8 Patrick Eloi KASSY
8 Patrick Eloi KASSY
8 Patrick Eloi KASSY
Résumé
L’afropolar est un genre en plein essor explorant les problèmes sociaux et politiques propres au
continent noir. « Tais-toi et meurs » d’Alain Mabanckou s’inscrit dans ce sens avec une analyse
approfondie de la vie macabre des clandestins africains précisément des congolais en France. Cet article
permet de mettre en lumière les défis humains et les réalités sociales complexes qui entourent l’immigration
clandestine. Il soulève par cette œuvre testimoniale et fustigatrice des questions essentielles sur les enjeux
de sécurité et l’intégration des immigrés africains dans le pays d’accueil. Il explore donc le monde des
congolais qui sévissent sur le territoire de Paris en appuyant sur la sociocritique. Cet outil d’analyse permet
de mieux passer en revue le malaise de la société française à travers les comportements obscurs des
personnages africains. L’étude met en lumière ces truands qui mettent en mal l’intégration des immigrés
noirs en Europe.
Mots-clés : Polar, criminel, clandestins, Africains, Violence.
Summary
The Afropolar is a fast-growing genre that explores the social and political problems of the dark
continent. Alain Mabanckou's Tais-toi et meurs (Be quiet and die) is a good example, with its in-depth
analysis of the macabre lives of illegal Africans, and Congolese in particular, in France. This article sheds
light on the human challenges and complex social realities surrounding illegal immigration. It raises
essential questions about security issues and the integration of African immigrants in their host countries.
He explores the world of the Congolese living in Paris using sociocriticism. This analytical tool provides
a clearer picture of the malaise in French society through the obscure behaviour of African characters. The
study sheds light on these hoodlums who are undermining the integration of black immigrants in Europe.
Keywords : Polar, criminal, illegals, Africans, Violence.
Introduction
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« [Il] avait pour ambition de rendre compte de la réalité sociétale du pays :
gangstérisme, corruption politique et policière, toute puissance de
l’argent, utilisation ostensible de la violence (…). […] Le roman noir
désigne aujourd’hui un roman policier inscrit dans une réalité sociale
précise et porteur d’un discours critique, voir contestataire, sur cette
réalité sociale. Et même tout roman porteur d’une vision « noire » du
monde ». (Baudou & Schleret, 2001 :6)
Dans le contexte africain, le polar voit le jour dans les années 70,
c’est un phénomène très récent qui a été d’abord marginalisé par
l’« intelligentsia africaine» (Brasleret, 2007) avant d’acquérir ses lettres de
noblesses à travers l’accroissement de ses auteurs et lecteurs. Ce polar
décrit deux aspects dont l’un se focalise sur les aspirations de l’Afrique et
l’autre fait la caricature des réalités de ce continent. Il explore les aspects
sombres et complexes de la société africaine contemporaine. À travers
des récits profondément ancrés dans la réalité du continent, ce genre
littéraire met en lumière les injustices, les inégalités sociales, la corruption,
les conflits et les dilemmes moraux auxquels font face les personnages.
Désormais, les malfrats occupent une place prépondérante dans ce récit
de criminel. « Alors que les premiers romans noirs suivent le
cheminement de l’enquêteur, les récits ultérieurs épousent davantage la
trajectoire d’un truand ou d’un gang » (Évrard, 1996 :23). Ces paroles
d’Évrard Franck décrivent parfaitement la diégèse Tais-toi et meurs de
l’écrivain congolais Alain Mabanckou. C’est un « roman noir violent »
(Manchette, 1979 :14) qui met en scène le phénomène de l’immigration
clandestine des africains en France.
Tais-toi et meurs, comme le dit Evrard Franck « hypertrophie la
violence et le sexe, traite [les] problèmes sociaux comme la délinquance,
le chômage » (68) des congolais en France. Ces clandestins permettent
d’explorer le monde sombre des africains en exil.
Dans cette étude, il s’agira d’explorer l’univers des congolais vivant
en France. Alors dans quelle mesure le roman noir Tais-toi et meurs d’Alain
Mabanckou offre-t-il une représentation authentique et précise des
réalités des africains en France ? N’est-ce pas une œuvre testimoniale ?
L’hypothèse est de montrer que le texte d’Alain Mabanckou est un roman
noir qui permet de faire la satire de la communauté clandestine
congolaise précisément Brazzavilloise en France.
