour des technologies numéri­
d’une vision à laquelle tout le
monde peut croire, qui mobilise et
cent. A Shenzhen, Tencent veut cette fois­ci, elle est soutenue par À SUIVRE SEMBLE ques en Europe. Au contraire, motive les gens, qui libère l’énergie
construire un nouveau campus des investissements budgétaires chaque chef d’Etat ou de gouver­ de 450 millions de personnes et
technologique pour ses employés. massifs sur tout le continent. En CLAIRE. ELLE EST nement avait ses propres motiva­ l’oriente vers une promesse simple :
Il aura la taille de Manhattan. L’en­ outre, l’Europe est guidée par des tions et projets. Certains, comme la le progrès. 
vergure du projet et son ambition valeurs de liberté, de démocratie, de
CENTRÉE SUR chancelière Angela Merkel, se sont
surprennent, tout comme ce qu’il durabilité et d’Etat de droit. Alors LA TECHNOLOGIE concentrés sur la 5G, tandis que le
représente : le progrès et une vie pourquoi est­il si difficile pour de président Emmanuel Macron a mis
meilleure. C’est un parfait exemple nombreux Européens de croire en ET SON POTENTIEL l’accent sur l’intelligence artificielle
du « rêve chinois » que le président l’Europe ? et l’entrepreneuriat.
Xi Jinping a présenté à la Chine Je répondrai à cette question en POUR AMÉLIORER Le problème de cette approche Philip Meissner est professeur
en 2012. Le rêve chinois porte la citant le conseiller de campagne de LA VIE ET LA RICHESSE disparate est que l’absence de vi­ de stratégie et directeur du
vision d’une nation revitalisée et Bill Clinton, James Carville : « It’s the sion unique empêchera la création Centre européen pour la compéti-
une promesse de progrès. Tout economy, stupid ! » J’entends par là DE LEURS CITOYENS et la mise en œuvre de projets tivité numérique à l’ESCP
30 | carnet 0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020

Claude, Neuilly-sur-Seine.

Yvette Taborin Le Carnet


son mari,
Fabienne et Florent,
ses jumeaux,
Myriam,
La famille de

M. Claude MOISY,
journaliste,
Débat

Archéologue
sa sœur,
Les familles Gallaire et Bourega, écrivain,
ancien président de l’AFP,
Merci de nous adresser ont l’immense douleur de faire part chevalier
du décès le 15 septembre 2020, de l’ordre du Mérite agricole,
vos demandes à l’âge de soixante-seize ans, de chevalier de la Légion d’honneur,

par mail en précisant Fatima GALLAIRE, a la douleur d’annoncer son décès, Le grand débat
née BOUREGA, survenu à Courbevoie, de la Chaire TDTE
dramaturge et femme de lettres. le lundi 21 septembre 2020,
impérativement à l’âge de quatre-vingt-treize ans le 30 septembre 2020,
Un hommage a eu lieu ce jeudi à partir de 17 heures
votre numéro de 24 septembre, à 14 h 30, en la salle Il a rejoint sa chère épouse.
« Comment faire face aux défis
Mauméjean du cimetière du Père- de la dépendance ? »
téléphone personnel, Lachaise, Paris 20e et sera suivi de Au vu de la situation sanitaire, les
l’inhumation à 16 h 30, au cimetière obsèques sont restreintes au cercle Interventions de
votre nom et prénom, parisien d’Ivry. familial. François-Xavier Albouy,
Thierry Beaudet,
Jean-Hervé Lorenzi,
adresse postale Mme Thu-Trang Gaspard, Ses amis,
Florence Lustman,
son épouse, Pierre Mayeur,
Ses enfants, ont la douleur de faire part du décès
et votre éventuelle Sa belle-fille, ses beaux-fils, de
Marie-Anne Montchamp,
André Renaudin,
Ses petits-enfants, Alain Villemeur.
référence d’abonnement. Jean-Pierre POPHILLAT
ont le chagrin de faire part du décès de Débat non ouvert au public
artiste peintre, Retransmission à partir
L’équipe du Carnet Marcel GASPARD, prix de la Casa Velasquez, de l’Hôtel de l’Industrie
professeur émérite Inscription : www.tdte.fr
reviendra vers vous à l’université René-Descartes-Paris V, survenu le 19 septembre 2020.
attaché au Muséum,
dans les meilleurs délais. praticien des Hôpitaux de Paris Une messe sera célébrée en Remerciements
(AP-HP), l’église Saint-Roch, 296, rue Saint-
lauréat de l’Académie nationale Honoré, Paris 1er, à 10 h 30, le mardi
de médecine, Prix Testut, 29 septembre.
[email protected] docteur ès sciences, docteur en
biologie humaine, docteur en Aix-Marseille Université A l’occasion du 50e anniversaire
chirurgie dentaire et en sciences de la Fondation Claude Pompidou,
AU CARNET DU «MONDE» odontologiques, son président
rend hommage à
docteur en sciences économiques le professeur Alain Pompidou
(SP. économie politique de la santé), M. Guy POUZARD, remercie chaleureusement
Mariage toutes celles et ceux qui,
président
survenu à Cahors, le 18 août 2020, de l’université d’Aix-Marseille 1 par leurs dons,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans de 1981 à 1987, leur bénévolat ou leur legs
COLLECTION PARTICULIÈRE Claude Isabelle Gabrielle rendent possible
GIRAUD La cérémonie religieuse sera
officier
cette belle aventure du cœur
et de l’ordre national du Mérite, et de la solidarité en faveur
John Preston D’EYE célébrée le 28 septembre, à 10 h 30, vice-président
en l’église Saint-Hippolyte, 27, avenue des personnes âgées,
ont l’immense bonheur de faire part de la conférence des présidents

P
rofesseure d’archéolo­ 16 MAI 1929 Naissance à Paris de Choisy, Paris 13e. des personnes en situation
de leur mariage qui aura lieu le d’université. de handicap
gie préhistorique à l’uni­ 1970 Enseignante à Paris-I samedi 17 octobre 2020, à la mairie et des malades d’Alzheimer.
de Pluduno (Côtes d’Armor). Cet avis tient lieu de faire-part. Il fut recteur de Limoges en 1991
versité Paris­I, où elle 1972 Début des fouilles
commença à enseigner à Etiolles (Essonne) et inspecteur général de l’Education Fondation Claude Pompidou,
Cent-cinquante ans à nous deux. [email protected] nationale en 1993. 42, rue du Louvre,
en 1970, Yvette Taborin est morte 1993 « La Parure en 75001 Paris.
le 8 septembre à Paris, à l’âge de coquillages au paléolithique » « Il me reste si peu de temps Tél. : 01 40 13 75 00.
Pour aller au bout de moi-même Boris Melmoux et Niels Gaubert, www.fondationclaudepompidou.fr
91 ans. Ayant commencé ses étu­ 1998 « Les Sociétés Et pour crier Dieu que je t’aime Christian GIRARD, s’associant à
des universitaires par le droit, elle de la préhistoire » Je t’aime tant, je t’aime tant. » amoureux de la liberté, Ses parents,
s’orienta ensuite vers l’ethnologie 8 SEPTEMBRE 2020 Mort Louis Aragon. Je t’aime tant. égoïste heureux, Sa sœur, Communications diverses
à une époque où les parcours à Paris Ses amis
est mort lundi 21 septembre 2020, Et collègues, Société des employés,
n’étaient pas tous balisés. Ce fut Décès à presque soixante-dix-neuf ans face Société des cadres du « Monde »
alors la rencontre en 1965 avec à la mer. ont l’immense tristesse de faire part et Association du personnel
André Leroi­Gourhan, qui tentait Sophie Gay Anger, de VM Magazines.
son épouse, du décès de
d’élargir cette discipline à la pré­ temps préhistoriques (éd. La Mai­ Léa-Marie et Jean-Baptiste Anger, Mme Maryse Le Doré,
née Gautier, Lucile ROMANELLO, La société des employés du Monde
histoire, exerçant son magistère à son des roches). ses enfants, (SDEM),
Lisiane et Jean Anger, son épouse, docteur en économie,
la Sorbonne puis au Collège de Cette passion pour les plus Sciences Po 2009, la société des cadres du Monde (SCM)
ses parents Erwan et Karine Le Doré,
France. L’école qu’il fonda – vieilles expressions symboliques et l’association du personnel
Et toute sa famille, Yann Le Doré,
de VM Magazines
l’équipe de recherche d’ethnolo­ et la syntaxe qui seule en subsiste Anne Le Doré-Gougeon, survenu le 21 septembre 2020,
gie préhistorique notamment – s’incarnait dans ses cours à Pa­ ont la douleur de faire part du décès ses enfants, à l’âge de trente-trois ans. ont décidé de réunir conjointement
de Camille, Antoine, Baptiste, leurs associés
trouva en Yvette Taborin une mi­ ris­I, en particulier ceux sur les ses petits-enfants La cérémonie aura lieu dans en assemblée générale ordinaire
litante charismatique. arts du paléolithique, qui mar­ Benoit ANGER, Et toute la famille, l’intimité à Viriat (Ain) le vendredi en visioconférence
Après des décennies de fouilles quèrent des générations d’étu­ 25 septembre. et au siège du journal,
approximatives et d’études classi­ diants. Plusieurs qui devinrent survenu le 20 septembre 2020, ont la tristesse de faire part du décès 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
à l’âge de quarante-neuf ans. de Elle sera suivie d’un hommage, Paris 13e,
ficatoires inspirées des sciences des cadres de l’archéologie disent
à Paris.
naturelles, Leroi­Gourhan avait avoir choisi leur voie en suivant Ses obsèques seront célébrées M. Jean-Yves LE DORÉ, jeudi 1er octobre 2020,
dessiné les contours d’un pro­ son cours de première année. le mardi 29 septembre, à 14 h 30, à 14 heures.
en l’église Notre-Dame de Versailles. survenu le 20 septembre 2020,
gramme neuf, suffisamment gé­ Sa façon socratique de révéler
dans sa quatre-vingt-unième année. Marcel TRILLAT Ordre du jour :
néral et rigoureux pour qu’il de­ les talents et sa propre curiosité Famille Gay Anger,
meure d’actualité. Les chasseurs­ expliquent par ailleurs l’éclec­ 2, rue de l’Abbé-de-l’Epée, La cérémonie religieuse a été nous quittait, le 18 septembre 2020. • Lecture du rapport
cueilleurs du paléolithique y sont tisme des recherches qu’elle diri­ 78000 Versailles. célébrée ce jeudi 24 septembre, du conseil de gérance,
à 14 h 30, en l’église de Brillac, Un hommage lui sera rendu le • Approbation des comptes
au centre, avec leurs habitats, gea. De la sorte, elle incita à des à Sarzeau (Morbihan), suivie de mardi 29 septembre, à 13 h 30, en la
Jean-François Bloch-Lainé, au 31 décembre 2019,
leurs activités quotidiennes et travaux pionniers sur les interac­ l’inhumation au cimetière. salle de la coupole, du crématorium du • Changement du siège social,
son époux, cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
leurs rites, ce qui paraît tomber tions entre les sociétés humaines Emmanuel Bloch-Lainé, • Mouvements de cogérants
sous le sens désormais, mais ce et les environnements si chan­ Olivia Bloch-Lainé, Condoléances : pour la SCM et la SDEM,
[email protected] Au regard des mesures sanitaires, • Questions diverses.
qui supposait au préalable que geants au cours de la préhistoire. ses enfants, nous sommes au regret de devoir
Nils et Max, limiter et réserver les places à
l’on s’en donne les moyens (par De même, elle encouragea l’essor ses petits-enfants, Jean-Noël, Jean-Christophe, Sonia, l’intérieur.
des fouilles et analyses méthodi­ que connut dans les années 1990 David et Véronique,
ques comme celles que Leroi­ l’étude raisonnée des techniques ont la très grande tristesse de faire part ses enfants, La cérémonie sera retransmise
du décès de sur l’esplanade où chacun(e) sera
Gourhan amorça en 1964 sur le préhistoriques avec, à ses côtés, leurs conjoints
site magdalénien de Pincevent, Nicole Pigeot, autre enseignante Et ses quinze petits-enfants, bienvenu(e).
Francine BLOCH-LAINÉ,
en Seine­et­Marne). d’exception disparue il y a un an. née DELAHAYE, Catherine Dehaut et Julien Trillat
ont la tristesse de faire part du décès
C’est avec elle auparavant, et de avec la famille et les proches.
survenu le 17 septembre 2020,
Connaissances encyclopédiques aussi avec Monique Olive, l’une et à Paris, (Le Monde du 24 septembre.) Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Yvette Taborin prit sa part active l’autre étudiantes, qu’Yvette Tabo­ à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Jeannine MARZO,
dans cette révolution méthodolo­ rin lança en 1972 des fouilles à née RAMBACH. Les familles Woodrow, Taylor, Les bénévoles de SOS Amitié
Une cérémonie aura lieu dans Martel, Carrega écoutent
gique que l’on peut considérer, Etiolles (Essonne). On dit parfois l’intimité le samedi 26 septembre, par téléphone et/ou par internet
Elle s’est éteinte après une longue et leurs enfants,
avec le recul, comme l’avènement que ce gisement en bord de Seine à 11 h 15, en l’église Notre-Dame- vie d’engagement et de solidarité, Iyassu Bereket, ceux qui souffrent de solitude,
d’une « nouvelle préhistoire » en recèle un « Pompéi de la préhis­ du-Perpétuel-Secours, 55, boulevard le 20 septembre 2020, à l’âge de Tous ses amis, de mal-être et peuvent avoir
parallèle du renouveau général toire » vu l’exceptionnelle fossili­ de Menilmontant, Paris 11e. quatre-vingt-seize ans. des pensées suicidaires.
des sciences historiques, désor­ sation, là­bas comme à Pincevent, ont la tristesse de faire part du décès,
L’inhumation aura lieu au cimetière survenu le 10 septembre 2020, Nous recherchons des écoutants
La cérémonie a été célébrée ce
mais irriguées d’anthropologie. des campements nomades d’il y a du Père-Lachaise, Paris 20e. à l’âge de quatre-vingt-deux ans, de bénévoles
jeudi 24 septembre, à 11 h 15, au sur toute la France.
Dans le champ de recherche spé­ 15 000 ans. Yvette Taborin et ses crématorium de Canet-en-Roussillon
Ni fleurs ni couronnes. Alain WOODROW, L’écoute peut sauver des vies
cifique qu’Yvette Taborin explora collaboratrices en firent une école (Pyrénées-Orientales). et enrichir la vôtre !
journaliste aux I.C.I. (Informations
dans ses moindres recoins, la pa­ de recherche connectée à Paris­I, Catholiques Internationales) Choix des heures d’écoute,
rure corporelle et vestimentaire, où l’enseignement se prolongeait Le présent avis tient lieu de faire- puis au Monde, formation assurée.
Robert CHABBAL part. écrivain.
elle cherchait les divers modes de en pratique chaque été. En IdF RDV sur
codification culturelle et sociale Son rayonnement international [email protected] [email protected] www.sosamitieidf.asso.fr
depuis l’arrivée en Europe, vers tient aussi à l’ambiance aussi libre a marqué profondément et [email protected] [email protected]
durablement le monde de En région RDV sur
− 40 000, de notre espèce, Homo que sérieuse de ce phalanstère [email protected]
l’enseignement supérieur et de la www.sos-amitie.com
sapiens, jusqu’aux premières so­ chaleureux administré par des recherche. À la tête des sciences Véronique de Mesmay, (Le Monde du 22 septembre.)
ciétés paysannes. femmes quand les hommes com­ physiques du CNRS, il a notamment née Thépot,
œuvré en faveur d’une plus grande son épouse,
En observant le transfert des co­ mençaient tout juste à partager ouverture internationale du CNRS et Romain, Marine, Laëtitia, Société éditrice du « Monde » SA
quillages ornementaux de proche les responsabilités en archéolo­ Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
d’un rapprochement plus étroit des ses enfants, Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
en proche et parfois sur des cen­ gie. Bien après sa retraite, Yvette acteurs de la recherche fondamentale Jean-Eric, Olivier, Jérôme, Laurent (†), Directeur de la rédaction Luc Bronner
taines de kilomètres depuis les Taborin continuait ses recherches avec ceux de l’économie. Nommé Benoît,
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
directeur général du CNRS de 1976 ses frères, Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre,
plages et les gîtes fossilifères, elle et ses séjours à Etiolles, jamais à 1979, ce physicien a ensuite exercé Les familles Thépot et de Mesmay, Benoît Hopquin, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
révéla aussi des échanges régu­ blasée devant les nouvelles trou­ de hautes fonctions internationales, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian
liers entre communautés et des vailles et toujours friande de con­ et a été associé à plusieurs reprises ont la tristesse de faire part du décès Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws, Franck Nouchi (Débats et Idées)
aux réflexions du ministère de la de Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
parcours coutumiers réitérés du­ verser sur leur interprétation, en­ Recherche. Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
rant des millénaires. En 2004, les courageant les jeunes stagiaires à Dominique de MESMAY, Chef d’édition Sabine Ledoux
lecteurs non spécialistes purent préparer la relève.  Antoine Petit, président-directeur Directrice du design Mélina Zerbib
général et l’ensemble des personnels survenu le 19 septembre 2020, Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
découvrir ses connaissances en­ boris valentin (professeur Photographie Nicolas Jimenez
du CNRS, expriment leur profonde à Paris, à l’âge de soixante-dix ans. Infographie Delphine Papin
cyclopédiques à ce propos et goû­ à l’université paris­i) et tristesse devant la disparition d’une Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
ter son art de conteuse dans Lan­ marianne christensen (maître personnalité majeure de leur histoire 1, rue Marceau, Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
gage sans parole. La parure aux de conférences à paris­i) commune. 78210 Saint-Cyr-l’École. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
0123
VENDREDI 25 SEPTEMBRE 2020 0123 | 31

