EauIrrigationetDveloppementRural A.hamdane SESAME7 Montpellier Oct.2021

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Eau, Irrigation et Développement Rural- A.Hamdane- SESAME 7 -Montpellier


-Oct.2021

Conference Paper · May 2022

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1 author:

Abdelkader Hamdane
Institut national agronomique de Tunisie (INAT)
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SESAME 7/A.Hamdane/29102022

L’eau, le développement agricole et rural et les ODD en Méditerranée et


en Afrique de l’Ouest

Eau, irrigation et développement rural en Méditerranée du Sud et de


l’Est: cas de la Tunisie1

A.Hamdane

1- En raison de son climat à caractère aride, la Tunisie a été dans


l’obligation de développer au cours des dernières décennies l’essentiel de
ses ressources en eau de surface et souterraine. Les objectifs principaux
atteints concernent l’approvisionnement en eau de toute la population
urbaine et environ 95 % de la population rurale. De même, sur le plan
agricole, un secteur irrigué assez solide, couvrant une superficie irrigable
potentielle de l’ordre de 450 000 ha, a été mis en œuvre grâce à
l’intervention publique pour les périmètres irrigués sur barrages et
forages profonds et, d’autre part, à l’initiative privée individuelle pour
l’irrigation sur les nappes phréatiques. Les périmètres publics irrigués ainsi
que les projets d’eau potable rurale sont gérés par des associations
d’usagers (Groupements de Développement Agricole/GDA) dont le nombre
dépasse actuellement les 3 500 groupements sur l’ensemble du territoire.

2- Malgré la superficie réduite des périmètres irrigués qui ne dépasse


guère 8 % de la superficie agricole utile du pays, et les conditions assez
difficiles dans lesquelles se trouve actuellement le secteur irrigué, celui-ci
revêt un caractère stratégique eu égard à son impact sur la sécurité
alimentaire et sa place sur le plan économique et social en milieu rural:

Poids économique : avec des productions diversifiées, le secteur


irrigué est considéré comme un des piliers de l’économie agricole qui
reste globalement à caractère mixte : pluvial / irrigué. Il participe à
hauteur de 35-40 % en valeur de la production agricole du pays,
95% de la production maraîchère, 70 % de la production arboricole
et 30 % de la production laitière. Sur le plan socio-économique, le
secteur irrigué contribue à 20 % des exportations agricoles
1
Texte présenté au séminaire SESAME 7, les 28-29 octobre 2021 à Montpellier, en préparation du Forum
Mondial de l’Eau de Dakar (Mars 2022).

1
(agrumes, dattes, primeurs, etc.). Outre cette importance
économique, l’irrigation favorise le maintien des agriculteurs sur
leurs exploitations en assurant pour certains un revenu assez
régulier qui est en moyenne le triple de ce qui est procuré par
l’agriculture pluviale. Certes, la gestion des ressources en eau est
encore à parfaire, le degré d’intensification dans les périmètres
irrigués reste encore à améliorer, et la faiblesse de la productivité de
l’eau constitue encore un handicap pour une meilleure valorisation
des ressources, mais les progrès techniques réalisés dans
l’agriculture irriguée depuis les 20 dernières années sont
incontestables.

D’autre part, l’irrigation a un effet structurant dans les exploitations


agricoles. Grâce à la diversification des activités, l’irrigation
concerne près d’un agriculteur sur quatre en Tunisie et cette
proportion est encore plus forte pour les exploitations de faible
superficie.

Poids social : le secteur irrigué occupe environ 20 % de la main-


d’œuvre agricole, ce qui confirme le poids de ce secteur sur le plan
social. En outre, l’impact de l’activité d’irrigation sur l’emploi s’étend
sur l’ensemble des filières amont et aval (approvisionnement,
entreprises agro-alimentaires, services…) avec un impact positif sur
le développement rural des régions dotées d’une activité agricole
irriguée.

