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Anaximandre

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Détail de l'École d'Athènes de Raphaël, 1510-1511. Penché vers Pythagore à sa gauche, ce personnage est traditionnellement identifié à Boèce, cependant le visage présente des similarités avec un buste d’Anaximandre et pourrait être une représentation du philosophe[1]

Anaximandre de Milet (en grec ancien Ἀναξίμανδρος / Anaxímandros) (610 av. J.-C., vers 546 av. J.-C.) est un philosophe grec présocratique. Contemporain de Thalès, il lui succédera comme maître de l’école milésienne, et aura pour élèves notamment Anaximène et Pythagore.

Anaximandre passe pour le premier philosophe à avoir consigné ses travaux par écrit. Seul un fragment de ceux-ci est aujourd’hui conservé, cependant les témoignages antiques permettent de se faire une idée de leur nature et de leur étendue, qui couvre la philosophie, l’astronomie et la physique, mais aussi la géométrie et la géographie.

Le cratère lunaire Anaximandre fut nommé en son honneur.

Biographie

Anaximandre, fils de Praxiadès, est né à Milet durant la troisième année de la 42e olympiade (610 av. J.-C.)[2]. Selon Apollodore d’Athènes, il était âgé de soixante-quatre ans dans la seconde année de la 58e olympiade (547-546 av. J.-C.) et il mourut peu de temps après. Il aurait ainsi connu son apogée aux environs de l’époque de Polycrate, tyran de Samos[3]. Élève de Thalès, il semble également qu’il fut l’un de ses parents (selon la Souda).

Dans Discours (36), Thémistius mentionne qu’Anaximandre aurait été « le premier des Grecs connus à publier un ouvrage écrit sur la nature » et par ce fait même, ses documents auraient été parmi les premiers textes grecs écrits en prose. Du temps de Platon, sa philosophie était tombée dans l’oubli, et c’est à Aristote, à Théophraste et à quelques doxographes que l’on doit les fragments qui nous restent.

Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres (II, 2) de Diogène Laërce rapporte une anecdote amusante à son sujet. Ayant appris que les enfants se moquaient de lui quand il chantait, il aurait répondu qu’il lui faudrait alors apprendre à mieux chanter pour les enfants.

D’après Élien, les Milésiens l’auraient chargé de diriger une colonie vers Apollonie, sur la côte thrace de la Mer Noire, ce qui laisse penser qu’il fut un citoyen d’une certaine notoriété. En effet, les Histoires variées (III, 17) expliquent que les philosophes laissaient parfois le confort de leurs pensées pour s’occuper d’affaires politiques. Il est donc fort probable qu’il y fut envoyé à titre de législateur pour y apporter une constitution ou encore pour y maintenir le pouvoir par Milet.

Théories

Le principe

Hippolyte (I, 5), et plus tard Simplicius quand il présente les propos d’Anaximandre, lui attribuent le premier usage du terme ἀπείρων / apeírôn (« infini » ou « illimité ») comme dénomination du principe originel. Il fut aussi le premier philosophe à employer le terme ἀρχή / arkhế dans un sens philosophique, mais on l'utilisait déjà pour désigner le « commencement », l'« origine ». À partir d'Anaximandre, il ne s'agit plus seulement d'un point dans le temps, mais d'une origine perpétuelle, qui peut continuellement donner naissance à ce qui sera.

Anaximandre plaçait ainsi l'apeiron, comme substance originelle ou principe, source, réceptacle de tout, éternel et indestructible, la cause complète de la génération et de la destruction de tout[4]. Pour Anaximandre, le principe des choses n’est donc rien de déterminé, il n’est pas un des éléments, comme c’était le cas chez Thalès. Pas plus qu’il ne s’agit de quelque chose d’intermédiaire entre l’air et l’eau, ou l’air et le feu, plus dense que l’air et le feu et plus subtile que l’eau et la terre[5].

Il expliqua comment se forment les quatre éléments de la physique ancienne (l’air, la terre, l’eau et le feu) et, sous leurs interactions, comment se forment la Terre et les êtres qui l’habitent.

