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NOTES DE COURS D’ECONOMIE RURALE GENERALE

Prof. Dr. MUJINGA KAPEMBA Alain

Année Académique 2019-2020

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Chapitre I : Objet de l’économie rurale et spécificité du secteur agricole

I.1. Origine de l’économie

Remonte au début du XXème siècle avec la prise de conscience des agronomes des
Universités de Cornell et de Minnesota selon laquelle la compétence à cultiver les plantes
et élever les animaux n’était pas suffisante pour la réussite de la profession. Ils furent
suivis par Land Grant Universities americaines qui créèrent leur propre département
d’économie agricole et de nombreuses universités américaines et européennes.

1.2. Champ d’investigation

Centré au départ sur l’allocation des ressources au sein d’une exploitation agricole. Très
vite, s’est étendu à l’économie de la production (compris de la terre et du capital), et à
l’analyse de risques et de marchés agricoles.

Avec la mondialisation des échanges et l’intervention de plus en plus sophistiquée de


l’Etat sur les marchés agricoles, le champ d’application de l’économie rurale s’est
diversifié en intégrant les politiques agricole et alimentaire, politiques commerciales, et
l’organisation industrielle de secteur agro-alimentaire.

Ces 20 dernières années, on note 5 nouveaux domaines d’études : l’économie de ressource


naturelle et de l’environnement, l’économie spatiale, l’économie de la consommation
alimentaire, et le développement rural dans les PVD.

1.3. Définition de l’économie rurale

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l’étude de problèmes économiques relatifs aux activités humaines en milieu rural,
particulièrement celles liées au secteur agricole et agroalimentaire mais aussi celles liées à
d’autres secteurs économiques en milieu rural. Mais la frontière entre le rural et urbain est
difficile à maintenir.

L’étude de l’économie rurale porte sur un système complexe comprenant essentiellement :


les ressources naturelles (terre, forêt, eau, pâturage, etc.), les exploitations agricoles, les
entreprises agro-industrielles, les petites et moyennes entreprises en milieu rurale et les
organisations gouvernementales qui encadrent le secteur agricole, le secteur agro-
industriel et le monde rural, etc.

La complexité d’un tel système et les questions qui se posent dans un système ou les
techniques, les vivants et les humains sont imbriqués ont nécessité le développement de
l’économie rurale comme un domaine scientifique multidisciplinaire lui permettant de
faire appel aux sciences naturelles, sciences économiques et sciences sociales et politiques.

Aux spécificités de ce système complexe, s’ajoutent les nouvelles préoccupations de


l’économie rurale:
1. La conservation de l’environnement rural
2. La gestion durable des ressources naturelles
3. L’organisation de l’espace rural
4. La sécurité alimentaire
5. L’organisation de la filière agro-alimentaire de la terre à la table,
6. La mondialisation des échanges agro-alimentaires
7. Le maintien et la stabilité de revenus agricoles,
8. la rigidité des investissements en agriculture,
9. L’importance du progrès technique en agriculture
10. Le caractère familial de l’exploitation agricole

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1.4. Contribution de l’économie rurale aux sciences économiques

Nombreux développements méthodologiques novateurs en sciences économiques, tels


que Econométrie de la production et de données de panel, théorie de l’innovation
induite, économie de la recherche et développement, la théorie économique de ménage,
etc. Les économistes agricoles ou ruraux sont reconnus pour leur connaissance
approfondie de problèmes et réalités de leur champ d’applications justifiant l’expression
selon laquelle « Agricultural economists are real people »

I. 2 : Spécificités du secteur agricole et rural

2.1. Spécificités du secteur agricole

Le secteur agricole qu’étudie l’économie rurale, est un système complexe des relations
physiques, biologiques et socio-économiques. Ce sont les spécificités de ce système qui
ont conduit à ce que des économistes l’étudient de façon particulière. Ce sont aussi ces
spécificités qui ont fait à ce que ce secteur reçoive une attention particulière du pouvoir
public et, notamment, qu’il bénéficie de mesure de soutien. On peut identifier quelques
particularités fondamentales de ce système:
1. Système constitué d’organismes vivants (cultures et animaux) sujets à des cycles
biologiques et à des risques climatiques et sanitaires. Productions caractérisées par
une saisonnalité et un cycle (par exemple le cycle des prix et productions des viandes
bovines et porcines), d’une part, et sont peu contrôlables et imprévisibles, d’autres
part. Par conséquent, les activités de surveillance au sein de l’entreprise agricole sont
importantes.
2. Les productions de ce système dépendant de ressources naturelles telles que la terre
et l’eau : Parce que les productions végétales et, dans une moindre mesure, les
productions animales de ce système sont exigeantes en terre. Les activités de
déplacement et de transport peuvent donc être considérables et limiter la taille de

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l’entreprise agricole. Pour certaines productions végétales, un apport momentané en
eau est nécessaire.
3. La demande pour les produits agro-alimentaires est rigide : La demande pour les
produits agro-alimentaires est généralement peu sensible à des modifications de prix
(King) et de revenus (Engels). Combinée à des fluctuations de l’offre, la rigidité de la
demande par rapport au prix entraîne des fluctuations de prix importantes en
l’absence de politique de régulation.
4. La main d’œuvre agricole est relativement peu « mobile » : Cette faible mobilité de
la main d’œuvre agricole justifie des interventions du pouvoir public en vue de
soutenir les revenus agricoles. Particulièrement dans des situations de chômage
généralisé.
5. Les investissements de l’entreprise agricole sont importants : Associés au mouvement
cyclique des productions végétales et animales et à la périssabilité de leurs produits,
l’importance des investissements et donc de la part des coûts fixes dans les coûts
totaux de l’entreprise agricole expliquent l’inélasticité de l’offre de la plupart des
productions agricoles dans le court terme. La courbe d’offre de certaines de ces
productions peut parfois être faiblement réversible. Dans ce cas, des erreurs
commises lors des décisions d’investissements peuvent être conséquentes
6. Le secteur agricole est constitué de petites entreprises familiales : La fonction
objective de ces entreprises familiales est souvent une combinaison de plusieurs
objectifs associant plusieurs preneurs de décision. En présence d’entreprises de
grande dimension en amont et en aval ; ces petites entreprises familiales peuvent être
handicapées par leur faible pouvoir de négociation. Cette faiblesse de pouvoir de
négociation explique l’importance du mouvement associatif en milieu agricole dans
certaines régions et la mise en place de politique de soutien des prix et des revenus
par le pouvoir public.
7. Les coûts de transaction de l’entreprise agricole peuvent être importants. Dans
certaines régions, la dispersion des exploitations dans l’espace augmente le coût
d’accès à l’agrofourniture, aux débouchés et à une information fiable.

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8. Le progrès technique en agriculture est important. Le progrès technique en
agriculture est important et est rapidement diffusé dans le milieu agricole. En
absence de politique de régulation, le gain de productivité du progrès technique
profite aux consommateurs.
9. L’agriculture joue des multiples fonctions. Actuellement, l’agriculture est de plus en
plus reconnue comme jouant un rôle dans la vie rurale et l’entretien et la préservation
des paysages. Les fonctions de l’agriculture deviennent donc multiples et couvrent :
la production des produits alimentaires ; l’utilisation des ressources naturelles ;
l’action sur le paysage, la vie économique des campagnes, la biodiversité, etc.
10. Le développement du secteur agricole est fortement lié au développement de la
qualification de la main d’œuvre. D’où l’importance : des qualifications techniques ;
de la capacité de gestion ; de la capacité de l’organisation ; de la capacité
d’anticipation des entrepreneurs agricoles et de bonnes capacités de gestion ont joué
un rôle déterminant dans le développement de l’agriculture occidentale. Ces capacités
sont importantes pour les décisions quotidiennes, saisonnières, annuelles et
exceptionnelles.

2.2. Caractéristiques du monde rural

Généralement le monde rural est caractérisé par les éléments suivants :

 L’homogénéité : la vie des habitants semble être homogène, tout le monde a


tendance à faire la même chose (l’agriculture, la pêche, la cueillette et la chasse);
 Les relations sont face à face ;
 Il n’y a pas d’anonymat, tout le monde connaît tout le monde ;
 Les gens sont soumis à la coutume et aux règles de la tradition ;
 Le contrôle social est très fort ;
 Moins de pathologie sociale (délinquance, criminalité, prostitution, vol et
phénomène enfant de la rue).

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Chapitre II : Rôle de l’agriculture dans le développement économique

Il existe une très forte corrélation entre la croissance agricole et la croissance générale de
l’économie. Mais, cela implique-t-il que la croissance agricole est le moteur de la
croissance économique? Certains économistes du développement dans les années 1950 et
1960 considéraient l’agriculture comme un réservoir de ressources à être transférées vers
l’industrie, l’engin présumé de la croissance. Cette vue était justifiée par la tendance
séculaire des termes de l’échange à se tourner contre les pays exportateurs des produits
primaires et importateurs des biens manufacturés, d’une part; et d’autre part, par
l’importance plus forte des effets d’entraînement des investisseurs industriels dans le reste
de l’économie et dans la croissance économique.
Pour ces économistes, puis ce que l’agriculture est un secteur en déclin relatif, il n’est pas
nécessaire de mettre en œuvre des politiques et d’investir directement dans la
modernisation de l’agriculture. Le développement agricole n’était pas perçu comme une
priorité ou une condition nécessaire à la croissance. D’autres économistes du
développement ont par la suite mis en évidence l’interdépendance entre la croissance
agricole et la croissance pour notamment éviter la pénurie alimentaire qui pourrait
ralentir la croissance dans les secteurs non agricoles.
Johnston et Mellor (1961) ont mis à leu tour en évidence le rôle central de l’agriculture
dans la stimulation du processus de croissance à travers les relations avec d’autres secteurs
de l’économie. Ces auteurs ont identifié cinq manières par lesquelles l’agriculture peut
contribuer à la croissance générale:
 En augmentant l’offre alimentaire pour la croissance domestique,
 En fournissant de la main d’œuvre pour l’emploi industriel,
 En augmentant l’offre d’épargne domestique,
 En gagnant des devises,
 En servant de débouchés pour les biens industriels produits dans le pays.
Ces auteurs mettent l’accent sur les interdépendances entre l’agriculture et l’industrie.
L’agriculture est davantage perçue comme un lien dynamique où il faut non seulement

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créer les conditions pour augmenter la production agricole par des politiques
d’investissement, particulièrement dans le domaine des infrastructures et des nouvelles
technologiques, mais aussi stimuler les liens de marché au reste de l’économie.
Dans les pays occidentaux le développement agricole a été à la base de la révolution
industrielle en :
 Fournissant les aliments pour les travailleurs industriels ;
 Fournissant les matières premières pour l’industrie ;
 Fournissant la main d’œuvre pour l’industrie
 Fournissant le capital pour l’industrie ;
 Et l’agriculture constitue un débouché pour les industries.

Dossier de lecture sur le rôle de agriculture dans le Développement économique d’un


pays
Contexte Général de l’Agriculture Africaine
Le paradoxe

La production alimentaire mondiale s’est améliorée ces dernières décennies. Elle s’est
accrue parfois plus rapidement que la population mondiale au fil des années, à cause des
nouvelles technologies agricoles, de la réduction des coûts de production et de
l’amélioration des circuits de commercialisation. Les progrès ont été spectaculaires en
Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest.
Cette partie du monde est passée d’une situation de déficit alimentaire dans les années
1950 à une situation excédentaire de nos jours. Nombreux également sont les pays d’Asie
à avoir profité de la révolution verte pour devenir presque autosuffisant actuellement.
C’est le cas des pays comme l’Inde, la Chine où la situation alimentaire était plus critique
qu’en Afrique sub-saharienne au début du 20èm siècle.
Quant à l’Afrique, la situation alimentaire s’est détériorée. En effet, c’est le continent le
plus vulnérable à l’insécurité alimentaire avec un revenu plus bas par habitant et une
rapide croissance de la population. Le continent est passé ces 30 dernières années d’une

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situation d’autosuffisance alimentaire à une situation de dépendance vis-à-vis de
l’extérieur pour 1/5 de sa nourriture. La production agricole ne permet de couvrir (en
moyenne) que 87% des besoins en calories des populations (Engelman, 1995). Au même
moment, le continent plus que tout autre connaît sécheresse et désertification. Il n’a donc
pas réussi à réaliser sa transition agricole. Les performances de l’agriculture sont restées
médiocres. Le contraste entre la stagnation de l’agriculture en Afrique (particulièrement
en Afrique Sub-Saharienne) et l’augmentation de la productivité de celle du reste du
monde est impressionnant.

L’espoir suscité par la recherche agricole

Pourtant après le succès de la révolution verte en Asie dans les années 60 et 70, il y a eu
un consensus sur le fait que cette même révolution pouvait se produire en Afrique.
Nombreux sont ceux qui croyaient que le développement de la recherche constituait un
élément essentiel pour accroître de manière durable la production agricole du continent.
Les bailleurs de fonds et les donateurs ont alors supporté les centres internationaux et
nationaux de recherche afin qu’ils puissent diagnostiquer les contraintes et apporter des
réponses adéquates. Les dépenses pour la recherche sont passées de 119,149 millions de
dollars en 1959 (dollar constant de 1980) à 251,57 millions en 1971 et à 424,757
millions en 1980 (Ann, Judd et al 1987). Ainsi, des technologies à haut rendement
(variétés améliorées, formules d'engrais, méthodes de fertilisation, méthodes de travail du
sol, méthodes de luttes contre les maladies et les ennemis des cultures...) ont été mises au
point dans les stations de recherche et testées sur des champs en milieu paysan. Mais
après trois décennies d’assistance et de transfert de technologie, la production agricole
par tête ne fait que baisser. L’Afrique est toujours confrontée à la famine et à la pauvreté.
Des millions d’agriculteurs continuent d’utiliser des technologies traditionnelles dans des
domaines où la biotechnologie et les innovations scientifiques offrent des possibilités
plus attractives (Eponou, 1993). Les nouvelles technologies proposées n’ont toujours pas
eu le succès escompté. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Parmi celles-ci on peut

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retenir l’inadéquation des technologies proposées avec les besoins des producteurs ou
avec l’environnement (Eicher et Backer, 1984 ; Stoop et al., 1982 ; Matlon , 1983) , les
risques associés à leur adoption (Barry, 1984 ; Hien et al., 1995 ; Ibro et al. , 1991 ;
Adessina et al., 1988) , la petitesse de la taille de l’exploitation (Weil, 1970 ; Kebede,
1990), le manque de liquidité (Adessina et al., 1988 ; Deuson et al. , 1990 ; Mellor et
al., 1987 ; Reardon et al., 1988), le coût d’opportunité élevé du capital (Lowenberg et
al., 1994), la faible rentabilité des technologies (Tahirou et al., 1991 ; Matlon , 1985 ;
Kaboré et al., 1992), le manque de main-d’oeuvre (Helleiner, 1975 ; Delgado et Ranade ,
1988) et les contraintes institutionnelles comme l’absence de liaisons fonctionnelles entre
la recherche et la vulgarisation agricole (Epounou et al., 1993 ; Dabiré et al., 1997).
Pourtant, les changements intervenus ces dernières décennies dans les systèmes de
production (pression foncière, diversification des sources de revenus et accroissement de
la part commercialisée des céréales) devraient en principe favoriser l’adoption des
nouvelles technologies (Savadogo et al., 1998).
Reijntjes et al., 1995 dressent une liste des contraintes à l’utilisation des technologies
modernes, particulièrement des intrants externes. Pour ces derniers
“ les agricultures traditionnelles ont trouvé des moyens d’améliorer la structure, la
capacité de rétention en eau, ainsi que l’approvisionnement en éléments minéraux et en
eau des sols sans utiliser d’intrants artificiels. L’évaluation de ces techniques et de ces
systèmes de production indigènes offre des options pour l’amélioration des agriculture à
faible utilisation d’intrants externes ”. Cette vision de l’amélioration des systèmes de
production était déjà celle partagée par de nombreux bailleurs de fonds et ONG dans les
années 1970 et a conduit au développement des méthodes de recherche participatives. Il
existe au Pays-Bas un centre d’information dénommé «Information for Low External
Input Agriculture » (ILEIA) créé depuis 1983 qui travaille à l’identification et à la
diffusion d’informations sur les technologies à faible intrant qui sont prometteuses.
L’approche de LEIA part du principe que la majorité des agriculteurs n’est pas à mesure
d’utiliser les intrants externes ou ne peut le faire qu’à de faibles doses. Pour ce faire, il
faut se contenter des techniques qui rendent efficientes l’utilisation des ressources locales.

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La recherche dans les pays sahéliens a été marquée dans les décennies passées par le
développement de technologies à faible niveau d’intrants. Au lieu d’encourager les
producteurs à utiliser les intrants importés, les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds
ont orienté la recherche vers le développement de technologies alternatives qui
permettraient d’accroître la production agricole. Ces technologies alternatives visaient en
fait l’amélioration des techniques endogènes d’amélioration de la fertilité des sols (jachère
améliorée, rotations culturales, légumineuses, fumure organique), de conservation des
eaux et des sols, des ressources locales (phosphates naturels, déchets urbains et péri-
urbains). Elles ont fait l’objet d’une recherche intensive non seulement par les systèmes
nationaux de recherche, mais également par les ONG.
L’idée derrière cette recherche est que les agriculteurs ont développé des connaissances
millénaires, adaptées à leur environnement. Ces connaissances, une fois améliorées par la
recherche, seraient plus facilement intégrées par les producteurs, ce qui va entraîner un
accroissement de la production agricole et donc une augmentation des revenus ; ce qui les
permettrait ultérieurement de pouvoir disposer des intrants. Cette recherche excluait de
ce fait les innovations venues de l’extérieur, notamment celles créées par les centres de
recherches et les intrants importés. Elle cadrait également avec les programmes
d’ajustement structurels puisqu’elle faisait intervenir moins d’importation et de crédit que
le développement agricole jusque là a préconisé.
La diffusion de ces technologies n’a cependant pas permis d’atteindre les résultats
escomptés. L’accroissement de la production agricole n’a été que de 1 à 2 % loin en
dessous des 4% nécessaires pour améliorer la situation alimentaire de la région1 (Afrique
subsaharienne). Pour Norman (1995), les scientifiques doivent résister à la tentation
d’idéaliser les techniques endogènes ; ils ne doivent pas succomber également à l’illusion
que les besoins alimentaires de l’Afrique pourraient être satisfaits à partir de l’agriculture
à faible intrant.
La faible performance de ces technologies peut s’expliquer d’abord par la faible
productivité des techniques endogènes. Celles-ci ne permettent en effet qu’une
amélioration marginale des rendements et n’entraînent pas une production suffisante

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pour satisfaire les besoins alimentaires (Schweigman et al., 1988, von Braun, 1999,
Maatman, 2000). Elles sont certes rustiques, bien adaptées aux conditions du milieu mais
leur potentiel intrinsèque reste limité. Ensuite parce qu’un accent particulier n’a pas été
mis sur la recherche des effets de complémentarité entre ces technologies.

