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LETTRE MENSUELLE

PAR INTERNET

UNIQUEMENT PAR
ABONNEMENT

N°143- Novembre 2021


Douzième année

Parenthèse au France y est-elle désormais dé-


milieu d’une testée ? Pourquoi une aide salva-
longue et insup- trice dans laquelle elle a laissé 52 de
portable litanie ses meilleurs enfants et des di-
de repentance, zaines de mutilés, s’est-elle transfor-
Emmanuel Macron mée en entreprise « néo-coloniale »
a jeté un gros pa- aux yeux des Maliens ? Pourquoi
vé dans la mare les dizaines de milliers de déser-
des relations teurs maliens installés dans la ré-
entre Paris et gion parisienne et qui laissent les
Alger. En s’interrogeant sur militaires français se battre à leur
l’existence de la « nation algérienne place osent-ils critiquer la France ?
» avant la conquête française de Pourquoi un tel retournement de si-
1830, il a en effet frappé au cœur la tuation ? Pourquoi un tel échec
fausse histoire de l’Algérie. Cette politique ?
histoire reconstruite sur laquelle re-
pose la « légitimité » des profiteurs La réponse est pourtant claire : par
de l’indépendance (voir à ce sujet refus idéologique et dogmatique de
mon livre Algérie, l’Histoire à l’en- prise en compte du réel ethnique au
droit) qui, depuis 1962, mettent le profit des éternelles nuées démocra-
pays en coupe réglée après avoir di- tiques. Si les dirigeants français
lapidé l’incomparable héritage lais- avaient eu un minimum de culture,
sé par la France. ils auraient pu méditer cette phrase
Le président Macron n’est d’ailleurs écrite dans le rapport de 1953 du
pasle premier à poser la question de Gouverneur général de l’AOF,
la réalité historique de l’Algérie. Ain- précisément au sujet des pays du
si Fehrat Abbas, le futur premier Sahel :
chef d’Etat algérien en 1962 qui avait
déclaré au mois de février 1936 dans « Moins d’élections et plus d’ethnogra-
l’Entente franco-musulmane : phie, et tout le monde y trouvera son
« L’Algérie en tant que Patrie est un compte ».
mythe. Je ne l’ai pas découverte. J’ai
interrogé l’Histoire ; j’ai interrogé les
Tout est dit dans cette phrase qui
morts et les vivants ; j’ai visité les cime-
explique en quelques mots l’échec
tières : personne ne m’en a parlé. » actuel de la France dont les diri-
Dans sa conférence de presse du 16 geants n’ont pas vu que nous
septembre 1959, le général De n’étions pas face à une guerre reli-
Gaulle disait la même chose : gieuse, mais face à une guerre
« Depuis que le monde est le monde, il
ethno-raciale millénaire dans la-
n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte
quelle les islamistes se sont insérés.
raison, de souveraineté algérienne. Comme je ne cesse de le dire depuis
Carthaginois, Romains, Vandales,
le début de la guerre, dans toute la
Byzantins, Arabes syriens, Arabes de BSS, l’islamisme n’est en réalité que
Cordoue, Turcs, Français, ont tour à la surinfection d’une plaie ethnique
tour pénétré le pays, sans qu’il y ait eu,
historique. Mais encore faut-il ne
à aucun moment, sous aucune forme, pas refuser de le voir. Et là encore je
un Etat algérien ». dois renvoyer à mon livre Les
guerres du Sahel des origines à nos
Au Mali, pourquoi, dix ans après jours dans lequel cette probléma-
avoir été applaudie, lors du déclen- tique millénaire est longuement
chement de l’Opération Serval, la expliquée.

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EMMANUEL MACRON A-T-IL EU RAISON
DE S’INTERROGER SUR L’EXISTENCE DE
LA NATION ALGÉRIENNE AVANT 1830 ?

Par calcul électoral ou par tardive prise de conscience, Emmanuel Macron a semblé vouloir enfin
réagir au chantage historique permanent que l’Algérie exerce sur la France depuis 1962. Il l’a fait en
s’interrogeant sur l’existence historique de la « nation » algérienne.