INTERNATIONAL | CHRONIQUE EUROPE ET


par al ai n f rachon
MIGRANTS:
domaine qui met en cause les valeurs sur s’effectuer à distance la « gestion » des mi­
LA NÉCESSITÉ
La nouvelle D’UN COMPROMIS
lesquelles elle est fondée.
Pour sortir d’une impasse qui alimente le
procès en impuissance de l’Union aux yeux
grants par les pays réfractaires à leur accueil.
L’Europe se trouve face à un immense
défi : la fermeture des voies légales de l’im­
question palestinienne des populations européennes, un compro­
mis admis par tous et opérationnel sur le
terrain est nécessaire. A la fois complexe et
migration de travail a banalisé le recours à
la demande d’asile, par ailleurs alimentée
par les crises tant syrienne qu’afghane et
subtil, le « pacte pour la migration » pré­ africaine. Cette réalité suppose un traite­
senté, mercredi 23 septembre, par Ursula ment à la fois humain et rapide, apte à re­

L LE NATIONALISME
a question palestinienne von der Leyen, présidente de la Commis­ connaître les multiples situations de persé­
est bel et bien enterrée, di­ sion, entend répondre à ces attentes. Plutôt cution. La combinaison entre un contrôle
sait­on volontiers ces PALESTINIEN POURRAIT que d’exiger vainement des pays d’Europe accru des frontières extérieures de l’UE,
jours­ci. Il ne resterait plus centrale l’accueil d’étrangers dont ils ne une forme de « solidarité » entre les Vingt­
qu’à poser une plaque commémo­ ENTRER DANS veulent pas, le texte veut les obliger à orga­ Sept, un mécanisme accéléré d’examen des
rative quelque part en Cisjordanie. niser et à financer le refoulement des per­ demandes et de refoulement des déboutés,
UNE NOUVELLE ÈRE,
Le conflit israélo­palestinien, qui
passait pour « central » dans la ré­
gion, n’empêche pas, ou plus, la
normalisation des relations entre
Israël et le monde arabe.
QUI DÉTERMINERA
L’AVENIR D’ISRAËL
E n 2015, l’Union européenne avait été
profondément secouée et divisée
par la crise migratoire. Le méca­
nisme de répartition obligatoire des de­
mandeurs d’asile qu’elle avait adopté
sonnes déboutées. S’ils n’y parviennent
pas, ils devront les admettre sur leur terri­
toire. En cas de crise, les pays de « première
ligne » seraient soulagés par un méca­
nisme de répartition entre les vingt­sept
pourrait permettre d’avancer vers la politi­
que commune d’asile indispensable, mais
jusqu’ici introuvable.
Reste à faire avaliser ce compromis fragile
par les Etats, en particulier ceux de l’Est.
Dans le nouveau Moyen­Orient, s’était heurté au refus d’accueil opposé par pays en fonction de leur richesse et de leur L’Allemagne et la France, principaux pays
celui qui émerge au XXIe siècle, l’accord de Washington. Loin les pays de l’Est. Cinq ans après, le règle­ population. En outre, l’UE restreindrait l’oc­ d’accueil, doivent appuyer la recherche
l’affaire palestinienne serait deve­ d’être « centrale » dans la région, ment de Dublin, qui oblige les pays de pre­ troi de visas aux ressortissants des pays re­ d’un accord permettant à la fois d’assurer le
nue marginale, un conflit péri­ la question palestinienne est mière entrée (Grèce, Italie, Malte) à exami­ fusant de réadmettre les migrants refoulés. rôle de terre d’asile de l’Union européenne
phérique. Peut­être. Mais pas chaque jour un peu moins la ner les demandes, a achevé de produire ses Ursula von der Leyen joue dangereuse­ et de soulager les pays que la géographie
pour tout le monde. Le nationa­ « cause » des Arabes, en tout cas effets pervers : camps inhumains, longs dé­ ment avec les mots lorsqu’elle promet expose plus que les autres aux flux migra­
lisme palestinien ne va pas dispa­ des Etats arabes. Ceux­là, qui se lais d’examen, migrants en errance tentant d’« abolir » le règlement de Dublin : les de­ toires. Car rien n’est pire qu’une règle inap­
raître. Il pourrait entrer dans une sont entre­déchirés tout seuls, leur chance dans plusieurs pays. Après mandes d’asile continueraient d’être trai­ plicable comme celle d’aujourd’hui. Rien
nouvelle ère, nourrir une autre sont occupés ailleurs. Ils s’allient bien d’autres tragédies, notamment d’in­ tées par le pays de première entrée, et cer­ n’est plus pernicieux et dangereux pour la
bataille, laquelle déterminera à Israël pour contenir un expan­ nombrables naufrages en Méditerranée, tains demandeurs pourraient être placés en paix sociale et la démocratie que le poison
l’avenir d’Israël – sa nature en tant sionnisme iranien qu’ils jugent l’incendie du camp de Moria, sur l’île grec­ rétention pendant le délai accéléré – trois lent de la xénophobie instillé depuis des
qu’Etat juif et démocratique. En ce d’autant plus menaçant que les que de Lesbos, le 9 septembre, a montré mois – de l’instruction de leur dossier. On années par le spectacle prolongé de la caco­
sens, il y a une « israélisation » de Etats­Unis aimeraient se « reti­ que l’UE n’a plus le droit à l’erreur dans un voit mal, d’autre part, comment pourrait phonie européenne. 
la question palestinienne. rer » du Moyen­Orient. Quant au
En apparence, la cause palesti­ mouvement national palesti­
nienne, celle d’un peuple qui nien, il est divisé et passablement
cherche sa place sur le même ter­ discrédité chez lui, à Gaza comme
ritoire qu’un autre, n’intéresse en Cisjordanie. Mais les Palesti­
plus grand monde. Membre per­ niens sont toujours là, eux :
manent du Conseil de sécurité de 2 millions à Gaza, bientôt 3 mil­
l’ONU, les Etats­Unis de Donald lions en Cisjordanie, sans comp­
Trump ont légitimé l’occupation ter un million et demi qui ont la Cahier de l’édition n° 2917 du 24 au 30 septembre 2020
israélienne des territoires pales­ nationalité israélienne.
SPÉCIAL
DOSSIERLAGALAXIEDESANTI-MASQUES IDÉESLEDÉSIRAPRÈS#METOO
tiniens, la Cisjordanie et la par­ Un moment fondue dans le na­
tie orientale de Jérusalem. Les tionalisme arabe, avant de gagner
MODE
implantations, dit aujourd’hui
Washington, ne sont pas « un obs­
son autonomie, la question pales­
tinienne se pose en des termes
FEMME
tacle à la paix ». La Russie de Vla­ nouveaux. Comme le relate très
dimir Poutine, qui entretient les bien l’Institut français des rela­
meilleures relations avec le pre­ tions internationales (IFRI) dans
mier ministre, Benyamin Néta­ son rapport annuel (le Ramsès
nyahou, ne pense pas différem­ 2021, Dunod), la dynamique des
ment. La Chine développe des implantations semble irréversi­
échanges de plus en plus denses ble en Cisjordanie. Le territoire
avec Israël – sans s’ingérer dans fait l’objet d’une annexion ram­
ses « affaires intérieures ». Enfin, pante, au sens où « l’ordre juridi­
les Etats membres de l’Union que civil israélien est étendu aux
européenne (UE) n’ont jamais colonies », éloignant chaque jour

L’IMMOBILIER
conditionné leurs relations avec la possibilité d’un deuxième Etat
Israël à un arrêt de la colonisation – projet de solution élaboré dans
des territoires palestiniens. les années 1990. Deux popula­
tions côte à côte, l’une soumise à
Tous les prix
Un mouvement divisé l’ordre démocratique, l’autre à Quartier
par quartier
En principe, le monde arabe, l’occupation militaire : ça peut
après force fracas et bien des péri­ durer combien de temps ?

FACE
péties, s’en tenait depuis 2002 Si cette évolution se confirme,
aux grandes lignes du plan de
paix proposé par le roi Abdallah
la société civile palestinienne va
commencer à « penser sa survie Crédit
d’Arabie saoudite : pleine et en­
tière reconnaissance diplomati­
au sein d’un seul Etat » et, pour­
suit l’essayiste de l’IFRI, le mouve­ Comment
que d’Israël en échange de la créa­
tion d’un Etat palestinien dans les
ment national, de son côté, va de­
voir « dépasser l’idée d’un Etat­na­
se financer

ALACRISE
territoires occupés depuis la tion » propre comme aboutisse­
guerre de 1967 – la bande de Gaza ment de sa lutte. Petit à petit, la Travaux
au sud, la Cisjordanie à l’est. bataille portera sur l’égalité des
Grosso modo. Mais cette ligne droits entre les deux populations. Echapper
– adoptée après qu’Israël a nor­
malisé ses relations avec l’Egypte,
Au bout de cette logique, il y a la
perspective de l’Etat binational.
aux arnaques
en 1979, et avec la Jordanie, Dans l’édition d’automne de la re­
en 1994 – vient d’être franchie.
A leur tour, l’Etat des Emirats
vue belge Regards, l’historien Elie
Barnavi, ancien ambassadeur
Tendance
arabes unis (EAU) et Bahreïn
ont signé, le 15 septembre, à
d’Israël à Paris, écrit : « Plus que ja­
mais, l’alternative sinistre de l’Etat
Quitter la ville
Washington, la normalisation de unitaire ou l’apartheid se profile à pour changer
leurs relations avec Israël. En
échange, Nétanyahou renonce à
l’horizon. Dans les deux cas, le prix
en sera la mort du projet sioniste »
de vie
l’annexion prévue d’un tiers de la – un Etat majoritairement juif et
Cisjordanie, dans la vallée du démocratique.
Jourdain. Mais, pour le reste, statu Quoi qu’on pense de la faisabi­
quo : outre les implantations lité d’un Etat binational au
existantes, Israël contrôle tou­ Moyen­Orient, qui peut passer
jours 60 % de la Cisjordanie, no­ pour passablement utopique, l’hy­
tamment toute la vallée du Jour­ pothèse en est relancée chaque
dain, et Gaza, l’autre territoire pa­ jour par la poursuite des implan­
lestinien occupé en 1967, fait l’ob­ tations. Elle est le produit direct de AVEC

jet d’un blocus. la politique que la droite israé­


CREDIT PHOTO

Ni les EAU ni Bahreïn n’ont ja­ lienne mène depuis des années.
mais été en guerre avec Israël. Nétanyahou se félicitait récem­
Sans doute ont­ils eu le feu vert ment d’avoir obtenu, avec l’accord
de l’Arabie saoudite pour signer du 15 septembre, la paix sans céder
un pouce de la Cisjordanie. La
question palestinienne ne serait
plus affaire de partage foncier.
L’HYPOTHÈSE D’UN

EN VENTE CHEZ VOTRE


Peut­être, mais telle qu’elle prend
ÉTAT BINATIONAL forme aujourd’hui, elle va définir
ce que sera Israël demain. 
EST RELANCÉE
CHAQUE JOUR
PAR LA POURSUITE
Post­scriptum Une réflexion
synthétique, dynamique et didac­
tique, Les 100 Mots de la guerre,
de Frédéric Encel, « Que sais­je »,
MARCHAND DE JOURNAUX
DES IMPLANTATIONS 126 pages, 9 euros.

Tirage du Monde daté jeudi 24 septembre : 128 362 exemplaires


2|3
REPORTAGE
v MÉMOIRE
DU CAMP DE DORA
v Au centre d’histoire
La Coupole, à Helfaut
(Pas-de-Calais), pour
« Le Livre des 9 000
déportés de France
à Mittelbau-Dora »

4|5
LITTÉRATURE
Oriane Jeancourt

Erri De Luca passe aux aveux Galignani,


Timothée Demeillers,
Eva Baltasar,
Alexeï Salnikov

Un accident en
montagne, peut­être 6
un meurtre. Un juge HISTOIRE
D’UN LIVRE
interroge le suspect, v « L’Ile de Jacob »,
de Dorothée Janin
deux conceptions de
la justice se font jour.
Avec « Impossible »,
l’écrivain italien
signe un roman
désillusionné Dorothée Janin.
RICHARD DUMAS

mais jamais amer


7
ESSAIS
v Janine Mossuz-
Lavau redonne
crédit au clivage
droite gauche

florence noiville

10
U
ne table, deux chaises : si
Impossible, le nouveau
livre d’Erri De Luca, est RENCONTRE
un jour adapté au théâ­ v Eddy L. Harris :
tre, le décor ne sera pas « La solitude,
difficile à planter. C’est c’est moi »
une scène d’interrogatoire, entre un juge
et un suspect. On s’en éloigne souvent
par la pensée pour prendre de la hauteur,
escalader des montagnes, respirer l’air
pur des Dolomites. Mais l’on y revient
toujours, à cette table. Tabula non rasa.
Symbole d’un lieu où se soldent les
comptes, tous les comptes, ceux d’une
vie comme ceux d’une époque.
D’un côté, le prévenu, donc. Signes dis­ ANNE-GAËLLE AMIOT
tinctifs : ressemble à l’auteur comme un
frère. Napolitain, montagnard et surtout
septuagénaire. C’est important qu’il soit de la table, on suit l’enquête comme une ce qu’il voudrait, lui, « l’homme d’une
septuagénaire. Cela veut dire qu’il est né balle de ping­pong rebondissant sur les époque vaincue et révolue », c’est toucher
au milieu du siècle dernier, qu’il avait préjugés de l’un, passant à côté des son interlocuteur. Le faire vaciller, ne
20 ans pendant les années de plomb ita­ doutes de l’autre. Qu’un randonneur serait­ce qu’un moment. Ah, si ce juge
liennes, et que le XXe siècle – une période solitaire fasse une chute mortelle le jour pouvait comprendre avant de juger ! Sen­
qui « ne permettait pas de tourner le où l’homme qu’il a donné à la police se tir ce pour quoi il s’est battu toute sa vie,
dos » – l’a entièrement façonné, construit, trouve justement derrière lui, sur le une certaine idée de l’égalité, de la frater­
déterminé. Très vite, on comprend qu’il même chemin, à la même heure : voilà nité. Il a cru en tout cela, il y croit encore,
s’est jadis engagé dans une organisation une coïncidence « impossible » pour le mais il constate avec mélancolie que « le
juge. Pourtant, avec un calme et une rigu­ monde s’est retourné comme un gant. Ce
eur implacables, l’accusé démonte un à XXe siècle est un temps si périmé qu’il est
L’enquête avance, digresse, un ses arguments. « Impossible, c’est la incompréhensible pour ceux qui sont
définition d’un événement jusqu’au mo­ venus après ».
philosophe, interroge toutes ment où il se produit. » Si ce juge connais­ Impossible est un récit bref et cinglant,
les grandes idées qui surgissent sait quelque chose à la montagne, il sans illusion mais jamais amer. Aussi
de la conversation : la liberté, saurait que trois petits cailloux sous la sobre et élégant que l’était Le Tour de l’oie
semelle vous font déraper dans le vide (Gallimard, 2019), où l’auteur se racontait
le risque, la responsabilité, comme un rien. au fils qu’il n’a jamais eu. Lorsqu’il de­
l’idéal, la fidélité à soi­même… Possible ? Impossible ? Erri De Luca maî­ vient évident – jusqu’au retournement
trise l’art du suspense comme celui de la final – que la surdité est à son comble de
rhétorique. L’enquête avance, digresse, part et d’autre, le dialogue se mue en un
politique d’extrême gauche. Sans doute philosophe, interroge toutes les grandes long monologue. « Comme si j’étais seul
s’agit­il de Lotta Continua, le mouvement idées qui surgissent de la conversation : un soir à une table de bistrot et que je me
au sein duquel Erri De Luca milita dans la liberté, le risque, la responsabilité, vidais de mes pensées », écrit l’homme,
les années 1970. Mais peu importe, aucun l’idéal, la fidélité à soi­même… bref tous depuis sa cellule, à la femme qu’il aime.
nom n’apparaît jamais dans le récit. les grands thèmes de cet écrivain. Peu à Cette confession­là, si pleine de ten­
De l’autre côté de la table, le magistrat. peu, deux conceptions de la justice se dresse, d’humilité et d’humanité, fait
Il pourrait être le fils de l’inculpé. Le feu font jour, celle qui émane du droit et celle tout à coup douter du titre. Elle remet du
de ses questions est nourri. L’homme qui procède d’une morale individuelle. possible dans l’impossible. Pour le lec­
qu’il a en face de lui est peut­être coupa­ D’un côté, la foi inconditionnelle dans la teur, elle fait l’effet d’une gorgée d’eau
ble d’homicide. Il est soupçonné d’avoir loi ; de l’autre, la ferveur d’un engage­ fraîche. Une eau providentielle retrouvée
poussé dans le vide, du haut d’une vire ment qui peut conduire à s’en affranchir. tout au fond d’un sac à dos. Qui aide à
– un étroit replat en altitude – un ancien Le vieil homme a­t­il « les mains sales », continuer de marcher sur la périlleuse
camarade de combat devenu délateur. au sens de Sartre ? Est­il un « juste » au ligne de crête du XXIe siècle. 
Nous sommes des années après cette tra­ sens de Camus ? On pense à ces pièces de
hison qui a envoyé le suspect en prison. théâtre, mais le propos d’Erri De Luca est impossible
Mais « la vendetta è un piatto che va un peu différent. Au fond, son double n’a (Impossibile),
servito freddo », dit­on de l’autre côté des que faire d’être relaxé ou non. Il n’est pas d’Erri De Luca,
Alpes – en d’autres termes, il n’est jamais si mal en isolement. La prison est un traduit de l’italien par Danièle Valin,
trop tard pour un règlement de comptes. « monastère sans prières ». Et nul ne lui Gallimard, « Du monde entier »,
Crime des cimes ? Ou accident ? Autour volera jamais sa liberté intérieure. Non, 176 p., 16,50 €, numérique 12 €.

