Numero 143
Numero 143
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UNIQUEMENT PAR
ABONNEMENT
Par calcul électoral ou par tardive prise de conscience, Emmanuel Macron a semblé vouloir enfin
réagir au chantage historique permanent que l’Algérie exerce sur la France depuis 1962. Il l’a fait en
s’interrogeant sur l’existence historique de la « nation » algérienne.
Le « Système » algérien soutient, contre l’état des desserrer leur étreinte, mais devant le plus sou-
connaissances historiques, que la seule colonisa- vent la subir.
tion subie par l’Algérie fut la colonisation fran-
çaise. La période turque est quant à elle, présentée Emmanuel Macon n’est pas le premier chef
comme celle de l’émergence de la conscience natio- d’Etat à s’interroger sur l’existence historique de
nale algérienne, le pays étant alors décrit comme la Nation algérienne. Ainsi, Ferhat Abbas, le
quasiment indépendant de l’empire ottoman. La futur premier chef d’Etat de l’Algérie
réalité historique est bien différente de cette affir- indépendante qui écrivit en 1936 :
mation idéologique et politique.
« Si j’avais découvert la « Nation Algérienne », je
Poser la question de l’existence de la nation algé- serais nationaliste et je n’en rougirais pas comme d’un
rienne revient à demander pourquoi Bougie et crime. Les hommes morts pour l’idéal national sont
Tlemcen n’ont pas créé l’Algérie alors que Fès et journellement honorés et respectés. Ma vie ne vaut pas
Marrakech ont fondé le Maroc. Nous avons vu plus que la leur. Et cependant je ne ferai pas ce
dans le numéro du mois d’octobre 2021 de sacrifice. L’Algérie en tant que Patrie est un mythe. Je
l’Afrique Réelle, qu’avec les Almoravides, les ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’Histoire ; j’ai
Almohades, les Saadiens, les Mérinides et les interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les
Alaouites, le Maroc développa des empires cimetières : personne ne m’en a parlé. » (Ferhat
s’étendant à certaines époques sur tout le Abbas, Paris : Éditions Garnier Frères, 1981, p.
Maghreb, l’Espagne et jusqu’à Tombouctou. Au 27.)
même moment, Tlemcen et Bougie ne dépassèrent
pas le stade de brillantes principautés qui n’eurent Quant au général De Gaulle, lors de sa
pas de prolongements étatiques modernes. conférence de presse en date du 16 septembre
1959, il déclara :
La raison en est simple : prises en étau entre le
Maroc et Tunis, l’autonomie de Tlemcen et de « Car, depuis que le monde est le monde, il n’y a
Bougie ne fut que ponctuelle, ces deux cités dépen- jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de
dant constamment des hauts et des bas de leurs souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains,
puissants voisins. Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de
Voilà pourquoi Tlemcen et Bougie n’eurent pas un Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le
destin comparable à celui de Fès et de Marrakech pays, sans qu’il y ait eu, à aucun moment, sous
lesquelles furent des capitales d’empires. aucune forme, un Etat algérien ».
(Conférence de presse du général de Gaulle, le 16
Bougie fut ainsi en quelque sorte « à cheval » entre septembre 1959).
Tunis et Tlemcen, regardant à la fois vers l’Orient
et vers l’Occident. Quant au royaume de Tlemcen, Quant à la période turque qui dura des années
il fut pris en tenaille entre le Maroc à l’ouest et 1500 jusqu’à 1830, soit plus de trois siècles, elle ne
Tunis à l’est, réussissant à certains moments à fut pas celle de la gestation d’une nation
Les durs du régime algérien sont actuellement engagés dans une stratégie de survie qui passe par la
dénonciation du Maroc et de la France. Avec le Maroc, le point de rupture est la question du Sahara
(voir le numéro d’octobre 2021 de l’Afrique Réelle). Avec la France, la crise mémorielle est devenue
paroxystique depuis que le président Macron a posé la question de l’existence historique de la
« Nation algérienne ». Pour tenter de démontrer la réalité de cette dernière, les autorités algériennes
additionnent sophismes et anachronismes.
