Tara Duncan T13 - Tara Et Cal

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 740

Résumé

Une sortcelière sans magie

est-elle toujours une sortcelière ?


Une nouvelle ère s'ouvre pour Tara Duncan. Celle qui
fut sans doute la sortcelière la plus puissante qu'on ait
jamais vue sur AutreMonde a perdu sa magie. Depuis deux
ans, l'héritière de l'Impératrice d'Omois vit comme une
simple humaine – ce qui s'avère nettement moins drôle que
prévu...

C'est alors que sur AutreMonde, des animaux, des


licornes, des centaures, des gnomes disparaissent. Caliban
Dal Salan, le compagnon de Tara, est chargé de trouver qui
est responsable de ces disparitions. Pendant que Cal mène
l'enquête, c'est au tour des fameux paons aux cent yeux
d'or, emblèmes d'Omois, de se volatiliser. Tara et Cal
doivent absolument découvrir qui s'en prend à l'Empire,
car une ancienne prophétie dit que le jour où les paons ne
voleront plus dans le Palais de Tingapour, la dynastie de
Demiderus sera anéantie...

Mais, tandis que les tensions grandissent entre


sortceliers et non sortceliers, Cal doit faire face à un
événement bien plus grave encore : Tara est enlevée ! Fou
de rage, le jeune homme est contraint pour la retrouver de
s'allier avec son ennemi de toujours, Magister.
À mon mari et mes deux filles, mes trois mousquetaires,
Philippe, Diane et Marine, tous pour un et un pour tous, je
vous aime forever tellement fort.
Dans les épisodes précédents

C’est un peu comme à la télévision... « Previously in


Tara Duncan », j’adore. Bref, je reçois souvent des mails ou
des MP sur mon Facebook perso :

http://www.facebook.com/profile.php?
id=100003455967364&sk=wall

sur la FB fan page :

http://www.facebook.com/pages/

Sophie-Audouin-Mamikonian-Tara-
Duncan/358299670847320

ou sur la page FB Tara Duncan :

http://www.facebook.com/pages/Tara-
Duncan/300295254531
ou sur mon blog :

http://www.taraduncan.com/blog/

ou par mon adresse mail : [email protected]

(oui, je sais, je suis accro à Internet, mais je me soigne


lol) qui me disent : bon, vu que t’es super longue
pour écrire un livre (un an entre chaque tome qui sort
fidèlement vers le 20 septembre chaque année,
franchement, vous exagérez un peu quand même), faut que
tu nous rappelles ce qui s’est passé avant...

Donc, je vous rappelle, c’est parti :


Les Sortceliers

Dans le tome I, Tara pense que, parce qu’elle est


capable de soulever les objets par la pensée, elle est une
sorte de professeur Xavier X-men, avec plus de cheveux et
moins de roues. Sauf que pas du tout, elle est une
sortcelière, Celle qui sait lier les sorts, ce que, entre nous,
elle trouve quelque peu ringard. Elle découvre que sa mère
est prisonnière sur une planète improbable où vivent des
dragons et des licornes, ce qu’elle trouve encore plus
difficile à croire, et que son chien est en réalité son arrière-
grand-père. Dit comme ça, j’admets que ça fait un peu
bizarre. Cela empire lorsqu’un type masqué super louche,
un certain Magister, qui a dû mal digérer ses cours de latin
à l'école, essaye de la kidnapper. Tara part sur
AutreMonde, où elle se fait des amis étonnants, comme
Robin, le très beauuuu demi-elfe, Caliban le Voleur Patenté,
Gloria, la Bête du Lancovit, Maître Chem, l’énorme dragon
bleu et argent, Fafnir, la naine rousse guerrière, et
quelques ennemis farouches comme Maître Dragosh le
vampyr, Angelica Brandaud la sortcelière ambitieuse ou
Salatar, la Chimère à tête de lion et Premier ministre du
Lancovit. Infectée par un démon, soignée par les
Omoisiens, capturée par Magister, Tara parvient à délivrer
sa mère et à déjouer les plans maléfique du Maître des
Sangraves. Sauf que, en même temps, elle apprend qu’elle
est l’Héritière d’un immense empire et la clef
pour permettre l’invasion des démons des Limbes, grâce
aux objets démoniaques qu’elle est la seule, avec Lisbeth,
l’Impératrice d’Omois, à pouvoir approcher...
Le Livre Interdit

Cal est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Bien
à contrecœur, Tara repart sur AutreMonde afin de
découvrir qui accuse son ami et pourquoi. Les gnomes
bleus délivrent Cal (qui ne leur a rien demandé, hein !), en
faisant ainsi un fugitif aux yeux d’Omois (ce qui est une très
mauvaise idée) afin qu’il les aide contre un monstrueux
sortcelier qui les tient en esclavage. Tara et ses amis n’ont
d’autre solution que d’affronter ce sortcelier, car les
gnomes bleus ont infecté Cal avec un t’sil, un ver mortel du
désert. Ils n’ont que quelques jours pour le sauver. Une fois
le sortcelier vaincu, grâce à Fafnir, ils partent pour les
Limbes grâce au Livre Interdit, afin d’innocenter Cal. Ce
faisant, ils invoquent involontairement le fantôme du père
de Tara, mais celui-ci ne peut rester avec sa fille, sous
peine de déclencher la guerre avec les puissants démons.
Une fois rentrés sur AutreMonde, Tara et ses amis doivent
affronter une terrifiante menace. En essayant de se
débarrasser de la « maudite magie » (les nains ont la magie
en horreur), Fafnir devient toute rouge. Non, non, pas de
colère, mais parce que sa peau vire au pourpre car elle a
involontairement délivré le Ravageur d’Âme qui conquiert
toute la planète en quelques jours, en infectant
les sortceliers et autres peuples. Tara se transforme en
dragon et, en s’alliant avec Magister, parvient à vaincre le
Ravageur d’Âme. Une fois le Ravageur vaincu, elle abat
Magister qui disparaît dans les Limbes démoniaques. Elle
pense (en fait, elle espère très fort !) qu’il est mort. Mais
entre-temps, l’Impératrice d’Omois, qui ne peut avoir
d’enfants, a découvert que Tara était son Héritière et exige
qu’elle vienne définitivement vivre sur AutreMonde. Si Tara
refuse, elle détruira la Terre.
Le Sceptre Maudit

Tara est amnésique. Après avoir affronté les armées


d’Omois afin de garder son libre arbitre, elle s’est rendu
compte qu’elle ne pourrait pas tuer d’innocents soldats
juste pour rester sur Terre et accepte de vivre sur
AutreMonde. Mais elle fait une overdose de magie, tant son
pouvoir devient de plus en plus puissant et incontrôlable.
Une fois sortie de son amnésie, elle retrouve son rôle
d’Héritière d’Omois, et est la cible des farces dangereuses
de deux jeunes enfants, Jar et Mara. Mais sa mère est
victime d’un attentat et un zombie est assassiné (ce qui
n’est pas facile, hein, essayez donc de tuer un type mort
depuis des années !). Tara est chargée de l’enquête tandis
que Magister attaque le Palais avec ses démons pour tenter
d’enlever Tara encore une fois (complètement
monomaniaque ce type !). Heureusement, ils sont prévenus
à temps par le Snuffy Rôdeur, qui s’est échappé des geôles
de Magister. Folle de rage, l’Impératrice décide d’attaquer
Magister dans son repaire et laisse l’Empire entre les
mains de son Premier ministre et de Tara. Hélas, elle est
capturée par Magister et Tara se retrouve, bien contre son
gré, Impératrice par intérim (ce que, à quatorze ans, elle
trouve très, mais alors très moyen comme situation).
Magister envoie son terrible Chasseur, ennemi de Tara, et
ancienne fiancée de Maître Dragosh, Selenba, la vampyr,
espionner Tara. Celle-ci prend l’apparence d’un proche de
Tara et blesse gravement l’homme qui fait la cour à la mère
de Tara, Bradford Medelus. Puis la magie disparaît et ils se
rendent compte que Magister a eu accès, grâce à
l’Impératrice, aux treize objets démoniaques, dont le
Sceptre Maudit qui empêche les sortceliers d’utiliser leurs
pouvoirs magiques. Coup de chance, les adolescents sont
épargnés. Grâce aux Salterens, ils trouvent le collier
de Sopor, objet qui permet de détruire le Sceptre.
Involontairement capturés par Magister en combattant le
Chasseur, ils délivrent l’Impératrice et détruisent le
Sceptre. Magister attaque l’Empire d’Omois avec des
millions de démons, mais Moineau découvre à temps
pourquoi le zombie a été assassiné et Magister est vaincu.
Son armée est détruite. Robin va chercher Tara pour
célébrer la victoire, mais à sa grande horreur la chambre
de la jeune fille est vide. L’Héritière a disparu.
Le Dragon Renégat

Tara s’est lancée à la recherche d’un document qui lui


permettra de faire revenir son fantôme de père. Elle a
laissé un mot, mais la démone chargée de le donner à
l’Impératrice a oublié. Ses amis partent à sa recherche
tandis qu’un mystérieux dragon assassine un savant dans
l’un des laboratoires du Palais Impérial d’Omois. Puis lance
un sort à Tara. Elle devra se rendre à Stonehenge, où,
depuis cinq mille ans, il a placé un terrible piège qui va
détruire la Terre et tous ses habitants. Tara va-t-elle
résister à sa propre magie, dont la trop grande puissance
risque de la consumer ? Grâce à l’air d’Igor (petit,
contrefait, a un cheveu sur la langue) et à sa géante de
femme (grande, solide, peut assommer un bœuf d’un
seul coup de poing), et au fidèle Taragang, Tara parviendra
à élucider l’énigme de la disparition de son grand-père,
mais surtout à déjouer les plans du mystérieux dragon. Et
lorsque Robin l’embrassera, enfin, et que l’Impératrice le
bannira pour l’empêcher d’approcher son Héritière, Tara
prendra une décision qui coûtera cher à l’une de ses
meilleures amies...
Le Continent Interdit

Betty, l’amie terrienne de Tara, a été enlevée par


Magister. Et Tara n’a toujours pas retrouvé sa magie. Or le
Continent Interdit, où a été amenée Betty, est gardé par les
dragons, qui refusent que Tara y mette le bout de l’orteil.
Pour sauver son amie, elle n’aura pas le choix. Elle devra
retrouver son puissant pouvoir, défier les dragons et
dévoiler le terrifiant secret que cachent les gros reptiles
volants. De plus, afin de compléter la liste des ingrédients
destinés à réincarner son fantôme de père, Tara découvre
que le seul endroit où pousse l’une des plantes, la Fleur de
Kalir, est justement le Continent Interdit. Avec l’aide
toujours aussi précieuse de Robin, le beau demi-elfe dont
elle est de plus en plus éprise, de la dangereuse
elfe violette V’ala, de Fabrice le Terrien, de Moineau, la
Bête du Lancovit, de Cal, le Voleur Patenté, et de Fafnir, la
redoutable naine guerrière, Tara va devoir faire face à
l’ennemi le plus dangereux qu’elle ait jamais rencontré... la
Reine Rouge et ses plans déments de conquête
d’AutreMonde.
Dans le piège de Magister

Magister est dingue... amoureux de la mère de Tara. Au


point qu’il tente de l’enlever. Folle de rage, Tara décide de
se transformer en Chasseur. Plus question de subir les
attaques de son pire ennemi, désormais, c’est elle qui va le
traquer. Elle part à la recherche d’objets de pouvoir
démoniaques, les fameux « prototypes » ayant servi à
fabriquer les originaux conservés par les Gardiens. En
soignant Selenba, la redoutable vampyr, Tara apprend à se
transformer elle-même en véritable vampyr et vole l’anneau
de Kraetovir. Mais les dragons préparent quelque chose et
Tara et ses amis devront partir pour le Dranvouglispenchir
et affronter celui qui se tapit dans l’ombre, Magister et ses
plans démoniaques. Sauf qu’ils ne pouvaient pas imaginer
que les dragons eux aussi ont l’intention de réduire la Terre
et AutreMonde en esclavage. Tara devra affronter l’un de
ses plus dangereux adversaires, tapi dans l’ombre, être
maléfique pétri de cruauté à côté de qui Magister est un
aimable plaisantin !
L'Invasion Fantôme

En tentant de faire revenir son père d’OutreMonde,


Tara libère une horde de fantômes qui possèdent tous les
gouvernements d’AutreMonde. Sous ses yeux, son petit ami
Robin meurt et elle n’est sauvée que par Xandiar. Après
avoir voulu mourir par culpabilité et remords, elle est aidée
par Cal à sortir de sa dépression et elle part à la recherche
de la machine qui va permettre de détruire les fantômes.
Mais Magister a appris qu’elle recherchait la machine et
lance Fabrice, son nouveau disciple, et Selenba, son
terrifiant Chasseur, à ses trousses. Tara devra donc
affronter son ex-meilleur ami avec l’aide d’un étrange
garçon à la peau lumineuse et dont la beauté lui tourne la
tête. Et de la plus improbable des alliées, Angelica, qui se
découvrira un nouveau pouvoir et sauvera, bien
involontairement, la planète entière. Jusqu’au dénouement
final où Magister découvrira que sa famille est
plus étendue qu’il ne le croyait...
L'Impératrice Maléfique

Tara est exilée sur Terre. Depuis près d’un an, elle est
confinée chez Isabella, sa redoutable grand-mère, réduite
à éloigner les vampyrs qui sévissent de plus en plus
nombreux dans les rues terriennes et, pour tout dire, elle
commence à trouver le temps long. Et presque à regretter
ses ennuis coutumiers. Soudain, sur AutreMonde, ses
proches sont attaqués les uns après les autres. La jeune
sortcelière voudrait revenir, agir, les sauver. Mais lorsqu’on
est bloqué sur Terre, difficile d’être efficace ! Sauf peut-
être en tentant l’impossible. L’inconcevable. Or c’est là que
les choses se compliquent... Tara est à son tour attaquée
chez elle. Sous ses yeux, elle voit mourir Selena, sa mère,
après que celle-ci a été mordue par T’eal, le président des
loups-garous. Fou de douleur, Magister enlève le corps de
Selena, jurant de la ressusciter. Mais un péril bien plus
menaçant gronde. L’Impératrice a un comportement
parfaitement anormal et empêche Tara de revenir sur
AutreMonde, en dépit de tout ce qui s’est passé. Afin
de revenir, Tara se résout à passer par les Limbes
démoniaques afin d’accéder à AutreMonde sans passer par
les portes de transfert. Sauf que les Limbes ont bien
changé. À présent, les démons ont terraformé toutes leurs
planètes ainsi que leurs habitants. Et le somptueux prince
Archange ne laisse pas Tara indifférente. Une fois de
retour, grâce à une étrange entité, la Reine Noire, qui
semble être le double maléfique de Tara, la jeune fille et ses
amis vont devoir affronter les habitants d’AutreMonde
possédés par un puissant sortilège, s’allier avec leur pire
ennemi pour résoudre une situation de crise diplomatique
et affronter la plus noire des magies. Parviendront-ils à y
rétablir l’équilibre ?
Défi d’autant plus difficile à relever qu’à seize ans, les
cœurs s’affolent et s’emballent, et conduisent à faire de
bien mauvais choix...
Tara Duncan contre la reine noire

La situation ne va pas en s’améliorant. Tara se retrouve


possédée par la Reine Noire, son double maléfique, qui,
après s’être approprié la couronne de Drekus, décide de
s’emparer d’AutreMonde, rien que ça. D’où la légitime
question de Tara : mais pourquoi les tyrans psychopathes
tiennent-ils tellement à être les Maîtres du Monde ? C’est
fatigant quand même ! La Reine Noire transforme les amis
de Tara en caricatures cruelles et amorales d’elle-même
pendant que Tara, désespérée, est emprisonnée dans son
propre corps et obligée de voir ce que son double fait subir
à la planète. Jusqu’au moment où Tara parvient à briser le
mur. Et à s’évader. Pour affronter la Reine Noire, son
double qui la connaît aussi bien qu’elle-même. Parce qu’en
réalité la Reine et Tara ne font qu’une.
Dragons contre démons

Deux fiancés, un démon et un dragon, une planète


casino piégée, des négociations houleuses et deux garçons
qui se disputent son cœur, tandis que le sort de l’univers
repose entre les mains/pattes/tentacules de tas de gens mal
intentionnés. Tara va devoir composer avec les intérêts
économiques, politiques ou amoureux des uns et des
autres, au point, parfois, d’oublier qu’elle n’a que dix-huit
ans et que, de temps en temps, pour ne pas s’abîmer à
force de se vouer aux autres, il faut se poser la question :
qui suis-je et qu’est-ce que je veux vraiment ? Loin de Cal,
de Robin et de ses plus fidèles alliés, saura-t-elle discerner
ses amis de ses ennemis, surtout lorsqu'ils revêtent le
masque bien trop séduisant d’Archange, le démon des
Limbes ?...
La Guerre des Planètes

Les démons ont débarqué dans l’univers des humains,


leurs six planètes en mauvais état avec eux. Mais est-ce
bien, comme ils l’affirment, leurs manipulations qui ont
rendu leur univers inhabitable, ou la raison de leur fuite
est-elle bien plus grave ? Tara ne fait pas confiance à
Archange et encore moins à Gabriel, lorsque celui-ci est
envoyé comme otage sur AutreMonde. Lorsque Angelica
débarque à son tour, Tara a la sensation que les démons
sont en mission. Mais pour trouver quoi ? Inquiète, la jeune
princesse décide de partir sur la planète des fourmis
rouges géantes afin d’essayer de comprendre ce qui a bien
pu brûler un quart de leur monde. En compagnie de
Cal, Robin, Fafnir, Fabrice, Moineau et Eleanora, dont le
fantôme n’a rien trouvé de mieux que de se réincarner dans
le corps d’une démone ressemblant à Paris Hilton jeune,
elle se rend sur la planète pour percer le mystère. C’est
alors que les démons attaquent la planète Terre. Dix
millions d’âmes sont collectées par les navires des démons
afin d’alimenter la magie démoniaque. Mais soudain, des
vaisseaux gris surgissent du néant. Magister n’a pas
l’intention de laisser de vulgaires démons jouer sur son
terrain de jeux. Grâce à lui et à Mourmur Duncan, le génial
inventeur, l’attaque est stoppée et les navires, capturés. De
son côté, Tara se rend sur la planète des démons afin
d’interroger Archange. Ils tombent dans le piège du roi des
démons qui les capture et démet son fils, Archange, en
faveur de Gabriel. Mais Gabriel est tué et les vaisseaux des
démons sont attaqués par les vaisseaux dragons, dirigés
par Sylver, l’étrange demi-dragon, fils de Magister et
d’Amava, qui avait été envoyé en mission au
Dranvouglispenchir. Le seul tout petit problème, c’est que
la raison pour laquelle les démons se sont enfuis de leur
univers débarque soudain près d’AutreMonde et que,
si personne ne parvient à l’arrêter, l’univers est condamné.
L'Ultime Combat

La reine des elfes est assassinée devant les yeux de Cal


et de Tara, alors qu’elle venait leur confier un terrible
secret, pendant que la vache spatiale, enragée et possédée
par les âmes maléfiques qui l’ont transformée en comète
brûlante et destructrice, est fermement décidée à décimer
toute vie sur toutes les planètes qui vont croiser son
chemin.

Mais elle consomme les âmes des démons à un rythme


effréné et il faut l’empêcher de se réapprovisionner. Tara
part donc à la recherche des derniers objets démoniaques
afin que la comète ne puisse y avoir accès et épuise sa
magie.

Mais très vite, deux ennemis vont poursuivre le


vaisseau spatial sur lequel le magicgang a embarqué.
Magister, qui veut mettre la main sur Mourmur afin d’avoir
accès à la magie démoniaque, et la comète, qui veut
absorber le plus de magie des démons possible.

C’est alors que Tara et ses amis découvrent un ancien


secret, enfoui depuis plus de cinq mille ans, sur une
planète perdue et dissimulée, pendant que Xandiar, après
une enquête minutieuse, démasque l’assassin présumé, qui
ne serait autre que Magister.

Tous se retrouvent sur AutreMonde, unis pour lutter


contre la comète, mais lorsque cette dernière attaque, la
puissance de Tara et de ses amis ne sera pas suffisante.

Est-ce la fin d’AutreMonde ? Et donc de la Terre ?


Note de l'Auteur à ses lecteurs

Les pégases, glurps, vrrirs, traducs, spatchounes,


taormis, t’sils et autres bestioles bizarres sont décrites
dans le lexique d’AutreMonde à la fin de ce livre.

Avertissement : l’Auteur n’a consommé aucune


substance illicite et ne fait que décrire ce qu’il — enfin, elle
— voit. Retrouvez Tara sur : www.taraduncan.com Écrivez-
lui à : [email protected]
Chapitre 1
Tara
Ou comment se sentir échouée comme une baleine

sur du sable humide et à peu près aussi agile.

Tara avait toujours trouvé amusante l’expression « elle


est enceinte jusqu’aux dents ».

Jusqu’à ce jour.

Là, elle avait même l’impression d’être enceinte


jusqu’aux yeux. Elle ne savait pas que son ventre pouvait
gonfler à ce point sans exploser. Genre Alien.

La jeune femme gémit et se tortilla. Enfin, elle esquissa


le geste de se tortiller.

— Bon sang, grogna-t-elle, pourquoi personne ne m’a


dit que j’allais avoir l’impression d’être une énorme
balboune ?

— Tu es nettement moins rouge et beaucoup plus


jolie, ma tant aimée, répondit Cal, d’un ton malicieux.

Tara hoqueta :

— Cal ! Tu as encore lu ces stupides livres sur la façon


dont les hommes doivent parler à leurs femmes enceintes ?
« Ma tant aimée » ? Sérieusement ?
Cal éclata de rire et, plaidant coupable, sortit un livre
de sous les coussins du confortable sofa bleu sur lequel il
était assis face à celui où venait de s’écrouler Tara.

Le couple s’était retrouvé dans le mini-Palais-Impérial-


caché-au-fond-du-parc-du-Grand-Palais-Impérial de Tara et
savourait le premier moment de la journée où ils étaient
enfin seuls.

Tara terminait à peine une épuisante cession avec sa


sage-femme tatris, Magrit.

La jeune femme blonde se méfiait tellement


d’AutreMonde qu’elle lui avait demandé à apprendre à
accoucher naturellement, toute seule.

Les deux têtes de la sage-femme l’avaient regardée


comme si elle était folle. Tara lui avait rappelé qu’il lui
arrivait constamment des aventures dangereuses, voire
carrément mortelles et qu’elle avait l’intention de mettre
toutes les chances de son côté.

L’Héritière d’Omois avait donc assisté à des tas


d’accouchements, aussi bien de sortcelières soutenues par
des médecins magiques, que de nonsos parfaitement
ordinaires (et un peu surprises que la Princesse impériale
d’Omois tienne tellement à assister à cet instant crucial),
donnant naissance sans aucun sort, histoire de comprendre
à quoi s’attendre.

Elle y avait passé une grande partie de ces derniers


mois et savait dorénavant parfaitement imiter le
halètement d’un petit chien, sortir les bébés toute seule si
nécessaire, couper le cordon ombilical et s’occuper de ses
enfants.
Cal trouvait que Tara s’en faisait un peu trop, mais,
prudent, avait gardé son humour habituel pour lui, même si
un jour, il avait failli la faire accoucher, tellement elle avait
ri lorsqu’il avait imité la vieille sage-femme dont les deux
têtes haletaient en cadence.

Oxygénation fractionnée, comme Magrit l’appelait. Cal,


lui, appelait ça de l’asphyxie plus ou moins maîtrisée. Tara,
elle, se contentait d’assimiler tout ce qui pouvait lui être
utile, juste au cas où.

Galant, le pégase familier de Tara, et Blondin, le renard


de Cal, étaient près de leurs maîtres. Enfin, dans le cas de
Galant, et à son grand regret, loin de Tara, car la jeune
femme ne pouvait plus porter le pégase miniaturisé.

Il n’osait pas trop se plaindre, mais l’épaule de Tara lui


manquait. Et la magie aussi. Et l’aventure. Là, le
pauvre pégase s’ennuyait comme un rat mort. Si c’était ça,
attendre des enfants, il ne risquait pas de se mettre en
couple avec une jolie pégase !

Bon, même s’il avait repéré une pouliche absolument


ravissante, à la robe rose et crinière bleue qui le regardait
avec de grands yeux intéressés chaque fois qu’il la croisait
dans les écuries des soldats elfes de Tingapour.

— La Femme enceinte, ou comment conserver l’estime


de soi de votre femme pendant sa grossesse par Gendra
Tévil ? lut Tara en plissant les yeux. Seigneur, Cal, mais qui
est-ce qui t’a filé une idiotie pareille ?

— Ta tante, ma chérie.

Tara se redressa... enfin essaya bravement... les yeux


écarquillés.
— Nooon ? Tu rigoles ? Lisbeth ?

— Ben il ne me semble pas que tu en aies d’autres ?


À moins que tu ne m’aies caché quelque chose.

— Mais pourquoi l’Impératrice d’Omois te donnerait


un livre sur les femmes encein...

Soudain, un énorme sourire illumina le beau visage de


la jeune femme.

— Oh, Cal, tu crois... tu crois qu’elle aussi elle... ?

Cal, dont la malice faisait étinceler les grands yeux gris,


se rembrunit.

— Hélas, non, toujours pas. Le traitement que lui a


fait subir Magister pendant des années n’a pas endommagé
ses ovaires, mais il semble les avoir mis en sommeil. Il va
falloir du temps.

Tara repoussa la masse blonde de ses cheveux,


tranchés par sa célèbre mèche blanche, sur l’arrière de sa
tête et ordonna à la changeline de les ramasser en chignon.
Elle envisageait d’ailleurs sérieusement de les couper, tant
le moindre poids lui semblait pesant à présent. Et comme
il faisait, comme toujours en botan[1], horriblement chaud
à Tingapour, chaque fois qu’elle sortait, elle avait
l’impression qu’on lui ajoutait trente kilos de plus d’un seul
coup sur les épaules.

Non, mais sérieusement ? Tourner autour de deux


soleils ? C’était du grand n’importe quoi, cette planète !

La jeune femme tendit la main vers la petite table où


reposait un verre d’eau fraîche. La table se rapprocha, mais
Tara estima mal la distance à franchir et bouscula le verre.
Qui tomba.

Tara, machinalement, activa sa magie pour le rattraper.

Il ne se passa absolument rien.

Le verre continua sa chute, rebondit sur l’épais tapis de


soie d’aragne bleue brodée de fleurs, puis sur le marbre
doré du sol et se brisa.

Tara grogna :

— Argh!

Cal lui jeta un regard aigu.

— Ça ne fonctionne toujours pas ?

La jeune femme fit la grimace.

— C’est tellement crispant ! Elle est bien gentille, la


Pierre Vivante, de me retirer ma magie pour que je puisse
avoir une vie « normale ». Mais ce serait bien qu’elle me la
rende maintenant, hein, ça commence à bien faire !

Depuis deux ans, Tara avait dû se faire à la disparition


totale et complète de sa magie.

Elle, AutreMonde, les dragons, bref, tout le monde.

Au début, elle avait trouvé cela absolument génial (bon,


les autres, nettement moins, au point qu’il était devenu
assez crispant de croiser des tas de gens qui n’arrêtaient
pas de lui demander quand est-ce que sa magie allait
revenir). Même les couleurs incrustées dans sa gorge ne
répondaient plus à son appel, se contentant de former de
somptueux motifs de pierres précieuses dans sa gorge.
Enfin! Pouvoir faire à peu près ce qu’elle voulait sans
déclencher des catastrophes ! Et encore mieux, plus
personne ne pouvait compter sur elle pour sauver l’univers.

En fait, pour sauver quoi que ce soit.

C’était bien d’ailleurs ce qui ennuyait tout le monde.

À part elle. Enfin, jusqu’au moment où les désavantages


liés à la disparition de sa magie avaient été nettement
plus contraignants que les avantages.

Surtout qu’elle attendait des jumeaux.

Deux bébés ! Elle avait à peine vingt-deux ans. C’était


absolument angoissant.

Comme ils le craignaient, la magie n’en avait fait qu’à


sa tête et aucun moyen de contraception n’avait empêché
la jeune femme de tomber enceinte, environ cinq mois
d’AutreMonde plus tôt. Ce qui équivalait à sept mois sur
Terre, son organisme se fichant éperdument du fait qu’elle
se trouvait sur une grosse et plus lente planète.

Bon, Cal et elle avaient quand même eu presque deux


ans pour s’amuser, visiter des tas d’endroits qu’elle ne
connaissait pas et vivre de longs moments de vacances et
de repos, sans aucune aventure échevelée, vu que Tara
n’avait plus sa magie pour se défendre, et, accessoirement,
restait quand même l’Héritière d’Omois.

D’où une interdiction très ferme de la part de


l’Impératrice : que Tara se mêle d’autre chose que du choix
de son prochain lieu de villégiature, tant que la situation
perdurerait.
Interdiction qui s’était dangereusement renforcée
lorsque Tara était tombée enceinte.

Là, Lisbeth avait carrément perdu la tête. On avait


l’impression que c'était elle qui attendait les jumeaux. Elle
surveillait Tara comme si celle-ci s’était tout à coup
transformée en un objet de cristal infiniment fragile et
susceptible de se fissurer si quelqu’un osait élever la voix.

Du coup, tout le monde à la Cour d’Omois donnait


l’impression de marcher sur la pointe des pieds.

Cela avait fini par rendre Tara à moitié dingue. Et la


jeune femme, qui avait tellement râlé contre la
magie, l'accusant de lui avoir pourri la vie et surtout de lui
avoir retiré tous ceux qu'elle aimait (bon, ce qui était
quand même un tantinet exagéré, même si effectivement
son père et sa mère étaient morts à cause d’elle), n’avait
qu’une seule envie : que sa magie revienne et que sa tante
la lâche un peu...

Tara voulait éviter d’utiliser trop les charmes magiques


de refroidissement de l’air, pour que la différence avec
l’extérieur ne lui fasse pas attraper froid et, plutôt que de
baisser la température, ordonna à la changeline de la
couvrir d’une robe fuchsia plus légère.

L’entité magique obéit.

Tara avait eu peur que la changeline ne fonctionne plus


lorsqu’elle avait perdu sa magie, mais, comme
beaucoup d’objets magiques, la changeline s’alimentait de
la magie d’AutreMonde, pas de celle de Tara et donc, bien
que Tara soit devenue l’équivalent d’une parfaite nonsos, la
changeline, à la fois armurerie et magasin de haute couture
portable, continuait à s’occuper d’elle.
Ce qui, pour une femme enceinte qui ne voyait
quasiment plus ses pieds, était d’une aide appréciable.

Cal s’approcha et posa tendrement sa main sur le


ventre gonflé.

— C’est peut-être mieux pour eux, non ? Le fait que


leur maman ne puisse pas aller jouer aux héroïnes aux
quatre coins de l’univers et soit obligée de rester au Palais
parce qu’elle n’a pas une goutte de magie ? Je sais que cela
t’ennuie, mais pour être franc, moi, je trouve ça pas si mal.

Tara plissa les yeux, de méchante humeur, en dépit de


l’amour inconditionnel de Cal.

Puis ils sursautèrent en même temps. Le ventre de Tara


venait de se déformer sous un vigoureux coup de pied.

— Tu as senti ? fit Cal, les yeux brillants.

— Ouch ! fit Tara. Oui, ça, pour avoir senti, j’ai senti.


Ils s’amusent à jouer au foot avec mes côtes. Pour le coup,
j’aimerais bien être une balboune, au moins, ils auraient de
la place !

Cal éclata de rire. Et sortit un autre livre.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Tara en voyant les


illustrations prendre vie au-dessus des pages. Des animaux
?

— C’est une encyclopédie des animaux


d’AutreMonde, avec leurs modes de reproduction, leur
dangerosité, leurs habitudes alimentaires. Pour que nos
enfants sachent faire la différence entre un krakdent et un
douxdoux[2].
— Euh, tu as conscience qu’il va falloir plusieurs
années avant que nos enfants ne s’intéressent aux livres ?
Enfin pour autre chose que pour se faire les dents et baver
dessus ?

Cal sourit d’un air penaud.

— Oui, je sais, mais regarde, les illustrations sont


magnifiques !

Tara soupira pendant qu’il montrait les innombrables


crapauds venimeux ou explosifs des plaines du Mentalir, ou
les somptueux papillons carnivores des montagnes de
Krasalvie, le pays des vampyrs.

Un œil, une oreille et une bouche se matérialisèrent


dans le bois doré de la porte du salon.

— La porte principale m’informe qu’Oncle Robin


demande à voir Son Altesse, fit la porte vivante du salon
d’une voix parfaitement sérieuse.

Tara haussa les sourcils et posa le livre.

— Dis à la porte principale de le faire entrer, merci,


Porte.

Quelques instants plus tard, la porte coulissa et Robin,


le magnifique demi-elfe, entra dans le vestibule, avant de
pénétrer dans le salon bleu où se trouvaient Tara et Cal.

— « Oncle Robin » ? souligna Tara, légèrement acide.


Lisbeth t’a adopté ?

Robin plissa ses yeux de cristal en une expression


horrifiée. Puis cala quelques mèches que la soufflerie de la
porte avait dérangées[3].
— Bien sûr que non ! Mais c’est comme ça que tes
enfants vont m’appeler ! Oncle Robin. Je trouve que ça me
va très bien.

Cal leva les yeux vers la voûte vertigineusement


sculptée de petits anges et de fées grassouillettes, dernière
création à tendance romantico-dégoulinante de l’architecte
en charge de leur maison.

— Ça fait un peu vieil oncle raseur qui sent la


naphtaline, boit trop pendant les réunions de famille et
ennuie tout le monde avec ses histoires du temps où il était
jeune.

Tara sourit au demi-elfe. On pouvait dire des tas de


choses à son sujet, avec des phrases où reviendraient
souvent « superbe, abdominaux, musclé, somptueux, agile,
séduisant », mais où « vieux » et « raseur » seraient
certainement absents.

Il se pencha sur elle et l’embrassa affectueusement. Le


cœur de la jeune femme resta sagement au même
rythme. Elle avait été tellement amoureuse de Robin que
bizarrement, chaque fois qu’elle le voyait, elle avait peur
que cet amour ne ressorte.

Mais ce qu’elle ressentait, là, c’était surtout une forte


envie de faire pipi.

Elle soupira.

— Messieurs, je suis désolée, mais la femme


considérablement enceinte que je suis doit aller, pour la
millième fois de la journée, aux toilettes. Je vous laisse
entre garçons. À tout à l’heure.
Robin se posa sur l’un des sofas bleus pendant que
Tara, d’une démarche d’oie obèse, se dandinait jusqu’à la
salle de bain du premier étage.

En fait, il y en avait plusieurs au rez-de-chaussée, mais


le chaman elfe, Herbes courbées par le vent[4], médecin
personnel de Lisbeth en charge de l’accouchement de Tara,
avait bien précisé qu’elle devait faire de l’exercice. Alors
Tara obéissait et exercisait, même si elle savait très bien
que le mot n’existait pas.

Tout en grognant que si le chaman savait ce que c’était


que de porter douze kilos sur le ventre, il ne lui dirait pas
de monter ces fichus escaliers.

Une fois qu’il fut sûr que Tara était arrivée saine et
sauve en haut, Cal se tourna vers Robin.

Le jeune demi-elfe était en tenu d’apparat. Tout


d’argent vêtu. Ses longs cheveux étaient tressés en une
natte de guerrier, retenus par une sorte de résille d'argent
qui lui faisait presque comme un casque ailé. Soul, l’hydre
familière miniaturisée et enroulée autour du cou de Robin,
avait été colorée d’argent, et ses sept têtes teintées d’un
rouge flamboyant. C’était assez impressionnant. L’hydre
salua Cal, son ancien maître, en trompétant avec
enthousiasme[5]. Cal la caressa pour la calmer.

— Tenue d’apparat numéro 4, fit Cal qui, en bon


Voleur Patenté avait étudié les coutumes des elfes. En quel
honneur ?

— Je suis de corvée, grogna Robin, d’un air dépité. La


planète Daovor et Ga’ra, notre nouvelle reine[6], m’ont
nommé « ambassadeur suppléant » depuis que Sael a mis
une option sur moi, ce qui a pour conséquence que je me
tape tous les dîners/cocktails/manifestations où elle n’a pas
le temps de se rendre. Franchement, je ne sais pas
comment font les hommes politiques, j’ai parfois cinq ou six
déjeuners ou dîners le même jour !

— Justement, Sael n’est pas avec toi ? demanda Cal


d’un ton malicieux. Elle réussit à couper à la corvée ?

Robin laissa échapper un soupir.

— Elle fait des allers-retours entre son monde et le


nôtre en ce moment. Être ambassadrice lui demande un
temps fou, bien plus que ce que nous avions estimé au
début. Et ce maudit Galvael n’arrête pas de lui tourner
autour quand elle est là-bas. Je te jure, je vais lui faire la
peau, à cette saleté d’elfe !

Cal songea que là, Robin ne ressemblait pas du tout à


un gentil tonton gâteau, mais plutôt à un carnassier avide
de sang.

— Et vous, demanda Robin après avoir imaginé deux,


trois façons d’écorcher vivant son ennemi histoire d’en
faire un sac à main pour Sael, quoi de neuf ?

Depuis que Tara n’était plus « en service », Robin, Cal,


Fafnir, Moineau, Fabrice, Sylver, bref, tous les membres
actifs du magicgang s’étaient un peu éloignés les uns des
autres. Ils travaillaient tous ; seule Tara et, provisoirement,
Cal, étaient oisifs, si bien que les agendas n’étaient pas
toujours compatibles.

D’autant que Moineau et Fabrice allaient souvent sur


l’ex-Continent Interdit, patrie des loups-garous, maintenant
que Fabrice avait été nommé assistant du chef du cabinet
du ministère des Affaires étrangères du président Teal.
Mais ils se débrouillaient toujours pour se retrouver au
moins une fois tous les trois mois, souvent à Tingapour,
surtout depuis que Tara, enceinte, avait l'interdiction
formelle de franchir les portes de transfert.

Même si on avait dit et répété à l’Impératrice que cela


ne poserait absolument aucun problème aux bébés, elle
n’en avait pas démordu.

Tara disait qu’elle avait l’impression d’avoir une sorte


d’implacable ange gardien en train de la surveiller H26[7].

Cela dit, elle avait avoué à Cal qu’elle n’avait pas


vraiment envie d’aller où que ce soit, pas en ressemblant à
une dinde de Noël qu’on aurait trop farcie. Elle se
contentait donc paisiblement de se balader dans la ville ou
le parc, de contempler ses doigts de pieds en éventail
(enfin de moins en moins au fur et à mesure qu’ils
disparaissaient derrière son ventre) et de se prélasser dans
les hormones paisibles d’une jeune parturiente.

— Rien de spécial, répondit Cal avec un soupir. Cela


me fait bizarre de ne plus courir partout pour sauver le
monde, ou pour voler quelque chose à quelqu’un qui ne
devrait pas posséder ce quelque chose. Mais, d’un autre
côté, les dernières années ont été tellement intenses que
Tara et moi sommes assez contents de pouvoir nous
reposer un peu.

Évidemment, Robin ne put s’empêcher de poser la


question.

— Et sa magie ? Elle revient ?

Cal désigna le verre brisé par terre. Les pouf-poufs[8]


de la pièce ne l’avaient pas encore repéré et retiré.
— Rien pour l’instant. Elle est devenue une parfaite
nonsos.

— Et cela me va parfaitement pour l’instant, confirma


Tara qui était prudemment en train de descendre le grand
escalier de bois doré.

D’un bond, Cal fut près d’elle. Il l’aida à revenir


jusqu’au sofa. Puis fit signe à Robin.

— Tu la surveilles ? Je dois passer un appel à ma mère


et je n’ai pas eu le temps de le faire depuis ce matin.

Robin hocha la tête, pendant que Cal filait vers son


bureau. Robin détailla Tara.

— Tu es impressionnamment enceinte, sourit-il.

— Je ne crois pas que ce mot existe, grogna Tara.

— Sois heureuse, si tu avais été une elfe, peut-être que


tu aurais porté trois ou quatre bébés à la fois !

Tara fit une moue horrifiée.

— Crois-moi, Robin, deux, c’est déjà bien assez. Je ne


suis pas sûre que ma colonne vertébrale soit capable
d’encaisser beaucoup plus.

— Et ta robe est très jolie, fuchsia, ça te va bien au


teint.

Tara éclata de rire.

— Ah bon ? Moi je dirais que ça accentue encore ma


ressemblance avec une balboune[9] !
Un œil se forma de nouveau sur la porte, suivi par la
bouche et l’oreille.

— La vampyr Selenba demande à voir Votre


Altesse Impériale.

— Oui, bien sûr, fit immédiatement Tara, ouvre-lui.

Une Selenba tout aussi enceinte que Tara, mais bien


plus gracieuse (c’était très agaçant, Tara se consolait en se
disant qu’elle en portait deux, alors que la vampyr
n’attendait qu’un seul enfant) et nettement plus mince,
s’avança vers eux.

À part un renflement sur le devant, il était difficile de


deviner que Selenba allait bientôt être maman. Elle portait
une robe. Noire, évidemment. Mais au moins c’était une
robe, pas une armure, le changement était notable. Elle
avait tressé ses longs cheveux d’argent et ne portait aucun
bijou.

Elle n’était plus une buveuse de sang humain, pourtant,


la même aura de danger planait autour d’elle.

Robin se leva et la salua avec prudence.

— Que votre flèche vole droit, Dame Selenba.

— Que la vôtre touche sa proie, Robin M’angil.

Puis sans plus se préoccuper de Robin, la vampyr darda


ses yeux roses sur Tara.

— Tara. Il faut qu’on parle.

Robin n’était pas idiot. Il savait quand on ne voulait pas


de lui.
— Je vais voir Cal, fit-il, conciliant. On revient tout de
suite. Pendant qu’il montait l’escalier, il vit la vampyr se
mettre devant Tara, les poings sur les hanches.

— Tara, entendit-il, grâce à son ouïe d’elfe très


développée, nous avons un gros problème avec Magister !
Chapitre 2
Magister
Ou comment être obligé

de faire sa cour amoureuse sans tuer qui que ce


soit

et ne pas savoir comment prendre.

C’était un gros problème.

Magister regarda la masse des Sangraves venue lui


rendre compte de ses différentes opérations au travers de
la galaxie. La Forteresse Grise était remplie de masques et
de robes grises au cercle écarlate.

Il avait piqué l’idée aux Terriens.

Ces « conventions », comme ils les appelaient,


permettaient à présent aux Sangraves, une fois par an, de
montrer à tout le monde ce qu’ils avaient réussi
(bizarrement, personne ne parlait de ce qui avait raté),
comment ils avaient réussi, et à quel point cela allait
permettre à leur petite communauté de s’enrichir et/ou
d’acquérir plus de pouvoir.

Magister croyait totalement que la fin justifiait les


moyens.
Les gens pensaient que Magister était un être
complexe, retors et torturé. Mais en fait, il était très simple
comme garçon.

Il voulait quelque chose : il le prenait.

On ne voulait pas lui donner quelque chose : on


mourait.

C’était clair, précis.

Il ignora les graphiques étincelants de la dernière


présentation, son esprit concentré sur son principal
nouveau problème.

Selenba.

Qui, depuis deux ans, s’obstinait à l’ignorer.

Si Selenba enceinte était restée la terrifiante vampyr


buveuse de sang humain, les choses auraient été faciles
pour lui faire la cour... enfin pour lui faire comprendre
qu’elle devait revenir.

Il aurait suffi qu’il lui offre quelques corps


sanguinolents et l’affaire était dans le sac, comme disaient
les Terriens.

Sauf que là, tuer des gens n’allait rien lui apporter. Vu
que Selenba s’obstinait à rester une simple vampyr
buveuse de sang de poulet.

Dommage.

En dehors du mépris agaçant de Selenba, Magister


s’était plutôt amusé ces deux dernières années. Xandiar
devenait fou à essayer de savoir où l’ancien ennemi public
numéro 1 se trouvait. Et le fait que tout le monde doute
que Magister soit ou non Daril Kratus lui permettait de
rester libre comme l’air.

C’était parfait. D’autant plus parfait que l’épine dans


son flanc, la biscotte dans le lit douillet (d’accord et un peu
sanglant) de son existence, Tara Duncan, était neutralisée.

Enceinte jusqu’aux oreilles.

Et sans magie.

Magister dut se retenir pour ne pas éclater de rire. La


dernière fois, l’un de ses Sangraves avait été tellement
surpris qu’il avait fait une crise cardiaque. On avait sauvé
l’imbécile (exclusivement parce qu’il était utile) de justesse.

Soudain, son masque coloré du bleu de la bonne


humeur s’assombrit. Un frisson de crainte parcourut la
masse de ses Sangraves.

Le type qui était en train de faire sa démonstration


vacilla, croyant que leur chef était mécontent.

Alors qu’en fait Magister s’en fichait. Lui, tout ce qu’il


voulait, c’était que Selenba revienne à ses côtés, parce
que c’était le lieutenant le plus efficace qu’il avait jamais
trouvé, et aussi le tueur le plus impitoyable de toute la
galaxie, voire de l’univers.

Le nouveau tueur qu’il avait embauché se tenait à ses


côtés. Comme Selenba, c’était un vampyr. Comme Selenba,
Magister l’avait transformé en buveur de sang humain.

Mais, contrairement à Selenba, c’était un crétin. Un


assoiffé qui ne comprenait pas que tuer était un art, une
nécessité parfois, mais pas une obligation. Inspirer de la
crainte impliquait de laisser des témoins en vie pour
raconter à quel point on était cruel, etc., etc.

Daxor ne le comprenait pas du tout. Lui, il tuait tout le


monde. Hop ! Et pas de distinction. Et si en plus au
passage il pouvait assécher ou asservir des humains, il en
profitait, entretenant une cour d’une vingtaine d’entre eux,
subjugués, qu'il mordait régulièrement afin de les garder
sous contrôle.

Magister ne l’aimait pas. Il le trouvait insupportable et


dangereux. Il voulait que Selenba revienne. Son sens de
l’humour cruel lui manquait.

Magister soupira silencieusement. Il savait très bien ce


qu'un psychologue dirait, juste avant qu’il ne l’égorge
parce que son diagnostic ne lui conviendrait pas. Il dirait
que Magister tentait de compenser l’amour que ne lui avait
pas donné son père en voulant toujours ce qui était
inaccessible. Comme de tomber amoureux de Selena
Duncan, la mère de Tara, qui ne l’aimait pas, ou de
Selenba, maintenant que la fière vampyr n’était plus avec
lui.

Il était fort à parier qu’il ne l’aimerait plus autant s’il


l’avait sous la main. Typique.

Sauf que là, Selenba détenait quelque chose que


Magister voulait vraiment.

Un bébé.

Son bébé.

Safir Dragosh était reparti en Krasalvie. Cela ne pouvait


signifier qu’une seule chose. Le bébé était bien de
Magister. La fière vampyr avait refusé de venir le rejoindre,
même lorsqu’il avait insisté fortement[10].

Cela avait agacé le Maître des Sangraves. Mais n’avait


pas vraiment contrarié ses plans.

La seule personne qui était plus puissante que lui,


c’était Tara Duncan. Même s’il ne possédait plus la chemise
démoniaque et que tous les objets démoniaques avaient vu
leurs âmes libérées, il restait cependant extrêmement
puissant. Bien plus que la majorité des sortceliers de cette
planète, sorte de bizarre résurgence d’avoir été sous
l’influence démoniaque pendant des dizaines d’années.

S’il possédait de plus les vaisseaux qu’il avait pris aux


démons et refusé de rendre, il ne parvenait toujours pas
à faire fonctionner les fichues machines qui prélevaient
les âmes. Donc, pour l’instant, impossible d’accroître ses
pouvoirs.

Pour l’instant, Tara ne possédait plus de magie, mais


Magister était prêt à parier que la Pierre Vivante allait
rendre ses pouvoirs à la jeune fille dès qu’elle aurait
accouché.

C’était là où, lui, Magister, allait intervenir. Pas


question de laisser deux bébés sortceliers potentiellement
encore plus puissants s’allier à Tara.

Il allait donc enlever les bébés de la jeune femme. En


faire des armes implacables. Mais également d’excellents
compagnons de jeu pour son propre enfant.

Car il ne doutait pas que Selenba viendrait aussi.

Cette fois-ci, il ne se retint pas. Il éclata de rire. Dans la


foule, devant lui, un Sangrave tomba, pétrifié de trouille.
On fit sortir le corps inconscient, pendant que le
commentateur, son masque vert de terreur, bégayait qu’il
allait essayer de faire mieux.

Les Sangraves resserrèrent les rangs, inquiets. Si


Magister riait, quelqu’un allait mourir.

Et vite.
Chapitre 3
Selenba
Ou comment se débarrasser de gens encombrants
sans se faire prendre.

— Je vais le tuer ! Je jure que s'il s’approche de mon


bébé, je vais le tuer.

Tara regardait la magnifique vampyr aux cheveux


d’argent et aux yeux roses marcher de long en large devant
elle, sa robe noire à manches bouffantes en biais flottant
presque dans l’air.

— Selenba, tu vas finir par creuser un chemin dans le


tapis, voire le marbre en dessous, à force de le labourer
comme ça. Tu ne veux pas t’asseoir ?

Un rictus déforma la lèvre supérieure de la vampyr.

— Et alors ? On s’en fiche du marbre ! Je te dis que


Magister veut mon bébé. Et qu’il n’est pas question qu’il
mette ses sales pattes dessus !

Tara regarda pensivement Selenba. Il y avait quelque


chose qu’elle ne comprenait pas. Et comme Tara (en dépit
de tous les efforts de sa tante qui préférait les chemins de
traverse de la politique tortueuse) aimait aller droit au but,
elle posa donc la question.
— Selenba, tu es restée avec Magister pendant des
années. Tu étais folle amoureuse de lui, au point de l’avoir
laissé te transformer, faire de toi une arme mortelle. Tu l’as
laissé te faire l’amour alors que tu étais avec Safir Dragosh,
son pire ennemi. Pour quelle étrange raison est-ce que tu le
fuis maintenant ? C’est quand même le père de ton bébé !

Selenba se laissa tomber avec grâce sur l’un des sofas


bleus.

— La maternité m'a ouvert les yeux. Au moment où tu


as involontairement transformé mon bébé en buveur de
sang humain dans mon ventre, j’ai senti comme... comme
un choc au cœur. J’ai compris que je ferais absolument tout
pour le protéger.

Selenba marqua un temps. Comme si le moment où elle


avait pris conscience qu’un petit être innocent
grandissait dans son ventre avait été à la fois terrifiant et
libérateur.

— Tara, reprit-elle, Magister est un être assoiffé de


pouvoir. Il ne verra pas notre bébé comme un enfant
innocent qu’il faut élever et protéger. Il le verra comme une
arme, comme un outil, comme quelque chose qu’il voudra
modeler à son image. Je l’ai vu faire. Avec Jar et Mara. Ce
n’étaient pas ses enfants, et l’amour de Selena les a
protégés. Un peu. Mais pas suffisamment. Je ne veux pas
avoir à lutter constamment contre le père de mon enfant. Il
doit rester loin de nous.

Et alors, la belle, la magnifique, l’implacable vampyr


qui avait tué tant de gens et avait plus de sang sur ses
mains (et accessoirement dans son estomac) que tous les
vampyrs de sa génération prononça une phrase inouïe :

— Je suis terrifiée.
Tara se redressa avec effort, le cœur battant nettement
plus vite. Selenba venait d’avouer qu’elle avait peur.
L’univers pouvait exploser d’un instant à l’autre, parce que
l’impensable venait de se produire. Il n’y avait qu’une seule
chose à dire :

— Alors, ton bébé et toi, vous allez rester avec moi.


Selenba, je comprends ce que tu éprouves, parce que c’est
exactement ce que je ressens pour mes bébés. Alors tu...

Selenba se releva et reprit son va-et-vient un tantinet


crispant.

— Non, ça ne servira à rien. Tu sais très bien qu’il peut


m’atteindre, quel que soit l’endroit où je me
trouve. Regarde ce qu’il a fait avec ta mère. Il est bien trop
puissant et, hélas pour nous, bien trop malin. Il n’y a
qu’une seule solution.

Elle s’accroupit devant Tara et lui prit les mains avec


suffisamment de force pour que Tara grimace.

— Nous allons tendre un piège à Magister.

Selenba inspira profondément.

— Et nous allons le tuer.


Chapitre 4
Cal
Ou comment accepter une mission

sans avoir la moindre idée

d’en quoi consiste ladite mission.

Cal, qui revenait de sa cristallo-discussion avec sa mère


(qu’il avait partagée avec Robin, que sa mère
aimait beaucoup), entendit les derniers mots et faillit rater
une marche. Robin, derrière lui, grommela, tout aussi
inquiet. Le jeune Voleur descendit les dernières en trombe.
Puis se plaça à côté de Tara, surplombant Selenba de toute
sa hauteur[11].

— Très bien, ladies, maintenant, je vais vous demander


de répéter ce que vous venez de dire, parce que j’ai cru
entendre que vous vouliez tuer Magister. Ce qui, entre
nous, est une très, très mauvaise idée.

Selenba qui était agenouillée devant Tara se redressa.


Et répéta calmement ce qu’elle avait dit à Tara. Y compris
la phrase qui avait tellement déstabilisé Tara.

Cal ouvrit les mêmes yeux ronds. Mais, sagement, se


contenta d’être factuel.
— Selenba, je comprends que tu sois effrayée par
Magister et, très franchement, si j’étais à ta place, j’aurais
peur moi aussi. Mais tu ne peux pas demander à Tara de
prendre part à un piège pour tuer Magister, alors qu’elle
est enceinte jusqu’aux yeux et peut à peine marcher, sans
oublier qu’elle ne possède plus un gramme de magie !

— Je ne suis pas stupide ! grogna Selenba. Nous allons


préparer le piège, mais nous ne le déclencherons que
lorsque Tara aura accouché et récupéré sa magie !

— Vous savez, dit calmement Robin resté debout


derrière eux, tendu, je vous trouve tous très optimistes. Qui
vous dit qu’AutreMonde rendra sa magie à Tara? La
planète s’est rendormie et n’a pas l’air de vouloir
intervenir. La vie est redevenue à peu près normale et qui
sait quand elle va se réveiller? À son aune, ça peut être
dans mille ans, ce qui ne serait qu’une petite sieste de
quelques minutes pour une planète.

Tara s’était fait exactement la même réflexion. Enfin,


moins calmement. Parce qu’imaginer qu’elle n’aurait plus
jamais de magie, c’était légèrement angoissant.
AutreMonde n’était pas moins dangereuse qu’avant.
Souvent, Tara se disait que les nonsos qui vivaient sur la
planète magique étaient incroyablement courageux.

— Écoutez, pour l’instant, nous allons essayer de


protéger Selenba.

Elle s’adressa à la belle vampyr.

— J’ai bien compris que tu ne trouves pas cela


suffisant, mais si tu restes à mes côtés, Magister aura plus
de mal à t’approcher. Je ne quitte plus beaucoup le Palais,
vu qu’à sept mois, enfin cinq mois d’ici, c’est tout juste si
on ne doit pas me rouler pour me déplacer. Encore un mois
de patience et je pourrai accoucher.

— Je n’accoucherai que dans un mois, soupira Selenba.


Le bébé ne me ralentit que peu. Et même si je vais avoir
envie de tuer quelqu’un au bout de quelques jours, tu as
raison, Tara. Je ne peux pas courir le risque qu'il nous
piège, Luck et moi.

Cal ne put s’empêcher de ricaner.

— Non ? Tu as appelé ton fils Luck ?

Selenba le regarda avec agacement.

— Oui ? Cela signifie Bravoure dans notre langue,


pourquoi ?

— Non, non, rien. J’attends juste avec impatience


le moment où le grand méchant masqué en noir fera face
à son fils et lui dira : « Luck ! Je suis ton père ! »

Tara éclata de rire. Robin et Selenba, qui n’avaient pas


leur culture cinématographique terrienne se regardèrent
et, avec un bel ensemble, levèrent les yeux au ciel.

— Ne plaisante pas, Cal, grogna Selenba, agacée.


Magister n’a rien de drôle ni de sympathique. C’est un
homme dangereux et retors. Ce n’est pas parce que les
objets démoniaques ont disparu qu’il a renoncé à
combattre les dragons. Jamais il ne leur pardonnera. Je ne
connaissais pas tous ses plans, mais prendre le pouvoir
d’un pays sur AutreMonde reste certainement un objectif
majeur de son esprit malsain.

Tara soupira.
— Nous le savons très bien, Selenba. Pourquoi crois-tu
que ma tante est tellement protectrice ?

L’hor incrustée dans son avant-bras vibra discrètement.

— Justement, nous avons rendez-vous avec elle. Dans


une demi-heure.

Selenba fut surprise.

— Dans une demi-heure ? Tu as encore le temps !

— Non. Ce Palais est bien trop grand, grimaça Tara. Et


je ne peux pas passer par les portes de transfert internes,
ça me rend malade.

La jeune femme se releva lentement.

— J’appelle le tapis volant, fit Cal.

Tara souffla :

— Non, je dois marcher, ordre du chaman. On


l’appellera quand on sera à mi-parcours.

— Je vous accompagne aussi, annonça Robin en


s’avançant vers la porte. Mon prochain troisième dîner est
dans deux heures.

Lorsqu’ils sortirent, Selenba reprit son rôle de garde du


corps comme si elle ne s’était jamais absentée. Ce
n’était pas super utile, vu qu’ils avaient une importante
escorte des thugs à quatre bras du Palais dès que Tara
allait quelque part, mais la vampyr semblait heureuse
d’avancer en éclaireur et de foudroyer tout le monde d’un
air furieux.
Bien mieux que l’escorte de Tara, cela fonctionnait très
bien. Les gens s’écartaient avec prudence. Tout
AutreMonde connaissait Selenba. Personne n’avait envie de
l’ennuyer.

Et d’autant moins que, contrairement aux humains, les


vampyrs devenaient plus puissantes lorsqu’elles tombaient
enceintes.

Les couloirs n’étaient pas très encombrés en cette fin


d’après-midi, les gens se trouvaient chez eux pour se
préparer pour les dîners et soupers organisés par les
ministres ou l’Impératrice. Le Palais ne s’arrêtait jamais
vraiment, il y avait toujours quelque chose qui se passait
quelque part.

Même si Tara gardait une préférence secrète pour le


Château Vivant du Lancovit, elle aimait les grandes
pièces omoisiennes où les arbres et les fleurs poussaient
comme dans de la terre. Elle aimait le marbre coloré, les
fresques animées et l’art qu’on voyait partout, statues
vivaces, tableaux somptueux. Sans oublier beaucoup, mais
alors vraiment beaucoup d’or et de joyaux.

D’accord. C’était pompeux. Extrêmement pompeux


même, il fallait bien l’avouer. Mais lorsqu’elle levait la tête
sur les verrières qui couvraient une grande partie des
couloirs et des pièces et qu’elle voyait les deux soleils
d’AutreMonde et son étrange végétation colorée, Tara
n'avait plus cette suffocante impression d’étrangeté.

Elle était chez elle, ici. Enfin.

C’était l’endroit où elle allait élever ses enfants, même


si cela lui faisait vraiment bizarre de penser qu’elle allait
avoir des jumeaux. Elle se sentait encore un bébé elle-
même, comment allait-elle s’en sortir alors qu’elle avait
perdu sa mère et se sentait parfois si seule en dépit de
l’amour de Cal ?

Alors qu’ils progressaient, Cal, toujours sur le qui-vive,


fit la réflexion que les centaures des plaines du Mentalir
au Selenda, la patrie des elfes, étaient présents en nombre.

Et Cal se demandait pourquoi l’Impératrice les avait


convoqués, alors que d’habitude elle venait plutôt les voir
dans le petit Palais de Tara, afin d’obtenir plus d’intimité.

Ils s’étaient, Tara et lui, un peu déconnectés de la vie


politique du Palais, du fait de leurs voyages et des ordres
de l’Impératrice de s’occuper d’eux. Mais à présent qu’ils
étaient à un mois de l’accouchement de Tara (bon, ils
pensaient plutôt que ce serait dans quinze jours), ils
n’allaient plus bouger.

Il apparaissait clair à Cal qu’ils allaient devoir se


replonger dans le marigot nauséabond de la politique.

La position du jeune homme était compliquée. Car bien


qu’il soit le père des enfants de Tara, l’Impératrice lui
avait interdit d’épouser la jeune femme. Cal n’était qu’un
petit Voleur du Lancovit, même pas un Omoisien pure
souche, et n’était pas milliardaire, loin de là.

Le fait qu’il ait sauvé AutreMonde un nombre


incalculable de fois n’entrait pas en ligne de compte pour
l’Impératrice.

Cal et Tara avaient voulu se rebeller. Ils avaient


organisé une petite cérémonie secrète de mariage, à
laquelle ils avaient invité uniquement leur famille et leurs
amis proches.
Au moment où ils allaient prononcer leurs vœux, des
soldats étaient intervenus et avaient poliment expliqué à
tout le monde que oui, désobéir à l’Impératrice était
passible de looooonnngues années de prison et que non,
personne n’allait se marier ce jour-là.

Le fait que Tara ne soit plus en mesure de transformer


qui que ce soit en crapaud avait certainement pesé dans
la tranquille certitude du capitaine des soldats.

Il avait eu raison. Isabella Duncan, la grand-mère de


Tara, dont le sens politique aigu avait profondément
réprouvé ce mariage à la sauvette, avait facilement
capitulé.

Pas Tara et Cal. C’était presque devenu un jeu entre les


soldats et eux. Mais Lisbeth n’était pas Impératrice
d’Omois pour rien. Quoi que fassent les deux jeunes gens,
chaque fois, la cérémonie avait été interrompue. Ou les
officiels avaient carrément refusé de les recevoir. Idem
pour les prêtres, quelle que soit la religion.

Et lorsque Tara avait affronté sa tante et lui avait


demandé pourquoi, l’Impératrice avait été plus que sobre.

— Parce que ! avait-elle répondu.

Toutes les tentatives de Tara pour lui arracher une


véritable raison de son refus avaient échoué.

Cal grinça des dents. Ces histoires de noblesse lui


hérissaient le poil. OK, les ancêtres des nobles avaient
combattu vaillamment contre les démons, cinq mille ans
plus tôt. OK, chaque année, des tas de gens étaient anoblis
et s’empressaient de choisir leurs armoiries et leurs
chevalières[12]. OK, c’était un excellent moyen de pousser
les gens à se dépasser, car seuls les plus intelligents, les
plus innovants, les plus ingénieux étaient anoblis. Il avait
d’autant moins de raisons de critiquer le système que les
Salan eux-mêmes avaient été anoblis, presque cinq cents
ans auparavant, alors qu’ils fournissaient le Palais en
étoffes fines et soieries délicates, recevant l’autorisation de
mettre le prestigieux « Dal » dans leur nom.

Cal, lui, voyait dans cette pratique une sorte d’énorme


carotte que l’Empire (et dans son cas, le royaume)
brandissait pour faire avancer les gens dans la direction
qu’il choisissait.

Peut-être que cette lucidité déplaisait à Lisbeth.

L’Impératrice n’aimait pas plus le nouvel amour de sa


nièce qu’elle n’avait aimé l’ancien, Robin M’angil, le demi-
elfe. Parce qu’ils n’apportaient aucune alliance politique.

Donc, elle faisait souvent comme si elle ne voyait pas


Cal.

À la moitié du chemin, le tapis volant qu’ils avaient


commandé, se posa devant eux et ils continuèrent au-
dessus des têtes des courtisans. C’était inhabituel et
interdit normalement, mais le tapis portait les couleurs de
l’Empire et tout le monde s’inclinait sur son passage.

Enfin, ils arrivèrent dans la magnifique salle


d’audience. Rouge et or, avec son plafond pavé de rubis qui
étincelaient sous les soleils d’AutreMonde, enchâssés dans
une délicate résille d’or qui pouvait se rétracter lorsque
l’Impératrice avait envie de plus de lumière, des images
des ancêtres de Lisbeth dansaient sur les tapisseries et les
murs.
L’éclat des rubis donnait une carnation rose très
élégante à la magnifique femme habituellement blonde qui
dirigeait son Empire d’une main d’acier.

Ce jour-là, Lisbeth portait une tenue verte, ce qui était


assez inhabituel, le vert ne seyant pas très bien aux
blondes. C’était sans doute la raison pour laquelle elle avait
coloré ses cheveux de vert et de bleu, tout en laissant
apparente sa célèbre mèche blanche, jumelle de celle de
Tara, et de ses frère et sœur, Jar et Mara. La robe verte
était rebrodée d’or et de rouge, délicates incrustations
représentant d’étincelants motifs géométriques.

Le visage de l’Impératrice s’illumina lorsque Tara entra


dans la salle. La jeune femme avait laissé son tapis à
l’entrée.

— Elle est trop grande, cette salle, grommela Tara à


l’attention de Cal. Non, mais franchement, quasiment cinq
cents mètres pour arriver jusqu’à Lisbeth, c’est exagéré !

— C’est pour les assassins, plaisanta Cal. Le temps


qu’ils arrivent au trône, ils sont tellement épuisés qu’ils ne
peuvent plus tuer qui que ce soit.

— Ou pour les courtisans paresseux, s’amusa Robin


qui foulait le tapis rouge et or avec légèreté. Si leurs
requêtes ne sont pas importantes, ils renoncent à l’idée
d’avoir à marcher aussi longtemps.

— Ouais, eh bien en attendant, Lisbeth devrait incanter


un tapis roulant pour les nanas trop enceintes pour se
dandiner sur un aussi long parcours !

Même de loin, Tara pouvait voir que la princesse


démone, Sanhexia, qui partageait son corps avec le
fantôme d’Eleanora, se trouvait aux côtés de Lisbeth, avec
plusieurs autres personnes, dont leur ancêtre, Demiderus.

— Ah, Tara, te voilà, s’exclama Lisbeth lorsque Tara


arriva enfin au bout de son calvaire. Mon Héritière,
permets-moi de te présenter Sieur Gueder Almandach. Il
est le nouveau représentant élu des nonsos d’Omois.

Tara sourit à l’homme austère au visage rond et froid


qui s’inclina très légèrement alors qu’elle prenait place, le
plus gracieusement possible, sur le trône en dessous de
celui de Lisbeth, tandis que ses amis s’asseyaient sur les
côtés.

Cela ne l’empêcha pas de noter que l’homme s’inclinait


bien plus légèrement que ne le préconisait l’étiquette
d’Omois.

Tara regarda sa tante, en alerte. Rien ne bougeait sur le


magnifique visage, mais Tara connaissait
suffisamment Lisbeth pour savoir que l’Impératrice était
profondément agacée.

La jeune femme détailla l’homme qui venait très


subtilement de les insulter.

C’était un brun à la chevelure raide, solidement bâti,


presque épais. Almandach portait une canne au bout
de laquelle scintillait une pierre blanche aux reflets violets,
une sorte de cristal presque opaque d’après ce que Tara
pouvait voir. Il était vêtu d’une étoffe de drap brun, bien
coupée mais assez banale, un peu trop épaisse pour la
chaleur de l’été d’AutreMonde et de bottes noires à mis
mollets.

Sinon, il n’avait rien de spécial. À part qu’il n’avait pas


l’air d’aimer se trouver là. Tara haussa mentalement
les épaules. Elle avait de nombreux ennemis, y compris
qu’elle ne connaissait pas et qui la haïssaient juste parce
qu’elle était l’Héritière. Elle s’y était faite depuis le temps.
Mais elle sentit qu’ils allaient tous regretter l’aimable
Dame Goudeau, qui était la précédente représentante élue
des nonsos et venait clairement de perdre la nouvelle
élection. Bon, cela dit, les nonsos les renouvelaient tous les
cinq ans, alors, ce n’était qu’un long mauvais moment à
passer.

— Sieur Almandach, fit-elle très aimablement comme


si elle n’avait pas du tout remarqué l’insulte, je suis ravie
de faire votre connaissance. Comment se portent les
nonsos ?

— Opprimés par les sortceliers, dépendants de la


maudite magie. Rien de bien nouveau depuis cinq mille ans.
Mais merci de vous en préoccuper, Votre Altesse.

On sentait que le « Votre Altesse » lui écorchait les


lèvres. Tara ne releva pas son accusation. Il avait hélas
raison. La police et les soldats faisaient de leur mieux pour
éviter les débordements, mais faire coexister des peuples
qui possédaient de la magie et des peuples qui en étaient
absolument dépourvus restait très compliqué.

Demiderus se raidit. Il était l’une des raisons pour


laquelle les Terriens étaient arrivés sur AutreMonde,
accompagnés par les nonsos. Il n’avait pas voulu
abandonner ses amis et avait instauré cette politique qui
voulait que ceux des nonsos qui le désiraient pouvaient
émigrer sur AutreMonde. La planète pouvait contenir dix
fois la population de la Terre, mais comme la magie et les
très longues vies empêchaient de trop nombreuses
naissances, AutreMonde restait très peu peuplée.
— Cela explique qu’autant de nonsos soient partis sur
le Continent Interdit, releva placidement Lisbeth. Pour
acquérir de la puissance à défaut d’obtenir du pouvoir.
Nous avons perdu une très importante population de
nonsos à Tingapour.

— Dans tout le pays. Dans tout AutreMonde, fît


Almandach, les lèvres pincées par la fureur. C’était très
intelligent de faire cette promotion : « Devenez un loup-
garou, fort, presque immortel et vivez sur un continent en
plein développement. » Des millions de nonsos ont été pris
au piège.

L’Impératrice riva sur lui son regard bleu. Qui pour le


coup était devenu de glace.

— Seriez-vous en train d’accuser mon gouvernement


de quelque chose, monsieur le Représentant ?

L’homme ne fit pas marche arrière.

— Vous avez envoyé tous ces gens se faire mordre et


infecter sur le Continent Interdit afin de créer une armée
capable de combattre les démons. Mais la conséquence de
votre politique, c’est que les hommes et les femmes
normaux qui sont partis sont devenus des monstres.

Il marqua une pause.

— Que nous ne reconnaissons plus comme des humains.

La surprise fit hoqueter Tara. Fabrice avait été mordu


par un loup-garou. Et maintenant cet espèce de raciste
borné était en train de lui dire que son meilleur ami allait
être rejeté par les nonsos, parce qu’il était, bien
involontairement pour le coup, devenu un loup-garou ?
— Sieur Almandach, intervint-elle sèchement, le fait
de se couvrir de poil à volonté ne veut certainement pas
dire pour autant qu’on est un monstre. Ma meilleure amie,
Gloria Daavil du Lancovit, se transforme en Bête lorsqu’elle
est contrariée. Cela ne l’empêche pas d’être aussi humaine
que vous et moi. Commencer à entretenir ce genre de
distinction est de la pure démagogie. C’est sur ce thème
que vous avez réussi à remporter votre élection ? Sur
Terre, un certain Hitler avait basé tout son discours sur le
fait que des hommes et des femmes suivant une autre
religion que la sienne étaient des traîtres, des vendus et
des voleurs. Il a fait tuer plus de six millions d’entre eux.
J’espère que ce n’est pas le chemin que vous voulez
prendre. Parce que je me dresserai face à vous, moi, et tout
AutreMonde, n’en doutez pas un instant.

Almandach eut un sourire déplaisant et mauvais.

— Pas tout AutreMonde, Votre Altesse. Les nonsos


sont plus nombreux que les sortceliers, il serait temps de
vous en rendre compte.

Il se tourna vers Lisbeth, ignorant Tara et ajouta :

— À présent, je vous prie de vouloir m’excuser. Je


suis débordé de travail, il faut que je reprenne en main ce
que le laxisme de mon prédécesseur a laissé en suspens.

Il s’inclina vaguement et leur tourna le dos, suivi par


ses secrétaires et autres gardes du corps.

Car, contrairement à l’ancienne et aimable


représentante, Dame Goudeau, il avait des gardes du corps.
Deux brutes au regard noir et vide.

Un silence tendu régna pendant un instant, le temps


que l’homme soit suffisamment loin pour ne plus les
entendre.

— Ce que j’aime avec toi, Tara, finit par dire Lisbeth


d’un ton amusé, c’est que tu peux te permettre de dire ce
que moi, je ne peux pas dire.

— Cet homme est nauséabond, grogna Tara. Rien


que d’être en face de lui et on a envie de le baffer au bout
de deux minutes.

Cal, lui, était pensif. Le problème avec la magie, c’était


qu’il était impossible de savoir si quelqu’un était un
sortcelier ou non. Pas avant que la personne n’ait activé, ou
non, sa magie.

Or il avait ressenti une impression bizarre devant


Almandach. Comme si quelque chose de poisseux entourait
l’homme. Une aura grise et visqueuse.

C’était déplaisant. Il regarda le dos épais qui


s’éloignait. Et se demanda si Xandiar ou Séné avaient des
informations sur le déplaisant personnage.

— Il a cependant raison sur un point, marqua Lisbeth


en tapotant l’or outrageusement sculpté de son trône d’un
doigt agacé. Les nonsos sont bien plus nombreux que les
sortceliers aujourd’hui. Au point de représenter une force
économique et politique de plus en plus importante. Nous
ne pouvons ignorer les gens comme Almandach, qui par
pure ambition politique s’efforce d’élargir la faille entre
eux et nous.

— Tu voulais nous voir pour cela ? demanda Tara en


se tortillant sur le confortable coussin de son trône.

— Oui, mais aussi parce que je ne t’ai pas vue depuis


plusieurs jours. Comment vas-tu, Tara ?
Tara dut décrire son état de long en large. Sa grossesse
passionnait littéralement sa tante. Au point que Tara se
disait qu’elle allait devoir se battre pour pouvoir garder ses
bébés avec elle, de peur que l’Impératrice ne les lui pique
lors d’un moment d’inattention.

Demiderus sourit. Sanhexia avait tenté de séduire


l’homme fin et blond aux yeux bleu marine et
l’accompagnait régulièrement. Eleonora et elle
appréciaient le Très Haut Mage. Entre la jeune démone qui
affectait d’être évaporée mais possédait une intelligence
aiguë, la Voleuse/fantôme/assassin un tantinet psychopathe
et l’homme qui avait fondé l’Empire d’Omois et avait cinq
mille ans, il aurait été difficile de trouver un trio plus mal
assorti. Pourtant, pendant un moment, Tara avait cru qu’ils
allaient vraiment se mettre ensemble. Mais Demiderus
s’était éloigné de l’exubérante Sanhexia, pour se replonger
dans les méandres de la politique autreMondienne, même
si, sagement, il n’intervenait que comme conseiller privé
auprès de Lisbeth.

Et Tara voyait bien que cette distance blessait


Sanhexia.

Tara était sincèrement désolée pour la jeune démone,


même si elle n’aimait pas spécialement Eleanora.

— Notre peuple est également ravi de ta grossesse,


pépia Sanhexia en secouant ses cheveux qu’elle avait
laissée pousser après avoir découvert que Demiderus, très
vieux jeu, préférait les cheveux longs, Archange me fait te
dire qu’il a hâte de pouvoir jouer au tonton gâteau avec tes
petits.

Tara faillit faire la grimace. Mais qu’est-ce qu’ils


avaient tous avec ces histoires de tonton ? Elle allait juste
avoir des enfants, pas devenir gâteuse !

Heureusement pour tout le monde, l’audience suivante


arrivait déjà, à quatre pattes.

Des centaures. Qui n’avaient pas l’air très heureux.

Ils étaient venus se plaindre auprès de l'Impératrice.


Après être allés se plaindre aux autres pays.

Il y avait eu des disparitions.

Et pas uniquement de centaures. Des licornes aussi


avaient disparu, ainsi que des fées, des lutins et des
gnomes. Les centaures avaient observé les augures, léché
les grenouilles[13], étudié les étoiles.

Leurs chamans avaient été très clairs. Tout cela n’était


pas clair. C’était tout ce que les maîtres de hordes[14]
avaient pu tirer d’eux.

Gendulome Troispattesauncanard, le maître des hordes


qui avait été nommé porte-parole de toutes les tribus
centaures, était très inquiet. C’était un vieux centaure
grisonnant, dont les yeux noirs restaient cependant vifs et
attentifs en dépit de son âge. Sa robe brune était
peinturlurée de bleu, représentant des éclairs, les signes
distinctifs de sa tribu. Sur son dos, plusieurs crapauds et
grenouilles lui faisaient comme une carapace vivante aux
yeux globuleux et attrapaient toutes les mouches
suffisamment stupides pour s’approcher des robes lustrées
des centaures. Tara songea que c’était une
symbiose astucieuse entre les deux espèces.

— Nous aurions besoin de quelqu’un d’agile, intelligent


et rusé pour enquêter sur ces disparitions, fit Lisbeth alors
que le centaure terminait son allocution en inclinant son
buste.

L’Impératrice regarda Cal droit dans les yeux, ce qu’elle


ne faisait jamais et soudain, le jeune homme brun
comprit pourquoi Lisbeth les avait convoqués.

C’était un piège. Elle le referma sur lui avec douceur.

— Je pense que vous êtes tout à fait qualifié pour le


rôle, jeune Caliban Dal Salan. L’Empire a été ravi de vous
entretenir pendant ces deux années, il est temps de lui
rendre ce qu’il vous a donné.

— Quoi? s’exclama Tara, mais...

— Absolument, l’interrompit Cal qui refusait d’être


un sujet de discorde entre l’Impératrice et sa nièce. Je
songeais justement à vous proposer d’être plus actif à
l’intérieur de votre structure gouvernementale. Car je ne
désire pas rester sans rien faire plus longtemps et si je
retournais au Lancovit avec ma future femme, afin de
travailler pour le roi Bear et la reine Titania comme cela
avait été prévu lors de ma formation là-bas, ce serait moins
pratique pour vous. Vous ne verriez pas si souvent vos
neveu et nièce, ni votre Héritière...

L’Impératrice eut l’air suffoquée. Elle n’avait jamais


envisagé une seconde que Cal pourrait repartir au Lancovit
avec Tara.

Cal lui sourit sans fanfaronner. Ils savaient tous les


deux que l’un et l’autre avaient des armes pour défendre
leurs positions et que Tara allait se retrouver au milieu s’ils
entraient en guerre.
Et l’un comme l’autre savaient aussi que Cal gagnerait.
Tara était d’une loyauté qui confinait à l’absurde (aux
yeux de l’Impératrice), ce que Cal trouvait très bien.

Le centaure, sentant qu’il se tramait quelque chose


qu’il ne comprenait pas, intervint :

— La jeune Héritière va bientôt pouliner, ce ne serait


pas sage que le père de l’enfant reste loin d’elle, ce me
semble.

— Je ne vais pas pouli... accoucher avant au moins un


mois, répondit gentiment Tara, mais c’est très aimable au
puissant maître des hordes de l’avoir souligné.

Soudain, Cal se leva d’un bond, les yeux fixés sur l’un
des centaures dont le dos semblait avoir viré au rouge.

— BOMBE ! hurla le jeune Voleur en bondissant pour


arracher le crapaud sur le dos du centaure, qui venait de
virer au rouge, TOUT LE MONDE À TERRE !

Selenba réagit en un éclair en se plaçant devant Tara.


Cal lança le crapaud contre la fenêtre la plus proche, tout
en incantant un brisus afin de détruire la vitre.

Le jet de magie et le crapaud s’écrasèrent contre la


vitre qui ne broncha pas.

Le crapaud glissa lentement vers le sol où il


s’immobilisa, assommé. De rouge flamboyant, il repassa à
un vert-gris.

Cal, qui s’était élancé vers Tara pour faire barrage avec
son corps comme Selenba, stoppa net, prêt à sauter sur le
crapaud si celui-ci faisait mine de bouger une patte.
— Par tous les dieux d’AutreMonde ! fit Lisbeth d’une
voix glaciale, jeune Dal Salan, pouvez-vous m’expliquer ce
que vous venez de faire ?

— Le crapaud allait exploser, fit Cal qui ne comprenait


pas pourquoi ils n’avaient pas tous été réduits en petits
bouts sanguinolents. C’est un kapoum. Je l’ai vu tout à
l’heure en montrant des illustrations de la faune
d’AutreMonde à Tara. Lorsqu’ils virent au rouge, cela veut
dire qu’ils vont sauter. La déflagration est suffisamment
puissante pour tout dévaster dans un rayon de dix batrolls.

Gendulome, le vieux centaure, éclata de rire. Cal se


tourna vers lui, confus.

— Ah, je comprends mieux. Vous avez confondu,


jeune humain. Ces crapaud changent effectivement de
couleur, mais n’explosent pas. Les Édrakins ont greffé leurs
fleurs joyaux sur certains de nos batraciens de compagnie,
en échange de produits du peuple centaure. Ce sont les
fleurs joyaux qui les font changer de couleur. Mais je vous
félicite pour vos excellents réflexes.

Le jeune centaure que Cal avait bousculé en attrapant


le crapaud lui jeta un regard noir et alla récupérer son
animal qui avait l’air mal en point, en le caressant
tendrement.

C’était bien la première fois que Cal voyait un crapaud


loucher.

Le jeune homme déglutit.

Formidable. Il venait de se ridiculiser devant la Cour


tout entière. Heureusement que l’Impératrice avait interdit
aux scoops de venir filmer la salle d’audience, sinon le film
serait déjà sur le magicnet.
Tara ne disait rien, mais à la tête qu’elle faisait, Cal
savait qu’elle se mordait les joues pour ne pas éclater de
rire. Ses yeux bleu marine pétillaient follement.

Ah, ah, ah.

Sanhexia ne s’était pas gênée, elle. La jeune démone


était morte de rire et même Demiderus semblait avoir du
mal à retenir son hilarité.

— Pensez-vous sérieusement, Caliban Dal Salan, que


mes Services de sécurité auraient laissé une bombe
s’approcher aussi près du trône ? persifla Lisbeth.

— Pour être tout à fait franc, répondit Cal, je n’ai


pas pensé, j’ai juste réagi à ce que j’ai perçu comme une
menace, lit pardon de vous dire cela, Votre Majesté
Impériale, mais je n’hésiterai pas à recommencer si mon
instinct me dit que quelque chose est anormal. La sécurité
de Tara... et la vôtre... passent loin devant ma dignité.

Lisbeth hocha la tête.

— Oui, fit-elle d’un ton plus doux, je comprends.

— Vous avez fait traiter les vitres contre la magie ?


demanda Cal. Celle que je visais avec mon brisus aurait dû
exploser normalement.

— Oui, fit Lisbeth. Et au moins votre démonstration


me montre qu’il faut que je modifie cela. Nous devons
pouvoir envoyer quelque chose dehors si nécessaire.

Elle s’adressa au centaure.

— Gendulome Troispattesauncanard, votre requête a


été entendue. Nous allons enquêter sur ceux qui osent
s’en prendre au noble peuple des centaures. Vous pouvez
compter sur la participation de l’Empire d’Omois afin de
réparer cette atteinte à votre liberté.

Le centaure, satisfait, s’inclina de nouveau.

— Merci, Votre Altesse Impériale. Nous nous tenons


à la disposition de votre enquêteur, quel qu’il soit (il jeta un
regard amusé vers Cal), afin de lui remettre les indices que
nous avons déjà pu recueillir sur les disparitions.

Une fois qu’il eut tourné sa croupe et disparu au loin,


ils attendirent pour voir si un autre requérant se
présentait. Mais l’Impératrice les avait convoqués à la fin
de la journée. Après le centaure, il n’y avait plus personne.

Tara croisa le regard de sa tante, posé sur Cal.

L’Impératrice était en train de mijoter un truc bien


tortueux. L’espace d’un instant, Tara maudit les habitudes
de sa tante. Surtout cette manie de garder tout secret. Il
s’était passé quelque chose. Quelque chose qui faisait que
seul Cal pouvait solutionner le problème.

Ou alors il ne s’était rien passé et l’Impératrice avait


soudain décidé que Cal avait besoin de prendre l’air. Avec
elle, impossible de savoir.

Tara se leva, toute trace d’amusement évaporée,


l’indignation lui donnant un élan oublié depuis des
semaines.

Elle mit les poings sur ses hanches et fustigea sa tante :

— Donc, pour revenir à ce que tu disais avant l’épisode


du crapaud (sa voix vacilla un instant, on sentait qu’un
gloussement tentait de se glisser au milieu de sa colère),
parmi les millions de sujets de l’Empire d’Omois, le seul qui
soit capable d’enquêter dans les plaines du Mentalir, c’est
Cal ?

— Absolument.

— Arrête d’essayer de coincer les gens pour les obliger


à faire ce que tu veux, Lisbeth ! Bon sang, c’est
insupportable !

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit


l’Impératrice avec une parfaite mauvaise foi.

— Tu veux utiliser Cal. Et bien qu’il n’en dise rien, Cal


s’ennuie comme un rat mort depuis que plus personne
n’essaye de détruire cette planète. Alors tu utilises la
raison d’État et cet ennui pour lui faire faire ce que tu
veux. Sauf que je vois clair dans ton petit jeu.

L’Impératrice donna l’impression de se tortiller sur son


siège. Ce qui était assez curieux. Sanhexia, à ses côtés,
paraissait absolument ravie.

— J’ai effectivement besoin de Caliban Dal Salan, finit-


elle par laisser tomber du bout des lèvres. Pour une mission
ultra-secrète, qui pourrait toucher aux disparitions, même
si je n’en suis pas sûre. Et que personne, absolument
personne, ne doit découvrir.

La curiosité de Cal et de Tara était éveillée.

L’Impératrice ne les déçut pas.

— C’est terrible, fit-elle, le teint soudain blême, mais on


a volé les paons pourpres aux cent yeux d’or, emblème
d'Omois !
Chapitre 5
Le paon pourpre
Ou comment être le plus voyant des oiseaux
et se débrouiller pour disparaître
sans laisser de traces... ou de plumes.

Selenba regarda l’Impératrice d’un air quelque peu


interloqué. Elle s’était replacée derrière Tara, maintenant
que le danger était écarté.

— Pardon, fit la belle vampyr, mais comment peut-on


voler un emblème ?

Demiderus répondit à la place de l’Impératrice :

— Lorsque ma fiancée faillit mourir une première fois,


elle fut sauvée par un vol de paons pourpres aux yeux d’or,
répondit le Très Haut Mage. Reconnaissant, même si les
oiseaux n’avaient pas fait exprès, évidemment, c’est la
raison pour laquelle j’ai pris cet oiseau comme emblème de
notre Empire naissant. Depuis ce jour, les descendants de
ce vol ont toujours été élevés dans le Palais.

Il n’y avait pas que la vampyr à avoir les yeux


écarquillés. L’Impératrice reprit la parole :

— Il existe même une légende qui dit que le jour où il


n’y aura plus de paons pourpres au Palais d’Omois, du
moins de paons pourpres descendants de ce vol particulier,
alors, l’Empire d’Omois s’écroulera.
Il y eut un silence. Tara avait sans cesse l’impression
qu’elle commençait à comprendre ce monde, et patatras, il
y avait quelque chose qui venait détruire cette certitude.

— Sérieusement, rit-elle, c’est un peu comme les


corbeaux de la tour de Londres, ou les babouins du rocher
de Gibraltar ! Ce ne sont que de vieilles superstitions !

Mais à sa grande surprise, personne ne rit avec elle.

L’Impératrice posa sur elle ses grands yeux bleu


marine, si semblables à ceux de sa nièce, et dit :

— Parfois, lorsqu’une prophétie est énoncée par un


sortcelier très puissant, elle s’imprime dans la magie
d’AutreMonde. Et peut se réaliser réellement. Nous devons
être très prudents.

— Je n’ai pas fait exprès, confessa Demiderus, j’étais


ébranlé par ce qui venait de se produire. Les démons (il
jeta un coup d’œil à Sanhexia, mais celle-ci ne broncha pas)
nous avaient posé un piège. Si les oiseaux ne s’étaient pas
envolés, démasquant la présence des traqueurs, nous ne
nous serions pas méfiés. J’ai englobé les paons dans un jet
de magie primaire, fortifié par ma reconnaissance, et cela a
modifié leur ADN. Ils vivent plus longtemps, les autres
animaux les chassent très peu et ils sont plus méfiants et
prudents que leurs congénères, même si l’environnement
des parcs des Palais d’Omois est moins violent et sauvage
que le reste d’AutreMonde.

— Mais justement tu as parlé d’un vol d’oiseaux,


protesta Tara. Ce qui signifie plusieurs oiseaux non? Et il y
a des dizaines de parcs et de volières dans ce Palais et dans
les autres. Ne me dis pas qu’il n’y avait qu’un seul paon
pourpre aux cent yeux d’or ?
— C’est bien ça, le problème. Il y en avait une
centaine. Et ils ont tous disparu !

Tara en resta bouche bée. Qu’on s’attaque à l’Empire


d’Omois avec des armées ou par la force, comme
l’avaient fait les démons ou la comète, ça, elle pouvait
comprendre. Mais en enlevant des oiseaux?

Cal fronçait les sourcils. Contrairement à la jeune


femme, lui voyait très bien le problème.

— C’est très subtil. Cela pourrait remettre en cause


votre légitimité d’une part, et, d’autre part, cela révèle, de
nouveau, une sérieuse faille dans votre service de sécurité.

L’Impératrice soupira :

— Xandiar est responsable de notre sécurité, pas de


celle des oiseaux. C’est ma faute. Je n’ai pas songé un
instant que quelqu’un serait suffisamment retors pour
s’attaquer à nos emblèmes.

— Très bien, soupira Tara. Cal ne peut pas être à


deux endroits en même temps. Robin, tu as quelque chose
à faire dans les jours à venir ?

Robin se leva, tout frémissant.

— Tu veux dire que tu vas me donner une bonne


excuse pour ne pas aller aux dîners/réceptions/cocktails qui
m’attendent ? Oui, oui, oui ! Je suis à tes ordres ! Je ne
peux pas partir du Palais, sinon j’aurais proposé d’enquêter
à la place de Cal, mais si on travaille ici, pas de problème,
au contraire !

Tara rit.
— Génial. Et comme je ne me déplace pas
facilement, autant faire appel aux copains. Je vais voir aussi
si Moineau et Fabrice sont disponibles. Et j’aimerais bien
que Fafnir et Sylver t’accompagnent, Cal. Je les appelle
aussi.

— On va reformer le magicgang ! s’exclama Robin.


C’est génial ! Ça me manquait !

— Ouais, grogna Cal qui n’était pas aussi enthousiaste,


tu as intérêt à ce qu’il n’arrive rien à Tara et aux bébés,
sinon je te pulvérise !

— Bon, trancha Tara qui ne voulait pas que ses amis


s’affrontent, voyons un peu cette histoire de paon. Quand
est-ce que tout cela est arrivé ?

— Le chaman vétérinaire Petites Herbes froissées[15] a


averti ses responsables tout de suite, répondit Lisbeth, un
peu étonnée de voir sa nièce aussi réactive. Mais le temps
que l’information suive la chaîne hiérarchique, il s’est
écoulé une heure.

— Très bien. Autant voir si Robin et moi, on peut


remonter une piste à partir du Palais.

L'Impératrice tendit à Cal une sorte de bâton long et


ouvragé de têtes de paon, ainsi qu’un insigne.

— Voici un sceau qui vous ouvrira toutes les portes,


Caliban Dal Salan. Quant à l’insigne, vous êtes à présent
officiellement appointé agent de l’Empire d’Omois. Il vous
suffira de le montrer et tout le monde à Omois répondra à
vos questions. Nos ambassades des autres pays vous
ouvriront également leurs portes si vous demandez leur
assistance.
— Tara, fit Cal, après avoir pris les deux objets, je
reviens très vite. Appelle-moi pour me dire ce qui se passe
ici. Et si tu aS la moindre contraction ou quoi que ce soit,
tu m’appelles aussi, hein?

— Oui. Ne t’inquiète pas. Tout va bien se passer.

— Je déteste quand on dit ça, marmonna Cal. C’est


toujours le moment où je sais que les choses vont très mal
se passer !

Quelques heures plus tard, Cal était en train de mourir


de chaleur dans les plaines du Mentalir, la phrase qu’il
avait prononcée au Palais, malheureusement très présente
dans son esprit.

Notamment dû au fait qu’il avait une lance pointée sur


son estomac. Qu’il s’efforçait soudain de rentrer. Blondin
grognait à ses pieds, prêt à bondir.

— Wow, fit-il aux quatre centaures agressifs qui


venaient de l’encercler, alors qu’il se matérialisait près de
l’endroit que lui avait indiqué le chef des hordes. Ne me
trouez pas ! Je suis envoyé par le centaure Gendulome
Troispattesauncanard afin d’enquêter sur les disparitions
des centaures.

Frénétiquement, Cal brandit le sceptre que lui avait


donné l'Impératrice.

— On s’en fout, de Troispattesauncanard, répondit le


centaure aux yeux bleus et aux cheveux blonds tressés, aux
flancs marqués de trois traits rouges, qui pointait sa lance
sur le nombril de Cal. Tous les étrangers qui rentrent sur
nos terres doivent repartir. Sinon, on en fait des brochettes.
Plus aucun centaure ne disparaîtra ! Et la glorieuse tribu
des Yapalfeuaulac montrera aux autres tribus que personne
ne peut s’en prendre aux centaures sans en payer le prix de
son sang! Moi, Zédol Yapalfeuaulac, je le jure !

C'était une très belle déclaration, très héroïque, qui


n’arrangeait pas du tout les affaires de Cal.

Soudain, alors que le centaure esquissait le geste


d’embrocher le jeune Voleur, sa lance lui fut ôtée des mains
et disparut dans les hautes herbes. Le centaure, surpris,
baissa les yeux vers l’herbe, si fournie qu’il était difficile de
voir quoi que ce soit.

— Maudit foin, grogna une voix rauque et de


mauvaise humeur, que Cal reconnut avec soulagement,
c’est vraiment une terre faite pour les bestiaux.
Aaaaatchoum !

La naine guerrière rousse aux yeux verts rougis par ses


éternuements, Fafnir, émergea de l’océan d’herbe bleue et
lorgna vers le centaure d’un air furibond. Même ses deux
haches avaient l’air furibondes.

— Et alors ? C’est comme ça que vous accueillez les


ambassadeurs de l’Empire d'Omois ?
L’un des trois autres centaures esquissa un geste vers
les deux épées sur ses flancs.

— Tss, tss, tss, fit une voix douce à son oreille, on


ne touche pas.

Le centaure déglutit et loucha sur l’épée horriblement


aiguisée qui venait soudain de surgir sous sa gorge. Un
être magnifique, aux yeux d’un vert doré, à la peau
scintillante sous les deux soleils, aux longs cheveux de
toutes les couleurs de l’automne, lui souriait gentiment.

Mais son épée ne bougeait pas d’un pouce. Très, très


lentement, le centaure éloigna ses mains de ses armes.

Il y eut un sifflement et l’épée disparut. L’être l’avait


rengainée avec une efficacité sidérante. Puis s’écarta d'un
pas. Mais le centaure n’en profita pas. Il n'était peut-être
pas une lumière, mais il savait reconnaître une arme
mortelle lorsqu’il croisait son chemin.

— Ma douce Fafnir, fit l’être flamboyant, je pense que


tu peux rendre sa lance à notre nouvel ami.

La naine fit la grimace mais obéit. L’instant d’après,


Zédol, stupéfait, recevait son arme entre ses mains. Il fut si
surpris qu’il faillit la laisser tomber.

— M... merci, balbutia-t-il.

— Ouais, j’vous en prie, répliqua la naine. Bon, les


gars, vous nous montrez là où vos copains ont disparu ?
Avant que comme cette fichue herbe, on prenne racine ici...
Ah, ah, ah ! Atchouuum !

Elle se moucha bruyamment puis darda son regard


inflexible et larmoyant sur les centaures. Bel, son chat rose
familier démoniaque, passa sa petite tête entre deux herbes
bleues, maintenant que la tension s’apaisait ; Fafnir
l’attrapa et le mit sur son épaule, sous le regard fasciné des
centaures.

— Je vois un chat rose perché sur une naine rousse, fit


l’un des centaures d’un ton incertain. Et toi ?

— À moins qu’on ait bu trop de kmir[16] et qu'on


halluciné ensemble, c’est aussi ce que je vois, confirma le
second.

Cal éclata de rire.

— Vous m'avez manqué, fit-il à ses amis. Sylver,


Fafnir, il faut absolument venir nous rendre visite plus
souvent au Palais de Tingapour, à Tara et moi.

Les centaures se raidirent soudain.

— Hrrmm, fit Zédol en s’éclaircissant la gorge. Palais


de Tingapour? Tara? Comme Tara’tylanhnem Duncan?
Héritière de l’Empire d’Omois?

— Yep ! fit joyeusement Cal. Exactement. Ma femme.


Enfin si j’arrive à l’épouser, ce qui n'est pas gagné.

Les centaures s’inclinèrent comme un seul homme. Un


seul étalon. Un seul mi-homme, mi-étalon[17].

— Nous n’avions pas compris. Vous êtes Caliban


Dal Salan ! Le célèbre Voleur Patenté ! Le compagnon de la
Sortcelière Impériale !

— Caliban n’avait pas mentionné son nom, fit


observer Sylver gravement. L’erreur était compréhensible.
— En fait, les lances sur mon nombril m’ont un peu
déconcerté se défendit Cal. Et pas encore tout à fait
Patenté, je dois encore passer mon Master. Avec trois ans
d’avance, vu que j’ai réussi à faire passer le sauvetage
régulier d’AutreMonde dans mes évaluations. Mais pour
célèbre et compagnon, oui, c’est tout à fait cela.

Fafnir ricana.

— Le très modeste Caliban Dal Salan, oui, c’est lui.


Que vous avez failli embrocher.

Contrairement à Sylver, Fafnir trouvait amusant


d’appuyer là où ça faisait mal.

Zédol blêmit. Il savait parfaitement qu’il avait


crottiné[18], d’autant que s’il n’avait pas eu le temps de
donner son nom, Cal avait clairement montré le sceptre
impérial qui était censé lui servir de sauf-conduit.

— Par les dieux des plaines, je suis désolé. Nous nous


sommes un peu laissé emporter par notre colère. Nous
sommes très inquiets pour ceux qui ont disparu. Venez, je
vais vous montrer.

Il tourna la croupe et commença à fendre l’herbe haute,


comme un navire poilu sur un océan bleu, sec et mouvant.

Fafnir soupira. Se moucha de nouveau puis jeta un


regard désolé vers son mouchoir trempé.

— Et c’est reparti. Cet endroit plein de poussières et


de stupides herbes n’est absolument pas fait pour les nains.

Bel éternua sur son épaule.

— Ah, et pas pour les chatons démoniaques non plus !


— Moi, je trouve qu’au contraire, persifla Cal, c’est
très adapté, pense au fait que personne ne peut te voir
venir. Tu peux les débiter en tranches qu’ils se
demanderont encore d’où sont venus les coups !

— Ma tant aimée, fit Sylver, veux-tu que je te porte ?

Fafnir fit une grimace douloureuse.

— Sylver, mon amour, cœur de mon cœur, j’aimerais


bien que tu cesses de lire ces livres débiles et non, je ne
veux pas que tu me portes. Mes haches feront très bien le
travail. Si ces fichues herbes savent ce qui est bon pour
elles, elles trouveront un moyen de me faire plaisir.

Elle brandit ses deux haches. Cal aurait juré que les
herbes frémissaient, alors que les haches se dirigeaient
vers elles et bizarrement un chemin s’ouvrit devant la
naine qui laissa échapper un petit ricanement satisfait.

Sylver et Cal la suivirent et deux des centaures leur


emboîtèrent le pas, arrière-garde poilue et attentive.

Sylver, par essence, ne parlait pas beaucoup. Élevé par


les nains, mais fils de Magister et mi-dragon, il était aussi
tranchant avec les mots qu’avec son sabre. Aussi, Cal fut
surpris lorsque Sylver lui dit :

— Je pensais que les livres m’aideraient à comprendre


les femmes. Mais au contraire, ça ne fait que m’embrouiller
un peu plus.

Cal faillit plaisanter en disant que Fafnir n'était pas une


femme, mais une bombe ambulante et se souvint de
justesse que son ami Sylver était un petit peu dangereux,
même si, les dieux d’AutreMonde en soient remerciés, il
n’était pas très susceptible.
— Tu n’es pas le seul, se contenta-t-il de dire. «
Tant aimée », hein ? Tu as lu un livre de Gendra Tévil ?

— Tu connais ? Oui : Comment faire plaisir à la jeune


épousée et la conforter dans son choix. Et toi ?

— La Femme enceinte, ou comment conserver l’estime


de soi de votre femme pendant sa grossesse.

Ils se regardèrent. Puis éclatèrent de rire en même


temps, faisant tressaillir les centaures.

— C’est ridicule, finit par soupirer Sylver.

Il écarta ses magnifiques cheveux multicolores que le


vent chaud faisait danser sur son visage. Cal lui envia
sa constitution de dragon, car son ami ne semblait pas du
tout incommodé par la chaleur, alors que le jeune Voleur
avait l’impression qu’il allait fondre d’un instant à l’autre.

— Oui, confirma Cal. Ridicule est le mot. Tu as épousé


une extraordinaire naine guerrière et j’essaye d’épouser la
plus puissante sortcelière de l’univers. Enfin l’ex-plus-
puissante sortcelière de l’univers, tant qu’elle n’a pas
récupéré ses pouvoirs. Je ne pense pas que des livres vont
nous expliquer comment faire avec elles. Il va falloir qu’on
se débrouille avec les moyens du bord.

— Les écouter, fit une voix derrière eux. C’est le


seul moyen. Pas les entendre. Les écouter. Ce qu’elles
disent derrière les mots. Aime-moi. Chéris-moi. Écoute-moi.
C’est ce qu’elles disent. Si on sait les écouter, comme dit
mon père.

Ah. Leur arrière-garde avait les oreilles qui traînaient.


Ils se retournèrent. Les deux autres centaures devaient
être des jumeaux, parce qu’ils se ressemblaient
parfaitement. Bruns, aux yeux bleus, ils avaient de joyeux
sourires et, contrairement aux deux centaures de tête,
n’avaient pas bronché lorsque Sylver et Fafnir avaient
désarmé leurs compagnons. Cal sentit tout de suite qu’ils
étaient amicaux. Contrairement aux deux autres, ils ne
portaient pas de grenouilles ou de crapauds colorés sur
leurs dos et les bandes rouges de leurs flancs étaient
réduites à leur plus simple expression.

— Zavilume et Zouvilome Yapalfeuaulac, se


présentèrent les centaures.

— Mon père dit souvent que nos pouliches et nos


juments sont comme vos femmes, poursuivit Zavilume.
Elles veulent des étalons attentifs et protecteurs, qu’elles
peuvent admirer et qui protégeront leurs poulains. Une fois
qu’on a compris ça, et qu’il faut aussi bien être capable de
nettoyer le crottin que de consoler quand elles perdent du
poids[19].

Zouvilome leur fit signe de continuer à avancer afin de


ne pas perdre les autres. Ils cheminèrent donc tout en
continuant à discuter. Cal et Sylver étaient aussi fascinés
par les mœurs des centaures que les centaures étaient
fascinés par eux. Enfin surtout par Sylver, qui les stupéfia
lorsqu’il leur expliqua qu’il chatoyait à la lumière des deux
soleils, parce que sa peau était constituée de milliers de
petites écailles opalines.

Qui avaient disparu lorsqu’il avait réussi à se


transformer en dragon la première fois, mais qui
réapparaissaient chaque fois que sa forme reptilienne
estimait qu’il était en danger.
Les deux centaures ne réagirent pas au sous-entendu,
après tout, ils avaient accueilli Cal l’arme à la main, que
son ami se protège leur semblait parfaitement normal.

En revanche, que Sylver soit un demi-dragon


représentait apparemment une énorme surprise pour eux.

— Vous n’avez pas le magicnet dans la prairie ?


persifla Fafnir, qui avait ralenti pour écouter la
conversation. Sylver Claquétoile[20] est notre guerrier le
plus connu ! Au Dranvouglispenchir, Sylver a vaincu les
dragons renégats, il a sauvé notre planète d’une terrible
invasion. Il a aidé Tara Duncan à trouver la machine qui a
anéanti les fantômes ! Il a guidé la flotte des dragons
jusqu’à la planète des démons et a obtenu la reddition du
roi démon en personne !

— Miaou, fit Bel, pour bien montrer qu’il partageait


son indignation.

— Je n’étais pas seul, ma douce, rectifia Sylver. Le


magicgang avait déjà fait tout le travail !

Il fallut expliquer aux centaures ce qu’était le


magicgang et pourquoi il s’appelait ainsi.

— Vous êtes des héros, s’exclama Zavilume, avec des


trémolos d’admiration dans la voix. Nous n’avions pas
compris à quel point vous étiez impliqués dans la
destruction de Tadix et l’invasion des démons!

— On pourrait venir avec vous ? demanda Zouvilome


avec lividité. On s’ennuie comme des trrrs[21] morts dans
cette prairie. A part les types qui se sont fait enlever, il ne
se passe jamais rien. Les anciens se contentent de lécher
les grenouilles, de baver un peu, puis de raconter des trucs
incompréhensibles. Et c’est tout.

— Ouais, renchérit Zavilume, avant, il y avait des tas


de guerres, mais depuis que les démons ont débarqué, que
la comète a braqué ses rayons sur nous et failli nous
dégommer, c’est la loose totale.

Zavilume et lui se tapèrent dans la main.

— Yo ! firent-ils avec un bel ensemble.

Cal réprima un sourire. Les deux centaures devaient


être très jeunes, probablement quatorze ou quinze ans,
même si c’était difficile de juger, car les hommes chevaux
vieillissaient plus vite que les autres races. Quoi qu’il en
soit, ils avaient le langage et l’attitude d’adolescents.

Et ils étaient un chouia en retard sur leur époque,


parce que plus personne ne disait « yo » depuis une bonne
dizaine d’années. Mais bon, les centaures n’étaient pas
connus pour leur modernisme non plus.

Cal allait compatir, lorsqu’il s’aperçut que les autres


s’étaient arrêtés. Le jeune Voleur vit tout de suite
comment les centaures avaient compris qu’il était arrivé
quelque chose à leurs congénères.

Devant eux, un village de tentes en peau de traduc


poilu, d’un rouge violet. Et sur le côté du village, dans une
aire dégagée de l’herbe bleue, une petite clairière tondue à
ras. Fafnir, à ses côtés, réprima une exclamation.

Il y avait du sang. Beaucoup de sang.

Et des poils. Une énorme masse de poils de toutes les


couleurs qui recouvrait le sol et une partie du sang.
Et c’était tout.

Cal s’agenouilla précautionneusement, puis, mettant de


côté toute dignité, se mit carrément à quatre pattes. Zédol
recula afin de lui permettre d’embrasser l’ensemble de la
scène.

— Vos mages ont figé la scène ? demanda Cal, voyant


que ni mouche à sang, ni piqqq, ni mouchtique, ni aucun
insecte sanguinophile[22] ne s’approchaient du liquide
pourpre.

— Oui, répondit Zédol. Dès que les habitants de ce


village ont vu le sang, ils ont immédiatement appelé leur
chaman. C’est lui qui s’est occupé de tout. Nous avons
localisé une dizaine de scènes identiques un peu partout
dans la plaine.

Les plaines du Mentalir étaient immenses. Ils avaient


dû y passer un temps fou pour localiser toutes les tribus qui
se déplaçaient sans cesse, au gré de leurs troupeaux de
traducs, mooouuus et autres bestioles qu’ils élevaient. Les
centaures étaient omnivores, comme les humains, mais
préféraient quand même les végétaux, les animaux qu’ils
élevaient étaient essentiellement destinés à la vente.

— À votre avis, combien de centaures ont été enlevés ?

Cal posait la question, car cela n’avait pas été


mentionné dans le très court compte rendu que les
centaures lui avaient remis.

— Nous sommes un peuple nomade, répondit


prudemment Zédol. Il nous est donc difficile de savoir où se
trouvent les gens exactement. Mais d’après les premières
estimations, je dirais entre vingt et cinquante centaures.
Cal fronça les sourcils. Ce n’était pas beaucoup.
Pourquoi les centaures avaient-ils réagi jusqu’à en appeler
à l’Empire? Sur la dizaine de millions qui habitaient ces
plaines immenses, qu’une vingtaine d’individus
disparaissent n’était pas si bizarre.

Il ouvrait la bouche pour se renseigner, lorsque Zédol le


surprit en lui répondant :

— Normalement, nous n’aurions pas prêté attention à


ce genre d’affaire. Des centaures disparaissent tous les
jours. Des problèmes de dettes, de pouliches ou de
juments, de mauvais paris ou d’engagements contraignants
ou d’histoires d’amour compliquées. Mais ce qui nous a
frappés ici, c’est qu’on n’a jamais retrouvé le moindre
corps. Qu’il n’y avait aucune trace de quelque animal que
ce soit. Et qu’il y avait vraiment beaucoup de sang.
Maintenant, les pouliches ont peur. Et pour être francs,
nous aussi, nous avons... hum... nous sommes inquiets.

Les autres centaures hochèrent de la tête. Cal comprit


que l’agressivité de Zédol, lors de leur rencontre, n’était
pas due à un quelconque antagonisme raciste, mais bel et
bien à de l’appréhension.

Le jeune Voleur se redressa, sortit une demi-douzaine


de scoops de sa poche et les envoya filmer la totalité de la
scène.

Les minuscules engins scannèrent le moindre brin


d’herbe. Ensuite, il serait facile de regarder la scène sous
tous les angles pour essayer de comprendre ce qui s’était
passé.

Étant un Voleur Patenté, Cal avait étudié avec les


meilleurs maîtres, notamment en reconstitutions de scènes
de crimes. Bien que ne faisant pas partie de la Guilde des
assassins, il connaissait parfaitement leurs méthodes. Et il
comprenait, tandis qu’il faisait le tour de la petite clairière,
ce qui dérangeait tant les centaures.

Les indices étaient étranges. Composés essentiellement


de traces de sabots, de sang et de poils. Cal annula le sort
de stase des chamans centaures, puis pratiqua toute une
série de prélèvements qui le suivirent pour terminer dans
la poche multidimensionnelle de sa tenue de Voleur
Patenté, quand il eut fini.

Puis le jeune homme aux cheveux noirs leva la tête.


Étudia le ciel avec attention en plissant ses yeux gris sous
les éblouissants soleils d’AutreMonde.

— Zédol, finit-il par demander, est-ce que les tapis


volants ont l’autorisation de survoler le territoire des
centaures ? À basse altitude ?

— À part pour les livraisons ne pouvant pas passer


par les portes de transfert, non, répondit le centaure, qui y
avait pensé aussi. Uniquement au-dessus de dix mille
tatrolls pour ne pas nous déranger. J’ai fait vérifier tous les
survols. Rien n’est descendu aussi bas. Et il n’y a aucune
trace énergétique d’une porte de transfert mobile.

— Je ne vois aucun indice d’un animal qui aurait pu


attaquer les victimes. Pas plus que d’autres traces que les
sabots des centaures. Mais vous dites qu’aucun engin
volant à basse altitude n’aurait pu attraper les centaures au
passage. Et de toutes les façons, même si quelqu’un avait
réussi à tromper votre surveillance, cela n’explique pas la
séance d’épilation géante.

Vu la masse de poils qui recouvrait le sol, les centaures


enlevés devaient se sentir tout nus... s’ils étaient
encore vivants.
— Ou alors, fit nerveusement Zédol, sa longue queue
balayant les petites mouches qui voletaient autour d’eux,
les coupables sont des centaures, ce qui expliquerait qu’on
ne trouve pas d'autres traces que des sabots.

Une sonnerie discrète fit tressaillir Cal. Il alluma son


hor qui afficha le visage de Tara.

— Mon cœur, fit la jeune femme blonde, tu me


manques, tout va bien?

Le sourire de Cal fit trois fois le tour de son visage.

— Ma chérie, tu me manques aussi. Oui, ça va, je suis


en pleine enquête. Et toi, comment te sens-tu?

— Pas de différence avec il y a deux heures. Je suis en


train d’enquêter sur la disparition de ce que tu sais. C’est
extrêmement bizarre, toute cette histoire. Ils ont juste
disparu et Il n’y a rien du tout. Aucun indice et rien sur les
scoops de surveillance, elles montrent une image noire,
puis une image normale, quelques heures plus tard, mais
les Hauts Mages disent qu’ils ne décèlent pas de
manipulation magique. On a l'impression, sur les images,
qu’on a posé un film noir ou un tissu noir opaque sur les
objectifs, pendant plusieurs heures, puis que le film ou le
tissu ont été retirés.

Elle était prudente, ne sachant pas qui pouvait écouter


leur conversation. Cal fit la grimace puis tourna son hor
pour que la jeune femme puisse voir la scène.

— Ici, c’est différent. Il y a des indices, mais c’est


très étrange. Il y a énormément de sang. Et quelque chose
d’invisible qui fait tomber les poils de ses victimes, les
enlève sans laisser de trace et disparaît avec eux.
Zédol faisait de son mieux pour passer inaperçu, ce qui
pour un centaure blond qui faisait deux bons batrolls de
haut n’était pas facile, facile, alors Cal fut prudent dans le
choix de ses mots. Comme Tara venait de le faire, il évita de
prononcer le mot « plumes » qui pouvait mettre les
centaures sur la voie. Et les bavardages allaient plus vite
que les incendies de forêt, même si Cal ne se faisait aucune
illusion. Avec le nombre de gens au Palais qui savaient que
les paons pourpres avaient disparu, la nouvelle allait
forcément fuiter.

— j’ai demandé au chaman vétérinaire, reprit Tara


après avoir contemplé la scène avec attention, s’il pensait
qu’il avait été facile d’enlever les ce que tu sais, et il a dit
que ces bestioles sont grosses et assez peu rapides. Rien de
compliqué, donc, pour les attraper. Particulièrement en
utilisant la magie. Sauf que, si quelqu’un avait utilisé de la
magie sans autorisation dans le parc, il aurait été repéré
par les détecteurs. Tous ceux qui pratiquent des sorts ici
ont des autorisations. C’est ce qui trouble le plus le
chaman. Je crois qu’il a peur que quelqu’un de son équipe
soit impliqué dans les rapts. Moineau et Fabrice sont en
train d’enquêter de ce côté-là.

Elle baissa la voix.

— Si c’est un coup des Sangraves, si Magister est


derrière tout cela, alors c’est peut-être la première partie
d’un plan compliqué visant à s’emparer d’Omois. Je n’aime
pas ça.

La voix de Selenba retentit derrière eux.

— Ah ! C’est exactement ce que j’ai dit. Il faut tuer


Magister !

Cal replaça l’image de Tara devant lui.


— Les deux méthodes semblent fondamentalement
différentes, je ne crois pas qu’elles soient liées, et
franchement, dis à Selenba que si on avait trouvé des
cadavres partout, j’aurais pu effectivement supposer que
Magister était impliqué. Là, je n’y crois pas une seconde.
Mais en attendant, j’ai prélevé des tas d’échantillons ici,
confirma Cal, qui, tout à coup, se redressa, l’air stupéfait.
Ahhh, slurk, mais c’est quoi, ce brolk !

— Quoi, quoi ? fit Tara, affolée, qu’est-ce qui se passe ?

Cal regardait la scène et tourna son hor de nouveau.


Tara hoqueta de surprise.

Le sang était en train de tourner au bleu. Puis il se mit


à miroiter.

Et il disparut.
Chapitre 6
Cal
Ou comment mener une enquête

en regrettant de ne pas avoir Sherlock Holmes

sous la main.

Tara, Robin, Sanhexia, qui avait voulu les accompagner


pendant que Demiderus retournait dans son laboratoire, et
Selenba, se trouvaient dans l’un des immenses parcs
du Palais Impérial de Tingapour, où des millions d’animaux,
de plantes, d’insectes et de poissons vaquaient en liberté
dans leurs biotopes, soit reconstitués, soit laissés dans ce
que les ingénieurs et architectes avaient conservé des
forêts originelles en
construisant/détruisant/reconstruisant/remodelant l’imposa
nt Palais au fur et à mesure des siècles.

— C’est vraiment curieux, était en train de grogner


Selenba, agacée, pendant que Tara parlait avec Cal, non
seulement je ne sens rien et je ne ressens rien...

Soudain, le hoquet de surprise de Tara la fît se


retourner, la jeune fille fixait son hor d’un air étonné puis la
tourna pour la leur montrer. L’image que Cal lui envoyait
avec un léger temps de décalage exposait une grande
flaque de sang recouverte en partie par une montagne de
poils.
Sang qui venait de disparaître.

Selenba fronça les sourcils.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce brolk, grogna-t-elle,


agacée. Des oiseaux, des stupides disparitions,
franchement ? Vous n'avez rien de plus passionnant à me
mettre sous les crocs ?

— Désolé, Selenba, fit l’image de Cal, projetée en


trois dimensions et qui lui faisait face, la prochaine fois,
promis, on va essayer de vous trouver une autre comète qui
voudra dévorer le monde, si c’est l’excitation qui vous
manque.

— Ah non ! s’exclama Sanhexia. Moi, je trouve que


c’est très bien comme ça. J’ai le temps d’aller sur Terre voir
les collections haute couture et presque personne n’essaye
de m’assassiner maintenant que Gabriel et mon père sont
morts et que la faction belliqueuse est sous contrôle... enfin
à peu près.

Elle agita la main et une petite boule de magie se


forma.

— Et puis, ajouta-t-elle, c’est vraiment génial, cette


magie ! Tellement plus fashion ! Bien mieux qu’en
emprisonnant les âmes des gens !

Tara soupira.

C’était à peu près la seule chose qu’elle pouvait faire.


Elle passa une main apaisante sur son ventre agité par
la houle des deux garnements qui avaient l’air de faire la
fête là-dedans.
— Hou, les petits démons, calmez-vous, maman est
occupée, là.

Peut-être sensibles à la tonalité de sa voix, les enfants


s’apaisèrent. Tara laissa échapper un second soupir, de
soulagement cette fois-ci.

Selenba eut un petit rictus ironique, dévoilant ses crocs


de vampyr.

— Deux à la fois, c’est vraiment ridicule, finit-elle par


laisser tomber. Tellement peu civilisé !

— Certes, répondit Tara qui n’avait pas envie de


faire remarquer qu'elle n’avait rien demandé, elle. Alors,
Selenba, qu’est-ce que tu penses de tout cela ?

— Je pense que celui qui a enlevé les bestioles a bien


fait son travail.

Ils avaient cherché un peu partout, y compris avec la


magie, mais aucun paon n’avait montré le bout de son bec.
Ils étaient bel et bien partis. Les animaux avaient été
répartis dans plusieurs volières/parcs et tous étaient vides.
Pourtant, bizarrement, les sensitives qui poussaient autour
n'avaient pas viré au noir. Ce qu’elles faisaient lorsqu’un
acte violent entraînant la mort était commis dans leur
voisinage.

Xandiar avait fourni les dizaines de miniscoops à Tara


afin qu’elles repèrent tout ce qui était anormal dans la
forêt. Les seules choses qu’elles avaient trouvées étaient
plusieurs morceaux de plastique bleu souple non identifiés
et des marques de curieuses entailles sur deux arbres.

Le tout était parti dans les laboratoires pour analyse.


Selenba renifla.

— Et comme je le disais à Robin, il n’y a aucune


odeur particulière ou anormale.

Lara secoua la tête. Et s’assit sur un tronc d’arbre


après avoir vérifié qu’aucun truc n’était caché en
embuscade, prêt à dévorer le promeneur imprudent.

Il y avait des krakdents dans la forêt, les redoutables


peluches roses y étaient même plus nombreuses que
dans leurs habitats naturels, et parfois la jeune fille se
disait que l’Impératrice poussait un peu loin sa volonté de
reconstitution parfaite de l’environnement meurtrier
d’AutreMonde. Surtout lorsque Tara entendait le
rugissement rauque des draco-tyrannosaures.

Contrairement aux enfants, les adultes n’étaient pas


obligés de circuler dans des bulles de protection, comme ce
que Tara faisait lorsqu’elle était plus jeune. Comme le
Palais était morcelé par les innombrables parcs, les
sortceliers ingénieurs avaient inventé des bulles de
protection que même les nonsos (à part les NM bien sûr,
qui annihilaient la magie) pouvaient utiliser. Tara se
demanda si elle n’aurait pas mieux fait d’en prendre une
quand même, elle n’aimait pas cette sensation d’être
incapable de se défendre.

— Ne te fatigue pas, dit Cal, voyant qu’elle s’asseyait


avec précaution. Tu es sûre que c’est une bonne idée de
mener cette enquête ?

Pendant que Tara répondait à son petit ami/fiancé,


Robin et Selenba se remirent à fureter dans les fourrés.
Robin regarda en l’air, mais Sanhexia incanta et changea
de vêtement pour la cinquième fois de la journée, adoptant
une microcombinaison short bleu roi rebrodée de blanc qui
moula sa silhouette Impeccable, découvrant ses longues
jambes, pendant que des Sergio Rossi à talons compensés
délicatement ouvragées apparaissaient à ses pieds.

Attiré par le spectacle de la jeune démone à moitié nue


entre deux transformations, Robin secoua la tête, amusé
par l’exhibitionnisme sans complexe de Sanhexia.

Le magnifique demi-elfe s’était changé lui aussi. Il avait


troqué ses imposants vêtements de cérémonie contre un
bermuda de peau souple couleur crème, avait chaussé de
fines chaussures de cuir bleu et passé une chemise de
camélin assortie.

Tara aurait préféré mourir que de le lui dire, mais il lui


faisait un peu penser à Heidi habillé comme ça.

Enfin la vampyr, elle, avait troqué sa robe contre sa


tenue de guerrière, cuir rouge et blanc, climatisée, qui
moulait son petit ventre rond. Et elle se fichait de ce que
faisait Sanhexia comme de sa première carotide, ce qui fit
qu’elle repéra au-dessus d’eux ce qui avait attiré l’attention
de Robin.

Selenba renifla une nouvelle fois, fronça les sourcils,


enfin les fronça encore plus, pencha la tête sur le côté, fit
un bond prodigieux...

Et disparut.
Tara mit quelques secondes à réaliser. Elle se leva d’un
bond[23].

— Selenba, cria-t-elle, affolée, Selenba !

Sanhexia recula prudemment, les yeux fixés sur le ciel.

Il y eut un instant de panique, puis une voix carrément


ennuyée sortit du vide au-dessus de leur tête.

— Hum... Je déteste dire ça, mais je suis coincée. Je


vais avoir besoin de l’aide de quelqu’un.

— Selenba ! Tu n’es pas blessée ? cria Tara en


direction de la voix.

— Uniquement dans mon amour-propre, répondit


froidement la Selenba invisible. Quelqu’un ? Rapidement ?
Je vais bientôt être submergée, là.

Comme Selenba quelques secondes plus tôt, Robin


plissa ses yeux de cristal et sauta en l’air. Sauf qu’il
s’agrippa à quelque chose d'invisible au lieu de foncer
dedans comme Selenba. Il introduisit prudemment son bras
dans le vide. Tara le vit faire une grimace, puis quelque
chose fut expulsé du vide, comme un bébé sortant de sa
matrice.
Et accompagné d’un fluide vert, visqueux et
nauséabond.

C’était Selenba.

Et en dehors du fait qu’elle était couverte de l’espèce


de morve verte, elle avait surtout l’air furibonde. Elle avait
atterri sur ses pieds, agile comme un chat, et se redressait
lentement, comme si elle avait peur que la sorte de morve
verte sur elle n’explose si elle bougeait trop vite.

Maintenant que Selenba était hors de danger, Tara


devait se retenir de rire devant l’air absolument outragé de
la vampyr.

— Brolk de slurk ! cracha Selenba. Je suis tombée dans


un bourbier. Heureusement que je me suis retenue à
l’ouverture, sinon j’aurais été engloutie.

Elle incanta et une averse d’eau et de savon la nettoya,


mais comme il faisait très chaud, elle n’incanta pas de
sechus. Même alors que quelques traces de fluide vert
luisaient encore çà et là dans les creux et les plis de ses
vêtements. Robin fit de même et nettoya son bras.

Tara s’éclaircit la gorge en tentant de ne pas laisser les


pétillements de rire transparaître dans sa voix.

— Qu’est-ce que... hrrrmm... qu’est-ce qui s’est passé?

La vampyr lui jeta un regard meurtrier en serrant les


dents sans répondre. Elle avait parfaitement entendu les
bulles de rire sous le ton très sérieux.

— Ton bébé, ça va? demanda Tara, qui voyant le


cuir humide coller au petit ventre rond de la vampyr réalisa
que c’était peut-être très drôle, mais que la vampyr était
tout de même enceinte.

— Mon bébé n’a rien. Et celui qui s’est attaqué aux


oiseaux a un sens de l’humour pour le moins détestable,
cracha Selenba, qui ne décolérait pas, justement parce
qu’elle avait eu peur pour son enfant. Ce piège est invisible
pour ceux qui ne sont pas attentifs. Si je n’avais pas levé
les yeux et senti une très légère odeur de moisi en l’air, qui
n’avait absolument aucune raison de se trouver là, jamais
je ne l’aurais découvert.

— Apparemment, celui ou celle qui a préparé cet


appât voulait qu’on le trouve, même s’il était
astucieusement caché, fit pensivement Tara, en regardant
en l’air. Il y avait quelque chose à l’intérieur ?

— Tu veux dire à part de la bave verte et nauséabonde


? répondit Selenba. Je ne sais pas. J’étais trop occupée à
m’agripper au rebord pour ne pas couler.

— Ta magie ne fonctionnait pas ? demanda


Sanhexia, étonnée que Selenba ait demandé de l’aide.

— Non. Pas du tout. J’ai essayé de l’activer, sans


résultat. Cela dit, celui qui a manigancé cela ne voulait pas
me tuer. Le piège ne s’est pas refermé et il y avait un
rebord pour que je puisse me retenir. C’était juste très
déplaisant, mais c’est tout.

— Hmmm, fit Tara, il met l’Empire (elle mima des


guillemets) « en danger » en enlevant les fameux paons,
mais fait des blagues de potache. Vous pensez qu’il faut
qu’on traque tous ceux qui possèdent un sens de l’humour
douteux dans le Palais ?
— Alors ça, ça va être compliqué, fit Cal à l’autre bout
de la communication, qui avait baissé le son afin que les
centaures n’entendent pas, mais n’avait pas raccroché et
s’efforçait lui aussi d'effacer le sourire narquois qui jouait
sur ses lèvres. Tu vas devoir poursuivre la moitié des
courtisans !

Tara sourit à l’image du jeune homme.

