« Œil oudjat » : différence entre les versions
m + Catégorie:Horus |
|||
(39 versions intermédiaires par 25 utilisateurs non affichées) | |||
Ligne 1 : | Ligne 1 : | ||
{{Confusion |
{{Confusion|Œil de Rê|Œil oudjat (hiéroglyphe égyptien D10)}} |
||
⚫ | |||
⚫ | |||
[[Fichier:Eye of Horus bw.svg|vignette]] |
|||
⚫ | |||
⚫ | |||
⚫ | |||
⚫ | |||
⚫ | En [[Translittération des hiéroglyphes|translittération]] de l'écriture hiéroglyphique, ''irt'' signifie « œil » et ''wḏȝ'' désigne soit le verbe signifiant « se préserver<ref>Papyrus de Kahun, 29, 41-42 : Griffith, ''The Petrie Papyri, Hieratic Papyrus from Kahun and Gurob'', Londres, 1897-1898.</ref> » |
||
⚫ | En [[Translittération des hiéroglyphes|translittération]] de l'[[Écriture hiéroglyphique égyptienne|écriture hiéroglyphique]], ''irt'' signifie « œil » et ''wḏȝ'' désigne soit le verbe signifiant « se préserver<ref>Papyrus de Kahun, 29, 41-42 : Griffith, ''The Petrie Papyri, Hieratic Papyrus from Kahun and Gurob'', Londres, 1897-1898.</ref> » soit le nom « protection<ref>Coffin Texts {{IV}}, 246/247a-250/251b, B9C<sup>b</sup>.</ref> ». ''Irt oudjat'', ou plus communément ''oudjat'', en [[Transcription des hiéroglyphes|transcription]] signifient donc « œil préservé », l'Œil d'Horus en l'occurrence. |
||
Les égyptologues considèrent généralement que la figuration de l'Œil oudjat est un hybride d'[[œil humain]] et d'œil de [[faucon]] : elle combine des parties de l'œil humain, [[conjonctive]], [[pupille]] et [[sourcil]], avec vraisemblablement les taches en dessous de l'œil du faucon. |
Les égyptologues considèrent généralement que la figuration de l'Œil oudjat est un hybride d'[[œil humain]] et d'œil de [[faucon]] : elle combine des parties de l'œil humain, [[conjonctive]], [[pupille]] et [[sourcil]], avec vraisemblablement les taches en dessous de l'œil du faucon. |
||
Ligne 11 : | Ligne 13 : | ||
== Légende == |
== Légende == |
||
D'après le mythe, [[Horus]], fils d'[[Isis]] et d'[[Osiris]], aurait perdu un œil dans le combat mené contre son oncle [[Seth]] pour venger l'assassinat de son père. Au cours du combat, Seth lui arracha l'œil gauche, le découpa (en six morceaux, d'après une version de la légende) et jeta les morceaux dans le [[Nil]]. À l'aide d'un filet, [[Thot]] repêcha tous les morceaux sauf un. Thot le rajoute et rend donc à Horus son intégrité vitale. En 1927, alors que l'Œil oudjat était encore associé par certains à des fractions (spéculation maintenant démentie), l'égyptologue Gardiner avait proposé que la somme de ces fractions ne faisant que 63/64, le 1/64 manquant était le lien magique ajouté par Thot pour que l'œil fonctionne<ref name="Gardiner">{{Ouvrage|auteur1=Alan Gardiner|titre=Egyptian Grammar|éditeur=Oxford University Press|année=1927}}, |
D'après le mythe, [[Horus]], fils d'[[Isis]] et d'[[Osiris]], aurait perdu un œil dans le combat mené contre son oncle [[Seth]] pour venger l'assassinat de son père. Au cours du combat, Seth lui arracha l'œil gauche, le découpa (en six morceaux, d'après une version de la légende) et jeta les morceaux dans le [[Nil]]. À l'aide d'un filet, [[Thot]] repêcha tous les morceaux sauf un. Thot le rajoute et rend donc à Horus son intégrité vitale. En 1927, alors que l'Œil oudjat était encore associé par certains à des fractions (spéculation maintenant démentie), l'égyptologue [[Alan Henderson Gardiner]] avait proposé que la somme de ces fractions ne faisant que 63/64, le 1/64 manquant était le lien magique ajouté par Thot pour que l'œil fonctionne<ref name="Gardiner">{{Ouvrage|auteur1=[[Alan Henderson Gardiner]]|titre=Egyptian Grammar|éditeur=[[Oxford University Press]]|année=1927}}, {{§|266.1}}.</ref>. |
