Tranchée des baïonnettes
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La tranchée des baïonnettes est un monument commémoratif de la bataille de Verdun en 1916. Le site est classé monument historique en 1922 et reconnu en tant que haut-lieu de la mémoire nationale en mars 2014[1]. Il est situé sur le ban communal de Douaumont (Meuse). Il constitue l'un des mythes de la Première Guerre mondiale, avec le « Debout les morts ! » de Péricard[2].
Faits d'armes
Le 9 juin 1916, vers une heure, le 137e régiment d'infanterie de Fontenay-le-Comte (Vendée), composé majoritairement de Vendéens, fut transféré de la citadelle de Verdun pour relever les troupes présentes à Thiaumont avec la mission de tenir la position[3]. Ses deux bataillons déployés sur le versant nord du ravin de la Dame subirent le feu nourri de l'artillerie allemande et les assauts de l'ennemi jusqu'à la fin du mois de juillet[4]. Toutefois l'épisode de la tranchée des baïonnettes se déroula précisément le 12 juin[4].
Arrivé sur place dans la nuit du 9 au 10 juin, le lieutenant-colonel Gauthier, commandant le 137e RI, maintint son ordre de tenir la position, jugée essentielle à l'organisation du front, en dépit d'une situation peu favorable. En effet, d'une part, le régiment fut positionné à contre-pente du ravin de la Dame et dominé par l'ennemi, d'autre part, la liaison avec l'artillerie était défectueuse, et, enfin, les deux bataillons de l'aile droite du dispositif étaient à découvert sur plus de cinq cents mètres. Par ailleurs, des renseignements obtenus de prisonniers et le regroupement de pièces d'artillerie ennemies firent craindre une attaque imminente[3].
À l'aube du 10 juin, le premier bataillon du commandant Denef et le troisième bataillon du commandant Dreux aménagèrent à la hâte leurs positions dans une succession de trous d'obus entre le boyau Le Nan et l'Ouest de la tranchée Genet. La mission du 137° RI ne fut pas modifiée. Le 11 juin, durant dix heures, les positions françaises furent soumises au pilonnage intensif et permanent de l'artillerie allemande. « Les obus tombent jusque dans la tranchée causant de nombreux blessés. C'est un enfer épouvantable. Certains hommes sont debout mais beaucoup sont à genoux pour se préserver des éclats d'obus » selon le témoignage du soldat Pierre Pénisson[3].
Le 12 juin, à partir de six heures, les troupes allemandes, soutenues par leur artillerie lancèrent des assauts successifs, sans succès, avant de pouvoir prendre, enfin, les positions françaises à revers et écraser les deux bataillons. Ce jour-là, une soixantaine d'hommes, à court de munitions et de vivres, se résolurent à demander la reddition[5] et, en un dernier hommage à leurs frères d'armes dont les cadavres jonchaient le fond de la tranchée, ils alignèrent leurs fusils à la verticale[6].
Les jours suivants, l'intensité des combats baissa. Le 137e RI perdit trente-sept officiers, cent-trente-trois sous-officiers et mille-trois-cent-quatre-vingt-sept hommes du rang dans ces combats[3].
Monument commémoratif
Dès décembre 1918, l'abbé Louis Ratier, brancardier du 137e RI en 1916, se rendit sur la crête de Thiaumont et aperçut des canons de fusils sortant de terre[3] qui pouvaient indiquer la présence de dépouilles de soldats enterrés à la hâte dans l'attente d'une sépulture décente[7]. Le commandant du régiment fit alors aménager un petit monument commémoratif surmonté d'une croix, qui, isolé dans le paysage dévasté par les combats, attirait l'attention des nombreux pèlerins. L'un d'entre eux, George T. Rand, un banquier américain, offrit cinq-cent-mille francs pour faire ériger un monument dédié aux héros de Verdun. Son édification ne tarda pas[3].
Des fouilles entreprises en juin 1920 par le service des sépultures de guerre et d'état civil de la 6e région militaire, mirent à jour vingt-et-un corps, tous allongés et désarmés, et dont seuls quatorze purent être identifiés. Ceux-ci reposent actuellement au cimetière de Fleury-devant-Douaumont. Les sept inconnus furent ré-inhumés sur place[8].
