La Guerre Est
La Guerre Est
La Guerre Est
How to Cite:
Werner, V., (1966) “La guerre est-elle un facteur d'accélération du progrès?”, Res Publica 8(2), p.200-214. doi:
https://doi.org/10.21825/rp.v8i2.19947
Jacques Blamont
Dans Guerre et Technique (2017), pages 187 à 239
Les périodes de conflits sont propices au progrès scientifique, puisque les circonstances font que l’on demande non seulement à la recherche de
trouver les moyens les plus efficaces de détruire l’adversaire, mais aussi de soigner ou de stimuler l’ardeur des combattants ou de préserver l’état
de santé de sa propre population. Ainsi, en France comme ailleurs, le Service de santé des Armées a joué un rôle capital dans les avancées de la
médecine scientifique. De même que l’Institut Pasteur a accompagné les conquêtes coloniales avec des campagnes de vaccination destinées à
lutter contre les maladies tropicales, pendant la Grande Guerre, le soin des blessés a suscité des progrès en chirurgie d’urgence ou a vu se
développer les mesures destinées à préserver les poilus de la fièvre typhoïde, du typhus ou de la tuberculose. Conséquence de la défaite de la
France en 1940, la Seconde Guerre mondiale a surtout vu se développer la prise en compte des souffrances infligées aux populations civiles.
Ainsi, alors que le Centre national de la recherche scientifique (cnrs) mobilise les laboratoires pour répondre aux besoins de la Défense nationale,
la nécessité de parer aux carences alimentaires provoquées par l’Occupation conduit à l’installation d’un Institut national d’hygiène (inh), un
organisme qui perdurera, une fois la paix revenue, pour donner naissance à l’inserm. Dans le sillage des politiques sanitaires laborieusement
échafaudées pendant l’entre-deux-guerres, il s’agit de mettre les ressources de la médecine moderne au service d’une politique de santé publique
qui s’incarnera, à la Libération, dans l’installation d’un dispositif national de sécurité sociale…
On trouvera ci-après le texte du message que le Secrétaire général a prononcé le 19 octobre 19999 à Washington D. C., à l'intention du personnel
de la Banque mondiale :
C'est pour moi un grand honneur que d'avoir été invité à inaugurer cette série d'exposés des Nations Unies.
La Banque mondiale est depuis toujours un élément clef du système des Nations Unies. Sa vocation qui est de permettre à tous les êtres humains
de jouir des avantages du développement et d'aider des millions de nos semblables à sortir de la misère est aussi l'un des aspects les plus
importants de la mission de l'Organisation des Nations Unies elle-même.
C'est dire que nous sommes appelés à collaborer étroitement et à maintenir un échange constant d'idées et même de personnel. Comme certains
d'entre vous l'auront peut-être remarqué, j'ai récemment fait appel à l'un de vos anciens vice-p*ésidents pour administrer le Programme des
Nations Unies pour le développement. En organisant cette série de conférences, vous nous retournez en quelque sorte le compliment. J'espère que
nous pourrons constituer en outre des groupes de discussion plus restreints sur des questions précises car nous avons les uns et les autres
beaucoup à gagner de ces échanges.
Les fondateurs de l'Organisation des Nations Unies s'étaient déjà bien rendu compte du lien entre le combat pour la paix et la sécurité, où victoire
signifie se libérer de la peur, et la lutte pour le progrès socioéconomique, où victoire veut dire se libérer du besoin.
Au cours des 50 années qui ont suivi, de véritables progrès ont été accomplis sur ces deux fronts. Le monde est tout à la fois plus paisible et plus
prospère qu'il ne l'était en 1945. Ces avancées ne se sont toutefois pas équitablement réparties.
Près de la moitié de la race humaine, soit environ 2,8 milliards de personnes, dispose d'un peu moins de 2 dollars par jour pour survivre.
En outre, les conflits armés auraient causé la mort de plus de 5 millions et demi de personnes au cours des années 90. Beaucoup plus nombreux
encore sont ceux dont la vie a été brisée parce qu'ils ont été blessés, qu'ils ont perdu des êtres chers, qu'ils ont été chassés de chez eux ou ont vu
tous leurs biens détruits.