||
L'Œil oudjat avait une fonction magique liée à la [[prophylaxie]], à la restauration de la complétude et à la vision de « l'invisible ». Il fut représenté sur les [[sarcophage]]s et sur les [[Pectoral (bijou)|pectoraux]]. Les innombrables [[amulette]]s en forme d'oudjat |
L'Œil oudjat avait une fonction magique liée à la [[prophylaxie]], à la restauration de la complétude et à la vision de « l'invisible ». Il fut représenté sur les [[sarcophage]]s et sur les [[Pectoral (bijou)|pectoraux]]. Les innombrables [[amulette]]s en forme d'oudjat étaient portées pour [[Apotropaïque|se protéger]] du "[[mauvais sort]]". Lors de la [[Momification en Égypte antique|momification]], les embaumeurs le plaçaient sur les incisions qu'ils avaient pratiquées. L'Œil oudjat était aussi peint sur les proues des bateaux, leur permettant de « voir » et de tenir leur cap. Cette tradition est encore pratiquée autour de la Méditerranée. |
||
[[Fichier:Eye of Osiris on Fishing Boat at Wied Iż-Żurrieq.jpg|centré|vignette|L'« Œil d'Osiris » Maltais.]] |
|||
== Interprétation métrologique == |
== Interprétation métrologique == |
||
En 1911, à partir de documents du [[ |
En 1911, à partir de documents du [[Nouvel Empire]], l'[[égyptologue]] Georg Möller émit l'hypothèse qu'on pouvait identifier certains signes hiéroglyphiques utilisés pour mesurer des capacités de grain<ref>L'unité de base pour mesurer le grain ou les produits de consistance analogue est une mesure de capacité nommée ''ẖȝr'' (khar), « sac », valant quatre quadruples-heqat.</ref> à des parties du signe représentant l'oudjat. Il en déduisait que l'oudjat (signe religieux) était à l'origine de ce système particulier de mesure<ref>{{Article|auteur1=Georg Möller|titre=Die Zeichen für die Bruchteile des Hohlmasses und das Uzatauge|périodique=Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde|volume=48|année=1911|pages= 99-101}}.</ref>. |
||
Plus précisément, dans cette conjecture, les parties constituantes de l'oudjat serviraient à écrire les fractions ayant 64 comme dénominateur commun<ref name = "Allen">Voir par exemple, {{Ouvrage|auteur1= |
Plus précisément, dans cette conjecture, les parties constituantes de l'oudjat serviraient à écrire les fractions ayant 64 comme dénominateur commun<ref name = "Allen">Voir par exemple, {{Ouvrage|auteur1=[[James Peter Allen|James P. Allen]]|titre=Middle Egyptian|éditeur=[[Cambridge University Press]]|année=2004|passage=102|isbn=}}.</ref> et servant à mesurer les capacités de grain : |
||
[[Fichier: |
[[Fichier:Eye of Horus (fractions).svg|vignette|L'oudjat (vue de droite à gauche).]] |
||
{| |
{| |
||
!Code |
|||
! Hiéroglyphe !! Signification !! Valeur |
! Hiéroglyphe !! Signification !! Valeur |
||
|-- |
|-- |
||
|[[Partie intérieure de conjonctive (hiéroglyphe égyptien D11)|D11]] |
|||
|<hiero>D11</hiero>||partie de la conjonctive || 1/2 (soit 32/64) |
|<hiero>D11</hiero>||partie de la conjonctive || 1/2 (soit 32/64) |
||
|-- |
|-- |
||
|[[Pupille (hiéroglyphe égyptien D12)|D12]] |
|||
|<hiero>D12</hiero>||pupille || 1/4 (soit 16/64) |
|<hiero>D12</hiero>||pupille || 1/4 (soit 16/64) |
||
|-- |
|-- |
||