Le « Système » algérien soutient, contre l’état des desserrer leur étreinte, mais devant le plus sou-
connaissances historiques, que la seule colonisa- vent la subir.
tion subie par l’Algérie fut la colonisation fran-
çaise. La période turque est quant à elle, présentée Emmanuel Macon n’est pas le premier chef
comme celle de l’émergence de la conscience natio- d’Etat à s’interroger sur l’existence historique de
nale algérienne, le pays étant alors décrit comme la Nation algérienne. Ainsi, Ferhat Abbas, le
quasiment indépendant de l’empire ottoman. La futur premier chef d’Etat de l’Algérie
réalité historique est bien différente de cette affir- indépendante qui écrivit en 1936 :
mation idéologique et politique.
« Si j’avais découvert la « Nation Algérienne », je
Poser la question de l’existence de la nation algé- serais nationaliste et je n’en rougirais pas comme d’un
rienne revient à demander pourquoi Bougie et crime. Les hommes morts pour l’idéal national sont
Tlemcen n’ont pas créé l’Algérie alors que Fès et journellement honorés et respectés. Ma vie ne vaut pas
Marrakech ont fondé le Maroc. Nous avons vu plus que la leur. Et cependant je ne ferai pas ce
dans le numéro du mois d’octobre 2021 de sacrifice. L’Algérie en tant que Patrie est un mythe. Je
l’Afrique Réelle, qu’avec les Almoravides, les ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’Histoire ; j’ai
Almohades, les Saadiens, les Mérinides et les interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les
Alaouites, le Maroc développa des empires cimetières : personne ne m’en a parlé. » (Ferhat
s’étendant à certaines époques sur tout le Abbas, Paris : Éditions Garnier Frères, 1981, p.
Maghreb, l’Espagne et jusqu’à Tombouctou. Au 27.)
même moment, Tlemcen et Bougie ne dépassèrent
pas le stade de brillantes principautés qui n’eurent Quant au général De Gaulle, lors de sa
pas de prolongements étatiques modernes. conférence de presse en date du 16 septembre
1959, il déclara :
La raison en est simple : prises en étau entre le
Maroc et Tunis, l’autonomie de Tlemcen et de « Car, depuis que le monde est le monde, il n’y a
Bougie ne fut que ponctuelle, ces deux cités dépen- jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de
dant constamment des hauts et des bas de leurs souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains,
puissants voisins. Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de
Voilà pourquoi Tlemcen et Bougie n’eurent pas un Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le
destin comparable à celui de Fès et de Marrakech pays, sans qu’il y ait eu, à aucun moment, sous
lesquelles furent des capitales d’empires. aucune forme, un Etat algérien ».
(Conférence de presse du général de Gaulle, le 16
Bougie fut ainsi en quelque sorte « à cheval » entre septembre 1959).
Tunis et Tlemcen, regardant à la fois vers l’Orient
et vers l’Occident. Quant au royaume de Tlemcen, Quant à la période turque qui dura des années
il fut pris en tenaille entre le Maroc à l’ouest et 1500 jusqu’à 1830, soit plus de trois siècles, elle ne
Tunis à l’est, réussissant à certains moments à fut pas celle de la gestation d’une nation

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algérienne. La Régence turque d’Alger ne fut en ef-
fet pas une possession oubliée en terre africaine,
mais un élément essentiel du dispositif impérial ot-
toman. À la différence de celles de Tripoli et de
Tunis, la Régence d’Alger demeura en effet une co-
lonie de la Porte ottomane sous autorité de Beys
nommés à la tête de Beylik ou provinces, puis de
Deys placés à la tête de Deylik.

Toujours à la différence des Régences de Tripoli et


de Tunis, il n’y eut jamais de rupture entre Alger
et le centre de l’empire ottoman. Voilà qui ex-
plique largement pourquoi, il n’y eut pas d’évolu-
tion vers une monarchie nationale comme en
Tunisie avec les Husseinites, ou comme à Tripoli
avec les Karamanli.
Les rapports la Régence ottomane d’Alger et l’Em-
pire furent toujours militairement très étroits.
Ainsi, en 1638, quand la flotte d’Alger obéit à
l’ordre du sultan Murad IV (1623-1640) de le re-
joindre dans la guerre contre Venise.
A la fin du XVIIe siècle, les responsables turcs
d'Alger voulurent gagner une plus grande autono-
mie, mais en 1661, ils renoncèrent car ils avaient be-
soin de la protection de l’Empire contre les
menaces marocaines.
Durant la période ottomane, les révoltes berbères
furent certes continuelles. Cependant, elles ne
mirent pas en danger la présence turque car, à au-
cun moment, elles ne furent animées par un senti-
ment pré-national « algérien ».

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A LA RECHERCHE DE LA « NATION »
ALGÉRIENNE FANTÔME

Les durs du régime algérien sont actuellement engagés dans une stratégie de survie qui passe par la
dénonciation du Maroc et de la France. Avec le Maroc, le point de rupture est la question du Sahara
(voir le numéro d’octobre 2021 de l’Afrique Réelle). Avec la France, la crise mémorielle est devenue
paroxystique depuis que le président Macron a posé la question de l’existence historique de la
« Nation algérienne ». Pour tenter de démontrer la réalité de cette dernière, les autorités algériennes
additionnent sophismes et anachronismes.

Le 8 octobre dernier, de passage à Rome, le ministre 239 avant J-C à Mascula (Kenchela dans les
algérien des Affaires étrangères, M. Ramtane Aurès), lui succéda. Mais, soutenu par Carthage,
Lamamra, s’est ainsi rendu sur le site de la prison un de ses neveux nommé Lacumazès se souleva
dans laquelle Jugurtha, petit-fils de Massinissa, mou- contre lui.
rut en 104 avant J-C. Les Algériens le considèrent en En 205 avant J-C, les Carthaginois s’allièrent à
effet comme un lointain ancêtre. Un apparentement Syphax, roi des Masaesyles, afin de combattre
qui n’est pas totalement faux, mais qui n’est pas Massinissa. Ce dernier ayant été vaincu, Syphax
non plus totalement licite historiquement. Sans par- s’empara d’une grande partie du royaume
ler du fait que Jugurtha était Berbère et que le « Sys- massyle.
tème » algérien postule que l’Algérie est
arabo-musulmane… Retour en arrière. Mais, aux yeux des Romains, la loyauté de Syphax
était douteuse et Scipion se tourna vers Massinissa
Au IIIe siècle avant J-C, trois Etats berbères qui accepta son alliance afin de récupérer la partie
existaient dans l’actuel Maghreb : de son royaume annexée par Syphax.