Selon Anaximandre, l’Univers tire son origine de la séparation des contraires de la matière primordiale. Ainsi, le chaud se déplaça vers le haut, se séparant du froid, et ensuite le sec se sépara de l’humide. Il soutenait également que toute chose qui meurt retourne à l’élément dont elle est issue (apeiron). Il s’agit ici de la seule citation qui nous soit parvenue, grâce à Simplicius[6] et elle décrit les changements équilibrés et réciproques des éléments :

« Ce d’où il y a génération des entités, en celà aussi se produit leur destruction, selon la nécessité, car elles se rendent les unes aux autres justice et réparation de leur injustice, selon l’assignation du Temps. »

Puisqu'en grec ancien la ponctuation n'existe pas, il est souvent difficile de déterminer le début et la fin de l'une citation. Il est très rare qu'un auteur commence abruptement une citation et elle se fond habituellement au texte. On reconnaît néanmoins de façon générale que ce passage n'est pas l'interprétation de Simplicius, mais la parole d'Anaximandre, « comme il le dit en termes quelque peu poétiques ».

Cette idée de retour à l'élément d'origine fut souvent reprise par la suite, notamment chez Aristote (Métaphysique, I, 3, 983 b 8-11 ; Physique, III, 5, 204 b 33-34) ou encore chez Euripide (Les Suppliantes, v. 532) où « ce qui vient de la terre doit retourner à la terre ». Elle rappelle même l'expression judéo-chrétienne : « Tu es né poussière et tu retourneras à la poussière. »

Cosmologie

Schéma de l’univers d’Anaximandre

Son audacieux usage d’hypothèses explicatives non mythologiques le distingua radicalement des auteurs de cosmologies anciennes. Ces hypothèses témoignent de la démythification de la démarche généalogique. La composition du plus antique ouvrage en prose sur l’Univers et les origines de la vie, qui constitue la majeure contribution d’Anaximandre, lui valut d’être parfois désigné le père de la cosmologie ou fondateur de l’astronomie. Toutefois, malgré l’approche scientifique d’Anaximandre, le Pseudo-Plutarque (I, 7) précise qu’il considère que « les astres sont des dieux célestes ».

Anaximandre fut le premier à concevoir un modèle mécanique du monde. La Terre flotte en équilibre, immobile au centre de l’infini, sans être soutenue de quoi que ce soit[2]. Elle demeure « au même endroit à cause de son indifférence », un point de vue considéré comme étant ingénieux, mais faux par Aristote dans son Traité du ciel (II, 13). Sa forme curieuse est celle d’un cylindre[7] dont la hauteur est le tiers de son diamètre. La partie plane du dessus forme le monde habitable entouré d’une masse océanique circulaire.

Un tel modèle cylindrique permettait de concevoir que les astres aient pu passer en dessous. Cette représentation est novatrice par rapport à l’explication de Thalès d’un monde qui flotte sur l’eau. Thalès était confronté au problème de savoir ce qui alors soutiendrait son océan, alors qu’Anaximandre parvint à résoudre ce problème en introduisant le concept d’infini (apeiron).

Schémas du modèle de l’univers d’Anaximandre : à gauche, le jour en été ; à droite, la nuit en hiver

À l’origine, après la séparation du chaud et du froid, se forma une boule de flamme qui entoura la Terre comme l’écorce d’un arbre. Cette boule se déchira pour former le reste de l’Univers. Celui-ci ressemblait à un système de roues creuses concentriques emplies de feu et aux parois percées d’une bouche, comme le trou d’une flûte. De la même taille que la terre, le Soleil était donc le feu que l’on voyait à travers un trou sur la roue la plus éloignée et une éclipse correspondait à la fermeture de ce trou. Le diamètre de la roue solaire égalait vingt-sept fois celui de la Terre (ou vingt-huit, selon les sources[8]) et celui de la Lune dont le feu était moins intense, dix-huit fois (ou encore dix-neuf). Son trou avait la capacité de changer sa forme expliquant ainsi les phases lunaires. Les étoiles et les planètes, plus rapprochées[9], étaient conçues sur le même modèle[10].