|[[Sourcil (hiéroglyphe égyptien D13)|D13]] |
|||
|<hiero>D13</hiero>||sourcil || 1/8 (soit 8/64) |
|<hiero>D13</hiero>||sourcil || 1/8 (soit 8/64) |
||
|-- |
|-- |
||
|[[Partie extérieure de conjonctive (hiéroglyphe égyptien D14)|D14]] |
|||
|<hiero>D14</hiero>||partie de la conjonctive || 1/16 (soit 4/64) |
|<hiero>D14</hiero>||partie de la conjonctive || 1/16 (soit 4/64) |
||
|-- |
|-- |
||
|[[Tache de faucon extérieur de l'œil oudjat (hiéroglyphe égyptien D15)|D15]] |
|||
|<hiero>D15</hiero>||larme (?) || 1/32 (soit 2/64) |
|<hiero>D15</hiero>||larme (?) || 1/32 (soit 2/64) |
||
|-- |
|-- |
||
|[[Tache de faucon inférieur de l'œil oudjat (hiéroglyphe égyptien D16)|D16]] |
|||
|<hiero>D16</hiero>||tache du faucon (?) || 1/64 |
|<hiero>D16</hiero>||tache du faucon (?) || 1/64 |
||
|} |
|} |
||
Ligne 41 : | Ligne 51 : | ||
L'addition des six fractions, 32/64 + 16/64 + 8/64 + 4/64 + 2/64 + 1/64, donne 63/64, la fraction manquante étant complétée par Thot. |
L'addition des six fractions, 32/64 + 16/64 + 8/64 + 4/64 + 2/64 + 1/64, donne 63/64, la fraction manquante étant complétée par Thot. |
||
Cette notation était employée pour indiquer les fractions du boisseau, le ''heqat'', mesure de capacité des céréales, valant environ 4,785 |
Cette notation était employée pour indiquer les fractions du [[boisseau]], le ''[[heqat]]'', mesure de capacité des céréales, valant environ {{unité|4,785|litres}}. |
||
Exemple : |
Exemple : |
||
<hiero>M34-M33-S38-N29:t-U9-D11-D12-D15</hiero> |
:<hiero>M34-M33-S38-N29:t-U9-D11-D12-D15</hiero> |
||
Orge ''heqat'' : 1/2 + 1/4 + 1/32 (''i. e.'' 25/32 boisseaux d'orge). |
:Orge ''heqat'' : 1/2 + 1/4 + 1/32 (''i. e.'' 25/32 boisseaux d'orge). |
||
En 1927, cette identification et la thèse associée furent reprises à deux endroits importants : |
En 1927, cette identification et la thèse associée furent reprises à deux endroits importants : |
||
* dans une des deux éditions du [[papyrus Rhind]], celle due à Arnold Chace, Henry Manning et Raymond Archibald et destinée aux enseignants de mathématiques<ref>{{Ouvrage|auteur1=Arnold Chace|auteur2=Henry Manning|auteur3=Raymond Archibald|titre=The Rhind Mathematical Papyrus'', vol. 1 : ''Free translation and commentary|lieu=Oberlin|éditeur=MAA|année=1927}}.</ref> ; |
* dans une des deux éditions du [[papyrus Rhind]], celle due à Arnold Chace, Henry Manning et Raymond Archibald et destinée aux enseignants de mathématiques<ref>{{Ouvrage|auteur1=Arnold Chace|auteur2=Henry Manning|auteur3=Raymond Archibald|titre=The Rhind Mathematical Papyrus'', vol. 1 : ''Free translation and commentary|lieu=Oberlin|éditeur=MAA|année=1927}}.</ref> ; |
||
* avec quelques modifications, dans l'''Egyptian Grammar'' d'[[Alan Gardiner]]<ref name="Gardiner"/>, ouvrage très important pour la langue égyptienne. |
* avec quelques modifications, dans l'''Egyptian Grammar'' d'[[Alan Henderson Gardiner|Alan Gardiner]]<ref name="Gardiner"/>, ouvrage très important pour la langue égyptienne. |
||