Le 8 octobre dernier, de passage à Rome, le ministre 239 avant J-C à Mascula (Kenchela dans les
algérien des Affaires étrangères, M. Ramtane Aurès), lui succéda. Mais, soutenu par Carthage,
Lamamra, s’est ainsi rendu sur le site de la prison un de ses neveux nommé Lacumazès se souleva
dans laquelle Jugurtha, petit-fils de Massinissa, mou- contre lui.
rut en 104 avant J-C. Les Algériens le considèrent en En 205 avant J-C, les Carthaginois s’allièrent à
effet comme un lointain ancêtre. Un apparentement Syphax, roi des Masaesyles, afin de combattre
qui n’est pas totalement faux, mais qui n’est pas Massinissa. Ce dernier ayant été vaincu, Syphax
non plus totalement licite historiquement. Sans par- s’empara d’une grande partie du royaume
ler du fait que Jugurtha était Berbère et que le « Sys- massyle.
tème » algérien postule que l’Algérie est
arabo-musulmane… Retour en arrière. Mais, aux yeux des Romains, la loyauté de Syphax
était douteuse et Scipion se tourna vers Massinissa
Au IIIe siècle avant J-C, trois Etats berbères qui accepta son alliance afin de récupérer la partie
existaient dans l’actuel Maghreb : de son royaume annexée par Syphax.
1) Le royaume de Maurétanie, géographiquement En avril 203 avant J-C, lors de la bataille dite des
l’actuel Maroc, s’étendait de l’Atlantique au fleuve « Grandes Plaines », la victoire romano-massyle
Mulucha (Moulouya). fut totale et Syphax se replia à Cirta (Constantine),
où la population le livra. Emprisonné à Rome, il y
2) Entre le Mulucha et la rivière Ampsaga (l’Oued mourût en 202 avant J-C.
el-Kébir), soit sur une grande partie de l’actuelle C’est son cachot qui aurait donc dû être visité par
Algérie, s’étendait le royaume des Masaesyles. M. Ramtane Lamamra, s’il avait voulu célébrer un
héros authentiquement « algérien ». Pas celui de
3) Entre la rivière Ampsaga et le golfe de Gabès, l’« Algéro-Tunisien » Jugurtha qui comme nous
soit sur l’actuelle Tunisie et l’extrême ouest de l’ac- allons le voir, détruisit le royaume masaesyle,
tuelle Libye, s’étendait le royaume des Massyles lequel, territorialement, correspondait à peu près à
ou Numidie. l’actuelle Algérie…
Entre 272 et 146 avant J-C, se déroulèrent les trois En effet, durant l’été 203 avant J-C, depuis la
guerres puniques qui opposèrent Rome et péninsule italienne, Hannibal le Carthaginois avait
Carthage. En 213 avant J-C, durant la seconde débarqué en Afrique. Toujours alliés de Carthage,
guerre (218-201 avant J-C), Rome qui cherchait des les Masaesyles avaient alors pour souverain
alliés approcha Syphax roi des Masaesyles Vermina, fils de Syphax, mais, au mois d’octobre
(Algérie). Ce dernier vit dans cette demande 202 avant J-C, Scipion et Massinissa furent vain-
d’alliance une occasion de s’emparer des terri- queurs à la bataille de Zama.