Ce sont les pays en développement qui sont le théâtre de la plupart de ces conflits.
La quasi-totalité des 20 pays les plus pauvres du monde ont été déchirés par un conflit violent au cours des dernières décennies. En Afrique, 18
des 45 pays bénéficiant d'un programme de développement de l'ONU, connaissent la guerre civile et 11 traversent des crises politiques plus ou
moins graves.
Bien sûr, la guerre n'est pas la seule cause de la pauvreté et la misère en elle-même ne conduit pas à la guerre, sinon tous les pays pauvres
seraient en guerre ce qui n'est heureusement pas le cas.
Les inégalités ne suffisent pas non plus à expliquer l'existence des conflits. La raison en est beaucoup plus complexe.
Ce qui est certain en revanche, c'est que le développement n'a pas de pire ennemi que la guerre.
Les conflits armés prolongés ne tuent pas uniquement des êtres humains : ils détruisent l'infrastructure physique d'un pays, détournent des
ressources déjà peu abondantes et perturbent la vie économique, notamment l'approvisionnement alimentaire. Ils portent un coup mortel à
l'éducation et aux services de santé.
Une guerre de libération nationale ou d'autodéfense peut parfois souder une nation, bien que sur le plan humain le prix à payer soit considérable
et certainement inacceptable. Mais de nos jours les conflits sont presque tous des guerres civiles et la population civile parmi laquelle on
dénombrait autrefois des victimes accidentelles est aujourd'hui directement visée. Ces guerres détruisent toute confiance entre les communautés,
elles sapent les rapports sociaux et la légitimité des gouvernements, sans parler de la confiance des investisseurs. Il est également plus difficile
d'y mettre fin car, une fois la paix revenue, les belligérants au lieu de se replier derrière les frontières d'un État, doivent vivre ensemble.
Les guerres entre États, qui font appel à de coûteux armements modernes, sont destructrices mais en général ne durent guère : voyez la guerre du
Golfe en 1991 ou le conflit qui a ravagé cette année le Kosovo. De nos jours, les guerres touchent surtout les pays pauvres et utilisent des armes
peu coûteuses et faciles à obtenir. Ces guerres, et les souffrances qu'elles entraînent, peuvent se prolonger pendant des années, voire des
décennies : c'est le cas en Afghanistan, en Angola et au Soudan.
Les activités de l'Organisation des Nations Unies visent en grande partie à soulager les immenses souffrances causées par ces conflits et à
rechercher les moyens de les régler pacifiquement.
Cette mission souvent ingrate exige des efforts de longue haleine, mais elle n'est pas aussi désespérée que la lecture de la presse ne pourrait le
laisser penser. Au cours des neuf dernières années, il a été signé trois fois plus d'accords de paix que pendant les 30 années précédentes. Certains
ont été un échec et on en a beaucoup parlé, mais ils sont pour la plupart scrupuleusement respectés.
Les succès s'accompagnent toutefois de nouveaux enjeux et de nouvelles difficultés : ce que nous appelons à l'ONU "la consolidation de la paix
après un conflit". C'est l'une des grandes innovations des années 90 et une activité en pleine croissance.
De la Namibie à El Salvador et du Kosovo au Timor oriental, nos deux organisations travaillent côte à côte, en collaboration avec des
responsables des pouvoirs locaux, des organisations non gouvernementales (ONG) et des groupes de la société civile, pour fournir des secours
d'urgence, démobiliser les combattants, apporter un soutien aux opérations de déminage, organiser des élections, encourager la réconciliation,
constituer des forces de police impartiales et reconstituer les services de base. Mais surtout, nous essayons de reconstruire des liens, de rétablir la
confiance non seulement entre les diverses communautés mais également au sein de chacune d'elles, car la confiance est la première victime d'un
conflit et très difficile à faire renaître par la suite.
On a beaucoup parlé des moyens de combler le fossé ou de gérer la transition entre ces activités de consolidation de la paix et les initiatives à
long terme en faveur du développement. Mais, on s'aperçoit de plus en plus que l'un ne va pas sans l'autre. La gestion des crises et la
consolidation de la paix doivent faire partie de toute stratégie de développement. Si les pays attendent que tous leurs conflits ou crises soient
réglés avant d'adopter une telle stratégie, ils risquent d'attendre longtemps.