Le monument commémoratif fut conçu par André Ventre, architecte des Monuments historiques. L'accès à l'ouvrage se fait par une entrée massive ornée d'un portail en fer forgé réalisé par le ferronnier d'art Edgar Brandt[9]. Passé le portail, un cheminement étroit en escalier, symbolisant les sillons empruntés par les soldats montant au front sur le lieu même des faits de juin 1916, mène à une croix de pierre. Une dalle de béton reposant sur des colonnes couvre l'emplacement de la tranchée des baïonnettes et les croix des sept soldats inconnus qui y reposent[3]. Des fusils dotés de baïonnettes brisées sont plantés à proximité des croix[8].
Au moment de sa conception, le monument devait répondre au triple objectif de conserver le souvenir des défenseurs de Verdun, d'honorer les survivants et de nourrir le patriotisme de l'après-guerre[3]. Inauguré le 8 décembre 1920 par Alexandre Millerand, Président de la République, et par Hugh Wallace, ambassadeur des États-Unis[8], il est aujourd'hui le plus ancien monument du champ de bataille de Verdun[3]. En 1922, il fut classé monument historique. En mars 2014, le monument devint la propriété du ministère de la Défense et fut reconnu, avec la nécropole nationale de Fleury-devant-Douaumont, comme l'un des hauts-lieux de la mémoire nationale[1].
Controverse
Après-guerre, un tourisme mémoriel[10] s'était développé et fit s'entrecroiser différents récits. L'émotion suscitée par la désolation du champ de bataille permit de magnifier la vérité sur les faits d'armes des Bretons et des Vendéens du 137e RI qui, s'apprêtant à franchir le parapet de la tranchée auraient été ensevelis vivants par l'explosion d'un obus allemand. Dans l'imaginaire collectif, les canons de fusils trouvés sur place se transformèrent en pointes de baïonnettes, plus évocatrices de l'horreur des combats. La presse présenta ce lieu comme une « terre sacrée » où les « morts montent la garde »[3],[9].
Une violente controverse naquit rapidement opposant, d'une part, un courant dont la figure dominante est Jacques Péricard, promoteur d'une vision héroïque des faits, et d'autre part, d'anciens poilus, dont Jean Norton Cru, dénonçant une imposture[11]. Ce dernier, qui a rassemblé une somme de récits de soldats de la Grande Guerre[12], s'en prit à « tous les faiseurs de légendes »[13]. Un ensevelissement par projection de terre paraît irréaliste pour les anciens combattants[14], les obus disloquant davantage les tranchées qu'ils ne les comblent[15]. À l'exemple du commandant Bouvard, pris à partie par Cru, certains tenants de la vision héroïque admirent, bien plus tard, la mystification[16].
Malgré ces témoignages et en dépit du résultat des fouilles, l'épitaphe « A la mémoire des soldats français qui dorment debout, le fusil en main, dans cette tranchée. - Leurs Frères d'Amérique » fut inscrite à l'entrée du monument[9]. Comme pour vouloir éloigner toute polémique des cérémonies, aucun représentant du 137e RI ne fut invité le jour de l’inauguration[17].
Une hypothèse récente voit dans le récit héroïque une aubaine pour dissimuler le nombre réel de prisonniers faits par les Allemands au sein de ce régiment qui s'était, par ailleurs, illustré sur les champs de batailles dès 1914[3]. Infirmée par les faits, réfutée par les anciens combattants du 137e RI, l'histoire de la compagnie ensevelie debout des suites de bombardement réapparaît encore régulièrement[8] et est très souvent présentée avant la réalité elle-même[18], confirmant la formule de Lucien Polimann : « l'histoire était bien trop belle pour ne pas devenir une légende »[17].
Symbolique
La tranchée des baïonnettes est une illustration de la cicatrice vivace laissée dans la mémoire nationale française par la Grande Guerre en général et, par la bataille de Verdun en particulier. Dans l'immédiat après-guerre, de tels récits glorieux, conçus par des Français de l'arrière[3], donnèrent une justification à la perte des soldats pour la défense de la Patrie[7] lors de combats jugés a posteriori aussi vains que meurtriers[19].