Le désenchantement

Bien que la production céréalière ait augmentée, passant de 31 millions en 1967 à 69


millions de tonnes en 1997 (Rosegrant al., 2001), l’accroissement rapide de la
population en Afrique a conduit à une baisse de la production par tête d’habitant (Figure
A). C’est la seule région au monde où le taux de croissance de la population a augmenté
et où la production alimentaire par habitant a diminué de près de 20 %. Dans les années
1960, le retard de l’Afrique Sub-Saharienne sur les pays développés était de 900
calories/jour. Il était de 1290 calories en 1992 (FAO, 1996) et on prévoit qu’il serait de
1300 en 2010 (Tableau A). A l’aube du 21ème siècle l’Afrique est encore plus dépendante
de l’aide alimentaire qu’il y a 35 ans. La situation alimentaire s’est donc détériorée. Même
si l’on tient compte de l’impact du VIH SIDA, qui va provoquer une baisse du taux de
croissance actuel de la population de 2,8% par an à environ de 2,1% pour la période
1998- 2015 (IBRD/World Bank 2002), la production agricole (qui croît au rythme de
2% par an) restera toujours insuffisante.
De nombreux facteurs sont à l’origine de cette faible performance dans beaucoup de
régions en Afrique:
- les contraintes physiques ou écologiques telles que l’inadéquation de la pluviométrie,
la mauvaise qualité des sols ou l’insuffisance des terres agricoles. Ces facteurs
contribuent à la baisse des rendements ;
- la faible productivité des systèmes de production : l’agriculture est extensive et basée
sur des techniques traditionnelles de production. La jachère était et demeure le
principal moyen de régénération de la fertilité du sol. Cependant, l’accroissement de
la population a entraîné une diminution des terres cultivables et donc de la jachère ;

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- les intrants commerciaux à même de relever le niveau des rendements et de réduire la
baisse de la fertilité des sols sont insuffisamment utilisés pour diverses raisons
(manque d’incitation économique, insuffisance des services d’appui aux producteurs,
manque de liquidité des ménages). L’Afrique n’utilise que 19 kg /ha/an contre 100
et 230 pour l’Asie et l’Europe.
- L’inadéquation des politiques agricoles et institutionnelles avec l’environnement
socio-économique ;
- L’orientation des moyens modernes de production vers les cultures de rente.

La résultante des interactions de ces différents facteurs est que la production totale
n’arrive pas à satisfaire les besoins alimentaires des populations. Les faibles performances
du secteur agricole ont entraîné une régression de l’économie des pays africains (Tableau
B).
La croissance globale aussi bien que la croissance agricole se sont détériorées depuis les
années 1970, comparativement aux années 1960. Le taux de croissance moyen du PNB
est passé de 5,9 % entre 1965/73 à 1,7 % pour la période 1980/1990 et à 2,5% pour
la période 1990/2000.

L’espoir est-il encore permis ?

L’Afrique est un continent qui dispose d’énormes potentialités. Les difficultés auxquelles
elle se heurte, tiennent en partie à son retard dans le développement et dans l’utilisation
des nouvelles technologies. Les agronomes estiment par exemple que les rendements
agricoles pourraient encore augmenter de 20 à 25 % sans un accroissement notable de
l’utilisation des intrants (FIDA 1999).
Pasour, citant Avery (1985) affirme que des nouvelles technologies capables de doubler
les rendements existent actuellement en Afrique. Il cite comme exemple, les variétés de
sorgho résistantes à la sécheresse au Soudan qui permettent de tripler les rendements, les
variétés de riz de bas-fond, les variétés hautement productives de maïs au Nigeria et les

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nouvelles variétés d’arachides qui sont actuellement testées au Sénégal, au Mozambique,
en Zambie et au Zimbabwe.
Le succès de l’agriculture Africaine va donc dépendre fortement des initiatives de
changements à apporter dans la structure des systèmes de production. Les agriculteurs
doivent saisir les opportunités de commercialisation offertes par l’urbanisation accélérée
des villes pour passer d’une agriculture de subsistance à celle orientée vers le marché. Ils
doivent pour ce faire, prendre l’initiative de l’intensification et de la diversification des
systèmes de production. Les nouvelles technologies agricoles peuvent les aider à saisir ces
opportunités. Les pouvoirs publics, quant à eux, doivent créer un environnement
favorable et incitatif pour faciliter la commercialisation des produits agricoles.
On constate également que depuis la dévaluation du franc CFA en 1994, la situation
semble s’améliorer. Pour la première fois durant les années 1990, la croissance
économique de l’Afrique Sub-Saharienne a été de 3,8% en 1995, dépassant ainsi le taux
de croissance de la population qui était de 3% (FAO, 1996). En 1996, ce taux de
croissance est passé à 4,4 %, alors que les productions agricoles et animales augmentaient
de 4,2 % (FAO, 1997).
Cette situation serait due à l’amélioration des performances de l’agriculture,
particulièrement les produits d’exportation, aux prix de ces produits sur le marché
international et aux politiques de stabilisation macro-économiques. Ceci montre que le
progrès de l’agriculture demeure encore la clé du développement économique de l’Afrique
; d’où la nécessité de redynamiser le secteur agricole pour accroître la productivité. Celle-
ci ne sera possible qu’à travers une intensification des systèmes de production.
L’intensification des systèmes de production permettrait non seulement d’augmenter la
production vivrière pour satisfaire les besoins d’une population croissante mais
également, les productions commerciales afin de générer des devises pour rembourser la
dette et assurer les besoins d’importation. C’est le seul moyen de sortir les pays africains
du bourbier de la dette et de l’insécurité alimentaire.

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Pour réussir le décollage économique, les sombres prédictions de famine, de dégradation
de l’environnement et de chaos social, doivent céder la place à des systèmes de
production hautement productives et durables. Le défi est donc de briser les cycles des
pertes, des gaspillages et d’aider les paysans, les nations à croître et à s’assumer
pleinement. Il faut donc une solution concertée au centre de laquelle se retrouvent les
gouvernements, les bailleurs de fonds, la recherche, la vulgarisation et le secteur privé
(Norman 1995). Cet espoir ne sera cependant qu’une illusion si l’on ne met pas un terme
à l’instabilité politique et économique qui caractérise la région afin de créer les bases
solides d’un développement durable.

Tableau B : Production agricole destinée à l’alimentation humaine

Figure A : Evolution de l’indice de la production agricole

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Tableau A : Taux de croissance moyen du PNB, de l’agriculture et de la population en
Afrique Sub-Saharienne (1965-94 en %)

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Chapitre III : Paradigmes du développement agricole et rural

III.1. Commercialisation via la culture de rente

Cette stratégie de développement agricole et rural global en Afrique a commencé tôt


pendant la période coloniale. Elle a réellement pris son essor après la seconde guerre
mondiale, caractérisée par de hausse prix mondiaux des produits de base. Débutant
autour de 1910, la culture d’exportation a été marquée par l’expansion rapide de la
superficie cultivée par travailleur agricole.
Le paradigme de la commercialisation via la culture de rente a été d’abord une stratégie
de croissance, cohérente avec le point de vue dominant selon laquelle la croissance était
synonyme du développement, et que la contrainte sur la croissance était la devise.
Dans le cadre de ce paradigme dominant de l’époque, le rôle de l’agriculture dans le
développement économique était une source des ressources pour l’industrialisation.
Le paradigme de la commercialisation via la culture de rente été une stratégie de
croissance axée sur l’amplification de la productivité dans les domaines d’avantage
comparé, grâce à plusieurs méthodes : assistance technique, vulgarisation et transfert en
capital de l ‘étranger.
Les cultures de rentes soutenues dans le cadre de ce paradigme ont été à l’avantage des
riches et de pauvres, toutefois le nombre d’Africains pauvres a continué à augmenter.
Dans les années 70, les buts de l’équité et de l’atténuation de la pauvreté se sont inscrits
progressivement et implicitement dans l’équation agricole. D’où des programmes de
développement communautaire (1955-1973) et du développement participatif nommé
par a suite développement rural intégré.

III.2. Développement communautaire

On a établit la première utilisation du terme « développement communautaire » pour


dénoter une stratégie officielle qui préparait les colonies britanniques en Afrique à

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l’indépendance (Holdcroft, 1984). Des projets ultérieurs avec les éléments similaires ont
été appelés « développement participatif » et finalement « développement rural intègre ».
Tandis qu’il y avait des différences d’accent entre différentes approches du
développement communautaire, les éléments clé par rapport à l’agriculture étaient les
mêmes. Ils impliquaient typiquement un ensemble de services sociaux ruraux et de
promotion de l’industrie rurale, mais le financement de ces services continuait à provenir
des profits taxés de la culture d’exportation.
En tant que tel, la partie développement agricole du paradigme du développement
communautaire continuait à ressembler au paradigme de la commercialisation via la
culture de rente, incluant l’accent précédent sur les petits exploitants, et un accent sur
l’assistance technique, la vulgarisation et le transfert en capital.
En tant que paradigme agricole, le développement communautaire avait la dimension
supplémentaire, relativement à l’accent précédent sur la culture de rente, celui de la
promotion d’une meilleure qualité de travail humain (vie l’éducation, les aptitudes, et la
santé) dans les stratégies de production agricole.
Graduellement, dans le début des années 1970, la comptabilité du paradigme de la
« commercialisation via la culture de rente » avec l’agenda social du développement
communautaire a commencé à être critiquée, marquant l’émergence du paradigme
Développement rural intégré (DRI), avec des conséquences majeures pour les stratégies
agricoles.

III.3. Développement rural intégré (DRI)

Dans le cadre des projets relevant de ce paradigme, on distingue trois niveaux


d’intégration à savoir : au niveau des différents facteurs de production ; au niveau des
objectifs de projets ; et au niveau des facteurs ayant une influence directe sur la
production.
L’intégration au niveau des différents facteurs liés au développement de la production
agricole s’opère généralement en amont et en aval de la vulgarisation agricole. Elle est

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considérée comme une condition sine qua non à l’accroissement du volume de la
production agricole.
L’intégration au niveau des facteurs ayant une influence indirecte mais essentielle sur la
production : la nouvelle approche intégrée se démarque fondamentalement de l’approche
classique par la mise en charge par des projets, de facteurs jusque-là jugés externes au
processus du développement agricole. Il s’agit des facteurs humains et économiques.
Parmi les facteurs humains, il y a lieu de signaler l’approvisionnement en eau des
populations rurale et l’amélioration de leur état sanitaire, et de leur éducation, …
La mise en œuvre du DRI n’a pas été facile à cause du nombre élevé des facteurs à
intégrer posant ainsi aux projets des problèmes internes tant au niveau d’organisation que
de la gestion. Parmi les problèmes les plus importants, nous pouvons citer entre autre :
 Grande dispersion des efforts due à une multitude d’activités et une confusion des
rôles. Les projets, en effet, ont tendance à intégrer beaucoup trop de fonctions qu’ils
ne peuvent gérer efficacement. Ce qui a aboutit à un gonflement des effectifs et à
l’importance excessive de l’interdépendance, avec le risque de négliger l’essentiel.
 Difficulté de coordination découlant multitude d’activités. L’organisation de la
synergie, au niveau des paysans, des actions de production et d’accompagnement exige
normalement que l’ensemble soit présenté comme un tout cohérent, organisé,
attractif ;
 Problème relevant de la gestion financière des projets due à la carence en matière de
gestion financière des projets publics et de ceux financés par les institutions
internationales. Cette situation découle : de l’absence de véritable manager pour la
mise en service des projets de DRI dont la gestion est confiée aux agronomes ayant
aucune formation en management et se trouvent butés aux difficultés considérables
pour la maîtrise de la gestion. Aussi, la réalisation des projets de DRI et la
supervision financière ne faisaient l’objet d’aucune procédure écrite sur le financement
global, les budgets de fonctionnement et la trésorerie des projets.
Par ailleurs, il convient de souligner la difficile participation des populations rurales.
L’une des caractéristiques essentielle de la philosophie de DRI, au niveau de ses

19
méthodes est l’importance accordée à la participation des populations rurales. Pour la
Banque Mondiale et la FAO, seule la participation de la population à la conception, à la
préparation et à l’exécution des programmes de développement peut amener les
collectivités à accepter l’idée de changement et adopter les nouvelles techniques de
production.
Pour la Banque Mondiale et la FAO, le développement rural doit être non seulement
intégré, mais également « participé » c'est-à-dire contractuel. Cette condition n’est pas
facile à réaliser car elle implique la présence des organisations de producteurs ou de
coopératives susceptibles de servir de partenaire aux projets, ce qui n’est pas non plus
facile à réaliser
Les projets africains de développement rural intégré tout en soulignant un large
développement social, continuaient à considérer la culture de rente comme le moteur de
la croissance, et tendaient à être concentrés dans les domaines de cultures d’exportation.
Graduellement, dans le début des années 70, la compatibilité du paradigme de la
commercialisation par le biais de la culture de rente avec l’agenda social du
développement communautaire, les investissements coûteux et complexes ainsi les
problèmes de gestion inhérents aux projets DRI ont commencé à être critiqués, marquant
l’émergence du paradigme de besoins humains fondamentaux.

III.4. Besoins humains fondamentaux

Au-delà de l’intérêt général pour la pauvreté rurale dans le paradigme du développement


communautaire des années 1950 et 1960, le paradigme humain de base (BHB)
argumentait pour une approche directe pour satisfaire des besoins de base des pauvres
aussi rapidement que possible. On considérait que les besoins « de base » incluaient une
nutrition adéquate, la santé et l’accès à l’éducation.
L’émergence du BHB faisait partie du recentrage plus large de l’intérêt en économie du
développement qui a été appelé « l’ère de la croissance avec équité depuis 1970 » (Eicher
et Staatz, 1988).

20
En Afrique l’avènement du paradigme BHB était fort lié à :
 Le foisonnement de villes importantes et un déclassement urbain dû au biais
urbain largement représenté dans les politiques des années 1970 ;

 Des termes de l’échange décroissants pour la plupart des produits agricoles par
des petits exploitants, combinés un boom des marchandises pour les personnes
assez chanceuses pour avoir un accès aux terres de café, thé, ou cacao, ce qui a
agrandi l’inégalité rurale ;

 Des sécheresses importantes dans le début des années 1970, qui ont concentré
l’attention mondiale sur l’étendue de la pauvreté et de la famine au Sahel et en
Ethiopie ;

 L’expansion majeure des flux d’assistance au développement vers l’Afrique dans les
années 1970, qui ont financé la plupart des interventions BHB.

En tant que politique, le BHB était un établissement des priorités pour l’allocation des
ressources programmatiques et publiques d’investissement. Il a sans aucun doute guidé
les priorités des donateurs dans les années 1970, et cela a été reflété dans les priorités
nationales africaines, en particulier à travers l’accent majeur sur la production alimentaire
pour une autosuffisance accrue (Eicher et Beker, 1992)
Comme paradigme de développement, le BHB argumente que l’amélioration du bien être,
de l’éducation, de la connaissance technique, et la participation active de toutes les
personnes, particulièrement celles à risque, vont faire plus pour accroître la capacité
productive et la production réelle que les stratégies de croissance qui se reposent sur les
liens économiques ( «trickle-down, théorie économique selon laquelle la richesse finit par
toucher les plus pauvres) pour la transmission des bénéfices.
La littérature du BHB tend à être éloquente sur le besoin d’avoir une politique
distributive proactive pour accompagner la croissance économique. Comme paradigme
du développement agricole, le BHB a donné la priorité à l’agriculture de petits
exploitants, plus pour des raisons distributives que pour la croissance. Parce que le «

21
trickle-down» a été rejeté, accroitre effectivement les revenus des pauvres signifie cibler
les pauvres, et dans les années 1970 c’étaient principalement les petits fermiers.
Le BHB a mis en valeur la production alimentaire par rapport a la production de culture
d’exportation, de nouveau parce que la lutte contre la pauvreté est le critère d’allocation
et que la production alimentaire locale est considérée plus efficace pour cibler les pauvres
que les revenus des cultures de rentes locales.
Il est difficile de juger les résultats de croissance des politiques BHB en tant que
paradigme de développement rural, deux décennies plus tard, puisque, des événements
extérieurs à l’agriculture influençaient les résultats agricoles dans les 1970. Cependant,
l’influence intellectuelle du BHB sur le développement de la pensée sur l’Afrique dans les
années 1990 est incontestable.
Au-delà de l’intérêt général pour la pauvreté rurale dans le paradigme du développement
communautaire des années 1950 et 1960, le paradigme des besoins humains de base
(BHB) argumentait pour une approche directe pour satisfaire les besoins de base des
pauvres aussi rapidement que possible. On considérait que les besoins de base incluaient
une nutrition adéquate, la santé et l’accès à l’éducation.
L’émergence du BHB faisait partie du recentrage plus large de l’intérêt en économie
développement qui a été appelé « Ière de la croissance avec équité depuis 1970 » (Eicher
et Staatlz, 1988).

III.5. L’intégration régionale de l’industrie, l’autosuffisance nationale pour l’alimentation

Pendant la première période postindépendance, les stratégies économiques en Afrique,


comme ailleurs, ont eu tendance à mettre l’accent sur l’industrialisation. Etant donné la
taille du marché dans la plupart des pays africains, l’industrialisation a commencé d’abord
par l’import substitution pour un éventail très limite de biens de consommation tels que
la bière, les allumettes et les textiles. L’orientation vers l’industrialisation d’import
substitution est devenue plus significative pour les paradigmes agricoles dans les années
1970, quand les étapes faciles de l’import substitution industrielle étaient largement

22
épuisées. Bien que l’intégration économique régionale dans les années 1970 n’était pas un
paradigme de développement agricole en soi, elle a eu deux effets majeurs sur l’agriculture
en Afrique. Le premier effet était une appréciation solide du taux de change réel, à cause
mesures politiques destinées à supporter l’industrialisation. Cela avait l’effet de
décourager la production de cultures d’exportation. Deuxièmement, l’intégration
économique régionale affectait la demande pour les importations alimentaires, à la fois
directement et indirectement.
Les taux de change surévalués et les villes grandissantes ont encouragé la croissance rapide
des importations alimentaires pour les zones urbaines. Indirectement, les prix de
l’alimentation traditionnelle (racines et tubercules, millet, et ainsi de suite) ont augmenté
relativement au riz et blé importés, comme prédit par la théorie économique dans le cas
de la surévaluation de la devise.
La pensée politique était influencée par deux événements en particulier : La sécheresse de
1974 et la famine du Sahel ainsi que le pic du prix mondial de 1975 pour le riz à la
suite du choc pétrolier de 1973. Ces événements, combinés avec l’augmentation des prix
relatifs des biens alimentaires de base, ont entraîné une inquiétude accrue sur la
production alimentaire africaine dans les années 1970.
La réponse politique s’est concentrée sur l’encouragement de la production alimentaire
africaine et la création d’organisations parastatales de commercialisation pour nourrir les
populations des villes.
«L’alimentation» était considérée comme stratégique à la fois parce que c’est le plus
fondamental des besoins et parce que les prix alimentaires sont politiquement sensibles
dans les villes. Cependant, il devient à présent de plus en plus difficile de garder le
plafond sur les prix. Durant cette période, l’appui au principe de priorité aux systèmes de
production alimentaire des petits exploitants en Afrique a balayé la gamme idéologique
des libéraux néoclassiques aux théoriciens de la dépendance néo-marxiste.

23
III.6. L’ajustement structurel 1 (SA1): la gestion de la demande

SA1 était une réaction aux événements des années 1970, plus particulièrement aux
déficits insoutenables du budget et aux pénuries de devises. La stratégie sous-jacente à
SA1 était basée sur l’hypothèse que les problèmes de développement agricole et global
émergeants étaient le résultat d’incitations en prix artificiellement déformés. SA1 s’est
alors concentré sur les mesures de promotion de l’équilibre macroéconomique à travers
la gestion de la demande agrégée.

