Brasillach Mémorandum Écrit Par Robert Brasillach Pour La Préparation de Son Procès Ok3

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Le texte prsent ici est un mmorandum crit par Robert Brasillach la prison de Fresnes dans lattente de son procs.

. Le prisonnier se prparait, avec laide de ses compagnons de cellule, rpondre aux questions qui pourraient lui tre poses au tribunal. la barre, Robert Brasillach ne put sexpliquer que sur certains points ; le Mmorandum dtaille ces points et il contient des dveloppements sur les questions qui ne furent pas abordes durant le procs. Il permet de comprendre les motivations de Robert Brasillach durant la Collaboration et claire la destine de lcrivain entran dans la tourmente de la guerre, fascin par la force des jeunesses fascistes mais fermement attach aux principes du nationalisme franais. Dans ce document, plus politique et biographique que judiciaire, Robert Brasillach revient sur ses relations avec les Allemands depuis son retour de captivit jusqu son refus de partir en Allemagne en 1945, son soutien la Lgion des volontaires franais, sa mfiance vis--vis de la Milice, ses rapports avec le gouvernement de Vichy, la crise de Je suis partout, la justification de son antismitisme, etc. Ce Mmorandum ntait pas destin au public, mais son intrt explique sa publication dans les uvres compltes de Robert Brasillach. Loriginal a t perdu, le texte a t reconstitu partir de deux copies dactylographies. Quelques mots manquants, insrs entre crochets, ont t restitus par Maurice Bardche, dont nous avons conserv les notes. Elles ont t intgres avec la mention NDMB avec celles que nous avons ajoutes en fin de livret. Les commentaires inscrits dans la marge par Robert Brasillach ont t transforms soit en inter-titres, soit en notes de bas de page.
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RETOUR DE CAPTIVIT
D. : Comment avez-vous t libr de votre captivit en Allemagne ? R. : Jai t fait prisonnier le 22 juin 1940 avec larme de lEst que commandait le gnral Cond. Une demande de libration fut adresse en juillet par le ministre de lInformation du gouvernement franais au gouvernement allemand, qui a libr dans le seul mois de juillet environ 200 000 prisonniers : fonctionnaires, agents des services publics, etc. Il ne faut pas oublier que dans lensemble un million de prisonniers a t libr : est-ce que cela fait un million de tratres ? Le gouvernement me rclamait au titre du ministre de lInformation afin de me confier un poste. La demande fut adresse la commission de larmistice de Wiesbaden, et y fut porte par le capitaine Henri Massis1, attach au gnral Huntzinger2. Elle mit fort longtemps aboutir, et avait t, je crois, renouvele. Lorsque je fus libr, fin mars 1941, je le fus avec un lot de camarades rclams comme fonctionnaires ou assimils des fonctionnaires, en particulier du ministre des Finances. (Tous les rgimes ont toujours besoin de collecteurs dimpts, ce nest pas toujours lavis des contribuables). Je demandai quel titre jtais libr : les officiers franais qui soccupaient des besognes bureaucratiques du camp me dirent que jtais galement rclam par le gouvernement. Je nai eu ce sujet aucune entrevue ni aucune explication, encore moins aucun marchandage de la part des Allemands du camp.
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D. : Dans ces conditions, comment tes-vous rentr Paris et non Vichy pour vous occuper dun journal qui ntait pas un organe officiel ? R. : Je suis partout paraissait depuis deux mois quand je suis rentr Paris, o se trouvait mon domicile. Tout naturellement, mes anciens camarades du journal dy offrirent la place que jy avais avant la guerre. Mais on me demanda aussitt de venir Vichy, au ministre de lInformation, puisque ctait le ministre qui mavait rclam. Jeus un entretien avec des officiers de marine du cabinet de lamiral Darlan, alors chef du gouvernement et ministre de lInformation. On me proposait de devenir Commissaire du gouvernement au cinma franais. Jtais lauteur, en collaboration 3, dune Histoire du Cinma, qui devait dailleurs reparatre sous lOccupation malgr le vif loge quelle fait du cinma amricain, quelque quarante pages consacres Charlie Chaplin, et lloge quelle fait du cinma sovitique, considr par nous comme le modle dun cinma neuf et rvolutionnaire. Cette Histoire du Cinma a t traduite en Amrique par un organisme officiel de faon servir de base lenseignement. Jallguai nanmoins que mes connaissances taient dordre artistique et historique, et que jignorai la technique et laspect financier du problme. On insista pour que jaccepte. Je finis par me dcider, et nous envisagemes mme, Je suis partout, les modalits de mon dpart du journal en tant que rdacteur en chef. Je pris contact avec les services officiels du cinma, je minstallai rue de Babylone, o je reus tout de suite quelques visites. On me dit en juillet que ma nomination tait signe. Mais M. Galey4 dsirait le poste. Il me tlphona un beau matin, quarante-huit heures aprs que ma nomination meut t annonce par lui-mme, que les Allemands qui nen avaient pas t avertis, sy opposaient. Je partis pour Vichy, o je dclarai que je ne voulais pas mendier aux Allemands lautorisation doccuper un poste dans un ministre franais, et les choses en restrent l. Je navais donc plus qu conserver mon poste de rdacteur en chef de Je suis partout, que joccupais, encore une fois, avant la guerre. M. Benoist-Mchin,
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sous-secrtaire dtat auprs de lamiral Darlan, fut charg par celuici de demander lhtel Majestic les raisons du refus allemand. On lui dit quon voulait que je vienne demander ce poste moi-mme. Il rpondit que ctait peu probable que jaccepte. D. : Vous avez publi fin mars, alors que vous tiez encore en captivit, un article dans Je suis partout. Comme lavez-vous fait parvenir ? R. : Je partageais la chambre du camarade qui soccupait de la destination du courrier. Je venais dapprendre que Je suis partout avait reparu. Trop de souvenirs et damitis mattachaient ce journal pour que je ne dsire pas y crire. Je men ouvris ce camarade, qui me dit quil se chargeait aisment de faire parvenir cet article en France. Jy exprimai mon adhsion la politique qui tait alors trs populaire auprs des prisonniers, qui y voyaient le moyen de relever la France et de prparer leur retour, et il se chargea de le faire transmettre. Rien ntait dailleurs plus facile, et jai moimme, par la suite, reu plusieurs fois des lettres en dehors du courrier ordinaire, ou des articles, ou le texte de confrences prononces dans les camps : certaines ont t faites sous lgide des Cercles Ptain5, par des prisonniers qui font semblant aujourdhui davoir toujours appartenu la Rsistance, et que jaurai la charit de ne pas nommer.

LA DFAITE
D. : Vous vous tes rjoui de la dfaite. R. : La dfaite a t pour moi une grande douleur. Les armes de lEmpereur sont vaincues... , disaient les rpublicains de 1870. Je ne lai jamais dit ni pens un instant. Ce ntait pas pour moi
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les armes de la Rpublique mais les armes de la France. Jai racont dans mes articles, trs probablement, comme javais t choqu de voir des officiers franais se livrer des explosions de joie immodre, et mme boire le champagne en public, le 17 juin 1940. Mais la dfaite [tait regarder] comme un fait, une donne, et jai pens quon pouvait [se servir de] la douleur mme que nous causait ce mal pour rendre la France sa vigueur et sa force, comme la France vaincue de 1870 avait trouv dans la dfaite llan qui a donn naissance son Empire colonial. D. : En somme, vous avez dsespr de la victoire future de votre pays. R. : Cela est dj arriv la France, dans son histoire, dtre vaincue. Celui qui en 1815 ne croyait pas la dfaite de la France la moins bien servie que celui qui, admettant cette dfaite, faisait de la France, six mois plus tard, la puissance prpondrante au Congrs de Vienne. Presque tout le monde admettait cette dfaite. M. Gide, aujourdhui figure minente du Front national des crivains, crivait cette poque (et il a republi cette pense en mai 19..) : Composer avec lennemi dhier ce nest pas la lchet, cest sagesse 6. Et il ajoutait mme : Je sens en mois dillimites possibilits dacceptation. Je nai jamais dit ni cru cela. Il ma toujours paru quil y avait des limites, prcisment aux acceptations, et cest pour les rendre moins pnibles que jai suivi la politique que nous avions adopte. Je suis plusieurs fois revenu sur lide que la Collaboration avait pour condition sine qua none lindpendance future de la France. Jcrivais le 11 dcembre 1942 : Tout est subordonn pour nous la condition pralable de la dure et de lexistence de la patrie. Et encore : Il y a aujourdhui des enfants qui ne savent pas encore parler et qui tentent vers nous leurs petites mains. Nous ne voulons pas leur remettre une France dont ils auraient honte.