toires massyles sur lesquels régnait Gaia, allié de
Carthage. Massinissa mort en 148 avant J-C, son successeur
Gaia mourut en 206 avant J-C, et, après une féroce fut Micipsa. La mort de ce dernier en 118 avant J-C
guerre de succession, son fils Massinissa, né vers provoqua un bouleversement régional. Le défunt
Edition La Nouvelle
Librairie
256 pages
En plus d’être ethno-raciale l’opposition entre les d’accepter de voir leurs enfants scolarisés dans la
différentes populations du Mali était traditionnelle- langue de leurs nouveaux maîtres. De plus, afin
ment liée à deux modes de vie différents et même de ruiner leur mode de vie fondé sur la transhu-
concurrentiels : mance pastorale, les Etats issus de la décolonisa-
tion décidèrent de les sédentariser de force par la
- Celui des nordistes était basé sur la transhu- saisie des chameaux et par la confiscation des
mance des troupeaux et il avait pour impérieuse troupeaux.
nécessité la liberté d’accès au fleuve. Nous sommes là à l’origine de la guerre actuelle,
la cinquième depuis l’indépendance (voir page
- Celui des sudistes est fondé sur la sédentarisa- 12).
tion, l’agriculture et les villages ; nous sommes ici La guerre actuelle qui embrase toute la région écla-
dans la civilisation des greniers. ta à l’initiative de ceux des Touareg Ifora qui
avaient servi dans l’armée du colonel Kadhafi. En
A partir de la fin du XVIIIe siècle, les sudistes effet, le renversement de ce dernier avait rendu
subirent les razzia esclavagistes menées par les popu- leur liberté à ceux des Touareg qui s’étaient réfu-
lations nomades nordistes, Touareg, Maures et Peul. giés en Libye après l’échec de leur soulèvement,
Ils en furent délivrés par la colonisation française de 2009, et qui y avaient été intégrés à l’armée
quand les colonels Gallieni et Archinard détruisirent libyenne.
les sultanats jihadistes, libérant les populations L’insurrection déclenchée, se posa un problème de
noires sédentaires des raids esclavagistes. Puis, dans leadership entre deux chefs appartenant à deux
la boucle du fleuve, le colonel de Trintinian repoussa fractions touareg des Kel Adagh Ifora : Iyad ag
les Touareg vers le massif des Iforas. Ghali et Mohammed ag Najim. Le second évinça
Cette colonisation qui fut libératrice pour les su- Iyad ag Ghali, chef historique des précédentes ré-
distes fut en revanche spoliatrice pour les nor- voltes qui, pour se venger se rapprocha des isla-
distes. Elle bouleversa également en profondeur mistes et créa Ansar Dine un mouvement composé
les rapports de force régionaux, avant de rassem- de Touareg et d’Arabes.
bler vainqueurs et vaincus, dominants et dominés, Cette rupture explique les deux guerres qui se dé-
nomades et sédentaires, dans les limites administra- roulèrent simultanément :
tives coloniales françaises. Or, avec les indépen- - La première qui concernait les seuls Touareg
dances, ces limites devinrent frontières d’Etats à était menée par le MNLA (Mouvement national de
l’intérieur desquelles les nordistes furent soumis libération de l’Azawad) dont le but était l’indépen-
aux sudistes. dance de l’Azawad, la « terre touareg », ce qui pas-
sait par la partition du Mali.
Les principales victimes de ce bouleversement - La seconde était le fait d’un mouvement isla-
historique furent les Touareg qui furent éclatés miste du nom d’Ansar Dine dont l’objectif, totale-
entre cinq Etats nés des indépendances : Algérie, ment différent, n’était pas la partition du Mali,
Mali, Niger, Libye et Burkina Faso. Devenus étran- mais l’instauration de la loi islamique, la Charia,
gers dans des pays qui n’étaient pas les leurs, ces dans tout le pays.
hommes des espaces infinis durent accepter de Puis un troisième mouvement fit son apparition,
voir leurs axes de transhumance barrés par des le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en
frontières de circonstance dont le tracé avait été Afrique de l’Ouest) qui était clairement aligné sur
décidé sans eux. Ils furent également contraints les positions d’Aqmi.
L’actuel conflit du Mali, puis son extension à une partie de la région n’est pas né du jour au
lendemain. Avant toute référence « islamiste », il est d’abord le prolongement de l’irrédentisme
touareg manifesté à travers quatre précédents conflits qui constituent la matrice de la guerre actuelle.