L’ajustement économique a requis le déplacement des incitations des consommateurs


nets de biens commercialisables (Fonctionnaires, travailleurs des industries
manufacturières protégées, offreurs de services, etc.) aux producteurs nets de biens
commercialisables. Ces derniers étaient surtout des petits fermiers produisant des biens
agricoles exportables. Malheureusement, des corrections devraient être faites juste quand
les termes de l’échange externes pour les exportations agricoles de l’Afrique chutaient
rapidement.

Contrairement aux paradigmes des années 1970, SA1 présentait une stratégie claire,
pertinente de manière interne, avec de bonnes bases théoriques et, en théorie du
moins,simple, pour promouvoir l’agriculture, qui puisse réalisée par les reformes
politiques ( en opposition aux investissements coûteux). Mais en tant que paradigme
agricole, il était essentiellement passif : il disait ce qu’il ne fallait pas faire. Le contenu de
la politique de développement concernait à la base les événements extérieurs au secteur
agricole et s’adressait seulement de manière périphérique aux problèmes politiques autres
que le prix au sein de l’agriculture.
Le paradigme SA1 a reçu de nombreuses critiques en et à l’extérieur de l’Afrique. La
Commission Economique pour l’Afrique (CEA) et la Banque Africaine de
Développement (BAD) ont joints leurs forces pour dénoncer le rapport de 1981 et pour
insister sur un plan alternatif appelé le Plan d’Action Lagos.

24
En ce qui concerne la stratégie agricole, à la fois le Plan Lagos et la critique des
CEA|BAD du rapport de 1981 de la Banque Mondiale étaient essentiellement
pessimistes quant à savoir si la réponse de l’offre agrégée de l’agriculture africaine serait
adéquate pour améliorer les termes de l’échanges de l’agriculture. Ils se méfiaient de l’idée
que le secteur privé et les fermiers répondraient aux prix et auraient une liberté de
manœuvre. Ils rejetaient également l’accent sur l’agriculture d’exportation, qui avait un
petit goût colonial, au détriment des objectifs d’autosuffisance alimentaire des années
1970.
Dans sa formulation originale comme stratégie passive de gestion de la demande, SA1
insistait sur l’acceptation de larges principes pour la reforme économique et l’élaboration
par les gouvernements hôte d’un plan d’action réaliste pour sa réalisation, comme une
condition pour le prêt.

III.7. Les éléments qui déplacent l’offre dans l’agriculture

Face à un manque d’une expression claire, réaliste, politiquement légitime, d’une stratégie
agricole dans la plupart des pays africains, les agences donatrices et les ministères du
gouvernement ont commencé dans la moitie des années 1980 à concevoir des stratégies
techniques pour promouvoir la croissance agricole. Le résultat était trois paradigmes
différents qui ont été tous développés dans la moitie et la fin des années 1980. Le
premier paradigme cherchait à fournir une alternative à l’ajustement structurel, tandis que
les deux autres cherchaient à le faire passer d’une stratégie passive à une stratégie
proactive, particulièrement pour le secteur agricole.
Un paradigme qui a émergé dans les années 1980 en réaction au paradigme primitif du
SA1 pour l’agriculture peut être appelé assez librement "éléments qui déplacent l’offre",
en référence a la terminologie précédente concernant les facteurs autres que prix qui
déplacent la fonction de production agricole vers le haut, menant à plus d’output pour les
mêmes inputs.

25
Les racines du paradigme des éléments qui déplacent l’offre en Afrique étaient bien
établies dans les années 1950 et 1970 dans cératines parties de la région. Les innovations
en engrais pour radicalement amplifier la production de mais étaient en fait appliquées
dans les années 1950 dans certaines parties de l’Afrique de l’Est et du Sud. Ce n’est
cependant devenu un paradigme de développement agricole en soi en Afrique qu’au
début des années 1980. C’est à cause de succès évident à ce moment, et des tentatives
pour l’étendre à l’Afrique, de l’approche de la Révolution Verte Asiatique pour
encourager la production des petits exploitants en riz et blé dans les années 1960 et
1970. C’est aussi parce que son accent sur l’augmentation de la production alimentaire
s’inclut dans les paradigmes dominants des années 1970, particulièrement le
développement rural intégré et le BHB.
En 1980, cependant, l’accent des éléments d’offre sur l’utilisation des investissements
publics en routes, systèmes de recherche et d’extension, systèmes d’offre d’engrais, et
contrôle de l’eau comme points d’entrée pour le développement agricole ont mis le
paradigme en conflit avec SA1, qui mettait l’accent sur les incitations en prix et le retrait
des subsides aux inputs. Le paradigme des éléments qui déplacent l’offre est devenu un
paradigme alternatif de développement agricole, qui soulignait que les reformes de prix
étaient nécessaires, mais pas suffisantes, pour une croissance de la productivité soutenue
et rapide de dans l’agriculture africaine. Bien qu’il était similaire au plus vieux paradigme
de la commercialisation via les cultures de rente, le paradigme des éléments qui déplacent
l’offre incorpore aussi l’insistance du SA1 sur la nécessite de reformes macroéconomiques
et du régime des échanges et la libéralisation des marchés des inputs et outputs agricoles.
Ce paradigme différait du SA1 principalement dans l’accent qu’il donnait au coté
alimentaire du secteur agricole, et au cœur de cela à l’investissement public dans la
recherche, la vulgarisation, et l’infrastructure pour encourager les flux de ressources
productives privées vers l’agriculture.
Le paradigme des éléments qui déplacent l’offre continue à recevoir l’appui des
scientifiques de la production agricole et est toujours le paradigme de développement
dominant pour l’agriculture dans la plus grande partie du monde en dehors de l’Afrique.

26
Il est cependant probablement correct de dire que les agences donatrices extérieures, qui
financent une grande partie de l’investissement dans les biens agricoles en Afrique, se sont
éloignées de ce paradigme à cause des inquiétudes sur la pauvreté et, plus récemment, sur
les problèmes de soutenabilté.
Les privations des années 1980 dans les zones rurales, provoquées par la combinaison
malheureuse d’un besoin de réformes politiques basées sur l’austérité, de prix mondiaux
bas, et d’une croissance rapide de la population, ont déplacé le centre de l’attention vers
un troisième paradigme qui provient du SA 1 primitif. C’est l’inquiétude réelle que les
coûts humains peuvent être trop élevés quand on ignore l’impact de la stratégie
d’ajustement sur les pauvres ruraux. Ce troisième paradigme incorpore beaucoup des
acteurs et idées du paradigme BHB.

III.8. L’intégration régionale 2, avec l’alimentation d’abord

Les prix agricoles mondiaux ont décliné précipitamment dans la moitié des années 1980,
largement à cause des retombés des subsides agricoles accrus aux Etats Unis et dans
l’Union Européenne. Les importations alimentaires de l’Afrique augmentaient encore, à
cause des taux de change continuellement surévalué dans certains pays, de l’urbanisation
croissante, de la population croissante, et des effets de la sécheresse de 1984. Dans ce
contexte général, les idées importantes dans les paradigmes précédents de l’intégration
régionale de l’industrie et l’autosuffisance alimentaire nationale ont été rassemblées dans
nouveau paradigme pour l’agriculture, offert comme une alternative aux parties agricoles
du PAS.
De manière large, ce paradigme peut être appelé l’intégration régionale avec
l’alimentation. Une proposition française pour une barrière tarifaire commune contre le
riz de l’Afrique de l‘Ouest francophone a été exhaustivement discutée en Afrique de
l’Ouest et dans les cercles politiques de donateurs entre 1986 et 1989. Bien que
l’autosuffisance alimentaire pour la sécurité alimentaire soit un sujet érodé dans les débats
africains, son lien explicite aux arrangements régionaux de protection comme paradigme

27
décroissance était nouveau. Le problème des stocks régionaux pour la sécurité alimentaire
a été proposé au Sahel dans les années 1970 et alors de la Conférence sur la
Coordination du Développement en Afrique Septentrionale (SADCC) dans le début des
années 1980 ; les deux se sont avérés très coûteux.
La prescription politique clé de ce paradigme impliquant une protection différentielle
pour l’alimentation afin d’augmenter les prix alimentaires domestiques relativement aux
autres prix dans les domaines protégés. Comme toutes les autres formes d’intégration
régionale, les coûts et bénéfice seront supportés de manière inégale.
La stratégie REI2 était basée, de manière vague, sur la croyance que la Politique Agricole
Commune de l’Afrique de l’Ouest pour protéger les céréales, conçue après les politiques
des céréales dans la Communauté Européenne, fournirait la base pour une renaissance de
l’agriculture paysanne en Afrique de l’Ouest. On ne tenait pas compte de l’énorme
différence entre avoir 95 % de la population aisée qui supporte 5% de la population à
travers des transfert de prix (modèle européen) et 25% d’une population pauvre qui
supporte 75% de la population (le modèle Ouest africain). La proposition ne considérait
pas réellement un espace protégé pour le riz en Afrique de l’Ouest ni l’impact d’une telle
proposition sur les coûts du travail, sur les incitations pour la production de
marchandises, ou les effets sur le bien-être des hausses de prix relatifs pour l’alimentation.
Dans tous les cas, les gouvernements Ouest Africains n’ont pas réalisé, malgré l’incitation
considérable de certains donateurs.

III.9. L’ajustement structurel 2 : l’équité avec la croissance

Les prix mondiaux réels pour les exportations agricoles de l’Afrique, La sécheresse, et les
revenus réels par tête décroissants dans les zones rurales africaines ont mené à une
inquiétude sévère pour les pauvres dans une période de retranchement macroéconomique.
Un rapport sur les faits marquants sponsorisé par l’UNICEF a évalué » les effets sérieux
sur la sécurité alimentaire et le point de vue social de la contraction de la demande dans

28
le pays sous ajustement. Son argumentation contre la version pur du SA 1 comme
paradigme de développement est résumé dans ce titre ; « l’ajustement avec une figure
humaine ; protéger les personnes vulnérables et promouvoir la croissance » (Comia, jolly
et Steward, 1987).
Le paradigme plus large qui a émergé de ces inquiétudes est appelé ici « l’Ajustement
Structurel 2 – Equité avec croissance ». Il part de l’hypothèse que l’ajustement
macroéconomique de base du SA1 primitif est nécessaire, il se demande si l’ajustement
peut prendre place sans effort proactif pour impliquer les pauvres dans la croissance.
Le paradigme SA2 se concentre sur trois types d’actions :
- Premièrement, il y a un besoin de savoir quels sont les effets directs de l’ajustement
sur les pauvres, et ce qui peut être fait pour alléger ces effets directement, par exemple
en ralentissant le processus d’ajustement ou un mettant un accent plus grand sur la
hausse de l’offre que sur la contraction de la demande.
- Deuxièmement, les opportunités dans l’économie pour l’extraction d’une rente sur les
pauvres doit être supprimées, supportant l’accent dans les programmes d’ajustement
structurel sur la libéralisation des marchés.
- Troisièmement, les politiques proactives qui aident à générer un revenu pour les
pauvres doivent être mises en valeur, même quand elles ont un petit coût en efficacité
globale.
Le débat principal au sein de ce paradigme est la vision entre ceux qui considèrent la lutte
contre la pauvreté et l’ajustement structurel comme des stratégies complémentaires, ou au
moins neutres l’une par rapport à l’autre dans le long terme, et ceux qui affirment qu’il y
a des contradictions majeurs entre les politiques d’ajustement structurel du type SA1 et
les objectifs de long terme de la lutte contre la pauvreté. Beaucoup d’adeptes du SA2 sont
d’accord avec le besoin de cibler directement les pauvres, tandis qu’ils ne contestent pas le
cours actuel de la politique de stabilisation.
Au sein de la Banque Mondiale, un nouvel accent a été sur les réseaux de sécurité sociale,
sous la forme de l’exploration des « dimensions sociales et l’ajustement » et des projets
supplémentaires pour alléger les effets sur les secteurs les plus pauvres. Même si certains

29
auteurs des autres courants se demandent si les effets sur les pauvres des ajustements de la
grandeur de ceux qu’entreprend l’Afrique peuvent être maniés par des programmes
sociaux ajoutés, en opposition a une modification de la stratégie d’ajustement elle-même.
Plus fortement, certains écrivains associés avec le paradigme BHB primitif ont affirmé
que les politiques d’ajustement dans les faits écartent les économies des chemins de
croissance de long terme et de la lutte contre la pauvreté, tout en admettant qu’une
certaine forme d’équilibre macroéconomique est nécessaire. Stewart (1994), par exemple,
voit les conflits entre les politiques d’ajustement à court terme et les objectifs de
développement de long terme dans quatre domaines qui sont particulièrement critiques
pour l’agriculture ainsi que pertinents pour le reste de l’économie: les réductions des
dépenses publiques, un déclin de l’investissement, la non discrimination de la
libéralisation des importations, et l’encouragement des exportations primaires. Selon ce
point de vue, une révision fondamentale des politiques d’ajustement est nécessaire,
incluant la priorité sur la création d’incitation pour des exportations accrues de produits
manufactures.
Une extension agricole courante du SA2 comme paradigme de développement incorpore
la plus grande partie de l’accent des éléments qui déplacent l’offre sur l’investissement
public en recherche, extension, institutions, et infrastructure pour continuellement
réduire les coûts unitaires de la production agricole. Il souligne également le potentiel
pour une croissance intensive en travail dans les zones rurales, où sont concentrés la
plupart des pauvres. Le paradigme vise le besoin d’accroître spécifiquement la demande
dans les zones rurales pour les choses que les pauvres ruraux peuvent produire ,mais qui
manquent à présent d’un marché local, à cause du manque de pouvoir d’achat local et des
coûts de transport élevés en dehors de la région locale. L’astuce ici est de trouver une
manière soutenable d’accroître largement les revenus dans les zones rurales en vue de
fournir un stimulus à la demande.
Les débats clés qui sont en cours avec différents degrés d’optimisme peuvent être
discutes:

30
a. Les sources potentielles de croissance soutenue du revenu rural pour fournir le
pouvoir d’achat initial dans les zones rurales,
b. Si les choses que les personnes rurales achètent quand leurs revenus augmentent
sont susceptibles d’être importées ou faites localement, et
c. L’étendue dans laquelle la production est susceptible de répondre aux incitations de
prix.

III.10. Le développement soutenable

L’origine est à la fois écologique et anglo-saxonne, puisqu’il s’agit d’une traduction de «


sustainable development » où sont incluses les notions, souvent antagonistes de «
supportabilité » de l’environnement physique et l’acceptabilité sociale. Le terme de
développement durable a été réellement popularisé par le rapport Brundtland en 1987 : «
Développement soutenable » qui, grâce à l’éducation, l’innovation, la solidarité, répond
aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre
à leurs propres besoins ».

Cette notion émergente intègre la solidarité entre les générations futures par la
préservation des ressources naturelles, de la biodiversité, l’action décisive des élus locaux
et du mouvement associatif. Il s’agit d’articuler mieux l’efficacité économique, la
pérennisation des équilibres naturels et le développement social. Les dispositifs
institutionnels et organisationnels qui intègrent la question de la formation des demandes
sociales dans les modalités des conduites de projets s’enrichissent des réseaux d’échanges
d’expériences et de l’idée de bonne gouvernance : démocratie participative.
Selon ce paradigme, en considérant l’environnement dans toute sa complexité
biophysique, sociale et humaine, on peut contribuer à “une forme majeure de l’éducation
civique“», celle-ci faisant naître des comportements positifs à l’égard du milieu,
indispensables pour “mieux maîtriser notre maîtrise du monde“

31
Depuis la parution du rapport Brundtland en 1987, il s’est dit et écrit beaucoup de
choses au sujet du développement durable, si bien que le débat reste ouvert. Le débat
demeure lié à la préséance que certains donnent soit à l’Ecologie, soit à l’économie, dans
cette perspective de concilier l’économie et l’Ecologie ou le développement économique
et la protection de l’environnement. Parmi ces définitions, celle qui semble faire
consensus est : « le développement durable est une dynamique de changement qui répond
de façon équitable aux besoins des populations en s’appuyant sur la participation active et
sur le maintien de l’équilibre des écosystèmes ».
Il se dégage de cette définition une série de principes parmi lesquels:
 la satisfaction des besoins humains fondamentaux (accès à l’éducation, à la santé,
etc.);
 la participation des populations au processus de prise de décisions ;
 l’équité et la justice sociale ;
 La pérennité des écosystèmes.
Mais pour passer, de la théorie à la pratique du concept, des conditions préalables sont à
remplir parmi lesquelles :
 la connaissance des milieux naturels et humains ;
 le respect des valeurs et de la culture des différentes populations ;
 la participation de la population à un véritable système démocratique ;
 l’élaboration de nouveaux indicateurs de développement ;
 l’usage prudent des ressources non renouvelables.
En substance, face à l’émergence des problèmes environnementaux globaux (pollution,
pluies acides, augmentation des déchets, déforestation, détérioration de la qualité des
eaux, perte de sols arables etc.), la prise en compte de l’Environnement dans la pratique
du développement devient obligatoire. Cette intégration est non seulement possible mais
rentable. Cependant elle exige l’expérience des communautés à la base, plutôt que des
décisions imposées par des technocrates et des politiciens toujours avides de popularité et
de votes trop peu sensibles aux besoins réels des populations. Ce nouveau paradigme du
développement s’opère par la recherche d’outils nouveaux de planification et gestion

32
conciliant l’économie aux aspects historiques, politiques, sociaux, culturels et
Ecologiques.
Au-delà des interactions entre développement social, économique et écologique
auxquelles le concept se réfère habituellement, le développement durable fait appel à un
quatrième pôle qui est la réflexion éthique. Issue de cette dernière, on retrouve donc la
responsabilité collective, mais aussi individuelle. Or, bien des obstacles rendent cette
responsabilisation difficile.
Le concept de développement durable repose sur l’articulation de trois catégories de
« capitaux », appelés aussi les trois piliers :
 Capital humain, qui comprend la santé, les connaissances, la formation, la culture,
l’accès au travail, les conditions d’existence en général.
 Le capital économique, qui englobe les moyens financiers, les machines, les bâtiments,
l’industrie, le commerce.
 Le capital environnemental, qui concerne les ressources naturelles, la qualité de
l’environnement et le climat.
L’idée du développement durable est des concilier des politiques économiques efficaces
qui soient en même temps socialement équitables et écologiquement tolérables. Il vise
dons ces trois objectifs :
 Maintenir l’intégrité de l’environnement : c'est-à-dire intégrer, dans l’ensemble des
actions des communautés humaines, la préoccupation du maintien de la vitalité et de
la diversité des gènes, des espèces et de l’ensemble de l’écosystème naturels terrestres
et aquatique.
 Améliorer l’équité sociale : c'est-à-dire satisfaire les besoins essentiels des
communautés humaines présentes et futures et améliorer la qualité de vie.
 Améliorer l’efficacité économique : ce qui consiste à favoriser une gestion optimale
des ressources humaines, naturelles et financières, afin de permettre la satisfaction des
besoins des communautés humaines, et ce, surtout par la responsabilisation des
entreprises et des consommateurs au regard des biens et des services qu’ils produisent
et utilisent ainsi que par l’adoption de politiques gouvernementales appropriées

33
(principe du pollueur/utilisateur - payeur, internationalisation des coût
environnementaux et sociaux, Eco- fiscalité, etc.).
DD place un grand accent sur la dégradation largement étendue de la base de ressources
agricoles en Afrique et la relation d’une telle dégradation aux externalités. Ces dernières,
telles que les problèmes lies avec les doits de propriété et la dégradation de la terre
commune, montrent les conflits entre une approche de laisser-faire de reforme du marche
et un développement soutenable.
Les principaux éléments de l’intérêt largement étendu pour le développement soutenable,
qui peut être raisonnablement considéré comme un paradigme émergeant, sont qu’une
croissance rapide de la population, la stagnation du revenu agricole, et la dégradation
environnementale des zones rurales font partie d’un réseau (Cleaver et Schreiber,1994).
Les trois vont ensemble, et les solutions a l’un d’entre eux va impliquer des solutions aux
deux autres, soit comme conséquence, soit comme cause. Les principaux instruments
politiques offerts sont d’assurer l’accès des femmes rurales à l’éducation, a la santé, et aux
services de production agricole, des droits de propriétés améliorés, y compris le régime
foncier et la formation des prix pour les ressources communes, et une attention accrue
pour le développement urbain pour fournir un débouche pour le travail rural. Dans tous
les cas, l’appui aux formes non gouvernementales d’organisation dans les zones rurales est
vu comme vital pour réaliser des résultats durables dans ces zones. Au-delà des
institutions participatives, le développement institutionnel du côté de la recherche et de
l’extension émerge au point d’entrée pour augmenter la productivité totale des facteurs en
agriculture, allant au-delà de la concentration précédente sur les problèmes d’engrais.
Puisque la génération de revenu dans les ménages ruraux est centrale pour manier les
problèmes environnementaux et de population, sous ce paradigme, la question se pose de
comment faire pour réaliser cette croissance. Quelques adeptes du paradigme vont
prendre l’approche la plus neutre du SA1 primitif et attendre que la reforme politique, la
densité de population et le développement de l’infrastructure induisent à la croissance. La
plupart vont aussi prendre une position plus proactive, comme dans le paradigme des

34
éléments qui déplacent l’offre, avec un accent croissant sur la construction
institutionnelle et la formation de capital humain rural.

