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{{Infobox Biographie
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|charte=médecin
|nom= Erasistrate de Céos
|nom= Erasistrate de Céos
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|image=Musée Ingres-Bourdelle - Etude pour LA MALADIE D'ANTIOCHUS, OU ANTIOCHUS ET STRATONICE ; buste d'Erasistrate, vers 1860 - Ingres - MI.16.1.3.jpg
|légende=''Érasistrate''<br />[[Jean-Auguste-Dominique Ingres]]
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}}


'''Érasistrate''' ([[grec ancien|gr.]]: Ερασίστρατος) de [[Kéa (île)|Céos]] (vers 310 - vers 250 av. J.-C.), surnommé "L'infaillible" était un [[médecin]] [[clinicien]] et expérimental et un grand [[anatomiste]] [[Grèce antique|grec]], né à ''Ioulis''<ref>Patrie de [[Prodicos de Céos]] ou encore [[Bacchylide]]</ref>, dans l'île de [[Kéa (île)|Céos]].
'''Érasistrate''' (en [[grec ancien]] {{grec ancien|Ἐρασίστρατος|Erasístratos}}), {{v.}} 310 - {{v.}} {{Date-|-250}}, surnommé « l'Infaillible », est un médecin [[clinicien]] et expérimental et un grand [[anatomiste]] de la [[Grèce antique]].


== Biographie ==
== Biographie ==
Il est né d’un père médecin et d’une mère, sœur de médecin. Il fait son apprentissage et devient disciple de {{Lien|lang=en|fr=Chrysippe de Cnide|trad=Chrysippus of Cnidos}}, médecin célèbre, dont Érasistrate lui-même indiqua qu’il apprit auprès de lui beaucoup de choses<ref>voir [[Diogène Laërce]] la Vie de [[Chrysippe de Soles]]</ref>; ensuite il étudie auprès de [[Théophraste]], successeur d’[[Aristote]], avant de devenir disciple à Athènes du médecin [[Métrodoros de Cnide]] - époux de Pythias, fille d'Aristote<ref>issue de son premier mariage</ref>, qui l’initia aussi au [[péripatétisme]]. Érasistrate avait un frère dénommé Cléophante, médecin lui aussi, disciple de Chrysippe de Cnide.


Érasistrate est né à Ioulis<ref>Patrie de [[Prodicos de Céos]] ou encore de [[Bacchylide]].</ref>, sur l'île de [[Kéa (île)|Céos]], d’un père médecin et d’une mère, sœur de médecin. Il fait son apprentissage et devient disciple de [[Chrysippe de Cnide]], médecin célèbre, dont Érasistrate lui-même indique qu’il a appris auprès de lui beaucoup de choses<ref>[[Diogène Laërce]], ''Vie de [[Chrysippe de Soles]]''.</ref>; il étudie ensuite auprès de [[Théophraste]], successeur d’[[Aristote]], avant de devenir disciple à Athènes du médecin [[Métrodoros de Cnide]], époux de Pythias, fille d'[[Aristote]]<ref>Pythias est issue du mariage d'Aristote.</ref>, qui l’initie aussi au [[péripatétisme]]. Érasistrate a un frère dénommé Cléophante, médecin lui aussi, disciple de Chrysippe de Cnide. Il a exercé à [[Antioche]] et à [[Alexandrie]]. Son [[acmé]] se situe en 257-256<ref>date fournie par [[Eusèbe de Césarée]] chron. ol. 130 ,4.</ref>. Il est avec [[Hérophile]] le fondateur de l'[[École d'Alexandrie (médecine)|École d'Alexandrie de médecine]] sous le règne des [[Royaume lagide|Ptolémées]]. Il a été le médecin personnel de {{Souverain2|Séleucos Ier}}.
Érasistrate a exercé à [[Antioche]] et [[Alexandrie]]. Son [[acmé]] se situe en 257-256<ref>date fournie par [[Eusèbe de Césarée]] chron. ol. 130 ,4</ref>.
Il fut avec [[Hérophile]] le fondateur de l'[[École d'Alexandrie (médecine)|École d'Alexandrie de médecine]] sous le règne des [[Dynastie des Ptolémées|Ptolémées]]. Il était le médecin de [[Séleucos Ier|Séleucos {{Ier}}]] de [[Syrie]] dont il parvint à guérir le fils [[Antiochos Ier|Antiochos]]. Réputé pour ses connaissances en [[ophtalmologie]], ses travaux et ses découvertes font de lui un précurseur de la [[neurophysiologie]] et de la [[neurologie]] à l'[[époque hellénistique]]. Il peut être également considéré comme le fondateur de la [[physiologie]] expérimentale car il fit de nombreuses découvertes en procédant à de véritables expériences sur les animaux.


Érasistrate était à l'origine d'une nouvelle école médicale, lorsque, âgé, il quitte Alexandrie pour aller mourir à [[Samos]]. On prétend qu'il se suicida par l'ingestion de [[grande ciguë|ciguë]] à cause d’un mal incurable, un ulcère du pied<ref>Ce n'est peut-être qu'une anecdote légendaire pour moquer ses prétentions en matière de remède contre les poisons.</ref>.
Réputé pour ses connaissances en [[ophtalmologie]], ses travaux et ses découvertes font de lui un précurseur de la [[neurophysiologie]] et de la [[neurologie]] à l'[[époque hellénistique]]. Il peut être également considéré comme le fondateur de la [[physiologie]] expérimentale car il fait de nombreuses découvertes en procédant à de véritables expériences sur les animaux. Érasistrate est à l'origine d'une nouvelle école médicale ; à un âge avancé, il quitte Alexandrie pour aller mourir à [[Samos]]. On prétend qu'il s'est suicidé par l'ingestion de [[grande ciguë|ciguë]] à cause d’un mal incurable, un ulcère du pied<ref>Ce n'est peut-être qu'une anecdote légendaire pour moquer ses prétentions en matière de remède contre les poisons.</ref>.