Cahier du « Monde » No 23549 daté Vendredi 25 septembre 2020 ­ Ne peut être vendu séparément
2 | Reportage 0123
Vendredi 25 septembre 2020

Pour n’oublier jamais


les déportés de Dora
« Le Livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau­Dora » réunit les notices
biographiques des personnes qui, parties de France, se sont retrouvées
dans le camp nazi où se fabriquaient les fusées V1 et V2. Cet important travail
de mémoire a vu le jour sous l’impulsion du centre d’histoire La Coupole,
à Helfaut (Pas­de­Calais). « Le Monde des livres » s’y est rendu

étrangères, déportées politiques ou ra­ au fait, comment s’y prend­on ? Com­ manière du Maitron [dictionnaire bio­
ciales – très majoritairement politiques, ment soulève­t­on la chape de plomb graphique du mouvement ouvrier, lancé
en l’occurrence, Dora n’étant pas un des dont les déportés eux­mêmes ont pu re­ par Jean Maitron (1910­1987)]. » Les
camps destinés à l’assassinat systémati­ couvrir le souvenir de Dora ? C’est à ces anciens déportés, qui tenaient l’amicale
que des juifs et des Tziganes. questions, à cette brûlante nécessité de à bout de bras depuis si longtemps,
Une cérémonie officielle, des tables ne pas laisser se perdre dans le silence approuvent immédiatement. « Je pense
rondes, un concert, des lectures étaient l’écho des tragédies du XXe siècle, que ré­ qu’ils se disaient : des gens sont là, des his­
prévus durant deux journées, pour célé­ pond Le Livre des 9 000… toriens, et il y a La Coupole. On peut avoir
brer l’événement que représente la publi­ En ce sens, son origine remonte à l’im­ confiance. On sera peut­être morts avant,
cation de cette somme, dont le projet est médiat après­guerre, qui voit se multi­ mais on sait qu’il verra le jour. »
né ici, à La Coupole, à la fin du XXe siècle. plier les associations d’anciens déportés. Yves Le Maner et André Sellier pren­
Mais tout a été annulé par la préfecture L’amicale Dora­Ellrich est ainsi créée nent la direction scientifique du diction­
du Pas­de­Calais, Covid oblige. Et l’on en mai 1946. Il s’agit d’abord d’entraide, naire. Un comité de parrainage se crée,
est passé du cérémonieux à l’intime. mais les enjeux mémoriels prennent de où siègent notamment Stéphane Hessel
Quelques familles seront reçues, à tour plus en plus de place, d’autant que les et Simone Veil, passés, eux aussi, par
de rôle. Certains des près de soixante responsables du programme des fusées Dora. Il y a fort à faire cependant, ne
auteurs bénévoles de notices feront leur V2, fabriquées à Dora, sont peu à peu re­ serait­ce que pour aboutir à un recense­
apparition. On reste à chaque fois en pe­ cyclés dans les programmes spatiaux, ment solide des déportés. Laurent
tit comité, masqués, à bonne distance. notamment américains. Par contrecoup, Thiery, qui travaille à une thèse sur la ré­
Mais cela n’empêche pas de se parler. si le passé nazi de ces ingénieurs n’est pression allemande dans le Nord­Pas­de­
Autour de la vaste table du centre de do­ ignoré de personne, on ne fouille pas Calais – il la soutiendra en 2011 –, est en­
cumentation de La Coupole, les sœurs trop à l’arrière­plan des photos de leurs gagé, en 2005, par Yves Le Maner, pour
Heumann regardent la notice de leur triomphes des années 1960. Les 20 000 mener des recherches dans les centres
père, disent ce qu’elles y découvrent, ce morts de Dora risqueraient d’apparaître. d’archives. Long travail. Fastidieuses an­
qu’elles s’attendaient à y trouver. Elles Vaincre cette amnésie, cette impossibi­ nées, où l’on ne sait pas, même une fois
sont très attentives, également, à ce qui lité à assumer les contradictions de notre le recensement achevé, ou presque,
est dit de leur oncle Emile, déporté avec histoire ; vaincre la réticence à parler, à comment passer à l’action, lancer la ré­
leur père, mais qui, jugé inapte au travail raconter ce que l’on a subi, l’humiliation, daction des milliers de notices.
par les SS, fut envoyé au camp de Bergen­ l’épuisement, la violence, les camarades C’est en 2013 que les conditions sont
Belsen. Il mourut en chemin, à 20 ans. morts ; vaincre, dans les générations enfin réunies. Une nouvelle direction est
Sur tout cela, sur sa propre expérience nouvelles, la tentation de l’indifférence : arrivée ; Laurent Thiery, jusque­là colla­
de la déportation et la mort de ce frère pendant des décennies, les animateurs borateur extérieur, succède à Yves Le
très aimé, François Heumann ne leur di­ de l’amicale Dora­Ellrich, tels Pierre Sé­ Maner au poste d’historien de La Cou­
sait rien. « Il n’en parlait que quand il y gelle, Jacques Brun, Marien Leschi ou pole. Peu à peu se réunit autour de lui un
avait des compagnons de déportation qui Jean Mialet, affrontent sans faiblir les groupe de bénévoles, d’anciens profes­
venaient à la maison, explique Marie­ défis qui se présentent à eux. seurs du Pas­de­Calais, souvent d’his­
Claire. Ils discutaient entre eux, et on ap­ Et puis vient le dernier, l’irrémédiable. toire : le « noyau dur », qui, au bout du
prenait des choses. » Un peu plus tard, la Le comédien et dramaturge Jean­Pierre compte, écrira à lui seul la moitié des bio­
famille d’un autre déporté, Ignace Mur Thiercelin, fils de Robert Thiercelin graphies. Le cercle s’élargit vite, et la
(1922­2019), vient à son tour à La Cou­ (1914­2000), résistant, déporté à Dora soixantaine de bénévoles recrutés à tra­
florent georgesco pole. La nièce, Annie Blanc, dit la même en 1944, se souvient : « Dans les années vers la France permet de conduire le pro­
envoyé spécial à Helfaut (Pas­de­Calais) chose, les larmes aux yeux : « Il m’a telle­ jet à son terme. Laurent Thiery mène
ment peu parlé de sa déportation. toutes les recherches d’archives. Une
La famille d’un déporté, Ignace Mur

I
l y a un moment de sidération. C’étaient des secrets enfouis. » Puis elle lit vaste base de données est créée, où est
Poucie Heumann vient d’ouvrir le la notice. Elle ignorait, pour une part, ce (1922­2019), vient à La Coupole. enregistré, pour chaque déporté recensé,
carton. Sa sœur, Marie­Claire, et qui y est raconté. l’ensemble des informations fiables.
son fils, Léo, se tiennent autour Comme l’écrit dans la préface du vo­
La nièce, Annie Blanc, les larmes aux L’historien les transmet aux auteurs avec
d’elle, le regard fixé sur la veste lume l’ancienne ministre de la culture yeux : « Il m’a tellement peu parlé de une copie d’éléments significatifs des
brune, d’une laine épaisse, qu’elle Aurélie Filippetti, dont le grand­père et le sa déportation. C’étaient des secrets dossiers, puis relit leur travail, base et
sort lentement, sans comprendre. Ce grand­oncle ont été déportés à Dora et dossiers sous les yeux.
n’est pas la veste rayée qu’elle avait tou­ ne sont pas rentrés : « Les traumatismes enfouis. » Puis elle lit la notice. Elle Entre­temps, Yves Le Maner, à la re­
jours imaginée, quand l’uniforme de se transmettent de génération en généra­ ignorait une partie de ce qui y est dit traite, s’est éloigné, et les anciens dépor­
déporté de leur père reposait dans la tion dans les silences et les non­dits. » Cela tés de l’amicale Dora­Ellrich, qui avaient
maison familiale. Sa mère, la veuve de revient sans cesse dans les conversations mis toute leur énergie à accompagner la
François Heumann (1922­2007), avait de­ avec les descendants de déportés pré­ 1980­1990, ils ont commencé à se dire : naissance du projet, sont morts. L’ami­
mandé à ses filles de brûler le carton à sa sents ces jours­là à La Coupole. Domini­ “Nous allons bientôt disparaître.” » C’est cale elle­même, depuis 2007, n’existe
mort. Mais c’était au­dessus de leurs for­ que Mathieu, professeure de lettres à la le temps des derniers projets. Le livre plus en tant que telle : elle a rejoint, sous
ces. En ce matin de septembre, elles sont retraite, a été une des relectrices du Livre d’André Sellier, Histoire du camp de Dora le nom de commission Dora­Ellrich, la
venues le déposer au centre d’histoire La des 9 000…, dont elle a aussi rédigé près (La Découverte, 1998), écrit à partir des Fondation pour la mémoire de la dépor­
Coupole, à Helfaut, près de Saint­Omer de 300 notices. Son oncle paternel, archives et témoignages réunis par tation. Jean­Pierre Thiercelin résume la
(Pas­de­Calais). « On voulait qu’une trace Claude Mathieu (1922­1945), n’est pas l’amicale, est de ceux­là. Il faut aussi pro­ situation : « Et maintenant, la parole est
soit conservée », disent­elles. dans le livre : lui est mort à Dautmergen, téger, justement, les archives. Or, en 1997, aux historiens. » Né de la volonté d’arra­
C’est Laurent Thiery, l’historien du lieu, un petit camp du Bade­Wurtemberg. Il le centre d’histoire La Coupole s’est cher la mémoire des déportés aux silen­
qui se charge de leur expliquer que tous avait 22 ans. « Il avait été pris dans une ra­ ouvert dans le Pas­de­Calais, sur le site ces des sociétés et des familles, Le Livre
les détenus du système concentration­ fle, en représailles d’un fait de résistance, d’un ancien bunker construit par l’occu­ des 9 000… paraît en un temps où l’enjeu
naire nazi ne portaient pas la fameuse te­ raconte­t­elle. Sa mort a été une tragédie pant nazi pour servir de base de lance­ est d’accroître les savoirs sur l’Occupa­
nue rayée, qu’il en manquait parfois, pour la famille. Il y avait des photos de lui ment des V2 vers le Royaume­Uni – il tion et le système concentrationnaire
qu’elles s’usaient, que les vêtements des partout. Pourtant, on n’en disait rien. Mes sera en partie détruit par des bombarde­ nazi. D’expliquer aux familles pourquoi
morts étaient distribués aux vivants. grands­parents étaient… Je ne sais pas ments alliés, avant d’être opérationnel. la veste de déportation de leur ascendant
Cette veste inattendue est un double comment dire… Comme des statues. J’ai Une fois le livre paru, les cartons y sont est brune, et non rayée, de dire précisé­
vestige, découvrent­elles : de François, et vu toute ma vie mon père brisé par ça. Je déposés. Les historiens se lient avec le ment ce qui s’est passé, dans toutes ses
d’un mort inconnu. pensais : “Si je dis un mot, il va tomber responsable historique du lieu, Yves Le dimensions, des plus ténues au plus uni­
Peu avant cette scène, Laurent Thiery a raide mort sous mes yeux.” » Maner. Un compagnonnage commence, verselles, pourquoi il y a eu, dans leur
remis aux Heumann un exemplaire du Discuter avec les familles de déportés qui se poursuit toujours. vie, ce cataclysme, dont les effets durent
Livre des 9 000 déportés de France à présentes à La Coupole en ces jours de cé­ Quand, à la parution du livre d’André encore. Et d’amener tout le monde face à
Mittelbau­Dora, qu’il a dirigé. Plusieurs rémonie manquée, comme avec les Sellier, en novembre 1998, une assem­ la réalité de cette onde de choc qui, au­
autres familles devaient être présentes auteurs de notices, les témoins de la blée générale de l’amicale est organisée, delà des histoires personnelles, traverse
ce jour­là, pour recevoir leur propre naissance du projet ou l’historien Lau­ elle se passe donc tout naturellement à l’humanité même.
exemplaire. Ce dictionnaire de près de rent Thiery, donne l’impression d’entrer La Coupole. « La question, poursuit Jean­ Laurent Seillier, professeur d’histoire­
2 500 pages réunit les notices biogra­ dans les travaux pratiques de la trans­ Pierre Thiercelin, présent ce jour­là, géographie dans un collège, est, depuis la
phiques de la totalité des personnes mission, chantier infini, mémoire heur­ était : que faire, maintenant que le livre est création de La Coupole, détaché à temps
connues à ce jour qui, parties de France, tée, en dents de scie. Tout le monde s’ac­ paru ? Yves Le Maner leur a dit : “Je vous partiel pour en diriger les activités péda­
se sont retrouvées dans le camp de Dora, corde sur la nécessité de transmettre, en propose de ne pas vous endormir.” Et il a gogiques. Il a écrit toutes les notices sur
en Allemagne (lire page suivante), particulier, la mémoire des totalitaris­ décrit l’idée qu’il avait en tête : un diction­ les déportés juifs. Près de 90 % des
qu’elles aient été françaises ou mes, des déportations, de la Shoah. Mais naire biographique des déportés, à la 76 000 victimes juives françaises de la
0123
Vendredi 25 septembre 2020
Reportage | 3
Shoah ont été assassinées à Auschwitz.
Très peu d’entre elles ont été enfermées à
Ce qui se tramait dans les tunnels de Dora
Dora qui, encore une fois, n’était pas un DANS LA NUIT DU 17 AU ancienne mine reconvertie en deux tunnels principaux, de 2 ki­ postérité. L’ingénieur nazi
camp de la « solution finale ». Elles repré­ 18 AOÛT 1943, l’aviation centre de stockage d’hydro­ lomètres de long, larges de 9 mè­ Wernher von Braun (1912­1977),
sentent 3 % de l’ensemble des notices, britannique bombarde le carbures –, que, dès le 27 août, le tres, hauts de 7 mètres, reliés par l’un des principaux concepteurs
186 déportés. centre de recherche installé à centre de production des fusées un système de 48 galeries, for­ de la V2, dont il a supervisé la
« Ils arrivent tous à Dora à partir de jan­ Peenemünde, dans le nord­est commence à être déménagé. ment un ensemble de 97 000 m2. production à Dora en toute
vier 1945, raconte Laurent Seillier, au mo­ de l’Allemagne. Depuis 1936, les Il prend le nom de code de Dora, Surtout, des camps annexes connaissance des conditions
ment de l’évacuation d’Auschwitz. C’est ce armées de terre et de l’air du et devient un kommando (une s’ouvrent autour du site souter­ subies par les déportés, devient
qu’on appelle les “marches de la mort”. Les IIIe Reich conçoivent et fabri­ unité extérieure) du camp de rain, tels ceux de Woffleben, où après­guerre un fer de lance des
Allemands envoient les déportés encore quent là, en secret, le missile concentration de Buchenwald, travaillent 4 000 déportés à par­ recherches spatiales américai­
présents dans différents camps, dont de croisière V1 et, plus promet­ situé à 80 kilomètres, lequel tir d’avril 1944, et d’Ellrich­Julius­ nes. Le président Kennedy, dont
Dora. Le trajet se fait d’abord à pied, pen­ teur encore, le missile balisti­ constitue, sur l’ordre d’Hitler, la hütte, installé en mai 1944, avec il est proche, l’ayant fait entrer
dant une ou deux journées, dans des que V2, qui, largués par mil­ réserve de main­d’œuvre forcée 8 000 déportés. Une quarantaine dans le programme Apollo, il
conditions extrêmes. Ils sont ensuite en­ liers, en 1944 et en 1945, sur le du chantier colossal qui s’ouvre : d’autres de ces kommandos de conçoit le lanceur Saturn V, qui
tassés dans des trains de charbon, sans Royaume­Uni, la Belgique ou la transformation des tunnels Dora voient le jour, extension enverra, en 1969, les premiers
toit. Ils vont y rester jusqu’à dix jours pour la France, feront des ravages en usine, et la fabrication de qui entraîne un changement de hommes sur la Lune.
certains, parce que les trains circulent à parmi les populations civiles. milliers de V1 et V2. statut : Dora devient le 1er no­
travers l’Allemagne. Leur arrivée est une Mais, pour l’heure, les ingé­ vembre 1944, sous le nom de Un long combat
scène qui a épouvanté les déportés de nieurs n’en sont qu’aux essais, Réduits en esclavage code Mittelbau, un camp auto­ Dans ce glorieux contexte, « il
Dora. Ils ont eu l’impression de voir une et le bombardement britan­ Jusqu’à 12 000 hommes y sont nome, détaché de Buchenwald. n’était pas opportun de se souve­
armée de fantômes. Les gens étaient nique risque de mettre leurs réduits en esclavage durant cette Il va être le dernier des grands nir du tunnel de Dora et de ses
glacés, recouverts de neige. Ils se sont plans à bas. Or l’enjeu est de première période, sous la sur­ camps de concentration du détenus », comme l’écrit André
demandé s’il restait des vivants. » taille. L’avance de l’Allemagne veillance de SS secondés par des Reich – qu’il faut distinguer des Sellier (1920­2015), dans Histoire
De fait, un grand nombre d’entre eux sur les Alliés en matière de prisonniers de droit commun. centres de mise à mort de la du camp de Dora (La Découverte,
sont morts durant le trajet. Et beaucoup fusée peut lui offrir un avan­ Près de 3 000 déportés succom­ « solution finale », Sobibor, 1998). Dès lors, donner, à la
vont mourir dans la salle de Dora où on tage stratégique, que les auto­ bent dans les six premiers mois. Belzec, Treblinka ou Auschwitz­ source même de la conquête
les réunit à leur arrivée. Mais il n’y avait rités nazies imaginent décisif. Trois mille autres, malades, sont Birkenau –, et l’un des plus spatiale, toute sa place à l’épou­
pas de registre pour les marches de la Il faut, au plus vite, trouver un envoyés dans les camps de meurtriers. De sa fondation vante de Dora sera un long
mort. Aussi, Laurent Seillier reconnaît­il nouveau lieu, à l’abri des Majdanek­Lublin et de Bergen­ en août 1943 à son évacuation combat pour les survivants et les
un biais dans le recensement du livre : attaques aériennes. Belsen. La plupart y meurent, en avril 1945, 60 000 personnes historiens, dont la publication
« La grande majorité des 186 juifs réperto­ Si une base d’essais est créée de maladie, d’épuisement ou y ont été contraintes au du Livre des 9 000 déportés de
riés ont survécu à la guerre. Ce n’est pas re­ à Blizna, en Pologne, c’est dans assassinés. travail. Un tiers y sont mortes. France à Mittelbau­Dora repré­
présentatif, et c’est un problème qu’il faut un site souterrain de Thuringe, L’usine de Dora est alors une Les fusées, quant à elles, sente une étape décisive. 
garder en tête. Les morts n’ont pas laissé près de Nordhausen – une des plus vastes du IIIe Reich. Les vont connaître une brillante fl. go
de trace. » En mentionnant, dans le titre
du livre, « 9 000 » déportés, Laurent
Thiery a voulu souligner cette incerti­
tude. « Si nous avions indiqué le chiffre
exact auquel nous sommes arrivés, dit­il,
cela aurait laissé croire que nous don­