— Tu as raison, c’est une tâche impossible. Tu as


une idée ? J’ai l’impression que les deux affaires ne sont
pas liées, même si les bestioles ont aussi disparu.

— J’en ai trouvé un !

Robin, qui s’était un peu éloigné pour traquer les


indices maintenant que Selenba était hors de danger,
revenait en courant, un pauvre paon affolé balloté sous son
bras, sa longue queue traînant par terre derrière eux.
Robin le déposa devant Tara. La bestiole voulut s’envoler,
mais Robin s’agenouilla et la rabattit sèchement au sol.
Terrorisé, le paon ne bougea plus.

Sanhexia s’approcha, ravie.

— Rhhhoooo, des plumes rouges et dorées, mais


c’est ravissant ! Tu crois que je peux lui en piquer une ou
deux pour décorer mon nouveau chapeau ?

— Je crois qu’il est assez traumatisé pour ne pas se


faire plumer le croupion en plus, intervint Tara qui voyait la
main de Sanhexia se rapprocher dangereusement. Laisse
tranquille ce pauvre animal !

Sanhexia recula, l'air boudeur.


— Tu es nettement moins rigolote depuis que tu
es enceinte, tu sais ça ?

Le paon émit un son étranglé. Dans le parc, les animaux


vivaient comme dans leur biotope naturel, mais,
contrairement à leur jungle natale, si quelques-uns se
faisaient dévorer de temps en temps, les prédateurs étaient
suffisamment bien nourris pour dédaigner la nourriture sur
pattes. Aussi, le paon n’avait pas l’habitude qu’on lui
courre après et qu’on le brutalise de cette façon. De plus,
les animaux d’AutreMonde étaient un peu plus malins que
sur les autres planètes, à cause de la magie, et il avait très
bien vu le regard avide de la géante sur ses plumes.

— Dans tous les cas, bravo, Robin, s’exclama Cal, tes


talents de chasseur restent au top !

— Euh, en fait, j’ai marché sur sa queue, rectifia


Robin, comme toujours insupportablement honnête. Il était
dissimulé sous un fourré, mais un bout dépassait. Je ne suis
pas sûr que cet énorme plumage soit vraiment un
instrument de survie très efficace. Ils ont du mal à voler et
sont faciles à attraper. Je suis même surpris, avec
l’agressivité des prédateurs d’AutreMonde, que leur race
n’ait pas disparu... avec ou sans l’aide de la magie de
Demiderus. Cela dit, si je suis allé dans ce fourré, c’est
aussi parce que j’ai vu qu’il y avait un endroit, pas loin
d’ici, où se trouvait beaucoup de mismillet par terre, ce que
j’ai trouvé bizarre. J’ai analysé l’une des graines pour être
sûr et recherché sur le magicnet. C’est le repas préféré des
paons, mais il a l'inconvénient de les faire grossir très vite
lorsqu’ils sont en captivité, alors le vétérinaire ne leur en
donne pas. Je pense que c’est comme ça que
les kidnappeurs ont réussi à réunir les paons. En les
nourrissant avec ces graines pour les regrouper.
— En attendant, un seul oiseau, ce n’est pas suffisant,
soupira Tara qui était bien d’accord avec Robin. À moins de
le cloner, bien sûr. C’est un mâle ou une femelle ?

Contrairement à la Terre, sur AutreMonde, les paons


pourpres mâles comme femelles possédaient les
mêmes plumes majestueuses.

Robin souleva le volatile qui émit un caquètement


indigné et regarda en dessous.

— Un mâle, fit sobrement Robin.

— Oui, alors là, ça va être difficile pour lui faire


pondre des œufs, remarqua l’image de Cal, sarcastique. À
moins de le transformer en fille.

La bestiole eut l’air d’écarquiller les yeux, encore plus


paniquée.

— Bon, Tara, je dois continuer mon enquête, fit le


jeune homme, amusé. Je t’appelle quand je suis prêt à
rentrer au Palais. Je t’aime.

— Je t’aime. À tout à l’heure.

Elle se tourna vers Robin qui avait une expression


étrange. Puis le jeune demi-elfe lui sourit et elle chassa
cette impression.

— Le paon s’était caché. Je pense qu’il a dû assister


à l’enlèvement des autres, parce qu’il avait l'air plutôt
angoissé quand je lui ai sauté dessus.

Tara s’abstint de faire remarquer que n’importe qui


aurait eu l’air angoissé en voyant un bipède dix fois plus
grand que lui lui sauter sur le poil... enfin sur la plume. Elle
était même surprise que le paon n’ait pas fait une crise
cardiaque au passage.

— Tu as lancé ta magie pour le trouver tout à l’heure,


dit-elle à Robin, et pourtant, cela n’a pas fonctionné ?

— Avec tous les sorts anti-magie qu’il y a ici, persifla


Sanhexia, ce n’est pas vraiment étonnant. Franchement, je
suis même surprise que Robin ait pu lancer un traqus aussi
facilement. Tu devrais dire à l’Impératrice que c’est
agaçant.

— Et elle me répondra que les assassins potentiels,


eux, en profiteraient. Je ne crois pas qu’elle va les retirer
de sitôt.

Soudain ses deux bébés s’agitèrent en même temps. Ce


n’était pas comme d’habitude. Tara ressentit un
malaise, quelque chose de diffus, comme si on les menaçait
et qu’ils réagissaient à cette menace.

Elle s’éloigna un peu du piège dans lequel était tombé


Selenba, mais la sensation ne disparut pas, au contraire.

Cela venait de l’extérieur du parc. Comme si quelqu’un


les regardait. Et ce regard n’avait rien de bienveillant. Tara
laissa passer un instant, mais comme rien ne se produisit,
finit par chasser la déplaisante impression.

Fichues hormones de femme enceinte, elle était en


train de devenir aussi parano que sa tante !

Elle se secoua et demanda à Robin d’incanter un


rememorus. Le sort allait leur permettre de remonter le
temps de quelques heures afin d’essayer de voir ce que les
plantes avaient vu.
Sauf que les plantes devaient être en train de piquer un
petit roupillon, parce qu’aucune image ne jaillit, comme
elles le faisaient d’habitude lorsqu’on jetait ce sort.

— Slurk ! jura Tara. Ça ne donne rien. Le kidnappeur a


dû protéger la zone pour qu’on ne puisse pas le coincer. Tu
as raison, Selenba, c’est un petit malin.

— Les détecteurs disent qu’aucune magie n’a été


employée, rectifia Selenba en montrant les plantes. Je
pense plutôt qu’ils ont opéré de nuit. Elles dorment à ce
moment, raison pour laquelle elles n’ont rien dû
enregistrer. Pas besoin de magie, juste d’un bon timing.

— Par les tentacules de mes ancêtres ! s’exclama


Sanhexia, horrifiée en regardant Selenba.

— Quoi ? cria Tara.

— Tes ongles, Selenba, non, mais tu as vu dans quel


état la bave les a mis ! Quelle horreur ! Tiens !

Et la ravissante démone sortit un assortiment entier de


limes, vernis instantanés et autres machins pour les
ongles de l’une de ses poches.

— Bon sang, gronda Tara, la main sur le cœur, tu m’as


fait peur ! Ça va pas, de hurler comme ça !

Sanhexia fit la moue, pas du tout désolée ; pour elle,


c’était une catastrophe majeure. Selenba prit la trousse, se
contenta de limer un ongle qui avait souffert de son
immersion dans la bave corrosive du bourbier, rendit la
trousse à Sanhexia avec un sourire crispé, puis transforma
ses ongles en griffes longues comme dix petites dagues.
— Un petit plaisantin, indéniablement. Et croyez-moi,
Damoiselles, je vais lui apprendre à s’amuser avec une
vampyr, moi !

Tara frissonna légèrement. Qui ou quoi qu’il soit, la


personne qui avait manigancé tout cela venait de mettre
Selenba très, très en colère. Elle n’aurait pas voulu être à
sa place pour tour l’or du monde.

Sanhexia regarda les griffes de Selenba avec


admiration. Elle sortit un joli flacon de vernis[24] rose de la
trousse qu’elle n’avait pas rangée et le tendit à Selenba.

— Vous en voulez ? C’est du magicvernis, j’en fais la


commercialisation. Il est fabriqué à partir de saphirs roses
pilés. Il est assorti à vos yeux.

La vampyr regarda la démone avec suspicion, puis, à la


grande surprise de Tara, sourit et prit le flacon.

— Oui, merci, ce n’est pas facile de trouver la


bonne teinte et, avec les transformations, les vernis non
magiques ne tiennent pas bien.

La jeune démone se tourna vers Tara et produisit un


nouveau vernis, violet foncé celui-là.

— Et toi, Tara, tu en veux aussi ? Il s’allonge au fur et


à mesure que tes ongles poussent et il peut durer jusqu’à
deux mois.

Tara sourit à son tour.

— Et si je le prends, je suppose que tu vas mentionner «


fournisseur de la famille impériale » sur la prochaine
publicité ?
La jeune démone ne se formalisa pas d’avoir été
démasquée.

— Il faut bien que je fasse fonctionner mon petit


commerce, tu sais, nous sommes des milliers d’enfants du
roi des démons, enfin de l’ex-roi des démons, ça ne veut
pas forcément dire que nous avons une rente avec le titre.
Et depuis que ta grand-mère Isabella m’oblige à payer mes
vêtements aux créateurs terriens, tout ça me coûte une
fortune ! Alors ce n’est que justice, non ?

Tara éclata de rire.

Le dernier paon fut soigneusement enfermé dans une


cage et placé dans le bureau de l’Impératrice.

Enfin jusqu’à ce que ses cris mélancoliques rendent


Lisbeth à moitié dingue et qu’elle le fasse relâcher dans les
jardins juste en dessous de ses fenêtres.

Insonorisées, les fenêtres.

Par précaution, un garde lui fut attribué H26. L’Empire


ne pouvait pas se permettre de perdre son dernier
emblème.
Tara plaignit le pauvre thug à quatre bras qui s’y était
collé. Il allait probablement subir les moqueries de ses amis
: devenir le garde du corps d’un paon, il y avait plus
glorieux comme emploi !

Robin fila à son énième dîner, maintenant qu'il n’y avait


plus grand-chose à faire en l’absence d’autres indices, et
Tara rentra dans sa maison avec Selenba et son imposante
escorte, histoire de se reposer un peu, pendant que
Sanhexia partait rejoindre Demiderus.

Ou quelqu’un d’autre, pour ce que Tara en savait.

Vers dix heures du soir, Cal rentra des plaines du


Mentalir, fourbu de son enquête.

Enfin surtout parce que les centaures avaient tenu à


célébrer leur nouvel ami.

— Tsssais, Tara, t’es chuper bouelle ! fit-il en


surgissant dans le salon où Tara discutait avec Selenba, les
restes de leur dîner sur la table basse.

Surprise, Tara leva les yeux vers son cher et tendre qui
vacillait comme un bateau sur une mer démontée.

À contre-courant visiblement...

Elle ne se leva pas d’un bond parce qu’elle ne pouvait


pas, mais l’idée était là.

— Cal ? Qu’est-ce que tu as ? Tu vas bien ?

Il fit une pirouette qui dans son esprit devait être


gracieuse, mais dans la réalité ressemblait au saut d’un
mouton estropié, et sourit largement.
— Je vais chuper bien !

Les yeux bleus de Tara se chargèrent de soupçon.

— Cal ? Est-ce que tu as bu ?

— Léché.

Il se pencha sur la table et attrapa un beignet


croustillant qu’il croqua avec enthousiasme.

— Pardon?

— J’ai pas bu. J’ai léché. Un chuper truc, le léchage.


Ch’est un crapaud, là, tu lèches son dos et boum !

Selenba soupira et se leva. Elle s’approcha de Cal et,


avec une aisance stupéfiante, le fit basculer sur son épaule.
Cal ne sembla pas remarquer le changement de parallaxe
et continua à manger son beignet.

— Bon, fit tranquillement la vampyr à Tara. Je te le mets


où ?

Tara étouffa un petit rire, partagée entre le


soulagement et l’agacement.

— Dans notre chambre, à l’étage. Troisième porte à


gauche. Merci, Selenba, sinon il était bon pour cuver...
j’allais dire son alcool, mais là c’est plutôt son dos de
crapaud, sur ces sofas.

— Wow ! fit Cal, la tête en bas. Çaaaaaa touuuuurnnnne


!

— Je te préviens, si tu vomis sur mon dos, je t’égorge,


fit très sérieusement Selenba.
Un ronflement sonore lui répondit. En dépit de sa
position inconfortable, Cal s’était endormi. Le dernier quart
du beignet tomba par terre où Blondin, son renard, lui fît
un sort. Après avoir regardé son maître d’un air apitoyé.

Tara et la vampyr le couchèrent dans le grand lit, après


l’avoir déshabillé. Enfin Selenba se chargea de tout, parce
que Tara ne pouvait pas faire grand-chose.

Reconnaissante, Tara soupira lorsque la vampyr les


laissa, sur un rictus ironique.

Cal ronfla de plus belle, lui qui normalement était d’une


discrétion de Voleur, habitué qu’il était à ne jamais
produire de bruit involontaire et Tara retint un petit rire. Si
les cuites de crapauds étaient similaires aux cuites
normales, il allait probablement beaucoup regretter de se
réveiller le lendemain matin.

Tara avait tort.

Cal ne se réveilla que deux jours plus tard.

Parce que quelqu’un était en train de lui lécher le


visage.

Il ouvrit un œil prudent. Il ne se souvenait pas très bien


de ce qui s’était passé. Les jumeaux centaures lui avaient
proposé de tester un crapaud et comme il était curieux, il
avait obéi. Ensuite... les choses s’étaient révélées très
floues.

Il se souvenait vaguement d’avoir chanté. Il frissonna. Il


chantait plutôt bien, mais bizarrement, dans sa mémoire,
il avait la sensation d’avoir produit des sons péniblement
discordants.
Devant lui, Blondin le regardait d’un air
désapprobateur.

Ah, Cal comprenait d’où venait la sensation qu’on le


débarbouillait.

Son renard familier sauta sur son estomac, ce qui fit se


plier Cal en deux, lui lécha le nez une dernière fois, puis se
plaça devant la porte d’un air de dire : « Bon, tu sors de ce
lit ou tu as l’intention de t’y momifier ? »

Cal essuya la bave de son visage, regarda son hor et


sursauta en voyant la date. Non ! Il dormait depuis plus de
cinquante heures ?

Stupéfait, Cal se leva, fonça aux toilettes, prit une


douche rapide et descendit après s’être habillé d’un short
et d’un polo, suivi par Blondin trop heureux de se dégourdir
enfin les pattes.

Des rires les attirèrent vers la salle de projection.


Sachant que Cal adorait les films terriens, Tara avait fait
aménager une salle de cinéma pour lui, avec machine à
pop-corn et distributeur de bonbons intégré.

Tara était bien là, avec Selenba, Fafnir, Sylver, Fabrice,


Moineau, Robin, accompagnés de leurs familiers.

Et tout le monde avait l'air mort de rire, au point qu’ils


ne l’entendirent même pas entrer dans la salle de
projection aux profonds et moelleux fauteuils clairs.

Cal comprit très vite pourquoi, lorsqu’il se vit en gros


plan vaciller entre les centaures qui dansaient, un crapaud
à l’air paniqué dans la main.
Et oui, indéniablement, il avait chanté. Enfin, si on
pouvait appeler ça chanter.

— Ah, ah, ah, très drôle, grogna-t-il en se penchant


sur Tara pour lui voler un baiser. Qui est le petit malin qui
a filmé la scène ?

Fafnir leva une main absolument pas coupable.

— C’est moi, répondit la naine guerrière d’un ton


joyeux. Il fallait que je partage ce moment unique avec nos
amis, impossible de résister. Il était bon, ton crapaud ?

Cal plissa les yeux, soupçonneux.

— Vous en avez léché aussi, je vous ai vus. Et pourquoi


ça ne vous a pas affectés ?

Fafnir haussa les épaules, recouvertes de ses tresses


rousses ornées de rubans jaunes.

— Je suis une naine et Sylver un demi-dragon. Nos


organismes sont peut-être plus résistants que le tien. Et
pour être franche, même si je connaissais les coutumes des
centaures, je n’avais jamais léché de crapaud, alors j'y suis
allé doucement.

Cal s’assit à côté de Tara, ravissante dans une petite


robe à fleurs bleu clair, tendue sur son ventre rond.
Bizarrement, il pensait qu’il allait avoir la tête comme une
cloche et la langue en fond de cage à bobelles, mais il se
sentait plutôt bien. Bon, c’était aussi peut-être dû au fait
qu’il venait de dormir pendant deux jours.

— Qu’est-ce que j’ai raté ?


— Rien de spécial, sourit Tara, malicieuse. À part que
je t’ai quand même fait examiner par un chaman, lorsqu’on
a vu que tu ne te réveillais pas.

Cal roula des yeux et demanda :

— On a eu des nouvelles des centaures ?

— Pas de nouvelle disparition et le paon va bien. Les


centaures sont contents, ils pensent que, quand les
kidnappeurs ont vu que l’Empire d’Omois avait envoyé des
enquêteurs de ton calibre, cela les a effrayés.

— Ce n’est peut-être pas quand ils t’on vu, sourit


Fabrice, rusé, c’est plutôt quand ils t’ont entendu !

— Fabrice, protesta la ravissante Moineau, ses yeux


noisette plissés par le rire, tout en caressant sa panthère
argentée, Sheeba, n’aggrave pas le cas de ce pauvre Cal.
Apparemment, son petit tour de chant a beaucoup plu aux
femelles centaures !

Effectivement, sur le film, les femelles s’étaient


attroupées autour de Cal et chantaient avec lui en frappant
des mains et des sabots, l’encourageant.

Ce dont clairement il n’avait pas besoin pour se


ridiculiser.

— Au moins, je saurai que les femmes chevaux ont


l’oreille plus musicale que mes propres amis. En attendant,
nous ne savons pas ce qui est arrivé aux autres centaures,
soupira Cal en se frottant le visage, essayant de se réveiller
un peu mieux. J’aurais préféré un peu plus d’indices.

— Et un peu moins de crapauds, fit le pourtant très


raisonnable Sylver.
Cal gémit.

— Ah non, pas toi aussi ! Traître !

Ses amis éclatèrent de rire.

— Vue la quantité de poils et de sang, ils sont morts,


laissa soudain tomber Selenba, tranchante. Alors savoir
comment ça leur est arrivé n’est pas très important.

La vampyr se leva d’un bond. Elle portait une robe


rouge qui s’évasait en corolle et avec ses yeux roses et ses
cheveux blancs était étonnamment féminine pour une fois.

— Et si on retournait enquêter ? Faire quelque chose


? Egorger quelqu’un ?

D’accord. Pas si féminine finalement. Et Cal


soupçonnait que la dernière proposition n’était pas
forcément une plaisanterie.

— Tu t’ennuies, Selenba ? demanda Tara.

— Je suis impatiente d’avoir mon enfant, frustrée de ne


pas pouvoir tuer Magister et me débarrasser de la menace
qu’il fait peser sur nous et surtout, j’aimerais bien que tu
retrouves ta magie, parce qu’il ne se passe rien sur ce
monde depuis que la planète t’en a privée !

L’écran de projection se transforma et le visage de


l’Impératrice apparut à la place du crapaud.

Elle avait l’air ennuyée et bizarrement fébrile.

— Tara ! Dans mon bureau ! Tout de suite !

Et elle coupa la communication.


Tara se leva avec précaution, surprise par le ton de sa
tante. Et encore plus que celle-ci ne lui ait même pas laissé
le temps de lui répondre.

— Selenba, j’aurais dû t’ordonner de te taire. Tu vas


nous porter la poisse !

Elle se tourna vers son compagnon.

— Cal ? Tu te sens assez bien pour m’accompagner ?

— Bien sûr ! Allons-y.

Le Voleur incanta, et son short et son polo se


transformèrent en sa tenue noire habituelle de Voleur
Patenté. Seule concession à Omois, il avait fait ajouter un
petit paon aux cent yeux d’or sur sa poche poitrine, mais
pouvait le faire disparaître à volonté.

Quoi qu’il arrive, il était et restait citoyen du Lancovit.

Ils laissèrent leurs amis, qui, voyant que Tara


s’inquiétait, leur firent promettre de les appeler très vite.
Selenba suivit Tara, curieuse.

Tara n’était pas sûre que l’Impératrice accepterait que


la vampyr assiste à leur entrevue, mais cette dernière avait
l’air de tellement s’ennuyer que Tara la laissa venir.

Cette fois-ci, Cal appela un tapis volant tout de suite,


plutôt que de marcher. Le ton de l’Impératrice avait été
suffisamment impatient pour qu’ils se dépêchent. Si
Blondin sauta sur le tapis, Galant, un peu trop privé
d’exercice depuis que Tara était enceinte, préféra voler.
Comme Cal ne l’avait pas miniaturisé, la vision de
l’imposant pégase argenté volant au-dessus des courtisans
fit murmurer la foule. Et plus encore lorsqu’ils virent la
vitesse avec laquelle le tapis se déplaçait, faisant la course
avec le pégase.

Plusieurs dragons étaient arrivés la veille du


Dranvouglispenchir, la planète dragon, dont notamment
Chemnashaovirodaintrachivu, le grand dragon bleu, mari
de la reine des dragons, qui les salua au passage. L’instant
d’après, l’hor de Tara affichait un message avec l’image de
Maître Chem.

— Nous devons parler, Tara, disait le dragon, je viendrai


te rendre visite ce soir à 22 heures. Confirme-moi, s’il te
plaît.

Inquiète, Tara envoya une confirmation. Les choses


avaient été incroyablement paisibles depuis deux ans et,
tout d’un coup, elle avait l’impression que tout le monde se
réveillait et que les ennuis s’annonçaient. À un mois à peine
de son accouchement, ça ne l’arrangeait pas beaucoup.

Enfin, ils arrivèrent devant le boudoir d’ambre, l’un des


bureaux préférés de Lisbeth, car la douce teinte dorée
des murs lui donnait un teint de pêche.

La porte fut ouverte par les gardes sur le qui-vive, et ils


se figèrent, stupéfaits. Car ils connaissaient et
redoutaient l’homme qui leur faisait face, un sourire froid
sur les lèvres.

Magister.
Chapitre 7
Magister
Ou comment se jeter dans la gueule du loup
en toute connaissance de cause et,
soyons francs, une certaine inconscience.

Enfin, peut-être Magister et assurément Daril Kratus,


puisque faute d’avoir réussi à démasquer le comte des
Marches du Nord, ils ne pouvaient que se douter de son
identité, pas la prouver.

L’homme était impressionnant. Une carrure d’athlète,


des cheveux blonds, des mains calleuses de guerrier, des
yeux bleu acier froids et attentifs.

Qui se dirigèrent vers Selenba avec une évidente


fascination, détaillant sa robe rouge si délicate et ses
ravissants yeux roses.

Celle-ci se raidit et une curieuse expression de défiance


vint jouer sur son visage.

Sandor se tenait de l’autre côté de Lisbeth. Tara se fit la


réflexion, car c’était la première fois qu’ils se tenaient
l’un près de l’autre, que les deux hommes, Sandor et Daril,
se ressemblaient au point de pouvoir passer pour deux
frères. C’était assez troublant. Et devait perturber Selenba,
car le regard de la vampyr passa de Sandor à Daril en un
va-et-vient attentif. Puis son visage se figea et elle ignora
les deux hommes pour se concentrer sur l’Impératrice.
Lisbeth était vêtue d’une jolie robe blanche courte au-
dessus du genou, qui la faisait paraître bien plus virginale
que d’habitude. Bien qu’ayant plus de cinquante ans la
magie préservait sa jeunesse et elle en paraissait à peine
vingt-cinq.

Elle était assise derrière son bureau marqueté de fleurs


et de fruits d’AutreMonde. Sa camériste avait assemblé ses
épais cheveux blonds tranchés d’une mèche blanche en une
lourde tresse qui tombait jusqu’à ses genoux. Une simple
couronne d’or blanc parsemée d’une lisière de diamants
blancs avec un kévilia rose au centre était posée sur son
front lisse.

C’était curieusement simple, alors que l’Impératrice,


très consciente de son image, avait plutôt tendance,
d’habitude, à donner dans l’impressionnant, voire dans le
clinquant.

Et Tara se fit la réflexion que Various Duncan, le mari


mercenaire de Lisbeth, n’était pas là. Alors que Daril
Kratus était l’ancien amour de Lisbeth et son ancien
Imperator. Et qu’il se tenait bizarrement près de
l’Impératrice.

Que se passait-il ?

— Tara, fit Lisbeth après qu’ils eurent prudemment


salué et Daril Kratus et Sandor, le comte des Marches du
Nord et ancien Imperator a une requête qu’il désire
adresser à mon Héritière.

Cal se raidit. Qu’est-ce que ce type voulait à Tara ?

— Votre Altesse Impériale, sourit Daril, détachant à


regret son regard de Selenba pour s’adresser à Tara, j’ai
effectivement une requête à vous présenter. J’ai été
injustement accusé d’être Magister, l’ennemi public
numéro 1 sur cette planète. D’avoir tenté de prendre le
pouvoir, de conquérir ce pays et d'avoir empoisonné notre
Impératrice, ma femme que j’aimais de tout mon cœur, ce
qui est à la fois injuste et préjudiciable, même si cet amour
a disparu depuis longtemps, du fait de mon amnésie.

Sandor grogna. Daril jeta un regard vers l’Impératrice


qui ne broncha pas. Elle aussi avait vraiment aimé cet
homme. Mais s’il était Magister, jamais elle ne pourrait lui
pardonner d’avoir organisé sa disparition et surtout de
l’avoir empêchée d’avoir des enfants.

Le tout était de la convaincre qu’il n’avait rien à voir


avec Magister. Il eut un petit sourire triste et reprit :

— Depuis que je suis revenu, les gens nous ont


fermé leur porte et leurs entreprises à mon frère Métus et
à moi. Les Marches du Nord sont en train de souffrir et
cela, aussi, est injuste. Je vous demande donc, Votre Altesse
Impériale, même si je sais que vous devez accoucher dans
peu de temps, d’avoir la patience et l’abnégation de vous
rendre au grand bal que je compte donner en votre
honneur, dans une semaine, dans notre Château.

Et il tendit une enveloppe blanche sur laquelle le nom


de Tara s’étalait en lettres dorées.

— Pardon ? fit Tara, stupéfaite.

— Non ! s’écria Cal, furieux.

L'Impératrice jeta un regard glacial à Cal qui refusa de


céder. Il se dressa face à celle qui pouvait le faire
emprisonner juste en claquant des doigts[25] et s’exclama :
— Vous empêchez Tara de se déplacer par porte de
transfert, parce que vous avez peur pour sa santé et celle
des bébés. Les Marches du Nord sont à presque dix mille
tatrolls d’ici, à part passer par une porte de transfert, je ne
vois pas comment elle va pouvoir y aller en si peu de
temps. Vous ne voulez plus qu’elle sorte du Palais, parce
que vous avez peur qu’elle accouche prématurément. Tara
n’a plus de magie, elle peut être la cible de n’importe quel
abruti en manque de célébrité ou d’un ancien ennemi ou
d'un parent d’un ancien ennemi qui voudrait se venger. Et
maintenant vous voulez l’envoyer dans la gueule du loup ?
Dois-je vous rappeler combien de fois Magister a essayé de
tuer Tara ?

— La présomption d’innocence, vous connaissez?


fit sèchement Daril qui n’aimait pas qu’on parle de lui sans
le regarder, car l’Impératrice et Cal se fixaient dans le
blanc des yeux.

— Sortcelier Caliban Dal Salan, gronda Lisbeth qui


appréciait très modérément qu’on lui envoie ses
contradictions dans la figure, je n’ai ni besoin de vos
commentaires ni envie de les entendre. Je propose à mon
Héritière de se rendre à ce bal, car il n’est que justice de
réparer le préjudice causé aux Marches du Nord qui sont
une province semi-indépendante et aussi un puissant allié
de notre Empire. Il est cependant clair que mon Héritière
est seule juge de sa décision d’y aller ou pas.

Elle braqua le laser de ses yeux bleu marine sur sa


nièce.

— Tara, fit-elle plus doucement, qu’en penses-tu ? Te


sens-tu assez forte pour te rendre à ce bal ?
Depuis qu’elle travaillait pour sa tante et pour l’Empire,
et accessoirement pour tout AutreMonde, Tara et
Lisbeth étaient arrivées à une sorte de compromis. Lisbeth
l’informait des options qui se présentaient, lui laissait le
temps d’y réfléchir et, ensuite, elles donnaient leur réponse
en concertation.

Or c’était la seconde fois en quelques jours que


l’Impératrice déstabilisait Tara. La première en envoyant
Cal enquêter sur les disparitions de centaures et la seconde
en lui proposant cette absurde invitation qui ne voulait rien
dire.

Elle scruta le visage impassible de sa tante, essayant de


voir vers quelle option l’implacable jeune femme penchait.

Hum, pas facile lorsque sa tante affichait sa tête de


joueuse de poker...

— Cal, fit doucement Tara, je ne risque pas grand-


chose (elle s’adressa à Lisbeth), je fais confiance à l’Empire
et à ma tante, qui va s’occuper de ma sécurité.

Lisbeth désigna Sandor qui avait l’air d’avoir avalé un


crapaud[26].

— Notre actuel Imperator est tout désigné pour


prendre soin de toi, Tara.

À voir sa tête, Sandor avait envie d’être dans des tas


d’endroits, mais certainement pas ici.

— Tu vois, dit Tara à Cal, Sandor, Xandiar et la moitié


de l'armée vont nous accompagner (elle désigna la vampyr
du menton), Selenba à elle seule représente son équivalent
en puissance de destruction et tu seras aussi là pour me
protéger, le pense que je vais surtout souffrir d’un mal de
pieds récurrent et probablement trop manger. À part ça, je
ne vois aucun problème pour aller à ce bal, même si je
n’aime pas beaucoup me déplacer alors que je me sens si
lourde. Les chamans ont dit que les bébés ne sont pas en
position de descendre, nous avons donc encore pas mal de
temps devant nous. Une soirée unique et je repars. Non,
cela ne me pose pas de problème. Et pour le déplacement,
il suffit que je prenne un vaisseau spatial et j’y serai en
deux heures, le temps de monter et de redescendre. Je suis
sûre que le budget des Marches du Nord peut supporter
cette dépense supplémentaire puisqu’ils sont à l’origine de
cette généreuse invitation ? J’ai eu un message tout à
l’heure de Maître Chem qui vient d’arriver avec
son vaisseau, je suis sûre qu’il se fera un plaisir de nous le
louer pour quelques heures.

La grimace de Daril faillit la faire rire.

Lisbeth s’agita légèrement sur sa chaise, amusée par la


suggestion de Tara. C’était intelligent. La prochaine fois,
les Marches du Nord réfléchiraient avant d’inviter les
souverains d’Omois et leurs Héritiers, parce que Tara
comme Daril savaient très bien qu’affréter un vaisseau
spatial, même celui d’un ami dragon, allait juste coûter une
fortune.

Daril Kratus s’inclina, dépité.

— Notre patrie sera heureuse de prendre en charge


tous vos frais, Votre Altesse Impériale, car c’est un
immense honneur que de vous recevoir chez nous. Je vais
dès à présent commencer à organiser votre déplacement et
votre hébergement. Vous serez, bien sûr, logée au château
de mon frère.
Il avait dit « le château de mon frère ». C’était
intéressant. Cela signifiait que Daril Kratus n’avait pas
repris sa place légitime à la tête de leur province.

Pourquoi ?

— C’est donc réglé, fit l’Impératrice en se levant.


Seigneur Kratus, merci encore de votre invitation. Tara,
nous devons discuter des préparatifs. Jeune Dal Salan, je
pense que vous avez encore beaucoup de choses à voir
avec les enquêteurs, je ne vous retiens pas. Dame Selenba,
veuillez-vous retirer également. Ce que j’ai à dire à mon
Héritière ne vous concerne pas.

Lorsque l’Impératrice prenait ce ton froid, il valait


mieux ne pas discuter. Sagement, même s’il grinçait des
dents, Cal sortit de la pièce avec les autres. Suivi par
Sandor qui aurait pu rester, mais se retrouvait tout à coup
à organiser un déplacement à haut risque dans moins de
dix jours.

Selenba et Cal attendirent que Daril Kratus se soit


éloigné d’un côté du Palais, pendant que Sandor partait de
l’autre, pour marcher ensemble jusqu’à un petit jardin qui
jouxtait les bureaux de l’Impératrice. Ils s’assirent à
l’ombre pendant que les bobelles de toutes les couleurs
fusaient autour d’eux. L’arbre parasol les protégeait des
deux soleils au-dessus de leurs têtes. Il venait d’être arrosé
car ses fleurs et ses feuilles se paraient d’or, d’ambre, de
pourpre pour virer lentement au bleu étincelant ou au vert
vibrionnant.

— Que penses-tu de tout cela ? finit par demander Cal,


qui ruminait encore sa colère.

La vampyr eut un joyeux sourire tout à fait inattendu.


— Au départ, je croyais que ce type n’avait rien à voir
avec Magister. Maintenant, je n’en suis plus si sûre. Il a
certaines altitudes, une façon de bouger, qui me rappellent
quelque chose. Alors, je pense que si ce type est bien
Magister, je vais être en position de l’éliminer, ce qui est
une bonne nouvelle, lit que s’il ne l’est pas, au moins, je ne
vais pas m’ennuyer, le pense que Tara ne risque rien, parce
que s’il lui arrivait la moindre égratignure, ta tante noierait
les Marches du Nord sous un déluge de feu et que Kratus le
sait très bien. Enfin, je pense que je préfère ça à essayer de
comprendre pourquoi on a enlevé les stupides oiseaux du
Palais et me retrouver dans de la bave verte et collante.

Cal était trop énervé pour s’amuser.

— Je ne comprends pas Lisbeth, grogna-t-il en


fourrageant rageusement dans sa tignasse noire, ses yeux
gris étincelants de colère. Elle couve Tara comme une
pleuv[27] couve ses œufs, et l’instant d’après, elle la laisse
partir enceinte jusqu’aux dents à un bal à des milliers de
tatrolls du Palais ? Ça n’a aucun sens !

Cal ne le savait pas, mais alors qu’il s’épanchait sur


l’épaule... OK, à distance de l’épaule... de Selenba,
Tara posait exactement la même question à Lisbeth.
— Parce que j’ai besoin que les Marches du Nord
restent tranquilles, répondit l’Impératrice. Si j’y vais, c’est
trop fort comme marque d’attention, je ne veux pas leur
accorder plus de faveurs qu’à une autre province, même si
c’est l’une des plus importantes de l’Empire et, encore de
nos jours, l’une des plus turbulente. Et y envoyer mon
Héritière, enceinte qui plus est, est un signe que je leur
accorde ma confiance. En fait, je n’avais pas beaucoup
d’options et crois-moi, je le regrette.

— Mais, et Mara ?

— Mara n’est pas aussi importante que toi d’une


part, d’autre part, elle va être destituée de son titre
d’Héritière de l’Héritière.

— Ah bon ? Parce qu’elle passe trop de temps avec


Archange ?

— Exactement, approuva Lisbeth, Mara est suspecte


aux yeux de beaucoup d’AutreMondiens à cause de sa
liaison avec Archange, sans parler du fait qu’elle habite sur
Boulimi-Lemi, même si les jourstaux adorent gloser à son
sujet. Je vais nommer Jar Héritier de l’Héritière. Mais en
attendant, tu es la seule qui puisse aller à ce bal.

Tara était plus curieuse que furieuse.

— Mais pourquoi ne pas avoir attendu que j’accouche


? Peut-être que je vais retrouver ma magie une fois que
les enfants seront nés et je pourrai alors me défendre toute
seule au lieu de dépendre des autres, non ?

Lisbeth soupira.

— Lorsque tu auras tes enfants, Tara, tu n’auras


absolument plus une minute pour toi. L’instinct maternel
est puissant. Et tu attends des jumeaux. Même avec les
nounous et l’aide de Cal, crois-moi, il va se passer des mois
avant que tu n’envisages seulement de sortir le nez du
Palais. Daril a raison. Les finances des Marches du Nord
dépendent des accords passés avec le reste du pays, mais
d’AutreMonde aussi. Si les gens boycottent les Marches à
cause de l’accusation qui pèse sur Daril, nous avons le
devoir de les aider. Il ne peut pas se permettre d’attendre
et il est hors de question que je laisse souffrir mes sujets.

Tara hocha la tête. Sa tante était peut-être la plus


implacable des dirigeantes, mais elle avait vraiment à cœur
le bonheur et la sécurité de ses sujets. Même si, bien sûr, le
fait que ses sujets soient heureux et en paix lui permettait
de ne pas souffrir d’agitation sociale.

Enfin rien qui ne soit gérable. Grâce à la magie,


beaucoup de choses se réglaient sans avoir à engager de
lourdes dépenses d’infrastructures. Ce qui avantageait les
sortceliers aux dépens des nonsos, seul vrai point de
crispation sur AutreMonde.

— Mais d’habitude, tu me préviens, observa Tara. Là,


tu m’as mise devant le fait accompli. Je ne savais pas ce
que tu voulais.

Lisbeth eut un petit sourire crispé.

— Je te rassure, ce n’était pas un énième test. Je sais


que lu seras une parfaite dirigeante d’Omois, si je venais à
disparaître, tu en as les capacités et l’intelligence. Mais
Daril m’a prise de court et il voulait une réponse tout de
suite. C’est pour ça que je t’ai fait appeler.

Tara se retrouva bouche bée. Et d’où quelqu’un pouvait-


il forcer sa tante à faire ce dont elle n’avait pas envie ?
Et soudain, il se produisit quelque chose de tout à fait
Impossible.

Sa tante rougit !

— Par les entrailles de Bendruc le Hideux ! s’exclama


Tara, incrédule. Mais tu es encore amoureuse de lui?

Lisbeth écarquilla ses yeux bleus, lissant nerveusement


sa robe blanche.

— Mais pas du tout, se défendit-elle, pas du tout ! Je


suis mariée avec Various depuis à peine deux ans, je te
rappelle. Et je l’adore.

Tara plissa les yeux, suspicieuse. Le ton de Lisbeth


manquait singulièrement de conviction.

— Je croyais que tu haïssais Magister, non seulement


parce qu’il a essayé de te piquer ton trône, mais aussi
parce qu’il t’a empêchée d'avoir des bébés ?

— Daril Kratus n’est pas Magister ! s’exclama Lisbeth.

— Ah bon ? Jusqu’à présent, nous ne sommes pas


sûres qu’il soit Magister, mais je te rappelle que nous ne
sommes pas sûres non plus qu’il ne le soit pas !

— Ce n’est pas possible, trancha Lisbeth d’un ton


ferme. S’il avait eu un Familier lors de notre voyage au
Dranvouglispenchir, je m’en serais rendue compte. Et je te
rappelle que nous étions mariés lorsqu’il est censé avoir eu
son histoire d’amour avec Amava. Je connais Daril. Jamais il
n’aurait mis les Marches du Nord en danger en me
trompant. Et nous nous aimions sincèrement.

Lisbeth se leva avec agitation.


— Tout cela est insensé. Nous avons fait dissoudre
mon mariage avec Daril, bien qu’il ait été automatiquement
annulé lors de sa « mort », afin que je puisse me marier
avec Various, mais là (la jeune femme blonde montra son
cœur) tout au fond, j’ai l'impression que je suis encore sa
femme !

Tara était abasourdie. Si elle avait pu se lever sans


l’aide d’une grue, elle aurait bondi sur ses pieds en criant :
« Quoi ? » Là, elle se contenta de parler avec ce qui lui
restait d’air, parce que les bébés avaient l’air de bien
s’amuser à pousser sur ses poumons :

— Quoi?

Lisbeth lui jeta un regard de bête blessée.

— Je ne sais plus... j’ai dit à Various que je n’aimais


que lui, que Daril ne représentait rien pour moi, depuis si
longtemps. Mais lorsque Daril me rend visite...

— Quoi?

Lisbeth eut le bon goût d’avoir l’air penaude.

— Il... c’est un ancien Imperator, tu comprends? Il


vient me parler. De temps en temps.

Cette fois-ci, Tara s’énerva.

— Mais enfin, Lisbeth ! En dehors de l’imbroglio


politique que tu risques de créer avec les Marches du Nord
et les baronnies de Vilains, est-ce que tu as pensé à Various
? Daril vient le rendre visite ? Mais je croyais qu’il avait
disparu et que Xandiar était encore à sa recherche ! Tu le
reçois en cachette ? C’est de la folie !
C’est alors que sa tante, si raisonnable, si maîtresse
d’elle-même, si froide, la surprit de nouveau :

— Oh, ça va, hein, toi aussi tu étais amoureuse de


deux garçons en même temps !

Choquée, Tara en perdit son sens de la répartie. Puis


fronça les sourcils.

— Dis donc, dis donc, j’ai bien entendu ce que tu


viens de me dire ?

Mais pour la première fois de sa vie, sa tante, la


terrifiante Impératrice d’Omois, refusa la confrontation.
Elle regarda son hor d’un air ostensible et dit :

— Ah, je n’avais pas vu l’heure. Mon prochain rendez-


vous arrive. Va à ton bal et on en reparle à ton retour.

Avant que Tara n’ait le temps de réagir, sa tante l’avait


soulevée de son siège avec un petit levitus et flanquée à la
porte.

Qui se referma sur la jeune femme stupéfaite. Tara posa


une main sur son ventre et murmura :

— Les p’tits gars, votre grande tante a pété un plomb,


mais grave de chez grave !

La voix de Robin retentit :

— C’est intéressant, ça. Tu parles à ton ventre? Tu


as conscience qu’il ne va pas te répondre, rassure-moi?

Robin était apparemment le prochain rendez-vous de


Lisbeth, car il avait l’air d’attendre. Tara le regarda
gravement.
— Si j’étais encore amoureuse de toi, Robin, que je ne
puisse pas choisir entre Cal et toi, comment réagirais-tu ?

L’elfe écarquilla ses yeux de cristal, stupéfait. Puis il


déglutit.

— Tara ? Tu es amoureuse de moi ?

Tara soupira. Elle avait encore oublié que les elfes


avaient un peu tendance à prendre les choses au premier
niveau.

— C’est une question théorique, Robin. Réponds-moi.


Je vis une vie amoureuse parfaite avec Cal, mais je te
demande de venir me voir, je passe du temps avec toi et tu
sens que je suis encore amoureuse de toi, qu’est-ce que tu
fais ?

Robin se passa une main tremblante dans ses longs


cheveux argentés, les décoiffant.

— Euh, je ne sais pas, Tara, tu poses des questions


très étranges, tu vas bien ?

— Réponds-moi, bon sang ! s’agaça Tara.

— Houlà, calme-toi, tu vas énerver les bébés. Écoute,


je t’ai aimée de tout mon cœur et je t’ai perdue. Si j’avais
une chance de te reconquérir, alors je ne te lâcherais pas,
d’autant que notre race, les elfes, a l’habitude d’avoir
plusieurs maris, te partager avec Cal ne me pose aucun
problème.

Oui, il avait même proposé à Cal de devenir le second


mari de Tara, ce qui avait légèrement énervé la jeune fille
à l'époque.
— Et si tu étais humain ? persista-t-elle. Je veux dire
après tout, tu es à moitié humain, ta part elfe n’est pas si
importante ?

Robin secoua la tête.

— Même si je suis aussi amoureux de Sael, tu es et


restes mon premier amour. Ça ne s’oublie pas.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux.

— Et slurk ! jura soudain Tara.

Puis sans donner plus d’explication, elle tourna les


talons, plantant là le pauvre Robin qui ne savait plus quoi
penser.

Avec Cal, ils avaient synchronisé leurs hors, ainsi, ils


savaient toujours où se trouvait l’autre grâce à
l’équivalent autreMondien des GPS, les MPS, Magic
Positioning System, qui eux, grâce aux relais intégrés dans
l’immense Palais doré, fonctionnaient même à
l’intérieur[28]. La jeune fille blonde eut donc vite fait de
retrouver Cal et Selenba qui l’attendaient dans le jardin.

Le jeune homme se leva d’un bond en voyant Tara


s’avancer.

— Alors, dit-il, avide de comprendre, qu’est-ce qu’elle a


dit ?

— Qu’il est tard, que j’ai envie de me reposer et qu’il


est temps que j’aille m’allonger un peu, j’ai les pieds qui
sont en train de gonfler. Pourquoi personne ne m’a dit que
j’allais avoir les pieds comme des tonneaux ?
Cal jeta un regard vers les pieds de Tara qui étaient
toujours aussi fins et leva les yeux au ciel.

— OK, tu veux attendre qu’on soit rentrés pour me


parler, j’ai compris. J'appelle le tapis.

Tara aurait pu lui proposer de monter sur Galant, mais


rien qu’à l’idée des secousses, alors que d’habitude elle
adorait voler avec son pégase, elle avait mal au cœur.

Cal dut donc attendre qu'ils soient de retour chez eux


pour avoir une explication.

Et encore, pour se protéger des oreilles fines de


Selenba qui habitait avec eux, même si la vampyr avait
mentionné qu’elle allait se préparer un petit dîner dans la
cuisine, Tara lui fit incanter un protectus afin que personne
ne puisse les entendre. C’était bien trop dangereux.

Puis, confortablement allongée sur leur grand lit aux


draps bleu et crème, rebrodés d’oiseaux et de tigres, elle
lui expliqua tout ce qui s’était passé. À la fin, Cal avait la
tête d’un dragon chargé par un bééé. Incrédule et...
incrédule.

— Par les crocs cariés de Gélisor, finit-il par souffler,


mais c’est la catastrophe ! Si ce soupilute est Magister et
que Lisbeth est amoureuse de lui, Omois va lui tomber tout
cru dans le bec et, s’il ne l’est pas, Various va le tuer et ça
va déclencher une guerre avec les Marches du Nord. Nous
n’avons vraiment pas besoin de ça en ce moment, brolk de
slurk ! Mais à quoi pense ta tante ?

— Là, à mon avis, elle ne pense rien du tout. Enfin, moi,


ce que j’en dis, hein, j'en sais rien, je ne suis pas dans sa
tête ! protesta Tara alors qu’il sautait du lit, trop excité
pour rester en place, suivi du regard par Blondin et Galant,
tandis qu’il se mettait devant la magconsole de leur
chambre.

Cal activa l’engin. Une à une, les images de leurs amis


surgirent devant eux, certains répondant directement,
d’autres, comme Robin, sur répondeur.

— Réunion d’urgence du magicgang, s’exclama Cal,


on part dans les Marches du Nord dans une semaine !

Et avant que leurs amis ne puissent poser de questions,


il coupa la communication.

Tara leva un sourcil amusé.

— Ce n’est pas très gentil de leur faire subir un tel


suspense, dis donc.

— Peut-être, répliqua Cal, mais au moins, ça aura le


mérite de les faire rappliquer illico. Descendons dans le
salon, à mon avis ils ne vont pas tarder.

Il n’avait pas tort. Pour aller plus vite, Fabrice et


Moineau s'étaient même transformés en Bête et loup-
garou, Sheeba, la panthère argentée de Moineau, courant à
leurs côtés. Si les gardes de Tara ne leur tirèrent pas
dessus, c’était parce qu’ils avaient tous combattu à leurs
côtés lors de l’invasion démoniaque (Xandiar avait tenu à
ce que leurs protecteurs connaissent bien les membres du
magicgang, histoire justement d’éviter les mauvaises
surprises).

D’un commun accord, Tara et Cal avaient décidé de ne


pas parler de ce qui se passait entre l’Impératrice et
Daril Kratus. D’une part, parce que Tara n'était pas sûre
qu’il se passe quelque chose, d’autre part, parce que, pour
l’instant, cela ne concernait que l’Impératrice et Daril
Kratus, pas le reste du pays.

Et même si Tara et Cal avaient une parfaite confiance


en leurs amis, les loups-garous étaient tenus d’obéir à
leurs alphas. Fabrice ne pourrait pas forcément garder
l'information pour lui.

À leur grand dépit, Cal refusa de leur révéler quoi que


ce soit avant que Fafnir et Sylver, qui étaient rentrés à
Hymlia, n’arrivent dans le petit Palais, ce qui ne prit qu’une
vingtaine de minutes supplémentaires, qu’ils mirent à profit
pour préparer la table et faire griller des steaks de traduc
pour tout le monde, aidés par les Élémentaires du petit
Palais.

Si Moineau et Fabrice s'étaient transformés,


instinctivement, Fafnir et Sylver s’étaient équipés comme
pour la bataille. En voyant leurs amis, Tara se dit que les
vieux réflexes étaient loin d’être morts.

Ils se mirent tous à table dehors, alors que Robin les


rejoignait, son rendez-vous terminé, dans le patio qui
donnait sur le grand parc. Les fontaines glougloutaient, le
ciel s’assombrissait lentement, alors que les deux soleils se
couchaient, faisant étinceler le cristal des verres et des
bouteilles, l’éclat de la porcelaine cerclée de pourpre et les
couverts d’or[29].

— Alors, attaqua Fabrice après avoir empilé une demi-


douzaine de côtelettes de crouicccs, grésillantes et
embaumant le thym et le romarin dans son assiette, qu’est-
ce que c’est que cette histoire de Marches du Nord ?

Tara leur expliqua. Un silence de mort tomba sur leur


petite assemblée, juste troublé par les petits cris ravis de
Sourv, l’hydre de Robin, qui se régalait avec du poisson
frais.

— Enfin un peu d’achtion! s’exclama Fafnir la


bouche pleine, enthousiaste, sanglée dans un pantalon de
cuir rouge et d’un gilet de keltril recouvert de cuir noir qui
laissait à découvert ses bras bronzés et musclés.

— Il était temps, n’est-ce pas ? fit la voix de Selenba


qui s’était installée avec eux pour dîner.

Elle était dans la cuisine en train de se préparer une


bouteille de mooouuus lorsque le magicgang était arrivé et
tenait dans la main un mug encore tiède qui exhalait le
parfum Acre du sang.

— Ouh, du calme, fit Tara, pour l’instant, c’est juste une


invitation à un bal. Personne ne va entrer en action contre
personne.

— Une invitation à un bal d’un type dont nous


soupçonnons qu’il est Magister, grogna Fabrice.

Tara secoua la tête. Ils savaient tous que la mère de


Tara, Selena, avait mordu Magister, si bien que celui-ci
était devenu un loup-garou. Fabrice avait donc tenté de
sentir si Daril Kratus était bien un loup-garou ou non. Et, à
sa grande déception, n’y était pas parvenu. L’homme ne
sentait absolument rien selon lui. Et ne dégageait en rien
les ondes très particulières des loups-garous, cette espèce
d’énergie brûlante qui les caractérisait, une fois qu’on
savait où chercher... ou renifler.

Cela dit, avec la magie, un mage suffisamment puissant


pouvait masquer facilement ce qu’il était. Magister ne
devait pas s’en priver. Et comme toutes les analyses de
sang auxquelles il avait bien voulu se prêter étaient
revenues négatives, le mystère demeurait entier, au grand
agacement de la majorité des gouvernements
d’AutreMonde.

— Si c’est Magister, fit Tara, je ne vois pas du tout


pourquoi il voudrait que je vienne à ce bal.

— Pour te prendre tes enfants, Tara, c'est évident,


répliqua sèchement Selenba. Nous avons déjà eu cette
conversation, je crois, non ? Il voudra en faire des armes.
Comme ce qu’il a essayé de faire à Jar et Mara.

Le frère et la sœur de Tara avaient été élevés


conjointement par Selena et Magister. Le moins qu’on
puisse dire, c’était que le résultat avait été assez mortel.

Mara avait failli anéantir l’univers, et Jar tenté


d’éliminer Tara et de devenir Héritier à sa place afin
d’obtenir le pouvoir.

Il avait fallu beaucoup d’amour et de patience pour


atténuer l’influence délétère de Magister et, encore, Tara
ne savait pas toujours, dans le cas de Jar, s’ils y étaient
parvenus ou si Jar attendait juste le bon moment en silence.
Bon, pour l’instant, il filait le parfait amour avec Betty, la
meilleure amie terrienne de Tara, donc c’était un souci dont
Tara n’avait pas à se préoccuper.

Comme l’avait si justement souligné Lisbeth, Mara, elle


sortait avec Archange, le roi des démons, depuis deux ans
et avait l’air de beaucoup s’amuser d’être une sorte de
reine des six planètes des démons. Depuis que sa jeune
sœur était la petite amie d’Archange, Tara avait cependant
remarqué que les exécutions sommaires des démons qui
essayaient encore de tuer le tout nouveau roi, avaient
sérieusement décru. Peut-être que les démons avaient
compris que Mara pouvait être bien plus cruelle et
dangereuse que le pire d’entre eux.

En attendant, son frère et sa sœur lui manquaient


depuis que Tara ne pouvait plus utiliser les portes de
transfert. Soudain, elle eut un sourire retors.

— À propos d’enfants, fit-elle d’un ton innocent, ça


fait vraiment longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de
revoir Mara et Archange. Justement Sanhexia me disait
qu’Archange s’en plaignait. Et si nous proposions à Daril
Kratus de monter la qualité de son bal d’un cran ?

Moineau éclata de rire.

— Tu veux dire en invitant le roi des démons, ta sœur et


leur ambassadrice, Sanhexia, la plus fashion victime
des démones ? Oh là là, Tara, tu es peut-être enceinte, mais
je trouve que ton cerveau fonctionne encore pas mal, ça,
c’est vraiment retors !

Cal hocha la tête, satisfait.

— C’est une excellente idée. S’il est disponible,


Archange viendra avec ses démons les plus puissants. Si
Daril Kratus est Magister et qu’il veut s’en prendre à Tara,
ça devrait lui mettre quelques tentacules dans les roues.

Tara activa son hor.

— Nous allons vérifier tout de suite.

Ils étaient en début de soirée sur AutreMonde, mais


c’était déjà le matin sur la planète des démons.

Mara ouvrit son hor sans faire attention à qui l’appelait,


en bâillant, juste vêtue d’une courte nuisette rouge qui
couvrait à peine son corps musclé de Voleuse aguerrie.

— Tara! s’exclama-t-elle en voyant sa sœur. Ça a


commencé ? Tu vas accoucher ?

Tara éclata de rire.

— Non, non, tout va bien, respire !

Mara s’affaissa, soulagée.

— Tu sais, avoir une sœur qui attend des jumeaux,


c’est presque aussi stressant que de faire la guerre. On
s’attend à ce qui va nous tomber dessus et on le redoute en
même temps.

— Je ne t’appelle pas pour les bébés...

En quelques mots, Tara expliqua ce qui s’était passé, y


compris avec les paons et la mauvaise blague dont avait
été victime Selenba. À la fin, les yeux noisette de Mara,
piquetés d’or et de vert, était écarquillés. Elle lissa ses
longs cheveux bruns bouclés comme ceux de sa mère et se
leva, transférant l’appel sur la console de sa chambre.

— Archange, appela-t-elle, sors de ta douche et viens


ici, on a un problème !

L’instant d’après, le magnifique roi démon était devant


la scoop, juste vêtu d’une microserviette autour des
hanches. Les garçons grognèrent pendant que Tara, Fafnir
et Moineau poussaient un soupir. Même si elles adoraient
leurs maris et petits amis sans aucune condition, il fallait
quand même accorder à Archange la palme du plus bel
homme jamais engendré dans une cuve utérine. Ses yeux
de plusieurs verts, du plus clair au plus foncé, sa peau
parfaite, ses pectoraux et ses abdos, le noir de ses longs
cheveux, tout avait été pensé pour séduire les humains. Et
il y parvenait parfaitement.

Sauf que là, il n’avait pas du tout envie de séduire qui


que ce soit. Magister avait réussi à détruire les vaisseaux
des démons et s’était emparé de leur technologie, aussi,
restait-il un sérieux danger dans l’esprit du roi.

— Tu ne dois pas y aller, décréta-t-il lorsqu’il eut fini


de saluer Tara et ses amis et que la jeune femme lui eut
expliqué ce qui se passait. Tara, enfin, ce n’est pas sérieux
? Te rendre à un bal organisé par un humain douteux ?
Alors que tu es enflée par les bébés ? D’ailleurs, je ne
comprends toujours pas pourquoi tu n’as pas voulu les
confier à une cuve utérine. Cela aurait été bien plus
confortable pour toi comme pour eux !

— Enceinte, corrigea Mara, elle n’est pas enflée, elle


est enceinte. Ce n’est pas comme si elle avait avalé trop
de tzinpaf, mon amour !

— Archange, développa Tara, je ne vais pas à ce bal


par plaisir ou par goût du risque, mais parce que ma tante
a raison. Les Marches du Nord ont besoin du commerce qui
est assuré avec le reste de l’Empire grâce aux bonnes
relations qu’ils entretiennent avec nous et qui ont cessé à
cause du retour de Daril Kratus. C’est une province
belliqueuse, qui ne s’est ralliée à l’Empire qu’à regret, si
nous les lâchons ou ignorons leurs besoins, ils pourraient
de nouveau être tentés par une sécession.

— Envoyer un ministre serait largement suffisant !


gronda Archange, qui gardait une grosse faiblesse pour
Tara, même si celle-ci l’avait repoussé et qu'en réalité il
trouvait Mara nettement plus amusante. Je n’aime pas que
tu risques ta vie et celle de ta progéniture.
Mara fit la grimace. Il y avait pas mal de choses qu’elle
était en train de changer, et le dédain qu’éprouvait le
roi des démons pour les bébés était l’une d’entre elles.
Même si elle n’avait pas l'intention de s’y intéresser avant
de loooooongues années, il n’était jamais trop tard pour
commencer le dressage.

Si elle avait des enfants un jour avec Archange, il était


hors de question qu’il les considère comme des trucs tout
juste bons à être élevés en cuve.

— C’est justement là où tu interviens, mon cher


Archange, fit Tara avec un sourire rusé. Ça te dirait de
venir danser avec nous ?
Chapitre 8
AutreMonde
Ou comment essayer de réveiller une planète
en ayant clairement besoin d’un très,
très gros mégaphone.

Maître Chem était inquiet. Il était venu sur AutreMonde


en compagnie de plusieurs vaisseaux spatiaux plutôt que
par porte de transfert, histoire de rappeler à tout le monde
la puissance de feu du Dranvouglispenchir. Car les rumeurs
qui arrivaient récemment aux oreilles des dragons n’étaient
pas bonnes.

Cela faisait longtemps que les relations entre les


nonsos et les sortceliers étaient tendues. À chaque élection
des représentants, les nonsos avaient choisi des humains
qui évitaient de mettre de l’huile sur le feu et cherchaient
plutôt à apaiser les choses.

Jusqu’à ce jour. La menace des démons avait disparu et


les sortceliers n’avaient plus vraiment de raison d’être aux
yeux des plus extrémistes des humains. La nomination de
Gueder Almandach était le signe que les choses n’allaient
pas dans le bon sens.

Les sortceliers et les Hauts Mages ne s’en rendaient


pas compte, parce qu’ils se croyaient protégés par leur
magie, mais une révolte grondait, souterraine, vicieuse et
sournoise.
Nourrie par des siècles et des siècles de déséquilibre
entre les deux populations.

Et il semblait bien que le nouveau représentant soit à


l’origine de nouvelles prises de positions plus dures, plus
susceptibles. Les dragons avaient donc enquêté sur Gueder
Almandach. Le fait qu’ils n’aient pas réussi à trouver quoi
que ce soit de vraiment marquant était encore plus
inquiétant.

Âgé d’une quarantaine d’années, Gueder Almandach


était marchand de profession, fils de marchands. Il semblait
ne vivre que pour son travail, n’avait pas de famille ni de
petite amie, et prenait la défense des humains contre les
sortceliers très à cœur. Rien dans sa vie ne pouvait
expliquer la haine qu’il éprouvait, y compris dans les
recherches menées dans l’école qu’il avait fréquentée,
réservée aux nonsos. Ce n’était pas du tout une mesure de
ségrégation, mais simplement le fait que les sortceliers
n’avaient pas besoin d’aller à l'école lorsqu’ils sortaient des
crèches ou de la maternelle, car, contrairement aux enfants
nonsos qui devaient utiliser les livres ensorcelés pour eux
et, s’ils étaient réfractaires à la magie, devaient se
contenter de la bonne vieille méthode de l’apprentissage,
les sortceliers, eux, pouvaient apprendre facilement grâce
à leur pouvoir.

Et cela était la seule chose dont les espions étaient sûrs


pour l’avoir testé, c’était que Almandach était un NM.
Un non-manipulable. La magie ne l’affectait pas. Mais ne
l’aidait pas non plus. Pire, alors qu’il aurait pu utiliser la
magie en engageant des sortceliers, il la vomissait,
préférant la science chaque fois que cela lui était possible.

Ainsi, sa grande maison, au cœur du quartier des


marchands, était raccordée au réseau d’eau de la ville,
mais possédait des panneaux solaires qui permettaient
l’alimentation électrique grâce aux deux soleils
d’AutreMonde.

Même si la magie avait tendance à interférer avec la


science sur AutreMonde et perturbait régulièrement les
machines exclusivement technologiques.

Ses serviteurs étaient tous des nonsos. Ses amis aussi.


Personne ne possédait de magie dans son entourage.
Dernièrement, il avait acquis une propriété près de l’océan
des Brumes, sur le continent de Vou, en Viridis, près de
Tiran, qu’il avait fait soigneusement barricader et truffer
d’engins électroniques de surveillance.

Quoi qu’il fasse dans cet endroit, il voulait que cela


reste secret. Les dragons avaient bien essayé d’y pénétrer,
mais tous les membres de la garde rapprochée et les
serviteurs étaient également des NM. Impossible de les
hypnotiser. Ni de les acheter. Ni de les soudoyer ni de les
faire chanter, ce n’était pas faute d’avoir essayé. Il n’y avait
pas de maillon faible dans le dispositif d’Almandach et cela
inquiétait grandement les dragons.

Tant d’inflexible rigidité, ce n’était pas bon. Pas bon du


tout. C’était aussi la raison pour laquelle Maître Chem
avait demandé ce rendez-vous à Tara. En dehors du fait
qu’il aimait et appréciait beaucoup la jeune humaine,
lorsque le grand dragon bleu avait partagé ses inquiétudes
avec la tante de Tara, Lisbeth avait beaucoup ri.

— Cher Maître Chem, s’était amusée l’Impératrice sur


son trône d’or, franchement, après les démons qui ont failli
nous anéantir, la comète qui n’est pas passée loin et tout ce
que nous avons vécu depuis quelques années, y compris
lorsque l’anneau démoniaque m’a possédée ou que la Reine
Noire s’est emparée de Tingapour, ce ne sont pas quelques
nonsos qui vont me faire peur !

L’Impératrice n’en avait pas démordu. Et si les dragons


étaient des conseillers, le pacte qu’ils avaient passé
avec Demiderus ne leur permettait pas d’imposer leurs
décisions.

Du moins pas officiellement.

Tara hocha la tête lorsque Maître Chem lui fit part de


son inquiétude, après s’être installé en face d’elle dans la
plus grande pièce du petit Palais, car le dragon était resté
sous sa forme naturelle. Ils avaient retiré tous les meubles
à part un grand canapé, parce qu’ils savaient que, sous le
coup de l’énervement, Maître Chem avait tendance à
remuer la queue. Et que lorsqu’on mesure six mètres de
long, ça peut faire des dégâts, de remuer la queue.

— J’ai rencontré ce type, Almandach, confirma la


jeune femme blonde en caressant machinalement son
ventre pour apaiser ses bébés qui avaient l’air de s’éclater
là-dedans. Il a l’air effectivement très agressif, mais j’avoue
que je pense un peu comme ma tante, franchement, que
veux-tu qu'il nous fasse ? Même s’ils sont bien plus
nombreux que les sortceliers et les Hauts Mages
aujourd’hui, pourquoi les nonsos attaqueraient les
sortceliers ? Ce serait quoi, l’intérêt, à part se faire battre à
plate couture, parce que, franchement, ils ne pourront pas
rivaliser !

Mais le dragon bleu n’était pas convaincu.

— Mes écailles me démangent, ronchonna-t-il en


laissant échapper un peu de feu de ses naseaux. J’écoute
toujours mon instinct lorsque mes écailles me démangent.
Et je sens que quelque chose va très mal. Et que tu es en
grand danger.

Tara écarquilla ses yeux bleus, très surprise.

— Moi ? Mais je croyais qu’on parlait des nonsos, là.

Le dragon la regarda si gravement que la jeune fille se


sentit un tantinet inquiète d’un seul coup.

— Je crois que tu ne réalises pas à quel point tu es


unique, Tara! s’exclama-t-il.

— Pas tant que ça, rectifia Tara, Jeremy est aussi


puissant que moi.

— Non. Notre roi a modifié tes gènes afin que tu sois


la plus puissante des deux pour alimenter sa machine et se
venger des démons. Mais en ce faisant, il n’a pas
simplement créé une sorte d’être hybride. Il a créé l’une
des plus belles réalisations de notre peuple. S’il y a un
conflit entre les nonsos et les sortceliers, il faudra que tu
viennes te réfugier chez nous le temps que les choses
s’arrangent, parce que, sans ta magie, tu es horriblement
vulnérable. Nous ne pouvons pas te laisser courir le
moindre danger, tu comprends, Tara ? Tu es trop précieuse
!

Il venait de la traiter d’hybride. Tara ne savait pas trop


si elle devait prendre ça pour un compliment ou une
insulte, et le côté précieux lui faisait un peu trop penser à
Gollum. Elle n’aimait pas trop être la précieuse de qui que
ce soit...

— Pour l’instant, Tara ne peut pas faire grand-chose,


dans un sens ou dans l’autre, nota Cal qui était assis sur le
canapé Mou ignifugé face au dragon, et voulait faire
retomber la pression.

— En revanche, cher Maître Chem, toi, tu peux nous


aider, sourit gracieusement Tara, car j’ai besoin de te louer
ton vaisseau pour aller dans les Marches du Nord.

Le dragon fronça les arcades sourcilières, puis ses yeux


de serpent dorés se dilatèrent, exprimant sa stupeur.

— Dans les Marches du Nord ! Mais c’est chez...

— Magister, ouais, on sait, l’interrompit Cal qui


commençait à se lasser de répéter tout le temps la même
chose, mais on en a besoin et il faut que ça coûte cher.

— Pardon?

À la fin de leur histoire, le dragon était encore plus


inquiet qu’en arrivant.

— Par les crocs de mes ancêtres, se plaignit-il, je


pensais repartir soulagé d’avoir partagé mon inquiétude et
voilà que c’est encore pire !

Mais pour le coup, Chem ne discuta pas. Il comprenait


parfaitement la préoccupation de Lisbeth. Il donna le prix
du carburant pour déplacer le vaisseau, et Tara et Cal
sourirent en pensant à la réaction de Kratus.

Ça, pour être cher, ça allait être cher. L’ex-comte allait


certainement beaucoup regretter sa proposition.

Entre l’enquête qui piétinait en dépit de l’aide du


magicgang et les préparatifs pour partir dans les Marches,
les cinq jours suivants filèrent comme l’éclair, et bientôt, il
ne resta plus que cinq jours avant le bal[30]. Surveillée de
près par les chamans Tara se sentait de plus en plus lourde,
mais ils lui assurèrent qu’elle avait encore une bonne
marge. Seul Magrit, la sage-femme tatris, n’était pas
contente.

— Qu’est-ce qu’ils en savent, tous ces chamans ! s’était-


elle exclamée lorsqu’elle avait appris que Tara allait se
déplacer.

— Les bébés, c’est comme les tempêtes, ça arrive sans


prévenir, avait scandé sa seconde tête.

— Nous venons avec toi, petite, avaient conclu les


deux têtes en chœur.

Tara avait été contrariée également lorsque son pégase,


Galant, pour avoir serré de trop près une jolie pégase rose
à la crinière bleue appartenant à l’armée des elfes, s’était
fait sérieusement amocher par un étalon rival. Si Galant
était nettement plus intelligent que ses congénères du fait
de son statut de Familier, il avait nettement moins
l’occasion de s’entrainer qu’eux et ne faisait pas vraiment
le poids. Le grand pégase d’argent n’avait même pas pu
profiter de sa taille et de son poids supérieur contre
l’étalon noir et feu qui lui était tombé dessus.

Galant était donc revenu avec les ailes froissées,


l’épaule luxée et des griffures partout, à moitié bavant de
rage, parce que, clairement, il avait perdu et la bagarre et
l’estime de la jolie pégase rose.

Les chamans avaient incanté de puissants reparus,


mais, depuis que Tara avait perdu sa magie, l’un des
curieux effets secondaires était qu’elle semblait y être
nettement moins sensible et son pégase aussi. Du coup,
Galant avait l’interdiction de voler pendant un bon mois et
devait rester au repos.
Ça n’avait pas arrangé son caractère et encore moins
que, dès que Cal le voyait, le jeune voleur ne pouvait
s’empêcher de ricaner.

Cependant, le moment le plus amusant, selon Cal qui


s’était régalé, avait été l’annonce à Daril Kratus
qu’Archange, roi des démons, et sa compagne Mara, la
sœur de Tara, ainsi que Sanhexia la plus stylée des
démones[31] se joignaient au grand bal des Marches.

Kratus avait pâli. Dans son regard bleu acier, était


passé (les tas de calculs de coûts et de dépenses inédites.
Mais il avait dû faire contre mauvaise fortune bon cœur,
lorsque Tara avait clairement exprimé que c’était ou avec
sa sœur et Archange et la sienne, ou pas du tout. Daril
s'était donc Incliné, alors que Lisbeth, toute d’écarlate et
d’or vêtue, également présente dans la salle du trône où la
déclaration avait été officiellement faite devant toute la
presse et les médias, affirmait sa joie de voir les Marches
du Nord ainsi mises à l'honneur.

Le seul qui avait fait grise mine était Sandor. Car d’un
seul coup, il devait à la fois coordonner ses troupes, mais
également s’entendre avec les Services de sécurité des
démons. De quoi s'arracher ses cheveux blonds.

Le stratagème du « grand-bal-qu’on-ne-peut-pas-
manquer-parce-que-l’Héritière-y-va » avait parfaitement
fonctionné. Aux marchands qui ronchonnaient que cela ne
voulait pas dire que Kratus n’était pas Magister et que le
boycott avait une bonne raison d’être, les femmes des
marchands, paniquées à l’idée de ne pas être invitées à ce
qui semblait être le bal du siècle (Tara avait eu raison, la
présence d’Archange et de Sanhexia avait rehaussé la
soirée d’au moins dix crans), avaient renoué les relations
avec leurs homologues des Marches du Nord et, en
quelques heures, le trafic commercial avait recommencé de
plus belle.

Les marchands avaient « officiellement » continué à


ronchonner, mais étaient secrètement bien contents que
l’Empire montre sa confiance envers les Marches, car de
nombreuses denrées précieuses étaient produites là-bas.

Encouragés par cette reprise du commerce, les


marchands nordiques s’étaient même enhardis en
engageant quelques timides tentatives vers les marchés
juteux des planètes démoniaques, les Marches du Nord
n’étant pas spécialement connues pour leur modernisme, la
province n'avait pas encore, en deux ans, entrepris de
travailler avec elles. C’était donc une bonne occasion pour
les plus vaillants de commencer à commercer.

Les invitations pour la fastueuse soirée étaient parties


des Marches dans la foulée et... la panique s’était installée.
Qui allait mettre quoi, comment, etc., devint soudain la
seule question importante des heureuses invitées, pendant
que celles qui ne l’étaient pas soudoyaient tous ceux qui
avaient un peu d'importance dans les Marches, pour faire
partie des élues.

Tara, elle, de toutes les façons condamnée aux robes


pour femmes enceintes, se fichait éperdument de ce qu’elle
allait porter à une soirée où elle allait à contrecœur et,
histoire de ne pas s’embarquer dans une galère sans
quelques biscuits, essayait de prendre contact avec
AutreMonde.

Vu que crier dans le vide : « Pierre Vivante, hé ho !


Pierre Vivante ! Bon sang, rends-moi mes pouvoirs ! »
n’avait pas l’air de fonctionner, Tara avait eu une autre
idée.
La jeune ex-sortcelière avait décidé de faire un petit
tour dans l'Ile des Roses Noires, où elle avait trouvé la
Pierre Vivante.

C’était l’une des veines de quartz affleurant le plus près


de la surface, car la jeune femme n’avait pas envie de
s’enfoncer dans les mines des nains qui évitaient
soigneusement de toucher au quartz depuis qu’ils avaient
appris qu’il était vivant... d’une certaine façon.

Et puis les veines de quartz ne remontaient absolument


jamais jusqu’à la surface, c’était le seul endroit
qu’elle connaissait où l’une d’entre elles affleurait.

Pour ce petit voyage secret, Chem aurait pu lui prêter


son énorme vaisseau, mais Mara, arrivée sur AutreMonde
pour passer un peu de temps avec Tara avant les festivités,
lui proposa plutôt une navette de leur vaisseau à eux.

La navette pouvait transporter une vingtaine de


personnes en plus de l’équipage, était d’un noir des plus
discrets et nettement moins encombrante.

Tara profita d’une absence de Cal une après-midi pour


se rendre, accompagnée de Selenba (qui avait vite
découvert ce que la jeune femme blonde mijotait et avait
exercé un honteux chantage pour l’accompagner) et d’une
demi-douzaine de thugs sous le commandement du
capitaine Xodil, dans l’île des Roses Noires qui avait failli
devenir leur tombe à tous, des années auparavant.

Tara voulait faire vite, parce qu’elle savait très bien que
Cal ne serait pas très content qu’elle soit partie sans
l’avertir d'une part et dans une partie d’AutreMonde
réputée dangereuse (d’accord, encore plus dangereuse)
d’autre part.
Mais Tara voulait pouvoir communier tranquillement
avec la planète sans être dérangée si elle plongeait dans
une transe profonde, ce que Cal détestait, parce qu’il avait
toujours peur qu’elle ne se réveille pas et reste prisonnière
dans le sommeil d’AutreMonde.

Et puis elle voulait lui faire la bonne surprise. Faire


plaisir à Cal, elle adorait ça, d’autant qu’il était tout le
temps en train de s’occuper d’elle, et de la chouchouter,
elle avait vraiment envie de lui rendre la pareille. Sauf que,
sans sa magie, c’était difficile.

Galant ne pouvait pas l’accompagner à cause de son


épaule luxée et sa mauvaise humeur suivit Tara pendant
une bonne partie du voyage, jusqu’au moment où la
distance la coupa des grognements furibonds de son
Familier, à son grand soulagement.

Après tout, il n'avait qu’à aller draguer des pégases


libres plutôt que d’essayer de piquer celles des autres. Le
fait qu’il ait clairement fait comprendre que la jolie pégase
en question n’avait pas précisé qu’elle était déjà engagée
ne changeait pas grand-chose au résultat. Mara non plus
n’avait pas pu venir, coincée par Archange et Sanhexia
dans une délicate transaction entre Boulimi-Lemi et
AutreMonde.

Elle avait râlé à peu près autant que le pégase, le prêt


de la navette étant dans son esprit un bon moyen de
couper aux devoirs de sa charge pendant quelques heures.
C’était raté et avait beaucoup amusé Tara lorsque la
réunion était tombée pile au mauvais moment, coinçant
Mara à Tingapour.

La navette noire et discrète survola les Marais de la


Désolation. Il faisait déjà nuit dans cette partie du
continent. Les Mangeurs de Boue étaient toujours là. Mais,
effrayés par la machine pourtant silencieuse et furtive, ils
ne s’approchèrent pas.

Ce qui n’était pas plus mal. Tara n’avait rien contre les
mangeurs poilus, mais gardait un mauvais souvenir de
leurs longues griffes et de l’attaque du Manoir sur Terre,
puis de l’attaque de l’île, sans oublier les Mangeurs qui
travaillaient pour Magister.

Ça non plus, elle n’avait pas oublié. Ses gardes


redoublèrent donc de prudence.

L’équipage du vaisseau scanna les environs. Pas âme


qui vive, les buissons vibrant de roses noires continuaient
à bruisser au rythme du vent, et l'ombre du Ravageur
avait disparu.

Ils se posèrent donc avec précaution, prêts à redécoller


s’ils détectaient la moindre anomalie.

La porte de la navette s’ouvrit et la première équipe fila


sécuriser l’ensemble de l’île. Quelques minutes plus tard,
les hors sonnèrent. Il n’y avait rien à signaler, tout était
clair. Tara sortit, entourée des thugs attentifs, broyettes et
lames à la main.

Le capitaine Xodil, un thug blond aux yeux bleus,


spécialement détaché à la protection de Tara par Xandiar,
n’avait pas cessé de grogner. Il n’aimait pas du tout qu'elle
ait aussi peu d’escorte, il n'aimait pas du tout l’endroit où
ils se trouvaient et encore moins que personne ne soit au
courant de cette petite escapade à part Mara, vu que Tara
avait interdit à quiconque d’en parler et Xodil avait la
ferme intention de bien le faire comprendre à Tara.
La jeune femme soupira. Parfois, elle avait quand même
l'impression que les gens en faisaient un peu trop.

D’autant que les gardes étant en armures de combat


complètes pourpre et noir et armés jusqu’aux dents,
franchement, elle ne voyait vraiment pas qui, à part une
armée, voudrait s’en prendre à ce qui s’apparentait à des
armes vivantes.

Il faisait froid et humide et il y avait tellement de


brouillard qu’on voyait à peine la lune et demie[32]. Tara
frissonna et la changeline lui créa... une armure !

— Ah non, grogna Tara, pas toi non plus !

Mais la changeline était têtue. Comme Xodil, elle


n’aimait pas du tout l’endroit. Et même si elle avait
soigneusement matelassé l’armure et l’avait rendue légère
et confortable, elle n’en démordit pas. Sans pouvoir, Tara
ne pouvait pas y faire grand-chose, même si elle se sentait
absolument ridicule, couverte de métal gris, très raccord
avec l’atmosphère, avec un très gros ventre.

— Intéressant, cet endroit, souligna Selenba, sanglée


dans une armure elle aussi, mais d’un noir profond, et qui
avait noirci également sa peau et ses cheveux, si bien qu’on
ne la voyait quasiment pas. C’est près de l’ancienne
Forteresse Grise, si je ne m’abuse ?

— Oui, c’est à partir de cet endroit que nous avons


réussi à faire venir les dragons pour vous attaquer,
répondit Tara. Nous ne l’avons pas spécifié aux médias, afin
de laisser les Mangeurs de Boue en paix.

— Ah, fit Selenba d’un ton rêveur, c’était le bon


temps. Les choses étaient simples. Tuer ou être tuée.
Manger ou être mangée. Blanc ou noir.

— Ouais, répondit Tara, eh bien je préfère quand


c’est compliqué et j’aime beaucoup le bleu.

Mais Selenba ne répondit pas, plongée dans ses


souvenirs. L’instant d’après, elle s’éloigna, pour disparaître
dans les brumes. Elle voulait patrouiller, histoire de repérer
s’il y avait quoi que ce soit d’anormal, même si les scanners
et la première équipe n’avaient rien révélé.

Après avoir parcouru l’île en long, en large et en


travers, car les buissons avaient poussé et qu’elle ne se
souvenait plus très bien de la topographie des lieux à
l’époque, Tara retrouva enfin un endroit familier, là où
Fafnir, involontairement ivre à cause de la décoction qu’elle
avait concoctée pour se débarrasser de sa magie, avait
chanté avant de s’écrouler.

À partir de là, ce fut plus facile et les images du passé


se surimposèrent à celles du présent. Enfin, elle s’accroupit
avec difficulté près de l’endroit où Manitou avait trouvé la
Pierre Vivante. Effectivement, sous les racines, on voyait
affleurer la veine de quartz. Un instant, Tara se sentit
transportée dans le temps.

Elle avait vécu tellement d’aventures ! Traversé


tellement d’épreuves ! Elle avait du mal à croire qu’elle
s’en était sortie vivante et à peu près intacte.

— Vous voulez faire quoi, Votre Altesse Impériale ?


demanda Xodil, à qui elle n’avait rien révélé de ses
intentions.

— J’ai besoin de... de méditer, répondit Tara. Et je


trouve que c’est un excellent endroit pour le faire, juste ici.
Ah, et je veux pouvoir toucher le quartz qui se trouve sous
ce buisson en même temps.

Xodil et elle se dévisagèrent. L’espace d’un instant,


Xodil eut l’air quelque peu sidéré qu’elle ait choisi cet
endroit sinistre pour méditer, puis ses yeux d’un bleu
chaleureux se plissèrent et il hocha la tête. Évidemment.
Les gardes thugs choisis par Xandiar et élevés à des grades
d’officier n’étaient pas connus pour leur bêtise. Il avait
compris ce qu’elle voulait faire.

— Poussez-vous, Votre Altesse Impériale, ronchonna


Xodil en l’aidant à se relever, je vais déraciner le buisson
et...

— On ne déracine rien du tout, grogna Xeva, une


jeune thug brune et élancée qui aimait les végétaux. On va
délicatement transporter le buisson sans l’abîmer et on le
remettra ensuite en place.

Xodil haussa les épaules et indiqua le buisson dont les


longues épines noires dardaient leur menace vers eux.

— Pas de souci, il est tout à toi !

Xeva fut rapide. Elle semblait posséder une certaine


connexion avec les plantes. Elle put donc rassurer le rosier
et le déplacer sans se faire réduire en charpie par les
épines.

Une fois cela fait, ils retirèrent la terre fertile qu’ils


empilèrent sur le côté et la veine de quartz fut mise à nu.
Tara refusa le lit confortable que Xodil voulait incanter,
s’allongea à côté du quartz, posa la main dessus et ferma
les yeux.
Au début, ce ne fut pas facile. Les bébés s’agitaient
comme toujours lorsqu’elle s’allongeait et son ventre se
déformait sous leurs mouvements. Mais alors qu’elle
s’efforçait d’oublier que le sol était dur et humide, que les
insectes zonzonnaient désagréablement à ses oreilles en
dépit du sort qu’avait lancé Xeva pour qu’ils ne les piquent
pas, et qu’elle se sentait fatiguée par le poids de ses bébés,
Tara s’enfonça lentement dans une légère transe.

Des images éclatèrent dans son esprit, la faisant


tressaillir.

Elle était dans l’esprit d’AutreMonde.

Un esprit incroyablement lent et puissant, qui rêvait


paisiblement, loin de l’agitation et de la précipitation de ses
habitants. Les images étaient magnifiques et parfois,
Tara se voyait, alors que la Pierre Vivante se souvenait de
leurs aventures.

Mais en dépit de tous ses efforts, Tara, sans magie, ne


parvenait absolument pas à toucher l’esprit de la planète
pour qu’elle lui rende ses pouvoirs. Au bout d’un temps qui
lui sembla infini, la jeune femme dut renoncer. Elle ouvrit
les yeux.

— On allait vous réveiller, grogna Xodil en l’aidant de


nouveau à se relever et en l’époussetant avec un nettoyus,
ça fait deux heures que vous dormez ! Je commençais à
m’inquiéter.

— Alors, fit Xeva avec curiosité, ça a marché ?

Soit ils avaient discuté pendant qu’elle dormait, soit


Xeva avait deviné, elle aussi.
— Pas du tout, soupira Tara. AutreMonde, la Pierre
Vivante, le tout, quoi qu’il soit, est en train de roupiller
profondément. Je crois que, mine de rien, toute la dépense
d’énergie pour lutter contre la comète et donner de la
magie aux démons, cela a vraiment fatigué son esprit.
Impossible de la réveiller.

Elle fit une petite moue déçue.

— Tant pis. On va se débrouiller sans magie, du


moins, sans la mienne. Après tout, je ne vais y rester
qu’une nuit, à ce fichu bal, il ne risque pas de m’arriver
grand-chose, non ?

Les gardes thugs, pas contrariants, opinèrent avec


optimisme. Mais Tara voyait bien que tout le monde aurait
préféré qu’elle retrouve effectivement ses pouvoirs.

Ils replacèrent la terre puis le rosier.

Légèrement plus détendus maintenant que la mission


était terminée et qu’ils retournaient vers la sécurité du
vaisseau, les gardes l’entourèrent et ils reprirent le chemin
de la navette qui attendait, la rampe abondamment
illuminée, promesse de chaleur dans ces marais froids et
humides. Ils allaient atteindre la rampe, il ne manquait que
quelques pas.

Il y eut un éclair d’une violence inouïe qui sembla se


propager comme une onde, les faisant vaciller et en
plongeant une grande partie dans l’inconscience, pendant
que les lumières de la navette s’éteignaient, les mettant
dans le noir.

C’est alors que les monstres frappèrent.


Formes sombres et silencieuses qui surgirent de l’eau
en de si nombreuses vagues que les gardes encore
conscients furent submergés en quelques secondes.

Et égorgés sans pitié ni merci, avec une violence


absolue.
Chapitre 9
Le laboratoire
Ou comment ressentir soudain une grande
communion
d’esprit avec les rats/hamsters/lapins, etc.

Tara se réveilla et ouvrit les yeux. Ce fut soudain, brutal


et sans transition. Lorsqu’ils avaient été attaqués, elle
n’avait pas eu le temps d’avoir peur. Elle avait été frappée
par l’onde et s’était écroulée, ayant tout juste conscience
que la changeline protégeait son ventre alors qu’elle
tombait.

Ce fut sa première pensée. Avant même de voir si elle


n’était pas blessée, si elle n’avait rien, elle pensa à ses
bébés.

Ils étaient là. Ils bougeaient tranquillement comme si


de rien n’était. Les mains de Tara n’étaient pas attachées,
elle pouvait donc palper son ventre nu avec délicatesse et
attention.

Une fois rassurée, elle étudia son environnement. Elle


était vêtue d’un petit pagne et d’un bandeau blancs, tout
le reste de son corps était nu et ses kidnappeurs avaient
retiré sa changeline.

Et neutralisé son hor qui n’affichait plus qu’une surface


grise.
Tara grimaça. Sans du sang pour l’alimenter, la
changeline risquait de mourir et sans son hor pour
communiquer avec l’extérieur, c’était Tara qui risquait de
mourir. Depuis combien de temps était-elle inconsciente ?
Elle ne ressentait pas de tiraillement de sa vessie, donc ça
ne devait pas faire si longtemps que ça.

Elle se trouvait dans une cage en fer d’Hymlia,


facilement reconnaissable, et, dans la cage, il y avait une
petite statuette qui bourdonnait, annulant toute magie à
l’intérieur. Elle eut un sourire amer. Celui qui l’avait
capturée ne savait apparemment pas qu’elle avait perdu
ses pouvoirs, sinon, il aurait évité de dépenser une
véritable fortune pour l'emprisonner.

Sa seconde inspection des lieux fut moins amusée.

Elle se trouvait dans un laboratoire. Un énorme,


immense incroyable laboratoire carrelé de blanc,
comportant une dizaine de fenêtres avec des barreaux en
fer d’Hymlia et une petite fenêtre grillagée ouverte en
haut. Et contenant des dizaines de cages où des tas
d’animaux d’AutreMonde tournaient en rond, picoraient ou
dormaient.

Soudain, elle réprima un cri. Des formes chevalines


venaient d’attirer son œil.

Elle venait de retrouver les centaures envolés.

Formidable, ça allait être très utile à tout le monde,


maintenant qu’elle était prisonnière.

La jeune femme blonde se leva du lit où elle se trouvait.


Avec difficulté, pas à cause de son ventre, mais à cause de
la nausée qui la secouait. L’espace d’un instant, la pièce
tangua follement. Sa tête la lançait et lorsqu’elle y porta sa
main, elle toucha une grosse bosse qui semblait avoir
saigné mais était déjà en voie de cicatrisation.

D’accord. Soit on lui avait lancé un reparus, ce dont elle


doutait parce que si c’était cicatrisé, c’était encore très
douloureux, soit elle était emprisonnée depuis plus
longtemps qu'elle ne le pensait et ils avaient dû lui poser
une sonde ou un truc comme ça.

Tara attrapa les barreaux et les secoua, les uns derrière


les autres, histoire de tester leur résistance. Les gens ne le
savaient pas, car ils avaient gardé le secret, mais le
fer d’Hymlia ne la retenait plus. La puissance de sa magie
avait atteint un nouveau niveau.

Enfin... avant qu’elle ne la perde.

Cela dit, sa constitution d’humaine parfaitement banale


ne pouvait rien faire contre le fer massif et apparemment,
hélas, très bien soudé.

— Hé, cria Tara en omoisien vers la cage la plus proche,


habitée par un centaure sans poils aux yeux noirs qui
avait l’air aussi malheureux qu’apeuré, qu’est-ce qui se
passe ici ?

Le centaure se retourna et s’approcha des barreaux.

— Ils vous ont capturée vous aussi ? demanda-t-il avec


un fort accent.

Tara faillit être ironique, tellement la question était


idiote, vu qu’elle était dans une cage devant lui, mais elle
avait besoin d’alliés, aussi se contenta-t-elle d’un « oui »
laconique.

— Ce sont des monstres, souffla le centaure.


— Vous vous appelez comment ? demanda Tara. Moi,
je suis Tara Duncan, d’Omois.

— Servol Troispattesauncanard des plaines du Mentalir.

Il était si traumatisé qu’il n’avait pas réalisé à qui il


parlait, ce qui arrangeait bien Tara. Après tout, avec un peu
de chance, les gens qui les avaient attaqués ne savaient pas
à qui ils avaient affaire.

Ouais, et les poules avaient des dents. Tara se souvint


qu’elle était sur AutreMonde et qu’effectivement ici
certaines poules avaient des dents. Il allait falloir qu’elle
trouve de nouveaux proverbes.

Si elle survivait.

— Qu’est-ce qu’ils vous font? demanda-t-elle d’un


ton pressant. Pourquoi ils nous ont enlevés ?

— Ils ne nous parlent pas, répondit Servol d’un ton


gémissant. Ils se contentent de nous prendre constamment
du sang ou de la chair et de nous torturer. Ils cherchent
quelque cho...

— Quelque chose que vous avez et que nous n’avons


pas, Votre Altesse, gronda une voix derrière lui,
l'interrompant.

Choqué, Servol recula jusqu’au fond de sa cage pendant


que, stupéfaite, Tara voyait le représentant des nonsos
sur AutreMonde s’approcher d’elle.

Gueder Almandach.

Tara s’avança à en toucher les barreaux. Ce n’était pas


très facile d’avoir l’air martial en étant à la fois enceinte et
à moitié nue, mais elle s’y efforça. Elle avait senti que cet
homme les haïssait. Elle découvrait à présent qu’elle avait
grandement sous-estimé la profondeur de cette haine.

— Comment ? se contenta-t-elle de dire. Pourquoi ?

L’homme se campa solidement sur ses pieds bottés de


noir, toujours sanglé dans son espèce d’uniforme brun, le
pantalon rentré dans les bottes, apparemment très content
de lui et de répondre aux questions de Tara.

— J’ai des espions un peu partout dans le monde.


Ces nonsos que vous, les sortceliers, utilisez comme des
mouchoirs jetables. Je sais tout ce qui se passe au Palais de
Tingapour comme à celui du Lancovit ou de Spanivia. J’ai
des nonsos à moi dans les ports, dans les docks, dans les
aires spatiales. Lorsqu’on m’a prévenu que votre sœur
affrétait une petite navette, je l’ai fait surveiller. Même si je
pensais qu’elle allait juste se promener avec ce monstre
démoniaque d’Archange qui se fait passer pour un humain.
Quelle n’a pas été ma surprise de vous voir monter à bord !
Vous ne pouviez pas utiliser de portes de transfert, mais
moi oui. Mes équipes et moi, nous nous sommes postés en
embuscade. Vous aviez peu de gardes, ce fut très facile.

Tara darda sur lui le feu laser de ses yeux bleu marine.

— Très bien, je comprends le comment. J’aimerais


bien comprendre le pourquoi à présent.

L’homme brun, terne et massif éclata d’un rire


étonnamment jovial, s’appuyant sur le bâton qu’il portait
avec lui.

— Pour l’instant, vous allez vous contenter de ce que


je vous ai dit. Je suis déjà bien aimable de parler avec une
erreur de la nature comme vous. Mais ne vous inquiétez
pas, je vais très vite vous renvoyer à ce que vous êtes
vraiment.

Il approcha son visage de la cage, le visage déformé par


la haine, les yeux flamboyants.

— Un animal.

Tara frappa. Parce qu'elle était blonde, plutôt jolie et


très enceinte, les gens oubliaient qu’elle avait subi
l’entraînement impitoyable d’un Imperator et de son petit
ami, le tout aussi impitoyable Voleur Patenté Caliban Dal
Salan.

Le poing de Tara avait franchi l’espace trop écarté


entre les barreaux et frappé la gorge découverte de Gueder
comme si elle voulait la traverser pour toucher quelque
chose derrière, avant que ce dernier ait pu comprendre ce
qui lui arrivait. Elle avait continué à faire des exercices et
restait plaisamment musclée, dissimulant une vraie
puissance.

La trachée de Gueder fut instantanément broyée. Il


voulut reculer en suffoquant, incapable de respirer, mais la
jeune fille l’attrapa par la ceinture, où elle avait aperçu un
trousseau de clef. Gueder était trop choqué et blessé pour
réagir lorsqu’elle s’empara des clefs puis le frappa de
nouveau à la tempe pour l’assommer et le précipiter à
terre.

Heureusement pour elle, Gueder avait été trop sûr de


lui et de sa victoire pour se faire accompagner par ses
gardes du corps.

Dans un film, Tara aurait lancé une phrase du style « si


vous aviez cette magie que vous haïssez tant, vous auriez
pu vous sauver », toisant son ennemi à terre pendant que la
cavalerie débarquait en force pour trouver le travail déjà
fait, afin que le héros et l’héroïne puissent s’embrasser
tendrement pendant que l’ennemi mourrait de préférence
hors du champ de la caméra.

Mais là, Tara n’avait pas le temps et, de toutes les


façons, la cavalerie brillait par son absence.

Il n’y avait que deux clefs, sans doute la même pour


toutes les cages afin de faciliter leur ouverture et celle de
la porte du laboratoire sans doute. Silencieusement,
pendant que les râles de Gueder s’intensifiaient bien qu’il
soit inconscient, Tara courut jusqu’aux autres cages et
libéra tous les prisonniers qu’elle trouvait au fur et à
mesure.

Bizarrement, il y avait beaucoup d’animaux, qu’elle


libéra aussi, histoire de provoquer le plus de confusion
possible, même ceux qui pouvaient être dangereux pour
elle, comme ces vrrirs affolés qui, heureusement, filèrent
dans un coin de la salle sans demander leur reste. Et deux
licornes dans un sale état qu’on avait amputées de leurs
cornes au lieu de les dévisser proprement et qui,
décharnées et malades, sortirent en titubant.

Tara courut à la prochaine cage et se figea.

— Eh bien, fit la vont traînante de Selenba alors que la


vampyr se levait pour s’approcher de la porte, je vois
que tu as mis enfin à profit ton entraînement ! Pas mal du
tout.

Il n’y avait pas de traductus sur le bâtiment et la


vampyr s’exprimait en omoisien, avec un curieux accent
sifflant. La plupart des citoyens d’AutreMonde
comprenaient et parlaient des dizaines de langues
différentes justement pour les cas où les traductus ne
fonctionnaient pas. Tara avait même été obligée d’intégrer
les principales langues terriennes, lors de la guerre contre
les démons. Heureusement, le fait d’avoir perdu sa magie
n’avait pas effacé les langues.

Comme pour Tara, ils avaient dépouillé la vampyr de


son armure et elle était simplement vêtue des mêmes
pagne et brassière blancs que Tara. La vampyr aux yeux
roses s’approcha des barreaux avec cette souplesse féline
que lui enviait Tara.

— Et moi qui pensais que tu étais dehors avec la


cavalerie ! Tu me déçois beaucoup, Selenba, persifla la
jeune fille blonde en lui ouvrant rapidement.

— Ces expressions terriennes sont très étranges. Et


pourquoi est-ce que des pégases viendraient pour te
sauver? Et je te signale que, contrairement à vous, moi, je
me suis battue lorsqu’ils me sont tombés dessus. J’en ai tué
une demi-douzaine avant qu’ils ne me capturent. Ils avaient
des armures très sophistiquées pour des nonsos, j’aurais pu
plonger et m’enfuir, mais j’ai renoncé afin de pouvoir
t’accompagner, parce que je n’avais aucune idée de qui ils
étaient à ce moment. Et j’ai eu raison, puisque je suis là où
tu es et que tu as réussi à neutraliser le stupide nonsos qui
a osé nous enlever !

Tara soupira, renonça à discuter et tendit les clefs à


Selenba.

— Vas-y, délivre tout le monde, tu seras dix fois plus


rapide que moi.

La quarantaine de centaures, stupéfaite, regarda la


vampyr ouvrir ses portes en mode surmultipliée. Ils en
sortirent et se regroupèrent devant Tara et Selenba.
— Vite, fit la jeune femme blonde. Combien de gardes ?
La relève ? Des caméras ou des scoops pour surveiller les
lieux ?

Tara n’en avait pas vu, mais cela ne signifiait pas


forcément qu’il n’y en avait pas.

Une vieille centaure, dont les poils blanc et gris


commençaient à repousser, sembla enfin reprendre ses
esprits. Elle s’approcha de Tara et répondit en centaurien,
à voix basse, histoire qu’on ne l’entende pas de l’extérieur
du labo :

— Une trentaine de gardes seulement, pour ne pas


attirer l’attention de l’extérieur. Pas de caméras et encore
moins de scoops, ils ne veulent rien avoir à faire avec la
magie et les caméras terriennes ne fonctionnent pas bien
sur AutreMonde. Leur groupe électrogène tombe
régulièrement en panne.

Comme pour souligner que la magie luttait contre la


technologie, la lumière baissa et grésilla avant de se
rétablir.

— Tant mieux, fit Tara, soulagée. J’avais peur qu’ils ne


nous voient sur les écrans de contrôle et n’envoient des
gardes. Ils sont armés ?

— Oui, mais des armes légères. Ils savaient que nous


étions à leur merci. De plus, ce sont tous des NM, alors
notre magie ne leur fait rien. Ils ne sont pas inquiets.

— Ils ont tort, gronda la vampyr en faisant craquer


ses doigts pendant que ses ongles se transformaient en
griffes.
La vieille centaure lui jeta un regard appréciateur et
demanda à Tara :

— Comment avez-vous fait pour vous libérer ?

Tara n’avait pas le temps de demander pourquoi ils


avaient perdu leurs poils et leurs cheveux ni de donner des
explications.

— Un coup de chance, se borna-t-elle à dire. Vous


êtes plus rapides que moi, quelqu’un peut-il me prendre sur
son dos ? Nous devons nous éloigner d’ici le plus vite
possible. Qui a vu l’extérieur ?

À condition que le laboratoire ne se trouve pas au


dernier sous-sol d’un complexe enterré, ce que Tara
espérait du fond du cœur. Un jeune centaure, qui
contrairement à tous les autres avait gardé son poil et sa
crinière, se faufila parmi la foule, accompagné de regards
envieux.

— J’ai vu une petite partie, répondit un jeune centaure


mal à l’aise. J'ai repris conscience au moment où nous
sommes arrivés au laboratoire, ils m’ont capturé avec un
tapis volant, contrairement aux autres.

Cela expliquait pourquoi il était encore poilu.

— Je crois qu’on est en Viridis ou pas loin, c’est


l’endroit où ils m’ont capturé, j’y étais en vacances avec
mes parents, précisa-t-il. Il y a une forêt autour de cet
endroit maudit. Et deux niveaux.

Oui, les dragons avaient parlé de ce complexe créé par


Almandach près de l’océan des Brumes.
Elle donna les clefs au jeune centaure à la robe crème
et aux paturons noirs.

— Tu connais le plan des lieux, guide-nous !

Le garçon roula des yeux effrayés, mais prit les clefs


d’une main tremblante. Puis il bondit vers la porte.

Tous les autres les suivirent, y compris les licornes.

Le cœur de Tara battait follement.

Elle n’avait pas peur pour elle. Elle avait peur pour ses
bébés. Une peur si profonde, si viscérale que,
lorsqu’elle avait frappé la gorge de Gueder, elle n’avait
pensé qu’à cela. À saisir la première chance, à s’échapper,
à sauver ses bébés. Même si elle devait y laisser la vie, ses
bébés devaient survivre absolument.

L’un des centaures la souleva pour la mettre sur le dos


d’un puissant étalon.

— Accrochez-vous ! rugit ce dernier.

Puis, en un flot furieux, entourés des animaux paniqués,


ils foncèrent dans les couloirs derrière le jeune centaure.

Heureusement, ce dernier avait dit vrai. Le complexe


ne comportait que deux niveaux et, probablement pour des
raisons de manutention, le laboratoire et les cellules se
trouvaient de plain-pied et sans doute les bureaux au
premier étage.

Les quatre gardes postés dans le couloir firent feu dès


qu’ils virent les centaures surgir du laboratoire. Le jeune
centaure qui venait d’ouvrir la porte trébucha et un autre
s’écroula.
Selenba réagit si vite en bondissant en une traînée
floue, que les gardes n’eurent pas le temps de comprendre
ce qui les attaquait.

La vampyr les égorgea tout en leur retirant leurs armes


et en les lançant aux centaures.

D’autres gardes surgirent derrière eux, mais les


centaures bondirent et frappèrent à leur tour. Trop proches
pour tirer, ils n’utilisèrent que leurs sabots, mais savaient
très bien s’en servir. Les gardes furent réduits en bouillie.
L’effet de surprise avait joué à plein.

Très vite, les autres aidèrent le jeune centaure blessé.


Deux étaient morts. Ils ne pouvaient plus rien pour eux et
durent laisser les corps sur place, à contrecœur.

Les centaures et la vampyr foncèrent de plus belle,


affolant les laborantins qui, heureusement, n’étaient pas
des combattants, et s’écartèrent dans de grandes envolées
de papiers et de hurlements.

Tara, sur le dos du centaure, serrait les dents. Ses


jumeaux n’aimaient pas les cavalcades et son ventre était
dur comme de la pierre.

Soudain, elle cria :

— Prends à gauche, vite !

Le centaure obéit sans discuter, s’engouffrant dans une


pièce vitrée où Tara venait d’apercevoir sa changeline.
Elle se pencha et l’attrapa d’une main pendant que le
centaure glissait sur le carrelage blanc, s’abaissant sur ses
postérieurs, voltait puis repartait derrière le groupe qu’il
s’efforça de rattraper avant la sortie. Tara fixa la
changeline et aboya :
— Changeline, armure de combat !

Le centaure sentit un changement de poids sur son dos


quand soudain, devant lui, au bout du couloir, entre eux
et la liberté, une demi-douzaine de gardes apparut,
braquant ses broyettes sur eux. Selenba était trop loin pour
les empêcher de faire un massacre.

Effrayés, les centaures ralentirent.

— Laissez-nous passer ! hurla Tara. Laissez-nous passer


!

Le centaure qui la portait n’eut pas le temps de se dire


qu’elle était dingue, qu’elle le talonnait de toutes ses forces
comme un vulgaire cheval. Instinctivement, il bondit
en avant.

Les gardes s’apprêtèrent à tirer. Le centaure se raidit.


La folle venait de sceller leur destin.

Soudain, deux espèces de tubes surgirent de part et


d’autre de ses épaules.

— Bouche-toi les oreilles ! cria Tara.

L'instant d'après, deux missiles s’abattaient sur les


gardes stupéfaits et en faisaient de la bouillie rouge et
sanglante. Satisfaite, la changeline rengaina ses armes.

— OK ! hurla Tara, complètement hystérique. On y va,


go, go, go !

Les centaures n’essayèrent pas de savoir qui était ce «


gogogo » et filèrent sans demander leur reste, sautant
pardessus ce qui restait des gardes. Lorsque son étalon prit
son élan, Tara se crispa, mais l’atterrissage se fit en
douceur.

L’instant d’après, ils sortaient du complexe et


débouchaient sur une grande prairie effectivement
entourée d’arbres multicolores. Ils foncèrent pour se
mettre à l’abri, alors que d’autres gardes, moins nombreux
après le massacre des missiles, sortaient et commençaient
à leur tirer dessus, les balles sifflant à leurs trousses.

Deux centaures tombèrent, un autre fut blessé. Son


flanc laissait échapper un flot écarlate, mais, soutenu par
une solide centaure, il fut heureusement très vite hors de
portée.

Sous Tara, l’étalon soufflait et sa robe sans poil se


maculait d’écume, mais il prenait toujours autant de soin à
ne pas la secouer, ce dont la jeune femme lui était
infiniment reconnaissante.

Il y avait une colline un peu plus loin. La vieille


centaure prit les commandes en bifurquant vers son
sommet afin de se repérer et surtout de voir s’il y avait une
ville dans les environs. Toute la petite troupe arriva au
sommet et le paysage se déploya sous leurs yeux.

Enfin, surtout la mer d’un bleu profond scintillant sous


les deux soleils d’AutreMonde.

Le jeune centaure n’avait pas mentionné un léger


détail.

La vieille centaure exprima le sentiment de tout le


monde.

— Brolk de slurk ! jura-t-elle. On est sur une île !


Chapitre 10
Cal
Ou comment réussir à perdre
et sa femme et ses deux enfants d’un seul coup.

Cal était en train de perdre la raison. Avec beaucoup de


calme et sans passion, son esprit s’enfonçait dans la
folie, même si de l’extérieur il semblait parfaitement
rationnel et pragmatique.

Il était rentré chez lui le soir, avec Blondin, impatient


de raconter sa journée à Tara qu’il n’avait pas réussi à
joindre. Il ne s’était pas inquiété, Tara était fatiguée par sa
grossesse et, lorsqu’elle voulait dormir tôt, éteignait son
hor.

Il était donc monté au premier étage après avoir pris


une douche en bas et laissé ses vêtements à l’Élémentaire
d’Eau afin qu’ils soient nettoyés, pendant que Blondin
avalait la viande préparée par la cuisinière tatris, puis le
rejoignait.

Cal avait fait tout doucement, car la chambre était


parfaitement obscure. Il s’était glissé dans le lit et avait
tendu la main.

L’avait tendue, encore. Et encore.

Jusqu’au moment où, dans le noir, il avait froncé les


sourcils.
Il ne sentait pas Tara, était-elle dans la salle de bain ? Il
allait allumer la liseuse de sa tête de lit pour ne pas
diffuser trop de lumière lorsque, soudain, une masse de
plume et de poils complètement affolée lui était tombée
dessus.

Légèrement affolé lui-même, Cal avait retenu un cri


très peu viril et allumé la grande lumière pour découvrir
deux choses.

Que Tara n’était pas là.

Que son pégase miniature venait de lui sauter dessus et


semblait sens dessus dessous.

— Blondin, fit Cal, en s’adressant à son renard, le cœur


serré en lissant les plumes de Galant pour le calmer,
communique avec Galant et explique-moi ce qui se passe.

Dans son esprit, son Familier renard répondit qu’il s’en


occupait[33]. Ce ne fut pas très long. Cal faillit hurler de
rage lorsqu’il comprit ce qu’avait fait Tara avec la
complicité de Mara et de Selenba.

Jusqu’à présent, Galant n'avait pas sonné l’alarme,


parce que Tara l’avait prévenu qu’elle rentrerait tard. Mais
toute communication mentale restait impossible avec elle
et cela commençait à faire très long. Depuis que Tara
n’avait plus de magie, si le lien psychique avec son pégase
n’avait pas disparu, ce qui avait surpris tout le monde, il
était cependant devenu difficile dès qu’ils s’éloignaient l’un
de l’autre de quelques mètres. Avant, ils auraient
probablement pu communiquer à des centaines de tatrolls
de distance et, ainsi, se servir l’un de l’autre pour se
localiser mutuellement. Maintenant, hélas, Galant ne
pouvait plus utiliser ce lien pour « parler » à sa sœur
d’âme.

Cal se plaça au milieu de la pièce et pianota sur son


hor, mais tomba sur la boîte vocale de Tara. Il lança
l’application MPS, mais le signal localisant l’hor de Tara
était éteint. Elle n’était nulle part dans le Palais, ni dans les
environs. Cal lança la recherche planétaire, le cœur serré.
Le signal émit un petit ping. Mais l’icône ne répondit pas.

Soit Tara n’était plus sur AutreMonde, soit elle était


sous terre, dans un endroit où les satellites ne pouvaient
pas la retrouver, soit son hor était éteinte. Cal ne pouvait
pas imaginer pourquoi Tara aurait éteint son hor alors
qu’elle était proche de son terme. Cela ne lui ressemblait
tout simplement pas.

Sentant la peur l’envahir, Cal incanta un cherchus. Le


sort s’éleva et commença son travail, mais très vite, car la
puissance de Cal n’égalait pas, et de loin, celle de Tara,
revint vers Cal, bredouille.

Avant de prévenir l’Impératrice et de déclencher le


branle-bas de combat, Cal décida d’appeler Mara.

Au moment où, après avoir enfilé un pantalon et une


chemise, il s’approchait de la magconsole, celle-ci tinta
discrètement. Il répondit à l’appel et l’image de Mara, qui,
en robe longue de perles noires, revenait apparemment
d’une soirée, se matérialisa devant lui. Elle ouvrit la
bouche.

— J’allais justement t’appeler, Mara, je suis au


courant pour Tara, elle n’est pas là, l’interrompit Cal pour
gagner du temps. Au rapport !
Il avait été l’un des instructeurs lorsque Mara
s’entraînait pour devenir Voleuse Patentée et la jeune
femme se raidit, agacée.

— Je m’en doute qu'elle n’est pas là, répliqua-t-elle,


glaciale. Elle m’aurait appelée. Tu viens de rentrer ?

— Oui. Où est-elle ?

Il aurait tout le temps de hurler ensuite, pour l’instant,


il avait besoin de réponses.

— Je ne sais pas ! Ma navette ne répond plus, jeta


Mara, l’air à la fois inquiète, furieuse et coupable. Ni Tara,
ni les thugs, ni notre équipage. Nous avons localisé notre
engin sur l’île des Roses Noires, mais c’est tout. Les
caméras et les scoops ne répondent pas non plus, pas plus
que les communications. Nous envoyons une équipe avec
une autre navette, elle y sera dans une demi-heure
maximum.

— C’est trop long ! s’écria Cal au comble de l’angoisse.


Je prends une PTP.

Il y avait des portes de transfert portables dans le


Palais, c'est-à-dire des portes qui n’aboutissaient pas à une
autre porte fixe, mais pouvaient envoyer les gens à des
coordonnées précises. Elles étaient nettement moins
fiables[34] que les fixes, raison pour laquelle les gens ne les
utilisaient qu’en cas d’urgence.

— Je te recontacte une fois là-bas, ajouta Cal, le visage


de pierre.

Et pendant que Mara criait que c’était de la folie, il


coupa la communication.
Il savait qu’il devait prévenir l’Impératrice. Pourtant, il
ne le fit pas. Mettre en branle toute la puissance d’Omois
allait prendre du temps.

Il n’en avait pas à perdre.

Il fila jusqu’à la porte de transfert portable la plus


proche, portant Galant miniaturisé sur son épaule. Blondin
les suivait comme une ombre rousse, aussi inquiet que son
maître.

La salle de la PTP était matérialisée par une porte


gravée d’une tête de mort et de deux os croisés. Histoire de
rappeler aux gens qui les utilisaient à quel point elles
étaient peu fiables.

D’ailleurs, les préposés en uniforme blanc de


techniciens, qui bâillaient derrière le pupitre, entourés des
tapisseries de transfert, ne laissaient passer les gens
qu’après leur avoir fait signer des tas de papiers dégageant
toute responsabilité du Palais, de la ville, du pays et surtout
de l’Impératrice si le voyageur n'arrivait pas en un seul
morceau à l’endroit qu’il avait choisi[35].

— Je sais, cria Cal en arrivant, les faisant sursauter, et


je m’en fous, j’accepte tous les termes et conditions !
Activez la porte !

Il leur balança les coordonnées. Les opérateurs


voyaient arriver ce genre de personnes de temps en temps.
Des gens qui se fichaient d’arriver en un seul morceau. Les
scoops avaient enregistré que Cal avait accepté d’arriver
en plusieurs bouts dans des endroits différents, ils étaient
donc couverts. L’un des employés plaça le sceptre de
transfert dans son encoche et les tapisseries
s’embrasèrent.
Et Cal disparut.

L’un des employés regarda la place vide et hocha la


tête.

— Il a de la chance, il ne reste aucun morceau.

— C’était le petit ami de l’Héritière, non ? demanda


une femme imposante aux cheveux orange.

— Il m’a semblé, oui, répondit l’un des autres, un


chauve aux sourcils plus fournis que sa tête. Pourquoi ?

— Parce que ce type va avoir deux bébés. Et qu’on


ne risque pas sa vie comme ça quand on va avoir des
enfants, crois-en mon expérience.

L’autre sursauta, entrevoyant tout de suite ce que la


femme suggérait.

— Brolk ! Tu crois qu’on devrait avertir quelqu’un ?

— En fait, plutôt que d’avertir quelqu’un, je crois


plutôt qu’on va avertir Xandiar.

Cal se rematérialisa dans l’île des Roses Noires. Il était


tellement inquiet qu’il ne vérifia même pas s’il lui manquait
un bout d’orteil ou de doigt. À peine était-il sorti du cercle
qu’il courait déjà vers la navette qui se dressait, noire et
silencieuse dans l’aube qui s’annonçait, du fait du décalage
horaire, suivi par les deux animaux.

Il freina des quatre fers en tombant sur le premier


cadavre. Son inquiétude déjà prodigieuse atteignit de
nouveaux sommets. La gorge nouée au point d’avoir du mal
à respirer, il se pencha. Le thug avait été égorgé. À l’arme
blanche.

Il fonça vers un autre corps. Puis un autre. Tous les


thugs qu’il trouva avaient été égorgés. Galant hennit, au
comble de l’inquiétude pour sa compagne d’âme.

C’était impossible. Les thugs faisaient partie de l’élite


des combattants de cette planète. Se faire égorger comme
de vulgaires bééés était si étrange que l’espace d’un
instant Cal se demanda s’il n’était pas en train de faire un
cauchemar horrible. Mais l’odeur du sang et les bruits
autour de lui l’assuraient qu’effectivement il était dans un
cauchemar, mais un cauchemar hélas bien réel.

Le tour de la petite île fut vite fait. À l’intérieur de la


navette, tout avait été détruit. Les commandes, les écrans,
les ordinateurs, les scoops et les caméras, il ne restait rien
d’intact.

Enfin, à part ce qui était trop solide, comme la coque.


Mais les moteurs avaient morflé, la navette ne bougerait
pas pendant un bon moment et qu’après de sérieuses
réparations. C’était même étrange, ce saccage
systématique, comme si les assaillants étaient dans une
rage folle et l’avaient exprimée en détruisant tout.

Et Tara n’était nulle part. Cal scruta l’eau noire.


Blondin reniflait un peu partout et soudain, loin de la
navette, dans le brouillard, glapit bruyamment.

Cal, qui était en train de se demander avec angoisse s’il


n’allait pas retrouver le corps de Tara dans l’eau, sursauta.

Les images mentales que Blondin transmettait étaient


bizarres. Le renard avait un flair prodigieux. Il sentait
des machines, un corps qui avait été soulevé, et l’odeur de
Tara près de la navette. Et là, loin de la navette et près de
l’eau, l’animal sentait aussi l’odeur de Selenba et, tout
autour d’elle, l’odeur du sang.

Oui, Selenba et sang allaient souvent ensemble.

Cal était bien placé pour savoir à quel point la guerrière


était prodigieusement difficile à capturer.

Vivante, du moins.

Et pourtant les types, quels qu’ils soient, avaient réussi,


puisque son corps n’était pas avec les autres cadavres.
Même si, d’après ce que disait Blondin, Selenba ne s’était
pas rendue sans combattre.

C’était du moins ce qu’il espérait. Que cela soit un


enlèvement, pas un meurtre.

Le cœur battant, Cal s’approcha de l’endroit que


reniflait Blondin en éternuant (les assaillants avaient
apparemment nettoyé leur sang avec un produit qui piquait
le nez du renard).

Cal fut très surpris de sentir à son tour une sorte d’eau
de Javel. Le produit terrien était bien connu aussi sur
AutreMonde où les bactéries étaient magiques et
furieusement résistantes, et où sa formule de base, dichlore
et soude, avait été enrichie afin de pouvoir les éliminer.
Sur Terre, les malfrats utilisaient l’eau de Javel pour
dissimuler les preuves tirées des ADN qu’ils pouvaient
laisser sur des scènes de crime, Cal avait vu cela dans des
documentaires et des films. Sur AutreMonde,
apparemment, ils le faisaient aussi, même si Cal ne l’avait
jamais vu jusqu’à présent.

Les assaillants ne voulaient surtout pas qu’on sache qui


ils étaient. Cela éliminait Magister, au moins. Si ce dernier
avait enlevé Tara, il aurait sans doute mis un panneau avec
inscrit : « J’ai Tara, je veux x millions de crédits-
muts, mouuaaahhh ! ».

Cal sortit plusieurs scoop et deux taludis de sa poche et


fixa les petites entités magiques afin qu’elles enregistrent
tout ce qui allait se passer, car le sort qu’il allait lancer ne
pouvait exister qu’une seule fois, hélas, et qu’il ne pouvait
pas piloter les scoops, les taludis et jeter le sort en même
temps.

Il leva les mains et sa magie dorée frappa l’air autour


de lui pendant qu’il tournait sur lui-même, créant une bulle
transparente de magie.

— Par le rememorus, cria-t-il, que le passé des six


dernières heures apparaisse et que mon angoisse cesse !

La magie obéit. Le sort lui montra l’île, paisible,


dormant sous les soleils couchants. Cal insuffla un peu de
magie pour aller plus vite, ralentissant au moment où
l’image lui montra la navette et son arrivée alors qu’il
faisait déjà nuit. La respiration de Cal se bloqua lorsqu’il vit
Tara, si belle et si fragile avec son gros ventre, sortir du
vaisseau après que les thugs en armures de combat eurent
terminé de vérifier l’île, suivie par Selenba.
Cal se crispa mais ne dit rien. Le sort pouvait éclater à
n’importe quel moment, il ne voulait rien rater.

Il se doutait que Tara n’avait pas réussi à contacter la


Pierre Vivante, alias la planète AutreMonde et, de toutes
les façons, les cadavres étaient égorgés, pas victimes d’une
explosion magique. Mais il fut bizarrement déçu lorsqu’il
vit l’image de la jeune femme qu’il aimait se redresser d’un
air abattu, n’ayant clairement pas récupéré ses pouvoirs.

Cette foutue planète leur compliquait vraiment les


choses.

Devant Cal, avec l’aide des thugs, l’image de Tara se


releva et discuta avec les thugs. Cal les vit replanter les
arbustes, puis se diriger vers la navette.

Quelques pas encore et elle serait en sécurité. Il se


crispa de nouveau lorsque, soudain, une énorme explosion
de lumière figea la scène.

L’instant d'après, tout était noir. Stupéfait, Cal fit


avancer le flux magique. Mais l’image ne revint qu’après un
long moment. La navette était noire et silencieuse, les
cadavres jonchaient le sol et il se vit arriver. C’était inutile
de continuer ; à contrecœur, Cal arrêta le sort.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce brolk ! jura-t-il


furieux.

En attendant l’arrivée du vaisseau d’Archange et de


Mara, Cal repassa le film de ce qu’il avait enregistré, mais
le résultat fut toujours le même. L’image devenait noire et il
ne voyait pas qui étaient les assaillants et encore moins ce
qui arrivait à Tara. Galant, tout aussi angoissé, laissa
tomber ses ailes par terre de détresse. Le pégase devenait
tout aussi fou que Cal, rongé par la peur de perdre Tara.
Du coup, Blondin, qui devait subir et le stress de Cal et
celui de Galant, puisque tous les Familiers pouvaient
communiquer les uns avec les autres, avait envie de taper
sa fine tête rousse contre le premier mur venu.

Sauf que sur l'île des Roses Noires, évidemment, il n’y


avait pas de murs. Enfin, à part ceux de la navette, et cela
ne semblait pas une bonne idée au renard.

— Nous allons la retrouver, lui dit Cal, en caressant


le poil si doux du pégase, pendant que son renard se
blottissait contre lui. Ne t’inquiète pas, Galant, nous allons
les retrouver.

La navette de Mara se posa quelques minutes plus tard


et la jeune femme, en tenue de Voleuse Patentée, comme
Cal, ses longs cheveux bruns tressés en une natte de
combat, en sortit comme une furie, pour s’arrêter net en
voyant le premier cadavre.

— Par les mânes de mes ancêtres, gronda-t-elle,


mais qu’est-ce qui s’est passé ?

— Regarde, fit simplement Cal en ordonnant aux


scoops de projeter le film, alors qu’Archange, toujours
aussi insupportablement beau, ses yeux verts brillant
d’inquiétude, s’approchait à son tour, encadré de deux
démons anciens, munis de bien trop de tentacules et de
crocs au goût de Cal.

— C'est une explosion magique? demanda Mara


après avoir étudié attentivement ce qui s’était passé.

— Je ne sais pas, répondit Cal. Il y a des tas de sorts


qui peuvent produire ce genre d’effet.
— C’est bien pour cela que vous m'avez fait venir
dans cette contrée glaciale et bien trop humide pour mes
vieux os, grogna une voix que Cal connaissait bien.

Le jeune homme se redressa.

— Mourmur?

Le vieux savant, accompagné de Heagle5, l’ex-


commandante des Amazones tombée amoureuse de lui sur
Terre, et de ses trois Familiers, descendait
précautionneusement la rampe de la navette.

La commandante aux longs cheveux blancs et bouclés,


son visage bronzé et souriant, tenait amoureusement la
main de Mourmur, suivie par l’ordimagic mobile du savant.
L’engin avait encore évolué depuis la dernière fois que Cal
l’avait vu, et des excroissances étranges, à la fois
mécaniques et clairement organiques, poussaient,
clignotaient, se transformaient à partir de sa carcasse
d’origine.

Le plus bizarre, cependant, était l’espèce de casquette


à oreillettes à carreaux marron que la machine portait sur
ce qui semblait lui servir de tête.

— Vas-y, ordonna Heagle5 à l’engin, trouve ce qui


s’est passé.

La machine commença à se balader un peu partout sur


l’île, étudiant soigneusement les corps, la façon dont le
sang des thugs avait giclé, le type d’arme qui avait laissé
des traces de métal dans les blessures, les pas dans la
poussière et la boue, puis le film, pris par les scoops et les
taludis, traquant tout ce qui allait conduire aux ravisseurs.
— J’ai appelé Mourmur, expliqua Mara en désignant
le vieux savant de la tête. Par chance, il était à Tingapour
et je me suis dit que si quelqu’un pouvait trouver ce qui
était arrivé à Tara, c'était bien lui. On a fait un petit crochet
pour le récupérer.

— Hum, cette petite Tara a une certaine propension


à se fourrer dans des situations épouvantables, marmonna
le vieux savant à la chevelure blanche et ébouriffée qui le
faisait ressembler à Einstein. Et qui en général se
produisent la nuit, ce qui fait qu’on est réveillé en plein
sommeil par des gens inquiets qui vous demandent de la
retrouver, parce que le sort du monde est entre ses mains.
Je me demande si c’est génétique. Je devrais faire passer
des tests à toute la famille, je pense.

— Vous pourrez faire tous les tests que vous voudrez


si vous retrouvez ma sœur, répliqua Mara. Je vous
donnerai mon sang bien volontiers.

— Hum, en attendant, voyons déjà les éléments de


l’enquête.

Cal lui détailla tout ce qu’il avait appris. Mourmur


attendit impatiemment que sa machine revienne et il ne
fallut pas très longtemps à l’engin pour cracher une
réponse. Que Cal voulut lire, mais qui, composée de
chiffres et de diagrammes, était particulièrement
incompréhensible.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Cal, impatient.

— Je vais laisser à Sherlock le soin de répondre, sourit


le vieux savant, ses yeux bleus scintillant d’intérêt.

Archange se pencha, curieux, très élégant dans son


costume de camélin noir.
— Vous avez donné un nom à votre machine, fit le
séduisant démon, est-ce une coutume humaine que nous
ne connaissons pas ?

— Non, répondit soudain Sherlock de sa voix


électronique, faisant sursauter tout le monde, mais ce cher
Mourmur est un excentrique et il aime bien humaniser ses
interlocuteurs. Sherlock Holmes était un fameux détective
terrien, et là, je suis en mode chercher et trouver.

Ah, d’où la casquette bizarre.

— Parfait, vous parlez, fit remarquer Cal, qui était


trop inquiet pour Tara pour se montrer poli avec une sorte
de mi-machine, mi-organisme mutant. Qu’est-ce que vous
avez appris sur ce qui s’est passé ici ?

— D’après les traces et ce que j’ai pu enregistrer,


d’après les analyses du sol, de l’eau et des éléments
basiques, je dirais que des gens se sont dissimulés dans
l’eau, puis ont lancé une décharge électromagnétique qui a
brouillé l’image et assommé les thugs, avant d’attaquer et
d’égorger tout le monde. Puis ils ont tout cassé afin de
dissimuler les preuves, et enfin ils ont enlevé l’Héritière et
Selenba, la vampyr. Ce qui, dans ce dernier cas, et s’ils ne
font pas preuve de prudence, amène leurs chances de
survie à 2,3 %. Ils auraient mieux fait de laisser la vampyr
où elle était.

Les voyants de la machine clignotaient avec satisfaction


et Cal songea que ce mélange de ferraille, d’organes
bizarres et de circuits avait l’air plus intelligent que lui.

— Pourquoi une charge électromagnétique? Un sort


ne serait pas plus efficace ?
— Pas forcément. Là, ils faisaient d’une pierre trois
coups, si je puis m’exprimer ainsi, répondit la machine. Ils
n’avaient pas besoin d’utiliser leur magie pour assommer
tout le monde, ils immobilisaient la navette et coupaient
toutes les communications, sans compter qu’ils brouillaient
le sort de rememorus. Simple, pratique.

— Vous avez trouvé d’autres indices ?

— J’ai analysé le sol en profondeur, précisa Sherlock.


Les assaillants ont tenté de javelliser quasiment tout le
terrain autour de la principale bataille, entre la vampyr
enceinte et eux, mais, à certains endroits, le produit n’a pas
suffisamment pénétré pour tout détruire. Même si cela a
été organisé d’une façon très professionnelle, je l’avoue.

Cal hocha la tête, satisfait. Il restait des résidus. Quoi


que fassent les gens, professionnels ou non, il restait
toujours des résidus.