LE FASCISME
D. : Vous avez voulu que la France se mette lcole dune puissance trangre, en devenant fasciste . R. : Jai pens que les ides politiques nappartenaient pas un pays dtermin. Les rpublicains prennent les ides librales lAngleterre et aux tats-Unis sans vouloir que la France soit anglaise ou amricaine, les communistes la Russie sans vouloir, je suppose, que la France soit russe. D. : Le fascisme a men lAllemagne sa perte. R. : On peut rpondre que cest le rgime autoritaire qui permet lAllemagne de rsister comme elle fait en ce moment, seule contre le monde, et penser que si lAngleterre et les tats-Unis avaient t des nations fascistes, il naurait peut-tre pas fallu tant de temps cinq cent millions dhommes pour en vaincre moins de cent millions. D. : Le fascisme, en tout cas, tait lidologie dun pays en guerre avec la France. R. : Jai accept cette guerre une fois quelle a t dclare. Pendant les hostilits effectives envers lAllemagne, je nai rien crit, quand il marrivait dcrire, qui ait pu encourir les foudres de la censure la plus pointilleuse. Jai toujours fait une distinction entre ce quon appelle dune manire gnrale les ides fascistes et les pays o ces ides taient au pouvoir. Je pouvais demeurer fasciste, souhaiter le fascisme en France, et souhaiter en mme temps la dfaite des pays fascistes en guerre avec mon pays. Je veux tre persuad que si, par hypothse, il y avait demain un conflit entre la France et lURSS, comme il faillit clater en 1940, les communistes franais lutteraient contre lURSS avec le dsir de la victoire.

GAULLISTES ET MAQUISARDS
D. : Vous avez trait le gnral de Gaulle de tratre. R. : Pourquoi me fait-on ce reproche avant davoir jug les gnraux qui ont condamn mort le gnral de Gaulle ? On ne les a mme pas arrts. Y aurait-il donc deux justices ? D. : Vous avez attaqu les maquisards. R. : Jai toujours dit que la Rsistance comprenait dhonntes garons, anims par le plus vif sentiment patriotique. Je suis moimme intervenu pour ceux que lon me signalait. Mais des journaux clandestins eux-mmes faisaient tat de lexistence de bandes terroristes, mais japprenais tous les jours des assassinats de paysans, sans aucun motif politique, et parfois de familles entires. Les informations que javais ne me permettaient pas de voir autre chose, et je savais que le maquis lui-mme, en Savoie par exemple, organisait la rpression contre le terrorisme pur. D. : Il fallait faire la distinction. R. : Nous tions en guerre civile, la Cour de cassation a rcemment reconnu que larmistice tait une suspension darmes, si elle a cru devoir dclarer que lennemi nen restait pas moins lennemi. Mme si lon admet cette dernire affirmation, la reconnaissance de larmistice suspension darmes interdit donc lexistence dune guerre de francs-tireurs. Le gouvernement se dressait contre elle, les tribunaux la condamnaient. Jai admis tout cela comme lgitime. La guerre civile, que je dplore, tait un fait. En temps de combat, il faut considrer ladversaire en adversaire. Mon souhait le plus cher, que jai frquemment exprim, tait que les adversaires fraternels soient un jour rconcilis. Le terme dadversaire fraternel avaient dailleurs t employ par un de ceux qui mcrivaient, bien que ne pensant pas comme moi.
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LES COMMUNISTES ET LES OTAGES


D. : Vous avez demand la mort des chefs communistes juste avant que naient lieu les excutions de Chteaubriant. R. : Jignorais totalement lexistence des otages de Chteaubriant, et jai toujours dsapprouv la politique dotages, parce que jai toujours eu un sentiment trs vif de la responsabilit directe. Si jai demand quon sen prenne aux chefs qui avaient pris la responsabilit des attentats contre les Allemands, ctait pour viter la mort des innocents qui y taient trangers et que les Allemands pouvaient prendre comme otages. plusieurs reprises, le gouvernement nous assura dailleurs que les Allemands renonaient la politique dotages pour celle de la responsabilit directe. Si la mort de Franais tait invitable, il fallait dabord sauver ceux qui navaient rien fait. La cessation des attentats contre des soldats allemands isols aurait vit les excutions dotages et le cours de la guerre nen aurait pas t chang. Jajoute que la question des otages est une des plus douloureuses qui puissent se poser en pays occup. Mais, en application de la Convention de Genve, la prise dotages civils est conforme aux lois de la guerre pour garantir lobservation par les habitants des zones occupes des prescriptions de lautorit militaire. Ils peuvent tre condamns mort et excuts. Cest ce qua dcid rcemment pour Strasbourg le GQG7 des forces expditionnaires allies. Il est dailleurs pnible pour un Franais de penser que Strasbourg est considre par les Allis comme territoire occup et quon y impose des mesures rserves lennemi. Mais cela confirme le caractre juridique quoique regrettable des mesures sur les otages. D. : Aujourdhui les Allemands menacent de tuer les dports franais pour prendre la dfense de gens comme vous.

R. : Je nai pas demand aux Allemands de prendre ma dfense. Si javais voulu me mettre sous leur protection, noubliez pas que je ne serai pas ici. Et il me parat mal venu de me parler dotages moi quand je me suis constitu prisonnier la suite de larrestation de toute ma famille, effectue pour me forcer me rendre.

ALLIS
D. : Vous avez attaqu Roosevelt. R. : Les tats-Unis, aprs une campagne violente contre Hitler, ne sont pas entrs en guerre en 1939. Ils ont laiss sans rponse lappel de Paul Reynaud en 1940. Ils ne sont entrs en guerre que sur lattaque du Japon en 1941. Ils ont refus de reconnatre longtemps le Gouvernement provisoire de la Rpublique, et personne na jamais pu en donner de raisons valables, alors quils avaient reconnu, comme je lai soulign plusieurs fois, des gouvernements qui ne reprsentaient certes pas ce que reprsentait la France doutremer comme richesse et comme forceA. Il ma donc apparu quils faisaient tout en apparence pour tenir la France dans un tat de sujtion et dinfriorit contre lequel les journaux clandestins de la Rsistance et le gouvernement dAlger ont souvent protest. Il y a trois mois encore, le gnral Eisenhower demandait aux ouvriers franais en Allemagne de se rvolter puisque les troupes amricaines approchaient : si lon a procd des excutions de nos malheureux compatriotes abuss par des promesses htives, cest cette hte, justement, quon le doit. Le dput communiste Jacques Duclos a pu dire en novembre sans crainte dtre contredit que la situation des pays occups, sans charbonB, sans travail, sans transports, sans colis familiaux, tait pire que sous lOccupation,
A. Loi cash and carry . Pendant que nos soldats se faisaient dj tuer, les US exigeaient le paiement comptant du matriel de guerre... Cest pour cela que jai parl de lhypocrisie de R. B. Le charbon. 10

et tout le monde sait que la raison en est dans le fait que les Amricains ne sintressent qu leur guerre. Ce sont l des faits, et non de la polmique. D. : Vous avez attaqu lAngleterre. R. : LAngleterre sest servie des troupes franaises pour conqurir la Syrie. Aprs quoi elle nous a fait perdre notre mandat sur la Syrie. Le gouvernement dAlger a protest, et nous avons pu, nous Franais de toutes opinions, en concevoir les craintes les plus lgitimes pour notre Empire. Je nai pas besoin, je suppose, bien quon jette aujourdhui un voile pudique sur les faits, de rappeler que les plus hautes autorits [morales] franaises, que les cardinaux ont protest contre la manire dont les bombardements taient excuts avec un plus grand souci de la vie des pilotes anglais que de celle des civils franais. Je ne vous [apprendrai] pas que les journaux de la Rsistance, Dfense de la France en particulier, ont violemment protest contre le sauvage bombardement de Nantes 8. Tout cela ninspire pas un vif amour des Anglo-SaxonsC. D. : Ce ntait pas une raison pour collaborer avec lAllemagne. R. : Au moment de Montoire9, jtais en captivit. Je puis tmoigner de limmense esprance que la politique ouverte alors avait fait natre chez les prisonniers. Je ne voyais pas comment on pouvait faire autrement que suivre la politique du gouvernement, et il ntait pas dans mon temprament de le faire dune faon passive. Tant que jtais prisonnier, tant officier, je nai voulu avoir aucun rapport particulier avec les officiers allemands du camp, et jai refus formellement de collaborer lorgane de propagande allemande auprs des prisonniers, Trait dunion. Mais en 1941 je redevins libre. Jappris en revenant que lambassadeur Abetz10 faisait dire par des officieux quil tait personnellement partisan dune paix sans annexion,
C. Labandon de la bataille Dunkerque. Mers el-Kbir. Madagascar. 11