UN GRAND
nions un chiffre définitif. Je voulais éviter
cela. Il faut assumer l’à­peu­près. »
Un à­peu­près qui est ainsi comme une
empreinte de la Shoah, la trace laissée
par la violence génocidaire dans ce tra­
vail pour l’essentiel consacré à la répres­
sion de la Résistance française. Autre sin­

LIVRE SUR
gularité : il n’y a, dans le livre, que sept

« Etudier ainsi près de 9 000 biographies,


reliées à l’histoire d’un seul camp,
permet d’expliquer des phénomènes

L’AMOUR.
historiques beaucoup plus larges, qu’on
n’aurait pas pu comprendre sans cela,
faute d’archives », explique l’historien
Laurent Thiery, qui a dirigé l’ouvrage

femmes : toutes sont juives, toutes ont


été déportées en tant que telles. Et ceci,
encore : « Contrairement aux autres dé­
portés, note Laurent Seillier, certains, Mohammed Aïssaoui, Le Figaro littéraire
parmi les 186 juifs, se retrouvent seuls à
leur retour. Il n’y a plus personne, ni pa­
rents, ni femmes, ni enfants. Ils ont tous
été tués. » Comment mieux marquer la
différence entre une répression et un
génocide ? « Voilà. Bien sûr. » «Son talent de conteur reste
Plus on s’approche, plus on traque le intact et sa persévérance
fait particulier, et plus les réalités se dis­
tinguent, précisent leurs contours ; plus, à espérer de l’humanité
aussi, ce qu’elles composent alors entre le meilleur, admirable.»
elles peut enrichir le tableau général. Véronique Cassarin-Grand, L’Obs
« C’est toute la richesse de la prosopo­
graphie [en histoire, la biographie collec­
tive d’un groupe d’individus], explique
«Un conte du temps présent,
Laurent Thiery. Etudier ainsi près de un style qui s’impose un peu
9 000 biographies, reliées à l’histoire d’un plus à chaque nouveau roman.»
seul camp, permet d’expliquer des phéno­ Philippe Lemoine, Ouest-France
mènes historiques beaucoup plus larges,
qu’on n’aurait pas pu comprendre sans
cela, faute d’archives. » Le livre actuel, qui «Un grand livre de colère, d’amour
répondait à d’autres besoins, entre mé­ et de résistance au malheur.»
moire et histoire, n’était pas le lieu pour Pierre Vavasseur, Le Parisien
analyser l’ensemble de ces résultats. Un
autre viendra « à court ou moyen terme »,
dans lequel Laurent Thiery réunira «Un livre à lire, un livre essentiel.»
des historiens, pour tirer tout le profit Nagui, France Inter
scientifique de la masse d’informations
si longuement accumulées. «Un des meilleurs romans
Sur les 8 971 déportés présents dans Le
Livre des 9 000…, 4 131 sont revenus des
sur les Gilets Jaunes.»
camps. A ce jour, l’équipe de La Coupole Jean-Claude Raspiengeas,
n’a pu en identifier que seize encore en Le Masque et la Plume
vie. Il est possible que quelques­uns se
manifestent à l’occasion de la publica­ «Une histoire d’amour illumine
tion du livre. Il n’empêche : nous som­
mes entrés dans un autre monde, où ce livre, un beau roman.»
bientôt ils ne seront plus. Mais nous sa­ Bernard Lehut, RTL
vons bien ce qu’ils ont réussi à transmet­
tre, par­delà l’horreur et le silence. Nous
savons donc aussi ce qu’il nous reste
à faire. 

le livre des 9 000 déportés


de france à mittelbau­dora,
camp de concentration et www.grasset.fr www.facebook.com/editionsgrasset www.twitter.com/editionsgrasset Grasset
d’extermination par le travail,
sous la direction de Laurent Thiery,
Cherche­Midi, 2 456 p., 49 €.
4 | Littérature | Critiques 0123
Vendredi 25 septembre 2020

APARTÉ

La gravure d’une étrange Sous


chimère fascine et brise entre contrainte
ses pinces ceux qui la croisent.
Le roman d’Oriane Jeancourt UN SOIR, À UNE TERRASSE DE
CAFÉ PARISIEN, Marius Jauf­
fret, 25 ans, s’alcoolise plus
Galignani donne de l’élégance que de coutume. En détresse,
il appelle son frère qui le con­
au chaos duit aux urgences de l’hôpital
Sainte­Anne. Là, on lui assène

La malédiction
qu’il souffre du syndrome de
Korsakoff, maladie très inha­
bituelle à son âge. Il vaudrait
mieux qu’il reste ici. Combien
de temps ? Une nuit ou deux,

de Rembrandt le temps qu’il se remette. Le


frère s’en va, rassuré. Au ma­
tin, Marius Jauffret est trans­
féré dans un autre hôpital psy­
chiatrique. Pour une durée
indéterminée… Ce sera au bon
vouloir des blouses blanches.
Le voilà donc privé de liberté,
York d’avant le Covid. Un peintre, lors même qu’il n’a présenté
dont il sera lentement révélé qu’il et ne présente aucun signe de
s’agit de Rembrandt, y devient dangerosité pour autrui,
l’amant de l’énergique et mascu­ quand un criminel, lui, dis­
line Margot, gouvernante de son pose de l’assistance d’un avo­
nicolas weill fils, Titus. Excédé par les deman­ cat pendant sa garde à vue.
des en mariage de cette maîtresse De soins ? Point. D’entre­

D
e nos jours, les ta­ plébéienne, l’artiste ruiné finit tiens ? Non plus. Il croise dans
bleaux ne peuplent pas par la placer dans un asile où elle les couloirs des travailleurs
que les musées ou les dépérit et meurt. C’est elle qui, surmenés, des SDF, des
collections privées. Ils auparavant, a gravé la figure vieillards esseulés, une jeune
hantent la fiction au point que les hybride de la femme­écrevisse. fille que la réclusion forcée
« romans picturaux » ont presque Porteuse d’une sorte de malédic­ enfonce davantage dans la
fini par en constituer un sous­ tion, celle­ci attirera désormais neurasthénie. « J’ai l’impres­
genre. L’envoûtant La Femme­ sur quiconque l’approchera le sion d’être un maton, lui con­
écrevisse, d’Oriane Jeancourt Gali­ malheur dont Margot a été elle­ fie un infirmier désabusé. Un
gnani, entièrement construit même frappée. maton qui gave des détenus de
autour d’une gravure, en relève La deuxième partie nous amène médocs. C’est vrai qu’il y en a
sans aucun doute. Mais il le à la fin des années 1990. Vivant aussi qui ont fait des conneries,
pousse à ses limites, jusqu’à en « enfants terribles » dans le Oriane Jeancourt Galignani, en 2020, à Paris. JF PAGA ici. Mais quand tu regardes la
transformer l’image en person­ quartier du Trocadéro, à Paris, majorité… Des gens sans fa­
nage à part entière, à la fois in­ Grégoire et Lucie, abandonnés à mille, des pauvres, des pau­
quiétant et grotesque. L’impres­ eux­mêmes, vouent, chacun à més. » Et de conclure, fataliste,
sionnante fresque littéraire com­ leur manière, leur vie à la Femme­ de l’après­guerre froide dans une ferme à la lumière, mais s’ouvre que ça ne leur apporte rien. Si­
posée par cette romancière fran­ écrevisse, tombée entre les mains folie homicide. Quant à Lucie, aux fictions d’enchanteur de pas­ non un sentiment de défaite.
co­allemande, rédactrice en chef de leur famille d’origine prus­ plus pragmatique, elle fait de l’ob­ sage. » Sa carrière se brisera, elle
de la revue Transfuge, introduit sienne. Dans sa quête, Grégoire se jet maudit un sujet d’étude fémi­ aussi, entre les pinces de la créa­ Parfaite absurdité
dans la rentrée son ton singulier voit aspiré par un swinging Lon­ niste, dénonçant à la télévision un ture gravée. Dans Le Fumoir, l’auteur ra­
où l’imaginaire et le fantastique Rembrandt machiste, soupçonné Malgré la structure complexe et conte la façon dont il a vécu
côtoient le roman historique et Par la magie de cette œuvre, de s’être attribué la paternité de hélicoïdale de son récit, l’écri­ cet épisode, qui aura duré dix­
le récit moderne, sans kitsch ni travaux en réalité dus à Margot. vaine sait nous mener d’un trait huit jours. Il chronique les
complaisance. Elle décrit la puis­ trois époques, du Grand Siècle La troisième époque opère un jusqu’à son terme avec maîtrise et mornes journées de son en­
sance mystérieuse d’une œuvre au XXe finissant, se habile retour en amont, cette fois légèreté. Le recours systématique fermement, où l’unique acti­
supposément dessinée par Rem­ en direction de l’Allemagne et du au présent, au discours indi­ vité consiste à tuer l’ennui
brandt. Cette créature, aux jam­
superposent. A chaque fois, Berlin des années 1920. On suit, rect libre, à la multiplication la femme­ cigarette après cigarette. Ma­
bes de femme mûre, dotée d’une les personnages reproduisent pas à pas, la carrière d’acteur de des points de vue, ôte toute écrevisse, rius Jauffret, fils de l’écrivain
tête d’écrevisse, va provoquer un à leur insu les mêmes gestes, Ferdinand von Hauser, rejeton de lourdeur à la traversée des d’Oriane Jeancourt Régis, attend donc sa libéra­
désordre irréparable dans l’exis­ l’aristocratie prussienne mais temps. La parataxe – juxta­ Galignani, tion comme Vladimir et Estra­
tence de tous ses propriétaires, à
menant immanquablement plongé dans l’univers du cinéma position des membres de Grasset, gon attendent Godot : avec un
travers les âges. à leur propre destruction muet et des studios de Babels­ phrases – domine les phra­ « Le Courage », sentiment de parfaite absur­
Par la magie de cette œuvre, berg, fort bien reconstitué. A l’âge ses (« Pauvre Malenberg, il 400 p., 22 €, dité. « Toute démonstration de
trois époques, du Grand Siècle au de Brecht et de la distanciation, m’aime trop, il a un visage numérique 16 €. malaise peut justifier une re­
XXe finissant, se superposent plu­ don tardif où il tombe amoureux Ferdinand, nazi d’occasion, ne d’empereur­enfant, il doit conduction de peine, affirme­
tôt qu’elles ne se succèdent. A cha­ d’une femme, Alicia, passionnée cesse, lui, de fusionner les senti­ mourir. Si maman me voyait, t­il. Chaque acte, chaque atti­
que fois, les personnages repro­ comme lui par le jazz, qui affiche ments des personnages qu’il in­ elle me murmurerait : Ferdinand, tude peut dénoncer quelque
duisent à leur insu les mêmes dans sa boutique de disques de carne avec les siens propres : « Je aimes­tu tant l’humiliation ») et chose. On ne vous soigne pas.
gestes, menant immanquable­ Portobello la gravure fatale. suis cette silhouette en haut­de­ contribue à l’élégance d’un style A l’asile, on est à l’affût d’un si­
ment à leur propre destruction. Comme Margot et comme son forme et cape de laine qui traverse qui effleure plus qu’il n’étale, gne qui donnera la possibilité
Tout commence à Amsterdam, au propre grand­père, Ferdinand à l’aube la place du village. (…) Je même face au monstrueux ou au au psychiatre de vous garder
milieu du XVIIe siècle, cité qui, von Hauser, l’obsession de la suis l’anonyme qui s’enfonce sous sordide. Comme si le toucher sub­ encore plus longtemps. »
telle qu’elle est décrite, a la centra­ Femme­écrevisse enfonce ce un pont, qui retourne à la succes­ til était l’arme la plus sûre pour 100 000 personnes sont in­
lité et l’effervescence de la New jeune fêtard privilégié et bohème sion des nuits, des fêtes, l’œil qui se exhiber le chaos du monde.  ternées chaque année sous
contrainte. Les plaintes sont
peu nombreuses, tant l’expé­

Grandir et mourir pour Vukovar rience fragilise. Il aura fallu


deux ans à Marius Jauffret
pour accoucher de ce récit
poignant qui trace les con­
Un roman d’apprentissage intranquille de Timothée Demeillers, au moment où la Yougoslavie se disloque tours d’une zone de non­droit,
aussi inefficace qu’humiliante
pour les patients. Un dossier
XXe siècle finissant au récit d’éducation qui a aussi participé à l’écriture de la enfle jusqu’au carnage à l’insu des par­ de Télérama dénonçait déjà
sentimentale et politique. chanson, vient de perdre sa mère, son ties prenantes incrédules : « Une guerre ? ! les dérives de l’internement
Le roman avance à cloche­pied, entre père est chômeur et, tout en rêvant Mais t’es pas sérieux ? Tu ne peux pas sin­ psychiatrique sans consente­
France et Yougoslavie, enfance et âge d’autre chose, elle se raccroche à l’amour cèrement penser qu’une guerre va éclater ment en juin 2017, l’année où
adulte, peur de l’avenir et désir d’émanci­ de Milan, une brute nationaliste. en Yougoslavie ! » Damir refuse d’y croire sortit sur les écrans le film do­
stéphanie dupays pation. Côté français : Katia, une ly­ et pourtant, quelques mois plus tard, sur cumentaire de Raymond
céenne qui se rêve poète, un peu punk, L’engrenage de la violence scène, il est conspué aux cris de « Rentre Depardon, 12 jours. Ce titre fait

C
omment se choisir un avenir s’ennuie ferme à Nevers jusqu’à ce qu’elle Entre 1990 et 1991, les tensions aug­ chez toi, le Serbe ! ». Entre­ référence au délai introduit
quand on a 20 ans ? Dans une rencontre le ténébreux Pierre­Yves, ciga­ mentent en Yougoslavie. La guerre va demain temps, la propagande a fait par une loi de 2013 au terme
petite ville française à « l’insup­ rette au bec, blouson de cuir et des envies séparer les protagonistes, mettant fin à la brume, son œuvre et le nationa­ duquel le patient doit être pré­
portable quiétude » comme en de révolte. Ils se désirent tout de suite, ex­ l’amitié de Damir et Jimmy, l’un étant de Timothée lisme a prospéré. senté à un juge des libertés.
Yougoslavie juste avant les bombes, c’est périmentent la passion, les disputes, les serbe, l’autre, croate, tandis que Nada, Demeillers, Tout aussi subtilement dé­ Lequel n’en peut mais : il n’est
le temps des postures et des excès, où retrouvailles jusqu’à ce que Pierre­Yves entraînée par Milan, va chercher dans la Asphalte, crite est la bascule de Pierre­ pas médecin. Un recours inu­
l’on se cherche en perdant sa peau d’en­ décide de partir sur les routes. haine une réponse à la misère économi­ 400 p., 19 €, Yves, et son engagement tile donc. Aucune des person­
fant pour entrer dans l’univers aussi Côté yougoslave, à Zagreb, deux amis que. Loin de là, Pierre­Yves se passionne numérique 10 €. dans une guerre qui n’est nes filmées par Depardon
excitant qu’angoissant de l’âge adulte. d’enfance, Damir, l’intellectuel imprégné pour la cause croate et quitte Katia. pas la sienne. L’auteur saisit, n’avait été autorisée à sortir.
Cette métamorphose, accélérée par de culture communiste, et Jimmy, l’anar­ Partant d’une histoire réelle, celle du sans jamais juger ou donner une expli­ Marius Jauffret boit moins.
l’irruption de la guerre, Timothée chiste hédoniste, enflamment la scène « Français de Vukovar », un Français mort cation définitive, comment une banale Il n’a pas la maladie de
Demeillers s’attache à la décrire dans underground avec leur groupe rock, Les au combat et considéré comme un héros rébellion aboutit à un acte insensé. Korsakoff. Lui et son livre se
Demain la brume. Après Jusqu’à la bête Bâtards célestes. Leur tube, Fuck You Yu, en Croatie, Timothée Demeillers dé­ Quelle est la part de la fascination pour portent bien.  macha séry
(Asphalte 2017), un roman social choc qui prend malgré eux une signification poli­ monte l’engrenage de la violence. Le tour la virilité et l’action, de l’inconscience ou
se déroulait dans un abattoir, l’auteur tique et devient un hymne à l’indépen­ de force est de faire ressentir comment du désir de fuite ? Autant de questions  Le Fumoir, de Marius Jauffret,
mêle l’évocation de ce moment si dance de la Croatie. A 300 kilomètres de toute une série de micro­événements, vertigineuses qui tissent ce livre intense Anne Carrière, 192 p., 17 €,
sombre de l’histoire européenne du là, à Vukovar, Nada, la cousine de Damir, petites frustrations et haines ordinaires, et intranquille.  numérique 13 €.
0123
Vendredi 25 septembre 2020
Critiques | Littérature | 5
Monologue d’une lesbienne
quadragénaire et mal dans sa
peau. « Permafrost », vif premier
roman de la Catalane Eva Baltasar

La femme Les derniers


pêcheurs

dégelée Une chronique fictive amène


ici le lecteur dans un village de
pêcheurs islandais. Comme
tous les lieux de pêche, celui­ci
vit au rythme de la météo, des
événements locaux, des com­
de perfection, mais qui cache ses mérages, des anecdotes. Seul
propres angoisses et son mal­être le décor varie, on dirait même
en absorbant des « médica­ que ce décor – la nature – est fi­
ments ». Pressée de voir sa fille se nalement le véritable protago­
ranger, alors que celle­ci, les­ niste du livre de Bergsveinn
ariane singer bienne, ne rêve que d’étudier aux Birgisson, dont on connaît sur­
Beaux­Arts, elle montre en exem­ tout en France la Lettre à Helga