L’analyse du sang n’apporta hélas aucun éclairage à la


situation. C’était du sang d’un banal absolu, qui n’avait
rien de particulier, à part que ce n’était pas du sang de
vampyr ou d’une autre des races d’AutreMonde, mais du
sang humain.

— Génial, grogna Cal lorsque Sherlock lui fit son


rapport. Il y a juste des centaines de millions d’êtres
humains sur cette planète, ça va être super facile de
retrouver les coupables.

Mourmur plissa ses yeux bleus en lisant les


diagrammes.

— Vous nous insultez, jeune homme, fit-il d’un ton


amusé, maintenant que les ADN de ces gens sont rentrés
dans la machine, si nous avons un suspect, nous pourrons
prendre un échantillon et comparer. C’est déjà quelque
chose.

— Cela fait des heures que Tara a disparu, répondit Cal,


la gorge si serrée qu’il avait l’impression qu’il allait
s’étouffer.

— Justement, intervint Archange, relevant la tête de


son hor, alors que Mourmur allait répondre. Mara m’a dit
que vous n’aviez pas prévenu l’Impératrice d’Omois ?

— Non. Cela aurait pris trop de temps.

— Elle est au courant.

— Non, elle n’est pas...

— Je veux dire, le coupa Archange en montrant l’hor


qu’il venait de consulter, que nous venons tout juste de
recevoir un message. Ton départ précipité de Tingapour
par PTP n’est pas passé inaperçu. Les tech ont dû prévenir
la Garde, la Garde a dû prévenir le ministre de l’Intérieur,
le ministre a dû enquêter, et ils ont fini par réveiller
l’Impératrice. Tu dois lui parler.

Cal allait protester, mais le visage d’Archange se fit dur.

— Maintenant, imposa-t-il.

Cal l’affronta, fou de rage et de peur. Mais Mara posa


une main apaisante sur son épaule.

— Ce n’est pas seulement l’Impératrice, Cal, dit-elle


gentiment. C’est aussi la tante de Tara, son sang, sa chair.
Tu ne peux pas lui cacher ce qui vient d’arriver.
Cal se raidit encore, puis, comme un ballon qui se
dégonfle, s’affaissa, alors que ses yeux gris brillaient de
larmes qui ne voulaient pas couler.

Il fit demi-tour avant de perdre toute dignité devant ses


amis et monta la rampe, suivi par Mara et Archange. Le
roi passa devant lui à l’intérieur et, comme la navette
royale était nettement plus imposante que celle qu’ils
avaient prêtée à Tara, lui ouvrit le chemin.

Ils entrèrent dans une salle de communication


particulière, minuscule, toute du métal noir caractéristique
des vaisseaux démons, où Mara et Archange laissèrent Cal
en tête à tête avec l’image 3D de Lisbeth, dont le visage
était crispé par la colère et l’inquiétude, au point qu’elle
avait juste incanté une simple robe bleu foncé, que ses
longs cheveux blonds étaient libres et qu’elle ne portait
aucune couronne et aucun bijou. Elle se tenait dans son
bureau, face à l’écran.

— Où est-elle? dit-elle à Cal. Qu’est-ce que vous êtes en


train de manigancer, Caliban Dal Salan? Si c’est
une manœuvre pour l’emmener loin de moi...

Cal n’allait pas la laisser s’enfoncer dans la paranoïa si


caractéristique des dirigeants et lui coupa la parole.

— Tara a voulu récupérer ses pouvoirs, elle se sent en


danger sur cette planète sans sa magie. Elle est partie avec
une escorte de thugs et Selenba. Elles ont disparu toutes
les deux et tous les thugs ont été égorgés.

Le beau visage de l’Impératrice se figea.

— Égorgés?
— Tous, confirma Cal en serrant les poings pour ne
pas hurler. Y compris l’équipage démon de la navette. Vous
savez comme moi à quel point il est difficile de tuer un
démon, sans compter que les thugs avaient leurs armures
de combat.

L’Impératrice sembla avoir du mal à déglutir. Sur son


visage, la tristesse d’avoir perdu des thugs le disputait
avec sa peur pour Tara.

— Par tous les dieux d’AutreMonde ! Une attaque


magique ? Qui aurait détruit les contre-sorts ?

Les thugs et leurs armures étaient bardés de contre-


sorts afin de les protéger contre les agressions de tout
type.

— Non, répondit Cal. Mourmur dit que son appareil


n’enregistre aucune activité magique, à part celle des
thugs qui ont tenté de se défendre. Il semble que les
assaillants aient utilisé de la technologie.

Lisbeth fronça les sourcils.

— Quelle technologie ?

— Une espèce de champ électromagnétique, qui


aurait assommé tout le monde et grillé les circuits de la
navette. Qu’ils ont détruit par ailleurs, tout a été saccagé à
l’intérieur. Les seuls qui ont réussi à se battre étaient ceux
qui se trouvaient loin de l’épicentre de la frappe, dont
notamment Selenba, qui se tenait à l’autre bout de l’île lors
de l’attaque. Nous sommes en train d’analyser ce qui s’est
passé. Les sorts ne le montrent hélas pas. Nous n’avons
aucune image des assaillants.
— Magister? demanda Lisbeth, pensant
immédiatement au pire ennemi de Tara.

Cal se passa les mains dans ses cheveux noirs, les


ébouriffant un peu plus.

— Non, répondit-il, je n’y crois pas. Il aurait pu


effectivement égorger les thugs, les vies, il s’en fiche,
Selenba se serait sans doute battue contre lui, ça ne fait
aucun doute, mais toute la méthodologie, la façon dont cela
s’est produit, ne lui correspond pas. Et puis, il aurait déjà
communiqué ses exigences. « Je tiens Tara, donc vous allez
me donner ci ou me donner ça, ou faire ça pour moi, etc. »
Vous n’avez reçu aucun message ?

— Non, répondit Lisbeth, presque à regret. Tu as


raison, ce n’est pas son mode opératoire. Et je ne vois pas
très bien pourquoi il enlèverait Tara, il n’a plus d’objets
démoniaques à récupérer pour chasser les dragons, et les
démons sont nos alliés.

Cal s’étira pour tenter de dénouer les muscles de son


dos et de son cou.

— Slurk! jura-t-il. Je pensais qu’on était sorti du cycle


« j’enlève Tara, ou ses copines, ou sa famille », ces deux
ans de tranquillité nous ont fait oublier la prudence, à Tara
et à moi.

Nous avons commis une énorme erreur. En son nom et


au mien, je vous prie de nous excuser, Votre Majesté
Impériale.

Lisbeth eut un très faible sourire, reconnaissant les


efforts de Cal.
— Pour une fois, je n’ai rien à te pardonner, Cal. Vu
la réaction que tu as eue et la folie d’utiliser une porte de
transfert portable, je suppose qu’elle ne t’a pas prévenue
qu’elle allait sur l’île des Roses Noires dans les Marais de
la Désolation, avec qui nous n’avons bien évidemment
aucune relation diplomatique, vu que c’est le territoire des
sorcières[36] noires, en compagnie d’une aussi faible
escorte et sans aucun garde-fou officiel ?

— Non, grimaça Cal. Elle savait très bien que je l’en


aurais empêchée. Elle est près de son terme et...

Soudain, ils se regardèrent tous les deux, les yeux gris


écarquillés de Cal plongeant dans les yeux bleu marine
de Lisbeth.

— Mes dieux, j’ai tellement l’habitude qu’on essaye


d’enlever Tara que j’en avais presque oublié à quel point
elle est proche de son accouchement ! s’affola celle-ci. Où
qu’elle soit, elle n’aura pas les médecins de l’Empire pour
s’occuper d’elle et accoucher de jumeaux, c’est bien plus
délicat qu’une grossesse unique !

Cal avait déjà peur. Là, il était carrément terrifié.

— J’appelle Jeremy’lenvire Bal Dragus, fit-il d’une


voix étranglée.

— Excellente idée, fit Lisbeth. Mets-moi en double


appel avec toi.

Cal obéit et pianota sur la comconsole du vaisseau.


L’image de Lisbeth se divisa, mais elle masqua sa présence,
prudente ; ainsi, pour leur interlocuteur, seule l’image de
Cal apparut. La tête ébouriffée de Jeremy’lenvire Bal
Dragus, le célèbre play-boy milliardaire et accessoirement
le pendant masculin de Tara en termes de pouvoir, se
matérialisa devant Cal et le regarda d’un air surpris.

— Cal ? Qu’est-ce qui se passe ?

— J’ai besoin de toi, Jeremy, fit sèchement Cal. Tu


dormais ?

Jeremy agrandit l’image et Cal vit que deux jolies


blondes souriaient à son image.

— Non, pas tout à fait.

— Salut, beau gosse, fit l’une d’elles.

Soudain, ses yeux bleus s’écarquillèrent et elle se mit


quasiment au garde-à-vous dans le lit. Lisbeth venait
d’activer son image également.

— Votre... Votre Majesté Impériale, bafouilla-t-elle,


complètement affolée, je... je ne vous avais pas vue, je...

Lisbeth jeta un regard froid à la jolie fille.

— Damoiselle Govil Ab Savrot ! Votre mère sait que


vous êtes là ?

— Votre Majesté Impériale ! s’exclama à son tour


Jeremy. Mais qu’est-ce qui se passe ?

— Va dans un endroit où personne ne peut


t’entendre, ordonna Cal à Jeremy.

Le jeune homme grimaça, mais obéit. Ses portes


vivantes se refermèrent derrière lui pendant qu’il se
rendait dans son cabinet de travail et allumait la lumière.

— Il est arrivé quelque chose à Tara ? demanda-t-il.


— Tu sais quelque chose ? demanda Cal, soudain tendu.

— Non, pas du tout, répondit Jeremy, mais tu


m’appelles avec Sa Majesté et, pardon, mais vous avez l’air
très inquiets, alors...

— Tara a disparu, gronda Cal. Elle s’est rendue dans


l'île des Roses Noires pour essayer de parler avec
AutreMonde, avec la navette spatiale des démons, prêtée
par Mara et Archange. Nous venons de trouver son escorte
et l’équipage démoniaque massacrés et la navette détruite.

Jeremy émit un petit sifflement.

— Slurk ! C’était il y a combien de temps ?

— Quelques heures déjà, hélas. Ton pouvoir est bien


supérieur au mien, avec un cherchus, tu peux couvrir
quelle distance ?

Jeremy réfléchit.

— Je n’ai jamais essayé et mon pouvoir est bien


inférieur à celui de Tara, quoi qu’elle dise, mais je pense
que ça devrait couvrir à peu près tout le continent. Mais tu
sais que si elle est couverte par un contre-sort...

— Je sais, l’interrompit Cal. Vas-y.

La magie bleue de Jeremy illumina la nuit et son sort,


bien plus lumineux que celui de Cal, s’éleva comme une
onde brillante.

Ils attendirent. Cal était incapable de parler, tellement


il était inquiet. Lisbeth ne disait rien non plus, mais ses
doigts fins pianotaient nerveusement sur son magnifique
bureau marqueté.
Quelques instants plus tard, le sort revint. Bredouille.

Il n’avait pas trouvé Tara.

— Mon pouvoir ne couvre que ce continent, fit Jeremy.


Tu veux que j’aille sur les autres ?

— Oui, répondit Cal, désespéré. S’il te plaît. Je compte


sur toi.

— OK, je te tiens au courant.

— Merci, au nom de l’Empire, fit Lisbeth. Et jeune


Jeremy ?

— Votre Majesté Impériale ?

— Pour l’instant nous voulons que l’absence de mon


Héritière soit gardée secrète. Je compte sur vous pour être
discret.

Le jeune homme brun hocha la tête.

— C’est évident, Votre Majesté Impériale. Que votre


magie illumine.

— Et que la tienne protège le monde... et trouve ma


nièce.

Cal coupa la communication.

— J’envoie nos meilleurs enquêteurs sur l’île avec


Xandiar, reprit l’Impératrice d’une voix crispée, nous
devons trouver qui a enlevé Tara et la libérer avant qu’une
catastrophe ne se produise.

Ils se saluèrent de la tête et l’Impératrice coupa la


communication.
Cal essaya de respirer, mais c’était difficile.

L’Impératrice n’avait pas prononcé la phrase à laquelle


ils avaient pensé tous les deux, juste avant qu’il
n’appelle Jeremy.

Tara pouvait mourir lors de son accouchement. Et leurs


bébés avec elle.
Chapitre 11
Tara
Ou comment se retrouver sur une île
cernée par des krok-requins, des krakens
et des bestioles affamées, sans bateau,
et annoncer d’un ton nonchalant que
finalement on ne va pas se baigner,
parce que l’eau est trop froide.

Les centaures, les licornes, Selenba[37] et Tara étaient


trop visibles sur cette colline et descendirent rapidement
se remettre à couvert sous les arbres de toutes les
couleurs.

Sans beaucoup d’illusions sur le fait qu’ils seraient


fatalement découverts à un moment où à un autre, vu que
l’île ne devait faire que quelques tatrolls de largeur et
autant en longueur. Heureusement, il n’y avait pas de
sensitives dans le coin, parce qu'avec le stress qu’ils
éprouvaient tous la forêt aurait viré au noir vite fait.
Attirant le regard sur eux comme sur une cible géante.

— Alors, fît la vieille centaure en regardant Tara, on


fait quoi?

Tara se mordit les lèvres. La Tara d’avant aurait eu une


réaction de défense du type : « Eeeeh, mais qu’est-ce que
j’en sais, moi ! » La Tara enceinte, elle, devait protéger ses
enfants et assumer la responsabilité de leur sécurité à tous.
— Je n’ai pas vu de villages ou d’autres bâtiments que
le laboratoire, et l’île est vraiment petite, donc je doute
qu’il y en ait, ce qui est logique puisqu’ils détiennent des
citoyens d’AutreMonde pour des expériences illégales. Toi,
tu t’appelles comment ?

Le jeune centaure qui avait été blessé se redressa


lorsqu’il vit que Tara lui parlait. Heureusement pour lui, la
balle n’avait fait qu’effleurer son torse et ses côtes,
creusant une longue balafre qui avait déjà arrêté de
saigner. Cela dit, vu sa grimace, ce devait être douloureux.

— Vagol, répondit-il, Vagol Faukonyaka.

— OK, Vagol, tu es celui qui connaît le plus cet


endroit. Tu as d’autres renseignements à nous donner? Est-
ce que c’est loin de la côte ? Parce que d’en haut je n’ai
rien vu qui ressemblait à un continent.

— Euh, en fait, je n’en sais rien, répondit


nerveusement le jeune centaure en agitant sa queue crème
pour éloigner quelques piqqqs, ce qui fit broncher les
autres centaures qui n’avaient plus un poil et donc plus de
crinière ni de queue. Je ne me suis réveillé qu'en
atterrissant, je n’avais même pas vu que nous étions sur
une île, sinon, je vous l’aurais dit tout de suite.

— Tu sers à rien, railla l’un des autres centaures.

— Au moins, nous sommes libres, intervint la vieille


centaure, foudroyant ses congénères du regard. Et nous
n’avons vraiment pas le temps pour nous bagarrer, même si
je sais que vous, les étalons, vous ne vivez que pour cela.
Nous devons rester unis et vifs, nous sommes encore en
grand danger.
— Ils ont désactivé toutes les hors, grogna Tara qui
était en train de se dire qu’elle n’allait jamais réussir à
descendre du dos du centaure sans se vautrer
lamentablement. Nous n’avons aucun moyen de
communication et comme j’ai perdu ma magie, impossible
d’avertir mon Familier. Quelqu’un a une idée ?

— On peut lancer un SOS magique ? dit une petite


centaure qui ne devait pas avoir plus de quatorze ans.

— C’est débile, dit cruellement une autre, dont les


poils noirs étaient en train de repousser. On ne sait pas où
on est, tu veux l’envoyer où, ton SOS, idiote ?

— Inutile de l’insulter, fit sèchement Tara. Et c’est


une bonne idée. Lancez des SOS avec vos magies, s’ils
arrivent à une autre île, ou sur le continent, peut-être que
quelqu’un partira à notre recherche.

— Nous n’avons pas autant de pouvoir que vous, dit


la vieille centaure. Notre magie se dissipera trop vite.

— Faites-le quand même. Toi aussi, Selenba.

Ils incantèrent docilement et des tas de « Sommes


prisonniers des nonsos sur une île », ou « Au secours », ou
encore, « Je ne mordrai pas le premier qui nous portera
secours » — le dernier étant un message de Selenba —,
s’envolèrent dans le vent.

— Bon, dit Tara, maintenant, est-ce que quelqu’un a


une autre idée ?

Ils se regardèrent tous, mais en dépit des sourcils


froncés et des regards perdus dans le vide, personne n’eut
d’idée de génie.
Sauf Selenba qui planta ses yeux roses dans les yeux de
Tara.

Elles échangèrent un regard. Elles s’étaient comprises.

— Je ne vois qu’une seule solution, soupira Tara,


résignée, parce que si nous les laissons nous traquer ou
rameuter leurs troupes, on est foutus. Et le pire, c’est que
je pense que ça va vous plaire.

— Ah bon ? fit la vieille centaure, méfiante. Et qu’est-


ce que vous proposez, jeune humaine ?

Tara prit une grande inspiration et laissa tomber d’une


voix un peu chevrotante qu'elle s’efforça de raffermir :

— Je n’arrive pas à croire que je dise ça, mais la seule


solution, c’est d’attaquer le laboratoire.

Selenba eut un sourire sinistre et fit craquer ses


phalanges, ce qui fit sursauter les centaures.

— Bien, bien, bien, je vais pouvoir m’amuser un


peu. Donc, voici le plan. Je m’introduis dans le laboratoire,
je tue tout le monde et ensuite, vous entrez. Ça vous va ?
Les centaures la regardèrent les yeux écarquillés. La
vieille centaure déglutit.

— Moi, ça me va très bien, chevrota-t-elle, même si,


contrairement aux étalons, me battre ne m’amuse pas du
tout. Mais vous allez bientôt pouliner (elle désigna le petit
ventre de la vampyr), ce n’est pas dangereux pour votre
bébé ?

La vampyr accentua son sourire, ce qui dévoila ses


crocs.

— La seule chose qui m’ennuie dans tout cela, c’est


que je ne peux pas mordre ces gens sans me transformer
en buveuse de sang humain, ce qui transformerait mon
bébé et mettrait sa vie en danger. Sinon, ce sera amusant.
Ces humains sont bien moins rapides que moi. Nous ne
risquons rien, Luck et moi.

Tara n’aimait pas que d’autres prennent des risques


pour elle, mais elle n’avait pas trop le choix. Pas alors que
son ventre était toujours aussi dur et qu’elle avait un mal
de dos à hurler.

— OK, allons-y. Plus nous attendons, plus nous


courons le risque qu’ils amènent d’autres troupes.

Selenba sauta sur le dos de Fagol et ils foncèrent en


sens inverse. Vingt minutes plus tard, ils étaient en lisière
du laboratoire, et, dissimulés, observaient ce qui se passait.

Les gardes n’avaient pas encore eu le temps de


s’organiser. Peut-être qu’en tuant Almandach Tara avait
décapité la conspiration, quelle qu’elle soit, et que les
gardes, perdant leur employeur et donc leurs revenus, ne
savaient pas très bien quoi faire. Quoi qu’il en soit,
l’endroit grouillait comme une fourmilière qu’un géant
aurait foulée du pied.

— Il y a plus de gardes que je ne le pensais,


remarqua Selenba. Bon, je m’occupe de l’intérieur, vous
gérez l’extérieur. À tout à l’heure.

Avant que Tara n’ait le temps de lui dire d’être


prudente, la vampyr s’élança, si vite qu’elle en était floue.
Elle pénétra dans le bâtiment.

Les gardes étaient tout juste en train de réaliser qu’il se


passait quelque chose que les centaures attaquèrent.

Ils avaient laissé Tara et la vieille centaure dans le bois.


Ni l’une ni l’autre ne pouvaient faire grand-chose et, de
toutes les façons, il n’y avait pas assez d’armes pour tout le
monde. La changeline n’avait qu’un stock limité qu’elle
réservait à la défense de Tara et la vieille centaure, qui
s’appelait Chavol Deuxpiedsdanslememesabot, préférait
rester avec la jeune femme et assurer sa défense.

L’attaque prit les gardes humains totalement par


surprise. Ils se regroupaient pour partir à la recherche des
fugitifs et ne s’attendaient donc pas vraiment à ce que
lesdits fugitifs leur tombent dessus.

Ce fut bref, peu glorieux et très sanglant. Sur les


quarante centaures prisonniers, il en resta vingt-trois à la
fin, les gardes humains s’étant bien défendus. Mais, si leurs
armures les avaient protégés des sabots, elles n’avaient pas
résisté aussi bien à leurs propres armes.

À l’intérieur, les hurlements avaient résonné en un


curieux écho avec la bataille extérieure.
Et lorsque Selenba ressortit, les yeux roses brillant de
satisfaction, Tara comprit que l’opposition n’avait pas dû
être très vigoureuse à l’intérieur.

Les centaures se réunirent autour de Tara et de Chavol.

— Très bien, mes petits, fit la vieille pouliche, vous


vous êtes bien battus et nous célébrerons les noms des
guerriers tombés à vos côtés.

Tara détourna la tête.

— Il faut que nous trouvions une salle pour


emprisonner les blessés, comme ce sont des nonsos NM,
nous ne pouvons pas les guérir avec des reparus.

Les centaures la regardèrent d’un air surpris. Puis l’un


d’entre eux se gratta la tête et demanda :

— Quels blessés ?

Tara ouvrit la bouche. Vit les regards sincèrement


intrigués. Et la referma. OK. Il n’y avait pas de blessés. Les
centaures n’avaient clairement pas bien pris le fait d’être
enlevés, épilés et torturés. Ils avaient été sans pitié.

— Pas de blessés. D’accord. (Elle prit une grande


inspiration pour calmer la douleur de son dos.) Maintenant
que nous avons écarté la menace la plus immédiate, il faut
que nous contactions le Palais.

— Et si nous essayions des transmitus ? demanda


Fagol qui boitait bas suite à un coup de couteau dans la
cuisse droite.

Chavol le foudroya du regard.


— Un transmitus ? Alors que nous ne savons pas où
nous sommes et à quelle distance se trouve la terre la plus
proche ? Si ta magie ne te propulse pas assez loin, tu veux
servir de nourriture aux krok-requins ?

Le jeune centaure grimaça. Il n’y avait pas pensé.

— Selenba, demanda Tara, tu n’aurais pas


épargné quelqu'un par hasard, histoire qu’on essaye de
comprendre où nous sommes et ce qui se passe au juste ?

La vampyr haussa les épaules.

— Je n’étais pas de très bonne humeur, désolée.


Nous n’avons personne à torturer. Mais tu as raison,
j’aurais dû y penser, en plus, ça aurait été nettement plus
amusant.

Les centaures lui jetèrent un regard inquiet et


s’écartèrent légèrement de la vampyr. Tara soupira et se
frotta le dos, essayant d’atténuer la douleur lancinante qui
ne la quittait pas en dépit de ses efforts pour se détendre.

— Allons-y, il doit bien y avoir des moyens d’appeler


le continent là-bas.

L’étalon qu’elle montait voulut prendre un petit trot


pour atteindre le complexe, mais Tara l’en empêcha.

— Non, murmura-t-elle après quelques pas, va


doucement, s’il te plaît, je ne me sens pas très bien après la
cavalcade de tout à l’heure.

L’étalon modéra son allure et ils entrèrent dans le


bâtiment bien après les autres. Selenba, utilisant sa force
extraordinaire et sa vitesse, avait assemblé déjà les corps
en tas, un peu partout dans le laboratoire. Il devait y avoir
une cinquantaine de personnes lorsqu’ils s’étaient évadés,
mais pourtant, seules une dizaine de personnes,
essentiellement des gardes, étaient présentes.

Enfin, ce qu’il en restait après le passage de la vampyr.

Tara fronça les sourcils, essayant de ne pas se laisser


submerger par la nausée qui montait en même temps que
l’odeur métallique du sang frais.

— Ce n’est pas possible. Où sont passés tous les gens


qui travaillaient ici ? Selenba, tu as tout vérifié ?

— Oui, y compris le sous-sol et l’étage supérieur. Il n’y


a personne d’autre, ni chambre secrète ni tunnel. Et
comme ces imbéciles n’utilisent pas la magie, ça n’a pas
été très compliqué de tous les trouver, même ceux qui
s'étaient cachés pour essayer de me surprendre.

— Hum... Est-ce que tu peux me déposer, s’il te


plaît? demanda-t-elle à sa monture.

En fait, ce fut un autre étalon qui s’en chargea. L’espace


d’un instant, Tara crut que ses jambes n’allaient pas
réussir à la porter. En un éclair, Selenba fut à ses côtés, la
soutenant. Reconnaissante, Tara affermit ses genoux
pendant que Selenba se penchait et la reniflait d’un air
inquiet.

— Tara ? souffla la vampyr.

— Ne dis rien, murmura Tara, ce n’est pas le moment.

— Mais...

— S’il te plaît. Sortons d’abord de ce piège, d’accord ?


La vampyr se referma comme une broug[38], le visage
impassible.

Tara soupira de soulagement lorsque Selenba l’aida à


s’installer dans un confortable fauteuil. Soutenue par les
renforts, son dos la lança un peu moins et son ventre, bien
trop dur depuis bien trop longtemps avec le stress et la
course folle, s’assouplit un peu.

— Les centaures ! cria Selenba. Nos hors ont été mises


hors de service par ces soupilutes. Trouvons une solution
pour avertir les secours, cherchez tous les moyens de
communication possibles !

Le problème des hors, c’était que, contrairement aux


téléphones portables terriens, elles étaient incrustées dans
les avant-bras des races autreMondiennes. Par conséquent,
si la personne qui les portait était morte, les hors se
désactivaient instantanément. Ils ne pouvaient donc pas
utiliser les hors des kidnappeurs, comme le suggéra l’un
des centaures.

Ce à quoi Selenba répondit qu’il était un imbécile. Les


gens qui bossaient dans ce complexe étaient tous des NM.
Ils n’avaient pas d’hors incrustées, ils devaient forcément
utiliser des téléphones normaux. Sauf qu’ils les avaient
apparemment emportés avec eux et qu’aucun des gardes
n’en avait, ce qui prouvait qu’ils étaient prudents au point
d’être paranoïaques.

Et leurs ordinateurs, apparemment, n’avaient aucune


communication magicnet avec l’extérieur, sans doute pour
éviter que le laboratoire, de plus en plus clairement
clandestin, ne se fasse repérer, ce qui ne surprit pas Tara,
hélas parce que ces gens étaient suffisamment fous pour
refuser le si pratique réseau magique.
Au bout d’une heure de recherches infructueuses, ils
durent se résoudre à l’évidence : d’une part, une grande
partie des laborantins avait réussi à s’enfuir, probablement
grâce à un ou des bateaux (ou alors des hélicoptères ou des
avions, bref, le résultat c’était qu’il n’y avait plus personne)
; d’autre part, il n’y avait aucun moyen de communication
d’aucune sorte dans le laboratoire.

La bonne nouvelle, c’était qu’ils pouvaient transformer


l’endroit en place forte, qu’il y avait à boire et à manger
pour tout le monde, y compris une réserve de sang
d’animaux pour Selenba, ce qui prouvait que leurs geôliers
avaient l’intention de la conserver en vie pendant un
certain temps.

La mauvaise, c’était qu’il n’y avait définitivement pas de


véhicules, de bateaux ou de tapis volants, rien qui puisse
les emmener loin d’ici.

— Je vais incanter un canot et un moteur alimenté par


les soleils et essayer de rejoindre le continent, dit
Favol, parce que voler sera trop fatigant. Je sais me repérer
grâce aux étoiles. Je dormirai le jour et je naviguerai la
nuit. Le jeune étalon dit qu’il a été capturé près de la
Viridis, si je pars du principe que nous sommes sur l’une
des îles proches de Patrok, l’île des Édrakins, en faisant
voile vers l’Est, je devrais arriver au continent.

— Vous devez partir à dix, les dix les plus puissants


en magie, imposa la vieille centaure, tout seul, c’est de la
folie. Vous pourrez vous relayer si ta magie ne parvient pas
à conserver le canot suffisamment solide pendant assez
longtemps.

Elle se pencha vers Tara et lui sourit.


— Vous nous avez sauvés, jeune pouliche, à notre tour
de vous sauver.

Tara protesta, elle savait à quel point les mers


d’AutreMonde, avec leurs monstres et leurs tempêtes,
étaient dangereuses, mais les centaures n’en démordirent
pas. Ils voulaient partir et ils voulaient la sauver. La nuit
allait bientôt tomber, ils allaient donc pouvoir commencer à
naviguer rapidement en suivant les étoiles.

Jusqu’au moment où Tara leur demanda pourquoi ils


n’incantaient pas un sextant. Ils la regardèrent d’un air
penaud, ils n’y avaient tout simplement pas pensé. Du
coup, ils allaient aussi pouvoir naviguer de jour.

Habitant à Tagon, sur Terre, Tara n’était pas loin de


l’océan et avait souvent fait du dériveur avec Betty et leurs
amis de classe. La jeune femme savait donc parfaitement
utiliser une voile. Ce que les centaures, eux, ne savaient
pas faire. Elle leur fit ajouter un mât et des voiles afin de
suppléer la magie du moteur au cas où.

Chavol incanta un manuel et Tara espéra que les vents


seraient favorables et surtout très doux, parce que
l’équipage ne lui inspirait pas une grande confiance.

En attendant, ils mirent en commun tout ce qu’ils


avaient trouvé pour se nourrir. Bien qu’omnivores, les
centaures pouvaient cueillir les fruits, mais également
manger l’herbe qu’ils trouveraient dehors.

Ils enchantèrent un maximum de nourriture puis


créèrent un canot suffisamment large et stable pour
accueillir des quadrupèdes pas vraiment construits
physiquement pour la navigation.

Puis ils montèrent dedans.


Enfin, rectification. Ils tentèrent de monter dedans.

Ce n’était pas vraiment le moment d’avoir une crise de


fou rire, mais Tara eut beaucoup de mal à s’en
empêcher. Les centaures montaient tant bien que mal dans
le canot, ils arrivaient à passer les pattes avant, pendant
que leurs jambes arrière pédalaient frénétiquement dans la
mer pour se hisser, pendant que les autres essayaient de
maintenir le canot qui dansait et se dérobait. Et, juste au
moment où l’un d’entre eux parvenait à peu près à se
stabiliser, le canot faisait quelque chose, ou l’un des
centaures faisait quelque chose, et tout le monde retombait
à l’eau.

Tara en avait mal à la mâchoire et au ventre. Selenba,


pourtant peu joyeuse en temps normal, était simplement
pliée en deux de rire.

L’apothéose arriva lorsque tous les centaures furent


enfin sur le canot, que Fagol mit le moteur en marche... et
partit à fond la caisse en marche arrière.

Apparemment, celui qui avait créé la boîte de vitesses


l’avait montée à l’envers. Le canot fonça vers la plage et
tous les centaures retombèrent à l’eau avec un bel
ensemble pendant que l’embarcation calait.

Là, Tara abandonna la partie et se mit à rire de tout son


cœur, incapable de résister.

— Eh bien, grogna Chavol, on n’est pas sauvés !

Cela fit repartir Tara et la vampyr de plus belle, au


point que Tara se dit que, cette fois-ci, elle allait vraiment
accoucher.
Ils finirent par comprendre comment le canot
fonctionnait et surtout comment les vagues se déroulaient
et, enfin, le navire improvisé évolua plus ou moins
gracieusement dans la petite baie.

Ils étaient prêts... enfin aussi prêts que possible.

Le crépuscule tombait tout juste lorsqu’ils dirent adieu


aux volontaires, le cœur serré, regardant le canot
disparaître peu à peu à l’horizon.

Selenba et Tara rentrèrent dans les annexes où se


trouvaient les appartements des employés, afin d’y prendre
un peu de repos, pendant que ceux qui étaient désignés
patrouillaient autour du complexe. Une autre équipe partit
également cartographier l’île et trouver des endroits où ils
pourraient se replier au cas où les nonsos reprendraient le
complexe.

Même si Tara était morte d’inquiétude pour ses bébés


(d’accord et un peu pour elle aussi, elle avait vu assez
de trucs horribles sur le magicnet pour s’inquiéter d’une
naissance gémellaire sur une planète magique), pour
l’instant, tout allait nettement mieux que quelques heures
plus tôt.

Si Tara avait pu parler à Cal et savoir qu’il était en


route pour la rejoindre, son bonheur aurait été total.

L’incertitude était tuante. Gueder était probablement


mort ; il suffisait de quelques minutes sans oxygène, et,
pendant que Tara et Selenba délivraient tout le monde, il
s’était passé suffisamment de temps pour que l’odieux
individu aille se faire rôtir en Enfer.

Même si, parmi les corps, le sien brillait par son


absence.
Ils mirent les cadavres dans les chambres froides
découvertes par Selenba dans les sous-sols. Mangèrent
pour retrouver leurs forces et, pour ceux qui ne l’avaient
pas encore fait, trop occupés par les essais de navigation
improvisés, terminèrent de se soigner à coups de reparus,
avant de lancer des nettoyus un peu partout dans le
laboratoire.

Chavol institua des tours de garde, tandis que Tara et


Selenba essayaient d’imaginer comment attirer l’attention
des secours, juste au cas où les centaures n’y
parviendraient pas. Elles étaient dans l’une des grandes
chambres simplement peintes de blanc de l’annexe du
laboratoire, apparemment l’appartement de Gueder
lorsqu’il restait sur place. Même si Tara avait froncé le nez
à l’idée de dormir dans le même endroit que son
kidnappeur, il avait un lit immense et très moelleux où ses
jumeaux et elle s’étaient enfoncés avec un immense
bonheur. Enfin, surtout elle.

Fatiguée elle aussi, Selenba s’était allongée à ses côtés.

— Slurk ! fit soudain Tara, faisant presque sursauter


Selenba.

— Quoi ? Quoi ? cria Selenba en se redressant. Tu vas


accoucher?

Tara la regarda d’un air perplexe.

— Acc... mais non, pas du tout ! Je disais juste slurk,


parce que je viens de comprendre que le fameux complexe
que Gueder a fait construire en Viridis n’est qu’un leurre !
Même si Cal découvre qui était derrière notre enlèvement,
il se rendra là-bas, parce que cet endroit, sur cette île, est
totalement secret !
La vampyr hocha la tête et se recoucha.

— Bon sang, Tara, ne me fais pas sursauter comme ça.


Et ne fais pas la maligne, j’ai très bien senti que tu n’étais
pas loin de ton terme. Ces petits ont envie de sortir et, à
mon avis, ils ne vont pas attendre très longtemps.

— Eh bien ils vont être sages et attendre gentiment


que maman soit rentrée et que papa soit là pour les
accueillir sur ce monde de dingues.

— Hum, je ne suis pas sûre qu’il soit possible de les


raisonner, je te signale. En attendant, je fais confiance à
l’Impératrice et à Cal pour nous retrouver. Elle a
d’immenses moyens et ton Voleur est très intelligent. Quant
à ce que tu dis à propos du secret, non, rien n’est secret
très longtemps, surtout lorsqu’on doit faire appel à des
humains pour construire et préparer et qu’on ne peut rien
faire avec de la magie. Il y a dû y avoir des plans, des
ingénieurs, des échanges d’argent, des devis. Il y a des
panneaux solaires et des générateurs pour alimenter le tout
en électricité, mais pour l’eau potable et le reste, ils ont dû
construire et creuser, et ça ne se fait pas en claquant des
doigts. Ils vont nous trouver. Je ne suis pas inquiète.

— Pas grave, répondit Tara, je suis inquiète pour deux.

À la grande surprise de la jeune fille blonde, la vampyr


eut un petit rire. Ce fut la dernière chose que Tara
entendit, parce qu’elle plongea dans un sommeil
réparateur.

Mais, lorsqu’elle se réveilla, la terre tremblait.


Tara sentit d’abord la main de Selenba qui la secouait.
Il faisait nuit, les étoiles et la lune et demie
d’AutreMonde éclairaient suffisamment pour que Tara voit
l’expression soucieuse de Selenba.

— Qu’est-che que... bafouilla Tara, mal réveillée. Qu’est-


ce qui se passe ?

— Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que mon


instinct me dit que les ennuis sont en train de nous tomber
dessus. Viens !

Dans les films, les gens se précipitent vers la source du


danger et, deux fois sur trois, bien sûr, quand ce sont
de petites blondes dans les films d’horreur, elles se font
dévorer/découper/mutiler/éventrer/égorger/etc. Là, Tara
dut d’abord foncer (enfin, foncer lentement) aux toilettes
avant de descendre les marches, se poster derrière une
fenêtre comme Selenba et voir...

... des arbres tomber.

Des tas d’arbres, qui s’inclinaient comme s’ils saluaient


quelque chose d’invisible.

Affolés, les centaures braquaient leurs armes vers la


menace qui semblait les encercler. Soudain, Tara entendit
un cliquetis caractéristique, un truc qu’elle avait entendu
lors des défilés militaires sur Terre.
Et lorsque les derniers arbres autour du complexe
s’abattirent, vaincus par les Géants d’Acier, ils apparurent,
mortels et fracassants.

Des tanks. D’énormes tanks camouflés de bleu et rouge,


les couleurs de la végétation d’AutreMonde.

— Ils doivent vraiment avoir peur de toi, Tara, laissa


tomber Selenba, railleuse. Parce que là, c’est l’artillerie
lourde !

Il n’y eut pas d’avertissements. L’un des tanks cracha


du feu, de l’acier, et l’une des annexes explosa, manquant
de précipiter Tara et Selenba à terre.

Dehors, les centaures s’enfuyaient. Tara et Selenba


avaient donné la consigne quelques heures plus tôt. Si
l’ennemi était plus puissant, au point que défendre le
complexe serait impossible, ils devaient s’éparpiller dans
les bois et rester loin les uns des autres afin de compliquer
les recherches et diviser les forces assaillantes.

Les tanks ne pouvaient pas pivoter rapidement et ne


s’attendaient pas à ce que les centaures sautent par-dessus
les tourelles. Les soldats qui marchaient à leurs côtés
eurent tout juste le temps d’ouvrir le feu.

Trois centaures furent touchés et parmi eux, Chavol, la


vieille jument. Tara serra les dents en voyant le sang
qui s’échappait de ses flancs.

— Selenba, je ne peux pas m’enfuir, murmura Tara en


se dégageant de la fenêtre afin que les assaillants ne la
voient pas. Mais toi, tu vas trop vite pour qu’ils te touchent.
Je compte sur toi pour te mettre à l’abri et mener les
secours.
— Je reste avec toi, gronda la vampyr. Ils risquent de
te tuer.

— Et ça changera quoi, qu’ils nous tuent toutes les deux


? Écoute, on n’a pas le temps de discuter. Va-t’en, c’est un
ordre de l’Héritière. En étant libre, tu peux me sauver,
Selenba, ne sois pas idiote !

Selenba grinça des dents, enfin des crocs, mais dut se


soumettre.

L’armure de Tara disparut soudain et la jeune fille


réapparut habillée de son simple pagne et de la brassière
blanche qui lui laissaient le ventre nu. Elle tendit à la
vampyr ce qui ressemblait à une épaisse fourrure.

— Tiens, prends ça ! C’est ma changeline. Je ne peux


pas la garder et tu vas en avoir besoin. Elle te protégera en
échange d'un peu de ton sang. Occupez-vous bien l’une de
l’autre et venez nous délivrer dès que possible !

Selenba rechigna à mettre la changeline, mais elle


n’avait pas trop le choix. Une fois l’entité fixée, la vampyr
fila par derrière ; même si les tanks les encerclaient, elle
savait que les humains allaient se concentrer sur l’entrée.

Tara se chargea de faire diversion. Elle sortit sur le


perron du complexe et leva lentement les mains. Pas trop
haut parce que de toutes les façons elle ne pouvait pas. Elle
n’était pas stupide. Face à une telle puissance de feu, il
valait mieux avoir l'air fragile et pathétique.

Un tacatac à l’arrière lui fit serrer les dents. Elle pria


pour que Selenba soit trop rapide pour les broyettes des
soldats. Comme aucun cri de victoire ou de douleur ne
retentissait, elle espéra que la vampyr s’en était sortie.
Devant elle, le tank s’arrêta en grinçant. Son écoutille
se souleva et une tête coiffée d’un casque en sortit.
L’homme retira son casque et Tara retint son souffle,
stupéfaite.

Gueder Almandach se tenait devant elle. Et s’il arborait


un sinistre sourire satisfait, on voyait la rage brasiller dans
son regard noir.

Mince. Il n’était pas mort. Raté.

Tara, le cœur serré, espéra vraiment que les centaures


qui s’étaient échappés par la mer allaient trouver les
secours rapidement.

Parce que sinon, pour elle, les choses risquaient de se


gâter très, très vite...
Chapitre 12
Cal
Ou comment avoir l’horrible tentation
d’assassiner les Faukonyaka,
avec une hache... Aiguisée, la hache.

Cal n’aurait jamais imaginé qu’un jour il aurait envie


d’assassiner des gens au point d’en avoir des crampes dans
les doigts tellement il serrait les poings.

Les policiers, enquêteurs, gardes de Xandiar avaient


pris les choses en main. Dès que leur groupe était rentré au
Palais, ils avaient commencé à interroger Cal.

Comme si c’était lui le suspect.

Dans une autre pièce, ils interrogeaient Mara. Et


Archange, car le roi des démons, même s’il ne savait pas
grand-chose, s’était prêté bien volontiers à l’exercice,
espérant, comme tout le monde, que la lumière jaillirait.

Sauf que, pour l’instant, ils étaient tous dans le noir le


plus profond. Du genre de celui d’une tombe...

— Non, Son Altesse Impériale ne m’a pas prévenu,


répéta Cal pour la millième fois, sinon je l’en aurais
empêchée, comme je viens de vous le dire. Et redire. Et
redire encore.
Le policier, un sortcelier du nom de Typol, au visage
revêche, aux cheveux et yeux d’un gris terne, sanglé dans
l’uniforme gris soutaché du pourpre d’Omois, ouvrit la
bouche pour poser une question.

Et soudain, Cal en eut assez. Il se leva, se pencha au-


dessus de la table, au point de toucher le nez du type, et dit
d’un ton féroce :

— Ça suffit, je ne dirai rien de plus. Vous me faites


perdre mon temps. Je dois retrouver la femme que j’aime et
mes enfants.

C’est alors que le flic eut la phrase la plus insensée du


monde.

— Dans ce genre de cas, les maris ou petits copains


sont les premiers suspects.

Cal se figea, stupéfait. Le flic continua tranquillement :

— Après tout, rien ne me dit que tout cela n'est pas


une manœuvre du Lancovit, dont vous êtes toujours le
citoyen, pour déstabiliser l’Empire d’Omois en nous privant
de notre Héritière et de ses Héritiers. Alors rasseyez-vous
et répondez à ma question, Sieur Dal Salan.

Cal recula un peu, les muscles tendus à se rompre.


Cette fois-ci, la coupe était pleine.

— D’une part, je vous ai interrompu avant que vous


ne posiez votre question, je n’ai donc rien à répondre ;
d’autre part, je m’en vais.

Et il se leva, écarta le flic qui n’osa pas s’opposer à lui,


vu qu’il devait faire la moitié de sa taille, et franchit la
porte du bureau où il était enfermé depuis deux heures.
Il savait très bien pourquoi ils n’avaient pas fait venir
un Diseur de Vérité. Parce qu’il y avait dans le cerveau de
Cal assez de secrets brûlants pour faire tomber l'Empire.

Il réfléchit quelques secondes, pendant que derrière lui


le flic bredouillait qu’il devait retourner dans la salle et
ouvrit la porte du bureau où se trouvaient Mara et
Archange.

Pour découvrir un spectacle ahurissant.

Mara, à califourchon sur un policier, était en train de


l’étrangler pendant que deux autres types gisaient à
terre, assommés et qu’Archange s’efforçait de l’empêcher
de tuer le gars tout rouge.

— Ah, fit Cal, c’est aussi une solution. Se débarrasser


des enquêteurs... je n’y avais pas pensé. Un peu plus
extrême, certes, mais bon.

Il vint prêter main-forte à Archange qui en dépit de sa


force bien supérieure n’arrivait pas à détacher Mara de sa
proie, parce qu’il avait peur de lui faire du mal.

Cal ne s’embarrassa pas d’autant de précautions. Il


pinça un certain nerf près du coude de Mara. Celle-ci cria
et bondit en arrière, folle de rage, en position de combat.

Le type par terre s’efforça d’avaler un peu d’air.

Cal leva les mains.

— Holà, ma puce, ce n’est que moi. Tu sais que


l’Impératrice n’aime pas qu’on tue son personnel. (Il
regarda les types inconscients et celui qui avait l’air sur le
point de tourner de l’œil.) Ils ont fait quoi pour t’énerver à
ce point ?
L’espace d’un instant, il crut que la rage de Mara était
telle qu’elle allait se jeter sur lui. Puis elle secoua la tête et
baissa sa garde. Cal laissa échapper un petit soupir
soulagé.

— Ces espèces de... de... (Mara en bafouillait de fureur)


de résidus de soupilutes de brolk de slurk ont osé insinuer
que, puisque je suis l’Héritière de l’Héritière, j’avais fait
disparaître Tara pour prendre sa place et que je ne voulais
pas que ses enfants prennent la mienne !

Cal hocha la tête, compatissant.

— Le mien a sous-entendu que j’avais fait disparaître


Tara pour déstabiliser l’Empire d’Omois au profit du
Lancovit, je crois qu’on est à égalité, ma douce.

C’était tellement ridicule que cela sortit Mara de sa


rage.

— Quoi ? s’exclama-t-elle, incrédule. Comme si tu


n’avais pas risqué ta peau vingt fois pour sauver le foutu
Empire en question !

— Qui n’est plus le tien, mon ange, rappela Archange


avec un sourire rayonnant. Tu es à mes côtés à présent et
mon peuple t’aime beaucoup.

Mara se renfrogna.

— Ouais, si on excepte les tentatives d’assassinat


auxquelles nous avons échappé tous les deux, on peut dire
qu’une partie de ton peuple nous aime beaucoup et que
l’autre nous aimerai encore mieux morts et enterrés.

Le regard vert du démon s’assombrit. Il n’appréciait


pas lorsque Mara était aussi froidement analytique.
— Revenons à nos boutons[39], grogna Cal qui n’était
pas vraiment surpris d’apprendre que Mara avait échappé
à des tentatives d’assassinat, mais devait se concentrer sur
le plus important. Pour l’instant, nous ne savons
absolument pas ce qui s’est passé sur cette île. À part que
les assaillants sont des humains, ce qui ne nous avance pas
beaucoup...

Son hor sonna. Il la brancha et écarquilla les yeux.

— Venez, ordonna-t-il en ressortant de la pièce à toute


vitesse.

— Quoi ? fit Mara en le suivant, au grand soulagement


du thug qu’elle avait essayé d’étrangler. Qu’est-ce qui se
passe ?

— Il se passe, grogna Cal, que quelqu’un est en train de


se moquer de nous et que ça commence à me plaire.

Ni Archange ni Mara ne parvinrent à obtenir quoi que


ce soit d’autre de la part de Cal. Il était presque quatre
heures du matin et l’aube n’allait pas tarder. Ils furent très
surpris de découvrir que le jeune homme brun aux yeux
gris se dirigeait vers l’un des parcs du Palais.

Cal fila sur l’herbe bleue et pila net devant un


magnifique paon pourpre aux cent yeux d’or qui se
pavanait devant une très jolie paonne, plus intéressée par
le ver qu’elle venait d’attraper que par les roues de son
galant.

Cal mit les poings sur ses hanches et jura dans une
demi-douzaine de langues différentes.

Mara écarquilla les yeux lorsque l’Impératrice, sa tante,


arriva aussi vite que Cal, pila net elle aussi et se mit à
jurer avec autant d’imagination. La belle jeune femme ne
s’était pas changée et paraissait bien peu impériale dans sa
simple robe bleue et sans ses coiffures compliquées ni ses
bijoux.

Puis Cal et Lisbeth se regardèrent et s’écrièrent en


même temps :

— Ils sont revenus !

Puis :

— Tu crois que cela a un rapport avec Tara ?

— Vous croyez que ça a un rapport avec Tara ?

La même question. Et la même absence de réponse.

— Non, répondit Cal, désolé. J’ai l’impression que les


deux affaires ne sont pas liées, mais j’ai peut-être tort. Je
ne sais plus quoi penser. Est-ce que Tara va réapparaître de
la même façon ?

Ils regardèrent tout autour d’eux comme si Tara allait


se matérialiser devant leurs yeux.

— Je ne sais pas non plus, précisa l’Impératrice.

— Bonjour, ma tante, s’inclina Mara lorsque l’attention


de Lisbeth se fixa sur elle.

— Pardon, bonjour Mara, fit distraitement Lisbeth,


j’avais oublié que je ne t’avais pas encore saluée. Comment
vas-tu ?

— Vivante, fut le commentaire laconique de Mara.


Et quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi ces... hum...
volatiles vous préoccupent à ce point ?
Ils racontèrent rapidement l’enquête sur laquelle
travaillaient Cal et Tara conjointement. Le schéma des
disparitions étant très différent, ils étaient incapables de
savoir s’il y avait un rapport entre les deux.

— C’est vraiment très bizarre, soupira Mara, mais


pour l’instant, vu qu’ils sont revenus, concentrons-nous sur
Tara. Tante Lisbeth, tu as les images-satellites de l’île ?

— Oui, impossible de dormir, j’étais en train de les


regarder lorsque j’ai entendu plusieurs des appels des
paons, et comme il ne nous en restait qu'un seul, ça m’a
intriguée et je suis descendue.

Vu qu’elle n’avait pas l’air spécialement heureuse, le


résultat n’avait pas dû être probant. Néanmoins, Mara posa
la question.

— Alors?

— Alors on ne voit rien, à cause de la couche de


nuages qui recouvre la région. Les Marais sont souvent
couverts de brouillard, spécialement la nuit, lorsque la
chaleur du sol rencontre le froid de l’air, l’humidité se
condense. Tara a choisi le plus mauvais endroit du monde
pour se faire enlever.

Oui, ça, Mara pouvait confirmer que sa grande sœur


semblait avoir le chic pour se fourrer dans les situations les
plus extrêmes. Comme disait Mourmur, c’était vraiment
bizarre.

Le soleil bleu et le grand soleil rouge commençaient à


se lever et les animaux émergeaient lentement. Les oiseaux
et les papillons bigarrés se mirent à voler pendant que
résonnaient les chants et les bourdonnements.
Archange bâilla démesurément.

— Pardon, s’excusa-t-il, la nuit a été longue et, avec


les différences entre votre planète et la nôtre, je suis en
complet décalage. Nous avons passé beaucoup de temps
avec vos enquêteurs.

L’Impératrice écarta ses excuses.

— Ah oui, au fait, comment s’est passé l’interrogatoire


? Cela a permis de faire émerger quelque chose ?

Cal et Mara échangèrent un regard. Puis Mara, avec


son habituel et absolu manque de tact, décida qu’elle
n’avait pas à se sentir coupable.

— Les types ont dit que j’avais fait disparaître Tara


pour prendre sa place. J’en ai assommé deux et j’ai failli
tuer le troisième tellement j’étais en colère.

L’Impératrice la regarda en fronçant les sourcils.

— Je dois prendre de l’âge, mon cerveau ne va pas


aussi vite qu’avant, j’avoue que mes enquêteurs méritent
leurs salaires, je n’y avais même pas pensé.

S’ils avaient cru un instant que l’Impératrice allait


s’excuser de ce qui s’était passé, ils furent clairement
détrompés.

Voyant que Mara allait se mettre en colère, Cal précisa


:

— Quant à moi, le type voulait savoir si j’avais enlevé


Tara afin de déstabiliser l’Empire d'Omois.

— Ça, oui, marmonna Lisbeth, j’y avais pensé.


— Nous avons perdu des heures à répondre à des
questions idiotes au lieu de partir à la recherche de Tara,
gronda Cal.

L’Impératrice soupira.

— J’espérais qu’un détail, un souvenir, vous reviendrait


à force de répéter et de répéter encore. Parce que pour
l’instant, d’après le rapport de Xandiar et de Mourmur,
nous sommes dans une sacrée impasse.

— Non, répliqua Cal. Si vous ne nous aviez pas


bloqués ici, cela ferait longtemps que je serais parti aux
docks afin de comprendre comment les assaillants savaient
que Tara allait se rendre dans l’île des Roses Noires.
D’après les analyses, ils sont restés longtemps dans l’eau
avant d’attaquer, ce qui signifie qu’ils étaient en
embuscade. Ce n’est pas une attaque de Mangeurs de
Boue, nous n’en avons trouvé aucune trace sur place et
encore moins une attaque inopinée. C’était réfléchi,
calculé.

Lisbeth se raidit.

— Caliban Dal Salan, n’allez pas penser un instant


que mes Services secrets ou la Sécurité intérieure ne se
soient pas posé exactement la même question. Nous
sommes en train d’enquêter afin de comprendre qui aurait
pu communiquer les plans de vol de la navette. Tara n’a pas
imaginé un instant que quelqu’un pourrait l’attaquer et elle
était partie avec ce qu’elle croyait être une escorte
suffisante. Elle n’estimait passer que peu de temps sur
place et espérait récupérer sa magie. Elle n’a donc pas
cherché à dissimuler l’endroit où elle se rendait. Cela
signifie que des tas de gens, depuis les contrôles aériens de
tous les pays survolés, les docks de Tingapour et donc une
bonne partie du port étaient au courant. Ce n’était pas une
mission secrète. Nous interrogeons tout le monde. Si
quelqu’un a quelque chose à cacher, nous le trouverons.

Cal sentit son cœur sombrer dans sa poitrine. Il avait


besoin de faire quelque chose, n’importe quoi pour ne pas
devenir dingue. Et l’Impératrice venait de lui retirer la
piste qui lui semblait la plus prometteuse. Blondin se frotta
contre sa jambe et Cal prit conscience que son renard était
fatigué.

Le regard bleu de l’Impératrice se planta dans le regard


gris étincelant de peur et de rage.

— Pour l’instant, Caliban, vous ne pouvez pas faire


grand-chose. Nous devons laisser les enquêteurs faire leur
travail. C’est notre priorité, ne vous inquiétez pas. Allez
prendre quelques heures de repos, vous aurez ensuite les
idées plus claires et peut-être aurons-nous des nouvelles.

Cal faillit protester, mais à la vue des cernes sous les


yeux de Mara et du regard las d’Archange, il prit
conscience que ses amis avaient aussi d’autres affaires à
gérer.

— Vous avez raison, capitula-t-il. Mara, Archange,


retournez sur votre planète, nous vous avertirons s’il se
passe quoi que ce soit et...

— Non, coupa Mara. Je ne pars nulle part. Archange,


le roi des démons, ne peut pas disparaître pendant
longtemps.

(S’adressant au démon :) Toi, tu retournes sur Boulimi-


Lemi, moi, je reste ici.
Archange hocha la tête. Elle avait raison, même s’il
n’aimait pas cela. Depuis deux ans, s’il avait réussi à
affermir son pouvoir et que l’absence de conflits eût permis
un apaisement des rancœurs, il n’en demeurait pas moins
que la faction rouge tentait toujours de mettre un vieux
démon à sa place.

— Très bien, je te laisse mes gardes et je repars. Ne


sois pas trop longue, retrouve ta sœur et reviens avec elle.

Il lui donna un baiser passionné qui la laissa toute rose


et partit de son long pas. Mara s’éclaircit la voix.

— Hrrmmm, bon, donc on dort un peu et ensuite


on retrouve Tara ?

— Oui, répondit Cal. Deux heures, ça te va ?

Pendant que Mara expliquait gentiment que deux


heures de sommeil, ça ne lui allait pas du tout et que, de
toutes les façons, si quoi que ce soit arrivait, on les
réveillerait, Mourmur, Heagle5 et Sherlock, dans le
laboratoire du savant, regardaient les échantillons qu’ils
avaient prélevés sur les lieux du crime.
Le tigre blanc et les guépards de Heagle5 dormaient
paisiblement sur des couches confortables, des casques[40]
sur les oreilles pendant que les bipèdes et la machine
discutaient.

— Ils sont restés plusieurs heures dans l’eau. Pourtant,


nous n’avons trouvé aucune sangsue pleine de sang dans le
coin, fit remarquer Heagle5. Ça aurait dû pourtant
les attirer comme du miel de bizzz, tous ces repas qui
leur tendaient les bras. Et conserver une protection
magique pendant aussi longtemps, c’est compliqué, il faut
beaucoup de puissance !

La robuste femme soldat avait revêtu une combinaison


bleue qui la protégeait de tout ce qui pouvait exploser
dans le laboratoire, mais elle avait repoussé le capuchon
pour libérer les tresses de ses longs cheveux gris-blanc.

— Il y avait de l’huile de machine dans l’eau, répondit


Mourmur en examinant les résultats une nouvelle fois. Ils
devaient porter des armures intégrales. Je pense
qu’ils n’ont même pas dû être mouillés ni en contact avec
l’eau des marais. Sinon, tu as raison, nous aurions trouvé
d’autres traces.

— Ce que je trouve étrange, c’est la technologie


employée, fit remarquer Sherlock en clignotant. C’est un
choix technologique intéressant de ne pas avoir utilisé la
magie pour vaincre les thugs.

— Les assaillants ont eu raison, répliqua Heagle5.


J’aurais fait de même si j’avais eu ce type d’arme à ma
disposition, ça a grillé les ordinateurs, les hors, et assommé
la plupart des thugs, impossible d’alerter les secours et les
contre-sorts ne servaient à rien. Sherlock, ça n’a rien
d’étrange, au contraire, c’est bougrement intelligent.
— Mais ça n’aurait pas dû, répondit Sherlock. Les
impulsions électromagnétiques n'endommagent que les
équipements électroniques, pas les gens. Cette arme est
différente, puisqu’elle a agi sur les thugs aussi.

La machine eut une sorte de frisson. Elle n’aimait pas


imaginer les effets que ces impulsions pourraient avoir sur
elle.

— D’une certaine façon, vous avez raison tous les


deux, souligna Mourmur. L’arme utilisée n’est pas très
courante.

Il activa son hor. Le visage tendu de Xandiar apparut


immédiatement devant lui. Il avait dû quitter l’île des Roses
Noires et se trouvait apparemment dans les docks, car on
voyait des las de gens autour de lui, probablement en train
de mener les interrogatoires.

— Maître Mourmur, le salua le grand chef des


gardes impériaux, aux cheveux rasés de près et aux yeux
d’un noir froid, vous avez des nouvelles ?

Mourmur retint un soupir agacé. Dès qu’il appelait


quelqu’un, c’était la première question qu’on lui
posait. Bon, cela dit, l’avantage, c’était que lorsqu’il
appelait, tout le monde lui répondait tout de suite.

— Non, dit-il poliment, pas pour le moment, nous


sommes encore en train de travailler sur les échantillons.
Cependant, j’ai une question à vous poser...

Xandiar écouta attentivement. Puis il hocha la tête.

— Nous avons suivi le même raisonnement. Nous


tentons de comprendre d’où vient cette arme depuis que
nous avons appris que c’était électromagnétique. Il y a trois
peuples qui l’utilisent actuellement : les Terriens, sous la
forme de bombes, après avoir découvert les effets
secondaires des bombes nucléaires sous la forme de ces
trains d’ondes électromagnétiques ; les dragons, parce que
c’est une des déclinaisons de leur conquête spatiale ; et les
démons, qui avec leurs fourmis ingénieurs sont à la pointe
de ces techniques. Comme nous utilisons plus la magie que
la technologie, c’est nettement moins courant sur
AutreMonde, même si, puisque nous espionnons tous les
progrès industriels des Terriens, nous connaissons les
effets de ces ondes pulsées.

— Merci, Maître Xandiar, c’est très intéressant. Je


vous rappelle très vite.

Mourmur coupa la communication.

— On peut écarter les Terriens, ironisa Heagle5, ils ont


tout oublié d’AutreMonde. Et je ne vois pas pourquoi les
dragons enlèveraient Tara, mais bon, gardons quand même
cette possible participation en tête. Il ne reste plus que les
démons.

Ils se regardèrent.

— La navette a été prêtée à Tara par les démons, fit


lentement Mourmur.

— Et même si je ne crois pas un instant Mara


intéressée par le rôle d’Héritière, continua Heagle5, pour
se débarrasser d'elles deux, les vieux démons feraient à
peu près n’importe quoi. En fait, c’est très malin : ils
enlèvent Tara, font accuser Mara, Mara est emprisonnée et
ils se sont débarrassés des deux humaines qui les ont
empêchés de conquérir notre univers.
Une vraie panique dansa dans les yeux bleus du vieux
savant. Il se reprit avec effort.

— Hum, je ne veux pas penser que Tara ait été


enlevée par des démons, alors qu’elle n’a plus de magie. Et
qu’elle est terriblement enceinte. Continuons, ma chère, si
vous le voulez bien.

Ils s’activèrent en silence. Il y avait énormément


d’échantillons sur lesquels travailler, car Sherlock avait
prélevé à peu près tout ce qui se trouvait sur l’île, y
compris les bouts de ferraille calcinés et les ordinateurs
détruits.

Heureusement, ils avaient des assistants. Qui n’avaient


pas été très heureux de se faire réveiller au milieu de la
nuit, avant de comprendre l’importance des enjeux.
Maintenant, même si tout le monde bâillait à qui mieux
mieux devant les ordinateurs et les analyseurs, ils étaient
tous fidèles au poste.

Au bout de quelques heures de travail, ils durent se


rendre à l’évidence. Il n’y avait rien de particulier dans tout
ce qu’ils avaient épluché et disséqué.

Jusqu’au moment où Mourmur voulut prélever un peu


de sang dans le tube à essai qu’il tenait.

Il était fatigué, ses doigts le trahirent et le tube lui


échappa. Machinalement, il lança sa magie.

Qui frappa le tube.

Le tube continua sur sa lancée et se brisa à terre.

Le faible cling attira l’attention d’Heagle5. Elle vit le


verre brisé par terre et le regard écarquillé de Mourmur.
— Mourmur ? Tout va bien ? Tu ne t’es pas blessé ?

— Par les mânes de mes ancêtres ! s’écria Mourmur.

Il bondit de son siège, ramassa les débris, puis les lança


en l’air et les frappa avec sa magie.

Les débris retombèrent sans broncher.

— Ah ! Ah ! Ah ! s’exclaffa Mourmur ! Ah ! Ah ! Ah !

— « Ah ! Ah ! Ah ! », certes, dit Heagle5. Une petite


explication, s’il te plaît ?

— Le tube ! Il est tombé !

— Oui, j’ai vu ça, répondit calmement Heagle5. Il


est même tombé plusieurs fois. En plusieurs morceaux
d’ailleurs. Et pourquoi ça te réjouit autant ?

— Parce que ma magie ne fonctionne pas !

Heagle5 bondit sur ses pieds, inquiète.

— Tu es malade, tu veux que j’appelle un chaman ?

Elle voulut lui toucher le front pour voir s’il était


fiévreux, mais il se pencha, attrapa l’un des éclats de verre
et le lança en l’air en criant :

— Heagle5 ! Frappe-le avec ta magie !

Le toit du laboratoire était très haut, et le vieux savant


avait lancé le fragment avec force, si bien qu’il commençait
tout juste à redescendre. Heagle5 ne discuta pas, sa magie
fusa, traversa l’éclat et... celui-ci s’écrasa par terre.
— Par les crocs de mon tigre, grogna Heagle5, je l’ai
raté ! Je ne rate jamais mes cibles, comment ça se fait que
je l’ai raté ?

Le vieux savant la prit par les mains et la fit tournoyer.

— Ah, mais tu n’as pas raté, ma douce et


merveilleuse guerrière ! Ce sang n’est pas uniquement du
sang humain ! C’est du sang de NM !

Heagle5 le regarda avec stupeur.

— Non? Mais comment tu...

Une lueur de compréhension éclaira ses yeux.

— Il ne réagit pas à la magie. Le sang des échantillons !

— Vérifions si tous les spécimens sont les mêmes.

Après une demi-heure d’analyses fébriles, ils purent


comparer les résultats.

Tous les sangs étaient les mêmes. Des nonsos NM.

— Je comprends maintenant pourquoi ils ont utilisé


cette arme, jubila Mourmur, ce n’était pas par choix !
C’était justement parce qu’ils ne l’avaient pas, ce choix. Ils
ne pouvaient utiliser que de la technologie, rien de ce qui
est magique ne peut fonctionner avec eux !

— Mais le tube est en verre tout simple, pourquoi est-


ce que ta magie n’a pas pu le retenir ?

— Parce que la particularité du sang des NM est


qu’il annule la magie de l’intérieur jusqu’à quelques
millimètres à l’extérieur, raison pour laquelle les jets de
magie ou les sorts ne les affectent pas. Le sang a agi
comme si le tube était la peau d'un humain. Il l’a protégé
contre la magie. C’est pour ça qu’il s’est brisé !

— Appelons l’Impératrice tout de suite, c’est important.

— Faisons mieux, ma douce, allons la voir.

Quelques instants plus tard, ils étaient devant le bureau


de l’Impératrice.

Du fait de l’urgence de la situation, celle-ci avait annulé


tous ses rendez-vous et les audiences avaient été
reportées. Elle avait dormi quelques heures et discutait
avec Cal et Mara, déjà sur le pied de guerre, ainsi que son
mari, Various Duncan.

Le beau mercenaire aux yeux et cheveux noirs était en


train de dire qu’il était inquiet de ne pas avoir de
nouvelles du vieux savant, lorsque Mourmur, Heagle5 et
ses Familiers pénétrèrent dans la pièce, aux magnifiques
boiseries sculptées et où les papillons butinaient les fleurs
des bouquets disposés un peu partout.

— Pas tout à fait, fit la voix fatiguée de Mourmur


dans leur dos. Que votre magie illumine, Votre Majesté
Impériale, votre beauté de si bon matin est un régal pour
mes vieux yeux. Caliban, jeune Héritière de l’Héritière,
mon bonjour également. Duc Various.

Puisque Sandor avait le titre d’Imperator, Various,


baron des mercenaires de Vilains, avait hérité du titre de
duc d’Omois en épousant Lisbeth.

Cela faisait deux ans que tout le monde le saluait ainsi,


mais on voyait qu’il était toujours aussi mal à l’aise avec
ce litre ronflant.
Lisbeth se redressa et un grand sourire vint éclairer
son visage. Elle aimait sincèrement le vieux savant
excentrique. Sherlock la machine termina la procession en
entrant dans la pièce en cliquetant et clignotant.

— Que votre magie protège le monde, Maître


Mourmur, s'exclama l’Impératrice en s’avançant vers lui,
dites-moi que vous avez de bonnes nouvelles.

— J’ai des nouvelles, répondit gravement Mourmur.


J’ignore si elles sont bonnes, mais nous avons découvert
des choses.

Elle les fît tous asseoir sur les fauteuils confortables de


velours pourpre et de bronze doré qui attendaient et
écouta attentivement.

Mourmur expliqua ce qui s’était passé lorsqu’il avait


laissé tomber le tube à essai et ce que leurs analyses
ultérieures avaient confirmé.

— Tous des NM ? s’exclama l’Impératrice une fois qu’il


eut terminé.

Elle allait continuer lorsque Cal le fit à sa place.

— Gueder Almandach !

— Le nouveau représentant des nonsos ? demanda


Heagle5 qui suivait la politique d’AutreMonde. Qu’est-ce
qu’il vient faire dans cette histoire ?

L’Impératrice se leva vivement. Elle était habillée de


noir, ce qui reflétait son humeur, mais avait conservé ses
cheveux blonds sous une couronne de diamants noirs. Elle
se mit à marcher de long en large sous leur regard attentif.
— Les NM sont extrêmement rares sur
AutreMonde, comme sur Terre. Il doit y en avoir à peine
cinq cents sur notre planète et probablement moins de cinq
mille sur Terre. Ils ne se regroupent pas et sont tous
identifiés.

Elle ne précisa pas la raison pour laquelle les


sortceliers gardaient les NM à l’œil. Ils étaient des armes
contre lesquelles ils ne pouvaient rien faire.

— Or la seule personne qui les a regroupés afin d’en


faire sa garde rapprochée, c’est Gueder Almandach !

— Ce n’est pas une preuve, objecta Mourmur, mal à


l’aise à l’idée d’accuser quelqu’un, mais effectivement,
c’est une présomption. Maintenant, la question est double :
pourquoi s’attaquer à notre petite Tara, et, surtout,
comment parvenir à le faire avouer ?

L’Impératrice fonça vers son bureau et activa son


ordimagic.

— Votre Majesté Impériale, fit la vont de Xandiar.

— Vous êtes toujours dans les docks, Xandiar ?

— Oui, votre Majesté Impériale, nous avons beaucoup


de gens à inter...

— Parfait, ce n’est pas loin de la maison de Gueder


Almandach. Prenez une dizaine de soldats avec vous et
amenez-moi le représentant des nonsos. Le sang que nous
avons trouvé sur l’île appartenait exclusivement à des
nonsos NM. Comme lui.

On sentit l’excitation dans la voix de Xandiar.


— Votre Majesté Impériale, je vous le ramène tout de
suite.

Il coupa la communication.

— Ça ne va pas durer longtemps, fit l’Impératrice avec


une sinistre satisfaction. Et si Almandach a enlevé mon
Héritière, il va vite comprendre qu’il n’y a pas que la magie
qui peut faire du mal à quelqu’un. Une lame est tout aussi
efficace !

L’hor de Cal sonna. L’icône de Fafnir s’afficha. Cal


s’écarta, passa dans la pièce attenante, un joli boudoir
tapissé de jaune avec des fleurs bleues et prit la
communication.

— Cal ! s’exclama la naine, alors que les visages de


Moineau, Fabrice, Robin et Sylver apparaissaient derrière
elle. Qu’est-ce qui se passe? Les infos officielles ne disent
rien, mais officieusement, la valise diplomatique vient
d’avertir ma mère qu’il y avait un problème avec Tara.

Cal faillit jurer. Il avait complètement oublié de


prévenir ses amis, obnubilé par la disparition de Tara. Et
tout autant que Tapdur Forgeafeux était une sorte de reine
des nains et que, forcément, sa fille allait être au courant.

— Où êtes-vous ?

— On vient d’arriver au Palais, mais tu n’es pas dans


votre maison. J’ai prévenu les autres dès que j’ai su. Qu’est-
ce qui se passe ?

— Tara a été enlevée.

Fafnir laissa passer quelques secondes de stupeur avant


de s’exclamer :
— Quoi ? Encore ?

— Ouais, je sais, ça commence à devenir fatigant,


grogna Cal. Nous sommes dans le bureau de l’Impératrice,
venez nous rejoindre.

— Lequel ? Le boudoir d’ambre ou celui des boiseries ?

— Le second. Nous pensons avoir trouvé qui a fait ça,


je vous expliquerai.

Après avoir raccroché, Cal mit l’Impératrice au courant.

Le magicgang avait sauvé AutreMonde suffisamment de


fois pour que l’Impératrice ne voie aucun problème à la
présence de la naine, du demi-dragon, de la Bête du
Lancovit, du loup-garou et du demi-elfe.

Lesquels avaient dû prendre les portes de transfert


internes, parce qu’ils firent irruption dans le bureau
quelques minutes à peine plus tard. Le temps que tout leur
soit expliqué, Xandiar avait déjà couvert la distance le
séparant des docks à la maison d’Almandach en tapis
volant.

Effectivement, ce ne fut pas très long. L’ordimagic de


l’Impératrice tinta. Elle activa la communication en
projetant l’image de Xandiar au centre de la pièce.

— Alors ? fit-elle, impatiente.

— Je suis désolé, Votre Majesté Impériale, dit Xandiar,


d’une voix très ennuyée, mais Sieur Gueder Almandach
semble avoir disparu !
Chapitre 13
Lisbeth
Ou comment avoir des certitudes
et les voir s’écrouler en se demandant
comment diable on a bien pu se tromper à ce
point.

Une fois la réunion avec Mourmur, Cal et les autres


terminée et qu’ils furent partis réfléchir à un plan d’action
de leur côté, Lisbeth repoussa les documents qui
encombraient son bureau en soupirant de lassitude. Entre
le papier, les plaquettes de cristal et tous les dossiers
estampillés « ultra urgent » qui attendaient, elle avait
l’impression que la montagne de rapports allait s’écrouler
sur elle et l’ensevelir vivante.

Et pour l’instant, la seule chose qu’elle avait envie de


lire, c’était que Gueder avait été retrouvé et Tara aussi...
sauf que, bien sûr, ses désirs n’étaient pas des réalités.

Quel dommage.

Aussi, lorsque Various passa une tête curieuse dans


l’embrasure de la porte de son bureau, l’Impératrice
d’Omois accueillit son mari avec soulagement.

— Je ne te dérange pas ? fit Various, prudent.

Depuis quelque temps, Lisbeth était... bizarre. Bien sûr,


l ara avait été enlevée, il y avait eu l’histoire des oiseaux
(que Various, sincèrement, n’arrivait pas à prendre au
sérieux), mais Omois avait affronté des crises bien plus
dangereuses et Lisbeth n’avait jamais perdu pied.

Là, elle semblait presque fragile. Et fatiguée. Sa robe


noire ne lui donnait pas bonne mine, pas plus que sa
sinistre couronne de diamants noirs. Et son sévère chignon
semblait accentuer l’aigu de l’ossature de son beau visage.

— Non, non, j’essaye juste d’avancer, répondit-elle


avec une amusante grimace, mais j’ai du mal à me
concentrer. La disparition de Tara me rend à moitié folle.

Il était venu avec une idée derrière la tête.

— Viens, ma chérie, je pense qu’il est temps de


remettre un peu de rose sur ces jolies joues.

L’Impératrice posa sur lui ses magnifiques yeux bleu


marine qui le faisaient chavirer.

— « Du rose sur mes jolies joues » ? Tu as encore lu


du Ronsard, toi, « Mignonne allons voir si la rose/Qui ce
matin, avoit desclose/Sa robe de pourpre au soleil/A point
perdu cette vesprée/Les plis de sa robe pourprée/Et son
teint au vostre pareil » ?

Various éclata de rire. Le baron mercenaire de Vilains


avait soigneusement caché une certaine appétence pour les
poèmes qui ne collaient pas bien avec sa réputation
d’homme implacable et dangereux, toujours vêtu de noir,
même si, depuis qu’il était marié à Lisbeth, il s’accordait
quelques touches de couleur de temps en temps.

Là, il portait même un costume bleu marine, waaaah, il


devenait audacieux !
— Moque-toi, fit-il en s’avançant dans la pièce, mais
je remarque que tu connais toi aussi le poème par cœur !

Lisbeth lui sourit.

— Je l’ai appris pour toi, mon loup.

Le loup était l’emblème du baron et même si le brun


mercenaire n’avait pas de gènes de loup-garou dans
les veines, parfois, sa ressemblance avec le féroce animal
était flagrante, si bien que Lisbeth trouvait très amusant de
l’appeler comme ça.

Parvenu près d'elle, Various se pencha pour poser un


baiser sur la bouche ravissante de sa femme, insistant au
point de la faire soupirer, avant de se reculer à regret.

L’Impératrice avait transformé les murs de boiserie


blonde en bois de rose d’AutreMonde, qui se rapprochait
d’un fuchsia doux. Mais même ce subterfuge ne parvenait
pas à cacher les cernes noirs qui soulignaient ses yeux.

Various arrondit son bras et le présenta à Lisbeth.

— Allez, viens avec moi. Nous promener pendant


une heure dans le parc ne va pas changer grand-chose à la
situation d’AutreMonde. Et tu as besoin de bouger un peu.

Lisbeth hésita un instant, puis hocha la tête.

— Tu as raison, fit-elle en se levant.

Elle incanta et transforma sa sévère robe noire en une


légère robe blanche, retira sa couronne, libérant ses
longs cheveux blonds en une masse qui se déroula jusqu’à
ses pieds et modifia ses talons hauts en petites sandalettes
ouvertes. Allons nous promener.
Les thugs de sa garde se raidirent lorsque l’Impératrice
sortit de son bureau, mais elle leur fit signe de ne pas
les suivre. Elle avait envie de passer un peu de temps seule
avec son mari.

Ils sortirent sous les soleils et, galamment, Various tira


une délicate ombrelle de sa poche de sortceliers pour lui
faire de l’ombre. Lisbeth la regarda avec surprise.

— Tu as des ombrelles dans ta poche ? Tu sais, je te


voyais facilement avec un bazooka ou tout un assortiment
d’épées de combat, une ombrelle, j’avoue que j’ai un peu
plus de mal. Tu vas mettre à bas ta réputation de terrifiant
combattant !

Various éclata de rire.

— J’ai tout ce qu’il faut pour protéger la peau délicate


de ma ravissante femme. Donc l’ombrelle était
indispensable. Ces soleils sont vraiment insupportables à
cette époque de l’année, il fait nettement moins chaud à
Vilains !

Il déploya l’ombrelle blanche délicatement brodée de


fleurs bleues et ils s’avancèrent dans le parc.

Various sentit le corps de Lisbeth se détendre et elle


prit une longue inspiration de l’air parfumé.

Il attendit qu’ils arrivent à une jolie clairière entourée


de sensitives dorées pour lui parler de ce qui lui pesait sur
le cœur.

— Tu sais que je t’aime plus que tout, Lisbeth,


commença-t-il doucement.

Lisbeth se tourna vers lui, étonnée.


— Nous sommes de jeunes mariés, plaisanta-t-elle,
j’espère bien que tu m’aimes plus que tout !

— Alors tu comprendras que le jeune marié fou


amoureux que je suis s’inquiète de te voir aussi souvent
avec Daril Kratus, ton ancien mari ?

Lisbeth se raidit et son visage pâlit.

— Comment sais-tu que...

Various l’interrompit.

— Lisbeth, sérieusement ? C’est un grand Palais et les


langues se délient facilement... en fait, c’est les lier qui est
compliqué. Les sournois et les fâcheux se sont fait un
plaisir de me prévenir, avec délectation. Toi et moi nous ne
sommes pas des hypocrites, alors je te pose sincèrement la
question, puisque tu ne m’en as pas parlé et que cela
m’inquiète : es-tu toujours amoureuse de Daril Kratus ?

L’Impératrice ferma les yeux et l’espace d’un instant,


terrifié, Various vacilla. Elle avait l’air tellement perdue!
Elle répondit sans les ouvrir, ce qui le troubla encore plus,
incapable qu’il était de déchiffrer son regard.

— Lorsque Daril est réapparu, pendant quelques


mois, fit-elle gravement, j’ai vraiment eu l’impression de
retrouver l’homme que j’avais aimé si profondément. Et
dont j’ai pleuré si amèrement la disparition. Alors oui, j’ai
passé du temps avec lui, parce que nous avions une
véritable connivence, même si cet homme-là ne se souvient
pas de son passé, à part des bribes qui remontent de temps
en temps. Et puis, dernièrement, j’ai commencé à
comprendre ce que j’étais en train de faire, en parlant avec
Tara.
Elle rouvrit les yeux et regarda Various. Qui avait l’air
totalement déstabilisé.

— Avec Tara ? Ah bon ?

— Je me suis... disons que je me suis énervée après elle


et je lui ai lancé une phrase qui m’a autant étonnée qu’elle.
Au point que je l’ai fait sortir de force de mon bureau,
parce que j’avais absolument besoin de comprendre ce que
je venais de dire.

Various plongea son regard noir et brillant dans le sien.

— J’ai presque peur de demander, mais qu'est-ce que


tu lui as dit ?

— Qu’elle ne devait pas me donner de leçon, elle qui


avait été amoureuse de deux garçons en même temps.

Various recula comme s’il avait reçu un coup. Mais il


resta silencieux, avec l’impression s’il n’arrivait plus à
respirer.

Lisbeth lui sourit, et son sourire n’était ni triste ni


angoissé, ce qui était très étrange.

— J’ai réfléchi. Et là, j’ai réalisé que je n’étais pas du


tout amoureuse de Daril. Que c’était juste de la nostalgie,
d’un temps où les choses me semblaient plus faciles. Ma
mère vivait encore, la seule menace à laquelle nous devions
faire face, c'était les démons, et encore, ils se contentaient
de leur univers et ne nous avaient pas vraiment ennuyés
depuis des millénaires. Puis ma mère est morte dans cet
horrible incendie, et j’ai dû diriger Omois, prendre des
décisions terribles qui menaçaient non seulement ma vie,
mais aussi mon pays et mon peuple.
Various vit qu’elle était parfaitement à l’aise. Les
sensitives tout autour d’eux n’avaient pas changé de
couleur, à part en rosissant lentement, ce qui montrait
l’amour qu’elle lui portait, au point qu'il se sentit un peu
honteux de l’avoir piégée pour l’amener ici.

Elle jeta un regard malicieux aux sensitives, mais ne fit


aucun commentaire. Parfois, Various se disait que sa
femme avait le don diabolique de lire dans ses pensées. Il
aurait dû avoir cette conversation bien avant, parce qu’il
avait l’impression d’avoir un trou dans l’estomac tellement
il avait eu peur, ces derniers mois, alors qu’il voyait bien
que Daril était de plus en plus présent, que Lisbeth ne
l’aime plus.

Lisbeth reprit :

— C’est aussi là que j’ai compris à quel point j’adore ce


que je suis, en dépit des difficultés. J’adore diriger cet
Empire, je n’aimais pas que Daril Kratus essaye sans cesse
d’influencer ma politique pour en faire bénéficier les
Marches du Nord, ce qu’il est de nouveau en train de faire,
alors que toi, tu es parfaitement impartial. Tu m’aimes,
moi, Lisbeth, tu te fiches de l’Impératrice. Et j’adore être ta
femme.

Elle se rapprocha de Various et l’entoura de ses bras,


posant sa tête au creux de son épaule. Various se détendit
enfin, certain que les choses allaient bien se passer.

Sa femme venait de lui faire une merveilleuse


déclaration d’amour et il savoura le bonheur qu’il
éprouvait.

Ce fut exactement à ce moment-là que le krakdent leur


sauta dessus.
Chapitre 14
Sanhexia
Ou comment faire une grosse bêtise
et ne pas du tout savoir comment la réparer
sans devoir éliminer quelques personnes au
passage...

— TU AS QUOI ?

Archange était tellement furieux que le beau roi des


démons, habituellement charmeur et élégant, était tout
rouge et au bord de la crise d’apoplexie. Avec ses
vêtements noirs assortis à ses cheveux et qui faisaient
ressortir sa peau bronzée, cela faisait rouge et noir. Très
écrivain terrien, stendhalien, pensa Sanhexia qui cachait
soigneusement qu’elle aimait lire les vieux auteurs de la
planète bleue.

Devant lui, Sanhexia se dandina.

— Ça va, marmonna-t-elle, pas besoin de hurler,


nous sommes bien assez ennuyées comme ça !

Archange contempla sa sœur. Comme tous les démons,


elle était grande, élancée, ravissante et brillante.

Enfin sauf lorsqu’elle était suffisamment stupide pour


faire quelque chose qui pouvait détruire la relative
harmonie entre les peuples d’AutreMonde et les démons.
Il se mit à marcher de long en large dans la grande
salle de commandement de son vaisseau noir pendant que
Sanhexia rectifiait le pli de son élégante robe Dolce &
Gabbana, collection croisière fleurie bleu clair, fendue sur
le côté et totalement incongrue dans cet environnement
spatial.

— Mais je croyais que tu étais amoureuse de Demiderus


!

Sanhexia releva la tête.

— Je l’aime bien, il est original, mais complètement


démodé, et puis, j’arrête pas de le draguer et pourtant il
refuse de cou...

— Stop ! fit Archange, les détails ne m’intéressent pas.


Uniquement ce que tu as fait.

Il se plaça devant elle et dit :

— Tu vas devoir renoncer, Sanhexia.

La jeune femme blonde fronça ses sourcils.

— Renoncer à quoi ?

— À Eleanora[41].

Choquée, Sanhexia recula d’un pas.

— Quoi ? Mais non ! s’exclama-t-elle, je ne veux pas !

Mais Archange était inflexible.

— Eleanora est dangereuse. Elle a une mauvaise


influence sur toi. Elle ne récupérera jamais Caliban Dal
Salan pour qu’il devienne votre petit copain et
certainement pas de cette façon.

— Tu n’en sais rien ! répondit vivement Sanhexia. Après


tout, Tara est peut-être morte à l’heure qu’il est. Cal peut
être à nous !

Les yeux verts d’Archange se firent d’une froideur


glaciale et son magnifique visage se figea.

— Mais écoute-toi, Sanhexia ! Ce n’est pas toi qui


parles ! Nous ne voulons pas que Tara Duncan meure et
encore moins que l’on puisse penser que nous sommes
pour quelque chose dans son enlèvement. Alors je ne te le
répéterai pas deux fois. Fais partir Eleanora ou je te jure
que c’est moi qui vais m’en occuper.

Les yeux bleus furieux de Sanhexia rencontrèrent ceux


d’Archange et le défièrent.

— Non, répéta-t-elle, c’est hors de question. Que tu


sois mon roi ou pas n’y change rien. Nous sommes en
démocratie, enfin d’une certaine façon, et tu ne peux pas
m’obliger à t’obéir pour tout ce qui concerne ma vie
personnelle. Eleanora est mon amie. Elle reste avec moi et
c’est tout.

— Ce n’est pas ton amie, répliqua Archange encore


plus froid. C’est un parasite qui s’accroche à toi au lieu de
retourner dans le monde des morts auquel il appartient.
C’est mon dernier avertissement, Sanhexia. Je te laisse
trois jours. Ensuite, je préviens l’Impératrice d’Omois et
Caliban Dal Salan, et tu devras te débrouiller avec eux.

Sanhexia le défia un instant, puis, bouillante de rage,


sortit de la pièce comme une furie. Archange soupira. Il
avait des milliers de frères et de sœurs, dont il ne
connaissait en fait qu’une infime partie, mais Sanhexia, à
elle seule, lui causait plus de problèmes que tous les autres
réunis.

Mara n’était pas avec lui et elle lui manquait. Elle était
plus coulante qu’Archange, elle savait mieux déchiffrer les
véritables motivations des gens. Là où il avait tendance à
trancher, après tout, il était quand même le roi des démons,
Mara contournait les problèmes ou apportait des solutions
moins... sanglantes.

Il sourit soudain.

Quoique. Parfois, sa jolie compagne pouvait être bien


plus féroce que lui.

Et cela le ravissait.

Il sortit un objet de sa poche.

Un écrin.

Qui contenait un kévilia jaune comme un soleil,


tellement beau qu’on avait l’impression de tenir un éclat de
lumière dans la main. Il lui avait coûté une véritable
fortune, car les kévilias étaient rares et très prisés sur
AutreMonde.

Sauf que le courageux et téméraire roi des démons se


sentait des grosses faiblesses dans les genoux à l’idée de
demander Mara Duncan en mariage.

Parce qu’il n’était pas sûr du tout qu’elle allait


apprécier.

Et si elle refusait ? Et si elle le quittait ?


Là, à cet instant précis, Archange se rendit compte qu’il
aurait préféré une bonne guerre à l’idée d’affronter le
regard noisette de l’humaine incroyable dont il était tombé
amoureux...

Il soupira et remit l’écrin dans sa poche. Pour l’instant,


il devait se concentrer sur ce que lui avait révélé Sanhexia
et, surtout, comment réparer les incroyables stupidités que
lui avait fait faire cette idiote d’Eleanora.

Pour se faire pardonner de l’Impératrice, il allait falloir


qu’il se débrouille pour retrouver Tara Duncan, et vite.

Et de préférence, encore vivante.


Chapitre 15
Tara
Ou essayer de ne pas accoucher,

c’est comme d’essayer de se retenir de vomir.

Si ça veut sortir, ça veut sortir.

Tara était à genoux sur le perron du complexe,


encadrée par les deux gardes nonsos qui la maintenaient à
terre, et ils étaient trois à ne pas aimer cette position. Elle
et ses jumeaux.

Gueder Almandach, en revanche, était descendu de son


tank et avait l’air très content, même si la jeune fille
remarqua avec une certaine satisfaction qu’il se gardait
bien de s’approcher trop près.

Son vilain bâton de bois et de cristal laiteux à la main, il


la surplombait de toute sa hauteur, engoncé dans une
armure doublée d’un exosquelette qui émettait des
vibrations et des cliquetis chaque fois que l’homme
bougeait.

Le fait d’être triomphant le rendait plus volubile que


quelques heures plus tôt. Il marchait de long en large
devant elle, et Tara avait l’impression de se retrouver face
à un Robocop maléfique. Il finit par s’arrêter et déclara :
— Vous avez assassiné beaucoup de gens de valeur, sale
monstre. Trouver des humains insensibles à votre
maudite magie n’est pas si facile. Il va falloir que j’envoie
mes équipes de nonsos normaux sur Terre afin d’en trouver
d’autres et les ramener ici en vaisseau spatial. Tout ça va
me coûter une fortune !

Ah, oui, bien sûr ! Les NM ne pouvaient pas passer par


les portes de transfert, car la magie ne fonctionnait pas
pour eux. D’où les transports en vaisseaux, longs et
coûteux.

Tara était décidée à gagner le plus de temps possible.


Pour l’instant, tous leurs espoirs étaient entre les mains des
centaures qui s’étaient échappés. Alors si pour cela il fallait
tailler une bavette avec le taré en face d’elle, pas de souci.

Même si elle avait envie de lui faire rentrer son «sale


monstre » dans la gorge.

— Mais il y a un certain nombre de nonsos NM sur


AutreMonde, fit-elle remarquer. Pourquoi aller sur Terre ?

— Sur Terre, ils ne sont pas recensés, daigna répondre


Gueder. Notre révolution est en marche et je ne veux pas
risquer qu’elle soit compromise. Certains des nonsos NM
d’AutreMonde m’aident, mais d’autres ne sont pas d’accord
avec ma politique, les insensés. Je ne veux pas risquer de
trahison.

On voyait que cela le rendait malade.

— Je suis une nonsos moi aussi à présent, précisa Tara.


Je n’ai plus aucun pouvoir et la planète ne me les rendra
pas. Pourquoi est-ce que vous m’avez enlevée au risque de
vous mettre tout l’Empire d’Omois à dos ?
— Vous verrez, monstre. Je ne vais pas vous tuer, pas
tout de suite.

Ça, c’était bien. Tara était tout à fait d’accord avec ce


plan. Même si elle aurait bien voulu qu’il lui donne un peu
plus de précisions. Il reprit d’un ton exalté :

— Et une fois mon triomphe complet, vous serez


sacrifiée, comme tous les autres monstres.

Ah. Moins bien. Tara espérait que le plan mis au point


par ce dingue allait prendre beaucoup de temps.

Elle décida de poser d’autres questions. C’était un NM.


La magie ne marchait pas sur les NM. Or elle lui avait
broyé la trachée. Comment avait-il guéri ?

— Vous n’êtes pas mort, dit-elle en désignant la gorge


du NM de la main. Vous n’avez même pas de cicatrices. Je
ne comprends pas.

Une lueur de triomphe éclaira les prunelles d’un


marron terne.

— J’ai des alliés, moi aussi. Pensez-vous être la seule


à détenir de la magie ? Je la déteste, mais parfois, il faut
savoir utiliser ce qui vous est offert.

Tara écarquilla les yeux. De quoi ce malade était-il en


train de parler ?

— Vous avez été soigné par de la magie, n’est-ce pas?


Comment ?

La gifle qu’elle reçut fut si brutale et si inattendue


qu’elle n’eut pas le temps d’amortir le coup. Elle glissa sur
le côté, ayant tout juste le réflexe de protéger son ventre.
Elle sentit un liquide chaud couler sur le côté de sa
bouche. Elle n'eut pas le temps de se redresser. Les deux
soldats la remirent sur pied avec suffisamment de brutalité
pour que son corps proteste.

Soudain, elle reçut un coup de poignard dans le dos, si


violent qu’elle se plia en deux de douleur.

Sa dernière pensée avant de s’évanouir fut


qu’Almandach avait menti.

Il l’avait bel et bien tuée.

Une seconde gifle, aussi brutale que la première, lui fit


reprendre ses esprits. Il ne s’était écoulé que quelques
secondes apparemment, car Tara se trouvait toujours sur le
perron, et elle était toujours tenue par les deux soldats
même si ses pieds ne touchaient pas terre, car ils devaient
la porter, et elle ne sentait aucune blessure dans son dos,
même s’il lui faisait un mal de chien.

— Mettez-la dans sa cellule, gronda Almandach,


utilisant l’anglais, une langue terrienne, contrarié que sa
prisonnière se soit évanouie et sentant que ses soldats
n’étaient pas à l’aise avec ce qui se passait.
Les NM qu’il avait recrutés n’étaient pas des guerriers
et, vu la langue qu’Almandach avait utilisée, ils étaient des
Terriens. Il les avait transformés, les avait entraînés, mais
c’était la première fois qu’ils devaient affronter leur
véritable ennemi.

Tuer des centaures, faire des expériences sur des


animaux, ils voulaient bien. Ce n'étaient pas des humains.
Mais Tara avait l’enveloppe d’une humaine, même si, aux
yeux des fanatiques, elle n’en était pas une. Cependant,
elle était fragile, ravissante et enceinte. Le pire sujet qu’il
aurait pu choisir.

Il aboya une autre série d’ordres et ses hommes


s’engouffrèrent dans le complexe afin de le sécuriser,
tandis que d’autres fonçaient vers l’annexe qui continuait à
brûler et menaçait le laboratoire. Les extincteurs entrèrent
en action pendant que Tara était emmenée à l’intérieur.

Dès qu’elle fut déposée sur son lit, Tara se roula en


boule. Pour l’instant, elle n’avait absolument pas envie de
lutter, de discuter ou de faire quoi que ce soit d’autre que
de souffrir au point d’avoir envie de hurler.

Ce n’était pas un coup de poignard que Tara avait cru


recevoir. C'était tout simplement la nature qui se rebellait
contre les mauvais traitements qu’elle avait dû infliger à
son corps.

Et avait décidé que trop, c’était trop, et qu’il était


temps de donner naissance aux bébés.

Tara souffla et souffla encore, bénissant les cours


d’accouchement qu’elle avait pris. Depuis qu’elle était sur
cette planète, elle avait appris à la dure que les choses
pouvaient très vite tourner au cauchemar. Elle s’était donc
préparée.
La seule chose à laquelle elle ne s’était pas attendue,
c’était la douleur. Elle pensait qu’elle allait pouvoir la
contrôler.

Sauf que là, elle ne contrôlait rien du tout. Et encore


moins son envie de hurler.

Et soudain, ce fut trop fort. Son cri monta, puissant et


sauvage, et trancha l’air comme un couteau.

Comme tous les vampyrs, Selenba avait l’ouïe très


aiguisée. Elle entendit donc parfaitement le hurlement de
Tara.

Par les crocs de ses ancêtres, ils étaient en train de la


torturer ! La vampyr se raidit, indécise. Ils étaient bien
trop nombreux pour qu’elle attaque, c’était stupide et
inutile. Elle devait rester libre.

Mais par les dieux, ce cri ! Qu’est-ce qu’ils lui faisaient


pour qu’elle crie comme ça ?

Un frémissement près d’un arbre la fit se figer. Une


tache mouvante se déplaça, trop claire, trop grosse. Les
griffes et les canines de Selenba s’allongèrent, prêtes à
déchiqueter.
Soudain, la changeline la revêtit d’une armure et d'un
casque fermé, ce qui, lorsqu’on a des griffes et des
crocs, n’est pas super pratique. L’entité magique avait
également modifié les gantelets pour qu’ils recouvrent les
griffes, ce qui était parfaitement ridicule et neutralisait ses
armes les plus dangereuses.

— Mais qu’est-ce que... s’exclama Selenba, sa voix


retentissant dans son casque d’acier. Changeline, bon sang,
retire-moi tout ça ! Je ne peux pas me battre dans cette
tenue !

La changeline obéit et remplaça la cuirasse par une


armure plus légère de tiltril noir, couvrant uniquement son
torse et ses membres. La vampyr sentit que l’entité lui
coiffait ses longs cheveux blancs en une tresse de combat
et faillit jurer.

Une voix hésitante retentit dans le noir, en centaurien.

— Ne me mordez pas, s’il vous plaît, Dame !

La forme s’avança, soudain presque lumineuse sous la


lune et demie.

C’était la jeune pouliche qui avait eu l’idée des SOS. Ils


s’étaient tous présentés, mais Selenba n’avait pas fait
attention à son nom. Comme les autres, ses poils et sa
crinière commençaient tout juste à repousser et ses grands
yeux verts étaient assombris par la peur. Selenba hocha la
tête et rengaina ses griffes qui reprirent l’apparence
d’ongles rouges et civilisés.

— On avait dit d’éviter les rassemblements, grogna la


vampyr, tu as de la chance que je voie dans le noir, j’ai
failli t’égorger. Enfin une fois débarrassée de la stupide
armure.
La jeune pouliche déglutit.

— Pardon. Je ne savais pas quoi faire. Je me suis


enfuie, comme vous l’avez dit, mais j’ai tellement peur ! Je
pensais... je pensais que c’était comme dans les jeux vidéo
ou les films, qu’on allait vaincre les méchants, mais ils nous
tiraient dessus et... en vérité, on ne pense qu’à une seule
chose, c’est s’enfuir.

Elle tremblait de tous ses membres.

Selenba grinça des dents en sentant la compassion


monter en elle. Maudites hormones ! Depuis qu’elle était
enceinte, elle était devenue beaucoup plus faible ! Voilà
qu’elle ressentait l’angoisse de la centaure.

— Tu as quel âge ?

— Quatorze ans, Dame.

Par les griffes de sa mère, c’était une enfant ! Ils


avaient enlevé une enfant. En temps normal, cela ne lui
aurait fait ni chaud ni froid, elle n’y aurait vu qu’un encas
bien commode. Dont elle devait se débarrasser pour ne pas
s’encombrer et être repérée.

Mais là, Selenba sentait la détresse de la pouliche la


secouer. C’était très désagréable d’avoir une conscience.

— Très bien, se résigna la vampyr, viens avec moi et


essaye de ne pas faire de bruit. Comment tu t’appelles ?

— Fabra, répondit la jeune pouliche, Fabra


Yapalfeuaulac. Dame Selenba ?

— Oui?
— Vous croyez que nous allons tous mourir ?

Selenba allait se fondre dans les ombres, tandis que la


changeline, sentant qu’elle avait fait une bourde,
transformait sa tenue en une combinaison de camouflage
de plusieurs sortes de gris, la rendant presque invisible. La
vampyr hocha la tête, c’était peut-être pratique, cette
changeline, Tara avait eu raison de la lui donner... prêter.

— Pas si je peux l’éviter, répondit-elle sincèrement.


Viens, allons voir si ces collines possèdent quelques
cavernes. Marche à trois pas à ma droite et fais le moins de
bruit possible, d’accord ? Ils ne sont pas encore à notre
recherche, mais j’ai bien peur que ce ne soit qu’un court
répit.

En chemin, elles croisèrent la petite troupe qu’ils


avaient envoyée pour cartographier l’île. Ils avaient
entendu le bruit de l’explosion alors qu’ils étaient sur le
chemin du retour, fourbus d’avoir galopé aussi vite.

Elles expliquèrent la situation. Heureusement,


personne ne se trouvait dans l’autre annexe, lorsque
Gueder l’avait fait exploser, si bien que presque tous les
centaures, à part ceux qui avaient été abattus par les
broyettes des fantassins, avaient pu s'en sortir.

Le groupe d'exploration avait bien repéré des grottes,


mais ne les avait pas visitées. Selenba leur expliqua qu’ils
devaient se séparer, mais le temps qu’elle commence à
avancer vers les grottes, et ils s’étaient regroupés en un
petit troupeau craintif et nerveux qui la suivait au point de
quasiment lui marcher sur les talons avec leurs sabots.
Selenba soupira. Qui avait dit qu’elle devait cornaquer une
bande de centaures pas très malins ?
Elle commença à avancer d’un bon pas, accélérant afin
de les distancer.

Sauf qu’elle était une vampyr surpuissante, certes, mais


qu’ils avaient quatre pattes. Ils étaient facilement
aussi rapides qu’elle. Elle dut ralentir pour économiser ses
forces.

Et c’est alors que les centaures commencèrent à parler.


Ils posaient des questions, des tas et des tas de questions,
alors qu'elle voulait qu’ils restent silencieux et prudents.

Ils connaissaient la situation aussi bien qu’elle. À quoi


cela rimait de poser des questions du type : « Vous croyez
que les autres sont arrivés au continent ? », ou encore «
Vous croyez qu'ils vont revenir nous chercher ? », ou « Vous
croyez que nous allons réussir à nous en sortir ? ». Mais
qu’est-ce qu’elle en savait !

L’avantage, c’était qu’ils faisaient suffisamment de bruit


pour que les animaux de l’île, prudents, ne se risquent
pas à les attaquer. Selenba avait vu deux krakdents et
quelques mooouuus, mais elle doutait qu’il y ait vraiment
de gros prédateurs dans le coin, l’île était trop petite, ils y
seraient vite morts de faim.

Les collines étaient hautes et, effectivement, il y avait


des cavernes, produites sans doute lorsque l'île, clairement
un ancien volcan, avait émergé de la mer, des millions
d’années plus tôt. Selenba ne l’avait pas bien vu la
première fois, lorsqu’elles avaient fui le complexe, mais l’île
était presque ronde, tout entière centrée autour du volcan
ét...

Selenba fronça les sourcils. Il faisait nuit,


contrairement à la dernière fois, et, sous la lumière
aveuglante des deux soleils, ils n’avaient pas vu les
fumerolles rouges qui s’élevaient.

Là, elle les voyait très bien et son sang se glaça[42]


dans ses veines.

Les fous ! Ils avaient construit leur complexe à l’ombre


d’un volcan encore en activité ! Tara et elle ne l’avaient pas
vu car, de leur côté, la végétation avait recouvert la totalité
des pentes du volcan, mais, de l’autre, un cratère béant
avait explosé l’un des flancs de la montagne.

Puis Selenba comprit à quel point c’était malin d’avoir


choisi cet endroit pour cacher leur laboratoire. La lave
avait l’air d’avoir coulé il y avait très longtemps, des
centaines d’années peut-être, mais les fumerolles étaient
menaçantes, la lueur de la lave éclairait le ciel, l’endroit
restait suffisamment dangereux pour que les gens du coin
ne s’en approchent pas et ne s’établissent pas sur l’île alors
qu’il y en avait des tas d’autres qui n’étaient pas
dangereuses.

Personne ne viendrait les chercher ici.

Sauf que Selenba commençait à bien connaître Tara.


Lorsque la jeune fille était dans les parages, les choses
avaient tendance à exploser, souvent avec des gens dessus.
Après tout, Tara avait même réussi à faire sauter[43] l’un
des deux satellites d’AutreMonde, ce qui était quand même
un exploit.

Le problème, c’était que lorsque Tara faisait exploser


des choses, sa seule réaction lorsqu’il y avait des dégâts
collatéraux, en général chez ses ennemis, d’ailleurs, était
du type : « Euh, oups, désolée. »
Ce qui malheureusement ne ramenait pas les gens à la
vie.

Donc l’équation volcan + Tara + impossibilité de


s’enfuir n’était pas bonne du tout.

Selenba mit la main à plat sur son ventre, sentant son


bébé bouger en réaction à sa peur.

— Ne t’inquiète pas, Luck, nous allons nous en


sortir, murmura-t-elle doucement. Maman va trouver une
solution. Ce ne sont pas de misérables nonsos et un volcan
qui vont nous faire peur, hein, mon bébé ?

— Vous nous avez parlé, Dame ? demanda la voix


inquiète d’un des centaures derrière elle.

Selenba soupira de nouveau.

— Non, répondit-elle, sèchement, je parlais toute seule.

Elle sentit le silence derrière elle s’approfondir.

— Ah, fit le centaure, la crainte dans sa voix laissant


entrevoir ce qu’il pensait d’une vampyr qui se parlait à elle-
même.

À partir de ce moment, ils la suivirent dans un silence


prudent et attentif, ce que Selenba trouva très bien.

Au bout de trois heures de course alternée de marche


rapide ou de trot, ils arrivèrent au pied de l’une des
collines où les centaures avaient repéré des cavernes
éventuellement utilisables. Ils pouvaient accéder à
certaines d’entre elles, mais d’autres ne pouvaient être
atteintes qu’en lévitant.
Sachant que les nonsos NM ne pouvaient pas utiliser la
magie, Selenba préféra les cavernes les plus
inaccessibles. Elle s’envola sous le regard des centaures et
commença à inspecter.

Plusieurs des cavernes n’étaient pas utilisables, du


moins, pas par des quadrupèdes. Mais la cinquième qu’elle
trouva était plutôt confortable. Simple trou dans la roche,
elle descendait en pente douce jusqu’à la mer, terminant
sur une plage de sable fin. De plus, un petit ruisseau
serpentait dans un coin, apportant fraîcheur et assurance
d’une eau pure. S’ils étaient prudents, ils pourraient même
sortir par la plage, laissant la marée effacer leurs traces.

Sur son appel, un par un, les centaures s’envolèrent


jusqu’à l’entrée, presque trop petite, et qu’ils devaient
franchir en se penchant et presque totalement accroupis.
Si, au début, ils doutaient du choix de Selenba, lorsqu’ils
découvrirent jusqu’où la caverne s’étendait, ils furent ravis.

Pendant qu’ils s’installaient, Selenba leur recommanda


de faire le moins de magie possible, au cas où les maudits
NM auraient des appareils capables de la détecter et
descendit effacer les traces des centaures.

Puis elle partit chasser. Tout ça, c’était bien bon, mais
elle avait les crocs. Deux spatchounes et un glouglou
plus tard, elle était rassasiée et combattait l’envie qu’elle
avait de retourner au complexe délivrer Tara.

C’était presque bizarre ce qu’elle ressentait pour la


jeune femme. Les vampyrs pouvaient s’attacher, bien sûr,
mais, parmi les siens, Selenba n’avait jamais été connue
pour les liens qu’elle pouvait tisser avec sa
communauté[44]. Or Tara traitait Selenba comme une amie
et Selenba avait fini par en prendre l’habitude.
La vampyr lécha ses doigts ensanglantés par les
volatiles. Oui, c’était cela. Elle ne voulait pas délivrer Tara,
parce que celle-ci pouvait la protéger contre Magister,
Lisbeth le ferait tout aussi volontiers, reconnaissant en
Selenba une arme terrifiante et efficace. La vampyr voulait
délivrer Tara, parce que cette dernière n’essayait pas de
l’utiliser et la considérait comme une amie.

C’était ennuyeux, tous ces sentiments. Elle dressa


l’oreille. Entendit des craquements. Et soupira de nouveau
en voyant des formes équines sortir timidement des bois.

Et se diriger vers elle d’un air misérable de chatons


perdus.

Elle détestait les chatons.

— Bon sang, grogna-t-elle, mais ces maudits centaures


vont me rendre dingue !

Deux heures plus tard, elle avait récupéré tous les


centaures qui s’étaient éparpillés dans la nature. Comme
les chevaux, les centaures ressentaient profondément le
besoin d’être en groupe et, en dépit des consignes,
n’avaient pu s’en empêcher.

Comme du coup ils formaient une cible facile à repérer,


Selenba n’eut pas d’autre choix que de les emmener à
leur caverne et de les cacher avec les autres.

Après leur avoir fait cueillir des fruits et du fourrage


afin d’éviter qu’ils ne doivent ressortir. Puis être
redescendue, encore, pour effacer les traces.

Lorsqu’elle remonta, elle était fatiguée.


Cela faisait cinq heures qu’elle crapahutait et elles
n’avaient pas beaucoup dormi avant d’être réveillées par
les tanks.

— Qu’est-ce que nous allons faire ? demanda


Fabra, lorsqu’elle remonta.

Apparemment, la jeune centaure n’avait pas peur d'elle.


Selenba ne savait pas très bien si elle devait s’en
offusquer ou non.

— Pour l’instant, nous allons rester cachés. L’activité


du volcan va masquer notre signature thermique et le fait
d’être aussi profondément sous terre ne leur permettra pas
de nous retrouver facilement. En attendant, essayons de
réfléchir à un plan pour sortir Tara du laboratoire sans
nous faire tous massacrer par les nonsos NM et leurs
foutus tanks, OK ?

Elle planta là la pauvre Fabra, les yeux encore


écarquillés de stupeur, décida de dormir une heure, se fit
un lit moelleux grâce au sable doux de la caverne et à la
changeline qui lui créa un oreiller et se concentra pour
essayer de réfléchir à un plan.

Elle s’endormit avant d’avoir réussi à trouver. Mais sa


dernière pensée fut que le cri de Tara avait été affreux. Pire
que celui de toutes les victimes de la vampyr, et ce n’était
pas peu dire.

Elle espérait que la jeune Héritière ne souffrait pas


trop.

Parce qu’elle ne voulait pas imaginer le pire.

Que Tara était morte.


Et que ce cri était le dernier.

Tara souffrait le martyre. Cela faisait déjà deux heures


qu’elle avait perdu les eaux et les contractions arrivaient
par vagues. Ses cris avaient fini par ennuyer Almandach.

Tara, le front ruisselant de sueur, venait à peine d’en


finir avec une série de contractions particulièrement
violentes, lorsque la porte de sa cellule s’était ouverte, ce
qui avait provoqué un bourdonnement étrange dans ses
oreilles. Deux gardes encadrant Chavol, la vieille centaure,
s’étaient avancés prudemment. Ils devaient soutenir la
jument, parce qu’elle avait du mal à avancer, ses flancs
lacérés sommairement pansés.

Ils apportèrent des bassines d’eau, un petit couteau


presque émoussé, des linges propres, des sutures et
refermèrent la porte.

— Ça va ?

La question de Chavol et celle de Tara fusèrent en


même temps. La vieille jument sourit péniblement.

— J’ai l’impression d’avoir un tison entre les côtes, et


ça n’arrête pas de saigner. Et toi, petite ?
— J’ai l’impression d’avoir un tison ailleurs, grogna
Tara en essayant de se redresser, et je préfère ne pas
préciser pour rester polie. Laissez-moi voir votre plaie. Ils
ont apporté des sutures, je devrais pouvoir faire quelque
chose, il faut arrêter ce saignement.

— Les contractions, tu en es à combien ?

— Si je compte trois crocodiles[45] toutes les secondes,


je dirais une toutes les cinq minutes et ça s’accélère. Alors
on va faire vite pour vous recoudre, parce que la dernière
vient de passer.

Elle se lava les mains et la vieille jument s’approcha


d’elle afin de lui permettre d’examiner sa plaie. C’était
moche. Tara lit de son mieux et la jument cria à deux ou
trois reprises lorsque l’aiguille était trop douloureuse, mais
Tara parvint à tarir le flot écarlate.

— Vous devez boire pour compenser le sang perdu, fit


Tara en désignant les bassines d’eau, allez-y.

La centaure obéit, mais on voyait qu’elle souffrait


terriblement et même si le sang ne coulait plus autant, il
restait un petit filet qu’elle n’avait pas réussi à juguler, la
blessure étant trop profonde.

Une vague de contractions toucha Tara et elle en laissa


chuter l’aiguille puis retomba sur le dos, épuisée.

— Ça a commencé il y a combien de temps ?


demanda Chavol en l’observant d’un air préoccupé.

— La première vraie contraction a commencé il y


a quelques heures, je pense, mon hor ne fonctionne plus,
je n’ai pas conscience de combien de temps il s’est passé
exactement.
— Hum, laisse-moi regarder, petite, j’ai accouché
plusieurs de mes filles, ce ne devrait pas être très différent
pour une humaine.

Tara avait retiré son pagne et la vieille jument palpa


son ventre en observant le tout.

— Bon, tu es presque entièrement dilatée. À cause du


fer d’Hymlia de cette foutue cage, je ne peux pas utiliser
ma magie, mais je vois déjà les cheveux du petit. Avec
moi, lorsque la prochaine contraction va arriver, tu vas
pousser de toutes tes forces, d’accord ?

Soudain Tara lâcha prise. Elle se mit à pleurer.


Maladroitement, Chavol lui tapota la main.

— Ce n'était pas censé se passer comme ça, gémit


Tara. Je veux Cal ! Je veux des médecins ! Je veux ma
maman ! J’ai mal ! J’ai tellement mal !

Elle n’était plus la jeune femme forte qui avait sauvé


des milliards de vies. Elle n’était plus qu’une petite fille qui
avait mal et qui voulait qu’on la protège.

— Chuuuut, chuuuut, fredonna doucement Chavol, je


suis là, tout va bien se passer. Tu dois avoir confiance en
moi, ma petite. Pour l’instant, tes bébés sont en très bonne
position, les dieux soient loués. Je ne vois aucune
complication. À la prochaine contraction, nous allons faire
passer la tête, le corps suivra dans la foulée. Ensuite, le
second devrait sortir. On s’occupera des placentas ensuite,
d’accord ?

Elle parlait pour apaiser Tara, la jeune fille en avait


bien conscience. Pourtant, elle se sentit soudain
enveloppée d’amour, comme si sa mère était là, ce qui était
impossible, car elle n’avait pas sa pierre de communication
pour parler avec elle et que les interactions entre
OutreMonde, le monde des morts, et AutreMonde, le
monde des vivants, étaient de nouveau interdites.

Dans les minutes qui suivirent, Tara accoucha de deux


beaux bébés qui respirèrent tout de suite avec facilité.
Chavol coupa les cordons ombilicaux, lava les bébés
pendant que Tara, émerveillée, les contemplait comme s’ils
étaient les plus grandes merveilles du monde.

La sueur et les larmes roulaient sur son visage, lorsque


Chavol posa enfin ses enfants sur sa poitrine. Elle savait
qu’ils ne voyaient pas encore très bien, c’était trop tôt,
mais, en un instant, elle oublia la douleur, la peur et tout ce
qui venait de se passer. Elle ne voyait que ses deux enfants.
Une tête déjà couronnée de cheveux noirs et une autre
couronnée de cheveux blonds. Et les deux portaient la
célèbre mèche blanche de la dynastie de Demiderus à la
même place que celle de Tara.

— C’est un beau petit garçon et une belle petite


princesse, fit la jument avec satisfaction. Bon, je vais vous
appuyer fortement sur le ventre, il faut que nous fassions
sortir les placentas, je suppose que vous, les humains, vous
ne les mangez pas ?

Tara releva la tête, dégoûtée.

— Euh, non, merci.

— Tu as tort, c’est plein de vitamines. Tu en as besoin


avec l’épreuve que tu viens de subir.

— Oui, sans doute, mais non merci quand même.

La jument haussa les épaules. Tara regarda ses bébés


pendant que Chavol appuyait sur son ventre comme une
dingue. Ce n’était pas très agréable, mais Tara s’en fichait.

Ils avaient réfléchi depuis longtemps aux noms de leurs


enfants. Elle les murmura, les yeux pleins de larmes, sur
les petites têtes.

— Danviou, bienvenue, mon fils, Celia, bienvenue, ma


fille. Vous êtes magnifiques ! Ça aurait été cool que vous
attendiez un peu, mais ce n’est pas grave. On va faire avec.
On va s’en sortir.

Danviou et Celia se portaient comme des charmes.


C’était Cal qui avait proposé le nom de Danviou, comme le
père de Tara, ce qui avait beaucoup ému la jeune femme.
Et Celia était l’ancêtre des Dal Salan qui avait créé
l’université des Voleurs Patentés, quatre cent cinquante ans
plus tôt.

Ils étaient bien plus robustes que ce à quoi elle


s’attendait. Ils étaient prématurés, puisque cinq mois
d’AutreMonde correspondaient à sept mois sur Terre, mais
n’avaient pas l’air d’en avoir souffert. Elle n’était pas
experte, mais elle pensait qu’ils faisaient trois bons kilos
chacun, ce qui expliquait pourquoi elle avait eu
l’impression d’être aussi grosse.

Danviou était blond comme les blés et, même si tous les
bébés avaient les yeux bleus et qu’ils changeaient de
couleur en quelques semaines, on voyait que ses yeux
étaient du bleu le plus pur. Celia était brune et ses yeux
semblaient déjà tirer vers le gris. Tout le portrait de son
père, on avait l’impression qu’elle cherchait déjà à évaluer
son environnement.

Chavol improvisa des couches avec les tissus.


Heureusement, il faisait chaud, car les bébés n’avaient pas
de vêtements, Almandach ne s’étant pas préoccupé d'une
éventuelle naissance, évidemment.

Ils émirent un drôle de petit miaulement et, ce qui était


bizarre, c'était qu'ils le firent exactement au même
moment. Puis, aussi fatigués qu’elle par l’accouchement, ils
s’endormirent sur son ventre.

Une fois sa mission terminée, la vieille jument se


coucha à terre, épuisée par sa blessure.

Au bout d’une heure passée à regarder ses bébés avec


un mélange de stupeur et d’émerveillement, Tara voulut se
lever. Elle sentait des crampes dans les jambes et voulait
les soulager. Elle passa ses bébés à Chavol qui commença à
les bercer avant de chantonner, puis se leva prudemment.
Elle avait la tête qui tournait un peu, mais bon, ça allait.

Elle remit son pagne puis inspecta son ventre.

— Beurk, fit-elle, c'est tout flasque.

Chavol releva la tête et se mit à rire, pour très vite


grimacer parce que cela lui faisait mal aux flancs.

— Ne t’inquiète pas, petite, un reparus, et tu vas


retrouver un ventre parfait.

— À propos de reparus, dit Tara, voyons un peu.

La jeune femme blonde pointa son doigt vers le flanc de


Chavol et murmura doucement pour que personne ne
l’entende à l’extérieur de la cage, au cas où :

— Par le reparus, que la blessure disparaisse et que la


douleur cesse.
Chavol la regarda d’un air inquiet.

— Tara ? Tu vas bien ? Nous sommes dans une cage


en fer d’Hymlia, et il y a une statuette de contremagie
dedans, même si tu as récupéré ton pouvoir, ça ne
fonctionnera pas !

Après avoir louché dessus, Tara secoua son doigt d’un


air dégoûté.

— Ouais, sauf que, justement, je n’ai rien récupéré du


tout. Comme dirait mon amie la naine Fafnir Forgeafeux, la
foutue magie n’est pas revenue ! Parce que mon pouvoir
n’en a rien à faire, du fer d’Hymlia. Au début, oui, il pouvait
me couper de ma magie, mais maintenant, je pourrais
détruire la cage juste en clignant les yeux.

Bon, là, elle était en colère. En fait, il lui faudrait sans


doute beaucoup d’effort pour arriver à vaincre la résistance
du fer, mais elle n’avait pas envie de développer. Et puis, de
toutes les façons, ça ne servait à rien, puisqu’elle avait
accouché et que si les bébés étaient bien là, ce dont elle se
réjouissait, la magie, elle, n’était pas revenue avec.

Slurk ! Et double slurk !

— Oh, fit Chavol, déconcertée. Je suis désolée, cela


aurait été une bonne nouvelle. En attendant, pour l’instant,
réjouis-toi. Tu es jeune, forte et en bonne santé, tu as
accouché de deux beaux bébés et...

— Et nous sommes toujours prisonnières d’un dingue


dont nOUS ne savons toujours pas pourquoi il nous a
enlevées !

Comme s’il avait attendu cet instant pour intervenir,


Almandach entra dans la pièce toute en longueur, longeant
les cages vides d’un air renfrogné. L’aube n’allait pas tarder
à se lever, et il était déjà sanglé dans son espèce
d’uniforme marron, et portait ses sempiternelles bottes
noires et son bâton moche. Il s’approcha de leur cellule et
observa les bébés avec curiosité.

— Le monstre a donné naissance à des monstres. Ont-


ils de la magie, comme toi, sortcelière ?

Dans sa bouche, le mot sonnait comme un juron.

Non, rectificatif. Dès qu’il s’adressait à ce qu’il


considérait comme ses inférieurs, tous ses mots sonnaient
comme des jurons. À avoir envie de se laver les oreilles
pour nettoyer toute la saleté qu’il projetait.

— Les enfants sortceliers n’ont pas de pouvoir


lorsqu’ils sont petits, répondit dédaigneusement Tara, trop
épuisée pour se montrer diplomate. Tout le monde sait ça.
Il faudra des années avant de savoir si, en me retirant ma
magie, la planète a retiré celle de mes bébés aussi.

Elle se garda bien de préciser qu’elle était un cas


particulier et qu’elle avait, du fait de la manipulation des
gènes de sa lignée, eu son pouvoir très jeune, bien plus tôt
que les autres sortceliers.

En fait, sur Terre, sa grand-mère, Isabella, avait passé


son temps à lui lancer des mintus pour lui faire oublier
qu’elle avait des pouvoirs.

Son ami, Jeremy’lenvire Bal Dragus aussi d’ailleurs,


victime de la même manipulation, opérée par les dragons.

— Dommage, fit l’homme avec un rictus cruel,


nous aurions pu faire quelques expériences sur eux aussi.
Incrédule, Tara le dévisagea. Elle finit par retrouver sa
voix, volée par la stupéfaction :

— Vous seriez capable de torturer des bébés ? Mais


quelle sorte de monstre êtes-vous ?

— C’est toi, le monstre, ici, ne l’oublie jamais,


cracha Almandach, soudain rouge de colère.

Son curieux bâton parut soudain vibrer, comme s’il se


nourrissait de la haine et de la colère d’Almandach, et
le visage de l’homme vira au blanc.

Il s’appuya dessus lourdement.

Tara le regarda attentivement. Mais qu’est-ce qui se


passait ici ?

Elle observa le bâton. Et recula un peu lorsqu’elle se


rendit compte soudain que le bâton semblait l'observer,
elle. Tara avait croisé pas mal d’objets vivants et magiques
et en général maléfiques.

Cependant, ce qu’elle avait devant elle semblait très


différent. Elle ne parvenait pas du tout à percevoir ce que
c’était. Elle tendit machinalement son pouvoir... avant de
soupirer, amère. Ah oui, elle avait oublié. Ça ne servait à
rien.

Et elle était incapable de sentir si l’objet était vraiment


magique ou si elle se faisait des idées.

Entre-temps, Gueder semblait avoir retrouvé un peu de


sa hargne et s’essuyait la bouche nerveusement.

— De toutes les façons, d’ici quelques jours, un ou


deux mois au maximum, nous saurons si tu n'es plus une
sortcelière. Et tes enfants aussi.

Tara avait envie de lui cracher à la figure qu’elle n’avait


pas l’intention de rester prisonnière aussi longtemps,
mais se contenta d’un simple :

— Comment ça ?

Ses yeux noirs luisant de satisfaction, Almandach sourit


et répondit :

— Parce que si tu es une sortcelière, que tes enfants


sont des sortceliers, alors notre virus vous tuera. Vous et
tous les sortceliers de cette planète...
Chapitre 16
Le krakdent
Ou comment rendre les réunions nettement plus
intenses,

et contraindre les gens à réfléchir sérieusement

avant de vous dire non.

Lisbeth vit le krakdent rose leur foncer dessus.

Elle hurla et poussa Various, qui tournait le dos au


danger et n’avait rien vu, si brutalement que son mari
s’étala les quatre fers en l’air.

Le krakdent atterrit sur Lisbeth de toute la force de ses


cinquante kilos qu’il était capable de démultiplier jusqu’à
en peser quatre fois le poids, la faisant basculer à terre.

Ce n’était qu’une question de seconde avant qu’il ne lui


arrache la tête. Elle n’aurait jamais le temps de...

Et soudain, elle vit les yeux adorablement verts de la


ravissante peluche rose changer de couleur, pendant
qu’une vont dans sa tête lui parlait.

Puis une langue rose surgit et lui lécha la figure.

Various se releva en hurlant, sa magie noire prête à


vaporiser le krakdent, mais Lisbeth hurla à son tour :
— Non, Various ! Ne lui fais pas de mal !

Heureusement pour le krakdent, Various était soldat de


métier et donc discipliné. Le jet de magie qui était prêt à
partir fut retenu de justesse.

— Lisbeth, fit Various d’une voix terriblement crispée,


sa magie noire dansant dans sa main, mais qu’est-ce que tu
fous, au nom de tous les dieux ! Écarte-toi tout de suite !

Lisbeth était si surprise qu’elle ne répondit pas tout de


suite, totalement engagée dans le lien qui venait de se
créer.

Various se décontracta légèrement en voyant qu’il n’y


avait ni sang ni hurlements.

— Lisbeth ? répéta Various. Je sais que tu n’aimes pas


tuer les animaux du parc, mais là, je trouve que tu pousses
un peu loin. Partons d’ici et tu libéreras le krakdent de loin.

Lisbeth leva vers lui des yeux transfigurés de joie et de


stupeur.

— Il… il dit qu’il s’appelle Jassiphar!

Le krakdent le regarda. C’est alors que Various éprouva


soudain le besoin de s’asseoir, parce que ses genoux
venaient de déclarer forfait.

Car les yeux de l’animal étaient dorés.

Pendant que sa femme riait et pleurait en même temps,


que l’une des bestioles les plus dangereuses
d’AutreMonde lui léchait la figure avec passion tout en
ronronnant comme un énorme chat plein de crocs façon
requin, Various imagina, l’estomac retourné, les gros titres
des cristallistes dans quelques heures.

Lisbeth venait de trouver son Familier !

Et c’était un krakdent...
Chapitre 17
Chem
Ou le métier de prince charmant... de dragon
charmant
consort marié à une reine, franchement,
c’est nul quand on veut aller s’amuser un peu.

Gueder Almandach avait disparu de Tingapour. Mais


grâce aux informations des dragons, ses poursuivants
savaient qu’il possédait cet autre endroit, près de la Viridis
et de l’océan des Brumes.

Cependant, envahir la Viridis qui était une république


indépendante dirigée par Esel Faced, une belle femme à
la peau noire et aux cheveux rouges, et surtout au
tempérament explosif, avec l’armée d’Omois, n’était pas
possible. Et les communications diplomatiques n’étaient
pas suffisamment rapides au goût de Cal.

Ni à celui de Lisbeth, d’ailleurs, qui, pour une fois,


n’avait pas l’intention de s'embarrasser de laissez-passer
officiels.

Enfin, lorsqu’ils arrivèrent à lui parler, parce qu’elle


venait d’annoncer au monde entier qu’elle s’était liée avec
un Familier.

Un krakdent.
Bon sang ! Ils ne l’avaient laissée que pour une heure et
lorsqu’ils étaient revenus, elle avait la petite peluche rose
à ses côtés et souriait comme une débile mentale.

Les audiences au Palais de Tingapour n’étaient déjà pas


très calmes, y ajouter un krakdent allait sans doute les
rendre nettement plus intenses...

