I - 3. - I - Migrations Et Territoires en Amérique Du Nord

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24/04/2018 <i>3.

</i>Migrations et territoires en Amérique du Nord

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3. Migrations et territoires en Amérique du Nord

Démo-géographie

Jean-Marc Zaninetti

Professeur de géographie à l'Université d'Orléans

Les évolutions démographiques contrastées du Mexique, d’une part, et des États- 1

Unis et du Canada, d’autre part, sont conditionnées par le décalage historique des
étapes du développement économique, qui ont placé le Mexique dans le groupe des
pays « en voie de développement », alors que les États-Unis et le Canada font déjà
partie des pays les plus riches. Ces disparités de développement se retrouvent dans
les calendriers de la transition démographique. Alors que les États-Unis et le
Canada sont déjà bien avancés dans la seconde phase de leur transition en 1940, le
Mexique est encore seule ment engagé dans la première phase. Ce décalage de phase
persiste jusqu’à aujourd’hui, et les flux migratoires prolongent ces disparités
économiques et démographiques au sein du continent.

Les flux migratoires constituent l’une des caractéristiques principales qui 2

distinguent les États-Unis et le Canada d’un côté et le Mexique de l’autre. Depuis le


e siècle, les deux premiers pays se sont construits au moyen d’une immigration
massive bien que maîtrisée. L’immigration a toujours été une composante de leur
stratégie de développement. Elle est à l’origine de leur grande diversité
anthropologique actuelle. Il n’en va pas de même au Mexique, pays qui n’a pas
accueilli de flux significatif d’immigration depuis le e siècle. Au contraire, ce
pays est aujourd’hui l’un des principaux pourvoyeurs de candidats à l’émigration à
destination de son grand voisin du nord.

I. La place centrale des migrations

Alors que les populations de l’Ancien Monde évoluent principalement au rythme de 3

leur transition démographique et de l’accroissement naturel de leur population, les


pays du Nouveau Monde se développent plutôt au rythme des courants
d’immigration depuis les débuts de l’ère coloniale. C’est pourquoi le rythme de
croissance de la population des États-Unis et du Canada ne fléchit pas actuellement, à
la différence de celui de la majorité des autres pays du monde.

Diversité démographique des pays d’Amérique du Nord

Amérique du Nord : démographie comparée (2010)

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Source : Nations unies, World Population Prospect, Révision 2010.

Le Mexique n’est pas encore sorti de la seconde phase de la transition 4

démographique. Son économie est en développement et sa population encore jeune


s’accroît naturellement à un rythme supérieur à la moyenne mondiale. Bien qu’en
baisse rapide depuis les années 1970, l’indice de fécondité moyen est encore
supérieur au seuil de renouvellement de la génération, avec un taux net de
reproduction de 1,15. La population de jeunes adultes est très nombreuse ; de fait, le
marché du travail très tendu est un facteur répulsif qui alimente un courant continu
d’émigration, le solde migratoire est estimé à - 0,33 % par an. Les conséquences du
brassage culturel des débuts de la période coloniale ( e et e siècles) sont
lointaines, 96 % de la population est considérée comme métisse, catholique et
hispanophone. En conséquence, le Mexique n’est pas un espace multiculturel, mais
au contraire une nation relativement homogène.

Il n’en va pas de même des deux autres grands pays d’Amérique du Nord, dont la 5

démographie atypique est un autre trait commun. Les États-Unis et le Canada sont
sortis de la transition démographique. La fécondité est inférieure au seuil de
renouvellement de la génération depuis les années 1970, particulièrement au Canada.
La population est relativement âgée. Le vieillissement est avant tout un problème
dans les régions rurales, même si certaines régions des États-Unis fondent leur
développement sur l’installation résidentielle des seniors, la Floride en premier lieu,
mais aussi l’Arizona.

Pourtant, la population augmente aussi rapidement qu’au Mexique : + 0,93 % par an 6

en moyenne entre les recensements 2000 et 2010 aux États-Unis et + 1,1 % par an
pour le Canada. L’immigration compense la faiblesse de l’accroissement naturel, y
compris, mais pas exclusivement, l’entrée de nombreux ressortissants mexicains aux
États-Unis.

Contrairement à la majorité des pays européens, l’immigration est une vieille histoire 7

en Amérique du Nord. Depuis leurs débuts, les États-Unis et le Canada se sont


construits à l’aide de vagues successives d’immigration, d’abord d’origine européenne
jusqu’à la Première Guerre mondiale, puis de plus en plus mondialisée au cours du
dernier siècle. Cette forte immigration implique une diversité culturelle croissante
avec d’importantes minorités visibles. Les pays d’Amérique du Nord sont donc mis au
défi de l’intégration de leurs minorités.

Une dynamique démographique régulée par les migrations

Selon les dernières estimations des Nations unies, la population mondiale s’accroît 8

actuellement au rythme de + 1,16 % par an (moyenne des années 2005-2010).

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L’accroissement démographique est légèrement moins rapide en Amérique du Nord.