Toutefois, dépassant les récits et les interprétations des faits, souvent contestables, la tranchée des baïonnettes illustre le sacrifice et le martyr des soldats français à Verdun[3]. Elle revêt un caractère éminemment symbolique comme le résume le commandant P.[20] : « Si l'on me demandait quels titres spéciaux possède la tranchée des baïonnettes, je répondrais : pas plus de titres que n'importe quelle autre tranchée de Verdun, mais pas moins non plus. Si ce monument, qui symbolise la ténacité française, n'existait pas, s'il était question, aujourd'hui seulement, de choisir l'emplacement où il dût s'élever un jour, on pourrait discuter des titres de telle ou telle partie du champ de bataille à cette gloire insigne. Car c'est tout le champ de bataille de Verdun, qui a été le théâtre d'héroïsme inouï, de Vauquois à Calonne, et qu'il conviendrait de recouvrir d'un vaste monument. Car tout ce champ de bataille n'est qu'une vaste tranchée des baïonnettes. Mais le monument existe. Il a déjà reçu les hommages. Il a déjà vu les prières et les larmes des foules pèlerines. Nous pouvons l'honorer en toute tranquillité. »
Annexes
Bibliographie
- Alain Denizot, Verdun, 1914-1918, Paris, Nouvelles Editions latines, , 375 p. (ISBN 978-2-723-30514-3, OCLC 884529418, lire en ligne), p. 132-133
Articles connexes
Liens externes
- La tranchée des baïonnettes avec une bonne documentation
Notes et références
- Arrêté du 20 mars 2014 portant définition et fixant la liste des hauts lieux de la mémoire nationale du ministère de la défense (NOR : DEFD1407040A) - consulter le Journal officiel
- Voir 95e Régiment d'infanterie
- Panneau d'information visible sur le site du monument commémoratif
- voir 137e_régiment_d'infanterie#1916
- Témoignage du lieutenant Lucien Polimann datant du début des années 1930 et cité par Ouest-France dans un article paru le 4 août 2014 et consacré à la ta tranchée des baïonnettes.
- Jean Rousseau, 14-18, les poilus de Vendée, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, coll. « Vendée, les indispensables. », , 127 p. (ISBN 978-2-911-25328-7, OCLC 71552889)
- Voir l'article consacrée à la légende sur le site du ministère de la Défense
- Voir l'article consacré à la tranchée des baïonnettes sur le site gouvernemental Chemins de mémoire
- Voir le site officiel de la mission histoire du département de la Meuse
- Voir sur Chemins de mémoire un article relatif à l'évolution de la mémoire
- « La Tranchée des baïonnettes, qui n'était au début qu'une innocente naïveté, est devenue, par suite de certaines complicités, une indigne imposture ». Jean-Norton Cru (préf. Frédéric Rousseau), Témoins, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Histoire contemporaine », , 727 p. (ISBN 978-2-864-80718-6, OCLC 156911644)
- Témoins : essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929
- Il vise notamment le commandant Henri Bouvard qui « croit pouvoir parler de Verdun en témoin parce qu'il était à l'état-major de la 2e armée (région de Verdun) [et qui] donne dans un livre à prétentions historiques un récit de cet événement conforme à la légende qu'il accepte. Mais nous conjurons nos camarades poilus de ne jamais s'écarter des leçons si claires de leur expérience et de démentir tout ce qui la contredit, en particulier les légendes héroïques », cité par Frédéric Rousseau dans Le Procès des témoins de la Grande Guerre : l'affaire Norton Cru, Paris, Seuil, 2003. (ISBN 2-02-041333-7)
- « Comment peut-on imaginer un seul instant cette rangée d'hommes debout, baïonnette au canon, laissant passivement la terre leur monter de la cheville au genou, à la ceinture, aux épaules, à la bouche. Il ne manquerait plus que le bras qui sort et ébauche dans l'air vide un grand signe de croix... », témoignage cité par Ouest France dans un article paru le 4 août 2014 et consacré à la ta tranchée des baïonnettes
- « Les obus ne peuvent fermer des tranchées, qu'au contraire, ils en disloquent les parois et éparpillent les corps des occupants. » Jean Norton Cru, Témoins, voir ci-dessus
- Henri Bouvard, La Gloire de Verdun, Payot, 1935 : « Notre récit, dans la première édition de La Gloire de Verdun, a été particulièrement critiqué par N. Cru. On pourra remarquer que nous avons supprimé dans cette édition le récit de Dubrulle - que nous citions de deuxième main - dont l'auteur de Témoins a contesté la vraisemblance. » Dans la deuxième édition, il cite le témoignage du commandant Dreux, qui commandait le bataillon voisin de celui enseveli. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un témoignage de première main, mais Dreux a combattu à quelques dizaines de mètres de la tranchée des baïonnettes, le même jour, soit le 12 juin 1916.
- Rapporté par Ouest France dans un article du 4 août 2014
- Voir, par exemple, le panneau d'information visible sur le site du monument ou encore le site internet du centenaire de la bataille de Verdun
- voir Bilan de la bataille de Verdun
- Cité par Christophe Fombaron sur son site internet consacré aux Français à Verdun. Il est l'auteur de plusieurs livres sur la Grande Guerre.