Poids politique : L’agriculture irriguée constitue le noyau dur de la


petite agriculture en Tunisie, qui arrive à se maintenir malgré les
grandes évolutions technologiques et économiques qui ont
transformé le secteur dans son ensemble au cours des dernières
décennies. D’autre part, l’implantation des GDA en tant que groupes
organisés représentatifs des producteurs est le prélude d’une prise
en main progressive de l’avenir de l’agriculture irriguée. Ce sont des
structures de gestion émergeantes, malgré les critiques formulées à
leur encontre…

3- Malgré ces performances relatives, le secteur irrigué souffre de


plusieurs «stress». Pour rémedier à certaines carences, diverses
réformes ont pu être engagées pour la mise en place de la gestion de la
demande en eau d’irrigation «au sens faible». Mais les insuffisances du

2
secteur sont parfois assez complexes et touchent à la fois les aspects
techniques (obsolescence ou vieillissement des infrastructures, efficience
de l’eau encore insuffisante, etc.), économiques (insuffisance des
ressources financières, retard dans la tarification, intensification et
productivité agricoles encore réduites, etc.), institutionnels (gouvernance
générale du secteur peu solide, GDAs en difficulté, etc.),
environnementaux (salinisation des sols, surexploitation de certaines
nappes phréatiques des plus importantes et des ressources souterraines à
caractère fossile, pollution de l’eau et du sol, etc.), climatiques
(changement climatique avec amplification des sècheresses et
inondations) . L’étude stratégique « Eau 2050 » en cours de réalisation
permettrait de trouver des solutions à ces problèmes et d’orienter l’avenir
du secteur de l’eau.

4- En termes de développement rural et agricole, les contraintes


principales auxquelles fait face le secteur irrigué sont celles que l’on
rencontre pour l’agriculture dans son ensemble et concernent notamment
la faible organisation des filières agroalimentaires, et l'accès limité des
petits producteurs aux services de vulgarisation et aux services financiers
ruraux, freinant ainsi l'adoption de nouvelles technologies et méthodes
culturales. En outre, l'agriculture pluviale, en tant que matrice de
l’agriculture irriguée, est contrainte par l'irrégularité des précipitations et
l'érosion des sols. Enfin, la politique de libéralisation du commerce agricole
et la dépendance importante à l'égard du marché mondial posent aussi
des contraintes pour les producteurs agricoles et les autres groupes
vulnérables.

5- La décentralisation/déconcentration peine à se réaliser d’une manière


effective malgré les avancées de l’organisation du secteur agricole dans
ce domaine. En matière de pauvreté et inégalités, la pauvreté et les
niveaux de vie varient entre le Nord-est et les régions côtières plus riches
et les zones du Nord-Ouest, du Centre-Ouest et du Sud, considérées plus
pauvres. Beaucoup d’agriculteurs démunis ont migré vers les périphéries
des principaux centres urbains. Environ 33% de la population vit
actuellement en zone rurale contre 66% en 1960. Les problèmes
structurels de la Tunisie se sont malheureusement amplifiés après la
révolution de 2011 et on s’accorde à dire que la Tunisie se caractérise
par une certaine absence de politique sectorielle agricole et de priorités
nationales et encore moins de visions stratégiques. Même au niveau
régional, les mécanismes de marginalisation des régions de l’intérieur et
du Sud sont toujours les mêmes.

3
6- Au vu de certains indicateurs, le retard du monde rural reste important
et la pression sur les ressources naturelles et notamment l’eau s’aggrave.
Ceci traduit le faible degré de diversification de l’économie locale, voire de
certaines régions dans leur totalité et par le même, l’incapacité de
l’agriculture à assurer à elle seule, le développement du milieu rural. Ce
déficit se traduit par l’émergence d’une réflexion sur les possibilités d’un
développement qui intègre à la fois le rural et l’urbain et qui prend en
compte la nécessaire dimension multisectorielle du développement local.
La mise en pratique de cette réflexion reste toutefois tributaire du
renforcement des capacités des différents partenaires et notamment des
organisations de base et de la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la
société civile et de l’administration.