Le taux moyen d’accroissement naturel des États-Unis et du Canada est très inférieur
à la croissance mondiale, mais ces deux pays restent parmi les plus attractifs de la
planète pour les migrants internationaux en dépit d’un ralentissement récent, avec un
excédent migratoire moyen estimé de près de 1,85 million par an entre 1995 et 2000,
1,45 million par an entre 2000 et 2005, et 1,2 million par an entre 2005 et 2010, soit
un excédent de + 0,6 %, + 0,5 % et + 0,4 % par an par périodes de 5 ans rapporté à la
population totale des États-Unis et du Canada. Cette croissance démographique
rapide parmi les pays les plus développés contraste nettement avec la faible
croissance de la population en Europe occidentale (Union européenne, 27 pays
membres, 500 millions d’habitants en 2010, + 0,4 %/an en dépit de l’immigration
importante de + 1,58 million d’entrées nettes par an, soit + 0,3 %/an par rapport à la
population totale) et au Japon (population aujourd’hui stationnaire).
Proportionnellement, l’accroissement de la population de l’Amérique du Nord est
nettement plus rapide que celle de la Chine depuis 1995 (actuellement + 0,5 %/an).

Après avoir culminé entre 1995 et 2000, l’immigration s’est ralentie aux États-Unis 9

en deux temps. D’abord, les conditions d’entrées ont été durcies après le 11 septembre
2001. Ensuite, la grande crise économique qui a éclaté aux États-Unis dès 2007 a
découragé les immigrants. La moyenne des entrées annuelles nettes entre 2000 et
2005 était encore de + 1,239 million, mais elle est tombée à + 0,855 million en 2008-
2009 selon les dernières estimations du bureau fédéral du recensement. Grâce à son
économie de ressources, le Canada échappe en grande partie à cette crise avec une
seule année de récession en 2009. Le nombre annuel net d’immigrants reste stable
aux alentours de 0,216 million. Toutefois, ces fluctuations conjoncturelles ne doivent
pas occulter le fait majeur que les États-Unis ont accueilli plus de 50 millions
d’immigrants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et le Canada près de
10 millions.

L’immigration a un impact sur la fécondité aux États-Unis. Les États-Unis se 10

distinguent parmi les pays du « Nord » par un indice conjoncturel de fécondité ( )


proche du seuil de renouvellement de la génération. Après le baby-boom de l’après-
guerre, l’introduction de la contraception (1960) a favorisé une réduction de l’ qui
a atteint son niveau le plus bas au début des années 1980 avant de remonter à
2,06 enfants par femmes actuellement, à la différence de ce qui s’est passé au Canada
(1,65), en Europe (1,55) au Japon (1,4) ou même en Chine (1,64).

Distribution géographique de l’accroissement démographique (2000-


2010)

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Source : Instituts statistiques nationaux.

On compte actuellement plus de 4,25 millions de naissances par an aux États-Unis, et 11

les effectifs progressent d’année en année (+ 0,5 % par an). Toutefois, la descendance
finale des femmes de 45 ans n’était que de 1,9 enfant en 2004 contre 3,1 en 1976. Près
de 19 % des femmes âgées de 40 à 44 ans en 2004 sont restées sans enfant contre
moins de 10 % en 1976. Inversement, les femmes ayant eu au moins trois enfants sont
passées de 59 % en 1976 à 29 % en 2004. La progression récente de l’ est plutôt
liée à un rajeunissement de la population des femmes de 15 à 49 ans et à la
persistance des comportements de maternité précoce dans certains groupes
ethniques et sociaux. En effet, la descendance finale des femmes d’expression
hispanique est de 2,3 enfants par femme en 2004 contre 1,8 pour les femmes noires
et 1,9 pour les femmes blanches non hispaniques. L’importance de l’immigration
d’origine latino-américaine est donc la cause principale du relèvement de la fécondité
dans les années récentes aux États-Unis.

Inversement, le Mexique réussit à contenir sa croissance démographique au moyen 12

de l’émigration. Le taux d’accroissement naturel moyen est de + 1,59 % en moyenne


dans la période 2005-2010, mais le solde migratoire annuel moyen est de - 0,33 %
dans la même période, ce qui ramène la croissance annuelle de la population
mexicaine à + 1,26 % par an, un rythme encore supérieur à ceux du Canada et des
États-Unis. La jeunesse de la population mexicaine explique que le pays est

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actuellement au plus fort de la bosse migratoire. Ce concept désigne cette période de


la fin de la transition démographique où un pays comporte une proportion
particulièrement élevée de jeunes adultes à la recherche d’emploi. Cela se traduit par
une accélération des migrations de travail à l’intérieur même du Mexique, qui
prennent généralement la forme de migrations des campagnes vers les villes et du
Sud vers le Nord. L’émigration à destination des États-Unis s’inscrit dans le
prolongement de ces courants de migrations intérieures. Les départs sont facilités par
la présence d’une importante communauté d’origine mexicaine (30 millions de
personnes) de l’autre côté de la frontière, formant la « Mexamérique » dont parlait
déjà Joël Garreau en 1981.

La concentration des créations d’emploi dans les régions urbaines en général, et dans 13

les plus grandes villes en particulier, explique pourquoi la croissance démographique


est en pratique très concentrée dans les pôles urbains. Une étude détaillée des zones
de croissance récente fait ressortir fortement les grandes métropoles en expansion
rapide, en particulier au Mexique et dans le Sud des États-Unis, alors que la plupart
des régions rurales se vident de leur population, y compris au Mexique.

II. Le rôle spécifique du Mexique

L’opposition des situations de part et d’autre du Rio Grande est la première raison 14

qui rend difficile l’étude globale des trois pays d’Amérique du Nord en ce qui
concerne l’analyse des effets territoriaux de la mobilité de la main-d’œuvre entre les
territoires. Les migrations intérieures ont un impact majeur sur les mutations en
cours au Mexique, tandis que l’installation d’une large communauté d’origine
mexicaine a aussi des effets territoriaux majeurs sur les États-Unis voisins.