Il eut alors de nombreux disciples (aucun n'égalera sa renommée) dont [[Apollophane (médecin)|Apollophane]] ainsi qu'un dénommé Chrysippe<ref>différent de Chrysippe de Cnide nommé ci-dessus</ref>, qui avec [[Artémidore de Sidè]], a créé [[l'école Érasistratide]], qui ne s'éteignit qu'au {{Ier}} siècle de notre ère. De fait, sa doctrine était encore appréciée par des médecins tel que Hicésios, ou encore Ménodoros, qui avaient ouvert une école érasistratique à [[Smyrne]], peu avant l'époque de [[Strabon]]. Le dernier médecin connu se réclamant directement d'Érasistrate, [[Hermogène de Smyrne]] semble avoir vécu sous le règne de l'[[Empereur romain|empereur]] [[Néron]]<ref>cf. [[Claude Galien|Galien]] ''De simp. med. temp.'' {{I}}, 29</ref>.
Il a eu de nombreux disciples (bien qu'aucun n'égalera sa renommée) dont [[Apollophane (médecin)|Apollophane]] ainsi qu'un dénommé Chrysippe<ref>À distinguer de Chrysippe de Cnide.</ref>, qui avec [[Artémidore de Sidè]], a créé [[l'école Érasistratide]], qui ne s'éteint qu'au {{s-|I}} de notre ère. De fait, sa doctrine est encore appréciée par des médecins tels que Hicésios, ou encore Ménodoros, qui avaient ouvert une école érasistratique à [[Smyrne]], peu avant l'époque de [[Strabon]]. Le dernier médecin connu se réclamant directement d'Érasistrate, [[Hermogène de Smyrne]] semble avoir vécu sous le règne de [[Néron]]<ref>[[Claude Galien|Galien]], ''De simp. med. temp.'', {{I}}, 29.</ref>. Son école est par ailleurs régulièrement en controverse avec les autres courants de la pensée médicale, dont celle fondée par [[Hérophile]]<ref>Voir : ''Les défenses des disciples d'Érasistrate'' dans P. Lit., Londres, trad. Antonio Ricciardetto, Université de Liège, 2010{{refninc}}.</ref>{{refins}}.
Son école fut par ailleurs régulièrement en controverse avec les autres courants de pensées médicales, dont celle fondée par [[Hérophile]]<ref>voir les défenses des disciples d'Érasistrate in P. Lit. Londres trad. Antonio Ricciardetto ''maitrise université de Liege juin 2010 ''</ref>{{refins}}.


== Découvertes sur le système nerveux ==
== Découvertes sur le système nerveux ==
Dans le domaine de la [[neuroanatomie]], il fut l'un des premiers avec Hérophile à pratiquer les [[dissection]]s de cadavres humains. Il parvint ainsi à distinguer les principales structures de l'[[encéphale]] que sont les deux [[Hémisphère cérébral|hémisphères]] du [[cerveau]] et le [[cervelet]] dont il décrivit le rôle dans la coordination motrice. Il montra aussi que les [[nerf]]s convergent vers le [[système nerveux central]]. Il mit en évidence le rôle [[somesthésie|sensitif]] et [[motricité|moteur]] des racines postérieures et antérieures des [[Nerf rachidien|nerfs rachidiens]]. Pionnier de la méthode comparative, il fut le premier à établir un lien entre le degré de [[gyrification]] des [[Circonvolution cérébrale|circonvolutions]] du [[cerveau]] (c'est-à-dire son degré de « plissement ») des différentes [[espèce]]s animales et leur degré d'[[intelligence]].
Dans le domaine de la [[neuroanatomie]], il est l'un des premiers avec Hérophile à pratiquer les [[dissection]]s de cadavres humains. Il parvient ainsi à distinguer les principales structures de l'[[encéphale]] que sont les deux [[Hémisphère cérébral|hémisphères]] du [[cerveau]] et le [[cervelet]] dont il décrivit le rôle dans la coordination motrice. Il montre aussi que les [[nerf]]s convergent vers le [[système nerveux central]]. Il met en évidence les rôles respectivement [[somesthésie|sensitif]] et [[motricité|moteur]] des racines postérieures et antérieures des [[Nerf spinal|nerfs rachidiens]]. Pionnier de la [[Anatomie comparée|méthode comparative]], il est le premier à établir un lien entre le degré de [[gyrification]] des [[Circonvolution cérébrale|circonvolutions]] du [[cerveau]] (c'est-à-dire son degré de « plissement ») des différentes [[espèce]]s animales et leur degré d'[[intelligence]].


En ce qui concerne le rapport entre le cerveau et les nerfs, Érasistrate reprend donc les idées de son ami Hérophile ; les nerfs sont partagés en deux groupes :
Concernant le rapport entre le cerveau et les nerfs, Érasistrate reprend donc les idées de son contemporain Hérophile ; les nerfs sont partagés en deux groupes :
* les nerfs sensitifs ;
* les nerfs sensitifs ;
* et les nerfs moteurs.
* les nerfs moteurs.
Les premiers partent des [[méninges]] et les seconds du cerveau et du cervelet. Tous les nerfs sont creux pour accueillir le ''pneuma psychique'' pompé probablement par la systole des ventricules cérébraux. Quant aux perceptions, elles sont transmises au cerveau par le ''pneuma'' contenu dans les nerfs sensitifs. Dès lors, à la suite d'[[Alcméon de Crotone]] et d'[[Anaxagore de Clazomènes|Anaxagore]], il fait du [[cortex cérébral|cerveau]] le siège de la pensée et des facultés mentales, contrairement à Aristote qui place ces fonctions dans le [[cœur]].
Les premiers partent des méninges et les seconds du cerveau et du cervelet.
Tous les nerfs sont creux pour accueillir le ''pneuma psychique'' pompé probablement par la systole des ventricules cérébraux.
Quant aux perceptions, elles sont transmises au cerveau par le ''pneuma'' contenu dans les nerfs sensitifs.
Dès lors, à la suite d'[[Alcméon de Crotone]] et d'[[Anaxagore de Clazomènes|Anaxagore]], il faisait du [[cortex cérébral|cerveau]] le siège de la pensée et des facultés mentales, contrairement à Aristote qui plaçait ces fonctions dans le [[cœur]].


== Découvertes sur le système circulatoire ==
== Découvertes sur le système circulatoire ==
Il démontra le rôle primordial du [[sang]] dans le corps humain et il fut près de faire la découverte de la [[circulation sanguine]] en reconnaissant que le [[cœur]] était au centre du réseau des [[artère]]s et des [[veine]]s. Erasistrate découvrit que les veines n'ont pas de pulsation, à la différence des artères.
Il démontre le rôle primordial du [[sang]] dans le corps humain et il est près de faire la découverte de la [[circulation sanguine]] en reconnaissant que le [[cœur]] est au centre du réseau des [[artère]]s et des [[veine]]s. Érasistrate découvre que les veines n'ont pas de pulsation, à la différence des artères.