Les cristallistes étaient en ébullition. Cela faisait des


décennies que les souverains régnants de la dynastie de
Demiderus ne s’étaient pas liés à un Familier.

Au départ, tout le monde y voyait un gage de bonheur.

Puis les gens apprenaient à quelle race appartenait


ledit Familier et les grimaces remplaçaient les bravos.

Les krakdents étaient les animaux les plus dangereux


d’AutreMonde, notamment parce que, contrairement aux
draco-tyrannosaures qui annonçaient la couleur en étant
immenses, gros, pleins de crocs et avides de manger tout
ce qui passait à portée de dent en passant leur temps à
hurler comme dans un remake de Jurassic Park, les
krakdents, eux, étaient mignons, petits, et les non-initiés ne
pouvaient pas se douter qu’ils étaient également pleins de
crocs et avides de manger tout ce qui passait à portée de
dent, notamment ceux qui étaient assez stupides pour sous-
estimer la dangerosité des petites peluches roses.

Les jourstaux s’en donnèrent à cœur joie.

«L’IMPÉRATRICE D’OMOIS VIENT DE TROUVER SON


FAMILIER : C’EST UN KRAKDENT!» ou encore «EST-
IL PRUDENT D’ALLER À LA COUR D’OMOIS ? » et
lorsque, lors d’un moment d’inattention de Lisbeth,
Jassiphar croqua un bout du musicien favori de
l’Impératrice, un tazhboum qui s’était approché un peu
trop, les jourstaux titrèrent comme un seul homme : « LE
FAMILIER DE L’IMPÉRATRICE A LA FIBRE MUSICALE ! »

Cela n’altéra pas le ravissement béat de l’Impératrice


qui venait de trouver l’amour inconditionnel d’un Familier
et était donc, comme tous les sortceliers qui venaient de se
lier, encore perdue dans la profondeur de la connexion.

Pendant que tout AutreMonde ne parlait que de


l’Impératrice et de son nouveau Familier, Jeremy’lenvire
Bal Dragus était revenu au Lancovit.

Le jeune homme brun s’était rendu en Viridis où il avait


lancé un cherchus à l’aide de son puissant pouvoir.

À la grande surprise et au profond dépit de Jeremy (il


aurait bien aimé être le héros qui sauvait la belle
princesse), son sort n’avait pas trouvé Tara.

Cela avait perturbé Cal, lorsque Jeremy, furieux,


l’appela, parce que le jeune Voleur savait que Gueder
n’utilisait pas de magie. Comment le nonsos NM parvenait-
il à dissimuler Tara ?

Il ne voulait surtout pas penser à l’autre éventualité.

Que Tara était morte.

Jeremy proposa de nouveau son aide, mais comme Cal


allait devoir affronter des gens capables d'annuler la
magie, il avait besoin de guerriers, ce que n’était pas du
tout Jeremy, pas de puissants sortceliers, alors Cal refusa, à
regret.

Il forma donc une petite bande discrète. Deux thugs


avec Xandiar et sa femme, Séné Senssass, la très discrète
camouflée, Fabrice, dont la forme de loup-garou ne
craignait pas grand-chose, Moineau, qui sous sa forme de
Bête était une redoutable combattante, Fafnir et ses
terribles haches, Sylver dont le pouvoir de dragon était la
moindre de ses armes avec son sabre, Robin qui avait
fermement expliqué à Sael qu’il devait aller sauver Tara, ce
que la belle elfe avait tout à fait compris en le dispensant
de ses corvées protocolaires, et enfin Mourmur, Heagle5 et
la sage-femme tatris Magrit, ainsi qu’un chaman, Maître
Herbes courbées par le vent, le médecin personnel de
Lisbeth, qui suivait la grossesse de Tara depuis le début. Et
pour terminer Maître Chem et son vaisseau pour
transporter la troupe, parce que passer par les portes de
transfert avec tout ce petit monde, surtout les thugs, aurait
averti tout de suite le gouvernement viridien qu’il
se passait un truc louche.

Enfin, une aide inattendue s’imposa.

Les cinq frères et sœurs aînés de Cal.

Le jeune homme avait été extrêmement surpris de


recevoir un appel du Lancovit. Ses parents n’étaient pas
d’anciens Voleurs Patentés pour rien. Cal ne savait pas très
bien comment ils restaient au courant, mais peu de choses
leur échappaient. Ils savaient donc que Tara avait disparu.

Benjy, son frère aîné, avait été possédé par les


fantômes, que Cal avait aidé à détruire. Depuis, il ne
pouvait plus autant taquiner son petit frère, vu que celui-ci
lui avait sauvé la vie, et cela lui manquait beaucoup. Il
voulait donc lui rendre la pareille et avait trouvé la solution
idéale.

— Quoi? s’exclama Cal. Comment ça, vous voulez


venir avec moi ? Mais...
Projetée par l’écran, l’image de toute sa famille, y
compris Cixi, sa plus jeune sœur, lui faisait face. Ses
parents, petits, bruns, souples et efficaces, et Benjy, Serra,
Toug, Venris, Mellee. Ses trois frères et ses deux grandes
sœurs, qui comme leurs parents, travaillaient à l’université
des Voleurs Patentés.

— Quoi « quoi ?» ? s’exclama Benjy. Tu as réussi à


perdre ta femme et tes bébés, c'est normal qu’on t’aide à
les retrouver, non?

Cal se laissa aller dans le profond fauteuil en cuir de


spalendital noir de son bureau. Ses amis se trouvaient dans
la pièce d’à côté en train de se préparer.

— Voyons, fit Cal d’un ton raisonnable en passant


ses mains dans ses cheveux aussi noirs que ceux de ses
frères et sœurs, et dont les yeux gris ou bleus le
regardaient avec affection, toi, Benjy, tu as bien reçu une
formation de Voleur Patenté, donc tu sais te battre, pas de
doute. Mais Serra et Venris sont de purs administrateurs et
la dernière chose qu’ils ont dû pourfendre, c’était un bilan
erroné. Quant à Toug et Mellee, ils sont peut-être
enseignants à l’université, mais franchement, les gars, ça
fait combien de temps que vous ne vous êtes pas vraiment
battus ? Et je ne parle même pas de Cixi !

Sa plus jeune sœur, la plus fragile et frêle de la famille,


sourit joyeusement.

— Oh non, moi je reste ici pour fouiller un peu!


Ces gens sont suréquipés. Je suis en train de tracer les
armes et comment ils les ont achetées, avec quel argent et
sur quelle planète, dans quel pays, sans oublier à quel
endroit elles ont été livrées.

— Mais...
— À pégase donné, on ne regarde pas les ailes[46],
l’interrompit Aliana-Léandrine, qui se faisait beaucoup de
souci pour Cal dont les cernes prononcés faisaient peine à
voir. Tu as besoin de l’aide de ta famille et nous sommes là
pour t’aider. De plus, nous pouvons partir maintenant par
porte de transfert en Viridis et ensuite aller en transmitus
ou en tapis volant jusqu’à la cible et dresser déjà un
tableau complet de la situation autour du complexe du
représentant des nonsos. Heureusement, cet endroit a été
construit sur le bord de l’océan des Brumes, loin de la
capitale de la Viridis, Tiran, ce sera plus discret si nous
devons nous débarrasser de quelques gardes.

Cal referma la bouche qui était en train de béer.


Évidemment, il aurait dû se douter que ses parents avaient
déjà repéré l’endroit où il comptait aller.

Il se rendit.

— Très bien. On se retrouve à deux tatrolls du


complexe, voici les coordonnées. Nous allons y poser le
vaisseau de Maître Chem, cela devrait nous prendre deux
heures pour venir.

Aliana-Léandrine se leva avec grâce.

— Nous t’y retrouvons.

Cal écarquilla ses yeux gris.

— Attends, maman, comment ça « nous t’y retrouvons »


?

Sa mère lui adressa un joyeux sourire.

— Ah, depuis que j’ai pris ma retraite il y a deux ans,


je m’ennuie un peu. Alors papa et moi avons décidé de
nous joindre à l’expédition. Après tout, nous sommes des
professionnels, et la façon dont cet enlèvement a été
organisé est clairement le travail de professionnels. Tu vas
avoir besoin de nous. À tout à l’heure, mon chéri !

Et elle coupa l’image.

Cal se retrouva face au tableau en lévitation devant le


bureau, incapable de trouver les mots tellement il était à la
fois furieux et stupéfait. Bizarrement, il avait moins
peur d’exposer ses amis, qu’il adorait pourtant, parce qu’il
avait combattu très souvent avec eux, que sa famille.

Et puis soudain, il se raidit. Ce qu’avait dit sa mère...

— Par les crocs cariés de Gélisor, grogna-t-il, je suis


un abruti !

Avant de partir, il venait de réaliser qu'il avait oublié un


détail primordial. Moineau, Fabrice et les autres se
dirigèrent vers les docks du port spatial pendant que Cal
alla vers un endroit que tout le monde craignait et évitait.

Le quartier général des assassins.

Lorsque Eleanora avait été poignardée, Cal l’avait


vengée en laissant derrière lui un amas de corps brisés et
souvent sans vie. Aussi, lorsque son secrétaire vint prévenir
Hervor, Haut Mage et Grand Maître des assassins, que
Caliban Dal Salan demandait à le voir, le Grand Maître
s’assura que ses armes étaient à portée de main et que des
assassins affûtés étaient prêts à intervenir si Cal s’énervait.

Il écarquilla les yeux lorsqu’il vit le colosse pénétrer


dans son bureau. Depuis que la Reine Noire l’avait
transformé, Cal avait dû s’adapter à sa nouvelle carrure et
surtout sa nouvelle taille. À son grand dépit, son
entraînement quotidien, qui normalement assouplissait et
modelait ses muscles fins, les avait fait tripler de volume.

À présent, il ressemblait à un foutu mercenaire de


Vilains. Aussi grand qu’un bœuf et péniblement musclé.

Dire qu’il continuait à se sentir mal à l’aise dans ce


nouveau corps était un euphémisme. Mais comme il n’avait
pas le choix et que Cal était éminemment pragmatique, il
faisait avec. Ce fut donc avec souplesse et agilité qu’il se
glissa dans la grande pièce au décor froid blanc et noir, et
s’assit face au bureau noir, après avoir repéré les
ouvertures d’où les flèches et les balles pouvaient être
tirées sans risquer de blesser le Grand Maître.

— Merci de me recevoir aussi vite, Haut Mage Hervor,


dit-il poliment au Grand Maître.

Le Haut Mage se détendit imperceptiblement.

— Je vous en prie, Sieur Dal Salan, que puis-je faire


pour vous agréer ?

— Vous pouvez dire à vos sbires de se retirer. Ce que


j’ai à dire est confidentiel et je n’ai pas l’intention de vous
tuer. Vous avez ma parole.

Hervor fronça les sourcils. C’était un homme banal,


yeux marron, cheveux gris, traits peu marqués. Quelqu’un
qu’on oubliait facilement. L’assassin parfait.

— Très bien, j’ai votre parole, que cela soit consigné.

Il appuya sur l’un des coins de sa table et les


ouvertures se refermèrent. Cal et lui se regardèrent
pendant que les assassins s’éloignaient.
Hervor attaqua le premier.

— Je suppose que vous venez me voir à cause de la


disparition de l’Héritière ?

— Je ne vous ferai pas l’insulte de vous demander


comment vous le savez, mais oui, j’ai besoin de tous les
indices qui pourraient me mener à elle ou à ses ravisseurs.
Est-ce que quelqu’un a émis un contrat sur sa tête ?

Hervor laissa échapper un petit reniflement. Comme


l’homme ne faisait rien sans raison, Cal comprit que c’était
volontaire.

— Les assassins sont bien payés pour exécuter leur


travail, précisa Hervor, mais s’attaquer à l’Héritière, c’est
courir à une mort certaine et c’est difficile de profiter de
son or lorsqu’on est dans une tombe. Nous refusons depuis
longtemps tout contrat déposé sur la famille Impériale.
Après tout, c’est grâce à l’Empire que nous prospérons, il
serait stupide de mordre la main qui nous nourrit, non ?

Ah, le reniflement était dédaigneux donc.

Cal soupira. Il n’attendait pas grand-chose de cette


entrevue, mais il devait essayer.

Il posa une bourse sur la table. Le Grand Maître leva


vers lui un regard surpris.

— Pour la vie de Sieur Almandach. Je pose un contrat


sur sa tête.

Le travail des assassins n’était pas de poser des


questions, de savoir si Cal était sûr de la culpabilité de
Gueder, ou d’avoir de la moralité. Ils étaient juste payés
pour faire le job, c’était tout.
Le Grand Maître ordonna à une feuille de se poser, puis
dicta le texte du reçu, après avoir vérifié combien de
crédits-muts or se trouvaient dans la bourse. Bien assez,
apparemment, car il ne discuta pas.

— Quand ? fut la seule question qu’il posa.

— Je vous dirai, répondit Cal.

Il se levait pour quitter le froid bureau noir et blanc,


lorsqu’il s’arrêta et remarqua :

— Vous avez des tueurs nonsos NM, n’est-ce pas ?


Dans le cas où la magie ne pourrait pas opérer, ou si vous
avez besoin d’infiltrer un assassin et devez faire la preuve
que votre envoyé est un humain, pas un sortcelier ?

Le regard d’Hervor se fit aiguisé.

— Oui, pourquoi ?

— J’aimerais leur parler. Gueder est un NM. Il ne sera


pas si facile à attaquer.

Hervor le dévisagea pendant un instant, puis tapota sur


son ordimagic.

— Vous avez de la chance, finit-il par dire, deux


d’entre eux sont ici. Je vous les fais appeler.

Il consulta son hor et dit :

— À présent, je suis désolé, mais ce rendez-vous a


décalé mes autres rendez-vous et je dois vous laisser. Un
frère va vous conduire jusqu’à la salle où vous verrez nos
deux NM.
Cal le remercia puis sortit. Il patienta dans le couloir
dallé de noir et blanc, comme le bureau, se faisant la
réflexion que la décoration avait changé depuis la dernière
fois qu’il était venu. Cependant, aux murs, il y avait
toujours ces portraits vivants des Grands Maîtres décédés
qui le regardaient avec une sorte de reproche sous-jacent.
Il suffisait de s'approcher et chaque portrait dévidait la
liste des gens qu’il avait assassinés et tout ce qu’il avait
apporté à la Guilde des assassins depuis qu’il en était le
Grand Maître.

Cal frissonna. Non seulement il faisait nettement plus


frais dans les bureaux des assassins, mais en plus, ces
déroulés étaient vraiment morbides.

Quelques secondes plus tard, un jeune frère arriva. Il


était vêtu d’une sorte d’uniforme noir tacheté de gris sous
sa robe de sortcelier rouge. Cela ressemblait suffisamment
aux couleurs grises de Magister pour que Cal se sente mal
à l’aise. Sans un mot, le garçon aux cheveux blancs, un
jeune elfe d’après ce qu’en voyait Cal, lui fit signe de le
suivre. Quelques méandres plus tard, il ouvrait la porte
d’une salle aussi noire et froide que le bureau du Grand
Maître.

Deux hommes y étaient déjà assis. Comme le Grand


Maître, ils étaient effacés, presque invisibles. Cheveux
ternes, yeux ternes, vêtements marron passe-partout et
trop larges, pour masquer leurs corps surentraînés,
pourtant, lorsqu’ils se levèrent, il y avait bien trop de
vivacité dans leurs gestes pour qu’on s’y trompe. Ils
étaient, sous cette apparence avenante, musclés, efficaces
et rapides.

Cal leur fit un sourire jovial et referma la porte au nez


du garçon qui l’avait accompagné.
— Bonsoir ! Ravi de faire votre connaissance, et vous
êtes messieurs ?

Les deux hommes ne sourirent pas, mais s’inclinèrent


poliment.

— Je suis Sieur A, répondit le premier.

— Et moi je suis Sieur Z, répondit le second.

C’étaient peut-être de bons assassins, mais ils


manquaient un peu d’imagination.

— Parfait. Je ne sais pas si le Grand Maître Hervor


vous a déjà avertis, mais j’ai mis un contrat sur la tête de
Sieur Gueder Almandach.

— Oui, fit Sieur A en se rasseyant, d’une voix douce


et posée. Nous l’avons appris par le Grand Maître. C’est
un nonsos NM, nous n’avons pas besoin d’être plusieurs
pour nous charger de lui. Un seul assassin suffira.

Cal haussa les épaules et s’approcha des deux, les


surveillant attentivement.

— Ah oui ? Pardon, j’ai oublié de le dire au Grand


Maître. Mais je ne suis pas ici pour cela. Enfin pas
uniquement du moins.

Les deux tueurs s’agitèrent, mal à l’aise. Mais Cal avait


payé et ils étaient coincés.

— Voyez-vous, vous êtes des NM. Des humains que


la magie ne peut atteindre. Et vous êtes aussi d’excellents
combattants. Tout à fait le genre de profil qu’un homme
comme Gueder rêverait d’engager.
Il se pencha en avant et les scruta attentivement.

— Alors moi, je me demande : le schéma de l’attaque


de l’île des Roses Noires était très particulier. Je ne connais
pas beaucoup de professionnels qui auraient attendu
patiemment, pendant des heures, dans l’eau, le meilleur
moment pour attaquer, celui où, détendus parce que
pensant qu’ils étaient presque partis, les thugs ont baissé
leur garde. Je n’avais pas fait attention au début, mais ça
m’a frappé lorsqu’on m’a fait remarquer à quel point tout
cela avait été professionnel. Et vous êtes les plus patients
des professionnels, capables d’attendre vos proies pendant
des mois s’il le faut.

Il s’efforça de prendre un air détendu.

— Est-ce que vous avez fait partie de l’équipe qui a


tendu une embuscade à ma femme ? Et qui l’a enlevée ?
Parce que si c’est le cas, que Gueder vous a payés pour
cela, je double tout ce qu’il vous a donné.

Ce fut imperceptible. À peine une lueur de dédain dans


l’œil brun du type de gauche, Sieur Z. Il n’en fallut pas plus
à Cal. D’un bond, il avait franchi la table qui s’écarta,
surprise, et fait tomber Z de sa chaise.

Il le souleva et le retourna afin de pouvoir garder les


yeux sur l’autre homme, Sieur A, qui se redressait à peine,
stupéfait.

Z voulut le frapper, mais Cal s’y attendait. Il n’y alla pas


par quatre chemins. Il lui brisa la main d’un coup sec. Z
voulut hurler, mais Cal serra sa trachée et il fut incapable
d’émettre un son.

Au moins, les stupides gros muscles de Cal lui servaient


à quelque chose, étrangler ce type était étonnamment
facile.

Sieur A recula, à la grande surprise de Cal.

— Pardon, dit-il d’un ton poli, mais puis-je poser


une question à mon collègue ?

Cal haussa un sourcil mais relâcha la pression, prêt à


recommencer si Z tentait quoi que ce soit. Mais Z avait
bien trop à faire pour arriver à respirer pour tenter de
frapper Cal.

— Ce contrat, sur l’Héritière, c’était un contrat non


déclaré ? demanda A calmement.

— Oui. Tue-le, chuchota Z, écarlate. Tue-le et nous


partagerons l’or. Cette terre, cette planète va appartenir
aux nonsos. Nous allons tuer tous les sortceliers. Si tu n’es
pas avec moi, lu crèveras avec eux, comme les charognes
qu’ils sont.

Sieur A secoua la tête d’un air chagriné.

— Un zélote. Ça faisait longtemps que nous n’en


avions pas eu. Un contrat non déclaré, donc. Passible de la
peine de mort, ça. Parfaitement interdit.

Il regarda franchement Cal.

— J’ai été approché par ce Gueder Almandach, ou


du moins par ses représentants. Ils prônent la supériorité
des humains sur les sortceliers. Je n’aime pas ce genre de
discours, il ne rapporte rien. Permettez-vous que je
transmette ce qui vient de se passer au Grand Maître ?

— Non, grogna Cal qui, se doutant que la salle était


sous surveillance vidéo, se demandait bien pourquoi ledit
Grand Maître n’était pas intervenu, même s’il trouvait ça
très bien. Tu vas gentiment rester assis pendant que ce
soupilute me donne tous les renseignements dont j’ai
besoin pour retrouver la femme que j’aime plus que ma
propre vie.

— Comme vous voudrez, s’inclina Sieur A en s’asseyant


sur une chaise. Je vais donc attendre que vous en ayez
terminé.

C’était plus que ce qu’espérait Cal. Il sortit les chaînes


qu’il avait préparées avant de venir et ligota l’assassin.
Celui-ci ne pouvait rien faire. Il ne s’était pas méfié, certain
de son anonymat, et n’avait pas apporté ses armes[47].

Z avait entendu des histoires moches sur Cal, mais


n’avait pas peur. Le Grand Maître n’allait pas laisser un
vulgaire Voleur Patenté tuer l’un de ses assassins dans ses
propres locaux.

N’est-ce pas ?

Pourtant, lorsqu’il vit que Cal s’approchait de lui avec


une sinistre satisfaction, il se dit que le courage, c’était
bien beau, mais que de rester entier, c’était pas mal non
plus.

Le seul problème, c’était qu’il ne savait pas grand-


chose.

Cal approcha son couteau de son œil et dit doucement :

— Tu connais ma réputation, Sieur Z. Mais ce que tu


ne sais pas, c’est que lorsque la Reine Noire m’a
transformé, sa magie maléfique est restée en partie dans
mon corps et mon esprit. J’ai découvert que j’adorais
torturer des gens. Alors devine ce qui va se passer,
maintenant ?

— Vous allez lui arracher l’œil et le lui faire manger


? demanda Sieur A, très intéressé, sur le côté.

Cal eut un sourire encore plus sinistre.

— Oh non, ça, c’est très peu douloureux, le nerf


optique se rétracte vite et, une fois que l’œil est arraché, il
ne ressent plus rien. Non, c’est beaucoup plus amusant de
lui ouvrir le ventre et de lui faire manger ses boyaux.

L’assassin attaché recula. De la sueur inondait son


visage et il voulut prendre un air courageux, qui s’évapora
dès que le couteau très aiguisé de Cal découpa proprement
sa chemise grise et découvrit son ventre musclé.

— Je vais tout vous dire, s’affola-t-il, non, ne me faites


pas de mal !

Cal immobilisa le couteau, mais ne le retira pas.

— Vas-y, mon gars, je t’écoute.

— Je n’ai que très peu d’informations, dit Z très vite,


sans quitter le couteau des yeux, parfaitement conscient
que si un Ilot de gardes et d’assassins n’avaient pas
déboulé dans la pièce, c’était parce que le Grand Maître
n’avait pas l’intention de l’aider.

— C’est déjà mieux que rien, répliqua froidement Cal


sans langer son couteau.

Sieur Z attendit quelques secondes, espérant encore,


mais Sieur A se contentait de le regarder avec dédain et
Cal approchait encore son maudit couteau de son ventre. Il
n’avait plus le choix.

— Almandach m’a demandé de préparer ses


hommes, dit-il, de leur apprendre le maniement des
broyettes, sans le mode magique, parce que leur nature
annihilait une partie du fonctionnement, mais des armes
blanches, parce que ce sont tous des NM, et que la majorité
d’entre eux ne sont pas des combattants.

— Vous avez formé une armée ? demanda Sieur A,


incrédule. Mais notre corporation interdit absolument de
former une armée ! C’est en violation de tous les traités
que nous avons avec les gouvernements d’AutreMonde !

Sieur Z haussa les épaules autant que ses chaînes le lui


permettaient.

— Je m’en fous. J’avais été payé et très bien, même. J’ai


préparé l’expédition pour capturer l’Héritière, formé les
hommes et dirigé l’assaut. Nous avons éliminé les thugs,
ensuite, j’ai été déposé à Tingapour et c’est tout ce que je
sais.

— Bien payé ? Bien payé à quel point ? demanda A,


très intéressé.

— Un quart de million de crédits-muts or.

— Un quart de... mais c’est une énorme somme !

A semblait choqué. Z tenta sa chance.

— Oui, oui, je sais. Je ne pouvais pas les mettre à la


banque, alors ils sont chez moi, dans un cadenassus inc. Et
ils sont tous à toi si tu tues Dal Salan, Gueder saura te
récompenser.
— On s’en fout, de l’argent ! gronda Cal tout en
gardant quand même un œil sur A, au cas où l’offre de Z
serait un peu trop alléchante. Où est ma femme ?

Ce que ne savait pas le jeune homme, c’était qu’en son


for intérieur l’assassin pensait que l’Héritière était sans
doute morte. Almandach voulait faire des tests et, d’après
ce qu’il avait compris, avait créé une sorte de virus qui
tuait tous ceux qui possédaient de la magie. Sauf que s’il
disait ça à Cal, il allait se retrouver avec ses tripes dans la
bouche et n’en avait pas vraiment envie. Il fut donc
prudent.

— Je ne sais pas où ils l’ont emmenée. Mais je sais


qu’Almandach voulait à tout prix qu’elle soit vivante et
intacte. Elle doit donc aller bien.

Cal lui enfonça le couteau d’un centimètre dans le


ventre, il savait repérer les mensonges et celui de
l’assassin était flagrant, faisant même plisser les yeux de A.

La douleur fut fulgurante et Z hurla en voyant son sang


couler largement :

— Non, non ! Je vous le jure ! C’est tout ce que je sais !


Les cellules des résistants sont compartimentées, comme
ça, si l’un d’entre nous est pris, nous ne pouvons pas
dénoncer les autres ! C’est tout ce que je sais ! Ça et le
virus !

A et Cal se regardèrent.

— Quel virus ? demanda Cal.

— C’est ça dont tu parlais tout à l’heure ? demanda A.


Tu as dit que vous alliez tuer tous les sortceliers ?
Comment ?
L’assassin pleurait et son nez plein de morve coulait.

— Oui, oui, un virus ! Almandach a créé un virus...

Il jeta un regard mauvais à Cal et cracha :

— Et vous allez tous crever. Bientôt !


Chapitre 18
L'attaque
Ou comment se dire que la technologie militaire,
c’est totalement nul lorsque c’est employé contre
vous...

Cal ne tua pas l’assassin. Pas par pitié, ou parce qu’il


n’en avait pas envie, au contraire, il en avait très, très
envie. Mais tout simplement parce qu’il avait besoin que
l’homme soit interrogé et que, mort, ça allait être plus
compliqué.

Lorsqu’il sortit de la pièce, il trouva le Grand Maître qui


l’attendait. En compagnie de deux hommes à l’air
sinistre, en robes noires, portant des tas d’instruments à
l’air encore plus sinistres.

Vidéo surveillance, oui, indéniablement. Le Grand


Maître tenait la bourse de Cal dans la main. Il la lui rendit.

— La Guilde des assassins vous doit des excuses, dit


le Grand Maître. Mes bourreaux vont extraire de cette
pathétique raclure tout ce qui sera nécessaire afin de vous
aider à retrouver l’Héritière. Et le contrat sur la tête de
Gueder Almandach est lancé, à nos frais, bien évidemment,
nous ne laisserons pas qui que ce soit utiliser la Guilde des
assassins pour créer ou entraîner une armée. Inutile de
vous dire que le quart de million de crédits-muts vous sera
reversé afin de compenser l’offense qui vous a été faite.
Cal se moquait de l’or. Lui, ce qu’il voulait, c’était Tara.
Il essuya son couteau qu’il tenait toujours machinalement à
la main et le rangea.

— Je compte sur vous. Voici mon numéro. Appelez-moi


si vous avez le moindre indice.

Le Grand Maître, qui paraissait plus grand maintenant


qu’il n’était pas derrière son bureau, s’inclina, puis entra
derrière ses bourreaux.

Les cris suivirent Cal pendant qu’il se hâtait vers la


sortie, escorté par le même jeune elfe à la robe rouge.

Une fois qu’il fut dehors, dans les rues pleines de


passants joyeux, au milieu des fleurs, des arbres et de l’air,
il soupira, soulagé.

Il n’avait pas vraiment menti, la Reine Noire l’avait


transformé, vraiment. Avant, ce qu’il venait de faire l’aurait
dégoûté. Maintenant, la seule chose qui le gênait, c’était
que l’homme ne savait pas où se trouvait Tara.

Bon, au moins, il était à présent sûr de la culpabilité de


Gueder. Et comme toute la scène était sans doute
enregistrée, il avait la preuve nécessaire pour le faire
arrêter.

Donc, il n’avait plus besoin d’organiser l’expédition à


Viridis, leurs policiers interviendraient bien plus vite que
Cal et son équipe.

Sauf qu’ils n’avaient pas de traité d’extradition avec les


Viridiens, ce que Lisbeth lui confirma lorsqu’il la
contacta, pendant qu’un taxi volant l’amenait au Palais.
— Nous sommes en négociation avec eux depuis
des années, expliqua l’image 3D de l’Impératrice, le visage
sombre maintenant qu’ils avaient la preuve du complot.
Pour l’instant, Almandach ne sait pas qu’il a été démasqué.
Espérons qu’à l’instant où il reviendra à Omois, nous le
cueillerons.

Jassiphar sauta sur l’image de Cal, toutes dents en


avant, et Cal eut l’image quelque peu déstabilisante du
gosier du krakdent.

De toute sa vie, jamais Cal n’avait vu autant de crocs


d’un seul coup. Il comprit comment les krakdents
parvenaient à avaler d’aussi grosses proies, la totalité de
leur bouche et l’intérieur de leur œsophage était tapissé de
milliers de dents aiguisées comme des rasoirs. Mettre
quelque chose là-dedans, c’était avoir la certitude de le
récupérer sous forme de hachis très fin...

— Jassiphar, s’exclama l’Impératrice, non, c’est une


image, tu ne peux pas la manger, gros gourmand !

Jassiphar grogna, dépité, et sauta sur les genoux de


l’Impératrice où il commença à ronronner comme un gros
chat rose maléfique.

Cal déglutit, soudain bien content d’être sur le tapis-


taxi. À qui il ordonna de changer de direction et d’aller au
port spatial. Puisque finalement, l’expédition aurait bien
lieu.

— Non. Attendre qu’il revienne c’est courir le risque


qu’il tue Tara et les bébés. Je ne peux pas. Nous y allons,
comme prévu au départ. Nous allons avoir besoin de
combinaisons antibactériennes, précisa-t-il, essayant
d’oublier que le Familier de l’Impératrice avait essayé de le
manger. Je ne crois pas trop cette histoire de virus, mais je
ne veux courir aucun risque, et, avec des nonsos capables
d’annuler notre magie juste en posant leurs mains sur
nous, incanter des combinaisons sera trop dangereux.

Lisbeth hocha la tête, faisant vaciller la couronne de


rubis qu’elle portait, et qu’elle rajusta de la main qui
caressait Jassiphar, ce qui fit grogner le krakdent.

Soudain il se redressa et bondit.

L’instant d’après, l’image de l’hor de l’Impératrice se


détournait pendant que la jeune femme se levait, son hor
montrant Jassiphar agrippé au bras d’un thug qui
s’efforçait de ne pas broncher pendant que les dents du
krakdent crissaient sur son armure.

— Jassiphar, cria Lisbeth, laisse mes gardes tranquilles


!

Le krakdent grogna, puis lâcha le bras du thug à regret


pour revenir vers Lisbeth en trottinant d’un air conquérant.
Cal comprenait maintenant pourquoi le malheureux
garde avait revêtu une armure complète. Et se demanda
combien de crises cardiaques le krakdent allait provoquer
d’ici la fin de la journée. Lisbeth attrapa Jassiphar par son
abondante fourrure rose et le posa sur ses genoux.

— Vilain, vilain Jassiphar !

Le krakdent lui fit des yeux de chaton adorable et


l’Impératrice se radoucit. Cal soupira. Eh bien, ils n’étaient
pas sortis de l’auberge. Lisbeth parvint enfin à se
concentrer sur Cal.

— Euh, on parlait de quoi déjà ?


— Des combinaisons, Lisbeth. Des combinaisons,
répondit Cal d’un ton las.

— Je te fais porter ça tout de suite au vaisseau du


dragon. (Elle claqua des doigts.) Et slurk, il faut aussi que
je m’occupe du bal ! Jassiphar m’accapare tellement que
j’avais oublié.

Elle n’était pas la seule, Cal aussi l’avait complètement


occulté.

— Qu’est-ce que vous allez faire ? C’est dans quatre


jours maintenant !

L’image de l’Impératrice eut un rictus désenchanté.

— Eh bien Daril Kratus va avoir une très grosse


surprise en apprenant que mon Héritière étant sur le point
d’accoucher, j’ai décidé de la remplacer en venant à son
fichu grand bal.

Ouch. Ça, c’était un sacré signal. Sandor allait en avoir


des aigreurs d’estomac pour organiser la sécurité de tout
ça.

— Cal?

— Votre Majesté Impériale ?

— Ramène-moi ma nièce et surtout, sois prudent.


Nous tenons à toi.

Cal ouvrit la bouche, mais elle avait déjà coupé la


communication. Alors ça, c’était le scoop du siècle. Vu la
façon dont Lisbeth se comportait avec lui, il avait plutôt
l’impression qu’elle ne l’aimait pas particulièrement.
Il fut rapidement en vue du vaisseau du dragon.

Ses amis l’attendaient dans le sas d’accueil et les flairs


de Moineau, Fabrice et Sylver repérèrent tout de suite
l’odeur du sang sur lui, même s’il avait incanté un nettoyus
avant d’arriver.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Moineau, ses


grands yeux noisette brillant d’inquiétude.

— Qui est mort ? demanda Fafnir, intéressée.

Cal les suivit dans le grand salon du vaisseau tout en


leur racontant ses dernières aventures.

Il en profita pour prévenir le dragon bleu de ne pas


décoller tant que les combinaisons n’étaient pas arrivées.
Moineau frissonna lorsqu’elle apprit qu’ils allaient peut-
être affronter un virus mortel pendant que Mourmur
secouait la tête.

— Ah, fît tristement le vieux savant, je savais bien


qu’un jour cela allait finir par arriver. C’est pour cela que je
suis en train d’étudier la magie. Pour essayer de
comprendre pourquoi elle fonctionne sur certains et pas
sur d’autres !

Ils le regardèrent avec surprise.

— Ah bon ? demanda Fafnir. Mais la maudite magie


est transmise des parents aux enfants, non ?

— Non, répliqua Moineau, sur Terre, les sortceliers


naissent spontanément de parents nonsos. Nous pensons
que c’est une mutation qui se produit au moment de la
création des cellules lors de la conception, même si nous ne
savons pas pourquoi. Depuis qu’AutreMonde s’est éveillée,
bien sûr, nous avons compris qu’il fallait laisser des
sortceliers sur les planètes comme la Terre pour élever le
fluide magique. D’ici quelques décennies, puisque nous
n’avons plus besoin d’amener les sortceliers ici pour lutter
contre les démons, la Terre sera bien plus magique qu’elle
ne l’est pour l’instant. Et plus il y a de fluide magique, plus
il y a de sortceliers, c’est lié.

— Et donc, reprit Mourmur, ce que j’essaye de


provoquer, c’est justement cette mutation des cellules, mais
chez les adultes nonsos. Sauf que, pour l’instant, nous
n’avons toujours pas réussi à isoler le chromosome
magique.

Allons bon. Voilà maintenant qu’ils avaient un


chromosome magique. Cal ne voyait pas en quoi tout ce
fatras scientifique allait l’aider à sauver Tara.

Maître Chem pénétra dans le salon, suivi par le


capitaine de son vaisseau, un dragon noir, assez petit pour
avoir l’air d’un nabot à côté de l’imposant dragon bleu.

— Vous avez grossi, dragon, remarqua Fafnir sans


la moindre gêne.

Maître Chem baissa ses yeux dorés de reptile sur la


petite naine. Il sourit, dévoilant largement ses crocs
étincelants, et s’installa sur l’une des immenses couches
destinées aux dragons.

— Que veux-tu, Fafnir, ma femme me gâte beaucoup


trop, et entre la politique dragonienne et la politique
autreMondienne, plus la surveillance des démons, je mange
des vaches, et je ne fais plus de sport.

Il tapota son ventre effectivement nettement plus replet


avec regret.
Fafnir éclata de rire. Cheratecachiva (c’était le nom du
capitaine du vaisseau qui se révéla être une dragonne)
les informa que le port venait de les avertir qu’ils allaient
leur livrer des colis.

— Les combinaisons arrivent. J’ai profité de ce petit


délai supplémentaire pour commander des munitions
additionnelles. Je ne sais pas si ces gens que nous allons
attaquer ont des vaisseaux ou des armes lourdes capables
de toucher mon vaisseau, mais je n’ai pas envie de ramener
le prince consort plein de trous à notre reine.

La dragonne noire avait l’air de n’apprécier que très


peu leur expédition, mais elle faisait contre mauvaise
fortune bon cœur. Après tout, elle n’avait pas trop le choix,
alors autant essayer de sauver ses écailles... en fait, les
écailles de tout le monde... en prenant toutes les
précautions.

— Au moins, soupira Maître Chem, je vais pouvoir faire


un peu d’exercice. C’est tout juste si je me souviens
comment voler !

Chera le regarda d’un air froid.

— Reprenez-moi si j’ai tort : nous allons affronter


des nonsos NM sur lesquels notre magie n’a aucune prise,
qui bénéficient d’une technologie avancée qui leur a permis
de détruire des thugs surarmés, d’enlever l’Héritière et
l’une des plus puissantes guerrières vampyrs, sans compter
qu’ils semblent avoir mis au point une sorte d’arme
biologique qui tue les êtres magiques, et vous, notre
prince, le mari de notre reine dont la patience n’est pas le
point le plus fort, vous voulez les affronter ?

Elle se campa devant lui et leva les yeux.


— Il faudra me passer sur le corps.

C’était amusant de voir le dragon bleu tout déconfit.


Maître Chem affectait d’être un vieux dragon revenu de
tout, mais en fait, c’était un jeune dragon pour les siens, et
là, il venait de se faire remonter les bretelles, et bien.

L’arrivée des combinaisons et des munitions le dispensa


de répondre, car la capitaine dut aller les réceptionner.

Maître Chem la regarda partir, les naseaux noirs


fumant d’indignation, et soupira :

— Je ne croyais pas que j’allais dire une chose pareille


un jour, mais je regrette le bon vieux temps !

Fabrice rit. Le jeune homme blond aux yeux noirs


s’était perché sur le bord d’un des fauteuils pour bipède où
Moineau avait pris place. Depuis qu’il était devenu loup-
garou et de nouveau le petit ami de la ravissante jeune
femme, il avait découvert qu’il était incapable de rester
très longtemps loin d’elle, sans contact tactile. Moineau
s’en amusait et adorait qu’il lui tienne la main ou se
pelotonne contre lui.

— Cher Maître Chem, dit-il, contrairement à vous,


j’aime beaucoup la paix et la tranquillité qui règnent sur
cette planète depuis deux ans. Et tant pis pour votre ligne
de jeune fille... de jeune dragon, je veux dire.

Moineau rit. Cal ne broncha pas, serrant les dents


devant leur décontraction. Il était tellement tendu qu’il
sursauta lorsque Sylver lui effleura l’épaule.

— Ils essayent de te distraire, mon ami, fît le solennel


jeune demi-dragon. Ne leur en veux pas. Ils sont
aussi inquiets que toi.
Cal remua les épaules afin de se détendre un peu.

— Je sais, murmura-t-il. Je sais bien. En temps


normal, je n’aurais pas peur, enfin pas tant que ça, parce
que Tara, avec sa magie, a toujours réussi à s’en sortir.
Mais Sylver ! Elle attend nos enfants, elle n’a plus aucun
pouvoir et aucun des sorts de recherche n’a réussi à la
trouver !

Sylver lui tapota l’épaule.

— Elle a survécu à bien plus grave, Cal, bien plus


dangereux. Je suis sûr que nous allons la retrouver et la
délivrer.

L’instant d'après, les écoutilles se refermèrent avec un


bruit sourd et le sifflement des moteurs trancha leur
silence soudain. Ils ressentirent la mise en route et l’instant
d’après, le vaisseau était déjà à des centaines de tatrolls
d’AutreMonde. À partir d’Omois, il ne leur fallait qu’une
heure pour arriver à Tiran, en Viridis, ou plus précisément
près de l’endroit où se trouvait le fameux complexe de
Gueder Almandach. Le plus long, en fait, était le décollage
et la rentrée dans l’atmosphère dense d’AutreMonde.
Heureusement, contrairement aux vaisseaux terriens, les
vaisseaux dragons étaient faits d’un métal qui ne conduisait
ni la chaleur ni le froid et possédait une résistance aux
chocs et à la friction bien supérieure à tout ce qui existait,
ce qui lui permettait de se déplacer très vite dans
l’atmosphère.

Ils utilisèrent l'heure de voyage pour se préparer,


passer leurs armes en revue et discuter stratégie avec
Xandiar, Séné Senssass et Heagle5, au-dessus de la carte
vivante de Tara que Cal avait apportée avec lui.
À défaut de participer à l’assaut avec eux, Maître Chem
se vengea en démolissant avec délectation tous les plans
qu’ils étaient en train de passer en revue.

Bien aidé par la carte dont la petite voix aigre


approuvait avec délectation tous les commentaires de
Maître Chem.

Au centième « si vous faites comme ça, vous allez vous


faire massacrer » du grand dragon bleu, Heagle5, moins
diplomatique que Xandiar et Séné Senssass, tenus tous les
deux par leurs devoirs de militaires omoisiens, se redressa
de la carte vivante sur laquelle ils travaillaient et dit avec
un sourire tendu :

— Maître Chem, dites-moi, vous allez participer à


notre assaut ?

Surpris alors qu’il ouvrait la gueule pour proposer une


autre stratégie, Maître Chem claqua du museau puis
précisa d’un Ion dégoûté :

— Eh bien non, puisque apparemment notre chère


capitaine a l’intention de me conserver au chaud et de me
couver comme un œuf sous sa mère.

— Bien, fit Heagle5 avec satisfaction. Ce point


essentiel étant établi, merci de n’intervenir que si vos
suggestions sont à la fois indispensables et constructives.

Le regard jaune du dragon heurta le regard bleu de la


commandante et le dragon cligna les paupières le premier.

— Hum, grogna-t-il, très bien, mais si vous vous faites


mas...
— Oui, oui, on sait, l’interrompit la carte vivante,
prompte à sentir le vent changer. Ce sera entièrement leur
faute. Bon, on en était où, déjà ?

Le dragon regarda la carte vivante, les naseaux soudain


fumants, et la carte sembla se recroqueviller.

— Traîtresse, grogna le dragon.

Puis il recula, lâchant du lest pour que les autres


puissent travailler en paix, et se contenta d’émettre des
grognements désapprobateurs, mais n’intervint plus.

D’après les images-satellites qu’ils avaient pu obtenir


des Services secrets omoisiens, la base créée par Gueder
Almandach était solidement retranchée. En fait, c’était
presque plus une forteresse qu’une simple base. Trois murs
d’un batroll d’épaisseur avec des ouvertures décalées, un
grillage sur toute la superficie au-dessus afin d’empêcher
les êtres volants de s’introduire dans la place, des
bâtiments épais et solides, souvent aveugles afin de mieux
résister aux attaques, bref, cela n’allait pas être si simple
que ça.

D’autant qu’ils ne savaient pas dans quelle mesure les


nonsos NM allaient être capables d’annuler leur magie. Il
était rare qu’autant de NM se rassemblent, et Mourmur et
Sherlock les avaient prévenus. Impossible de savoir si le
champ qui entourait la peau des nonsos NM allait s’étendre
en présence d’autant de NM.

Autrement dit, il était parfaitement possible qu’ils ne


puissent pas utiliser la magie, mais uniquement leurs
armes.

— Ah ! s’exclama joyeusement Fafnir, pas besoin de


la maudite magie ! J’ai toujours dit que c’était inutile !
En fait, les nains pratiquaient la magie. Ils étaient
capables de grandir à volonté, ce que les amis de Fafnir
n’avaient découvert que récemment, ils étaient également
capables de s’infiltrer dans la roche. Sauf qu’ils détestaient
la magie plus que tout et estimaient donc qu’ils n’en
faisaient pas vraiment et que ce n’était qu’une
caractéristique physique comme d’être roux aux yeux verts.

Vu le caractère épouvantable des nains, personne


n’avait décidé, à ce jour, de rectifier ce point de détail[48].

Sylver hocha la tête, tout à fait d’accord.

— Nos armes devraient suffire à réduire les nonsos,


cependant, même si mon désir de sauver Tara est grand,
nous ne pourrons pas épargner forcément les vies des gens
que nous allons attaquer. Et si ces gens n’étaient pas
coupables ?

— Ils ont enlevé Tara, grogna Cal, agressif. Ils sont


parfaitement coupables.

— Non, répliqua le demi-dragon, je veux dire que


les fantassins d’une armée ne savent pas forcément ce que
font leurs chefs. Et pour l’instant, nous n’avons que la
déclaration de cet humain, ce nonsos NM, qui sait s’il
n’était pas un ennemi de ce Gueder Almandach, s’il ne l'a
pas dénoncé afin de s’en débarrasser pour laisser la place à
notre véritable ennemi ?

Ils le regardèrent tous avec stupeur, surtout Fafnir qui


avait beaucoup de mal avec les velléités pacifistes que
Sylver, probablement le meilleur guerrier au monde, avait
tendance à développer.
— Il disait la vérité, répondit Cal en se forçant à
répondre calmement au lieu de sauter à la gorge de Sylver
(bon, sachant aussi que s’il sautait à la gorge de son ami, il
y avait de bonnes chances qu’il termine par terre,
assommé). Il a été « questionné » par les assassins. Les
techniques qu’ils ont, en dehors de la magie, puisqu’ils ne
peuvent pas l’utiliser sur lui, ont permis d'obtenir des
détails très clairs. Ils m’ont envoyé le fichier.

Même en dehors de l’atmosphère d’AutreMonde, il y


avait beaucoup de trafic aérien, et le vaisseau restait
constamment en liaison avec les différentes capitales,
histoire d’éviter de se prendre bêtement un autre vaisseau
dans la figure. Cal avait donc reçu le fichier, mais, trop
occupé à discuter avec les autres du plan d’attaque, ne
l’avait pas ouvert. Ce qu’il fit pour souligner ses propos.

Le hurlement de douleur les fit sursauter au moment où


l’image s'affichait sur l’écran de la salle.

Si ce qui se tenait devant eux avait été un être humain


à un moment, il ressemblait à présent à une étude en
rouge, blanc et sang.

Les assassins l’avaient tout simplement écorché vif,


avant de le découper petit à petit. En commençant par les
orteils.

— Il y a des documents ! J’ai pris des vidéos avec une


caméra normale, pas magique ! hurla l’être ensanglanté. Je
vous en prie ! L’incadenassus, le code c’est 12503695
XXXC345çàvaetoi ! Il faut le répéter trois fois devant le
coffre-fort et ensuite tourner deux fois à cloche-pied en
comptant jusqu’à dix. Je vous en prie, je vous en prie !

Glacés d’horreur, ils finirent par comprendre que


l’homme ne demandait pas merci. Il voulait qu’ils
l’achèvent.

— Ça répond à ta question, Sylver ? demanda Cal d’un


air morne, en coupant les horribles images.

Sylver souffla par le nez, comme un cheval nerveux. Il


en fallait beaucoup pour déstabiliser le demi-dragon, mais
à son visage plus pâle que d’habitude, Cal vit qu’il avait été
touché.

Fabrice, Moineau et même Fafnir n’avaient pas


meilleure mine.

— Qu’est-ce que cette planète fait de nous?


murmura Fabrice en attirant Moineau au creux de ses bras.
Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça du tout.

Les yeux doré et vert de Moineau étaient emplis


d’horreur. La Bête et le loup avaient déjà tué, ils étaient de
terrifiants prédateurs et n’avaient pas de pitié. Mais ça? La
torture n’avait pas d’excuse. Jamais. Même si le camp
adverse l’utilisait.

— Foutus assassins, grommela Fafnir dégoûtée, en


passant nerveusement la main sur ses haches.

Une sirène retentit. Ils étaient sur le point d’atterrir.

Enfin, pas d’atterrir, tout simplement, parce que le


vaisseau était bien trop grand et bien trop lourd pour se
poser sur autre chose qu’une surface durcie et renforcée,
histoire de ne pas s’enfoncer de dix bons batrolls dans le
sol, mais de larguer l’une des petites navettes que les
dragons avaient préparées pour eux.

La commandante du vaisseau informa la Viridis et plus


précisément Tiran, la capitale, qu’ils avaient une légère
avarie et allaient planer en niveau intermédiaire afin de la
réparer, avec demande expresse de détourner le trafic
aérien au cas où.

Comme l’idée d’un vaisseau dragon de millions de


tonnes s’écrasant sur leur beau pays ne plaisait pas
beaucoup aux autorités viridiennes, elles leur accordèrent
bien volontiers l’autorisation de stationner à une altitude
de cinq tatrolls et de réparer.

Il était temps.

Dans le hangar, devant la navette, Fabrice et Moineau


se transformèrent. Le loup-garou et la magnifique Bête
prirent la place de la fragile jeune femme et du solide
garçon.

Ils ne mettraient leurs combinaisons, pas du tout


adaptées à leurs formes bestiales, que si nécessaire.

Cal se mit devant eux alors qu’ils allaient embarquer


dans la navette de métal doré, si différente des vaisseaux
démons.

— Écoutez, dit-il d’un ton nerveux, je voulais vous


dire... que je... vous dire...

Fafnir lui donna une gentille tape sur les fesses, vu


qu’elle ne pouvait pas le faire sur les épaules.

— Ouais, on sait, on est des héros. Et tu veux nous


dire merci. Et que tu nous aimes et bien sûr on t’aime
aussi. Bon, on y va avant qu’on commence tous à chialer ?
Sans compter qu’on aurait fait pareil pour n’importe lequel
d’entre nous...
Cal déglutit et lui fit signe de passer. Il n’avait
quasiment pas dormi, il se sentait mal et il avait si peur que
son estomac donnait l’impression d’avoir sa propre vie.

Mais Fafnir venait de dire très précisément ce qu’il


avait voulu exprimer.

Le pilote était sous sa forme de dragon, ainsi que deux


des copilotes, mais le reste de l’équipage s’était transformé
en humains afin de laisser plus de place au commando.
Certains des dragons étaient même équipés comme eux,
treillis gris et noir, camouflé, armure de tiltril et kevlar
noire, couteaux à la lame noircie et broyettes, sans oublier
les épées.

Ils avaient, comme le magicgang, noirci leur peau et


rougi leurs cheveux, car les habitants de Viridis avaient
majoritairement la peau noire et les cheveux rouges.

Chacun avait une combinaison à portée de main, mais


personne ne l’avait encore mise.

Ils avaient préparé leurs équipes. Dans une seconde


navette, le chaman, Heagle5 et la sage-femme
attendraient, prêts à descendre directement sur le site
pour intervenir si Tara en avait besoin.

Ils se sanglèrent et la navette fut doucement poussée


vers le hangar de sortie. Elle alluma ses moteurs et,
l’instant d’après, ils franchirent le sas et entrèrent dans
l’atmosphère d’AutreMonde.

Ce n’était pas sans risque. Même si la navette n’était


pas aussi grande que le vaisseau, elle n’en demeurait pas
moins imposante et, contrairement à lui, son transpondeur
était occulté.
Personne ne pouvait la voir, ni sur les radars ni en
visuel. Raison pour laquelle le vaisseau avait demandé un
contournement du trafic aérien en espérant que cela
suffirait.

Car, hélas, cela ne garantissait pas contre les risques de


collision avec les innombrables objets volants, qui
allaient de la chaise aux vaisseaux armés en passant par les
tapis/baignoires/lits volants de toutes formes et
compositions, qui évoluaient bien plus bas et n’avaient pas
de signal de reconnaissance.

Heureusement pour eux, la navette invisible put se


faufiler jusqu’à raser la cime des arbres géants sans avoir
percuté qui que ce soit.

Galant était nerveux et agité. Cal devait le caresser


sans cesse pour le calmer, car le pégase avait mal à son aile
tordue, mais bien plus mal à son esprit, séparé de celui de
Tara.

C’était même curieux que le pégase soit autant atteint


alors que cela ne faisait que peu de temps qu’ils étaient
séparés. Mais cela n’était jamais arrivé depuis que Tara
avait perdu sa magie et il semblait que la séparation soit
bien plus difficile à gérer que d’habitude, au point que ses
yeux prenaient des refl...

Soudain Cal se pencha, le cœur battant.

— Galant, fit-il au petit pégase, regarde-moi, s’il te


plaît.

Galant obéit avec un peu de retard, comme s’il avait du


mal à comprendre ce que voulait Cal.
Et Cal sentit sa gorge se serrer lorsqu’il plongea ses
yeux dans ceux de Galant.

Tous les Familiers, liés avec des sortceliers, avaient les


yeux dorés. Depuis deux ans, le pégase avait conservé ses
yeux dorés.

Et là, ils étaient en train de changer de couleur.

Ils redevenaient bleus.

Cal comprit que les choses se compliquaient. Arracher


son Familier à un sortcelier, c’était le condamner à une
douleur infinie. Fabrice avait perdu Barune et avait failli en
mourir, tout comme Isabella lorsqu’elle avait perdu son
tigre.

Un cerceau d’acier sembla se poser sur ses côtes,


l’empêchant de respirer. Il y avait deux solutions : soit
l’absence de Tara et de sa magie faisait que le lien était en
train de disparaître.

Soit Tara était bel et bien morte, et comme elle avait


perdu sa magie, le pégase, au lieu de mourir, retournait à
l’état sauvage.

Il serra le petit pégase contre lui et murmura :

— On va s’en sortir, Galant, tu m’entends ? On va la


retrouver, même si je dois aller la chercher au plus profond
de tous les enfers.

Le petit pégase émit un hennissement angoissé.

— Il a peur, transmit Blondin dans l’esprit de Cal. Il


dit qu’il est en train de perdre sa connexion avec Tara.
— C’est exact, répondit Cal, regarde ses yeux.

Blondin étouffa un glapissement angoissé.

— Ses yeux ! Ils redeviennent bleus ! C’est la cata !

Même si les deux n’échangeaient pas des mots à


proprement dits, ils avaient tellement l’habitude que Cal
retranscrivait les images que lui envoyait Blondin. Et là,
c’était bien la cata, sans aucun doute.

Il n’en parla pas aux autres, cela n’aurait rien changé.


Mais l'urgence de retrouver Tara se renforça dans son âme.
S’il ne parvenait pas à savoir où était sa femme, il pensait
qu’il allait devenir fou furieux.

Ils survolèrent la clairière discrète, au milieu d’une


imposante forêt de Géants d’Acier aux feuilles bleu nuit,
constellés de nids blancs de pégases, où ils devaient
atterrir.

Un cercle lumineux illumina soudain le sol noir, car


c’était déjà le milieu de la nuit sur ce continent.

Le pilote se dirigea vers le cercle. Les frères et sœurs


de Cal s’étaient chargés de trouver un endroit où ils ne
seraient pas facilement repérés. La plupart des forêts
d’AutreMonde étaient sauvages et les sortceliers ne les
exploitaient pas, préférant utiliser la magie, si bien qu’elles
n’étaient pas peuplées, à part par les animaux, ou pour la
forêt verte des trolls.

Les chevaux ailés, effrayés par le navire et la luminosité


soudaine du cercle, s'envolèrent en un flot tumultueux et
frénétique. Cal appela vivement ses frères à l’hor.
— Ensorcelez les pégases, souffla-t-il lorsque l’image
de Benjy se matérialisa devant lui, vite ! Ils vont finir par
inquiéter les sentinelles s’ils restent en vol comme ça !

Même si le domaine se trouvait encore à deux bons


tatrolls de la clairière, Cal ne voulait courir aucun risque.

Heureusement, pendant que la navette déployait ses


trains d’atterrissage, sa famille s’employait déjà à rassurer
les pégases, grâce à de grands jets de magie pacificatrice.
Les chevaux ailés rejoignirent leurs nids avec docilité. Cal
épongea son front perlé de sueur. Il venait d’avoir un
méchant coup de chaud. Il caressa une dernière fois
Galant.

— Dis donc, tes petits copains ont failli nous


dénoncer, grogna-t-il.

Mais le pégase se contenta de frissonner et alla se


rouler en boule dans un coin, sur le sac des vêtements de
Tara que Cal avait apporté. Désolé, Cal décida de ne pas le
prendre avec lui, Galant était trop touché.

La rampe s’abaissa et Cal fut le premier à descendre du


vaisseau. Il rejoignit sa famille d’un pas digne, mais Aliana-
Léandrine n’avait que faire de la dignité, et elle le prit
dans ses bras dans une étreinte digne d’une maman ourse,
même si elle était petite et semblait fragile, avec ses longs
cheveux noirs, ses grands yeux gris étincelants et son
visage qui paraissait à peine porter quelques années de
plus que Cal. Dréor fit de même et soudain, Cal fut comme
dans une citadelle de chaleur et de tendresse.

Cal les serra tout aussi fort, emporté par l’émotion. Il


sentit une grosse houle de chagrin tenter de franchir sa
gorge et se raidit. Il ne pouvait pas. Il ne devait pas. S’il
pleurait maintenant, il allait perdre tout son courage.
Sa maman le comprit et, avec un petit sourire triste, le
lâcha en même temps que son père.

Ses frères et sœurs prirent le relais et, pour une fois, ne


le taquinèrent pas. D’étreintes bourrues de Benjy, Toug et
Venris, en baisers délicats de ses sœurs, Mellee et Serra,
Cal fut entouré d’amour et de compassion. Ce n’était pas ce
dont il avait besoin, mais cela lui fit du bien, néanmoins. Ils
étaient tous en tenues de Voleurs, et Cal fit signe aux
matelots de l’équipage de leur donner des combinaisons.

Puis ils furent rejoints par Xandiar, Séné, Fabrice,


Moineau, Fafnir, Sylver et Robin, qui connaissaient bien la
famille du jeune homme et les salutations furent enjouées
en dépit de l’enjeu.

Un jeune homme mince et discret, brun aux yeux noirs,


portant treillis, armure de tiltril et kevlar renforcée,
broyette et armes blanches, sa combinaison rouge
antibactérienne coincée sous sa ceinture, descendit
rapidement de la navette, un grand sourire aux lèvres.

— Ne vous occupez pas de moi, dit le nouveau venu


alors qu’ils se tournaient vers lui, interrogatifs, je suis
envoyé par la commandante en soutien. Je reste sous cette
forme humaine pour l’instant, histoire de ne pas nous faire
repérer. Bon, on y va ?

Cal haussa les épaules. La commandante n’avait pas


l’air de leur faire confiance. Tant pis pour elle si son
matelot se faisait ratatiner.

Ils débattirent rapidement de ce qu’ils avaient décidé


avec les Dal Salan. En plus des reconnaissances satellites,
la famille de Cal avait profité de son avance pour repérer
les rondes et les équipes en place.
— Ils ne sont pas très nombreux, fit Benjy. L’avantage
que nous avons, c’est que Gueder ne veut que des NM dans
son entourage, du coup, il est coincé, il a un personnel
limité. L’inconvénient, c’est que, du coup, ils font beaucoup
de rondes aléatoires, impossible de savoir qui va sortir
patrouiller et combien ils seront.

Serra grimaça.

— L’autre truc, dit la jeune fille brune au joyeux visage


de lutin et aux courts cheveux bruns, c’est que Gueder a
mis des tas de pièges un peu partout et des broyettes
automatiques. Avec les interférences dues à la magie, elles
fonctionnent une fois sur deux, mais c’est hélas suffisant
pour se faire couper en deux.

— Où sont-elles ? demanda Xandiar.

Cal déplia la carte vivante afin que Serra puisse leur


montrer les places des mitraillettes.

— Ici, ici, ici et ici, de ce côté, et là, là, là et là, de


l’autre. Elles couvrent à 360 °. Rien ne peut leur échapper,
d’autant qu’elles sont en tir croisé.

— Hum, Séné ?

La ravissante camouflée croisa deux de ses bras sous sa


poitrine et deux autres touchèrent la carte avec
attention, pendant que ses dernières mains se posaient sur
ses armes.

— Je peux neutraliser ces deux-là, près de la


première entrée. Cela nous fera un couloir suffisant pour
nous introduire dans la place. Ensuite, on prend le contrôle
de celles qui couvrent la seconde entrée et ainsi de suite.
En revanche, je ne peux pas le faire avec la combinaison,
elle va me gêner.

Mellee la regarda avec curiosité. Elle était plus âgée


que Serra et ses yeux étaient bleus, comme ceux de son
père, et non pas gris.

— Pardon, mais vous allez faire comment? Surtout


si, comme Mourmur le suppose, la magie ne fonctionne
pas dans cet endroit.

Séné eut un joyeux sourire et, soudain, disparut. Mellee


sourit à son tour.

— Vous êtes une camouflée, c’est ça? Vous n’avez


pas besoin de la magie pour disparaître ?

— A priori non, répondit Séné, mais ce n’est pas une


certitude. Alors, comme disait mon bon vieux grand père, «
si tu sais pas, t’as qu’à essayer et tu sauras ! ».

Un vrombissement leur fit lever la tête. Heagle5 venait


de lancer les drones. Les NM ne pourraient les repérer, car
ils n’étaient en rien magiques, juste technologiques, et
allaient rester suffisamment haut pour que personne ne les
détecte. À partir du vaisseau, Heagle5, Mourmur et la
capitaine dragon allaient pouvoir suivre tout ce qui se
passait et éventuellement informer les combattants.

— Très bien, fit Cal. Nous avons tous les détails. Allons-


y.

Ils durent marcher pour arriver jusqu’au complexe,


parce que Cal ne voulait pas qu’ils utilisent la magie.

Ce fut long et fatigant, car ils portaient leurs armures,


leurs armes et les combinaisons dans leurs paquetages, que
la forêt était tout sauf plane et que si les animaux avaient
tracé des sentiers, d’épais buissons les empêchaient
souvent de les suivre.

Au bout d’une heure de marche exténuante, ils furent


enfin en vue du premier mur d’enceinte.

Si Aliana-Léandrine et Dréor s’entraînaient encore


souvent, avec Benjy, effectivement, les quatre autres
n’avaient que peu de goût pour l’effort physique, et même
si tous les Dal Salan étaient minces par nature, ils n’avaient
pas l’habitude de forcer autant avec un paquetage complet
sur les épaules.

— Vous allez rester en alerte à l’extérieur, leur


ordonna Cal. Dans l’état dans lequel vous êtes, ce serait
stupide de vous faire combattre.

Toug et Venris le foudroyèrent du regard, mais Serra et


Mellee, à bout de souffle, lui firent signe qu’il avait
raison. Elles resteraient en soutien le temps de récupérer.

— Toi, fit Cal en désignant le matelot envoyé par la


commandante dragon, tu restes là pour les protéger.

— Mais... voulut protester le jeune dragon qui avait


l’air tout content d’aller se battre.

Il croisa le regard de Cal et baissa la tète.

— Très bien. Je couvre et protège, marmonna-t-il,


désolé.

Ils se mirent en position, le père et la mère de Cal


franchiraient le premier mur, puis resteraient en soutien
arrière.
Séné s’avança puis devint invisible, on ne voyait même
pas l’empreinte de ses pas, à part quelques herbes foulées,
tant elle était légère.

Puis ils la perdirent de vue, enfin ce qu’ils supposaient


être sa progression, pendant que Xandiar se mordait les
lèvres alors que sa femme avançait vers des mitraillettes
capables de la couper en deux. Cal mettait toute sa foi dans
le professionnalisme de Séné, aussi angoissé que Xandiar.

— Je déteste que Séné se mette en danger à cause de


moi, murmura le jeune homme.

— C’est son job, répondit simplement Xandiar, la


voix pleine de fierté. Et ce n’est pas uniquement pour toi,
Cal, c’est aussi pour Tara.

Habituellement, le grand chef des gardes, aux cheveux


noirs si courts qu’on avait l’impression qu’il avait le
crâne rasé dans le noir, ne tutoyait pas les gens, trop
conscient de sa position dans le grand bain politique
d’Omois. Qu’il le fasse juste avant la bataille montrait à
quel point il était inquiet pour sa femme. Et ô combien Cal
le comprenait.

Soudain, l’une des mitraillettes s’affaissa. L’instant


d’après, la seconde baissait le nez. Le cri de la chouette
musquée se fit entendre. C’était le signal.

Comme des ombres, ils foncèrent. Avantagés par leurs


quatre pattes, Fabrice et Moineau furent les premiers
sur place.

Ils étaient convenus de neutraliser les gardes et les


armes d’abord, puis de pénétrer dans le laboratoire
ensuite, une fois les combinaisons mises.
Les deux gardes n’eurent pas le temps de comprendre
ce qui se passait. Trop confiants dans leur système de
sécurité, prêts à tirer sur tout ce qui bougerait sans
permission, ils discutaient tranquillement lorsque deux
monstres leur tombèrent dessus.

Moineau et Fabrice furent miséricordieux. Ils se


contentèrent de les assommer, puis de leur nouer les pieds
et les mains à l’aide de liens de plastique et d'acier
impossibles à défaire sans les trancher, après les avoir
désarmés.

Séné s’avança lentement dans la seconde entrée, puis


disparut. Prudente, elle avait activé son camouflage.

L’instant d'après, la troisième mitraillette se


désengageait.

— C’est tout de même drôlement pratique, fit


Fabrice. Mon premier est le second, mon second est le
contraire de meurs et mon troisième est cible en s.

Cal faillit gémir. Cela faisait longtemps que Fabrice


semblait avoir abandonné ses fichues charades et voilà que
ça le reprenait !

— Mon premier est le second, souffla Moineau. Hum,


je ne sais pas, mais vis est le contraire de meurs et cible en
s, ça fait vis-sible. Ah, ah, je vois, mon premier est le
second, si je compte que zéro est le premier, donc un est le
second, in-vis-sible. Invisible !

Le loup lui lécha le museau, amusé.

— Bravo, ma chérie, tu es la meilleure.


— Ouais, ben, c’est pas une raison pour baver sur ma
fourrure, je te signale.

Cal leva les yeux au ciel. Il savait très bien que les deux
plaisantaient pour faire passer la pression, mais là, il
avait plutôt envie de les étrangler.

— Alors ça, fit-il dans un souffle, ça m’avait pas


manqué du tout.

C’est alors que l’enfer se déchaîna.


Chapitre 19
Le piège
Ou comment essayer de couper les mailles du filet
tout en regrettant vraiment de n’avoir pas pris
un couteau plus grand... et surtout plus tranchant.

Séné était en train de désactiver la quatrième


mitraillette lorsque les deux gardes surgirent dans son dos
et lui foncèrent dessus. Ils portaient des binoculaires
militaires et Séné comprit tout de suite que c’étaient des
lunettes infrarouges.

Elle était invisible aux yeux, mais ils pouvaient voir sa


silhouette grâce à sa chaleur !

Bizarrement, ils ne lui tirèrent pas dessus, mais


tentèrent de la saisir.

Elle évita le premier garde qui tendait la main vers elle


et roula hors de portée. Elle était capable de se battre,
mais ses missions étaient plutôt infiltration et espionnage,
la bagarre, c’était le domaine de son mari.

Mari qui arrivait comme une demi-tonne de fureur et de


haine. Les deux hommes n’eurent pas le temps de tirer
qu’il les frappait déjà en hurlant.

L’un des hommes s’affaissa, le nez cassé pissant le sang,


mais l’autre évita le coup qui l’aurait assommé et appuya
sur un bouton près de la porte.
Immédiatement, une sirène stridente retentit. Fabrice
et Moineau arrivèrent et bondirent sur les deux nouveaux
gardes qui émergeaient de l’ouverture, l’air affolé.

— Et slurk! gronda Cal pendant que Moineau terminait


d’assommer le quatrième garde. Le monde entier va
entendre la foutue sirène !

Fafnir et Sylver se postèrent de chaque côté de la


seconde entrée, prêts à cueillir à leur tour le prochain qui
franchirait l’ouverture.

Le jeune Voleur s’accroupit près de celui qui avait le


nez cassé et ne semblait se préoccuper que de l’intense
douleur.

Ce n’était pas un soldat. Cal le vit tout de suite. Peut-


être qu’on l’avait entraîné et qu’on lui avait appris des
rudiments de combat, mais l’homme n’avait clairement
jamais été frappé aussi violemment et cela lui avait retiré
toute envie de résister.

— Ve me rends ! gémit-il dans un viridien guttural. Ne


me frabez pas, s’il vous blaît !

— Tara Duncan. Jolie, blonde, enceinte. Où est-elle ?


cracha Cal dans le même langage.

L’homme le regarda sans comprendre.

— Gombrends pas. De guoi vous barlez ?

Cal s’efforça de ne pas arracher la tête de l’homme.

— Votre prisonnière. Dans quel secteur du bâtiment est-


elle ? Vite !
Les yeux du prisonnier s’écarquillèrent.

— Bais on n’a bas de brisonnière ici! On fabrique


des bédicaments pour les nonsos ! On croyait gue vous
étiez des voleurs ! C’est guoi, cette histoire de brisonnière
?

Machinalement, Cal lança un reparus afin que l’homme


puisse parler sans pisser le sang partout, d’autant que
son élocution était pour le moins confuse, oubliant que la
magie ne fonctionnait pas sur les NM.

Sa surprise fut immense lorsque son pouvoir jaillit,


frappa l’homme et que son nez brisé fut instantanément
réparé.

Cal n’était pas l’un des meilleurs Voleurs de Sa


génération pour rien. Il comprit tout de suite. Sans se
préoccuper d’alerter qui que ce soit, il lança un mintus sur
les quatre hommes afin d’effacer leur mémoire, frappa les
caméras d’un sort qui brûla les images probablement
stockées dans un autre endroit grâce à un sort de traque de
sa fabrication et hurla :

— Repli ! Vite ! On s’en va !

Heureusement, ils étaient tous disciplinés et obéirent


sans poser de question. Sylver et Fafnir filèrent, pendant
que Fabrice et Moineau bondissaient en arrière, couvrant
Séné et Xandiar qui couraient, puis Aliana-Léandrine et
Dréor couvrirent Fabrice et Moineau, et, dès que Cal fut
passé, se replièrent aussi, même s’ils ne comprenaient pas
pourquoi ils abandonnaient la mission, l’intonation de la
voix de Cal ne laissait pas de place à autre chose qu’à une
obéissance immédiate.

Ils filèrent tous plus vite que des rominets.


Ils s’enfoncèrent dans la forêt, croisant au passage les
frères et sœurs de Cal qui étaient restés en arrière avec le
matelot.

Qui ouvrit de grands yeux en les voyant passer devant


eux à toute vitesse.

— Vite, hurla Cal, on repart à la navette, courez !


Sylver, transforme-toi, transporte Fafnir ! Fabrice, fais de
même avec le moins rapide d’entre nous !

Cal lança un dissimulus. Leurs traces s’effacèrent et le


sort les dissimula aux sorts de recherche.

Ce fut très juste. Au moment où ils s’enfonçaient au


plus profond de la forêt, des tapis volants s’abattaient sur
le complexe, portant ce qui semblait être la moitié de la
police de Tiran. À moins que ce ne soit l’uniforme de
l’armée ?

Cal se mordit les lèvres, s’arrêta brièvement et se


retourna, regardant attentivement les couleurs des
hommes qui déferlaient. Orange et brun. Les couleurs
viridiennes, étincelantes sur les peaux noires.

Non, ce n'était pas la police, c’était bien l’armée. Il


repartit à toute vitesse. Il ne fallait surtout pas qu’ils soient
capturés.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda sa mère en


soufflant pendant qu’ils couraient à perdre haleine.

— Oui, gronda Fabrice qui avait pris Serra sur ses


épaules et s’efforçait de ne pas galoper trop vite pour ne
pas distancer les autres, pourquoi on court comme des
malades et on n’incante pas un transmitus ?
— Je peux effacer nos traces avec un dissimulus et
grâce au mintus, personne ne pourra se souvenir de nous,
mais ils détecteraient tout de suite des transmitus.
L’industrie militaire a créé récemment des anti-transmitus
modifiés. Au lieu d’empêcher les transmitus, comme au
Palais d’Omois ou du Lancovit, ils empêchent les transmitus
dès qu’ils sont lancés.

Et piègent ceux qui ont essayé de s’enfuir. Je ne sais


pas si la Viridis en a, mais je ne vais pas courir le risque.

— Mais et Tara? cria Moineau, presque pas


essoufflée, qu’est-ce qui s’est passé ?

— J’expliquerai à tout le monde quand on sera à l’abri


dans le vaisseau, haleta Cal. Pour l’instant, il faut qu’on se
sorte de ce piège !

Évidemment, en courant comme ça, ils mirent


nettement moins de temps qu’à l’aller, d’autant que la voix
de Cal les fouettait dès qu’ils faisaient mine de ralentir.

Plus tard, Mellee confia à l’historien qui compilait les


histoires de la famille, que cette expédition avait été pour
elle, énigmatique, épuisante et bien trop stressante à son
goût.

Les matelots de la navette avaient été avertis par le


vaisseau mère que l’armée viridienne avait investi le
complexe, et Cal les avait prévenus qu’ils devraient se tenir
prêts à partir ; aussi, furent-ils vraiment soulagés lorsque la
petite équipe fit irruption comme s’ils avaient des draco-
tyrannosaures enragés aux trousses.

— On décolle, on décolle ! hurla Cal.


Là aussi ce fut super juste. Les commandants de
l’armée viridienne n’étaient pas stupides, en dépit des
mintus et des sorts qui avaient détruit les caméras, il y
avait clairement le signe d’un assaut contre le bâtiment, et
ils avaient lancé leurs tapis de guerre en cercle tout autour
de chez Gueder afin de trouver les assaillants.

Et, effectivement, ils avaient lancé des anti-transmitus


tout autour du complexe. Mais ils n’avaient pas pensé que
les assaillants allaient prendre la précaution de garer leur
moyen de transport aussi loin et ils purent leur échapper.

La navette décolla et occulta son apparence, passant


discrètement au-dessus des tapis vigilants, puis monta si
vite que les compensateurs n’eurent pas le temps d’agir,
écrasant les passagers sous les G. Heureusement, très vite,
ils se mirent en route histoire d’éviter que les dragons et
les humains soient transformés en pâtée sanglante et peu
ragoûtante et, moins de quelques minutes plus tard, ils
étaient à l’abri dans le vaisseau mère.

Le vaisseau dragon émit un avis de fin de panne et


s’éloigna avant que les autorités n’aient le temps de lui
demander des comptes. Ils savaient très bien que les
choses n’en resteraient pas là, mais pour l’instant, ils s’en
fichaient. Plus tard, la diplomatie prendrait le relais du
coup de force.

Coup de force pour le moins raté.

Chera, la commandante dragonne, les attendait dans le


hangar de stationnement et à peine furent-ils descendus
du vaisseau qu’elle leur sautait dessus.

Enfin, plus précisément, et alors que Cal s’attendait à


ce qu’elle lui hurle après, elle se mit à hurler après le
matelot qui les avait accompagnés.
— Par les crocs de mes ancêtres, prince Chem, je
devrais vous enfermer dans la cale avec des fers aux pattes
et vous renvoyer au Dranvouglispenchir, à notre reine, en
lui expliquant que son prince consort a désobéi à mes
ordres et a risqué sa vie parce qu’il s’ennuyait !

Elle parlait en postillonnant et du feu sortait de ses


naseaux.

Prudents, Cal et les autres s'écartèrent. Le matelot prit


un air penaud puis se retransforma en grand dragon bleu.
Cal rata une respiration. Waouh, et dire qu’il avait failli
demander au matelot de les accompagner !

— Toutes mes excuses, soupira Maître Chem, car


c’était bien lui, je n’ai pas accompagné mes amis parce que
je m’ennuyais, j’y suis allé parce que je croyais que j’allais
être utile. Cependant, cela n’a pas été le cas et j’aimerais
bien savoir pourquoi nous avons couru comme des bééés
tout au long du chemin.

— Parce que c’était un piège ! grogna Cal en se


frottant les cheveux après avoir retiré son casque. Un foutu
piège de slurk tendu par Gueder. Venez, je vais vous
expliquer.

Le chaman et la sage-femme sortirent de l’autre navette


avec Heagle5.

— Vous n’avez pas récupéré ma patiente, fit la vieille


tatris d’un ton revêche. Nous avons attendu ici pour rien !
Tout ça pour ça !

— Nous devons aviser, répondit Cal avec une


certitude qu’il était loin de ressentir. Vous pouvez aller vous
reposer,
Dame Magrit, nous vous préviendrons dès que nous
aurons des nouvelles. Nous allons sans doute vous
raccompagner rapidement chez vous.

La vieille tatris hocha ses deux têtes d’un air dubitatif


et suivit le chaman. Cal et les autres se réunirent dans la
salle où ils avaient préparé leur plan.

Cal leur expliqua tout ce qui s’était passé en ouvrant


son armure — elle avait absorbé sa transpiration et
possédait une ventilation intégrée qui l’avait rafraîchi
pendant sa course folle, mais il avait l’impression
d’étouffer.

— Xandiar lui avait cassé le nez, précisa-t-il à propos


du garde nonsos qu'il avait interrogé. Je n’arrivais pas à
comprendre ce qu’il disait. Et je voyais bien que son
étonnement n’avait rien de fictif quand je lui ai demandé où
se trouvait Tara. Machinalement, j’ai lancé un reparus pour
qu’il puisse me parler distinctement.

Il marqua une pause, encore furieux de n’avoir pas


compris plus tôt.

— C’est idiot, gronda Fafnir. Un reparus, ça ne sert à


rien sur un NM !

La naine n’avait pas aimé que Cal ordonne à Sylver de


se transformer afin de la porter. Le demi-dragon avait
choisi sa forme intermédiaire afin de rester discret, forme
mi-reptilienne, mi-insectoïde, qui faisait froid dans le dos
de Fafnir.

Et par les haches de ses ancêtres, elle était capable de


courir aussi vite qu’un humain !

Cal balaya l’agressivité de la naine d’une seule phrase.


— Et ça a marché.

— Très étrange, souligna Mourmur qui avait suivi


toutes ces péripéties avec attention, la magie ne fonctionne
pas sur...

Il croisa le regard de Cal alors qu’il s’interrompait.

— Ah, je vois, jeune Dal Salan, bien sûr. Ce n’étaient


pas des NM !

Les autres le regardèrent avec stupeur. Tout s’était


passé si vite qu’ils n’avaient pas vu que Cal avait jeté des
sorts sur les nonsos, trop occupés à surveiller les gardes
éventuels.

Moineau rejeta la lourde masse de sa chevelure châtain


bouclée sur ses épaules. Tous s’étaient retransformés, et
elle portait désormais une jolie robe blanche toute simple,
ce qui la rendait encore plus éclatante au milieu de toutes
ces armures noires. Elle se rongeait d’inquiétude pour
Tara, mais aussi pour Cal.

Il avait beaucoup changé. Avant, il se serait débrouillé


pour décontracter tout le monde avec une demi-
douzaine de remarques fumeuses. Le jeune garçon fluet et
malin avait laissé place à un homme immense et
puissamment musclé qui se déplaçait avec une gracieuse
fluidité et paraissait mortellement sérieux.

Elle regrettait l’insouciance de l’ancien Cal, même si


elle comprenait à quel point le nouveau Cal était bien plus
utile à Tara. De plus, elle n’aimait pas sa nouvelle
apparence, qu’elle trouvait trop massive et inélégante.

— C’est exact, répondit le jeune homme à


Mourmur. Lorsque j’ai vu que son nez guérissait, j’ai tout
de suite compris que c’était un piège. Gueder n’allait pas
exposer ses précieux NM, raison pour laquelle il n’y avait
que de simples gardes et, volontairement, en nombre
insuffisant, pour mieux nous induire en erreur. Il savait que
nous allions attaquer son complexe, c’est d’ailleurs la
raison pour laquelle il n’en a pas dissimulé l’adresse. Et il
avait prévenu les autorités viridiennes.

— C’est ça ! s'exclama Xandiar, ses quatre bras


s’agitant devant lui, furieux. Nous sommes partis vite, mais
ce n’étaient pas des uniformes policiers que nous avons
vus, c’était l’armée !

Cal hocha la tête, la fatigue et le stress creusant son


visage. Ses yeux gris étaient ternes et il se passa la main
sur la figure comme pour en chasser l’émotion.

— Donc, résuma Fabrice, lugubre, si je comprends


bien, nous reprenons tout à zéro ?

— Oui, répondit Cal. Papa ? Maman ?

Les deux répondirent en même temps.

— Oui, Cal?

— Vous devez rentrer au Lancovit. Chem, tu peux leur


prêter une navette ?

— Mais, protesta Benjy, nous...

— Vous avez été géniaux, l’interrompit Cal, mais


maintenant, nous devons tout reprendre et vous n’allez pas
pouvoir m’aider.

Benjy allait continuer à protester, mais leur mère posa


une main apaisante sur celle du jeune homme.
— Non, dit-elle doucement, laisse ton frère s’occuper
de tout cela.

Elle se leva, fit le tour de la table et embrassa Cal qui


s’était levé lui aussi.

— Tu nous appelles ? S’il se passe la moindre chose ?

— Bien sûr, maman, répondit Cal en la serrant contre


lui. Merci encore. Pour tout.

— Pas de quoi. Et même s’il ne se passe rien, appelle-


nous, précisa son père en le serrant aussi contre lui.

Chem avait déjà transmis l’ordre et la famille de Cal


quitta le vaisseau à bord d’une navette discrète qui les
déposa non loin de chez eux au Lancovit, à Travia, évitant
tout aéroport. Cal fut soulagé lorsque Chem lui confirma
que tout s’était bien passé. Envoyer une navette occultée
restait un jeu dangereux.

Pendant que la navette effectuait sa mission, ils avaient


beaucoup parlé. Les uns comme les autres se
sentaient impuissants. Comment parvenir à retrouver Tara
?

Maître Chem les déposa à Tingapour tout en leur


précisant qu’il avait l’intention de rester le plus longtemps
possible.

La commandante dragon n’était pas tout à fait d’accord.


L’idée d’un virus capable de tuer les êtres magiques, et
accessoirement le prince dont elle avait la charge et qui ne
lui obéissait pas du tout, ne lui plaisait pas plus que ça.
Aussi, son « on verra » exprimait parfaitement le fait
qu’elle mettrait les gaz à fond si elle soupçonnait le plus
petit début de contamination.
Le magicgang se dispersa. Fafnir et Sylver devaient
essayer d’entrer en contact avec AutreMonde. La naine
possédait de la magie (même si elle détestait l’utiliser, pour
Tara elle avait décidé de faire un effort) et connaissait
toutes les veines de quartz vivant les plus profondes et les
plus puissantes de la planète. Elle savait où se connecter et
tenter de réveiller la planète.

Après tout, si quelqu’un était capable de retrouver


Tara, c’était bien AutreMonde.

Fabrice et Moineau filèrent aider Cixi. La jeune fille


suivait la piste des armes, mais Moineau possédait une
énorme compétence en informatique et pouvait lui
permettre d’avancer plus vite.

Mourmur et Heagle5 plongèrent dans le travail avec


Sherlock. Ils voulaient essayer de comprendre comment
Almandach avait pu créer un virus capable de détruire la
magie, qui était impalpable.

Les sortceliers ne mouraient pas lorsqu’ils étaient dans


le vide de l’espace, coupés de la magie sur leurs
vaisseaux, pas plus qu’ils ne mouraient lorsqu’ils étaient
exilés sur des planètes sans magie. Donc ce n’était pas en
attaquant la magie d’AutreMonde qu’Almandach allait
réussir. C’était autre chose, et le vieux savant avait la
ferme intention de trouver quoi et d'éventuellement créer
ce qui allait pouvoir détruire le virus.

Maître Chem, qui avait accès aux fichiers cryptés des


dragons sur les améliorations génétiques mises au point
par leur roi, décida de l’aider, avec Jeremy qui se porta
volontaire comme cobaye.

Robin était un chasseur et un excellent traqueur. Il


retourna sur l’île des Roses Noires, histoire de voir s’il
sentait quelque chose qui pourrait aider.

Entre-temps, Omois avait émis la mise en examen


officielle d’Almandach. La vidéo de l’assassin,
soigneusement expurgée de tous les éléments dangereux
ou trop compromettants, fut donnée aux juges qui allaient
devoir s’occuper de ce cas politiquement délicat.

Un document explicitant clairement ce qui était


reproché à Gueder fut déposé chez lui, mentionnant
notamment son éventuelle collaboration à « une entreprise
terroriste visant à nuire au bien public et à la magie », sans
que le virus soit mentionné. Ni l’enlèvement de Tara, du
moins dans un premier temps,

Quelques minutes plus tard, mystérieusement, le


document fuita sur le magicnet. Les avocats d’Almandach
protestèrent, mais le mal était fait.

Et bientôt les gros titres commencèrent à fleurir : « LES


NONSOS ATTAQUENT ! » ou encore « GUEDER
ALMANDACH SOUPÇONNÉ DE TRAHISON!» ou alors
«LES NONSOS VEULENT DÉTRUIRE LA MAGIE ! »

Le mur qui existait déjà entre les nonsos et les


sortceliers s’épaissit, à coups de soupçon et de non-dit.

Comme c’était Omois qui avait lancé la procédure,


toutes les planètes, par le biais de leurs ambassadeurs,
exigèrent des détails. Les demandes d’audience
explosèrent et Mara dut venir en renfort pour aider
Lisbeth.

Au bout de vingt-six heures, tous les mondes


représentés par des espèces intelligentes avaient été
prévenus.
Officiellement, Almandach n’était que soupçonné
d’entreprise terroriste. Officieusement, Lisbeth et Mara
furent honnêtes. Il y avait probablement un virus. Et
personne n’avait aucune idée de ce qu’il déclenchait, s’il
existait réellement et, surtout, s’il ne s’attaquait qu’aux
sortceliers ou englobait tous les êtres magiques
d’AutreMonde et d’ailleurs.

Dans les heures qui suivirent, ce fut la débandade.


Ceux qui ne savaient pas quittaient AutreMonde, parce
qu’ils voyaient partir ceux qui savaient. Et ceux qui
savaient filaient d’autant plus vite que l’idée d’un virus
annihilant la magie faisait froid dans le dos[49] de tout le
monde.

La cerise sur le gâteau fut la seconde phase du plan,


avec l’annonce de l’enlèvement de Tara et de Selenba. Cal
avait conseillé à l’Impératrice d’annoncer les deux, sachant
que les vampyrs allaient sans doute réagir. Même si
Selenba n’était pas leur citoyenne favorite, les cruels
prédateurs n’appréciaient pas qu’on touche à l’une d’entre
eux.

L’Impératrice s’excusa auprès des Marches du Nord : il


était impossible pour elle de se rendre à la place de son
Héritière au Grand Bal, alors qu’AutreMonde devait faire
face à une crise majeure et internationale.

La peur s’empara de l’opinion publique, sauf que cette


fois-ci, ils n’allaient pas affronter un ennemi extérieur, mais
un ennemi intérieur.

Les sortceliers commencèrent à regarder les nonsos


avec méfiance. Des familles mixtes se déchirèrent, les uns
pour que la magie disparaisse, les autres contre. Il y eut
des atteintes, dans les deux sens, aussi bien chez les
nonsos que chez les sortceliers.

Les gens semblaient soudain oublier qu’ils avaient


coexisté depuis des milliers d’années sur la planète.

C’était le début du chaos.

Dégoûté par tout ce qui se passait et lui paraissait


tellement incongru, Cal était rentré chez lui.

Pas au Palais. Ni dans le petit Palais où il habitait avec


Tara.

Il était rentré au Lancovit, dans l’appartement de


Premier sortcelier qu’il habitait lorsqu’il était trop fatigué
pour rentrer chez ses parents à l’époque où il travaillait
pour le roi Bear et la reine Titania.

Fleurtimideauborddunruisseaulimpide, le cyclope
gardien de la porte de transfert, était en train de partager
son angoisse (et une bonne bouteille de vin), car il aimait
beaucoup Tara, attablé avec Cal dans le petit salon, dont
les murs montraient les images des plaines du Mentalir, le
paysage préféré de Tara, qui donnait sur l’un des jardins
intérieurs du Château Vivant. Le Château avait ouvert les
fenêtres et laissait parvenir les rumeurs de la ville
jusqu’aux deux compagnons.

Ils se levèrent lorsque le Premier ministre du Lancovit,


Salatar, entra dans la pièce. L’imposante et dangereuse
chimère à tête de lion n’avait pas besoin de se faire
annoncer et le Château lui ouvrait toutes les portes qu’il
désirait, mais la discrète licorne qui représentait le
Château était apparue à

Cal quelques secondes plus tôt et il savait que la


chimère allait arriver. Le Château agrandit la pièce afin que
la chimère soit à son aise.

Cal répéta à Salatar tout ce qu’il venait de raconter à


Fleur.

Bien qu’ayant déjà entendu le récit, de nouveau, le


grand cyclope roux clignait de l’œil, au bord des larmes.

— Notre petite Tara est en terrible danger, dit-il au


moment où Cal terminait pendant que des naseaux de la
chimère, de petites flammes inquiètes sortaient comme des
hoquets fumants.

— Je vais de ce pas avertir Leurs Majestés, fit Salatar


après avoir remercié Cal. Nous mettons bien sûr toutes nos
forces à votre disposition afin que vous retrouviez
l’Héritière et vos enfants, mais détruire ce virus, s’il existe
réellement, reste notre priorité.

Il fit demi-tour. Cal ne retint pas un ricanement amer.


C’était amusant, toute la planète allait se mobiliser
pour retrouver le virus, et, d’un seul coup, Tara devenait
nettement moins importante.
— Il ne va pas bien, fit Fleur en caressant le petit
pégase qui frissonnait de son immense main calleuse.

— Il est en train de perdre la connexion avec Tara,


répondit sombrement Cal.

Brusquement, il balaya les gobelets et la bouteille de la


table en un geste furieux qui fit sursauter le cyclope.

— Fait chier ! gronda Cal sans se lever, comme si le


geste avait fini par épuiser tout ce qui lui restait d’énergie.
Tout ça fait complètement chier.

Le cyclope le regarda avec curiosité et compassion,


puis soudain éleva la voix.

— Château Vivant, peux-tu nous livrer deux beaux


steaks de traduc pas trop cuits, de la purée au beurre de
balboune, du fromage, du pain, des fruits, de la compote de
miam et un gâteau au chocolat et à la crème Chantilly[50],
s’il te plaît ?

Cal ne réagit pas, trop plongé dans ses pensées pour


faire attention à ce que faisait Fleur. Cependant, il
tressaillit lorsque le repas appétissant se matérialisa
devant lui avec nappe blanche parfaitement amidonnée,
couverts d’argent, verres de cristal et carafe, sans oublier
un ravissant vase empli de fleurs d’un rose doux bordées
d’or étincelant.

— Je n’ai pas faim, gronda-t-il en repoussant


l’assiette fumante.

Fleur se redressa. Le géant dominait Cal, qui culminait


pourtant à un bon mètre quatre-vingt-quinze, d’une
cinquantaine de centimètres.
— Si, tu as faim, précisa-t-il d’une voix posée mais
ferme. Sais-tu pourquoi, nous, les cyclopes, nous sommes
souvent les gardiens des portes de transfert ?

Cal leva vers lui un œil passif.

— Non.

Et d’après son ton, il s’en fichait éperdument.

— Nous sommes capables de voir les niveaux


d’énergie, expliqua Fleur. Aussi bien chez les êtres vivants
que chez tout organisme utilisant une forme ou une autre
d’énergie. Et si je suis capable de dire si une porte est
fonctionnelle et pourra envoyer quelqu’un à des milliards
de tatrolls d’ici en un seul morceau, je suis aussi capable de
dire que ton énergie est très basse et que tu as besoin de
t’alimenter. Alors mange et cesse de discuter.

Cal le défia du regard, mais le cyclope ne broncha pas.


L’affrontement dura quelques secondes, puis Cal renonça.
Il était trop fatigué pour discuter.

Il porta une cuillère de purée à ses lèvres, fermement


décidé à repousser tout le reste, mais lorsque l’arôme épais
et salé explosa dans sa bouche, il prit soudain conscience
du fait que le cyclope avait tout à fait raison. Si son cerveau
refusait l’évidence, son corps lui, pas fou, n’était pas du
même avis.

Il avala tout.

Y compris le fromage, les fruits, la compote qu’il se


disputa avec Fleur, alors qu’il n’aimait pas spécialement la
compote de miam, et même les chocolats qui
accompagnaient le dessert, lui-même au chocolat, et dont il
lécha les dernières miettes.
À la fin, gavé de protéines, de glucides, de vitamines et
de sucre, il fut à même de pouvoir réfléchir de nouveau.

Fleur lui sourit lorsque Cal se renversa dans sa chaise,


tout aussi repu que le jeune homme. Le géant roux
flatta son estomac.

— Aaahhh, fit-il, ça fait du bien ! Même si c’est le


second repas que je fais en peu de temps, je ne sais pas
résister à un bon steak de traduc.

— Tu avais raison, je te dois des excuses, fit Cal,


piteux. J’avais effectivement faim. Je ne m’en étais pas
rendu compte.

Fleur balaya l’excuse de la main.

— Pas de souci. Je suis content de pouvoir t’aider un


peu. Bon, maintenant, sachant que le cerveau fonctionne
nettement mieux lorsqu’il est nourri de protéines et
vitamines, d’ici une dizaine de minutes, comme ça fait une
demi-heure que nous avons commencé, tu devrais y voir un
peu plus clair... Et pour maximiser l’impact, parce que c’est
plus facile pour ton esprit de travailler si ton corps est au
repos, je te propose d’aller dormir.

Cal le regarda en clignant les yeux. Puis protesta :

— Je ne peux pas aller dormir ! Ma femme a été...

— Oui, oui, je sais, fit Fleur d’un ton apaisant, ne


t’énerve pas. Mais au lieu de t’épuiser, tu dois utiliser ton
meilleur atout, Caliban Dal Salan. Ton esprit. Affûté, malin,
créatif. Tu as eu l’idée d’aller voir les assassins et c’était
brillant. Cela t’a permis de trouver une nouvelle piste.
Maintenant, tu dois exploiter à fond ce qui fait de toi un
Voleur incroyable. Arrête de tout mélanger, de mêler à
cette mission ton amour pour Tara et ta peur. C’est juste un
défi. Quelqu’un a volé quelque chose et tu dois le retrouver.

Cal le regarda, interloqué. Puis eut un sourire tordu.

— Maître Chem, sortez de ce corps.

Fleur le regarda puis éclata de rire.

— J’étais un peu sentencieux, non ?

— Juste un peu, sourit Cal. Mais tu as raison. Je vais


aller me reposer et laisser mon cerveau travailler sur ce
que tu viens de me dire.

Il tapa l’épaule de Fleur.

— Merci, vieux.

Le Château fit disparaître les reliefs du repas. Fleur


salua Cal et sortit, heureux de voir que son ami allait se
reprendre.

Cal prit une douche pour se détendre, puis se coucha et


à sa grande surprise, alors qu’il pensait qu’il allait se
retourner pendant longtemps avant d’arriver à dormir,
sombra instantanément dans le sommeil.

Sa dernière pensée fut que Fleur avait à la fois raison


et tort. Raison parce que Cal devait considérer
l’enlèvement comme une mission, ce qui allait lui permettre
d’en dégager les composantes et de les analyser.

Et tort, car c’était son amour pour Tara qui allait lui
permettre de la retrouver.

Lorsque Cal se réveilla, il mit quelques secondes avant


de comprendre ce qui venait d’interrompre son sommeil.
L’esprit embrumé, il se leva face au mur de sa chambre qui
venait de s’illuminer avec un « ding » discret, chassant la
nuit étoilée et parfumée créée par le Château Vivant.

L’image tridimensionnelle d’un homme masqué se tenait


devant lui, dont il émanait tellement de rage que sa robe
d’un gris presque noir, d’où le cercle rouge sur la poitrine
avait disparu, en tremblait.

Cal déglutit.

— Salut Magister, dit-il d’une voix encore éraillée par


le sommeil, ça boume, vieux ?
Chapitre 20
Tara
Ou comment avoir des jumeaux et prier très fort

pour arriver à sortir de l’enfer des couches.

Sincèrement, Tara ne savait pas comment les mamans


s’en sortaient sur Terre. Les bébés, c’était magique, c’était
merveilleux, c’était le bonheur total.

C’était aussi des usines de production de déchets.

Dont certains s’apparentaient à des gaz toxiques.

En moyenne, il fallait huit couches par jour et par


enfant. Pour deux enfants, il fallait donc seize couches par
jour. Sachant que Gueder leur avait fait l’aumône d’une
dizaine de carrés de tissus de coton de différentes couleurs,
Chavol et elle n’avaient pas le choix.

Heureusement, dès la naissance des enfants, après


avoir expliqué qu’il allait les tuer tous, bizarrement leur
kidnappeur les avait déménagées dans une cellule
comportant plus de place, ainsi que deux berceaux et de
l’eau courante sous la forme d’une douche basique.

Depuis Tara avait l’impression de passer son temps à


laver des couches.

Et à se réveiller.
Les bébés n’étaient pas synchronisés. Ils ne se
réveillaient pas forcément au même moment et ne
mangeaient pas forcément en même temps non plus.

Et comme elles n’avaient pas de lait ni de biberons,


seule Tara pouvait nourrir Danviou et Celia, que Chavol
avait déjà surnommés Dan et Cel.

Pour leur faire boire de l’eau, ce n’était pas simple non


plus.

Une fois l’émotion de la naissance passée, elles durent


s’organiser. C’était une question de survie. Elles n’avaient
aucune idée de combien de temps elles avaient devant
elles, autant que l’endroit devienne le plus confortable
possible pour une centaure, deux bébés et une humaine.

Tout d’abord, elles aménagèrent leur cellule en la


divisant en deux parties. Elles fixèrent l’une des
couvertures sur un fil afin d’isoler la partie «
toilettes/douche » de la partie « sommeil ». Et utilisèrent
un second fil pour faire sécher les couches. Elles avaient
une bonne provision de savon, ce qui leur évitait d’avoir à
l’économiser, et il faisait assez chaud pour que les tissus
sèchent vite.

À cette occasion, Tara avait découvert que les


centaures produisaient du crottin, comme les chevaux, et
que ce n’était pas forcément une fonction qu’ils pouvaient
contrôler si facilement que cela. La nouvelle cellule
comportait un trou dans le sol pour l’évacuation des
déchets des animaux prisonniers. Même si la vieille
centaure trouvait cela parfaitement indigne, elle était
cependant soulagée de ne pas avoir à se coucher dans son
propre crottin.
Chavol ne devait rien porter de lourd, parce que son
flanc guérissait lentement. Et Tara ne devait pas non plus
porter des choses trop lourdes, parce qu’elle venait
d’accoucher. Cependant, porter deux bébés de plus de trois
kilos chacun, ça, elle refusait de s’en passer. Alors elle avait
obtenu des oreillers qui lui calaient le dos et la soutenait
lorsqu’elle devait allaiter.

La seule chose qu’elle trouvait positive, c'était qu’ils


leurs apportaient à manger régulièrement. Au moins
quelque chose dont elle ne devait pas s’occuper.

Ils avaient également recommencé à capturer des


animaux, mais avaient renoncé aux kidnappings des êtres
intelligents, sans doute pour éviter de se faire repérer.

Gueder passait trois fois par jour, les regardait avec


haine, puis repartait. Parfois, Tara en profitait pour
demandait quelque chose et Gueder le lui donnait.

D’autres fois, elle demandait et il refusait. Il avait


accepté pour les couvertures, les fils et les couches. Il avait
refusé pour les biberons.

Tara n’arrivait pas à comprendre. Tara n’arrivait pas à


le comprendre, cet homme sombre et torturé.

Elle essaya de communiquer avec lui. D’une certaine


façon, elle avait toujours réussi à percer la psychologie de
ses ennemis, mais le nonsos était impénétrable, tellement
emmuré dans sa haine des sortceliers qu’elle ne parvenait
pas à creuser de brèches dans son armure.

Car dès qu’elle essayait d’avoir une conversation


normale avec lui, hors de ses réclamations pour ses enfants
ou pour Chavol et elle, il se renfrognait et partait.
Il s’était déjà passé deux jours.

Tara était penchée sur Danviou qui s’endormait sur son


ventre, repus et heureux, pendant que sa sœur, Celia,
était bercée par Chavol qui lui chantait de ravissantes
mélodies, inspirées de la liberté, de la course et des soleils,
lorsque Gueder déboula dans le laboratoire, le visage
crispé de rage.

Ce n’était pas nouveau. Ce type avait tout le temps le


visage crispé de rage au point que Tara avait envie de lui
dire que son visage allait finir aussi ridé qu’une vieille
pomme desséchée et abandonnée de tous. Mais, d’une part,
c’était assez long comme phrase et, d’autre part, il pouvait
la tuer d’un moment à l’autre. Donc, sagement, la jeune
femme conserva ses commentaires pour elle.

— Ton petit copain est un malin, dit-il en plantant


son corps épais devant elle, accompagné de ses deux
gardes et restant loin de la cage.

Tara se redressa vivement. Elle posa Danviou dans le


berceau près de son lit et le petit continua à dormir à
poings fermés.

La jeune femme se rapprocha de la cage. Même si elle


avait les traits tirés par la fatigue et qu’elle était
prisonnière, la rage qui brûla soudain dans ses yeux bleu
marine fit tressaillir Almandach. Il raffermit sa prise sur
son bâton hideux.

— Qu’est-ce que vous lui avez fait ? gronda Tara d’un


ton si dangereux que les deux gardes se raidirent.

— Le Voleur a retrouvé ma trace, grâce à un NM


qui m’a trahi. Mais cette trace menait tout droit à un
complexe inoffensif qui ne fait que produire des
médicaments basiques pour les nonsos qui préfèrent
acheter de l’aspirine plutôt que d’avoir affaire à un
sortcelier.

— Vous ne devez pas faire beaucoup d’affaires alors,


se moqua Tara, parce qu’un reparus sera toujours plus
efficace que de l’aspirine.

Gueder sourit et ça ressemblait plutôt à un rictus.

— Tu serais surpris, monstre, du nombre d’humains


qui ne veulent pas avoir affaire à vous, les mutants !

Tara ne releva pas. Il la traitait de monstre, de mutante,


de déchet, d’ordure, etc., régulièrement, elle n’y faisait
même plus attention. En fait, la seule chose qu’elle voulait
savoir, là, c’était comment tromper la surveillance de ce
sale rat et s’enfuir de cet endroit pourri.

— Si Cal a réussi à vous retrouver, alors il trouvera


aussi cet endroit. Et, bien sûr, il a dû en parler à Lisbeth.
Ma Tante, l’Impératrice Toute-Puissante d’Omois (on
sentait les majuscules dans sa voix), n’aime pas beaucoup
qu’on s’attaque aux siens, elle a dû réagir vigoureusement.

Le visage de Gueder se ferma encore plus. Elle laissa


passer un petit temps.

— Laissez-moi réfléchir, il y a déjà un mandat d’arrêt


contre vous ? Qu’est-ce que ça fait d’avoir tout le Puissant,
le Terrifiant Empire d’Omois contre soi ? Vous ne pensez
pas qu’il est temps d’arrêter tout cela et de nous libérer ?

Elle ne précisa pas qu’il s’en tirerait indemne, ce serait


un trop gros mensonge.

Gueder se figea un peu plus.


— Tu ne me fais pas peur, mutante, répondit-il
froidement. L’Empire est dirigé par une sortcelière.
Lorsque nous lâcherons le virus, elle mourra. Je me fiche
totalement de ce ridicule mandat qu’elle a lancé contre
moi. Ils ne me trouveront pas ici. L’île est trop proche de
Patrok, l’île des Édrakins, les marchands ont peur de venir
dans le coin, les maléfices des Édrakins ont la mauvaise
réputation de déborder à des batrolls tout autour.

Tara désigna ce qui les entourait de la main.

— Peut-être. Mais tout ceci n’est pas apparu par


magie, puisque vous ne l’utilisez pas. Mon Cal est
redoutablement intelligent. Il va tracer les matériaux, il va
tracer les hommes. Il va vous trouver, il vous a déjà trouvé.

Elle essayait de toutes ses forces de le convaincre.


Hélas, si cela avait l’air de fonctionner sur les deux gardes
qui se jetaient des regards inquiets et semblaient nerveux,
en revanche, Gueder restait de marbre.

— Nous avons construit le complexe pierre par


pierre, répliqua-t-il, de nos mains, personne ne sait que
nous sommes là. J’ai tout le temps du monde et je ne
compte pas me rendre sur le continent avant que le virus
ne soit diffusé partout.

— Pourquoi ? demanda soudain Tara.

— Pourquoi je ne vais pas sur le continent ?

— Non, pourquoi vous faites tout ça.

— Parce que les humains sont expi...

— Tout ça, c’est du blabla. Je n’y crois pas une


minute. Vous nous haïssez avec une passion qui n’est pas
générale, mais personnelle.

Tara se rapprocha des barreaux, son étincelant regard


bleu marine fixé sur l’homme en face d’elle.

— Alors je répète : si nous devons mourir, mes enfants


et moi, accordez-moi au moins la grâce de savoir pourquoi.
La vérité, Almandach. Pas ce que vous réservez comme
mensonges aux types suffisamment crédules pour croire
que vous faites ça pour eux et non pas pour une vengeance
personnelle.

Il lui jeta un regard plein de fureur et Tara vit que les


deux gardes étaient intéressés aussi. Apparemment,
personne ne savait pourquoi Almandach détestait autant
les sortceliers.

Et ils ne l’apprendraient pas aujourd’hui apparemment,


car Almandach tourna les talons et sortit d’un air rageur,
suivi par ses gardes avec un temps de retard, car ils ne s’y
attendaient pas.

— Tu as abattu les piquets de sa tente[51], sourit


Chavol. Il n’était pas aussi agressif et furieux avec nous, les
centaures.

C’est bizarre, mais je pense que tu le fascines et que tu


l’attires.

Tara se retourna et écarquilla les yeux.

— Quoi ? Ça va pas ? Attirer ce crapaud visqueux ? Yerk


!

— Tu es belle et tu es puissante. C’est une irrésistible


combinaison pour ce type d’homme, crois-moi, nous avons
les mêmes chez les centaures. Des étalons qui sont fascinés
par des juments qui ne pourront jamais leur appartenir.

— Je suis banalement mignonne, répliqua


fermement Tara, avec un ventre qui pendouille et deux
jumeaux. Il est autant attiré par moi qu’il pourrait être
attiré par une vache.

Celia émit un gazouillement et ouvrit les yeux, puis se


mit à piailler.

— D’ailleurs, soupira Tara, à propos de vache, c’est


l’heure de la traite.

Selenba revenait d’une chasse matinale lorsqu’elle


tomba sur les deux humains qui progressaient lentement
dans l’épaisse forêt. Elle lâcha son gibier et monta
silencieusement dans les branches de l’arbre le plus proche
après avoir vérifié que ce n’était ni un arbre toxique ni un
arbre prédateur.

Puis, confortablement allongée sur la branche d’un bleu


vif, dissimulée par les feuilles orange bordées de rouge et
par le camouflage de la changeline, la vampyr tendit
l’oreille.

— Et pourquoi on n’envoie pas les foutus drones pour


traquer ces foutus centaures ? se plaignait l’un des deux
d’une voix maussade. Je commence à en avoir marre, de
cette foutue forêt !

— Bah, répondit le second d’une voix paisible, la paye


est bonne, la bouffe est correcte et le patron est en passe
de devenir le type le plus puissant de ce monde, moi, je ne
me plains pas. Et tu sais comme moi qu’il faut que nous
soyons discrets. Utiliser des drones risque de nous faire
repérer par les satellites de surveillance.

— T’as raison, fît l’autre d’un ton sarcastique,


parce que parachuter des tanks et tirer sur le complexe
était une opération parfaitement discrète, bien sûr ! Une
énorme boule de feu qui monte d’une île inhabitée, ça a dû
illuminer les satellites comme un feu d’artifice. Alors
franchement, des tout petits drones de rien du tout, ça ne
peut pas être pire !

Selenba ne pouvait pas voir le second garde, mais au


bruissement de ses vêtements, elle devina qu’il haussait
les épaules.

— Si. C’est pour ça qu’on a attaqué de nuit, pour


rester dissimulés, et nos techniciens nonsos attachés aux
satellites ont pu les détourner pour qu’il n’y ait pas
d’images de l’île à ce moment-là. Mais ils ne peuvent pas le
faire tout le temps, ce serait trop risqué. Alors on se
déplace à pied et on reste à couvert. Le complexe est
parfaitement dissimulé, personne ne peut le voir d’en haut.

Selenba laissa lentement l’oxygène sortir de ses


poumons. Depuis deux jours, ils se cachaient, persuadés
que toute l’armée d’Almandach allait leur tomber sur le
nez, pendant que Selenba fulminait de ne pas pouvoir
attaquer le complexe et délivrer Tara.

Elle comprenait maintenant pourquoi les types


n’étaient pas partis à leur recherche avec l’artillerie lourde.
Ils devaient rester discrets.

Bien, bien, bien.

Maintenant, c’était à elle de faire monter les enchères...

Ce ne furent pas les enfants qui réveillèrent Tara, pour


une fois.

Ce fut l’odeur de fumée.

Elle se dressa immédiatement, vigilante. Ils étaient


entourés par une énorme forêt, si celle-ci était en train de
brûler, ils risquaient de flamber avec.

Prudente, elle réveilla Chavol qui somnolait.

— Vite, dit-elle à la vieille centaure, aide-moi à couvrir


les enfants au maximum.

Les narines de la centaure s’évasèrent lorsqu’elle sentit


la fumée à son tour. Elle se leva en grimaçant.
— Les couvrir pour les protéger du feu que je sens ?

— Oui.

— Déchire ces couvertures. Le camélin est


naturellement ignifugé, cela devrait les protéger.

En un instant, elles changèrent les couches des deux


bébés au cas où, puis les emballèrent comme deux
poupées, y compris leurs petits visages, ne laissant qu’une
bande pour le nez et la bouche, qu’elles ne voulaient
couvrir qu’en dernier pour filtrer l’éventuelle fumée.

Heureusement, les petits s’étaient pour une fois


endormis en même temps il y avait à peine une heure, et
étaient trop repus et fatigués pour protester très
longtemps. Ils se rendormirent sans résister.

La porte du laboratoire s’ouvrit violemment et Gueder,


à moitié habillé, fit irruption dans la longue pièce
blanche, éructant et postillonnant tellement il était furieux.

— Les centaures ont mis le feu à la forêt! hurla-t-il,


le visage rouge de colère. Ils sont fous ! Si nous ne
parvenons pas à maîtriser l’incendie, je jure que je te laisse
griller ici, dans cette cage !

Tara avait une folle envie de lui répondre, mais elle ne


réagit pas. De toutes les façons, si effectivement ce malade
les laissait à la merci de l’incendie, il n’y avait pas grand-
chose qu’elle pouvait faire.

Ils se défièrent du regard pendant un instant. Puis


Gueder serra les lèvres, fit volte-face et repartit d’un
pas rageur.
Tara se détendit. Les enfants ne s’étaient pas réveillés
en dépit des hurlements du nonsos.

— Il est complètement dingue, fit placidement


Chavol alors que la lourde porte hermétique se refermait
en chuintant derrière Gueder. Bon, on fait quoi maintenant
?

Tara la regarda, puis regarda leur cellule.

— On va boucher le conduit d’évacuation de la cellule


et faire couler la douche au maximum afin d’humidifier la
pièce autant que possible.

Chavol pencha la tête et sourit.

— Il n’y a que des bipèdes pour penser à des choses


aussi étranges, mais je te le concède, c’est une excellente
idée.

Ce fut assez rapide. Le camélin fut entassé dans le trou


et dans les toilettes et Tara ouvrit la douche à fond. Très
vite, l’eau déborda de leur cage pour envahir le laboratoire.

Elles en profitèrent pour mouiller au maximum tout ce


qui se trouvait dans la pièce, comme la couverture
restante, les couches et les draps.

Et puis elles attendirent.


Selenba regardait les gardes humains s’agiter avec une
certaine satisfaction, courant dans tous les sens avec des
lances à incendie et des extincteurs.

Ils n’avaient pas compris.

Ils pensaient qu’elle était stupide au point de brûler la


forêt pour les forcer à abandonner le complexe. Mais
Selenba n’avait pas du tout l’intention de mettre la vie de
Tara en péril.

Aussi avait-elle divisé ses troupes en deux groupes. L’un


était effectivement parti mettre le feu près du
complexe, mais de façon suffisamment astucieuse pour
éviter que le complexe ne brûle avec, même si,
apparemment, c’était le but.

Et l’autre, sous son commandement, venait


d’enflammer une autre partie de la forêt, en sélectionnant
soigneusement les arbres qui devaient partir en fumée et
ceux qui devaient absolument rester intacts.

Les deux licornes en très mauvais état que Selenba


avait retrouvées leur avaient été très utiles. Elles
connaissaient parfaitement les plantes de tous les
continents d’AutreMonde, car elles avaient dressé un
catalogue complet de la végétation en mutation incessante
de la planète.

Grâce à elles, les centaures avaient pu identifier des


arbres à huile et avaient prélevé la sève des ignus qu’ils
avaient trouvés, la sève des arbres portant les nids des
oiseaux de feu étant totalement ignifugée.
Il leur avait ensuite suffi de badigeonner certains
arbres avec de l’huile et d’autres avec de la sève. Puis
Selenba avait prudemment lévité, espérant que les nonsos
n’avaient pas de détecteurs de magie, puis s’était posée sur
un Géant d'Acier afin de regarder le fruit de son travail.

D’immenses symboles enflammés, visibles de très, très


loin, ou plutôt de très, très haut, représentant un triangle,
un rond et un triangle. Un SOS internationalement connu
par tout AutreMonde, inventé par les vampyrs. Elle avait
ajouté sa signature personnelle, un triangle fin et acéré
comme une canine, indiquant que la personne qui
demandait de l’aide était un vampyr.

Tout AutreMonde cherchait sans doute Tara à l’heure


qu’il était, et tout AutreMonde savait que Selenba était
avec Tara.

Les satellites passaient au-dessus de cette île, puisque


les nonsos avaient dû les détourner pour masquer leur
opération. Des satellites qui étaient capables de voir une
taormi courant sur une brindille.

Gueder Almandach n’allait pas tarder à avoir de gros,


gros ennuis.

Éclairée par la lueur de l’incendie sous elle, la vampyr


sourit.
Le laboratoire ne brûla pas. Tara, Chavol et les enfants,
ainsi que les animaux eurent très chaud, les flammes
étaient visibles par les fenêtres qui donnaient sur
l’extérieur, mais les gardes parvinrent à les arrêter, même
si ce fut long et difficile. Ils durent lutter toute la nuit.

Tara et Chavol désemballèrent les bébés dès qu’elles


furent sûres que l’incendie était maîtrisé et Tara stoppa
la douche.

Comme le laboratoire était fermé hermétiquement,


elles avaient réussi à obtenir une belle piscine qui montait
à présent jusqu’aux hanches de Tara. Le lit était un peu
plus haut, ce qui lui avait permis de garder ses bébés au
sec et elles avaient entassé les berceaux par-dessus.

Tara était désolée pour les animaux qui s’étaient noyés,


faute d’avoir pu nager assez longtemps, mais elle devait
les protéger du feu.

Il y avait eu plusieurs explosions. Tara et Chavol


s’étaient doutées que certains des tanks avaient été
touchés, même si elles ne comprenaient pas pourquoi les
nonsos ne les avaient pas déplacés pour éviter le feu.

Elles entendirent la porte du laboratoire s’ouvrir et


regardèrent qui entrait.

Gueder étant un homme colérique, impulsif et emporté,


il ne regarda pas avant d’ouvrir la porte avec la brusquerie
qui le caractérisait.

L’instant d’après, il était emporté par un raz de marée


qui le déposa presque à la sortie du laboratoire, étalé et
confus, incapable de comprendre ce qui venait de lui
arriver.
Tara se mit à rire. Elle n’avait pas envisagé que Gueder
allait ouvrir la porte comme ça. Et regretta qu’elle
s’ouvre dans ce sens, parce que, dans l’autre, il aurait pu
batailler longtemps avant d’arriver à faire contrepoids avec
le poids de l’eau.

Quelques instants plus tard, trempé, tremblant de


fureur, Gueder arriva jusqu’à leur cage. Il avait oublié que
Tara était une arme à elle toute seule ou s’en fichait, car il
s’approcha des barreaux et hurla :

— J’aurais dû te laisser crever, mutante ! Mes hommes


ont été blessés et sont épuisés, tout ça pour sauver ta
misérable peau ! Elles ont tort ! Tu es une plaie !

Et avant que Tara n’ait eu le temps de réagir, il dégaina


le pistolet qu’il avait à la ceinture et tira.
Chapitre 21
Magister
Ou comment entrer dans un jardin,
ignorer le panneau « attention, chien méchant »
tout en sachant qu'à un moment ou à un autre
on va sûrement se faire croquer quelque chose.

Magister baissa son masque miroitant sur le magnifique


jeune homme nu qui lui faisait face, mal réveillé, et grogna
:

— Habille-toi, Dal Salan, nous avons du travail !

Cal incanta un tee-shirt et un caleçon. Rien de plus. Il


n’avait pas l’intention d’obéir au psychopathe en face de
lui, pas plus qu’il n’avait l’intention de rester tout nu.

Il choisit donc quelque chose entre les deux.

— Tu veux te battre en caleçon et chaussettes?


ironisa Magister de cette magnifique voix de velours
tellement reconnaissable, au point que Cal se demandait si
ce n'était pas volontaire et si sa véritable voix avait grand-
chose à voir avec celle-ci.

— Je n’ai pas de chaussettes, je n'ai pas l’intention


de me battre, et j’aimerais bien savoir pourquoi vous
m’avez réveillé, répondit le jeune homme sèchement en
croisant les bras.
— Parce que je viens d’apprendre que Selenba a été
enlevée (on sentait dans sa voix que ceux qui ne l’avaient
pas prévenu plus tôt allaient pouvoir renoncer à leur plan
de retraite. Renoncer à la vie tout court d’ailleurs), alors
qu’elle est enceinte de mon enfant. C’est inadmissible. Je
veux tous les éléments, je veux qu’on me donne accès à
tous les dossiers et je vais la retrouver et la sauver !

Il voulait des tas de choses et Cal ne put s’empêcher de


persifler.

— C’est ça, et elle va vous tomber dans les bras,


éperdue d’admiration et d’amour, et vous partirez vers les
soleils couchants sur un pégase blanc.

Le masque miroitant vira au brun. Cal savait que s’il


fonçait encore ou arrivait au noir, c’était la mort assurée.
Sauf que là, Magister n’était pas vraiment en face de lui et
qu’il n’en avait rien à foutre des états d’âmes du Chef des
Sangraves.

Il coupa la communication.

En fait, il essaya de couper la communication.

L’image ne broncha pas.

Et à sa grande surprise, Magister ne pavoisa pas. En


d’autres moments, il aurait éclaté de rire en expliquant en
long, en large et en travers comment il s’était emparé de
toutes les communications du Château Vivant et qu’il les
contrôlait et mouuuaaahhh !

Là, il se contenta de regarder Cal s’escrimer.

— Ça suffit, finit-il par dire, je ne suis pas un


ennemi, Caliban Dal Salan. Vous voulez récupérer Tara, je
veux récupérer Selenba. Ne serait-il pas temps que nous
travaillions ensemble ? Cela fait déjà des jours qu’elles ont
été enlevées. Qui sait ce que ce monstre a bien pu leur
infliger ?

Cal comprit alors que ce n'était pas uniquement la rage


qui faisait trembler le corps puissant. C’était aussi la peur.

Magister avait terriblement peur. Parce qu’étant lui-


même un psychopathe, il savait très bien ce qu’un homme
comme lui pourrait faire à des victimes impuissantes.

Cal soupira. Il savait qu’il était en train de commettre


une énorme erreur, mais en dépit de ce qu’avait dit
Fleur, aucune idée géniale n'était sortie de son cerveau
pendant son sommeil.

Donc l’aide de Magister, tout ennemi qu’il était, serait


la bienvenue. Il laissa passer quelques instants,
réfléchissant intensément pendant que Magister attendait.

— Je vais partager les données avec vous, finit par


annoncer Cal froidement. Au fur et à mesure, vous allez me
donner vos idées et vos inspirations et je vous donnerai les
miennes.

Il afficha les premières conclusions ainsi que le résumé


de ce qui s’était passé en Viridis, mais très vite, Magister
lui donna une adresse M-net afin qu’il puisse lire les
données directement sur son terminal à lui. Ainsi qu’un
numéro où le joindre. C’était une grande première. Cal
était carrément stupéfait.

— Nous avons localisé le complexe de Gueder en


Viridis, expliqua enfin le jeune homme brun sur les images
de leur raid. Mais c’était un piège, elles n’y étaient pas.
— Évidemment, fit Magister d’un ton méprisant en
étudiant attentivement les données. Ces types n’utilisent
pas la magie puisque ce sont des nonsos. Mais comme moi,
ils sont obligés de cacher leur forteresse pour mener à bien
leurs petites affaires. Jamais elles n’auraient été amenées
dans un endroit aussi « officiel ».

— Certes, répondit Cal, mais c’est un laboratoire. Et


nous avons cette indication de la part de notre « témoin »,
l’assassin NM, comme quoi Gueder Almandach, ou du
moins ses savants auraient mis au point un virus capable
de tuer les sortceliers et la magie. Donc, pour nous,
investiguer dans un laboratoire semblait évident.

Magister semblait pensif. Son masque s’éclaircit un


peu.

— J'ai donc une seconde raison de vouloir arrêter ces


pathétiques nonsos qui ont osé poser les doigts sur ma
femme, je n’ai pas envie que ce soi-disant virus me prive de
la magie qui m’appartient de droit.

Cal se mordit les joues pour ne pas réagir. C’était


difficile tant l’arrogance de Magister était irritante.

Soudain son cerveau souligna ce que venait de dire


Magister.

Ma femme. Il avait dit « ma femme ». Ben ça, c’était un


énorme hit. Cal frissonna en imaginant le futur mariage
de Magister. Tout le monde serait en noir et le gâteau serait
plein de sang... yerk !

Sans compter que la mariée ne serait sans doute pas


tout à fait d’accord, vu les sentiments que Selenba
éprouvait pour le père de son enfant. La noce pouvait donc
rapidement tourner au massacre en règle.
Il chassa cette image de son esprit et continua en
envoyant les résultats de l’enquête que Xandiar avait
menée.

Il commenta aussi au fur et à mesure que le Chef des


Sangraves découvrait les indices récoltés.

À sa grande surprise, Magister était rapide et concis. Il


ne se laissait pas distraire et gardait le cap jusqu’à ce qu’il
trouve exactement ce qu’il cherchait.

Mais ce qui était le plus intéressant, c’était que


Magister connaissait les endroits où se cacher à peu près
comme sa poche. Pendant des dizaines d’années, il avait
réussi à éviter les armées lancées à sa recherche, en
dissimulant sa Forteresse Grise aux yeux de tous.

Le problème, c’était que la planète AutreMonde était


immense et très peu peuplée.

Il y avait donc des milliers d’endroits où planquer


même quelque chose d’aussi gros qu’un laboratoire. Et des
gardes. Et des prisonnières.

Soudain, l’écran de Cal sonna. Il leva un regard


interrogatif vers Magister, qui, magnanime, lui rendit le
contrôle de sa comconsole, lorsqu’ils réalisèrent tous les
deux que c’était un appel extérieur.

Parce qu’ils avaient noué une trêve fragile, Cal


n’éteignit pas la connexion avec Magister, se contentant de
le laisser en vignette sur le côté de l’image
tridimensionnelle projetée par sa comconsole.

Sa sœur Cixi apparut. Elle sautait littéralement sur


place, et Moineau et Fabrice paraissaient tout aussi excités,
même si l’appel était divisé en plusieurs sections, montrant
qu’ils n’étaient pas au même endroit, Cixi et eux.

— Qu’est-ce qui se passe, sœurette ? demanda Cal.

— On a traqué les armes, dit Cixi.

— Mais à partir de la Terre, indiqua Moineau, alors que


sa scoop pivotait pour montrer l’environnement vert d’un
jardin terrien, celui du manoir d’Isabella.

— On a infiltré les vendeurs d’armes, que ce soient


les États ou les industries privées, précisa Fabrice avec un
sourire féroce.

— Ces gens sont incroyablement bien protégés, fit


remarquer Moineau avec un froncement de sourcils.

— Bref. On voulait savoir si des sociétés avaient acheté


des grosses unités récemment et, si oui, où est-ce qu’elles
avaient été livrées.

— Mais pas les sociétés classiques que tout le


monde connaît, une nouvelle société avec laquelle les
habituels vendeurs n’avaient jamais traité.

— Ça nous a pris deux jours, indiqua Cixi, mais le


résultat c’est qu’aucune société nouvelle n’a acheté
d’équipement lourd.

Cal connaissait sa petite sœur. Si Cixi avait l’air aussi


ravie, c'était parce qu’elle avait trouvé un indice. Magister,
lui, émit un dangereux grognement que Cal s’empressa
d’étouffer en baissant le son.

Fabrice leva la tête avec une vitesse fulgurante, en


alerte.
— C’était quoi, ce bruit ?

— Rien, mentit Cal, c’était Blondin qui bâillait.

Fabrice le regarda d’un air sceptique, mais n’ajouta


rien.

— Et donc ? reprit Cal.

— Et donc, on était dans une impasse. Mais Moineau,


que j’adore, fit joyeusement Cixi, a l’esprit mal tourné.

— Ehhhh, fit Moineau, ses grands yeux noisette


étincelant d’amusement, pas du tout !

— Si, si, fit Cixi. Moi, j’avais pensé « achats ». Moineau,


elle, a pensé « vol ». Ce qui est un peu vexant, sachant le
métier principal exercé par ma famille, j’aurais dû y penser
aussi. Donc, nous avons fouillé, gratté, et soudain, on est
tombé sur une énorme panique dans une base américaine.
Six de leurs nouveaux blindés Abrams, des bestioles qui
valent plus de huit millions de leurs dollars chacune,
avaient disparu. Pouf, envolés.

Cal la regarda, stupéfait.

— Cixi ? Sérieusement ? Pourquoi Gueder aurait-il


besoin de blindés et surtout de les voler, ce qui va
forcément attirer l’attention sur lui ?