Il fut donc ainsi le premier astronome à considérer le Soleil comme une masse énorme et par conséquent, à réaliser à quel point celui-ci pouvait être éloigné de la Terre. Il était aussi le premier à présenter un système où les astres tournaient à des distances différentes. D’ailleurs selon Diogène Laërce (II, 2), il construisit une sphère céleste. Cette réalisation lui permit sans doute d’être le premier à établir l’obliquité du zodiaque tel que lui attribue Pline l’Ancien dans l’Histoire naturelle (II, 8). Il est beaucoup trop tôt pour parler ici de l’écliptique, mais les connaissances et les travaux d’Anaximandre sur l’astronomie confirment qu’il devait avoir observé l’inclinaison de la sphère céleste par rapport au plan terrestre pour expliquer les saisons. La mesure exacte de l’obliquité, d’après Aetius (II, 12, 2), reviendrait à Pythagore.

Pluralité des mondes

Selon Simplicius, Anaximandre suggérait déjà, comme Leucippe, Démocrite et plus tard Épicure, la pluralité des mondes. Ils supposaient qu’ils apparaissaient et disparaissaient pendant un temps infini, que certains naissaient quand périssaient d’autres. Et ils affirmaient que ce mouvement était éternel, « car sans mouvement, il ne peut y avoir ni génération ni destruction[11] ».

Indépendamment de Simplicius, Hippolyte (Réfutation, I, 6) rapportait qu'Anaximandre disait que le principe des êtres émane de l'infini, de laquelle proviennent les cieux et les mondes en eux. En fait, nombreux sont les doxographes qui ont fait état de l'usage du pluriel quand ce philosophe fait référence aux mondes[12] qui sont souvent en quantité infinie. De plus, Cicéron spécifie que le philosophe associe les dieux, se succédant par intervalles, aux mondes innombrables[13].

Singulièrement, Simplicius place donc Anaximandre aux rangs des atomistes, et des épicuriens arrivés plus tard, pour qui une infinité de mondes apparaissent et disparaissent, faisant de lui, une fois encore, un précurseur dans une lignée de penseurs qui ne conçoivent tantôt qu'un monde unique (Platon, Aristote, Anaxagore et Archélaos), tantôt qu'une série continue ou non de mondes successifs (Anaximène, Héraclite, Empédocle et Diogène). Sans tirer de conclusion sur la ligne de pensée d'Anaximandre dont on connaît trop peu, on peut toutefois supposer une relation entre son concept de l'apeiron, indéfini dans le temps, et l'infinité des mondes. Déjà, il posait des hypothèses qui sont encore aujourd'hui le sujet d'innombrables spéculations.

Phénomènes naturels

Plutôt que par des interventions divines, c’est par les interactions des éléments qu’il expliquait, par exemple, le tonnerre et les éclairs[14]. Le tonnerre serait le son produit par le choc de nuages sous l’action du vent, la force du son étant proportionnelle à celle du choc. S’il tonne sans qu’il éclaire, c’est parce que le vent est trop faible pour produire une flamme, mais assez fort pour produire un son. L’éclair, quant à lui, serait une secousse d’air qui se disperse et tombe en permettant à un feu peu actif de se dégager et la foudre, le résultat d’un courant d’air plus violent et dense[15].

Il expliqua aussi comment la mer était ce qui restait de l’humidité originelle[16]. Selon lui, la terre était autrefois entourée d’une masse humide dont l’évaporation d’une partie sous l’effet du soleil causa les vents et même la rotation des astres, comme si ceux-ci devaient aux vapeurs et aux exhalaisons marines leur mouvement en tentant de suivre les endroits où elles sont plus abondantes[17]. L’humidité résiduelle se logea peu à peu dans les creux de la terre pour former la mer dont l’étendue diminue constamment en s’asséchant, de sorte qu’à la fin, tout sera sec. Si l'on se fie aux Météorologiques (II, 3) d'Aristote, Démocrite partageait aussi cette opinion. De manière analogue, Anaximandre expliquait la pluie comme un produit de l’humidité pompée de la terre par le soleil[2].