Érasistrate fut l'auteur d'une théorie concurrente à la [[théorie des humeurs]]. Il défendit ainsi l'idée que le système des veines transportait du sang et non le ''pneuma'' imaginé par [[Hippocrate]]. Ce sang contenant l'esprit vital était acheminé depuis le cœur jusqu'au cerveau où il était transformé en esprit animal, qui était distribué dans le corps via les nerfs (dont il montra qu'ils étaient non pas creux mais formés d'une structure solide tubulaire, aujourd'hui identifiée comme les [[fibre nerveuse|fibres nerveuses]]). Toutefois, le rôle des artères dans sa théorie restait de véhiculer l'air, ce qui expliquait selon lui le [[pouls]]. Il interprétait donc certains désordres physiologiques comme un excès de sang dans les artères. Cette théorie de la pléthore sanguine se posait en opposition à la pratique des [[saignée (médecine)|saignées]] défendue par les autres médecins de l'époque, dont [[Hérophile]].
Érasistrate est l'auteur d'une théorie concurrente à la [[théorie des humeurs]]. Il défend ainsi l'idée que le système des veines transporte du sang et non le ''pneuma'' imaginé par [[Hippocrate]]. Ce sang contenant l'esprit vital est acheminé depuis le cœur jusqu'au cerveau où il est transformé en esprit animal, qui est distribué dans le corps via les nerfs (dont il montre qu'ils sont non pas creux mais formés d'une structure solide tubulaire, aujourd'hui identifiée comme les [[fibre nerveuse|fibres nerveuses]]). Toutefois, le rôle des artères dans sa théorie reste de véhiculer l'air, ce qui explique selon lui le [[pouls]]. Il interprète donc certains désordres physiologiques comme un excès de sang dans les artères. Cette théorie de la pléthore sanguine est en opposition à la pratique des [[saignée (médecine)|saignées]] défendue par les autres médecins de l'époque, dont [[Hérophile]].


=== Découvertes sur l'anatomie et la mécanique organique ===
== Découvertes sur l'anatomie et la mécanique organique ==
Érasistrate a pratiqué assidument la dissection couplée avec l’observation anatomique macroscopique des structures organiques. Il a également pratiqué la [[vivisection]], comme le mentionne [[Aulus Cornelius Celsus|Celse]] dans son ouvrage ''Sur la Médecine'' où il est mentionné que lui et Hérophile ont {{Citation |ouvert le corps de criminels mis à disposition par les roi}} et {{Citation |analysé les parties normalement cachées pendant que les condamnés respiraient encore.}}
Érasistrate a pratiqué assidument la dissection couplée avec l’observation anatomique macroscopique des structures organiques. Il a également pratiqué la [[vivisection]], comme le mentionne [[Aulus Cornelius Celsus|Celse]] dans son ouvrage ''Sur la Médecine'' où il est mentionné que lui et Hérophile ont {{Citation |ouvert le corps de criminels mis à disposition par les rois}} et {{Citation |analysé les parties normalement cachées pendant que les condamnés respiraient encore.}}


En premier lieu, il décrivit la dilatation respiratoire du thorax et du poumon comme un processus de création d'un vide qui est immédiatement rempli par l’air extérieur, et qui alimente le ''pneuma'' nécessaire aux processus physiologiques. le souffle (πνευμα) circule ainsi dans le corps comme dans une ''machine pneumatique'' presque complètement étanche hormis la transpiration résiduelle.
En premier lieu, il décrit la dilatation respiratoire du thorax et du [[poumon]] comme un processus de création d'un vide qui est immédiatement rempli par l’air extérieur, et qui alimente le ''pneuma'' nécessaire aux processus physiologiques. Le souffle ({{grec ancien|πνεῦμα|pneuma}}) circule ainsi dans le corps comme dans une « machine pneumatique » presque complètement étanche hormis la transpiration résiduelle. Puis, il montre le premier l'indépendance de la [[trachée]] et de l’[[œsophage]] et fait voir le véritable rôle de l'épiglotte, soupape capable d'isoler les deux conduits et d'empêcher l'entrée des aliments dans les voies respiratoires. Dans sa recherche d'explication mécaniste, Erasistrate découvre l'importance de la propulsion des aliments grâce au mouvement péristaltique de l'œsophage, et les contractions de l'estomac. Il a mis ainsi en évidence le rôle de la propulsion le long du tractus alimentaire par l'implication musculaire, invalidant alors par avance la théorie de [[Galien]] d'une prétendue attirance exercée sur les aliments par l'estomac.


Il décrit les orifices intracardiaques, les cordages [[tendon|tendineux]] et les [[valvule]]s du cœur sans reconnaître cependant précisément leur rôle. Néanmoins, il améliore les connaissances contemporaines sur le mécanisme cardio-pulmonaire et affirme la distribution, à partir du cœur, du sang oxygéné. Il comprend que le cœur fonctionne comme une pompe et est directement responsable de la dilatation des artères ; il compare le cœur à « un soufflet » et les artères à « des poches » ou à « des sacs » dans lesquels s'insuffle l’air ; il soutient que le cœur se remplit parce qu'il est dilaté et que les artères se dilatent parce qu’elles sont remplies. Enfin, il distingue la trachée-artère et la décrit. Toujours sur le plan anatomique, il donne les premières descriptions de la [[veine cave]], des valvules veineuses et des artères [[artère pulmonaire|pulmonaires]] et [[artère rénale|rénales]]. Il découvre par ailleurs que la pulsation est une propriété de la paroi artérielle.
Puis, il montra le premier l'indépendance de la trachée et de l’œsophage et fit voir le véritable rôle de l'épiglotte, soupape capable d'isoler les deux conduits et d'empêcher l'entrée des aliments dans les voies respiratoires.
Erasistrate dans sa recherche d'explication mécaniste, découvrit l'importance de la propulsion des aliments grâce au mouvement péristaltique de l'œsophage, et les contractions de l'estomac. Il a mis ainsi en évidence le rôle de la propulsion le long du tractus alimentaire par l'implication musculaire, invalidant alors par avance la théorie de [[Galien]] d'une prétendue attirance exercée sur les aliments par l'estomac.

Il décrivit les orifices intracardiaques, les cordages [[tendon|tendineux]] et les [[valvule]]s du cœur sans reconnaître cependant précisément leur rôle. Néanmoins il améliora les connaissances contemporaines sur le mécanisme cardio-pulmonaire et affirma la distribution, à partir du cœur, du sang oxygéné.Il comprend que le cœur fonctionne comme une pompe et est directement responsable de la dilatation des artères ; il compare le cœur à « un soufflet » et les artères à « des poches » ou à « des sacs » dans lesquels s'insuffle l’air ; il soutient que le cœur se remplit parce qu'il est dilaté et que les artères se dilatent parce qu’elles sont remplies. Enfin, il distingua la trachée-artère et la décrivit.
Toujours sur le plan anatomique, il donna les premières descriptions de la [[veine cave]], des valvules veineuses et des artères [[artère pulmonaire|pulmonaires]] et [[artère rénale|rénales]]. Il découvrit par ailleurs que la pulsation est une propriété de la paroi artérielle.