et mme que la question dAlsace-Lorraine tait rserve. La politique de Montoire me paraissait le seul moyen dviter une catastrophe nationale sans prcdent. Mais je maperus vite de lhostilit quelle rencontrait auprs dune partie de lopinion. On me conseilla mme de demeurer dans lexpectative, de ne rien crire. Je rpondis ceux qui me conseillaient ainsi que je me rendais parfaitement compte des dangers de ma politique. La victoire de lAmrique me paraissait certaine ; je savais que si elle se produisait, on en voudrait toujours ceux qui avaient soutenu la ncessit de lentente avec le vainqueur. Nanmoins, il fallait considrer lintrt du pays. Je me disais que les Franais patriotes ne devaient pas laisser des [tiers] le soin dapprocher les partenaires du dialogue. Ils devaient tre reprsents dans chaque camp, les gaullistes devant obtenir que la France, en cas de victoire des Allis, retrouvt son rang de grande puissance, les collaborationnistes, en cas de victoire allemande, devant obtenir que la France ft traite le mieux possible. Cela nest pas absurde : encore une fois, cest ce qui sest pass en 1815, et en 1866, lAutriche, battue par la Prusse Sadowa, sallia avec elle dans une paix sans annexion. Hier la Roumanie tait en guerre contre la Russie. Aujourdhui, vaincue et occupe par elle, elle est devenue son allie. Considrez-vous comme des tratres les Roumains qui collaborent ainsi avec les Russes pour essayer de sauver, aprs une guerre malheureuse, ce qui reste de leur patrie ? Je nentendais absolument pas par l jouer double jeu. Jai horreur du double jeu. Je pensais au contraire que chacun devait jouer loyalement sa partie pour sauvegarder les [intrts] de la France. Tout me donnait raison en apparence, le communiqu militaire, la flotte anglaise qui fondait, lavance en Russie. Aujourdhui vous pensez que lopposition sans merci tait plus juste. Je ne discuterai pas les faits. Mais il sen est fallu de peu, avouez-le, que vos contradicteurs ne deviennent les derniers dfenseurs de la cause franaise.

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La Collaboration debout et non couche


D. : Vous avez pu vous apercevoir que la politique de collaboration tait une duperie. R. : Je nai pas dfendre ici lensemble de la politique de collaboration. Je puis dire seulement que cette collaboration a t la politique de lexistence mme et de la dure de la patrie. Mme en admettant que lAllemagne devait tre vaincue, il a t bon, lhistoire le dira, quun mince rideau de collaborationnistes fasse cran entre loccupant et loccup. Cest grce ce rideau quil ny a pas eu 6 millions de prisonniers, que pendant les premires annes lAllemagne a cru une entente, ne sest pas livre des mesures trop brutales. Imaginez-vous ce quaurait t un pays priv de ses cadres, avec ses lites [captives], ses hommes peu prs tous dports, non seulement ceux que nous avons vu partir, mais vingt fois plus ? Les collaborationnistes, et je ne parle que des sincres, pas du tout de ceux qui jouaient double jeu, ont permis aux autres de vivre dabord, de sorganiser, et mme, aprs tout, de rsister. Les crivains collaborationnistes ont permis par ce [moyen], le silence des autres, et leur action souterraine. Les hommes politiques collaborationnistes ont permis aux autres de nouer leurs liens et leurs manuvres, de prparer un avenir de rechange. Cest labri de la collaboration que la France a pu vivre. D. : Les Allemands ont nanmoins commis des atrocits. Or vous avez crit que vous les teniez pour des copains et des frres . R. : Je ferai dabord remarquer que ces phrases ont t crites avant les grandes tragdies de lOccupation : Ascq, qui est davril 1944, Oradour, qui est de juin 1944. Les massacres dotages mont toujours paru une chose rvoltante, mais je suis bien oblig de convenir, avec lhistoire, quils ne sont lapanage daucun peuple. Il y a quarante ans les Anglais, lindignation unanime, ont procd de mme avec les Boers. Les communistes ont runi
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des [documentations] impressionnantes et inpuisables sur les procds employs par la France en Indochine en 1930 aprs la rvolte de [Yen-Bay]11. Je relisais au mois daot, un livre de Mme Andre Viollis, prfac par Andr Malraux, SOS Indochine, en mme temps que je lisais dans les journaux nouveaux les rcits datrocits varies. Ils avaient lair calqus sur ceux de Mme Viollis : villages passs au fil de lpe, enfants massacrs, tortures sexuelles par leau ou llectricit, etc. Il faut dcidment se dire que les polices [politiques] sont les mmes sous tous les rgimes. Je nai pas pens quil fallait confondre la France entire avec les [salaris de la Gestapo], pas plus quil ne fallait confondre les massacreurs dOradour avec les soldats dont la rsistance et le courage sont salus aujourdhui par la presse anglaise, et dont jestimais alors, avec le marchal Ptain, quils dfendaient la civilisation occidentale. Il sagissait pour moi de donner une expression un peu [littraire] au terme bien connu de frres darmes dans une lutte commune. D. : Mais lennemi reste lennemi. R. : Le colonel de Gaulle crivait en 1934, donc aprs lavnement de Hitler au pouvoir, quon pouvait rver aux grandes choses que la France et lAllemagne pouvaient faire ensemble. Bien dautres ont fait ce rve, si rve il y a. D. : Il ne sagit pas dune simple divergence dopinion. R. : Cest M. Churchill qui, saluant rcemment dans un discours prononc en Angleterre le succs lectoral de M. Roosevelt, scriait textuellement : Quel exemple pour ces tats o les divergences politiques narrivent pas se rsoudre par des discours ou des bulletins de vote, o tre dans la ligne et ny pas tre deviennent une question de vie ou de mort, que tranchent la violence et lintrigue, et o il peut y avoir seulement un troit foss qui spare jamais
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les gouvernants et leurs victimes. Voil ce que lon pense dans un tat qui se vante bon droit de respecter la libert dopinion. La Rvolution de 1789 a sur les mains le sang dAndr Chnier et le sang de Lavoisier. Les prisons sont remplies aujourdhui dAndr Chniers et de Lavoisiers. La France senlve sa propre crme her own cream , dit la presse amricaine. Lavenir pourra nous en demander compte. D. : Vous auriez pu vous apercevoir que la Collaboration tait une duperie, et rompre plus nettement avec elle. Pourquoi ne pas lavoir fait ? R. : Nous avons aval des couleuvres. Ne lavez-vous pas fait ? Mers el-Kbir12, la Syrie, la non-reconnaissance avant la libration. Vous avez tenu dans lespoir de lavenir, comme nous. (La solidarit des prisonniers. Lincident Nol B. Les vads).

Les responsables de la dfaite


D. : Vous avez demand la mort pour ceux que vous appeliez les responsables de la dfaite. R. : Jai t svre pour ceux que jestimais responsables de la dfaite prcisment parce que je souhaitais la victoire. Je ne puis considrer autrement que comme des coupables ceux qui ont prcipit la France dans une guerre alors quelle navait ni allis capables de la secourir, ni chars, ni avionsD. Cet tat de choses avait t dnonc par tous les crivains politiques et militaires, y compris le gnral de Gaulle, mais les politiciens ne les ont pas couts. D. : Vous avez demand la mort pour Mandel, et la Milice a assassin Mandel.
D. Reynaud tenu pour le mauvais gnie dont le vrai nom tait Mme de Porte par E. J. Bois dans Le Malheur de la France. 15

R. : Je tenais Mandel pour un des responsables de lexcitation la guerre, cette guerre que nous avons aborde sans prparation et sans armement. Cest ce titre que je le tenais pour coupable destin tre jug daprs les lois en vigueur. Je nai pas du tout approuv son excution clandestine, acte impolitique et impossible dfendre. D. : Vous avez cependant fait lapologie du meurtre de Dormoy. R. : Cela na aucun rapport. Mandel tait prisonnier, donc inoffensif et respecter au titre de prisonnier. Dormoy, en rsidence surveille, donc libre dans sa ville, complotait contre le gouvernement. Son excution est un acte de guerre civile : Dormoy avait sur la conscience, outre son activit dalors, son pass que ni les hommes de droite ne peuvent dfendre, puisquil les a combattus par tous les moyens, ni les communistes, puisquil les a fusills Clichy en 1937 et que LHumanit la attaqu au moins aussi violemment que les gens de droite.