Transitions démographique et migratoire

Le Mexique amorce la transition démographique au e siècle. Le recul de la 15

mortalité débute avant la Seconde Guerre mondiale. Elle se poursuit encore


aujourd’hui. Le taux de mortalité infantile, qui était encore de 122 ‰ dans les
années 1950 est tombé à 17 ‰ aujourd’hui, soit un niveau intermédiaire entre la
moyenne mondiale 2005-2010 (46 ‰) et celle des pays du « Nord » (6 ‰). Le taux
brut de mortalité a atteint un plancher aux alentours de 5 ‰ depuis 1990 car les
gains d’espérance de vie sont désormais compensés par le vieillissement. L’espérance
de vie des hommes atteint 73,7 ans et celle des femmes 78,6 ans en moyenne sur la
période 2005-2010, des niveaux proches de la moyenne des pays du « Nord ».

Le Mexique n’entre dans la 2e phase de la transition démographique qu’à partir des 16

années 1960, période où l’on commence à enregistrer un fléchissement du taux brut


de natalité. L’indice conjoncturel de fécondité culmine à 6,8 enfants par femme sur la
période 1955-1960 avant de reculer lentement dans un premier temps, puis plus
rapidement à partir des années 1980. Il se situe aujourd’hui aux environs de
2,4 enfants par femme sur la période 2005-2010, ce qui est déjà inférieur à la
moyenne mondiale. La transition démographique est bien avancée. Les projections
démographiques estiment que la fécondité sera tombée en dessous du seuil de
renouvellement de la génération avant 2020. Toutefois, la population mexicaine reste
encore très jeune et la pression à l’entrée du marché du travail est très forte.

Même s’il reste très en deçà de la situation qui prévaut aux États-Unis et au Canada, 17

le vieillissement de la population mexicaine est amorcé : la moitié des Mexicains


étaient âgés de moins de 17 ans en 1970, l’âge médian est aujourd’hui de 27 ans,
chiffre à comparer à une moyenne de 40 ans dans les pays du « Nord ». Le pic des

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effectifs scolaires dans l’enseignement primaire a été atteint entre 2000 et 2005. Le
Mexique compte 20,8 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans en 2010, ce qui
représente près de trois fois les effectifs des 55-64 ans. Par comparaison, les États-
Unis voisins ne comptent que 43,3 millions de résidents âgés de 15 à 24 ans en 2010,
ce qui ne représente que 120 % des effectifs des 55-64 ans.

Le nombre des jeunes adultes âgés de 15 à 24 ans a doublé entre 1975 et 2010 au 18

Mexique, et l’expansion n’est pas terminée en dépit de la décrue amorcée des effectifs
scolaires depuis le début du siècle. Cela signifie qu’il faut créer environ 2 millions de
nouveaux emplois chaque année pour absorber l’accroissement de la population
active.

Le Mexique se trouve donc au cœur de la « bosse migratoire », période 19

caractéristique de la fin de la transition démographique où la pression à la migration


de travail atteint un maximum. Selon les projections démographiques disponibles,
cette phase démographique est susceptible de durer jusqu’en 2030 avant de connaître
une décrue subite compte tenu de la baisse rapide de la fécondité enregistrée
récemment. La pression migratoire se traduit d’abord par des migrations intérieures
relativement importantes, et ensuite par un fort courant d’émigration à destination
des États-Unis.

Les recompositions territoriales migratoires au Mexique

Les disparités économiques internes entre les États fédérés du Mexique sont à 20

l’origine de recompositions territoriales du peuplement relativement significatives à


long terme. Selon le recensement 2010, près de 20 millions de personnes, soit 17,6 %
de la population mexicaine, vivaient dans un État différent de celui où elles étaient
nées, une proportion à mettre en relation avec les 27 % de résidents des États-Unis
recensés dans un autre État que celui de leur naissance en 2010. C’est toutefois le
signe d’une société qui se met en mouvement, car le même taux ne dépassait pas 12 %
en 1950 au Mexique. Le pays ne recensait en 2010 qu’un effectif de 2,7 millions de
résidents nés à l’étranger, soit 2,4 % de la population totale du pays, peu de chose en
comparaison des États-Unis (15 % en 2010 en comptant les citoyens nés à l’étranger,
13 % en ne comptant que les seuls immigrants) et du Canada (20 % d’immigrants en
2006).

Mexique – Population recensée en 2010 dans un autre État que celui de


naissance

Source : Instituts statistiques nationaux.


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Les situations régionales sont très contrastées, avec quelques États où la proportion 21

de la population venue du reste du Mexique est plus de deux fois supérieure à la


moyenne nationale. Les États les plus attractifs à long terme vis‑à-vis du reste de la
fédération mexicaine sont, en valeur absolue, d’abord le District Fédéral et l’État de
Mexico, effet d’une longue tradition de centralisation économique et politique.
Toutefois, la situation s’est peu à peu renversée depuis les années 1980. Dans la
période dirigiste antérieure à 1982, l’extrême centralisation industrielle autour de la
capitale attirait les migrants qui quittaient les campagnes, menaçant d’étouffer la
Ciudad de Mexico sous le poids de ses banlieues. L’ouverture internationale et une
politique volontariste de soutien à des pôles de développement périphériques ont
entraîné l’émergence de nouveaux pôles industriels ou touristiques dans les États
périphériques de la fédération. En valeur relative, l’État du Quintana Roo, où se
trouve la Riviera Maya dans l’est de la péninsule du Yucatán, se distingue par le fait
qu’il est le seul État mexicain où la majorité de la population recensée en 2010 est née
dans un autre État de la fédération. La proportion de population venue du reste du
Mexique est plus importante dans les deux États qui se partagent la péninsule de
Basse-Californie que dans la région de Mexico. À l’inverse, les trois États sous-
développés du Sud-Pacifique, Guerrero, Oaxaca et Chiapas ont été très peu attractifs.
Les personnes nées dans un autre État du Mexique représentent moins de 3 % de la
population totale du Chiapas en 2010.