35
Chapitre IV : Modèles du développement agricole

IV.1. Introduction

Consensus sur le rôle critique et indispensable de la croissance agricole dans


l’industrialisation et la croissance économique. Mais négligence du rôle du processus de
croissance par les économistes du développement : traitement exogène du progrès
technique et des innovations institutionnels.
Le développement agricole nécessite :
1) D’accélérer la croissance de la productivité et de la production agricole à un rythme
similaire à celui de la croissance des autres secteurs en voie de modernisation ;
2) D’examiner la dynamique du développement agricole pour identifier de nouvelles
sources de croissance.
Selon RUTTAN (1998), la plus grande partie du monde a vu son système agricole basé
sur les ressources évoluer vers un système agricole basé sur la science en moins d’un
siècle. Les approches du développement agricole peuvent être regroupées en six
catégories :
1. Exploitation des ressources productives (1700-1900-1950)
2. Préservation des ressources productives (1800-1900)
3. Localisation (1850-1950)
4. Diffusion (1900-1950)
5. Facteur à haut rendement (1950-1988)
6. Modèles à innovations induites
Ces catégories de modèles ne doivent pas être considérées comme des étapes
représentatives du développement agricole mais plutôt comme différentes sources de
croissance qui alimentent le développement.

IV.2. Le Modèle de l’exploitation des ressources

36
Le modèle des produits de base : l’expansion des terres cultivées et/ ou des pâturages a
permis l’accroissement de la production agricole. C‘est un modèle du débouché pour le
surplus explique la croissance rapide de la production et des échanges dans plusieurs pays
tropicaux au 19è siècle par l’exploitation de l’excèdent de capacité de production en terre
et travail par exemple, le riz du Vietnam, de Thaïlande et de Birmanie.
Le modèle des produits de base et de modèle du débouché pour le surplus furent la
source principale de développement agricole et économique.
Peu de régions peuvent encore utilisent ce modèle de développement.
 Intensification de la terre et de la main d œuvre
 Développement et vulgarisation de technologies de maintien et d’augmentation de
la productivité
 Investissement dans le capital humain et la R&D
Apports de ce modèle
1) Explorer les conditions dans lesquelles les ressources naturelles sous utilisées
peuvent être exploitées pour susciter la croissance de la production agricole.
2) Identifier les processus par lesquels les surplus agricoles peuvent être mobilisés pour
permettre la croissance de l’économie.

IV.3. Le modèle de la préservation des ressources

« Révolution » agricole anglaise ou l’évolution d’un système de polyculture-élévage


intégré intensif :
1. Système de rotation cultural plus intensif en remplacement du système à trois
champs (cultures arabes, cultures permanentes et pâturages),
2. Introduction de nouveaux fourrages ainsi que des engrais verts et de la fumure
animale (recyclage des nutriments des plantes),
3. Clôtures des terres, Investissements fonciers et augmentation de la productivité de la
terre.

37
Système de production agricole basé sur la préservation des ressources en utilisant des
facteurs produits par le secteur agricole lui-même. En Allemagne, c’est l’époque de la
doctrine de l’épuisement du sol. C’est aussi l’époque de la doctrine de la rareté des
ressources naturelles (rendement croissant du travail et du capital sur une terre) qui
s’accentuent avec la croissance économique et altère les niveaux de vie et la croissance
économique.
Plus récemment :
 Nouvelle analyse des hypothèses classiques de croissance agricole dans des
conditions de technologie préindustrielle,
 Rationalisation de la théorie de la préservation des ressources,
 Examen des conséquences à long terme de la production agricole.
Critique sur le point de vue classique : le modèle présente une vision trop simplifiées du
rôle de la terre dans le développement agricole.
En réalité, il y a trois observations pertinentes :
 L’offre de services de la terre est plus élastique.
 La fertilité du sol est une variable dépendante qui répond à un usage
intensif de la terre et non un déterminant de l’intensification elle-même. Il
existe un modèle de développement continu des systèmes les plus extensifs
aux systèmes intensifs.
 L’agriculture n’est pas un système fermé sur lui-même en raison du rôle
significatif des facteurs d’origine industrielle.
 Souci de rationaliser la théorie conservationniste en conflit avec des
problèmes contemporains :
 Stagnation de l’économie de 1930-1940
1. Prélèvement sur les ressources en 1940-45
2. Idées néo-malthusiennes après guerre
3. Mouvement écologiste de 1960
4. Crise énergétique de 1970

38
Les principales limites des idées des fondamentalistes de la préservation des ressources
ont pour origine le peu de reconnaissance du plein impact du progrès technique sur
l’emploi des ressources productives et sur la productivité en agriculture.
Les tests empiriques sur des séries de données de 1870 à 1957 rejettent la thèse de
pénurie pour le secteur agricole.
Toutes fois, le développement agricole selon le modelé conservationniste fut capable de
soutenir des rythmes de croissance agricole annuelle de 1%. La chine a développé son
agriculture selon le modèle conservationniste. Le taux de croissance agricole fut toutefois
inférieur au taux de croissance annuelle de la demande fluctuant entre 3 à 5%.

IV.4. Le modèle spatial

Le modèle conservationniste attribue les disparités géographiques de développement


d’abord à des différences d’environnement naturel.

Le modèle spatial explique les différences géographiques de localisation et d’intensité de


la production agricole dans une économie en voie d’industrialisation et d’urbanisation.
L’inspiration intellectuelle de ce modèle revient à Von THUNEN (1783-1850) qui
fournit des explications aux variations géographiques de :
 L’intensité optimale des cultures,
 L’organisation optimale d’une exploitation agricole,
 La localisation de la production agricole,
 Les techniques et intensités des cultures,
Incidences du modèle spatial pour le développement agricole moderne (Schultz, 1953) :
Les activités agricoles fonctionnent mieux lorsqu’elles sont bien situées par rapport à un
centre urbain et industriel de développement. D’où, la thèse de l’effet d’entraînement
urbano-industriel qui explique les différences géographiques de revenu et de
développement.

39
Les problèmes sont les suivants :
 Comment amorcer et accélérer la croissance économique ?
 Comment accéder à des technologies pour une croissance rapide ?
 Comment gérer la croissance des centres urbains ?

IV. 5. Le modèle de la diffusion

Diffusion :
 De meilleures pratiques agricoles
 De nouvelles variétés végétales et animales
 Gains de productivité en agriculture.

La base intellectuelle de l’effort de R& D en matière de gestion des exploitations et


d’économie de la production revient à l’économie rurale en parallèle à une contribution
relativement modeste des recherches des stations expérimentales à la croissance de la
productivité agricole jusqu’en 1950.
Mais la mise en œuvre généralisée de ce modèle dans les années 1950 a induit des erreurs
dans les choix des stratégies de développement agricole.
Les limites de ce modèle sont apparues de façon progressive lorsque les programmes
d’aide technique et de développement social ont échoué en ne suscitant ni la
modernisation rapide des exploitations agricoles traditionnelles, ni la croissance rapide de
la production agricole.

IV.6. Le Modèle du facteur à haut rendement

Début 1960, le constat de l’inadaptation des politiques basées sur le modèle de diffusion
remet en question :
 Le transfert des techniques des pays à haute productivité vers les pays à
productivité plus faible,

40
 L’existence d’une importante distorsion dans l’allocation des ressources chez les
agriculteurs modernisés et les agriculteurs retardataires dans les économies en
développement.
 La technologie est tout à fait spécifique à une zone géographique
 Les techniques élaborées dans les pays avancés ne sont pas nécessairement
transférables aux pays moins développés dont les ressources et les climats sont
différents.
Les gains de productivité de la réallocation des ressources dans l’agriculture paysanne
traditionnelle sont très limités (SCHULTZ)

41
Chapitre V : Progrès technique, risques et incertitude en agriculture

V.1. Définition

La technologie est définie par les économistes comme un stock de techniques disponibles
ou état des connaissances concernant la relation entre inputs et outputs physiques donnés
alors que le changement ou le progrès technologique est une amélioration dans l’état des
connaissances de telle sorte que les possibilités de production soient impulsées. Ce
dernier permet concrètement d’obtenir plus d’outputs avec une même quantité d’inputs
soit le même output avec une faible quantité d’inputs (Colman et Young, 1995).
Ellis (1993) confère un contenu encore plus clair aux différents concepts liés aux progrès
techniques en agriculture et appréhende la technologie comme l’ensemble des méthodes
de production qui sont ou peuvent être développées dans un état donné des
connaissances scientifiques. Le progrès technique fait alors référence aux avancées dans la
connaissance scientifique qui peuvent être ou sont porteuses des nouvelles méthodes de
production.
La technique quant à elle représente une méthode particulière de production, un procédé
particulier, une combinaison donnée des facteurs de production pour un niveau bien
établi d’output. Celle-ci est représentée par un point donné de l’isoquant ou de la courbe
d’isoproduit.

V.2. Types de progrès technique

Critères :
• Impact sur l’intensité factorielle dans le procédé de production : (changement
technologique « biaisé » vs « neutre »), et
• Degré de changement sur l’individu ou la société qui l’adopte (l’innovation«
simple », « irradiante » vs « système cohérent d’innovation »).

42
Les progrès biologiques sont ceux qui tendent à augmenter les rendements des plantes et
des animaux. Pour les productions végétales ces progrès se traduisent par l’amélioration
qualitative des facteurs de production à travers, par exemple, l’emploi des fumures plus
adéquates et équilibrées, l’usage des produits phytosanitaires dans la lutte contre les
maladies, la sélection des plantes,…alors que pour les productions animales, il s’agit des
progrès qui induisent un accroissement de la vitesse de croissance des animaux de
boucherie en tant qu’élément clé de l’efficience alimentaire et notamment : la sélection
des races, les améliorations dans l’alimentation, l’habitat et l’hygiène des animaux, la lutte
contre les maladies, l’usage des hormones de croissance,…
Les progrès mécaniques, quant à eux, tendent à faciliter et accélérer de nombreuses tâches
agricoles, ils consistent en une substitution du capital au travail et permettent de réaliser
un volume donné de production au départ d’une quantité moindre de ce facteur. Ces
progrès mécaniques comprennent l’usage des machines de labours et semis, l’amélioration
de la qualité des constructions, l’automation de certaines productions animales,… Leur
contribution en perspectives d’amélioration des rendements agricoles est indirecte et se
manifeste à travers l’affectation à d’autres productions du travail libéré par la
mécanisation.

Alors que les progrès mécaniques exigent des dimensions importantes pour les
exploitations qui les adoptent, sont prohibitifs pour de petits exploitants et de diffusion
lente, les innovations biologiques sont aisément adoptées en raison de la faiblesse des
investissements qu’elles exigent et ne justifient aucune discrimination au sein des
exploitations quant à leur dimension.
L’innovation « simple » est celle qui engendre des changements ne touchant que
partiellement le système de production, elle est facile à adopter. C’est le cas d’un nouvel
engrais, d’une nouvelle variété,…
L’innovation « irradiante » est celle dont l’impact sur le système de production est
important, il induit un bouleversement de tout le système au niveau de l’organisation du

43
travail, de l’équilibre financier, de l’augmentation des superficies,… C’est le cas de
l’introduction d’une nouvelle culture, de la mécanisation, …
Le « système cohérent d’innovation » traduit la situation où l’introduction de
l’innovation nécessite une restructuration au niveau des exploitations et au niveau de la
communauté villageoise dans leur globalité. C’est le cas des techniques de lutte contre
l’érosion, la désertification,…

V.3. Source de progrès technique en agriculture

Le développement des nouvelles machines agricoles et des nouveaux produits chimiques,


protégés par des brevets d’invention et des licences d’exploitation, est le fruit de la
recherche-développement au sein des entreprises privées rassurées quant à la rentabilité de
leurs investissements.
Les innovations en termes des nouvelles races animales et nouvelles variétés végétales,
plus difficiles à protéger, sont, de leur part, traditionnellement des résultats des
institutions publiques de recherche qui leur confèrent un statut de bien d’usage non
privatif et souvent mis gratuitement à la disposition des agriculteurs.
Il est néanmoins important de noter le rôle de premier plan jouer par le secteur privé
dans la production et promotion des innovations biologiques liées aux organismes
génétiquement modifiés.

V.4. Adoption des innovations technologiques en agriculture

La théorie économique de l’innovation induite en agriculture définit un lien entre les


choix technologiques des agriculteurs et les contraintes de leur environnement. Elle
établit que la dégradation de l’environnement peut se corriger en elle-même, la rareté des
ressources ou l’accroissement des coûts privés ou sociaux générés par la dégradation
induisant le développement et l’utilisation des nouvelles pratiques agricoles et de gestion
durable des ressources (Zeller, Minten, Lapenu, Ralizon, Randrianarisoa, 1998).

44
Théorie bâtie à partir des constats empiriques de Ruttan et Hayami, le concept de
l’innovation induite identifie les innovations et progrès techniques comme résultat des
inspirations des agents économiques face aux contraintes physiques qui se posent à
l’agriculture. L’émergence des innovations est influencée par les conditions économiques
et notamment la rareté des ressources ainsi que les opportunités économiques offertes.
Ruttan et Hayami constatent que le mécanisme d’innovation constitue non seulement la
réponse des firmes qui maximisent leur profit aux variations des prix du marché mais
aussi celle des institutions publiques et privées de recherche aux évolutions des dotations
factorielles et du contexte économique (Mounier, 1992). Pour ces auteurs, la dotation en
ressources, et tout particulièrement le rapport terre/homme, est la cause essentielle de la
direction du changement technique en agriculture.

Cette théorie suggère que la recherche du profit incite les firmes non seulement à se situer
sur la courbe d’efficience mais aussi à s’impliquer dans l’élévation du plafond
technologique à travers la recherche et l’adoption des innovations afin de dépasser les
limites imposées par le plein emploi des ressources. Les agriculteurs sont donc
caractérisés par une rationalité économique comme tout homo oeconomicus.
Plusieurs revues de la littérature confirment la théorie de l’innovation induite ainsi que
ses liens avec la dynamique des systèmes agraires. Ruthenberg (1980), à travers son
analyse des systèmes agraires tropicaux, dénombre de multiples innovations agricoles
associées à la croissance de la population, à sa densité et l’accroissement de l’intégration
des marchés dans les différentes zones agroécologiques. Il explique le changement des
techniques observées pour les cultures et la gestion des sols par l’augmentation de la
rareté des terres et la dégradation de la fertilité de celles-ci.
Sunding et Zilberman (2001) identifient par une approche historique l’évolution des
innovations technologiques dans leurs liens avec les systèmes agraires. La pression
démographique sur les ressources détermine historiquement l’évolution des systèmes
agraires, le processus d’intensification, dont les caractéristiques essentielles sont la

45
rotation des cultures, la pratique de la fertilisation, l’adoption des variétés à haut
rendement et des pesticides, entretient des liens étroits avec la densité démographique.
Les travaux de Boserup (1965) portant sur les causes de la faible adoption des
innovations agricoles dans les pays en développement définissent la densité de la
population et l’accès aux marchés, entre autres, comme les facteurs déterminants de
l’évolution des systèmes de production et, par conséquent, de l’adoption des innovations
agricoles. Tant que certaines conditions relatives à ces facteurs n’ont pas changé le
système risque de demeurer statique.

Dès lors certains constats empiriques quant au comportement des agriculteurs vis-à-vis de
l’innovation ne sont pas surprenants. Un faible engouement, une « inertie », voire une «
Paralysie », vis-à-vis des innovations agricoles caractérisent les exploitations des régions à
faible densité démographique (Stessens, 2002 ; Randrianarisoa, et Minten, 2003).

L’adoption et la diffusion définissent le processus qui fonde l’utilisation des innovations.


Les études du comportement d’adoption identifient les facteurs qui justifient ou non
l’usage d’une innovation par un agent économique particulier. Le terme adoption est
couramment utilisé dans la description d’un comportement individuel vis-à-vis d’une
innovation alors que la diffusion définit une tendance plutôt agrégée d’adoption.
Les études de diffusion mesurent la pénétration d’une innovation dans son marché
potentiel à travers, d’une part, la définition d’une courbe logistique de diffusion dans le
temps ainsi que la mesure de la vitesse de cette pénétration d’autre part (Gardner et
Rausser, 2001).
Le processus temporel de diffusion est représenté par une fonction logistique en « S »
selon plusieurs études empiriques des sociologues ruraux établissant ainsi l’existence
d’une multitude d’étapes et agents spécifiques.
La courbe logistique établie initialement par les travaux de Grilliches (1957, 1958) et
Rogers (1962), à partir des analyses sur l’introduction de maïs hybride dans l’Iowa, a été
confirmée par d’autres études empiriques.

46
Le processus de diffusion y est caractérisé par une période initiale pendant laquelle le
taux relatif d’adoption de l’innovation est bas, le « early adoption », suivie de la courte
période de pénétration et d’une large extension de l’innovation dans son marché
potentiel, le « take off », succédée à son tour par la « saturation » où la diffusion est
faible et son taux marginal décroissant après le pic des adoptions alors qu’il a gardé une
tendance croissante pendant les deux premières périodes.
 Pour certaines autres innovations, la saturation sera accompagnée du « déclin »
caractérisé par le remplacement de l’innovation par une nouvelle découverte
(Gardner et Rausser, 2001).
 Les études statistiques de diffusion qui fondent cette fonction logistique sont
estimées à partir des équations de la forme :
 Les études statistiques de diffusion qui fondent cette fonction logistique sont
estimées à partir des équations de la forme :
 Où Yt représente la diffusion de l’innovation au temps t (exemple : % des fermes
ayant adopté l’innovation en ce temps), K est la limite supérieure de la diffusion à
long terme, a reflète la diffusion au début de la période d’estimation, b étant la
mesure de la vitesse de la diffusion.
 Les différentes périodes du processus, auxquelles correspondent des types
particuliers d’agents, peuvent être visualisées à travers la figure ci-après :

Courbe logistique de diffusion de l’innovation (Colman et Young,1995)

47
L’analyse du processus de diffusion en termes d’agents permet de distinguer, dans toute
population, les pionniers innovateurs (i) des adopteurs précoces (ii), des majorités
précoce (iii) et tardive (iv) ainsi que des retardataires (v) en fonction de leurs moments
respectifs d’adoption pouvant correspondre à l’une ou l’autre étape du processus décrit
par la courbe logistique (Colman et Young, 1995).
L’adoption d’une innovation est un choix microéconomique dont les multiples variables
explicatives ont été identifiées par une série d’études théoriques et empiriques liées au
choix des agriculteurs en tant qu’agents économiques.