Origine de la vie

S’intéressant donc à nos origines, il eut l’audace de spéculer sur l’origine aquatique de la vie animale. S’inspirant de l’existence des fossiles, il prétendait que dans un lointain passé, les animaux naquirent de la mer. Il disait aussi que les premiers animaux naissaient entourés d’une écorce épineuse, mais qu’en avançant en âge, l’écorce séchait et se rompait[18]. Par l’action du Soleil sur l’humidité, des terres sont apparues et l’homme dut avec le temps s’y adapter. Censorinus rapporte :

« Anaximandre de Milet estimait que de l’eau et de la terre réchauffées étaient sortis soit des poissons, soit des animaux tout à fait semblables aux poissons. C’est au sein de ces animaux qu’ont été formés les hommes et que les embryons ont été retenus prisonniers jusqu’à l’âge de la puberté ; alors seulement, après que ces animaux eurent éclaté, en sortirent des hommes et des femmes désormais aptes à se nourrir. »
(Sur le jour natal, IV, 7. Traduction de J. Mangeart, Paris, 1843.)

Il proposa aussi l’idée amusante que l’homme avait dû passer une partie de cette transition à l’intérieur de la bouche de gros poissons pour se protéger du climat jusqu’à ce qu’il puisse regagner l’air libre et perdre ses écailles[19].

Ces descriptions pré-darwiniennes, qui étonnent l’homme moderne, ne doivent pas nous tromper, car elles témoignent en réalité de la démythification de nos origines : puisque les genèses ne sont plus de l’ordre mythique, on peut les considérer comme réelles parce qu’on les explique.

Autres réalisations

Cartographie

Reconstitution hypothétique de la carte du monde perdue d’Anaximandre[20]

Strabon, de même qu’Agathémère, tous deux des géographes grecs, débutent leurs ouvrages sur la géographie par un passage sur Ératosthène qui attribue à Anaximandre l’invention de la cartographie à cause de sa conception d’une des premières cartes du monde grec connu. Hécatée se serait inspiré de son dessin pour produire une carte plus précise. Strabon considère d’ailleurs Anaximandre et Hécatée comme les deux premiers géographes après Homère.

Il est certain qu’à cette époque, des cartes locales avaient déjà fait leur apparition, notamment en Égypte, en Lydie, au Moyen-Orient et à Babylone. Ces cartes indiquaient soit des routes, des villes, des frontières ou des formations géologiques. L’innovation d’Anaximandre est d’en avoir dessiné une qui représente l’ensemble de la terre habitée telle que les Grecs la connaissaient à cette époque.

Une telle réalisation s'insère bien dans le contexte de l'époque. Anaximandre a probablement dessiné cette carte pour trois raisons[21] :

  1. Pour la navigation et le commerce. Milet possédait plusieurs colonies et faisait également le commerce avec d'autres que les siennes, tant autour de la Méditerranée que de la Mer Noire.
  2. Pour les enjeux politiques. Thalès aurait sûrement eu la tâche plus aisée pour convaincre les cités-États ioniennes de se regrouper en fédération pour repousser la menace des Mèdes s'il avait disposé d'un tel outil.
  3. Par intérêt philosophique. Le seul fait de pouvoir offrir une représentation de la Terre pour le bénéfice du savoir en justifie la démarche.