La Collaboration
D. : Vous avez reconnu le gouvernement de la dfaite. R. : Larmistice du 25 juin 1940 a t salu par la quasiunanimit des Franais avec un soulagement indicible. Il avait t demand par le gouvernement rgulier de la Rpublique, alors prside par M. Albert Lebrun, sur informations donnes par le gnral Weygand, chef de larme. Il paraissait invitable depuis la retraite des Flandres. Dans un de ses livres, Au fil de lpe, le colonel de Gaulle avait mme jadis crit que devant une arme motorise la dfaite tait certaine une fois Sedan pris. Sedan a t pris le 14 mai. la suite de larmistice, lAssemble constituante a, sa majorit, confi le pouvoir au marchal Ptain le 10 juillet. M. Lebrun a dmissionn et accept la lettre de remerciements du marchal, qui prenait rgulirement sa suite. M. Jeanneney, aujourdhui vice-prsident du gouvernement provisoire, dclarait
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le mme 10 juillet : Jatteste M. le marchal Ptain notre vnration et la pleine reconnaissance qui lui est due pour un nouveau don de sa personne. Nous connaissons la noblesse de son me, elle nous a valu des jours de gloire. [Quelle nous claire] en ces jours dpreuve et nous prmunisse au besoin contre toute discorde. Tous les tats du monde reconnaissaient le gouvernement du marchal, y compris le Vatican, les tats-Unis, les dominions anglais. Et je noublie pas les Soviets, qui ont eu leur ambassade Vichy jusquen juin 1941. Comment ne pas tenir ce gouvernement pour rgulier ? Ltranger le reconnaissait, la France esprait en lui, les fonctionnaires lui prtaient serment de fidlit E, lEmpire dans sa majorit le suivait. Les marins franais rfugis en Angleterre, qui ntaient certes pas soumis la pression allemande, demandrent presque tous rentrer en France. Cest ce gouvernement qui, le 28 octobre 1940, proclamait : Jentre aujourdhui dans la voie de la collaboration. Je me demande comment on pouvait ne pas croire sa lgitimit. Elle avait pour garants le pape, le marchal Staline et M. Roosevelt qui lui adressait des envoys extraordinaires, lglise, la magistrature, la marine et lesprance des Franais. Et mme une partie de la clandestinit de laquelle nous pouvions croire ntre spars que par des nuances (citation de Dfense de la France).

AFRIQUE
D. : Vous avez protest contre le dbarquement alli en Afrique du Nord. R. : Le dbarquement amricain, contre lequel la politique officielle avait pris davance position, pouvait paratre, aprs lexprience syrienne, une atteinte douloureuse au patrimoine national. Ce patrimoine mtait particulirement cher puisque, quelques jours prs, le dbarquement tait lanniversaire de la mort de mon pre,
E. Dcret du 17 juillet 40. 17

officier tomb pour la conqute du Maroc il y a trente ans, et quand la radio mannonait que les Amricains taient Port-Lyautey, je pouvais songer quune rue de Port-Lyautey porte le nom de mon pre. Tout, en outre, dans ces premiers jours, nous faisait croire lunit franaise contre ce dbarquement. Nous avions entendu parler des mesures prises pour le repousser. Et je pourrais citer telles paroles qui nous furent rapportes, et qui manaient du gnral Juin, aujourdhui chef dtat-major de la Dfense nationale. La Cour estimera-t-elle quil est inutile de revenir sur cela, et que le rle que joue le gnral Juin doit nous faire un devoir de ne pas le mettre en cause ? En ce cas, je minclinerai devant lintrt de mon pays mme si cela doit tre prjudiciable ma dfense. D. : Vous pouvez citer les paroles auxquelles vous faites allusion ? R. : Lambassadeur Abetz tenait trs rarement, je crois, des confrences dinformation. Pour ma part, je crois navoir assist qu lune delles, dans lt 1942. Il nous parla, entre autres choses, du gnral Juin qui, comme un certain nombre dofficiers coloniaux, avait t libr de captivit pour dfendre lEmpire contre une ventuelle attaque anglo-saxonne. Lambassadeur Abetz dit la confiance quil avait en ce gnral, il fit mme une plaisanterie ce sujet : Les Russes disent quils ont le gnral Hiver, mais vous avez le gnral Juin, cela vaut mieux. Et il nous dclara que le gnral Juin avait affirm sa libration de hautes personnalits allemandes dont Abetz se trouvait tre, je crois bien : Mon plus grand bonheur serait dtre admis cooprer rejeter les AngloAmricains la mer avec le marchal Rommel et dentrer en gypte son ct. Ctait au moment de loffensive de Rommel, le plus haut degr de la puissance allemande. On pouvait croire que toute la France, y compris ses meilleurs chefs militaires, voulait faire de notre pays lassoci de cette victoire.

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La LVF
D. : Vous avez fait lapologie de la LVF, organisme allemand. R. : Jai tenu la LVF13 pour un acte politique important, dans lhypothse de la victoire allemande. Ctait en effet ter la France sa condition de vaincue, en faire une associe de lAllemagne. Naturellement, il ne sest jamais agi que dun volontariat, et je nai jamais rien crit qui puisse passer pour favoriser une mobilisation au profit de lAllemagne hypothse que je tenais pour absurde. Je nai jamais fait appel en faveur de lenrlement la LVF, jai mme refus de faire partie du conseil de la LVF, comme me le proposait M. de Brinon. Mais jai tenu saluer, toutes les fois que jai pu, le courage de ceux qui se battaient, dans une formation trangre, mais reconnue par le gouvernement franais, salue par le Marchal, qui nont jamais port les armes contre des Franais, et qui ont t, en somme, une Lgion trangre se battant ltranger contre un autre peuple. D. : Pourquoi, si vous faisiez lloge de la LVF, ne vous y tesvous pas engag ? R. : Je nai jamais particip quelque combat que ce soit, jai trop le respect du sang humain et surtout du sang de la jeunesse ; mais ayant vu de prs ceux qui sy taient engags, la manire dont ils se battaient, mme si le pass de tous, au-dehors surtout, ntait pas toujours irrprochable, jai cru de mon devoir et en tout cas de mon droit strict de le faire savoir mes compatriotes. D. : Ils portaient luniforme ennemi. R. : Vous savez trs bien la raison de cet uniforme. La France ntait pas en guerre avec la Russie, ils devaient prendre luniforme dun belligrant pour ntre pas traits en francs-tireurs. Prisonniers en uniforme, je pense que les Russes les traitent en prisonniers de guerre
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et ne les fusillent pas. Je sais que porter un uniforme tranger dun pays qui vous a vaincu, obir aux ordres dun chef tranger est pnible. Les combattants de la LVF, ils me lont dit, en ont souffert au dbut. Mais ils ont considr quils devaient laccepter pour tre fidles leur idal, pour lutter contre un adversaire quils ont dailleurs souvent appris estimer, et les dcorations franaises, gagnes dans la guerre de 1914 ou celle de 1939, quils portaient sur leur uniforme allemand les ont bientt persuads que cet uniforme tait nationalis. Dans toute guerre idologique, on peut voir de telles lgions. En Espagne, des deux cts, des trangers ont combattu sous luniforme du parti quils servaient. En 1916, cest auprs des Allemands et des Autrichiens que le hros de lindpendance polonaise Pilsudski sest battu contre les allis. Aprs la guerre de 1870, la France vaincue envoyait en Chine un corps expditionnaire qui se battait aux cts des Anglais sous les ordres dun gnral allemand, le marchal Waldersee. Ctait la premire arme europenne .

Ressources
D. : Quelles ont t vos ressources ? R. : Rdacteur en chef de Je suis partout, je touchais ce titre 8 000 francs de fixe par mois. Tel tait mon traitement. Avant la guerre, Lazareff, rdacteur en chef de Paris-soir, touchait, 30 000 francs par mois, plus une note de frais mensuelle de 30 40 000 francs. Aujourdhui, le traitement officiel de la presse de Paris est de 15 000 francs pour un rdacteur en chef, traitement minimum. Mais ce ntaient pas mes seules ressources, car mes articles, mes romans publis en librairie, etc., compltaient naturellement mes appointements. Dans lensemble, jai gagn pendant lOccupation, suivant les droits dauteur et le travail variable que je fournissais, de 10 000 20 000 ou 25 000 francs par mois. Ces ressources ont naturellement beaucoup diminu la suite de mon dpart de Je suis partout, et je nai plus crit que des articles dans des journaux qui me les payaient 500 ou 600 francs.
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Ma vie a dailleurs toujours t celle que je menais avant la guerre. Je partageais un appartement avec ma sur, mon beau-frre et leurs enfants. Cet appartement comportait un loyer de 7 000 francs par an. Je possdais avant la guerre une Simca, je nai jamais eu dauto ni de permis de circuler pendant la guerre. On ignore certainement mon nom dans les grands restaurants, chez Maxims ou la Tour dargent. Je continuais mener peu prs une vie dtudiant. Je navais pas de gardes du corps, pas de policiers dans lantichambre (notre appartement ne comporte dailleurs pas plus dantichambre que dascenseur), je nai jamais reu une lettre de menaces chez moi, alors que rien ntait plus facile que de savoir mon domicile. Je nai eu besoin de recourir aucune protection. D. : Quelles taient les ressources de Je suis partout ? R. : Je ne me suis jamais occup de grer les intrts matriels de Je suis partout. Toutefois, jtais assez au courant, comme tous les rdacteurs, de son fonctionnement pour pouvoir rpondre en gros cette question. Je suis partout a toujours couvert ses frais. Un hebdomadaire qui tire plus de 50 000 exemplaires gagne de largent sil est administr avec prudence. Avant la guerre Je suis partout, qui a toujours dpass ce chiffre, couvrait donc dj ses frais, bien quil ait eu peu de publicit. Depuis la guerre, son tirage a mont 100 000, puis 150 000, puis 200 000 exemplaires et mme je crois un peu plus. Personne nest oblig dacheter un hebdomadaire, si lon est oblig dacheter un quotidien, ne serait-ce que pour savoir quand seront valids les tickets de charbon (on na pas ce souci aujourdhui, bien entendu) ; il faut donc penser que ce journal ne dplaisait pas. Il est devenu par la force des choses une importante affaire. La publicit tait abondante et fort chre. Le nombre des pages tant moindre quavant-guerre, malgr laugmentation du prix du papier et des frais dimprimerie, les bnfices taient suffisants, le plus ignorant pourrait le constater, pour que le journal nait besoin daucune subvention de quelque origine quelle ft.
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Dautant plus quil y avait Je suis partout peu de personnel, peu dappointements levs. On se contentait la fin de lanne de donner un supplment de piges qui portait peu prs lensemble des traitements et paiements aux prix pratiqus par les autres journaux. Je dis peu prs. Ainsi, si je donnais un roman Je suis partout il mtait pay 20 000 francs, tandis que Gringoire payait 200 000 francs un roman La Varende. Tout cela restait donc [dans la norme] habituelle des prix sinon au-dessous. Quand jai quitt Je suis partout je crois que les traitements ont t beaucoup augments. On me promettait moi 25 000 francs par mois si javais continu tre rdacteur en chef. Jai prfr men aller. Lorsquils sont partis en Allemagne, les collaborateurs de Je suis partout, ma-t-on dit, ont emport peu prs 500 000 francs chacun. Inutile de dire que je ne suis pas de ces bnficiaires, pas plus que je nai t des migrs en Allemagne.