V.5. Source des innovations et progrès techniques en agriculture

 Résultat de l’expérience acquise dans la production, le « learning by doing », de


l’éducation de la main d’oeuvre en tant que capital humain ou encore des avancées
publiques et privées dans la recherche-développement.
 Le « learning by doing » est le processus d’apprentissage issu de l’expérience cumulée
de la main d’oeuvre, de la formation sur le tas et l’amélioration du savoir dont les
effets sur la production sont indéniables. La courbe d’apprentissage de Arrow est
alors la fonction reliant la productivité du travail au taux d’investissement de la
période précédente, elle établit que la qualification collective des producteurs est
proportionnelle aux occasions de produire.
 L’éducation quant à elle se présente comme le procédé d’incorporation du
changement technique à la main d’oeuvre, un véhicule obligé de la croissance selon
Schlutz.
 Le rôle de la recherche privée et publique dans l’avancement technologique ne devrait
pas occulter la place occupée par « les savoirs paysans » dans cette dynamique.
 Ils traduisent l’adaptation des ménages agricoles, par l’usage de leur savoir-faire
traditionnel, aux changements de leur environnement ainsi qu’une réponse aux

48
opportunités offertes confirmant ainsi l’existence de plusieurs canaux par lesquels les
nouvelles méthodes sont adoptées par les agriculteurs (Ellis,1993).

V.6. Effets de progrès technique

Le progrès technique offre des opportunités d’accroissement d’output agricole et


d’élévation des revenus (Colman et Young, 1995) et donc de sécurité alimentaire.
L’impact du progrès technique sur la fonction de production agricole peut être illustré
par les diagrammes facteur-produit, facteur-facteur ou produit-produit. L’exemple stylisé
de Colman et Young (1995) portant sur l’effet de l’introduction d’une nouvelle variété
de riz l’output total, le mix factoriel et la frontière des possibilités de production.

Le concept d’intensification

La notion d’intensification en agriculture de manière générale fait référence à la quantité


de capital ou de travail investie par unité de surface cultivée.
Selon Tirel (1987), l’intensification agricole des zones tempérées se réfère à l’évolution
des systèmes de production marquée par l’augmentation de la productivité du travail, de
la terre et du capital investi.
Dans le cas des zones tropicales et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest, Tourte
(1970) indique que l’intensification des systèmes de culture reste un objectif faisant
principalement référence à l’augmentation des rendements qui implique outre des
changements techniques, une sédentarisation des aires de culture et l’entretien de la
fertilité des sols cultivés.
La notion d’intensification telle que définit par Tirel (op.cit) se rapporte à un facteur
(terre, travail ou capital). Ce facteur est exploité de façon intensive lorsque l’on combine
à une quantité donnée de ce facteur des quantités croissantes d’autres facteurs. Cette
définition peut s’appliquer très bien pour les terres dans les régions où son accès est
limité (zones à forte densité de population). C’est ainsi que l’on a associé abusivement et

49
exclusivement à la notion d’intensification, l’augmentation de la productivité de la terre
due à l’augmentation des rendements.
Selon Melleville (1978), une véritable intensification n’est pas synonyme d’accroissement
des récoltes à l’unité de surface. Elle doit aussi assurer un maintien, voire une
amélioration de la fertilité du milieu. Par opposition, les systèmes extensifs sont souvent
générateurs d’une dégradation du milieu et gaspille un espace utile agricole qui n’est pas
illimité. La logique du système extensif est la satisfaction immédiate des besoins tandis
que celle du système intensif est le désir d’assurer en plus de la satisfaction des besoins la
pérennité du système. Les perspectives d’évolution agraire ne devraient donc pas
s’apprécier à travers les seules perspectives d’intensification ou plutôt convient il d’en
adopter une vision élargie de l’intensification.
Pour Couty (1991), une agriculture intensive est celle qui utilise beaucoup de facteurs de
production autre que la terre. L’intensification correspond donc pour une quantité de
terre donnée, à un accroissement de travail et ou de capital. On parlera alors d’un système
de production intensif en travail (respectivement en capital) lorsque pour accroître la
production et donc la productivité par unité de surface, on a recours à plus de travail
(respectivement plus de capital par unité de surface). Pour les systèmes intensifs en travail
et en capital, l’augmentation de la production se fait par l’accroissement des deux
facteurs.
L’intensification peut également se faire par l’augmentation de la productivité du travail
par l’accroissement du capital investi ; c’est le cas pour les grandes exploitations
fortement mécanisées des zones tempérées où des exploitations ont développé des
élevages hors sol.
Couty (1991) associe la notion d’intensification à celles d’innovation et de durabilité en
faisant correspondre à l’intensification les innovations qui permettent de produire
durablement autant ou davantage de produits.
Pour la FAO (1996), l’intensification est définie comme l’augmentation des rendements
et des revenus agricoles par l’utilisation plus importante et plus efficace des ressources
naturelles et des intrants externes.

50
On peut aussi considérer que les systèmes agricoles intensifs parviennent à une réelle
intégration entre secteurs d’activités en particulier pour les régions Sub-Sahéliennes entre
agriculture et élevage.
L’intensification se traduit par une manipulation et une transformation croissante du
milieu cultivé. La maîtrise technique qui la sous-tend repose de plus en plus sur des
critères d’artificialisation du milieu (modifications de structure du sol et tous les apports
réalisés par l’homme pour améliorer les potentialités naturelles du milieu, favorables au
bon développement du matériel biologique) au détriment des principes adaptatifs qui
régissaient le fonctionnement et la viabilité des systèmes agricoles extensifs.
L’intensification peut ainsi avoir des définitions variables et se rapporter à différentes
trajectoires d’évolution des exploitations agricoles.

Les différentes formes d’intensification

Comme indiquer précédemment, l’intensification peut se faire soit à base de capital soit à
base de travail. L’intensification à base de travail intervient lorsque l’espace est limité ou
totalement occupé et que la main d’oeuvre est abondante et le capital rare. Dans ce cas
(Badouin, 1971), il est possible d’augmenter la production agricole par l’introduction de
techniques simples et par l’emploi d’intrants donnant à court terme des résultats
appréciables (techniques traditionnelles de conservation des eaux et des sols, fumure
organique, respect du calendrier cultural). Gret (1985) signale toutefois que
l’intensification à base de travail connaît deux limites ; d’une part la rentabilité du travail,
car l’intensification n’est pratiquée que si elle reste compétitive avec les alternatives
d’emploi ; d’autre part la non valorisation des technologies disponibles.
L’intensification par le capital se traduit par l’utilisation accrue d’inputs, notamment
organiques et chimiques, la mécanisation ou la motorisation et l’utilisation de variétés
améliorées.

L’intensification par l’utilisation de la matière organique et d’engrais minéraux

51
A cause de l’importance de la pression sur les ressources naturelles, la reconstitution de la
fertilité des terres par les jachères devient une alternative moins employée. Les options
techniques sont surtout l’utilisation de la fumure organique et des engrais minéraux.
Les restitutions organiques constituent dans plusieurs systèmes de culture un apport
organique et minéral essentiel, IRAT (1987). Deux types de restitution organique
méritent une attention particulière : les engrais verts et les fumiers.
Dans la pratique, l’utilisation des engrais verts se heurte à une contrainte
socioéconomique importante car pour être efficace, un engrais vert doit être conduit
comme une véritable culture avec les coûts que cela suppose alors qu’aucun revenu
monétaire n’est obtenu l’année même de sa valorisation (IRAT,1987).
Certains systèmes de culture essaient de pallier cet inconvénient par une valorisation
intermédiaire (pâturage partiel) ou par le biais de cultures associées ou dérobées à la
culture principale. Les systèmes de cultures associées consommables et ou
commercialisables demeurent les plus attrayants pour les petits exploitants agricoles.
Le fumier joue un rôle très favorable comme source d’éléments minéraux assimilables,
comme inoculum bactérien et comme agent d’amélioration des propriétés physiques et
hydriques des sols. Le fumier et les résidus organiques sont d’une grande importance
pour l’entretien de la productivité du sol, mais leur utilisation complète comme engrais
ne fournirait qu’une proportion faible des éléments nutritifs nécessaires pour des niveaux
de rendement élevés (FAO,
1981).
Les engrais minéraux constituent un puissant moyen d’intensification. Les rendements
moyens des cultures céréalières dans les pays développés ont triplé et quadruplé depuis
les années 1950 avec le développement d’engrais azotés. L’impact des engrais minéraux
s’est ressenti également dans de nombreux pays en développement à travers la révolution
verte (FAO, 1981).
Dans le cas des pays de l’Afrique de l’ouest, la consommation d’engrais par unité de
surface est très faible. Sur les superficies cultivées, la consommation varie entre 3 et 12
kg/ha, ce qui est très faible comparativement à la moyenne mondiale d’environ 85

52
kg/ha, et à la moyenne française de l’ordre de 195 kg/ha (SOFRECO, 1988). La limite
agronomique à l’utilisation des engrais est donc loin d’être atteinte dans ces pays.
Il faut souligner que même dans le cas d’apport massif d’engrais chimique, le maintien de
la fertilité organique des sols apparaît très important. L’intensification ne procède jamais
durablement d’une fertilisation exclusivement minérale et s’accompagne toujours d’un
développement de la fumure organique, condition de la valorisation des engrais. En
particulier, l’intensification s’accompagne dans presque tous les cas d’une intégration
poussée de l’agriculture et de l’élevage. Pour Malton (1985), l’agriculture qui utilise de
fortes doses d’intrants (engrais, semences améliorées, pesticides) peut contribuer au
rétablissement de la fertilité des sols. Il est possible d’accroître considérablement les effets
de ces derniers par des mesures de conservation des sols, notamment la culture suivant les
courbes de niveau, l’aménagement des diguettes et les labours en billons.

L’intensification à base de variétés améliorées

Les semences sont les intrants les plus importants pour l’agriculture de type classique.
Elles renferment le potentiel génétique de la plante qui détermine la limite supérieure du
rendement et partant, de la productivité finale des engrais, des produits agro-chimiques et
d’autres intrants. Les semences améliorées (génétiquement ou dans leurs caractéristiques
physiques et physiologiques) permettent d’accroître la productivité et la rentabilité d’une
culture comme l’a démontré la révolution verte en Asie (World Bank et al., 1991).
Cependant les rendements potentiels des variétés améliorées ne peuvent être obtenus que
moyennant le recours à de fortes doses d’intrants à l’hectare (engrais chimiques,
herbicides, pesticides) (Milleville, 1994). Il convient dans ce cas, pour les pays africains,
de développer et d’utiliser une technologie équilibrée d’engrais et de semences pour
atteindre les objectifs de production et de maintien de la fertilité des sols.

L’intensification par la mécanisation

53
Le travail manuel offre beaucoup moins de possibilités d’intensification que la traction
animale. On ne peut envisager avec une houe d’enfouir des résidus de récolte ou de
remettre en culture une prairie artificielle (Cauquil, 1980).
L’innovation en matière de mécanisation permet l’accroissement des niveaux de
productions par des labours qui peuvent permettre d’enfouir la matière organique,
d’augmenter la réserve utile des sols et de ralentir l’érosion. La mécanisation permet
également d’augmenter la productivité du travail par l’utilisation de l’énergie animale.
Différents auteurs (Roth et al 1986 ; Fusiller, 1994), montrent dans des études menées
au Burkina et au Cameroun, que le rendement de maïs s’élève de façon significative avec
le niveau de mécanisation. Selon Jabert (1985), dans les conditions moyennes
d’utilisation de la culture attelée, un labour de début de cycle à 15 cm de profondeur sur
sols ferralitiques peu épuisé permet une augmentation du rendement de plus de 50% sur
le riz, de 25 à 40% sur le coton, 25 à 46% sur le maïs, 11 à 23% sur l’arachide, 15 à
36% sur le sorgho et 6 à 24% sur le mil. La mécanisation permet une meilleure maîtrise
des cultures par un respect du calendrier optimal et une bonne densité de semis si elle est
bien maîtrisée. Dans le cas contraire son impact peut rester faible.
Si la traction animale a permis l’accroissement de la production agricole, elle n’a pas
abouti à l’intensification agricole espérée. En effet, son usage s’est traduit dans tous les
cas par un accroissement des superficies cultivées (dans les régions où la terres était
disponibles) que par l’intensification. Ce qui a fait dire à certains qu’elle est un facteur de
dégradation de l’environnement.

Intensification par les techniques de maîtrise de l’eau

Historiquement, la maîtrise de l’eau a été d’abord conçue en terme d’apport d’eau,


d’irrigation et d’aménagement hydro-agricole. Ces techniques réduisent les risques de
déficit hydrique et par conséquent favorisent l’intensification agricole. Elles permettent
souvent deux cultures annuelles et fournissent de meilleurs rendements. Cependant,
compte tenu du coût élevé de l’irrigation, sa réalisation devient difficile par les paysans

54
individuellement. En absence de possibilité d’irrigation, les techniques de préparation des
sols et d’entretien des cultures comme le labour, les cordons pierreux, le travail scarifiage,
le billonnage, le buttage, permettent de juguler le problème de l’alimentation hydrique.

Les conditions pour la réalisation de l’intensification agricole

Selon Surech (1995), l’intensification ne se décrète pas, c’est un processus coûteux en


travail, en capital et en savoir faire qui demande plus d’investissement et qui rend
l’activité agricole plus risquée. L’intensification agricole ne se produit donc que
lorsqu’elle est nécessaire, lorsqu’elle est rentable et si les inputs nécessaires sont
disponibles. Ces conditions font appel à la saturation foncière consécutive à la pression
démographique, à l’existence d’un marché potentiel et à l’existence d’un environnement
social et économique favorable.
Lélé (1989) distingue deux types d’intensification en fonction des déterminants
: une intensification autonome provoquée par la pression démographique et les
conditions du marché (surtout l’accessibilité au marché) et une intensification
interventionniste résultant de l’adoption d’une culture de rente et des mesures
d’accompagnement tel le crédit agricole, les subventions d’intrants, l’encadrement et les
aménagements hydro-agricole avec maîtrise de l’eau.

La pression démographique et la saturation foncière

Les réalités paysannes indiquent qu’un niveau de pression sur les terres et une certaine
densité de la population sont nécessaires pour que les paysans soient prêts à intensifier
l’agriculture. Ceci est assez rationnel compte tenu des alternatives disponibles dans le cas
où les ressources naturelles permettent l’expansion des champs (FAO, 1996).

Du fait de la saturation du foncier cultivable, l’accroissement de la production agricole


passe obligatoirement par une intensification des systèmes de culture pour une

55
augmentation des rendements. Une étude menée par Lena (1978) montre qu’il est
difficile de passer à une agriculture intensive en l’absence de blocage foncier. Malgré les
appels à l’intensification en Afrique tropicale, les paysans ont poursuivi les défrichements
en vue de la réduction du travail et de l’occupation de l’espace qui est restée une
motivation en prévision du droit successoral moderne (cas des forêts ivoiriennes).
Pour Boserup (1970), la croissance démographique constitue un moteur à
l’intensification en poussant les sociétés agraires à accroître la production agricole pour
répondre à l’augmentation des besoins. Ceci implique un changement des méthodes de
culture qui deviennent plus intensives et plus exigeantes en travail à l’unité de surface.
La croissance continue et rapide de la population s’est traduite plus ou moins tôt par une
saturation de l’espace agricole utile (Melleville, 1994). La terre est alors devenue une
ressource rare tant quantitativement que qualitativement. La pression des surfaces
cultivées s’est exercée aux dépens des jachères.
L’intensité culturale mesurée par le rapport entre le nombre d’années de mise en culture
et la durée totale du cycle d’utilisation du sol s’est progressivement accrue. D’itinérante,
l’agriculture s’est peu à peu fixée et s’est intensifiée.
On observe en pays Bamiléké en Côte d’Ivoire un parallélisme entre l’accumulation
démographique et l’intensification de l’agriculture (Dongmo, 1978). Ainsi dans le Sud
où les densités sont inférieures à 100 habt/km2, l’agriculture intensive n’existe qu’en
petites tâches isolées tandis qu’elle est au contraire continue dans le Nord où la charge
humaine dépasse fréquemment 200hab/km2. Surech (1995), cite le cas des environs de
Kano au Nigeria qui illustre de façon extrême les perspectives de l’intensification sous
forte pression démographique. La présence d’une ville de 1,4 millions d’habitants au
milieu de zones rurales où la densité atteint 300 habitants/km2 en moyenne représente
un cas extrême en Afrique de l'ouest. Cette région pour laquelle on mentionne seulement
1/3 des jachères en 1913, était déjà cultivée à 100 % en de nombreux endroits en 1964
et la terre y apparaît comme un facteur limitant. La fertilité des sols apparaît bien
stabilisée sur les petites exploitations essentiellement grâce à l’usage d’engrais organique
(fumier, compost et déchets urbains). En dépit de ses très fortes densités de population,

56
la région de Kano apparaît comme un agro système quasiment stabilisé, après plusieurs
décennies de culture permanente. La majorité des paysans ont intensifié leur production à
un niveau élevé, essentiellement par l’augmentation du travail consacré aux cultures et
l’achat d’éléments nutritifs complémentaires majoritairement organiques. A Koutiala au
Mali où la saturation foncière est également ancienne, les logiques intensives dominent.
Le produit brut à l’hectare est le principal déterminant des revenus par personne, les
surfaces n’interviennent que comme critère secondaire. On n’atteint des revenus
supérieurs à la moyenne qu’avec de bonnes performances à l’hectare.

L’existence de marché

L’existence de marché est un facteur déterminant de l’intensification (Boserup, 1970).


Les paysans assurés de pouvoir écouler leurs produits recherchent le maximum de profit
possible en augmentant le niveau de productivité agricole par l’intensification en y
investissant une partie de leur revenu. C’est le cas des zones rurales environnant les grands
centres urbains (Kano au Nigeria). Dans d’autres cas, l’intensification est liée à une
culture de rente avec des débouchés sûrs. L’existence de marché favorise l’intensification
des cultures de rente et permet d’obtenir des rendements élevés (Von Braun et al., 1986).
Un exemple d’intensification lié au développement d’une culture de rente et donc à
l’existence de marché est donné par l’évolution de la zone Mali Sud où le coton offre un
marché relativement sûr et rémunérateur depuis plusieurs décennies (cas de Koutiala).
Dans le cadre d’un système fortement orienté vers la production commerciale,
l’intensification qui vise à sauvegarder un revenu agricole est techniquement et
économiquement possible. Dans ce cas, le processus d’intensification est profitable et
dégage plus d’excédents dont l’intégration à l’économie générale est plus importante par
la vente de surplus et par l’achat d’intrants. L’exemple de l’intensification du coton est
aussi valable dans plusieurs pays de l’Afrique de l’ouest.
Dans un environnement risqué de marché de produits et de facteurs de production et
d’absence d’assurance de marché, les paysans s’assurent contre le risque d’insécurité

57
alimentaire en produisant pour leur auto-suffisance. Lorsqu’il n’existe pas de marché en
situation de saturation des terres agricoles, les paysans n’ont d’autres choix que de
développer des activités extra-agricoles ou de migrer vers les zones urbaines ou des zones
rurales plus favorables.
Pour permettre l’intensification et maintenir une productivité de l’agriculture à un niveau
élevé, des revenus par la vente de produits sont nécessaires pour l’acquisition des intrants.
Le moteur de l’intensification semble être une culture de rente ou la vente des produits
de l’élevage (FAO, 1996). L’intensification des systèmes de production vivrière s’est faite
par le biais des cultures de rente qui procurent un revenu souvent nécessaire pour accéder
au crédit agricole mais aussi pour supporter les coûts de l’investissement. C’est le cas de la
zone cotonnière du Burkina Faso où l’engrais utilisé au niveau des cultures vivrières est
remboursé à la vente du coton.