La sociocritique est l’outil d’analyse sur laquelle va se baser
l’examen du texte Tais-toi et meurs. Cette méthode d’analyse permet de
scruter le texte et le hors-texte tout en s’appuyant sur le texte. Ce principe
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est le fondement même de cette théorie qui est incontournable dans
l’étude des comportements des personnages d’un texte, du contexte
social et politique. Elle est donc conçue pour avoir un regard critique sur
la société qu’arbore l’œuvre littéraire d’où son importance dans l’analyse
du corpus.
Ce travail s’articulera autour de deux grands points à savoir
l’exploration de l’œuvre en tant que roman criminel et les enjeux de
l’auteur en écrivant ce roman.
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1-2- La présentation graphique et réaliste de la violence
Tais-toi et meurs est « un livre noir, qui se plait à débrider les plaies,
à déchainer les passions, fait admirer le crime, le spectacle du mal »
(Prieur, 2006 :12). Il compte parmi ses clichés la violence sous toutes ses
formes contribuant à créer une tension et un suspense intenses. L’acte
violent joue un rôle central et est souvent utilisé pour créer une
atmosphère réaliste de danger, de tension, ainsi que pour explorer les
motivations et les conséquences des actions des personnages.
« Omniprésente, la violence régit les relations sociales » (Pierre,
2015 :117-131) et rappelle le caractère primaire de l’homme. Les auteurs
l’utilisent donc comme une constante dans leurs œuvres afin de mieux
fustiger les travers sociétaux. Tais-toi et meurs agit comme un reflet de la
société où Alain Mabanckou emploie un langage visuel et sensoriel pour
dépeindre les actes violents. C’est ainsi que ce récit devient une œuvre de
violence et d’obscénité, une représentation de la société. Le narrateur
expose avec forts détails le crime crapuleux de Pedro et José en
admettant la violence des actes : « tout au long de sa chute vertigineuse,
elle s’égosillait comme une bête qu’on marquait au fer rouge avec une
cruauté inouïe » (p.24). Cette comparaison montre la peur de la victime
et la cruauté des assassins. Elle établit le ton et l’ambiance du récit. Le
langage cru de la description imagée se poursuit de la page 24 à 25 avec
plus de détails sur la scène de mort : « En rebondissant violemment
contre le bitume, sa tête avait éclaté avec un bruit étouffé, telle une noix
de coco gigantesque qui aurait implosé avant de se fissurer. Son corps fut
brièvement parcouru par une sorte de transe épileptique, les yeux
retournés, la bouche grande ouverte. En moins de trente secondes elle
avait cessé de bouger, le sang maculait ses longs cheveux blonds et giclait
par saccades d’une excavation au niveau de la nuque ».
À travers ce tableau sombre, cet assassinat est troublant et
presqu’irrationnel. C’est un acte digne d’un film d’horreur qui désigne le
caractère diabolique de l’homme.
De plus, le narrateur à travers ces pages impudentes ne ménage
aucun effort pour présenter la violence sous d’autres formes telles que la
brutalité, les insultes et les menaces. C’est un moyen privilégié pour les
personnages d’exprimer leurs colères ou leurs intimidations. Pedro
accompagné de José s’introduit chez Mesmin, un autre congolais pour le
battre copieusement à sang pour un crédit qu’il n’a pas encore
remboursé. « Les deux hommes se sont empoignés, puis s’écroulant à
terre se sont livrés à un véritable combat que Pedro semblait dominer ;
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je le voyais envoyer des coups de poing dans la figure du type. […]. Pedro
frappait avec une violence que je ne lui connaissais pas. Je me suis dit
qu’il allait tuer ce pauvre Mesmin » (pp.109-110).
Le narrateur rapporte que lors des rencontres notamment des
mariages, il y a toujours des affrontements dus parfois à un acte
d’imprudence de la part d’un compatriote qui aurait filé son numéro à la
femme d’un autre. Ces affrontements généralisés se passent à coups de
couteaux comme s’il s’agissait d’individus barbares (p.163). Dans cette
communauté c’est la tolérance zéro qui est de rigueur. Dans le roman, le
langage devient également violent, grossier pour indiquer l’aspect réaliste
du récit et la vie sans vertu des congolais de la France.