Le Mexique recense les migrations domestiques en dénombrant la part de la 22

population âgée d’au moins 5 ans qui ne résidait pas dans le même État 5 ans avant le
recensement. C’est ainsi que 3,3 % de la population âgée de 5 ans et plus recensée au
Mexique en 2010 avait changé d’État de résidence depuis 2005. C’est un niveau de
mobilité résidentielle relativement élevé. Une différence de méthode de recensement
ne permet plus de comparaison avec les États-Unis, mais la même statistique
recensée pour les migrations interprovinciales au Canada dénombrait une mobilité
intérieure moyenne de 2,9 % de la population âgée de 5 ans et plus recensée en 2006.

La méga-région de Mexico reste le premier pôle d’attraction en valeur absolue, mais 23

se contente d’être au-dessus de la moyenne en valeur relative. En termes relatifs, la


palme revient à l’État de Basse-Californie du Sud, dont plus de 13 % de la population
recensée en 2010 habitait un autre État du Mexique en 2005. L’État du Quintana Roo
arrive en seconde position avec plus de 12 % de nouveaux résidents venus du reste de
la fédération. On observe qu’il s’agit des deux principaux pôles de développement du
tourisme international au Mexique. L’État du Chiapas se distingue à nouveau par sa
très faible attractivité, avec tout juste 1,2 % de résidents venus d’un autre État entre
2005 et 2010.

Le développement de la Mexamérique

De toutes les communautés issues de l’immigration depuis la Seconde Guerre 24

mondiale, la population d’origine mexicaine est de loin la plus nombreuse aux États-
Unis d’Amérique. Longue de presque 3 170 km, la frontière terrestre entre les États-
Unis et le Mexique est perméable à une circulation migratoire dont l’origine remonte
à la Première Guerre mondiale, lorsque les agriculteurs Yankee de la vallée du Rio
Grande au Texas et de l’Imperial Valley en Californie ont commencé à aller chercher
de la main-d’œuvre de l’autre côté de la frontière pour compenser le tarissement des
entrées de prolétaires d’origine européenne. Au fil du temps, la circulation migratoire
s’est intensifiée en dépit du durcissement progressif des politiques de contrôle des
flux. En effet, la présence mexicaine aux États-Unis est issue en partie de
l’immigration légale, en partie de l’immigration clandestine. Le phénomène des
« wetbacks » franchissant nuitamment le Rio Grande à la nage est mentionné dès

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1920 par le New York Times et « Operation Wetback » devient le nom de code officiel
d’une politique d’expulsion d’1 million de sans papiers en 1954.

On estime à 32,9 millions la population se réclamant d’origine mexicaine en 2010, 25

soit 10,8 % de la population totale. Les Mexicains constituent donc 70 % de la


population d’origine « hispanique » aux États-Unis. Seuls les États de la façade
Atlantique n’ont pas une majorité de leur population hispanique originaire du
Mexique. Deux États concentrent plus de 61 % de cette population : la Californie, où
11,8 millions d’habitants d’origine mexicaine représentent 31,5 % de la population
totale de l’État en 2010 et le Texas, où 8,4 millions de résidents d’origine mexicaine
forment le tiers de la population (33,2 % en 2010). Les autres États frontaliers du
Mexique viennent juste derrière ces deux grands États en part relative. La population
d’origine mexicaine représente désormais plus de 28 % de la population du Nouveau-
Mexique et un peu moins de 27 % de celle de l’Arizona. Près de 21 % de la population
du Nevada est d’origine mexicaine. C’est aussi le cas de plus de 16 % de celle du
Colorado. Ainsi, l’immigration du e siècle a-t‑elle en quelque sorte « recolonisé »
les territoires que les États-Unis avaient arrachés au Mexique entre 1835 et 1848.
Dans cette région, l’Utah fait figure d’exception avec « seulement » 10 % de
population d’origine mexicaine. La présence mexicaine est plus discrète dans le reste
des États-Unis. L’Illinois, principalement la région métropolitaine de Chicago, est le
seul État à avoir une population d’origine mexicaine supérieure à la moyenne
nationale avec 12,6 % de sa population totale en 2010. Les immigrants mexicains se
sont surtout installés dans l’Ouest. L’Oregon et l’Idaho se situent aux alentours de
10 %, ensuite viennent l’État de Washington et le Kansas aux alentours de 9 %,
l’Oklahoma et le Nebraska autour de 7 %. Dans l’Est, les pourcentages ne dépassent
5 % qu’en Géorgie et en Caroline du Nord. L’agriculture a été le premier secteur
d’activité à recourir systématiquement à une main-d’œuvre mexicaine sous-payée dès
1942 (accord Braceros). De temporaire à l’origine, l’immigration est devenue
permanente. La présence mexicaine n’est nulle part plus visible aux États-Unis que
dans les campagnes d’un grand Sud-Ouest élargi du Texas jusqu’aux plaines de la
Columbia sur la frontière canadienne, en passant par la grande concentration de
feedlots [1]
du Sud-Ouest du Kansas. Le développement cumulatif des filières
migratoires explique sans doute pourquoi l’immigration mexicaine s’est concentrée
dans certaines régions rurales des États-Unis et non dans d’autres. La vallée du Rio
Grande sur la frontière du Texas et du Mexique est la partie la plus
« mexaméricaine » du territoire étasunien. La population d’origine mexicaine
dépasse 96 % de la population dans le comté de Starr au Texas.