L’existence d’un environnement social et économique favorable

Plusieurs conditions sociales et économiques sont nécessaires pour une intensification de


l’agriculture. Il est peu probable que l’intensification de l’agriculture se réalise si les
conditions suivantes ne sont pas réunies : la sécurisation foncière, la disponibilité de
diverses options technologiques qui soient rentables et favorables à l’environnement et
l’accès aux intrants (semences, engrais et pesticides) qui accompagnent les technologies.

L’absence d’un droit de propriété écrit est un des obstacles les plus importants à
l’intensification de l’agriculture (Gbiki, 1995) ; les paysans n’ayant aucune garantie qu’ils
continueront de jouir de leur terre une fois que celle-ci aura bénéficié d’améliorations.
Pour faciliter les investissements nécessaires à l’accroissement de la production, au
maintien et à l’amélioration de la fertilité des sols, il faudra assurer la sécurisation des
exploitations agricoles. En effet, au niveau de l’agriculture intensive, le capital foncier ne
s’identifie plus avec le sol, le sous-sol et le micro-climat ; il comporte également toutes les
modifications et tous les investissements réalisés par l’agriculteur en vue d’une

58
amélioration du milieu naturel (Desclaude et al, 1976). Et pour une telle «
artificialisation » du milieu, le paysan a besoin d’un droit de propriété sur le sol qu’il
cultive.
Niang (1978) indique également que la contrainte principale d’une opération
d’intensification est celle de la terre. Il faut clarifier la situation foncière des paysans. Si le
statut foncier des chefs d’exploitation est consolidé, on peut passer à une intensification
agricole. La précarité de la tenure foncière représente très souvent un handicap majeur
pour l’intensification. L’agriculture intensive exige un régime de propriété privée et par
conséquent l’abandon du régime foncier communautaire (Gourou, 1991).
L’intensification exige aussi l’existence de technologies rentables et l’accès aux intrants
qui accompagnent ces technologies. Les faibles revenus d’une grande partie des paysans
des pays de l’Afrique subsaharienne et du Burkina Faso en particulier et leur faible
pouvoir d’achat sont des contraintes majeures par rapport aux stratégies d’intensification
de l’agriculture (Van Der Linde et al, 1993). L’acquisition d’équipement et la
consommation des engrais sont limitées, malgré l’existence des besoins, parce que les
paysans ne disposent pas de ressources financières suffisantes pour s’en procurer. Au
Burkina Faso, à l’exception des zones cotonnières du Sud et de l’Ouest du pays et des
zones périurbaines, la capacité financière des paysans à assurer une transformation des
systèmes de production en utilisant davantage d’intrants demeure faible. La mise en place
d’un système de crédit adapté aux zones non cotonnières pourrait résoudre ce problème.
L’intensification est également soumise aux fluctuations des prix relatifs des intrants
achetés et des produits vendus. L’utilisation d’engrais comme intrant le plus important
dans le cadre de l’intensification agropastorale semble freinée avec le coût élevé des
engrais et la rareté du crédit.
Les politiques visant l’intensification devront inclure les infrastructures routières, les
coûts de transport, les aménagements hydro-agricoles avec maîtrise de l’eau et le crédit
agricole. Binswanger et al (1991) insistent sur les infrastructures et l’accès au crédit en
milieu rural pour accélérer l’adoption de nouvelles technologies par les paysans
majoritairement pauvres.

59
Pour promouvoir une agriculture plus productive, plus rémunératrice pour les
producteurs et de mettre en place des systèmes de production durable et reproductible, il
appartient aux Etats de prendre l’initiative, de créer un contexte législatif, administratif,
économique et politique favorables aux initiatives locales. Les Etats doivent également se
charger de la mise au point d’innovations techniques et économiques de leur diffusion, de
la sécurité foncière et de la gestion des ressources naturelles (Mercoinet, 1990).
Cependant les Etats ne seront efficaces dans ces domaines que s’ils agissent en
concertation avec les acteurs locaux et s’ils les associent effectivement.

V.2. Risques et incertitudes

Les risques et incertitudes comme notions omniprésentes dans le fonctionnement des


filières agricoles africaines, peuvent être naturels et porter sur les conditions climatiques,
sur la vulnérabilité sanitaire des cultures, soit provenir des changements institutionnels et
politiques et/ou être assis sur les conditions économiques de fonctionnement interne des
filières (production, transport, stockage, commercialisation, …) ou encore sur les prix
des produits (Thomson et Metz, 1999).
Les risques liés au secteur agricole jouent sur les comportements des agents économiques
essentiellement en raison de l’incidence directe ou indirecte qu’ils exercent sur leurs
décisions d’affectation des ressources, lesquelles déterminent leurs revenus futurs.
Les risques et incertitudes économiques, liés aux prix et débouchés des produits, sont
importants dans les économies agricoles pauvres où l’accès aux marchés demeure
hypothétique étant donné le faible développement des infrastructures et les structure,
comportement et performance de la chaîne de commercialisation défavorables au
développement agricole.
Ils réduisent la profitabilité économique, et l’attractivité de toute innovation (Griliches,
1957, cité par Sunding et Zilberman, 2001; Randrianarisoa et Minten, 2000) et fondent
le rôle des marchés et des coûts de transaction dans la commercialisation comme

60
contrainte à l’adoption du progrès technique (Rutthan et Hayami,1985 ; Byerlee, Diao
and Jackson, 2005).
Les risques et incertitudes économiques, liés aux prix et débouchés des produits, sont
importants dans les économies agricoles pauvres où l’accès aux marchés demeure
hypothétique étant donné le faible développement des infrastructures et les structure,
comportement et performance de la chaîne de commercialisation défavorables au
développement agricole.
Ils réduisent la profitabilité économique, et l’attractivité de toute innovation (Griliches,
1957, cité par Sunding et Zilberman, 2001; Randrianarisoa et Minten, 2000) et fondent
le rôle des marchés et des coûts de transaction dans la commercialisation comme
contrainte à l’adoption du progrès technique (Rutthan et Hayami,1985 ; Byerlee, Diao
and Jackson, 2005).
Exemples de risques :
• L’altération ou la perte des facteurs de production (incendie d’un bâtiment,
destruction d’un verge par une tempête, la maladie ou le décès de l’exploitant
l’accident de travail, etc.
• Des dégâts causés aux productions ( la grêle sur la récoltes, la mortalité du bétail,
etc.)
• Des dommages causés à des tierces personnes et engageant la responsabilité civile de
l’exploitant (accident causé à des tierces par les tracteur, les machines, les animaux,
etc.)

L’incertitude n’est pas probabilisable et traduit, dans son aspect radical, l’impossibilité de
dresser la liste de tous les états futurs possibles d’un phénomène économique (Ellis,
1993).
L’incertitude correspond à une situation où l’information dont on dispose est si pauvre
qu’il devient impossible d’identifier les différents résultats d’une action donnée et
attribuer une loi de probabilité aux différents résultats possibles d’une action.
Aux situations d’incertitude correspondent aux situations suivantes :

61
• L’incertitude climatique consistant dans les variations imprévisibles, tout au moins
dans l’état actuel des connaissances, des éléments climatiques (température, pluie,
isolation) indispensable à la croissance des végétaux.
• L’incertitude économique consistant dans les variations non connues ex ante des
conditions d’offre et de la demande définissant le prix de vente de produit et le prix
d’achat de facteur de production.
• L’incertitude technique naissant surtout du rythme accéléré auquel se produisent les
progrès techniques dans tous les domaines de la production agricole.
• L’incertitude institutionnelles consistant dans l’imprévision totale dans les
variations du cadre politique et juridique dans lequel les producteurs exercent leur
profession et qui définit leurs droits, devoirs et les engagements des pouvoirs
publiques envers eux, leurs relations avec d’autres groupes (ouvriers, propriétaire,
etc.).

Les risques et incertitudes sont omniprésentes dans le fonctionnement des filières


agricoles africaines, et peuvent être naturels et porter sur les conditions climatiques, sur la
vulnérabilité sanitaire des cultures, soit provenir des changements institutionnels et
politiques et/ou être assis sur les conditions économiques de fonctionnement interne des
filières (production, transport, stockage, commercialisation, …) ou encore sur les prix
des produits (Thomson et Metz, 1999).
Ils jouent sur les comportements des agents économiques essentiellement en raison de
l’incidence directe ou indirecte qu’ils exercent sur leurs décisions d’affectation des
ressources, lesquelles déterminent leurs revenus futurs.

62
Chapitre VI. Economie de Marché Agricole

VI.1. Rappel
Le marché d’un bien particulier est le lieu de rencontre des offreurs et des demandeurs. Il
permet l’échange à un certain prix, appel é prix de marché, d’un bien contre de la
monnaie. Ceci suppose un système juridique et une unité monétaire.
L’échange marchand doit en effet être encadré par des règles de droit qui doivent en
particulier garantir les droits de propriété. En outre, il recourt à la monnaie pour
résoudre le problème de la double coïncidence des besoins.
Un marché est le lieu théorique où se rencontrent l’offre et la demande d’un bien
particulier. Les courbes d’offre et de demande symbolisent les comportements des
offreurs et des demandeurs.
Les déterminants de la demande sont :
 Le revenu ;
 Les prix des biens complémentaires (Voiture et essence) et substituables (DVD
ou cinéma) ;
 Les préférences des consommateurs influencées par la mode ou la publicité ;
 Les prévisions qu’ils effectuent. Par exemple la crise développe la crainte du
chômage et la consommation s’en ressent ;
 Les facteurs naturels : le climat augmente par exemple la demande de maillots de
bain.
Les déterminants de l’offre sont :
 Essentiellement les coûts de production auxquels les entreprises ajoute une marge
bénéficiaire ;
 Le progrès technique ;
 Les anticipations ;
 L’abondance plus ou moins importante des ressources naturelles

63
Concurrence parfaite
• Un marché de concurrence parfaite satisfait les conditions suivantes :
• Le nombre d’offreurs et de demandeurs est élevé. Ainsi, l’offre ou la demande de
chaque agent est négligeable par rapport à l’offre ou à la demande totale. Par
conséquent, aucun agent ne dispose d’un pouvoir de marché qui lui permettrait
d’influencer les prix. Les marchés agricoles sont assez proches de cette situation.
• Les biens échangés sur le marché sont semblables en qualité et en caractéristiques. Ils
sont donc interchangeables. Cela signifie que si deux biens sont suffisamment
différents, il y aura un marché pour chacun.
• Le marché est transparent, c’est-à-dire que les agents disposent gratuitement de toute
l’information nécessaire à leurs choix. Par exemple, un consommateur connaît le prix
pratiqués chez les différents commerçants. Il peut donc acheter les biens qu’il
souhaite consommer au moindre prix. Cela signifie qu’un commerçant qui
pratiquerait un prix plus élevé que les autres n’aurait aucun client tant que les autres
vendeurs auraient des stocks suffisants pour faire face à la demande. Tous les
vendeurs vont donc vendre leurs produits au même prix.
• Les consommateurs et les producteurs sont libres d’entrer et de sortir du marché.
Considérons par exemple un marché sur lequel le coût de production des vendeurs est
inférieur au chiffre d’affaires. Les vendeurs réalisent donc un profit strictement
positif.
• Si l’hypothèse de libre entrée est vérifiée, de nouvelles entreprises, attirées par les
perspectives de profit, vont décider d’entrer sur le marché. Cela va augmenter la
quantité de biens disponibles sur le marché et vraisemblablement favoriser une baisse
du prix de vente. L’arrivée d’entreprises nouvelles va se poursuivre jusqu’à ce que les
perspectives de profit disparaissent. Toutes les entreprises intervenant sur le marché
auront alors un coût de production égal à leur chiffre d’affaires et feront un profit
nul.
• Les facteurs de production circulent librement. Le capital et la main-d'œuvre se
dirigent spontanément vers les marchés où la demande est supérieure à l’offre. La

64
concurrence parfaite est rarement observée dans la réalité, mais constitue une situation
de référence utile.

La concurrence imparfaite
• On parle de concurrence imparfaite pour qualifier un marché qui ne vérifie pas au
moins l’une des hypothèses de la concurrence parfaite. La concurrence parfaite lamine
les profits des producteurs ; ils cherchent donc à limiter la concurrence pour acquérir
un pouvoir de marché. Traditionnellement, on distingue deux grandes catégories de
marchés caractéristiques de la concurrence imparfaite : les marchés oligopolistiques et
les marchés de concurrence monopolistique.
• La théorie des marchés de concurrence imparfaite permet d’analyser la formation des
prix et la répartition du bien-être entre les catégories d’agents en fonction des formes
de concurrence.
• Les marchés oligopolistiques
• Sur les marchés oligopolistiques, le nombre peu élevé où la taille de certains
producteurs en situation de domination sur les autres firmes réduit la concurrence par
les prix. Les producteurs peuvent alors vendre à un prix supérieur au prix de
concurrence parfaite, ce qui leur procure un surprofit mais nuit aux acheteurs. Le
monopole est un cas extrême : dans cette situation, un seul vendeur fait face à un
grand nombre d’acheteurs.
• Sur un marché en situation de monopsone, un seul acheteur fait face à un grand
nombre de vendeurs. Les producteurs agricoles peuvent se trouver dans une situation
proche face à la grande distribution.
Les marchés de concurrence monopolistique
 Sur les marchés de concurrence monopolistique, de nombreux producteurs sont
en concurrence effective, mais chacun peut différencier ses produits de ceux de ses
concurrents. Le consommateur peut choisir dans une gamme élargie de produits,
ce qui le satisfait, mais le prix est supérieur au prix de concurrence parfaite (par
exemple, une marque de lessive qui développe un produit plus efficace et plus

65
respectueux de l’environnement ou, plus généralement, l’effet des marques sur les
consommateurs).

V.2. Systèmes d’Approvisionnement et de Distribution Alimentaire (SADA) dans les


PED (Mastaki, 2006)
(Lecture obligatoire pour chaque étudiant)

La commercialisation des produits agricoles est le lien entre le monde rural et la ville. Elle
permet à la société de jouir des avantages de la spécialisation et de la répartition du travail
gages de la croissance économique et de l’amélioration des conditions de vie. Seul un
système de commercialisation performant peut garantir que les produits agricoles,
généralement périssables, atteignent le consommateur en quantité, qualité et prix voulus
(Tollens,1997).
Colman et Young (1989) établissent que la commercialisation agricole est le processus
économique par lequel les transferts des droits de propriété des produits agricoles
s’opèrent des producteurs primaires, les agriculteurs, jusqu’aux consommateurs finals. Il
s’agit d’une chaîne pouvant être appréhendée soit en termes institutionnels par le biais des
différents agents intervenant dans le flux des droits à divers niveaux du processus soit en
termes fonctionnels à travers les différentes activités qui accroissent la valeur ajoutée des
produits.
L’approche systémique de la commercialisation établit que celle-ci est constituée par un
ensemble d’éléments en interaction dynamique et organisé en fonction d’un but. Le
réseau des relations fonctionnelles entre divers éléments du phénomène produit un
comportement d’ensemble tel que le système réagit comme un tout à divers stimuli,
même lorsque le stimulus intervient uniquement dans une composante du système.
Le système de commercialisation agricole constitue en définitive un ensemble
opérationnel interconnecté et lié caractérisé par un triple flux en termes informationnels,
financiers et réels sur lequel influent des forces externes d’ordre économique, politique,
social et culturel (Tollens, 1997).

66
Le système de commercialisation des pays en voie de développement part de la
production et la transformation des produits, à la ferme, jusqu’à la consommation des
produits. Il comprend les opérations liées à la collecte, l’emballage, le triage, le transport
et les importations dans sa première partie appelée « approvisionnement » ainsi qu’un
second segment : le « circuit de distribution » dont les composantes sont les ventes en
gros, semi-gros, détail et éventuellement micro- détail dans la concrétisation du lien avec
le consommateur.
La notion de chaîne de commercialisation met l’accent sur les étapes et le flux de valeur
ajoutée le long du système de commercialisation.
En règle générale plus la chaîne de commercialisation est longue et complexe, plus les
coûts de commercialisation sont élevés et l’amélioration du système devra aboutir à une
diminution de la marge de commercialisation à travers, par exemple, la réduction des frais
de collecte, de transport, de distribution, de stockage, d’emballage,…l’augmentation de la
marge ne devant répondre qu’à des nouveaux services incorporés au produit.
L’approche économique de l’étude des systèmes d’approvisionnement et de distribution
alimentaire n’est pas uniforme mais le souci commun aux différentes démarches est
l’analyse du niveau d’efficacité de la distribution (Aragrande, 1997). L’approche
économique traditionnelle relève de l’adoption des fondements de l’équilibre néoclassique
général considérant les SADA comme un ensemble des marchés coordonnés où les forces
de la demande et de l’offre se confrontent à tous les niveaux, le prix étant le seul moyen
de coordination entre eux dans le temps (transformation et stockage) et dans l’espace
(transport).
L’efficacité des marchés est liée à des hypothèses sur l’environnement économique et
concerne en dernier lieu la concurrence, l’information, l’accès au marché et la rationalité
des agents. Un système de marché est efficace dans la mesure où la concurrence y est
parfaite, l’accès libre, les informations disponibles pour tous et à un coût zéro, et où les
agents réagissent aux variations des prix de façon rationnelle. Sur ce marché, tout bien ou
service économique est échangé à un prix qui est sa valeur économique et représentant un

67
optimum pour le système où les ressources sont allouées de façon optimale (Aragrande,
1997).
L’analyse empirique des marchés alimentaires identifie des écarts vis-à-vis de ce modèle
néoclassique canonique. Les marchés réels manifestent des imperfections faisant appel, à
la limite, à des politiques d’intervention et invitent à définir des nouvelles approches
d’étude de l’efficacité des SADA axées sur les fondements de la Nouvelle Economie
Institutionnelle et l’analyse des filières.
Au niveau opérationnel, l’efficacité des marchés est évaluée à l’aide de l’analyse Structure -
Comportement - Performance (S-C-P) qui a eu des nombreuses applications en milieu
africain et connaît de plus en plus d’approfondissements et d’améliorations à travers de
nouveaux outils d’analyse institutionnelle et fonctionnelle des filières agricoles.
Ce modèle est outil d’analyse institutionnelle et fonctionnelle des filières agricoles. La
théorie de S-C-P établit que les données physiques, économiques, légales et sociales sont
généralement considérées comme des conditions de base et implique que la structure d’un
marché, et en particulier le degré de concurrence qu’on y rencontre, déterminent le
comportement du marché, et que la structure et le comportement pris ensemble
déterminent à leur tour les performances (Tollens, 1997). Les conditions de base sont
des paramètres structuraux de l’économie et souvent considérées par le modèle comme
exogènes.