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drainer les identifications et les émotions du lecteur ». Ces types de
personnages aident l’auteur à bâtir une satire de la société.
Issu de la société congolaise, Mabanckou entend explorer celle-ci
tout en révélant les dysfonctionnements socio-économiques et culturels
des congolais résidents en France par le biais des personnages. « En effet,
les personnages de Mabanckou sont des figures réfractées et réfractantes
qui contribuent au renouvellement des formes romanesques, notamment
par la pratique de l’auto-réflexivité, c’est-à-dire à un retour fructueux,
productif, du roman sur lui-même. Mais il y a plus. Une image diffuse,
inhérente à leur socialité, plane sur les figures effervescentes des
personnages et leur confère tout leur relief » (Bisanwa, 2011 :19-49).
À travers une fresque de la société congolaise, Mabanckou dépeint
la culture de la Sape de façon générale mais en terre d’accueil
particulièrement. Il exploite ainsi une sociologie des clandestins africains
à Paris. C’est le désir de tenir un discours réaliste qui l’anime lorsqu’il
utilise des personnages qui « s’interrogent constamment sur le sens de ce
monde, le sens de la vie, le sens de leur vie » (Reuter, 68).
L’une des caractéristiques de l’être humain est qu’il cherche à
s’épanouir dans une société où son semblable pourra l’apprécier et lui
reconnaître sa valeur. Anne-Claude Thériault (2010 :26) rappelle que «
dans nos sociétés postmodernes de confort, on ne veut plus seulement
exister, on veut vivre et se réaliser dans une structure sociale qui assure
la reconnaissance de chacun par les autres ». C’est dans cette quête de
reconnaissance que les congolais mettent sur pied le mouvement de la
Sape (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes) et le
transportent en France.
La Sapologie est un phénomène vestimentaire populaire « qui se
développe autour du milieu de la musique, à Brazzaville et à Kinshasa,
en relation avec les séjours effectués en Europe par les congolais »
(Hanon, 2006 :127). Ce mouvement a pour objectif « l’acquisition,
l’accumulation et l’exhibition, selon des modalités propres, de vêtements
de haute couture dans un cadre de compétition entre individus
masculins » (127). Il faut avoir des comportements ostentatoires pour
relever les défis des autres adeptes de la Sapologie dans laquelle les
vêtements de luxe, les chaussures de grandes marques sont arborées par
les sapeurs afin de se faire gratifier. Ce mouvement est souvent associé à
la recherche d’une identité individuelle et à une forme de résistance à la
pauvreté et à la marginalisation sociale.
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La culture de la Sape s’oppose à la culture française qui
contrairement préfère les couleurs sombres, moins éclatantes. Ce type de
dandysme à l’africain voue exagérément un culte aux marques
vestimentaires, aux chaussures coûteuses avec des griffes de renom. Ces
jeunes congolais immigrés achètent presque tous leurs articles « […] chez
connivences, la boutique de mode congolaise de la rue de Panama »
(p.28) qui a pour devise « L’art de faire chanter les couleurs ». « […] Du
rose, du jaune, du rouge et du mauve » (p.29) autant de couleurs très vives
que ces sapeurs adorent. Ces couleurs éveillent la curiosité des personnes
sur leurs passages car elles choquent tout en frisant l’extravagance. C’est
un mouvement qui montre que les africains notamment les congolais ont
une haute opinion d’eux-mêmes.
Le narrateur montre une nouvelle vision de la gent juvénile
congolaise qui veut créer sa propre identité et se démarquer
complètement du colonisateur. Pour affirmer leur libération de « la
domination coloniale » (p.29), un bon congolais doit être un bon sapeur.
La sapologie est donc une contestation contre l’assimilation de la
civilisation occidentale et une affirmation de l’identité du jeune congolais
en quête de repère dans un monde où il se sent marginalisé.
L’auteur, témoin de l’histoire du Congo et de la communauté
congolaise de France veut dépeindre cette vie dans laquelle la Sape est un
combat rude pour s’afficher. Cette communauté crée une atmosphère
complexe et de tension dans la mesure où elle va contre la culture
vestimentaire des français et surtout dérange la quiétude de ceux-ci.