Rive Gauche
D. : Pour quelle raison tes-vous entr au Conseil dadministration de Rive Gauche, organe de propagande allemand ? R. : Rive Gauche ntait pas un organisme de propagande, mais une entreprise commerciale. Je connaissais de longue date le prsident du Conseil dadministration, Henry Jamet. Il avait fait entrer un de mes parents, Henri Bardche, comme chef de la section franaise. cette poque-l une entreprise allemande sise Cologne avait le monopole de lchange des livres entre France et Allemagne. Rive Gauche dsirait pouvoir vendre directement aux librairies allemandes et surtout aux universits allemandes dsireuses de sapprovisionner en ditions franaises douvrages savants ou classiques. cet effet, Henry Jamet pensa que ses ngociations seraient plus appuyes si dans le Conseil dadministration entraient des personnalits franaises politiques et littraires, et me demanda den faire partie. Jacceptai, pensant tre utile ainsi dune part
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Henri Bardche et dautre part favoriser une expansion du livre franais ltranger. En juillet 1943 la libre fourniture du livre franais lAllemagne fut en effet accorde Rive Gauche. D. : Quels appointements aviez-vous pour cela ? R. : 3 000 francs de livres prendre la librairie par an, je ne les ai mme jamais pris. D. : Mais navez-vous pas reu des actions de la socit, cadeau que lon vous faisait ? R. : Les actions nont jamais t cres. Il ma t rserv une partie des actions, comme dautres actionnaires. Mais elles ne devaient mappartenir que si je les payais. On na tabli aucun certificat daction mon nom. Jignore la situation des autres actionnaires ce sujet, mais la mienne est trs nette. Si un jour javais dsir acheter des parts de cette socit, jaurais pu le faire. Mais en attendant les parts ne mappartenaient pas. D. : tiez-vous donc un homme de paille ? R. : Non, je laurais t si javais sign un transfert dactions au compte dun tiers. L mes actions ntaient mme pas tablies. Cela est facile prouver. Elles taient laisses mes possibilits financires, si je le dsirais, et je me contentais de faciliter dans la mesure de mes moyens lexpansion du livre franais ltranger.
Rapport inexact du 13 octobre [1944] Rive Gauche vendait 10 livres franais contre 6 allemands. Hachette vendait plus de livres allemands que Rive Gauche. Directeur libraire de mtier, 60 Franais contre 3 Allemands dans le personnel. La propagande est faite par les diteurs et non par le libraire. Inaugure par Philippon, actuel Prsident du Cercle de la librairie.
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Embauches pour lAllemagne [empches] au contraire. Commandes aux prisonniers sur demandes des camps transmises par [le service Scapini] (3% des affaires)14.

La relve
D. : Vous avez fait de la propagande pour la relve. R. : On oublie un peu trop maintenant que la relve est une ide ne dans les camps de prisonniers. Partout ds 1940, ds 1941, on entendait dire dans les camps : Quand viendra la relve ? Ce ntait pas une plaisanterie, mais un vu trs profond. Ce vu a t en France exprim par le premier Commissaire aux prisonniers, Pinault, ancien prisonnier lui-mme. Quand Laval a annonc quun accord tait intervenu ce sujet, beaucoup danciens prisonniers ont trouv la mesure excellente. Si cet accord avait t profitable, et je noublie pas que, quels quaient t ses [inconvnients], des dizaines de milliers de mes camarades sont rentrs cause de lui, je laurais toujours soutenu, et tous les prisonniers avec moi. Un remplacement ntait mme pas prjudiciable [au pays] puisquon aurait remplac un homme par un autre. Laccord, je le sais [prvoyait un change de] un pour trois. [Mais], je sais aussi que toutes les familles qui ont eu des prisonniers sont daccord avec moi, mme si elles nosent pas le dire. Toute ma politique a t domine par la hantise du million de camarades rests l-bas. Ceux qui nont pas connu [la captivit] ne peuvent pas comprendre. Mais le jour o la relve est devenue autre chose, je ne lai plus soutenue. D. : Quentendez-vous par l ? R. : Je veux dire le jour o elle est devenue une rquisition pure et simple, sans contre-partie, laquelle on na donn le nom de relve que par habitude. Le Service obligatoire du travail devait, daprs les dclarations primitives, se faire en France : on nous a tromps ce sujet, on nous a parl dentreprises utiles ltat, de grands travaux. Quand on a eu compris quil sagissait denvoyer en Allemagne
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des milliers sinon des millions des ntres, je nai pas march. Je trouvais cela inhumain, et antipolitique au possible. Jestimais que ctait une faute contre la politique laquelle je restais attach. Et jai mme rompu avec Je suis partout en partie cause de lattitude que javais lgard de la relve, pour laquelle je ne voulais pas quon fasse de propagande. La mme volution a t suivie par des confrres de zone sud, et le Figaro navait pas manqu, au dbut, de louer la relve comme il convenait.

La Milice
D. : Avez-vous fait lloge de la Milice ? Vous avez crit un article sur Darnand. R. : Jai crit un article sur Darnand avant que la Milice 15 ne ft organise, mme en zone sud, la suite dune interview de Darnand parue dans Gringoire. Le pass militaire de Joseph Darnand mapparaissait comme trs brillant, et je ne pouvais oublier quil tait lhomme qui, la suite dun coup de main qui nous donna des lments prcieux sur loffensive allemande de juillet 1918, permit Foch de prparer la contre-offensive finale des Allis. Foch et Poincar lavaient salu comme un artisan de notre victoire. Il me paraissait capable dapporter la France de la dfaite un renouveau strictement franais. Mais ds que la Milice fut organise, je commenais men mfier. Elle mapparut non comme un parti gouvernemental form en accord avec le Marchal, mais comme une sorte de police politique, o des lments troubles pouvaient aisment se glisser parmi des lments honntes. Jexprimai mon opinion plusieurs jeunes gens qui sy taient affilis dans lautre zone. Cela alla mme si loin que deux dentre eux se virent reprocher par Darnand en personne dtre en correspondance avec moi et on leur lut de mes lettres, qui avaient t ouvertes par les services de renseignements de la Milice. Ils quittrent alors lhebdomadaire Combat. Je maperus que ma correspondance avec la zone sud tait surveille. Quand la Milice vint en zone nord, en 1944,
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je ncrivis rien pour la favoriser. Javais en effet tout fait dsapprouv lattitude de Darnand se faisant inscrire la Waffen SS quelques jours avant dtre ministre. D. : Avez-vous connu des chefs miliciens ? R. : Jai rencontr Darnand une seule fois, dix minutes environ, par hasard, dans un caf, et je nai jamais eu de rapports avec lui. Jai en revanche rencontr parfois des miliciens du rang. Jai toujours eu le plus grand respect pour les militants, mme si je ne partage pas toutes leurs ides : mon irrespect commence aux grads. Jai aussi rencontr, parmi les jeunes gens qui venaient me voir, des militants de la Rsistance, qui ne me cachaient pas leur qualit, parce quils navaient pas de mfiance mon gard. Il mest arriv de faire du camping avec des tudiants et des ouvriers, parmi lesquels toutes les opinions taient respectes, cela dans la plus absolue loyaut. Cest parce que je ntais pas daccord avec le rle de la Milice, en partie, que jai quitt Je suis partout, quand presque tous ses collaborateurs devaient par la suite sinscrire cet organisme, dont pour ma part je nai jamais fait partie, aux runions duquel je nai jamais assist ni parl. (Affaire Sarraut.16)