== Ses idées philosophiques pour l'étude de la Nature & des corps ==
== Ses idées philosophiques pour l'étude de la Nature & des corps ==
Erasistrate est adepte de la philosophie d'[[Aristote]], en tant qu'auditeur de [[Théophraste]]<ref>Galien ''De alim'' {{III}}, 14.</ref>. Certaines doctrines médicales qu'il professe semblent s'accorder notamment avec [[Straton]] de [[Lampsaque]]. Tel le rôle du ''pneuma'' (le souffle)<ref>c'est le nom d'un ouvrage pseudo aristotélicien conservé.</ref>, déclencheur et animateur du vivant par sa propagation à travers de multiples canaux vers l'Âme. Par contre, la Nature est selon lui une force consciente et intelligente, conception proche des aristotéliciens avant les théories de Straton de Lampsaque<ref>Georges RODIER, ''La Physique de Straton'', 1890, {{refinc}}.</ref>. Cependant, ses propres découvertes infirment à ses yeux la théorie d'Aristote sur un présupposé principe d’ébullition ou coction des aliments dans l'estomac. En effet, ses études ont mis en évidence la trop faible chaleur du corps humain — et spécialement dans l'estomac — pour permettre la moindre coction.
Erasistrate fut adepte de la philosophie d'Aristote, en tant qu'auditeur de [[Théophraste]]<ref>Galien ''De alim'' {{III}}, 14</ref>.
Certaines doctrines médicales qu'il professait semblent s'accorder notamment avec [[Straton]] de Lampsaque. Tel le rôle du "πνεύμα"<ref>c'est le nom d'un ouvrage pseudo aristotelicien conservé</ref> (le souffle) déclencheur, et animateur du vivant par sa propagation à travers de multiples de canaux vers l'Âme. Par contre selon lui la Nature est une force consciente et intelligente, conception proche des aristotéliciens avant les Théories de Straton de Lampsaque<ref>Georges RODIER La physique de Straton thèse de 1890</ref>.
Cependant ses propres découvertes infirmaient à ses yeux la théorie d'Aristote sur un présupposé principe d’ébullition ou coction des aliments dans l'estomac.En effet, ses études avaient mis en évidence la trop faible chaleur du corps humain -et spécialement dans l'estomac - pour permettre la moindre coction.


Excellent [[clinicien]], il étudia le premier les relations entre maladies et lésions, créant ainsi l'anatomie pathologique.
Excellent [[clinicien]], il étudie le premier les relations entre maladies et lésions, créant ainsi l'anatomie pathologique. Il s'inquiète peu des causes générales, mais il attache une importance extrême au mécanisme de chaque [[symptôme]] des dysfonctionnements. Pour commencer, il décrit un processus assez moderne :
* La nourriture après trituration stomacale est projetée sous forme de « [[chyle]] » à travers les parois intestinales jusqu'aux vaisseaux sanguins s'acheminant vers le [[foie]], ensuite la nourriture est absorbée par les tissus organiques. Ce processus a une grande importance pour comprendre selon lui l'origine des maladies et dysfonctionnements. Car Érasistrate élabore sa théorie explicative en indiquant qu'une grande partie des maladies trouvait son origine autour des troubles nutritifs; ce sont les sucs digestifs « imparfaits » qui, passant dans le système vasculaire, produisent, par la pléthore, une distension des veines et des synastomoses.
Il s'inquiétait peu des causes générales, mais il attachait une importance extrême au mécanisme de chaque symptôme des dysfonctionnements.


Par ailleurs, le ''pneuma'' joue un rôle important dans sa vision du fonctionnement du corps humain. Du reste, ce souffle est une des bases de son traitement médical.
Pour commencer il décrivit un processus assez moderne :
* La nourriture après trituration stomacale était projetée sous forme de « chyle » à travers les parois intestinales jusqu'aux vaisseaux sanguins s'acheminant vers le Foie, ensuite la nourriture était absorbée par les tissus organiques. Ce processus avait une grande importance pour comprendre selon lui l'origine des maladies et dysfonctionnements. Car Erasistrate élabora sa théorie explicative en indiquant qu'une grande partie des maladies trouvait son origine autour des troubles nutritifs; c'étaient les sucs digestifs « imparfaits » qui, passant dans le système vasculaire, produisaient, par la pléthore, une distension des veines et des synastomoses.


Le texte dit « de L'Anonyme de Londres »<ref>Papyrus ''P Lit'', Londres, 165, colonne {{XXVI}}, 31 traduction d'Antonio Ricciardetto.</ref> précise : {{Citation|Érasistrate ne pense pas qu’une distribution se produise à partir des artères, car il n’y a pas, par nature, de sang en elles, – c’est-à-dire de nourriture –, mais bien du souffle.}}
Par ailleurs le ''pneuma'' jouait un rôle important dans sa vision du fonctionnement du corps humain.
Du reste ce souffle était une des bases du traitement médical d'Érasistrate de Céos.


Le texte dit « de L'Anonyme de Londres »<ref>papyrus P Lit. Londres 165 colonne {{XXVI}}, 31 traduction d'Antonio Ricciardetto Op. cité</ref> précise : {{Citation|Érasistrate ne pense pas qu’une distribution se produise à partir des artères, car il n’y a pas, par nature, de sang en elles, c’est-à-dire de nourriture –, mais bien du souffle.}}
Et ailleurs<ref>papyrus ''P Lit.'', Londres, 165, colonne {{XXI}}, 24.</ref> : {{Citation|Érasistrate alla bien loin de la règle en effet, il supposa que les corps premiers étaient perçus par la raison, de sorte que la veine perçue par les sens est composée de corps perceptibles par la raison : veine, artère, nerf.}}


Cette théorie semble postuler l'intime mélange, et l'interdépendance du corps et de l'esprit dans l'organisation et l'activité du corps humain. Plus largement, Érasistrate a mis au point une méthode de compréhension de la matière médicale : l'anatomophysiologie, démarche pré-scientifique de compréhension « du moteur » du fonctionnement des corps humains.
Et ailleurs<ref>papyrus P Lit. Londres 165 colonne {{XXI}}, 24</ref> : {{Citation|Érasistrate alla bien loin de la règle en effet, il supposa que les corps premiers étaient perçus par la raison, de sorte que la veine perçue par les sens est composée de corps perceptibles par la raison : veine, artère, nerf.}}
cette théorie semble postuler l'intime mélange, et l'interdépendance du corps et de l'esprit dans l'organisation et l'activité du corps humain.