7- Nonobstant toutes les faiblesses constatées, l’avenir de l’eau et


l’irrigation ainsi que leur place dans le développement mérite d’être
repensé d’une manière plus intégrée. Le rôle prépondérant de l’agriculture
dans l'économie de la plupart des régions du pays est bien connu. Le
secteur agricole voit certes sa contribution au PIB et au marché de
l’emploi diminuer depuis les deux dernières décennies, mais il continue
encore avec sa composante de l’irrigation à être considéré comme l'épine
dorsale du développement économique régional et national.
L’agriculture assure une bonne part de la sécurité alimentaire des
populations, crée des emplois dans les zones rurales, fournit des matières
premières à l’industrie agro-alimentaire et, sans aucun doute, contribue
fortement au maintien de la vie rurale et à la progression des revenus de
la population qui y réside (environ 35% de la population totale !). Dans
quelle mesure l’agriculture irriguée, malgré ses nombreux facteurs de
contrainte, est-elle capable d’aider l’agriculture en général à se
maintenir?

8- Une des transformations nécessaire pour l’avenir sera de placer la


gestion de l'eau agricole dans un contexte de gestion intégrée des
ressources en eau, à travers une planification intégrée et participative qui
évalue les compromis et les risques et assure une utilisation optimale de
l'eau à l'échelle à la fois des bassins et des régions. La gestion de la
demande en eau, « qui vise de maintenir la demande en eau du secteur
de l’irrigation dans la limite des disponibilités des ressources en eau »,
restera une des composantes essentielles de cette gestion intégrée, et
devra être renforcée dans le futur surtout dans ses approches
économiques. Dans tous les cas, l’eau restera un intrant pour
l’agriculture, et l’irrigation constituera un élément important de la

4
stratégie agricole pour répondre aux besoins futurs du pays en produits
alimentaires, même si son niveau relatif est inférieur à celui du passé

9- L'irrigation continuera de jouer un rôle important en Tunisie au cours


des 30 prochaines années, et il y a certainement à envisager des
changements dans son caractère, ses méthodes et sa portée. Les deux
objectifs qui lui ont été longtemps assignés seront certainement
conservés: modérer les effets des sècheresses sur l’économie agricole, et
participer à assurer la sécurité alimentaire et la stabilité sociale
notamment en milieu rural. Il est aussi probable que la superficie totale
irriguée se stabiliserait dans un contour durable et compatible avec les
ressources en eau disponibles. Elle risque même de diminuer dans les
prochaines décennies sous si l’on n’arrive pas à maîtriser les disponibilités
des ressources souterraines actuellement en état d’exploitation intensive,
et a s’adapter efficacement aux effets des changements climatiques. La
valorisation de l’eau et l’accroissement de la productivité seraient des
voies à prospecter pour l’avenir.

10- D’autre part, les effets multiplicateurs de l’irrigation, malgré


certaines insuffisances, ont été très larges dans toutes les régions du
pays, qu’il est important de considérer les impacts de l’irrigation dans le
contexte du développement rural plutôt que dans le simple
développement agricole. Dans les régions fortement tributaires de
l'agriculture, l'irrigation restera probablement importante dans les
stratégies de réduction de la pauvreté rurale. Bien que la contribution de
l'irrigation à la réduction de la pauvreté reste encore controversée,
certains experts affirment, en effet, qu'il existe d’autres moyens plus
efficaces de lutter contre la pauvreté rurale. Dans ces régions,
l'augmentation de la productivité agricole et l’accession à des filières agro
industrielles sont souvent les moyens les plus efficaces pour enrayer la
pauvreté, et le nouveau paradigme de développement de l'irrigation peut
être un tremplin pour le développement économique en général.