1) Le royaume de Maurétanie, géographiquement En avril 203 avant J-C, lors de la bataille dite des
l’actuel Maroc, s’étendait de l’Atlantique au fleuve « Grandes Plaines », la victoire romano-massyle
Mulucha (Moulouya). fut totale et Syphax se replia à Cirta (Constantine),
où la population le livra. Emprisonné à Rome, il y
2) Entre le Mulucha et la rivière Ampsaga (l’Oued mourût en 202 avant J-C.
el-Kébir), soit sur une grande partie de l’actuelle C’est son cachot qui aurait donc dû être visité par
Algérie, s’étendait le royaume des Masaesyles. M. Ramtane Lamamra, s’il avait voulu célébrer un
héros authentiquement « algérien ». Pas celui de
3) Entre la rivière Ampsaga et le golfe de Gabès, l’« Algéro-Tunisien » Jugurtha qui comme nous
soit sur l’actuelle Tunisie et l’extrême ouest de l’ac- allons le voir, détruisit le royaume masaesyle,
tuelle Libye, s’étendait le royaume des Massyles lequel, territorialement, correspondait à peu près à
ou Numidie. l’actuelle Algérie…

Entre 272 et 146 avant J-C, se déroulèrent les trois En effet, durant l’été 203 avant J-C, depuis la
guerres puniques qui opposèrent Rome et péninsule italienne, Hannibal le Carthaginois avait
Carthage. En 213 avant J-C, durant la seconde débarqué en Afrique. Toujours alliés de Carthage,
guerre (218-201 avant J-C), Rome qui cherchait des les Masaesyles avaient alors pour souverain
alliés approcha Syphax roi des Masaesyles Vermina, fils de Syphax, mais, au mois d’octobre
(Algérie). Ce dernier vit dans cette demande 202 avant J-C, Scipion et Massinissa furent vain-
d’alliance une occasion de s’emparer des terri- queurs à la bataille de Zama.
toires massyles sur lesquels régnait Gaia, allié de
Carthage. Massinissa mort en 148 avant J-C, son successeur
Gaia mourut en 206 avant J-C, et, après une féroce fut Micipsa. La mort de ce dernier en 118 avant J-C
guerre de succession, son fils Massinissa, né vers provoqua un bouleversement régional. Le défunt

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avait en effet deux fils vivants, Adherbal et En échange de son soutien, Jugurtha offrit alors à
Hiempsal, plus un fils adoptif, son neveu son beau-père Bocchus, roi de Maurétanie, l’an-
Jugurtha, que les deux premiers détestaient. cien royaume masaesyle qu’il venait de conquérir,
Né à Cirta (Constantine) vers 160 avant J-C, soit l’essentiel de l’actuelle Algérie. Mais, ayant
Jugurtha était le petit-fils de Massinissa et le fils illé- préféré l’alliance romaine, Bocchus le livra, avant
gitime de Mastanabal, frère de Micipsa. C’était de se voir reconnaître la possession de la plus
donc un Massyle de clan royal. Les trois frères déci- grande partie de l’ancien royaume masaesyle, jus-
dèrent de se partager le royaume, c’est-à-dire l’ac- qu’à la rivière Ampsaga (Oued el-Kébir), ce qui lui
tuelle Tunisie, plus la région située entre permit de créer la Grande Maurétanie.
Constantine et l’actuelle frontière tunisienne aug-
mentée des territoires pris à l’ouest sur les Le royaume masaesyle, lointain ancêtre de l’ac-
Masaesyles. tuelle Algérie avait donc vécu et, désormais, la ré-
gion allait être continuellement colonisée, d’abord
Mais Jugurtha fit assassiner Hiempsal et le partage par les Romains, suivis des Vandales, des
se fit donc entre lui et Adherbal. Puis, Jugurtha atta- Byzantins, des Arabes, des Turcs et enfin des
qua Adherbal qu’il assiégea dans Cirta. La ville fut Français.
prise en 113 avant JC et Adherbal y fut mis à mort, Déjà à l’époque, les deux pôles « nationaux » du
tandis que des résidents romains y étaient Maghreb étaient donc à l’est, le royaume massyle,
assassinés. lointain ancêtre de l’actuelle Tunisie, et à l’ouest,
le royaume de Maurétanie, lointain ancêtre de l’ac-
Jugurtha devint alors roi de la Grande Numidie, tuel Maroc.
c’est-à-dire l’actuelle Tunisie plus la partie orien- Quant au royaume masaesyle, soit les trois-quarts
tale et centrale de l’actuelle Algérie. Mais de l’actuelle Algérie, tragique ironie de l’histoire,
l’existence de ce royaume fut éphémère car, de 112 ce fut, ainsi que nous venons de le voir, Jugurtha,
à 105 avant J-C, Rome s’engagea dans une guerre l’homme que célébra le ministre algérien des Af-
totale contre Jugurtha. Certes pour venger les faires étrangères comme un « grand Algérien » qui
siens, mais d’abord pour ne pas laisser se dévelop- le détruisit… Avant 1962, l’Algérie n’eut donc
per un royaume berbère trop puissant qui succéde- d’existence « nationale » que dans les rêves fantas-
rait à Carthage. més de ses actuels dirigeants…