* le « théoriquement observable », c’est-à-dire ce qui n’est pas visible mais dont il faut nécessairement postuler l’existence pour expliquer un système que l’on voit fonctionner ;
Plus largement Érasistrate a mis au point un méthode de compréhension de la matière médicale : l'anatomophysiologie, démarche pré-scientifique de compréhension « du moteur » du fonctionnement des corps humains.
* la comparaison récurrente d’un système anatomique avec des observations et/ou des expérimentations mécaniques. À cette fin à Alexandrie, il fit de nombreuses expériences mécaniques sur le monde animal; telles l'estimation, et la comparaison des poids des corps avant et après ingestion nutritive<ref>Expérience décrite par le papyrus, P Lit., Londres, 165.</ref>


À cette caractéristique est attaché le concept célèbre de la ''triplokia'' : veines, artères et nerfs sont enchevêtrés de manière invisible ;
* 1) le « théoriquement observable », λόγῳ θεωρέτον, c’est-à-dire ce qui n’est pas visible mais dont il faut nécessairement postuler
l’existence pour expliquer un système que l’on voit fonctionner ;


* un autre concept célèbre qui, s’il n’est pas encore clair chez Érasistrate, deviendra par la suite le principe de l’''{{Lang|la|horror vacui}}'' (« la nature a horreur du vide ») pour expliquer le moteur de la dynamique du corps.
* 2) la comparaison récurrente d’un système anatomique avec des observations et/ou des expérimentations mécaniques. À cet fin a Alexandrie, il fit de nombreuses expériences mécaniques sur le monde animale; tel l'estimation, et la comparaison des poids des corps avant et après ingestion nutritive <ref>expérience décrite par le papyrus P Lit. Londres 165</ref>


Ainsi, l’introduction par ce médecin praticien en anatomie du concept de structures théoriquement observables, et en physiologie de l’adoption du principe de l’horreur du vide lui a permis de construire un système anatomophysiologique et une pathologie cohérents pour son époque.
À cette caractéristique est attaché le concept célèbre de la triplokia : veines, artères et nerfs sont enchevêtrés de manière invisible ;


== Recommandations en pratique médicale ==
* 3) puis un autre concept célèbre, celui qui, s’il n’est pas encore clair chez Érasistrate deviendra par la suite le principe de l’''{{Lang|la|horror vacui}}'' (« la nature a horreur du vide ») pour expliquer le moteur de la dynamique du corps.


Érasistrate déplore souvent le peu d'attention portée par ses confrères aux règles élémentaires d'[[hygiène]] permettant de prévenir bien des maladies ou d'en atténuer les effets. Diététicien et hygiéniste, il traite par le jeûne modéré les troubles causés par la pléthore, qu'il rend responsable d'ennuis digestifs et de certains cas d'[[hémoptysie]], d'[[hémorragie]], d'[[angine]] et d'[[hémorroïde]]s.
Ainsi l’introduction par ce médecin praticien en anatomie du concept de structures théoriquement observables, et en physiologie de l’adoption du principe de
Bien qu'il conseille une légère diète et une gymnastique élémentaire, il est un adversaire acharné de la saignée, et Galien l'en raille en intitulant l'un de ses ouvrages : ''De la saignée contre Érasistrate'' ({{Lang|la|De venoe sectione adversus Erasistratum}}). S'intéressant aux médicaments et poisons (il a publié un ouvrage sur cette question), il préconise un régime lacté contre les venins, et a composé diverses recettes de [[collyre]]s et d'[[élixir (pharmacie)|élixirs]] pour soigner les maux. Il préconise aussi des [[pommade]]s à base de végétaux.
l’horreur du vide lui a permis de construire un système anatomophysiologique et une pathologie cohérents pour son époque.


== Anecdote biographique ==
== Ses recommandations en pratique médicale ==
[[Fichier:Jacques-Louis David - Antiochus and Stratonica - WGA06042.jpg|vignette|upright=2|alt=peinture traitée en clair-obscur d'une scène montrant un jeune homme allongé à moitié dénudé avec à sa droite un vieillard assis dans la pénombre pointant de son index droit une femme fortement éclairée se tenant débout|Érasistrate découvrant la cause de la maladie d'[[Antiochos Ier|Antiochus]], par [[Jacques-Louis David|David]] (1774).]]
La vie d'Érasistrate est peu connue. La plupart de ses écrits nous sont connus par les commentaires qu'en ont faits ses successeurs (notamment [[Galien]] qui fut son plus célèbre critique). On raconte qu'il a été appelé au chevet d'[[Antiochos Ier|Antiochos]], gravement malade, par le père de ce dernier, le roi [[Séleucides|séleucide]] [[Séleucos Ier|Séleucos {{Ier}}]]. Après avoir observé que le [[pouls]] du malade s'accélère et que son visage [[rougeur|rougissait]] lorsque sa belle-mère [[Stratonice Ire|Stratonice]], l'épouse du roi, entre dans la pièce, il aurait déduit que le malade souffre en fait d'un amour impossible. Cela en fait donc pour certains un pionnier de la [[psychothérapie]]. Quoi qu'il en soit, Séleucos s'en sépare et laisse Antiochos l'épouser, probablement pour des raisons politiques<ref>[[Plutarque]], ''Vie de Démétrios'', 38 ; [[Pline l'Ancien]], {{XXIX}}, 3 ; [[Appien]], ''Livre Syriaque'', 59-61 ; [[Valère Maxime]], ''Faits et dits mémorables'', V, 7 ; [[Souda]], « Érasistrate ».</ref>.


Cette scène a inspiré de nombreux peintres parmi lesquels [[Jacques-Louis David|David]], sur une toile de [[1774]] qui lui valut le [[prix de Rome]].
Il déplora souvent le peu d'attention portée par ses confrères aux règles élémentaires d'[[hygiène]] permettant de prévenir bien des maladies ou d'en atténuer les effets. Diététicien et hygiéniste, il traita par le jeûne modéré les troubles causés par la pléthore, qu'il rendait responsable d'ennuis digestifs et de certains cas d'[[hémoptysie]], d'[[hémorragie]], d'[[angine]] et d'[[hémorroïde]]s.
Bien qu'il conseillât une légère diète et une gymnastique élémentaire, il fut un adversaire acharné de la saignée, et Galien l'en railla en intitulant l'un de ses ouvrages : ''De la saignée contre Érasistrate'' ({{Lang|la|De venoe sectione adversus Erasistratum}}).
S'intéressant aux médicaments et poisons<ref>il publia un ouvrage sur cette question</ref>, il préconisait un régime lacté contre les venins, et avait composé diverses recettes de [[collyre]]s et d'[[élixir (pharmacie)|élixir]]s pour soigner les maux. Il préconisait aussi des [[pommade]]s à base de végétaux.