Anaximandre, étant sûrement conscient de la convexité de la mer, aurait peut-être reproduit sa carte sur une surface métallique légèrement bombée. Le centre ou « nombril » du monde (ὀμφαλός γῆς / omphalós gẽs) aurait pu être Delphes, du moins le fut-il à une certaine époque. Mais au temps d'Anaximandre, il est fort probable que celui-ci se situe près de Milet. Peu importe le cas, la mer Égée se trouvait près de ce centre, bordée par trois continents eux-mêmes au milieu de l’océan et isolés tels des îles par la mer et les cours d'eau. L’Europe était limitée au sud par la Méditerranée et séparée de l'Asie par le Pont-Euxin (la mer Noire), par le lac Méotide (la mer d'Azov) et plus loin à l'Est, par le Phase aujourd'hui Rioni ou le Tanais qui auraient bien pu se jeter dans l'océan. Le Nil, quant à lui, s'y jetait au sud séparant ainsi la Libye (qui l'époque désignait le continent africain) de l’Asie.

Le gnomon

Parmi les accomplissements d’Anaximandre, la Souda relate qu’il a expliqué certaines notions fondamentales de géométrie. Elle fait mention également de son intérêt pour la mesure du temps et lui attribue l’introduction en Grèce du gnomon. Il participa à Lacédémone à la construction, ou du moins à la mise au point, de cadrans solaires pour y indiquer les solstices et les équinoxes.

Fichier:Cadran-solaire-midi.jpg
Gnomon vertical

Ces réalisations lui sont souvent attribuées, notamment par Diogène Laërce (II, 1) et par Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique (X, 14, 11). Le seul fait qu’Anaximandre se rende dans une autre ville pour y établir des cadrans solaires laisse à supposer soit qu’ils s’y trouvaient déjà, soit qu’on en avait simplement entendu parler. La première supposition demeure dans le domaine du possible, puisque même si on y avait déjà construit les cadrans, ceux-ci nécessitent des ajustements d’une ville à l’autre à cause de l’écart de latitude.

À cette époque, le gnomon était simplement une tige verticale émergeant d’un plan horizontal. L’ombre portée servait d’une part à mesurer le passage des heures. Dans son mouvement, le soleil dessine alors une courbe avec l’extrémité de la tige dont l’ombre est à son plus court à midi, quand elle pointe directement vers le sud. D’autre part, la variation de la longueur de l’ombre à midi servait à marquer le passage des saisons, les solstices étant les jours où l’ombrage était le plus long (en hiver) ou le plus court (en été).

Cela dit, sa création ne revient pas à Anaximandre puisque son usage, tout comme la division des jours en douze parties, provenait des Babyloniens. C’est bien à eux, selon Hérodote dans L’Enquête (II, 109), que les Grecs devaient l’art de mesurer le temps. Il serait surprenant qu’ils n’aient alors pas pu déterminer les solstices avant Anaximandre puisqu’aucun calcul n’est vraiment nécessaire. Ce qui n’est pas le cas des équinoxes. Ceux-ci ne se calculent pas simplement en trouvant le point médian entre les positions des ombres aux solstices, tel que le croyaient les Babyloniens. Comme la Souda semble le suggérer, il est probable que ce fut Anaximandre qui fut le premier grec à les déterminer par calcul puisque ses connaissances en géométrie le permettaient.

Prédiction d’un séisme

Dans son œuvre philosophique De la divination (I, 50, 112), Cicéron raconte qu’Anaximandre aurait empressé les habitants de Lacédémone d’abandonner leur ville et leurs maisons pour passer la nuit en campagne avec leurs armes puisqu’un séisme se préparait. La ville s’est effectivement effondrée alors qu’un sommet du Taygète s’est fendu comme la poupe d’un navire. Pline l'Ancien fait lui aussi mention de cette anecdote (II, 81) en suggérant qu'il s'agissait d'une « inspiration admirable », à la différence de Cicéron qui se gardait bien d'attribuer cette prédiction à de la divination.

Interprétations

Bertrand Russell, dans Histoire de la philosophie occidentale, interprète la fameuse citation comme une affirmation de la nécessité d’un équilibre adéquat entre la terre, le feu et l’eau en tant qu’éléments, chacun d’eux pouvant chercher indépendamment à accroître leur proportion relative aux autres. Anaximandre semble exprimer sa croyance qu’un ordre naturel maintient l’équilibre entre ces éléments, que là où il y avait le feu, existent maintenant les cendres (terre). Les pairs grecs d’Anaximandre reproduisaient ce sentiment par leur croyance en contraintes naturelles que même leurs dieux ne pouvaient dépasser.