L
a fonte du permafrost (ou ple sa cadette, doublement diplô­ (Zulma, 2013). Le quotidien
pergélisol) n’est pas une mée, mariée, mère à son tour et des pêcheurs – du moins ceux
catastrophe pour tout le exerçant un emploi à mi­temps. FRANÇOIS FONTAINE /AGENCE VU qui résistent encore à la pêche
monde. Si l’érosion de L’objet d’Eva Baltasar, dans ce industrielle – est magnifié par
cette couche gelée recouvrant livre découpé en épisodes courts cette nature : ils la combattent,
d’immenses surfaces dans le et cocasses, est de raconter satisfait en multipliant les aven­ appartient aux autres ». C’est mais ils en font partie. Pour le
Grand Nord risque, selon les les tentatives acharnées d’une tures. Mais ce serait briser la glace auprès de la narratrice que sa lecteur, surtout non islandais,
scientifiques, d’accélérer le ré­ femme pour se construire dura­ de protection derrière lequel elle sœur et sa tante cherchent ainsi leur vie a des allures d’un exo­
chauffement climatique global et blement, quand elle est tiraillée s’abrite pour éviter de souffrir. A du réconfort à leur chagrin et tisme extrême. C’est cette ten­
de libérer d’anciens virus qui y entre ce que son entourage attend Bruxelles, elle refuse ainsi la de­ leurs doutes amoureux, alors sion constante entre banalité
seraient enfouis, elle provoque d’elle et ses propres désirs. Main­ mande en mariage de Veronika, qu’elle peine elle­même à com­ et hors­norme qui fait sortir le
en littérature de réjouissantes tes fois traité par ailleurs, ce sujet une cadre d’entreprise haut pla­ bler sa solitude existentielle. livre des limites d’une « sim­
surprises. Le « permafrost » du est ici abordé avec une vivacité cée à laquelle elle donne des « Comment c’est, avec une permafrost ple » chronique. Elle permet à
premier roman éponyme de la d’écriture et un humour déses­ cours d’espagnol. De retour à Bar­ femme ? », s’entend­elle (Permagel), l’auteur d’aborder des ques­
Catalane Eva Baltasar, autrice péré qui donnent toute son origi­ celone, elle rompt avec Roxane, demander plusieurs fois, d’Eva Baltasar, tions plus vastes, dont la prin­
d’une dizaine de recueils de poè­ nalité au récit. Ainsi quand la pro­ une amante française adorée et comme si le fait d’assumer traduit du catalan cipale : qu’adviendra­t­il de
mes, est un manteau rigide dont tagoniste, après avoir enchaîné admirée, « parce que le simple fait son orientation sexuelle lui par Annie Bats, l’humanité, si les dernières
s’est drapée la narratrice. Une ca­ les petits boulots, se fait enfin d’être avec elle l[a] faisait [se] sen­ donnait les clés d’une pléni­ Verdier, 124 p., 15,50 €, communautés traditionnelles
rapace entre elle et le monde, qui embaucher dans un journal, trois tir infrahumaine ». tude qu’elle n’a pas trouvée. numérique 11 €. « organiques » disparaissent
lui permet de mettre à distance mois à peine après sa première Tout le piquant de ce roman, Naviguant habilement en­ de la surface du globe ? 
ses émotions et les individus qui collaboration, c’est la désolation : succès surprise en Espagne, tient tre les existences congelées et le elena balzamo
traversent sa vie. Des craquelures « Pour la première fois, je me suis au décalage entre les fantasmes bouillonnement des âmes écor­  Du temps qu’il fait (Landslag er
s’y forment, et l’on distingue, à sentie décolorée, un mélange de que projettent sur la narratrice chées, Eva Baltasar ouvre ici une aldrei asnalegt), de Bergsveinn
travers ses interstices, tout un tons affreux, une sorte de gris ver­ les femmes de son entourage voie médiane et praticable, pour Birgisson, traduit de l’islandais par
magma de sensations, doutes et dâtre terne innommable », confie­ – qui voient en elle une femme li­ qui accepte de s’exposer aux Catherine Eyjolfsson, Gaïa, 224 p.,
aspirations qui se dérobaient au t­elle, alors que ses parents, ivres bre et épanouie – et le sentiment vents contraires.  22 €, numérique 17 €.
regard extérieur. Une mine de de fierté, la félicitent d’avoir enfin d’asphyxie qui étreint celle­ci, la
trésors qui, à l’instar des ani­ « trouvé [sa] voie ». poussant à envisager d’un bout à
maux préhistoriques récemment l’autre du livre toutes les maniè­

SÉLECTION PRIX FEMINA


découverts avec le dégel de l’Arcti­ Vie intime res possibles de se suicider. Eva
que, se laissent contempler avec Loin de ces proches étouffants Baltasar, qui signe ici le premier
un brin d’exultation coupable. et d’un itinéraire professionnel volet d’une trilogie consacrée
La narratrice de ce roman, bâti
comme un long monologue, est
bordé, la narratrice pourrait trou­
ver son secours dans sa vie in­
aux femmes, joue à merveille de
ce déphasage entre le paraître, in­ PALMARÈS DE LIVRES HEBDO
PLÉBISCITÉ PAR LES LIBRAIRES
une quadragénaire de Barcelone. time : elle assume parfaitement, timement lié aux préjugés portés
Hypersensible, elle tente de sur­ depuis la prime adolescence, sur qui se soustrait à la norme, et
vivre depuis l’enfance à une mère son homosexualité, tout comme les déchirements secrets de son
dominatrice et toujours en quête son vaste appétit charnel, qu’elle personnage, pour qui « la vie
« Un roman à l’écriture exigeante,
grand coup de cœur de cette rentrée 2020 ! »
Le désespoir de la famille Petrov Librairie Furet du Nord, Lille
Un roman philosophique et pince­sans­rire du Russe Alexeï Salnikov « Un récit sublime, tragique, à la plume étudiée…
Énorme coup de cœur ! »
des allures fantasmagoriques, surprenant roman de l’année »,
tandis qu’au niveau factuel, tri­ soulignait le contraste entre le Librairie Les Mots à la bouche, Paris
vial à souhait, rien ne se passe : Russe moyen, un « Petrov » qui se
on va au travail, on en revient, on
avale une aspirine…
reconnaîtra sans peine dans les
personnages, et la fantasmagorie
« Quelle belle surprise !
elena balzamo Progressivement, le lecteur se qui se cache derrière les détails On plonge, on s’immerge dans Les Graciées. »
rend compte d’un fait étrange : les plus anodins : « Il y a de la
Librairie Caractères, Issy-les-Moulineaux

A
sa parution en 2016, malgré leurs interactions magie dans le quotidien. Le trolley
d’abord en feuilleton constantes, une absence de est une énigme. La rue qu’on
dans une revue, puis communication totale règne en­ emprunte tous les jours et qu’on
en volume l’année sui­ tre les individus. Les gens – pas déteste justement parce qu’on « Un véritable souffle,
vante, Les Petrov, la grippe, etc., seulement les Petrov – sont des l’emprunte tous les jours recèle un
d’Alexeï Salnikov (né en 1978), a « étrangers » au sens camusien, mystère », écrit­il. Le critique in­ passionnant. »
remporté un grand succès auprès des « monades » au sens leibni­ vite également à une lecture par­
du public et suscité d’âpres dé­ zien, et les sentiments qu’ils ticulièrement attentive, indis­ Librairie Page et Plume, Limoges
bats au sein de la critique russe. éprouvent et qu’ils inspirent pensable pour découvrir les liens
Ce livre faisait l’effet d’un ovni,
échappant à toutes les étiquettes,
rappellent à s’y méprendre la
« nausée » sartrienne en même
qui forment le tissu narratif et
structurent le texte à première
« On est complètement
à la fois banal et d’une grande ori­ temps que son « enfer, c’est les vue décousu : on ne peut que se emporté par
ginalité, décousu et artistement autres ». joindre à cette recommandation.
structuré, bavard et concis… Certes, Les Petrov, la grippe, etc. ce texte puissant. »
Comment son nom l’indique, il La condition humaine pourra susciter un malaise : sa
s’agit du roman d’une famille Salnikov décrit un univers lecture n’est ni facile ni toujours Librairie Decitre, Lyon Part-Dieu
– Petrov étant l’équivalent russe d’aliénation absolue, dont les agréable, on se sent parfois in­
de Dupont ou Durand. Une fa­
mille lambda donc, habitant une
causes semblent dépasser les
contingences historiques (héri­
commodé par la dostoïevschina,
mot russe, le plus souvent à
« Un roman addictif.
ville de province, en l’occurrence tage soviétique, désarroi post­so­ connotation négative, qui dési­ À lire d’urgence ! »
Ekaterinbourg (autrefois Sver­ viétique, etc.) pour devenir méta­ gne les contorsions psychologi­
dlovsk), à plus de 1 500 km à l’est physiques et interroger celles ques en littérature. Il est vrai, le Nouvelle Librairie sétoise, Sète
de Moscou. Tellement lambda de la condition humaine. Dans livre d’Alexeï Salnikov n’en est pas
que le lecteur ne connaîtra l’ensemble, la littérature russe exempt, mais cet aspect­là n’est
même pas les prénoms de contemporaine n’est pas parti­ jamais gratuit, il permet à l’écri­
ses membres : Petrov, Petrova, culièrement gaie, mais on trou­ vain de révéler la face cachée des
Petrov­junior… Au début de l’his­ vera difficilement un autre ro­ choses, comme des êtres. 
toire, le premier, un mécanicien, man d’une noirceur aussi totale,
attrape la grippe et contamine rendue encore plus macabre par les petrov, la grippe, etc.
les deux autres. La fièvre va l’humour pince­sans­rire qui illu­ (Petrovy v grippe i vokrug nego),
altérer l’esprit de chacun, faisant mine certains épisodes. d’Alexeï Salnikov,
affluer des images du passé, Un influent critique russe, traduit du russe
transformant la perception du Constantin Miltchine, défenseur par Véronique Patte,
présent, les rapports avec l’en­ fervent du livre de Salnikov, qu’il Les Syrtes, 310 p., 22 €,
tourage. Le quotidien prendra qualifiait à sa parution de « plus numérique 16 €.
6 | Histoire d’un livre 0123
Vendredi 25 septembre 2020

Revenir à Christmas Island Le programme d’« EM »


Au moment où Philippe Besson
écrivait le compte rendu officiel de la
campagne victorieuse d’Emmanuel
Sous ce nom festif se cache un sinistre camp de rétention au large de l’Australie. Macron (Un personnage de roman,
Julliard, 2017), Marie Tanguy en
Une île qui a longtemps fasciné Dorothée Janin, mais lui a aussi longtemps résisté consignait sa propre version. Trois
ans plus tard, voici ce récit qui peut
se lire comme le négatif du sus­cité.
Ce n’est pas la geste du futur vain­
queur que son ex­plume fixe ici,
mais l’ordinaire d’une campagne
extraordinaire vue des coulisses.
Précisément : depuis la pièce où
s’élabora le programme. Embauchée
raphaëlle leyris en février 2017, Marie Tanguy, 30 ans
à l’époque, quittera le siège peu

C
e qu’un auteur renonce avant le premier tour, rattrapée par
à insérer dans un livre ses fragilités autant que par ses
compte autant, peut­ convictions de gauche, qu’elle avait
être, que ce qu’il y met. crues compatibles avec la défense de
Au cœur du magnétique L’Ile de « l’émancipation » prônée par « EM ».
Jacob, une image manque, qui a Lequel n’apparaît que furtivement :
été « déterminante » dans le che­ ce sont les hommes de l’ombre (il y a
min d’écriture de Dorothée Janin. si peu de femmes) qui intéressent
C’est celle du naufrage d’un navire Marie Tanguy, avec leur capacité de
transportant des migrants venus travail inhumaine, leur jeunesse as­
d’Irak et d’Iran au large de Christ­ surée, leur approche
mas Island, île australienne située marketing de la poli­
dans le nord­est de l’océan Indien tique. Le mélange de
et accueillant un centre de réten­ fascination et d’effroi
tion pour les demandeurs d’asile. avec lequel elle les
Contre ses falaises, quarante­huit décrit a quelque chose
personnes ont péri le 15 décem­ de ravageur.  r. l.
bre 2010.  Confusions,
Dorothée Janin a découvert si­ de Marie Tanguy,
multanément l’existence de ce JC Lattès, « La Grenade »,
territoire de 136 kilomètres carrés 220 p., 18 €, numérique 13 €.
et ce drame. C’était en 2012, et la
journaliste, alors autrice d’un ro­
man et d’un recueil de nouvelles
(La Vie sur terre et Mickey Mouse Son d’une adolescence
Rosenberger et autres égarés,
Denoël, 2007 et 2010), cherchait Migration des crabes rouges, sur la route principale Christmas Island, en 2000. CLAUDINE DOURY/AGENCE VU En 2015, Sylvia Hansel signait, avec
l’inspiration pour participer à un Noël en février (Rue Fromentin), un
livre collectif consacré à Noël premier roman captivant sur l’ado­
– Christmas, en anglais. Ce qu’elle lescence dans les banlieues pavillon­
voit d’abord de Christmas Island naires. Cannonball propose la ver­
est ce qu’en a filmé Werner Her­ 21 kilomètres de long et 18 de large pertinente à ces sujets que [sa] voi­ sion réelle de l’histoire, racontée à
zog, et qui figure dans deux films du lieu concentrent « deux grands sine ». Ce qui l’intéresse d’explo­ travers les chansons qui ont marqué
(Echos d’un sombre empire, 1990, sujets de l’époque », entre la crise rer, c’est le « sentiment d’impuis­ EXTRAIT sa jeunesse dans les années 1990. Si
des réfugiés (le centre de réten­ sance qui mine nos consciences ». on retrouve la réflexion sur les fron­
tion y a été ouvert de 2001 à 2018) A cette impression « de n’avoir « J’ai encore la photo du dessin de ma tières géographiques et sociales, l’ap­
Ce que l’autrice voit d’abord et la catastrophe écologique (liée aucune prise sur le monde », elle semelle imprimé dans la poudre de proche, plus émotionnelle, célèbre le
de Christmas Island est ce notamment à l’exploitation du trouve des résonances dans l’ado­ phosphate comme sur un sol lunaire, à pouvoir qu’a la musique de nous ra­
phosphate). « Obsédée » par l’île, lescence, dont elle veut faire l’âge côté de la trace, nette et précise, d’une mener à des moments précis de nos
qu’en a filmé Werner Herzog, elle écrit sa nouvelle en la cen­ de ses personnages habitant sur scolopendre géante – sorte de gros mil­ existences et aux sentiments qui les
et qui figure dans deux films : trant sur le naufrage de 2010. Christmas Island. le­pattes vorace, venimeux, introduit ont accompagnés. Du Velvet Under­
Aujourd’hui, elle juge que son Elle lit tout ce qu’elle peut trou­ accidentellement sur l’île depuis l’Asie ground aux Breeders, en passant par
la transhumance de millions texte était « sans doute déplacé » ver sur l’endroit, passe des heures continentale : à côté de sa morsure, Nirvana ou les Sex Pistols, chaque
de crabes rouges à la saison dans le recueil Noël quel bonheur ! à l’arpenter virtuellement sur celle du serpent­loup, un autre envahis­ chapitre déroule la bande­son des
des pluies. « J’ai été hypnotisée (Armand Colin, 2012), au milieu Google Earth, faisant le choix de seur débarqué lui de l’Inde, est une par­ premières amours, amitiés, des rêves
des histoires de dinde et de dispu­ ne pas se rendre sur place pour tie de plaisir. Alliés aux sections d’as­ contrariés… Dans un style spontané
par la lumière plombée et par tes familiales bardées de bolduc. que l’île conserve une dimension saut des folles jaunes, les scolopendres et inventif, ce récit autobiographi­
ce spectacle de grouillement » Mais l’envie de revenir à Christ­ fictive. Elle fomente son intrigue, et les serpents­loups s’étaient lancés, que, qui évoque parfois un Haute
mas Island, ce « nombril du imagine ses personnages et les eux aussi, dans une vaste entreprise Fidélité (de Nick Hornby, Plon, 1997),
monde », ne s’atténue pas, et sentiments « très personnels » d’éradication de la faune locale (…). à la française, se lit comme le journal
et Invincible, 2002) : la transhu­ Dorothée Janin réfléchit à un ro­ qu’elle veut leur attribuer, tout en Mon père fréquentait parfois des scien­ rétrospectif, fougueux et lucide,
mance de millions de crabes rou­ man – « qui ne serait porteur de veillant à ce que les événements tifiques en mission sur l’île, qui se con­ d’une jeune fille pour
ges à la saison des pluies. « J’ai été message ni sur l’avenir de la auxquels ils sont liés soient le sacraient à la lutte contre ces nuisibles. qui le rock est une
hypnotisée par la lumière plombée planète, ni sur les réfugiés », moins autobiographiques possi­ D’autres traquaient les derniers signes passion, un refuge et
et par ce spectacle de grouille­ s’empresse de préciser celle qui ble. « Je me méfie de l’exhibition », de vie des espèces en voie d’extinction. » une grille de lecture
ment. » Très vite, elle se dit que les estime n’avoir pas « d’opinion plus dit la nièce du militant révolu­ du monde. 
tionnaire Pierre Goldman (1944­ l’île de jacob, pages 118­119 virginie françois
1979) et du chanteur Jean­Jacques,  Cannonball.
attentive à ne pas « prendre le L’adolescence n’est pas
Apprentissage de la dévastation risque d’exposer l’intimité de [sa]
famille et de [ses] proches ».
une chanson douce,
de Sylvia Hansel,
QUAND IL EST occupée par un centre de réten­ Ses réflexions l’amènent à pren­ Intervalles, 364 p., 20 €.
ARRIVÉ À tion pour demandeurs d’asile, il dre conscience qu’une autre nouveau mon récit. » Un narra­
CHRISTMAS recroise Vicky, une amie de cette forme d’« obscénité » menace, qui teur, croisant à Sydney une an­
ISLAND, le époque, avec laquelle il partage consisterait à mêler l’évocation cienne amie, revient sur ce qu’ils
narrateur avait des souvenirs lourds de culpabi­ du naufrage de 2010 à celle des ont vécu, à Christmas Island, évé­ Future Lettonie
16 ans, l’âge lité, au centre desquels se dresse tourments de ses personnages. nements dont il n’a qu’une vision
des commen­ la figure fascinante de Jacob Elle se trouve incapable de pour­ parcellaire. Dorothée Janin sup­ Riga, en Russie, hiver 1906. Trois en­
cements et des Cazaly, qui fut l’ami de l’un et suivre son livre et le met de côté. prime aussi des phrases, y com­ fants sont enlevés au cœur de la ville.
possibles. Mais il accompagnait l’amant de l’autre. En 2017, Dorothée Janin manque pris certaines sur lesquelles elle a Qui sont les ravisseurs ? Les hypo­
sur ce bout de terre austra­ Dorothée Janin parvient à char­ de mourir en donnant naissance passé des semaines – « Stephen thèses circulent : les uns accusent
lienne, dans l’océan Indien, son ger ses courtes phrases d’images à son fils. De cette expérience, elle King appelle ça “sacrifier ses peti­ les juifs, d’autres les anarchistes ou
entomologiste de père, venu frappantes, de sensations préci­ tire la certitude qu’elle ne peut tes chéries”. » les sociaux­révolutionnaires. Après la
assister au « désastre », à la ses, de rêveries et, même, de continuer à vivre sans écrire. Re­ Arrivée au bout de ce qu’elle révolution de 1905 qui a secoué l’em­
« destruction d’un écosystème ». pointes d’humour. Sur ce roman tour au manuscrit, après un dé­ peut enlever par elle­même, elle pire, des soubresauts continuent
Son passage là­bas a ainsi dont les personnages font l’ap­ tour par sa bibliothèque : inquiète montre le texte à l’écrivain Jean­ de se faire sentir dans cette région. Si
d’emblée pris des teintes prentissage de la dévastation, de ne plus pouvoir créer des phra­ Marc Parisis, qui avait soutenu quelques maladresses empêchent le
crépusculaires. elle laisse planer une atmos­ ses qui sonneraient comme elle le son premier roman, et l’oriente lecteur de ressentir pleinement l’am­
Des décennies plus tard, phère de menace aussi souhaite, elle s’immerge dans les vers son éditrice chez Fayard, biance de l’époque, on reconnaîtra à
alors qu’il a depuis longtemps persistante que les remugles en­ textes qui la nourrissent. Le cor­ Stéphanie Polack. Celle­ci dit au l’auteur, Osvalds Zebris (né en 1975), le
quitté cette île minuscule, dont vahissant l’île et obligeant ses pus court de Ronsard à Chuck Pa­ « Monde des livres » avoir été mérite d’avoir relevé un défi : celui de
une importante partie était habitants à penser à ces réfugiés laniuk, en passant par Georges « frappée par la manière dont faire découvrir une période histori­
dont ils s’efforcent pourtant Simenon, Colette, John Fante… La Dorothée faisait vibrer cette île », que, fascinante et mal connue, durant
d’oublier la présence. voilà prête à se lancer pour de autant que par « ses phrases inten­ laquelle le melting­pot en ébullition
Autant que l’adolescence où bon, avec discipline et journées sément habitées », l’« inquiétude qu’était ce territoire – y cohabitaient
L’ÉCRITURE PREND VIE
l’on est « occupé à grésiller dans en bibliothèque, loin de l’état de furieusement contemporaine qui Lettons, Russes, juifs et Germano­
[ses] hormones et l’angoisse de « transe » dans lequel elle a com­ se dégageait du texte »… Elle ex­ Baltes – était en train d’accoucher de
tout », la romancière décrit avec posé ses deux premiers livres. horte notamment l’écrivaine à la nation lettone,
une justesse remarquable un Le roman s’écrit essentielle­ « assumer » son parti pris de dont l’Etat verrait
monde où la sidération a ment en retranchant : Dorothée structure en flash­back, en ne se le jour en 1918. 
« tourné à l’habitude ». Et où, à Janin avait d’abord en tête une contentant pas de mentionner les elena balzamo
l’image du père entomologiste, histoire plus compliquée, elle retrouvailles à Sydney au début et  A l’ombre de la
on se fait à l’idée que « personne décide de retirer des personnages, à la fin du texte, mais en y reve­ Butte­aux­Coqs (Gaiļu
ne sauve personne ».  r. l. des informations sur ceux qui nant à mi­parcours. A ajouter, kalna ena), d’Osvalds
restent, des étapes de l’intrigue… donc, des éléments à son roman, Zebris, traduit du letton
l’ile de jacob, « J’avais un échafaudage roma­ plutôt qu’à en ôter. Car cela, Doro­ par Nicolas Auzanneau,
de Dorothée Janin, nesque, je l’ai cassé, et suis repartie thée Janin a prouvé qu’elle le Agullo, 260 p., 21 €,
Fayard, 208 p., 18 €, numérique 12 €. des personnages, pour tisser à faisait fort bien toute seule.  numérique 14 €.
0123
Vendredi 25 septembre 2020
Critiques | Essais | 7
Dangereux royalisme transpyrénéen
« Royalistes de tous les pays, unissez­vous ! » Tel pourrait être
le sous­titre du brillant travail qu’Alexandre Dupont consacre
aux solidarités reliant les partisans de l’Ancien Régime de
serge audier part et d’autre des Pyrénées, dans les années 1870. Les légi­
timistes français apportent alors un soutien idéologique,