Je n'essayerai pas de vous convaincre en vous abreuvant de faits et de chiffres car je sais que nous sommes tous d'accord sur ce point. Personne
ne remet en cause le bien-fondé de la prévention. Certains se demandent toutefois si elle est possible ou si les décideurs pourront jamais raisonner
à suffisamment long terme pour l'envisager sérieusement. On dit même que "convaincre les hommes politiques d'investir dans la prévention des
conflits, c'est demander à un adolescent de commencer à cotiser pour sa retraite".
Un tel cynisme me semble déplacé, mais il faut faire preuve d'humilité. Même si nous disposions de toutes les ressources nécessaires à la
prévention, nous ne devrions pas surestimer nos capacités.
À moins que le gouvernement et la population du pays concerné ne soient résolus à s'attaquer aux problèmes qui sont à l'origine du conflit, il n'y
a pas grand chose qu'un tiers puisse faire, même s'il est animé des meilleures intentions et parfaitement informé.
Mes propos sont dictés non pas par le désespoir mais par la prudence.
Ce qui est certain, c'est que pour réussir à prévenir les guerres il faut comprendre les forces qui les motivent.
Et ces forces sont bien sûr complexes et, comme d'habitude, elles suscitent beaucoup de polémiques parmi les spécialistes. Néanmoins, un
consensus semble se dégager sur certains éléments clefs.
Premièrement, il n'existe pas de facteur unique qui explique le déclenchement de tous les conflits et, par voie de conséquence, il ne peut y avoir
de solution unique non plus. Les politiques de prévention doivent être adaptées aux circonstances propres à un pays ou à une région et être axées
sur plusieurs aspects en même temps.
Deuxièmement, la plupart des chercheurs s'accordent à dire qu'il est utile de différencier les facteurs structurels ou à long terme, qui accroissent
la probabilité des conflits violents, de ceux qui les déclenchent effectivement.
Les facteurs structurels ont tous un rapport avec la politique socioéconomique et la façon dont les sociétés se gouvernent. C'est là que le lien
entre sécurité et développement est le plus net.
Une important étude réalisée par l'Université des Nations Unies et qui sera publiée dans le cours de l'année, indique que les inégalités entre riches
et pauvres ne suffisent pas à déclencher un conflit violent. Ce qui peut mettre le feu aux poudres c'est que les auteurs de l'étude appellent
l'inégalité "horizontale" : c'est-à-dire lorsque le pouvoir et les ressources sont inégalement répartis entre des groupes qui se différencient aussi par
d'autres caractéristiques, à savoir la race, la religion ou la langue. Les conflits dits "ethniques" naissent entre des groupes qui se distinguent par
un ou plusieurs de ces aspects, lorsque l'un estime qu'il est victime de discrimination ou qu'un autre craint de perdre ses privilèges.
La stagnation ou la régression économique, parfois causées par des éléments sur lesquels le gouvernement n'a aucun contrôle, tels que la
détérioration des termes de l'échange, accroît la possibilité de conflit. La raréfaction des ressources rend la concurrence plus âpre et les élites
usent de leur pouvoir pour se les approprier aux dépens du reste de la population.
Lorsque le déclin économique se prolonge, et surtout si le niveau de départ est déjà peu élevé, l'État concerné risque de perdre progressivement
toute capacité de gouverner, et en fin de compte de ne plus pouvoir maintenir l'ordre public.
Si la violence politique est plus fréquente dans les pays pauvres, cela tient davantage à une mauvaise gouvernance, et notamment au fait qu'il
n'est pas porté remède aux inégalités "horizontales", qu'à la pauvreté en tant que telle. Un pays pauvre bien gouverné peut éviter l'apparition de
conflits. Il a également plus de chances d'échapper à la misère.
Même lorsque ces facteurs à long terme existent, un élément à court terme doit servir d'étincelle.