Nietzsche, dans La Philosophie à l’époque de la tragédie grecque, prétendait qu’Anaximandre fut un pessimiste. Par son concept de l’apeiron, Anaximandre affirmait que l’état primordial du monde était un état indéfini. Selon ce principe, tout ce qui est défini doit éventuellement retourner à l’indéfini. En autres termes, Anaximandre percevait tout ce qui devait être comme une émancipation illégitime de l’état éternel, une faute pour laquelle la destruction restait la seule pénitence. Par cette façon de penser, le monde des objets individuels ne valait rien et devait périr.

Martin Heidegger fit de nombreuses présentations sur Anaximandre (de même que sur Parménide et Héraclite) et rédigea une section de Chemins qui ne mènent nulle part intitulée La parole d’Anaximandre dans laquelle il examine la différence ontologique et l’oubli de l’Être (ou Dasein) chez les premiers philosophes grecs.

Œuvres

D’après la Souda[22] :

  • Sur la nature (Περὶ φύσεως / Perì phúseôs) ;
  • Le Tour de la Terre (Γῆς περίοδον / Gễs períodon) ;
  • Sur les corps fixes (Περὶ τῶν ἀπλανῶν / Perì tỗn aplanỗn) ;
  • La Sphère (Σφαῖραν / Sphaĩran).

Sources

Anaximandre (Wikisource)