P
ar­delà la droite et la gauche » : la logistique et militaire aux carlistes espagnols, qui mènent
formule du sociologue anglais une insurrection armée afin d’installer sur le trône leur pré­
Anthony Giddens a fait date tendant, le traditionaliste don Carlos (1848­1909). Une his­
dans la politologie et dans le toire pleine de paradoxes : au nom du passé et de l’enracine­
champ idéologique. Avec l’effondrement ment, ces partisans de la monarchie expérimentent toute la
du communisme, la mondialisation et la gamme des mobilisations politiques modernes et de l’inter­
crise écologique, soutenait­il en 1994, le nationalisme militant. D’improbables connexions s’établis­
vieux clivage droite­gauche devait être sent entre les aristocrates du faubourg Saint­Germain et les
dépassé. Ainsi justifiait­il l’avènement populations paysannes de la frontière, qui forment la base
d’un nouveau centre gauche aux Etats­ arrière de leur entreprise subversive. Plusieurs années du­
Unis et au Royaume­Uni, ensuite rebap­ rant, une guérilla tenace fait vaciller l’Etat, en Espagne, mais
tisé « progressisme ». Mais son approche aussi en France, où les autorités peinent à démanteler les
se heurta vite aux critiques de ceux qui, organisations transnationales qui font transiter
tel le philosophe italien Norberto Bobbio, l’or, les armes et les idées de la contre­révolution.
mirent en avant l’idéal égalitaire : irréa­ Malgré l’échec de l’entreprise, l’étude révèle
liste et dangereux pour la droite, il restait l’efficacité, à l’échelle locale, d’une politisation
pour la gauche une « étoile Polaire ». fondée sur le catholicisme et le refus de la
Aujourd’hui, ce débat renaît en France, démocratie libérale, que le franquisme pourra
après la victoire d’Emmanuel Macron en partie réactiver.  andré loez
autour d’une idéologie qui se voulait « et  Une internationale blanche. Histoire d’une
de droite et de gauche », et dans un mobilisation royaliste entre France et Espagne dans
contexte où plusieurs forces politiques les années 1870, d’Alexandre Dupont,
évitent de se situer sur l’axe droite­gau­ A l’Assemblée nationale, en 2013. Discours de Christiane Taubira sur le mariage pour tous : les bancs de droite se vident. Editions de la Sorbonne, 420 p., 25 €.
che, jugé toujours moins pertinent pour CHARLES PLATIAU/REUTERS
l’électorat. Il s’agit pourtant, avertit la po­
litiste Janine Mossuz­Lavau, d’une grave
erreur intellectuelle et politique. Le Cli­
vage droite gauche, son nouvel ouvrage,
Dans un essai limpide, la politiste Janine Mossuz­ Claude Hagège, homme-orchestre
qui synthétise et prolonge des décennies
de recherche, soutient qu’une grande
Lavau retrace l’histoire et montre la persistance, Professeur émérite au Collège de France, auteur de livres à
succès, Claude Hagège est bien connu pour son savoir des
partie de la population française conti­
nue à se positionner clairement autour chez les Français, de cet axe idéologique majeur langues. En revanche, il n’avait rien dit, jusqu’à présent, de
son immense passion pour la musique. Cet essai fait décou­
des références de droite et de gauche, et vrir, plus encore qu’un amateur très éclairé, un véritable
sait très bien de quoi il en retourne. Sa
méthode, fondée avant tout sur des en­
tretiens fouillés, lui permet de repérer les
choix de valeurs qui sous­tendent les
Droite et gauche, amant des timbres et des intensités sonores, un homme épris
de sonates, de symphonies, d’opéras… Ce fou de la musique
arpente ses instruments, son histoire, ses écoles, sans oublier
ce qu’elle fait au cerveau. La curiosité enthousiaste de Claude

valeurs tenaces
orientations des uns et des autres. Hagège s’étend à tous les aspects de la musique, qui « se situe
Les catégories de « droite » et « gauche » au plus profond de l’identité humaine ». On regrette que le
remontent à la Révolution française, où linguiste et le mélomane n’aient pas dialogué de
elles servirent à distinguer dans l’assem­ manière vraiment approfondie, en creusant les
blée partisans et adversaires du veto convergences et divergences du langage parlé et
royal, que la Constituante accorda à de l’expression musicale « prélinguistique ». Mais
Louis XVI en 1789. Elles ont certes mis du cet essai, qui plaide aussi en faveur d’une éduca­
temps à structurer la vie politique en tra­ mœurs, s’alarment des inégalités Nord­ divergences sur tous ces sujets n’ont ab­ tion musicale active, enseigne avant tout ceci
duisant les batailles entre cléricaux et Sud. Elles défendent des politiques redis­ solument pas disparu. d’essentiel : ce n’est pas l’humanité qui fait la
anticléricaux, royalistes et républicains, tributives et un ample Etat social. En S’il y a bien une crise du clivage droite­ musique, mais bien la musique qui fait
opposants et soutiens du progrès social. outre, alors que les gens de droite mani­ gauche, ce serait donc beaucoup moins, l’humanité.  roger­pol droit
Mais elles indiquent un net clivage qui, festent un fort pessimisme sur l’être hu­ selon Janine Mossuz­Lavau, en  La Musique ou la mort, de Claude Hagège,
par­delà ses évolutions, procède d’une main, dont il faudrait brider les condui­ termes de « demande » que le clivage Odile Jacob, 230 p., 21,90 €, numérique 18 €.
différence d’attitude vis­à­vis de l’égalité. tes, les gens de gauche sont plus optimis­ d’« offre » : les organisations po­ droite gauche.
Ainsi, depuis les premières études des tes et confiants quant aux capacités de la litiques seraient devenues inca­ toute une
années 1950­1960 sur l’autopositionne­ société et de l’humanité à s’améliorer. pables de répondre, en matière histoire,
ment des citoyens suivant l’axe droite­ Certes, depuis les années 1980, des de programme, d’idéologie et de Janine

MAGYD
gauche, on observe des constantes. évolutions sont notables. Ainsi, souligne de communication, aux convic­ Mossuz­Lavau,
Janine Mossuz­Lavau, l’immigration est­ tions des citoyens, qui aspire­ Presses de Sciences
A l’épreuve des désillusions elle devenue une pomme de discorde raient à retrouver des alterna­ Po, « Nouveaux
En gros, les personnes de droite sont centrale entre individus de droite et de tives lisibles. C’est pourquoi débats », 170 p., 12 €

CHERFI
attachées à des formes de hiérarchie et gauche. Et puis, à l’épreuve des désillu­ le centrisme macronien, qui
d’autorité, à des inégalités de salaire et de sions de la gauche au pouvoir, des pres­ tourne d’ailleurs à droite, pourrait n’être
patrimoine, à un ordre dans la société et sions de la mondialisation ou de la perte qu’une parenthèse avant une recomposi­
les mœurs. Elles valorisent la liberté en­ d’influence du catholicisme et du com­ tion : les braises du clivage droite­gauche,
trepreneuriale et les chefs, les sanctions munisme, on constate un recentrage par­ toujours rougeoyantes, ont des chances
et punitions, dénigrent l’« assistanat » au tiel. Tandis qu’une majorité de personnes de se rallumer si des propositions politi­
nom du travail et de la méritocratie. Au de gauche croit désormais moins en la ques claires et renouvelées émergent.
contraire, les personnes de gauche s’indi­ possibilité d’une société très égalitaire, Faute de quoi, prévient la politiste, ce
gnent des inégalités et de l’injustice so­ nombre de personnes de droite sont plus sont plutôt les insatisfactions et les

du
ciale, aspirent à une démocratisation des tolérantes sur les mœurs et plus atten­ révoltes qui risquent de gronder toujours
institutions, sont plus tolérantes sur les tives aux drames sociaux. Reste que les davantage. 

Maître­penseur souabe et disciples japonais


part
La réception de Heidegger par l’Ecole de Kyoto, un surprenant essai de Bernard Stevens

nicolas weill
de cet essai n’est donc pas de
nous aider à corriger ce point de
vue paresseux ; ne serait­ce qu’en
mettant en évidence les circula­
tions incessantes et réciproques
qui ont eu cours d’un bout du
Kyoto, l’illustre, et plus encore ce­
lui de certains de ses disciples,
comme Keiji Nishitani (1900­
1990). Bernard Stevens estime
néanmoins que l’idéalisme alle­
mand et l’hégélianisme, davan­
conscience séparée de son objet,
mais l’être engagé dans l’expé­
rience et le monde quotidien (le
Dasein), tout comme la concep­
tion positive et dynamique du
néant chez Heidegger, voilà ce
Sarrasin
La
part
Sarrasin
Sarrasin
du
monde à l’autre, à travers des tage que les courants ultérieurs, qui a pu éveiller des « convergen­

H
eidegger et l’Ecole de frontières bien moins herméti­ portent la vraie responsabilité ces de sensibilités » avec des philo­
Kyoto, de Bernard ques qu’on ne l’imagine. des dérives nationalistes que sophes, comme Nishida, en quête
Stevens, chercheur à Pour Bernard Stevens, il est par connaîtra le Japon au XIXe siècle. d’une spiritualité marquée par le
l’Université catholi­ exemple faux, comme l’avait bouddhisme zen, où le néant
que de Louvain (Belgique) et écrit Edmund Husserl en 1935 – et La conception du néant mène à l’absolu. “Un hommage permanent au français, un
auteur de nombreux ouvrages comme Jacques Derrida a repro­ L’auteur concentre son ouvrage Même si le corpus sur lequel métissage de mots, un assemblage d'images
sur la philosophie et la politique ché à ce dernier de l’avoir fait sur la réception, par cette école, de Bernard Stevens fonde sa lecture
japonaises, doit être salué non dans De l’esprit. Heidegger et la la phénoménologie et surtout de du philosophe allemand se révèle et de références - de Claude Nougaro à Stefan
seulement parce qu’il défriche question (Galilée, 1987) –, d’oppo­ la philosophie de Martin Heideg­ un peu classique (nulle mention Zweig en passant par Mahmoud Darwich ou
avec clarté des territoires intellec­ ser une « humanité européenne », ger, dont le compagnonnage avec n’y est faite des Cahiers noirs Arrested Development.
tuels difficiles pour le profane, supposée seule porteuse d’« idée le régime national­socialiste ne qui bouleversent, depuis 2013, Hubert Artus,
mais aussi parce qu’il permet de absolue », à la Chine ou aux « In­ dérangea guère la plupart de ses les études heideggériennes), cet
réviser nos polarités trop familiè­ des », réduites à de simples « types admirateurs de Kyoto. Dans la ouvrage demeure précieux. Il
Lire-Le Magazine littéraire
res, comme celle qui oppose anthropologiques ». Pour le première partie du XXe siècle, les nous introduit à ces philosophes
l’Orient à l’Occident. meilleur et pour le pire, montre intellectuels japonais avaient du importants et méconnus du “Une langue toute de surprises et d’embuscades,
Même si l’on sait depuis long­ l’auteur, le cas du Japon contredit reste développé une pensée colo­ Soleil­Levant, passionnants non pratiquant à la bonne franquette l’alchimie du
temps que la représentation du ce préjugé philosophique. niale et impérialiste. Mais l’atti­ parce qu’ils sont « autres », mais
premier est, la plupart du temps, Tout imprégné de bouddhisme, rance, dès les années 1920, de phi­ parce qu’ils sont nôtres. 
verbe : la boue finit par se lire comme de l’or.”
une invention du second, nos ré­ ce pays s’est en effet ouvert de­ losophes nippons pour la pensée Antoine Perraud, La Croix
flexes nous conduisent souvent à puis le XIXe siècle à la pensée de de l’auteur d’Etre et temps (1927) heidegger et l’école
considérer toute pensée asiati­ l’Occident. L’itinéraire d’un des n’a que peu à voir avec la politique. de kyoto. soleil levant
que comme l’« autre » de la philo­ plus grands philosophes japo­ Que le point de départ du sur forêt noire,
sophie occidentale, voire son om­ nais, Kitaro Nishida (1870­1945), cheminement heideggérien soit de Bernard Stevens,
bre… L’un des moindres apports fondateur de la brillante Ecole de non le sujet connaissant ou la Cerf, 356 p., 25 €, numérique 16 €.
8 | Chroniques 0123
Vendredi 25 septembre 2020

LE FEUILLETON
CAMILLE LAURENS trucs ». Leurs secrets techniques aussi,
bien qu’intimes, sont souvent tressés à la LES MAINS
peur et révèlent la difficulté à compren­ DANS LES POCHES