L'identification de l'Œil oudjat avec des fractions continua donc à être répétée pendant plusieurs décennies, à partir de ces deux sources, l'une reprise par les mathématiciens et historiens des mathématiques non spécialistes de l'Égypte antique, l'autre par les égyptologues reproduisant les indications de la grammaire de Gardiner<ref name="Allen"/>. Dès cette période, pourtant, les rares spécialistes des mathématiques de l'Antiquité critiquèrent cette thèse, en particulier [[Thomas Eric Peet]], éditeur de la première édition du [[papyrus Rhind]] (qui fait autorité), ou [[Otto Neugebauer]]. La découverte de nouvelles sources, dans les années 1960 et 1970, et le renouveau des études sur les mathématiques égyptiennes dans les années 1980, ont permis à Jim Ritter en 2003 d'invalider la thèse<ref>{{Chapitre|auteur1=Jim Ritter|titre=Closing the Eye of Horus: the Rise and Fall of 'Horus-Eye Fractions'|titre ouvrage=Under One Sky: Astronomy and Mathematics in the ancient Near East|auteurs ouvrage = John Steele and Annette Imhausen|lieu=Münster|éditeur=Ugarit-Verlag|année=2002|passage=297-323}}. Voir aussi {{Ouvrage|auteur1=Victor Katz|directeur1=oui|titre=The Mathematics of Egypt, Mesopotamia, China, India, and Islam |
L'identification de l'Œil oudjat avec des fractions continua donc à être répétée pendant plusieurs décennies, à partir de ces deux sources, l'une reprise par les mathématiciens et historiens des mathématiques non spécialistes de l'Égypte antique, l'autre par les égyptologues reproduisant les indications de la grammaire de Gardiner<ref name="Allen"/>. Dès cette période, pourtant, les rares spécialistes des mathématiques de l'Antiquité critiquèrent cette thèse, en particulier [[Thomas Eric Peet]], éditeur de la première édition du [[papyrus Rhind]] (qui fait autorité), ou [[Otto Eduard Neugebauer|Otto Neugebauer]]. La découverte de nouvelles sources, dans les années 1960 et 1970, et le renouveau des études sur les mathématiques égyptiennes dans les années 1980, ont permis à Jim Ritter en 2003 d'invalider la thèse<ref>{{Chapitre|auteur1=Jim Ritter|titre=Closing the Eye of Horus: the Rise and Fall of 'Horus-Eye Fractions'|titre ouvrage=Under One Sky: Astronomy and Mathematics in the ancient Near East|auteurs ouvrage = John Steele and [[Annette Imhausen]]|lieu=Münster|éditeur=Ugarit-Verlag|année=2002|passage=297-323}}. Voir aussi {{Ouvrage|auteur1=Victor Katz|directeur1=oui|titre=The Mathematics of Egypt, Mesopotamia, China, India, and Islam|sous-titre=A Sourcebook|lieu=Princeton|éditeur=[[Princeton University Press]]|année=2007|isbn=}} et {{Ouvrage|auteur1=[[Eleanor Robson]]|directeur1=oui|auteur2=[[Jacqueline Stedall|Jackie Stedall]]|directeur2=oui|titre=The Oxford Handbook of the History of Mathematics|lieu=Oxford|éditeur=[[Oxford University Press]]|année=2009|isbn=}}.</ref>. Plus précisément, on a maintenant accès à l'évolution des signes utilisés pour désigner les capacités de grain sur une longue période, et on peut donc montrer qu'ils ne proviennent pas des sous-parties de l'oudjat, et n'y sont pas associés en général. |
||
Que certains Égyptiens aient ou non imaginé d'identifier des signes numériques à des morceaux de l'oudjat, dans un contexte religieux, par exemple, reste en débat ; le texte connu suggérant cette possibilité<ref>{{Ouvrage|auteur1=Tanja Pommerening|titre=Die altägyptische Hohlmasse|lieu= |
Que certains Égyptiens aient ou non imaginé d'identifier des signes numériques à des morceaux de l'oudjat, dans un contexte religieux, par exemple, reste en débat ; le texte connu suggérant cette possibilité<ref>{{Ouvrage|auteur1=Tanja Pommerening|titre=Die altägyptische Hohlmasse|lieu=Hambourg|éditeur=Buske|année=2005|passage=165|isbn=}}.</ref> est très tardif, postérieur à l'ère chrétienne, une période de grande floraison de textes de spéculations mystico-religieux. |
||
== Notes et références == |