Souvent, c'est le fait que des élites rivales s'approprient un ensemble de revendications, et qu'on s'attache à cultiver au sein de l'imagination
collective d'un groupe particulier des mythes déshumanisants à propos d'un autre groupe, lesquels sont soigneusement diffusés et amplifiés par
une presse appelant à la haine.
Lorsque le pays se trouve au bord de la guerre, même les événements les plus insignifiants tendant à confirmer ces mythes peuvent être l'étincelle
qui déclenche une violence généralisée. À partir de ce moment, ce sont des communautés entières qui se trouvent aveuglées par la haine et la
terreur. Le moindre geste des uns tend à accroître les craintes des autres.
C'est souvent l'État, ou le groupe qui contrôle cet État, qui est à l'origine de la violence généralisée, en réponse à des manifestations non violentes
des groupes d'opposition. Ce n'est guère surprenant car les gouvernements sont souvent mieux armés que leurs opposants, tout du moins au début
d'un conflit. Aussi pressantes que soient leurs revendications, ceux qui prennent les armes sont rarement suffisamment nombreux pour vaincre un
État à moins qu'ils n'y soient conduits par une répression brutale.
C'est plus souvent le désir du pouvoir que le sentiment d'injustice qui est à l'origine des guerres, comme l'ont montré plusieurs études récentes,
notamment celle réalisée ici par le Département de la recherche de la Banque mondiale. La guerre peut se révéler extrêmement profitable pour
certains, particulièrement lorsqu'elle s'accompagne d'une mainmise sur de précieux
produits d'exportation tels que les diamants, la drogue ou le bois. Lorsque les gouvernements sont faibles et les débouchés économiques rares, le
recours à la violence devient une solution logique pour éviter la misère, notamment pour les jeunes au chômage. Et lorsque cette violence se
généralise et que l'État, comme il se doit de le faire, s'y oppose, elle ne peut que trop facilement déboucher sur une guerre civile.
Si l'inégalité "horizontale" est une des causes majeures des conflits, il est évident que nous devons nous efforcer de la réduire. Et pourtant, tout
dernièrement encore, les politiques de développement avaient tendance à ignorer le problème. En conséquence, certaines politiques visant à
stimuler la croissance ont en fait involontairement aggravé ce type d'inégalité, accroissant ainsi le risque d'instabilité et de violence.
C'est pourquoi je me félicite notamment que Jim Wolfensohn ait invité la Banque et ses partenaires à réfléchir sérieusement aux moyens
d'intégrer au mieux le concept de prévention des conflits dans les activités de développement. J'ai appris avec intérêt que le Gouvernement
britannique se penchait actuellement sur la question de l'évaluation des incidences des conflits. Il s'agit, avant d'adopter telle ou telle mesure ou
d'imposer tel ou tel type de conditionalité, de vérifier par le biais d'un processus de consultation, que cette politique limitera le risque de conflit
dans un pays, ou du moins ne l'aggravera pas.
Comme beaucoup de bonnes idées, celle-ci semble tout à fait logique une fois qu'elle est formulée. Mais c'est pourtant la première fois qu'on y
pense.
Si les conflits sont souvent déclenchés par différents groupes ayant un accès inégal au pouvoir politique, il s'ensuit que le meilleur moyen d'éviter
un conflit est d'encourager la démocratie, pas celle où le vainqueur a la haute main sur tout, mais une démocratie ouverte qui permet à toutes les
personnes concernées de s'exprimer sur les décisions qui peuvent modifier leur vie.
Dans les années 90, la fin de la guerre froide a eu deux conséquences majeures sur le système international. Premièrement, le nombre d'États
démocratiques dans le monde a pratiquement doublé entre 1990 et 1998. Et deuxièmement, le nombre des conflits armés a diminué, passant de
55 en 1992 à 36 en 1998.
Cette seconde affirmation peut sembler surprenante compte tenu de la longue liste de conflits sanglants qui déchirent le monde, de la Bosnie au
Timor oriental en passant par la Sierra Leone.
Mais la vérité, qui pour l'instant a complètement échappé à la presse, c'est que l'on a vu davantage de conflits de longue date se terminer que de
nouveaux éclater.