Structure d’un marché


Structure d’un marché = ensemble des caractéristiques qui déterminent les rapports entre
les producteurs, entre les producteurs et les clients, entre les clients et entre les
producteurs existants et potentiels. Composantes de structure du marché: le nombre
d’acheteurs et de vendeurs, la différenciation des produits, l’intégration verticale et les
barrières à l’entrée des nouvelles firmes (Gervais, 1999). Barrières juridiques,
économiques ou sociales à l’entrée de certains marchés justifient des situations de
monopole et d’oligopsones accroissant le pouvoir de marché de certains agents en
présence. Barrières à l’entrée sur les marchés vivriers africains: nombre d’opérateurs, places

68
disponibles sur un marché limité par une décision administrative ou autre à des actes
juridiques (licences, patentes, permis de commerce, transmission du commerce par
héritage;…) en passant par des contraintes ethniques sur le marché, le capital de départ
dans un système de rationnement de crédits, l’accès à l’information, à la technologie ainsi
que l’existence des économies d’échelle. Des barrières à la sortie : coûts de sortie liés à
l’immobilité et l’importance des investissements réalisés

Le comportement du marché
Comportements adoptés par les entreprises pour s’adapter au marché et notamment la
détermination du prix, les stratégies commerciales, les stratégies d’exclusion ou de
participation, …(Aragrande, 1997). Manière de réagir des entreprises en matière de
commercialisation et donc la politique et la stratégie des firmes (Bain,1968). Les
variables de comportement = l’adaptation des producteurs et des commerçants aux
changements du marché et leurs prises de décision alors que pour les commerçants,
pratiques en matière de fixation des prix, les ententes, les relations avec les fournisseurs et
le service à la clientèle, la décision de produire, la façon de fixer les prix et la décision de
stocker les produits (Tollens, 1997).

Performance du marché
La performance concerne l’efficacité du marché à certains niveaux (occupation, bien-être
économique, disponibilité des aliments, niveaux des prix d’approvisionnement,…) et la
manière dont les bénéfices sont distribués (Goossens, Minten et Tollens, 1994). La
performance des marchés est évaluée à travers le triple critère de l’efficacité, la
progressivité et l’équité.
L’efficacité allocative a trait à l’affectation des ressources sur le marché et leurs coûts
dont l’objectif devra être la minimisation alors que l’efficacité-prix repose sur la
performance du mécanisme de transmission des signaux des prix à travers la filière.

69
Les marchés sont efficaces en termes de prix lorsque les différences spatiales des prix hors
saisons sont approximativement égales aux coûts de transport entre les localisations
concernées (Harris, 1982)
La progressivité mesure la dynamique de l’innovation et des changements technologiques
au sein des marchés agricoles. Les marchés performants étant caractérisés par des
innovations en termes de produits et des services qui sont récompensées par les
consommateurs lorsqu’elles répondent à leurs besoins.
L’équité, quant à elle, se rapporte à la distribution des bénéfices de commercialisation
agricole. La rémunération de chacun des participants au marché devant être fonction de
sa contribution à celui-ci, un marché performant exclut des possibilités de sur-profits
monopolistiques résultant d’un pouvoir de marché excessif.

Coûts de transaction
Dans le contexte du monde rural africain caractérisé par l’absence pure et simple de
certains marchés, la mise en contact d’offreurs et demandeurs et l’échange effectif entre
eux sont rendus possibles moyennant un certain nombre d’opérations destinées
notamment à obtenir l’information, à identifier les partenaires commerciaux, à vérifier la
qualité des produits, à négocier un prix d’achat ou de vente... Loin d’être gratuites, ces
opérations qui prennent du temps peuvent être extrêmement coûteuses et sont appelées
coûts de transaction.
Williamson (1994) définit la transaction comme une opération consistant à transférer
des biens et services à travers une interface technologiquement séparable. L’existence de
ces coûts se justifie non seulement par la rationalité limitée des agents, l’influence des
facteurs humains et de l’environnement (Verhaegen et Huylenbroeck, 2002). Le concept
de rationalité limitée, fait allusion à l’incapacité des agents économiques à comprendre et
à prévoir les réactions des partenaires dans l’échange et à établir l’arbre complet de leurs
décisions économiques étant donné l’incertitude complexe de leur environnement
(Ghertman, 2000).

70
Les agents sont « intentionnellement rationnels mais seulement de façon limitée », pour
utiliser les termes de Williamson (1994), ils ont la volonté d’économiser mais sont
contraints par leurs capacités cognitives limitées. L’opportunisme tient au fait que
certains agents ne communiquent pas toutes les informations à leur disposition, au
mensonge, au vol et à la tricherie.
Il se réfère très souvent à la divulgation des informations incomplètes ou dénaturées,
spécialement aux efforts consentis pour fourvoyer, dénaturer, déguiser, déconcerter ou
semer la confusion. L’opportunisme, hypothèse béhavioriste apportée par Alchian et
Demsetz (1972) et reprise par Williamson, concerne la volonté des individus d’agir dans
leur propre intérêt en trompant éventuellement autrui d’une façon volontaire. Il peut
s’exercer ex ante, en cachant des informations ou des intentions ou ex post en saisissant
les éléments non écrits du contrat pour en tirer avantage (Ghertman, 2000).

8.4. Intervention de l’Etat sur le marché agricole


En pratique, les économies de marché sont toujours des économies mixtes, composées de
marchés libres et d’une dose d’intervention publique. Les gouvernements interviennent de
diverses manières sur les marchés, même les plus concurrentiels
 Ils fixent des prix planchers ou des prix plafonds.
 Ils taxent ou subventionnent certains produits.
 lis produisent et distribuent des biens et services publics (par exemple, la défense ou
la santé.
 Ils régulent les comportements des acteurs (interdiction de certains agissements).

1. Le contrôle des prix

Au prix d’équilibre du marché, il n’y a ni excès de demande, ni excès d’offre. Néanmoins,


le prix d’équilibre, s’il assure la stabilité du marché, n’est pas forcément le prix le plus
souhaitable d’un point de vue social. L’Etat peut ainsi vouloir imposer un autre prix, plus
bas ou plus élevé que le prix d’équilibre.

71
Si le gouvernement impose un prix minimal au-dessus du prix d’équilibre (un prix
plancher), il en résulte un excédent d’offre égal à Q0— Q. Il y a surproduction car les
prix étant plus élevés que le prix d’équilibre, l’offre dépasse la demande. Sur un marché
libre, le prix devrait donc baisser pour éliminer cet excédent. Mais l’établissement d’un
prix plancher empêche cet ajustement.
Si le gouvernement impose un prix maximal au-dessous du prix d’équilibre (un prix
plafond), il en résulte un rationnement de la demande égal à Qd— Q, ““ . Il y a pénurie
car les prix étant inférieurs au prix d’équilibre, la demande est plus importante que l’offre
Sur un marché libre, le prix devrait augmenter pour éliminer la pénurie. Mais
l’établissement d’un prix plafond empêche cette correction.

1.1. Fixation d’un prix plancher élevé

L’établissement d’un prix différent du prix d’équilibre n’enraye le fonctionnement des


marchés libres que lorsque le prix minimal imposé (le prix plancher) est supérieur au
prix d’équilibre. Un gouvernement peut imposer un prix plancher élevé pour plusieurs
raisons:

 Assurer un revenu minimal aux producteurs. Si le secteur est sujet à de fréquentes


fluctuations de prix et si la demande est inélastique, les prix sont très sensibles aux
chocs d’offre (cas de l’agriculture, notamment). Le gouvernement peut alors
imposer un prix planché afin que les producteurs disposent d’un revenu minimal,
même lorsque les prix sont très bas.
 Générer un surplus de production (notamment en période de surabondance) en
prévision de pénuries futures.
 Assurer un salaire minimal aux employés afin de préserver leur niveau de vie.
La conséquence première d’un prix pis plancher est de générer des surplus de production,
que les états peuvent gérer de diverses manières:

72
 En les achetant afin de les stocker, les détruire ou les écouler sur des marchés
étrangers.
 En imposant des quotas aux producteurs afin de réduire la production.
 En tentant d’accroître la demande, par exemple en subventionnant le bien en
question ou en taxant les biens substituables.

L’un des inconvénients de la mesure de prix plancher est que certaines entreprises, qui se
retrouvent avec des surplus, peuvent tenter de diminuer leur prix illégalement afin de les
écouler. Un autre problème majeur est que, en protégeant un secteur de la concurrence
(par l’octroi d’un prix minimal), le gouvernement n’encourage pas les entreprises de ce
secteur à produire de la manière la plus efficace possible. Elles ont, en effet, moins intérêt
à introduire de nouvelles techniques ou de nouveaux produits car leurs profits sont
protégés par le prix plancher.

Les États peuvent intervenir dans le domaine de l’agriculture de cinq manières


différentes.
• Constitution de stocks tampons : Les gouvernements peuvent essayer de stabiliser
les prix en constituant des stocks de produits agricoles, les années d’abondance,
diminuant ainsi l’offre annuelle, et en les revendant, les années de récoltes moins
abondantes, augmentant alors l’offre annuelle. Ces stocks permettent d’assurer une
offre de marché stable d’une année sur l’autre, quel que soit le niveau de la
production annuelle. Cependant, cette idée très ancienne ne peut évidemment
convenir que pour les produits agricoles qui peuvent être conservés pendant
plusieurs années.
• En pratique, le gouvernement fixe un prix P. La demande qui correspond à ce prix
est Q,. Si la récolte est bonne, l’État achète l’excédent. Lors des années de mauvaise
récolte, il peut mettre sur le marché la quantité, afin de s’assurer que la quantité
totale offerte et que le prix de marché est toujours égal. Ce système permet donc de

73
stabiliser le prix des produits agricoles. Mais le revenu des agriculteurs dépend, lui,
toujours des quantités annuelles produites.

• Pour s’assurer que les stocks ne s’accumulent pas au fil du temps, le gouvernement
doit trouver le prix d’équilibre entre offre et la demande à long terme. Ainsi les
excédents des bonnes années seront exactement compensés par les pénuries des
mauvaises années.

• Subventions publiques : Pour augmenter le revenu des agriculteurs, le


gouvernement peut leur verser des subventions ou encore leur accorder des crédits
d’impôt afin de compenser le faible prix de leurs produits. Les subventions
peuvent être fixes, c’est-à-dire ne pas dépendre d’un niveau de production
particulière, ou variable. Dans le premier cas, les agriculteurs, qu’ils produisent
beaucoup ou non, reçoivent un montant forfaitaire. Ce type d’aide ne les incite
pas à augmenter leur production. À l’inverse, les subventions conditionnées par le
niveau de production les incitent à accroître celle-ci, ce qui participe à la
diminution des prix de marché.

• Réduction de l’offre : Un moyen permettant d’augmenter les prix de marché sans


pour autant augmenter les dépenses publiques est de maintenir l’offre à un niveau bas.
Cependant, sur les marchés ouverts, une réduction de l’offre domestique risque
simplement d’entraîner une augmentation des importations, sans aucune incidence sur
le prix. Dans ce cas, il faut combiner L réduction de l’offre domestique par des
mesures de taxation des importations. Des mesures de restriction de l’offre
domestique peuvent faire déplacer la courbe d’offre domestique jusqu’à ce qu’elle
coupe la courbe de demande domestique au point e et assure ainsi un prix de marché
égal à m,’ En même temps, le gouvernement peut mettre en place une taxe sur les
importations d’un montant égal afin de maintenir les prix sur le marché domestique
au niveau minimum.

74
Pour réduire l’offre domestique, la mesure la plus simple consiste à imposer des
quotas, de telle sorte que la courbe d’offre devienne verticale au-delà du point x. Les
quotas sur le lait, en vigueur en Europe depuis 1984, en sont un exemple. De manière
similaire, plutôt que d’introduire des quotas sur les quantités produites, il est possible
d’imposer un quota sur la surface de terres utilisée. Cette solution a l’inconvénient de
ne pas parfaitement stabiliser la production et les prix, puisqu’ils dépendent des
rendements, mais elle ale mérite d’inciter les agriculteurs à sans cesse améliorer leurs
techniques de production.

• Les politiques structurelles : Pour maintenir une certaine activité dans les zones
rurales, le gouvernement peut offrir des formations aux agriculteurs qui désirent se
retirer et se convertir à d’autres activités. Il peut appuyer ces décisions d’une aide
financière, octroyée aux agriculteurs qui décideraient de diversifier leurs activités
dans l’agrotourisme, les forêts, les industries rurales, etc.

75
Chapitre VII : Sécurité Alimentaire

1.1. Définition du concept

La sécurité alimentaire est définie par trois facteurs essentiels :


- Disponibilité de la nourriture ;
- Accessibilité de la nourriture ;
- utilisation de la nourriture.

 La disponibilité de la nourriture au niveau national, régional et/ou local signifie


que la nourriture est physiquement disponible parce qu’elle a été produite, traitée,
importée ou transportée. Par exemple, la nourriture est disponible car elle peut
être trouvée sur des marchés, parce qu’elle est produite dans des fermes ou des
jardins, ou encore parce qu’elle provient de l’aide alimentaire. C’est la nourriture
qui est visible, et dans la région.

 L’accessibilité de la nourriture est la façon dont les gens peuvent obtenir la


nourriture disponible. Normalement, la nourriture est accessible par une
combinaison de production domestique, de stocks, d’achats, de trocs, de cadeaux,
d’emprunts ou d’aide alimentaire. L’accessibilité de la nourriture est garantie
lorsque les communautés et les ménages, y compris la totalité des individus qui les
composent, disposent des ressources adéquates – argent, par exemple – pour se
procurer les aliments nécessaires à un régime équilibré. Il dépend des revenus des
ménages, de la répartition de ces revenus au sein de la famille et du prix des
denrées. Il dépend également des droits et prérogatives sociaux, institutionnels et
commerciaux des individus, notamment de la répartition publique des ressources
et des systèmes de protection et d’aide sociale.

L’accessibilité de la nourriture peut être restreinte par l’insécurité physique liée à une
situation de conflit, par la capacité de résistance (emplois saisonniers à l’étranger)
résultant de la fermeture des frontières ou par la disparition de la protection sociale dont
bénéficiaient jadis les personnes à faibles revenus.

 L’utilisation de la nourriture est la façon dont les gens utilisent la nourriture et


dépend de la qualité des aliments, leur stockage et leur préparation, des principes
nutritionnels de base ainsi que de l’état de santé des individus les consommant.
Certaines maladies ne permettent pas une absorption optimale des aliments, et la
croissante nécessite une consommation accrue de certains aliments. L’utilisation
de la nourriture est souvent réduite par des maladies endémiques, de mauvaises
conditions d’hygiène, une méconnaissance des principes nutritionnels de base ou,

76
encore, par des traditions limitant l’accès à certains aliments en fonction de l’âge
ou du sexe.

Ainsi, un individu, un foyer ou une communauté, une région ou une nation jouit de la
sécurité alimentaire quand chacun dispose en tout temps de la possibilité matérielle et
économique d’acheter, de produire, d’obtenir ou de consommer une nourriture suffisante,
saine et nutritive répondant à ses besoins, conforme à ses goûts et lui permettant de
mener une vie active.

1.2. Mesure et évaluation de la sécurité alimentaire

Quel est l’objectif d’une évaluation de la sécurité alimentaire ?

Les évaluations de la sécurité alimentaire ne diffèrent pas des évaluations générales dans
leur finalité, mais elles s’attachent plus spécialement à analyser par quels moyens les gens
s’efforcent de garantir leur propre sécurité alimentaire, et dans quelle mesure ils y
parviennent.

L’objectif général d’une évaluation de la sécurité alimentaire consiste à mesurer le degré


d’insécurité alimentaire et à comprendre son pourquoi. Ensuite, il consiste à déterminer si
une intervention extérieure est nécessaire pour permettre aux gens de retrouver une
sécurité alimentaire satisfaisante à court et/ou à long terme.

Dans toute évaluation de la sécurité alimentaire, on devra s’attacher à établir la situation


respective à cet égard de différents groupes de personnes. Les évaluations de la sécurité
alimentaire peuvent par ailleurs aider à prévoir l’imminence d’une crise ou la durée d’une
situation d’insécurité.

Informations requises pour une évaluation de la sécurité alimentaire :

- Quels sont les moyens de subsistance des gens ?


- Comment satisfont-ils leurs besoins alimentaires ?
- De quelles ressources disposent-ils ?
- Qui a accès à ces mêmes ressources et à quel moment ?
- Qu’est-ce qui différencie la situation normale de la situation de crise ?
- Les gens peuvent-ils s’en sortir sans assistance de la Société nationale ?
- Dans la négative, comment la Société nationale peut-elle consolider leurs stratégies
d’adaptation ?

Il est indispensable de comprendre comment les gens assurent leur subsistance : est-ce par
le biais de la production alimentaire, en travaillant contre un salaire, ou une combinaison

77
des deux ? Plus précisément, nous devons savoir comment ils satisfont leurs besoins
alimentaires. Nous devons établir quelles sont les ressources dont ils disposent – terres
arables et pâtures, animaux, pêche, main-d’oeuvre. Nous devons comprendre qui a accès à
ces ressources et si les bénéficiaires changent avec le temps. Par exemple, il peut arriver
que l’accès aux sources d’eau fasse l’objet de restrictions pour les animaux en saison sèche
et que seules les personnes en mesure de payer en bénéficient. L’évaluation devra
comparer la situation présente à celle qui prévaut normalement au sein de la
communauté. C’est seulement ainsi qu’on pourra établir comment et pourquoi la
situation s’est dégradée. Cela permettra par ailleurs de bien comprendre les besoins qui
résultent d’une catastrophe ou d’une crise chronique et de déterminer la réponse la mieux
appropriée.

La sécurité alimentaire n’est pas nécessairement statique. Il existe dans bien des cas des
fluctuations saisonnières parfaitement normales en termes de disponibilité, d’accès et
d’utilisation. Il est important d’établir quels changements doivent être considérés comme
normaux et lesquels résultent d’une catastrophe ou d’une crise chronique. Une évaluation
de l’impact d’une inondation en période de soudure (entre deux récoltes) devra tenir
compte du fait que les stocks de nourriture étaient réduits et les prix probablement élevés
au moment de l’inondation, mais que cela ne reflète pas la situation « normale » sur toute
l’année. La période de soudure est la période qui précède la principale récolte, quand les
réserves alimentaires sont souvent au plus bas et que les gens sont parfois obligés de
réduire leur consommation afin de survivre jusqu’à la récolte suivante. Il peut arriver
qu’une sécheresse ou une vague de froid entraîne des pertes dans le cheptel et que les
éleveurs mettent jusqu’à deux ou trois ans pour reconstituer leurs troupeaux.

Il importe de noter que, pour chaque situation d’insécurité alimentaire, différentes


interventions doivent être envisagées et que cela n’inclut pas toujours obligatoirement une
aide alimentaire. Seule une bonne analyse de la situation permet de décider quelle est la
réponse la plus appropriée.

Il existe de nombreuses situations très diverses dans lesquelles les gens sont confrontés à
une vulnérabilité accrue à l’insécurité alimentaire, et tous les foyers ne sont pas
nécessairement affectés de la même façon. Il arrive qu’on perde brutalement de nombreux
biens – notamment en cas de catastrophe soudaine ou de crise aiguë – et qu’on se
retrouve rapidement privé de moyens de subsistance. Il arrive aussi qu’on perde ses biens
de manière très progressive – notamment en cas de catastrophe à évolution lente ou de
crise chronique.