Population « mexaméricaine » aux États-Unis (2010)

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Source : Institut national de statistiques et de géographie (INEGI),


recensement 2010.

Toute la population d’origine mexicaine n’est pas nécessairement immigrée aux 26

États-Unis. Les flux sont anciens, et nombre de « Mexaméricains » sont nés aux
États-Unis, surtout parmi les jeunes générations. On estime à 11,7 millions le nombre
d’immigrants mexicains résidant aux États-Unis en 2010, soit 35 % de la
communauté. Plus de 21,2 millions de résidents des États-Unis d’origine mexicaine,
soit 65 % de la communauté, sont nés sur place. La fécondité des immigrantes a été
encouragée par la protection qu’une naissance aux États-Unis octroie contre le risque
d’expulsion pour les sans-papiers. C’est pourquoi un tiers de la population d’origine
mexicaine a moins de 18 ans contre le quart de la population totale, et que les
descendants d’immigrants mexicains représentent donc près du quart des moins de
18 ans. La Mexamérique est portée désormais par une dynamique interne aux États-
Unis, ce qui interdit d’imaginer tout renversement de situation, même si les retours
d’immigrés au pays natal sont nombreux et se sont accélérés avec la crise depuis
2007. En dépit de ces mutations structurelles, la communauté mexaméricaine
entretient des relations familiales étroites avec la mère-patrie. Les transferts
financiers des émigrants (remesas en espagnol) représentent un élément essentiel
dans la formation des revenus de nombreuses familles mexicaines. La Banque
Mondiale a estimé à 23 milliards de dollars américains les transferts financiers des
émigrants mexicains établis aux États-Unis à destination de leurs familles restées au
pays pour l’année 2007. Cela représente 2 % du mexicain et une manne
supérieure aux revenus générés par l’excédent de la balance des échanges de services
touristiques la même année. Le tassement de ces transferts à la suite de l’éclatement
de la crise financière de 2008 a été l’un des vecteurs de transmission de la récession à
l’économie mexicaine.

Le débat relatif à la présence hispanique en général et mexicaine en particulier aux 27

États-Unis provient du fait que les trois quarts des hispaniques conservent l’espagnol
comme langue parlée à domicile. Le plus grand nombre est bilingue, mais près de
47 % des hispanophones maîtrisent mal l’anglais. C’est en particulier le cas des
immigrants (plus de 68 % sont dans cette situation) mais ce n’est plus le cas que de
11 % de leurs enfants nés aux États-Unis. L’intégration des hispaniques dans la
société américaine est en bonne voie, en dépit de leur statut social généralement
défavorisé. Mais l’existence de colonies compactes dans les régions rurales du Sud-
Ouest où ils ne vivent qu’entre eux est un frein évident à leur assimilation. Au-delà de
ces ordres de grandeur, l’importance et l’ancienneté de la présence mexicaine aux

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États-Unis ont entraîné une hybridation culturelle manifeste dans les deux pays. De
la cuisine « tex-mex » aux chaînes de télévision diffusées en langue espagnole,
l’influence hispanique est visible dans tous les États-Unis, mais principalement dans
le Sud-Ouest. Inversement, les modes venues des États-Unis pénètrent en profondeur
la société mexicaine avec l’aide de l’importante circulation migratoire de retour.

Comparée aux États-Unis, la présence de l’immigration d’origine mexicaine est très 28

discrète au Canada. 61 500 personnes seulement se sont déclarées d’origine


mexicaine au recensement de 2006, soit 0,2 % de la population canadienne.

III. Mondialisation démographique des États-Unis et du

Canada

Après avoir accueilli principalement des immigrants d’origine européenne avant les 29

années 1930, les États-Unis et le Canada se sont ouverts à des flux d’origine beaucoup
plus diverse depuis les années 1960.

Une immigration mondialisée aux États-Unis

Les États-Unis d’Amérique sont le premier pays d’immigration au monde. Celle-ci n’a 30

jamais cessé, mais elle a connu un ralentissement sensible après 1914. En 1965, la loi
Johnson change les conditions d’accueil et relance l’immigration. De 1965 à 2010, le
pays a délivré plus de 33 millions de cartes vertes [2]
, avec moins de 300 000 entrées
annuelles à l’origine, puis un niveau croissant jusqu’en 2000, dépassant le million
d’entrées annuelles. Cette immigration a deux origines principales : l’Amérique
latine, avec une majorité de Mexicains, et l’Asie Pacifique, dont les Chinois forment la
première communauté. Le Canada et l’Europe contribuent plus faiblement à ces flux.
L’arrivée de migrants issus du sous-continent indien est la conséquence très récente
de l’introduction des visas H1-B (Immigration Act, 1990) pour répondre aux besoins
de main-d’œuvre qualifiée de l’industrie informatique. Ce flux a culminé à 100 000
entrées en 2000-2001, juste avant que le 11 septembre ne précipite une vague de
retours au pays. Toutefois, l’afflux persiste et on comptait déjà 1,6 million de
résidents nés en Inde en 2010.

Les principaux pays d’origine des immigrants aux États-Unis

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Sources : Bureau du recensement des États-Unis, American Community


Survey, estimation 2010 par État ; estimation moyenne sur les enquêtes
2005 à 2009 par comté.