— Je ne sais pas, répondit ingénument sa petite sœur,


mais il a bien enlevé Selenba Bragish, le Chasseur de
Magister, la tueuse la plus impitoyable d’AutreMonde, et
Tara’tylanhnem Duncan, la plus puissante sortcelière du
monde, Héritière d’Omois, qui a la fâcheuse manie
d’annihiler ses ennemis, donc, ce n’est pas si surprenant
que ça que ce type ait besoin d’armes plutôt lourdes parce
qu’à mon avis ces deux-là ont dû lui en faire baver. Donc,
plutôt que pourquoi, je me suis plutôt posé la question du
comment ? Parce que Gueder ne peut pas emprunter les
portes de transfert, puisque c’est un nonsos NM. Et
pourtant, s’il a besoin de ces chars, c’est sans doute pour
AutreMonde. Il a donc forcément dû passer par une
entreprise spécialisée dans le transport lourd entre la Terre
et AutreMonde.

Cal se redressa et Magister aussi.

— Tu l’as trouvée, fit le jeune homme.

Ce n’était pas une question, mais une affirmation.

— Je l’ai trouvée, confirma Cixi, les yeux luisant de


victoire. C’est la société Lourlourd. Ils sont basés dans le
Nebraska, à l’endroit de la porte de transfert du coin, bien
sûr. Ils ne font que du bien pesant et sont très chers.
Gueder n’apparaît pas dans la société qui les a engagés,
mais a utilisé une société écran qui s’appelle DACHAL DER
MANAGUE & Co.

Cixi attendit un instant. Comme Cal ne réagissait pas,


elle insista :

— Le nom ne te dit rien ?

— Non. Je ne connais aucun Dachal Der Manague.


Pourquoi ?

Cixi eut un sourire railleur.

— Ah, l’amour t’a encrassé les neurones, grand frère


! Dachal Der Manague est l’anagramme de Gueder
Almandach !
Cal écarquilla ses yeux gris.

— Non, souffla-t-il après avoir repensé l’ordre des


lettres pour former le nom de la société à partir de Gueder
Almandach. Il n’est pas stupide à ce point ?

— Stupide, je ne sais pas, orgueilleux, ça, en revanche,


je te le confirme.

— Tu es un génie.

— Je sais. En fait, Moineau et moi sommes des génies.


La prochaine fois qu’on se voit, tu pourras t’incliner et me
baiser les pieds.

— Dans tes rêves. Et ils ont livré les tanks où ?

— Sur AutreMonde, comme nous nous en doutions.


Dans une petite ville côtière, en Viridis, qui s’appelle
Veloss. Là, les manutentionnaires de la DDM & Co sont
partis à Iraptor pour louer de très gros tapis de transport
lourds renforcés, vu que les tanks pèsent 63 tonnes chacun,
ce qui nous fait penser que leur destination finale n’était
donc pas Veloss. Ensuite, hélas, nous ne savons pas où ils
sont allés. Parce que les trois pilotes qui conduisaient
chacun trois tapis, y compris les munitions, etc., ont
mystérieusement disparu. Nous ne retrouvons la
destination sur aucun manifeste, rien. Il va falloir aller voir
là-bas.

— À part les tapis volants de l’autre dingue de Kyla[52],


les tapis volants sont rarement conditionnés pour les vols
intercontinentaux, puisqu’il y a les portes de transfert et
que les pays sont chatouilleux pour ce qui est de survoler
leurs territoires. Gueder et ses sbires ne sont peut-être pas
à Veloss, mais ils sont en Viridis, martela Fabrice. Cal ! Tu
avais raison lorsque tu as attaqué le complexe, c’était le
bon pays, sauf que ce n’était pas le bon endroit !

— AutreMonde vient de voter le Terrorisme Acte, qui


permet en cas de soupçon d’activité terroriste visant à
nuire à la population ou à la magie, de contraindre les pays
à ouvrir les frontières, précisa doctement Moineau en
soulignant un article de loi qu’elle venait d’afficher. Bon,
tout le monde n’a pas signé, mais Viridis fait partie,
heureusement, des pays signataires. Cela signifie, Cal, que
nous pouvons retourner là-bas, officiellement cette fois-ci
et chercher Tara. Maintenant. Donne-nous juste le temps
de revenir de Terre. Nous pouvons être au Lancovit d’ici
une demi-heure.

Cal regarda Magister. Celui-ci hocha la tête, puis


éteignit sa connexion. Ils avaient passé un marché. Cal
était curieux de savoir jusqu’à quel point Magister allait le
respecter.

Et à quel moment Magister les trahirait tous.

Comme d’habitude.

— Parfait, fit Cal, j’appelle tout de suite Maître Chem et


les autres.

Si Fafnir (soulagée de pouvoir arrêter d’essayer de


parler avec AutreMonde avec qui elle ne parvenait pas du
tout à se connecter) et Sylver, ainsi que Robin furent
rapides à les rejoindre, le plus compliqué fut de mobiliser
la sage-femme et le chaman. Ils avaient d’autres patients
que Tara et n’aimèrent pas du tout être contraints de
passer encore des portes de transfert pour repartir là où
Cal n’avait pas trouvé Tara.
Magrit, particulièrement, était agacée. La vieille tatris
accoucheuse aimait travailler dans un environnement
bien huilé et toute cette agitation et cette excitation lui
paraissaient terriblement déplacées. Ses deux têtes
marmonnaient beaucoup et il fallut des trésors de patience
pour gérer sa mauvaise humeur, dès qu’elle débarqua par
porte de transfert.

Heureusement, Fleur était de garde ce jour-là et il en


profita pour discuter accouchement avec elle, car elle
n’avait jamais accouché de cyclope et que la femme de
Fleur, Rosiertremblantsouslabrise, était enceinte[53].

Mourmur et Heagle5 restèrent à Omois afin de


continuer les recherches sur le fameux virus, tandis que
Maître Chem se rendait au Lancovit par la porte, tout en
faisant venir son vaisseau spatial d’Omois. Ils durent donc
attendre que les dragons arrivent.

En réalité, grâce aux accords internationaux, Cal et leur


troupe d’intervention n’avaient pas besoin du navire
puisqu’ils auraient pu prendre la porte de transfert
principale du Lancovit jusqu’à Tiran, puis des portes de
transfert secondaires pour arriver jusqu’à Iraptor.

Mais vu que des tanks avaient disparu, ils savaient


qu’ils pouvaient se trouver face à des armes lourdes et
avoir un vaisseau bien solide entre eux et des obus leur
semblaient très respectable comme argument.

Même si cela rendait Cal à moitié dingue d’être obligé


d’attendre.

Fafnir aimait les armes. Enfin surtout lorsqu’elles


étaient de son côté et de son point de vue, rien n’était aussi
efficace qu'une bonne vieille hache. Tuer à distance, elle
trouvait cela peu courageux et inélégant.

Sylver et elle venaient de retrouver Cal dans


l’appartement bleu et crème, dont les murs vivants
passaient des images des plaines du Mentalir, le pays des
licornes, qu’affectionnait particulièrement Tara, en
attendant l’arrivée de Fabrice et Moineau. Bel s’empressa
de faire le tour de la pièce, et de renifler partout, comme
un chaton parfaitement normal. Cal trouvait cela très
curieux de voir à quel point la création génétique rose des
démons était à son aise avec les sortceliers.

Ce que Fafnir trouvait curieux, elle, c’était que les


armes à feu ne fonctionnaient pas bien sur AutreMonde. En
clair, si les broyettes avaient été inventées, c’était parce
qu’elles étaient en partie magiques, en partie
technologiques, et que les nonsos comme les sortceliers
pouvaient les utiliser.

Les NM aussi pouvaient les utiliser, sauf que, dans leur


cas, c’était plus dangereux. La partie magique se
déconnectait pour ne plus laisser agir que la partie
technique. Mais, du coup, les broyettes redevenaient de
simples mitraillettes comme sur Terre et fonctionnaient
d’une façon très aléatoire.

Avoir une arme qui pouvait vous exploser dans les


mains/tentacules/pinces n’incitait pas à l’utiliser, ou du
moins avec beaucoup de parcimonie. Idem pour une arme
daignant fonctionner un coup sur deux.

Voire pas du tout.

Dans le cas des tanks, c’était encore pire, car plus


grosse était l’arme, plus grosse était l’explosion. Or Gueder
avait été jusqu’à voler les tanks aux Terriens, au risque de
se faire démasquer par les AutreMondiens. Il y avait là un
élément qui échappait à Fafnir.

Et à Cal. Qui s’était posé les mêmes questions, comme


elle le découvrit lorsqu’elle en parla.

La vie de Tara étant l’enjeu de cette bataille, Cal


haïssait toute cette incertitude. À force de se ronger les
ongles, il allait finir par attaquer la première phalange.

Il s’inquiétait aussi beaucoup pour Galant. Le pégase


allait de plus en plus mal, comme s’il perdait toute énergie
au fur et à mesure que le lien entre Tara et lui s’amenuisait.
Au point que Cal n’était même plus sûr que retrouver Tara
et les remettre en contact parviendrait à sauver le pauvre
Galant.

Il avait découvert que de tenir le petit pégase contre sa


peau permettait à Galant de se sentir mieux. Alors il avait
pris un des porte-bébés qu’ils avaient achetés pour leurs
enfants et portait le pégase sous sa chemise,
confortablement niché contre sa poitrine.

Ce qui faisait qu’on avait l’impression bizarre qu’il était


enceint de neuf mois.

Fafnir et Sylver étaient aussi inquiets que lui pour le


petit pégase et s’étaient donc dispensés de plaisanter,
même si Fafnir plissait un peu ses yeux verts de temps en
temps, comme si elle se retenait d’éclater de rire.

Moineau avait écarquillé les yeux, lorsqu’ils étaient


arrivés de Terre au Lancovit, en voyant le gros ventre de
Cal, lorsqu’il vint ouvrir la porte de l’appartement mis à
disposition de ses invités par le roi Bear et la reine Titania.
Et Fabrice, contrairement aux autres, ne s’était pas
gêné.

— Vraiment Cal ? avait raillé le jeune Terrien, amusé, il


va falloir que tu mettes un peu la pédale douce sur les
dîners de l’Impératrice, mon vieux !

— L’état de Galant se dégrade d’heure en heure. Je


crois qu’il est en train de mourir, avait répondu très
sérieusement Cal en entrouvrant sa chemise noire pour
montrer l’animal à moitié endormi. Le tenir contre moi lui
permet de se sentir mieux et de résister.

Fabrice et Moineau avaient immédiatement cessé de


rire. Ils n’avaient pas réalisé que le petit pégase était aussi
mal en point.

Le chaman, qui se tenait dans l’un des coins du grand


salon bleu et crème, en train d’annoter les éléments d’un
traitement pour la grinchette[54] d’un de ses patients en
attendant d’embarquer dans le vaisseau de Maître Chem,
releva brusquement la tête.

— Le Familier de l’Héritière est malade ? demanda-t-


il d’un ton brusque.

Cal ouvrit un peu plus sa chemise et lui montra le petit


cheval ailé blotti contre sa poitrine, l’air épuisé, ses yeux
mi-dorés mi-bleus à moitié fermés. Le chaman avait bien vu
que Cal portait quelque chose, mais n'avait pas posé de
questions, les mœurs de ses patients ne le regardant pas.

— Lorsque Tara a perdu sa magie, répondit Cal,


Galant n’avait pas semblé en souffrir, comme si la
connexion entre ces deux-là était plus forte que le pouvoir
qui les liait. Mais depuis que Tara a été enlevée, Galant est
en train de redevenir un pégase normal. Comme si la
distance qui les sépare le détruisait petit à petit.

— Pas du tout, fit le grand homme aux tresses noires,


tout vêtu de peaux teintées de rouge et de fauve, se levant
rapidement, donnez-le-moi, ce n’est pas la première fois
que je vois cela. Et je peux vous assurer que cela n’a rien à
voir avec la distance, mais avec une interférence bien plus
matérielle. J’ai déjà vu un cas comme celui-ci. Mais pas
parce que le lien avait été rompu, les deux se trouvaient
sur une planète sans magie, donc nous savons que le lien
perdure, même sans magie, mais parce que l’un des deux
compagnons, en l’occurrence un vrrir, avait été capturé par
leur ennemi et placé dans une cage en fer d’Hymlia.

— Mais de quoi vous parlez ? demanda Fabrice. Quel


est le rapport entre les Familiers et la magie ?

Le Terrien ne comprenait pas toujours comment la


magie fonctionnait, même s'il acceptait le fait d’être
devenu une espèce hybride, mi-loup, mi-humain, il était
encore souvent stupéfait de ce qui lui était arrivé.

Parfois même au point de se dire qu’il allait un jour se


réveiller dans sa bonne vieille chambre (ou dans un
asile psychiatrique) et découvrir que tout cela était un rêve
particulièrement dingue (ou qu’on lui avait fait absorber
des psychotropes vraiment, vraiment puissants).

Le chaman s’arrêta alors qu’il s’approchait de Galant et


sortit une boule de cristal de sa poche. Sur son ordre, la
boule projeta un diagramme, montrant un pégase. Ses os
quittèrent son corps, même si le pégase resta entier, et une
planète apparut à côté, jusqu’à grandir et grandir encore,
puis montrer une nuée de pégases volant autour de leurs
nids dans les Géants d’Acier. Les os furent coupés dans le
sens de la longueur, montrant qu’ils étaient creux,
contrairement à ceux des autres animaux.

— Est-ce que vous savez pourquoi les pégases


volent? demanda le chaman. Et encore mieux pourquoi
aucun pégase ne s’était jamais lié avec un sortcelier
jusqu’à Tara Duncan ?

Ils secouèrent tous la tête, y compris Magrit, qui les


avait rejoints après avoir ausculté la femme de Fleur,
Rosier.

— La gravité sur notre planète géante est plus


importante que sur la majorité des planètes, comme la
Terre. Ce qui fait que même avec leurs os creux, les
pégases sont trop lourds pour voler. Mais tous les animaux
sur AutreMonde utilisent la magie à plus ou moins grand
degré. Les pégases volent parce que la magie les aide à
voler.

La magie enveloppa la planète sur l’image, le pégase


récupéra ses os et se mit à voler. Le chaman éteignit sa
boule de cristal.

Moineau était leur spécialiste de la faune et de la flore


d’AutreMonde, elle comprit rapidement.

— Mais Galant pouvait voler, même sur des planètes


à faible magie ou n’en ayant pas du tout.

— C’est exact. Le pégase s’est lié avec Tara Duncan,


parce que sa puissance était telle qu’elle pouvait le «
nourrir » de sa magie, quel que soit l’endroit où ils se
trouvaient. Tout simplement parce que la qualité du code
génétique de l’Héritière lui permet de transformer
l’énergie en magie où qu’elle soit, à part, peut-être, au plus
profond de l’espace, là où ni lumière ni chaleur ne
parviennent.

— Mais Tara a perdu sa magie, fit lentement Cal.

— Non, répondit le chaman, je ne crois pas qu’elle


ait perdu sa magie, je pense qu’AutreMonde l’a juste
coupée de la magie, en créant une sorte de champ invisible
autour d’elle, mais suffisamment poreux pour permettre
qu’elle continue à nourrir son pégase et donc à entretenir
le lien. La planète savait sans doute que si elle coupait
complètement Tara de la source de magie, Galant
redeviendrait « normal », mais risquait de mourir dans le
processus. Elle a donc mis en place une sorte de garde-fou.
Sauf que celui ou celle qui a enlevé Tara l’a placée
probablement dans un endroit où la magie est annulée. Soit
une mine de fer d’Hymlia, soit une cellule, car le filet qui
maintenait le lien a disparu. Étant encore baigné par la
magie d’AutreMonde, il a pu maintenir le lien pendant
quelques jours, mais ce n’était pas suffisant, il s’épuise.
Nous devons donc créer un substitut afin de le sauver. Ce
ne sera hélas que temporaire, mais c'est toujours mieux
que rien.

Cal releva la tête, un fol espoir éclairant ses yeux gris


bordés de cils noirs qui lui assombrissaient le regard.

— Tenez, prenez-le, fit-il en faisant glisser le corps


amorphe du pégase hors du porte-bébé.

Le chaman plaça Galant sur la table de bois précieux


placée entre deux élégants sofas de velours bleu, couleur
du Lancovit, frappés aux armes du pays, la licorne d’argent
à la corne d’or sous le croissant de lune d’argent.

Le chaman prit une petite fiasque dorée dans sa poche


multidimensionnelle. Les poches des robes des
sortceliers pouvaient contenir à peu près tout et Cal savait
que le chaman y conservait toutes les potions qu’il créait au
fur et à mesure qu'il devait traiter de nouvelles et souvent
étranges maladies[55].

Il ouvrit la bouche de Galant et lui fit avaler quelques


gouttes de la potion qui était si épaisse qu’elles
semblèrent tomber au ralenti.

Galant avala avec difficulté.

Puis il toussa.

Puis ses yeux se mirent à tourner dans ses orbites,


pendant que tout son corps se mettait à trembler. Le
chaman incanta et soudain projeta brutalement sa magie
dans le corps du pégase.

Il se produisit alors deux choses.

Galant grandit brusquement.

Et la table se brisa, pas du tout conçue pour soutenir le


poids d’un cheval volant de plus de deux cent
cinquante kilos[56].

Ils avaient tous reculé, pas vraiment sûrs de ce qui était


en train de se passer. Galant était plus grand, certes, mais
ne paraissait pas vraiment en meilleur état. Il se releva, un
peu groggy, mais sa tête pendait et ses jambes tremblaient,
pendant que ses ailes restaient mollement repliées sur son
dos.

— Hum, fit le chaman, je crois qu’il lui faut une


double dose.
Galant releva la tête et dénuda ses dents, pendant que
ses griffes pointaient dangereusement.

— Euh, je crois qu’il n’est pas d’accord, fit Fabrice.

Le chaman incanta et Galant, frémissant d’indignation,


se retrouva de nouveau miniaturisé. Évidemment, c’était
tout de suite plus compliqué de résister quand on faisait
vingt centimètres de long et qu’on était nettement plus
mignon que terrifiant.

— Mes patients sont souvent en désaccord avec moi,


fit l’homme avec un sourire froid sur ses lèvres minces.
Mais, bizarrement, j’arrive toujours à leur faire entendre
raison.

Avant que Galant n’ait le temps de le mordre avec ses


petites dents et de le griffer avec ses petites griffes, le
chaman l’avait saisi, lui avait ouvert la bouche et avait
enfourné quelques gouttes supplémentaires de potion. Puis,
de nouveau, il s'écarta et bombarda Galant de sa magie.

Le pégase grandit de nouveau. Cette fois-ci, prudents,


les meubles s’étaient écartés, n’ayant pas spécialement
envie d’être transformés en petit bois.

La tête du pégase n’était plus aussi basse et son pelage,


qui était passé d’un blanc argenté plein de santé à un gris
terne, avait retrouvé un peu de son éclat.

Et il n’avait pas l’air content du tout. Même s’il ne se


sentait clairement pas suffisamment en forme pour sauter
sur le chaman et lui faire payer ce qu'il venait de lui faire
subir.

Deux fois.
— Ses yeux sont toujours à moitié bleus, fît
remarquer Moineau, en l’observant attentivement.

— Oui, répondit le chaman en replaçant la fiole dans


sa poche. C’est normal, je n’ai pas renversé le processus,
c’est impossible sans sa sœur d’âme. J’ai juste arrêté la
dégradation de leur lien en le « nourrissant » avec de la
magie, puisque l’Héritière n’est plus en connexion avec lui.
C’est ce qu’il faut que vous fassiez toutes les treize heures.
Que vous lui donniez de la magie. Mais le mieux serait de
retrouver Tara Duncan, bien sûr.

— Nous allons nous y employer, fit fermement Cal,


enfin pour la seconde partie du moins. Merci beaucoup,
chaman, je vous suis extrêmement reconnaissant.
N’importe lequel d’entre nous peut lui donner de la magie ?
Parce que je voudrais préserver au maximum l’énergie
magique de ceux qui vont devoir combattre.

Le chaman soupira.

— C’est-à-dire à peu près tout le monde ici, n’est-ce pas


? (Il consulta son planning qui puisait en rouge un peu
partout et fit une grimace résignée.) Mes autres patients
vont être furieux, mais je vais m’occuper du Familier tant
que vous serez en quête de l’Héritière. Vous avez raison,
vous avez besoin de votre magie. Mais je vous prie de vous
dépêcher, je n’ai pas que ça à faire, moi !

Cal s’empara de la main du médecin et la serra de bon


cœur avant de la secouer avec force.

— Merci ! Merci ! Vous êtes fantastique.

Un peu étonné par son enthousiasme, le chaman balaya


ses remerciements de la main.
— Inutile de me remercier, c’est mon travail.

— Mais j’y tiens, répliqua gravement Cal. Je ne peux


pas parler au nom du gouvernement d’Omois, mais en ce
qui me concerne, quoi que vous demandiez, appelez-moi et
je vous l’obtiendrai.

Cal lui tendit sa carte enregistrable afin qu’il puisse la


présenter à son hor et que celle-ci la mémorise. Le chaman
sourit :

— Vous vous souvenez ? Je suis le médecin accoucheur


de l’Héritière. Vous m’avez déjà donné vos coordonnées.
Une demi-douzaine de fois, si je me souviens bien.

Cal soupira. Il était en train de perdre pied. Il incanta


un reparus pour la pauvre table et celle-ci se reforma, puis
il fit rétrécir Galant, qui grogna.

— Ça va, Galant? demanda Cal en ramassant le


petit pégase pour le mettre dans le couffin qu’il lui avait
fait faire pour dormir. Comment te sens-tu ?

Blondin, son renard familier, puisa la réponse dans le


cerveau du pégase.

— Il dit que, comme chaque fois qu’on le fait grandir


et rapetisser à plusieurs reprises rapidement, qu’il a mal
au cœur et la tête qui tourne, transmit le renard avec une
grosse dose d’amusement, et que s’il met les griffes sur le
chaman, il va le transformer en hachis, parce que cette
potion est déjà vraiment horrible à avaler une fois, alors
deux fois, c’est l’enfer. Sinon, il se sent un peu mieux,
merci. Même s’il a terriblement envie de dormir. Ah, et ça
le gratte de partout, aussi.
Effectivement, le pégase était en train de se gratter
frénétiquement en se frottant contre le dos de la main de
Cal.

— S’il a envie de dormir, je vais lui lancer un sort,


indiqua le chaman, cela lui évitera les démangeaisons et il
pourra en profiter pour se recharger en énergie, plutôt
qu’en dépenser en restant éveillé.

— Allez-y, chaman, fit Cal.

Herbes incanta aussitôt un reposus. Galant papillonna


des paupières, puis se roula en boule et s’endormit. Cal le
plaça dans le couffin et murmura :

— Repose-toi, Galant, ça devrait aller, on va te sortir de


là et Tara aussi, fais-moi confiance.

Le chaman se rassit tranquillement, ressortit le dossier


sur lequel il était en train de travailler et continua à dicter
les notes sur le cas de grinchette à son enregistreur.

Pendant que Moineau et Fabrice montraient à Cal tous


les éléments qu’ils avaient dénichés sur la société
Lourlourd, Maître Chem arriva.

Il n’avait pas l’air très content.

— Les vaisseaux sont là, dit-il en ouvrant la porte sous


sa forme de vieux savant ébouriffé[57].

— Les vaisseaux? demanda Fafnir, curieuse. Je


croyais, dragon, que vous n’en aviez qu’un à disposition ?

Maître Chem grimaça.


— Non, en fait, nous sommes venus à plusieurs
navires et la commandante du vaisseau amiral, c’est-à-dire
le mien, m’a fait clairement comprendre que, face à
plusieurs tanks, elle allait aligner plusieurs vaisseaux.

C’était un peu démesuré, vu que les vaisseaux faisaient


des centaines de mètres de circonférence, les utiliser
contre des tanks, c’était un peu comme de prendre un
lance-missiles pour écraser une mouche. À voir la tête de
Maître Chem, il trouvait que c’était absolument ridicule.

— Mais nous allons à Iraptor, argumenta Moineau,


qui, bien sûr, connaissait les caractéristiques techniques
des vaisseaux. Il n’y a pas d’astroport capable d’accueillir
vos vaisseaux dragons, Maître Chem. Ils sont trop gros et
trop lourds, leur petit aéroport va s’enfoncer à dix tatrolls
de profondeur !

Bon, dix tatrolls, elle exagérait un peu. Mais une


quinzaine de batrolls, cela ne surprendrait pas Moineau du
tout.

— Je sais, soupira le dragon. Mais cette commandante


est infernale, elle est persuadée que tout le monde veut ma
mort sur cette planète et qu’elle est le dernier rempart
entre moi et ceux qui veulent mettre fin à ma misérable vie
(enfin, le misérable, c’est elle qui l’a ajouté). Donc il est
hors de question, selon elle, de me laisser partir où que ce
soit sans une muraille d’acier. Donc j’ai le plaisir de vous
annoncer que nous avons un navire de classe Amiral et
trois navires de classe Destroyers qui vont nous aider à
retrouver Tara.

Cal était surpris et impressionné.

Et il ne douta pas un instant que s’il avait Gueder en


face de lui, ce dernier serait tout aussi surpris et, il
l’espérait, terrorisé.

La commandante entra à ce moment dans la pièce. Elle


était sous sa forme de dragon noir et un sourire
éclatant dévoilait tous ses crocs.

— Prince Chemnashaovirodaintrachivu ?

Maître Chem ne put s’empêcher de faire une grimace.


Il détestait vraiment beaucoup ce titre.

— Oui, commandante ?

— Avant d’engager ma flotte dans un combat se


déroulant sur le sol d’une nation alliée avec les dragons, j'ai
bien évidemment demandé l’autorisation de notre reine.
Pour la seconde fois. En mentionnant bien sûr que vous
aviez désobéi à mes ordres la première fois en vous
exposant inconsidérément et au virus et au danger.

Chem fronça les sourcils.

— J’avais déjà donné mon accord pour le déplacement


de notre flotte, commandante.

— Certes, certes, mais notre reine, vous connaissant


plutôt bien, m’a indiqué qu’elle désirait clairement être
informée de toutes les actions, guerrières ou pas, que vous
alliez entreprendre, et plus particulièrement celles
engageant à la fois votre vie et des vaisseaux coûtant des
milliards de crédits-muts.

Cal se raidit, tout comme Chem. Ils sentaient tous les


deux qu’ils n’allaient pas aimer ce qui allait suivre.

Ils avaient raison.


— Et donc, fit la commandante en brandissant une
petite lamelle de cristal, j’ai reçu sa réponse : elle nous
interdit absolument et formellement de nous mêler de cette
histoire et elle désire que vous quittiez, que nous quittions,
plus précisément, immédiatement le sol d’AutreMonde, vu
qu’elle sait très bien que vous serez incapable de résister à
l’attrait du combat !
Chapitre 22
Magister
Ou comment faire du vaisseau-stop
et être très inquiet en voyant la tête
de psychopathe du conducteur.

Une comète rousse percuta la dragonne noire. Avant


d’avoir pu comprendre ce qui se passait, Chera se
retrouva avec deux haches posées sur son cou et une naine
guerrière assez mécontente au bout desdites haches.

— Chem, je vous la débite comment, celle-là ? En


tranches ou en dés ? gronda Fafnir, ses yeux verts
étincelant d’impatience.

La dragonne avait une folle envie de déglutir, mais vu


l’endroit où étaient posées les haches, même un simple
hoquet avait de grandes chances de la décapiter.

— Non, répondit Maître Chem après avoir laissé


passer un inconfortable moment de doute, histoire de
rendre la monnaie de son crédit-mut à la dragonne noire.
Ce n’est pas la faute de notre efficace capitaine de
vaisseau. Charm, ma chère et tendre épouse, depuis le
coup d’État, et la tentative d’assassinat et contre elle et
contre moi, a une légère tendance à l’autoritarisme. C’est
la fonction qui veut ça. Et le fait que nous nous aimons
d’une façon très déraisonnable pour des dragons...
Sylver qui avait écouté tout ce qui se passait avec son
habituelle attention polie se leva.

— Vous voulez dire, demanda-t-il aimablement à la


dragonne noire, que mon peuple, dont je suis l’un des
héritiers légitimes, puisque le fils de la princesse Amava,
fille du roi des dragons, refuse de venir en aide à l’humaine
qui a sauvé l’univers à plus de reprises que raisonnable, la
princesse d’Omois, l’Héritière, Tara’tylanhnem Duncan ?

La commandante cessa carrément de respirer. Elle


n’avait pas vu plus loin que le fait de mettre des griffes
dans les ailes[58] de Chem afin d’éviter de revenir à la Cour
du Dranvouglispenchir avec un dragon mort sur les pattes.
Elle n’avait pas pensé un instant à Tara. Elle sentit Fafnir
se crisper, mais Sylver intervint.

— Ma douce et magnifique bien aimée, veux-tu laisser


la commandante répondre ? La décapiter ne nous avancera
pas à grand-chose. Enfin à part devoir nettoyer le sang
partout sur les murs.

La naine garda le contact pendant quelques très


longues secondes, puis se désengagea. Ses haches
rejoignirent leur fourreau, mais elle resta debout, prête à
intervenir. La dragonne noire n’avait jamais eu à faire avec
les nains guerriers. Elle comprenait à présent pourquoi les
dragons se méfiaient d’eux, elle qui pensait que c’était une
légende grossièrement exagérée avait maintenant tendance
à penser qu’au contraire son peuple n’était pas assez
informé de la dangerosité de ces gens.

— Effectivement, fit-elle d’une voix un peu


tremblante en se tâtant le cou, qui, à sa grande surprise,
n’était même pas entaillé. Notre peuple tient plus à son
prince qu’à une humaine qui est probablement morte à
l’heure qu’il est. (Elle fixa Sylver de ses yeux dorés.) Votre
grand-tante, en revanche, me fait vous dire que vous
pouvez rester ici, elle n’y voit aucun inconvénient.

— Elle essaye toujours de récupérer ton héritage, celle-


là ? murmura Moineau à Sylver.

— Oui, soupira Fafnir en répondant pour son petit ami.


Ce n'est pas un boulet, cette vieille serpente édentée, c’est
une pyramide de boulets tout entière ! Qu’elle ferait bien
chauffer au rouge, histoire de se débarrasser de son
encombrant petit-neveu. J’en connais une qui va finir en sac
à main, si elle continue !

Sylver sourit, mais ne dit rien. Le magnifique jeune


homme aux longs cheveux de toutes les couleurs de l’or et
à la peau si pâle n’était pas à l’aise avec ses parents
dragons. Et encore moins avec ceux qui essayaient de le
tuer.

— Je crois, commandante, qu’il est à présent temps


pour vous de nous quitter, fit-il aimablement. Nous avons
une action importante à mener afin de sauver notre amie
et comme vous ne participez pas, vous seriez une gêne
plutôt qu’autre chose. Maître Chem, en revanche, vos
précieux conseils sont les bienvenus.

La commandante toisa Sylver d’un air pensif, mais un


regard sur les haches de Fafnir la dissuada d’insister.

De plus, elle avait oublié que le jeune demi-dragon était


plus élevé hiérarchiquement qu’elle et plus puissant
physiquement sous sa forme de dragon blanc.

C’était crispant aussi, ces gens qui ne restaient pas


sous leurs formes naturelles, comment elle s’y retrouvait,
elle ?
Elle se retira donc en grommelant, furieuse. Maître
Chem ferma la porte derrière elle et sourit à Sylver.

— Merci, c’était très gentil de ta part, mon garçon,


mais je pouvais me défendre tout seul, tu sais !

— Vous opposer directement à votre femme m’a


semblé peu diplomate, répondit Sylver en lui retournant
son sourire. Elle ne m’en voudra pas, à moi.

Chem soupira et se laissa tomber dans le fauteuil qui


l’avait suivi. Il fixa les plaines ondoyantes de Selenda et dit
:

— La politique ! (Dans sa bouche, ça sonnait comme un


juron.) J’ai l’impression de ne plus faire que ça
depuis quelque temps. À force d’éviter de marcher sur les
ailes des uns et des autres, je suis en train de me
transformer en fantôme. Et pour une fois que j’avais une
bonne raison de participer à une bagarre, boum, on me
l’interdit. C’est trop injuste !

S’il n’avait pas été aussi inquiet pour Tara, Cal aurait
éclaté de rire. Là, il se contenta d’esquisser un rictus,
réfléchissant intensément.

— Bon, on passe par les fichues portes de transfert


qui utilisent la fichue magie, proposa Fafnir. Dans dix
minutes, on peut y être, on a perdu assez de temps comme
ça, moi je dis.

— Tu as un plan, lui dit soudain Fabrice qui observait


Cal avec attention. Et je suppose que ce plan passe par le
père de Sylver ?

Fafnir leva des yeux verts surpris sur leur ami loup-
garou. Elle ne fut pas la seule.
— Quand nous avons appelé, expliqua le jeune
homme blond, j’ai entendu un grognement qui m’était
familier. Cal a dit que c’était Blondin, mais les seuls qui
grognent comme ça sont mes congénères garous. Et
comme Cal n’a aucune raison de cacher qu’il parle à notre
président ou l’un des membres de son gouvernement, j’en
ai déduit que tu parlais avec Magister[59], Cal ?

Cal hocha la tête, étonné par l’astucieuse déduction de


Fabrice.

— Oui. Il veut retrouver Selenba et la délivrer.

Moineau plissa les yeux.

— Et tu comptais nous en parler quand ?

— En fait, je comptais l’appeler et lui demander de


venir nous chercher. Et vous en parler à ce moment-là.
Parce que la commandante a raison. Face à des tanks, nous
ne faisons pas le poids. Si délivrer Tara risque de tous nous
faire tuer, ça n’a pas un grand intérêt. Et nos sorts, contre
des tanks menés par des NM, risquent de ne pas
fonctionner. Donc, oui, nous avons besoin d’armes lourdes,
donc oui, comme nous n’avons plus celles des dragons,
nous allons prendre celles des Sangraves !

Un long silence plana au-dessus d’eux et il portait un


masque miroitant.

La porte s’ouvrit et ils sursautèrent. C’était Robin qui


arrivait enfin, vêtu de camélin bleu, ce qui faisait ressortir
ses yeux de cristal. Voyant la tête qu’ils faisaient, il
demanda ce qui se passait. Ils lui expliquèrent rapidement,
encore sous le choc.
— Sérieusement? s’exclama Robin. Mais on peut
aussi passer par les portes de transfert et, encore mieux,
on pique un vaisseau démon à ton beau-frère ! Pourquoi
veux-tu risquer nos vies en t’alliant avec Magister ?

— Parce qu’il est implacable, qu’il veut Selenba et


qu’il est prêt à tout pour la retrouver. Archange et Mara ont
les mains liées par la diplomatie, exactement comme
Lisbeth ou Maître Chem. Nous devons agir en électrons
libres. Qui plus est, les vaisseaux de Magister ne dépendent
pas de nonsos, puisqu’il n’y en a aucun parmi les
Sangraves. Ils devaient être sortceliers pour être infectés
par la magie démoniaque de Magister. Personne ne pourra
donc trahir ce que nous sommes en train de faire, comme
cela s’est sans doute produit pour Tara lorsqu’elle a pris la
navette ou ce qui pourrait se passer si nous passons par les
portes de transfert. Nous allons agir en silence et
discrètement. Faites-moi confiance.

Ses amis eurent de petites grimaces, mais, un à un,


acquiescèrent. Ils le suivraient dans sa démente
collaboration avec leur pire ennemi.

Une fois tout le monde d'accord, y compris le chaman


Herbes et la sage-femme Magrit, Cal appela Magister sur
le numéro que celui-ci lui avait donné un peu plus tôt.
Moineau et Fabrice frissonnèrent lorsque le masque
miroitant apparut devant eux.

— Vous avez des nouvelles ? gronda Magister, ne


s’embarrassant pas de politesses.

— En quelque sorte, sourit férocement Cal. Vous


faites quoi, vous et vos vaisseaux, dans les prochaines
vingt-six heures ?
Chapitre 23

Tara
Ou comment survivre en territoire ennemi, en
petit pagne, pieds nus et avec deux bébés dans les
bras.

Chavol vacilla. La vieille centaure ne s’attendait pas à


ce que le fou furieux lui tire dessus. Sur sa poitrine, une
fleur rouge s’étala, qu’elle regarda un instant, incrédule.
Puis ses pattes se mirent à trembler et elle s’écroula dans
l’eau, qui n'avait pas fini de s’écouler, éclaboussant Tara
qui eut tout juste le temps de préserver les bébés.

— Chavol ! hurla Tara.

Gueder les regarda pendant quelques secondes, puis


rengaina son arme et sortit. Tara posa ses bébés sur le lit
en les calant bien pour qu’ils ne tombent pas et se
précipita.

La vieille centaure perdait son sang à une vitesse


alarmante.

Et l’énorme blessure qui s’étalait sur son torse était


bien au-delà des compétences chirurgicales de Tara. Celle-
ci appliqua une serviette sur la plaie, serrant de toutes ses
forces afin d’arrêter l’écoulement. Mais le flot teinta si vite
la serviette qu’elle ne servit à rien.
— Chavol, Chavol ! Oh ! Mon Dieu ! Dis-moi que ton
cœur n’est pas dans ta poitrine, mais dans ton corps de
cheval ! Dis-moi que ce n’est pas grave !

Chavol lui sourit. Et ses dents étaient teintées de rouge.

— Je suis désolée, petite. Je ne vais pas pouvoir


continuer à t’aider.

Avant que Tara n’ait le temps de réagir, la tête de la


centaure bascula et ce fut fini.

Chavol était morte.

Tara éclata en sanglots. C’était arrivé si vite! L’instant


d’avant, elles riaient de ce qui était arrivé à Gueder, et
maintenant Chavol était morte.

Et elle ne pouvait rien faire. Tara était totalement


impuissante. Elle se leva, tremblante, et réprima l’immense
cri de rage qui voulait sortir. Elle ne pouvait pas. Ses
enfants ne devaient pas entendre la haine et la fureur qui
bouillonnaient en elle.

Elle agrippa les barreaux si fort que ses doigts


devinrent blancs. Elle resta ainsi pendant un long moment,
incapable de lâcher. Puis, avec des gémissements de
protestation, ses muscles se détendirent après avoir été si
crispés qu’elle savait qu’elle allait avoir des crampes
terribles dans le dos.

Tara n’avait que vingt-deux ans et se sentait vieille et


lasse. Elle se dirigea vers la douche et fit couler l’eau sur
son corps, fermant les yeux sous l’averse fraîche. Elle avait
du sang sur les mains et sur son pagne, elle se déshabilla et
lava le tout, puis se rhabilla alors que ses vêtements étaient
encore humides.
Elle termina de se sécher et essaya de positionner
Chavol afin de lui redonner un peu de dignité dans la mort,
mais le corps de la vieille centaure était tout simplement
trop lourd.

Bizarrement, Danviou et Celia ne pleuraient pas. Ils


auraient dû, pourtant, car l’écho des détonations avait été
violent. Mais ils observaient leur environnement avec leur
curiosité habituelle. Tara savait que l’ouïe des bébés était
mature dès leur naissance, contrairement à leur vue qui se
limitait à une trentaine de centimètres pendant les
premiers mois et, s’ils voyaient les couleurs, ils préféraient
les violents contrastes, mieux visibles pour eux. Ce qui était
curieux avec ses enfants, c’était qu’elle avait l’impression
bizarre qu’ils voyaient parfaitement et à de grandes
distances.

Puis l’un des petits se mit à piailler et Tara dut chasser


son chagrin. Elle ne connaissait Chavol que depuis peu de
temps, mais elle s’était attachée à la vieille centaure qui
l’avait aidée à accouches-. L’avoir perdue, d’une façon aussi
inhumaine, était un choc terrible. Elle dégrafa sa brassière
blanche et mit Celia à téter, pendant qu’elle caressait
Danviou en les berçant tous les deux.

Les choses venaient d’empirer.


Selenba se mit à planer. Avant de mettre le feu à la
forêt d’une façon très organisée afin de ne pas griller Tara
au passage, elle avait réussi à immobiliser trois des six
tanks en sabotant leurs chenilles. Les hommes de Gueder
auraient sans doute pu les réparer facilement, sauf que
lorsqu’un mur de feu vous fonce dessus, on a tendance à
s’enfuir, pas à penser aux meubles et aux tableaux... enfin
aux tanks en l’occurrence.

Elle avait également réussi à percer des trous dans les


réservoirs. Ce qui avait provoqué trois explosions
particulièrement réjouissantes.

Ce n’était pas elle qui en avait eu l’idée, mais la petite


pouliche qu’elle avait prise sous son aile, Fabra. La gamine
était une vraie geek, férue d’armes et d’informatique. Elle
connaissait parfaitement l’agencement des tanks, parce
qu’elle était abonnée à une revue militaire, et comment
utiliser la magie pour les saboter lorsque des NM n’étaient
pas dedans pour la neutraliser. Cela avait été très utile, car
la magie de Selenba n’était pas assez puissante pour venir
à bout des monstres toute seule et elle n’avait pas pu
utiliser les centaures, trop faciles à repérer, pour se faufiler
jusqu’aux tanks.

À présent, elle volait très prudemment vers le bâtiment


principal, sous sa forme secondaire de chauves-souris
aux yeux rouges. Elle se méfiait des nonsos qui avaient
peut-être été avertis des particularités des vampyrs, loups,
chauves-souris et parfois, pour les plus puissants d’entre
eux, fumée, et se déplaçait de façon à ne pas se découper
sur le ciel pâlissant.

Il y avait une petite fenêtre haute grillagée au-dessus


du laboratoire, que les nonsos laissaient constamment
ouverte même quand ils utilisaient la climatisation,
l’oubliant sans doute parce qu’elle était trop haute. C’était
vers cette petite fenêtre que Selenba se déplaçait avec la
lenteur d’un escargot arthritique, consciente que si les
nonsos la repéraient, elle risquait de se retrouver dans de
sales draps.

En présence de tant de nonsos NM, la magie ne


fonctionnait pas bien. Selenba, dont la peau tirait et
picotait, se coula contre le mur. L’aube serait bientôt là et
elle devait faire vite.

Ce que les nonsos ne savaient sans doute pas, se


croyant protégés par leur immunité contre la magie, c’était
que les formes secondaires des vampyrs ne dépendaient
pas de la magie, mais étaient inscrites dans leurs gènes.

À l’aide de ses griffes puissantes, elle se percha sur la


fenêtre. Elle allait parler lorsqu’elle vit qu’un garde était
présent. OK, elle devait att... Selenba faillit lâcher la grille,
écarquillant ses yeux rouges lorsqu’elle vit les deux bébés.

Et le cadavre.

Tara avait beaucoup réfléchi depuis la mort de Chavol.


Les prisons n’étaient pas inexpugnables. Il était toujours
possible de s’en évader, quelle que soit la faille, il y en avait
une, il suffisait de bien chercher.
Elle avait adoré lire Les Trois Mousquetaires.
Alexandre Dumas avait une façon unique de décrire les
sentiments et les actions de ses héros et de ses méchants.

Et Tara se souvenait particulièrement bien de Milady.

Milady était cruelle, mais c’était une fantastique


maîtresse manipulatrice. Lorsqu’elle avait été mise en
prison par le duc de Buckingham, elle avait réussi à s’en
sortir en séduisant le jeune garde de la prison.

En chantant. D’une voix pure et tendre. En montrant un


visage d’ange alors qu’elle était un démon.

Bon, Tara ne pouvait pas appliquer le même plan, hélas,


car elle chantait comme un crapaud en phase terminale.
Mais il y avait d’autres moyens.

Elle posa Danviou qui venait de terminer sa tétée à son


tour et se rhabilla, puis remit les bébés dans leurs
berceaux encore humides à cause de l’évaporation, mais
qui, avec la chaleur, séchaient déjà, et s’approcha des
barreaux, évitant le corps de Chavol.

C’était l’heure à laquelle les gardes lui apportaient son


repas. Au début, ils étaient plusieurs, car Gueder se
méfiait d’elle. Mais ils venaient de combattre toute la nuit
pour éteindre l’incendie et elle pariait qu’ils seraient moins
nombreux.

Aussi, sourit-elle lorsqu'elle vit l’unique garde qui


entrait, portant un plateau avec de la viande et des fruits.
Cerise sur le gâteau, c’était l'un des deux gardes dont elle
avait senti qu’il avait éprouvé du malaise lors de sa
conversation avec Gueder. Lorsqu’elle avait demandé à
Almandach pourquoi il haïssait tellement les sortceliers. Et
qu’il avait refusé de répondre. Tara avait bien vu que cela
avait troublé ses gardes.

Parfait.

Il était maculé de cendre et de suie. Il ouvrit la bouche,


mais elle l’interrompit d'un air affolé.

— Oh ! Mon Dieu ! fit-elle en anglais comme l’avait


fait Gueder sur le perron. Vous êtes blessé ?

Cela l'arrêta net. Tara vit, à son grand soulagement,


qu’il avait compris.

— Non, ça va, c’est juste de la cendre, répondit-il,


surpris, avec un fort accent français, que Tara reconnut
comme canadien.

— Vous êtes sûr ? insista Tara passant au français,


son magnifique visage vibrant d’inquiétude. Vous n’êtes pas
brûlé ? Jamais je ne pourrai pardonner à ces gens ce qu’ils
vous ont fait.

Le doute et la curiosité se disputaient sur le visage du


garde. La curiosité l’emportant d’une courte tête. Il
répondit également en français avec ce joli accent chantant
du Québec.

— Pourquoi ? Ces monstres sont vos amis, non ?

Tara s’affaissa gracieusement.

— Je les côtoie, alors je n’ai pas le choix, mais mon


chez-moi c’est sur Terre, là où j’ai été élevée, dans la
maison de ma grand-mère. Là où les gens sont normaux,
vont acheter leur pain, s'occupent des vendanges et de
leurs jardins. Là où il n’y a pas de démons, de folie et tous
ces monstres. Je voudrais tellement retourner sur Terre ! Je
déteste cette planète, je déteste la magie, et je suis très
contente d’être redevenue normale ! J’espère qu’elle ne
reviendra jamais ! Jamais !

Le garde était plutôt mignon. Pas très musclé, mais


avec un joli visage fin et des yeux marron clair, sous une
tignasse désordonnée de cheveux châtains. Il devait avoir
une trentaine d’années, maximum. Son espèce d’uniforme
noir était trop grand pour lui et si ce type était un soldat,
alors Tara était un concombre.

Tara leva son visage vers lui et laissa couler quelques


larmes. Elle devait faire attention, parce qu’elle
devenait rouge dès qu’elle pleurait et que son nez coulait.
Elle voulait être ravissante, pas ressembler à une harpie.

Le garde hésita.

Et soudain, elle le vit. Elle vit le moment où elle passa


du statut de monstre à celui de jolie humaine désemparée.
Le bon vieil instinct de protection des hommes venait de
fonctionner à plein.

Cependant, il était encore méfiant. Il désigna les bébés


de la tête.

— Vous n’aimez pas AutreMonde, et pourtant vous


avez eu des enfants avec un sortcelier.

Possessivité et une pointe de jalousie. Exactement ce


dont elle avait besoin.

— Qui m’a abandonnée, rectifia-t-elle vivement sans


contester. Qui ne m’a jamais épousée. Et qui à mon avis
n’est même pas à ma recherche, sinon il nous aurait
retrouvés depuis longtemps.
Elle laissa de l’amertume et de la peine affleurer dans
ses mots. Et paria sur l’origine du jeune homme qui
paraissait si mal à l’aise.

— Vous êtes terrien, vous aussi. Vous savez ce que c’est.


Un beau parleur. Des mots gentils. Je ne suis pas la
première à me faire avoir. Je ne voulais pas avoir d’enfants.
Pas si jeune ! Mon Dieu, j’ai tellement peur !

Elle s’affaissa un peu plus, pendant que ses superbes


yeux bleus se remplissaient encore de larmes, les faisant
étinceler comme des saphirs. Puis elle laissa son épaisse
chevelure lui recouvrir le visage en baissant la tête, comme
si elle voulait cacher ses larmes, tout en pensant qu’elle
allait finir en Enfer pour tous les mensonges qu’elle venait
de débiter.

Il fit glisser le plateau dans la fente prévue à cet effet.

— Mangez, dit-il doucement. Vous devez reprendre


des forces.

Elle ne bougea pas, comme si elle était trop anéantie


pour avoir la force de se lever et il finit par sortir lorsque
son talkie-walkie se mit à grésiller, l’appelant au-dehors.

La porte claqua et la jeune fille blonde s’autorisa à


relever la tête. Elle ne savait pas si ça avait vraiment
marché, mais elle pensait qu’elle méritait au moins un
oscar pour sa prestation.

Bon, d’un autre côté, c’était moche de manipuler


quelqu’un comme ça. Cela dit, ce n’était pas elle qui avait
commencé les hostilités. Elle n’enfermait personne, elle, et
voulait vraiment vivre en paix avec Cal et les enfants.

— Tara, fit soudain une petite voix. Tara !


Tara leva brusquement la tête. Elle rêvait où elle venait
d’entendre une voix étrange qui sortait de nulle part ?

— Tara ! La fenêtre ! En haut !

C’est alors que Tara vit la chauve-souris, agrippée à la


grille.

Vu qu’elle avait les yeux rouges et des crocs, il n’était


pas bien difficile de deviner que c’était Selenba. La vampyr
avait l'air agitée. Sous cette forme, Selenba n’était pas
assez forte pour faire sauter les barreaux, mais au moins,
elle pouvait lui parler.

— Tu as accouché ! Je t’avais dit que...

— Selenba! l'interrompit Tara en chuchotant,


sachant que l’ouïe de Selenba était extraordinaire, tout en
faisant de grands gestes. Va-t'en, ils risquent de te
surprendre ! Il ne faut pas qu’ils t’attrapent ! Tu es notre
meilleure chance de sortir intactes de cette horrible
histoire !

Elle se souvint de ce qu’elle avait déclaré au garde et


rougit.

— Ah, et au passage, pardon pour le couplet sur les


méchants monstres !

La chauve-souris siffla avec irritation.

— On s’en fout. Et après tout, nous sommes bien


des monstres, je mange des gens. Sauf que ce type ne
comprend pas que nous sommes tes monstres à toi. OK,
vite, dis-moi ce qui s’est passé. Ta magie ?

— Toujours aux abonnés absents.


La chauve-souris couina. Tara soupira.

— Oui, je sais, c’est nul. Comme tu le vois, Gueder a


tué Chavol. Parce que vous avez mis le feu, qu’il était
furieux que ses hommes soient blessés et d’avoir perdu
plusieurs de ses tanks. Il s’est vengé sur elle. (Tara marqua
un petit temps, revivant la stupeur et la douleur.) Je n’ai
rien pu faire.

La chauve-souris gronda et c’était bizarre d’entendre ce


son sortir de ce petit corps velu et noir.

— Slurk ! Écoute, nous avons inscrit un SOS en lettres


de feu. Avec ma signature vampyr. Quelqu’un devrait venir
voir ce qui se passe. On va très vite te délivrer, mais Tara,
s’il te plaît, évite de provoquer ce dingue, d’accord ?

Tara chuchota, pressante :

— Selenba, non. Nous n’avons pas le temps


d’attendre. Il faut que vous agissiez le plus vite possible.
Gueder est totalement instable, il peut s’en prendre à mes
enfants d’un moment à l’autre. Je n’ai pas le luxe
d’attendre. Je déteste dire ça, parce que cela va mettre ta
vie et celle des centaures en danger, mais j’ai vraiment
besoin de votre aide. Ah, et si les secours te trouvent en
premier, dis-leur que Gueder a parlé d’« elles » en disant
qu’« elles avaient tort ». Je crois que des femmes aident
Almandach.

Selenba ne voyait pas très bien comment ça allait les


aider, mais bon, elle fit tout comme.

— Très bien. On va accélérer les choses. Après tout,


nous avons déjà commencé, autant continuer dans la
foulée.
— À vite, Selenba, et fais attention.

La chauve-souris inclina la tête et s’envola. Tendue,


Tara attendit les cris et les coups de feu qui signaleraient la
découverte de Selenba, mais un silence uniquement troublé
par les arbres qui craquaient en refroidissant fut tout ce
qu’elle entendit.

Elle se décontracta. Les enfants s’étaient endormis. Elle


en profita pour laver les couches qu’elle venait de changer
et les étendit, avant de boire autant qu’elle le
pouvait. Produire du lait, c’était bien gentil, mais elle
devait absolument s’hydrater si elle voulait pouvoir tenir le
rythme. Sa plus grande hantise, c’était de ne plus en avoir
assez pour nourrir ses enfants.

— Cal, murmura-t-elle avant de se coucher à son tour


pour grappiller quelques instants de sommeil. Cal, je t’en
prie ! Retrouve-nous !

Hélas, quelque temps plus tard, lorsque Tara ouvrit les


yeux, réveillée par les bébés qui gazouillaient, Cal
n’était pas là et, en dépit de la climatisation que les nonsos
avaient rétablie, le cadavre de Chavol commençait à se
décomposer.

Un des gardes entra, l’air furieux, propre, même si des


traces de cendre ornaient encore une de ses oreilles.
Ce n’était pas, hélas, le garde terrien avec qui elle avait
parlé.

Celui-là était originaire d’AutreMonde et il avait l’air


cruel et vindicatif, une assiette à la main. Ce qu’ils
donnaient à leurs prisonniers était nourrissant, mais ce
n’était pas bon, loin de là. Tara l’apostropha d’une voix
douce :
— Sieur? Pourriez-vous dire à Sieur Almandach que
je l’implore de donner une sépulture décente à mon amie
la centaure. S’il vous plaît ?

Le garde éclata d’un rire gras :

— Tu as peur que ça schlingue, mutante ? Ça ira bien


avec ton odeur puante !

Tara s'abstint de faire remarquer que des deux, c’était


plutôt lui qui puait. Elle avait compris. Ne pas défier ses
interlocuteurs lorsqu’ils étaient capables de tuer aussi
facilement. Ses enfants étaient trop fragiles, trop précieux
pour qu’elle coure le risque.

Mais par tous les dieux d’AutreMonde, ce que c’était


difficile !

Le garde posa l’assiette dans le compartiment destiné à


la faire glisser de l’autre côté et Tara la prit, après avoir
rendu le plateau précédent. Génial, encore des haricots
blancs à la tomate, avec une petite tranche de viande et
une pomme violette.

Voyant que Tara se contentait de s’asseoir et de manger


sans rien dire d’autre, les yeux baissés, modeste et
silencieuse, le garde partit.

Gueder avait dû se dire qu’il n’avait pas envie de


respirer un air vicié, car, quelques instants plus tard, six
gardes vinrent sortir le corps de la pauvre Chavol.

Lorsqu’un garde toucha la cage pour l’ouvrir, Tara


sentit une sorte de pression dans ses oreilles et fronça les
sourcils, gênée.
L’un d’entre eux tint Tara en joue pendant que les cinq
autres ahanaient. Le garde dont elle ne connaissait pas
le nom n’était pas parmi eux.

Tara savait qu’elle aurait pu se débarrasser du type qui


la menaçait en un clin d’œil. Mais handicapée par les
bébés, elle ne pouvait pas se battre et les protéger en
même temps. Et puis il y avait les cinq autres, sans
compter ceux qui étaient dehors.

Parfois, lui disait l’Imperator lors de leurs leçons de


stratégie, le plus difficile, c'était d’attendre. Le bon
moment était la clef.

La jeune fille blonde resta donc sagement dans un coin


de sa cage. Ils sortirent et la refermèrent. La pression
dans les oreilles de Tara fit comme une sorte de petit clac
et elle déglutit comme si la cage était sous pression. Ce fut
désagréable l’espace d’un instant, puis cela passa.

Elle réfléchit et parvint à la conclusion qu’elle devait


reconstituer ses forces. Elle n’allait pas se laisser tuer
comme Chavol, du moins pas sans combattre.

À partir de cet instant, Tara décida de se remettre en


forme. Pendant les derniers jours, elle avait été trop
émerveillée et angoissée pour penser à elle, mais elle
devait se reprendre. Elle s’occupa des bébés, joua un peu
avec eux, les fit rire en les chatouillant, leur fit prendre un
bon bain frais en improvisant avec une bassine et la
douche, mais au lieu de dormir lorsqu’ils se rendormirent,
elle commença des exercices.

Tout doucement d’abord, parce que ses muscles étaient


rouillés de ne pas avoir travaillé pleinement depuis
quelques mois. Puis petit à petit elle s’échauffa et
commença à virevolter dans la cage, tout en portant des
coups puissants.

Lorsqu’elle sentit, une heure plus tard, qu’elle fatiguait


vraiment, elle s’arrêta, prit une douche et décida de dormir
un peu. Normalement, faire du sport était
déconseillé lorsqu’on voulait s’endormir à cause des
endorphines produites pendant l’effort, mais elle glissa
dans le sommeil facilement.

Lorsqu’elle se réveilla, la nuit était en train de tomber


et Gueder était là, devant sa cage.

Et il avait un masque à oxygène sur le visage.

Tara sursauta, instantanément réveillée.

En fait, non, ce n’était pas un masque, c’était carrément


une combinaison. Et toutes les fenêtres du laboratoire
étaient fermées, y compris celle qui se trouvait en haut et
par laquelle elle avait pu parler avec Selenba.

La jeune fille se leva d’un bond et se tint entre Gueder


et ses bébés.

Gueder ricana derrière son masque. Sa voix était


filtrée, mais la haine qu’elle contenait suintait comme une
mauvaise onde.

— Inutile d’essayer de les protéger, mutante. Nous


venons de libérer le virus dans le laboratoire.

Les bébés étaient bien réveillés à présent et


gazouillaient joyeusement. Tara dut lutter contre
l’impulsion qui la poussait à couvrir le nez et la bouche de
ses enfants avec des linges. Elle savait parfaitement que
cela ne servirait à rien.
Mais l’espace d’un instant une terreur absolue,
primitive la submergea, au point qu’elle vit des points noirs
obscurcir son regard. Elle mit quelques secondes à
comprendre qu’elle avait arrêté de respirer.

Elle dut inspirer, elle n’avait pas le choix, tout en


sachant que des milliards de virus pénétraient dans ses
poumons en même temps, au point qu’elle en avait envie de
vomir.

Ils allaient mourir. Ses enfants et elle allaient mourir.

Elle tourna le dos à Gueder. Alla prendre ses bébés


dans leur berceau et les cala contre elle en s’allongeant,
toujours dos à Gueder. Puisque c’était la fin, Tara, Danviou
et Celia allaient partir ensemble.

— Mes amours, murmura-t-elle doucement,


d’OutreMonde, nous allons veiller sur papa, pas vrai ? On
va s’occuper de lui et lui envoyer tout notre amour, parce
qu’il va être très, très triste pendant longtemps de nous
avoir perdus. Et si l’horrible type arrive à propager son
virus, peut-être que papa va venir nous rejoindre et on
vivra tous très heureux là-bas, avec papy Danviou et mamie
Selena.

Tara voulut s’en empêcher, mais les larmes


commencèrent à couler, lentement, pendant que,
tranquillement blottis contre leur maman, les bébés
s’apaisaient, que leur souffle ralentissait, comme celui de
Tara.

Et un silence de mort tomba sur le laboratoire.


Le temps semblait suspendu.

Et pourtant, il passait.

Quelques secondes s’écoulèrent. Gueder était agacé,


Tara ne bougeait plus, pas plus que ses enfants.

Il commença à ricaner lorsqu’un chant d’oiseau


l’interrompit net.

Dans l’une des cages, l’une des oiseaux, une perruche


multicolore, venait d'entonner son chant joyeux, repris
par les autres oiseaux, pendant que les animaux
prisonniers semblaient sortir de la frayeur qu’avait sans
doute provoquée Gueder avec sa combinaison.

Gueder tourna la tête vers les cages, stupéfait. Le virus


aurait dû tuer tous les animaux, tout autant que la
sortcelière et ses maudits enfants.

Soudain, comme commandés par une manette invisible,


le laboratoire s’emplit de cris et de chants.

Gueder regarda la cage principale et grinça des dents.

Celle qu’il croyait morte se redressa lentement, ses


bébés gazouillant dans ses bras. Très calme, elle les remit
dans leur berceau.
Puis elle se tourna vers Gueder.

L’intensité de la haine qui flamboyait dans les yeux bleu


marine fit reculer le nonsos.

— Qu’on s’en prenne à moi, murmura Tara, le


visage crispé, avançant jusqu’aux barreaux, c’est de bonne
guerre, je suis sortcelière, Héritière, je suis un danger, je
l’accepte. Mais s’en prendre à mes bébés, c’est d’une telle
lâcheté que je n’ai même pas de mots pour cela.

Elle tendit le doigt vers Gueder. Sa voix était froide et


sans passion.

— Vous allez mourir, Gueder Almandach. Cela va


me prendre sans doute un peu de temps, mais je vais
débarrasser cette planète de votre carcasse malfaisante.

Elle lui sourit soudain et Gueder se sentit mal à l’aise,


car il avait vu des images de la Reine Noire lorsque celle-ci
avait conquis Tingapour et, à part la taille et la couleur des
cheveux, Tara lui ressemblait d’une façon frappante juste à
ce moment.

Il avala sa salive et le micro de sa combinaison


retransmit son murmure sans doute sans qu’il s’en rende
vraiment compte.

— Je ne comprends pas, marmonna-t-il, elles avaient


dit que ce serait immédiat !

Il jeta un dernier regard mauvais vers Tara, puis sortit


de son habituel pas rageur, quoique plus hésitant,
encombré par la combinaison.

Tara se pencha sur les berceaux.


— Vous savez ce qui serait bien, les enfants ? dit
rêveusement Tara à ses bébés en les caressant tendrement.

Celia et Danviou semblèrent émettre un gazouillis


interrogateur.

— Ce qui serait bien, ce serait qu’il crève d’une crise


cardiaque à force de nous haïr, noyé dans son fiel et sa bile.
Et vous savez quoi ? Nous allons nous occuper de lui, hein,
mes chéris d’amour ? On va tuer le méchant tyran !

Bon, ce n’était peut-être pas la meilleure façon d’élever


des enfants, mais d’une part ils n’avaient que quelques
jours et ne comprenaient sans doute pas ce qu’elle disait,
et, d’autre part, jamais de sa vie, même lorsque sa mère
était morte, Tara n’avait haï quelqu’un à ce point.

La jeune fille blonde commença à s’occuper de ses


enfants et alors que son cerveau s’activait pour trouver une
façon de sortir de ce piège, une interrogation tournoyait
dans son esprit.

Il avait dit « elles ». Pour la seconde fois.

Mais qui étaient-« elles » ?


Selenba s’éloigna et, une fois suffisamment loin, atterrit
puis se transforma en un loup silencieux, à la fourrure
rouge et féroce.

Elle aimait bien voler, mais avec la faune agressive


d’AutreMonde, se balader sous la forme d’une sorte de
souris volante, c’était s’exposer assez vite à de gros ennuis.

Sa seconde forme, le loup, était suffisamment


imposante pour que les animaux y regardent à deux fois
avant de l’attaquer. Enfin, à part les krakdents qui
n’avaient absolument aucun instinct de survie et de toutes
les façons essayaient toujours de manger tout ce qui
bougeait.

Elle avait même vu un krakdent, agrippé à la patte d’un


draco-tyrannosaure qu’il s’efforçait de dévorer, pendant
que la petite cervelle du draco essayait de comprendre ce
qui se passait.

La suite avait été passablement sanglante. Surtout pour


le krakdent qui n’avait pas été assez intelligent pour lâcher
la patte qu’il mâchouillait allègrement.

Elle resta donc prudente. Sur sa nuque, la changeline


qui s’était faite toute petite pendant son vol se développa
un peu plus. C’était fou comme Selenba s’était vite
habituée à ce que l’entité magique lui fournisse tout ce
dont elle avait besoin. Elle l’aurait bien rendue à Tara, si la
cage en fer d’Hymlia n’empêchait pas la changeline de
fonctionner. Là, elle ne lui aurait pas servi à grand-chose.

— Brolk de slurk! fit la louve rouge en commençant


à trottiner vers la caverne, Tara a accouché ! Ça, c’est la
tuile. Comment on va faire, pour les bébés ?
Cela dit, en réalité, cela ne changeait rien. Faire courir
une femme enceinte jusqu’aux yeux ou une femme
portant des bébés, dans tous les cas de figure, c’était
compliqué. Selenba se consola en se disant qu’elle pourrait
toujours porter les bébés, elle, afin de permettre à Tara de
courir plus vite.

Ce qui l’ennuyait le plus, c’était qu’elle était incapable


de savoir combien de temps les secours allaient mettre
pour débarquer.

Sans compter qu’elle sentait que son ventre la tiraillait.


Normalement, elle n’était pas très loin de son terme,
elle non plus, mais elle avait fermement expliqué à la
crevette qui dormait dans son ventre que ce n’était pas du
tout le moment de sortir.

— Chavol est morte, dit-elle en entrant dans la


caverne après s’être retransformée en vampyr et que la
changeline l’eut habillée d’un pantalon sombre et d’une
chemise noire. Gueder l’a tuée.

Les centaures grondèrent. La majorité d’entre eux ne


connaissaient pas la vieille centaure, mais elle faisait
partie des leurs. C’était une mort de plus à ajouter à
l’addition de Gueder Almandach. Il allait payer cher.

— Et Tara ? demanda Fabra, la jeune pouliche qui


aimait les armes, les tanks et tout ce qui produisait des
gros boums.

— Elle va... (Selenba allait dire «bien»,


machinalement, mais elle rectifia) pas trop mal, elle a
accouché.

Elle vit l’espoir revenir sur les visages des centaures et


s’empressa de le doucher.
— Elle est en train d’essayer de trouver une solution
pour s’évader, mais, pour l’instant du moins, sa magie n’est
absolument pas revenue.

Il y eut un silence désolé et les visages s’affaissèrent.

— Slurk ! jura l’un des jeunes centaures. Sans sa magie,


elle n’est qu’une humaine très ordinaire ! Elle ne pourra
jamais nous sortir de là !

Selenba le foudroya du regard.

— Exactement. Pour une fois, ce n’est pas Tara


Duncan qui va sauver les autres, mais les autres qui vont la
sauver. Ces NM maudits ont gagné la première manche en
nous capturant. Nous avons gagné la seconde en nous
évadant. Ils ont gagné la troisième en capturant Tara de
nouveau. Nous venons de gagner la quatrième en les
privant d’une grosse partie de leur armement. Il est temps
que nous prenions ce foutu complexe à l’assaut, pendant
qu’ils sont fatigués, parce que Tara a raison. Nous ne
pouvons pas attendre les secours. Nous devons agir tout
seuls.

Elle sauta sur un très gros rocher et écarta les bras,


toisant les centaures et les deux licornes puis s’écria :

— Qui veut mourir avec moi ?

Les centaures la regardèrent d’un air perplexe.

— Euh, excusez-moi, dit l’un d’entre eux au bout


d’un moment, mais ce n’est pas plutôt « qui veut se battre
avec moi ? ». Parce que mourir, en fait, on préfère éviter.

Selenba hocha sa tête blanche. Ah. Elle n’était pas tout


à fait au point dans son discours.
— Oui. Effectivement. Donc, qui veut se battre avec moi
?

Il y eut un silence pesant. Les centaures étaient en train


de réfléchir et chez eux, c’était un processus qui prenait
un peu de temps.

Fabra s’avança, après avoir lancé un regard agacé aux


autres.

— Je ne sais pas me battre, mais je sais réfléchir.


Enfin, plus vite qu’eux. Je veux aider. Dites-moi ce que je
dois faire.

— Tu as été d’une grande aide pour neutraliser les


tanks, répondit Selenba avec un sourire sauvage qui
dévoila ses crocs. Est-ce que tu serais aussi bonne pour les
voler ?
Chapitre 24
Cal
Ou comment tenter de passer inaperçu

au milieu de tas de gens qui vous en veulent et

qui, malheureusement, vous reconnaissent


parfaitement.

Ce que Cal n’avait pas envisagé, en montant sur le


vaisseau noir de Magister, c’était qu’il était piloté par des
Sangraves et que donc il y en avait partout.

Ce qui était logique à défaut d’être pratique.

Pour ne pas être reconnus, les Sangraves portaient tous


le même type de masque que Magister. Qui pouvait, à
volonté, refléter leurs émotions.

Et tous viraient au rouge au fur et à mesure de la


progression du magicgang et des deux médecins[60] dans
les coursives, tandis qu’un murmure haineux les
accompagnait.

Au point que Moineau avait les griffes qui poussaient et


se sentait des envies de transformation, que l’arc de
Llillandril de Robin s’était spontanément matérialisé à ses
côtés, que Fafnir avait ses mains sur ses haches et que
Fabrice reniflait avec méfiance, à deux doigts de prendre sa
forme de loup géant.

Seul Sylver semblait insensible à la tension.

Pourtant ses relations avec son père n’étaient pas les


plus cordiales du monde. Après tout, ce dernier l’avait tué
afin de le transformer en fantôme. Même si le jeune demi-
dragon était revenu ensuite, il n’avait jamais oublié la
trahison et l’atroce agonie glacée. Fafnir se demandait
donc à quoi pensait l’homme qu'elle aimait alors qu’ils
fendaient la foule des Sangraves hostiles.

Le Sangrave qui les avait accueillis lorsque la navette


du vaisseau s’était discrètement posée en rase campagne
les avait ensuite conduits au poste de commandement du
grand vaisseau où Magister les attendait.

Lui non plus n’avait pas prévu que les Sangraves, que le
magicgang avait vaincus à de nombreuses reprises,
pouvaient avoir une dent contre eux. Et donc son masque à
lui virait plutôt au vert bilieux de la trouille intense. Parce
que, si les invités du patron se faisaient attaquer, blesser
ou pire tuer avant d’arriver chez Magister, la survie du
Sangrave allait être de l’ordre de la nanoseconde.

Dès qu’ils avaient embarqué, Magister avait donné


l'ordre de diriger l’immense navire vers Viridis et, par
certains des hublots des salles ou des couloirs qu’ils
traversaient, ils pouvaient voir l’immense planète bleue et
rouge rouler sous leurs pieds. Fafnir n’aimait pas
spécialement voler — les nains étant particulièrement
denses, lorsqu’ils tombaient, cela faisait de gros trous dans
le sol —, mais elle devait reconnaître qu’AutreMonde était
magnifique vue d’aussi haut.
Enfin, le Sangrave les fit entrer dans un ascenseur qui
les amena jusqu’à son chef. La porte s’ouvrit sur le poste
de commandement. Assis dans le fauteuil du pilote, se
tenait Magister.

Le Chef des Sangraves les surprit. Il n’était pas habillé


de son habituelle robe de sortcelier gris foncé, mais vêtu
d’une armure complète de combat qui soulignait ses
épaules puissantes et ses cuisses très musclées.

Bien sûr, il n’avait pas pu résister au cliché et une cape


rouge pendait sur ses épaules, accompagnant ses gestes
avec une emphase gonflée lorsqu'il se leva et s’avança d’un
pas énergique pour les accueillir. Fabrice, qui haïssait
Magister, ne put s’empêcher de ricaner. Il devrait envoyer
la vidéo des Indestructibles à Magister, avec Edna Mode et
ses « no cape ! » hystériquement furieux.

— Rassurez-moi, vous n’allez pas atterrir avec ce


veau? ironisa Fafnir en désignant l’énorme vaisseau, car,
contrairement à son ami terrien, elle n’avait pas peur de
Magister.

Le Sangrave tourna la face aveugle de son masque vers


la petite naine rousse.

— Non, Fafnir Forgeafeux, répondit-il d’un ton amusé,


je ne vais pas atterrir avec ce veau, comme vous dites.
Nous allons prendre l’un des escorteurs de combat.

La naine écarquilla ses yeux verts, pendant que Bel


crachait sur son épaule.

— C’est presque pareil ! Il va s’enfoncer sous le poids !

— C’est exact, répondit Magister avec satisfaction. Il


va bien s’enfoncer et ce sera volontaire, Fafnir Forgeafeux.
Car nous allons nous poser au fond de la mer !

En réalité, ce n’était pas tout à fait exact. Ils allaient se


comporter comme une sorte de sous-marin spatial, se
tenant entre deux eaux. Donc ne pas se poser du tout.

Il y eut un court silence. Puis Moineau hocha la tête.

— Oui, c’est intelligent. Viridis est un royaume côtier,


donc nous poser dans l’eau nous permettra de nous
dissimuler.

Contrairement au vaisseau dragon ou au vaisseau


démon d’Archange, les vaisseaux de Magister étaient
l’objet d’une saisie sur AutreMonde, même si,
officiellement, Magister avait été pardonné puisqu’il avait
sauvé la Terre et AutreMonde, les démons lui avaient
demandé de rendre leurs vaisseaux, notamment ceux
portant les fameuses machines voleuses d’âmes.

Et bien sûr Magister avait refusé.

Du coup, il était redevenu hors la loi, position qu’il


semblait particulièrement apprécier.

Le magicgang n’aimait pas Magister. Ils avaient tous


beaucoup souffert à cause du psychopathe. L’avoir de leur
côté était l’un de ces retournements de situation dont
l’homme avait le secret, d’autant que ce n’était pas la
première fois.

Mais cela leur faisait quand même bizarre.

Comme Cal avant eux, ils découvrirent le chef de


guerre qu’était Magister. Il étudiait toutes les possibilités,
même les plus improbables, et les éliminait les unes
derrière les autres jusqu’à ce que le plan tienne
parfaitement la route.

C’était à se demander comment le type n’avait pas


encore conquis le monde, vu sa méticulosité et son
indéniable intelligence.

En voyant les Sangraves autour de lui, empressés,


pathétiquement désireux de plaire, Cal se dit que Magister
n’avait jamais réussi, parce qu’il n’avait probablement
jamais permis à ceux qui travaillaient pour lui de faire
preuve d’initiative. Que la moindre erreur était
immédiatement punie. De mort en général, et si ce n’était
pas la mort, c’était sans doute suffisamment désagréable
pour que les candidats décident d’aller voir ailleurs si un
autre méchant était disponible. Cal et Tara avaient vu le
dessin animé, Moi, Moche et Méchant, avec les minions,
qui les avaient fait hurler de rire. Les Mangeurs de Boue,
les Sangraves, étaient les minions de Magister et,
franchement, ils n’étaient pas plus efficaces.

Cal ferma les yeux un instant. Il ne devait pas. Il ne


devait pas penser à Tara. À l’amour immense qu’il lui
vouait. À tout ce qu’ils avaient partagé pendant des années
comme amis, puis comme compagnons. S’il arrivait quelque
chose à la jeune femme, Cal n'était pas sûr qu’il réussisse à
survivre.
Bizarrement, Sylver, qui était auparavant si désireux de
parler avec son père, resta totalement silencieux pendant
tout le trajet et les discussions que les autres avaient avec
son père. Il avait attaché ses magnifiques cheveux d’orge
grillé, d’or pur et d’automne flamboyant qui lui
descendaient jusqu’au creux des reins, son visage était pâle
et grave, et ses yeux d’un vibrant vert doré restaient
vigilants.

Pendant que Magister et Cal étudiaient encore une fois


toutes les données afin d’essayer de comprendre où
pouvaient bien se trouver les tanks, Selenba et Tara, Fafnir
regardait son amour d’un air soucieux.

— Sylver, finit-elle par dire d’un ton doux, étrange


tonalité pour la naine habituellement si rugueuse, tu es
bien silencieux. Tout va bien ?

S’il ne lui parlait pas, Sylver ne quittait pas son père


des yeux.

— Je ne lui fais pas confiance, dit doucement le demi-


dragon. Chaque fois que je suis en sa présence, j’ai
quelque chose, au fond de moi, qui se hérisse. Je pensais
que c’était à cause de sa magie démoniaque, mais il n’en a
plus. Donc ce n’est que lui. Cet horrible noyau de mal qui
suinte au fond de lui, ça ne vient pas d’ailleurs.

Fafnir allait hausser les épaules, lorsque le regard


soucieux de Sylver l'arrêta.

— Nous allons le surveiller, dit-elle sincèrement, et


s’il fait quoi que ce soit de travers, je lui trancherai un bout
de quelque chose le temps de le neutraliser et on lui
recollera s’il est bien sage.
Sylver la regarda un instant, interloqué, puis il éclata
d’un rire si joyeux, si étonnamment frais que tout le monde
s’arrêta dans l’immense salle noire du vaisseau.

— Nous avons dit quelque chose de particulièrement


amusant, mon fils ? fit soudain Magister.

Sylver se redressa.

— Je ne suis pas votre fils, dit-il d’une voix claire et


encore amusée. Et non, ce n’était pas vous, c’est Fafnir.
Elle a une vision tellement claire des choses !

Le masque de Magister fonça.

— Comment ça, tu n’es pas mon fils ?

— Non. C’était ce que je pensais, avant, lorsque


j’essayais de me rapprocher de vous, essayant de trouver
grandeur et honneur dans un homme qui n’a pas une once
de l’une ou de l’autre : que le sang, la chair étaient le plus
importants, qu’ils définissaient ce que je suis et donc me
définissaient par rapport à vous, mon père.

Le demi-dragon croisa les bras, toisant Magister qu’il


dominait de quelques centimètres, ce qui devait, de l’avis
de Fafnir, agacer le Sangrave.

— Et vous m’avez tué, puis ma propre grand-tante


dragon a voulu me dépouiller et m’assassiner elle aussi,
pour mettre la patte sur un trésor dont je n’ai que faire, et
j’ai fini par comprendre. Ce n’est pas le sang qui compte,
c’est l’amour. L’affection. La tendresse. J’ai eu tout cela
avec mes parents adoptifs nains, qui m’ont aimé, chéri et
inculqué tout ce que doit savoir un nain valeureux, un
homme valeureux ou même un dragon valeureux. J’ai
encore plus cela avec ma compagne qui m’aime d’une façon
si inconditionnelle que je n’ai pas encore trouvé de mots
pour qualifier son amour. Alors, non, vous n’avez gagné en
rien le droit de m’appeler votre fils. Veuillez me nommer
par mon nom, Sangrave. Je suis le Guerrier, je suis
l’implacable, je suis Sylver Claquétoile !

Le jeune demi-dragon se calma et termina tout


doucement.

— Et c’est pour cela que je riais. Parce que j’ai tout


cela, et que vous, vous n’avez rien.

Magister se redressa lentement. Puis ses deux mains


gantées claquèrent l’une contre l’autre avec force, faisant
tressaillir le magicgang et les Sangraves, pour
recommencer encore et encore jusqu’au moment où les
Sangraves tétanisés de trouille finirent par comprendre que
Magister applaudissait.

— Très joli discours, vraiment, fit la voix de velours. À


un moment, j’ai presque failli entendre des trompettes,
tellement c’était martial. Je pourrais répliquer que tu as
tort et blablabla, mais en fait, je n’ai que faire de ce que tu
penses, alors je t’accorde une faveur. Je ne vais pas te tuer
pour ton outrecuidance. Je ne vais même pas te faire
souffrir.

Son masque vira au bleu satisfait, comme toujours


lorsqu’il lui venait une idée particulièrement créative. Ses
Sangraves donnèrent l’impression de retenir leur souffle.

— Mais moi, à ta place, avant de faire de moi ton


ennemi, en oubliant bêtement que j’ai toujours du mal à
résister à un défi, je me souviendrais que, justement, tu
n’es plus seul. Et qu’il est vraiment très facile de faire
souffrir quelqu’un en s’attaquant à ceux qu’il aime.
Le masque se rembrunit, tirant vers le gris, qui, pour le
coup, n’était pas le gris de la colère, mais le gris de la
tristesse.

— La souffrance, j’en sais quelque chose, termina


Magister en tournant son visage masqué vers Fafnir. Et si
je tue celle que tu aimes, tu souffriras bien plus que si je
m’en prenais à toi.

Magister avait été torturé, Amava, la mère de Sylver, la


dragonne que Magister aimait à la folie, avait été
assassinée. Sylver avait fini également par comprendre que
Magister s’était depuis longtemps noyé dans la splendide
beauté vénéneuse de la folie vengeresse et que rien ni
personne ne pourrait l’en faire revenir. Aussi, le demi-
dragon ne broncha pas. Il n’était pas assez suicidaire, lui,
pour attaquer Magister au beau milieu de son vaisseau.

Même s’il avait tout à coup une furieuse envie de se


mettre entre Magister et Fafnir.

Fafnir, absolument pas affectée, dégaina un sourire


joyeux et éclatant qui surprit Magister.

— Mon gars, fit-elle avec délectation, mes haches et


moi, on attend ça avec impatience. On adore que les gens
s’attaquent à nous.

Le masque de Magister ne broncha pas, mais ils eurent


l’impression troublante qu'il riait en dessous. Il se
détourna et recommença à se pencher sur la carte.

Moineau, Robin et Fabrice ne savaient pas s’ils devaient


être choqués, terrifiés ou amusés.

Le chaman et la sage-femme qui avaient assisté à toute


la scène avaient l'air, eux, totalement effarés.
— Je ne sais pas tout à fait de qui j’ai le plus peur,
murmura Magrit à Herbes. De la naine ou du Sangrave.

— Bah, répondit Herbes, philosophe, s’ils sont blessés,


ils saignent et ils hurlent. Notre boulot, c’est de les réparer.
Je ne vais pas chercher plus loin.

— Hum, grommela la vieille tatris, pas convaincue.

Ils amerrirent suffisamment loin des petites villes


côtières de la Viridis pour que personne ne se rende
compte de leur sombre présence, plongeant dans l’eau d’un
bleu cristallin, puis se rapprochèrent en restant
soigneusement sous les eaux, à cent batrolls de profondeur.

Les eaux des mers et océans d’AutreMonde ne


connaissaient pas la pollution, ce que, pour une fois,
Fabrice regretta en observant à quel point l’eau était claire,
même si, forcément, elle fonçait au fur et à mesure des
profondeurs. Il suffisait d’un bateau un peu curieux et ils
seraient découverts.

Ils se préparèrent donc rapidement, transformant leurs


armures en vêtements civils basiques et passe-partout.
Magister étant leur allié, pour cette fois-ci, ils ne
cherchaient pas à ce qu’il soit repéré.

Le Grand Chef des Sangraves les accompagnait. Il avait


revêtu l’aspect d’un guerrier blond aux étranges yeux
d’un violet sombre, dont la puissante musculature
détonnait dans son costume gris sombre bien coupé. Les
deux médecins restaient dans le vaisseau en attendant leur
retour.

Ils se contentèrent d’un petit transmitus aux


coordonnées fournies par Cixi pour se retrouver sur la
terre ferme, face aux bâtiments de la société de transport
de tapis Volauvent, à qui Gueder avait loué les tapis de
transport pour emporter ses tanks. Le patron, Tirol
Vintruch, les attendait à l’intérieur, dans la salle de réunion
de sa société.

C’était un gros homme à la peau sombre et aux yeux


pâles, à la calvitie prononcée, ne laissant qu’une
couronne de cheveux rouges délavés, ce qui était inhabituel
sur une planète où la magie pouvait régler ce genre
d’inconvénient et où, grâce à elle, la grande majorité des
gens étaient séduisants. Il portait une robe de sortcelier de
camélin brune à rayures blanches, légère afin de lutter
contre la chaleur écrasante dans cette partie du monde,
proche du désert des Salterens.

— Ma secrétaire m’a dit que vous vouliez me voir pour


un transport lourd, dit-il d’un ton aimable en leur
faisant signe de s’asseoir pendant que les fauteuils se
décalaient de la table pour les accueillir. Mais je ne savais
pas que vous seriez si nombreux.

Si la fille qu’il voyait était plutôt mignonne, la naine


spectaculaire, le grand type blond aux yeux violets, l’elfe et
le colosse aux yeux gris ne lui inspiraient pas trop
confiance.

Et puis, par tous les dieux d’AutreMonde, pour quelle


raison étaient-ils aussi nombreux à venir dans son bureau ?

Cal prit la parole. Ils avaient pensé mentir. Ils avaient


pensé manipuler le sortcelier. Magister voulait le terroriser,
voire le torturer, bien sûr. Cela dit, pour une fois, Fafnir
n'était pas forcément contre, si le gars était un complice de
Gueder. Mais aucun sortcelier ne pouvait vouloir la
disparition de la magie, aussi, Cal décida-t-il de révéler la
vérité. De plus, même si Cal n’était pas une star du cinéma
ou de la musique, comme tous les gens proches d’un
pouvoir politique (plus le fait qu’il avait souvent sauvé
AutreMonde, lui aussi), son visage était suffisamment
souvent représenté sur les écrans de cristal, à son grand
dépit, pour que des gens le reconnaissent. Cela n’arrivait
pas souvent, heureusement, mais Tirol pouvait
le reconnaître et s’il mentait, s’en rendre compte tout de
suite.

— Je suis Caliban Dal Salan, citoyen du Lancovit,


mais également compagnon de l’Héritière d’Omois, Tara
Duncan.

Le regard bleu pâle de l’homme se fit vigilant.

— En quoi puis-je vous aider ? demanda-t-il poliment.

— Je suis à la recherche de Tara. Comme vous le


savez sans doute, si vous avez regardé les nouvelles
mondiales, Tara a disparu.

L’homme haussa les épaules.

— Je suis désolé, je n'ai pas de cristal à la maison, je


n’ai pas le temps, trop de travail et je préfère lire. Mais si
vous le dites...

Ah. Slurk! Cal aurait pu mentir. Il croisa le regard violet


de Magister et y lut un amusement du type «je te
l’avais bien dit ».

— Vous avez loué des tapis à une société Dachal


Der Manague et compagnie, continua le jeune homme, pour
le transport d’armes lourdes de type tank terrien Abrams.

L’homme se recula dans son fauteuil. Cette fois-ci, son


visage affichait une grande prudence.
— C’est exact, finit-il par dire, ils avaient une licence
en bonne et due forme.

— Nous ne sommes pas là pour savoir s’ils ont détourné


des armes ou non. Nous sommes là, parce que ce sont
probablement ces gens qui ont enlevé Tara et qu’en suivant
la piste des tanks nous devrions pouvoir remonter jusqu’à
mon amie.

L’homme se figea. Puis il fit une grimace désabusée.

— Non, dit-il.

Cal fronça ses épais sourcils noirs.

— Non ? Comment ça, non ?

— Parce que mes tapis volants ont disparu avec


leurs pilotes, qui sont de braves gars, jamais en retard. Que
j’ai fait une enquête sur cette société Dachal, dont les types
m’avaient payé en avance et deux fois le prix du transport,
mais que je n’ai pas signé pour qu’ils me volent mes
meilleurs pilotes. Et que j’ai découvert que c’était une
société écran, une coquille vide, qui n’avait été créée que
pour cette occasion.

Il serra les poings.

— Je suis un imbécile, je n’ai vu que les crédits-muts.


Et maintenant, j’ai trois braves gars disparus et des tapis
qui valent des fortunes dans la nature. Alors si je vous dis
que vous n’allez pas pouvoir suivre la piste des tanks, c’est
tout simplement parce qu’ils se sont évanouis et ont
disparu dans la nature.

Il marqua une pause pendant que Cal essayait de


digérer le choc.
— Et que je crois, au fond de moi, que mes gars sont
morts.

— Il ment pour dissimuler ce qu’il sait, laissa


tomber Magister de sa voix de velours liquide. Laissez-moi
le torturer un peu et nous saurons très vite où se trouvent
les tanks.

Le gros homme se passa la langue sur ses lèvres


soudain sèches.

— Et pourquoi je mentirais ? grogna-t-il, alors que j’ai


deux épouses éplorées et une demi-douzaine des petites
amies du troisième qui n’arrêtent pas de me hurler dessus
depuis qu’ils ont disparu ? Si vous les retrouvez, je suis
même prêt à vous payer !

Cal était déçu, mais il voyait bien que Tirol était


sincère.

— Magister, dit-il d’un ton sec, laissez-le tranquille. Il


n’y est pour rien.

L’homme sursauta. Il n’avait pas reconnu Cal, mais tout


le monde connaissait et redoutait le nom de Magister.

Ce n’était pas très gentil, mais Cal avait fait exprès.


— Ma... Magister, balbutia l’homme. Mais...

— Gueder a également enlevé mon Chasseur, la


vampyr Selenba, laissa tomber négligemment l’homme aux
yeux violets qui lui faisait face. Alors vous comprendrez que
je ne suis pas de très bonne humeur.

Là, Tirol avait carrément du mal à respirer.

— Je peux vous aider, dit-il très vite. Je peux vous dire


à quelle heure les tapis ont quitté Iraptor et quelle
direction ils ont pris. Voilà.

Il se mit à parler à son ordimagic à toute vitesse et


l’instant d’après la docile machine[61] crachait une feuille
avec les horaires de départ des six tapis, décrit comme un
convoi lourd, avec avertisseurs lumineux et sonores, au
milieu de la nuit, pour une direction annoncée vers Tiran.
Sans oublier les noms et les coordonnées des trois pilotes,
Jack Hov, Tenler Gred et Sav Hok.

— Ils sont partis de nuit ? souligna Cal en lisant le


manifeste.

— Oui, ce n’est guère surprenant, c’était un convoi


lourd, et les convois lourds préfèrent souvent voyager de
nuit, parce qu’il y a moins de trafic aérien. Ils ne sont bien
sûr jamais arrivés à Tiran.

— Ils étaient accompagnés ?

— Oui, par deux nonsos NM.

Ils le regardèrent, surpris.

— Des NM? Mais c’est impossible, réagit Moineau,


les tapis seraient tombés en panne, leur non-magie
interfère violemment avec la magie d’AutreMonde !

Tirol haussa les épaules.

— J’en sais rien. J’ai juste vu qu’ils avaient des


combinaisons bizarres et que ça semblait empêcher leur
non-magie d’interférer avec la magie des tapis. On a fait un
essai avec un des tapis et sans les tanks d’abord, parce que
ça me semblait bizarre, mais ça a tout à fait fonctionné.

Ils se regardèrent.

— Ils ont réussi à emprisonner la non-magie à


l’intérieur de combinaisons ! souffla Robin, stupéfait. C’est
donc comme ça qu’ils ont réussi à contrôler les tapis ? Je
me demandais aussi comment ils avaient fait, je pensais
qu’ils avaient utilisé des hélicoptères ou des drones,
comme ceux qui ont assassiné l’ancienne reine des elfes.

Moineau se rapprocha de Fabrice et lui prit la main, la


serrant doucement.

— Eh bien moi, fit Fabrice, en coulant un regard


tendre vers sa jolie compagne, je dis que s’ils sont capables
de ce genre de prouesse technologique, ça n’augure rien de
bon sur ce qu’ils sont effectivement capables de faire avec
cette histoire de virus !

— Mais nous savons d’où ils sont partis, fit Moineau en


levant les yeux vers le grand Terrien, car sous sa
forme humaine, elle était nettement plus petite que lui.
C’est déjà quelque chose. Je vais essayer de travailler à
partir de là.

Cal se leva pendant que Tirol, un peu ébahi par tout ce


qui se passait, lui donnait ses coordonnées personnelles,
afin qu’ils puissent le joindre s’ils avaient des nouvelles ou
qu’il puisse les appeler s’il avait une idée ou un nouvel
indice.

Ils marchèrent jusqu’à la plage face à l’endroit où ils


avaient caché le vaisseau. À cette heure matinale, il n’y
avait pas de monde et il faisait déjà très chaud.

Si Cal et Magister étaient furieux et dépités (l’un parce


qu’il avait cru retrouver Tara, l’autre parce qu’il n’avait pas
eu le droit de torturer le transporteur), Moineau, elle,
murmurait frénétiquement à son ordimagic portable et
décida de rester à l’ombre des arbres, sur l’une des petites
tables de pique-nique réparties un peu partout autour de la
plage, car elle ne voulait pas que la connexion soit coupée à
cause de la profondeur à laquelle était immergé le
vaisseau.

Magister incanta un transmitus, mais le magicgang


resta avec Moineau, sur un signe de tête de la jeune fille.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Fabrice, curieux.

— J’ai demandé à Cixi d’effectuer une recherche


satellite, en passant sur les bandes croisées entre les
satellites omoisiens et les satellites lancoviens, expliqua la
jeune femme, ramassant ses longs cheveux bouclés en une
tresse rapide afin qu’ils ne la gênent pas alors qu’elle était
penchée sur son ordimagic. Je pense que Gueder
Almandach a certainement des espions et des taupes un
peu partout, et particulièrement dans les grands instituts
spatiaux, puisqu’il a pu découvrir le départ et la destination
de Tara. Donc, je me méfie des rapports des analystes. Mais
s’il a sans doute pu truquer les rapports des Omoisiens,
puisque la représentation nonsos est à Omois, à Tingapour
exactement, ça m’étonnerait fichtrement qu’il ait pu
infiltrer tout le monde.
— Tu veux suivre les mouvements des tapis à partir de
leur départ, ça, j’ai compris, mais les satellites se déplacent
et la planète tourne, tu crois que tu auras la bonne
séquence de temps pour les suivre ?

— En fait, sourit Moineau tout en continuant de


travailler à toute vitesse, en indiquant à son ordi les
documents qu’il devait afficher devant elle, sur les trois
écrans qu’il déployait, ce n’est pas la trace des tapis que je
cherche. C’est la trace de ce qui n’est pas.

— La trace de ce qui n’est pas ?

— Oui, même s’il fait nuit, il y a du trafic. Pour


bidouiller une image, il faut travailler sur tous les aspects
de cette image. Cixi a inventé un logiciel (elle regarda Cal
et sourit), apparemment, le génie, c’est de famille, qui est
capable de déceler ce qui n’est pas. Ce qui n’est pas
logique, ce qui n’est pas possible et... ah, ah, nous avons un
gagnant !

Elle afficha une vue de Iraptor. On voyait les tapis qui


s’éloignaient, puis soudain, disparaissaient.

— Ce soupilute a bien des complices à Tingapour,


marmonna Moineau, concentrée. Ils ont été malins, mais
pas assez. Voilà l’image enregistrée par les satellites
lancoviens.

Sur la seconde image, on voyait très nettement les tapis


qui s’éloignaient, mais dans une autre direction qu’Iraptor.

— Slurk ! jura Moineau, pendant que Cal, tendu


comme une corde de tapou[62], essayait de voir où les tapis
se rendaient. Le satellite n’a pas enregistré à cet endroit. Il
va falloir que je fasse une triangulation.
— Ça va prendre combien de temps? demanda
Cal, essayant de rester le plus calme possible, parce que
hurler après Moineau n’aurait pas fait avancer les choses.

La jeune femme leva son regard vert doré vers lui et


secoua la tête.

— Je ne sais pas, Cal, il y a énormément de données


à calculer. Je dois travailler sur les photos prises par les
autres satellites pour voir ce qui a été modifié ou non, et
dans quelle direction. À mon avis, j’en ai pour une bonne
journée, voire plus, et uniquement avec l’aide de Cixi.

Cal recula.

— Bon, on va rester ici un peu de temps. Je vais aller


acheter de quoi manger. Restez pour protéger Moineau, OK
?

Fafnir, qui, comme tous les nains, n’aimait pas


spécialement la chaleur, vu que dans les montagnes
d’Hymlia, il faisait plutôt froid, s'assit sur un tabouret de
bois sous les arbres et soupira :

— OK, on garde. Mais tu nous rapportes des glaces,


parce que moi, je vais fondre avec cette chaleur.

— Des glaces, parfait. Robin, Sylver, Fabrice ?

— De la viande, sourit Fabrice. Crue ou cuite, je m’en


fiche.

— De la glace comme Fafnir, dit le demi-dragon, et


aussi un steak de traduc et s’ils ont des saucisses épicées,
ça me va.
— Une salade de crudités, soupira Robin en tapotant
son ventre pourtant parfaitement plat. Sael trouve que j’ai
un peu grossi, évidemment, avec tous ces fichus dîners
officiels, comment veux-tu que je reste mince !

Cal hocha la tête, trop tendu pour sourire, et repartit


vers la ville pour faire ses courses.

La première épicerie dans laquelle il entra était sombre


et fraîche, ce qui était un plaisir après la chaleur des
soleils. Il sélectionna tout ce dont il avait besoin et le mit
dans le panier qui volait derrière lui. Il était en train de se
demander s’il avait envie d’un panier de miams bien rouges
et bien sucrées lorsqu’il vit un petit garçon d’une dizaine
d’années, vêtu d’un short blanc et d’un maillot gris qui le
regardait d’un air fasciné.

— Salut, fit Cal, gentiment.

Le gamin regarda derrière lui, incapable de penser que


Cal s’adressait à lui, puis voyant qu’il était seul, déglutit et
répondit d’une voix faible :

— Salut...

Puis comme Cal allait retourner à ses courses, le gamin


s’enhardit. Il était menu, plus clair que Tirol, aux yeux
tirant sur le gris, mais plus sombres que ceux de Cal et aux
cheveux d’un rouge particulièrement flamboyant.

— Vous êtes Caliban Dal Salan !

Il avait mis une telle emphase dans sa voix, qu’on


entendait parfaitement les majuscules.

— Oui, confirma Cal. Et toi ?


— Moi?

Il avait l’air surpris que Cal veuille connaître son nom.

— Je m’appelle Dal Hok.

Cal plissa les yeux. Le nom lui disait quelque chose.

Le garçon allait finir par avoir un torticolis à force de se


démancher le cou pour regarder Cal dans les yeux, aussi
Cal s’accroupit afin de pouvoir lui faire face.

— Hok, je connais ce nom. Il fait quoi, ton papa ?

— Il est pilote de tapis lourd pour la société Volauvent.

Cal refréna son excitation. C’était ça. L’un des noms


inscrits sur la fiche donnée par Tirol. Puis son cerveau se
remit en marche. Iraptor comportait vingt mille habitants.
La coïncidence pour que le fils du pilote disparu soit
exactement au même endroit que Cal à ce moment était un
peu grosse.

Il plongea ses yeux gris et sévères dans ceux gris


sombre du garçon.

— Ça fait, longtemps que tu nous suis ?

— Comment vous savez que...

Le garçon faillit mentir, mais un seul regard vers le


visage de Cal qui n’avait pas l’air de vouloir plaisanter l’en
dissuada.

— Je vous ai vu rentrer dans les bureaux de Tirol, le


boss de mon père, ce gros paresseux.

— Qu’est-ce que tu faisais là ?


— Je voulais devenir pilote, comme mon papa, fit
bravement Dal. Alors d’habitude, je traîne autour des
bureaux, parce que j’essaye d’apprendre pour pouvoir
passer ma licence quand je serai grand, et parfois, les
pilotes sont sympas et me prennent avec eux. Là, je reste
autour, parce qu’il a disparu. Ma maman est très inquiète.
Quand je vous ai vu, je vous ai reconnu tout de suite. J’ai
plein d’images de vous. Vous avez sauvé AutreMonde, vous
êtes un grand guerrier. Alors j’ai écouté derrière la fenêtre.
Vous voulez retrouver la princesse d’Omois, Tara Duncan.
Moi, je veux retrouver mon père. Il me manque, à moi
aussi.

Cal vit les yeux du garçon se remplir de larmes et, pour


ne pas blesser la dignité de Dal, se redressa, faisant
mine d’ignorer sa détresse, le laissant se ressaisir.

— Cette fameuse nuit, lorsqu’ils sont partis, demanda


Cal, raconte-moi exactement ce qui s’est passé.

Cette fois-ci, le garçon lui sourit.

— En fait, fit-il en sortant une petite scoop volante de


sa poche, je peux même vous le montrer...
Chapitre 25
Tara
Ou comment vouloir jouer les espionnes
et se rendre compte, juste avant de se faire
démasquer,
qu’on n’est pas du tout faite pour ce métier... trop
tard.

Selenba et les centaures n’étaient pas intervenus


pendant la nuit. En dehors du fait que les bébés la
réveillaient toutes les deux, trois heures (sans compter
qu'angoissée par le virus elle avait tendance à les écouter
respirer), Tara avait très mal dormi, l’oreille aux aguets,
prête à bondir si Selenba agissait.

Et s’était rendue compte, un peu tard, qu’elles auraient


au moins dû convenir d’une sorte de planning. Sauf que la
vampyr ne savait sans doute pas encore quoi faire au
moment où elle avait découvert que Tara avait accouché.

Elle se redressa et soupira de soulagement. Les bébés


dormaient encore, ce qui était une bénédiction, et les
animaux dans les cages restaient tranquilles.

L’instant était paisible, c’était agréable, parce que les


oiseaux que les nonsos avaient capturés avaient la
mauvaise habitude de se mettre à gazouiller dès que les
fenêtres s’éclairaient.
Elle se leva, tira les draps de son lit, prit une douche en
évitant de réveiller Celia et Danviou, puis attendit son
petit déjeuner. Avec son hor hors de service, il n’était pas
facile pour Tara de savoir quelle heure il était.

Le jeune garde entra dans la salle. Il ne portait pas de


combinaison, ce qui soulagea Tara. Essayer d’attendrir un
type engoncé dans un énorme sac plastique orange n’était
pas idéal.

Sans oublier que c’était plutôt bon signe, cela signifiait


sans doute que le virus avait été évacué. Pour la première
fois depuis des heures, elle put respirer sans avoir les
poumons comme serrés dans un étau.

Il posa le plateau dans la fente et récupéra celui de la


veille. Tara lui sourit.

— Bonjour, dit-elle d’une voix douce, comment allez-


vous ? Vous n’êtes pas trop fatigué ?

— Non, je n’ai pas fait partie de ceux qui ont monté


la garde cette nuit, j’ai pu dormir. (Il désigna le plateau.)
Mangez pendant que c’est encore chaud.

Tara prit une petite mine triste.

— Merci, c’est très gentil, mais je n’ai pas très faim.

Le garde prit un air sévère.

— Vous affamer ne résoudra pas vos problèmes.


Au contraire, vous allez vous affaiblir. Mangez !

Tara lui fit un pauvre sourire et prit une cuillerée de


semoule sucrée et une gorgée de thé, puis repoussa le
plateau, comme si elle ne pouvait plus rien avaler, tout en
priant pour que son estomac ne se mette pas à gargouiller,
parce qu’elle avait vraiment faim.

— Ce n’est pas assez, fit le garde d’un air sévère. Je


reviendrai tout à l’heure et je veux que ce plateau soit vide,
c’est entendu ?

— Oui. Euh... vous vous appelez comment?

Le garde hésita, comme si c’était dangereux de dévoiler


son identité à Tara, puis se décida :

— Christian, dit-il, je m’appelle Christian. Mais vous


pouvez m'appeler Chris, c’est comme ça que mes amis
m’appellent.

— Merci, alors oui, Chris, je vous le promets, je vais


terminer ce plateau, juste pour vous faire plaisir.

Le jeune homme rougit. L’espace d’un instant, Tara se


sentit atrocement mal à l’aise de profiter de sa
gentillesse, mais se secoua en se répétant mentalement «
Milady, Milady, Milady». Il avait choisi le mauvais camp, et
il était l’une de ses clefs pour sortir de la cage, elle devait
être forte.

L’autre garde, celui qui avait aimé tordre le bras de


Tara dans son dos, passa la tête par la porte et hurla :

— Amène-toi ! On va déplacer les tanks qui ont été


abîmés, on a besoin de toi.

Chris, qui avait sursauté, leva les yeux au ciel.

— Ben voyons, Travis, sans treuil et sans magie, on


va déplacer des tonnes de ferraille.
Tara accentua son sourire, il le lui rendit et tourna les
talons. Elle voyait bien qu’il le faisait à regret.

— Chris, cria-t-elle juste au moment où il allait franchir


le seuil. Est-ce qu’on pourrait, je ne sais pas, moi, parler ?
Tous les deux ? Chavol est morte et je n’ai plus personne
avec qui discuter, ce serait bien d’avoir un adulte à mes
côtés avant que mes neurones ne deviennent de la bouillie
?

Il émit un petit rire et secoua la tête.

— Je comprends. Je vais voir si je peux prendre un


peu de temps.

Et il sortit.

Tara soupira, puis son regard tomba sur les cages. Ni


Chris ni elle n’avaient fait attention, mais les animaux
étaient étrangement immobiles.

Le cœur battant soudain, ignorant les gazouillements


de ses bébés que son cri avait fini par réveiller, elle se colla
aux barreaux de sa cage et affina sa vue.

Les oiseaux n’étaient pas posés au sol, comme elle le


pensait. Pas plus que les autres ne dormaient. En fait, rien
ne bougeait dans la salle et la réalité la frappa comme un
coup de poing.

Les animaux ne bougeaient pas pour une excellente


raison.

Ils étaient tous morts.


Lorsque Chris revint pour le déjeuner, Tara était en
larmes. Et pour le coup, ce n’était pas pour attendrir le
garde, parce que ses yeux étaient rouges et gonflés.

Elle était terrifiée. Vraiment. Toutes les trente


secondes, elle vérifiait que ses enfants allaient bien, allant
jusqu’à les réveiller si elle avait l’impression qu’ils étaient
trop immobiles, ce qui avait rendu les petits un peu
ronchons.

Le virus avait fonctionné sur les animaux. Pourquoi


était-elle encore vivante et ses bébés aussi ? Ou alors était-
ce un virus qui avait un effet retard ? Elle n’arrivait plus à
penser.

Elle leva son beau visage vers Chris, dont l’expression


alarmée en disait long sur les sentiments affectueux qu’il
commençait à ressentir pour Tara.

— Tara ? s’exclama-t-il. Que se passe-t-il ?

— Les... les animaux! Re... regardez!

Chris se tourna, sans comprendre.

— Qu’est-ce qu'ils ont les ani...

Il se tut et, posant le plateau dans la fente, il se


précipita sur les cages qu’il ouvrit les unes derrière les
autres en évitant soigneusement de toucher les corps.
— Merde, s’exclama-t-il, le virus! J’avais
complètement oublié qu’Almandach avait dispersé le virus !

— Il... il a dit qu’elles avaient dit que cela n’affecterait


pas les nonsos, dit Tara. Ni mes bébés ni moi n’en avons
souffert, pour l’instant du moins, mais ces pauvres
bestioles, elles n’avaient rien fait à personne !

Le visage de Chris se tordit de dégoût.

— Ces horribles sorcières peuvent bien dire ce


qu’elles veulent, elles ne m’inspirent pas confiance.

Des sorcières? Il parlait comme un Terrien qui


confondait sorcières et sortcelières ou avait-il vraiment
rencontré des sorcières ? À la connaissance de Tara, les
seules sorcières se revendiquant comme telles étaient les
sorcières noires des Marais de la Désolation, justement
l’endroit où se trouvait l’île des Roses Noires.

Était-ce une étrange coïncidence ? Le cerveau de Tara


carburait à toute vitesse. Chris referma la cage et revint
vers Tara.

— Toi, au moins, je ne t’ai jamais vue torturer


quelqu’un juste parce qu’il s’était endormi pendant son
tour de garde et qu’on en avait profité pour saboter les
tanks. Elles ont utilisé la magie sur lui. Le pauvre type est
mort en hurlant tellement fort qu’il s’est fait péter les
veines du visage, tu te rends compte ?

Ah. On se tutoyait, maintenant. Et Tara vit très bien là


où Gueder avait commis une erreur très commune aux
psychopathes. Mystérieusement, ils pensaient que tout le
monde était comme eux. Que les gens n’étaient pas
dérangés par la torture et le meurtre.
Sauf qu’ici les gardes NM n’étaient pas des soldats,
qu’ils étaient des gens normaux et qu’ils n’approuvaient en
rien ce genre de comportement, surtout sur l’un d’entre
eux. Tara vit donc la faille et s’y engouffra :

— Tu sais, chuchota la jeune fille blonde en essuyant


ses larmes, c’est comme partout. Il y a des gens bien chez
les sortceliers et il y a des salauds. Et il y a des gens bien
chez les nonsos et il y a des salauds. Je ne comprendrai
jamais les fanatiques qui veulent que tout le monde leur
ressemble sans accepter la différence. Nous avons la même
chose sur Terre, et ce sont toujours des gens comme toi et
moi qui sont les victimes des fanatiques. Parce que nous
nous sommes retrouvés au mauvais endroit au mauvais
moment.

Chris hocha la tête.

— Quand ce type est venu me voir dans ma société,


j’étais juste un petit comptable, qui aimait les chiffres.

— Et moi, raconta Tara avec amertume, j’étais une


écolière sans histoire, avec des amis terriens, une grand-
mère sévère et des parents disparus.

— Ils nous ont parlé de toi, précisa Chris. Mais sans


donner beaucoup de détails. Comment tu t’es retrouvée
dans cette cage ?

Tara lui donna une version courte, vu que la longue


aurait sans doute pris un ou deux mois, de ce qui lui était
arrivé depuis ses treize ans.

Chris lui décrivit sa vie. Effectivement, c’était


nettement plus calme. Bon, cela dit, à moins d’être un
cosmonaute en péril sur la station spatiale, il y avait peu de
vies capables de se mesurer avec ce qu’avait vécu Tara.
— Et, conclut Chris, je n’ai pas été surpris par la
magie, du moins pas autant qu’un autre, parce que
j’adorais aussi m’éclater avec World of Warcraft.

— Non? s’écria Tara, étonnée. Je connais WoW !


Quand j’étais sur Terre, j’y jouais de temps en temps !

— Je sais que la situation ne s’y prête pas, fît Chris


d’un ton suppliant, mais s’il te plaît, ça t’ennuierait qu’on
en parle un peu ? Juste pour que j’aie l’impression d’être de
retour dans un univers normal ?

Tara lui sourit en dépit de sa peur. Oui, elle pouvait


faire cela. Elle aussi avait besoin d’oublier qu’elle avait cru
mourir quelques heures plus tôt.

L'instant d’après, ils étaient engagés dans une sérieuse


discussion sur les avantages et les inconvénients de la
dernière extension de WoW. Ils étaient tous les deux en
mode héroïque, même si Chris avait fait plusieurs raids en
mode mythique, et possédaient tous les deux de nombreux
loot, butin acquis dans les donjons, les arènes ou après
avoir tué des boss.

Bref, ils avaient fermement décidé d’occulter les


animaux morts pour se plonger dans les délices d’une
passion commune, même si, en bonne maman, Tara gardait
toujours une oreille disponible pour être sûre que ses bébés
allaient bien.

À la fin de la discussion, Chris s’était carrément assis


par terre, face à Tara dans sa cage.

La jeune fille pencha sa tête blonde, tranchée par sa


célèbre mèche blanche, et demanda soudain :
— Et comment un super joueur de WoW s’est retrouvé
sur AutreMonde à chasser les sortceliers et à les
emprisonner ?

Chris soupira. L’espace d’un instant, il avait oublié qu’il


avait fait un mauvais choix.

— J’en ai parlé, parce que, justement, c'est à cause


de WoW que je suis ici. Les gars qui sont venus me voir, ils
m’ont parlé de la magie, de ce qui se passait sur
AutreMonde, de comment grâce au fait que la magie est
bien plus faible sur Terre, en dépit de notre statut de
nonsos NM, les dragons avaient été suffisamment puissants
pour effacer tout ce qui s’était passé depuis l’invasion des
démons. Ils m’ont dit que j’étais un NM. Qu’ils avaient
besoin de moi. Et en plus, ils me donnaient beaucoup
d’argent. Pour que je les aide à traquer les monstres.
C’était comme de jouer à WoW, mais en vrai. J’ai failli
pisser dans ma culotte lorsque j’ai vu un draco-
tyrannosaure, mais tous ces animaux fantastiques, c’était
génial. Sauf qu’ils n’avaient pas parlé de torturer des
gens. Ni de t’emprisonner. Et ces centaures. Bien sûr, ce
sont des monstres bizarres, mais franchement, ils ne m’ont
rien fait, et j’ai bien vu que cette Chavol t’a aidée. Gueder
l’a tuée de sang-froid. C’était moche.

Tara hocha la tête, triste de nouveau.

— C’était une femme courageuse et honnête. Elle me


soutenait et m’aidait, et crois-moi, dans cette petite cellule,
ce n’était pas facile. Elle me manque terriblement.

À regret, Chris se leva.

— Je dois y aller, ça fait un bon bout de temps qu’on


discute et les autres vont commencer à se demander ce
que je fiche. Et puis je dois avertir Almandach que son
virus a dégommé les bestioles.

Il reprit le plateau vide et désigna le plein qui attendait


Tara.

— Heureusement, c’est de la viande froide et de la


salade, ça n’a pas refroidi. Mange, Tara.

Il lui sourit puis sortit.

Tara attrapa pensivement le plateau et commença à


manger. Les bébés s’étaient tenus tranquilles pendant
qu’elle parlait avec Chris, mais commençaient à s’agiter,
alors elle avala son repas en vitesse avant de s’occuper
d’eux.

— Nous avons avancé, mes amours, dit-elle à Danviou


et à Celia en les embrassant avec passion. Maintenant,
avancé jusqu’où, ça, je n’en sais rien, mais nous, ça va
forcément nous mener quelque part.

Danviou, qui avait horreur de sa couche, avait encore


réussi à l’enlever. Pour un bébé de quelques jours, il était
incroyablement malin. Tara dut réparer les dégâts et
gronda gentiment le bébé en lui expliquant qu’elle préférait
encore laver sa couche que l’intégralité de son berceau.

Quelques minutes après, Gueder et les autres gardes


firent irruption dans le laboratoire. Pendant que ses
hommes sortaient les cadavres des animaux des cages,
Gueder Almandach vint se poster devant la cage de Tara
comme à son habitude, suffisamment loin pour qu’elle ne
puisse pas le toucher.

Il s'appuya sur son hideux bâton et sourit à Tara.


— Tu n’es pas morte, quel dommage !

Tara haussa les épaules.

— Désolée de vous décevoir. Votre virus tue des


bestioles. Ouah, formidable ! Vous allez pouvoir le
commercialiser pour débarrasser Tingapour de ses rats et
autres taks.

Gueder se redressa, vexé, pendant que Tara se mordait


la lèvre, se rappelant, mais un peu tard, qu’elle ne devait
pas provoquer le nonsos.

— Tu y as échappé, parce que tu n’es plus une


sortcelière, grinça-t-il. Mais nous allons te rendre tes
pouvoirs et tu mourras, comme les autres.

Le cœur de Tara rata un battement. Quoi ? Il avait dit


quoi ?

— Me rendre mes pouvoirs, dit-elle lentement. Et


comment vous allez opérer ce miracle ?

Le sourire de Gueder s’accentua.

— Ah, tu penses que si tu récupères ton pouvoir, tu


vas t’échapper facilement. Mais nous allons te garder dans
du fer d’Hymlia pendant tout le processus. Tu auras la
maudite magie, mais sans pouvoir l’utiliser. Et tu en
mourras.

Tara baissa les yeux. Elle ne voulait surtout pas


qu’Almandach voit la lueur d’espoir qui devait y danser.

Lui rendre sa magie ? Oh là là, oui, oui, oui !


Cela dit, elle était quand même extrêmement curieuse
de savoir comment il allait s’y prendre.

— Je n’en veux pas, déclara-t-elle fermement,


surprenant Gueder.

— Pardon?

— La magie. Je n’en veux pas. Elle a pourri ma vie, elle


a failli me faire tuer à d’innombrables reprises. Je
comprends pourquoi vous ne l’aimez pas et d’une certaine
façon, vous avez raison. Alors non. Je n’en veux pas. Je ne
veux pas que vous me redonniez mes pouvoirs.

Gueder était stupéfait. Puis il fronça les sourcils.

— Parce que tu crois avoir le choix, mutante ? Tu es


la plus puissante sortcelière de l’univers, si le virus agit sur
toi, il agira sur tout le monde. Tu es indispensable à nos
tests. Alors ce que tu veux ou non n’a aucune importance.

Parfait. Dites à un tyran que vous ne voulez pas de


quelque chose et vous pouvez être à peu près sûr qu’il va
tout faire pour vous obliger à le prendre.

Elle le laissa savourer son triomphe en se


recroquevillant sur elle-même, cheveux devant le visage,
refusant de discuter, comme si elle venait de comprendre
que Gueder avait vraiment l’intention de la tuer.

Gueder ne resta pas longtemps. Il avait hâte d’assister


aux autopsies afin de comprendre comment le virus avait
agi.

Maintenant, Tara devait faire face à un horrible


dilemme. Elle avait demandé à Selenba de l’aider à
s’échapper au lieu d’attendre les secours, parce qu’elle
redoutait ce que Gueder pouvait faire à ses enfants, et ne
doutait pas que la vampyr allait s’en occuper rapidement.
Sauf que là, Tara ne voulait plus s’échapper. Si
effectivement Gueder était capable de lui rendre ses
pouvoirs, alors la jeune fille devait absolument rester sa
prisonnière.

Et slurk !

Tara ne pouvait pas faire grand-chose de plus. Aussi, la


jeune fille fit une sieste, parce qu’elle avait mal dormi,
puis joua avec Danviou et Celia.

C’était absolument fascinant. Les bébés changeaient


quasiment d’heure en heure, enfin, c’était l’impression
qu’elle avait. Elle ne pouvait pas les peser et donc vérifier
s’ils grossissaient, mais elle voyait bien qu’ils étaient en
pleine forme.

Il ne fallait pas qu’ils tombent malades. Pendant sa


grossesse, sur le magicnet, elle avait un peu surfé pour voir
ce qui pouvait toucher des bébés humains et, après
quelques recherches, avait arrêté parce que c’était trop
horrible pour être supportable. Là, sans magie ni chaman
pour l’aider, elle ne pouvait que prier pour qu’ils continuent
à bien manger, à bien dormir et à profiter.

Elle avait remarqué qu’ils aimaient bien dormir


ensemble. Elle leur laissait faire la sieste de cette façon,
mais pas les nuits, histoire qu’ils ne se réveillent pas l’un
l’autre. Très vite, elle avait repéré qu’ils émettaient des
sons différents avec elle. Ce n’était pas la même chose
lorsqu’ils semblaient s’adresser l’un à l’autre.

Elle les caressait beaucoup et ils semblaient


absolument fascinés par son visage et ses cheveux. Dès
qu’elle se penchait vers eux, ils se mettaient à gigoter.
Et Tara ne se lassait pas de leurs merveilleux sourires
édentés.

Tara fît ses exercices, reprit une douche après avoir


baigné les enfants, termina de laver les dernières couches,
regardant ses doigts avec désolation, rouges et gonflés à
force de frotter, puis attendit le dîner.

Elle avait hâte de reparler avec Chris. Elle voyait bien


qu’il regrettait d’être venu sur AutreMonde, et peut-être
serait-il au courant de la façon dont Almandach comptait
lui rendre sa magie, lui qui était un NM.

Hélas, le soir, ce ne fut pas Chris qui lui apporta son


dîner, mais l’un des autres gardes. Elle lui sourit, mais il
évita son regard, prit le plateau sans un mot et ressortit.
Tara soupira.

— Bon sang, Chris, grogna-t-elle, mais qu’est-ce que


tu fiches !

Elle allait commencer à manger les sempiternels


haricots sauce tomate qu’ils aimaient servir le soir au point
qu’elle commençait à développer une sérieuse allergie,
lorsqu’elle s’arrêta soudain, les poils hérissés par quelque
chose.

Comme par une présence invisible. Exactement la


même sensation que celle qu’elle avait éprouvée alors
qu’elle menait l’enquête sur la disparition des paons
pourpres, au Palais de Tingapour.

Elle se leva de son lit, posa son plateau et s’approcha


des barreaux.

Soudain, une forme sombre se matérialisa devant elle


et la jeune fille, surprise, sursauta et recula d’un pas.
— Tu as senti ma présence, fit une voix criarde,
comment, ma fille, comment as-tu fait si tu n’as plus tes
pouvoirs ?

Tara écarquilla les yeux.

Elle avait la méchante sorcière de l’Ouest devant elle.

Coiffée d’un chapeau noir pointu, la peau verte, plus de


verrues poilues sur le visage qu’un crapaud, le nez
crochu, une longue robe noire et un affreux balai au
sommet duquel il y avait la même sorte de cristal blanc
opaque que le bâton d’Almandach, tenu par une main
crochue aux longs ongles sales.

Ce n’était pas un être humain, c’était un cliché.

Si la situation n’avait pas été aussi terrible, Tara aurait


éclaté de rire. Sauf que là, elle évita.

— Bonjour madame, fit-elle poliment. Je ne sais pas


comment j’ai senti votre présence, sans doute une intuition
?

La sorcière, car c’était clairement une sorcière, hocha


la tête, appréciatrice.

— C’est bien, ma fille, tu es polie. Je vais te laisser


vivre un peu plus longtemps. Une intuition, tu dis? Hum,
c’est possible. Même sans pouvoir magique, les humains
sont capables d’intuition, je te l’accorde.

— Merci, madame, répondit Tara, le cœur battant. Puis-


je poser une question, s'il vous plaît ?

Oui, Tara allait être extraordinairement polie si c’était


ce que l’horrible bonne femme aimait.
— Non, répondit sèchement la sorcière, c’est moi qui
pose les questions.

Tara se mit presque au garde-à-vous, les mains dans le


dos, se redressa et dit :

— Oui, madame. Je vous écoute.

De nouveau, la sorcière sembla adoucie par


l’obéissance de Tara.

— Mes sœurs voulaient te mettre à mort tout de suite.


En fait, il nous suffit de capturer un autre sortcelier et de
lui faire respirer notre dernière version du virus pour voir
si ça fonctionne. Donc, nous n’avons pas vraiment besoin
de toi, d’autant que le virus ne semble pas t’affecter,
maintenant que tu es redevenue une nonsos.

Tara s’était effectivement posé la question de pourquoi


Gueder n’avait pas enlevé d’autres sortceliers.

Elle reçut sa réponse juste à ce moment.

— Mais j’ai fait valoir que tuer un sortcelier ne


nous renseignerait pas suffisamment. Tu es notre plus
puissante ennemie. Et je leur ai dit que nous avions besoin
de toi pour les tests. Et que, par conséquent, nous devions
te rendre ta magie.

Tara resta silencieuse, le regard vide. Elle n’était qu’un


réceptacle de la pensée de la sorcière, elle allait donc se
comporter comme tel.

— Elles m’ont écoutée, sourit la sorcière, révélant


des dents en meilleur état que ce à quoi s’attendait Tara.
— Permission de parler, madame ? demanda la jeune
fille blonde.

Tara bénit les innombrables films mettant en scène des


armées qu’elle avait vus.

— Oui, ma fille, répondit la sorcière d’un ton


approbateur.

— Sieur Gueder Almandach est-il au courant ?

La vieille femme éclata de rire.

— À ton avis ?

— Je dirais que non. Il n’est qu’un outil.

— Sacrifiable, oui, dès qu’il ne sera plus utile.

La vache, le psychopathe avait trouvé plus psychopathe


que lui. Tara se raidit encore un peu plus, comme un
jeune soldat aux ordres.

— En quoi puis-je vous aider, madame ?

La sorcière se rapprocha de la cage. Elle semblait très


âgée et pourtant se déplaçait avec fluidité.

— Mes sœurs ne voient que le court terme. Employer le


virus pour éradiquer les sortceliers, maintenant que
les démons sont vaincus et nous emparer de cette planète.

Tara retint sa respiration. Ah, ça ne lui avait pas du tout


manqué, ce bon vieux couplet de « je suis un gros
méchant et je vais conquérir le monde ».

La vieille hocha la tête. Sous le capuchon, Tara


n'arrivait pas à voir la couleur de ses cheveux.
— Mais moi, je n’oublie pas les démons. Leur
métabolisme est bien différent de celui des sortceliers, ils
risquent de ne pas être affectés par le virus et de tenter de
s’emparer d’AutreMonde à notre place. Et ils sont bien trop
nombreux pour que nous puissions les vaincre. Elles ne
veulent pas écouter mes mises en garde. Elles sont trop
excitées par cette opportunité que nous attendions depuis
des millénaires. Elles ne voient pas le danger.

OK, c’était bien joli tout ça, mais Tara n’arrivait


toujours pas à comprendre ce que lui voulait la vieille
sorcière.

— Alors, fit celle-ci, je me suis dit que plutôt que de


te tuer, et de perdre ainsi un atout précieux, j’allais plutôt
te proposer un marché.

Tara était toute ouïe.

La vieille femme ne la déçut pas.

— Si je te rends tes pouvoirs et que je te libère,


accepteras-tu de m’aider à éliminer mes sœurs ?
Chapitre 26
Mourmur
Ou comment prendre les menteurs à leur propre
piège
en mentant mieux et plus efficacement.

Sherlock, Mourmur, Heagle5 et ses Familiers se


trouvaient dans l’immense salle de contrôle des satellites
omoisiens.

Cal leur avait envoyé le film que le fils du pilote viridien


avait tourné. On y voyait les tapis décoller et se diriger
vers Tiran, mais, malheureusement, c’était une information
qu’ils avaient déjà. Et la petite scoop du gamin n’avait pas
une autonomie suffisante pour les suivre très longtemps,
elle avait dû revenir bien avant que les tapis ne changent
de direction.

Car ils n’étaient pas à Tiran, cela, au moins, était une


certitude.

Lorsque Cixi et Moineau avaient commencé à travailler


sur les évolutions spatiales des différents satellites
couvrant la zone qui les intéressait pour retrouver les tapis,
il était vite apparu que, malheureusement, les satellites
lancoviens, moins nombreux, n’avaient pas traversé la zone
suffisamment longtemps pour repérer les tapis.

Et bizarrement, sur les relevés omoisiens, les tapis


n’apparaissaient carrément pas.
Quelqu’un avait tripatouillé quelque chose quelque
part.

Cal avait appelé l’Impératrice qui avait prévenu le


centre de contrôle des satellites que Mourmur venait pour
« évaluer l’efficacité des bandes de recoupement ». Ça ne
voulait rien dire, mais au moins, connaissant l’excentrique
savant, les opérateurs ne seraient pas aussi inquiets que si
l’Impératrice avait dit : « Il y a un traître parmi vous et on
va le faire cuire à l’étouffée, alors il a vraiment intérêt à
se dénoncer avant[63]. »

Mourmur avait fait enregistrer les relevés par Sherlock


et ils s’étaient penchés[64] sur les bandes.

Trois opérateurs, deux hommes et une femme, avaient


travaillé sur le poste qui traitait à leur sortie les images
dont ils avaient besoin.

Le problème, c’était qu’il était impossible de savoir


lequel des trois était le coupable, ou s’ils avaient opéré à
plusieurs. Pour cette tâche qui ne nécessitait aucune
compétence magique, il y avait beaucoup de nonsos qui
travaillaient à la base, située à quelques rues du Palais
Impérial de Tingapour, dans un immense bâtiment
ultramoderne, tout de verre et de cristal et qui flottait à
une dizaine de mètres du sol afin que les ondes de magie
du quartz n’affectent pas les délicats appareils.