Waffen SS
D. : Vous dites avoir blm Darnand dappartenir la Waffen SS, pourtant vous avez fait lloge de la LVF. R. : Je faisais une grande diffrence entre les deux formations. Je nai jamais prononc mme le nom de la Waffen SS. Jtais prt reconnatre le courage de ceux qui sy battaient, sils se battaient : mais jestimais quils commettaient une erreur politique extrmement grave. Le soldat de la LVF tait en effet un soldat, au service dune ide, en lutte contre une arme trangre. On pouvait le dsapprouver, on ne devait pas le considrer autrement que comme un lgionnaire,
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obissant des chefs militaires. Le SS prtait serment un chef politique, il perdait en ralit sa nationalit franaise, il sengageait pour servir mme contre des compatriotes. Cela est si vrai que beaucoup de soldats de la LVF en 1941, lorsquon les ramena du front de lEst, se refusrent sengager contre le maquis franais. Certains dentre eux, auprs desquels les Allemands avaient fait des sondages, furent mme renvoys trs brutalement en France la suite de ce refus, alors quils avaient pass plusieurs mois en Russie. Mais leur engagement ne prvoyait pas une telle utilisation. Le SS au contraire naurait pas pu discuter, tant un soldat politique, soumis corps et me ses chefs, totalement et absolument. Cest pour cela que jai fait toujours une diffrence entre les deux formations.

Campagne antidmocratiques
D. : Vos campagnes antidmocratiques faisaient le jeu de lAllemagne, et taient imposes par elle. R. : Jai dit que si les Allemands marchaient sur leurs pieds, ce ntait pas une raison pour marcher sur la tte afin de se diffrencier deux. Et un savant franais na pas rougir davoir utiliser une dcouverte allemande. Mais dailleurs les ides de lAllemagne hitlrienne ne sont pas allemandes. Lcole antidmocratique franaise est riche. Pour ne pas parler du temps prsent, ni Joseph de Maistre, ni Bonald, ni Balzac, ni Baudelaire ntaient infods Hitler, et ils taient antidmocrates. Le plus grand crivain amricain, Edgard Poe, tait un antidmocrate acharn. D. : Cela nempche pas que vous avez, en soutenant une cause antidmocratique, affaibli la France en lui conseillant de se mfier de ses institutions.

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R. : Je faisais cela pour redonner la France sa vigueur. La France de Louis XIV ntait pas dmocratique, celle de Napolon non plus, et ce sont les plus hauts moments de lhistoire de France. M. Churchill a reconnu souvent quil fallait se mettre lcole des nations non dmocratiques pour dfendre la dmocratie. lheure quil est, lAllemagne antidmocratique tient tte au monde entier. Avant la guerre, jaurais voulu mon pays dbarrass des querelles intrieures, de la dmagogie, de la puissance des intrts particuliers, de lintrigue des comits, de la servitude des lections mal comprises. En quoi cela affaiblissait-il la France ? En quoi vouloir lui donner autant de puissance que les autres nations tait-il un danger pour elle ? Attaquer les hommes et les institutions qui lui faisaient mal, tait-ce la dmoraliser ou la gurir de son mal ? Alors, dites-moi si, aujourdhui, ils travaillent pour la [grandeur] de la France ceux qui affirment que ses plus grands artistes sont des tratres, que ses deux plus grands sculpteurs vivants, admirs aux tats-Unis et en Russie, Maillol et Despiau, sont des tratres, que ses meilleurs peintres, quelques-uns de ses meilleurs crivains, danciens soldats illustres, des vques et un cardinal, des savants utiles dans tout lunivers, sont des tratres ? Cest en faisant dire cela, il me semble, que la France travaille contre elle-mme, comme dit la presse anglaise, enlve sa propre crme , her own cream , et te la jeunesse la foi dans la vitalit et le pouvoir crateur de son pays. Pour moi, jai toujours fait la diffrence entre la France et ses institutions passagres, dont tout le monde avoue aujourdhui quelles doivent tre rformes, et quon se garde dailleurs de remettre en vigueur. D. : Vous avez dmoralis la France. R. : Je ne lai jamais fait. Jai toujours respect la vitalit franaise. (Dfense de larme en 1940. Lettre du chef dtat-major de Cond, de centaines de prisonniers, polmique avec...)

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Dpart de JSP
D. : Quelles sont les raisons de votre dpart de Je suis partout ? R. : Javais Je suis partout avant la guerre une situation morale prpondrante que je nai retrouve tout fait mon retour, o ladministrateur gnral, Charles Lesca, devenu directeur du journal et principal actionnaire, voulait jouer un rle plus important. Il y eut entre nous de srieuses divergences la fin de 1942, en particulier quand certains journaux blmrent les marins de ne pas avoir cd leur flotte lAllemagne, et que jobligeai Je suis partout dclarer que le jour de Toulon tait un jour de deuil et que nous nous refusions faire de la politique ce sujet. mesure que le temps scoulait, au cours de lanne 1943, les divergences devenaient plus grandes entre groupes au journal : ceux qui, maintenant la mme politique, ne voulaient pas bourrer le crne leurs lecteurs, et ceux quon peut appeler les ultras qui prenaient une position extrmiste, dabord avec Doriot, puis plus tard, aprs mon dpart, avec Darnand. La crise clata au moment de la premire affaire dItalie, en t 1943. Il y eut une runion des principaux collaborateurs, o les deux groupes firent valoir leurs vues. Charles Lesca en profita pour faire valoir ses droits de directeur. Oppos lui, je rclamai lautorit absolue sur le journal, de faon le diriger ma guise, et viter ce que je tenais pour des erreurs. Jusque-l, chaque collaborateur tait pratiquement indpendant, suivant lhabitude de notre camaraderie. En somme, je rclamai les pleins pouvoirs. Jexposai les grandes lignes de ce que je dsirais faire. Je ne voulais pas quon rptt longueur de journe que lAllemagne allait gagner la guerre, ni que lItalie tait une fidle allie de lAllemagneF, ni que le dbarquement en Sicile ou Naples tait un chec. Je ne voulais pas quon fit une propagande abusive en faveur de la relve, expliquant que si ce moment-l, comme le bruit en courait, Laval venait de refuser Sauckel un million dhommes, jtais, moi, du ct de Laval contre Sauckel. On acceptait peu prs
F. Mussolini, juin 1943. 29

ce dernier point mais on voulait continuer attaquer ceux qui blmaient la relve, en particulier les vques de France et je trouvais cela illogique. Je me refusais faire confiance au PPF dans son ensemble et ses vues politiques. Je me refusais la faire Darnand et sa milice quon voulait introduire en zone nord. Bref, je voulais quon restt Franais, et que, toujours soucieux dune rconciliation franco-allemande, on naffirmt pas que lAllemagne tait sre de gagner, ce qui me paraissait une absurdit chaque jour plus grande. On refusa de me suivre sur une telle politique, et je donnai ma dmission de rdacteur en chef. Cela effraya un peu mes anciens amis, qui se rendaient compte que cela ferait mauvais effet lextrieur. On insista pour me retenir. Le journal faisant des affaires prospres, on proposa daugmenter mon traitement, de me donner 25 000 francs par mois, de me [verser] un rappel pour le roman que javais publi. Je refusai. On essaya alors de me garder comme collaborateur, mais je ne voulais absolument pas quon pt croire, lextrieur, que jtais solidaire dune politique que je napprouvais pas. Quels que soient les avantages matriels que jaurais pu y trouver, je refusai galement, prfrant crire dans des journaux qui me paieraient 5 ou 600 francs larticle, mais o je ne serais quun invit irresponsable des articles dautrui. Je fis un roman Rvolution nationale qui mtait pay 1 000 francs la page de journal. Deux de mes amis me suivirent dans mon dpart, car ils navaient aucune confiance dans lesprit politique de mes anciens camarades. La suite tait facile prvoir et ne me regarde pas. Je suis partout devint un organe de plus en plus li aux ultras , la Milice, voire la Waffen SS, se fit interdire en zone sud o le gouvernement franais avait conserv beaucoup plus de prrogatives, alors que cest moi qui lavais fait admettre dans cette zone, et finalement, en aot 1944, ses principaux collaborateurs senfuyaient en Allemagne. Je refusai, bien entendu, de les accompagner et dabandonner mon pays. Je nai pas juger danciens amis, mais je puis dire que je ntais plus avec eux, comme la suite la prouv.
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Les juifs
D. : Vos lAllemagne. campagnes antismites taient inspires par