À l’immigration légale s’ajoute l’immigration clandestine. Malgré le grand nombre de 31

permis de séjour distribués, de nombreux Latino-Américains, mais aussi quelques


ressortissants du reste du monde, séjournent illégalement aux États-Unis. Cette
population, généralement en situation d’emploi dans les services ou l’agriculture, a
été estimée à 4 millions en 1986, année où des mesures de régularisation ont été
décidées. Ces régularisations ont concerné 2,7 millions de clandestins en 1990 et 1991
(Immigration Reform and Control Act). Depuis cette date, on estime que la
population d’illégaux a de nouveau dépassé le seuil de 4 millions en 1993 pour
atteindre un maximum de 11,7 millions fin 2006. La croissance économique est une
raison pour laquelle les autorités fédérales tolèrent en pratique cette immigration
clandestine qui assure le fonctionnement de nombreuses entreprises agricoles,
commerciales ou de construction… La crise économique occasionne le départ de
nombreux clandestins. Les effectifs de clandestins ne sont plus estimés qu’à
10,8 millions au 1er janvier 2010.

Les États-Unis sont aujourd’hui le séjour d’au moins 20 % des expatriés à travers le 32

monde. Selon les dernières estimations de population, 40 millions de la population


recensée aux États-Unis en 2010 est immigrée, soit un peu moins de 13 % de la
population totale. Par ailleurs, les enfants nés aux États-Unis dont au moins l’un des
deux parents est un immigré forment une population de 33 millions en 2010. Cette
stratégie d’immigration systématique depuis 1965 poursuit des buts multiples,
économiques, démographiques et stratégiques.

Elle sert d’abord à alimenter le marché du travail en maintenant une pression à la 33

baisse sur les rémunérations des salariés non qualifiés (politique de compétitivité et
politique antisyndicale). Elle sert ensuite à alimenter la recherche scientifique,
l’innovation et l’avance technologique américaine (visas H1-B, programmes de Ph-D,
etc.). Ce brain drain amorcé en 1945 est une constante de la stratégie géopolitique et
géoéconomique des autorités étasuniennes. Cependant, cette politique est révisée à la
baisse depuis le 11 septembre 2001. Le nombre d’étudiants étrangers diminue depuis
2004.

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L’immigration a pour effet de relancer la fécondité qui était tombée à un minimum de 34

1,8 enfant par femme entre 1975 et 1985. Avoir un enfant sur le sol américain protège
les clandestins contre l’expulsion en vertu des lois sur la naturalisation des enfants
nés aux États-Unis. La fécondité des femmes hispaniques était estimée à 2,9 enfants
par femme en 2008.

L’immigration sert à limiter le vieillissement et renouveler la population en âge de 35

travailler. Les immigrants sont essentiellement de jeunes adultes. L’indice de


renouvellement de la population d’âge actif (rapport des 15-24 ans sur les 55-64 ans)
est de 120 % en 2010 contre une moyenne de 104 % pour l’ensemble des pays
développés. Cependant, cette pression à l’entrée du marché du travail est en partie
responsable du maintien du taux de chômage à un niveau élevé depuis la grande
récession de 2009.

Plus subtilement, l’immigration sert à étendre l’influence des États-Unis à travers le 36

monde (soft power). C’est ainsi que le programme de « diversité » promeut une
loterie de permis de séjour (Green Card) pour les ressortissants des pays qui ont
fourni moins de 50 000 immigrants aux États-Unis dans les cinq années précédentes.
La loi sur les réfugiés de 1986 poursuit des buts similaires.

La population née à l’étranger est inégalement répartie sur le territoire des États-Unis 37

en 2009. La proportion la plus élevée est observée en Californie (27 %), dans divers
États du Nord-Est atlantique (par ex., New York 21 %, New Jersey 20 %), au Nevada
et en Floride (19 %), à Hawaii (17 %) et au Texas (16 %).

Depuis 1970, l’identification communautaire est volontaire dans le recensement 38

américain, alors qu’elle était imposée (indien, blanc, noir) jusqu’en 1960. Les
« minorités » rassemblent tous les groupes qui ne s’identifient pas exclusivement
comme « blancs non hispaniques », soit 31 % de la population recensée en 2010. Au
niveau des États, en dehors du District fédéral (65 %), quatre États ont désormais une
majorité de leur population appartenant à une minorité. C’est un fait historique pour
Hawaii (77 %) et le Nouveau-Mexique (60 %). L’immigration a tourné la Californie en
société multiculturelle avant la fin du siècle dernier (60 %). C’est le tour du Texas en
2010 (55 %). Les États qui approchent du point de bascule sont ceux dont les
minorités constituent désormais plus de 40 % de la population et ont augmenté plus
rapidement qu’en moyenne fédérale (+ 28 % entre 2000 et 2010) : Arizona, Floride,
Géorgie et Maryland. Ces quatre États pourraient devenir à leur tour des États sans
communauté majoritaire en 2020. Cette tendance va inéluctablement s’amplifier
dans les prochaines décennies, dans la mesure où les minorités (Amérindiens,
Pacifiques et Hawaïens, Asiatiques, Hispaniques, Noirs) forment 46 % de la
population âgée de moins de 18 ans aux États-Unis et contribuent à près de 50 % des
naissances en 2010.