Le 17 janvier 2012, les Touareg mirent une nouvelle fois en déroute les forces armées maliennes à
Menaka et dans la région de Kidal. En plus de la résurgence d’un conflit latent, c’était une nouvelle
forme de revendication qui était formulée par les insurgés. Lors des précédentes insurrections les
Touareg s’étaient en effet battus pour obtenir plus de justice, alors qu’au mois de janvier 2012, ils
exigeaient la partition du Mali et la création d’un Etat de l’Azawad. Puis, au sud, ce furent les Peul
qui, à leur tour, passèrent à l’action.
En 2012, le MNLA fut doublé par le Mujao et par malien sans lui avoir demandé de régler aupara-
Ansar Dine avant d’être chassé par eux de Gao, de vant cette question.
Tombouctou et de Kidal. A partir de ce moment, la Pour Paris, deux options politiques étaient en effet
France accumula les erreurs politiques, cependant possibles :
que, sur le terrain les militaires français jouaient
les pompiers. 1) Laisser la longue histoire reprendre son dérou-
lé, option qui aurait conduit à reconnaître la réali-
té qui est que les Touareg ne veulent plus être
La première erreur française soumis aux Noirs du sud. Dans ce cas, le fait ac-
compli séparatiste devait être entériné. Soit sous
Face à cette situation, la France tergiversa. Paraly- une forme radicale, à savoir l’indépendance, soit
sé par la campagne électorale présidentielle, le pré- sous une forme « acclimatée » comme le confédéra-
sident Sarkozy demeura attentiste, ce qui eut pour lisme. Or, comment faire admettre cette révolution
résultat la quasi élimination du MNLA par le constitutionnelle à des sudistes représentant 90%
Mujao et Ansar Dine. de la population et qui ethno-mathématiquement
Alors que les islamistes étaient moins de 300 et parlant, étaient fondés à refuser toute concession à
qu’ils avaient commis l’erreur de sortir de la clan- des minorités ethno-électorales ?
destinité désertique dans laquelle ils étaient dilués,
pour se rassembler à Gao et à Tombouctou, là où 2) Réaffirmer le principe de l’intangibilité des fron-
les forces spéciales françaises auraient pu les « trai- tières issues de la décolonisation.
ter », la non décision de Paris leur laissa le temps C’est cette seconde option passant par la reconsti-
de monter en puissance. D’autant plus qu’à peine tution de la fiction d’Etat malien qui fut suivie
élu, François Hollande affirma haut et fort que quoi- après la reconquête des villes du nord par l’armée
qu’il advienne, l’armée française n’interviendrait française. Sans que Bamako ait rien décidé quant à
pas au Mali. la nécessaire réorganisation administrative du
Il fallut donc la tentative de progression vers le Mali.
sud (Mopti puis Bamako) le 8 janvier 2013, et la
prise de Konna par les rebelles, pour que, dans l’ur-
gence, le président de la République française La troisième erreur française
donne l’ordre d’intervention.
Encore plus grave, au nom du mythe universaliste
du « vivre ensemble », la seule solution proposée
La deuxième erreur française par la France fut électorale. Au lieu de partir du
réel ethnique et géographique, la France n’a ainsi
L'Opération Serval qui débuta au mois de janvier présenté qu’une solution : les élections. Or, et je
2013 chassa Ansar Dine du nord Mali, mais sans l’ai déjà dit, l’ethno-mathématique électorale
que Paris pose ses conditions. A savoir que les auto- confirmant à chaque fois la domination démogra-
rités de Bamako décident enfin de régler une fois phique, donc démocratique, des plus nombreux,
pour toutes la question touareg. L’erreur fut donc les ressentiments des peuples minoritaires en sont
de reconquérir le pays pour le compte de l’Etat aggravés. Résultat : le feu qui couve se rallume
ADRESSE :
PAYS :
TÉLÉPHONE :