La grande salle climatisée par des Élémentaires d’Air


était divisée en deux cents postes de travail, composés
d’une table, de plusieurs fauteuils, de trois écrans
d’ordinateurs et des claviers, car les nonsos ne pouvaient
pas travailler avec du matériel magique.
Mourmur et son équipe avaient été accueillis avec
respect et curiosité. Pendant que Sherlock fouinait dans la
salle, Mourmur avait commencé à poser des questions et,
très vite, s’était mis à répondre à celles des opérateurs.

Heagle5, en retrait, regardait les hommes et les


femmes qui se pressaient autour du célèbre inventeur.

Elle recherchait les signes de nervosité, les regards


furtifs, les sourcils froncés et les épaules contractées. Tout
ce qui pouvait l’aider à démasquer un coupable.

Hélas, Mourmur et elle avaient bien fait leur travail, en


dissimulant leur véritable mission sous une couverture
anodine. Les gens étaient pressants et agréables,
impressionnés par les réponses de Mourmur et aucun
n’avait l’air d’être un méchant nonsos capable de trafiquer
une image pour que personne ne retrouve Tara et Selenba.

Au bout d’une heure plutôt agréable, car les opérateurs


étaient intelligents et compétents, Heagle5 en conclut
qu’il allait falloir utiliser la manière forte.

En effet, Mourmur avait totalement oublié qu’il était en


mission et débattait avec passion de l’influence des
trous noirs sur le poids de l’univers.

Heagle5 secoua la tête. Ah bon ? Parce que l’univers


avait un poids ?

Elle sourit, puis se transforma et reprit son uniforme de


commandante des Amazones. Elle avait prudemment
demandé la permission juste avant, histoire d’être sûre de
ne pas terminer en cour martiale puisqu’elle avait
démissionné.
Ah ! Cela lui avait manqué. Les combinaisons, c’était
bien joli et pratique, mais l’uniforme, ça avait quand même
une autre allure.

Elle s’avança, le visage sévère, ses guépards et tigre


blanc à ses côtés.

Le silence se fit. Cette belle femme martiale au visage


glacial avec ses trois Familiers était pour le moins
incongrue.

— J’ai ici, fit-elle en tapotant la poche de son


uniforme pourpre, une lettre de l’Impératrice qui
m’autorise à inspecter les bandes des trois derniers jours,
au-dessus de Viridis, plus précisément sur la côte
présentant les coordonnées suivantes.

Elle sortit une petite languette de cristal qui afficha les


coordonnées d’Iraptor devant les opérateurs surpris.

— C’est une mission de la plus haute importance.


Nous pensons que les gens responsables de l’enlèvement
de Tara Duncan, l’Héritière d’Omois, ont utilisé des tapis
lourds avant de se rendre à l’endroit où elle est
emprisonnée. Mais lorsque nous avons voulu vérifier
l’endroit où ces tapis se rendaient, nous nous sommes
aperçus, en comparant avec les satellites lancoviens, que
quelqu’un avait effacé les images des tapis sur les bandes
omoisiennes.

Un murmure indigné s’éleva. Les opérateurs étaient


stupéfaits d’apprendre ce qui s’était passé.

Puis ils réalisèrent qu’Heagle5 était juste en train de les


accuser.
— Ehhhh, fit l’un de ceux qui avaient discuté avec
Mourmur, un grand type un peu voûté dans sa blouse
blanche de rigueur, qu’est-ce que ça a à voir avec nous ?
Les images sortent d’ici, nous, on ne sait pas qui les
tripatouille ensuite !

— Justement, fit gravement Mourmur, elles n’ont pas


été trafiquées après, mais à la source.

Cette fois-ci, les visages se crispèrent et des coups


d’œil furent échangés.

Heagle5 laissa passer un moment, histoire de bien leur


faire comprendre à quel point la situation était grave, puis
désigna soudain trois opérateurs, un homme d’un certain
âge au regard craintif, un roux qui se rongeait les ongles et
une petite femme aux traits doux et aux cheveux d’un noir
lustré, les faisant sursauter.

— Vous, vous et vous, vous êtes en charge du satellite


qui couvre cette zone. Venez devant moi, s’il vous plaît.

Mourmur, l’air gêné d’avoir oublié pourquoi il était là


dans le feu de la discussion, se rapprocha d’Heagle5,
pendant que, inquiets d’être exposés aux regards curieux
de leurs collègues, les trois opérateurs se plaçaient devant
la commandante.

— Sherlock?

— Oui, commandante ? répondit la machine, avec un


soupçon d’amusement qui faisait penser à Heagle5 que
Sherlock était probablement tout aussi intelligent qu’un
humain, voire carrément un cran au-dessus.

— Enregistre ce que ces trois-là vont répondre à mes


questions, et détecte celui ou ceux qui mentiront s’il te
plaît.

— Non ? fit l’un des opérateurs qui n’était pas mis en


cause et était bien content d’ailleurs, Maître Mourmur,
vous avez inventé un système capable de détecter les
mensonges ? Je veux dire sans avoir besoin d’un Diseur de
Vérité ?

— Oui, répondit Mourmur en mentant avec aisance,


d’autant qu’ils avaient répété avant de venir. Sherlock est
une machine extrêmement avancée. Il est presque capable
de lire dans les pensées des gens. Il va détecter tout de
suite celui qui a trahi Omois.

Mourmur avait la réputation d’être un véritable génie


et il avait prouvé à de multiples reprises qu’impossible
n’était pas un mot auquel il attachait la moindre
importance. Les trois opérateurs regardèrent Sherlock qui
se positionnait devant eux.

Soudain, avant qu’ils n’aient le temps de réagir, la


femme brune à l’air doux partit en courant.

S’il n’y avait eu que des humains dans la pièce, elle


aurait peut-être pu s’échapper. Et encore, pas très loin,
puisque le bâtiment était discrètement cerné, ce que
Mourmur et Heagle5 avaient bien évidemment évité de
préciser.

Mais le tigre blanc d’Heagle5 était resté un peu en


arrière sur l’ordre de sa maîtresse et lorsqu’il vit que la
femme s’enfuyait, Heagle5 entendit presque son tigre
ronronner dans son esprit « chic, un truc qui couine avec
qui jouer ! ».

Il sauta par-dessus les tables et la rattrapa en deux


bonds. Son jouet hurla lorsque trois cents kilos de tigre lui
atterrirent sur le dos.

L’animal lui immobilisa la nuque entre ses crocs


puissants. Un mouvement de sa part et sa tête se détachait.
La femme, qui de toutes les façons ne pouvait presque pas
respirer, écrasée sous le poids, se mit à sangloter,
totalement terrifiée.

— Ah, fit Heagle5 d’un ton satisfait, nous avons une


gagnante, je crois.

Elle posta ses guépards afin qu’ils surveillent les deux


autres opérateurs qui suaient à grosses gouttes en dépit de
la climatisation fournie par les Élémentaires d’Air et
s’approcha tranquillement de la femme et de son tigre.

— Merci, dit-elle tendrement au magnifique félin


blanc, c’était du beau boulot.

Son tigre lâcha sa proie à regret et se posta sur le côté,


espérant qu’elle voudrait jouer de nouveau.

Mais la nonsos était brisée. Avoir été démasquée, puis


attaquée par un tigre alors qu’on lui avait dit que c’était
absolument sans risque de trafiquer les données des
satellites, l’avait réduite à l’état d’une loque sanglotante.

Heagle5 lui passa des menottes et la releva.

— Calmez-vous, fit Heagle5 alors que la femme se


mettait soudain à lui hurler dessus, hystérique et
incohérente. Calmez-vous !

Mais cela ne servait à rien. Et les hurlements étaient


totalement incompréhensibles.
Heagle5 savait très bien comment calmer les crises
d’hystérie.

La gifle claqua comme un coup de fouet, interrompant


net les hurlements de la femme.

Les opérateurs étaient choqués. Ils ne s’attendaient pas


à ce que Heagle5 frappe la femme. Celle-ci non plus,
d’ailleurs, car elle se contenta de regarder Heagle5 d’un
air stupéfait, avant de porter ses mains menottées à son
visage dont l’une des joues virait au rouge.

— Très bien, fit tranquillement la commandante,


maintenant que nous avons un peu de calme, et sachant
que la trahison envers Omois de cette importance est
passible de peine de mort, qu’est-ce que vous pouvez me
dire à propos de ces tapis qui ont disparu des images ?

La femme la regarda avec stupeur.

— Peine... peine de mort?

— Oui, opina gravement Heagle5, peine de mort. Je


crois que l’Impératrice n’est pas très contente qu’on ait
enlevé son Héritière. Elle va sans doute faire un exemple,
histoire de décourager d’autres candidats. Désolée que ça
tombe sur vous.

— Mais je n’ai rien fait, sanglota la femme brune dont


les yeux étirés vers les tempes devenaient presque ronds à
force d’être exorbités par la peur. C’est Sven qui m’a
demandé de ne pas signaler qu’il avait effacé les images,
mais il ne m’a pas dit pourquoi !

Elle pointa ses mains tremblantes vers l’un des deux


opérateurs, le roux qui se rongeait les ongles. Celui-ci lui
jeta un regard furieux.
— Salope ! cracha-t-il. Tu peux pas la fermer !

— Et pourquoi je me tairais, espèce de pourri? cria


la femme, révoltée. Pour les deux cents crédits-muts or
que tu m’as donné pour soi-disant masquer un petit trafic
sans importance avec Viridis ? Tu n’as jamais parlé de
l’Héritière d’Omois, je suis peut-être cupide, mais je ne suis
pas folle !

L’homme les regarda avec haine.

— De toutes les façons, éructa-t-il, vous êtes bientôt


tous morts. Les sortceliers vont pourrir grâce à notre virus
et toi, je vais te faire la peau pour m’avoir dénoncé. Et vous
pouvez me faire ce que vous voulez, jamais je ne vous dirai
comment récupérer ces données et cette salope ne pourra
pas plus, parce qu’elle est sous mes ordres et n’a pas les
accréditations. Allez vous faire voir !

Heagle5 savait reconnaître un fanatique et celui-là en


était un horrible exemple. Mais le troisième opérateur, qui
regardait ses deux collègues avec une stupeur sans nom,
réagit enfin.

— Toi, tu ne veux peut-être pas, mais moi, je ne suis


pas en guerre contre les sortceliers et certains de mes
meilleurs amis en sont.

Il se tourna vers Heagle5 et Mourmur et leur fit signe :

— Suivez-moi, on va aller à notre poste de travail.


Voyons ce que je peux faire pour vous aider.

Soudain, Sven se jeta sur lui et voulut le frapper. Mais,


si Mourmur avait l’air inoffensif et gentil, il n’en était pas
moins rapide. Le poing de Sven frappa le bouclier que le
vieux savant venait de déplier pour protéger l’opérateur.
La main de l’homme cassa net.

Il hurla de douleur.

— Très bien, ce bouclier instantané, ma chère, fit


Mourmur à Heagle5 avec satisfaction, justement, je voulais
l’essayer. Vous avez vu ? Je n’ai même pas eu besoin
d’incanter, il suffit d’appuyer sur le bouton, et hop ! Il
s’ouvre.

Sven se recroquevilla autour de sa main brisée et


ensanglantée, bredouillant de douleur.

Heagle5 prévint les gardes de l’Impératrice qu’ils


avaient trouvé les coupables et les thugs firent irruption en
force, en armure complète, ce qui angoissa quelque peu les
autres employés.

Sven fut emmené sans ménagement ainsi que la femme.


Les thugs avaient perdu beaucoup des leurs lors de
l’attaque de l’île des Roses Noires et n’avaient pas encore
digéré que leurs confrères aient été égorgés comme de
vulgaires spatchounes. Mourmur n’aurait pas voulu tomber
entre leurs mains. À son avis, ils allaient prendre tout le
temps du monde pour que Sven soit soigné...

Le troisième opérateur qui s’appelait Gus, ses yeux


bruns encore écarquillés de stupeur, s’assit derrière sa
station de travail.

Il s’épongea le front. Il avait un visage agréable


quoique banal et un air doux et compétent.

— Il a essayé de vous frapper, remarqua Mourmur,


très intéressé. C’est bon signe.
— Ah bon ? fit Gus qui avait un peu de mal à retrouver
ses esprits. J’ai un peu de mal à voir pourquoi, là, tout de
suite.

Heagle5 sourit.

— Mourmur a raison. Si vous n’étiez pas capable de


retrouver les données, il n’aurait pas essayé de vous
neutraliser. Cela veut donc dire qu’il a peur de ce que vous
allez trouver.

L’homme hocha la tête, peu convaincu.

— Pour l’instant, je vais déjà essayer de comprendre


ce que ces deux-là ont trafiqué. Ensuite, on verra s’il avait
raison ou tort.

— Sherlock, ordonna Mourmur, appelle Caliban Dal


Salan et Gloria Daavil et projette leur image, s’il te plaît, je
veux qu’ils voient ce que nous sommes en train de faire.

L’instant d’après, les images de Cal et Moineau


s’affichaient devant eux en trois dimensions. Derrière les
deux jeunes sortceliers, on voyait l’océan qui se brisait sur
une longue plage de sable d’un blanc vert. Sherlock avait
fait un bref résumé de ce qui s’était passé à Cal et
Moineau.

Gus afficha des tas de données sur son écran. Mourmur


et Heagle5 prirent les sièges des deux autres et se
penchèrent au-dessus des épaules de Gus.

Les autres opérateurs auraient bien voulu participer,


mais le chef du centre les encouragea fermement à se
remettre au travail.
— Très bien, expliqua Gus, voici les images qui
descendent du satellite et voici les flux de données que
nous envoyons afin de modifier les angles, les prises de
vues, agrandir ou reculer, etc., en fonction de ce que nous
voulons voir.

— Nos satellites militaires sont précis à cinq centitrolls,


fit remarquer Heagle5, ce qui, bien sûr, est indispensable
pour obtenir des frappes précises. Et les vôtres ?

— Ce sont plus ou moins les mêmes, sourit Gus,


visiblement plus à l’aise maintenant qu’on était dans son
environnement. Il nous arrive régulièrement de croiser les
données de plusieurs satellites, commerciaux comme
militaires, lorsque nous avons besoin de réponses précises.
Dans le cas de notre problème, je pense que Sven a dû
recoder le fichier source. Voyons ce qu’il a fait et surtout
comment.

Une image apparut sur son écran, puis tout de suite


après sur les deux autres écrans.

— Voilà, ça, c’est l’image remodélisée avec de la


lumière, parce que cela a été pris de nuit.

On y voyait AutreMonde rouler paisiblement, pendant


que le satellite prenait des milliers de photos par seconde.

— Redonnez-moi les coordonnées et le timing, s’il


vous plaît ?

Heagle5 lui remit la languette de cristal. Gus l’activa et


les nombres s’affichèrent devant lui.

— Ah, ah ! fit-il au bout d’un long moment. C’est bien


ce que je pensais. Il est malin. Il a effacé le passage pour
le remplacer par un même place code, mais avec un time
code différent.

— Il l’a remplacé par un autre jour ?

— Une autre nuit, plus précisément.

— Mais s’il l’a effacé, comment allez-vous retrouver ce


qui n’est plus ?

Heagle5 ne comprenait plus rien.

Gus eut un sourire malin :

— Le satellite conserve une sauvegarde pendant


quelques jours. À partir du moment où je connais le time
code et qui l’a remplacé et surtout à quel moment, je peux
renverser l’opération en récupérant l’ancien time code
pour le remettre en place. Ça va prendre quelques
secondes.

Il pianota des chiffres et des lignes de codes à toute


vitesse, puis sourit d’un air triomphant.

— Et... voilà !

À la place des images où les tapis n’apparaissaient pas


du tout, soudain, ils virent les deux trains de tapis
s’élever d’Iraptor.

Cal s’écria, enthousiaste :

— Génial ! Bravo !

Ils purent suivre la progression lente des tapis qui


commencèrent en s’enfonçant au-dessus des forêts
sauvages de Viridis, vers Tiran. Soudain, des hélicoptères
furtifs, silencieux et noirs, surgirent au-dessus des tapis de
tête. Les trois pilotes arrêtèrent leurs tapis, contraints et
forcés.

Puis encadrés par les hélicoptères, prirent la dernière


destination à laquelle s’attendaient Cal et ses amis.

Droit vers la mer.

Gus fut le premier à reprendre ses esprits.

— Ils vont vers Patrok, souffla-t-il d’une voix soudain


angoissée. C’est terriblement dangereux de naviguer dans
ce coin, que ce soit sur la mer ou dans les airs !

Cal avait le cœur serré et la bouche sèche. Si les


Édrakins s’étaient alliés aux nonsos pour attaquer les
sortceliers qu’ils haïssaient, et qu’ils avaient tenté à deux
reprises de conquérir, alors AutreMonde pouvait connaître
sa Cinquième Guerre mondiale.

Et s’il y avait bien une chose qu’il ne voulait pas, c’était


que ses enfants naissent au beau milieu d’une guerre.

— Pas forcément, fit Moineau, attentive. Il y a trois


solutions pour expliquer ce trajet. Soit le but est
effectivement l'île des Édrakins ; soit ils se doutaient qu’on
enquêterait et qu’on trouverait les bonnes images, et c’est
une façon de nous tromper en nous faisant croire qu’ils
sont partis dans cette direction ; soit leur but est l’une des
milliers d’îles qui parsèment l’océan des Brumes.

Soudain, Gus sursauta.

— Mais oui, bien sûr ! L’anomalie !

— Pardon ? fit Moineau, confuse.

Gus se mit à pianoter de plus belle.

— Ces deux soupilutes m’ont expliqué qu’il y avait eu


un bug il y a deux nuits. Qui aurait effacé des images de
cette partie d’AutreMonde. Il y a effectivement beaucoup
d’îles dans le coin et la majorité sont inoccupées parce que
d’origine volcanique.

Il s’interrompit et jura tout en se déplaçant sur sa


chaise à roulettes en allumant l’ordinateur sur un autre
poste de travail, ignorant les protestations de son collègue,
puis connectant les quatre ordinateurs ensemble.

— Je n’y ai pas prêté attention jusqu’à maintenant,


justement parce que nous surveillons surtout Patrok et pas
les autres îles, mais s’ils ont caché les images, c’est
sûrement parce qu’il y a une bonne raison pour ça.

Le cœur battant, ils attendirent que Gus recherche ce


que les deux autres avaient tenté de lui dissimuler.

Hélas, après une heure de marmonnements et de


jurons, Gus dut avouer qu'il ne parvenait pas à retrouver ce
que les deux autres avaient fait.

Comme il y avait effectivement des milliers d’îles entre


Patrok et le continent, impossible de savoir ce qui avait
été changé. Ce n’était pas comme pour la séquence des
tapis dont ils avaient les coordonnées et le time code
précis.

Mourmur et Heagle5 s’éloignèrent un peu pour discuter


avec Moineau et Cal. Celui-ci avait reçu les résultats des
morceaux de plastique bleu qu’ils avaient trouvés dans le
parc où les paons avaient été enlevés puis replacés.

C’étaient des ballons. Et apparemment, ils avaient été


remplis d’hélium, d’après les traces chimiques retrouvées
sur les parois. Et les traces curieuses sur les arbres étaient
des traces de flèches.

Donc, la conclusion logique, c’était que des gens


avaient placé des ballons qu’ils avaient ensuite détruits
avec des flèches. Quant à savoir qui et surtout pourquoi,
c’était un autre problème.

Mourmur se gratta la tête d’un air étonné.

— C’est très étrange, toute cette affaire. Pourquoi


avoir enlevé les oiseaux si c’est pour les rendre tout de
suite après ? Et des ballons bleus ? Des flèches ? De
l’hélium ? Je ne sais pas très bien pour vous, mais moi, je
trouve que cela ressemble à une farce de très mauvais
goût.

L’image de Cal hocha la tête.

— Si les centaures n’avaient pas disparu et Tara et


Selenba ensuite, c’est aussi ce que j’aurais dit. Même si je
pense que les deux affaires sont indépendantes, on ne peut
pas ignorer qu’elles sont arrivées à peu près au même
moment.
Il laissa passer un peu de temps puis se frotta le visage,
l’air épuisé.

— Chaque heure qui passe est un danger pour Tara et


pour nos enfants.

Moineau posa une main chaleureuse sur l’épaule de Cal


qui était à côté d’elle sur la table de pique-nique, un
monde de compassion dans ses jolis yeux noisette.

— Sois patient, ce n’est qu’une question d’heures


maintenant. Nous allons la retrouver et la délivrer, ainsi
que Selenba. D’ailleurs, à mon avis, elles doivent déjà être
en train de se délivrer toutes seules ou d’essayer de revenir
sur le continent, si elles ont compris qu’elles étaient sur
une île.

— C’est bien ça qui m’angoisse, répondit Cal. Peut-


être que Tara est seule, quelque part, blessée, terrorisée, et
nous aurions dû la trouver et la délivrer depuis des jours !

Mais le reste de la nuit s’écoula sans que Gus soit


capable de trouver l’île où Tara avait été emmenée.

Lisbeth fit interroger les deux opérateurs nonsos par


ses spécialistes, y compris par un Diseur de Vérité. Il
apparut très vite que la femme n’avait été motivée que par
la cupidité et la bêtise.

Ils ne purent rien tirer du second.

Lorsqu’ils arrivèrent dans sa cellule, le Diseur ne put


rien sortir de son cerveau.

Parce qu’il était mort.


Et apparemment, pas de son plein gré, car les traits de
son visage étaient épouvantés et qu’il avait lutté de toutes
ses forces. On l’avait forcé à avaler un poison ou un truc
comme ça, car il n’était plus d’une couleur tout à fait
classique pour un nonsos. Son visage avait viré au bleu et,
avec les vaisseaux éclatés de ses yeux sanglants, c'était
assez affreux.

La mauvaise nouvelle tomba alors que Mourmur,


Heagle5, Cal et Moineau attendaient, sans avoir coupé la
communication. Moineau continuait à travailler avec Cixi
de son côté et Sherlock réfléchissait du sien, ce qui se
traduisait par des tas de clignotements pensifs, de petits
mouvements des excroissances organiques qui sortaient de
ses entrailles mécaniques et des balancements d’avant en
arrière.

Gus finit par déclarer forfait vers 2 heures du matin.


Les autres opérateurs avaient arrêté depuis longtemps et
avaient été remplacés par les opérateurs de nuit, qui
avaient été mis au courant de ce qui se passait et
observaient le poste de Gus avec curiosité et inquiétude.

— Je vais aller dormir un peu, fit-il d’une voix brisée,


nous avons des chambres dans le complexe, accordez-moi
quatre heures, je ne suis plus bon à rien pour l’instant.

L’image de Cal se redressa.

— Mais...

— Il a raison, Cal, intervint Heagle5. Nous sommes


tous fatigués, et mon expérience me fait dire qu’on ne fait
rien de bon lorsqu’on est fatigué. Laisse donc cet homme se
reposer un peu et toi, va donc dormir et manger un peu. Tu
as une mine à faire peur.
La commandante avait l’habitude de ses jeunes soldates
qui ne voulaient pas dormir, s’accrochant au travail
pour lutter contre le sommeil. Il ne lui fallut donc pas très
longtemps pour organiser une garde rapprochée pour Gus
qui hérita de deux thugs pour garder sa porte. Comme il
avait conscience que son confrère avait été tué après avoir
tenté de le frapper pour qu’il ne puisse pas aider l’Empire,
Gus fut plutôt reconnaissant. Cela évita à la commandante
de lui faire remarquer que, pour l’instant, ils ne savaient
pas encore s’il était impliqué dans le complot et faisait
semblant de collaborer avec eux pour les retarder et que
par conséquent, en fait, il était prisonnier.

De leur côté, Cal et les autres se replièrent dans le


vaisseau de Magister. Qui ne fut pas très content de les voir
revenir bredouilles. Mais comme il n’avait rien ni personne
à torturer ou à menacer pour obtenir des résultats plus
vite, il se résigna et laissa Cal et le reste du magicgang
manger et se reposer quelques heures.

Pendant que Cal dormait, Gus se retournait sur sa


couche, furieux de s’être fait manipuler comme un bleu. Il
n’avait rien vu de ce qui se manigançait sous ses yeux. Il
s’endormit sur cette idée déprimante.

Et trois heures et demie plus tard, il se réveilla si


soudainement qu’il faillit se faire un torticolis en se levant.

— Par les crocs cariés de Gélisor! s’écria-t-il. Mais


quel kré-kré-kré je suis ! C’est pas possible, d’être aussi
bête !

Il bondit de son lit, oubliant qu’il s’était mis en caleçon


pour dormir, et sortit de sa chambre comme une fusée,
surprenant les deux thugs vigilants qui faillirent en laisser
tomber leurs lances.
— Vite, cria Gus, venez !

Il fit irruption dans la grande salle où les opérateurs


travaillaient, traversa comme une comète et se jeta sur son
poste de travail. Il se mit à pianoter tout en jurant :

— Mais qu’est-ce que j’ai dans le cerveau ? Hein ? De


la bouillie pour bébé ? C’est pas que c’est mauvais, la
bouillie pour bébé, mais comme cerveau, ça ne sert à rien !
Ah, ah ! Vous avez cru m’avoir, mes petits salopiauds, je
vais vous montrer, moi, ce que Gus a dans la tête !

Mourmur et Heagle5 qui avaient dormi dans la


chambre contiguë à celle de Gus arrivèrent en courant,
réveillés par les gardes.

— Que se passe-t-il ? demanda Heagle5, inquiète.

— Il se passe, répondit Gus triomphant, que ce


n’était pas en recherchant la ligne temporelle qu’il fallait
opérer, ou alors en traquant ce qu’ils avaient modifié, mais
tout simplement en comparant le jour d’avant au jour
d’après et en lançant un programme pour trouver les
similitudes et non pas les différences ! Les images ne sont
absolument jamais les mêmes ! C’est impossible. Il y a
toujours des nuages, des formations maritimes, des coups
de vent, bref, chaque fois c’est différent. Alors j’ai lancé le
programme pour repérer deux images absolument
identiques sur deux jours différents.

Il leva la tête vers Mourmur et Heagle5.

— Vous pouvez aller vous recoucher, ça va prendre


du temps, il y a des millions d’images à traiter.

Heagle5 consulta Mourmur du regard. Le vieux savant


secoua la tête. Il n’avait pas envie de dormir et trouvait
tout cela très excitant, même si, pour l’instant, il était un
peu déçu que personne n’ait rien fait exploser.

— Je vais quand même réveiller Cal, dit Heagle5. Je


pense qu’il va nous en vouloir si Gus trouve quelque chose
et qu’il n’est pas réveillé pour réagir tout de suite.

— Oui, tu as raison, fit Mourmur. Mais je peux peut-


être aider.

Il s’adressa à Gus.

— Dites-moi, jeune homme, ça vous ennuierait si


je connectais Sherlock à votre ordinateur ? Il a une très
grande puissance de traitement, bien plus que cette
machine, je pense qu’il peut nous faire gagner du temps.

Gus fit la grimace, il n’aimait pas connecter sa machine


avec un bidule qui faisait autant de bruits bizarres, mais
finit par acquiescer.

Sherlock se connecta. Et se mit à clignoter avec joie au


fur et à mesure où les informations se déversaient dans
son immense mémoire.

Pendant ce temps, Heagle5 appela Cal. Le jeune


homme venait apparemment de se réveiller, car il sortait de
sa douche. Heagle5 apprécia en connaisseuse le corps
magnifique de Cal, juste drapé dans une toute petite
serviette blanche. Elle l’avait connecté à partir de son hor,
ne voulant pas utiliser la puissance de calcul de Sherlock
pour une communication. Elle expliqua ce que venait de
dire Gus à Cal. Celui-ci se pencha vers son hor, excité.

Soudain, Sherlock émit un bip triomphant. Et afficha


une image sur l’écran de Gus qui bondit.
— Dites donc, vous pouvez me le prêter ? Je n’ai jamais
vu un ordinateur aussi rapide !

Sherlock siffla puis répondit :

— Je vous remercie, mais la tâche était facile.

Gus lui sourit. Puis il se pencha sur ce que venait


d’afficher Sherlock et tourna l’écran vers Mourmur et
Heagle5.

— C’est cette île. C’est ce moment qu’ils ont changé,


soi-disant à cause d’un bug. Et maintenant que je sais
quand et où, voyons un peu ce que vous avez essayé de me
cacher.

Il modifia plusieurs paramètres sur son ordinateur


après avoir remis l’écran en face de lui. Et soudain, il
sursauta.

— Par les entrailles de Bendruc le Hideux ! Ah ben


slurk alors !

Heagle5, impatiente, tourna l’écran pour voir ce qui


avait stupéfié Gus à ce point. Et ce fut à son tour de
sursauter, pendant que Cal hurlait de triomphe.

Car sur l’écran il y avait un SOS en lettres de feu.

Et la signature précisait que le SOS avait été créé par


un vampyr...
Chapitre 27
Selenba
Ou comment les meilleurs plans
ne résistent pas aux plans des autres.

Saboter des tanks était une chose. Les voler en était


une autre. Les nonsos NM n’étaient pas idiots. Ils savaient
que leurs tanks étaient leur meilleure protection contre les
centaures et la vampyr.

Ils avaient donc placé les tanks dans un endroit éloigné


des arbres, comme ça personne ne pourrait les incendier
comme la première fois, puis les avaient entourés d’une
ligne de gardes vigilants et sur le qui-vive, remplacés
toutes les trois heures afin d’éviter qu’ils ne s’endorment.

Et avec ces fichus NM, la magie ne servait à rien.

Ils avaient fait le compte des munitions qu’ils avaient.


Ils avaient saisi une dizaine de broyettes et autant de
chargeurs, ce qui n'était pas bien lourd pour se débarrasser
des gardes armés jusqu'aux dents et protégés par les
mêmes armures que celles qu’ils avaient utilisées pour
vaincre les thugs de Tara.

Armures qui non seulement les protégeaient, mais en


plus leur donnaient une force démultipliée, d’après ce que
les centaures avaient pu voir.
Tout cela n’arrangeait pas du tout Selenba. D’autant
qu’elle commençait à avoir mal au ventre.

C’était très désagréable. Les vampyrs n’avaient jamais


mal au ventre. Ni à la tête. Ni nulle part, d’ailleurs, c’était
une race solide et rarement malade.

Là, elle découvrait qu’elle n’aimait pas cela.

Contrairement à Tara, elle n’avait pas suivi de cours


d’accouchement vampyr, tout simplement parce
qu’elle pensait avoir le temps. Sauf qu’elle n’avait pas
envisagé de se battre, d’être enlevée et d’avoir à se
transformer aussi souvent, ce qui apparemment avait eu
l’air d’accélérer le travail.

Et là, elle ne pouvait pas accoucher, parce qu’elle


devait d’abord délivrer Tara.

Ils mirent leur plan au point, puis se séparèrent pour


récolter tout ce dont ils avaient besoin pour l’attaque. Ils
fabriquèrent des bombes incendiaires artisanales avec la
sève très inflammable de l’arbre à huile et récoltèrent les
épines des Géants d’Acier qui valaient tous les shrapnels du
monde, afin de fabriquer des grenades à main. Ils se
taillèrent aussi des couteaux et des arcs ainsi que des
flèches.

Il leur fallut deux jours pour que tout soit prêt.

Le moment venu, Fabra avait préparé tout ce dont elle


avait besoin pour prendre les commandes d’au moins un
des tanks. Le but était de neutraliser les deux autres en
utilisant les canons du premier. Cela n’allait pas être très
facile.
Il était 2 heures du matin et ils étaient enfin prêts à
attaquer.

Ils avaient pris position autour du complexe. Ils


n’avaient pas surveillé ce que faisaient les nonsos depuis la
veille, trop occupés à se préparer.

Et là, Selenba fronçait les sourcils.

Les gardes n’étaient plus là.

Quelque chose clochait.

S’étaient-ils doutés que les centaures allaient attaquer


et avaient-ils décidé de leur tendre un piège ? Elle maudit
l’univers tout entier. Et elle en premier, alors qu’elle savait
pourtant que l’information était la clef du succès.

La lune et demie brillait, les étoiles étincelaient, et les


gardes étaient soit bien cachés, soit tout à fait absents.

Elle ne pouvait pas donner l’ordre d’attaquer. Pas sans


plus de renseignements. Elle allait pousser le sifflement qui
signalait le repli lorsque, tout à coup, l’aile gauche du
complexe explosa littéralement, éclairant la nuit d’une
gerbe de feu.

Stupéfaite, Selenba regarda sans comprendre.

— Bon sang ! hurla-t-elle. Quel est l’imbécile qui a


attaqué sans mon ordre ?

— Ce n’est pas nous ! cria l’un des centaures.


Regardez, c’est un vaisseau !

Effectivement, sous leurs yeux incrédules, un vaisseau


dix fois plus haut que le complexe se posa à moitié dans la
mer, s’enfonçant avant de se stabiliser, utilisant ses
moteurs pour ne pas détruire l’île, alors que des véhicules
s’envolaient de ses flancs, droit vers le complexe.

Selenba se leva vivement et retint un gémissement


lorsque son ventre la tira.

Elle laissa passer la contraction en inspirant


profondément et dit :

— Ce doit être les secours. Allez-y, je vous rejoins !

Les centaures foncèrent. En dépit de la douleur,


Selenba se transforma en chauve-souris et s’envola.

Grâce à sa vue de chauve-souris, elle voyait nettement


mieux la coque noire frappée d’un sigle qu’elle
connaissait bien, un cercle sanglant.

C’était le vaisseau amiral de Magister.

À regret, elle se posa sur les branches d’un arbre. Elle


n’allait pas pouvoir se joindre au combat pour délivrer
Tara. Pas au prix de risquer de tomber entre les mains de
Magister, son bébé et elle.

Les attaquants étaient bien des Sangraves, mais au


milieu d’eux, elle reconnut Cal et ses amis. Eh bien,
songea-t-elle avec amertume, ils s’étaient alliés au pire des
démons pour délivrer Tara !

Elle vit les centaures foncer, les gardes sangraves


faillirent les abattre, mais Sylver les en empêcha juste à
temps.

Ils firent la jonction en parlant tous avec excitation.


Ils avaient tiré sur le complexe qui était en train de
flamber, sans doute pour avertir Gueder qu’ils ne rigolaient
pas et l’inciter à se rendre. Ils avaient peut-être scanné
l’ensemble afin de déterminer l’endroit où il n’y avait aucun
signe de vie.

Mais en revanche, ce que Selenba ne comprenait pas,


c’était pourquoi les gardes nonsos NM de Gueder ne
répliquaient pas.

Soudain, elle vit Cal ressortir, l’air accablé.

Le cœur serré, elle comprit alors que Tara avait dû


mourir.

Elle avait mis trop de temps pour la délivrer.

Pour la première fois depuis longtemps, la vampyr


ressentit une véritable tristesse en pensant à quelqu’un
d’autre qu’à elle-même. C’était sans doute ces maudites
hormones, se dit-elle, furieuse, alors qu’elle sentait monter
des larmes à ses yeux sensibles.

Puis elle entendit ce que Cal était en train de dire au


grand type masqué à ses côtés et elle se recroquevilla en
tendant l’oreille de plus belle. Heureusement, les chauves-
souris avaient l’ouïe fine.

— Tara a accouché, fit Cal, l’air désespéré, à un grand


type blond aux yeux violets. J’ai trouvé deux berceaux et
des tas de couches. Mais ils ont tous disparu ! C’est pour ça
qu’on ne voyait rien au scanner !
Selenba jura entre ses dents. C’était pour ça que
personne n’avait riposté ! Les lâches NM ! Ils s’étaient
enfuis !

Ils avaient dû découvrir d’une façon ou d’une autre que


les secours étaient en route et ils avaient déménagé leur
laboratoire.

Fafnir regardait les fumerolles du volcan et s’exclama :

— Moi, ce qui m’étonne, c’est que Tara n’ait pas fait


exploser cette île avec son volcan, c’est tout à fait le genre
de chose qu’elle aime bien faire.

Elle jeta un regard vers Cal.

— Ce doit être de famille, cette envie de faire boum.


Tu crois que tes enfants auront le même don ?

Soudain, ce fut trop pour Cal. Au milieu des Sangraves


très gênés et de ses amis, le grand garçon aux cheveux
noirs et au visage d'ange s’effondra, terrassé par les
sanglots.

— Je... je ne sais même pas si elle est vivante ! hoqueta-


t-il. Je ne sais plus quoi faire !

Un tiraillement insistant finit par plier Selenba en deux.


Et slurk ! Elle ne pouvait pas rester sur cette île déserte
pour accoucher de son fils. Il allait falloir qu’elle se rende.
Et puis elle devait parler avec Cal.

Elle plana jusqu’au petit groupe. Moineau et Fafnir,


désemparées (enfin surtout Fafnir qui ne savait pas du tout
gérer les larmes), s’efforçaient de consoler Cal à grands
renforts de « on va les retrouver » et autres « et les
découper en morceaux ».

Selenba se laissa tomber lourdement, trop malade pour


faire dans la dentelle. Elle se transforma instantanément et
la changeline la couvrit d’une... chemise d’hôpital
rouge sans manches. Selenba grogna intérieurement,
l’entité allait lui payer ce choix vulnérable, alors qu’elle lui
avait demandé une armure, mais plus tard, lorsque la
vampyr aurait moins mal au ventre et au dos.

Le grand homme blond également en armure recula,


surpris. Puis il s’avança, un sourire radieux aux lèvres.

— Selenba ! Mon Chasseur ! Tu as réussi à t’échapper !


J’en étais sûr !

Selenba ignora Magister et, se penchant sur Cal, le


releva d’un geste sec. Stupéfait, le garçon la dévisagea au
travers de ses larmes. Puis, avant que la vampyr n’ait le
temps de l’en empêcher, il l’entoura de ses bras.

— Selenba ! Dis-moi que Tara est avec toi !

Selenba se dégagea sèchement. Pas parce qu’elle ne


l’aimait pas, après tout, elle avait de l’affection pour le
jeune homme, mais parce qu’elle avait trop mal pour que
quiconque la touche.

— Elle était prisonnière, répondit-elle avec


concision. Elle l’est toujours. Nous n’avons pas réussi à la
libérer, en fait, on allait s’en occuper quand vous avez
débarqué. Tes bébés sont magnifiques. La dernière fois que
je lui ai parlé,

Tara a dit que les kidnappeurs sont des femmes,


précisa-t-elle.

Puis une curieuse expression joua sur son magnifique


visage aux yeux roses, qui papillonnèrent.

— Et je crois que je suis en train d’accoucher, eut-elle le


temps de dire.

Juste avant de s’évanouir.

Pendant que ses amis s’empressaient autour de


Selenba, que Cal avait rattrapée de justesse, et que
Magister s’agitait comme une poule inquiète, mort de
trouille soudain à l’idée de perdre la belle vampyr et son
bébé, Tara était ailleurs.

Où ailleurs, ça, c’était la question à un million de


crédits-muts.

Mais un ailleurs plutôt confortable.


Parce que sa réponse avait été « oui » à la vieille
sorcière. Oui, pour éliminer les sorcières débiles qui
avaient mis la vie de ses enfants en danger et surtout oui,
oui, oui, pour récupérer ses pouvoirs.

Cela dit, les fameuses sorcières vertes (elles se


nommaient elles-mêmes les sorcières noires, mais elles
étaient vertes, alors Tara les appelait comme ça) étaient
méfiantes. Elles l’avaient enfermée dans une énorme
chambre sans fenêtre, entièrement doublée de fer
d’Hymlia.

Mais il y avait quand même une amélioration. Personne


ne lui envoyait de virus pour essayer de la tuer, du
moins, pas pour l’instant.

Elle disposait aussi d’un lit très confortable, de deux


magnifiques berceaux pour Celia et Danviou, d’autant de
couches dont elle pouvait avoir besoin sans avoir à les
laver, de biberons d’eau et de lait maternisé, d’après ce
qu’elle avait lu sur l’emballage, d’une salle de bain
fastueuse.

Elles lui avaient même fourni des vêtements et, pour


l’instant, si elle jugeait à l’aune du repas qu’elle venait de
déguster avec autant de surprise que de plaisir, ils avaient
un fameux cuisinier, qui avait l’air de bien aimer décliner
les produits d’origine terrienne.

Foie gras de canard truffé, poisson délicatement poché


à la sauce au beurre de balboune et à la ciboulette, riz
sauvage et soupe de pêche à la groseille en dessert.

Si ça continuait, elle allait être une grosse prisonnière,


dans tous les sens du terme.
Et tout cela s’était produit en très peu de temps, car
leur déménagement de l’île avait été pour le moins
précipité.

Elle était en train de terminer ses derniers exercices


dans l’exiguïté de sa cage dans le laboratoire blanc, lorsque
Gueder était venu la prévenir.

Enfin, la prévenir, ce n’était pas tout à fait le mot. Il


l’avait informée que ses « salopards de mutants »
d’amis avaient réussi à remonter la piste jusqu’aux
satellites, que ses partisans avaient eu le temps de le
prévenir et qu’il savait que ce n’était qu’une question
d’heures avant qu’ils ne la trouvent.

Que répondre à cela, à part que Tara en était ravie et


qu’elle espérait bien que ses amis allaient botter le gros
cul de Gueder ?

— Qui sont ces « elles » dont vous avez parlé ? avait


demandé Tara, sans se préoccuper de la rage de
Gueder, forcé de partir de son complexe si soigneusement
construit et caché.

L’homme s’était figé. La vieille sorcière avait dit à Tara


que personne ne devait savoir qu’elle était venue lui parler
et avait passé un accord avec elle. Mais rien n’empêchait
Tara de se renseigner, n’est-ce pas ?

Il avait dévisagé Tara, méfiant, mais la jeune fille lui


avait opposé un visage serein et un regard curieux. Il était
ressorti, convaincu qu’elle était juste suffisamment maligne
pour avoir relevé qu’il avait parlé d’« elles ». Et, bien sûr, il
était reparti sans lui répondre.

Un quart d’heure après son départ, Tara avait senti une


odeur de lavande pourrie et s’était affalée avant d’avoir eu
le temps de prendre ses enfants dans ses bras, espérant du
fond du cœur que la vieille sorcière ne s’était pas fait
doubler et que c’était bien un gaz anesthésiant que Gueder
avait diffusé dans le laboratoire et non pas un gaz mortel.

Tara avait donc été soulagée lorsqu’elle s’était réveillée


dans cet étrange environnement. Comme il n’y avait pas
de fenêtre, impossible de savoir où elle était, si c'était en
surface ou sous terre, ni même, n’ayant plus de pouvoir
pour vérifier la qualité de la magie, si c’était encore sur
AutreMonde.

Bizarrement, ses bébés s'étaient réveillés avant elle et


étaient en train de râler parce qu’elle ne s’était pas
précipitée pour les nourrir. Ils avaient faim, ce qui signifiait
au moins qu’ils avaient dormi longtemps.

Tara les avait changés et avait commencé à nourrir


Danviou, tout en observant son environnement pour
essayer de comprendre où elle se trouvait.

Les meubles n’avaient rien de particulier, ils étaient


joliment décorés mais assez simples, bois rouge et bleu,
dans la pièce que le fer brun d’Hymlia assombrissait. Il y
avait des lampes électriques cachées par des appliques de
cristal, puisque rien de magique ne pouvait fonctionner, et
un lustre coloré qui rappelait un peu à Tara les lustres de
Murano, aux corolles de fleurs de verre de toutes les
couleurs, très à la vogue au XIXe siècle sur Terre.

Et plus que tout, Tara voulait comprendre pourquoi et


comment Gueder s’était allié aux sorcières vertes, vu
qu’elles utilisaient tout autant la magie d’AutreMonde que
les sortceliers.
Elle chercha dans sa mémoire. Elle avait lu des tas de
livres sur AutreMonde, y compris le Livre des
sombres secrets de l’Empire d’Omois, écrit, année après
année, par les Empereurs et Impératrices qui s’étaient
succédé depuis cinq mille ans.

Comme elle était sortcelière, ils s’étaient gravés dans


son esprit, comme les langues qu’elle avait appris de la
même façon. À son grand soulagement, lorsqu’elle avait
perdu sa magie, ce qu’elle avait appris n’avait pas disparu.

Elle ferma les yeux et se mit à chercher dans sa


mémoire. Elle entendait encore les bruits de la pièce, mais
se représentait sa mémoire comme une bibliothèque, avec
elle au centre en train de chercher le bon rayonnage.

Sorcières des Marais de la Désolation. Le titre lui sauta


aux yeux. Elle ouvrit mentalement le livre et se mit à lire.

Un instant après, elle rouvrit les paupières et fit une


énorme grimace.

Ouah ! C’était vraiment déplaisant.

Les sorcières vertes pratiquaient des rituels de mort.

Raisons pour lesquelles elles avaient été bannies dans


les Marais et interdites dans la majorité des pays. Car
elles dévoyaient la magie en tuant.

Elles avaient été dix-neuf. Dix-neuf sorcières qui avaient


été bannies des milliers d’années plus tôt, après avoir
dévasté une cité entière, hommes, femmes, enfants,
animaux, insectes, tout était mort. La cité avait été ensuite
détruite par les sortceliers, car il s’y passait encore des
choses étranges même après le départ des sorcières.
À chaque mort, leur puissance augmentait. D’une
certaine façon, cela faisait d’elles des sortes de vampyrs
psychiques à égalité avec les démons.

À présent qu’elle commençait à rassembler les


éléments du puzzle, Tara comprenait mieux pourquoi ni les
thugs, pourtant vigilants, ni les sorts n'avaient détecté les
assaillants cachés dans l’eau.

En dehors de leur technologie, Tara pouvait parier


qu’ils avaient été cachés par la magie maléfique des
sorcières. Et que comme cette magie était tronquée,
différente, même si Tara pensait que la source restait la
même, les thugs ne l’avaient pas repérée.

La jeune fille pensait également que les savants qui


avaient sans doute étudié le site après l’assassinat des
thugs et la disparition de Tara n’avaient sans doute pas non
plus détecté la magie des sorcières, sinon cela aurait fait
longtemps que la jeune femme aurait été délivrée.

Maintenant, le tout était de déjouer les complots de ces


maudites sorcières et de retrouver l’homme qu’elle aimait.

Elle ressentit de nouveau cette impression qu’on


l’observait, et la vieille femme verte à qui elle avait parlé
dans le laboratoire se matérialisa dans la chambre, sortie
des ombres et du néant.

Tara en resta bouche bée. Elle avait fini de nourrir


Danviou et était en train de s’occuper de Celia. Tout en ne
bougeant pas afin de ne pas déranger le bébé, Tara
demanda, incrédule :

— Par les crocs cariés de Gélisor, comme dirait Cal,


comment vous faites ça ?
La vieille femme repoussa le capuchon qui la couvrait,
dévoilant des cheveux blanc et noir bizarrement tranchés
en grosses mèches épaisses et brillantes. Elle portait le
même bâton/balai moche avec un cristal laiteux enserré
dans des sortes de serres noires. Tara se demanda si elle
volait avec aussi, comme dans les contes de fées.

— Comment je fais quoi ?

— Comment faites-vous pour utiliser la magie sous


l’influence du fer d’Hymlia ? Normalement, vous ne devriez
pas pouvoir !

La vieille femme la dévisagea de son regard noir et


farouche.

— Vous n’avez pas à connaître les secrets de notre


ordre. Et je n’ai pas à répondre à vos questions. Vous êtes
juste là pour tuer mes sœurs et les empêcher de détruire
les sortceliers et la magie.

Celia avait terminé et s’était à moitié endormie en


tétant, et Tara la mit sur son épaule afin qu’elle puisse faire
son rot tout en lui massant le dos.

Puis elle vérifia que la petite n’avait pas fait pendant


qu’elle mangeait et la recoucha dans le berceau à côté de
celui de son frère qui s’était rendormi, propre et satisfait.

Puis la jeune femme blonde se plaça devant la vieille


sorcière qui avait suivi tous ses mouvements avec
attention.

— Comment faites-vous pour vous matérialiser alors


que le fer d’Hymlia nous entoure, répéta-t-elle d’un ton
glacial.
La sorcière fut surprise que Tara ne cède pas.

— Pourquoi voulez-vous le savoir ?

— Parce que Gueder comme vos copines verdâtres


ne sont sans doute pas stupides. Ils vont me rendre ma
magie afin que je sois sensible à leur foutu virus, mais vont
me laisser dans cette cage ou dans une autre, s’ils
décident d’en faire un cirque à grand spectacle pour
montrer à AutreMonde tout entier ce qui va lui arriver,
histoire que je meurs, mais que je ne puisse pas utiliser ma
magie pour m’échapper.

À la tête soudain constipée de la vieille sorcière, Tara


comprit qu’elle avait deviné juste. La sorcière verte finit
par répondre :

— Ce n’est pas Gueder, ce pathétique nonsos qui a


décidé de faire de votre mort un grand spectacle. Ce sont
mes sœurs. Elles ont fait aménager l’une de nos cavernes
avec des scoops afin que cela soit retransmis dans tout
AutreMonde.

Tara ricana :

— Grand classique des mégalos. Il faut que tout le


monde assiste à leur triomphe. Pourquoi je ne suis même
pas surprise, moi ! Donc elles ont construit une énorme
cage au milieu afin qu’on me voie bien et que je puisse
donner un bon spectacle, c’est ça ?

La vieille femme hocha la tête et s’appuya sur son


bâton comme si son dos lui faisait mal.

— Il va falloir vous débrouiller pour vaincre le pouvoir


du fer d’Hymlia toute seule, annonça-t-elle, car la magie
qui me permet de l’ignorer n’est accessible à votre espèce
que si vous pratiquez un rituel de mort juste avant. Et je
sais que vous n’utilisez pas ce genre de magie.

— Vous sacrifiez quoi dans votre rituel ? demanda


soudain Tara, horriblement consciente d’avoir deux bébés
vulnérables avec elle.

— Essentiellement des bestioles des Marais, répondit


la vieille sorcière avec sérieux. Bien sûr, plus la bestiole
est grosse, plus la mort est profitable et la magie puissante.
Si on sacrifie un traduc des Marais ou un bourbule
verruqueux, alors on peut emmagasiner du pouvoir pour
des mois entiers. Pour vaincre le fer d’Hymlia, j’ai dû
sacrifier une chèvre. Ce qui est dommage, c'est que le
rituel fait instantanément pourrir la chair de l’animal que
l’on a utilisé. Sinon, nous aurions eu de la chèvre au dîner.

— Vous ne sacrifiez pas d'êtres humains alors ?

La vieille sorcière la regarda avec dédain.

— Non, aucun intérêt. C’est compliqué à enlever, c’est


à peine plus gros qu’un grand singe et il y a toujours
d’autres humains qui se mettent à leur recherche. Nous
préférons utiliser des animaux, cela nous apporte beaucoup
plus de puissance.

Tara ne comprenait pas. Tout cela lui paraissait plutôt


inoffensif comme magie, bon, enfin, inoffensif pour un
humain, parce que si on se plaçait du point de vue des
traducs, des bourbules ou des bestioles des Marais, bien
sûr, c’était très différent[65].

— Pourquoi vous êtes-vous attaqués à une cité si


vous n’avez pas besoin de tuer des êtres intelligents pour
avoir du pouvoir ?
— Parce que certaines de mes sœurs ont cru que le
pouvoir que leur donne la mort de sortceliers était plus
fort, répondit la vieille femme avec dédain. Elles ont
convaincu les autres de tuer la ville, ce qui était une
absolue idiotie. Malheureusement, nous nous en sommes
rendu compte alors qu’il était trop tard. La planète entière
nous est tombée dessus, alors que nous pensions être
invincibles. Nous avons payé cher cette erreur de
jugement. Nous avons été bannies.

Tara était surprise. Ni les dragons ni les AutreMondiens


n’étaient faibles ou compatissants. Pourquoi n’avaient-ils
pas tué les sorcières ?

— Ils n’ont pas réussi à nous tuer, parce que nous


étions tellement gavées du pouvoir de la mort d’autant de
gens et d’animaux que sans être invincibles, nous étions
néanmoins protégées. Ils ont préféré attendre que ce
pouvoir se dissipe.

Ça a pris tellement de temps et nous étions si loin de


leur vue et de leurs pensées, qu’ils ont fini par oublier.

— Mais vous, fit lentement Tara, vous n’avez pas oublié.

— Non, hélas. Et maintenant, les mêmes crétines sont


en train de recommencer la même erreur. Je ne les laisserai
pas faire. C’est pourquoi il faut absolument que vous
récupériez votre pouvoir, même si le fer d’Hymlia vous
emprisonne.

La jeune fille blonde se garda bien de dire que si elle


récupérait son pouvoir, elle ne ferait qu’une bouchée du
fer d’Hymlia. Elle se contenta de hausser les épaules.

— Alors s’ils me mettent dans une cage devant tout


le monde, lorsqu’ils m’auront rendu ma magie, il faudra
absolument que vous m’ouvriez la porte afin que je puisse
sortir. Sinon, votre plan est voué à l’échec.

La vieille femme approuva. Tara avait raison, c’était la


seule solution.

— Très bien, grinça-t-elle, je m’emparerai des clefs.


Ensuite, je vous les ferai glisser discrètement en passant
près de la cage lorsque les autres ne regarderont pas, sans
doute pendant le discours d’Almandach. Vous devrez vous
débrouiller pour ouvrir la porte de la cage et vous délivrer
toute seule. Si mes sœurs ne sont pas toutes neutralisées,
je préfère conserver une porte de sortie afin qu’elles ne me
démasquent pas. Certaines sont bien plus puissantes que
moi, elles pourraient me tuer. Pas facilement, mais elles
pourraient.

Tara fit la grimace. Traduction de ce que venait de dire


la vieille femme : « Tu sors de cette cage et tu flingues tout
le monde, ou sinon, c’est toi qui te fais flinguer et je
ne t’aiderai en rien. Parce que, très officiellement, je ne
serai au courant de rien. »

Tara secoua sa tête blonde à la très longue chevelure.


Maintenant qu’elle n’avait plus la changeline pour tresser
et gérer ses cheveux, c’était compliqué d’avoir les cheveux
longs alors qu’elle avait deux bébés à gérer. Elle se mit
donc à les natter serré avec application.

— Je n’en attendais pas moins de vous, répliqua-t-


elle, sarcastique. Bon, comment allez-vous me rendre ma
magie ? Parce que je vous signale que c’est quasiment
l’équivalent d’une déesse[66] qui me l’a retirée et que ça
fait deux ans que j’essaye de la récupérer, enfin deux ans
moins les cinq mois autreMondiens de ma grossesse. Si les
meilleurs chamans et Hauts Mages de l’Empire, y compris
Demiderus et les dragons, qui sont les plus grands
spécialistes de la magie dans l’univers, n’ont pas réussi,
franchement, je ne vois pas bien comment vous allez vous y
prendre !

— Ce n’est pas important, grogna la sorcière. Ce qui


est important, c’est qu’une fois que mes sœurs auront
disparu, je dirigerai les sorcières et que tu seras mon
alliée, puisque je t’aurai sauvé la vie et rendu tes pouvoirs.

Elle eut un sourire sinistre aux dents étonnamment


blanches.

— Et la miam sur le gâteau, c’est que je pourrai te les


retirer aussi facilement. Alors il faudra que l’Empire soit
vraiment gentil avec moi, si tu veux rester la plus puissante
sortcelière de tous les temps ma petite !

— Quoi? s’exclama Tara. Mais c’est...

La vieille femme rabattit son capuchon sur sa tête et


disparut sans répondre.

Incapable de rester en place, Tara se mit à marcher de


long en large en grommelant. C’était une sorte de mise en
scène, en fait, elle quadrillait la pièce, parce que c’était
très agaçant, mais Tara était incapable de savoir si la vieille
femme était toujours là et l'observait en silence, ou si elle
était vraiment partie. Donc la seule solution, c’était
d’arpenter la pièce et de guetter le moindre signe de
déplacement, voire de tenter de la percuter.

Sauf que là, elle s’agitait pour rien, car elle ne sentait
aucune présence autre que la sienne et celle des bébés.

— Eh ! s’exclama-t-elle en tournant sur elle-même,


j’ai oublié de vous demander votre nom, Dame Sorcière !
Mais personne ne lui répondit et l’espèce de sixième
sens qui la mettait mal à l’aise lorsqu’une sorcière
l’observait restait en paix.

Tara respira profondément pour se calmer. Bon, au


moins, elles avaient une sorte de plan de bataille, même si
elle détestait l’idée que son pouvoir soit contrôlé par la
vieille femme. Le tout était de savoir quand tout cela allait
arriver.

Au moins, elle avait deviné où elle se trouvait.

Dans l’une des cavernes des sorcières, et ces cavernes


étaient dans les sous-sols des Marais de la Désolation.

Exactement là où elle avait été enlevée.

Elle regarda ses bébés. Elle n’avait pas l’intention de


les abandonner, ce qui signifiait qu’il était absolument hors
de question de les mettre en danger, mais également le
fait qu’elle ne pouvait pas se mettre en danger non plus.

La porte s’ouvrit et Gueder entra dans la pièce,


accompagné de quatre gardes.

Tara sursauta en sentant ses oreilles claquer, ce qui la


fit déglutir, gênée. Mais aussi parce qu’elle ne s’attendait
pas du tout à ce que le NM coure le risque d’entrer dans la
même pièce qu’elle sans cage pour le protéger.

Le NM avait l’air furieux. Ça ne changeait pas grand-


chose à son visage, vu que c’était son expression favorite,
avec l’expression numéro deux, que Tara avait nommée «
joie mauvaise ». Sauf que, depuis que Tara était
prisonnière, Gueder avait arboré plutôt la première que la
seconde.
Les quatre gardes, le doigt posé sur la gâchette de
leurs broyettes, étaient sur le qui-vive, prêts à faire feu.

Puis deux d’entre eux dirigèrent la gueule de leurs


armes vers les berceaux.

Tara se figea, le cœur au bord des lèvres.

Mais obligea son visage à rester totalement impassible.


Gueder trouvait de la jouissance à la faire souffrir, elle
ne lui montrerait pas à quel point elle était terrifiée.

— Si tu essayes de nous attaquer, précisa Gueder en


braquant son bâton vers les berceaux, mes gardes ont pour
ordre de faire sauter la tête de tes bébés. C’est clair ?

L’un des deux gardes était la grosse brute, Travis, si


Tara se souvenait bien, qui insultait tout le temps Tara,
calquant son attitude sur celle de Gueder. Mais l’autre, que
Tara avait vu à plusieurs reprises, avait l’air très mal à
l’aise. Et les deux qui entouraient Gueder eurent l’air
soulagés de ne pas avoir à braquer leurs armes sur deux
bébés âgés de quelques jours.

Malheureusement, Chris ne faisait pas partie du lot,


elle était donc seule contre cinq.

Si la brute recevait l’ordre, il tuerait sans états d’âme.


Les autres hésiteraient, Tara en aurait donné sa main à
couper.

Elle évalua les forces en présence.

La brute allait mourir en premier...


Chapitre 28
Cal
Ou comment se faire plumer sans anesthésie
et en n’ayant même pas le droit de dire « aïe ».

En réalité, Selenba n’était pas tout à fait en train


d’accoucher. Elle n’en était pas loin, cependant, et avait
fermement refusé l’aide de Magister, à part en lui
demandant de l’amener en Krasalvie. Elle avait suivi
l’exemple de Tara et consulté un médecin chaman
vampyr[67] pour préparer son accouchement.

À la grande surprise de tout le monde, le terrifiant


Sangrave avait immédiatement obéi[68]. Ils étaient rentrés
vite fait, après avoir récupéré au passage les centaures qui
s’étaient échappés en canot et étaient en train de dériver
dans l’océan des Brumes, parfaitement perdus.

Cela avait beaucoup fait ricaner Selenba, car les


centaures étaient en train de se taper dessus lorsque le
vaisseau les avait localisés et que, si les Sangraves
n’étaient pas intervenus, ils auraient sans doute réussi à
faire couler leur embarcation.

Ils découvrirent ensuite qu’ils se disputaient pour


savoir comment diriger leur embarcation ; après avoir
perdu le moteur, mangé par un krok-requin, ils n’avaient
pas voulu en recréer un autre, car les remous de l’hélice
attiraient les bestioles.
Enfin, surtout les plus grosses. Genre kraken ou krok-
requin, ce qui n’incitait pas à piquer une petite tête pour se
rafraîchir.

Ils avaient donc ouvert la voile, mais, ne sachant pas


tirer des bords lorsque le vent changeait de sens, ils
passaient plus de temps à reculer qu’à avancer.

Une fois séparés et calmés, ils avaient été tristes de


découvrir la mort de Chavol. Et étaient tous partant pour
les aider à sauver Tara et ses enfants.

Après avoir déposé Selenba avec Magister en Krasalvie,


Cal était rentré avec ses amis et les centaures à Omois.

Car ils avaient découvert énormément de choses dans


les laboratoires de l’île abandonnés à la hâte, même si les
NM avaient tenté de détruire le maximum de choses et
d’emporter le reste. Le tout avait été délivré à Mourmur et
à ses équipes à des fins d’analyses.

Le vieux savant avait interrogé les centaures rescapés


et notamment Fabra qui partageait avec lui l’amour des
explosions.

La jeune pouliche était orpheline, bien avant que les


NM ne l’enlèvent, si bien qu’elle fut absolument ravie
lorsque Mourmur, identifiant un haut potentiel, lui proposa
de venir travailler dans son laboratoire.

Ils avaient bien sûr enregistré la disposition de tout le


laboratoire et, grâce à la magie, tout avait été reconstitué
exactement comme sur l’île.

Ce fut Fabra qui identifia la machine presque


entièrement démantelée et brisée qui l’avait enlevée et
proposa une explication possible.
— Je pense qu’ils devaient utiliser de la matière vivante,
d’une certaine façon. (Elle désigna des containers sur le
côté, qui étaient vides.) J’ai remarqué ces grands baquets
de sang qu’ils maintenaient à température et oxygénaient.
Ils ont dû mettre au point une sorte de porte de transfert
qui leur permettait d’échanger un centaure contre son
équivalent en sang. Puis au bout de quelques heures, le
sang revenait à son point de départ, mais entre-temps le
centaure avait été retiré de la porte de transfert, si bien
qu’il ne repartait pas.

En revanche, je ne sais pas pourquoi ce truc nous


épilait au passage.

Mais si Mourmur était d’accord avec l'idée générale, il


était plus sceptique avec la méthode utilisée.

— La technologie NM n’est pas encore suffisamment


performante pour dématérialiser de la matière et la
rematérialiser ailleurs. Les savants terriens ont pour
l’instant juste réussi à transférer les informations d’un
proton pour rematérialiser ces mêmes informations
presque instantanément vingt-cinq de leurs kilomètres plus
loin dans son jumeau, sans qu’ils se touchent. Ils sont
encore loin d’être capables de faire la même chose avec
des humains[69] !

Fabra, recouverte par une combinaison bleue comme


tous les assistants de Mourmur et Mourmur lui-même, fit
une petite grimace.

— Et s’ils avaient volé la technologie à d'autres ? Je


veux dire, dans les plaines du Mentalir, on est un peu
coupés de tout, mais je suis abonnée à des tas de revues
scientifiques et je sais que la technologie des dragons est
bien plus avancée que la nôtre. Pourraient-ils avoir accès à
cette science ?

Mourmur retira son capuchon et se frotta la tête,


emmêlant encore plus son épaisse tignasse blanche.
Heagle5 lui sourit tendrement. La commandante le trouvait
complètement craquant quand il était ébouriffé.

— Ça, petite, répondit-il à Fabra, c’est une excellente


question à laquelle je ne peux pas du tout répondre.
Posons-la donc à qui de droit.

Il pianota sur la comconsole de son laboratoire et


l’instant d’après Maître Chem apparaissait devant eux.

Le grand dragon bleu n’avait pas l’air très content.

— Par les flammes de mes ancêtres, gronda-t-il, je vais


tuer cette dragonne et sa peau me servira de tapis de sol !

Mourmur haussa un sourcil neigeux et broussailleux.

— Allons bon, Maître Chem, bonjour à vous aussi !

Le dragon bleu sortit une langue bifide et souffla pour


extérioriser sa colère.

— Pardon, j’en oublie la politesse, bonjour, Maître


Mourmur. Que puis-je faire pour vous ?

Mourmur regarda sa comconsole. Le signal était fort et


clair.

— Nous avons besoin d’un renseignement. Mais où


êtes-vous, Maître Chem ?

— Nous ne sommes pas partis, répondit le dragon.


Nous sommes en orbite autour d’AutreMonde. J’ai dû «
convaincre » (il mima les guillemets de ses pattes griffues)
la capitaine Chera que nous devions rester en observation.
Mais elle refuse que je pose la patte sur AutreMonde et
c’est extrêmement agaçant. Comment puis-je retrouver
Tara si cette idiote refuse de me laisser sur le terrain ?

Mourmur décida très sagement de ne pas se mettre


entre le marteau du nain et son enclume.

— Voici notre problème.

En quelques mots, il expliqua la situation à Maître


Chem.

Il s’attendait à ce que le dragon s’exclame qu’il n’y


avait aucune chance qu’une telle chose se produise, les
dragons méprisant les humains pour la grande majorité
d’entre eux, il était très peu probable qu’ils s’allient avec
eux, et encore plus avec des humains ne possédant pas la
moindre goutte de magie au point de l’annuler.

Sauf que là, le grand dragon bleu restait silencieux bien


trop longtemps pour que le vieux savant se sente tout à fait
à l’aise.

— Vous avez l’air dubitatif, finit-il par oser, alors que


le silence s’épaississait.

Maître Chem hocha sa grosse tête.

— Je ne sais pas, laissa-t-il tomber. Depuis le coup


d’État, mes certitudes sur ce que peuvent ou non faire mes
congénères dragons ont changé. Disons que c’est
hautement improbable, mais pas hautement impossible.

Mourmur se pencha, très intéressé, et, pour être franc,


assez surpris.
— Vous voulez dire que vous avez développé une
technologie de téléportation qui ne repose pas sur
l’utilisation de la magie ?

— Je n’ai pas dit cela, fit le dragon, d’un ton prudent.


J’ai juste dit que c’était hautement improbable. En
revanche, il est possible que mon espèce ait développé des
tas de technologies différentes afin de pouvoir affronter les
démons même dans des endroits où la magie ne
fonctionnerait pas, comme leur univers aux soleils noirs.

Ah. Mourmur comprenait. Ce que les dragons avaient


construit l’avait été dans le cadre d’une potentielle
invasion de l’univers des démons. Intéressant. Mais ça ne
résolvait pas du tout le problème du vieux savant.

— Et si cette technologie « possible », fit-il avec


précaution, était hypothétiquement disponible, les dragons
auraient-ils hypothétiquement la volonté de la céder à des
nonsos NM ? Dans la volonté de nuire à AutreMonde ?

Maître Chem ne répondit pas. Heagle5, qui se tenait


aux côtés de Fabra, jura avec beaucoup d’imagination. Elle
n’était pas ancienne commandante des Amazones pour rien
et possédait un solide bagage de jurons très colorés.

— Sincèrement, précisa Maître Chem, je n’en sais


rien. Ça m’étonnerait. Il faudrait qu'il y ait eu des
tractations au plus haut niveau et plus haut niveau que ma
chère et tendre Charm, il n’y a pas. Mais de même que les
démons ont de vieilles factions qui préfèrent une bonne
grosse guerre à la paix, certains de nos dragons ne
cracheraient pas sur une élimination d’une partie des
humains qui commencent à occuper un peu trop le terrain
à leur goût. (Il soupira.) Hélas, le racisme xénophobe n’est
pas l’apanage des humains, nous le possédons aussi et en
bien trop grande quantité.

Il laissa à Mourmur un peu de temps pour digérer ce


qu’il venait de dire.

— Je dis également, continua le dragon en baissant la


voix, que beaucoup de nos militaires de haut grade
commencent à trouver que les Terriens, et non pas les
humains autreMondiens, notamment, s’engagent dans une
voie technologique un peu trop efficace à leur goût. Ils
n’ont pas aimé la bombe atomique. Ils aiment encore moins
l’exploration de l’espace et le fait que, contrairement à
AutreMonde, les nonsos terriens soient sur le point de
coloniser l’espace.

Le dragon et le savant se regardèrent dans le blanc[70]


des yeux.

— Sommes-nous en train de parler d’une guerre


potentielle entre les dragons et les humains ? demanda
Mourmur d’un ton tout aussi précautionneux que le dragon.

— Mon ami, répondit Maître Chem avec un sourire


plein de crocs, nous n’en sommes pas encore là. Nous
sommes fort heureusement très nombreux à préférer nous
occuper de nos vaches. Cependant, restons vigilants. Je
vais enquêter de mon côté au sujet de cette « fuite »
éventuelle de notre science, ce qui va satisfaire cette
infernale commandante, parce que je vais rentrer au
Dranvouglispenchir pour ce faire, dès que j'aurai terminé
de voir les gens avec qui j’avais rendez-vous. Si je découvre
la moindre piste, je vous appelle.

Il allait couper l’appel lorsqu’il se ravisa et dit à


Mourmur :
— En attendant, soyez extrêmement prudents.

Son image s’effaça.

Pendant que Mourmur parlait avec Chem, Cal était


arrivé. Il regardait l’endroit d’où venait de disparaître
l'image du dragon avec stupéfaction.

— Les dragons seraient derrière tout cela? Je n’arrive


pas à y croire.

Heagle5 leva une main élégante.

— Ce ne sont que des extrapolations, Caliban Dal Salan,


ne commettez pas l’erreur que font les jeunes officiers.
Prendre ce que disent les vieilles barbes pour crédit-mut
comptant. Pour l’instant, nous avons réussi à trouver le
responsable, ce nonsos NM, Gueder Almandach. Nous ne
sommes pas loin derrière lui. Nous avons localisé son
laboratoire et il a dû neutraliser ses propres machines.
Pardon, mais moi je trouve tout cela très improbable. Mon
instructeur disait toujours que, lorsque les choses
paraissent trop compliquées, c’est que ce n’est pas la
bonne solution. Les gens ont tendance à aller vers le
plus simple.

Ils la regardaient tous avec étonnement.

— Comme disait Sherlock Holmes, mon modèle, fit


Sherlock à ce moment, si on a éliminé ce qui était
impossible, alors c’est ce qui est improbable la solution.
Donc, qu’est-ce qui serait improbable de la part du nonsos
?

Cal claqua des doigts.

— Qu’il utilise la magie !


Sherlock clignota. Cal supposa que c’était l’équivalent
d’un sourire.

— Absolument, confirma la machine. Cet équipement


n’est pas assez sophistiqué pour dématérialiser des gens à
un bout et les rematérialiser à l’autre. De plus, pourquoi
une machine aurait besoin de sang vivant pour remplacer
les kidnappés ? Ce n’est pas de la technologie dragon. C’est
bel et bien de la magie tout ce qu’il y a de plus basique.

L’euphorie de Cal retomba.

— Ça ne nous avance pas plus, grogna-t-il, déprimé.


Gueder s’est associé avec des sortceliers assez débiles pour
cultiver un virus qui va les tuer. J'avoue que la logique de la
chose m’échappe un peu.

— Nous devons continuer à analyser les débris,


intervint Mourmur, désolé de voir le désespoir de Cal.

L'hor de Cal sonna et l’image de Sanhexia surgit devant


lui. Il accepta l’appel.

— Cal, fit Sanhexia, je dois te voir. Tout de suite !

Un peu surpris par le ton véhément de la démone, Cal


répondit :

— OK, je suis au labo de Mourmur et Heagle5, je


te retrouve à la maison dans dix minutes, ça te va ?

— Oui, répondit Sanhexia qui avait l’air très agitée,


mais fais vite !

Cal laissa Mourmur et ses assistants travailler sur les


machines et fila vers le petit Palais qu’il partageait avec
Tara.
Elle lui manquait tellement qu’il en avait en
permanence une boule brûlante dans le ventre.

Ce qui était vraiment bizarre, c’était qu’il n’avait pas


compris, jusqu’à présent, à quel point il aimait la jeune
femme. Il aimait sa franchise et son honnêteté, il aimait le
son de sa voix et les frissons qui couraient dans son dos
lorsqu'elle prenait son air de séductrice. Il aimait son sens
de l’humour et sa force de caractère, il aimait se réveiller le
matin à ses côtés et s’endormir le soir en la prenant dans
ses bras. Il aimait les taches de rousseur sur son nez et
encore plus son gros ventre qui la gênait pourtant.

Il aimait qu'elle soit la mère de ses enfants, même s’ils


étaient tous les deux d'accord pour dire que c’était
quand même très jeune pour avoir des enfants.

Et ne pas pouvoir partager avec elle était une douleur


sans répit.

Il ne mit pas très longtemps à arriver chez eux. Il


n’était pas revenu depuis le Lancovit et, l’espace d’un
instant, après que la porte vivante l’eut ébouriffé pour
vérifier qu’il était bien lui et se fut ouverte, il eut
l’impression absurde que Tara allait apparaître, son joli
sourire aux lèvres et lui demander ce qui lui avait pris si
longtemps.

Mais la maison était vide et silencieuse, car


l'Impératrice avait réaffecté le personnel pendant leur
absence et les Élémentaires faisaient le ménage tous les
jours en soufflant la poussière dehors.

Les volets s’ouvrirent, les meubles se secouèrent en


voyant que leur maître était de retour et Cal commanda de
quoi grignoter, car il n’avait pas eu le temps ni l’envie de
manger dans le vaisseau de Magister (d’autant qu’il était
prudent, le sens de l’humour de Magister étant particulier,
il était capable de lui faire manger quelque chose qui dans
quelques années le contraindraient à devenir son esclave
en échange d’un antidote[71]).

Pendant que le Palais s’occupait de sa commande, il prit


une douche rapide.

Quelques minutes plus tard, la porte du salon annonçait


que la porte principale lui signalait la présence de
Sanhexia.

La jeune démone fît une apparition rose et parfumée.


Cal allait la saluer lorsqu’il vit que son expression était
sombre et préoccupée, bien loin de la Sanhexia évaporée
qu’il connaissait.

— Que se passe-t-il? demanda Cal en se levant.


Viens, assieds-toi, j’ai commandé pour deux.

— Non merci, répondit Sanhexia en s’asseyant avec


grâce et en croisant ses longues jambes bronzées dévoilées
par un ravissant short vichy rose sur des espadrilles
assorties, je n'ai pas faim. Cal, Eleanora veut te parler.

Cal plissa ses yeux gris. Il se méfiait d’El. L’instant


d’après, la personnalité de Sanhexia s’estompait et derrière
les yeux bleus, Cal sentit une présence plus sombre et
complexe.

— Eleanora?

Sanhexia sourit.

— C’est moi, mon chou. Comment vas-tu ? Je t’ai


manqué ?
Bien que venant du même corps, la voix et l’intonation
étaient différentes.

Cal s’efforça de maîtriser son irritation. El partageait le


corps de Sanhexia et savait donc tout ce qui se passait.
Qu’elle choisisse de flirter avec lui alors qu’il était à deux
doigts de devenir fou était de très mauvais goût.

— Pas une seconde, répondit-il sèchement. Cette


réunion, ça vient de toi ou de Sanhexia ?

— De moi, confirma El tout en regardant ses jolis


ongles d’un joyeux corail. San ne voulait pas que nous t’en
parlions. (Elle montra la couleur à Cal.) C’est joli, non ? Ça
fait bien ressortir notre bronzage.

Cal décida de ne pas réagir aux provocations d’El. Le


fantôme était devenu un peu dingue après avoir été
assassinée et être revenue pour se venger n’avait pas
arrangé son état. Sans compter que même si Sanhexia était
bien plus maligne qu’elle ne le laissait voir, elle n’était pas
non plus un modèle de stabilité. Les deux dans le même
corps c’était la catastrophe assurée.

Il se confectionna donc un sandwich avec beaucoup


trop de viande et de mayonnaise, insérant une tomate bien
bleue pour faire joli, puis en arracha une grosse bouchée.

— On ch’en fout, de ton bronjage, El, fit-il la


bouche pleine, accouche !

El se figea, surprise, puis éclata de rire.

— Accouche ! Ah, ah, excellent ! Très drôle. Je vais


donc « accoucher » puisque tu le désires.

Elle prit une grande inspiration.


— Nous avons un léger problème, Sanhexia et moi.
Ce léger problème a... disons qu’il a peut-être pu mettre
légèrement l’Empire sens dessus dessous, même si ce
n’était pas volontaire et juste une question de mauvais
timing.

Cal avala la bouchée suivante de son sandwich avec de


l’eau fraîche. Quelque chose lui disait qu’il n’avait pas
trop intérêt à avoir la bouche pleine pour la suite de
l’histoire.

— Comment ça, « mis l’Empire sens dessus dessous »


? demanda-t-il lorsqu’il eut fini d’avaler.

El soupira :

— San et moi, on voyait bien que tu t’ennuyais


terriblement. Et puis Tara devenait tellement plan-plan !
Elle était couchée à peine la nuit tombée, elle ne sortait
plus, ce n’était pas une vie pour toi, l’élégant, le séduisant,
l’irrésistible Voleur Patenté !

Cal la regarda avec curiosité. Qu’est-ce que le fantôme


avait encore inventé ?

— En fait, pour être honnêtes, on s’ennuyait un peu


aussi. La commercialisation des vernis se faisait sans souci
et il y a une vraie appétence des AutreMondiens pour les
produits démoniaques et vice versa. Nous avons mis une
direction efficace à la tête de notre petite entreprise et tout
se passait très bien.

Sanhexia secoua la tête.

— Alors, un jour, on regardait une série policière et


on discutait avec San quand on s’est dit que ce serait rigolo
de te fournir un mystère à éclaircir. D’autant que
Demiderus ne voulait pas nous faire l’amour, ce qui était
très crispant. Alors on a dû trouver une autre occupation.

Cal posa ce qui restait de son sandwich, s’épousseta


posément, posa ses grandes mains puissantes sur ses
cuisses musclées comme pour les empêcher d’étrangler
Sanhexia et demanda d’une voix soigneusement contrôlée :

— Un mystère à éclaircir ?

Sous le regard glacial de Cal, Sanhexia sembla


rapetisser un peu.

— Oui, en fait, on a enlevé les paons pourpres aux


cent yeux d’or.

Cal se leva d’un bond, horrifié.

— VOUS AVEZ FAIT QUOI ?

Sanhexia réapparut, chassant El.

— Ah, tu vois, dit-elle à sa locataire, je te l’avais dit ! Il


a réagi exactement comme Archange. C’est très
désagréable de se faire crier dessus comme ça.

Mais une seule chose intéressait Cal.

— Est-ce que vous avez quoi que ce soit à voir avec


l’enlèvement de Tara ?

Sanhexia se mordit la lèvre.

— Non, bien sûr que non ! Rien à voir ! C’est un


horrible manque de chance que tout soit arrivé en même
temps ! On pensait que tu allais juste te charger de
l’enquête, tomber dans le bourbier vert qu’on avait mis en
place, ce qui nous a totalement éclatées, chercher pendant
quelques jours, puis remonter la piste et trouver les paons
pourpres. Comme ça, tu te serais amusé et, en plus, tu
aurais rendu service à l’Impératrice que nous trouvons, El
et moi, un peu condescendante avec toi.

Cal avait éprouvé, l’espace d’un instant, une lueur


d’espoir. Mais hélas, il voyait bien que Sanhexia disait la
vérité, la démone avait l’air sincèrement indignée que le
destin se soit mêlé de son stupide petit plan.

El revint.

— Grâce à la rapidité du corps des démons, précisa-t-


elle, nous avons réussi à déjouer la surveillance des scoops,
qui sont surtout là pour surveiller les animaux. Pendant un
mois, nous avons mis du mismillet dans une clairière afin
d’y attirer tous les paons. Puis le soir où nous les avons
enlevés, nous avons sauté sur les scoops de surveillance en
les aveuglant, puis mis le bourbier en place avec une poche
tridimensionnelle géante. Une fois les paons enlevés
(Sanhexia prit la suite), et je t’assure qu’on a beaucoup
rigolé, on a activé les ballons qui ont libéré le tissu qui
aveuglait les scoops. Avoue qu’on est des petites malignes
quand même.

Cal secoua la tête, incrédule. Les filles étaient devenues


complètement dingues.

— Bref, fit El en voyant que Cal ne sourirait pas


vraiment, je suis une excellente tireuse. J’ai abattu les
ballons avec des flèches et nous avons dissimulé toute trace
de notre passage. Le mystère était en place.

— Vous auriez pu déclencher une guerre entre


AutreMonde et les démons, fit Cal en essayant de ne pas
hurler sur El et San. Est-ce que vous avez conscience de ça
au moins ?
— Bah, fit El, si Tara n’avait pas été enlevée en
même temps, personne ne se serait excité comme ça ! Mais
Archange était furieux quand on est allé lui en parler et il a
exigé que je reparte en OutreMonde.

Cal hocha la tête.

— C’est une excellente idée, approuva-t-il.

Sanhexia reprit le contrôle.

— Mais non ! s’écria-t-elle, furieuse. C’est une très


mauvaise idée ! El est ma meilleure amie ! Je ne veux pas
qu’elle s’en aille !

El reprit le contrôle à son tour.

— Écoute, on s’est bien amusées toutes les deux, et,


franchement, je crois que, pendant ces deux ans, on a
vraiment fait les quatre cents coups. Mais toute bonne
chose a une fin et j’avoue que j’ai envie de retourner en
OutreMonde. J’y ai aussi des amis et ma planète doit
littéralement tomber en ruine.

Les yeux de Sanhexia se remplirent de larmes.

— Mais, gémit-elle, je croyais qu’on voyait Cal pour


qu’il intercède en notre faveur auprès d’Archange !

— Non, lui répondit El, on voit Cal parce qu’on va le


faire chanter.

— Ah bon ? firent Cal et Sanhexia en même temps.

— Ouaip, s’exclama El. Après tout, si tu es


malheureuse, il n’y a pas de raison que tu sois la seule. Et
comme je suis dans
ta tête, je sais que tu es un peu amoureuse de Cal,
comme moi je l’étais. Alors, c’est mon cadeau de départ. Je
t’offre Cal !

— Quoi?

De nouveau, Cal et Sanhexia s’exclamèrent en même


temps. Cela fit rire El.

— Cal, fit-elle avec un gloussement vaguement


maléfique qui le mit en garde, est-ce que tu sais ce qu’est
un fantôme ?

— J’ai été possédé, répondit Cal en essayant de voir


où El voulait en venir. Alors oui, je sais très bien ce qu’est
un fantôme. Maintenant, peux-tu expliquer ce q...

El l’interrompit en levant une main fine.

— Tssss, laisse-moi continuer, je te prie. Je suis donc


un fantôme. Qui possède un corps humain... enfin en
partie humaine et en partie démone. Et voici ce que je suis
lorsque je sors du corps de Sanhexia.

Une fumée rouge sortit du corps de la ravissante


démone pour matérialiser le visage et le corps brumeux
d’Eleanora. Ses cheveux noirs, son visage acéré et ses yeux
aussi gris que ceux de Cal.

— Je sais tout ça, laissa tomber Cal, agacé. Maintenant,


est-ce qu’on pourrait revenir à ce concept de m’offrir à
Sanhexia ?

— Dans ce corps, expliqua El, je peux... comment


t’expliquer cela... (Elle hésita un instant.) Disons que je
peux « sentir » l’éther. Et donc les « âmes » des gens. Pour
cela, il me suffit de survoler AutreMonde. L’âme de Tara est
extrêmement puissante, même sans sa magie.

Elle marqua une pause pendant que le cœur de Cal


sautait dans sa poitrine.

— Tu... bafouilla-t-il, n’osant y croire, tu... tu peux


retrouver ma Tara ?

Le fantôme hocha la tête gravement.

— Oui. Je peux retrouver ta Tara. Mais cela a un prix.

— Tout ce que tu veux, fit Cal d’une voix tremblante en


se levant, tout ce que tu veux, tout ce que j’ai est à toi,
donne ton prix.

— Toi, répondit Eleanora d’un ton sans appel. C’est toi


que je veux pour Sanhexia. Pour me remplacer auprès
d’elle, que mon amie ne reste pas seule.

Le fantôme prit de la consistance et tonna en pointant


son doigt brumeux vers Cal, pétrifié :

— C’est le prix, Caliban Dal Salan. Je retrouve ta Tara


et tu la sauves, mais, en échange, tu dois jurer, ici et
maintenant, que tu renonces à elle à jamais !
Chapitre 29
Tara
Ou comment avoir tellement de gens prêts

à trahir qu’on ne sait plus lequel choisir.

Le visage de la jeune fille s’orna d’un agréable sourire.

Elle tenait le truc de Magister. Bon, un peu de


l’Imperator aussi. Les deux lui avaient appris que les gens
ne se méfiaient pas lorsqu’on souriait.

Sautez sur quelqu’un avec le visage crispé et agressif,


et il va se mettre en garde.

Sautez-lui dessus en souriant, et il va mettre un peu de


temps à comprendre qu’on a l’intention de lui refaire le
portrait.

Elle se prépara. Visualisa soigneusement où se trouvait


chaque ennemi. Ses muscles se tendirent...

Et se détendirent immédiatement. Elle se sentait


soudain mal à l’aise, comme si quelqu’un d’invisible la
regardait avec malveillance. Impossible de savoir si c’était
la vieille sorcière ou si c’était une de ses sœurs.

Tara ne pouvait pas prendre le risque. Elle ne devait


pas laisser Gueder deviner qu’elle avait un moyen infaillible
de repérer les horribles sorcières, en fait, elle ne devait
laisser personne deviner qu’elle pouvait repérer les
horribles sorcières, rectifia-t-elle intérieurement alors
qu’elle se tenait soigneusement immobile.

— Que me vaut le plaisir de votre présence ? fit-elle


aimablement à Gueder. Remarquez, cela tombe bien, je
voulais vous remercier pour l’amélioration indéniable du
confort. Et votre chef cuisinier, c’est une merveille.

Gueder la regarda d’un air mauvais. Si cela n’avait pas


été aussi dangereux, Tara en aurait ri. Il était caricatural,
cet homme, à vouloir toujours essayer de lui faire peur en
fronçant les sourcils et en la regardant avec froideur.

Elle avait été prisonnière de la Reine Rouge, la


dragonne folle, elle avait été prisonnière de Magister, elle
avait même été emprisonnée dans son propre corps par la
Reine Noire. Alors, en termes de monstres psychopathes, le
pauvre Gueder, avec ses histoires de virus et de sorcières,
ne faisait juste pas le poids.

Puis Gueder se mit à parler.

Et d’un seul coup, il remonta nettement dans


l’estimation de Tara sur sa capacité à nuire.

— Nous avons testé le virus sur les animaux et nous


avons compris pourquoi ils ne sont pas morts tout de suite,
dit-il. Puis nous l’avons testé sur des sortceliers.

Tara eut la bouche soudain sèche. Ils ne s’étaient donc


pas arrêtés aux centaures. Ils avaient continué.
Bêtement, comme les centaures avaient réussi à
s’échapper, Tara avait cru que le malade avait stoppé ses
expérimentations, se contentant d’attendre que le virus soit
au point pour l'essayer sur Tara.
— Cela a parfaitement fonctionné, fit Gueder d’un
ton satisfait. Ils sont morts presque instantanément. Nous
n’en avions qu’une très petite quantité, car il est
extrêmement complexe à fabriquer et pour l’instant ne se
réplique pas, ce qui est assez préoccupant, mais nous
devrions avoir la dose suffisante pour l’essayer sur vous
d’ici quelques jours. Alors, profitez bien, mutante, de tout
ce confort, parce que c’est le dernier dont vous jouirez sur
cette terre !

Et il sortit vivement, pendant que les gardes tenaient


Tara en joue.

Dès que la porte claqua dans le dos du dernier garde,


une femme en capuchon apparut devant Tara.

La jeune fille sursauta. Elle s’y attendait plus ou moins,


mais veilla à accentuer sa surprise.

Car la femme en face d’elle était bien verte, avait bien


le même bâton moche, qui, pour le coup, n’était pas un
balai, et ressemblait à une caricature de la sorcière de
l’Ouest, bien plus jeune en apparence que la vieille sorcière
qui était venue voir Tara.

— Ainsi, fit-elle d’une voix atone, voici donc la célèbre


Tara Duncan. Celle qui nous a tous sauvés des démons,
puis de la comète. Ravie de faire ta connaissance,
Héritière.

Tara s’inclina poliment.

— Que votre magie illumine, Dame ?

— Margarie. Je suis la sorcière Margarie des Dix-


Neuf. Nous n’avons pas de « Dames » dans nos titres. Nous
sommes des sorcières et c’est bien suffisant.
Des Dix-Neuf. Tara n’arrivait pas à croire que dix-neuf
personnes sérieusement dérangées étaient en train de
mettre tout AutreMonde en danger. Puis elle se souvint
d’Attila. De Gengis Khan. Parfois, en fait, il suffisait d’un
seul.

Elle scruta Tara avec méfiance.

— Tu n’as pas l’air si surprise de me voir, aurais-tu eu


des contacts avec d’autres d’entre nous ?

Aïe, aïe, aïe ! Cal avait l’habitude de dire de Tara qu’elle


faisait une très mauvaise bluffeuse, parce que ses
sentiments s’affichaient sur son visage si expressif. Elle
s’efforça d’avoir l’air crédible.

— Gueder Almandach a parlé de vous en disant « elles


» à plusieurs reprises. En vous voyant, j’ai compris qui
vous étiez. Je connais les sorcières noires des Marais de la
Désolation. Vous pratiquez des rituels de mort afin
d’acquérir de la puissance. J’ai étudié votre histoire dans
les livres.

— Ces sales sortceliers nous ont bannies dans ce


trou pourri, siffla la sorcière avec rage. Avec les crapauds,
les araignées et les serpents ! Depuis des milliers d’années,
nous préparons notre vengeance. Et enfin, tu es arrivée,
Héritière, et tu as éliminé la seule chose qui pouvait nous
empêcher de vous détruire. Les démons.

C’était ce qu’avait dit Lisbeth lorsque Tara s’était


réjouie de la disparition de la comète et de la menace des
démons. Que la nature avait horreur du vide et qu’une crise
chassait l’autre, comme un dictateur avide de pouvoir en
chassait un autre.
Pour une fois, Tara aurait bien voulu que sa
paranoïaque de tante ait tort. Parce que ces nouveaux
ennemis avides de pouvoir avaient frappé au meilleur
moment, alors que Tara était totalement démunie.

— Je suis désolée, continua-t-elle toujours aussi


poliment, je n’étais pas née à l’époque, mais je suis
d’accord, c’est tout à fait injuste, ici, c’est juste bon pour
les mangeurs de boue !

La sorcière repoussa son capuchon et Tara vit qu’elle


n’avait pas quarante ans et, en dehors du fait qu’elle
avait la peau verte et quelques verrues, était plutôt
séduisante, si on ignorait ses yeux noirs et froids. Elle avait
les cheveux d’un rouge brillant qui jurait affreusement avec
le vert de sa peau. Pas comme le joli rouge des Viridiens,
plutôt comme une sorte de rouge puisant que, soyons
clairs, Tara trouvait particulièrement vulgaire.

— Et si, dit Margarie au bout d’un moment de


silence alors qu’elles s’observaient l’une l’autre, nous
parvenions à un accord ? Nous te libérons en échange
d’une amnistie complète de ce qui nous a fait bannir, de ton
kidnapping, bien sûr, et de terres de l’Empire d’Omois, afin
de nous permettre de revenir à une vie normale, qu’est-ce
que tu dirais ?

Que sa mâchoire allait se décrocher tellement elle était


surprise, songea Tara. Qui se demanda où était le piège.

Elle décida de faire preuve d’un peu d’arrogance. La


femme en face d’elle comprenait très bien l’arrogance.

— Je dirais que je suis l’Héritière de l’Impératrice


d’Omois. Qu’un jour je dirigerai le plus grand Empire
humain sur AutreMonde et le plus puissant. Et que si, en
échange de ma libération, de la neutralisation du virus de
Gueder Almandach et de sa remise aux mains de la justice
pour les crimes qu’il a commis, je dois vous accorder des
terres et ma bénédiction, alors je dirais que nous avons un
accord. Que je suis même prête à signer afin que vous ayez
un document en bonne et due forme. Vous n’êtes que dix-
neuf. Vous ne devriez pas être très difficiles à caser
quelque part, non ?

La sorcière la regarda de nouveau. Puis éclata de rire,


comme si elle savourait une bonne plaisanterie intérieure.
Tara ne broncha pas. Margarie reprit son sérieux
et demanda :

— C'est ce qu’elle t’a proposé ?

— Pardon ?

— Allons, petite, j’ai deux cent trente ans. Tu crois


vraiment que je suis idiote ? Je sais que l’une d’entre nous
est venue négocier avec toi. Alors ? Qui était-ce ? Elbara ?
Joulini ? Francesca ?

Tara croisa les bras sur sa poitrine.

— Personne n’est venu me proposer quoi que ce soit


en échange de terre, dit-elle d’un ton si dédaigneux que la
sorcière vacilla. Et je n’ai absolument aucune idée de qui
sont ces Ebara, Loulini ou Francesca.

Tara disait la stricte vérité, tout en écorchant les


prénoms à dessein. La vieille sorcière, qui s’était bien
gardée de donner son nom, ne lui avait effectivement rien
demandé, à part de tuer ses sœurs.

La sorcière sentit que Tara disait la vérité, même si elle


ne comprit pas que cette vérité était soigneusement
tronquée.
— Très bien, fit-elle en remettant son capuchon sur
ses cheveux bizarrement rouges, je te crois. Je reviendrai
et nous reprendrons cette discussion.

Elle agita son bâton et disparut.

Soudain épuisée, Tara s’assit sur le grand lit de velours


noir.

— La vache, dit-elle à voix haute, deux cent trente ans


! Elle est super bien conservée !

Elle réfléchit. Il y avait quelque chose. Quelque chose


que la sorcière avait dit et qui ne collait pas. Tara se sentit
mal à l’aise pendant que son cerveau essayait de trouver ce
qui l’avait dérangée. Au bout d’un moment, dépitée, la
jeune fille blonde dut renoncer. Impossible de mettre le
doigt sur la pensée qui lui avait traversé l’esprit.

Les petits dormaient encore et Tara bâilla. Elle devait


encore avoir un résidu de gaz dans les veines, parce
qu’elle avait sommeil.

Elle se coucha en espérant que Danviou et Celia


allaient la laisser se reposer un peu.

Ils se réveillèrent avec un bel ensemble tous les trois,


cinq heures plus tard, ce qui était un exploit pour les
jumeaux. Tara les nourrit, prit sa douche avec ses bébés, ce
qui les ravit, leur remit leurs couches, ce qui mit Danviou
de mauvaise humeur, comme toujours, mangea les fruits
qui étaient posés sur la table, joua avec eux puis les mit
dans le même berceau pendant qu’elle faisait ses exercices
pour retrouver sa tonicité.

Ses muscles commençaient à jouer avec souplesse et


puissance. Elle retrouvait sa forme lentement mais
sûrement. Cela dit, à part se nourrir, s’occuper des enfants
et faire de l’exercice, elle n’avait pas grand-chose à faire,
même si les jumeaux lui prenaient énormément de temps.
Au bout de deux heures de travail acharné, d’étirements,
d’assouplissements, d’abdos et de pompes, elle acheva sa
série sur un enchaînement de coups de pied fouettés et
s’arrêta net en entendant des applaudissements.

Chris était entré dans la pièce et la saluait, avec un


sourire impressionné.

— Wahou, fit-il, tu ne fais pas semblant, c’était énorme


! Tu t’es entraînée avec des professionnels ? Ça, c’est le
genre de fluidité qui ne s’acquiert qu’avec l’habitude et
c’est un ancien joueur de WoW qui te le dit.

Tara sourit et essuya la sueur qui coulait sur son visage.


Bon, elle allait être quitte pour reprendre une bonne
douche.

— Oui, répondit-elle en attrapant une serviette pour


éponger ses mains en s’approchant de Chris, l’Imperator
d’Omois et les gardes du Palais m’entraînent tous les jours.
Comment vas-tu? Je me demandais où tu étais passé, je ne
t’ai pas beaucoup vu ces derniers temps.

Le sourire de Chris disparut.

— L’un des gardes a remarqué que je passais du


temps avec toi. Il m’a dénoncé à Almandach, du coup, il m’a
envoyé faire des rondes dans la forêt quand nous étions
encore sur l’île. Et quand on a déménagé pour venir ici, il
m’a interdit de venir te voir, mais les deux gardes devant ta
porte sont des potes et ils me couvrent.

Tara hocha la tête.


— Un brun, avec des cicatrices sur la figure, une
grosse brute qui s’imagine que ses muscles lui permettent
de faire la loi ?

— Travis, ouais, exactement, confirma Chris. Cela


dit, depuis que j’ai vu comment tu te déplaces et tu frappes,
je ne suis pas sûr qu’il fasse le poids.

Tara avait vu comment le type bougeait. Celui-là était


un soldat, sans doute un mercenaire, et il était bon. Mais
pas assez bon. Tara haussa les épaules, ne voulant pas
frimer devant Chris.

— Parle-moi du virus, dit-elle à la place. Gueder est


venu m’en parler, il a dit qu’il avait fait des tests et que des
sortceliers étaient morts ?

Le visage de Chris se rembrunit.

— Oui. C’était terrible. Une famille, les parents et les


deux enfants. Mais ils n’ont pas eu le temps de souffrir. Le
virus les a frappés en même temps et c’était comme s’ils
s’éteignaient, comme si la magie quittait leur corps et leur
vie en même temps. Ils se sont endormis et ils sont morts.
C’était terrible, mais presque paisible. Sauf que la femme
pleurait en voyant ses enfants mourir. J’ai failli tuer
Almandach.

Il prit Tara par les bras et dit lentement mais très


fermement.

— C’est le moment où j’ai compris que j’étais dans le


camp des méchants. C’est Gueder et ses complices qui sont
des monstres, pas ces pauvres sortceliers qui ne lui avaient
rien fait. Alors dis-moi, Tara, comment est-ce que je peux
t’aider ?
C’était fou le nombre de gens qui voulaient l’aider, mais
au moins, Chris ne demandait rien en échange. Et de
tous, il était, d’une certaine façon, celui en qui elle avait le
plus confiance.

— Essaye d’apprendre comment ils comptent me


rendre ma magie, pria-t-elle en plongeant ses magnifiques
yeux bleu marine dans les yeux bruns du garçon. Et si c’est
quelque chose qu’on peut faire nous-mêmes, en les prenant
par surprise. Parce que si c’est le cas, nous serons sauvés.

— Mais Tara, protesta Chris, les sorcières sont très


puissantes ! Elles se sont nourries de la mort des
sortceliers, je ne sais pas comment.

Tara se figea, elle avait envie de se dégager de


l’étreinte de Chris mais n’osait pas, de peur de vexer le
garçon.

— Quoi ? s’exclama-t-elle.

— Oui, il semble que le virus soit une sorte de dérivé


de ce qu’elles font avec leurs rituels de mort. C’est Gueder
qui a eu l’idée d’un virus, mais ce sont les sorcières qui
l’ont mis au point en combinant la technologie et la magie.
Tu ne peux pas les affronter, elles sont trop dangereuses !

Chris ne se rendait pas compte du pouvoir de Tara.


Bon, cela dit, elle ne connaissait pas non plus la puissance
des rituels de mort. Et si la mort des pauvres sortceliers
avait permis aux sorcières d’acquérir une puissance
supérieure à celle de Tara ? Alors la jeune fille et ses
enfants seraient perdus.

Pire, si tous les sortceliers de la planète mouraient en


les chargeant en magie, les sorcières vertes pourraient
même posséder plus de pouvoir que la planète elle-même !
D’accord. Là, Gueder venait de perdre son statut de
bouffon pour acquérir celui d’ennemi numéro 1 ultra
dangereux. Et les sorcières aussi.

Elle recula, se dégageant de l’étreinte amicale de Chris,


dont le regard déçu se voila, et se mit à marcher de long
en large, très agitée.

— Merde alors ! finit-elle par dire, en abandonnant le «


slurk » trop autreMondien, ça complique sacrément les
choses !

Chris fut catégorique.

— Il faut que nous nous échappions. Ils ont transporté


tout le matériel avec leurs hélicoptères et des espèces de
tapis volants renforcés.

— Des tapis volants ? Mais ça veut dire qu’ils ont des


sortceliers avec eux, forcément !

— Euh, pas tout à fait avec eux. J’ai cru comprendre


que Gueder a forcé les pilotes à lui obéir. Ils sont
prisonniers, comme nous. Mais la bonne nouvelle, c’est que
ces tapis ont transporté les tanks jusqu’ici. Je ne peux pas
conduire un tapis volant, puisque c’est magique. Mais je
vais voler les clefs d’un des tanks et on va partir de cet
endroit, toi, moi et les bébés.

Tara s’assit et poussa un profond soupir.

— Parce que tu sais piloter un tank, bien sûr ?

— Pas du tout, répliqua le jeune homme, mais c’est


comme tout. Il suffit d’apprendre. Je vais m’entraîner sous
prétexte de défendre le périmètre, ils ne se douteront de
rien. Et ensuite, boum, on s’en va.
Tara aurait adoré. Vraiment. Mais si les sorcières vertes
étaient vraiment sur le point de libérer le virus et de se
nourrir de la mort de millions de sortceliers, alors
l’invasion des démons et de la comète passerait pour de
banals incidents à côté.

Quoi qu’elle fasse, Tara retombait toujours sur le même


problème. Elle devait absolument retrouver ses pouvoirs.

Et donc se mettre à la merci de la vieille sorcière verte


qui était venue la voir en premier. Ou de la seconde qui,
elle, semblait moins sanguinaire, puisqu’elle ne voulait que
des terres et vivre paisiblement.

— Écoute, dit-elle à regret, c’est une excellente idée.


Vraiment. Mais je dois empêcher qu’ils libèrent le virus. Je
ne doute pas un instant que les sortceliers seront capables
de le combattre s’ils ont le temps de réagir et de le soigner.
Mais cela fera des milliers de morts quand même et je ne
peux pas laisser faire ça.

Elle plongea ses yeux bleus dans les yeux marron clair
du jeune homme.

— Mais Chris, je vais te demander un énorme, un


immense service.

Inquiet, tant le ton de Tara était sombre, le jeune


homme se raidit.

— Je t’en prie, fit Tara d’une voix plus douce, je ne


peux pas me battre et protéger mes enfants en même
temps. Ils me rendent vulnérables. Ton idée de tank est une
excellente idée. Alors, Chris, acceptes-tu de t’enfuir et
d’emmener mes enfants avec toi ?
Choqué, Chris garda le silence. Tara n’osait plus
respirer. C’était la chose la plus dure qu’elle ait jamais fait
de sa vie. En quelques jours, ses enfants étaient devenus
essentiels à sa vie. Mais si le virus la tuait, si les sorcières
gagnaient, au moins, Tara aurait essayé de préserver
Danviou et Celia.

Chris secoua la tête.

— Non, murmura-t-il, non, je ne peux pas faire ça,


t’abandonner !

Tara se leva d’un bond et se rapprocha à le toucher. Ils


étaient deux nouveaux amis dans la même galère. Elle
ne tentait ni de le séduire ni de l’obliger à lui obéir. Elle
choisissait tout simplement ce qui était le plus logique,
même si c’était le plus douloureux.

— Écoute-moi, fit-elle d’un ton pressant, j’ai fait


exploser une planète, j’ai détruit une immense comète
brûlante prête à annihiler toute vie sur AutreMonde et dans
tout l’univers. Avec mon pouvoir, j’ai réussi des choses
inimaginables et, crois-moi, les méchants ont beaucoup
d’imagination pour pourrir la vie des gentils. Tu dois me
faire confiance, Chris. Je te confie les êtres les plus
précieux à mon cœur, eux que j’aime plus que ma vie. Peux-
tu faire ça pour moi ? Et lorsque tout cela sera fini, tu seras
récompensé au-delà de tes espoirs les plus fous.

Chris recula, échappant à son étreinte fébrile.

— Je ne fais pas cela dans l’espoir d’une récompense,


dit-il fermement, réprobateur. Ne la mentionne même pas,
s’il te plaît, c’est me rabaisser. J’ai commis une erreur en
croyant ces salopards, mais je suis décidé à la réparer.
C’est pour ça que je suis ici. Ne m’insulte pas en me
proposant une récompense que je ne réclame pas.
Tara se frotta le visage.

— Pardon, dit-elle d’un ton fatigué, j’ai tellement affaire


à des gens qui n’ont aucune idée de l’intégrité que je ne
sais même plus la reconnaître lorsque je l’ai devant moi. Je
te présente mes excuses, Chris. Je suis désolée.

La contrition de Tara apaisa le jeune homme.

— Bien, fit-il. En attendant, il va falloir que nous


fassions comme avec les tanks.

Tara ouvrit de grands yeux.

— Pardon?

En dépit du fait que la situation lui déplaisait


totalement, le jeune homme eut un sourire malicieux.

— Eh bien oui, il va falloir que tu m'entraînes, d’où est-


ce que je saurais comment nourrir un bébé et le changer ?
Chapitre 30
Cal
Ou comment abandonner son cœur

et son âme sans espoir de retour.

Cette fois-ci, Sanhexia et Cal ne s’exclamèrent pas en


même temps, tout simplement parce que la stupéfaction
leur avait volé leur voix à tous les deux.

Au bout d’un moment, Sanhexia finit par coasser :

— Quoi ? Mais de quoi tu parles, Eleanora ?

Le fantôme lui sourit tendrement.

— Tu es comme ma sœur, ma meilleure amie, je t’adore.


Et j’adore Cal. Vous mettre ensemble, c’est absolument
parfait. C’est donc le deal que je propose. Je retrouve Tara,
mais avant, Cal jure sur sa magie, un serment d’honneur,
qu’il ne restera pas avec Tara, mais t’épousera. Ton frère
sera content, parce qu’il veut des mariages interraces afin
de lier les démons et les humains le plus possible,
l’Impératrice sera contente parce qu’elle pourra enfin
marier Tara avec quelqu'un de plus puissant et de plus
riche que toi, et moi je serai contente parce que ma petite
Sanhexia ne sera plus seule.

Cal avait l’impression de vivre un cauchemar. Enfin, un


cauchemar dans son cauchemar. Il allait ouvrir la
bouche lorsque Sanhexia le précéda :

— Mais tu ne m’as pas demandé mon avis, fit-elle au


fantôme qui flottait devant eux, d’un ton boudeur. Je n’ai
jamais dit que j’avais envie de passer ma vie avec un seul
homme !

Eleanora la regarda, surprise, puis éclata de rire.

— D’accord. Alors il devra jurer qu'il restera à tes


côtés jusqu’à ce que tu en aies assez de lui.

— Mais je ne veux pas que tu partes ! protesta Sanhexia


en tapant le sol de son pied, comme une petite fille
boudeuse.

Eleanora s’assombrit :

— Moi non plus, ma chérie, je n’en ai pas envie. Mais


je sens que je m’affaiblis en restant ici. Les fantômes
peuvent posséder les gens et rester à condition de chasser
l’âme qui habite le corps. Le fait que nous cohabitions est
génial et j’adore, mais peut-être à cause de l’action de la
machine anti-fantôme, j’ai l’impression que cela finit par
me repousser hors de ton corps. Crois-moi, c’est la
meilleure solution. Quand nous aurons délivré Tara, je
demanderai à ses parents de demander de tes nouvelles,
puisque cette sale privilégiée a une ligne directe avec
OutreMonde, comme ça je saurai si tu vas bien. Et puis,
c’est sympa, non ? Tu échanges une copine pour un garçon
!

Sanhexia eut un triste sourire.

— Tu as pris ta décision, je vois bien. Rien de ce que


je pourrais dire ne te fera changer d’avis ?
Mais Eleanora resta ferme.

— Non. J’ai trouvé la solution idéale et je n’en


démordrai pas. Je resterai encore quelques jours, histoire
de voir si tout se passe bien pour toi et ensuite je rentrerai.

Sanhexia poussa un énorme soupir. Puis se tourna vers


Cal qui essayait encore de comprendre ce qui venait de se
passer, tellement son cerveau bloquait.

— Eh bien, toi et moi, nous allons passer un peu de


temps ensemble.

Cal regardait Eleanora, éperdu.

— El, tu es capable de retrouver Tara ?

C’était tout ce qu’il avait retenu. Le reste, il s’en fichait.

— Oui, répondit le fantôme. Oui, oui, oui. Mais tu


dois jurer. De renoncer à Tara.

— Ça va lui briser le cœur, répondit Cal en fixant le


fantôme, et le mien au passage. Tu es sûre que c’est ce que
tu veux?

— Oui, répondit Eleanora, implacable. Je n’aime pas


Tara, elle t’a volé à nous. Avant tu étais amusant, tu étais
amoureux de moi, tu étais volage, trompeur et plein de vie.
Cette stupide nana t’a rendu sombre et ennuyeux. Pour ma
Sanhexia, je veux le meilleur. Et de tous les Voleurs, tu es le
meilleur. Ça va faire mal au début, mais tu verras, tu vas
vite t’habituer et tu vas recommencer à t’amuser comme
avant.

Cal sentait que son cœur était en train de sombrer. Ce


que demandait Eleanora n’était pas uniquement cruel.
C’était comme de lui voler sa vie.

— Oui, dit-il en évitant de regarder Sanhexia, car il se


sentait mal. Oui, retrouve Tara.

— Tu dois jurer, fit Eleanora, méfiante. Un serment


d’honneur, Cal, je ne me contenterai pas de moins.

Cal ferma les yeux et appela sa magie. Il savait qu’il


aurait dû argumenter, discuter, mais son instinct lui disait
que chaque minute, chaque seconde même, comptait.

Si, pour sauver la vie de la femme qu’il aimait et de ses


enfants, il devait renoncer à eux, alors soit, il allait le
faire. Sa magie dorée l’enveloppa comme une aura.

— Moi, Caliban Dal Salan, psalmodia-t-il, je jure sur


mon honneur de sortcelier que si Eleanora le fantôme
retrouve Tara Duncan saine et sauve et me permet de la
sauver, je renoncerai à Tara Duncan et serai le compagnon
volontaire de Sanhexia la démone, jusqu’à ce que celle-ci
me délie de mon serment d’honneur.

Sa magie dorée scintilla brièvement et le serment fut


enregistré.

— Que se passera-t-il si Cal ne respecte pas sa


parole? demanda Sanhexia, curieuse.

— Il perdra sa magie, répondit sèchement Eleanora,


alors il n’a pas intérêt. Et je remarque que tu as ajouté des
clauses à notre accord, rien ne dit que Tara sera saine et
sauve lorsque je la retrouverai.

Cal se contenta de la regarder d’un air sombre.


Eleanora finit par hausser les épaules, mal à l’aise devant
la fureur et la haine de Cal.
Soudain El comprit qu’elle n’avait pas mesuré à quel
point Cal tenait à Tara. L’espace d’un instant une
inconfortable culpabilité vint la tarauder, mais le mal était
fait.

Elle s’envola.

Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas


dématérialisée. C’était très amusant de faire les boutiques
avec Sanhexia, de partager son corps et de se délecter de
sa puissance de démone. Mais là, elle pouvait s’étirer dans
les airs avec délice et voler sans contrainte et ça faisait du
bien.

Sous elle, AutreMonde roulait paisiblement, pendant


que les auras des gens resplendissaient sous ses yeux. Les
sortceliers les plus puissants étaient de vives lueurs qui
montaient comme des geysers de couleurs.

El connaissait l’aura de Tara, elle l’avait vue à de


multiples reprises, mais toujours alors que la jeune fille
blonde avait encore ses pouvoirs.

Là, la tâche allait être un peu plus compliquée. El


s’était vantée en disant qu’elle pourrait reconnaître Tara,
même alors que celle-ci n’était plus une sortcelière. Parce
qu’en fait, elle n'en était pas sûre du tout.

Eleanora commença par survoler Viridis. C’était à cet


endroit que Tara avait été vue la dernière fois. Elle
survola aussi l’île où la jeune fille avait été prisonnière,
cherchant si elle pouvait repérer des traces de son aura.
Lorsqu’ils avaient trouvé le laboratoire, la cage avait été
emportée telle quelle, trop encombrante et compliquée à
démonter apparemment. Ils avaient donc pu voir que les
extrapolations du chaman avaient été exactes. Si Galant
dépérissait, c’était bien parce que Tara avait été enfermée
dans une cage en fer d’Hymlia.

Le fantôme descendit. Les Omoisiens avaient démonté


tout le laboratoire et donc il ne restait rien du tout, à part
un grand rectangle de terre nue entouré de la forêt roussie
et noire qui apparemment avait brûlé. El avait lu les
rapports que Cal avait fait passer à Mara et donc à
Archange et donc, même s’ils ne le savaient pas, à
Sanhexia, qui avait fourré son nez dedans pour savoir ce
qui se passait.

El se concentra. Elle sentait trois auras de sortceliers.


Sans doute les fameux pilotes des tapis lourds. Soudain le
fantôme se figea. Elle sentait autre chose, quelque chose de
malsain, de visqueux. Bizarrement dans son esprit, cela
était lié à une couleur.

Le vert.

Eleanora ne comprenait pas. Les informations qu’elle


sentait n’avaient pas de sens.

Mais ils avaient dû mettre Tara dans la cage et avaient


dû l’en sortir. Après, sans doute, d’après ce que les
analyses dévoilaient, l’avoir endormie. Donc, si elle avait
échappé momentanément au contre-sort du fer d’Hymlia...
Ah ! Là !

El fonça sur la petite aura qui scintillait faiblement,


prête à disparaître. Puis elle se renfrogna. Non, il y en avait
deux, ce n’était donc pas celle de...

Elle regarda les deux étincelles blanches, très pures.

Et soudain, elle sourit. Elle venait de comprendre. Ce


n’était pas l’aura de Tara qu’elle voyait, car elle comprenait
à présent que la jeune femme n’était plus perceptible à ses
dons, puisqu’elle n’était plus une sortcelière et n’avait plus
accès à la magie. Non, Tara ne pouvait pas être suivie.

Mais ses enfants, si. Car ce qu’elle avait devant elle,


c’était l’aura naissante de deux sortceliers.

Elle cria de victoire et entreprit de suivre la trace si


infime qu’elle devait se dépêcher.

Parce que si elle la perdait, jamais elle ne pourrait


retrouver Tara Duncan.

Pendant qu’Eleanora chassait, Cal et Sanhexia se


faisaient face. La haine et la colère que Cal éprouvait
avaient disparu. Il savait très bien que Sanhexia n’y était
pour rien dans cette histoire.

— Je suis désolée, fit gentiment la belle démone en


transformant son petit short vichy rose en un legging blanc
sous un petit top flottant et de légères tennis blanches.
Eleanora est assez... têtue dans son genre.

Cal se laissa tomber dans l’un des fauteuils qui


attendaient derrière lui.

— Tu crois qu’elle va trouver Tara ?


— Oui. Le fait d’être têtue s’accompagne d’un grand
orgueil dans son cas. Elle ne lâchera pas tant qu’elle ne
l’aura pas retrouvée. Lorsqu’elle donne sa parole, elle la
tient. De même que lorsqu’elle dit qu'elle va se venger, là
aussi elle tient sa parole. C’est la personne la plus entière
que j’aie jamais rencontré.

Pour la première fois depuis qu’Eleanora avait disparu,


Cal regarda vraiment Sanhexia.

— Quoi ? fit la jeune démone se tortillant sous son


regard gris. Qu’est-ce qu'il y a ?

— Tu cautionnes son chantage ? fit Cal bizarrement


calme. Ce qu'elle vient de me faire, c’est cruel et mesquin.

Sanhexia haussa les épaules, pragmatique.

— Pas tant que ça. Elle n’aime pas Tara, elle aurait
très bien pu vous abandonner tous les deux et rentrer chez
elle sans rechercher l’Héritière. Et puis moi, je trouve ça
plutôt gentil de sa part de ne pas vouloir que je reste seule.

— Gentil? explosa enfin Cal. Gentil? C’est


monstrueux! Elle ne peut pas me forcer à t'aimer !

— Non, répondit Sanhexia. Mais elle peut te forcer


à renoncer à Tara et vous rendre malheureux tous les
deux. C’est sa façon à elle d’agir. C'est tout.

Cal avait envie de placer ses deux mains autour du cou


de Sanhexia et de serrer très fort. À la place, il se leva d’un
bond et montra la porte à la démone.

— Sors ! Sors de chez moi avant que je ne te tue !

Sanhexia ouvrit de grands yeux bleus étonnés.


— Ohhh, calme-toi ! Si je m’en vais, Eleanora peut
renoncer à retrouver Tara, juste pour te punir. Tu as
prononcé un serment, mais elle n’en a rien fait, ce qui
n’était pas très malin de ta part. Cela dit, je comprends que
le chagrin et l’angoisse t’aient un peu encrassé les
neurones.

Elle se leva et eut un sourire joyeux.

— Bon, il y a un écran quelque part dans cette baraque


? Je vais finir par manquer mon feuilleton préféré, Les Elfes
en délire, et je n’aime pas le regarder en replay.

Voyant que Cal, stupéfait par sa désinvolture, ne


répondait pas, elle partit à l’aventure. De temps en temps,
sa voix joyeuse l’interpellait pendant qu’il se demandait si
l’Impératrice lui en voudrait beaucoup s'il cachait le corps
de la démone dans son jardin...

Eleanora avait perdu la trace au-dessus de la mer des


Orages. À sa grande surprise, les nonsos n’avaient pas
transité au-dessus des terres. Ils avaient survolé l’océan
des Brumes, vers le pôle Nord, puis avaient bifurqué au-
dessus de la mer des Orages, ce qui laissait à penser à
Eleanora qu’ils avaient ensuite survolé les plaines du
Mentalir, où le trafic aérien était quasiment inexistant, pour
sans doute s’enfoncer dans les montagnes du Tador. Enfin,
c’était ce qu’elle supposait, parce que, à partir du moment
où les deux petites auras s’étaient dissipées, elle ne pouvait
qu’extrapoler.

Elle survola le Krankar, puis la Krasalvie et soudain,


cela la frappa.

Du vert.

Où est-ce qu’elle avait entendu parler de vert ? Elle


avait étudié avec les assassins, qui devaient absolument
savoir tout sur tout et soudain, elle comprit où Tara avait
été emmenée et par qui.

Gueder Almandach n’aimait peut-être pas la magie,


mais il s’était allié à des magiciennes et les plus
dangereuses et dévoyées qui soient. Les sorcières noires
des Marais de la Désolation. Dont la peau était verte.

C’était aussi à cet endroit que Tara avait été enlevée.


Personne ne penserait à aller la chercher là-bas. C’était
intelligent et rusé.

Mais pas assez pour la tromper. Triomphante, elle fonça


vers les Marais. Il ne lui fallut pas très longtemps pour
repérer les auras des sorcières. Elles étaient très
différentes de celles des sortceliers, parcourues de sombres
courants qui semblaient suinter de désespoir.

Elle en suivit deux qui s’engouffrèrent dans une


immense caverne.

C’était étrange, mais Eleanora ne sentait pas les deux


petites auras. Les sorcières auraient-elles tué les enfants
de Tara ?
Puis elle songea qu’ils devaient sans doute être encore
dans une cage d’Hymlia, ce qui expliquait l’espèce de
vide, au creux de la montagne, qu’elle sentait.

Elle se rapprocha, invisible, et vit un jeune homme qui


sortait d’une chambre solidement gardée. Elle s’engouffra
dans la pièce à la vitesse de l’éclair, avant qu’il n’ait le
temps de refermer la porte.

Dans la chambre, câlinant ses bébés, se trouvait Tara


Duncan.

Eleanora se rematérialisa et triomphante s’écria :

— Je t’ai retrouvée ! C’est qui, la meilleure ? Yeaaaah !

Dire que Tara faillit faire une crise cardiaque quand le


fantôme fit son apparition devant elle était un doux
euphémisme. Elle sursauta si fort qu’elle fit peur aux
enfants qui se mirent à pleurer avec un bel ensemble.

Heureusement d’ailleurs, parce que les gardes, alertés


par le cri de victoire d’Eleanora, ouvraient la porte, le doigt
sur la gâchette.
Le fantôme disparut à toute vitesse. Il se maintint en
l’air et les gardes ne regardèrent que Tara.

— Ça va, ça va ! fit Tara en improvisant à fond la caisse.


Désolée, j’ai voulu imiter un cow-boy en train de lancer
un lasso et ils ont eu peur. Tout va bien, pardon !

Ils la regardèrent avec méfiance (ce qui était


compréhensible, c’était quand même l’explication la plus
débile du monde), mais comme tous les gens normalement
constitués, les pleurs de bébés les mirent très vite mal à
l’aise et ils refermèrent la porte pendant que Tara consolait
les enfants.

Eleanora réapparut, l’air contrit.

— Oups, fit-elle très vite avant que Tara n’ait le temps


de lui hurler dessus (enfin sans élever la voix, bien sûr), j’ai
été un peu trop enthousiaste, je crois. Bon, je file prévenir
Cal et les armées d’Omois, et on revient le plus vite
possible.

Et elle disparut.

Pour réapparaître l’instant d’après.

Pour disparaître.

Et réapparaître.

Les enfants arrêtèrent de pleurer, fascinés par cette


chose brumeuse qui semblait clignoter. Puis ils éclatèrent
de rire en même temps en lançant leurs petites mains en
avant pour essayer d’attraper le fantôme.

— Brolk de slurk! finit par dire Eleanora d’une


voix furieuse. Je n’arrive pas à repartir !
— On est entouré de fer d’Hymlia, espèce de dingue !
grogna Tara à voix basse. Tu es piégée avec nous ! Et au
passage, non, mais ça va pas d’apparaître comme ça et de
hurler ? Tu as failli me faire mourir de peur !

— Oui, fit El, c’était assez amusant d’ailleurs. Bon, je


vais attendre que quelqu’un entre et je vais aller prévenir
tout le monde.

Tara la regardait d’un air méfiant. D’un côté, elle était


très contente que quelqu’un l’ait retrouvée, enfin, mais,
d’un autre côté, ce quelqu’un était coincé avec elle et
n’était pas l’être le plus fiable du monde.

— Comment tu as fait pour nous localiser ? demanda-t-


elle.

— Facile, j’ai suivi l’aura de tes bébés. Et quand je l’ai


perdue, j’ai réfléchi. Le reste était de la déduction pure.

— Mes bébés ont une aura ? s’exclama Tara, éberluée.

— Oui, évidemment, ce sont des sortceliers ! précisa El,


ne comprenant pas pourquoi Tara avait l’air aussi surprise.

— Mais ce sont des bébés !

— Ouiiiiii, indéniablement. Dis, ta grossesse t’a rongé


les neurones ou quoi ?

Tara s’énerva :

— Non, je veux dire, les bébés n’ont pas de pouvoir,


le pouvoir vient bien après, sauf pour Jeremy et pour moi,
mais uniquement parce que nos gènes ont été trafiqués par
les dragons, sinon je n’aurais pas pu utiliser mon pouvoir
aussi tôt ! Et, s’ils étaient des sortceliers, ils auraient dû
mourir comme les animaux lorsqu’ils étaient dans la cage
avec moi et que Gueder a lâché son virus !

Le fantôme haussa ses épaules brumeuses.

— Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Tes enfants sont des


sortceliers et ils ont des auras. C’est tout.

Tara regarda Danviou et Celia avec émerveillement. Si


El parvenait à sortir de ce piège et à rameuter la cavalerie
pour empêcher le virus de tuer tout le monde, alors ses
enfants les auraient tous sauvés, puisque c’était grâce à
eux qu’elle avait retrouvé Tara.

La jeune femme sourit avec délice. Elle n’avait sauvé le


monde qu’à partir de treize ans. Elle venait de se faire
battre à plate couture...

Eleanora commença à faire le tour de la pièce, histoire


de voir si elle parvenait à trouver un trou dans le fer
d’Hymlia. Mais les sorcières avaient été très prudentes.
Elles n’avaient pas laissé la moindre faille et le fer était
solidement soudé, même aux endroits revêtus de tentures
décoratives. Il y avait bien sûr des aérations, sinon ils
seraient morts d’asphyxie depuis longtemps, mais elles
étaient fermées, ne se rouvraient que peu de temps tous les
jours et, de toutes les façons, étaient recouvertes d’une fine
maille de fer également.

— C’est pénible, grogna El en revenant flotter près de


Tara. Mais je dois reconnaître qu’elles ont fait du bon
boulot. Bon, vu qu’on n’a rien de spécial à faire d’ici à ce
qu’un de ces crétins ouvre la porte, et si tu me racontais
tout ce qui t’es arrivé depuis ton enlèvement ?

L’espace d’un instant, Tara faillit s’énerver pour se


calmer aussitôt. Après tout, Eleanora avait raison. Elles ne
pouvaient pas faire grand-chose d’autre pour l’instant.

Tara raconta. La terreur et l’émerveillement, le meurtre


de Chavol et le virus, sa décision d’essayer de récupérer
sa magie pour empêcher la diffusion du virus et surtout le
rituel de mort sur les pauvres sortceliers. Eleanora en
redescendit de son plafond pour se planter devant elle.

— Pardon, mais tu peux répéter ce que tu viens de dire,


là ?

Tara répéta.

Eleanora émit des jets de couleurs qui amusèrent


beaucoup les enfants, toujours aussi totalement fascinés
par cette forme brumeuse qui volait et parlait.

— Ce Chris, là, fit-elle d’une voix crispée, il a vu si les


âmes des sortceliers partaient en OutreMonde ?

— C’est un NM, un nonsos, il ne peut pas voir les


âmes, rappela Tara patiemment.

— Slurk, slurk, slurk ! Mais si elles utilisent non pas la


force vitale comme le fait la magie normale, mais la mort,
cela signifie qu’elles peuvent donc piéger l’âme des
sortceliers ! Comme les démons !

Tara ne savait pas pourquoi, mais elle avait le sentiment


que ce n’était pas cela. La vieille sorcière avait dit que le
pouvoir dépendait de la grosseur de la victime. À son avis,
cela avait plus à voir avec une sorte d’explosion d’énergie
que d’âme. Ce qu’elle expliqua à Eleanora.

— Hum, fit le fantôme, tu as peut-être raison. Mais


c’est quand même très inquiétant tout ça. Je n’ai pas du
tout envie qu’OutreMonde soit tout à coup envahi par des
hordes de sortceliers tués tous en même temps ! Ça, pour
le coup, ce serait une cata !

Tara évita de lever les yeux au ciel, au plafond plutôt,


pas vraiment surprise que la parfaitement égoïste Eleanora
ne voie pas la mort des gens, mais plutôt les problèmes que
cela risquait de lui poser à elle.