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Ceux qui connaissent Bernard
Lugan le reconnaîtront sans
peine sous les traits de son nar-
rateur, Henri Nérac. Style colo-
nial old school : chaussettes
remontées jusqu’aux genoux,
chemises aux plis réglemen-
taires, shorts à deux pinces et
single malt. On commande
d’ailleurs son whisky en tirant
en l’air, deux coups pour un
double scotch. L’auteur du
Banquet des Soudards n’est pas
du genre à sympathiser avec le
premier venu : il choisit ses ami-
tiés dans le cercle restreint des
hommes authentiquement
libres. On les retrouve dans ces
Nouvelles incorrectes d’une
Afrique disparue. Rien que des
pièces uniques au cuir tanné :
seigneurs de guerre, coloniaux
hauts en couleur, soldats per-
dus qui ont coiffé le képi blanc,
vieux Pères blancs en bur-
nous… On les suit du Rwanda
à l’Afrique du Sud, du Maroc à
la Rhodésie, du Sud-Ouest afri-
cain à la Tanzanie. En bons
gentlemen, ils mettent un point
d’honneur à ne jamais déroger
à un certain art de vivre aristo-
cratique. Comme Lugan, plus
drolatique que jamais.

Edition La Nouvelle
Librairie

256 pages

Bon de commande page 8

L'AFRIQUE RÉELLE - N°143 - NOVEMBRE 2021 PAGE 6


L'AFRIQUE RÉELLE - N°143 - NOVEMBRE 2021 PAGE 7
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Au Mali, après avoir été applaudie en 2012, lors du déclenchement de l’Opération Serval, dix ans
plus tard, la France y est aujourd’hui détestée. Une aide salvatrice dans laquelle elle a laissé 52 de ses
meilleurs enfants, quand plusieurs centaines de milliers déserteurs maliens sont installés en France,
s’est donc transformée en entreprise « néo-coloniale »…
Pourquoi un tel retournement de situation ? Pourquoi un tel échec politique ?
La raison est pourtant claire : la politique africaine de la France étant engluée dans le dogme
universalo-démocratique, ses initiateurs ont donc obstinément refusé de voir que les nordistes ne
sont pas les sudistes et que les élections n’ont jamais réglé en profondeur les problèmes ethniques
africains. Les décideurs français ont également perdu de vue que la guerre actuelle a éclaté dans le
nord du pays et que, si, petit-à-petit, elle a gagné le sud, nous ne sommes pas en présence de la
même guerre.

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L’ISLAMISME N’EST PAS LA CAUSE
PROFONDE DE LA GUERRE
Le Mali, vaste pays enclavé (plus de 1 200 000 km2) est un des Etats les plus pauvres du monde avec
un taux de fécondité de 6,1 enfants par femme, et une population de plus de 15 millions dont l’âge
médian est 16 ans. Ces hommes appartiennent à deux grands ensembles culturels engerbant de nom-
breuses ethnies qui, depuis le néolithique, sont en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires
situées entre le désert du nord et les savanes du sud.