== Notes et références == |
||
Ligne 70 : | Ligne 80 : | ||
[[Catégorie:Art de l'Égypte antique]] |
[[Catégorie:Art de l'Égypte antique]] |
||
[[Catégorie:Faucon dans la culture]] |
[[Catégorie:Faucon dans la culture]] |
||
[[Catégorie:Horus]] |
Dernière version du 10 juillet 2024 à 17:13
|
Dans l'imagerie de l'Égypte antique, l'Œil oudjat est un symbole protecteur représentant l'Œil du dieu faucon Horus. |
Origine
[modifier | modifier le code]En translittération de l'écriture hiéroglyphique, irt signifie « œil » et wḏȝ désigne soit le verbe signifiant « se préserver[1] » soit le nom « protection[2] ». Irt oudjat, ou plus communément oudjat, en transcription signifient donc « œil préservé », l'Œil d'Horus en l'occurrence.
Les égyptologues considèrent généralement que la figuration de l'Œil oudjat est un hybride d'œil humain et d'œil de faucon : elle combine des parties de l'œil humain, conjonctive, pupille et sourcil, avec vraisemblablement les taches en dessous de l'œil du faucon.
Légende
[modifier | modifier le code]D'après le mythe, Horus, fils d'Isis et d'Osiris, aurait perdu un œil dans le combat mené contre son oncle Seth pour venger l'assassinat de son père. Au cours du combat, Seth lui arracha l'œil gauche, le découpa (en six morceaux, d'après une version de la légende) et jeta les morceaux dans le Nil. À l'aide d'un filet, Thot repêcha tous les morceaux sauf un. Thot le rajoute et rend donc à Horus son intégrité vitale. En 1927, alors que l'Œil oudjat était encore associé par certains à des fractions (spéculation maintenant démentie), l'égyptologue Alan Henderson Gardiner avait proposé que la somme de ces fractions ne faisant que 63/64, le 1/64 manquant était le lien magique ajouté par Thot pour que l'œil fonctionne[3].
L'Œil oudjat avait une fonction magique liée à la prophylaxie, à la restauration de la complétude et à la vision de « l'invisible ». Il fut représenté sur les sarcophages et sur les pectoraux. Les innombrables amulettes en forme d'oudjat étaient portées pour se protéger du "mauvais sort". Lors de la momification, les embaumeurs le plaçaient sur les incisions qu'ils avaient pratiquées. L'Œil oudjat était aussi peint sur les proues des bateaux, leur permettant de « voir » et de tenir leur cap. Cette tradition est encore pratiquée autour de la Méditerranée.
Interprétation métrologique
[modifier | modifier le code]En 1911, à partir de documents du Nouvel Empire, l'égyptologue Georg Möller émit l'hypothèse qu'on pouvait identifier certains signes hiéroglyphiques utilisés pour mesurer des capacités de grain[4] à des parties du signe représentant l'oudjat. Il en déduisait que l'oudjat (signe religieux) était à l'origine de ce système particulier de mesure[5].
Plus précisément, dans cette conjecture, les parties constituantes de l'oudjat serviraient à écrire les fractions ayant 64 comme dénominateur commun[6] et servant à mesurer les capacités de grain :
Code | Hiéroglyphe | Signification | Valeur | ||
---|---|---|---|---|---|
D11 |
|
partie de la conjonctive | 1/2 (soit 32/64) | ||
D12 |
|
pupille | 1/4 (soit 16/64) | ||
D13 |
|
sourcil | 1/8 (soit 8/64) | ||
D14 |
|
partie de la conjonctive | 1/16 (soit 4/64) | ||
D15 |
|
larme (?) | 1/32 (soit 2/64) | ||
D16 |
|
tache du faucon (?) | 1/64 |
L'addition des six fractions, 32/64 + 16/64 + 8/64 + 4/64 + 2/64 + 1/64, donne 63/64, la fraction manquante étant complétée par Thot.