Eleanora n’avait pas fait attention, mais une partie de


son corps flottait au-dessus du berceau où Tara avait mis
Danviou et Celia ensemble. Ravis, les deux bébés tendirent
leurs mains en même temps.

Et il se passa une chose absolument incroyable.

Eleanora redevint tangible ! Sous les yeux incrédules


de Tara, le fantôme commença à se solidifier et ça avait
l’air assez désagréable, vu les cris qu’elle se mit à pousser.

— Tais-toi, chuchota Tara, tu vas nous faire repérer !

Eleanora était trop terrifiée pour être capable de


réfléchir.

Elle roula sur le côté pour échapper aux petites mains.

Dès qu’elle ne fut plus en contact avec eux, elle


redevint brumeuse. La porte cliqueta, et Tara, voyant qu’El
était trop choquée pour disparaître, attrapa le drap de son
lit et le secoua dans tous les sens afin de dissiper la brume
trop révélatrice, poussant le nuage derrière la commode
qui séparait la pièce.

Les mêmes gardes que plus tôt firent irruption, de


nouveau le doigt sur la gâchette.
— C’était quoi, ces cris horribles ? fit l’un des gardes,
un blond au visage plutôt sympathique. Chris nous a dit
que tu étais gentille, alors si tu pouvais arrêter de hurler,
ce serait bien.

— Désolée, désolée, en fait, je me suis cognée en


faisant mon lit et ça m’a fait super mal. Excusez-moi, fit
Tara en montrant le drap qu’elle secouait. Et puis,
franchement, cette chambre manque d’aération, vous ne
trouvez pas? Le seul moment où un peu d’air frais pénètre
dans la pièce, c’est le moment où vous ouvrez la porte !

Elle accentua les derniers mots, espérant qu’Eleanora


comprendrait qu’elle devait s’échapper et vite fait.

Les gardes la regardèrent en secouant la tête, puis


refermèrent la porte.

— Eleanora, demanda doucement Tara en faisant le


tour, espérant que...

Elle s’arrêta net en voyant le fantôme l’air totalement


traumatisé, qui ne s’était pas échappé du tout.

— Bon sang ! souffla-t-elle. Mais qu’est-ce que tu


fabriques ? Pourquoi tu n’es pas partie ?

— Qu’est... qu’est-ce qu’ils m’ont fait ? chuchota


Eleanora. Tes enfants, qu’est-ce qu’ils m’ont fait ?

— Écoute, je n’en sais fichtre rien, s’énerva Tara. Mais


en hurlant tu as réussi à faire ouvrir la porte par les
gardes, alors j’espérais que tu en avais profité !

Tara vit qu’El était trop choquée pour lui répondre.


Bon, les grands moyens. En l’insultant un peu, elle devait
obtenir une réaction.
— Non mais quelle poule mouillée, en voilà un super
assassin ! Deux gamins te touchent, et boum, c’est la fin du
monde ?

Eleanora qui ressemblait à une grosse boule brumeuse


recroquevillée sur elle-même se déplia, une lueur
mauvaise au fond des yeux.

— Eh, oh, ça va, hein ! J’ai de bonnes raisons quand


même ! Tes sales marmots m’ont rendue solide ! Je ne
pouvais plus me dématérialiser !

— Et alors ? fit Tara rudement. Ce n’est pas très grave !


Tu es un fantôme de nouveau, alors fais tes trucs de
fantôme et va nous chercher les secours ! Parce que si je
n’arrive pas à récupérer mes pouvoirs, tu vas bientôt avoir
des tas de nouveaux copains en OutreMonde !

Eleanora lui jeta un regard noir, puis se déplaça près de


la porte après avoir fait un très large détour pour éviter
les berceaux.

Et là, elle se mit à gigoter. Tara la regarda sans


comprendre pendant quelques minutes. À la fin de ce
spectacle bizarre, elle n’y tint plus.

— OK, je donne ma langue au chat. Tu fais quoi, là ?

Eleanora revint vers elle pour éviter que les soldats ne


l’entendent de l’autre côté de la porte.

— J’essayais de me dématérialiser, espèce d’abrutie !


Mais j’ai l’impression que tes gamins m’ont collé une bonne
dose de réalité, parce qu’impossible de devenir invisible et
c’est tout juste si j’arrive à flotter !
Les petits tendirent leurs menottes vers El qui recula
en inspirant avec angoisse.

— Regarde, regarde, ils essayent de recommencer !

Ce que Tara trouvait bizarre, c’était que les enfants


soient capables de voir Eleanora de loin. Ils n’avaient que
quelques jours. Mais elle aurait juré qu’ils savaient
exactement où se trouvait chaque chose dans la pièce et ils
avaient eu le regard fixé sur la porte où El avait gigoté
comme une dingue alors qu’elle ne faisait aucun bruit
tandis qu’elle essayait de se dématérialiser.

Malheureusement, elle n’allait pas pouvoir éclaircir ce


mystère tout de suite, parce que Chris et elle étaient
convenus qu’il reviendrait au milieu de la nuit afin de
prendre les enfants et tout ce qu’elle avait préparé pour
leur fuite, incluant biberons, couches et autres nécessités,
même si elle espérait bien que le tank arriverait très vite
dans une zone habitée où Chris pourrait trouver du
secours.

Elle songea un instant à proposer au fantôme d’aller


avec eux, mais ce n’était pas forcément une bonne idée, vu
la terreur que les bébés lui inspiraient.

— Écoute, c’est peut-être temporaire. Tu es redevenue


brumeuse dès que tu as échappé aux enfants. Il faut sans
doute que l’effet se dissipe et tout ira bien. Et puis, qu’est-
ce qui te gêne ? Tu devrais être contente de redevenir
matérielle, non ? Ce n’est pas ce que les fantômes voulaient
lorsqu’ils ont envahi AutreMonde ?

— Ce n’est pas ça, chuchota Eleanora, tu ne


comprends pas. Je suis morte. Ils étaient en train de
solidifier... (Elle s’arrêta parce que ce n’était pas ce qu’elle
avait ressenti et reprit :) Non, pas juste solidifier, ils étaient
en train d’appeler mon corps mort. Qui a été diffusé dans le
sol d’AutreMonde, lors de la cérémonie funéraire. Mes os,
ma chair, je les sentais revenir du plus profond de la terre
pour reprendre leur place. Tara, tes enfants étaient en train
de me transformer en morte vivante !
Chapitre 31
Gueder
Ou comment se rendre compte qu’on s’est fait
avoir

et être très, très en colère... tout en ne pouvant


pas

y faire grand-chose.

Gueder regardait les affreuses sorcières. Il ne l’aurait


avoué pour rien au monde, mais en fait, entre les
sortceliers et les sorcières, il n’y avait pas photo. Il
préférait les premiers aux secondes.

Pas parce qu’il n’aimait pas leur peau verte, leurs


verrues et leurs habitudes répugnantes. Mais plutôt à
cause de leur mentalité.

Elles étaient mauvaises. Peut-être qu’il fallait accuser


leur éducation, ou les rituels de mort qui les conservaient
vivantes bien plus longtemps que les sortceliers, ou alors le
fait qu’elles étaient totalement dingues après avoir été
bannies dans un environnement pour le moins insalubre,
mais le fait restait là : elles aimaient le mal, la torture et la
mort, comme d’autres aiment les chatons mignons, les
chiots rigolos et être gentils même avec des gens
désagréables.
Il se trouvait dans l’immense caverne qui allait servir de
démonstration. Là où le virus serait libéré, transformant
la face d’AutreMonde à jamais.

Au centre, il y avait une immense cage, bien trop


grande pour une jeune femme et des bébés, et des scoops,
mais aussi des caméras terriennes disposées un peu
partout dans la caverne.

Les sorcières voulaient du grand spectacle, alors elles


l’avaient construite à, la dimension de ce terrible
événement.

Toute la caverne était drapée de rouge, si bien qu’on


avait l’impression d'être dans un immense cœur qui ne
battait plus. Partout, des bougies illuminaient la scène, car
aucune lumière de l’extérieur n’arrivait jusqu’à cet endroit,
enfoui dans un labyrinthe de couloirs.

Gueder avait placé ses soldats à tous les endroits


stratégiques, aussi bien pour affronter les ennemis de
l’extérieur que ceux, éventuels, de l’intérieur.

Curieusement, jusqu’à ce jour, Gueder n’avait jamais


envisagé la mort de millions de sortceliers comme un
problème. Il les voyait comme des cafards qu’il devait
éliminer, parce qu’ils étaient nuisibles.

Il se souvenait des cris. Il se souvenait de la douleur.

Il se reprit sévèrement. Il ne devait pas laisser sa


mémoire le rendre faible. Il ne faisait pas cela pour lui. Il
faisait cela pour tous les nonsos qui avaient été blessés ou
tués ou persécutés avant lui par les monstres magiques qui
habitaient cette planète avec eux, et ne le seraient plus
jamais après lui.
Mais ce qui le dégoûtait le plus, c’était qu’il avait été
obligé de s’associer avec des êtres maléfiques pratiquant la
plus noire des magies.

Et cela non plus, il ne voulait pas se l’avouer, mais la


mort de la famille que les sorcières avaient enlevée l’avait
secoué. Au point de lui donner envie de vomir.

Les sorcières vertes s’étaient repues de ces morts


comme d’immondes sangsues boursouflées de graisse et de
magie.

Gueder était un meneur d’hommes. Il avait remporté


l’élection pour la représentation des nonsos au plan
mondial, comme on mène une bataille, sabre au clair et en
chargeant. Il avait écrasé ses adversaires, ne leur laissant
aucune chance.

Parce qu’il avait une mission. Et il est difficile d’arrêter


un homme aussi pétri de convictions que Gueder.

Les siennes l’avaient été dans la douleur et la perte.

Mais elles avaient été ébranlées lorsqu’il avait vu ce qui


s’était passé. Et soudain, il s’était demandé avec horreur
s’il n’avait pas commis une énorme erreur.

Les sorcières seraient-elles capables de se nourrir ainsi


de la mort de tous les sortceliers tués par le virus ? Parce
que si c’était le cas, alors il risquait de créer des monstres
bien plus dangereux que ceux qu’il combattait.

Qui avaient massacré ses amis.

Personne n’en avait jamais rien su. Gueder était un


jeune étudiant en biologie et, à cause de ses pouvoirs NM,
ne fréquentait pas les sortceliers. Un soir, ils étaient sortis
en bande, entre nonsos, insouciants et libres, pour un
pique-nique nocturne au lac de Sourville, près de
l’université pour nonsos qu’ils fréquentaient à deux cents
tatrolls de Tingapour.

Il y avait des sortceliers complètement ivres à l’endroit


où ils avaient prévu de pique-niquer, au bord de l’eau.
À l’époque, Gueder sortait avec Sofia, une jolie fille
rieuse, aux yeux et cheveux noirs, qui le faisait craquer
lorsque son rire faisait ressortir ses fossettes malicieuses
sur ses joues roses.

Les sortceliers avaient revendiqué le lieu. Ses amis


n’étaient pas très sobres non plus, ils avaient pas mal bu
avant de franchir les portes de transfert. Ils avaient
protesté. Le ton était monté. Ils avaient commencé à se
bagarrer et deux des sortceliers s’en étaient pris à lui, le
séparant de Sofia, le frappant si brutalement, lorsqu’il avait
tenté de résister, qu’il avait eu la mâchoire, les côtes et les
jambes brisées. Puis comme ses amis se défendaient, les
sortceliers avaient utilisé leur magie.

Ses amis n’étaient pas des NM et lorsque les sorts


avaient fusé, ils avaient hurlé.

Sauf que voilà. Les types étaient ivres. Ils ne


maîtrisaient pas leur magie.

Sofia avait été fauchée net. Elle s’était écroulée, un trou


de la taille d’un poing dans l’estomac. Les sortceliers
avaient lancé un mintus sur ses amis, puis s’étaient enfuis.

À moitié inconscient, hurlant de douleur et de rage, il


avait vu la lumière s’éteindre dans les yeux lumineux de
Sofia.

Puis il s’était évanoui.


Il s’était réveillé à l’hôpital. Ses amis avaient tout
oublié. Les Diseurs ne pouvaient pas lire dans son esprit de
NM, et tout le monde se demandait ce qui s’était passé. Il
n’avait pas été suspecté, parce qu’il était clair qu’il avait
été passé à tabac et que Sofia était morte d’une attaque
magique.

Il avait tout raconté à la police. Les policiers l’avaient


écouté attentivement, mais il faisait noir, il avait aussi
pas mal bu et il n’avait pas bien vu les visages de leurs
agresseurs. Faute de descriptions, et, comme avec les
portes de transfert, les assaillants pouvaient venir de
n’importe où, l’affaire avait été classée sans suite.

Et Sofia, sa merveilleuse Sofia, était morte.

Il n’avait même pas pu assister à son enterrement, trop


blessé pour quitter l’hôpital.

De nouveau, il serra les dents. Il ne devait pas laisser


ses souvenirs remonter. Les sorcières étaient à l’affût de
tout ce qui pourrait leur donner un moyen de pression sur
lui. Sa seule chance de les contrôler était de rester froid,
impassible et furieux.

Mais depuis qu’elles lui avaient donné ce bâton qui


canalisait leurs pouvoirs et avait permis à Gueder de guérir
lorsque Tara lui avait broyé la trachée, juste en posant la
main sur le cristal, lorsqu’il avait repris très brièvement
conscience, à l’article de la mort, il commençait à
comprendre que ce n’était pas un cadeau.

Chaque fois qu’il avait dû l’utiliser, il avait eu


l’impression que le bâton lui volait un peu de sa vitalité.

Les sorcières avaient dû travailler dur pour trouver un


moyen de contourner sa nature de NM. En combinant
technologie et magie, elles y étaient parvenues. Le bâton
projetait un champ d’énergie qui accordait Gueder
momentanément à la magie des sorcières. Et cela lui
permettait d’utiliser, pendant quelques minutes, leur
poisseux pouvoir. Heureusement pour lui, le cristal était
juste à côté de lui quand Tara l’avait terrassé, il n’avait eu à
bouger sa main que de quelques centimètres. S’il avait
roulé plus loin, il serait mort à l’heure qu’il était.

Il savait que les âmes des sortceliers allaient dans un


lieu mystérieux, dont ils avaient eu un aperçu lorsque les
fantômes avaient envahi AutreMonde. Tout comme il savait
que les âmes des nonsos allaient au Paradis ou en Enfer.

Il n’avait aucun doute sur son sort.

Il allait terminer en enfer, proprement rôti.

Il l’acceptait. Il allait se sacrifier et sacrifier son au-delà


pour que les nonsos cessent de souffrir et que la
planète appartienne à ceux qui le méritaient le plus.

Toutes les innocentes Sofia de ce monde.

Les sorcières disposèrent une petite fiole ne contenant


apparemment rien sur une table à côté de la cage. Sauf
que Gueder savait qu’elle était au contraire pleine d’un
milliard de virus mortels.

Soudain, les sorcières se concertèrent et attrapèrent


l’une d’entre elles. Une vieille femme aux cheveux noirs et
blancs, tranchés en mèches parfaitement distinctes.

Elles l’immobilisèrent tout en s’emparant de son bâton


avant qu’elle n’ait le temps de réagir.
Indignée, la vieille sorcière tenta de reprendre son
bâton.

— Mais qu’est-ce que vous faites ! Rendez-moi mon


bâton !

L’une des sorcières, celle que Gueder connaissait sous


le nom de Margarie, se plaça derrière elle pendant que la
vieille sorcière essayait de reprendre son instrument
magique et la frappa à la tête avec le sien.

La vieille s’écroula, totalement prise par surprise.

Les assistants des sorcières apportèrent une table


munie de fers d’Hymlia. Les sorcières posèrent un bâillon
sur la bouche de la vieille femme, puis l’attachèrent. Le
coup donné par la sorcière ne devait pas être très fort, ou
alors la vieille sorcière devait avoir le crâne
particulièrement dur, parce qu’elle commençait déjà à
remuer.

Rapidement et en caquetant avec agitation, les


sorcières vertes revêtirent des combinaisons dont elles
refermèrent les casques.

Seule la vieille sorcière sur la table ne fut pas protégée.

— Mmmhh, fit-elle en ouvrant des yeux effarés.


Mmmmhhh !

La sorcière qui l’avait assommée activa le micro de sa


combinaison.

— De nous toutes, fit-elle avec mépris, j’avoue que tu


es bien la seule que je n’avais pas soupçonnée, Etela.
Alors, qu’est-ce que tu as demandé à l’Héritière, en
échange de ton aide ? Un armistice ? Des terres ?
La vieille sorcière remua frénétiquement, furieuse.

— Bah, reprit l’autre sorcière, ce n’est pas très


important. Nous savons que tu lui as parlé, même si tu as
essayé de le dissimuler, ce qui nous a alertées. Et comme
nous devons tester le virus in situ, plutôt que de tirer à la
courte paille laquelle d’entre nous s’exposerait pour tester
son innocuité sur nous, nous avons décidé que tu te
porterais volontaire. Ne sommes-nous pas magnanimes ?
Plutôt que de te tuer pour ta petite trahison minable, nous
te laissons une chance de t’en sortir.

Elle fit un signe de tête à l’une des autres femmes, qui


s’approcha de la fiole sur la petite table rouge et la
déboucha avec précaution avec ses gants en caoutchouc.

Etela se débattit de plus belle sur sa table, terriblement


effrayée.

Gueder n’avait pas de combinaison non plus, car il avait


été avéré que le virus ne s’attaquait absolument pas aux
NM. Mais il n’aimait pas du tout savoir que des particules
chargées de mort lui emplissaient un peu plus les poumons
à chaque instant. D’autant que ces saletés de sorcières
s’étaient bien gardées de l’informer de leur plan.

Était-ce leur façon de lui montrer ce qui lui arriverait


s’il les trahissait ?

Pauvres idiotes. Il avait fait des choses innommables


pour en arriver là où il en était. Est-ce qu’elles pensaient
vraiment que l’exposer au virus allait l’arrêter ou lui faire
peur ?

Il s’obligea à ne pas broncher pendant que les


halètements furieux de la vieille sorcière ne diminuaient
pas.
Au bout d’un certain temps, il fut assez évident que le
virus n’avait aucun effet sur la vieille sorcière.

Et que si elle s’étouffait, c’était uniquement parce


qu’elle balançait bordées de jurons sur bordées de jurons
inaudibles au point que son bâillon était trempé de bave.

Il jeta un coup d’œil aux gardes qui regardaient la


scène avec des yeux écarquillés et tout aussi effrayés que
la vieille sorcière. Eux non plus n’aimaient pas trop cette
idée de virus un peu partout autour d’eux. Et il savait qu’ils
détestaient les sorcières autant que lui. L’un des deux, un
certain Chris, en particulier, avait semblé totalement
écœuré lorsqu’elles avaient tué les sortceliers.

Il allait devoir le surveiller celui-là.

Gueder s’exclama d’une voix forte, faisant sursauter les


sorcières qui tout à leur fascination malsaine l’avaient
oublié.

— Ça suffit ! Nous avons besoin de chacune d’entre


vous pour rendre son pouvoir à la mutante. Vous tuer les
unes les autres est stupide !

Les dix-neuf sorcières bannies se tournèrent vers lui, y


compris Etela. La magie avait noirci la totalité de leurs
pupilles et rougi le blanc de leurs yeux, ce qui leur donnait
l’air de harpies furieuses. Ce qu’elles étaient en réalité.
Certaines d’entre elles étaient si vieilles, si décrépites
qu’on avait l’impression qu’il suffirait d’un souffle pour les
renverser, pourtant, Gueder avait vu le pouvoir que les
corps à la fois maigrelets et bizarrement bouffis recelaient.

— Nous ne t’avons pas sonné, nonsos, siffla Margarie.


Et évite de nous traiter de stupides si tu ne veux pas
terminer le reste de tes jours à manger de la bouillie à la
petite cuillère en possédant à peu près autant de QI qu’un
légume.

— Ta magie ne m’affecte pas, sorcière, répondit


sèchement Gueder. Et je vous rappelle que vous êtes dix-
neuf, contre une centaine de mes hommes qui sont eux
aussi insensibles à votre magie. Alors ne me provoque pas
ou nous arrêtons tout, ici et maintenant.

Dieux que c’était tentant ! Tout arrêter. Disparaître et


laisser les gens vivre leur vie. Gueder ne s’était pas rendu
compte à quel point la tentation était grande.

Leur alliance avait été le finit du hasard. Gueder


travaillait de toutes ses forces pour mettre au point un
virus capable d’éradiquer la magie et les sortceliers,
lorsque ces vieilles femmes étaient venues le voir.

Elles avaient appris, par l’intermédiaire des


fournisseurs à qui il avait acheté certains ingrédients, qu’il
travaillait dans la même direction qu’elles, car elles avaient
acheté les mêmes. Bien que bannies dans les Marais de la
Désolation, elles n’obéissaient pas forcément à leur mise à
l’écart et faisaient régulièrement de discrètes incursions
dans les grandes villes d’AutreMonde et sur Terre.

Elles avaient eu des centaines d’années devant elles


pour apprendre la chimie, la biologie et étudier la magie.

Elles avaient compris ce qu’il essayait de faire et lui


avaient proposé alliance, or et puissance s’il les aidait.

Il avait longuement réfléchi. Puis, comme toujours,


Sofia était revenue devant lui, même si ses traits avaient
presque disparu avec le temps, il voyait toujours la vie
quitter les grands yeux noirs qui avaient tant pétillé.
Il avait pris sa décision. Pour Sofia. Et les vingt années
qui avaient suivi, il avait travaillé avec celles des sorcières
qui s’étaient spécialisées dans cette étrange discipline qui
alliait magie et technologie. Jusqu’au jour où ils avaient
trouvé. Trouvé un moyen de détruire la magie en détruisant
les magiciens. Dommage que cela ne fonctionne pas sur les
sorcières, il se serait bien débarrassé d’elles du même
coup.

Il ne s’était écoulé qu’une fraction de seconde pour que


tous ses souvenirs affluent à sa mémoire, seconde que
Margarie mit à profit pour opérer un mouvement vers son
bâton qu’elle avait posé lorsqu’elle avait mis sa
combinaison, mais immédiatement, des petits points rouges
fleurirent sur sa poitrine de caoutchouc et elle se figea.

Gueder sourit sinistrement. Ses hommes étaient bien


dressés. Il n’avait même pas eu besoin de leur donner
l’ordre d’allumer la sorcière verte, qu’ils braquaient les
visées laser de leurs armes sur son corps, mais aussi sur
celui des autres. Parfait.

Très posément, la sorcière retira son casque, puis sa


combinaison, semblant ignorer les points rouges qui
maculaient son corps, même si Gueder savait qu’elle y
prêtait au contraire une grande attention. C’était la
première fois qu’il les menaçait. Il savait qu’il n’aurait pas
dû. Mais il n’avait pas pu résister. L’arrogance de ces
mégères qui se nourrissaient de morts devenait de plus en
plus insupportable.

La sorcière écarta les bras, montrant qu’elle n’avait pas


l’intention de l’attaquer.

— Et maintenant, dit-elle d’un ton froid et maîtrisé,


on fait quoi ?
— Vous délivrez cette femme, Etela, répondit Gueder,
tout aussi froid. Nous organisons la cérémonie pour ce soir,
j’en ai assez d’attendre. Nous libérons le virus. Et à dieux
vat !

— Depuis que nous avons été bannies ici, nous ne


croyons plus en les dieux qui nous ont abandonnées.

— Vous avez tort, répliqua Gueder. Les dieux, eux,


croient en vous.

Margarie éclata de rire.

Puis elle s’avança vers Etela et la libéra elle-même.


Folle de rage, Etela retira son bâillon.

— Espèce de soupilute, hurla-t-elle, tu vas me le payer !

Margarie la toisa d’un air méprisant.

— Tu as essayé de nous trahir en parlant sans nous


en avertir avec l’Héritière. Tu n’as rien à dire, à part
nous remercier pour ne pas t’avoir tuée sans préavis. Deux
d’entre nous garderont dorénavant la cellule de la fille,
elles seront capables, contrairement à ces minables nonsos,
de détecter si tu essayes de te rematérialiser une nouvelle
fois chez elle. Cela dit, essaye encore une fois, et tu ne
vivras pas assez longtemps pour voir notre triomphe, c’est
compris ?

Etela bondit de la table avec une agilité trompeuse par


rapport à son âge et arracha son bâton des mains de celle
qui le tenait.

— Vous allez regretter ce que vous venez de faire !


Et elle sortit de la caverne à grands pas rageurs. Deux
sorcières partirent sur ses pas, afin de garder la chambre
de Tara.

De son côté, Chris désarma sa broyette sur les ordres


de Gueder, cessant de viser le cœur de la femme verte.

Si les vieilles sorcières gardaient la porte, il n’avait plus


aucune chance de rentrer dans la chambre et d’aider Tara.

Il avait donc le choix. Soit rester afin de voir s’il pouvait


l’aider ensuite.

Soit partir immédiatement et aller chercher du secours.


Qu’est-ce que Tara aurait fait à sa place ?

Il réfléchit longuement en retournant dans sa chambre,


une fois son service terminé.

Et prit sa décision.
Chapitre 32
Cal
Ou comment resserrer les liens familiaux
jusqu’à se retrouver totalement ligoté.

Eleanora n’était pas revenue. Au fur et à mesure que le


temps s’écoulait, Cal et Sanhexia s’inquiétaient de plus
en plus.

Si Cal avait pu douter de l’affection que Sanhexia


ressentait vraiment pour Eleanora, il n’avait absolument
plus aucun doute.

La jeune démone blonde arpentait son salon de long en


large, ses cheveux n’étaient pas, pour une fois,
impeccablement coiffés et elle ne s’était changée qu’une
seule fois depuis qu’El avait disparu, pour un legging gris
tout simple et une chemise siglée à rayures roses.

Chaque seconde qui passait crucifiait un peu plus Cal.


Aussi, sursauta-t-il violemment lorsqu’une voix qu’il
connaissait bien résonna derrière lui.

Surpris, il vit entrer son frère Benjy dans la pièce.


Accompagné par tout le reste de la famille. Sous les yeux
de Sanhexia, très étonnée, les Dal Salan entourèrent leur
jeune frère d’amour, de tendresse et de beaucoup de bruit.

Cal finit par se dégager.


— Mais qu’est-ce que vous faites tous là? Et
comment vous êtes entrés ?

Sa mère eut l’air perplexe.

— Mais tu nous as laissé un libre accès à ta maison,


ma grenouille, tu as oublié ?

Ah, mince, il avait complètement zappé.

Cal croisa le regard bleu de Sanhexia qui brillait de


malice. Le jeune homme comprit avec résignation que le
mot « grenouille » allait rapidement ressortir. Sanhexia
n’allait certainement pas laisser passer cette merveilleuse
occasion de le charrier.

— Que votre magie illumine, Dame Dal Salan, je suis


Sanhexia, l’une des innombrables sœurs d’Archange, se
présenta-t-elle.

Aliana-Léandrine lui sourit franchement.

— Oui, je me souviens de vous, Sanhexia, nous


nous sommes croisées à plusieurs reprises au Lancovit,
mais je n’avais pas eu le plaisir de vous parler. Comment
allez-vous ?

— J’ai perdu mon fantôme, se lamenta Sanhexia


d'une petite voix triste.

Aliana-Léandrine en resta bouche bée. Très peu de gens


savaient que Sanhexia abritait le fantôme d’Eleanora et
Cal avait oublié de le mentionner à sa famille, parce qu'il
n’y attachait pas grande importance. D’autant que
Sanhexia avait été très occupée par Demiderus et qu’il ne
l’avait que rarement croisée ces deux dernières années,
trop concentré sur Tara.
— Pardon, fit sa mère d’une voix étonnée, mais de
quel fantôme parlez-vous ?

Pendant que Sanhexia expliquait l’étrange situation


qu’elle vivait en partageant son corps avec celui d’El, et
que ses frères et ses sœurs, absolument captivés, la
bombardaient de questions, Cal s’était replongé dans ses
pensées douloureuses.

Le fait de penser à la femme qu’il aimait à la folie lui


tordit le cœur un peu plus. Il caressa Galant. Comme lui, le
pégase espérait que Tara allait revenir bientôt. Le fait
qu’il aille mieux était un soulagement. Le fait qu’il soit
toujours vivant était également le signe que Tara l’était
également. Du coup, Cal n’allait plus nulle part sans Galant
et si le pauvre pégase émettait le moindre bruit bizarre ou
faisait quelque chose qui l’amenait hors de sa vue, Cal était
immédiatement à ses côtés en train de l’interroger sur
Tara.

Ce n’était pas que Galant n’aimât pas Cal, au contraire,


il venait quand même de lui sauver la vie en parlant au
chaman qui l’avait soigné avec autant d’efficacité que de
brutalité.

Mais le pauvre pégase avait l’impression d’étouffer


entre l’absence crucifiante de Tara et la sollicitude
exacerbée de Cal.

Par les plumes de son père, il n’arrivait même plus à


aller faire pipi tranquille !

À part Cal et son renard, aucun des autres Dal Salan


n’avait de Familier. Cela n’était pas surprenant, les fusions
étant rares. D’ailleurs, celle de l’Impératrice avait surpris
tout le monde, car elle était déjà âgée et, en général, les
sortceliers se liaient plus tôt. Mais ce n’était tout de même
pas la première fois[72].

Voyant qu’il broyait du noir pendant que les autres


entouraient Sanhexia, ravie d’être le centre de l’attention,
Aliana-Léandrine vit que son fils souffrait et, comme dans
les bois, lorsque sa mère vint l’étreindre dans ses bras
aimants, Cal dut admettre qu’il n’était qu’un très jeune
sortcelier d’à peine vingt-deux ans, en dépit de tous ses
exploits et du fait qu’il avait dû mûrir très vite, qui se
sentait totalement impuissant.

Parce que, parfois, les méchants gagnent.

Il laissa les larmes couler sur ses joues. Et justement


parce qu’il était encore très jeune, il ne chercha pas à les
cacher. Il avait horriblement mal et les larmes qu’il versait
et l’amour de sa famille allégeaient un peu sa peine. Ça et
le fait de voir Galant vivant et actif.

Sa mère lui passa un mouchoir et il se moucha après


s’être essuyé les yeux et les joues.

Benjy se posa sur le sofa à côté de lui et de sa mère et


lui tapota l’épaule. Il ne fit aucune allusion aux yeux rouges
de son frère, ni au fait que Cal avait l’air d’une loque.

— Dis donc, je sais que tu as des amis particuliers, mais


cette jeune Sanhexia, là, c’est vraiment quelque chose. Elle
nous a dit que, grâce à ses gènes trafiqués ou je ne sais pas
quoi, elle avait réussi à conserver Eleanora avec elle,
c’est complèt...

Soudain, Cal se redressa, faisant à moitié tomber


Galant sur Blondin qui glapit de surprise.
— Brolk ! hurla le jeune homme aux yeux gris. Brolk
de slurk ! Mais quel ahuri je suis ! Les gènes ! Mais bien
sûr !

Avant que ses parents et Sanhexia complètement ahuris


aient pu lui demander ce qui lui arrivait, Cal avait sauté
sur sa comconsole et se connectait directement au vaisseau
de Maître Chem.

— Réponds, réponds, martela fiévreusement Cal, dis-


moi que tu n’es pas encore parti au Dranvouglispenchir,
allez, les dieux de la chance, là, faites quelque chose pour
moi, pour une fois !

Soudain l’image du dragon bleu apparut sur l’écran.

— Cal, fit-il d’un ton surpris, que se passe-t-il, tu


as retrouvé Tara ? Nous allions partir.

— Non ! hurla Cal. Non ! J’ai besoin de vous ici !


Maître Chem, annulez le départ !

Cal entendit des voix très courroucées venant de


derrière Maître Chem lorsque celui-ci, qui apparemment se
trouvait dans la salle de commande du vaisseau avec la
dragonne noire, hurla d'abandonner l’allumage des
moteurs d’hyper-espace.

Le museau bleu du dragon revint devant Cal.

— Bien, tu viens de nous coûter quelques dizaines


de milliers de crédits-muts or en m’ordonnant d’annuler
notre départ. Est-ce que je peux avoir une explication avant
de me faire écorcher vif par les redoutables comptables de
mon épouse ?
— Les gènes ! Maître Chem ! Les gènes ! Lorsque nous
nous sommes vus avec Tara, juste avant son enlèvement,
vous avez dit que les gènes de Tara avaient été trafiqués,
ce qui la rendait unique. Nous n’arrivons pas à la retrouver
parce qu’elle est sans doute enfermée dans du fer d’Hymlia
et qu’elle n’a plus sa magie. Mais ses gènes, sa signature,
vous l’avez forcément, puisque c'est votre roi qui l’a
modifiée pour la rendre plus puissante. Cette trace-là, à
partir du dernier endroit où elle a été repérée, vous
pourriez la suivre ?

Le dragon en resta gueule bée. Puis il fit claquer ses


mâchoires.

— C’est une excellente idée, Caliban, vraiment. Je n’en


ai aucune idée. Je te rappelle.

Et il éteignit.

Cal tapa sa comconsole.

— Chem ! Non ! Brolk !

— Il a dit qu’il allait te rappeler, fit doucement sa


mère. Il doit sans doute avoir besoin de la ligne pour
obtenir les échantillons pour lancer ses traqueurs
chimiques.

— Appelle Archange, fit une voix derrière eux. Appelle


mon frère, Caliban. Lui pourra t’aider.

Cal se retourna. Sanhexia le regardait d’un air grave,


lui faisant signe de composer le numéro privé d’Archange.

Cal obéit sur-le-champ. L'instant d’après, l’image


d’Archange s’affichait sur sa comconsole, en attente. La
ligne était occupée et Cal appela Mara.
La sœur de Tara était dans le laboratoire du Palais avec
Mourmur, Sylver, Fabrice, Robin, Moineau, Heagle5, Fabra
et les assistants à l’air toujours à moitié sonnés du vieux
savant, sans oublier le fameux Sherlock.

Cal lui expliqua ce à quoi il venait de penser. Mourmur


étant son second choix après les dragons, sans oublier
les fourmis géantes des démons, grandes ingénieurs, en
troisième, il espérait que la conjonction des efforts de tout
le monde allait aboutir à quelque chose.

Soudain, la comconsole sonna, c’était Maître Chem. Cal


le mit en multiconférence. Le dragon ne s’embarrassa pas
à saluer tout le monde.

— J’ai les spécificités des gènes de Tara, son ADN si


particulier au complet, Cal, je te les transfère en ce
moment même sur ton ordimagic, fit le dragon bleu d’un air
désolé. En revanche, non, nous n’avons jamais eu à
retrouver d’individu grâce à ses gènes, alors nous n’avons
jamais eu à créer un appareil pour le retrouver et comme la
magie ne fonctionne pas... je suis vraiment désolé.

Cal sentit l’espoir disparaître, le laissant vide et creux,


alors qu’il bouillonnait d’excitation la minute d’avant.

Soudain, Sanhexia se mit à sauter d’excitation derrière


Cal.

— Mais nous si ! Mara ! Dis-lui !

— Sanhexia a raison, fit Mara. Le Juge !

— Quoi, le Juge ?

Le Juge était un monolithe de pierre noire au mauvais


caractère, même s'il était plus ou moins ami avec Tara à
qui il avait confié l’un de ses éclats pour qu’elle puisse
communiquer avec ses parents.

— Le Juge servait de juge pour les criminels


démoniaques de Boulimi-Lemi, expliqua Mara. Il suffisait
de mettre un peu de sang et de chair de celui que les
démons recherchaient, pour qu’il soit capable de le
retrouver tout de suite. Nous l’utilisons toujours, c’est ce à
quoi tu pensais, Sanhexia ?

— Oui, sauf qu’on n’a pas forcément de la chair et du


sang de Tara à disposition !

Cal s’affaissa un peu. Non ! Il devait forcément y avoir


une solution !

— Mais si nous avons l’exacte composition de ses


gènes, Sherlock peut recréer la chair et le sang en
question, fit Mourmur. N’est-ce pas, Sherlock ?

Ils se tournèrent tous vers la machine qui en clignota


de confusion.

— Oui, bien sûr, je peux faire cela, finit-elle par


répondre. Cal, peux-tu m’envoyer les données, je te prie ?

Cal envoya ce qu’il venait de recevoir et qui contenait


un paquet de données, si bien que cela prit un peu de
temps.

Entre-temps, Cal avait laissé sa famille, Sanhexia, et


avait foncé comme un fou dans leur chambre.

Il se mit à fouiller frénétiquement, suivi par son renard


qui reniflait dans tous les coins, connecté à son maître.
Cal ne fit pas dans la dentelle. Il fit voler les robes de Tara,
ses affaires dans les tiroirs, et retourna toute la chambre,
affolant les meubles.

— Faites qu’elle ne l’ait pas prise avec elle, faites


qu’elle ne l’ait pas prise avec elle !

Soudain, il regarda en l’air. Les cartons à chapeaux de


Tara, là où elle conservait des choses auxquelles elle tenait.
D’une main tremblante, il fît descendre l'un des cartons et
l'ouvrit.

Il y avait quelques bijoux de sa mère, Tara n’en avait


pas besoin, elle avait la changeline et tout le trésor d’Omois
à disposition, mais gardait soigneusement ceux de Selena,
même si elle ne les mettait jamais. Il y avait deux très jolies
aquarelles roulées exécutées par son père, Danviou, et une
mèche des cheveux de son père et de sa mère. Il y avait des
cartes postales de ses amis quand elle habitait encore sur
Terre et n’était qu’une adolescente sans histoire, mêlées à
des photos, des bouts de ficelles et des tas de bricoles.

Et au milieu de tout cela, un éclat d’obsidienne sombre,


que Cal saisit avec soulagement.

Il laissa la chambre en total fouillis et redescendit à


toute vitesse.

Entre-temps, les données avaient été envoyées à


Sherlock qui était en train de tout intégrer.

— J’ai l’éclat du Juge, fit Cal triomphalement. J’arrive !

Il embrassa rapidement ses parents et ses frères et


sœurs, ne voulant pas les mêler au combat qui s’annonçait
sans doute, mais ne parvint pas à se débarrasser de
Sanhexia.
— C’est moi qui ai eu l’idée du Juge, dit cette dernière
en fronçant les sourcils, et je te signale que je suis une
démone, au bras de fer, je te démolis en deux secondes. Tu
veux vraiment discuter avec moi ?

Cal ne discuta pas.

Ils arrivèrent au laboratoire de Mourmur quelques


minutes plus tard, ayant emprunté toutes les portes de
transfert intérieures pour aller plus vite. Cal s’était servi du
sceptre que lui avait donné l’Impératrice sans vergogne
pour s’ouvrir un passage et passer avant tout le monde.

— Sherlock va en avoir pour une petite demi-heure afin


de reconstituer tout cela, fit Mourmur en se frottant les
mains, tout excité. Et toi, comment tu vas contacter le Juge
?

Cal le regarda, et on voyait qu’il n’avait pas du tout


pensé à ce léger détail.

— Slurk alors, c’est toujours Tara qui l’appelle !

— Eh bien, dit gentiment Heagle5, cette fois-ci, il va


falloir que tu l’appelles, Caliban, parce que, sans lui, nous
devons aller jusqu’à Boulimi-Lemi.

À force d'avoir des pics d’adrénaline et des moments de


total désespoir, Cal se sentait un peu étourdi.

— Faites activer Sherlock, Doc, fît-il à Mourmur. Je


m’occupe du Juge.

Mourmur hocha la tête puis se tourna vers Mara et lui


demanda :

— Mais pourquoi m’a-t-il appelé Doc ?


Ce fut Fabrice, qui avait reconnu la référence, qui
répondit :

— C’est une allusion au Doc de Retour vers le futur.


Ne faites pas attention. Ça veut juste dire qu’il a retrouvé
espoir s’il recommence à plaisanter, c’est très bon signe.

Cal s’assit sur l’un des tabourets de l’immense


laboratoire brillamment illuminé et posa ses deux mains
sur la pierre lourde et froide.

Puis il projeta sa magie à l'intérieur.

— OUI ? C’EST POUR QUOI ? demanda


immédiatement une voix énorme qui fit sursauter tout le
monde, pendant que la sensation d’une présence immense
et invisible emplissait la pièce.

Cal, qui ne s’attendait pas à réussir du premier coup,


faillit laisser tomber la pierre.

— Euh, c’est moi, Caliban Dal Salan, je...

— ÇA VA, JE SAIS QUI TU ES, CAL. QUE SE PASSE-T-IL


?

Cal fit bref.

— On a perdu Tara. On a besoin de vous pour la


retrouver.

— PERDU TARA ? fit la voix, perplexe. CALIBAN DAL


SALAN, COMMENT EST-CE QU’ON PEUT PERDRE
QUELQU’UN ?

— Elle... euh, elle a été kidnappée. La dernière trace


que nous avons d’elle est localisée sur une île au large de
Viridis dans l’océan des Brumes, vous pouvez lire les
coordonnées dans mon esprit si vous avez besoin de...

— QUOI ? MAIS POURQUOI TU NE LE DISAIS PAS


PLUS TÔT?

Cal serra les dents, vu que le Juge ne le laissait pas


placer un mot.

— Si nous vous donnons un échantillon de son ADN,


vous pourrez la retrouver ?

— ARRÊTE DE FAIRE TON PÉDANT, ON S’EN


FICHE, DE SON ADN ; COLLE DU SANG ET DE LA CHAIR
SUR LA PIERRE ET JE LA TROUVE EN MOINS DE TEMPS
QU’IL N’EN FAUT POUR PRONONCER : MAGISTRAL !

— Sherlock n’a pas tout à fait terminé, répondit Cal,


est-ce que je peux vous rappeler ?

— JE N’AI PAS QUE ÇA À FAIRE, MON GARS !

— S’il vous plaît? supplia Cal. Tara est tout ce que


j’ai. Quand elle a mal, je saigne, quand elle ne dort pas,
je m’éveille, quand elle n’est pas avec moi, c’est comme si
on m’avait arraché un membre. Mon cœur bat, mais il est
creux. Depuis qu’elle a disparu, je ne mange plus, je ne
dors plus, je suis en train de mourir de chagrin, Juge. Je
vous en prie, je dois la retrouver !

De nouveau, les larmes coulaient des beaux yeux gris


de Cal, mais il s’en foutait. La pierre sembla marquer une
hésitation puis dit :

— TU L’AIMES VRAIMENT BEAUCOUP. ET MOI


J’AIME LES HISTOIRES D’AMOUR, TU AS DE LA
CHANCE. APPELLE-MOI QUAND LA MACHINE AURA
TERMINÉ ET JE VERRAI CE QUE JE PEUX FAIRE.

Et la voix s’éteignit pendant que la formidable présence


disparaissait.

Robin déglutit.

— Je n’arrive pas à m’y faire. Il est vraiment très, très...

Moineau hocha la tête.

— Très, très, oui.

Sanhexia regardait Cal. Elle avait une drôle


d’expression sur le visage.

Ils n’eurent pas longtemps à attendre, car Sherlock


mobilisa toutes les ressources de son immense mémoire
pour matérialiser un flacon contenant le sang dupliqué de
Tara.

— Pour la chair, il faudrait trop de temps, s’excusa-t-il


en présentant le flacon. Vous pensez que cela ira ?

Cal s’empara de la fiole et posa un retentissant baiser


sur la calotte de la machine.

— Ça le fera. Merci, tu rocks, Sherlock !

Puis il se concentra de nouveau sur la pierre, entouré


de ses amis et appela le Juge. La voix immense répondit
immédiatement :

— LE NUMÉRO QUE VOUS AVEZ DEMANDÉ N’EST


PAS ATTRIBUÉ ; VEUILLEZ RENOUVELER VOTRE APPEL
ULTÉRIEUREMENT.
Cal regarda le morceau d’obsidienne avec stupeur.

— Euh? Juge? Mais qu’est-ce qui...

— OH, ÇA VA, SI ON PEUT PLUS RIGOLER UN PEU !


TU DEVIENS UN PEU TROP SÉRIEUX EN VIEILLISSANT,
MON GARS ; BON, TU AS LE SANG ET LA CHAIR ?

— Juste le sang, bégaya Cal, encore sous le choc de


la blague stupide du Juge. Ça suffira ?

Puis parce qu’il commençait à comprendre comment le


Juge fonctionnait, il rajouta :

— Bien sûr, si vous n’êtes pas assez puissant...

Une sorte de tornade fit voler les papiers et une partie


des assistants dans la pièce, qui durent s’accrocher aux
meubles et les uns aux autres pour se stabiliser.

— JE VAIS TE MONTRER, MOI, SI JE NE SUIS PAS


PUISSANT. VERSE LE SANG, GAMIN !

Cal obéit. La fiole coula sur la pierre et celle-ci


l’absorba comme si elle était du papier éponge et non pas
un solide rocher.

Ils attendirent, mais s’ils sentaient toujours la présence


énorme dans la pièce, elle semblait s’être atténuée. Au
bout d’un quart d’heure d’attente fébrile, Cal reprit la
pierre.

— Juge ?

La pierre rougeoya dans sa main et il dut la lâcher en


criant, parce qu’elle l’avait brûlé.
— Euh, fit Mourmur, totalement fasciné par ce qu’il
découvrait, je crois qu’il veut te faire comprendre qu’il est
occupé, là.

Moineau lança un reparus et l’attente recommença.

— AH, AH ! cria la voix triomphalement. JE SAIS OÙ


ELLE EST ! ELLE EST DANS LES MARAIS DE LA
DÉSOLATION !

Si le cœur de Cal avait bondi en entendant ces paroles,


il retomba dans ses chaussettes aussitôt.

— Non, fit-il, c’est là où elle a été enlevée. Pardon,


j’aurais dû vous le préciser parce que...

— TU ME PRENDS POUR UN DÉBUTANT, GAMIN ?


EST-CE QUE TU AS UNE IDÉE DES IDÉES PLUS
SOURNOISES LES UNES QUE LES AUTRES QUE LES
DÉMONS INVENTAIENT POUR QUE JE NE LES TROUVE
PAS ? C’EST LÀ OÙ ELLE EST EN CE MOMENT, GAMIN.
DANS UNE CAVERNE AVEC DES TAS DE GENS, DONT
DES NONSOS NM, CAR JE SENS QUE LA MAGIE LES
FUIT ET LES SORCIÈRES NOIRES QUI SONT VERTES
DES MARAIS DE LA DÉSOLATION, QUI, SOIT DIT ENTRE
NOUS, RESSEMBLENT UN PEU À MES ANCIENS
DÉMONS, J’AIME BIEN LEUR COULEUR, MOL

— C’est ça ! hurla Cal, les faisant tous sursauter de


nouveau. C’est ça !

— HO, ÇA VA PAS, DE HURLER COMME ÇA, grogna


le Juge. TU M’AS FAIT PEUR !

— Merci, merci ! hurla Cal de plus belle ! Merci ! (Puis


sur un ton plus raisonnable :) Tout ce que vous voulez,
Juge, demandez-le-moi et vous l’aurez. Merci, merci
encore.

— TRÈS BIEN, TON PREMIER-NÉ, ÇA IRA TOUT À


FAIT.

— Pardon?

— AH, AH, AH ! NON, JE RIGOLE. DITES À TARA DE


M’APPELER QUAND VOUS L’AUREZ DÉLIVRÉE ; ET NE
FAITES PAS TROP DE MAL À CES JOLIES PETITES
SORCIÈRES, ELLES SONT TROP MIGNONNES AVEC
LEURS VERRUES ET LEUR PEAU VERTE !

Et la présence disparut.

— Merde alors, jura Fabrice en terrien, les sorcières


des Marais se sont alliées au nonsos NM ? C’est pour ça
qu’on n’arrivait pas à comprendre ce qui s’était passé !
Parce qu’on pensait qu’il n’y avait pas de magie dans cette
histoire, les petits malins !

— C’est très bien, tout ça, fit la dragonne noire,


derrière l’image de Cal, mais nous devons retourner au
Dranvouglispenchir comme prévu, alors je vais...

Cette fois-ci, Maître Chem n’avait pas l’intention de se


laisser faire. Avant que la commandante de son vaisseau
n’ait le temps de réagir, il l’avait assommée d’un solide
coup de patte.

— Emmenez-la dans sa cabine, ordonna-t-il aux


dragons stupéfaits qui le regardaient de leurs postes de
commande. Que toutes les navettes se tiennent prêtes à
descendre avec les unités de combat. Cal ?

— Maître Chem ?
— On passe vous chercher, les portes de transfert
ne marchent pas bien dans les Marais de la Désolation.

— Inutile, intervint Mara. Archange vient juste d’arriver


à Tingapour avec le vaisseau Amiral. On se rejoint tous là-
bas !

Cal regarda son hor. Dans moins d’une heure, ils


seraient dans les Marais de la Désolation.

Et là, ceux qui avaient osé toucher à Tara allaient


comprendre leur douleur.
Chapitre 33
Selenba
Ou comment se débarrasser d’un gêneur
à coups de biberon dans sa tête d’abruti.

Selenba regardait l’adorable bébé qu’elle venait de


mettre au monde. L’amour suffocant qu’elle éprouvait pour
cette petite chose impuissante était une émotion
absolument inattendue pour elle. Pas l’émotion en elle-
même, elle était capable d’aimer, la question ne se posait
pas. C’était surtout la force de cet attachement qui la
surprenait.

Il était magnifique.

— Luck, murmura-t-elle, bienvenue, petit Luck.


Bienvenue chez toi !

Près d’elle, l’homme aux yeux violets qui était Magister


se tenait, la même expression émerveillée sur le visage.

Le bébé attrapa le sein de Selenba avec une force qui la


fît sursauter.

— Tu... tu as vu? (et Selenba aurait juré qu’une


larme venait de couler des yeux intensément brillants) fit
Magister, bouleversé. Il a déjà beaucoup de force, le petit
coquin.
Le bébé tétait avec vigueur et application.
Heureusement pour les mamans vampyrs, comme pour les
bébés humains, les bébés vampyrs se nourrissaient de lait
et leurs dents ne poussaient qu’au moment où ils étaient
prêts à passer au régime sanguin.

Comme Selenba, le petit avait les yeux d’un rose


profond. Mais il tenait de son père la petite houppette
blonde qui trônait sur le haut de son crâne rond.

— Il est magnifique, ma chérie, s’émerveilla Magister.


Nous avons fait un magnifique bébé, toi et moi.

Pour une fois, Selenba était d’accord avec lui. Ils


avaient bien travaillé, indéniablement.

— Merci de m’avoir laissé assister à ton


accouchement, fit Magister après s’être raclé la gorge. Je
pensais que j’allais devoir t’enlever pour être à tes côtés.

Le vampyr médecin se raidit. Ainsi que les gardes qui


avaient assisté à la naissance. La sage-femme, elle,
renifla avec mépris.

— Enlever Selenba, au milieu de notre patrie ? Très


amusant, loup, nous sommes morts de rire, gronda-t-elle.

Magister tressaillit. Normalement, il prenait soin de


masquer son énergie de loup-garou, mais là, il avait
carrément oublié, trop bouleversé.

Il ignora les commentaires sarcastiques et se pencha


sur son fils. Il lui caressa tendrement le dos et lui dit dans
un souffle :

— Alors, mon fils, ça te dirait de conquérir


AutreMonde avec moi ?
Selenba soupira. Elle était fatiguée, l’accouchement
avait été long, bien que peu douloureux, car les sorts
l’avaient soulagée, mais il semblait qu’elle allait devoir
marquer son territoire et tout de suite.

— J’ai accepté que tu sois à mes côtés, parce que tu es


le père de Luck et que je ne vais pas t’écarter, du moins
pas tout de suite.

Magister se raidit. Il la regarda en fronçant les sourcils.

— M’écarter ? Comment ça, m’écarter ?

— Qu’est-ce que tu sais faire d'autre, je veux dire, à


part être le Maître des Sangraves ?

Magister avait l’air perdu et Selenba songea que cette


idée de prendre un visage était tout de même nettement
plus agréable que l’espèce de masque miroitant qui le
couvrait habituellement.

— Je ne comprends pas.

— Notre fils, mon fils, n’aura pas pour père un type


dont la seule ambition est de diriger une équipe de types
qui ne servent à rien et ne font rien, à part comploter. Si tu
veux créer un empire, crée un empire d’argent ou de
pouvoir. Mais chercher à conquérir la planète par les armes
ou par la force, ça n’a pas marché. Tu trouveras toujours
des gens contre toi, sans compter que tu as affaire à des tas
de peuples différents qui n’ont pas spécialement envie de
s’unir. Et encore moins sous ta bannière. Alors, Magister, je
te le demande : qu’est-ce que tu sais faire d’autre que
d’essayer de conquérir AutreMonde et de te prendre des
pâtées chaque fois ?
Il était tellement surpris qu’il ouvrait et fermait la
bouche comme un blll hors de l’eau.

— Mais... mais, balbutia-t-il, ça te plaisait que je


veuille conquérir le monde !

— Pas du tout, contra-t-elle.

— Ah bon ?

— Non. Ça te plaisait à toi. Moi, je me contentais de


tuer des gens, ça, oui, c’était amusant. Mais il faut que
jeunesse se passe et maintenant nous avons un bébé. Je
veux qu’il soit fier de nous. Alors si tu penses que tu vas
pouvoir l’utiliser pour en faire une arme pour conquérir le
pouvoir ou la planète, là, c'est moi que tu trouveras en face
de toi.

Magister se renfrogna. Il n’avait pas l’habitude qu’on


lui tienne tête. Puis son regard tomba sur leur fils et
s’adoucit. Il soupira. Il n’avait pas envie de l’avouer, mais
depuis que les âmes démoniaques avaient disparu, il s’était
souvent demandé pourquoi il avait tellement voulu être
l’empereur du monde.

Non, en fait, il avait toujours autant envie d’être


l’empereur du monde, il était juste moins pressé. Il avait
même moins envie de se venger des dragons, c’était tout
dire. Après tout, celui qui avait tué sa bien-aimée avait été
tué par Robin M’angil et Tara (une corne de licorne dans
ses deux cœurs), et si Magister avait perdu sa magie
maléfique et surpuissante, il était devenu un loup-g...

Soudain, il se pencha sur le bébé et s’exclama :

— Par les mânes de mes ancêtres, Selenba, je suis un


loup-garou !
Selenba rie comprit pas.

— Oui, et alors ?

— Tu es une vampyr, je suis un loup-garou et un


humain, ça fait de notre enfant un quoi ? un vamploup ? un
vamphum-loup ?

— Arrête de raconter n’importe quoi, s’agaça Selenba.


Ils sont ridicules, ces noms que tu viens d’inventer. Ce sera
notre bébé, et puis c’est tout. Nous avons bien le temps de
voir quels seront les gènes dominants.

Les vampyrs autour d’eux se regardèrent, mal à l’aise.


Les vampyrs n’étaient pas racistes à proprement dit, mais
c’était difficile pour eux de traiter en égaux des gens qui
normalement devraient leur servir de casse-croûte. Si Luck
était plus humain que vampyr, le pauvre petit allait en
baver.

Pour l'instant, bien installé sur le ventre de sa mère, le


bébé s’était endormi, le visage encore enfoui dans la
poitrine de Selenba. Elle le dégagea doucement et lui
massa le ventre. Il fit un rot retentissant qui la fit sursauter
et elle rit. Elle essuya tendrement le lait qu’il avait un peu
régurgité, puis la sage-femme lui mit une couche et le plaça
dans un berceau près de la table d’accouchement.

Ils la firent se lever et se laver, avant de la conduire


dans une belle chambre de l’hôpital spécialisé dans les
accouchements de la capitale d’Urla, qui donnait sur les
sévères montagnes noires de Krasalvie. Il faisait froid à
cette altitude, ce que Selenba accueillit avec gratitude. Les
vampyrs aimaient bien la chaleur, mais étaient mieux
adaptés au froid.
Magister l’aida à se coucher, pendant que la sage-
femme apportait le berceau roulant dans lequel Luck
dormait à poings fermés.

— Je sais diriger un pays, fit Magister. Je sais créer


un empire. Ça, je sais le faire. Je peux faire de notre enfant
l’enfant le plus riche de l’univers !

— Génial, fit Selenba, parfaitement sérieuse. On va


faire ça. Comme ça, tu n’iras pas en prison ou ne sera pas
tué en essayant de vaincre quelqu’un de plus fort que toi,
et ce petit aura un papa qui pourra jouer avec lui tous les
soirs.

Magister s’assit sur son lit et plongea ses étranges yeux


violets dans les yeux roses de Selenba.

— C’est ce que tu veux ? Vraiment, mon Chasseur ?


Renoncer à l’ivresse des batailles ?

— Oui, répondit clairement Selenba. On ne peut pas


se permettre d’être ivre quand on a un bébé. Ce n’est pas
responsable.

Magister se pencha sur elle et l’embrassa


passionnément.

— Alors nous ferons comme tu veux.

Il baissa les yeux vers son hor et soupira.

— Bon, eh bien il va falloir que j'annule mon dernier


ordre, je crois.

Selenba le regarda, soupçonneuse, même si elle avait


encore aux lèvres un léger sourire depuis qu’il l’avait
embrassée avec autant de passion.
— Quel ordre ?

Il la regarda avec embarras.

— Euh, celui d’enlever les enfants de Tara Duncan ?


Chapitre 34
Tara
Ou comment établir des plans qui,
en fait, ne serviront absolument à rien.

Chris ne vint pas.

Et lorsque les gardes lui apportèrent son dîner, Tara vit


des robes noires qui gardaient l’entrée de sa chambre.

Il s’était passé quelque chose. Les gardes avaient l’air


très perturbés et n’osaient pas la regarder, alors que Tara
savait que ces deux-là étaient des amis de Chris.

Avaient-ils démasqué le jeune homme ?

D’habitude, Tara se contentait de sourire gentiment aux


deux hommes en les saluant poliment, après avoir
repéré qu’ils comprenaient l’anglais, heureusement, mais
cette fois-ci elle était trop inquiète pour s’en contenter.

— Tout va bien? demanda-t-elle. Pourquoi les


sorcières sont de garde devant la porte ? Je croyais que
c’étaient vous, mes gardes ? Vous êtes beaucoup plus
gentils qu’elles !

L’un des deux types, le blond qu’elle trouvait sympa,


murmura :

— Il paraît qu’une des nanas est venue vous voir en


douce, alors elles l’ont choppée et ont testé le virus sur
elle. Et puis Gueder s’est pris la tête avec leur boss,
Margarie, et ça a failli dégénérer. On avait les fusils
braqués sur elles, mais ça les faisait plutôt rigoler. Moi, je
vous dis, elles me foutent la trouille, ces nanas !

— Et C... les autres gardes, ils vont bien ?

— Ouais, ils sont de repos en attendant la grande


cérémonie dans deux heures.

Tara se figea, glacée. Deux heures ! Ils allaient libérer


le virus pour la tuer dans deux heures ! Et Chris n’était
pas revenu pour lui dire s’il avait trouvé un moyen pour lui
rendre ses pouvoirs.

Elle se prit la tête entre les mains, fiévreuse. Comment


allait-elle protéger ses enfants ? Comment allait-elle se
protéger elle ? C’était l’enfer.

Elle éclata en sanglots.

Quand les gardes, qui semblaient de plus en plus mal à


l’aise après l’avoir vue pleurer, disparurent, elle continua
pendant ce qui lui sembla un temps infini. Les bébés
s’étaient rendormis, ce qui n’était pas plus mal, comme ça
ils ne verraient pas leur mère totalement bouleversée.

Eleanora avait voulu s’échapper lorsque les gardes


avaient ouvert la porte, mais en voyant les deux sorcières
qui montaient la garde alors qu’elle n’était plus capable de
se rendre invisible, le fantôme avait reculé.

La voyant sangloter, Eleanora lui tapotait l’épaule


maladroitement, pour une fois bouleversée par le chagrin
d’une autre.
— Je suis désolée, dit-elle. Je suis désolée, je vais
essayer une autre fois, d’accord ? On va s’en sortir, ne
pleure pas, Tara !

Mais Tara hoquetait, des ruisseaux de larmes dévalant


sur ses joues et sa poitrine, incapable de s’arrêter.

En dépit de tous leurs espoirs, Chris ne revint pas.

Et deux heures plus tard, la porte s’ouvrit sur Margarie,


suivie des deux sorcières qui gardaient l’entrée et de
deux nonsos.

Eleanora s’était cachée derrière la porte dès qu’elle


l’avait entendue cliqueter et attendait.

Tara avait dû écraser son chagrin et sa peur lorsque ses


enfants s’étaient éveillés. Elle les avait nourris, baignés
et changés. Elle s’était lavée aussi. L’un des gardes était
entré et avait déposé une longue robe blanche sacrificielle,
que Tara, ivre de rage, avait déchiré au point d’en faire des
confettis.

Elle allait peut-être mourir, mais elle ne le ferait pas en


ressemblant à une sorte de vierge, vêtue de ce qui
ressemblait fortement à une chemise de nuit blanche.

Margarie s’arrêta net en voyant le tissu déchiré et


plissa les yeux. Tara avait dédaigné les autres vêtements
qu’elles lui avaient fournis et avait revêtu son petit pagne
et sa brassière en mauvais état, qu’elle avait lavés (autant
mourir en étant propre, après tout), et la défia du regard.

Margarie eut un rictus agacé, mais se contenta de lui


faire signe de passer devant elle.

Fièrement, Tara avança vers la porte.


— Un instant, l’arrêta Margarie. Prends tes enfants
avec toi.

La haine qui brillait dans les yeux bleus de Tara fut si


forte lorsqu'elle fixa Margarie, que celle-ci dut prendre sur
elle-même pour ne pas tressaillir.

— Vous allez mourir, dit la jeune fille d’une voix forte,


attirant l’attention des sorcières et des nonsos. Je ne
comprends pas pourquoi mes ennemis s’obstinent à s’en
prendre à moi. Ils meurent tous. À part Magister qui
arrivait à s'en sortir parce qu’il possédait la magie
démoniaque. Mais même la comète n’a pas résisté. Alors, je
vous aurai prévenue. Vous allez mourir. Et ça va faire mal.

Puis, sans attendre que la femme lui réponde, Tara prit


ses enfants et se dirigea vers la sortie.

Cela avait marché.

Sa fureur et sa déclaration avaient distrait les sorcières


et les gardes. Eleanora avait réussi à s’enfuir.

Tara savait très bien qu’il y avait peu de chances qu’El


parvienne à ramener des secours suffisamment vite.

Mais elle pria. De toutes ses forces.

Elles suivirent un long tunnel, comme un chemin creusé


par un ver géant, de toutes les couleurs des montagnes
du Tador. Cela formait un kaléidoscope de couleurs
incroyables, le blanc du cristal de calcite, le noir du fer, le
bleu profond de l’azurite, le rouge orangé de la vanadinite,
le bleu clair de l’amazonite ; le vert intense de la
pyromorphite, l’or ou la pyrite qui étincelaient près de
sombres cristaux bordeaux de grenat, ou le rose rouge de
la flogopite. Si Tara n’avait pas été aussi stressée, elle
aurait trouvé le spectacle magnifique.

Celia et Danviou étaient très calmes dans ses bras,


comme s’ils savaient que l’instant était grave, que leur vie
était en danger. Celia avait attrapé la mèche blanche de
Tara et l’avait portée à sa bouche, pendant que Danviou la
regardait de ses intenses yeux bleus.

La jeune fille étouffa le sanglot qui lui montait à la


gorge. Non. Elle devait être forte.

Enfin, ils débouchèrent dans une immense caverne


entièrement rouge, illuminée par des bougies rouges,
remplie de milliers de gens, dissimulés par des robes
blanches à capuchon, comme celle qu’aurait dû porter
Tara. Cela faisait un contraste saisissant, un peu comme de
la chair et des os.

Tara s’arrêta un instant, stupéfaite par leur nombre.

Il y avait là la centaine de nonsos NM, entourant


Gueder Almandach, armés et engoncés dans leurs armures
mécaniques et qui, eux aussi, de ce que pouvait voir Tara
sous leurs casques, avaient l’air stupéfaits de voir une telle
foule. Pour le reste, Tara n’avait aucune idée de qui étaient
ces gens. Des amis ? Des alliés ? De la famille ?

Un grondement retentit lorsqu’ils la virent et toutes les


têtes se tournèrent vers elle.

Et soudain, tout fut clair dans la tête de Tara. Elle


comprit pourquoi Margarie avait éclaté de rire lorsque Tara
avait dit avec négligence que dix-neuf personnes ce n’était
pas difficiles à caser. Elle comprit aussi pourquoi ce
qu'avait dit Margarie l’avait tellement dérangée.
J’ai deux cent trente ans, avait-elle dit, cette sorcière
qui cachait si bien son jeu. Mais si elle n’avait « que » deux
cent trente ans, cela signifiait qu’elle avait été bannie bien
après le crime originel des premières bannies. Parce que
sinon, elle aurait dû dire : « J’ai deux ou trois mille ans » !
Et l’autre sorcière, avait dit qu’après la mort de ses sœurs,
elle allait pouvoir diriger les sorcières. Tara comprenait
tout à présent.

Au même moment, tous retirèrent leurs capuchons et


les soldats de Gueder sursautèrent.

Ils avaient devant eux des femmes et des hommes dont


la peau était à différents stades de vert.

Bien sûr. C’était évident.

Tous les pays d’AutreMonde devaient envoyer leurs


sorciers verts ici, pour s’en débarrasser. Sorciers et
sorcières, bien sûr. Ce n’était pas l’apanage des seules
femmes d’être touchées, même si Tara voyait qu’elles
représentaient une écrasante majorité.

Et Tara soupçonna que ce petit secret bien gardé allait


coûter très cher à des millions de personnes.

C’était comme une maladie sans doute. Qui devait se


manifester à l’enfance, car Tara voyait beaucoup de jeunes
enfants dans les rangs, leur peau pâle à peine marquée de
vert. Un enfant naissait, il acquérait ses pouvoirs et puis
quelque chose allait de travers. Un animal mourait près de
lui, ou une personne et soudain, il se nourrissait de cette
mort. C’était sans doute involontaire. Les parents devaient
probablement essayer de cacher l’enfant. Mais petit à petit
il était dénoncé par la couleur de sa peau qui virait. Et
alors il était banni.
Tara voulait à peine imaginer la tristesse et la douleur
des enfants comme des parents. C’était immoral, c’était
injuste et inhumain.

Et soudain cela la frappa.

Elle ne pouvait pas tuer tous ces gens. C’était juste


impossible.

La mort dans l’âme, elle se laissa conduire dans la cage,


pendant que leurs yeux curieux et avides la suivaient
avec attention.

Dans la cage, il y avait une petite statuette qui


bourdonnait, prête à endiguer sa magie, et un unique
berceau, transparent, afin que tous puissent voir ses
enfants. Tara les posa avec délicatesse, caressant leur peau
rose et tendre au passage.

— Je vous aime, mes amours, je vous aime tellement!


murmura-t-elle.

Puis, courageuse et décidée, elle se dressa face à ses


bourreaux qui, lentement, encerclaient la cage, vêtues,
elles, de robes noires, ce qui réveilla la partie railleuse de
Tara qui ne dormait jamais et lui souffla que c’était
vraiment un truc de psychopathes, le coup des robes
noires. Puis toute pensée railleuse la quitta pour laisser la
place à une immense colère.

C’étaient elles, les coupables. Ces vieilles femmes


avides de pouvoir qui, des milliers d’années plus tôt,
avaient décimé une ville entière.

Tara soupçonnait qu’elles n’étaient plus si nombreuses


parmi les originelles à être encore vivantes. Même si les
rituels de mort leur permettaient de survivre bien plus
longtemps que les sortceliers, personne n’était à l’abri
d’accident. Si elle déchiffrait bien ce qu’elle voyait, sur les
dix-neuf, seules cinq d’entre elles devaient être les
originelles, dont, probablement Etela, la vieille sorcière qui
était venue la voir dans sa chambre et se tenait avec les
autres, évitant soigneusement de regarder Tara. Les autres
étaient trop jeunes et alertes.

Ce qui étonnait Tara, c’était qu’elles aient nommé


Margarie pour diriger leur convent.

Margarie, justement, qui se dressait, brandissant son


hideux bâton au cristal laiteux.

— Mes sœurs ! Mes frères ! Aujourd’hui, nous allons


réparer une injustice, aujourd’hui, nous allons réparer la
douleur et les larmes qui ont forgé notre résolution,
lorsqu’on nous a arrachées à nos parents, à nos vies, pour
nous emmener ici, terrifiées, ligotées, bâillonnées, en nous
abandonnant dans les Marais de la Désolation !

Elle ouvrit les bras, comme si elle voulait embrasser les


milliers de personnes qui l’écoutaient dans un silence total.

— Et maintenant, pour aller porter la mort dans tous


les pays, révélez-vous, mes frères et mes sœurs ! Révélez la
puissance de votre pouvoir !

Soudain, tous se penchèrent et soulevèrent le linge


blanc qui recouvrait un grand rectangle devant eux. Tara
avait cru qu’il s’agissait d’une sorte de marchepied ou de
quelque chose pour s’agenouiller, mais il se révéla que
c’était des cages.

Qui contenaient des crouicccs. Les cochons


d’AutreMonde levèrent leurs yeux et grognèrent lorsque
leurs cages furent découvertes. Les animaux de la planète
magique étaient plus malins que leurs congénères terriens
et ceux-là sentaient qu’ils allaient y laisser leur lard. Ils se
débattirent avec des couinements désespérés.

À part les enfants, tous levèrent des bâtons semblables


à ceux des dix-neuf et frappèrent, tuant net les
pauvres crouicccs. Il, y eut comme une immense
déflagration qui fit fermer les yeux de Tara et pleurer
Danviou et Celia qui ne s’y attendaient pas.

Tara les prit dans ses bras pour les rassurer, puis se
redressa.

Et sa mâchoire faillit tomber de stupéfaction.

Le vert, les verrues, les yeux injectés de sang, le noir.


Tout avait disparu. À la place, il y avait des hommes et des
femmes resplendissants et au teint parfait. Qu’ils soient
noirs aux cheveux rouges, comme à Viridis, ou pâles ou
bleus, comme à Spanivia, ou encore jaune doré, comme à
Omois, tous étaient redevenus comme ils étaient avant
d’être affectés par la « maladie ».

Des milliers d’exclamations de joie, d’incrédulité et de


stupeur, pendant que les gens s’apercevaient que cela avait
fonctionné, retentirent un peu partout. Des femmes se
jetaient dans les bras les unes des autres, les enfants
criaient comme des fous, car même s’ils n’avaient pas
participé à la tuerie, la magie de leurs aînées les avaient
touchés eux aussi, la moitié de la salle pleurait, Tara elle-
même avait les larmes aux yeux devant autant de bonheur.

Elle savait qu’ils n’étaient pas « guéris », que leur


magie n’avait fait qu’effacer les stigmates les plus visibles,
un peu comme un porteur sain qui transporte encore son
virus. Mais au moins, ces gens pourraient dorénavant vivre
leur vie sans être stigmatisés et c’était magnifique.
Sauf que, hélas, les dix-neuf sorcières n’avaient pas
accompli tout cela pour le bonheur des bannis.

Margarie se chargea de le leur rappeler.

— À présent, nous allons tester notre nouveau virus sur


la plus puissante des sortcelières d’AutreMonde. Si elle est
incapable de le combattre, alors nous saurons que
personne ne pourra nous défier. Et chacun d’entre vous
sera chargé de diffuser le virus dans l’une des villes, l’un
des bourgs ou villages d’AutreMonde !

Tara voyait que Gueder réalisait soudain qu’il s’était fait


rouler dans les grandes largeurs. Il croyait n’avoir affaire
qu’à quelques sorcières qu’il se faisait fort de pouvoir
contrôler.

Il découvrait, horrifié, qu’il avait affaire à une véritable


armée et que c’était cette armée qui allait dominer
AutreMonde, et non pas ses nonsos sans pouvoir !

— Un instant, fit-il, pendant que, sur son ordre, les


lasers se braquaient sur les corps des dix-neuf sorcières, ce
n’était pas tout à fait ce dont nous étions convenus !

Margarie lui sourit comme un gros chat noir malveillant


et Tara frissonna.

— Mes amis, cria-t-elle, obtenant immédiatement un


silence impressionnant d’obéissance, saluez notre cher
Gueder Almandach, ici présent, sans qui tout cela n’aurait
jamais eu lieu ! C’est lui qui a découvert comment utiliser
la technologie terrienne pour terrasser les sortceliers sur
AutreMonde. C’est lui aussi qui nous a mis sur la voie de la
magie à utiliser pour que nous puissions passer inaperçus
et mener notre revanche !
Margarie fit signe à Gueder Almandach d’avancer, ce
qu’il fit de mauvaise grâce. Les gens l’acclamèrent, puis sur
l’ordre de Margarie, s’arrêtèrent net de nouveau.

Leur docilité donna des frissons à Tara.

— Votre nom, Gueder Almandach, sera salué dans


nos registres comme le nom de l’homme qui a sauvé notre
peuple. Merci à vous, cher Gueder, nous ne vous oublierons
jamais.

Gueder la regarda avec méfiance.

Puis il comprit ce que Tara avait compris juste en


voyant Margarie sourire.

— Abattez-l...

Ce fut la dernière chose que prononça Gueder. Des


milliers de rayons mortels s’abattirent, venus de partout,
sur les nonsos.

Leur non-magie aurait pu les sauver de quelques sorts,


sans doute. Mais face à un tel afflux, aussi brutal et
simultané, ce fut tout simplement impossible.

S’ils résistèrent au début, jusqu’à parvenir à tirer


quelques rafales sur la foule qui les attaquait, très vite, ils
furent submergés pour terminer dépecés par les sorts
tranchants comme des couteaux lancés à grande vitesse.

Et ils moururent.

Et ce fut ainsi que moururent également les rêves de


domination et de justice de Gueder, transpercé par les sorts
brûlants de la magie qu’il haïssait tant.
Le karma était une belle saleté et les méchants
gagnaient parfois.

Tara ferma les yeux. Certains des soldats, plus malins


que les autres, dont notamment la grosse brute que Tara
détestait, Travis, s’étaient méfiés et s’étaient abrités tout
en tirant dans le tas, pour se précipiter dans les couloirs et
s’enfuir. Tara ne donnait pas cher de leur peau. Elle n’avait
pas vu Chris. Peut-être qu’il avait réussi à s’enfuir et allait
revenir.

Ouais. Et le Père Noël existait et fabriquait des jolis


jouets avec des lutins au pôle Nord.

— Quel dommage, fit Margarie en regardant les corps


des nonsos à terre, ils n’ont pas de magie, nous ne pouvons
même pas utiliser leur mort si délicieuse.

Margarie s’approcha de sa cage et l’ouvrit, faisant


signe à Tara de venir se placer au centre d’un cercle tracé
par terre. Tara ne l’avait pas vu avant, parce qu’il était
recouvert d’un tapis que les plus jeunes des sorcières
venaient de rouler. Rouge bien sûr. Visiblement la sorcière
aimait bien cette couleur, assortie à ses cheveux.

Elle reposa Danviou et Celia qui avaient cessé de


pleurer, puis, sous la menace des bâtons des sorcières, Tara
prit place au centre du cercle, bien à contrecœur. Derrière
elle, l’une des sorcières ferma le cercle en versant un peu
de sang. Tara se raidit lorsque ses oreilles bourdonnèrent.

— Bien, à présent, comme le virus ne te fait rien


lorsque tu n’as pas tes pouvoirs, nous allons te les rendre.
Ensuite, tu pourras mourir. Et comme nous sommes
gentilles, nous te laissons vivre tes derniers instants avec
tes enfants, qui ne sont pas affectés pour l’instant, car ils
n’ont pas encore pris possession de leurs pouvoirs. Mais ne
t’inquiète pas, je ne suis pas une tueuse de bébés. Je vais
me faire un plaisir de les élever comme mes propres
enfants !

Toute raison déserta Tara. Poussant un cri de rage, elle


bondit sur Margarie.

Qui ne bougea pas pendant que Tara s’écrasait sur un


mur invisible.

Le cercle n’était pas juste un cercle. C’était une prison.


Folle de rage, Tara en fit le tour en frappant les murs
invisibles, mais le cercle était complet. Margarie eut de
nouveau ce sourire amusé plein de vice et de cruauté.

— Très bien, mes sœurs, profitons du beau rituel de


mort que nous venons de goûter pour rendre ses pouvoirs à
l’Héritière.

Tara s’immobilisa. Ah, ils voulaient lui rendre ses


pouvoirs ? Parfait, qu'ils y aillent. Elle était prête.

— Premier rang, ordonna Margarie. Maintenant !

Dans l’immense caverne, les sorciers et les sorcières


activèrent leur magie, leurs bâtons bourdonnant d’énergie
contenue.

Très pâle, Tara comprit soudain que ce n’étaient pas


juste les dix-neuf sorcières qui allaient lui rendre son
pouvoir, mais tous les sorciers et les sorcières de la salle.
Elle serra les dents.

Ça allait faire mal.

— Deuxième rang ! cria Margarie.


Et ainsi de suite jusqu’au cinquantième rang, les
sorciers et les sorcières emmagasinèrent l’énergie de leur
rituel, au point que les quartz laiteux sur leurs bâtons en
crépitaient d’énergie.

Enfin il ne resta que le cercle des vieilles sorcières.


L’une après l’autre, elles allumèrent leurs bâtons.

— Maintenant ! hurla Margarie, abaissant son bâton


pour le pointer vers Tara comme une lance.

Ce à quoi ne s’attendait pas Tara, qui se demandait


comment, vu que les sorciers les entouraient, ils allaient la
cibler sans toucher les sorcières au passage, c’est que les
sorciers et sorcières ne la visèrent pas, elle.

Ils lancèrent toute la magie qu’ils avaient sur les vieilles


sorcières. Qui à leur tour braquèrent cet incroyable
tourbillon d’énergie sur Tara.

Les dix-neuf rayons bourdonnant de magie avide


frappèrent Tara, traversant les murs invisibles du cercle
comme s’ils n’existaient pas.

Tara s’attendait à être écorchée vive tellement le


pouvoir était incroyablement puissant.

Sauf que les dix-neuf rayons s’arrêtaient net à quelques


millimètres de la peau de Tara.

La jeune femme avait déjà remarqué que, depuis que la


planète lui avait retiré ses pouvoirs, les sorts ne
fonctionnaient pas très bien sur elle.

Et vu que là, il ne se passait absolument rien, ce qui ne


l’arrangeait pas du tout, soit dit en passant, Tara put
constater que la planète, prudente et qui la connaissait
bien, l’avait également protégée contre toute magie hostile.

Et slurk !

Un à un les rayons s’éteignirent pendant que les


murmures stupéfaits s’élevaient. Margarie, le visage aussi
rouge que ses cheveux, remonta son bâton et s’approcha,
furieuse.

— Ce n’est pas possible ! hurla-t-elle, totalement


frustrée. Rien ni personne ne pourrait résister à un tel
déluge de magie, mais qu’est-ce que tu es ?

Tara recula le plus possible.

— Eh, mais je n’ai rien fait, moi ! C’est peut-être vous


qui n'êtes pas assez puissante !

— Espèce de garce ! cria Margarie en sautant sur Tara


pour la frapper. Je vais te montrer si je suis puissante !

Et elle fit exactement ce que Tara avait espéré en


reculant jusqu’à ce que son dos touche les murs invisibles
du cercle. En pénétrant dans le cercle pour la frapper,
Margarie le brisa.

Tara attaqua la première, vive comme l’éclair.

Elle frappa violemment la mâchoire de la femme, qui


tomba à terre, pendant que Tara sortait du cercle,
enchaînant par une succession de coups de pied sur les
sortcelières les plus proches, jouant de son physique et son
entraînement de guerrière maintenant qu’elle savait que
leur magie négative n’avait aucun effet sur elle.
Puis elle fonça vers ses enfants, les attrapa dans le
berceau et courut vers la sortie.

Les sorciers et les sorcières, encore sous le choc et se


remettant à peine d’avoir envoyé tout ce qu’ils avaient en
réserve, mirent quelques précieuses secondes à réagir.

Heureusement, le chemin vers le couloir était dégagé,


mais déjà des bâtons pointaient sur elle.

Des jets de magie fusèrent et Tara protégea les enfants


de son corps, mortellement consciente qu’elle n’allait pas
réussir à complètement les couvrir. Effrayés par ces cris et
les crépitements de la magie, pourtant, ses bébés ne
pleuraient pas.

Soudain, devant elle, surgit un sorcier qui avait


compris, hélas, que la magie ne ferait rien à Tara et avait
attrapé l’une des broyettes des hommes de Gueder. Il la
braqua sur Tara qui pila net, la mort dans l’âme.

— Retourne là-bas, ordonna-t-il, furieux. Dépêche-t...

Soudain, ses yeux roulèrent dans ses orbites et il


s’abattit comme une masse.

Stupéfaite, Tara vit un homme se dresser derrière lui.

C’était Chris. Qui venait d’assommer le sorcier.

— Les secours arrivent ! hurla-t-il. J’ai volé un tank et


ils m’ont repéré alors qu’ils étaient à ta recherche ! J’ai fait
demi-tour pendant qu’ils posaient les vaisseaux et je suis
revenu pour t’aider !

Des rayons commencèrent à le frapper, douloureux, et il


recula, étonné. Tara se mit devant lui, encaissant les
rayons. Elle lui donna ses enfants.

— Prends-les ! cria-t-elle. Protège-les, je ne peux pas


me battre avec eux !

— Mais...

— Chris ! Prends-les ! Amène-les aux secours !


Dépêche-toi !

Chris obéit, attrapa les bébés puis battit en retraite.

Tara, encore angoissée pour ses enfants, respira


cependant un grand coup. Ils étaient encore en danger,
évidemment, mais tous les sorciers et sorcières s’étaient
réunis pour cette grande occasion et les sorties et les
couloirs étaient vides. Chris devrait arriver à sortir sans
encombre.

Elle fit demi-tour, gardant la sortie pour qu’il puisse


s’échapper, insensible aux rayons qui fouettaient l’air.
Cependant, elle surveillait les sorciers, prête à détaler dès
que l’un d’eux menacerait de prendre une broyette et lui
tirer dessus.

Aussi, fut-elle totalement prise au dépourvu lorsqu’une


sorcière se matérialisa derrière elle et la frappa avec
violence.

Et tout s’éteignit.

Tara ne resta pas inconsciente très longtemps. Elle était


de retour dans la cage au milieu de la caverne, Margarie
la regardait avec haine.

Et au milieu de la table, une fiole reposait, vide.


Tara déglutit. Ces folles furieuses avaient libéré le virus
!

— Cela ne pourra pas te faire grand-chose, gronda


Margarie, mais tes amis vont mourir. Dès qu’ils vont mettre
le pied dans notre caverne, le virus les tuera. Et ce sera ta
faute.

Avec un petit gémissement, Tara s’accrocha aux


barreaux pour arriver à se lever. Contrairement à Margarie
qui avait pu guérir sa mâchoire grâce à la magie de ses
sœurs, le mal de tête de Tara n’avait pas l’air de vouloir
l’abandonner si facilement.

— Vous êtes folles. Vous allez bâtir votre société sur


un meurtre massif. Comment croyez-vous que ces enfants
vont réagir ? Vous pensez vraiment qu’ils ne vont pas vous
en vouloir, vous qui allez tuer leurs parents et tous ceux
qu’ils aiment ?

— Ils nous ont abandonnés, rugit Margarie, alors ne


viens pas me donner des leçons, sale garce !

Elle pointa son bâton sur Tara au travers des barreaux


de la cage. Tara regarda le cristal laiteux rougeoyer, prêt à
frapper.

Et soudain, ce fut comme une évidence.

Tara lui arracha son bâton avant que Margarie n’ait le


temps de réagir, trop étonnée pour le retenir.

Tara le fracassa par terre, brisant les serres et faisant


hurler Margarie. Puis la jeune fille blonde dégagea le
cristal qu’elle venait de reconnaître comme une version
non polie du même quartz que sa Pierre Vivante et qui
devait être gorgé du pouvoir de ces sorcières, et le prit si
solidement entre ses mains que ses arêtes lui entrèrent
dans les paumes, les maculant de son sang.

Elle ferma les yeux et projeta son esprit avec tellement


de force et de puissance qu’elle perdit presque
immédiatement conscience de son environnement.
Mentalement, elle hurla du fond de son cœur terrifié pour
ses enfants, mais aussi pour ses amis :

— AUTREMONDE, RÉVEILLE-TOI, BROLK !

La planète sursauta.

Quand une planète sursaute, ça fait un drôle d’effet.


L’instant d’avant, on a les pieds solidement sur terre,
l’instant d’après, la terre a bougé, on est par terre et on ne
comprend pas du tout ce qui s’est passé.

Tous les sorciers et les sorcières chutèrent et la


caverne gronda comme un être vivant, résonnant comme
sous un coup de gong.

— Tara ? fit une vont endormie dans l’esprit de la jeune


fille blonde. Mais qu’est-ce qui se passe ? Et pourquoi tu
hurles comme ça ? Tu m’as réveillée !
— C’était l’idée ! hurla Tara de plus belle, folle
d’angoisse. Mes enfants sont en danger ! Rends-moi mes
pouvoirs ! Tout de suite !

AutreMonde sonda l’esprit de la jeune fille et, en un


éclair, sut tout ce qui s’était passé.

— Mais, fit-elle très justement en baissant le volume de


sa voix dans la tête de Tara, si je te rends tes pouvoirs, tu
vas mourir ! Elles ont libéré le virus !

— Je peux le détruire ! Chris a dit que ça avait pris


quelques minutes, Pierre Vivante, je peux faire beaucoup
de choses en quelques minutes, je t’en prie !

— J’aime bien que tu m’appelles Pierre Vivante, fit la


planète, attendrie, ça me rappelle toutes nos aventures. Je
vais te rendre tes pouvoirs, mais sois très prudente, cela
fait deux ans que tu ne les as pas utilisés, ils vont donc être
fluctuants et instables, parfois ils disparaîtront même
totalement, tu comprends ?

— Oui, fit Tara, impatiente et morte de trouille à


l’idée que Cal rentre dans la caverne et ne meure pendant
qu’elle discutait avec AutreMonde, vas-y !

— Bon, je vais me rendormir, je suis encore très


fatiguée. Tiens-moi au courant de ce qui se passe dans
quelques années, OK ?

— Oui, mais fais vite !

L’instant d’après, Tara vacillait, prise de vertiges, et


sentit sa magie revenir d’un coup dans son corps. Elle fut
prise de convulsions, ce qui, couplé au coup qu’elle avait
reçu sur la tête, ne fut pas une partie de plaisir.
Lorsqu’elle reprit pleinement conscience, Margarie se
tenait devant la cage où elle n’était pas entrée. Pas folle,
elle s’était fait avoir une première fois, elle n’allait pas
s’approcher de Tara de sitôt.

Elle n’avait pas l’air inquiète et Tara comprit que sa


magie ne s’était pas manifestée extérieurement, ce qui
faisait que la sorcière ne savait pas que Tara avait retrouvé
ses pouvoirs.

Oui!

Margarie la regardait avec un sourire mauvais et Tara


sut pourquoi lorsque la sorcière s’écarta.

Pour dévoiler un Chris le visage en sang, encadré par


les deux gardes nonsos, ses anciens collègues, dont la
grosse brute, qui avaient réussi à s’enfuir.

Et derrière eux encore, Etela tenait ses deux enfants,


l’air impassible.

Tara ferma les yeux. C’était le pire tableau qu’elle


puisse imaginer. Car elle connaissait bien sa magie. Et elle
était loin, très loin d’avoir récupéré tout son pouvoir.

Quelle imbécile elle avait été ! Elle pensait que tout


allait lui revenir comme ça en claquant des doigts ! Sauf
que non, justement. La statuette qui bourdonnait à côté
d’elle dans la cage n’aidait pas, pas plus que le fer
d’Hymlia.

Elle n’allait jamais réussir à sortir de sa cage à temps.

— Nous vous avons apporté les enfants, fit Travis, la


grosse brute NM qui avait frappé et capturé Chris à
Margarie, pour vous montrer notre volonté de travailler
pour vous, maintenant que vous avez massacré les autres
nonsos NM. Payez-nous bien, et nous vous serons
totalement fidèles.

Margarie hocha la tête.

— Excellente initiative, ronronna-t-elle. J’aime les


hommes qui savent choisir leur camp rapidement.

Tara commençait à connaître la sorcière.

Cela ne fut pas long. Derrière les deux gardes, alors


qu’ils baissaient leurs broyettes, persuadés d'avoir sauvé
leur peau, deux sorciers se glissèrent.

Et leur tranchèrent la gorge.

Du sang gicla jusque dans la cage de Tara qui grimaça.


Ah, depuis deux ans, ça ne lui avait pas manqué, d’être
aspergée du sang de gens en train de mourir.

La grosse brute tomba contre les barreaux de la cage,


les oreilles de Tara bourdonnèrent et elle se sentit mieux.

Puis le garde mourut.

Tara se redressa. Par tous les diables d'AutreMonde !

Elle regarda la petite statuette.

— Mais hélas, fit Margarie au cadavre, je n’ai


confiance qu’en mes proches et je n’aime pas les gens qui
tournent leur veste aussi facilement. Car rien ne dit qu’ils
ne le feront pas contre moi lorsque l’occasion se
présentera.

Soudain, une énorme explosion secoua la caverne et


des bouts de roche tombèrent, éparpillant les sorciers
effrayés. Heureusement qu’il n’y avait pas de stalactites,
sinon ils auraient tous été transpercés.

Dommage.

— Ah, s’amusa Margarie, je crois que les secours


arrivent. Quel dommage, tes amis vont bientôt mourir, ma
jolie ! À propos de ce que je te disais pour une amnistie et
tout ça, bien sûr, c’était un mensonge. Je n’ai pas besoin
que l’on me donne ce que je vais prendre de toutes les
façons !

Tara entendit un bruit de bataille et les éclats des


broyettes. Les sorciers et les sorcières luttaient juste assez
pour que les assaillants pensent que c’était une vraie
bataille.

Mais Tara savait qu’ils s’avançaient lentement vers le


nuage mortel de virus contenu dans la caverne et sans
doute dans une partie du tunnel maintenant.

Elle bondit sur le bâton de Margarie dont elle avait


brisé la tête en partie, le leva très haut et l’abattit de toutes
ses forces sur la petite statuette, la brisant en trois
morceaux.

— Très impressionnant, mais inutile, sourit Margarie,


même en morceaux, elle fonctionne toujours.

Tara le savait très bien. Elle attrapa les trois morceaux


et les lança de toutes ses forces à travers les barreaux,
dans trois coins de la salle le plus loin possible de sa cage,
pendant que Margarie, furieuse, criait à ses troupes de les
récupérer.

Mais Tara, bloquée par les barreaux de la cage, n’avait


pas pu les lancer assez loin et déjà les sorciers ou sorcières
qui les avaient ramassés levaient les mains pour les
relancer contre la cage.

Soudain, il y eut comme une tornade et les morceaux


furent arrachés des mains des sorciers avec une telle
puissance qu’ils se fracassèrent contre les parois de la
caverne.

Sous les yeux ébahis des sorcières, Eleanora apparut,


forme brumeuse flottant dans les airs.

— Ça ne servait à rien que je m’enfuie, cria El à Tara,


surprise. Alors je t’ai suivie ! Tu as vu ? J’ai récupéré mon
invisibilité. Bon, qu’est-ce que je peux faire ?

— Désarme leurs foutus bâtons et trouve les clefs de


la cage !

— C’est parti !

Et le fantôme fonça sur les sorcières, arrachant tous les


bâtons qui passaient à sa portée, et les lançant hors de
portée, parfaitement insensible aux jets de magie que lui
envoyaient les sorciers affolés, tout en cherchant les clefs
de la cage du regard.

Pendant qu’Eleanora faisait diversion, Tara hurla à


Chris :

— Chris ! Touche la cage, vite !

Chris réagit si vite que les sorciers n’eurent pas le


temps de l’arrêter. Il bondit et attrapa un des barreaux sur
le côté.

Dès que le nonsos NM toucha la cage, sa magie annula


celle du fer d’Hymlia, comme Tara s’en était doutée.
C’était ce qu’elle avait senti la première fois que les nonsos
avaient touché la cage, mais son accouchement avait noyé
l’information dans la douleur, et lorsqu’ils avaient sorti le
corps de la pauvre Chavol. Et de nouveau quand le garde
nonsos NM mourant s’était affalé contre la cage.

Elle venait de parier sa vie et celle de ses enfants. Et


elle avait gagné.

Avant que les sorcières n’aient le temps de réagir, la


magie de Tara afflua à ses mains, l’auréolant de bleu.

Margarie et les autres reculèrent.

— Non ! cria Margarie, les yeux exorbités. Non,


c’est impossible !

— Et si, répondit Tara avec un mauvais sourire.

Et elle frappa.

Juste au moment où Cal pénétrait dans la caverne à la


tête du magicgang et s’enfonçait en plein dans le nuage
mortel du virus.
Chapitre 35
Tara
Ou comment sauver la vie de tout le monde

sans très bien savoir comment on a fait.

La porte vola à trente batrolls de distance au moins,


arrachée par la magie de la jeune fille. Celle-ci s’avança et
sa mèche blanche crépitait sous l’effet de sa magie bleue.

Elle tendit les mains et ses deux enfants volèrent


jusqu’à elle, sans qu’Etela, sagement, essaye de les retenir.

Celia et Danviou trouvèrent très amusant de s’envoler


comme ça.

Le regard de Tara se posa sur les silhouettes qui


entraient les unes derrières les autres dans la caverne,
dont l’une était nettement plus petite que les autres et
tenait deux haches.

Dans ses gants en caoutchouc.

Tara fonça et atterrit avec fracas avec ses enfants dans


les bras de la plus imposante des silhouettes, celle de son
futur mari.

Enfin, dans les bras de sa combinaison. Que son futur et


brillant mari avait revêtue, ainsi que tous les autres.
Elle l’aimait tellement qu’elle en tremblait.

Il ne dit rien, incapable de parler, la gorge trop serrée,


mais Tara vit les mêmes larmes de soulagement que les
siennes, pendant qu’il la serrait tellement fort qu’elle allait
avoir les côtes meurtries.

Mais elle s’en fichait.

Soudain, derrière elle, il y eut un grand cri.

Margarie, folle de rage, fonçait vers eux, braquant son


bâton, prête à tuer.

Il y eut un éclat de métal.

Et Margarie regarda sans comprendre la hache qui


venait de fleurir sur sa poitrine. Elle s’abattit, foudroyée.
Son bâton roula et Fafnir, très contente de son lancer,
s’avança :

— Dis donc, Tara, s’écria-t-elle, pourquoi est-ce que


chaque fois qu’on te perd de vue on te retrouve au beau
milieu d’une bataille à une contre des milliers? C’est une
spécialité ou quoi ?

Tara et Cal éclatèrent de rire, alors même que des


larmes coulaient de leurs yeux. Cal caressait Danviou et
Celia, comme incapable de comprendre que c’étaient ses
enfants, pendant que le magicgang les entourait afin de les
protéger des attaques d’autres sorcières.

Mais ces dernières étaient en train de se rendre. Les


gardes thugs, démons et dragons qui faisaient irruption
dans la caverne, armés jusqu’aux dents, n’incitaient pas à
des velléités de résistance.
Un à un, les bâtons s’abaissaient, tandis qu’El les
collectait pour les donner aux soldats.

Soudain, Tara se sentit mal. Ses enfants gémirent au


même moment et elle vit qu’ils bâillaient et fermaient leurs
yeux en dépit de l’effervescence et de l’excitation.

Ils se sont endormis et sont morts, avait dit Chris en


parlant de la famille des sortceliers.

Le virus était en train de les tuer !

Elle vacilla. Cal la rattrapa par le coude.

— Tara ? s’exclama-t-il. Tara ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est le virus ! fit un jeune homme châtain clair en


se frayant un passage vers la jeune femme blonde. Il est en
train de la tuer ! Et ses enfants avec elle !

Cal grinça en voyant la tendresse avec laquelle le type


prit l’autre coude de Tara. Il était prêt à envoyer son poing
dans la figure du type lorsque Tara s’écroula. Il eut tout
juste le temps de retenir les bébés.

Qui n’allaient pas bien non plus, à sa grande horreur.

Déjà, leurs petites lèvres roses tournaient au bleu.

Il y avait des chamans de combat avec eux, également


en combinaison. Ils se précipitèrent afin d’aider Tara et les
enfants à l’aide de sorts de guérison pendant que Chris,
parlant à toute vitesse, leur disait tout ce qu’il savait à
propos du virus.

Mais les sorts n’agissaient pas, comme si le virus les


bloquait au moment où ils touchaient Tara.
Tara était en train de perdre connaissance. Cal donna
les enfants à Moineau qui les prit avec maladresse, parce
qu’elle ne s’y attendait pas, et le jeune homme s’agenouilla
pour se pencher au-dessus de Tara.

Et soudain, Cal retira son casque.

Tara, qui était en train de fermer les yeux, terrassée par


le sommeil, le vit et hurla :

— Cal ! Non !

— Si tu dois mourir, mon amour, dit Cal avec


tellement de tendresse que tout le monde eut le souffle
coupé autour d’eux, alors je veux mourir avec toi. Je t’aime,
Tara. La vie sans toi, ce n’est pas la vie.

Et il l’embrassa avec toute la passion et la force qu’ils


partageaient, forgeant leur couple à la trempe de leur
agonie.

— Brolk de slurk ! s’exclama Fafnir, en pleurant dans


son casque. Tu ne peux pas faire ça, Tara !

Tara soupira. Non. Elle ne pouvait pas faire ça, même si


le sommeil lui paraissait si doux, si délicieux, ce que venait
de faire Cal l’avait sortie de son coma.

Soudain, ses yeux s’ouvrirent et ils étaient entièrement


bleus. Son corps commença à s’élever et Cal recula.

Elle se dressa, s’envolant, ce qui fit gémir les sorcières


de terreur et de nouveau la magie faisait flamboyer ses
yeux et crépiter sa mèche blanche.

Elle l’avait déjà fait, lorsqu’elle avait nettoyé le sang


des vampyrs buveurs de sang humain. Elle devrait être
capable de localiser et de détruire le virus que ces folles
avaient créé.

Sa vision descendit dans l’infiniment petit et soudain,


ce fut là.

Le virus.

Elle le voyait, minuscule et mortel, en forme de tubes


allongés avec une tête hélicoïdale, en train de se répliquer,

non pas dans des cellules vivantes dont il utilisait les


propriétés pour se nourrir et les détruire, mais en
s’attaquant à la magie.

Elle en était recouverte et ses enfants aussi, partout où


le virus était déposé, Tara se rendit compte qu’il était en
train de ronger sa magie.

Elle devait faire vite, elle se sentait de plus en plus


faible.

Mais comment faire alors que justement le virus


s’attaquait à la magie ?

Elle leva une main, et, de l’autre, lança un jet de magie


en incarnant et en espérant ne pas se détruire la main
au passage :

— Par le destructus, que les virus anti-magie


disparaissent et que leur attaque cesse !

Les virus furent frappés.

Tara cligna les yeux. Sa main était intacte.

Hélas, les virus aussi.


Elle sentit sa gorge se serrer. Ses bébés semblaient
plus atteints qu’elle, ce qui la rendait folle. Elle
commençait à avoir du mal à respirer, même si les virus
semblaient avoir plus de travail sur elle pour absorber sa
ma...

Elle inspira vivement.

— Eleanora, cria-t-elle, rends leurs bâtons aux


sorcières, y compris aux dix-huit. Il faut qu’elles m’envoient
leur magie !

Le fantôme vola devant elle.

— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes, tu délires ?

— Ne discute pas ! Sinon tous les sortceliers, à


commencer par mes enfants, risquent de mourir !

Eleanora obéit, sous le regard des sorciers et sorcières


stupéfaits qu’on leur rende leurs instruments magiques.

— Etela, cria Tara, alors que la vieille sorcière


reprenait son bâton avec méfiance, vous m’avez dit que
vous vouliez travailler avec moi, vaincre ce virus et vivre
dans un monde où les gens vous accepteraient ?

Etela leva sa tête aux curieuses mèches blanches et


noires, heureuse de voir que Tara passait sous silence le
léger détail du « tuer mes sœurs au passage ».

— Oui ? répondit-elle.

— Alors, au nom du gouvernement d’Omois dont je


suis l’Héritière, je m’engage à vous aider et à vous soutenir
pour que vous et les vôtres, à condition que vous soyez
innocents de la mort d’êtres conscients, pour lesquelles
celles ou ceux d’entre vous qui sont coupables seront jugés
en toute impartialité, soient réintégrés dans les sociétés
dont vous êtes originaires et si les gouvernements refusent
pour des raisons éthiques ou techniques, alors je m’engage
à vous trouver des terres agréables à mettre en valeur sur
le territoire d’Omois.

Un grand murmure s’éleva. Tara serra les dents, des


vagues noires montaient lentement à l’assaut de sa
conscience. Si la vieille sorcière tardait, Tara allait
s’endormir, s’écraser et mourir.

Les dix-huit regardèrent Etela. Qui prit une décision.

Etela braqua son bâton vers Tara.

— Pleine puissance ? C’est ça ?

— Oui ! Donnez-moi tout ce que vous avez, tous


ensemble ! Cal, Moineau, Fabrice, Mara, Robin, Fafnir (oui,
même toi !), Sylver, Archange, Sanhexia, les dragons, les
thugs, les démons, les sorciers, unissons-nous ou cette
planète va connaître la plus grande catastrophe de tous les
temps !

Cal frappa en premier. Il avait une totale confiance en


sa future femme. Tara absorba sa magie. Les virus
frémirent et grossirent.

Puis la magie d’Etela frappa à son tour et celle de


toutes les sorcières, accompagnées par celle de tous les
gens qui se trouvaient dans la salle.

Tara serra les mâchoires, pendant que son corps puisait


de plus en plus sous l’effet de l’accumulation de la magie.
Elle s’était souvenue de la machine de Stonehenge,
lorsque le dragon renégat leur avait expliqué, à Jeremy et à
elle, comment il avait pratiqué de l’ingénierie cellulaire sur
eux, afin de les rendre capables d’accumuler un montant
d’énergie qui aurait détruit toute autre personne qu’eux.

Jeremy et elle étaient des sortes de super batteries.


Tara n'avait pas retrouvé tout son courant, ou plus
précisément sa magie, mais elle avait celle des autres.

Et elle allait l’utiliser. Oh oui.

Sur elle, les virus semblaient bourdonner sous l’effet de


l’afflux de plus en plus impitoyable de la magie qui
pilonnait Tara.

La lumière qu’elle émettait devenait de plus en plus


brillante, au point que les casques des combinaisons
s’assombrirent, pendant que les sorcières lançaient
toujours leur magie, mais détournaient leurs regards, de
peur d’être aveuglées.

Soudain, gavés par le trop-plein de magie, les virus


commencèrent à exploser, les uns derrière les autres.

Mais ce n’était pas suffisant.

— Moineau ! cria Tara à la jeune fille qui était la seule à


ne pas projeter sa magie car elle tenait les deux bébés.
Pose mes enfants par terre !

Moineau obéit vivement. Après avoir arraché d’un coup


sec un bout de la robe de Margarie qui n’en aurait plus
besoin, elle les étendit sur le tissu noir.

Tara braqua sa magie sur ses enfants.


Détruire les virus à l’intérieur des tissus vivants des
enfants n’était pas possible, c’était trop risqué, même s’ils
ne mesuraient que quelques microns, ils étaient si
nombreux qu’ils risquaient d’endommager les organes
vitaux de Danviou et Celia.

Mais les virus traquaient la magie. Et il n’y avait rien de


plus magique que Tara dans la caverne.

Et à son immense surprise, cela fonctionna. Dès que sa


magie frappa les enfants, les virus remontèrent vers la
surface comme des requins depuis les profondeurs. En
quelques secondes, ils se dirigeaient vers elle, en
remontant le courant de sa magie comme des saumons le
courant d’un fleuve. Chaque fois, elle avait des métaphores
très aquatiques qui lui venaient à l’esprit, mais c’était
exactement comme cela qu’elle interprétait les
mouvements des virus.

En quelques secondes, tous les virus qui se trouvaient


dans la caverne, sur les gens ou les choses et même ceux
qui étaient en train de se propager à l’extérieur, volaient
vers elle, attirés comme par un aimant.

Dès qu’ils entraient en contact avec elle, ils mouraient


sous le choc.

Il n’en resta bientôt plus aucun. Ni dans les tissus de


ceux qui les avaient respirés ni dans l’air, nulle part.

Mais ce n’était pas fini. Même si l’afflux de pouvoir se


tarissait, au fur et à mesure que les sorciers et les
sorcières arrivaient au bout de leur magie pour nourrir
Tara, de même que tous les autres, tant ils avaient mis du
leur pour l’aider, il en restait suffisamment pour faire ce qui
était nécessaire.
Tara chercha. Grâce à son pouvoir, elle sut que seules
trois des sorcières avaient participé à l’élaboration du virus
avec Gueder. Deux des assistants de Gueder avaient été
tués par Selenba et Gueder était mort. Les trois sorcières
étaient avant tout des chercheuses passionnées qui avaient
fait leur travail, sans être vraiment ravies, comme Etela, de
l’utilisation qui allait en être fait. Lorsque Tara lut cela
dans leur esprit, elle décida de se montrer clémente.

Elle détruisit les laboratoires, totalement et


définitivement, au point qu’ils s’écroulèrent sur eux-
mêmes, faisant trembler la caverne. Ensuite, elle lança un
mintus si puissant que personne, jamais, ne serait capable
de rendre leur mémoire aux sorcières. Elle était désolée,
parce qu’en même temps que l’élaboration et l’existence du
virus elle oblitérait des années de recherche et de patience,
mais c’était indispensable. Hors de question de laisser ce
genre de chose traîner dans la nature.

Les traits de magie s’éteignirent les uns derrière les


autres. Le dernier à s’éteindre fut celui de Maître Chem. Le
vieux dragon avait laissé les autres s’épuiser, préférant
accompagner Tara le plus longtemps possible.

Tara redescendit dans les bras de Cal avant que sa


magie ne l’abandonne tout à fait et qu’au lieu d’avoir
vaincu le virus et de profiter de sa victoire elle ne tombe et
ne se tue accidentellement, ce qui aurait quand même été
ballot.

Cal la serra contre lui avec délice. Il n’avait pas eu le


temps de se débarrasser de sa combinaison, ce qu’il fit
pour mieux tenir la femme de sa vie dans ses bras.

De leur côté, les chamans auscultèrent les enfants, puis


la maman, avant de conseiller à Tara de longues semaines
de repos pour évacuer le stress de la plus longue semaine
de sa vie.

— Tu as réussi à accoucher toute seule, fit Cal, ses


magnifiques yeux gris rivés sur les yeux aussi gris de sa
fille. Tu es extraordinaire !

— Oh là, moi, je n’ai rien fait ! Si ça n’avait tenu qu’à


moi, je serais encore enceinte, parce que, crois-moi,
peaufiner des plans d’évasion et m’occuper de ces deux-là
en même temps, ça a été rock and roll, comme on dit sur
Terre !

Cal ne voulait pas que Tara reste une seconde de plus


en présence des sorcières. Elle fut donc, avec Danviou et
Celia, la première à repartir avec l’une des navettes.

Accompagnée par Chris qui avait un peu de mal à


comprendre ce qui s’était passé, mais était très content
d’être du côté des gentils... enfin, du moins, du côté de
ceux qui avaient gagné.

Les sorcières devaient rester encore quelque temps


dans les Marais de la Désolation. Si Tara avait pu, elle
aurait utilisé sa magie pour tenter de guérir l’étrange
besoin de ces sortceliers d’un autre genre, mais
malheureusement, AutreMonde avait eu raison. Sa magie
fluctuait terriblement et elle n’avait tout simplement pas
assez de pouvoir pour ça.

Pour l’instant.
Tara retrouva le Palais impérial avec l’étrange
sentiment d’en être partie depuis des mois, alors que son
enlèvement ne datait que de quelques jours.

L’Impératrice était en salle d’audience, en cession


d’alerte avec ses ministres, coordonnant les différentes
sections qui avaient pris l’assaut des sorcières, mais
également avec Dame Goudeau, l’ancienne représentante
des nonsos.

Qui avait l’air horriblement mal à l’aise depuis qu’elle


avait appris ce que Gueder avait manigancé.

Jeremy était également là. Si le virus avait réussi à


s’échapper, le jeune homme avait pour consigne d’essayer
de le contenir grâce à son énorme pouvoir. Il était
extrêmement soulagé que Tara s’en soit chargée à sa place
et l’accueillit avec un énorme sourire.

Tara était poisseuse de sueur, en dépit du fait qu’elle


s’était lavée juste avant d’entrer dans la caverne et même
si Cal lui avait incanté un jean, des ballerines et un petit
top bleu, assorti à ses yeux, elle se sentait sale et épuisée.

Elle tenait ses deux enfants qui s’étaient réveillés et ne


paraissaient pas avoir été malades l’espace d’une seconde.

La jeune fille blonde à la mèche blanche s’avança


jusqu’au trône, luttant contre l’envie de sauter au cou de sa
tante tellement elle était contente de la voir lorsqu’elle pila
net.

Il y avait un krakdent à côté de l’Impératrice.

— Dis-moi, Cal, il y a vraiment un krakdent à côté de


Lisbeth, murmura-t-elle à Cal du coin de la bouche, ou alors
le virus a atteint mon cerveau et j’ai une hallucination ?

Cal éclata de rire.

— Ah, mince, j’ai oublié avec tout ce qui s’est passé


(ils avaient échangé leurs aventures pendant le voyage,
mais c’était tout). Je te présente Jassiphar, le nouveau
Familier de l’Impératrice ! Il passe son temps à essayer de
boulotter tout le monde, et donc, depuis quelques jours, la
vie à la Cour de Tingapour est devenue nettement plus rock
and roll, comme tu disais tout à l’heure !

Tara en resta bouche bée. Et encore plus lorsque le


krakdent se mit à grogner en bavant en la voyant, pour
s’apaiser sous la tendre caresse de Lisbeth.

— Je n’approche pas avec mes bébés, grogna Tara,


suspicieuse. Si cette bestiole continue à les regarder
comme s’ils étaient des rôtis frais !

— Ne t’inquiète pas, lui dit tendrement Cal alors


qu’ils étaient à portée de voix de l’Impératrice, je suis là, je
te protégerai contre le méchant krakdent rose !

Tara lui lança un regard dubitatif, puis se retrouva en


bas des marches qui menaient au trône.

Lisbeth se leva. Et à la grande surprise de tout le


monde, retroussa sa longue robe pourpre pour sauter les
marches avec agilité et prendre Tara et ses enfants dans
ses bras.

L’Impératrice était plus grande que Tara, elle frôlait les


un mètre quatre-vingts et elle portait des talons, alors que
Tara était à plat, aussi la jeune femme se retrouva
compressée contre deux seins opulents avec ses bébés qui
les regardèrent avec beaucoup d’intérêt.

Mais Tara ne protesta pas. Tout d’abord parce qu’elle


était touchée par cette marque d’affection rare de la part
de l’Impératrice, ensuite parce qu’elle avait envie et besoin
qu’on la prenne dans ses bras.

Lorsque Lisbeth la lâcha, elles étaient toutes les deux


très émues et au bord des larmes.

— Montre-moi tes bébés, ordonna Lisbeth, essuyant


ses yeux sans se soucier de son maquillage, j’ai vraiment
cru que je n’allais jamais les rencontrer ! Tu nous as fait
une belle peur !

— Voici Danviou et Celia, présenta fièrement Tara.


Ces deux chenapans m’en ont fait voir de toutes les
couleurs en naissant en avance, mais tout va bien. (Elle
sourit à Lisbeth.) Oui, maintenant que Cal nous a retrouvés,
tout va aller bien.

Lisbeth gâtifia totalement avec les bébés pendant de


longues minutes, sous le regard embué des ministres qui
avaient eux aussi terriblement envie de les voir, mais
n’osaient pas s’approcher de trop près, parce que Jassiphar
avait suivi sa maîtresse et lorgnait sur toutes les jambes qui
passaient trop près de lui.

Si les ministres étaient frustrés de ne pas pouvoir


s’approcher, c’était parce que Danviou et Celia étaient
l’espoir et le futur de l’Empire si Lisbeth n’avait pas
d’enfants, et s’il y avait une chose que les ministres
aimaient, c’était la pérennité et la stabilité des choses. Tant
que la dynastie des Demiderus serait sur le trône d'Omois,
les choses se passeraient conformément à leurs souhaits et
tout irait bien.

— Je te présente, Chris, ma tante, il nous a tous sauvés.

L’Impératrice releva la tête et braqua le laser de ses


yeux bleus sur Chris qui déglutit nerveusement.

— Un Terrien NM. Que veux-tu comme récompense ?

— Pouvoir vivre et étudier sur AutreMonde, répondit


le jeune homme, sans me préoccuper de gagner ma vie.

L’Impératrice lui sourit et Chris eut l'impression que le


soleil se levait.

— Un éternel étudiant, pourquoi pas. Je te donne


une rente à vie, suffisante pour que tu mènes l’existence
qui te plaira. Et la décoration de la médaille du Courage,
car tu as sauvé à la fois mon Héritière, mais également tous
les sortceliers d’AutreMonde. Merci, Chris de la Terre, pour
tout ce que tu as fait pour l’Empire.

— Ouah, murmura Chris à Tara, c’est encore mieux


que dans WoW !

Il regarda Cal et fit, légèrement sarcastique, devant


leurs mains nouées.

— Donc, l’histoire du beau parleur et de l’abandon,


c’était bidon ?
— Je suis désolée, répondit Tara sans faiblir. Je
devais m’échapper et me rendre sympathique à tes yeux
était indispensable. Moi aussi je ne pourrai jamais assez te
remercier, mais j’aime Cal de tout mon cœur.

Chris sourit. C’était un heureuse nature et il avait déjà


obtenu de ne pas retourner sur Terre, c’était un super
cadeau.

Il fit un clin d’œil à Tara.

— Bah, ce n’est pas grave, une sortcelière et un NM,


ça ne peut pas fonctionner. Mais je suis bien content
d’avoir pu t’aider.

Dame Goudeau s’approcha d’eux, accompagnée par une


ravissante jeune femme brune aux yeux bleu clair et à
l’air timide.

— Moi aussi, je désire vous remercier, dit Dame


Goudeau, une nonsos d’un certain âge, aux cheveux gris
coiffés en chignon et aux vêtements confortables. Un
nonsos a trahi la planète tout entière et, heureusement, un
autre nonsos l’a sauvée. Bravo et merci pour cela. Ma fille,
Dania, voudrait échanger ses impressions avec les vôtres,
elle est NM, comme vous.

Tara vit Chris étudier la ravissante fille de Dame


Goudeau, puis lui sourire.

Parfait, les choses s’arrangeaient, elle était contente de


voir que Chris allait parfaitement s'adapter à sa
nouvelle planète.

Moineau, Fabrice, Robin, Fafnir, Sylver, Mara,


Archange, Maître Chem arrivèrent dans la salle d’audience,
en compagnie de Sanhexia et d’Eleanora qui flottait au-
dessus de la tête de la jeune démone blonde.

Voyant qu’au pied du trône Tara embrassait Cal avec


passion pendant que très délicatement l’Impératrice
prenait les deux bébés dans ses bras et qu’ils essayaient
immédiatement de téter sa magnifique poitrine ce qui la fit
éclater de rire, Eleanora fronça les sourcils.

Sanhexia agita sa main devant elle et lui parla avec


animation. Eleanora hocha la tête, puis se mit devant Cal,
qui venait tout juste de lâcher Tara, les poings sur ses
hanches brumeuses.

— Tu as fait un serment, Caliban Dal Salan. Si tu ne


le respectes pas, tu vas perdre ta magie et tu risques même
d’y perdre ta vie !

Tara ouvrit ses yeux bleu marine qu’elle avait fermés


pour mieux apprécier le baiser brûlant de Cal.

— Il a quoi ?

Sanhexia, qui avait revêtu une magnifique robe longue


rebrodée de perles noires, lui expliqua le marché
qu’ils avaient conclu avec Eleanora.

— Tu ne m’avais pas expliqué cette partie du marché,


fit Tara sévèrement à El. Mais de toutes les façons, le
serment n’est pas valable.

— Ah bon ? gronda Eleanora, prête à en découdre. Et


pourquoi?

— Parce que ce n’est pas toi qui as permis de me


retrouver. C’est l’intelligence de Cal, alliée au savoir-faire
de Mourmur et à la connaissance de Sanhexia et de Mara,
sans oublier les compétences du Juge. Toi, tu es restée avec
moi pour m’aider. Donc tu n’as pas pu remplir ta part du
marché.

— Dont je ne voulais pas de toutes les façons,


intervint Sanhexia alors qu’El allait répliquer vivement. J’ai
fait mine d’accepter, parce qu’El est super têtue et que
sinon elle aurait été capable de ne pas aller te chercher, et
c’est pour ça que je l’adore, mais franchement, piquer le
mec d’une autre, sans façon. Je suis bien assez belle pour
que tous les hommes libres de cet univers me courent
après. Je vais donc pouvoir faire mon marché, et je vais
beaucoup m’amuser, même, si, mon amie, ma tendre, je
regrette que tu doives nous quitter. Caliban Dal Salan, je te
délie de ton serment !

La magie dorée de Cal l’enveloppa et le serment


disparut.

— Tu es sûre ? demanda El, d’une vont douce. Vraiment


?

— Oui, répondit fermement Sanhexia. J’ai vu l’amour


que ces deux-là ont l’un pour l’autre. Tu te rends compte ?
Cet idiot de Cal était prêt à mourir pour elle. C’est ce que
je veux. Quelqu’un qui m’aimera au point de vouloir
mourir pour moi, et moi mourir pour lui, même si
franchement je préfère vivre et continuer à faire du
shopping sur Terre !

Eleanora éclata de rire et embrassa sa meilleure amie.

— C’était génial, Sanhexia, les deux meilleures années


de ma vie. Merci encore de m’avoir acceptée pour
colocataire. Et peut-être que tu as raison. Peut-être que de
mon côté je vais me trouver un joli fantôme pour m’amuser
un peu en OutreMonde !
Eleanora se mit devant Cal et l’embrassa sur la bouche
ce qui fit sursauter le jeune homme.

— Eh bien, c’était cool de t’avoir connu, Cal, fit


Eleanora d’un ton malicieux. À bientôt, j’espère ! Tchao
tout le monde !

Elle embrassa une dernière fois Sanhexia, qui ne put


s’empêcher de verser une petite larme, puis disparut.

Elle était partie.

Jeremy, qui était en train de discuter avec l’Impératrice


lorsque Tara était entrée, s’approcha sans faire attention
au krakdent et s’inclina devant Sanhexia.

— Hrrrrmm, s’éclaircit-il la voix, je suis Jeremy’lenvire


Bal Dragus.

— Je te connais, Jeremy’lenvire Bal Dragus, sourit


Sanhexia. Tu es celui qui a fait échouer notre invasion
avec Tara !

Le visage du jeune homme se colora légèrement.

— Oui, désolé. Enfin, non, je ne suis pas désolé, mais


euh... (Il se reprit et inspira profondément.) Bref, je vais
arrêter de bafouiller maintenant. Mais j’ai entendu ce que
vous avez dit, Sanhexia des démons. Et je ne veux pas que
tous les hommes de l’univers vous courent après, parce que
je serais obligé de les carboniser. Car vous êtes à moi.

Sanhexia en resta bouche bée. Bon, pour être franche,


toutes les femmes de l’entourage de Sanhexia, c'est-à-
dire Fafnir, Moineau, Tara et Lisbeth, en restèrent bouche
bée. Puis Fafnir joignit les mains, battit des cils et roucoula
:
— Rohhhh, c’est tellement romantique !

Tout le monde la regarda avec stupeur.

— Ben quoi, grogna la naine rousse, je ne fais pas


que découper les gens en morceaux !

Sanhexia regarda Jeremy. C’était un beau garçon brun,


solide et bien entretenu qui la regardait avec une
admiration non dissimulée.

Elle lui sourit. Son sourire numéro 4, celui qui faisait


environ cent mille volts. Le garçon les reçut et cligna les
yeux, ébloui.

— J’ai entendu, mentionna-t-il, que vous aimiez faire


du shopping sur Terre ?

Sanhexia hocha la tête.

— Oh oui, j’adore ! Mais personne ne veut jamais


m’accompagner. Même Eleanora finissait par s’envoler
quand je mettais trop de temps à choisir entre deux paires
de chaussures chez Louboutin, tu te rends compte !

Jeremy sourit à son tour.

— Même si je vous préfère intégralement nue, je vous


promets que je ne broncherai pas, notamment parce que
vous n’aurez jamais à choisir entre deux paires de
chaussures. Vu que je suis indécemment riche, je vous
offrirai tout le magasin.

Sanhexia en resta bouche bée.

Puis déclara :
— Je crois que je viens de tomber horriblement
amoureuse. Même si je sais que jamais Christian ne vendra
sa boutique, c’est un très joli compliment, Jeremy’lenvire
Bal Dragus, viens donc avec moi, j’ai très envie que tu
continues à me faire des compliments !

Et ils s’éloignèrent bras dessus, bras dessous.

Lisbeth secoua la tête.

— Cher Archange, dit-elle en s’adressant au roi des


démons, je crois que les mariages interraces vont se
produire nettement plus souvent que nous ne nous y
attendions.

Archange sourit en regardant Mara.

— Mais j’y compte bien, Votre Majesté Impériale. Et


d’ailleurs, je ne vois pas de meilleure occasion pour faire
ma demande.

Et avant que Mara n’ait le temps de comprendre,


Archange était à genoux devant elle et, ouvrant un écrin
qui semblait contenir un éclat de soleil, lui déclarait :

— Mara, tu es la lumière de ma vie, tu m’enchantes


à chaque instant et je ne peux imaginer vivre sans ta
présence à mes côtés. Veux-tu m’épouser ?

Mara se figea.

Toute la Cour se figea. On n’entendait plus que le doux


murmure de la cascade, les trilles des oiseaux et le
souffle des fées.

— Peut-être, finit par dire Mara, mortifiée qu’Archange


ait osé lui faire le coup de sa demande devant tout le
monde, la rendant presque impossible à refuser.

Archange resta à genoux, perplexe.

— Je sais que, d’habitude, c’est oui ou c’est non. Peut-


être n’est pas tout à fait ce à quoi je m’attendais !

Mara, encore en armure de combat, n’arrivait pas à


croire ce qu’elle était en train de subir.

— Bon sang, Archange, murmura-t-elle du coin de


la bouche, ce n’est vraiment pas le bon moment !

— Non, s’obstina Archange. Je t’en ai parlé, j’ai fait


des allusions et chaque fois tu as esquivé le sujet. Je veux
avoir des bébés comme ceux de Tara avec toi. Et je veux
t’épouser, non pas pour forger une alliance avec ton
peuple, mais pour toi.

Pour toi, Mara, mon implacable guerrière, qui arrive


même à faire peur à mes démons les plus coriaces !

Mara se détendit. C’était exactement la raison pour


laquelle elle avait fui ses sous-entendus. Parce qu’elle
croyait qu’il sacrifiait à un devoir d’alliance.

— Pour moi ? dit-elle d’un ton plus doux. Juste pour moi
?

— Pour toi. Tu serais nue, sans parents, sans amis,


sans appuis, que je m’en ficherais comme de ma première
cuve utérine. Ce n’est que toi. Ce sera toujours toi.

Mara se mit à genoux devant Archange.

— Archange, veux-tu m’épouser ?


Archange éclata de rire devant sa petite maligne de
future épouse et cria :

— Oui ! Oh oui !

Et la Cour explosa.

Tout le monde se mit à crier, Jassiphar fou d'excitation


faillit engloutir deux ministres, les gens se pressèrent
autour des heureux futurs époux, et Tara et Cal précisèrent
à l’Impératrice et à leurs amis qu'ils voulaient se retirer en
famille, avant que quelqu’un d’autre ne décide de faire sa
déclaration, parce qu’ils n’en pouvaient plus.

— Allez-y, dormez, reposez-vous, je viendrai vous


voir demain dans l’après-midi, fit l’Impératrice en rendant
Celia et Danviou à Tara à regret. Nous avons beaucoup de
choses à nous dire.

— J’ai promis aux sorcières qu’elles allaient pouvoir


vivre normalement, voulut préciser Tara, avant de partir,
d’une voix épuisée maintenant que le stress descendait.

— Oui, répondit Lisbeth, j’ai étudié les documents


qui m’ont été transmis par Maître Chem, puisque les
scoops des sorcières avaient tout enregistré. Effectivement,
la police continuait, sans que le gouvernement en soit
vraiment informé, parce que c’est une très vieille loi, à
isoler les sorciers verts. Comme cela n’arrivait qu’une fois
ou deux par siècle, personne n’a songé à changer la loi, qui
avait été promulguée à la suite de ce qu’avaient fait ces
stupides sorcières. Mais à présent que nous savons qu’ils
peuvent maîtriser leur soif et ne pas s’attaquer aux êtres
conscients, trouver des solutions sera simple. Ne t’inquiète
pas. Nous allons respecter ta promesse.
Tara sentit ses épaules s’alléger. Elle ne savait pas si
Lisbeth était au courant de cette infamie et connaissait
suffisamment sa tante pour voir que non. Le fait qu’elle
s’en inquiète et veuille régler le problème la rassurait.

— Merci, Lisbeth, merci pour tout. Merci d’avoir tout


essayé pour me retrouver.

Lisbeth la serra de nouveau dans ses bras, très émue.

— Je t’aime profondément, Tara. Comme la fille que je


n’ai pas eue. (Elle renifla pour chasser son émotion.) Va,
maintenant, tu dois être épuisée.

Elle avait raison. Tara n’en pouvait plus.

Cal le sentit, car il l’enleva dans ses bras, avec les


bébés, et sortit d’un pas vigoureux de la salle du trône.

— Nous sommes trop lourds, s’exclama Tara, tu vas te


faire mal au dos !

— Je ne suis pas fou, sourit Cal, j'ai incanté un petit


forcus avant de te soulever, ma douce.

Il sauta sur le tapis qui les avait amenés et fonça vers


leur maison au fond du parc.

Une fois sur place, Tara prit une douche avec Cal et les
enfants, ce qui engendra beaucoup de rires et
d’éclaboussures, puis les nourrit et les coucha.

Les petits s’endormirent comme des masses, eux aussi


épuisés.

Même si Tara ne rêvait que d’une seule chose, c’était de


faire comme eux, elle devait parler avec Cal.
Ils discutèrent longuement.

Elle fit naître une petite boule de magie au creux de sa


main. Celle-ci était faiblarde et pâlichonne, très loin de
l’intense lumière du pouvoir habituel de Tara.