Les sapeurs mettent un budget illimité pour soigner leur apparence
alors qu’ils n’arrivent pas toujours à subvenir à leurs besoins les plus
élémentaires. Le roman présente un groupe de congolais
particulièrement « la tribu du Paradis » qui vit à sept dans un petit studio
dont l’hygiène laisse à désirer, situé dans un vieil immeuble. Cependant,
ces derniers mettent tout en œuvre pour se trouver les moyens afin de
s’acheter des habits et des chaussures haut de gamme. Pour être un bon
sapeur, il faut avoir « les cheveux rasés de près, la veste ouverte et le
pantalon remonté au-dessus du nombril, avec le petit ventre de celui qui
a abusé de la bière pendant plus d’une décennie. Il se blanchissait la peau
à l’aide des produits commercialisés au marché Dejean ou boulevard de
Strasbourg » (p.139). L’emprunt du réalisme sous-tend un combat contre
les travers de la communauté congolais dans le pays d’accueil, la France.
Un portrait de Pedro est fait par le narrateur pour donner une idée précise
du sapeur. « À l’aéroport, Pedro arborait des vêtements griffés Yves Saint
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Laurent et Gianni Versace […]. Ses lunettes Dolce & Gabbana […]. Et
puis, le long manteau noir, les bijoux en or vingt-quatre carats autour du
cou, les chaussures Weston bordeaux bien cirées […]. Je n’ai pas oublié
le costume qu’il portait lorsqu’il ôta son manteau, un costume d’un rouge
tellement vif […] » (pp.52-53). Il est clair que tout ce qu’un sapeur arbore
doit être exagéré et doit surtout attirer le regard sur sa seule personne
dans l’optique d’être admiré et respecté. « Un sapeur ne pense qu’aux
vêtements, et plus ils sont extravagants plus on le respecte » (p.53).
Tais-toi et meurs explore les réalités des immigrants qui ne semblent
pas vouloir s’intégrer mais plutôt imposer leur mode de vie, leur culture.
Ces antagonistes migrants apportent une dimension supplémentaire à
l’histoire, car ils soulèvent l’épineux problème de l’immigration en
Europe.
Les immigrés qui espéraient arriver en France pour trouver du
travail et avoir un salaire conséquent pour aider la famille restée en
Afrique, se retrouvent pris au piège de la culture, de l’extravagance et de
la vie facile.
Dans ce contexte, la sapologie est utilisée pour dépeindre des
personnages comme les membres de la tribu du Paradis qui naviguent
entre deux mondes en marge de la loi. Les antagonistes sont des
gangsters, des voleurs et des criminels qui utilisent la sape comme un
moyen de se démarquer, de se camoufler ou d’affirmer leur identité dans
un milieu dangereux et violent. Ils utilisent également la Sape comme
contraste entre l’apparence extérieure élégante, sophistiquée et leur
sombre réalité. Ce mouvement représente une sorte de masque derrière
lequel se cachent des motivations troubles, des secrets ou une double vie.
Ce concept congolais est une lucarne pour ses adeptes de rivaliser
et montrer leur richesse comme le dit le narrateur à la page 160. Les
sapeurs parisiens réunis lors d’un mariage le transforment en un défilé de
mode (p.161). Chacun montre fièrement ses griffes de couture pour
indiquer qu’il est le mieux habillé. « - Pedro, tu as fait fort, mon gars !
C’est du Gautier que tu portes ! lâche, admiratif, BNP Paribas. […]
Denis Pétrole était jaloux :
- Bof, moi le Gautier c’est trop fou, je préfère Yves saint
Laurent. C’est tout ce que je porte depuis que je suis en France. […] c’est
toujours à la mode, et c’est jamais égalé ! » (p.162).
Les personnages adoptent la sape pour essayer de s’élever au-
dessus de leur condition par l’apparence et le style vestimentaire. Pour
renforcer cette thématique, l’auteur permet aux personnages d’avoir des
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sobriquets pour se valoriser malgré leur condition de marginalisé.
Certains antagonistes se font appeler « Djo Euro-Dollar alias BNP […],
Denis Pétrole alias Denis Baril de Pétrole […], le grand saoudien
congolais ! […], Pedro Allureux, l’intelligence de l’élégance, […] »
(p.163).
Ce mode de vie contraste énormément avec les ambitions des
immigrés qui normalement devraient chercher à s’intégrer dans la société
française. Cette doctrine pousse incontestablement les congolais à la
perdition.
Conclusion
Références bibliographiques
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