Notes

  1. Voir http://www.mlahanas.de/Greeks/SchoolAthens2.htm sur la question de cette identification.
  2. a b et c Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies (I, 5).
  3. Dans ses Chroniques, tel que rapporté par Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres [détail des éditions] (lire en ligne) (II, 2).
  4. Opinion réfutée par le Pseudo-Plutarque, Des opinions des philosophes (lire en ligne) (I, 3).
  5. Aristote, De la génération et de la corruption (lire en ligne) (II, 5).
  6. Simplicius, Commentaire sur la physique d’Aristote (24, 13) :
    « Ἀναξίμανδρος [...] λέγει δ' αὐτὴν μήτε ὕδωρ μήτε ἄλλο τι τῶν καλουμένων εἶναι στοιχείων, ἀλλ' ἑτέραν τινὰ φύσιν ἄπειρον, ἐξ ἧς ἅπαντας γίνεσθαι τοὺς οὐρανοὺς καὶ τοὺς ἐν αὐτοῖς κόσμους· ἐξ ὧν δὲ ἡ γένεσίς ἐστι τοῖς οὖσι, καὶ τὴν φθορὰν εἰς ταῦτα γίνεσθαι κατὰ τὸ χρεών· διδόναι γὰρ αὐτὰ δίκην καὶ τίσιν ἀλλήλοις τῆς ἀδικίας κατὰ τὴν τοῦ χρόνου τάξιν, ποιητικωτέροις οὕτως ὀνόμασιν αὐτὰ λέγων. δῆλον δὲ ὅτι τὴν εἰς ἄλληλα μεταβολὴν τῶν τεττάρων στοιχείων οὗτος θεασάμενος οὐκ ἠξίωσεν ἕν τι τούτων ὑποκείμενον ποιῆσαι, ἀλλά τι ἄλλο παρὰ ταῦτα· οὗτος δὲ οὐκ ἀλλοιουμένου τοῦ στοιχείου τὴν γένεσιν ποιεῖ, ἀλλ' ἀποκρινομένων τῶν ἐναντίων διὰ τῆς αἰδίου κινήσεως. »
  7. Une colonne de pierre, raconte Aetius, dans Doctrines (III, 7, 1), ou semblable à une pierre en forme de colonne, Pseudo-Plutarque (III, 10).
  8. Dans Réfutation, Hippolyte rapporte plutôt que le cercle du soleil était vingt-sept fois plus grand que la lune.
  9. Aetius, Doctrines (II, 15, 6).
  10. La majeure partie du modèle de l’univers d’Anaximandre nous provient des Opinions des philosophes du Pseudo-Plutarque (II, 20-28) :
    « [le Soleil] est un cercle vingt-huit fois aussi grand comme la terre, ayant le tour semblable à celui d’une roue de chariot plein de feu, auquel en certain endroit il y a une bouche, par laquelle il montre son feu, comme par le trou d’une flûte. [...] le Soleil est égal à la terre, mais que le cercle sur lequel il a sa respiration et sur lequel il est porté, est vingt-sept fois aussi grand que toute la terre. [...] [l’éclipse] c’est quand la bouche par où sort la chaleur du feu est close. [...] [la lune] c’est un cercle dix-neuf fois aussi grand que toute la terre, tout plein de feu, comme celui du Soleil.»
  11. Dans Commentaire sur la physique d’Aristote (1121, 5-9).
  12. Pseudo-Plutarque, (III, 2) ; Aetius, Opinions (I, 3, 3; I, 7, 12; II, 1, 3; II, 1, 8).
  13. De la nature des Dieux (I, 10, 25) :
    « Anaximandri autem opinio est nativos esse deos longis intervallis orientis occidentisque, eosque innumerabilis esse mundos. »
  14. Pseudo-Plutarque (III, 3) :
    « Anaximandre tient, que tout cela se fait par le vent, pour ce que quand il advient qu’il est enfermé dedans une nuée épaisse, alors par sa subtilité et légèreté la rupture fait le bruit : et la divulsion, à cause de la noirceur de la nuée, cause la lumière. »
  15. D’après Sénèque, Questions naturelles (lire en ligne) (II, 18).
  16. Pseudo-Plutarque (III, 16).
  17. Il est donc probable qu’en observant la lune et les marées, Anaximandre crut que ces dernières étaient la cause et non l’effet du mouvement de cet astre.
  18. Pseudo-Plutarque (V, 19).
  19. Plutarque mentionne également cette théorie d’Anaximandre où les humains naissaient à l’intérieur des poissons, se nourrissant tels des requins, et que lorsqu’ils étaient en mesure de se défendre, ils étaient rejetés sur le rivage pour vivre sur la terre ferme.
  20. D'après John Mansley Robinson, An Introduction to Early Greek Philosophy, Houghton and Mifflin, 1968 (ISBN 0395053161).
  21. Les informations qui suivent sont tirées de Marcel Conche, Anaximandre. Fragments et témoignages, introduction (p. 43-47).
  22. Thémistius fait également mention de l’œuvre « sur la nature ». Il ne s’agit pas nécessairement de titres de livres. La Souda aurait bien pu ne faire référence qu’aux sujets abordés par son œuvre. Cette liste est d’ailleurs incomplète puisque la Souda termine son énumération par ἄλλα τινά, suggérant donc d’autres œuvres.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Fragments et témoignages
  • Giorgio Colli, Sagesse grecque : Épiménide, Phérécyde, Thalès, Anaximandre, tome 2, Éclat éd., 1992 (ISBN 2905372532).
  • Jean-Paul Dumont, Les Présocratiques, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988 (ISBN 2070111393).
Études
  • Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale en relations avec les événements politiques et sociaux de l’antiquité jusqu’à nos jours, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », Paris, 1953.
  • Robert Lahaye, La Philosophie ionienne. L’École de Milet, éd. du Cèdre, Paris, 1966.
  • Gérard Legrand, Les Présocratiques, Bordas, coll. « Pour connaître », Paris, 1987 (ISBN 2040162968).
  • Abel Jeannière, Les Présocratiques : l’Aurore de la pensée grecque, Le Seuil, coll. « Écrivains de toujours », Paris, 1996 (ISBN 2020255138).
  • (en) Dirk L. Couprie, Robert Hahn et Gerard Naddaf, Anaximander in context: new studies in the origins of Greek philosophy, State University of New York Press, Albany, 2003 (ISBN 0791455386).

Liens externes

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