— Tu vois, fit-elle pour clore leur conversation. Je n’en


ai presque pas. En tous les cas, pas suffisamment pour les
protéger. Tu as vu ce qui s’est passé. Nous serons toujours
une cible, que nous le voulions ou non.

Cal lui sourit tendrement, enlaçant sa main dans la


sienne, incapable de cesser de la toucher.

— C’est d’accord. Ça va me faire bizarre, mais là-bas,


ce sera plus facile de les protéger. Viens, à présent, allons
nous coucher. J’ai besoin de te retrouver et tu as besoin de
dormir.

Si l’Impératrice ne les avait pas réveillés, ils auraient


sans doute dormi pendant deux jours. Sachant que Tara
était épuisée et avait vraiment besoin de repos et de calme,
l’Impératrice avait trouvé une nounou qui s’était occupée
des bébés pendant que Tara dormait.

Ce qui expliquait qu’elle n’avait pas été réveillée au


bout de deux ou trois heures, pour la première fois depuis
des jours.

La nounou venait également d’avoir un bébé et avait


bien assez de lait pour trois, ce qui soulagea
considérablement la jeune femme.

Ce fut donc une Tara enjouée et reposée qui descendit


accueillir sa tante, vêtue d’une jolie robe d’un vert clair.
— Pardon, dit-elle en arrivant dans le grand salon où
Lisbeth, à quatre pattes, jouait avec les petits.

L’Impératrice avait revêtu des leggings, un petit tee-


shirt et tiré ses longs cheveux en une queue de cheval.
Various se tenait à ses côtés, en train de faire des sourires
éclatants à Danviou qui souriait de toute sa bouche
édentée.

— Ce n’est pas grave, sourit Lisbeth. Tu avais besoin


de beaucoup de sommeil, ne t'inquiète pas, tes enfants sont
adorables.

— Mais très vulnérables, fit Cal en descendant


derrière Tara. Et c’est la raison pour laquelle nous
voudrions vous proposer quelque chose, Tara et moi.

— Oui, répondit Lisbeth. Oui.

— Euh, vous ne voulez pas attendre la proposition


avant de dire oui ?

— Vous voulez vous marier. La réponse est oui.


Archange avait raison. On se moque des alliances. Ce qui
est important, c’est qu’un homme soit prêt à mourir pour
celle qu’il aime, à aller jusqu’au bout pour la sauver. J’ai été
idiote et aveugle de ne pas le voir plus tôt. Alors oui, vous
avez ma bénédiction.

Cal sourit à Tara et ils s’assirent tous les deux en face


de l’Impératrice.

Le cœur de la souveraine se serra. Ils avaient l’air si


jeunes, ce joli couple en face d’elle, presque encore des
enfants. Ils portaient tous les espoirs de leur nation.

Elle ne les en aima que plus.


— Bienvenue dans notre famille, Caliban Dal Salan !
dit Lisbeth d’un ton doux et affectueux.

Caliban s’éclaircit la gorge.

— Euh, en fait, merci, merci beaucoup, mais ce n’était


pas ce que nous voulions vous dire. Même si nous sommes
vraiment très touchés et que nous le ferons sans aucun
doute avant de partir.

Lisbeth leva vivement les yeux.

— Avant de partir ? Où, en lune de miel ?

— Pas tout à fait, ma tante. Ces récentes aventures


m’ont, hélas, démontré que tant que ma magie ne serait
pas revenue, je ne pourrais pas protéger mes bébés.

— Mais elle t’est revenue ! s’exclama Lisbeth en se


redressant. Et elle est même plus puissante que jamais !

Comme la veille, Tara produisit une pauvre petite boule


de lumière vacillante.

— Non, pas du tout. J’en ai à peine assez pour allumer


une bougie, et encore. Si j’essaye de terrasser un ennemi
avec ça, il va mourir, certes, mais de rire. C’est bien trop
dangereux. Nous ne pouvons pas nous le permettre.

Lisbeth pencha la tête, incertaine.

— Qu’est-ce que tu essayes de me dire, Tara ?

— Nous avons appelé Isabella. Et Jar. Ils disent que


cela ne pose pas de problèmes.

— De problèmes pour quoi ? demanda Various de sa


voix grave.
— De problèmes pour que nous venions nous installer
au Manoir.

Du coup, Lisbeth se leva d’un bond et toisa les deux


amoureux sur leur sofa bleu.

— Quoi?

Tara lui offrit un sourire vacillant.

— Je sais, c’est un choc, mais c’est la meilleure


solution que nous ayons trouvée pour me protéger et
protéger les enfants tant que je ne serai pas capable
d’utiliser pleinement ma magie ou qu’ils n’auront pas
acquis la leur.

Tara prit une grande inspiration, prête à affronter la


tempête qui couvait déjà dans les yeux de l’Impératrice.

— Caliban et moi, nous avons décidé de nous installer


sur Terre !
Chapitre 36
Magister
Ou comment se retrouver brusquement

avec une seule femme, mais deux vies.

Elle voulait se marier. Selenba voulait se marier. Rien


que le mot, et Magister avait des sueurs froides et les
genoux en compote.

Mais c’était quoi, cette manie de vouloir épouser les


gens ! Est-ce qu’il voulait épouser les gens, lui ? Pas du tout
! Lui, ce qu’il voulait, c’était conquérir le monde et virer les
dragons.

Bon, il en voulait moins aux dragons, c’était un fait.


Après tout, ils pourraient être utiles, on ne savait jamais ce
qui pouvait surgir de l’espace profond et vous fondre
dessus, finalement, avoir des alliés puissants, ça pouvait
avoir du bon.

Mais conquérir le monde, ça, contrairement à ce qu’il


avait dit à Selenba, il n’était absolument pas question de
renoncer.

Donc, il allait faire les choses bien. Pour le bébé et


Selenba, il serait un père aimant et un mari modèle.

Et en douce, il continuerait ses plans pour diriger cette


stupide planète qui ne se rendait pas compte à quel
point elle avait besoin de lui.

Et puis Tara, qui restait quand même son ennemie la


plus inamovible, allait être très occupée avec ses bébés.

Il allait falloir qu’il soit très malin. Lui prendre ses


enfants, sans que personne ne puisse se douter qu’il était
derrière leur disparition. Parce que, sinon, il risquait de
perdre Selenba.

Il se redressa sur son trône de pierre noire dans sa


Forteresse Grise, soigneusement planquée dans les jungles
du sud du continent omoisien.

Très bien. Il avait un plan.

Et pour ce plan, il avait besoin du frère de Tara, Jar.

Hélas, cela impliquait aussi de ne pas tuer son nouveau


stupide Chasseur, Daxor, et de présenter sa tête à
Selenba comme cadeau de naissance.

Dommage.

Il se mit à rire, et ce n’était pas un son très agréable.


Oui, Jar serait l’instrument idéal. Et Daxor un parfait bouc
émissaire.

Magister se transforma. À la place de l’homme robuste


au masque miroitant, une femme ordinaire et brune se
tenait, engoncée dans une robe de camélin noire un peu
trop grande pour elle. Magister invoqua un miroir et se
regarda. Eh bien, c’était parfait. Une nouvelle méchante
allait arriver sur le marché et personne ne saurait que
c’était lui.

Il se remit à rire.
Il allait bien s’amuser.
Chapitre 37
Selenba
Ou comment appliquer à la lettre

l’expression « se prendre la tête ».

La tête stupéfaite de Daxor roula aux pieds de Selenba.

La vampyr rengaina tranquillement ses griffes qui


venaient de trancher le cou de l’imbécile qui avait cru
qu’elle était sans défense.

Non, mais sérieusement ? Elle, l’ancien Chasseur de


Magister, sans défense ?

Elle se leva, posa tranquillement Luck qui rigolait, et


essuya le sang de Draxor qui avait giclé sur le pyjama et le
bavoir du bébé.

Alléché par l’odeur, le petit voulut lécher le tissu, mais


Selenba le lui retira doucement.

— Non, non, mon amour, c’est trop tôt. Du lait pour


toi et c’est tout pour le moment !

Elle retroussa la ravissante robe blanche (elle avait


remarqué que le lait avait tendance à tacher le noir, donc
portait des couleurs claires) sur ses longues jambes pour
passer au-dessus du mort et remettre Luck dans son
berceau.
— Làà, lààà, mon tout petit, fredonna-t-elle. On s’est
débarrassé du méchant pas beau, hein ? Il ne nous
embêtera plus, le méchant pas beau !

Elle était en train de devenir gâteuse et assumait tout à


fait.

Selenba se retourna et contempla pensivement le corps.

Cet imbécile était vraiment... un ex-imbécile et un


nouveau mort.

Elle regarda le sang qui gouttait de ses doigts et, sans


faire attention aux deux morceaux, alla jusqu’à la fontaine
de la grande chambre d’hôpital pour se rincer les doigts.

Daxor était venu la voir parce qu’il pensait qu’elle allait


reprendre son poste de Chasseur auprès de Magister et
qu’il ne voulait pas de concurrent.

Il avait essayé de la tuer.

La magnifique vampyr aux yeux roses et aux longs


cheveux d’argent ricana. L’expression stupéfaite qui était
passée sur le visage de l’ex-imbécile lorsqu’elle lui avait
tranché la gorge valait son pesant de clac-cacahuète.

Bon, il faut dire qu’il ne s’y attendait pas. Elle était en


train d’allaiter Luck lorsque le vampyr était entré dans la
chambre.

Et au lieu de rester hors de portée de ses griffes, cet


abruti s’était penché pour lui expliquer pourquoi il allait la
tuer !

Il allait falloir qu’elle remette les hors à l’heure. Si les


gens décidaient de s’en prendre à elle et à son bébé, parce
qu’ils pensaient qu’il l’affaiblissait, alors là, des têtes
allaient littéralement tomber.

Bon, elle devrait prévenir Magister qu’il avait perdu son


nouveau Chasseur.

Magister qu’elle allait épouser. Même si elle avait


fermement refusé de vivre dans sa Forteresse et proposé
qu’ils s'installent à Tingapour, ce que, à sa grande surprise,
il avait accepté.

Bien sûr, il continuait à prendre ce corps et ce visage de


guerrier viking aux yeux violets, insupportablement
séduisant, ce qui ne la gênait pas, au contraire.

Et s’il était vraiment Daril Kratus, même s’il s’en


défendait vigoureusement, histoire sans doute de ne pas
attirer sur les Marches du Nord la vengeance de tous ceux
qu’il avait éliminés, Selenba se demandait comment il allait
être trois hommes en même temps.

Parce qu’elle ne se faisait aucune illusion. Il allait sans


doute être charmant pendant un temps, puis il
redeviendrait Magister. Un peu plus équilibré, sans doute,
maintenant que la chemise démoniaque ne lui brouillait
plus les esprits, mais toujours le cruel et charismatique
conquérant qui avait enfermé son cœur dans son poing.

Selenba sourit.

Elle n’était pas dupe. Magister allait tenter de la


tromper en continuant d’essayer de conquérir AutreMonde.

C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle avait pris


cette décision.
Fuir Magister ou essayer de le tuer n’étaient pas la
solution. Pendant qu’elle accouchait et qu’il était là, tout
tremblotant et amoureux et fasciné, bien différent de ce
qu’il avait été avant, elle avait compris qu’elle devait le
garder près d’elle.

« Garde tes amis près de toi et tes ennemis plus près


encore », disait un stratège terrien, Sun Tzu. Et
bizarrement, Magister était un peu des deux.

Elle ricana de nouveau.

Cela allait être très amusant de déjouer ses plans !

Et s’il tentait de lui prendre son fils ou de le


transformer en arme pour ses conquêtes, eh bien, soit.

Elle prendrait cette décision en toute connaissance de


cause.

Elle l’éliminerait.

Fin
Dans le prochain tome :
Tara et Jar

Tara et Cal partent habiter sur Terre. Mais,


contrairement à ce qu’ils pensaient, Margarie n’est pas
morte (ce qui va terriblement vexer Fafnir, incapable de
comprendre comment elle a raté le cœur) et va exercer une
terrible vengeance contre Tara et ses enfants. Tara sera-t-
elle assez forte pour lutter contre la puissance de la
sorcière noire des Marais de la Désolation ? Avec Jar, qui a
été élevé par Magister et connaît bien tous les trucs et les
astuces des psychopathes, Tara va tenter de préserver son
couple et la vie de ses bébés en même temps.
Lexique détaillé d'AutreMonde (et
d'ailleurs)

L’ETONNANTE AUTREMONDE

AutreMonde est une planète sur laquelle la magie est


très présente. D'une superficie d’environ une fois et demie
celle de la Terre, AutreMonde effectue sa rotation autour
de son soleil en 14 mois; les jours y durent 26 heures et
l'année compte 454 jours. Deux lunes satellites, Madix et
Tadix, gravitent autour d’AutreMonde et
provoquent d’importantes marées lors des équinoxes.

Les montagnes d'AutreMonde sont bien plus hautes que


celles de la Terre, et les métaux qu'on y exploite sont
parfois dangereux à extraire du fait des explosions
magiques. Les mers sont moins importantes que sur Terre
(il y a une proportion de 45 % de terre pour 55 % d’eau) et
deux d’entre elles sont des mers d'eau douce.

La magie qui règne sur AutreMonde conditionne aussi


bien la faune, la flore que le climat. Les saisons sont, de ce
fait, très difficiles à prévoir (AutreMonde peut se retrouver
en été sous un mètre de neige!). Pour une année dite
«normale», il y a pas moins de sept saisons.
Saisons d’AutreMonde: Kaillos saison 1 (temps très froid,
pouvant aller jusqu'à -30 à -50 °C selon les régions
d’AutreMonde), Botant saison 2 (début de la saison
tempérée équivalant au printemps terrien), Trebo saison 3,
Faitcho saison 4, Plucho saison 5, Moincho saison 6, Saltan
(saison des pluies).

De nombreux peuples vivent sur AutreMonde, dont les


principaux sont les humains, les nains, les géants, les
trolls/ogres, les vampyrs, les gnomes, les lutins, les elfes,
les licornes, les chimères, les tatris, les salterens et les
dragons.

LES PAYS D’AUTREMONDE

Omois • Capitale: Tingapour. Emblème: le paon


pourpre aux cent yeux d’or. Habitants: humains et
divers. Omois est dirigé par l’Impératrice
Lisbeth'tylanhnem T’alBarmi Ab Santa Ab Maru et son
demi-frère l’Imperator Sandor T'al Barmi Ab March Ab
Brevis. Il comporte environ 200 millions d'habitants. Il
commerce avec les autres pays et entretient la plus grosse
armée d'elfes à part celle de Selendu.

Lancovit • Capitale: Travia. Emblème: licorne


blanche à corne dorée, dominée par le croissant de
lune d'argent. Habitants: humains et divers. Le
Lancovit est dirigé par le roi Bear et sa femme Titania. Il
possède environ 80 millions d'habitants. Le Lancovit est
l’un des rares pays à accepter les vampyrs, avec qui le pays
a noué des liens ancestraux.
Gandis • Capitale: Géopole. Emblème: mur de
pierres «masksorts », surmonté du soleil
d’AutreMonde. Gandis est dirigé par la puissante famille
des Groars. C’est à Gandis que se trouvent l’île des Roses
Noires et les Marais de la Désolation.

Hymlia • Capitale: Minat. Emblème: enclume et


marteau de guerre sur fond de mine ouverte.
Habitants: nains. Hymlia est dirigé par le clan des
Forgeafeux. Robustes, souvent aussi hauts que larges, les
nains sont les mineurs et forgerons d’AutreMonde et ce
sont également d'excellents métallurgistes et joailliers. Ils
sont aussi connus pour leur très mauvais caractère, leur
détestation de la magie et leur goût pour les chants
longs et compliqués. Ils possèdent un don précieux, que
curieusement ils ne considèrent pas comme de la magie,
qui leur permet de passer à travers la pierre ou de la
liquéfier à la main pour dégager leurs mines.

Krankar • Capitale: Kria. Emblème: arbre


surmonté d'une massue. Habitants: trolls, ogres, ores,
gobelins. Les trolls sont énormes, poilus, verts avec
d’énormes dents plates, et sont végétariens. Ils ont
mauvaise réputation car, pour se nourrir, ils déciment les
arbres (ce qui horripile les elfes), et ont tendance à perdre
facilement patience, écrasant alors tout sur leur passage.
Ceux des trolls qui avalent de la viande, par hasard ou
volontairement, se transforment en ogres, à longues dents
et gros appétit. Ils sont alors chassés du Krankar et doivent
vivre parmi les autres peuples, qui les acceptent... tant
qu’ils ne leur servent pas de dîner. Certains d’entre eux
refusent de partir et forment des bandes
composées d'ogres, d’orcs et de gobelins qui rendent le
Krankar peu sûr.

La Krasalvie • Capitale: Urla. Emblème: astrolabe


surmonté d’une étoile et du symbole de l’infini (un
huit couché). Habitants: vampyrs. Les vampyrs sont des
sages. Patients et cultivés, ils passent la majeure partie de
leur très longue existence en méditation et se consacrent
à des activités mathématiques et astronomiques. Ils
recherchent le sens de la vie. Se nourrissant uniquement
de sang, ils élèvent du bétail: des brrraaas, des mooouuus,
des chevaux, des chèvres — importées de Terre —, des
moutons, etc. Cependant, certains sangs leur sont
interdits: le sang de licorne ou d’humain les rend fous,
diminue leur espérance de vie de moitié et déclenche une
allergie mortelle à la lumière solaire ; leur morsure devient
alors empoisonnée et leur permet d’asservir les humains
qu’ils mordent. De plus, il paraît que si leurs victimes
sont contaminées par ce sang vicié, celles-ci deviennent à
leur tour des vampyrs, mais des vampyrs corrompus et
mauvais. Cela dit, les cas d'humains ou d’elfes transformés
en vampyrs sont tellement rares qu’on pense que c'est
juste une légende. Les vampyrs victimes de
cette malédiction sont impitoyablement pourchassés par
leurs congénères (les célèbres et redoutées Brigades
Noires), ainsi que par tous les peuples d'AutreMonde. S'ils
sont capturés, ils sont emprisonnés dans des
prisons spéciales et meurent alors d’inanition.

Le Mentalir • Vastes plaines de l'Est sur le


continent de Vou. Habitants: licornes et centaures.
Pas d’emblème. Les vastes plaines de l'Est sont le pays
des licornes et des centaures. Les licornes sont de petits
chevaux à corne spiralée et unique (qui peut se dévisser),
elles ont des sabots fendus et une robe blanche. Si
certaines licornes n’ont pas d’intelligence, d’autres sont de
véritables sages, dont l’intellect peut rivaliser avec celui
des dragons. Cette particularité fait qu'il est difficile de les
classifier dans la rubrique peuple ou dans la rubrique
faune.

Les centaures sont des êtres moitié homme (ou moitié


femme), moitié cheval; il existe deux sortes de centaures:
les centaures dont la partie supérieure est humaine et la
partie inférieure cheval, et ceux dont la partie supérieure
du corps est cheval et la partie inférieure humaine. On
ignore de quelle manipulation magique résultent les
centaures, mais c’est un peuple complexe qui ne veut pas
se mêler aux autres, sinon pour obtenir les produits de
première nécessité, comme le sel ou les
onguents. Farouches et sauvages, ils n’hésitent pas à larder
de flèches tout étranger désirant passer sur leurs terres.

On dit dans les plaines que les chamans des tribus des
centaures attrapent les pllops, grenouilles blanc et bleu
très venimeuses, et lèchent leur dos pour avoir des visions
du futur. Le fait que les centaures aient été pratiquement
exterminés par les elfes durant la Grande Guerre des
Étourneaux peut faire penser que cette méthode n'est
pas très efficace.

Selenda • Capitale: Seborn. Emblème: lune


d'argent pleine au-dessus de deux arcs opposés,
flèches d'or encochées. Habitants: elfes. Les elfes sont,
comme les sortceliers, doués pour la magie.
D’apparence humaine, ils ont les oreilles pointues et des
yeux très clairs à la pupille verticale, comme celle des
chats. Les elfes habitent les forêts et les plaines
d’AutreMonde et sont de redoutables chasseurs. Ils
adorent aussi les combats, les luttes et tous les jeux
impliquant un adversaire, c’est pourquoi ils sont souvent
employés dans la police ou les forces de surveillance, afin
d'utiliser judicieusement leur énergie. Mais quand les elfes
commencent à cultiver le maïs ou l'orge enchanté, les
peuples d'AutreMonde s'inquiètent: cela signifie qu’ils vont
partir en guerre. En effet, n'ayant plus le temps de chasser
en temps de guerre, les elfes se mettent alors à cultiver et
à élever du bétail ; ils reviennent à leur mode de vie
ancestral une fois la guerre terminée.

Autres particularités des elfes: ce sont les elfes mâles


qui portent les bébés dans de petites poches sur le ventre
— comme les marsupiaux — jusqu’à ce que les petits
sachent marcher. Enfin, une elfe n’a pas droit à plus de
cinq maris!

Smallcountry • Capitale: Small. Emblème: globe


stylisé entourant une fleur, un oiseau et une aragne.
Habitants: gnomes, lutins P’abo, fées et gobelins.
Petits, râblés, dotés d'une houppette orange, les gnomes se
nourrissent de pierres et sont, comme les nains, des
mineurs. Leur houppette est un détecteur de gaz très
efficace : tant qu'elle est dressée, tout va bien, mais dès
qu'elle s'affaisse, les gnomes savent qu’il y a du gaz dans la
mine et s'enfuient. Ce sont également, pour une
inexplicable raison, les seuls à pouvoir communiquer avec
les Diseurs de Vérité.

Les P’abo, les petits lutins bruns très farceurs de


Smallcountry, sont les créateurs des fameuses sucettes
Kidikoi. Capables de projeter des illusions ou de se rendre
provisoirement invisibles, ils adorent l’or qu’ils gardent
dans une bourse cachée. Celui qui parvient à trouver
la bourse peut faire deux vœux que le lutin aura l'obligation
d’accomplir afin de récupérer son précieux or. Cependant,
il est toujours dangereux de demander un vœu à un lutin
car ils ont une grande faculté de «désinterprétation»... et
les résultats peuvent être inattendus.

Les fées s'occupent des fleurs et lancent des sorts


minuscules mais efficaces, les gobelins essayent de manger
les fées et en général tout ce qui bouge.

Salterens • Capitale: Sala. Emblème: grand ver


dressé tenant un cristal de sel bleu dans les dents.
Habitants : salterens. Les salterens sont les esclavagistes
d'AutreMonde. Terrés dans leur impénétrable
désert, mélange bipède de lion et de guépard, ce sont des
pillards et des brigands qui exploitent les mines de sel
magique (à la fois condiment et ingrédient magique). Ils
sont dirigés par le Grand Cacha et par son Grand
Vizir, Ilpabon, et divisés en plusieurs puissantes tribus.

Tatran • Capitale: Cityville. Emblème: équerre,


compas et boule de cristal sur fond de parchemin.
Habitants: tatris, camhboums, tatzboums. Les tatris
ont la particularité d’avoir deux têtes. Ce sont de très bons
organisateurs (ils ont souvent des emplois
d'administrateurs ou travaillent dans les plus hautes
sphères des gouvernements, tant par goût que grâce à leur
particularité physique). Ils n’ont aucune fantaisie, estimant
que seul le travail est important.
Ils sont l'une des cibles préférées des P’abo, les lutins
farceurs, qui n’arrivent pas à imaginer un peuple
totalement dénué d’humour et tentent désespérément de
faire rire les tatris depuis des siècles. D’ailleurs, les P'abo
ont même créé un prix qui récompensera celui d'entre eux
qui sera le premier à réussir cet exploit.

Les camhboums, sortes de grosses mottes jaunes aux


yeux rouges et tentacules, sont également des
administratifs, souvent bibliothécaires. Les tatzboums sont
en général des musiciens et jouent des
mélodies extraordinaires grâce à leurs tentacules.

LES AUTRES PLANETES

Dranvouglispenchir • Planète des dragons. Énormes


reptiles intelligents, les dragons sont doués de magie et
capables de prendre n'importe quelle forme, le plus
souvent humaine. Pour s’opposer aux démons qui leur
disputent la domination des univers, ils ont conquis tous les
mondes connus, jusqu'au moment où ils se sont heurtés
aux sortceliers terriens. Après la bataille, ils ont décidé
qu'il était plus intéressant de s’en faire des alliés que des
ennemis, d'autant qu’ils devaient toujours lutter contre les
démons. Abandonnant alors leur projet de dominer la
Terre, les dragons ont cependant refusé que les
sortceliers la dirigent mais les ont invités sur AutreMonde,
pour les former et les éduquer. Après plusieurs années de
méfiance, les sortceliers ont fini par accepter et se sont
installés sur AutreMonde. Les dragons vivent sur
de nombreuses planètes, sur Terre, sur AutreMonde, sur
Madix et Tadix, sur leur planète bien sûr, le
Dranvouglispenchir, et s'obstinent à fourrer leur museau
dans toutes les affaires humaines qui les amusent
beaucoup. Leurs plus terribles ennemis sont les habitants
des Limbes, les démons. Ils n'ont pas d’emblème.

Les Limbes • Univers démoniaque, le domaine des


démons. Les Limbes sont divisés en différents mondes,
appelés cercles, et, selon le cercle, les démons sont plus ou
moins puissants, plus ou moins civilisés. Les démons des
cercles 1, 2 et 3 sont sauvages et très dangereux; ceux
des cercles 4, 5 et 6 sont souvent invoqués par les
sortceliers dans le cadre d'échanges de services (les
sortceliers pouvant obtenir des démons des choses dont ils
ont besoin et vice versa). Le cercle 7 est le cercle où
règne le roi des démons. Les démons vivant dans les
Limbes se nourrissent de l'énergie démoniaque fournie par
les soleils maléfiques. S’ils sortent des Limbes pour se
rendre sur les autres mondes, ils doivent se nourrir de la
chair et de l'esprit d'êtres intelligents pour survivre. Ils
avaient commencé à envahir l’univers jusqu’au jour où les
dragons sont apparus et les ont vaincus lors d’une
mémorable bataille. Depuis, les démons sont prisonniers
des Limbes et ne peuvent aller sur les autres planètes
que sur invocation expresse d'un sortcelier ou de tout être
doué de magie. Les démons supportent très mal cette
restriction de leurs activités et cherchent un moyen de se
libérer.

L'unique raison pour laquelle les démons voulaient


envahir la Terre est qu’ils sont aqualics. L’eau de mer agit
sur eux comme de l’alcool et il n'en existe nulle part dans
leur univers. Ils adorent le goût de nos océans. Leur credo
est «massacrer tout le monde en buvant de l’eau salée ».
Santivor • Planète glaciale des Diseurs de Vérité,
végétaux intelligents et télépathes.

FAUNE, FLORE ET PROVERBES


D'AUTREMONDE

Aiglelong • Prédateur volant qui se nourrit des


faucongyres.

Aragne • Originaires de Smallcountry, comme les


palenditals, les aragnes sont aussi utilisées comme
montures par les gnomes et leur soie est réputée pour sa
solidité. Dotées de huit pattes et de huit yeux, elles ont la
particularité de posséder une queue, comme celle des
scorpions, munie d’un dard empoisonné. Les aragnes sont
extrêmement intelligentes et adorent poser des charades à
leurs futures proies.
Arbres Déjangir • Ils sont couverts de fleurs de toutes
les couleurs et de toutes les formes pendant toute l’année,
qu’il fasse beau, mauvais, chaud ou qu’il gèle, un peu
comme si l'arbre ne savait pas très bien comment se
décider pour telle ou telle fleur ou telle ou telle saison.
Lorsqu’un courtisan abuse et met trop de bijoux ou des
vêtements trop ostentatoires et décalés, on dit de lui qu'il
est un Déjangir.

Astophèle • Les astophèles sont de petites fleurs roses


qui ont la propriété de neutraliser l’odorat pendant
quelques jours. Les animaux évitent soigneusement les
champs d’astophèles, ce qui convient parfaitement aux
plantes, qui ont développé cette étrange faculté pour
échapper aux brouteurs de toutes sortes. Les
humains devant s’occuper des traducs, dont la chair est
délicieuse mais la puanteur légendaire, utilisent le baume
d'astophèle pour neutraliser leur odorat.
Balboune • Immenses baleines, les balbounes sont
rouges et deux fois plus grandes que les baleines
terrestres. Leur lait, extrêmement riche, fait l'objet
d'un commerce entre les liquidiens, tritons et sirènes, et les
solidiens, habitants de terre ferme. Le beurre et la crème
de balboune sont des aliments délicats et très recherchés.
Les baleines d’AutreMonde chantent des mélodies
inoubliables. «Chanter comme une balboune» est un
compliment extraordinaire.

Ballorchidée • Magnifiques fleurs, les ballorchidées


doivent leur nom aux boules jaunes et vertes qui les
contiennent avant qu'elles n’éclosent. Plantes parasites,
elles poussent extrêmement vite. Elles peuvent faire mourir
un arbre en quelques saisons puis, en déplaçant leurs
racines, s'attaquer à un autre arbre. Les arbres
d’AutreMonde luttent contre les ballorchidées en sécrétant
des substances corrosives afin de les dissuader de
s’attacher à eux.
Bang-bang • Plantes rouges dont les extraits
cristallins donnent une euphorie totale qui conduit à
l'extase puis à la mort pour les humains. Les trolls, eux,
s'en servent contre le mal de dents.

Bééé • Moutons à la belle laine blanche, les bééés se


sont adaptés aux saisons très variables de la
planète magique et peuvent perdre leur toison ou la faire
repousser en quelques heures. Les éleveurs utilisent
d’ailleurs cette particularité au moment de la tonte : ils font
croire aux bééés (sur AutreMonde, on dit «crédule comme
un bééé») qu’il fait brutalement très chaud et ceux-ci se
débarrassent alors immédiatement de leur toison.

Bendruc le Hideux • Divinité des Limbes


démoniaques, Bendruc est si laid que même les autres
dieux démons éprouvent un certain respect pour son aspect
terrifiant. Ses entrailles ne sont pas dans son corps, mais
en dehors, ce qui, lorsqu'il mange, permet à ses adorateurs
de regarder avec intérêt le processus de digestion en
direct.
Bizzz • Grosses abeilles rouge et jaune, les bizzz,
contrairement aux abeilles terriennes, n’ont pas de
dard. Leur unique moyen de défense, à part leur
ressemblance avec les saccats, est de sécréter une
substance toxique qui empoisonne tout prédateur voulant
les manger. Le miel qu'elles produisent à partir des fleurs
magiques d’AutreMonde a un goût incomparable. On dit
souvent sur AutreMonde « doux comme du miel de bizzz ».

Blaz • Équivalent des pouf-pouf nettoyeurs, mais


volants, les blaz sont la terreur des
araignées d’AutreMonde qu'ils traquent sans pitié.

Blll • Les bllls sont des poissons ailés qui passent une
partie de leur temps dans l'eau et l’autre, lorsqu’ils doivent
se reproduire, en dehors. Très gracieux et magnifiques par
leurs couleurs chatoyantes, ils sont souvent utilisés en
décoration, dans de ravissantes piscines.
Blour • Petites fleurs très rouges qui ont un parfum si
puissant qu'il pourrait déboucher le nez du plus enrhumé
des nains. Elles sont beaucoup utilisées en hiver, car,
comme beaucoup de fleurs sur AutreMonde, grâce à la
magie, elles fleurissent toute l’année. De plus, elles attirent
les papillons, si bien qu'il n'est pas rare de voir la barbe
des nains recouverte de dizaines de papillons, ce qu'ils
adorent. Un grand concours annuel a d’ailleurs été créé et
le nain qui attire le plus grand nombre de papillons gagne
le prix.

Blurps • Étonnante preuve de l’inventivité de la magie


sur AutreMonde, les blurps sont des plantes
insectoïdes. Dissimulées sous la terre, ressemblant à de
gros sacs de cuir rougeâtre, une partie dans l’eau et l’autre
sur terre, elles s'ouvrent pour avaler l'imprudent. Les
petites blurps ressemblent à des termites, et s'occupent
d’approvisionner la plante mère en victimes en les
rabattant vers elle. Une fois grandes, elles s’éloignent du
nid et plantent leurs racines, s’enfonçant dans la terre, et
le processus se répète. On dit souvent sur
AutreMonde «égaré dans un nid de blurps» pour désigner
quelqu'un qui n’a aucune chance de s'en sortir.
Bobelle • Splendide oiseau d'AutreMonde un peu
semblable à un perroquet. Les bobelles se nourrissent
de magie pure et sont donc très attirés par les sortceliers.

Boudule filtreur • Gros organismes ressemblant à des


sacs bleus qui se nourrissent des déchets dans les ports
d'eau salée d'AutreMonde, gardant ainsi l’eau claire et
pure.

Boulvis • Petits écureuils gris et violets d’AutreMonde,


à la fourrure soyeuse, qui possèdent une membrane entre
les membres, qu’ils utilisent afin de « voler » de branche en
branche — enfin « planer » serait plus juste.

Bouvelgoul • Contrairement à nos cultures, où nous


utilisons des punching-balls ou des sparring-partners que
nous sommes censés ne pas trop abîmer, les démons, eux,
utilisent des bouvelgouls, des corps de démons morts et
conservés afin qu’on puisse leur taper dessus pour
s’entraîner. Des partenaires zombies, quoi. Eh oui, je
confirme, c'est vraiment yerk, parce qu'ils perdent
forcément des bouts de trucs au bout d'un moment...

Breubière • Ainsi nommée parce qu’à la première


gorgée on frissonne et on fait breuuu et qu’on se demande
si on va avoir le courage de boire la seconde...

Brill • Mets très recherché sur AutreMonde, les


pousses de brill se nichent au creux des
montagnes magiques d'Hymlia et les nains, qui les
récoltent, les vendent très cher aux commerçants
d’AutreMonde. Ce qui fait bien rire les nains (qui n'en
consomment pas) car à Hymlia, les brills sont considérés
comme de la mauvaise herbe.
Brillante • Lointaines cousines des fées, les brillantes
sont les luminaires d'AutreMonde. Elles peuvent adopter
plusieurs formes, soit de jolies petites fées miniatures et
lumineuses avec des ailes, soit des serpents ailés et
lumineux eux aussi, selon les continents. Elles font leurs
nids sur les réverbères et partout où les AutreMondiens les
attirent. Très lumineuses, une seule brillante peut éclairer
toute une pièce.

Brolk • Bordel. Soit Brolk de slurk • Bordel de merde.

Brolvure • Injure naine. Assez intraduisible en fait. Le


plus proche serait « résidu glaireux/morveux du plus grand
lâche de l'univers ». Les nains méprisent la lâcheté... et ont
horreur d’être enrhumés, parce qu'éternuer au mauvais
moment dans une mine peut avoir pour conséquence de se
prendre des centaines de tonnes de rocs sur la tête. Ceci
est donc leur plus mortelle insulte.

Broug • Huîtres d’AutreMonde, à la chair d’un joli rose


et qui font des perles magnifiques. Le seul problème, c’est
qu’elles se nourrissent de nutriments, mais également en
incorporant, dans leurs coquilles, les particules de métaux
qui flottent dans l’eau des océans. Pour ouvrir une broug, il
faut se lever tôt et, de préférence, se munir d'un
chalumeau.

Broux • Lézard se nourrissant exclusivement de


crottes de draco-tyrannosaure. Faites-moi confiance, vous
ne voulez pas savoir à quoi peut ressembler l'odeur de ses
entrailles... certaines armes biologiques sont moins
dangereuses.

Brrraaa • Énorme bœuf au poil très fourni dont les


géants utilisent la laine pour leurs vêtements. Les brrraaas
sont très agressifs et chargent tout ce qui bouge, ce qui fait
qu’on rencontre souvent des brrraaas épuisés d’avoir
poursuivi leur ombre. On dit souvent «têtu comme un
brrraaa».

Brumm • Variété de gros navets à la chair rose et


délicate très appréciés sur AutreMonde.
Bulle-sardine • La bulle-sardine est un poisson qui a
la particularité de se dilater lorsqu’il est attaqué; sa peau
se tend au point qu'il est pratiquement impossible de la
couper. Ne dit-on pas sur AutreMonde « indestructible
comme une bulle-sardine » ?

Camélin • Le camélin, qui tient son nom de sa faculté à


changer de couleur selon son environnement, est une
plante assez rare. Dans les plaines du Mentalir, sa
couleur dominante sera le bleu, dans le désert de
Salterens, il deviendra blond ou blanc, etc. Il conserve
cette faculté une fois cueilli et tissé. On en fait un tissu
précieux qui, selon son environnement, change de couleur.

Camelle brune • Plante en forme de cœur, dont les


feuilles sont comestibles. Beaucoup de voyageurs ont pu
survivre sans aucune autre alimentation que des feuilles de
camelle. La plante peut arborer différentes couleurs selon
les saisons et les endroits. On l’appelle aussi «plante du
voyageur». Son goût ressemble un peu à celui d’un
sandwich au fromage dont elle a d’ailleurs la
consistance vaguement spongieuse.

Cantaloup • Plante carnivore, agressive et vorace, la


cantaloup se nourrit d’insectes et de petits rongeurs. Ses
pétales, aux couleurs variables mais toujours criardes, sont
munis d’épines acérées qui «harponnent» leurs proies. De
la taille d’un gros chien, les cantaloups sont difficiles à
cueillir et constituent un mets de choix sur AutreMonde.

Chaman • Ce sont les guérisseurs, les médecins


d’AutreMonde. Car si tous les sortceliers peuvent appliquer
des Reparus, il est de nombreuses maladies qui ne peuvent
pas être soignées grâce à ce sort si pratique. Les chamans
sont également les maîtres des herbes et des potions.

Catcak • Mélasse, issue de la barkrave, extrêmement


poisseuse et sucrée, à éviter impérativement
lorsqu’on porte de fausses dents ou un dentier, sous peine
de partir vite fait chez le chaman ou dentiste le plus
proche... Lorsque quelqu'un est un peu trop mielleux,
doucereux ou s’incruste dans une conversation, on dit aussi
: il est trop catcuku ce type!

Chapotte • Sorte de biche aux grands yeux dont la


principale caractéristique est d’attendrir tellement les
chasseurs qu’ils n’osent pas lui tirer dessus, se mettent à
pleurer pour un oui ou pour un non et en général renoncent
définitivement à chasser. On dit d'une personne
très charmeuse qu'elle est une chapotte.

Chatrix • Les chatrix sont des sortes de grosses hyènes


noires, très agressives, aux dents empoisonnées, qui ne
chassent que la nuit. On peut les apprivoiser et les dresser,
et elles sont parfois utilisées comme gardiennes par
l’Empire d'Omois.
Chimère • Souvent conseillère des souverains
d'AutreMonde, la chimère est composée d'une tête de lion,
d'un corps de chèvre et d'une queue de dragon.

Clac-cacahuète • Les clac-cacahuètes tiennent leur


nom du bruit très caractéristique qu'elles font quand on les
ouvre. On en tire une huile parfumée, très utilisée en
cuisine par les grands chefs d'AutreMonde... et les
ménagères avisées.

Crochiens • Chacals verts du désert du Salterens, les


crochiens chassent en meute.

Crogroseille • Le jus de crogroseille est désaltérant et


rafraîchissant. Légèrement pétillant, il est l'une des
boissons favorites des AutreMondiens.
Cronks • Sortes de grosses tiques caméléons qu'on
trouve sur le Dranvouglispenchir. Particulièrement friandes
de sang de dragon, elles ont l'habitude de se mettre dans
des endroits où les dragons ont le plus grand mal à avoir
accès, surtout les moins souples d’entre eux. Se dit aussi
d'un dragon qui irrite les autres et ne les lâche pas, au
point qu'on a vraiment envie de l’écrabouiller. Comme
un cronk, quoi.

Crouiccc • Gros mammifère omnivore bleu aux


défenses rouges, les crouicccs, connus pour leur très
mauvais caractère, sont élevés pour leur chair savoureuse.
Une troupe de crouicccs sauvages peut dévaster un champ
en quelques heures: c'est la raison pour laquelle
les agriculteurs d’AutreMonde utilisent des sorts
anticrouiccc pour protéger leurs cultures.

Discutarium /Devisatoire (en fonction du peuple


qui l'emploie) • Entité intelligente recensant tous les
livres, films et autres productions artistiques de la Terre,
d'AutreMonde, du Dranvouglispenchir mais également des
Limbes démoniaques. Il n’existe quasiment pas de question
à laquelle la Voix, émanation du discutarium, n'ait la
réponse.

Diseurs de Vérité • Végétaux intelligents, originaires


de Santivor, glaciale planète située près d’AutreMonde. Les
Diseurs sont télépathes et capables de déceler le moindre
mensonge. Muets, ils communiquent grâce aux gnomes
bleus, seuls capables d'entendre leurs pensées.

Douxdoux • Inoffensifs et tendres animaux lémuriens


roses aux grands yeux adorables, vivant un peu partout
sur AutreMonde. Les krakdents, animaux extrêmement
dangereux d’AutreMonde, imitent les douxdoux, ce que les
douxdoux trouvent très bien, parce que tout le monde les
fuit, ne sachant pas si ce sont des krakdents ou des
douxdoux.
Draco-tyrannosaure • Cousins des dragons, mais
n'ayant pas leur intelligence, les draco-tyrannosaures ont
de petites ailes, mais ne peuvent pas voler. Redoutables
prédateurs, ils mangent tout ce qui bouge et même tout ce
qui ne bouge pas. Vivant dans les forêts humides et
chaudes d'Omois, ils rendent cette partie de la planète
particulièrement inappropriée au développement
touristique.

Drots • Équivalents de cafards.

Droufs de Tranlkur • Ceci étant un livre familial,


disons que les droufs sont un attribut spécifiquement
masculin. Et que Tranlkur est un dieu particulièrement
apprécié des déesses...
Drummm • Gros poisson ressemblant à une vache,
paissant au fond des mers, dont les arêtes sont si épaisses
qu'on dit des côtelettes de drummm. Son goût est délicat et
sa saveur proche de celle du thon rouge.

Effrit • Race de démons qui s’est alliée aux humains


contre les autres démons lors de la grande bataille de la
Faille. Pour les remercier, ils ont reçu de la part de
Demiderus l'autorisation de venir dans notre univers
sur simple convocation d'un sortcelier. Ils ont décidé
d'utiliser leurs pouvoirs pour aider les humains sur
AutreMonde. Les moins puissants d’entre eux sont utilisés
comme serviteurs, messagers, policiers, etc.

Élémentaire • Il existe plusieurs sortes


d'Élémentaires: de feu, d’eau, de terre et d'air. Ils sont en
général amicaux, sauf les Élémentaires de feu qui ont assez
mauvais caractère, et aident volontiers les AutreMondiens
dans leurs travaux ménagers quotidiens.
Faucongyre • Prédateur d'AutreMonde qui, du fait de
son incroyable faculté de virer sur l’aile, semble comme
monté sur un gyroscope, d'où son nom.

Fleurs de Xel • Fleurs qui ne poussent qu’une seule


fois par siècle sur AutreMonde et exclusivement dans les
glaces des pôles. Peu de temps avant leur apparition, une
race très spéciale de bizzz entièrement blanche naît dans
les glaces, comme si les insectes savaient que les fleurs
allaient fleurir. Nuit et jour, pendant les deux mois où les
fleurs sèment leur pollen, elles passent de corolle en
corolle et font leur travail de pollinisatrices, puis récoltent
le pollen pour en faire le miel le plus précieux, le plus
extraordinaire d’AutreMonde. On dit que manger du miel
de Xel, c’est comme monter tout droit au paradis.

Fruir • Énorme taupe de toutes les couleurs qui passe


son temps à perdre des bandes de très longs poils, dont le
duvet en dessous forme une sorte de velours d'une
incroyable douceur. Le seul problème, c’est que les poils du
dessus sont terriblement durs et difficiles à raser, et de plus
gorgés de magie, ce qui fait que si l'on utilise la magie pour
les couper, ça les fait exploser. Il est donc compliqué
d'obtenir du velours de fruir rasé et ça coûte une véritable
fortune.

Gamb • Buissons de feu.


Gambole • La gambole est un animal couramment
utilisé en sorcellerie. Petit rongeur aux dents bleues, il fouit
très profondément le sol d’AutreMonde, au point que sa
chair et son sang sont imprégnés de magie. Une fois séché,
et donc « racorni », puis réduit en poudre, le «racorni de
gambole» permet les opérations magiques les plus
difficiles. Certains sortceliers utilisent également le racorni
de gambole pour leur consommation personnelle car la
poudre procure des visions hallucinatoires. Cette pratique
est strictement interdite sur AutreMonde et les accros
au racorni sont sévèrement punis.

Gammaglis • Verre transparent et ultrasolide qui


équipe toutes les maisons des démons. Dans le cas des
maisons, impossible donc de faire comme dans les films sur
Terre ou sur AutreMonde, où le héros échappe à ses
poursuivants en passant à travers la vitre. S'il essaye de
faire ça sur l'une des planètes des démons, sa carrière de
héros sera nettement plus courte que prévu... On l'utilise
aussi pour équiper les vaisseaux des démons de grandes
baies ouvrant sur les étoiles et l'espace, car ceux-ci,
ancienne race chevaline habituée aux grands espaces, se
sont rendu compte qu'ils étaient un tantinet
claustrophobes.

Gandari • Plante proche de la rhubarbe, avec un léger


goût de miel.

Gazz • Petit quadrupède au poil lisse et rouge (ou vert


chez les trolls), couronné de bois.

Géant d'Acier • Arbre gigantesque d’AutreMonde, le


Géant d’Acier peut atteindre deux cents mètres de haut et
la circonférence de son tronc peut aller jusqu’à cinquante
mètres! Les pégases utilisent souvent les Géants d'Acier
pour nicher, mettant ainsi leur progéniture à l’abri des
prédateurs.

G’ele d'Arctique • Minuscule animal à fourrure très


blanche, capable de survivre à des températures de - 80 °C
grâce à un sang antigel. Sa fourrure est très recherchée,
car les g’ele meurent au bout de deux printemps, le
premier de Plucho exactement. Les chasseurs de g'ele vont
alors en Arctique où la température remonte à un
confortable - 20 °C et cherchent les g’ele. Le seul problème
étant que l’animal se cache dans un trou pour mourir et
que, sa fourrure étant parfaitement blanche, elle est
difficile à repérer. Et mettre la main dans tous les
trous n’est pas une bonne idée, du fait des krokras, sortes
de phoques qui se cachent sous la banquise et mangent
tous ceux qui s'aventurent près de leurs trous.

Gélisor • Divinité mineure des Limbes démoniaques


dont l’haleine est si violente que ses adorateurs ne peuvent
entrer dans son temple que le museau/gueule/visage
couvert par un linge aromatisé. Même les mouches ne
peuvent survivre dans le temple de Gélisor. Et lors des
réunions avec les autres dieux, il est prié de se laver les
crocs avant de venir, histoire que la réunion soit un
minimum supportable. Il est également interdit de fumer à
proximité de Gélisor.

Gliir • Le gliir des marais puants est un oiseau


incapable de voler qui, pour échapper à ses prédateurs, a
adopté la même technique de survie que les traducs, puer
autant qu’il le peut, en ingérant la yerk, une plante à
l'odeur capable de repousser la plus coriace des mouches à
sang.
Glouton étrangleur • Comme son nom l’indique, le
glouton étrangleur est un animal velu et allongé qui utilise
son corps comme une corde pour étrangler ses victimes.

Glurps • Sauriens à la tête fine, vert et brun, ils vivent


dans les lacs et les marais. Très voraces, ils sont capables
de passer plusieurs heures sous l’eau sans respirer pour
attraper l’animal innocent venu se désaltérer. Ils
construisent leurs nids dans des caches au bord de l'eau et
dissimulent leurs proies dans des trous au fond des lacs.

Graox • Curieux animal d'AutreMonde, ressemblant à


un gros cochon violet au groin aplati capable de se
transformer en haut-parleur et possédant un énorme
goitre qui lui sert de caisse de résonance. À la saison des
amours, en Kaillos, le graox, pour attirer les femelles,
pousse des hurlements assourdissants, tellement violents
qu’ils rendent sourds tous ceux qui se trouvent autour de
lui. Il est la cause de la migration d'une grande partie des
animaux d’AutreMonde pendant cette période du mois.
Tout le reste du temps, il est totalement muet, invisible et
discret. Les scientifiques pensent que les femelles se
précipitent vers eux non pas attirées par leurs cris, mais
pour les faire taire...

Grincheux • Rhinocéros rose vif à trois cornes


d’AutreMonde, tout le temps en colère, sans doute à
cause de la couleur ridicule dont il est affublé.

Harpie • Habitantes d'AutreMonde, personne ne sait


très bien d’où viennent les Harpies. Graisseuses,
sales, agressives, elles attaquent un peu tout ce qui leur
tombe sous la griffe. Leur venin est mortel. Leurs œufs
sont très précieux (essentiellement parce qu’impossibles à
obtenir) car littéralement remplis de magie. Elles sont
souvent utilisées comme mercenaires. Elles ne s’expriment
qu’en jurant. Elles sont un peu l’équivalent de vautours,
mais avec nettement moins de dignité.
Hop-hop • Petit animal très curieux d’AutreMonde. Il
ne progresse que par bonds, un peu comme les kangourous
sur Terre, sauf que lui saute partout et sans cesse. De fait,
il rend la tâche assez difficile à ses prédateurs (ce qui est le
but) parce qu’il est impossible de savoir dans quelle
direction il va bondir, quand et surtout pourquoi. Sur
AutreMonde, lorsque quelqu'un est très agité, on dit de lui
qu'il est « dérangé comme un hop-hop ».

Hydre • À trois, cinq ou sept têtes, les hydres


d'AutreMonde vivent souvent dans les fleuves et dans les
lacs.

Jourstal (pl. : jourstaux) • Journaux d'AutreMonde


que les sortceliers et nonsos reçoivent sur leurs
boules, écrans, portables de cristal (enfin, s’ils sont
abonnés...).

Kalorna • Ravissantes fleurs des bois, les kalornas sont


composées de pétales rose et blanc légèrement sucrés
qui en font des mets de choix pour les herbivores et
omnivores d'AutreMonde. Pour éviter l’extinction, les
kalornas ont développé trois pétales capables de percevoir
l'approche d'un prédateur. Ces pétales, en forme de gros
yeux, leur permettent se dissimuler très rapidement.
Malheureusement, les kalornas sont également
extrêmement curieuses, et elles repointent le bout de leurs
pétales souvent trop vite pour pouvoir échapper aux
cueilleurs. Ne dit-on pas « curieux comme une kalorna » ?

Kapoum • Crapaud qui, lorsqu'il vire au rouge,


explose. La déflagration est suffisamment puissante pour
tout dévaster dans un rayon de dix batrolls.

Kax • Utilisée en tisane, cette herbe est connue pour


ses vertus relaxantes. Si relaxantes d’ailleurs qu'il est
conseillé de n’en consommer que dans son lit. Sur
AutreMonde, on l'appelle aussi la molmol, en référence à
son action sur les muscles. Et il existe une expression qui
dit: «Toi, t'es un vrai kax!» ou: «Oh, le molmol ! », pour
qualifier quelqu’un de très mou.

Keltril • Métal lumineux et argenté utilisé par les elfes


pour leurs cuirasses et protections. À la fois léger et très
résistant, le keltril est quasiment indestructible.
Kévilia • Pierres lumineuses et transparentes, proches
du diamant mais bien plus étincelantes, de couleur si forte
qu’elles peuvent illuminer une pièce, bleues, vertes, roses,
jaunes ou rouges, les kévilias sont très rares et sont les
pierres les plus précieuses d’AutreMonde. Pour préciser
que quelque chose a une grande valeur, sur AutreMonde
on dit: « Il pèse son poids de kévilia. »

Kidikoi • Sucettes créées par les P'abo, les lutins


farceurs. Une fois qu'on en a mangé l’enrobage, une
prédiction apparaît en son cœur. Cette prédiction se réalise
toujours, même si le plus souvent celui à qui elle est
destinée ne la comprend pas. Des Hauts Mages de toutes
les nations se sont penchés sur les mystérieuses
kidikoi pour essayer d’en comprendre le
fonctionnement, mais ils n'ont réussi qu'à récolter des
caries et des kilos en trop. Le secret des P'abo reste bien
gardé.

Krakdent • Animaux originaires du Krankar, les


krakdents ressemblent à une peluche rose mais sont
extrêmement dangereux, car leur bouche extensible peut
quintupler de volume et leur permet d'avaler à peu près
n’importe quoi. Beaucoup de touristes sur AutreMonde ont
terminé leur vie en prononçant la phrase : « Regarde
comme il est mign... »

Kmir • Boisson produite à partir d’herbes, de lait de


jument fermenté et de jus de crapaud. On pense que
beaucoup des guerres des centaures ont commencé par des
abus de kmir, bien connu pour provoquer d’étranges
hallucinations.

Kraken • Gigantesque pieuvre aux tentacules noirs, on


la retrouve, du fait de sa taille, dans les
mers d'AutreMonde, mais elle peut également survivre en
eau douce. Les krakens représentent un danger bien
connu des navigateurs.

Kré-kré-kré • Petits rongeurs au pelage jaune citron


ressemblant au lapin, les kré-kré-kré, du fait de
l’environnement très coloré d’AutreMonde, échappent
assez facilement à leurs prédateurs. Bien que leur chair
soit plutôt fade, elle nourrit le voyageur affamé ou le
chasseur patient. Sur AutreMonde, les kré-kré-kré sont
également élevés en captivité.
Krel doré • Arbres sensitifs d'AutreMonde, ils reflètent
en d’impressionnantes débauches de couleurs les
sentiments des animaux ou des gens qui les frôlent ou les
traversent.

Kri-kri • Sortes de sauterelles violet et jaune dont les


centaures font une consommation effrénée mais dont le cri
cri cri strident dans les hautes herbes peut aussi rendre fou
celui qui tente de dormir.

Kroa ou croa • Grenouille bicolore, la kroa constitue le


principal menu des glurps qui les repèrent aisément à
cause de leur chant particulièrement agaçant.

Krok-requin • Le krok-requin est un prédateur des


mers d’AutreMonde. Énorme animal aux dents acérées,
il n'hésite pas à s'attaquer au célèbre kraken et, avec ce
dernier, rend les mers d’AutreMonde peu sûres aux marins.

Krouse • Sortes de grosses roses sauvages de toutes


les couleurs délicieusement parfumées.
Kroux • Sortes de poux violets qui ont la particularité
curieuse de produire une petite musique joyeuse lorsqu’ils
se reproduisent, ce qui est assez contestable comme
technique de survie lorsqu'on a plutôt intérêt à être
discret...

Krruc • Ressemble vaguement à un croisement entre


un homard et un crabe, mais avec dix pinces. Ce qui en fait
un mets très recherché sur AutreMonde.

Licorne • Petit cheval aux pieds fourchus et à la corne


unique. Les licornes sont de sages penseurs grâce à l'herbe
de la Connaissance du Mentalir.
Loup-garou • Peuple Anazasi, enlevé par le roi des
dragons et placé sur le Continent Interdit, ses membres ont
été transformés en loups-garous. Humains capables de se
transformer en loups à volonté et dont la force, la rapidité
et l'agilité sont extrêmes, même sous leur forme humaine.
Un loup-garou peut contaminer un humain en le mordant,
mais exclusivement sous sa forme lupine. Contrairement
aux loups-garous terriens, les loups-garous
d'AutreMonde ne dépendent pas de la pleine lune et
peuvent se transformer à volonté. Délivré par Tara Duncan,
le peuple des loups inquiète beaucoup les AutreMondiens
du fait de leur force et de leur agressivité, d'autant que le
seul métal qui peut réellement les blesser est l’argent. La
seule autre méthode pour tuer un loup-garou est la
décapitation. Sachant que le loup-garou en question a de
grandes chances d'être trois ou quatre fois plus fort que
vous, cette dernière méthode est à déconseiller. Les loups
sont dirigés par des Alphas.

Maddix • Une des lunes d'AutreMonde — le satellite


austère.
Mangeur de Boue • Habitants des Marais de la
Désolation à Gandis, les mangeurs de boue sont de grosses
boules de poils qui se nourrissent des éléments
nutritifs contenus dans la boue, d’insectes et de
nénuphars. Les tribus primitives des mangeurs de boue ont
peu de contact avec les autres habitants d’AutreMonde.

Manuril • Les pousses de manuril, blanches et


juteuses, forment un accompagnement très prisé des
habitants d’AutreMonde.

Miam • Sorte de grosse cerise rouge de la taille d’une


pêche.

Mismillet • Plante à graines qui a la particularité


d'être extrêmement calorique et faire grossir très vite. Ce
qui est très malin de la part de la plante, parce que, du
coup, les animaux évitent de la manger, sous peine d’enfler
considérablement. Sauf certains oiseaux à l'intellect peu
développé comme les paons pourpres aux cent yeux d'or.
Mooouuu • Ce sont des élans sans corne à deux têtes.
Quand une tête mange, l’autre reste vigilante pour
surveiller les prédateurs. Pour se déplacer, les mooouuus
font des bonds gigantesques de côté, comme des crabes.

Mouche à sang • C'est une mouche dont la piqûre


douloureuse. Nombreux sont les animaux qui ont développé
de longues queues pour tuer les mouches à sang.

Mouchtique • Plus grosses que les mouches à sang,


les mouchtiques se posent discrètement sur les traducs et
autres brrraaas et s’enfouissent dans leur chair, provoquant
de petits nodules, qu’il faut entailler pour les en faire sortir,
car elles sécrètent des toxines qui peuvent tuer le bétail.

Mrmoum • Fruits très difficiles à cueillir, car les


mrmoumiers sont d'énormes plantes animées qui couvrent
parfois la superficie d'une petite forêt. Dès qu'un prédateur
s’approche, les mrmoumiers s'enfoncent dans le sol avec ce
bruit caractéristique qui leur a donné leur nom. Ce qui fait
qu'il peut être très surprenant de se promener sur
AutreMonde et, tout à coup, de voir une forêt entière de
mrmoumiers disparaître, ne laissant qu’une plaine nue.

Nonsos • Les nonsos (contraction de « non-sortceliers


») sont des humains ne possédant pas le pouvoir de
sortcelier.

Œufs de splouf • Le splouf est un oiseau argenté à


crête rouge des forêts de Selenda, patrie des elfes. La
raison de son nom, c'est que ses œufs, délicieux au
demeurant, sont si fragiles que dès qu’on les effleure, ils se
brisent, souvent dans un grand « splouf ». Comme l’oiseau
ne peut se domestiquer, il est difficile d'obtenir ses œufs,
qui sont donc très prisés.

Oiseau de feu • Curieuse forme de vie sur


AutreMonde dont les plumes flambent continuellement et
se renouvellent. Les oiseaux de feu nichent sur les
igniteurs, les seuls arbres ignifugés d’AutreMonde, qui
peuvent supporter leurs nids. Totalement hydrophobes, la
moindre goutte d’eau peut les tuer.
Oiseau Roc • L'oiseau Roc est un volatile géant. Bon,
on vous dit «volatile géant», et vous vous imaginez une
sorte de gros aigle, au pire un condor. Pas du tout. L’oiseau
Roc fait la taille d'une fusée Ariane, d’ailleurs, l’animal
magique est capable de vivre dans l'espace, et est utilisé
par les sortceliers pour mettre les satellites en orbite.
Fort heureusement, l'oiseau se nourrit de la lumière des
deux soleils d’AutreMonde et n'a pas besoin d’éliminer.
Sinon, vous imaginez la taille des fientes ?

Oly-woud • Sortes de sauterelles jaunes à tête verte


dont les centaures sont friands. Ils s’en servent comme
chewing-gum, car la chair des oly-woud est caoutchouteuse
et sent la menthe.

Pégase • Chevaux ailés, leur intelligence est proche de


celle du chien. Ils n'ont pas de sabots, mais des griffes pour
pouvoir se percher facilement, et font souvent leur nid en
haut des Géants d’Acier.

Pierre de Bonder • Pierre d'AutreMonde qui a la


particularité de réverbérer les sons, au point qu'il est
inutile d’utiliser un micro.
Piqqq • Comme leur nom l’indique, les piqqqs sont des
insectes d’AutreMonde qui, comme les mouches à sang, se
nourrissent du sang de leurs victimes. La différence, c’est
qu'ils injectent un venin puissant pour fluidifier le sang de
leurs proies et que de nombreux traducs, mooouuus ou
bééés se sont littéralement vidés de leur sang après avoir
été attaqués par des piqqqs. Heureusement, ils se tiennent
surtout aux alentours des marais où ils pondent leurs œufs.

Pleuv • Oiseaux ronds à ailes rouges courtes,


extrêmement plumés et particulièrement protecteurs avec
leurs œufs, n'hésitant pas à se suicider en se jetant dans la
gueule des prédateurs afin de les empêcher de manger
leurs progénitures. On ne compte d'ailleurs plus le
nombre de prédateurs qui se sont étouffés avec des pleuvs,
tellement ils étaient surpris qu’elles se jettent dans leurs
gueules, ce qui permettait aux pleuvs de sortir plus ou
moins mâchouillées de leurs gueules après leur mort, mais
néanmoins à peu près intactes, tant la masse de plumes
empêchait les crocs de parvenir jusqu'au corps.

Pllop • Grenouille blanc et bleu très venimeuse,


utilisée par les centaures qui lèchent son dos pour avoir
des visions du futur.
Pouf-pouf • Petites boîtes sur pattes avec un gros
couvercle qui avale tous les déchets qui tombent par terre.
Il est conseillé sur AutreMonde de faire attention à ce
qu'on lâche involontairement, sous peine de devoir aller le
rechercher dans la gueule d'une pouf-pouf. Les chercheurs
qui ont inventé les pouf-pouf (c’est un organisme mi-
magique, mi-technologique) les ont programmées afin que
les déchets qu’elles ne peuvent pas utiliser
nutritionnellement soient transférés automatiquement par
mini-portes de transfert intégrées dans un trou noir de la
galaxie d'Andromède.

Pouic • Petite souris rouge capable de se téléporter


physiquement d’un endroit à un autre et munie de deux
queues. Son ennemi naturel est le mrrr, sorte de gros chat
orange à oreilles vertes qui bénéficie de la même capacité.

Prroutt • Plante carnivore d’AutreMonde d’un jaune


morveux, elle exhale un fort parfum de charogne pourrie
pour attirer les charognards et les prédateurs; qu'elle
engloutit dès qu'ils s’approchent à portée de ses tentacules.
Sur AutreMonde, l'insulte «puer comme une prroutt»
rivalise avec «puer comme un traduc».

Rominet • Animal le plus rapide d’AutreMonde.


Tellement rapide, d’ailleurs, qu'on n’est même pas sûr qu'il
existe réellement, vu que personne n’a jamais réussi à le
photographier ou à le filmer... Dès qu'on voit filer du coin
de l’œil une ombre vaguement poilue, on dit: « Oh, je crois
bien que j’ai vu un rominet! » (P.-S. La légende dit que
seule la race des titis, des canaris jaunes légèrement
hystériques, peut voir les rominets...)

Rouge-banane • Équivalent de nos bananes, sauf pour


la couleur et leur taille plus importante.

Rous • Sorte d'énorme rose au parfum délicat qui a la


particularité de fleurir tout le temps, que ce soit en hiver
ou en été. Lorsqu’elle est cueillie, elle peut rester fraîche
pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. On dit que
la fameuse rous qui se trouve dans l’emblème personnel de
la famille de la reine Titania vient de la rous qui fut donnée
à son ancêtre, la fameuse Bête, à qui il fut prédit que s’il ne
trouvait pas l'amour sous sa forme de Bête avant que la
rous ne se fane, il resterait sous cette forme à jamais. Coup
de bol pour lui, la sortcelière qui l’envoûta avait choisi une
rous d'Omois, dont la variété est particulièrement
résistante. Sinon, Moineau n'aurait jamais vu le jour...

Saccat • Gros insecte volant communautaire rouge et


jaune, venimeux et très agressif, producteur d'un
miel particulièrement apprécié sur AutreMonde. Seuls les
nains peuvent consommer les larves de saccat dont ils sont
très friands, tous les autres risquant de se retrouver
bêtement avec un essaim dans le ventre, la carapace des
larves ne pouvant pas être dissoute par le suc digestif
des humains ou des elfes.

Scoop • Petite caméra ailée, produit de la technologie


d'AutreMonde. Semi-intelligente, la scoop ne vit que pour
filmer et transmettre ses images à son cristalliste.
Scrogneupluf • Petit animal particulièrement stupide
dont l'espèce ne doit sa survie qu'au fait qu’il se reproduit
rapidement. Ressemble à un croisement entre un ragondin
et un lapin sous anxiolytiques. «Scrogneupluf» est un juron
fréquent sur AutreMonde pour désigner quelqu’un ou
quelque chose de vraiment stupide.

Sèche-corps • Entités immatérielles, sous-


Élémentaires de vent, les sèche-corps sont utilisés dans les
salles de bains, mais également en navigation sur
AutreMonde où ils se nomment alors «souffle-vent ».

Sensitive • Arbre empathique aux magnifiques feuilles


dorées et au tronc blanc qui reflète les sentiments profonds
des gens, raison pour laquelle il n'y en avait habituellement
pas dans les villes... Ils mouraient trop vite.

Serpent milière • Serpent des Marais de la


Désolation, qui se déplace exclusivement dans la boue,
grâce à des sortes de minuscules écailles aplaties sur les
côtés. Mis dans l’eau, le milière coule.
Slice • Petit oignon vert très fort. Qui donne une
haleine... remarquable... dans le sens qu’on ne peut pas
éviter de la remarquer... à moins d'avoir le
nez extrêmement bouché. (P.-S. Et encore...)

Slurp • Le jus de slurp, plante originaire des plaines du


Mentalir, a étrangement le goût d’un fond de bœuf
délicatement poivré. La plante a reproduit cette saveur
carnée afin d’échapper aux troupeaux de licornes,
farouchement herbivores. Cependant, les habitants
d’AutreMonde, ayant découvert la caractéristique gustative
du slurp, ont pris l'habitude d'accommoder leurs plats avec
du jus de slurp. Ce qui n’est pas de chance pour les
slurps...
Snuffy rôdeur • Ressemblant à un renard bipède, vêtu
le plus souvent de haillons, un grand sac sur le côté, le
snuffy rôdeur est un pilleur de poulailler et de
spatchounier, ce qui fait qu’il n'est pas très aimé
des fermiers d'AutreMonde. Il a la particularité, peu
connue, pouvoir se dédoubler, ce qui lui permet de se
libérer lui-même des prisons où il est souvent enfermé.

Sopor • Plante pourvue de grosses fleurs odorantes,


elle piège les insectes et les animaux avec son pollen
soporifique. Une fois l’insecte ou l’animal endormi, elle
l'asperge de pollen afin qu'il joue le rôle d'agent fécondant.
L’insecte ou l'animal se réveille au bout d'un moment et, en
passant dans d’autres champs, féconde ainsi d'autres
fleurs. Les sopors ne sont pas dangereuses, mais, en
endormant leurs pollinisateurs, les exposent à d'autres
prédateurs. Raison pour laquelle on voit souvent des
carnivores aux alentours des champs de sopors, carnivores
ayant appris à retenir leur souffle le temps d'attraper
leur proie et de la sortir du champ. On dit sur AutreMonde
: « Ce type est somnifère comme un champ de sopors. »
Sortcelier • Humain, elfe ou toute autre entité
intelligente possédant l'art de la magie.

Soupilute • Équivalent AutreMondien de «salopard».


«Espèce de soupilute» est très souvent employé, les
soupilutes étant une tribu de guerriers des montagnes
d'Hymlia, réputée pour le caractère sournois de ses
membres. Sournois et poilus, les soupilutes tirent
une grande fierté des énormes masses de poils couvrant
leur corps, mais curieusement laissant leur tête
parfaitement chauve.

Spalendital • Sortes de scorpions, les spalenditals sont


originaires de Smallcountry. Domestiqués, ils servent de
montures aux gnomes qui utilisent également leur cuir très
résistant. Les gnomes adorant les oiseaux (dans le sens
gustatif du terme), ils ont littéralement dépeuplé leur pays,
ouvrant ainsi une niche écologique aux insectes et autres
bestioles. En effet, débarrassés de leurs ennemis naturels,
ceux-ci ont pu grandir sans danger, chaque génération
étant plus nombreuse que la précédente. Le résultat pour
les gnomes est que leur pays est envahi de
scorpions géants, d’araignées géantes, de mille-pattes
géants.

Spatchoune • Les spatchounes sont des dindons


géants et dorés qui gloussent constamment en se pavanant
et qui sont très faciles à chasser. On dit souvent «bête
comme un spatchoune», ou «vaniteux comme un
spatchoune». Un spatchounier est l’équivalent d'un
poulailler sur AutreMonde.

Stridule • Équivalent de nos criquets. Les stridules


peuvent être très destructeurs lorsqu'ils migrent en
nuages, dévastant alors toutes les cultures se trouvant sur
leur passage. Les stridules produisent une bave très fertile,
couramment utilisée en magie.

Tadix • Une des lunes d’AutreMonde — la planète


casino.

Tak • Sorte de petit rat vert ou gris, que l'on retrouve


dans les ports. Les taks sont redoutés des marins car ils
peuvent ronger un bateau en quelques jours. Ce qui prouve
qu'ils n'ont pas un gros instinct de survie, parce qu'une fois
le bateau rongé, les taks se noient.

Taludi • Les taludis sont de petits animaux à trois yeux


en forme de casque blanc qui sont capables
d'enregistrer n’importe quoi. Ils se nourrissent de pellicule
ou d'électricité et voient à travers les illusions, ce qui en
fait des témoins précieux et incorruptibles. Il suffit de les
mettre sur sa tête pour voir ce qu'ils ont vu.
Taormi • Redoutables souris à tête de fourmi, dont la
piqûre est horriblement douloureuse, les taormis
sont capables de décimer une forêt entière lorsque l'une
des fourmilières/nids décide de migrer. Elles
produisent également un miel très sucré, apprécié des
animaux d’AutreMonde, mais particulièrement difficile à
obtenir sans y laisser la vie.

Tatchoum • Petite fleur jaune dont le pollen,


l'équivalent du poivre sur AutreMonde, est extrêmement
irritant. Respirer une tatchoum permet de déboucher
n'importe quel nez.

Tatroll • Pour la facilité de la traduction


AutreMondien/Terrien, l’auteur a directement converti les
tatrolls en kilomètres et les batrolls en mètres. Un troll
faisant trois mètres de haut, un batroll fait donc un mètre
et demi et un tatroll un kilomètre et demi.
Tchaouf • Le tchaouf est l’animal le plus maladroit
d’AutreMonde. Gris sombre, hirsute, avec un
étrange plumet jaune sur la tête, ressemblant à un
mélange d’éléphant et d’hippopotame, avec une très
courte trompe en forme de trompette rouge, le tchaouf
passe son temps à s'emmêler ses six pattes et tombe à peu
près tous les trois mètres. De nombreux prédateurs ont
ainsi été écrasés alors qu'ils tentaient d’abattre un
tchaouf...

Tchelf • Le tchelf est un animal des Limbes qui


ressemble à un gros ballon rempli de liquide. Liquide qu'il
largue sans états d'âme lorsqu’il veut s'envoler afin
d'échapper à ses prédateurs ou qu’il a peur. L’inconvénient,
c'est que ledit liquide pue horriblement. « Tu t'es parfumé
au tchelf, ce matin » est un compliment dans les
Limbes, signifiant que la puanteur du tchelf est appréciée
par les démons.

Téodir • Sorte de champagne des dragons. Les


humains trouvent que ça a un vague goût d'antigel.
T'hoculine • Fleur composée de pierres précieuses
changeant de couleur régulièrement. La fleur de pierre est
considérée comme l'un des plus beaux joyaux
vivants d’AutreMonde et en acquérir une est extrêmement
difficile, car elle n’est cultivée que sur la très dangereuse
île de Patrok.

Tinbulis • Animal d’AutreMonde très étrange, qui n’a


pas de cou flexible, si bien qu'il doit se balancer d’avant
en arrière, sur ses deux pattes, afin de parvenir à manger
les insectes dont il se nourrit. Un Terrien qui verrait un
tinbulis le décrirait comme un mélange entre une grosse
poule verte et un Culbuto maladroit.

Tolis • L’équivalent des amandes sur AutreMonde.

Toye • Herbe rappelant un mélange détonant entre de


l'ail très fort et un oignon trop fait. Le toye est une épice
très prisée par les habitants d’AutreMonde.
Traduc • Ce sont de gros animaux élevés par les
centaures pour leur viande et leur laine. Ils ont
la particularité de sentir très mauvais, ce qui les
protège des prédateurs, sauf des crrrèks, petits loups
voraces capables d’obturer leurs narines pour ne pas
sentir l'odeur des traducs. « Puer comme un traduc malade
» est une insulte très répandue sur AutreMonde.

Treee • Petits oiseaux couleur rubis dans les forêts


d'AutreMonde et verts dans celles des trolls. Leur nom est
dû au cri très spécial (treeeeeeee) qu'ils poussent.

Tricroc • Arme enchantée trouvant immanquablement


sa cible, composée de trois pointes mortelles,
souvent enduites de poison ou d’anesthésique, selon que
l’agresseur veut faire passer sa victime de vie à trépas ou
juste l’endormir.

Trouk zavorien • Bien qu'il n’y ait que très peu


d'autres animaux sur la planète Zavor, du fait de la
sélection naturelle qui a fait des Zavoriens quasiment la
seule race survivante à part les animaux domestiques, il
existe une race de... de petits monstres qui chassent en
meute et pourraient, de très, très loin et en étant très, très
myope, passer pour des chiens. De près, on dirait plutôt
des rats pelés géants et ultra-agressifs. Sur Zavor, avoir un
mal de trouk signifie qu'on a l’impression de se faire
dévorer vivant par une troupe de trouks.

Trr rouge • Bois imputrescible, dont les rondins sont


souvent utilisés pour les maisons et surtout pour les
auberges, parce qu’il est difficile à briser et ne craint pas la
bière.

T’sil • Vers du désert de Salterens, les t'sils


s'enfouissent dans le sable et attendent qu'un animal passe.
Ils s'y accrochent alors et percent la peau ou la carapace.
Les œufs pénètrent le système sanguin et sont disséminés
dans le corps de l'hôte. Une centaine d'heures plus tard, les
œufs éclosent et les t'sils mangent le corps de leur
victime pour sortir. Sur AutreMonde, la mort par t'sil est
l'une des plus atroces. C'est la raison pour laquelle il n’y a
pas beaucoup de touristes tentés par un trekking dans le
désert de Salterens. S'il existe un antidote contre les t'sils
ordinaires, il n’y en a pas contre les t'sils dorés dont
l'attaque conduit immanquablement à la mort.
Tzinpaf • Délicieuse boisson à bulles à base de cola, de
pomme et d'orange, le tzinpaf est rafraîchissant et
dynamisant.

Velours (bois de) • Bois fort prisé sur AutreMonde


pour sa solidité et sa magnifique couleur dorée, très utilisé
en marqueterie et pour les sols. Sa texture particulière fait
qu’à la vue il semble glacé et qu’au toucher il est comme
une profonde moquette moelleuse.

Ver taraudeur • Le ver taraudeur se reproduit en


insérant ses larves sous la peau des animaux pendant leur
sommeil. Bien que non mortelle, sa morsure est
douloureuse et il faut la désinfecter immédiatement avant
que les larves ne se propagent dans l'organisme. «Quel ver
taraudeur celui-là ! » est une insulte désignant quelqu'un
qui s’incruste.
Vlir • Petite prune dorée d’AutreMonde, assez proche
de la mirabelle, mais plus sucrée.

Vloutour • Oiseau charognard d'AutreMonde gris et


jaune ayant beaucoup de mal à voler, le vloutour est
capable de digérer à peu près n'importe quoi. Ses intestins
peuvent survivre à sa mort et continuer à digérer des
choses, des mois durant. Les tripes de vloutour sont
souvent utilisées en magie, notamment pour conserver la
fraîcheur des potions.

Vouivre • Lézard ailé volant surtout la nuit, pouvant


mesurer jusqu'à trente mètres de long et piscivore. La
vouivre possède une pierre précieuse enchâssée dans son
front, qui neutralise les effets de certains poisons, et les
différentes parties de son corps sont souvent utilisées pour
des potions. On murmure que la première vouivre serait
née d'un œuf de coq, impossibilité biologique qui
à l’époque avait fait grand bruit dans le poulailler et
déclenché une série de questions très embarrassantes pour
le pauvre volatile.

Vratouk • Sortes de pommes de terre, mais rouges et


avec une forte odeur d’ail. Les démons en raffolent, même
si ça n’arrange pas leur haleine. P.-S. Ce dont ils se fichent
éperdument.

Vrrir • Félins blanc et doré à six pattes, favoris de


l'Impératrice. Celle-ci leur a jeté un sort afin qu’ils ne
voient pas qu’ils sont prisonniers de son palais. Là où il y a
des meubles et des divans, les vrrirs voient des arbres et
des pierres confortables. Pour eux, les courtisans sont
invisibles et, quand ils sont caressés, ils pensent que c'est
le vent qui ébouriffe leur fourrure.

Vv'ols • Petits moineaux d’AutreMonde, capables d’agir


comme un seul organisme devant un danger,
en reproduisant la silhouette de redoutables prédateurs qui
font fuir leurs attaquants. Exemple : si des vv’ols
sont attaqués par des faucongyres, ils se massent et
forment le corps d’un aiglelong, qui attaque les
faucongyres. Ceux-ci, trompés, s'enfuient et le nuage de
vv'ols se défait.
Wyvern • Servantes des dragons, les wyvernes sont
des sortes de lézards géants aux écailles dorées,
capables de se tenir en position bipède grâce à des
hanches pivotantes. Moins intelligentes que les dragons,
elles composent une grosse partie de leurs forces armées
et n'ont aucun sens de l’humour, surtout un fusil à
neutron entre les pattes. Elles seraient issues des
expériences biologiques des dragons sur leurs propres
cellules et en seraient donc de très lointaines cousines.

Yerk • Plante qui a trouvé le moyen de se rendre


immangeable par les herbivores grâce à une odeur
absolument dissuasive. Seuls les gliirs, qui n’ont aucun
odorat, peuvent en manger les graines.

Zinvisible • Caméléon intelligent capable de se fondre


totalement dans le décor au point de devenir invisible.
Protecteur de la famille impériale d'Omois, il sert
d'enregistreur vivant et espionne pour l'Impératrice.
Remerciements

Merci à ma maison d’édition, Bernard, Édith, Valérie et


Stéphanie, Catherine, Caroline et à ma directrice littéraire
favorite, Virginie, ainsi qu’à Tania et ses fantastiques
couvertures, j’oublie certainement plein de gens qui
œuvrent dans l’ombre pour que Tara soit dans la lumière,
mais merci à tous.

Comme toujours, je veux remercier ma famille, qui


m’accompagne sans faillir sur les périlleux chemins de
l’édition, Philippe, Diane (et Peter !), Marine (et Charles,
bienvenue !), Maman, ma géniale sœur Cécile (OK, let’s
rule the world together honey !), Didier, Paul et Anna, les
z’Audouin, toujours affectueux et adorables, Jean-Luc,
Corinne, Lou, Thierry, Marylène, Léo, mon oncle et
ma tante d’Amérique, Francis et Françoise, sans oublier
ceux qui sont au paradis, papy Gérard, mamie Josette, mais
toujours dans mon cœur.

Merci aussi aux copains pour les fous rires et les dîners,
c’est trop bon d’être avec vous ! Thomas, Anne-Marie,
Jacques, Martine, Anne Seibel, la plus adorable des chefs
déco, and to Bill Hickman, my best friend ever, Esteban,
Raffy Shart aux mille histoires, Christophe on va faire un
album d’enfer, Hervé et Leila on ne se voit pas assez, à
Jean-Dominique, merveilleux connaisseur de l’ancien
temps, Didier et Nathalie c’est trop loin le Luxembourg !
Stéphane mon super webmaster (décroche de ta souris !),
Jérome et Sandra, qui partagent l’amour/haine de la petite
balle blanche avec nous, et les nouveaux amis,
qui partagent ma nouvelle vie d’auteur producteur
réalisateur (la vache !), Marc-Antoine et Nicolas, de chez
La Belle Company, mes distributeurs pour le film Agathe
Polochon, qui bien plus que des partenaires sont devenus
de vrais amis, sans oublier mon adorable Saliha et la sage
et patiente Delphine.

Enfin, merci à vous, mes incroyables et fantastiques


lecteurs et lectrices et fans et bien plus encore !

Le bureau des taraddicts avec la Grande Chef Noémie


(bisous à Marie !) et Élodie/Loéva, Mat qui a organisé une
exposition de folie pour Tara Duncan, ainsi qu’à
Charlesquipartaucanadaetnousabandonnésouinn,
Clémence, Eléonore mes deux réalisatrices monteuses
préférées, Cédric qui-ressemble-à-Cal et Cédric Hony mon
dragon préféré, Virginia, l’actrice Valentine, et toute
l’équipe de la série web Tara Duncan, dont notamment
Maxence, Pauline, Tom et Martin pour l’équipe image et
son, qui viennent de découvrir mon univers avec une
certaine stupeur, mais, waaah, c’est magique ce que vous
faites, bravo !

Tomlou mon Thomas, toujours fidèle à Tara, Audrey,


Charlotte, Jani, Mathilde et Tabatha, Lord Paul P. qui me
fait bien rire, et Fabien G. qui est toujours dans les
premiers à commenter mes posts, Kevin, Charles,
Alyssa, Clara, Nicolas, Marjorie, Jordann, Olivia, Marine,
Jessica, Manon, Élodie, Fleur, Pauine, Tatiana, Elyse,
Amandine, Melissa, Gaby, Thomas, Lorine, Thibault L.

Merci à Paul, Isabelle et Élodie que j’ai vus à Cannes, à


Athina qui fait de la contrebande de kidikoi avec Mourmur,
Alexandre B. M. de Saint-Étienne, Marie L., Solène et
Erwan, Audrey C., Oriane Y. taraddict de la première
heure et du salon du livre !, Clémence G., Laurine B., Alice
G., Thibault L., SF., Oriane B., Audrey S., Sébastien K. qui a
même les premières couvertures !, Anne Soline et son amie
Elysa, Hermine DLR qui cette fois n’est pas en retard, loi,
Garance H., Marina D., Sonia J., Anne-Lyse Q., Jessy R.,
Marie-Amélie LT., Marion et Coline G., Marylou JBS, Sara et
Sina fidèles fans du Maroc, Mathilde L., Wendy T., Amélie
B., Lucie L., les sœurs Charlotte, Sixtine et Victoire T.,
Léonore V., Léa R., Laure L. qui n’a pas peur d’attendre
six heures trente pour une dédicace, Damien F. voilà déjà
un rêve de réalisé, lol ! Océane D., Marion G.O., Sarah B.,
Chloé C. et non, je ne suis pas une princesse bolivienne,
loool !, Laxsika M., Andréa Vamp., Léa d’A., Michael P. avec
ses deux futurs taraddicts, Milo et Morgann, Salomé P.,
Marielle B., Marion V. la fidèle Vanessa S., Virginie S.,
Gabin S. le futur écrivain, Florence A., Erwan de V., de la
part de sa sœur, Nolwenn de V., Tess, Yasmine S. qui elle
aussi écrit, Marion GG. Rachel W., Mathilde Lee., Miki L.,
Auxane C. qui m’a fait un magnifique compliment, Marine
S., toujours la plus débrouillarde des fans, Anne DM., Chloé
Amandine L., Lucille D., Cléa C., Thomas C., Léo C.,
Pénélope C., Lucie M., Léa Z., Baptiste J., Maéva V, Chenille
Awawa qui m’a fait beaucoup rire avec son mail, Lelia L.,
Stéphanie V. qui publie son premier livre, bravo ! Sandy S.
de Belgique, Dadie B., Frédérique C. et Camille V., Gaelle
F., Pierre R. qui arrivera un jour à venir à une dédicace,
Melissa C., Elise, Laura S. de Strasbourg, Harold K., Marie
K. qui trouve le temps de lire Tara en dépit de l’université,
Vanessa M. qui a envoyé son mail juste à temps, lol !, Flavie
Z. pour la seconde année déjà, Estelle et Khalid M. toujours
là même s’il habite très loin, Mathilde M. qui a converti sa
grand-mère et Nassim, Lucie N. et Joris S. qui se sont
occupés du MagAutreMonde et sont toujours taraddicts,
parce que c’est une maladie dont on ne guérit pas,
mouuaahh !, Edeline C., Pauline G., Jocelyn et sa fille
Laurane S., qui sont mes meilleures agentes, Eisa C., Marie
B., Cindy C., Pauline (Sourya), Marie Le C. qui
veut m’emprisonner dans son garage, Héloise K. et toute
l’équipe du lycée Sainte-Thérèse, Mathieu M., Kelly M.,
Meriem R., Lou-Ann et Elie et bientôt Lino lol !, Charlotte
B.C., Professeur Michaël Bresso, Professeur David Sire et
toute sa famille, Manon S.-B. pour la seconde année aussi,
Caroline H. du Quebec qui a vingt-cinq ans aime toujours
Tara, Louise J. et son amie Mae, Elia S., Marie B. qui fait
râler sa maman parce qu’elle achète trop de livres,
Charlotte D. qui ne sait pas si elle est un ange rouge ou
bleu, Alexane B., que ta magie illumine aussi ! Judith K.,
Manon T., Malika M. qui vit au Maroc et a lu tous les livres
en deux semaines !, Ludivine S., Charlotte D-G., Albane M.,
Mathieu V-R., Sylvie et sa gentille et très patiente maman,
Suzy, Louise D. et non, les auteurs ne s’arrêtent jamais, lol
!, Mathieu Henon et son Médiateaseur et ses super
interviews, Christophe Mangelle et sa Fringale Littéraire et
son enthousiasme courageux, Marie D., fan depuis son
adolescence.

Merci à vous, merveilleux lecteurs, lectrices, habitants


de cette planète et des autres, merci de partager tous ces
moments de fous rires et de folie avec moi, je vous aime.
Cette année encore, quel dilemme pour choisir entre
toutes les nouvelles, plus réussies les unes que les autres,
que j’ai reçues... Pour inaugurer ce nouveau cycle, vous
vous êtes surpassés! Un grand, grand merci à toutes celles
et à tous ceux qui n'ont pas ménagé leur imagination et
leur talent.

Mais comme il faut bien choisir (selon la formule


désormais consacrée, lol!), j'ai tranché. Et le gagnant est
(roulements de tambour)... Til Rachou Tigrou, qui a gagné
le droit de voir sa nouvelle publiée dans ce livre!

Encore bravo à tous, et à vos plumes pour le prochain


volume !

HACA fans de Tara !


Le bal masqué

De Til Rachou Tigrou

Les faits se passent trois ans et demi après la fin du


tome 12 de Tara Duncan.

En cette période de paix, l'ambiance à Omois était


calme et reposante. En effet, cela faisait plusieurs mois
qu’aucun mur du Palais, et surtout aucun être vivant,
n’avait explosé. En fait, mis à part quelques
accidents mineurs, tout Tingapour était resté intact depuis
longtemps et on pouvait en dire autant de tout le pays. Un
vrai miracle depuis l'arrivée de Tara. De plus, aucun
envahisseur surpuissant et malveillant n’avait tenté
d'attaquer AutreMonde depuis la fin de la guerre, ce qui
nous laissait tous dans une ambiance « normale ». Un
terme assez inhabituel pour nous, je devais le dire.

Dans ces circonstances, Lisbeth, l'Impératrice d'Omois,


avait décidé d'organiser un bal. Mais pas n’importe quel
bal. Un bal masqué.
Fut un temps où, en lisant mon invitation, ma réaction
aurait été complètement négative, du genre : « Slurk ! Un
bal masqué ? Jamais de la vie ! » J’aurais même sûrement
mis feu à l’enveloppe sans la lire. Mais aujourd’hui j'étais...
excitée. Oui, c'était bien le mot. J'avais envie d'y aller, envie
de me pomponner et de danser aux bras
d'inconnus masqués venus de tous les coins d’AutreMonde.

La note au dos du carton m’indiquait que la nursery du


Palais serait à ma disposition, ce qui était vraiment une
bonne nouvelle. J’envoyai immédiatement à Cal et Tara ma
réponse par télé-cristal, tout en me retenant de sautiller
dans tous les sens.

Il fallait croire que la paix et la maternité m’avaient


changée, moi, Selenba la Vampyr, ancienne Sangrave et
buveuse de sang humain. Et parfois ça me faisait vraiment
peur !

Je me connectai immédiatement au magicnet afin de


trouver la tenue de soirée idéale. Elle me tapa dans l’œil si
vite que j’en fus surprise moi-même, car ce n’était pas
franchement mon genre habituel. Pourtant, j'appuyai sur «
commander », m'offrant même des chaussures assorties, un
masque et des accessoires terribles. J'entrai mon adresse,
payai et, avant d'avoir pu dire ouf, j’avais terminé.

Les pleurs de mon chérubin me ramenèrent à la réalité


et je courus presque jusqu'à sa chambre pour le prendre
dans mes bras et le serrer bien fort. Une petite berceuse
suffit à le rendormir, mais je le gardai contre moi juste pour
le plaisir de sentir son petit corps chaud contre le mien...
froid et glacial.

Mon télé-cristal se mit à sonner et je jurai doucement


en maudissant celui qui menaçait le sommeil de mon petit
ange. En jetant un œil à l'appareil, je vis le visage de Tara
et me radoucis. Un simple « Cool » composait le message,
suivi d’un smiley.

Tara et moi étions devenues de vraies amies, ce qui


était bizarre, mais pas inintéressant. En dehors des plans
de batailles, de démolitions et autres trucs plus dangereux
les uns que les autres, nous partagions désormais des
sujets communs tels que la maternité, l’éducation ou la vie
de couple même si, de mon côté, c'était plutôt à sens
unique. Magister faisait profil bas et restait toujours
introuvable, au grand dam de l’Impératrice. J’avais appris à
faire mon deuil, à me dire que mon bébé grandirait sans
son père, aussi vil avait-il pu être dans le passé. Le
problème était qu'on n’avait jamais connu sa
véritable identité, qu’il s’était toujours caché derrière ce
masque sans jamais se dévoiler.

Pourquoi ? Lui seul aujourd'hui détenait la réponse à


cette question. Malheureusement.

Le jour du bal, j’étais complètement stressée et mal à


Taise, ce qui n'était pas du tout dans mes habitudes. En
règle générale, j’étais sûre de moi et j’allais à ces fêtes
dans le but d’inspirer la peur et de semer la panique aux
gentils innocents. Là, c'était tout l'inverse. C’était moi
qui étais complètement angoissée et terrorisée !

Heureusement, le bébé était en sécurité avec une


nourrice à la nursery du Palais et je pouvais m'amuser
sereinement. Perchée sur des talons démentiels, je mis mon
masque en place et, en me regardant une dernière fois
dans le miroir, je me rendis compte à quel point j’étais
méconnaissable. La robe de soie blanche que j’avais
commandée me moulait comme une seconde peau et
m'allait à ravir. Le décolleté arrière était vertigineux et
s’arrêtait juste au creux de mes reins. Il palliait celui de
devant, plus sage malgré une légère échancrure qui mettait
en valeur mes formes voluptueuses. Mes cheveux
argentés, élégamment relevés en chignon, étaient
habilement cachés sous un chapeau orné de plumes noires
et rouges, lequel contrastait vivement avec le reste de ma
tenue. Sans vouloir me vanter, le magicgang allait
en tomber à la renverse... Si toutefois il me reconnaissait !

Je donnai mon invitation au thug qui montait la garde à


l’entrée de la salle de bal et il me fit signe d'entrer d’un
geste de la main.

— Passez une excellente soirée, mademoiselle Bragish,


dit-il d’un ton neutre.

— Merci, monsieur, lui répondis-je poliment.

La salle de réception était, comme à son habitude,


magnifiquement décorée. Tout avait été organisé dans les
moindres détails et rien n’avait été oublié. On pouvait faire
confiance à l’Impératrice pour ça. Je repérai Tara et ses
amis près du trône impérial et décidai de les rejoindre.
En chemin, un serveur me proposa à boire, mais, avant que
je ne puisse choisir quoique ce soit, je sentis une présence
dans mon dos. Cela m’agaça prodigieusement car j’avais
très envie de goûter ce sang qui avait l'air vraiment
délicieux. Et slurk !

— Selenba, quelle élégance ! fit une voix derrière moi


que je reconnus immédiatement.
J'expirai doucement avant de congédier le serveur et de
me retourner lentement vers celui qui m’avait éperdument
aimée, ce dont j’avais été incapable de faire en retour.

— Safir, quelle surprise ! Comment te portes-tu ?


demandai-je en le détaillant rapidement, mais suffisamment
pour découvrir tout ce qui pourrait m’intéresser. Il n'avait
pas changé et, même avec ce masque rouge sang, on le
reconnaissait facilement.

— Bien, bien, les affaires sont bonnes en ce moment et


cela me tient occupé la plupart du temps, dit-il d’une voix
neutre sans cesser de me fixer avec ses yeux rouges.

— Tu es venu... seul ? hasardai-je en jetant un regard


alentour.

— Oui. Mais je... vois quelqu’un. Une vampyr.

— Safir, c’est fantastique ! Je te souhaite beaucoup de


bonheur. Vraiment.

— Merci, Selenba, ça me touche beaucoup. Le blanc te


va bien tu sais, tu devrais en porter plus souvent.

— Je vais y réfléchir, souris-je. Je dois rejoindre Tara et


ses amis, tu m’accompagnes ?

— Non, on m'attend ailleurs, mais, vas-y, ne les fais pas


attendre. Portez-vous bien, toi et le bébé.

— Merci, Safir. À bientôt peut-être.

— Oui, peut-être, souffla-t-il.

Il prit ma main et y déposa un doux baiser avant de me


laisser plantée là, complètement perdue dans mes pensées,
au milieu de la foule. Je me sentais mal à l’aise, comme si
cette soirée allait m’apporter d'autres surprises que je
n'avais pas forcément envie de connaître.

Revoir Safir avait été si inhabituel... Je ne pouvais pas


dire pourquoi. Avait-il vraiment rencontré quelqu'un ou
avait-il dit ça pour me tranquilliser ? Peut-être que je ne le
saurais jamais et, à vrai dire, je n'étais même pas sûre de
vouloir connaître la vérité. Je me posais définitivement trop
de questions !

Mon corps me rappela que j’avais soif et je ne voulais


pas attendre qu'un autre évènement m’empêche de boire
un bon verre de sang. J’en attrapai un sur un plateau et
rejoignis mes amis aussi vite que je pus.

— Bonsoir ! dis-je en arrivant près d’eux.

— Oh mon Dieu ! Cette plantureuse créature a la voix


de Selenba, mais elle ne peut pas être notre vampyr !
s'exclama Cal.

— Même stature, même corps, même odeur et elle boit


du sang. C’est forcément elle, conclut Fabrice en me
humant légèrement.

— Bien vu, le louveteau, dis-je en montrant mes crocs.


Alors, impressionnés ? demandai-je en faisant un petit tour
sur moi-même.

— Tu es splendide ! me dit Tara. Ma changeline ne m'a


jamais trouvé un tel chapeau ! bouda-t-elle.

Je ris devant sa jalousie et ils éclatèrent tous de rire


avec moi.
— L’un de vous sait qui est la nouvelle petite amie de
Safir ? interrogeai-je à tout hasard.

Ils secouèrent tous la tête à l’unisson, vraiment surpris


par ma question. Cela ne m’étonnait qu’à moitié, car Safir
était trop humble et discret pour montrer sa promise sous
les feux des projecteurs. Et puis après tout, ça ne me
regardait pas. Je l’avais rejeté. Aujourd’hui, il devait se
reconstruire. Sans moi.

— On va danser ? proposa Moineau.

— D'accord ! dis-je sous les yeux ébahis de mes


camarades qui n’avaient pas l’habitude de me voir si
enthousiaste. Quoi ? dis-je en montrant un peu mes crocs.

— Rien, sourit Tara. Allons-y !

Cal lui attrapa la main, Moineau et Fabrice la suivirent


puis Robin et Sael et enfin Fafnir et Silver. Nous
retrouvâmes Mara et Archange qui étaient déjà en train de
mettre le feu à la piste de danse, sous les applaudissements
d'un groupe de spectateurs.

Finalement, je me plaisais bien à ce bal, j’étais entourée


de gens que j’aimais et je me sentais en confiance.
Évidemment, voir tous mes amis en couple me brisait le
cœur, et je ne pouvais m'empêcher d’être jalouse que Safir
ait rencontré quelqu’un alors que j'étais toujours toute
seule. Heureusement que j’avais mon enfant, mon petit
soleil qui éclairait ma vie chaque jour.

Alors qu’une série de slows passait et que je regardais


mes amis danser, un homme, affublé d’un magnifique
costume type mousquetaire, se posta devant moi, un verre
de sang bien rouge à la main. Il me le tendit sans un mot et
me proposa silencieusement de trinquer avec lui.
Interloquée, je le détaillai minutieusement
avant d'accepter. Qu'est-ce que je risquais après tout ?
J’étais venue ici pour m’amuser, pas pour faire le pied de
grue. Et pour couronner le tout, il n'était pas vilain à
regarder, bien au contraire.

Il était grand, musclé, mais à cause de ce masque doré


et de ce chapeau qu'il arborait, je ne pouvais rien voir
d’autre que ses yeux clairs. Je bus une bonne gorgée du
liquide écarlate avant de planter mon regard dans le sien.

— Est-ce qu'on se connaît? chuchotai-je en essayant de


fouiller dans ma mémoire.

Il me sourit mais ne me répondit pas. Je terminai mon


verre sous ses yeux amusés et pendant une seconde je crus
qu'il allait enfin me parler. Au lieu de ça, il prit ma main et
m'embarqua au milieu des danseurs tout en me serrant
contre lui. Sans trop savoir pourquoi, je me laissai aller,
moulant mon corps au sien et suivant ses pas de danse
experts. Je ne m’étais pas lâchée comme ça depuis bien
longtemps et ça me fit du bien. Une de ses mains se posa
sur mon dos nu, m’arrachant un frisson. Les slows
s'enchaînèrent les uns après les autres, puis vinrent les
valses.

Nous continuâmes à danser, sans échanger un seul mot.


C’était vraiment très étrange, mais seule la présence
massive de cet homme me suffisait. Je ne voyais plus rien
d'autre autour de moi. Je me noyais dans ses yeux, dans son
parfum si agréable et je le suivais sur cette piste de danse
comme une princesse lors de son premier bal.
C'était agréable, je ne pouvais pas le nier, mais il me
semblait tout de même que quelque chose clochait.
Cependant, je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Mes
instincts de Chasseur me disaient de me réveiller, mais mon
cœur me disait de continuer à m'amuser et de ne penser
à rien d’autre qu’à l’instant présent. Et surtout à lui.

À la fin des valses, mon mystérieux mousquetaire


m’amena sur un des balcons de la salle de bal et parla pour
la première fois :

— Cette robe est vraiment superbe. Elle te va comme


un gant.

— Pourquoi j'ai l’impression de vous connaître ?


chuchotai-je en fronçant les sourcils.

— Crois-moi, c'est juste une impression... dit-il en


attrapant mon menton et en plantant de nouveau ses
prunelles bleues dans les miennes, comme pour
m’hypnotiser pour de bon.

Sans en dire plus, il m’offrit un baiser long et


langoureux. Le plus beau et le plus remarquable de toute
ma longue vie de vampyr. Un vrai feu d’artifice de
sensations plus exquises les unes que les autres.
J'étais comme une poupée de chiffon entre ses mains et le
monde autour de moi n’existait définitivement plus. Je ne
voulais pas que ça s’arrête, j'étais ici à ma place, j'en étais
certaine.

Mais finalement, contre toute attente, le plus incroyable


dans tout ça, ce ne fut pas le baiser. Ce furent plutôt les
conséquences qui en découlèrent et ce qu’il déclencha
juste après. Tous les souvenirs jusqu’alors enfouis dans
mon crâne refirent soudain surface et déferlèrent dans mon
corps comme un tsunami de puissance maximale. Tout
m'apparut enfin clairement et je me maudis de ne pas avoir
découvert le pot aux roses plus tôt.
Lorsqu'il me relâcha, j’étais partagée entre la colère et
l'émotion alors qu'il souriait encore sournoisement et que
des petites étincelles pétillaient dans ses yeux clairs.

— Toi ? demandai-je complètement ahurie.

— Chhhh... Ce sera notre petit secret.

— Mais comment ? Les gardes ?

— Selenba, voyons, tu oublies qui je suis.

— Pourquoi revenir ? Pourquoi aujourd'hui ?

— Tu ne devines donc pas ? Pour le voir bien sûr. Et il


est magnifique. Tout comme toi, dit-il avant de déposer un
dernier baiser torride sur mes lèvres encore brûlantes et de
s’enfuir dans la nuit sans que je ne puisse rien faire pour
l’en empêcher.

Ça alors ! Je n'en revenais pas ! Comment était-ce


possible ? Je m'étais encore fait avoir comme une
débutante. J'aurais dû le reconnaître !

— Brolk de slurk ! jurai-je en donnant un coup de pied


dans le mur.

J'avais envie de hurler ma colère, de partir à sa


poursuite, mais je ne pouvais pas alerter la sécurité,
comme ça, sans preuve tangible. En plus, le connaissant, il
était sans doute déjà loin.

Derrière moi, des rires et des gloussements me firent


reprendre mes esprits et le magicgang fut bientôt autour
de moi, à me questionner vivement sur ce mystérieux
inconnu qui m'avait accaparée pendant toute la durée du
bal. Ils pouffaient tous en même temps, formulant
des hypothèses plus abracadabrantes les unes que les
autres. Ils formaient une telle cacophonie que je pouvais à
peine répondre.

— Silence ! ordonna Cal. Laissez-la s'exprimer.

— Vas-y Selenba, dis-nous qui c'était, me supplia


Moineau. Personne ne l’a jamais vu par ici.

— Je... J'ai... bégayai-je lamentablement.

— Quoi ? s’exclamèrent-ils tous en chœur.

— Je crois que j’ai embrassé Magister.

Fin
[1] Il y a cinq mille ans, les gens étaient plus pragmatiques qu’aujourd’hui.
Donc, les mois sur AutreMonde s’échelonnent entre le kaillos qui serait
l’équivalent de notre mois de janvier et le faicho, l’équivalent de notre mois
d’août... voilà, voilà...
[2] La raison pour laquelle les krakdents, animaux extrêmement dangereux
d’AutreMonde, ressemblent à d'inoffensives et tendres peluches roses, c’est
qu'ils imitent les douxdoux, qui sont effectivement d’inoffensifs et tendres
animaux lémuriens roses aux grands yeux adorables, vivant un peu partout sur
AutreMonde.
PS : Ce que les douxdoux trouvent très bien, parce que tout le monde les fuit,
ne sachant pas si ce sont des krakdents ou des douxdoux.
[3] Pour éviter qu'un imitateur ne passe la sécurité, les portes ont été équipées
de lecteurs d’ADN, puissantes souffleries qui analysent les arrivants. Il vaut
donc mieux éviter d’aller chez Tara avec une super coiffure sophistiquée sous
peine de rapidement ressembler à une serpillère mal essorée...
PS : Au grand dépit de Xandiar, le truc ne fonctionne pas du tout sur les
Changelins, qui « copient » l’ADN de leurs victimes.
PPS : Les cauchemars les plus sombres du chef des gardes incluent donc
souvent Tara ou Lisbeth et un Changelin assassin.
[4] Lorsqu’ils sont ordonnés chamans, quelle que soit leur spécialité,
vétérinaires, médecins, chercheurs, etc., les chamans doivent abandonner leur
nom d’origine et choisir un nom parmi les noms prestigieux des chamans qui
les ont précédés, marquant ainsi qu’ils ne sont plus elfes, tatris, ou gnomes,
mais praticiens au service universel de la santé.
PS : Hélas pour les chamans modernes, les anciens avaient la fibre poétique et
se nommaient souvent Roseau sous le vent ou Herbes courbées par la tempête,
ce qui n’était pas facile, facile comme prénoms, d’autant qu’il y avait des tas de
façons pour les herbes d’être courbées/ployées/déracinées/emportées/etc. sous
le vent...
[5] En fait, c’étaient les parents de Cal, Voleurs Patentés tous les deux, qui
avaient acheté l’hydre pour garder leur maison et leurs trésors, mais aussi
comme animal de compagnie pour leurs nombreux enfants. Cal avait appelé
l’hydre « Toto ». Lorsque Robin s’était lié avec l’hydre, il l’avait rebaptisée
Soul. Parce que Toto, quand même, ne lui semblait pas très digne comme nom
pour son Familier.
PS : L’hydre se fichait de son nom du moment que le poisson était frais et que
son maître s’occupait d’elle.
[6] Il s’était produit pas mal de changements politiques récemment chez les
elfes. L’ancienne reine avait été assassinée par la nouvelle reine qui avait été
démasquée et coulée dans l’argent.
PS : À ceux qui se posent la question : non, ce n’est pas une métaphore pour
dire qu’elle avait été emprisonnée dans une cage en argent. Les elfes étant
assez créatifs en termes de torture, créaient de jolies sculptures avec les
condamnés à mort en les coulant dans de l’argent en fusion.
PPS : La nouvelle reine, après tout ce qui était arrivé aux deux précédentes,
était légèrement paranoïaque. On la comprend...
[7] 26 heures, 454 jours pour faire le tour de ses deux soleils, AutreMonde est
une GROSSE planète, si, si.
[8] Parfois les plus âgés ou les plus intellectuels de mes lecteurs me reprochent
les termes un peu enfantins des créatures d'AutreMonde. Héééé, les gars, ce
n’est pas moi qui invente tout ça, je me contente juste de traduire ce qu’ils me
disent ! Et la traduction de boîtes-poubelles mobiles-voraces, d’omoisien à
terrien, quelle que soit la langue terrienne choisie, ben, désolée, mais ça donne
pouf-pouf.
[9] Les balbounes sont rouges, contrairement à nos baleines bleues. Et elles
composent des chants magnifiques qui sont enregistrés par les tritons et les
sirènes et diffusés sur tous les mondes, gratuitement, les balbounes ayant
refusé d’être payées pour chanter.
PS : Rapace Amoipasatoi, le célèbre producteur, obsédé à l’idée des fortunes
perdues par les balbounes, s’est d’ailleurs noyé en essayant de les convaincre
de lui confier leurs intérêts.
PPS : Contre 15 % bien sûr.
PPPS : On soupçonne que sa noyade n'est pas tout à fait accidentelle.
PPPPS : Ce qui prouve qu’il ne faut pas ennuyer les balbounes avec des
questions d’argent.
PPPPPS : Enfin, en ce qui concerne leur art, parce qu’elles vendent leur lait et
leur beurre une véritable fortune. Parce que bon, faut pas abuser non plus...
[10] En fait, il lui avait envoyé trois de ses plus puissants guerriers afin de la
forcer à revenir, menottée si nécessaire. Elle les lui avait renvoyés. Enfin ce
qu’il en restait.
Dans trois boîtes. Petites, les boîtes.
[11] Suite aux manipulations de la Reine Noire, le très petit et très mince Cal
(ce qui lui était utile dans sa carrière de Voleur) s’était bêtement retrouvé à
plus d’un mètre quatre-vingts avec de très larges épaules. Ce qui l’ennuyait
considérablement. PS : Tara, elle, trouvait ça très bien...
[12] La majorité des grands symboles nobles étant déjà pris, notamment par les
pays, comme les licornes, les lions, les dragons, les loups, les vrrirs, les oiseaux
rocs, etc., les gens se rabattaient sur des animaux moins prestigieux ou sur les
insignes de leurs métiers. Un charcutier, par exemple, avait choisi une tête de
crouiccc sur deux saucissons croisés. En remettant la décoration, Tara, qui
était de corvée ce jour-là, avait failli mourir de rire.
[13] Les centaures sont persuadés qu’en léchant les grenouilles bicolores
venimeuses ils ont des hallucinations qui leur permettent de voir l’avenir. Le
fait qu’ils se fassent battre à plate couture par les peuples avec qui ils sont en
guerre fait fortement douter de l’efficacité de la méthode.
PS : Les centaures ne sont pas très réputés pour leur intelligence...
PPS : C’est sans doute à cause d’eux qu’existe le proverbe terrien : « Il est bête
à manger du foin. »
[14] Les maîtres de hordes sont les dirigeants des tribus centaures. Ils
portent des noms assez curieux du type : Troispattesauncanard ou
Yapalfeubondyeux ou encore Onadupainsur-laplanche. Personne ne sait d’où
viennent ces noms, mais les Troispattesauncanard sont réputés et ont un
glorieux passé de combattants.
PS : Comme quoi il faut se méfier des canards tripèdes...
[15] Vous voyez, il y a plein de variantes !
[16] Le kmir est une boisson produite à partir d’herbes, de lait de jument
fermenté et de jus de crapaud. On pense que beaucoup des guerres des
centaures ont commencé par des abus de kmir, bien connu pour provoquer
d’étranges hallucinations.
PS : Hallucinations très familières pour les puissants de ce monde commençant
souvent par «et pourquoi c’est pas moi qui suis sur ce trône» ou encore «elle
m’irait nettement mieux qu’à lui, cette couronne»...
[17] Ben quoi, vous êtes marrants aussi, ce n’est pas si facile à décrire !
[18] La traduction serait « qu’il avait merdé ». Mais dans les centaures font du
crottin... alors j’ai adapté.
[19] Contrairement aux femmes humaines, les centaures les plus grasses, aux
robes luisantes de santé et au poil brillant, sont le modèle de beauté des
hordes. Donc, pour elles, perdre du poids, c’est terrible et en prendre, c’est
génial.
PS : Les veinardes !
[20] Le nom dragon de Sylver est Sylverchandoulivu, ce qui signifie Étoile
d’argent. Lorsqu’à la mort de sa mère le bébé fut confié aux nains, ceux-ci lui
donnèrent leur nom de famille, Claquétoile, ce qui, d’une certaine façon, n’était
pas très loin de son véritable nom, bien que ce soit une étonnante
coïncidence...
PS : Ou pas. On ne sait jamais avec les dragons.
[21] Sorte de rats verts pas très malins, vu qu’ils rongent les bateaux sur
lesquels ils habitent et finissent par les couler, se noyant au passage.
PS : Les krok-requins et autres bestioles aquatiques trouvent les trrrs
absolument formidables.
[22] Ce mot n’existe pas. Pourtant, les moustiques sont clairement
sanguinophiles. Il faudrait faire quelque chose quand même et avertir le
Larousse ou Wiki...
[23] Enfin, d’un bond, c’est beaucoup dire. Disons que le processus aurait
laissé à Selenba beaucoup de temps pour mourir le temps que Tara se lève...
[24] Pour ceux d'entre vous, filles comme garçons, qui se fichent du vernis
comme de leur premier bavoir, et qui se demandent pourquoi je leur inflige ça,
permettez-moi de rappeler que je ne fais qu’écrire ce que cette bande de
dingues me raconte. Le commentaire que m’a fait Robin lorsqu’il a décrit la
scène fut du genre : « Et là, la démone a sorti du vernis à ongles, après avoir
hurlé à me faire sortir de mon pantalon tellement j’ai eu peur. Non, mais
sérieusement ? Mais qu’est-ce que vous avez, vous, les filles, avec le vernis ? ».
Donc soyez contents, parce que j’ai résumé. J’aurais pu vous en mettre double
dose, depuis la pose de la base jusqu’au vernis en passant par le top coat et
l’huile séchante... et je ne parle même pas du semi-permanent avec lampe UV
et autres machins encore plus compliqués.
[25] Il a tort. Elle peut le faire exécuter même sans avoir besoin de claquer des
doigts. Quand on défie une impératrice un chouia caractérielle, on est prié de
ne pas oublier ce léger détail...
[26] Non, pas le même que celui de Cal. Sinon Sandor vacillerait nettement
plus...
[27] Sauf que «plumé», ça veut dire qu’on a retiré les plumes... me voilà donc
avec un vrai problème, toutes les suggestions sont les bienvenues...
[28] Petit rappel à ceux qui ricanent, le château de Versailles compte 2 300
pièces sur 63 hectares (plus 815 ha de parcs et jardins et, avant la Révolution,
couvrait 8 000 ha de terrain) et tiendrait dans l’avant-cour du Palais de
Tingapour, qui, lui, couvre plus de cinq cents kilomètres de circonférence,
notamment à cause des immenses parcs intérieurs et extérieurs. D’où les
portes de transfert intérieures et le fait que les différents Empereurs et
Impératrices d’Omois aient toujours jugé qu’un peu d’activité physique ne
faisait pas de mal à leurs administrés.
[29] Par égard pour Fabrice, Tara avait fait remplacer toute l’argenterie par de
l’acier. Sauf que, bien sûr, lorsque l’Impératrice avait appris que son Héritière
dînait avec de vulgaires couverts en acier, elle avait fait remplacer lesdits
couverts par une ménagère entièrement en or, incrusté de rubis pour aller avec
la vaisselle.
PS : Tellement omoisien comme réflexe !
[30] Si, si, je rappelle que la semaine omoisienne dure 10 jours...
mouuuaahahh.
[31] Selon Sanhexia, qui a très vite compris les avantages de la self promo.
Cela dit, la plupart des magazines d’AutreMonde ayant commencé très vite à
l’appeler comme ça avait prouvé a lu démone qu’elle avait raison.
PS : Comme quoi...
[32] Tara ayant décidé de faire un remake de l’explosion de l’étoile de la mort,
la seconde lune, Tadix était en pleine reconstruction après avoir implosé.
PS : Oui, je sais, sur ce livre-là le budget du film va être épique.
[33] En fait, les Familiers ne formulent pas exactement des phrases, mais plutôt
des sentiments. Mais à force de communiquer, les sortceliers et les Hauts
Mages finissent par avoir l’impression de tenir de véritables discussions.
PS : Évidemment, lorsque les Familiers sont en colère contre eux, c’est fou
comme soudain les sortceliers et les Hauts Mages ont du mal à les
comprendre...
[34] C’était un euphémisme de dire qu’elles étaient moins fiables. Elles étaient
carrément dangereuses et capables d’envoyer un bout de quelqu’un à un
endroit pendant que l’autre bout restait sur place. Que les gens continuent
quand même à les utiliser relevait du désordre psychiatrique...
[35] En fait, même s’il arrivait à un endroit qu’il n’avait absolument pas choisi.
PS : Comme à l’intérieur d’une montagne. Ou au fond d’un océan. Les
assureurs autreMondiens devaient avoir une imagination fertile pour couvrir
tous les risques...
PPS : Après avoir lu les mille huit cents pages couvrant toutes les possibilités, il
restait deux options : ou le truc super urgent n’était plus urgent, parce qu’il
faut quelques heures pour lire autant de pages, ou c’était toujours aussi super
urgent, mais des gens un peu verdâtres s’éclipsaient discrètement en réalisant
que, finalement, prendre les transports normaux, ce n’était pas si mal...
[36] Si, si. Sorcières. Pas des sortcelières. Vertes. Avec des verrues, des balais,
des potions et des chauves-souris, sans oublier des araignées, des rats, etc.
Leur nom vient des vêtements sombres qu’elles portent. Elles utilisent une
autre forme de magie, faite de mort et de pourriture.
PS : On les appelle les sorcières noires parce qu’elles ne se lavent pas souvent.
Ce qui fait qu’il est assez facile de détecter une sorcière noire. À l’odeur...
[37] En fait, non, Selenba réussissait l’exploit d’être quasiment invisible, en
dépit de son état, ce que Tara trouvait particulièrement injuste.
[38] Les brougs sont des sortes d’huîtres d’AutreMonde, sauf que leur chair est
d’un joli rose et qu’elles font des perles magnifiques. Le seul problème, c’est
qu’elles se nourrissent de nutriments, mais également en incorporant les
particules de métaux qui flottent dans l’eau des océans, dans leur coquille. Pour
ouvrir une broug, il faut se lever tôt et, de préférence, se munir d’un
chalumeau...
[39] Comme il n’y a personne dans la pièce pour reprendre Cal, je rappelle que
l’expression terrienne est : « Revenons à nos moutons », c’est-à-dire, quittons
les possibilités pour revenir dans le réel. Sauf que notre ami Cal a un peu de
mal avec les expressions terriennes.
[40] Mourmur ayant la fâcheuse propension à ne dormir que très peu et à faire
exploser les choses d’une façon aussi bruyante qu’inattendue, c’était la seule
solution qu’avaient trouvée les pauvres bêtes pour ne pas être réveillées en
sursaut toutes les heures.
PS : Parce que franchement, pour des bêtes de combat, mourir d’une crise
cardiaque, ça manquait quand même de dignité...
[41] Le fantôme d’Eleanora cohabite avec Sanhexia, même si elles partagent
plus leur goût des beaux garçons que de la mode, pour le coup, El préférant les
poignards et les armes aux stilettos.
PS : Sanhexia pense qu’elle a tort, parce que les stilettos sont des armes elles
aussi, pour amener les garçons à leurs pieds...
[42] Si, si, contrairement à nos vampires classiques et aux zombies, les
vampires d’AutreMonde ne sont pas morts. Bien que leur température
corporelle soit effectivement plus basse que celle des autres races, les vampyrs
ont le sang chaud, à une température d’environ 30 °.
PS : Ce sont les vampyrs eux-mêmes qui ont communiqué cette information,
parce que celui qui prendra du sang à un vampyr pour faire des expériences
risque de voir sa vie fortement raccourcie...
[43] Selenba n’est pas tout à fait juste. Cette fois-ci, ce n’était pas Tara qui
avait fait exploser la lune, mais les bombes posées par l’Impératrice. Au
contraire, Tara et Jeremy avaient sauvé tout le monde en empêchant la lune de
devenir un trou noir qui aurait englouti AutreMonde.
PS : Bon, cela dit, personne ne conteste que les choses ont tendance à exploser
lorsque Tara est dans les parages...
[44] En fait de liens, elle était surtout connue pour ceux qu’elle avait
assassinés. Dont notamment le célèbre chef des Brigades Noires, le sombre
seigneur TuKill...
[45] Le temps est plus long sur AutreMonde, car la rotation de la planète est
plus longue autour de ses soleils et sur elle-même.
[46] Sur Terre, nous avons un proverbe identique : «À cheval donné, on ne
regarde pas les dents. » Bon, franchement, si on me donnait un cheval,
effectivement, je commencerais par regarder son dos et ses sabots...
[47] En réalité, les assassins étaient censés toujours avoir leurs armes sur eux.
Sauf au quartier général, suite à une succession regrettable d’incidents
mettant en jeu des couteaux divers et variés et les
poitrines/ventres/gorges/fronts de plusieurs Grands Maîtres. Après une
subite allergie des nouveaux dirigeants, les armes étaient donc interdites à
l’intérieur des zones entourant les appartements du Grand Maître, où se trouve
précisément Cal en ce moment.
[48] En fait, si. Un anthropologue, ou plutôt un nanologue très réputé, avait
expliqué aux ancêtres Forgeafeux de Fafnir qu’ils utilisaient constamment la
magie. Et qu’il lui suffisait de conduire quelques expériences pour le prouver à
AutreMonde en entier.
PS : Son squelette sert encore en cours pour montrer aux jeunes nains la
différence entre les morphologies naines et les morphologies humaines...
[49] Enfin, pour ceux qui avaient un dos, les camhboums par exemple,
ressemblant à des mottes de beurre entourées de tentacules et d'une couronne
d’yeux rouges, n’en ont pas...
PS : Leur expression pour froid dans le dos était « On frémit à la circonférence
».
[50] Les Terriens ne le savent pas, mais leur crème Chantilly a conquis
l'univers...
[51] Équivalent centaure de « tu l’as fait sortir de ses gonds », vu qu’il n’y a ni
portes ni gonds chez les centaures.
[52] À part Selenba qui avait trouvé cela extrêmement amusant, tous ceux qui
ont eu le malheur de monter un jour sur l’un des tapis supersoniques de Kyla
l’ont beaucoup regretté.
[53] Oui, pardon, j’ai oublié de vous dire, donc, Fleur s’est marié. Il y avait
plein de monde à son mariage, vu que Fleur avait un peu sauvé AutreMonde en
sauvant Tara avec le Château Vivant et Cal, lors de l’Invasion Fantôme et ils
avaient fait la fête et oui, c’était génial, sauf que maintenant, Fleur, qui a un
peu de mal à gérer le stress, panique complètement à l’idée d’avoir un petit
cyclope.
[54] Maladie spécifique aux sortceliers, qui bloque les articulations au point de
les paralyser s'ils ne sont pas soignés. Ceux qui en sont atteints émettent des
espèces de grincements lorsqu’ils se déplacent, d’où le nom de grinchette. Les
malades sont appelés des grincheux.
PS : Il y en a des tas sur terre en fait...
[55] On se dit souvent que ce serait cool d'avoir des pouvoirs, d’aller sur une
planète magique, d'avoir des aventures incroyables, etc. On oublie aussi les
blessures, les maladies et les ennemis féroces. Comme quoi, toute pièce a son
revers...
PS : Dangereux, le revers.
[56] S’il était un cheval terrien, en fait, Galant pèserait à peu près une tonne,
comme un percheron, même si les pégases sont nettement plus fins. Mais grâce
à la magie et à ses os creux, il pèse nettement moins.
[57] Depuis Einstein, c’est très à la mode d’être ébouriffé, pour un savant.
[58] « Des bâtons dans les roues. » Les dragons sont un peu plus excessifs
dans leurs métaphores.
[59] Qui a été mordu par Selena, elle-même mordue par T'eal et transformée en
loup-garou. Donc elle a transformé Magister en loup-garou lui aussi (OK, en
essayant de le tuer, donc elle avait une bonne excuse). Lui conférant ainsi bien
involontairement une quasi-invincibilité, une presque immortalité et une
puissance physique accrue, d’autant plus appréciable pour lui qu’il avait perdu
le pouvoir des âmes démoniaques, libérées par AutreMonde.
PS : Pour le coup, Tara en avait un peu voulu à sa mère. Comme si Magister
avait besoin de ça pour être nuisible !
[60] Contrairement à la Terre, les tatris sages-femmes sont considérées comme
des médecins sur AutreMonde et bénéficient donc du même régime de retraite.
PS : Eh oui, il y a aussi ça sur AutreMonde...
[61] Ni Apple ni Dell ni les autres n’ont encore réussi à nous créer l’équivalent
de l’ordimagic qui combine ordinateur, scanner et imprimante en même temps.
[62] Instrument utilisé par les camhboums, musiciens à tentacules, et
comportant deux mille cordes.
[63] En réalité, c’était exactement la teneur du premier message de Lisbeth, un
chouia énervée, Cal avait eu toutes les peines du monde à le lui faire changer.
PS : Le second message disait : « Ou alors je les donne en pâture à mon
adorable krakdent. » Ça aussi, Cal avait dû lui faire modifier.
PPS : Lisbeth était totalement pour l’action directe et jouait beaucoup sur la
peur qu’elle inspirait. Et qui venait de doubler grâce à son Familier. Surtout
lorsqu’il bâillait.
PPPS : En fait, elle avait raison.
[64] Oui, bon enfin, pas Sherlock, n’étant pas articulé, l’ordinateur ne risquait
pas de se pencher...
[65] Surtout quand on voit s’abattre le couteau vers son cou exposé et qu’on a à
peine le temps de penser « meuuuuhhhh ! » ou encore « maouuuuu, baouuuuu,
maouuuu » qui est le cri du bourbule verruqueux. Qui ressemble un peu à une
sorte d’hippopotame très placide, d’un jaune bilieux et noir et doté de grandes
dents plates pour broyer la végétation coriace des Marais de la Désolation.
PS : Verruqueux, parce qu’effectivement le pauvre bourbule a plein de verrues
un peu partout sur le corps. D’où l’expression d’AutreMonde qui dit, lorsqu’on
a une maladie avec des boutons un peu partout : « Boutonneux comme un
bourbule verruqueux. »
[66] Tara exagère un peu, vu qu’AutreMonde est juste une grosse planète
consciente. Mais du point de vue des sortceliers, effectivement, AutreMonde
pourrait être considérée comme une sorte de déesse, vu qu’elle est toute-
puissante et bienveillante et les a sauvés d’une mort horrible et d’un esclavage
pour l’éternité.
[67] Lorsqu’elle avait parlé des halètements que pratiquaient les humains,
censés atténuer la douleur grâce à une oxygénation fractionnée, le chaman
vampyr Herbes noires tranchant le vent avait éclaté de rire. Et lui avait fait
promettre de revenir à Urla en temps et en heure afin de s’occuper de la
naissance de son bébé au lieu de raconter n’importe quoi.
[68] Surtout à cause du fait qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire
pour aider Selenba à accoucher.
[69] Véridique, quoi qu’un peu plus complexe que ça. En réalité, l’équipe du
professeur Nicolas Gisin de l’UNIGE à Genève en Suisse a placé deux protons «
jumeaux », A et A’, à vingt-cinq kilomètres de distance l’un de l’autre. Puis ils
ont fait se percuter A avec un autre proton, X, qui possédait des particularités
et des informations différentes. Or ils ont constaté qu’à vingt-cinq kilomètres
de là et alors qu’à aucun moment A’ n’a été touché par X, les informations de X
étaient copiées fidèlement par A’, comme si X s’était dématérialisé pour se
rematérialiser en A’.
[70] Façon de parler, hein, les dragons n’ont pas de blanc des yeux, puisque,
comme pour les serpents, la totalité de leurs yeux est couverte par leur pupille
et leur iris. Donc, en fait, il faudrait dire « le dragon et le savant se regardèrent
dans le jaune et le blanc des yeux»...
[71] Il a eu raison...
[72] Effectivement, après avoir recherché dans les archives d'AutreMonde, il
était noté qu’une certaine Dame Labalier s’était liée avec un kré-kré-kré à l’âge
honorable de quatre cent cinquante-quatre ans, juste avant, hélas, de passer
l’arme à gauche sous le choc.
PS : Son cas est également enregistré comme la plus courte fusion jamais vue
sur AutreMonde.
PPS : Le kré-kré-kré survécut jusqu'à un âge avancé, n’ayant pas très bien
compris ce qui s’était passé et ne s’étant pas lié assez longtemps pour ressentir
le choc en retour. Cela dit, qu’il n'ait rien compris n’avait rien de surprenant,
les kré-kré-kré étant des sortes de lapins jaunes particulièrement crétins...

Vous aimerez peut-être aussi