R. : Je nai pas toujours t antismite. Jai eu, et jai toujours, de la curiosit pour le peuple juif, pour sa rsistance, son originalit. Mais en 1936, on a pu voir un ministre comportant trente-sept ministres, attachs de cabinets, directeurs, qui taient juifs. On peut estimer que cest beaucoup. Il y a eu en 1938 certaine [runion] de propagande pour les livres franais ltranger qui tait prside par M. Jean Zay, juif, ministre de lducation nationale, assist de son directeur de cabinet M. Abraham, juif, accompagn de Mme Brunschvicg, juive, sous-secrtaire dtat, et de M. Marx, juif, directeur des uvres franaises ltranger. Pour comble, cette runion se tenait lhtel Rothschild. Ntait-ce pas excessif ? D. : Mais lantismitisme est allemand et hitlrien. R. : Drumont, antismite franais, a publi La France juive trois ans avant la naissance de Hitler. Gobineau crivait sous le Second Empire. Napolon tait antismite, et Voltaire, et Saint Louis. Quand lAllemagne ouvrait la porte aux Juifs, il y avait en France des partis antismites. Aujourdhui encore, jai lu dans des journaux qui paraissent Paris quil existe un problme juif, un problme de nonassimilation, cela sous la plume de M. Duhamel, des frres Tharaud, crivains rsistants, et dans LAurore. D. : Ne fallait-il pas, sous loccupation allemande, viter daborder ce problme ? R. : Je pourrais vous rpondre que jen ai beaucoup moins parl, coup sr, sous loccupation quauparavant. Je pourrais vous rpondre aussi que lorsque je vois dans la presse daujourdhui attaquer le gnral Weygand, on ne se soucie pas du tout du fait
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quil est prisonnier en Allemagne. Jai dit ce que je pensais et voil tout. Je napprouve aucune violence physique, jai trouv dplorable et inhumain quon ait, dans certains cas, spar les femmes juives de leurs enfants. Je me suis brouill avec Cousteau, Je suis partout, parce que, en 1943, il voulait rclamer des mesures plus nergiques contre les juifs, et que je nen voyais pas lutilit G. Je continue penser que le juif est, sauf exception, un peuple inassimilable, htrogne, et quil y a l un problme grave, tout fait indpendant de loccupation allemande. Mais je naime rien de ce qui est irraisonn et inhumain, et je nai approuv ni svices ni tortures, pas plus que je ne les approuverais contre les Noirs en dautres pays.

Voyage en Russie
D. : Pour quelles raisons avez-vous accompagn Brinon en Russie ? R. : Brinon17 tait prsident de la LVF, organisme officiel franais. Il devait aller linspecter, et dsirait tre accompagn de deux journalistes. Il songea tout naturellement, et indpendamment mme de nos personnes, au rdacteur en chef du plus important quotidien, Le petit parisien, et au rdacteur en chef du plus important hebdomadaire, Je suis partout. Cest ainsi quil nous demanda, Claude Jeantet et moi, de venir en Russie, de faon dire ce que nous aurions vu. Jy suis donc all en qualit de journaliste, naturellement curieux des choses de notre temps, comme Claude Jeantet tait lui-mme all en Russie avant la guerre pour la signature du pacte franco-russe, galement invit par un membre du gouvernement franais. D. : Ce voyage tait un voyage de propagande allemande.

G. Cousteau dit en 1944 que je lui ai refus un article. 32

R. : Jai dit exactement ce que javais vu. Je ne prtends pas, ignorant le russe et lallemand, avoir donn une image complte de la Russie en guerre, et mme de la Russie occupe. Aussi me suis-je content de raconter ce que je voyais, et pas autre chose. Je nai t soumis pour cela aucune pression. Jai fait quatre ou cinq articles Je suis partout, plus tard un Rvolution nationale. Jy ai dit, entre autres choses, la curieuse attraction quexerait la Russie sur lAllemand, le respect que le soldat avait pour le soldat, et cette ide dune entente ncessaire qui, parfois, savouait franchement. Quant la LVF, jai dit ce que jai vu, et rendu hommage aux combattants. D. : Vous avez particip la propagande allemande en crivant un article sur Katyn. R. : Jeantet et moi sommes les seuls journalistes franais avoir vu Katyn. Cette visite ne faisait pas partie du voyage primitif, il ne sagit donc pas dune pression, et il a fallu que nous demandions y tre conduits. LEurope entire parlait de Katyn. Les Polonais avaient, ne loubliez pas, fait une demande denqute la CroixRouge, conjointement avec les Allemands, chose extraordinaire ; la Russie avait rompu les relations diplomatiques avec eux ce sujet, des neutres, des mdecins de tous pays staient penchs [sur les cadavres], sur les fosses. Nous voulions voir Katyn, nous lavons vu, et nous avons dit ce que nous avons vu. On a retir devant nous des cadavres dune fosse. On a coup au couteau leurs vtements absolument colls, et on en a retir des papiers et des journaux dont les faces intrieures taient encore lisibles. Rien ntait postrieur avril 1940, donc au moment o Katyn tait en Russie libre, avant la guerre avec lAllemagne. Je ne puis dire autre chose que ce que jai vu. Des Polonais sont alls Katyn, des officiers prisonniers, des prtres, des officiers anglais et amricains galement prisonniers. Personne ne peut avoir de doutes ce sujet. Jignore totalement les raisons de cet acte, mais je ne puis dire autre chose que ce que jai vu. Le gnral Sikorski devait-il rompre avec Moscou sans cela ?
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D. : Il y a eu dautres massacres accomplis par les Allemands, dont vous navez pas parl. R. : Je parle de ce dont jai t le tmoin. Amenez-moi dans ces lieux de massacre dont vous me parlez, o aucune commission neutre na encore t admise, et je dirai ce que jai vu. Et puis est-ce que la barbarie des uns excuse la barbarie des autres ? D. : Ce voyage avec Brinon avait-il un but politique ? Comment connaissiez-vous Brinon ? R. : Avant la guerre, Brinon tait journaliste. Je lai rencontr deux ou trois fois, je crois, et nos rapports ont toujours t trs courtois. Je lai revu, toujours de faon officielle, depuis la guerre, et de la mme manire ou pour lui demander des interventions en sa qualit de [reprsentant du gouvernement franais]. On a fait beaucoup de [suppositions] surtout dans les milieux gouvernementaux, au sujet de ce voyage. Je puis affirmer en tout cas que jamais Brinon ne nous a fait la moindre proposition. Des bruits ont couru sur des postes ministriels qui mavaient t offerts ainsi qu Jeantet. Je crois que ctaient des bruits quon faisait courir pour inquiter Laval et le pousser ce quon appelait une politique plus active. Jai toujours tenu cela pour de la plus haute bouffonnerie. Dailleurs je rentrais de voyage le 30 juin, je partais en vacance le 15 juillet, et le 15 aot javais quitt Je suis partout, non pas du tout pour faire de la politique active, mais au contraire parce que je ntais pas daccord avec lavant-garde de la collaboration.

Capture
D. : Dans prisonnier ? quelles conditions vous tes-vous constitu

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R. : Aux mois de juin et juillet, je me trouvais dans ma famille en province. Je rentrai bicyclette Paris au dbut daot. La dbcle allemande en France saccentuait, et il devenait vident que la France entire allait tre vacue. Les Allemands avaient fait offrir, on le sait, ceux des Franais qui voudraient les suivre, un lieu dasile en Allemagne. Une runion eut mme lieu ce sujet la corporation de la presse. Je ny assistai pas, et je refusai de partir. Des amis me firent offrir de passer en Suisse. On moffrait le concours dsintress de passeurs de la Rsistance qui avaient gard toute leur sympathie pour moi. Je refusai galement. On nemporte pas la patrie la semelle de ses souliers 18. Et puis la question de responsabilit. Ceux qui restaient. Les [circonstances] du dpart. Les voitures de Brinon. On insista au moins pour que je reste cach, sous une fausse identit, et on soffrit me faire avoir par la Prfecture de police toutes les pices didentit parisienne que je voudrais, absolument authentiques, cartes dalimentation, etc. Je refusai galement. Je quittai mon appartement, car je ne savais pas si des lments irresponsables nallaient pas au mpris de tout [organisme] central de la Rsistance se livrer des attaques violentes. En fait, mon appartement fut occup au dbut de septembre, et ma sur ne put mme pas y pntrer pour y chercher des vtements dhiver pour ses enfants. Elle y pntra un jour cinq minutes pour sapercevoir que les occupants avaient entrepris un vritable dmnagement de tout ce qui lui appartenait elle et non moi, des livres dtudes de mon beau-frre, et mme de ses vtements elle. Je demeurais chez des amis lorsque jappris larrestation de toute ma famille, petit petit : mon beau-frre, mon beau-pre19, qui navait jamais fait de politique de sa vie, ma mre enfin. Mon grand-pre, vieillard de quatre-vingt-cinq ans20, fut transport lhpital, o il mourut trois semaines plus tard boulevers de ce quil avait vu. Avec une brutalit inoue, ma mre fut jete en prison, dans des cellules de 4 mtres sur 5 o il y avait trente personnes sur huit paillasses, mle aux prostitues et aux voleuses. Elle y resta trois semaines sans lombre de raison. Elle y serait peut-tre encore si je ntais pas l moi-mme. Je pouvais craindre quon arrtt ma sur, quaurait-on fait des enfants ?
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On les aurait sans doute mis lAssistance, comme le petit bb de Georges Albertini dont on a arrt les parents et les grands-parents, et qui vient dy mourir. Je dcidai donc daller au-devant des policiers et jallai la Prfecture. Jeus bien un peu de mal me faire arrter. On ne voulait pas de moi. Jerrai dans les couloirs. Je navais pas de mandat darrt. Il me semblait que jembarrassais les gens. Je dclarai que je navais jamais approuv ce procd darrestation par otages. Le fonctionnaire de la Prfecture qui mcoutait voulut bien massurer quil blmait larrestation de ma mre. Ds que mon arrestation fut connue elle fut libre, mais pas avant. Elle nen avait pas moins pass trois semaines dans les pires conditions matrielles et morales. Je navais pas voulu dune part abandonner les militants, dautre part exposer ma famille.