En plus d’être ethno-raciale l’opposition entre les d’accepter de voir leurs enfants scolarisés dans la
différentes populations du Mali était traditionnelle- langue de leurs nouveaux maîtres. De plus, afin
ment liée à deux modes de vie différents et même de ruiner leur mode de vie fondé sur la transhu-
concurrentiels : mance pastorale, les Etats issus de la décolonisa-
tion décidèrent de les sédentariser de force par la
- Celui des nordistes était basé sur la transhu- saisie des chameaux et par la confiscation des
mance des troupeaux et il avait pour impérieuse troupeaux.
nécessité la liberté d’accès au fleuve. Nous sommes là à l’origine de la guerre actuelle,
la cinquième depuis l’indépendance (voir page
- Celui des sudistes est fondé sur la sédentarisa- 12).
tion, l’agriculture et les villages ; nous sommes ici La guerre actuelle qui embrase toute la région écla-
dans la civilisation des greniers. ta à l’initiative de ceux des Touareg Ifora qui
avaient servi dans l’armée du colonel Kadhafi. En
A partir de la fin du XVIIIe siècle, les sudistes effet, le renversement de ce dernier avait rendu
subirent les razzia esclavagistes menées par les popu- leur liberté à ceux des Touareg qui s’étaient réfu-
lations nomades nordistes, Touareg, Maures et Peul. giés en Libye après l’échec de leur soulèvement,
Ils en furent délivrés par la colonisation française de 2009, et qui y avaient été intégrés à l’armée
quand les colonels Gallieni et Archinard détruisirent libyenne.
les sultanats jihadistes, libérant les populations L’insurrection déclenchée, se posa un problème de
noires sédentaires des raids esclavagistes. Puis, dans leadership entre deux chefs appartenant à deux
la boucle du fleuve, le colonel de Trintinian repoussa fractions touareg des Kel Adagh Ifora : Iyad ag
les Touareg vers le massif des Iforas. Ghali et Mohammed ag Najim. Le second évinça
Cette colonisation qui fut libératrice pour les su- Iyad ag Ghali, chef historique des précédentes ré-
distes fut en revanche spoliatrice pour les nor- voltes qui, pour se venger se rapprocha des isla-
distes. Elle bouleversa également en profondeur mistes et créa Ansar Dine un mouvement composé
les rapports de force régionaux, avant de rassem- de Touareg et d’Arabes.
bler vainqueurs et vaincus, dominants et dominés, Cette rupture explique les deux guerres qui se dé-
nomades et sédentaires, dans les limites administra- roulèrent simultanément :
tives coloniales françaises. Or, avec les indépen- - La première qui concernait les seuls Touareg
dances, ces limites devinrent frontières d’Etats à était menée par le MNLA (Mouvement national de
l’intérieur desquelles les nordistes furent soumis libération de l’Azawad) dont le but était l’indépen-
aux sudistes. dance de l’Azawad, la « terre touareg », ce qui pas-
sait par la partition du Mali.
Les principales victimes de ce bouleversement - La seconde était le fait d’un mouvement isla-
historique furent les Touareg qui furent éclatés miste du nom d’Ansar Dine dont l’objectif, totale-
entre cinq Etats nés des indépendances : Algérie, ment différent, n’était pas la partition du Mali,
Mali, Niger, Libye et Burkina Faso. Devenus étran- mais l’instauration de la loi islamique, la Charia,
gers dans des pays qui n’étaient pas les leurs, ces dans tout le pays.
hommes des espaces infinis durent accepter de Puis un troisième mouvement fit son apparition,
voir leurs axes de transhumance barrés par des le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en
frontières de circonstance dont le tracé avait été Afrique de l’Ouest) qui était clairement aligné sur
décidé sans eux. Ils furent également contraints les positions d’Aqmi.

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LA GUERRE DU MALI A DÉBUTÉ EN 1963

L’actuel conflit du Mali, puis son extension à une partie de la région n’est pas né du jour au
lendemain. Avant toute référence « islamiste », il est d’abord le prolongement de l’irrédentisme
touareg manifesté à travers quatre précédents conflits qui constituent la matrice de la guerre actuelle.

La première guerre touareg (1963-1964) et région vidée de ses habitants. L’économie de


cette partie du pays fut anéantie et le mode vie no-
made détruit. Un exode en direction des camps de
Elle éclata le 14 mai 1963 dans l’Adrar des Iforas, réfugiés algériens se produisit, mais le président
au Mali. Le régime marxiste du président Modibo Ben Bella autorisa les forces maliennes à y inter-
Keita en profita pour tenter d’éradiquer les velléi- venir, ce qui provoqua un terrible massacre au
tés autonomistes latentes des Touareg. La région puits d’In Ouzzal.
comprise entre Kidal et la frontière algérienne fut La révolte prit fin dès 1964, et, durant plusieurs an-
alors déclarée zone interdite et, composée de Noirs nées, littéralement sidérés par la répression des an-
sudistes, l’armée malienne y massacra les civils, nées 1963-1964, les Touareg ne firent quasiment
détruisit les campements, viola les femmes et procé- plus parler d’eux. Cependant, parmi la jeune géné-
da à des exécutions sommaires. La politique de la ration, celle qui avait vu les pères abattus, les
terre brûlée fut décidée : arbres coupés, puits em- mères et les soeurs violées sous leurs yeux, nom-
poisonnés, cheptel abattu, campements incendiés breux furent ceux qui décidèrent de se venger et

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qui partirent donc se former militairement, qui au intercommunautaires » permirent une réconcilia-
Liban, qui en Libye. tion de façade illustrée par la « cérémonie de la
En 1987, plusieurs mouvements furent fondés Flamme de la paix » qui se déroula le 26 mars 1996
dont le Mouvement de libération de l’Azawad (MLA), à Tombouctou. En présence d’Alpha Omar
le Mouvement de libération du Mali (MLM) et le Konaré, le président de la République, un bûcher
Front populaire de libération de l’Azawad (FPLA). fut dressé sur lequel furent brûlées plusieurs
Tous étaient sous l’influence de Iyad Agh Ghali, milliers d’armes, puis, plusieurs centaines de re-
un jeune chef ifora. belles touareg furent réintégrés dans l’armée.