Sur le fil
dre autrui, à communiquer – l’autrice
avait déjà abordé ce sujet dans son pre­ VÉRONIQUE OVALDÉ
mier roman, Hiver à Sokcho (Zoé, 2016).
Anna surtout, obsédée par ses variations
de poids potentiellement dangereuses, UNE HEURE DANS LA VIE D’UN HOMME.
est la plus difficile à apprivoiser. Athlète Mike McCormack nous fait entrer de plain­
accomplie, elle ment sur sa hantise de pied dans la pensée – ce fil d’Ariane jamais
l’accident et craint le désir pervers du pu­ interrompu – de Marcus Conway. On est
blic : « On peut dire qu’on veut du rêve dans le comté de Mayo, dans l’Ouest de l’Ir­
mais en vrai, c’est la faille qu’on espère. En lande. La cloche sonne midi. La complainte
voir chez les autres, ça rassure. » Anton, de Marcus est celle de l’ingénieur, fils père
l’un des porteurs, âgé de 65 ans, semble mari homme et garçon qui ne cesse de
dans le déni de son vieillissement : s’interroger sur l’effondrement des choses.
« Imagine s’il lâche tout (…). Comment tu Ce livre aurait pu être un dispositif, un
sais que tu dois arrêter de faire ce que t’as exercice de style inhospitalier (une longue
fait toute ta vie ? » Nino a eu un problème phrase sans ponctuation). Ce n’est ABSO­
d’alcool, puis d’oreille interne, qui met LUMENT pas le cas. Il
en péril son équilibre et donc la vie des s’agit d’un livre vision­
autres, mais il refuse de l’avouer. Natha­ naire où s’entrelacent le
lie se sent parfois tenue à l’écart : « Com­ quotidien – l’usine qui
ment peut­on me forcer à vous faire con­ alimente et empoisonne
fiance ? », pense­t­elle alors rageusement. le comté, les enfants qui
Elisa Shua Dusapin confie à sa narra­ s’en vont au bout du
trice le rôle d’observatrice ultrasensible monde ou au bout de
de l’univers circassien. Son approche des ce qu’on ne souhaitait
lieux et des êtres passe par les sensations pas – et les considéra­
tactiles, auditives et visuelles, notées en tions métaphysiques. Rê­
courtes phrases nominales, comme verie entêtée passant de
des touches d’émotion : « Sur les chaises, l’économie mondiale aux souvenirs d’en­
sous­vêtements de sport et de dentelle re­ fance, texte hanté par l’anéantissement –
croquevillés. » « Relents douceâtres. Bruits le reste du monde « s’élève en toute splen­
de mastication. Je suce un bonbon Sugar­ deur et sombre en ruines ». Si nous courons
sea pour essayer de les oublier. » Même la à la catastrophe, semble dire McCormack,
crème fouettée inspire la costumière : courons donc vers l’extinction des feux en
« Froissement de taffetas, crissement de ayant en tête le nom des constellations et
tulle, douceur mousseline. » « Est­il possi­ des arbres, courons donc en agitant les
ble, en une vie, de faire la somme de toutes bras et en riant très fort. Que peut­on faire
les différentes textures qu’on toucherait ? » d’autre ? Après avoir refermé ce livre, moi
Elle explore surtout à tâtons ce no man’s qui ai toujours dans mon sac un autre
land romanesque que sont les relations ouvrage pour ne jamais être en berne, j’ai
ALINE BUREAU
humaines lorsqu’elles ne relèvent ni de suspendu mon geste et mon insatiable
l’amour ni de l’amitié, sans pour autant appétit, et je me suis dit : « J’ai assisté à un
SI LE MOT « CIRQUE » VOUS ÉVOQUE LES groupe en se passant rapidement un bal­ manquer d’intensité. Elle s’attache à miracle littéraire. »
CLOWNS, les tigres, les paillettes et les lon imaginaire, mais à la fin, « personne montrer les corps à la fois pris dans la
écuyères sur des chevaux au galop, Vladi­ ne le ramasse puisqu’il n’existe pas ». Soli­ plus grande proximité physique et indé­ LA DÉAMBULATION DE CLAIRE DANS
vostok Circus, le troisième roman d’Elisa taires, ils le sont aussi, se rapprochant et cis quant à la réalité de leur désir – « At­ TOKYO est aussi celle du temps qui passe,
Shua Dusapin, va vous emmener de s’éloignant les uns des autres « comme traction. Gravité. Traverser l’atmosphère de la douceur et du chagrin – les virages
l’autre côté du décor. D’abord, le cirque des atomes éclatés ». et s’enflammer vers la terre. Pulser. » mal négociés, les mots qu’on ne prononce
où débarque Nathalie, jeune costumière Nathalie, nouvelle arrivée, « facile à vi­ pas. Elle dit « les promenades derrière le ci­
de 22 ans, n’emploie plus d’animaux vre », dit­elle, cherche à s’intégrer au Elisa Shua Dusapin metière de Nippori, les chats qui s’y délas­
depuis sept ans, même si leur odeur groupe déjà constitué malgré le peu d’es­ sent, le goût de la boisson au riz ». Elle
épaisse monte encore du sol et des time qu’elle a d’elle­même : « Mon rôle ne explore à tâtons donne des cours de fran­
parois en caoutchouc – « Je le touche. doit pas être bien important s’ils peuvent ce no man’s land çais à une petite fille dans
Résistance moite, poreuse comme du se permettre d’engager une inconnue. » Le un ancien hôtel fantomati­
steak » ; ensuite, nous sommes hors sai­ psoriasis dont elle souffre souligne et
romanesque que sont que et souhaite accompa­
son, face au Pacifique et, malgré le « va­ accentue sa fragilité. « C’est grave ? », de­ les relations humaines gner ses grands­parents en
et­vient des navettes pour le Ja­ mande Anna. « Je secoue la tête. Ça m’ar­ lorsqu’elles ne Corée – ils ont quitté leur
vladivostok circus, pon, la Chine, la Corée », les artis­ rive quand je suis stressée. (…) – Tant pays natal pour fuir la
d’Elisa Shua Dusapin, tes ici rassemblés, solitaires et mieux alors. » Des dialogues s’ébauchent
relèvent ni de l’amour guerre en 1952. Son grand­
Zoé, 176 p., 16,50 €, solidaires, forment une petite ainsi avec les uns et les autres, lors des ni de l’amitié père tient un « petit pa­
numérique 10 €. communauté paradoxale. Soli­ repas au réfectoire, dans les caravanes, chinko », il emploie des
Signalons, de la même daires, ils doivent l’être au plus des confidences sont échangées mais femmes­sandwichs et des
autrice, la parution haut degré puisqu’ils répètent jamais pleines et entières, ponctuées de La romancière cisèle un énigmatique types qui sont payés à at­
en poche des un numéro de barre russe longs silences – distance, pudeur, indiffé­ huis clos où persiste une forme de ma­ tendre devant la porte avant l’ouverture,
Billes du Pachinko comportant quatre triples sauts rence ? –, comme si la confiance était ré­ laise en dépit de tout, comme si le sou­ « pour faire croire au faste ». Sa grand­mère
(lire ci­contre la chronique périlleux. servée au numéro d’acrobatie. Quand les rire étrange, ni vrai ni faux, qu’accro­ collectionne les Playmobil et se perd dans
de Véronique Ovaldé). Anna, Anton et Nino forment autres mettent leurs oreillettes pour chent à leur visage, « quoi qu’il ad­ Tokyo. Les Billes du Pachinko, d’Elisa Shua
l’un des cinq meilleurs trios du écouter de la musique, « je mets alors mes vienne », les artistes de cirque planait Dusapin, est un livre plein de délicatesse
monde à cet exercice qu’ils vont présen­ propres écouteurs, explique la narratrice, aussi sur le récit. On les quitte en les et de mélancolie, épuré à l’extrême, un
ter bientôt lors d’un concours à Oulan­ mais sans musique, et je reste là, concen­ aimant sans vraiment les connaître, eux­ livre de sensations, parsemé de touches
Oudé, loin à l’ouest. Léon, le chorégra­ trée sur le son intérieur, et j’ai l’impression mêmes repartent sur le fil périlleux de minutieuses.
phe, et Nathalie, la costumière, doivent d’être avec eux. » l’existence, funambules entre ciel et
aussi être à l’écoute de leurs moindres Peu à peu, elle décrypte mieux « le ré­ terre, à la manière de certains pinsons CLAUDIE HUNZINGER EST, ELLE AUSSI,
sensations. « Le corps a sa propre intelli­ seau du cirque, cette grande forêt pleine que la taille de leurs ailes empêche de se OBSÉDÉE PAR L’EFFONDREMENT ET L’EX­
gence », qu’il faut savoir entendre. Ils de mensonges », avec « tous ces gens qui poser. « Alors ils restent en vol. Ils arrivent TINCTION (finalement, la littérature passe
vérifient par exemple la cohésion du vivent du mystère pour protéger leurs à vivre toute une vie sans se poser. »  son temps à se débattre avec cette affai­
re­là). « La sortie du Paradis s’accompagne
d’une casse générale. » Pamina vit avec Nils
philosophie n’est plus voie royale philosophie pourrait soulager. en montagne, dans les Vosges. Ce fut une
FIGURES LIBRES vers le souverain bien, mais une Reste à discerner ce que l’on dé­ décision juvénile et poétique que de s’ins­
sorte de jeu pour amateurs de sire au juste en voulant être taller dans cette forêt. Là où le froid de la
ROGER-POL complications, façon casse­tête et consolé. Se faire dorloter comme maison rend les couleurs
DROIT mots croisés. un enfant ? Cesser de souffrir ? En­ plus intenses et les om­
durer autrement la souffrance ou bres plus profondes. Là où
Illusoire consolation bien ne plus l’éprouver pour un elle rencontrera les cerfs,

La philosophie En vérité, l’antique projet de


consolation par la pensée ne nous
parle plus. Il faisait sens autrefois,
temps, ou encore la voir s’effacer à
jamais ? Et que peut faire la raison
dans pareil labyrinthe ? Les tours
hiératiques, à l’allure lente
et sombre, cerfs cathédra­
les, cerfs de légende. Leur

peut-elle consoler ? en ces temps où la philosophie


était manière de vivre autant que
façon de raisonner. Aujourd’hui,
ressusciter pareille médecine de
et détours du voyage proposé par
Vincent Delecroix voient s’es­
quisser, se défaire et se recompo­
ser les perspectives.
ramure est une forêt, elle
nous relie au cosmos. Pa­
mina va être confrontée à,
et écartelée entre, l’ONF et
EMPRISONNÉ, TORTURÉ, il sait toute l’humanité en fasse autant. l’âme est aussi vain que s’exercer Consolation philosophique n’est les chasseurs (« le grand
qu’il ne sortira pas vivant de cette Vincent Delecroix ouvre par ce au jeu de paume, souligne Vin­ pas un traité truffé de démons­ trafic mâle hyper genré des trophées »). Su­
prison de Pavie. Un demi­siècle rappel le beau parcours qu’il a in­ cent Delecroix, quitte à déplaire trations déductives et contrai­ blime et si humaine ambiguïté : elle est
après la fin de l’Empire romain, titulé Consolation philosophique, aux actuels marchands de bon­ gnantes. Ce n’est pas non plus un pour les brebis et pour les loups, pour les
Boèce (v. 477­524) y est jeté, vic­ mais pour souligner tout de suite heur philosophique. « C’est au vagabondage aléatoire. Le philo­ humains et pour la tempête. Plaidoyer
time de sombres machinations. combien nous sommes loin de ce contraire à nous guérir du désir de sophe, professeur à l’Ecole prati­ somptueux pour la sauvagerie et contre
PHOTOS PHILIPPE MATSAS, LAURENT SEKZIK, BRUNO LEVY

Homme de pouvoir, il avait été classique de l’Antiquité tar­ consolation que la philosophie que des hautes études, est fort l’artificialisation de la nature (privilégier
consul, et conseiller des rois. consolation dive. Quand un malheur œuvrerait plutôt, mobilisant les d’une œuvre où voisinent à pré­ les arbres à fort rendement, par exemple),
Homme de savoir, il a traduit philosophique, frappe, qui donc se précipite, forces d’une conscience lucide et sent une dizaine d’essais et pres­ ce roman nous rappelle que tous les livres
Aristote en latin. Dans son cachot, de Vincent avidement, sur des traités dégrisée et l’image d’un sujet que autant de romans. Aguerri viennent de la même maison, un lieu opa­
pour tenir, il rédige La Consola­ Delecroix, de métaphysique ou de adulte. » aux exigences des concepts, il est que, profondément enfoui. 
tion de philosophie. Rivages, morale ? Chacun juge d’em­ Non seulement la philosophie rompu aux exercices de style.
Durant des siècles, ce sera le « Bibliothèque », blée ces remèdes inefficaces, ne consolerait de rien, mais elle Cela donne à son périple philoso­  D’os et de lumière (Solar Bones),
livre le plus lu en Europe – après la 270 p., 20 €, pressentant qu’ils ne seront ferait voir toute consolation phico­littéraire un charme réel. Il de Mike McCormack, traduit de l’anglais (Irlande)
Bible. « Dame Philosophie » en numérique 15 €. d’aucun secours. A moins comme illusoire. La raison sug­ paraît nonchalant alors qu’il est par Nicolas Richard, Points, « Signatures »,
personne vient visiter le piteux qu’ils ne servent de diver­ gère plutôt qu’il existe des souf­ fermement tenu. Construit, il 288 p., 8,60 €.
condamné, lui révèle où se tient le sion temporaire à la peine, au frances inconsolables. Et, parado­ semble aller au hasard. Savant, il  Les Billes du Pachinko, d’Elisa
vrai bien, lui permet de congédier même titre que tableaux, xalement, cette seule pensée par­ se fait avenant. Cela console, on Shua Dusapin, Folio, 160 p., 7,50 €.
le désespoir. Son malheur s’éva­ symphonies, romans­feuilletons fois apaise. Ce serait donc en nous ne sait de quoi. D’autres lectures,  Les Grands Cerfs, de Claudie Hunzinger,
pore, en attendant que celui de et séries télé. En ce cas, la privant de consolation que la peut­être.  J’ai lu, 224 p., 7,10 €.
0123
Vendredi 25 septembre 2020
Mélange des genres | 9
JEUNESSE
L’écrivain irlandais, déjà
père du célèbre Artemis
Fowl, vient d’enfanter Le vagabond
Vern, un dragon du
bayou à qui on ne la fait
nippon
pas. Fumant ICHIRÔ GRANDIT DANS LA MONTAGNE,
au Japon. Le maître lui enseigne l’art
du sabre et Oba, une vieille domestique,
lui apporte affection et sagesse. Lorsque

Eoin Colfer ses deux protecteurs meurent, le jeune


orphelin doit affronter le monde.
Ce premier tome des Chroniques de l’érable et du cerisier, qui en

ne jure que comptera quatre, apporte une belle touche de singularité au milieu
de la rentrée littéraire jeunesse. Camille Monceaux offre un récit
au « je » dans le Japon du XVIIe siècle. La vie à Edo (ancien nom
de Tokyo) est l’un des passages les plus passionnants : Ichirô y mène

par le dragon une existence de vagabond, avant d’échouer dans le quartier des
courtisanes et des artistes. Quand la romancière croque les détails
du quotidien, de véritables estampes s’animent : la boutique de
saké, le théâtre clandestin et… enfin, au milieu du livre, un fascinant
masque de théâtre nô porté par une inconnue. L’intrigue avance
FANTASY lentement, nourrie par les pérégrinations du héros dans une société
codifiée et surveillée. La densité de ce roman est à la hauteur
« Sterno », du mystère qui entoure Ichirô. Une réussite.  raphaële botte
de Jean­  Les Chroniques de l’érable et du cerisier. Livre 1 : Le Masque de Nô,
Michel de Camille Monceaux,
élisa thévenet Basquiat, Gallimard Jeunesse, 416 p., 20,50 €, numérique 15 €. Dès 13 ans.
1985.
BEAU LIVRE

L
e soir où Everett Moreau, un ga­ ADAGP/AISA/
min des rues déboussolé, assiste LEEMAGE
au meurtre d’un trafiquant du Le jeune
bayou, au sud du Sud profond des Albert Londres.
Etats­Unis, sa vie bascule. Derrière le saillies sardoniques, il fume, boit de la irlandais de communiquer ses sentiments ARCHIVES
manche du couteau, le constable Re­ vodka et rêve, entre deux bols de céréa­ par l’humour. Quand on grandit dans NATIONALES
gence Hooke, flic véreux et sociopathe les au lait de soja et un visionnage du une famille nombreuse, c’est un méca­
notoire. Dissimulé dans la mangrove, film Flashdance (d’Adrian Lyne, 1983), du nisme de défense efficace pour attirer
Everett – que tout le monde appelle temps où sa race dominait le monde. l’attention ou désamorcer les conflits.
« Squib » à cause d’une regrettable affaire Quand les satellites et les drones ne L’humour et la magie ont toujours été
de pétard mouillé – a filmé la scène. zébraient pas encore le ciel. mes domaines. Mais peut­être qu’un jour
Trahi par un irrépressible « Bordel de je finirai par être déprimé et j’écrirai des
Dieu ! », le jeune délinquant cajun sait ses Références à la pop culture choses sérieuses », s’amuse Colfer.
heures comptées : Regence Hooke le Servi par une plume irrévérencieuse et En attendant, Amazon a an­
traque au lance­grenades. un cynisme mordant, Le Dernier Dragon le dernier noncé l’adaptation prochaine
Pourtant, les desseins sanglants de l’of­ sur Terre dénonce les velléités conqué­ dragon sur des aventures de Vern en série
ficier vont devoir attendre. Dans sa fuite rantes de l’homme et ses conséquences terre d’animation. Et si aucune date
fiévreuse, Squib s’est précipité sur les meurtrières sur la nature. « Les humains (Highfire), de sortie n’est arrêtée pour le
terres d’une créature bien plus redouta­ sont toujours courtois au début – et d’Eoin Colfer, moment, la production a dé­
ble : un dragon. Avec Le Dernier Dragon puis avant qu’on ait le temps de mettre ses traduit de l’anglais voilé fin août que Nicolas Cage
sur Terre, Eoin Colfer – l’auteur irlandais couilles à l’abri, on ne voit plus que des (Irlande) par Jean­ prêterait sa voix au dragon
de la série jeunesse Artemis Fowl, vendue
à 25 millions d’exemplaires – signe un
premier roman pour adultes efficace,
lances et des torches », dénonce le dragon.
Mais le roman d’Eoin Colfer est égale­
ment un excellent moment de divertis­
François Ménard,
Pygmalion,
400 p., 21,90 €,
misanthrope.
Vingt ans après la création
d’Artemis Fowl, Eoin Colfer
L’Albert Londres illustré
rencontre détonante entre thriller néo­ sement : « Dans un monde qui semble numérique 15 €. propose un habile retour aux IL FUT UN POÈTE MÉDIOCRE PUIS UN REPORTER D’EXCEPTION.
noir et fantasy. parfois sans espoir, je voulais me réfugier sources à ses lecteurs devenus Lucide et scrupuleux, mêlant faits et impressions personnelles,
« J’aime prendre un genre pour le tordre. dans un univers plus léger, plus drôle, où grands. Irrévérence, humour noir, action Albert Londres (1884­1932) martelait : « Notre métier n’est pas de faire
Alors, au lieu d’être une créature noble, tout est possible », confie l’écrivain. Un et suspense : Le Dernier Dragon sur Terre plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la
mon dragon est un gars qui vit dans les univers où un « boomer » écailleux initie reprend les traits caractéristiques de sa plaie. » Reporter de guerre, d’Anvers à Constantinople, pendant la
marécages et traîne avec les alligators du un gamin paumé aux subtilités du jazz. série best­seller. A une différence près : Der des Der, Albert Londres se fait ensuite connaître par ses reporta­
coin », explique Eoin Colfer au « Monde Un monde où le lecteur traque avec « Dans la littérature jeunesse, je dois me ges au long cours. 1923 marque un tournant dans sa carrière, avec
des livres ». En effet, Vern (diminutif délice les références à la pop culture et surveiller. Avec Vern, j’ai pu mettre beau­ sa première immersion auprès d’exclus de la société : en l’espèce
de Wyvern, « Seigneur du Haut Feu ») sourit aux reparties grinçantes de per­ coup de violence, d’alcool, de drogues, de les bagnards de Cayenne (Guyane) dont il dénonce les conditions
rejette avec désinvolture les diktats sonnages qui ne cherchent pas à sauver gros mots, avertit l’ancien instituteur. inhumaines de détention, comme il pointera plus tard les mauvais
mythologiques. Reptile dépressif aux le monde, juste leur peau. « C’est très C’est une expérience assez libératrice. »  traitements infligés aux patients des asiles psychiatriques. Ancien
grand reporter, Benoît Heimermann signe la première biographie
illustrée de ce pionnier du journalisme d’investigation. C’est le por­
UN E COLL ECTI ON « L E MO N D E » Victor Hugo, l’édition Hetzel trait d’un témoin intègre et engagé qui se dessine au fil d’un récit
agrémenté de photographies prises par Albert Londres lui­même,
et des cartes postales qu’il envoyait à sa fille.  macha séry
« Les Contemplations », tome I  Albert Londres. La plume et la plaie, de Benoît Heimermann,
Paulsen, 224 p., 39,90 €.