Le Canada, fédération multiculturelle

Selon le recensement, les immigrants forment 20 % de la population résidant au 39

Canada en 2006. Le pays pratique une immigration choisie, sélectionnant les


candidats à l’immigration en fonction de critères professionnels et de leur niveau de
formation. Environ 250 000 personnes sont autorisées à s’installer chaque année, la
plupart reste (solde excédentaire de 215 000 par an en moyenne sur les dix dernières
années). Les entrées récentes en provenance d’Haïti, d’Afrique et du Moyen-Orient
ont sensiblement diversifié les origines et accru les minorités visibles dans la
population canadienne. Le gouvernement fédéral fixe un plafond annuel d’entrées
égal à 1 % de la population. En pratique, ce plafond n’est pas atteint car les candidats
à l’immigration n’ont pas toujours le profil recherché. Au niveau provincial, l’Ontario

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(28 %) et la Colombie britannique (27 %) sont les deux pôles d’attraction pour les
immigrants, devant l’Alberta (16 %), le Manitoba (13 %) et le Québec (11 %).
L’immigration est particulièrement faible dans les provinces Maritimes. C’est en
Colombie britannique que les minorités visibles non autochtones sont les plus
présentes (25 % de la population), devant l’Ontario (22 %) et l’Alberta (14 %).

Le multiculturalisme est officiellement reconnu au Canada depuis 1971. La loi sur le 40

multiculturalisme de 1988 protège les droits culturels, langues, religions et coutumes.


Elle protège les droits des Premières Nations, ceux de la minorité francophone, et
assure une égalité de traitement sans distinction d’origine, de couleur ni de religion.
Le caractère binational du Canada est à l’origine de cette politique. Le séparatisme
québécois émerge à la fin des années 1960 autour de revendications contre la
domination linguistique et économique des anglophones sur la Belle Province en
général, et à Montréal en particulier. La société québécoise francophone est alors en
plein mouvement d’émancipation (sécularisation) et d’urbanisation. Les
francophones partent à la conquête de Montréal. La capitale économique du Québec
redevient majoritairement francophone pour la première fois depuis la fin du
e siècle. Le mouvement souverainiste québécois échoue par deux fois à
rassembler une majorité dans la province lors des référendums de 1980 et de 1995, ce
qui entraîne son affaiblissement politique. La politique multiculturelle, la garantie
d’Ottawa accordée au caractère bilingue du Canada et le réalisme économique
favorisent désormais le courant fédéraliste. En 1996, une décision de la Cour suprême
fédérale interdit toute sécession unilatérale et la loi dite de « clarification » impose
depuis 2000 la tenue de négociations préalables entre la Belle Province et la
fédération avant l’organisation de tout référendum ultérieur. Le Canada distingue
4 grands groupes de minorités visibles : les autochtones (3,7 % de la population), les
Asiatiques de diverses origines (10 % de la population), les Afro-américains (2,5 % de
la population) et les Latino-américains (1 % de la population).

Des métropoles multiethniques

Depuis les années 1920, l’immigration est devenue un fait urbain aux États-Unis 41

comme au Canada.

Aux États-Unis, 27 millions d’immigrés se concentrent dans les métropoles de plus 42

d’1 million d’habitants où réside 55 % de la population totale. Les immigrés


constituent 31 % de la population de la grande région urbaine de Los Angeles, 29 %
de celle de la métropole de la baie de San Francisco et 26 % de celle du Grand New
York. Au-delà de ces trois villes phares de l’immigration aux États-Unis, Las Vegas
(22 %), Houston (21 %), Dallas et Chicago (17 %), Sacramento et Washington (16 %),
Seattle, Boston et Orlando (14 %) ainsi qu’Atlanta (13 %) se situent au-dessus de la
moyenne nationale.

Au Canada, le fait le plus saillant est que 4,6 millions d’immigrés ont été recensés 43

dans les 10 principales régions métropolitaines du pays (aires métropolitaines de


0,5 million d’habitants ou plus où se concentre la moitié de la population du pays),
dont la moitié à Toronto où les immigrés constituent 46 % de la population
métropolitaine. Vancouver est la deuxième métropole la plus interlope, avec 40 %
d’immigrés dans sa population. Parmi les cinq métropoles millionnaires, Calgary
(24 %) et Montréal (21 %) se situent au-dessus de la moyenne nationale. Ottawa, la
capitale fédérale, se situe en dessous avec 18 % d’immigrés dans sa population, une
proportion comparable à celle de la région parisienne (moyenne France
métropolitaine : 8 %).

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Les minorités visibles sont très concentrées dans ces grandes métropoles. 44

Traditionnellement, les immigrants de fraîche date s’assemblaient dans des enclaves


ethniques localisées dans des quartiers péricentraux délabrés (slums). Cette
configuration propice à l’insertion économique des immigrants a été identifiée pour
les vagues d’immigration européenne non anglophones par l’École de sociologie de
Chicago dès 1916. Ce schéma d’intégration par la ségrégation spatiale communautaire
reste pertinent, mais on observe une dispersion croissante des minorités dans les
banlieues au fur et à mesure qu’elles s’intègrent dans la société américaine.
Préconisant la complète liberté de culte et exprimant une certaine indifférence pour
l’assimilation des minorités, les autorités s’accommodent de la persistance d’un
communautarisme culturel et religieux marqué, même si la ségrégation résidentielle
recule aujourd’hui, tant aux États-Unis qu’au Canada.