Cependant, la paix ne revint qu’en apparence car


La deuxième guerre touareg (1990-1996) le nord du Mali se transforma peu à peu en « zone
grise » dans laquelle vinrent se réfugier les sur-
La deuxième guerre débuta en 1990 quand la ville vivants des maquis jihadistes algériens qui se
de Ménaka fut attaquée par des hommes armés se lièrent aux trafiquants de toutes sortes et à certains
réclamant du FPLA, puis le mouvement fit tâche irréductibles de la cause touareg.
d’huile.
En 1991, trois mouvements participaient à la rébel-
lion, le FPLA, le Front islamique de l’Azawad (FIA), La troisième guerre touareg (mai-juillet 2006)
composé d’Arabes et un nouveau venu, l’Armée ré-
volutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA), éma- Le 23 mai 2006, Kidal et Menaka furent attaquées
nation des Imghad, les Touareg noirs ou et prises par des combattants appartenant à
tributaires, à ne pas confondre avec les esclaves l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement
des Touareg qui sont les Bellah. (ADC), mouvement fondé par Iyad Ag Ghali,
Ibrahim Ag Bahanga et le lieutenant-colonel
Le 6 janvier 1991, les accords de paix de Hassan Ag Fagaga.
Tamanrasset signés avec le régime du général Le 4 juillet 2006, à Alger, l’Etat malien et les re-
Moussa Traoré mirent fin à la guerre. Ils reconnais- présentants de l’ADC, signèrent les Accords d’Alger
saient un statut particulier aux Touareg, mais ils pour la restauration de la paix et du développement
ne parlaient pas d’autonomie. Puis, le 26 mars dans la région de Kidal, qui devaient mettre fin à ce
1991, Moussa Traoré fut renversé par le lieutenant- conflit.
colonel Amadou Toumani Touré (ATT). Un A la fin du mois de septembre 2006, les hommes
« pacte national » fut ensuite signé le 11 avril 1992 de l’ADC affrontèrent les islamistes algériens du
à Bamako entre les autorités maliennes et une coor- GSPC qui voulaient s’implanter dans les Iforas.
dination des mouvements touareg.
Cependant, dès le mois de mai 1992, les hostilités
reprirent à la suite d’une opération lancée par l’ar- La quatrième guerre touareg (2007-2009)
mée malienne. Une guerre ethnique éclata ensuite
entre les factions nordistes, les Arabes du FIA s’op- Le 11 mai 2007, Ibrahim Ag Bahanga qui avait re-
posant aux Touareg du MPA. Puis, une guerre ra- pris les armes, fut blessé au combat et soigné en
ciale opposa Noirs et « Blancs » après la création Algérie. Au mois de septembre 2007, il se sépara
d’une milice ethnique sudiste à recrutement de l’ADC pour fonder l’Alliance Touareg du Nord-
songhay, le Mouvement patriotique du Ganda Ko (ou Mali pour le changement (ATNMC). Ses partisans
Koy). Avec le soutien de l’armée, elle s’attaqua aux étaient moins de 200, mais comme ils étaient insai-
Arabes et aux Touareg, faisant des centaines de sissables, l’armée malienne ne parvint pas à en
morts et poussant des milliers de réfugiés vers la venir à bout. Aussi, eut-elle recours aux Imghad,
Mauritanie, le Burkina Faso et l’Algérie. anciens dépendants des Ifora, ainsi qu’aux milices
arabes. En 2009, Ibrahim Ag Bahanga fut contraint
Alors que le pays était au bord de la guerre civile de se réfugier en Libye où il trouva la mort dans
g é n é r al i s é e , les « R e n c o n t r e s un accident de la route le 26 août 2011.

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LES 8 PRINCIPALES ERREURS
FRANÇAISES

Le 17 janvier 2012, les Touareg mirent une nouvelle fois en déroute les forces armées maliennes à
Menaka et dans la région de Kidal. En plus de la résurgence d’un conflit latent, c’était une nouvelle
forme de revendication qui était formulée par les insurgés. Lors des précédentes insurrections les
Touareg s’étaient en effet battus pour obtenir plus de justice, alors qu’au mois de janvier 2012, ils
exigeaient la partition du Mali et la création d’un Etat de l’Azawad. Puis, au sud, ce furent les Peul
qui, à leur tour, passèrent à l’action.