amassée là, au fond d’une âme », ans, il tente d’entrer en contact


annonce­t­il en préambule, li­ avec Léopoldine dans l’au­delà.
vrant avec pudeur les clés de ses Le 11 septembre 1853, le père
émotions, sa vision du temps meurtri est convaincu que son « Miguel Bonnefoy,
qui passe, tout en explorant les âme sœur (Ame soror) lui ré­ sûr de son art,
sentiments qui ont bouleversé pond. nous fait palper
son existence. Dans son œuvre comme dans
Car les deux tomes des sa vie, le poète s’applique à dé­ la chair du temps »
Contemplations dépeignent passer son deuil, s’appuyant sur « LE MONDE DES LIVRES »
deux mondes, deux temps, deux lui pour déployer une puissante
approches de la vie. Elles en méditation sur la vie et la mort,
consignent d’abord les joies où l’une et l’autre s’imbriquent.
« Une fresque aussi
« d’avant », les émerveillements Ici se dévoile un Hugo intime, haletante
d’un poète lettré devant les for­ intérieur et introspectif. De la qu’audacieuse »
ces, les grandeurs et les beautés joie du vivant au monde des té­ LIRE MAGAZINE
d’une nature déifiée et toute­ nèbres, l’écrivain conçoit une
puissante. Puis s’étire son cha­ œuvre poétique complète qui LITTÉRAIRE
grin, celui du deuil et de l’in­ embrasse ses élans duels. Les
consolable désarroi d’un père. Contemplations disent, chantent « Miguel Bonnefoy
et pleurent le temps d’un
Sciences occultes et spiritisme homme. Il ne s’agit plus ici de
revient enchanter
© Patrice Normand / Leextra

« Je n’ai encore bâti sur mon La rupture des deux époques l’histoire, mais du ballet des la rentrée littéraire »
sable que des Gizeh ; il est temps s’est fixée en 1843. Cette jours qui marquent les chairs et LES INROCKS
de construire Chéops ; Les année­là, tout bascule pour l’esprit du vivant. En écrivant ses
Contemplations seront ma Hugo. Le 4 septembre, Léopol­ vers, Victor Hugo explore son
grande pyramide », écrit Victor dine, sa fille aimée, se noie dans âme restant dans l’attente et
Hugo à son éditeur, Pierre­Jules la Seine. Il n’apprend sa dispari­ l’espoir de retrouver sa fille sur
Hetzel, en 1855. L’année sui­ tion qu’au détour d’un fait di­ des hauteurs inconnues, au bord
vante, l’ouvrage est publié. Cons­ vers publié dans la presse. Dès de l’infini : « Je cherche, en cette
truite en deux parties, « Autre­ lors, sa douleur imprimera ses nuit qui tombe,/ Un autre ange
fois » et « Aujourd’hui », l’œuvre, vers sans que jamais le prénom qui s’est enfui. » 
nourrie de 10 000 vers, couvre de sa fille ne soit évoqué. Obses­ christophe averty
SÉLECTION PRIX GONCOURT
vingt­six années de la vie du sif, profondément affecté, Hugo,
poète – de 1830 à 1856 – au fil en exil à Jersey, se familiarise SÉLECTION PRIX FEMINA
desquelles Hugo part aux con­ avec les sciences occultes et le « les contemplations », tome i,
fins de lui­même. « Ceux qui s’y spiritisme, se faisant initier aux de Victor Hugo,
pencheront retrouveront leur tables tournantes par son amie une collection « Le Monde », Rivages
propre image dans cette eau pro­ Delphine de Girardin. Les séan­ en vente chez les marchands
fonde et triste, qui s’est lentement ces se multiplient. Pendant deux de journaux, 9,99 €.
10 | Rencontre 0123
Vendredi 25 septembre 2020

Eddy L. Harris

«La solitude,
c’est moi»
L’écrivain, enfant du Missouri, s’est installé en
Charente en 2005. Non sans avoir parcouru le monde,
dont son pays natal, comme en témoigne « Mississippi
Solo », récit de sa descente du fleuve, seul et en canoë

macha séry Parcours


envoyée spéciale à pranzac (charente)

P
ranzac, village de Charente, 1956 Eddy L. Harris naît
canton de Val de Tardoire, à Indianapolis (Indiana).
à quinze kilomètres d’An­
goulême. Ses 850 habitants, 1988 Parution aux Etats­
son canal asséché, sa bou­ Unis de Mississippi Solo.
langerie, son estaminet qui
rouvre à 15 heures et les téléphones por­ 2000 Harlem (Liana Levi).
tables qui passent mal. Eddy L. Harris,
64 ans, habite une maison du centre­ 2005 Jupiter et moi (Liana
bourg, que borde une route départemen­ Levi). Il s’installe à Pranzac
tale bruyante. Depuis qu’il a vendu sa (Charente).
voiture, il ne circule plus qu’à pied ou
à vélo. 2014 Deuxième descente
Le camion du boucher fait escale le du Mississippi en canoë.
vendredi. Comme il ne stationne que Eddy L. Harris, en 2019, à Paris. PHILIPPE MATSAS/LEEXTRA VIA LEEMAGE
cinq minutes, il est préférable de passer
commande par téléphone, précise, dans
un français délié, l’écrivain américain,
aussi fin gourmet et amateur de bons réitéré l’exploit, comme en témoignent a résidé en Bretagne, dans le Nord, au tendu par une fenêtre ouverte une
vins que l’était son compatriote franco­ les e­mails et lettres que l’écrivain reçoit cœur de la vallée de la Loire, dans le Midi, femme en plein ébat interpeller ainsi son
phile Jim Harrison (1937­2016). Le voilà depuis trois décennies. à Bordeaux, et « visité chaque coin de ce amant. Et plus tard il donna ce prénom à EXTRAIT
qui désigne du doigt un petit banc dans Eddy L. Harris a grandi (jusqu’à 1,93 mè­ pays », affirme­t­il. Outre le français, il son fils, lequel, dans plusieurs livres, s’ac­
l’herbe, où il s’assoit parfois pour tra­ tre) à Saint­Louis. Le fleuve s’étalait sous maîtrise l’espagnol, l’italien, et apprend quitte de sa dette envers un géniteur qui « J’étais parti avec peu de
vailler. Plus loin, la salle des fêtes munici­
ses yeux. A l’époque, l’Old Man River était maintenant le hongrois : « C’est un défi. l’a poussé à être libre. choses à prouver et à cette
pale : « Les gens d’ici m’avaient organisé salement pollué. Aux abords de Mem­ La beauté d’une langue réside dans la « J’ai grandi dans la certitude de pouvoir aune je m’en étais bien sorti.
une petite réception à la parution en phis (Tennessee), des panneaux dé­ connaissance de ses difficultés. » faire tout ce que je souhaitais et être qui je J’avais transformé le citadin
France de Jupiter et moi [Liana Levi]. » conseillaient de manger les poissons Ce solitaire heureux (« La solitude, c’est voulais. Je pensais avoir droit à tout, pou­ que j’étais en amateur de
C’était une évocation de la figure pater­ qu’on y pêchait et, enfant, Eddy n’aurait moi. J’adore la solitude ! ») a tiré quelques voir être noir et en même temps être da­ plein air relativement habile.
nelle, en 2005, l’année même de son ins­ jamais songé à y nager. « Quand j’ai dé­ récits de ses vagabondages dans un style vantage que simplement noir. J’ai tou­ J’avais fait montre de volonté
tallation à Pranzac. Harlem, paru dans la cidé de faire quelque chose de farfelu, qui tresse plusieurs genres : le carnet jours voulu être davantage. Je n’ai jamais et de courage et je m’étais
l’idée s’est imposée. Des amis de bord, les mémoires familiales, la ré­ accepté de contrainte », lit­on dans Har­ débrouillé en forêt. Un peu
à moi avaient déjà parcouru flexion sur l’histoire et l’identité des lem. Après deux ans dans ce quartier plus de dextérité au canoë
L’auteur ne s’est jamais des portions, notamment Noirs américains. Ainsi Native Stranger new­yorkais, épicentre de la culture afro­ aurait été appréciable mais,
considéré comme un Afro­ Saint­Louis­Memphis. » Lui (1992, non traduit), compte rendu non américaine, passés à en observer l’exubé­ tout bien pesé, je ne pensais
part pour 4 000 kilomètres à idéalisé du voyage d’une année qu’il a ef­ rance, la vitalité mais aussi la violence et pas trop m’en vouloir
Américain. Il préfère Américain, bord d’un rafiot prêté par fectué en Afrique, de la Tunisie à l’Afrique la déchéance, il entend des hurlements si j’abandonnais. Je pouvais
si l’on veut « Noiraméricain », une connaissance. A l’épo­ du Sud. Ou encore South of Haunted de femme dans la nuit. Il est las. Sans accuser ma douleur à
en un seul mot, comme il l’écrit que, il a 29 ans. Diplômé de la
prestigieuse université Stan­
Dreams (« Le Sud des rêves hantés », 1993,
non traduit), issu d’un périple à moto
doute parvenu au terme d’un chemine­
ment libérateur. « Je me dis que c’était
l’épaule et mes courbatures
dans le dos et dans les
dans « Harlem » ford, il est sans le sou (il l’est dans les anciens Etats confédérés. « J’ai aussi le début de la fin de ma négritude. genoux. J’avais tout plein
toujours) et en quête d’iden­ cherché des problèmes sans les trouver. Ce J’en avais assez. Je n’en voulais plus. » Eddy d’excuses. Mais le fleuve
tité. Un « écrivain en devenir », fut une expérience formidable. Je me suis L. Harris ne s’est jamais considéré ne cessait de m’envoyer
même maison d’édition, a reçu en 2008, se souvient­il. Toutefois, déjà un grand senti chez moi. Les gens étaient très ac­ comme un Afro­Américain. Il préfère des fleurs et des questions.
à sa réédition, le prix du livre Poitou­Cha­ voyageur. Fils de parents confiants et cueillants. » Américain, si l’on veut « Noiraméricain », Quand je débarque à
rentes, région d’adoption qui, Eddy L. aimés – ils étaient « formidables » –, il Dans une mairie en Virginie, il a même en un seul mot, comme il l’écrit dans Louisiana, dans le Missouri,
Harris l’assure, lui rappelle le Missouri de était parti seul pour la Californie l’été de découvert des documents relatifs à son Harlem. Nulle assignation essentialiste un vieil homme noir et sa
son enfance par le vallonnement, les ses 16 ans. L’année suivante, il parcourait arrière­grand­père, un esclave né en 1795, ou à résidence. femme m’attendent sur la
champs de maïs et de tournesols. Mais le en bus, grâce à un passe Greyhound, le qui savait lire et se prénommait Samuel, Avant Pranzac, Eddy L. Harris avait élu berge pour me saluer. Il doit
Bandiat, qui traverse la commune, ne continent nord­américain, du Canada au de même que le père d’Eddy L. Harris, par domicile à Paris, une ville hélas trop se prendre pour mon père ou
présente aucune similitude avec le Mis­ Mexique. A 18 ans, il sillonnait l’Europe référence à cet aïeul révéré. Comme ils chère pour un écrivain surdoué mais tout comme. “Fiston, à quoi
sissippi qu’il a descendu en canoë, de en train. Ensuite l’Asie… étaient trois cousins Samuel Harris à peu productif. « A Paris, je suis ce que je tu joues ?” veut­il savoir. »
l’amont à l’aval, en 1988. Depuis, Missis­ Adepte des meublés loués quelques l’école élémentaire, l’instituteur de leur ne suis pas dans le pays qui aurait pu être
sippi Solo, son premier récit devenu culte mois, Eddy L. Harris a vécu au Royaume­ classe les pria de se choisir un second le mien. A Paris, je suis écrivain – noir, mississippi solo,
aux Etats­Unis, enfin traduit en français, Uni (à Londres et dans le Yorkshire), en prénom. Le futur père de l’écrivain mais écrivain. A Paris, je suis américain page 153
a fait des émules. Après lui, d’autres ont Espagne, en Italie, en Suède. En France, il voyageur opta pour Eddy après avoir en­ – noir, mais américain. A Paris, je suis,
tout simplement. Aux Etats­Unis, je reste
avant tout et pour toujours un Noir »,
écrit­il dans Paris en noir et black (Liana
Descendre un fleuve, remonter l’histoire Levi, 2009).
Le jour de son emménagement à Pran­
me vois plus vivre ailleurs. Bizarrement,
mes racines, que j’ai peut­être longtemps
PARCOURIR À LA RAME LES d’introspection et d’érudition. Au fil Descendre ce fleuve avec Eddy zac, les habitants et un adjoint au maire cherchées, sont ici. » Il goûte peu la raciali­
4 000 KILOMÈTRES du Missis­ des pages et des étapes de ce grand Harris, « accablé des fardeaux de l’ont aidé à décharger ses cartons du sation du débat à l’œuvre outre­Atlanti­
sippi depuis sa source, au lac livre, Eddy Harris, parti pour décou­ la nation », c’est remonter le cours camion. Des livres qui s’empilent depuis que mais se montre relativement opti­
Itasca, dans le Minnesota, jusqu’à vrir de « quel bois [il était] fait », de l’histoire, lequel charrie des dans sa bibliothèque : W. E. B. Du Bois, miste sur la situation de son pays natal.
La Nouvelle­Orléans, en Lousiane : prend le pouls des Etats­Unis. Il mythes et des fantômes du passé, James Baldwin, Richard Wright, Elridge Deux pas en avant, un pas en arrière,
tel est l’exploit qu’a accompli, rappelle l’importance de ce fleuve, ceux de l’esclavage et de la Cleaver, des essais sur les droits civiques, c’est toujours avancer, dit­il : « Le monde
voilà trente ans, Eddy L. Harris. domestiqué par les ingénieurs, dans ségrégation.  m. s. les races, l’esclavage, l’histoire des liens est en train de changer. Il faut faire une
Au défi sportif, remporté contre l’économie et la culture américaines, entre juifs et Noirs aux Etats­Unis, les conciliation avec le passé. »
les rapides et les tourbillons par le Mississippi, rendu célèbre par mississippi solo, discours de Malcolm X, mais aussi quel­ En 2014, Eddy L. Harris a récidivé,
ce pagayeur inexpérimenté, s’est Mark Twain (1835­1912) dans la litté­ d’Eddy L. Harris, ques titres en français : les Œuvres poéti­ accomplissant son deuxième voyage en
greffée une prouesse littéraire, rature mondiale. Voie de navigation traduit de l’anglais (Etats­Unis) ques, de Rimbaud, Candide, de Voltaire, canoë sur le fleuve Mississippi, accompa­
digne des plus grands écrivains essentielle au transport des mar­ par Pascale­Marie Deschamps, ou encore Qu’est­ce qu’un Français ?, de gné, cette fois, d’une petite équipe de
voyageurs pour son art du croquis chandises, le Mississippi est une Liana Levi, 332 p., 20 €, Patrick Weil (Grasset, 2002). tournage. Le documentaire, River to the
et son talent descriptif. frontière séparant plusieurs Etats, le numérique 16 €. Puis, les propriétaires l’ont invité à Heart (« rivière au cœur »), a été projeté le
Car Mississippi Solo, enfin traduit Minnesota du Wisconsin, l’Iowa de Signalons, du même auteur, la manger tous les jours et se sont montrés 4 novembre 2017 au Festival internatio­
en français (il est paru en 1988 en l’Illinois, le Missouri du Kentucky, parution en poche d’Harlem, traduit fort indulgents pour ses retards de loyer. nal du film de Saint­Louis. Il achève
Amérique), est un récit d’aventures l’Arkansas du Tennessee, la par Christine Denizon, Liana Levi, « Le village m’a adopté. Incroyable ! C’était aujourd’hui l’écriture du livre, à Pranzac,
et de rencontres autant que Lousiane du… Mississippi. « Piccolo », 286 p., 10 €. un piège !, s’amuse­t­il. Aujourd’hui, je ne sur un banc. 

Vous aimerez peut-être aussi