== Anecdote biographique ==
== Écrits ==
Les onze ouvrages écrits par Érasistrate ont quasiment disparu. Il n'en subsiste que des fragments, surtout préservés par [[Galien]] :
[[Image:David-Antiochus et Stratonice.jpg|thumb|220px|''Érasistrate comprend pourquoi Antiochus est malade''<br />Tableau de [[Jacques-Louis David]] 1774]]
* ''Du souffle'' ;
* ''Des médicaments et des poisons'' ;
* ''Traité d'anatomie'' (en plusieurs livres ? )<ref>Ouvrage centré sur l’anatomophysiologie.</ref> ;
* ''Des paralysies''<ref>cet ouvrage décrit particulièrement l’anatomie et la pathologie du système nerveux.</ref> ;
* ''Des fièvres''<ref>traité consacré surtout à l’anatomie et à la pathologie du cœur et des vaisseaux.</ref> ;
* ''Du régime'' ;
* ''Les fièvres''.


== Notes et références ==
La vie d'Érasistrate est peu connue. La plupart de ses écrits nous sont connus par les commentaires qu'en ont faits ses successeurs (notamment Galien qui fut son plus célèbre critique). On raconte qu'il fut appelé au chevet d'[[Antiochos Ier|Antiochos]], gravement malade, par le père de ce dernier, le roi syrien [[Séleucos Ier|Séleucos {{Ier}}]] Nicator. Après avoir observé que le [[pouls]] du malade s'accélérait et que son visage [[rougeur|rougissait]] lorsque sa belle-mère ''Stratonice'', l'épouse du roi, entrait dans la pièce, il aurait déduit que le malade souffrait en fait d'un amour impossible. Cela en fait donc pour certains un pionnier de la [[psychothérapie]].
{{Références|colonnes=2}}


== Ses écrits ==
== Bibliographie ==
*''Erasistrati fragmenta,'' collegit I. Garofalo, Pise, Giardini, 1988.
Ses 11 ouvrages ont quasiment disparus, et n'en subsistent que des fragments (surtout préservés par le médecin [[Galien]])
* Geoffrey Lloyd : ''Une histoire de la science grecque'', éd. Point la Découverte, 1990.

* Du souffle (''πνεύμα'')
* Des médicaments et des poisons
* Traité d'anatomie (en plusieurs livres ? )<ref>ouvrage centré sur l’anatomophysiologie,</ref>
* Des paralysies <ref>cet ouvrage décrivait particulièrement l’anatomie et la pathologie du système nerveux</ref>
* Des fièvres<ref>traité consacré surtout à l’anatomie et à la pathologie du cœur et des vaisseaux</ref>
* Du régime
* Les fièvres


== Liens externes ==
== Liens externes ==
* [http://www.cosmovisions.com/Erasistrate.htm Biographie d'Erasistrate] sur ''www.cosmovisions.com''
* [http://www.cosmovisions.com/Erasistrate.htm Biographie d'Erasistrate] sur ''www.cosmovisions.com''
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== Notes ==
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*Cette scène a été représentée par le peintre [[Jacques Louis David|David]] sur une toile de [[1774]] qui lui valut le [[prix de Rome]].

=== Bibliographie ===
*Geoffrey Lloyd : ''Une histoire de la science grecque'', É. Point la Découverte (1990)

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Erasistrate de Céos
Biographie
Naissance
Vers
Ioulis (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Décès
Époque
Nationalité
grec
Activités
Autres informations
Maîtres
Chrysippe de Cnide, Métrodoros (d)Voir et modifier les données sur Wikidata

Érasistrate (en grec ancien Ἐρασίστρατος / Erasístratos), v.  310 - v.  , surnommé « l'Infaillible », est un médecin clinicien et expérimental et un grand anatomiste de la Grèce antique.

Érasistrate est né à Ioulis[1], sur l'île de Céos, d’un père médecin et d’une mère, sœur de médecin. Il fait son apprentissage et devient disciple de Chrysippe de Cnide, médecin célèbre, dont Érasistrate lui-même indique qu’il a appris auprès de lui beaucoup de choses[2]; il étudie ensuite auprès de Théophraste, successeur d’Aristote, avant de devenir disciple à Athènes du médecin Métrodoros de Cnide, époux de Pythias, fille d'Aristote[3], qui l’initie aussi au péripatétisme. Érasistrate a un frère dénommé Cléophante, médecin lui aussi, disciple de Chrysippe de Cnide. Il a exercé à Antioche et à Alexandrie. Son acmé se situe en 257-256[4]. Il est avec Hérophile le fondateur de l'École d'Alexandrie de médecine sous le règne des Ptolémées. Il a été le médecin personnel de Séleucos Ier.

Réputé pour ses connaissances en ophtalmologie, ses travaux et ses découvertes font de lui un précurseur de la neurophysiologie et de la neurologie à l'époque hellénistique. Il peut être également considéré comme le fondateur de la physiologie expérimentale car il fait de nombreuses découvertes en procédant à de véritables expériences sur les animaux. Érasistrate est à l'origine d'une nouvelle école médicale ; à un âge avancé, il quitte Alexandrie pour aller mourir à Samos. On prétend qu'il s'est suicidé par l'ingestion de ciguë à cause d’un mal incurable, un ulcère du pied[5].

Il a eu de nombreux disciples (bien qu'aucun n'égalera sa renommée) dont Apollophane ainsi qu'un dénommé Chrysippe[6], qui avec Artémidore de Sidè, a créé l'école Érasistratide, qui ne s'éteint qu'au Ier siècle de notre ère. De fait, sa doctrine est encore appréciée par des médecins tels que Hicésios, ou encore Ménodoros, qui avaient ouvert une école érasistratique à Smyrne, peu avant l'époque de Strabon. Le dernier médecin connu se réclamant directement d'Érasistrate, Hermogène de Smyrne semble avoir vécu sous le règne de Néron[7]. Son école est par ailleurs régulièrement en controverse avec les autres courants de la pensée médicale, dont celle fondée par Hérophile[8][source insuffisante].