Cette notation était employée pour indiquer les fractions du boisseau, le heqat, mesure de capacité des céréales, valant environ 4,785 litres.
Exemple :
- Orge heqat : 1/2 + 1/4 + 1/32 (i. e. 25/32 boisseaux d'orge).
En 1927, cette identification et la thèse associée furent reprises à deux endroits importants :
- dans une des deux éditions du papyrus Rhind, celle due à Arnold Chace, Henry Manning et Raymond Archibald et destinée aux enseignants de mathématiques[7] ;
- avec quelques modifications, dans l'Egyptian Grammar d'Alan Gardiner[3], ouvrage très important pour la langue égyptienne.
L'identification de l'Œil oudjat avec des fractions continua donc à être répétée pendant plusieurs décennies, à partir de ces deux sources, l'une reprise par les mathématiciens et historiens des mathématiques non spécialistes de l'Égypte antique, l'autre par les égyptologues reproduisant les indications de la grammaire de Gardiner[6]. Dès cette période, pourtant, les rares spécialistes des mathématiques de l'Antiquité critiquèrent cette thèse, en particulier Thomas Eric Peet, éditeur de la première édition du papyrus Rhind (qui fait autorité), ou Otto Neugebauer. La découverte de nouvelles sources, dans les années 1960 et 1970, et le renouveau des études sur les mathématiques égyptiennes dans les années 1980, ont permis à Jim Ritter en 2003 d'invalider la thèse[8]. Plus précisément, on a maintenant accès à l'évolution des signes utilisés pour désigner les capacités de grain sur une longue période, et on peut donc montrer qu'ils ne proviennent pas des sous-parties de l'oudjat, et n'y sont pas associés en général.
Que certains Égyptiens aient ou non imaginé d'identifier des signes numériques à des morceaux de l'oudjat, dans un contexte religieux, par exemple, reste en débat ; le texte connu suggérant cette possibilité[9] est très tardif, postérieur à l'ère chrétienne, une période de grande floraison de textes de spéculations mystico-religieux.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Papyrus de Kahun, 29, 41-42 : Griffith, The Petrie Papyri, Hieratic Papyrus from Kahun and Gurob, Londres, 1897-1898.
- Coffin Texts IV, 246/247a-250/251b, B9Cb.
- Alan Henderson Gardiner, Egyptian Grammar, Oxford University Press, , § 266.1.
- L'unité de base pour mesurer le grain ou les produits de consistance analogue est une mesure de capacité nommée ẖȝr (khar), « sac », valant quatre quadruples-heqat.
- Georg Möller, « Die Zeichen für die Bruchteile des Hohlmasses und das Uzatauge », Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde, vol. 48, , p. 99-101.
- Voir par exemple, James P. Allen, Middle Egyptian, Cambridge University Press, , p. 102.
- Arnold Chace, Henry Manning et Raymond Archibald, The Rhind Mathematical Papyrus, vol. 1 : Free translation and commentary, Oberlin, MAA, .
- Jim Ritter, « Closing the Eye of Horus: the Rise and Fall of 'Horus-Eye Fractions' », dans John Steele and Annette Imhausen, Under One Sky: Astronomy and Mathematics in the ancient Near East, Münster, Ugarit-Verlag, , p. 297-323. Voir aussi Victor Katz (dir.), The Mathematics of Egypt, Mesopotamia, China, India, and Islam : A Sourcebook, Princeton, Princeton University Press, et Eleanor Robson (dir.) et Jackie Stedall (dir.), The Oxford Handbook of the History of Mathematics, Oxford, Oxford University Press, .
- Tanja Pommerening, Die altägyptische Hohlmasse, Hambourg, Buske, , p. 165.