Immigration et barrios hispaniques à Houston, Texas

La région métropolitaine de Houston illustre le rôle d’une immigration massive dans 45

la croissance des grandes villes nord-américaines, d’une part, et l’effet de ce


multiculturalisme sur la distribution géographique des communautés dans l’espace
urbain, d’autre part. Avec une population de 5 946 800 habitants environ au
recensement 2010, Houston, 6e région métropolitaine la plus peuplée des États-Unis,
est aussi l’une des plus dynamiques.

L’afflux d’immigrants en provenance du Mexique et d’autres pays d’Amérique latine 46

contribue massivement à l’expansion de la population métropolitaine. En 1970, 19 %


de la population de l’aire métropolitaine était noire, et 8 % seulement des habitants
étaient hispaniques. Au recensement 2000, la part des Afro-américains est devenue
inférieure (17 %) à celle des populations hispaniques (29 %) dans la région
métropolitaine, tandis que les blancs « anglos » n’étaient déjà plus majoritaires. La
population hispanique s’est accrue de + 55 % entre 2000 et 2010 pour dépasser 35 %
de la population régionale, tandis que les blancs « anglos » ne forment plus 40 % de
la population totale et les Afro-américains 17 %. Après l’Amérique latine, l’Asie du
Sud-Est (étendue de la Corée au Pakistan) est la deuxième région d’origine qui
contribue le plus à l’immigration à Houston. Ces communautés sont passées de 5 %
de la population régionale en 2000 à 6,5 % en 2010, avec une croissance de 68 % en
10 ans.

Au recensement 1970, la ségrégation résidentielle des hispaniques s’élevait à 55 % 47

mesurées à l’échelon des quartiers de recensement (indice de Duncan [3]


calculé par
Census Tracts). Cette ségrégation était nettement moins importante que celle que
subissait la communauté afro-américaine à la même période (84,5 %). Au
recensement 2010, la ségrégation résidentielle des minorités avait considérablement
diminué. L’indice de Duncan n’était plus que de 41,6 % pour les hispaniques à
l’échelon des Census Tracts, et de 48,1 % pour les Afro-américains.

La communauté hispanique de Houston est traditionnellement concentrée dans 48

certains secteurs périphériques au nord et à l’est de la ville de Houston. À l’instar des


autres minorités, les hispaniques investissent aujourd’hui les banlieues de Houston.
Près de 54 % des hispaniques de la région vivaient dans les limites de la ville-centre
en 2000, représentant alors 37 % de la population de Houston City contre seulement
22,5 % de la population du reste de la région métropolitaine. En 2010, la population
hispanique de la ville-centre a augmenté de 24 % en 10 ans, mais Houston City ne
concentre plus que 42 % des résidents hispaniques de la région métropolitaine. En
effet, leur part dans la population des suburbs est montée à 31,6 % et les effectifs de
banlieusards hispaniques ont augmenté de 90 % en 10 ans.

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La population hispanique dans la région métropolitaine de Houston,
Texas (2010)

Source : Bureau du recensement des États-Unis, recensements


décennaux.

Immigration à Houston

La photographie représente un panneau publicitaire grand format implanté au bord d’une


autoroute à l’est du centre de Houston, dont la crête de gratte-ciel est visible en arrière-plan.
Cette publicité en langue espagnole vante les services d’un cabinet d’avocats susceptible de
défendre les droits des primo-arrivants. L’implantation de la publicité à l’est de la ville n’est
pas fortuite, comme le montre la carte supra. Ces quartiers concentrent une large minorité
d’origine mexicaine.
Crédit photographique : Jean-Marc Zaninetti, 2011.

Tendances démographiques et résistances

Le recensement de 2010 a montré que seules les minorités contribuaient désormais à 49

la croissance de la population âgée de moins de 18 ans aux États-Unis, les enfants


blancs non hispaniques étant en nombre plus faible en 2010 que 10 ans auparavant.
Plus de 10 % de la population des États-Unis est déjà d’ascendance mexicaine. Cette
part continue à s’accroître désormais, non par l’apport de nouveaux migrants mais
par accroissement naturel d’une communauté plus jeune et plus féconde. Les grandes
métropoles sont le creuset de ce nouveau melting-pot de population mondialisée. Il

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serait naïf d’opposer une vertueuse Amérique multiculturelle à une diabolique


Europe qui rejette ce même multiculturalisme. Les mêmes réflexes d’intolérance à
l’Islam s’observent outre-Atlantique alors même que les pays musulmans contribuent
très marginalement à l’immigration en Amérique du Nord, à de rares exceptions près
(New York, Toronto et Montréal). On observe aussi le même raidissement de
groupuscules suprématistes blancs prêts à commettre des attentats comme ils l’ont
déjà fait dans le passé. Aux États-Unis en particulier, se développe une hystérie anti-
hispanique en Arizona, État limitrophe de la frontière mexicaine, comme en
Alabama, État qui ne l’est pas et ne compte pourtant encore qu’une petite minorité
hispanique. L’hostilité à l’égard des immigrants clandestins est attisée par le chômage
élevé, ce qui explique le décalage entre les gesticulations politiques contre
l’immigration et la réalité d’une société ouverte qui tire un profit économique
multiforme de cette même immigration.

[1] Parcs d'engraissement intensif des bovins destinés à l'abattoir.

[2] Titre attestant du permis de séjour permanent pour les immigrants aux États-Unis.

[3] Popularisé par D. Massey et N. Denton (American Apartheid : Segregation and the Making of the Underclass,

Cambridge, Harvard University Press, 1988), l'indice de dissimilitude de Duncan (1955) exprime quelle

proportion de la minorité considérée devrait changer de quartier de résidence afin d'être répartie

uniformément dans toute la région métropolitaine.

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