Bien sûr, la diminution des guerres n'est pas uniquement le fait de la progression des démocraties. D'autres facteurs, et notamment la fin des
conflits idéologiques de la guerre froide, ont également joué un rôle. Dans certains cas, c'est la paix qui a rendu possible le processus de
démocratisation, plutôt que l'inverse. Toutefois, plusieurs études montrent que les régimes démocratiques présentent des niveaux très faibles de
violence interne comparés aux régimes non démocratiques.
En y réfléchissant, ce n'est guère étonnant. La démocratie est, en substance, une forme de gestion non violente des conflits. Pourtant, il convient
de rester prudent car si la démocratie est en soi souhaitable, le processus de démocratisation peut être extrêmement déstabilisateur, surtout
lorsque des États introduisent des systèmes électoraux fondés sur la règle du "tout au vainqueur" sans prévoir de dispositions appropriées
relatives aux droits de l'homme. Différents groupes peuvent alors prendre réellement conscience de leurs inégalités et chacun se mettre à craindre
le pouvoir des autres. Et bien trop souvent, ils attaquent avant d'être attaqués.
Cela ne devrait pas pour autant nous empêcher de plaider en faveur d'un processus de démocratisation pourvu qu'il soit valable dans le cadre
de nos politiques de développement.
La bonne gouvernance va bien entendu au-delà de la démocratisation au sens politique strict. Un autre aspect important en est la réforme des
services publics, notamment des services de sécurité, qui devraient être soumis aux mêmes conditions d'efficacité, d'équité et de transparence que
tout autre service public. Il retient, à juste titre d'ailleurs, de plus en plus l'attention de la Banque mondiale, de l'Organisation de coopération et de
développement (OCDE) et de plusieurs grands pays donateurs.
La probabilité d'un conflit diminue si la population d'un pays sent qu'elle est protégée, tout comme ses biens, par l'action des services de sécurité.
En revanche, elle augmente si un groupe important de citoyens, au lieu d'être protégé par les services de sécurité, est exploité et terrorisé par ces
derniers.
Si l'on me demandait de résumer mon message de cet après-midi en une seule phrase, je dirais que la sécurité des personnes, la bonne
gouvernance, un développement équitable et le respect des droits de l'homme sont des éléments interdépendants qui se renforcent l'un l'autre. Si
la guerre est le pire ennemi du développement, un développement sain et équilibré est la meilleure forme de prévention des conflits.
Comme je viens de vous l'expliquer, il est impérieux d'octroyer plus de temps et de ressources aux politiques de développement. Cette tâche ne
sera pas aisée mais elle est rentable et elle peut sauver des millions de vies humaines.
C'est dès maintenant qu'il faut payer le prix de la prévention même si nous ne pourrons en retirer les bénéfices que dans un lointain avenir. En
outre, ceux-ci sont souvent invisibles : ce sont les guerres et les catastrophes qui ne se produisent pas. La prévention a connu un regain d'intérêt
au cours des dernières années, tant de la part des pays donateurs que des organisations internationales : nous devons tirer parti de cette situation.
La Banque mondiale et l'Organisation des Nations Unies se sont beaucoup instruites à leur contact mutuel ces 10 dernières années, mais il reste
encore beaucoup à apprendre.
Nous devons apprendre à mieux travailler ensemble, ainsi qu'avec les autres organismes des Nations Unies, les gouvernements et les ONG.
Nous devons aussi tirer parti de nos expériences réciproques, sans jamais croire que nous sommes les seuls détenteurs de la sagesse, quel que soit
le groupe ou organisme auquel nous appartenions.
Mais nous devons par dessus tout retirer un enseignement des populations des pays en développement. Chaque pays, chaque province, voire
chaque village a ses propres problèmes mais également ses propres aspirations et motivations.
Je suis convaincu que la qualité la plus précieuse, tant pour un diplomate que pour un économiste spécialiste du développement, c'est de savoir
écouter.