En 2012, le MNLA fut doublé par le Mujao et par malien sans lui avoir demandé de régler aupara-
Ansar Dine avant d’être chassé par eux de Gao, de vant cette question.
Tombouctou et de Kidal. A partir de ce moment, la Pour Paris, deux options politiques étaient en effet
France accumula les erreurs politiques, cependant possibles :
que, sur le terrain les militaires français jouaient
les pompiers. 1) Laisser la longue histoire reprendre son dérou-
lé, option qui aurait conduit à reconnaître la réali-
té qui est que les Touareg ne veulent plus être
La première erreur française soumis aux Noirs du sud. Dans ce cas, le fait ac-
compli séparatiste devait être entériné. Soit sous
Face à cette situation, la France tergiversa. Paraly- une forme radicale, à savoir l’indépendance, soit
sé par la campagne électorale présidentielle, le pré- sous une forme « acclimatée » comme le confédéra-
sident Sarkozy demeura attentiste, ce qui eut pour lisme. Or, comment faire admettre cette révolution
résultat la quasi élimination du MNLA par le constitutionnelle à des sudistes représentant 90%
Mujao et Ansar Dine. de la population et qui ethno-mathématiquement
Alors que les islamistes étaient moins de 300 et parlant, étaient fondés à refuser toute concession à
qu’ils avaient commis l’erreur de sortir de la clan- des minorités ethno-électorales ?
destinité désertique dans laquelle ils étaient dilués,
pour se rassembler à Gao et à Tombouctou, là où 2) Réaffirmer le principe de l’intangibilité des fron-
les forces spéciales françaises auraient pu les « trai- tières issues de la décolonisation.
ter », la non décision de Paris leur laissa le temps C’est cette seconde option passant par la reconsti-
de monter en puissance. D’autant plus qu’à peine tution de la fiction d’Etat malien qui fut suivie
élu, François Hollande affirma haut et fort que quoi- après la reconquête des villes du nord par l’armée
qu’il advienne, l’armée française n’interviendrait française. Sans que Bamako ait rien décidé quant à
pas au Mali. la nécessaire réorganisation administrative du
Il fallut donc la tentative de progression vers le Mali.
sud (Mopti puis Bamako) le 8 janvier 2013, et la
prise de Konna par les rebelles, pour que, dans l’ur-
gence, le président de la République française La troisième erreur française
donne l’ordre d’intervention.
Encore plus grave, au nom du mythe universaliste
du « vivre ensemble », la seule solution proposée
La deuxième erreur française par la France fut électorale. Au lieu de partir du
réel ethnique et géographique, la France n’a ainsi
L'Opération Serval qui débuta au mois de janvier présenté qu’une solution : les élections. Or, et je
2013 chassa Ansar Dine du nord Mali, mais sans l’ai déjà dit, l’ethno-mathématique électorale
que Paris pose ses conditions. A savoir que les auto- confirmant à chaque fois la domination démogra-
rités de Bamako décident enfin de régler une fois phique, donc démocratique, des plus nombreux,
pour toutes la question touareg. L’erreur fut donc les ressentiments des peuples minoritaires en sont
de reconquérir le pays pour le compte de l’Etat aggravés. Résultat : le feu qui couve se rallume

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périodiquement. Voilà pourquoi les élections de les islamistes ont profité, l’islamisme n'étant que la
2013 n’ont pas réglé le problème nord-sud. Tout surinfection d'une plaie séculaire ethno-raciale.
au contraire, légitimés par le scrutin, les politiciens
A l’évidence, la solution n'était donc pas électo-
sudistes ont refusé de prendre en compte les reven- rale, les élections de l’été 2013 n'ayant fait que
dications nordistes. confirmer l’ethno-mathématique nationale, et sans
permettre une réelle avancée constitutionnelle.
Tout au contraire elles ont compliqué le problème
La quatrième erreur française politique car, légitimés par le scrutin, les politi-
ciens sudistes ont refusé de prendre véritablement
Tous les « ingrédients » du conflit demeuraient en compte les revendications nordistes.
donc, et seule la présence militaire française empê-
chait un nouvel embrasement. L’armée française
était donc condamnée à rester. Les problèmes s’inscrivent sur un fond de trafic
Tout naturellement, elle fut donc peu à peu, prise car c’est sur les réseaux de la contrebande que se
entre le marteau nordiste et l’enclume sudiste. sont originellement greffés les jihadistes repliés
Tout en étant condamnée à rester au Mali pour d’Algérie. Or, ce que nous baptisons « trafic » à
s’interposer entre les belligérants dans des mis- travers notre lecture européo-centrée est la
sions sans fin et sans issue. continuation moderne du commerce traditionnel
transsaharien qui fait vivre les populations à
travers des routes trans-ethniques millénaires.
La cinquième erreur française Nous y attaquer multiplie nos adversaires et
fragilise nos axes de communication car, bien que
Avec les faibles moyens dont ils disposaient, les se combattant, les groupes armés sont tous
hommes de Barkhane, opération qui succéda à impliqués à des degrés divers dans cette activité.
Serval ont réussi à perturber les mouvements terro-
ristes, à limiter leur liberté d’action, à empêcher
leur coagulation, à protéger la région du lac La septième erreur française
Tchad, pivot régional, et à rendre la plus hermé-
tique possible la frontière entre la Libye et le Cette dernière découle de la non prise en compte
Niger, évitant ainsi le réensemencement du jiha- du rôle régional de l’Algérie dont la constante
disme sahélien à partir de la Libye. Cependant, étant de garder le contrôle de ses propres Touareg,
l’immense zone saharo-sahélo-guinéenne ne pou- elle est donc condamnée à avoir une influence di-
vait être véritablement pacifiée sans un véritable recte ou indirecte sur les mouvements maliens.
quadrillage inenvisageable politiquement. De Voilà pourquoi, au Mali, Alger appuie tous les
plus, la pacification passait par la prise en compte mouvements prônant arabité et islamisme, afin de
des réalités politiques évoquées plus haut et que contrer l’élément berbère de l’irrédentisme nor-
Paris n’a jamais voulu faire. diste. Voilà également pourquoi Alger a soutenu
Des mesures « palliatives » furent alors décidées. le Mujao salafiste qui recrutait dans les camps du
Ainsi, le G5 Sahel qui ne pouvait pas davantage ré- Polisario, et dont la mission était d’affaiblir le
gler les causes du conflit. De plus, comment pré- MNLA touareg. Voilà enfin pourquoi une des clés
tendre mettre en place une force militaire de la question se trouvant à Alger, plus la situa-
transfrontalière quand les cinq pays partenaires tion se détériore, et plus l’Algérie jouera un rôle
(Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad), dans les tentatives de règlement du conflit.
n’avaient pas les mêmes priorités sécuritaires et ne Comme elle l’a d’ailleurs toujours fait par le passé.
disposaient pas des moyens d’assurer son coût ?