11- Une gouvernance décentralisée et plus transparente sera aussi


importante dans la gestion de l’eau d’irrigation; et le rôle de l’Etat
changera certainement pour être plus pertinent. La tendance récente de
multiplier les modèles de gestion de l’eau agricole afin de les adapter aux
contextes locaux : délégation de la responsabilité de la gestion de
l'irrigation et les coûts associés à des institutions locales plus
performantes (Groupements Hydrauliques ayant des missions à caractère
publique pour remplacer les GDA) ou à des organismes publics à

5
caractère commercial de dimension régionale, avec une implication plus
directe des agriculteurs, devrait s'intensifier (Cf. expérience en cours pour
les grands périmètres du Nord-ouest). Les nombreux résultats possibles
iront de la pleine exploitation des petits systèmes d’eau par les
associations d’usagers, à la gestion plus professionnelle par des entités
publiques, à la gestion en partenariat entre l’Etat / le secteur privé
agricole / les agriculteurs (Société mixte), selon la maturité des situations.
À mesure que l’Etat se retire des fonctions de gestion directe, il devra
développer, cependant, des capacités réglementaires compensatoires
pour superviser la prestation de services et protéger les intérêts publics.

12- Mettre à disposition des agriculteurs des périmètres irrigués de l’eau


d’irrigation n’a, en effet, grand intérêt que si une démarche plus vaste
du développement du secteur irrigué est mise en œuvre. Cette démarche
ne peut être « spontanée » et l’intervention de l’Etat en tant qu’initiateur
et modérateur s’impose surtout dans les régions où la tradition de
l’irrigation et du développement agricole en général est assez récente.
Les problèmes essentiels qui se posent se rapportent essentiellement aux
« services » de l’irrigation et peuvent se résumer comme suit: (i) l’accès
sécurisé aux autres facteurs de production : foncier, intrants, crédit,
équipement, etc., (ii) l’existence de structures aval de collecte, de
transformation et d’écoulement des productions irriguées ; et (iii)
l’existence et le fonctionnement des marchés agricoles avec les
conditions de transparence requises, tout en prenant en considération «le
poids économique» des producteurs agricoles ; et la compétitivité des
productions exposées à la concurrence des marchés intérieurs ou
extérieurs, etc.

13- En Tunisie, on a peut-être échoué à deux niveaux: à donner une


meilleure chance aux petits agriculteurs irrigants qui constituent en
nombre l’essentiel des producteurs, et à établir une égalité de
développement entre les régions alors que la dimension régionale doit être
prédominante dans tout modèle de développement. De principe, les
modèles de développement local ou régional ne doivent plus émaner d’un
pouvoir central bureaucratique qui impose aux régions les projets et les
programmes d’irrigation à mettre en oeuvre, bien au contraire, il est
important qu’ils proviennent de la région elle-même, de manière à faire
assumer à chaque région sa destinée. Ainsi, il est important de préciser
que le développement régional ne peut être l’oeuvre du secteur privé. Il
doit être la responsabilité du secteur public et doit s’inscrire dans le cadre
d’une vision de développement claire, d’une bonne gouvernance, d’une
allocation optimale des ressources humaines et financières et d’une

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décentralisation efficace. Il est important d’arrêter de croire que le secteur
privé peut, à lui seul, assurer la prospérité des régions. Celui-ci n’est
généralement concerné que par les projets les plus rentables et les moins
coûteux, projets qui ne sont pas souvent disponibles dans les régions
intérieures et réculés du pays. Il est, par conséquent, clair que le
développement rural régional est une affaire publique. En milieu aride,
l’irrigation est porteuse de richesse et de ce fait elle est toujours convoitée
par les plus forts. C’est donc aux pouvoirs publics engagés sur les
politiques en faveur des populations rurales qu’incombe le rôle de mettre
au point des approches efficaces et innovantes de réduction de la
pauvreté rurale touchant davantage les populations actives et les
producteurs les plus démunis et vulnérables.

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