Les chercheurs et les savants allemands ne cessent d’inventer des armes étonnantes pour nos armées victorieuses », se réjouit en août 1915 un journal
berlinois, évoquant les récents progrès des gaz de combat. Pourtant, comme le montre l’historien Dominique Pestre, la science ne joue qu’un rôle marginal
dans le dénouement de la première guerre mondiale : les vainqueurs ne furent pas les détenteurs des armes les plus sophistiquées, mais les plus endurants
dans cette « guerre de production », longue et coûteuse en matériel.
La science joue un rôle autrement plus important dans la « guerre technique » que fut la seconde guerre mondiale. L’ampleur des fronts oblige les
belligérants à déployer des trésors de logistique. Les Etats-Unis rationalisent l’acheminement de leurs armes et de leurs hommes en s’appuyant
sur des modèles mathématiques élaborés à la demande du ministère de la défense. De plus, les scientifiques participent à la conception et au
perfectionnement des nouvelles technologies militaires (avions à réaction, roquettes antichars, engins filoguidés, dispositifs à infrarouges…). Les
travaux de Niels Bohr et de Pierre et Marie Curie sur la fission de l’atome sont utilisés par le Pentagone pour mettre au point la bombe atomique.
Les avancées des années 1920 et 1930 en matière de télédétection et d’électronique permettent l’invention du radar, une technologie que les
Alliés maîtrisent rapidement mieux que les Allemands. Après 1945, les Etats-Unis et l’URSS se livrent une féroce concurrence pour recruter les
anciens savants nazis.
La guerre froide apparaît enfin comme une « guerre d’exhibition ». Chaque belligérant veut impressionner son adversaire avec ses prouesses
scientifiques : « La bataille se mène par exhibition technologique interposée », écrit Pestre. L’historien David Edgerton parle, à propos du cas
américain, d’une « nationalisation des sciences » qui commence dès les années 1920, mais trouve son aboutissement après 1945. La science est
alors largement mise au service de l’Etat, et plus précisément de son armée, qui finance les recherches en amont et achète les produits issus de
ces recherches en aval : on étudie la mécanique des fluides pour améliorer les explosions dans l’air et dans l’eau ; les probabilités et les
statistiques servent au perfectionnement des systèmes de défense antiaérienne ; les mathématiques et l’informatique permettent de calculer les
trajectoires des missiles, etc.
En effet, dans les facultés privées américaines, la recherche en physique est presque entièrement subventionnée par l’armée. Le ministère de la
défense finance également de nombreux think tanks où se côtoient scientifiques et militaires. L’US Air Force crée dès 1945 la Rand Corporation,
qui rassemble des dizaines de mathématiciens, économistes, statisticiens, logiciens, physiciens chargés de réfléchir aux multiples facettes de la
guerre. Désireux de « promouvoir un lien plus efficace entre la sécurité nationale et le savoir scientifique », le ministre John Foster Dulles met
sur pied, en 1956, l’Institute for Defense Analyses, auquel participent des universités aussi prestigieuses que le MIT, California Tech et Stanford.
Malgré cette débauche de moyens, les Etats-Unis ne parviennent pas toujours à distancer leur rival soviétique, qui dispose, avec son Académie
des sciences, d’un réseau de scientifiques, capables de remporter des prix Nobel de chimie (1956) et de physique (1958, 1962, 1964, 1975...).
L’URSS ne tarde donc pas à découvrir le secret de l’arme atomique – elle procède à son premier essai nucléaire le 29 août 1949, puis fait
exploser, le 30 octobre 1961, la « Tsar Bomba », trois mille fois plus puissante que celle larguée sur Hiroshima.
Course à l’espace
L’URSS affirme également son avance en matière d’astronautique. C’est elle qui envoie le premier satellite artificiel en orbite (Spoutnik,
4 octobre 1957), suivi du premier homme (Youri Gagarine, 12 avril 1961). La peur du « retard technologique » s’installe chez son rival. La
course à l’espace n’est pas seulement symbolique : ses implications sont multiples, en matière de système de défense, de contrôle de
l’information, etc. Aussi, à coups de milliards de dollars, l’Amérique rattrape son retard : le 20 juillet 1969, un Américain marche sur la Lune,
annonçant la domination scientifique des Etats-Unis pour les décennies à venir.
Benoît Bréville
https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a53235