La huitième erreur française


La sixième erreur française
Cette erreur est d’avoir ignoré le phénomène peul,
Cette erreur qui est la synthèse des précédentes fut et sa profondeur. Les actuels évènements qui,
le refus de changement de paradigme quand Paris dans le Mali central et dans le nord du Burkina
refusa de voir que nous ne sommes pas face à une Faso, opposent Peul, Dogon et Bambara ne sont en
guerre de religion, mais en présence d’un conflit effet pas une nouveauté. Ils résultent d’évène-
ethnique et même racial dont, avec opportunisme, ments datant de la fin du XVIIIe siècle et de la

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première moitié du XIXe siècle, quand le paysage Or, depuis deux ou trois décennies, en raison, de
politique de l’ouest africain sahélien fut remodelé l’essor démographique, de l’adoption de l’éle-
en profondeur par des éleveurs Peul qui consti- vage par les agriculteurs, de la péjoration clima-
tuèrent des califats. tique et de la saturation démographique de
Comme les Touareg, les Peul forment un peuple l’espace, la cohabitation entre pasteurs peul et
dispersé et sans Etat. Zébré par les frontières post- peuples agriculteurs devient de plus en plus diffi-
coloniales, l’espace peul s’étend sur tout l’ouest afri-
cile. D’où de très nombreux affrontements dont
cain, courant de l’Atlantique sénégalais jusqu’à la ré-profitent les jihadistes. Quant aux Dogon, aux
gion tchadienne (voir le dossier consacré aux Peul Bambara, aux Djerma et plus généralement tous
dans le numéro l'Afrique Réelle de septembre 2021). les sédentaires, ils considèrent les Peul comme
des envahisseurs cherchant à reprendre une ex-
Le phénomène d’expansion des Peul fut stoppé pansion mise entre parenthèses par la colonisa-
par la conquête coloniale des années 1895 qui fut tion. Voilà les clés de compréhension de la
une délivrance pour les peuples sédentaires, qu’il question.
s’agisse des Dogon, des Bambara ou des Djerma.
L’arrivée des Français leur apportant la paix et la Aujourd’hui, la pression démographique fait que
fin des chasses à l’esclave, ils commencèrent alors les rapports traditionnels entre pasteurs peul et
à se réinstaller dans les régions dont ils avaient été agriculteurs ont été totalement bouleversés. Leurs
chassés par les Peul. Mais ces derniers considé- couloirs de transhumance peu à peu colonisés par
rèrent qu’ils venaient voler leurs pâturages… les agriculteurs, les pasteurs peul sont de plus en
Le phénomène de réinstallation donna naissance à plus en butte à l’hostilité des sédentaires qui les
l’actuelle occupation de l’espace, à savoir un enche- voient comme des complices des jihadistes, d’où
vêtrement des populations entre villages de séden- des sanglantes représailles contre eux. L’armée
taires et campements de nomades peul. française n’y peut rien…

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Ces huit erreurs ayant été identifiées, la France ne du Niger et environ 50% d’une armée commandée
risque-t-elle pas d’en commettre une neuvième ? par des officiers Djerma…
Autant dire que la base du nouveau dispositif fran-
En effet, poussée hors du Mali, elle tente mainte- çais est au minimum « fragile »…
nant de sauver la face en parlant de désengage-
ment au moment où, afin d’assurer leur survie, les
colonels de Bamako font appel à la firme russe
Wagner. Or, la vocation de cette dernière n’est pas
de partir à la reconquête de l’Azawad, du Macina
ou du Liptako…

Ne perdons pas de vue qu’en 2014, la France a


abandonné le président Blaise Compaoré du
Burkina Faso, son seul allié régionalement solide.
Aujourd’hui, face au rejet malien et aux « incerti-
tudes » tchadiennes, les décideurs français qui se
sont eux-mêmes mis dans une impasse, ont décidé
de recentrer le dispositif militaire sur le Niger et
de l’adosser aux bases américaines installées dans
ce pays, et à leurs drones.
Une décision pour le moins « aventureuse ». Voilà
en effet un pays plus que fragile qui fait face à
trois fronts : à l’ouest celui des « Trois frontières »,
à l’est celui de Boko Haram et de sa dissidence de
l’Etat islamique, et au nord celui de la frontière
libyenne à travers l’irrédentisme toubou.

Sans parler de la question ethnique qui se pose à la


tête du pays. Le Niger est en effet dirigé par
Mohamed Bazoum, un Arabe Ouled Sulayim,
importante tribu dont les composantes se re-
trouvent en Libye et au Tchad. Or, les Arabes
(moins de 0,05% de la population du Niger), dont
les ancêtres réduisaient en esclavage les popula-
tions locales, sont historiquement détestés par les
Djerma lesquels composent 20% de la population

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