REGRETS, FLEURS ET COURONNES


D. : Vous vous tes tromp sur les faits. Naurait-il pas mieux valu ne pas crire ? R. : Dautres se sont tromps avant moi, depuis M. Blum qui en 1932 crivait que Hitler tait loign de lesprance mme du pouvoir jusqu M. Paul Reynaud qui scriait en 1940 que la route du fer tait dfinitivement barre, jusqu M. Schumann de la radio de Londres qui affirmait que 1942 serait 1918 il va y avoir deux ans , sans parler de ceux qui en 1914 annonaient la mort du Kaiser comme on annonce depuis trois mois celle de Hitler. D. : Regrettez-vous ce que vous avez crit ? R. : Si je vous disais oui, vous penseriez que cest pour sauver ma peau et vous me mpriseriez. Je nai rien regretter des intentions qui mont fait agir. Jai pu me tromper, comme tout homme, sur les faits ou sur les personnes, mais je me dis quil y a,
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lheure quil est, des jeunes gens et des jeunes filles qui pensent avec amiti ce que jai crit, mme sils ne sont pas daccord avec moi sur la politique. Je pense quil y en a sur le front en Lorraine, qui ont t dj sur le front tunisien ou italien, qui portent dans larme Leclerc luniforme franais et qui savent que je nai jamais voulu leur apprendre autre chose que lamour de la vie, le courage devant la vie, que jai voulu conomiser leur sang, et cela me suffit pour ne rien regretter de ce qui a t moi-mme. D. : Ne regrettez-vous pas davoir engag des jeunes gens dans cette voie ? R. : Sils ont le regretter aujourdhui, ce nest pas moi quils doivent en demander compte, cest ceux qui remplissent les prisons et les camps de 300 000 Franais, dressent partout des poteaux dexcution, donnent au monde stupfait limage dune France qui ne cherche pas la rconciliation de ses fils (la presse anglo-saxonne tmoigne de cet tonnement), mais sacharne ajouter aux blessures de la guerre trangre les horreurs de la guerre civile. Voil les vrais ennemis des jeunes gens que vous maccusez davoir entrans. La cinquime colonne, cest vous qui la faites en traquant des Franais qui se disent que, perdus pour perdus, il vaut mieux prendre un fusil. En tout cas ceux qui mont cout, ou qui sont mme alls au-del de ce que je leur ai dit, pourront me rendre cette justice qu lheure du danger, je nai pas fui ailleurs et que je suis rest volontairement parmi eux pour courir les mmes risques queux.

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1. Henri Massis (1886-1970) tait un intellectuel nationaliste franais. Proche de lAction franaise, il se rallia au gouvernement de Vichy. 2. Le gnral Charles Huntziger (1880-1941) prsidait les dlgations franaises qui signrent larmistice avec lAllemagne puis lItalie les 22 et 24 juin 1940. Secrtaire dtat la Guerre dans le Gouvernement de Vichy, puis commandant en chef des forces terrestres, il est dcde dans un accident davion en 1941. 3. crit avec son beau-frre Maurice Bardche, louvrage tait paru en 1935. 4. Louis-mile Galey (1904-1997) tait un architecte franais. Proche dEmmanuel Mounier et de la revue Esprit, il militait pour la Troisime force , qui tentait de dpasser le marxisme et le capitalisme par la planification et le corporatisme. Durant la guerre, il devint donc Commissaire du gouvernement du Comit dorganisation de lindustrie cinmatographique qui permit de nombreuses avances pour le cinma franais. Il poursuivit, aprs-guerre, sa carrire dans le cinma. 5. Les Cercles Ptain organisaient la vie morale et intellectuelle des soldats Franais prisonniers en Allemagne. Ils permirent lorganisation de centres de documentation, de cercles dtudes, de confrences, etc., en liaison avec ltat franais. 6. Andr Gide, Journal, 5 septembre 1940. 7. Grand quartier gnral. 8. Les 16 et 23 septembre 1943, les Allis bombardrent la ville de Nantes en Bretagne. Au total, 1 463 civils y perdirent la vie et plusieurs milliers de personnes furent blesses. 9. Cest Montoire, le 24 octobre 1940 que le marchal Ptain annona le dbut de la Collaboration lors dune entrevue avec Adolf Hitler. 10. Otto Abetz (1903-1958) fut lambassadeur de lAllemagne Paris durant la Seconde Guerre mondiale. Amoureux de la culture franaise, il avait uvr avant la guerre pour le rapprochement entre la France et lAllemagne ; durant la guerre, il fut un actif et sincre partisan de la Collaboration. 11. Le Parti nationaliste vietnamien (Vit Nam Quc Dn ng, VNQD) organisa une mutinerie dans une garnison du nord de lIndochine le matin du 10 fvrier 1930. Aprs une apparence de victoire initiale, la rvolte fut rapidement mte. La justice poursuivra 547 personnes, dont 80 seront condamnes mort (tous les condamns ne seront pas tous excuts), 102 aux travaux forcs perptuit, 2 la dtention vie, 243 la dportation et 43 dautres peines de travaux forcs. Dix-huit insurgs ont t acquitts et 58 relchs faute de preuves. Le Parti communiste profita de ces jugements pour organiser une campagne dagitation. 12. Le 3 juillet 1940, la marine britannique attaqua une escadre franaise dans le port de Mers el-Kbir en Algrie franaise. Cette lche attaque se solda par la mort de 1 297 marins franais.

13. La Lgion des volontaires franais contre le bolchevisme (LVF) fut cre en juillet 1941 aprs lattaque de lURSS par lAllemagne. Elle permit aux Franais de combattre aux cts des Allemands et de nombreux volontaires europens contre le bolchevisme. Elle vit le jour grce la volont des partis les plus avancs dans la Collaboration (le PPF de Doriot, le RNP de Dat, le MSR de Deloncle, etc.). La LVF avait laval du Marchal qui crira : En participant cette croisade dont lAllemagne a pris la tte, acqurant ainsi de justes titres la reconnaissance du monde, vous contribuez carter de nous le pril bolchevique. [] la veille de vos prochains combats, je suis heureux de savoir que vous noubliez pas que vous dtenez une part de notre honneur militaire . 14. [NDMB] Ces notes sont destines rpondre aux diffrents points dun rapport de police qui se trouvait au dossier. 15. La Milice franaise vit le jour le 30 janvier 1943 pour lutter contre les actes terroristes de la Rsistance et appuyer la politique du gouvernement de Vichy. Sous lautorit officielle de Pierre Laval, elle tait dirige par Joseph Darnand. Antismite, anticommuniste, anticapitaliste et rvolutionnaire, elle fut durement frappe par les rsistants avant dobtenir dtre arme. 16. Maurice Sarraut, homme politique radical-socialiste influent de la IIIe Rpublique et directeur de La Dpche de Toulouse se rallia ltat franais. En butte lhostilit des collaborationnistes, notamment cause de sa proximit avec la franc-maonnerie, il sera dans un premier temps brivement arrt, en janvier 1943, avant dtre assassin le 2 dcembre. Si la Rsistance est souponne, des miliciens seront arrts mais librs peu aprs, sur intervention de Darnand notamment. 17. Fernand de Brinon (1885-1947), avocat, journaliste et homme politique fut avant la guerre un partisan du rapprochement franco-allemand. Durant la guerre, il est appel au gouvernement et reprsente les autorits de Vichy auprs des Allemands. Cest au Fort de Montrouge, tout comme Robert Brasillach, quil est excut le 15 avril 1947. 18. Cette phrase avait t prononce par Danton, refusant de quitter la France alors que Saint-Just prparait son arrestation. Jug coupable, il fut excut le 5 avril 1794. 19. [NDMB] Le docteur Maugis, chirurgien Sens, avec lequel la mre de Robert Brasillach stait remarie en 1918. 20. [NDMB] Jacques Redo, grand-pre maternel de Robert Brasillach, qui tait venu habiter chez le docteur Maugis en 1942.

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