Les principes de base d’une évaluation de la sécurité alimentaire

1. Définissez un objectif clair pour votre évaluation de la sécurité alimentaire. Plus vous
souhaitez obtenir d’informations, plus vous devrez détailler ou élargir votre enquête.

2. Concentrez-vous sur les questions essentielles :

78
- Quels sont les moyens de subsistance des gens ?
- Comment satisfont-ils leurs besoins alimentaires ?
- De quelles ressources disposent-ils ?
- Qui a accès à ces mêmes ressources et à quel moment ?
- Qu’est-ce qui différencie la situation normale de la situation de crise ?
- Les gens peuvent-ils s’en sortir sans assistance de la Société nationale ?
- Dans la négative, comment la Société nationale peut-elle consolider leurs stratégies
d’adaptation ?

(N’oubliez pas de tenir compte de la mission, de l’expérience et des capacités de la


Société nationale, qui varient d’un pays à l’autre).

Certains objectifs particuliers assignés à l’évaluation pourront influer sur l’importance ou


le contenu de ces questions.

3. Établissez à quel niveau les gens connaissent le plus de problèmes – disponibilité de la


nourriture dans la région, accès à la nourriture ou utilisation de la nourriture.

4. Efforcez-vous de bien comprendre la situation en matière de sécurité alimentaire dans


la région concernée et d’établir comment les gens s’y prennent pour tenter de satisfaire
leurs besoins. Si vous ne comprenez pas la situation, vous ne pourrez pas déterminer si les
gens ont besoin de votre assistance ni quel serait le soutien le plus approprié.

5. Soyez efficace et réaliste – ne collectez pas des informations dont vous n’aurez pas
l’usage et tenez compte de vos capacités et des leçons d’éventuelles interventions
antérieures. Il n’est pas nécessaire de tout savoir dans une évaluation.

6. Assurez-vous de la qualité des informations recueillies en privilégiant les sources les


plus fiables. Une bonne information facilite l’analyse de la situation et les prises de
décisions. Recoupez vos informations (vérifiez-les et efforcez-vous de les confirmer) en
consultant diverses sources. Comparez les sources d’information primaires et secondaires,
interrogez des personnes différentes et comparez les informations fournies par ces
différentes personnes.

7. Faites des comparaisons entre différentes communautés – En règle générale, mieux


vaut visiter un plus grand nombre de régions et de communautés en n’interrogeant à
chaque fois qu’un nombre limité de personnes, que visiter un ou deux groupes seulement
en interrogeant la totalité de ses membres. Ne vous limitez pas aux principales
agglomérations (la plupart des organismes d’assistance y sont présents), mais allez aussi
dans des régions moins peuplées, voire difficiles d’accès.

8. Aussi objectif qu’on s’efforce d’être durant une évaluation, on n’est jamais à l’abri
d’une certaine partialité liée à l’accès aux régions, communautés et personnes affectées et
au temps consacré à chacune. L’évaluation est faussée lorsqu’une zone géographique ou

79
un groupe d’individus bénéficie d’une plus grande attention, même si cette inégalité de
traitement résulte de contraintes indépendantes de la volonté de l’enquêteur (logistique
ou manque de temps, par exemple). De même, ne perdez jamais de vue le fait que les
conclusions tirées d’une évaluation peuvent favoriser une zone géographique, une tranche
d’âge ou une catégorie socioprofessionnelle particulière au détriment d’une autre. Il est
essentiel d’être toujours conscient de tels déséquilibres. Soyez donc en garde contre votre
propre subjectivité et celle de votre équipe, et efforcez-vous d’être aussi impartial que
possible.

Les différentes étapes d’une évaluation de la sécurité alimentaire

Phase préparatoire

Collecte des informations


secondaires

Collecte des informations


Primaires

Analyse

Réponses possibles à une situation d’insécurité alimentaire

80
Le but de toute intervention consiste à sauver des vies et à réduire la vulnérabilité au sein
de la communauté. Plus spécialement, les programmes de sécurité alimentaire visent à
améliorer la disponibilité de la nourriture, l’accessibilité de la nourriture et l’utilisation de
la nourriture. Concrètement, cela implique qu’il faut soutenir la production alimentaire
primaire – agriculture, élevage et pêche. Ces programmes peuvent également soutenir les
activités rémunératrices et l’emploi, ou le développement, la protection ou la restauration
des biens. Ils peuvent encore, dans certains cas, soutenir l’accès aux marchés, par exemple
à travers des projets communautaires de construction de routes. À l’heure actuelle, les
programmes des Sociétés nationales sont essentiellement axés sur l’aide alimentaire
directe, mais il n’est pas inutile d’avoir conscience des formes d’assistance très variées qui
peuvent être envisagées avant de procéder à une évaluation de la sécurité alimentaire.

Réponses possibles à une situation d’insécurité alimentaire sont :

Aide alimentaire sous la forme de distributions de rations pour répondre à un besoin


urgent, sauver des vies ou protéger les biens d’un foyer (distributions générales,
distributions ciblées, distributions à domicile).

Programmes « Vivres contre travail » offrant à des foyers en situation d’insécurité


alimentaire la possibilité d’obtenir de la nourriture en échange d’un travail qui profite aux
participants et à l’ensemble de leur communauté.

Programmes « Argent contre travail » offrant à des foyers en situation d’insécurité


alimentaire la possibilité d’effectuer un travail rémunéré.

Distribution de semences, d’outils et d’engrais pour encourager la production agricole, y


compris des assortiments spéciaux pour les rapatriés ou pour la diversification des
cultures. Peut être combiné à une formation technique.

Aides aux éleveurs – mesures sanitaires et services vétérinaires; déstockage ou


reconstitution du cheptel; distribution de fourrage ; mise en place de sources alternatives
d’approvisionnement en eau ; services de transport du bétail pour favoriser l’exploitation
de pâtures alternatives en temps de sécheresse.

Mini-projets d’activités rémunératrices pour permettre aux gens de diversifier leurs


sources de revenus, y compris un soutien à la gestion et à la mise en oeuvre. Formation
professionnelle pour favoriser la création d’activités rémunératrices – exemples :
menuiserie, réparation de bicyclettes.

Distribution de filets et autres équipements de pêche ou de matériel de chasse pour


permettre aux gens de se procurer de la nourriture.

81
Projets agricoles locaux combinant production commerciale et de subsistance – élevage, y
compris de volailles, jardins potagers, vergers (les bénéficiaires peuvent à la fois
consommer une partie de la production et en réserver une autre pour la vente ou
l’échange).

Tickets alimentaires, chèques en espèces ou espèces à échanger dans des commerces


contre de la nourriture et autres produits de première nécessité.

Projets de microfinancement – donation, crédit et épargne, création de comptes dans des


coopératives agricoles.

Sensibilisation et plaidoyer. Soutien et assistance technique à des services


gouvernementaux.

Mini-projets d’irrigation et d’approvisionnement en eau en soutien à l’agriculture ou à


l’élevage.

2.4. Changement climatique et sécurité alimentaire

En plus de l’urbanisation, de l’emploi des méthodes archaïques, certaines régions


(Afrique de l’Est et Maghreb notamment) souffrent également du manque des ressources
hydriques. Ce phénomène trouve principalement ses raisons dans la sécheresse que
connaissent certains pays depuis le début des années 1970. La sécheresse, définie comme
une anomalie climatique caractérisée par le manque ou l’absence totale de précipitations,
débouche sur une baisse des ressources hydriques des rivières, des fleuves, des lacs, des
puits et des cours d’eau, voire des nappes phréatiques (Balaghi et Jlibene, 2009).
L’insuffisance de l’eau peut amener, surtout dans les zones semi-arides, à une baisse de la
production agricole ainsi que de la superficie des pâtures nécessaires pour les animaux. La
sécheresse ou de la pénurie de l’eau fait partie d’une série infinie des conséquences du
dérèglement climatique ou du réchauffement de la planète causé par la croissance
incontrôlée des émissions de gaz à effet de serre. Le réchauffement climatique est tenu,
selon IFPRI (2009), comme principal responsable des changements actuels :

- Retrait des glaciers entraînant une élévation du niveau moyen des océans qui
aurait des répercussions sur les disponibilités en eau douce dans de nombreux pays
d’Amérique Latine, d’Asie de l’Est et du Sud ;
- Déréglementation des régimes de précipitations entraînant inondations et
sécheresses ;
- Multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes comme les ouragans ou
les cyclones ;

82
- Modification de la circulation de courants marins comme le Gulf Stream et la
dérive Nord-Atlantique qui pourrait conduire au refroidissement de certaines
régions (Ouest de l’Europe,…).

Concrètement, on perd chaque année jusqu’à 10 millions d’hectares de surfaces cultivées,


à cause de la dégradation de l’environnement (ONU36, 2010). Par ailleurs, le secteur
agricole est extrêmement sensible aux changements climatiques. Des températures plus
élevées (ou plus basses) hors saisons diminuent les rendements des cultures utiles tout en
provoquant une perturbation des récoltes et une prolifération des mauvaises herbes et des
parasites

Une baisse de la pluviométrie, entraînant une réduction des disponibilités en eau de


centaines de régions (principalement en Afrique et en Asie), rend la production agricole
de plus en plus aléatoire et augmente la probabilité de mauvaises récoltes à court terme et
une baisse de la production à long terme (IFPRI, 2009). Les rendements de l’agriculture
pluviale pourraient chuter jusqu’à 50 % dans certains pays d’ici à 2020 (Conseil
Economique et Social, 2008). Selon le 4ème rapport du Groupe international sur l’étude
du climat (GIEC, 2007), à ces modifications des régimes de précipitations devraient
s’ajouter de plus forts écarts saisonniers et extrêmes dans certains pays avec des saisons
sèches plus longues, des sécheresses plus fortes, davantage d’évènements pluvieux
extrêmes.

L’agriculture pratiquée dans les pays développés et dans certains pays en développement
(Chine, Inde, Brésil notamment) est responsable en partie de la dégradation de notre
planète du fait son aspect intensif et productif. Effectivement, l’agriculture dite
productiviste est souvent responsable de la dégradation de l’environnement, à travers la
pollution des eaux souterraines, provenant principalement des engrais et pesticides, ainsi
que du taux de salinité et lorsque les écosystèmes sont excessivement exploités ou encore
du fait de l’épuisement des ressources naturelles. Il s’agit là d’un aspect préoccupant, en
particulier dans les zones où ces nappes fournissent l’essentiel de l’eau potable nécessaire
à la consommation humaine et aux activités agricoles. Dans les pays en développement et
les pays les moins avancés (PMA), c’est plutôt le gaspillage considérable de l’eau qui
marque leur système agricole, à cause des méthodes archaïques d’irrigation utilisées.
L’irrigation vient en complément aux précipitations. Selon le rapport mondial de
l’UNESCO (2003), sur la mise en valeur des ressources en eau, l’irrigation joue un rôle
déterminant pour l’agriculture et donc pour la sécurité de l’alimentation. Il est important
de rappeler que, selon le Rapport de la Banque mondiale (2008) sur le développement, le
taux de pauvreté est de 20 à 40 % moins élevé à l’intérieur des réseaux d’irrigation qu’à
l’extérieur.

83
2.5. Revenu et sécurité alimentaire

Malgré le fait que la sécurité alimentaire des personnes soit soumise à la production et au
changement climatique, elle reste extrêmement liée à leur pouvoir d’achat. Tous les
récents rapports des organisations internationales (FAO, Banque Mondiale, ONG) sont
unanimement d’accord pour considérer la pauvreté comme principale cause de l’insécurité
alimentaire. Cette approche de la sécurité alimentaire vient compléter celle basée sur la
disponibilité alimentaire. La baisse de celle-ci et l’augmentation de la population ont été
auparavant et pendant longtemps, les seules raisons expliquant une insécurité alimentaire.
Ceci a été battu par des analyses approfondies menées par Sen (1981a, 1977, 1997,…)
et par bien d’autres (Boulanger et al., 2004 ; Christophe et al., 1985 ; Devereux, 1993,
2001,…) de différentes famines qui se sont produites en Afrique, en Asie ou en Europe
et qui ont démontré que celles-ci pouvaient survenir même en cas d’accroissement de
l’offre de denrées alimentaires.

Les famines ont longtemps été expliquées, en effet, par des raisons liées uniquement aux
« problèmes de la production des biens alimentaires. Toute augmentation de la
production devrait conduire à une réduction des carences alimentaires et nutritionnelles.
Selon Malthus, l’origine de la première théorie des famines en 1678, la croissance
arithmétique de l’offre ne pourrait à terme permettre la satisfaction des besoins d’une
population en croissance géométrique. Les faits ont démenti cette théorie » (Azoulay,
1998, p. 25). Effectivement, le grand développement de la production des biens
alimentaires, qu’a connu le monde dans les dernières décennies, n’a pourtant pas mis fin
au problème de la faim. Selon la FAO, 925 millions de personnes situées essentiellement
en Afrique et Asie souffrent de sous- alimentation (FAO, 2010a).

Cette nouvelle théorie relativement récente a été initiée par Sen au milieu des années
1970 et finalisée dans son ouvrage Poverty and Famines, An Essay on Entitlement and
Deprivation paru en 1981, et elle a été reprise et approfondie par d’autres comme
Devreux (1993). Cette théorie a le mérite de refonder l’analyse de la famine, en
particulier, et de l’insécurité alimentaire, en général sur des bases socio-économiques. La
famine (et la malnutrition) a été, et pour longtemps, hors du champ d’analyse
économique du fait de son caractère agroclimatique et de sa nature pathologique
(carences, maladies, épidémies, décès). Selon Sen « la vraie question n’est pas la
disponibilité totale de la nourriture mais son accès par les individus et les familles. Si une
personne manque des moyens pour acquérir la nourriture, la présence de la nourriture sur
le marche n’est pas d’une grande consolation » (Sen, 1990, cité par Azoulay, 1998,
p.26). La présence de denrées sur les marchés, l’existence de disponibilités (quelle que
soit leur origine, domestique ou importée) n’est plus, dans cette conception, l’élément
déterminant du problème.

84
Avec Sen, le centre d’analyse de l’insécurité alimentaire a été déplacé de l’offre des denrées
alimentaires à la demande ou plutôt aux conditions socioéconomiques des demandeurs. Il
s’agit d’une analyse microéconomique et socio-historique basée « sur la dotation initiale
en droits des individus et sur leur capacité à les échanger ; ces deux variables déterminant
la capacité de demande en biens alimentaires, variable fondamentale de l’analyse. Dans ce
cadre, la faim ne se définit pas par le manque général de nourriture, mais par le fait que
certaines personnes n’ont pas assez à manger ; le contexte socio-historique (classes,
monde de production, etc.) détermine l’individu et son comportement micro-
économique, et est responsable en dernière analyse de sa situation alimentaire »
(Christophe et al., 1985, page
932-933). Sen développe ainsi son approche de « capabilité » qui renvoie à la capacité
des personnes acquise en matière de santé, d’éducation et de revenus monétaires pour
réaliser personnellement et librement des projets qui leur permettent d’améliorer leurs
conditions d’accès à la nourriture (Sen, 1997, 2000). La « capabilité » désigne l’«
ensemble de vecteurs de fonctionnements, conditions d’existence ou d’action, qui
reflètent la liberté d’une personne de se réaliser à travers le mode de vie qu’elle a choisit »
(Sen, 1992, cité par Boucher et al., 2003a, p.3).

2.6. Politiques publiques et sécurité alimentaire

Pour beaucoup de travaux (notamment ceux de Drèze) s’inscrivant dans le courant de


Sen, les politiques gouvernementales sont tenues directement responsables de des deux
des trois principales causes des famines qui se sont produites au cours de la seconde
moitié du vingtième siècle : les guerres et une politique macro-économique désastreuse (la
troisième cause concerne une situation climatique absolument exceptionnelle) (Boulanger
et al., 2004 ; Gilbert,1991). Il n’est pas très difficile de remarquer que le conflit armé est
de loin la première cause de toutes les famines qui ont frappé l’Afrique et l’insécurité
alimentaire qui règne toujours dans sa région subsaharienne (la Somalie, l’Éthiopie, la
Sierra-Léone, l’Angola, le Libéria, le Soudan et d’autres).

Les guerres affectent l’insécurité alimentaire sur deux points. Le premier concerne la
nécessité d’avoir la paix pour investir, soit dans l’agriculture pour assurer l’autosuffisance
alimentaire, soit dans d’autres secteurs pour générer des revenus suffisants. Quant au
deuxième point, il s’agit de « la militarisation de l’économie qui conduit à détourner une
part considérable des ressources économiques et de forces de travail, du secteur de la
production civile vers le secteur militaire…Par ailleurs, l’achat d’armes à l’étranger
mobilise la majeure partie des réserves en devises de la nation et conduit souvent à un
endettement extérieur qui limite fortement les possibilités d’importation de produits
alimentaire » (Boulanger et al., 2004, p.57).

La stabilité politique, dans les pays souffrant de l’insécurité alimentaire, est ainsi
nécessaire pour concevoir une politique publique efficace pour lutter contre le manque
partiel ou total de nourriture. Les politiques gouvernementales ont souvent contribué,

85
dans ces pays, malgré la présence d’une stabilité, à l’insécurité alimentaire de leurs
populations au lieu de la réduire.

Effectivement, plusieurs famines ont été causées ou aggravées par des mauvaises
politiques alimentaires (Drèze et Sen, 1991). Incontestablement, la lutte contre
l’insécurité alimentaire ne pourra pas être efficace que si elle est accompagnée par des
politiques appropriées. Ces dernières assurent une meilleure gestion des ressources
publiques mobilisées pour lutter contre la faim et la pauvreté, ainsi que l’utilisation
durable de la base de ressources.

Ainsi « un environnement politique favorable est une condition essentielle pour le succès
du Programme de lutte contre la faim, car il est indispensable pour attirer les flux
d’investissements privés nécessaires pour compléter l’investissement public et permet aux
populations souffrant de la faim et de la pauvreté de réaliser pleinement leur potentiel de
développement » (FAO, 2002, p.22). L’insécurité alimentaire résultant de politiques
gouvernementales inadéquates pourrait, donc, être d’une ampleur considérable.

Sur ce point, les politiques alimentaires de la majorité des pays en développement (et les
moins avancés) n’ont réussi, depuis leur indépendance, ni à assurer l’indépendance
alimentaire ni à offrir suffisamment de nourriture équilibrée à leur population. Cet échec
trouve ses raisons, en partie, soit dans l’excès de l’intervention publique dans le secteur
agricole, soit au contraire dans sa libération totale ou tout simplement dans l’absence
d’une politique de la production alimentaire dans les choix économiques. Trois
catégories des pays peuvent être distinguées : 1) ceux qui ont opté pour une
réglementation totale du secteur agricole ; 2) ceux dont ce secteur est plus ou moins
déréglementé ; 3) ceux qui ont choisi de miser sur d’autres secteurs que celui de
l’agriculture.

86
2.7. Cadre conceptuel des facteurs conjoncturels de l’insécurité alimentaire

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Facteurs structurels Facteurs conjoncturels

Socio- Economiques et Crise Econ. Catastrophes


naturels Naturelles

Augmentation Réchauffement Spéculation sur les


De la population Climatique matières premières :
Augmentation
De la sécheresse

Urbanisation Stocks de Stocks de


pétrole
accrue Denrées

alimentaires
Augmentation des cours
du pétrole

Hausse des Hausse des coûts


Surfaces de la production
destinées aux alimentaire
biocarburants

Diminution des terres Baisse des


Cultivables Cultures
vivrières

Augmentation de la demande Baisse de la production agricole

Flambée des prix Crise alimentaire

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