Découvertes sur le système nerveux

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Dans le domaine de la neuroanatomie, il est l'un des premiers avec Hérophile à pratiquer les dissections de cadavres humains. Il parvient ainsi à distinguer les principales structures de l'encéphale que sont les deux hémisphères du cerveau et le cervelet dont il décrivit le rôle dans la coordination motrice. Il montre aussi que les nerfs convergent vers le système nerveux central. Il met en évidence les rôles respectivement sensitif et moteur des racines postérieures et antérieures des nerfs rachidiens. Pionnier de la méthode comparative, il est le premier à établir un lien entre le degré de gyrification des circonvolutions du cerveau (c'est-à-dire son degré de « plissement ») des différentes espèces animales et leur degré d'intelligence.

Concernant le rapport entre le cerveau et les nerfs, Érasistrate reprend donc les idées de son contemporain Hérophile ; les nerfs sont partagés en deux groupes :

  • les nerfs sensitifs ;
  • les nerfs moteurs.

Les premiers partent des méninges et les seconds du cerveau et du cervelet. Tous les nerfs sont creux pour accueillir le pneuma psychique pompé probablement par la systole des ventricules cérébraux. Quant aux perceptions, elles sont transmises au cerveau par le pneuma contenu dans les nerfs sensitifs. Dès lors, à la suite d'Alcméon de Crotone et d'Anaxagore, il fait du cerveau le siège de la pensée et des facultés mentales, contrairement à Aristote qui place ces fonctions dans le cœur.

Découvertes sur le système circulatoire

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Il démontre le rôle primordial du sang dans le corps humain et il est près de faire la découverte de la circulation sanguine en reconnaissant que le cœur est au centre du réseau des artères et des veines. Érasistrate découvre que les veines n'ont pas de pulsation, à la différence des artères.

Érasistrate est l'auteur d'une théorie concurrente à la théorie des humeurs. Il défend ainsi l'idée que le système des veines transporte du sang et non le pneuma imaginé par Hippocrate. Ce sang contenant l'esprit vital est acheminé depuis le cœur jusqu'au cerveau où il est transformé en esprit animal, qui est distribué dans le corps via les nerfs (dont il montre qu'ils sont non pas creux mais formés d'une structure solide tubulaire, aujourd'hui identifiée comme les fibres nerveuses). Toutefois, le rôle des artères dans sa théorie reste de véhiculer l'air, ce qui explique selon lui le pouls. Il interprète donc certains désordres physiologiques comme un excès de sang dans les artères. Cette théorie de la pléthore sanguine est en opposition à la pratique des saignées défendue par les autres médecins de l'époque, dont Hérophile.

Découvertes sur l'anatomie et la mécanique organique

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Érasistrate a pratiqué assidument la dissection couplée avec l’observation anatomique macroscopique des structures organiques. Il a également pratiqué la vivisection, comme le mentionne Celse dans son ouvrage Sur la Médecine où il est mentionné que lui et Hérophile ont « ouvert le corps de criminels mis à disposition par les rois » et « analysé les parties normalement cachées pendant que les condamnés respiraient encore. »

En premier lieu, il décrit la dilatation respiratoire du thorax et du poumon comme un processus de création d'un vide qui est immédiatement rempli par l’air extérieur, et qui alimente le pneuma nécessaire aux processus physiologiques. Le souffle (πνεῦμα / pneuma) circule ainsi dans le corps comme dans une « machine pneumatique » presque complètement étanche hormis la transpiration résiduelle. Puis, il montre le premier l'indépendance de la trachée et de l’œsophage et fait voir le véritable rôle de l'épiglotte, soupape capable d'isoler les deux conduits et d'empêcher l'entrée des aliments dans les voies respiratoires. Dans sa recherche d'explication mécaniste, Erasistrate découvre l'importance de la propulsion des aliments grâce au mouvement péristaltique de l'œsophage, et les contractions de l'estomac. Il a mis ainsi en évidence le rôle de la propulsion le long du tractus alimentaire par l'implication musculaire, invalidant alors par avance la théorie de Galien d'une prétendue attirance exercée sur les aliments par l'estomac.

Il décrit les orifices intracardiaques, les cordages tendineux et les valvules du cœur sans reconnaître cependant précisément leur rôle. Néanmoins, il améliore les connaissances contemporaines sur le mécanisme cardio-pulmonaire et affirme la distribution, à partir du cœur, du sang oxygéné. Il comprend que le cœur fonctionne comme une pompe et est directement responsable de la dilatation des artères ; il compare le cœur à « un soufflet » et les artères à « des poches » ou à « des sacs » dans lesquels s'insuffle l’air ; il soutient que le cœur se remplit parce qu'il est dilaté et que les artères se dilatent parce qu’elles sont remplies. Enfin, il distingue la trachée-artère et la décrit. Toujours sur le plan anatomique, il donne les premières descriptions de la veine cave, des valvules veineuses et des artères pulmonaires et rénales. Il découvre par ailleurs que la pulsation est une propriété de la paroi artérielle.

Ses idées philosophiques pour l'étude de la Nature & des corps

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Erasistrate est adepte de la philosophie d'Aristote, en tant qu'auditeur de Théophraste[9]. Certaines doctrines médicales qu'il professe semblent s'accorder notamment avec Straton de Lampsaque. Tel le rôle du pneuma (le souffle)[10], déclencheur et animateur du vivant par sa propagation à travers de multiples canaux vers l'Âme. Par contre, la Nature est selon lui une force consciente et intelligente, conception proche des aristotéliciens avant les théories de Straton de Lampsaque[11]. Cependant, ses propres découvertes infirment à ses yeux la théorie d'Aristote sur un présupposé principe d’ébullition ou coction des aliments dans l'estomac. En effet, ses études ont mis en évidence la trop faible chaleur du corps humain — et spécialement dans l'estomac — pour permettre la moindre coction.

Excellent clinicien, il étudie le premier les relations entre maladies et lésions, créant ainsi l'anatomie pathologique. Il s'inquiète peu des causes générales, mais il attache une importance extrême au mécanisme de chaque symptôme des dysfonctionnements. Pour commencer, il décrit un processus assez moderne :

  • La nourriture après trituration stomacale est projetée sous forme de « chyle » à travers les parois intestinales jusqu'aux vaisseaux sanguins s'acheminant vers le foie, ensuite la nourriture est absorbée par les tissus organiques. Ce processus a une grande importance pour comprendre selon lui l'origine des maladies et dysfonctionnements. Car Érasistrate élabore sa théorie explicative en indiquant qu'une grande partie des maladies trouvait son origine autour des troubles nutritifs; ce sont les sucs digestifs « imparfaits » qui, passant dans le système vasculaire, produisent, par la pléthore, une distension des veines et des synastomoses.

Par ailleurs, le pneuma joue un rôle important dans sa vision du fonctionnement du corps humain. Du reste, ce souffle est une des bases de son traitement médical.

Le texte dit « de L'Anonyme de Londres »[12] précise : « Érasistrate ne pense pas qu’une distribution se produise à partir des artères, car il n’y a pas, par nature, de sang en elles, – c’est-à-dire de nourriture –, mais bien du souffle. »

Et ailleurs[13] : « Érasistrate alla bien loin de la règle en effet, il supposa que les corps premiers étaient perçus par la raison, de sorte que la veine perçue par les sens est composée de corps perceptibles par la raison : veine, artère, nerf. »

Cette théorie semble postuler l'intime mélange, et l'interdépendance du corps et de l'esprit dans l'organisation et l'activité du corps humain. Plus largement, Érasistrate a mis au point une méthode de compréhension de la matière médicale : l'anatomophysiologie, démarche pré-scientifique de compréhension « du moteur » du fonctionnement des corps humains.

  • le « théoriquement observable », c’est-à-dire ce qui n’est pas visible mais dont il faut nécessairement postuler l’existence pour expliquer un système que l’on voit fonctionner ;
  • la comparaison récurrente d’un système anatomique avec des observations et/ou des expérimentations mécaniques. À cette fin à Alexandrie, il fit de nombreuses expériences mécaniques sur le monde animal; telles l'estimation, et la comparaison des poids des corps avant et après ingestion nutritive[14]

À cette caractéristique est attaché le concept célèbre de la triplokia : veines, artères et nerfs sont enchevêtrés de manière invisible ;

  • un autre concept célèbre qui, s’il n’est pas encore clair chez Érasistrate, deviendra par la suite le principe de l’horror vacui (« la nature a horreur du vide ») pour expliquer le moteur de la dynamique du corps.

Ainsi, l’introduction par ce médecin praticien en anatomie du concept de structures théoriquement observables, et en physiologie de l’adoption du principe de l’horreur du vide lui a permis de construire un système anatomophysiologique et une pathologie cohérents pour son époque.

Recommandations en pratique médicale

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Érasistrate déplore souvent le peu d'attention portée par ses confrères aux règles élémentaires d'hygiène permettant de prévenir bien des maladies ou d'en atténuer les effets. Diététicien et hygiéniste, il traite par le jeûne modéré les troubles causés par la pléthore, qu'il rend responsable d'ennuis digestifs et de certains cas d'hémoptysie, d'hémorragie, d'angine et d'hémorroïdes. Bien qu'il conseille une légère diète et une gymnastique élémentaire, il est un adversaire acharné de la saignée, et Galien l'en raille en intitulant l'un de ses ouvrages : De la saignée contre Érasistrate (De venoe sectione adversus Erasistratum). S'intéressant aux médicaments et poisons (il a publié un ouvrage sur cette question), il préconise un régime lacté contre les venins, et a composé diverses recettes de collyres et d'élixirs pour soigner les maux. Il préconise aussi des pommades à base de végétaux.

Anecdote biographique

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peinture traitée en clair-obscur d'une scène montrant un jeune homme allongé à moitié dénudé avec à sa droite un vieillard assis dans la pénombre pointant de son index droit une femme fortement éclairée se tenant débout
Érasistrate découvrant la cause de la maladie d'Antiochus, par David (1774).

La vie d'Érasistrate est peu connue. La plupart de ses écrits nous sont connus par les commentaires qu'en ont faits ses successeurs (notamment Galien qui fut son plus célèbre critique). On raconte qu'il a été appelé au chevet d'Antiochos, gravement malade, par le père de ce dernier, le roi séleucide Séleucos Ier. Après avoir observé que le pouls du malade s'accélère et que son visage rougissait lorsque sa belle-mère Stratonice, l'épouse du roi, entre dans la pièce, il aurait déduit que le malade souffre en fait d'un amour impossible. Cela en fait donc pour certains un pionnier de la psychothérapie. Quoi qu'il en soit, Séleucos s'en sépare et laisse Antiochos l'épouser, probablement pour des raisons politiques[15].

Cette scène a inspiré de nombreux peintres parmi lesquels David, sur une toile de 1774 qui lui valut le prix de Rome.

Les onze ouvrages écrits par Érasistrate ont quasiment disparu. Il n'en subsiste que des fragments, surtout préservés par Galien :

  • Du souffle ;
  • Des médicaments et des poisons ;
  • Traité d'anatomie (en plusieurs livres ? )[16] ;
  • Des paralysies[17] ;
  • Des fièvres[18] ;
  • Du régime ;
  • Les fièvres.

Notes et références

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  1. Patrie de Prodicos de Céos ou encore de Bacchylide.
  2. Diogène Laërce, Vie de Chrysippe de Soles.
  3. Pythias est issue du mariage d'Aristote.
  4. date fournie par Eusèbe de Césarée chron. ol. 130 ,4.
  5. Ce n'est peut-être qu'une anecdote légendaire pour moquer ses prétentions en matière de remède contre les poisons.
  6. À distinguer de Chrysippe de Cnide.
  7. Galien, De simp. med. temp., I, 29.
  8. Voir : Les défenses des disciples d'Érasistrate dans P. Lit., Londres, trad. Antonio Ricciardetto, Université de Liège, 2010Modèle:Refninc.
  9. Galien De alim III, 14.
  10. c'est le nom d'un ouvrage pseudo aristotélicien conservé.
  11. Georges RODIER, La Physique de Straton, 1890, [réf. incomplète].
  12. Papyrus P Lit, Londres, 165, colonne XXVI, 31 traduction d'Antonio Ricciardetto.
  13. papyrus P Lit., Londres, 165, colonne XXI, 24.
  14. Expérience décrite par le papyrus, P Lit., Londres, 165.
  15. Plutarque, Vie de Démétrios, 38 ; Pline l'Ancien, XXIX, 3 ; Appien, Livre Syriaque, 59-61 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables, V, 7 ; Souda, « Érasistrate ».
  16. Ouvrage centré sur l’anatomophysiologie.
  17. cet ouvrage décrit particulièrement l’anatomie et la pathologie du système nerveux.
  18. traité consacré surtout à l’anatomie et à la pathologie du cœur et des vaisseaux.

Bibliographie

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  • Erasistrati fragmenta, collegit I. Garofalo, Pise, Giardini, 1988.
  • Geoffrey Lloyd : Une histoire de la science grecque, éd. Point la Découverte, 1990.

Liens externes

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